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Full text of "St. Albert de Louvain [microform] : évêque de Liége et martyr (1192)"

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LES SAINTS" 



S* Albert de Louvain 



par 



DOM B. DEL MARMOL, 0. S. B. 



DEUXIÈME ÉDITION 



Victor Lecojffre 



s* Albert de Louvain 



"LESSAIliTS" 

Collection publiée sous la direction de M. Henri JOLY, de l'Institut. 
DERNIERS VOLUMES PARUS : 

Saint Paul, par le R. P. F. Prat. Quatrième édition. 

Saint Jean Berchmans, par leR. P. Hippolyte Belehaye. 5° édition. 

Saint Grégoire VII, par Augdstin Flighe. Deuxième éditioni 

Les B»°^ Ursulines de Valenciennes, par l'abbé J. Loridan. 2« édit. 

Saint Sigisbert, par Fabbé Guise. Deuxième édition. 

Les Martyrs de Septembre, par Henri Welschinger. 2^ ^dzYioji. 

Sainte Radegonde, par l'abbé R. âigrain. Deuxième édition. 

Sainte Paule, par le R. P. Génier. Deuxième édition. 

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Saint Jean de la Croix, par M*' Demimuid. Troisième édition. 

Saint Pie V, par S. G. M»' Georges Grente. Deuxième édition. 

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mont. Quatrième édition. 

Saint Justin, par le R. P. Lagrange. Deuxième édition. 

Saint François Régis, par Joseph Vianey. Quatrième édition. 

Saint Athauase, par l'abbé G. Bardy. Devjeiè'me édition. 

Saint Gypries, par Paul Moncbaux. Deuxième édition. 

Saint Césaire, par Tabbé M. Chaillan. Deuxième édition. 

La Vénérable £milie de Rodat, par M^' Ricard. Troisième édition. 

Sainte Marguerite-Marie, par M»' Demimuid, Sixième édition. 

Saint Charles Borromée, par Léonce Celier. Quatrième édition. 

Le B^ Urbain V, par l'abbé M. Chaillan. Deuxième édition. 

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nuel DE Broglie. Cinquième édition. 

Saint Patrice, par M. l'abbé Riguet. Deuxième édition. 

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Saint Léon le Grand, par Adolphe Régnier. Deuxième édition. 

Saint Léger, par le R. P. Gamerlinck. Deuxième édition. 

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Saint Sidoine Apollinaire, par Paul Allard. Deuxième édition. 

La B** Mère Barat, par Geoffroy de Grandmaison. Septième édit. 

La Vénérable A.-M. Javouhey,.par V. Gaillard. Troisième édition. 

Saint Thomas Becket, par M^' Demimuid. Deuxième édition. 

Saint Benoit-Joseph Labre, par M. Mantenay. Quatrième édition. 

Saint Séverin, par André Bauorillart. Deuxième édition. 

Sainte Mélanie, par Georges Goyatt. Neuvième édition. 

Saint Pierre Damien,parDomRÉoiNALD Birok. Deuxième édition. 

Les Martyrs de Gorcum, par Hubert Meuffels. Deuxième édition. 

Sainte Hélène, par le R. P. Rouillon. Quatrième édition. 

Saint Martin, par Adolphe Régnier. Cinquième édition. 

Saint Eloi, par Paul Parsy. Deuxième édition. 

Le Bienheureux Père Eudes, par Henri Joly. Quatrième édition. 

Madame Louise de France, la Vénérable Thérèse de Saiut-Ao- 
gustin, jpar Geoffroy de Grandmaison. Huitième édition. 

Sainte Colette, par André Pidoux. Troisième édition. 

Le B* Fra Angelico de Fiesole, par Henry Gochin. 6« édition. 
Chaque volume se vend séparément. Broché : 3 fr. 50 
Avec Reliure spéciale. 7 fr, 40. 

TYPOGRAPHIE FIUMIN-DIDOT ET C". — PARIS 






" LES 8AIJ<TS " 



S* Albert de Louvain 



ÉVÊQUE DE LIÈGE ET MARTYR (11921- 



par 



DOM B. DEL MARMOL 0. S. B. 



DEUXIEME ÉDITION 



PARIS 

LIBRAIRIE VICTOR LEOOFFRB 
J. GABALDA, Éditeur 

RUE BONAPARTE, 90 

1922 



X^r: 





NIHIL OBSTAT : 

•J- COLUMBA, 

■ Abbas. 



IMPRIMATUR : ■ 

Parislis, die 11" Augusti 1922, 
E,_ Thomas, 

»• S- 







963285 



A SA MAJESTÉ 

ALBERT l'' ROI DES BELGES 

HÉROÏQUE DÉFENSEUR ' 

DU DROIT OUTRAGÉ 

VAILLANT ÉMULE 

DE SON PATRON ET ANCÊTRE 

SAINT ALBERT DE LOUVAIN 



AVANT-PROPOS 



Une découverte importante faite à Reims au cours 
de l'année iQaô donne au culte de saint Albert de 
Louvain une nouvelle actualité. Les fouilles entre- 
prises dans la vénérable cathédrale si outrageuse- 
ment profanée par les obus allemands ont mis à 
jour plusieurs tombes d'archevêques ensevelis sous 
les dalles du chœur. En cherchant à identifier. ces 
restes funéraires d'après les vieux textes du cérémo- 
nial et des historiens rémois, on s'aperçut qu*il y 
avait « un archevêque du x° siècle en moins, à savoir 
Odalric inhumé en 971, et un du xiii^, ou fin du 
xii% en trop^ ». 

Un soupçon, qui devint bientôt une sérieuse 
probabilité, se présenta à l'esprit de M. Deneux, 
architecte en chef des monuments historiques, chargé 



li Rapport de la commission* 

a» 



des travaux de restauration de la cathédrale. Wy 
avait- il pas eu erreur en i6ia?Xe corps du , 
prétendu saint Albert exhumé de l'église où il 
reposait et transféré à Bruxelles sur la demande 
des archiducs Albert et Isabelle n'était-il pas celui 
d'Odalric ? Et ce personnage inconnu qu'on venait 
de trouver n'était-il pas le vrai saint Albert ? 

Le lo décembre 1920, une commission instituée 
à Reims par son Éminence le Cardinal Luçon se 
réunit pour examiner cette question. On trouvera 
dans notre secondé partie un résumé détaillé du rap- 
port de la commission. Il ne laisse subsister aucun 
doute sur la réalité de la méprise commise en 161 2. ^ 
Le corps conservé chez les Carmélites de Bruxelles 
élait bien celui d'Odalric. Saint Albert reposait 
toujours à Reims depuis 1 192. La reconnaissance 
des restes du saint martyr a été faite officiellement 
par les autorités ecclésiastiques le 18 août 1921. 

Cette découverte si intéressante pour l'Eglise de 
Reims ne devait pas laisser, les Belges indifférents. 
Saint Albert, frère du duc Henri P' de Brabant, élevé 
dans le château du Mont-César à Louvain, évêque de 
Liège, est un saint très vénéré en Belgique. Son 
glorieux roi Albert V l'honore comme patron et le 
compte parmi ses ancêtres ^ .Aussi, un des délégués du 

i. Le chevalier de Borman a publié en igoS à l'occasion du 
75° anniversaire de l'indépendance de la Belgique : Les origines 
belges de notre dynastie. On trouvera dans cet ouvragé les gé- 



Ay Aiy l~jrp,\JfUO. " - - , , JX'ir^ 



Cardinal Mercier à Reims, lors des travaux de la 
commission dont il faisait partie, s'adressant à 
M^"^ Neveux, évêque auxiliaire de son Éminencele Car- 
dinal Luçon, exprima le vœu que le chapitre mé- 
tropolitain de Reims se souvînt de la promesse 
faite en 1 612 de remettre à la Belgique les reliques 
du saint martyr brabançon. Puisqu'il y a eu erreur, 
dit-il, ne doit-elle pas être réparée maintenant? 
M^"" Neveux répliqua gracieusement : « Je n'ai pas 
qualité poqr donner une réponse définitive, mais 
je suis d'avis que les. contrats ne sont pas des 
chiffons de papier. Je puis en tout cas vous assurer 
que NN. SS. les Ëminentissimes Cardinaux de 
Malines et de Reims s'entendront pour partager le 
trésor et que la Belgique n'aura pas à se plaindre 
de sa part. » 

Cet engagement, le chapitre de Reims le remplit 
avec une générosité magnifique. En effet, il fut 
bientôt convenu que le corps de saint Albert se r 
rait transféré intégralement en Belgique et confie 
à la garde- de S, E. le Cardinal Mercier. Celui-^ 
ci aurait le soin de dédommager les anciens déteur 



ïiéalogies établissant " que le roi Albert, comme son oncle 
Lëopold II, descend de Charlemagne, des ducs de Brabant, de 
Limbourg, des comtes de Flandre, de Hainaut, de Namur et de 
Luxembourg, Albert pr se rattachant à la ligne'ë des ducs de 
Brabant'parles maisons de Saxe(pp. a3-a5) et d'Orléans (pp. i5- 
i9),''peut donc, comme l'archiduc Albert, compter parmi ses 
aïeux saint Albert de Louvain. 



X AVÀKT-PROPOS. 

tèurs des reliques en détachant en leur faveur des 
parcelles d'ossements, sans oublier l'Église de Reims 
témoin des vertus et de la mort du saint martyr 
et. qui abrita longtemps ses restes vénérés. Elle 
ne s'en dépouille si généreusement que pour être 
fidèle a la parole donnée et marquer sa bienveillance 
envers une nation voisine et amie. 

Les Belges, reconnaissants de ce geste libéral, 
se félicitent de pouvoir restaurer solennellement le 
culte national d'un saint qui leur est cher à tant 
de titres. 

Telles sont les circonstances qui ont amené la 
publication dé ce petit livre destiné à satisfaire les 
personnes désireuses de connaître la vie de cet 
évêque liégeois assassiné au xiï* siècle et l'histoîi^é 
extraordinaire de ses reliques. 

La biographie d'Albert de Louvain, écrite par 
un contemporain, nous permet de pehétrer au vif 
des événements et des rivalités politiques d'une 
époque troublée et nous introduit dans la vie intime 
d'un grand évêque de ce temps appartenant à 
l'une des plus illustres familles princières de Belgi* 
que. Sans doute, on aurait voulu en savoir encore 
davantage, surtout sur la jeunesse et la première 
éducation du saint. Ce que le biographe nous a 
rapporté si fidèlement de âon élection, de son exil, 
de sa fin tragique suffit pour nous faire voir autre 
chose dans notre héros qu'un personnage politique 



AVAMT-PROPOS, xi 

mis en avant par les membres de sa famille et im- 
molé à la haine et à l'ambition de ses ennemis. 
Non, Albert est pour nous l'élu de Dieu, le 
martyr. Choisi par le chapitre de Liège autant pour 
ses vertus que pour le prestige de sa race, il défend 
dans son élection canonique les droits de l'Église en 
même temps que ses propres droits. 11 est comme 
son émule anglais Thomas de Gantorbéry', le 
champion des libertés ecclésiastiques au xif siècle. 
Sa belle fermeté en face de l'empereur itenri YI, 
et son fier plaidoyer à Rome devant le Pape Céles- 
tin ni et toute la cour pontificale révèlent chez ce 
jeune évêque, dès le début de son pontificat, une 
droiture et une élévation de sentiment peu com- 
munes. Son courage, sa noblesse de caractère qui 
n'ont rien de la témérité s'unissent à une douceur, 
une bonté admirables qui semblent être le fond de 
celte âme candide. Odieusement traqué, persécuté, 
banni, il ne songe pas un instant à recourir à la force. 
Il laisse passer l'orage déchaîné contre lui et, confiant 
dans le secours de Dieu, il souffre patiemment les 
épreuves de l'exil et s'efforce (^'apaiser l'indignation 
de son entourage. Tant de mansuétude et de piété 
dans Un homme si distingué par la naissance et si 
élevé en dignité lui attire, dans sa disgrâce, le respect 

1. Saint Thomas Becket, archevêque de Cantorbe'ry,assassiae 
le 29 décembre 1/70. (Voir la vie de ce saint par Demimuid. 
« Les Saints », Lecoffre, 190g.) 



xii AVANT-PROPOS. 

et l'affection de ses ouailles impatientes de son retour 
à Liège, des familiers compagnons de son infortune 
et du peuple rémois qui l'entoure d'estime et de 
vénération. 

Le charme de cette aimable figure d'évêque et 
de seigneur fait ressortir dans un contraste sai- 
sissant la perfidie de ses assassins, leur cruauté sacri- 
lège, la criante injustice de l'orgueilleux empereur 
teuton et de ses satellites. Il y a dans la biographie 
d'Albert des scènes d'un dramatisme poignant. L'au- 
teur les décrit avec une chaleur entraînante et un 
enthousiasme qui atteignent parfois le panégyrique. 
Jamais cependant on n'a l'impression de se sentir 
en dehors du domaine de l'histoire. La narration 
est vécue. Elle respire la sincérité et l'émotion d'é- 
vénements vrais, encore tout récents et tout palpi- 
tants d'intérêt. 

Plus d'un lecteur sera saisi des analogies frap- 
pantes entre l'attentat sacrilège de 1 1 92 et l'o- 
dieuse agression de la Belgique en 1914- Par respect 
pour la mémoire sereine du doux et pacifique évêque 
si miséricordieux envers ses ennemis, nous n'insiste- 
rons pas sur ce parallèle et sur ces tristes souvenirs. 

Nous préférons attirer l'attention de nos lecteurs 
sur le rapprochement non moins saisissant de deux 
nobles figures, d'Albert évêque de Liège, prince de 
la maison de Brabant, et d'Albert Y^ roi des Belges. 
L'un et l'autre ont, dans des circonstances ana- 



\ ^ AVANT-PROPOS-, " ' " xiii 

logues, souffert et lutté pour une noble cause. L'un 
et l'autre ont triomphé et mérité de Dieu et des 
hommes la gloire et la renommée attachées aux 
grandes et vertueuses actions. 



l'auteur. 



Abbaye de Maredsous. 



CRITIQUE DES SOURCES 



La source principale qui nous fait connaître 
saint Albert de Louvain est la J^ita Mhe?'ti. Cet 
écrit anonyme nous est parvenu dans deux manus- 
crits du xiii^ siècle. Le premier se trouve à la bi- 
bliothèque royale de Bruxelles (n° ^ai-^a^). Le 
second fait partie de la compilation de Gilles d'Orval 
(laSi) ; Gesta episcoporwn Leodiensium dont le texte 
original est conservé à la bibliothèque du séminaire 
de Luxembourg. Heller dans le t. XXV des Monu-^ 
menta Gei^maniœ historica a donné pour la première 
fois en 187^ une édition intégrale de \a. Vita Alberti. 
Le manuscrit de Bruxelles, plus ancien et plus exact 
que l'autre, a eu la préférence de l'éditeur qui indique 
en note les variantes de Gilles d'Orval. De l'avis de 
tous les critiques cette biographie est un fragment 
d'un écrit plus considérable. En effet, malgré le titre 
« Vie de saint Albert », elle commence brusque- 
ment par l'épisode de la compétition à l'évêché de 
Liège, sans nous renseigner aucunement sur la 
naissance et les premières annéçs du saint, De plus, 
Fauteur au début de son récit, en parlant incidem- 
ment de Matthieu de Boulogne tué h la prise d'Au»- 



xvf CRITIQUE DES SOURCES. 

maie, nous renvoie à ce qu'il a rapporté plus 
haut: ut superius dictum est. Or il n'est pas question 
de ce personnage dans le morceau précédent qui nous 
reste. 

Quel est l'auteur de la Kita Alherti? 

Il suffit de lire celte biographie pour se convaincre 
qu'elle a été écrite par un contemporain parfaitement 
renseigné. Bien plus, la précision des faits, l'émotion 
de l'écrivain, le vécu de la narration inclinent à croire 
que l'auteur doit se trouver parmi les compagnons de 
l'évêque exilé. C'est là que les critiques depuis 
Chapeaville^ l'ont cherché. 

Heller, suivi par Balau, l'attribue à Wéry, abbé de 
Lobbes^. Il est incontestable que ce dernier se trahit en 
maints endroits de la « Vie » . A. partir de l'exil à Reims 
jusqu'au moment du martyre, il ne quitte pas le saint 
évêque. Ce sont deux amis inséparables. Wéry a 
entendu raconter par Albert lui-même ou par les 
autres familiers de son maître les faits dont il 
n'a pas été le témoin oculaire : tels la diète de 
Worms, le voyage à Rome, le meurtre; pour tout 
le reste, l'abbé de Lobbes a pu fournir lui-même les 
détails de ce récit si exact, si entraînant, si parfaite- 
ment ordonné . Il y a même des passages qui ne peu- 
vent être que de lui, des faits intéressant particu- . 
lièrement l'abbaye de Lobbes, des scènes auxquelles 
il a seul assisté, des réflexions intimes qu'un autre 
n'aurait pu connaître : par exemple ses entretiens 



I. Chapeavitle^ Gesla pontificum Tungrentium, Trajecten- 
sium et Leodiensium, II, p. i36. 

V.. Heller, M. G. H. SS. XXV, pp. 187 sw'iy. Balau^ Les sources 
de l'histoire du pays de Liège, igoS, pp. 894 et suiv. 



CRITIQUE DES SOURCES. " " xvii 

avec Albert à Reims avant Je départ pour Rome 
(c. 1 3), ses perjîlexitës au sujet du privilège de ^la mitre 
(ibid,), l'histoire de l'anneau prêté à J'évêque (c. 44)» 
etc. De plus, tandis que les autres personnages 
sont cités avec leurs prénoms et leurs qualités, par 
exemple : Maître Gérard chanoine de Liège et doyen 
de Saint-Jean, lui, n'apparaît jamais que sous le titre : 
Abbé de Lobbes et toujours à la dernière place^. 

Cette attribution à Wéry, abbé de Lobbes, de la 
F^ita :Alberti^ exposée par Heller dans la préface de 
son édition, semblait acquise quand M. Kurth a mis 
en avant une nouvelle hypothèse qui s'est iniposée à 
l'attention des historiens. Il existe dans la biblio- 
thèque de l'église Saint-Paul, à Liège, un catalogue 
(n** 289) du xiv° siècle où on lit ce qui suit : Z>ttO 
sexterni papirii Hervardi archidiaconi Leodiensis ad 
Hugonem de Petramonte, episcopum Leodiensem, de 
Frederico imperatore ac Hemico et Philippe lihei^is 
suis et Henrico duce Lovaniensi, Alberto suo fratre 
elecio, confirmato Leodiensi etejus martyrio seu mise- 
rabili transitu^. M. Kurth, dans un mémoire présenté 
à l'Académie royale de Belgique en iqoS.^, expose les 
raisons qui le portent à croire que la F'ita Alberti n'est 
autre qu'un fragment, le seul conservé, de cet ouvrage 
d'Hervard. Son meilleur argument, c'est la teneur 



1. Erant autein quatuor in eapella, sacerdos Gerardus qui 
cantabat,clericus aller qui çântanti respondens serviebat, dom- 
nusetpius Albertus episcopiis, et quartus àbbas Lobiensis {Fita, 
c. 38). 

2. Ce catalogue a été publié par St. Bormans dans le Bulle- 
tin du bibliophile belge, 1866, p. a35. 

3. Bulletin de la Commission royale d^ histoire, sér. v, t. 12, 
p. 160. - ■ 






xviii CRITIQUE DES SOURCES. 

même de ce passage du catalogue que nous venons de 
transcrire. Elle correspond assez exactement au con- ., 
tenu delà Fita. Danscelle-ci, ilestprincipalementques-^ 
tion de l'évêque Albert depuis son élection jusqu'à sa 
mort. Dans la description du catalogue, on cite plusieurs 
noms mais on détaille seulement ce qui se rapporte 
a Albert, en débutant comme dans la Vità par l'élec- 
tion et en terminant de même parle martyre. Une 
difficulté qui s'offre à première vue en comparant les 
deux documents, c'est que la description du catalogue 
nomme parmi les personnages dont traite le livre 
d'Hervard: Frédéric Barberousse et Philippe de Souabe. 
Or dans la Vita, Barberousse n'est cité qu'une fois 
en passant! et il n'est nulle part question de Philippe 
de Souabe. Par contre Henri VI et Henri Y^ de Bra- 
bant y occupent une place importante. A cette objec- 
tion Kurth répond que la J^ita n'étant qu'une partie 
d'un ouvrage plus considérable, on peut vraisembla- 
blement supposer qu'on parlait de ces deux person- 
nages dans les feuillets de l'ouvrage qui ont dis- 
paru. D'après Kurth il était question de l'empereur 
Frédéric au- commencement et de Philippe à la fin, 
car le savant historien, comme Heller, croit qu'il 
manque un morceau aux deux bouts de notre 
fragment. Ne vaudrait-il pas mieux dans celte hypo- 
thèse admettre que le début seul de l'écrit a été 
amputé, et que tout se termine avec l'histoire 
d'Albert. Cette supposition serait pins conforme au 
titre du catalogue qui n'est en somme qu'un résumé 
chronologique de la matière du livre. Dans la pre- 
mière partie qui est perdue, il était question ea; 

I. Chapitre m. 



CRITIQUE DES SOURCES. xix 

professa de Barberousse, de ses deux fils et d'Heari 
de Brabant. Dans la seconde qui nous reste i, tout 
se rapporte principalement à Albert élu, confirmé 
et martyrisé. Ce sont les trois grands épisodes de là 
f^ita : l'élection à Liège et a Worms, là confirmation 
à Rome, le martyre à Reims. Seule la dernière partie 
de l'ouvrage a survécu par le fait qu'un hagiographe 
s'en est emparé, l'a détachée des premiers feuillets 
n'ayant rien à voir avec le saint, et lui a donné 1© titre 
de J^itaAlberti. Si V abbé de Lobbesou un auteur quel- 
conque avait eu l'idée de composer une vie iie saint 
Albert, il l'aurait commencée vraisemblablement à la 
naissance du saint. Personne dès lors n'aurait songé 
à retrancher le début de l'écrit qui nous serait par- 
venu intégralement. 

Mais dans cette hypothèse, que devient le rôle des 
témoins oculaires? que dire des preuves si frappantes 
/en faveur de Wéry citées plus haut? M. Kurth laisse 
à celles-ci toute leur valeur : « Loin, dit^l, d'atté- 
nuer ce qu'a écrit à ce sujet l'érudit allemand (Heller), 
je serais tenté de renforcer plutôt son argumentation 
p. i65). *Hervard est un contemporain des événe- 
ments. Il fut archidiacre de Saint-Lambert de 1^09 à 
1227. Tous les chanoines de Liège cités dans la Vita 
sont ses collègues : llaître Géraïd, ITioma^ de Mar- 
bais^ Hely de Bouillon, Gautier de Chauvency, Siger. 
Il connaît aussi intimement Wéry abbé de Lobbes, la 

1. On coïïiprend que cette partie soit plus de'veloppée que 
l'autre ; le but de l'ouvrage étaut de renseigner Hugues de Pier- 
pont, évêque de Liège, sur les événements intéressant le diocèse 
avant son avènement, il était naturel d'insister davantag^e sur la. 
personne de Féveque Albert et les faits tragiques qui marquèrent 
son épiscopat. 



•■"' t . 



XX CRITIQUE DES SOURCES. 

plus importante abbaye de la principauté. Il a donc 
pu se renseigner parfaitement et recueillir tous les té^ 
moignages oraux et écrits nécessaires pour son travail. 
Il fit sans doute le voyage à Reims pour se rendre 
compte des lieux. C'est là qu'il vit une femme guérie 
de sa paralysie au tombeau du saint : Ipsam libéra- 
tant et laetantem vidit qui haecscripsit [F^ita^ c. xliii). 
D'après Kurth donc tous les compagnons de l'évêque 
qui ont fait partie de sa maison pendant son exil ont 
collaboré à la composition de la Fita. Wéry « occupe 
parmi ces témoins la place la plus éminente », mais 
ce n'est pas lui qui a écrit la F^ita. Il n'aurait pu (c'est 
là un argument assez fort) se décerner à lui-même 
les qualificatifs de diligens et prudens, d'abbas humilis,. 
de depotus abbas^. Le dernier rédacteur de la biogra- 
phie c'est Hervard. 

La thèse que nous venons d'exposer et qui s'appuye 
sur un document certain, le catalogue de Saint-Paul, 
se présente avec un tel degré de probabilité qu'il 
nous semblait difficile de ne pas l'admettre 2. 



1 . Chapitres xxix, xxxviii, xliv. 

2. Elle a cependant rencontré deux contradicteurs : MM. Van- 
derkindere et Feder Schneider. Les objections du premier sur 
lès différences de style et de procédé littéraire entre la FitaAlberti 
et un autre ouvrage d'Hervard le Triumphus Lamberti in Steppes 
ont été réfutées par M.KurJh lui-même dans un appendice à son 
Mémoire (p. 174). Quanta Feder Schneider, il se contente d'af- 
firmer que Heiler a déjà répondu à la thèse de Kurth {Neues ar- 
chiv, 1903, p. 527). Nousavons vainement cherché à découvrir 
à quel passage des écrits de son compatriote le critique alle- 
mand faisait allusion. Il doit s'être trompé, car personne^ que 
nous sachions, jn'a eu avant Kurth l'idée de ce rapprochement 
entre le catalogue de Saint-Paul et la F'ita Alberti. 



CRITIQUE DES SOURCES. xxi 

Mais une troisième opinion encore inédite nous a 
été communiquée, tout récemment. Elle est fort in- 
téressante et nous sommes très porté à nous y rallier. 
Son auteur est M. Darimont, docteur en histoire de 
rtJniversité de Liège, professeur à l'Athénée royal de 
Huy, Sur nos instances, il compte publier lui-même 
prochainement sa thèse. Il nous suffiraicide l'indiquer, 
avec le consentement de l'auteur : 

Le rédacteur de la Vita Alherti ne serait ni Hervàrd 
ni Wèry, mais un moine de Lobbes, compagnon et see?'é- 
taire de l'abbé, -, 

Ce n'est pas Hervard l'auteur de la biographie parce 
qu'il n'est pas, comme le prétend Kurth, le collègue 
des chanoines de Liège familiers de l'évêque exilé. 
Rien ne prouve mêmequ'il les ait connus. Il est d'une 
génération postérieure. Or, la J^ita^ de l'aveu de tous 
les critiques, porte le cachet d'un écrit inspiré au 
moins par les témoins oculaires des faits. On se rap- 
pelle tous les arguments d'Heller en faveur de Wéry, 
arguments admis et renforcés dans la thèse de Kurth. 
M. Darimont y revient. Seulement, il les corrige en 
faisant disparaître la difficulté .soulevée à propos des 
qualificatifs élogieux attribués à l'abbé dé Lobbes. Ce 
n'est pas Wéry, c'est son secrétaire qui a été le 
rédacteur de la Kita Celui-ci ayant accompagné son 
abbé à Reims, aura sur son ordre conservé pour 
l'édification de la postérité les événements tragiques 
auxquels ils avaient été mêlés et le souvenir des vertus 
et de la mort de leur évêque vénéré. Cette hypothèse 
n'enlève pas toute relation possible entre la VitaÀl- 
berti et le catalogue de Saint-Paul. Hervard a pu très 
bien, comme tant d'autres, se servir de la Fïto pour 
la composition de son livre. Telle est en abrégé i'opi- 



XXII CRITIQUE DES SOUKCËS. 

hion de M. Darittiont appuyée Sût un graiïd nombre 
de preuves et de dacuftients. 

Nous tenons ici à remercier cet historien distingué 
de nous avoir gracieusement offert les prémices de 
ses recherches personnelles. Il nous a fourni aussi 
sur saint Albert dés réîlseignemettts nombreux et très 
précis qui nous ont permis de contrôler et de com- 
pléter notre travail avec plus de Sécttfité. 

Les critiques sont d'accord poûf î'éCônnaîtrê la 
haute valeur historique de là F^ita Alherti. Voici 
l'appréciation de M. Balau dans son ouvragé coiirôntié 
par l'Académie royale de Belgique, Les êources de 
l'histoire du pays de Liège : « Lé récit est parfaitement 
ordonné, écrit avec élégance et facilité, il réspire 
une chaleur et une émotion cômmunicatives. Atout 
point de vue la f^ita Alberti est une excelleiïte source 
pour l'étude des événements de cette époque attristée » 

(P-399). 

Kurth, de son côté, dit dû même auteur : « Il a 
fait preuve d'une grande coïiâcicncù d'historien et 
d'un remarquable talent de narrateur^». Les té moi* 
gnagés de ces deux cïrtiques f ââsureroiat lés plus diffi- 
ciles en matière d'hagiographie. Il suffit d'rfïfléuris dé 
lire la Vita Alberti poiir se rendre compte que Cet 
écrit n'a rien de commun avec certaines légendes de 
saints des premiers siècles dont les naïfs auteurs trop 
friands de merveilleux « cherchaient beaucoup plus à 
édifier les fidèles qu'à poursuivre un but historique ou 
. à satisfaire la curiosité des lecteurs^ m. Non, nous 
sommes dans la Kita Alberti Qm^XQUïQ histoire, his- 



1, L'archidiacre Hervard, o. c, p, lyS, 

2. Balàu, o. c, p. 19. 



CRITIQUE DES SOURCES. xxm 

toire vécue, page tragique des luttes politiques au 
xii^ sièole, écïite avec' une couleur locale, une préci- 
sion et une exactitude remarquables. Elle pettt être 
eoutrôlée d'ailleurs par d'autres écrits contemporains. 

La plus importante des autres sources qui nous 
renseignent sur saint Albert est la Chronique du Hai' 
naut de Gislekert de Mans '^. Cet auteur exact nous 
rapporté plusieurs événements racontés dans la ^ita 
Jlh&rti notamment ie récit de l'élection. Chancelier 
et confident de BaudouinV, ses préférences devaient 
pencher vers le candidat de son maître Ajlbêrt de 
Réthel, le rival d'Albert de Louvain. 

Gislebert représente la politique hennuyère ; l'au- 
teur de la V^ita Alberti défend au contraire les inté- 
rêts brabançons. Les deux récits peuvent donc se 
contrôler mutuellement. Or nous ne trouvons entre 
eux que des diflPérences de détails; pour les faits 
importants ils sont pleinement d'accord 2. !>' autre 
part, le chromqueur du Bainaut, quoique vêrîdîque, 
est parfois tendancieux dans ses appréciations. Il 
esquive généralement ce qui serait un blâme pour 
son makre ou pour ses partisans. Il n'a paâ un mot 
de reproche «sontre l'odieuse intrusion à Liège de 
Lothaire de Hochs^tad^n dont Baudomn V eàt l'avoué. 
Il semble même l'exeusj&r âpres lé meurtre d'Albert 
dont le prévôt de Bonn a été au moins la cause indi- 
recte, puisqu'il taxe de très bruelle la juste sentence du 

1, M.G.B. SS,, XXI. m. Vanferkindere a fait, en 1904 une 
excellente édition critique de cette chronique, qui inaugura îa 
nouvelle collection entreprise par la Gommissitjn royale d'his- 
toire pour servir à l'étu'de de l'histoire de Belgique. Au cours 
de notre travail, nous renverrons aux deux éditions, 

2. Balau, 0, c, p. 397-8, 

VIE DE SAINT ALBERT. 



XXIV -- CRITIQUEÎDES SOURCES. 

pape Gélestin III qui privait le clerc simoniaque de 
tout bénéfice et de toute dignité et ne lui laissait que 
la prévôté de Coblence*. 

Parmi les sources secondaires qui ne font que 
confirmer les. deux premières on peut citer : < 

Lambert le Petit, f 1194» moine de l'ahbaye de 
Saint-Jacques, auteur d'une chronique de l'église de 
Liège allant de 988 à 1194- Son œuvre a été conti- 
nuée par Renier jusqu'en 1 280. (M.G.H. SS., XVI, 
p. 65o, éd. Pertz). 

Alberic de Tr ois-Fontaines, moine cistercien de 
cette abbaye située en Champagne.- *I1 composa de 
laSa à i24i une sorte de chronique universelle, 
interpolée par Maurice de Neufraoustier, près, de 
Huy. (Voir Balau, o. c, p. 466j M.G.H. SS. XXIII, 
pp. 868-869, éd. SchefFer-Boichorst ; Kurth B.C.R.H. 
5° sér. t. II, p. 46). 

Continuatio Aquicinctina. Continuation de la chro- 
nique de Sigebert de Gembloux faite au monastère 
d'Anchinen Artois de 1 149 à laS^. (M. G. H. SS. , VI, 
p. 4^0, éd. L. Bethmann). Un érudit allemand, 
M. P. Kath a publié une étude très étendue de cette 
chronique dans le bulletin dé la Commission royale 
d'histoire de Belgique, 1914» tome 83, pp. 1-222. 

La plupart des Annales contemporaines rapportent 
au moins l'élection et le meurtre d'Albert^. 



1. « Sicque confusus ex crudelissimo domini pape arbitrio 
ad terram nativitatis sue reversas est. » (M. G. H., p. 582 ; 
éd. Vanderkindere, p. 283.) 

2. On peut citer ; 

■ Annales de Lohbes, M.G.H. SS., IV, p. 25, éd. Pertz. 
Annales de S. Géreon de Cologne, M.G.H. SS., XVI, p. 784, 
éd. Pertz. 



CRITIQUE DES SOURCES. xxv 

En plus de ces Sources narratives anciennes, il 
existe un certain nombre dUactes diplomatiques qui 
nous ont aidé surtout à reconstituer tant bien que 
mal la jeunesse d'Albert avant son élection. Nous 
citerons les chartes que nous avons pu consulter au 
cours du récit. 

Après le xiii^ siècle la littérature du sujet diminue 
d'importance. On ne signale qu'une Yie de saint Al- 
bert de Louvain perdue attribuée à Adrien d'Ouden- 
boschi. 

Au xvii^ siècle la translation en Belgique des restes 
du saint martyr donne lieu à une floraisoû de vies 
modernes de saint Albert. 

Miraeus çn 1612 publie à Anvers une Fita Alberti 
tirée de Gilles d'Orval. 



Notes d'Orval, M.G.H. SS., XVI, p. 683, éd. Pertz. 

Annales de Floreffes, M. G. H. SS., XVI, p. 62$, éd. Bethmann. 

Annales de Fosses, M.G.H. SS., IV, p. Sa éd. Pertz. 

Annales de Parc, M. G. H. SS., XVI, p. 606, éd. Pertz. 

Annales de Marbach, M. G. H. SS., XVII, p. 166, éd. Wil^ 
mans. 

Annales de S. Jacques à Liège, M. G. H. SS., XVI, p. 642, 
éd. Pertz. 

Chronique de Laon, M.G.H. SS., XXVI, p. 4^», éd. Waitz. 

Baudouin de Ninoi>e,M.G,îl. SS,, XXV, p, 587, éd. Holder- . 

Chronique de Mont Serin, M.G.H. SS., XXIII,p. i63, éd. Ehren- 
feuchter. 

Guillaume de Neubridge M.G.H. SS., XXVII, p. 242, éd. 
Pauli, 

Annales de Cologne, ^M. G. U. SS., XVII, p. 802, éd. Pertz. 

Guillaumele Breton Rigord, M. G. H. SS.^ XXVI, p. 292, éd. 
Molinier. 

I. Balau, 0. c, p. 627. D. Ursmer Berlière, Mélanges d'his- 
toire bénédictine, I, p. 98. 



XXVI CRITIQUE DES SOURCES. 

La plus jntéressaate, paru* en i6i3, porte ce titre : 
Le portrait du vray Pasteur ou histoire mémorable de 
saint Albert, evesque de Liège ^ cardinal du titre de 
Sainte'Croix. Dédiée au Ser'^^ Ai'chiduc Albert^ Prince 
des Pays-BaSy par G. De Rebrepiettes, Sieur d'Es^- 
coeuvre. « Celte publication, dit le chanoine Laenen, 
n'a rien perdu de son intérêt à raison des documents 
concernant l'invention et le transfert des reliques 
cédées aux archiducs^. » 

La Bibliothèque historique de France de Lelong 
(vol. I, n°^ 8782-6) signale les ouvrages suivants : 
Vie traduite de saint Albert, par Christophe Bej-s. 
Lille, 161 3. Du Chesne, Preuves de l'histoire des 
Cardinaux, p. 149; Paris, 1666. Ludonco Donio 
dAttichy : Vie de saint Albert sous le titre : 
I Fleurs de l'histoire des Cardinaux, p. 282. Paris, 
1660. 

Le chanoine David a édité, en 1844» à Louvain,une 
vie de saint Albert en flamand : Geschiedenis van 
den H. Albertus van Leuven, bischop van Luik. 
Une seconde édition parut à Anvers. en 1847 ®* ^^^ 
traduction française en 1848, 

Enfin on trouvera des notices résumées sur saint 
Albert dans les histoires générales du pays de Liège, 
Limbourg, Brabant, etc. par exemple : B, Fisen, 
Sancta IjCgia Romanae Ecclesiae filia sive Eccle'sia 
Leodiensis; Leodii, 1642, I, p. 4iS. Foullon, Histo-r 
riae Leodiensis universae compendium ; Leodii, i655. 
/. Z)<277s, Histoire du diocèse et de la principauté de 
Liège depuis leur origine jusqu'au xin^ siècle. Liège, 
1890. Ernst, Histoire du Limbourg, vol. ÏII, pp. 181 

I. La Fie diocésaine^ Malines^ janvier 1921, p, 6. 



CRITIQUE DES SOURCES. xxvii 

3uiv. A^^am, Histoire de l'ancien pays de. Liège, 
vol. IIÏ, pp. â6o sniv. 

Ces vies modernes, nous l'avouons, n'ont guère été 
utilisées dans notre travail. Nous avons ùyu préférable 
à partir de l'élection, de nous attacher surtout au 
texte original de la P^ita Alberti et d'en exprimer le 
mieux possible le sens et rémotion. Les autres sources 
anciennes, principalement la chronique de Gîslebert 
de Mons, ont servi à combler les lacunes, et nous 
avons ajouté dans des notes explicatives les éclair- 
cissements qui nous ont paru les plus indispensables. 

On reprocliera peut-être k feotre méthode trop de 
dépendance à l'égard de la Vita Àlberti. Nous avons 
suflSsamment établi d'accord avec tous les critiques, 
et par la confrontation avec les autres sources, la 
sincérité et la précision d'information du biographe 
contemporain d'Albert pour pouvoir nous fier à lui 
sans arrière-pensée'. 

Cette page d'histoire a une saveur littéraire que le 
lecteur nous saura gré de lui avoir conservée dans sa 
fraîcheur naïve et originale, malgré certains passages 



I . Nous admettons cependant que certains faits soient discutn- 
hles et pourraient avoir éiê inveate's ingénument par l'auteur 
tels : \^^ volte-face d'Albert de Rethel se ralliamt ^ la cancjidit-^ 
lure de son rival (c 5}, r^le'vation d'Albert au Cardinalat 
(c. lo), le songe et le pressentiment de l'évêque avant la journée 
fatale (c. 36), la saSgnëe de Tabbë de Lobbes expliquant son 
absence au moment du meurtre (c. 38) . Nous signalons aussi 
l'omission peut-être volontaire de la sentence rendue par le 
conseil des princes ecclésiastiques aUemauds dans Taffaire de Yé-^ 
lection. En supposant même que tous ces points soient en défa- 
veur de l'auteur, ce qui n'est pas prouvé, sa sincérité pour l'en- 
semble de l'écrit reste inattaquable. Peu de documents de cette 
époque se présentent avec autant de garantie de véracité. 



xxviii CRITIQUE DES SOURCES; - 

trop admiratifs et parfois un peu tendancieux dont 
il faudra tenir compte çà et là comme on le ferait d'un 
panégyrique. Il nous reste quelques remarques à 
faire sur le style de notre biographe. 

Le latin de la Kita Âlherti, s^ns kXïQ classique, né 
manque pas d'ampleur et d'élégance. Avec M. Kurth 
nous trouvons M. Vanderkindere bien sévère quand 
il le traite de : « tendu, ampoulé, plein de métaphores 
prétentieuses... du goût le plus détestable ». Ce qui 
rend parfois la langue un peu lourde, c'est la redon- 
dance des qualificatifs, la recherche des assonances 
et des mots issus du même radical. Mais dans l'en- 
semble la lecture de cet écrit du xii^ siècle nous a 
paru facile et agréable, le style coloré et pitto- 
resque'. - 

L'auteur est versé dans la littérature ancienne. Il 
cite Virgile (ç. xxv), fait allusion à la légende d'Orphée 
(c. ix) et rappelle le meurtre de Jules César (c. xxxix). 
Mais il connaît surtout les Livres saints ; on trouve 
à chaque instant sous sa plume des réminiiscences et 
des citations de l'Ancien et du Nouveau Testament. 
La Liturgie lui est aussi très familière. Il date toujours 
les événements d'après les fêtes de l'Eglise et non par 
le quantième du mois. Il décrit avec complaisance la 
dévotion d'Albert pour le saint Sacrifice de l'autel et 
pour l'office divin, notamment dans le récit de la der- 
nière messe célébrée par un chanoine auquel assista 
pieusement l'évêquele matin de sa mort (c. xxxviii). 
Les goûts religieux de notre biographe répondent aux 
hypothèses proposées pour établir son identité. C'est 

I. Voir, pour ces particularités stylistiques, Kurth B.C.R.H., 
sér. 5., t. XII, p. 178 suiv. 



'C- I''"" ^ . •" - .- -'S*--,/ ■; --/^ 



CRITIQUE DES SOURCES. xxix 

un homme d'église, un chanoine, plus probablement 
un moine. 

Enfin c'est un Wallon. Il ne sait pas prononcer les 
gutturales germaniques. Au lieu de Hochstaden, il 
écrit Horestat ^ . Nous verrons qu'il ne cache pas son 
aversion pour les peuples d'Outre-B.hin. Heller le fait 
remarquer non sans une pointe d'ironie, dans son In- 
troduction : « Natione Francogallus est quod e^odio 
contra Teutonicos evidentissime patet » (p. i38). 

Sigles employés. , j 

M. G. H, = Monumenta Germaniae historica. SS = Scriptores. 
B.C.R.H. = Bulletin de la Commission Royale d'Histoire. 
A.H.E. = Analectes pour servir à l'histoire ecclésiastique de 
la Belgique. 

I. Kurth, 0. c, p. 162. 






VIE DE SAINT ALBERT 



CHAPITRE PREMIER 



Les premières années. — Albert chanoine écolier de Sai'nt-tam- 
bert. -^ Il est créé chevalier. -^Le cardinal légat d'Albano à 
Liège. — Albert- redevient chanoine et exerce les fonctions 
d'archidiacre. 



Albert de Louvain naquit vers l'année 1 1 66 1. Il était 
fils de Godefroid III, duc de Basse-Lotharingie, et de 
Marguerite de Limbourg. La Belgique, à cette .époque, 
était en voie de formation et n'avait encore trouvé ni 
son unité ni ses limites approximatives. Morcelée en 
divers petits Etats féodaux èans cohésion ethnogra- 
phique que les circonstances et les intérêts locaux 
avaient fait surgir des débris de l'empire carolingien, 
placée entre les deux grandes nations rivales, la 
romane et la germanique, elle était le théâtre des 
intrigues politiques et des luttes sanglantes qui feront 

I. Au plus tôt, puisque son frère aîné Henri I, duc deBrabant, 
est né en ii65 {Annales Parchenses M.G.H. SS. XVI, p.; 606. Gé- 
néalogies du Brabant, M.G.H.SS. XXV, p. Sgosuiv.). Albert avait 
/donc environ vingt-sept ans quand il mourut en 1 192. C'est l'âge 
que lui donne l'auteur de la Fita, p. i44 • Non longe autem 
excesserat fines adolescentiae suae namque inter vicesimum ^uin- 
tum et tricesimum aelatis annum agebat.. 

VIE DE SAINT ALBERT. 1 



2 ' VIE DE SAINT ALBERT. 

pour longtemps de son territoire le champ de bataille 
de l'Europe. Par des guerres continuelles, des ma- 
riages, des combinaisons d'alliances les plus flottantes 
au gré de leurs intérêts particularistes, les princes féo- 
daux cherchaient d'une part à agrandir leur puissance, 
de l'autre à s'affranchir de plus en plus de leurs suze- 
rains respectifs, l'empereur d'Allemagne ou le roi de 
France. 

A l'époque précise qui nous occupe, le duché de 
Brabant avait une politique très remuante. Inaugurée 
par Godefroid III, elle va se développer avec diverses 
fluctuations sous le règne de son belliqueux fils Henri I, 
associé dès ses jeunes années au gouvernement de son 
père ^. Alliée à l'est a l'archevêque de Cologne Phi- 
lippe de Heinsberg, àjl'ouest a Philippe d'Alsace, comte 
de Flandre, la dynastie brabançonne cherchait en 
s'appuyant sur ces riches et puissants voisins à faire 
échec à la puissance impériale autant qu'à l'influence 
grandissante du comte de Hainaut Baudouin V. Celui- 
ci, ami de l'empereur Henri VI et du roi de France 
Philippe-Auguste, qui recherchaient l'un et l'autre 
son alliance, convoitait une double succession, celle 
de Henri de Namur (Henri l'Aveugle) et celle de Phi- 
lippe d'Alsace, comte de Flandre, dont il avait épousé 
la sœur Marguerite. 

Entre les possessions de ces deux princes rivaux et 
l'empire, la principauté de Liège occupait une posi- 
tion importante. Dominant la vallée de la, Meuse, elle 
barrait la route de Cologne vers l'Escaut et la Mer<du 

I . Henri fut créé chevalier en 1 183, Il avait alors dix-huit ans. 
Ce fut à cette époque qu'il débuta dans l'administration du duché 
pendant un pèlerinage de son père en Terre Sainte. (Smets, 
Henri P*", duc ik Brabant^ p. ly.) 



'"■' ^1, , ^ -"s."- s_,-t-s--î -*;;.",'■,.'; *<- %i~ 



LES PREMIERES ANNÉES. 



Nord; Les empereurs allemands en; plaçant leurs créa- 
tures sur le siège de saint Lambert, comme à Trêves, à 
Cologne, à Cambrai, à Utrecht, avaient fait longtemps 
de ces évêchés des remparts ou des postes avancés de 
leur pouvoir et créé ce qu'on a appelé pour les x® et 
XI* siècles l'Église impériale^. Mais peu à peu les 
dynastes locaux, faisant échec à cette politique 4u 
monarque teuton, s'efforcèrent de combattre soja 
intervention d.ansi les nominations épiscopales et ,de 
substituer leur influence à la sienne. 

En droit, idepuis Je Concordat de Worms qui- en 
I i22'avail mis fin à la querelle des investiture^, l'élec- 
tion; aux dignités ecclésiastiques devait se faire libre- 
ment et conformément aux canons.; L'empereur dans 
ses, Etats- conservait seulement le, pouvoir de conférer 
ai l'élu les droits royaux ou régales par le sceptre?. 

En fait, les, princes laïcs intervenaient encore sou- 
vent dans les élections aux bénéfices et exerçaient, au 
moins une pression sur les chapitres quand ils n'em- 
ployaient pas la corruption pour faire passer leurs 
favoris. C'est ecique nous allons voir dans la biogra- 
phie d'Albert, peinture vivante ides abus de cette 
époqiue. 

Les; maisons de Brabant . et de : liainaut sont aux 
prises dans la' compétition à Févêché de Liège. Elles 
cherchent l'une et l'autre à placer leur créature sur 
le siège de saint Lambert. Cependant, le perfide 
Henri VI, revenant d'Italie, se joue de ses vassaux, et 
profite de leur querelle pour évincer lés deux candi- 

I. Pirenne, Histoire de Belgique^ I, chap. m. 

a.'Vôiri plus loin, p. 3o-3 2, un exposé plus complet de cette 
question et le privilège réservé à ^empereur en cas de contesta- 
tion entre plusieurs candidats dans l'élection. 



4 VIE DE SAINT ALBERT. 

dats, annuler l'électiori canonique d'Albert dé Louvain 
et imposer de force un troisième personnage simo- 
niaque sur le siège convoité. 

En sa qualité de cadet de famille, Albert de Lou- 
vain^ c'était souvent l'usage alors, fut dès son enfance 
voué à la cléricature. Nous le trouvons vers l'âge de 
douze ans écolier et chanoine du chapitre de Saint- 
Lambert^. Cet enfant prédestiné par Dieu à la grâce du 
martyre avait, avec la fierté et la noblesse de sa race, 
un mélange de douceur et de force qui rendait sa jeu- 
nesse séduisante à tous ceux qui l'approchaient. Il 
sut, autant par ses bonnes grâces que par le prestige de 
son nom, gagner l'afifection du clergé et du peuple 
liégeois. Une charte de l'époque nous rapporté que 
son père Godefroid vint un jour en personne se pré- 
senter au chapitre de Liège pour réclamer en faveur 
de son fils une maison attenant au cloître de Saint- 
Lambert et le personat de l'église de Tirlemont. Bien 
que le duc de Brabant n'eût aucun droit à ces biens 
acquis en héritage par le chapitre, celui-ci ne fit au- 
cune difficulté de consentir à sa demande. Le docu- 
ment ajoute que cette cession fut faite « parjconsidé- 
ration pourle duc, à cause de l'afifection que l'Eglise de 
Liège avait toujours eue pour lui et de l'amour extrême 
dentelle l'entourait »^. Ces paroles pourraient paraître 
trop flatteuses, mais la suite des événements montrera 

I . Bormans et Schoolmeesters : Cariulaire de l'église de Saint- 
Lambert, t. I, p. 97; Les chanoines écoliers n'étaient pas une 
exception au moyen âge. Voir Kurth : Notger de Liège, vol. I, 
p. 291. 

a. Intuitu et dilectione ipsius ducis quem ecclesia semper digno 
quidemsummocomplexata estamore. Bormans et Schoolmeesters,: 
0. c, p. 97. 



combien réelle et sincère fut l'afifection des chanoines 
<le Liège pour le fils de Godefrbid, héritier des vertus 
^e'sarace. 

Bien que tonsuré, le jeune» Albert ne fut point 
dépourvu de goûts belliqueux. La colline deLouvairi, 
appelée Mont-César depuis Charles-Quint, où s'élève 
aujourd'hui un monastère bénédictin dédié à la sainte 
Vierge 1, n'avait pas au xu® siècle un aspect si paci- 
fique. Dans un site plus sauvage etplus pittoresque que 
de nos jours, l'antique résidence des comtes de Lou- 
vâin, bâtie par Lambert I" [f ioi5), dominait la 
plaine boisée où serpentaient les^ eaux, limpides alors, 
de la Dyle. Avec son fier donjon, ses tours, ses murs 
crénelés, ses fossés, son pont-levis, ce château, forte- 
resse inexpugnable, centre de ralliement pour les 
vassaux et les armées du duc, offrait aux deux fils de 
Godefroid le spectacle de ractivité guerrière et un 
magnifique champ d'apprentissage des exercices mili- 
taires. Montera cheval, chasser, faire de l'escrime, 
manier la lance et le javelot, telles étaient au Moyen 
Age les occupations principales des nobles et le pro- 
gramme indispensable de leur éducation. L'écolier 
de Saint-Lambert se laissa-t-il tenter par l'attrait des 
armes et le désir de se distinguer comme son frère 
Henri dans le métier de la guerre? Jj'histoire ne 
le dit pas. Le fait est qu'un chroniqueur de l'é- 
poque nous montre le jeune^hanoine de Liège, le 
28 octobre 1 187, renonçant à la cléricature et deman- 
dant au comte Baudouin V de Hainaut de le recevoir 



I. Abbaye fondée par les moines, de Maredsous, en 1897. Une 
grande statue de Notre-Dame avec l'Enfant Jésus bénissant la ville 
dé Louvain a été érigée sur l'ancien rempart. 



6 ■ VIE DE SAINT ALBEET. 

comme «hevalier ^. Ce qui étonne ^ans cette soudaine 
initiative d'Albert, c'est qu'il s'aditesse à un seigneur 
qui était, quoique parent^, l'adversaire et le rival 
acharné de son père«et de son frèref^, comme nous 
le verrons bientôt dans l'affaiqre de l'élection^ Le 
fils de Godefroid brûlait du désir d'être ch€valier,<lésir 
sans doute contraire aux vues de son père qui le- dsôs- 
tinait aux dignités ecclésiastiques; Une pouvait donc 
s'adresser au duc pour lui demander de lui ceindre 
l'épée et de lui conférer une qualité incompatible avec 
celle de chanoine. Il va trouver^ un seigneur dont il a 
entendu vanter la bravoure etlapuissance. Albert, dans 
cette entreprise, qu'on pourrait appeler un coup de 
tête ou une escapade^ ne tient pas compte des difiérends 
qui séparent sa famille dé là maison de Hainaut. Dans 
la droituredé son caractère, il estime que demander un 
service à un ennemi, c'est faire honneur à sa lovauté. 
Il ne se trompait pas. Baudouin étonné d'abord, 
se trouve flatté de cette démarche; il admire ce beau 
jeune homme si franc, si plein de grâce et d'ardeur, 
l'accueille avec bienveillance et abrégeant l'appren- 

1. GisleLert, M. G. H., Chronicon Hanoniense^ SS. XXI, p. 553, 
éd.: Vanderkindere, p. jgg. 

2. Baudouin V était parent d'Henri P' et d'Albert de Louvainau 
4« degré : 

Henri II de Louvain 

/ -^ s 

Baudouin II Godefroid V"' 

Baudouin III Godefroid II 

Baudouin IV Godefroid III^ 

Baudouin V Henri 1°' et Albert 

3. Patri et fratri diutius extitlssct invisus. Gislebert, O; c, 
p. 553,- éd. Vanderkindere, p.. 199. 



LES PREMIERES ANNEES. 7 

tissage régjeraentaire des armes qiti'Albjert avait fait 
à la dérobée dans la maison de son: pè'Pe ^, il le crée 
chevalier/ à Valencienoies^; Voilà notre ex-rchianoine 
revêtu du haubert et coiffé dra; heaume, l'épée au 
cotéj là lance, au. poingpj évoluant sur un superbe 
cheval en présences; ^es> seigneurs h^nnuyers qui 
applaudissent aux prouesses du jeune Brabançon. 

Mais était-ce bien la passion des- armes et le désir de 
guerroyer qui avaient poussé Albert à renoncer à la 
cléricature.et à solliciterla qualité de chevalier? Nous 
ne le croyons pas; Dans cette âme généreusp un idéal 
plus grand. s!-était fait jour; , Albert avait entendu 
comme tant d'autres un appel qui retentissait alors 
par toute l'Europe, un criiparti de Romedela bouche 
du chef.de la chrétienté ; ce cri c'était celui de : « Dieu 
le veut 3 ! » Albert n'avait, , semble-t-il, ambitionné Ja 
qualité de chevalier que pour mieux défendre la plus 
noble des causes.:, Il voulait mettre son épée au ser- 
vice de la croix, être soldat du Christ, voler avec tant 

I.: Le candidat à Ja chevalerie pouvait fairei son apprentissage 
dans là maison de son père oui lauprès d'un létranger. Cette pé- 
riode durait de ; cinq à ; sept ans. Lavisse • et Rambaud^ Histoire 
imiuersclle , La Chevalerie, II, pi. 21^ 

2 . . Illlim. .... bénigne isuscepit Ict euin hbnorificeiFalencems jiù- 
litemordinavit. Gislebert,' 0. c.,. p. .553. 

3. Celte anne'e.1187 avait été fatsle pour lescroisés. liavictoire 
de, Hait in remportée le 2 juillet par Saladim' suc toutes lés forces 
chrétiennes du Levant avait anéanti lavec le royaume • latinnde 
Jérusalem les résultats des deux premières; croisades. A - la 
nouvelle de ce : désastre, le pape Urbain III se mit aussitôt à 
prêcher une nouvelle expédition à laquelle? trois souverains 
prendront part : l'empereur d'Allemagne Frédéric Barberouase^ 
le roi de France Philippe-Auguste et le roi d! Angleterre Richard 
Cœur de Lion. Cette croisadej on le sait^ n'aboutitpas au ré- 
sultat espéré. 



8 -VIE DE SAINT ALBERT. 

d'autres chevaliers au secours des lieux saints retom- 
bés au pouvoir des infidèles. Tel fut le rêve d'Albert. 
En effet, quatre mois après, entre le 21 février et le 
27 mars de l'année suivante, le jeune Brabançon, nous 
dit le même chroniqueur, prend la croix, mais, chose 
curieuse, il ne* la prend plus comme chevalier, mais 
comme clerc, car il a renoncé à la carrière militaire 
et est redevenu chanoine de Liég^e et, cette fois, défir 
nitivement. 

Que s'était-il donc passé? La rareté des documents 
ne nous permet de faire que des conjectures. Le 
légat du pape, Henri d'Albano^, parcourait l'Eu- 
rope prêchant la croisade et attaquant vigoureuse*- 
ment le mal encore très répandu de la simonies A 
Liège se passe alors une scène comme on n'en trouve 
qu'au Moyen Age, époque des grands abus et des 
grands enthousiasmes. Dans le vaste palais du prince- 
évêque Raoul de Zaeringen ^ les membres du clergé 

I. Ce personnage joua un rôle important au xii^ siècle. 
Entré fort jeune à Clairvaux, il fut successivement abt)é de Haule- 
Combe en Savoie et de Clairvaux. Élu évêque de. Toulouse, il 
refusa cette dignité, comme plus tard, dit-on, le souverain ponti- 
ficat. Devenu cardinal et évêque d'Albano en 1179^ il fut nommé 
légat de France par le pape Alexandre III pour combattre les 
Albigeois, et légat de France et d'Allemagne en 1187 par Gré- 
goire VIII pour prêcher la troisième croisade et combattre la 
simonie. Il s'acquitta de ces missions avec un grand zèle et mou- 
rut à Arras en 1189. Il fut inhumé à Clairvaux, entre S. Bernard 
et. S. Malachie. {Hist. litt. de France, XIV, p. 45 1 etsuiv.) 

a. Raoul ou Radulphe de Zaeringen était fils de Conrad duc 
de Zaeringen (en Suisse), gouverneur de la Bourgogne, et de Clé- 
mence fille de Godefroid comle de Namur. Il était par sa mère 
cousin du comte Baudouin V de Hainaut. Élu à Liège grâce à 
l'influence de ce dernier et de son oncle Henri l'Aveugle, comte 
de Namur^ il prit possession de son évêché malgré l'opposition 



LES PREMIÈRES A:NNÉE . "9 

s'assemblent au nombre" de deux mille pour recevoir 
l'envoyé du Saint-Siège. Il y avait là des abbés ^ des 
archidiacres, des prévôts, des doyens, beaucoup de 
prélats de diverses églises, et parmi tous ces clercs un 
seul laïc, Baudouin de Hainaut, cousin de l'évêque de 
Liège, le même qui avait créé Albert chevalier. Dans 
un bel élan, environ soixante-dix de cesi dignitaires 
ecclésiastiques coupables de simonie résignent leurs 
bénéfices dans les mains du légat qui les absout de 
leurs fautes et leur inflige une pénitence. Ib distribua 
ensuite aux anciens titulaires les biens dont ils 
venaient de se dépouiller, tout en faisant dés muta- 
tions dans la répartition, donnant à, l'un ce que l'autre 
avait possédé, laissant à quelques-uns moyennant 
compensation les charges auxquelles ils avaient re- 
noncé*. 

C'est dans cette assemblée, continue le chroni- 
queur, qu'Albert abandonna la profession de cheva- 
lier et fut rétabli dans son canonicat et dans l'ordre 
clérical, et il ajoute : « cruce ibidem signatus est ». 
C'est là qu'il se croisa. 

du pape Alexandre III. II fut un chaiud partisan de la politique 
impériale et hennuyère, re idit de multiples services à l'empereur 
Frédéric I et lui procura l'argent dont il avait besoin pour son . 
expédition en Italie. Jamais les abus de la simonie ne furent si 
répandus dans le diocèse de Liège que sous son gouvernement 
et lui-même vendait publiquement les chargesTet les bénéfices 
ecclésiastiques. C'est pour expier ces fautes que le cardinal légat 
engagea Raoul de Zaeringen à partir pour la croisade (dé 
Theux, le Chap. de Si Lambert, I, pp. i66 et suiv.). 
': 1. Gislebérl, o. c, p. 555; éd. Vanderkindere, p. 2o5-6. 
Le chroniqueur du Hainaut parle de 4oo clercs simoniaques. 
Schvolmeesters a prouvé que ce chiffre est exagéré (Voir Kurth, 
Z« rtfo' «fe Ztè^e, II, p. a69,note 4). 

-. ' ^ \. 



10 VIE DE ;sAiNT' Albert: 

Il est à supposer que lé cardinal, informé par?san 
entourage dé la défection retetttissantedui jeune ecclé- 
siastique et dû regret qu'on éprouvait ai Liégei de 
perdre dans le fi^ls dé Godefroid un chanoine aimé et 
un futur é vêquc, engagea Albert à ' rentrer dans la 
cléricature tout en lui permettant de se croiser*. 

Le comte dé Hainaut, qui avait déjài sans doute 
d'autres vues pour le siège dé' Saint-Lambert, put se 
consoler de voir son j eune chevalier de' Valenciennes 
rentrer dans lé chapitre dé Saint-Lambert en;€spérant 
que son départ pour la prochaine croisade T'empê- 
cherait de briguer là succession éventuelle de l'évêque 
Raoul. Quant à Albert, il devait être satisfait; Il ren- 
trait dans l'état ecclésiastique où Dieu l'appelait et 
qu'il n'avait pas quitté peut-être sans remords et 
sans encourir les reproches de son père. Il retrouvait 
l'amitié et la sympathie dû clergé liégeois, et en même 
temps, il n'abandonnait pas tout à fait son rêve de 
partir pour la Terre Sainte . Mais Dieu le réservait 
pour une autre gloire. 

Dès ce moment, Albert s'adonne activement aux 
devoirs de sa charge ecclésiastique. En l'année 1 188 il 
apparaît dans des chartes avec le titre d'archidiacre 
de Brabant^. 

1. On pourrait aussi supposer qu'Albert avait résigne' ses fonc- 
tions ecclésiastiques par répugnance pour le trafic honteux des 
bénéfices dont beaucoup dé clercs de Lîége étaient alors cou- 
pables et qu'il ne les reprit qui'après l'assainissement par le 
légat du Pape de cet état de choses. 

2. Il y avait à ce moment trois Albert ai'chidiacres dans le 
chapitre de Liège. Albert de Louvain arrivait cinquième parmi 
les dignitaires ; « Testes sunt de majori ecclesia Albertus (de 
Rethel) praepositiiSj Simon decanus, Archidiaconi Albertus (de 
Cuyck), Everardus, Albertus (de Louvain)', Henricns de Dongle- 



ALBERT ARCHIDIACRE. "11 

Les archidiacres au xu® siècle avaient une grande 
imipôr tance. Chlargés dé l'administration et delà jus- 
tice dans leur) circonsGriptioti, il leur fallait souvent 
interveniridànisles contestations qui surgissaient entre 
les églisesj les: monastères et les seig^neurs laïcs ; Les 
évêques avaient tout intérêt à élever à ces fonctions 
de grands personnages, originaires de la région, capa- 
bles de tenir tête aux chiefs des puissantes commu- 
nautés religieuses t et de contre-baiaïicer aussi Tin^ 
finance du p:rince. Dans ce vaste diocèse de Liège, 
qui englobait la moitié de là Belgique*, Albert pour 
sa; part devait! compter avec de ■ grandes abbayes 
comme Parc, Tongerloo^ Gembloux^ Heylissemi Graiïd 
Bigard, etc, . . Un lexemple de cette rivalité danfluence 
fut la contestation qui surgit entreil'iabbaye de Ton- 
gerloo et le seigneur Arnould de Diest, au sujet de la 

hertf Alardus cantor. » (Diplôme de Raoul de Zaerîngen conr ' 
firmant la donation des églises d'Aublain et de Sautour faite à 
l'abbaye de Floreffe. A.H.E., viii, p. 364). 

I. Voici d'après M. Gauchie les limites de révêché de Liégç 
à cette époque : « A parler d'une façon générale et d'aprèà les 
divisions modernes de la Belgique et des pays voisins, le diocèse 
de Liège enveloppait dans ses vastes limités la province de 
Liège, le Lîmbourg. belge, le Limbourg et le Brabant hollâu- 
dais, quelques localilés aux extrémités septentrionales et orien- 
tales de" la province d'Anvers, le Brabant à l'est de. Nivelles .et 
de Louvain, y compris ces deux villes, l'est du Hainaut depuis sa 
jonction au Brabant près de Nivelles jusqu'à Cliimai, notamment 
cette dernière ville, Beaumont et Thuin,, la province de Namur 
et quelques localités françaises à proximité de la Meuse, telles 
que Givet, Fumet et Revin, le Luxembourg, belge, sauf la contrée 
de la Semoy à l'est de BouUlon, enfin quelques localités occi- 
dentales du Grand-Duchéict de la Prusse Rhénane, entre aur 
tres Aix-la-Ghapelle » . (Z« querelle des Investitures dans • les 
diocèses de LiégOtCt de Cambrai, i'^ partie, 1890, p. vi.) 



12 VIE DE SAINT ALBERT. 

propriété et des revenus de l'église de Diest. Albert 
rendit un jugement défavorable à l'abbé Hermann de 
Tongerloo.^ Son père Godefroid prît au contraire 
parti pour ce dernier. Un procès s'ensuivit dans lequel 
intervint aussi le duc Henri. Finalement l'affaire fut 
portée au tribunal ecclésiastique de Cologne et se ter- 
mina en faveur de l'abbaye ^ . 

Yers la même époque l'archidiacre Albert eut à 
présider un concile à Jodoigne où comparut Guibert 
Martin, abbé de Florehnes, accusé d'avoir usurpé cer- 
tains droits sur l'église d'Orp^, et une autre assemblée 
à Louvain où il apaisa un conflit survenu entre l'abbé 
de Tongerlop et les seigneurs d'Orbeke^. 

A pariir de 1 1 89 Albert souscrit encore plusieurs 
diplômes^ et apparaît revêtu des dignités de prévôt 



I. Raymakers : Het Rerkelijk liefdadig Diest, Louvain, 
Peters, 1870, p. 29. Waltmann van Spîlbeek : Deabdij van Ton- 
gerloo^ 1888, p. 72 et suiv. 

a. A. H. E. XXI, p, 893. D. Ursmer Berlière : Monastîcoa 
belge, I, p. 20. 

3. Ce concile nous est connu par un acte d'Albert de Lou- 
vain archidiacre, qui entérine les décisions de son chargé de 
pouvoirs. Maître Renier, et du concile. Cet acte inédit se trouve 
dans la collection non encore cataloguée ni inventoriée de Ton- 
gerloo. Nous devons la connaissance de ce document à la com- 
plaisance de M. Darimont. 

4. 11 signe, au commencement d'avril 1 189, une donation faite 
par Jean de Chimai à l'abbaye de Floreffe d'une prébende en 
la collégiale de Saint-Paul. (A.H.E. X, p. a86). La même 
année il est témoin d'un acte de Berthold, costre de l'église de 
Saint-Lambert, qui fait savoir qu'Alard de Stavelot affecte à la 
solennisation de la fête de Saint-Nicolas les revenus de deux 
boutiques situées dans le parvis de la cathédrale. (Bormans et 
Schoolmeesters, cart. de Saint-Lambert, I, p. 114.) 

£n 1191 on le retrouve dans un diplôme du duc Henri I^' de 



ALBERT ARCHIDIACRE. 13 '- 

de Saîiit-Pierre ^ et de Saint-Jean k Liège. Cette der- 
nière collégiale, située dans l'île que forme la MeusOj 
possédait certains droits sur l'église de Saint-Germain 
de Tirlemont. Albert à qui, nous l'avons vu précé- 
demment, avait été attribué le personat de l'église 
de Tirlemont fut chargé de son organisation. Il y éta- 
blit un chapitre avec obligation de célébrer l'office 
divin et régla entre les clercs les attributions des 
charges et des revenus. Ces mesures furent confir-* 
mées dans la suite par Albert lui-même après son , 
élection avec l'approbation du pape Clément III en 

Enfin citons un dernier acte de l'archidiacre de Bra- 
bant en faveur des moines de Gembloux. Ceux-ci 
avaient vu l'église de leur abbaye détruite par un in- 
cendie en II 85. Albert leur vint en aide en leur' 



Brabant qui confirme une donation faite à l'abbaye de Floreffe 
de deux cents bonniers de bois situés à Grand-Leez. (A. H. E. 
Vm, p. 23o.) 

1 . Gomme prévôt de la cpllégiale de Saint-Pierre, Albert est 
certainement mentionné dès 1 189, mais sans doute l'e'tait-il déjà 
en 1188, car un acte de celte année donne comme dignitaire de 
cette église un Albert prévôt. (Poncelet, Inventaire analytique 
des chartes de la collégiale de Saint-Pierre à Liège, Bruxelles, 
1906, pp. XXIII, 5 et 6). Un acte de 1187 cite parmi ses témoins :' 
Albertus prepositus filius ducis lovanie (charte de Rainaud, abbé 
de Saint-Nicaise à Reims, A.H.E. XXV, p. 267). S'agirait-il ici 
de la prévôté de Saint-Pierre ? Mais alors si la date de ce docu- 
ment est exacte Albert aurait eu cette dignité avant la visite 
d'Henri d'Albano à Liège. 

2. Miraeus et Foppens : oper.diplom.ïH.,^. 65. Cet acte fait 
supposer qu'Albert vint à Rome avant le 3o mars 1190. Il rem- 
plaça peut-être par ce pèlerinage son vœu de partir pour la 
Terre Sainte (George Smets : Henri Z^' de Brabant, Bruxelles, 
1908, p. 4?) note 3), 



14 YIE DE SAINT ALEERT. 

concédant généreusement le personat et les f revenus 
de deux églises *. 

1. L'église de Bossut et de Beauvechàine. M.'G.H,^. VIII. 
p. 564 et C.R.H. 4® sér., H, p. 262, note 3. Voir Balau, o. c, 
p. 896, note 3, 

D. Ursmer Berlière a trouvé dans les archives de l'Etat 
à Mons un document inédit assez curieux sur saint Albert. Nous 
le livrons de sa part à la curiosité des érudits. C'est une charte 
du 29 mai 1190 au sujet d'un « différend entre les abbayes de 
Loblihs et d'Aulnes terminé par l'arbitrage d'Albert, prevot de 
Liège et Albert de Louvain archidiacre et abbé de Liège. » {Car- 
tidaire de l'abbaye de Lobbes^ f. 142-1 43). C'est la première fois 
qu'on trouve un diplôme portant la mention d'Albert de Lou- 
vain abbé^ Il s'agit d'une abbatialité séculière dont les plus 
anciennes dans le diocèse de Liège paraissent avoir été celles de 
Notre-Dame-aux-Fonts, Aldeneyck, Amay, Tongres, Meefe, 
Celles, Dinant, Namur, Malonne, Aine, Maliues et Ciney. Cette 
dignité attachée à une collégiale équivalait à une prévôté (de 
Theux : Le chap. de Saint-Lambert, I, p. lvii). 



CHAPITRE II 



L'élection à Févêché de Liège. —La diète à Worms devant l'em- 
pereur. — Intrusion de Lothaire de Hochstaden. 



Mais voici le siège de saint Lambert vacant. L'évê- 
que Raoul de Zaeringen venait de mourir à Fribourg 
en Suisse ', son pays natal, où il s'était arrêté pour 
se reposer en revenant «de Terre Sainte ^. Avec la com- 
pétition àrévêché de Liège commence vraiment l'his- 
toire d'Albert de Louvain. Jusqu'ici, faute de docu- 
ments, nous avons p;u avec peine situer notre héros 
dans le cadre général des événements au xii® siècle, 

sans rien connaître pour ainsi dire de sa vie propre- 
ment dite. Nous entrons maintenant avec son bio- 
graphe au cœur de ce drame vécu qui va se dérouler 
devant nous dans le coloris des moindres détails; et 
d'où se dégagera d'elle-même la physionomie de 
notre saint martyr, si noble et si forte, si candide et 
siaimable. 

L'élection avait été fixée au 8 septembre 1 191, 
fêté de la Nativité de la Vierge. Deux candidats sont 
en présence : Albert de Louvain, archidiacre de Bra- 

1. Ses restes furent ramenés à Liège et inhumés dans la 
cathédrale (de Theux : Le chap. de Saint-Lambert, i, p. 169). 

2. Gislebert, 0. c.,p. 578; éd., Vanderkindere, p. 267. 



16 VIE DE SAINT ALBERT. 

bant revêtu seulement du sous-diaconat, et Albert 
de Relhel archidiacre de Hainaut, diacre et grand 
prévôt de Liège. L'un et l'autre sont patronnés par les 
chefs des maisons princières auxquelles ils appartien- 
nent. Ces grands seigneurs ne voyagent jamais seuls, 
mais la suite qui les escorte en cette circonstance est 
particulièrement imposante. La ville, nous dit un chro- 
niqueur liégeois^, est envahie de ducs, de comtes et 
d'une multitude armée qui donne à la cité l'aspect 
d'une place assiégée. Henri I" duc de Brabant^ soutient 
son frère. Il est accompagné de ses oncles, le comte 
Henri HI de Limbourg et le comte de Dasbourg 
Moha. Albert de Rethel est appuyé par son cousin 
germain Baudouin V de Hainaut accompagné d'un 
grand nombre de chevaliers. C'est un prince puissant 
et entreprenant. A son titre de comte de Hainaut, il 
a joint celui de marquis de Namur et nous le verrons 
bientôt s'emparer de la Flandre. De plus, il est l'allié 
de l'empereur d'Allemagne Henri VI dont la femme, 

I. Lambert le Petit, Annales de S. Jacques. M.G.H. SS. XVI, 
p. 65o. 

a. Godefroid III était mort l'annëe précédente. Le tableau 

suivant montre la parenté de Baudouin V de Hainaut avec 

Albert de Rethel et avec l'impératrice Constance. 

Godefroid comte de Namur (f 1139). 
.A. 



( N 

Béatrice épouse Alice épouse Baudouin IV 

Guillaume de Rethel (fllSS). de Hainaut (Il25-tl71) 

/ ^ — ^ I 

Manasses III Albert Béatrice épouse Baudouin V de Hainaut 

C* de Rethel. de jRei^eï. en 3«' noces (1171-1195) 

Roger II époux de 

de Sicile.. Marguerite de Flandre. 

1 

Constance ("î-llO?) 

femme de l'emp. Henri YI 

(1190-1197). 



;'.;^'? ■"■■-■"■ "•;■-■;:" ^"V"'- :-"—'''"^^L^^ 

l'impératrice Constance, est la nièce d'Albert de 
Rethel. Enfin par sa fille Isabelle, il est le beau- 
père de Philippe-Â.ugûste, roi de France. Mais tous 
ces titres, sans compter l'or et l'argent dont le comte 
est prodigue, ne parviennent pas à faire triompher la 
candidature d'Albert de Rethel. Il n'a pour lui que 
sa naissance. C'est un homme sans culture et sans 
prestige ^ . Albert de Louvain au contraire se recom- 
mande par de brillantes qualités plus -encore que par 
la haute noblesse de son origine 2. Il obtient presque 
l'unanimité des sufiFrages. Quarante-cinq m,embres 
du chapitre se prononcent en sa faveur, tandis que 
son concurrent Albert de Rethel recueille à peine cinq 
ou six voix. ' 

Si l'on considère impartialement les deux candidats 
et les circonstances qui ont entouré l'élection, il n'y a 
pas de doute que ce furent les qualités et les mérites 
personnels d'Albert de Louvain qui firentpencher la ba- 
lance de son côté. En efiFet, les influences politiques 
qui pesaient sur les électeurs étaient au moins équi- 

1. Homînem stolidum el illiteratum cui parum gratiae praeter 
genùs erat [Fita Alberti, c. a). 

2. Qui magnis gratiarum titulis longe clarus superabat alti sui 
generis dignitatem {Fita Albtrti^ ibid.). Gislebert, plus indulgent 
pour le candidat de son 'maître, ne le flatte pas exagéi-ément en 
qualifiant Albert de Rethel de vir tnaturior sed pusillanimis (0. c. 
p. 578; éd. Vanderkindere, p. 258). Le chancelier de Baudouin, 
— d'autre part, rend te'inoignage aux vertus du candidat bra- 
bançon en disant d'Albert de Louvain exilé à Reims : pins, et 
liberalis (ibid., p. 58i et -p. 280). Les autres sources contempo- 
raines confirment cet éloge : sacerdos laudahilis dum pro domo 
Domini zelo justitiae inflammatur. (Continuatio Cremifanensîs, 
M.G.H. SS. JX, p. 548) 5 Fir mansuetus et pius (Rigord. M.G.H., 
XXVI, p. 292), etc.. 



18 ; VIE DE saint; ALBERT. 

valentes de part et d'autre. Il semble même; que; la 
puissance et l'habileté de Baudouin: V l'emportaient 
sur celles du duc de Brabant. Le parti hennuyer, dont 
l'évêque défunt avait été le représentant et qui avait 
amené à la présidence duM chapitre le grand prévôt 
Albert de Rethel, se trouvait dans des conditions par- 
ticulièrement avantageuses. Mais -la supériorité indi- 
viduelle d'Albert de Louvain; sur son concurrent était 
manifeste; C'est elle qui, en dépit dés intrigues poli- 
tiques y fit triompher sa candidature. 

L'élection reconnue, le. comte de Hâinaut honteux 
de son échec se retira avec sa suite, tandis qu'Albert 
de Louvain réunissait dans un banquet le duc-son 
frère et ses amis pour fêter son joyeux avènement sur 
le siège de saint Lambert. Maisune mauvaise nouvelle 
vint tout à coup assombrir la joie > de ce repas. Un 
messager se présentait annonçant tristement là mort 
en Apulie de Philippe, archevêque de Cologne^. Une 
étroite affection u-nissait le défunt au duc de Brabant 
et à son frère. Déplus, ce décès pouvait compro- 
mettre la confirmation 2 de l'élection d'Albert par 
l'empereur qui, nous le verrons, n'était guère bien- 
veillant à l'égard des fils de Godefroid i Geux-ciper- 
daient en Philippe le plus puissant protecteur et 
peut-être le seul conseiller d'Henri YI capable de 
l'incliner en faveur de leur cause. 



1 , Philippe de Heinsberg, fils de Grôswin II sire de Heinsberg 
et d'Alcidé palatine de Somersberg. Il fut d'abord archidiacre et 
ensuite prévôt de Saint-Lambert, puis grand prévôt de Cologne, 
vicaire général dé l'archevêché, chancelier de l'empereur Fré- 
déric P"". Il succéda à l'archevêque Reynold sur le siège de Cologne 
en II 67 (de Theux : Le chapitre de Saint- Lambert, \ p. i56). 

2. C'est-à-dire la collation des régales par le sceptre^ 



L'ELECTION: ^ 19 

Sans tarder Henri de Brabant suivi de son oncle le 
duc de Limboiirg, prend la route de Cologne afin 
d^appuyer l'élection de Brunon son parent et somami^. 
Mais à peine arrivé dans cette ville un ;message plus 
terrible que le premier vient . frapper son oreille 
et son; cœur i: Philippe d'Alsace, le noble comte de 
Flandre, un de ses plus fidèles amis avait succombé 
en; Syrie, au siège de Sain t4jean-d' Acre. Le duc est 
consterné-, bouleversé jusqu'au fond de son âme et 
ses compagnons partagent avec lui sa douleur. Il per- 
dait dans le comte de Flandre son plus ferme soutien 
contre tous ses adversaires. 

Philippe d'Alsace miourall; sans, héritiers directs. 
Les rivalités qui s'élevèrent immédiatement pour la 
suiGcession au comté dé Flandre vont distraire pour 
quel que te mps les intéressés de l'affaire de l'électioai; à 
Liège; Quatre personnes ont des prétentions à d'héri- 
tage du comte de Flandre : i° Mathilde de Portugal, la 
veuve du défunt; 2" Baudouin de Hainautparsa femme 
Marguerite là sœur de Philippe d'Alsace; 3" Henri de 
Brabant par son mariage avec Mathilde de Boulogne 
la nièce du défunt, enfin 4° le roi de France Philippe- 
Auguste, encore occupé à ce moment au siège d'Acre, 
qui en épousant Isabelle la fille de Baudouin de Hai- 
naut avait reçu l'assurance qu'à la mort de Phi- 
lippe d'Alsace une partie de ses États reviendrait ài la 
France 2. Dans ce conflit Baudouin l'emporta complè- 

1. Brunon de Bergqui fut elu,'mais âgé et infirme, rësigna sa 
dignité en II gS. II mourut en 1200. (Voir Vanderkindere, 0; c, 
p. 368, note 2,) 

2. Voici un tableau généalogiqueiquifera coinprendre les diffé- 
rentes prétentions à la succession de Philippe d'Alsace. Nous sou- 
lignons les héritières du comte de Flandre : 1° Mathilde de Por- 






2a VIE DE SAINT ALBERT. ' 



tement. Il gagna de vitesse ses concurrents. Son chan- 
celier Gislebert* envoyé en Italie au-devant de l'em- 
pereur pour obtenir son appui dans la compétition 
à l'évêché de Liège, apprit un des premiers la mort 
de Philippe d'Alsace et se hâta d'en informer son 
maître. Celui-ci sans perdre un instant se- mit à la tète 
de ses troupes et envahit la Flandre. Devant Marguerite 
l'héritière de son frère défunt que Baudouin a eu soin 
d'emmener avec lui, les villes ouvrent leurs portes et, 
sans coup férir, tout le pays jusqu'à l'Escaut est 
occupé par les armées du comte de Hainaut avant 
que le duc de Brabant n'ait quitté Cologne. Celui- 
ci essaye en vain de lui disputer une partie du terri- 
toire ; il doit céder devant la puissance de son rival. 
Quant à Philippe-Auguste il arriva trop tard aussi de 
Syrie pour réaliser ses desseins ambitieux sur la 
Flandre. Après sentence arbitrale rendue entre lui, 

tugal (veuve du, défunt), 7.° Mathilde de Boulogne (femme 
d'Henri P' duc de Brabant), 3° Marguerite cVAXsACè (femme de 
Baudouin V de Hainaut) et 4 ° ^■s^^e^^e (femme de Philippe- Au- 
guste, roi de France). 

Thierry d'Alsace Comte de Flandre (f 1168) 
époux de Sibylle d'Anjou (fil 65) 

/ ■ ; —^ ^ N 

Philippe d'Alsace Matthieu C" de , Marguerite (f ii9i) 
C" de Flandre Boulogne (tll73) femme de Baudouin V 
(t 1191) épouse épouse de Hainaut (t 1195) 
1° 1156 Elisabeth 1» 11 60 Marie fille ^— «^- 



deVermandois dEhennel, iic&e^e, femme Baudouin VI, 

(t 1182). roi d Angleterre, de Philippe- devint 

2° 1184 Mathilde 2° 1171 Eleonore Auguste, roi plus tard 

de Portugal de Vermandois. de France roi de 

(t 1218), fille d'Al- I Constantinople. 

phonsel". Mathilde de 

(appelée reine Boulogne femme 

parce qu'elle était de Henri 1" 

fille de roi). de Brabant. 

I. Notre chroniqueur. 



' • L'ÉLECTION. ^ 21 

Mathilde de Portugal et Baudouin par l'archevêque 
Guillaume de Reims, il dut se contenter des villes 
promises jadis dans le contrat de mariage d'Isabelle 
et de 5.000 marks d'argent que le comte de Hainaut 
solda à son suzerain comme droit de reconnaissance 
de soi^ nouveau fief^. 

Pendant que se, passaient ces événements politi-^ 
ques, Albert évêque élu de Liège administrait son 
diocèse. Mais à l'horizon les nuages s'amoncellent. 
Ses ennemis n'ont pas désarmé dans celte guerre 
sourde dirigée contre lui. Henri de Brabant, j énervé 
par la lutte infructueuse qu'il vient de livrer en 
Flandre contre Baudouin, ne montre plus la même 
ardeur à soutenir les droits de son frère. L'élection de 
celui-ci est pour lui une épine cruelle, un signe de 
contradiction qui va le tourmenter jusqu'à la mort 
d'Albert. S'il avait dès le début agi dans cette affaire 
avec plus de rapidité et de décision, il aurait pu, ayant 

I. Cet accord connu sous le nom de traité d'Arras (1191) divi- 
sait la Flandre en trois parts : 

i) Le roi de France, nous dit le chroniqueur Guillaume d'Aii- 
dres, obtenait tout le territoire situé à l'ouest dû Fossé- Vieux et 
en plus le château et la forêt de Bihoult. (M.G.H. SS., XXIV, 
p. 720). M. Vanderkindere a essayé de reconstituer le tracé de 
cette ancienne ligne de défense : « En résumé, .dit-il, le comte 
de Flandre perdait par cette convention tout l'ancien Boulon- 
nais, l'ancien Ternois, l'ancien Artois, sauf Douai et la partie de 
l'Ostrevant occidental qui en était voisine ». {La formation ter- 
ritoriale des principautés belges au M. A.^ I, 2^ éd., p, 184-187.} 

2) Mathilde de Portugal gardait en usufruit : Lille, Douai, 
Orchies, l'Ecluse, Cassel, Fumes, Dixmude, Bourbourg. Ber-- 
gues, Watten et le château de Nieppe. 

3) 5a«GtoMi/i recevait Gand, Bruges, Ypres, Courtrai, Wàes^ 
Alost, Gramraont, les Quatre-Métiers, les îles Zélandaises. (Gis- 
lebert, 0. c, p. 576} éd. Vanderkindere, p. 263). 



22 . VIE DE SAINT, .ALBERT. 

toute autre intervention, ^prévenir l'empereur occupé 
alors en Italie par des événementsi plus; importaaits, 
et obtenir peut-être ce qu'il désirait. Mais Baudouin, 
vigilant et décidé, le devance partout l. Il envoie son 
fidèle Gislebert ^ au-devant de l'empereur en Italie ^. 
Celui-ci lui donne toutes les assurances pour le choix 
d'Albert de Rethel et fixe rendez-vous au comité de 
Hainaut en Allemagne où il prometide revenir inces- 
samment. Il était déjà en route et s'apprêtait à fran- 
chir les Alpes quand les envoyés d'Albert de Louvain 
vinrent aussi au4devant .de lui. 1 L'hypocrite empereur 
les reçut avec autant dlamabilité etleurfitles mêmes 
promesses bienveillantes qu'aux messagers de Bau- 
douin avec la différence que ces : promesses n'étaient 
pas sincères. 

Avant ide poursuivre notre récit, ilfaut que nnous 
rappelions brièvement l'origine de la rancune : toute 
particulière que l'empereur nourrissait contre le duc 
de Brabant. 

Le faitremonte à l'époque oii Henri VI était encore 
roi de Rome du vivant de son père F empereur Frédéric 
Barberousse. Le comte de Hainaut était en guerre 
avec son oncle le comte de Namur*.. Voulant rétablir 

i.i L'auteur de la Vita Albcrti^:^e\x favorable à Baudouin,: toi 
rend cependant ce témoignage '. Cornes Balduinus qui superior in 
omnihtts emt in auto et argento milvùiaque parafa sibi semper si" 
mulqiie prudentia et providentia consiliique et animi magnitu- 
dineiûd omnia strenue peragjenda^ p. i4o. 

2. Notrel biographe commet une erreur ici en faisant aller 
Albert d« RelheMui-mêœe en Italie. 

3. Il était aloi's occupé au siègede'Naples oùJil perdit les neuf 
dixièmes de son arme'e et tomba lui-^mêrae gravement mialade. 
(Gislebei't, P.-5745 éd. Vnnderkindere, p. 260.) 

4. Henri l'Aveugle dont Baudouin finira par obtenir la -suc- 



L'ÉLECTION. 23 

la paix entrei eux, Henrii roi de: Rome, vint ai Liège, 
lieu choisi pounla réconciliation. iLe comte \ de Na- 
mur arriva au rendez-vous /avec une escorte de cent 
hommes? armés. Il était accompagné de son allié et 
ami le duc Henri de Brabant qmi fit à Liège une 
entrée arrogante à la tête de 3oo fantassins et autant 
de cavaliers. Le roi et! le comte de Hainaut au con- 
traire, ainsi que les seigneurs de leur suite, étaient 
venus sans armes. Bans ces conditions désavantageuses 
Henri YI fut impuissant affaire; aboutir les négocia- 
tions^. Cette huniiiliation, le fils de Barberoujsse ne 
l'oublia jamais. Il en garda» une colère sourde contre 
le duc 'de Brabant. Voici l'occasion favorable qui se 
présente de se venger de lui danS' la ville même de 
Liège où l'affront a été essuyé. 

Le plaid devant Tempereur avait été fixé à Worms 
au mois de janvier, dans l'octave de l'Epiphanie. Albert 
de Rethel était arrivé longtemps à l'avance a la cour 
où sa proche parenté avec l'impératrice Constance 
lui donnait un accès facile. Il avait obtenu d'elle et 
de l'empereur des assurances répétées au sujet de? son 
litige avec Albert deLouvain, et il considérait sa cause 
comme» gagnée. iToutes les apparences semblaient en 
sa faveur et, de fait, on ne peut douter qu'à ee moment 
Henri Vlne fût décidé, endépit des droits de son con- 
current, à lui conférer l'investiture. 

Mais une autres intrigue ses tramait dans l'ombre. 

cession aveoletitreidemarquis deNamur. (Gislebert, o, c.yp. ^72 ; 
éd. Vanderkindere, p. 254,.) 

I. Au moins pour ce qui conceime le comte, de Namur car 
il parvint à réconcilier momentanément Henri P"" de Brabant et 
Baudouin V de Hainaut par la paix de Kaiserwerth. (Gislebert, 
0. c, p. 565 ; éd. Vanderkinderej p. 233.) 



24 VIE DE SAINT ALBERT. 

Parmi les capitaines de l'armée allemande se trou- 
vait un homme réputé pour sa valeur militaire, le 
comte Thierry de Hochstaden. Les services signalés 
qu'il avait rendus à l'empereur dans sa campagne en 
Apulie et en Calabre en avaient fait l'un des plus 
écoutés de ses conseillers. Ce comte avait un frère du 
nom de Lothaire prévôt de Bonn et chanoine de 
Saint-Lambert. Avide d'honneurs et de dignités et 
jouissant d'une fortune considérable, ce clerc ambi- 
tieux aspirait aux plus hautes charges ecclésiastiques. 
Tout récemment, il avait posé sa candidature pour la 
succession de Philippe de Heinsberg à l'archevêché de 
Cologne, mais, malgré la faveur du chapitre, il n'avait 
pas osé résister à l'opposition des partisans de Brunon 
de Bergi. 

Lorsque le comte Thierry vit à la cour les deux 
Albert se préparer à défendre leur cause auprès de 
l'empereur dont l'attitude équivoque ne laissait point 
paraître son choix, il conçut le dessein de saisir cette 
occasion de frustrer les deux compétiteurs au profit 
de son frère Lothaire et de prendre ainsi sa revanche 
contre la maison de Brabant de l'échec humiliant 
essuyé à Cologne. Il vint donc trouver Henri VI et s'in- 
sinuant dans ses bonnes grâces, il charma ses oreilles 
par les discours les plus flatteurs, les promesses les 
plus séduisantes et les plus capables de le gagner à 
ses projets. « Il lui rappela l'insolence du duc de 
Brabant dans la rencontre à Liège avec les comtes de 
Hainaul et de Namur, la mauvaise volonté qu'il avait 
montrée tout récemment pendant son expédition en 
Apulie et en Calabre ; alors que l'empereur l'incitait 

I. Toechè, Kaiser Heiniich FI., p. 217. 



L'ÉLECTION. 25 

aie rejoindre, .usant d'abord de douceur et ensuiteà 
plusieurs reprises de menaces, le duc ne tenant compte 
ni de la clémence de son suzerain ni de la révérence 
due à sa majesté, avait méprisé et sa bienveillance et 
son autorité. Dans le royaume allemand, Henri de Bra- 
bant et son frère élu appartenaient à une maison or- 
gueilleuse et puissante. Si Albert de Louvain obtenait 
l'évêché de Liège, cette force qui arrêtait et contre- 
carrait l'autorité impériale serait doublée. Désormais, 
en face du duc et de sa race arrogante, il n'y aurait plus 
rien de sûr pour l'empereur au delà de la Moselle. 
Quant à Albert de Reihel, c'était un homme de rien, 
impropre au gouvernement. Son frère à lui, Lothaire, 
par contre, bien connu de l'empereur, était solide- 
ment établi par l'âge, la naissance, la science et la 
vertu. La constance de sa fidélité et de son affection, 
le bienveillant empereur pouvait l'éprouver, était aussi 
inébranlable que la sienne propre. Donc, concluait-il, 
autant le choix d'Albert de Louvain à l'épiscopat 
serait dangereux et nuisiMe à l'empereur, autant l'in- 
vestiture conférée à Albert de Rethel serait peu conve- 
nable et ne lui ferait pas honneur. Que le bienveillant 
empereur dans sa haute prévoyance, choisissant un 
parti conforme à sa dignité et aux convenances comme 
aussi à sa sécurité, rejette les vaines et nuisibles 
prétentions des deux candidats et daigne étendre les 
rayons de sa faveur sur son frère Lothaire ». En 
plys de ces perfides conseils, l'astucieux courtisan, 
connaissant la cupidité d'Henri VI, faisait résonner à 
ses oreilles le son de l'or avec lequel il comptait payer 
l'obtention de cette faveur. 

Le jour du plaid étant arrivé, les partisans des deux 
candidats affluèrent à la cour impériale. Le comte de 

2? ■ 



26 VIE DE-SAINT ALBERT. 

Hainaut, retenu par ses affaires en Flandre , , avait en- 
voyé, à Wornis son fils, le jeune Baudouin , escorté d'une 
suite imposante. Henri de JBrabant que ses adversaires 
hennuyers accusaient méchamment d'avoir fait élire 
son frère ipar violence^, vint accompagné de ses oncles 
le duc. de Limbourg et le comte de Dasbourg Moha. 
Mais craignant pour leur sécurité ils se tinrent pru- 
demment en dehors du palais où ils chargèrent des 
amis d'intervenir à. leur place auprès de l'empereur. 
Albert de Relhel, rempli d'espoir, amenait avec lui 
les quatre ou cinq chanoines ;qui avaient voté en 
sa faveur. Albert deLouvain de son côté était entouré 
de plus de 4o membres du clergé iliégeois parmi 
lesquels se trouvaient les principaux dignitaires du 
chapitre de Saint-Lanibert. 

L'empereur commença, par dissimuler, et en, pré- 
sence des arguments invoqués par les deux partis 
opposés et de la contestation qui s'élevait entre eux, 
demanda quelques jours pour réfléchir et examiner 
plus mûrement l'affaire. En réalité, c'était pour se 
concerter tavec le comte de tîochstaden et faire 
aboutir le pian combiné en faveur du prévôt de Bonn. 
Pour couvrir leur commerce ténébreux, l'empereur 
dans une diète générale conféra à Lothaire. lai charge 
de chancelier d'empire, alors vacante, et reçut en 
retour secrètement la somme de 3.ooo marks,: C'était 
le prix du marché honteux par lequel le prévôt de 
Bonn achetait a Henri Vll'investijture de l'évêché ^e 
Liège. Mais pour donner à son choix une apparence 
légale, l'empereur voulut soumettre l'affaire aux 
princes ecclésiastiques et manda à Worms les arche- 

I. Gislebevt^ o, c.j.p. 578; éd. Vanderkindere, pi.aôg. 



L'ÉLECTION". 27 

vêqu«s d« Cologne, de Mayence et de Trêves, les 
évêqués de Mtinster; de Metz, dé Toul, d'Argenteml', 
de Spire, de Wurtïbourg, de Bàmberg, de Bâlé^ lés 
abbës de Fulda, de Lorseh, et de Prûm . Gefùt l'évêque 
de Munsteriqui rapporta la décision du conseil. Elle 
déclarait que l'évêché de Liège était remis entre lés 
mains de l'empereur et qu'il pouvait en disposer > à 
son gré*. 

Cette sentence injuste ' (nous y reviendrons plus 
loin) révolta les partisans d'Albert de Louvain et ren- 
força d%bordrespoir d'Albert de Rethel et iïcs siens. 
Ceux->-ci confiants dans les promesses réitérées de l'em- 
pereur s'imaginaient que cette décision n'aurait pour 
effet que d'éliminer leur rival et d'assurer l'élection 
dû candidat hénnuyer. Ils furent bientôt détrompés. 
Albert de Retliel, informé de l'intrigue machinée par 
le comte de Hbchstaden et du marché conclu entre 
Henri VI et Lothaire, comprit qu'il était joué par l'em- 
pereur. Il vint aussitôt trouver son compétiteur Albert 
de Louvain, se rallia à son élection avec tous ses par- 
tisans et jura de ne plus jamais se séparer dé lui?. 

1. Gislébert de' Mons^ o. c, p. 578* ëd. Vanderkindere^'p, aSg. 
Cëttecônstiliation des prélats allemand* ne se trouve pas dans 

la P^ta Albèrti. Il est peu probable que notre biographe ne l'ait 
pas connue . A part le souci dé la vér Hé intégrale qui ne préoccu- 
pait pas lés historiens dé cette époque au même dêgi'é qu'au- 
jourd'hlii, l'autieur de ]& Pita avait de bonnesTaisons de passer 
cet incident sous silence. Il diminuait dans une certaine mesure 
la culpabilité dé l'empereur et mettait en opposilixjn d'une façon 
regrettable et même scandaleuse lé idt'ôit d'Albert de Louvain, 
bientôt confirmé par le pape, et le jugement dans une affaire ca- 
nonique de l'épiscopat allemand. 

2. Gislébert omet 'ce récit du retour d'Albert de Rethel à la 
candidature d'Albert de- Louvain, Hellér et Tbéche insinuent 



^8 VIE DE SAINT ALBERT. : 

« A la reprise de l'audience, les chanoines se pré- 
sentent devant l'empereur dans un accord parfait. 
Albert de Rethel, grand prévôt et archidiacre de Liège, 
de sa part d'abord, puisqu'il avait la première voix au 
chapitre, puis de la part des archidiacres et de toute 
l'Église de Saint-Lambert acclamant l'élu d'une seule 
voix, unanime et canonique, présente Albert de 
Louvain et avec tous, fléchissant le genou, demande 
à l'empereur, selon qu'il est juste et équitable, d'é- 
tendre sa main clémente sur l'élu et de lui conférer 
l'investiture des droits régaliens à l'évêché de Liège. 

« L'empereur réplique aussitôt avec emportement 
qu'il n'est ni juste, ni équitable, ni digne de son gou- 
vernement d'admettre cette demande, que le droit et 
l'honneur de son pouvoir impérial légué par son père 
de sainte mémoire, l'empereur Frédéric, exigent que 
dans toutes les églises de son royaume dont il peut 

que cette volte-face du concurrent de l'évêque de Liège a été 
inventée par l'auteur de la Fita Alberti. (M. G. H., XXV, p; i43, 
note I.) La seule raison serait que ce fait n'est pas rapporté par 
Gislebert. Ils oublient que le chroniqueur de Mons n'écrit pas 
une relation aussi détaillée des événements que notre biographe. 
11 a pu passer sous silence un incident moins intéressant pour 
le favori de son maître que pour son concurrent. Ce change- 
ment d'attitude d'Albert de Rethel après la trahison de l'empe- 
reur est assez naturel. Albert de Louvain avait l'estime . du 
clergé liégeois. Des motifs politiques seuls avaient détourné 
quelques chanoines de sa candidature. Les dissidents y revien- 
nent volontiers d'autant plus qu'ils espèrent par cette unanimité 
faire échouer l'odieuse intrigue de l'étranger teuton. 

Vanderkindere dit à propos de cet incident : « la Fita Alberti 
est la seule source d'après laquelle Albert de Rethel se serait 
désisté en faveur d'Albert de Louvain. Toeche (p. aaS, note i) 
croit peut-être à tort que ce récit est faussé dans l'intérêt du 
candidat brabançon ». (O. c, p. 270, note i.) 



L'élection; kb'- 

disposer, chaque fois qu'il, y a des divisions dans 
l'élection à r.épiscopat, les partis opposés perdent 
complètement par le fait même leurs voix au cha- 
pitre, que tous les droits et tout le pouvoir dans ce 
cas lui reviennent d'étendre la main sur qui il veut et 
de conférer l'investiture à celui qu'il juge le plus 
digne. Pour le cas présent, ajputa-t-il, qu'on ne 
vienne pas dire qu'il n'y a pas de partis et qu'on est 
unanime. S'il n'y a plus de partis maintenant^ il y en 
a eu auparavant, et, par conséquent, sa volonté et les 
convenances exigent que lui, empereur, interpose 
son parti entre les partis opposés. ■ - 

« A cela les chanoines répondirent qu'on-ne pouvait 
considérer comme un parti sérieux l'opposition de 
quatre ou cinq votants n'exerçant aucune dignité dans 
l'Eglise de Liège et n'ayant point de raisons. valables 
pour justifier une attitude dont ils avaient d'ailleurs 
corrigé la légèreté en se ralliant à la majorité. Que 
pouvaient en effet opposer ces quelques dissidents 
aux cinquante-ciriqi iîhanoines pris parmi les hommes 
les plus éminents? . 

« Comme ils parlaient encore, l'empereur furieux les 
interrompt brusquement et déclare qu'il choisit 
Lothaire prévôt de Bonn ; séance teaante, il investit 
des régales à l'évêché de Liège celui que, trois jours 
auparavant, il avait nommé chancelier du royaume 
teuton, dignité que Lothaire, suivant un accord préa- 
lable, abdique aussitôt entre les mains de l'empe- 
reur. ^ 



I. Le biographe en compte ici avec les opposants quinze de 
plus qu'auparavant. Il avait dit au chapitre V : usque ad qua- 
draginta et amplius. 

2. 



SO VIE DE SAINT ALBERT. 

« Devaat une conduite si odietisé,' tout le clergé^de 
ÏJiége se levé en pïiotestânt et Albert > de Lou^ain, 
l'éluy déclare à la face de l'emipereui?' aveci uïïe 
grande fermeté que son élection est canonique, qu*oïi 
fait injure et violence manifeste à la Sainte Égliiàe de 
Dieu et à sa liberté respectée de toute antiquité et 
qu'il en appelle au Siège' Apostolique . 

«Alors l'empereur I enflammé de colère^ ordonne de 
former les portes afin que pBrsonne ne puisse s'é«- 
chapperj puis éclatant en violences et en menaces, 
il somme les chanoines de consentir à son acte' et de 
recevoir comme élu Lothaire le prévôt de Bonn. 
Albert de Rethel semblable à un roseau agité par le 
vent et plusieurs chanoines cèdent à la volonté impé- 
riale. Mais les autres restent fermes dans leur déci- 
sion. Enfin l'empereur admonesté par les siens de l'in- 
convenance qu'il y avait à lés retenir plus longtemps, 
permit à Albert de Louvain et à ses partisans de se 
retirer, ce qui mit fin à cette malheureuse séance*.» 
L'indignation qui perce dans ce récitduibiograph» 
d'Albert est-elle justifiée? L'empereur, à part le pro- 
cédé simoniaque et violent dfoot il était coutumier, 
n'était-il pas autorisé, comme le prétend l'historieti 
Hauck^ à suivre l'avis des prélats allemands et à exer- 
cer dans ce cas d'une élection contestée son droit de 
dévolution? La question, comme nous le verrons dans 
la suite, sera tranchée nettement par le papei Géles- 
tin III. L'injustice et la mauvaise foi d'Henri VI sont 
manifestes. Aux termes du Concordat de Worms 
conclu en 1122 entre Calixte II et Henri V, dans les 
électionsaux évêchés, en cas de dissension au chapitre, 

I. Vita Alberti^ c. 5, 



L'ÉLECTION. 31 

l'empereur avait le droit de se prononcer pour le 
parti le plus digne, après avoir pris conseil du métro- 
politain: et de ses snffragants : « ut si cpiainter partes 
discordia emerserit,! metropolitani et comprovinciàlium 
consilio veljudiciov saniori partiassensura: et auixiliiiim 
pra^beas "* ». 

Au mépris des droits évidents d'Albert de touvain 
qui avait certainemetit pour luila« sanior pars », sinon 
l'unanimité du chapitre, l'avis des conseillers; trop 
complaisants d'Henri VI, aurait pu excuser peut-être, 
sinonlégitimer le choix d'Albert de Rethel, candidat 
dé' la minorité; il ne pouvait en aucune façon' servir 
dé prétexte à la criminelle intrusion de Lothaire; 
Hàuck' justifie la sentence des prélats allemands et la 
conduite de l'empereur par les précédents du règne 
de Frédéric Barberousse. Il va jusqu'à dire que c'était 
là le droit en vigueur, que cette pratique avait force 
de' loi ^. En conséquence^ d'après lui, la résistance de 
Gélestin III confirmant Albert de Louvain malgré la 
volonté impériale, était une atteinte aux prérogatives 
dé l'empereur dans l'Église 3. 

L'historien protestant renverse ' singulièrement les 
rôles. Il ne tient pas compte du concordat de Worms. 
L'es abus qui se perpétuent ' malgré ce pacte solennel 
terminant la lutte entre la papauté et l'empire, sont 

I. M. G. H., leges^ secl, iv, i, p. i6i. 

3. « Denn die unter Friedrich ziir Herrsehaft igekbmmene 
Rfechtsanschauung, dass im Fall einer zwiespâltigen Wahl ?der 
Kônig zu ernennen habe, blieb in Ûbung. Ja sie wurde jetzt aus- 
drùckiich als giltiges Recht anerkannt. « Kirchengeschichie 
Deutschlands, igoS, IV, p, 66i. 

3. Das war ein AngrifF gegen die Stellung des Kaisers in der 
Kirche; 



32 VIE DE SAINT ALBERT. 

pour lui le vrai droit en vigueur qui prévaut sur la 
législation écrite. La sentence de Géleslin III dans le 
prpcès canonique d'Albert est un empiétement sur 
les droits de l'empereur. 11 oppose à ce jugement du 
pape et de la cour pontificale la sentence des évêques 
allemands dans l'intégrité desquels il a pleine con- 
fiance ^ Il oublie ique plusieurs d'entre eux et des plus 
influents étaient des créatures ou des serviteurs de 
l'empereur : tels les deux archevêques de Trêves et 
de Mayence, le premier ancien chancelier de Fré- 
déric I", le second archi- chancelier d'Allemagne. 
Il n'est pas certain d'ailleurs que l'avis rapporté 
par l'évêque de Munster reflétait exactement la pen- 
sée de tous les conseillers de la diète. Brunon, l'arche- 
vêque de Cologne, parent du duc Henri, récemment 
élu grâce à l'appui de la maison de Brabant, n'a dû se 
rallier à cette sentence qu'avec beaucoup de répu- 
gnance. La même timidité de ce prélat, nous le verrons 
plus loin, l'empêcha de conférer à Albert la consécra- 
tion épiscopale. L'empereur imposait sa volonté. On 
n'osait lui résister. En fait, la force primait le droit. 
Voilà la vérité. On ne s'y trompait pas, et la preuve, 
c'est que,, de l'aveu du chroniqueur montois, favo- 
rable cependant à l'empereur, la nomination de 
Lothaire causaun scandale dans l'Eglise'^. Aussi, nous 
séparons-nous nettement de l'historien allemand 
dans le jugement qu'il, porte sur ces faits. Avec les 
gens de bien de cette époque, nous considérons l'intru- 
sion de Lothaire à Liège comme hautement injuste 
et anticanonique, et la sentence du pape Célestin IJI, 

1. Mânner vonunanfechtbarer Kirchlichkeit. 

2. Gislebert, o. c, p. 578; éd. Vanderkindere, p. 370. 



L'ÉLECTION. 33 

€11 plus de la soumission due à son autorité souve- 
raine, comme la parfaite expression du droit eh vigueur 
et de la justice. 

Cependant Lotjiaire, aveuglé par son ambition et 
fort de la protection impériale, s'empare de l'évêché 
de Liège. Le comte de Hainaut, prompt à se consoler 
de l'échec de son cousin compensé par celui du can- 
didat brabançon, eslun des plus empressés à reconnaf- 
tre l'autorité du prévôt de Bonn. Il fait avec lui un traité 
d'alliance et lui prête son appui pour l'occupation des 
places fortes et des châteaux de la principauté. C'est 
le triomphe de la violence sur le droit. L'évêque intrus 
s'impose par la force et prend en mains sans être in- 
quiété le gouvernement du diocèse. Ce ne sera pas 
pour longtemps. 



|^'S":'r>>-:;*>^>^r.ï-^':?S?/S 



CHAPITRE Ilii. 



Voyage à Rome. — Procès canonique et confirmation d'Albert. 
— Le pape Célestin III l'ordonné diacre et le nomme cardi- 
nal. — Retour. 



Albert de Loùvain se trouvait dans une situation 
très angoissante. Plusieurs de ses amis et de ses fa- 
miliers s'étaient détournés de lui, les uns par peur, 
les autres pour rester dans les bonnes grâces de l'em- 
pereur; d'autres attendaient en silence l'issue des 
événemenls; enfin, plusieurs travaillaient ouverte- 
ment contre lui. Le duc lui-même manifestait peu 
d'empressement et de zèle à soutenir la cause de son 
frère et à l'aider de ses ressources dans des circons- 
tances si importantes. Lui cependant ne se découra- 
geait pas et montrait une âme supérieure à toutes ces 
épreuves. Il se décida avec quelques amis à entre- 
prendre le voyage à Rome, au mépris des dangers 
les plus graves qui l'y attendaient, et préférant à sa 
sécurité la liberté de l'Église de Dieu et l'honneur de 
sa dignité. 

L'empereur, lé poursuivant de sa malveillance, 
envoya partout des messagers munis d'instructions 
pour lui barrer les routes vers Rome par terre et par 

I. Ce chapitre est emprunté textuellement à la Fita Alberti. 



VOYAGE A ROME. 35 

mer. Une colère sans borne lui) faisait oublier la 
sérénité due à la majesté impériale. 

Albert, pour éviter ces embûches, renonça aux 
voies, les plus .directes et choisit un ohemin- long et 
détourné. Son intention était en tpaversant la Pro- 
vence d'arriver à Montpellier et de gagner' Rome par 
la mer. Il prit «donc un déguisement ainsi que tous 
ses compagnons, et se mit en route dans , Ic; plus 
grand secret. Mais arrivé à Montpellier, quelques 
indices suspects vinrent l'aveirtir de se mettre en 
défiance. Jugeant plus sûr de ne pas s'embarquer, il 
s'engagea dans les chemins étroits et escarpés qui 
traversent les Alpes maritimes et passa ainsi en Italie. 
Cet itinéraire offrait de grandes difficultés. Il fallait 
ses frayer un chemin dans des endroits inaccessibles, 
tantôt escalader les montagnes et tantôt longerlacôte, 
traverser Gênes, Lucques et Pise, pour atteindre 
Rome où le pape Célestin ÎO, averti de l'entreprise 
d'Albert et des embûbhes dressées partout sur sa 
route j était plein de sollicitude et fort anxieux sur le 
sort des voyageurs. 

Dans tous les lieux où on s'arrêtait pour loger, Al- 
bert cachait sa qualité de seigneur et se faisait passer 
pour un simple domestique soignant les chevaux- à 
l'écurie et préparant les mets à la cuisine. Une fois, 
l'hôtelier de la maison où ils avaient pris logis était 
occupé à' laver ses propres chaussures; avant de les 
cirer, les voulant faire sécher, il s'adressa à 'Albert 
et lui dit grossièrement : « -Valet paresseux qui ne 
fais rien, prends ces souliers, tiens-les devant le 
feu, puis cirei-les-moi. » Albert crut devoir obéir à 
ce malotru et se mit à faire sécher les chaussures, 
mais quanta les cirer, il jugea que ce n'était pas son 



36 ^ VIE DE SAINT ALBERT. ' ' 

affaire. Imaginant un prétexte dont le fâcheux hôte- 
lier ne pourrait se formaliser, il prétendit que les 
chevaux se débattaient dans leurs liens, rendit tran- 
quillement en souriant les souliers à leur propriétaire 
et courut à l'écurie. Là, joyeux d'être quitte, il s'at- 
tarde à dessein, disant à haute voix que les chevaux 
sont embarrassés les uns dans les autres, qu'il doit lés 
délier, que sa présence est nécessaire auprès d'eux, 
alors qu'il n'en était rien, enfin il fait si bien que -- 
l'aubergiste désespérant de son concours se décide à 
cirer lui-même ses souliers, besogne, n'est-ce pas, 
qui lui revenait. 

Une autre fois, ils s'arrêtèrent dans une localité 
où un noble célébrait solennellement ses noees. 
Habitants et étrangers, tout le monde fut invité à la 
fête. Albert et ses compagnons, entraînés par leur 
hôtelier, durent s'y rendre aussi. On les pria de 
faire honneur à l'assemblée par leur participation, 
de vouloir bien, si l'un d'eux en avait le talent, 
jouer du luth, et de charmer les oreilles des assis- 
tants par quelque instrument de musique. Les com- 
pagnons de l'évêque présentèrent alors le faux domes- 
tique. Les vêtements informes et le visage couvert 
d'une sueur noire, combien cet Albert était diffé- 
rent de l'élégant seigneur dont les formes gracieuses 
révélaient la noblesse du sang et la haute distinc- 
tion de naissance ! Le maître de la maison s'em- 
pressa de lui offrir une harpe. Comme un autre 
David, Albert dans le parfum de son adolescence 
avait fait ses délices de cet instrument de musique 
suivant la parole de l'Ecclésiaste : « Lsetare juvenisân 
adolescentia tua. » Cette adolescence d'ailleurs, elle 
n'était pas bien loin. Il avait alors entre vingt-cinq"et 



VOYAGE A ROME. 37 

trente ans et avançait en âge et en sagesse vers les an- 
nées viriles. Les doigts habiles se mirent donc à glisser 
sur les cordes et en tirèrent des accords délicieux qui 
charmèrent plus que ceux d'Orphée les oreilles des 
auditeurs. Toute l'assistance applaudit. Mais Albert se 
souvenant avec tristesse de la réalité au milieu de ces 
réjouissances, refusa le salaire qu'on lui offrait et, 
prétextant un travail imposé par ses maîtres, se retira 
au logis, heureux de se dérober et d'être seul. 

Enfin après bien des fatigues et des peines, inven- 
tant mille stratagèmes pour échapper aux piégés tendus 
sur leur passage, les fugitifs, Dieu aidant, arrivèrent 
sains et saufs dans la ville éternelle. 

Albert voulut comparaître aussitôt tel qu'il était 
d evant le pape ^. Son teint était brûlé par le soleil, 
le visage couvert d'une couche de poussière et de 
sueur,' la tête couverte d'un bonnet de lin noir, les 
pieds dans de larges chaussures au cuir épais et dur, 
les habits d'étoffe vile et grossière, la ceinture informe 
et vulgaire où, dans une gaine malpropre pendait un 
énorme couteau. Tel était l'accoutrement de ce gentil- 
homme, de cet évêque élu, que vous auriez pris pour 
le plus misérable des serfs, tout souillé par les plus 
bas offices de la cuisine. Albert entra directement 
dans le palais pontifical et se^ présenta devant le Sou- 



I . Célestin III était cardinal diacre depuis soixante-cinq ans 
quand il fut élu pape à l'âge d'environ quatre-vingt-cinq ans, le 
3o mars 1191. Ordonné prêtre le Samedi Saint> i3 avril, de la 
inême année, il fut consacré le Dimanche de Pâques, et le len- 
demain, il procédait dans la basilique de Saint-Pierre au couron- 
nement de l'empereur Henri VI et de l'impératrice Constance. 
-Il mourut le 8 janvier Ï198. (Baronius, Ann. eccl., XIX-XX, 
p. 601 et suiv. ; Jaffé, Reg. Pont, Rom.^ 11^ p. 577.) . 

VIE DE SAIST^ALBERT. 3 






38 vie: DE SAINT, âXBERT. 

verain Pontiie. Il était acoompagaé de Gaothiei' d% 
Chauvfeacy^ arehidiacre, de T'k©aaaas de Marbais,. 
Ghanoine de Sais&t^lj»mh&ct et d^e quelqiaes fa-Hiilieis:»; 
ses attires amis par CT^inte de Fempereur m'avaient 
pas osé afl&'onter de si ij^paisds; éawgersv 

Quand le pope €éi«stin le vit «©trer dans cet état et 
sous oe dégwts©Ment, ii hésita, étonné, devant Fin»*' 
Gornïu qui apparaissait aiïisi à l'iuaprovisfie : « Ymeiy 
Saint-Père, dirent les -ekanoiiieSy votre fils., i'èlu de 
Liég«, Albert d<e L«m\îaini, ferisé paor le long v©yage 
qu'il vient d'Acco«lîpîiur à Cravers, d« grands daïi^ers-w. 
A ces mots le pape ému fonidh; e» larmes et faisaaait 
approcher Albert, il se jeta à scm cou, le couvrit de 
baisers en disant : « Béni soit Dieu qui a déliwé mon 
enfant dte là gueul« diu lion. Jei savais, mon fils, qrne 
vous étiez parti et jéfâis oonsainéde crueUes igaqiuié- 
tudes en song^eant à tous lespériès dressés sair vôtres 
chemin. J'ai été informé die tout avant votre arrivée. 
Je sais comnaent s'est faitje votre élection et 1» façorn 
dont l'empereur vous a rejeté. VousT-enezici défendre 
votre élection et en demander la validation. Par la 
volonté de Dieu et sous le paCronagedes saints Apotires: 

I . Gauthier de Chauvency ou Caverchin dont le vrai nom est 
Walt^r de Rav^nstein, cliatioine puis açehidiacjre de Saint- Lam- 
bert, fut élevé à la dignité de doyen de la cathédrale en 1200. Il 
fonda à Liège le célèbre hôpital dit de Saint-Matthieu-à-Ia chaîne. 
Il fut aussi abbé de jNelïe-'Daiaae-âus-Foiatstet établit à Saiot- 
Lambert iie. collège de Saint-Majierne. Il maua?«it le 212 nov.iaorj 
(de Theux, Le c/ttxp. de Saiai-Hambeirt, I, pf,. iSg et suiv.,). 

3. Thomas de Marbaàsi &iit ua des, plus dévoués partisaaas. 
d'Al'beict de Lou^vain. Il figiaire comme chanoine depuis 1189; et 
me!Ud.'ut à Rome «n 11=95 de la maladie contagieuse qui empocta; 
Simon de LiiraboïUîg, le successeur élu d'Albert à l'évêehé de 
Liège (de Theitx, 0, c, p.. igi-iga). 



yOYAGE A ROME. 39 

Pierre et Paul, vMpe pein« ne sera pas inmtiie, et si 
l'enquête canonique est concluante, votre élection 
sera confirmée, «Par ^es paroles, et d'autres propos 
bienveiJilaînts le Saint-Père «onsola Albert et puis 
l'envoya se reposer 4e ses fatigues,. Il se retira donc, 
laissant toute la cour pontificale remplie d'une tou- 
dbante sympatàie à son égard. 

Le procès «anonique Commença à Pâques et dura 
jusqu'après l'octave de la Pentecôte» Albert apportait 
les ^preuves irréfutables -de soja élection. La curie ro- 
maime en fit un esLamen .attentif^. 11 lui étaiit aisé de 
termiaer cette affaire en peu de jours et de confirmer 
la validité d'une élection dont personne ne doiïtait^ 

Mais il y avait une chose qu'on .craignait terrible- 
meM, c'était l'indignation de l'enaiperBur contre le dixc 
de Louvain et son frère Albert ; on savait que la vio- 
lence et l'obstination d'un Teuton ne s'apaisent ;pas 
facilement^. Pour ce naO:tif, la cour romaine se trouva 
fortement divisée. Les uns estimaient qu'il fallait obéir 
à Dieu plutôt qu'aux hommes et défendre la liberté de 
l'Eglise de Dieu malgré tous les périls du monde. 
Les autîres, c'était la minorité, prétendaient qu'on 
devait épargner à l'Eglise des dangers certains et 
menaçants et les plus graves scandales qui pourraient 
résulter de ces événements; qu'on ne parviendrait 
pas à adoucir la férocité de l'empereur 3, ni résister 
à sa puissance, que sa colère supérieure aux lois ne 
se soumettrait à aucune loi, qu'aucun glaive humain 

1. Nous ne possédons malheureusement aucun document pon- 
tifical relatif à ce procès. 

2. riolentia ejus et obstinaÛQ qiiae more Teuionici facile non 
sedatur^ p. i45. 

3. 'Imperatoiis feras animas non passe mibigam, ihicL 



^ ■^^'^:W^v:'}f;f'i:'WW^^ 



■^^-Tz'^'y-y^;^ 



40 VIE DE SAINT ALBERT. 

ne pourrait réprimer les écarts de celui qui détenait 
dans ses mains le glaive suprême. La discussion se 
prolongea ainsi plusieurs jours entre les cardinaux 
sans pouvoir arriver à une décision. Albert insistait 
avec force, demandant le jugement de Dieu, non 
celui « des hommes. « Que faites-vous donc, dit-il, 
vous qui êtes ici pour juger, vous les fils de Dieu par 
excellence au milieu des hommes, vous, élevés au- 
dessus des enfants des hommes, allez-vous indigne- 
ment subordonner le jugement de Dieu au jugement 
des hommes? Craignez de rabaisser le jugement de 
notre Dieu et jugez ce qui est juste de mon élection.. 
Si elle n'est pas canonique, annulez-la. Si elle est 
canonique, hâtez-vous de la reconnaître et de donner 
une conclusion favorable à la discussion qui s'est 
élevée à son sujet. Je n'emploierai pour faire triom- 
pher ma cause ni or ni argent, car je ne mets pas 
mon espoir en eux, et d'ailleurs il n'y en a pas de 
grandes quantités chez moi, mais ce que j'ai, c'est ma 
cause, la voila, à vous de la juger. Ce n'est pas l'argent 
c'estla justice qui décidera de mon droit. L'argent, que 
Lothaire le prévôt de Bonn se confie en lui, il en 
regorge, il nage dans l'or. Qu'il mette sa force dans 
la puissance de l'empereur et qu'il s'appuie sur sa 
faveur pour attaquer la liberté de l'Église de Dieu. 
Pour moi, tout mon espoir repose en Celui qui est la 
Yérité et la Justice, en Celui qu'aucune puissance hu- 
maine et aucune malice ne peuvent arrêter. Si vous 
craignez les scandales et les périls humains, craignez 
Dieu davantage, car il est terrible de tomber dans les 
mains du Dieu vivant; craignez que la peur des 
hommes ne vous fasse étoufiFer le jugement de Dieu. 
C'est sur moi en premier et en dernier lieu, c'est sur 



VOYAGE A ROME. 41 

ma tête en définitive que retomberont les scandales et 
lés dangers que vous craignesz. Que je meure de la 
mort des justes et que ma fin soit semblable à là leur. 
Pour la justice de Dieu et pour la liberté de son 
Église je suis prêt à exposer ma vie, à mé jeter dans 
les derniers, dans les plus grands périls. » 

La fermeté de ce noble seigneur, dont les paroles 
dans une bouche si jeune avaient la gravité de la vieil- 
lesse, excita dans toute la cour un désir très ardent 
de lui rendre justice; justice enveloppée par la lu- 
mière d'en haut d'une telle clarté que tous, cardinaux, 
princes romains, sénateurs, furent unanimes à la 
reconnaître. 

Ce résultat remplit de joie le pape Célestin, qui 
avait pour Albert l'afiFection paternelle la plus tendre, 
et il détermina le jour où la sentence serait rendue. A 
la date fixée, toute la cour pontificale ainsi qu'un grand 
nombre de nobles romains accoururent au Latran et 
remplirent le palais de leur afïluence. On rappela 
brièvemient les faits et tout ce qui avait été dit au sujet 
de l'élection de Liège, le rejet par l'empereur, l'intru- 
sion de Lothaire le prévôt de Bonn, enfin toutes les 
questions qui'avaient été soumises à la cour romaine 
et finalement à qui appartenait le bon droit. Le pape 
Célestin, conformémentau jugement rendu à l'unani- 
mité, approuye et confirme l'élection d'Albert de Lou- 
. vain et condamne tous ceux qui se sont opposés à cette 
élection. Cette sentence est accueillie avec un grand 
enthousiasme par toute l'assemblée qui applaudit en 
l'honneur de l'élu élevé à une si haute dignité. 

A cet honneur s'ajoute un honneur plus grand 
encore. Le Souverain Pontife nomme Albert cardinal 
et lui imposant la mitre sur la tête le fait asseoir 



42 VIE'Dï; SAINT ALBERT. 

parmi les jpfinces de la Sainte Église romaine. 
Le samedi suivant, dans la solennité des Quatre - 
Temps de la Pentecôte, le pape conféra à Féki 
l'ordre du diaconat et voulut qu'à la messe de ce 
jour, à la grande joie de L'assistance, Albert, car&iat 
diacre, chantât pour k première fois le saint EVan- , 
gile'^. 

T. PhiîHenrs auteurs ont éinis des toutes sur cette êlévatim^ 
d'Albertau; cardinalat. Par exemple : Heller, Fita dlberti^ p. 146, 
note i... Elle paraît en effet extraordinaire. Le fait ne se trouve 
relaté parmi les sources anciennes que dans la Fita Alberti. Les 
écrivains du xviie siècle attribuent à Albert le titre cardinalice 
de Sainte-Croix. Nous le trouvons dans la bulle de Paul' V, rô 1 3, 
autorisant le culte d'AJibert. ("Voir plus loin appendice^)'!! n'existe 
pas, que nous sachions,, dams les archives vatieanea de: docu.'- 
raents qui permettent de vérifier ce fait. Jaffé le passe sous 
silence bien qu'il rapporte la confirmation d'Albert à Rome dans 
les actes de Celestin IIÏ. (Regesta Pont. Rom. Il, p. 691.) Parmi 
l«s cardinaux qui souscrivent les bulles de ce pape il ne s'en 
trouve pas dai titre, de Saimte-Croix de JérusaileHi. Ce tiitre^sous 
Clément III, le prédécesaear de Celestin III, a e'té occapé par le 
cardinal Albinus, qui le 6 juin 1189 apparaît comme évêqued'AL- 
bano, et perd en conséquence son titre de Sainte-Croix. (Jaffé, 
Reg. Pont. Rom. p. 533.) Chose assez curieuse, dans les Âcta 
poutificum Romanomm inedlùa, lïî, p. Syo-S', édités pair 
PQugk-Hartung, nous trouvons deuix bulles de Clémient III, pro- 
venant des arclîives de Pérouse, du 17 et 18 mai 1189, où parmi 
les cardinaux signataires se trouve un Alb[ertus) (sic) presbiter 
cardinalis tit. sanctœ crucis in Jérusalem. C'est' sans doute une 
erreur de copiste. Cet Albertus est pi'obablement l'Albinas dont 
nous venons déparier. Ce nom étant écrit en abrégé : « Alb. » 
on a transcrit (AIb)^rlusaurieud'Albinus. SeraLt-ee là l'origine 
du titre de Sainte-Croix attribué à Albert? Ce n'est pas impos- 
sible. Le nom cFun Albert cardinal du titre de Sainte-Croix 
à la fia èxx xn^ siècle a pu passer grâce à cette erreur de copiste 
dans les fastes cardinaliees et entrer ainsi dans le domaine de 
l'histoire. Cette hypothèse relative à des bulles de 11 89., ne 



Après cet afC^e important, le pope "CélesâiB prit avee 
mne grande so<lfKckt»èe les mesiBres aéasessaîres poiar 
faire renlireir siai® et sauf s®n cfeear fils Albert éans sob 
pays et lui procurer les ^moye»» d'obtenir l'ordina- 
tioffi saceréo-tale et ki icoasécration épiiseopale, afin 
d'a«hevetr en lui l'cBravre qu'il a^^ail Jmi-même si pater* 
nelleroent eoimmencée. IlécriTit àcet effetdeuxlettpes, 
Fuae adressée à Brunotn, arclievêque dte GologîDej 
l'ambre à GaîMaitHiue-, arcibesi^èqae de JkiMiBiîBS, afin que 



prouve rien pour ou contre la nomination d'Albert de Louvain 
au cardinalat quatre années plus fard le 3o mai 1192. 

A défaut de documents positifs deux argumenta nous sem- 
MienJt plaider eu faiveur de la yraisem:Wa«ee dia fait rappcâ-tc 
par la Vlta : 

1° La sincérité constante de l'auteur qui n'avait aucun intérêt 
à inventer cette histoire et à revêtir son héros de la pourpre 
au mépris de la vérité. Aïbert qui avait obtenu gain de cause à 
Kome apparaissait; sans cette distinction assez honoré par la 
confirmation dé son élection épiscopale et l'accueil si paternel 
du pape. 

1° Le même fait se reprodui ïl quelques années après en iigS 
en faveur de Simon de LimWurg le cousin germain d'Albert. 
Son élection à Liège ayant été contestée de nouveau par lie parti 
hénnsuyer, il viait à Home avec soïi conïpétiteur Albert de Cuyk 
soumettre sa cajise au même pape Célestin. Le& critiques ne sont 
pas d'accord sur l'issue finale du procès.. Mais ce qui est certain, 
c'est que Simon fut nommé cardinal, et cela malg;^ré son jeune 
âge : il n'avait que dix-huit ans. Il ne jouit pas 'longtemps de cet 
honneur, car il mournt d'une anal'adre conHagieuse à Rome, au 
Hiois d'août de la même aimée iigS, Ses,tiTestes furent déposés 
solennellement dans la basilique du LaBraja... (Mist. du Limboiu'g' 
Ernst, III, pp. 2x3-235.) 

N'est-ce pas en souvenir d'Albert de Louvain cardinal que le 
pape voulut honorer delà même dignité son cousin Simon? En 
tout cas si le fait est vrai pour le secxjnd, poiurquoi ser»it-it 
invraisemblable pour le premier.!* 



44 VIE DE SAINT ALBERT. 

si le premier par crainte de l'empereur déclinait 
le mandat apostolique, le second pût procéder à 
son exécution. Il envoya aussi plusieurs messages à 
diverses personnes pour renforcer les mesures prises, 
condamner Lothaire de Bonn s'il ne s'amendait pas 
et tous ceux qui auraient la présomption de s'opposer 
aux décisions apostoliques sur la dignité d'Albert. Il 
ordonnait à tout le clergé et au peuple liégeois, à 
toutes les autorités ecclésiastiques et laïques du dio- 
cèse, et enjoignait à chacun en particulier sur son 
honneur pour la rémission de ses péchés, de faire 
leur soumission à Albert. Il les déliait de la foi jurée 
au prévôt de Bonn, l'intrus de l'empereur, et leur 
mandait de prêter serment de fidélité et d'obéissance 
à celui dont l'élection, reconnue juste et canonique 
était approuvée et confirmée par le Saint-Siège. Toutes 
ces lettres étaient écrites en double et confiées à des 
courriers indépendants les uns des autres, afin d'éviter 
les embûches préparées sur toutes les voies de terre 
et de mer où pourraient passer les voyageurs à leur 
retour de Rome. De celle façon, la petite escorte de 
l'évêque se scindant pour le retour en deux groupes 
différents, si les lettres confiées à l'un d'eux venaient 
à être interceptées, on pouvait espérer qu'avec l'aide 
de Dieu les autres arriveraient à destination. Par une 
délicate attention, le Saint-Père avait strictement 
défendu à tout le personnel, portiers, scribes, notaires, 
même aux cardinaux, exerçant une fonction ou une 
dignité quelconque dans la cour romaine, d'accepter 
une rémunération quelconque d'Albert, et avait 
recommandé de faire tout gratuitement en faveur de, 
celui qui s'était exposé à tant de fatigues et de dangers 
pour défendre la liberté de l'Église. 



VOYAGE A ROME. 45 

Prenant celui-ci- en particulier, le Souverain Pon- 
tife l'entretint familièrement et lui parla comme un 
père à son £Is bien-aimé. 11 lui répéta avec beaucoup 
d'insistance et d'affection, de ne se laisser ébranler ni 
par la crainte, ni par lés prières, ni par les promesses, 
ni par les menaces, et.de n'abandonner à aucun prix 
sa résolution et son droit que lé Saint-Sièçe avait 
sanctionné et patronné d'une façon si solennelle et 
après une si mûre délibération. Le Saint-Père avait/ 
pris l'élu de Liég-e en affection et lui témoignait une 
tendresse toute paternelle. Comme marque de cette 
prédilection, il voulut lui faire quelques présents, et 
lui offrit un anneau d'or en gage de la fermeté de sa 
foi et deux mitres précieuses, l'une pour lui et l'autre 
pour l'abbé de Lobbes. Albert avait recommandé ce 
dernier au Saint-Père à cause de l'amitié toute spé- 
ciale qui l'unissait à ce prélat et à son abbaye. 

Il était temps de partir. La cause était gagnée et 
la faveur du pape désormais assurée. Albert, pour 
tromper ses ennemis, feignit de prolonger son séjour 
à la cour pontificale, tandis que tout était prêt pour 
le départ. 11 divisa ses compagnons en deux groupes, 
leur assignant des itinéraires différents pour retour- 
ner dans leur patrie, puis vint en secret trouver le Saint 
Père et lui demanda sa bénédiction et la permission 
de partir. Le pape en pleurant et en l'embrassant le 
combla de ses bénédictions et de ses vœux et le con- 
gédia enfin avec ses derniers adieux le cinquième jour 
après l'ordination au diaconat. On était au commen- 
cement du mois de juin. Ayant trouvé un bateau mar- 
chand en partance dans le port de Rome, il y monta 
en cachette. Arrivé aux bouches du Tibre il se confia 
àlamer sur la même embarcation qui l'amena jusqu'à 

* 3. 



46 VIE DE SAINT ALBERT. 

Pise . Là, ayant appris que des embûches F atteandaient 
il renonça à la navi'gation! et prit la voie de ten*. Par 
les sentiers détoumês des monitag'nes qui loim-geBt le 
littorai], avec beaucoup de peines et de sueurs et tou- 
jours environné de dang^ers, il arriva enfia aux Alpes 
d'Hannibal connues sous le nom -de Mo^t-C'enis.. Au 
pied de cette cime, dans une pilace forte tramsalpne ap- 
pelée Susa, il rencontra un gentilhomme frança>is très 
aimable, le comte de Cbâlon-sur-Saône. Celui-oi, *re- 
marquant les manières distinguées du voyageur et ses 
allures mystérieuses, se douta qu'il était en préseisee 
d'un personnage important dont la vie étail; menacée 
et lui demanda gracieusement qui il était, d'où iilvenaJE, 
ou il allait, lui promeUtant secret et assistance, Albert 
pensant qu'il lui serait utib de s'ouvrir à ce seigroeur 
de son rang, lui révéla son no*m, sa naissance, sa dignité 
et les raisons qu'il avait de se cacher et de se ternir sur 
ses gardes. Le comte l'embrassa, l'encouragea avec 
banté et lui offrit sa compagnie pour le retour en 
France. Il l'assura qu'il pouvait compter sur sa protec- 
tion et sur ceHe de ses amis pourliuifaeililFerle voyage 
jusqu'ein Champagne. &râce à ce seeours providentiel, 
Albert'échappaïit à tous les dangers, arriva à feims où 
il put enfin s'arrêteT et se reposer qii'elqiaies j^Murs en 
paix*. 

I. PHta Alberti, c. 6-i:i. 



CHAPITRE IV 

Visite à l'abbaye de Lobbes. t- Albert y appoirte une mitre de la part 
du pape. — Retour au pays. — Le premier exil en Ardennes. 

La première pensée d'Albert à son retour de 
voyage fut d' allez rendre visite à l'un de ses meilleurs 
amis,. Wéry, abbé de Lobbes. Ce fidèle compagnon 
d'infortune n'avait pu suivre son seigneur à B.omQ, 
mais il partageTa,, «omme nous le verrons, son exil à 
Reiras et lui restera attaché jusqu'à la mort. L'abbaye 
de Lobbes ressortissait au spirituel du diocèse de Cam- 
brai,, mais dépendait au temporel de la principauté de 
Liège où elle tenait le premier rang parmi les monas- 
tères et les églises. L'évêque de Liège en sa qualité 
de suzierain était le protecteur attitré de l'abbaye et 
l'entourait d'une sollicitude toute particulière qui 
s'étendait même aux intérêts Sspirituels. En retour, les 
moines, de Lobbes lui vouaient un attachement et une 
fidélité inaltérables 1. Wéry avait euFoccasioii d'apprér 
cier les qualités d'Albert de Louvain pendant soa ar- 
chidiaconat et fondait de -grandes espérances sur le 
futur évêque et le restaurateur espéré de sa glorieuse 
abbaye qui, àcelte époque, traversaitune crise inquié- 



I. Warichez, Vahhaye de Lobbes, p. iSa et sui^. 






48 ., VIE DE SAINT ALBEUT. 



tante i. Quand il apprit ce qui s'était passé à Worms 
et l'intrusion de LothaireàLiége, il fut atterré. La po- 
sition de son abbaye située aux confins du comté de 
Hainaut , son attachement bien connu à Albert et à 
la maison de Brabant l'exposaient lui et ses moines 
aux représailles de Baudouin et de son protégé. Fallait- 
il résister ouverte ment à l'intrus au risque d'encourir sa 
vengeance, ou prêter le serment qu'il exigeait et atten- 
dre des temps meilleurs? L'abbé de Lobbes, dans sa 
perplexité, cherchait l'occasion de rencontrer Albert 
pour lui exposer ses doutes et l'assurer en même temps 
de sa fidélité. Ilignorait son projet de voyagea Borne 
préparé dans le plus grand secret. Une heureuse coïnci- 
dence le lui apprit. Se trouvant à Reims pour affairés, il 
y rencontra deux serviteurs de l'évêque élu chargés par 
celui-ci d'acheter des vêtements nécessaires au voyage. 
II leur demanda où ils avaient laissé leur maître. 
Ceux-ci, connaissant l'abbé de Lobbes et sachant que 
c'était un homme sûr auquel ils pouvaient se fier, 
le mirent au courant de tôut.^ Aussitôt l'abbé abandon- 
nant ses affaires à Reims s'empressa de suivre les ser- 
viteurs et de rejoindre avec eux son seigneur à Châ- 
teau-Thierry où, d'après un arrangement préalable, il 
attendait des messagers envoyés par son frère le duc 
Henri. Les deux amis, heureux de se retrouvera cette 
heure angoissante, passèrent trois jours ensemble dans 
la plus étroite intimité. Quand Wéry se fut ouvert 
à l'évêque des doutes qui l'inquiétaient au sujet-^de 
l'attitude à prendre vis-à-vis de l'intrus, Albert le ras- 



I. Warichez, p. 107. Les chartes témoignent çles effoi'ts louables 
que fit Wéry pour relever la situation économique de son abbaye. 
II abdiqua en 1204. 



^ VISITE A LOBBES. 49 

sura et lui dit avec bonté : « Ta fidélité que je C0|nnaîs 
n'est pas en jeu. Fais ce qu'exigent les circonstances. 
Il faut céder à la nécessité. Prête serment de fidélité 
àLolhaire de Bonn tant que dure son imposture. wSi 
mon Dieu est avec moi, l'heure de son châtiment n'est 
pas loin. Son règne sera court et sa fin mauvaise. 
Ses jours détestables sont comptés. Bientôt ils auront 
passé. Le Seigneur aura pitié de mes souffrances et 
de mes larmes. Toi et tous ceux qui auront été con- 
traints de se lier ainsi momentanément seront absous 
par le pouvoir apostolique et vous pourrez alors obéir 
à celui que le Dieu de bonté et de miséricorde vous 
enverra après que le Saint-Siège aura condamné et 
renversé pour toujours cette idole édifiée par l'envie. » 

Pour comprendre ce conseil, discutable au point de 
vue de la stricte morale, qui ne permet pas, même 
pour éviter un mal, de se prêter à un acte répréhen- 
sible, il faut se reporter à ces temps malheureux où 
tropsouventla force primait le droit et où, pour sauver 
de la ruine les personnes et les biens, il fallait quel- 
quefois céder pour un temps devant la violence et 
l'injustice. A ce moment d'ailleurs, le pape ne s'était 
pas encore prononcé sur la cause d'Albert. Si l'évêque 
croit devoir la défendre envers et contre tous, c'est 
par amour pour les droits de l'Église dont il est le 
représentant. Il est prêt à donner sa vie, il ne veut 
pas exposer celles de ses brebis. Albert, en bon pas- 
teur, a pris cette noble attitude dès le début de sa 
persécution. Il la conservera jusqu'au bout. 

L'abbé de Lobbes fut grandement consolé par les 
bonnes paroles de l'évêque. En le voyant partir pour 
Rome il aurait bien voulu lui recommander de sou- 
tenir les intérêts de son abbaye auprès de la cour ponti- 



r> .r^r^'y'^y^r^^^Jw 



50 YIE DE SAINT mBE'RT. 

ficaie, mais en présenee d'an tel ouragan cîéjchaîné 
coaiUre son ami, il se trouva bouleversé et incapable 
d'asttirer sur ses affaires persamnelles l'atteMion d'uHi 
homme si écrasé par' le poids de ses propres difficultés. 

Mais Albert, dans, ses préoxîeiflipajliojias, avait l'ânae 
assez sereine pour song^er aux autres. Quand il senit 
pleinement justifié et comblé des fàvears de la coiua: 
romaine, il n'oublia pas d'exercer à s©n tour La misé- 
corde envers l'ami qu'il avait liadss'é dans; le £eu des 
tribulations et des amgKîisaes. Il parla de l'abbé dse 
Lobbes au Sainst-Père et demanda pour lui une faveuif. 

L'abbaye de Lobbes avait reçu des papes au cours 
des siècles de nombre:Uix prirvilèges.. Wéry lui-même, 
en 1182,^ avait rapporté deia ville éterneile une biaille 
concédée par Lucius III en faveur du- monastère^. 
Parmi les privilèges d'ordre bonoirifiqjitte, les abbés 
de Lobbes jouissaient des Pontificwlm.. Ils ptottvaifôat 
porter l'anneau d'or, les gants A'é'vyêque, la tunique 
subdiaconale et les sandales; ils; bénisfiaiient les vases 
sacrés, les linges d'autel, les vêtements saeerdor- 
taux, etc. 2.. Ces prérogatives pointifiieales, co^maaaiu.'nes 
a'U|ourd'hui à tous les prélats., étaient jadis rarement 
aceordéesaux simples abbés;. Gelv^ide Lobbes en usait 
tant dans soni église abbatiale q^m. éans Féglise cffthé>- 
d^rale de Liège où il présidait aux oifîces en l'abseniere 
del'évêque. Les moines: tenaîenit à ces poK'ilï^caiBa? qui 
leur rappelaient l'aniique dignité de leur moiuastèape 
dontles premiers abbés depuis saint Ursmeriavaient iété 
évêques ^. M ais un imisigee: lenr miamquait et ils n'avaieaït 

1. Annales Lauhienses ad an. 11.82, apud Warichez," o. c. , 
p. 107. 

2. Wanchez, ibid./^. r6i, 162. 

3. Wanchez, ibid. 



jamaîs pia' jusqu'ici TobtenOT, c'était le privilégie de la 
mitre. Allyert crut qu'aiicrain présent ne serait ipliBS 
agréable à sa chère abbaye de Loibbes et à son abbé. 
II le demandaetil'fobti'ïit.Célestin illiie se contenta 
pa« d'accordcT' la bulle autbemlique et gratuite ree©iiï- 
naissant ce privilège,- il voulut faire cadeau, coMnse 
nous l'avons vu, a l'évêque de Liège de deux minres 
magnifiques, une pouT lui-même et l'autre pour Tabbé 
de Lobbes^. Albert avait hât© d'apporter à son ami ce 
gage de la bienveillanee du SaiBU-Père ef de lui faire 
part en même temps du s^iecès; die sa cauise remp<oa'té 
à la cour pontificale. Mais il fallait prendre d^es |apé- 
cautions contre Baudo'mm de H'amaul et Fintrœs 
ILotbaire qui cherchaienit toutes les occasions de kn 
tendre despi«ges. Un jouT, de grandi matin, muni du 
précieux trésor, il monte à cheval ajccompag^é seule- 
ment de Thomas de Marbaîs et d'un serviteur ; che- 
vauchant ensiemblë tout le jour et toute la DBit, ils 
arrivèrent au monastère un peu avant le levîer diu 
jour, la veille de la f^ete de Saint-Fierre-ès-Liens. 

Les moines yenaieint d'achevier l'oifEce; de Laudesi. 
Pour augmenter la surprise de lewr ami Wéry, les 
deux voyageurs e^nvinrent d'abord de faire passer 
Févêqu'e pour le servàtesua? 'du chanoiR©^ Thomas -de 
Marbais qui connaissait bien l'entrée de l'abbaye vinït 
crier à la porte pour appeler l«s chapelains de l'abbé. 
La porte s'ouvrit et le chanoine suivi d'Albert s'en- 
gagea dans l'escalier. L';abbé asoeoiurt dans l'obscurité 

I . Deux ans plus tard, en Ti^^^ l'e même pape accorcMt à 
l?abbaye de Lobbes le privilège le plus aTnbiliîonné des monas- 
tères, celui de l'exeniplion. Les recoraman dations d'Âïbert em 
1192 ne fiwent sans doute pas étrangères a cette -nouvelfe faveur 
de Célestin lH. (Wari'chez, p. 164.) 



52 VIE DE SAINT ALBERT. 

au-devant des hôtes, car il avait entendu appeler ses 
chapelains, et allume à la hâte une, chandelle, tout 
étonné de cette visite matinale. Il ne reconnut pas 
l'évêque dont la tête était recouverte d'un grand cha-. 
peau et à la venue duquel il ne s'attendait aucune- 
ment. « Voici, dit Thomas en souriant, mon serviteur, 
puis se reprenant, voici Monseigneur, c'est lui, c'est 
votre ami. » Ce fut une grande surprise et une grande 
joie pour Tabbé. Les frères n'étaient pas encore sortis 
de l'église après l'office, sauf ceux qui étaient allés se 
reposer. Aussitôt, on fait appeler à tout le monde pour 
venir saluer l'illustre prélat honorant par cette visite 
son monastère de prédilection. Albert, sans quitter ses 
habits de voyajge, se rend aussitôt à l'église et après 
avoir adoré, s'avance vers l'autel de saint Pierre encore 
éclairé par les cierges avant le lever du jour. Les 
moines s'y rangent pour lui faire honneur. Lui, dou- 
cement s'incline, baise l'autel et y dépose la mitre 
dontil fait présent à l'abbé et à toute la communauté 
en témoignage de son affection. Il leur donne en 
même temps les lettres du pape octroyant ce privi- 
lège'. Mais le temps pressait. Albert ayant pris quel- 
que nourriture, car il n'avait encore ni mangé ni 
dormi, se remit en route sans délai au point du jour. 
Il était brisé par les veilles et le jeûne, mais la crainte 
du comte de Hainaut ne lui permettait pas de s'attar- 

I. Le biographe d'Albert en rappelant le privilège de l'an- 
neau d'or dont jouissait déjà l'abbé de Lobbes, ajoute au récit 
celte réflexion naïve : « L'insigne de la mitre semble êtrq la dis- 
tinction la plus appréciée et l'emporte sur les autres ornements 
par la dignité même de la têle qu'elle honore. En soi cependant 
l'anneau d'or quoique moins apparent a plus d'importance et 
de signification mystique que la mitre, » [Fita Alberti.) 






/ 




VISITE A LOBBES 



der pour prendre le moindre repos. L'abbé de Lob- 
bes mettant son affection au-dessus de la peur, car 
il avait grandement à craindre aussi pour sa personne, 
escorta le prélat avec quelques com^pagnons jusqu'à 
Nivelles où le clergé et les habitants reçurent l'évêque 
avec beaucoup de vénération et de joie*. L'abbé de 
Lobbes prit alors congé d'Albert et retourna dans son 
monastère pour y célébrer la fêle de Saint-Pierre-ès- 
Liens. Mais, en cheminant, le pauvre abbé de Lob- 
bes fut tourmenté par une question qu'il se posait 
à lui-même et une lutte qui se livrait dans son esprit. 
Allait-il user de cette mitre ou ne pas en user? En 
user c'était provoquer l'envie et la haine des puissants 
ennemis de l'évêque Albert cardinal de la sainte 
Eglise romaine chargé d'apporter cette faveur gratuite 
du Saint-Siège et d'en autoriser l'usage. Le danger 
d'exciter la malveillance et l'hostilité de ses ennemis 
rendait plus sûre pour le moment l'abstention de ce 
privilège. D'autre part, y renoncer ou en remettre 
l'usage à plus tard, n'était-ce pas de la timidité, de 
l'ingratitude vis-à-vis du don si gracieusement offert 
par le Saint-Siège à lui et à son église? Etait-ce pru- 
dent, était-ce convenable? «Dans cette incertitude une 
chose au moins le rassurait, c'est que cette faveur 
était nette. Il n'avait rien fait pour l'obtenir ni par 
lui-même, ni par un tiers, il n'avait rien donné, rien 
promis, il ne l'avait même pas demandée. L'abbé de 
Lobbes en repassant dans son esprit toutes ces 
considérations prit une grande décision. Rejetant 

I. L'année précédente Albert était intervenu pour secourir 
les Nivellois dans leur détresse en les recommandant aux fidèles 
du diocèse. (Acte d'Albert élu de Liège. Wauters, L'origine des 
libertés communales^ document 5 2). 



54 VIE DE SAINT ALBERT. 

toute crainte, il' userait pleinement du don de Dieu €fiie 
le Siège de Pierre lui avait envoyé par son serviteur ; 
il en userait pour ïa première fois en cette fête même 
de saint Pierre afin de rendre à Dieu, en cette solen- 
nieé, honneur pour honneur*. 

On apprit bientôt partout que le Saint-Siège avait 
oo-nfiïmé Télection <i'Alb©rt été L^uvain, la lavew av«c 
laquellie il avait été accueilli à laeoUr pontificale, ain^ 
que la condamnation de Lothaîye, le ppéivôt <le îkïnir, 
et d'e tous ses partisans. Cette nouvelle fut aecueiîBe 
très diversement. Elle causa vme vive joie à ceux qiri 
approuvaient ce que le pape approuve et condamnaient 
ce qu'il condamne. Elle provoqua au contraire tris- 
tesse et confusion ehez ceux qui adhéraient avt «on- 
dam-né et en voulaient à Ailli>ert pour son approbattom 
si éctatante. Chez Henri VI la honte se changea en fu- 
reur. Lothaire livré au sens réprouvé s'endurcit. Tous 
deux résolurent de détruire l'œuvre de Dieu. 

Albert, après sa visite à Lobbes„ était retourné dans 
leBrabanl sa terre natale. L'empereur avec une cruauté 
implacable somma le duc Henri de chasser son frère 
d« son territoire et de nepluslui permettre d'yrentrer. 
Celui-ci, redoutant les colères sans merci de son suze- 
rain et les menaces d'uîie puissance à laquelle il lui était 
impossible de résister, ^'int tout rempli d'amertume 
confier son épreuve à son frère. Albert qui mettait 
son espoir plus en Dieu que dans les hommes le con- 
sola tendrement : « Cette tempête, dit-il, soulevée 
par moi ne doit pas t'engloutir. Il est plus sûr pour 
moi de chercher un autre lieu de refuge que de t' expo- 
ser avec moi en restant dans ton pays. J'irai trouver 

I. « Et sic honoravit dienii fèstttm festo Dei dsoao ». 



RETOUR AU PAYS. • 55. " 

notre- oncle Memri, lie duc d^ArâenBes*. Cet homme 
magnanime me recevra. Dans ses bois, ses marais^ 
ses- montagnes, il est à l'abri à& toutes les smirprises 
de la guerre,. Je n'y passerai cfae quelques lorars car 
j'ai hâte d'être ordonné prêtre et de recevoir aussitôt 
après, par $a volonté de Dieu, la conséeiation épisco- 
pale. Si l'évèqTie die Cologne, à quiledr©itd'«rdiîaiation 
revient s'excuse par crainte des Juifs"^ àe ne pouToÏT 
accomplir le mandat apostofligne expressément adstsessé 
à lui, Je serai, suivant la Ueiïeur des lettres, ordonné 
et consacré par l'êvêiju'ede Reims désigné. en second 
lieu pa:^r' te Saiiit-^ege. Mon cœur «si afferraii par Ha 
force divine contré tou-ïe éventualité. Uen»pereu-r peut 
par îa violence m'enliever na^n -évêelté, il est incapable 
de m?e priver de la dignité épiscopale^. Reste donc en 
paix, car ta paix est la isfiieiaine.. La lerese divinic est su;- 
périeure à tous les pouvoirs terrestres. Dès sOfue cette 
vertu souveraine soiifflera, toute la puissance desi té- 
nèbres s'évanouira. C'est en vain qxi'elle s'élève et 
s'acharne contre l'autorité suprênae de Dde» et la li- 
berté de son Eglise. Contre celle-ci la malice des 
hommes ne.prévaudra jamais ». 

Après ces paroles d'encouragement, qui raffermis- 
saient lui-mêiaae et récoiufortaienit en même temps son 
frère abattu par une épreuve si affreuse, Albert fit 
ses préparatifs et partit pour son premier exil, aban- 
donnant sa terre natale, le pays de ses pères, de ses 
nobles ancêtres. Il arriva en Ardennes où le duc son 
oncle reçut généreïii&emreiiat le neveu qui venait à 



I . Le due Henci III de LimbouiÇg^ appelé duc d'Âvdennes 
paii'ce qu'il était comte d'Arlonu 

2., Allusion à la conduite de Bôjace Pilate. 



56, VIE DE SALNT ALBERT. ' ' "^\ - : 

lui et le conduisit dans son château-fort de Limbourg ^ . 
Il lui montra les remparts et les fortifications derrière 
lesquelles il serait avec les siens en pleine sécurité. 
C'est là qu'Albert reçut la visite de quelques Liégeois 
qui se conformant aux ordres du Souverain Pontife 
venaient lui prêter serment et le reconnaître comme 
évêque. D'autres craignant de se montrer envoyèrent 
en secret des messages où ils protestaient de leur 
obéissance et de leur vénération* 

L'archevêque de Cologne, épouvanté des menaces 
de l'empereur, fit savoir à Albert qu'il ne jpouvait l'or- 
donner ni le consacrer. Prétextant une maladie il 
écrivit à l'archevêque de Reims, le priant de vouloir 
bien, comme l'indiquait le bref pontifical, accomplir 
cette double fonction au nom du Saint-Siège et en 
son nom^. Ce dernier accueillit la lettre et la demande 
avec bienveillance, et dévoué aux ordres de Rome, 
il manda à Albert de venir sans crainte. Celui-ci se 
rendit donc à Reims où il fut reçu avec de^ grands 
égards par l'archevêque Guillaume et son Eglise^. Le 



1 . Ce château était situé sur une colline qui porte encore ce 
nom aujourd'hui aux environs de Verviers. L'ancien duché de 
Limbourg ne correspondait aucunement a^'^ec la province actuelle 
du Limbourg belge, 

2. Les annales de Cologne disent que Brunon était réellement 
malade (M.G.H S.S. XVII, p. 802). Ce qui est certain, c'est 
qu'il était vieux et infirme et qu'il abdiqua Tannée suivante, iigS. 

3. Guillaume de Champagne aux blanches mains^ cardinal de 
Sainte-Sabine était frère de Henri comté de Champagne, du 
comte de Blois et de Chartres, et du comte de Sancerre. Leur 
sœur Adèle avait épousé Louis VII roi de France. A la mort de 
celui-ci, 19 septembre 1180, la maison de Champagne avait fait 
partie d'une alliance dirigée contre Je jeune Philippe-Auguste, 
mais s'était réconciliée avec lui et était très influente à la cour de 



PREJIIER EXIL EN ARDENNES. 57 

duc d'Ardennes, son oncle, lui fit l'honneur de l'ac- 
compagner, sans tenir compte de la fureur impériale 
qui sévissait impitoyablement contre tous ceux qui 
osaient donner à Albert quelque marque d'estime^. 

France. (E. Lavisse, Hist. de France^ III, par A. Luchaire, igoi» 
p. 83 et suiv.). , 

On comprend qu'Albert ait fait choix pour son exil d'une 
ville où sous l'égide d'un si puissant personnage il était à l'abri 
des persécutions de ses ennemis. 

I. Fila Alberti, c. i2-i5. 



CHAPITRE Y 

L'ordination et la consécration épiscopale à Reims. — Tyrannie 
de l'empereur. — Le complet. 

Le samedi des Quatre-Temps où l'on célèbre le 
jeûne solennel d'automne, Albert reçut l'ordination 
sacerdotale en grande pompe, en même temps qu'an 
nombre considérable de clercs que le métropolitain 
avait appelés ce jour-là pour lui faire honneur à la 
même dignité. 

Le dimanche suivant, vigile de saint Matthieu, 
apôtre et évangéliste, à la grande jdie de l'Eglise, de 
la ville de Reims et d'une foule de nobles accourus à 
la cérémonie, en présence de son oncle qui ne pou- 
vait retenir ses larmes, l'archevêque entouré des deux 
évêques assistants, tout droit reconnu au métropoli- 
tain de Cologne, conféra solennellement à Albert 
évêque de Liège la consécration épiscopale ^ . 

I. Marlot rapporte le détail suivant : « On observa que les 
évêques, lui voulant présenter le livre de l'Evangile ouvert de 
la main de l'archevêque, suivant la coutume, ils adressèrent à 
la page où sont ces mots : Misit Herodes rex manus et tenait 
Joanncm et vinxit cum in carcerem. De quoi l'archevêque fut 
fort surpris, et Jelant des larmes de compassion pour les an- 
goisses que ce pauvre évêque devait souffrir, lui adressa ces 
paroles : Fili, accedens ad sewitutem Dei, sia injustitia et timoré^ 
et prœpara animam tuam ad tentationem. » (Hist. de la ville de 
Reims, III, p. 487.) 



^i|*i 



La COK^SÉCflATION ÉPISCOPALE. bO 



Apcès la cérémonie, en présence de Févêque consé- 
craflem*, beaucoup de nobles se trouvant dans l'assis- 
tancCi, parmi lesquels ison oack «.t le ehàtelsm de 
Boaillon,; vinrent défilex devant le nouvel élu et Im 
prêter serment de fidélité. 

L'archevêque de Reims fit aussitôt ses adieux à 
Ajybert en le recommandant à son clergé et à ses 
ouailles< et se mit en rcKUte ipouir l'Espagne afin A'ac^ 
coinplir um pélecina^e à saint Jac(|ues d'e CompostdJie. 
Il ay.ait déjà diSea?é de huit jouz;» ce voyage poaH' «on- 
férer le dimanche précédent la consécration 4n nou-vel 
évêqsue deC£Mnbi;aiXeand'Aintoingl^Le ^our de la fête 
de saint Matthieu,, à la messe conventuelle, févêque 
de Liège célébra pontificale ment ses prémiees dans 
l'égHse caithédraJse d^ ïLeims reîoapJie d'une foule nom- 
breuse. Les oflOrandes des fidèles, furent abondantes,. 
Sua? l'ordre d'AJibert t(*uis les doas reicus à cette ocea- 
siion £iiirent distribiUjés atux. pauvreSw 

Lel<endem>ain, daasJe&«nvi!rojo&deReimrs, av<alt lieu 
vm toarnoi militaire aaqjJteï dev4ijent prendra part UiBii 
girand nombre de «hievaliersi fFaneais très amateurs 
d-e ces belliqueux exercioesi. Le dnc d'Ardennes y viat 
aussi avec sa suite, mais en simple curieux, cequi flatta 
beaucoup les barons framiçais heureux d'oiSrir le 
spectacle joyeuix d-e lears prouesses., a uu capitaine si 
distingué.. A ee moment, un messager vint, en trem- 
blant k»i annoncer que l'empereur au parox^'Sime de 
la ealère était affaâvé à; Liég-e pour confondre <el exter- 
miner tous les partisans de l'évêq^e Albert. Il était 
aiecampaguié du comte de Hoinaut et du prévôt de 
Bkftnn, de ce hoûismer la. cause et le provocateur de 



€0 VIE DE SAINT ALBERT. 

tout le mal. A cette nouvelle, le duc d'Ardennes 
frémit d'ardeur et se déclare prêt à voler à la défense 
du diocèse et de ses droits. Il demande aux chevaliers 
français présents au tournoi de lui prêter leur con- 
cours. Beaucoup acceptent sa proposition et offrent 
au vaillant duc, le cas échéant, l'aide de leur épée. 
Celui-ci retourne à la ville et court informer Tévêque 
de ce qui se passe. Aussitôt ils tiennent conseil pour 
délibérer sur cette affaire importante. Albert cher- 
chant plutôt les intérêts de Jésus-Christ que les sieng 
propres ne désirait pas la guerre mais la paix de Dieu. 
Il a placé son espoir en Lui et préfère attendre de sa 
Bonté l'achèvement d'une œuvre qui est la sienne, 
plutôt que de soulever des troubles et chercher à 
exciter sa parenté et son peuple à la défense de sa 
dignité. Son avis donc est de rester en exil et de laisser 
passer les mauvais jours jusqu'à ce que, par la grâce 
de Dieu, la lumière se lève à l'horizon et que les 
nuages de cette tempête se dissipent. Il fallait plutôt, 
dit-il, chercher à apaiser l'empereur qui serait mieux 
disposé en le voyant exilé, que tâcher malgré lui de 
rentrer dans son pays. Les princes de sa famille arri- 
veraient plus facilement à vaincre le courroux de 
l'empereur en montrant l'humilité du fugitif qu'en 
cherchant à déployer leur puissance pour faire pré- 
valoir la cause de leur parent. Il conseilla donc au duc 
son oncle de retourner dans ses terres et de travailler 
avec ses proches et ses amis pour arriver à fléchir 
l'empereur en faveur de celui qui n'était pas son élu 
mais déjà consacré évêque de Liège. Le duc promit 
d'employer dans ce sens tous les moyens suggérés par 
les circonstances pour faire réussir ce dessein. Il 
remercia l'Eglise de Reims, lui recommanda l'évêque 



TYRANNIE DE L'EMPEREUR. 61 

son neveu et disant à celui-ci un dernier adieu, car il 
ne devait plus le revoir, il se hâta de retourner dans 
son pays^. 

Pendant ce temps, l'empereur exerçait à Liège 
une pres'sion tyrannique sur tous ceux qui s'étaient 
soumis aux. prescriptions du bref pontifical. Il fit venir 
le duc Henri de Brabant qui comparut devant lui dans 
une attitude humiliée. Il ignorait encore les événe- 
ments survenus à Reims. On vint annoncer à ce mo- 
ment à l'empereur la nouvelle toute fraîche de la 
consécration M' Albert. Or, il s'était bercé jle l'espoir 
que l'archevêque de Reims n'oserait jamais intervenir 
dans cette affaire. Sa fureur fut au comble. Eçumant 
de rage, et le regard foudroyant, il se tourne vers le 
duc de Brabant : — « Savez-vous, dit-il, ce qu'on a fait 
à Reims de votre frère? » — Comme le duc répondait 
qu'il n'avait rien appris : — « Yotre frère, oui votre 
frère, a été consacré évêque. » — Sa face tremblait 
de colère ; il ne put rien ajouter à ces paroles entre- 
coupées, mais donna l'ordre immédiatement de chasser 
tous les clercs qui s'étaient rangés du côté d'Albert et 
de démolir leurs maisons *. Quant aux autres, il les 

I. Voici sur ce fait quelques autres témoignages des sources 
contemporaines : Heinricus imperator infra octavas sartcti Laiii- 
berti (vers le 20 septembre) jussiû destrui domos clericorum et 
eoi'uin qui repugnabant Lothario quem praefecerat Leodiensibus . 
Lamtert le Petit -.Annales, M.G.H.SS,, XVI, p. 65o. Voir aussi : 
Sigebert : Continuatio aquicinctina, M. G. H. SS. VI, p. 429- Les 
annales de Cologne rapportent qu'Henri VI commença par sévir 
contre les Colonais parce que leur archevêque avait autorisé à 
Reims la consécration d'Albert, Il fit fermer le Rhin depuis 
l'octave de saint Lambert jusqu'à la fête de saint Nicolas, puis 
vint à Liège où il confisqua les biens de ceux qui s'étaient pro- 
noncés pour Albert contre Lothaire. Annales Colonienses 
maxmi,M.OM..^^., XVII, p. 802. 

4 



62 ¥ÎE-.©:E SAINÏ AI-BEaX 

GOûtraigaait bonigaré raial igré à adorer l'idoleqM'il a «tait 
Éabiaquoe, l'intras: L(C»tiiair,e. 

Au palais épiscopal, dans la même cité de Liège, 
se retrauvaifiiat «n faee l\vm de l'autre Henri 4e Bra- 
banit let Baudouiiii de Haiaaaiit /qp© l'eiaap&iieur avait 
eoid'V'oqiiaés ,p©^ur lem:» vdilÛiér^iad» ^. Ij«!S seules étaiemt 
bien changés. Le pj?em^ier n'éiait piittsmi fi&r (ai inârran- 
sîgeant, le second,, au ««oaitraii^., n'aîKait pluss rieaa 
d'humiillé dans «onn attiltude. On ï6>tau due -des prapo-^ 
sitioiEks intalérableSi, eoltra autres, de dé&a^ouÊr isoa 
propre et u<E)rî<|ue frère et de ilôchir Ae geiQ»©» dievaiit 
la statue: d'or 4u dieu Baal élevée paa? Nabudbodo- 
nosiar rcâ de iBabylojQe^, eit de lui prêter serm^iojt de 
j&délité. Cet ordre «tait par trop dur «t iroip inhumain. 
D'autre part, un refus était dangereux^ Le duc de- 
manda un délai jusqn'au lendemaim matin. Oa le kii 
refusa absolument. C'est à pein© s'il obtint <de se 
réserver jusqu'au soir. Tarndis q.ue se VfOyant presque 
prisonnier, il sortait tristement du spaJais, des a-mis 
l'avertiremit secrètement qiue s'il ne rse. sou mettait j)>as 
aux volontés d« l'emperiesiiri.inQn seulement il Sr'expo^ 
sait à perdre son dr^it féodal, mais que sa me miêrafi 
serait certainement menacée. Voyant qu'il n'y avait 
rien d'autre à faire, le duc rentra le soir au palais. Il 
en franchissait le seuil tandis qu-e îles gardes impériaux 
s'empressaient de l'éclairer en t'introdui'samt. Comme 
ils le gênaient en agitant leurs flambeaux autour de sa 
tête : — « Vous avez, dît-il, brûlé mon cœur, ne. 
brûlez pas ma tête ». — Il se. présenta devant l'em- 
pereur et promit d'exécuter ses ordres, à savxDir : âe 

!.. Gislebert place à Maestricht cette réunion. 

2. Encore une réminiscence biblique du biographe. 



ILE C0IHPLOT. '68 

ï^yiidré aa comit'e Esaw^enam lies places foifes occHpêes 
préee^mmetit et d'abandomïi'CT son ifrëre. Il prêta 
eîîsmïe'h<3B!Hn»geet fitlesertMent die- fidélité aïLotfe'aire'. 
C'est ainsi (jpa'e la colère de l'empe-reuT se ea'lma et -que 
le dijc ïïeitïï sortit indem-ne de ceWe cruelle eût'pevu'e!. 
De Liège qu'il avait si maltraitée, l'empereur se ren- 
dit à Maestricht. Dans sa suite se tro^uvait ©» hom^me 
cruel et néfaste : Hugues de Worms en Germanie. 
Jadis préposé par l'empereur au gouvernement de la 
Lotharingie, il avait pour le duc Henri de Brabant et 
son frère Albert une haine profonde. Il en voulait à 
cette famille qui l'avait supplanté, et tâchait par tous 
les moyens d'entraver son influence. Dans l'affaire 
de l'élection à l'évêché de Liège il avait cherché à 
semer la discorde. C'est lui qui excitait Lothaire, ins- 
pirait tous les mauvais desseins, poussait à leur exécu- 
tion, entraînait l'empereur à mener jusqu'au bout 
ses perverses et criminelles entreprises. Hugues de 
Worms, Lothaire et le comte de Hochstaden interve- 
naient dans toutes les décisions de l'empereur. Ces fils 
de Bélial se réunirent à Maestricht (le fait fut divulgué 
dans la suite) pour conspirer dans l'église du très 
saint évêque Servais. Là ils délibérèrent dans le plus 
grand secret et décidèrent que toutes les mesures 
qu'on avait prises jusqu'ici.à Liège : bannissement des 
clercs et des laïcs, pression exercée sur le duc de 
Brabant, et tout le reste, n'étaient rien, si on n'en 
venait à une détermination plus radicale. Qui pourra 
dénoncer toute la malice de ce complot criminel si 
astucieusement et si puissamment machiné ? A qui en 
voulaient-ils? A l'innocent Albert, à l'humble et 
pauvre exilé encore tout reluisant de l'onction sainte 
et de la consécration au sacerdoce suprême. Ces misé- 



64 VIE DE SAINT ALBERT. 

rables convinrent de le faire mourir. Ils ne se séparè- 
rent qu'après avoir arrêté le plan de ce projet scélérat 
digne des châtiments éternels. L'empereur, ensuite, 
laissant Lothaire affermi dans sa situation et soutenu 
par le comte de Hainaut, retourna en Germanie^ 

r. Fita Jlberli, c. i5-i8.. 



CHAPITRE VI 

L'exil à Reims. — Arrivée des chevaliers allemands. — Leurs 
préparatifs criminels. — Pénurie d'Albert. 

j 
Albert après sa consécration demeura à Reims où 
il menait une vie pauvre et modeste avec quelques 
amis fidèles, reste des compag^nons qui n'étaient pas 
retournés dans leur pays avec le duc d'Ardennes. De 
son exil, l'évêque de Liège, malgré l'intrus, ne cesse 
pas, autant qu'il le peut, d'administrer son diocèse. 
Nous avons de cette époque plusieurs diplômes accordés 
par lui, notamment dans son ancien archidiaconé 
de Brabant où, à cause de sa bonne gestion, il avait 
conservé sans doute le plus grand nombre de ses par- 
tisans. Quelquesruns vinrent même jusqu'à Reims 
pour traiter des affaires avec leur évêque légitime: 
tel l'abbé Guibert Martin de Florennes accompagné 
de l'abbé Jean de Gembloux et de l'abbé Albert 
de Heylissem. Ces deux derniers étaient des obligés 
d'Albert dé Louvain. Quant au premier il avait 
obtenu, comme nous l'avons vu plus haut (p. 12), 
dans un concile présidé à Jodoigne par Albert archi- 
diacre, un jugement favorable dans un différend 
relatif aux droits de son monastère^. Il vint demander 

I. Droits de l'abbaye de Florennes sur les églises d'Orp-Ie- 

4. 



66 VIE DE SAIKT ALBERT. 

à Reims confirmation de la senteiice rendue à 
Jodoigne. L'évêque la lui accorda dans une charte 
que nous possédons et qui est remarquable par le ton 
ferme avec lequel celui qui la délivre affirme son 
autorité épiscopale : « In nomine sanctœ et individuse 
Tjdnitatis Albertus, Dei gratia Leodiensis episcàpus, 
uniçersis Christi fidelihus presentihus etfaturis in per- 
petuum ». Et un peu plus loin : « Postmodum cura 
auctore Deo, dignitas Leodiensis episcopatus commissa 
fuisset nostrse humilitati. . . de eonsilio saneie Remensis 
ecclesie, consensu et testimonio personarum etjratrum 
Leadiensds diocesis, auctoritaie Dei omnipotentis et 
nostroy decernimus ».., et il. termine : « Haec igituF 
omnia circurnspectione concessa nabis etstabilita>^ quis.- 
tenus, onmi in posterum tempore fbrma permaneaBl 
sigilla na&t/ro communiri decreviinus.,. et sub poena 
excommunicatiamis et periculo honwris^ ah universis 
nostre Leodiexisis dioeesis irrefragahilhter precipinfiius 
obserpari. : Datum Remis ^ etc^. » 

Mais ces visites consolaMes à l'évêque proscrit se 
font rares.. L'exil à Reims dont les privations de plus 
en plus lourdes vont faire souffrir GruellemieiLt la na-tui-^e 
délicate d'un jeune prince habitaé; au luxe d'uae caur 
opulente, est. une épreuve salutaire à son âme, une 
éjiuiralion ménagée par Dieu à son serviteur avant la 
gramle immolatioii. 

Laissons de nouveau la parole à son pieux 

Grand, le chapitre de Saiiiat-Gemgulphe et la chapelle de 
Saint-Albin A. H. E.^ XXI,, p. S^a. 

I . A. H. E, XXI, Ibid. Citons encore de cette époque la charte 
de- confirmation de l'ïibbaye d'Oignîes (jVTartène et Durand, 
Jmpl. coll. I, p. 999) et celle relative à l'organisation de l'église 
de Tidemont (voir plus- haut, p. r3). 



L''SX.IL & ÎIEIMS. 67 

biograplaie :: « Qnaeîle transfoEmatioa daiais la perso^ae 
dlia poatife de^mis son élévation ! Qui éira l'iiBHocence 
de seet agiipeau qw& d'impies boiirreaïix aiguisant leurs 
conateautx et leurs glaives s'apprêtent à égorger? Quell® 
doucemr et <ja«lle' suavité sur ses lèvres! Ses y&nx 
étaient des yeux decotloBafoe,; son, visage, celui d'un 
ange reflétant la grâce et la pureté ; ses paroles, des 
parolies de paix et d** amour. Traqwé par une haine 
atroce, il n'a que des. accents de bienveillance pour 
ses ennemis. Non seulement il ne maudissait pas ceux 
qui lui avaient fait ou cherchaient a lui faire du mal 
mais il reprenait aveeforee et supportait difficilement 
ee'ux qui parlaient injurien'semeHt devant lui de ses 
peiTsécuteurs. Si sereines étaient la bonté et la man- 
suétude do son cœwr qu'aia sein de tant de haines' et 
de tribulations il jouissait d'une paix intérieure inalté- 
rable. A tasble il montrait nn visage gai et enjoué c[ui 
tra»hissait autant son caractère amenant que les grâces 
de Dieu dont il était rempli. Pendant les repas, 
comme cela arrive souvent, les convives s'anîmant, 
entraient en diseussion sur les sujets 4es plus divers 
et s'écartaient de la vérité. Lui édifiait toujours par la 
retemiïe de s» conversation, fruit de son âme pacifique. 
Un jour, un de ses commensaux ayant le €œur rempli 
d'amertume se mit à déverser sa rancune contre 
Lothaire de Bonn et les autres prînees qui avaient 
plongé Févêqwie dans les afflictions de ce triste exil, 
au mépris du choix qiue Dieu avait fait de loi pour 
son.' ç)©ntife. Ses voisins renchérirent encore s-ur ses 
plaintes, ajoutant reproches aux reproches et ils se. 
mi«FeHt à tourner en ridicule leprévôt en jouant surs on 
nom : « Ce n'est pas Lothaire qu'il faut l'appeler mais 
iothaire. » Entendant ces propos, lepaeifique évêque 



68 VIE DE SAINT ALBERT. 

dont l'âme était habitée par le Dieu de paix les trou-ira 
de mauvais goût, peu conformes à l'esprit de charité 
et indignes de lui et de sa table. Il les fit cesser. Mais 
ses compagnons d'exil vaincus par leurs ressenti- 
ments ne purent s'empêcher de recommencer de plus 
belle à exhaler leur indignation. Alors le bon évêque, 
dont l'huile sainte en le consacrant avait enlevé à son 
cœur toute amertume, termina avec une simplicité de 
colombe le repas afin de mettre fin aux paroles de 
ceux dont la douleur impatiente était sans fin ^. » 

Bientôt arrivèrent à Reims, envoyés par les ennemis 
d'Albert, trois chevaliers allemands avec leurs écuyers. 
L'entrée en scène des meurtriers va donner à notre 
histoire un caractère dramatique que le biographe 
a mis en relief avec une abondance de détails et une 
émotion grandissante à mesure qu'on s'approche du 
tragique dénouement. Nous n'interromprons plus 
son récit entraînant dont une note au chapitre viii 
indiquera la fin au lecteur . 

C'étaient, dit-il, en faisant la description des che- 
valiers teutons, des hommes profondément instruits 
dans la science du crime et savamment préparés pour 
l'exécution du projet homicide. On les avait pourvus 
abondamment d'armes, de chevaux, d'argent. Ils ne 
regardaient pas aux dépenses et rétribuaient large- 
ment leur hôtelier, homme stupide qu'ils avaient 
choisi exprès pour l'amadouer, le tromper plus facile- 
ment en dissimulant leurs paroles et leurs actions 
scélérates avec l'adresse la plus hypocrite. Chaque 
jour après leur repas ils demandaient la note et 
payaient leurs dépenses. Leurs chevaux étaient tou- 

1. Fiia Albertij c. 19 et 20. 



L'EXIL A REIMS. 69 

jours sellés et bridés sauf à l'abreuvoir. C'étaient des 
bêtes robustes et résistantes qu'ils ne nourrissaient 
point d'herbe tendre ou d'avoine légère, mais de paille 
de froment solide et d'orge fort et substantiel*. Sou- 
vent ils se donnaient le large hors de la ville, et dans 
un but qu'eux seuls connaissaient, on les voyait 
entraîner leurs chevaux, les lançant à fond de train 
à travers la campagne, et, au retour de ces courses 
folles excitant encore de l'éperon leurs montures 
épuisées. Tout cela était calculé. Ils voulaient par 
une forte alimentation garder leurs chevaux en bon 
état et par ces exercices les tenir en haleine; et prêts à 
toute éventualité. Quand l'hôtelier, dans sa naïveté, 
demandait la raison de ce manège, ils lui donnaient 
toutes sortes de fausses explications. Chez eux, 
disaient-ils, les chevaux étaient toujours sellés. On ne 
les dessellait que pour les conduire à l'abreuvoir, où 
on aspergeait leurs cous et leurs croupes pour les net- 
toyer et leur rendre le poil plus^brillant. Cette nour- 
riture, c'était la seule usitée pour les chevaux en Alle- 
magne. Les courses dans la campagne, des jeux 
équestres pour tromper l'ennui de l'exil. 

C'est ainsi que les meurtriers employaient leur 
temps à Reims, en attendant. le moment favorable 
pour accomplirleur mission criminelle. Le lendemain 
de leur arrivée, après avoir épié tous les faits et gestes 
d'Albert, ils s'approchèrent pour saluer traîtreu- 
sement celui dont ils méditaient si cruellement la 
mort. C'était un dimanche. L'évêque revêtu de ses 



1 . Ce ne sont pas nos agronomes modernes qui admettraient 
cette supériorité de l'orge sur l'avoine et de la paille sur le foin 
pour l'alimentation des chevaux. 



,70 VIREE 5AmT.ii.'LBERT. 

CKrnements sortait 'd=eil« sacristie et ;i^ dirigeait vers 
l'autel majeur poar eélébisr-sxihmneil&men^'ha grand' 
noiesse. Bn voyaM's'a\}aiD«s«jr (seijhonvtQO'eiatifB^ôiinprossriit 
par sa dignitj& (çwepar sa barute (Kstiaiffitieni, ils s'arrè- 
'tièperBtjfrappés;de;la!sérënité^de;s©aa««isa^^ d^e laspleri- 
:deur des vêtemeiïtts |i!««itificau<x si bien ajusftés à sa 
peKsonne et. de la inajesté du «ortè^ iq[in l'eKAotarait. 
Ce n'était pas ira «îâ'lé qa'ils avaient <à©\^nt erac, mats 
mn des premiers, jparmi les pritKCîes de l'enïpire. ïJn 
tdes chevaliers se penchaiÈt à l'oreille de son. voisin lui 
glissa ces mots : oc Voici ^celui que nous icherchons ». 
Ces. paroles dites en teaton fuïcoHt en^emduesvd'un dfes 
famidieirs de l'évêquie.. JLes AHemands s^'^approchèeeiit 
-et s'inclinasmt deva!tttle;pKélat7 camaaate des loups cou- 
verts de peaux de; larebfe, ils le 'saluèrent. Le pontife 
leur rendit polifflaent lesakit, ies priant d'attendre que 
la messe fa* -achevée. 

Cetaie ïpremière ren^jonïtreentre le& assassins et leur 
victime est la coindamiKataoïn die leur forfait. 'Quelle 
visioa! L'homme qni'ilseherGhent et dontilsn'avasient 
aucune idéoappafïaît saudaindevamteux;. C'est ungrand 
prêtre revêtu de la majiesté sacerdotale et pénétrant 
dans le Saint des Saii^s. Ne fallait-il pas des âmes 
insensibles àtout^ sauf au! crime, des cœurs plus durs 
que la pierre, pour ne pas se laisser touieber, poiur 
ne pas s'attendrir devant ce spectaieLe, devant ce poini- 
tife envelorppé de Èôut L'éclat de sa dignité et accom- 
plissant l 'augasle mystère du. corps, et du sang- de 
Jésus^Christ,le;Sacî?ement très saint, plus suiblî mie qoaie 
toutes les merveilles célestes et divines, pain de vie 
incomparable pour les bons, mais pour les impies 
la plus terrible des* morts? 

Mais qu'y avait-il de commiun entre l'or dfa 



. X'EXIL ai BiEiPS. , ■ . n 

diviiiî afflUQUjc et le; \ilj iraétal de ees eœwjrs en dHTGÎB . 
Gommeiait la pîeE!ne;|>réGie'USiesde FaifEsafelie-et tsaiwltclie 
piété cfecétienne €Ût"?«itepu sT allier à-ees eœurs d« ier, 
hhk grtDSHèreté de ces aiiinajaieiOE: Immosdes ^ dbez qui 
la; vue die. l'oiait «Uï Seignrair, du pontife ianoeeat 
immoiasat et offcaiiEt à iDiéu i'aigneau sans isa^k>& se 
feisait maître qjiî'un senlidéstij^ qu^ui*e; soif «rufiftle-, 
celle de l'abattee ié(K leaairs; glaiv©», 'de 'kvdféchirer -dje- 
leurs conteauis^ Toea qu'ils Tont bientôt réaliser quand 
S!©nnera.l'h(esuire dn^ erimi@, l'henretde la. puissance 'd©s 
ténèbres? 

La messe; teirrainée, i''é«fêque a^vec bonté salua' «de 
bouche et de cœur l^Si Gh,«\afcrs alema^ds qiri Im 
reaadiscenÉ le sailut de bouche mais pas de ctBur. Appre- 
nant qu'ils étaient ifeeulons^ il v^ulîoit lear montrer 
pkas de bienveillance emcosre par sympathie pour' lewr 
pay« natsol et lerar langfue maternelle ^ -et les eonibras- 
saaai,, il ies entfpetiaat faimlièrem'ent. Mais ce feafeer-de 
paiix ;toraba sur des lèvres ©à il n'^r avait niiil'e paix, 
nulle aflection. M leur 'demanda qui ils étaient, d'où. 
ils venaient, «et qiî^l était le motiif 'de leur voyage. Ils 
répondirent qu'ils étaient xles che-valiers aMem-and^ 
attachés à la miatison et au servioe de i'empereur. Que 
tonê réceanment, ils se trouvaient assis à sa table 
qiuand iu;ae vive dispuite s'éleva eiatne lesiofiScîers pré- 
sents. « Alors, dirent-ils, nous «omîmes intervenus 
violemmeaaît. dans l© conflit qui diégénéra en bataille 
pendant laqueile nous; avonsi eu le Ea!alh>e«i?^ en pré^ 
senee de sa aaiaicsté inapéaîîaie, de tuer l'échaBswn de 

I . Porci ilii cenulenti.. 

1. Dans le Brabant septentrional on p3rlait à cette époque 
le tlïioîs (ancêtre du flamand) qui ne dîfFécait guère du bas 
aUemaad. 



n VIE. DE SAINT ALBERT. 

la cour, un noble et puissant gentilhomme. Chassés et 
proscrits pour ce fait loin du regard de l'empereur, 
nous sommes yenus sur le conseil d'amis dans cette 
ville pacifique de Reims. Nous avions appris que 
c'était le lieu de votre exil et il nous semblait doux 
de partager le sort injuste d'un homme si illustre que 
vous, Monseigneur, dont la haute dignité et la très 
noble naissance méconnues de l'empereur ont attiré 
contre lui en votre faveur la réprobation de toute 
l'Allemagne. Ce sera une patrie pour nous que l'exil 
en votre compagnie » . 

La simplicité de colombe du saint évêque se laissa 
séduire par les enchantements venimeux de ces 
hommes impies, et attirer petit à petit au charme de 
leur conversation. Expression du visage, tenue, ges- 
tes, rire, plaisanteries, tout leur sert de moyen pour 
capter l'étonnante crédulité de l'évêque. Il les reçoit 
et les invite pour causer ou pour les consulter, pour 
se divertir ou traiter d'affaires importantes. Tous les 
jours, ils avancent dans la faveur et l'attachement 
de ce cœur affectueux. Ils viennent fréquemment 
assister à sa messe et prendre part à sa table» A la 
messe ils arrivent spontanément; c'est pour faire 
croire à la pieuse vénération qu'ils affectent pour 
celui qu'ils nomment leur père, leur seigneur et 
leur ami. A table ils se laissent inviter avec empres- 
sement, s'y montrent gais et enjoués et se confondent 
en remercîments. On les rencontre partout : tantôt 
dans les appartements privés de l'évêque, tantôt sur^ 
son passage à l'église. S'il monte à cheval pour faire 
une promenade en ville, les chevaliers se présentent 
pour l'accompagner. Jour et nuit, en tout lieu, ces mi- 
sérables sont là, veillant sur l'évêque, non pour léser- 



L'EXIL A REIMS. - 73 

vir mais pour Tégorge^' ; leurs yeux sanguinaires ne le 
quittent pas d'une minute. Lui, dans sa droiture et 
son innocence jugeant le prochain comme lui-même, 
prenait ces assiduités pour des marques d'un grand 
dévouement. Eux ne perdaient ni une heure, ni une 
occasion de tout voir, de tout scruter, pour trouver 
le moment favorable de le tuer. 

Le jour de la fête de saint Martin, comme on don- 
nait le signal pour la célébration des matines dans la 
cathédrale, les chevaliers firent le guet à la porte de 
l'église où ils pensaient que l'évêque allait arriver 
pour assister à la solennité des vigiles, comme c'était 
son habitude aux jours de fête. Mais cette nuit le 
pontife indisposé resta chez lui. tJn des chanoines 
entrant dans l'église aperçut ces hommes qui se 
glissaient dans l'obscurité et leur dit avec eflProi : 
— « Que faites-vous ici à cette heure? » — Ils 
répondirent : — « Nous attendons Monseigneur 
l'évêque pour le saluer, -r- Il ne viendra pas, repar- 
tit le chanoine, il est retenu par une indisposi- 
tion ». 

Une autre fois l'évêque Albert avait été invité à 
dîner par un chanoine de ses amis. La demeure de 
celui-ci se trouvait en dehors du palais épiscopal de 
l'archevêque, mais à peu de distance. Pour y arriver 
il fallait traverser une ruelle étroite entre deux mu- 
railles, conduisant de la porte du cloître à cette habi- 
tation. Dans un coin de cette ruelle se postèrent les 
Allemands prêts à tomber sur l'évêque, le soir, à son 
retour et à le passer au fil de leurs épées et de leurs 
couteaux. Par hasard une femme avec un enfant 
ayant à traverser cet endroit, aperçut ces soldats en 
embuscade. Ceux-ci découverts sortirent de leur 

VIK DE SAINT ALBERT. 5 



m VIE ©E SAINT .MBEKT. 

caobette, ^mais elle s'avança et ieur dit '^ — « JE^urqura 
ètes-vcms iaraaaés et gardez-vous laiasice passag»? « — 
A 'ce moment, les chevaiiers étaient ieaascore peu coiïiïiis 
#68 habitants de Reiins. — « N'onas ®o mânes v^emuSi, 
>dirent-ils, aawus réfugier dansaette vilîie pour iêchapper 
à ia poursuitie .de Tios (ennemis 'et no-us ;attend0ns aaotre 
seigneur l'évêque pour îboub 'metiire sous sa protec- 
-tioaa )). — Alors la femme s'«n «ild^ de s®m coté et ils 
retQfurnèrent à leur hôtel. 

Un autoe 'jour, l'évêque était allé en promeinaâe :à 
«cheval jusqu'à Saint-Sympborien, toujours accompa- 
'gué des mêmes chevalliers armés. On s'arrêta chez tu» 
ïiommé Philippe, seigneur de l'endr&it, ^ice-gon- 
■vemeur de Reims. Après. d'amicaleB et joyeuses 
libations, l'évêque -se remit *en selle pour le retour. 
Tons les siens avaient pris le devant sauf îles Ailile- 
unands. L'un d''eux tirant son épée et 'faisanal; signe à 
ses «compagnons se mit à faire tournoyer soaa anmîe 
*o(!)imme pour parader sur la façade de la <mais(®n en 
PhomneuT de l'évêque. Au hruit de ce cavailier qui le 
précédait, le cheval d'Albert s'excitant ne fit qu'xin 
ibond sous les éperons de son maiître est disparut. 
'L'Allemand cachant sous les applaudissements et les 
■vires sa ruse criminelle «rejoignit ses complices en 
'GOiitinuant à brandir 'derrière eux son épée. Ciest 
•ainsi que cette texitative échoua sans être ^découverte. 
'iCout cela se faisait aux yeux aveuglés des familiers 
•d'Albert qui ne remarqofaient rien, aux oreilles ides 
Rémois qui temoignaierft à 'l'évêque une iaffeobi&n 
^toiïte spéciale et l'entonTaient de leurs préve»aaafees 
*lesplus empressées. îQuelques-uxfSide ses/amis (cepen- 
dant, étaient torturés paT "les iépines d'un gi'.ave .'soup- 
çon, mais personne n'osait s'ousvrir de son touirnreiit 



L'EXIL A REIMS. 75 

à l'évêque qtii «'irritait à Ja moînêre allusion Messante 
à fl'égard de ses chers chevaliers. Il avait pouT «lUX la 
plus grawde estime et, dams isa fcoîidescendance, iil 
compatissait au malheur de leTir exil comnae auisieoi. 
Il était Mi-même interv^u'U auprès des autorités eoclé- 
sîastiques et civiles 6t auprès du prévôt de l'archevê- 
dhé, dès l'arrivée des chevaliers allemands, pour les 
recommander chaudement, leur obtenir pleine liberté 
en ville om^aiu dehors dans tOMt le territoire adjacesat, 
ainsi que ie respect et la ^bienveillance de la popMla- 
ti'on. Ils en profitaient pour faire avec leur^ écuyers de 
fréquentes «xcursi^fns qui leur per mettaient d'explorer 
soigneusement toutes les routes et tous les sentiers 
autour de la ville et bien au delà, afin de is^assurer 
la «:onnaissance de toutes les voies par où ils ip^ur- 
raient s'échapper après avoir accompli leur Guime. 
Telle fut la tactî^que de «ces rusés scélérats psendamt 
les vingt-^huit jours environ qu^ils spassèrent à Bjeims 
auprès de l'évêque Albert. 

Durant la première semaine de leur arrivée deux 
malheurs étranges et de mauvais augure viaatpen^ 
frapperia ville et l'Eglise. Il y a'vaità îleimB un cilioyen 
qu'un jeune baron réclamait à ititre de serf. Celui-ci 
réfusait û<e le resconnaître. Un jour le baron vint Je 
chercher eu ville et l'ayant 'trouvé sur la place pu- 
blique, il >le tua. 'Ge jeune meurtrier était le gemdire 
d'un soldat appelé Baudouin dont rhabitation spa- 
cieuse était voisine de la place. C'esft laque se ré'fugia 
î'asBsssin à l'abri des poursuites 'des habitants. L;e 
"soldat cacha sou gendi^e puis, apaisaut les citoyens 
dont il était très estimé, il fil sortir le coupable peu daut 
la nuit et lui permit ainsi d'échapper au châtiment de 
son crime. Un des compagnons d'exil d'Albert appelé 



76 VIE DE SAINT ALBERT. 

maître G érard^, chanoine dé Saint-Lambert et doyen 
de l'église Saint- Jean dans l'île de Liège, protesta con- 
tre ce fait. Ce n'était ni la victime ni le meurtrier qui 
l'intéressaient dans cette affaire mais la sécurité de 
l'évêque son seigneur, de lui-même et de ses compa- 
gnons exilés. Dans une noble et illustre cité la paix 
et la liberté venaient d'être indignement troublées 
en plein jour par un misérable assassin échappé 
sain et sauf des mains de la justice par la négli- 
gence des habitants. « Comment, disait maître Gé- 
rard en colère, pouvons-nous rester dans cette ville 
où le crime trouve une telle impunité? Demain nous 
allons voir le même forfait se reproduire. Si la cité 
laisse passer un tel attentat contre un de ses propres 
membres, que fera- t-elle pour nous pauvres étrangers 
fugitifs de quelque contrée inconnue ? L'archevêque 
de Reims est parti pour un pays lointain. , Il a laissé 
la direction des affaires et la garde d'une ville si 
importante à un homme grossier, sans naissance et 
sans prestige, plus empressé à s'enrichir qu'à servit 
l'honneur de son maître et la vie de ses concitoyens. 
Quelle sécurité sôus un tel gardien? Pourquoi a-t-on 
reçu ces chevaliers allemands ? Dès le jour de leur arri- 
vée, je l'ai dit et je le redis : J'ai grand peur de ces 
hommes barbares qui prennent de belles manières 
pour enjôler notre seigneur l'évêque. Timeo Danaos 
et donaferentes. Si, comme la crainte me le suggère, 
ces Allemands ont été envoyés par les ennemis de mon 
seigneur pour le tuer, le fait qui vient de se passer 
n'est-il pas de nature à les encourager dans leur pro- 
jet? N'est-ce pas une invitation au crime que de 

I. Voir de Theiix, o. c, I, p. 2o3. 



L'EXIL A REIMS. 77 

laisser assassiner un homme en plein jour sur la 
place publique, aux yeux de tous les habitants, tandis 
que le meurtrier s'échappe en se moquant de tous les 
gardes et préfets de la grande ville de Reims! Il y a 
quelques jours nous avons vu arriver ici un certain 
maître Alexandre faisant partie de la maison impé- 
riale, homme bien fait, s'il n'était défiguré par la 
perte du nez qu'on lui coupa à cause de ses rela- 
, tions coupables avec une jeune fille attachée à la 
personne de l'impératrice Béatrix. Cet Alexandre 
est venu offrir ses services à notre maître alléguant 
comme raison de sa visite le désir qu'il avait de témoi- 
gner sa pieuse vénération envers leprélat exilé. Celui- 
ci ajouta foi à ses paroles et lui offrit l'hospitalité, 
lui montrant une particulière bienveillance parce que 
cet homme et toute sa famille avaient jadis fait 
partie de la maison de son père le duc Godefroid. 
Mais on ne le vit qu'un jour. Le lendemain il disparut. 
Monseigneur l'évêque prend cet homme pour un 
dévot visiteur, moi je le considère comme un espion. 
En efiet dix jours après son départ nous arrivaient 
ces fameux chevaliers allemands. Notre évêque parce 
qu'il est pieux et bon ne voit que du bien partout 
et croit que tout est parfaitement sûr autour de lui. 
Moi, j'ai un esprit plus inquiet, je trouve qu'il n'y a 
rien de sûr ici dans cet exil. » 

C'est ainsi que maître Gérard discourant et se la- 
• mentant se mettait souvent hors de lui. Alors le 
pacifique Albert riant de ses frayeurs le plaisantait 
sur sa timidité ; quelquefois aussi il se fâchait et repre- 
nait vivement la prudence exagérée et la violence de 
son chanoine. 

Voici un autre fait qui se passa pendant l'exil 



78, VIE, HE' SAINT itEBERT. 

d'Albert à( Reims. Une, qaea?elle s'étanitr éleïvée entre; 
de^xi chanoine&d» l'église cathédrale,, ilsi en vinreiQt: àj 
s'injurier grav^eainent. L!unr était; diaiCBej, l'auMe sous- 
diacre. C'était le, sQûs-dia«Ee qiui av/ait: reçu; le pkts? 
d'iasulteSi, 0» ©a faisait à ee. mioxaienii le- triduiinît! pa?é- 
paratoire à lai fête de Tous les. SsântS;. Le doyeiaj de 
l'église apprenant ce qui se passait en.fut ému^et con.- 
^toqu!a les deuxinsGulpésau eba pitre pour 1© lendenraiiBj, 
"viigile de la fête., IL'affaire fut jugée- et, confiarmément a 
la. discipline sévère de l'Église de;- Bieiinsf et sur k'avis, 
dè& anciens, il& furent condamnési^ à recevoir cfeacun 
la discipline, le sousr-diacreidépouiilé de) se s vêtements,, 
le diacre,, par déférence pour, son grade, supérieur, 
au-dessus, des habits. Le diaiere' se; soumit, mais le' 
sous-diacre refusa d'obéir prétendanfiqu'il a.vaiic été plus 
offensé que le diacre; Alors, séance tenaaitevlfi' doyen 
interdit au chanoine récalcitrant L'entrée de- l'église. 
Mais celui-ci s'obstinant; vint après la réuniom du cha- 
pitre; prendre sa. place au: chœur pour' l'office die 
tierce. Le doyen lui fit sig-ne de sortir. Il refusa. Le; 
doyen voyanli dans ce fait. uaie' graver atteinte à la dis- 
cipline régulière, et craignant* un précédent pour l'a- 
venir, fit cesser l'office divin dans l'église tant que! le. 
chanoine rebelle aurait la prétention d'y assister. 

Ce matin-là,, l'évêquie; de Liège était sorti de la 
ville pour consacrer une église récemment restaurée,, 
cérémonie à laquelle ili se prêtait volontiers avec? tout 
son dévouement pour l'œuvre de^ Bielai, chaque fois; 
qu'il y était- invité. Bera'arquons en passant ce détaîè 
digne d'être rapporté.. Pendant; son exil, Albert qui 
était le plus pauvre des pauvres, ne. demandait jamais 
aucune rétribution pour les fonctions de sonministèoîe,, 
pas une pièces de; monnaie j pas le moindre aliment, 



tlEKlL A. RMMS'-. 79>' 

paa:= mêtne un morceau des pain. TouE ce qu'on lui 
offijait,. il l'e refusai* énergiEfnfeiiiieii* EépéCanlt en Eianl; 
cette sentence' qui lui éttait chère t. graùik acee^îstm 
gratis dciÉ&.^zx eoîïtr.e il!. demanJaiti instammemit dess 
prièces pomof luii, pou*: tous les» sièns^, siusEtouît pour < 
L'Église! die Liège SB gravement, éprosuvée.. Ajoutons, en 
prolongeant cette digression, que: sojbu eaatourag^e l'ent-^ 
gageait sainv'ent etf aivec instance à écrire; aux doyernsy 
auis; prêliresi, aux abbés,, aaix églises situées daBs> le^ 
tecciiioiEe dan duc d© Braibant son: fuèBe, pour faire; 
appel à leurs, ressofuirces dans; sa graode; nécessité. 
Ilncvoiakit jamais y conaseatk,, disant qu'il avait pluS) 
besoin de lieiairs prières qnie de; leurs deniers et qu'il 
ne voulait être à charge à personne. « le suisévêque,, 
disait-il jioiyeusementjsi^lJhQrarae,' vient à me; manquer, 
le Seigmeur ne mé manquiera pas. Motl Dieu me; donr- 
nera le pain quotidien., »; 

Comme il revenait donc;, ainsi que nous l'ffvons dit,: 
de la diédicaee d'une église, vers l'heure: de none eti 
à jeiiH, il trouva; la chère cathédrale de; Reims! trèS) 
troublée parles événenL«nts racontés plus haut,. Lais-> 
sant le' repas; préparé^ it couirt à l'église. Le chapitre 
était divisé en; trois parties ; d'un côté lesi sous-diacKesJ 
contfre les diacres^ les: diacres contre lesi sous-diacresi 
se^ disputaient avec opinàâlîEeté sans quie personne) voue 
lût cédei'. Di'autre part le doyen et les sênieurs défen- 
daient énergiquement l'honneur de; la diiseipMne. négun- 
Hère et de l!a maison- de Bieiii- Albert, ami de la eour- 
corde et de l'iiinioni, s'iintei»piosa entue: lespartisv usant; 
en faveur d© la paix: du': Seigneuivde. son tilreid'évêque: 
Il courait anxieusement de l'un à l'autre demandant 
et suppliant de rendre. gjl)oire à Dieu et de céder par 
respect pour la solennité de Tous les Saints^ cette fête. 



1 V ' ' 

80 VIE DE SAINT ALBERT. 

si belle, de céder par égard pour la ville de Reims qui 
se plaignait d'être endeuillée et pour ainsi dire orphe- 
line, puisqu'à cause d'une querelle insignifiante, l'é- 
glise-mère, la joie de la cité gardait volontairement 
dans un jour si solennel un silence lugubre. Mais ce 
jour-là, les efforts de l'évêque furent vains; il ne put 
rien obtenir pour la paix. L'église resta muette à 
vêpres, à matines et le lendemain à l'heure de la 
messe. Une morne tristesse et une lamentable con- 
fusion planèrent sur tout le clergé et sur les pieux 
fidèles de Reims en ce jour de fête. Dans le peuple 
circulait tout bas le bruit sinistre que ce mutisme in- 
justifié de l'église présageait un malheur qui allait 
fondre sur la cité. En présence de ces murmures et 
de ce scandale, les chanoines se virent obligés de 
recourir à l'évêque Albert consterné lui-même par 
cette situation. Après bien des discussions, on finit 
par se rallier à ses conseils. Le sous-diacre se sou- 
mit et fit satisfaction ; les altercations cessèrent, l'église 
reprit un radieux aspect de fête et l'on chanta solen- 
nellement les secondes vêpres de la Toussaint. 

Cependant la pénurie extrême dans laquelle il se 
trouvait commença à peser sur notre exilé. Plusieurs 
fois il avait envoyé des messagers et des lettres sup- 
pliantes au duc de Brabant pour lui exposer sa détresse 
et faire appel à son affection fraternelle comme à 
son amour filial, sentiments dérivant d'une part des 
liens naturels et de l'autre de sa paternité spirituelle 1. 
Il n'avait reçu en réponse, ni une parole, ni une 
ligne, ni un acte. Mais l'adniirable douceur de son 

I. Le Brabant, nous l'avons vu, dépendait au spirituel de l'évê 
ché de Liège. 



caractère lui faisait supporter patiemment toutes ces 
adversités. En vrai serviteur de Dieu, il débordait de 
joie et d'allégresse au milieu de ses tribulations et on 
pouvait lui appliquer cette parole de l'Apôtre : nihîl 
habentes et omniapossidentes. A Reims, tous ses créan- 
ciers l'un après l'autre commençaient à faire défec- 
tion : un premier d'abord, puis un second, un troisième, 
un quatrième, un cinquième, jusqu'à des indigents 
qui lui prêtaient ce qu'ils avaient en fait de vivres 
mais ne pouvaient lui procurer des vêtements et autres 
objets nécessaires dont la privation se faisait cruelle- 
ment sentir. Les fournisseurs s'entendaient dire par 
leurs voisins : « Pourquoi prêter à l'évêque. Il est géné- 
reux et puissant en dignité, soit, mais son sort est dé- 
sespéré. Tous ses amis se retirent de lui les uns après 
les autres, personne ne se rallie à son autorité, per- 
sonne ne s'adresse à lui. » Mais d'autres répliquaient : 
« Nous sommes nous, et nos biens, entre les mains 
de Dieu. Si Dieu n'était pas avec lui, cet homme ne 
pourrait être, comme nous le voyons tous, si comblé 
des faveurs célestes. Aucune grâce ne lui manque 
sinon celle d'être reconnu par les princes de la terre 
jaloux de sa gloire et de sa dignité. Mais l'Auteur de 
ces dons, Celui qui dispense la puissance etl'honneur, 
saura bien aussi quand II le voudra et comme II le 
voudra donner à son élu la paix et le repos. Nous ne 
pouvons rien perdre nous, en perdant ce que nous 
avons prêté à un homme si grand, si aimable, si suave, 
si bon, à un homme que Dieu a embaumé du parfum 
de tant de grâces. » 

De fait le bon évêque était si sympathique, si cher 
au peuple rémois que celui-ci ne pouvait se rassasier 
de sa vue, soit pendant qu'il célébrait les saints JVIys- 

5. 



82 VIE DE SiilxNT AILBERT. 

tè'res à l'église j e' est là qu'on' le renGontEaii; surtoiut, 
soit, ce qui arrivait moins, souveiiit,. pendanîr les pi?©- 
menaides à clieval qu'il faisait avec; les sien» à travears; 
la ville. Surles places de, la cité on'. accouTait pouï-le; 
voir pass€iry à l'église ou se- pressait avidement pouic le 
contempler. 

Telles fab la condition; du, serviteur de Dieu com;hal- 
tantle bon; combat pendant les soixante-six jours envir 
ron, que dujra son exil depuis le commencement jusqu'à 
sa raort^. Pendant tout ce temps il ne reçurt au-euia 
signe de vie ni de son oncle' le; duc d'Ardennes,.ni & 
son frère le duc de Brabant, ni d'aucun de ses prochesy 
comme si tous les liens du sang et de l'afFectioa eus- 
sent été anéaniisv Tous ses ami& l'abandonnèrenl et 
s'éloignèrent de lui comni© des étrangers, oubiàsBut 
qu'ir avait reçui l'onction de l'huile sainte, oiublàsait 
que cette consécration eux-mêrnses l'avaient appelée de 
tous leurs vœux, lorsqu'ils avaient espéré s'exalter 
dans l'orgueil de leur race par l'élévaitian d'un: de 
leurs membres-. 

Peu de jours avant sa mort, Albert éprouva pen- 
dant une nuit de terribles angoisses. Il vit; repasser 
devant les yeux de son esprit toutes les tribulations 
dont Dieu l'avait frappé. Il sentit la maitt de; Celuii 
qui le jlagellait avant de If admettre bientôt. en> saipré*. 
sence. Ce qui; affligeait par-dessus tout son cœur c'était 
la dureté du duc de Brabant.. Lui> qui était riche, qui 
n'avait qu'un frère, il l'avait laissé extposé a tous les 
malheurSy a- toutes les souffrances, h la plus extrême 
pauvreté, comme le dernier des bannis, desproscrits 
sur une terre étrangère;. Ces; pensées, surtout la con- 

L. C'est-à-dire du 20 septembre au a4 novembre. 



: L'EXIL i^.ffiSMSi; ^ 8â(; 

duitedeson frèrei, fe' Uouirmenljaiènt, rirrilaient.. EUies 
lei Gracifièrent perrdarït preaquie; toute la rtuit. , 

Albert avait parmi; ses CaanilifôKS à Bieicas un. ami', 
intime (nous le- Gonnai'sso®sf déjà), qmi ne; le quitta- 
pas; pendant tout léj temps de son exil.. C'était l'ab/M; 
de Lobbes. Il aurait; tout perdu sans regret pourvuu 
que ce cher compagnon lui restât fidèlement attaché. . 
L'abbé cependant ne partageait ni le lôgemenst ni la, 
table de' Ifévêqiue. Gelui-ci; avait de touîtes les. façonfr, 
et à plusieurs reprisés insisté pour que; son ami prit, 
ses repas avec lui. Il n'avait jamais vouilii y consentir. 
Parfois l'évêque par un excèSf d'aflFection se fâchait et 
faisait violence à l'abbé pour le retenir à dîner.. Alors 
celui-cii papomettait de rester mais sans iMentioni de 
tenir sa promesse, et pendant qure l'évêque se lavait, 
les mains avant de semettre àitabley il s'éeha|)paitiet 
reîouirnaie chez lui où( il vivait à Si©si frais*, épargaant; 
les maigres^ ressourcesi de; so;n. cher seigmeur exilé. 
Après sa réfection, il revenait: aupEès de l'éviêqiuet, 
tout irrité contre lui, A ses- repsToehesi ili répondait en^ 
plaisantant : « Pourquoi vouis fâcher? MonseigneuEi 
^ vous m'avez mênae pas de paiii!, que pourri ez-vQus< . 
m'offrir à manger? » Tous: les matins., l'abbé acri'- 
vait chez l'évêque' au moment oui il se rendait, a, 
l'église et l'y suivait dévotenieiati. Il, rentrait avec liii 
am palais et lui tenait compagnie', jusqu'à l^heure: du 
dîner, et de nouveau il revenait; après 1er dîner jjus.- 
qu'aoi; souper. 

Le matin de lia;muit où Albert avait! été sitourm^ntéj. 
l'abbé de Lobbes, se présenta: selon sa coutume;. LIévê- 
que le prit à "part miomitrant! ce; jour-làfune figure peui 
souriante. Il a^vaity. comune^ no;us: l'àvons! die, une. 
grande affection! pour' son aanii dontil GOiaiiaisaait 



84 VJE DE SAINT ALBERT. - 

^l'attachement et la fidélité à toute épreuve. Cette" 
amitié lui faisait dire en riant à ses clercs : « Vous qui 
êtes des miens et tous ceux qui reviendront à moi 
dans la suite, si Dieu m'accorde la paix, vous pouvez 
vous attendre à recevoir des archidiaconés, des pré- 
vôtés, des prébendes, et autres honneurs; l'abbé de 
Lobbes lui, il est moine, il ne peut prétendre à rien 
de tout cela ; c'est l'amour seul et le pur dévouement 
qui l'attachent à ma personne. S'il a un espoir qu'il 
place en Dieu Notre-Seigneur, c'est de me voir un 
jour être l'instrument de la Providence pour la res- 
tauration de son abbaye si éprouvée depuis tant 
d'années. » 

Ce matin donc l'évêque entraînant son ami dans 
ses appartements privés lui dit tout haletant et en 
soupirant : « Oui vraiment cette nuit m'a anéanti. 
Il faut absolument écrire de ma part au duc mon frère. 
Ce n'est plus un frère, ce n'est plus même un ami ; 
c'est un bourreau plus dur que le rocher. Ne suis-je 
pas comme lui le fils dé Godefroid le très noble duc 
de Lotharingie ? Nous ne sommes que deux frères. 
Puisqu'il est l'aîné et qu'il a ceint l'épée qu'il soit duc. 
Mais l'héritage opulent des richesses de notre père 
nous est commun. Pourquoi mon frère m'arrache- 
t-il violemment ma part comme à un dégénéré ? La 
tonsure cléricale ou un grade plus élevé dans la 
hiérarchie ecclésiastique ne peuvent aucunement por- 
ter préjudice aux droits légitimes à la succession 
paternelle. Mon frère vit dans les délices. Il me ré- 
duit à mourir de misère. Son parjure, soit, la terreur 
l'y a forcé. Devant la toute-puissance d'un César 
irrité j'ai pitié du coupable qui viole son serment et 
je lui pardonne. Mais s'il croit devoir rendre à César 



L'EXIL A RELMS. 85 

ce qui est à César, il y a une chose à laquelle il ne 
peut renoncer c'est de rendre à la nature ce qu'il doit 
à la nature; qu'il me laisse la vie, qu'il me permette 
de vivre de mon patrimoine. Dieu pardonnera plus 
facilement une faute contre la fidélité qu'on lui doit 
qu'une injustice cruelle par laquelle un frère enlève 
la vie à son propre frère. Oui Dieu remettra plus 
facilement le parjure contraire à la loi divine que la 
violation des droits sacrés de l'affection naturelle. 
Mais passons sur le caractère même du serment qui 
est une promesse faite au nom de Dieu ;^t examinons 
plutôt la teneur de ce mauvais serment. Ce n'est pas 
seulement un frère selon la chair que l'on y mécon- 
nait, c'est un père spirituel. Le Christ, fondement 
invisible de l'Eglise, a donné à Pierre le pouvoir .de 
lier et de délier. Lothaire l'intrus est soumis à l'au- 
torité apostolique. Or cette autorité a confirmé mon 
élection et m'a consacré évêque. Elle m'a conféré la 
paternité sur tous les enfants de l'Église de Liège 
soumis à Dieu et au Saint-Siège. Si donc mon frère 
craignant César plus que Dieu a fait à Lothaire un 
serment contraire à Dieu, on l'excuse de cette faute 
en raison delà nécessité pourvu qu'il sache ce qu'il 
a juré et qu'il ne l'ait fait que contraint par la vio- 
lence. Un serment arraché par force surtout quand il 
est contraire à la loi de Dieu, l'Église le pardonne. 
Moi aussi je l'excuse bien que ce serment soit mauvais 
pour lui et meurtrier pour moij je condescends à la 
nécessité passagère où il se trouve d'agir de la sorte, 
mais ce que je ne puis pardonner, c'est que mon 
frère observe son serment jusqu'à violer les -droits de 
la loi naturelle qui dit : « Ce que tu ne veux pas 
« qu'on te fasse ne le fais pas à autrui » , et ceux de la 



86: VIE DE. SifeINT AEBERT. 

loi divine prescrivant d'aimer soa prochaiii CQmiïiie' 
soir-même. Qr, je: suis son pïoclaaiinauipx)int.d'' être son; 
frère unique et. son frère. Uitérinf. Je me^ faisi mieii- 
diant, il me refuse • l'aumône: de; ses ■■ bien», ill mi' enlève 
tout ce qu'il sait m'appartenii?,, il me frapipe-, et me; 
perce," du glaive de; la pauvret©, plus crueL Lui-ménaiei 
que; l'arme dont il! se sert. »i 

L'évêque demanda en terminant à l'abbé der Lob>- 
bes. d'écrire au duc de B;rabanli, qu'il connaissait, bien : 
« Hâtez-vous, dit^ili, de tRansmettre à: mon frère tout, 
ce quej je viens de vo^isi direi. Parlezi-lui un- lamigage; 
sévère. Oui, acheva-t-il' em gémissant profondénœnt,, 
il est plus sévère; pour moi. que tousr les stylesoiiiu vous 
pourriez eixprimer mes repiîodkes. »- 

L'abbé de; Lobbes qui aimjait; tensdirement Ailbert elr 
à cause de lœson frèaie Henaii^ trouva; le discoujrs de; 
soni amibien; duT. Maisi il ajwait tropdej réspeiœt pour 
L'évêque et voyait que sadfeuiauic était ticop véhémente; 
pour oser le contredire ..Son: affection et sa pmudencej^ 
lui suggéré rent un mo^ye-nde: toiMunei? lai difficultés. II. 
alla trouveE le prévôt Thomas de- Marbais- dont il 
connaissait le dévsouement et la; fidélité) absolue à son;. 
seigneuT et lui rajCOBta la confid;ence doni il; venait, 
d'être l'objset d©; lat part dé l'éviëque. Li'abhé et, le. 
prévôt étaient dc' grands amis. Il Ici mit dû;nc au gou- 
raiBt de tout et lui demanda conseil sur l'ordiKereçu^ 
bieui dur apparemment, d'écrire une lettre; de Êcèré à 
frère en termes si froids.. Tko mas inclina la. têtei eti 
réj0échilï quelques instants puis en riant il dit.:;(e Ouiv 

I. In hoc uno diligens etpnidens. Voici une des expressions 
que; Eurth trouve invraisemblable sous l'a plume dé l'abbé 



L'EXI'L A. REIMS. 85: 

il faut écrire au duc et de la> façon lïii plus* am^re que' 
ton esprit' inîvenitif le puisse faire en aiguisant chaque 
mo* et chaque phrase; Lai d'ouceuT et la-bonté natun 
rell'e de; Mionseigneur s©>nit naâîeux; connues quf'une' 
maisonv de son propriîétaire. Étouffer une flamme; 
légère en' Fécrasant d'une- maisse pesante n'est pas plius 
facile' cpe d'éteindre la coliëre de notr© maatre em 
l;ui proposant une lettre: pour le duc dépassant par la 
•raideua? tout ce qu'il a ordonaié. Pendant; qu'il lira; 
l'écrit 613» paTticulier de^-ant loi, je m'autoriserai de' 1* 
confianee qu^'il me témoig^ne? pour entrer brusque-, 
ment" eU inteirvenir au besoin- dans votre entretien. 
Nous: verronsi alors le dénouement. » 

Tout fut fait comme il l'avait proposé. Quand 
Févêque commença à Mire cette lettre si dure, si 
sévère, si opposée à son caractère bienveillant, et qu'il 
vit entrer Thomas de Marbais, il fit asseoir ceïni-ci à 
côté dé Fabbé de Lobbes, et se mit à dévisaiger 
tantôt l'un tantôt l'autre. Enfin', agitant son papier il 
ditenriant raodesteraent,.carilis' était aperçu duicomplot 
des deux amis : « Vous m'avez vaincu, et cette lettre 
aussi par Fexcès de sa^ sévérité. J'écrirai sous peu' k 
mon frère en termes plus doux. Il le faut. »; 

En effet, quelques- jours après-, la pénurie de toutes 
choses ne faisant que croître et empirer, Albert envœya 
au duc une lettre ainsr conçue; : 

« Albert par la grâce de; Dieu évêque de LiégCy à 
Henri son frère très cher, FillustireiducdaLotharingiie:, 
salut et dilection fraternelle). Depuis le j ouït oii je' suis 
arrivé dans: cet exil, je n'ai pas: cessé de vous; adresse* 
des prières instantes et de nombreuses lettres, dans 
l'espoir d'émouvoir vos entrailles fraternelles en 
faveur de mes nécessités; nécessités de voti'e chair, 



88 VIE DE SAINT ALBERT. ~ 

de votre frère unique, de celui que Dieu et le Saint- 
Siège ont choisi pour leur prêtre qui, non par ses 
mérites mais parla grâce de Dieu, est votre évêque 
et par conséquent votre père. Mais comme je vois 
que vos entrailles n'ont plus d'affection pour moi 
votre frère unique selon la chair, pour moi votre 
père spirituel, c'est la dernière fois que je présente 
mes prières devant votre face. Je n'écrirai plus de 
lettre à mon frère unique, car, avec une grande, 
douleur, je suis obligé de le dire, vous avez forcé 
votre frère, votre père aimant à désespérer de vous. Je 
vous ai écrit souvent, je vous ai supplié humblement, 
vous n'avezjamais répondu, jamais envoyé la moindre 
lettre. » 

Il écrivit à peu près dans le même sens à son 
oncle. 

Quand le duc de Lotharingie eut lu celte dernière 
lettre dont le porteur envoyé par l'abbé de Lobbes 
était un moine de cette abbaye, il fut ému jusqu'aux 
entrailles du sort de son frère et se mit à pleurer. 
Le religieux qui avait apporté le message fut reçu 
avec les plus grands honneurs. Aussitôt des ordres 
furent donnés de rassembler des chevaux, des vête- 
ments, de l'argent, et autres objets nécessaires, que 
des messagers du duc étaient chargés d'apporter à 
Albert dans le plus bref délai. Avec ces largesses le 
duc mandait à son frère que bientôt un grand nombre 
parmi les plus importants de ses adversaires allaient 
revenir à lui, se rallier pleinement à son autorité et 
le reconnaître comme leur seigneur et leur père. Le 
duc d'Ardennes son oncle s'apprêtait à agir de son 
côté de la même façon. 

Un noble adolescent du nom de Rotrolle, évêque 



L'EXIL A REIMS. 89 

\ ■ ■ . 

élude Châlons^, ayant appris la détresse de l'évêque 
de Liège s'était ému de la disgrâce d'un homme d'un 
sihaut rang et prenait aussi ses dispositions pour lui 
venir en aide. Il avait envoyé une députation auprès 
d'Albert pour le prier de venir habiter chez lui où il 
serait entretenu à ses frais et entouré de tous les 
honneurs dus à sa dignité. Lui-même viendrait pro- 
chainement à Reims avec sa suite pour le chercher et 
l'escorter jusqu'à Châlons. 

Mais Dieu allait disposer bien autrement de son 
serviteur, de son élu nouvellement consacré. Pour 
qu'il apparaisse devant lui plus pur, plus précieux, il 
le purifie comme l'or dans la fournaise par une épreuve 
telle qu'aucun homme d'une si haute dignité et d'une ^ 
si noble race n'en a subi de plus grandes dans des 
circonstances semblables. Pendant que les hommes 
d'un côté et Dieu de l'autre préparent les événements 
à venir, l'évêque Albert dans son exil à Reims lutte 
contre toutes les extrémités et se consume dans le feu 
de la tribulation et de l'angoisse. Dans sa compassion 
pour autrui plus douce que le miel, il gémit de voir 
autour de sa personne dénués, pauvres et abjects, ceux 
que jadis il se plaisait d'entourer d'honneur et de 
somptuosité. Sa table autrefois joyeuse devenait 
morne. Ses vêtements et son mobilier avaient passé 



I . Rolrolle était fils de Rotrolle III comte de Perche et de 
Mathilde de Champagne, parent de l'archevêque Guillaume de 
Reims et du roi de France Philippe-Auguste, Il fut nommé 
archidiacre de Reims en 1190 et la même année élu évêque de 
Ghâlons-sur-Marne en remplacement de Guy III. Il semhle 
qu'en 11 95 il n'était pas encore consacré. Il mourut en 1202. 
{Gallia Christiana, IX, col. 883.) 



90! VIE Bll&l SiilNT AESERT. 

engage; a ses er.éaneiera ;:sairfiaii palefroi/ e* laane claiape- 
de-, pie U; de valeur, il ne; lui restait rien^ 

Cette indigences ajoutée à tant! d'autre» maux: arvait 
j été l'évêqîUîedaiiisu ne g^rande affliction: et nnex profonde 
dépressions. IL restais, chezi lui tristement,. et osn: Bielei 
voyait plus comme; ajupar avant se promener ai eheival 
ou; à pied. Il ne sortaiit de. sa. demeure qucpouar se 
rendre as l'église;, son' refuge favori où dans lesi divins 
offices il retrouvait la joie de; la; saiatei dévotiomi. Om 
l'enitendait répéter souvent avec mm onfifâon; halài- 
tuieife : « Il faut rcebercher lesi endroits oui' on i trouve; 
le bien et le repos de; l'esprife. Me sentir à l'église est; 
ma consolatàoia. L'œuvre de; Dieu seule réjoiiiti mon 
âme, soit que j'assiste aux. saci?és Mystères ^ soit sur- 
tout que j'aie la grâce da les accomplir. C'est Biau,, 
c'est niotre Dieu s&và qui opère; des' mierveiliesai. Il 
m'a lïagellê avee; une; verge de bioia, c'esit. avec une 
verge de; fer maintenant qu'il mie,' briset.. C'est en; Lui 
que j'ai espéré et que j'espèine. Qu'il miC; tué^, eai Lui 
sera toujofUTS mon; espoir e* ma joie. Il est. b^on? de 
mettre sai exanfiance en Dieu dont, la miséricorde, est, 
infinie. » 

1. Cheval de parade. 



CHAPITRE VIT 

Le meurtre.. — Funérailles.. — Eaveurs obtenues au tombeau.. 

Les chevaliers allema'imds' ©ortlinu aient ài feéquenlei? 
la. maison! de l'évêque: etceluir-ciî,. commeune eonfiante- 
colombe, se laissait chafcmer par leurs discours veni-- 
meux^ Ses familiers; et sesi serviteurs connaissaient 
l'amitié et la; haute; considiération de leur maître 
pour euis. Dès qu'ilss les? vœ>yaient entrent- ils aedevaient 
aussitôt et; s' éloignaient, pour leur faire place et, leur 
laisseï le loisir d'être seulsi avec l'évêque., Kinnocesait. 
agineaui. prenait tant de' plaisir- à la conversation! de- 
ces loups qu'il leur avait annoncé- son pEO)iet de trans- 
fert à Châlôns et son. désir de les; y amener a^ee: lui. 
Mais ceux-ci tout; en; accueillant cette nouvelle a^ec uœ 
sourire trompeur eit furent déconeertés. Ils- crai- 
gnaient, avec raison di' ailleurs, que; l'évêque ne fût. 
moins; isolé à Ghâlons: qu'à Reims. Là, ea efifët, la pré- 
sence du prince attirait à? sa cour un grandi nombre 
de baroiï'S et de nobles, tandis qu'à ReiraSy l'archer- 
vêque étant, depuis; longtemips en voyage, son. palais 
ne se trouvait fréquenté par aucuna persomnage de. 
maaîqu®.. Ge qui vexait aussi considérablement lesi 
Allemismids-y c'était l'habitude que prenait Albert 
dans sa tristesse de rester plus souvent chez lui. Il> 



92 VIE DE SAINT ALBERT. 

était ainsi moins exposé à leurs glaives et à leurs cou- 
teaux qu'au dehors où ils espéraient surtout trouver 
l'occasion d'accomplir leur impie attentat. Cette cir- 
constance commençait même à les faire désespérer 
de réussir dans leur projet. Ils pouvaient sans doute 
à l'intérieur du palais <;auser souvent en privé avec 
l'évêque, comme nous l'ayons vu, mais dans ces condi- 
tions, ils ne voyaient pas la possibilité d'exécuter leurs 
desseins. En effet, les portes restaient ouvertes pen- 
dant leurs entretiens. Ils pouvaient être vus des gardes 
et des serviteurs se tenant dans l'antichambre. S'ils 
avaient cédé à leur désir incessant de porter une 
main criminelle sur le prélat, ils n'auraient jamais 
pu échapper à ceux qui se trouvaient à l'extérieur. 
Caroutre les serviteurs, il y avait toujours devant la 
porte de la maison ainsi que dans le cloître du bâti- 
ment habité par les chanoines un grand nombre de 
passants. Souvent ces visiteurs exécutaient des jeux 
sous les fenêtres de l'évêque pour lui témoigner leur 
sympathie, tant était grand le crédit dont jouissait 
Albert auprès du peuple rémois. 

Cependant quelques-uns des familiers du bon 
évêque avaient remarqué plusieurs choses qui éveillè- 
rent leurs soupçons à l'égard de ces cruels Allemands, 
notamment leur habitude de venir partout, même chez 
l'évêque, armés. L'un d'eux découvrit et nota le fait 
suivant. Un j our qu'un des trois chevaliers montait 
les degrés élevés de l'escalier d'entrée, il releva impru- 
demment sans y penser le bord de son vêtement qui 
l'embarrassait dans son ascension, et laissa voir la 
jambière en fer dont la partie supérieure était cachée 
par l'habit. Sous cette jambière, entre la cuirasse 
et la cuisse, un couteau mal dissimulé avait été glissé 



LE MEURTRE. 93 

et gênait là marche du chevalier. Mais les scélé- 
rats étaient si rusés qu'ils inventaient mille strata- 
gèmes pour cacher aux yeiix du crédule Albert 
leurs véritables desseins et lui faire interpréter tout 
et partout en bien ce qui n'était que mensonges. Avec 
une présence d'esprit infernale ils étaient toujours 
prêts à trouver les explications les plus subtiles et 
les subterfuges les plus adroits pour efifacer et faire 
disparaître le moindre; indice de soupçon. 

Ces artifices et la faveur dont ils jouissaient auprès 
de l'humble prélat avaient amené une situation sin- 
gulière : ces chevaliers inspiraient de la crainte à 
plusieurs mais personne ne devinait ni* ne pouvait 
soupçonner la. profondeur de leur méchanceté. 

Sur la place publique de la ville, à l'endroit où 
stationnaient les changeurs, et où les passants ont 
l^habitude de se rencontrer, on causait parfois de ces 
événements. Un jour un garçon (cet âge a souvent un 
instinct spécial pour deviner et découvrir les secrets) 
s'écria devant un groupe de causeurs : — « Je donne ma 
tête si ces cruels Allemands ne sont pas venus à Reims 
pour tuer Monseigneur l'évêque que vous aimez tant 
de voir réfugié parmi vous. Voyez cette orge et cette 
paille de froment qu'ils achètent pour leurs chevaux, 
ces dépenses qu'ils payent régulièrement chaque jour, 
ces courses fréquentes hors de la ville, les armes 
qu'ils portent continuellement sur eux et d'autres sin- 
gularités que j'ai remarquées : ce sont les indications 
et les preuves du meurtre néfaste qui se prépare. » — 
A ces paroles tous les auditeurs eurent un frisson 
d'horreur et ne pouvant partager ce mauvais soupçon 
ils répondirent non sans quelque émotion : — « Va-t'en 
garçon de malheur, et ne répète plus devant nous ces 



m VIE DE SMNT AL'BERT. 

méGÎaaneetés, si tu ne veux pas, comme tu le mérites, 
qu'^n te fcrise'le crâne ». — Il semblait im possible ^aux 
habitants 'de Reims d'admettre l'id-ée (d'june fim si 
ihorrible pour un homme dont la personoase, le carac- 
tère, ia vie ieur étaient si chers. Nioa, une mort si 
ig^nominieuse n'était pas destinée à celui que Dieu 
avait marqué de l'onction sacrée, à cet homme illustre 
dont la noble race l'emportait de si loin en valeur est 
en mérite sur ttoiafte la puissance 'teutonne. Ces Të- 
flexions eussent été justes si à la colère d'iin César 
dépassant celle de tous les Césars n'était venue 
s'ajouter une passion non moins funeste, à savoîîr la 
jalousie de conseillers impies qui enflammèrent le 
ressentimenft 'del'empereurdéjà déehaînésans mesure 
et le poussèrent à la conception du complot sacri- 
lège fdressé par l'envie contre une puissance rivate vH 
nia-e race généreuse . G' est à cette source venant «de haut 
que les chevaliers allemands puisèrent leur malice Ct 
leur obstination dans une entrepTis« qu«! rien ne put 
ébranler, ni le respect d'an personnage d^n rang si 
élevé, ni le charme d'une si puTe innocenee envelop- 
pant d'une douceur inaitërable ses implacables bônr- 
reaux. 

Un des trois chevaliers, c'était l'aîné, était si 
sombre qu'join ne le vit jamais lire pendant tout 
le temps de son séjour à Reims. Il pariait peu, avait 
le regard fuyant, l'air farouche. Les deux autres au 
«ontraire se montraient gais etjoyeux. Ils plaisantaient 
leur compagnon, mettant sa tristesse sur le compta 
de son tempérament naturellement graveétca'chîint ce 
défaut comme tout le reste ipar l'abondance de leurs 
propos enjoués. Mais laprovidencede Dieu, qui tenait 
d;ans ses mains le fil des événements, disposait d'eux 



en vue-de la fin qu'en d;épk(d/e toutes'les cîreonstances 
coiaitrBiirses jelle avait iprévue )p®ïir ïsmi ébi, pour l'aiuit 
jdiu Seigneur. 

On était arrivé aiu 'drmaimsRhe •a.'s. movBmhme., .fête 
(de sainte Cécile, vi'erge et martyre- Ily )avait àiReinits 
naaa m®iaastère de . fe mimes «oiïsaerôes à IDieu «ù l'on 
ibpnoraât fcette sainte td'ma culte fSipéacial. Mlles s'inrejat 
ïtrou'Ver le pontife de douoe mémoire >, :©t Je priè- 
•rerift rhnmiblement «et idévatem'eoît de irendre gloii^ 
à Biea.etià la bienkfôarause (.Cé:eite«t dlhomiorer I©U'r 
raonastèr« dédié à liaipôctwe «saiiut Pîeraie em vienant f 
^présider ,solennellenïeiœt)l'es saints Mysitères. nDoujours 
proflaftpit!àicéder,sC£iimmetti'n kon fserviteagr de JElieia,, àl 
vint au (Susdit couvenît, <et pouir iladernièire fois aé- 
lébra ipieusememt ie saiaat fSacrijfiGe. (Unie :gcande .Ébule 
.d'ib®mmes eft de if^nmes a^couimineflaft (de ia villse (paioir 
assister à.cetrtie Mjesse pontificajlfe.. Satan yffutiaflaissiiaTwec 
îses!satel'liitesTnaodits3le8.cbetvaliersali;eima;andsnon;.pc)iiair 
adorer enîvérité/oommeiles autres., mais ip&wc ajtteindne 
'de 'lenrs mains sacraiègeB Je pontife^ soit awant, isotit 
api\ès, soit même, «i r.oceasi®n s'enipr.éseiiïtaîit, ipendant 
IWgiuste cérémonie. ills setinrent.danB/ee ibutdoutipRès 
du saintt.autel,|)ar mi les serviteurs iderévêque, ifi©mmae 
ipour s';a!vilir 'davantage s'ils n'avaient sdéjjià éibé ies deir- 
nieirs des laquais, ifiprès l'Évaingile., ;iils ivinTent ^pré- 
seinter leur (offrande am célébrant et (baisèirent du 
baiser de Judas ses mains et ses pieds. La Messe 
acîaevé,e„ ils r;aQcompagaa.èr.eiit k .cheval jusqu'à sa 
dem'oure, s'assirent à «a taÎDil*, (et >les traîtres qui in'a- 
vaient pas participé à 'la réfection de 'l'âme partagèrent 
avec Tévêque le repas du corps. 

Le jour isuivant, ils vinrent ;seloji leur habitude 
auiprës d'dyhert sous pr-élesi.te de tGauser amicale- 



96 VIE DE SAINT ALBERT. 

ment avec lui. Celui-ci leur dit au moment où ils se 
retiraient de revenir le lendemain matin afin de l'ac- 
compagner à cheval jusqu'à Saint-Remy^ où il avait 
l'intention de se rendre par dévotion. Après la prome- 
nade il les retenait à dîner. Celte invitation réjouit 
les Allemands. Enfin, pensaient-ils, voici l'heure tant 
désirée d'exécuter notre mission. Comme nous l'avons 
dit, ils commençaient à désespérer du succès. Le temps 
pressait, échouer dans leur entreprise, c'était contre- 
venir à l'ordre formel qu'ils avaient reçu. Il fallait en 
finir coûte que coûte et porter le coup fatal. Voici 
une belle occasion qui se présente : cette promenade 
hors de la ville allait placer la victime à leur merci 
et cela sans témoins. Albert leur avait précisé le 
chemin qu'il comptait prendre. De bonne heure ces 
hommes sanguinaires se levèrent avec empressement, 
harnachèrent leurs chevaux, y placèrent tous leurs 
bagages et armés ainsi que leurs écuyers, ils prirent 
la route où l'évêque devait s'engager. Non loin de 
Reims ils trouvèrent un passage étroit favorable à 
une embuscade et s'y arrêtèrent, expliquant aux pas- 
sants qu'ils étaient là pour attendre leur seigneur 
l'évêque. En quittant leur logis ils avaient dit adieu 
au stupide hôtelier lui faisant croire qu'ils partaient 
avec leurs bagages pour une longue expédition, mais 
qu'ils reviendraient dans trois jours à moins que 

I. L'église abbatiale de Saint-Remy était situëe à |Un kilomè- 
tre environ des murs de la ville. Elle est maintenant comprise 
dans l'enceinte de la cité rémoise. L'abbaye a été convertie en 
Hôtel-Dieu et l'église en paroisse, Gelle-ci pendant la dernière 
guerre a été plus abîmée encore que la cathédrale. La vénérable 
châsse de saint Remy, déposée dans cette église depuis 530, fut 
préservée par le soin des soldats français et transférée à Dijon. 



LE MEURTRE. 97 

l'évêque au-devant duquel ils allaient h Saint-Remy ne 
les retînt plus longtemps. On fêtait ce jour là saint 
Chrysogone martyr dont on fait mémoire avec d'autres 
bienheureux dans le canon de la Messe avant la con- 
sécration. Ce matin, l'abbé de Lobbes vint trouver son 

. seigneur avec plus d'empressement encore que d'ha- 
bitude. Il avait remarqué la veille au soir sa tristesse 
et son abattement et venait le consoler. L'évêque, 
quand il arriva de très bonne heure, était encore au 
lit en proie à l'agitation et poussant de gros soupirs. 
Tous ses membres étaient brisés comme si on les 
avait broyés avec un marteau de fer. Presque toute 

' la nuit s'était passée dans une insomnie fiévreuse et il 
ne s'était endormi à la fin que pour être crucifié par 
d'afiFreux rêves. Quand. les chapelains vinrent réciter 
les matines avec lui, il n'alterna point les versets des 
psaumes comme il avait l'habitude de le faire très 
exactement. L'ojBGce terminé, maître Gérard qui avait 
remarqué cette abstention lui dit avec surprise : — 
« Pourquoi , Monseigneur , n'avez-vous pas récité 
comme de coutume? » A ce moment entra l'abbé de 
Lobbes. L'évêque dit alors en gémissant et en soupi- 
rant profondément : « J'ai beaucoup souffert cette nuit, 
soit éveillé, soit endormi. Pendant l'insomnie, une 
immense tristesse m'a envahi et je n'ai pu dormir que 
quelques instants ; mais pendant ces courts moments 
de sommeil je fus tournîenté cruellement et sans répit. 
Cette chambre était pleine d'une horrible vision de 
glaives et de couteaux, pleine de tumulte, de deuil, 
toute obscurcie des ombres de la mort. Ces glai- 
ves et ces couteaux fondaient sur moi; personne 
pour me secourir, impossible de fuir, aucune issue 
pour échapper. » — Ce disant, l'évêque se leva de 

6 



W3 VIE DE ,SAINT ALBERT. 

« 

soQ lit et eMouré de ises serviteurs, commença à se 
vêtir et à se laver fies mains. Son visa^ avait lun aspect 
angélique et toute *a (gracieuse personne paraissiait 
tîîaos&g-urée.. L'agitation de la nuit -avait Jégèrement 
(coloré ses ijoues. Cette rougeur venant se mêler à la 
blancheur de son teint donnait l'illusion-d'un bouquet 
de lis mêlés de roses .La taille sveke ^xCt noble répondait 
alla ibeauté du visage, tout son extérieur enfin reflé- 
tait le .cbarme de son caractère et la douceur «de son 
âme. Quand ses yeux de ooloimibe réiicontr.ant le 
regard fde ses amis s'aperçurent de la peine que 
leur causait son trouble et des eJffiorts qu'ils faisaient 
pour le rassurer, il se mit lui-même avec >un courage 
étonnant à les^onsoler. Ensuite., tantôt riant, tantôt 
sérieux, il parla de sa vie et ide sa .mort, de sa vie très 
peu, 'de sa mort très longuement. Ce suietlugubre se 
^prolongeant dévenait odieux, On lui .demanda plu- 
sieurs fois de l'interrompre , mais il irépondit qu'il jqê 
le pouvait pas. ■Gomme is'il eût eu connaissance du 
Jour de :sa mort, bien qu'il l'ignjorât, il en iparlait le 
matin même .abondamment, discourant sur cette 
matière, montrant que la ^nort était la iin de toutes 
nos misères, qu'elle mettait un terme aux isouois >et 
aux labeurs de nôtre vie terrestre. « La mort, disait- 
il, ine fait .aucuine distinction .entre les hommes libres 
et Les '.esclaves,, entre Les puissants et les ifaibles, ventrue 
î«s .riches et les mendiants ide (profession. Je suis né 
d'uneiraceillustre. Quand je mourrai, à iquol m'aura 
seo-vi cette haute .origine, si je n'iai pas .d'autre mérite 

I. D'après Jîexamen des lossements Albert devait mesurer 
entre 1^,78 et i"i,8o. (Docteur Vervaeck, La découverte du 
tombeau tle saint Albert de Low>din, Anal. Bdlland, igaa, ^-I^ 
fasc. let II, p. i63.) 



LE MEURiTRF. 9,9i 

à faire valoir' devant Dieu? Héritier de mes aaeox. 
j'ài paru puissant à mes eoncitoyems. A ma mort qjm 
m«' viendra en aid'e-, sinon Dieu qui m'a ©rééy qui. 
peuît seul me soutenir si je dléfaMle-. Moaai uang» social 
m''iiivitait à vivre délicatemieBB. Si jiG! m;eurs, à quoi, 
m'auront servi l^s délices trompeuses die; ce mojiide:? 
Que Dieu- dans sa miséricorde dia%neni'accorde» les 
plaisirs- meilleurs qui n'ont pas; de fin. Quelle part 
Dieu m'a-t-il fait? J'étais entré dans ia clériiGatuare- 
ri«h«', heureux, fier; mie voici pauvfre, triste, hum- 
Me, abandonné, abject. Quîsuis-je? Un pauvre' exilé, 
un pauvre évêque, si pauvre qu'il n'en existe pas de 
plus pauvre. Quand je mourrai cette pauvreté ne me 
nuira plus, au contraire, elle me sera utile, elle me 
permettra de finir mes jours non comme «n prélat 
orgueilleucs, mais dans l'humilité. Sept pieds d* terre; 
snffiront pour ma dépouille. Dieui daigne m;' éprouver, 
qu'il m'accorde en compensation de ma miséuahle 
sépulture ses richesses iincomparables; dans la terre 
des vivahts. » 

Ainsi parla l'évêque Alibert qui savait, si bien unir 
dans sa conversation le plaisant a<ui sérieux etpassea? 
sans qu'on s'en aperçût de l'un à l'autre, car il avait 
le; don, quarad il entamait un su j est g^uave, d'ea tem- 
pérer l'austérité par la douceur et Ta suavité dominant 
en lui.. Eh traitant ce jour-là de choses tristes qui sem- 
blaient hors depropos, il lefitsur un ton enjoué pour 
corriger l'impression pénible causée à ses, auditeurs. 

Cependant la fin de cette: joiurnée devait preuve*" 
par la mort de l'évêque qu'ît l'avait prédite sans le 
savoir^. — « Allons, dit-il, qu''on amène les chevau:s. 

I . Tout ce passage semble avoir été quelque peu dramatisé par 



100 YIE DE SAINT ALBERT. 

Nous irons en pèlerinage au tombeau de saint Remy , 
apôtre des Francs, afin qu'il ititercè de pour nous au- 
près du Seigneur et nous obtienne la joie de son salut. 
Après le dîner nous sortirons de la ville. Une prome- 
nade nous récréera un peu et secouera la rouille d'une 
réclusion trop prolongée. » Toiis approuvèrent l'idée 
d'une récréation mais non le choix d'un pèlerinage. 
— « C'est aujourd'hui mardi, dirent-ils, jour férié, 
les prières et les jeûnes conviennent mieux au ven- 
dredi. Que saint Remy nous attende patiemment 
jusqu'à ce jour-là ». — Et, sans vouloir démordre de 
cet avis, ils abandonnèrent l'évêque et s'en allèrent 
chacun de son côté. • 

Alors se tournant vers l'abbé de Lobbes ,: « Yenez 
dit-il, allons entendre ensemble la Messe et recevoir le 
plus excellent et le plus suave des viatiques. Puisqu'on 
nous méprise et nous délaisse, allons à Celui qui nous 
rendra des jours meilleurs. « 

Devant la maison de l'évêque se trouvait une petite 
chapelle. Maître Gérard s'y disposait a célébrer la 
Messe privée. Ce chanoine était, comme nous l'avons 
dit, réfléchi et perspicace. Toutes ses observations et 

le tiographe. Beaucoup de saints ont annoncé leur fin prochaine 
«t les circonstances de leur mort. On raconte dans la biographie 
de Thomas Becket qu'il montra sur sa tête la place où devaient 
le frapper ses assassins. Il est possible cependant que l'auteur 
de la Fita, suivant en cela et de bonne foi une méthode assez 
commune chez les hagiographes du Moyen Age, ait cru devoir 
introduire ici un peu de merveilleux dans son récit. Il y a 
quelque invraisemblance, nous semble-t-il, entre ces pressenti- 
ments d'une part et de l'autre l'insouciance ordinaire de l'évê- 
que s'engageant sans escorte en promenade avec des chevaliers 
armés jusqu'aux dents et dont on l'a si souvent averti de se 
défier. 



LE MEURTRE. 101 

ses enquêtes avaient amené dans son esprit une pro- ,, 
fonde inquiétude; ses craintes et ses prévisions ve- 
naient de redoubler devant l'abattement éprouvé par 
l'évêque pendant cette terrible nuit. Il commença 
donc la Messe avec une humble componction par cet 
introït : « Fac mecum, Domine j signum in bono, utvi-, 
deant qui me oderunt et coivfhndantur, quoniam tu, Dor 
mine, adjuvisti me et consolatus es me. » Tout le propre 
de cette Messe eut un caractère de tristesse : la collecte, 
l'épître, le graduel etl'alleluia, l'évangile, l'offertoire, 
la postcommunion, furent tous des morceaux choisis 
exprès avec cette note sombre par le célébrant dans 
l'antiphonaire, l'épistolaire, l'évangéliaire et le livre 
des oraisons. >L'évêque assista au Saint-Sacrifice avec 
une dévotion plussu&ve que le miel, et sourit en recon- 
naissant dans les pièces liturgiques choisies par Gé- 
rard sa crainte habituelle. Ils étaient quatre dans la 
chapelle : le célébrant Gérard qui chantait la Messe, 
un clerç^qui servait et répondait au chant, le pieux 
évêque et l'abbé de Lobbes. Tous les autres compa- 
gnons d'Albert l'avaient abandonné avec légèreté ce 
matin-là comme pour réaliser cet avertissement de 
Dieu : « Je frapperai le pasteur et les brebis seront dis- 
persées. » Tandis que le, pontife était agenouillé près 
de l'autel, l'abbé de Lobbes, contrairement au désir de 
l'évêque, se tenait à la dernière place dans le fond de 
l'oratoire, tant était grand le respect que l'humble 
abbé avait pour le prélat exilé et l'honneur qu'il lui 
rendait comme s'il exerçait sur son siège de Saint- 
Lambert la plénitude de ses pouvoirs. Ce même abbé 
s'irritait intérieurement chaque fois qu'on osait, con- 
trairement au bon plaisir de son évêque, se fâcher ou 
murmurer pas même contre lui mais en sa présence. 

6. 



110g VIE DE S:A.INT ALBERT. 

Ge qjuï arcivait parfois quaiiié lane dispute sur-gissailt 
d'an» son entourage | rmm n'étak plus eonsfiraire: à sa 
mansiiétud» naturelle'. 

Au moment delà- Messe où le prêtre donne le; feais'eu 
de paix à l'évêque., celoiii-Gi apTès l'atvoir' reçu; s'emi- 
pressa avec affabilité d^aller lui-même le tra>n«m©t6re 
à l'abbé. Cette paix de Dieu daam les lèvres amies l'hov 
no^aiient, fut comme; le; dernier ténaoignage' ée sa 
tendre afieetion, La Messe termiméei Févêque: donna 
sa bénédiction puis se retira da<ns; ses; appartements. 
IL'atobé de Lobbes lui d^emanda alors la peifmissioK de 
rester chez lui pour subir une saignée^, mais s'oifcit 
poua? aller auparavant commander les chevaux néces- 
saires h la promenade projetée pour ï'aprèsi-midif, M- 
bert nepouvaitpas.soiplir seul et toute' son écurie avad* 
été laissée en gage à. ses créanciers sauf son palefroi 
prêté à l'abbé du monastère rénaiois' de Sairat-Denis;, 
Muni de la bénédiction die^ Fevêquev l'abbé de Eobbe^ 
s'éloigna de celui qu'il ne devait plusi revoir, de celui 
qu'il aimait de toute: son èmie-. 

ILes Allemands avaient, aittendw longtemps danas 
leur embuscade. Ne voyant poin* venir l'évêque et dér- 
eus dans leur espoir, ils retournèrent honteux avec 
tous les bagages ch«!z leur hôtelier qui ne comprit 
rien à leurs torlTïeuses» expli.ea'lîiionsi. Ils ne; vinrent pas^, 
comme c'étaic convenu,- dmer avec: Albert, qjué les 

I. Il faut l'avouer , cette saignée (©pératioïY cFailîeurs^ très 
habituelle à eette époqu'e) est vetme providentiellement sauver 
l'abbé de Lobbes de la mort qu'il aurait trouvée en défendant 
son seigneur. Nous chasserons la mauvaise pensée que le secré- 
taire de Wéry (auteur présu-mé de la Fita) aurait inventé ce 
prétexte pour excuser son maître de n'avoir' pas été à' côté dfe 
l'évêque à l'heure du da'ngei''. 



'^SSK:SÎ=W«Ï'3%;?S> 



' EE MlUKrRK- im 

attendit qne\quje temps; trop; dépités étaâentr'iJ's de 
leur inscTGcès; dm matim. Mais quand ils aipprirent: 
qvL& l'évêque sortait, a che^vai après le <Jiner leur joi® 
fiit d'auCant plus grande; et ils ache^-vèrent: rapidement 
leup repas.- 
Enfin l'beuKe était lày leur pro>jet allait définiti- 
vement OIT réussir ou éelâoue». Le« voilà entièrement 
équipés' comïne au matia;: ils;; prennent congé dé l'au- 
bergiste idiot, et arrivent chez Févêque- aui moment 
où il se levait de table. — « Foufrquoi, dit eeluL-ci,. 
n'êtes-vous pas venusidîneE' siuiivant mion^inivitation ? 

— Nous avons, Monseigneu'Fy répondirentrils, passé 
toute la journée à vous attendrez à Saint-Remy. »• — 
L'évêque reprit alors avec sa sérénité habituelle : 

— « Vous payeirea; cette; faute en' soupant ce: soir aivec 
M'oi.s » — Ils. aceeptèrenl et leplus jeune ajouta en; fei- 
gnaniî de sourire, gracieusement : — « Par la paume;de 
cette épée, dit-il, moi et: mescoimpagnons nous- jurons 
de; réparer' cette' offense;, » — Et tiinant à moitié son 
glaive il en mit la; paume, dan» la ma)in de l'évêque et 
en. signe de pardon pxîur le noîanquement à la parole 
donnée demandai à L'offensé, de boire, une- dernière 
fois avec eux. Albert fit donc apporter du vin le bénit 
et bu» le premier, leur passant ensuite: la coupe. Et 
ces homimes; maudits burent au; breuivage doublement 
bénit par la bénédiction et par Le& lèvres deTévêquev 

Au momient de partir, Albert,^ sur: le seuil de la 
maison , remarqua que les cbevaux dès chevaliers' 
étaient chairgés de vasliseSi — « Pourquoi ces bagage&j 
dit-il. »i — Nous: allonsiy répondirent-ils, àlarencontre 
de messagers partis! de notre pays qui nous appor- 
tent des objets dont nous avons> besoin, II& ne sont 
pas loin. Demaia nojiis: les aiurons rejoints et bous re- 



101 VIE DE SAINT ALBERT. 

viendrons vous apporter quelques nouvelles de chez 
nous. Mais comme il se fait tard et que nous ne vou- 
lons pas manquer votre invitation à souper, nous 
attendrons jusqu'à demain matin pour nous mettre 
en route. Ces malles vides ne gênent pas beaucoup 
les solides chevaux de nos écuyers. Allons, Monsei- 
gneur, montez à cheval. Déjà la journée est fort 
avancée. Si on ne trouve pas de chevaux pour votre 
suite, nous et nos hommes nous serons vos fidèles 
compagnons de route. Faites chercher l'abbé de 
Lobbes, votre inséparable ami. Ilamènera ses chevaux, 
car il en a plusieurs ; avec lui nous pourrons former 
une escorte suffisante. » — « L'abbé de Lobbes, 
répliqua Albert, s'est soumis à la saignée, j'irai le 
voù' à mon retour. » — « Nous sommes assez pour 
vous accompagner, reprirent alors ces hypocrites, en 
esquissant un faux rire. Avec sept Allemands intré- 
pides et forts comme nous, vous n'avez rien à craindre. 
Si jamais, ce qui n'arrivera pas, une alerte se pré- 
sentait, nous répondons de vous sur nos têtes. » — 
L'évêque fut rassuré par ces paroles contre le danger 
qu'il redoutait toujours, de rencontrer les émissaires 
du comte de Réthel et de ses autres ennemis. C'est pour 
les éviter qu'il se tenait tranquille à Reims depuis plu- 
sieurs jours. S'armant du signe de la croix, il monta 
sur son magnifique cheval, don de son oncle le duc 
d'Ardennes, et, comme tout le reste, déposé engage 
chez son créancier. Celui-ci ne l'avait prêté pour la 
promenade qu'en envoyant son fils monté sur un 
autre cheval avec ordre de suivre les cavaliers et de 
ramener la bête aussitôt après la promenade. Ce fut 
le seul qui en dehors des Allemands suivit l'escorte 
de l'évêque composée seulement de Siger, chanoine 



LE MEURTRE. 105 

de Saint-Lambert*, et d'un page armé du nom d'Oli- 
vier . 

Sans tarder les chevaliers teutons entraînèrent 
l'évêque comme un innocent agneau et sortirent de 
la ville par une poterne obscure,, étroite et basse 
qui leur était familière et choisie à dessein, laissant à 
leur gauche laporte royale appelée jadis porta Cereris, 
la porte de Cérès, dont les modernes ont îdàtportaCar- 
cms, la porte de la prison. 

Les Allemands étaient, comme nous l'avons dit, au 
nombre de sept, trois chevaliers et quatre écuyers, 
hommes de guerre résolus et i-pmpus au métier des 
armes. Ces criminels, dont la perversité n'a jamais été 
dépassée, n'auraient pu désirer un lieu, un temps, des 
circonstances plus favorables pour l'exécution de leurs 
noirs desseins. Dans la ville tout était calme, dans 
les champs à cause de l'hiver, pas de travailleurs, 
personne sur les routes. Ils s'élancèrent donc à tra- 
vers la campagne. L'évêque, perdu en Dieu, ne se 
doutait de rien. Les sept bandits s'organisèrent métho- 
diquement comme en deux colonnes d'attaque, la pre- 
mière dirigée contre, Albert, la seconde contre ses 
deux compagnons. Les quatre écuyers se flanquèrent 
deux à deux contre Siger et Olivier les serrant de 
près et les occupant habilement par leur bavardage et 
leurs plaisanteries. Quant au saint prélat, deux 
chevaliers se tenaient à ses côtés, l'un à droite, l'autre 
à gauche tandis que le troisième galopait un peu en 
avant, gardant exactement sa distance, de fa.çon à ce 
que la selle de son cheval ne dépassât pas la tête de 
celui de l'évêque. De cette façon les trois chevaliers se 

I. Siger de Donglebert (de Theux, o. c, I, p. i4i). 



r06 VIE DK SAINT ALBERT. 

tenaient étroitement serrés- autour de l'a montiare dfe 
l'évêque. L'un pouvait étendre le bras et la main 
sur' Fencolure de la bète et lui flatter la crinière ; 
Fautre prenait et relâchait sa bride en altendamt le* 
moment d'agir; le troisièrae caressait ia- tête- diu rapide 
coursier prêt à l'arrêter s'il lui prenait la fantaisie de 
s'élaneer en avant. 

Entre temps ils causaient sr fa'miîlîèrem«nt et si 
Joyeusement que tout le mondée aurait pris ceE empres- 
sement autour de l'évêque pour nne marque d'extrême 
amabilité, personne n'anrait pu croire où imaginer 
que ces manœuvres cachaient une' trahison. Tout cela 
n'hélait que perfidie criminelle et que parjure. 

Ils entraînèrent l'évêque' aussi loin qu'ils purent, 
environ à cinq cents pas de l'enceinte de la ville et ils 
auraient continué si le chanoine Siger qui n'avait pas 
envie de prolonger l'a course ne s'était plaint : « Ren- 
trons à la ville, Monseigneur, dit-il, car le jour baisse 
et la nuit approche i' ». A ces mots les chevaliers 
firent un signe en arrière aux écuyers. Les deux 
hommes qui cernaient le page Olivier tirèrent aus- 
sitôt leur épée et le frappèrent, lui faisant des bles- 
sures graves à la tête, au bras et à la main. Ils 
transpercèrent en même temps son cheval et rabat- 
tirent. Quant au chanoine Siger sans armeset inoffensiÉ 
ses deux gardiens le laissèrent indemne. Cette opéra- 
tion terminée, l'es chevaliers allemands se- jettent 

I . Il n"est guère vraisemblable qu'une promenade à cheval de 
cinq cents pas paraisse suffisante à d'e& gens habitués à l'équita- 
tion. Le chaBoine devait avoir quelque autre motif d'interrompre, 
la course et de ne pas poursuivre jusqu'à Saint-Remy. Peut-être 
eut-il une intuition tardive du danger que courait son maître 
et fut-il saisi de peur. 



LE MEURTRE. m 

îl'épéeà la iriaiE sur l\évêque Albert comme sur uateii- 
dre 'agne<a.u, et, ihor^rible sacrilège, ils lui brisei^t la 
itempe., le cerveau et la tête ^. Le pontife tomhe. Les 
quatre iéçuyers iaocourent a;lors et se joig-nant axus. 
trois chevaliers, ils se r.uent tous à l'envi ,avec leurs 
glaives et leurs coateaux sur la victime.. -Chacun veut 
avoir sa part dans ,ce meurtre -et .p.ou'voir se l'attribuer,. 
Ils enfoncent sans pitié leurs cépées et leiurs couteaux, 
dans le veaùre, lies icuisses et les iautres memhreb,, 
lacérant dans lunafifrieux carnage fto lit ie icorps ensan- 
glanté. L'évèqueiavait expiré au premier ou au second 
coup sans >proféreir lUne :parole ounncri. Il létait percé 
de treize grandes blessures. .Ainsi jadis les familiejs 
de Jules ^César percèKent de vingt-trois coups de cou- 
teau celui qui les avait patronnés à Rome et lélevés au 
faîte des honaieurs et des dignités . 

Jamais la iCr.uauté ihumaine n'atteignit- ce degré ide 
malice.. Cet homme aimîafole,, cet hoj2Q,m.e inn,Qceat 
que des ibarbares assassinent d'uue façon si birutale, 
vc'est celui qui les a comibiés d'honneurs, les a r,eç.us 
avec tant de bonté, tant d'affabilité. S'ils avaient 
juré sa mort, s'ils craignaient pour leur propre 
vie en épargnant un innocent .devenu leur seigneur^ 
et leur ami, pourquoi .cette férocité inouïe .d,e .ne 
pouvoir s'arrêter après les coups mortels, mais db 
s'acharner .avec une telle isauvagerie sur le corps ina- 
nimé de la victime, le corps de celui que dès leur 
arrivée à Kéims ils .avaient pris pour maître et pour 
ami, dont ils «avvaient serré ilaimain, .auquel ils ^Lvaieiit 
juré îune inaltérable ^fidélité? W'était^Ge !pasia&s;,ez paur 

.1 . Timpiis, xcerebmnique.ei •capjit, ^jx. ,i63. 
a. Ils étaient, par sleaermeutid'hammage et de,fidélité,^devewjs 
les feudataÎEesdel'évêçfue. (Coiatin.jA.quic. ;M.G,JÏÏ..,VI, }p.,45(0.) 



108 VIE DE SAINT ALBERT. 

satisfaire aux ordres des puissants qui les avaient 
chargés d'accomplir le crime, de tuer leur victime 
d'un seul coup? Était-ce pour tuer ou pour déchirer 
qu'ils avaient été envoyés ? N'était-il pas suffisant de 
dire en retournant à leur maître : <c L'èvêque que 
vous détestez est tombé sous nos glaives ». Non, il 
leur plaisait de n'être pas les derniers dans le métier 
de traîtres, les derniers des bourreaux au service de 
leur seigneur, dociles exécuteurs des besognes les 
plus répugnantes. Ils voulaient remporter le prix de 
perfidie, le prix de cruauté, être les premiers des 
traîtres, les premiers des assassins. Pourquoi donc 
cette rage atroce ; d'où vient cette terrible férocité 
teutonne ? Que fallait-il à ces implacables chevaliers 
allemands que la mort si ignominieuse d'une il- 
lustre victime ne pouvait rassasier? Que l'infâme 
Allemagne déplore sa propre infamie, qu'elle soulève 
contre elle-même un cri d'indignation, elle qui a si 
mal élevé de tels enfants ! Aucun temps, aucun pays, 
aucun peuple barbare n'a jamais produit des traîtres 
pareils * . 

I . « Inveclivis in se verbis clamet et doleat infamiam suam- 
infamis Allemaniàquaesibi maie taies enutrivitAllemannos. Nul- 
lis saeculis; nulia provincia^ nuUa barbaries taies protulit pro- 
ditores » p. i63. . 

Voici un autre écho de l'indignation provoquée à cette épo- 
que par le meurtre d'Albert : « Vae illis quia via Gain abie- 
runt qui fratrem suum Abel justum in agro interfecit, e taber- 
naculo extractum, Cujus sequaces isti, patrem suum et Domi- 
num de civitate Reniensi callide educentes ut liberius perpetra- 
rent flagitium secundo mense consecrationis ejus vix elàpso, 
caput sancti sacerdotis mucrone impio mutilaverunt. Prudens 
lector nota inauditam proditorum versutiam. Pridie enim quam 
ista agere deliberarent, hominium ei fecerunt ne eos haberet 
suspectes. Vae impiis traditoribus, quoruni impietatem cœli 



LE MEURTRE. 109 

Leur crime accompli, les Allemands s'enfuirent 
aussitôt à toute bride, entraînant dans leur course le 
noble cheval du pontife tout ruisselant du sang géné- 
reux de son niaître. N'ayant devant eux que des plai- 
nes ouvertes et des routes plates ils purent poursuivre 
leur fuite sans interruption et rester à cheval toute la 
soirée, la nuit, elle jour suivant. Ils ne s'arrêtèrent 
qu'à trois heures de l'après-midi, à Verdun, mais le 
temps seulement de prendre un peu de nourriture et 
de sommeil pour refaire leurs forces. Craignant que la 
nouvelle de leur exploit ne les rejoignît, ils reprirent 
leur course et a grandes étapes arrivèrent auprès de 
l'empereur. Us lui racontèrent ce qui s'était passé, et, 
comme preuve de leur sincérité ils lui montrèrent 
avec une joie délirante leur trophée, le beau cheval 
de l'évêque tombé sous leurs coups. Henri- VI les 
reçut avec les plus grands honneurs. 

On a remarqué que Thomas de Marbaîs n'était pas 
auprès de l'évêque au moment du meurtre. Lui et 
Héli de Bouillon ' , un autre chanoine de Saint-Lambert, 
n'avaient pas pris part à la promenade conduite par 
les Allemands, à cause delà difficulté d'obtenir leurs 
chevaux en gage cKez des créanciers. C'était le sort 
de toute la famille d'Albert d'être privée de montures 
et de vêtements, alors qu'au début elle était munie de 
tout le nécessaire a la vie et aux convenances en fait 
d'habillements, de chevaux et d'armes. S'ils avaient pu 
sortir avec leur seigneur, jamais lés Allemands n'au-: 
raient eu l'audace d'attenter à ses jours, pas plus qu'ils 

revelabunt et terra adversus eos consurget in die furoris Domini, 
nisi fuerint Domino praestante conversi ». (Continuation de 
la chronique de Sigebert de Gembloux. M. G. H. , SS. VI, p. 43o.) 
I. De BuUione Castello (de Tfaeux, o. c, T, p. 172), 

VIE DE SAINT ALBEllT»; 7 



ll'ô VIE DE SAIST ALBERT. 

n*0sèrent l'attaquei' pendant tout fe' temps qju'il resta 
chez lui. C'est donc la pauwreté qui £at laicamse de sa ; 
nrort. Voilà la faute que; tous lies; oDembres de sa 
ha-iïte et puissante pai?entjé ont faite emi l'abandonnant 
dans" sott exil et son indigence. 

Thomas et Héli finirent cependant pai? trouver dea; 
ch«evaux, mais ne sachant par où l'évêque était sorti,, 
ils cherchèrent à le rejoindre en passant par la porte 
royale dfe Bacchus, e« se dirigeant vers laf droite du coté 
de Saint-Nïcaise, il gagnèreiat la campagme;. Tout à: 
cowp', à gauche, dans un pli d& terrain ils virenl; éfcin- 
ceier de» épé«s nues. Pensant qu« c'étaient les gens de 
l'évêque se livrant à des jeuix, ilsi avancèrent de ce 
c»té. A ce moment les Allemands ayant achevé leur 
œuvre prenaient la fuit®. Les chaMoimies cruirent que 
cette course était la Gontinwation' du tournoi et lâchant 
bride à leurs chevaux se mirent à galoper derrière 
eux. De loin ilan« pouvaient apercevoir leur seigneur 
gisant à terre' ni se rendre compte de l'a triste réalité. 
Les Allemands prenaient de l'avance. EMpassant un 
plateau ondulé ils^s'ea^agèrenlj dans une loingue décli- 
vÎBé de la plaine eî disparurent à leurs yerax, \'oyant 
cette fuïfe effrén^'e qu'ils essayâieM em vain ée 
. sïàvre, lesdeuxï cavaliers commencèrent à soupçonne» 
quel^jue' chose de' mauvais.. Ramenant leurs chevausi 
vers la ville, tandis qu'ils revenaient tristement, ils 
li?ouvèrent le corps de l'év^iqnae étendu b terre, à sa 
têise soff compagnon Siger plongé dans k- désolation, 
et à oot^ Ife- pauvre Olivier plus affligé de la mort d«e 
son maitre que de sa propre extrémité. 

Le fils du créancier, qui avait déjà les veines endura 
cies d'un usurier, qiuan4 il vit l'évêq,uft niort et son 
cheval ealevé, se hâta de rentrer à la ville où tran- 



. LE MEXIliŒEtE.. lU 

qimllemeat, sans démoaistration nihruk, il ^int trouver 
san père et lui dit : « Le seigneur évêijiUfi est gisant 
hors- de -la ville, massacré par tes Mlemands; son 
n<i)ible eheval votee gage a été enlevé. Je viens vous 
l'ann^vncer ensecret afin epe vous sachiez, ce que vous 
avez à faire » . Le méchant créancier se rendit dé suite 
chez le prévèt de la ville,, Robert Huitun, dont nous 
av®ns parlé plus haut : « L'évoque,, dit-il, a été tué, 
mon cheval a. été enlevé, je perds une grosse partie 
de: l'argent que j'ai eu lai folie de liii prêter. Faites 
vite pour qiue jiene perde pas tout. Sur ma réquisition 
et celle des autres créanciers mettez les ehaîn«s à tout 
le personû'el d« sa maison, et enfermez-les à la pïison 
de la porte royale de Mars. Sa famiAley qui appartient 
à, la noblesse,, viendra. saas doute »aeheter les détenus 
innocents. » 

Le prévôt, bouleversé pair celte aiffaire, monta à che- 
val: et Eépandit la nouvelle; ea ville. Em même temps, 
sans j)«g;ement et sans réflexion,, il ordonne qu'on 
emchaine tous les familiers d'Albert qu'on trouvera 
en dehors, du clokre des révérends chanoines., A pette 
nouvelle, les gens d'Albert, désolés; de; la perte de leur 
cJîsej? seigneur, sont en plus étonnés et aMerrés du se- 
cond malheur qui les menace et courent s'enfermfiB 
diansila maison de l'évêque. L'un d'eux, se foit prendre. 
On l'arrête et on le conduit à la porte royale de 
Mars. 

Cependant les dignitaires de l'Eglise: de Reims, ap-, 
prenant ce qui se passait, vont reprocher violemment 
auprévôtsa folle conduite : « Cotnmenty lui disent-ilsi,, 
le m^beur qui nous frappe n'est pas assez, grand. Cet 
hamme^ illustre,, ©e; pontife: si nable confié à notœe 
garde est lagisaint assassiné et il laïut encoEe qwevous 



112' VIE DE SAINT ALBERT. 

tourmentiez sa famille innocente ! Ne voyez-vous pas 
que vous risquez votre vie et que vous^ exposez à là 
honte toute la cité et toute la sainte Église de Reims? » 

Terrifié par ces paroles, le prévôt s'empressa de 
rendre la liberté au prisonnier et de faire cesser les 
poursuites. 

La sinistre nouvelle s'était propagée rapidement en 
ville annonçant le grand malheur, la mort de l'é- 
vêqiie.Tous, clercs et laïcs, saisis d'une douleur indes- 
criptible, éclatèrent en lamentations et revêtirent leurs 
plus sombres habits de deuil. La désolation était si 
intense que tous les habitants en foule, sans distinction 
de sexe, d'âge, de rang, se précipitèrent, hors d'eux- 
mêmes, vers le lieu du crime. 

Il y avait à Reims un jeune Namurois qui, sur 
l'ordre d'un inconnu, avait conduit les chevaliers 
allemands à leur arrivée depuis Namur jusqu'à Reims, 
et, pendant tout le temps de leur séjour dans cette 
cité, était resté à leur service. Quand il entendit le 
bruit de la ville en émoi il eut peur et quittant la 
maison où il se tenait, il courut chercher un refuge 
dans l'église. cathédrale. Tl était connu des voisins de 
son habitation, mais, quand on vit ce garçon tout pâle, 
portant mal dissimulé au côté un énorme couteau et 
fuyant si rapidement, c'en fut assez pour le dénoncer 
à la vindicte publique. 

Des femmes qui se hâtaient à la suite de la foule 
attristée aperçurent le fuyard et se mirent à courir 
après lui de toutes leurs forces. Mais le garçon courait 
"plus vite. Il allait atteindre le porche de la cathédrale 
et se trouvait déjà entre celle-ci et l'église Saint-Denys 
quand survint par hasard un jeune homme appelé Guil- 
laume. C'était un juif baptisé, d'un bel extérieur, et 



LE MEURTRE. 113 

d'une tenue élégante, dont les mœurs n'avaient rien 
(d'israélite. L'Archevêque de Reims l'avait tenu aux 
fonts baptismaux et adopté depuis définitivement parmi 
ses familiers. Grâce à son' agilité doublée par la peine 
qu'il partageait de la mort d'Albert, il rattrapa le 
jeune Namurois, le saisit et le tint solidement. Comme 
il l'entraînait, les femmes accoururent en grand 
nombre et se jetant sur le malheureux avec leurs* 
poings et leurs ongles, elles le lynchèrenten un instant. 
Leur fureur attisée par une immense douleur avait 
suppléé aux arnies pour cette immolation. 

Quand les Rémois furent arrivés hors de la ville à 
l'endroit où les Allemands avaient accompli l'horrible 
crime, ils trouvèrent lé cadavre inanimé de l'évêque 
gisant à terre tout déchiré par les mains impies des 
meurtriers, et, devant ce spectacle, ils donnèrent libre 
cours à leurs larmes. Le corps était si mutilé qUe les 
membres ne tenaient plus ensemble que par la pean. 
On les recueillit avec précaution dans des linges de 
soie et en grand deuil on rapporta la dépouille à la 
ville. 

Dans la sacristie de la cathédrale le corps fut soi- 
gneusement lavé. On essuya les traces des blessures 
et on remit les membres en place. Puis, on revêtit le 
défunt des ornements pontificaux et on l'exposa au 
milieu du choeur de l'église. 

Quelques jeunes gens de la cité répondant au désir 
des habitants irrités avaient pris leurs armes, et montés 
sur des chevaux vigoureux s'étaient élancés à la re- 
cherche des Allemands, dans l'espoir de les atteindre 
et de les mettre en pièces. Cette course inutile eût pu 
réussir, si le fils du créancier dont nous avons parlé, 
n'avait pas tenu cachée la nouvelle du crime. Si au 



114 VIE DE SAINT ALBERT. 

moment oè il^tait Tentré en ville il avait déiioîièé le 
fait encore tout récent, les. Allemands n'auraient pas 
pu si faeilemeiat échapper ; mais ils étaient déjà loin 
de la région découverte avant que l'alerite ne fût 
donnée à la cité. Les cavaliers Tém©is poussèrent 
très loin leur ponarsuite, mais en vain, et à la toniî>ée 
de l'obscurité, ils rentrèrent dans la ville. Quelques- 
uns, entraînés par leur ardeuT, continuèrent la course 
jusque bien avant dans la nuit, maisvoyant leur tenta- 
tive inutile, revinrent le lendemain. 

Ce jour-là, toute la cité en deuil afflua vers l'égâise 
pour le service funèbre. Le clergé et le peuple ré- 
mois furent un animes dans leur empressement à célé- 
brer dignement les funérailles d'un homme si élevé 
en mérites, si cher au cœur de l^us, si profondément 
regretté. On entoura de grands honneurs isa sépulture, 
uniqu-e et suprême témoignage de vénération. Le 
corps fut déposé au milieu deFéglise cathédrale devant 
l'autel situé sous la croix et l'image vénérée du 
Christ, de manière qu'un des archevêques de Reims 
enterré précédemment, se trouve devant lui. Au- 
dessus de la tête et des épaules de l'évêque Albert 
reposattt dans sa tombe se trouve la dalle ronde 
de marbre de saint Nicaise sur laquelle cet évêque 
martyr fut décapité. En effet, entre le tombeau de 
l'archevêque rémois inhumé devant lui «t «ette pierre 
de saint Nicaise, il n'y avait pas ia place sufBsante pour 
y déposer le cercueil d'Albert dans toute sa longueur 
à moins de le placer de la façon que nous venons de 
signaler. Ce fut d'ailleurs une attention particulière 
du clergé et du peuple rémois, un témoignage 
spécial de leur grande vénération, d'offrir et de recom- 
mander à la miséricorde du Christ par l'intercession 



(LE MEURTRE. 11b 

de l'évéqTie Nicaise , martyr du Ghrâst, l'évêqne Albea-t, 
martyr aussi du Ghnist. En plaçant sous la dalle sacrée 
de son glorieux devancier 4a tête iCt les épaules du 
fiouveau coafesseur de la foi, elle honorait celui qui 
pour la liberté de l'Egliàe du 'Christ avait souffert ide 
si grandes tribulaitions et ruine mort sii craielle . 

La vilie d« Heims fut témoin d^s faveurs obtenues 
au tombeau du saint évêque^ guéri&ons de fièvres 
malignes et d'autres maladies, les premiers jours après 
la déposition, en pécôimpense de la fraîche et ardesnte 
dévotion de ceux qui s'adressaient à lui avec confia-nc^. 
Une femme bien connue à Reims souffrait depuis sept 
ans d'une grave infirmité. Elle avait un bras ainsi que 
les articulations de la main et des doigts paralysés et 
ne pouvait mouvoir ces membires vejs la tête. Le 
premier samedi qui suivit la mort d'Albert, elle vint 
prier sur sa tombe et fut délivrée complètement de 
son mal. L'auteur de ce récit a vu cette femme guérie 
et joyeuse, et a recueilli les témoignages de nom- 
breuses personnes qui l'avaient connue pendant sa 
longue infirmité. 

Beaucoup d'habitants parmi les plus honorables et 
dignes de foi virent souvent briller des lumières à la 
place ou l'évêque avait été tué. Plus tard on éleva à 
cet endroit une croix de pierre sculptée reposant sur 
quatre colonnes^, Etq dessous de celles-ci on plaça 



I. Gilles d'Orval a inséré ici ce passage reproduit en note par 
Heller. Nous le donnons tel quel en latin. 

« Cujus gesta in epitaphio breviter descripla versificator in 
persona ejus loquens ait : * 

Legia me legit, electum Roma probavit, • 
Remis sacravit, sacratum martirisavit. 



116 VIE DE SAINT ALBERT. 

un dallage en pierres assez large pour couvrir tout 
l'espace où l'agneau était tombé immolé sous les 
coups de ses impies agresseurs. 

Diçu avait décidé que telle serait la fin de ce juste 
enlevé si jeune aux misères d'ici-bas de peur que la 
malice du monde n'ébranlât la rectitude de son juge- 
ment et que les illusions du siècle et ses enchantements 
ne puissent séduire son cœur. 

C'est pourquoi rien ne put empêcher une mort 
dont l'heure marquée par Dieu ne pouvait être dif- 
férée. 

Pâssus est martyriura idem Albertus 8 Kal. Decembris an- 
no Domini H92. » 

Cette épitaphe qui ne se trouve pas menlionhée dans le 
manuscrit de Bruxelles fut peut-être ajoutée postérieurement. 

II ne reste plus rien aujourd'hui de ce monument élevé sur le 
lieu du martyre. On ignore même son emplacement exact. 






CHAPITRE VIII 

Indignation des parents et des amis d'Albert. — Réprobation des 
meurtiers. — Représailles. — Condamnation deLothaireparle 
pape. 

- "■ - ^i, ■ , '- 

Pendant que ces événements se passaient, des messa- ' 
gers étaient en route apportant à Albert de la part de 
son frère et de son oncle des présents et de l'argent 
en abondance pour subvenir à ses dépenses. D'un 
autre côté, à l'heure même où l'évêque de Liège sor- 
tait de la ville de Reims pour trouver la mort, d'autres 
envoyés quittaient Châlons. Ils venaient annoncer à 
l'exilé que leur seigneur l'évêque arrivait lui-même 
le lendemain pour emmener Albert et lui offrir l'hos- 
pitalité chez lui en attendant le retour de l'archevêque 
de Reims de son lointain pèlerinage. Ces hommes de 
Châlons arrivèrent le soir et trouvèrent le corps 
d'Albert exposé dans l'église. Le jour suivant leur 
maître parut, quand les funérailles étaient déjà ter- 
minées. Il fut consterné et très affligé de cette mort. 
Voyant les compagnons et les familiers du défunt 
plongés dans une grande désolation, il s'appliqua avec 
beaucoup de bonté à les consoler et leur donna dix 
livres pour payer les frais de retour dans leur pays. 
Ils recurent la même somme de l'Eglise de Reims. • 

L'abbé de Lobbes, privé de son Seigneur bien- aimé, 

7. 



118 VIE DE SAINT ALBERT. 

la lumière de ses jours, restait accablé sous le poids 
d'un amer chagrin. La vie n'avait plus de charme 
pour lui, et il aurait préféré mourir avec celui qu'il 
aimait de toute l'affection de son âme. Quand on lui 
disait : « Dieu vous a sauvé en vous empêchant de 
sortir avec lui, car les Allemands vous auraient tué 
aussi; c'est dans cette intention qu'ils vous avaient 
fait chercher par ordre de l'évêque au moment du 
départ, » ces paroles ne lui étaient pas Agréables, au 
contraire, il répondait : u C'eût ;été un bonheuir pour 
moi de mourir avec cet homme dont la mort inno- 
cente m'aurait mérité à moi-même l'innocence. Tous 
deux ensemble naus aurions obtenu la miâéricorde 
que le Christ dans sa bonté accorid^ à ceux qui sojat 
miséricordieux. » L'abbé de Lobbgis voulut montrer à 
son am.i défunt que la fidélité et rafifection si étroites 
qui les unissaient pendant leur vie restaient inalté- 
rables après sa mort. Il mit donc tous ses soins à 
chercher un refuge pour les familiers d'Albert deve- 
nus si craintifs que tout, même les choses les plus 
sûres en appaiNence, leur semblait suspect. 

Il fit venir un de ses parents, un nobl« gentilhomme 
qui, cinq jours après la mort d'Albert, se chargea 
de les conduire jusqu'à l'abbaye de Lobbes si- 
tuée dans le ^pays de Laon.. Ils y reçurent l'accueil 
le plus secourable et purent y oublier pendant une 
nuit reposante leurs souffrances, leurs peines et 
leurs inquiétudes. Le lendemain ©n repartit. Thomas 
de Marbais qui lui aussi faisait partie de ce triste 
et douloureux exode, conduisit les fugitifs Viers un 
endroit plus éloigné où il était sûi* de ise trouveïr 
en pays ami. Arrivé sur le territoire de Nicolas de 
Buémigny, noble et puissant seigneur,, le chanoine et 



n^^-p-^f^- 



■^^;^'^-s^^g^s!;-:^-K-''^^^^^<^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^f 



DOtJLEUa .DES AMIS ©'ALBERT. ^9 

Fafebé de Lobibes se séparèrent «t se 'firent, en pleu- 
ra®t beaucoup, de tcmcilïants adiemx. Aiprès trois jours 
de voyage iïiint©rîiomp«u , Thomas 4e Marfeais suivi de 
toras les coHipagfnons et serviteurs d'Atbert âTrivfcit 
chez le duc ■'de foc^bant. Il lui présenta tristement 4a 
famille désol'ée de l'évèqiue défuoat et lui m«nDra uae 
partiedes iiabits de S0^ frère teints de sang 1. 

Les autres "s^tements d'Alibert avaient été reou-eiMs 
avec igrand soin par le doyen ^t les chanoines de Reims 
et déposés dans -la sacristie de l'église. 'On y joignit un 
doigt de laviotime qui avait été coupé et séparé delà 
main avec l'agneau d'or de t'évêque. IJn petit gaTÇOn 
l'avait retrouvé par hasard dans le champ près de 
Fendroil où le corps avait été «tendu et l'avaat 
rapporté aux autorités rémoises pour être gardé dans 
le trésor de la ca/Chédrale. Cet anneau appartenait 
à l'abbé de Lobbes. H l'avait mis à la disposition 'de 
l'évêque de liège qui n'en avait pas. Geilui-ei le 
portait notammient quand il consacrait les -égîKses 
et les autels. Les abondantes onctions d'huile sainte 
prescrites dans cette cérémonie imprégnaient l'anneau 
du consécrateur. L'évêque le fit remarquer un jour 
à l'abbé, qui l'a>ssistait toujours dans ces fonctions 
sacrées, «n disant : « Voyez votre anneau comme je 
l'ai enduit d'huile sainte. » Avant de le prêtera 
l'évêque Albert, l'abbé de Lobbes n'usait de oet anneau 
qu'en dehors deàa Messe. Pour monter à l'autel, il «en 
avait d'autres qu'il -empiloyait à touT de rôle. Mais 



I, L'auteur fait ici une petite digression sur les reliques d'Al- 
bert. L'abbé dé Lobbes ou son secrétaire se trahissent manifes- 
tement dans ces détails intimes. 



120 VIE DE SAINT ALBERT. 

après la mort de son ami cette bague en rentrant 
en sa possession lui devint plus chère d'abord parce 
qu'elle avait été portée par l'évêque, ensuite parce 
que la main du prélat l'avait mise souvent en contact 
avec l'huile sainte, enfin, et c'était à ses yeux le motif 
le plus attachant, elle se trouvait au doigt du défunt 
au moment de son trépas. Aussi désormais, en signe 
de dévotion, l'abbé ne porta plus cet anneau en 
dehors de la Messe, mais pendant la Messe. 

Quant aux vêtements du défunt tout raidis par le 
sang dans lequel ils avaient été baignés, des par- 
celles en furent distribuées par le doyen de Reims 
aux pieux fidèles désireux de les posséder. L'abbé 
de Lobbes en obtînt aussi des morceaux qu'il enferma 
précieusement dans la sacristie de son église. 

Quand le duc Henri vit les vêtements et le sang de 
son frère il fut secoué d'un renouveau de douleur 
et les membres de sa nombreuse famille avec lui. Ils 
avaient appris la mort d'Albert, mais la vue de ses 
dépouilles leur arracha des sanglots et des gémisse- 
ments. 

Ce jour-là précisément la triste nouvelle avait 
amené autour du duc un grand nombre d'amis et de 
proches désireux de le consoler et d'examiner avec 
lui ce qu'il y avait à faire dans cette occurrence. 
Toute cette foule de visiteurs, piétons et cavaliers,, 
étaient là rassemblés en plein air autour de lui com- 
patissant à son deuil et s'indignant hautement contre 
l'outrageuse mort d'un si grand prélat. Le duc 
Henri s'accusait lui-même et se faisait de grands 
reproches s'attribuant le meurtre de son frère, 
s' appelant fratricide, disant que lui seul était cou- 



vi-» ^ -i- Jy 



RÉPROBATION DES MEURTRIERS. 121 

pable de son sang, qu'il fallait se yenger sur lui de 
sa mort, lui en faire expier la peine. Les assistants 
mêlant leurs gémissements à ceux du duc, ils passè- 
rent toute cette Journée dans le deuil et la désolation. 

Pendant ce temps le comte de Hochstaden, le 
frère de l'intrus, se trouvait dans le territoire du 
comte Baudouin de Hainaut, allant et venant aux 
environs des frontières, tantôt ouvertement tantôt en 
cachette. Il s'y renpontra avec les misérables cheva- 
liers allemands venus de Reims pour conférer avec 
lui cinq jours avant d'accomplir le meurtre cruel de 
l'évêque Albert exilé. Le lendemain même du crime, 
la nouvelle en arrivait à Maubeuge, ville forte où le 
comte attendait anxieusement l'issue de la conju- 
ration. Dès qu'il apprit la mort d'Albert, l'émotion 
qu'elle soulevait partout et l'indignation provoquée 
par ce crime, il s'empressa de fuir se sentant coupable 
dans cet événement. 

Quant à Lothaire, il se trouvait à Liège dans une 
muette exspectative quand la nouvelle de la mort 
d'Albert frappa d'une immense horreur toute la cité 
dont le plus grand désir était de posséder enfin chez 
elle son véritable évèque. Voilà les habitants en 
émoi et l'église cathédrale en deuil se préparant à 
célébrer les funérailles de son pontife. En entendant 
le signaldu service funèbre, Lothaire arrive comme un 
éperdu à l'église où tout respire la désolation. Il 
regarde et cherche à savoir comment on va organiser 
la cérémonie. Devinant ce qu'on allait faire : « Non, 
dit-il, ce n'est pas pour un évêque défunt qu'il faut 
célébrer, mais pour notre archidiacre Albert de 
Louvain ». La réponse des clercis présents fut très 
dure. La force de la douleur les avait enhardis 



122 VIE DE SAINT ALBERT» 

contre celui sous le joug (duquel ils gémâssaient auçKa- 
ra^^ant oppressés par la tyrannie du César s'exierçant 
contre eux à caîuse de rimposteur. Devant le ideMdl 
officiel de la viMe, en face du parement inorr de 
l'église., Lolkaire, qui cherchait encore à mesmrer la 
gravité et les consiéquences de l'événement, s'arrête 
tout à coup dans une teiarible hésitailioaa : ses o-eins 
tremblent, ses mains se crispent, M se précipite vers 
son palais, moimte à cheval, et enl®uré de ses gai'des 
s'enfuit hors d« la ville et va s'enfermer dans le 
château fort deHuy. De là il envoie des messagers à 
son ami le eoaoa te Baudouin pour implorer .soaiiaide. 
Celui-ci se hâta d'arriver. Mais,, voyant que tout le 
monde br4lait du ressentiment allumé ipar ;ce cri-me 
odieux et qu'il eût été dangereux de s'opposer à la 
menace écrasante de la réalité, il répondit à Lothaiire : 
« Ta demajnde est au-dessus de mes forces et incon- 
ciliable avec mon honiïeur. Je ne puis airrêter la 
marche inexorable d«s événements. La famille de la 
victime dont on déplore la perte est puissante, he 
défunt était aussi mon parent. Ce meurtre est une 
mauvaise action, une faute très honteuse dont j'ai 
horreur, et je ne tiens pas à souiller ma personne «t 
ma race en continuant à cause de ce crime à me 
lever contre mes consanguins. Cherche l'office d'u>ae 
puissajice supérieure qui puisse tetirer d'une si mau- 
vaise situation ^. » 

Lolhaire voyant le vide se faire de tout côté autmir 
de lui, s'enfuit désespéré pendant la nuit deison châ- 

ï. Gislebert dit que Baudouin promit de défendre la princi- 
pauté contre une attaque éventuelle du duc de Brabant et 
conseilla en attendant à Lothaîre de s'enfermer dans ses cihât«axix 
et -de prévenir l'empereur, p. 58î, éd. Vanderkindere, p. 281. 



RÉPROBATION DES MEURTRIERS. " 123 

teaaa fort et abandonnant complètement te diocèse de 
Liégê se réfuta a^ee son frère le coml« de iHodb- 
staden à la cour de l'empereur assez ml pour sem- 
brasser une cause sî déshionorantie» 

Nous sonaanes &n. l'an du Seigneur 1 1^3. Le moiftée 
entier déplore lan^ort lamenfcabde d'Albert évêquè âe 
Liège. Toute la chrétienté proteste et frémit d'indigina- 
tion devant un :si grand crime. Il n'y a qu'une i^nix 
pour maudire la cour du Gésaroà les brig'ands homi- 
cides «e vaMent d'avoir trouvé unasile^ 

Jamais depuis l'empereur Constantin l^e Grand on n'a 
entendu dire qu'une cour chrétienne eut acconapli icm 
encouragé un si odieux forfait. Henri d'Ângûeterre 
qui fit assassiner Thomas, le saint archevêque de Can- 
t'orbéry, ne reçut point dans s®n palais les imeurtriers 
dont les mains étaient sauillées du «ang <àe rillustee 
prélat. La terre eiiitière proteste contre la mort «de 
l'évêq»*! Albert. On est stupéfait des circonstances iqui 
ont entouré cette mnrt d'un n^j^nveau genrie, L'évêque 
. de Liège avait cédé à l'excès de la colère imipériale en 
s' exilant au delà des [frontières de son rcxyaaairae. 'Dans 
cette terre étrangère il menait une me pauvre, huimibie 
et paisible. C'est là que les Allemands vinrent le trahir 
d'une façon si infâme et «i cruelle que jamais ide 
mémoire d'homme on ne vit félonie plus odieuse. Les 
assassins de saint Thomas tuèrent leur victime, mais 
pas d'une façon si méchante et si perfide. Ils ne vin- 
rent pas d'abord lui parler, te saluer et cacher sous la 
ti'ahison leurs desseins homicides. Les meurtriers de 
Thomas le tuèrent dans son diocèse le frappant d,e trois 
coups. Plus scélérats les Allemands assassinèrent Âl- 
' bert en iexil lui faisant treize blessures et après l'avoir 
tué déchirèrent son cadavre. Qu'on envisage le motif 



124 VIE DE SAINT ALBERT. 

du crime ou la façon dont il fut accompli, la mort 
d'Albert est plus digne de compassion devant Dieu et 
devant les hommes. 

Aussi quand la mort d'Albert fut par les Rémois en 
deuil comparée à celle de Thomas, Rodolphe, le doyen 
de la cathédrale, qui jouissait dans l'Église de Dieu 
d'une grande considération, prononça ces paroles : 
« Celui-ci est plus grand que Thomas ». 

Ce Rodolphe était anglais de nationalité et avait été 
un des compagnons de Thomas de Cantorbéry pendant 
les nombreuses années de son exil en France. C'était 
un homme remarquable autant par la culture des 
lettres que par la pureté de vie. Il avait connu Albert 
dans l'intimité. Pieusement et sincèrement attaché à 
lui, il louait son innocence et la justice de sa cauise qui 
avaient provoqué sa mort. Il croyait et proclamait 
martyr de Dieu un homme si innocent, trahi si odieu- 
sement par ses ennemis, tombé pour la ^défense de la 
liberté de l'Église, liberté que l'empereur Henri vou- 
lait asservir à sa puissance en cette circonstance. 
Chaque fois qu'aux élections, dans les cathédrales elles 
abbayes de son royaume soumises aux régalés, une 
ou deux voix s'écarteraient de la majorité, il serait 
aussitôt intervenu pour donner l'investiture au candi- 
dat de son choix. Tel fut le procédé employé en faveur 
de Lothaire prévôt de Bonn, procédé qui tendait à 
enlever à l'Église Romaine son droit de connaître et 
de juger en cette matière. 

- Quand les parents du noble défunt, informés de sa 
mort, apprirent que les meurtriers jouissaient en sécu- 
rité de l'hospitalité de l'empereur peu soucieux de sa 
dignité, ils furent unanimement saisis d'une insuppor- 
table douleur. Ils commencèrent par se concerter au 



^/y- i'- ':,--:-:[ :-y'^' ''repMsailles; ■.'; ;■';'■:•'• ^^•W 

moyen de messages, puis se fixèrent un rendez- vous 
général près de la ville de Cologne. Les chefs de cette 
réunion étaient Henri, duc de Lotharingie, frère 
d'Albert, le duc d'Ardennes son oncle, Bruno, arche- 
vêque de Cologne son parent, et un grand nombre de 
comtes et de princes. Quand tons ces seigneurs et leurs 
suites se virent réunis, ceux qui avaient été témoins 
dès événements et avaient eu sous les yeux le sang de 
la victime, refirent devant l'assemblée le récit tragique 
du meurtre. Tous alors éclatèrent en pleurs comme à 
la première nouvelle de la mort. Les laijmes purent se 
ralentir mais point la douleur. Après avoir délibéré 
longtemps avec une grande animation, ils décidèrent 
déformer une vaste conjuration dirigée contre l'em- 
pereur Henri et contre la famille du comte de Hoch- 
staden et de son frère Lotliaire. Celle-ci était puissante 
mais ne pouvait se mesurer ni en force ni en influence 
avec eux. Conrad archevêque de Mayence et beaucoup 
d'autres princes teutons absents à la réunion adhé- 
raient vigoureusement à leur décision et envoyèrent 
des messages pour approuver entièrement les mesures 
prises. Ils maudissaient le meurtre d'un personnage 
si illustre et si innocent, ils maudissaient la cour im- 
périale abritant des scélérats qui souillaient par la 
honte d'un si grand sacrilège la majesté -de l'em- 
pire romain. 

Après cette entrevue, ducs et princes rassemblèrent 
une puissante troupe de chevaliers, envahirent le ter- 
ritoire du comte de Hochstaden et le dévastèrent. Ils 
en occupèrent tous les châteaux sauf une place très 
fortequ'ils renoncèrent à assiéger^. 

I, Ahr. (Gisleberfc, page 58a, éd. Vanderkindere, p. 28a.) 



K6 VIE DE -SAINT ALBERT. 

L'empereur Henri voyant son royaume teoiiiblé ipar 
ces événements et un grand nom-bre de princes se 
joindre contre lui à ses ennemie, sentant aussi la moT- 
sure funeste de J'infamie qui pesait sur Ivii, finit par 
fléchir et se rendre à des avis plus sages. Il envoya 
de tous côtés messagers sur messagers et obtint U)n 
conciliabule avec la noble famille du duc de Brabant 
dans la ville de Coblence, au confluent du Rhin et de la 
Moselle. Il apaisa ses adversaires par d'impiortantes 
satisfactions, conclut la paix avec enx^ les combla de 
présents -etide promesses etiécarta de sa cour et de S(on 
territoire les ehevaliers allemands coupables du 
meurtTe 'dont plusieurs furent peu de temps apirès 
frappés par Dieu d'une mort ignominieuse 1. 

Quant à Lothaire, il eut beau protester de son 
innocence et jurer à plusieurs reprises qu'il 0Q':avait 
pas trempé dans la mort d'Albert % il fut dénoncé au 
pape Célestin qui rexcommu.nia et le priva de sa pré- 
vôté de iBonn et de tous ses autres bénéfices. Aoca- 
blé parles censures, il se rendit à Rome dans l'espoir 
d'être absous et de rentrer en (possession de l'évêché 
de Liège et de ses autres prébendes. Le pape le reçut 
durement. Il refusa de l'abso^udre jusqu'à ice que 

i^ Ici finit la Vita Alberti. L'histoire ne bous a consei'vé le nom 
que d'un des meurtriers d'Albert ; Olhon de Barenste et de 
Laviano mentionné sous ces noms dilFe'rents dans deux lettres 
d'Innocent III {V. L., 216, col. loSg et 1087). Tœçhe croit à 
tort que ces titres désignent deux personnages difFérents 
(Henrich VI, p, 55i). -Le même chevalier teuilon les reçut sans 
doute de l'empereur Henri VI en récompense de son criminel 
service. Il fut pris dans une bataille livrée sur l'ordre d'Inno- 
cent III en Apulie par le comte de Brûnn contre Diupuld et 
Marcuald, et périt misérablement {P. Z., 216, ibid.) 

a. Gislebert, p. 58i, éd. Vanderkindere, p. ?8o. 



, CONDAMNATION DE XOTRAIRE. . 127 

Lothaire eût juré <le se soumettre entièrement à la 
sentence prononcée contre lui. Celte sentence, rendue 
parle Souverain Pontife, l'obligeait à renoncer à l'ëvè- 
ché de Liège et à tous ses autres bénéfices, à l'excep- 
tion de la pré\ôté de Coblence. En plus, elle le décla- 
rait incapable à l'avenir d'être promu à un ordre ou 
à une dignité ecclésiastique quelconque ^. Tel fut 
le châtiment bien mérité de ce clerc ambitieux et 
prévaricateur qui mourut l'année suivante à Rome, 
pendant iin nouveau voyage entrepris poiir obtenir de 
la cour pontificale un adoucissement à la peine que 
son orgueil supportait difficilement^. 

1. Gislebert, p. 58-2, éd. Vancîerkindere, p. 283. 

2. Gislebert, p. 585, éd. Vanderkindere, p. 289. 

Nous croyons inutile de faire une dissertation pour établir 
les responsabilités et la complicité de l'empereur dans le meurtre 
d'Albert. Le témoignage de la Fita et de la presque totalité des 
autres sources est trop explicite sur ce point pour laisser subsis- 
ter aucun doute. Certains écrivains allemands se sont efforcés de 
prouver l'innocence d'Henri VI. Conrad Trautmann entre autres 
l'a essayé dans une thèse soutenue en 1 9 1 2 à l'université d'Iéna 
(Heinrich VI und der Lvitticher Bischofsmord, Gottbus). Nous 
trouvons, comme D. U. Berlière^ la critique de cet érudit « un 
peu cavalière » [Archives belges, juillet 1914, n** 3o8) et nous 
avouons que ses efforts pour défendre une cause perdue n'ont 
fait que nous confirmer dans l'opinion contraire. 

Le pape Innocent III rapporte en ces termes l'accueil fait par 
l'empereur, après le crime, aux meurtriers d'Albert : « Jpse 
occisores honœ memorice Alberti Leodiensis episcopi^ quem ipse 
coegerat exsulare, post iiiteifectionein ipsius in inulta faniiUaritate 
rccepit, et publiée parlicipavit eisdem^ et bénéficia postmodwn 
majora concessit)) (P. L., 216, col. 1029), 

D'ailleurs Henri VI reconnut lui-même sa culpabilité puis- 
qu'en expiation de sa faute et pour donner satisfaction au 
clergé liégeois, il fit don de deux nouveaux autels à l'église de 
Saint-Lambert et institua deux messes à perpétuité pour la 



128 VIE DE SAINT ALBERT. 

prospérité de l'empire et le repos de l'âme de ses parents et 
.prédécesseurs. (Gilles -l'Orval ap. Chapeaville, ÎI, p. i85; 
Èormans et'Schoolmèesters, (7a/"^a/a/re de Saint-Lambert, i, 
p. ii8, année 11965 Kurth, La cité de Liège, 11, 260, note 2,) 



CHAPITRE IX 

La sainteté d'Albert martyr reconnue par l'Église. 

(i 

L'Église catholique a inscrit Albert de Louvain au 
nombre des saints. Le martyrologe romain, au 21 no- 
vembre porte cette notice : « A Reims, S. Albert 
èvêque de Liège et martyr qui souffrit la mort pour la 
défense de l'Eglise ^ ». 

I. Le martyrologe romain fait erreur en plaçant la mort 
d'Albert le 11 des calendes de décembre (ai nov.). La Fita 
dit clairement qu'il fut tué « le jour où l'on fête saint Chryso- 
gone martyr, dont il est fait mémoire au canon de la messe » 
(c, 35)^ Or le natalis diesde ce saint est certainement le 8 des 
calendes de décembre (24 nov,). C'est donc le a4 novembre et 
non le ai que saint Albert devrait être inscrit au martyrologe.; 
Tous les chroniqueurs anciens sont d'accord sur celte date. 
Plusieurs historiens ont reconnu l'erreur du martyrologe romain 
sans toutefois l'expliquer. Baillet en la faisant rémarquer nous 
met sur le chemin pour en découvrir l'auteur : « Si c'est une 
bévue, dit-il, elle avait été faite auparavant par Molanus dans 
les additions au martyrologe d'Usuard et par ceux qui avaient 
dressé le martyrologe de l'église de Bruxelles)). [Les Fies des 
Saints, 1724, t. III, col. 367-8). Voici la notice de Molanus : 
« Albertus episcopus Leodîensis, vir mirae sanctitatis, frater 
Heiiirici magni Lotharingiae ac Brâbantiae diccis, ob custodiam 
ecclesiasticaë libertatis, de mandaio Heinfici imperatoris apud 
civitatem Remensem occubuit ». ' 

Ce texte se trouve dans les additions au 21 novembre ainsi 



130 VIE DE SAINT ALBERT. 

Nous avons vu dans la biographie la faveur dont 
jouissait Albert, de son vivant, auprès du pape Çéles- 
tin ni. Innocent III, son successeur, qualifie à 
diverses reprises notre héros « de sainte mémoire^ ». 

En i6i3, à l'occasion de la translation des reliques 
faite en Belgique à la demande des archiducs Albert 
et Isabelle, le pape Paul V par une bulle spéciale 

que dans l'Indiculum sanctorum Belgii. Molanus y ajoute les 
deux vers servant d'épitaphe inséras comme nous l'avons vu dans 
le manuscrit de Gilles d'Oi'val : 

« Lcgia quem legit eleetum Romaprohavit 
Remis sacravit, sacratum mariyrisavit » . 

Il termine sa notice en indiquant la source où il' l'a puisée : 
«• Havc martyrologiumk ecclesiae Bmxtdiensis ». 

Le martyrologe d'Usuard avec les additkuïs: de Molanus 
(i'^^ éd. Louvain i568) fut un de ceux qui eurent la préférence 
djes huit coîïimissaires chargés de dresser le martyrologe romain 
édité pour la première fois par Grégoire XIII en i584, (Voix 
OaAtelsin i Martjrolage universel, Paris, 1709,. Avertissement). 

C'est ainsi que la fête de saint Albert avec sa date erronée 
du' 21' novembre passa du martyrologe bruxellois dans lé marty- 
rologe d'Usuard et de celui-ci dans le romain. Quant au marty- 
rologe bruxellois, il ne remontait pas. bien loin. Molanus. dans 
un autre' ouvrage : « Natales sanctorum BeigiiL » (p. 266), à. la 
suite: de la même Hotice sur saint Albert au 21 novembre donne 
cerenseignemreat :; « Haec in moftyrologia Ecclesiae Bruxcllea&is 
leguntoFy &ed quod utcumque recenter auihoritaie capituli ah 
imo Canonicorum esi congestiim )),. 

Voilà donc le eoi^able de la. « bsvue» dont nous cherekion» 
l'origine : c'est un chanoine de Sainte-Gudule auteur du mar- 
tyrologe; bruxellois au xvie siècle. 

!.. Letù-e. à Bérthold dite de Cariatliie : « Notum est qualiter 
SBse Heuricus habuerit erga interfectoiTes sanclae memoriae 
Ali)erti Lcoditnsis episcôpi, quem^ ipse priiis exulare coegeratjx. 
(Corp. Jur. c. 34, X, de elect. 1,: 65 voir différentes lettres 
daQâ Miigtte, i*. i,,. 216, col. 1029^- io3g„ loSg,, 1087.) 



SAINTETÉ: D'ALBERT. 13L 

accorda la messe et l'oifice liturgique- de saint Albert 
dans la catilîédî'ale de Bieims et dainstoiïtes' les égrlises 
de Bruxelles. La même faveur fut concédée aax Caœ- 
méliles de cette viJle au jour aiMaiveirsaïre de ia trans- 
lation. Nous donnons in extenso ce document impor- 
tant à. la fin de ce ckapitre. ^Nous l'aivOins emprunté 
au chan. I>îavid, g. c, pp. i3oy siiîvant)^. 



t. Avant cet acte de Venil V existait-iL un cml*e au moias 
privé de saint Albert? 

A Reims du tempss de Molanuff, il n'était pasi encore inscrit 
aa- martyrologe àe; cettia métropole, mais' 0» faisait seuleimeiit 
mémoire de l'évéque dans les obitu^res et les nécrolioges. 
{W'ol'anns, Natales s anctoifvin Belgiij p. 26Q>. y ■ 

Un service solennel anniversaire fondé par le duc Henri, son 
frère, él'ait célébré chaque année dans la cathédrale le 8 des 
calendes de décembre. Cette ■ fondation était de cent sterUngs 
à prélever sur lesrevenusdu chapitre de Cambrai.. Lechapitre 
de Notre-Dame de Reims devait en remettre cinq au chapiitre de 
Saiïifc-Symphorien autant à celui de Saint-Timothéë et payait 
les frais de l'obit, ainsi que l'entretien die' la croix, élevée à 
l'emplacement du meurtre hors des murs. A cet endroit, le 
mercredi des Rogations, la procession s'arKetait,. et le chanoiaae 
hebdomadier accompagné cht diacre- et da sous-diacre inter- 
rompait les litanies? pour réciter un De.profundis et les prières 
du rituel pour les défunts. 

Ce service powa* lé repos de l'âme de; l'évêque cessa: d'être 
célébré après l?apptobalion dui culte de sdàoX. Albert par 
PaulV. . 

Viers la même époque la notice des obituair.es faisant mention 
d'Albert pa3s%> dans le martyrologe rémois. La voici d'après 
Marlot {Hist. de lu ville de Reirns, TU, p. 489) : « Fil cal. 
{il faut lire FUI) rfeei. obiit JÊlhertus episcopies Leodienm,fra- 
ter dticis: lovaniensisy piae reeordatienis yw',. auctoritate: apo- 
sC'olica) Remis <t domino FidiMmo aivhiepiscopo in preshytenim 
ordifvatus, et in episcapimi consecroMs, novem septiinanis œc dmor 
bus (Miebus-a cons'scratioa&elapsisYprope innros cimiatis remensis 
ah alemannis tvadi/tonbus, '^œdiisetcnltellis'vnterfecins. In 



132 VIE DE SAINT ALBERT. 

La même année i6i3, l'archevêque de Malines 
Malhias Hovius instituait la fête de saint Albert con- 
cédée par le pape dans toutes les églises collégiales, 
paroissiales et régulières de la ville dô Bruxelles l. 

<iujus anniversario reddit nobis quolibet anno capitulum caméra- 
cense centum solidos stelUngorum bonorum et novorum de qiiibus 
reddimiis capitula S. Symphoriani V solidos, capitula S. Timo- 
thei V solidos, et cuilibet clerico de choro très stellingos » , 

En Belgique le culte de saint Albert semble s'être développé 
un peu plus tôt qu'à Reims. Son introduction dans le martyro- 
loge bruxellois devait répondre à une dévotion déjà ancienne. 
Le désir de posséder ses reliques et l'éclat dont les archiducs 
Albert et Isabelle entourèrent la translation du corps en 1612 
montrent la vénération qu'on avait pour l'évêque martyr à cette 
époque. 

L'inscription dans le martyrologe romain avait marqué une 
étape importante dans le progrès de ce culte\ 

Sans doute le seul fait de cette inscription n'équivaut pas à 
une canonisation, (Voir Benoît XIV, De Sanctorum Dei beatifi- 
catione et Beatorum canon izatiorie^ I, c. xi.iii, ap. D, Quentin : 
Les martyrologes historiques, p. 688-9.) Mais les circonstances 
dans lesquelles se fit cette insertion sous Grégoire XIII lui don- 
nent le caractère d'une approbation oflGicielle ratifiant un culte 
privé en l'honneur d'un personnage vénéré comme un martyr 
•dès sa mort et canonisé àTavance en quelque sorte par la voix 
populaire. 

Enfin la bulle de Paul V vint compléter définitivement ce qui 
aurait pu manquer dans les actes pontificaux précédents pour 
légitimer le culte désormais public rendu à saint Albert. . 

I, A. H. E. II, p, 255-6. Voir ce document dans l'appendice 
A, à la suite de la bulle de Paul V. Il est curieux de no- 
ter que l'archevêque, corrigeant sans le savoir l'erreur du mar- 
tyrologe, remettait la célébration au jour réel du natalis le 
24 novembre à cause de trois fêtes occupant lés jours précé- 
dents sur le calendrier. Saint Albert est commémoré le 21 ho-, 
vémbre (fête delà Présentation de N.-D ) dans le propre du 
diocèse de Liège de i6i3. D'autre part, il n'apparaît pas en- 
core dans le vieux bréviaii-e liégeois édité de 1488 à i588. 



SAINTETE D'ALBERT. 133 

Ce jugement de l'Église appelant Albert de Louvain 
évêque et martyr à l'honneur des autels n'étonnera 
point ceux qui ont lu la Vie du saint, non point 
comme certains auteurs* du seul point de vue poli- 
tique, mais dans ses détails intimes, telle que les com- 
pagnons de l'évêque nous l'ont fidèlement rapportée. 

Il ne fait d'ailleurs que ratifier la voix du peuple, 
celle en particulier des habitants de Reims, admirateurs 
des vertus de l'évêque exilé et persécuté, de son inno- 
cence, de sa grandeur d'âme, de sa douceur, de sa 
mort ignominieuse, témoins enfin des ^miracles et des 
faveurs obtenues à son tombeau. 

Sans doute la vie d'Albert n'offre point d'actions 
extraordinaires. Bien des évêques ont pratiqué les 
mêmes vertus que lui à un degré peut-être supérieur 
sans mériter la canonisation. Ce qui fait sa grandeur j 
c'est la cause qu'il a défendue et pour laquelle il a 
donné sa vie. 

Cette cause, c'était celle au fond qui avait déchiré 
dans une lutte séculaire l'union de l'empire et de la pa- 
pauté. Le traité de Worms en mettant fin, aii moins en 
droit, à cette douloureuse querelle, aurait dû faire ces- 

(Daris, Églises du diocèse de Liège, XV, p. a8 et 84, suiv.). Il est"' 
donc très probable que l'introduction de la fête de saint Albert 
à Liège (avec sa date erronée) a suivi de près son institution à 
Bruxelles par Mathias Hovius en 161 3 après la bulle de Paul V, ' 

On trouve, généralement à la daté du 24 novembre, des notices 
sûr saint Albert dans les obituaires et nécrologes dé plusieurs 
abbayes belges. D. U. Berlière nous en a signalé quelques-unes 
d'inédites : celles de Bonne-Espérance M S aux archives de 
l'État à Mons, de ForestMS 898 à la Bibl. royale de Bruxelles, 
de Grand BigardM S aux archives du royaume. 

I. Par exemple Georges Smets : Henri l de Brabant, p. 46 et 

;^> 8 



134 VIE DE SAINT ALBERT. 

ser complètement les empiétements sa.eii?ilèges du 
pourvoir civil siiir le pouvoir ecclésiastique. 

Mais l'esprit de Frédéric Barberousse, fidèle kia— 
mèfflfce à ses prédécesseurs, survi?vaît danis son fils 
Henri. Dans le cas d'ei'éleetion d'Albei^t dse Louvairt,, 
r empereur avait, côimme nous l'avons vu, manifes:- 
tement outrepassé seadroits e* violé ceux du chapitre 
liégeois. En recourant àrRome,^ malgré les menaces 
du puissant Hohenstaufen, Albert faisait un acte de 
courage et de respect envers l'Église qsui haussait sa 
vertu jusqu'à l'héroïsme. 

Le pape Gélestin III, ea canifirmant. se&m élet^ioa^ 
et en condamnant tous eeux qm s'y opposeraient, 
aiErma solennellement l'autorité romaine en faee; du 
pouvoir impérial. L'orgueil d'Henri VI ne put susp- 
poirter ce défi. Sa vengeance fut l'arrêt de mort de 
l'évêque : meurtre poliiiii(|u<e, tramé contrei la maison 
de Brabant, représailles sacrilèges dirigées contre le 
p-ape. Albert,, victime, sacrifiée à l'ambition et à l'im- 
piété, comprit et accepta ee rôle.. Loin de chercher, 
comme il aurait pu le faiïe, par des intrigues et des 
combinaisons politiques 4 reconquérir son siège, ii 
renonce aux moyens humains et ne s'appuyant 
(juei sur Dieu, il attend patiemment que la tempête 
' se calme et que les passions s'apaisent. A l'imitation 
du Christ, il accepte le calice des humiliafcitms ^&t se 
réfugie dans la prière et dans les consolations de son 
sacerdoce. Ainsi purifiée, par l'épreuve,, la victime 
était miûre poujr l'immolation. 

Le feiographe qui a sa nrettre en relief daws sa 
pieuse narration les traits de ressemblance entre les 
circonstances entourant la mort de notre saint et la 
passion du Sauveur, nous dépeint le doux et patient 



SAINTETÉ D'ALBERT. 135 

évêqùe dépouillé de tout,- abandonné des siens à 
l'heure suprême, trahi par ses amis, égorgé cruelle- 
ment comme un innocent agneau , expirant enfin sans 
proférer une plainte. 

Albert est saint parce qu'il est martyr, martyr d'une 
grande cause, parce qu'il accepta et souffrit l'exil et 
la mort pouT la défense des libertés de l'Eglise. 

L'évêque liégeois est, au xii** siècle, avec son émule 
anglais saint Thomas Becket, le type du bon pasteur 
qui àarme sa vie pour ses brebis, du prélat ccKurageox 
qui brave le pouvoir séculier, qui préfère mourirplu- 
tôt que de trahir l'hoiineur dé sa; dignité et ies 
droits de Dieu dont il est le dépositaire. 



136 VIE- DE SAINT ALBERT. 

APPENDICE A 

Bulle du pape Paul V autorisant l'office et la messe 

de saint Albert. 

Pauliis PP. r. 

Ad perpetuam rei memoriam. Régis aeterni, qui 
serves suos probatos in tentatione, immarcessibili ae- 
ternae gloriae corona donat in coelis, vices, quam- 
quara immeriti, gerentes in terris, ex injuncto Nobis 
officii débite, procurare tenemur, ut eorumdem Christi 
hônos et veneratio in terris quoque in dies magis 
promoveatur, ideoque fidelium, prsesertira vero ca- 
tholicorum Principum votis, quae peculiarem erga 
illos cultùm respiciunt libenter annuimus, prout in 
Domino conspicimus expedire. Sane, nomine dilecti 
filii, nobilis viri Alberti Archiducîs Austriae, et Bel- 
gicarum provinciarumPrincipis, Nobis super exposi- 
tum fuit quod ipse ex singulari quém erga sanctutn 
Christi martyrem Albertum, Episcopum Leodiensem, 
S. R.E. cardinalem,. gerit devotionis affectum, ejus 
corpus ab EcclesiaRhemensi) inqua per quadringentos 
annos re(5[uievit) ad Ecclesiam monasterii monialium 
ordinis Beatae Mariae de monte Carmelo discalceatarum 
nuncupatarum, in oppido Bruxellensi, Mechli- 
niensis Dioecesis, nuper a se aedificati et dotati, cum 
solemni processione rite et canonice transferri et ad 
augendam Christi fidelium, erga dictum sanctum 
devotionem, in omnibus Ecclesiis, tam ssecularibus 
quam regularibus dicti oppidi Bruxellensis nec non in 
Ecclesia Rhemensi praedicta, ofEcium, et missam 
solemniter de eodem sancto recitariposse, plurimum 
desiderat. Quare Nobis humiliter supplicari fecit ut 
ejus votis in praemissis annuere, aliasque desuper 



^ - - APPENDICE A. ", W 

opportune providere, de benignitate apostolica digna- 
rëmur. Hoc igitur dicti Alberti Archiducis et Principis 
laudabile ejusmodl desiderium plurimum in Domino 
commendantes, ipsumquè Albertum Archiducemet 
Principem, specialibus favoribus et gratiis prpsequi 
yolentes, et a quibusvis excommunicationis, suspen- - 
sionis, et interdicti, aliisque ecclesiasticis senten- 
tiis, censuris, et poenis, a jure vel ab homine quavis 
occasione vel causa latis, si quibus quomodolibet in- 
nodatus existit, ad effectum praesenlium dumtaxat 
consequendum, harum sérié absolvéntes, et absolutura 
fore censentes, hujusmodi supplicaiionibus inclinati, 
de yènerabilium fratrum nostrorum S. R. E. Cardina- 
lium sàcris ritibus prœpositorum consilio, quod im- 
posterum, perpetùis futuris temporibus, in omnibus 
dicti oppidi Bruxellensis saecularibus et regularibus 
Ecclesiis, necnon in Ecclesia Rhemensi praedicta, in die 
natalis sancti Alberti hujusmodi, \idelicet die xxi 
Novembri, in die vero translationis . ejusdem, in 
Ecclesia solum Monialium Carmelitarum discalceata- 
rum praedictarum dicti oppidi, missa et officium de 
sancto Alberto, sîcùt de-communi unius Martyris 
Pontificis celebrari solet, juxta Missalis et Breviarii 
Romani régulas, et rubricas, celebrari possît, aposto- 
lica auctoritate, tenore prœsentium, licentîam et 
facultatem perpetuo concedimus et impertimur, non 
obstantibusConstitutionibus et Ordinationibus aposto- 
licis, nec non Ecclesiarum, et ordinis hujus modi, 
etiam juramentd, cdnfirmatione apostolica, vel quavis 
firmitate alia robôratis statutis et consuetudinibus, 
cœterisque contrariis quibuscumque. Datum Romae 
apud sanctatii Mariam Majorem sub annulo Piscatoris, 

die IX Augusti MDCXÏII, Pontificatus nostri anno IX. 

8. ■ 



138 ¥IE DE SAINT ALBERT. 

Mathias Hovius, archevêque de Malines, instiiœ {»eur 
la ville de Bruxelles, la fête de salut Albert, évêque 
de Liège, concédée parle pape. 

22 Oct. i6i3 

Malhias, Deiet apostolicae sedisgratiaarchiepiscopus 
Mechliniensis, omnibus praefectis ecclesiariim oppidi 
Bruxellensis collegiatœ parochialium et regularîum 
quarumcumque. Notum facimus placuisse sereriîs- 
simo princîpî nostro supplicari Summo Pontifici 
moderno, Paulo quinto, ut ofEcium sancti Alberti, 
episcopi Leodiensis, cardinalis . et martyris, ciijus 
sacrum corpus pro singulari sua erga hune sanctum 
devotione ex ecclesia Rhemensî magna cum celebrî- 
tatedeferri curavit in monaslerium Carmelitissarum 
discalcealarum a se erectum et dotatum, quotanni'S 
celebrari possit, tam quoad officium quam quoad 
missam, secundum régulas et rubricas breviarii Ro- 
mani de uno martyre pontifice, die vigesima quarta 
novembris. 

Nam etsi natalis hujus sancti in vigesîmam primam 
ejusdem mensis incidat, impeditur tamen ejus ceîe- 
bratio perlria festa intercurrentia, quod cum piissîme 
Suae Celsitudini annuerit Sanctissimus Domînus nos- 
ter, pernos mandavit publicari vobis omnibus etves- 
trum singulîs, iisdemque mandari, quod et facimus, 
ut dicta die vigesima quarta novembris officium dîvî- 
num et missam solemnem in ecclesiîs vestris recitari 
faciatis de dicto sanclo Alberto pontifice martyre, ut 
eomagis dicti sancti meritis et suffragiis adjuvemur, 
quo devotius sacrum ejus corporis pignus, nob'is 
divinitus concessum, veneramur. 

Datum Bruxellis, die vigesima secunda Octol)Ti]S 
anni i6i3. (Arcbives de Sainte- Gudule, à Bruxelles.) 



HISTOIRE DES RELIQUES 

DE SAINT ILBERT 



Les deux parties de ce chapitre n'ont en réalité 
qu'un seul et même objets 

En effet, l'erreur commise en 1612, en attirant 
pendant quatre siècles sur les ossements d'Odalric, 
que nous appellerons le pseudo-Albert, les honneurs 
rendus à l'évêque de Liège, n'a pu détourner ces 
hommages de leur véritable destination. 

Le culte de^ reliques est, en langage théologique, 
un culte indirect, qui s'adresse plus à la personne du 
saint qu'à ses dépouilles terrestres. Celles-ci rie sont 
vénérées qu'en raison de l'union qu'elles ont eue avec 
l'âme sanctifiée du défunt, union devant être restaurée 
splendidement à la résurrection de la chair. 

Malgré le souci de l'Eglise d'entourer lesreliques 
des saints de toutes les garanties d'authenticité, des 
erreurs restent possibles en cette matière. Le cas de 
saint Albert en est une preuve. Mais ces méprises, 
regrettables sans doute, n'empêchent pas nos bien- 
veillants patrons d'entendre et d'agréer nos vœux." 

Lesliommes peuvent se tromper sur l'identité d' os- 
sements exhiumés du sein de la terre où depuis des 



140 VIE DE SAINT ALBERT 

siècles ils reposaient. Les saints, souriant dans le ciel 
de nos bévues, suppléent sans peine à notre défaut de 
discernement et savent, avec une équité parfaite, 
répartir entre eux les hommages que nous leur adres- 
sons. Loin de nous tenir rigueur -de nos ignorances 
involontaires, ils mesurent leurs faveurs moins au 
degré de notre exactitude, qu'à la ferveur de notre foi. 
Parfois, comme dans le cas présent, ils interviennent 
d'une façon providentielle pour corriger nos erreurs 
et encourager notre dévotion. 

I 
LES RELIQUES DU PSEUDO-ALBERT 

L'histoire des reliques d'Odalric ou du pseudo- 
Albert a été racontée en détail dans les ouvrages de 
Rebreviettes et du, chanoine David signalés dans notre 
introduction 1. On la trouvera aussi dans un article 
du Docteur Vervaeck publié en 1907 [Analecta 
Bollandiana, XXVI, p. SqS), avec une description 
scientifique des ossements jadis conservés au Carmel 
de Bruxelles. Il est intéressant de remarquer que ce 
même docteur, qui procéda en 1904 à l'examen ariato- 
miquedes reliques du pseudo- Albert, fit partie en 1920 
de la commission chargée d'identifier le corps du saint 
retrouvé à Reims. 

I. Le chanoine Frézet vient de publier dans la revue La 
vie et les arts liturgiques Dec. 1911, un article très intéressant 
înittulé : « Les reliques de saint Albert retrouvées à Reims ». 
Il donne entre autres un extrait curieux d'un chroniqueur rémois 
Jean Pussot, maître charpentier, sur les cérémonies qui accom- 
pagnèrent l'exhumation et la translation faite en i6ia (p. 60). 



' RELIQUES DU PSEUDO-ALBERT. 141 

Enlisant son rapport de 1904, on Yoit la difficulié 
qu'il eut alors de mettre d'accord plusieurs passages 
de la Vita Alberti avec les ossements soumis à son 
analyse. Notamment, l'orifice d'origine traumatique 
du crâne pouvait s'expliquer à la rigueur par un coup 
de dague ou de hache, mais ne répondait guère aux 
violents coups d'épée assénés par les chevaliers 
sur la tête de l'évêque à cheval. Cette discordance 
en présence de laquelle on crut devoir mettre en 
doute l'exactitude du récit historique disparaît devan^t 
le vrai chef du saint martyr. On y observe dans leur 
poignante réalité les coups de taille énamérés avec une 
précision si remarquable p|ir le témoin du meurtre : 
« Tinipus ejiis cerebrumque et câput ejus effregerunt. » 
L'accord des deux documents est cette fois incontes- 
table^. Voici un bref résumé des vicissitudes des osse- 
ments de l'archevêque Odalric. 

En 1 6 1 2 les archiducs Albert et Isabelle sollicitèrent 
du roi de France Louis XIII la faveur de posséder en 
Belgique le corps du saint 2. La demande fut adressée 
à la reine régente Marie deMédicis, qui se prêta gra- 
cieusement au désir des souverains belges. L'arche- 
vêque de Reims, Louis de Lorraine et son chapitre 
s'empressèrent d'acquiescer à cette demande, et le 
20 octobre de la même année, on procéda à l'exhu- 
mation. On retira de dessous les dallés où l'on 
croyait qu'il reposait à l'entrée du chœur sous le jubé 

1. Le docteur Vervaeck vient de publier dans les Anal. 
Bolland. t. XL, fasc. I et II, 192a, un article où il expose à 
nouveau celte question d'une façon très lucide. 

2. L'archiduc, en réclamant lès reliques de son saint patron, 
fit valoir, en plus du lien' spirituel, la parenté qui le rattachait à 
saint Albert de Louvain et à la vieille dynastie des ducs de Bra- 



142 YIE DE SAINT ALBERT, 

le corps <lu saint martyr, et procès- verbal fut dressé 
par Simon Hernet, médecin, et Rémi T^steiet, chirufr- 
gien. Les ossements furent déposés dans une châsse de 

bant. Voici d'après David (p, 96) i' arbre généalogique établissant 
cette noble descendance. 

Godefroid III duc de Brabant 

^- ^-- ^ -, 

Henri I Albert de Louvain 

1 
Henri II 

l. 
Henri III 

I 
Jean I 

I ■ 

Jean il 

i 
Jean III 

^1 ■ ^ 

Marguerite de Brabant — LoTiis de Bîaek 

I 
Marguerite de Maele — Philippe le Hardi 

I 
Jean sans Peur 

1 
Philippe le Bon 

1 ■ 

Charles le Téméraire 

' 1 
Marie de Bourgogne — Maximilien d'Autriche 

..I 
Philippe le Beau 

( \ A ^ 

Charles-Quint Ferdinand d'Autriche 

I I 

Philippe II Maximilien II 

I - I 

Isabelle Albert.. 



RELIQUES m] PSEUDO-ALBERT. 143 

bois et transportés solennellement à Bruxelles ^ où un 
nouvel examen et rapport médical furent faits en 
présence du nonce Bentivoglio et des archiducs. 

Un os de la hanche déposé dans une cassette d'é- 
bène fut offert en hommage au chapitre de Reims. 
Les autres ossements renfermés dans une châsse 
furent confiés à la vénérable Mère Anne de Jésus, 
prieure du Carmel de Bruxelles. 

En 1783, ces reliques suivirent les carmélites chas- 
sées parle décret de Joseph II en France, au monas- 
tère de Saint-Denis. Elles revinrent) avec elles à 
Bruxelles en 1790. 

Plusieurs ossements furent, au cours des siècles, 
détachés- du corps et donnés 4 différentes églises : à 
Saint- Albert au Canada, àSaint-Kombaut à Malînes, 
à la cathédrale de Liège, aux carmélites d'Alost, aux 
Dames cbanoinesses de Berlaymont, à Saint-Pierre 
de Louvain, à l'abbaye du Mont-César. 

M. Vervaeck auquel nous empruntons ces détails a 
fait une enquête sur toutes ces parcelles du pseudo- 
Albejt dans son rapport publié dans les Analecta 
Bollandiana {KK^^l,^. ^oo-4o2i^). 

I. a La cérémonie se fit avec un grand appareil tant à Reims 
que partout où elles passèrent,^ estant accompagnées de six cha- 
noines que les archiducs régalèrent chacun d'une chaîne d'or, 
et qui,, par une piété digne de leur haute naissance, voulurent 
encore,, au jour de L'entrée solennelle, porter le cercueil du saint 
sur leurs, épaules CTïtrant eal'église. de Sainte-Thérèsedes Carmé- 
lites j) (Marlot, IH„p, 489). 

a.. Qa ignorée (jae sont devenus : 1° Le reliquaice de N.-D. 
de. Reims; 2° les vêtements apportés au duc de Brabant; 3° l'an- 
neau d'or conservé à Lobbes .jusqu'au xviii^ s.', 4° quelques osse- 
ments et une bague d''or offerts aux archiducs ; &° une parcelle 
doiiméje en 16.86 au grand-duc de Toscane. 



■i--L.itS>W^V^\ or ^h.^* ^ /, tr ■»% C»' „ 



144 VIE DE SAINT ALBERT. 

# 

II 
LES RELIQUES DU VRAI ALBERT 

Au cours des travaux de déblaiement entrepris 
dans la cathédrale de Reims ravagée par l'artillerie 
allemande, M. Deneux, architecte en chef des mo- 
numents historiques, se trouva en présence de plu- 
sieurs tombes d'archevêques inhumés sous les dalles 
de l'église. 

D'après l'ancien cérémonial rémois, cinq arche- 
vêques avaient été déposés dans le chœur' : Odalric 
f 971, Adalbéron f 988, Gervais f 1067, Raynaud 
de Bellay f logS et Ebale f io33. Il put facilement, 
grâce aux indications de son texte, identifier les 
quatre dernières. Mais un doute se posa pourOdal- 
ric^. 

« Le 26 septembre 1919, dit-il, en exposant sa 
découverte devant la commission d'enquête, fut 
ouverte au bas du chœur, non loin de la grille d'entrée, 
une tombe que l'on croyait être celle de l'archevêque 
Odalric ( "J* 969 ou 971) d'après un renseignement 

1. Nous n'avons pas à nous occuper des tombes existant 
dans les autres parties de l'église. 

2. a Odalric, trente-septième ou trente-huitième archevêque 
de Reims, était d'après Richer (Richerii bistoriarum quatuor li- 
bri,éd.Poinsignon,Reims, i855,p.257), chanoine de Metz; il fut 
élu sur sa promesse de poursuivre sans crainte les usurpateurs 
des biens de l'église de Reims :il parvint à obtenir quelques res- 
titutions et mourut en 969 ou 970 suivant quelques auteurs; 
selon d'autres, et plus probablement en 971. II fut, selon une 
opinion rapportée par Marlot, le premier archevêque enterré 
dans la grande église, c'est-à-dire dans la cathédrale carolin- 



RELIQUES DU VRAI SAINT ALBERT. 



145- 



donné par le cérémonial de 1637 
inhumé à la descente 
des chaises pour sor- 
tir par le grand por- 
tail du chœur [gi^i) : 
ohit le 6 novembre. 
La tombe n'avait 
jamais été ouverte ; 
ce cercueil de pierre 
était en trois parties , 
ainsi que son cou- 
vercle . Celui-ci étant 
enlevé, on aperçut 
noyé dans un lit de 
boue ou de cendres 
desséchéesS un 



gienne. Plusieurs au- 
teurs lui donnent le titre 
de^ vénérable, entre au- 
tres Dom Ganneron: 
août 19. J Reims mou- 
rut le vénérable Odalric, 
trente-septième archevê- 
que de Reims » (Rapport 
de PabbéMidoux, p. 3, 
note i). 

r. « Il est difficile de 
de'cider si cette terre ou 
cendre, à surface fen- 
dillée, qui recouvrait 
presque totalement le 
squelette, y avait été dé- 
posée à dessein, ou si 
elle y avait été entraînée 



« Odalric est 



cathed-rale: de: ueiims 



PLAM DE.5 TOMBEIAUX» 



EI3AL& 



D CAYHAULD . 
t lOgsr. 



□* 



loejr. 






I ADALBEROn 



ôtAlseot. 

+ 1192.. 



-ROUELie.- 



Jubé £iu| 



I qdauic 
Il +5)71. 

|XV5 3JECIE 



par les eaux d'infiltration en pénétrant dans le cercueil par les 

VIE DE SAINT ALBERT. 9 



146 VIE DE SAINT ALBERT. ^ 

squelette dont la face seule émergeait près du sommet 
d'une crosse en bronze doré très oxydée. Cette crosse 
à nœud sphérique est surmontée d'une volute à 
double révolution terminée par une petite tête de dra- 
gon, dont les yeux sont rehaussés d'une perle. D'après 
M. Chartraire, chancelier de l'archevêché de Sens, cette 
crosse était, pour ainsi dire, la reproduction fidèle 
de celle qu'il avait lui-même trouvée deux ans aupa- 
ravant dans la sépulture d'un archevêque de Sens 
mort en i245. De Tavis de M. Marcou, cette crosse 
est une œuvre limousine ayant les caractères du début 
du XIII® siècle. • 

Le squelette, débarrassé de sa gangue, se présen- 
tait comme celui d'un jeune homme de haute taille, 
ayant encore presque toutes ses dents; la mâchoire 
inférieure était affaissée sur la poitrine; une partie 
de la boîte crânienne manquait sur le front, au- 
dessus de l'arcade sourcilière droite. 

Des débris de galons et de sandales accusaient 
aussi la première partie du xiii^ siècle. Des morceaux 
d'un calice et d'une patène en étain étaient trop dé- 
formés pour qu'on pût en tirer une indication. 

Au tamisage des terres renfermées dans ce cer- 
cueil, on retrouva un anneau en or de 1 8 m/m de 
diamètre intérieur avec tige de j m/m de diamètre 
décorée d'un petit quatre-feuilles, rehaussé d'un 
saphir : on trouva aussi quelques fils d'or, une pointe 
de crosse à tige carrée en cuivre, insérée dans une 

points mal raccordés que laissaient entre elles les parties du 
couvercle. A noter toutefois que la tombe de Guillaume de 
Champagne, le consécrateur de S. Albert, mort en laoa et 
inhumé dans le sanctuaire avait été de même remplie de sable 
verdâtre ». (Rapport de l'abbé Hideux, p. 3, note 2.) 



RELIQUES DU VRAI SAINT ALBERT. 147 

hampe de bois complètement pourri, mais très recon- 
naîssable à l'intérieur de la virole, aussi en cuivre. 

Le mobilier de cette tombe fit immédiatement 
naître des soupçons sur l'identification du corps; la 
crosse de cuivre et les sandales ne pouvaient avoir 
appartenu à un évêque du x® siècle, comme était 
Odalric »^, 

L'enquête de M. Deneux aboutissait donc à cette 
conclusion : il y avait dans le chœur de la cathédrale 
un archevêque du xi" siècle (Odalric) en moins et un 
évêque du xiii* en trop. Jusqu'iqi on n'avait pas 
pensé à saint Albert parce qu'il n'était pas mentionné, 
dans le cérémonial, et puis on croyait que ses os- 
sements étaient à Bruxelles. En consultant d'au- 
tres textes on trouva dans Marlot, à propos de 
saint Albert, ce passage (t. III, p. 489) : v. Les saintes re- 
liques de ce grand prélat ont donc été conservées bien 
quatre cents ans . en l'église de Reims, sans être 
levées de terre et sans aucun monument, à cause du 
passage nécessaire que preste la porte du jubé pour 
entrer aie chœur, sous laquelle elles étaient enterrées. » 
Cette indication fut un. trait de lumière; on relut 
le passage du cérémonial disant : ol Odalric est 
inhumé à la descente des chaises pour sortir par 
le grand portail du chœur », et de ces deux textes on 
déduisit que « les tombes d' Odalric et de saint 
Albert étaient toutes deux au bas du chœur, toutes deux 
sous le jubé avec cette précision que celle d'Odalric 
• était plus rapprochée "de la nef : « à la descente des 
chaises v. On fouilla aussitôt à cet endroit, mais on ne 
trouva que des terres remuées déjà et qui ne renfer- 

I. Rapport delà commission, p. 4- 



VIE DE SAIMT ALBERT. 

maient plus aucun reste d'ossements ni de cercueil. 
C'est alors que la question se posa : N'y avait-il 
pas eu erreur en 1612? N'était-ce pas Odalric qui se 
trouvait à Bruxelles, et saint Albert n'était-il pas cet 
évêque du xiii® siècle que les obus allemands venaient 
de faire découvrir ? 

« L'affaire en était là quand le 9 novembre 1920, 
Dom Sébastien Braun. et M. Midoux visitèrent les 
fouilles. Le premier, comme Belge s'y intéressa vive- 
'ment, parce qu'il s'agissait d'un saint de son pays, 
patron de son Roi, et parce quesaintAlbertétaitnéet 
avait passé une partie de sa vie à Louvain, à l'endroit 
où fut bâtie depuis l'abbaye bénédictine du Mont- 
César. 

Le second fournit un texte de la biographie d'Albert 
traduite par Christophe Beys et cité par le chanoine 
Cerf, qui corroborait singulièrement l'hypothèse émise 
précédemment. Il était question dans ce passage de 
« la pierre sacrée de marbre ronde, sur laquelle avait 
été décapité saint Nicaise, recouvrant la tête du martyr 
Albert ». Or il était certain pour les archéologues 
rémois que cette pierre occupait primitivement l'em- 
placement recouvert plus tard par le jubé^ 

I, « Saint Nicaise avait établi sa cathédrale à l'intérieur de la 
citadelle et l'avait dédiée à la Mère de Dieu. Après avoir 
soutenu la résistance de la ville contre l'attaque des barbares, 
il se réfugia dans cette église à l'entrée de laquelle il fut 
massacré (en 407)' La pierre teinte de son sang fut conservée 
avec respect dans la cathédrale reconstruite au ix^ siècle par 
les archevêques Ebbon et Hincmar*, elle était de marbre et de 
forme ronde, protégée par une grille, ce qui lui avait fait 
donner le nom de cage, tour, rouelle de saint Nicaise. Dans la 
cathédrale carolingienne, les fouilles récentes l'ont prouvé, les 
tombes des archevêques qui se trouvaient dans l'axe de la nef 



RELIQUES DU VRAI SAINT ALBERT. 149 

Pour continuer cette enquête déjà en si bonne voie, 
plusieurs documents manquaient à Reims où les bi- 
bliothèques ont été détruites ou dispersées par la 
guerre. Dom Sébastien Braun accepta volontiers de faire 
les recherches désirées à son retour à l'abbaye de 
Maredsous. Elles furent des plus concluantes. Il con- 
sulta le texte original de la Vita Alberti ainsi que 
là description scientifique publiée en 1907 par le 
docteur L. Vervaek des reliques conservées sous le 
nom de saint Albert au Carmel de Bruxelles.. Mais 
il fit plus, il se mit à la recherche de ce docteur 
lui-même, qui mieux que personne était à même 
d'éclaircir une question d'un si haut intérêt. « Celui- 
ci déclara réserver son jugement jusqu'au moment 
où l'on pourrait examiner le crâne de Reims pour 
voir s'il ne porterait pas quelques traces de lésions 
dues aux coups de glaive qui avaient causé la mort 
du Saint. » 

Le 16 novembre 1920, Dom Sébastien écrivit donc 
à M. Deneux pour le prier de bien vouloir faire 
ouvrir le coffre, où l'on avait déposé provisoirement 

étaient surélevées d'une dizaine de centimètres au-dessus du 
pavé", la rouelle, qui se trouvait dans ce même axe, ne gênait pas 
plus que les pierres tombales. 

Au XIII*' siècle, après la reconstruction dé la cathédrale 
actuelle, les pierres tombales, plus ou moins endommagées par 
l'incendie, furent recouvertes par le nouveau pavage dans le- 
quel oïl inséra les dalles de petite dimension portant le nom de 
l'archevêque inhumé au-dessous; la plupart de ces dalles 
subsistèrent jusque dans la seconde moitié du xyii^ siècle et 
guidèrent Marlot et le rédacteur du cérémonial. Quant à la 
pierre de saint Nicaise, vénérée comme une relique, elle demeura 
vraisemblablement apparente au même endroit, du moins 
jusqu'à la construction du jubé ». (Rapport de la commission 
p. II, note I,) 



150 VIE DE SAINT ALBERT. 

les ossements que l'on présumait être ceux d'Odalrîc, 
et de procéder à l'examen en question. Jusqu'ici on 
n'avait pu faire cet examen à cause de l'état frag- 
mentaire dans lequel se trouvait le crâne. Il était 
tombé en morceaux lorsqu'on avait retiré le squelette 
du cercueil. On dut faire sa reconstitution, travail 
délicat qui, de l'aveu du docteur Vervaeck « fut 
exécuté avec une compétence anatomique évi- 
dente *y>. 

Ce fut seulement alors qu'apparurent sur le chef 
de saint Albert les traces de lésions profondes. 
Dom Sébastien en écrivant à M. Deneux « n'avait 
rien dit de ce que rapportait la F'ita au sujet des 
coups de glaive, afin de rendre éventuellement l'é- 
preuve plus probante ». 

Le 2 5 novembre M. Deneux lui répondit en ces 
termes : « Je viens de faire retirer le cercueil réduit 
et examiner le crâne. Il n'y a plus de doute pos- 
sible. Odalric est bien saint Albert. Le crâne porte 
trois entailles qui ont presque traversé la boîte 
crânienne. Les entailles ont dû être faites avec une 
hache ou une épée. Des taches brunes, au pourtour, 
pourraient être du sang. Lorsque vous viendrez à 
Reims, vous serez comme moi convaincu qu'il ne 
peut subsister aucun doute à ce sujet... » 

Quelques jours plus tard, son Éminence le Cardi- 
nal Luçon informait son Eminence le Cardinal de 
Malines de la découverte sensationnelle et daignait 
inviter les Belges à faire partie d'une commission 

I. Chose à noter : cet examen du crâne, qui enleva les 
derniers doutes, eut lieu précisément le 24 novembre, jour de 
la fête de saint Albert, et cela a l'insu même de ceux qui s'en 
occupèrent. (Rapport de la^commission, p. i3, note i.) 



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' RELIQUES DU VRAI SAINT ALBERT. 151 

chargée de ridentification des restes de ce saint qui 
leur était cher. 

Voici les noms des personnalités qui composèrent 
cette commission du lo décembre 1920 présidée par 
sa Grandeur M.^ Neveux, évêque d'Arsinoë, auxiliaire 
de son Eminence le Cardinal Luçon : 

Monsieur le chanoine Campant, vicaire général; 

Monsieur Marcou inspecteur général des monu- 
ments historiques ; 

Monsieur Deiieux, architecte en chef des monu- 
ments historiques ; ^ ^ . 

Dorh Sébastien Braun, O. S. Bl' de l'Abbaye de 
Maredsous; 

Monsieur le chanoine Chartrairey chancelier de 
l'archevêché de Sens, conservateur de la cathédrale ; 

Monsieur Jadart, conservateur honoraire de la 
bibliothèque de Reims ; 

Monsieur Demaison, archiviste honoraire de la ville 
de Reims ; 

^ Monsieur le chanoine Frézet, curé-doyen de Saint- 
Jacques de Reims; 

Monsieur l'abbé AndrieuXy aumônier du lycée de 
Reims, conservateur des antiquités et objets d'art de 
la cathédrale ; 

Monsieur l'abbé Midoux, professeur au petit sémi- 
naire de Notre-Dame de la Providence de Reims ; 

Monsieur le chanoine /. Laenen, archiviste de l'ar- 
chevêché de Malines ; 

Monsieur le docteur p^ermeck, directeur du service 
d'anthropologie pénitentiaire de Bruxelles. 

Ces deux derniers étaient délégués de son Eminence 
le Cardinal Mercier. ,- 

L'enquête de cette commission, poursuivie avec la 



152 VIE DE SAINT ALBERT. _ 

plus rigoureuse méthode, porta sur les documents 
écrits, sur l'examen des ossements et sur l'étude dés 
lieux. Tout aboutissait à la même conclusion : les 
ossements découverts par M. Deneux devaient être 
attribués à saint Albert. 

M. Vervaeck, assisté deDom Sébastien Braun,fitle 
même jour à Reims une description des reliques du 
vrai saint Albert comme il l'avait fait pour le pseudo- 
Albert en 1904. On la trouvera tout au long dans le 
rapport de la commission (p. 20-82). 

Voici les déductions scientifiques qui terminent cet 
examen anatomique : 

Cause de la mort. — Le crâne porte des traces pro- 
fondes et nombreuses d'entailles, notamment au milieu 
du front, où la surface de section atteint toute la pro- 
fondeur de l'os ; à plusieurs endroits des pariétaux, on 
observe un éclatement en biseau des couches osseuses 
sur une profondeur variable, sans qu'il y ait perfora- 
tion crânienne ; par places existent des traits de frac- 
tures dont l'un au moins est très ancien. 

L'orifice considérable d'ouverture de là cavité 
crânienne à la région frontale paraît être contempo- 
rain de la mort, mais on ne peut affirmer que l'éten- 
due en était aussi vaste qu'aujourd'hui. Il est probable 
qu'il y a eu à cet endroit, à la suite des coups violents et 
répétés portés à l'aide d'épées, écrasement en bouillie 
de l'os frontal sur une surface plus ou moins grande ; 
des fragmentations osseuses sur les bords ont vraisem- 
blablement beaucoup agrandi l'orifice de pénétration 
de l'arme dans la cavité crânienne. Celle-ci est certaine, 
à en juger par le bord gauche de cet orifice. 11 en est 
résulté une lésion très grave du cerveau rapidement 



RELIQUES DU VRAI SAINT ALBERT. 153 

mortelle ; des débris de matière cérébrale ont dû être 
entraînés au dehors. 

L'importance des entailles et fractures crâniennes 
observées ailleurs est moins considérable au point de 
vue de la vie ; elles ont eu pour conséquence immé- 
diate, tout au moins, une commotion cérébrale avec 
perte de connaissance et chute. L'origine de ces en- 
tailles est incontestablement legladius. On en observe 
dans trois directions principales : au milieu du front, 
de haut en bas et de gauche à droite ; au niveau du pa- 
riétal droit, le coup a dû être dirigé de droite à gauche 
et d'avant en arrière ; au niveau duipariétal gauche, la 
direction du traumatisme paraît avoir été d'avant en 
arrière et de gauche à droite. 

Les coups d'épée ont été portés avec grande 
violence. 

La mort reconnaît incontestablement pour cause la 
fracture du crâne et la blessure du cerveau résultant 
de multiples coups d'épée. 

Identité. — Tous les os trouvés dans la tombe pro- 
viennent d'un même sujet; il était de sexe masculin. A 
en juger par l'état du crâne, et notamment par l'absence 
totale de processus d'ossification des sutures, son âge 
ne dépassait pas trente-cinq à quarante ans, il était 
plus vraisemblablement voisin de la trentaine. 

La taille, d'après les tables de Rollet et Manouvrier, 
était comprise entre un mètre soixante-dix-huit centi- 
mètres et un mètre quatre-vingts centimètres. 

Uccle, le i^ décembre 1920. 

L. Vervaeck. 

Il restait encore à l'assemblée une question à éluci- 



\ ' ^- " ' - ' 

154 VIE DE SAINT ALBERT. 

der : comment avait pu se produireeni6 12 l'erreur 
sur l'attribution des tombes? L'examen des procès- 
verbaux d'exhumation montre que les chanoines 
de Reims furent surpris par la demande de l'archi- 
duc ; ils savaient que l'évêque de Liège avait été en- 
terré dans la cathédrale, mais ils n'étaient pas bien sûrs 
de l'emplacement. Les épitaphes gravées sur les 
pierres tombales étaient déjà très usées auxvii® siècle; 
celles qui se trouvaient sous le jubé, dans un pas- 
sage beaucoup plus fréquenté, étaient absolument 
illisibles, dit Marlot, à propos de l'épitaphe qui 
existait encore de son temps, et qu'il croyait être 
celle d'Odalric : adeo detrita ut nihil in ea legi possit. 

Le chapitre rémois se guida dans ses recherches 
par la proximité de l'autel où il célébrait un service 
fondé à l'anniversaire de l'évêque assassiné. " 

On trouva le corps d'un prélat dont le crâne por- 
tait une blessure à la tempe gauche et cette cons- 
tatation suiËt pour conclure que l'on était en présence 
de l'évêque martyr. Il sembla inutile de pousser 
plus loin les recherches, les connaissances archéolo- 
giques de l'époque étant trop rudimentaires et trop 
peu précises pour faire naître des soupçons. 

Pour finir, la commission émit au 10 décembre les 
conclusions suivantes : 

« En présence dés documents et des renseigne- 
ments réunis, après les frappantes constatations 
faites sur les lieux, l'assemblée estime qu'il ne semble 
plus y avoir de doute sur l'identification des ossements 
attribués par M. Deneux à saint Albert en se basant : 

« 1® Sur le fait de l' absence du corps d'un évêque 
du X* siècle, et sur la présence en trop d'un évêque 
duxiii^; 



; t " ~ v ' , - ""."'' , — c 

RELIQUES DU VRAI SAINT ALBERT. 155 

. « 2° Sur la topographie des diverses tombes, qui se 
trouve confirmée par les détails si précis et si carac- 
téristiques de la P^ita Alherti; ■ 

« 3° Sur certaines constatations faites à Bruxelles 
par M. le Docteur Vervaeck, tendant à faire douter 
de l'authenticité des reliques conservées au Carmel 
de Bruxelles comme étant celles de saint Albert : 
« A) Sutures crâniennes fortement synostosées; 
indiquant, à. s'en tenir aux règles communes, un 
homme de plus de quarante-cinq ans ; 

« B) Petite taille de cet homme qui ne dépassait 
pas I m. 64 ou I m. 65; ii 

« C) Chevelure foncée du même individu ; 
« D) Un seul coup mortel porté à la tempe et qui n'a 
pu être reçu par un homme à cheval, ce qui est con- 
traire à XdiFita Alherii\ ; 

« 4" Sur l'examen des ossements nouvellement dé- 
couverts, fait par le même docteur, examen qui montre 
comment les détails donnés par la Kita Alherti con- 
cordent parfaitement avec les constatations faites 
sur ces ossements-: 

« A) Sutures crâniennes non synostosées, en rap- 
port avec l'âge d'Albert de Louvain qui avait moins 
de trente- cinq ans. 

« B) Crâne tailladé de plusieurs coups d'épée et 

privé d'une partie de l'os frontal qui paraît avoir été 

àéîojiQé'.gladiis eductis super MbertumirrueruntJle- 

manni et caput^ timpus, cerebrumque ej'us effregerunt. 

« G) Taches de sang nombreuses, limitées, sur 

I. On n'a pas pu établir historiquement l'origine de la lé- 
sion du crâne d'Odalric. (Docteur Vervaeck, La découverte 
du tombeau de saint Albert de Louvain, Anal, Bo]]ànd.,XL} 
pp. 169-170»). 



156 VIE DE SAINT ALBERT. 

presque tous les os : cadentem gladiis et cultris ex» 
ceperunt. 

« D) Taille de i m. 78 ou i m. 80 déterminée 
d'après les tables de Manouvrier, utilisées par les 
médecins légistes pour établir la stature en se basant 
sur la mensuration des os longs : ce qui correspond 
à la haute stature attribuée à l'évêque de Liège, par 
des écrivains plus récents, il est vrai. » 

Dans une affaire aussi importante au point de vue 
religieux, les membres de la commission décidèrent 
de prendre le temps de la réflexion avant de se pro- 
noncer définitivement. 

Huit mois après, le 18 août 192 1, le Cardinal Lu- 
çon les réunit une seconde fois pour étudier les 
conclusions de la séance du 10 décembre. Elles furent 
entièrement approuvées et ratifiées. On trouvera en 
appendice à la fin de ce chapitre le procès-verbal 
de cette deuxième commission. Nous y ajouterons 
le décret d'authenticité des reliques délivré par le 
Cardinal Luçon et la lettre circulaire du Cardinal 
Mercier adressée aux différents possesseurs des osse- 
ments d'Odalric. 

Ces pièces ont été publiées dans le numéro d'octobre 
1921 de « la Vie diocésaine » de Malines. 

A la même séance du 18 août, une petite con- 
testation s'éleva au sujet de l'attribution des vraies 
reliques de saint Albert : les membres français de la 
commission revendiquaient le chef du saint pour 
la cathédrale de Reims; les belges, de leur côté, 
réclamaient les ossements dans leur totalité pour 
leur pays .S. E. le Cardinal Luçon décida de laisser 
la question pendante jusqu'à ce qu'il l'ait réglée 
avec le Cardinal de Malines. Des échanges de vues 



RELIQUES DU VRAI SAINT ALBERT. 157 

eurent lieu entre les deux Éminences, et il fut convenu 
que les délégués belges se rendraient à Reims le i8 no- 
vembre à l'effet d'y ramener les ossements d'Odalric 
et de recevoir en retour ceux de saint Albert. 

Mf van Cauwenberg, vicaire général de l'arche- 
vêché de Matines etDom Sébastien Braun O.S.B. furent 
chargés par Son Éminence le Cardinal Mercier de 
cette importante mission. 

Ils partirent le 17 novembre emportant un coffret 
où l'on avait pu recueillir tous les restes d'Odalric, et 
munis de passe-ports qui leur évitaient, tant à l'aller 
qu'au retour, les difficultés de douane. 

Accueillis à l'archevêché de Reims avec la plus 
grande bienveillance, ils assistèrent le lendemain à la 
reconnaissance sommaire des reliques de saint Albert, 
en présence du Cardinal Archevêque et de son auxi- 
liaire M^' Neveux, dont procès-verbal en double 
exemplaire fut rédigé et signé par les témoins. En 
exprimant au Cardinal Luçon les sentiments de 
gratitude du Cardinal de Malines et de tous les 
Belges, M^'' van Cauwenberg lui donna l'assu- 
rance que bientôt une relique insigne de saint Albert 
serait rendue au chapitre de Reims. 

Le 19 novembre, les deux voyageurs reprenaient 
le chemin de la Belgique, porteurs, cette fois, de deux 
solides caisses dont la plus petite contenait le chef 
du saint, la seconde tous les autres ossements sans 
aucune exception. 

Le précieux trésor se trouve maintenant à Malines, 
dans la chapelle privée du Cardinal, en attendant sa 
destination définitive. 

Dans la crypte de la future basilique belge du Sacré- 
Cœur à Koekelberg, une place d'honneur a été réser- 



M . VIE DE SAINT ALBERT. 

vée pour une relique du saint martyr, dont le culte 
national rappellera aux Belges tout ce que le nom 
d'Albert, auréolé par les vertus d'un saint évêque et 
la vaillance d'un grand roi, évoque de gloire ancestrale 
et de vénération dans les siècles passés comme dans 
les temps présents. 



APPENDICE B. 159 



APPENDICE B 



Procès-verbal de la commission instituée parS.E.Ie 
Cardinal Archevêque de Reims en vue d'examiner 
la question de rauthenticité des reliques de saint 
Albert de Louvain. ' r. 

Le dix-huit août mil neuf cent vingt et un, sur la convo- 
cation de S.E. Mgr le Cardinal Luçon, Archevêque de 
Reims, et sous sa présidence, en l'archevêché de Reims ; 

en présence de S. G. Mgr Legraive, évêqué titulaire de 
Parnasse, auxiliaire de Malines, représentant S. E. Mgr le 
Cardinal Mercier ; 

de M. le Chanoine Laenen, archiviste de Tarchevêché de 
Malines, délégué par S. È. le Cardinal Mercier; 

une commission s'est réunie à l'effet d'étudier les con- 
clusions du rapport de là commission historique et archéo- 
logique qui, le dix décembre dernier, a été d'avis qu'un 
tombeau mis à jour le 26 septembre 1919, au cours des 
fouilles opérées dans la Cathédrale de Reims renfermait le 
corps de saint Albert de Louvain, cardinal du titre de 
Sainte-Croix et évêque de Liège, que l'on croyait avoir 
été exhumé en 1612 et transporté à Bruxelles. 

Cette seconde commission était composée comme suit : 

S. G. Mgr Neveux, évêque d'Arsinoë, auxiliaire de 

Reims; 
MM. Marcou, inspecteur général des monuments 
. historiques; 
Deneux, architecte en chef des monuments 

historiques; 
les Vicaires Généraux Camu, Paulot, Gompant, 
Ponsin; 



160 VIE DE SAINT ALBERT. 

Dom Sébastien Braun, O. S. B., de l'abbaye de 

Maredsous; 
MM. les chanoines titulaires Solliet et Goyet; 

Frézet, chanoine honoraire, Curé-doyen de 

Saint- Jacques ; 
Dupuit, chanoine honoraire, docteur en droit 

canonique, curé de Saint-Benoît ; 
Lefort, P. S. S., professeur de droit canonique 

au grand séminaire; 
Andrieux, conservateur des antiquités et objets 

d'art de la cathédrale, aumônier du lycée ; 
Midoux, professeur au petit séminaire, secré- 
taire de la commission. 
Ont été empêchés : MM. Marcou, Gamu, Paulot, Andrieux, 

Après quelques paroles de bienvenue adressées aux 
membres de l'assemblée, et plus spécialement aux repré- 
sentants de S. E. Mgr l'archevêque de Malines, S. B. Mgr le 
Cardinal Luçon rappelle que le rapport de la première 
Commission a été envoyé en temps voulu aux membres de 
la Commission actuelle, et fait donner lecture d'un résumé 
de la question et des conclusions de ce premier rapport. 

a En 1612, les archiducs Albert et Isabelle d'Autriche 
demandèrent au Chapitre métropolitain de Reims de, 
leur remettre le corps de saint Albert, massacré le 
24 novembre 1192 et inhumé dans le chœur de la cathédrale. 
Les Chanoines accueillirent favorablement leur demande 
et exhumèrent le corps placé dans le tombeau situé à. 
l'entrée du chœur, du côté de la nef ; tombeau qu'ils estimaient 
être celui de saint Albert. Le corps fut transféré au Garmel 
de Bruxelles où il est encore conservé. 

« Or, le 26 septembre 1919, une tombe fut ouverte dans 
le chœur de la cathédrale de Reims, tombe qui, semble-t-il, 
ne peut contenir que les restes de saint Albert, de telle 
sorte qu'il y aurait eu erreur en 1612. 

« Comme aucun miracle n'est invoqué par S. E, Mgr le 
Cardinal-archevêque de Malines, en faveur du corps cons- 
servé à Bruxelles, qu'aucunmiracle n'a été constate à Reims 
depuis 1612, seuls les arguments d'ordre historique et scien- 
tifique peuvent être ici invoqués. 



APPENDICE B. 161 

« En voici le résumé : 

« 1° La tombe ouverte le 26 septembre 1919 ne peut être 
que la tombe de l'archevêque Odalric, ou la tombe de saint 
Albert. 

« Or, elle renferme des objets du xiii^ siècle commençant : 
des sandales et spécialement une volute de crosse en cuivre 
doré, alors qu'Odalric, étant du x® siècle, ne pouvait encore 
avoir une crosse avec volute en métal; de plus, cette tombe 
fouillée le 26 septembre 1919 n'avait jamais été ouverte. 

« Les objets conservés à Bruxelles ne permettent aucune 
conclusion. 

« 2° La tombe ouverte le 26 septembre 1919 concorde, 
quant à son emplacement avec ce que rapporte la Vita 
Alberti et explique très bien les diffl,lèultés d'inhumation. 

« L'emplacement de la tombe ouverte en 1612 ne répond 
qu'imparfaitement aux renseignements historiques. L'erreur 
des chanoines d'alors s'explique facilement : l'inscription, 
si quelqu'une avait existé, était effacée et le procès-verbal 
de recherches témoigne de quelque hésitation au sujet de 
l'emplacement. 

« 3° Le corps conservé à Reims tel qu'il est décrit par le 
D"" Vervaeck dans le Rapport de la première Commission 
(pp. 21 à 32), convient exactement à tout ce que nous savons 
de l'histoire de saint Albert : ses blessures, son âge, voire 
même sa taille au témoignage d'auteurs plus récents. 

« Par contre, le corps conservé à Bruxelles ne concorde 
complètement ni par l'âge, ni par l'unique blessure du 
crâne, ni par la taille. 

« La conclusion qui paraît s'imposer est donc qu'il y a eu 
erreur en 1612 et que le corps de saint Albert n'a été mis 
à jour à Reims que le 26 septembre 1919. » 

A la suite de cette lecture, Son Éminence demanda son 
avis à chacun des membres présents, et tous, après avoir 
dit qu'ils ont lu attentivement le rapport de la première 
Commission, déclarent en adopter les conclusions, recon- 
naître qu'il y a eu erreur dans l'exhumation faite en 1612, 
et que le corps de l'évêque découvert à la cathédrale, le 
26 septembre 1919, est bien celui de saint Albert de Lou- 
vain. 
Devant l'avis unanime de la Commission, avis conforme 

VIE DE SAINT ALBERT. 10 



162 VIE DE SAINT [ALBERT. 

à sa propre conviction, S. E. Mgr le cardinal Lnçon se dé- 
clare disposé à rendre une sentence canonique reconnaissant 
que les ossements découverts dans la cathédrale sont les 
reliques véritables et authentiques de saint Albert de Lou- 
vain, cardinal du titre de Sainte-Croix et évêque de Liège, 
massacré en 1192 pour la défense des libertés de l'Jiglise. 
Le présent procès-verbal, en double exemplaire, après 
lecture faite par M, le secrétaire, a été signé par tous lés 
membres de la Commission, pour être conservé aux ar- 
chives de l'Archevêché de Malines et de l'Archevêché 
deïleims. 

Suicent les signatures . ] 



II 

Décret de 
l'authenticité des reliques de saint Albert de Louvain 

LUDOVIGUS-HENRIGUS-JOSEPHUS 

S.R. E. TITULl SANCTAEMARIAE NOVAE ET SANCTAE FRAT{CISCAE 

ROMANAE PRESBYTER GARDINALIS LUÇON 

MISERATIONE DIVINA ET SANCTAE SEDIS APOSTOLICAB GRATIA 

ARCHIËPISCOPUS REMENSIS 

Gum die XXVI° septembris anni MGMIX, in choro Insi- 
gnis Ecclésiae Nostrae Metropolitanae, recentioris belli 
immanitate disturbatae, inter alia Antecessorum nostrorum 
sepulchra, tumbà quaedam lapidea aperta fuisset, in qua 
nonnulli historicae et medicae scientiae peritissimi vîri, 
non obstantë'fama solemnis cujusdàm translationis anno 
MDGXII peractae, pronuntiabant adhuc intactas servari 
exuvias S. Alberti Lovaniensis, Leodiensis Episcopi et 
Martyris, muneris nostri duxîmus rem prudenterexplorare, 
et doctorum virorum argumentis mature pensatis, ad veri- 
tatis manîfestationem et honorera praedicti Sancti Martyris 
sensum nostrum declarare et causam, Deo auxiliante, 
dijudicare. 



r * _ ^ ' 

APPENDICE B. 163 

ItaquOi die X°decembrîs anni MGMXX, jussimus Gonsî- 
lium haberî, praeside RR. DD. Ernesto Neveux, Episcopo 
Arsirioënsi, Auxiliario Nostro, in quo audirentur probatis- 
simi testes qui votum circa ppopositum dubîum, id est, de 
inviolato ante diem XXVI"» septembris anni MCMXIX 
Beati Alberti sepulchro proferrent. Gujus Gonsilii seu Gom- 
missionis Acta typîs mandari curavimus, et aliis etiam 
prudentîbus et eruditis viris nota fiéri praecipimùs, ut 
omnes coram Nbbis in auditorio nostro archiepiscopali, 
altéra indicta congrégatione, re studiossime ac religiose 
recognita, die XVIII» augustî anni MGMXXI, quisque pro 
suo sensu etscientia, sequentia dubià solverent: 

1° Gonstatne sepulchrum adhuc inviolatum, die XXVI 
sept. MCMXIX repertum alterutrius tantum Praesulis esse, 
id est, Venerabilis Odalrici, Archiepiscopi Reraensis, 
saeculo X" défuncti aut S. Alberti Episcopi Leodiensis, 
anno MCXGII Remis propter jura Ecclesiae tuenda 
-trucidati, îdemque sepulchrum retinuisse res et inprimis 
baculum pastoralem saeculo tantum XII° aut postea 
confectas? 

2° Gonstatne praefatum tumulum et quidem solum, 
jacere in ipsissimo augusto loco in quo, teste Vita 
Alberti antiquîssima « affectus Gleri magnus erga Albertum 
- fecit » eumdem ibi deponi ubi « sepulti humeros atque 
caput Nichasii (Martyrîs remensis) sacer lapis desuper 
protegebat » ; tumbam vero anno MDGXII apertam, 
epitaphio deleto, non sine aliqua dubitationé fossoribus 
designatam esse? 

3" Gonstatne nuper inventi défuncti aetatem, staturam 
forsan, caput multipliciter quasi gladiis incisum, frontemque 
enormiter obtritam et eflractam apprime congruere cum 
historia S. Alberti; corpus autem Bruxellas translatum 
neque signa .similis trucidationis (uno solum vulnere 
apparente) neque'hotas aetatis nisi provectioris referre? 

Datis responsionibus compertum est tum prioris, tum 
posterions consilii consultores unanimiter tenere S. Alberti 
Martyrîs veras reliquias in Choro Ecclesiae Metropolitanae 
Remensis intactas permansisse, translatis olim Bruxellas 
Odalrici illîus Archiepiscopi exuviis cujus memoriam 
recolebat antiquum Martyrologium remense IV° nonàs 



164 VIE DE SAINT ALBERT. 

julii, hisce verbis : « Ipso die transitus venerandi Ëpiscopi 
Odalrici, et Confessons ». . 

Praedicta nos omnia probe noscentes et insuper considé- 
rantes R. R. Ordinarium Mechliniensem rite praemonitum 
et per Delegatos in duplici congregatione a Nobis instituta 
repraesentatum, nullam sententiam contrariam edixisse, 
immo per consultores a se missos quasi consensisse; 
cum miracula nulla sive Bruxellis sive Remis rite decla- 
rata rei ampliorem scrutationem requirunt, 

Dei nomine invocato,. 

Officie nostro episcopali ad normam canonisl283 fungen- 
tes, per praesentes declaramus inventum et recognitum 
esse die XXVI» septembris anni MCMXIX in Choro Eccle- 
siae nostrae Metropolitanae ipsum sepulchrum et corpus 
S. Alberti Lovaniensis, Oardinaiis tituli S. Grucis, 
Ëpiscopi Leodiensis qui, ut refert Martyrologium Roma- 
num X» Kalendas decembris « Remis pro ecclesiastica 
libertate tuenda necatus est ». 

Itaque pronuntiamus et sententiamus uti veras et 
authenticas reliquias habenda esse et religiose colenda 
ossa e praefato sepulchro levata et collecta quotquot 
describuntur in libelle jussu et auctoritate nostra Remis 
evulgato sub titulo « Les Reliques de S. Albert de "" 
Louvain. — Rapport de la Commission instituée par 
S. E. le Cardinal Luçon, Archevêque de Reims ». 

Datum Remis, in Auditorio nostro àrchiepiscopali, sub 
signo sigilloque nostro et subscriptione Gancellarii nostri, 
die XVIII augusti anni MGMXXI. 

{Sign.) Card. Luçon, Arch. Remensis. 

De Mandata , 

J. Lecomte, cane. 



iïPPENDICE B. 165 

III 

Lettre circulaire aux possesseurs de reliques 
provenant du corps conservé à Bruxelles 

Mechliniae, die 23 Augusti 1921. 

De mandate Emi ac Rmi Dni Gardinalis Archiepiscapi 
ad vestram noticiam perfero quod, habita consultatione 
peritorum virerum, adstante et assentiente Illmo ac Rmo 
Dno Legraive, episcopo Parnacensi, ad hoc ab Emo Dno 
specialiter delegato, Emus ac Rmus Dnus Gardinalis . 
Luçon, archiepiscopus Remensis, de(^yetum edidit cano- 
nicum que constat corpus quoddam, seu potius cranium 
et ossa, in ecclesia sua metropolitana, die 26 septembris 
anno 1919, inventa et e terra levâta, habenda esse ut 
veras et indubitatas reliquias Sancti Alberti quondam 
cardinalis tituli Sanctae Crucis, Leodiensis episcopi, 
ecclesiasticae libertatis martyris. 

Unde patet reliquias hucusque, a saeculo XVII" ineunte, 
Bruxellis asservatas, quarum etiam particulae variae 
diversis ecclesiis fuerunt distributae, esse spurias seu 
potius habendas esse ut exuviarum partes venerabilis 
archiepiscopi Remensis, Odalricî, circa finem saeculi X"^ 
defuncti. 

Emus ac Rmus Dnus rogat ergo omnes et singulos qui 
reliquias aliquas dicti Odalrici apud se habent, ut eas 
quam citius, minima interposita mora, ad cancellariam 
archiepiscopalem transmittere velint, una cum litteris 
authenticitatis super iisdem olim concessis, quas litteras 
ut prorsus nuUas, abolitas ac cancellatas Emus Dnus 
habendas esse decernit : exuviae enim venerabilis 
archiepiscopi Odalrici restituendae sunt Emo ac Rmo 
Archiepiscopo Remensî qui coTpus Sancti Alberti ad partes 
nostras transmittendum bénigne concessit. Emus autem 
Dnus possessoribus particularum corporis Odalrici veras 
et authenticas Sancti Alberti reliquias destinari curabit. 
Débita veneratione, subscribor 

(s.) G. SCHUERMANS. 



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TABLE DES MATIÈRES 



AVA»T-PR0P09. ^j. 



Chitiqdb des SoimcBS , xin 

VIE DE SAINT ALBERT 

Chapitre I. Les premières annëes. — Albert chanoine 
écolier. — Il est créé chevalier. — Le cardinal-légat 
d'Albano à Liège. — Albert redevient chanoine et 
exerce les fonctions d'archidiacre i 

Chapitre II. L'élection à l'évêché de Liège. — Le plaid 
devant l'empereur à Worms. — Intrusion de Lothaira 
de Hoschstaden à Liège. i5 

Chapitre III. Le voyage à Rome. — Procès et confirma- 
tion d'Albert à la cour pontificale. — Le pape Céles- 
tin III l'ordonne diacre et le nomme cardinal. — 
Retour »... 34 

Chapitre IV. Visite à l'abbaye de Lobbes. — Albert y 
apporte une mitre de la part du Pape. — Retour au 
pays. — Premier exil en Ardennes 47 

Chapitre V. L'ordination et la consécration épiscopale 

à Reiras. — Tyrannie de l'empereur. — Le complot. 58 

Chapitre VI. L'exil à Reims. — Arrivée des chevaliers 
teutons. — Leurs préparatifs criminels. — Pénurie 
d'Albert.. 65 

Chapitre VII. Le meurtre. — Funérailles. — Faveurs 
obtenues au tombeau / 9* 



; ^î;.r ; : : - v: iviÇ^va':::^::;^ vf.;ïft>p 



V 



168 TABLE DES MATIERES. 

Chapitbe VIII. Indignation des parents et amis d'Al- ' 
bert.. — Réprobation des meurtriers. — Représailles. 
— Condamnation de Lothaire par le Pape 117 

Chapitre IX. La sainteté du martyr reconnue par l'É- 

glise. 129 

APPENDICE A 

I. Bulle du pape Paul V concédant la messe et l'office de 
saint Albert i36 

II. Acte de Mathias Hovius, archevêque de Malines; ins- 
tituant la fête de saint Albert à Bruxelles i38 



HISTOIRE DES RELIQUES 

I. Reliques du pseudo-Albert i4o 

II. Reliques du vrai saint Albert , i44 

APPENDICE B 

Procès-verbal de la 2« commission d'enquête. — Dé- 
crejt du Cardinal Luçon de l'authenticité des reliques. — 
Lettre circulaire du Cardinal Mercier aux. anciens pos- 
sesseurs des reliques du pseudo- Albert iSg 



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