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LES SAINTS"
S* Albert de Louvain
par
DOM B. DEL MARMOL, 0. S. B.
DEUXIÈME ÉDITION
Victor Lecojffre
s* Albert de Louvain
"LESSAIliTS"
Collection publiée sous la direction de M. Henri JOLY, de l'Institut.
DERNIERS VOLUMES PARUS :
Saint Paul, par le R. P. F. Prat. Quatrième édition.
Saint Jean Berchmans, par leR. P. Hippolyte Belehaye. 5° édition.
Saint Grégoire VII, par Augdstin Flighe. Deuxième éditioni
Les B»°^ Ursulines de Valenciennes, par l'abbé J. Loridan. 2« édit.
Saint Sigisbert, par Fabbé Guise. Deuxième édition.
Les Martyrs de Septembre, par Henri Welschinger. 2^ ^dzYioji.
Sainte Radegonde, par l'abbé R. âigrain. Deuxième édition.
Sainte Paule, par le R. P. Génier. Deuxième édition.
La Bienheureuse Fostel, par S. G. M»' Georges Grente. 3" édit.
Sainte Glaire d'Assise, par Maurice Beaufreton. Troisième édit.
Saint Jean de la Croix, par M*' Demimuid. Troisième édition.
Saint Pie V, par S. G. M»' Georges Grente. Deuxième édition.
Les Bienheureuses Filles de la Charité d'Arras, par L. Miser-
mont. Quatrième édition.
Saint Justin, par le R. P. Lagrange. Deuxième édition.
Saint François Régis, par Joseph Vianey. Quatrième édition.
Saint Athauase, par l'abbé G. Bardy. Devjeiè'me édition.
Saint Gypries, par Paul Moncbaux. Deuxième édition.
Saint Césaire, par Tabbé M. Chaillan. Deuxième édition.
La Vénérable £milie de Rodat, par M^' Ricard. Troisième édition.
Sainte Marguerite-Marie, par M»' Demimuid, Sixième édition.
Saint Charles Borromée, par Léonce Celier. Quatrième édition.
Le B^ Urbain V, par l'abbé M. Chaillan. Deuxième édition.
La Bienheureuse Louise de Marillac, M"^ Le Gras , par Emma-
nuel DE Broglie. Cinquième édition.
Saint Patrice, par M. l'abbé Riguet. Deuxième édition.
La Vénérable Catherine Labouré, par Edmond Crapez. 7' édition.
Saint Léon le Grand, par Adolphe Régnier. Deuxième édition.
Saint Léger, par le R. P. Gamerlinck. Deuxième édition.
Saint Ferdinand III, par Joseph Laurentie. Deuxième édition.
Saint Sidoine Apollinaire, par Paul Allard. Deuxième édition.
La B** Mère Barat, par Geoffroy de Grandmaison. Septième édit.
La Vénérable A.-M. Javouhey,.par V. Gaillard. Troisième édition.
Saint Thomas Becket, par M^' Demimuid. Deuxième édition.
Saint Benoit-Joseph Labre, par M. Mantenay. Quatrième édition.
Saint Séverin, par André Bauorillart. Deuxième édition.
Sainte Mélanie, par Georges Goyatt. Neuvième édition.
Saint Pierre Damien,parDomRÉoiNALD Birok. Deuxième édition.
Les Martyrs de Gorcum, par Hubert Meuffels. Deuxième édition.
Sainte Hélène, par le R. P. Rouillon. Quatrième édition.
Saint Martin, par Adolphe Régnier. Cinquième édition.
Saint Eloi, par Paul Parsy. Deuxième édition.
Le Bienheureux Père Eudes, par Henri Joly. Quatrième édition.
Madame Louise de France, la Vénérable Thérèse de Saiut-Ao-
gustin, jpar Geoffroy de Grandmaison. Huitième édition.
Sainte Colette, par André Pidoux. Troisième édition.
Le B* Fra Angelico de Fiesole, par Henry Gochin. 6« édition.
Chaque volume se vend séparément. Broché : 3 fr. 50
Avec Reliure spéciale. 7 fr, 40.
TYPOGRAPHIE FIUMIN-DIDOT ET C". — PARIS
" LES 8AIJ<TS "
S* Albert de Louvain
ÉVÊQUE DE LIÈGE ET MARTYR (11921-
par
DOM B. DEL MARMOL 0. S. B.
DEUXIEME ÉDITION
PARIS
LIBRAIRIE VICTOR LEOOFFRB
J. GABALDA, Éditeur
RUE BONAPARTE, 90
1922
X^r:
NIHIL OBSTAT :
•J- COLUMBA,
■ Abbas.
IMPRIMATUR : ■
Parislis, die 11" Augusti 1922,
E,_ Thomas,
»• S-
963285
A SA MAJESTÉ
ALBERT l'' ROI DES BELGES
HÉROÏQUE DÉFENSEUR '
DU DROIT OUTRAGÉ
VAILLANT ÉMULE
DE SON PATRON ET ANCÊTRE
SAINT ALBERT DE LOUVAIN
AVANT-PROPOS
Une découverte importante faite à Reims au cours
de l'année iQaô donne au culte de saint Albert de
Louvain une nouvelle actualité. Les fouilles entre-
prises dans la vénérable cathédrale si outrageuse-
ment profanée par les obus allemands ont mis à
jour plusieurs tombes d'archevêques ensevelis sous
les dalles du chœur. En cherchant à identifier. ces
restes funéraires d'après les vieux textes du cérémo-
nial et des historiens rémois, on s'aperçut qu*il y
avait « un archevêque du x° siècle en moins, à savoir
Odalric inhumé en 971, et un du xiii^, ou fin du
xii% en trop^ ».
Un soupçon, qui devint bientôt une sérieuse
probabilité, se présenta à l'esprit de M. Deneux,
architecte en chef des monuments historiques, chargé
li Rapport de la commission*
a»
des travaux de restauration de la cathédrale. Wy
avait- il pas eu erreur en i6ia?Xe corps du ,
prétendu saint Albert exhumé de l'église où il
reposait et transféré à Bruxelles sur la demande
des archiducs Albert et Isabelle n'était-il pas celui
d'Odalric ? Et ce personnage inconnu qu'on venait
de trouver n'était-il pas le vrai saint Albert ?
Le lo décembre 1920, une commission instituée
à Reims par son Éminence le Cardinal Luçon se
réunit pour examiner cette question. On trouvera
dans notre secondé partie un résumé détaillé du rap-
port de la commission. Il ne laisse subsister aucun
doute sur la réalité de la méprise commise en 161 2. ^
Le corps conservé chez les Carmélites de Bruxelles
élait bien celui d'Odalric. Saint Albert reposait
toujours à Reims depuis 1 192. La reconnaissance
des restes du saint martyr a été faite officiellement
par les autorités ecclésiastiques le 18 août 1921.
Cette découverte si intéressante pour l'Eglise de
Reims ne devait pas laisser, les Belges indifférents.
Saint Albert, frère du duc Henri P' de Brabant, élevé
dans le château du Mont-César à Louvain, évêque de
Liège, est un saint très vénéré en Belgique. Son
glorieux roi Albert V l'honore comme patron et le
compte parmi ses ancêtres ^ .Aussi, un des délégués du
i. Le chevalier de Borman a publié en igoS à l'occasion du
75° anniversaire de l'indépendance de la Belgique : Les origines
belges de notre dynastie. On trouvera dans cet ouvragé les gé-
Ay Aiy l~jrp,\JfUO. " - - , , JX'ir^
Cardinal Mercier à Reims, lors des travaux de la
commission dont il faisait partie, s'adressant à
M^"^ Neveux, évêque auxiliaire de son Éminencele Car-
dinal Luçon, exprima le vœu que le chapitre mé-
tropolitain de Reims se souvînt de la promesse
faite en 1 612 de remettre à la Belgique les reliques
du saint martyr brabançon. Puisqu'il y a eu erreur,
dit-il, ne doit-elle pas être réparée maintenant?
M^"" Neveux répliqua gracieusement : « Je n'ai pas
qualité poqr donner une réponse définitive, mais
je suis d'avis que les. contrats ne sont pas des
chiffons de papier. Je puis en tout cas vous assurer
que NN. SS. les Ëminentissimes Cardinaux de
Malines et de Reims s'entendront pour partager le
trésor et que la Belgique n'aura pas à se plaindre
de sa part. »
Cet engagement, le chapitre de Reims le remplit
avec une générosité magnifique. En effet, il fut
bientôt convenu que le corps de saint Albert se r
rait transféré intégralement en Belgique et confie
à la garde- de S, E. le Cardinal Mercier. Celui-^
ci aurait le soin de dédommager les anciens déteur
ïiéalogies établissant " que le roi Albert, comme son oncle
Lëopold II, descend de Charlemagne, des ducs de Brabant, de
Limbourg, des comtes de Flandre, de Hainaut, de Namur et de
Luxembourg, Albert pr se rattachant à la ligne'ë des ducs de
Brabant'parles maisons de Saxe(pp. a3-a5) et d'Orléans (pp. i5-
i9),''peut donc, comme l'archiduc Albert, compter parmi ses
aïeux saint Albert de Louvain.
X AVÀKT-PROPOS.
tèurs des reliques en détachant en leur faveur des
parcelles d'ossements, sans oublier l'Église de Reims
témoin des vertus et de la mort du saint martyr
et. qui abrita longtemps ses restes vénérés. Elle
ne s'en dépouille si généreusement que pour être
fidèle a la parole donnée et marquer sa bienveillance
envers une nation voisine et amie.
Les Belges, reconnaissants de ce geste libéral,
se félicitent de pouvoir restaurer solennellement le
culte national d'un saint qui leur est cher à tant
de titres.
Telles sont les circonstances qui ont amené la
publication dé ce petit livre destiné à satisfaire les
personnes désireuses de connaître la vie de cet
évêque liégeois assassiné au xiï* siècle et l'histoîi^é
extraordinaire de ses reliques.
La biographie d'Albert de Louvain, écrite par
un contemporain, nous permet de pehétrer au vif
des événements et des rivalités politiques d'une
époque troublée et nous introduit dans la vie intime
d'un grand évêque de ce temps appartenant à
l'une des plus illustres familles princières de Belgi*
que. Sans doute, on aurait voulu en savoir encore
davantage, surtout sur la jeunesse et la première
éducation du saint. Ce que le biographe nous a
rapporté si fidèlement de âon élection, de son exil,
de sa fin tragique suffit pour nous faire voir autre
chose dans notre héros qu'un personnage politique
AVAMT-PROPOS, xi
mis en avant par les membres de sa famille et im-
molé à la haine et à l'ambition de ses ennemis.
Non, Albert est pour nous l'élu de Dieu, le
martyr. Choisi par le chapitre de Liège autant pour
ses vertus que pour le prestige de sa race, il défend
dans son élection canonique les droits de l'Église en
même temps que ses propres droits. 11 est comme
son émule anglais Thomas de Gantorbéry', le
champion des libertés ecclésiastiques au xif siècle.
Sa belle fermeté en face de l'empereur itenri YI,
et son fier plaidoyer à Rome devant le Pape Céles-
tin ni et toute la cour pontificale révèlent chez ce
jeune évêque, dès le début de son pontificat, une
droiture et une élévation de sentiment peu com-
munes. Son courage, sa noblesse de caractère qui
n'ont rien de la témérité s'unissent à une douceur,
une bonté admirables qui semblent être le fond de
celte âme candide. Odieusement traqué, persécuté,
banni, il ne songe pas un instant à recourir à la force.
Il laisse passer l'orage déchaîné contre lui et, confiant
dans le secours de Dieu, il souffre patiemment les
épreuves de l'exil et s'efforce (^'apaiser l'indignation
de son entourage. Tant de mansuétude et de piété
dans Un homme si distingué par la naissance et si
élevé en dignité lui attire, dans sa disgrâce, le respect
1. Saint Thomas Becket, archevêque de Cantorbe'ry,assassiae
le 29 décembre 1/70. (Voir la vie de ce saint par Demimuid.
« Les Saints », Lecoffre, 190g.)
xii AVANT-PROPOS.
et l'affection de ses ouailles impatientes de son retour
à Liège, des familiers compagnons de son infortune
et du peuple rémois qui l'entoure d'estime et de
vénération.
Le charme de cette aimable figure d'évêque et
de seigneur fait ressortir dans un contraste sai-
sissant la perfidie de ses assassins, leur cruauté sacri-
lège, la criante injustice de l'orgueilleux empereur
teuton et de ses satellites. Il y a dans la biographie
d'Albert des scènes d'un dramatisme poignant. L'au-
teur les décrit avec une chaleur entraînante et un
enthousiasme qui atteignent parfois le panégyrique.
Jamais cependant on n'a l'impression de se sentir
en dehors du domaine de l'histoire. La narration
est vécue. Elle respire la sincérité et l'émotion d'é-
vénements vrais, encore tout récents et tout palpi-
tants d'intérêt.
Plus d'un lecteur sera saisi des analogies frap-
pantes entre l'attentat sacrilège de 1 1 92 et l'o-
dieuse agression de la Belgique en 1914- Par respect
pour la mémoire sereine du doux et pacifique évêque
si miséricordieux envers ses ennemis, nous n'insiste-
rons pas sur ce parallèle et sur ces tristes souvenirs.
Nous préférons attirer l'attention de nos lecteurs
sur le rapprochement non moins saisissant de deux
nobles figures, d'Albert évêque de Liège, prince de
la maison de Brabant, et d'Albert Y^ roi des Belges.
L'un et l'autre ont, dans des circonstances ana-
\ ^ AVANT-PROPOS-, " ' " xiii
logues, souffert et lutté pour une noble cause. L'un
et l'autre ont triomphé et mérité de Dieu et des
hommes la gloire et la renommée attachées aux
grandes et vertueuses actions.
l'auteur.
Abbaye de Maredsous.
CRITIQUE DES SOURCES
La source principale qui nous fait connaître
saint Albert de Louvain est la J^ita Mhe?'ti. Cet
écrit anonyme nous est parvenu dans deux manus-
crits du xiii^ siècle. Le premier se trouve à la bi-
bliothèque royale de Bruxelles (n° ^ai-^a^). Le
second fait partie de la compilation de Gilles d'Orval
(laSi) ; Gesta episcoporwn Leodiensium dont le texte
original est conservé à la bibliothèque du séminaire
de Luxembourg. Heller dans le t. XXV des Monu-^
menta Gei^maniœ historica a donné pour la première
fois en 187^ une édition intégrale de \a. Vita Alberti.
Le manuscrit de Bruxelles, plus ancien et plus exact
que l'autre, a eu la préférence de l'éditeur qui indique
en note les variantes de Gilles d'Orval. De l'avis de
tous les critiques cette biographie est un fragment
d'un écrit plus considérable. En effet, malgré le titre
« Vie de saint Albert », elle commence brusque-
ment par l'épisode de la compétition à l'évêché de
Liège, sans nous renseigner aucunement sur la
naissance et les premières annéçs du saint, De plus,
Fauteur au début de son récit, en parlant incidem-
ment de Matthieu de Boulogne tué h la prise d'Au»-
xvf CRITIQUE DES SOURCES.
maie, nous renvoie à ce qu'il a rapporté plus
haut: ut superius dictum est. Or il n'est pas question
de ce personnage dans le morceau précédent qui nous
reste.
Quel est l'auteur de la Kita Alherti?
Il suffit de lire celte biographie pour se convaincre
qu'elle a été écrite par un contemporain parfaitement
renseigné. Bien plus, la précision des faits, l'émotion
de l'écrivain, le vécu de la narration inclinent à croire
que l'auteur doit se trouver parmi les compagnons de
l'évêque exilé. C'est là que les critiques depuis
Chapeaville^ l'ont cherché.
Heller, suivi par Balau, l'attribue à Wéry, abbé de
Lobbes^. Il est incontestable que ce dernier se trahit en
maints endroits de la « Vie » . A. partir de l'exil à Reims
jusqu'au moment du martyre, il ne quitte pas le saint
évêque. Ce sont deux amis inséparables. Wéry a
entendu raconter par Albert lui-même ou par les
autres familiers de son maître les faits dont il
n'a pas été le témoin oculaire : tels la diète de
Worms, le voyage à Rome, le meurtre; pour tout
le reste, l'abbé de Lobbes a pu fournir lui-même les
détails de ce récit si exact, si entraînant, si parfaite-
ment ordonné . Il y a même des passages qui ne peu-
vent être que de lui, des faits intéressant particu- .
lièrement l'abbaye de Lobbes, des scènes auxquelles
il a seul assisté, des réflexions intimes qu'un autre
n'aurait pu connaître : par exemple ses entretiens
I. Chapeavitle^ Gesla pontificum Tungrentium, Trajecten-
sium et Leodiensium, II, p. i36.
V.. Heller, M. G. H. SS. XXV, pp. 187 sw'iy. Balau^ Les sources
de l'histoire du pays de Liège, igoS, pp. 894 et suiv.
CRITIQUE DES SOURCES. " " xvii
avec Albert à Reims avant Je départ pour Rome
(c. 1 3), ses perjîlexitës au sujet du privilège de ^la mitre
(ibid,), l'histoire de l'anneau prêté à J'évêque (c. 44)»
etc. De plus, tandis que les autres personnages
sont cités avec leurs prénoms et leurs qualités, par
exemple : Maître Gérard chanoine de Liège et doyen
de Saint-Jean, lui, n'apparaît jamais que sous le titre :
Abbé de Lobbes et toujours à la dernière place^.
Cette attribution à Wéry, abbé de Lobbes, de la
F^ita :Alberti^ exposée par Heller dans la préface de
son édition, semblait acquise quand M. Kurth a mis
en avant une nouvelle hypothèse qui s'est iniposée à
l'attention des historiens. Il existe dans la biblio-
thèque de l'église Saint-Paul, à Liège, un catalogue
(n** 289) du xiv° siècle où on lit ce qui suit : Z>ttO
sexterni papirii Hervardi archidiaconi Leodiensis ad
Hugonem de Petramonte, episcopum Leodiensem, de
Frederico imperatore ac Hemico et Philippe lihei^is
suis et Henrico duce Lovaniensi, Alberto suo fratre
elecio, confirmato Leodiensi etejus martyrio seu mise-
rabili transitu^. M. Kurth, dans un mémoire présenté
à l'Académie royale de Belgique en iqoS.^, expose les
raisons qui le portent à croire que la F'ita Alberti n'est
autre qu'un fragment, le seul conservé, de cet ouvrage
d'Hervard. Son meilleur argument, c'est la teneur
1. Erant autein quatuor in eapella, sacerdos Gerardus qui
cantabat,clericus aller qui çântanti respondens serviebat, dom-
nusetpius Albertus episcopiis, et quartus àbbas Lobiensis {Fita,
c. 38).
2. Ce catalogue a été publié par St. Bormans dans le Bulle-
tin du bibliophile belge, 1866, p. a35.
3. Bulletin de la Commission royale d^ histoire, sér. v, t. 12,
p. 160. - ■
xviii CRITIQUE DES SOURCES.
même de ce passage du catalogue que nous venons de
transcrire. Elle correspond assez exactement au con- .,
tenu delà Fita. Danscelle-ci, ilestprincipalementques-^
tion de l'évêque Albert depuis son élection jusqu'à sa
mort. Dans la description du catalogue, on cite plusieurs
noms mais on détaille seulement ce qui se rapporte
a Albert, en débutant comme dans la Vità par l'élec-
tion et en terminant de même parle martyre. Une
difficulté qui s'offre à première vue en comparant les
deux documents, c'est que la description du catalogue
nomme parmi les personnages dont traite le livre
d'Hervard: Frédéric Barberousse et Philippe de Souabe.
Or dans la Vita, Barberousse n'est cité qu'une fois
en passant! et il n'est nulle part question de Philippe
de Souabe. Par contre Henri VI et Henri Y^ de Bra-
bant y occupent une place importante. A cette objec-
tion Kurth répond que la J^ita n'étant qu'une partie
d'un ouvrage plus considérable, on peut vraisembla-
blement supposer qu'on parlait de ces deux person-
nages dans les feuillets de l'ouvrage qui ont dis-
paru. D'après Kurth il était question de l'empereur
Frédéric au- commencement et de Philippe à la fin,
car le savant historien, comme Heller, croit qu'il
manque un morceau aux deux bouts de notre
fragment. Ne vaudrait-il pas mieux dans celte hypo-
thèse admettre que le début seul de l'écrit a été
amputé, et que tout se termine avec l'histoire
d'Albert. Cette supposition serait pins conforme au
titre du catalogue qui n'est en somme qu'un résumé
chronologique de la matière du livre. Dans la pre-
mière partie qui est perdue, il était question ea;
I. Chapitre m.
CRITIQUE DES SOURCES. xix
professa de Barberousse, de ses deux fils et d'Heari
de Brabant. Dans la seconde qui nous reste i, tout
se rapporte principalement à Albert élu, confirmé
et martyrisé. Ce sont les trois grands épisodes de là
f^ita : l'élection à Liège et a Worms, là confirmation
à Rome, le martyre à Reims. Seule la dernière partie
de l'ouvrage a survécu par le fait qu'un hagiographe
s'en est emparé, l'a détachée des premiers feuillets
n'ayant rien à voir avec le saint, et lui a donné 1© titre
de J^itaAlberti. Si V abbé de Lobbesou un auteur quel-
conque avait eu l'idée de composer une vie iie saint
Albert, il l'aurait commencée vraisemblablement à la
naissance du saint. Personne dès lors n'aurait songé
à retrancher le début de l'écrit qui nous serait par-
venu intégralement.
Mais dans cette hypothèse, que devient le rôle des
témoins oculaires? que dire des preuves si frappantes
/en faveur de Wéry citées plus haut? M. Kurth laisse
à celles-ci toute leur valeur : « Loin, dit^l, d'atté-
nuer ce qu'a écrit à ce sujet l'érudit allemand (Heller),
je serais tenté de renforcer plutôt son argumentation
p. i65). *Hervard est un contemporain des événe-
ments. Il fut archidiacre de Saint-Lambert de 1^09 à
1227. Tous les chanoines de Liège cités dans la Vita
sont ses collègues : llaître Géraïd, ITioma^ de Mar-
bais^ Hely de Bouillon, Gautier de Chauvency, Siger.
Il connaît aussi intimement Wéry abbé de Lobbes, la
1. On coïïiprend que cette partie soit plus de'veloppée que
l'autre ; le but de l'ouvrage étaut de renseigner Hugues de Pier-
pont, évêque de Liège, sur les événements intéressant le diocèse
avant son avènement, il était naturel d'insister davantag^e sur la.
personne de Féveque Albert et les faits tragiques qui marquèrent
son épiscopat.
•■"' t .
XX CRITIQUE DES SOURCES.
plus importante abbaye de la principauté. Il a donc
pu se renseigner parfaitement et recueillir tous les té^
moignages oraux et écrits nécessaires pour son travail.
Il fit sans doute le voyage à Reims pour se rendre
compte des lieux. C'est là qu'il vit une femme guérie
de sa paralysie au tombeau du saint : Ipsam libéra-
tant et laetantem vidit qui haecscripsit [F^ita^ c. xliii).
D'après Kurth donc tous les compagnons de l'évêque
qui ont fait partie de sa maison pendant son exil ont
collaboré à la composition de la Fita. Wéry « occupe
parmi ces témoins la place la plus éminente », mais
ce n'est pas lui qui a écrit la F^ita. Il n'aurait pu (c'est
là un argument assez fort) se décerner à lui-même
les qualificatifs de diligens et prudens, d'abbas humilis,.
de depotus abbas^. Le dernier rédacteur de la biogra-
phie c'est Hervard.
La thèse que nous venons d'exposer et qui s'appuye
sur un document certain, le catalogue de Saint-Paul,
se présente avec un tel degré de probabilité qu'il
nous semblait difficile de ne pas l'admettre 2.
1 . Chapitres xxix, xxxviii, xliv.
2. Elle a cependant rencontré deux contradicteurs : MM. Van-
derkindere et Feder Schneider. Les objections du premier sur
lès différences de style et de procédé littéraire entre la FitaAlberti
et un autre ouvrage d'Hervard le Triumphus Lamberti in Steppes
ont été réfutées par M.KurJh lui-même dans un appendice à son
Mémoire (p. 174). Quanta Feder Schneider, il se contente d'af-
firmer que Heiler a déjà répondu à la thèse de Kurth {Neues ar-
chiv, 1903, p. 527). Nousavons vainement cherché à découvrir
à quel passage des écrits de son compatriote le critique alle-
mand faisait allusion. Il doit s'être trompé, car personne^ que
nous sachions, jn'a eu avant Kurth l'idée de ce rapprochement
entre le catalogue de Saint-Paul et la F'ita Alberti.
CRITIQUE DES SOURCES. xxi
Mais une troisième opinion encore inédite nous a
été communiquée, tout récemment. Elle est fort in-
téressante et nous sommes très porté à nous y rallier.
Son auteur est M. Darimont, docteur en histoire de
rtJniversité de Liège, professeur à l'Athénée royal de
Huy, Sur nos instances, il compte publier lui-même
prochainement sa thèse. Il nous suffiraicide l'indiquer,
avec le consentement de l'auteur :
Le rédacteur de la Vita Alherti ne serait ni Hervàrd
ni Wèry, mais un moine de Lobbes, compagnon et see?'é-
taire de l'abbé, -,
Ce n'est pas Hervard l'auteur de la biographie parce
qu'il n'est pas, comme le prétend Kurth, le collègue
des chanoines de Liège familiers de l'évêque exilé.
Rien ne prouve mêmequ'il les ait connus. Il est d'une
génération postérieure. Or, la J^ita^ de l'aveu de tous
les critiques, porte le cachet d'un écrit inspiré au
moins par les témoins oculaires des faits. On se rap-
pelle tous les arguments d'Heller en faveur de Wéry,
arguments admis et renforcés dans la thèse de Kurth.
M. Darimont y revient. Seulement, il les corrige en
faisant disparaître la difficulté .soulevée à propos des
qualificatifs élogieux attribués à l'abbé dé Lobbes. Ce
n'est pas Wéry, c'est son secrétaire qui a été le
rédacteur de la Kita Celui-ci ayant accompagné son
abbé à Reims, aura sur son ordre conservé pour
l'édification de la postérité les événements tragiques
auxquels ils avaient été mêlés et le souvenir des vertus
et de la mort de leur évêque vénéré. Cette hypothèse
n'enlève pas toute relation possible entre la VitaÀl-
berti et le catalogue de Saint-Paul. Hervard a pu très
bien, comme tant d'autres, se servir de la Fïto pour
la composition de son livre. Telle est en abrégé i'opi-
XXII CRITIQUE DES SOUKCËS.
hion de M. Darittiont appuyée Sût un graiïd nombre
de preuves et de dacuftients.
Nous tenons ici à remercier cet historien distingué
de nous avoir gracieusement offert les prémices de
ses recherches personnelles. Il nous a fourni aussi
sur saint Albert dés réîlseignemettts nombreux et très
précis qui nous ont permis de contrôler et de com-
pléter notre travail avec plus de Sécttfité.
Les critiques sont d'accord poûf î'éCônnaîtrê la
haute valeur historique de là F^ita Alherti. Voici
l'appréciation de M. Balau dans son ouvragé coiirôntié
par l'Académie royale de Belgique, Les êources de
l'histoire du pays de Liège : « Lé récit est parfaitement
ordonné, écrit avec élégance et facilité, il réspire
une chaleur et une émotion cômmunicatives. Atout
point de vue la f^ita Alberti est une excelleiïte source
pour l'étude des événements de cette époque attristée »
(P-399).
Kurth, de son côté, dit dû même auteur : « Il a
fait preuve d'une grande coïiâcicncù d'historien et
d'un remarquable talent de narrateur^». Les té moi*
gnagés de ces deux cïrtiques f ââsureroiat lés plus diffi-
ciles en matière d'hagiographie. Il suffit d'rfïfléuris dé
lire la Vita Alberti poiir se rendre compte que Cet
écrit n'a rien de commun avec certaines légendes de
saints des premiers siècles dont les naïfs auteurs trop
friands de merveilleux « cherchaient beaucoup plus à
édifier les fidèles qu'à poursuivre un but historique ou
. à satisfaire la curiosité des lecteurs^ m. Non, nous
sommes dans la Kita Alberti Qm^XQUïQ histoire, his-
1, L'archidiacre Hervard, o. c, p, lyS,
2. Balàu, o. c, p. 19.
CRITIQUE DES SOURCES. xxm
toire vécue, page tragique des luttes politiques au
xii^ sièole, écïite avec' une couleur locale, une préci-
sion et une exactitude remarquables. Elle pettt être
eoutrôlée d'ailleurs par d'autres écrits contemporains.
La plus importante des autres sources qui nous
renseignent sur saint Albert est la Chronique du Hai'
naut de Gislekert de Mans '^. Cet auteur exact nous
rapporté plusieurs événements racontés dans la ^ita
Jlh&rti notamment ie récit de l'élection. Chancelier
et confident de BaudouinV, ses préférences devaient
pencher vers le candidat de son maître Ajlbêrt de
Réthel, le rival d'Albert de Louvain.
Gislebert représente la politique hennuyère ; l'au-
teur de la V^ita Alberti défend au contraire les inté-
rêts brabançons. Les deux récits peuvent donc se
contrôler mutuellement. Or nous ne trouvons entre
eux que des diflPérences de détails; pour les faits
importants ils sont pleinement d'accord 2. !>' autre
part, le chromqueur du Bainaut, quoique vêrîdîque,
est parfois tendancieux dans ses appréciations. Il
esquive généralement ce qui serait un blâme pour
son makre ou pour ses partisans. Il n'a paâ un mot
de reproche «sontre l'odieuse intrusion à Liège de
Lothaire de Hochs^tad^n dont Baudomn V eàt l'avoué.
Il semble même l'exeusj&r âpres lé meurtre d'Albert
dont le prévôt de Bonn a été au moins la cause indi-
recte, puisqu'il taxe de très bruelle la juste sentence du
1, M.G.B. SS,, XXI. m. Vanferkindere a fait, en 1904 une
excellente édition critique de cette chronique, qui inaugura îa
nouvelle collection entreprise par la Gommissitjn royale d'his-
toire pour servir à l'étu'de de l'histoire de Belgique. Au cours
de notre travail, nous renverrons aux deux éditions,
2. Balau, 0, c, p. 397-8,
VIE DE SAINT ALBERT.
XXIV -- CRITIQUEÎDES SOURCES.
pape Gélestin III qui privait le clerc simoniaque de
tout bénéfice et de toute dignité et ne lui laissait que
la prévôté de Coblence*.
Parmi les sources secondaires qui ne font que
confirmer les. deux premières on peut citer : <
Lambert le Petit, f 1194» moine de l'ahbaye de
Saint-Jacques, auteur d'une chronique de l'église de
Liège allant de 988 à 1194- Son œuvre a été conti-
nuée par Renier jusqu'en 1 280. (M.G.H. SS., XVI,
p. 65o, éd. Pertz).
Alberic de Tr ois-Fontaines, moine cistercien de
cette abbaye située en Champagne.- *I1 composa de
laSa à i24i une sorte de chronique universelle,
interpolée par Maurice de Neufraoustier, près, de
Huy. (Voir Balau, o. c, p. 466j M.G.H. SS. XXIII,
pp. 868-869, éd. SchefFer-Boichorst ; Kurth B.C.R.H.
5° sér. t. II, p. 46).
Continuatio Aquicinctina. Continuation de la chro-
nique de Sigebert de Gembloux faite au monastère
d'Anchinen Artois de 1 149 à laS^. (M. G. H. SS. , VI,
p. 4^0, éd. L. Bethmann). Un érudit allemand,
M. P. Kath a publié une étude très étendue de cette
chronique dans le bulletin dé la Commission royale
d'histoire de Belgique, 1914» tome 83, pp. 1-222.
La plupart des Annales contemporaines rapportent
au moins l'élection et le meurtre d'Albert^.
1. « Sicque confusus ex crudelissimo domini pape arbitrio
ad terram nativitatis sue reversas est. » (M. G. H., p. 582 ;
éd. Vanderkindere, p. 283.)
2. On peut citer ;
■ Annales de Lohbes, M.G.H. SS., IV, p. 25, éd. Pertz.
Annales de S. Géreon de Cologne, M.G.H. SS., XVI, p. 784,
éd. Pertz.
CRITIQUE DES SOURCES. xxv
En plus de ces Sources narratives anciennes, il
existe un certain nombre dUactes diplomatiques qui
nous ont aidé surtout à reconstituer tant bien que
mal la jeunesse d'Albert avant son élection. Nous
citerons les chartes que nous avons pu consulter au
cours du récit.
Après le xiii^ siècle la littérature du sujet diminue
d'importance. On ne signale qu'une Yie de saint Al-
bert de Louvain perdue attribuée à Adrien d'Ouden-
boschi.
Au xvii^ siècle la translation en Belgique des restes
du saint martyr donne lieu à une floraisoû de vies
modernes de saint Albert.
Miraeus çn 1612 publie à Anvers une Fita Alberti
tirée de Gilles d'Orval.
Notes d'Orval, M.G.H. SS., XVI, p. 683, éd. Pertz.
Annales de Floreffes, M. G. H. SS., XVI, p. 62$, éd. Bethmann.
Annales de Fosses, M.G.H. SS., IV, p. Sa éd. Pertz.
Annales de Parc, M. G. H. SS., XVI, p. 606, éd. Pertz.
Annales de Marbach, M. G. H. SS., XVII, p. 166, éd. Wil^
mans.
Annales de S. Jacques à Liège, M. G. H. SS., XVI, p. 642,
éd. Pertz.
Chronique de Laon, M.G.H. SS., XXVI, p. 4^», éd. Waitz.
Baudouin de Ninoi>e,M.G,îl. SS,, XXV, p, 587, éd. Holder- .
Chronique de Mont Serin, M.G.H. SS., XXIII,p. i63, éd. Ehren-
feuchter.
Guillaume de Neubridge M.G.H. SS., XXVII, p. 242, éd.
Pauli,
Annales de Cologne, ^M. G. U. SS., XVII, p. 802, éd. Pertz.
Guillaumele Breton Rigord, M. G. H. SS.^ XXVI, p. 292, éd.
Molinier.
I. Balau, 0. c, p. 627. D. Ursmer Berlière, Mélanges d'his-
toire bénédictine, I, p. 98.
XXVI CRITIQUE DES SOURCES.
La plus jntéressaate, paru* en i6i3, porte ce titre :
Le portrait du vray Pasteur ou histoire mémorable de
saint Albert, evesque de Liège ^ cardinal du titre de
Sainte'Croix. Dédiée au Ser'^^ Ai'chiduc Albert^ Prince
des Pays-BaSy par G. De Rebrepiettes, Sieur d'Es^-
coeuvre. « Celte publication, dit le chanoine Laenen,
n'a rien perdu de son intérêt à raison des documents
concernant l'invention et le transfert des reliques
cédées aux archiducs^. »
La Bibliothèque historique de France de Lelong
(vol. I, n°^ 8782-6) signale les ouvrages suivants :
Vie traduite de saint Albert, par Christophe Bej-s.
Lille, 161 3. Du Chesne, Preuves de l'histoire des
Cardinaux, p. 149; Paris, 1666. Ludonco Donio
dAttichy : Vie de saint Albert sous le titre :
I Fleurs de l'histoire des Cardinaux, p. 282. Paris,
1660.
Le chanoine David a édité, en 1844» à Louvain,une
vie de saint Albert en flamand : Geschiedenis van
den H. Albertus van Leuven, bischop van Luik.
Une seconde édition parut à Anvers. en 1847 ®* ^^^
traduction française en 1848,
Enfin on trouvera des notices résumées sur saint
Albert dans les histoires générales du pays de Liège,
Limbourg, Brabant, etc. par exemple : B, Fisen,
Sancta IjCgia Romanae Ecclesiae filia sive Eccle'sia
Leodiensis; Leodii, 1642, I, p. 4iS. Foullon, Histo-r
riae Leodiensis universae compendium ; Leodii, i655.
/. Z)<277s, Histoire du diocèse et de la principauté de
Liège depuis leur origine jusqu'au xin^ siècle. Liège,
1890. Ernst, Histoire du Limbourg, vol. ÏII, pp. 181
I. La Fie diocésaine^ Malines^ janvier 1921, p, 6.
CRITIQUE DES SOURCES. xxvii
3uiv. A^^am, Histoire de l'ancien pays de. Liège,
vol. IIÏ, pp. â6o sniv.
Ces vies modernes, nous l'avouons, n'ont guère été
utilisées dans notre travail. Nous avons ùyu préférable
à partir de l'élection, de nous attacher surtout au
texte original de la P^ita Alberti et d'en exprimer le
mieux possible le sens et rémotion. Les autres sources
anciennes, principalement la chronique de Gîslebert
de Mons, ont servi à combler les lacunes, et nous
avons ajouté dans des notes explicatives les éclair-
cissements qui nous ont paru les plus indispensables.
On reprocliera peut-être k feotre méthode trop de
dépendance à l'égard de la Vita Àlberti. Nous avons
suflSsamment établi d'accord avec tous les critiques,
et par la confrontation avec les autres sources, la
sincérité et la précision d'information du biographe
contemporain d'Albert pour pouvoir nous fier à lui
sans arrière-pensée'.
Cette page d'histoire a une saveur littéraire que le
lecteur nous saura gré de lui avoir conservée dans sa
fraîcheur naïve et originale, malgré certains passages
I . Nous admettons cependant que certains faits soient discutn-
hles et pourraient avoir éiê inveate's ingénument par l'auteur
tels : \^^ volte-face d'Albert de Rethel se ralliamt ^ la cancjidit-^
lure de son rival (c 5}, r^le'vation d'Albert au Cardinalat
(c. lo), le songe et le pressentiment de l'évêque avant la journée
fatale (c. 36), la saSgnëe de Tabbë de Lobbes expliquant son
absence au moment du meurtre (c. 38) . Nous signalons aussi
l'omission peut-être volontaire de la sentence rendue par le
conseil des princes ecclésiastiques aUemauds dans Taffaire de Yé-^
lection. En supposant même que tous ces points soient en défa-
veur de l'auteur, ce qui n'est pas prouvé, sa sincérité pour l'en-
semble de l'écrit reste inattaquable. Peu de documents de cette
époque se présentent avec autant de garantie de véracité.
xxviii CRITIQUE DES SOURCES; -
trop admiratifs et parfois un peu tendancieux dont
il faudra tenir compte çà et là comme on le ferait d'un
panégyrique. Il nous reste quelques remarques à
faire sur le style de notre biographe.
Le latin de la Kita Âlherti, s^ns kXïQ classique, né
manque pas d'ampleur et d'élégance. Avec M. Kurth
nous trouvons M. Vanderkindere bien sévère quand
il le traite de : « tendu, ampoulé, plein de métaphores
prétentieuses... du goût le plus détestable ». Ce qui
rend parfois la langue un peu lourde, c'est la redon-
dance des qualificatifs, la recherche des assonances
et des mots issus du même radical. Mais dans l'en-
semble la lecture de cet écrit du xii^ siècle nous a
paru facile et agréable, le style coloré et pitto-
resque'. -
L'auteur est versé dans la littérature ancienne. Il
cite Virgile (ç. xxv), fait allusion à la légende d'Orphée
(c. ix) et rappelle le meurtre de Jules César (c. xxxix).
Mais il connaît surtout les Livres saints ; on trouve
à chaque instant sous sa plume des réminiiscences et
des citations de l'Ancien et du Nouveau Testament.
La Liturgie lui est aussi très familière. Il date toujours
les événements d'après les fêtes de l'Eglise et non par
le quantième du mois. Il décrit avec complaisance la
dévotion d'Albert pour le saint Sacrifice de l'autel et
pour l'office divin, notamment dans le récit de la der-
nière messe célébrée par un chanoine auquel assista
pieusement l'évêquele matin de sa mort (c. xxxviii).
Les goûts religieux de notre biographe répondent aux
hypothèses proposées pour établir son identité. C'est
I. Voir, pour ces particularités stylistiques, Kurth B.C.R.H.,
sér. 5., t. XII, p. 178 suiv.
'C- I''"" ^ . •" - .- -'S*--,/ ■; --/^
CRITIQUE DES SOURCES. xxix
un homme d'église, un chanoine, plus probablement
un moine.
Enfin c'est un Wallon. Il ne sait pas prononcer les
gutturales germaniques. Au lieu de Hochstaden, il
écrit Horestat ^ . Nous verrons qu'il ne cache pas son
aversion pour les peuples d'Outre-B.hin. Heller le fait
remarquer non sans une pointe d'ironie, dans son In-
troduction : « Natione Francogallus est quod e^odio
contra Teutonicos evidentissime patet » (p. i38).
Sigles employés. , j
M. G. H, = Monumenta Germaniae historica. SS = Scriptores.
B.C.R.H. = Bulletin de la Commission Royale d'Histoire.
A.H.E. = Analectes pour servir à l'histoire ecclésiastique de
la Belgique.
I. Kurth, 0. c, p. 162.
VIE DE SAINT ALBERT
CHAPITRE PREMIER
Les premières années. — Albert chanoine écolier de Sai'nt-tam-
bert. -^ Il est créé chevalier. -^Le cardinal légat d'Albano à
Liège. — Albert- redevient chanoine et exerce les fonctions
d'archidiacre.
Albert de Louvain naquit vers l'année 1 1 66 1. Il était
fils de Godefroid III, duc de Basse-Lotharingie, et de
Marguerite de Limbourg. La Belgique, à cette .époque,
était en voie de formation et n'avait encore trouvé ni
son unité ni ses limites approximatives. Morcelée en
divers petits Etats féodaux èans cohésion ethnogra-
phique que les circonstances et les intérêts locaux
avaient fait surgir des débris de l'empire carolingien,
placée entre les deux grandes nations rivales, la
romane et la germanique, elle était le théâtre des
intrigues politiques et des luttes sanglantes qui feront
I. Au plus tôt, puisque son frère aîné Henri I, duc deBrabant,
est né en ii65 {Annales Parchenses M.G.H. SS. XVI, p.; 606. Gé-
néalogies du Brabant, M.G.H.SS. XXV, p. Sgosuiv.). Albert avait
/donc environ vingt-sept ans quand il mourut en 1 192. C'est l'âge
que lui donne l'auteur de la Fita, p. i44 • Non longe autem
excesserat fines adolescentiae suae namque inter vicesimum ^uin-
tum et tricesimum aelatis annum agebat..
VIE DE SAINT ALBERT. 1
2 ' VIE DE SAINT ALBERT.
pour longtemps de son territoire le champ de bataille
de l'Europe. Par des guerres continuelles, des ma-
riages, des combinaisons d'alliances les plus flottantes
au gré de leurs intérêts particularistes, les princes féo-
daux cherchaient d'une part à agrandir leur puissance,
de l'autre à s'affranchir de plus en plus de leurs suze-
rains respectifs, l'empereur d'Allemagne ou le roi de
France.
A l'époque précise qui nous occupe, le duché de
Brabant avait une politique très remuante. Inaugurée
par Godefroid III, elle va se développer avec diverses
fluctuations sous le règne de son belliqueux fils Henri I,
associé dès ses jeunes années au gouvernement de son
père ^. Alliée à l'est a l'archevêque de Cologne Phi-
lippe de Heinsberg, àjl'ouest a Philippe d'Alsace, comte
de Flandre, la dynastie brabançonne cherchait en
s'appuyant sur ces riches et puissants voisins à faire
échec à la puissance impériale autant qu'à l'influence
grandissante du comte de Hainaut Baudouin V. Celui-
ci, ami de l'empereur Henri VI et du roi de France
Philippe-Auguste, qui recherchaient l'un et l'autre
son alliance, convoitait une double succession, celle
de Henri de Namur (Henri l'Aveugle) et celle de Phi-
lippe d'Alsace, comte de Flandre, dont il avait épousé
la sœur Marguerite.
Entre les possessions de ces deux princes rivaux et
l'empire, la principauté de Liège occupait une posi-
tion importante. Dominant la vallée de la, Meuse, elle
barrait la route de Cologne vers l'Escaut et la Mer<du
I . Henri fut créé chevalier en 1 183, Il avait alors dix-huit ans.
Ce fut à cette époque qu'il débuta dans l'administration du duché
pendant un pèlerinage de son père en Terre Sainte. (Smets,
Henri P*", duc ik Brabant^ p. ly.)
'"■' ^1, , ^ -"s."- s_,-t-s--î -*;;.",'■,.'; *<- %i~
LES PREMIERES ANNÉES.
Nord; Les empereurs allemands en; plaçant leurs créa-
tures sur le siège de saint Lambert, comme à Trêves, à
Cologne, à Cambrai, à Utrecht, avaient fait longtemps
de ces évêchés des remparts ou des postes avancés de
leur pouvoir et créé ce qu'on a appelé pour les x® et
XI* siècles l'Église impériale^. Mais peu à peu les
dynastes locaux, faisant échec à cette politique 4u
monarque teuton, s'efforcèrent de combattre soja
intervention d.ansi les nominations épiscopales et ,de
substituer leur influence à la sienne.
En droit, idepuis Je Concordat de Worms qui- en
I i22'avail mis fin à la querelle des investiture^, l'élec-
tion; aux dignités ecclésiastiques devait se faire libre-
ment et conformément aux canons.; L'empereur dans
ses, Etats- conservait seulement le, pouvoir de conférer
ai l'élu les droits royaux ou régales par le sceptre?.
En fait, les, princes laïcs intervenaient encore sou-
vent dans les élections aux bénéfices et exerçaient, au
moins une pression sur les chapitres quand ils n'em-
ployaient pas la corruption pour faire passer leurs
favoris. C'est ecique nous allons voir dans la biogra-
phie d'Albert, peinture vivante ides abus de cette
époqiue.
Les; maisons de Brabant . et de : liainaut sont aux
prises dans la' compétition à Févêché de Liège. Elles
cherchent l'une et l'autre à placer leur créature sur
le siège de saint Lambert. Cependant, le perfide
Henri VI, revenant d'Italie, se joue de ses vassaux, et
profite de leur querelle pour évincer lés deux candi-
I. Pirenne, Histoire de Belgique^ I, chap. m.
a.'Vôiri plus loin, p. 3o-3 2, un exposé plus complet de cette
question et le privilège réservé à ^empereur en cas de contesta-
tion entre plusieurs candidats dans l'élection.
4 VIE DE SAINT ALBERT.
dats, annuler l'électiori canonique d'Albert dé Louvain
et imposer de force un troisième personnage simo-
niaque sur le siège convoité.
En sa qualité de cadet de famille, Albert de Lou-
vain^ c'était souvent l'usage alors, fut dès son enfance
voué à la cléricature. Nous le trouvons vers l'âge de
douze ans écolier et chanoine du chapitre de Saint-
Lambert^. Cet enfant prédestiné par Dieu à la grâce du
martyre avait, avec la fierté et la noblesse de sa race,
un mélange de douceur et de force qui rendait sa jeu-
nesse séduisante à tous ceux qui l'approchaient. Il
sut, autant par ses bonnes grâces que par le prestige de
son nom, gagner l'afifection du clergé et du peuple
liégeois. Une charte de l'époque nous rapporté que
son père Godefroid vint un jour en personne se pré-
senter au chapitre de Liège pour réclamer en faveur
de son fils une maison attenant au cloître de Saint-
Lambert et le personat de l'église de Tirlemont. Bien
que le duc de Brabant n'eût aucun droit à ces biens
acquis en héritage par le chapitre, celui-ci ne fit au-
cune difficulté de consentir à sa demande. Le docu-
ment ajoute que cette cession fut faite « parjconsidé-
ration pourle duc, à cause de l'afifection que l'Eglise de
Liège avait toujours eue pour lui et de l'amour extrême
dentelle l'entourait »^. Ces paroles pourraient paraître
trop flatteuses, mais la suite des événements montrera
I . Bormans et Schoolmeesters : Cariulaire de l'église de Saint-
Lambert, t. I, p. 97; Les chanoines écoliers n'étaient pas une
exception au moyen âge. Voir Kurth : Notger de Liège, vol. I,
p. 291.
a. Intuitu et dilectione ipsius ducis quem ecclesia semper digno
quidemsummocomplexata estamore. Bormans et Schoolmeesters,:
0. c, p. 97.
combien réelle et sincère fut l'afifection des chanoines
<le Liège pour le fils de Godefrbid, héritier des vertus
^e'sarace.
Bien que tonsuré, le jeune» Albert ne fut point
dépourvu de goûts belliqueux. La colline deLouvairi,
appelée Mont-César depuis Charles-Quint, où s'élève
aujourd'hui un monastère bénédictin dédié à la sainte
Vierge 1, n'avait pas au xu® siècle un aspect si paci-
fique. Dans un site plus sauvage etplus pittoresque que
de nos jours, l'antique résidence des comtes de Lou-
vâin, bâtie par Lambert I" [f ioi5), dominait la
plaine boisée où serpentaient les^ eaux, limpides alors,
de la Dyle. Avec son fier donjon, ses tours, ses murs
crénelés, ses fossés, son pont-levis, ce château, forte-
resse inexpugnable, centre de ralliement pour les
vassaux et les armées du duc, offrait aux deux fils de
Godefroid le spectacle de ractivité guerrière et un
magnifique champ d'apprentissage des exercices mili-
taires. Montera cheval, chasser, faire de l'escrime,
manier la lance et le javelot, telles étaient au Moyen
Age les occupations principales des nobles et le pro-
gramme indispensable de leur éducation. L'écolier
de Saint-Lambert se laissa-t-il tenter par l'attrait des
armes et le désir de se distinguer comme son frère
Henri dans le métier de la guerre? Jj'histoire ne
le dit pas. Le fait est qu'un chroniqueur de l'é-
poque nous montre le jeune^hanoine de Liège, le
28 octobre 1 187, renonçant à la cléricature et deman-
dant au comte Baudouin V de Hainaut de le recevoir
I. Abbaye fondée par les moines, de Maredsous, en 1897. Une
grande statue de Notre-Dame avec l'Enfant Jésus bénissant la ville
dé Louvain a été érigée sur l'ancien rempart.
6 ■ VIE DE SAINT ALBEET.
comme «hevalier ^. Ce qui étonne ^ans cette soudaine
initiative d'Albert, c'est qu'il s'aditesse à un seigneur
qui était, quoique parent^, l'adversaire et le rival
acharné de son père«et de son frèref^, comme nous
le verrons bientôt dans l'affaiqre de l'élection^ Le
fils de Godefroid brûlait du désir d'être ch€valier,<lésir
sans doute contraire aux vues de son père qui le- dsôs-
tinait aux dignités ecclésiastiques; Une pouvait donc
s'adresser au duc pour lui demander de lui ceindre
l'épée et de lui conférer une qualité incompatible avec
celle de chanoine. Il va trouver^ un seigneur dont il a
entendu vanter la bravoure etlapuissance. Albert, dans
cette entreprise, qu'on pourrait appeler un coup de
tête ou une escapade^ ne tient pas compte des difiérends
qui séparent sa famille dé là maison de Hainaut. Dans
la droituredé son caractère, il estime que demander un
service à un ennemi, c'est faire honneur à sa lovauté.
Il ne se trompait pas. Baudouin étonné d'abord,
se trouve flatté de cette démarche; il admire ce beau
jeune homme si franc, si plein de grâce et d'ardeur,
l'accueille avec bienveillance et abrégeant l'appren-
1. GisleLert, M. G. H., Chronicon Hanoniense^ SS. XXI, p. 553,
éd.: Vanderkindere, p. jgg.
2. Baudouin V était parent d'Henri P' et d'Albert de Louvainau
4« degré :
Henri II de Louvain
/ -^ s
Baudouin II Godefroid V"'
Baudouin III Godefroid II
Baudouin IV Godefroid III^
Baudouin V Henri 1°' et Albert
3. Patri et fratri diutius extitlssct invisus. Gislebert, O; c,
p. 553,- éd. Vanderkindere, p.. 199.
LES PREMIERES ANNEES. 7
tissage régjeraentaire des armes qiti'Albjert avait fait
à la dérobée dans la maison de son: pè'Pe ^, il le crée
chevalier/ à Valencienoies^; Voilà notre ex-rchianoine
revêtu du haubert et coiffé dra; heaume, l'épée au
cotéj là lance, au. poingpj évoluant sur un superbe
cheval en présences; ^es> seigneurs h^nnuyers qui
applaudissent aux prouesses du jeune Brabançon.
Mais était-ce bien la passion des- armes et le désir de
guerroyer qui avaient poussé Albert à renoncer à la
cléricature.et à solliciterla qualité de chevalier? Nous
ne le croyons pas; Dans cette âme généreusp un idéal
plus grand. s!-était fait jour; , Albert avait entendu
comme tant d'autres un appel qui retentissait alors
par toute l'Europe, un criiparti de Romedela bouche
du chef.de la chrétienté ; ce cri c'était celui de : « Dieu
le veut 3 ! » Albert n'avait, , semble-t-il, ambitionné Ja
qualité de chevalier que pour mieux défendre la plus
noble des causes.:, Il voulait mettre son épée au ser-
vice de la croix, être soldat du Christ, voler avec tant
I.: Le candidat à Ja chevalerie pouvait fairei son apprentissage
dans là maison de son père oui lauprès d'un létranger. Cette pé-
riode durait de ; cinq à ; sept ans. Lavisse • et Rambaud^ Histoire
imiuersclle , La Chevalerie, II, pi. 21^
2 . . Illlim. .... bénigne isuscepit Ict euin hbnorificeiFalencems jiù-
litemordinavit. Gislebert,' 0. c.,. p. .553.
3. Celte anne'e.1187 avait été fatsle pour lescroisés. liavictoire
de, Hait in remportée le 2 juillet par Saladim' suc toutes lés forces
chrétiennes du Levant avait anéanti lavec le royaume • latinnde
Jérusalem les résultats des deux premières; croisades. A - la
nouvelle de ce : désastre, le pape Urbain III se mit aussitôt à
prêcher une nouvelle expédition à laquelle? trois souverains
prendront part : l'empereur d'Allemagne Frédéric Barberouase^
le roi de France Philippe-Auguste et le roi d! Angleterre Richard
Cœur de Lion. Cette croisadej on le sait^ n'aboutitpas au ré-
sultat espéré.
8 -VIE DE SAINT ALBERT.
d'autres chevaliers au secours des lieux saints retom-
bés au pouvoir des infidèles. Tel fut le rêve d'Albert.
En effet, quatre mois après, entre le 21 février et le
27 mars de l'année suivante, le jeune Brabançon, nous
dit le même chroniqueur, prend la croix, mais, chose
curieuse, il ne* la prend plus comme chevalier, mais
comme clerc, car il a renoncé à la carrière militaire
et est redevenu chanoine de Liég^e et, cette fois, défir
nitivement.
Que s'était-il donc passé? La rareté des documents
ne nous permet de faire que des conjectures. Le
légat du pape, Henri d'Albano^, parcourait l'Eu-
rope prêchant la croisade et attaquant vigoureuse*-
ment le mal encore très répandu de la simonies A
Liège se passe alors une scène comme on n'en trouve
qu'au Moyen Age, époque des grands abus et des
grands enthousiasmes. Dans le vaste palais du prince-
évêque Raoul de Zaeringen ^ les membres du clergé
I. Ce personnage joua un rôle important au xii^ siècle.
Entré fort jeune à Clairvaux, il fut successivement abt)é de Haule-
Combe en Savoie et de Clairvaux. Élu évêque de. Toulouse, il
refusa cette dignité, comme plus tard, dit-on, le souverain ponti-
ficat. Devenu cardinal et évêque d'Albano en 1179^ il fut nommé
légat de France par le pape Alexandre III pour combattre les
Albigeois, et légat de France et d'Allemagne en 1187 par Gré-
goire VIII pour prêcher la troisième croisade et combattre la
simonie. Il s'acquitta de ces missions avec un grand zèle et mou-
rut à Arras en 1189. Il fut inhumé à Clairvaux, entre S. Bernard
et. S. Malachie. {Hist. litt. de France, XIV, p. 45 1 etsuiv.)
a. Raoul ou Radulphe de Zaeringen était fils de Conrad duc
de Zaeringen (en Suisse), gouverneur de la Bourgogne, et de Clé-
mence fille de Godefroid comle de Namur. Il était par sa mère
cousin du comte Baudouin V de Hainaut. Élu à Liège grâce à
l'influence de ce dernier et de son oncle Henri l'Aveugle, comte
de Namur^ il prit possession de son évêché malgré l'opposition
LES PREMIÈRES A:NNÉE . "9
s'assemblent au nombre" de deux mille pour recevoir
l'envoyé du Saint-Siège. Il y avait là des abbés ^ des
archidiacres, des prévôts, des doyens, beaucoup de
prélats de diverses églises, et parmi tous ces clercs un
seul laïc, Baudouin de Hainaut, cousin de l'évêque de
Liège, le même qui avait créé Albert chevalier. Dans
un bel élan, environ soixante-dix de cesi dignitaires
ecclésiastiques coupables de simonie résignent leurs
bénéfices dans les mains du légat qui les absout de
leurs fautes et leur inflige une pénitence. Ib distribua
ensuite aux anciens titulaires les biens dont ils
venaient de se dépouiller, tout en faisant dés muta-
tions dans la répartition, donnant à, l'un ce que l'autre
avait possédé, laissant à quelques-uns moyennant
compensation les charges auxquelles ils avaient re-
noncé*.
C'est dans cette assemblée, continue le chroni-
queur, qu'Albert abandonna la profession de cheva-
lier et fut rétabli dans son canonicat et dans l'ordre
clérical, et il ajoute : « cruce ibidem signatus est ».
C'est là qu'il se croisa.
du pape Alexandre III. II fut un chaiud partisan de la politique
impériale et hennuyère, re idit de multiples services à l'empereur
Frédéric I et lui procura l'argent dont il avait besoin pour son .
expédition en Italie. Jamais les abus de la simonie ne furent si
répandus dans le diocèse de Liège que sous son gouvernement
et lui-même vendait publiquement les chargesTet les bénéfices
ecclésiastiques. C'est pour expier ces fautes que le cardinal légat
engagea Raoul de Zaeringen à partir pour la croisade (dé
Theux, le Chap. de Si Lambert, I, pp. i66 et suiv.).
': 1. Gislebérl, o. c, p. 555; éd. Vanderkindere, p. 2o5-6.
Le chroniqueur du Hainaut parle de 4oo clercs simoniaques.
Schvolmeesters a prouvé que ce chiffre est exagéré (Voir Kurth,
Z« rtfo' «fe Ztè^e, II, p. a69,note 4).
-. ' ^ \.
10 VIE DE ;sAiNT' Albert:
Il est à supposer que lé cardinal, informé par?san
entourage dé la défection retetttissantedui jeune ecclé-
siastique et dû regret qu'on éprouvait ai Liégei de
perdre dans le fi^ls dé Godefroid un chanoine aimé et
un futur é vêquc, engagea Albert à ' rentrer dans la
cléricature tout en lui permettant de se croiser*.
Le comte dé Hainaut, qui avait déjài sans doute
d'autres vues pour le siège dé' Saint-Lambert, put se
consoler de voir son j eune chevalier de' Valenciennes
rentrer dans lé chapitre dé Saint-Lambert en;€spérant
que son départ pour la prochaine croisade T'empê-
cherait de briguer là succession éventuelle de l'évêque
Raoul. Quant à Albert, il devait être satisfait; Il ren-
trait dans l'état ecclésiastique où Dieu l'appelait et
qu'il n'avait pas quitté peut-être sans remords et
sans encourir les reproches de son père. Il retrouvait
l'amitié et la sympathie dû clergé liégeois, et en même
temps, il n'abandonnait pas tout à fait son rêve de
partir pour la Terre Sainte . Mais Dieu le réservait
pour une autre gloire.
Dès ce moment, Albert s'adonne activement aux
devoirs de sa charge ecclésiastique. En l'année 1 188 il
apparaît dans des chartes avec le titre d'archidiacre
de Brabant^.
1. On pourrait aussi supposer qu'Albert avait résigne' ses fonc-
tions ecclésiastiques par répugnance pour le trafic honteux des
bénéfices dont beaucoup dé clercs de Lîége étaient alors cou-
pables et qu'il ne les reprit qui'après l'assainissement par le
légat du Pape de cet état de choses.
2. Il y avait à ce moment trois Albert ai'chidiacres dans le
chapitre de Liège. Albert de Louvain arrivait cinquième parmi
les dignitaires ; « Testes sunt de majori ecclesia Albertus (de
Rethel) praepositiiSj Simon decanus, Archidiaconi Albertus (de
Cuyck), Everardus, Albertus (de Louvain)', Henricns de Dongle-
ALBERT ARCHIDIACRE. "11
Les archidiacres au xu® siècle avaient une grande
imipôr tance. Chlargés dé l'administration et delà jus-
tice dans leur) circonsGriptioti, il leur fallait souvent
interveniridànisles contestations qui surgissaient entre
les églisesj les: monastères et les seig^neurs laïcs ; Les
évêques avaient tout intérêt à élever à ces fonctions
de grands personnages, originaires de la région, capa-
bles de tenir tête aux chiefs des puissantes commu-
nautés religieuses t et de contre-baiaïicer aussi Tin^
finance du p:rince. Dans ce vaste diocèse de Liège,
qui englobait la moitié de là Belgique*, Albert pour
sa; part devait! compter avec de ■ grandes abbayes
comme Parc, Tongerloo^ Gembloux^ Heylissemi Graiïd
Bigard, etc, . . Un lexemple de cette rivalité danfluence
fut la contestation qui surgit entreil'iabbaye de Ton-
gerloo et le seigneur Arnould de Diest, au sujet de la
hertf Alardus cantor. » (Diplôme de Raoul de Zaerîngen conr '
firmant la donation des églises d'Aublain et de Sautour faite à
l'abbaye de Floreffe. A.H.E., viii, p. 364).
I. Voici d'après M. Gauchie les limites de révêché de Liégç
à cette époque : « A parler d'une façon générale et d'aprèà les
divisions modernes de la Belgique et des pays voisins, le diocèse
de Liège enveloppait dans ses vastes limités la province de
Liège, le Lîmbourg. belge, le Limbourg et le Brabant hollâu-
dais, quelques localilés aux extrémités septentrionales et orien-
tales de" la province d'Anvers, le Brabant à l'est de. Nivelles .et
de Louvain, y compris ces deux villes, l'est du Hainaut depuis sa
jonction au Brabant près de Nivelles jusqu'à Cliimai, notamment
cette dernière ville, Beaumont et Thuin,, la province de Namur
et quelques localités françaises à proximité de la Meuse, telles
que Givet, Fumet et Revin, le Luxembourg, belge, sauf la contrée
de la Semoy à l'est de BouUlon, enfin quelques localités occi-
dentales du Grand-Duchéict de la Prusse Rhénane, entre aur
tres Aix-la-Ghapelle » . (Z« querelle des Investitures dans • les
diocèses de LiégOtCt de Cambrai, i'^ partie, 1890, p. vi.)
12 VIE DE SAINT ALBERT.
propriété et des revenus de l'église de Diest. Albert
rendit un jugement défavorable à l'abbé Hermann de
Tongerloo.^ Son père Godefroid prît au contraire
parti pour ce dernier. Un procès s'ensuivit dans lequel
intervint aussi le duc Henri. Finalement l'affaire fut
portée au tribunal ecclésiastique de Cologne et se ter-
mina en faveur de l'abbaye ^ .
Yers la même époque l'archidiacre Albert eut à
présider un concile à Jodoigne où comparut Guibert
Martin, abbé de Florehnes, accusé d'avoir usurpé cer-
tains droits sur l'église d'Orp^, et une autre assemblée
à Louvain où il apaisa un conflit survenu entre l'abbé
de Tongerlop et les seigneurs d'Orbeke^.
A pariir de 1 1 89 Albert souscrit encore plusieurs
diplômes^ et apparaît revêtu des dignités de prévôt
I. Raymakers : Het Rerkelijk liefdadig Diest, Louvain,
Peters, 1870, p. 29. Waltmann van Spîlbeek : Deabdij van Ton-
gerloo^ 1888, p. 72 et suiv.
a. A. H. E. XXI, p, 893. D. Ursmer Berlière : Monastîcoa
belge, I, p. 20.
3. Ce concile nous est connu par un acte d'Albert de Lou-
vain archidiacre, qui entérine les décisions de son chargé de
pouvoirs. Maître Renier, et du concile. Cet acte inédit se trouve
dans la collection non encore cataloguée ni inventoriée de Ton-
gerloo. Nous devons la connaissance de ce document à la com-
plaisance de M. Darimont.
4. 11 signe, au commencement d'avril 1 189, une donation faite
par Jean de Chimai à l'abbaye de Floreffe d'une prébende en
la collégiale de Saint-Paul. (A.H.E. X, p. a86). La même
année il est témoin d'un acte de Berthold, costre de l'église de
Saint-Lambert, qui fait savoir qu'Alard de Stavelot affecte à la
solennisation de la fête de Saint-Nicolas les revenus de deux
boutiques situées dans le parvis de la cathédrale. (Bormans et
Schoolmeesters, cart. de Saint-Lambert, I, p. 114.)
£n 1191 on le retrouve dans un diplôme du duc Henri I^' de
ALBERT ARCHIDIACRE. 13 '-
de Saîiit-Pierre ^ et de Saint-Jean k Liège. Cette der-
nière collégiale, située dans l'île que forme la MeusOj
possédait certains droits sur l'église de Saint-Germain
de Tirlemont. Albert à qui, nous l'avons vu précé-
demment, avait été attribué le personat de l'église
de Tirlemont fut chargé de son organisation. Il y éta-
blit un chapitre avec obligation de célébrer l'office
divin et régla entre les clercs les attributions des
charges et des revenus. Ces mesures furent confir-*
mées dans la suite par Albert lui-même après son ,
élection avec l'approbation du pape Clément III en
Enfin citons un dernier acte de l'archidiacre de Bra-
bant en faveur des moines de Gembloux. Ceux-ci
avaient vu l'église de leur abbaye détruite par un in-
cendie en II 85. Albert leur vint en aide en leur'
Brabant qui confirme une donation faite à l'abbaye de Floreffe
de deux cents bonniers de bois situés à Grand-Leez. (A. H. E.
Vm, p. 23o.)
1 . Gomme prévôt de la cpllégiale de Saint-Pierre, Albert est
certainement mentionné dès 1 189, mais sans doute l'e'tait-il déjà
en 1188, car un acte de celte année donne comme dignitaire de
cette église un Albert prévôt. (Poncelet, Inventaire analytique
des chartes de la collégiale de Saint-Pierre à Liège, Bruxelles,
1906, pp. XXIII, 5 et 6). Un acte de 1187 cite parmi ses témoins :'
Albertus prepositus filius ducis lovanie (charte de Rainaud, abbé
de Saint-Nicaise à Reims, A.H.E. XXV, p. 267). S'agirait-il ici
de la prévôté de Saint-Pierre ? Mais alors si la date de ce docu-
ment est exacte Albert aurait eu cette dignité avant la visite
d'Henri d'Albano à Liège.
2. Miraeus et Foppens : oper.diplom.ïH.,^. 65. Cet acte fait
supposer qu'Albert vint à Rome avant le 3o mars 1190. Il rem-
plaça peut-être par ce pèlerinage son vœu de partir pour la
Terre Sainte (George Smets : Henri Z^' de Brabant, Bruxelles,
1908, p. 4?) note 3),
14 YIE DE SAINT ALEERT.
concédant généreusement le personat et les f revenus
de deux églises *.
1. L'église de Bossut et de Beauvechàine. M.'G.H,^. VIII.
p. 564 et C.R.H. 4® sér., H, p. 262, note 3. Voir Balau, o. c,
p. 896, note 3,
D. Ursmer Berlière a trouvé dans les archives de l'Etat
à Mons un document inédit assez curieux sur saint Albert. Nous
le livrons de sa part à la curiosité des érudits. C'est une charte
du 29 mai 1190 au sujet d'un « différend entre les abbayes de
Loblihs et d'Aulnes terminé par l'arbitrage d'Albert, prevot de
Liège et Albert de Louvain archidiacre et abbé de Liège. » {Car-
tidaire de l'abbaye de Lobbes^ f. 142-1 43). C'est la première fois
qu'on trouve un diplôme portant la mention d'Albert de Lou-
vain abbé^ Il s'agit d'une abbatialité séculière dont les plus
anciennes dans le diocèse de Liège paraissent avoir été celles de
Notre-Dame-aux-Fonts, Aldeneyck, Amay, Tongres, Meefe,
Celles, Dinant, Namur, Malonne, Aine, Maliues et Ciney. Cette
dignité attachée à une collégiale équivalait à une prévôté (de
Theux : Le chap. de Saint-Lambert, I, p. lvii).
CHAPITRE II
L'élection à Févêché de Liège. —La diète à Worms devant l'em-
pereur. — Intrusion de Lothaire de Hochstaden.
Mais voici le siège de saint Lambert vacant. L'évê-
que Raoul de Zaeringen venait de mourir à Fribourg
en Suisse ', son pays natal, où il s'était arrêté pour
se reposer en revenant «de Terre Sainte ^. Avec la com-
pétition àrévêché de Liège commence vraiment l'his-
toire d'Albert de Louvain. Jusqu'ici, faute de docu-
ments, nous avons p;u avec peine situer notre héros
dans le cadre général des événements au xii® siècle,
sans rien connaître pour ainsi dire de sa vie propre-
ment dite. Nous entrons maintenant avec son bio-
graphe au cœur de ce drame vécu qui va se dérouler
devant nous dans le coloris des moindres détails; et
d'où se dégagera d'elle-même la physionomie de
notre saint martyr, si noble et si forte, si candide et
siaimable.
L'élection avait été fixée au 8 septembre 1 191,
fêté de la Nativité de la Vierge. Deux candidats sont
en présence : Albert de Louvain, archidiacre de Bra-
1. Ses restes furent ramenés à Liège et inhumés dans la
cathédrale (de Theux : Le chap. de Saint-Lambert, i, p. 169).
2. Gislebert, 0. c.,p. 578; éd., Vanderkindere, p. 267.
16 VIE DE SAINT ALBERT.
bant revêtu seulement du sous-diaconat, et Albert
de Relhel archidiacre de Hainaut, diacre et grand
prévôt de Liège. L'un et l'autre sont patronnés par les
chefs des maisons princières auxquelles ils appartien-
nent. Ces grands seigneurs ne voyagent jamais seuls,
mais la suite qui les escorte en cette circonstance est
particulièrement imposante. La ville, nous dit un chro-
niqueur liégeois^, est envahie de ducs, de comtes et
d'une multitude armée qui donne à la cité l'aspect
d'une place assiégée. Henri I" duc de Brabant^ soutient
son frère. Il est accompagné de ses oncles, le comte
Henri HI de Limbourg et le comte de Dasbourg
Moha. Albert de Rethel est appuyé par son cousin
germain Baudouin V de Hainaut accompagné d'un
grand nombre de chevaliers. C'est un prince puissant
et entreprenant. A son titre de comte de Hainaut, il
a joint celui de marquis de Namur et nous le verrons
bientôt s'emparer de la Flandre. De plus, il est l'allié
de l'empereur d'Allemagne Henri VI dont la femme,
I. Lambert le Petit, Annales de S. Jacques. M.G.H. SS. XVI,
p. 65o.
a. Godefroid III était mort l'annëe précédente. Le tableau
suivant montre la parenté de Baudouin V de Hainaut avec
Albert de Rethel et avec l'impératrice Constance.
Godefroid comte de Namur (f 1139).
.A.
( N
Béatrice épouse Alice épouse Baudouin IV
Guillaume de Rethel (fllSS). de Hainaut (Il25-tl71)
/ ^ — ^ I
Manasses III Albert Béatrice épouse Baudouin V de Hainaut
C* de Rethel. de jRei^eï. en 3«' noces (1171-1195)
Roger II époux de
de Sicile.. Marguerite de Flandre.
1
Constance ("î-llO?)
femme de l'emp. Henri YI
(1190-1197).
;'.;^'? ■"■■-■"■ "•;■-■;:" ^"V"'- :-"—'''"^^L^^
l'impératrice Constance, est la nièce d'Albert de
Rethel. Enfin par sa fille Isabelle, il est le beau-
père de Philippe-Â.ugûste, roi de France. Mais tous
ces titres, sans compter l'or et l'argent dont le comte
est prodigue, ne parviennent pas à faire triompher la
candidature d'Albert de Rethel. Il n'a pour lui que
sa naissance. C'est un homme sans culture et sans
prestige ^ . Albert de Louvain au contraire se recom-
mande par de brillantes qualités plus -encore que par
la haute noblesse de son origine 2. Il obtient presque
l'unanimité des sufiFrages. Quarante-cinq m,embres
du chapitre se prononcent en sa faveur, tandis que
son concurrent Albert de Rethel recueille à peine cinq
ou six voix. '
Si l'on considère impartialement les deux candidats
et les circonstances qui ont entouré l'élection, il n'y a
pas de doute que ce furent les qualités et les mérites
personnels d'Albert de Louvain qui firentpencher la ba-
lance de son côté. En efiFet, les influences politiques
qui pesaient sur les électeurs étaient au moins équi-
1. Homînem stolidum el illiteratum cui parum gratiae praeter
genùs erat [Fita Alberti, c. a).
2. Qui magnis gratiarum titulis longe clarus superabat alti sui
generis dignitatem {Fita Albtrti^ ibid.). Gislebert, plus indulgent
pour le candidat de son 'maître, ne le flatte pas exagéi-ément en
qualifiant Albert de Rethel de vir tnaturior sed pusillanimis (0. c.
p. 578; éd. Vanderkindere, p. 258). Le chancelier de Baudouin,
— d'autre part, rend te'inoignage aux vertus du candidat bra-
bançon en disant d'Albert de Louvain exilé à Reims : pins, et
liberalis (ibid., p. 58i et -p. 280). Les autres sources contempo-
raines confirment cet éloge : sacerdos laudahilis dum pro domo
Domini zelo justitiae inflammatur. (Continuatio Cremifanensîs,
M.G.H. SS. JX, p. 548) 5 Fir mansuetus et pius (Rigord. M.G.H.,
XXVI, p. 292), etc..
18 ; VIE DE saint; ALBERT.
valentes de part et d'autre. Il semble même; que; la
puissance et l'habileté de Baudouin: V l'emportaient
sur celles du duc de Brabant. Le parti hennuyer, dont
l'évêque défunt avait été le représentant et qui avait
amené à la présidence duM chapitre le grand prévôt
Albert de Rethel, se trouvait dans des conditions par-
ticulièrement avantageuses. Mais -la supériorité indi-
viduelle d'Albert de Louvain; sur son concurrent était
manifeste; C'est elle qui, en dépit dés intrigues poli-
tiques y fit triompher sa candidature.
L'élection reconnue, le. comte de Hâinaut honteux
de son échec se retira avec sa suite, tandis qu'Albert
de Louvain réunissait dans un banquet le duc-son
frère et ses amis pour fêter son joyeux avènement sur
le siège de saint Lambert. Maisune mauvaise nouvelle
vint tout à coup assombrir la joie > de ce repas. Un
messager se présentait annonçant tristement là mort
en Apulie de Philippe, archevêque de Cologne^. Une
étroite affection u-nissait le défunt au duc de Brabant
et à son frère. Déplus, ce décès pouvait compro-
mettre la confirmation 2 de l'élection d'Albert par
l'empereur qui, nous le verrons, n'était guère bien-
veillant à l'égard des fils de Godefroid i Geux-ciper-
daient en Philippe le plus puissant protecteur et
peut-être le seul conseiller d'Henri YI capable de
l'incliner en faveur de leur cause.
1 , Philippe de Heinsberg, fils de Grôswin II sire de Heinsberg
et d'Alcidé palatine de Somersberg. Il fut d'abord archidiacre et
ensuite prévôt de Saint-Lambert, puis grand prévôt de Cologne,
vicaire général dé l'archevêché, chancelier de l'empereur Fré-
déric P"". Il succéda à l'archevêque Reynold sur le siège de Cologne
en II 67 (de Theux : Le chapitre de Saint- Lambert, \ p. i56).
2. C'est-à-dire la collation des régales par le sceptre^
L'ELECTION: ^ 19
Sans tarder Henri de Brabant suivi de son oncle le
duc de Limboiirg, prend la route de Cologne afin
d^appuyer l'élection de Brunon son parent et somami^.
Mais à peine arrivé dans cette ville un ;message plus
terrible que le premier vient . frapper son oreille
et son; cœur i: Philippe d'Alsace, le noble comte de
Flandre, un de ses plus fidèles amis avait succombé
en; Syrie, au siège de Sain t4jean-d' Acre. Le duc est
consterné-, bouleversé jusqu'au fond de son âme et
ses compagnons partagent avec lui sa douleur. Il per-
dait dans le comte de Flandre son plus ferme soutien
contre tous ses adversaires.
Philippe d'Alsace miourall; sans, héritiers directs.
Les rivalités qui s'élevèrent immédiatement pour la
suiGcession au comté dé Flandre vont distraire pour
quel que te mps les intéressés de l'affaire de l'électioai; à
Liège; Quatre personnes ont des prétentions à d'héri-
tage du comte de Flandre : i° Mathilde de Portugal, la
veuve du défunt; 2" Baudouin de Hainautparsa femme
Marguerite là sœur de Philippe d'Alsace; 3" Henri de
Brabant par son mariage avec Mathilde de Boulogne
la nièce du défunt, enfin 4° le roi de France Philippe-
Auguste, encore occupé à ce moment au siège d'Acre,
qui en épousant Isabelle la fille de Baudouin de Hai-
naut avait reçu l'assurance qu'à la mort de Phi-
lippe d'Alsace une partie de ses États reviendrait ài la
France 2. Dans ce conflit Baudouin l'emporta complè-
1. Brunon de Bergqui fut elu,'mais âgé et infirme, rësigna sa
dignité en II gS. II mourut en 1200. (Voir Vanderkindere, 0; c,
p. 368, note 2,)
2. Voici un tableau généalogiqueiquifera coinprendre les diffé-
rentes prétentions à la succession de Philippe d'Alsace. Nous sou-
lignons les héritières du comte de Flandre : 1° Mathilde de Por-
2a VIE DE SAINT ALBERT. '
tement. Il gagna de vitesse ses concurrents. Son chan-
celier Gislebert* envoyé en Italie au-devant de l'em-
pereur pour obtenir son appui dans la compétition
à l'évêché de Liège, apprit un des premiers la mort
de Philippe d'Alsace et se hâta d'en informer son
maître. Celui-ci sans perdre un instant se- mit à la tète
de ses troupes et envahit la Flandre. Devant Marguerite
l'héritière de son frère défunt que Baudouin a eu soin
d'emmener avec lui, les villes ouvrent leurs portes et,
sans coup férir, tout le pays jusqu'à l'Escaut est
occupé par les armées du comte de Hainaut avant
que le duc de Brabant n'ait quitté Cologne. Celui-
ci essaye en vain de lui disputer une partie du terri-
toire ; il doit céder devant la puissance de son rival.
Quant à Philippe-Auguste il arriva trop tard aussi de
Syrie pour réaliser ses desseins ambitieux sur la
Flandre. Après sentence arbitrale rendue entre lui,
tugal (veuve du, défunt), 7.° Mathilde de Boulogne (femme
d'Henri P' duc de Brabant), 3° Marguerite cVAXsACè (femme de
Baudouin V de Hainaut) et 4 ° ^■s^^e^^e (femme de Philippe- Au-
guste, roi de France).
Thierry d'Alsace Comte de Flandre (f 1168)
époux de Sibylle d'Anjou (fil 65)
/ ■ ; —^ ^ N
Philippe d'Alsace Matthieu C" de , Marguerite (f ii9i)
C" de Flandre Boulogne (tll73) femme de Baudouin V
(t 1191) épouse épouse de Hainaut (t 1195)
1° 1156 Elisabeth 1» 11 60 Marie fille ^— «^-
deVermandois dEhennel, iic&e^e, femme Baudouin VI,
(t 1182). roi d Angleterre, de Philippe- devint
2° 1184 Mathilde 2° 1171 Eleonore Auguste, roi plus tard
de Portugal de Vermandois. de France roi de
(t 1218), fille d'Al- I Constantinople.
phonsel". Mathilde de
(appelée reine Boulogne femme
parce qu'elle était de Henri 1"
fille de roi). de Brabant.
I. Notre chroniqueur.
' • L'ÉLECTION. ^ 21
Mathilde de Portugal et Baudouin par l'archevêque
Guillaume de Reims, il dut se contenter des villes
promises jadis dans le contrat de mariage d'Isabelle
et de 5.000 marks d'argent que le comte de Hainaut
solda à son suzerain comme droit de reconnaissance
de soi^ nouveau fief^.
Pendant que se, passaient ces événements politi-^
ques, Albert évêque élu de Liège administrait son
diocèse. Mais à l'horizon les nuages s'amoncellent.
Ses ennemis n'ont pas désarmé dans celte guerre
sourde dirigée contre lui. Henri de Brabant, j énervé
par la lutte infructueuse qu'il vient de livrer en
Flandre contre Baudouin, ne montre plus la même
ardeur à soutenir les droits de son frère. L'élection de
celui-ci est pour lui une épine cruelle, un signe de
contradiction qui va le tourmenter jusqu'à la mort
d'Albert. S'il avait dès le début agi dans cette affaire
avec plus de rapidité et de décision, il aurait pu, ayant
I. Cet accord connu sous le nom de traité d'Arras (1191) divi-
sait la Flandre en trois parts :
i) Le roi de France, nous dit le chroniqueur Guillaume d'Aii-
dres, obtenait tout le territoire situé à l'ouest dû Fossé- Vieux et
en plus le château et la forêt de Bihoult. (M.G.H. SS., XXIV,
p. 720). M. Vanderkindere a essayé de reconstituer le tracé de
cette ancienne ligne de défense : « En résumé, .dit-il, le comte
de Flandre perdait par cette convention tout l'ancien Boulon-
nais, l'ancien Ternois, l'ancien Artois, sauf Douai et la partie de
l'Ostrevant occidental qui en était voisine ». {La formation ter-
ritoriale des principautés belges au M. A.^ I, 2^ éd., p, 184-187.}
2) Mathilde de Portugal gardait en usufruit : Lille, Douai,
Orchies, l'Ecluse, Cassel, Fumes, Dixmude, Bourbourg. Ber--
gues, Watten et le château de Nieppe.
3) 5a«GtoMi/i recevait Gand, Bruges, Ypres, Courtrai, Wàes^
Alost, Gramraont, les Quatre-Métiers, les îles Zélandaises. (Gis-
lebert, 0. c, p. 576} éd. Vanderkindere, p. 263).
22 . VIE DE SAINT, .ALBERT.
toute autre intervention, ^prévenir l'empereur occupé
alors en Italie par des événementsi plus; importaaits,
et obtenir peut-être ce qu'il désirait. Mais Baudouin,
vigilant et décidé, le devance partout l. Il envoie son
fidèle Gislebert ^ au-devant de l'empereur en Italie ^.
Celui-ci lui donne toutes les assurances pour le choix
d'Albert de Rethel et fixe rendez-vous au comité de
Hainaut en Allemagne où il prometide revenir inces-
samment. Il était déjà en route et s'apprêtait à fran-
chir les Alpes quand les envoyés d'Albert de Louvain
vinrent aussi au4devant .de lui. 1 L'hypocrite empereur
les reçut avec autant dlamabilité etleurfitles mêmes
promesses bienveillantes qu'aux messagers de Bau-
douin avec la différence que ces : promesses n'étaient
pas sincères.
Avant ide poursuivre notre récit, ilfaut que nnous
rappelions brièvement l'origine de la rancune : toute
particulière que l'empereur nourrissait contre le duc
de Brabant.
Le faitremonte à l'époque oii Henri VI était encore
roi de Rome du vivant de son père F empereur Frédéric
Barberousse. Le comte de Hainaut était en guerre
avec son oncle le comte de Namur*.. Voulant rétablir
i.i L'auteur de la Vita Albcrti^:^e\x favorable à Baudouin,: toi
rend cependant ce témoignage '. Cornes Balduinus qui superior in
omnihtts emt in auto et argento milvùiaque parafa sibi semper si"
mulqiie prudentia et providentia consiliique et animi magnitu-
dineiûd omnia strenue peragjenda^ p. i4o.
2. Notrel biographe commet une erreur ici en faisant aller
Albert d« RelheMui-mêœe en Italie.
3. Il était aloi's occupé au siègede'Naples oùJil perdit les neuf
dixièmes de son arme'e et tomba lui-^mêrae gravement mialade.
(Gislebei't, P.-5745 éd. Vnnderkindere, p. 260.)
4. Henri l'Aveugle dont Baudouin finira par obtenir la -suc-
L'ÉLECTION. 23
la paix entrei eux, Henrii roi de: Rome, vint ai Liège,
lieu choisi pounla réconciliation. iLe comte \ de Na-
mur arriva au rendez-vous /avec une escorte de cent
hommes? armés. Il était accompagné de son allié et
ami le duc Henri de Brabant qmi fit à Liège une
entrée arrogante à la tête de 3oo fantassins et autant
de cavaliers. Le roi et! le comte de Hainaut au con-
traire, ainsi que les seigneurs de leur suite, étaient
venus sans armes. Bans ces conditions désavantageuses
Henri YI fut impuissant affaire; aboutir les négocia-
tions^. Cette huniiiliation, le fils de Barberoujsse ne
l'oublia jamais. Il en garda» une colère sourde contre
le duc 'de Brabant. Voici l'occasion favorable qui se
présente de se venger de lui danS' la ville même de
Liège où l'affront a été essuyé.
Le plaid devant Tempereur avait été fixé à Worms
au mois de janvier, dans l'octave de l'Epiphanie. Albert
de Rethel était arrivé longtemps à l'avance a la cour
où sa proche parenté avec l'impératrice Constance
lui donnait un accès facile. Il avait obtenu d'elle et
de l'empereur des assurances répétées au sujet de? son
litige avec Albert deLouvain, et il considérait sa cause
comme» gagnée. iToutes les apparences semblaient en
sa faveur et, de fait, on ne peut douter qu'à ee moment
Henri Vlne fût décidé, endépit des droits de son con-
current, à lui conférer l'investiture.
Mais une autres intrigue ses tramait dans l'ombre.
cession aveoletitreidemarquis deNamur. (Gislebert, o, c.yp. ^72 ;
éd. Vanderkindere, p. 254,.)
I. Au moins pour ce qui conceime le comte, de Namur car
il parvint à réconcilier momentanément Henri P"" de Brabant et
Baudouin V de Hainaut par la paix de Kaiserwerth. (Gislebert,
0. c, p. 565 ; éd. Vanderkinderej p. 233.)
24 VIE DE SAINT ALBERT.
Parmi les capitaines de l'armée allemande se trou-
vait un homme réputé pour sa valeur militaire, le
comte Thierry de Hochstaden. Les services signalés
qu'il avait rendus à l'empereur dans sa campagne en
Apulie et en Calabre en avaient fait l'un des plus
écoutés de ses conseillers. Ce comte avait un frère du
nom de Lothaire prévôt de Bonn et chanoine de
Saint-Lambert. Avide d'honneurs et de dignités et
jouissant d'une fortune considérable, ce clerc ambi-
tieux aspirait aux plus hautes charges ecclésiastiques.
Tout récemment, il avait posé sa candidature pour la
succession de Philippe de Heinsberg à l'archevêché de
Cologne, mais, malgré la faveur du chapitre, il n'avait
pas osé résister à l'opposition des partisans de Brunon
de Bergi.
Lorsque le comte Thierry vit à la cour les deux
Albert se préparer à défendre leur cause auprès de
l'empereur dont l'attitude équivoque ne laissait point
paraître son choix, il conçut le dessein de saisir cette
occasion de frustrer les deux compétiteurs au profit
de son frère Lothaire et de prendre ainsi sa revanche
contre la maison de Brabant de l'échec humiliant
essuyé à Cologne. Il vint donc trouver Henri VI et s'in-
sinuant dans ses bonnes grâces, il charma ses oreilles
par les discours les plus flatteurs, les promesses les
plus séduisantes et les plus capables de le gagner à
ses projets. « Il lui rappela l'insolence du duc de
Brabant dans la rencontre à Liège avec les comtes de
Hainaul et de Namur, la mauvaise volonté qu'il avait
montrée tout récemment pendant son expédition en
Apulie et en Calabre ; alors que l'empereur l'incitait
I. Toechè, Kaiser Heiniich FI., p. 217.
L'ÉLECTION. 25
aie rejoindre, .usant d'abord de douceur et ensuiteà
plusieurs reprises de menaces, le duc ne tenant compte
ni de la clémence de son suzerain ni de la révérence
due à sa majesté, avait méprisé et sa bienveillance et
son autorité. Dans le royaume allemand, Henri de Bra-
bant et son frère élu appartenaient à une maison or-
gueilleuse et puissante. Si Albert de Louvain obtenait
l'évêché de Liège, cette force qui arrêtait et contre-
carrait l'autorité impériale serait doublée. Désormais,
en face du duc et de sa race arrogante, il n'y aurait plus
rien de sûr pour l'empereur au delà de la Moselle.
Quant à Albert de Reihel, c'était un homme de rien,
impropre au gouvernement. Son frère à lui, Lothaire,
par contre, bien connu de l'empereur, était solide-
ment établi par l'âge, la naissance, la science et la
vertu. La constance de sa fidélité et de son affection,
le bienveillant empereur pouvait l'éprouver, était aussi
inébranlable que la sienne propre. Donc, concluait-il,
autant le choix d'Albert de Louvain à l'épiscopat
serait dangereux et nuisiMe à l'empereur, autant l'in-
vestiture conférée à Albert de Rethel serait peu conve-
nable et ne lui ferait pas honneur. Que le bienveillant
empereur dans sa haute prévoyance, choisissant un
parti conforme à sa dignité et aux convenances comme
aussi à sa sécurité, rejette les vaines et nuisibles
prétentions des deux candidats et daigne étendre les
rayons de sa faveur sur son frère Lothaire ». En
plys de ces perfides conseils, l'astucieux courtisan,
connaissant la cupidité d'Henri VI, faisait résonner à
ses oreilles le son de l'or avec lequel il comptait payer
l'obtention de cette faveur.
Le jour du plaid étant arrivé, les partisans des deux
candidats affluèrent à la cour impériale. Le comte de
2? ■
26 VIE DE-SAINT ALBERT.
Hainaut, retenu par ses affaires en Flandre , , avait en-
voyé, à Wornis son fils, le jeune Baudouin , escorté d'une
suite imposante. Henri de JBrabant que ses adversaires
hennuyers accusaient méchamment d'avoir fait élire
son frère ipar violence^, vint accompagné de ses oncles
le duc. de Limbourg et le comte de Dasbourg Moha.
Mais craignant pour leur sécurité ils se tinrent pru-
demment en dehors du palais où ils chargèrent des
amis d'intervenir à. leur place auprès de l'empereur.
Albert de Relhel, rempli d'espoir, amenait avec lui
les quatre ou cinq chanoines ;qui avaient voté en
sa faveur. Albert deLouvain de son côté était entouré
de plus de 4o membres du clergé iliégeois parmi
lesquels se trouvaient les principaux dignitaires du
chapitre de Saint-Lanibert.
L'empereur commença, par dissimuler, et en, pré-
sence des arguments invoqués par les deux partis
opposés et de la contestation qui s'élevait entre eux,
demanda quelques jours pour réfléchir et examiner
plus mûrement l'affaire. En réalité, c'était pour se
concerter tavec le comte de tîochstaden et faire
aboutir le pian combiné en faveur du prévôt de Bonn.
Pour couvrir leur commerce ténébreux, l'empereur
dans une diète générale conféra à Lothaire. lai charge
de chancelier d'empire, alors vacante, et reçut en
retour secrètement la somme de 3.ooo marks,: C'était
le prix du marché honteux par lequel le prévôt de
Bonn achetait a Henri Vll'investijture de l'évêché ^e
Liège. Mais pour donner à son choix une apparence
légale, l'empereur voulut soumettre l'affaire aux
princes ecclésiastiques et manda à Worms les arche-
I. Gislebevt^ o, c.j.p. 578; éd. Vanderkindere, pi.aôg.
L'ÉLECTION". 27
vêqu«s d« Cologne, de Mayence et de Trêves, les
évêqués de Mtinster; de Metz, dé Toul, d'Argenteml',
de Spire, de Wurtïbourg, de Bàmberg, de Bâlé^ lés
abbës de Fulda, de Lorseh, et de Prûm . Gefùt l'évêque
de Munsteriqui rapporta la décision du conseil. Elle
déclarait que l'évêché de Liège était remis entre lés
mains de l'empereur et qu'il pouvait en disposer > à
son gré*.
Cette sentence injuste ' (nous y reviendrons plus
loin) révolta les partisans d'Albert de Louvain et ren-
força d%bordrespoir d'Albert de Rethel et iïcs siens.
Ceux->-ci confiants dans les promesses réitérées de l'em-
pereur s'imaginaient que cette décision n'aurait pour
effet que d'éliminer leur rival et d'assurer l'élection
dû candidat hénnuyer. Ils furent bientôt détrompés.
Albert de Retliel, informé de l'intrigue machinée par
le comte de Hbchstaden et du marché conclu entre
Henri VI et Lothaire, comprit qu'il était joué par l'em-
pereur. Il vint aussitôt trouver son compétiteur Albert
de Louvain, se rallia à son élection avec tous ses par-
tisans et jura de ne plus jamais se séparer dé lui?.
1. Gislébert de' Mons^ o. c, p. 578* ëd. Vanderkindere^'p, aSg.
Cëttecônstiliation des prélats allemand* ne se trouve pas dans
la P^ta Albèrti. Il est peu probable que notre biographe ne l'ait
pas connue . A part le souci dé la vér Hé intégrale qui ne préoccu-
pait pas lés historiens dé cette époque au même dêgi'é qu'au-
jourd'hlii, l'autieur de ]& Pita avait de bonnesTaisons de passer
cet incident sous silence. Il diminuait dans une certaine mesure
la culpabilité dé l'empereur et mettait en opposilixjn d'une façon
regrettable et même scandaleuse lé idt'ôit d'Albert de Louvain,
bientôt confirmé par le pape, et le jugement dans une affaire ca-
nonique de l'épiscopat allemand.
2. Gislébert omet 'ce récit du retour d'Albert de Rethel à la
candidature d'Albert de- Louvain, Hellér et Tbéche insinuent
^8 VIE DE SAINT ALBERT. :
« A la reprise de l'audience, les chanoines se pré-
sentent devant l'empereur dans un accord parfait.
Albert de Rethel, grand prévôt et archidiacre de Liège,
de sa part d'abord, puisqu'il avait la première voix au
chapitre, puis de la part des archidiacres et de toute
l'Église de Saint-Lambert acclamant l'élu d'une seule
voix, unanime et canonique, présente Albert de
Louvain et avec tous, fléchissant le genou, demande
à l'empereur, selon qu'il est juste et équitable, d'é-
tendre sa main clémente sur l'élu et de lui conférer
l'investiture des droits régaliens à l'évêché de Liège.
« L'empereur réplique aussitôt avec emportement
qu'il n'est ni juste, ni équitable, ni digne de son gou-
vernement d'admettre cette demande, que le droit et
l'honneur de son pouvoir impérial légué par son père
de sainte mémoire, l'empereur Frédéric, exigent que
dans toutes les églises de son royaume dont il peut
que cette volte-face du concurrent de l'évêque de Liège a été
inventée par l'auteur de la Fita Alberti. (M. G. H., XXV, p; i43,
note I.) La seule raison serait que ce fait n'est pas rapporté par
Gislebert. Ils oublient que le chroniqueur de Mons n'écrit pas
une relation aussi détaillée des événements que notre biographe.
11 a pu passer sous silence un incident moins intéressant pour
le favori de son maître que pour son concurrent. Ce change-
ment d'attitude d'Albert de Rethel après la trahison de l'empe-
reur est assez naturel. Albert de Louvain avait l'estime . du
clergé liégeois. Des motifs politiques seuls avaient détourné
quelques chanoines de sa candidature. Les dissidents y revien-
nent volontiers d'autant plus qu'ils espèrent par cette unanimité
faire échouer l'odieuse intrigue de l'étranger teuton.
Vanderkindere dit à propos de cet incident : « la Fita Alberti
est la seule source d'après laquelle Albert de Rethel se serait
désisté en faveur d'Albert de Louvain. Toeche (p. aaS, note i)
croit peut-être à tort que ce récit est faussé dans l'intérêt du
candidat brabançon ». (O. c, p. 270, note i.)
L'élection; kb'-
disposer, chaque fois qu'il, y a des divisions dans
l'élection à r.épiscopat, les partis opposés perdent
complètement par le fait même leurs voix au cha-
pitre, que tous les droits et tout le pouvoir dans ce
cas lui reviennent d'étendre la main sur qui il veut et
de conférer l'investiture à celui qu'il juge le plus
digne. Pour le cas présent, ajputa-t-il, qu'on ne
vienne pas dire qu'il n'y a pas de partis et qu'on est
unanime. S'il n'y a plus de partis maintenant^ il y en
a eu auparavant, et, par conséquent, sa volonté et les
convenances exigent que lui, empereur, interpose
son parti entre les partis opposés. ■ -
« A cela les chanoines répondirent qu'on-ne pouvait
considérer comme un parti sérieux l'opposition de
quatre ou cinq votants n'exerçant aucune dignité dans
l'Eglise de Liège et n'ayant point de raisons. valables
pour justifier une attitude dont ils avaient d'ailleurs
corrigé la légèreté en se ralliant à la majorité. Que
pouvaient en effet opposer ces quelques dissidents
aux cinquante-ciriqi iîhanoines pris parmi les hommes
les plus éminents? .
« Comme ils parlaient encore, l'empereur furieux les
interrompt brusquement et déclare qu'il choisit
Lothaire prévôt de Bonn ; séance teaante, il investit
des régales à l'évêché de Liège celui que, trois jours
auparavant, il avait nommé chancelier du royaume
teuton, dignité que Lothaire, suivant un accord préa-
lable, abdique aussitôt entre les mains de l'empe-
reur. ^
I. Le biographe en compte ici avec les opposants quinze de
plus qu'auparavant. Il avait dit au chapitre V : usque ad qua-
draginta et amplius.
2.
SO VIE DE SAINT ALBERT.
« Devaat une conduite si odietisé,' tout le clergé^de
ÏJiége se levé en pïiotestânt et Albert > de Lou^ain,
l'éluy déclare à la face de l'emipereui?' aveci uïïe
grande fermeté que son élection est canonique, qu*oïi
fait injure et violence manifeste à la Sainte Égliiàe de
Dieu et à sa liberté respectée de toute antiquité et
qu'il en appelle au Siège' Apostolique .
«Alors l'empereur I enflammé de colère^ ordonne de
former les portes afin que pBrsonne ne puisse s'é«-
chapperj puis éclatant en violences et en menaces,
il somme les chanoines de consentir à son acte' et de
recevoir comme élu Lothaire le prévôt de Bonn.
Albert de Rethel semblable à un roseau agité par le
vent et plusieurs chanoines cèdent à la volonté impé-
riale. Mais les autres restent fermes dans leur déci-
sion. Enfin l'empereur admonesté par les siens de l'in-
convenance qu'il y avait à lés retenir plus longtemps,
permit à Albert de Louvain et à ses partisans de se
retirer, ce qui mit fin à cette malheureuse séance*.»
L'indignation qui perce dans ce récitduibiograph»
d'Albert est-elle justifiée? L'empereur, à part le pro-
cédé simoniaque et violent dfoot il était coutumier,
n'était-il pas autorisé, comme le prétend l'historieti
Hauck^ à suivre l'avis des prélats allemands et à exer-
cer dans ce cas d'une élection contestée son droit de
dévolution? La question, comme nous le verrons dans
la suite, sera tranchée nettement par le papei Géles-
tin III. L'injustice et la mauvaise foi d'Henri VI sont
manifestes. Aux termes du Concordat de Worms
conclu en 1122 entre Calixte II et Henri V, dans les
électionsaux évêchés, en cas de dissension au chapitre,
I. Vita Alberti^ c. 5,
L'ÉLECTION. 31
l'empereur avait le droit de se prononcer pour le
parti le plus digne, après avoir pris conseil du métro-
politain: et de ses snffragants : « ut si cpiainter partes
discordia emerserit,! metropolitani et comprovinciàlium
consilio veljudiciov saniori partiassensura: et auixiliiiim
pra^beas "* ».
Au mépris des droits évidents d'Albert de touvain
qui avait certainemetit pour luila« sanior pars », sinon
l'unanimité du chapitre, l'avis des conseillers; trop
complaisants d'Henri VI, aurait pu excuser peut-être,
sinonlégitimer le choix d'Albert de Rethel, candidat
dé' la minorité; il ne pouvait en aucune façon' servir
dé prétexte à la criminelle intrusion de Lothaire;
Hàuck' justifie la sentence des prélats allemands et la
conduite de l'empereur par les précédents du règne
de Frédéric Barberousse. Il va jusqu'à dire que c'était
là le droit en vigueur, que cette pratique avait force
de' loi ^. En conséquence^ d'après lui, la résistance de
Gélestin III confirmant Albert de Louvain malgré la
volonté impériale, était une atteinte aux prérogatives
dé l'empereur dans l'Église 3.
L'historien protestant renverse ' singulièrement les
rôles. Il ne tient pas compte du concordat de Worms.
L'es abus qui se perpétuent ' malgré ce pacte solennel
terminant la lutte entre la papauté et l'empire, sont
I. M. G. H., leges^ secl, iv, i, p. i6i.
3. « Denn die unter Friedrich ziir Herrsehaft igekbmmene
Rfechtsanschauung, dass im Fall einer zwiespâltigen Wahl ?der
Kônig zu ernennen habe, blieb in Ûbung. Ja sie wurde jetzt aus-
drùckiich als giltiges Recht anerkannt. « Kirchengeschichie
Deutschlands, igoS, IV, p, 66i.
3. Das war ein AngrifF gegen die Stellung des Kaisers in der
Kirche;
32 VIE DE SAINT ALBERT.
pour lui le vrai droit en vigueur qui prévaut sur la
législation écrite. La sentence de Géleslin III dans le
prpcès canonique d'Albert est un empiétement sur
les droits de l'empereur. 11 oppose à ce jugement du
pape et de la cour pontificale la sentence des évêques
allemands dans l'intégrité desquels il a pleine con-
fiance ^ Il oublie ique plusieurs d'entre eux et des plus
influents étaient des créatures ou des serviteurs de
l'empereur : tels les deux archevêques de Trêves et
de Mayence, le premier ancien chancelier de Fré-
déric I", le second archi- chancelier d'Allemagne.
Il n'est pas certain d'ailleurs que l'avis rapporté
par l'évêque de Munster reflétait exactement la pen-
sée de tous les conseillers de la diète. Brunon, l'arche-
vêque de Cologne, parent du duc Henri, récemment
élu grâce à l'appui de la maison de Brabant, n'a dû se
rallier à cette sentence qu'avec beaucoup de répu-
gnance. La même timidité de ce prélat, nous le verrons
plus loin, l'empêcha de conférer à Albert la consécra-
tion épiscopale. L'empereur imposait sa volonté. On
n'osait lui résister. En fait, la force primait le droit.
Voilà la vérité. On ne s'y trompait pas, et la preuve,
c'est que,, de l'aveu du chroniqueur montois, favo-
rable cependant à l'empereur, la nomination de
Lothaire causaun scandale dans l'Eglise'^. Aussi, nous
séparons-nous nettement de l'historien allemand
dans le jugement qu'il, porte sur ces faits. Avec les
gens de bien de cette époque, nous considérons l'intru-
sion de Lothaire à Liège comme hautement injuste
et anticanonique, et la sentence du pape Célestin IJI,
1. Mânner vonunanfechtbarer Kirchlichkeit.
2. Gislebert, o. c, p. 578; éd. Vanderkindere, p. 370.
L'ÉLECTION. 33
€11 plus de la soumission due à son autorité souve-
raine, comme la parfaite expression du droit eh vigueur
et de la justice.
Cependant Lotjiaire, aveuglé par son ambition et
fort de la protection impériale, s'empare de l'évêché
de Liège. Le comte de Hainaut, prompt à se consoler
de l'échec de son cousin compensé par celui du can-
didat brabançon, eslun des plus empressés à reconnaf-
tre l'autorité du prévôt de Bonn. Il fait avec lui un traité
d'alliance et lui prête son appui pour l'occupation des
places fortes et des châteaux de la principauté. C'est
le triomphe de la violence sur le droit. L'évêque intrus
s'impose par la force et prend en mains sans être in-
quiété le gouvernement du diocèse. Ce ne sera pas
pour longtemps.
|^'S":'r>>-:;*>^>^r.ï-^':?S?/S
CHAPITRE Ilii.
Voyage à Rome. — Procès canonique et confirmation d'Albert.
— Le pape Célestin III l'ordonné diacre et le nomme cardi-
nal. — Retour.
Albert de Loùvain se trouvait dans une situation
très angoissante. Plusieurs de ses amis et de ses fa-
miliers s'étaient détournés de lui, les uns par peur,
les autres pour rester dans les bonnes grâces de l'em-
pereur; d'autres attendaient en silence l'issue des
événemenls; enfin, plusieurs travaillaient ouverte-
ment contre lui. Le duc lui-même manifestait peu
d'empressement et de zèle à soutenir la cause de son
frère et à l'aider de ses ressources dans des circons-
tances si importantes. Lui cependant ne se découra-
geait pas et montrait une âme supérieure à toutes ces
épreuves. Il se décida avec quelques amis à entre-
prendre le voyage à Rome, au mépris des dangers
les plus graves qui l'y attendaient, et préférant à sa
sécurité la liberté de l'Église de Dieu et l'honneur de
sa dignité.
L'empereur, lé poursuivant de sa malveillance,
envoya partout des messagers munis d'instructions
pour lui barrer les routes vers Rome par terre et par
I. Ce chapitre est emprunté textuellement à la Fita Alberti.
VOYAGE A ROME. 35
mer. Une colère sans borne lui) faisait oublier la
sérénité due à la majesté impériale.
Albert, pour éviter ces embûches, renonça aux
voies, les plus .directes et choisit un ohemin- long et
détourné. Son intention était en tpaversant la Pro-
vence d'arriver à Montpellier et de gagner' Rome par
la mer. Il prit «donc un déguisement ainsi que tous
ses compagnons, et se mit en route dans , Ic; plus
grand secret. Mais arrivé à Montpellier, quelques
indices suspects vinrent l'aveirtir de se mettre en
défiance. Jugeant plus sûr de ne pas s'embarquer, il
s'engagea dans les chemins étroits et escarpés qui
traversent les Alpes maritimes et passa ainsi en Italie.
Cet itinéraire offrait de grandes difficultés. Il fallait
ses frayer un chemin dans des endroits inaccessibles,
tantôt escalader les montagnes et tantôt longerlacôte,
traverser Gênes, Lucques et Pise, pour atteindre
Rome où le pape Célestin ÎO, averti de l'entreprise
d'Albert et des embûbhes dressées partout sur sa
route j était plein de sollicitude et fort anxieux sur le
sort des voyageurs.
Dans tous les lieux où on s'arrêtait pour loger, Al-
bert cachait sa qualité de seigneur et se faisait passer
pour un simple domestique soignant les chevaux- à
l'écurie et préparant les mets à la cuisine. Une fois,
l'hôtelier de la maison où ils avaient pris logis était
occupé à' laver ses propres chaussures; avant de les
cirer, les voulant faire sécher, il s'adressa à 'Albert
et lui dit grossièrement : « -Valet paresseux qui ne
fais rien, prends ces souliers, tiens-les devant le
feu, puis cirei-les-moi. » Albert crut devoir obéir à
ce malotru et se mit à faire sécher les chaussures,
mais quanta les cirer, il jugea que ce n'était pas son
36 ^ VIE DE SAINT ALBERT. ' '
affaire. Imaginant un prétexte dont le fâcheux hôte-
lier ne pourrait se formaliser, il prétendit que les
chevaux se débattaient dans leurs liens, rendit tran-
quillement en souriant les souliers à leur propriétaire
et courut à l'écurie. Là, joyeux d'être quitte, il s'at-
tarde à dessein, disant à haute voix que les chevaux
sont embarrassés les uns dans les autres, qu'il doit lés
délier, que sa présence est nécessaire auprès d'eux,
alors qu'il n'en était rien, enfin il fait si bien que --
l'aubergiste désespérant de son concours se décide à
cirer lui-même ses souliers, besogne, n'est-ce pas,
qui lui revenait.
Une autre fois, ils s'arrêtèrent dans une localité
où un noble célébrait solennellement ses noees.
Habitants et étrangers, tout le monde fut invité à la
fête. Albert et ses compagnons, entraînés par leur
hôtelier, durent s'y rendre aussi. On les pria de
faire honneur à l'assemblée par leur participation,
de vouloir bien, si l'un d'eux en avait le talent,
jouer du luth, et de charmer les oreilles des assis-
tants par quelque instrument de musique. Les com-
pagnons de l'évêque présentèrent alors le faux domes-
tique. Les vêtements informes et le visage couvert
d'une sueur noire, combien cet Albert était diffé-
rent de l'élégant seigneur dont les formes gracieuses
révélaient la noblesse du sang et la haute distinc-
tion de naissance ! Le maître de la maison s'em-
pressa de lui offrir une harpe. Comme un autre
David, Albert dans le parfum de son adolescence
avait fait ses délices de cet instrument de musique
suivant la parole de l'Ecclésiaste : « Lsetare juvenisân
adolescentia tua. » Cette adolescence d'ailleurs, elle
n'était pas bien loin. Il avait alors entre vingt-cinq"et
VOYAGE A ROME. 37
trente ans et avançait en âge et en sagesse vers les an-
nées viriles. Les doigts habiles se mirent donc à glisser
sur les cordes et en tirèrent des accords délicieux qui
charmèrent plus que ceux d'Orphée les oreilles des
auditeurs. Toute l'assistance applaudit. Mais Albert se
souvenant avec tristesse de la réalité au milieu de ces
réjouissances, refusa le salaire qu'on lui offrait et,
prétextant un travail imposé par ses maîtres, se retira
au logis, heureux de se dérober et d'être seul.
Enfin après bien des fatigues et des peines, inven-
tant mille stratagèmes pour échapper aux piégés tendus
sur leur passage, les fugitifs, Dieu aidant, arrivèrent
sains et saufs dans la ville éternelle.
Albert voulut comparaître aussitôt tel qu'il était
d evant le pape ^. Son teint était brûlé par le soleil,
le visage couvert d'une couche de poussière et de
sueur,' la tête couverte d'un bonnet de lin noir, les
pieds dans de larges chaussures au cuir épais et dur,
les habits d'étoffe vile et grossière, la ceinture informe
et vulgaire où, dans une gaine malpropre pendait un
énorme couteau. Tel était l'accoutrement de ce gentil-
homme, de cet évêque élu, que vous auriez pris pour
le plus misérable des serfs, tout souillé par les plus
bas offices de la cuisine. Albert entra directement
dans le palais pontifical et se^ présenta devant le Sou-
I . Célestin III était cardinal diacre depuis soixante-cinq ans
quand il fut élu pape à l'âge d'environ quatre-vingt-cinq ans, le
3o mars 1191. Ordonné prêtre le Samedi Saint> i3 avril, de la
inême année, il fut consacré le Dimanche de Pâques, et le len-
demain, il procédait dans la basilique de Saint-Pierre au couron-
nement de l'empereur Henri VI et de l'impératrice Constance.
-Il mourut le 8 janvier Ï198. (Baronius, Ann. eccl., XIX-XX,
p. 601 et suiv. ; Jaffé, Reg. Pont, Rom.^ 11^ p. 577.) .
VIE DE SAIST^ALBERT. 3
38 vie: DE SAINT, âXBERT.
verain Pontiie. Il était acoompagaé de Gaothiei' d%
Chauvfeacy^ arehidiacre, de T'k©aaaas de Marbais,.
Ghanoine de Sais&t^lj»mh&ct et d^e quelqiaes fa-Hiilieis:»;
ses attires amis par CT^inte de Fempereur m'avaient
pas osé afl&'onter de si ij^paisds; éawgersv
Quand le pope €éi«stin le vit «©trer dans cet état et
sous oe dégwts©Ment, ii hésita, étonné, devant Fin»*'
Gornïu qui apparaissait aiïisi à l'iuaprovisfie : « Ymeiy
Saint-Père, dirent les -ekanoiiieSy votre fils., i'èlu de
Liég«, Albert d<e L«m\îaini, ferisé paor le long v©yage
qu'il vient d'Acco«lîpîiur à Cravers, d« grands daïi^ers-w.
A ces mots le pape ému fonidh; e» larmes et faisaaait
approcher Albert, il se jeta à scm cou, le couvrit de
baisers en disant : « Béni soit Dieu qui a déliwé mon
enfant dte là gueul« diu lion. Jei savais, mon fils, qrne
vous étiez parti et jéfâis oonsainéde crueUes igaqiuié-
tudes en song^eant à tous lespériès dressés sair vôtres
chemin. J'ai été informé die tout avant votre arrivée.
Je sais comnaent s'est faitje votre élection et 1» façorn
dont l'empereur vous a rejeté. VousT-enezici défendre
votre élection et en demander la validation. Par la
volonté de Dieu et sous le paCronagedes saints Apotires:
I . Gauthier de Chauvency ou Caverchin dont le vrai nom est
Walt^r de Rav^nstein, cliatioine puis açehidiacjre de Saint- Lam-
bert, fut élevé à la dignité de doyen de la cathédrale en 1200. Il
fonda à Liège le célèbre hôpital dit de Saint-Matthieu-à-Ia chaîne.
Il fut aussi abbé de jNelïe-'Daiaae-âus-Foiatstet établit à Saiot-
Lambert iie. collège de Saint-Majierne. Il maua?«it le 212 nov.iaorj
(de Theux, Le c/ttxp. de Saiai-Hambeirt, I, pf,. iSg et suiv.,).
3. Thomas de Marbaàsi &iit ua des, plus dévoués partisaaas.
d'Al'beict de Lou^vain. Il figiaire comme chanoine depuis 1189; et
me!Ud.'ut à Rome «n 11=95 de la maladie contagieuse qui empocta;
Simon de LiiraboïUîg, le successeur élu d'Albert à l'évêehé de
Liège (de Theitx, 0, c, p.. igi-iga).
yOYAGE A ROME. 39
Pierre et Paul, vMpe pein« ne sera pas inmtiie, et si
l'enquête canonique est concluante, votre élection
sera confirmée, «Par ^es paroles, et d'autres propos
bienveiJilaînts le Saint-Père «onsola Albert et puis
l'envoya se reposer 4e ses fatigues,. Il se retira donc,
laissant toute la cour pontificale remplie d'une tou-
dbante sympatàie à son égard.
Le procès «anonique Commença à Pâques et dura
jusqu'après l'octave de la Pentecôte» Albert apportait
les ^preuves irréfutables -de soja élection. La curie ro-
maime en fit un esLamen .attentif^. 11 lui étaiit aisé de
termiaer cette affaire en peu de jours et de confirmer
la validité d'une élection dont personne ne doiïtait^
Mais il y avait une chose qu'on .craignait terrible-
meM, c'était l'indignation de l'enaiperBur contre le dixc
de Louvain et son frère Albert ; on savait que la vio-
lence et l'obstination d'un Teuton ne s'apaisent ;pas
facilement^. Pour ce naO:tif, la cour romaine se trouva
fortement divisée. Les uns estimaient qu'il fallait obéir
à Dieu plutôt qu'aux hommes et défendre la liberté de
l'Eglise de Dieu malgré tous les périls du monde.
Les autîres, c'était la minorité, prétendaient qu'on
devait épargner à l'Eglise des dangers certains et
menaçants et les plus graves scandales qui pourraient
résulter de ces événements; qu'on ne parviendrait
pas à adoucir la férocité de l'empereur 3, ni résister
à sa puissance, que sa colère supérieure aux lois ne
se soumettrait à aucune loi, qu'aucun glaive humain
1. Nous ne possédons malheureusement aucun document pon-
tifical relatif à ce procès.
2. riolentia ejus et obstinaÛQ qiiae more Teuionici facile non
sedatur^ p. i45.
3. 'Imperatoiis feras animas non passe mibigam, ihicL
^ ■^^'^:W^v:'}f;f'i:'WW^^
■^^-Tz'^'y-y^;^
40 VIE DE SAINT ALBERT.
ne pourrait réprimer les écarts de celui qui détenait
dans ses mains le glaive suprême. La discussion se
prolongea ainsi plusieurs jours entre les cardinaux
sans pouvoir arriver à une décision. Albert insistait
avec force, demandant le jugement de Dieu, non
celui « des hommes. « Que faites-vous donc, dit-il,
vous qui êtes ici pour juger, vous les fils de Dieu par
excellence au milieu des hommes, vous, élevés au-
dessus des enfants des hommes, allez-vous indigne-
ment subordonner le jugement de Dieu au jugement
des hommes? Craignez de rabaisser le jugement de
notre Dieu et jugez ce qui est juste de mon élection..
Si elle n'est pas canonique, annulez-la. Si elle est
canonique, hâtez-vous de la reconnaître et de donner
une conclusion favorable à la discussion qui s'est
élevée à son sujet. Je n'emploierai pour faire triom-
pher ma cause ni or ni argent, car je ne mets pas
mon espoir en eux, et d'ailleurs il n'y en a pas de
grandes quantités chez moi, mais ce que j'ai, c'est ma
cause, la voila, à vous de la juger. Ce n'est pas l'argent
c'estla justice qui décidera de mon droit. L'argent, que
Lothaire le prévôt de Bonn se confie en lui, il en
regorge, il nage dans l'or. Qu'il mette sa force dans
la puissance de l'empereur et qu'il s'appuie sur sa
faveur pour attaquer la liberté de l'Église de Dieu.
Pour moi, tout mon espoir repose en Celui qui est la
Yérité et la Justice, en Celui qu'aucune puissance hu-
maine et aucune malice ne peuvent arrêter. Si vous
craignez les scandales et les périls humains, craignez
Dieu davantage, car il est terrible de tomber dans les
mains du Dieu vivant; craignez que la peur des
hommes ne vous fasse étoufiFer le jugement de Dieu.
C'est sur moi en premier et en dernier lieu, c'est sur
VOYAGE A ROME. 41
ma tête en définitive que retomberont les scandales et
lés dangers que vous craignesz. Que je meure de la
mort des justes et que ma fin soit semblable à là leur.
Pour la justice de Dieu et pour la liberté de son
Église je suis prêt à exposer ma vie, à mé jeter dans
les derniers, dans les plus grands périls. »
La fermeté de ce noble seigneur, dont les paroles
dans une bouche si jeune avaient la gravité de la vieil-
lesse, excita dans toute la cour un désir très ardent
de lui rendre justice; justice enveloppée par la lu-
mière d'en haut d'une telle clarté que tous, cardinaux,
princes romains, sénateurs, furent unanimes à la
reconnaître.
Ce résultat remplit de joie le pape Célestin, qui
avait pour Albert l'afiFection paternelle la plus tendre,
et il détermina le jour où la sentence serait rendue. A
la date fixée, toute la cour pontificale ainsi qu'un grand
nombre de nobles romains accoururent au Latran et
remplirent le palais de leur afïluence. On rappela
brièvemient les faits et tout ce qui avait été dit au sujet
de l'élection de Liège, le rejet par l'empereur, l'intru-
sion de Lothaire le prévôt de Bonn, enfin toutes les
questions qui'avaient été soumises à la cour romaine
et finalement à qui appartenait le bon droit. Le pape
Célestin, conformémentau jugement rendu à l'unani-
mité, approuye et confirme l'élection d'Albert de Lou-
. vain et condamne tous ceux qui se sont opposés à cette
élection. Cette sentence est accueillie avec un grand
enthousiasme par toute l'assemblée qui applaudit en
l'honneur de l'élu élevé à une si haute dignité.
A cet honneur s'ajoute un honneur plus grand
encore. Le Souverain Pontife nomme Albert cardinal
et lui imposant la mitre sur la tête le fait asseoir
42 VIE'Dï; SAINT ALBERT.
parmi les jpfinces de la Sainte Église romaine.
Le samedi suivant, dans la solennité des Quatre -
Temps de la Pentecôte, le pape conféra à Féki
l'ordre du diaconat et voulut qu'à la messe de ce
jour, à la grande joie de L'assistance, Albert, car&iat
diacre, chantât pour k première fois le saint EVan- ,
gile'^.
T. PhiîHenrs auteurs ont éinis des toutes sur cette êlévatim^
d'Albertau; cardinalat. Par exemple : Heller, Fita dlberti^ p. 146,
note i... Elle paraît en effet extraordinaire. Le fait ne se trouve
relaté parmi les sources anciennes que dans la Fita Alberti. Les
écrivains du xviie siècle attribuent à Albert le titre cardinalice
de Sainte-Croix. Nous le trouvons dans la bulle de Paul' V, rô 1 3,
autorisant le culte d'AJibert. ("Voir plus loin appendice^)'!! n'existe
pas, que nous sachions,, dams les archives vatieanea de: docu.'-
raents qui permettent de vérifier ce fait. Jaffé le passe sous
silence bien qu'il rapporte la confirmation d'Albert à Rome dans
les actes de Celestin IIÏ. (Regesta Pont. Rom. Il, p. 691.) Parmi
l«s cardinaux qui souscrivent les bulles de ce pape il ne s'en
trouve pas dai titre, de Saimte-Croix de JérusaileHi. Ce tiitre^sous
Clément III, le prédécesaear de Celestin III, a e'té occapé par le
cardinal Albinus, qui le 6 juin 1189 apparaît comme évêqued'AL-
bano, et perd en conséquence son titre de Sainte-Croix. (Jaffé,
Reg. Pont. Rom. p. 533.) Chose assez curieuse, dans les Âcta
poutificum Romanomm inedlùa, lïî, p. Syo-S', édités pair
PQugk-Hartung, nous trouvons deuix bulles de Clémient III, pro-
venant des arclîives de Pérouse, du 17 et 18 mai 1189, où parmi
les cardinaux signataires se trouve un Alb[ertus) (sic) presbiter
cardinalis tit. sanctœ crucis in Jérusalem. C'est' sans doute une
erreur de copiste. Cet Albertus est pi'obablement l'Albinas dont
nous venons déparier. Ce nom étant écrit en abrégé : « Alb. »
on a transcrit (AIb)^rlusaurieud'Albinus. SeraLt-ee là l'origine
du titre de Sainte-Croix attribué à Albert? Ce n'est pas impos-
sible. Le nom cFun Albert cardinal du titre de Sainte-Croix
à la fia èxx xn^ siècle a pu passer grâce à cette erreur de copiste
dans les fastes cardinaliees et entrer ainsi dans le domaine de
l'histoire. Cette hypothèse relative à des bulles de 11 89., ne
Après cet afC^e important, le pope "CélesâiB prit avee
mne grande so<lfKckt»èe les mesiBres aéasessaîres poiar
faire renlireir siai® et sauf s®n cfeear fils Albert éans sob
pays et lui procurer les ^moye»» d'obtenir l'ordina-
tioffi saceréo-tale et ki icoasécration épiiseopale, afin
d'a«hevetr en lui l'cBravre qu'il a^^ail Jmi-même si pater*
nelleroent eoimmencée. IlécriTit àcet effetdeuxlettpes,
Fuae adressée à Brunotn, arclievêque dte GologîDej
l'ambre à GaîMaitHiue-, arcibesi^èqae de JkiMiBiîBS, afin que
prouve rien pour ou contre la nomination d'Albert de Louvain
au cardinalat quatre années plus fard le 3o mai 1192.
A défaut de documents positifs deux argumenta nous sem-
MienJt plaider eu faiveur de la yraisem:Wa«ee dia fait rappcâ-tc
par la Vlta :
1° La sincérité constante de l'auteur qui n'avait aucun intérêt
à inventer cette histoire et à revêtir son héros de la pourpre
au mépris de la vérité. Aïbert qui avait obtenu gain de cause à
Kome apparaissait; sans cette distinction assez honoré par la
confirmation dé son élection épiscopale et l'accueil si paternel
du pape.
1° Le même fait se reprodui ïl quelques années après en iigS
en faveur de Simon de LimWurg le cousin germain d'Albert.
Son élection à Liège ayant été contestée de nouveau par lie parti
hénnsuyer, il viait à Home avec soïi conïpétiteur Albert de Cuyk
soumettre sa cajise au même pape Célestin. Le& critiques ne sont
pas d'accord sur l'issue finale du procès.. Mais ce qui est certain,
c'est que Simon fut nommé cardinal, et cela malg;^ré son jeune
âge : il n'avait que dix-huit ans. Il ne jouit pas 'longtemps de cet
honneur, car il mournt d'une anal'adre conHagieuse à Rome, au
Hiois d'août de la même aimée iigS, Ses,tiTestes furent déposés
solennellement dans la basilique du LaBraja... (Mist. du Limboiu'g'
Ernst, III, pp. 2x3-235.)
N'est-ce pas en souvenir d'Albert de Louvain cardinal que le
pape voulut honorer delà même dignité son cousin Simon? En
tout cas si le fait est vrai pour le secxjnd, poiurquoi ser»it-it
invraisemblable pour le premier.!*
44 VIE DE SAINT ALBERT.
si le premier par crainte de l'empereur déclinait
le mandat apostolique, le second pût procéder à
son exécution. Il envoya aussi plusieurs messages à
diverses personnes pour renforcer les mesures prises,
condamner Lothaire de Bonn s'il ne s'amendait pas
et tous ceux qui auraient la présomption de s'opposer
aux décisions apostoliques sur la dignité d'Albert. Il
ordonnait à tout le clergé et au peuple liégeois, à
toutes les autorités ecclésiastiques et laïques du dio-
cèse, et enjoignait à chacun en particulier sur son
honneur pour la rémission de ses péchés, de faire
leur soumission à Albert. Il les déliait de la foi jurée
au prévôt de Bonn, l'intrus de l'empereur, et leur
mandait de prêter serment de fidélité et d'obéissance
à celui dont l'élection, reconnue juste et canonique
était approuvée et confirmée par le Saint-Siège. Toutes
ces lettres étaient écrites en double et confiées à des
courriers indépendants les uns des autres, afin d'éviter
les embûches préparées sur toutes les voies de terre
et de mer où pourraient passer les voyageurs à leur
retour de Rome. De celle façon, la petite escorte de
l'évêque se scindant pour le retour en deux groupes
différents, si les lettres confiées à l'un d'eux venaient
à être interceptées, on pouvait espérer qu'avec l'aide
de Dieu les autres arriveraient à destination. Par une
délicate attention, le Saint-Père avait strictement
défendu à tout le personnel, portiers, scribes, notaires,
même aux cardinaux, exerçant une fonction ou une
dignité quelconque dans la cour romaine, d'accepter
une rémunération quelconque d'Albert, et avait
recommandé de faire tout gratuitement en faveur de,
celui qui s'était exposé à tant de fatigues et de dangers
pour défendre la liberté de l'Église.
VOYAGE A ROME. 45
Prenant celui-ci- en particulier, le Souverain Pon-
tife l'entretint familièrement et lui parla comme un
père à son £Is bien-aimé. 11 lui répéta avec beaucoup
d'insistance et d'affection, de ne se laisser ébranler ni
par la crainte, ni par lés prières, ni par les promesses,
ni par les menaces, et.de n'abandonner à aucun prix
sa résolution et son droit que lé Saint-Sièçe avait
sanctionné et patronné d'une façon si solennelle et
après une si mûre délibération. Le Saint-Père avait/
pris l'élu de Liég-e en affection et lui témoignait une
tendresse toute paternelle. Comme marque de cette
prédilection, il voulut lui faire quelques présents, et
lui offrit un anneau d'or en gage de la fermeté de sa
foi et deux mitres précieuses, l'une pour lui et l'autre
pour l'abbé de Lobbes. Albert avait recommandé ce
dernier au Saint-Père à cause de l'amitié toute spé-
ciale qui l'unissait à ce prélat et à son abbaye.
Il était temps de partir. La cause était gagnée et
la faveur du pape désormais assurée. Albert, pour
tromper ses ennemis, feignit de prolonger son séjour
à la cour pontificale, tandis que tout était prêt pour
le départ. 11 divisa ses compagnons en deux groupes,
leur assignant des itinéraires différents pour retour-
ner dans leur patrie, puis vint en secret trouver le Saint
Père et lui demanda sa bénédiction et la permission
de partir. Le pape en pleurant et en l'embrassant le
combla de ses bénédictions et de ses vœux et le con-
gédia enfin avec ses derniers adieux le cinquième jour
après l'ordination au diaconat. On était au commen-
cement du mois de juin. Ayant trouvé un bateau mar-
chand en partance dans le port de Rome, il y monta
en cachette. Arrivé aux bouches du Tibre il se confia
àlamer sur la même embarcation qui l'amena jusqu'à
* 3.
46 VIE DE SAINT ALBERT.
Pise . Là, ayant appris que des embûches F atteandaient
il renonça à la navi'gation! et prit la voie de ten*. Par
les sentiers détoumês des monitag'nes qui loim-geBt le
littorai], avec beaucoup de peines et de sueurs et tou-
jours environné de dang^ers, il arriva enfia aux Alpes
d'Hannibal connues sous le nom -de Mo^t-C'enis.. Au
pied de cette cime, dans une pilace forte tramsalpne ap-
pelée Susa, il rencontra un gentilhomme frança>is très
aimable, le comte de Cbâlon-sur-Saône. Celui-oi, *re-
marquant les manières distinguées du voyageur et ses
allures mystérieuses, se douta qu'il était en préseisee
d'un personnage important dont la vie étail; menacée
et lui demanda gracieusement qui il était, d'où iilvenaJE,
ou il allait, lui promeUtant secret et assistance, Albert
pensant qu'il lui serait utib de s'ouvrir à ce seigroeur
de son rang, lui révéla son no*m, sa naissance, sa dignité
et les raisons qu'il avait de se cacher et de se ternir sur
ses gardes. Le comte l'embrassa, l'encouragea avec
banté et lui offrit sa compagnie pour le retour en
France. Il l'assura qu'il pouvait compter sur sa protec-
tion et sur ceHe de ses amis pourliuifaeililFerle voyage
jusqu'ein Champagne. &râce à ce seeours providentiel,
Albert'échappaïit à tous les dangers, arriva à feims où
il put enfin s'arrêteT et se reposer qii'elqiaies j^Murs en
paix*.
I. PHta Alberti, c. 6-i:i.
CHAPITRE IV
Visite à l'abbaye de Lobbes. t- Albert y appoirte une mitre de la part
du pape. — Retour au pays. — Le premier exil en Ardennes.
La première pensée d'Albert à son retour de
voyage fut d' allez rendre visite à l'un de ses meilleurs
amis,. Wéry, abbé de Lobbes. Ce fidèle compagnon
d'infortune n'avait pu suivre son seigneur à B.omQ,
mais il partageTa,, «omme nous le verrons, son exil à
Reiras et lui restera attaché jusqu'à la mort. L'abbaye
de Lobbes ressortissait au spirituel du diocèse de Cam-
brai,, mais dépendait au temporel de la principauté de
Liège où elle tenait le premier rang parmi les monas-
tères et les églises. L'évêque de Liège en sa qualité
de suzierain était le protecteur attitré de l'abbaye et
l'entourait d'une sollicitude toute particulière qui
s'étendait même aux intérêts Sspirituels. En retour, les
moines, de Lobbes lui vouaient un attachement et une
fidélité inaltérables 1. Wéry avait euFoccasioii d'apprér
cier les qualités d'Albert de Louvain pendant soa ar-
chidiaconat et fondait de -grandes espérances sur le
futur évêque et le restaurateur espéré de sa glorieuse
abbaye qui, àcelte époque, traversaitune crise inquié-
I. Warichez, Vahhaye de Lobbes, p. iSa et sui^.
48 ., VIE DE SAINT ALBEUT.
tante i. Quand il apprit ce qui s'était passé à Worms
et l'intrusion de LothaireàLiége, il fut atterré. La po-
sition de son abbaye située aux confins du comté de
Hainaut , son attachement bien connu à Albert et à
la maison de Brabant l'exposaient lui et ses moines
aux représailles de Baudouin et de son protégé. Fallait-
il résister ouverte ment à l'intrus au risque d'encourir sa
vengeance, ou prêter le serment qu'il exigeait et atten-
dre des temps meilleurs? L'abbé de Lobbes, dans sa
perplexité, cherchait l'occasion de rencontrer Albert
pour lui exposer ses doutes et l'assurer en même temps
de sa fidélité. Ilignorait son projet de voyagea Borne
préparé dans le plus grand secret. Une heureuse coïnci-
dence le lui apprit. Se trouvant à Reims pour affairés, il
y rencontra deux serviteurs de l'évêque élu chargés par
celui-ci d'acheter des vêtements nécessaires au voyage.
II leur demanda où ils avaient laissé leur maître.
Ceux-ci, connaissant l'abbé de Lobbes et sachant que
c'était un homme sûr auquel ils pouvaient se fier,
le mirent au courant de tôut.^ Aussitôt l'abbé abandon-
nant ses affaires à Reims s'empressa de suivre les ser-
viteurs et de rejoindre avec eux son seigneur à Châ-
teau-Thierry où, d'après un arrangement préalable, il
attendait des messagers envoyés par son frère le duc
Henri. Les deux amis, heureux de se retrouvera cette
heure angoissante, passèrent trois jours ensemble dans
la plus étroite intimité. Quand Wéry se fut ouvert
à l'évêque des doutes qui l'inquiétaient au sujet-^de
l'attitude à prendre vis-à-vis de l'intrus, Albert le ras-
I. Warichez, p. 107. Les chartes témoignent çles effoi'ts louables
que fit Wéry pour relever la situation économique de son abbaye.
II abdiqua en 1204.
^ VISITE A LOBBES. 49
sura et lui dit avec bonté : « Ta fidélité que je C0|nnaîs
n'est pas en jeu. Fais ce qu'exigent les circonstances.
Il faut céder à la nécessité. Prête serment de fidélité
àLolhaire de Bonn tant que dure son imposture. wSi
mon Dieu est avec moi, l'heure de son châtiment n'est
pas loin. Son règne sera court et sa fin mauvaise.
Ses jours détestables sont comptés. Bientôt ils auront
passé. Le Seigneur aura pitié de mes souffrances et
de mes larmes. Toi et tous ceux qui auront été con-
traints de se lier ainsi momentanément seront absous
par le pouvoir apostolique et vous pourrez alors obéir
à celui que le Dieu de bonté et de miséricorde vous
enverra après que le Saint-Siège aura condamné et
renversé pour toujours cette idole édifiée par l'envie. »
Pour comprendre ce conseil, discutable au point de
vue de la stricte morale, qui ne permet pas, même
pour éviter un mal, de se prêter à un acte répréhen-
sible, il faut se reporter à ces temps malheureux où
tropsouventla force primait le droit et où, pour sauver
de la ruine les personnes et les biens, il fallait quel-
quefois céder pour un temps devant la violence et
l'injustice. A ce moment d'ailleurs, le pape ne s'était
pas encore prononcé sur la cause d'Albert. Si l'évêque
croit devoir la défendre envers et contre tous, c'est
par amour pour les droits de l'Église dont il est le
représentant. Il est prêt à donner sa vie, il ne veut
pas exposer celles de ses brebis. Albert, en bon pas-
teur, a pris cette noble attitude dès le début de sa
persécution. Il la conservera jusqu'au bout.
L'abbé de Lobbes fut grandement consolé par les
bonnes paroles de l'évêque. En le voyant partir pour
Rome il aurait bien voulu lui recommander de sou-
tenir les intérêts de son abbaye auprès de la cour ponti-
r> .r^r^'y'^y^r^^^Jw
50 YIE DE SAINT mBE'RT.
ficaie, mais en présenee d'an tel ouragan cîéjchaîné
coaiUre son ami, il se trouva bouleversé et incapable
d'asttirer sur ses affaires persamnelles l'atteMion d'uHi
homme si écrasé par' le poids de ses propres difficultés.
Mais Albert, dans, ses préoxîeiflipajliojias, avait l'ânae
assez sereine pour song^er aux autres. Quand il senit
pleinement justifié et comblé des fàvears de la coiua:
romaine, il n'oublia pas d'exercer à s©n tour La misé-
corde envers l'ami qu'il avait liadss'é dans; le £eu des
tribulations et des amgKîisaes. Il parla de l'abbé dse
Lobbes au Sainst-Père et demanda pour lui une faveuif.
L'abbaye de Lobbes avait reçu des papes au cours
des siècles de nombre:Uix prirvilèges.. Wéry lui-même,
en 1182,^ avait rapporté deia ville éterneile une biaille
concédée par Lucius III en faveur du- monastère^.
Parmi les privilèges d'ordre bonoirifiqjitte, les abbés
de Lobbes jouissaient des Pontificwlm.. Ils ptottvaifôat
porter l'anneau d'or, les gants A'é'vyêque, la tunique
subdiaconale et les sandales; ils; bénisfiaiient les vases
sacrés, les linges d'autel, les vêtements saeerdor-
taux, etc. 2.. Ces prérogatives pointifiieales, co^maaaiu.'nes
a'U|ourd'hui à tous les prélats., étaient jadis rarement
aceordéesaux simples abbés;. Gelv^ide Lobbes en usait
tant dans soni église abbatiale q^m. éans Féglise cffthé>-
d^rale de Liège où il présidait aux oifîces en l'abseniere
del'évêque. Les moines: tenaîenit à ces poK'ilï^caiBa? qui
leur rappelaient l'aniique dignité de leur moiuastèape
dontles premiers abbés depuis saint Ursmeriavaient iété
évêques ^. M ais un imisigee: lenr miamquait et ils n'avaieaït
1. Annales Lauhienses ad an. 11.82, apud Warichez," o. c. ,
p. 107.
2. Wanchez, ibid./^. r6i, 162.
3. Wanchez, ibid.
jamaîs pia' jusqu'ici TobtenOT, c'était le privilégie de la
mitre. Allyert crut qu'aiicrain présent ne serait ipliBS
agréable à sa chère abbaye de Loibbes et à son abbé.
II le demandaetil'fobti'ïit.Célestin illiie se contenta
pa« d'accordcT' la bulle autbemlique et gratuite ree©iiï-
naissant ce privilège,- il voulut faire cadeau, coMnse
nous l'avons vu, a l'évêque de Liège de deux minres
magnifiques, une pouT lui-même et l'autre pour Tabbé
de Lobbes^. Albert avait hât© d'apporter à son ami ce
gage de la bienveillanee du SaiBU-Père ef de lui faire
part en même temps du s^iecès; die sa cauise remp<oa'té
à la cour pontificale. Mais il fallait prendre d^es |apé-
cautions contre Baudo'mm de H'amaul et Fintrœs
ILotbaire qui cherchaienit toutes les occasions de kn
tendre despi«ges. Un jouT, de grandi matin, muni du
précieux trésor, il monte à cheval ajccompag^é seule-
ment de Thomas de Marbaîs et d'un serviteur ; che-
vauchant ensiemblë tout le jour et toute la DBit, ils
arrivèrent au monastère un peu avant le levîer diu
jour, la veille de la f^ete de Saint-Fierre-ès-Liens.
Les moines yenaieint d'achevier l'oifEce; de Laudesi.
Pour augmenter la surprise de lewr ami Wéry, les
deux voyageurs e^nvinrent d'abord de faire passer
Févêqu'e pour le servàtesua? 'du chanoiR©^ Thomas -de
Marbais qui connaissait bien l'entrée de l'abbaye vinït
crier à la porte pour appeler l«s chapelains de l'abbé.
La porte s'ouvrit et le chanoine suivi d'Albert s'en-
gagea dans l'escalier. L';abbé asoeoiurt dans l'obscurité
I . Deux ans plus tard, en Ti^^^ l'e même pape accorcMt à
l?abbaye de Lobbes le privilège le plus aTnbiliîonné des monas-
tères, celui de l'exeniplion. Les recoraman dations d'Âïbert em
1192 ne fiwent sans doute pas étrangères a cette -nouvelfe faveur
de Célestin lH. (Wari'chez, p. 164.)
52 VIE DE SAINT ALBERT.
au-devant des hôtes, car il avait entendu appeler ses
chapelains, et allume à la hâte une, chandelle, tout
étonné de cette visite matinale. Il ne reconnut pas
l'évêque dont la tête était recouverte d'un grand cha-.
peau et à la venue duquel il ne s'attendait aucune-
ment. « Voici, dit Thomas en souriant, mon serviteur,
puis se reprenant, voici Monseigneur, c'est lui, c'est
votre ami. » Ce fut une grande surprise et une grande
joie pour Tabbé. Les frères n'étaient pas encore sortis
de l'église après l'office, sauf ceux qui étaient allés se
reposer. Aussitôt, on fait appeler à tout le monde pour
venir saluer l'illustre prélat honorant par cette visite
son monastère de prédilection. Albert, sans quitter ses
habits de voyajge, se rend aussitôt à l'église et après
avoir adoré, s'avance vers l'autel de saint Pierre encore
éclairé par les cierges avant le lever du jour. Les
moines s'y rangent pour lui faire honneur. Lui, dou-
cement s'incline, baise l'autel et y dépose la mitre
dontil fait présent à l'abbé et à toute la communauté
en témoignage de son affection. Il leur donne en
même temps les lettres du pape octroyant ce privi-
lège'. Mais le temps pressait. Albert ayant pris quel-
que nourriture, car il n'avait encore ni mangé ni
dormi, se remit en route sans délai au point du jour.
Il était brisé par les veilles et le jeûne, mais la crainte
du comte de Hainaut ne lui permettait pas de s'attar-
I. Le biographe d'Albert en rappelant le privilège de l'an-
neau d'or dont jouissait déjà l'abbé de Lobbes, ajoute au récit
celte réflexion naïve : « L'insigne de la mitre semble êtrq la dis-
tinction la plus appréciée et l'emporte sur les autres ornements
par la dignité même de la têle qu'elle honore. En soi cependant
l'anneau d'or quoique moins apparent a plus d'importance et
de signification mystique que la mitre, » [Fita Alberti.)
/
VISITE A LOBBES
der pour prendre le moindre repos. L'abbé de Lob-
bes mettant son affection au-dessus de la peur, car
il avait grandement à craindre aussi pour sa personne,
escorta le prélat avec quelques com^pagnons jusqu'à
Nivelles où le clergé et les habitants reçurent l'évêque
avec beaucoup de vénération et de joie*. L'abbé de
Lobbes prit alors congé d'Albert et retourna dans son
monastère pour y célébrer la fêle de Saint-Pierre-ès-
Liens. Mais, en cheminant, le pauvre abbé de Lob-
bes fut tourmenté par une question qu'il se posait
à lui-même et une lutte qui se livrait dans son esprit.
Allait-il user de cette mitre ou ne pas en user? En
user c'était provoquer l'envie et la haine des puissants
ennemis de l'évêque Albert cardinal de la sainte
Eglise romaine chargé d'apporter cette faveur gratuite
du Saint-Siège et d'en autoriser l'usage. Le danger
d'exciter la malveillance et l'hostilité de ses ennemis
rendait plus sûre pour le moment l'abstention de ce
privilège. D'autre part, y renoncer ou en remettre
l'usage à plus tard, n'était-ce pas de la timidité, de
l'ingratitude vis-à-vis du don si gracieusement offert
par le Saint-Siège à lui et à son église? Etait-ce pru-
dent, était-ce convenable? «Dans cette incertitude une
chose au moins le rassurait, c'est que cette faveur
était nette. Il n'avait rien fait pour l'obtenir ni par
lui-même, ni par un tiers, il n'avait rien donné, rien
promis, il ne l'avait même pas demandée. L'abbé de
Lobbes en repassant dans son esprit toutes ces
considérations prit une grande décision. Rejetant
I. L'année précédente Albert était intervenu pour secourir
les Nivellois dans leur détresse en les recommandant aux fidèles
du diocèse. (Acte d'Albert élu de Liège. Wauters, L'origine des
libertés communales^ document 5 2).
54 VIE DE SAINT ALBERT.
toute crainte, il' userait pleinement du don de Dieu €fiie
le Siège de Pierre lui avait envoyé par son serviteur ;
il en userait pour ïa première fois en cette fête même
de saint Pierre afin de rendre à Dieu, en cette solen-
nieé, honneur pour honneur*.
On apprit bientôt partout que le Saint-Siège avait
oo-nfiïmé Télection <i'Alb©rt été L^uvain, la lavew av«c
laquellie il avait été accueilli à laeoUr pontificale, ain^
que la condamnation de Lothaîye, le ppéivôt <le îkïnir,
et d'e tous ses partisans. Cette nouvelle fut aecueiîBe
très diversement. Elle causa vme vive joie à ceux qiri
approuvaient ce que le pape approuve et condamnaient
ce qu'il condamne. Elle provoqua au contraire tris-
tesse et confusion ehez ceux qui adhéraient avt «on-
dam-né et en voulaient à Ailli>ert pour son approbattom
si éctatante. Chez Henri VI la honte se changea en fu-
reur. Lothaire livré au sens réprouvé s'endurcit. Tous
deux résolurent de détruire l'œuvre de Dieu.
Albert, après sa visite à Lobbes„ était retourné dans
leBrabanl sa terre natale. L'empereur avec une cruauté
implacable somma le duc Henri de chasser son frère
d« son territoire et de nepluslui permettre d'yrentrer.
Celui-ci, redoutant les colères sans merci de son suze-
rain et les menaces d'uîie puissance à laquelle il lui était
impossible de résister, ^'int tout rempli d'amertume
confier son épreuve à son frère. Albert qui mettait
son espoir plus en Dieu que dans les hommes le con-
sola tendrement : « Cette tempête, dit-il, soulevée
par moi ne doit pas t'engloutir. Il est plus sûr pour
moi de chercher un autre lieu de refuge que de t' expo-
ser avec moi en restant dans ton pays. J'irai trouver
I. « Et sic honoravit dienii fèstttm festo Dei dsoao ».
RETOUR AU PAYS. • 55. "
notre- oncle Memri, lie duc d^ArâenBes*. Cet homme
magnanime me recevra. Dans ses bois, ses marais^
ses- montagnes, il est à l'abri à& toutes les smirprises
de la guerre,. Je n'y passerai cfae quelques lorars car
j'ai hâte d'être ordonné prêtre et de recevoir aussitôt
après, par $a volonté de Dieu, la conséeiation épisco-
pale. Si l'évèqTie die Cologne, à quiledr©itd'«rdiîaiation
revient s'excuse par crainte des Juifs"^ àe ne pouToÏT
accomplir le mandat apostofligne expressément adstsessé
à lui, Je serai, suivant la Ueiïeur des lettres, ordonné
et consacré par l'êvêiju'ede Reims désigné. en second
lieu pa:^r' te Saiiit-^ege. Mon cœur «si afferraii par Ha
force divine contré tou-ïe éventualité. Uen»pereu-r peut
par îa violence m'enliever na^n -évêelté, il est incapable
de m?e priver de la dignité épiscopale^. Reste donc en
paix, car ta paix est la isfiieiaine.. La lerese divinic est su;-
périeure à tous les pouvoirs terrestres. Dès sOfue cette
vertu souveraine soiifflera, toute la puissance desi té-
nèbres s'évanouira. C'est en vain qxi'elle s'élève et
s'acharne contre l'autorité suprênae de Dde» et la li-
berté de son Eglise. Contre celle-ci la malice des
hommes ne.prévaudra jamais ».
Après ces paroles d'encouragement, qui raffermis-
saient lui-mêiaae et récoiufortaienit en même temps son
frère abattu par une épreuve si affreuse, Albert fit
ses préparatifs et partit pour son premier exil, aban-
donnant sa terre natale, le pays de ses pères, de ses
nobles ancêtres. Il arriva en Ardennes où le duc son
oncle reçut généreïii&emreiiat le neveu qui venait à
I . Le due Henci III de LimbouiÇg^ appelé duc d'Âvdennes
paii'ce qu'il était comte d'Arlonu
2., Allusion à la conduite de Bôjace Pilate.
56, VIE DE SALNT ALBERT. ' ' "^\ - :
lui et le conduisit dans son château-fort de Limbourg ^ .
Il lui montra les remparts et les fortifications derrière
lesquelles il serait avec les siens en pleine sécurité.
C'est là qu'Albert reçut la visite de quelques Liégeois
qui se conformant aux ordres du Souverain Pontife
venaient lui prêter serment et le reconnaître comme
évêque. D'autres craignant de se montrer envoyèrent
en secret des messages où ils protestaient de leur
obéissance et de leur vénération*
L'archevêque de Cologne, épouvanté des menaces
de l'empereur, fit savoir à Albert qu'il ne jpouvait l'or-
donner ni le consacrer. Prétextant une maladie il
écrivit à l'archevêque de Reims, le priant de vouloir
bien, comme l'indiquait le bref pontifical, accomplir
cette double fonction au nom du Saint-Siège et en
son nom^. Ce dernier accueillit la lettre et la demande
avec bienveillance, et dévoué aux ordres de Rome,
il manda à Albert de venir sans crainte. Celui-ci se
rendit donc à Reims où il fut reçu avec de^ grands
égards par l'archevêque Guillaume et son Eglise^. Le
1 . Ce château était situé sur une colline qui porte encore ce
nom aujourd'hui aux environs de Verviers. L'ancien duché de
Limbourg ne correspondait aucunement a^'^ec la province actuelle
du Limbourg belge,
2. Les annales de Cologne disent que Brunon était réellement
malade (M.G.H S.S. XVII, p. 802). Ce qui est certain, c'est
qu'il était vieux et infirme et qu'il abdiqua Tannée suivante, iigS.
3. Guillaume de Champagne aux blanches mains^ cardinal de
Sainte-Sabine était frère de Henri comté de Champagne, du
comte de Blois et de Chartres, et du comte de Sancerre. Leur
sœur Adèle avait épousé Louis VII roi de France. A la mort de
celui-ci, 19 septembre 1180, la maison de Champagne avait fait
partie d'une alliance dirigée contre Je jeune Philippe-Auguste,
mais s'était réconciliée avec lui et était très influente à la cour de
PREJIIER EXIL EN ARDENNES. 57
duc d'Ardennes, son oncle, lui fit l'honneur de l'ac-
compagner, sans tenir compte de la fureur impériale
qui sévissait impitoyablement contre tous ceux qui
osaient donner à Albert quelque marque d'estime^.
France. (E. Lavisse, Hist. de France^ III, par A. Luchaire, igoi»
p. 83 et suiv.). ,
On comprend qu'Albert ait fait choix pour son exil d'une
ville où sous l'égide d'un si puissant personnage il était à l'abri
des persécutions de ses ennemis.
I. Fila Alberti, c. i2-i5.
CHAPITRE Y
L'ordination et la consécration épiscopale à Reims. — Tyrannie
de l'empereur. — Le complet.
Le samedi des Quatre-Temps où l'on célèbre le
jeûne solennel d'automne, Albert reçut l'ordination
sacerdotale en grande pompe, en même temps qu'an
nombre considérable de clercs que le métropolitain
avait appelés ce jour-là pour lui faire honneur à la
même dignité.
Le dimanche suivant, vigile de saint Matthieu,
apôtre et évangéliste, à la grande jdie de l'Eglise, de
la ville de Reims et d'une foule de nobles accourus à
la cérémonie, en présence de son oncle qui ne pou-
vait retenir ses larmes, l'archevêque entouré des deux
évêques assistants, tout droit reconnu au métropoli-
tain de Cologne, conféra solennellement à Albert
évêque de Liège la consécration épiscopale ^ .
I. Marlot rapporte le détail suivant : « On observa que les
évêques, lui voulant présenter le livre de l'Evangile ouvert de
la main de l'archevêque, suivant la coutume, ils adressèrent à
la page où sont ces mots : Misit Herodes rex manus et tenait
Joanncm et vinxit cum in carcerem. De quoi l'archevêque fut
fort surpris, et Jelant des larmes de compassion pour les an-
goisses que ce pauvre évêque devait souffrir, lui adressa ces
paroles : Fili, accedens ad sewitutem Dei, sia injustitia et timoré^
et prœpara animam tuam ad tentationem. » (Hist. de la ville de
Reims, III, p. 487.)
^i|*i
La COK^SÉCflATION ÉPISCOPALE. bO
Apcès la cérémonie, en présence de Févêque consé-
craflem*, beaucoup de nobles se trouvant dans l'assis-
tancCi, parmi lesquels ison oack «.t le ehàtelsm de
Boaillon,; vinrent défilex devant le nouvel élu et Im
prêter serment de fidélité.
L'archevêque de Reims fit aussitôt ses adieux à
Ajybert en le recommandant à son clergé et à ses
ouailles< et se mit en rcKUte ipouir l'Espagne afin A'ac^
coinplir um pélecina^e à saint Jac(|ues d'e CompostdJie.
Il ay.ait déjà diSea?é de huit jouz;» ce voyage poaH' «on-
férer le dimanche précédent la consécration 4n nou-vel
évêqsue deC£Mnbi;aiXeand'Aintoingl^Le ^our de la fête
de saint Matthieu,, à la messe conventuelle, févêque
de Liège célébra pontificale ment ses prémiees dans
l'égHse caithédraJse d^ ïLeims reîoapJie d'une foule nom-
breuse. Les oflOrandes des fidèles, furent abondantes,.
Sua? l'ordre d'AJibert t(*uis les doas reicus à cette ocea-
siion £iiirent distribiUjés atux. pauvreSw
Lel<endem>ain, daasJe&«nvi!rojo&deReimrs, av<alt lieu
vm toarnoi militaire aaqjJteï dev4ijent prendra part UiBii
girand nombre de «hievaliersi fFaneais très amateurs
d-e ces belliqueux exercioesi. Le dnc d'Ardennes y viat
aussi avec sa suite, mais en simple curieux, cequi flatta
beaucoup les barons framiçais heureux d'oiSrir le
spectacle joyeuix d-e lears prouesses., a uu capitaine si
distingué.. A ee moment, un messager vint, en trem-
blant k»i annoncer que l'empereur au parox^'Sime de
la ealère était affaâvé à; Liég-e pour confondre <el exter-
miner tous les partisans de l'évêq^e Albert. Il était
aiecampaguié du comte de Hoinaut et du prévôt de
Bkftnn, de ce hoûismer la. cause et le provocateur de
€0 VIE DE SAINT ALBERT.
tout le mal. A cette nouvelle, le duc d'Ardennes
frémit d'ardeur et se déclare prêt à voler à la défense
du diocèse et de ses droits. Il demande aux chevaliers
français présents au tournoi de lui prêter leur con-
cours. Beaucoup acceptent sa proposition et offrent
au vaillant duc, le cas échéant, l'aide de leur épée.
Celui-ci retourne à la ville et court informer Tévêque
de ce qui se passe. Aussitôt ils tiennent conseil pour
délibérer sur cette affaire importante. Albert cher-
chant plutôt les intérêts de Jésus-Christ que les sieng
propres ne désirait pas la guerre mais la paix de Dieu.
Il a placé son espoir en Lui et préfère attendre de sa
Bonté l'achèvement d'une œuvre qui est la sienne,
plutôt que de soulever des troubles et chercher à
exciter sa parenté et son peuple à la défense de sa
dignité. Son avis donc est de rester en exil et de laisser
passer les mauvais jours jusqu'à ce que, par la grâce
de Dieu, la lumière se lève à l'horizon et que les
nuages de cette tempête se dissipent. Il fallait plutôt,
dit-il, chercher à apaiser l'empereur qui serait mieux
disposé en le voyant exilé, que tâcher malgré lui de
rentrer dans son pays. Les princes de sa famille arri-
veraient plus facilement à vaincre le courroux de
l'empereur en montrant l'humilité du fugitif qu'en
cherchant à déployer leur puissance pour faire pré-
valoir la cause de leur parent. Il conseilla donc au duc
son oncle de retourner dans ses terres et de travailler
avec ses proches et ses amis pour arriver à fléchir
l'empereur en faveur de celui qui n'était pas son élu
mais déjà consacré évêque de Liège. Le duc promit
d'employer dans ce sens tous les moyens suggérés par
les circonstances pour faire réussir ce dessein. Il
remercia l'Eglise de Reims, lui recommanda l'évêque
TYRANNIE DE L'EMPEREUR. 61
son neveu et disant à celui-ci un dernier adieu, car il
ne devait plus le revoir, il se hâta de retourner dans
son pays^.
Pendant ce temps, l'empereur exerçait à Liège
une pres'sion tyrannique sur tous ceux qui s'étaient
soumis aux. prescriptions du bref pontifical. Il fit venir
le duc Henri de Brabant qui comparut devant lui dans
une attitude humiliée. Il ignorait encore les événe-
ments survenus à Reims. On vint annoncer à ce mo-
ment à l'empereur la nouvelle toute fraîche de la
consécration M' Albert. Or, il s'était bercé jle l'espoir
que l'archevêque de Reims n'oserait jamais intervenir
dans cette affaire. Sa fureur fut au comble. Eçumant
de rage, et le regard foudroyant, il se tourne vers le
duc de Brabant : — « Savez-vous, dit-il, ce qu'on a fait
à Reims de votre frère? » — Comme le duc répondait
qu'il n'avait rien appris : — « Yotre frère, oui votre
frère, a été consacré évêque. » — Sa face tremblait
de colère ; il ne put rien ajouter à ces paroles entre-
coupées, mais donna l'ordre immédiatement de chasser
tous les clercs qui s'étaient rangés du côté d'Albert et
de démolir leurs maisons *. Quant aux autres, il les
I. Voici sur ce fait quelques autres témoignages des sources
contemporaines : Heinricus imperator infra octavas sartcti Laiii-
berti (vers le 20 septembre) jussiû destrui domos clericorum et
eoi'uin qui repugnabant Lothario quem praefecerat Leodiensibus .
Lamtert le Petit -.Annales, M.G.H.SS,, XVI, p. 65o. Voir aussi :
Sigebert : Continuatio aquicinctina, M. G. H. SS. VI, p. 429- Les
annales de Cologne rapportent qu'Henri VI commença par sévir
contre les Colonais parce que leur archevêque avait autorisé à
Reims la consécration d'Albert, Il fit fermer le Rhin depuis
l'octave de saint Lambert jusqu'à la fête de saint Nicolas, puis
vint à Liège où il confisqua les biens de ceux qui s'étaient pro-
noncés pour Albert contre Lothaire. Annales Colonienses
maxmi,M.OM..^^., XVII, p. 802.
4
62 ¥ÎE-.©:E SAINÏ AI-BEaX
GOûtraigaait bonigaré raial igré à adorer l'idoleqM'il a «tait
Éabiaquoe, l'intras: L(C»tiiair,e.
Au palais épiscopal, dans la même cité de Liège,
se retrauvaifiiat «n faee l\vm de l'autre Henri 4e Bra-
banit let Baudouiiii de Haiaaaiit /qp© l'eiaap&iieur avait
eoid'V'oqiiaés ,p©^ur lem:» vdilÛiér^iad» ^. Ij«!S seules étaiemt
bien changés. Le pj?em^ier n'éiait piittsmi fi&r (ai inârran-
sîgeant, le second,, au ««oaitraii^., n'aîKait pluss rieaa
d'humiillé dans «onn attiltude. On ï6>tau due -des prapo-^
sitioiEks intalérableSi, eoltra autres, de dé&a^ouÊr isoa
propre et u<E)rî<|ue frère et de ilôchir Ae geiQ»©» dievaiit
la statue: d'or 4u dieu Baal élevée paa? Nabudbodo-
nosiar rcâ de iBabylojQe^, eit de lui prêter serm^iojt de
j&délité. Cet ordre «tait par trop dur «t iroip inhumain.
D'autre part, un refus était dangereux^ Le duc de-
manda un délai jusqn'au lendemaim matin. Oa le kii
refusa absolument. C'est à pein© s'il obtint <de se
réserver jusqu'au soir. Tarndis q.ue se VfOyant presque
prisonnier, il sortait tristement du spaJais, des a-mis
l'avertiremit secrètement qiue s'il ne rse. sou mettait j)>as
aux volontés d« l'emperiesiiri.inQn seulement il Sr'expo^
sait à perdre son dr^it féodal, mais que sa me miêrafi
serait certainement menacée. Voyant qu'il n'y avait
rien d'autre à faire, le duc rentra le soir au palais. Il
en franchissait le seuil tandis qu-e îles gardes impériaux
s'empressaient de l'éclairer en t'introdui'samt. Comme
ils le gênaient en agitant leurs flambeaux autour de sa
tête : — « Vous avez, dît-il, brûlé mon cœur, ne.
brûlez pas ma tête ». — Il se. présenta devant l'em-
pereur et promit d'exécuter ses ordres, à savxDir : âe
!.. Gislebert place à Maestricht cette réunion.
2. Encore une réminiscence biblique du biographe.
ILE C0IHPLOT. '68
ï^yiidré aa comit'e Esaw^enam lies places foifes occHpêes
préee^mmetit et d'abandomïi'CT son ifrëre. Il prêta
eîîsmïe'h<3B!Hn»geet fitlesertMent die- fidélité aïLotfe'aire'.
C'est ainsi (jpa'e la colère de l'empe-reuT se ea'lma et -que
le dijc ïïeitïï sortit indem-ne de ceWe cruelle eût'pevu'e!.
De Liège qu'il avait si maltraitée, l'empereur se ren-
dit à Maestricht. Dans sa suite se tro^uvait ©» hom^me
cruel et néfaste : Hugues de Worms en Germanie.
Jadis préposé par l'empereur au gouvernement de la
Lotharingie, il avait pour le duc Henri de Brabant et
son frère Albert une haine profonde. Il en voulait à
cette famille qui l'avait supplanté, et tâchait par tous
les moyens d'entraver son influence. Dans l'affaire
de l'élection à l'évêché de Liège il avait cherché à
semer la discorde. C'est lui qui excitait Lothaire, ins-
pirait tous les mauvais desseins, poussait à leur exécu-
tion, entraînait l'empereur à mener jusqu'au bout
ses perverses et criminelles entreprises. Hugues de
Worms, Lothaire et le comte de Hochstaden interve-
naient dans toutes les décisions de l'empereur. Ces fils
de Bélial se réunirent à Maestricht (le fait fut divulgué
dans la suite) pour conspirer dans l'église du très
saint évêque Servais. Là ils délibérèrent dans le plus
grand secret et décidèrent que toutes les mesures
qu'on avait prises jusqu'ici.à Liège : bannissement des
clercs et des laïcs, pression exercée sur le duc de
Brabant, et tout le reste, n'étaient rien, si on n'en
venait à une détermination plus radicale. Qui pourra
dénoncer toute la malice de ce complot criminel si
astucieusement et si puissamment machiné ? A qui en
voulaient-ils? A l'innocent Albert, à l'humble et
pauvre exilé encore tout reluisant de l'onction sainte
et de la consécration au sacerdoce suprême. Ces misé-
64 VIE DE SAINT ALBERT.
rables convinrent de le faire mourir. Ils ne se séparè-
rent qu'après avoir arrêté le plan de ce projet scélérat
digne des châtiments éternels. L'empereur, ensuite,
laissant Lothaire affermi dans sa situation et soutenu
par le comte de Hainaut, retourna en Germanie^
r. Fita Jlberli, c. i5-i8..
CHAPITRE VI
L'exil à Reims. — Arrivée des chevaliers allemands. — Leurs
préparatifs criminels. — Pénurie d'Albert.
j
Albert après sa consécration demeura à Reims où
il menait une vie pauvre et modeste avec quelques
amis fidèles, reste des compag^nons qui n'étaient pas
retournés dans leur pays avec le duc d'Ardennes. De
son exil, l'évêque de Liège, malgré l'intrus, ne cesse
pas, autant qu'il le peut, d'administrer son diocèse.
Nous avons de cette époque plusieurs diplômes accordés
par lui, notamment dans son ancien archidiaconé
de Brabant où, à cause de sa bonne gestion, il avait
conservé sans doute le plus grand nombre de ses par-
tisans. Quelquesruns vinrent même jusqu'à Reims
pour traiter des affaires avec leur évêque légitime:
tel l'abbé Guibert Martin de Florennes accompagné
de l'abbé Jean de Gembloux et de l'abbé Albert
de Heylissem. Ces deux derniers étaient des obligés
d'Albert dé Louvain. Quant au premier il avait
obtenu, comme nous l'avons vu plus haut (p. 12),
dans un concile présidé à Jodoigne par Albert archi-
diacre, un jugement favorable dans un différend
relatif aux droits de son monastère^. Il vint demander
I. Droits de l'abbaye de Florennes sur les églises d'Orp-Ie-
4.
66 VIE DE SAIKT ALBERT.
à Reims confirmation de la senteiice rendue à
Jodoigne. L'évêque la lui accorda dans une charte
que nous possédons et qui est remarquable par le ton
ferme avec lequel celui qui la délivre affirme son
autorité épiscopale : « In nomine sanctœ et individuse
Tjdnitatis Albertus, Dei gratia Leodiensis episcàpus,
uniçersis Christi fidelihus presentihus etfaturis in per-
petuum ». Et un peu plus loin : « Postmodum cura
auctore Deo, dignitas Leodiensis episcopatus commissa
fuisset nostrse humilitati. . . de eonsilio saneie Remensis
ecclesie, consensu et testimonio personarum etjratrum
Leadiensds diocesis, auctoritaie Dei omnipotentis et
nostroy decernimus ».., et il. termine : « Haec igituF
omnia circurnspectione concessa nabis etstabilita>^ quis.-
tenus, onmi in posterum tempore fbrma permaneaBl
sigilla na&t/ro communiri decreviinus.,. et sub poena
excommunicatiamis et periculo honwris^ ah universis
nostre Leodiexisis dioeesis irrefragahilhter precipinfiius
obserpari. : Datum Remis ^ etc^. »
Mais ces visites consolaMes à l'évêque proscrit se
font rares.. L'exil à Reims dont les privations de plus
en plus lourdes vont faire souffrir GruellemieiLt la na-tui-^e
délicate d'un jeune prince habitaé; au luxe d'uae caur
opulente, est. une épreuve salutaire à son âme, une
éjiuiralion ménagée par Dieu à son serviteur avant la
gramle immolatioii.
Laissons de nouveau la parole à son pieux
Grand, le chapitre de Saiiiat-Gemgulphe et la chapelle de
Saint-Albin A. H. E.^ XXI,, p. S^a.
I . A. H. E, XXI, Ibid. Citons encore de cette époque la charte
de- confirmation de l'ïibbaye d'Oignîes (jVTartène et Durand,
Jmpl. coll. I, p. 999) et celle relative à l'organisation de l'église
de Tidemont (voir plus- haut, p. r3).
L''SX.IL & ÎIEIMS. 67
biograplaie :: « Qnaeîle transfoEmatioa daiais la perso^ae
dlia poatife de^mis son élévation ! Qui éira l'iiBHocence
de seet agiipeau qw& d'impies boiirreaïix aiguisant leurs
conateautx et leurs glaives s'apprêtent à égorger? Quell®
doucemr et <ja«lle' suavité sur ses lèvres! Ses y&nx
étaient des yeux decotloBafoe,; son, visage, celui d'un
ange reflétant la grâce et la pureté ; ses paroles, des
parolies de paix et d** amour. Traqwé par une haine
atroce, il n'a que des. accents de bienveillance pour
ses ennemis. Non seulement il ne maudissait pas ceux
qui lui avaient fait ou cherchaient a lui faire du mal
mais il reprenait aveeforee et supportait difficilement
ee'ux qui parlaient injurien'semeHt devant lui de ses
peiTsécuteurs. Si sereines étaient la bonté et la man-
suétude do son cœwr qu'aia sein de tant de haines' et
de tribulations il jouissait d'une paix intérieure inalté-
rable. A tasble il montrait nn visage gai et enjoué c[ui
tra»hissait autant son caractère amenant que les grâces
de Dieu dont il était rempli. Pendant les repas,
comme cela arrive souvent, les convives s'anîmant,
entraient en diseussion sur les sujets 4es plus divers
et s'écartaient de la vérité. Lui édifiait toujours par la
retemiïe de s» conversation, fruit de son âme pacifique.
Un jour, un de ses commensaux ayant le €œur rempli
d'amertume se mit à déverser sa rancune contre
Lothaire de Bonn et les autres prînees qui avaient
plongé Févêqwie dans les afflictions de ce triste exil,
au mépris du choix qiue Dieu avait fait de loi pour
son.' ç)©ntife. Ses voisins renchérirent encore s-ur ses
plaintes, ajoutant reproches aux reproches et ils se.
mi«FeHt à tourner en ridicule leprévôt en jouant surs on
nom : « Ce n'est pas Lothaire qu'il faut l'appeler mais
iothaire. » Entendant ces propos, lepaeifique évêque
68 VIE DE SAINT ALBERT.
dont l'âme était habitée par le Dieu de paix les trou-ira
de mauvais goût, peu conformes à l'esprit de charité
et indignes de lui et de sa table. Il les fit cesser. Mais
ses compagnons d'exil vaincus par leurs ressenti-
ments ne purent s'empêcher de recommencer de plus
belle à exhaler leur indignation. Alors le bon évêque,
dont l'huile sainte en le consacrant avait enlevé à son
cœur toute amertume, termina avec une simplicité de
colombe le repas afin de mettre fin aux paroles de
ceux dont la douleur impatiente était sans fin ^. »
Bientôt arrivèrent à Reims, envoyés par les ennemis
d'Albert, trois chevaliers allemands avec leurs écuyers.
L'entrée en scène des meurtriers va donner à notre
histoire un caractère dramatique que le biographe
a mis en relief avec une abondance de détails et une
émotion grandissante à mesure qu'on s'approche du
tragique dénouement. Nous n'interromprons plus
son récit entraînant dont une note au chapitre viii
indiquera la fin au lecteur .
C'étaient, dit-il, en faisant la description des che-
valiers teutons, des hommes profondément instruits
dans la science du crime et savamment préparés pour
l'exécution du projet homicide. On les avait pourvus
abondamment d'armes, de chevaux, d'argent. Ils ne
regardaient pas aux dépenses et rétribuaient large-
ment leur hôtelier, homme stupide qu'ils avaient
choisi exprès pour l'amadouer, le tromper plus facile-
ment en dissimulant leurs paroles et leurs actions
scélérates avec l'adresse la plus hypocrite. Chaque
jour après leur repas ils demandaient la note et
payaient leurs dépenses. Leurs chevaux étaient tou-
1. Fiia Albertij c. 19 et 20.
L'EXIL A REIMS. 69
jours sellés et bridés sauf à l'abreuvoir. C'étaient des
bêtes robustes et résistantes qu'ils ne nourrissaient
point d'herbe tendre ou d'avoine légère, mais de paille
de froment solide et d'orge fort et substantiel*. Sou-
vent ils se donnaient le large hors de la ville, et dans
un but qu'eux seuls connaissaient, on les voyait
entraîner leurs chevaux, les lançant à fond de train
à travers la campagne, et, au retour de ces courses
folles excitant encore de l'éperon leurs montures
épuisées. Tout cela était calculé. Ils voulaient par
une forte alimentation garder leurs chevaux en bon
état et par ces exercices les tenir en haleine; et prêts à
toute éventualité. Quand l'hôtelier, dans sa naïveté,
demandait la raison de ce manège, ils lui donnaient
toutes sortes de fausses explications. Chez eux,
disaient-ils, les chevaux étaient toujours sellés. On ne
les dessellait que pour les conduire à l'abreuvoir, où
on aspergeait leurs cous et leurs croupes pour les net-
toyer et leur rendre le poil plus^brillant. Cette nour-
riture, c'était la seule usitée pour les chevaux en Alle-
magne. Les courses dans la campagne, des jeux
équestres pour tromper l'ennui de l'exil.
C'est ainsi que les meurtriers employaient leur
temps à Reims, en attendant. le moment favorable
pour accomplirleur mission criminelle. Le lendemain
de leur arrivée, après avoir épié tous les faits et gestes
d'Albert, ils s'approchèrent pour saluer traîtreu-
sement celui dont ils méditaient si cruellement la
mort. C'était un dimanche. L'évêque revêtu de ses
1 . Ce ne sont pas nos agronomes modernes qui admettraient
cette supériorité de l'orge sur l'avoine et de la paille sur le foin
pour l'alimentation des chevaux.
,70 VIREE 5AmT.ii.'LBERT.
CKrnements sortait 'd=eil« sacristie et ;i^ dirigeait vers
l'autel majeur poar eélébisr-sxihmneil&men^'ha grand'
noiesse. Bn voyaM's'a\}aiD«s«jr (seijhonvtQO'eiatifB^ôiinprossriit
par sa dignitj& (çwepar sa barute (Kstiaiffitieni, ils s'arrè-
'tièperBtjfrappés;de;la!sérënité^de;s©aa««isa^^ d^e laspleri-
:deur des vêtemeiïtts |i!««itificau<x si bien ajusftés à sa
peKsonne et. de la inajesté du «ortè^ iq[in l'eKAotarait.
Ce n'était pas ira «îâ'lé qa'ils avaient <à©\^nt erac, mats
mn des premiers, jparmi les pritKCîes de l'enïpire. ïJn
tdes chevaliers se penchaiÈt à l'oreille de son. voisin lui
glissa ces mots : oc Voici ^celui que nous icherchons ».
Ces. paroles dites en teaton fuïcoHt en^emduesvd'un dfes
famidieirs de l'évêquie.. JLes AHemands s^'^approchèeeiit
-et s'inclinasmt deva!tttle;pKélat7 camaaate des loups cou-
verts de peaux de; larebfe, ils le 'saluèrent. Le pontife
leur rendit polifflaent lesakit, ies priant d'attendre que
la messe fa* -achevée.
Cetaie ïpremière ren^jonïtreentre le& assassins et leur
victime est la coindamiKataoïn die leur forfait. 'Quelle
visioa! L'homme qni'ilseherGhent et dontilsn'avasient
aucune idéoappafïaît saudaindevamteux;. C'est ungrand
prêtre revêtu de la majiesté sacerdotale et pénétrant
dans le Saint des Saii^s. Ne fallait-il pas des âmes
insensibles àtout^ sauf au! crime, des cœurs plus durs
que la pierre, pour ne pas se laisser touieber, poiur
ne pas s'attendrir devant ce spectaieLe, devant ce poini-
tife envelorppé de Èôut L'éclat de sa dignité et accom-
plissant l 'augasle mystère du. corps, et du sang- de
Jésus^Christ,le;Sacî?ement très saint, plus suiblî mie qoaie
toutes les merveilles célestes et divines, pain de vie
incomparable pour les bons, mais pour les impies
la plus terrible des* morts?
Mais qu'y avait-il de commiun entre l'or dfa
. X'EXIL ai BiEiPS. , ■ . n
diviiiî afflUQUjc et le; \ilj iraétal de ees eœwjrs en dHTGÎB .
Gommeiait la pîeE!ne;|>réGie'USiesde FaifEsafelie-et tsaiwltclie
piété cfecétienne €Ût"?«itepu sT allier à-ees eœurs d« ier,
hhk grtDSHèreté de ces aiiinajaieiOE: Immosdes ^ dbez qui
la; vue die. l'oiait «Uï Seignrair, du pontife ianoeeat
immoiasat et offcaiiEt à iDiéu i'aigneau sans isa^k>& se
feisait maître qjiî'un senlidéstij^ qu^ui*e; soif «rufiftle-,
celle de l'abattee ié(K leaairs; glaiv©», 'de 'kvdféchirer -dje-
leurs conteauis^ Toea qu'ils Tont bientôt réaliser quand
S!©nnera.l'h(esuire dn^ erimi@, l'henretde la. puissance 'd©s
ténèbres?
La messe; teirrainée, i''é«fêque a^vec bonté salua' «de
bouche et de cœur l^Si Gh,«\afcrs alema^ds qiri Im
reaadiscenÉ le sailut de bouche mais pas de ctBur. Appre-
nant qu'ils étaient ifeeulons^ il v^ulîoit lear montrer
pkas de bienveillance emcosre par sympathie pour' lewr
pay« natsol et lerar langfue maternelle ^ -et les eonibras-
saaai,, il ies entfpetiaat faimlièrem'ent. Mais ce feafeer-de
paiix ;toraba sur des lèvres ©à il n'^r avait niiil'e paix,
nulle aflection. M leur 'demanda qui ils étaient, d'où.
ils venaient, «et qiî^l était le motiif 'de leur voyage. Ils
répondirent qu'ils étaient xles che-valiers aMem-and^
attachés à la miatison et au servioe de i'empereur. Que
tonê réceanment, ils se trouvaient assis à sa table
qiuand iu;ae vive dispuite s'éleva eiatne lesiofiScîers pré-
sents. « Alors, dirent-ils, nous «omîmes intervenus
violemmeaaît. dans l© conflit qui diégénéra en bataille
pendant laqueile nous; avonsi eu le Ea!alh>e«i?^ en pré^
senee de sa aaiaicsté inapéaîîaie, de tuer l'échaBswn de
I . Porci ilii cenulenti..
1. Dans le Brabant septentrional on p3rlait à cette époque
le tlïioîs (ancêtre du flamand) qui ne dîfFécait guère du bas
aUemaad.
n VIE. DE SAINT ALBERT.
la cour, un noble et puissant gentilhomme. Chassés et
proscrits pour ce fait loin du regard de l'empereur,
nous sommes yenus sur le conseil d'amis dans cette
ville pacifique de Reims. Nous avions appris que
c'était le lieu de votre exil et il nous semblait doux
de partager le sort injuste d'un homme si illustre que
vous, Monseigneur, dont la haute dignité et la très
noble naissance méconnues de l'empereur ont attiré
contre lui en votre faveur la réprobation de toute
l'Allemagne. Ce sera une patrie pour nous que l'exil
en votre compagnie » .
La simplicité de colombe du saint évêque se laissa
séduire par les enchantements venimeux de ces
hommes impies, et attirer petit à petit au charme de
leur conversation. Expression du visage, tenue, ges-
tes, rire, plaisanteries, tout leur sert de moyen pour
capter l'étonnante crédulité de l'évêque. Il les reçoit
et les invite pour causer ou pour les consulter, pour
se divertir ou traiter d'affaires importantes. Tous les
jours, ils avancent dans la faveur et l'attachement
de ce cœur affectueux. Ils viennent fréquemment
assister à sa messe et prendre part à sa table» A la
messe ils arrivent spontanément; c'est pour faire
croire à la pieuse vénération qu'ils affectent pour
celui qu'ils nomment leur père, leur seigneur et
leur ami. A table ils se laissent inviter avec empres-
sement, s'y montrent gais et enjoués et se confondent
en remercîments. On les rencontre partout : tantôt
dans les appartements privés de l'évêque, tantôt sur^
son passage à l'église. S'il monte à cheval pour faire
une promenade en ville, les chevaliers se présentent
pour l'accompagner. Jour et nuit, en tout lieu, ces mi-
sérables sont là, veillant sur l'évêque, non pour léser-
L'EXIL A REIMS. - 73
vir mais pour Tégorge^' ; leurs yeux sanguinaires ne le
quittent pas d'une minute. Lui, dans sa droiture et
son innocence jugeant le prochain comme lui-même,
prenait ces assiduités pour des marques d'un grand
dévouement. Eux ne perdaient ni une heure, ni une
occasion de tout voir, de tout scruter, pour trouver
le moment favorable de le tuer.
Le jour de la fête de saint Martin, comme on don-
nait le signal pour la célébration des matines dans la
cathédrale, les chevaliers firent le guet à la porte de
l'église où ils pensaient que l'évêque allait arriver
pour assister à la solennité des vigiles, comme c'était
son habitude aux jours de fête. Mais cette nuit le
pontife indisposé resta chez lui. tJn des chanoines
entrant dans l'église aperçut ces hommes qui se
glissaient dans l'obscurité et leur dit avec eflProi :
— « Que faites-vous ici à cette heure? » — Ils
répondirent : — « Nous attendons Monseigneur
l'évêque pour le saluer, -r- Il ne viendra pas, repar-
tit le chanoine, il est retenu par une indisposi-
tion ».
Une autre fois l'évêque Albert avait été invité à
dîner par un chanoine de ses amis. La demeure de
celui-ci se trouvait en dehors du palais épiscopal de
l'archevêque, mais à peu de distance. Pour y arriver
il fallait traverser une ruelle étroite entre deux mu-
railles, conduisant de la porte du cloître à cette habi-
tation. Dans un coin de cette ruelle se postèrent les
Allemands prêts à tomber sur l'évêque, le soir, à son
retour et à le passer au fil de leurs épées et de leurs
couteaux. Par hasard une femme avec un enfant
ayant à traverser cet endroit, aperçut ces soldats en
embuscade. Ceux-ci découverts sortirent de leur
VIK DE SAINT ALBERT. 5
m VIE ©E SAINT .MBEKT.
caobette, ^mais elle s'avança et ieur dit '^ — « JE^urqura
ètes-vcms iaraaaés et gardez-vous laiasice passag»? « —
A 'ce moment, les chevaiiers étaient ieaascore peu coiïiïiis
#68 habitants de Reiins. — « N'onas ®o mânes v^emuSi,
>dirent-ils, aawus réfugier dansaette vilîie pour iêchapper
à ia poursuitie .de Tios (ennemis 'et no-us ;attend0ns aaotre
seigneur l'évêque pour îboub 'metiire sous sa protec-
-tioaa )). — Alors la femme s'«n «ild^ de s®m coté et ils
retQfurnèrent à leur hôtel.
Un autoe 'jour, l'évêque était allé en promeinaâe :à
«cheval jusqu'à Saint-Sympborien, toujours accompa-
'gué des mêmes chevalliers armés. On s'arrêta chez tu»
ïiommé Philippe, seigneur de l'endr&it, ^ice-gon-
■vemeur de Reims. Après. d'amicaleB et joyeuses
libations, l'évêque -se remit *en selle pour le retour.
Tons les siens avaient pris le devant sauf îles Ailile-
unands. L'un d''eux tirant son épée et 'faisanal; signe à
ses «compagnons se mit à faire tournoyer soaa anmîe
*o(!)imme pour parader sur la façade de la <mais(®n en
PhomneuT de l'évêque. Au hruit de ce cavailier qui le
précédait, le cheval d'Albert s'excitant ne fit qu'xin
ibond sous les éperons de son maiître est disparut.
'L'Allemand cachant sous les applaudissements et les
■vires sa ruse criminelle «rejoignit ses complices en
'GOiitinuant à brandir 'derrière eux son épée. Ciest
•ainsi que cette texitative échoua sans être ^découverte.
'iCout cela se faisait aux yeux aveuglés des familiers
•d'Albert qui ne remarqofaient rien, aux oreilles ides
Rémois qui temoignaierft à 'l'évêque une iaffeobi&n
^toiïte spéciale et l'entonTaient de leurs préve»aaafees
*lesplus empressées. îQuelques-uxfSide ses/amis (cepen-
dant, étaient torturés paT "les iépines d'un gi'.ave .'soup-
çon, mais personne n'osait s'ousvrir de son touirnreiit
L'EXIL A REIMS. 75
à l'évêque qtii «'irritait à Ja moînêre allusion Messante
à fl'égard de ses chers chevaliers. Il avait pouT «lUX la
plus grawde estime et, dams isa fcoîidescendance, iil
compatissait au malheur de leTir exil comnae auisieoi.
Il était Mi-même interv^u'U auprès des autorités eoclé-
sîastiques et civiles 6t auprès du prévôt de l'archevê-
dhé, dès l'arrivée des chevaliers allemands, pour les
recommander chaudement, leur obtenir pleine liberté
en ville om^aiu dehors dans tOMt le territoire adjacesat,
ainsi que ie respect et la ^bienveillance de la popMla-
ti'on. Ils en profitaient pour faire avec leur^ écuyers de
fréquentes «xcursi^fns qui leur per mettaient d'explorer
soigneusement toutes les routes et tous les sentiers
autour de la ville et bien au delà, afin de is^assurer
la «:onnaissance de toutes les voies par où ils ip^ur-
raient s'échapper après avoir accompli leur Guime.
Telle fut la tactî^que de «ces rusés scélérats psendamt
les vingt-^huit jours environ qu^ils spassèrent à Bjeims
auprès de l'évêque Albert.
Durant la première semaine de leur arrivée deux
malheurs étranges et de mauvais augure viaatpen^
frapperia ville et l'Eglise. Il y a'vaità îleimB un cilioyen
qu'un jeune baron réclamait à ititre de serf. Celui-ci
réfusait û<e le resconnaître. Un jour le baron vint Je
chercher eu ville et l'ayant 'trouvé sur la place pu-
blique, il >le tua. 'Ge jeune meurtrier était le gemdire
d'un soldat appelé Baudouin dont rhabitation spa-
cieuse était voisine de la place. C'esft laque se ré'fugia
î'asBsssin à l'abri des poursuites 'des habitants. L;e
"soldat cacha sou gendi^e puis, apaisaut les citoyens
dont il était très estimé, il fil sortir le coupable peu daut
la nuit et lui permit ainsi d'échapper au châtiment de
son crime. Un des compagnons d'exil d'Albert appelé
76 VIE DE SAINT ALBERT.
maître G érard^, chanoine dé Saint-Lambert et doyen
de l'église Saint- Jean dans l'île de Liège, protesta con-
tre ce fait. Ce n'était ni la victime ni le meurtrier qui
l'intéressaient dans cette affaire mais la sécurité de
l'évêque son seigneur, de lui-même et de ses compa-
gnons exilés. Dans une noble et illustre cité la paix
et la liberté venaient d'être indignement troublées
en plein jour par un misérable assassin échappé
sain et sauf des mains de la justice par la négli-
gence des habitants. « Comment, disait maître Gé-
rard en colère, pouvons-nous rester dans cette ville
où le crime trouve une telle impunité? Demain nous
allons voir le même forfait se reproduire. Si la cité
laisse passer un tel attentat contre un de ses propres
membres, que fera- t-elle pour nous pauvres étrangers
fugitifs de quelque contrée inconnue ? L'archevêque
de Reims est parti pour un pays lointain. , Il a laissé
la direction des affaires et la garde d'une ville si
importante à un homme grossier, sans naissance et
sans prestige, plus empressé à s'enrichir qu'à servit
l'honneur de son maître et la vie de ses concitoyens.
Quelle sécurité sôus un tel gardien? Pourquoi a-t-on
reçu ces chevaliers allemands ? Dès le jour de leur arri-
vée, je l'ai dit et je le redis : J'ai grand peur de ces
hommes barbares qui prennent de belles manières
pour enjôler notre seigneur l'évêque. Timeo Danaos
et donaferentes. Si, comme la crainte me le suggère,
ces Allemands ont été envoyés par les ennemis de mon
seigneur pour le tuer, le fait qui vient de se passer
n'est-il pas de nature à les encourager dans leur pro-
jet? N'est-ce pas une invitation au crime que de
I. Voir de Theiix, o. c, I, p. 2o3.
L'EXIL A REIMS. 77
laisser assassiner un homme en plein jour sur la
place publique, aux yeux de tous les habitants, tandis
que le meurtrier s'échappe en se moquant de tous les
gardes et préfets de la grande ville de Reims! Il y a
quelques jours nous avons vu arriver ici un certain
maître Alexandre faisant partie de la maison impé-
riale, homme bien fait, s'il n'était défiguré par la
perte du nez qu'on lui coupa à cause de ses rela-
, tions coupables avec une jeune fille attachée à la
personne de l'impératrice Béatrix. Cet Alexandre
est venu offrir ses services à notre maître alléguant
comme raison de sa visite le désir qu'il avait de témoi-
gner sa pieuse vénération envers leprélat exilé. Celui-
ci ajouta foi à ses paroles et lui offrit l'hospitalité,
lui montrant une particulière bienveillance parce que
cet homme et toute sa famille avaient jadis fait
partie de la maison de son père le duc Godefroid.
Mais on ne le vit qu'un jour. Le lendemain il disparut.
Monseigneur l'évêque prend cet homme pour un
dévot visiteur, moi je le considère comme un espion.
En efiet dix jours après son départ nous arrivaient
ces fameux chevaliers allemands. Notre évêque parce
qu'il est pieux et bon ne voit que du bien partout
et croit que tout est parfaitement sûr autour de lui.
Moi, j'ai un esprit plus inquiet, je trouve qu'il n'y a
rien de sûr ici dans cet exil. »
C'est ainsi que maître Gérard discourant et se la-
• mentant se mettait souvent hors de lui. Alors le
pacifique Albert riant de ses frayeurs le plaisantait
sur sa timidité ; quelquefois aussi il se fâchait et repre-
nait vivement la prudence exagérée et la violence de
son chanoine.
Voici un autre fait qui se passa pendant l'exil
78, VIE, HE' SAINT itEBERT.
d'Albert à( Reims. Une, qaea?elle s'étanitr éleïvée entre;
de^xi chanoine&d» l'église cathédrale,, ilsi en vinreiQt: àj
s'injurier grav^eainent. L!unr était; diaiCBej, l'auMe sous-
diacre. C'était le, sQûs-dia«Ee qiui av/ait: reçu; le pkts?
d'iasulteSi, 0» ©a faisait à ee. mioxaienii le- triduiinît! pa?é-
paratoire à lai fête de Tous les. SsântS;. Le doyeiaj de
l'église apprenant ce qui se passait en.fut ému^et con.-
^toqu!a les deuxinsGulpésau eba pitre pour 1© lendenraiiBj,
"viigile de la fête., IL'affaire fut jugée- et, confiarmément a
la. discipline sévère de l'Église de;- Bieiinsf et sur k'avis,
dè& anciens, il& furent condamnési^ à recevoir cfeacun
la discipline, le sousr-diacreidépouiilé de) se s vêtements,,
le diacre,, par déférence pour, son grade, supérieur,
au-dessus, des habits. Le diaiere' se; soumit, mais le'
sous-diacre refusa d'obéir prétendanfiqu'il a.vaiic été plus
offensé que le diacre; Alors, séance tenaaitevlfi' doyen
interdit au chanoine récalcitrant L'entrée de- l'église.
Mais celui-ci s'obstinant; vint après la réuniom du cha-
pitre; prendre sa. place au: chœur pour' l'office die
tierce. Le doyen lui fit sig-ne de sortir. Il refusa. Le;
doyen voyanli dans ce fait. uaie' graver atteinte à la dis-
cipline régulière, et craignant* un précédent pour l'a-
venir, fit cesser l'office divin dans l'église tant que! le.
chanoine rebelle aurait la prétention d'y assister.
Ce matin-là,, l'évêquie; de Liège était sorti de la
ville pour consacrer une église récemment restaurée,,
cérémonie à laquelle ili se prêtait volontiers avec? tout
son dévouement pour l'œuvre de^ Bielai, chaque fois;
qu'il y était- invité. Bera'arquons en passant ce détaîè
digne d'être rapporté.. Pendant; son exil, Albert qui
était le plus pauvre des pauvres, ne. demandait jamais
aucune rétribution pour les fonctions de sonministèoîe,,
pas une pièces de; monnaie j pas le moindre aliment,
tlEKlL A. RMMS'-. 79>'
paa:= mêtne un morceau des pain. TouE ce qu'on lui
offijait,. il l'e refusai* énergiEfnfeiiiieii* EépéCanlt en Eianl;
cette sentence' qui lui éttait chère t. graùik acee^îstm
gratis dciÉ&.^zx eoîïtr.e il!. demanJaiti instammemit dess
prièces pomof luii, pou*: tous les» sièns^, siusEtouît pour <
L'Église! die Liège SB gravement, éprosuvée.. Ajoutons, en
prolongeant cette digression, que: sojbu eaatourag^e l'ent-^
gageait sainv'ent etf aivec instance à écrire; aux doyernsy
auis; prêliresi, aux abbés,, aaix églises situées daBs> le^
tecciiioiEe dan duc d© Braibant son: fuèBe, pour faire;
appel à leurs, ressofuirces dans; sa graode; nécessité.
Ilncvoiakit jamais y conaseatk,, disant qu'il avait pluS)
besoin de lieiairs prières qnie de; leurs deniers et qu'il
ne voulait être à charge à personne. « le suisévêque,,
disait-il jioiyeusementjsi^lJhQrarae,' vient à me; manquer,
le Seigmeur ne mé manquiera pas. Motl Dieu me; donr-
nera le pain quotidien., »;
Comme il revenait donc;, ainsi que nous l'ffvons dit,:
de la diédicaee d'une église, vers l'heure: de none eti
à jeiiH, il trouva; la chère cathédrale de; Reims! trèS)
troublée parles événenL«nts racontés plus haut,. Lais->
sant le' repas; préparé^ it couirt à l'église. Le chapitre
était divisé en; trois parties ; d'un côté lesi sous-diacKesJ
contfre les diacres^ les: diacres contre lesi sous-diacresi
se^ disputaient avec opinàâlîEeté sans quie personne) voue
lût cédei'. Di'autre part le doyen et les sênieurs défen-
daient énergiquement l'honneur de; la diiseipMne. négun-
Hère et de l!a maison- de Bieiii- Albert, ami de la eour-
corde et de l'iiinioni, s'iintei»piosa entue: lespartisv usant;
en faveur d© la paix: du': Seigneuivde. son tilreid'évêque:
Il courait anxieusement de l'un à l'autre demandant
et suppliant de rendre. gjl)oire à Dieu et de céder par
respect pour la solennité de Tous les Saints^ cette fête.
1 V ' '
80 VIE DE SAINT ALBERT.
si belle, de céder par égard pour la ville de Reims qui
se plaignait d'être endeuillée et pour ainsi dire orphe-
line, puisqu'à cause d'une querelle insignifiante, l'é-
glise-mère, la joie de la cité gardait volontairement
dans un jour si solennel un silence lugubre. Mais ce
jour-là, les efforts de l'évêque furent vains; il ne put
rien obtenir pour la paix. L'église resta muette à
vêpres, à matines et le lendemain à l'heure de la
messe. Une morne tristesse et une lamentable con-
fusion planèrent sur tout le clergé et sur les pieux
fidèles de Reims en ce jour de fête. Dans le peuple
circulait tout bas le bruit sinistre que ce mutisme in-
justifié de l'église présageait un malheur qui allait
fondre sur la cité. En présence de ces murmures et
de ce scandale, les chanoines se virent obligés de
recourir à l'évêque Albert consterné lui-même par
cette situation. Après bien des discussions, on finit
par se rallier à ses conseils. Le sous-diacre se sou-
mit et fit satisfaction ; les altercations cessèrent, l'église
reprit un radieux aspect de fête et l'on chanta solen-
nellement les secondes vêpres de la Toussaint.
Cependant la pénurie extrême dans laquelle il se
trouvait commença à peser sur notre exilé. Plusieurs
fois il avait envoyé des messagers et des lettres sup-
pliantes au duc de Brabant pour lui exposer sa détresse
et faire appel à son affection fraternelle comme à
son amour filial, sentiments dérivant d'une part des
liens naturels et de l'autre de sa paternité spirituelle 1.
Il n'avait reçu en réponse, ni une parole, ni une
ligne, ni un acte. Mais l'adniirable douceur de son
I. Le Brabant, nous l'avons vu, dépendait au spirituel de l'évê
ché de Liège.
caractère lui faisait supporter patiemment toutes ces
adversités. En vrai serviteur de Dieu, il débordait de
joie et d'allégresse au milieu de ses tribulations et on
pouvait lui appliquer cette parole de l'Apôtre : nihîl
habentes et omniapossidentes. A Reims, tous ses créan-
ciers l'un après l'autre commençaient à faire défec-
tion : un premier d'abord, puis un second, un troisième,
un quatrième, un cinquième, jusqu'à des indigents
qui lui prêtaient ce qu'ils avaient en fait de vivres
mais ne pouvaient lui procurer des vêtements et autres
objets nécessaires dont la privation se faisait cruelle-
ment sentir. Les fournisseurs s'entendaient dire par
leurs voisins : « Pourquoi prêter à l'évêque. Il est géné-
reux et puissant en dignité, soit, mais son sort est dé-
sespéré. Tous ses amis se retirent de lui les uns après
les autres, personne ne se rallie à son autorité, per-
sonne ne s'adresse à lui. » Mais d'autres répliquaient :
« Nous sommes nous, et nos biens, entre les mains
de Dieu. Si Dieu n'était pas avec lui, cet homme ne
pourrait être, comme nous le voyons tous, si comblé
des faveurs célestes. Aucune grâce ne lui manque
sinon celle d'être reconnu par les princes de la terre
jaloux de sa gloire et de sa dignité. Mais l'Auteur de
ces dons, Celui qui dispense la puissance etl'honneur,
saura bien aussi quand II le voudra et comme II le
voudra donner à son élu la paix et le repos. Nous ne
pouvons rien perdre nous, en perdant ce que nous
avons prêté à un homme si grand, si aimable, si suave,
si bon, à un homme que Dieu a embaumé du parfum
de tant de grâces. »
De fait le bon évêque était si sympathique, si cher
au peuple rémois que celui-ci ne pouvait se rassasier
de sa vue, soit pendant qu'il célébrait les saints JVIys-
5.
82 VIE DE SiilxNT AILBERT.
tè'res à l'église j e' est là qu'on' le renGontEaii; surtoiut,
soit, ce qui arrivait moins, souveiiit,. pendanîr les pi?©-
menaides à clieval qu'il faisait avec; les sien» à travears;
la ville. Surles places de, la cité on'. accouTait pouï-le;
voir pass€iry à l'église ou se- pressait avidement pouic le
contempler.
Telles fab la condition; du, serviteur de Dieu com;hal-
tantle bon; combat pendant les soixante-six jours envir
ron, que dujra son exil depuis le commencement jusqu'à
sa raort^. Pendant tout ce temps il ne reçurt au-euia
signe de vie ni de son oncle' le; duc d'Ardennes,.ni &
son frère le duc de Brabant, ni d'aucun de ses prochesy
comme si tous les liens du sang et de l'afFectioa eus-
sent été anéaniisv Tous ses ami& l'abandonnèrenl et
s'éloignèrent de lui comni© des étrangers, oubiàsBut
qu'ir avait reçui l'onction de l'huile sainte, oiublàsait
que cette consécration eux-mêrnses l'avaient appelée de
tous leurs vœux, lorsqu'ils avaient espéré s'exalter
dans l'orgueil de leur race par l'élévaitian d'un: de
leurs membres-.
Peu de jours avant sa mort, Albert éprouva pen-
dant une nuit de terribles angoisses. Il vit; repasser
devant les yeux de son esprit toutes les tribulations
dont Dieu l'avait frappé. Il sentit la maitt de; Celuii
qui le jlagellait avant de If admettre bientôt. en> saipré*.
sence. Ce qui; affligeait par-dessus tout son cœur c'était
la dureté du duc de Brabant.. Lui> qui était riche, qui
n'avait qu'un frère, il l'avait laissé extposé a tous les
malheurSy a- toutes les souffrances, h la plus extrême
pauvreté, comme le dernier des bannis, desproscrits
sur une terre étrangère;. Ces; pensées, surtout la con-
L. C'est-à-dire du 20 septembre au a4 novembre.
: L'EXIL i^.ffiSMSi; ^ 8â(;
duitedeson frèrei, fe' Uouirmenljaiènt, rirrilaient.. EUies
lei Gracifièrent perrdarït preaquie; toute la rtuit. ,
Albert avait parmi; ses CaanilifôKS à Bieicas un. ami',
intime (nous le- Gonnai'sso®sf déjà), qmi ne; le quitta-
pas; pendant tout léj temps de son exil.. C'était l'ab/M;
de Lobbes. Il aurait; tout perdu sans regret pourvuu
que ce cher compagnon lui restât fidèlement attaché. .
L'abbé cependant ne partageait ni le lôgemenst ni la,
table de' Ifévêqiue. Gelui-ci; avait de touîtes les. façonfr,
et à plusieurs reprisés insisté pour que; son ami prit,
ses repas avec lui. Il n'avait jamais vouilii y consentir.
Parfois l'évêque par un excèSf d'aflFection se fâchait et
faisait violence à l'abbé pour le retenir à dîner.. Alors
celui-cii papomettait de rester mais sans iMentioni de
tenir sa promesse, et pendant qure l'évêque se lavait,
les mains avant de semettre àitabley il s'éeha|)paitiet
reîouirnaie chez lui où( il vivait à Si©si frais*, épargaant;
les maigres^ ressourcesi de; so;n. cher seigmeur exilé.
Après sa réfection, il revenait: aupEès de l'éviêqiuet,
tout irrité contre lui, A ses- repsToehesi ili répondait en^
plaisantant : « Pourquoi vouis fâcher? MonseigneuEi
^ vous m'avez mênae pas de paiii!, que pourri ez-vQus< .
m'offrir à manger? » Tous: les matins., l'abbé acri'-
vait chez l'évêque' au moment oui il se rendait, a,
l'église et l'y suivait dévotenieiati. Il, rentrait avec liii
am palais et lui tenait compagnie', jusqu'à l^heure: du
dîner, et de nouveau il revenait; après 1er dîner jjus.-
qu'aoi; souper.
Le matin de lia;muit où Albert avait! été sitourm^ntéj.
l'abbé de Lobbes, se présenta: selon sa coutume;. LIévê-
que le prit à "part miomitrant! ce; jour-làfune figure peui
souriante. Il a^vaity. comune^ no;us: l'àvons! die, une.
grande affection! pour' son aanii dontil GOiaiiaisaait
84 VJE DE SAINT ALBERT. -
^l'attachement et la fidélité à toute épreuve. Cette"
amitié lui faisait dire en riant à ses clercs : « Vous qui
êtes des miens et tous ceux qui reviendront à moi
dans la suite, si Dieu m'accorde la paix, vous pouvez
vous attendre à recevoir des archidiaconés, des pré-
vôtés, des prébendes, et autres honneurs; l'abbé de
Lobbes lui, il est moine, il ne peut prétendre à rien
de tout cela ; c'est l'amour seul et le pur dévouement
qui l'attachent à ma personne. S'il a un espoir qu'il
place en Dieu Notre-Seigneur, c'est de me voir un
jour être l'instrument de la Providence pour la res-
tauration de son abbaye si éprouvée depuis tant
d'années. »
Ce matin donc l'évêque entraînant son ami dans
ses appartements privés lui dit tout haletant et en
soupirant : « Oui vraiment cette nuit m'a anéanti.
Il faut absolument écrire de ma part au duc mon frère.
Ce n'est plus un frère, ce n'est plus même un ami ;
c'est un bourreau plus dur que le rocher. Ne suis-je
pas comme lui le fils dé Godefroid le très noble duc
de Lotharingie ? Nous ne sommes que deux frères.
Puisqu'il est l'aîné et qu'il a ceint l'épée qu'il soit duc.
Mais l'héritage opulent des richesses de notre père
nous est commun. Pourquoi mon frère m'arrache-
t-il violemment ma part comme à un dégénéré ? La
tonsure cléricale ou un grade plus élevé dans la
hiérarchie ecclésiastique ne peuvent aucunement por-
ter préjudice aux droits légitimes à la succession
paternelle. Mon frère vit dans les délices. Il me ré-
duit à mourir de misère. Son parjure, soit, la terreur
l'y a forcé. Devant la toute-puissance d'un César
irrité j'ai pitié du coupable qui viole son serment et
je lui pardonne. Mais s'il croit devoir rendre à César
L'EXIL A RELMS. 85
ce qui est à César, il y a une chose à laquelle il ne
peut renoncer c'est de rendre à la nature ce qu'il doit
à la nature; qu'il me laisse la vie, qu'il me permette
de vivre de mon patrimoine. Dieu pardonnera plus
facilement une faute contre la fidélité qu'on lui doit
qu'une injustice cruelle par laquelle un frère enlève
la vie à son propre frère. Oui Dieu remettra plus
facilement le parjure contraire à la loi divine que la
violation des droits sacrés de l'affection naturelle.
Mais passons sur le caractère même du serment qui
est une promesse faite au nom de Dieu ;^t examinons
plutôt la teneur de ce mauvais serment. Ce n'est pas
seulement un frère selon la chair que l'on y mécon-
nait, c'est un père spirituel. Le Christ, fondement
invisible de l'Eglise, a donné à Pierre le pouvoir .de
lier et de délier. Lothaire l'intrus est soumis à l'au-
torité apostolique. Or cette autorité a confirmé mon
élection et m'a consacré évêque. Elle m'a conféré la
paternité sur tous les enfants de l'Église de Liège
soumis à Dieu et au Saint-Siège. Si donc mon frère
craignant César plus que Dieu a fait à Lothaire un
serment contraire à Dieu, on l'excuse de cette faute
en raison delà nécessité pourvu qu'il sache ce qu'il
a juré et qu'il ne l'ait fait que contraint par la vio-
lence. Un serment arraché par force surtout quand il
est contraire à la loi de Dieu, l'Église le pardonne.
Moi aussi je l'excuse bien que ce serment soit mauvais
pour lui et meurtrier pour moij je condescends à la
nécessité passagère où il se trouve d'agir de la sorte,
mais ce que je ne puis pardonner, c'est que mon
frère observe son serment jusqu'à violer les -droits de
la loi naturelle qui dit : « Ce que tu ne veux pas
« qu'on te fasse ne le fais pas à autrui » , et ceux de la
86: VIE DE. SifeINT AEBERT.
loi divine prescrivant d'aimer soa prochaiii CQmiïiie'
soir-même. Qr, je: suis son pïoclaaiinauipx)int.d'' être son;
frère unique et. son frère. Uitérinf. Je me^ faisi mieii-
diant, il me refuse • l'aumône: de; ses ■■ bien», ill mi' enlève
tout ce qu'il sait m'appartenii?,, il me frapipe-, et me;
perce," du glaive de; la pauvret©, plus crueL Lui-ménaiei
que; l'arme dont il! se sert. »i
L'évêque demanda en terminant à l'abbé der Lob>-
bes. d'écrire au duc de B;rabanli, qu'il connaissait, bien :
« Hâtez-vous, dit^ili, de tRansmettre à: mon frère tout,
ce quej je viens de vo^isi direi. Parlezi-lui un- lamigage;
sévère. Oui, acheva-t-il' em gémissant profondénœnt,,
il est plus sévère; pour moi. que tousr les stylesoiiiu vous
pourriez eixprimer mes repiîodkes. »-
L'abbé de; Lobbes qui aimjait; tensdirement Ailbert elr
à cause de lœson frèaie Henaii^ trouva; le discoujrs de;
soni amibien; duT. Maisi il ajwait tropdej réspeiœt pour
L'évêque et voyait que sadfeuiauic était ticop véhémente;
pour oser le contredire ..Son: affection et sa pmudencej^
lui suggéré rent un mo^ye-nde: toiMunei? lai difficultés. II.
alla trouveE le prévôt Thomas de- Marbais- dont il
connaissait le dévsouement et la; fidélité) absolue à son;.
seigneuT et lui rajCOBta la confid;ence doni il; venait,
d'être l'objset d©; lat part dé l'éviëque. Li'abhé et, le.
prévôt étaient dc' grands amis. Il Ici mit dû;nc au gou-
raiBt de tout et lui demanda conseil sur l'ordiKereçu^
bieui dur apparemment, d'écrire une lettre; de Êcèré à
frère en termes si froids.. Tko mas inclina la. têtei eti
réj0échilï quelques instants puis en riant il dit.:;(e Ouiv
I. In hoc uno diligens etpnidens. Voici une des expressions
que; Eurth trouve invraisemblable sous l'a plume dé l'abbé
L'EXI'L A. REIMS. 85:
il faut écrire au duc et de la> façon lïii plus* am^re que'
ton esprit' inîvenitif le puisse faire en aiguisant chaque
mo* et chaque phrase; Lai d'ouceuT et la-bonté natun
rell'e de; Mionseigneur s©>nit naâîeux; connues quf'une'
maisonv de son propriîétaire. Étouffer une flamme;
légère en' Fécrasant d'une- maisse pesante n'est pas plius
facile' cpe d'éteindre la coliëre de notr© maatre em
l;ui proposant une lettre: pour le duc dépassant par la
•raideua? tout ce qu'il a ordonaié. Pendant; qu'il lira;
l'écrit 613» paTticulier de^-ant loi, je m'autoriserai de' 1*
confianee qu^'il me témoig^ne? pour entrer brusque-,
ment" eU inteirvenir au besoin- dans votre entretien.
Nous: verronsi alors le dénouement. »
Tout fut fait comme il l'avait proposé. Quand
Févêque commença à Mire cette lettre si dure, si
sévère, si opposée à son caractère bienveillant, et qu'il
vit entrer Thomas de Marbais, il fit asseoir ceïni-ci à
côté dé Fabbé de Lobbes, et se mit à dévisaiger
tantôt l'un tantôt l'autre. Enfin', agitant son papier il
ditenriant raodesteraent,.carilis' était aperçu duicomplot
des deux amis : « Vous m'avez vaincu, et cette lettre
aussi par Fexcès de sa^ sévérité. J'écrirai sous peu' k
mon frère en termes plus doux. Il le faut. »;
En effet, quelques- jours après-, la pénurie de toutes
choses ne faisant que croître et empirer, Albert envœya
au duc une lettre ainsr conçue; :
« Albert par la grâce de; Dieu évêque de LiégCy à
Henri son frère très cher, FillustireiducdaLotharingiie:,
salut et dilection fraternelle). Depuis le j ouït oii je' suis
arrivé dans: cet exil, je n'ai pas: cessé de vous; adresse*
des prières instantes et de nombreuses lettres, dans
l'espoir d'émouvoir vos entrailles fraternelles en
faveur de mes nécessités; nécessités de voti'e chair,
88 VIE DE SAINT ALBERT. ~
de votre frère unique, de celui que Dieu et le Saint-
Siège ont choisi pour leur prêtre qui, non par ses
mérites mais parla grâce de Dieu, est votre évêque
et par conséquent votre père. Mais comme je vois
que vos entrailles n'ont plus d'affection pour moi
votre frère unique selon la chair, pour moi votre
père spirituel, c'est la dernière fois que je présente
mes prières devant votre face. Je n'écrirai plus de
lettre à mon frère unique, car, avec une grande,
douleur, je suis obligé de le dire, vous avez forcé
votre frère, votre père aimant à désespérer de vous. Je
vous ai écrit souvent, je vous ai supplié humblement,
vous n'avezjamais répondu, jamais envoyé la moindre
lettre. »
Il écrivit à peu près dans le même sens à son
oncle.
Quand le duc de Lotharingie eut lu celte dernière
lettre dont le porteur envoyé par l'abbé de Lobbes
était un moine de cette abbaye, il fut ému jusqu'aux
entrailles du sort de son frère et se mit à pleurer.
Le religieux qui avait apporté le message fut reçu
avec les plus grands honneurs. Aussitôt des ordres
furent donnés de rassembler des chevaux, des vête-
ments, de l'argent, et autres objets nécessaires, que
des messagers du duc étaient chargés d'apporter à
Albert dans le plus bref délai. Avec ces largesses le
duc mandait à son frère que bientôt un grand nombre
parmi les plus importants de ses adversaires allaient
revenir à lui, se rallier pleinement à son autorité et
le reconnaître comme leur seigneur et leur père. Le
duc d'Ardennes son oncle s'apprêtait à agir de son
côté de la même façon.
Un noble adolescent du nom de Rotrolle, évêque
L'EXIL A REIMS. 89
\ ■ ■ .
élude Châlons^, ayant appris la détresse de l'évêque
de Liège s'était ému de la disgrâce d'un homme d'un
sihaut rang et prenait aussi ses dispositions pour lui
venir en aide. Il avait envoyé une députation auprès
d'Albert pour le prier de venir habiter chez lui où il
serait entretenu à ses frais et entouré de tous les
honneurs dus à sa dignité. Lui-même viendrait pro-
chainement à Reims avec sa suite pour le chercher et
l'escorter jusqu'à Châlons.
Mais Dieu allait disposer bien autrement de son
serviteur, de son élu nouvellement consacré. Pour
qu'il apparaisse devant lui plus pur, plus précieux, il
le purifie comme l'or dans la fournaise par une épreuve
telle qu'aucun homme d'une si haute dignité et d'une ^
si noble race n'en a subi de plus grandes dans des
circonstances semblables. Pendant que les hommes
d'un côté et Dieu de l'autre préparent les événements
à venir, l'évêque Albert dans son exil à Reims lutte
contre toutes les extrémités et se consume dans le feu
de la tribulation et de l'angoisse. Dans sa compassion
pour autrui plus douce que le miel, il gémit de voir
autour de sa personne dénués, pauvres et abjects, ceux
que jadis il se plaisait d'entourer d'honneur et de
somptuosité. Sa table autrefois joyeuse devenait
morne. Ses vêtements et son mobilier avaient passé
I . Rolrolle était fils de Rotrolle III comte de Perche et de
Mathilde de Champagne, parent de l'archevêque Guillaume de
Reims et du roi de France Philippe-Auguste, Il fut nommé
archidiacre de Reims en 1190 et la même année élu évêque de
Ghâlons-sur-Marne en remplacement de Guy III. Il semhle
qu'en 11 95 il n'était pas encore consacré. Il mourut en 1202.
{Gallia Christiana, IX, col. 883.)
90! VIE Bll&l SiilNT AESERT.
engage; a ses er.éaneiera ;:sairfiaii palefroi/ e* laane claiape-
de-, pie U; de valeur, il ne; lui restait rien^
Cette indigences ajoutée à tant! d'autre» maux: arvait
j été l'évêqîUîedaiiisu ne g^rande affliction: et nnex profonde
dépressions. IL restais, chezi lui tristement,. et osn: Bielei
voyait plus comme; ajupar avant se promener ai eheival
ou; à pied. Il ne sortaiit de. sa. demeure qucpouar se
rendre as l'église;, son' refuge favori où dans lesi divins
offices il retrouvait la joie de; la; saiatei dévotiomi. Om
l'enitendait répéter souvent avec mm onfifâon; halài-
tuieife : « Il faut rcebercher lesi endroits oui' on i trouve;
le bien et le repos de; l'esprife. Me sentir à l'église est;
ma consolatàoia. L'œuvre de; Dieu seule réjoiiiti mon
âme, soit que j'assiste aux. saci?és Mystères ^ soit sur-
tout que j'aie la grâce da les accomplir. C'est Biau,,
c'est niotre Dieu s&và qui opère; des' mierveiliesai. Il
m'a lïagellê avee; une; verge de bioia, c'esit. avec une
verge de; fer maintenant qu'il mie,' briset.. C'est en; Lui
que j'ai espéré et que j'espèine. Qu'il miC; tué^, eai Lui
sera toujofUTS mon; espoir e* ma joie. Il est. b^on? de
mettre sai exanfiance en Dieu dont, la miséricorde, est,
infinie. »
1. Cheval de parade.
CHAPITRE VIT
Le meurtre.. — Funérailles.. — Eaveurs obtenues au tombeau..
Les chevaliers allema'imds' ©ortlinu aient ài feéquenlei?
la. maison! de l'évêque: etceluir-ciî,. commeune eonfiante-
colombe, se laissait chafcmer par leurs discours veni--
meux^ Ses familiers; et sesi serviteurs connaissaient
l'amitié et la; haute; considiération de leur maître
pour euis. Dès qu'ilss les? vœ>yaient entrent- ils aedevaient
aussitôt et; s' éloignaient, pour leur faire place et, leur
laisseï le loisir d'être seulsi avec l'évêque., Kinnocesait.
agineaui. prenait tant de' plaisir- à la conversation! de-
ces loups qu'il leur avait annoncé- son pEO)iet de trans-
fert à Châlôns et son. désir de les; y amener a^ee: lui.
Mais ceux-ci tout; en; accueillant cette nouvelle a^ec uœ
sourire trompeur eit furent déconeertés. Ils- crai-
gnaient, avec raison di' ailleurs, que; l'évêque ne fût.
moins; isolé à Ghâlons: qu'à Reims. Là, ea efifët, la pré-
sence du prince attirait à? sa cour un grandi nombre
de baroiï'S et de nobles, tandis qu'à ReiraSy l'archer-
vêque étant, depuis; longtemips en voyage, son. palais
ne se trouvait fréquenté par aucuna persomnage de.
maaîqu®.. Ge qui vexait aussi considérablement lesi
Allemismids-y c'était l'habitude que prenait Albert
dans sa tristesse de rester plus souvent chez lui. Il>
92 VIE DE SAINT ALBERT.
était ainsi moins exposé à leurs glaives et à leurs cou-
teaux qu'au dehors où ils espéraient surtout trouver
l'occasion d'accomplir leur impie attentat. Cette cir-
constance commençait même à les faire désespérer
de réussir dans leur projet. Ils pouvaient sans doute
à l'intérieur du palais <;auser souvent en privé avec
l'évêque, comme nous l'ayons vu, mais dans ces condi-
tions, ils ne voyaient pas la possibilité d'exécuter leurs
desseins. En effet, les portes restaient ouvertes pen-
dant leurs entretiens. Ils pouvaient être vus des gardes
et des serviteurs se tenant dans l'antichambre. S'ils
avaient cédé à leur désir incessant de porter une
main criminelle sur le prélat, ils n'auraient jamais
pu échapper à ceux qui se trouvaient à l'extérieur.
Caroutre les serviteurs, il y avait toujours devant la
porte de la maison ainsi que dans le cloître du bâti-
ment habité par les chanoines un grand nombre de
passants. Souvent ces visiteurs exécutaient des jeux
sous les fenêtres de l'évêque pour lui témoigner leur
sympathie, tant était grand le crédit dont jouissait
Albert auprès du peuple rémois.
Cependant quelques-uns des familiers du bon
évêque avaient remarqué plusieurs choses qui éveillè-
rent leurs soupçons à l'égard de ces cruels Allemands,
notamment leur habitude de venir partout, même chez
l'évêque, armés. L'un d'eux découvrit et nota le fait
suivant. Un j our qu'un des trois chevaliers montait
les degrés élevés de l'escalier d'entrée, il releva impru-
demment sans y penser le bord de son vêtement qui
l'embarrassait dans son ascension, et laissa voir la
jambière en fer dont la partie supérieure était cachée
par l'habit. Sous cette jambière, entre la cuirasse
et la cuisse, un couteau mal dissimulé avait été glissé
LE MEURTRE. 93
et gênait là marche du chevalier. Mais les scélé-
rats étaient si rusés qu'ils inventaient mille strata-
gèmes pour cacher aux yeiix du crédule Albert
leurs véritables desseins et lui faire interpréter tout
et partout en bien ce qui n'était que mensonges. Avec
une présence d'esprit infernale ils étaient toujours
prêts à trouver les explications les plus subtiles et
les subterfuges les plus adroits pour efifacer et faire
disparaître le moindre; indice de soupçon.
Ces artifices et la faveur dont ils jouissaient auprès
de l'humble prélat avaient amené une situation sin-
gulière : ces chevaliers inspiraient de la crainte à
plusieurs mais personne ne devinait ni* ne pouvait
soupçonner la. profondeur de leur méchanceté.
Sur la place publique de la ville, à l'endroit où
stationnaient les changeurs, et où les passants ont
l^habitude de se rencontrer, on causait parfois de ces
événements. Un jour un garçon (cet âge a souvent un
instinct spécial pour deviner et découvrir les secrets)
s'écria devant un groupe de causeurs : — « Je donne ma
tête si ces cruels Allemands ne sont pas venus à Reims
pour tuer Monseigneur l'évêque que vous aimez tant
de voir réfugié parmi vous. Voyez cette orge et cette
paille de froment qu'ils achètent pour leurs chevaux,
ces dépenses qu'ils payent régulièrement chaque jour,
ces courses fréquentes hors de la ville, les armes
qu'ils portent continuellement sur eux et d'autres sin-
gularités que j'ai remarquées : ce sont les indications
et les preuves du meurtre néfaste qui se prépare. » —
A ces paroles tous les auditeurs eurent un frisson
d'horreur et ne pouvant partager ce mauvais soupçon
ils répondirent non sans quelque émotion : — « Va-t'en
garçon de malheur, et ne répète plus devant nous ces
m VIE DE SMNT AL'BERT.
méGÎaaneetés, si tu ne veux pas, comme tu le mérites,
qu'^n te fcrise'le crâne ». — Il semblait im possible ^aux
habitants 'de Reims d'admettre l'id-ée (d'june fim si
ihorrible pour un homme dont la personoase, le carac-
tère, ia vie ieur étaient si chers. Nioa, une mort si
ig^nominieuse n'était pas destinée à celui que Dieu
avait marqué de l'onction sacrée, à cet homme illustre
dont la noble race l'emportait de si loin en valeur est
en mérite sur ttoiafte la puissance 'teutonne. Ces Të-
flexions eussent été justes si à la colère d'iin César
dépassant celle de tous les Césars n'était venue
s'ajouter une passion non moins funeste, à savoîîr la
jalousie de conseillers impies qui enflammèrent le
ressentimenft 'del'empereurdéjà déehaînésans mesure
et le poussèrent à la conception du complot sacri-
lège fdressé par l'envie contre une puissance rivate vH
nia-e race généreuse . G' est à cette source venant «de haut
que les chevaliers allemands puisèrent leur malice Ct
leur obstination dans une entrepTis« qu«! rien ne put
ébranler, ni le respect d'an personnage d^n rang si
élevé, ni le charme d'une si puTe innocenee envelop-
pant d'une douceur inaitërable ses implacables bônr-
reaux.
Un des trois chevaliers, c'était l'aîné, était si
sombre qu'join ne le vit jamais lire pendant tout
le temps de son séjour à Reims. Il pariait peu, avait
le regard fuyant, l'air farouche. Les deux autres au
«ontraire se montraient gais etjoyeux. Ils plaisantaient
leur compagnon, mettant sa tristesse sur le compta
de son tempérament naturellement graveétca'chîint ce
défaut comme tout le reste ipar l'abondance de leurs
propos enjoués. Mais laprovidencede Dieu, qui tenait
d;ans ses mains le fil des événements, disposait d'eux
en vue-de la fin qu'en d;épk(d/e toutes'les cîreonstances
coiaitrBiirses jelle avait iprévue )p®ïir ïsmi ébi, pour l'aiuit
jdiu Seigneur.
On était arrivé aiu 'drmaimsRhe •a.'s. movBmhme., .fête
(de sainte Cécile, vi'erge et martyre- Ily )avait àiReinits
naaa m®iaastère de . fe mimes «oiïsaerôes à IDieu «ù l'on
ibpnoraât fcette sainte td'ma culte fSipéacial. Mlles s'inrejat
ïtrou'Ver le pontife de douoe mémoire >, :©t Je priè-
•rerift rhnmiblement «et idévatem'eoît de irendre gloii^
à Biea.etià la bienkfôarause (.Cé:eite«t dlhomiorer I©U'r
raonastèr« dédié à liaipôctwe «saiiut Pîeraie em vienant f
^présider ,solennellenïeiœt)l'es saints Mysitères. nDoujours
proflaftpit!àicéder,sC£iimmetti'n kon fserviteagr de JElieia,, àl
vint au (Susdit couvenît, <et pouir iladernièire fois aé-
lébra ipieusememt ie saiaat fSacrijfiGe. (Unie :gcande .Ébule
.d'ib®mmes eft de if^nmes a^couimineflaft (de ia villse (paioir
assister à.cetrtie Mjesse pontificajlfe.. Satan yffutiaflaissiiaTwec
îses!satel'liitesTnaodits3le8.cbetvaliersali;eima;andsnon;.pc)iiair
adorer enîvérité/oommeiles autres., mais ip&wc ajtteindne
'de 'lenrs mains sacraiègeB Je pontife^ soit awant, isotit
api\ès, soit même, «i r.oceasi®n s'enipr.éseiiïtaîit, ipendant
IWgiuste cérémonie. ills setinrent.danB/ee ibutdoutipRès
du saintt.autel,|)ar mi les serviteurs iderévêque, ifi©mmae
ipour s';a!vilir 'davantage s'ils n'avaient sdéjjià éibé ies deir-
nieirs des laquais, ifiprès l'Évaingile., ;iils ivinTent ^pré-
seinter leur (offrande am célébrant et (baisèirent du
baiser de Judas ses mains et ses pieds. La Messe
acîaevé,e„ ils r;aQcompagaa.èr.eiit k .cheval jusqu'à sa
dem'oure, s'assirent à «a taÎDil*, (et >les traîtres qui in'a-
vaient pas participé à 'la réfection de 'l'âme partagèrent
avec Tévêque le repas du corps.
Le jour isuivant, ils vinrent ;seloji leur habitude
auiprës d'dyhert sous pr-élesi.te de tGauser amicale-
96 VIE DE SAINT ALBERT.
ment avec lui. Celui-ci leur dit au moment où ils se
retiraient de revenir le lendemain matin afin de l'ac-
compagner à cheval jusqu'à Saint-Remy^ où il avait
l'intention de se rendre par dévotion. Après la prome-
nade il les retenait à dîner. Celte invitation réjouit
les Allemands. Enfin, pensaient-ils, voici l'heure tant
désirée d'exécuter notre mission. Comme nous l'avons
dit, ils commençaient à désespérer du succès. Le temps
pressait, échouer dans leur entreprise, c'était contre-
venir à l'ordre formel qu'ils avaient reçu. Il fallait en
finir coûte que coûte et porter le coup fatal. Voici
une belle occasion qui se présente : cette promenade
hors de la ville allait placer la victime à leur merci
et cela sans témoins. Albert leur avait précisé le
chemin qu'il comptait prendre. De bonne heure ces
hommes sanguinaires se levèrent avec empressement,
harnachèrent leurs chevaux, y placèrent tous leurs
bagages et armés ainsi que leurs écuyers, ils prirent
la route où l'évêque devait s'engager. Non loin de
Reims ils trouvèrent un passage étroit favorable à
une embuscade et s'y arrêtèrent, expliquant aux pas-
sants qu'ils étaient là pour attendre leur seigneur
l'évêque. En quittant leur logis ils avaient dit adieu
au stupide hôtelier lui faisant croire qu'ils partaient
avec leurs bagages pour une longue expédition, mais
qu'ils reviendraient dans trois jours à moins que
I. L'église abbatiale de Saint-Remy était situëe à |Un kilomè-
tre environ des murs de la ville. Elle est maintenant comprise
dans l'enceinte de la cité rémoise. L'abbaye a été convertie en
Hôtel-Dieu et l'église en paroisse, Gelle-ci pendant la dernière
guerre a été plus abîmée encore que la cathédrale. La vénérable
châsse de saint Remy, déposée dans cette église depuis 530, fut
préservée par le soin des soldats français et transférée à Dijon.
LE MEURTRE. 97
l'évêque au-devant duquel ils allaient h Saint-Remy ne
les retînt plus longtemps. On fêtait ce jour là saint
Chrysogone martyr dont on fait mémoire avec d'autres
bienheureux dans le canon de la Messe avant la con-
sécration. Ce matin, l'abbé de Lobbes vint trouver son
. seigneur avec plus d'empressement encore que d'ha-
bitude. Il avait remarqué la veille au soir sa tristesse
et son abattement et venait le consoler. L'évêque,
quand il arriva de très bonne heure, était encore au
lit en proie à l'agitation et poussant de gros soupirs.
Tous ses membres étaient brisés comme si on les
avait broyés avec un marteau de fer. Presque toute
' la nuit s'était passée dans une insomnie fiévreuse et il
ne s'était endormi à la fin que pour être crucifié par
d'afiFreux rêves. Quand. les chapelains vinrent réciter
les matines avec lui, il n'alterna point les versets des
psaumes comme il avait l'habitude de le faire très
exactement. L'ojBGce terminé, maître Gérard qui avait
remarqué cette abstention lui dit avec surprise : —
« Pourquoi , Monseigneur , n'avez-vous pas récité
comme de coutume? » A ce moment entra l'abbé de
Lobbes. L'évêque dit alors en gémissant et en soupi-
rant profondément : « J'ai beaucoup souffert cette nuit,
soit éveillé, soit endormi. Pendant l'insomnie, une
immense tristesse m'a envahi et je n'ai pu dormir que
quelques instants ; mais pendant ces courts moments
de sommeil je fus tournîenté cruellement et sans répit.
Cette chambre était pleine d'une horrible vision de
glaives et de couteaux, pleine de tumulte, de deuil,
toute obscurcie des ombres de la mort. Ces glai-
ves et ces couteaux fondaient sur moi; personne
pour me secourir, impossible de fuir, aucune issue
pour échapper. » — Ce disant, l'évêque se leva de
6
W3 VIE DE ,SAINT ALBERT.
«
soQ lit et eMouré de ises serviteurs, commença à se
vêtir et à se laver fies mains. Son visa^ avait lun aspect
angélique et toute *a (gracieuse personne paraissiait
tîîaos&g-urée.. L'agitation de la nuit -avait Jégèrement
(coloré ses ijoues. Cette rougeur venant se mêler à la
blancheur de son teint donnait l'illusion-d'un bouquet
de lis mêlés de roses .La taille sveke ^xCt noble répondait
alla ibeauté du visage, tout son extérieur enfin reflé-
tait le .cbarme de son caractère et la douceur «de son
âme. Quand ses yeux de ooloimibe réiicontr.ant le
regard fde ses amis s'aperçurent de la peine que
leur causait son trouble et des eJffiorts qu'ils faisaient
pour le rassurer, il se mit lui-même avec >un courage
étonnant à les^onsoler. Ensuite., tantôt riant, tantôt
sérieux, il parla de sa vie et ide sa .mort, de sa vie très
peu, 'de sa mort très longuement. Ce suietlugubre se
^prolongeant dévenait odieux, On lui .demanda plu-
sieurs fois de l'interrompre , mais il irépondit qu'il jqê
le pouvait pas. ■Gomme is'il eût eu connaissance du
Jour de :sa mort, bien qu'il l'ignjorât, il en iparlait le
matin même .abondamment, discourant sur cette
matière, montrant que la ^nort était la iin de toutes
nos misères, qu'elle mettait un terme aux isouois >et
aux labeurs de nôtre vie terrestre. « La mort, disait-
il, ine fait .aucuine distinction .entre les hommes libres
et Les '.esclaves,, entre Les puissants et les ifaibles, ventrue
î«s .riches et les mendiants ide (profession. Je suis né
d'uneiraceillustre. Quand je mourrai, à iquol m'aura
seo-vi cette haute .origine, si je n'iai pas .d'autre mérite
I. D'après Jîexamen des lossements Albert devait mesurer
entre 1^,78 et i"i,8o. (Docteur Vervaeck, La découverte du
tombeau tle saint Albert de Low>din, Anal. Bdlland, igaa, ^-I^
fasc. let II, p. i63.)
LE MEURiTRF. 9,9i
à faire valoir' devant Dieu? Héritier de mes aaeox.
j'ài paru puissant à mes eoncitoyems. A ma mort qjm
m«' viendra en aid'e-, sinon Dieu qui m'a ©rééy qui.
peuît seul me soutenir si je dléfaMle-. Moaai uang» social
m''iiivitait à vivre délicatemieBB. Si jiG! m;eurs, à quoi,
m'auront servi l^s délices trompeuses die; ce mojiide:?
Que Dieu- dans sa miséricorde dia%neni'accorde» les
plaisirs- meilleurs qui n'ont pas; de fin. Quelle part
Dieu m'a-t-il fait? J'étais entré dans ia clériiGatuare-
ri«h«', heureux, fier; mie voici pauvfre, triste, hum-
Me, abandonné, abject. Quîsuis-je? Un pauvre' exilé,
un pauvre évêque, si pauvre qu'il n'en existe pas de
plus pauvre. Quand je mourrai cette pauvreté ne me
nuira plus, au contraire, elle me sera utile, elle me
permettra de finir mes jours non comme «n prélat
orgueilleucs, mais dans l'humilité. Sept pieds d* terre;
snffiront pour ma dépouille. Dieui daigne m;' éprouver,
qu'il m'accorde en compensation de ma miséuahle
sépulture ses richesses iincomparables; dans la terre
des vivahts. »
Ainsi parla l'évêque Alibert qui savait, si bien unir
dans sa conversation le plaisant a<ui sérieux etpassea?
sans qu'on s'en aperçût de l'un à l'autre, car il avait
le; don, quarad il entamait un su j est g^uave, d'ea tem-
pérer l'austérité par la douceur et Ta suavité dominant
en lui.. Eh traitant ce jour-là de choses tristes qui sem-
blaient hors depropos, il lefitsur un ton enjoué pour
corriger l'impression pénible causée à ses, auditeurs.
Cependant la fin de cette: joiurnée devait preuve*"
par la mort de l'évêque qu'ît l'avait prédite sans le
savoir^. — « Allons, dit-il, qu''on amène les chevau:s.
I . Tout ce passage semble avoir été quelque peu dramatisé par
100 YIE DE SAINT ALBERT.
Nous irons en pèlerinage au tombeau de saint Remy ,
apôtre des Francs, afin qu'il ititercè de pour nous au-
près du Seigneur et nous obtienne la joie de son salut.
Après le dîner nous sortirons de la ville. Une prome-
nade nous récréera un peu et secouera la rouille d'une
réclusion trop prolongée. » Toiis approuvèrent l'idée
d'une récréation mais non le choix d'un pèlerinage.
— « C'est aujourd'hui mardi, dirent-ils, jour férié,
les prières et les jeûnes conviennent mieux au ven-
dredi. Que saint Remy nous attende patiemment
jusqu'à ce jour-là ». — Et, sans vouloir démordre de
cet avis, ils abandonnèrent l'évêque et s'en allèrent
chacun de son côté. •
Alors se tournant vers l'abbé de Lobbes ,: « Yenez
dit-il, allons entendre ensemble la Messe et recevoir le
plus excellent et le plus suave des viatiques. Puisqu'on
nous méprise et nous délaisse, allons à Celui qui nous
rendra des jours meilleurs. «
Devant la maison de l'évêque se trouvait une petite
chapelle. Maître Gérard s'y disposait a célébrer la
Messe privée. Ce chanoine était, comme nous l'avons
dit, réfléchi et perspicace. Toutes ses observations et
le tiographe. Beaucoup de saints ont annoncé leur fin prochaine
«t les circonstances de leur mort. On raconte dans la biographie
de Thomas Becket qu'il montra sur sa tête la place où devaient
le frapper ses assassins. Il est possible cependant que l'auteur
de la Fita, suivant en cela et de bonne foi une méthode assez
commune chez les hagiographes du Moyen Age, ait cru devoir
introduire ici un peu de merveilleux dans son récit. Il y a
quelque invraisemblance, nous semble-t-il, entre ces pressenti-
ments d'une part et de l'autre l'insouciance ordinaire de l'évê-
que s'engageant sans escorte en promenade avec des chevaliers
armés jusqu'aux dents et dont on l'a si souvent averti de se
défier.
LE MEURTRE. 101
ses enquêtes avaient amené dans son esprit une pro- ,,
fonde inquiétude; ses craintes et ses prévisions ve-
naient de redoubler devant l'abattement éprouvé par
l'évêque pendant cette terrible nuit. Il commença
donc la Messe avec une humble componction par cet
introït : « Fac mecum, Domine j signum in bono, utvi-,
deant qui me oderunt et coivfhndantur, quoniam tu, Dor
mine, adjuvisti me et consolatus es me. » Tout le propre
de cette Messe eut un caractère de tristesse : la collecte,
l'épître, le graduel etl'alleluia, l'évangile, l'offertoire,
la postcommunion, furent tous des morceaux choisis
exprès avec cette note sombre par le célébrant dans
l'antiphonaire, l'épistolaire, l'évangéliaire et le livre
des oraisons. >L'évêque assista au Saint-Sacrifice avec
une dévotion plussu&ve que le miel, et sourit en recon-
naissant dans les pièces liturgiques choisies par Gé-
rard sa crainte habituelle. Ils étaient quatre dans la
chapelle : le célébrant Gérard qui chantait la Messe,
un clerç^qui servait et répondait au chant, le pieux
évêque et l'abbé de Lobbes. Tous les autres compa-
gnons d'Albert l'avaient abandonné avec légèreté ce
matin-là comme pour réaliser cet avertissement de
Dieu : « Je frapperai le pasteur et les brebis seront dis-
persées. » Tandis que le, pontife était agenouillé près
de l'autel, l'abbé de Lobbes, contrairement au désir de
l'évêque, se tenait à la dernière place dans le fond de
l'oratoire, tant était grand le respect que l'humble
abbé avait pour le prélat exilé et l'honneur qu'il lui
rendait comme s'il exerçait sur son siège de Saint-
Lambert la plénitude de ses pouvoirs. Ce même abbé
s'irritait intérieurement chaque fois qu'on osait, con-
trairement au bon plaisir de son évêque, se fâcher ou
murmurer pas même contre lui mais en sa présence.
6.
110g VIE DE S:A.INT ALBERT.
Ge qjuï arcivait parfois quaiiié lane dispute sur-gissailt
d'an» son entourage | rmm n'étak plus eonsfiraire: à sa
mansiiétud» naturelle'.
Au moment delà- Messe où le prêtre donne le; feais'eu
de paix à l'évêque., celoiii-Gi apTès l'atvoir' reçu; s'emi-
pressa avec affabilité d^aller lui-même le tra>n«m©t6re
à l'abbé. Cette paix de Dieu daam les lèvres amies l'hov
no^aiient, fut comme; le; dernier ténaoignage' ée sa
tendre afieetion, La Messe termiméei Févêque: donna
sa bénédiction puis se retira da<ns; ses; appartements.
IL'atobé de Lobbes lui d^emanda alors la peifmissioK de
rester chez lui pour subir une saignée^, mais s'oifcit
poua? aller auparavant commander les chevaux néces-
saires h la promenade projetée pour ï'aprèsi-midif, M-
bert nepouvaitpas.soiplir seul et toute' son écurie avad*
été laissée en gage à. ses créanciers sauf son palefroi
prêté à l'abbé du monastère rénaiois' de Sairat-Denis;,
Muni de la bénédiction die^ Fevêquev l'abbé de Eobbe^
s'éloigna de celui qu'il ne devait plusi revoir, de celui
qu'il aimait de toute: son èmie-.
ILes Allemands avaient, aittendw longtemps danas
leur embuscade. Ne voyant poin* venir l'évêque et dér-
eus dans leur espoir, ils retournèrent honteux avec
tous les bagages ch«!z leur hôtelier qui ne comprit
rien à leurs torlTïeuses» expli.ea'lîiionsi. Ils ne; vinrent pas^,
comme c'étaic convenu,- dmer avec: Albert, qjué les
I. Il faut l'avouer , cette saignée (©pératioïY cFailîeurs^ très
habituelle à eette époqu'e) est vetme providentiellement sauver
l'abbé de Lobbes de la mort qu'il aurait trouvée en défendant
son seigneur. Nous chasserons la mauvaise pensée que le secré-
taire de Wéry (auteur présu-mé de la Fita) aurait inventé ce
prétexte pour excuser son maître de n'avoir' pas été à' côté dfe
l'évêque à l'heure du da'ngei''.
'^SSK:SÎ=W«Ï'3%;?S>
' EE MlUKrRK- im
attendit qne\quje temps; trop; dépités étaâentr'iJ's de
leur inscTGcès; dm matim. Mais quand ils aipprirent:
qvL& l'évêque sortait, a che^vai après le <Jiner leur joi®
fiit d'auCant plus grande; et ils ache^-vèrent: rapidement
leup repas.-
Enfin l'beuKe était lày leur pro>jet allait définiti-
vement OIT réussir ou éelâoue». Le« voilà entièrement
équipés' comïne au matia;: ils;; prennent congé dé l'au-
bergiste idiot, et arrivent chez Févêque- aui moment
où il se levait de table. — « Foufrquoi, dit eeluL-ci,.
n'êtes-vous pas venusidîneE' siuiivant mion^inivitation ?
— Nous avons, Monseigneu'Fy répondirentrils, passé
toute la journée à vous attendrez à Saint-Remy. »• —
L'évêque reprit alors avec sa sérénité habituelle :
— « Vous payeirea; cette; faute en' soupant ce: soir aivec
M'oi.s » — Ils. aceeptèrenl et leplus jeune ajouta en; fei-
gnaniî de sourire, gracieusement : — « Par la paume;de
cette épée, dit-il, moi et: mescoimpagnons nous- jurons
de; réparer' cette' offense;, » — Et tiinant à moitié son
glaive il en mit la; paume, dan» la ma)in de l'évêque et
en. signe de pardon pxîur le noîanquement à la parole
donnée demandai à L'offensé, de boire, une- dernière
fois avec eux. Albert fit donc apporter du vin le bénit
et bu» le premier, leur passant ensuite: la coupe. Et
ces homimes; maudits burent au; breuivage doublement
bénit par la bénédiction et par Le& lèvres deTévêquev
Au momient de partir, Albert,^ sur: le seuil de la
maison , remarqua que les cbevaux dès chevaliers'
étaient chairgés de vasliseSi — « Pourquoi ces bagage&j
dit-il. »i — Nous: allonsiy répondirent-ils, àlarencontre
de messagers partis! de notre pays qui nous appor-
tent des objets dont nous avons> besoin, II& ne sont
pas loin. Demaia nojiis: les aiurons rejoints et bous re-
101 VIE DE SAINT ALBERT.
viendrons vous apporter quelques nouvelles de chez
nous. Mais comme il se fait tard et que nous ne vou-
lons pas manquer votre invitation à souper, nous
attendrons jusqu'à demain matin pour nous mettre
en route. Ces malles vides ne gênent pas beaucoup
les solides chevaux de nos écuyers. Allons, Monsei-
gneur, montez à cheval. Déjà la journée est fort
avancée. Si on ne trouve pas de chevaux pour votre
suite, nous et nos hommes nous serons vos fidèles
compagnons de route. Faites chercher l'abbé de
Lobbes, votre inséparable ami. Ilamènera ses chevaux,
car il en a plusieurs ; avec lui nous pourrons former
une escorte suffisante. » — « L'abbé de Lobbes,
répliqua Albert, s'est soumis à la saignée, j'irai le
voù' à mon retour. » — « Nous sommes assez pour
vous accompagner, reprirent alors ces hypocrites, en
esquissant un faux rire. Avec sept Allemands intré-
pides et forts comme nous, vous n'avez rien à craindre.
Si jamais, ce qui n'arrivera pas, une alerte se pré-
sentait, nous répondons de vous sur nos têtes. » —
L'évêque fut rassuré par ces paroles contre le danger
qu'il redoutait toujours, de rencontrer les émissaires
du comte de Réthel et de ses autres ennemis. C'est pour
les éviter qu'il se tenait tranquille à Reims depuis plu-
sieurs jours. S'armant du signe de la croix, il monta
sur son magnifique cheval, don de son oncle le duc
d'Ardennes, et, comme tout le reste, déposé engage
chez son créancier. Celui-ci ne l'avait prêté pour la
promenade qu'en envoyant son fils monté sur un
autre cheval avec ordre de suivre les cavaliers et de
ramener la bête aussitôt après la promenade. Ce fut
le seul qui en dehors des Allemands suivit l'escorte
de l'évêque composée seulement de Siger, chanoine
LE MEURTRE. 105
de Saint-Lambert*, et d'un page armé du nom d'Oli-
vier .
Sans tarder les chevaliers teutons entraînèrent
l'évêque comme un innocent agneau et sortirent de
la ville par une poterne obscure,, étroite et basse
qui leur était familière et choisie à dessein, laissant à
leur gauche laporte royale appelée jadis porta Cereris,
la porte de Cérès, dont les modernes ont îdàtportaCar-
cms, la porte de la prison.
Les Allemands étaient, comme nous l'avons dit, au
nombre de sept, trois chevaliers et quatre écuyers,
hommes de guerre résolus et i-pmpus au métier des
armes. Ces criminels, dont la perversité n'a jamais été
dépassée, n'auraient pu désirer un lieu, un temps, des
circonstances plus favorables pour l'exécution de leurs
noirs desseins. Dans la ville tout était calme, dans
les champs à cause de l'hiver, pas de travailleurs,
personne sur les routes. Ils s'élancèrent donc à tra-
vers la campagne. L'évêque, perdu en Dieu, ne se
doutait de rien. Les sept bandits s'organisèrent métho-
diquement comme en deux colonnes d'attaque, la pre-
mière dirigée contre, Albert, la seconde contre ses
deux compagnons. Les quatre écuyers se flanquèrent
deux à deux contre Siger et Olivier les serrant de
près et les occupant habilement par leur bavardage et
leurs plaisanteries. Quant au saint prélat, deux
chevaliers se tenaient à ses côtés, l'un à droite, l'autre
à gauche tandis que le troisième galopait un peu en
avant, gardant exactement sa distance, de fa.çon à ce
que la selle de son cheval ne dépassât pas la tête de
celui de l'évêque. De cette façon les trois chevaliers se
I. Siger de Donglebert (de Theux, o. c, I, p. i4i).
r06 VIE DK SAINT ALBERT.
tenaient étroitement serrés- autour de l'a montiare dfe
l'évêque. L'un pouvait étendre le bras et la main
sur' Fencolure de la bète et lui flatter la crinière ;
Fautre prenait et relâchait sa bride en altendamt le*
moment d'agir; le troisièrae caressait ia- tête- diu rapide
coursier prêt à l'arrêter s'il lui prenait la fantaisie de
s'élaneer en avant.
Entre temps ils causaient sr fa'miîlîèrem«nt et si
Joyeusement que tout le mondée aurait pris ceE empres-
sement autour de l'évêque pour nne marque d'extrême
amabilité, personne n'anrait pu croire où imaginer
que ces manœuvres cachaient une' trahison. Tout cela
n'hélait que perfidie criminelle et que parjure.
Ils entraînèrent l'évêque' aussi loin qu'ils purent,
environ à cinq cents pas de l'enceinte de la ville et ils
auraient continué si le chanoine Siger qui n'avait pas
envie de prolonger l'a course ne s'était plaint : « Ren-
trons à la ville, Monseigneur, dit-il, car le jour baisse
et la nuit approche i' ». A ces mots les chevaliers
firent un signe en arrière aux écuyers. Les deux
hommes qui cernaient le page Olivier tirèrent aus-
sitôt leur épée et le frappèrent, lui faisant des bles-
sures graves à la tête, au bras et à la main. Ils
transpercèrent en même temps son cheval et rabat-
tirent. Quant au chanoine Siger sans armeset inoffensiÉ
ses deux gardiens le laissèrent indemne. Cette opéra-
tion terminée, l'es chevaliers allemands se- jettent
I . Il n"est guère vraisemblable qu'une promenade à cheval de
cinq cents pas paraisse suffisante à d'e& gens habitués à l'équita-
tion. Le chaBoine devait avoir quelque autre motif d'interrompre,
la course et de ne pas poursuivre jusqu'à Saint-Remy. Peut-être
eut-il une intuition tardive du danger que courait son maître
et fut-il saisi de peur.
LE MEURTRE. m
îl'épéeà la iriaiE sur l\évêque Albert comme sur uateii-
dre 'agne<a.u, et, ihor^rible sacrilège, ils lui brisei^t la
itempe., le cerveau et la tête ^. Le pontife tomhe. Les
quatre iéçuyers iaocourent a;lors et se joig-nant axus.
trois chevaliers, ils se r.uent tous à l'envi ,avec leurs
glaives et leurs coateaux sur la victime.. -Chacun veut
avoir sa part dans ,ce meurtre -et .p.ou'voir se l'attribuer,.
Ils enfoncent sans pitié leurs cépées et leiurs couteaux,
dans le veaùre, lies icuisses et les iautres memhreb,,
lacérant dans lunafifrieux carnage fto lit ie icorps ensan-
glanté. L'évèqueiavait expiré au premier ou au second
coup sans >proféreir lUne :parole ounncri. Il létait percé
de treize grandes blessures. .Ainsi jadis les familiejs
de Jules ^César percèKent de vingt-trois coups de cou-
teau celui qui les avait patronnés à Rome et lélevés au
faîte des honaieurs et des dignités .
Jamais la iCr.uauté ihumaine n'atteignit- ce degré ide
malice.. Cet homme aimîafole,, cet hoj2Q,m.e inn,Qceat
que des ibarbares assassinent d'uue façon si birutale,
vc'est celui qui les a comibiés d'honneurs, les a r,eç.us
avec tant de bonté, tant d'affabilité. S'ils avaient
juré sa mort, s'ils craignaient pour leur propre
vie en épargnant un innocent .devenu leur seigneur^
et leur ami, pourquoi .cette férocité inouïe .d,e .ne
pouvoir s'arrêter après les coups mortels, mais db
s'acharner .avec une telle isauvagerie sur le corps ina-
nimé de la victime, le corps de celui que dès leur
arrivée à Kéims ils .avaient pris pour maître et pour
ami, dont ils «avvaient serré ilaimain, .auquel ils ^Lvaieiit
juré îune inaltérable ^fidélité? W'était^Ge !pasia&s;,ez paur
.1 . Timpiis, xcerebmnique.ei •capjit, ^jx. ,i63.
a. Ils étaient, par sleaermeutid'hammage et de,fidélité,^devewjs
les feudataÎEesdel'évêçfue. (Coiatin.jA.quic. ;M.G,JÏÏ..,VI, }p.,45(0.)
108 VIE DE SAINT ALBERT.
satisfaire aux ordres des puissants qui les avaient
chargés d'accomplir le crime, de tuer leur victime
d'un seul coup? Était-ce pour tuer ou pour déchirer
qu'ils avaient été envoyés ? N'était-il pas suffisant de
dire en retournant à leur maître : <c L'èvêque que
vous détestez est tombé sous nos glaives ». Non, il
leur plaisait de n'être pas les derniers dans le métier
de traîtres, les derniers des bourreaux au service de
leur seigneur, dociles exécuteurs des besognes les
plus répugnantes. Ils voulaient remporter le prix de
perfidie, le prix de cruauté, être les premiers des
traîtres, les premiers des assassins. Pourquoi donc
cette rage atroce ; d'où vient cette terrible férocité
teutonne ? Que fallait-il à ces implacables chevaliers
allemands que la mort si ignominieuse d'une il-
lustre victime ne pouvait rassasier? Que l'infâme
Allemagne déplore sa propre infamie, qu'elle soulève
contre elle-même un cri d'indignation, elle qui a si
mal élevé de tels enfants ! Aucun temps, aucun pays,
aucun peuple barbare n'a jamais produit des traîtres
pareils * .
I . « Inveclivis in se verbis clamet et doleat infamiam suam-
infamis Allemaniàquaesibi maie taies enutrivitAllemannos. Nul-
lis saeculis; nulia provincia^ nuUa barbaries taies protulit pro-
ditores » p. i63. .
Voici un autre écho de l'indignation provoquée à cette épo-
que par le meurtre d'Albert : « Vae illis quia via Gain abie-
runt qui fratrem suum Abel justum in agro interfecit, e taber-
naculo extractum, Cujus sequaces isti, patrem suum et Domi-
num de civitate Reniensi callide educentes ut liberius perpetra-
rent flagitium secundo mense consecrationis ejus vix elàpso,
caput sancti sacerdotis mucrone impio mutilaverunt. Prudens
lector nota inauditam proditorum versutiam. Pridie enim quam
ista agere deliberarent, hominium ei fecerunt ne eos haberet
suspectes. Vae impiis traditoribus, quoruni impietatem cœli
LE MEURTRE. 109
Leur crime accompli, les Allemands s'enfuirent
aussitôt à toute bride, entraînant dans leur course le
noble cheval du pontife tout ruisselant du sang géné-
reux de son niaître. N'ayant devant eux que des plai-
nes ouvertes et des routes plates ils purent poursuivre
leur fuite sans interruption et rester à cheval toute la
soirée, la nuit, elle jour suivant. Ils ne s'arrêtèrent
qu'à trois heures de l'après-midi, à Verdun, mais le
temps seulement de prendre un peu de nourriture et
de sommeil pour refaire leurs forces. Craignant que la
nouvelle de leur exploit ne les rejoignît, ils reprirent
leur course et a grandes étapes arrivèrent auprès de
l'empereur. Us lui racontèrent ce qui s'était passé, et,
comme preuve de leur sincérité ils lui montrèrent
avec une joie délirante leur trophée, le beau cheval
de l'évêque tombé sous leurs coups. Henri- VI les
reçut avec les plus grands honneurs.
On a remarqué que Thomas de Marbaîs n'était pas
auprès de l'évêque au moment du meurtre. Lui et
Héli de Bouillon ' , un autre chanoine de Saint-Lambert,
n'avaient pas pris part à la promenade conduite par
les Allemands, à cause delà difficulté d'obtenir leurs
chevaux en gage cKez des créanciers. C'était le sort
de toute la famille d'Albert d'être privée de montures
et de vêtements, alors qu'au début elle était munie de
tout le nécessaire a la vie et aux convenances en fait
d'habillements, de chevaux et d'armes. S'ils avaient pu
sortir avec leur seigneur, jamais lés Allemands n'au-:
raient eu l'audace d'attenter à ses jours, pas plus qu'ils
revelabunt et terra adversus eos consurget in die furoris Domini,
nisi fuerint Domino praestante conversi ». (Continuation de
la chronique de Sigebert de Gembloux. M. G. H. , SS. VI, p. 43o.)
I. De BuUione Castello (de Tfaeux, o. c, T, p. 172),
VIE DE SAINT ALBEllT»; 7
ll'ô VIE DE SAIST ALBERT.
n*0sèrent l'attaquei' pendant tout fe' temps qju'il resta
chez lui. C'est donc la pauwreté qui £at laicamse de sa ;
nrort. Voilà la faute que; tous lies; oDembres de sa
ha-iïte et puissante pai?entjé ont faite emi l'abandonnant
dans" sott exil et son indigence.
Thomas et Héli finirent cependant pai? trouver dea;
ch«evaux, mais ne sachant par où l'évêque était sorti,,
ils cherchèrent à le rejoindre en passant par la porte
royale dfe Bacchus, e« se dirigeant vers laf droite du coté
de Saint-Nïcaise, il gagnèreiat la campagme;. Tout à:
cowp', à gauche, dans un pli d& terrain ils virenl; éfcin-
ceier de» épé«s nues. Pensant qu« c'étaient les gens de
l'évêque se livrant à des jeuix, ilsi avancèrent de ce
c»té. A ce moment les Allemands ayant achevé leur
œuvre prenaient la fuit®. Les chaMoimies cruirent que
cette course était la Gontinwation' du tournoi et lâchant
bride à leurs chevaux se mirent à galoper derrière
eux. De loin ilan« pouvaient apercevoir leur seigneur
gisant à terre' ni se rendre compte de l'a triste réalité.
Les Allemands prenaient de l'avance. EMpassant un
plateau ondulé ils^s'ea^agèrenlj dans une loingue décli-
vÎBé de la plaine eî disparurent à leurs yerax, \'oyant
cette fuïfe effrén^'e qu'ils essayâieM em vain ée
. sïàvre, lesdeuxï cavaliers commencèrent à soupçonne»
quel^jue' chose de' mauvais.. Ramenant leurs chevausi
vers la ville, tandis qu'ils revenaient tristement, ils
li?ouvèrent le corps de l'év^iqnae étendu b terre, à sa
têise soff compagnon Siger plongé dans k- désolation,
et à oot^ Ife- pauvre Olivier plus affligé de la mort d«e
son maitre que de sa propre extrémité.
Le fils du créancier, qui avait déjà les veines endura
cies d'un usurier, qiuan4 il vit l'évêq,uft niort et son
cheval ealevé, se hâta de rentrer à la ville où tran-
. LE MEXIliŒEtE.. lU
qimllemeat, sans démoaistration nihruk, il ^int trouver
san père et lui dit : « Le seigneur évêijiUfi est gisant
hors- de -la ville, massacré par tes Mlemands; son
n<i)ible eheval votee gage a été enlevé. Je viens vous
l'ann^vncer ensecret afin epe vous sachiez, ce que vous
avez à faire » . Le méchant créancier se rendit dé suite
chez le prévèt de la ville,, Robert Huitun, dont nous
av®ns parlé plus haut : « L'évoque,, dit-il, a été tué,
mon cheval a. été enlevé, je perds une grosse partie
de: l'argent que j'ai eu lai folie de liii prêter. Faites
vite pour qiue jiene perde pas tout. Sur ma réquisition
et celle des autres créanciers mettez les ehaîn«s à tout
le personû'el d« sa maison, et enfermez-les à la pïison
de la porte royale de Mars. Sa famiAley qui appartient
à, la noblesse,, viendra. saas doute »aeheter les détenus
innocents. »
Le prévôt, bouleversé pair celte aiffaire, monta à che-
val: et Eépandit la nouvelle; ea ville. Em même temps,
sans j)«g;ement et sans réflexion,, il ordonne qu'on
emchaine tous les familiers d'Albert qu'on trouvera
en dehors, du clokre des révérends chanoines., A pette
nouvelle, les gens d'Albert, désolés; de; la perte de leur
cJîsej? seigneur, sont en plus étonnés et aMerrés du se-
cond malheur qui les menace et courent s'enfermfiB
diansila maison de l'évêque. L'un d'eux, se foit prendre.
On l'arrête et on le conduit à la porte royale de
Mars.
Cependant les dignitaires de l'Eglise: de Reims, ap-,
prenant ce qui se passait, vont reprocher violemment
auprévôtsa folle conduite : « Cotnmenty lui disent-ilsi,,
le m^beur qui nous frappe n'est pas assez, grand. Cet
hamme^ illustre,, ©e; pontife: si nable confié à notœe
garde est lagisaint assassiné et il laïut encoEe qwevous
112' VIE DE SAINT ALBERT.
tourmentiez sa famille innocente ! Ne voyez-vous pas
que vous risquez votre vie et que vous^ exposez à là
honte toute la cité et toute la sainte Église de Reims? »
Terrifié par ces paroles, le prévôt s'empressa de
rendre la liberté au prisonnier et de faire cesser les
poursuites.
La sinistre nouvelle s'était propagée rapidement en
ville annonçant le grand malheur, la mort de l'é-
vêqiie.Tous, clercs et laïcs, saisis d'une douleur indes-
criptible, éclatèrent en lamentations et revêtirent leurs
plus sombres habits de deuil. La désolation était si
intense que tous les habitants en foule, sans distinction
de sexe, d'âge, de rang, se précipitèrent, hors d'eux-
mêmes, vers le lieu du crime.
Il y avait à Reims un jeune Namurois qui, sur
l'ordre d'un inconnu, avait conduit les chevaliers
allemands à leur arrivée depuis Namur jusqu'à Reims,
et, pendant tout le temps de leur séjour dans cette
cité, était resté à leur service. Quand il entendit le
bruit de la ville en émoi il eut peur et quittant la
maison où il se tenait, il courut chercher un refuge
dans l'église. cathédrale. Tl était connu des voisins de
son habitation, mais, quand on vit ce garçon tout pâle,
portant mal dissimulé au côté un énorme couteau et
fuyant si rapidement, c'en fut assez pour le dénoncer
à la vindicte publique.
Des femmes qui se hâtaient à la suite de la foule
attristée aperçurent le fuyard et se mirent à courir
après lui de toutes leurs forces. Mais le garçon courait
"plus vite. Il allait atteindre le porche de la cathédrale
et se trouvait déjà entre celle-ci et l'église Saint-Denys
quand survint par hasard un jeune homme appelé Guil-
laume. C'était un juif baptisé, d'un bel extérieur, et
LE MEURTRE. 113
d'une tenue élégante, dont les mœurs n'avaient rien
(d'israélite. L'Archevêque de Reims l'avait tenu aux
fonts baptismaux et adopté depuis définitivement parmi
ses familiers. Grâce à son' agilité doublée par la peine
qu'il partageait de la mort d'Albert, il rattrapa le
jeune Namurois, le saisit et le tint solidement. Comme
il l'entraînait, les femmes accoururent en grand
nombre et se jetant sur le malheureux avec leurs*
poings et leurs ongles, elles le lynchèrenten un instant.
Leur fureur attisée par une immense douleur avait
suppléé aux arnies pour cette immolation.
Quand les Rémois furent arrivés hors de la ville à
l'endroit où les Allemands avaient accompli l'horrible
crime, ils trouvèrent lé cadavre inanimé de l'évêque
gisant à terre tout déchiré par les mains impies des
meurtriers, et, devant ce spectacle, ils donnèrent libre
cours à leurs larmes. Le corps était si mutilé qUe les
membres ne tenaient plus ensemble que par la pean.
On les recueillit avec précaution dans des linges de
soie et en grand deuil on rapporta la dépouille à la
ville.
Dans la sacristie de la cathédrale le corps fut soi-
gneusement lavé. On essuya les traces des blessures
et on remit les membres en place. Puis, on revêtit le
défunt des ornements pontificaux et on l'exposa au
milieu du choeur de l'église.
Quelques jeunes gens de la cité répondant au désir
des habitants irrités avaient pris leurs armes, et montés
sur des chevaux vigoureux s'étaient élancés à la re-
cherche des Allemands, dans l'espoir de les atteindre
et de les mettre en pièces. Cette course inutile eût pu
réussir, si le fils du créancier dont nous avons parlé,
n'avait pas tenu cachée la nouvelle du crime. Si au
114 VIE DE SAINT ALBERT.
moment oè il^tait Tentré en ville il avait déiioîièé le
fait encore tout récent, les. Allemands n'auraient pas
pu si faeilemeiat échapper ; mais ils étaient déjà loin
de la région découverte avant que l'alerite ne fût
donnée à la cité. Les cavaliers Tém©is poussèrent
très loin leur ponarsuite, mais en vain, et à la toniî>ée
de l'obscurité, ils rentrèrent dans la ville. Quelques-
uns, entraînés par leur ardeuT, continuèrent la course
jusque bien avant dans la nuit, maisvoyant leur tenta-
tive inutile, revinrent le lendemain.
Ce jour-là, toute la cité en deuil afflua vers l'égâise
pour le service funèbre. Le clergé et le peuple ré-
mois furent un animes dans leur empressement à célé-
brer dignement les funérailles d'un homme si élevé
en mérites, si cher au cœur de l^us, si profondément
regretté. On entoura de grands honneurs isa sépulture,
uniqu-e et suprême témoignage de vénération. Le
corps fut déposé au milieu deFéglise cathédrale devant
l'autel situé sous la croix et l'image vénérée du
Christ, de manière qu'un des archevêques de Reims
enterré précédemment, se trouve devant lui. Au-
dessus de la tête et des épaules de l'évêque Albert
reposattt dans sa tombe se trouve la dalle ronde
de marbre de saint Nicaise sur laquelle cet évêque
martyr fut décapité. En effet, entre le tombeau de
l'archevêque rémois inhumé devant lui «t «ette pierre
de saint Nicaise, il n'y avait pas ia place sufBsante pour
y déposer le cercueil d'Albert dans toute sa longueur
à moins de le placer de la façon que nous venons de
signaler. Ce fut d'ailleurs une attention particulière
du clergé et du peuple rémois, un témoignage
spécial de leur grande vénération, d'offrir et de recom-
mander à la miséricorde du Christ par l'intercession
(LE MEURTRE. 11b
de l'évéqTie Nicaise , martyr du Ghrâst, l'évêqne Albea-t,
martyr aussi du Ghnist. En plaçant sous la dalle sacrée
de son glorieux devancier 4a tête iCt les épaules du
fiouveau coafesseur de la foi, elle honorait celui qui
pour la liberté de l'Egliàe du 'Christ avait souffert ide
si grandes tribulaitions et ruine mort sii craielle .
La vilie d« Heims fut témoin d^s faveurs obtenues
au tombeau du saint évêque^ guéri&ons de fièvres
malignes et d'autres maladies, les premiers jours après
la déposition, en pécôimpense de la fraîche et ardesnte
dévotion de ceux qui s'adressaient à lui avec confia-nc^.
Une femme bien connue à Reims souffrait depuis sept
ans d'une grave infirmité. Elle avait un bras ainsi que
les articulations de la main et des doigts paralysés et
ne pouvait mouvoir ces membires vejs la tête. Le
premier samedi qui suivit la mort d'Albert, elle vint
prier sur sa tombe et fut délivrée complètement de
son mal. L'auteur de ce récit a vu cette femme guérie
et joyeuse, et a recueilli les témoignages de nom-
breuses personnes qui l'avaient connue pendant sa
longue infirmité.
Beaucoup d'habitants parmi les plus honorables et
dignes de foi virent souvent briller des lumières à la
place ou l'évêque avait été tué. Plus tard on éleva à
cet endroit une croix de pierre sculptée reposant sur
quatre colonnes^, Etq dessous de celles-ci on plaça
I. Gilles d'Orval a inséré ici ce passage reproduit en note par
Heller. Nous le donnons tel quel en latin.
« Cujus gesta in epitaphio breviter descripla versificator in
persona ejus loquens ait : *
Legia me legit, electum Roma probavit, •
Remis sacravit, sacratum martirisavit.
116 VIE DE SAINT ALBERT.
un dallage en pierres assez large pour couvrir tout
l'espace où l'agneau était tombé immolé sous les
coups de ses impies agresseurs.
Diçu avait décidé que telle serait la fin de ce juste
enlevé si jeune aux misères d'ici-bas de peur que la
malice du monde n'ébranlât la rectitude de son juge-
ment et que les illusions du siècle et ses enchantements
ne puissent séduire son cœur.
C'est pourquoi rien ne put empêcher une mort
dont l'heure marquée par Dieu ne pouvait être dif-
férée.
Pâssus est martyriura idem Albertus 8 Kal. Decembris an-
no Domini H92. »
Cette épitaphe qui ne se trouve pas menlionhée dans le
manuscrit de Bruxelles fut peut-être ajoutée postérieurement.
II ne reste plus rien aujourd'hui de ce monument élevé sur le
lieu du martyre. On ignore même son emplacement exact.
CHAPITRE VIII
Indignation des parents et des amis d'Albert. — Réprobation des
meurtiers. — Représailles. — Condamnation deLothaireparle
pape.
- "■ - ^i, ■ , '-
Pendant que ces événements se passaient, des messa- '
gers étaient en route apportant à Albert de la part de
son frère et de son oncle des présents et de l'argent
en abondance pour subvenir à ses dépenses. D'un
autre côté, à l'heure même où l'évêque de Liège sor-
tait de la ville de Reims pour trouver la mort, d'autres
envoyés quittaient Châlons. Ils venaient annoncer à
l'exilé que leur seigneur l'évêque arrivait lui-même
le lendemain pour emmener Albert et lui offrir l'hos-
pitalité chez lui en attendant le retour de l'archevêque
de Reims de son lointain pèlerinage. Ces hommes de
Châlons arrivèrent le soir et trouvèrent le corps
d'Albert exposé dans l'église. Le jour suivant leur
maître parut, quand les funérailles étaient déjà ter-
minées. Il fut consterné et très affligé de cette mort.
Voyant les compagnons et les familiers du défunt
plongés dans une grande désolation, il s'appliqua avec
beaucoup de bonté à les consoler et leur donna dix
livres pour payer les frais de retour dans leur pays.
Ils recurent la même somme de l'Eglise de Reims. •
L'abbé de Lobbes, privé de son Seigneur bien- aimé,
7.
118 VIE DE SAINT ALBERT.
la lumière de ses jours, restait accablé sous le poids
d'un amer chagrin. La vie n'avait plus de charme
pour lui, et il aurait préféré mourir avec celui qu'il
aimait de toute l'affection de son âme. Quand on lui
disait : « Dieu vous a sauvé en vous empêchant de
sortir avec lui, car les Allemands vous auraient tué
aussi; c'est dans cette intention qu'ils vous avaient
fait chercher par ordre de l'évêque au moment du
départ, » ces paroles ne lui étaient pas Agréables, au
contraire, il répondait : u C'eût ;été un bonheuir pour
moi de mourir avec cet homme dont la mort inno-
cente m'aurait mérité à moi-même l'innocence. Tous
deux ensemble naus aurions obtenu la miâéricorde
que le Christ dans sa bonté accorid^ à ceux qui sojat
miséricordieux. » L'abbé de Lobbgis voulut montrer à
son am.i défunt que la fidélité et rafifection si étroites
qui les unissaient pendant leur vie restaient inalté-
rables après sa mort. Il mit donc tous ses soins à
chercher un refuge pour les familiers d'Albert deve-
nus si craintifs que tout, même les choses les plus
sûres en appaiNence, leur semblait suspect.
Il fit venir un de ses parents, un nobl« gentilhomme
qui, cinq jours après la mort d'Albert, se chargea
de les conduire jusqu'à l'abbaye de Lobbes si-
tuée dans le ^pays de Laon.. Ils y reçurent l'accueil
le plus secourable et purent y oublier pendant une
nuit reposante leurs souffrances, leurs peines et
leurs inquiétudes. Le lendemain ©n repartit. Thomas
de Marbais qui lui aussi faisait partie de ce triste
et douloureux exode, conduisit les fugitifs Viers un
endroit plus éloigné où il était sûi* de ise trouveïr
en pays ami. Arrivé sur le territoire de Nicolas de
Buémigny, noble et puissant seigneur,, le chanoine et
n^^-p-^f^-
■^^;^'^-s^^g^s!;-:^-K-''^^^^^<^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^f
DOtJLEUa .DES AMIS ©'ALBERT. ^9
Fafebé de Lobibes se séparèrent «t se 'firent, en pleu-
ra®t beaucoup, de tcmcilïants adiemx. Aiprès trois jours
de voyage iïiint©rîiomp«u , Thomas 4e Marfeais suivi de
toras les coHipagfnons et serviteurs d'Atbert âTrivfcit
chez le duc ■'de foc^bant. Il lui présenta tristement 4a
famille désol'ée de l'évèqiue défuoat et lui m«nDra uae
partiedes iiabits de S0^ frère teints de sang 1.
Les autres "s^tements d'Alibert avaient été reou-eiMs
avec igrand soin par le doyen ^t les chanoines de Reims
et déposés dans -la sacristie de l'église. 'On y joignit un
doigt de laviotime qui avait été coupé et séparé delà
main avec l'agneau d'or de t'évêque. IJn petit gaTÇOn
l'avait retrouvé par hasard dans le champ près de
Fendroil où le corps avait été «tendu et l'avaat
rapporté aux autorités rémoises pour être gardé dans
le trésor de la ca/Chédrale. Cet anneau appartenait
à l'abbé de Lobbes. H l'avait mis à la disposition 'de
l'évêque de liège qui n'en avait pas. Geilui-ei le
portait notammient quand il consacrait les -égîKses
et les autels. Les abondantes onctions d'huile sainte
prescrites dans cette cérémonie imprégnaient l'anneau
du consécrateur. L'évêque le fit remarquer un jour
à l'abbé, qui l'a>ssistait toujours dans ces fonctions
sacrées, «n disant : « Voyez votre anneau comme je
l'ai enduit d'huile sainte. » Avant de le prêtera
l'évêque Albert, l'abbé de Lobbes n'usait de oet anneau
qu'en dehors deàa Messe. Pour monter à l'autel, il «en
avait d'autres qu'il -empiloyait à touT de rôle. Mais
I, L'auteur fait ici une petite digression sur les reliques d'Al-
bert. L'abbé dé Lobbes ou son secrétaire se trahissent manifes-
tement dans ces détails intimes.
120 VIE DE SAINT ALBERT.
après la mort de son ami cette bague en rentrant
en sa possession lui devint plus chère d'abord parce
qu'elle avait été portée par l'évêque, ensuite parce
que la main du prélat l'avait mise souvent en contact
avec l'huile sainte, enfin, et c'était à ses yeux le motif
le plus attachant, elle se trouvait au doigt du défunt
au moment de son trépas. Aussi désormais, en signe
de dévotion, l'abbé ne porta plus cet anneau en
dehors de la Messe, mais pendant la Messe.
Quant aux vêtements du défunt tout raidis par le
sang dans lequel ils avaient été baignés, des par-
celles en furent distribuées par le doyen de Reims
aux pieux fidèles désireux de les posséder. L'abbé
de Lobbes en obtînt aussi des morceaux qu'il enferma
précieusement dans la sacristie de son église.
Quand le duc Henri vit les vêtements et le sang de
son frère il fut secoué d'un renouveau de douleur
et les membres de sa nombreuse famille avec lui. Ils
avaient appris la mort d'Albert, mais la vue de ses
dépouilles leur arracha des sanglots et des gémisse-
ments.
Ce jour-là précisément la triste nouvelle avait
amené autour du duc un grand nombre d'amis et de
proches désireux de le consoler et d'examiner avec
lui ce qu'il y avait à faire dans cette occurrence.
Toute cette foule de visiteurs, piétons et cavaliers,,
étaient là rassemblés en plein air autour de lui com-
patissant à son deuil et s'indignant hautement contre
l'outrageuse mort d'un si grand prélat. Le duc
Henri s'accusait lui-même et se faisait de grands
reproches s'attribuant le meurtre de son frère,
s' appelant fratricide, disant que lui seul était cou-
vi-» ^ -i- Jy
RÉPROBATION DES MEURTRIERS. 121
pable de son sang, qu'il fallait se yenger sur lui de
sa mort, lui en faire expier la peine. Les assistants
mêlant leurs gémissements à ceux du duc, ils passè-
rent toute cette Journée dans le deuil et la désolation.
Pendant ce temps le comte de Hochstaden, le
frère de l'intrus, se trouvait dans le territoire du
comte Baudouin de Hainaut, allant et venant aux
environs des frontières, tantôt ouvertement tantôt en
cachette. Il s'y renpontra avec les misérables cheva-
liers allemands venus de Reims pour conférer avec
lui cinq jours avant d'accomplir le meurtre cruel de
l'évêque Albert exilé. Le lendemain même du crime,
la nouvelle en arrivait à Maubeuge, ville forte où le
comte attendait anxieusement l'issue de la conju-
ration. Dès qu'il apprit la mort d'Albert, l'émotion
qu'elle soulevait partout et l'indignation provoquée
par ce crime, il s'empressa de fuir se sentant coupable
dans cet événement.
Quant à Lothaire, il se trouvait à Liège dans une
muette exspectative quand la nouvelle de la mort
d'Albert frappa d'une immense horreur toute la cité
dont le plus grand désir était de posséder enfin chez
elle son véritable évèque. Voilà les habitants en
émoi et l'église cathédrale en deuil se préparant à
célébrer les funérailles de son pontife. En entendant
le signaldu service funèbre, Lothaire arrive comme un
éperdu à l'église où tout respire la désolation. Il
regarde et cherche à savoir comment on va organiser
la cérémonie. Devinant ce qu'on allait faire : « Non,
dit-il, ce n'est pas pour un évêque défunt qu'il faut
célébrer, mais pour notre archidiacre Albert de
Louvain ». La réponse des clercis présents fut très
dure. La force de la douleur les avait enhardis
122 VIE DE SAINT ALBERT»
contre celui sous le joug (duquel ils gémâssaient auçKa-
ra^^ant oppressés par la tyrannie du César s'exierçant
contre eux à caîuse de rimposteur. Devant le ideMdl
officiel de la viMe, en face du parement inorr de
l'église., Lolkaire, qui cherchait encore à mesmrer la
gravité et les consiéquences de l'événement, s'arrête
tout à coup dans une teiarible hésitailioaa : ses o-eins
tremblent, ses mains se crispent, M se précipite vers
son palais, moimte à cheval, et enl®uré de ses gai'des
s'enfuit hors d« la ville et va s'enfermer dans le
château fort deHuy. De là il envoie des messagers à
son ami le eoaoa te Baudouin pour implorer .soaiiaide.
Celui-ci se hâta d'arriver. Mais,, voyant que tout le
monde br4lait du ressentiment allumé ipar ;ce cri-me
odieux et qu'il eût été dangereux de s'opposer à la
menace écrasante de la réalité, il répondit à Lothaiire :
« Ta demajnde est au-dessus de mes forces et incon-
ciliable avec mon honiïeur. Je ne puis airrêter la
marche inexorable d«s événements. La famille de la
victime dont on déplore la perte est puissante, he
défunt était aussi mon parent. Ce meurtre est une
mauvaise action, une faute très honteuse dont j'ai
horreur, et je ne tiens pas à souiller ma personne «t
ma race en continuant à cause de ce crime à me
lever contre mes consanguins. Cherche l'office d'u>ae
puissajice supérieure qui puisse tetirer d'une si mau-
vaise situation ^. »
Lolhaire voyant le vide se faire de tout côté autmir
de lui, s'enfuit désespéré pendant la nuit deison châ-
ï. Gislebert dit que Baudouin promit de défendre la princi-
pauté contre une attaque éventuelle du duc de Brabant et
conseilla en attendant à Lothaîre de s'enfermer dans ses cihât«axix
et -de prévenir l'empereur, p. 58î, éd. Vanderkindere, p. 281.
RÉPROBATION DES MEURTRIERS. " 123
teaaa fort et abandonnant complètement te diocèse de
Liégê se réfuta a^ee son frère le coml« de iHodb-
staden à la cour de l'empereur assez ml pour sem-
brasser une cause sî déshionorantie»
Nous sonaanes &n. l'an du Seigneur 1 1^3. Le moiftée
entier déplore lan^ort lamenfcabde d'Albert évêquè âe
Liège. Toute la chrétienté proteste et frémit d'indigina-
tion devant un :si grand crime. Il n'y a qu'une i^nix
pour maudire la cour du Gésaroà les brig'ands homi-
cides «e vaMent d'avoir trouvé unasile^
Jamais depuis l'empereur Constantin l^e Grand on n'a
entendu dire qu'une cour chrétienne eut acconapli icm
encouragé un si odieux forfait. Henri d'Ângûeterre
qui fit assassiner Thomas, le saint archevêque de Can-
t'orbéry, ne reçut point dans s®n palais les imeurtriers
dont les mains étaient sauillées du «ang <àe rillustee
prélat. La terre eiiitière proteste contre la mort «de
l'évêq»*! Albert. On est stupéfait des circonstances iqui
ont entouré cette mnrt d'un n^j^nveau genrie, L'évêque
. de Liège avait cédé à l'excès de la colère imipériale en
s' exilant au delà des [frontières de son rcxyaaairae. 'Dans
cette terre étrangère il menait une me pauvre, huimibie
et paisible. C'est là que les Allemands vinrent le trahir
d'une façon si infâme et «i cruelle que jamais ide
mémoire d'homme on ne vit félonie plus odieuse. Les
assassins de saint Thomas tuèrent leur victime, mais
pas d'une façon si méchante et si perfide. Ils ne vin-
rent pas d'abord lui parler, te saluer et cacher sous la
ti'ahison leurs desseins homicides. Les meurtriers de
Thomas le tuèrent dans son diocèse le frappant d,e trois
coups. Plus scélérats les Allemands assassinèrent Âl-
' bert en iexil lui faisant treize blessures et après l'avoir
tué déchirèrent son cadavre. Qu'on envisage le motif
124 VIE DE SAINT ALBERT.
du crime ou la façon dont il fut accompli, la mort
d'Albert est plus digne de compassion devant Dieu et
devant les hommes.
Aussi quand la mort d'Albert fut par les Rémois en
deuil comparée à celle de Thomas, Rodolphe, le doyen
de la cathédrale, qui jouissait dans l'Église de Dieu
d'une grande considération, prononça ces paroles :
« Celui-ci est plus grand que Thomas ».
Ce Rodolphe était anglais de nationalité et avait été
un des compagnons de Thomas de Cantorbéry pendant
les nombreuses années de son exil en France. C'était
un homme remarquable autant par la culture des
lettres que par la pureté de vie. Il avait connu Albert
dans l'intimité. Pieusement et sincèrement attaché à
lui, il louait son innocence et la justice de sa cauise qui
avaient provoqué sa mort. Il croyait et proclamait
martyr de Dieu un homme si innocent, trahi si odieu-
sement par ses ennemis, tombé pour la ^défense de la
liberté de l'Église, liberté que l'empereur Henri vou-
lait asservir à sa puissance en cette circonstance.
Chaque fois qu'aux élections, dans les cathédrales elles
abbayes de son royaume soumises aux régalés, une
ou deux voix s'écarteraient de la majorité, il serait
aussitôt intervenu pour donner l'investiture au candi-
dat de son choix. Tel fut le procédé employé en faveur
de Lothaire prévôt de Bonn, procédé qui tendait à
enlever à l'Église Romaine son droit de connaître et
de juger en cette matière.
- Quand les parents du noble défunt, informés de sa
mort, apprirent que les meurtriers jouissaient en sécu-
rité de l'hospitalité de l'empereur peu soucieux de sa
dignité, ils furent unanimement saisis d'une insuppor-
table douleur. Ils commencèrent par se concerter au
^/y- i'- ':,--:-:[ :-y'^' ''repMsailles; ■.'; ;■';'■:•'• ^^•W
moyen de messages, puis se fixèrent un rendez- vous
général près de la ville de Cologne. Les chefs de cette
réunion étaient Henri, duc de Lotharingie, frère
d'Albert, le duc d'Ardennes son oncle, Bruno, arche-
vêque de Cologne son parent, et un grand nombre de
comtes et de princes. Quand tons ces seigneurs et leurs
suites se virent réunis, ceux qui avaient été témoins
dès événements et avaient eu sous les yeux le sang de
la victime, refirent devant l'assemblée le récit tragique
du meurtre. Tous alors éclatèrent en pleurs comme à
la première nouvelle de la mort. Les laijmes purent se
ralentir mais point la douleur. Après avoir délibéré
longtemps avec une grande animation, ils décidèrent
déformer une vaste conjuration dirigée contre l'em-
pereur Henri et contre la famille du comte de Hoch-
staden et de son frère Lotliaire. Celle-ci était puissante
mais ne pouvait se mesurer ni en force ni en influence
avec eux. Conrad archevêque de Mayence et beaucoup
d'autres princes teutons absents à la réunion adhé-
raient vigoureusement à leur décision et envoyèrent
des messages pour approuver entièrement les mesures
prises. Ils maudissaient le meurtre d'un personnage
si illustre et si innocent, ils maudissaient la cour im-
périale abritant des scélérats qui souillaient par la
honte d'un si grand sacrilège la majesté -de l'em-
pire romain.
Après cette entrevue, ducs et princes rassemblèrent
une puissante troupe de chevaliers, envahirent le ter-
ritoire du comte de Hochstaden et le dévastèrent. Ils
en occupèrent tous les châteaux sauf une place très
fortequ'ils renoncèrent à assiéger^.
I, Ahr. (Gisleberfc, page 58a, éd. Vanderkindere, p. 28a.)
K6 VIE DE -SAINT ALBERT.
L'empereur Henri voyant son royaume teoiiiblé ipar
ces événements et un grand nom-bre de princes se
joindre contre lui à ses ennemie, sentant aussi la moT-
sure funeste de J'infamie qui pesait sur Ivii, finit par
fléchir et se rendre à des avis plus sages. Il envoya
de tous côtés messagers sur messagers et obtint U)n
conciliabule avec la noble famille du duc de Brabant
dans la ville de Coblence, au confluent du Rhin et de la
Moselle. Il apaisa ses adversaires par d'impiortantes
satisfactions, conclut la paix avec enx^ les combla de
présents -etide promesses etiécarta de sa cour et de S(on
territoire les ehevaliers allemands coupables du
meurtTe 'dont plusieurs furent peu de temps apirès
frappés par Dieu d'une mort ignominieuse 1.
Quant à Lothaire, il eut beau protester de son
innocence et jurer à plusieurs reprises qu'il 0Q':avait
pas trempé dans la mort d'Albert % il fut dénoncé au
pape Célestin qui rexcommu.nia et le priva de sa pré-
vôté de iBonn et de tous ses autres bénéfices. Aoca-
blé parles censures, il se rendit à Rome dans l'espoir
d'être absous et de rentrer en (possession de l'évêché
de Liège et de ses autres prébendes. Le pape le reçut
durement. Il refusa de l'abso^udre jusqu'à ice que
i^ Ici finit la Vita Alberti. L'histoire ne bous a consei'vé le nom
que d'un des meurtriers d'Albert ; Olhon de Barenste et de
Laviano mentionné sous ces noms dilFe'rents dans deux lettres
d'Innocent III {V. L., 216, col. loSg et 1087). Tœçhe croit à
tort que ces titres désignent deux personnages difFérents
(Henrich VI, p, 55i). -Le même chevalier teuilon les reçut sans
doute de l'empereur Henri VI en récompense de son criminel
service. Il fut pris dans une bataille livrée sur l'ordre d'Inno-
cent III en Apulie par le comte de Brûnn contre Diupuld et
Marcuald, et périt misérablement {P. Z., 216, ibid.)
a. Gislebert, p. 58i, éd. Vanderkindere, p. ?8o.
, CONDAMNATION DE XOTRAIRE. . 127
Lothaire eût juré <le se soumettre entièrement à la
sentence prononcée contre lui. Celte sentence, rendue
parle Souverain Pontife, l'obligeait à renoncer à l'ëvè-
ché de Liège et à tous ses autres bénéfices, à l'excep-
tion de la pré\ôté de Coblence. En plus, elle le décla-
rait incapable à l'avenir d'être promu à un ordre ou
à une dignité ecclésiastique quelconque ^. Tel fut
le châtiment bien mérité de ce clerc ambitieux et
prévaricateur qui mourut l'année suivante à Rome,
pendant iin nouveau voyage entrepris poiir obtenir de
la cour pontificale un adoucissement à la peine que
son orgueil supportait difficilement^.
1. Gislebert, p. 58-2, éd. Vancîerkindere, p. 283.
2. Gislebert, p. 585, éd. Vanderkindere, p. 289.
Nous croyons inutile de faire une dissertation pour établir
les responsabilités et la complicité de l'empereur dans le meurtre
d'Albert. Le témoignage de la Fita et de la presque totalité des
autres sources est trop explicite sur ce point pour laisser subsis-
ter aucun doute. Certains écrivains allemands se sont efforcés de
prouver l'innocence d'Henri VI. Conrad Trautmann entre autres
l'a essayé dans une thèse soutenue en 1 9 1 2 à l'université d'Iéna
(Heinrich VI und der Lvitticher Bischofsmord, Gottbus). Nous
trouvons, comme D. U. Berlière^ la critique de cet érudit « un
peu cavalière » [Archives belges, juillet 1914, n** 3o8) et nous
avouons que ses efforts pour défendre une cause perdue n'ont
fait que nous confirmer dans l'opinion contraire.
Le pape Innocent III rapporte en ces termes l'accueil fait par
l'empereur, après le crime, aux meurtriers d'Albert : « Jpse
occisores honœ memorice Alberti Leodiensis episcopi^ quem ipse
coegerat exsulare, post iiiteifectionein ipsius in inulta faniiUaritate
rccepit, et publiée parlicipavit eisdem^ et bénéficia postmodwn
majora concessit)) (P. L., 216, col. 1029),
D'ailleurs Henri VI reconnut lui-même sa culpabilité puis-
qu'en expiation de sa faute et pour donner satisfaction au
clergé liégeois, il fit don de deux nouveaux autels à l'église de
Saint-Lambert et institua deux messes à perpétuité pour la
128 VIE DE SAINT ALBERT.
prospérité de l'empire et le repos de l'âme de ses parents et
.prédécesseurs. (Gilles -l'Orval ap. Chapeaville, ÎI, p. i85;
Èormans et'Schoolmèesters, (7a/"^a/a/re de Saint-Lambert, i,
p. ii8, année 11965 Kurth, La cité de Liège, 11, 260, note 2,)
CHAPITRE IX
La sainteté d'Albert martyr reconnue par l'Église.
(i
L'Église catholique a inscrit Albert de Louvain au
nombre des saints. Le martyrologe romain, au 21 no-
vembre porte cette notice : « A Reims, S. Albert
èvêque de Liège et martyr qui souffrit la mort pour la
défense de l'Eglise ^ ».
I. Le martyrologe romain fait erreur en plaçant la mort
d'Albert le 11 des calendes de décembre (ai nov.). La Fita
dit clairement qu'il fut tué « le jour où l'on fête saint Chryso-
gone martyr, dont il est fait mémoire au canon de la messe »
(c, 35)^ Or le natalis diesde ce saint est certainement le 8 des
calendes de décembre (24 nov,). C'est donc le a4 novembre et
non le ai que saint Albert devrait être inscrit au martyrologe.;
Tous les chroniqueurs anciens sont d'accord sur celte date.
Plusieurs historiens ont reconnu l'erreur du martyrologe romain
sans toutefois l'expliquer. Baillet en la faisant rémarquer nous
met sur le chemin pour en découvrir l'auteur : « Si c'est une
bévue, dit-il, elle avait été faite auparavant par Molanus dans
les additions au martyrologe d'Usuard et par ceux qui avaient
dressé le martyrologe de l'église de Bruxelles)). [Les Fies des
Saints, 1724, t. III, col. 367-8). Voici la notice de Molanus :
« Albertus episcopus Leodîensis, vir mirae sanctitatis, frater
Heiiirici magni Lotharingiae ac Brâbantiae diccis, ob custodiam
ecclesiasticaë libertatis, de mandaio Heinfici imperatoris apud
civitatem Remensem occubuit ». '
Ce texte se trouve dans les additions au 21 novembre ainsi
130 VIE DE SAINT ALBERT.
Nous avons vu dans la biographie la faveur dont
jouissait Albert, de son vivant, auprès du pape Çéles-
tin ni. Innocent III, son successeur, qualifie à
diverses reprises notre héros « de sainte mémoire^ ».
En i6i3, à l'occasion de la translation des reliques
faite en Belgique à la demande des archiducs Albert
et Isabelle, le pape Paul V par une bulle spéciale
que dans l'Indiculum sanctorum Belgii. Molanus y ajoute les
deux vers servant d'épitaphe inséras comme nous l'avons vu dans
le manuscrit de Gilles d'Oi'val :
« Lcgia quem legit eleetum Romaprohavit
Remis sacravit, sacratum mariyrisavit » .
Il termine sa notice en indiquant la source où il' l'a puisée :
«• Havc martyrologiumk ecclesiae Bmxtdiensis ».
Le martyrologe d'Usuard avec les additkuïs: de Molanus
(i'^^ éd. Louvain i568) fut un de ceux qui eurent la préférence
djes huit coîïimissaires chargés de dresser le martyrologe romain
édité pour la première fois par Grégoire XIII en i584, (Voix
OaAtelsin i Martjrolage universel, Paris, 1709,. Avertissement).
C'est ainsi que la fête de saint Albert avec sa date erronée
du' 21' novembre passa du martyrologe bruxellois dans lé marty-
rologe d'Usuard et de celui-ci dans le romain. Quant au marty-
rologe bruxellois, il ne remontait pas. bien loin. Molanus. dans
un autre' ouvrage : « Natales sanctorum BeigiiL » (p. 266), à. la
suite: de la même Hotice sur saint Albert au 21 novembre donne
cerenseignemreat :; « Haec in moftyrologia Ecclesiae Bruxcllea&is
leguntoFy &ed quod utcumque recenter auihoritaie capituli ah
imo Canonicorum esi congestiim )),.
Voilà donc le eoi^able de la. « bsvue» dont nous cherekion»
l'origine : c'est un chanoine de Sainte-Gudule auteur du mar-
tyrologe; bruxellois au xvie siècle.
!.. Letù-e. à Bérthold dite de Cariatliie : « Notum est qualiter
SBse Heuricus habuerit erga interfectoiTes sanclae memoriae
Ali)erti Lcoditnsis episcôpi, quem^ ipse priiis exulare coegeratjx.
(Corp. Jur. c. 34, X, de elect. 1,: 65 voir différentes lettres
daQâ Miigtte, i*. i,,. 216, col. 1029^- io3g„ loSg,, 1087.)
SAINTETÉ: D'ALBERT. 13L
accorda la messe et l'oifice liturgique- de saint Albert
dans la catilîédî'ale de Bieims et dainstoiïtes' les égrlises
de Bruxelles. La même faveur fut concédée aax Caœ-
méliles de cette viJle au jour aiMaiveirsaïre de ia trans-
lation. Nous donnons in extenso ce document impor-
tant à. la fin de ce ckapitre. ^Nous l'aivOins emprunté
au chan. I>îavid, g. c, pp. i3oy siiîvant)^.
t. Avant cet acte de Venil V existait-iL un cml*e au moias
privé de saint Albert?
A Reims du tempss de Molanuff, il n'était pasi encore inscrit
aa- martyrologe àe; cettia métropole, mais' 0» faisait seuleimeiit
mémoire de l'évéque dans les obitu^res et les nécrolioges.
{W'ol'anns, Natales s anctoifvin Belgiij p. 26Q>. y ■
Un service solennel anniversaire fondé par le duc Henri, son
frère, él'ait célébré chaque année dans la cathédrale le 8 des
calendes de décembre. Cette ■ fondation était de cent sterUngs
à prélever sur lesrevenusdu chapitre de Cambrai.. Lechapitre
de Notre-Dame de Reims devait en remettre cinq au chapiitre de
Saiïifc-Symphorien autant à celui de Saint-Timothéë et payait
les frais de l'obit, ainsi que l'entretien die' la croix, élevée à
l'emplacement du meurtre hors des murs. A cet endroit, le
mercredi des Rogations, la procession s'arKetait,. et le chanoiaae
hebdomadier accompagné cht diacre- et da sous-diacre inter-
rompait les litanies? pour réciter un De.profundis et les prières
du rituel pour les défunts.
Ce service powa* lé repos de l'âme de; l'évêque cessa: d'être
célébré après l?apptobalion dui culte de sdàoX. Albert par
PaulV. .
Viers la même époque la notice des obituair.es faisant mention
d'Albert pa3s%> dans le martyrologe rémois. La voici d'après
Marlot {Hist. de lu ville de Reirns, TU, p. 489) : « Fil cal.
{il faut lire FUI) rfeei. obiit JÊlhertus episcopies Leodienm,fra-
ter dticis: lovaniensisy piae reeordatienis yw',. auctoritate: apo-
sC'olica) Remis <t domino FidiMmo aivhiepiscopo in preshytenim
ordifvatus, et in episcapimi consecroMs, novem septiinanis œc dmor
bus (Miebus-a cons'scratioa&elapsisYprope innros cimiatis remensis
ah alemannis tvadi/tonbus, '^œdiisetcnltellis'vnterfecins. In
132 VIE DE SAINT ALBERT.
La même année i6i3, l'archevêque de Malines
Malhias Hovius instituait la fête de saint Albert con-
cédée par le pape dans toutes les églises collégiales,
paroissiales et régulières de la ville dô Bruxelles l.
<iujus anniversario reddit nobis quolibet anno capitulum caméra-
cense centum solidos stelUngorum bonorum et novorum de qiiibus
reddimiis capitula S. Symphoriani V solidos, capitula S. Timo-
thei V solidos, et cuilibet clerico de choro très stellingos » ,
En Belgique le culte de saint Albert semble s'être développé
un peu plus tôt qu'à Reims. Son introduction dans le martyro-
loge bruxellois devait répondre à une dévotion déjà ancienne.
Le désir de posséder ses reliques et l'éclat dont les archiducs
Albert et Isabelle entourèrent la translation du corps en 1612
montrent la vénération qu'on avait pour l'évêque martyr à cette
époque.
L'inscription dans le martyrologe romain avait marqué une
étape importante dans le progrès de ce culte\
Sans doute le seul fait de cette inscription n'équivaut pas à
une canonisation, (Voir Benoît XIV, De Sanctorum Dei beatifi-
catione et Beatorum canon izatiorie^ I, c. xi.iii, ap. D, Quentin :
Les martyrologes historiques, p. 688-9.) Mais les circonstances
dans lesquelles se fit cette insertion sous Grégoire XIII lui don-
nent le caractère d'une approbation oflGicielle ratifiant un culte
privé en l'honneur d'un personnage vénéré comme un martyr
•dès sa mort et canonisé àTavance en quelque sorte par la voix
populaire.
Enfin la bulle de Paul V vint compléter définitivement ce qui
aurait pu manquer dans les actes pontificaux précédents pour
légitimer le culte désormais public rendu à saint Albert. .
I, A. H. E. II, p, 255-6. Voir ce document dans l'appendice
A, à la suite de la bulle de Paul V. Il est curieux de no-
ter que l'archevêque, corrigeant sans le savoir l'erreur du mar-
tyrologe, remettait la célébration au jour réel du natalis le
24 novembre à cause de trois fêtes occupant lés jours précé-
dents sur le calendrier. Saint Albert est commémoré le 21 ho-,
vémbre (fête delà Présentation de N.-D ) dans le propre du
diocèse de Liège de i6i3. D'autre part, il n'apparaît pas en-
core dans le vieux bréviaii-e liégeois édité de 1488 à i588.
SAINTETE D'ALBERT. 133
Ce jugement de l'Église appelant Albert de Louvain
évêque et martyr à l'honneur des autels n'étonnera
point ceux qui ont lu la Vie du saint, non point
comme certains auteurs* du seul point de vue poli-
tique, mais dans ses détails intimes, telle que les com-
pagnons de l'évêque nous l'ont fidèlement rapportée.
Il ne fait d'ailleurs que ratifier la voix du peuple,
celle en particulier des habitants de Reims, admirateurs
des vertus de l'évêque exilé et persécuté, de son inno-
cence, de sa grandeur d'âme, de sa douceur, de sa
mort ignominieuse, témoins enfin des ^miracles et des
faveurs obtenues à son tombeau.
Sans doute la vie d'Albert n'offre point d'actions
extraordinaires. Bien des évêques ont pratiqué les
mêmes vertus que lui à un degré peut-être supérieur
sans mériter la canonisation. Ce qui fait sa grandeur j
c'est la cause qu'il a défendue et pour laquelle il a
donné sa vie.
Cette cause, c'était celle au fond qui avait déchiré
dans une lutte séculaire l'union de l'empire et de la pa-
pauté. Le traité de Worms en mettant fin, aii moins en
droit, à cette douloureuse querelle, aurait dû faire ces-
(Daris, Églises du diocèse de Liège, XV, p. a8 et 84, suiv.). Il est"'
donc très probable que l'introduction de la fête de saint Albert
à Liège (avec sa date erronée) a suivi de près son institution à
Bruxelles par Mathias Hovius en 161 3 après la bulle de Paul V, '
On trouve, généralement à la daté du 24 novembre, des notices
sûr saint Albert dans les obituaires et nécrologes dé plusieurs
abbayes belges. D. U. Berlière nous en a signalé quelques-unes
d'inédites : celles de Bonne-Espérance M S aux archives de
l'État à Mons, de ForestMS 898 à la Bibl. royale de Bruxelles,
de Grand BigardM S aux archives du royaume.
I. Par exemple Georges Smets : Henri l de Brabant, p. 46 et
;^> 8
134 VIE DE SAINT ALBERT.
ser complètement les empiétements sa.eii?ilèges du
pourvoir civil siiir le pouvoir ecclésiastique.
Mais l'esprit de Frédéric Barberousse, fidèle kia—
mèfflfce à ses prédécesseurs, survi?vaît danis son fils
Henri. Dans le cas d'ei'éleetion d'Albei^t dse Louvairt,,
r empereur avait, côimme nous l'avons vu, manifes:-
tement outrepassé seadroits e* violé ceux du chapitre
liégeois. En recourant àrRome,^ malgré les menaces
du puissant Hohenstaufen, Albert faisait un acte de
courage et de respect envers l'Église qsui haussait sa
vertu jusqu'à l'héroïsme.
Le pape Gélestin III, ea canifirmant. se&m élet^ioa^
et en condamnant tous eeux qm s'y opposeraient,
aiErma solennellement l'autorité romaine en faee; du
pouvoir impérial. L'orgueil d'Henri VI ne put susp-
poirter ce défi. Sa vengeance fut l'arrêt de mort de
l'évêque : meurtre poliiiii(|u<e, tramé contrei la maison
de Brabant, représailles sacrilèges dirigées contre le
p-ape. Albert,, victime, sacrifiée à l'ambition et à l'im-
piété, comprit et accepta ee rôle.. Loin de chercher,
comme il aurait pu le faiïe, par des intrigues et des
combinaisons politiques 4 reconquérir son siège, ii
renonce aux moyens humains et ne s'appuyant
(juei sur Dieu, il attend patiemment que la tempête
' se calme et que les passions s'apaisent. A l'imitation
du Christ, il accepte le calice des humiliafcitms ^&t se
réfugie dans la prière et dans les consolations de son
sacerdoce. Ainsi purifiée, par l'épreuve,, la victime
était miûre poujr l'immolation.
Le feiographe qui a sa nrettre en relief daws sa
pieuse narration les traits de ressemblance entre les
circonstances entourant la mort de notre saint et la
passion du Sauveur, nous dépeint le doux et patient
SAINTETÉ D'ALBERT. 135
évêqùe dépouillé de tout,- abandonné des siens à
l'heure suprême, trahi par ses amis, égorgé cruelle-
ment comme un innocent agneau , expirant enfin sans
proférer une plainte.
Albert est saint parce qu'il est martyr, martyr d'une
grande cause, parce qu'il accepta et souffrit l'exil et
la mort pouT la défense des libertés de l'Eglise.
L'évêque liégeois est, au xii** siècle, avec son émule
anglais saint Thomas Becket, le type du bon pasteur
qui àarme sa vie pour ses brebis, du prélat ccKurageox
qui brave le pouvoir séculier, qui préfère mourirplu-
tôt que de trahir l'hoiineur dé sa; dignité et ies
droits de Dieu dont il est le dépositaire.
136 VIE- DE SAINT ALBERT.
APPENDICE A
Bulle du pape Paul V autorisant l'office et la messe
de saint Albert.
Pauliis PP. r.
Ad perpetuam rei memoriam. Régis aeterni, qui
serves suos probatos in tentatione, immarcessibili ae-
ternae gloriae corona donat in coelis, vices, quam-
quara immeriti, gerentes in terris, ex injuncto Nobis
officii débite, procurare tenemur, ut eorumdem Christi
hônos et veneratio in terris quoque in dies magis
promoveatur, ideoque fidelium, prsesertira vero ca-
tholicorum Principum votis, quae peculiarem erga
illos cultùm respiciunt libenter annuimus, prout in
Domino conspicimus expedire. Sane, nomine dilecti
filii, nobilis viri Alberti Archiducîs Austriae, et Bel-
gicarum provinciarumPrincipis, Nobis super exposi-
tum fuit quod ipse ex singulari quém erga sanctutn
Christi martyrem Albertum, Episcopum Leodiensem,
S. R.E. cardinalem,. gerit devotionis affectum, ejus
corpus ab EcclesiaRhemensi) inqua per quadringentos
annos re(5[uievit) ad Ecclesiam monasterii monialium
ordinis Beatae Mariae de monte Carmelo discalceatarum
nuncupatarum, in oppido Bruxellensi, Mechli-
niensis Dioecesis, nuper a se aedificati et dotati, cum
solemni processione rite et canonice transferri et ad
augendam Christi fidelium, erga dictum sanctum
devotionem, in omnibus Ecclesiis, tam ssecularibus
quam regularibus dicti oppidi Bruxellensis nec non in
Ecclesia Rhemensi praedicta, ofEcium, et missam
solemniter de eodem sancto recitariposse, plurimum
desiderat. Quare Nobis humiliter supplicari fecit ut
ejus votis in praemissis annuere, aliasque desuper
^ - - APPENDICE A. ", W
opportune providere, de benignitate apostolica digna-
rëmur. Hoc igitur dicti Alberti Archiducis et Principis
laudabile ejusmodl desiderium plurimum in Domino
commendantes, ipsumquè Albertum Archiducemet
Principem, specialibus favoribus et gratiis prpsequi
yolentes, et a quibusvis excommunicationis, suspen- -
sionis, et interdicti, aliisque ecclesiasticis senten-
tiis, censuris, et poenis, a jure vel ab homine quavis
occasione vel causa latis, si quibus quomodolibet in-
nodatus existit, ad effectum praesenlium dumtaxat
consequendum, harum sérié absolvéntes, et absolutura
fore censentes, hujusmodi supplicaiionibus inclinati,
de yènerabilium fratrum nostrorum S. R. E. Cardina-
lium sàcris ritibus prœpositorum consilio, quod im-
posterum, perpetùis futuris temporibus, in omnibus
dicti oppidi Bruxellensis saecularibus et regularibus
Ecclesiis, necnon in Ecclesia Rhemensi praedicta, in die
natalis sancti Alberti hujusmodi, \idelicet die xxi
Novembri, in die vero translationis . ejusdem, in
Ecclesia solum Monialium Carmelitarum discalceata-
rum praedictarum dicti oppidi, missa et officium de
sancto Alberto, sîcùt de-communi unius Martyris
Pontificis celebrari solet, juxta Missalis et Breviarii
Romani régulas, et rubricas, celebrari possît, aposto-
lica auctoritate, tenore prœsentium, licentîam et
facultatem perpetuo concedimus et impertimur, non
obstantibusConstitutionibus et Ordinationibus aposto-
licis, nec non Ecclesiarum, et ordinis hujus modi,
etiam juramentd, cdnfirmatione apostolica, vel quavis
firmitate alia robôratis statutis et consuetudinibus,
cœterisque contrariis quibuscumque. Datum Romae
apud sanctatii Mariam Majorem sub annulo Piscatoris,
die IX Augusti MDCXÏII, Pontificatus nostri anno IX.
8. ■
138 ¥IE DE SAINT ALBERT.
Mathias Hovius, archevêque de Malines, instiiœ {»eur
la ville de Bruxelles, la fête de salut Albert, évêque
de Liège, concédée parle pape.
22 Oct. i6i3
Malhias, Deiet apostolicae sedisgratiaarchiepiscopus
Mechliniensis, omnibus praefectis ecclesiariim oppidi
Bruxellensis collegiatœ parochialium et regularîum
quarumcumque. Notum facimus placuisse sereriîs-
simo princîpî nostro supplicari Summo Pontifici
moderno, Paulo quinto, ut ofEcium sancti Alberti,
episcopi Leodiensis, cardinalis . et martyris, ciijus
sacrum corpus pro singulari sua erga hune sanctum
devotione ex ecclesia Rhemensî magna cum celebrî-
tatedeferri curavit in monaslerium Carmelitissarum
discalcealarum a se erectum et dotatum, quotanni'S
celebrari possit, tam quoad officium quam quoad
missam, secundum régulas et rubricas breviarii Ro-
mani de uno martyre pontifice, die vigesima quarta
novembris.
Nam etsi natalis hujus sancti in vigesîmam primam
ejusdem mensis incidat, impeditur tamen ejus ceîe-
bratio perlria festa intercurrentia, quod cum piissîme
Suae Celsitudini annuerit Sanctissimus Domînus nos-
ter, pernos mandavit publicari vobis omnibus etves-
trum singulîs, iisdemque mandari, quod et facimus,
ut dicta die vigesima quarta novembris officium dîvî-
num et missam solemnem in ecclesiîs vestris recitari
faciatis de dicto sanclo Alberto pontifice martyre, ut
eomagis dicti sancti meritis et suffragiis adjuvemur,
quo devotius sacrum ejus corporis pignus, nob'is
divinitus concessum, veneramur.
Datum Bruxellis, die vigesima secunda Octol)Ti]S
anni i6i3. (Arcbives de Sainte- Gudule, à Bruxelles.)
HISTOIRE DES RELIQUES
DE SAINT ILBERT
Les deux parties de ce chapitre n'ont en réalité
qu'un seul et même objets
En effet, l'erreur commise en 1612, en attirant
pendant quatre siècles sur les ossements d'Odalric,
que nous appellerons le pseudo-Albert, les honneurs
rendus à l'évêque de Liège, n'a pu détourner ces
hommages de leur véritable destination.
Le culte de^ reliques est, en langage théologique,
un culte indirect, qui s'adresse plus à la personne du
saint qu'à ses dépouilles terrestres. Celles-ci rie sont
vénérées qu'en raison de l'union qu'elles ont eue avec
l'âme sanctifiée du défunt, union devant être restaurée
splendidement à la résurrection de la chair.
Malgré le souci de l'Eglise d'entourer lesreliques
des saints de toutes les garanties d'authenticité, des
erreurs restent possibles en cette matière. Le cas de
saint Albert en est une preuve. Mais ces méprises,
regrettables sans doute, n'empêchent pas nos bien-
veillants patrons d'entendre et d'agréer nos vœux."
Lesliommes peuvent se tromper sur l'identité d' os-
sements exhiumés du sein de la terre où depuis des
140 VIE DE SAINT ALBERT
siècles ils reposaient. Les saints, souriant dans le ciel
de nos bévues, suppléent sans peine à notre défaut de
discernement et savent, avec une équité parfaite,
répartir entre eux les hommages que nous leur adres-
sons. Loin de nous tenir rigueur -de nos ignorances
involontaires, ils mesurent leurs faveurs moins au
degré de notre exactitude, qu'à la ferveur de notre foi.
Parfois, comme dans le cas présent, ils interviennent
d'une façon providentielle pour corriger nos erreurs
et encourager notre dévotion.
I
LES RELIQUES DU PSEUDO-ALBERT
L'histoire des reliques d'Odalric ou du pseudo-
Albert a été racontée en détail dans les ouvrages de
Rebreviettes et du, chanoine David signalés dans notre
introduction 1. On la trouvera aussi dans un article
du Docteur Vervaeck publié en 1907 [Analecta
Bollandiana, XXVI, p. SqS), avec une description
scientifique des ossements jadis conservés au Carmel
de Bruxelles. Il est intéressant de remarquer que ce
même docteur, qui procéda en 1904 à l'examen ariato-
miquedes reliques du pseudo- Albert, fit partie en 1920
de la commission chargée d'identifier le corps du saint
retrouvé à Reims.
I. Le chanoine Frézet vient de publier dans la revue La
vie et les arts liturgiques Dec. 1911, un article très intéressant
înittulé : « Les reliques de saint Albert retrouvées à Reims ».
Il donne entre autres un extrait curieux d'un chroniqueur rémois
Jean Pussot, maître charpentier, sur les cérémonies qui accom-
pagnèrent l'exhumation et la translation faite en i6ia (p. 60).
' RELIQUES DU PSEUDO-ALBERT. 141
Enlisant son rapport de 1904, on Yoit la difficulié
qu'il eut alors de mettre d'accord plusieurs passages
de la Vita Alberti avec les ossements soumis à son
analyse. Notamment, l'orifice d'origine traumatique
du crâne pouvait s'expliquer à la rigueur par un coup
de dague ou de hache, mais ne répondait guère aux
violents coups d'épée assénés par les chevaliers
sur la tête de l'évêque à cheval. Cette discordance
en présence de laquelle on crut devoir mettre en
doute l'exactitude du récit historique disparaît devan^t
le vrai chef du saint martyr. On y observe dans leur
poignante réalité les coups de taille énamérés avec une
précision si remarquable p|ir le témoin du meurtre :
« Tinipus ejiis cerebrumque et câput ejus effregerunt. »
L'accord des deux documents est cette fois incontes-
table^. Voici un bref résumé des vicissitudes des osse-
ments de l'archevêque Odalric.
En 1 6 1 2 les archiducs Albert et Isabelle sollicitèrent
du roi de France Louis XIII la faveur de posséder en
Belgique le corps du saint 2. La demande fut adressée
à la reine régente Marie deMédicis, qui se prêta gra-
cieusement au désir des souverains belges. L'arche-
vêque de Reims, Louis de Lorraine et son chapitre
s'empressèrent d'acquiescer à cette demande, et le
20 octobre de la même année, on procéda à l'exhu-
mation. On retira de dessous les dallés où l'on
croyait qu'il reposait à l'entrée du chœur sous le jubé
1. Le docteur Vervaeck vient de publier dans les Anal.
Bolland. t. XL, fasc. I et II, 192a, un article où il expose à
nouveau celte question d'une façon très lucide.
2. L'archiduc, en réclamant lès reliques de son saint patron,
fit valoir, en plus du lien' spirituel, la parenté qui le rattachait à
saint Albert de Louvain et à la vieille dynastie des ducs de Bra-
142 YIE DE SAINT ALBERT,
le corps <lu saint martyr, et procès- verbal fut dressé
par Simon Hernet, médecin, et Rémi T^steiet, chirufr-
gien. Les ossements furent déposés dans une châsse de
bant. Voici d'après David (p, 96) i' arbre généalogique établissant
cette noble descendance.
Godefroid III duc de Brabant
^- ^-- ^ -,
Henri I Albert de Louvain
1
Henri II
l.
Henri III
I
Jean I
I ■
Jean il
i
Jean III
^1 ■ ^
Marguerite de Brabant — LoTiis de Bîaek
I
Marguerite de Maele — Philippe le Hardi
I
Jean sans Peur
1
Philippe le Bon
1 ■
Charles le Téméraire
' 1
Marie de Bourgogne — Maximilien d'Autriche
..I
Philippe le Beau
( \ A ^
Charles-Quint Ferdinand d'Autriche
I I
Philippe II Maximilien II
I - I
Isabelle Albert..
RELIQUES m] PSEUDO-ALBERT. 143
bois et transportés solennellement à Bruxelles ^ où un
nouvel examen et rapport médical furent faits en
présence du nonce Bentivoglio et des archiducs.
Un os de la hanche déposé dans une cassette d'é-
bène fut offert en hommage au chapitre de Reims.
Les autres ossements renfermés dans une châsse
furent confiés à la vénérable Mère Anne de Jésus,
prieure du Carmel de Bruxelles.
En 1783, ces reliques suivirent les carmélites chas-
sées parle décret de Joseph II en France, au monas-
tère de Saint-Denis. Elles revinrent) avec elles à
Bruxelles en 1790.
Plusieurs ossements furent, au cours des siècles,
détachés- du corps et donnés 4 différentes églises : à
Saint- Albert au Canada, àSaint-Kombaut à Malînes,
à la cathédrale de Liège, aux carmélites d'Alost, aux
Dames cbanoinesses de Berlaymont, à Saint-Pierre
de Louvain, à l'abbaye du Mont-César.
M. Vervaeck auquel nous empruntons ces détails a
fait une enquête sur toutes ces parcelles du pseudo-
Albejt dans son rapport publié dans les Analecta
Bollandiana {KK^^l,^. ^oo-4o2i^).
I. a La cérémonie se fit avec un grand appareil tant à Reims
que partout où elles passèrent,^ estant accompagnées de six cha-
noines que les archiducs régalèrent chacun d'une chaîne d'or,
et qui,, par une piété digne de leur haute naissance, voulurent
encore,, au jour de L'entrée solennelle, porter le cercueil du saint
sur leurs, épaules CTïtrant eal'église. de Sainte-Thérèsedes Carmé-
lites j) (Marlot, IH„p, 489).
a.. Qa ignorée (jae sont devenus : 1° Le reliquaice de N.-D.
de. Reims; 2° les vêtements apportés au duc de Brabant; 3° l'an-
neau d'or conservé à Lobbes .jusqu'au xviii^ s.', 4° quelques osse-
ments et une bague d''or offerts aux archiducs ; &° une parcelle
doiiméje en 16.86 au grand-duc de Toscane.
■i--L.itS>W^V^\ or ^h.^* ^ /, tr ■»% C»' „
144 VIE DE SAINT ALBERT.
#
II
LES RELIQUES DU VRAI ALBERT
Au cours des travaux de déblaiement entrepris
dans la cathédrale de Reims ravagée par l'artillerie
allemande, M. Deneux, architecte en chef des mo-
numents historiques, se trouva en présence de plu-
sieurs tombes d'archevêques inhumés sous les dalles
de l'église.
D'après l'ancien cérémonial rémois, cinq arche-
vêques avaient été déposés dans le chœur' : Odalric
f 971, Adalbéron f 988, Gervais f 1067, Raynaud
de Bellay f logS et Ebale f io33. Il put facilement,
grâce aux indications de son texte, identifier les
quatre dernières. Mais un doute se posa pourOdal-
ric^.
« Le 26 septembre 1919, dit-il, en exposant sa
découverte devant la commission d'enquête, fut
ouverte au bas du chœur, non loin de la grille d'entrée,
une tombe que l'on croyait être celle de l'archevêque
Odalric ( "J* 969 ou 971) d'après un renseignement
1. Nous n'avons pas à nous occuper des tombes existant
dans les autres parties de l'église.
2. a Odalric, trente-septième ou trente-huitième archevêque
de Reims, était d'après Richer (Richerii bistoriarum quatuor li-
bri,éd.Poinsignon,Reims, i855,p.257), chanoine de Metz; il fut
élu sur sa promesse de poursuivre sans crainte les usurpateurs
des biens de l'église de Reims :il parvint à obtenir quelques res-
titutions et mourut en 969 ou 970 suivant quelques auteurs;
selon d'autres, et plus probablement en 971. II fut, selon une
opinion rapportée par Marlot, le premier archevêque enterré
dans la grande église, c'est-à-dire dans la cathédrale carolin-
RELIQUES DU VRAI SAINT ALBERT.
145-
donné par le cérémonial de 1637
inhumé à la descente
des chaises pour sor-
tir par le grand por-
tail du chœur [gi^i) :
ohit le 6 novembre.
La tombe n'avait
jamais été ouverte ;
ce cercueil de pierre
était en trois parties ,
ainsi que son cou-
vercle . Celui-ci étant
enlevé, on aperçut
noyé dans un lit de
boue ou de cendres
desséchéesS un
gienne. Plusieurs au-
teurs lui donnent le titre
de^ vénérable, entre au-
tres Dom Ganneron:
août 19. J Reims mou-
rut le vénérable Odalric,
trente-septième archevê-
que de Reims » (Rapport
de PabbéMidoux, p. 3,
note i).
r. « Il est difficile de
de'cider si cette terre ou
cendre, à surface fen-
dillée, qui recouvrait
presque totalement le
squelette, y avait été dé-
posée à dessein, ou si
elle y avait été entraînée
« Odalric est
cathed-rale: de: ueiims
PLAM DE.5 TOMBEIAUX»
EI3AL&
D CAYHAULD .
t lOgsr.
□*
loejr.
I ADALBEROn
ôtAlseot.
+ 1192..
-ROUELie.-
Jubé £iu|
I qdauic
Il +5)71.
|XV5 3JECIE
par les eaux d'infiltration en pénétrant dans le cercueil par les
VIE DE SAINT ALBERT. 9
146 VIE DE SAINT ALBERT. ^
squelette dont la face seule émergeait près du sommet
d'une crosse en bronze doré très oxydée. Cette crosse
à nœud sphérique est surmontée d'une volute à
double révolution terminée par une petite tête de dra-
gon, dont les yeux sont rehaussés d'une perle. D'après
M. Chartraire, chancelier de l'archevêché de Sens, cette
crosse était, pour ainsi dire, la reproduction fidèle
de celle qu'il avait lui-même trouvée deux ans aupa-
ravant dans la sépulture d'un archevêque de Sens
mort en i245. De Tavis de M. Marcou, cette crosse
est une œuvre limousine ayant les caractères du début
du XIII® siècle. •
Le squelette, débarrassé de sa gangue, se présen-
tait comme celui d'un jeune homme de haute taille,
ayant encore presque toutes ses dents; la mâchoire
inférieure était affaissée sur la poitrine; une partie
de la boîte crânienne manquait sur le front, au-
dessus de l'arcade sourcilière droite.
Des débris de galons et de sandales accusaient
aussi la première partie du xiii^ siècle. Des morceaux
d'un calice et d'une patène en étain étaient trop dé-
formés pour qu'on pût en tirer une indication.
Au tamisage des terres renfermées dans ce cer-
cueil, on retrouva un anneau en or de 1 8 m/m de
diamètre intérieur avec tige de j m/m de diamètre
décorée d'un petit quatre-feuilles, rehaussé d'un
saphir : on trouva aussi quelques fils d'or, une pointe
de crosse à tige carrée en cuivre, insérée dans une
points mal raccordés que laissaient entre elles les parties du
couvercle. A noter toutefois que la tombe de Guillaume de
Champagne, le consécrateur de S. Albert, mort en laoa et
inhumé dans le sanctuaire avait été de même remplie de sable
verdâtre ». (Rapport de l'abbé Hideux, p. 3, note 2.)
RELIQUES DU VRAI SAINT ALBERT. 147
hampe de bois complètement pourri, mais très recon-
naîssable à l'intérieur de la virole, aussi en cuivre.
Le mobilier de cette tombe fit immédiatement
naître des soupçons sur l'identification du corps; la
crosse de cuivre et les sandales ne pouvaient avoir
appartenu à un évêque du x® siècle, comme était
Odalric »^,
L'enquête de M. Deneux aboutissait donc à cette
conclusion : il y avait dans le chœur de la cathédrale
un archevêque du xi" siècle (Odalric) en moins et un
évêque du xiii* en trop. Jusqu'iqi on n'avait pas
pensé à saint Albert parce qu'il n'était pas mentionné,
dans le cérémonial, et puis on croyait que ses os-
sements étaient à Bruxelles. En consultant d'au-
tres textes on trouva dans Marlot, à propos de
saint Albert, ce passage (t. III, p. 489) : v. Les saintes re-
liques de ce grand prélat ont donc été conservées bien
quatre cents ans . en l'église de Reims, sans être
levées de terre et sans aucun monument, à cause du
passage nécessaire que preste la porte du jubé pour
entrer aie chœur, sous laquelle elles étaient enterrées. »
Cette indication fut un. trait de lumière; on relut
le passage du cérémonial disant : ol Odalric est
inhumé à la descente des chaises pour sortir par
le grand portail du chœur », et de ces deux textes on
déduisit que « les tombes d' Odalric et de saint
Albert étaient toutes deux au bas du chœur, toutes deux
sous le jubé avec cette précision que celle d'Odalric
• était plus rapprochée "de la nef : « à la descente des
chaises v. On fouilla aussitôt à cet endroit, mais on ne
trouva que des terres remuées déjà et qui ne renfer-
I. Rapport delà commission, p. 4-
VIE DE SAIMT ALBERT.
maient plus aucun reste d'ossements ni de cercueil.
C'est alors que la question se posa : N'y avait-il
pas eu erreur en 1612? N'était-ce pas Odalric qui se
trouvait à Bruxelles, et saint Albert n'était-il pas cet
évêque du xiii® siècle que les obus allemands venaient
de faire découvrir ?
« L'affaire en était là quand le 9 novembre 1920,
Dom Sébastien Braun. et M. Midoux visitèrent les
fouilles. Le premier, comme Belge s'y intéressa vive-
'ment, parce qu'il s'agissait d'un saint de son pays,
patron de son Roi, et parce quesaintAlbertétaitnéet
avait passé une partie de sa vie à Louvain, à l'endroit
où fut bâtie depuis l'abbaye bénédictine du Mont-
César.
Le second fournit un texte de la biographie d'Albert
traduite par Christophe Beys et cité par le chanoine
Cerf, qui corroborait singulièrement l'hypothèse émise
précédemment. Il était question dans ce passage de
« la pierre sacrée de marbre ronde, sur laquelle avait
été décapité saint Nicaise, recouvrant la tête du martyr
Albert ». Or il était certain pour les archéologues
rémois que cette pierre occupait primitivement l'em-
placement recouvert plus tard par le jubé^
I, « Saint Nicaise avait établi sa cathédrale à l'intérieur de la
citadelle et l'avait dédiée à la Mère de Dieu. Après avoir
soutenu la résistance de la ville contre l'attaque des barbares,
il se réfugia dans cette église à l'entrée de laquelle il fut
massacré (en 407)' La pierre teinte de son sang fut conservée
avec respect dans la cathédrale reconstruite au ix^ siècle par
les archevêques Ebbon et Hincmar*, elle était de marbre et de
forme ronde, protégée par une grille, ce qui lui avait fait
donner le nom de cage, tour, rouelle de saint Nicaise. Dans la
cathédrale carolingienne, les fouilles récentes l'ont prouvé, les
tombes des archevêques qui se trouvaient dans l'axe de la nef
RELIQUES DU VRAI SAINT ALBERT. 149
Pour continuer cette enquête déjà en si bonne voie,
plusieurs documents manquaient à Reims où les bi-
bliothèques ont été détruites ou dispersées par la
guerre. Dom Sébastien Braun accepta volontiers de faire
les recherches désirées à son retour à l'abbaye de
Maredsous. Elles furent des plus concluantes. Il con-
sulta le texte original de la Vita Alberti ainsi que
là description scientifique publiée en 1907 par le
docteur L. Vervaek des reliques conservées sous le
nom de saint Albert au Carmel de Bruxelles.. Mais
il fit plus, il se mit à la recherche de ce docteur
lui-même, qui mieux que personne était à même
d'éclaircir une question d'un si haut intérêt. « Celui-
ci déclara réserver son jugement jusqu'au moment
où l'on pourrait examiner le crâne de Reims pour
voir s'il ne porterait pas quelques traces de lésions
dues aux coups de glaive qui avaient causé la mort
du Saint. »
Le 16 novembre 1920, Dom Sébastien écrivit donc
à M. Deneux pour le prier de bien vouloir faire
ouvrir le coffre, où l'on avait déposé provisoirement
étaient surélevées d'une dizaine de centimètres au-dessus du
pavé", la rouelle, qui se trouvait dans ce même axe, ne gênait pas
plus que les pierres tombales.
Au XIII*' siècle, après la reconstruction dé la cathédrale
actuelle, les pierres tombales, plus ou moins endommagées par
l'incendie, furent recouvertes par le nouveau pavage dans le-
quel oïl inséra les dalles de petite dimension portant le nom de
l'archevêque inhumé au-dessous; la plupart de ces dalles
subsistèrent jusque dans la seconde moitié du xyii^ siècle et
guidèrent Marlot et le rédacteur du cérémonial. Quant à la
pierre de saint Nicaise, vénérée comme une relique, elle demeura
vraisemblablement apparente au même endroit, du moins
jusqu'à la construction du jubé ». (Rapport de la commission
p. II, note I,)
150 VIE DE SAINT ALBERT.
les ossements que l'on présumait être ceux d'Odalrîc,
et de procéder à l'examen en question. Jusqu'ici on
n'avait pu faire cet examen à cause de l'état frag-
mentaire dans lequel se trouvait le crâne. Il était
tombé en morceaux lorsqu'on avait retiré le squelette
du cercueil. On dut faire sa reconstitution, travail
délicat qui, de l'aveu du docteur Vervaeck « fut
exécuté avec une compétence anatomique évi-
dente *y>.
Ce fut seulement alors qu'apparurent sur le chef
de saint Albert les traces de lésions profondes.
Dom Sébastien en écrivant à M. Deneux « n'avait
rien dit de ce que rapportait la F'ita au sujet des
coups de glaive, afin de rendre éventuellement l'é-
preuve plus probante ».
Le 2 5 novembre M. Deneux lui répondit en ces
termes : « Je viens de faire retirer le cercueil réduit
et examiner le crâne. Il n'y a plus de doute pos-
sible. Odalric est bien saint Albert. Le crâne porte
trois entailles qui ont presque traversé la boîte
crânienne. Les entailles ont dû être faites avec une
hache ou une épée. Des taches brunes, au pourtour,
pourraient être du sang. Lorsque vous viendrez à
Reims, vous serez comme moi convaincu qu'il ne
peut subsister aucun doute à ce sujet... »
Quelques jours plus tard, son Éminence le Cardi-
nal Luçon informait son Eminence le Cardinal de
Malines de la découverte sensationnelle et daignait
inviter les Belges à faire partie d'une commission
I. Chose à noter : cet examen du crâne, qui enleva les
derniers doutes, eut lieu précisément le 24 novembre, jour de
la fête de saint Albert, et cela a l'insu même de ceux qui s'en
occupèrent. (Rapport de la^commission, p. i3, note i.)
•.> ' î v^t*':^-**-'^-'''*'- ■'<*•■**': ■'^•"T'^'V-C'/^^-^. ■'-■-^ '-\^- : ^O-; , j
' RELIQUES DU VRAI SAINT ALBERT. 151
chargée de ridentification des restes de ce saint qui
leur était cher.
Voici les noms des personnalités qui composèrent
cette commission du lo décembre 1920 présidée par
sa Grandeur M.^ Neveux, évêque d'Arsinoë, auxiliaire
de son Eminence le Cardinal Luçon :
Monsieur le chanoine Campant, vicaire général;
Monsieur Marcou inspecteur général des monu-
ments historiques ;
Monsieur Deiieux, architecte en chef des monu-
ments historiques ; ^ ^ .
Dorh Sébastien Braun, O. S. Bl' de l'Abbaye de
Maredsous;
Monsieur le chanoine Chartrairey chancelier de
l'archevêché de Sens, conservateur de la cathédrale ;
Monsieur Jadart, conservateur honoraire de la
bibliothèque de Reims ;
Monsieur Demaison, archiviste honoraire de la ville
de Reims ;
^ Monsieur le chanoine Frézet, curé-doyen de Saint-
Jacques de Reims;
Monsieur l'abbé AndrieuXy aumônier du lycée de
Reims, conservateur des antiquités et objets d'art de
la cathédrale ;
Monsieur l'abbé Midoux, professeur au petit sémi-
naire de Notre-Dame de la Providence de Reims ;
Monsieur le chanoine /. Laenen, archiviste de l'ar-
chevêché de Malines ;
Monsieur le docteur p^ermeck, directeur du service
d'anthropologie pénitentiaire de Bruxelles.
Ces deux derniers étaient délégués de son Eminence
le Cardinal Mercier. ,-
L'enquête de cette commission, poursuivie avec la
152 VIE DE SAINT ALBERT. _
plus rigoureuse méthode, porta sur les documents
écrits, sur l'examen des ossements et sur l'étude dés
lieux. Tout aboutissait à la même conclusion : les
ossements découverts par M. Deneux devaient être
attribués à saint Albert.
M. Vervaeck, assisté deDom Sébastien Braun,fitle
même jour à Reims une description des reliques du
vrai saint Albert comme il l'avait fait pour le pseudo-
Albert en 1904. On la trouvera tout au long dans le
rapport de la commission (p. 20-82).
Voici les déductions scientifiques qui terminent cet
examen anatomique :
Cause de la mort. — Le crâne porte des traces pro-
fondes et nombreuses d'entailles, notamment au milieu
du front, où la surface de section atteint toute la pro-
fondeur de l'os ; à plusieurs endroits des pariétaux, on
observe un éclatement en biseau des couches osseuses
sur une profondeur variable, sans qu'il y ait perfora-
tion crânienne ; par places existent des traits de frac-
tures dont l'un au moins est très ancien.
L'orifice considérable d'ouverture de là cavité
crânienne à la région frontale paraît être contempo-
rain de la mort, mais on ne peut affirmer que l'éten-
due en était aussi vaste qu'aujourd'hui. Il est probable
qu'il y a eu à cet endroit, à la suite des coups violents et
répétés portés à l'aide d'épées, écrasement en bouillie
de l'os frontal sur une surface plus ou moins grande ;
des fragmentations osseuses sur les bords ont vraisem-
blablement beaucoup agrandi l'orifice de pénétration
de l'arme dans la cavité crânienne. Celle-ci est certaine,
à en juger par le bord gauche de cet orifice. 11 en est
résulté une lésion très grave du cerveau rapidement
RELIQUES DU VRAI SAINT ALBERT. 153
mortelle ; des débris de matière cérébrale ont dû être
entraînés au dehors.
L'importance des entailles et fractures crâniennes
observées ailleurs est moins considérable au point de
vue de la vie ; elles ont eu pour conséquence immé-
diate, tout au moins, une commotion cérébrale avec
perte de connaissance et chute. L'origine de ces en-
tailles est incontestablement legladius. On en observe
dans trois directions principales : au milieu du front,
de haut en bas et de gauche à droite ; au niveau du pa-
riétal droit, le coup a dû être dirigé de droite à gauche
et d'avant en arrière ; au niveau duipariétal gauche, la
direction du traumatisme paraît avoir été d'avant en
arrière et de gauche à droite.
Les coups d'épée ont été portés avec grande
violence.
La mort reconnaît incontestablement pour cause la
fracture du crâne et la blessure du cerveau résultant
de multiples coups d'épée.
Identité. — Tous les os trouvés dans la tombe pro-
viennent d'un même sujet; il était de sexe masculin. A
en juger par l'état du crâne, et notamment par l'absence
totale de processus d'ossification des sutures, son âge
ne dépassait pas trente-cinq à quarante ans, il était
plus vraisemblablement voisin de la trentaine.
La taille, d'après les tables de Rollet et Manouvrier,
était comprise entre un mètre soixante-dix-huit centi-
mètres et un mètre quatre-vingts centimètres.
Uccle, le i^ décembre 1920.
L. Vervaeck.
Il restait encore à l'assemblée une question à éluci-
\ ' ^- " ' - '
154 VIE DE SAINT ALBERT.
der : comment avait pu se produireeni6 12 l'erreur
sur l'attribution des tombes? L'examen des procès-
verbaux d'exhumation montre que les chanoines
de Reims furent surpris par la demande de l'archi-
duc ; ils savaient que l'évêque de Liège avait été en-
terré dans la cathédrale, mais ils n'étaient pas bien sûrs
de l'emplacement. Les épitaphes gravées sur les
pierres tombales étaient déjà très usées auxvii® siècle;
celles qui se trouvaient sous le jubé, dans un pas-
sage beaucoup plus fréquenté, étaient absolument
illisibles, dit Marlot, à propos de l'épitaphe qui
existait encore de son temps, et qu'il croyait être
celle d'Odalric : adeo detrita ut nihil in ea legi possit.
Le chapitre rémois se guida dans ses recherches
par la proximité de l'autel où il célébrait un service
fondé à l'anniversaire de l'évêque assassiné. "
On trouva le corps d'un prélat dont le crâne por-
tait une blessure à la tempe gauche et cette cons-
tatation suiËt pour conclure que l'on était en présence
de l'évêque martyr. Il sembla inutile de pousser
plus loin les recherches, les connaissances archéolo-
giques de l'époque étant trop rudimentaires et trop
peu précises pour faire naître des soupçons.
Pour finir, la commission émit au 10 décembre les
conclusions suivantes :
« En présence dés documents et des renseigne-
ments réunis, après les frappantes constatations
faites sur les lieux, l'assemblée estime qu'il ne semble
plus y avoir de doute sur l'identification des ossements
attribués par M. Deneux à saint Albert en se basant :
« 1® Sur le fait de l' absence du corps d'un évêque
du X* siècle, et sur la présence en trop d'un évêque
duxiii^;
; t " ~ v ' , - ""."'' , — c
RELIQUES DU VRAI SAINT ALBERT. 155
. « 2° Sur la topographie des diverses tombes, qui se
trouve confirmée par les détails si précis et si carac-
téristiques de la P^ita Alherti; ■
« 3° Sur certaines constatations faites à Bruxelles
par M. le Docteur Vervaeck, tendant à faire douter
de l'authenticité des reliques conservées au Carmel
de Bruxelles comme étant celles de saint Albert :
« A) Sutures crâniennes fortement synostosées;
indiquant, à. s'en tenir aux règles communes, un
homme de plus de quarante-cinq ans ;
« B) Petite taille de cet homme qui ne dépassait
pas I m. 64 ou I m. 65; ii
« C) Chevelure foncée du même individu ;
« D) Un seul coup mortel porté à la tempe et qui n'a
pu être reçu par un homme à cheval, ce qui est con-
traire à XdiFita Alherii\ ;
« 4" Sur l'examen des ossements nouvellement dé-
couverts, fait par le même docteur, examen qui montre
comment les détails donnés par la Kita Alherti con-
cordent parfaitement avec les constatations faites
sur ces ossements-:
« A) Sutures crâniennes non synostosées, en rap-
port avec l'âge d'Albert de Louvain qui avait moins
de trente- cinq ans.
« B) Crâne tailladé de plusieurs coups d'épée et
privé d'une partie de l'os frontal qui paraît avoir été
àéîojiQé'.gladiis eductis super MbertumirrueruntJle-
manni et caput^ timpus, cerebrumque ej'us effregerunt.
« G) Taches de sang nombreuses, limitées, sur
I. On n'a pas pu établir historiquement l'origine de la lé-
sion du crâne d'Odalric. (Docteur Vervaeck, La découverte
du tombeau de saint Albert de Louvain, Anal, Bo]]ànd.,XL}
pp. 169-170»).
156 VIE DE SAINT ALBERT.
presque tous les os : cadentem gladiis et cultris ex»
ceperunt.
« D) Taille de i m. 78 ou i m. 80 déterminée
d'après les tables de Manouvrier, utilisées par les
médecins légistes pour établir la stature en se basant
sur la mensuration des os longs : ce qui correspond
à la haute stature attribuée à l'évêque de Liège, par
des écrivains plus récents, il est vrai. »
Dans une affaire aussi importante au point de vue
religieux, les membres de la commission décidèrent
de prendre le temps de la réflexion avant de se pro-
noncer définitivement.
Huit mois après, le 18 août 192 1, le Cardinal Lu-
çon les réunit une seconde fois pour étudier les
conclusions de la séance du 10 décembre. Elles furent
entièrement approuvées et ratifiées. On trouvera en
appendice à la fin de ce chapitre le procès-verbal
de cette deuxième commission. Nous y ajouterons
le décret d'authenticité des reliques délivré par le
Cardinal Luçon et la lettre circulaire du Cardinal
Mercier adressée aux différents possesseurs des osse-
ments d'Odalric.
Ces pièces ont été publiées dans le numéro d'octobre
1921 de « la Vie diocésaine » de Malines.
A la même séance du 18 août, une petite con-
testation s'éleva au sujet de l'attribution des vraies
reliques de saint Albert : les membres français de la
commission revendiquaient le chef du saint pour
la cathédrale de Reims; les belges, de leur côté,
réclamaient les ossements dans leur totalité pour
leur pays .S. E. le Cardinal Luçon décida de laisser
la question pendante jusqu'à ce qu'il l'ait réglée
avec le Cardinal de Malines. Des échanges de vues
RELIQUES DU VRAI SAINT ALBERT. 157
eurent lieu entre les deux Éminences, et il fut convenu
que les délégués belges se rendraient à Reims le i8 no-
vembre à l'effet d'y ramener les ossements d'Odalric
et de recevoir en retour ceux de saint Albert.
Mf van Cauwenberg, vicaire général de l'arche-
vêché de Matines etDom Sébastien Braun O.S.B. furent
chargés par Son Éminence le Cardinal Mercier de
cette importante mission.
Ils partirent le 17 novembre emportant un coffret
où l'on avait pu recueillir tous les restes d'Odalric, et
munis de passe-ports qui leur évitaient, tant à l'aller
qu'au retour, les difficultés de douane.
Accueillis à l'archevêché de Reims avec la plus
grande bienveillance, ils assistèrent le lendemain à la
reconnaissance sommaire des reliques de saint Albert,
en présence du Cardinal Archevêque et de son auxi-
liaire M^' Neveux, dont procès-verbal en double
exemplaire fut rédigé et signé par les témoins. En
exprimant au Cardinal Luçon les sentiments de
gratitude du Cardinal de Malines et de tous les
Belges, M^'' van Cauwenberg lui donna l'assu-
rance que bientôt une relique insigne de saint Albert
serait rendue au chapitre de Reims.
Le 19 novembre, les deux voyageurs reprenaient
le chemin de la Belgique, porteurs, cette fois, de deux
solides caisses dont la plus petite contenait le chef
du saint, la seconde tous les autres ossements sans
aucune exception.
Le précieux trésor se trouve maintenant à Malines,
dans la chapelle privée du Cardinal, en attendant sa
destination définitive.
Dans la crypte de la future basilique belge du Sacré-
Cœur à Koekelberg, une place d'honneur a été réser-
M . VIE DE SAINT ALBERT.
vée pour une relique du saint martyr, dont le culte
national rappellera aux Belges tout ce que le nom
d'Albert, auréolé par les vertus d'un saint évêque et
la vaillance d'un grand roi, évoque de gloire ancestrale
et de vénération dans les siècles passés comme dans
les temps présents.
APPENDICE B. 159
APPENDICE B
Procès-verbal de la commission instituée parS.E.Ie
Cardinal Archevêque de Reims en vue d'examiner
la question de rauthenticité des reliques de saint
Albert de Louvain. ' r.
Le dix-huit août mil neuf cent vingt et un, sur la convo-
cation de S.E. Mgr le Cardinal Luçon, Archevêque de
Reims, et sous sa présidence, en l'archevêché de Reims ;
en présence de S. G. Mgr Legraive, évêqué titulaire de
Parnasse, auxiliaire de Malines, représentant S. E. Mgr le
Cardinal Mercier ;
de M. le Chanoine Laenen, archiviste de Tarchevêché de
Malines, délégué par S. È. le Cardinal Mercier;
une commission s'est réunie à l'effet d'étudier les con-
clusions du rapport de là commission historique et archéo-
logique qui, le dix décembre dernier, a été d'avis qu'un
tombeau mis à jour le 26 septembre 1919, au cours des
fouilles opérées dans la Cathédrale de Reims renfermait le
corps de saint Albert de Louvain, cardinal du titre de
Sainte-Croix et évêque de Liège, que l'on croyait avoir
été exhumé en 1612 et transporté à Bruxelles.
Cette seconde commission était composée comme suit :
S. G. Mgr Neveux, évêque d'Arsinoë, auxiliaire de
Reims;
MM. Marcou, inspecteur général des monuments
. historiques;
Deneux, architecte en chef des monuments
historiques;
les Vicaires Généraux Camu, Paulot, Gompant,
Ponsin;
160 VIE DE SAINT ALBERT.
Dom Sébastien Braun, O. S. B., de l'abbaye de
Maredsous;
MM. les chanoines titulaires Solliet et Goyet;
Frézet, chanoine honoraire, Curé-doyen de
Saint- Jacques ;
Dupuit, chanoine honoraire, docteur en droit
canonique, curé de Saint-Benoît ;
Lefort, P. S. S., professeur de droit canonique
au grand séminaire;
Andrieux, conservateur des antiquités et objets
d'art de la cathédrale, aumônier du lycée ;
Midoux, professeur au petit séminaire, secré-
taire de la commission.
Ont été empêchés : MM. Marcou, Gamu, Paulot, Andrieux,
Après quelques paroles de bienvenue adressées aux
membres de l'assemblée, et plus spécialement aux repré-
sentants de S. E. Mgr l'archevêque de Malines, S. B. Mgr le
Cardinal Luçon rappelle que le rapport de la première
Commission a été envoyé en temps voulu aux membres de
la Commission actuelle, et fait donner lecture d'un résumé
de la question et des conclusions de ce premier rapport.
a En 1612, les archiducs Albert et Isabelle d'Autriche
demandèrent au Chapitre métropolitain de Reims de,
leur remettre le corps de saint Albert, massacré le
24 novembre 1192 et inhumé dans le chœur de la cathédrale.
Les Chanoines accueillirent favorablement leur demande
et exhumèrent le corps placé dans le tombeau situé à.
l'entrée du chœur, du côté de la nef ; tombeau qu'ils estimaient
être celui de saint Albert. Le corps fut transféré au Garmel
de Bruxelles où il est encore conservé.
« Or, le 26 septembre 1919, une tombe fut ouverte dans
le chœur de la cathédrale de Reims, tombe qui, semble-t-il,
ne peut contenir que les restes de saint Albert, de telle
sorte qu'il y aurait eu erreur en 1612.
« Comme aucun miracle n'est invoqué par S. E, Mgr le
Cardinal-archevêque de Malines, en faveur du corps cons-
servé à Bruxelles, qu'aucunmiracle n'a été constate à Reims
depuis 1612, seuls les arguments d'ordre historique et scien-
tifique peuvent être ici invoqués.
APPENDICE B. 161
« En voici le résumé :
« 1° La tombe ouverte le 26 septembre 1919 ne peut être
que la tombe de l'archevêque Odalric, ou la tombe de saint
Albert.
« Or, elle renferme des objets du xiii^ siècle commençant :
des sandales et spécialement une volute de crosse en cuivre
doré, alors qu'Odalric, étant du x® siècle, ne pouvait encore
avoir une crosse avec volute en métal; de plus, cette tombe
fouillée le 26 septembre 1919 n'avait jamais été ouverte.
« Les objets conservés à Bruxelles ne permettent aucune
conclusion.
« 2° La tombe ouverte le 26 septembre 1919 concorde,
quant à son emplacement avec ce que rapporte la Vita
Alberti et explique très bien les diffl,lèultés d'inhumation.
« L'emplacement de la tombe ouverte en 1612 ne répond
qu'imparfaitement aux renseignements historiques. L'erreur
des chanoines d'alors s'explique facilement : l'inscription,
si quelqu'une avait existé, était effacée et le procès-verbal
de recherches témoigne de quelque hésitation au sujet de
l'emplacement.
« 3° Le corps conservé à Reims tel qu'il est décrit par le
D"" Vervaeck dans le Rapport de la première Commission
(pp. 21 à 32), convient exactement à tout ce que nous savons
de l'histoire de saint Albert : ses blessures, son âge, voire
même sa taille au témoignage d'auteurs plus récents.
« Par contre, le corps conservé à Bruxelles ne concorde
complètement ni par l'âge, ni par l'unique blessure du
crâne, ni par la taille.
« La conclusion qui paraît s'imposer est donc qu'il y a eu
erreur en 1612 et que le corps de saint Albert n'a été mis
à jour à Reims que le 26 septembre 1919. »
A la suite de cette lecture, Son Éminence demanda son
avis à chacun des membres présents, et tous, après avoir
dit qu'ils ont lu attentivement le rapport de la première
Commission, déclarent en adopter les conclusions, recon-
naître qu'il y a eu erreur dans l'exhumation faite en 1612,
et que le corps de l'évêque découvert à la cathédrale, le
26 septembre 1919, est bien celui de saint Albert de Lou-
vain.
Devant l'avis unanime de la Commission, avis conforme
VIE DE SAINT ALBERT. 10
162 VIE DE SAINT [ALBERT.
à sa propre conviction, S. E. Mgr le cardinal Lnçon se dé-
clare disposé à rendre une sentence canonique reconnaissant
que les ossements découverts dans la cathédrale sont les
reliques véritables et authentiques de saint Albert de Lou-
vain, cardinal du titre de Sainte-Croix et évêque de Liège,
massacré en 1192 pour la défense des libertés de l'Jiglise.
Le présent procès-verbal, en double exemplaire, après
lecture faite par M, le secrétaire, a été signé par tous lés
membres de la Commission, pour être conservé aux ar-
chives de l'Archevêché de Malines et de l'Archevêché
deïleims.
Suicent les signatures . ]
II
Décret de
l'authenticité des reliques de saint Albert de Louvain
LUDOVIGUS-HENRIGUS-JOSEPHUS
S.R. E. TITULl SANCTAEMARIAE NOVAE ET SANCTAE FRAT{CISCAE
ROMANAE PRESBYTER GARDINALIS LUÇON
MISERATIONE DIVINA ET SANCTAE SEDIS APOSTOLICAB GRATIA
ARCHIËPISCOPUS REMENSIS
Gum die XXVI° septembris anni MGMIX, in choro Insi-
gnis Ecclésiae Nostrae Metropolitanae, recentioris belli
immanitate disturbatae, inter alia Antecessorum nostrorum
sepulchra, tumbà quaedam lapidea aperta fuisset, in qua
nonnulli historicae et medicae scientiae peritissimi vîri,
non obstantë'fama solemnis cujusdàm translationis anno
MDGXII peractae, pronuntiabant adhuc intactas servari
exuvias S. Alberti Lovaniensis, Leodiensis Episcopi et
Martyris, muneris nostri duxîmus rem prudenterexplorare,
et doctorum virorum argumentis mature pensatis, ad veri-
tatis manîfestationem et honorera praedicti Sancti Martyris
sensum nostrum declarare et causam, Deo auxiliante,
dijudicare.
r * _ ^ '
APPENDICE B. 163
ItaquOi die X°decembrîs anni MGMXX, jussimus Gonsî-
lium haberî, praeside RR. DD. Ernesto Neveux, Episcopo
Arsirioënsi, Auxiliario Nostro, in quo audirentur probatis-
simi testes qui votum circa ppopositum dubîum, id est, de
inviolato ante diem XXVI"» septembris anni MCMXIX
Beati Alberti sepulchro proferrent. Gujus Gonsilii seu Gom-
missionis Acta typîs mandari curavimus, et aliis etiam
prudentîbus et eruditis viris nota fiéri praecipimùs, ut
omnes coram Nbbis in auditorio nostro archiepiscopali,
altéra indicta congrégatione, re studiossime ac religiose
recognita, die XVIII» augustî anni MGMXXI, quisque pro
suo sensu etscientia, sequentia dubià solverent:
1° Gonstatne sepulchrum adhuc inviolatum, die XXVI
sept. MCMXIX repertum alterutrius tantum Praesulis esse,
id est, Venerabilis Odalrici, Archiepiscopi Reraensis,
saeculo X" défuncti aut S. Alberti Episcopi Leodiensis,
anno MCXGII Remis propter jura Ecclesiae tuenda
-trucidati, îdemque sepulchrum retinuisse res et inprimis
baculum pastoralem saeculo tantum XII° aut postea
confectas?
2° Gonstatne praefatum tumulum et quidem solum,
jacere in ipsissimo augusto loco in quo, teste Vita
Alberti antiquîssima « affectus Gleri magnus erga Albertum
- fecit » eumdem ibi deponi ubi « sepulti humeros atque
caput Nichasii (Martyrîs remensis) sacer lapis desuper
protegebat » ; tumbam vero anno MDGXII apertam,
epitaphio deleto, non sine aliqua dubitationé fossoribus
designatam esse?
3" Gonstatne nuper inventi défuncti aetatem, staturam
forsan, caput multipliciter quasi gladiis incisum, frontemque
enormiter obtritam et eflractam apprime congruere cum
historia S. Alberti; corpus autem Bruxellas translatum
neque signa .similis trucidationis (uno solum vulnere
apparente) neque'hotas aetatis nisi provectioris referre?
Datis responsionibus compertum est tum prioris, tum
posterions consilii consultores unanimiter tenere S. Alberti
Martyrîs veras reliquias in Choro Ecclesiae Metropolitanae
Remensis intactas permansisse, translatis olim Bruxellas
Odalrici illîus Archiepiscopi exuviis cujus memoriam
recolebat antiquum Martyrologium remense IV° nonàs
164 VIE DE SAINT ALBERT.
julii, hisce verbis : « Ipso die transitus venerandi Ëpiscopi
Odalrici, et Confessons ». .
Praedicta nos omnia probe noscentes et insuper considé-
rantes R. R. Ordinarium Mechliniensem rite praemonitum
et per Delegatos in duplici congregatione a Nobis instituta
repraesentatum, nullam sententiam contrariam edixisse,
immo per consultores a se missos quasi consensisse;
cum miracula nulla sive Bruxellis sive Remis rite decla-
rata rei ampliorem scrutationem requirunt,
Dei nomine invocato,.
Officie nostro episcopali ad normam canonisl283 fungen-
tes, per praesentes declaramus inventum et recognitum
esse die XXVI» septembris anni MCMXIX in Choro Eccle-
siae nostrae Metropolitanae ipsum sepulchrum et corpus
S. Alberti Lovaniensis, Oardinaiis tituli S. Grucis,
Ëpiscopi Leodiensis qui, ut refert Martyrologium Roma-
num X» Kalendas decembris « Remis pro ecclesiastica
libertate tuenda necatus est ».
Itaque pronuntiamus et sententiamus uti veras et
authenticas reliquias habenda esse et religiose colenda
ossa e praefato sepulchro levata et collecta quotquot
describuntur in libelle jussu et auctoritate nostra Remis
evulgato sub titulo « Les Reliques de S. Albert de ""
Louvain. — Rapport de la Commission instituée par
S. E. le Cardinal Luçon, Archevêque de Reims ».
Datum Remis, in Auditorio nostro àrchiepiscopali, sub
signo sigilloque nostro et subscriptione Gancellarii nostri,
die XVIII augusti anni MGMXXI.
{Sign.) Card. Luçon, Arch. Remensis.
De Mandata ,
J. Lecomte, cane.
iïPPENDICE B. 165
III
Lettre circulaire aux possesseurs de reliques
provenant du corps conservé à Bruxelles
Mechliniae, die 23 Augusti 1921.
De mandate Emi ac Rmi Dni Gardinalis Archiepiscapi
ad vestram noticiam perfero quod, habita consultatione
peritorum virerum, adstante et assentiente Illmo ac Rmo
Dno Legraive, episcopo Parnacensi, ad hoc ab Emo Dno
specialiter delegato, Emus ac Rmus Dnus Gardinalis .
Luçon, archiepiscopus Remensis, de(^yetum edidit cano-
nicum que constat corpus quoddam, seu potius cranium
et ossa, in ecclesia sua metropolitana, die 26 septembris
anno 1919, inventa et e terra levâta, habenda esse ut
veras et indubitatas reliquias Sancti Alberti quondam
cardinalis tituli Sanctae Crucis, Leodiensis episcopi,
ecclesiasticae libertatis martyris.
Unde patet reliquias hucusque, a saeculo XVII" ineunte,
Bruxellis asservatas, quarum etiam particulae variae
diversis ecclesiis fuerunt distributae, esse spurias seu
potius habendas esse ut exuviarum partes venerabilis
archiepiscopi Remensis, Odalricî, circa finem saeculi X"^
defuncti.
Emus ac Rmus Dnus rogat ergo omnes et singulos qui
reliquias aliquas dicti Odalrici apud se habent, ut eas
quam citius, minima interposita mora, ad cancellariam
archiepiscopalem transmittere velint, una cum litteris
authenticitatis super iisdem olim concessis, quas litteras
ut prorsus nuUas, abolitas ac cancellatas Emus Dnus
habendas esse decernit : exuviae enim venerabilis
archiepiscopi Odalrici restituendae sunt Emo ac Rmo
Archiepiscopo Remensî qui coTpus Sancti Alberti ad partes
nostras transmittendum bénigne concessit. Emus autem
Dnus possessoribus particularum corporis Odalrici veras
et authenticas Sancti Alberti reliquias destinari curabit.
Débita veneratione, subscribor
(s.) G. SCHUERMANS.
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TABLE DES MATIÈRES
AVA»T-PR0P09. ^j.
Chitiqdb des SoimcBS , xin
VIE DE SAINT ALBERT
Chapitre I. Les premières annëes. — Albert chanoine
écolier. — Il est créé chevalier. — Le cardinal-légat
d'Albano à Liège. — Albert redevient chanoine et
exerce les fonctions d'archidiacre i
Chapitre II. L'élection à l'évêché de Liège. — Le plaid
devant l'empereur à Worms. — Intrusion de Lothaira
de Hoschstaden à Liège. i5
Chapitre III. Le voyage à Rome. — Procès et confirma-
tion d'Albert à la cour pontificale. — Le pape Céles-
tin III l'ordonne diacre et le nomme cardinal. —
Retour »... 34
Chapitre IV. Visite à l'abbaye de Lobbes. — Albert y
apporte une mitre de la part du Pape. — Retour au
pays. — Premier exil en Ardennes 47
Chapitre V. L'ordination et la consécration épiscopale
à Reiras. — Tyrannie de l'empereur. — Le complot. 58
Chapitre VI. L'exil à Reims. — Arrivée des chevaliers
teutons. — Leurs préparatifs criminels. — Pénurie
d'Albert.. 65
Chapitre VII. Le meurtre. — Funérailles. — Faveurs
obtenues au tombeau / 9*
; ^î;.r ; : : - v: iviÇ^va':::^::;^ vf.;ïft>p
V
168 TABLE DES MATIERES.
Chapitbe VIII. Indignation des parents et amis d'Al- '
bert.. — Réprobation des meurtriers. — Représailles.
— Condamnation de Lothaire par le Pape 117
Chapitre IX. La sainteté du martyr reconnue par l'É-
glise. 129
APPENDICE A
I. Bulle du pape Paul V concédant la messe et l'office de
saint Albert i36
II. Acte de Mathias Hovius, archevêque de Malines; ins-
tituant la fête de saint Albert à Bruxelles i38
HISTOIRE DES RELIQUES
I. Reliques du pseudo-Albert i4o
II. Reliques du vrai saint Albert , i44
APPENDICE B
Procès-verbal de la 2« commission d'enquête. — Dé-
crejt du Cardinal Luçon de l'authenticité des reliques. —
Lettre circulaire du Cardinal Mercier aux. anciens pos-
sesseurs des reliques du pseudo- Albert iSg
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