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Full text of "Pour un jeune français"

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Clan9 



Pour un jeune Frangais 
1949 



Au moment ou sa liberte allait lui etre ravie, Charles Maurras donna mission a 
quelques-uns de ses amis de faire entendre sa voix, quand cela deviendrait 
necessaire. II leur remit en meme temps le texte de « POUR UN JEUNE 
FRANC AIS », image fidele de ce qu'avait ete son combat national et spirituel 
d'un demi-siecle. 

La recente remise au Garde des Sceaux du Memoire pour la revision du proces 
Maurras-Pujo, qui met a bas tout l'edifice de la condamnation prononcee par la 
Cour de Justice de Lyon, faisait une obligation aux depositaries de rappeler la 
verite sur I' Action Francaise et sur son chef. 

Certains developpements ont done ete completes, et ajoutees quelques 
indications sur des faits recents que Charles Maurras, emprisonne, n'etait pas en 
mesure d'apporter. 



ARGUMENT 



Ceci n'est pas un conte. Un jeune Frangais, lettre, serieux et curieux, s'est 
donne la peine de me poser des questions sur un temps dont je suis temoin. II 
mettait le doigt sur des points precis bien connus de moi, par exemple : 

- Que s'est-il passe en litterature frangaise par rapport a VAllemagne, au 
lendemain de 1870 et dans les premiers trente-cinq ans qui ont suivi ? 

- L' esprit a-t-il change brusquement dans le sens antigermanique ? A-t-on 
couru, sans transition, de V indifference au ressentiment national ? Barres a 
regrette de ne point parvenir a le demeler. 

- Y eut-il plutot un mouvement lent de reflexion politique ? 

- De foute fagon, le Traditionalisme et le Nationalisme n 'ont-ils pas resulte en 
partie de notre defaite d'il y a quatre-vingts ans ? Paul Bourget le pensait. 

- Ces mouvements de sensibilite et d 'imagination nationales n' ont-ils pas eu, 
dans leur formation, certaines apparences de tres vive soudainete ? D 'autre 
part, V influence de la defaite ne s'est-elle pas imprimee plus profondement sur 
V esprit de jeune s gens qui ne I'avaient pas vue ? 

- Fichte vous a beaucoup preoccupe. Sa reussite au lendemain d'lena parait 
vous avoir fait une grande impression. L'avez-vous lu tres jeune ? Ou les 
resultats qu'il a obtenus vous ont-ils paru encourageants ? 

- Vous avez bien connu Barres. A quoi attribuer chez lui celle haine vive et 
frequente de I'enseignement regu, en particulier du Kantisme ? Est-ce la 
reorganisation de I'enseignement apres 1870 qui en a ete la cause ? Mais 
pourquoi V opposition plutot que la soumission ? Ne pouvait-il y avoir 
acquisition, done profit ? 

- Et, d' autre part, d'ou est venue devolution de ce jeune anarchisant vers 
I'ordre traditionnel ? On s'explique mal cette transformation de Barres. Y a-t-il 
eu des raisons profondes ? Mais etaient-elles toutes personnelles ? Des 
influences exterieures auront-elles joue ? 



- Quoi qu'il en Jut, VAllemagne etait-elle pour vous un adversaire a abattre 
avant tout ? La reorganisation nationale vous paraissait-elle necessaire - en 
vue, precisement, d'atteindre ce but ? Et en abordant ce probleme, aviez-vous la 
sensation toujours presente que la France etait un pays vaincu ? 

Pas une de ces questions qui n'eveilldt dans ma memoire les reponses 
immediates qui pouvaient jaillir sans retard. Mais, je m'en apercevais, elles 
auraient ete trop courtes pour satisjaire le jeune esprit interrogant. Alors, 
j'entrais en explications qui voulaient a leur tour s'expliquer elles-memes, et 
toujours la plume a la main. 

C'est ainsi qu'on se met a la tete d'un livre. 

Et voila comment j'aifini par devoir adresser les deux cent cinquante pages, de 
cette epistole geante a I 'innocent jeune homme qui ne m'avait rienjait. 



MEMORIAL 
EN REPONSE A UN QUESTIONNAIRE 



Monsieur, 

Pour bien repondre a vos questions, le plus simple, sinon le plus court, est de 
vous conter notre histoire. Vous verrez naitre nos idees a leur place, en leur 
temps. Veuillez excuser longueurs et lenteurs. C'est un sac de charbon, 
puisse-t-il aider a la confection de votre diamant. 

Je n'ai pas suivi d'ordre synoptique et rectiligne ; il m'a fallu prendre, quitter, 
reprendre, plus d'un sujet. Mais c'est ainsi que les reponses demandees ne 
pourront manquer de clarte. 



CHAPITRE PREMIER 
LA DEFAITE DE 1870 ET LA POLITIQUE 



Les repercussions politiques de la defaite se sont traduites dans les attitudes 
successives de l'Etat francais. 

M. Thiers et l'Assemblee gouvernante avaient du s'imposer la discipline des 
vaincus pour liberer le territoire et payer la rancon. L'Assemblee etait 
protestataire de coeur. Elle adopta dans un certain « recueillement » les mesures 
de reorganisation militaire et financiere, elle vota la loi de recrutement et, au 
depart du vieux president, porta a 1' Ely see un Marechal de France. 

M. Thiers l'avait decue. Mais il avait decu tous les contemporains. Presque tous 
attendaient de lui autre chose. II avait renverse Charles X. On comptait qu'il 
retablirait Henri V et les Orleans reconcilies. Dans les audiences familieres qu'il 
accordait tout en faisant sa barbe, au directeur de la Gazette de France, le chef 
du pouvoir executif manquait rarement de s' eerier : - Monsieur Janicot, si vous 
ne rendez pas justice a I'homme politique, souvenez-vous de Vhistorien ! Je ne 
suis pas un ignorant, je sais VHistoire de mon pays. Qu'est-ce que la France 
sans le roi ? Un corps sans tete, evidemment. Mais prenez patience. Attendez 
que j'aie restaure le pays, que souillerent les armies ennemies et la guerre 
civile ! Voyez, je remets la maison en ordre, je nettoie, balaie, lave a grande 
eau, et, quand tout sera propre, en place, le parquet net et le lit fait, le Roi 
n'aura plus qua rentrer et a se coucher (1) . 

Que fdt-il arrive si l'Assemblee eut garde M. Thiers ! Aurait-il fini par faire, de 
bonne foi, le lit du roi ? Les savants coups de sape et de mine qu'il fit eclater 
sous les pas des princes quand il eut quitte le pouvoir etaient deja fort avances 
pendant qu'il le tenait encore. Les intrigues de M. Thiers, puissamment aidees 
par M. de Bismarck, firent done avorter le retablissement de la monarchic, mais 
non les autres restaurations nationales qu'inspirait le sens du malheur. 

Le relevement fut si prompt que M. de Bismarck en etait offusque des 1872. En 
1875 il revait d'y mettre obstacle materiel. L'Europe ne le permit pas. D'ou sa 
rage. 



1 (1) M. Gustave Janicot (1830-1910), directeur de la Gazette de France, nous a 
refait cent fois dans les memes termes son memorial de l'Assemblee de 1871 ; a 
Jacques Bainville, a Paul Bourget et a moi, ses collaborateurs. 



L'Assemblee nationale contenait une opposition formee d'un etrange parti, que 

Ton ne pouvait appeler cameleon, car son poil rouge ne changeait pas ; c'etait 

sous les memes denominations qu'il se pretait aux mues interieures les plus 

variees. 

En 1867, trois ans avant nos desastres, ce parti avait ecarte le rearmement que 

voulait le marechal Niel. Vous voulez faire de la France une caserne, lui criait 

Jules Favre. Prenez garde, repondait-il, de n 'en pas faire un cimetiere. 

Jules Simon disait : iln'y a pas d' armies sans esprit militaire, pretendez-vous ? 

Nous voulons une armee qui n'en soit pas une. Ce qui importe n'est pas le 

nombre de soldats, c 'est la cause qu 'Us ont a defendre. 

Jules Favre, a qui on parlait d' alliances, repondait : Nos veritables allies, ce 
sont les idees, c 'est la justice, c 'est la sagesse ; la nation la plus puissante est 
celle qui peut desarmer. Ces republicans ne craignaient pas le desarmement, 
pourvu qu'on fit appel aux grands souvenirs ; 

d'apres Garnier-Pages, la levee en masse de 1792 « nous avait conduit jadis a 
Berlin » (1806) sans prendre garde que le trajet avait dure quatorze bonnes 
annees d'exercice et d'entrainement. Ernest Picard deplorait que la loi du 
marechal Niel fut concue d'un point de vue militaire et non civil. 

Jules Simon revenait a la charge pour se vanter, lui et ses amis, de s'etre 
toujours mis en travers de toutes les mesures proposees pour arriver a des buts 
contraires a tous leurs desirs, a toutes leurs aspirations, a tous leurs principes ; 
le sage Thiers lui-meme n'etait pas emu de ce choeur de demences. « Qu'on se 
rassure ! enoncait-il, notre armee suffit pour arreter I'ennemi. Derriere elle, le 
pays aura le temps de respirer et d 'organiser tranquillement des reserves. Emile 
Ollivier concluait « Que la France desarme, et les Allemands sauront bien 
contraindre leur gouvernement a I'imiter » (2) . 

La France desarma, ou, ce qui revenait au meme, n'arma point, et les Allemands 
permirent de grand coeur a leur gouvernement de la battre. 

Seulement, la nouvelle de notre defaite a peine connue, le 3 septembre 1870, 
1' opposition republicaine triompha, s'organisa le lendemain en Gouvernement 
de la Defense nationale et dechaina Sa guerre a outrance, mais, apres s'etre fait 
battre a son tour, elle refusa sa signature aux humiliations d'une paix qu'elle 
avait pourtant aggravee. Cela lui donnait figure d'irreconciliable. Elle ne la 
garda pas longtemps. Un revirement nouveau se dessina. L' opposition 



2 (2) Ces textes ont ete cites et commentes dans le livre de notre ami mort pour la 
France Leon de Montesquiou : 1870, Les causes du desastre. Les memes textes 
viennent d'etre repris dans les Souvenirs d'un demi-siecle de Maxime du Camp. 
II n'est point d'histoire plus sure, car tout cela est pris litteralement dans les 
comptes rendus du Corps legislatifau Moniteur Officiel. 



republicaine revint a ses premieres amours. Elle se devoua a l'humanite plus 
qu'a la patrie. Un chef republicain, Grevy, avait explique a l'Alsacien Scheurer 
Kestner qu'il fallait faire son deuil de 1' Alsace (3) 3 . D'abord embarrasse de sa 
rhetorique heroique, Gambetta ne craignit plus le double jeu et s'entendit le 
mieux du monde avec deux agents de Bismarck, la Paiva et son mari Henckel de 
Donnersmarck. 

Bismarck avait pris position contre la Republique des ardents (ou la Commune), 
contre la Monarchic en regie (ou le comte de Chambord) et en faveur d'une 
Republique dissolvante qui fut telle qu'il la prevoyait (4) 4 . Le Reich aimait done 
cette Republique. La Republique allait aimer le Reich. C'est un point de depart 
qu'il ne faut pas oublier. 

Apres le 16 mai 1877, 1' opposition devint le Gouvernement. Grevy presida la 
republique des republicains. Gambetta en fut l'ame. II meurt. Ferry succede. La 
tendance politique pro-allemande s'accentue. On entreprend a Paris un 
Culturkampf qui converge a celui de Berlin. Personne chez nous ne veut se 
mefier de l'identite des tendances, beaucoup s'en rejouissent : c'est la guerre 
aux cures. Mais 1' opinion s'emeut, le sentiment s'offusque, lorsque Ferry invite 
a cesser de s'hypnotiser sur la ligne des Vosges (1884). On grogne, on gronde, 
personne n'est content. Les anticlericaux s'en inquietent comme les clericaux. 
Le mot d'ordre ainsi donne au pays legal se heurte aux reactions du pays reel, 
datant de la defaite, dont le ressentiment est loin d'etre apaise. La France n' avait 
reagi a ce degre, ni apres Trafalgar, qui lui ravit la maitrise de la mer, ni apres la 
Beresina, Leipzig et Waterloo, qui lui arracherent le continent : ces grands 
malheurs lui avaient paru compenses et comme anesthesies par sa gloire de 
lutter toute seule contre une coalition d'empires geants. 

Mais Sedan ! Mais Francfort ! Alors que le Grand Frederic ne s'etait jamais 
approche de notre frontiere, le roitelet prussien 1' avait crevee en quelques jours, 
il etait entre a Paris, seul, comme les Allies en 1814 et 1815. II s'etait fait 
couronner empereur a Versailles par ses principicules confederees. Ce fut une 
pointe de feu, elle avait enfonce et brule au coeur de la France. Non, a vrai dire, 
comme une incitation a la reflexion politique. La France d' alors n'imagina pas 



3 (3) Voir les Memoires de Scheurer Kestner. 

4 (4) Voir le proces d' Arnim. La preference de Bismarck pour une demi-anarchie 
democratique francaise est entree dans la tradition gouvernementale allemande. 
En 1940-44, les papiers d'Abetz, ambassadeur d'Hitler, invoquaient le saint nom 
de Bismarck pour expliquer comment ce representant officiel du nazisme a Paris 
appuyait nos partis de gauche en vue d'eliminer au plus tot le marechal Petain et 
son entourage de « nationalistes » et de « chauvins ». 



d'autres sanctions que la chute de Napoleon III et la quarantaine morale infligee 
a Emile Ollivier, puis, chez les plus belliqueux, le desir de battre les Allemands 
quelque jour prochain, chez les plus pacifiques le deuil des provinces, le desir de 
delivrer nos freres prisonniers de Strasbourg et de Metz. Un peu de honte se 
melait a cette douleur. Celle-ci, extremement vive. 

En haut done, les sages, les savants, les gardiens de la tradition politique, par 
exemple un due Albert de Broglie (5) 5 , professaient que le territoire francais ne 
serait jamais ni au complet ni en surete, tant qu'il ne redeviendrait pas contigu 
au Rhin, de la Suisse a la Sarre. A ces motifs de la raison d'Etat s'alliaient, chez 
beaucoup d'autres, l'honneur blesse, la justice offensee, la fraternite patriotique 
dechiree et saignante : vertus et sentiments plus populaires, mais tous ils 
fermentaient dans le me me sens. Quelle noble synthese ! Quel accord 
emouvant ! Ceux qui, comme Ferry, Grevy et peut-etre Thiers, avaient ete d'avis 
de tenir pour definitivement perdue cette Alsace de Louis XIV, qui etait devenue 
si vite « un brasier d' amour pour la France », ces faux sages ne se contentaient 
pas de calculer de travers ou de mal apprecier nos imperatifs d'histoire et de 
geographie, ils s'etaient impose la disgrace supplementary de se camper et de se 
retrancher du sensorium commune du pays, de la plus profonde et de la plus 
vivante de ses volontes generates. 

Pour venir a bout de cette force de sentiment, opiniatre et diffuse, energique et 
inorganisee, les orateurs republicans, comme Gambetta, avaient du biaiser et 
obliquer, puis fabriquer de subtiles combinaisons de pacifisme antimilitariste et 
d'optimisme juridique ardemment poetise. Le retour arme contre le conquerant 
de la veille etait amenuise, attenue, ou dissipe dans la brume oratoire d'une 
renaissance du « Droit », la chanson du vague « avenir qui n'est interdit a 
personne », la phrase inscrite sur le monument du Carrousel... Encore la chanson 
gardait-elle un accent de plainte, un air de menace, qui sous-entendait les plus 
males pensees ! 

II fallut bien du temps, beaucoup de patience, de managements, de detours, 
d'astuces et de ruses, pour chloroformer, sur quelques points, cette blessure de la 
France. On n'y reussit jamais pleinement, quelque veritable talent qu'y eussent 
depense les chefs de la democratic, peu disposes a assumer indefiniment un 
heritage moral tout aussi lourd a leurs epaules qu'a leur coeur. Y penser 
toujours, n'en parler jamais ? C'etait une habile formule. Le diable etait que, 
apres seize ans de ce silence force, la France ne cessait pas d'en parler. Le 
boulangisme sort de la : 1886. Le promoteur du boulangisme a ete un dissident 



(5) Le dernier bienfait de la monarchic, par le due Albert de Broglie. 



du gambettisme et du grevysme, le radical Clemenceau, le meme qui, en 1871, a 
Bordeaux, avait console Scheurer Kestner du pessimisme de Grevy (6) 6 . 

Tout ceci est connu. Ce qui Test moins, c'est la nuance d'amertume, la couleur 
du chagrin que nos desastres avaient laisse au plus vif de nos moeurs. II est 
materiellement impossible de compter un par un les reflexes individuels de ce 
ressentiment ou meme d'en etablir la moyenne exacte. Mais on peut essayer de 
recueillir ce qui emerge des temoignages survivants. Voici le mien. II semble 
d'autant plus probant que j'etais en plus bas age et plus eloigne des pays ou Ton 
s'etaitbattu. 



(6) Encore les Memoires de Scheurer Kestner. 



CHAPITRE SECOND 
LA DEFAITE VUE DE PROVENCE 



Maurice Barres avait huit ans quand il contracta sa premiere horreur des 
Prussiens. lis entraient dans sa petite ville vosgienne de Charmes, y prenaient 
leurs quartiers, etalaient leur ordre brutal. L'auteur de Colette Baudoche en 
parlait encore dans un de ses derniers livres, en rapportant les choses vues, 
souffertes et jugees par un enfant deja grandelet. 

Mon cas est autre. Les Prussiens ne sont venus dans ma Basse -Provence qu'en 
novembre 1942. Je n'avais connu les grands-peres de mes envahisseurs et 
occupants que d'apres des rumeurs lointaines. Ne en avril 1868, je venais 
d' avoir deux ans. L' invasion eveilla mes premieres images. Un seul souvenir lui 
fut anterieur parce qu'il date de mai 1870. Le bureau de mon pere (percepteur et 
receveur municipal d'un gros chef-lieu de canton) portait, epinglees a la 
muraille, les silhouettes de l'Empereur, de l'lmperatrice et du petit Prince. Au 
milieu de ce printemps, nous partimes, ma mere et moi, pour la campagne, a 
quelque quinze lieues de la. Fin aout, la visite hebdomadaire de mon pere nous 
annoncait les premiers malheurs ; 1' invasion des Prussiens commencait. Je 
demandai qui etaient ces Prussiens. Des mechants, des barbares coiffes de 
casques a pointe, me fut-il repondu. A ces mots, chaque soir, sur 1' horizon du 
sud, ou le vent balancait une file de peupliers et d'ifs sombres, je croyais voir 
venir la rangee de barbares aux casques pointus. Lendemain du 4 septembre, 
mon pere vint precipitamment nous chercher. En passant par Marseille on 
m'enveloppa d'un caban pour traverser la plaine Saint-Michel, mais par les 
fentes de l'etoffe je vis et entendis fort bien une populace houleuse. De retour a 
Martigues, le premier pas dans le bureau me fit une surprise ; 1' image des 
souverains avait disparu par ordre superieur. A cette nouveaute memorable, 
bientot d'autres succedent, en assez grand nombre. Sur le Cours, face a notre 
Quai, Ton fait la garde nationale. Le maniement d'armes est commande par mon 
parrain le professeur d'hydrographie, qui a un habit d'officier ; le clairon est 
notre jeune commis, Corneille, que j'appelle Toneo, faute d'articuler r et c durs. 
Chaque jour, mon pere revient de la Mairie porteur des mauvaises depeches. 
Alors, avec ma mere, ils se penchent, front contre front, sur 1' atlas brun que j'ai 
nomme le Livre des Pussiens. Ils suivent sur la carte les progres ennemis, ce qui 
ne va pas sans larmes. Elles m'etonnent et me troublent : des grandes personnes, 



pleurer ! Un long voile drape comme un crepe flotte sur ce coin de petite 
enfance, si gaie partout ailleurs ! 

Mes Bouches-du-Rhone sont separees des Vosges de Barres par une longue 
bande de departements. Nous nous classons a 1' opposite pour les contrarietes du 
climat et des moeurs. Or, en ceci les memes etats d'esprit se sont retrouves. Les 
pays de l'entre-deux n'ont pas du reagir tres differemment. Directe et indirecte, 
la blessure morale des populations si diverses a du etre pareille. Comme ici, 
comme la, la nouvelle generation a grandi dans un reve guerrier. Et les enfants 
qui ont suivi ont ete emportes du meme mouvement. Mon frere, puine de quatre 
ans, etait comme moi familier de cette guerre qu'il n'avait point vue et qu'il 
entendait bien revoir. Mais non pour y etre vaincu. Vainqueurs, vainqueurs, a la 
prochaine ! Nous voulions tous etre soldats. Pas plus haut qu'une botte, on 
reluquait Saint-Cyr, Navale, Poly technique. Deux gamins de cet age ne 
s'administraient pas une pile sans que le plus fort ou le plus fute dit a 1' autre : - 
Tu es le Prussien, moi le Frangais, et je te bats, pif ! paf ! Un chien galeux 
recevait tout naturellement le nom de Bismarck - ou de Badinguet (qui s' etait 
rendu a Bismarck). J'appelais Pussienne (Clara la Pussienne), une jeune bonne 
qui me contrariait, mais j'ecoutais avec extase 1' autre, Emilie, qui me chantait : 
Bismarck, si tu continues - de tous tes Prussiens, n 'en restera guere - Bismarck, 
si tu continues,- de tous tes Prussiens, n'en restera plus. Au premier Janvier, 
celui qui recevait un sabre de fer blanc et sa sabretache en carton dore se jurait 
de planter le drapeau francais sur les murs de Berlin... 

Je ne parle pas de families specifiquement militaires ; mais de moyenne 
bourgeoisie, avocats, medecins, notaires, fonctionnaires, proprietaries urbains et 
ruraux, gens a campagnes et a maisons, non a hotels et a chateaux, et cela 
s'etendait aux milieux contigus : commercants, artisans, paysans meme. Le pere 
de notre fermier avait eu le pied gele au passage de la Beresina ; lui-meme avait 
ete voltigeur a Toulouse : c'etaient des titres admires. Plus on y pensait, plus 
notre derniere defaite etait sentie comme une amere humiliation nationale et, 
plus amer encore, le souvenir des provinces violentees. 

Six ans plus tard, nous quittames Martigues pour Aix, ou se fit la rencontre 
emouvante d'Alsaciens et de Lorrains ayant opte pour la France. Des Messins 
furent nos voisins, et bientot nos amis, au second et au troisieme etage de la 
maison ou nous avions loue le premier. J'avais aussi pour professeur de 
huitieme, un abbe Jeannin, propre beau-frere du fameux abbe Wetterle, le 
protestataire alsacien, lequel allait aussi traverser notre college comme maitre 
d' etudes. Une veritable aureole couronnait ces premieres victimes de 1' invasion. 
On admirait leur double fidelite a la France et a leur pays prisonnier. A certains 
jours, il leur arrivait de tirer d'un coffret, enveloppes de soie, les petits 
morceaux, durs et noirs, du pain du siege, charges de souvenirs de famine et de 



bombardement : on croyait suivre les offices d'une religion. A l'eglise, a la 
chapelle, partout, la « Marseillaise des Jesuites » chantait : « Pitie, mon Dieu, 
c'est pour notre patrie... ». Le salut de Rome et de la France, I' Alsace et la 
Lorraine etaient reclames a cris egaux, des memes justices du ciel. 

Fin 1885, mes etudes secondaires bouclees, je vins a Paris et m'y fixai jusqu'en 
1940. Paris est un endroit ou toutes nos provinces sont representees. Ce laps 
d'un demi-siecle m'en a fait rechercher et frequenter les echantillons varies, 
ceux du Midi pour leur nostalgie du soleil, ceux de l'Ouest pour la ferveur de 
leur fidelite a nos traditions politiques, mais, peut-etre de preference a tous les 
autres, ceux de l'Est, ceux-de la frontiere mutilee, Barres, les freres Buffet, le 
general Mercier, le commandant Picot, le commandant Biot, beaucoup d' autres 
dont le nom ne dirait rien ici. Entre tous nos concitoyens, ils personnifiaient mes 
instincts d'irredentisme rhenan que penetra peu a peu, pour mes amis et moi, la 
volonte d'un risorgimento francais. 

Comment ? Telle est bien, sauf erreur, la substance de vos questions. 



CHAPITRE TROISIEME 
LES DEUX FRANCES 



1 . Fidelite. 

Un chroniqueur, poete et romancier presque oublie, alors ecrivain et mondain 
tres en vue, Robert de Bonnieres, n'avait rien exagere lorsque, en parlant du 
premier tiers de la Hie Republique, il disait que Videe de la Revanche avait ete 
une veritable reine de France. 

Le mot m'est souvent attribute (7) 7 , je l'ai beaucoup cite avec la volonte 
constante d'y mettre le nom de l'auteur ou, pour aller plus vite, des guillemets, 
les ai-je parfois oublies ? Sans intention et par meprise, avec le sentiment d'une 
allusion a un auteur ressasse. Bonnieres doit etre solennellement remis en 
possession de son bien. Son ingenieuse formule etait tout a fait juste. Nous 
etions divises sur tout : la revanche nous unissait un peu a la maniere du rex 
noster Maria Theresa. Mais il faut la laisser a sa place d'histoire, qui ne doit pas 
beaucoup depasser les environs de 1890. Jusque-la, l'idee des pays annexes etait 
la cle de voute etincelante de toute politique, son critere, sa loi, le vivant 
synonyme du vrai salut public. 

Pour etre tout a fait exact, je dois un aveu ici. Mes tous premiers trimestres de 
Paris furent tiedes et presque infideles a cette religion du souvenir 
alsacien-lorrain. Le loyalisme national fut obnubile par d'autres passions. Je 
connus un vif acces de litteraturite et surtout de philosophite. Quand le 
boulangisme fit son eruption, ces deux fievres me devoraient, je ne faisais que 
rimer ou bombyciner sur les causes premieres et secondes ; la question de 
savoir s'il existait des jugements synthetiques a priori ou le merite des poemes 
de MM. Stephane Mallarme et Rene Ghil me semblaient devoir l'emporter sur 
toutes les autres reveries de l'humanite. Cette ataraxie dura peu. La rumeur des 



7 (7) Cette erreur est d'ecrivains qui se trompent peu : M. Daniel Halevy, dans 
La Fin des Notables et La Republique des Dues ; M. Michel Dacier dans le 
Passage du Rhin aux Ecrits de Paris. Les deux ouvrages de M. Daniel Halevy 
sont a ranger sur le meme rayon que les livres de Bainville et de Daudet pour les 
lumieres qu'ils fournissent sur les rapports de l'Allemagne et de la Hie 
Republique. 



partis patriotes et leurs polemiques remordirent bientot sur mes passe-temps 
ideaux. Devenu majeur en 1889, je ne manquai pas de voter. Mon premier 
bulletin depose dans une urne du Ve arrondissement de Paris fut pour le 
candidat du general Revanche, bien que juif et nomme Naquet. Par dela les 
etudes et les gouts de ma vie personnelle, mon demon m'astreignait deja a 
demeler ce qu'il y avait de commun entre les Francais. 

Leur « inconscient » disait Barres, se soulevait deja « en magnifique etat ». Le 
conscient ne manquait pas non plus. Les credits militaires etaient votes 
d' extreme droite en extreme gauche, a l'unanimite. Tous les partis se 
declassaient au benefice de la nation. On redisait volontiers avec Deroulede que 
« republicans , bonapartistes, royalistes n 'etaient que des prenoms, Frangais 
etait leur nom de famille a tous ». Comme il arrivait au prenom de rester 
imperieux, on venait a l'idee d'un parti national, idee assez contradictoire : le 
« parti » du « tout » ! N'importe, l'idee courait meme au pole antiboulangiste, 
ou Ton avait aussi un general sous la main, Saussier, gouverneur de Paris. Le 
plus distingue des journaux opposes a Boulanger etait celui que dirigeait un M. 
Jules Brisson (qu'il ne faut pas confondre avec Henri Brisson, qui presida des 
Chambres et des Cabinets, mais le pere d'Adolphe Brisson, beau-pere de la 
cousine Yvonne, des Annates Litteraires), ce journal s'appelait le Parti national. 
Deux courants etaient a peu pres egaux a ce moment la : l'horreur de la 
germanomanie imputee au seul Ferry, le voeu d'une communion generate des 
Francais. Ce ne fut qu'un moment, mais qui se sentit, se connut, se parla, se 
chanta, le moment des Piou-pious d'Auvergne et d'En revenant de la revue puis, 
apres l'hegire a Bruxelles du general amoureux, encore le moment des hymnes 
d'espoir obstines : 

// reviendra 

Quand le tambour battra... 

Toute opinion et toute objection etaient decisives si elles se fondaient sur 
l'interet de la Revanche. Exemples : pour ajourner aux Calendes une reforme 
aussi urgente que la decentralisation et le retour aux provinces naturelles, - 
attendez, disait-on, que Metz et Strasbourg soient reprises, et Ton ne 
reflechissait meme pas que notre Empire centralise avait ete battu par la 
Confederation des princes allemands. De meme, pour moderer des coloniaux 
trop presses rien n' etait tel que d'invoquer la necessite de nous relever d'abord 
en Europe continentale. Enfin, pour qui voulait trancher du bel esprit, la recette 
infaillible etait de jouer 1' indifference au conflit franco-allemand. Ce n'est pas 
autrement qu'il faut lire le Joujou patriotisme de Remy de Gourmont qui disait 
en substance : « Pour reprendre 1' Alsace-Lorraine, je ne donnerais pas le petit 
doigt de ma main droite parce qu'il la soutient quand j'ecris, ni le petit doigt de 
la gauche parce qu'il me sert a rabattre la cendre de ma cigarette... » Voila qui 



vous signait un brevet d'independance intellectuelle, superieur a tous les 
niveaux francais. II n'etait pas de plus stir moyen de se distinguer du commun. 
Mais, petits et grands, peuple et elite, Paris et provinces, meme les mouvements 
du monde electoral tournaient au meme plebiscite, et la police de Paris aurait 
ouvert 1' Ely see a l'elu du jour s'il en avait pris le chemin dans la nuit du 27 
Janvier 1889 : le tricolore emportait tout, avec cette particularite que le rouge y 
faisait sa partie populaire aussi haut que les autres couleurs. Sait-on qui etaient 
alors les meilleurs serviteurs des images de la Patrie ? Sans mentir, nos 
instituteurs : la vraie Reine de France n'eut pas d'hierodules plus passionnes. 



2. D 'une France infidele ? 

Mais la se marque une coupure. Ou a peu pres. On se mettait a detecter 
d' obscures forces nouvelles. D' autres causes avaient joue. Et tout d'abord, le 
boulangisme etant vaincu par la faute de son chef, les sentiments qu'il avait 
exprimes n' avaient pas besoin de mollir eux-memes pour en essuyer une eclipse. 
De plus, la loi militaire de 1889, ayant aboli le volontariat d'un an et soumis les 
jeunes bourgeois a la regie egalitaire de la caserne, mecontentait un nombreux 
public. Jusque-la, les pamphlets contre l'armee etaient rares et faisaient 
scandale, comme Curieuse de Peladan ou Le Cavalier Miserey d' Abel Hermant. 
A partir de 1890, ce fut un feu roulant, et leur succes ne cessa plus (8) 8 . Au 
meme temps, la politique coloniale obtenait ses premiers grands resultats en 
Afrique noire : Madagascar allait etre annexee, le jeune Lyautey etait parti pour 
le Tonkin, las de la vie de garnison, comme beaucoup d'officiers de son age, et 
l'exotisme commencait a developper des poles attractifs inedits. Aussi simpliste 
que le Demos d'Athenes prie de regarder en meme temps Phalere et le Piree, le 
notre se plaignait d' avoir a loucher entre Londres et Berlin. L' alliance russe 
enorgueillit, mais rassura, puis endormit, enfin elle decida notre Quai d'Orsay 
a incliner vers l'Allemagne : la rencontre de Kiel en 1895 nous fit prendre 
position contre le colonialisme anglais et nous fumes conduits, par le Congo, 
vers le Nil, a Fachoda (1896-1898). Le jeune ministre qui avait tire ce « coup de 
pistolet contre VAngleterre » etait un ancien collaborateur de Jules Ferry, 
Gabriel Hanotaux. Mais le sous -secretaire d'Etat qui avait plante les premiers 
jalons de la mission Marchand avait ete, en 1894, Theophile Delcasse, ancien 
gambettiste, ancien redacteur a la Republique frangaise : le meme qui devait 
plus tard renverser le mouvement avait done debute par un acte d'hostilite a la 
Reine de France dont le regne touchait a sa fin, s'il n'etait deja termine. 



8 (8). Les freres Tharaud marquent a la meme date le revirement spirituel du 
monde des instituteurs primaires. 



En meme temps, il se forgeait un puissant accelerateur de cette volonte d'oubli 
national : la propagande marxiste, nee allemande et juive, amie exaltee de 
l'Allemagne. Elle envahit en quelques annees nos ecoles normales de 
departement et seduisit, par dizaines de milliers, nos maitres primaires. Les 
intellectuels aux mains blanches qui travaillaient le monde ouvrier le penetrerent 
vite de deux fausses lecons : 

a) Que les travailleurs proletaries n'ont point de patrie, les possedants, les riches 
ayant seuls interet a la defense nationale et b) Que l'avenir appartenait a 1' union 
des travailleurs de tous les pays. L'avenir devait nous apporter deux certitudes 
contraires. De tous les pays du monde la France a ete le seul dont la classe 
ouvriere ait ete ainsi nourrie de la haine de sa patrie ; les socialistes 
d'Allemagne, d'Autriche, d'Angleterre, d'ltalie, ont tous ete violemment 
nationaux et nous l'ont bien montre quand il s'est agi de nous envahir. Puis les 
deux invasions que nous avons subies ont montre que les pauvres diables en ont 
ete les tout premieres victimes : n' ayant que leur travail, l'ennemi vainqueur les 
reduisit a un veritable esclavage ; au lieu que le capitaliste trouvait toujours 
moyen de se debrouiller ou d'emigrer, eux ecopaient au maximum des qu'ils 
perdaient la protection de cette armee qu'ils etaient instruits a hair, dresses a 
insulter. Toute guerre perdue fait necessairement son principal souffre-douleur 
de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre. C'est une vieille verite. 
Quelques camarades et moi, nous etions presque seuls a nous la rappeler vers 
1895. La rhetorique socialiste la conspuait a tous coins de rue. 

La conscience nationale perdit alors de sa clarte. Elle cedait a des attractions 
ennemies de plus en plus confuses. 

Tout homme de mon age a vu ou entendu se croiser dans un air aigri les themes 
de 1' expansion coloniale et celui du recueillement metropolitan!, l'armement, le 
desarmement, 1' Internationale, la Nation. Peu a peu Ton affecta, en certains 
lieux, de donner a entendre que le debat etait entre le coeur et la raison. Le 
patriotisme etait un sentiment pur et droit, mais naif ; l'humanitarisme, allie de 
l'Allemagne, faisait figure de pensee reflechie, vraie Pallas cerebrale contre 
cette ignorantine de Jeanne d'Arc ! Souvent, des lors, pour se tenir accroche au 
parti de la France, un esprit cultive devait avoir le coeur de prononcer comme La 
Bruyere : « Je suis peuple. » 

On n'attendait pas qu'il le dit. Le patriote etait refoule dans le « peuple » au nom 
d'une autorite indeterminee, qui s'accroissait beaucoup depuis vingt ans, en 
particulier aux recentes annees. Mais quelle autorite ? II fallut se le demander. 



3. L'Oligarchie. 



II s'etait eleve une Oligarchic Depuis que la conquete du Senat lui permettait de 
regner sans partage, le parti que nous avons vu pacifiste et antimilitariste en 
1867, patriote exaspere en 1870, international et germanophile en 1877, ce parti 
republicain opportuno-radical avait prevalu par les ressorts courants de l'enchere 
electorate, la propagande des coteries et des sectes, Taction corruptrice de la 
fortune anonyme et vagabonde, mais Ton s'apercevait aussi qu'il se fondait 
principalement sur 1' existence d'une minorite organisee de venue la maitresse 
des postes-cles politiques et sociaux. Le caractere original de cette Oligarchic 
tenait a ce que ses membres les plus representatifs et les plus influents etaient de 
droles de Francais. 

Les uns etaient naturalises de tres fraiche date, comme le pere de Gambetta venu 
de Genes, comme Steeg et Spuller, venus l'un de Prusse, 1' autre de Bade, 
comme le ministre et ambassadeur Waddington d'origine anglo-saxonne ; on ne 
comptait plus ces meteques dans les etats-majors civils et les cabinets 
ministeriels. 

Les autres appartenaient a des groupes speciaux, singuliers, retrenches par 
d'anciennes dissidences historiques et religieuses qui les avaient rendus 
etrangers ou hostiles aux moeurs du reste du pays, juifs, protestants, magons, 
naturellement syndiques avec ces meteques. Leur condition commune, etant 
l'etrangete, aurait du etre le contraire de la preseance : dans un pays normal, ils 
etaient aussi peu designes que possible comme chefs, leur lot semblait de suivre 
plutot que de mener, et la stricte egalite aurait ete pour eux la mesure d'une 
faveur. Or, ils ouvraient la marche, ils tenaient la tete de tout et, justement, en 
tant que differents, allogenes physiques, allogenes moraux : ce qui les mettait a 
part du pays reel etait ce qui les constituait en gouvernement. M. Henri Brisson 
1' avait reconnu en les intitulant Vossature de la Republique. Leurs quatre Etats 
confederes (comme je les avais appeles) composaient, disait-il encore, Tame du 
vieux parti republicain, sorte de famille des families regnantes, collection de 
petites dynasties que nous superposait et que nous preferait constamment une 
jurisprudence d'abord secrete, graduellement avouee. 

Pour une minorite, e'en etait une, quant a nos quarante millions d'ames ! Dans 
ses projets d'aristocratie nationale, Fustel evaluait a un minimum de cinq 
millions de membres 1' elite dirigeante d'une veritable Republique francaise. Or 
il y a ici cent mille juifs (et plutot moins), six cent mille protestants (9) 9 , 
cinquante mille macons, autant ou un peu plus de meteques (ou d'aubains, 
comme disaient nos peres), cela ne va pas au million en tout. Mais pour la 
plupart installes en des proportions scandaleuses dans les professions liberales, 



9 (9) Beaucoup de protestants ne font pas partie de 1' armature de la Republique. 
Ceux qui en sont, comme leur grande majorite, en sont bien. 



(medecine, basoche, Universite, bureaux, administration centrale) ils se trouvent 
ainsi sur la voie de tous les succes et de tous les profits, en etat de drainer 
1' argent et le credit, 1' influence et l'autorite. Ces puissants sont surtout des 
beneficiers, leur autorite tient du parasitisme. 

Beaucoup arrivent de tres loin. On voit la procession de ces juifs etrangers 
s'allonger de l'Europe centrale au centre de Paris ou de quelques grandes villes, 
interminable fourmiliere de petits tailleurs, brocanteurs, casquetiers, fourreurs, 
courtiers, boursicottiers, agents d'affaires, rares dans les metiers de force, jamais 
paysans, et qui, sans apporter au pays anemie ni des muscles solides ni un sang 
genereux, imposaient a son systeme nerveux un apport discutable et souvent 
maladif. Ils arrivent, vivent, gagnent, prosperent, intermediaries et non 
producteurs, font fortune par des moyens obscurs, souvent suspects, s'etablissent 
chacun dans un coin non sans s'appliquer a se sentir les coudes de mieux en 
mieux. Ils parlent a peine francais. Leurs fils et filles qui l'ecrivent sans faute 
sont envoyes aux lycees et aux facultes ; ils comptent de plus en plus, 
moyennant leur loisir, leur argent de poche et leur esprit de solidarite, a l'Ecole 
de Droit, a l'Ecole Normale, dans les autres ecoles preparatories. Ces fils de 
vagabonds peuplent ainsi les etudes, les cabinets, les chaires, sans oublier la 
Librairie, pour ne rien dire de la Bourse. C'est l'epoque ou la moyenne et la 
petite bourgeoisie francaise fut traitee si severement, a la lettre ruinee et 
proletarisee, par le fisc et par la finance louche de la troisieme Republique. Entre 
cette juiverie et les vieux Francais, le desequilibre est de plus en plus fort, mais 
les affinites sont grandes entre la franc -maconnerie et elle, et aussi, a quelque 
degre, le monde huguenot. II y a concert naturel, accord latent et spontane pour 
leur entente a tous sur notre dos, specialement dans l'Etat (10) 10 . Les progres 
reguliers de ces « couches » vraiment « nouvelles » font deduire, a coup sur, que 
dans un nombre calculable d'annees, seront acquises ou conquises, toutes les 
hauteurs directrices de la societe francaise. Chaque nouveau venu aura dans sa 
serviette ou dans sa valise crasseuse quelque baton de commandement politique 
ou social, si ce n'est pas encore le grand Cordon de la Legion d'honneur : les 
juifs ont presque tout tenu, sieges parlementaires et gouvernementaux, toutes les 
presidences, sauf une... Ou ne monteront-ils ? 

Cependant, ces coteries si bien outillees, placees et avancees en vue de 
s'approprier tous les monopoles du materiel et de 1' influence demeurent des 
legions d'envahisseurs assez bigarees ; mais elle ont ce point de commun, de 
bien echapper a la tradition de nos moeurs, et c'est par la qu'elles agissent le 
plus fortement, et d' ensemble, sur la communaute preexistante, de maniere a la 



10 (10) « II existe une entente naturelle entre le regime republicain et le culte 
protestant, car Vun et V autre reposent sur le libre examen. » ; reponse de 
Waldeck-Rousseau au pasteur de Saint-Etienne, le 12 Janvier 1902. 



modifier contre elle-meme, a la rendre de plus en plus differente de soi, et, 
souvent, par un biais, de plus en plus ressemblante a ce monde allemand qui est 
le veritable centre de la clientele yiddisch sur les marches slavo-germaniques. 

Au debut de 1' autre guerre, les masses russes enrolees dans la coalition 
occidentale admiraient qu'on les conviat a lutter contre la barbarie allemande, 
tout ce qu'elles avaient de civilise leur etant toujours venu d'Allemagne. Ainsi 
nos Juifs meteques. La plupart d'entre eux avaient recu un premier vernis de 
culture allemande. lis y etaient fideles et comprenaient mal, ou point du tout, la 
reaction de nos heredites francaises. Peu a peu, les leurs s'imposaient ou 
tendaient a le faire, par Taction reunie du nombre, de la position et de la 
conquete. Une conquete aussi rapide devait donner a ces etrangers une tres haute 
idee de leurs capacites et de leur merite. II s'en suivait un mepris secret, profond 
et insistant de ce qui n'etait que Francais. Cette ecume posa a l'elite. A l'elite 
intellectuelle ! Notre plebe francaise n'avait plus qu'un devoir : les prendre en 
modeles. 

- Papa, est-il vrai que pour etre intelligent, il faut etre de leur parti ? 
demandaient a leur pere des adolescents retour du lycee (ll) 11 . 

- Monsieur, me disait une dame juive, il n'y a que des juifs pour fonder des 
journaux. Les deux mots sont du me me temps. 

Un demi-siecle a couru. La conquete a gagne encore. Ses premiers eclats, trop 
voyants, s'etaient heurtes a des oppositions sourdes ou vives. L' usurpation, ainsi 
contenue, se continua, au prix de quelques arrets limites. Israel subit dans le 
monde parisien l'echec que decrit la chronique de Marcel Proust. Mais nul 
obstacle n'y ayant ete fait dans l'ordre des institutions et des lois (au contraire), 
les effets de cette penetration territoriale et de cette ascension sociale se multi- 
plierent a tous les echelons de 1' extreme desordre francais que 1' Oligarchic 
maintenait de plus en plus fermement. Les Juifs et les Meteques arrives de la 
veille preparaient l'arrivage du lendemain. Protestants et macons assuraient une 
arriere-garde protectrice, maitresse de la Loi, qui veillait a l'exercice du Droit de 
l'homme universel et a 1' observance des stricts Devoirs de la Nation 
hospitaliere, qu'il s'agit de fouler et de liquider. 

Apres l'interregne dit de Vichy, 1' Oligarchic ecartee pendant quatre ans a pris 
une consistance nouvelle, par la communaute reconnue et verifiee de la chair des 
quatre Etats confederes. Leur quatrieme Republique n'a pas vu se former un seul 



11 (11) C'est a 1' admirable Auguste Longnon, l'historien de l'unite francaise, que 
cette question juvenile fut posee vers 1900. II eut la bonte de venir me la repeter 
toute chaude. 



cabinet qui ne comptat plusieurs Juifs. Les hauteurs de la Presse, du Barreau, de 
1' Industrie, du Commerce, de la Medecine en sont plus engorgees qu'elles ne 
l'ont jamais ete. Les deux precedes que notre lointaine jeunesse depista, dans 
des cas determines, sinon rares, sont devenus courants et d'un rendement sans 
limite. lis s'appellent : l'entr'aide, ou courte echelle, et le barrage. L'un pour les 
amis, 1' autre pour les ennemis. 

Le Juif s' applique a soutenir et a Mler le Juif. Chaque Francais est seul, cent 
Juifs sont federes contre lui en silence, presque sans le vouloir, par ce seul effet 
qu'ils sont juifs. L' echelle est appliquee sur toutes les facades, derriere toutes les 
murailles, et, s'il s'agit de fonction d'Etat, cent mains sont tendues par et pour 
une cooptation irresistible, d'autant plus importante et productive que l'etatisme 
francais s'est lui-meme plus etendu. 

J'ai vu, un jour, de mes yeux vu, en pays juif, un acte de candidature au Conseil 
d'Etat, devant le vice-president de cette haute assemblee, un protestant, M. 
Coulon, parent ou allie de Camille Pelletan, depute de Martigues, mon depute. 
Le candidat etait un jeune Juif, ne a Aix-la-Chapelle en 1870. II s'appelait 
Grunebaum Ballin. Je le vois encore, presente comme il faut, accueilli de me me, 
ayant re$u je ne sais quelles assurances, et se frottant les mains. Je l'entends (il 
parlait tres haut) qui repetait : V affaire est dans le sac ! Ce futur auditeur au 
Conseil d'Etat sera dix ans plus tard le collaborateur de Briand pour la 
separation de l'Eglise et de l'Etat. II redigera pour lui un rapport fameux par le 
nombre et la force de ses bevues d'histoire. Plus tard encore, au sixieme mois de 
1' autre guerre, declaree par l'Allemagne a la France, ce Juif rhenan etait devenu 
conseiller de prefecture, president ou vice-president de ce conseil, et les Francais 
passaient leur conseil de revision devant lui ; etant de la derniere classe, j'eus 
l'honneur d'oter ma chemise devant ce meteque. Mon culte de 1' Union sacree 
me fit reprimer l'envie de faire un scandale. Tout de meme, ce Grunebaum etait 
le bon cousin des gens qui tuaient mes concitoyens. Ce ne fut pas son dernier 
exploit. Les journaux du printemps 1949 parlaient d'une « affaire » d' 
« Habitations a Bon Marche » a laquelle etait mele un certain Grunebaum 
Ballin, president honoraire de section au Conseil d'Etat, nomme administrateur 
delegue de l'Office departemental en 1943, sa qualite d'Allemand-ne l'ayant 
emporte sur son titre juif : en pleine occupation ! 

Voila pour l'entr'aide meteque et juive. Venons au barrage antifrancais. 

Nous sommes a Bordeaux, aux grands jours de 1' affaire Dreyfus. On enterre un 
professeur de la ville, adepte du parti. Au cimetiere, le recteur de l'Academie ou 
celui qui parle pour lui, M. Paul Stapfer, en profite pour se repandre en violentes 
recriminations antimilitaristes. L' assemblee de Francais murmure. M. Stapfer 
insiste et redouble. Un cri s'eleve : Respect a Varmee ! C'est un jeune 



professeur que ses etudes de physique mathematique et ses travaux sur l'histoire 
des sciences ont mis hors de pair, Pierre Duhem. La revolution dreyfusienne 
n'est qu'a la moitie de sa course, elle n'a pas encore vaincu. Les insultes a 
l'armee de M. Stapfer sont l'objet d'un blame benin, qui fait beaucoup crier. La 
vaillance du jeune collegue patriote ne lui vaut ni eloge ni merci, il n'en 
demande pas. Puis, les choses tournent. Jerusalem et Cosmopolis l'emportent 
sur l'armee francaise. M. Paul Stapfer recoit tous les dedommagements qu'il 
peut souhaiter. Le dossier de Pierre Duhem est annote au crayon rouge, la 
marque le suivra jusqu'au terme de sa carriere : pendant les vingt ans qui vont 
courir, tous les plus beaux services rendus a 1' esprit francais et a la raison 
universelle seront comptes pour rien a Pierre Duhem. Pierre Duhem professait a 
Bordeaux en 1897, Pierre Duhem mourra en 1918 dans la meme peau d'un 
professeur de province, sans avoir obtenu licencia docendi en Sorbonne. Des 
gouvernements tres divers se sont inutilement succede, l'armee que Pierre 
Duhem a defendu dans les mauvais jours a pris une revanche victorieuse ; 
l'homme eminent qui n'a pas son pareil au monde dans sa partie n'a pas arrete 
de subir les effets de la cote d' amour que lui ont infligee les bas-fonds de la 
bureaucratie universitaire, sure alliee de 1' Oligarchic Duhem a continue 
d'expier son patriotisme contre toutes les convenances de la justice et les 
imperatifs de la gloire. La moitie de son oeuvre est encore inedite. II faut qu'il 
expie dans la mort. Et a bon droit. Et c'est bien fait. II avait blaspheme, il avait 
dit, ce Duhem : Respect a I 'armee, et a qui avait-il oppose ce « blaspheme » ? A 
l'auteur d'un livre a la verite ridicule, Bossuet et Adolphe Monod, mais qui etait 
ce Paul Stapfer,qui, son geniteur etranger s' appelant Stappfer, avait eu la bonte 
d'immoler son second p sur l'autel de sa patrie nouvelle ! Pierre Duhem s'en 
etait pris a la nouvelle reine de France, a 1' Oligarchic souveraine qui avait ete 
assez forte pour deposseder l'idee de la revanche pendant un age d'homme : 
1890-1912. Comment, Pierre Duhem eut-il ete pardonne par l'occulte pouvoir 
qui tenait a garder les moyens de se faire craindre ? 

II ne s'agit point la d'un accident, d'une exception, ni d'une outrance, mais bel 
et bien d'une regie, non encore promulguee a I'Officiel, mais regie de barrage 
vital. On lit dans une curieuse lettre de Denys Cochin a Maurice Barres, 19 
septembre 1919, un an apres la mort de Pierre Duhem : 

« J'ai vu M. Biehler, docteur es sciences mathematique s, agrege, mais frere 
mariste, mourant de chagrin d' avoir a quitter sa classe ! Et notre confrere ( de 
I'Institut) Croiset refusant V entree du concours d'agregation a de jeune s pretres 
au dernier moment, apres des annees de travail. Et le Pere Scheil, ecarte du 
College de France, malgre tout le College de France ! » (12) . 



(12) Cahiers de Barres, Xlle appendice, page 322. 



Ces dernieres exclusions etaient, il est vrai, publiques. Une loi, que Ton avouait, 
en acceptait le deshonneur. Calculez tout ce que put oser un obscur arbitraire 
administratif sous 1' impudent vocabulaire de la Liberte. 

Comme cela ne pouvait se faire dans 1' ignorance absolue du public, ni sans 
quelque consentement de 1' opinion, un detour ingenieux avait ete pris pour 
masquer cette exheredation totale d'un peuple : la partie la plus ancienne, la plus 
profonde et la plus nombreuse du peuple francais s'etait vu decerner un diplome 
de degradation mentale et morale en raison de sa foi catholique. L'un des 
meneurs ou des agents les plus independants de 1' Oligarchic, Clemenceau, avait 
complete 1' operation en decochant a ces Francais depossedes la qualification de 
Romains, comme adherents spirituels du pape de Rome : il oubliait sa qualite 
personnelle de client politique, moral et religieux, de l'Amerique et de 
l'Angleterre. 

Quelques centaines de milliers de citoyens etrangers a nos moeurs, souvent a 
notre culture, relies entre eux par la plus etroite des Congregations, ne formant 
meme pas la majorite de nos classes moyennes, repoussaient et refoulaient bien 
loin des leviers de commande des dizaines de millions d'aborigenes instruits, 
eduques, honnetes, respectes. Ces etrangers domicilies ne prenaient plus la peine 
de dire que la Maison ou la Terre etait a eux, ils s'y carraient en maitres et en 
chefs a la faveur de ces dissensions religieuses qui masquaient essentiellement 
1' invasion, le partage et la forclusion. Cette Oligarchic anglo-germanique de 
coeur, parfois de sang, merita d'etre appelee par Jules Guesde le pire des 
gouvernements parce qu'elle bernait le proletariat. 

L'honnete Jules Guesde avait fini par eclater au Congres international 
d' Amsterdam d'aout 1904. En d'autres secteurs du pays, le meme eclat couvait 
depuis une vingtaine d'annees. Lentement. Peniblement. Des 1886, la France 
juive et les autres livres de Drumont avaient chemine dans la meme direction. Le 
20 avril 1892, avait paru le premier numero de sa Libre parole dont la manchette 
portait, comme un grand trait de lumiere, cette devise : La France aux Frangais. 
On vit ce qui se cachait. On nomma ce que Ton taisait. Les langues deliees 
eurent un ton plus fier. Mais ce langage debride ne pouvait etre encore que le 
partage d'etroites elites. II restait extremement difficile de faire comprendre a 
l'electeur-roi quelles places de surete innombrables s'etait arrogees l'Oligarchie. 
Ses fonctionnaires, ses magistrats, ses legislateurs, ses administrateurs gardaient 
les plus grands pouvoirs de tromper le pays et de rendormir. La politique 
generate des maitres du jour nous avait enleve nos defenses interieures et nos 
reactions naturelles contre le Reich bismarcko-wilhelminien, sans nous garantir 
le moins du monde aucune paix avec l'Allemagne. A cette date l'envahisseur du 
Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle s'etait assure peu a peu, sans bruler 
une amorce, l'annexion d'importants districts du tres libre esprit parisien. 



Mais la conscience nationale que Ton avait vu palir, reprenait alors des couleurs. 
Elle en devenait ombrageuse, inquiete, violente, en cherchant a comprendre, 
sans y parvenir, ce conflit de l'Etat et de la Nation qui paraissait impossible en 
un pays de constitution republicaine s'exprimant par des votes a la majorite : 
comment y existait-il, selon le.mot de Paul Bourget, une plus profonde France 
qui ne pouvait se faire ecouter ni meme entendre ? Comment les agents d'une 
minorite nominale, hostiles a l'interet et au sentiment publics, pouvaient-ils etre 
des dominateurs effectifs, eux veritables affilies d'un Etranger qui pouvait etre 
l'Ennemi ? Ces paradoxes etaient d'autant plus scandaleux que Ton etait moins 
informe des ressorts coutumiers du regime electif. L' illusion ne se dissipa qu'en 
analysant les rapports des votes, des lois, des decrets avec les realties dont ils ne 
sont que des signes plus ou moins deloyaux. Avant d'etre une personne 
spirituelle, une Nation est d'abord une grande chose passive et longtemps 
indolore : on peut negliger et dilapider sa vie et ses biens a peu pres 
indefiniment, elle se contente d'elever un vague, long et vain murmure, tant que 
Ton a soin de ne pas 1'irriter ostensible ment. Moyennant quelque precaution, des 
meurtrissures profondes faites a son etre essentiel pourront epouvanter les sages, 
quand les simples, en nombre infini, m'auront meme pas la sensation d'une 
egratignure. Le grand artifice de 1' Oligarchic etait la. Elle excellait a menager 
les apparences, sauf en matiere religieuse ou la passion anticatholique coincidait 
avec son animosite contre tout ce que nous avons de plus anciennement francais. 
Mais cette haine eveillait des ripostes obscures. Le grondement, la plainte de 
bien des Francais informes montaient et prenaient corps, particulierement 
sensibles au double mouvement qui se voyait d'un peu partout : montee du 
plateau allemand et baisse du plateau frangais, dans tous les cas, au vu et au su 
du pays legal de la France, comme avec sa faveur et sa complicity. A la fin d'un 
drame tristement celebre par la position qu'y avaient prise les officiels, Barres 
terminait son expose par ces mots : « Et la France descendit d'un cran. » C'est 
de cette descente que se mit a souffrir une part de 1' esprit public. Son malaise 
peut etre encore illustre par ces autres paroles de Barres ecrites beaucoup plus 
tard (Cahiers XII, page 225) mais au souvenir du conflit meme que je rappelle : 
« Que poursuivent les Allemands ? La conquete morale du monde. Leur pensee 
nous envahit et sape nos traditions. Elle glorifie le passe et les esperances de 
I'Allemagne. Ceux qui s'en nourrissent regardent ensuite la France avec 
froideur, et ils ont meme honte d'elle. Ils s'enfoncent peu a peu dans ce cadre 
intellectuel allemand. » 

Un fait restait pourtant certain. 

Des multitudes de jeunes Francais, plus ou moins depouilles de leur patrie 
morale et subordonnes de fait a 1' Oligarchic, etaient, en 1895, aussi resolus 
qu'en 1875 a ne pas devenir Allemands et, s'il le fallait, a se refaire Francais. 



Le moyen ? lis le cherchaient avidemment, convaincus de son importance 
croissante : la doctrine traditionnelle et nationaliste etait, avant meme de naitre, 
aspiree et desiree par ce voeu secret. 



4 . Une opinion de Paul Bourget. 

Faut-il, en consequence, dire avec Paul Bourget que cette doctrine procedait, en 
somme, de la defaite et que 1870 en fut le generateur ? 

Ce qui precede le conteste au fond, absolument. 

Premierement, nous sommes en 1895 et non en 1875. 

Secondement, ce que nous subissons en ce moment n'est plus une defaite 
militaire. 

Ce n'est meme pas encore une defaite. L'envahisseur auquel nous essayons de 
tenir tete, spirituellement et moralement, ne peut meme pas etre compare a une 
arriere-garde laissee par l'ancien vainqueur. La metaphore n'eclaircirait rien. II 
ne s'agit pas de uhlans, mais d'ecrivains, d'orateurs, de polemistes, campes sur 
notre sol ou meme nes chez nous avant ou apres le traite de Francfort. 

lis nous serraient de pres, sans nous avoir vaincus. Leur pression nous mettait en 
quete des verites capables de les faire taire, en leur reprenant les auditoires et les 
publics qu'ils avaient seulement echancres. 

Les vieux desastres du second Empire et du gouvernement de la Defense 
nationale n'etaient pas les instigateurs de notre rearmement litteraire et 
philosophique. 

- Cependant, pourrait nous repondre Bourget, ces vieux desastres sont bien, a 
l'origine, ce qui vous a emus et alertes. Vous en aviez fremi aux temps de votre 
enfance et de votre adolescence. Vous avez retrouve ce fremissement. 

Nous l'avons retrouve. Nous avons reconnu dans ce fremissement son occasion 
et son excitation eloignees. N'appelons point cela une cause. Car, sous le choc, 
la France envahie avait reconnu en effet quel sentiment profond elle avait 
d'elle-meme, son sublime amour de l'etre francais. Et cet amour ainsi meurtri, 
torture et humilie ne resultait point de la victoire allemande, il lui preexistait, 
loin d'en etre le fruit. La passion du patriotisme vivait apre et forte bien que 



latente, ne se soupconnant pas a l'heure ou l'Allemand l'avait fait exploser 
contre lui. 

La detonation fit grand bruit. Ce ne fut qu'un bruit. Revelateur ? Pas davantage. 
Rien n'etait pret alors pour l'utiliser, ni aux armees, ni dans l'Etat, ni dans les 
esprits. Le nouveau gouvernement mis sur pied en 1871 n'alla pas loin et fit du 
mal. II improvisa des combattants, dont le tres bel effort dut plier au bout de 
cinq mois sans avoir meme pu, comme on l'a dit, sauver l'honneur, qui n'avait 
ete perdu ni a Borny, ni a Gravelotte, ni au Calvaire d' Illy. 

L'aventure qui couta beaucoup de vies et d'autres biens francais, eut done 
1' unique effet de signifier la violence du sentiment national et les heroiques 
reserves de devouement qui etaient disponibles a tous les paliers du pays reel. II 
aurait mieux valu garder pour un emploi meilleur des forces morales d'un si 
haut prix ! 



5. La vraie cause cherchee. 

Or, apres un quart de siecle de fermentations variees dans la paix armee, la 
France en etait venue a eprouver la sensation du complot qui se tramait, en elle 
et contre elle, par un accord inattendu d'ennemis du dedans et du dehors. Voila 
ce qui l'a mise debout. Voila, Monsieur, la vraie cause que vous cherchiez. 

Les historiens, me dites-vous, sont deconcertes par la soudainete au moins 
apparente de ce mouvement. 

Je vous avouerai que nous l'avons, nous, trouvee plutot lente ! Le temps, mieux 
mesure de loin, vous donne raison. La « soudainete » fut reelle. A notre point de 
depart, rien n'etait defini. Ce qui se proposait etait informe et decousu. En 
quelques saisons, tout l'essentiel fut trouve et conduit jusqu'a l'audience d'un 
public nombreux et vibrant. 

Cela commenca par un peu d' agitation superficielle. Des associations du 
Souvenir Francais s'etaient reveillees. Des ligues deja anciennes jeterent un 
eclat plus vif. II s'en fonda de neuves. On peut considerer comme l'oeuvre 
propre de cette generation tout ce qui vint s'aj outer a l'oeuvre un peu primaire 
du « barde incorrect » comme le jeune Barres appelait Deroulede et, si Ton veut 
encore, du chansonnier boulangiste Antonin Louis. Notre desir de voir enfin 
clair dans ce probleme de la Patrie nous faisait remonter aux grandes sources de 
1' inspiration civique, Chenier, Ronsard, Corneille, Dante, Virgile, Horace, 
Homere, Mistral : dans ces nouveaux corps a corps qui nous humiliaient et nous 
exaltaient, e'est aux puissances de l'esprit que nous avions demande l'avantage. 



CHAPITRE QUATRIEME 
TRESORS CACHES 



1. Un premier feu de paille. 

Barres, me dites-vous, regrettait de ne point parvenir a deceler un changement 
brusque dans 1' atmosphere litteraire apres 1870. II ne meconnaissait pourtant pas 
d'honorables efforts chez quelques-uns de nos aines immediats. Sully 
Prud'homme, operant une conversion essentielle, s'etait rejete sur le sein de la 
mere patrie : 

Je dispersais mon coeur frangais 
Aujourd'huij'en suis econome. 

Coppee, Bainville, Dierx, Laprade, Leconte de Lisle, Ludovic Halevy, Paul de 
Saint Victor avaient fait aussi leur acte de presence et, si le vieil Hugo avait 
garde soigneusement la ligne des vaticinations fraternitaires en reportant (deja !) 
sur l'empereur, les rois, les princes et junkers d'Allemagne ses maledictions au 
peuple ennemi, les jeunes Verlaine et Rimbaud s'etaient aussi impregnes de 
patriotisme contre les Barbares. Mais ce n'etait qu'un feu de paille. II s'etait vite 
amorti. On a garde de cette periode un ou deux Contes du Lundi d'Alphonse 
Daudet, comme La Dernier e Classe (1' adieu de la petite ecole alsacienne a son 
maitre francais) ou la nouvelle de Guy de Maupassant Boule de Suif, synthese 
aigue de la brutalite des Prussiens et de la passivite des vaincus, ou encore et 
enfin le celebre Tour de France par deux enfants, qui prechait la revendication 
de F Alsace contrairement aux intentions de son auteur Mme Guyau-Fouillee, 
membre important de 1' Oligarchic 

Le grand succes de ces ouvrages en accuse le haut interet pour la nation ; leur 
petit nombre indique une certaine indifference de la part du monde litteraire, que 
Ton aiguillait en catimini dans un autre sens. 



2. Renouveau de I' esprit. Une menace ? 



Settlement, en dehors de la litterature proprement dite, la partie serieuse de la 
nation s' etait mise au travail, elle tirait de son desarroi et de sa douleur les 
curiosites de 1' intelligence : 

- D'ou cette catastrophe etait-elle venue ? De quel ciel etait-elle tombee sur nos 
tetes ? Comment ? Pourquoi ? 

Apres se l'etre demande avec des cris, le langage se doublait d'une reflexion 
rationnelle. La cour de Napoleon III avait pu se tromper lourdement ; 
lourdement les hommes de la Defense nationale ; la Commune de Paris etait 
une lourde erreur ; la triple coincidence faisait une quatrieme enigme, dont 
aucune n'etait vraiment expliquee par les accidents de l'heure ou du jour, bevues 
de diplomates, impreparations militaires. Une curiosite plus ample mobilisait les 
tetes pensantes pour un travail en profondeur qui excluait les solutions de 
surface et de mots, les generalisations vagues du verbiage romantique. On 
voulait savoir d'une science positive, realiste et presque sans foi, selon la devise 
de Sainte-Beuve, « le vrai, le vrai seul ». 

Ces travailleurs, dont les methodes concordaient, les methodes dites 
scientifiques du temps, venaient de tous les points de 1' horizon. La plupart 
n'etaient pas des hommes de droite. Plusieurs se classaient a l'extreme gauche 
religieuse ou philosophe pour avoir appele le Christ « un homme divin » ou 
professe que « le vice et la vertu etaient des produits comme le sucre et le 
vitriol ». L' opinion courante reprochait en outre a Taine, a Le Play, a Boutmy 
leur gout trop decide pour 1'empirisme anglais, tandis que Renan faisait regretter 
ses vieilles passions persistantes pour l'Allemagne, qui avaient longtemps 
ressemble a une religion. Avec eux s' employ aient Albert Sorel, Fustel de 
Coulanges, Montegut, Camille Rousset, moins connus ou connus par des 
travaux d'un caractere moins national, comme c' etait le cas de la Cite antique 
(1864). Rien ne les unissait qu'un trait : la hardiesse du regard, la liberte des 
mains jetees sur bien des arches saintes. lis doutaient de l'Etat-Dieu : meme 
classes liberaux, ils s' etaient affranchis des servitudes propres a ce parti. 

Leurs ecrits en tiraient un sens fort et neuf. Quiconque les lisait et les meditait ne 
pouvait trainer dans les habitudes de jugement qui etaient courantes sur les 
rapports de l'Allemagne et de la France, sur l'ancien Regime et sur le nouveau, 
sur la Revolution et tout ce qui divisait encore. Avaient-ils done quelque projet 
de reunir et reorganiser 1' opinion du temps ? Ou de la reformer ? S'ils y avaient 
songe, c' etait sans trop 1' avoir voulu. A la difference des mythomanes et des 
mages de 1820, 1830, 1848, ils ne desiraient point du tout les orages, preferaient 
le beau temps, souhaitaient le revoir a tout le moins dans les esprits. Ils avaient 
le gout de l'ordre, le degout des fausses clartes et de la fausse poesie. Au terme 



de leur depouillement, ils ne se dissimulaient pas un point Ton s'etait beaucoup 
trompe. Fallait-il rebrousser chemin ? Mais quel chemin ? Tous faisaient un 
certain compte d'erreurs commises. Pas un peut-etre, sauf Renan, ne prenait 
garde franchement a la qualite contre-revolutionnaire de leur tendance. Sauf 
Renan encore, ils finissaient par se ranger aux environs du Centre (droit ou 
gauche), republicans, moderes ou orleanistes : ils se sentaient d'ailleurs 
historiens, savants, philosophes, plutot que citoyens, quelque genie civique qui 
les animat tous. 

TAINE. Le plus pragmatiste de tous, Taine avait bien ouvert son enquete sur les 
Origines de la France contemporaine en feignant d'ignorer comment remplir 
son devoir electoral ; 1' artifice litteraire ne doit pas nous abuser. Ce dont Taine 
eut souci n'etait pas de faire bien voter, mais de faire affluer dans le cerveau de 
ses lecteurs la lumiere de faits precis, de lois limpides. Le reproche de forger 
pour son public je ne dis pas des armes, mais les instruments du choix politique, 
l'aurait etonne et choque. II ne faisait pourtant pas d' autre metier. S'il ne l'eut 
fait, on ne se serait pas mis en defense contre lui aux quatre coins du monde 
politique. Son Portrait de Napoleon etait un acte, une arme, un conseil 
insurrectionnel contre l'Etat napoleonien : la Princesse Mathilde Bonaparte le lui 
prouva dans le P.P.C. fameux. Sa Psychologie du Jacobin manifestait, armait, 
agissait contre l'Etat radical democratisant et le Parti radical ne put s'y tromper ; 
comme la niece de Cesar, Marianne III se defendit contre lui en fondant une 
chaire en Sorbonne que M. Aulard dut remplir de sa refutation polemique et 
mystique. « Sans mon oncle, disait la Princesse, je vendrais des oranges sur le 
quai d' Ajaccio. » « Sans le Jacobin, pensait Marianne, je ne serais qu'une ombre 
vaine, errant dans un chartrier ou dans un monastere, j'habiterais un exemplaire 
du Contrat social ronge des souris, mon regime ne serait pas sorti des premiers 
rudiments, ebauches de la vie. » 

Car Marianne, qui est-ce ? 

Entite que gonfle ou degonfle, abolit ou cree le doute ou la croyance des 
electeurs et des lecteurs, Marianne depend de ce que defera en eux M. Taine ou 
de ce que M. Aulard pourra leur reinsufller. Que ces sortes d' actions se fassent 
par des voies un peu lentes, qu'elles aient lieu dans des salles de cours, d' etudes, 
des bibliotheques plutot que dans les salles de scrutins ou de clubs forains, que 
meme elles passent de beaucoup au-dessus des masses votantes, c'est possible. 
Tout de meme, les mefiances eveillees par M, Taine ont persiste : une 
Encyclopedic avait eleve la premiere Republique, une Contre -Encyclopedic 
pouvait menacer la troisieme, ce qu'il ne fallait pas ! 

RENAN. Celui-ci y mettait moins de formes, car il avait moins d' innocence. II 
avait pris ses aises. II s'etait couvert par le gage de la Vie de Jesus et, si Ton veut 



aussi, par l'hegelianisme indure de son « vieux pourana », cet Avenir de la 
Science qui avait paru l'embaucher dans la troupe democratique. Cependant, des 
le 2 decembre 1852, il se faisait a lui-meme l'effet d'un renegat de la 
democratic De cette date au 4 septembre 1870, et longtemps apres, tous les 
jalons plantes par des oeuvres importantes pendant quarante ans tracent des 
directives qui ne varient presque plus. Leur qualite de vieille France est voyante. 
Ce caractere est d'autant plus marque que le discours est plus accentue, le ton 
plus vif, plus haut, la verve plus franche, et venue de plus profond ; la vie et la 
joie de l'idee se repand a proportion qu'elle coule de plus hautes sources 
traditionnelles. Comme chez son heritier Anatole France on peut tenir pour 
indice de 1' adhesion et pour mesure de la complaisance 1' eclat des pages, la 
beaute des formules, la fluidite et la splendeur de 1' exposition. S'en cache -t-il ? 
Mais non. L'esprit de Renan ne se sait jamais si grand, si net, si pur que lorsqu'il 
fait son geste de reprobation sur telle erreur moderne ou de benediction aux 
antiques vertus dont vivait ce Breton. Son coeur est la. Son genie aussi. Qu'il ait 
ecrit autre chose, qu'il ait dit le contraire, sans doute : jamais avec cette flamme. 
On voit et Ton touche quel sens inne de sa nature aristocratique le guide. Un 
certain usage du mot « roturier » est prodigieux sous sa plume. Historien, 
moraliste, conteur, dramaturge, philosophe, sa conception hierarchique du 
monde s'en donne a coeur joie. On citera eternellement la belle parabole des 
bons rustiques accomplissant dans le labour la juste part de leur destin, pendant 
que les seigneurs moines portent la leur dans la priere avec une egale justice. On 
n'arretera pas de mediter au dialogue d'Antistius et de Carrrienta, la maxime 
taillee en degre de Paros : « la femme doit aimer I'homme et I'homme doit aimer 
Dieu », ou dans les Questions l'ardente critique d'un code des lois fait pour « un 
citoyen qui nait enfant trouve et meurt celibataire », ou l'aveu cuisant que « le 
18 mars 1871 est depuis mille ans le jour ou la conscience frangaise a ete le 
plus has » (13) 13 et 1' incomparable chapitre ou sont mises en relief les 



13 (13) On comprend mieux aujourd'hui le sens de cette mysterieuse malediction 
du 18 mars 1871 : sous un pretexte de haut patriotisme, pour ne pas faire a 
l'armee prussienne livraison de canons qui nous appartenaient, sous cette 
caution probe et brillante d'un amalgame d'honneur militaire et d' amour-propre 
populaire, ces nobles decisions de gardes nationaux qui etaient des moyens, ont 
voulu s'imposer aux regies de l'ordre public, qui etait la fin. Resultat : il en 
sortit la fureur anarchique et cosmopolite qui ensanglanta et brula notre capitale. 
Signe eclatant d'une prodigieuse cecite et d'un veritable desaisissement pour la 
conscience nationale. Elle avait vise son bien et 1' avait manque a coup sur : 
Renan avait raison. Que n'en aurait-il dit s'il avait vecu jusqu'a nous ! La meme 
conscience est tombee encore plus bas le 18 juin 1940 par l'effet de la meme 
fausse dialectique. Une rebellion s'etant preferee a la loi de l'armee, une 
dissidence a l'etre de la patrie, M. de Gaulle se superposa au Marechal Petain, 
comme il mit l'honneur de son combat au-dessus du bien general, le roulement 



substructures capetiennes de la patrie, digne des plus grands redacteurs de notre 
histoire civile, sans en excepter Michelet, Chateaubriand, ni meme Bossuet. 
Quelle liberte et quelle maitrise ! Non que les Puissances du jour lui fussent 
indifferentes. II aimait a en etre bien vu et bien traite. Leur dos tourne, elles 
n'existaient plus. Bien mieux. II s'etait delivre un second sauf-conduit, comme 
un brevet de bouffon et de baladin, qui permettait de cumuler la dignite de 
penseur attitre du regime, 1' Administration du College de France et la liberte 
pleniere de ridiculiser les institutions de Demos. II parlait, comme un ange, de 
Noblesse, de Dynastie, de Nation, de Sacrement de Reims et de Regicide, dans 
un vocabulaire d' ultra, sinon de chouan, et ne se lassait point du crescendo en ce 
sens : quatre ans avant sa mort, pour le centenaire de 1789, il prit son auditoire 
de la Coupole a temoin que la Revolution, ayant echoue en tout, ne pouvait etre 
une bonne affaire politique « comme un general toujours battu ne peut etre un 
bon general. » Ni le recipiendaire, haut fonctionnaire du regime, M. Jules 
Claretie, ni les journaux, ni les bureaux, ni les assemblies ne prirent ces 
sacrileges au serieux. On les laissa passer comme tous les autres propos du vieil 
enfant terrible. Pourtant si scurrile qu'on nous peignit alors M. Renan (le 
premier heros de Barres le batonnait au bal Bullier sous le nom du « venerable 
M. X... ») le plus leger de ces blasphemes ne laissait pas de contenir et de 
transmettre ses ferments de redoutable verite politique : une pensee s'y tenait 
debout toute seule et n'avait besoin de rien d'autre pour porter un jour ou l'autre 
des coups serieux a Marianne. Plus encore que de Taine, il y avait lieu de se 
mefier de Renan, son genre d' intelligence etait le plus cruel ennemi de 
Demos-Roi et de Demos-Dieu. 

de son tambour, le claquement de son fanion au-dessus des ordres du chef 
supreme et du drapeau national, un indigeste fatras de tres beaux mots au-dessus 
des realties divines de la patrie. Resultat : ce n'est pas a la revolution que nous 
subordonne l'aventure gaulliste, mais d'abord a l'Angleterre representee par le 
general Spears et par M. Churchill, puis a ces emigres de la democratic, 
incapables et insenses, qui avaient ete la premiere cause de nos malheurs. Le 
meme faux-semblant patriotique et nationaliste s'imposa ainsi a la chose Patrie 
et Nation. II leur procura deux invasions nouvelles qui saccagerent, avec 
1' ensemble du territoire, des villes nombreuses sous la grele des bombes et des 
obus ; il les fit suivre d'une « liberation » asservissante, d'une epuration 
sanieuse, de divisions et d'abaissements dont, en cinq ans deja, Ton ne s'est pas 
releve. La conscience nationale de 1940 n'a rien su, rien vu, rien send de ses 
obligations salutaires et tutelaires : elle a ete submergee par le tohu-bohu des 
passions les plus variees et les plus confuses. II n'y a pas de conscience 
nationale sans ordre et sans clarte. C'est pourquoi Renan faisait tenir le 
maximum de conscience nationale dans le pouvoir personnel d'un souverain 
dynastique, attendu, disait-il, qu'il n'y a pas de plus haut point de conscience 
que dans un cerveau humain. 



ALBERT SOREL. Le cas etait voisin. Bibliothecaire du Senat (a ce titre greffier 
de la Haute-Cour) ce tres haut-dignitaire du regime n'avait pu ecrire L' Europe et 
la Revolution dans la simplicite de son coeur. II n' etait pas homme a ignorer ce 
qu'il avait fait la. Pour le moins autant que les Volontaires de Camille Rousset, 
ce grand livre tendait a contester les articles capitaux de la Legende dont la 
Republique vivait, il arrivait meme a rehabiliter tels aspects mal compris de 
l'ancien regime abhorre. Ni lui ni personne autour de lui, ne pouvait se derober a 
1' evidence de son peche, bien que le critique du Temps le niat genereusement. 
Sans doute le peche etait-il du Temps sur les hauteurs de la culture desinteressee 
et de l'enseignement superieur, d'ou il revenait peu de chose pour le servum 
pecus. A leur premier matin, ces pages n'etaient ni invoquees ni commentees par 
un Jacques Bainville dont les yeux de lynx excellerent plus tard a montrer 
l'interdependance de l'Histoire et du Politique. Albert Sorel prenait le soin 
naturel d'eluder toute application intempestive et trop lourde. Ses lecons 
parvenaient rarement et mal aux petites ecoles. La communication n' etait 
pourtant pas impossible. S'il n'y avait que demi mal pour la Republique, il y 
avait deja demi bien pour la France. Gros danger pour 1' Oligarchic ! Le grand 
historien qu'elle decorait et retribuait allait-il complanter d'une paire de cornes 
les protuberances de son os frontal ? 

FUSTEL DE COULANGES. Plus complexe, plus etonnant et beaucoup plus 
riche en tristes clartes fut le cas personnel de Fustel de Coulanges. Quoique 
repute republicain sous 1' Empire (il souhaitait a la France une republique aristo- 
cratique) et bien qu'il edt ete appele a donner des lecons d'histoire a 
l'imperatrice Eugenie, c'etait le moins politique des hommes, type du savant, du 

s 

chercheur, du trouveur, professeur a Strasbourg et a Paris, directeur de l'Ecole 
normale superieure et, la, fonctionnaire accompli. Mais le fait est, le tres grave 
fait est que 1' effort total de sa vie et de sa pensee 1' avait oriente vers des 
doctrines dont les conclusions n'etaient ni froides ni muettes : d'un sens vital 
tres chaudement determine. Ces conclusions connues furent recues avec une 
respectueuse courtoisie et une attention laudative. Mais il dut s'avouer que les 
plus importantes, les plus limpides, celles auxquelles il attachait le plus de prix, 
avaient manque leur but dans la famille d'esprits qui formait son public special 
et prochain. 

Speciaux eux-memes, ses livres sur la France n' avaient atteint du grand public 
qu'un bord et une frange. Le corps universitaire prenait le contre-pied de ses 
directions... Meme dans sa partie technique ? Surtout dans cette partie. Lorsque, 
en 1905, notre Action frangaise resolut de celebrer le 75 e anniversaire du grand 
critique historien ne en 1830, et mort en 1889, le scandale et l'alarme du monde 
professoral ne furent pas tout a fait joues. On s' etait habitue a ne plus voir en 
Fustel ce qu'il avait souligne avec le plus de force et de lumiere. II n'en avait 



pas pris son parti lui-meme. II en etouffait en silence. II mesurait ce qui separait 
ses themes personnels des themes officiels les plus courants. Son amertume des 
dernieres annees ne s'est trahie que dans quelques paroles dont Frederic 
Amouretti nous a transmis la confidence : 

« Ce n 'etait pas un homme bienveillant. II ne se genait pas pour dire : c 'est un 
sot. Du titulaire fort connu d'une chair e en Sorbonne, il disait qu'il etait 
honteux que cet homme ecrivit des livres qui deshonoraient la Sorbonne et d'un 
maitre de conferences actuel de I'Ecole normale il disait que ses livres auraient 
pu etre ecrit par un hanneton. II traitait d'informe compilation, baclee en trois 
ans, I'oeuvre d'un professeur de faculte de province, depuis recteur. L'auteur 
d'un livre anticlerical sur le moyen age lui ay ant ecrit « Cher maitre » - il entra 
dans une grande colere, protestant qu'il n' etait pas le maitre de tels imbeciles... 
II disait : je n'ai pas d'eleves, bien qu'il repetdt souvent : un tel est mon eleve ; 
cela signifiait simplement qu'il lui avait fait la classe a I'ecole de la rue 
d'Ulm... » 

Ainsi en venait-il a beaucoup blamer. Mais son milieu s' etait retourne contre lui. 
Pourquoi ? Parce que son analyse et sa synthese avaient fait passer de fortes 
menaces d'orages sur le ciel spirituel de 1' Oligarchic 



3. La menace et la parade. 

Ce qui arrivait la serait inintelligible si Ton perdait de vue que 1' Oligarchic 

s 

democratique, forme une Eglise-Etat. La liberte, la laicite et la neutralite sont 
des contes. Russe ou anglo-saxonne, maconne ou juive, papiste ou sans Dieu, la 
Democratic etatiste « dirige » le bulletin dans les mains de l'electeur : par la 
pensee qu'elle lui imprime, elle doit choisir son vote pour lui ; un 
gouvernement d' opinion ne gouvernerait rien s'il ne tenait pas la pensee ; le 
plus materiel des regimes, le Nombre, se passe moins qu'un autre de cet esprit 
domestique. La democratic imperiale en avouait la necessite, Napoleon disait au 
Pape qu'il lui fallait plus que les corps, les ames. La democratic republicaine fait 
comme lui sans le dire. Elle le dit parfois : pas de liberte contre la Liberte. Ce 
principe efface des droits de 1' homme mon droit de me faire jesuite ou capucin ; 
le meme principe liberal bien compris devrait m'interdire de contracter un 
mariage indissoluble tel que le blame M. Naquet. En general on prend ces prohi- 
bitions liberales pour des abus, des exces ou des defis de sectes et de clans. On 
se trompe. lis sont au fondement du Droit de 1' Oligarchic Ces fondements sont 
derives d'une metaphysique de la personne humainc L' Oligarchic se montra, il 
est vrai, tolerante et pitoyable pour les mariages sacramentaires (le morceau etait 
un peu gros) ; mais considerons sa fermete juridique en ce qui touche a 
1' association religieusc Parce que M. Naquet, augmente de M. Ferdinand 



Buisson, tient le voeu d'obeissance pour degradant et deshonorant, ce voeu est 
moralement interdit depuis cinquante ans sur le territoire francais ; ni la 
fraternite dans la boue des tranchees, ni le coude a coude de la Resistance a 
1' occupant n'ont pu changer une virgule aux lois qui interdisent le voeu congre- 
ganiste. De ce que j'ai l'honneur d'etre libre, l'eglise republicaine m' interdit 
d'aliener ma liberte. Si je le fais, je me condamne virtuellement a l'exil. Cette 
loi dort. II suffit d'un caprice des tyrans pour la reveiller. En attendant, voici le 
droit commun du regime. Pour empecher des maitres et des maitresses d'ecole 
privee de mourir de faim et donner de la soupe ou des fournitures a des ecoliers 
pauvres, l'Etat, ses departements, ses communes, s'astreignent a prendre toutes 
sortes de chemins detournes et de portes basses. L'Etat aurait lui-meme un inte- 
ret colonial a equiper des missions. II ne se reconnait pas le droit d'autoriser des 
seminaries pour ces missions : depuis vingt-cinq ans qu'il hesite a inscrire cette 
depense dans un seul de ses budgets, il n'ose point sauter le pas. Sa religion, 
clandestine et fanatique, fait peser sur lui un scrupule dirimant. 

Cela n'est pas dans la Constitution ; elle dit meme tout le contraire, mais le 
centre de la pratique de l'Etat n'en est pas moins regie par le Covenant libero- 
jacobin in-ecrit qui fait l'ame, le coeur et 1' esprit de 1' Oligarchic On a deja vu la 
vigueur et la rigueur silencieuses de ce pouvoir spirituel aux prises avec des 
hommes comme Pierre Duhem, qui, eux, etaient dans l'exercice de leurs 
fonctions civiques. On va le voir, maintenant, en lutte avec les fortes idees de 
Fustel. 

SUITE DE FUSTEL DE COULANGES. Ce grand homme n'est ni un clerical ni 
adherent a aucun dogme. II tient l'histoire pour une science. II croit seulement 
faire oeuvre de bon sens lorsqu'il professe que le patriotisme est une vertu. II 
meprise les professeurs ignorants, les docteurs sans talent, les esprits sans 
independance ni liberte, les fanatiques et les sots. II estime que, chez nous, le 
respect des choses francaises doit naturellement recevoir le numero un. Le passe 
atavique lui apparait comme quelque chose de paternel ou de fraternel. II admet 
difficilement un enseignement de l'Histoire qui donnerait une preference 
systematique a l'Etranger sur les hommes de notre sang, cet etranger fut-il le 
sacro-saint envahisseur et devastateur allemand. Certains liberaux de chez nous 
lui ont donne des spectacles facheux, il le dit, il s'exprime avec une flamme 
indignee sur les deux manieres d'ecrire l'histoire, fanatiquement nationale en 
Allemagne, mais en France indifferente au destin de nos peres, et au notre, en 
fin de compte agenouillee et prosternee aux pieds de l'idole allemande... 
Entendons, ecoutons ces pages datees de 1872 et qui resument notre demi-siecle 
d'erreurs : 

« Que n'a-t-on pas dit sur la race germanique ? Partout nos yeux prevenus ne 
savent la voir que sous les plus belles couleurs. Nous reprochions presque a 



Charlemagne d' avoir combattu la barbarie saxonne et la religion sauvage 
d'Odin. Dans la longue lutte entre le sacerdoce et 1' Empire, nous etions pour 
ceux qui pillaient l'ltalie et exploitaient l'Eglise. Nous maudissions les guerres 
que Charles VIII et Francois l er firent au dela des Alpes ; mais nous etions 
indulgents pour celles que tous les empereurs allemands y porterent durant cinq 
siecles. Plus tard, quand la France et l'ltalie, apres le long et fecond travail du 
moyen age, produisaient ce fruit incomparable qu'on appelle la Renaissance, 
d'ou devait sortir la liberte de la conscience avec l'essor de la science et de l'art, 
nous reservions la meilleure part de nos eloges pour la Reforme allemande, qui 
n'etait pourtant qu'une reaction contre cette Renaissance, qui n'etait qu'une lutte 
brutale contre cet essor de la liberte ; qui arreta et ralentit cet essor dans 
l'Europe entiere, et qui trop souvent n'engendra que l'intolerance et la haine. 
Les evenements de l'histoire se deroulaient, et nous trouvions toujours moyen de 
donner raison a l'Allemagne contre nous. Sur la foi des medisances et des 
ignorances de Saint-Simon, nous accusions Louis XIV d' avoir fait la guerre a 
l'Allemagne pour les motifs les plus frivoles, et nous negligions de voir dans les 
documents authentiques que c'etait lui, au contraire, qui avait ete attaque trois 
fois par elle. Nous n'osions pas reprocher a Guillaume III d' avoir detruit la 
republique en Hollande et d' avoir usurpe un royaume, nous pardonnions a 
l'electeur de Brandebourg d' avoir attise la guerre en Europe pendant quarante 
ans pour s'arrondir aux depens de tous ses voisins ; mais nous etions sans pitie 
pour 1' ambition de Louis XIV qui avait enleve Lille aux Espagnols, et accepte 
Strasbourg, qui se donnait a lui. Au siecle suivant nos historiens sont tous pour 
Frederic II contre Louis XV. Le tableau qu'ils font du XVIII eme siecle est un 
perpetuel eloge de la Prusse et de l'Angleterre, une longue malediction contre la 
France. Sont venus ensuite les historiens de 1' Empire ; voyez avec quelle 
complaisance ils signalent les fautes et les entrainements du gouvernement 
francais et comme ils oublient de nous montrer les ambitions, les convoitises et 
les mensonges des gouvernements europeens. A les croire, c'est toujours la 
France qui est l'agresseur ; elle a tous les torts ; si l'Europe a ete ravagee, si la 
race humaine a ete decimee, c'est uniquement par notre faute. » 

Cette colere sainte atteste que Fustel ne savait pas a qui il avait affaire, il ne se 
doutait pas des ripostes qu'on lui destinait. Sa droiture n' avait rien soupconne de 

s 

l'asservissement du personnel politique universitaire a un parti de l'Etranger. 

II se sentait inexpugnable dans cette defense du bien public et des saines moeurs 
de 1' esprit. II plaidait tres nai'vement pour elle, ces deux causes de la France et 
du genre humain. L' evidence des deux erreurs lui semblait entrainer la double 
reforme. Comment eut-il pense qu'un tel requisitoire dut se briser contre 
1' influence d'une secte mysterieuse et un syndicat d'interets caches. 



Pendant que Fustel ecrivait ces lignes, 1' Oligarchic avait quitte le pouvoir avec 
Gambetta en 1871 ; pour y revenir six ans plus tard, elle se regroupait, diffusait 
ses fables, et reprenait avec l'appui de l'ennemi la propagande de nos divisions 
par les envies politiques et les haines sociales ; elle echafaudait, par en bas, les 
madrepores de sa puissance electorate moyennant le mepris des bonnes 
coutumes, 1' aversion de l'ordre, l'appat des affaires et leur corruption, 
1' influence et la gloire du cabaret. Les moyens choisis parmi les plus nuisibles 
au citoyen etaient dignes de leur cause et de leur fin, hostiles l'une et 1' autre a la 
cite et a la patrie. Si a au lieu de porter toute son attention a 1' etude des ages 
morts, Fustel se fut adonne a 1' analyse des evenements contemporains, il eut 
send que les nouveaux gouvernements excellaient a encourager ce qu'il 
deplorait et a recomposer ce qu'il denoncait, bref a contredire toutes les formes 
de sa pensee. 

Notre mauvais sort l'ayant emporte, ce qui devait etre fut. Selon la prevision de 
Frederic Amouretti, le nom de Fustel allait etre enfoui dans I'obscurite. Oh ! le 
prophete de l'idee francaise serait salue, mais baillonne ; loue et promu mais 
perclus et reduit a l'impuissance. Un haut joug de conformisme professoral 
serait forge, mais au rebours de toute juste piete nationale, pour 1' exaltation du 
type generique allemand : a mesure que ces etrangers allaient prevaloir, la 
tradition francaise deviendrait une dissidence, une heresie, un sectarisme, 
presque une sedition, et le nom de ce mainteneur serait inscrit au carnet B des 
anarchistes et des mauvais esprits. Pour en juger, il suffit de lire ces 
excentricites ! « L' amour du sol tout court, disait-il, ce n' est pas le patriotisme. 
II faut y joindre I 'amour de notre histoire. La France geographique est peu de 
chose si Von ne releve V affection qu'on lui porte du respect de son histoire. Son 
histoire est notre bien, nous n'avons pas le droit de la negliger. » ... Des mots 
pareils faisaient trembler les bases de la cite republicaine (du passe faisons table 
rase) ; le monde officiel ne pouvait s'en tenir a boucher ses oreilles, il fallait 
empecher la sirene d'etre entendue. 

Mais celle-ci n' avait pas peur des consequences de ses principes. Inductif et 
deductif comme tout esprit complet, le genie de Fustel developpait sa pensee 
maitresse jusqu'a son terme. II demandait par testament qu'on lui fit des 
obseques religieuses, bien que « ni pratiquant, ni croyant » : « Je dois, dit-il, me 
souvenir que je suis ne dans la religion catholique et que ceux qui m'ont 
precede dans la vie etaient aussi catholiques. Le patriotisme exige que si I' on ne 
pense pas comme les ancetres, on respecte au moins ce qu'ils ont pense. » 
L'auteur de ces lignes etait fait pour presider en qualite de ministre de 
1' Education nationale a un grand regne de reconciliation comme ceux de Henri 
IV ou de Louis XVIII. L' esprit de Marianne III n' etait pas a la paix mais a la 
guerre : la bataille republicaine ou le citoyen mort s'honore d' obseques civiles, 



commence des les bancs de l'ecole, avec un conflit d'ancetres que, justement, 
Fustel avait tendu a apaiser. 

L'ecole republicaine se plait a enseigner l'histoire des grandes invasions du IV e 
et du V e siecle de maniere a motiver et a justifier nos recentes bagarres : il faut 
que les nobles de l'ancien regime aient ete d'anciens envahisseurs et spoliateurs, 
il faut que leurs anciens vassaux aient ete d'anciens proprietaries envahis et 
depossedes, ce qui a l'avantage de donner aux crimes jacobins des quartiers de 
noblesse et de conferer a nos divisions de partis une antiquite venerable. 
L' analyse de Fustel mettait en pieces ces imaginations. En exposant la verite, il 
eut 1' imprudence de faire valoir que nees de la haine, ces fables servaient a la 
haine : l'histoire retablie retablirait la paix entre Francais. C'etait ignorer tout de 
la doctrine democratique. Les interets de Demos veulent que les petits Francais 
soient instruits dans un esprit d'antagonisme mutuel. La decouverte de Fustel 
devait etre jetee aux accessoires. Lorsque en 1894, on posa, rue d'Ulm, une 
plaque de marbre en l'honneur de Fustel, le jeune ministre qui l'inaugura, M. 
Raymond Poincare, fit les plus expresses reserves sui cette partie de l'oeuvre 
ainsi saluee : on ne pouvait la recevoir en toute securite de conscience phi- 
losophique ! 

De meme ses jugements generaux sur le moyen-age. La saine democratic exige 
de n'y considerer qu'une barbarie gothique. Eminemment francaise, 
originalement humaine, cette epoque a recu de Fustel les honneurs d'une equite 
pleine d' amour. II osait en tirer contre les diffamations revolutionnaires un 
devoir tres general, qu'il identifiait, encore une fois, au patriotisme superieur : 

« Etre patriote, pour beaucoup d'entre nous, c'est etre ennemi de l'ancienne 
France. Notre patriotisme ne consiste le plus souvent qu'a honnir nos rois, a 
detester notre aristocratie, a medire de toutes nos institutions. Cette sorte de 
patriotisme n'est au fond que la haine de tout ce qui est francais. II ne nous 
inspire que mefiance et indiscipline. II nous pousse tout droit a la guerre civile. 
Le veritable patriotisme n'est pas l'amour du sol, c'est l'amour du passe, c'est le 
respect pour les generations qui nous ont precedes. Nos historiens ne nous 
apprennent qu'a les maudire, et ne nous recommandent que de ne pas leur 
ressembler : ils brisent la tradition francaise, et ils s'imaginent qu'il restera un 
patriotisme francais. Ils vont repetant que l'etranger vaut mieux que la France et 
ils se figurent qu'on aimera la France. Depuis cinquante ans, c'est l'Angleterre 
que nous aimons, c'est l'Allemagne que nous louons, c'est l'Amerique que nous 
admirons. Chacun se fait son ideal hors de France. Nous nous croyons liberaux 
et patriotes quand nous avons medit de la patrie. Involontairement et sans nous 
en apercevoir, nous nous accoutumons a rougir d'elle et a la renier. Nous 
nourrissions au fond de notre ame une sorte de haine inconsciente a l'egard de 



nous-memes. C'est 1' oppose de cet amour de soi qu'on dit etre naturel a 
l'homme ; c'est le renoncement a nous-meme. » (Questions historiques, p. 4.) 

Saintes paroles d'or qui font etinceler leur noble metal en fusion ! Magnifique 
prosopopee de la patrie ! Leurs verites accentuaient de part et d' autre le double 
choeur de ces tristesses et de ces necessites : de 1872 a 1914, l'exaltation de 
l'orgueil intellectuel allemand va conquerir le monde, tromper les peuples, les 
Cours regnantes, les chaires enseignantes et leurs academies, orgiaque folie 
d'une reclame aveugle et sourde qui fera couler beaucoup de larmes et de sang ; 
mais, toujours de 1872 a 1914, l'adhesion preconcue des Francais a la fureur du 
germanisme universel aura les resultats prevus : nous nous aimerons de moins 
en moins, nous nous calomnierons et nous nous renierons de plus en plus, nous 
cederons a la passion dereglee de ce qui n'est pas nous, de ce qui nous est 
contraire, et cet absenteisme moral de la France ne sera d'aucun service a 
l'humanite. 

Supposons une France gouvernee, entre 1872 et 1914, par des Francais, dans 
l'interet francais, le progres continu des erreurs et des malheurs signales par 
Fustel n'aurait pas manque d'attirer 1' attention de ces chefs naturels, de ces 
chefs legitimes, sur les recommandations prevoyantes de l'historien. Or, ces 
paroles bienfaisantes ont ete soumises au plus methodique et au plus actif des 
Index. 

Ceux qui, ayant la charge du pays, lui ont applique cet Index, se sont conduits 
tres exactement comme des conquerants etablis sur un territoire conteste. Leur 
cas n'etait pas different au fond : le conciliabule oligarque des quatre Etats 
confederes, juif, protestant, macon, meteque, l'ossature de la Republique, Tame 
du vieux parti republicain ne pouvait que hair cet eloquent conseil de fidelite 
donne a la France. Sa prohibition faisait partie de l'interet le plus pressant de ces 
pouvoirs usurpes. 

Les « eleves » nombreux a qui Fustel avait fait la classe etaient devenus 
professeurs a leur tour. On n' a jamais vu sortir de leur promotion une moyenne 
d'enseignement historique qui composat un minimum d' information et de 
jugement fusteliens. Ni, par exemple, encore, une « chastete de Vhistoire » qui 
se defendit tout a la fois contre l'entrainement de 1' amour-propre national et 
contre les impietes declarees de 1' esprit cosmopolite. Ni, par exemple, une 
mention, si rapide fut-elle accordee au fait reconnu de la fusion gallo-romaine et 
des barbares aux temps merovingiens : sans desavouer l'historiole officielle si la 
Republique en a besoin, on pouvait s'affranchir en partie d'un ostracisme 
deshonorant. Cela aurait ete bien chiche ! On n'obtint meme point cela ! Le mot 
d'ordre fut de ramener notre prototype de l'historien a l'homme de Fenelon qui 



n'est « d'aucun temps et d'aucun pays », mais il eut licence de s'aplatir jusqu'au 
sol devant les autels internationaux du Germain. 

Fustel de Coulanges avait eu le temps de nommer deux executeurs 
testamentaires qui ont publie la fin des Institutions, ecrit sa vie, imprime 
quelques inedits. A l'un de ces messieurs nous sommes redevables de la grande 
page aujourd'hui classique, appelee la maladie de la politique, mais qu'on 
pourrait intituler aussi la democratic en action : 

La maladie de la politique... Si Ton se represente tout un peuple s' occupant de 
politique, et depuis le premier jusqu'au dernier, depuis le plus eclaire jusqu'au 
plus ignorant, depuis le plus interesse au maintien de l'etat de choses actuel 
jusqu'au plus interesse a son renversement, possede de la manie de discuter les 
affaires publiques et de mettre la main au gouvernement ; si Ton observe les 
effets que cette maladie produit dans 1' existence de milliers d'etres humains ; si 
Ton calcule le trouble qu'elle apporte dans chaque vie, les idees fausses qu'elle 
met dans une foule d'esprits, les sentiments pervers et les passions haineuses 
qu'elle met dans une foule d'ames ; si Ton compte le temps enleve au travail, 
les discussions, les actes de force, la mine des amities ou la creation d' amities 
factices et d' affections qui ne sont que haineuses, les delations, la destruction de 
la loyaute, de la securite, de la politesse meme, 1' introduction du mauvais gout 
dans le langage, dans le style, dans l'art, la division irremediable de la societe, la 
mefiance, 1' indiscipline, l'enervement et la faiblesse d'un peuple, les defaites 
qui en sont 1' inevitable consequence, la disparition du vrai patriotisme et du vrai 
courage, les fautes qu'il faut que chaque parti commette tour a tour a mesure 
qu'il arrive au pouvoir dans des conditions toujours les memes, les desastres et 
le prix dont il faut les payer ; si Ton calcule cela, on ne peut manquer de dire 
que cette sorte de maladie est la plus funeste et la plus dangereuse epidemie qui 
puisse s'abattre sur un peuple, qu'il n'y en a pas qui porte de plus cruelles 
atteintes a la vie privee et a la vie publique, a 1' existence materielle et a 
1' existence morale, a la conscience et a 1' intelligence, et qu'en un mot il n'y eut 
jamais de despotisme au monde qui put faire autant de mal. » 

L'executeur testamentaire qui recueillit et transcrivit cette forte definition du 
gouvernement populaire aurait pu la mettre en plein jour. II ne l'a pas voulu. Si 
elle etait trop longue pour servir d'epigraphe au volume entier, on pouvait lui 
faire une place brillante dans 1' Introduction, ou en tete ou au milieu du tres 
curieux chapitre relatif a la politique de Fustel... Mais non... 

- Ou diable avez-vous trouve cette belle page que vous citez partout ? me 
demanda un jour Charles Benoist au bout d'inutiles recherches. 



- Dans le Fustel de Paul Guiraud, lui repondis-je ; elle est rejetee en note, dans 
un bas de page, en petits caracteres. 

Ce Paul Guiraud n'avait pas de bon sens. Je possede une lettre de lui ou il 
explique en long et en large qu'il se sent d'autant meilleur disciple de ce maitre 
adore qu'il se tient plus a l'ecart de sa pensee profonde. Et voila pour lui. 

Le second executeur etait Camille Jullian, homme de grand talent ; mais son 
horreur nerveuse de Rome mesure son eloignement du pole fustelien. Ni l'un ni 
1' autre n'ont pris garde au sens de livres tels que la Gaule romaine, V Invasion 
franque, I'Alleu. Ce ne sont pas les simples numeros d'une bibliographic 
distinguee. lis portent l'epitaphe claire de ce qui a ete tue et enterre de la main 
de Fustel : le romantisme historique. 

Etonnante erreur disciplinaire, trop generate pour avoir ete partout le fruit du 
hasard ! Faite de main d'hommes, elle signifie la parade qui ne pouvait trainer, 
l'ecran interpose contre une verite par trop inquietante. Le rideau de silence 
proprement tire sur 1' ensemble et sur le detail des idees de Fustel assurait a 
1' Oligarchic que les cranes bourres allaient le rester : maitres et eleves ne 
seraient pas detrompes sur le rapport imaginaire de nos revolutionnaires d'hier 
avec la structure millenaire de notre nation ; nos petites ecoles continueraient de 
faire une vertueuse opposition theorique au Germanisme de Merovee et de 
Childeric pour mieux subir 1' ascendant des majestes prussiennes cheres a 
Voltaire et a Chateaubriand ou le prestige de la sainte mere Germanie de Hugo, 
de Lamartine et de Michelet ; la meme absence de Fustel epargnerait aux 
fonctionnaires universitaires 1' ennui d' avoir a bousculer les insolences de Fichte 
contre un peuple francais renegat de sa race, de sa langue et de ses beaux 
ancetres germains. La democratic enseignante echapperait au supreme peril 
d' avoir a discuter les idees de tradition et de fidelite incorporees par Fustel au 
patriotisme. On serait dispense de les mentionner. Ou Ton pourrait s'en delivrer 
avec un geste et un sourire. L'escamotage organise parait a tout. 

Mais, comme il y a partout des bavards et des indiscrets, ces precautions 
negatives n'ont pas ete trouvees suffisantes. On en a construit de positives : 
petits fortins, suretes, guerites, echauguettes, ou de bonnes sentinelles ont fait les 
cent pas. 

GABRIEL MONOD. Un des solides piquiers de 1' Oligarchic contre Fustel fut ce 
petit-fils d'un pasteur helveto-danois, l'heureux epoux d'Olga Herzen, le pere 
plus heureux d'Edouard Monod-Herzen : Francais tres nouveau, aussi 
indifferent au sort de la France qu'attentif au regne des quatre Etats confederes 
sur notre pays. 



- « Ah ! disait-il vers 1875, un soir qu'il sortait de chez le conseiller d'Etat 
Vuitry : Ah ! si les reactionnaires devaient l'emporter ! Savez-vous ce que je 
ferais ? Je quitterais la France ! » Auguste Longnon a qui ce propos etait confie 
et de qui je le tiens, avait ete frappe du tour et du ton de cette menace. Elle n'eut 
pas a s'accomplir. La Reaction ne l'emporta point. M. Monod resta, prospera ; 
il put donner libre cours a sa hargne contre Fustel, son oeuvre, ses idees, a la 
basse petite critique d'une grande oeuvre, le bourdonnement de cet insecte au 
vol harcelant put interrompre et ralentir le labeur du genie, on a dit : abreger sa 
vie. Ne croyez pas que je mele indument la critique, la politique et le sentiment. 
M. Monod s'etait-montre de bonne heure lui-meme. La meme annee ou Fustel 
avait analyse « les deux manieres d'ecrire l'histoire en Allemagne et en France » 
Monod lui faisait vis-a-vis dans une brochure dite Allemands et Frangais, qui 
elevait une vive protestation en faveur de l'armee prussienne (alors notre 
occupante) pour son admirable tenue, non sans contester ce que tout le monde 
avait vu de ses rapines et de ses cruautes. Le plaidoyer aboutissait a cette 
declaration d' amour : « L' Allemagne est la seconde patrie de tous les hommes 
qui etudient et qui pensent. » Jusque-la ce tres ancien hommage des delices du 
genre humain allait a la France, a Paris ; M. Monod le retournait en faveur de 
Berlin, d'lena ou de Leipzig. Ne manquons pas d'inscrire l'auteur d' Allemands 
et Frangais au premier rang des adulateurs qui ont excite 1' insane orgueil de 
1' Allemagne et Ten ont rendue presque aussi malheureuse que ses victimes 
directes. Avouons que le censeur intime de Fustel ne pouvait etre mieux trouve. 

Son droit de naissance avait vite gonfle son personnage dans 1' Oligarchic 
Professeur aux Hautes Etudes, plus tard au College de France, sans avoir meme 
son diplome de docteur es lettres, directeur de la Revue Historique editee par la 
maison Alcan 14 et, pour vingt ans, l'arbitre de l'agregation d'histoire, 15 
conseiller technicien de nombreux essaims de vocations juveniles, distributeur 
de consignes dans lesquelles la « science », la librairie et 1' administration fai- 
saient alterner leur autorite, la nullite connue de M. Gabriel Monod le mettait 



14 14. Alcan, editeur juif et Monod, directeur protestant meteque, se tenaient fort 
etroitement. J'etais inscrit, en ma qualite de critique litteraire et philosophique, 
sur les services de la maison Felix Alcan. Des mes premieres critiques contre les 
insultantes usurpations de M. Gabriel Monod, M. Alcan me fit l'honneur de 
m'ecrire qu'il me radiait de ses papiers en raison de mes « attaques », contre un 
dignitaire de sa maison. Ni le souci des idees et des lettres ni meme l'interet 
commercial ne comptaient devant l'interet de nos Oligarques confederes et 
solidaires au sommet de la Republique. L' administration superieure de leurs 
interets etait subordonnee en tout a ce lien. 

15 15. Le directeur actuel de l'enseignement secondaire s'appelle Gustave 
Monod. Ce prenom decele un descendant des Douze, un neveu ou petit-neveu de 
Gabriel Monod. Pour un beau resistant, c'est un beau resistant ! 



hors de tout debat. On disait couramment a la Bibliotheque nationale : « Monod, 
c'est bien certainement un c..., mais non pas un c... ordinaire, c'est un c... a 
part, un c... de haut vol, c'est un c... savant. » Ces gaietes un peu tristes 
soulageaient le Gaulois vaincu. Mais elles l'endormaient aussi. 

II y a des besognes ou 1' intelligence importe moins que le zele, la passion, 
l'interet, le tour de main. Gabriel Monod eut ce qu'il fallait pour intriguer avec 
bonheur en vue d'ecarter des oreilles de la jeunesse les verites capables de 
troubler sa foi democratique. Sans doute le sublime message de Fustel, tel que 
l'evenement le confirmait chaque jour, ne devait pas etre facile a mettre en 
echec ou en oubli pour de longues annees. Mais l'epreuve a dure jusqu'en 1905 
et 1910 (ou Monod est mort de fureur). L'homme de confiance de 1' Oligarchic 
n'avait pas du trop mal s'y prendre. Le coup reussit un bon bout de temps. 
L' Allemagne put marquer un point. 



4. Suite de la parade. 

L' Allemagne marqua d'autres points grace a d'autres moyens de 1' Oligarchic 

Sur des zones extraordinaires et pretendues libres : presse, edition, librairie, ou 
Ton redoutait quelque influence du meme maitre, la contre-attaque bien montee 
fit jouer des forces empruntees aux ressources de l'Etat ou aux agents speciaux 
des Etats confederes. Un journaliste important nomme Neffzer, ancien fondateur 
de la Revue germanique, avait affecte apres Sadowa, de mettre du vin dans sa 
biere ; il fonda le Temps qui ne devia que fort peu de la voie dangereuse 
denoncee par Fustel. Le « plus grand journal de la Republique » passa bien a des 
catholiques languedociens ; les freres Hebrard, mais un nomme Pariset, qui etait 
de la religion, y garda la haute main administrative, et ne cessa de gouverner 
droit. Son coreligionnaire Francis de Pressense fit la politique etrangere, d'autres 
la continuerent dans le meme esprit : devant chaque fait, revers ou echec grave, 
la methode etait de mettre d'abord en accusation la France, son caractere, son 
temperament, jamais les hommes, les partis ou les institutions qui la 
gouvernaient. Sur un autre rayon, un juif nomme Henry Michel donna le ton de 
la maison et le maintint avec une souple severite : il ne disait pas que ses idees 
differaient de celles de M. de Bonald, chose bien permise, mais qui ouvrait la 
discussion ; il disait que M. de Bonald n'avait pas de talent, ce qui la fermait. 
La vie du journal etait axee sur Jerusalem par le travers de l'Eglise reformee. Du 
temps qu'il publiait dans ce Temps, ainsi fait, sa paradoxale Vie litteraire, si 
riche en fausses notes dignes d'un vieux Francais, Anatole France s'avisait un 
jour de demander a Adrien Hebrard pourquoi son journal ne pouvait voir mourir 
un pasteur ou un rabbin sans leur faire des funerailles nationales et pourquoi, 
ajoutait-il, il n'y avait jamais un traitre mot pour un eveque ou un cure mort ? 



- Mais, dit Hebrard, il n'en meurt pas ! II en mourait, pourtant, toujours laisses 
sans sepulture. La publicite spontanee du Temps allait a cette France d'etrangers 
et de dissidents, titulaires et reservataires d'insolentes faveurs. Sur le reste il 
faisait tomber, a grands pans, d'enormes silences. 

Inoui, parfois, ce silence !... Placons-nous vers le debut de l'autre guerre. Notre 
budget du materiel militaire avait ete regulierement ecorne pendant douze 
annees successives. 

Mais nous avions beneficie d'une compensation qui tint du miracle. 
Combattants, techniciens, observateurs, simples spectateurs sont enthousiastes 
de F immense service protecteur qu'a rendu a la France le canon de 75, et le 
Temps, avec raison, s'occupe de savoir a qui doit aller la reconnaissance de la 
patrie. Ce chef-d'oeuvre de balistique s'est appele le canon Deport. Son auteur 
principal, le colonel Deport a eu des collaborateurs, des conseillers, des aides. 
On cite couramment Saint-Claire-Deville, Rimailho, Tournier, d'autres. On 
n'oublie pas le grand-maitre de l'artillerie de l'epoque, le general Deloye. Une 
fois construit, le canon a ete mis en service par le ministre de la Guerre de 
1897-1898, general Billot. On Ten remercie, lui et les autres. Qui, encore ? Les 
informateurs du Temps sont alertes pour que la liste soit complete. On l'a, 
longue et brillante, mais le jour ou elle parait, un nom en est raye. C'est le plus 
important. C'est celui du grand chef qui, sous sa responsabilite personnelle, 
faisant le choix initial, n'a pas craint de s'attirer des inimities, des rancunes, des 
calomnies, c'est le ministre de la Guerre de 1893-1895, le general Mercier : il a 
tout brise pour bien servir la France. Mais c'est aussi le meme qui, dans le meme 
temps, a ose faire arreter et juger le traitre Dreyfus : il a essuye en retour, avec 
deux communiques-ultimatums de l'empereur Guillaume II, tous les sales 
crachats des diffamations dreyfusiennes. Cela n'a pas suffi : vingt ans apres, en 
1915, le Temps lui inflige ce petit coup de pied de l'ane, sa radiation de la liste 
des constructeurs du 75 ! Or, cela ne va pas tout seul. Notre journal existe. II 
proteste. Nous feignons de croire a un oubli. On feint de ne pas avoir entendu. Je 
crie plus haut, aucun succes. Je crie encore : aucune reparation. L' auteur du 
bienfait public, decerne aux armees francaises, aux combattants francais, resta 
jusqu'a la mort sous ce coup d'echoppoir. Personne ne peut refuser au Temps le 
droit d' avoir ete et d'etre reste dreyfusard jusqu'a la folie ; on aurait fort bien 
compris, si sa conscience l'y obligeait, qu'il ajoutat au fait materiel du 
remerciement que meritait l'editeur du canon Deport ou, tout au moins, a la 
mention stricte a laquelle il avait droit, le flot d'anathemes ecclesiastiques de 
1' Oligarchic dreyfusienne. Ce qu'on refuse au Temps c'est le droit de renfoncer 
l'etre dans le neant. C'est qu'il s'arrogeat le pouvoir de dire a son public : 

- Void les bienfaiteurs de la patrie a qui est du le choix du canon sauveur, apres 
avoir epure ou expurge sa liste, de ce nom deux fois immortel. J 'admire 



egalement que le Temps ait fait si bon marche de sa parole a la face des hommes 
vivants. Fut-ce spontane ? Ordonne ? Je ne dis que ce que je sais. Devant des 
farces de ce calibre, il est permis de calculer combien de mensonges mineurs et 
de coups de pouces de seconde classe a du se permettre le Temps sous son 
masque de liberte d' esprit et d'objectivite anonyme. La verite etait que tout y fut 
regie sur les interets de 1' Oligarchic 

J'ai vu bien mieux, toujours au Temps : la metamorphose rapide de son critique 
litteraire, ecrivain remarquable : Paul Souday. II n' etait juif, protestant, ni 
meteque, ni peut-etre macon, assez anticlerical il est vrai, bien qu'il edt un frere 
pretre. Le futur bekannte Temps redakteur avait d'abord ete conduit par ses 
vives critiques du romantisme a un nationalisme intellectuel assez net. Ses 
etudes sur le theatre de Hugo dans le journal V Eclair en restent les temoins. 
Certains de ses premiers feuilletons du Temps, en particulier celui qu'il consacra 
le 3 juillet 1911 a Foggazaro, en redoublent la preuve d'ailleurs incontestable. 
Une pression se fit. Venait-elle de l'interieur du Temps qui, alors, s' etait 
pourtant un peu relache dans le sens francais ? Selon des informations 
parfaitement sures que j'ai donnees ailleurs et qu'il serait trop long de reprendre 
ici, le fait est que 1' Oligarchic intervint. Souday obtempera. II accepta les 
consignes antifusteliennes par excellence, liberalisme et germanisme, celles-ci 
poussees jusqu'au point d' avoir a subir devant l'Ennemi, en pleine guerre, les 
compliments de gratitude de la Gazette de Francfort. Cette collusion se 
poursuivit apres la victoire francaise. Le feuilleton litteraire du Temps fut le 
poste avance de cette « litterature de fuite » dans laquelle M. Daniel Halevy a 
discerne, a l'entre-deux guerres, un des principes de la decadence d'alors. C'est 
du Temps que fut ejectee la gracieuse epithete de « pangermanistes frangais » 
aux patriotes qui reclamaient un rearmement intellectuel devenu aussi necessaire 
qu'en 1912. Notre effort trouva contre lui ce mastodonte de la presse parisienne 
acquis a l'ennemi du dehors et du dedans. Ne soyons pas surpris que le Temps 
de 1944 ait du changer de nom comme un banqueroutier. 

Pour le secteur de 1' Edition, la France n' etait pas mieux servie. Les grandes 
entreprises, autonomes en principe, etaient assujetties a l'occulte distribution des 
places, des profits, des honneurs et des croix. Qui edt resiste a la pression de 
1' Oligarchic ? Qui aurait eu souci des mises en garde de Fustel ? Ses propres 
editeurs n'y ont songe qu' apres les demandes reiterees du public. Si Ton parlait 
beaucoup d'histoire, meme d'histoire de France, ou des rois de France, c'etait 
pour en exclure nommement tout profit d' esprit national : c'eut ete « de la 
politique ». 

Quand il suivait de loin la marche des armees prussiennes sur notre sol, 
l'historien Ranke faisait tenir sa joie dans le mot fameux : Nous faisons la 
guerre a Louis XIV... Chez nous, un haut fonctionnaire de 1' Instruction publique, 



historien de metier, ne rencontrait le personnage de Louis XIV que pour user de 
tous les moyens de le denigrer en commencant par lui contester le caractere d'un 
Francais (c'etait un Italien ou un Espagnol) et le grand objectif de son travail 
revenait a amputer le grand Regne de la moitie de sa valeur... Un eleve de 
Fustel, ou plutot non, son eleve unique, Frederic Amouretti, regla le compte de 
M. Lavisse en des termes qu'il faut garder : « Nous avons appris de M. Lavisse 
les merites du grand Colbert. Le meme historien nous revele que Lionne et 
Louvois eurent un role secondaire et que si la France n'avait pas eu une bonne 
diplomatie et une bonne armee a cette epoque, elle aurait ete bien plus 
prospere : elle aurait pu sans doute nourrir tous ses habitants et encore tous 
ceux des autres nations qui auraient voulu sefaire nourrir par elle. » Bien dit. II 
n'est pas moins malheureux que le chef-d'oeuvre des synergies du passe 
francais et peut-etre de tous les passes nationaux ait ete ainsi cache a la moyenne 
de nos compatriotes par l'auteur et par l'editeur d'une grande publication 
appuyee et recommandee par l'Etat. Un Ranke n'esperait venir a bout de Louis 
le Grand qu'avec l'aide de Moltke et de ses canons charges par la cubasse. II 
aura suffi a M. Lavisse d'un petit brin de plume au service d'une entreprise 
d'imprimerie. On en rit. On en pleurerait aussi volontiers. 

Notons en meme temps le triste sort d'un tres beau livre, qui fut retrouve par nos 
soins. Vers la fin de la vie de Renan, peu agres sa mort survenue en 1893, il etait 
bien porte de se taire sur sa Reforme intellectuelle et morale de la France si Ton 
avait la rare chance d'en connaitre le nom et l'interet. Lorsque le grand 
universitaire Lanson dressa la bibliographic de Renan, il en radia ce livre qui 
deplaisait souverainement a 1' Oligarchic La plupart des Francais lettres qui se 
flattaient d' avoir sur leurs rayons un « Renan » complet n'y possedaient point ce 
monument d'histoire nationale et de politique royale (16) . Tel fut le cas du propre 
pere de Jacques Bainville et d' autres que je sais. Sa resurrection commenca dans 
quelques journaux de droite pure, ou elle jeta la stupeur. Elle continua dans le 
Figaro de fevrier 1902 ou l'etonnement ne fut pas moindre. Le plus surpris fut 
l'editeur. Non qu'il faille reprocher aux Levy un sectarisme politique 
quelconque. Editeur en titre des princes d' Orleans (comte de Paris, due 
d'Aumale, prince de Joinville). MM. Calmann, Paul et Michel Levy, auraient eu 
avantage a mettre en vedette ce que Renan disait de l'oeuvre territoriale des rois 
de France ou de la res semblance du regne de Louis -Philippe a celui des 
Antonins. Ces vues brillantes et justes n'ont pu etre releguees dans les 
quatre-vingt-dixiemes dessous qu'en vertu de conventions ou de suggestions 
venues de haut et pour cause - la cause et la raison d'Etat qui nous conduisit a 
les remettre au jour. 



16 16 . La savoureuse decouverte de cette mise en interdit est de M. Daniel 
Halevy. Cet ecrivain, deja cite pour sa liberte d'esprit, aurait pu etre de 
1' Oligarchic II ne l'a pas voulu. Ce sera son solide honneur. 



5. Conclusion des tresors caches. 

L'histoire de ces tresors volontairement dissimules a la France aura done 
comporte trois phases. 

Dans le premier temps, long de quatre ou cinq lustres, par les emotions et les 
reflexions de l'ancien desastre, le patriotisme francais avait cree un certain 
nombre d'oeuvres de force et de lumiere analysant les causes de nos malheurs, 
en montrant les remedes, mais dans une intention de science pure. 

Dans le second temps, les idees ainsi exprimees inquietent, alarment, menacent 
1' Oligarchic qui tient le pouvoir : plus ces idees sont objectives et desinteressees, 
plus elle les craint : elle s' attache a mettre ces objets dangereux hors de prise et 
de vue quand elle ne peut les detruire. On essaie quelquefois de les remplacer 
par leurs contraires bruts, du type Lavisse-Monod-Lanson. 

Dans le troisieme temps, des besoins nationaux flagrants viennent de naitre. Les 
tresors menacants, puis menaces, sont graduellement retrouves par la generation 
dont ils ont ete le desir et redeviennent l'esperance. 

Le second temps a serre de pres le premier. Les heureux possedants ont send le 
peril instantanement, et ils n'ont pas tarde a se mettre en defense. Tout au 
contraire, le dernier temps a beaucoup traine dans 1' ombre de l'avant-dernier : 
ascendante ou installee, 1' Oligarchic a su longtemps refouler dans l'inconscient 
materiel le sentiment de 1' oppression qu'elle exercait. Cela s'eclaira done 
comme vous le dites, Monsieur, assez brusquement. 



CHAPITRE CINQUIEME 

DU KANTISME 

OU 

LA MORALE INDEPENDANTE 



1. Nos Kantistes. 

Entre un livre de tel auteur et ses lecteurs possibles s'imposait done la volonte 
de groupes, de compagnies, d' associations, interesses a mettre le peuple a l'abri 
et comme a couvert de certaines lumieres. Le jeu de la Liberte regnante 
consistait a user d' interdictions disciplinaires comme le Vatican ou 
d'echoppages au caviar comme la Russie des Romanoff. Mais il y eut autre 
chose et mieux que ce baillon liberal. On a vu se produire encore la meme action 
autoritaire inverse : toujours dans l'interet superieur de la Liberte, la pensee 
privilegiee d'un auteur sera ingurgitee bon gre, mal gre, a un certain public, par 
une equipe d'instructeurs armes par 1' Oligarchic d'un diplome d'exclusivite 
autrement efficace que l'ancien privilege du Roi. 

Qu'on ne m' impute pas ce que je me garde de dire. L' Oligarchic ne peut etre 
louee ni blamee d' avoir importe en France le Kantisme. Mme de Stael 
elle-meme a eu des predecesseurs. Ses successeurs sont innombrables. Au 
premier rang, personne n'oublie le mouvement de la Critique philosophique et 
da la Critique religieuse, dont les chefs, Charles Renouvier et Fr. Pillon, furent 
les directeurs de conscience des quatre Etats confederes, surtout de l'Etat 
protestant, veritables parrains de la troisieme Republique. Les Juifs apportaient 
des fonds, les Meteques de la chair et du sang, les Macons de 1' intrigue et de 
l'entre-gent ; l'esprit, si Ton peut dire, venait du groupe protestant liberal. Sous 
le second Empire, alors que la Republique etait belle, Renouvier avait fonde une 
ecole libre, qui operait a ses propres frais propagande et recrutement. Aussi lui 
arrivait-il d' avoir des idees politiques assez distinguees et meme singulieres : si 
M. Gabriel Monod fut le premier Francais nominal a donner un coup 
d'encensoir a l'Allemagne victorieuse des le bel an de Dieu 1872, Charles 
Renouvier fut le premier Francais de vieille souche (languedocienne) qui, la 
meme annee, avait conseille le renoncement public a 1' Alsace. II le fit dans sa 



Critique, c'est-a-dire chez lui et sous sa responsabilite. L' affaire n'etait qu'a lui. 
II n'avait pas charge l'Etat de solder 1' impression et la diffusion de cette 
ignominie. Tout changea quand un acte de favoritisme inoui eut mis les fonds 
publics a sa disposition. 



2. L' escalade. 

Le positiviste bizarre qui s'appelait Jules Ferry fit entrer cette nouveaute rue de 
Grenelle ou il etait ministre. Un petit groupe de neo-criticistes zeles : Ferdinand 
Buisson, Felix Pecaut, Edmond (ou Camille) See, Jules Steeg, (celui-ci ne 
comme par hasard, en Prusse) recut de M. Jules Ferry son autorite, sa puissance 
et me me son mandat expres sur 1' Instruction primaire de notre pays. II est 
permis de dire a cette troupe que ce n'etait pas de jeu. 

MM. Buisson, Pecaut, See et Steeg etaient bien gentils. lis n'avaient aucun titre 
a disposer en maitres des deniers, bureaux, salles de cours, nominations, 
revocations, deplacements et autres proprietes et benefices physiques ou moraux 
du Koinon francais au profit de 1' ideal moral de leur Koinon particulier et de sa 
nuance Kantienne. Ces quatre messieurs se conduisirent la comme aurait fait une 
equipe de tertiaires de Saint Francois ou de Saint Dominique, qu' aurait etablie, 
de sa grace, dans les memes locaux, Mgr de Frayssinous : le grand maitre de 
l'Universite de la Restauration n'avait rien ose de pareil. 

II est vrai que leur protecteur Jules Ferry tenait des assemblies de la Republique 
un pouvoir regulier constitue par le suffrage populaire. Mais d'abord, il faut dire 
au sujet de cet investissement que le corps electoral s' etait mele d'un sujet 
auquel il n'entendait rien, etant sans competence sur le probleme spirituel qui se 
posait. Les electeurs auraient ete moins incompetents si, par commune ou par 
paroisse, ils avaient ete convies a nommer, eux-memes, les maitres d'ecoles de 
leur choix, comme il arrivait tres souvent sous l'Ancien Regime. Ils auraient en 
ce cas pense a ce qu'ils faisaient ou tout au moins qu'ils le faisaient. Dans nos 
elections generates, les votants pensaient a autre chose qu'a 1' institution de 
l'ecole sous la discipline de Kant. Le decret, la loi, le scrutin n'ont pas nomme 
Kant. Ils ne l'ont pas vise non plus. 

Ceux qui prirent cette responsabilite du Kantisme le firent par surprise 
moyennant le detour anticlerical. Or, si, en bien des endroits, pas tous, et loin de 
la, la France etait detachee du cure catholique, elle ne 1' etait point de sa morale. 
Elle etait unanime a ne pas vouloir de celle de Kant. Raison : elle l'ignorait du 
tout au tout. On peut etre anticlerical sans etre Kantien, ni stoicien, ni meme 
huguenot. 



J'entends. II s'agissait de reorganiser l'enseignement, surtout primaire. Mais 
Duruy, Guizot, le venerable J.-B. de la Salle s'en etaient deja occupes avec 
devouement, bon sens, succes, sans vouloir imposer aucune volonte particuliere, 
aucune tactique de secte qui ressemblat comme ici a un tour d'escamoteur. Le 
catholicisme aurait pu exciper de l'assentiment ou de l'aveu implicite d'une 
immense portion du pays. Le Kantisme n'a rien recueilli d' analogue en dehors 
de 1' administration universitaire. Encore celle-ci n'eut-elle point a en decider. 
Tout s'est fait par la volonte de sa bureaucratie, de ses membres les plus 
influents. Les neo-criticistes qui menaient l'operation n'ont jamais fait connaitre 
leurs raisons. On ne les a pas discutees. Nous sommes en presence d'un acte 
administratif tout a fait arbitraire. II s'est produit en republique et regime electif. 
II aurait pu s'etablir par le meme moyen a l'interieur d'une dictature. Ce n'est 
pas que j' attache aucune valeur speciale a ce qui est delibere et vote. Je 
m' amuse a montrer que Ton nous a mis en presence du plus gratuit des faits 
accomplis. 

Tout s'est passe comme si le maitre de maison avait eu les yeux fermes par 
quelque endormeur magicien et que MM. Buisson, Steeg, See et Pecaud eussent 
escalade les murs de la rue de Grenelle pendant son sommeil. 



3. Le bien de l'ecole primaire. 

Les heros de 1' escalade voulaient a l'ecole primaire un bien special d'ordre 
surnaturel. C'etait leur droit de citoyen. lis n'avaient pas le droit d'en faire la 
matiere d'un enseignement public, obligatoire et universel. 

- Mais, diront-ils, le public voulait une ecole laique. 

- On voulait, en effet, une ecole qui ne fut ni de freres, ni de pretres, ni de clercs, 
mais ces messieurs y voulurent en sus, quelque chose d' autre. De tout autre. 
Leur philosophic subjective et privee exigeait dans l'ecole publique 
l'enseignement d'une morale independante conforme au postulat de Kant : cela 
suffisait a les retrancher, eux et leurs ecrits, de toute l'ecole francaise, de 
l'essentiel du Coutumier francais. 

L'a-t-on assez vu ? assez dit ? Ce Catechisme moral et civique de 1881 heurtait 
a angle droit 1' esprit de nos moeurs et de notre regie, meme si on les avoisine au 
plus sommaire de 1' esprit voltairien, ou du jeanj acquis me. 

La morale a toujours eu en France un caractere dependant. Plus ou moins elle 
etait engagee pratiquement de maniere a dependre et a proceder - autant certes 
que de la religion - des traditions, de l'honneur, des convenances, et de toutes 
sortes d'habitudes immemoriales dont les majestes inegales etaient invoquees 



tour a tour. On ne les confondait point du tout avec l'lmperatif de la Conscience 
individuelle, indice formel du Devoir, mais les uns et les autres jouaient en 
etroite connexion avec lui. En pratique, toutes les fois que la moralite 
1'emportait sur son contraire, ou le bien sur le mal, ces motifs plus ou moins 
secondares n'etaient pas etrangers a cette victoire. En vue de ce triomphe, on 
faisait fleche de tout bois. Ce bois supportait comme un thyrse des feuillages de 
toutes formes et de toutes couleurs. Aristote n'avait pas eu honte d'appeler la 
vertu une bonne habitude ; la vieille experience du pays n'y trouvait pas non 
plus d' inconvenient. Or, la poignee le novateurs etablis (established au sens 
anglais) par Jules Ferry, exigeaient, dans un esprit radicalement oppose, que 
1' impulsion morale fut absolument pure : plus que la primaute, plus que 
1' autonomic de la Conscience dans la personne, ils voulaient la delimitation 
rigoureuse de son domaine, l'isolement severe de son enceinte, son jeu separe. 
Tous les facteurs de la decision autres que le Devoir etant juges adventices ou 
parasites, on l'opposait a ces impediments, on refusait de consentir a le 
composer avec eux. On raffinait, on quintessenciait cet element solitaire et 
rarefie. Tel etait du moins le langage de ces Precieux idolatres. Jusqu'a quel 
point pouvaient-ils le penser ? 

Dans la pratique, 1' operation ne fit guere que substituer un peu de pain sec, et 
tres sec, au riche et complexe aliment dont on s' etait fortifie j usque-la. Cette 
nourriture donna 1' impression d'un affaiblissement. On osa le dire, le redire, 
meme le crier un peu. Le contraire aurait etonne. 



4. Le sort commun de la morale. 

Raisonnons. Les objections et les oppositions ne pouvaient pas manquer devant 
cette metamorphose. C'est une grave affaire que le renversement de toutes les 
assises morales d'un peuple. Le phenomene est plus grave encore s'il a lieu par 
l'autorite de l'Etat. Contrainte, nouveaute, etrangete, marque etrangere, ambition 
affichee de contredire et de deposseder ce qui avait possession d'etat : plus que 
tous ces malheurs le noble stoicisme Kantien avait contre soi sa debilite, son 
aridite et sous la rigueur de mots, la friabilite de leur sens. On compte se tenir 
bien droit quand on vient d'avaler une tringle, mais si elle est faite de sucre 
candi ou de sel marin ? 

Le nouveau produit etait, de nature, trois et quatre fois voue a la discussion, car 
ce genre de discussion a eu cours en France des les temps les plus recules. Nos 
Francais n'ont jamais neglige de contester les racines de leur vie morale, 
quelque veneration superieure qu'on y attache, quelle qu'en soit l'efficacite 
eprouvee. C'est leur sort commun. Chacun de nous se sent tres libre de refuser 
sa foi au commandement qui s'autorise de la volonte de Dieu, de la nature de 



l'ame, du bon ordre du monde ou de celui de la patrie ; chaque imperatif est 
analyse, et chaque garantie est decortiquee au grand air ; les contestations et 
meme les revokes ont toujours ete osees contre les plus puissantes raisons de 
l'obeissance au devoir, contre la plus magnifique bienfaisance de leurs effets ; 
toute bouche et toute plume a pris la liberte de se mesurer au Legislateur 
transcendant, a sa personne divine, a la sanction terrible ou delicieuse de sa 
justice et meme aux plus tendres appels de sa charite : on s'est tres rarement 
gene devant aucune de ces precieuses forces contributives au regne du Bien. Ce 
qui est cependant un regne difficile ! Un regne qui requiert, pour se realiser, le 
plus rare et le plus heureux des concerts entre les manieres d'etre et celles de 
penser, les moeurs, les lois, les administrations et les gouvernements, sans en 
oublier le gendarme et le juge de paix, car si le bien n'est pas opere de bon gre, 
il ne saurait etre mauvais d'entraver la course du mal... Eh ! eh ! tant pis pour le 
Bien ! Et pour le mal, tant mieux ! Quelque imprudence qu'il y ait a separer par 
la pensee ce que la Nature et l'Histoire unissaient, le Francais critique et 
frondeur n'a jamais tari d'objections, d'ironies, de brocards pleins de verve, 
contre les Fais cela les mieux motives, les justifications, adjuvants, 
complements et prolongements de toutes les formes de Morale en action. En ce 
pays, Montaigne est eternel ou, si Ton prefere endemique. Pascal aussi. La 
simple etiquette du Criticisme n'y peut exonerer ce systeme de la critique ! Le 
sy steme de l'examen n'echappe point a l'examen ! 

Telle est pourtant sa pretention. 

Pourquoi ? 

Apparemment parce que sa doctrine n'est pas tres sure d'elle-meme, car enfin 
elle met le devoir tout nu, en se flattant de le renforcer. Ce qui est contradictoire. 
Un diplome d'Etat peut exempter de tout controle cette nouveaute favorite : 
croit-il suffire a faire taire le vieil esprit des mats, des si et des pourquoi ? 



5. Autre s difficultes. 

En fait, la pression administrative, aggravee d'une veritable exclusivite, fut la 
seule cause du succes relatif de la Morale independante. Si le Kantisme eut ete 
reduit a ses moyens propres de penetration parmi nous, son formulaire universel 
et inconditionne n'aurait jamais pretendu a moderer le dereglement des coeurs et 
des corps. Sinon, il eut prete a rire, car son rigoureux heroi'sme interieur ne se 
contentait pas de vouloir payer seul tous les frais de la vertu privee et publique ; 
ce veritable Hercule de l'Olympe moral ambitionnait en outre de garantir 
lui-meme les certitudes ebranlees du monde, de l'ame et de Dieu. Cette morale 
qui, a l'origine refusait de dependre de rien faisait, a 1' autre bout, dependre 



d'elle toute chose ; Dieu lui devait son retour final a l'etre et a la vie. Lui, ne 
pouvait rien gager ni repondre de rien. Et elle finissait par le ressusciter ! Notre 
sourcilleux stoicisme se defendait de vouloir faire le bien pour 1' amour du 
justicier supreme, mais notre faculte de faire le bien nous faisait logiquement 
engendrer la justice de Dieu... Oh ! la ! la ! Et encore, la ! la ! 

A premiere vue, le monopole d'immunite reclame par le Kantisme eveillait un 
vague sourire d'ironie. A la reflexion, c'etait un vrai gaz hilarant. 

Et Ton n'aurait pas eu le droit de crier que 9a n'entrait pas ! Et que Ton 
n'encaissait pas 9a ! Qu'est ce qui aurait obtenu le silence discipline des 
Francais ? A la suite de l'estampille officielle, la marque allemande ? 

Quelques mots de vous, Monsieur, ont semble m'indiquer que vous inclineriez a 
admettre ce traitement d' exception en faveur de l'Ethique de Koenigsberg. Ce 
n'est pas d'aujourd'hui que l'idee de cette faveur me frappa de stupeur. 
Personne n'est plus convaincu que je ne le suis du theme comtiste que « la 
soumission est lu base du perfectionnement ». Je tiens pour demontre et toujours 
demontrable le profit qu'il peut y avoir a s'assimiler n'importe quelle 
philosophic morale. Mais cette generalite ne peut valoir pour consacrer une 
exception. D' autre part, ce n'est pas en catholique croyant que j'ai reagi contre 
Kant. Le titre confessionnel qui me convient le mieux serait celui de positiviste, 
le meme qu'usurpait ce kantiste larve de Jules Ferry, et je crois etre stir de ne 
subir aucun entrainement religieux. Ne craignez pas de m'ecouter dans ce 
rapport du fait suivant qui illustre notre debat. 

Vers 1883 ou 1884, un jeune homme d'un beau genie, que nous perdimes peu 
d'annees apres, et que vous connaissez de nom, Jules Tellier, presentait a la 
Revue Bleue, par 1' intermediate de Jules Lemaitre, son ancien professeur de 
rhetorique au Havre, un manuscrit philosophique intitule, sauf erreur, Les 
Dernieres pensees de Tristan Noel. Ce Tristan etait un nihiliste tres radical qui 
distillait un corrosif universel : Dieu, l'etre, le neant, le monde, la vertu, la joie, 
la peine, le bien, le mal, la foi, le doute, 1' amour, la patrie, le foyer, tout y 
passait : de feuillets en feuillets, le directeur de la Revue, normalien de grande 
classe, M. Eugene Yung, lisait, relisait, savourait, en les admirant, comme elles 
le meritaient, chacune de ces sombres medailles frappees au titre de la plus 
uniforme des subversions mentales. II jubilait a se representer l'enthousiasme du 
public a la revelation d'un nouveau Voltaire, plus noir. Mais il fit soudain un 
bond en arriere : l'auteur du manuscrit, dans la verve de son carnage, venait 
d'accrocher l'imperatif categorique et de contester le devoir kantien : 

- Ah ! non, pas ca, pas ca ! Qa, c'est sacre .'... Ce supreme blaspheme de Tristan 
Noel le fit econduire sans douceur des bureaux de la Revue Bleue. Je ne passais 



jamais boulevard Saint-Germain, au coin de la rue de l'Odeon, devant la petite 
boutique etincelante de la Revue, sans revoir Jules Tellier, Tristan Noel, Jules 
Lemaitre, M. Yung et Kant. Pourquoi Kant y etait-il plus sacre que le Pere 
eternel ? Pourquoi le devoir devait-il prevaloir sur la foi et 1' amour ? M. Yung 
ne s'en etait pas explique, ou Tellier n'avait pas compris. II me conta son 
aventure comme un inexplicable mystere telle que la lui avait decrite une lettre 
de Jules Lemaitre que j'ai lue plus tard. Je peux en garantir deux fois 
l'authenticite, temoignee, de bouche et d'ecrit. C'est un des traits les plus 
curieux de l'histoire des idees a la seconde decade d'annees de la troisieme 
Republique. Ses fondateurs avaient la foi sincere de Charles Renouvier. Mais la 
seconde generation, dont etait Jules Lemaitre, 1' avait perdue. Quant a la notre, 
Tellier, Barres et moi, n'y pouvions pas penser sans rire. 

La resistance au Kantisme a pu manquer de pertinence. A travers les 
maladresses, ou, si vous voulez, les contresens, son point faible avait ete 
neanmoins bien vise dans l'ordre du reel : un effarant subjectivisme, qui ne 
sortait de 1' impotence pure que par 1' excitation d'un orgueil insense. A semer 
cette enorme inflation de la personne humaine, on recolte, en fait, de 
l'inhumanite. II n'est point de « raison pratique » sans le controle de 
l'experience : le pieux desir kantien mis a l'essai de la vie francaise ne s'est 
trouve ni tres efficace ni tres salubre pour notre patrie. 

L'aride mobile moral a ete d'autant plus desarme contre les egoismes que ses 
adaptateurs parisiens avaient du l'alleger de ses deux absurdes fardeaux de 
theogonie et de cosmogonie. Non que l'equipe des « Manuels primaires » fut 
composee de sans-Dieu, comme on l'a cm. Leur grande idee etait seulement de 
« se passer de cette hypothese » pour commander au petit homme les regies du 
Bien. Du moment que « l'hypothese » ne patronnait plus le Devoir, il devenait 
paradoxal de soutenir que le devoir patronnerait l'« hypothese ». N'alleguant 
plus le createur, la morale independante evita de se dire creatrice de Dieu. Done, 
en pratique, Dieu fut raye. Non point tout d'abord des programmes 
administratifs, et legaux, mais des le debut, dans 1' usage recommande. Tout se 
passa comme s'il avait existe dans la loi une clause d'ecole sans Dieu. 

Clause liberatrice pour les uns, anarchique pour les autres. Elle put liberer de la 
contrainte religieuse, mais detruisit ou affaiblit les liens sociaux, nationaux, 
moraux. L'interet que l'individu peut avoir a rompre ces differents liens est 
unique, au fond. C'est la liberte des passions. 

Au temps ou mon ami Henri Vaugeois professait dans les universites populaires 
de la tres kantienne Union pour L' action morale, il n' etait point rare que le futur 
directeur de V Action frangaise vit des ouvriers de tout age approcher de son 
estrade pour lui poser la meme question : 



. - Monsieur, est-il vrai que la science prouve qu'il n'y a pas de Dieu ? 

Cela signifie quelque chose. Cela doit prendre rang dans l'histoire des « masses 
profondes ». Marx n'y est entre qu'a la suite de Kant. Je n'ai jamais aime la 
these de la « religion pour le peuple » comme la prone Voltaire. J' aime encore 
moins la derision que Ton en fait. La-dessus, qui de nous n'est pas peuple ? Qui 
n'a interet a l'ordre moral public ou prive ? 

Un petit Kantisme portatif et primaire put etre utilise pendant une quinzaine 
d'annees, au bout desquelles il fallut convenir que les nouvelles generations n'y 
avaient puise aucun supplement de respect, de discipline, ni de civilite puerile et 
honnete. Les rapports naturels en ont ete plutot distendus, la criminalite generate 
n'a pas baisse : au contraire. On a vu apparaitre des epidemies de delinquants 
nouveaux, tels que les consents antimilitaristes, qu'un brevet de made in 
germany ne rendait pas plus recommandables. lis auraient beneficie de la tendre 
indulgence de MM. Buisson, Pecaut, Steeg et See, mais la mediocrite du sens 
national de ces messieurs ne peut etre invoquee a la gloire de Kant. La France a 
ete le seul grand pays d' Europe ou 1' education populaire ait ete retournee contre 
la patrie. Les chefs socialistes y ont leur responsabilite, les maitres kantiens n'en 
sont pas innocents. Sans doute, honnir Kant comme boche ne prouve rien de 
plus que de l'exalter comme tel. Mais justement ! C'est de cet etonnant pays de 
cocagne philosophique, c'est de la mirifique patrie prussienne, dont il arrivait en 
trois bateaux, que Ton s'est le plus reclame pour vanter et favoriser sa marchan- 
dise. L' argument eut l'honneur du Senat francais : quelque rural ou vieux 
militaire ou gentilhomme de l'Ouest faisant valoir un jour a la tribune du 
Luxembourg la faillite plus que probable de la morale independante, il courut 
sur les bancs un murmure scandalise, deux ou trois voix fuserent pour invoquer 
la nue sinaitique de la philosophic allemande. Elles dirent : 

- Ignorez-vous par quel processus dialectique l'Allemagne a confere au Devoir 
pur la meme autorite qu'a la voix divine ? 

Aucun senateur ne voulut avoir ignore cette merveille. Personne n'osa contester 
cette haute caution germanique, qui valait bien l'americaine pour un bibelot 
d'Edison. Et telle etait la force organique du prejuge : l'Allemagne ! l'Alle- 
magne par dessus tout ! 

Mais on allait parfois jusqu'a se reclamer d'une tres vieille Allemagne : celle 
d'il y a trois siecles. Un neo-criticiste de l'equipe de Jules Ferry ne nous a pas 
laisse ignorer qu'il travaillait a obtenir, « par Vecole », au XIX e siecle ce que ses 
aieux n' avaient pu avoir « par I'eglise » au XVI e . MM. Buisson, Steeg, See et 
Pecaut manoeuvraient en simples eidgenossen, ou conjures ou conjureurs, de 



1562-1598. En veritables huguenots. lis s'appliquaient a nous germaniser, ou 
nous barbariser, et plus precisement a nous deromaniser, operation qu'il est 
permis de juger pire qu'un attentat a la conscience morale de la France et a son 
unite historique : c'est une offense a la cohesion mentale de 1' Occident. 

6. Les reactions. 

On dit que le prestige de l'Ecole primaire en a ete releve. Peut-etre que oui. Non, 
tres certainement, sa force. Non le service qu'elle voulait rendre. Elle n'a meme 
pas reussi a devenir le foyer d' instruction qu'elle avait desire. Depuis qu'elle est 
sans concurrente ni emule a redouter, le nombre des illettres analphabetes ne 
s'est pas abaisse, au contraire. Ce qui a gagne aussi, c'est un sombre et tranchant 
pedantisme, sans l'excuse du grand savoir. Pauvre Demos ! Apres s'etre 
applique a lui cacher les vrais maitres, on lui en a impose de fallacieux : sans 
qu'il y eut de sa faute, ceux-ci l'ont fait traiter de « primaire » et d'« aliboron » ! 
Pour moi qui n'ai jamais use de ces sobriquets malheureux, je ne crois pas que 
Demos sera retenu pour toujours dans ces « mensonges qui nous ont fait tant de 
mal » (17) . En repandant le gout religieux du savoir, la peu prudente Marianne a 
coupe des verges pour la fouetter. Son Demos, entendant parler de verite, fera 
certainement un sincere effort pour l'atteindre ; il ecoutera les langages, 
comparera les discours et voudra percer jusqu'a la chose qu'on lui a cachee. 
Cette verite vue ou entrevue, sa lumiere fera des siennes. Elle jouera plus d'un 
bon tour ! S'il est absurde et ridicule de soutenir que Demos doit se gouverner 
lui-meme, s'il est clair qu'il ne le peut pas, il n'est pas moins certain que la 
verite (et cette verite-la) est faite pour lui, il peut la saisir un jour ou 1' autre, et 
chasser l'erreur ennemie qui est le principe de ses maux. Quand ? Ce soir ? 
Demain ? Patience ! Peut-etre a la prochaine faillite du marxisme qui en a deja 
fait plusieurs. J'ai vu trop d'instituteurs vieux et jeunes dans les salles d' Action 
Frangaise pour qu'il soit permis d'en desesperer. 

Un retournement de ce genre a deja eu lieu, pour l'enseignement secondaire. 
Nos lycees et colleges avaient subi bien des maladies sans excuse, dans leurs 
classes d'histoire et de philosophic La pretendue reforme de 1902 en avait 
elargi la plaie. Des faiseurs bien places avaient lance des modes qui avaient 
envahi beaucoup de chaires. Le kantisme, entre autres, y dura, puis declina et 
finit par passer, mais non le germanisme ; « ce joug allemand » (18) pesa dans ces 
parages, fort au dela de la premiere decade du XX e siecle, quand Pierre Lasserre 
publia sa Doctrine Officielle de I'Universite, grand livre a relire aujourd'hui en 
meme temps que Le Germanisme et V esprit humain, du meme, posterieur de 
quelques annees. L' opinion libre etait remuee, inquietee par des tetes inquietes. 



(1) Marechal Petain. 

Hors du joug allemand par Leon Daudet. 



Un grand nombre de Francais etaient obliges de se demander quel interet 
1' Oligarchic republicaine elle-meme pouvait avoir a fabriquer en serie de petits 
anarchistes germanoides et pro-allemands. Le professeur hier docile finit par 
s'insurger. On a vu le boulangisme sortir d'un dissident du gambettisme comme 
Clemenceau. Les reflexes audacieux de Pierre Lasserre etaient sortis, dix ans 
auparavant, d'un groupe de dissidents de I' Action morale ou il comptait avec 
Vaugeois et Pujo et qui avait eminent subodore dans 1' Oligarchic Kantiste 
quelque chose comme une anti-France et comme le regne de VEtranger... 

L' accusation est grave en France, meme quand elle est immeritee. Elle a suffi a 
diffamer de grandes reines et regentes, « l'Espagnole » Blanche de Castille, 

s 

l'« Autrichienne » Marie Antoinette. Marianne est ainsi devenue « l'Etrangere » 
mais, il est vrai, sans en souffrir beaucoup plus que Catoblepas qui devorait ses 
pattes sans s'en apercevoir. 

Voyez-vous, maintenant, Monsieur, ce qu'a ete notre opposition au kantisme ? 
N'y trouvez aucune indocilite d'ecolier. Elle ne visait pas un enseignement 
quelconque, elle n'exprimait aucune inimitie contre une lecon apprise : nous 
aurions ete reconnaissants, volontiers, a qui nous eut appris quelque chose, 
n'importe quoi. Le cas etait different ici. Une doctrine ne se parait des pompes et 
des majestes de l'Universel que pour nous depayser en declassant et 
sous-classant notre pays : on pretendait nous condamner a mepriser la France au 
nom de 1' esprit humain ou du genre humain. Or, la premisse admise, la 
conclusion ne nous paraissait nullement forcee. Nous avions derriere nous de 
longs siecles de France catholique dans lesquels la patrie et l'humanite avaient 
fait bon menage. Rien au monde n'empechait un prelat comme Mgr Freppel de 
rendre grace et gloire aux tombeaux et aux berceaux de 1' Alsace natale sans 
prejudice pour son oecumenisme romain. L'Universel Kantien, s'il n'etait une 
hypocrisie, n'aurait pas du gener les reflexes du coeur francais. Mais il repandait 
un puissant foetor germanicus. Nous le voyions et l'experimentions ainsi, tout 
autre qu'il ne se disait, sans compter que nous le jugions mediocre en soi, peu 
efficace et, on l'a vu, contradictoire. Sa propre histoire suffisait a le convaincre 
d' avoir confisque, par le simple detour d'un corps electoral incompetent, le 
budget total de notre instruction primaire, l'etendue de ses locaux communaux, 
les fonctions et l'autorite de ses maitres, pour des fins ou l'Etat, la Nation, la 
Societe etaient voles tous trois. II fallait bien nous elever contre ces tromperies ! 
S'il y avait la de la haine, elle ne provenait que du triple amour de la verite, de la 
justice et de la patrie. 

Vous ajoutez, Monsieur : 

- Peut-etre d'un quatrieme amour ? Celui du catholicisme ? 



7. Du catholicisme. 

En effet. L' absence de foi ne me dispense pas de voir dans le catholicisme le 
grand bien que j'y aime : tres haute bienfaisance dans un passe et un present 
d'ou Ton n'a pas le droit d'exclure l'avenir. Sur le champ des societes humaines 
ou se sont toujours situees mes reflexions, je ne vois rien de superieur au 
Catholicisme. II est supra-national. II est pro-national. Les deux plans ne se 
heurtent point. Sa predication, comme sa morale des hierarchies, soutient des 
rapports tres etroits avec cette tranquillite de l'ordre qui s'appelle la Paix et qui 
est le souverain bien politique. Les autres communions chretiennes, dont il faut 
la distinguer avec soin, ne parviennent pas a s'affranchir de l'orgueil, le fleau du 
monde, et des perpetuels retours sur soi, qui renaissent de ce fleau : etats 
d' obsession et de comparaisons qui a leur tour inspirent la tristesse, la jalousie, 
la haine, les differents gouts de detruire et leurs iconoclasties furieuses. C'est 
seulement sur les ailes extremistes de la Communion romaine (Savonarole, Port- 
Royal) qu'on retrouve une ombre de ces passions suicides. Dans le vaste 
entre-deux que preside et dirige la Papaute, avec les deux saints Francois, saint 
Thomas, saint Dominique, saint Ignace, les deux saintes Therese, comme aux 
premieres meditations sur l'Evangile, le Catholicisme n'est qu' amour, charite, 
au moins bonte, secours aux ames et aux corps. Tout y semble epanche d'une 
grace de Notre-Dame. La refluent ou doivent regner, non ces hyper-evangelistes 
ou super-spiritualistes trop aiders pour prendre garde a l'homme dans l'homme 
et qui negligent les vertus d'honneur, de douceur et d'equite, la loyaute et 
l'honnetete de la vie, la, dis-je, doivent subsister, envers et contre tout, ces 
aimables vertus, dites cardinales, qui ne permettent pas a la religion de s' adapter 
des masques de tartuferie et d'inhumanite. Sans doute est-il des pays ou le 
catholicisme contemporain se trouve assombri et meme sali de hargne 
democratique : celle-ci vient d'ailleurs, elle est surajoutee, comme le pretendu 
«ferment revolutionnaire de l'Evangile ». Les immenses progres que l'Eglise 
catholique a fait faire au genre humain se reconnaissent a la verticalite de sa 
fleche, vol des ames, elevation des esprits, qui sont sans ressemblance avec les 
traits de basse rapine horizontale propres aux conquetes terrestres, toutes 
materielles, observables dans la religion pretendue reformee. La barbarie de 
Luther que Fichte appelle « l'homme allemand » veut 1' effort pour 1' effort et la 
guerre pour la guerre. Sans y mettre moins de courage ni soutenir un combat 
moins ferme, le Catholicisme de saint Louis, de Bossuet et de Mistral sait dire a 
quels dignes termes il aspire, quelle paix sereine entendent viser ses desirs. 
L'amour divin n'y est concu au rebours d'aucune des joies honnetes de 
l'existence auxquelles on le prefere sans les lui opposer ; les saintes douceur du 
Ciel ne maudissent aucune de ces vertus moyennes que meprisent egalement le 
huguenot rigide et le democrate imposteur. La morale catholique ne denie pas 
plus qu'elle ne corrompt les beatitudes humaines a la condition de n'en point 



separer la priere d'un humble amour. C'est d'ailleurs pourquoi l'auteur de 
L'Imperialisme protestant, M. Frederic Hoffet, avoue qu'il manque a ceux de sa 
confession un certain air de bonheur. Le Catholicisme en ruisselle. Aussi Louis 
Veuillot disait-il a une dame russe qui s'annoncait catholique : « A la bonne 
heure ! Ce sera plus gai ! » Que cette aimable gaiete se soit attenuee, c'est dans 
la seule mesure ou les moeurs catholiques ont ete mordues d' esprit dissident. 
Ces esprits ne sont pas seulement tristes et hargneux, ils sont cupides, ils sont 
avides, et ce n'est pas de quoi les admirer ou les vanter si Ton considere l'interet 
du repos des peuples. Encore un coup, je juge du point de vue qui est le mien : 
mon amour du peuple francais. 

- Mais, comme citoyen du monde ? 

- Comme citoyen du monde, interesse a ce que soient enseignes a l'homme le 
meilleur de la nature et le meilleur de la surnature, notre plus belle heure 
tiendrait a la pleine reussite de quelque Conversation de Malines ou de quelque 
Congres des oecumeniques d' Amsterdam, qui feraient aboutir la reunion des 
Eglises autour du Siege romain : aujourd'hui, devant l'O.N.U. comme hier 
devant la S.D.N., Rome ne cesse pas de m'eblouir du titre de « seule 
Internationale qui tienne ». 



CHAPITRE SIXIEME 
TATONNEMENTS ET TRANSITIONS 



Par la morale independante, qui est le petit nom du Kantisme, par l'aveu ainsi 
fait de sou influence spirituelle essentiellement germanique, 1' Oligarchic s'etait 
en partie demasquee. Elle s'etait aussi aliene par degres une portion des classes 
cultivees : celles qui etaient independantes de l'Etat et les plus anciennes de la 
Nation. Bien des groupes considerables qu'elle avait d'abord entraines ou 
submerges vers 1877, commencaient a se detacher d'elle entre 1895 et 1905. La 
qualite de leur resistance et de leur critique comptait et pouvait ouvrir des 
esperances pour un avenir eloigne. Mais le developpement de l'Etatisme dans 
tous les sens etendait assez de ramifications nouvelles pour compenser cet 
affaissement et ce vieillissement par en haut. La doctrine de Jules Ferry, 
maitresse de l'Ecole normale des departements, embauchait cent mille 
instituteurs publics pour ses pretres, sacristains, proselytes, devoues a l'idee, au 
regime, au parti, a sa tradition de moins en moins nationale et de plus en plus 
centrifuge. Les frais du culte pouvaient s'accroitre a l'infini : ils ne coutaient 
rien de special aux religionnaires, l'Etat payait. Mais il en resultait un fait 
nouveau assez dangereux pour ses beneficiaires : ce mecanisme rattachait nos 
Ecoles, meme les plus illustres, nos Facultes, Sorbonne comprise, au domaine 
moral d'Outre-Rhin. 

Le fait fut etabli par l'enquete sensationnelle d'Agathon sur L' esprit de la 
Nouvelle Sorbonne. Agathon etait le pseudonyme de deux ecrivains de vingt 
ans : Henri Massis, Alfred de Tarde. Ils ne disaient rien qu'ils n'y eussent vu et 
souffert, de leurs yeux inquiets de bons Francais nes qui n'avaient sujet ni de 
s'inscrire au matricule intellectuel allemand, ni de faire de 1' opposition a un 
regime politique etabli. Cela verifiait le malaise general et le renforcait. 

Aux memes temps, sur un terrain plus particulierement politique, la meme 
inquietude allait apparaitre par 1' incident Jaures-Andler. Universitaire tres 
distingue, specialiste de l'Allemagne, militant socialiste en premiere ligne, 
Charles Andler etait revenu d'un voyage d' etudes en Allemagne avec des 
sentiments nouveaux. II avait enfin vu son erreur sur les intentions et les 
preparatifs guerriers allemands. II en rapportait la preuve. Cette evidence 
experimentale se heurtait a trois dogmes de son parti : 



1° Une guerre moderne etait chose impossible ; 

2° Le peuple allemand, pour son commerce et son industrie, eprouvait un besoin 
de paix absolu ; 

3° Si jamais l'empereur et les junkers voulaient faire la guerre, vingt millions 
d'ouvriers feraient la revolution en Allemagne. 

Jaures ne permit pas que Ton doutat de ces reveries. 

Siegeant sur son pic Sibyllin, Jaures excommunia Andler. Cette ceremonie 
absurde n'aurait du agir qu'a l'interieur du parti socialiste unifie. Tout le pays 
legal de la Republique se leva pour en applaudir Jean Jaures. C'est que, des trois 
principes jauresiens, il y en avait deux qui faisaient corps avec le postulat de 
l'Oligarchie : il lui venaient de Gambetta, c'etaient eux que Ton avait statufies 
sur la place du Carrousel. Le pays legal avait applaudi de meme, peu auparavant, 
ce ministre de la guerre de 1908, general en activite de service, qui declarait que 
la guerre etait de venue impossible au pur soleil du vingtieme siecle. L'armee ne 
1' avait pas ecoute ou s' etait detournee de lui. Mais les autres administrations 
etaient jauresiennes dans l'ame. Toute verite les trouvait incredules et 
impermeables, non seulement les preuves d' Andler, mais les incidents 
internationaux, echos des cours imperiales et royales, rapports des 
ambassadeurs, bruits d'armes courant le Danube et le Rhin, Congres socialistes 
eux-memes... Un pedantisme ideologique indure s'opposait a chaque lecon du 
reel vivant. C'est bien en vain que les derniers Cahiers de Peguy donnaient tort 
a Jaures et raison a Andler, la reponse etait toute faite : 

- Andler est fou. II noircit 1' Allemagne. II meconnait meme l'Empereur. Le plus 
grand plaisir de Guillaume II est de se faire appeler « l'empereur francais... » On 
l'aurait comme on voudrait en l'invitant a venir faire un tour a Paris. Quelques 
acclamations nous l'attacheraient a jamais. Qu'est-ce que le pont neuf d'un 
ennemi hereditaire ? Le faux nez d'un vieux chauvinisme ! Les Allemands sont 
des hommes comme les autres. lis ne demandent qu'a s'entendre avec nous, et 
cela vaudra mieux que de nous entrebattre eternellement. 

Devant ce theme toujours repris par l'Oligarchie et ses neo-Francais de 
V intelligentzia liberate et democratique, le coeur francais n' avait jamais manque 
d' esprit. II admettait tout, cedait tout, mais se repliait sans mot dire sur ce voeu 
de simple prudence qu'une petite part d' attention fut reservee a l'eventualite 
d'un malheur, a ses risques, a ses perils. Si des catastrophes sans mesures sont 
de simples reves, tant mieux ! Une mise en garde discrete et solide ne fera de 
mal a personne. 



- II faut, murmurait done un esprit public deja net, il faut un minimum de 
previsions et de vigilances, les precautions elementaires d'un gouvernement 
national. 

A quoi il etait repondu, des hauteurs et des profondeurs de 1' Oligarchic : 

- Ce sont vos precautions qui menent a la guerre. Et tout droit ! C'est de ce 
Nationalisme ombrageux qu'il importe de s' evader. 

- Le Nationalisme n'est pas la guerre. 

- II la veut. 

- II la voit venir. Qui s'aveugle contre un risque le paie. 

- On le paiera plus cher du moment qu'on acceptera ce risque impie. 

- L' acceptation ne depend pas de nous. La menace connue, peut etre ecartee. 
Celle qu'on nie n'a qu'a s'accomplir, elle emporte le desastre : vous y poussez. 

- Quel desastre ? D'ou ? Par qui ? De quelle main ? 

- La main armee et surarmee de vos grands amis allemands. 

- lis seraient les votres si vous saviez prendre cette main tendue. Vous aimez 
mieux la defier. 

- Mais ce sont eux qui parlent beaux premiers de la guerre fatale. 

- Aucune guerre n'est fatale. 

- Pas meme celle qu'on veut nous declarer ? 

- L'Allemagne est pacifique. 

- Voyez si elle n'arme pas ? 

- Voyez l'essor de ses usines. Leur prosperite suppose la paix. 

- Leur prosperite entraine a la guerre. Son travail l'y mene deja. 

- Qu'en pouvez-vous savoir ? 



- Ce que nous ont fait savoir ses victoires. Qu'est-ce qui a suivi sa prosperite, 
ponctue nos defaites ? Des provocations. En 1875. En 1887. Puis (alors meme 
que nous etions virtuellement allies, etant ceux des Russes) en 1894 et 1895, 
puis en 1905 et 1908, autant de signes de son appel a la force brute. Mais vous 
n'en voulez rien savoir. 

- Notre raison les nie. 

- Quelle raison ? 

- Le stade evolutif du monde ; economiquement comme moralement la guerre 
est impossible. Financierement, aucun Etat europeen ne supporterait six 
semaines de mobilisation... 

- La monnaie de papier rendra tout facile et rapide. Les fonctionnaires les plus 
« modernes » sauront tout aplanir devant le char de Jaggernaut... 

- Blaspheme sur blaspheme ! 

- Le vrai blaspheme vient de vous. 

- Lequel ? 

- Votre blaspheme de la patrie. On le lit dans vos yeux des que Ton vous 
regarde. Ce que vous niez n'est pas la guerre ; c'est 1' importance de ses 
resultats. Cesser d'etre Francais a cesse de vous repugner. II y a trente ans, vos 
eleves cheris, les instituteurs etaient plus patriotes que nous. Aujourd'hui, ils 
nous disent publiquement : « Plutot devenir allemands que de faire faire trois 
ans de caserne a nos enfants. » 

- Calomnies 

- Textes authentiques (19) . La conquete allemande ne compte plus pour vous, 
votre Jaures l'a dit a notre Barres : « il est fatal et legitime que la preponderance 
intellectuelle appartienne, a celui qui possede la preponderance 
economique <20> ». L'Allemagne acquiert cette preponderance ! La pure doctrine 
de Marx interdit a Jaures de lui marchander la conquete intellectuelle (et done 
politique) du monde. 



Souvenirs de Gailhard-Bancel, campagne electorale de 1914. 
Barres : Voyage au pays du Levant. 



...S'il leur arrivait d'etre francs, nos oligarques citoyens du monde arretaient la 
la controverse. Les autres se defilaient comme ils pouvaient pour recommencer 
leur antienne que « Varmee etait une survivance », le budget de la guerre un 
« budget de mort », les armements une « folie ». La democratic universelle 
suffisait a nous assurer l'eternelle paix. La democratic chretienne, a son aigre 
printemps, adherait, plus violemment encore que la paienne, a ces 
extravagances. M. Marc Sangnier accusait de sophisme qui ne l'y suivait pas : 
generaux, amiraux, etats-majors, corps d'officiers, ambassadeurs, chefs d'Etat, 
c' etait un personnel inutile qui allait etre balaye sans retour, car, disaient-ils, 
Vhistoire ne se recommence pas. 

Helas ! elle se continue. 

Ces aveugles qui avaient reponse a tout le prenaient sur un ton de douceur 
severe, comme envers des enfants qu'on gronde et qu'on instruit : toute 
objection etait ainsi releguee dans les arriere-fonds du Sentiment et du Prejuge. 
Seulement des reponses sans repliques etaient administrees de temps en temps, 
1' argument du baton : un fait brutal laissait sentir, en nu filigrane assez rude, 
quelle agression, quelle invasion, quelle submersion etaient perpendiculaires a 
nos tetes. On ne s'en tirait qu'en nommant le sage fou, et lucide le visionnaire, 
parce que celui-ci savait aligner en forme d' argument ses actes de foi et ses 
abstractions generalisees, tandis que celui-la ignorait ce bel art. Mais, apres tout, 
rien ne nous obligeait a cette ignorance. Ne pouvait-il pas exister a notre usage 
une doctrine organisee des principes de la patrie ? 

Or, deja, quelques-uns passaient pour posseder et pour professer cette doctrine 
nationaliste. On se tournait vers eux de plus en plus. On se plaisait a leur 
demander, en propres termes, s'ils avaient bien extrait la raison des idees et la 
racine des sentiments nationaux, degage leur axiome fondamental, et touche 
enfin la base consistante faute de laquelle trop d'escarmouches d'avant-postes 
finissaient mal, car trop de braves gens y lachaient pied en glissant a des 
concessions dangereuses. 

Bref, ce a quoi, peu auparavant, Ton adressait, nous l'avons vu, une aspiration 
des plus vagues, etait nomme, defini, reclame par une sorte de cri public. 

Heureusement, l'oeuvre etait en train, et meme en bonne voie. 



CHAPITRE SEPTIEME 

U « ACTION FRANCAISE » EN PARTIE DOUBLE 

LES DEBUTS 



II n'avait pas ete besoin d'appareil de doctrine pour me faire adherer en 1888 au 
Felibrige de Mistral, conservatoire de nos traditions de Provence ; en 1891, je ne 
m'etais pas encombre non plus de justifications theoriques pour suivre 
lAthenien honneur des Gaules : Moreas, lorsque, pour fonder son ecole 
litteraire, il emprunta le nom de « Rome la grant » et restaura 1' esprit classique 
obscurci par un demi siecle d'asservissement aux litteratures du nord. Mes 
aventures de gout personnel ne regardaient que moi et mes amis d' election. Mais 
le plan politique exigeait autre chose : pour interesser et convaincre n'importe 
lequel de nos quarante millions de freres francais il importait d'atteindre et de 
mettre en ordre certaines verites independantes de nos humeurs. 

Depuis longtemps je reflechissais a cet ordre d'objets. 



I. La Verite politique. Theorie de la France. 

Tout sensible au concret, Barres en etait venu, lui aussi, a ecrire (novembre 
1899) qu'il n'y avait « plus de possibility de salut public sans une doctrine ». 

- Une doctrine de la Nation en general, me disais-je, et aussi une Theorie de la 
France. 

La seconde entreprise m' avait surtout frappe par ses difficultes. La France, 
l'Unite francaise, Unite de quoi ? Unite de langue ? De bons Francais, 
Alsaciens, Flamands, Bas-Bretons, Basques, Corses differaient de langue. La 
langue d'oc etait une langue francaise, il y en avait au moins deux ! L' unite de 
langue nous manquait done. Notre race etait-elle une ? Moins encore, de toute 
evidence. La religion ? Non plus. Nos revolutions et contre -revolutions excluent 
de meme ainsi 1' unite de la duree pure, tant il y avait eu de profonds change- 
ments a considerer ! Nous ne pouvions pas nous fier, comme l'aurait voulu 
Renan, a l'arbitraire de nos volontes conscientes : elles laissaient a la merci de 
reniements et de rupture la chose meme qu'il s'agissait d'en preserver ; la plus 
forte habitude de vie commune ne sauverait pas d'un divorce. Ou done placer 
une sauvegarde de l'Unite nationale qui rende compte de ses droits et de nos 
devoirs ? J'entrevoyais bien ce qui me satisfaisait mal. Notre longue fraternite 
pouvait ne pas sortir d'une cause unique comme la langue, la race, la religion, 



mais resulter de la convergence de leurs accords successifs, capitalises. Encore 
fallait-il trouver le principe de l'ordre de ces accords ! Cet ordre apparaissait et il 
s'ebauchait dans la mise en presence de facteurs primitifs capables d'une 
inter-adaptation reciproque, comme le cadre territorial de la Gaule, les affinites 
interieures entre nos vieux sangs gaulois, les puissants vestiges romains, la 
precoce et feconde predication chretienne, tous elements saisis et engrenes le 
long des ages, comme la matiere d'une oeuvre d'art politique promise a 
l'activite, au maniement ou a 1' habile attraction volontaire d'un federateur 
dynastique durable. Sa liaison avec l'Eglise, sa profession de justicier, pour 
proposer et imposer, du sommet de la hierarchie feodale, ses arrets, ses contrats, 
ses pactes, ses traites d' union, avec leur tendance a l'interet central des 
situations, etaient encore domines par cette supreme raison, veritable raison de 
l'Etat, que ce juge, diplomate, negociateur, president royal, etait aussi un soldat, 
le soldat protecteur, hunc militem disait l'archeveque de Reims en presentant le 
prince qu'il venait de sacrer a 1' acclamation populaire. Ce soldat avait reussi 
dans ce qu'avaient manque les Carolingiens : il avait protege le pays contre le 
Normand et le Bulgare, il devait repousser 1' Allemand, aussi bien que Clovis, et 
refuser toute vassalite a 1' Empire romain germanique ; contre 1' Anglais, Jeanne 
d'Arc allait descendre du ciel tout expres pour lui, et Louis XI, Francois I er , 
Louis XIV faire graviter autour de lui des provinces de qui l'independance et 
1' autonomic n'auraient pas pu durer dans l'isolement. 

Au fur et a mesure que cette nebuleuse d'idees se formait dans ma pensee, il en 
sortait une consequence que je n'avais pas appelee ; ce prince federateur et 
protecteur, essentiel a la fondation et a l'accroissement de la France, n'etait-il 
pas indispensable pour la maintenir ? Nee des oeuvres du Roi, la France 
n'etait-elle pas condamnee a languir, a stagner, ou a se dechirer sans lui ? 

Cette consequence, toujours plus claire, etait crainte de mon patriotisme de 
chair. Je ne me souciais que fort peu d'englober dans le tout national ce qui 
pouvait prendre figure de parti. Je resolus de ne rien precipiter pour en deliberer 
a l'aise. Cependant ce point de vue preliminaire m'entrainait a de lourdes 
reflexions. L' experience de notre histoire la plus recente presentait un ensemble 
de realties grosses de souci. Depuis cent ans et plus (1789-1895) ni les elans, les 
efforts, les victoires et les conquetes, ni mille progres partiels, n'avaient ete 
refuses a la France, mais le bilan total semblait se solder par un moins ; Renan, 
on l'a vu, 1' avait constate en pleine Academie, l'annee du Centenaire de la 
Revolution : si done il y avait decadence, le point de depart en devait etre fixe a 
la chute du Roi... - Voila, comme dit 1' Autre, ce que je voyais et qui me 
troublait. 



2. Le Frangais. 



En me debattant dans ce trouble, je m'y orientals de mon mieux lorsque, en 
1889, j'avais rencontre le grand ami de ma seconde jeunesse, Frederic 
Amouretti, et lui avais confie mes miseres. - He ! me dit-il, lisez Fustel. J'avais 
lu, comme tout le monde La Cite antique. J'ignorais tout le reste : Institutions, 
Recherches, Questions, Lecons. C'est de la que mon essai de premiere synthese 
nationale recut son rayon de lumiere, quant a notre amalgame fondamental. 

Sans done demeler encore, sinon tres confinement, ce que e'etait que notre 
France, la somme de mes lectures de Fustel fournit rapidement la definition du 
Francais : - A peu pres comme les Bulgares, au nom touranien, sont des Slaves, 
les Frangais, au nom germanique, sont des Gallo-romains. 

Nos Francs, nos Goths, nos Burgondes ne representerent que de petites armees. 
Comme l'a bien dit M. Hanotaux, la France etait nee quand les Francs passerent 
la Somme : elle avait sa chair et son coeur gaulois, son esprit romain, il ne lui 
manquait plus que son nom. Elle le recut en cette annee 420. 

Un tres grand malheur pour moi fut que les recherches de Fustel aient ete 
arretees, avec la vie de l'historien, au beau milieu du moyen age. Quelles clartes 
n'en aurai-je recues quant a la suite de nos rois de la troisieme race. Par lui, en 
revanche, m' etait tres suffisamment apparue, - comme on l'a vu et qu'on la revu 
et dans quelles fulgurations - l'inique folie du Nationalisme allemand, autre pole 
des preoccupations de ma vie d' esprit ; les dernieres ombres en furent chassees 
lorsque je fis la connaissance de Jean Gottlieb Fichte. 



3. L' Allemand de Fichte. 

Vous demandez, Monsieur, si j'ai lu Fichte, tres jeune. Je peux vous preciser 
que non. Mon Fustel est de ma vingt et unieme annee. Mon Fichte de la 
vingt-sixieme ou vingt-septieme, car c'est en 1894 ou 1896 que je lus les 
quatorze Discours a la nation allemande. Je n'en connaissais que le titre et, 
vaguement, le sens, lorsque leur texte fut traduit a part et publie chez Delagrave 
par le capitaine Philippe de l'armee coloniale. Je le devorai. 

Ces violentes oraisons systematisees venaient abouter a l'amer depit de ne pas 
posseder une Theorie de la France, a mon tres vif desir de la constituer, a la 
ferme esperance de faire du solide la ou Fichte ne mettait que de l'inconsistant 
(notre pretendue apostasie d'un « allemand » qui serait notre langue maternelle, 
la pretendue superiorite mentale tiree de la pure race allemande), mais ces 
projets de polemique furent toujours un peu en l'air, je n'y suis jamais entre 
pour de bon. Encore qu' Albert Thibaudet ait bien voulu le regretter, la 



« Theorie » est demeuree a l'etat de squelette. Au contraire, je n'ai jamais 
neglige d'utiliser 1'enchainement des vues et des idees de Fichte sur son propre 
pays, pour le plus grand service du mien. C'est pourquoi, des le premier jour, 
toutes les tribunes ou j'avais acces, retentirent de mes commentaires sur le 
philosophe predicateur berlinois, son ceuvre, son action J'en fis un expose 
rapide, mais tres vif, a mes lecteurs de la Revue encyclopedique Larousse et, 
comme, parmi eux, j'avais la chance de compter le Conseil municipal de Paris, 
cette assemblee de radicaux bon teint, mais encore bons jacobins, souscrivit 
d'enthousiasme a deux cents exemplaires de la traduction nouvelle. L'auteur 
voulut bien m'en remercier dans une note que je conserve. 

Mais je reste de loin son debiteur pour le petit volume qu'il avait mis entre mes 
mains. Cette espece de Bible philosophique et philologique, ce Coran lutherien, 
ce Mein Kampf avant la lettre, avait une propriete double : celle de me rendre 
intelligibles les rumeurs discordantes qui passaient les Vosges et le Rhin, celle 
de s'harmoniser d'elle-meme au docte et pieux calembour de Fichte qui veut 
qu'Ail-mann egale tout 1'humain... Ce qui m' avait fait tiquer ou hesiter sur 
l'Allemagne me devenait coherent, j'en tenais la cle. Compte m'etait rendu de 
l'ivresse de soi qui animait ce peuple dans sa politique interieure et exterieure, 
dans ses temples, ses ecoles, ses revues, ses journaux. 

On avait vu d'autres nations se decerner le rang divin, une deesse Rome, une 
deesse France, une sainte Russie, se loger elles-memes dans la niche sacree. 
Elles n'ont rien a voir avec l'apotheose, que dedia Fichte a la sienne, lendemain 
d'lena, pendant qu'il y avait un gouverneur francais a Berlin. Aucune nation 
n'aura pretendu comme celle -ci aux attributs exclusifs du Dieu unitaire et 
metaphysique, de l'Absolu juif et chretien ; seule, la mere Germanie aura 
survole Olympe ou Walhalla pour s'asseoir au plus haut des cimes en se 
proclamant l'ldentique au vrai, au beau et au bien. Ne parlons pas du 
Messianisme d'un peuple de Dieu, le modele juif est encore depasse, disons : le 
Peuple-Dieu. Prosternons devant lui tous les autres peuples, escabeaux de ses 
pieds puissants. L'Allemagne n'est pas une mythologie. C'est une religion, la 
Religion, la seule. 

Quand on parle a son propos de paganisme allemand, on nous jette sur une piste 
aux trois-quarts fausse. Jean Gottlieb Fichte, commentateur de l'Evangile de 
saint Jean, etait 1' oppose d'un paien, d'un polytheiste qui aurait cm a la pluralite 
des causes et des forces explicatrices. Non ! II avait la tete unitaire et chretienne. 
Un paganisme meme nordique, un amas vaporeux de mythes antagonistes, 
n' aurait pas informe, comme le fit le fichteisme, les disciplines litteraires, 
philosophiques et morales de l'Allemagne entiere durant les deux, moities, si 
differentes, du XIX e siecle et au dela. L' esprit de cette grande secte, qui a forme 
en Allemagne un petit peuple, ne se serait pas ainsi developpe egalement, chez 



les democrates du parlement de Francfort et chez les collaborateurs legitimistes 
ou liberaux du roi de Prusse, pietistes, athees, juifs, catholiques, calvinistes et 
lutheriens, lutheriens surtout, selon un meme amour du moi allemand, une meme 
foi en ce moi, ou son Dieu total, son Dieu Pan ne refletait, ne contemplait, 
n'adorait que ce moi. L' unite politique ne fut que 1' incarnation de ce 
germanisme mystique. 

Certes, les particularismes et les separatismes allemands garderent leur vitalite 
profonde ; on n' a jamais manque de les entrevoir a chacun des echecs militaires 
ou moraux du grand Reich, dans la force de leurs contrastes et de leurs 
contradictions. Mais dans leurs heures de triomphe, l'Etat prussien, puis l'Etat 
allemand s'abreuverent et s'enivrerent de cet alcool de sacristie universitaire. lis 
finirent par s'en empoisonner. L' ambition des Hohenzollern, la froide passion de 
Bismarck, la megalomanie de Guillaume II, le delire du national-socialisme se 
sont gorges du meme sue. Le jeune Autrichien Adolphe Hitler l'a respire chez 
un pedagogue de Linz, le prussianiste Leopold Potsch, qui etait de 1' obedience 
de Fichte. « Hitler », dit fort bien M. Andre-Francois Poncet, « n'est, apres tout, 
qu'un pangermaniste forcene ». Le vrai est qu'on ne peut disjoindre ceci de 
cela : le Nazisme du Germanisme. Les autres composantes du nazisme sont 
secondares. Le personnel posterieur des philosophes (Hegel compris), des 
historiens, poetes, anthropologistes, archeologues, e'est Jean Gottlieb Fichte qui 
l'engendre et qui le meut. Ni le stupide et indigne Francais Gobineau, ni 
1' Anglais Houston Chamberlain, personne n'y ajoute grand chose, sauf Wagner 
qui apporte dans sa musique un choeur de heros et de dieux : simple decor. De 
longues annees avant qu'il y eut des Nazis, un esprit volatil issu des seuls 
discours de Fichte flottait dans l'air allemand et preludait a l'ensemencement 
hitlerien. « Ce ne sont pas des themes nouveaux », dit encore M. Andre-Francois 
Poncet « Us ont retenti a Voreille des generations successives depuis le 
lendemain d'lena. L 'Allemand les reconnait alors qu'il les entend pour la 
premiere fois. » Notre ancien ambassadeur a Berlin a send cette impregnation 
prealable chez tous les lecteurs de Mein Kampf. C etait l'ame anterieure de leur 
esprit. II aurait du etre facile a M. Poncet d'en pre voir les effets : succes fous 
d' Hitler, folles destinees de l'hitlerisme. 

Les nazis ont peri, mais, eut dit Goethe, les « meres » du Nazisme ont survecu, 
elles vivent encore. II n'y a pas de denazification qui tienne quand le 
Germanisme subsiste : 1' Occident s'en apercevra ! Peut-etre l'Amerique 
elle-meme aura-t-elle a l'expier aussi ! Un Francais de 1895 ne risquait pas de se 
tromper quand il reglait ses idees de 1' Allemagne d' apres la logique de Fichte, et 
e'est ce que j'eus le bonheur de faire en tout temps. 



4. Edouard Koschwitz- 



Ces temps lointains m'avaient apporte 1' element d'une verification de grand prix 
quelques saisons avant ma lecture de Fichte : vers 1893, le Felibrige de Paris, 
auquel j'appartenais, avait admis a l'honneur d'une de ses seances un professeur 
allemand, romaniste connu, auteur d' etudes estimees sur Mistral et la 

s 

renaissance provencale : Edouard Koschwitz. Ce petit homme grassouillet, d'un 
blond jaunatre, nous avait beaucoup frappes par son humilite d' allure et de 
propos. II nous en avait paru un peu plat. Or, de retour dans son pays, quelques 
annees plus tard, il eut la bonne grace de se souvenir de nous et nous adressa une 
brochure de son cm qui nous fit la surprise inverse. Les Frangais pendant la 
guerre ne formaient pas seulement une resucee d'Allemands et Frangais de M. 
Gabriel Monod, comme apologie des armees prussiennes et de leur belle tenue 
en 1870, plaidoyer odieux de la part d'un fonctionnaire francais, assez normal 
sous une plume allemande ; mais les pages d' Edouard Koschwitz se 
distinguaient par le contraste avec le ton et le tour de ses propos parisiens ; aux 
courbettes d'alors, aux salamalecs et aux reverences qui survivaient dans nos 
memories succedait le plus arrogant des discours. M. Koschwitz venait nous 
vanter ce qu' avait eu d'heureux pour nous le bienfait de la victoire allemande et 
de 1' occupation prussienne, tel, disait-il que « les generations futures de la 
France, rendue plus clairvoyante, ne pourraient pas le meconnaitre » : « elles 
ne regretteraient pas leur defaite ». Et d'anticiper sur nos remerciements ! 

Quel honneur ! 

Quel bonheur ! 

Ah ! Monsieur le professeur 

Je suis votre humble serviteur ! 

Recevoir la defaite des mains d'un si grand peuple ne pouvait que nous honorer 
et nous elever. Apres la grande invasion du V e siecle, qui, d'apres les historiens 
boches, nous avait tant regeneres, celle-ci, courte et bonne, n' avait pas laisse de 
perfectionner notre civilisation et de nous initier a la leur... L'interet de ces 
pitreries « troup allemandes » etait d'etre ecrites par un Germain cultive, aere, 
tire de son trou par 1' etude et par les voyages, tres peu gonfle de sa personne 
naturelle, faisant meme un certain etalage de modestie ; il s' etait contente de 
ceder a l'air natal ! A peine l'avait-il retrouve, ce veritable Europeen s' etait mis 
a l'aspirer et a l'exprimer selon la cadence fatale, telle que le voulait le tambour 
fichtien. L' experience de ce professeur de Marbourg acheva d'illustrer ma 
lecture des Quatorze Discours de 1808. Elle me fit comprendre quelles 
nouveautes acquises le Germanisme superposait a la nature de 1' Allemand. 



5. Barbarie de nature et d'art. 



La nature germanique avait ete peu flattee des Anciens. Les Modernes ont ete 
parfois severes pour elle. Ses vaillants soldats ont fait d'atroces guerres, dont on 
s'est souvenu. Ce n'est pas la faute de l'anthropologiste Quatrefages si les 
armees prussiennes du siege de Prague en 1755 y ont inscrit un sillage 
d'horreurs. Ce n'est pas la faute du cardinal Mercier si les bourreaux de Dinant 
et de Louvain en 1914 lui apparurent des monstres dont il fit honte a l'episcopat 
allemand. Ce n'est pas la faute des contemporains de Bliicher ou devon der 
Thann si les textes de Cesar, de Tacite et de Velleius Paterculus sont accourus se 
placer tout seuls sous des yeux dilates de folle epouvante. II y eut neanmoins des 
ages heureux ou la rigueur de ce jugement universel s'etait attenuee ; aux vices 
classiques de 1' Allemand (mensonge, perfidie, cruaute, rapine) s'etaient 
substitues, peu a peu, des travers moins impardonnables. Montaigne leur 
reproche en tout et pour tout d'etre ivrognes et grossiers. Courant le Limousin 
ou visitant Versailles, le bon La Fontaine met sur le meme pied «le rustre et 
VAllemand». Autant leur imputer ce que leur civilisation avait de simplement 
arriere. 

L' Allemand tendait done a devenir le provincial de 1' Europe. II lui manquait le 
gout francais. Tout en souffrant ce reproche avec impatience, Goethe ne 
contestait pas le retard de ses compatriotes ; il le leur affirma parfois. Mais, 
justement, entre Goethe et La Fontaine il s'etait forme, tres a contretemps, une 
mode tres parisienne de la pure nature : l'lngenu, le Huron, le paysan du Danube 
et autres bons sauvages a la Vendredi. Notre philosophic anglo-francaise les 
rehabilitait a tour de bras. Les Allemands ne demandaient pas mieux que de 
nous prendre au mot. C'etait tout ce qu'il leur fallait pour rattraper l'avance. II 
s'ensuivit un renversement de valeurs qui devint tout profit pour eux. Une cote 
d' amour nouvelle relevait du plus bas des degres de civilisation et de politesse la 
culture vraie, la vraie education, celles qui, n'etant point de grimace, ni de 
chiffon, venaient des valeurs nues du coeur et de l'ame. Sans mentir ! Sans 
masque et sans blague ! Au lieu d'etre siffle, ce partage fut acclame. Comme l'a 
fort bien montre, apres Bainville, M. Louis Reynaud, le paradoxe de Lessing, de 
Herder, de Schlegel et de Wolf, fut l'evangile de 1' Europe, specialement pour 
celles de ses parties qui jalousaient un peu la France et l'ltalie. II fut entendu que 
les vrais Barbares etaient les Grecs, les Latins, les Francais. Cela dura plus d'un 
siecle. Vers 1890, M. Anatole France avait encore de la peine a faire admettre 
qu'Homere n'etait point un barbare. Deja Goethe avait eu a faire la grosse voix 
pour se garder la liberte de lire les Metamorphoses d'Ovide ; le gothisme etait 
une cime des affinements de 1' esprit. 

Et, des lors, 1' Allemand n' avait plus a songer a se completer en acquerant ce qui 
lui avait manque jusque-la. II allait lui suffire d'abonder en lui-meme, de se 
glorifier de ses lacunes, d'exagerer ce dont il avait du s'excuser en rougissant, : 
difformites, infirmites, « informites », etaient de nouvelles beautes qui faisaient 



prime. Le sauvageon tudesque ne voulait plus la greffe que de son propre bois. 
L'heure de Fichte avait sonne. 

Un Goethe avait aime tres pieusement sa patrie et sa langue, quoique tard initiee 
aux ordres classiques. Les nourrissons de Fichte admirerent la meme langue de 
la meme patrie parce que soustraite a cette influence, qui l'eut amelioree, mais 
degermanisee, mais denaturee. Le Germanisme ne parle plus de s' accepter 
comme Allemand : il se desire comme tel, strictement, tel que l'ont fait, defait 
ou contrefait, ses principes originaux. Plus il le sera, mieux il vaudra. Son degre 
de germanite mesurera son degre de raison, de vertu, de grandeur, de sagesse, 
alors que jadis le meme terme de comparaison lui etait apparu chetif et mesquin 
quand il lui manquait de connaitre le sublime et le transcendant de ce moi natif. 
Le passe de demi-humiliation n'est pas eloigne, ne l'oublions pas, tres peu de 
generations Ten separent : il en pleure, il en saigne encore. 

Le sacrement de germanisme a done ete administre a ce point vif, sensible, de la 
nature obscure : cette nature materielle historique etait capable (ou non), avec le 
temps, d' evolution, correction et rectification comme toutes les choses humaines 
pourvu qu'on veuille bien leur laisser leur qualification courante de vertu a 
cultiver ou de vice a eliminer ; mais, si les defauts changent de nom, s'ils 
deviennent modeles, si la conscience, la volonte, la loi, l'ordre moral et public 
s'accordent a magnifier l'erreur et le peche, la lourde fatalite naturelle en est 
justifiee. Elle va done en s' aggravant et en empirant. Rien ne servira, 
repetons-le, de vouloir denazifier une Allemagne follement livree depuis pres de 
cent cinquante ans a ce narcissisme adulateur, il lui sera fondamentalement 
impossible de voir ses faiblesses, plus encore, de s'en corriger. L'etre germain 
est ce qu'il est, on ne peut pas l'empecher d'etre. Mais on pouvait s'en prendre a 
1' artifice germaniste, qui n'aurait pu etre reduit que par une grande cure 
d'humilite. Et e'est ce qu'on n'a pas voulu. On n'a pas su lui imprimer le 
sentiment de tout ce qu'il y a d'inferieur, de retarde, de pitoyable dans sa 
geographie (21) et dans son histoire, dans sa religion, dans ses moeurs, dans ses 
arts, dans sa poesie et dans la philosophic, et, bien au contraire, on s'est hate de 
retablir 1' Allemagne dans sa vieille place usurpee ou escroquee, on a 
recommence a l'accabler de venerations et d'eloges, encourageant ainsi la 
renaissance et le developpement de son adoration d'elle-meme qui la rendra 
maitresse de dechainer toutes ses nouvelles cataractes de sang. Le Nazisme 
dit-on releve la tete ? Mais le contraire etonnerait. 

Nos philoboches de 1870 s'etaient entiches, comme on l'a vu, de Kant ; encore 
pouvait-on retrouver chez Kant quelques belles semences du stoicisme 
helleno-latin. Ceux de 1945 ont prodigue les memes honneurs a un 



21 La Naissance de V Allemagne, par Pierre Gaxotte 



existentialisme qui ne s'autorise que de Heiddeger. II y aura plusieurs maniere 
de payer 1' extreme inanite de cette nourriture. Nous en serons sur notre faim, et 
l'Allemagne n'arretera plus de s'en regonfler. Les principaux moteurs et agents 
de la flagornerie publicitaire allemande au XIX e siecle et au XX e ont ete les Juifs 
des deux mondes. On dit qu'ils s'en sont repentis. Leurs continuateurs auront 
probablement leur tour de ne pas s'en feliciter. Que l'Allemagne monte dans sa 
tete ou qu'on la lui monte, il s'y loge toujours de quoi produire des catastrophes 
sans mesure ; une fois, deux fois, elle a manque de faire sauter la planete. A la 
troisieme, aura-t-elle plus ou moins de succes ? C'est la question posee en 1949. 



6. La grande Affaire. 

Retrogradons de cinquante ans. Meme d'un peu plus. Revenons aux annees ou le 
monde entier multipliait les platitudes aux pieds du Germain. Nous achevions 
nos premieres reflexions sur l'Allemagne eternelle. Au vrai, je les faisais tout 
seul. Barres mis a part, Amouretti sombrant dans un mal mortel, je fus sans 
compagnon jusqu'au point qui marqua l'heure critique de notre generation. Ce 
qu'avait ete la guerre de 1870 pour nos peres, celle de 1914-1918 pour nos 
neveux, celle de 1939-1945 pour nos petits-neveux, l'affaire Dreyfus l'a ete 
pour notre generation, les Francais de 1897 a 1910 : cette guerre civile seche 
decida de notre destin. 

Comme elle est trop longue et trop complexe pour etre resumee ici je vous prie 
de bien vouloir consulter une longue note qui a paru chez nos amis d' Aspects de 
la France (16, rue de Vezelay a Paris) dans leurs numeros de juillet 1948. 



7. Notre equipe se forme ! De la Nation en soi. 

C'est ici que Taction et la pensee commencerent a se lier en nous de facon 
presque inextricable. 

Nous sommes en pleine melee de citoyens. Journaux. Tribunes. Reunions. 
Emeutes. Avec ce caractere singulier que la lutte est menee par des gens qui 
detiennent deja de vastes portions du pouvoir. 

Le devant de la scene est pris par les seuls intellectuels du parti juif, ceux que 
Jules Guesde appelle les justiciards et les veritards parce qu'ils ne cessent de 
mentir et de frauder en attestant le Juste et le Vrai. II en est ainsi de l'automne 
1897 au milieu de l'hiver 1898-1899. Pendant toute cette periode sinistre, on 
insulte les tribunaux militaires, on calomnie la haute armee, on traine le drapeau 
dans la boue, parce que, declarent les Juifs, un des leurs a ete condamne 



injustement. - Mais, leur a-t-on repondu tout de suite,- qu'ilsfassent comme tout 
le monde et deposent un pourvoi en revision ! Non. Avant d'en venir la, ils 
multiplient les eclats de voix, les diffamations collectives, les calomnies privees, 
les argumentations divagantes qui n'impressionnent que des convertis. Des 
ministres civils et militaires qui sont leurs amis les ont ecoutes, ont ouvert des 
enquetes discretes... Le resultat est uniforme et decourageant : « Dreyfus a ete 
justement et regulierement condamne. » C'est ce qu'ils s'entendaient repondre 
par un homme comme Meline ou comme le general Billot qui les salua d' 
« honorable s amis ». Pas de motif a revision, pas de fait nouveau, si ce n'est 
celui que Ton veut fabriquer a coup d' incidents scandaleux. Au bout de deux ans 
d' agitation, apres la decouverte du « faux Henry » (piece apocryphe et 
ostensible, forgee pour figurer le vrai) on ne trouva pas au ministere de la justice 
une commission pour conclure a la revision : si les trois fonctionnaires qui la 
composent disent oui, les trois magistrats disent non, et le garde des sceaux ne se 
risque pas non plus a trancher tout seul, comme le lui prescrit la loi, il lui faut le 
concours illegal de tout le cabinet, dont les trois ministres de la guerre, 
Cavaignac, Zurlinden et Chanoine se demettent tour a tour pour ne pas appeler 
blanc le noir. C'est dire le peu que vaut la fausse innocence. Mais les corps 
responsables ne peuvent prendre 1' initiative de se declarer eux-memes coupables 
ou fautifs. Alors, on les accable des signes materiels de « I'epouvantable 
puissance des Juifs (22) ». Les Juifs sont tout. Ils veulent plus. En 1897, avant la 
mise en jugement de Dreyfus, ils ont pretendu obtenir des debats publics pour un 
proces de police militaire internationale, ce qui eut ete folie pure, le huis clos 
etant exige par la principale piece a conviction, qui sortait toute chaude de 
l'ambassade d'Allemagne ! Deux ans plus tard, les meneurs de la revision 
avaient argue a longs cris d'une communication confidentielle, faite aux seuls 
juges, de pieces accusatrices, mais tous les proces d'espionnage peuvent obliger 
a ces sortes de communications, on ne saurait ouvrir les dossiers de la Defense 
nationale a des accuses qui peuvent etre acquittes, quoique coupables, et entrer 
ainsi en possession des plus redoutables secrets ! Oui, bien, telpeut etre le droit 
commun pour de vulgaires proces d'espionnage, repondaient M. Reinach et ses 
Juifs : le cas de Dreyfus n'a rien qui y soit commensurable ! De tels discours 
marquaient la place qu' Israel se decernait dans 1' Oligarchic, et celle qu'on lui 
laissait prendre. Ce ton, cette assurance, meme chez ses seigneurs tout echaudes 
du « Panama » ! En fait, pourtant, c'etait bien la premiere fois que le 
gouvernement republicain n'obeissait pas au doigt et a l'oeil de ces maitres : 
lorsqu'en 1882, la finance juive avait eu besoin du krach de I'Union generale, 
ministres et parquet avaient rivalise de domesticite ; peu apres, justice et police 
avaient fourni a Cornelius Herz toutes les echappatoires voulues ; cette fois, 
quelque oreille credule que la gauche pretat aux histoires de sabre et de 
goupillon, Israel avait toutes les peines du monde a faire ecouter la fable 



22 General Mercier. 



rocambolesque d'une conjuration de nombreux officiers francais, de tous grades, 
et des plus eleves, ourdie aux seules fins de faire condamner un innocent parce 
qu'il etait juif ! C'etait trop gros, ca ne passait pas, et, comme on abusait de 
1' Affaire et de tout ce qu'elle mettait en cause ou effleurait des organes vitaux de 
l'armee, le tapage inutile et nuisible surexcitait la juste susceptibilite du pays. 

La France etait fiere de son armee qu'elle avait relevee avec beaucoup de 
courage, d' efforts et d' amour. Elle abominait ces insultes d'etrangers domicilies 
(ou nationalises d'hier), ces calomnies sans aveu ou le chantage de leurs Juifs 
(toujours eux !) et qui nous donnait mal au coeur. Des Juifs meme en etaient 
genes : un Juif allemand comme Wilhelm Liebknecht, pere de Karl, auteur du 
jugement historique paru a la Torche de Vienne leur reprochait ce charivari 
mondial regie par « un chef d'orchestre invisible ». 

Personne ne sait plus un mot de 1' Affaire, les menteurs interesses et les badauds 
dindonnes en peuvent divaguer a l'aise, mais il en surnage la locution courante 
du chef d'orchestre invisible. Quel malheur que le souvenir de ses choristes n'ait 
pas mieux resiste a l'oubli ! Tout ce qui est dreyfusard n'est pas pourri, disait 
Maurice Talmeyr, mais tout ce qui est pourri est dreyfusard. Les dessins 
historiques de Forain et de Caran d'Ache demeurent les seuls temoins vivants 
qui nous gardent, de leur verve inouie, les spectacles de la re volte de 1' opinion. 

Ni la revolte, ni 1' indignation, ni le degodt, ni meme la plus scrupuleuse justice 
ne sont des etats d'esprit politiques. Les rumeurs et les inventions que faisaient 
circuler la presse, l'ecole, la tribune de 1' Oligarchic n' etaient pas faciles a refuter 
sur le plan d'une affaire d'Etat quand les maitres de l'Etat trahissaient leurs 
propres services, et que ceux-ci avaient affaire aux diplomates de la Triple 
Alliance et a la personne de l'empereur allemand. 

Deux fois, lors de la condamnation du traitre et de sa degradation, le verbiage 
desordonne de la presse avait provoque, a Berlin des menaces a allure 
d' ultimatum. II etait plus facile de reclamer de l'energie que de l'obtenir d'un 
gouvernement coince entre 1' incontestable innocence des bureaux de la Guerre 
et la volonte de 1' Oligarchic de qui il dependait. Plus d'une fois, quand il 
feignait de voler a la juste defense des uns, ce gouvernement favorisait 1' oblique 
manoeuvre des autres ! La magistrature, sa police, ou meme une infime portion 
de son corps d' officiers etaient graduellement gagnees a l'ennemi. Tout cela 
etait bien place pour tourner contre l'interet public ce qui aurait du le servir. Des 
personnages comme Picquart et Esterhazy, a la solde des Juifs, organisaient 
cette confusion. Le dessein etranger se developpait comme le plus sur et le plus 
coherent des complots. L'Antifrance avancait. Ou etait 1' esprit de la France ? II 
fallut seize mois de ce pitoyable chaos pour que les intellectuels non juifs 



prissent la decision d'un acte de presence et d' union contre la perturbation 
etrangere. 

La Ligue de la Patrie frangaise naquit enfin. Parfaitement respectueuse de la 
justice et de la verite, ses declarations porterent que 1' allegation d'une erreur 
judiciaire ne donnait a personne le droit de tout chambarder (23) et qu'il fallait 
mettre ordre a ce chambardement. Ces vues simples firent l'effet du quos ego... 
Un obstacle substantiel et ferme allait etre pose aux quatre Etats confederes. Le 
boulangisme n'avait ete qu'une reaction de 1' instinct. Le cerveau s'en 
melerait-il ? Certainement. Mais lentement. Encore fallait-il que les partis 
antagonistes pussent tout a fait convenir de ce qu'ils etaient et du sens de leur 
debat. Sous cette question de la culpabilite et de 1' innocence d'un officier juif, il 
y avait bien autre chose : la dissidence nationale que Ton fomentait depuis vingt 
ans. 

Des gens allaient repetant, depuis des annees, qu'il n'y aurait jamais plus de 
guerre, ou que l'Allemagne ne nous la ferait plus, ou qu'elle nous devenait la 
plus tendre des amies : que pouvait importer a ces gens -la, soit la garde fidele 
des secrets militaires francais, soit leur rapide fuite a Berlin ? 

Que Dreyfus les eut livres, ces fameux secrets, et puis apres ? Celui-ci avait dit, 
au moment d'etre degrade, la phrase qui est generalement comprise comme un 
aveu : « Si j'ai livre des documents, Us etaient sans importance. » La phrase ne 
signifiait rien pour des intellectuels qui niaient cette importance : ils tenaient a 
ignorer la petite guerre d'espions et de contre-espions livree en pleine paix entre 
les Services de Renseignements que Ton appelait alors les yeux des armees. Ces 
messieurs etaient d' accord pour n'y voir que des enfantillages perimes, sans 
rapport avec la reelle vie de l'Etat. Dreyfus eut-il trahi de cette facon, 
1' Oligarchic gouvernante n'y voyait que peccadille sans portee. 

Au contraire, ces questions de guerre et d'armee, de France et d'Allemagne, 
importaient beaucoup a la plupart des autres Francais. Le Francais moyen les 
prenait au serieux, parce qu'il ne croyait pas aux progres de 1' esprit de paix dans 
le monde, car on recommencait a se battre entre Turcs et Grecs, Espagnols et 
Americains, Anglais et Boers. Les affaires d'espionnage paraissaient d'autant 
plus significatives pour le pays, que nous traversions une phase de coquetterie 
diplomatique avec les ravisseurs de Strasbourg et de Metz ; Saint-Petersbourg 
nous y poussait, il nous avait prepare, fin 1894, a rencontrer l'escadre allemande 
le 18 juin 1895 dans les eaux de Kiel, nous prenions d'un coeur allegre la 
direction de Fachoda, et voila qu'en pleine lune de miel franco-allemande on 



23 Declaration de M. Pierre Laffite, interviewe par Maurice Pujo et dont le Temps 
reproduisit les declarations. 



nous donnait la brusque preuve de la recrudescence de l'espionnage allemand a 
Paris ! L'enormite du fait ainsi decouvert aurait du tirer 1' Oligarchic de sa 
negligence ou de son scepticisme. Pas du tout !... Jamais notre Service de 
Renseignements n' aurait du etre encourage, soutenu, entoure de plus d'egards 
attentifs : jamais on ne lui avait prodigue tant d'ironies et de risees, de mepris et 
d'insultes, jusqu'au jour ou Va.ya.nt fait tomber miette a miette dans le domaine 
public, on declara a la tribune du Senat (25 mai 1900) qu'il n'en restait plus rien 
(Waldeck Rousseau). Ainsi se rejouissait-on d' avoir « creve » les yeux de 
l'armee, yeux inutiles, tant on se croyait sur de n'en avoir pas besoin ! Nous 
avions la certitude opposee avec la conviction de la possibilite et, bien pis, de 
1' imminence de la guerre : notre consternation egalait cette triste joie. Nous 
portames publiquement le deuil du Service qui devait nous manquer si 
cruellement entre 1914 et 1918. 

Deux etats d' esprit se faisaient done face. Cette fois comme en d'autres cas, 
ceux qui avaient entre leurs mains le depot de V Administration et du 
Gouvernement n'etaient pas ceux qui voyaient et calculaient juste. II ne fallait 
pas faire un grand effort de prevoyance pour soulever le voile des sanglants 
lendemains : les crises de Tanger, de Casablanca, d'Agadir devaient nous mener 
par etapes au re veil du faux songe ou le parti juif endormait la France en lui 
repetant la vanite de toute precaution militaire. Nous, jeunes intellectuels qui 
fondions le Parti francais de Janvier 1899, nous pensions contre Jaures, contre 
Waldeck-Rousseau, contre Leon Bourgeois, beaucoup plus encore que contre 
Dreyfus. Aussi pendant que d'aveugles scrutins allaient conserver a ces mauvais 
bergers leurs suffrages, 1' attention des classes eclairees se detournait peu a peu 
vers notre pensee. 

Beaucoup d' entre mes nouveaux amis etaient de mon age. Je decouvris chez 
eux, outre de vives affinites de sentiment, des aventures de pensees courues en 
commun sur le sens general des rapports franco-allemands. lis connaissaient 
l'Allemagne mieux que moi, savaient la langue, avaient visite le pays. Pujo, 
grand wagnerien, traduisait Novalis. II venait de parcourir la Baviere et le Tyrol 
en direction de Venise. Bainville rentrait de l'Allemagne du sud avec les 
materiaux de son Louis II. Pierre Lasserre achevait une preface magistrale a la 
version nouvelle de morceaux choisis de Goethe. Henri Vaugeois reexaminait 
severement son premier enthousiasme kantien. Leon Daudet, autre wagnerien 
fieffe, rentrait de Hambourg, il parlait 1' allemand comme le francais. Nous ne 
tardames pas a deserter en choeur la Pairie frangaise absorbee par les 
managements academiques et les soucis electoraux. Et, notre Action frangaise a 
peine fondee, les premieres demarches communes nous fixerent, comme plus 
tard a la Revue universelle, dans un effort constant d' etudes germaniques, mais 
d'etudes attentives et sinceres, affranchies des complaisances de l'Oligarchie. 



De la paix branlante et de la guerre possible, nos reflexions s'etendaient a la 
necessite de nous tenir sur nos gardes, d'etre prets a serrer le jeu politique. Nous 
en posions les formules, pour les resoudre en premier lieu. De la trois questions 
d'ou nous voyions tout dependre : Etions-nous suffisamment couverts, defendus, 
gouvernes du point de vue national ? Valait-il la peine de vivre une vie 
frangaise ? La nation, en soi, n 'etait-elle pas un cadre social perime ? 

Presque tous clercs et philosophes, nous avons commence par le troisieme point, 
nos discussions y avaient allume des clartes precieuses. 

1° Nous nous croyons tout a fait surs de toucher l'essentiel de 1'ame et du corps 
de l'homme individuel en lui reconnaissant pour qualite maitresse son etre 
social, premier interet de sa vie : il n'y avait point d'humanite sans societe, point 
de societe parvenue a la perfection de sa croissance qui n'eut au moins vise le 
stade de la nation. La Nation n'est pas l'Etat ; l'Etat n'est pas organe de la 
Nation, la Nation est le cycle terminal de la Societe temporelle. La Nation n'est 
pas une societe de forme contractuelle ni d'origine volontaire, ce n'est pas une 
libre association, ni une libre option : naturelle et historique, de toutes les formes 
sociales usitees dans le genre humain la Nation apparait la plus solide et la plus 
etendue, la seule, apres le foyer, qui soit tout a fait coherente. Depuis la 
disparition de la Republique chretienne du moyen age, la Nation est, au 
temporel, la condition de la vie de l'homme : d'elle et d'elle d'abord, dependent 
les garanties des relations sociales privees comme, aussi bien, collectives, 
economiques, savantes, artistiques, toutes les autres s'effondrent ou languissent 
quand la premiere n'est pas maintenue. Si la Nation disparaissait, les plus hautes 
et les plus riches communications de l'univers seraient compromises, il faudrait 
prendre en pitie l'asservissement de l'individu, isole et perdu dans une 
metaphysique de droits verbaux. La nation rend aux citoyens le meme service 
que le syndicat aux producteurs, il est 1' organe de ses droits reels. Le natio- 
nalisme n'est done pas un simple sentiment, mais bien la vue, la prise, l'aveu et 
l'exercice d'une obligation rationnelle et mathematique. Toutes les obligations 
sociales ressortissent a celle-la, tous les devoirs a ce devoir. Des que le rempart 
national est mine, les foyers sont brises, les metiers detruits, les citoyens 
deviennent esclaves, surtout ceux de la « classe la plus nombreuse et la plus 
pauvre ». Les pires epreuves de l'individu se trouvent done etre celles qui 
viennent a frapper son peuple, notre histoire recente nous l'a fait sentir, mais, 
quand V Action frangaise etablissait cette doctrine en l'annee 1899, ce n'etait 
encore qu'un principe rationnel evident, insere en tete de sa Declaration 
fondamentale et suivie de la signature de ses dix-huit premiers fondateurs : - 
« toutes les questions politiques pendantes, tous les problemes diviseurs, 
devaient se poser, se trancher, se resoudre par rapport au commun element 
national. » 



2° Quant a la valeur vitale de la nation francaise, elle ne faisait aucun doute. Les 
signes qu'elle en donnait n'etaient pas equivoques. Esprit d'allant et d'aventure, 
originalite de sentiments, clartes de l'ordre de 1' esprit. Si parfois Ton pouvait 
trouver la France en deficit par rapport a elle-meme et a son passe, elle se 
montrait a tout point de vue l'egale de ses concurrentes de 1' Europe et du 
monde, a Paris et en province, dans la metropole et les colonies. L' exposition de 
1900 allait en faire foi. L'energie de l'epargne et de l'entreprise, la valeur de la 
main-d'oeuvre, les qualites de ses produits etaient d'autant plus remarquables 
que tout cela, tout spontane, n' etait evidemment pas le fruit d'une administration 
habile. La democratic gouvernante faisait deja sentir, tout au contraire, beaucoup 
de laisser aller et d' incompetence ignorante, sans compter les mefaits du 
parasitisme politicien qui, d'ailleurs, n'aurait pas ete possible sans la 
surabondance de la richesse et de Taction. L'Etat pouvait manquer, mais non les 
hommes, non les oeuvres ! Artistes, ecrivains, savants, philosophes, inventeurs, 
prouvaient que nous avions garde nos hauteurs de 1' esprit et du sang. En 
attendant que nous instituions une theorie de la France, une idee type de la 
Patrie, ses spectacles concrets demontraient le mouvement de sa belle vie en 
marchant. La foi francaise s'imposait. 

3° Mais alors le Fait et le Droit de la Patrie nous faisaient un double devoir de 
reformer cet Etat vraiment infirme et infidele que leur imposait la democratic 
N'ayant meme pas su regler a son honneur une simple affaire de police militaire 
internationale, le meme regime avait merite, chemin faisant, les plus solides 
soupcons de complicite avec l'ennemi. C'est que, si la secrete armature 
oligarchique des janissaires dissidents et allogenes etait peu ebranlable, la 
Constitution ecrite du regime la soumettait au plus futile des suffrages et 
l'absorbait dans la querelle electorate, la lutte des partis, la course aux emplois, 
faible appareil, inattentif et meme inapte a la gestion des interets superieurs de la 
securite materielle : armee, marine, diplomatic, haute justice, les offices les plus 
considerables etaient, par force, les plus negliges au profit des moindres. 
L'autorite etait dissoute au centre de l'Etat, elle etait etiree et dispersee jusqu'a 
ses dernieres extremites pour y faire sentir le plus inutile des jougs. 

Les recentes convulsions dreyfusiennes avaient laisse par tout son corps un 
sourd malaise double d'affaiblissement general. L'equilibre materiel etait 
recouvre, mais l'etourdissement du vertige et de la secousse subsistait dans les 
tetes et dans les coeurs. On se plaignait d'anarchie et de tyrannie sans que l'un 
supprimat 1' autre : la division et 1' oppression etaient deux etats nouveaux 
alternants ! Toute loi importante etait dirigee contre quelqu'un ou aux depens de 
quelqu'un, en raison de ses croyances, de sa classe, de son bien ou de son etat. 
Des lors, ou etait la justice ? ou l'ordre ? ou le repos du pays ? Ou son union ? 
Ou 1' arbitrage propre a tout gouvernement ? Deja, etait entrevu ce « trou par en 
haut » que, longtemps plus tard, devait diagnostiquer le socialiste Sembat. 



A la fin de 1897, a la traverse de la tragique dispute, devant cette longue 
perturbation sans mediateur, il m' etait une fois arrive d'insinuer, comme si je me 
l'etais demande a moi-meme « a quoi servirait un monarque », et la question 
publique avait cause un notable remous de riches resonnantes, au point que j'en 
avais ete saisi et surpris, puis emu, enfin obsede. - Eh ! quoi, me dis-je, la France 
se souvenait done ? Elle localisait son mal ? Elle prenait garde que sans chef 
permanent, elle risquait des decheances graves ? Mes anciennes meditations me 
revenaient avec une autorite redoublee : le Roi etait done bien la, cle de voute ou 
la pierre d' angle de la patrie ? 

Mais, s'il en etait ainsi, rien ne servait d'eluder la verite ou de la taire. II 
importait de la crier. 

A l'ete de 1900 j'entrepris cette Enquete sur la monarchic que je n'ai jamais 
arretee. 



8. L' action de notre equipe. 

II faut commencer par le dire : pas un instant, cette longue Enquete ne nous 
empecha de remplir nos devoirs de patriotes, provisoires citoyens rois. Jamais 
1' etude n'interrompit la lutte ou nous accompagnions les nationalistes quand 
nous ne les precedions pas. 

Outre leurs reunions, manifestations et batailles de rues, nous faisions deux fois 
le mois une petite revue qui, tout de suite, rendit des services. C'est elle qui avait 
revele et publie d'apres la Torche de Vienne, les fameux articles de Wilhelm 
Liebknecht qui sont rappeles plus haut. La meme « Revue Grise » avait analyse 
en detail, comme un element de la structure de 1' Oligarchic, la vaste tribu des 
Monod, forte, en 1897, de trois ou quatre cents fils ou petits-fils du pasteur 
etranger Jean Monod : veritable « Etat Monod », disions-nous, flanque d'une 
clientele sans nombre. « Si plusieurs d'entre eux repondent aux noms de Staffer, 
de Good, ou de Coninck, il en est qui s'appellent Bonnet ou Dupont, comme 
vous et moi », « il existe une monoderie particuliere faite d' acquisition ou 
d' adoption, a laquelle on s'agrege, sans avoir a demander la main d'une 
demoiselle Monod, par la simple vertu d'hommages de vassalite renouvelee 
avec opportunite et ferveur. » 

Pour ne pas meriter la sotte accusation de sacrifier la justice a la raison d'Etat, la 
Revue Grise etudiait encore, et de tres pres, le dossier du Conseil de guerre de 
Rennes qui allait recondamner Dreyfus, - lequel allait accepter sa grace ! 



Le parti juif etant redevenu, de surprise en surprise, le maitre de l'Etat, ses 
usurpations massives, furtivement multipliees, furent aussi relevees avec 
vigueur. Nous faisions echo a la denonciation de ces fiches maconniques au 
moyen desquelles le general Andre divisait et demoralisait l'armee francaise, 
nous exercions une critique et une censure violente sur les nouvelles lois contre 
les personnes et les proprietes, en particulier contre la liberte d' association des 
catholiques et leurs franchises religieuses. Ce genre de defense passa du langage 
et de l'ecrit a Taction physique lors des inventaires d'eglises en 1906. 

Nous avions fonde une ligue en 1905 et, l'annee suivante, ce furent un institut et 
une librairie. La premiere sortie de la Ligue celebra le 75e anniversaire de Fustel 
de Coulanges (24) pour la signification nationaliste de ce grand nom. Le premier 
volume important de notre librairie, le Bismarck et la France de Jacques 
Bainville, fut suivi de celui ou j'exposai les deux politiques alternantes de la 
democratic en 1895-98, contre l'Angleterre, (et menees sans marine), celle de 
1902-1905 contre l'Allemagne (et menee sans armee de terre), Kiel et Tanger. 
C'est la que j'evoquais 1' image de « cinq cent mille jeunes Francais couches 
froids et sanglants sur leur terre mal defendue ». Notre journal quotidien fut 
fonde en 1908 avec deux recrues de haut prix, Leon Daudet, qui n'avait ete 
jusqu'alors qu'un collaborateur d' occasion, et Jules Lemaitre rallie a la 
monarchic Les deux premieres annees du journal furent remplies de nouvelles 
bagarres au grand air ; reglees de la premiere a la derniere par Maurice Pujo, 
elles tendaient a reclamer le respect de Jeanne d'Arc, contre son insulteur 
Thalamas, puis a imposer son culte public dans les rues de Paris. 

Ce dernier effort ne devait aboutir que trois ans apres, mais sur l'heure nous 
obtinmes un resultat substantiel. Les corteges officiels siffles lors de la 
translation de Zola au Pantheon, les onze mercredis consecutifs ou le quartier 
latin mis en etat de siege, conspua, giffla, chahuta, fessa, le privat docent 
Thalamas, le president de la Republique bouscule par un garcon de cafe, les 
images du president du conseil et du premier president de la cour de Cassation 
promenes sur un char de la mi-careme, les statues de Zola, de Scheurer-Kestner 
et de Bernard Lazare martelees et defigurees, tout ce premier elan de V Action 
frangaise a Paris et dans les provinces produisit sans delai l'effet qu'il voulait et 
devait, le joug judeo-macon en fut secoue ; puis brisee 1' oppression qui durait 
depuis dix ans (1899-1909). Ce que Georges Sorel devait appeler la Revolution 
dreyfusienne et Paul Doumer « le regime abject » recut un conge public 
solennel : sous la pression de notre offensive, M. Briand se vit contraint, selon 
ses propres expressions, « de jeter au pays des paroles de detente et d'apai- 
sement » ; il les emit en propres termes dans son discours de Perigueux, a la 



24 V. La Bagarre de Fustel, brochure recueillie dans mon livre Devant 
l'Allemagne eternelle, 1937. 



veille des elections de 1910 ; quand ces elections furent faites, quelques mois 
plus tard, au diner Mascurand de novembre 1910, il dut avouer que sa demande 
d' armistice avait ete arrachee et meme forcee par nous. Voici ses paroles a leur 
endroit le plus vif dont il faut admirer le cynique candeur : 

« Par suite de circonstances facheuses (on n'est pas maitre des evenements, 
meme quand on a le pouvoir) independantes de la volonte des membres du 
Gouvernement d'alors, des difficultes graves avaient surgi dans le sein du pays ; 
le pays avait les nerfs tendus ; une campagne ardente de discredit se faisait 
contre les institutions republicaines et il faut convenir que 1' opinion mecontente 
pour des raisons injustes, si vous voulez, mais mecontente, ne faisait pas une 
atmosphere d'hostilite suffisante a cette agression contre la Republique. » (Nous 
etions tres bien vus de Vopinion en effet.) « On voyait chaque jour les rues, les 
pretoires de justice envahis par des bandes desireuses de violence et de 
desordres ; on voyait des statues de republicans integres et dignes de notre 
veneration, maculees, insultees, on sentait que la bataille electorale allait se 
passer dans cette atmosphere d'hostilite ; les travailleurs s'ecartaient du parti 
republicain ; le fosse semblait devoir se creuser encore entre les republicans et 
eux, si profond qu'il semblait impossible a combler. » - « Alors, j'ai considere 
que le premier devoir du gouvernement nouveau, etait de lancer au pays des 
paroles de Concorde... » La lutte de nos premiers dix ans se terminait done par 
une incontestable victoire. L' Oligarchic j etait du lest. La France respirait. 

Mais nous poussions notre pointe antidreyfusienne, toujours bien en ligne. La 
Ligue de la Patrie frangaise, battue (c' etait fatal) sur le terrain electoral, s' etait 
eteinte avec Syveton en 1904. Son president Lemaitre nous avait rejoints d'un 
bon pas, et du meme pas, nous conduisions notre campagne contre la Cour de 
Cassation. Cette haute magistrature venait de se couvrir de honte : pour acquitter 
Dreyfus sans avoir a le renvoyer devant un troisieme conseil de guerre, elle avait 
viole et falsifie la lettre et 1' esprit de 1' article 445 du Code d' instruction 
criminelle, nous le lui demontrions chaque jour. Nous n'apostrophions pas. 
Nous n'insultions pas. Nous diffamions ouvertement, categoriquement, avec le 
motif. Par a+b. Ce ne fut jamais releve ! Un jeune etudiant aux Beaux-Arts, 
Maxime Real del Sarte, ayant penetre dans la grande Chambre a 1' audience de 
rentree avait a haute voix defie cette Cour supreme : - Magistrats indignes, il ne 
sera pas dit qu 'un Frangais ne vous ait pas demande compte de votre infamie. 
On se jette sur lui, on l'arrete, on l'interroge, on le laisse aller. Pas 1' ombre de 
sanction ! Nous faisons frapper une medaille d'or a l'effigie du glorieux justicier 
de Dreyfus, le general Mercier, nous la lui remettons salle Wagram et la, devant 
5.000 auditeurs, le capitaine Lebrun Renault de la garde republicaine, vient 
repeter le texte des aveux de Dreyfus qu'il avait recueillis avant la degradation 
du traitre. Quelque temps apres, m'etant fait arreter moi-meme en criant a 
tue-tete « A bas la Cour de cassation qui a viole, fraude, falsifie V article 445 du 



Code de justice criminelle pour rehabiliter le traitre Dreyfus », le Parquet de la 
Seine avait soutenu que c' etait la un delit de tapage diurne et il avait tente de me 
faire condamner a ce titre par le tribunal correctionnel ; mais le president du 
tribunal, l'integre et courageux president Bourroulhou jugea que mon cri disait 
ce qu'il disait, contenait ce qu'il contenait : une diffamation ; il pria le ministere 
public de se pourvoir devant la juridiction competente, qui etait le jury. Son 
jugement est du 9 mars 1909. La citation en cour d' assise aurait pu m'etre 
expediee le soir du meme jour : je 1' attends encore. Apres quarante ans ! 

Quelle immunite ! Cet article 445, diffamateur inviolable et accusateur sans 
replique de la plus haute compagnie judiciaire de la Republique, fut des lors 
appele « notre talisman» : chaque matin, pendant six ans, nous le reimprimames 
dans notre journal jusqu'au 3 aout 1914 ou son sacrifice representa notre 
contribution volontaire a 1' Union sacree. Enfin, dans le ridicule proces qui 
m' avait ete fait a Versailles je pus refuser de repondre au juge juif nomme 
Worms, en reclamant un juge francais, puis en obligeant le president de la Cour 
d'appel de Paris, M. de Valle, a insister aupres de moi pour que j'accepte une 
amnistie... ce que je lui ai d'ailleurs refuse. 

Le terrain nous restait done a l'interieur. Mais tandis que se debattait la longue 
querelle civile, 1' atmosphere de 1' Europe etait allee se rembrunissant. Le service 
rendu au jour le jour par Jacques Bainville devenait plus actif et plus lumineux. 
Apres qu'il eut demontre l'insanite totale des concessions faites a l'Allemagne 
par Joseph Caillaux (ce Joseph Caillaux qui n 'avait pas de bon sens, Marcel 
Sembat dixit) Bainville s'efforca de faire sentir a la France l'urgence du 
qui-vive, 1' imminence de l'epreuve, la vive tension des electricites du continent, 
l'eternelle opportunite des plus durs devoirs de civisme. A ses cotes, la 
campagne fulgurante de Leon Daudet dans VAv ant- guerre (1911-1914) faisaient 
en meme temps apparaitre la quasi liberte de l'espionnage allemand dans notre 
pays, le systeme des inattentions complaisantes de l'Oligarchie et le crime de ses 
complicites declarees. L'aveugle passion des Juifs pour l'Allemagne leur 
fournissait un perpetuel alibi. Le mot d'ordre dreyfusien semblait couvrir, 
consacrer, immuniser toutes les autres trahisons. II arrivait que les espions pris 
sur le fait osaient nous assigner en justice. Mais ils ne gagnaient pas tous. Un 
esprit eminent du plus haut caractere nous avait rejoints. Ce patriote ardent, 
orateur et juriconsulte, Marie de Roux, avait revele une intrepidite et une 
eloquence qui acculaient la justice republicaine a de bien surprenantes defaites. 
Meme devant elle, il triomphait d'elle, ou certaines condamnations avaient 
1' eclat de veritables acquittements. 

Ce maitre defenseur facilitait les offensives les plus utiles et remportait pour 
nous une autorite morale qui mettait de plus en relief des avantages politiques 
plus imprevus encore. Sans les camelots du roi, disait Louis Barthou, je n'aurais 



jamais pu faire passer la loi de trois ans. Nos jeunes royalistes avaient done 
assure la liberte de l'Etat au service de la patrie. C etait un re veil national inoui, 
rien ne l'avait annonce et M. Etienne Rey analysait dans une forte brochure cette 
« renaissance de l'orgueil francais » et la « generation sacrifice », de Lionel des 
Rieux et de Peguy a Pierre Gilbert et Henry Lagrange procedait aux preparatifs 
de l'holocauste sauveur. Poesie, histoire critique, philosophic, tout etait mis en 
requisition, fermentation et effervescence en vue de ce devoir. Fin 1911, a 
l'appui des sentiments de Bafouille et de Daudet, j'invoquais jusqu'a la lecon de 
Dante. Dante, disais-je au bout de la preface d'une belle et nouvelle traduction 
de l'Enfer (25) , Dante n'aurait plus sujet de gemir son ahi serva Italia di dolor e 
ostello ! « Mais des servitudes egales menacant aujourd'hui de peser sur la 
Gaule, le vieil Italien peut contribuer a nous mettre au courant des cruautes du 
joug, des douceurs de l'independance, de l'affreuse fortune d'un pays demembre 
ou mal reuni, du pathetique dechirant et presque honteux propre aux aspirations 
d'une volonte nationale qui en est reduite a se delivrer par de simples chants 
d'elegie ou de satire. Les Francais modernes, dont les peres ont ete trop heureux 
et qui ont besoin d'etre avertis de la gravite d'une epreuve que tout prepare, ne 
trouveront nulle part ailleurs d' avertis sement plus complet ni aussi pressant. 
Cette lecon de Dante pourra suffire a leur inspirer de la vigilance. Par ce grand 
personnage de la plus haute elite humaine, d'un beau temps et de tous les temps, 
ils pourront eprouver par le coeur et les yeux ce qu'est une terre conquise et ce 
que vaut un noble peuple s'il a eu le malheur de se laisser recouvrir par une 
barbarie (26) . » 

En cette heure critique de la vie de la France, le citoyen d' Action frangaise 
faisait tous les metiers, journaliste, orateur, soldat de rue ou, comme disait Pujo, 
gendarme supplementary et maitre d'ecole. Un jour, leve de bon matin et parti 
pour le cimetiere de Montparnasse ou il conspuait les assassins de Syveton, il 
etait vers midi au poste de police du quartier. Si on le relachait, il s'arretait, hotel 
des Societes savantes, a l'lnstitut d' Action frangaise, pour expliquer a ses jeunes 
etudiants les deux Constitutions d'Athenes d'Aristote et du faux Xenophon, 
arrivait au journal et, la nuit bien tombee, avant d'aller a l'imprimerie, faire le 
numero du lendemain, il prenait l'air d'une reunion de quartier ou d'une 
conference contradictoire ou se demontrait en long et en large combien la 
democratic rendait le Juste difficile et l'lnjuste aise, quel assaut perseverant elle 
infligeait a l'Ordre, quel obstacle au Progres : ses biens tres cher payes, ses 
maux prodigues sans mesure ou donnes pour rien, notre plus grand interet com- 
mun consistait a detruire un pareil regime et a le remplacer. La meme verite 
etant confiee au papier imprime, on allait se coucher, la tete bourdonnante et le 
coeur a l'aise, pour recommencer le lendemain. Regime hygienique de bataille 



25 Preface a I'Enfer traduit par Mme Espinasse-Mongenet, 1912. 

26 Preface a I'Enfer traduit par Mme Espinasse-Mongenet, 1912. 



et d'enseignement : on pouvait le comparer avec un grain de sel a celui des 
Israelites au temps d'Esdras d'apres Bossuet, tenant d'une main la truelle et de 
1' autre l'epee, repoussant l'ennemi et fondant la cite nouvelle. 



9. Contre la politique du pire. 

Au fort de ces luttes du poing, du pied et du cerveau, nous ne nous sommes 
jamais cms, ni vus, ni sends hommes de parti. 

En tout cas, nous distinguions-nous de tous les partis gaulois presents ou passes, 
en ce que la politique du pire fut toujours bannie de la notre. Bien mieux, les 
plus hardies, les plus violentes de nos offensives interieures ont toujours menage 
la surete et la force de la patrie. Elles n'ont meme jamais ete conduites qu'en 
vue d'augmenter cette force et de couvrir cette surete. 

Cela se demontre. Mais, d'abord, demandons lequel de tous nos partis 
historiques eut jamais scrupule pareil. On peut faire la revue et l'appel ! Ce ne 
furent pas les huguenots ni, certes, les ligueurs contre les Valois. Ni les 
frondeurs contre Mazarin. Les uns et les autres se sont laisse emporter a queter 
leurs appuis a l'etranger. De meme les constituants de 1789 allies de 
l'Angleterre contre les Bourbon, puisque nos ports de guerre furent les 
premieres victimes des incendies de la Revolution. De meme les girondins 
contre Louis XVI, les liberaux contre Charles X, les democrates contre Louis - 
Philippe ! Les premiers de ces factieux ont declare une guerre de vingt-trois ans 
pour venir a bout du « charme seculaire de la royaute » (Jaures), les seconds ont 
commis une trahison au grand jour contre l'expedition d' Alger, dont ils ont 
offert les plans a la connaissance de l'ennemi ; les troisiemes ont exploite de 
toutes leurs forces chaque mesentente du gouvernement de Juillet et de 
l'Angleterre, unanimes a ignorer qu'il existat un interet national intangible 
superieur aux jeux des partis. II faut voir de quel ton le liberal Chateaubriand 
qualifie le dommage fait aux armees de Bourmont et de Duperre par les 
journaux de gauche, comme le National dont il etait l'actionnaire-abonne ! 
Chacun de ces partis courant droit a son but : son but d'eversion et de 
subversion, sans rien compter du bien ou du mal de la France. Les Vendeens 
eux-memes ont cede au mirage de concours exterieurs qu'ils n'avaient pas 
recherches. Nous, jamais. Les subventions de Mussolini furent meme une raison 
de notre rupture avec Georges Valois. 

II faudrait retenir les severes paroles du due de Broglie a Gambetta et ses amis 
qui, pour gagner des voix dans l'urne, l'accuserent de preparer une guerre a 
1' Italic « Lisez » leur disait le ministre du seize mai, « lisez l'histoire et ses 
tristes lecons, n'est-ce pas sur 1' agora d'Athenes qu'on evoqua le fantome de 



Philippe de Macedoine ? N'est-ce pas dans les dietes de Pologne qu'on se 
retournait avant de voter pour savoir ce que pensaient et ce que voulaient les 
ambassadeurs de Catherine ? » L'ambassadeur allemand Hohenlohe etait present 
a cette fletrissure. Ceux qu'elle avait notes ne l'ont jamais sentie. lis se sont 
obstines a la meriter. Tout pres de nous, en 1940-44, coute que coute et a tout 
prix, nos emigres de Londres et d' Alger ne penserent jamais qu'a la brutale 
exploitation de leurs interets ou de leurs passions sans donner un regard au mal 
qu'en devait subir le pays. Patriotisme, disaient-ils. Oui, jusqu'a tuer la patrie. 
Des milliards de milliards ont du solder leur retour ! des milliers de milliers de 
tonnes de bombes ont du l'arroser comme un punch, des centaines de milliers de 
vies francaises en ont du etre sacrifices, sans compter les libertes enchainees, la 
patrie meurtrie, l'honneur degrade. Non, jamais la politique du pire n'aura fait 
peur a ces gens-la ! Le masque de patriotisme qu'ils s'etaient attache ne pouvait 
correspondre qu'a une France de leur secte ou de leur idee, la France mats, la 
France si du bon Monsieur Ranc. Leur seule ombre d' excuse tiendra a la 
ferocite constante de nos divisions historiques. Avant et apres, tout le monde est 
d' accord pour blamer le coup porte a la France, les appels a des allies hors de 
France. Pendant et des que les fureurs de haine ont flambe, elles ne connaissent 
plus d'autre mesure qu'elles-memes. La seule exception est celle du groupe 
« des politiques » d' Henri IV, avant d'arriver a notre France d'abord et a notre 
France seule. Nous avons toujours pense a servir la France avant meme de 
servir la cause royale et (notre royalisme n'etant que corollaire de notre 
patriotisme) a sauver 1' heritage avant de le rendre a l'heritier, ce qui etait 
d'ailleurs conforme a la consigne invariable donnee par les fils de Saint Louis 
sur leur trone d'exil. 

Cela, des l'origine. Nous n' avons jamais souscrit a aucun projet de faire courir 
un risque majeur a une patrie menacee de tant de perils. Vers la fin de 1896, aux 
premieres reptations des rumeurs de la conspiration dreyfusienne, brochure de 
Bernard Lazare, demarches de Mathieu Dreyfus, certains hauts personnages du 
parti conservateur avaient ete pressentis et sollicites de favoriser le coup juif, et 
eux-memes hesitaient, calculaient que sa demagogie antimilitaire pourrait 
emporter plus rapidement le regime. Nous nous elevames avec energie contre 
cette tendance. Comme 1' avait dit le due d'Aumale au proces Bazaine, « il y 
avait la France ». Nous le repetames a satiete. Nous l'emportames. Notre 
opposition ne se permit jamais de deviations de cet ordre. L'avantage moral 
nous sera d'autant moins dispute qu'il avait etonne et presque choque certains 
polemistes qui n'etaient pas sans affinites avec notre humeur. 

Le premier Clemenceau, celui de 1908 et meme de 1915, temoignait d'une 
impatience significative toutes les fois que nous l'accusions de vouloir bruler la 
ville pour faire cuire son petit oeuf. Le reproche lui etait aussi sensible et 
incomprehensible qu'il l'aurait ete a la fausse mere du jugement de Salomon. La 



rhetorique patriotique des jacobins s'etait enfoncee assez loin dans cette ame 
energique et dure : hormis dans les quatorze mois de son magnifique 
gouvernement de la guerre, il ne se representa jamais la patrie comme un etre 
doue de vie, a qui devoir des managements mesures, des soins, des protections. 
Au lendemain de Morhange en 1914, il ne donnera pas la moindre attention au 
mal que devaient faire ses dechainements contre les chefs de 1'armee, et lorsque 
Millerand dut suspendre, puis enchainer son Homme Libre, il n'y comprendra 
rien. Mais apres le Chemin des Dames, en 1918, sa tres noble maniere de 
couvrir et de defendre Foch au Parlement valut a Clemenceau les couronnes de 
Poincare et de V Action frangaise dont il se moquait egalement (27) . II lui fallait 
etre face a l'ennemi pour que ce guerrier-ne decouvrit que l'epee protege autant 
qu'elle pointe et pourfend. 

A plus forte raison, quand ce qu'il faut combattre est quelque mal interieur, 
quand l'adversaire est un concitoyen, faut-il conduire chaque coup de maniere a 
ne pas miner la vie de 1' ensemble ! La bataille civile est tenue sous une regie 
superieure. Le militaire y doit ceder, comme une espece, telle 1' espece 
economique, au genre prioritaire, de la Politique et pour cette meme raison que 
la politique est la souveraine responsable de la Nation. Nos derniers malheurs 
sont nes d'une insurrection de la specialite militaire contre la generalite 
politique. L'honneur de 1'armee, la honte de la debacle, la passion de livrer une 
bataille de plus, sont des sentiments parfaitement honorables, mais ils ont ete 
dans leur extreme essence destructeurs de la patrie, et plus encore de 1'armee, de 
son nerf, de sa discipline, quand l'emissaire anglais, M. Spears, les a remues 
dans le cerveau faible et violent de M. de Gaulle : la ou Ton devait tout 
subordonner a ce qui restait de Concorde francaise, ce cavalier seul d' inspiration 
et de suggestion patriotiques n'a reussi qu'a parfaire la perte de la patrie, en 
decomposant la hierarchie militaire. Le dernier residu du plus grand bien positif 
des Francais devant 1' occupant, leur premier devoir de civils et de militaires 
prescrivait de ne rien aj outer aux dilacerations du desastre et de maintenir toute 
la coherence, tout l'ordre relatif compatible avec le malheur, surtout chez ceux 
en qui se perpetuait l'honneur de porter une epee. Ils avaient, en un mot, le depot 
de notre Unite. Et ce sont eux qui ont multiplie les schismes par les scissions ! 
Encore n'ont-ils pas inflige leur rebellion a des Blum, a des Reynaud, a des 
Daladier : non ! en violation directe de leur charte et de leur statut, c'est au seul 
Marechal de France en activite qu'ils ont refuse d'obeir ! Les dommages les plus 



27 Mandel, alors lieutenant de police de Clemenceau, racontait que, en lisant dans 
V Action Frangaise l'eloge enthousiaste de Clemenceau defenseur de Foch au 
Palais Bourbon, M. Poincare prit notre article, et, des ciseaux et de la colle de 
l'Elysee, en fit une a coupure qu'il adressa a Clemenceau. « Et Clemenceau, 
dis-je a Mandel, en fit une boulette pour son chat ? » A quoi Mandel ne 
contredit point. 



divers auront ensemble resulte de cette politique separatiste alors que 1' union 
autour du Marechal etait en train de tout sauver. Ce gouvernement de Vichy 
sous la botte allemande n'allait pas sans cruelles difficultes mais, on l'a fort bien 
dit, « si la France ne se gouverne pas de Vichy, a plus forte raison elle ne saurait 
se gouverner de Londres ou de Moscou » (28) . Les cris diviseurs qui partaient de 
la Radio de Londres, ses diffamations gratuites, les impudentes calomnies, 
comme la fausse assertion, reiteree cinquante-deux fois, que la flotte etait livree 
a rAllemagne, cette guerre civile faite du haut des airs a une portion 
considerable de la patrie constituait a coup sur un inexpiable forfait, froidement 
accompli par un officier general, cependant simple brigadier, campe sur la terre 
etrangere, lie par convention a un Etat etranger, enfui de son pays avant meme 
que ses compagnons d'armes eussent cesse le Combat ! 

Lorsque, en pleine paix, il nous arrivait de parler en public hors de France a des 
auditoires amis, vaudois, genevois, bruxellois, espagnols, nous nous appliquions 
a moderer 1' expression de notre jugement sur la Republique : elle etait ennemie 
mais elle etait francaise, du moins legalement. Ici dans les vomissements debites 
de Londres ou d' Alger, etait effacee toute trace de moderation, d'equite, ou de 
verite. Les mots etaient manies comme des traits, des pierres ou des excrements. 
L'essentiel etait de faire servir a blesser ou a maculer. 

Fallait-il que dans 1' avion ou M. de Gaulle s'est fait enlever, la tentation du 
general Spears eut tout emporte et tout balaye ! M. de Gaulle ne savait 
probablement pas qui etait ce Spears. On ne le connait bien qu'apres avoir 
medite ce que vingt ans auparavant, le 29 avril 1917, le grand ambassadeur Paul 
Cambon ecrivait de Londres a son frere Jules : 

« ... II y a au ministere de la Guerre a Paris un personnage des plus dangereux, le 
general Spears qui n'est pas plus general que toi ou moi et qui assure la liaison 
avec le War Office. C'est un Juif tres fin, tres intrigant, qui s'insinue partout et 
qui pretend tout diriger. II a fait beaucoup de mal a Bertie (1' ambassadeur 
d'Angleterre). Sous le ministere de Painleve dont l'ingenuite depassait les 
mesures permises meme aux mathematiciens, Spears avait pris pied dans notre 
ministere de la Guerre, il penetrait a toute heure dans le cabinet du ministre, 
feuilletait les correspondances, savait tout ce qui se disait au Conseil des 
Ministres, et il envoyait des bottes de rapports politiques au War Office ! II a 
l'air de continuer aujourd'hui car je sais qu'il a fait savoir que la politique de 
Lloyd George en Irlande aurait ete imposee par notre Presidence du Conseil. 
C'est tout ce qu'il y a de plus dangereux. Si ce bruit se repand, ce sera un tolle 
en Irlande, et a Londres le parti liberal s'offusquera. D'une parole en l'air, 
Spears a fait un conseil donne apres deliberation. Nous avons d'ailleurs assez 



Mauloy, Nouveaux Saigneurs. 



d'amis au War Office pour mettre les choses au point. A ce propos je puis 
affirmer qu'on supporte mal Spears a l'Etat-Major general et qu'on ne le 
maintient que parce qu'on lui croit chez nous une situation telle que nous 
prendrions mal son changement. On s'est moins gene avec le pauvre Bertie. 
Quant a notre Etat-Major a nous, il suffit de causer un instant avec le general 
Foch ou le general Weygand pour connaitre leur appreciation sur ce 
personnage... (29) » 

Ce Juif tres fin et tres intrigant, devenu en 1940 l'ambassadeur personnel de M. 
Winston Churchill, fut en ces jours decisifs et sombres, le directeur de 
conscience de M. de Gaulle apres 1' avoir ete de Paul Reynaud. Ni l'un, ni 
1' autre, ne savait le monde anglais comme le connaissait de longue main Paul 
Cambon. Tous les deux furent les dupes du personnage des plus dangereux qui 
eut part essentielle a 1' impulsion funeste donnee a nos destins. Les hommes qui 
subirent ainsi son influence seraient sages de s'examiner. D'apres le rapport 
Morand, un Juif bien ne, M. Andre Maurois, avait conseille aux transfuges de 
Londres de former « une legion, non un gouvernement ». lis aimerent mieux 
ecouter ce Juif mal ne de general Spears. lis recurent de sa main un sale poids 
d'affreux subsides avec 1' assurance d'une naturalisation en conservant leur 
grade dans l'armee britannique, en cas d'insucces. lis obtinrent de Spears la 
promesse (non remplie) de n'etre jamais engages contre des troupes francaises. 
lis subirent son influence au point d'oser excuser Mers-el-Kebir, de canonner 
Dakar et de prendre part a 1' agression syrienne. 

Plus tard, trop tard, en Orient, M. de Gaulle s'est apercu, a ses depens et aux 
notres, qu'il s'etait laisse tromper. Avec quelle folle facilite ! Avec quelle 
absurde passion ! Quelques explications que Ton donne a ses aveugles 
complaisances, M. de Gaulle reste une enigme. Elle n'est peut-etre soluble qu'en 
meditant cette profonde pensee de Jacques Bainville : 

« Si jamais parcelle de pouvoir tombe aux mains d'un auteur siffle, d'un 
inventeur meconnu, d'un de ces malheureux qui se figurent que leur genie a ete 
etouffe par la persecution et par V injustice, croyez-moi, ecartez-vous ; fuyez 
comme devant un chien hydrophobe (30) . » M. de Gaulle a garde sur le coeur les 
injustes dedains que souffrirent « son » armee de metier et « ses » corps blindes. 
II les a fait payer cherement a la France. 



Paul Cambon : Correspondance, tome III. 
Jacques Bainville, Reflexions sur la politique. Plon. 



CHAPITRE HUITIEME 



L' ACTION FRANCAISE EN P ARTIE DOUBLE 

(suite) 



- Mais, dites-vous, Monsieur, ces reflexions sur la politique du pire partaient 
d'avant 1' autre guerre, elles nous ont conduits a 1940 et me me 1949, mais rien 
n'a ete dit encore de VEnquete sur la Monarchic, plus ancienne de cinquante 
ans. 

- Avant que d'aborder VEnquete, il me faut insister sur quelques actions finales 
contre le regime et pour la Patrie. 



1. Deux derniers adversaires. 

Trentenaire a la fin du siecle, et deja plus agee que ne 1' etait devenu aucun des 
regimes anterieurs, Bourbons directs, Branche cadette ou second Empire, la 
troisieme Republique etait une personne deja fanee. Bien des parties en etaient 
mortes ou mourantes, et son « abjecte » terreur juive de 1899-1909 ne devait pas 
la renover. Cependant, avant 1914, deux elements nous faisaient face, qui 
perse veraient dans la vie. 

D'abord, le petit monde intellectuel judeo-germaniste concentre (idees et 
personnel) a la Revue Blanche autour de Leon Blum, alors dans sa jeune fleur. 

Puis, le vaste parti unifie, le « Parti » par excellence, democratique d'abord, 
international ensuite, socialiste en troisieme lieu, que gouvernait Jaures. 

Le premier des deux adversaires fut vite surmonte. Vers 1900, dans la jeunesse 
cultivee, grandes ecoles, facultes, hautes classes des colleges et des lycees, le 
vent soufflait au judaisme et au germanisme. Des 1910, ce mouvement etait 
renverse. Dans les memes parages, on nationalisait ou Ton royalisait, comme en 
fait foi le texte celebre d' Albert Thibaudet : « ... 1' affaire Dreyfus, qui a fructifie 
en victoire pour les partis et les forces des gauches n'a pas fructifie pareillement 



pour les idees de gauche, pour les droits de l'homme, la democratic, le libre 
examen. » Tout cela, regarde de pres et sonnant creux, commencait d'apparaitre 
terriblement coco, et en retard sur l'etat du monde. Le meme temoignage a ete 
porte par Ludovic Frossard, pendant l'occupation « ... Vers 1900, la jeunesse des 
ecoles allait a Jaures. Apres 1910, c'est a Y Action frangaise qu'elle vint. A ce 
signe, on eut pu et du comprendre que l'idee democratique perdait de son 
rayonnement. On n'y prit point garde, ou Ton feignit de n'y point prendre garde. 
Militant socialiste a peine sorti de l'ecole, je me souviens que j'etais etonne du 
parti pris de silence qu'opposait le journal de Jaures et Jaures lui-meme, a la 
politique de 1' Action francaise. Sans doute croyait-il ce parti-pris habile. II se 
trompait. Tous les lecteurs de Mourras ne devenaient pas ou ne restaient pas 
royalistes, mais tous prenaient rang parmi les adversaires de la democratic 



(31) 



» 



M. Frossard exagere le silence de Jaures. II repondit tant qu'il le put. II redigea 
tout un article expres contre nous lors de la bagarre de Fustel (32) , ou le grand 
maitre du socialisme fut reconduit tambour battant. Qu'eut-il repondu sur 
d'autres points, qui ne lui eut valu des re vers analogues ? N'omettons pas 
1' observation finale de M. Frossard : « II va de soi, cependant, que la democratie 
a elle-meme largement contribue a sa propre defait ». Les evenements parlaient 
tout seuls a 1' intelligence des classes cultivees et desinteressees : nous les 
ralliions automatiquement. II n'en etait pas de meme pour la clientele obscure et 
passive de Caliban. 

La etaient les « masses profondes » que remuait le second adversaire. Non, 
certes, un parti specifiquement populaire. La section francaise de 
1' Internationale ouvriere (S.F.I.O.) etait administree par ce cadre nombreux de 
bourgeois, parfois tres bourgeoisant, avocats, professeurs, journalistes, inge- 
nieurs, medecins, ranges autour des urnes electorales sur des sieges curules, aux 
abords des cabinets ministeriels et pour qui la propagande doctrinaire avait 
quelque chose d'alimentaire et de professionnel. La tendance historique de la 
democratie est de diviser la Cite en partis des Riches et des Pauvres ; les 
demagogues ont de tous temps pratique la culture methodique de la haine par 
l'envie et la jalousie. La technique marxiste y ajouta la doublure solide de la 
lutte des classes, tendant a reserver aux socialistes le monopole des justes 
revendications ouvrieres. Ces apres intellectuels declasses qui vivaient et 
s'accroissaient des miseres du proletariat formaient une coalition fort serree. 
Nous l'avions entamee pourtant. Forts de la doctrine sociale de Le Play, du 
comte de Chambord, de La Tour du Pin, de l'Eglise catholique, nous avions mis 
a nu le sauvage egoisme de la defense republicaine, tel que Jules Guesde 



31 Cite dans la Contre -Revolution spontanee de Charles Maurras, aux pages 61 et 
62, en note. 

32 Voir la brochure La bagarre de Fustel, 1' article de Jaures y est transcrit tout 
entier. 



lui-meme l'avait avoue, en 1904. En 1908, lors des pieges policiers de 
Draveil-Vigneux, nous avions pris la defense du monde ouvrier contre 
Clemenceau et, le 23 aout, un syndicaliste d' Action francaise, l'un des 
fondateurs de la C.G.T., Emile Janvion, avec trois camarades, avait pendu le 
buste de la Republique sur la facade de la Bourse du Travail. Mais le point le 
plus vulnerable du Jauresisme n'etait pas dans son democratisme republicain a 
tout prix. C'etait plutot la folle politique etrangere qui subissait son incurable 
amitie de l'Allemagne. On a vu comme il s'etait precipite contre Andler. II se 
tourna de meme contre un autre camarade, Marcel Sembat, quand celui-ci se 
declara touche de nos preoccupations exterieures et, disait-il, de V immense point 
d' interrogation inscrit par nous au tableau noir. Sembat en fit tout un livre, et 
Jaures n'en dit pas un mot. Sembat se demanda publiquement comment la 
Republique, cette « femme sans tete » repondrait a ces graves questions 
nouvelles. Le titre de son livre « Faites un roi sinonfaites lapaix » (comme si la 
paix n'etait pas au moins aussi difficile que la guerre pour Marianne), ce titre 
suffit a scandaliser Jaures, qui s'obstina a bouder en silence, ce qui n'empechait 
pas le Parti de savoir et d'etre trouble. Impermeable aux idees claires, le grand 
orateur ne l'etait pas moins aux realties palpables : le Congres international 
d' Amsterdam lui avait montre des chefs socialistes allemands plus que 
loyalistes : fideles, envers leur patrie et leur Reich, il avait entendu Bebel 
« prendre la defense des Hohenzollern » « contre la Republique frangaise » 
parce que celle-ci envoyait de l'infanterie, de la cavalerie, de l'artillerie sur les 
champs de greve ; au Congres de Stuttgart, le meme « parti frere » s'etait refuse 
a toute propagande antimilitaire. En 1911, lorsque nos concessions congolaises, 
loin de satisfaire l'Allemagne, l'avaient excitee, stimulee et exasperee, Jaures 
n'y comprit rien. Le filigrane de guerre aurait du l'eblouir. II s'obstina a lire : 
paix. Bien qu'il eut fini par se resoudre a tracer un programme d'ailleurs chime - 
rique, d'armee nouvelle, et qui aurait du accroitre en materiel ce qu'il lui otait en 
effectifs instruits, il laissa son parti faire les elections du printemps 1914 sur le 
programme de la « folie des armements » ; a la Chambre nouvelle, il posa en 
principe la tranquillite de 1' Europe (pas 9a ! pas 9a ! criait la gauche a M. Ribot 
parlant de 1' horizon trouble) ; pour mettre le comble a cette crise d' incapacity et 
d'imperitie obstinees, le 16 juillet, Jaures poussait a la greve generate devant 
l'ennemi : Jules Guesde fit ecarter cette motion qu'il qualifia de haute trahison 
envers la nation la plus socialiste, c'est-a-dire la France. Le 31 juillet, jour de sa 
mort, l'annonce de I'etat de peril de guerre etant proclamee a Berlin, ce coup de 
foudre, lui apparut le symptome du plus beau fixe. Son erreur de lecture dura 
autant que lui. Sans doute 1' amour de la paix le tenait et le possedait. II n' avait 
pas le droit de se laisser tromper a ce point, fut-ce pour ce motif. Sinon, 1' orateur 
populaire serait presume sans devoir envers la pauvre foule que traine sa 
chanson. Faute d'etre un guetteur sur la tour, il n'est rien. Or, s'il y monte sans 
decouvrir ce qui vient, cette hauteur de vue n'est d'aucun usage non plus. Ainsi 



pose, Jaures offrait a nos adjurations et a nos interpellations une prise de tout 
instant, qui ne cessait de s'elargir. 

Un lettre comme lui aurait du entendre ce que c'etait que le Germanisme ou 
comprendre ce que Pierre Lasserre allait lui en montrer : le plus brutal des 
schismes humains. Jaures attentif a tout ce qui bougeait outre -Rhin aurait du se 
rendre compte des progres quotidiens du Pangermanisme et, s'il n'y suffisait 
point, le Bainville de chaque jour etait la pour le lui expliquer et interpreter au 
maximum de lucidite, par les faims, par les soifs, par les desirs de 
1' effervescence d'un peuple, organises d'en bas et stimules d'en haut. A ces 
realites objectives, Jaures substituait, de parti-pris, ses imaginations d'homme 
d' extreme-gauche et son mythe d'un bellicisme purement imperial, princier, 
junkerien, ou capitaliste, auquel saurait repondre 1' insurrection certaine des 
travailleurs allemands. Contre un reve aussi improbable, nous avions beau jeu. 
Les faits nous donnaient raison a tout coup. L'empereur put assumer la 
responsabilite de tous les torts publics, declarer la guerre, attaquer, envahir le 
premier : son peuple ouvrier le suivit ou il voulut le mener. La revolution qui 
eclata au bout de quatre ans fut aussi pangermaniste que l'avait ete Guillaume, le 
caporal Noske y prefigura dignement le caporal Hitler, justifiant tous les 
reproches que nous avions faits a Jaures, sur ses meprises aussi passionnees que 
cruelles ; ses cecites et surdites systematiques avaient coute a la France une 
forte lacune de son rearmement. C'est en tres grande partie notre critique 
perseverante qui l'a empeche d'etre trop ecoute encore. Nous avons ete la hache 
de ses discours. Diminuant son autorite, nous en avons reduit le dommage. Nous 
en sommes fiers. On peut crier pendant cent ans que nous 1' avons fait assassiner. 
Comme ce n'est pas vrai, cela n'a pas d' importance. Pas plus que les centaines 
et milliers de rues et de boulevards auxquels on a donne le nom de Jaures ne lui 
rendent un temoignage consistant : sunt verba et voces, praetereaque nihil. 
Jaures a ete assassine par un zelateur de Marc Sangnier, tout ce que nous avons 
ecrit contre lui est a notre honneur, etant vrai, et n'ayant ete qu'au service de la 
patrie. 

Pourtant, sa fin tragique rendit a son parti un service reel. Elle lui fournit cette 
arme empoisonnee contre nous. La fausse accusation que l'avocat de la partie 
civile n'avait pas ose soutenir quand Villain comparut devant une Cour et un 
jury, qui avaient les moyens de se renseigner, cette calomnie gratuite a ete 
reprise a des milliers et des milliers de voix devant de pauvres multitudes sans 
defense. En tant que pretendue meurtriere de Jaures, V Action frangaise fut, par 
extension denommee, « ennemie du proletariat » : ainsi sut se defendre de nos 
coups redoutes la fructueuse profession qui consiste a berner le proletariat. Un 
fosse fut creuse, des barbeles furent tendus autour de la chasse gardee de la 
S.F.I.O. Mais, bien qu'un peu moins vite, nous avons quand meme passe. 



2. Nos alliances. Vers la victoire. 

Le funeste credit de Jaures diminue, le carcan du regime abject desserre, nous 
servions la France d'une troisieme facon par le concours que nous donnions a 
« V experience Poincare », dite aussi des « princes lorrains » parce que l'homme 
de gauche Poincare, cornaque par Briand dans le monde parlementaire, etait au 
dehors un demi-dissident de V Oligarchic Ce Meusien etait cautionne par le 
protectorat moral de son compatriote et condisciple le Vosgien Maurice Barres. 

Entre Poincare et nous, il n'y eut jamais d' alliance ou de tractation, mais des 
menage ments reciproques sur le plan des interets nationaux. Nous ne pouvions- 
traiter un gouvernement qui rearmait comme les gouvernements qui avaient 
desarme. Une opposition qui, sur ce point, donnait un appui sans reserve, ne 
pouvait pas etre traitee en ennemie mortelle. Nous y gagnames tout de suite de 
pouvoir porter librement, en corteges, nos fleurs aux statues parisiennes de 
Jeanne d'Arc : jusqu'a cette annee 1912, il avait fallu nous battre avec la police 
au point d'y encaisser dix mille jours de prison ; apres 1912, et jusqu'au Cartel 
des gauches de 1924, la police et la garde firent la haie, firent l'escorte devant 
nos defiles. 

Autre gain positif : en arrivant rue Saint-Dominique, le ministre de la Guerre de 
Poincare, l'ancien gracieur de Dreyfus, Alexandre Millerand, prenait la 
resolution de remettre Varmee dans Vetat ou elle etait avant I' affaire Dreyfus. 
Meme aventuree, la promesse apposait un sceau quasi-officiel a notre politique 
anti-dreyfusienne des quinze annees precedentes. Les Gauches en regimberent. 
L' Oligarchic aussi. Quelques mois plus tard, elles se coaliserent pour interdire 
de rendre justice a l'un des justiciers de Dreyfus, le colonel du Paty de Clam, ce 
qui determina la demission de Millerand. Cette impotence du regime soulignait 
la bonne volonte de quelques-uns de ses hommes, leurs intentions 
reorganisatrices, leur conscience claire du trouble europeen. On dit qu'ils ont 
voulu la guerre ou l'ont attiree. Le vrai est qu'ils ont pris contre elle de serieuses 
precautions, celles que d'autres refusaient et qui etaient toutes necessaires. La 
guerre nous a ete declaree. Elle l'eut ete plus certainement encore si nous ne 
nous etions pas mis sur nos gardes. Entre tant de prodromes de 1' inevitable 
malheur, un fait tout neuf se dessinait. II n' etait plus deraisonnable d'esperer du 
conflit autre chose que notre echec. 

D' apres les theories ou les sentiments qui nous sont pretes quelquefois, ce fait 
nouveau n'aurait pas du etre apprecie par nous : n'avions-nous pas pris pour 
epigraphe, un jour, le blaspheme fameux du general de Gallifet, Ah ! il ne nous 
faudrait pas une guerre, ah ! nous serions foutus... mais c'etait en 1908 ; nous 
etions en 1913 ; n'avions-nous pas aussi examine l'hypothese de nouveaux 
lende mains de Sedan ou de Waterloo ? Mais c'etait en 1903 et 1906, lorsque 



nous nous voyions precipites an desastre par l'incurie militaire de la troisieme 
Republique. Peu d'annees plus tard, nul pessimisme preconcu ne justifiait 
d' objection au vol de la victoire. En voici deux preuves ecrites. 

- Le 30 septembre 1913, au banquet de depart de la classe de nos consents, 
etudiants et camelots, j'osai prononcer en toutes lettres ce terrible nom de 
victoire. J'osai specifier d'ou je l'attendais : la valeur reconnue de notre canon 
de 75, la science superieure de notre commandement dont on percevait quelques 

signes. 

Onze mois plus tard, dans la nuit du ler au 2 septembre 1914, dans 1' extreme 
angoisse qu'avait suscitee la retraite de Charleroi et comme le gouvernement 
fuyait de Paris a Bordeaux, la meme indomptable esperance me precipita sur une 
depeche beige signalant le passage en gare de Bruxelles de plusieurs corps 
allemands qui refluaient d'ouest en est pour donner la replique a 1' offensive 
russe. N'etait-ce point la, dis-je a mes lecteurs, une pression, une ponction 
analogue a celles que les soulevements polonais de 1794 avaient exercees sur les 
armees de la Coalition et qui (d'apres Albert Sorel, dont j'invoquais l'autorite) 
avaient tres puissamment favorise 1' effort de nos armees revolutionnaires ? Dix 
jours passerent et, a l'onzieme, les nouvelles de la victoire de la Marne don- 
naient raison au pronostic de notre fermete. 

Vous le voyez, Monsieur, ni en 1913 ni en 1914, notre obsession reelle du peril 
et de sa menace ne ressemblait a la « sensation toujour s presente » de la 
« defaite » et, moins encore, d'une incapacite de victoire. C'etait l'oppose. Nous 
voulions vaincre, nous le devions, nous nous en sentions le pouvoir. 

Par la meme occasion, rendez-nous cette autre justice : nous differames tres 
completement des republicans de 1870, ceux du moins qui, le 3 septembre, du 
haut des degres du Palais de justice, jeterent a la foule parisienne le cri inepte et 
impie : Victoire ! les armees de I 'empereur sont battues ! Memento : les memes 
auteurs de cette impiete, Ferry, Favre et compagnie, trois ans auparavant, 
avaient refuse d'armer les troupes imperiales et ainsi travaille a leur defaite. Le 
lendemain 4 septembre, e'etaient encore les memes qui se formaient en 
gouvernement de la defense nationale, sans reussir a reparer leurs malfacons. lis 
les accrurent meme par ce que Thiers appela « la dictature de 1' incapacite ». 

Est-ce que quarante ans plus tard, dans les annees de l'avant-guerre, M. Viviani 
avait redoute de nous quelque manoeuvre analogue a celle de ses grands aines de 
I'Annee terrible ? Non sans un etonnement tres sensible, il avoua qu'il lui etait 
venu de notre part un concours desinteresse, qu'il n'attendait pas. Nous avions, 
en effet, repondu les premiers aux appels de 1' Union sacree. Une note energique 
de Bainville avait fait instituer la censure de la presse. Aucun journal ne s 'etait 



applique autant que le notre a soutenir « le moral de I 'arriere » sans craindre de 
« consolider la Republique », comme nous frondait en souriant Alfred Capas. 
Nous donnions a la bataille de France tout le concours possible de la part des 
non combattants. M. Poincare n'avait pas dissimule non plus sa surprise, moins 
voyante que celle de Viviani. Ses Souvenirs nous louent Daudet et moi, d' avoir 
oublie, devant l'ennemi, ce qu'il appelle notre haine des republicains et de la 
Republique. Ce fut de Leon Daudet en personne que Clemenceau recut, par 
l'entremise du president de l'Academie Goncourt, leur ami commun Gustave 
Geffroy, les parties capitales du dossier des Almereyda, Caillaux et Malvy ; 
c'est done par Daudet que Clemenceau, jusque-la simple mangeur de generaux, 
perpetuel censeur de la haute armee, commenca a se faire le bon chevalier de la 
France ; c'est grace a Daudet que fut prononce en juin 1917 le discours 
denonciateur de Clemenceau contre la canaille des espions et des traitres. II 
faudrait un livre tout entier pour exposer toute la politique de guerre de Leon 
Daudet, avec ses tableaux de chasse ou des douzaines de mauvais Francais 
etaient cites, convaincus et condamnes. C'est bien bizarrement que Ton veut 
contester ces belles campagnes. L'ouverture des premieres archives ou la simple 
suite des choses lui apportent de contumelies verifications. Par exemple, ce qu'il 
disait de la collusion de Briand et de la Princesse de Grece a fait beaucoup 
d'incredules : ouvrez le troisieme volume de la Correspondance de Paul 
Cambon, on y trouve 1' accusation que I' Action frangaise avait le merite de 
publier. La meme Correspondance montre souvent le parallele ou l'identite des 
jugements rendus sous le meme critere du salut public : une conversation avec 
Clemenceau etablit curieusement, que la politique de Paul Cambon en Alsace 
etait la notre, trait pour trait, et tres semblable a celle de Barres et de Millerand. 

De la sortaient deux consequences. 

L'ancienne oligarchic des vieux partis republicains, lies par origine a 
l'Antifrance, etait assez vivement repoussee par la guerre dans les parages de la 
nouvelle opposition germanophile, opposition antiguerriere, antimilitaire, 
parfois developpee jusqu'a des voyages a Copenhague, a Kienthal, a Stockholm, 
ou a d'autres contacts plus ou moins discrets avec l'ennemi, comme ceux de 
Briand, a Bruxelles, par 1' affaire Lancken. Dans le meme sens etaient 
deconcertes bien des republicains historiques, dans leur croyance plus ou moins 
naives aux fables de la levee en masse selon Danton et Gambetta, aux victoires 
par le desordre a l'interieur. M. Aulard avoua dans Le Pays que la victoire avait 
ete gagnee par des moyens d'Ancien Regime : armees regulieres, union sacree. 
C etait la faillite de 1' esprit revolutionnaire. Tout ce qui n' etait pas 
volontairement, passionnement ou naturellement infeode a 1' Oligarchic 
dissidente etait reintegre de soi dans la vieille communaute francaise, sans 
exempter ni les juifs bien nes ni les vieux Francais de confession protestante, ni 
les meteques disposes a s'assimiler de bon coeur. Quelques macons se liberaient 



de ce que Bossuet eut appele « la frenesie de leur secte ». Fruit spontane de la 
guerre et de la victoire, ces mouvements divers recreaient un sens national qui 
refaisait moralement notre unite. 

Deuxieme consequence. Cette unite restauree faisait tomber, outre le ciment de 
1' Oligarchic, les separations qui en derivaient. Nos relations personnelles avec 
les partis et le pouvoir en furent facilities. Nous n'avions rien a leur demander, 
ni eux a nous, mais il y avait avantage pour tous a retablir de libres 
communications entre Francais. II n'est pas sans interet par exemple, que le soir 
de novembre ou il mit son ministere debout, Clemenceau nous envoya Jules 
Delahaye pour connaitre nos desiderata. 

- Vos amis, qu 'est-ce qu 'Us veulent ? dit-il. 
Delahaye repondit : 

- Je ne sais pas au juste. 

- Allez le leur demander, vous viendrez me le dire. 
- A minuit. 

- Entendu. 

Jules Delahaye vint rue de Rome, et ses amis lui confierent illico leur 
programme en trois points, que Jules Delahaye eut V extreme bonte d'aller 
repeter au Tigre tout chauds : 

- Premierement, retablissement de I'Ambassade du Vatican. 

- Non, dit Clemenceau, c'est de la politique. Et puis ? 

- La Part du combattant... 

- Peut-etre, et encore ? 

- Le chdtiment des espions et des traitres. 

- Entendu 7( 33 ) 



33 La Contre -Revolution spontane e, Lyon, Lardanchet 



En Janvier 1920, apres son echec a l'Elysee, le meme Clemenceau dit a Maxime 
Real del Sarte en parlant de nous avec une espece de regret que nous eussions 
laisse subsister la Republique: «Ah! comme Us I'avaient belle! Qu'ils 
Vavaient belle a ce moment-la ! » Nous ne l'avions pas si belle que le croyait le 
Tigre. La Republique profitait des euphories de la victoire. N'importe. Une 
pensee francaise, exterieure ou hostile a la Republique, se faisait sentir chez ce 
qui comptait, notamment ces republicans de l'Est, dont Poincare et Maginot 
furent les types. Certains lieutenants de Clemenceau, fraternisaient etroitement 
avec Daudet, tel Jean Martet, et meme des Juifs comme Ignace. Et meme 
Mandel ! Cela ne faisait pas plaisir a tout le monde, et 1' Oligarchic, emue d'une 
indignation assez naturelle, passait d'une defense timide a des offensives 
risquees. En voici une. Par le temoin qui a la parole (XHIe Cahier de Barres, 
page 253), par l'autorite de sa source (Ignace), par la gravite du crime enonce, 
1' importance des criiminels, precisions, dates, references, on se rend compte de 
la haine que le re veil francais inspirait a 1' Oligarchic evincee : « Le 21 Janvier 
1920 », ecrit Barres, « Ignace m'expliqua comment sous les ordres de Caillaux, 
Steeg » (ce fils de Prussien, a qui nous avions fait genereusement confiance) 
« Steeg et Peret (Cabinet Painleve) ont fabrique un faux complot de I' Action 
frangaise et ont remis 5.000 francs a un sieur Jossot, agent de police a la 
devotion de Caillaux, pour acheter des armes, soi-disant pour le compte de 
V Action frangaise. Ceci est dans les pieces de la Haute Cour. » Ratee en 1917, a 
Paris, 1' operation des faussaires Caillaux, Steeg et Peret a reussi sans difficultes 
vingt-huit ans plus tard a Lyon, grace aux pieux faussaires qui n'ont pas connu 
les scrupules d'un fils d' Israel comme Ignace. lis tombent naturellement 
au-dessous des Juifs. Ce n'est pas d'hier qu'on le savait. Des 1909, le comte 
Eugene de Lur Salures 34 promettait cette decheance morale aux peres spirituels 
de la democratic chretienne, qui deja nous faisaient le sale honneur de leur 
calomnie. 

Revenons aux temps de 1918, 1919, ou Albert Thomas disait : « II n'y a qua 
lire I Action frangaise dujour, on a le ton de toute lapresse du lendemain et du 
surlendemain. » Albert Thomas n'etait pas de nos premiers amis. II avait passe 
pour le fils spirituel de Jaures. Celui-ci disait : « Je I'ai eu de Pressense. » II 
nous manque deux bonnes photos de MM. De Pressense et Albert Thomas pour 
rendre tout a fait claire la saillie de Jaures. Devenu secretaire du Bureau 
International du Travail, Thomas me parla d'y accueillir de jeunes intellectuels 
d' Action francaise. Mais a ceux que je proposal, Ton proposa de signer un petit 
covenant. Ce n'etait plus de jeu ! Mes jeunes amis refuserent en disant pourquoi 
et merci. Mais 1' intention restait aimable. 



34 Voir ma Politique religieuse, p. 323. 



3. Le retour aux partis dans le nouvel entre-deux-guerres. 

Quoi qu'il en fut, Taction civique et le debat intellectuel nous composaient deux 
plans tres favorables, ou le vrai 1'emportait naturellement sur le faux, l'interet 
general sur les manoeuvres de partis, d'autant plus que l'autorite de la Chambre 
elue en 1914 tendait peu a peu vers zero. He ! la loi exigeait d'en elire une autre. 
Le niveau electoral de la loge et du mastroquet devait pourtant se ressentir des 
maux de la guerre ; mais, pour que les elites instruites en fissent porter les 
lecons, il edt fallu de deux choses l'une : ou le temps ecoule de deux ou trois 
generations en mesure d'agir sur les couches profondes, et ce temps nous avait 
manque ; ou quelque changement brusque et autoritaire, qui se fut impose au 
sommet de l'Etat : pour frapper ce coup decisif, dont l'armee seule etait capable, 
aucun des grands chefs victorieux n' etait encore en defiance suffisante contre le 
regime, aucun ne soupconnait, en depit du Mauvais Traite, quelle allait etre la 
folie ou la sottise de la politique d' abandons qui suivrait. Des lors, on se 
trompait beaucoup quand on nous disait : « Vous allez faire les elections. » C'est 
ce que nous souffla un soir chez Artheme Fayard, a Jacques Bainville et a moi, 
le fameux Juif marchand de canons Bazil Zaharoff. Ce fut aussi ce qu'alla dire 
un jour a Millerand un nationaliste imbecile, qui avait ete le mauvais demon de 
Deroulede, Marcel Habert ; il ajouta que nous allions faire elire a coup sur une 
assemblee monarchiste comme celle de 1871. Sans voir 1'invraisemblance ni 
reflechir au bienfait que ce paradoxe nous edt valu, Millerand crut Marcel 
Habert et consentit a un acte grave : la rupture de 1' Union sacree ; il pretendit 
bien former un « Bloc national ». Mais son titre « republicain », qui ne faisait 
plus un Bloc, mais deux, nous expulsait de l'un, et amputait 1' autre de nos 
services, qui auraient pu et du compter. 

Cet acte eut un effet sur. L' Oligarchic retrouvait sa vieille frontiere fixe. Les 
erreurs et les fautes specifiquement democratiques-republicaines qui avaient 
failli faire perdre la guerre etaient amnistiees, ces crimes recevaient teinture de 
vertu. Notre action cessa de pouvoir s'exercer dans un domaine libre et mouvant 
ou les idees s'affrontaient, les partis s'effacaient dans une discussion d' esprit 
national. Enfin la ligne de partage, sans nous priver de suffrages materiellement 
incompressibles, reduisait fortement notre contingent electoral de Paris et 
peut-etre dans certaines tres grandes villes. Sans doute est-ce le bout du monde, 
et a la grande rigueur, si nous avions eu une demi-douzaine d'elus de plus ; 
neanmoins, il faut bien compter dans ces elus possibles qui nous ont manque, 
soit un orateur et un legislateur comme Marie de Roux, soit un specialiste 
d' Affaires etrangeres comme Jacques Bainville, et de telles forces auraient pu 
changer l'axe de bien des debats. Leur absence indue mit en inferiorite les bons 
elements de la Chambre bleu horizon et laissa les pauvres anciens combattants 
osciller de Briand jusqu'a Steeg. L' esprit republicain, qui les vouait a ces 



attractions insalubres, determina, puis colora et dissimula nos faiblesses sur le 
Rhin, nos demissions de Washington, nos pilleries en Indo-Chine par les 
Berthelot et leur B.I.C. A peu pres seule a les denoncer, l'Action francaise 
continuait a servir. En Janvier 1922, la motion de Leon Daudet et des 249 delivra 
le quai d'Orsay de Briand pour y rappeler Poincare. 

J'ai raconte 35 comment etait echue a l'ancien president de la Republique cette 
mesaventure du patronage de la Droite. C'etait sa faute, il ne devait s'en prendre 
qu'a lui. Vers le debut de la guerre, a propos d'une offre qui m'avait ete faite 
d'ecrire dans un journal etranger et sur laquelle je l'avais consulte par lettre, il 
m'avait propose de venir en causer ; dans cet entretien de septembre 1915, il 
s'etait laisse entrainer a la confidence qui devait decider de son sort sept ans plus 
tard. « - Monsieur le president, lui demandai-je, Varmee pourra-t-elle tenir ? - 
Elle tiendra, repondit-il, si Varriere tient. - L'arriere ! mais il est avec vous. - 
Oui, reprit-il, mais il y a la Chambre. - La Chambre ! Vous n 'avez qu 'un mot a 
dire, un geste a faire, toute la France sera derriere vous. - Cependant (et M. 
Poincare martela les syllabes), vous me connaissez assez pour me savoir 
incapable de commettre une illegalite. - Mais Monsieur le President, les 
Romains ont invente le droit et la loi, Us disaient pourtant bien que le salut 
public etait la premiere des lois... - Oui, oui, mais... Je n'ai pas beaucoup de 
pouvoir. lei je ne puis faire que des discours. - Vraiment ! - Non. Je preside 
aussi le Conseil des ministres. Cela compte, mais e'est bien tout. » M. Poincare 
fit une pause, puis il laissa tomber avec un soupir la parole historique : « Ah ! si 
y etais president du Conseil !... » Ce souhait aurait pu tomber dans l'oreille d'un 
sourd. II n'en fut rien. Sept ans plus tard, je le repete, rue de Rome, lorsque, dans 
un Conseil directeur, nous agitions du sort de M. Briand, nos amis se rappelerent 
le souhait de M. Poincare. L' action de Leon Daudet suivit et vainquit. Si genante 
que fut, a notre egard, sa position d'homme de gauche, il ne devia point de ses 
plans d'action jusqu'apres l'entree dans la Ruhr aux premiers mois de l'annee 
suivante. Mais a la faveur du regime electif, 1' Oligarchic reprenait du poil de la 
bete. Tout ce qui conservait 1' etiquette anti-allemande recommenca d'etre 
qualifie « reactionnaire » et 1' operation westphalienne faillit en etre 
compromise. Mais elle reussit, malgre tout ce qu'elle avait de chanceux et 
surtout d'un peu etroit. M. Poincare n'osa profiter de l'avantage. Aux murmures 
vituperateurs des Gauches s'ajouterent les instances, presque menacantes, de 
Londres et de Washington ou Ton s'inquietait de nous voir riches, payes, bien 
places en Europe, car l'Allemagne des l'aout avait baisse pavilion. Le faible 
president ceda ! Non seulement il rendit le gage materiel qu'il avait conquis sans 
violence, mais il laissa massacrer et bruler vifs les Allemands amis de la France 
dans l'hotel de ville de Pirmasens (Janvier 1924) et le 11 mai suivant l'echeance 
electorale du Dimanche noir rappela au pouvoir le Cartel des Gauches preside 



Dans La Contre -Revolution spontanee (Lyon, Lardanchet, 1943). 



par Herriot et soutenu par « le cher Blum ». La France etait done ramenee, 
comme au plus vicieux des cercles, a ses annees 1899-1909. Une seule 
difference : comme on ne pouvait plus douter de la possibilite de la guerre, on 
doutait de la valeur de la victoire, quelquefois outragee du titre de « boulet ». 

Quel saut en arriere ! L 'Action frangaise se remit de bon coeur a sa toile de 
Penelope, forte des incroyables succes anterieurs. 

De beaux esprits pretendent qu'a ce moment nous etions relaches de nos 
principes et de notre action. 

Nous etions, disent-ils, devenus des parlementaires ; a moitie rallies a la 
Republique, nous avions cesses de nous en faire craindre. J'ai lu cela deux fois 
sous la signature de M. Le Grix. Ce sont des reves malveillants. 

Jamais nous n'avons ete plus hais de 1' Oligarchic, qu'a cette heure ou Ton nous 
trouve inoffensifs. Jamais des calomnies, impudentes et venimeuses, n'ont ete 
mieux vomies et plus colportees. Nous les defiions et les defaisions chaque jour. 
Elles renaissaient chaque soir, en ritournelle destinee a fixer et a propager les 
memes associations d'idees insultantes. Desesperant du pouvoir des mots, on 
etait passe aux actes. Le 23 Janvier 1923, Ton avait tue dans nos bureaux notre 
secretaire general Marius Plateau, l'heroique blesse de Port-Fontenoy, et Ton 
avait entame une campagne de presse et de reunions en faveur de son assassin. 
Pour y repondre, nous fimes purger, batonner, arroser les panegyristes du crime 
et nous defendimes notre bon droit en justice dans une apologie ou rien n' etait 
mache, comme pourra s'en convaincre M. Le Grix s'il veut bien ouvrir ma 
brochure La Violence et la Me sure. Peu apres Plateau, Ton nous avait tue le 
pauvre petit Philippe Daudet, adolescent de quatorze ans et demi. Puis, notre 
second secretaire Ernest Berger. En moins de six mois, le meme ministre de 
l'lnterieur juif s' etait paye six autres cadavres de Francais : deux a Marseille, 
appartenant a V Action catholique, quatre a Paris, des Jeunesses patriotes. Sept 
assassinats politiques ! C'etait beaucoup pour l'epoque. Ce ministre Abraham 
Schrameck fut avise par la poste et par la presse que s'il recidivait je le ferais 
tuer comme un chien. II se le tint pour dit, jusqu'a la fin de son ministere : le 
premier semestre de 1925 avait eu sa pleiade de jeunes corps morts ; dans le 
second, pas un. Les juges devant lesquels on me traduisit me condamnerent 
d'abord a deux ans de prison. J'appelai et soutins que nous nous etions fait 
justice parce qu'on nous la refusait. D'appel en appel le taux de la sanction 
s'abaissa et s'evanouit, - bien que notre action contre le regime n'eut pas cesse 
de s'accentuer et de s'aggraver, en Alsace, au Quartier latin, que nous 
soulevions, et partout, au point de renverser des ministres et des ministeres par 
de simples mouvements de rues. 



M. Le Grix ne prend pas garde non plus que notre pretendu ralliement ou 
accommodement avait eu pour effet de mobiliser contre nous le personnel des 
Affaires Etrangeres entre Paris et Rome, en vue de nous brouiller avec le 
Vatican et d'eloigner de nous les masses catholiques. Ni les intrigues 
religieuses, ni les trahisons policieres comme celle de Georges Valois, ni tout ce 
que firent grouiller contre nous de mauvais amis un peu fatigues, rien ne put 
ralentir l'elan offensif dans les deux voies de Taction et de la discussion. 
Toujours fideles en secret, nos amis catholiques furent-ils tenus a quelque 
reserve ? Ce fut l'ere triomphante de nos banquets medicaux. Certains milieux 
de droite crurent-ils aux inquietudes que Ton insinuait (de la part d'un Briand !) 
sur notre orthodoxie ? L v immuable surete de nos doctrines francaises fut 
soulignee par des ralliements eclatants comme ceux de Leon Mirman, du savant 
Georges Claude et de plusieurs de leurs amis. La gene morale et religieuse que 
nous eprouvions tous n'en etait pas compensee, mais de telles recrues, aidant a 
porter notre couleur, attestait que le mouvement de conquete n'arretait pas. Son 
influence continuait a progresser. Lorsque, en 1929, l'Amerique se donna le tort 
de nous reclamer des dettes que sa protection etendue a la debitrice et 
devastatrice Allemagne avait forcement annulees, ce fut V Action frangaise qui 
mena le branle de la resistance et mit Paris debout : pas un sou ! pas un sou ! 
Pour nous en oter le merite, M. Paul Reynaud a ose ecrire que nous avions fait 
casser les vitres de l'ambassade americaine. M. Reynaud ment. Nos rapports 
avec l'ambassade furent toujours corrects, souvent cordiaux, comme en peut 
temoigner le fondateur et president des Camelots du roi, Maxime Real del Sarte. 

Le Pape nous rouvrit les bras. C'est pourquoi certains devouements furent 
sollicites de se mettre en veilleuse. D'autres jeterent un feu plus beau. Comment 
en aurait-il ete autrement ? L Action frangaise n' avait pas cesse de servir la 
France et la paix du monde. Comme nous avions traite le ministre juif de 
lTnterieur en 1925, exactement par les memes menaces de mort, nous traitames 
les 150 parlementaires qui, en 1935, precherent leur guerre sainte contre l'ltalie. 
Pourtant, le Gouvernement n' avait pas ose intervenir contre nous. 
« Poursuivez-les ! hurlerent les democrates -Chretiens de la Chambre. - Mais, 
leur fut-il repondu, Us seraient acquittes haut la main par le jury devant lequel 
la hi les cite. - Changez la hi ! »... On la changea. On fit la « loi Maurras ». Je 
pris soin de reiterer mon delit. Ma loi me traduisit en correctionnelle et me valut 
250 jours de prison. Je les fis. Telle etait ma facon de venir a composition 
republicaine. M. Le Grix l'a-t-il cm ? Non le pays, qui redoubla de confiance en 
nous, comme nous d' esprit offensif. 

Y eut-il quelques rapprochements entre nous et le regime ? De la facon que je 
vais dire : dans ses parties saines et libres, le monde republicain faisait de notre 



Albert Gilles : La Presse devant le Jury. 



cote un peu de chemin. Sans se rallier a nous, il y penchait des qu'uni 
affaissement nouveau ebranlait et troublait sa conscience francaise. Un soir, 
chez Jacques Bainville, le ministre des Colonies, Maginot, qui rentrait de son 
periple africain, me dit a brule-pourpoint : « J'ai trouve votre Action Francaise 
chez tous mes meilleurs fonctionnaires. » « Eh ! dis-je, faites corme eux ... » II 
ne poussa point les hauts cris, mais posa tout de suite les problemes d'une 
monarchic moderne et la difficulte d'y limiter la liberte de la presse. Comme 
l'objection est deja dans Auguste Comte, j'etais, pare et dis a Maginot que 
Comte avait fini par appeler le recours a la legitimite « le moyen de salut le plus 
extreme » : n'etait-ce pas le seul aujourd'hui ? Les choses en resterent la. Elles 
auraient pu avancer sans la mort subite et suspecte de ce nouvel ami. Nous 
savons que les paroles de Poincare mourant furent pour avouer que le regicide 
du 21 Janvier avait ete le plus grand malheur de la France. Je ne compare pas a 
ces deux hommes de l'Est, Francais avant tout, un aventurier comme Mandel. 
Mais rejete des « vieux partis » a la suite des proces Caillaux-Malvy, il ne fut 
dedouane que fort longtemps apres par Laval, qui en fit son ministre des Postes : 
pendant une dizaine d'annees de son etrange vie, Mandel se comporta tout autre - 
ment qu'en homme de gauche ; on n'a pas oublie ses brillantes fictions comme 
second de Louis Marin et procureur-conseil dans la Commission d'enquete sur 
l'affaire Oustric. Ce fut d'epoque de nos rencontres personnelles. Nous ne lui 
disions rien. II nous parlait de toutes choses, surtout de la mort de la Republique 
et du meilleur moyen de nous y prendre pour en venir a bout. 

M. Le Grix s'est bien trompe sur le phenomene qu'il observait : il a cm que 
notre rivage fuyait quand c'etait le vaisseau du pauvre Etat republicain qui se 
rapprochait de mille facons. 

Cependant, a ecrit encore M. Le Grix, la democratic avait remporte un immense 
prestige par ses victoires sur les Allemands ; ainsi, ajoutait-il, notre opposition a 
la Republique avait ete vaincue avec eux. 

Repondons en 1949 par ce que nous disions a Capus en 1919 : 

- Ce n'etait pas vrai. La democratic s'etait chargee de le montrer elle-meme. La 
France seule avait vaincu, et le regime avait fait la preuve immediate et publique 
de son inaptitude a tirer de la victoire francaise une Europe solide, une Alle- 
magne domptee, une France heureuse et en paix. U Action frangaise n'a rien 
publie de plus concluant que les critiques et les previsions de Jacques Bainville 
sur le mauvais traite : cette creation continue dont revait M. Poincare avait ete 
une degradation continue. Bien avant la victoire, nous avions calcule en des 
pages que nous pourrions citer ici, que les difficultes commenceraient pour la 
Republique le jour ou elle cesserait d'avoir sur la gorge l'epee de Guillaume II. 
Cette epee brisee, la notre avait ete reduite a tournoyer sans direction definie. 



L'Angleterre et l'Amerique nous avaient laches. Le septennat de M. Briand ne 
les rallia point, les Allemands trouvaient dans ses reculs constants leur 
relevement graduel. Notre hiver 1929-1930 s'etait passe a invoquer le testament 
de Foch, contre l'evacuation de Mayence. Mayence ! Mayence ! Le 30 juin, nos 
troupes quittaient cette ville « la plus importante d'Europe » et, le 14 septembre 
suivant, cent onze deputes hitleriens entraient au Reichstag, ou ils n'etaient 
encore que dix-sept ! Cette brusque montee nazie allait etre soutenue par tout ce 
qui comptait en Allemagne : vieux Marechal Hindenbourg, vieille armee, 
social-democrates, centrum de Mgr Kaas et de Von Papen, majorite tendant a 
l'unanimite, - et nous n'etions qu'au debut des annees 30. Voila votre 
« victoire », M. Le Grix ! Briand mourait sur ce beau coup. Un successeur se 
tenait pret, et deja puissant a l'extreme gauche. 

Dans l'autre guerre, le parti S.F.I.O. s'etait honore par quelques services a la 
resistance militaire, mais non a la victoire. II avait boude Clemenceau au lieu de 
l'epauler. Les premiers debats du traite avaient revele la survivance des 
anciennes fureurs pro-allemandes chez quelques-uns de ses membres, un Jules 
Uhry et ce Jean Longuet nomme Quart de Boche comme petit-fils de Karl Marx. 
Peu a peu, enfin, une regression generate en faveur des anciennes utopies de 
Jaures, des caricatures de Paul Poncet, du chant de Pottier, des extravagances du 
premier Gustave Herve, antimilitarisme, « folie des armements », « crosse en 
l'air » et « rompons les rangs », « bonne Allemagne » (bien qu'elle nous eut 
montre, pendant quatre ans, sa ferocite) confiance absolue et remission totale 
dans l'avenir du « parti frere » d' outre -Rhin, - alors que l'hitlerisme etait en 
plein essor, la sozial-demokratie en baisse totale ! 

Bien qu'il eut ete chef de cabinet de Sembat pendant la guerre, M. Leon Blum 
eut l'honneur et le profit de cette evolution retrograde. On comprend la 
popularity de son parti chez les ennemis de la France. A la Societe de Geneve, 
quand nos elections de 1923 lui eurent ete favorables, il passa une rumeur de 
joie : Les Gauches arrivent ! Les Gauches arrivent ! Deux causes devaient jouer 
a bloc contre le pays : cette approche du pouvoir par un tel parti et le retour de 
ce parti aux plus vides, aux plus negatives de ses chimeres, celles qui devaient 
l'empecher de gouverner un Etat et de commander une armee. 

Un parti socialiste sense, se sentant ainsi voisin du pouvoir, aurait compris que, 
par la force de la situation, il devait se nationaliser, se patriotiser, se franciser. 
Cette forme de socialisme nouveau s'imposait. M. Blum et ses amis crurent qu'il 
suffirait de s'intituler parti de la guerre ! Ce n' etait pas la meme chose. Partisans 
de la guerre, mais non de l'armement, favorables au risque de la bataille, mais 
toujours opposes aux armees regulieres, les chefs socialistes aggravant le cas de 
Jaures, ajoutaient au passif de leurs vieilles fautes rafraichies un embarras 



superieur tire de devoirs nouveaux. Le principal de ces embarras naissait, tout 
naturellement, des actions, previsibles et calculables, de leur clientele ouvriere, 
qui apprit vite a leur crier : pas vous ou pas ga ! Eux, pretendaient rester 
eux-memes ! Meme en developpant les programmes de guerre impliques dans 
ces « budgets de mort » qu'ils refusaient de voter depuis cinquante ans ? Meme 
en soutenant que ces refus n'etaient qu'un rite auquel on ne croyait plus ? lis ne 
prirent jamais envers leurs erreurs primitives une claire attitude de repudiation. 
Etait-il impossible d'avouer, d'enseigner au peuple electoral la veritable 
evolution nationaliste du monde ? N'avaient-ils pas assez d'autorite sur leurs 
cercles, leurs syndicats et leurs ecoles pour corriger des Nuees mises en 
lambeaux par 1' experience ? Ces verites eblouissantes dont on devait mourir, 
n'aurait-on pu en vivre en n' hesitant plus a les reconnaitre ? Ou le pli etait-il 
trop fort, et les vivants de 1936 etaient-ils lies aux formules cadaveriques de 
1898 et de 1900 ? Condamnes a cohabiter avec le detail des exigences de l'heure 
et du jour, ces formules pourries creaient une contradiction permanente qui ne 
pouvait passer inapercue. Devant l'imperieux horizon international, M. Blum, 
president du Conseil, prescrivait des manoeuvres de defense passive et M. 
Marteau Pivert, son chef de cabinet, menait dans un arrondissement de Paris, des 
campagnes violentes contre les consignes de son patron... M. Blum prononcait : 
« desarmement unilateral », et il prevoyait des dizaines et des dizaines de 
milliards de credits pour nous rearmer ! Que, la-dessus, « ses » travailleurs 
vinssent a se croiser les bras, quand il leur demandait - a eux - de lui forger - a 
lui - des canons et des avions, il n'en pouvait cacher une stupeur profonde. On 
voudrait bien savoir ce qui se passait dans son esprit et comment tout cela 
pouvait s'y engrener. La parole avait-elle un sens ou non ? Ou les actes 
avaient-ils simple valeur de feinte ou de semblant ? Le savant inventeur de 
1' anthropometric, Alphonse Bertillon, disait que Ton ne sait jamais ce qui se 
passe dans la tete d'un Juif. Les confidences que nous fait M. Blum dans son 
livre, A I'echelle humaine, n'eclairent pas le mystere. Eh ! quoi, a-t-il ose ecrire 
a propos des refus et des greves de 1939, comment le peuple socialiste n' a-t-il 
pas ete parcouru, comme d'un courant electrique et secoue et souleve par la 
passion patriotique, par Y instinct de conservation nationale ? Comment, disent 
et redisent ces pages inoui'es (98, 99, 100), comment le peuple ouvrier ne s'est-il 
pas jete a la pointe du combat contre l'Allemand ?... M. Blum raisonne avec 
tranquillite comme si, tout un demi-siecle, il avait nourri ses lecteurs, auditeurs, 
disciples et electeurs, de la moelle de Deroulede, de Mun et de Barres. 

Sur ce parti sans foi, sans doctrine, et divise contre lui-meme, flanque de 
morceaux d'autres partis non moins uses que lui, reposait le sort de la France. 
Torpeurs, langueurs, contradictions, c'etait tout ce que notre pays legal opposait 
aux activites nationalistes geantes que devaient concentrer les mains d' Hitler, de 
Staline, de Churchill, de Mussolini, de Roosevelt. Ces veritables Puissances, 
ennemies entre elles, allaient toutes se comporter comme des rivales et des heri- 



tieres de notre affaiblissement. Nos rheteurs parlaient sans penser, ignorant ou 
aller, offrant d'egales proies a l'ennemi et a l'allie. Mais leur force s'etait 
efficacement appliquee a diminuer notre pays reel ; apres avoir enerve et 
decompose nos administrations militaires, confiees sans controle a des chefs 
courtisans, le Front populaire continuait de faire ce qui dependant de lui, pour 
pousser a la guerre et pour reduire ou detruire le moral national. Tout a 1' inverse 
des avances eclatantes consenties en 1912-1914 au patriotisme-francais sous les 
consulats de MM. Poincare, Millerand et Barthou, voici que Ton se mettait en 
bataille contre le sentiment francais : moins d'un mois avant la reoccupation de 
la rive gauche du Rhin par, les troupes d'Hitler, au 7 mars 1936, le coup de tete 
ministeriel du 9 fevrier avait prononce la dissolution de toutes les ligues 
patriotiques parce que, dans une bagarre qu'il avait provoquee, Ton avait 
ecorche le lobe inferieur de l'oreille de M. Blum ! 

L' Action frangaise n' avait pas attendu que ces sous-Briand eussent pris la 
succession de leur maitre pour faire le calcul de 1' inevitable echeance. II y avait 
plus de dix ans que nous prevoyions ce retour de la guerre sans les precautions 
que la guerre commande. Au lendemain de la mort de Barres, nous avions ecrit, 
le 10 decembre 1923 : 

« En verite, en verite, nous ne sommes ni en 1848, ni en 1898, il ne nous est plus 
permis de desarmer par bonte d'dme. 

« Ou bien, nous aussi, nous composerons un formulaire et un rituel de moralite 
nationale, un esprit public fortement organise dans le sens du nationalisme. 
« Ou bien, toutes les poussees nationalistes du dehors, toutes les pressions 
nationalistes de tous les peuples de V Europe, de VAsie et de I'Amerique auront 
vitefait de crever comme toile la vague et vaine carapace d'un militarisme sans 
moral et d'un etatisme sans coeur. » 

Nous ne croyions pas si bien dire en tracant, quinze annees a l'avance, le bilan 
des deux forces ou des deux faiblesses qui aillaient concourir a notre mort civile 
et a notre mort militaire : 

- L'etatisme civil des uns auquel manquait le coeur et l'axe vivant, ou rien de 
consistant n'echappait aux influences factieuses qui l'ecartelaient ; 

- Le militarisme des autres, ou duraient encore nos meilleurs restes, mais, a ce 
titre meme, menaces et deja touches d'initiatives diviseuses et d'entrainements 
corrupteurs ; 

- Les civils, incapables de tenir, n'en etaient plus a se dissoudre, ils etaient deja 
dissolus ; 



- L'energie militaire introduisait un positif d' indiscipline et de malfacon 
redoutable ; 

- Le parti socialiste unitaire sape et dechire par ses contrastes et ses 
contradictions, d'ou n'etaient meme pas exclus des soubresauts d'antisemitisme 
suscites par rinvraisemblable prepotence de M. Blum et de ses congeneres ; 

- L'armee d'un Gamelin persecutant un Georges et dans laquelle un 
commandant de Gaulle irrite de n' avoir pu faire entendre de justes avis, ruminait 
le moyen de dechirer sa patrie et de s'armer contre elle avec l'aide de 
l'etranger ! 

Les deux sortes de jouets avaient ici figures de chiffons, la d'explosifs. Qu'allait 
en faire le destin ? 

Observateur de haute intelligence, Eugene Lautier, parcourant d'un regard 
circulaire les differents pays legaux de 1' Europe et du monde, enoncait cette 
conclusion : « L'Angleterre est anglaise, l'Allemagne est allemande, l'ltalie 
italienne et 1' Amerique americaine. Mais la France n'est plus francaise. » 

Bien entendu, la France de Blum, de Daladier et de Paul Reynaud, la France des 
partis. 



4. La doctrine de salut public. 

Cette premiere prevision des evenements les plus sombres est d'a peu pres le 
meme temps que la reimpression de ma vieille Enquete sur la monarchic Je 
l'avais eclairee d'une longue preface emaillee des verifications du quart de 
siecle ecoule entre 1900 et 1924. 

Ou allions-nous ? Nous en tremblions, parce que nous venions de la guerre 
gagnee et de la paix perdue. Perdue par 1' absence d'un organisme d'Etat qui fut 
central, permanent et superieur. Perdue par la presence de plusieurs autres 
organes malfaisants, parce que mal places. Nos assemblies, tant parlementaires 
que foraines, nos elections, tant conservatrices que radicales, nos opinions de 
toutes couleurs s'etaient demontrees ignorantes, incoherentes, sans vigueur ni 
duree de volonte dans Taction, et seulement aptes au mal. Ce que Ton y 
cherchait en vain etait un genre de pouvoir qui etait l'ame de la royaute : 

Les vingt-cinq ans que nous venions de vivre presentaient tous les caracteres des 
« interregnes » de notre histoire. Anatole France y avait reconnu « 1' absence de 



prince » ; Bainville, cette querelle civile, grevee d' invasions etrangeres, qui fut 
essentiellement propre a nos Regences, Frondes, dechirement religieux, sursauts 
feodaux, tyrannies de parlements, usurpations de soldats corsees de plebiscites. 
Tout cela ne du Meme mal en le multipliant, reclamait a grands cris le retour au 
bien oppose. Sans quoi, disait le perroquet de Bainville, celafinirait mal. 

Que f aire ? Prendre, effectivement, le contre-pied de ce mal. 

En premier lieu, mettre tout a fait a part les grandes questions Rationales, dont 
l'interet est le plus etendu, la connaissance la plus rare, le reglement le plus 
difficile, celles-la memes dont on repait habituellement 1' imagination populaire, 
les oreilles et les cervelles des assemblies : les grandes affaires de la nation. Ce 
qui importe n'est pas que le citoyen les tranche lui-meme, en vertu de l'acte 
authentique de sa libre volonte ; ce qui importe seul est qu'elles soient bien 
reglees, exemptes de ces vices et de ces erreurs qui amenent des catastrophes 
dont chaque citoyen patira. 

Ces affaires de la nation mettent en cause, plus que notre vie ou notre mort, la 
vie ou la mort du pays. Elles doivent done etre reservees a ce qu'il y a de plus 
sage, de plus competent, de plus interesse au bien general. II faut done les sous- 
traire a 1' agitation, au tumulte, au bruit, mais aussi a la musique oratoire des 
phrases, a la subtilite des argumentations captieuses, aux fureurs, aux lenteurs, 
aux intrigues des grands debats. Done, point d' Agora, point de Forum, point de 
Parlement pour traiter de ces affaires, dans lesquelles l'Etat moderne doit etre 
actif, instruit, secret, rapide. Les pouvoirs de cet Etat doivent etre rassembles 
(Renan dit : sequestres) en de sures mains. Et e'est pourquoi nos peres, nos bons 
et sages peres, ceux qui construisirent la merveilleuse terre de la Patrie, terra 
patrum, nos peres ne deferaient pas leur politique generate « aux journalistes, 
aux debitants de boissons et aux demoiselles de magasins » (Anatole France) ; 
pour cet office vital, central et capital, ils s'adressaient a ce qu'ils discernaient 
de mieux place au loin et en haut pour reunir tous les attributs de la clarte, de la 
prevoyance et de la vigilance, e'est-a-dire, comme ils disaient, le Roi dans ses 
conseils. II ne s'agissait pas de la personne du Roi isolee : Francois Ier retour de 
Madrid, Louis XI retour de Peronne, etaient les premiers a faire remarquer qu'en 
signant de facheux traites, ils n' etaient pas dans l'exercice de leur fonction de 
roi, fonction essentiellement conseillee, mais par des conseillers que le roi 
lui-meme avait choisis de son mieux. 

Pour les autres affaires, nos peres disaient aussi : Le Peuple en ses Etats. 

II s'agissait le plus souvent d' Etats particuliers, correspondants aux varietes de 
la vie de nos peuples : territoriales, professionnelles, religieuses, morales, 
chacune fortement assise sur des droits reconnus, souvent ion ecrits, mais rendus 



inexpugnables par la coutume, veritables fueros ou « forts » de la France. Ces 
droits ne partageaient pas, ni ne divisaient la souveraine unite du royaume, ils la 
limitaient de maniere a enfermer la libre autorite de l'Etat dans 1' enceinte des 
pouvoirs ou il etait competent : nationaux, regaliens. Cela sauve cette autorite du 
despotisme. Les immenses libertes du pays sont trop nombreuses, trop definies, 
trop concentrees en chacune d'elles pour lever le drapeau d'une anarchie 
organisee et generalisee. Mais les hautes libertes de l'Etat, auxquelles est 
confiee la securite francaise, mettent la Nation a l'abri des autres nations. 

s 

Le citoyen, non asservi a l'Etat, administre ses propres affaires : mais ses 

s 

« Etats » profitent de tous les bonheurs de l'independance nationale, tout en 
recueillant le maximum des avantages attaches a la libre disposition de 
lui-meme. 

s 

Lorsque nous rencontrames cette double notion, si riche, de l'Etat-Un et de son 

s 

autorite-nee, des Etats multiples et de leurs libertes-nees, nous appelames 
« Nationalisme integral » le regime qui satisfait ainsi aux deux postulats de 
1' existence politique (ou independance nationale) et de la vie sociale (ou libertes 
civiles), ces deux aspirations de la France contemporaine. 

« Frangais de naissance et de coeur, de raison et de volonte, je remplirai tous 
les devoirs du patriote conscient. » II n'y a plus, des lors, qu'a resoudre le 
probleme de redistribuer les competences conformement a la nature et a la 
raison. Ou plutot le passe, qui l'a resolue, en montre la solution a venir. 

L'Etat nouveau requiert le regne d'un chef personnel, je dis d'une personne 
unique. Aucun pouvoir collectif n'a donne a la France force stable ni sante qui 
dure. « Une grande Angleterre », disait Albert Sorel, « s'exprime par une 
grande Assemblee ; une grande France, par un grand Roi. » 

Le roi de France sous-entend comme toute personne humaine trois facultes, la 
conscience, la memoire, la volonte, mais comprend comme roi ses quatre 
attributs de position. Le premier est VHeredite de male en male par rang de 
primogeniture, excluant la competition, 1' intrigue, la faveur, la captation 
testamentaire, 1' election, la cooptation ; le second est la tradition, pour assurer a 
travers les ages le plus haut degre d' unite spirituelle et morale ; le troisieme est 
I'antiparlementarisme, pour etablir la coherence, la duree, les responsabilites ; 
la quatrieme et derniere est la decentralisation par laquelle l'Etat singulier 
s'associe les Etats pluriels, 1' autorite royale se combine aux justes libertes 
republicaines, et la vie des parties se meut sous la juste regie du Tout national et 
royal. 



Done, pas ombre de bonapartisme ni de cesarisme, pas de totalitarisme, rien qui 

s 

admette les debordements d'un Etat-Moloch. Les corps (foyers, metiers, pays, 
provinces) etant maitres de leur reglementation, liberent leurs membres en 
meme temps qu'ils les disciplinent : en cas d'abus corporatif, appel est fait aux 
juridictions superieures qui montent, de degre en degre, d' instance en instance, 
jusqu'au roi, le dernier garant, eloigne, mais fort, de tout ce qui peut etre vecu de 
libertes, au premier rang desquelles l'independance du pays. 

Done, rien non plus de ce systeme tricephale qui n'a reussi qu'aux Anglais. 

Retrenches dans leur ile, abrites de l'envahisseur, ils ont tout a leur aise organise 
chez eux ce regime de Chambres bavardes et de perpetuelles disputes, leur 
regime boiteux fonde sur la Conversation de trois pouvoirs, dont deux sont 
collectifs, et ces deux collectivites representant, non comme les Etats francais, 
des interets reels et stables, mais des opinions et des factions mouvantes - guerre 
qui fut feroce par l'antagonisme des Reformes et de la Papaute, - puis, quand la 
Papaute eut ete solidement vaincue et exclue, guerre en dentelles, lutte de 
salons, parties de jardin, beau jeu regie par des conventions mondaines, d'apres 
un Covenant coutumier qui est unique au monde. Cela durera-t-il toujours ? 
Mettez ensemble 1' avion, le sous-marin et le tunnel sous la Manche, e'est-a-dire 
une triple ouverture de l'ile a 1' invasion : il n'y aura plus personne pour 
contester qu'il n'y a pas de plus mauvais gouvernement que celui de 
l'Angleterre, bien qu'il ait fait 1' admiration de tous les imbeciles du continent, 
sans compter quelques-uns de ses plus grands esprits, tant qu'il est reste 
insulaire. II fallait etre fou pour le proposer a des Gaulois campes sur une vieille 
Terre ouverte a toute invasion. Personne ne delirera au point de renouveler cette 
proposition. 

Done, non plus, la monarchic francaise ne pourra rien avoir des vieilles 
organisations bicephales, dites Constitutionnelles, qui ont fait degenerer tant de 
monarchies europeennes, surtout en France et en Espagne, par 1' institution de 
rois faineants ou que Ton veut tels. Ce regime absurde n'est pas uniquement 
mortel par la bacchanale oratoire a laquelle il devoue de malheureux peuples 
dont la langue est aussi longue que leur reflexion est bouillante. La monarchic 
constitutionnelle n'exploite pas seulement nos defauts naturels et nos peches 
mignons. Elle est le scandale de la raison. Car en lui et en lui seul s'affrontent 
sur le meme plan et par rapport aux memes objets, done se heurtent et se 
choquent, necessairement, deux puissances dites egales de competence et de 
valeur, deux forces de volonte dominatrices appliquees au meme point. La 
royaute et le parlement sont enfermes dans un champ clos par un debat qui 
tourne au combat, tantot bataille ouverte, tantot sourde erosion reciproque, et qui 
se poursuit jusqu'a ce que mort s'ensuive, comme il est arrive chez nous pour la 
royaute en 1792, en 1830 et en 1848. La Chambre introuvable, la plus royaliste 



du monde, ne laissait pas souffler le sage Roi qui s'en debarrassa. Le plus 
charmant des rois, Charles X, le plus habile, Louis -Philippe, ne pouvaient 
s' arranger de leurs Chambres elues. Autant organiser, entre les deux entites qui 
surmontent et couronnent l'Etat, une guerre au couteau, au lieu meme ou devrait 
regner le maximum de la paix et de l'ordre, leur Unite souveraine. Le point de 
l'equilibre et de la decision regulatrice devenait ainsi le milieu reserve a toutes 
les dissensions ! On bataillait, on votait et on palabrait sur les cimes les plus 
etroites, confinant aux abimes de Taction et du jugement ! 

Le vieil Etat royal qui a dure mille ans excluait cette aberration. Le roi valait en 
tant que chef et juge en dernier ressort. Sans doute un mauvais coup du sort 
pouvait l'obliger a prendre tel et tel contact avec des Etats generaux ou la 
Royaute s'opposait a la Nation et vice versa. II s'en tira, mais de justesse. 
Depuis le quatorzieme siecle, date de la premiere convocation, le mal 
s'aggravait d'age en age. La fin du XVIe siecle avait juge que tout irait bien 
entre une royaute fantome et la fausse assemblee nationale, quand la guerre de 
religion serait apaisee. L' experience de 1614 montre que l'insanite intrinseque y 
conservait son poison naturel. Richelieu n'y revint pas. Ni Louis XIV. Plus tard, 
le vieux Louis XV en manifesta la plus sage horreur. Le malheur de Louis XVI 
est de n' avoir pas compris son grand-pere. 

Dangereux en temps calmes, les Etats generaux poussaient au desastre en temps 
agite. La nation sans le roi est un corps sans tete. Mais si on lui oppose la nation, 
le roi est une impossible tete sans corps. Quand la monarchic constitutionnelle 
juxtapose et oppose deux cadavres mecanises, ce qui pretend constituer destitue. 

Demain comme hier, le veritable esprit de la monarchic n'est pas plus 
constitutionnel que parlementaire, il est historique, il est representatif, il est 
federatif. 

Au point culminant, le monarque federateur est le chef de la Famille-Chef, il 
pese, examine, resout les problemes federo-nationaux qui ne ressortissent qu'a 
lui et a ses officiers capables d'en connaitre et de le conseiller : tous ces 
problemes relevent de lui, parce que son interet prive se confond avec l'interet 
public dans leur unite generate. 

Au-dessous de ce plan royal s'etagent et se succedent, comme des republiques, 
les nombreux paliers des biens tres divers possedes et geres par chacun dans la 
plenitude de chaque droit, qui n'est pas un droit artificiel confere, mais naturel, 
mais ne ; les plus petites unites sociales, telles que le foyer, le hameau, le 
moindre quartier et le moindre metier, y sont conviees a produire les plus grands 
effets dont ils sont capables (quantum potes, tantum aude), et elles n'ont recours 
a l'aide superieure que dans le cas de besoins stricts, lorsque 1' effort requis passe 



absolument leur pouvoir. Chacun, done, gere ses affaires. La gestion 
administrative directe par l'Etat ne doit etre qu'une exception. Hors des affaires 
de l'Etat sises au palier supreme, l'Etat n'a pour agents que des controleurs, des 
missi, qui, en son nom, veillent aux relations des libertes entre elles, aux regies 
de leur jeu, aux bornes de leurs competences, moins pour y faire regner un ordre 
ideal preconcu que pour exclure d'un milieu ou chacun se debrouille les 
desordres materiels dommageables a tous. 

Simple retour a la nature, cet ordre experimental retablit la position normale 
dans un peuple qui, de nos jours, marchait la tete en bas et les pieds en haut. 

Les pieds en haut : pour traiter des plus grandes affaires, cabinets, assemblies, 
partis, partages, luttes, dechirements, tout ce qui est dit 1' expression de la 
souveraine volonte nationale, n'a pas plus de volonte que d' unite, mais se 
prevaut d'un vaste corps electoral, incompetent, innocente victime de ses 
exploiteurs professionnels, vole comme contribuable, vaincu comme combattant 
et des lors envahi, occupe, devaste. Ces pieds en haut laissent au hasard pur 
l'essentiel de notre destinee, ils multiplient necessairement les experiences san- 
glantes au bout desquelles on entend la Patrie (qui n'en peut mais) accusee 
d'aveuglements et de myopies qui lui sont tout a fait etrangers : ses pieds ne sont 
pas fait pour loger les organes de la vue et de la raison. 

La tete en bas : M. Lebureau, rigoureux et vigilant administrateur, ingenieux 
artisan, rapide facteur, descend, remonte, redescend a tous les paliers pour 
imposer son omniscience debordee, ou son autorite surmenee et la melanger a 
toutes les activites du pays. Pour cet asservisseur universel, les citoyens 
n'existent plus, ce sont des assujettis. II les dirige et il veut les faire marcher au 
pas, n'y parvient point, les asphyxie sous les montagnes de paperasses pour les 
reduire a la plus minutieuse et la plus sterile des uniformites. Cet espece de roi 
du detail qui fourre son nez, ses yeux, ses pattes dans chacune de nos affaires et 
nous empeche d'en connaitre comme d'en traiter, ne sert a rien de bon et 
contribue surtout a ruiner tout le monde apres 1' avoir gruge. II doit disparaitre 
avec ses directions et ses formalites. Lui parti, Ton s'apercevra que l'air devenu 
salubre est facilement respire. 

Un regime republicain comporte le plus de profit et le moins de dechet quand il 
s'exerce par en bas : la region, la profession, la commune. Quand la Republique 
est proclamee par en haut, elle ne constitue en definitive qu'une tentation 
permanente aux incursions de l'ennemi. Ses multiplicites anarchiques doivent 
etre remplacees sans retard par I'Un, l'Un de la volonte, de la pensee, de la 
tradition. Les libertes indument emprisonnees par en haut, les autorites 
vainement dechargees par en bas, comme des armes a feu ou des tombereaux, 
doivent operer ce chasse-croise de bon sens. Concentration de l'Etat. 



Decentralisation de l'Etat. Et sans trainer ni tortiller. « La question », ecrivait 
Monseigneur le Due d'Orleans en septembre 1900, « sera mise le jour mime a 
V etude, avec la ferme volonte non seulement d'aboutir, mais d'aboutir 
rapidement. Je tiens a ce qu 'on le sache. » 

Sans doute, et ainsi de tout, faudra-t-il du temps. Les mauvaises habitudes d'en 
haut et d'en bas ne seront pas dissipees d'un coup de baguette magique, les 
bonnes ne renaitront pas en un clin d'oeil. Pour restituer a la peripheric les 
pouvoirs abusifs qu'usurpa le centre, pour faire remonter au centre les pouvoirs 
nominaux dont s'est saisie l'ignorante peripheric, pour transformer la fausse 
souverainete de l'electeur-roi en solides libertes, elles aussi souveraines, d'un 
citoyen - fidele sujet du Roi, il ne s'agira pas d'improviser sur le papier 
« quarante mille republiques » vivantes a la place de la grande mecanique 
bonaparto-consulaire du Dirigisme cesaro-jacobin. Mais e'est une evolution 
realiste orientee dans ce sens, que suggerait il y a cinquante ans, le grand Prince 
qui eut ete un grand Roi. A cela conspiraient du meme instinct la volonte de 
vivre de la nation et l'esprit liberateur de la monarchic Aujourd'hui, l'une est en 
train d'agoniser sous une charge monstrueuse. L' autre ne vivrait pas six mois si 
elle acceptait de prendre la succession funeste d'une oppression que peuvent 
seuls exercer l'anonymat brutal de la democratic ou la violence d'un despote 
arme jusqu'aux dents. 

Dire, comme un reveur immobiliste de notre connaissance, que les corps 
politiques sont morts et bien morts en 1789, revient a dire que la monarchic est 
aussi bien morte en 1792. Le chef monarchique et les corps sont faits pour 
revivre ensemble ou reposer eternellement au meme caveau. Desesperer de Fun 
devrait commander le desespoir de 1' autre. En 1814, des royalistes clairvoyants, 
bien qu' ultras, demandaient le retour a nos provinces naturelles, et le due 
d'Angouleme qui venait de debarquer a Bordeaux, crut devoir repondre que la 
France serait bien plus facile a gouverner avec ses quatre-vingt-six 
departements. Le malheureux ! On le lui fit voir en 1815 et 1830. II serait enfin 
sage de comprendre que la monarchic et les institutions de l'an VIII s'excluent. 



Le succes du Nationalisme integral fut tres vif dans les milieux reflechis et 
cultives. On comprit que le citoyen en recouvrait 1' autonomic de sa vie privee, 
mais ne perdrait absolument rien de reel d' autre part, sinon la liberte de tout 
perdre et de tout miner a jamais. On se rappelait le roi net des Espagnols, el rey 
neto, et 1' administration de la vieille France, republicaine sous le roi, sub rege 
respublica. Le maitre de l'ecole sociale catholique, Rene de la Tour du Pin, dans 
une lettre memorable, nous fit l'honneur de dire qu'il trouvait dans notre 
programme, et la seulement, la voie du salut bien repere. 



Nous ne nous etions pas dissimule 1' existence d'un point de rencontre et de 
friction inevitables entre nos deux plans de l'Etat et des Etats. C'etait l'impot. 

Les constituants de papier disent qu'il faut voter l'impot et que, pour le voter, il 
faut une assemblee centrale d' Etats generaux. Ainsi est retabli le terrible duel 
Royaute et Parle ment, avec toutes ses consequences. 

Erreur. Sur son plan federatif, l'ancien regime a fourni des modeles 
rudimentaires, mais patents, ou le point de friction se change en point d' accord. 
En plein regne de Louis le Grand, chaque annee, « l'ambassade » des 
Communautes de Provence, formee de nos plus grands seigneurs qui parfois s'y 
ruinaient (car nous ne payions pas ces deputes, ils payaient, eux), cette 
ambassade en bel arroi venait a Versailles « traiter » de la contribution, ou don 
gratuit, du « Pays » au gouvernement. Le chiffre montait ou baissait selon ce que 
les officiers de Sa Majeste tenaient ou rabattaient d'un edit juge onereux. 
LOUIS avait besoin d' argent pour sa politique. Le pays se cramponnait a ses 
libertes, serrant ou desserrant les cordons de la bourse aux mesures des 
concessions. La transaction enfin trouvee, les deux parties y gagnaient : le roi, 
de quoi conclure soit des traites des Pyrenees ou de Nimegue, soit de quoi 
planter ses parterres, ou elever aile par aile son chateau ; la province, de quoi 
mener ses affaires a sa guise, tout en profitant des traites, des jardins, des 
edifices et de leur gloire, chacun maitre de son terrain, aucun n'usurpant rien, les 
deux series de prerogatives intactes, l'ambassade n'empietant pas sur la 
politique ou sur l'architectonique du roi, le roi abandonnant a ses republiques 
sujettes le souci d'interets qui n'etaient pas de son ressort... 

Une extension pratique de ce regime si logique eut epargne de graves revers a la 
nation. 

Le dialogue financier ainsi mene ne peut pas humilier une majeste ni offusquer 
une opinion nationale consciente de son loyalisme, forte de sa lucidite. On n'y 
met pas en cause des principes immateriels, generaux et indivisibles sur des cas 
regaliens ou le cedant prend la figure d'un vaincu. On debat d'un marche, de 
prix, de quantites essentiellement fractionnables et variables, ou les nombres 
mouvants sont manies par des parties egalement interessees a 1' accord. Les 
veritables praticiens de la question ouvriere le savent : quelle que soit la 
violence d'un simple conflit sur les salaires, sa nature est d'admettre la 
composition, elle y incline les contestants. Quand il s'agit de « 1' ideal », ou 
politique, ou social, tout est autrement difficile, les champions se glorifient 
d'une intransigeance etendue jusqu'a des sacrifices totaux, ou Ton repousse 
avec horreur la cote mal taillee, quand elle est possible, ce qui n' arrive pas 
toujours. Face aux cabotinages de tribune qui agitent les droits pour les 



envenimer et approfondir les discordes en les irritant, la negociation heureuse et 
utile est un simple cas de ce que les hommes ont appele commerce et place sous 
le signe pacifique du caducee. La rencontre de l'Etat et des Etats pourra se 
concevoir un jour sous le signe de la vieille ambassade, simplified et adaptee a 
nos moeurs. Des assemblies de comptables, habilitees au particulier, non au 
general, recrutes mi-partie dans les conseils du roi et dans les corps d'etat du 
peuple, strictement concentres dans leur interlude fiscal, pourraient, somme 
toute, tirer de cette difficulte serieuse, un organe de l'ordre, oriente vers la 
justice et le progres. 



5. Le programme social de la monarchie. 

- Mais, dites-vous, Monsieur, votre monarchie n'aura toujours pas de 
programme social. 

- Ce toujours correspond a notre mauvaise reputation. Elle n'a jamais ete 
meritee. 

...Ceux qui revent cette lacune ne prouvent qu'une chose. lis ignorent la doctrine 
de la cooperation des classes et de 1' incorporation du proletariat, qui fut la notre 
de tout temps. 

- Vous l'avez peu montree. 

- Souvent, au contraire. Toutes les fois qu'il l'a fallu. A l'ecole. A la bataille. 
Meme a la barre. Par exemple quand une fille de police, assassin d'un heros, 
m'eut crache au visage que j'etais I'ennemi du proletariat, ni le juge Pressard, ni 
l'avocat Torres ne purent m'empecher de revendiquer la doctrine sociale des 
wis de France et des papes de Rome. C'etait en 1924. Seize ans auparavant 
nous l'avions affichee dans les plaines de Draveil-Vigneux contre Clemenceau. 
Vingt-quatre ans auparavant, nous l'avions fait paraitre dans les colonnes d'un 
grand journal bourgeois comme le Figaro. A dix-huit ans, je m'etais inscrit a 
l'ecole de Le Play. A vingt-quatre ans, j'avais ete saluer La Tour du Pin dans les 
bureaux de la Corporation, rue de Solferino. 

II est bien vrai que nous nous sommes toujours soit derobes soit opposes aux 
blagologies du Sillon, de la Jeune Republique, des Pedes des M.R.P., des 
S.F.I. O. et autres impostures que l'experience a jugees et confondues 



37 P.D. fut l'abrege de « democrates populaires » ; pedes, sa transcription peu 
flatteuse, traduisait 1' opinion que Ton se faisait de cette secte ambigue. 



successivement. En ces matieres de reforme sociale ouvriere, il y a quelque 
chose qui aboutit par force au neant, c'est la tendance democratique. Ni la paix 
sociale, ni 1' incorporation du quatrieme Etat n'est possible sans un point de 
depart de patriciat, sans une base d ' aristocratie . Les entreprises de cet ordre ne 
peuvent trainer le poids mort de la democratic Inorganique, individualiste, 
inerte ou revolutionnaire, la democratic tue ce qu'il y a de vivant dans le 
socialisme, et c'est elle qui fait, selon la formule connue, que le socialisme n'est 
pas socialiste, etant irrealiste, multitudinaire et confusionniste. De la, la 
perpetuite voulue de revendications interminables et l'echec continu que trahit le 
meme long cri douloureux. 

Une autre cause a joue qui ajoute sa demagogie pratique a l'esprit dissolvant de 
la democratic Ce fut 1' existence de grands partis, mi-populaires mi-bourgeois 
fondes pour alourdir l'antagonisme de parti par l'antagonisme de classe, pour 
vivre de ce mal, et, loin de le guerir, 1'enflammer. Ces partis militarises et 
bureaucratises entendent garder leur poule aux oeufs d'or. lis se tiennent pour 
entremetteurs necessaires et courtiers obliges des ouvriers aux patrons, des 
cadres aux usagers : toutes les fois que les interesses offrent ou acceptent un 
arrangement, ils sont interesses a le rompre, a le retarder, a le miner et a le 
ronger, stimulant les disaccords, les primant et soufflant dessus, s'ingeniant 
toujours a encherir et a surencherir sur quelque avantage obtenu, a chaque 
entente les rompant au moyen de ses haines rallumees et multipliees. Ce vitriol 
alimentaire ne peut pas tourner au calmant. C'est lui qu'il faut eliminer 
prealablement a tout veritable essai d'apaisement social, sans lequel il n'y a 
point d' incorporation ouvriere. Tant que cette comedie fievreuse est jouee, tant 
que les politiciens en recueilleront impunement le revenant-bon, la crise gardera 
la solidite d'une institution, et les traites de paix seront indefiniment mis en 
pieces. Lassalle voulait enseigner a l'ouvrier qu'il etait malheureux. Jaures et 
Blum veulent lui mettre en tete qu'il ne saurait absolument trouver de position 
supportable sans en passer par leur ministere et sans acquitter les peages de leur 
mediation. 

C'est en vain que les syndicats ont essaye de se declarer independants des partis. 
Trop d'interets commues ont lie, presqu'instantanement les fonctionnaires des 
centrales federates et confederates a la fonction de politiciens. Quand meme ils 
se detestent, ils s'appuient, s'arc-boutent et se contrefortent. Le mal est la. La, la 
plaie vive qu'il faut tout d'abord nettoyer. II en faut passer par cette operation 
politique. Telle est la raison des rancunes gardees au marechal Petain par toutes 
les tribus des marxistes sociaux et syndicaux. II avait fait beaucoup pour en 
delivrer le pays. Sous la botte allemande au lendemain de la defaite, devant les 
insurrections de Londres et d' Alger, « l'Etat francais » devait malheureusement 
manquer de libre jeu. 



Et il faudra l'Etat royal, seul capable d'emanciper les activites sociales de la 
nation. Politique d'abord. Moyen indispensable ! Mais le but, dans ce moyen, 
c'est la nation, la societe nationale francaise. On sera sage de ne pas crier a 
l'hitlerisme. 

Ni Comte, ni Le Play, ni La Tour du Pin, ni Barres, ni Albert de Mun, ni le 
general Boulanger, ni le due d' Orleans, ni le premier comte de Paris, ni le comte 
de Chambord ne furent hitleriens : l'idee de combiner la reorganisation nationale 
et 1' incorporation du monde ouvrier a la patrie sera bonne pour tous les temps et 
tous les pays. Elle n'etait meme pas ignoree de certains catholiques allemands et 
autrichiens, des eveques rhenans, des ecrivains du Vaterland, amis de 
Vogelssang et de Windhorst qui servirent de docteurs et d'exemples aux plus 
grands adversaires d' Hitler. La propre caracteristique d' Hitler n'est pas son 
national-socialisme, mais son germanisme etatisant, qui en est le contraire. 



6. Apres « VEnquete sur la Monarchic ». Conclusion. 

Ainsi done, au premier quart de siecle s' etaient consolidees les conclusions de 
notre Enquete, en apparence dispersees, mais en ordre profond. De la, au jour le 
jour, avions-nous dessine les contours de notre esperance. II nous paraissait 
inutile d'arreter aucun statut ecrit du regime desire. Les grandes lignes en etaient 
assez fixes pour ne pas varier, assez souples pour s'accroitre et se perfectionner 
comme un etre vivant 38 . 

Pratiquement, les jeux etaient faits. Partout on pariait, pour la chute de 
Marianne, fatale, prochaine. Les tenors fatigues de ses groupes parlementaires se 
montraient gravement sceptiques. lis ne croyaient plus a l'utilite des discussions 
de tribune et s'en remettaient aux hypocrites decrets-lois. La democratic sociale 
avortait a peine nantie. Son pauvre personnel ne reunissait pas le minimum des 
caracteres conservateurs (ou du moins non-destructeurs) qui sont necessaires a 
tout gouvernement ; ce qu'il y avait de juste ou de dependable dans ses reformes 
du travail ne parvint meme pas a s'accommoder aux necessites derivees de Vetat 
de menace de guerre : si Ton precipitait a la guerre le monde proletaries on ne 
parvenait pas a le mettre au travail pour la guerre. 

L'intime desarroi ne se cachait plus. 



38 Le volume de VEnquete de 1924 contient, outre la preface nouvelle, le texte 
fondamental de 1899, Dictateur & Roi, avec Une Campagne royaliste au Figaro. 



Un assaut communiste, qui etait a prevoir, aurait pu fournir a la France de 1939, 
comme a l'ltalie de 1922, 1' occasion d'un reveil salubre. Mais cet assaut tardait. 
Le P.C. ne se pressait pas de le donner. Les « cagoulards » eurent la naive 
imprudence de le provoquer. Nous les en avions blames fortement. Leurs 
reponses nous qualifierent d' inaction frangaise. Mais Taction vraie, Taction 
sage et humaine commandait de laisser murir le fruit de Tarbre francais, en se 
gardant de le detacher avant Theure dont le poids naturel aurait arrete son destin. 
Encore fallait-il le sauver a tout prix des coups de hache de la defaite. C'est a 
quoi le precipitait un ramassis de cretins et de scelerats. 



CHAPITRE NEUVIEME 

FIN DE L 'ACTION FRANCAISE EN P ARTIE DOUBLE. 
CONTRE LA GUERRE. APRES LA GUERRE. 

Si la vie privee restait supportable, la vie publique devenait de plus en plus 
anxieuse. Avec leur arrivage d'emeutiers larves et d'insurges ranges des 
voitures, les elections de 1936 avaient mis un terme au bout de role habituel des 
revendicateurs de metier : les parvenus de l'Urne n'auraient plus su que demolir 
sans cette admirable tete de Turc de la Patrie francaise toujours proposee a leurs 
coups. 



1. La diplomatic nouvelle. 

Un symptome devenait grave. Briand mort, Berthelot mort, le Quai d'Orsay etait 
passe au mulatre Leger, au protestant Massigli et a leurs grandes Juives 
internationales. 

Etrange coin de France ! Les ambassades, les missions, les bureaux n' avaient 
pas tous ete soumis a la diplomatie dada. Des hommes de talent, comme 
secretaires, ministres ou attaches, y avaient garde quelque tradition des Camille 
Barrere et des Paul Cambon. Le grand mal n' etait encore cause que par le 
verbalisme et 1' agitation de personnages ministeriels en provenance du 
Palais-Bourbon. Or, voila qui changeait. Les employes se mettaient a participer 
de la malfaisance des chefs. Une liaison etroite s'etablissait entre notre ministere 
des Affaires etrangeres et les ardelions debarques des parages parlementaires ou 
venus de plus loin : Londres, Jerusalem ; ils encombraient les salons et les 
vestibules du temple de la discretion, faisaient battre toutes les portes, souffler 
les courants d'air des partis, des sectes et de la rue, demagogie pure et impure 
qui deferlait sans opposition comme sans precedent. On n'avait connu rien de 
pareil que vers 1893, aux temps de l'amiral russe Avelane. Encore la police 
avait-elle part determinante a ces emeutes de politique etrangere : en nos annees 
36 et 37, la police suivait et protegeait l'emeute qui donnait le ton en vociferant 
ses reclamations de canons et d'avions pour l'Espagne rouge. Le desordre 
organise ouvrait la marche a la trahison. 

Le Demos de France n'est pas plus bate qu'un autre. II est de beaucoup le plus 
intelligent de tous, ce qui fut aussi le cas du Demos d'Athenes. Quand le diable 
y serait, il ressemble a tous les peuples du monde, souverainement incompetent 



en politique generate, surtout l'Exterieure, qui veut conseil, memoire, 
experience, secret. C'est pourquoi, en se melant a ces affaires-la, notre pauvre 
peuple s'est condamne a traiter par des vues d'ideologie, des prejuges d'idolatrie 
ou de croyance, des plait ou des plait pas, les problemes de son interet et de son 
salut, les questions essentiellement distinctes du caprice, de l'humeur et du 
primesaut de 1' esprit. Si spirituelles et si genereuses soient-elles, nos foules 
francaises y sont d'autant moins aptes que nos affaires sont plus complexes. 
Notre hexagone territorial enveloppe des pays mi-continentaux, mi-marins, ses 
vues sur la mer ne s'ouvrent pas du meme cote, et quelle variete d' industries, de 
negoces, de produits, d'interets ! « On y saute du houblon a l'oranger, quelques 
centaines de kilometres separent les cultures alpines et oceaniques, il y a cinq 
cents pays naturels ou tout differe, climats, terroirs, genres d' exploitation, vingt 
races de boeufs, quinze de moutons, quatre cents especes de fromages, plus de 
mille vins... » Pareil echantillonnage peut donner au total force ou faiblesse, 
richesse ou appauvrissement, selon que son extraordinaire variete de compose et 
s'ordonne en assemblage vivant ou laisse a vau l'eau, s'annule en s'opposant. 
Un bien public comportant de dedicates varietes si peu homogenes perd tout a 
etre tiraille entre des partis imperieux, tranches, exclusifs. Pour le plus 
important, les affaires d'Etat proprement dites, il faut parfois choisir, mais 
souvent combiner. Affaire de conseil, et de conseil d'en haut ! Affaire de chef ! 
C'est par la que la France s'est formee et accrue. Les exploiteurs de son pauvre 
Demos n'ont pu que reduire ou detruire cette grande oeuvre d'art. lis ont lache 
la bonde a des millions d'aveugles rivalries ; quand elles ont menace de tout 
emporter, l'etatisme et le dirigisme ont repandu leur secheresse par des voies de 
faineantise ou de malthusianisme decretant des phases de decadence 
economique indigne d'un si beau et si riche pays ! Politiquement, ce fut pire. On 
n'offrait plus seulement au pauvre Demos un systeme d' option abrupte et 
brutale entre « le » libre echange et « la » protection, comme s'il n'y avait que 
ceci ou cela au monde ! Cocarde d'antifachisme, culotte d'antifranquisme, au 
pavoise de tendre amitie moscoutaire, on lui faisait acclamer ou conspuer les 
regimes et les pays sans donner d' attention a ce qui lui en reviendrait : que 
l'ltalie put nous servir a defendre nos Alpes, l'Espagne a tenir notre Afrique, il 
n'etait pas permis a Demos d'y penser dans la rigueur du choix sacre. C'est 
miracle qu'on ne lui ait point gache plus completement ses affaires. On lui a fait 
perdre le precieux concours que Mussolini lui donnait en juillet 1934 sur le 
Brenner, on n'est pas arrive a tourner contre lui le Franco qui devait 1' aider a se 
tirer du mauvais pas de 1940. II est vrai que ce sauvetage inespere avait ete du 
au Marechal et a la Reaction ; la democratic n'y avait ete pour rien, ni les ecrans 
colores ou se plebiscitaient ses libres fantaisies souveraines, et le refus de rien 
prevoir, jusqu'a ce que « demain », 
« L' Inter - nati - o - nale 
« Devint - le gen - rehumain, » 
c'est-a-dire la semaine des quatre jeudis ! 



Lorsque la Rue eut bien braille, le Quai d'Orsay bien patauge, les etats-majors 
socialistes et radicaux furent ensemences d'une certaine consigne de « fermete » 
qui ne viserent plus ni Rome, ni Burgos, ni Madrid (reconquis), mais une cible 
autrement dangereuse, qui etait Berlin, a coup sur. A coup non moins sur, cela 
venait de Londres, avec une hate aussi surprenante. Nos anciens pacifistes, 
changes en bellicistes par la vertu de ce mot d'ordre, n'examinerent rien : non 
pas meme si leurs amis d'outre-Manche etaient qualifies pour nous mobiliser 
subito contre un ennemi aussi dangereux que l'Allemagne ! Pendant pres de 
vingt ans, 1' Anglais s' etait derobe a tous les devoirs de notre alliance et de notre 
amitie, MM. Churchill et Lloyd George, assis a la meme table le soir, du 11 
novembre 1918, s' etaient pro mis l'un a 1' autre de ne favoriser que le peuple 
allemand, leur general Robertson avait fait comme eux. Toute l'Angleterre les 
avait suivis. Son esprit, son coeur, sa bourse furent ouverts a notre 
ex-envahisseur et depredateur du meme mouvement qui les fermait aux envahis 
et aux depouilles, laisses en tete a tete avec leurs tombes, leurs plaies et leurs 
mines. A Genes, a Washington, comme a Spa, dans la Rhur, a Londres ou a 
Geneve, nous retrouvames contre nous l'ancien compagnon d'armes comme 
tenant et patron du vaincu. Chevalerie ? Allons done ! Calcul, mauvais ! II etait 
sans doute excellent qu'un pareil etat de choses prit fin ! Que, apres tant de 
dedain et d'inimitie, l'opinion britannique redevint fraternelle, e'etait heureux 
pour tout le monde. Mais d'autres que nos demagogues auraient pu accueillir un 
peu mieux ce revirement : sans hauteur, certes, mais avec dignite, tant par fierte 
que par prudence. L' occasion hitlerienne persecutrice des Juifs ne pouvait que se 
prolonger, nous ne risquions pas grand chose a nous faire attendre : la Cite de 
Londres enjuivee jusqu'au cou aurait multiplie ses ponts d'or et ses instances de 
priere, nous pouvions prendre notre temps et nos delais pour un rearmement 
serieux et une preparation diplomatique etendue. Mais nos Juifs se joignaient 
aux Judeophiles et aux Juifs d'Angleterre. L'un d'eux, Mandel, rentre en grace 
avec nos Oligarques, faisait un va-et-vient du diable entre les Rothschilds de 
Paris et ceux de Londres, le meme hasard qui 1' avait fait mitre Rothschild le 
faisait parler haut et lui faisait sonner plus haut des traditions clementistes qui 
n'avaient rien a voir avec l'interet debattu. Pendant que M. Chamberlain faisait 
envisager a son pays une guerre de religion juridique et nos Daladier-Reynaud 
une guerre de democratic antifachiste, ils pensaient tous a se croiser pour la 
juiverie opprimee. Cela s'imposait-il ? Une initiative guerriere en faveur de 
n'importe quel grand interet national francais aurait ete violemment reprouvee 
de chacun de ces politiciens. Celle-ci passa comme lettre a la poste. Telle est, 
disait deja, en 1906, le general Mercier, Vepouvantable puissance des Juifs. 

On peut admettre que quelques gens au pouvoir, ceux que nous venons de 
nommer et aussi les Blum, les Cot, les Champetier, se crurent tres beaux et tres 
bons de faire courir a la France et a eux-memes ce grand risque mortel, 



desinteresse jusqu'a la folic Mais si leurs portefeuilles, echarpes et baro metres, 
leur appartenant, pouvaient etre a ventures legitimement, il n'en etait point de 
meme du pays, de sa vie, de son independance, qui n'etaient pas a eux. lis 
auraient du y penser. lis etaient coupables de l'oublier. Peut-etre en furent-ils 
detournes par un souci nouveau. Depuis quelque temps, la paix leur pesait. Le 
mecanisme gouvernemental devenait penible, grincant, quinteux. Une bonne 
guerre n'en pourrait-elle huiler les ressorts ? Avec la censure, l'Etat dirige, les 
emprunts pour la Defense, tout pouvait se remettre a marcher et meme a tourner 
rond : reaction et revolution seraient aussi freinees au nom de 1' Union sacree. La 
guerre que Daladier nommait, en grommelant, inevitable, recevait les couleurs 
de la commodite. Ajoutez les assauts de tentations, de seductions, de corruptions 
qui venaient de la prepotence britannique. En tout cas, elle eut force de 
snobisme, a note M. Jacques Chastenet, qui sait ce qu'il dit. Depuis trois ans 
entiers, M. Paul Reynaud exultait, en serrant sur son coeur la directive anglaise 
dont il ne faisait pas mystere : huit pages au crayon de la main de Madame 
Asquith 39 ! 

Un grand morceau du pays legal roulait done son train vertical, aux abimes. On 
a essaye de preciser depuis quand. M. Paul Faure dit : juin 1938. C'est trop tard, 
beaucoup trop. La tendance remonte au moins a rautomne 1935, juste six mois 
apres que nous ayons abandonne, en mars, les hauteurs de la Sarre. En juillet, 
lord Cecil avait procede a son peace ballott, qui fut pris pour l'indice, d'ailleurs 
discute, d'un raidissement belliqueux de dix millions de suffrageurs et de 
suffragettes. Au debut de septembre, on commenca d'en declamer dans les 
milieux qui se disaient francais a Geneve. Fin septembre parut le manifeste des 
cent quarante parlementaires d' extreme-gauche en faveur des sanctions. II ne 
s'agissait de sanctionner alors que Mussolini. Ce qui l'infeoda a 1' Axe. Le risque 
fut accentue lorsque, visant Franco, Ton eut la perspective d'une guerre sur trois 
fronts. Contre l'Allemagne, en plein essor hitlerien, 1' affaire devenait plus folle 
encore que tragique, car il s'agissait de 1' adopter pour adversaire direct et de les 
frapper sans rien attendre, rien preparer, la, tout de suite... 

- Cet adversaire menacait... 

On lit page 161 des Souvenirs de Paul Reynaud : « Au moment de quitter 
Londres (20 decembre 1935), je regus une lettre de huit pages de Madame 
Asquith chez qui j'avais dine la veille, dans laquelle la veuve de I'ancien 
ministre soulignait avec une rare intelligence politique, I' occasion qui s'offrait 
a la France defaire entrer lAngleterre dans un systeme de securite collective. » 
En attendant la «securite» de Dunkerque et d' Arras 1940, ce bel esprit politique 
se mettait en mesure de jeter Mussolini dans les bras d' Hitler et de l'y enfoncer 
encore en nous obligeant par la meme occasion a immobiliser des divisions sur 
les Alpes. 



- II y avait dix ans que vous repondiez a ses menaces par des sourires. Rien ne 
vous obligeait a vous jeter sur son epee aiguisee de frais et tendue de maniere a 
vous recevoir. 



2. Patriotisms paix, raison. 

Devant cette serie d'insanites, notre reaction fut une resistance de tous les jours. 

Quand les hommes du pays legal s'etaient faits spectateurs inertes de la 

degradation du traite de Versailles, nous leur avions reproche de ne pas 

intervenir par les armes et de ne pas entrer dans la vallee du Main qui etait sous 

notre canon. Mous leur recitions chaque matin a notre maniere le vieux proverbe 

aime de Churchill : 

Celui qui ne veut pas quand il peut 

Quand il voudra n 'obtiendra rien. 

Nos avantages de position une fois perdus, nous etions, comme en rase 
campagne, reduits a la mesure de quarante millions de Francais contre 
soixante-treize millions d'Allemands ; ce rapport de populations, sans parler 
industries, nous faisait un devoir de conseiller la defensive, jusqu'a ce qu'un 
rearmement puissant, des alliances habiles et serieuses, un serieux travail 
militaire et aerien outre -Manche, nous eussent rendu notre chance. Telle fut la 
nouvelle antienne de V Action frangaise chaque matin. II n'y avait pas de plus 
grand service a rendre au pays. 

Notre campagne de 1935 avait arrete la guerre a lTtalie et notre opposition a 
cette sottise ayant ete violente, avait ete payee de ma prison. La paix avec 
l'Espagne, plus precieuse et maintenue de toutes nos forces, n'avait coute que de 
simples inculpations, des articles et des voyages. Mais en mars 1937, les 
premiers bellicistes anglais passerent le detroit. De ma cellule de la Sante je 
denoncai le voyage de M. Churchill comme une manoeuvre combinee a Paris et 
a Londres pour renverser « les deux cabinets coupables d 'avoir maintenu la 
paix ». Le 14 septembre de l'annee suivante, Daladier etait invite par nous a 
prendre conscience de ses responsabilites « non envers la democratic universelle 
et ses grues metaphysiques, mais envers la France et les Frangais de chair et 
d'os. » Le 15, nous felicitions M. Neville Chamberlain d'oter leur guerre bien 
saignante de la bouche des bellicistes. Douze jours plus tard, j'ecrivais encore : 
« Si Hitler nous attaque, ce sera lafaute d' Hitler. Mais si nous attaquons Hitler, 
pour des raisons tirees des Sudetes, des Tcheco-slovaques et autres peuples ou 
pays, ce sera par la libre volonte, done la faute, des dix-neuf personnes 



humaines sus-nommees (nos ministres). Bien resolus a faire face de tout notre 
coeur a toute agression allemande, nous refusons a I'heure qu'il est, 28 
septembre 1938, de faire la guerre a Hitler. Cette guerre, nous la perdrions. 
Nous n'avons pas le droit de prendre V initiative d'une telle defaite en un 
moment ou la France doit enregistrer le poids total des depressions que lui ont 
imposees vingt ans de la plus absurde politique... » 

Enfin, le 28 septembre, notre manchette chantait cette variation sur l'air de 
Pottier : 

« S'ils s'obstinent, ces cannibales 
A faire de nous des heros 
Ilfaut que nos premieres balles 
Soient pour Mandel, Blum et Reynaud. 

Or, tous ces derniers quarante ans, la Republique avait laisse d'innombrables 
imprimes revolutionnaires brandir cette menace contre le corps des officiers 
generaux francais : la seule designation du trio Mandel, Blum et Reynaud fit 
saisir notre numero inculpe de provocation au meurtre. Par bonheur, cette 
journee du 24 septembre fut aussi celle ou la guerre, decidee, dut subir a Munich 
un recul d'onze mois et, le lendemain la manchette du journal porta en exergue 
sur six colonnes ces mots : 
Nous unir et nous armer. 

Nous ecrivions par-dessous : 

« Ce que nous ne cessions pas de dire en repetant qu 'il ne fallait pas de guerre, 
et que cette guerre serait un suicide de la patrie, doit etre redit de plus belle. 
L' abandon necessaire qu'il afallu consentir cree des devoirs imperieux, ur gents 
et vitaux. 

« Alerte ! Loin de nous endormir sur aucune parole, loin de former aucun acte 
de foi dans la paix qui, loin d'etre fatale est la plus contingente des chose s et 
peut-etre la plus fragile, nous disons que le peuple frangais est cruellement 
menace et qu'il n'a plus d'espoir ni d'avenir que dans un sursaut redempteur. 
Jamais il ne lui aura fallu autant travailler, ni a jamais autant se rassembler, 
s'unir, se reorganiser, refaire les alliances de V Occident, repasser par Rome ou 
siege la victoire et la paix, s' armer enfin, s' armer pour le simple salut d'une vie 
que guettent trop de graves perils. » 

J'avais ecrit la veille : 
« Rearmer, 

« Refaire nos alliances, 

« Reorganiser toute I'economie et toute la politique du pays. 
« ... Plus nous tarderons, plus ce sera difficile... » 



Toute l'annee suivante et jusqu'au bout d'aout 1939, nous avons double de cet 
appel a nos forces futures le clair constat de notre faiblesse du jour : 

« Que pouvez-vous pour la Pologne ? Vous ne pouvez rien. 

« Attendez, rearmez I » Ou encore : « Daladier, Daladier votre nom qui s 'ecrit 

Daladie dans notre provengal, signifie olivier sauvage. Mefiez-vous des astres. 

s 

lis disent qu'Emile Ollivier, etantfils de Marseille, peut attirer dons son destin 
un fils de Carpentras comme vous. II etait comme vous grandiloquent et 
belliqueux. Ne soy ez pas I'Emile Ollivier de la troisieme Republique. » 

Nous ne convainquimes point Daladier. Hitler l'ensorcela et lui fit croire qu'il 
bluffait. Comme il ne bluffait pas, il se fit tres bien declarer la guerre, comme il 
la voulait : prematuree pour nous, impreparee par nous, celle qu'il fallait pour y 
embrocher, avec la « fermete » de Marianne, tout ce qu'elle avait de vaillant. 

Encore si Daladier s' etait embroche de lui-meme ! Mais il se fit mettre a la 
broche. Sans doute avait-il commence par consolider a longs cris chacun des 
engagements qu'on avait fait signer a la France en d'autres temps et d'autres 
conditions, il mit la main sur son coeur et hurla que chaque mot de ces papiers 
lui etait a jamais sacre. Une revision raisonnable lui eut fait gagner du temps. II 
aima mieux chanter le grand air de Paul Reynaud, que la France ne 
demissionnerait pas, bien que la France, ou du moins son parlement, eut refuse 
de faire une armee de metier dont elle avait besoin pour ne pas « demissionner ». 
Ce nouveau Jules Favre avait enfle la voix pour rassurer les Tcheques « pas une 
pierre de vos forteresses, pas un pouce de votre territoire », avec Munich au bout 
du compte, et le meme rheteur avait fait les grands bras pour rassurer les 
Polonais, pour en venir aux catastrophes jumelles de la Pologne et de la France, 
- catastrophes prefigurees des le 23 aout 1939, par les signatures echangees entre 
Hitler et Staline. Nous l'avions annonce, repetant apres Bainville que la Pologne 
a partager etait le trait d' union de Moscou et de Berlin, et nous appliquant a ne 
pas oublier que le traite de Rapallo, suite de Brest-Litovsk, n' avait cesse d'etre 
renouvele depuis dix-sept ans. La suppression, l'evanouissement du grand allie 
de l'Est nous donnait a craindre absolument tout et, en particulier, disais-je a 
Daladier dans V Action frangaise du 29 aout « qu'une offensive inopportune nous 
cassdt les reins pour cent ans ». 

En s'obstinant a ne pas m'ecouter pendant tous ces jours-la, Edouard Daladier 
peut encore se flatter de s'etre mis a la broche lui-meme. Mais voici ou il le fut 
par la main d'autrui. 

A ce point, commence le role d'un ministre de bon sens, a qui Ton dut une 
eclaircie. 



3. Une journee parlementaire. A Londres. 

A la suite de S.S. le pape Pie XII, du Roi des Beiges, de la Reine de Hollande et 
des Pays scandinaves (24-29 aout), M. Georges Bonnet avait compris qu'il 
fallait negocier a tout prix. II avait accepte, comme une branche de salut, une 
sorte de proposition d' arbitrage de Mussolini. Le dernier recit qu'a donne M. 
Bonnet de ces moments supremes porte que le 2 septembre 1939, a quinze 
heures, la paix paraissait sauvee et que cet espoir avait sombre a dix-sept heures 
vingt. Que s'etait-il passe ? 

D'abord, dans le nuit du ler au 2, M. Bonnet avait adhere a la proposition 
romaine, formellement, publiquement, une note Havas en fait foi : « Le 
Gouvernement frangais a ete saisi hier, ainsi que plusieurs gouvernements, 
d'une initiative italienne tendant a assurer le reglement des difficulties 
internationales. Apres en avoir delibere, le Gouvernement frangais a donne une 
reponse positive. » Pour rebrousser la situation, la changer du tout au tout et 
substituer la guerre a la paix, il a suffi a notre Quai d'Orsay de recevoir un coup 
de telephone de lord Halifax qui lui refusa 1' adhesion du gouvernement 
britannique. 

Mais, dira-t-on, lord Halifax n'etait pas notre ministre des Affaires etrangeres : 
en quoi ce qui s'accordait ou se refusait a Londres regardait-il la France ? Quel 
traite nous engageait a le suivre ? Aucun. Le seul papier signe entre nous date de 
mars 1940. Alors ? Nous etions libres de tout lien. 

En droit, nous etions de grands garcons, maitres de notre sort. En fait, voici la 
suite des incidents et des evenements, le rapport en a ete publie par M. Paul 
Reynaud 40 qui n'a certes pas voulu travailler a notre demonstration. Mais il l'a 
fait. Ecoutez notre ambassadeur, M. Corbin, rendre compte a son ministre de ce 
qu'il vient de voir et d' entendre a Londres : « II se manifeste a travers les rangs 
de I'Assemblee (les Communes) une fievre que les declarations du Premier 
Ministre ne reus sirent pas a calmer... M. Neville Chamberlain fit allusion a la 
proposition italienne comme une des causes du retard, ainsi qu 'a la difficulte de 
synchroniser son action avec celle de la France. Ces arguments, au lieu de 
toucher la Chambre, souleverent des protestations vehementes de la part des 
travaillistes, ainsi que de beaucoup de conservateurs. » Bref, une atmosphere 
d'orage et d' exasperations. 



Paul Reynaud, Souvenirs, tome I, p. 601 et suivantes. 



M. Corbin continue : « Je partis a la recherche de lord Halifax qui avait dine au 
10 de Downing Street. II me regut avec le Premier Ministre. Apres avoir ecoute 
ma communication, M. Neville Chamberlain, qui paraissait tres soucieux, me 
decrivit la seance houleuse qui venait de se terminer a Westminster. La 
mauvaise humeur des deputes s'etait d'abord fournee contre la France qu'on 
accusait dans les couloirs de vouloir se derober. Puis, on s 'en prit au cabinet, 
responsable de I'honneur britannique qui risquait d'etre compromis par les 
hesitations frangaises. De I'offre italienne, personne ne voulait entendre parler, 
on la considerait comme un piege destine a favoriser I'avance des armies 
allemandes. Dans ces conditions le Premier Ministre regrettait de ne pouvoir se 
rallier a la proposition du Gouvernement frangais. » 

C'est fort bien jusqu'ici. Les deux pays exercent leur droit ; l'un de reflechir, 
1' autre de se lancer, de se ruer. Seulement, ce dernier se met a peser sur nous 
pour nous entrainer. 

M. Corbin continue : « A I'ambassade ou je rentre pour quelques instants, je 
puis recueillir les echos de V emotion qui soulevait les cercles parlementaires 
anglais. Des deputes, des journalistes assaillaient I'ambassadeur de questions. 
Je dus le prendre de haut avec certains de mes interlocuteurs en leur demandant 
de comparer V effort anglais qui se manifeste surtout dans les usines au grand 
sursaut national qui va mettre en France six millions d'hommes sous les armes. 
L'un des plus animes est M. Winston Churchill dont les eclats de voixfont vibrer 
le telephone. II me rappelle qu'il a toujour s combattu pour V alliance 
franco -britannique et ajoute que c'est la derniere occasion, peut-etre, ou la 
France et I'Angleterre sont appelees a meler leurs forces... Si elles se trouvent 
divisees, en des circonstances aussi graves, I'Angleterre s'enfermera dans son 
ile et se defendra farouchement, mais elle ne voudra plus rien connaitre des 
affaires europeennes. Je finis par le calmer... » 

C'est le chantage caracterise : - Marchez avec nous. Cette fois ou jamais ! Sinon, 
jamais plus ! 

- Marchez, ou nous vous lachons pour toujours. 

Le coup de telephone de lord Halifax n'avait-il pu completement retourner M. 
Georges Bonnet a 17 h. 20 ? Un peu plus tard par telegraphe ou par telephone de 
M. Corbin, arrive cette menace sous condition de M. Churchill : n'est-ce pas ce 
qui oblige M. Bonnet a se « resigner a V inevitable », a retracter 1' accord qu'il a 
fait parvenir la veille au comte Ciano ? Non ? En tout cas, un Conseil de 
Cabinet, le soir meme, en decide : des le lendemain, notre ambassadeur a Berlin 



41 Par exemple, le 11 novembre 1918... On a lu plus haut comment 



va mettre ses pas dans les pas de l'ambassadeur anglais pour declarer la guerre a 
la Wilhelmstrasse. 

C'est joli : voici le plus beau. 

Sept ans apres ces faits de septembre 1939, M. Churchill n'a plus voulu avoir dit 
ce qu'il a tres bien dit, ni fait ce qu'il a tres bien fait, ce sans quoi ni 
l'ambassadeur ni le ministere francais n'auraient ete entraines. M. Reynaud ecrit 
en note de la page 602 de son tome premier : « Je dots dire que M. Churchill 
m'a dit le 16 juillet 1946 que M. Corbin avait mal compris sa communication 
telephonique et que, dans sapensee, VAngleterre exit fait, meme seule, la guerre 
pour la Pologne avec laquelle elle etait liee. » M. Corbin avait parfaitement 
compris. Mais M. Churchill s'etait moque de lui et de la France. M. Churchill 
s' etait contente de faire une menace sous condition pour faire marcher la France, 
pour la faire entrer dans le sentier de la guerre, pour la faire courir en direction 
de la debacle. Par consequent, nous aurions pu dire : non ! pas encore ! sans 
rien changer aux bonnes volontes europeennes, antiallemandes, pro-francaises, 
de FAngleterre. Cette feinte menace churchillienne a fait de nous, une fois 
encore, le satellite continental et la victime militaire de l'Angleterre, alors que 
nous pouvions la laisser s' engager, pour venir plus tard a son secours 
efficacement. C'est du mensonge de M. Churchill et de ses tristes suites a 
Londres et a Paris qu'a peri un monde francais. 

L'Anatole France de 1897 disait que nous n'avions pas et que nous ne pouvions 
pas avoir de politique exterieure. Nous en avions une en 1939, mais dictee de 
Londres : la note Havas, le coup de telephone Halifax, le rapport Corbin et la 
rectification Churchill-Paul Reynaud, en font, foi clairement. Eternel ludion, 
sous la meme instigation d'un pouce etranger, la democratic republicaine a 
consomme 1' alienation de notre volonte. Sans exclure les distributions d'especes 
sonnantes faites aux bons endroits ! Ce crime porta ses fruits dix mois apres, en 
juin 1940. 

Ce crime, V Action frangaise n' avait pas cesse de le subodorer et de le denoncer. 
Elle disait : 

« La guerre ! La guerre ! C'est une grande et terrible chose que la guerre ! II 
faut la soutenir quand elle est imposee. II est des cas ou ilfaut I'imposer, soit ! 
Mais toute guerre suppose conseils, determinations, precisions et surtout 
preparation. Nous avons fait des progres. Suffisent-ils ? Ne faut-il pas les 
accroitre encore ? 



« Ne faut-il pas nous decider a porter aussi, la oil il faut, I'activite de notre 
politique exterieure ? Surtout, n'est-il pas essentiel d'exclure les facteurs 
d'humeurs et de nerfs ? 

« Devant cette chose grande et terrible, devant la guerre, I' esprit national, s'il 
est politique, doit se representer ce que la patrie a perdu, il y a vingt ans, de la 
fleur de toutes ses generations, surtout sa plus belle jeunesse. Et sa population 
ne s 'est pas relevee. Et sa production n 'a pas garde son rang. Et c 'est dans 
I' agitation electorale et parlementaire qua ete gaspille notre effort majeur. 

« Alors, une nouvelle saignee ? Alors, un nouveau massacre ? 

« ... Ceux qui crient a la pusillanimite sont des imbeciles. 

« Ceux qui ecrivent, noir sur blanc, des rodomontades « A Berlin ! A Berlin ! » 
sont des malheureux. Notre pire ennemi est la legerete. Je dois cependant 
convenir que les Juifs qui en jouent ne sont nullement des hommes legers, loin 
de la ! lis savent ce qu 'Us veulent et Us le veulent bien. 

« Mais ce qu 'Us veulent, ce n 'est pas ce que nous voulons, ni ce que nous devons 
vouloir, si nous gardons quelque respect de nos autels et de nos foyers. 

« Gare a vous, peuples d' Occident ! » 

Cette mise en garde de I Action frangaise avait paru le 16 juin 1939. 

« Le bon sens n 'est plus maure de rien. La betise est souveraine. Elle fait 
scintiller tous les diamants de sa couronne. Et, dans ce silence extraordinaire de 
la raison, toutes les manoeuvres sont permises, et toutes sont osees, contre la 
paix, contre la patrie, contre la victoire. » 

Ainsi parlait I Action frangaise au 7 juillet suivant. 

Enfin, le 28 aout 1939 : 

« Pendant que tant d' hommes frangais se rangent en silence, dans un ordre, un 
calme, une resolution sans pareille, sous les drapeaux qu 'il faut defendre, le 
long de la frontiere qu'il faut couvrir, tous ceux d'entre nous qui ont quelque 
charge d'dmes, tous ceux d'entre nous qui, ecoutes ou non dans les conseils, ont 
fait preuve d'une certaine lucidite, verifiee a la legon des evenements, ont le 
droit de se dresser pour dire aux pouvoirs nationaux, s'ils osaient I'oublier, 
qu'ils ont un grand devoir de management et d'epargne envers le printemps 
sacre de lew noble patrie ! 



«... Si le territoire frangais est menace, si notre frontier e est envahie, tous les 
efforts et les plus puissants sont commandes contre I'envahisseur. Mais de la a 
vouloir la guerre, a l'entre prendre, non, il y a un grand pas : la guerre d'idee, la 
guerre de principe, la guerre de magnificence, non, cela depasse trop ce qui 
reste de nos moyens. 



« 



Nous, Frangais, n'avons pas le droit d'y consentir. 



« Nous avons le droit de nous y refuser. Ce doit etre dit par tous les Frangais 
conscients, avec la meme clarte loyale qu'a mise M. Chamberlain a nous 
convier a une guerre de religion. 

« Nos peres se sont epuises en vingt-trois ans d 'efforts (1792-1815) pour la 
propagande des idees revolutionnaires : les consequences de cette grande et 
formidable bataille perdue au XIXe siecle (Trafalgar, Leipzig, Waterloo) ont 
accule nos freres a la lutte epuisante de la derniere guerre. Les gouvernements 
qui se sont succede de 1919 a 1939 n'ont pas cree, par ici, de telles moissons 
qu'il soit possible de proceder a de nouvelles prodigalites. Pas de guerre pour 
les principes, non et non ! repeteront tous les Frangais qui n 'ont pas un grelot 
en place de cervelle ni un petit tambour a la place du cceur. 

« Foncer maintenant parce que I'Angleterre fonce ou parce que les principes 
anglais exigent de foncer est une politique romantique, revolutionnaire et 
superficielle qui ressortit a ce conseil du bon Beranger dont I'ironique et 
prudent Jacques Bainville faisait ses delices : 

« Dieu, mes enfants, vous donne un beau trepas ! 

« Nous ne souhaitons pas auxjeunes Frangais ce trepas rapide et brillant. Nous 
ne souhaitons pas a la France la mortification d'une nouvelle hecatombe. Entre 
le parti de laisser durer ou grandir la plus dangereuse des Grandes Allemagnes 
et le parti de ce massacre immediat auquel on nous rue, je suis d'avis de laisser 
couler les delais. » 

A ces paroles mesurees et sages de notre 28 aout, la democratic repondit par sa 
capitulation devant la journee parlementaire anglaise du 2 septembre, par la 
declaration du 3, par la drole de guerre, l'eclair de six semaines d'invasion et les 
quatre lourdes annees de 1' occupation. 



4. L' occupation, I'epuration et leurs bilans comparatifs. Histoire de dix ans. 



Les directeurs de 1' Action francaise ne voulurent point assister a la verification 
de leur plus cruel pronostic : une nouvelle entree des Allemands dans Paris, la 
quatrieme depuis cent cinquante ans. 



Nous quittames Paris le 10 juin pour Poitiers. 



De Poitiers nous lancames, en six numeros, nos dernieres execrations contre 
Hitler, « le chien enrage de V Europe », avec nos supremes pensees d'espoir 
pour la victoire de nos armees et nos paroles de resignation totale dans la 
sagesse de chefs comme Weygand et comme Petain. L'avance allemande nous 
fit quitter Poitiers le 18. Le 26, de Villefranche-de-Rouergue, ou les 
compatriotes de Maurice Pujo nous avaient chaleureusement accueillis, nous 
adherions par depeche Havas a la formule du marechal Petain : Unite francaise 
avant tout. 

La meme journee du 26 s'acheva a Cahors, chez un ami republicain que Ton 
peut nommer aujourd'hui : Anatole de Monzie. II avait reuni pour la soiree un 
certain nombre de nos amis d' Action francaise. L'un d'eux, au cours de la 
conference, le Dr R. C, malheureusement disparu, me posa a brule-pourpoint 
une question assez saugrenue : Si vous etiez Dieu le Pere et en mesure de donner 
la victoire a V Anglais ou a VAllemand, pour qui feriez-vous pencher la 
balance ? Je ne pris pas le temps de reflechir ni d'hesiter, je repondis : 
V Anglais.. Ce fut huit jours plus tard seulement qu'il fut reconnu a l'Anglais la 
qualite d'ennemi numero 1, bis, ex aequo, mais il se l'etait attribute de 
lui-meme, par son sauvage massacre de douze cents ou treize cents de nos freres 
francais, les marins de Mers-el-Kebir. 

Le 11 juillet, nous allames, Pujo et moi, saluer le Marechal a Vichy, apres avoir 
installe le journal a Limoges, d'ou nous emigrames peu apres a Lyon, ou nous 
avons ete arretes. Pourquoi ? Parce que I Action frangaise ne s' est jamais depar- 
tie de la « ligne de crete », definie par Maurice Pujo : La France ! La France 
seule ! En d'autres termes : « Je ne suis pas Europeen. Je suis Frangais, 
Frangais du seul clan de la France. L'Allemagne a vaincu, cela la regarde » et 
nous avions coutume de faire entendre 42 ici qu'il etait inutile de 1' aider a 
installer en Europe une victoire qui pouvait n'etre que temporaire, « V Angleterre 
nous a jetes au-devant de la catastrophe, tant mieux pour elle si elle s'en sauve, 
nous n' avons pas plus a Ten retirer qu'elle ne s'est donne de peine de nous en 
tirer nous-memes. La France ! La France ! C'est au salut de la France que nous 
avons le devoir et le droit de nous consacrer exclusivement. » 



42 Notamment dans nos polemiques quotidiennes avec le journal pro-boche de Lyon, 

V Effort. 



Ainsi, page 36 de notre livre La Seule France paru en 1943 nous etions-nous 
places entre le clan des ia et celui des yes, sans rien accorder a l'un ni a 1' autre 
qu'une implacable contradiction. 

Mais la position difficile a laquelle nous nous voyions reduits nous faisait 
prendre une conscience plus nette de 1' experience catastrophique de la 
democratic. Elle mettait le point final a VEnquete sur la monarchie. 

II n'avait manque a la victoire de Hitler que tout ce dont l'avait heureusement 
frustre 1' armistice du marechal Petain. Par cet instrument diplomatique sauveur, 
grace auquel nous avons ete moins maltraites que les autres vaincus de 
l'Allemagne, nous avons connu ce qu'il me faudra toujours appeler « la divine 
surprise ». Surprise d'une suspension d'armes dont je n'esperais pas qu'elle fut 
accordee. Surprise de bons restes de puissance qui nous etaient laisses : flotte, 
empire, armee de cadres, territoire non occupe. Surprise enfin des possibilites 
d'avenir qui, peu a peu, sortaient de la mer de decombres et de gravats qui avait 
commence par tout recouvrir. Pour en juger, il fallait faire le depart entre ce qui 
avait dependu du Marechal et ce qui etait sans rapport avec sa volonte. 

Ce n' etait pas sa faute si 1' oligarchic republicaine nous avait jetes dans la guerre 
et mis hors de combat, - si 1' Angle terre nous avait abandonnes sur les champs de 
bataille de 1' alliance, - mitrailles a Oran, a Casablanca, a Dakar... Ce n' etait pas 
non plus la faute du Marechal si les Americains, apres nous avoir secourus et 
ravitailles genereusement, a sa propre demande, avaient cesse de l'ecouter et de 
le consulter et si, dans des conditions lamentables, ils avaient debarque a Alger, 
suivis de la plus basse pegre politicienne. Ce n' etait pas sa faute si les bombes 
anglo-saxonnes versees a pleins avions sur la Normandie et sur la Provence y 
ont fauche les vies francaises par milliers, fait des degats par milliards de francs. 
On ne saurait non plus imputer au plus haut dignitaire de 1' armee francaise cette 
scandaleuse mutinerie d'officiers, cette longue revoke de chefs insenses qui ont 
efface la discipline et la hierarchie de 1' armee et tout sacrifie, absolument tout, a 
des combinaisons du patriotisme sincere avec la gloriole et le faux point 
d'honneur qui ruinait la patrie. Enfin, ni 1' emigration de mauvais citoyens, ni le 
retour de ces pro-Anglais, ni la trahison directe des pro-Allemands, tels que Deat 
et Sordet, ne sauraient etre reproches au Marechal. II en fut la double victime : 
les deux partis lui ont fait une opposition harassante qu'il lui a fallu surmonter 
pour mener a bien son travail de mediation continue entre les vainqueurs et la 
France. 

Conditions inouies de la haute pensee dans laquelle il a su gouverner les 
hommes et administrer les choses avec le meme bonheur ! Bonheur qu'il faut 
juger au prix de tout ce qui l'entravait, le genait ou l'interdisait ! 



Entre 1940 et 1944, le franc du Marechal, le franc de la defaite et de 
l'occupation n'a pas bouge. Mais, des que le gouvernement de Vichy a ete 
remplace et le Marechal enleve en Allemagne, la liberation et l'epuration 
commencerent a abaisser le franc vers les 90% de sa valeur : vint un moment ou 
plut de 1.600 francs furent necessaires pour payer une livre, plus de 300 pour 
acheter un dollar, ce dollar que payaient cent sous de notre folle jeunesse, cette 
livre qui valait alors vingt-cinq francs ! Aucun desastre financier n'aura ete a 
comparer a cet avenement de la IV e Republique, remplacante du Marechal. Des 
1.778 tonnes d'or de Vichy, l'encaisse de la Banque est tombee a 350 et la 
circulation fiduciaire, ayant tourne autour du millieme milliard, l'a depasse 
depuis longtemps. Quant aux prix auxquels le peuple francais doit se vetir, se 
nourrir et se loger, ils n'ont cesse de monter en fleche depuis que le Marechal est 
parti : en prenant pour base un coefficient 100 en 1938, les prix agricoles de 
1940 a 1944 avaient joue entre 120 et 240 ; apres 1944, debut de 1945, ils 
atteignaient deja 320 ; a la fin de la meme annee, ils depassaient 900, et les prix 
industriels atteignaient deja le joli chiffre de 700 ; mais en mars 1949 ; les 
memes prix industriels etaient a 2.129, les prix agricoles a 1.616, ce qui, 
independamment de leurs notations absolues, par leur desequilibre mutuel, fait 
que l'industrie trouve de plus en plus de difficultes a vendre, corme 1' agriculture 
a acheter. Or, aucun de ces malheurs n'est fortuit. On les voit sortir de la 
mauvaise politique et de la mauvaise administration qui succederent au Ma- 
rechal. Le revenu social francais etant aux environs de 4.500 milliards, l'Etat et 
les services publics de 1949 en prelevent 2.000, soit pres de la moitie. L'Etat de 
1939 n'en prelevait qu'un peu plus du quart, soit 100 milliards, du revenu alors 
chiffre a 375 milliards. Les nationalisations ont coute cher. II a ete cree sept a 
huit cent mille fonctionnaires nouveaux 43 . Cependant, depuis aout 1944, la 
France avait ete brusquement allegee des 400 millions du tribut quotidien que lui 
extorquait 1' Allemagne : non seulement le fisc de la IVe ne nous a pas soulages, 
mais ses impots sont incomparablement plus lourds que ceux d' Hitler ; pour 
retablir ses partis, son regime, ses hommes, elle a fait ou laisse faire au pays 
quelque 5.000 milliards de dommages et Ton peut en conclure que le plus vaste 
et le plus couteux desastre militaire anterieur nous a pourtant coute moins cher 
que la revolution qu'il a engendree. Raison : le desastre a pu etre administre 
sous la regie unitaire du chef, la revolution n'a pu l'etre que par des partis, 
collectivites anonymes et irresponsables. Sans doute, comme il est arrive en de 
breves conjonctures historiques, l'unite peut appartenir a un fou mechant, a 
quelque sot mal conseille, qui nous aurait valu les dissipations et les exactions 
de la tyrannic Mais le Marechal et les hommes de son cabinet etaient bons et 
sages, beaucoup d' entre eux lies par le coutumier militaire. Ils etaient humains. 



43 Ces chiffres sont empruntes a Jean Lionnet, dont la conscience et la competence 
sont connues (Aspects de la France du 21 aout 1949). D'autres chiffres sont tires de ! 
irrefutable recueil de documents de Pierre Cathala, Face aux realites. 



Ayant reussi a sauver l'essentiel, economes sans economisme, ils ont tres 
savamment menage tout le reste. 

Dans cet effort technique, le Marechal n'a guere fait appel a ces brillants 
professionnels qui font le bonheur technique du peuple selon des statistiques et 
des plans. Le parti communiste, la S.F.I.O. et meme le M.R.P. regorgeaient de 
ces beaux docteurs. C'est eux qu'on mit en place des le depart de « Vichy ». 
Theoriciens de la production, ils ont surtout debride consommation, corruption, 
consomption. En quoi ils se conformaient au plus ancien esprit de la democratic. 
L' effort qui produit veut de l'ordre et du temps : la demolition peut se faire en 
pagaille, grand train. II faut des jours et des saisons pour faire verdir un brin 
d'herbe : que dire d'un chene ! Une courte flamme les devorera tous les deux. 
Ainsi va l'economie democratique. N'objectons ni la vieille Angleterre ou la 
democracy est nuancee de seigneurie, de gentry et de monarchic, ni les 
Etats-Unis ou elle trouve ses limites dans le grand capitalisme et 1' ideal 
religieux ; en France, elle a subi d'autres temperaments, ceux d'une bonne 
bourgeoisie, de 1' esprit national, de l'epargne publique. Tous ces freins sont les 
betes noires et les ennemis-nes de nos tireurs de plans sur la lune. Leur 
economie dirigee a eu vite fait de detruire tout ce que la sagesse du Marechal 
avait preserve. Ils ont tres bien su nous conduire au plus bas de la pente, la ou il 
n'y a plus d'aisance, plus beaucoup de richesse, ou, sauf les profiteurs et les 
speculateurs, l'affaissement et la gene sont devenus la loi de tous. 
Economiquement faibles ! Secouru nationalement ! Ce sont de belles etiquettes. 
Elles sont apposees sur des modeles qui sont nes de la derniere experience 
democratique. 

Apres son excellente gestion des choses, la mon-archie du Marechal avait 
deploye un gouvernement des hommes aussi bon que possible. Le Marechal 
s'etait fait respecter du vainqueur brutal et honorer du juste univers. Le corps 
diplomatique qu'il groupait autour de lui declarait notre souverainete. Ses prises 
de contact avec l'Amerique et 1' Angleterre etaient operees dans une discretion et 
une honnetete dont les methodes foraines de Marianne IV nous ont tristement 
deshabitues. Malgre les horreurs de la Gestapo, ou il n'etait pour rien, malgre les 
devastations maquisardes, qui venaient de Londres et non de Vichy, le Marechal 
a fait de l'ordre, de la justice, de la paix. Le brigandage naissant par la faute des 
autres fut toujours restreint et freine par lui. Toujours a l'instigation de Londres, 
ou d' Alger, ou de Berlin, certains elements de la judicature, de la police et de la 
bureaucratie font trahi : jamais pourtant, jusqu'au jour ou les Allemands ont fait 
irruption dans sa chambre a coucher, jamais le Marechal n'a tolere des Parquets, 
des Prefectures et des Commissariats, rien qui ressemblat, meme de loin, a ce 
qu'ont supporte ou suscite les Francois de Menthon, les Teitgen, les de Gaulle et 
autres ordonnateurs des pilleries, des incendies et des massacres de l'epuration. 
Je ne parle pas, par pudeur francaise, des simagrees de justice administree par 



des communistes que des magistrats en robe saluaient « les plus farouches des 
patriotes qui defendaient le solfrangais » . 

II faut oser jeter de ce cote-la un simple et lucide regard. 

II y a la cent mille cadavres, deux cent mille captifs, un million de revoques et 
de spolies, victimes directes de l'epuration, cinq millions de victimes indirectes 
(femmes, enfants, parents). C'est l'orgie la plus basse de toutes nos orgies 
revolutionnaires. Elle est tout entiere au compte de la IV e Republique, personne 
n'en peut tirer l'ombre d'un grief contre le prisonnier de File d'Yeu, qui est 
inscrit au premier rang du cortege de ses martyrs. II n'a pas la moindre 
responsabilite dans cette infamie. II en incarne la contradiction et la reprobation 
absolues. 

Ce que cette infamie eut de pire tient a sa comedie de patriotisme. II faut 
denoncer le mensonge et dissiper 1' illusion. Les hommes qui ont inflige tant de 
maux a la France s'y montrerent manifestement insensibles. Les plus conscients, 
les plus qualifies d'entre eux n'ont pas cache qu'ils desiraient ces malheurs 
nationaux, non par une haine incomprehensible, mais par fidelite a certains 
objectifs qu'ils avaient en vue. Le 20 aout 1944, quand le president du Conseil 
municipal de Paris, Pierre Taittinger, comparut devant les Commissaires du 
peuple - l'etat-major de la Liberation - le communis te Valin lui reprocha, 
comme autant de « trahisons », tous ses efforts et toutes ses demarches pour 
obtenir des Allemands qu'ils n'arretent point d'otages, n'en fusillent point et ne 
detruisent point Paris : 

- Pour creer a Paris une mentalite revolutionnaire, declara l'insense, ce n'est pas 
cent mais dix mille otages que les Allemands auraient du fusilier. 

Ainsi reprouvait-il la preservation des gares, des centrales, des grandes usines : 
on laissait ainsi Paris dans le calme... 

- C'est, repetait Valin, sur les mines fumantes de Paris que la Commune pourra 
etre instauree. Dans un Paris protege aux maisons debout, jamais nous ne 
pourrons planter le drapeau rouge 45 . 

Les autres commissaires du peuple regrettaient, comme M. Valin, que Paris 
n'eut pas eu le sort de Varsovie. 



44 (1) Requisitoire Thomas contre Charles Maurras, page 314 du Proces Maurras, 
Pujo, aux editions de « La seule France 



». 



45 Et Paris ne fut pas detruit, par Pierre Taittinger. 



Ainsi d'autres regrettaient que 1' Armistice eut epargne a la France le sort de la 
Pologne. 

Un autre de leurs pairs, M. Waldeck-Rochet avait professe au micro de Londres 
qu'il ne fallait pas faire entrer un grain de ble dans Paris : la famine alors, eut 
pousse le peuple a la violence collective contre les Allemands ; ils auraient 
replique par d'exemplaires represailles systematiques. Sur ce charnier aurait 
fleuri l'arbre de la patrie revolutionnaire, floque de tous les haillons rouges que 
Ton eut desires... Beau desir ! Taittinger 1' avait bien trahi ! C etait, a peu pres le 
crime du Marechal. 

Aupres de ces energumenes, jouets brutaux du mysticisme moscoutaire et 
jacobin, peut-etre aussi victimes de cette folie, il faut compter une autre famille 
de « patriotes », a peine moins dangereux pour l'etre de la patrie. Ce sont ceux 
qui la tiennent pour une entite pure et denuee de corps. Leur Patrie ne sent pas 
plus que la Chienne de Malibranche. II ne doit pas plus y avoir de terme a ses 
epreuves et a ses douleurs, qu'a celles du Christ des nations, barbouille de mots 
et de phrases, que celebrerent les chansons de Beranger, les histoires de 
Michelet, la rhetorique de Marc Sangnier. Ces gens-la veulent ignorer que la 
France soit une chose de terre et de chair, une personne vivante et mortelle, 
vouee aux blessures et aux souffrances, dont il s'agit de la defendre et de la 
garder. Le patriotisme des gouvernements impersonnels, collectifs, oratoires est 
comme eux, oratoire et impersonnel. C'est aussi celui des pouvoirs dont la 
raison sociale exprime, comme M. de Gaule, un syndicat de partis. Ce qu'il y eut 
de soins paternels et filiaux chez les rois de France, se retrouve au contraire chez 
le Marechal. Comme eux, il se sentait d'abord 1' obligation d'epargner au pays le 
plus de maux possible en etendant sur lui le bouclier protecteur. Veut-on voir a 
quel point ses successeurs ont pousse leur indifference a cette fonction de 
defense et de preservation ? 

En 1944, le souverain interet concret et commun de la France etait, certes, a 
coup sur, la prompte expulsion des Boches occupants et depredateurs. Mais, 
immediatement au-dessous de ce bien primordial, il n' etait rien de plus sou- 
haitable pour nos villes, nos champs et nos populations que d'echapper a toute 
nouvelle averse de projectiles guerriers, qu'ils nous fussent amis, allies ou 
ennemis. Nous en avions subi l'abondant arrosage, tres redouble, en 1914-1918 
et en 1939-1940. Nous n'y devions pas etre condamnes a perpetuite. Neanmoins, 
le 11 juin 1940, a Briare 46 , lors du recul et de l'exode, M. Churchill avait 
sollicite de l'allie francais une contribution nouvelle. Ne pourrait-on, dit-i\, faire 
aux Allemands une petite guerilla ? - Ce serait detruire la France, repondirent 
ensemble le marechal, Petain et le general Weygand. - Au moins dans les villes, 



Souvenirs, de Paul Reynaud, tome II, page 300. 



ne put se dispenser de « rectifier » M. Reynaud, mi-complement, 
mi-restriction... M. Churchill n'insista pas. Ses temps n'etaient pas murs. Ses 
hommes n'etaient pas instruits. II n'en pensa pas moins qu'il n'y avait pas de 
meilleur moyen de servir 1' Angleterre. II se reserva d'y revenir un jour. Quatre 
ans plus tard, ni Petain, ni Weygand, alors prisonniers de l'Allemagne, ne purent 
s'opposer a ce qu'on detruisit la France. II n'y eut personne pour tenir leur 
langage : ni resistants, ni dissidents, ni emigres. Cependant les destructions de 
1944 ne pouvaient rendre le meme service qu'en 1940, l'Allemand reculait, au 
lieu d'avancer et de conquerir ; il aurait pu se lever alors des Francais qui, sans 
offenser 1' Alliance, auraient essaye d'obtenir de nos compagnons d'armes, non 
pitie, mais justice pour le corps blesse de notre patrie. 

La liberation se fut faite tout aussi bien, et mieux, sans cette epouvantable 
aggravation de degats. Certaines considerations pouvaient militer en faveur du 
debarquement en Normandie. Mais d'autres pouvaient etre examinees et 
adoptees, meme sur le plan strategique. Les puissances mattresses de la mer qui 
avaient fait traverser Atlantique et Mediterranee a leurs armadas auraient encore 
pu choisir les points d'abordage qui auraient eloigne de notre terre et de notre 
ciel les avalanches de fer et de feu qui ont ete deversees au nord-ouest, a l'ouest, 
au nord et a Test de notre pays. Peut-etre bien que, malgre le voeu de M. 
Churchill, il eut suffi que des personnes parlant francais fissent valoir notre 
objection pour la faire etudier et meme exaucer. II ne s'est rien produit de tel. 
On a vu le contraire. Des Francais sont alles offrir le sol de leur terroir et le sang 
de leurs freres en hecatombes naturelles et en oblations dues. 

Quant au debarquement en Provence et en Languedoc et a la marche par la 
vallee du Rhone, le general Juin a parfaitement caracterise ces « coups d'epee 
dans l'eau ». L'inutilite flagrante de cette gloire avait ete jugee de meme dans 
V Action frangaise des que 1' operation fut amorcee, l'annee qui la preceda. 
C'etait la, ajoutions-nous, des actions de pure politique republicaine, 
communiste et gaulliste. Nos vaillantes armees d'ltalie pouvaient prendre les 
routes classiques du P6 et du Danube, ce qui les aurait rendues au terme de la 
guerre sept ou huit mois plus tot, devait repeter le general Juin. La liberation 
aurait ete acceleree encore par le rappel automatique de 1' occupant boche sur la 
ponction exercee dans leur propre pays. Strategic humaine et francaise ! Elle fut 
repoussee. Elle fut ecartee par de mauvais Francais appuyes par des etrangers, 
ceux-ci indifferents a notre destin, ceux-la obsedes par l'interet politique de leur 
parti. Les uns et les autres ont recouvert la France d'un nouveau linceul de 
cendres, de mines et de morts. On ne lit pas sans horreur la liste des 
bombardements anglo-saxons operes en 1944 entre le 10 avril et le 15 mai, puis 
entre le 27 et le 31 mai : a Rouen, 850 morts et puis 1.000 ; a Paris (la 
Chapelle), 640 ; a Lyon, 850, puis 600 ; a Cambrai, 450 ; a Saint-Etienne, 870 
puis 170 autres ; a Marseille, 1.976 ; a Nantes, 345, en tout plus de 10.000 en 



ces quinze journees, - chiffres donnes par les prefectures. On dit parfois que les 
journees de la liberation parisienne en aodt 1944 ne couterent que mille morts. 
Oubli ! Cruel oubli ! II faut inscrire a ce tableau le memento des 640 cadavres de 
la Chapelle, fabriques a la fin mai, par les bombes de nos allies. Les Allemands 
qui emmenaient nos compatriotes dans leurs cites-abattoirs et dans leurs 
cites-cimetieres, avaient au moins l'excuse d'etre nos ennemis. Qu'est-ce qui 
motivait ces massacres d'amis ? II n'etait pas une de ces malheureuses victimes 
a qui il ne fut possible et facile de trouver un substitut sur quelque rivage 
allemand. La petite guerilla ne faisait meme plus 1' affaire de Churchill (sinon 
pour ralentir notre renaissance economique), elle ne favorisait plus que nos 
Mariannides, desireux de reprendre pied en France dans les fourgons de 
l'Etranger bien arme qui les protegeait. Ainsi esperaient-ils se carrer dans leurs 
bonnes places perdues. Pas un d'eux ne s'interposa pour la France. Sans doute, 
du cote des patriotes, les voix protestataires ne furent pas nombreuses : je n'en 
sais que la radio de Xavier Vallat et notre Action frangaise a Lyon. Ici et la, les 
verites necessaires furent criees. 

Deja, le 28 septembre 1943, et non pour la premiere fois, nous avions ecrit : 
« Strategiquement, il n'y a aucune necessite a ce que V offensive 
anglo-americaine (suppose quelle ne soitpas arretee) passe par la France. Une 
invasion de la France ne s' impose pas, et I'economie deforces la deconseille du 
point de vue militaire, comme je Vai dit et comme je le redis. Mais il y a la 
politique ! Une politique de quinzieme ordre, celle des chefs sans cervelle et des 
chefs sans moralite qui se sont improvises gouvernement de je ne sais quelle 
France fantome, mais qui disposent du noble atout de V alliance magonnique et 
juive dont on sait la puissance a Londres et a Washington. Le retour en France 
de ces deux forces de haine et de mort, leur reintegration, leur reprise definitive 
de tous les pavois du gouvernement de Paris composent un mirage dont le 
fameux Comite d' Alger peut d'autant moins facilement se liber er que le 
Communisme dont il accepte V alliance y pousse de toutes ses forces. La guerre 
en France ! La guerre en France ! Tel y est deja le mot d' ordre en circulation. 
La radio anglaise ne nous le cache point. 

- Mais, pretendront nos Allies, on nous rappelait. C'etait precisement le crime 
que nous fletrissions. 

J'ajoutais : 

« ...II s'agit, pour les judeo-magons sortis de France et qui veulent y rentrer a 
tout prix, de rompre I'equilibre strategique et militaire au profit de la politique : 
Us usent de tous les moyens. 



Et leur grand moyen, c'est d' essay er de constituer a I'interieur de la France, 
comme une force d' attraction, comme V amorce d'un appel pour les bataillons 
etr angers... 

« Ceux qui nous ont valu tous les malheurs de la guerre de 1939 sont prets a 
nous les reassener en 1943 au meme prix d'immunite pour eux. Juifs, 
francs -magons, meteques, tout ce que nous avons eu le tort de laisser grouiller 
parmi nous, sont a leur poste de defaitisme et de trahison. Toutes les parties 
gangrenees de I' administration du regime aboli sont pretes au meme bel 
ouvrage. 

...« II existe la un danger psychologique... On peutfaire ainsi miroiter aux yeux 
des « Allies » des complicites possibles et toutes imaginaires, tant pour le 
debarquement que pour V installation sur le sol frangais. Cela ne saurait avoir 
qu 'un effet, aussi certain : la plus terrible, la plus devastatrice des guerres dans 
la partie epargnee de la France, entre I' occupant actuel et les pretendants a 
I' occupation. Le tout for cement complique des horreurs d'une guerre civile dont 
le communisme aurait favorise la cause et cueilli les effets. 

Refrain : « Encore un coup, rien, rien, rien n 'oblige les belligerants a se battre 
sur la portion epargnee du territoire frangais. lis n 'y viendront qu 'appeles. lis 
n'y viendront qu' invites et, je le repete, aimantes par les signes imperieux qui 
leur serontfaits de chez nous... » 

Les rumeurs de 1943 prirent une consistance mysterieuse au printemps de 1944. 

J'ecrivais le 11 mai : 

« Les evenements semblent se derouler conformement aux previsions calculees 
et publiees ici. M. Eden, pelerin ad limina de Moscou, (comme un archeveque 
catholique pourrait pelerines a Rome) se serait fait entendre reclamer une fois 
de plus au Kremlin le rapide etablissement d'un second front avec cette 
nouveaute de surcroit ou plutot de surcharge qu'un debarquement a I'ouest ne 
suffirait plus : ilfaudrait desormais, d'ordre du tzar rouge, que I' on debarqudt 
simultanement sur la Manche et sur le littoral mediterraneen. 

« Qu' avons -nous dit ? Que si I' on pouvait theoriquement concevoir une 
operation militaire sur les cotes de la Manche et de la mer du Nord..., ces 
regions voisines de I'Angleterre, ouvrant un court chemin vers I'Allemagne, il 
n'en etait pas de meme d'une action sur la France du Midi, et nous en avions 
souvent conteste, preuves en mains, toute la valeur strategique. Militairement, la 
vallee du Rhone ne representait pour une armee alliee, qu'un cul de sac evident 
puisqu'elle devait s'y heurter aux Alpes, a la neutralite Suisse et venir buter au 



mur Maginot retourne (ou a ses avancees). Mais, ajoutions-nous, ce qui parait 
depourvu d' interet militaire peut ne pas paraitre sans interet politique dans la 
mesure ou la stupidite des communo-gaullistes provengaux et languedociens 
pourrait attirer les Anglo-Saxons. 

« Notre littoral considere par les deux genres de politiciens, conjures et 
compagnons du Comite d' Alger, correspond a des appels de deux sortes : pour 
les moscoutaires purs, c'est le pied a terre ideal pour un soulevement sur le 
continent ; pour leurs complices, les survivants de notre regime aboli, c 'est le 
retour au paradis perdu, c'est la re-flambee de leurs ambitions et, si I' on veut, 
de leurs nostalgies. On comprend que M. de. Gaulle ait trouve juste et utile 
d' assurer Moscou de safidelite. La volonte de Moscou peut determiner Londres 
et Washington a exaucer les vceux du gaullisme communisant et des hommes qui 
le conduisent. M. de Gaulle y voit le moyen de mettre un terme a leurs 
chamailleries en leur assurant une proie commune : la France, et cela ne se 
distingue en rien d'avec V interet de Moscou. Mais il ne s'agira plus ici de 
donner I'assaut a la forteresse europeenne, il s'agira de tenter de s'emparer de 
ces terres frangaises pour y mettre de nouveaux occupants. 

...Bref, nous avions bien conclu : « L' action de nos Frangais 
communo-gaullistes devait servir en France d' amorce et d'appel. Raison 
nouvelle de mieux comprendre et la psychologie de ces nouveaux liberateurs et 
la nature exacte de ce qu'ils nous destinaient en fait de liberation. » 

II n'est pas question de contester aucun des beaux faits d'armes de l'armee 
secrete, ni la brillante campagne Rhone-Rhin-Danube du general de Lattre de 
Tassigny. Elles meritent notre admiration enthousiaste. Elles n'en meriteraient 
ni un laurier, ni une croix, ni une epithete de moins si elles avaient ete menees 
tout entieres hors de notre territoire martyrise, par les genereux volontaires qui 
en ont fait eux-memes les frais sacres. L' analyse du general Juin etablit 
clairement que les courses devastatrices conduites sur notre sol n'importerent ni 
a sa delivrance ni a Tissue de la guerre et qu' elles remplacerent facheusement 
une marche rapide, sur les traces de Bonaparte, en direction de Vienne et de 
Berlin par la Venetie et par le Trentin. Les deux passages par la France ont 
uniquement assure, avec d'immenses pertes nouvelles, le retour au pouvoir de 
ceux qui avaient tout perdu, puis l'arrestation, 1' incarceration ou la mort de ceux 
qui avaient su sauver quelque chose. Qu'on ne parle pas de traitres 
pro-allemands. II y avait a Lyon un journal de veritables traitres, I 'Effort, a qui 
nous reprochions chaque matin sa trahison ; son personnel n'a presque pas ete 
effleure.par la repression des soi-disant patriotes. II y avait a Paris et a Vichy 
une agence Inter-France litteralement a la botte et aux genoux de Berlin : on a 
mis cinq ans a la meure en jugement, apres que ses principaux instigateurs ont 



ete en fuite ou decedes. Qu'on n'arbore done plus ce masque du patriotisme. II 
est perce de tant de trous que la verite y transparait impudiquement. 

Les mediocres politiciens qui n'avaient pas les talents de leur ambition, etaient 
de mauvais patriotes. lis se remirent a vouloir en 1944 ce qu'ils avaient voulu en 
1939. Ce que nous avions eprouve de justes inquietudes pour la patrie quand ils 
avaient declare la guerre a Hitler avait depasse leur plafond mental. De meme 
quatre ans plus tard, quand ils preparaient le retablissement de leur fortune au 
prix fort. A ceux d'entre eux qui etaient venus le plus recemment a la 
Republique, nous disions le 25 fevrier 1943 : « De factieux plus malfaisants, il 
n'y en a pas eu de plus aveugles ni de plus avides. C'est le parti 
democrate -chretien qui, en 1905, croyait avec M. Marc Sangnier que I'armee 
etait une survivance, les nations un anachronisme et tous les organes propres de 
I'Etat, des superfetations d'dges ecoules. C'est ce parti qui a collabore a toutes 
les phases du desarmement de la France, qui s'est allie aux socialistes et aux 
communistes pour la depouiller de ses defenses interieures et exterieures, qui a 
brise ses alliances et qui I' a laissee nue et faible devant les plus redoutables 
eventualites : lorsque cette faiblesse fut devenue tout a fait irremediable, de 
pacifistes declares, nos democrates-chretiens sont devenus bellicistes enrages. 
Les cinq annees 1935, 1936, 1937, 1938, 1939, deborderent de leurs discours 
boute feu, de leurs articles va-t-en-guerre, il n'y aurait qu'd reediter quelques 
colonnes de leur journal l'Aube pour envoy er ces messieurs, par les voies les 
plus rapides, jusqu'au poteau. C'est par eux que nous avons subi tour a tour 
V invasion, la defaite, les douleurs qui devaient en sortir, celles de nos morts, de 
nos blesses, de nos prisonniers, de nos refugies vagabonds, de tant d' autre s 
martyrs. Ces dignes co-auteurs de toutes nos detresses n'en ont subi aucune 
punition appreciable. » 

En constatant leur impunite, nous les montrions en train de commettre de 
nouveaux crimes contre la France. 

Mais l'honneur francais n'y a rien gagne. L'idee francaise, refuge eventuel de 
nos Blum, y a tout perdu. Jamais, depuis le royaume de Bourges, la France n'a 
ete jugee aussi petite. On ne lui avait jamais vu ces airs de pauvresse et de 
mendiante. Elle n' avait jamais ploye sous tant de charges publiques ni succombe 
a tant d'escroqueries privees. Meme sous Briand le pays n'avait pas subi la 
comedie de tant d'oraisons mensongeres pour courir a plus de spoliations et plus 
d'avanies. Entre les indices du relevement ennemi et les signes de mepris ou de 
fausse pitie que rami nous prodigue, jamais position morale n'aura traduit plus 
de misere. Notre nouveau calvaire international ne saurait certes pas donner a 
Vichy figure d'un Thabor, mais dans la sombre lumiere de 1' invasion et de 
1' occupation, les hauteurs moderees et grises de sa diplomatic attentive ont su 
accueillir beaucoup de debris precieux, utiles a la securite et au repos francais. 



Le nouveau naufrage suivant nous a laisses tout nus, et sans autre profit que la 
lecon de ces maux immenses. II nous reste de les comprendre si nous voulons 
les reparer. Encore la lumiere n'est-elle pas nouvelle ! II y a trois mille ans 
qu'elle deborde cet hexametre d'Homere : « Le gouvernement de plusieurs n'est 
pas bon, qu'il y ait un seul chef, un roi. » Je l'avais mis en epigraphe de mon 
Enquete sur la monarchie. II est inevitable de le recrire au cul de lampe. 



5. Les mesures exactes. 

Voila done notre dernier bien : la verite. Mieux qu'en 1900 et qu'en 1924, plus 
claire est la reponse a la grande question : 

- Oui ou non, la monarchie hereditaire, traditionnelle, antiparlementaire et 
decentralisee est-elle de salut public ? 

Si Ton fait les pesees et contrepesees dans la balance baconienne 1' experience 
repond trois fois oui. 

Oui, a 1' absence de prince ont succede nos desastres de guerre : ceux de 1870, 
car Napoleon III n'etait qu'un chef populaire, en 1871, ceux de la Commune ; en 
1918, l'arrachement de la victoire et la deroute de la paix. 

Oui, a la presence d'un prince qui n'etait pas le roi, mais que des circonstances 
irresistibles avaient impose, qui etait par position le premier des Francais etant le 
plus haut dignitaire de l'armee francaise, seul survivant en activite des vain- 
queurs de la grande guerre et que son autorite-nee et non elue bien que 
confirmee par des electeurs, designait aussi comme le seul sauveur possible, 
celui qu'il a ete tres reellement, oui, a cette presence a correspondu un 
relevement dans la paix entre 1940 et 1944. 

Oui, a la nouvelle absence de prince, au debordement des partis, les malheurs 
aggraves de 1944-1949 se referent aussi tout seuls. 

Avouons que ce jeu de causalites a eclipses - satisfaisant pour le sens commun - 
manque encore un peu de rigueur : il ne se verifie que sur un espace d'un peu 
plus de trois quarts de siecle (1870-1949), une vie d'homme. Prenons un champ 
plus vaste, qui soit quadruple, trois cents ans. Ayons soin d' enqueter sur 
quelque chose de precis : au lieu d'un bilan vague d'heurs ou de malheurs aussi 
peu determines que victoire ou defaite, eprouvons ces trois cents ans sur un seul 
cas, mais qui contient tous les autres : la presence ou V absence de V invasion sur 



notre sol. Quand avons-nous ete envahis et quand ne l'avons-nous pas ete au 
meme laps de temps ? 

La non-invasion, pour la France, est un critere legitime. C'est le signe visible 
d'un bonheur exceptionnel et rare. L' invasion est notre risque le plus frequent. 
Elle est endemique chez nous, comme postulee par notre geographic Le genie 
de notre histoire nous en defend seul. 

La France est etablie, en un bout de 1' Europe, au point ou convergent et poussent 
les forces barbares tendues du fin fond de l'Asie. II s'agit done de detourner une 
quasi-fatalite territoriale par Taction historique des vertus et des forces d'un 
habile gouvernement. Comment y reussir ? En armant la faiblesse qui attire 
l'envahisseur. En desarmant les factions qui le provoquent. Nous ne sommes pas 
envahis quand nous sommes unis sous un gouvernement qui ne se laisse pas 
dominer. 

Cette regie ressemble a une pure vue de 1' esprit. Mais 1' esprit qui ne veut pas 
etre envahi a raison de souhaiter de l'Etat une autorite vigilante, comme de 
reprouver l'impre vision, l'impreparation ou l'inertie de l'Etat, comme aussi bien 
les crises de paroxysme et d' exaltation dont l'Etat n'est pas maitre : ce sont la 
les facteurs de guerre malheureuse et d' invasion certaine que suscitent la 
democratic liberate ou la radicale, le gouvernement d' opinion, d' election au de 
partis, tout ce qui se laisse vouer de temps immemorial a la routine oisive 
comme aux passions de 1' effervescence populaire. Tout cela se justifie en raison. 
Mais on peut l'illustrer par les trois tableaux d' experience raisonnee que voici. 

Premier tableau. Un long moment, la France fut totalement epargnee de toute 
invasion. Les Espagnols, les Anglais, les Imperiaux, les Suisses, les Anglais 
encore l'avaient successivement recouverte du quatorzieme siecle au 
dix-septieme et, tout d'un coup, cette espece de miracle se fait. II s'etend de 
l'affaire de Corbie, en 1636 a l'affaire de Valmy en 1792 : pendant ces cent 
cinquante-six ans, nul ennemi ne parvient a penetrer un peu loin dans la chair 
francaise, car Malplaquet, Denain sont a notre extreme lisiere du nord, ce sont 
des echancrures comme en a fait au sud-est le due de Savoie, auxquelles 
suffisent a mettre ordre les milices de Philis de La Tour du Pin. 

Comment cela arriva-t-il ? 

Par un chef-d'oeuvre de politique. 

Aussi longtemps que cette non-penetration de 1' ennemi fut complete, le fait est 
qu'il y eut chez nous la perfection de la monarchic, celle des Bourbons, la 
monarchic ideale, ou les affaires proprement nationales, paix, guerre, 



negociations, armement, sont aussi les affaires propres du roi, strictement, celles 
du Conseil etroit dont tous les ministres ne font pas partie. Albert Sorel a tres 
bien vu et dit pourquoi et, moins subtils, non moins formels, les jacobins l'ont 
avoue dans leur fameux rapport de 1794 : si les guerres des Bourbons se 
terminaient toujours par 1' acquisition de quelque province, cela etait du a la 
force de la nation mais aussi a la politique de nos tyrans et a quelques principes 
de famiHe de la maison de Bourbon 47 . Le gouvernement absolu du domaine 
national par la royaute est ce qui valut a la France eternelle l'immunite non 
moins absolue, de sa frontiere quelque malaise qu'il fut de la conserver. 

Cette securite du tout n'empechait nullement la liberte des parties. Outre tout ce 
que la nation vivante gagnait a son independance exterieure, elle n' etait 
nullement asservie au dedans, elle l'etait beaucoup moins qu'aujourd'hui, car 
elle administrait, comme nous l'avons vu, ses propres affaires et elle etait 
rarement poursuivie dans l'epais fourre de l'enchevetrement de ses lois privees ; 
auxquelles tout le monde avait sa part, plus personnelle, plus libre que sous la 
regie uniforme de l'ere moderne. 

La nation ne votait ni n'opinait sur les affaires de l'Etat, qu'elle ignorait ; mais 
beaucoup et souvent sur celles qui la touchaient de pres et qu'elle connaissait 
bien. La ce suffrage universel donnait constamment son avis. Je ne parle pas 
seulement des bonnes coutumes de Bretagne, de Provence et de Languedoc : ce 
fut en compulsant les archives de son pays au XVII e et au XVIII e siecle, en 
constatant a combien de scrutins procedaient les habitants de Clermont de 
l'Oise, que mon vieil ami regrette, l'inspecteur d'Academie Pierre Dufrenne se 
rallia a V Action frangaise. On peut objecter que cette decentralisation genereuse 
ne devait pas faciliter les operations de la defense. Mais les libertes font les 
peuples forts, comme l'autorite fait les Etats puissants : il n'y a pas moyen de 
nier que, pendant un peu moins des trois quarts du XVIIe siecle et presque tout 
le XVIIIe, nous n 'avons eu ni invasion ni gouvernement du peuple souverain. 

Mais, second tableau, dans toute la phase historique suivante nous avons eu 
1' invasion a haute frequence, et peu s'en faut que nous n'ayons eu que cela, cela 
et la Democratic Car cette ere des poches profondes creusees sur notre territoire 
commence en 1792, l'an I er de la Republique, et coincide avec toute l'ere des 
assemblies elues, des chefs elus, des corps deliberants souverains, des beaux 



47 Les jacobins ne relevent dans la politique exterieure royale « aucune faute 
majeure » mais « jusqu'en 1756 » seulement ! Cette reserve est malheureuse : 
1756 est la date du renversement des alliances qui fut le chef-d'oeuvre de 
1' intelligence et de l'art. Cela revient, comme d'autres l'ont fait, a arreter notre 
admiration pour Louis XIV a la succession d'Espagne qui fut le moment ou la 
vue percante du Grand Roi fut le plus loin dans l'avenir. 



figurants ministeriels en equipe. Leur debut fut digne d' attention. En voici un 
trait. 

La monarchic vient de muer, elle est, pour quelques mois, constitutionnelle. 
Louis XVI a compose son premier ministere de republicans. Quelques chefs 
girondins en sont, et, du nombre, comme dit Hugo : 
Et Roland, ce zero, dont safemme est le chiffre. 

Au premier conseil la question d'Autriche se pose. Personne n'y comprend 
goutte, les nouveaux promus s'entregardent ! Alors, de son humble soliveau, 
depossede meme du veto, le roi prend la parole : en quelques mots de lui, 
1' affaire est eclaircie, comprise, resolue. Roland rentre au logis, tout penaud de 
la scene ou le tyran s'est montre si sage. - Eh, nigaud, lui dit Madame, dans la 
position ou il est, il serait le dernier des imbeciles s'il n'en sav ait plus long 
la-dessus que vous tous ! » Comme cela est bien dit ! « La position ou il est »... 
L'etat de monarque est une position, comme celle du berger ou du laboureur. 
Elle ne s'apprend qu'a 1' usage : done, ni dans les Chambres, ni dans les 
journaux, ni dans les clubs ! 

Depuis 1792 a nos jours, les savants commentaires sur les questions d'Autriche 
se sont multiplies. Tous n'etaient pas pour les brouiller. Plusieurs les ont 
approfondies de bonne foi. Et puis apres ? Quel resultat de ce grand conseil des 
partis ? Qu'est-il sorti, pour le bien du monde ou pour notre interet, a Vienne, a 
Prague, a Bude, des decisions des Loges ou des lecons de la Sorbonne ? Des 
folies. Et notre malheur. L' ex-monsieur Veto savait mieux l'Autriche que ces 
rumeurs d'opinions confuses. II la savait meme si bien que le 20 avril 1792, 
Louis XVI tint et vota jusqu'au dernier moment contre la declaration de guerre a 
l'Autriche et fit inscrire au proces-verbal son vote impuissant. II y pensait 
encore, et la Reine aussi, le 10 aout suivant, au soir, dans la loge du tachygraphe 
a la Legislative ; ce souci des malheureux princes est relate dans les Memoires 
de Mme Campan. La France n'est partie pour cette longue guerre, guerre d'un 
quart de siecle, et pour toutes celles qui en ont directement resulte, que contre la 
volonte exprimee de son dernier roi. 

C'est malgre lui qu'on prit le depart dans cette direction des gloires trompeuses. 
On aboutit ainsi au bout de vingt ans a deux invasions de Barbares, a leurs deux 
entrees dans la capitale. En vain avait-on formidablement resserre la chetive 
centralisation monarchique, prodigieusement etendu le service militaire. Rien 
n'y fit. Dans le siecle et demi qui alia du premier an republicain de 1792 a notre 
1940, phase sensiblement egale a l'ere anterieure de 1636-1792, pour le meme 
champ territorial, pour la meme nation, de meme valeur, qualites et defauts, avec 
cette seule difference que rien n'y tenait plus 1' office de la vieille sentinelle 
millenaire et que rien ne la remplacait dans l'echauguette du rempart, sa guerite 



vide ou detruite, ouvrant tout le reste, - les invasions ont fait leur defile au 
nombre de sept. 

Sans doute, aux premieres alertes de 1792 et de 1794, les ressources de toute 
sorte accumulees par les Bourbons permirent-elles de resister : non 
indefiniment ; les deux premiers assauts repousses furent suivis de trois 
deroutes. On tint contre la nouvelle invasion de 1914, mais (repetons l'aveu des 
« purs », leur grand regret) ce fut par des « moyens d'ancien regime », tels que 
1' union nationale et l'armee reguliere. Inversement, le coup quasi-mortel de 
1940, le septieme depuis que le peuple est gouverne par le peuple, nous a 
frappes en plein regime de front populaire et par l'effet direct de ses methodes 
les plus personnelles. Au surplus, de ces invasions, les unes arretees a quelques 
lieues de Paris, Valmy ou Noyon, les autres etendues jusqu'au pied des Alpes et 
des Pyrenees, pas une n'a ete essuyee par des gouvernants autres que des elus 
plebiscitaires ou parlementaires ; notre envahi constant, regulier, comme 
necessaire, a ete Demos-Roi ; il y est si bien predestine qu'il s'est fait encore 
envahir par gout, amitie, alliance en 1942 et 1944, comme si ce fonde de 
pouvoir legitime du pays legal avait tenu a lui assurer son content d'explosifs 
incendiaires et percutants. 

Cet esclave-maitre de Demos a tantot du genie comme Bonaparte ; ou, comme le 
neveu, c'est un mediocre. Cet agent de Demos peut etre un fol ou un traitre 
comme Brissot, Vergniaud, Daladier, Reynaud ou Viviani. Quel qu'il soit grand 
ou petit, invariable, il apporte avec lui 1' invasion comme le vent de la mer 
amene la pluie. Mais, d' autre part, le premier tableau a pu faire voir (tant les 
hommes y comptent peu !) quels avaient ete les contrastes de valeur, de 
caractere et d' aptitudes entre des princes comme Louis XIII, Louis XIV, Louis 
XV et Louis XVI, lesquels, aux circonstances les plus differentes, se sont, a 
partir d'un certain moment, tous quatre arranges pour n'etre pas envahis. lis ne 
pouvaient pas echapper au fleau de la guerre, mais, rarement vaincus, ils ne l'ont 
jamais ete qu'au diable Vauvert, comme a Rosbach, fond de la Saxe, et leur pire 
defaite ne fait pas envahir le pays commis a leurs soins. L'ouvrier, le paysan, les 
artisans, les marchands, les bourgeois peuvent travailler, manger et dormir 
tranquilles. Mais, des que ce haut fonctionnaire unique quitte son poste, 
1' invasion arrive ; elle est la des qu'on passe de l'etat historique a l'etat de pure 
nature, qui est d'etre demantele. 

L' invasion peut etre concue comme 1' ombre portee de la democratic sur la 
France. Elle n'est eloignee que par la monarchic C'est ainsi qu'agissent leur 
presence et leur absence sur une bande de trois cents ans. Coincidence ? Les 
concordances des suites comparees de chaque regime, vertus et vices, autorite 
heritiere et coutumiere ici, la incoherent, faible et instable pouvoir elu, 
commandement de tout le monde et de personne, rendent si bien raison de ces 



effets alternants que ceux-ci etaient prevus de loin. Ce que nos yeux con- 
temporains ont vu de ces calamites pleines de sens avait ete forme en prevision 
reguliere, en prediction motivee, par des hommes comme Rivarol et comme 
Mirabeau. lis n' etaient pas sorciers. lis n'avaient pas de formule magique pour 
donner tel ou tel cours aux evenements. lis ont pense une Physique politique, 
dont nous avons subi et paye les calamites. 

Troisieme tableau. Mais peut-etre veut-on raffiner sur la preuve ? On peut la 
rendre eblouissante. 

La premiere et la troisieme Republique, le premier et le second Empire qui 
prolonge la seconde Republique, ont subi le sort commun, 1' invasion. Entre 
1792 et 1815, entre 1848 et 1945, soit un total de cent vingt ans, c'est l'espace 
ou se sont mues nos sept ou nos neuf invasions 48 . Mais il y a entre ces deux 
series d'annees, comme une parenthese, un laps de trente-trois ans, de 1815 a 
1848, qui n'a vu ni democratic imperiale, ni democratic republicaine, et qui, 
totalement royal, n'a pas vu non plus d' invasion. C'est cas unique au XIXe 
siecle. 

Cas indivis entre trois rois, trois regnes, eux aussi tres divers. 

La seule particularite commune a Louis XVIII, Charles X et Louis -Philippe est 
probablement de ne pas s'etre laisse envahir. Le pire est qu'ils l'ont fait expres ! 
Regardons bien. Les partis qui leur etaient hostiles, bonapartiste et jacobin, 
reclamaient a grands cris le meme genre de guerre revolutionnaire qui aurait 
coalise 1' Europe contre nous et nous aurait valu une inevitable invasion. Mieux : 
dans ces trois Bourbons aines ou cadet, le dernier a ete eleve au trone par la 
democratic liberate, et c'est done a elle qu'il doit refuser ce que ses prede- 
cesseurs n'ont pas voulu lui donner, malgre les petarades de M. de 
Chateaubriand. Apres 1830, les Chateaubriand sont continues par des Thiers, a 
qui le roi-citoyen oppose le meme non impavide : il fallut meme attendre plus de 
vingt ans apres sa chute, tant il avait bien mis le pays en defense ! Ceci n'est pas 
une maniere de parler. C'est la verite litterale. 

Au lendemain de Waterloo, le general Clarke et le marechal de Gouvion 
Saint-Cyr s' etaient hates de s' employer a reconstituer une armee ; 
Louis-Philippe avait perfectionne leur ouvrage, sa vieille et bonne loi de 1832, 
charte de 1' armee, mettait sur pied des forces nouvelles et puissantes qu'on ne 
dilapida qu' apres lui. II a suffi longtemps de montrer ces forces pour decourager 
n'importe quel agresseur. 



48 Rappelons que Ton peut etre envahi, bombarde, massacre par des « Allies » 
(1942, 1944). 



Sa politique de vrai Capetien unissait a une sagesse qui n'attaquait personne, 
l'appareil defensif qui ne se laissait pas attaquer. De pauvres populaces 
ameutees contre elles-memes hurlaient en vain leurs beaux espoirs de croisades 
panpoldeves et nationalitaires : soit en 1830, soit en 1840, son refus de manquer 
a sa loi francaise et royale fut inebranlable. II violait 1' esprit de sa Constitution 
liberate pour se conduire en roi de France responsable de la cloture du rempart 
et, lorsque en 1848, Demos voulut se battre a tout prix, ce veritable roi lui en 
abandonna la responsabilite. 

L' abdication de fevrier 1848 pourrait etre appelee le dernier acte de 
contre -invasion bourbonnien, mais la revolution qui supprima cette monarchic 
tutelaire avait respecte quelques traces de ses principes : un Francais, ne 
legitimiste, le glorieux poete Alphonse de Lamartine, etait imbu des traditions 
de la politique royale, il ne leur fut pas infidele. Quand la Rue ou la Presse lui 
reclamait la declaration de guerre a 1' Europe avec ses consequences finales 
d' invasion ineluctable, ce premier successeur de Louis -Philippe aux Affaires 

s 

Etrangeres fit la meme reponse que lui : le non pacifique et sauveur articule par 
les aieux contre les fantaisies suicides de 1' opinion. Gloire a lui ! 

Demos regimba, grogna, mais obeit. 

Puis, il se vengea. 

Quelques mois plus tard, Lamartine fut assez salement remercie par Demos ; 
touti li chin gasta de la demoucracio, comme dit Mistral, tous les chiens enrages 
de la democratic lui firent leurs morsures pendant que cinq millions d'insenses 
lui preferaient le prince Louis-Napoleon, qui en recolta bientot six et sept en 
execution de l'axiome de Dante, cite par Machiavel : « Les peuples crient 
toujours : Vive ma mort ! Meure ma vie ! » 

Digne idole et serviteur de ses createurs, Napoleon III s'engagea dans la 
politique avunculaire prechee de Sainte-Helene. II courut assez droit, par 
Solferino et Sadowa, a Sedan, terme de la descente ou Demos trouva l'une des 
rations de fer et de feu auxquelles il tendait. 

Ces defiles barbares a travers nos champs et nos rues se suivirent depuis lors 
avec des espacements varies : cinquante-cinq ans avaient passe entre Waterloo 
et Sedan, mais de Sedan a Charleroi il n'y eut plus que quarante-quatre ans et 
seulement vingt-et-un du premier Rethondes au second. Quant a « la prochaine » 
on en a parle, il en a ete question bien avant la decade ecoulee. 



Quoiqu'il arrive demain ou apres-demain, voila un passe sur lequel Descartes et 
Bacon sont d' accord pour la perfection de la preuve. 

Cloture du rempart, immunite de la frontiere, monarchie des Bourbons sont des 
termes lies. Quant a l'invasion, Ton reconnait pour ses portiers inamovibles 
Demos-Roi et ses lieutenants. 

Or, les Francais qui savent ce que c'est et qui l'ont paye cher, savent aussi 
maintenant une bonne chose : ils ne veulent plus d' invasion. 

Je dis : les Francais, tous les Francais, indistinctement. 

De quelque facon qu'ils se classent et se peinturlurent, quelque flamme coloriee 
qu'ils arborent a droite ou a gauche d'une tribune, tous en tant que naturels de 
leur pays, ils ont en commun ce meme interet-vceu de n'etre pas envahis. S'il 
existe en eux quelque chose qui ait la forme ou le fond d'une volonte qui soit 
nationale, la voila, c'est la volonte de la non-invasion, et, comme il n'y a qu'un 
moyen de remplir cette volonte, premiere et derniere de toute politique 
francaise, ils veulent ce moyen, ils veulent done le roi. 

II ne reste done plus au Francais conscient qu'a agir pour que sa volonte soit 

s 

faite et non une autre : non celle de 1' Oligarchic, non celle de l'Etranger... 

On me passera la lenteur de ma procedure scolastique en faveur du relief qu'y 
recoivent les evidences du bon sens. 

Et Ton voudra bien me permettre un eclaircissement supplemental sur 
quelques causes secondes que la simple etiquette democratique peut paraitre 
definir insuffisamment. 

La grave infirmite qui tient a 1' incompetence politique de Demos en general, est 
doublee, compliquee, coloree au gre des lueurs de l'histoire. Si l'electeur 
souverain est toujours celui qui a le plus souffert, certaines fautes ont tenu a 
l'etat de certains corps civils et militaires laisses a eux-memes, incontroles ou 
mal controles, comme l'armee de Napoleon III ou de Daladier, ou la diplomatic 
du Front populaire. Parfois l'enthousiaste opinion populaire laisse une liberte 
sans frein a des chefs d' occasion comme Bonaparte et, par exemple, a la 
scandaleuse equipee du retour de l'ile d'Elbe, toleree de ce boute-feu. Des cas 
de negligence et de totale aboulie sont imputables au Corps legislatif de 1867 ou 
a nos Chambres de desarmement entre 1899 et 1912, a qui est du le sacrifice de 
nos premieres centaines de milliers de Francais en 1914 et 1915. II ya des cas 
plus graves encore : la majorite de 1936 et l'assemblee legislative de 1792 se 
rendirent toutes les deux coupables d' accepter ou de desirer le risque exterieur 



pour de simples raisons de politique interieure, comme le prestige des 
democraties ou le renversement de la monarchie. Ces agitations de notre esprit 
public ont ete, l'une et 1' autre, tellement antifrancaises que l'etranger les a 
soldees comme il avait subventionne les propagandes qui, au milieu du XIX e 
siecle, ont servi les Prussiens et les Piemontais a unifier 1' Allemagne et 1' Italic 

II n'est pas un des details de cette analyse qui ne corresponde a quelque lacune 
maitresse, a quelque creux beant, du gouvernement populaire. L' analyse du fait 
inverse ferait apparaitre dans le gouvernement monarchique les saillies et les 
avancees correspondantes. On ne fait pas exces d'ingeniosite, ni, moins encore, 
de simplification, si Ton conclut d' ensemble que Ton a affaire a des rapports de 
bien et de mal, reguliers comme ceux du jour et de la nuit. On lit dans VEnquete 
sur la Monarchie que « la democratic est le mal, la democratic est la mort » : on 
le lit aussi dans les traites. 



CHAPITRE DIXIEME 

L'AVENIR DU NATION ALISME FRAN£AIS 

Ainsi, par cette verite demontree et toujours demontrable se termina Fun 
de nos deux efforts paralleles, 1' effort d'enseignement et de speculation, avec 
son resultat definitif, peu capable de varier, s'il peut s'enrichir et s'illuminer 
encore par des concordances nouvelles entre son fond de doctrine et des 
evenements qui ne sont point nes. Puissent ces rencontres etre moins terribles 
que leurs devancieres ! 

Reste le rude effort d' action pratique et reelle, celui qui a voulu maintenir en fait 
une France, lui garder son bien, la sauver de son mal, resoudre au passage ses 
crises, c'est un service trop ancien et trop fier de lui-meme pour que l'oeuvre 
amorcee en soit interrompue ni ralentie. Ceux qui sont de l'age ou Ton meurt 
savent qu'elle depend d'amis en qui Ton peut avoir confiance, car, depuis plus 
de quarante ans, ils repetent avec nous : Par tous les moyens, meme legaux. 
Ayant travaille ainsi « pour 1950 », ils travailleront de meme pour l'an 2000, car 
ils ont dit des le debut : Pour que la France vive, vive le Roi ! 

L'esperance ne se soutiendrait pas si le sens national n'en etait pas soutenu en 
premiere ligne. Mais la aussi je suis tranquille. 

II est beaucoup question d'abandonner en tout ou en partie la souverainete 
nationale. Ce sont des mots. Laissons-les aux professeurs de Droit. Ces 
messieurs ont si bien fait respecter leur rubrique, intus et in cute, ces dernieres 
annees, qu'on peut compter sur eux pour ajouter du nouveau a tous les plus 
glorieux gachis de 1' intelligence. Les tresors du reel et ses evidences sont plus 
forts qu'eux. Ce qu'ils declarent perime, ce qu'ils affectent de jeter par-dessus 
bord ne subira pas plutot l'effleurement d'une egratignure ou d'une menace un 
peu concrete, vous verrez 1' eclat de la reaction ! Cela se sent deja a certains 
signes, soit qu'on aille parler au president de notre Republique d'invoquer 
l'O.N.U. contre les exploits de l'Epuration, soit qu'on entreprenne d' organiser 
sournoisement un centre de pangermanisme a Strasbourg. Les seuls succes de 
ladite epuration ont tenu a son faux-nez nationaliste. Preuve que rien ne vit 
comme le sens de la nation dans le monde present. Ceux qui voudront en 
abandonner une part ne feront rien gagner a Cosmopolis : ils engraisseront de 
notre heritage des nationalites deja monstrueuses. Les plus grands faits dont 
nous soyons contemporains sont des faits nationaux : la prodigieuse 
perseverance de l'Angleterre dans l'etre anglais aux annees 1940-1945, 
1'evolution panslaviste ou plutot panrusse des Soviets, la resistance que la 



Russie rencontre chez les nations qu'elle a cm s'annexer sous un double vocable 
de race et de secte, l'eclosion de la vaste conscience americaine, le retour a la 
vie du nazisme allemand, sont tous des cas de nationalisme suraigu. Tous ne 
sont pas recommandables. Nous aurions ete fous de les imiter ou de les desirer 
tous. Nous serions plus insenses de ne pas les voir, qui deposent de la tendance 
universelle. En France, le patriotisme en avait vu de toutes les couleurs apres la 
victoire de Foch : que d'hostilite et que de disgraces ! De grands partis 
caracterises par leurs « masses profondes », etaient lasses ou degoutes du 
vocabulaire francais, il n'y en avait plus que pour le charabia marxiste. A peine 
1' Allemand a-t-il ete campe chez nous, toutes ses offres de bon constructeur 
d' Europe ont ete repoussees et le Francais, bourgeois, paysan, ouvrier ou noble 
n'a connu a tres peu d'exemples pres, que le sale boche : l'esprit national s'est 
refait en un clin d'oeil. La patrie a du avaliser la souillure de beaucoup 
d' hypocrisies politiciennes. L' usage universel de ce noble deguisement est une 
preuve de plus de sa valeur et de sa necessite, qui est flagrante : on va le voir. 

Le nationalisme de mes amis et le mien confessent une passion et une doctrine. 
Une passion pieuse, une doctrine motivee par des necessites humaines qui vont 
grandissant. La plupart de nos concitoyens y voient une vertu dont le culte est 
parfois penible, toujours plein d'honneur. Mais, parmi les autres Francais, 
surtout ceux du pays legal, distribues entre des partis, on est deja et Ton sera de 
plus en plus accule au nationalisme comme au plus indispensable des 
compromis. Plus leurs divisions interessees se multiplient et s'approfondissent, 
plus il leur faut, de temps a autre, subir le rappel et 1' ascendant plus 
qu'imperieux du seul moyen qu'ils aient de prolonger leur propre pouvoir. Ce 
moyen s'appelle la France. 

lis ne l'aiment guere, bien sur. Moins encore aiment-ils le devoir qu'elle reclame 
d'eux. lis s'en detournent tant qu'ils peuvent. lis ne le peuvent pas toujours. 
Ecoutez seulement : des l'automne de 1945, M. de Gaulle s'est vu conduire a 
parler du salut public comme la premiere des lois. Autant dire : France premiere 
servie, France d'abord et France seule, selon le cas. D'autres, ses successeurs, 
socialistes, radicaux, meme democrates-chretiens ont du, le dos au mur, comme 
lui, adopter les formules d'egoisme sacre qu'ils ont tant blasphemees. De 
Bidault a Gouin, de Blum a Auriol, chacun a eu son tour. Comment l'eviter 
quand tout le reste les separe ? Sur quel argument, sur quel honnete commun 
denominateur discuter hors de la ? II n'y a plus de mesure entre l'economie 
bourgeoise et l'economie ouvriere. Ouvrier et bourgeois sont des noms de secte. 
Le nom du pays est francais. C'est bien a celui-la qu'il faut se referer. Qu'est-ce 
qui est avantageux au pays ? Si Ton adopte ce critere du pays, outre qu'il est 
sous-entendu un certain degre d' abjuration des erreurs partisanes, son essentiel 
contient toute notre dialectique, celle qui pose, traite, resout les problemes 



politiques pendants du point de vue de l'interet national : il faut choisir et rejeter 
ce que rejette et choisit cet arbitre ainsi avoue. 

II n'y a, certes, la qu'un imperatif limite. Les partis en lutte feront toujours tout 
pour s'adjuger le maximum en toute propriete. Mais leur consortium n'est rien 
s'il ne feint tout au moins des references osant aller plus loin que la partialite 
collective. S'y refuse-t-il ? Son refus peut donner l'eveil au corps et a 1' esprit de 
la nation reelle, et le point de vue electoral lui-meme en peut souffrir. Si ces 
diviseurs nes font au contraire semblant de croire a 1' unite du compromis 
nationaliste, tout spectateur de bonne foi et de moyenne intelligence en sera 
satisfait. 

Done, avec douceur, avec violence, avec lenteur ou rapidite, tous ces partis 
alimentaires, egalement ruineux, ou periront de leur exces, ou, comme partis, ils 
devront, dans une certaine mesure, ceder a 1' imperatif ou tout au moins au 
constat du nationalisme. L'exercice le renforcera. La fonction, sans pouvoir 
creer l'organe, l'assouplira et le fortifiera. Les doctrines des partis se verront 
ramenees, peu a peu, plus ou moins, a leurs elements de Nuees et de Fumees 
auxquelles leur insucces infligera un ridicule croissant. Leur foi ne sera bientot 
plus qu'un souvenir sans vertu d'efficacite, trace materielle tendant a s'effacer, 
car on rira de plus en plus de ces antiquailles, aux faux principes qui voulaient se 
faire preferer aux colonies et aux metropoles et qui menent leur propre deuil. Au 
plus beau de l'epuration, un des philosophes du parti parlait avec fierte du 
« triomphe de leurs origines philosophiques du XVIIIe siecle ». Ou est ce 
triomphe ? Ou sont ces origines ? On n'aurait pas oui parler de compromis 
nationaliste si leurs dogmes n'etaient pas obliteres comme de vieux timbres. 

Alors pourra etre repris quelque chose de tres interessant le grand espoir de la 
nation pour declasser et fusionner ses partis. 

s 

Nous avons vu que le boulangisme l'avait entrepris. Echec. Puis autre echec en 
1892, lorsqu'un facheux conseil parti de Rome avait tente de rallier les Francais, 
mais a la Republique, e'est-a-dire au regime diviseur, tout branlant, qui sortait 
du boulangisme, cahotait dans Panama et entrait dans la crise d'anarchisme 
sanglant qui allait cottier la vie au president Carnot, avant de s' engager, par 
d'ignobles bas-fonds, dans l'affaire Dreyfus. Comme il l'a dit lui-meme, le pape 
Leon XIII avait ete trompe sur le regime et sur le moment. On en debattit dix 
ans sans aboutir. Mais, au bout de ces dix ans, un mouvement inverse tout 
spontane, tout francais, orienta de gauche a droite non les multitudes (ce serait 
utopie) mais des elites tres nombreuses, tres vaillantes, tres briilamment 
eclairees. Ce ralliement allait de la republique a la monarchic En y tendant, 
V Action frangaise realisait aussi un grand effort national de volatilisation des 
partis. 



L' Action frangaise ne s'est pas recrutee dans ces families legitimistes et 
orleanistes dont elle rejoignait la fidelite historique. Ses chefs sortaient a peu 
pres tous des families jacobines, napoleoniennes ou liberates, ou ces traditions 
etaient arretees ou interrompues. Son fondateur, Henri Vaugeois, etait le petit- 
neveu d'un conventionnel regicide. Le president des camelots du roi, Maxime 
Real del Sarte, descendait directement d'un membre de la premiere Commune 
de Paris. Le premier president du Conseil d' administration, Leon de 
Montesquiou, etait le petit-fils de « maman Quiou » la gouvernante du Roi de 
Rome. Le premier laureat de son concours d'Histoire de France fut Eugene 
Cavaignac, arriere-petit-fils de jacobin. Le premier des savants illustres qu'elle 
ait rallies fut un petit-neveu de Danton, Rene Quinton. L'un de ses premiers 
philosophes catholiques fut le petit-fils de Jules Favre, Jacques Maritain (mais 
celui-ci a tourne casaque, c'est le seul). L'organisateur de toutes nos oeuvres 
d' action publique, celui qui devait succeder a Leon Daudet a la direction de 
notre journal, futur prisonnier de la Gestapo et futur condamne de l'Epuration, 
Maurice Pujo, etait l'arriere-petit-cousin de l'astronome Bailly, celui qui 
tremblait, mais de froid. M. Bainville pere, republicain ardent, pretait les 
hangars qu'il avait a Vincennes aux reunions electorates du pere Pelletais. 
Lucien Moreau venait de la maison Larousse. II n' etait pas baptise. Etonnant 
bariolage de descendances et d'origines. 

Les genealogies spirituelles furent plus significatives encore. Quand il professait 
la rhetorique au lycee de Lyon, Edouard Herriot avait un disciple prefere. II 
s'appelait Laurent Vibert. II se distinguait par la souplesse et la vivacite de son 
esprit qui, entre autres ressources savait adapter les vieilleries liberates et 
democratiques au gout des jeunes hommes de sa generation. Mais, patatras ! 
L' Action frangaise tomba entre ses mains. II vit, il sut. II ecrivit a son cher 
maitre, devenu homme politique puissant, une lettre respectueuse mais formelle, 
pour lui signifier qu'il passait dans nos rangs, ou il milita brillamment jusqu'a sa 
mort. D'innombrables recrues pareilles precederent ou suivirent celle-la. Les 
eleves de Seailles a la Sorbonne, ceux du fameux Alain au lycee Henri IV, ceux 
de l'abbe Bremond a Mongre faisaient la meme manoeuvre, parfois conseillee 
par le maitre. La fleur de 1' intelligence et de l'ame francaises venait ainsi 
s'egarer sur nos bords, pour y retrouver le climat de sa vieille patrie. 

Cette patrie lui faisait accueil. Tous les milieux de vieille France, eleves ou 
modestes, ou s' etait conservee la foi politique royale, firent des amities plus 
vives a ces rouges d'hier a proportion qu'ils etaient eux-memes plus blancs. 
L'ouest vendeen et breton, les communes paysannes de la Provence et du 
Languedoc legitimistes, l'enclos Rey a Nimes, n'eleverent jamais l'ombre d'une 
distinction entre les notres et les leurs, la fusion fut instantanee et complete. 



Des tactiques differentes s'etaient imposees. Si nous detestions le gouvernement 
des partis, si nous ne croyions certes pas a la possibility d'une reconquete 
electorate de la France, nous appreciions dignement le role fixateur et 
mainteneur que jouaient dans les assemblies locales ou nationales de compactes 
minorites fideles a leur culte de la Patrie, de la Famille, de la Religion, de la 
Propriete, nous leur savions gre de resister a la menace et a la promesse, aux 
gardes-champetres et aux bureaux de tabac, avec une fermete qu'il faut appeler 
heroique. Que de fois nous allames dire aux royalistes de Beziers ou de 
Montpellier, ou du Bas-Poitou : - S'est-on assez moque de vous, mesdames et 
messieurs, parce que vous aviez conserve des idees que Ton estimait surannees. 
Eh ! bien, les voila rajeunies. Elles sont adoptees a Paris par la jeunesse des 
ecoles, elles ont des partisans dans les milieux savants et pensants. Vous etiez 
accusees de vous habiller comme vos grand-meres, vous voila a la derniere 
mode, mises au gout du siecle futur. Quelle royale recompense d' avoir refuse de 
changer, en mal ! Le temps d'hier vous donne de plus en plus raison, attendez le 
temps de demain ! La vieille France se reconstruit, comme il le faut bien, par en 
haut, votre fidelite vous a mis de plain-pied avec toutes les elites et vous etes de 
plus en plus rejoints par les superiorites de l'esprit 49 . 

Une autre fusion s'achevait. On ne redira jamais assez la gratitude de la France 
envers ces fils aines de la Nation qui, en aout 1883, lorsque le comte de 
Chambord eut rendu le dernier soupir, allerent immediatement saluer son 
heritier legitime dans le comte de Paris, chef de la branche cadette, en 
conformite a la loi profonde de notre histoire qui interdit le trone a tout etranger, 
nous vint-il en ligne droite de Hugues Capet. La aussi, France d'abord ! Mais 
1' exaltation soudaine du droit national dans le droit royal ne s'etait pas affermie 
sans difficultes : les intrigues dites orleanistes de 1870-1873, les dechirements 
de 1830, ceux de 1793, agissaient encore pour reveiller de vieux debats. II faut 
rendre justice au comte de Chambord qui, vivant, avait tout ose pour les dissiper. 
Les souvenirs de Blaye auraient pu lui inspirer de graves rancunes, il leur 
prefera toujours son devoir. La Maison de France est pleinement reconciliee, 
avait-il dit en 1871. On a voulu contester le sens de ces paroles. Je sais deux 
faits qui les confirment. Sous l'Ordre moral ou a peu pres, on avait annonce un 
voyage de Monseigneur le comte de Paris en Comtat-Venaissin. Les legitimistes 
avignonnais se demanderent comment recevoir le Prince. lis ecrivirent a leur 
journal V Union. La direction de V Union en refera a Frosdorff. Henri V 
repondit : - Comment recevoir Paris ? Mais en Dauphin de France ! Cette 
reponse a ete retenue par le marquis de Roux, historien eprouve. J'ajoute : dans 
sa derniere annee, le comte de Chambord avait invite le jeune due d' Orleans a 
venir chasser en Autriche, a Frosdorff probablement, pour rautomne. II avait 
meme envoye en France son fidele valet de chambre qui repondait, comme on 



49 Voir La Contre -Revolution spontanee, p. 106, Lardanchet, Lyon. 



sait, au nom de Charlemagne, « pour s 'informer des gouts du Petit », mais la 
mort arreta tout en aout 1883. Je tiens le fait du colonel de Parseval, ancien 
gouverneur militaire du due d' Orleans, legitimiste d'origine. 

Le comte de Paris avait choisi de bonne heure entre les titres de Louis -Philippe 
II et de Philippe VII. Plus il avanca dans la vie, plus il manifesta du penchant 
aux doctrines sociales et politiques de la veille France ; tout en conservant ses 
premiers conseillers, du comte d'Haussonville a M. Eugene Dufeuille, il fit un 
appel impartial aux hommes de la tradition bourbonnienne pure. L'esquisse de 
son evolution a ete tracee de main de maitre par Monseigneur d'Hulst, et Ton 
peut en conclure que les derniers vestiges du liberalisme parlementaire etaient 
depouilles et mis en oubli quand il monta sur son trone d'exil. Pour ce qui est de 
son fils, le grand et noble Prince qui aurait dit regner sous le nom de Philippe 
VIII, il etait de sa personne le plus traditionnel, on peut dire le plus legitimiste 
des hommes. Le discours de San-Remo, la premiere manifestation princiere qui 
ait ete osee sur la question juive en Europe, en fait un temoignage eclatant. Son 
eloignement pour les souvenirs de la monarchic de Juillet etait presque excessif. 
Quand Jean de Sabran, membre de son service d'honneur, avait un parapluie en 
mains, le Prince prenait plaisir a faire sauter ce symbole d'un coup de canne 
assez vif. J'ai recueilli de sa bouche les mots suivants : « 1830 a ete pire que 
1793. En 1793, la revolution etait dans le peuple. En 1830, elle fut dans la 
Maison royale. » Je le repete sous serment. L' admiration que j'ai toujours 
exprimee pour Louis -Philippe qui n' etait d'ailleurs pas l'usurpateur que Ton 
raconte 50 , me dispense de rien dire de plus. Le due d' Orleans etait tel que je le 
dis parce qu'il n' etait pas autre, et cette verite etait deux fois bienfaisante. Elle 
nous promettait pour la fin de l'interregne, un Prince aussi blanc que n'importe 
quel blanc, tellement blanc qu'il avait choisi pour le representer en Bretagne un 
La Roche-Mace, arriere-petit-fils du compagnon de la duchesse de Berry, 
combattant du Chene et de la Penissiere, mais si parfaitement tricolore qu'il etait 



50 J'ai plusieurs fois rappele dans 1' Action francaise l'histoire peu connue du 
messager que Louis -Philippe envoya au roi Charles X, avant l'embarquement de 
Cherbourg, pour demander qu'on lui fit confiance et qu'on lui remit, en sa 
qualite de lieutenant-general du royaume, le jeune due de Bordeaux, qu'il se 
chargeait de faire couronner. Le vieux roi ne dit ni oui ni non. La duchesse de 
Berry s'y opposa absolument. J'ai eu la surprise de retrouver le fait dans le 
premier volume des Souvenirs d'un demi-siecle de Maxime Du Camp, page 20, 
en note. J'y reconnais le nom du messager, que j'avais oublie, le colonel Cradoc, 
et le point de Normandie ou il rejoignit Charles X, Laigle. Je ne sais pourquoi 
Maxime Du Camp fait des reserves sur 1' anecdote parfaitement vraisemblable. 
L'esprit politique du roi de Juillet etait assez aigu pour prevoir toutes les 
difficultes et toutes les miseres que devait lui valoir la seule apparence d'une 
usurpation. 



en etat de tendre la main a tous les Francais, meme aux plus engages et aux plus 
compromis dans nos dechirements, puisque son ascendance l'avait ete aussi. Les 
souvenirs de la Convention et celui des barricades de Juillet lui conferaient en 
somme une position tres voisine de l'ancien huguenot Henri IV, de l'ancien 
rebelle Louis XI. Cette participation aux erreurs de la nation, le qualifiait pour 
son role d'apaiseur, de mediateur, de supreme conciliateur historique. 

Nous tenions beaucoup a ce que cette position naturellement fusionnante 
de la royaute nouvelle fut secondee par Taction parallele de notre mouvement. 
Notre Ligue recruta ses presidents et presidents d'honneur suivant le meme 
principe. Des deux premiers, Andre Buffet etait le fils d'un ancien president de 
l'Assemblee nationale, ministre de Napoleon III ; le comte de Lur-Saluces etait 
un veritable ultra de Guyenne. Apres eux, le general Mercier, « soldat imbu de 
sentiments republicans » comme il disait encore en 1900. Puis, un blanc-ne 
comme le lieutenant-colonel Bernard de Vesins. Apres lui un ancien prefet 
maritime de la Republique, ramiral Schwerer. Puis un ancien depute socialiste, 
Leon Mirman, ancien commissaire de la Republique a Metz. Ceux qui savent 
notre histoire parlementaire n'ont peut-etre pas oublie qu'aux lointaines annees 
1893 ou 1894, le jeune Mirman, elu de frais, avait eu un conflit serieux avec le 
ministre de la guerre d'alors, qui etait le general Mercier. U Action frangaise les 
reunissait a son sommet comme ses plus nobles representants nationaux. 

Une quarantaine d' annees apres ces frictions de tribune, trente-cinq ans apres le 
ralliement a la monarchic de Vaugeois, de Bainville, de Quinton et de 
Montesquiou, il se trouva que Leon Daudet et l'amiral Schwerer donnerent a 
Henin-Lietard une reunion qu'essayerent de troubler les revolutionnaires sur 
lesquels il fut energiquement riposte. Un de nos militants est conduit au poste 
avec d'autres. Interroge par le sous-prefet, il decline son etat civil. Au 
patronyme, le fonctionnaire bat des cils : « - Comment, monsieur, vous portez le 
nom du senateur B... ? - C etait mon grand-pere, monsieur le sous-prefet. - Et 
vous etes reactionnaire, le petit-fils d'un si bon radical ! - Reactionnaire, que 
dites-vous, monsieur le sous-prefet ? Je suis royaliste. Le senateur B... a eu trois 
petits-fils. Nous pensons tous de meme, mesfreres et moi. » 

S'etant propose ces fusions des partis, 1' Action francaise ne pouvait ni supporter 
l'existence d'une oligarchic composee de demi-etrangers, secretement hostile 
aux sentiments et aux interets de la nation, ni cependant traiter en ennemis-nes 
un certain nombre de concitoyens utiles et meritants. 

Des nos debuts, ces protestants patriotes, dont le commandant Lauth avait ete le 
type du temps de Dreyfus, nous avaient rejoints en grand nombre. Nous les 
avions recus a bras ouverts. Nous ne leur demandions que de ne pas imposer a 
40 millions de Francais, l'hegemonie morale de 600.000 personnes, souvent fort 



distinguees, mais parfois un peu trop distinctes ou distantes. L'un d'eux, futur 
colonel, alors capitaine Delebecque, fit partie de nos Comites directeurs des le 
premier jour. Nous eumes des Monod pour dignitaires de plusieurs sections de 
province. Depuis qu'un sous-lieutenant Monod, le premier de sa race, etait 
tombe pour la France au Maroc, nous avions proclame le principe de la porte 
ouverte a tous les siens. Une France forte peut toujours absorber et resorber les 
etrangers domicilies. Quant aux Juifs, le cas est autre. Nous n'avons jamais 
professe l'antisemitisme a l'allemande, l'antisemitisme de peau, qui pratique le 
« mort aux Juifs ». Nous ne disons qu'« a bas les Juifs » par necessite de baisser 
ce qui s'etait trop eleve. D'apres l'antisemitisme francais, celui de Drumont, de 
La Tour du Pin et de tous nos maitres, 1' importance des Juifs dans la societe 
francaise n'etant en rapport ni avec leur nombre ni avec leur valeur, est deux 
fois injuste. Nous traitions selon leurs merites les Juifs qui rendaient de vrais 
services a la France et a l'humanite. Personne n'aura parle mieux que nous d'un 
Michel Breal pour louer son intelligente et docte resistance aux fantaisies de 
l'erudition allemande. De meme pour les Juifs patriotes et bons combattants. J'ai 
eu grand honneur de publier dans 1' Action francaise du 28 octobre 1918, tel 
qu'il m'a ete adresse, ce « testament moral et politique de Pierre David » ainsi 
concu : 

« Mamers, 26 octobre 1915. 

« Merci, cher Maitre, du fond du coeur, pour la force morale que votre 
enseignement m'aura donnee pour affronter la glorieuse epreuve. Je suis un 
inconnu pour vous et je suis venu a vous de bien loin. Ne d'une famille juive, je 
me suis send completement detache de la tradition juive, complete ment 
Francais. II m'a suffi d'etre un bon Francais et d'etre logique avec moi-meme 
pour adopter les doctrines de 1' Action francaise dans toutes leurs consequences. 
A l'heure ou vous lirez ces lignes, qui ne doivent vous parvenir que si je meurs, 
j'aurai definitivement acquis, en melant mon sang a celui des plus vieilles 
families de France, la nationalite que je revendique. Grace a vous j'aurai 
compris la necessite et la beaute de ce bapteme. Grace aux fortes meditations 
que votre pensee m'aura inspirees, la Patrie et la Famille seront de venues pour 
moi de puissantes realties dans lesquelles les personnes considerees 
individuellement ne sont que des sortes d' abstractions, et une apre joie se melera 
a mes dernieres souffrances physiques et morales, en pensant que je les voue a la 
defense de la Patrie et a l'enrichissement du patrimoine moral de ma Famille. 
C'est de cela que je voulais vous exprimer ma supreme reconnaissance. » 

« Pierre David, chasseur au 4e bataillon. » 

Suivaient l'historique de deux citations du heros et deux lettres qu'il avait 
adressees a Marius Plateau, son sergent. 



Ce David a ete le type de nos « juifs bien nes ». Les antisemites pro-allemands 
m'ont beaucoup reproche cette categorie delimitatrice qui, parait-il, est de moi. 
Je n'en renie rien. Tout doit etre mis en oeuvre dans un milieu national pour y 
rendre possible des rapports fraternels entre les individus. Car c'est detruire 
essentiellement la concorde, ame de la cite, que d'y faire ou d'y laisser naitre 
des hostilites motivees par l'origine etrangere ou par 1' opinion philosophique et 
la religieuse. Rien n'est plus vrai. Oui, mais a une condition : la radicale 
abolition des privileges de 1' Oligarchic, la suppression de toute cette armature de 
la Republique et la fin mise au regime des Quatre Etats confederes. 

Ce regne est plus fort que jamais. Si Ton veut donner une explication 
satisfaisante des plus graves evenements de la Liberation et de l'Epuration, ceux 
qui nous ont le plus heurtes, les plus contraires a 1' instinct de la France, les plus 
choquants pour la justice, la bonte ou l'honneur, doivent etre definis un 
mouvement violent et une action directe, avec I'appui de I'etranger pour rendre 
a V obedience de V Oligarchic tous les elements du pays legal de la France. 
L'effondrement de ce pays legal en 1940 avait frappe de stupeur les interesses. 
Le ralliement de 1'unanimite du pays au marechal Petain avait dechaine une 
veritable panique. On se croyait si forts, si bien poses ! On croyait 1' institution si 
solide ! Et rien n' avait resiste. Et tout avait cede, y compris les quatre-vingt dix 
centiemes du pouvoir parlementaire (Chambre et Senat), les quatre-vingt-dix- 
neuf centiemes des pouvoirs administratifs et judiciaires ! II fallait une lecon... 
On l'a donnee, la plus rude qu'on a pu, mais avec toutes les incertitudes de la 
colere et de la peur. On a ramasse tout ce que Ton a pu, communistes, terroristes 
compris, avec les tueurs de profession et les brigands et les larrons de droit 
commun, pour etre sur de ne rester au dessous de la cible visee. Ainsi et ainsi 
seulement s'expliquent, d'une part, des decisions aussi sottes que les 
degradations fulminees contre les auteurs du vote du 10 juillet 1940 et, d'autre 
part, la grossiere infamie du traitement sous lequel on a cru accabler le marechal 
Petain. On a voulu s'en payer j usque dans sa chair. On a voulu intimider et 
epouvanter a damais quiconque serait tente de faire comme lui. Le but a ete 
depasse... C'etait mal connaitre la France. C'etait superposer a la grossierete de 
cette conduite, un defi insolent que l'avenir ne pourra s'abstenir de relever. 
Maintenant, tout se voit, but, mobile, moyen, 1' intention criminelle et le plaisir 
sordide ou le criminel s'est vautre. Presque partout ce crime a ete signe : les 
noms, les prenoms demeurent lisibles. De miserables democrates Chretiens ont 
bien accepte quelques embauches specialement ignobles pour fournir 1' alibi aux 
vrais Princes et Maitres qui sont le Juif, le Protestant, le Macon, le Meteque. 
Mais ceux-ci etaient trop interesses a 1' operation pour ne pas la surveiller de 
pres. Ainsi, pendant que le vil Francois de Menthon endossait la simarre de 
garde des Sceaux, pour prendre la plus grande part de la honte d'une legislation 
de bouchers, un juif de Conseil d'Etat, le nomme Cassin, se tenait debout pres 
de lui et lui menait la main comme a 1' enfant qui ne sait pas ecrire. Pour toutes 



les affaires touchant a la question juive, un ou deux magistrats francais 
paradaient devant la crapuleuse facade, mais le gros oeuvre etait fait par un 
Zoussmann, juif lithuanien naturalise en 1928 ; et le plus actif des commissaires 
du gouvernement en cour de justice a ete un certain Lindenbaum, dit Lindon, 
juif anglais. Ainsi etait-on sur de ne rater personne ni rien. Ainsi ce qui etait plus 
ou moins cache jusqu'ici fut-il candidement avoue. Le Juif et ses trois acolytes 
regnent et gouvernent. lis ont l'Etat. lis ont aussi la societe, c'est-a-dire 
1' influence, la richesse, le haut du pave. Ouvrez VOfficiel, d'innombrables textes 
y montrent quelle part du lion et du chacal on s'est taille dans les casiers de nos 
administrations, voyez les listes de nos decorations. II suffit d'un coup d'oeil sur 
les mondanites du Monde et du Figaro : ce qui n'est me me pas une minorite 
etendue dans nos classes moyennes en a fait son pays conquis. C'est une 
conquete qui doit finir. A tout prix. Sans retard. Comme de moins en moins les 
Francais pourront ignorer cette servitude, ils ne pourront y consentir que de 
moins en moins. Preuve : on se couvre de noms francais. Que craint-on ? Ce qui 
est : 1' Oligarchic est condamnee. Du meme mouvement qui obligera les relations 
nationales a se regler sur le compromis nationaliste, on sera egalement contraint 
a considerer comme odieux, ridicules, insupportables les liens de 1' Oligarchic 
Ce compose de dissidents et d'allogenes devra quitter les postes de 
commandement et prendre le bon parti, le seul qui soit bon pour lui, s'effacer, 
plier, obeir. 



Un mouvement de nationalisme francais ne sera complet que par le retour du roi. 
En 1' attendant, les partis se seront relaches de leur primatie et, par l'effet de 
leurs abus, les moeurs auront repris tendance a devenir francaises, 1' instinct et 
l'interet francais auront reparu a leur rang. 

II ne faut pas se recrier a ce mot d'interet. Fut-il disgracieux, c'est le mot juste. 
Ce mot est plein de force pour nous epargner une grave erreur qui peut tout 
miner. 

Si au lieu d'apaiser les oppositions et de les composer sur ce principe d'interet, 
on a honte, on hesite et qu'on se mette a rechercher des criteres plus nobles, 
dans la sphere des principes moraux et sacres propres aux Morales et aux 
Religions, il arrivera ceci : comme en matiere sociale et politique les 
antagonismes reels de la conscience moderne sont nombreux et profonds, 
comme les faux dogmes individualistes sur l'essentiel, famille, manage, 
association contredisent a angle droit les bonnes coutumes et les bonnes 
traditions des peuples prosperes qui sont aussi les dogmes moraux du 
catholicisme, il deviendra particulierement difficile, il sera impossible de faire 
de 1' unite ou meme de 1' union dans cet ordre et sur ce plan la. Ou si on 



l'entreprend, on essuiera une contradiction dans les termes dont l'experience 
peut deja temoigner. 

Ces principes contraires peuvent adherer, eux, a un arrangement, mais non le 
tirer de leur fond, non le faire, ni se changer, eux divises, eux diviseurs, en 
principes d' arrangement. 

Ces principes de conciliation ne sont pas nombreux. Je n'en connais meme 
qu'un. 

Quand, sur le divorce, la famille, 1' association, vous aurez epuise tous les 
arguments intrinseques pour ou contre, tires de la raison et de la morale, sans 
avoir decouvert 1' ombre d'un accord, il vous restera un seul theme neutre a 
examiner, celui de savoir ce que vaut tout cela au point de vue pratique de 
l'interet public. Je ne dis pas que cet examen soit facile, limpide ou qu'il ne 
laisse aucune incertitude. II pourra apporter un facteur de lumiere et de paix. 
Mais si, venu a ce point la, vous diffamez la notion d'interet public, si vous 
desavouez, humiliez, rejetez ce vulgaire compromis de salut public, vous perdez 
la precieuse union positive qui peut en naitre et, vous vous en etant ainsi prives, 
vous vous retrouvez de nouveau en presence de toutes les aigreurs qui naitront, 
du retour aux violentes disputes que l'interet de la paix sociale aurait amorties. 

On a beau accuser l'interet national et civique de tendre sournoisement a 
eliminer ce que Ton appelle, non sans hypocrisie, le Spirituel : ce n'est pas vrai. 
Pas plus qu'il n'est vrai que nous ayons voulu separer « l'oratoire du 
laboratoire ». Cette imposture inventee par un faussaire beige, l'avocat 
Passelecq, ne devrait plus tromper personne ; nous avons eu la chance d'en faire 
faire justice dans un arret de la Cour d'appel de Bordeaux. La verite est autre. 
Nous avons appele et salue au premier rang des Lois et des Idees protectrices 
toutes les formes de la Spiritualite, en particulier catholique, en leur ouvrant la 
Cite, en les priant de la penetrer, de la purifier, de la pacifier, de l'exalter et de la 
benir. En demandant ainsi les prieres de chacune, en honorant et saluant leurs 
bienfaits, nous avons rendu graces a tous les actes precieux d' emulation sociale 
et internationale que ces Esprits pouvaient provoquer. Si, en plus, nous ne leur 
avons pas demande de nous donner eux-memes 1' accord desirable et desire, c'est 
qu'ils ne le possedent pas, etant opposes entre eux : le Spirituel, a moins d'etre 
reduit a un minimum verbal, est un article de discussion. Le dieu de Robespierre 
et de Jean- Jacques n'est pas le Dieu de Clotilde et de saint Remy. Le moral et le 
social romains ne sont pas ceux de Londres et de Moscou. Vouloir les fondre en 
masquant ce qu'ils ont de contraire, commence par les mutiler et finit par les 
supprimer. Des que 1' unite de conscience a disparu comme de chez nous, la 
seule facon de respecter le Spirituel est celle qui en accueille toutes les 
manifestations nobles, sous leurs noms vrais, leurs formes pures, dans leurs 



larges divergences, sans alterer le sens des mots, sans adopter de faux accords en 
paroles. Un Spirituel qui ne serait ni catholique ni protestant ni juif n'aurait ni 
saveur ni vertu. Mais il doit etre l'un ou 1' autre. Ainsi seront sauves la recondite 
des feconds et le bienfait des bons ; ainsi le vrai coeur des grandes choses 
humaines et surhumaines, non l'indigne poussiere de formes sans valeur ou 
savent triompher les acrobaties bergsonniennes d'un Jacques Maritain et ses 
innommables bouillies neutralitaires. II existe une Religion et une Morale 
naturelles. C'est un fait. Mais c'est un autre fait que leurs principes cardinaux, 
tels qu'il sont definis par le catholicisme, ne sont pas avoues par d'autres 
confessions. Je n'y puis rien. Je ne peux pas faire que la morale reformee ne soit 
pas individualiste ou que les calvinistes aient une idee juste de la congregation 
religieuse. On peut bien refuser de voir ce qui est, mais ce qui est, dans l'ordre 
social, met en presence d'options tranchees que Ton n'evite pas. 

De l'abondance, de la variete et de la contrariete des idees morales en presence, 
on peut tout attendre, excepte la production de leur contraire. II ne sera done pas 
possible a chacun, catholique, juif, huguenot, franc-macon, d'imposer son metre 
distinct pour mesure commune de la Cite. Ce metre est distinct alors que la 
mesure doit atre la me me pour tous. Voila les citoyens contraints de chercher 
pour cet office quelque chose d' autre, identique chez tous et capable de faire 
entre eux de l'union. Quelle chose ? L'on n'en voit toujours qu'une : celle qui 
les fait vivre en commun avec ses exigences, ses urgences, ses simples 
convenances. 

En d'autres termes, il faudra, la encore, quitter la dispute du Vrai et du Beau 
pour la connaissance de 1' humble Bien positif. Car ce Bien ne sera point 
l'absolu, mais celui du peuple francais, sur ce degre de Politique ou se traite ce 
que Platon appelle l'Art royal, abstraction faite de toute ecole, eglise ou secte, le 
divorce, par exemple, etant considere non plus par rapport a tel droit ou telle 
obligation, a telle permission ou prohibition divine, mais relativement a I'interet 
civil de la famille et au bien de la Cite. Tant mieux pour eux si tels ou tels, 
comme les catholiques, sont d'avance d' accord avec ce bien-la. lis seront sages 
de n'en point parler trop dedaigneusement. Car enfin nous n'offrons pas au 
travail de la pensee et de Taction une matiere trop inferieure ou trop indigne 
d'eux quand nous rappelons que la paix est une belle chose : la prosperite 
sociale d'une nation, I'interet materiel et moral de sa conservation touche et 
adhere aux spheres hautes d'une activite fiere et belle. La « tranquillite de 
l'ordre » est un bel objet. Qui l'etudie et la medite ne quitte pas un plan humain 
positif et neanmoins superieur. Sortir de l'Ethique n'est pas deroger si l'on 
avance dans la Politique vraie. On ne se diminue pas lorsque, jeune conscrit de 
la vertu patriotique, on eleve son coeur a la France eternelle ou, vieux legiste 
d'un royaume qu'un pape du VI e siecle mettait deja au-dessus de tous les 



royaumes, on professe que le roi de France ne meurt pas. Tout cela est une 
partie de notre tresor, qui joint ou elle doit les sommets eleves de l'Etre. 

La nouvelle generation peut se sentir un peu etrangere a ces chaudes 
maximes, parce qu'elle a ete temoin de trop de glissements et de trop de 
culbutes. Elle a peine a se representer ce qui tient ou ce qui revient : c'est qu'on 
ne lui a pas fait voir sous la raison de ces constantes, le pourquoi de tant 
d'instabilites et de mines. II ne faudrait pas croire celles-ci plus definitive 
qu'elles ne sont. L' accident vient presque tout entier des erosions classiques 
d'un mal, fort bien connu depuis que les hommes raisonnent sur l'etat de 
societe, autrement dit depuis la grande experience athenienne continuee d'age en 
age depuis plus de deux mille ans, soit quand les royaumes wisigoths de 
l'Espagne furent livres aux Sarrasins ou les republiques italiennes a leurs 
convulsions, par le commun effet de leur anarchic La verification polonaise 
preceda de peu nos epreuves les plus cruelles, et nos cent cinquante dernieres 
annees parlent un langage instructif. 

Le mal est grave, il peut guerir assez vite. On en vient d'autant mieux a bout 
qu'on a bien soin de ne point le parer d'autres noms que le sien. Si Ton dit : 
ecole dirigeante au lieu d'ecole revolutionnaire, on ne dit rien, car rien n'est 
designe. Si Ton dit demagogie au lieu de democratic, le coup tombe a cote. On 
prend pour abus ou exces ce qui est effet essentiel. C'est pourquoi nous nous 
sommes tant appliques au vocabulaire le plus exact. Une saine politique ayant le 
caractere d'une langue bien faite peut, seule se tirer de Babel. C'est ainsi que 
nous en sommes sortis, quant a nous. 

Un contemporain du president Emile Loubet rallie a la brillante Republique de 
1900 repandait sur nous des mots de pitie : - Vous etes une poignee ! Vous ne 
couvririez pas le « canape de la Doctrine ! » Contre les masses profondes que 
pouvez-vous ? » Le successeur de ce Loubet, l'hilarant Fallieres, amorcait a 
peine son vague septennat que nous tenions les rues de Paris, soulevions le 
Quartier latin et le ralliions a l'oriflamme de Jeanne d'Arc. Peu apres, nous 
dictions a Briand les paroles de resipiscence que Ton a vues et qui, pour lui 
permettre de faire les elections, l'obligerent a mettre un terme a la revolution 
dreyfusienne. Quelques annees plus tard, nous epaulions le sursaut national dont 
la victoire devait etre le prix. Des fleuves de dechets, des tonnes d'immondices 
ont coule depuis sur la France, et Ton a cm la submerger, mais on n'a recouvert 
que Marianne IV... Sout li calado, dit un poete provencal, ausires uno voues 
canta la liberta. Sous les haves - vous entendrez une voix chanter la liberte. 
Cette liberte redemptrice est tellement prochaine, imminente meme, que chez 
nos pires ennemis, parmi les demi-morts et les agonisants des deux Mariannes, 
on voit ou Ton entend circuler perpetuellement un bon nombre de propos qui 
viennent de nous et qui, parfois, ne peuvent remonter qu'a nous. Un de leurs 



journaux a pris l'etrange titre de France d'abord ; d'autres arborent devant les 
orgies d'economisme et de dirigisme notre Politique d'abord. Ou bien Ton 
entend declamer a travers la Chambre contre « la frauduleuse division 
maurrassienne du pays legal et du pays reel ». Une autre fois, c'est du retour 
aux Allemagnes que Ton grogne ou que Ton gemit, des republiques sous le roi 
ou de la seule internationale qui tienne. Un beau jour aussi, des hemicycles ou 
vaque l'etrange troupeau du Tripartisme, quelque elu trouve indispensable de 
hurler, a propos de rien, notre patronyme comme un cri de guerre huron, a moins 
que, quelque innocent enfant de Mahom faisant a la tribune une distinction de 
bon sens, les « Cocos » et les « Pedes » qui l'ecoutent l'accusent en choeur de 
« maurrassiser ». Ce qui ne les empeche pas de se reprocher l'un a 1' autre, leur 
intoxication de politique maurrassienne. 

D'autres fois, et toujours sans la moindre actualite, comme un triste cheveu sur 
une pauvre soupe, ceux qui ont tant assassine depuis quatre ans, font emerger, 
Hotter, courir leur vieille chiennerie que « nous ayons assassine Jaures ». Quelle 
obsession ! Quelle heroique fidelite au plus fou des mensonges ! Quelle preuve 
des marques bien gravees sur leur posterieur, de nos cicatrices ! Haeret lethalis 
arundo. Ces malheureux qui n'ont vecu que du trafic de l'erreur et de 
1' imposture n'ont vraiment ete chaties et eclaires que par nous. Apres cinq ans 
de notre silence et de nos prisons, ils sont poursuivis par la nostalgique image 
d'une Action frangaise qui les chatie bien. - Rien n'est fini. Nous sommes la et, 
morts ou vifs, les talonnons au bon endroit avant de les y tatouer. 

Mais ils veulent et ne veulent pas. Odi et amo ! Non, non, jamais. - Une Action 
frangaise ne se reverra plus ?... 

Elle se reverra par la force des choses. Notre facon de les combattre sera reprise, 
par le simple effet de la volonte interessee de la France, de la notre, qui durera 
en elle et qui sera precisement ce qu'ils ne veulent pas. 

Nous avons failli leur oter de la bouche leur sale gagne-pain, le sale butin qu'ils 
en tirent. Or, si tout passe, tout revient. Leurs precautions ont beau etre serrees 
comme des chaines. L'esperance est la reine de toute politique ; le desespoir y 
reste « la sottise absolue ». 

En sus de l'esperance il existe, au surplus, des assurances et des confiances qui, 
sans tenir a la foi religieuse, y ressemblent sur le modeste plan de nos certitudes 
terrestres : je ne cesserai pas de repeter que les Francais ont deux devoirs 
naturels : compter sur le Patriotisme de leur pays, et se fier a son Intelligence ; 
ils seront sauves par l'un et par 1' autre, celle-ci etant penetree, de plus en plus, 
par celui-la : il sera beaucoup plus difficile a ces deux grandes choses francaises 
de se detruire que de durer ou de revivre. Leur disparition simultanee leur 



couterait plus d' efforts que la plus apre des perseverances dans l'etre et que les 
plus penibles maieutiques du renouveau. 



CHAPITRE ONZIEME 
DERNIERES REPONSES SUR FICHTE 



II n'a pas ete repondu en cours de route a certaines de vos questions, notamment 
sur Fichte. Ne croyez pas, Monsieur, que je les aie oubliees. Des reponses 
isolees auraient ete peu claires sans 1' expose general qui vient de vous montrer 
l'origine de nos resistances, l'adversaire auquel elles se sont heurtees ou qui 
s'est heurte a elles, enfin les doctrines nationales et monarchistes qui en sont 
sorties. De notre premiere clameur inarticulee, de notre premier murmure 
d' indignation ou de protestation, vous avez vu sourdre nos actes et nos idees 
dans leurs liaisons, leurs generations successives. 

II est done possible d'ajouter maintenant : - Oui, ma premiere lecture des 
quatorze discours de Fichte m'avait d'abord fait estimer que cette action oratoire 
avait transforme son milieu allemand. J 'en avais attribue la vertu soudaine a la 
profondeur de la defaite prussienne et a la longueur de 1' occupation francaise ; 
comparant les malheurs feconds de 1807-1813 a la sterile epreuve, de 1870, je 
m'etonnais de la difference : 

- Et nous ? Et nous ? me demandais-je. Est-ce que la ration des degats avaient 
ete trop parcimonieuse ? Ou notre contact avec un vainqueur brutal et barbare 
n'avait-il pas ete assez long ?... 

C'etait la, je l'avoue, me payer de ces generalites specieuses qui expliquent 
l'histoire par la force medicatrice de la douleur ou par le principe d'une reaction 
toujour s egale a V action (ou a la passion ?). 

Ces babioles n' avaient rien de commun avec la methode d' analyse empirique 
dont je me suis servi plus tard. Leurs produits superficiels avaient reussi 
neanmoins a me faire penser a ce que j'appelais alors P« horrible esperance » 
d'un malheur aggrave. Cet etat d' esprit contre nature et contre raison ne me fut 
pas longtemps habitable. S'il m'est arrive de lui emprunter parfois quelques 
figures litteraires, c'etait comme des arguments ad homines, en des jours 
d'emotion publique auxquels convenait ce langage. II n'a jamais ete celui de ma 
pensee organisee. 

En effet, ce que vous appelez, Monsieur, la reussite de Fichte, m'etait bientot 
apparu dans ses vraies causes qui ne tenaient ni a de pires souffrances de 
1' Allemagne, ni a 1' eloquence de son docteur, ni a la qualite de sa doctrine : « les 



resultats » qu'il avait « obtenus » ne pouvaient non plus nous « encourager » a 
titre de precedent, car nous ne pouvions pas rever de rien entreprendre chez 
nous de pareil. 

Notre besogne et ses moyens etaient trop differents. 

Au lendemain d'lena, Fichte elevait la voix dans le royaume du Grand Frederic, 
sans doute terrasse et envahi, mais n'ayant essuye ni un Quatre Septembre, ni un 
Dix Aout, ni un Quatorze Juillet. La Prusse etait encore dirigee par sa Maison 
royale. La dure humiliation de la brusque defaite n' etait pas sans avoir stimule 
des forces secretes ; ses dirigeants plus ou moins virtuels, Stein, Scharnhorst, 
appliques a Taction et au rearmement, les appels de la reine Louise, y formerent 
des reserves actives, telles que, ni au lendemain de Sedan, ni vingt ans apres, en 
1895, nous n'avions rien de comparable. 

En 1813, la Ligue allemande de la Vertu faisait une sorte de resistantialisme 

s 

appuye, comme chez nous en 1942-1944, sur l'Etranger : au secours de ses 
formations propres, le Tugenbund sentait approcher les grandes armees 
regulieres du tsar victorieux qui ramassait et coalisait les armees d'Autriche, de 
Saxe, de Prusse et preparait leur entree dans Paris. Aux courageuses 
declamations venaient done s'ajouter des appuis politiques et militaires de 
grande qualite. 

Et puis, ces declamations universitaires, quels en etaient les themes ? Le 
contraire des notres. En dehors du theme d'orgueil et d' ambition patriotiques, la 
pensee de Fichte etait celle d'un ancien admirateur frenetique de la Revolution 
francaise, disciple de Jean-Jacques comme de Kant, de qui il procedait 
directement. C etait une doctrine du moi metaphysique au benefice de la Nation, 
1'individualisme moral absolu qui devait agir sur le public allemand de 
formation ultra-roussienne autant que chretienne. La tendance de Fichte allait 
exactement dans le sens auquel, pour notre part, nous tournions le dos. 

Nos premiers adherents etaient plus ou moins evades de V Union pour V Action 
morale... Peut-etre ne savez-vous pas ce qu'etait VAction morale, ni les 
Cigognes, ni les Compagnons de la vie nouvelle. Tout cela etait un peu sorti de 
la cervelle d'un jeune ecrivain nomme Paul Desjardins, le fils d'Ernest, le 
geographe : il voulait reformer son siecle. II le voulait dans des intentions aussi 
confuses que louables. Comme il partait pour Rome, sa spirituelle maman dit a 
mi-voix : - Paul va demander au Pape la permission de se faire protestant. 
Quand il eut publie sa brochure le Devoir present (1892) et fonde une espece de 
Tiers-Ordre, je le traitai en adversaire direct. Cinq ans plus tard, Henri Vaugeois, 
qui le fuyait apres 1' avoir frequente quelque temps, ecrivait en tete de notre 
premiere publication commune : « Nous ne sommes pas des gens moraux ». La 



saillie, mal comprise, signifiait que notre point de depart n'etait ni le droit ni le 
devoir d'aucune personne vague, mais l'idee vive et le sens concret de notre 
naissance francaise, la volonte consciente de faire le choix raisonne d'un 
gouvernement de salut public. Notre effort n'etait pas ethique, mais politique. 
La morale n'avait rien a voir dans la question de decouvrir quelles institutions 
correspondaient aux besoins naturels, historiques, territoriaux de la nation. La 
morale ne peut s'appliquer qu'aux problemes d'action ou la volonte joue un 
role. Dans le probleme scientifique de structure qui nous arretait, elle ne compte 
pour rien 51 . Nous ne songions pas a blinder nos concitoyens d'imperatifs 
obligatoires, ni de fables avantageuses sur leur race ou leur langue dans les 
temps primitifs. Nous leur parlions passe reel et avenir concret, histoire et 
raison. Nous voulions egaler la France a ses plus dangereux adversaires venus 
du dehors, en la liberant de l'etranger de l'interieur, en abattant sa democratic 
corruptrice et en chassant le choeur des fausses doctrines, plus ou moins 
emanees des maitres allemands. 

D' accord avec les coeurs francais dont nous sentions surabonder en nous, autour 
de nous, la vie genereuse, nous visions, en vue de la reforme de l'Etat, celle de 
l'lntelligence sur le type d'un renouveau classique helleno-latin. Aucune des 
reformes ainsi envisagees ne tenait a cet egoisme titre national et universel, 
qu'une intelligentsia barbare limitait a l'etroit pourtour de sa Germante. 

* 
* * 

Les diverses nuances de ces reponses complementaires ne diminuent d'ailleurs 
pas F extreme importance du service que nous a rendu Jean-Gottlieb Fichte : sa 
predication a mis au point nos vues sur l'Allemagne. Seul, il nous a inities au 
trait capital : la superposition d'un systeme conscient et volontaire appele 
Germanisme au phenomene historique appele Germanic On ne comprend rien a 
la nature allemande si Ton ne tient pas compte de Taction d'un barbarisme sur 
une barbarie, instinct brut qui, sorti de la nuit des temps, est excite et transforme 
par de fausses lumieres. Le systeme sert d' instrument efficace pour contredire et 
renverser toute evolution qui rapprocherait l'Allemand de l'humanite et, par 
exemple, lui ferait suivre une evolution goethienne. Mais a son tour 1' instinct est 
attire par le systeme, il joue a le verifier, a le nourrir, a le stimuler par 
1' emergence spontanee des barbaries originelles. Ce n'est done pas assez de le 
dire barbare ; il veut l'etre, il le doit, et le sera plus que nature, en vertu des 
methodes de cette volonte passionnee. 



51 Voyez La politique de Saint Thomas d'Aquin, par J.-L. Lagor, preface de 
Charles Maurras. 



Aucun nationalisme, francais ni anglais, pas meme juif ne connait d'aiguillon 
comparable : les aveuglements, les surdites, les bestialites y sont recus, autant 
que les progres de la clairvoyance, pour les chefs-d'oeuvre d'un meme Dieu : 

- Que tu viennes du Ciel ou de VEnfer, qu'importe ? 

N'es-tu pas l'identique et l'univoque Germanie ? 



CHAPITRE DOUZIEME 
AUTRES COMPLEMENTS : SUR BARRES 



Pas plus que nous, peut-etre moins que nous, Maurice Barres n'a reve son 
oeuvre politique comme parallele a celle de Fichte. Je l'ai assez connu pour 
l'affirmer. Le predicateur de Berlin lui a-t-il servi, a quelque moment, de point 
de comparaison ? C'est possible. Je n'ai pas de texte present a 1' esprit ; mais j'en 
suis a me demander s'il avait beaucoup lu les Discours, et quand ? Dans son 
extreme jeunesse cela se peut, sans qu'il en ait garde une trace bien apparente. 
Peut-etre 1' a-t-il connu apres moi, malgre son large droit d'ainesse. 

II ne me souvient pas d'en avoir cause avec lui dans ces temps lointains. Ce qu'il 
avait alors effleure de Fichte c'etait, plutot que 1' oeuvre politique, la philosophic 
generate, la metaphysique du Moi. Effleure, dis-je. Pour sa culture du moi, il 
avait du employer quelque resume de son maitre Burdeau sur l'idealisme 
individualiste absolu et quelques extraits, plus ou moins fantaisistes, du 
mystificateur Wyzewa. Schopenhauer et meme Hartmann (pour Vlnconscient) 
me paraissent avoir ete beaucoup plus presents que Fichte a l'esprit de Barres. 

Vous posez la question capitale courante quand vous demandez, Monsieur, si, a 
proprement parler, il y eut de sa part une conversion ou meme un passage d'un 
etat d'esprit d'anarchisant a celui de nationaliste . 

Sur ce point, je ne crois pas du tout a un changement de sa part. On le dit 
beaucoup. Cela ne correspond a aucune realite. Les dates en font foi. J'ai lu dans 
un livre recent que le chemin nationaliste n'aurait ete pris par Barres qu' apres 
avoir decouvert sa vallee de la Moselle : en 1896... Mais voyons ! Lorsque dix 
ans auparavant, a vingt-quatre ans, il se ralliait au general Revanche, il faisait 
une ardente campagne pour lui amener la jeunesse lettree ; pouvons-nous le 
classer anarchisant : du moins au sens anti ou extra national ? N'etait-il en 1889 
un nationaliste fieffe, presque un vieux militant, quand il se presentait aux 
electeurs de Nancy comme candidat boulangiste et se faisait elire leur depute ? 
Aux memes annees ou aux precedentes, dans la revue Les Taches d'encre qu'il 
redigeait seul, il ecrivait que « la tdche sociale a nous, jeunes hommes, etait de 
reprendre les terres enlevees et de reconquerir les exiles » . Le nationalisme de 



Cite par H. Massis dans le Bulletin des Lettres de mars 1949. Lyon. 



ce boulangiste fidele etait teinte de socialisme. Pourquoi ? Parce que la solution 
de la question ouvriere devait aider a reprendre Metz et Strasbourg. 

Ces premieres confusions ecartees, il faudrait voir combien la generalite des 
etiquettes abstraites peut tromper sur les emotions d'un esprit aussi concret que 
le sien. On fausse sa pensee en considerant comme opposees deux maximes 
disant, l'une, que les morts empoisonnent les vivants, et 1' autre que l'homme 
reel se compose de plus de morts que de vivants. Car la premiere ne nie pas 
toute tradition et toute survivance, mais la routine et l'inertie ; la seconde 
n'exalte pas tous les heritages, mais ceux dont le lourd passif a ete defalque. 
Barres n'a jamais fait ces distinctions de chaire et d'ecole, mais il les a senties a 
fond. 

Supposer qu'en se disant ennemi des lois ou homme libre, il se declarat contre la 
religion, la raison et la discipline civique, c'est meconnaitre ce que ton vient de 
voir de ses premiers pas dans la vie, exactement comme 1' esprit de sa vie tout 
entiere. Des qu'il a donne un sens charnel a ces idees, c'est la loi des jacobins 
qu'il a desavouee, comme centralisateurs, etatiseurs et destructeurs des forces 
nationales : la loi qui ne veut plus de chef, la loi qui veut declasser et deraciner, 
la loi qui veut dissoudre la patrie dans le genre humain. Cette exegese de son 
action est d'autant plus claire qu'il en a lui-meme pose les principes 
fondamentaux. Son premier livre, Sous Voeil des barbares, en 1887, se terminait 
par une priere devenue vite fameuse, parce que ses derniers mots, 
singulierement significatifs et emus, en etaient tournes vers un maitre : « Si tu 
existes quelque part, 3 maitre... O maitre, qui que tu sois, axiome, religion, ou 
prince des hommes. » 

Avouez que voila un drole d'anarchiste ou d'anarchisant ! La premiere 
demarche de ses vingt-cinq ans exprime le desir d'un chef personnel, d'un 
dogme religieux ou d'une certitude axiomatique dont la direction puisse 
imprimer un sens a sa vie. 

Dans le livre suivant, paru en 1889 ou 1890, il redit la valeur plastique ou 
pragmatique de sa Lorraine natale. La Moselle est done en vue six bonnes 
annees avant le pelerinage ou Ton suppose qu'il la decouvrit. II ne faut certes 
pas attenuer 1' importance de cette admirable vallee ; nul n'y contredirait plus 
difficilement que moi : avant de partir, Barres me demanda d'emporter mon 
vieil exemplaire franco-latin du poeme d'Ausone. II me le rendit au retour, 
timbre d'une dedicace de lui que j'espere bien retrouver si les Boches n'ont pas 
emporte ce volume avec leur butin de ma rue de Bourgogne ou ils ont mis, 
demis et remis plusieurs fois d'ignobles scelles. 



II n'en reste pas moins certain que le sol et le ciel lorrains ont ete presents a la 
pensee et a la chanson de Barres bien avant la composition de I'Appel au soldat. 
Voila pour sa province. 

Quant a la nation elle-meme, prenons garde que le 4 juillet 1892, a propos de 
notre Ecole romane, Barres donnait au Figaro une page intitulee La querelle des 
nationalistes et des cosmopolites. C etait la premiere fois que « nationalisme » 
etait pris en France pour designer autre chose que des agitations irlandaises, 
carpathiques ou balkaniques : en faisant election du mot, l'ecrivain ne cachait 
pas qu'il etait de coeur avec ses collegues nationaux, Moreas, La Tailhede et 
moi-meme. Du Culte du Moi au Roman de Verier gie nationale, la liaison est 
continue : ni revolution, ni evolution ; Barres suivait la meme pente. Si Ton 
cherche dans l'entre-deux on trouve, en 1894 et 1895, les six mois de la Cocarde 
durant lesquels les deux theses du Moi et de la patrie ne se succedent pas, ne se 
remplacent pas, elles coexistent. 

Le Culte du Moi avait exprime la defense d'une sensibilite delicate contre 
l'etranger, le barbare : un jeune moraliste francais s'y cherche et s'y trouve, s'y 
retranche et s'y defend. II ne s'isole pas ; loin de vivre en sauvage, il fait appel 
aux puissances voisines et contigues, aux freres et soeurs spirituels, 
« intercesseurs » dit-il, qui permettent au Moi de s'enrichir en lui devoilant, en 
d'autres ames, des manieres d'etre parentes, qu'il n'eut pas inventees tout seul. 
II trouve aussi des auxiliaires, les foyers, les pays, les plages, les campagnes, les 
salons, les bibliotheques, la civilisation. Ce sont plus que des amis ou des 
proches, des prolongements de lui-meme. Cet individualiste amoureux et 
mondain est eperdument social depuis son « Paris a vingt ans ». 

Reste qu'il faut tenir, que Ton doit rester soi, ne pas se laisser recouvrir, ni 
trahir, ni influencer, ni enregimenter pour aucun plat de lentilles. 

Barres protesta avec vigueur quand 1' Association generate des Etudiants fut 
fondee par des sorbonnagres flanques d' aspirants fonctionnaires. Un 
encadrement trop heterogene peut etre excessif. Ce professeur obtus, cet 
ingenieur butor peuvent manier sans precaution tel moi fragile. Mais, ici, 
attention ! De quel « moi » s'agit-il ? Tous ne se valent pas. La reponse, aigue et 
cynique, serait : Mon moi. II suffit de repondre qu'il y faut la qualite. II n'y eut 
jamais doute. A ses premiers mots, le jeune ecrivain fut prise, loue et aime pour 
ce qu'il avait de rare et de sien. Son mouvement traduisait un gout et un esprit 
dont les differences, encore flottantes, s'imposaient. Incessu patuit deus. La 
Jeunesse l'elut immediatement pour son prince. A la Cocarde, ce fut le nom seul 
de Barres et son prestige, qui forma le plus fol assortiment de litterateurs 
socialistes, anarchistes, radicaux, boulangistes, protestants, juifs et legitimistes ; 
ils se disaient tous : « barresiens ». Leur formule courante revenait a signer ce 



qu'il disait tout seul : nous sommes individualistes et decentralisateurs , c'est-a- 
dire (tout a rebours du sens universitaire, abstrait, germanique, donne sous la 
toise de l'individualisme) nous sommes des individus francais, formes et petris 
de toutes les particularites du terroir, dans un commun sentiment d'hostilite a 
l'uniformite artificielle qui « decerebrait » et « dissociait » notre peuple. Le 
grand chemin du Nationalisme s'ouvrait sans obstacle, les profondeurs de la 
nation etant bien distinguees de la mince surface trivialisee de l'Etat. II n'est pas 
sur que les themes de la Terre et des Morts fussent alors nouveaux pour Barres : 
vers 1889 ou 1890, bien des saisons avant son mariage, je vois encore Barres 
dans son petit hotel de la rue Legendre, pres du pare Monceau, se plongeant 
dans les pages les plus abstraites du Systeme de politique positive et de la 
Synthese subjective, et en contemplation devant la trinite comtiste du Grand 
Etre, du Grand Fetiche et du Grand Milieu : il ne devait pas tarder a en tirer sa 
demi-divinite bicephale. 

A l'automne de 1895 (encore une avance sur la Vallee de la Moselle), comme 
nous revenions d'une conference federaliste qu'il avait donnee a Marseille et 
d'un court sejour chez ma mere a Martigues, je conduisais Barres a Maillane, ou 
il vint saluer le plus traditionnel, le plus national, le plus civique des poetes. 
Leur accord internel fut parfaitement digne du patronage de notre roi Rene, 
Rene de Lorraine et de Bar, comme de l'harmonie preetablie entre les pays de 
l'Est et ceux du Midi, les ciels de Claude le Lorrain et la mer latine. Barres 
n'ecrivit ses admirables Printemps de Provence que pendant ses sejours a 
Mirabeau, au moins dix ans plus tard. 

Subit-il des influences ? demandez-vous, Monsieur. 

Oui et non. Beaucoup et aucune. Tout agissait en lui, le faisait reagir, tout et 
rien. Peu d'ames auront ete, au meme degre que la sienne, actives et plastiques 
dans la sensation. Rien n'etait plus original, plus semblable a son fond, que les 
empreintes memes qui le marquaient. Mais son parti-pris de se defendre fut 
toujours tres grand. Quand il m'annonca son mariage, ce fut de l'air et du geste 
du guerrier qui a revetu toutes les armures contre quelque influence feminine 
que ce fut. La mort de sa mere fut le plus violent accident de sa vie privee, et 
peut-etre le principal evenement de sa vie publique. Le catholicisme l'a 
fortement touche et saisi peu apres. Je dois dire que les Tharaud, dont l'autorite 
est grande, doutent fort de ce point. Mais les textes des Cahiers m'ont semble 
des temoignages formels. Je les attendais peu. Je ne croyais meme pas qu'ils 
fussent possibles, bien que, de longues annees avant sa mort, en 1913, Barres 
m'eut ecrit : « Nous sommes du Christ ». C'est aussi que je le savais homme a se 
tenir indefiniment aux environs d'une pensee, mais sans se mouvoir vers elle 
d'une ligne. Exemple : son culte du sol et du sang francais m' avait paru 
comporter, en logique rigoureuse, une conclusion royaliste. Les Capetiens 



n'etaient-ils pas les rassembleurs du territoire ? Ne sont-ils pas notre famiile- 
chef ? Je le lui repetai sur tous les tons. Ce fut peine perdue. Non que Barres eut 
une hostilite preconcue contre les Princes ou contre la monarchie ; il m'avait 
meme dit a notre premiere entrevue de 1888 au sujet des courants qui 
traversaient le monde boulangiste : - Apres tout, le meilleur serait Philippe VII. 

C'est qu'il voyait trop de faiseurs et d' intrigants roder autour du beau general. 
Leurs mines lui inspiraient de 1' inquietude, il me la confiait, sans me supposer 
royaliste, ce que je n'etais pas encore ; mais sa remarque n'etait pas une 
adhesion de partisan. Ce qu'il y avait au fond de lui se resumait en une foi 
passionnee a la legende imperiale, au desir de ne jamais laisser offenser son 
bonapartisme natif. Nous en eumes la clef dans la preface aux Souvenirs de son 
grand-pere J.B. Barres, soldat de la Grande Armee. Mais, s'il n'a jamais quitte 
le bord de cette tombe, il n'a jamais ete bonapartiste militant. Ainsi aurait-il pu 
fort bien s'en tenir en matiere religieuse a son « nous sommes du Christ ». Je 
crois qu'il est alle plus loin et jusqu'a la foi entiere. Pour la pratique, pas encore. 

Quoiqu'il en fut, ou est l'anarchisme la-dedans ? Si Ton ecrit ce mot pour un 
homme de notre generation, qu'il ne soit pas mis au compte du seul Barres ! 
Nous avons tous ete trempes dans le fleuve noir. Le premier volume de mes 
souvenirs « Au signe de Flore », en avoue la crise, pour moi comme pour les 
camarades. Ayant perdu la foi religieuse, il nous semblait d'abord impossible de 
rien preserver du fond mental et moral. Les delices de la liberte d' esprit ne 
compensaient pas l'ebranlement general de nos certitudes. Mais, comme, chez 
Barres, l'angoisse fit assez vite place a une quete passionnee de raisons 
suffisantes a l'exercice de la vie. A quelque profondeur que fut possible 
1' inquietude ou la sensation de desarroi et d'isolement, la volonte de l'ordre et 
son amour subsistaient si bien que cette anarchie juvenile se laissait comparer a 
un couloir d' opaques tenebres, vite couru, franchi, oublie. De la theocratie 
mennaisienne de mes quinze ans et du criticisme qui suivit a mes premieres 
prises fermes d'une synthese subjective (subjective a 1' esprit humain, au genie 
humain, a l'etre francais), il ne s'ecoula pas un lustre ; a vingt-et-un an, j'avais 
retrouve l'equilibre. Mais, au travers des tentations, des affectations, des vagues 
defis verbaux, je ne m'etais jamais send detache des mamelles de la patrie. De 
son cote, pour avoir garde jusqu'a la fin de sa courte vie la formule d'un 
individualisme commode, Maurice Barres n'eut point a retrouver ce qu'il n' avait 
jamais perdu : l'autel des dieux de la famille, de la province, de la nation, ni 
l'espece de Paraclet qu'il sentait circuler autour de ces figures saintes. Je ne sais 
plus lequel de ses articles ou de ses discours du temps de la Cocarde (le temps 
de ses trente-trois ans) portait ces termes dont il me souvient bien : « II nous est 
agreable d' avoir une patrie ». Tel, l'Ulysse d'Homere : « II n'est rien de plus 
agreable a I'homme que sa patrie. » 



L' experience barresienne et le chant ionien different, et beaucoup par la forme et 
le tour : le meme moyen terme les agremente et les recouvre, ce « plaisir » qui 
est universel, lui aussi. Le titre d'un roman de Gabriel d'Annunzio, II piacere, 
ne conviendrait pas mal a l'oeuvre entiere de Barres, etant bien entendu que les 
voluptes superieures de la Foi et de l'Esperance n'y soient pas oubliees ? 

Mais, surtout, son plaisir a fait corps avec les images de la Patrie. A la tres 
grande rigueur, peut-etre, et je ne sais comment, l'idee nationale aurait pu perdre 
pour un moment un degre de son evidence dans l'esprit de Barres, bien que je 
n'en voie le lieu ni le motif, mais une chose est sure : Barres n'a jamais pu 
cesser de se complaire a sentir la vie intime, le secret des choses de la France. 
C'est la qu'on peut toucher le tuf barresien, et ceux qui disent ou ecrivent que 
chez lui la preference spontanee n'allait pas a sa Lorraine mais au vaste monde, 
qu'elle se portait au voyage et non a la patrie, le devoir seul lui ayant fait quitter 
Venise, Tolede ou le Liban pour militer sur le chateau de ses dues, ceux-la n'ont 
pas mieux lu notre jeune Barres qu'ils n'ont compris le vieil Homere. lis ne 
voient pas combien Circe et Calypso compterent peu pour le voyageur au prix 
de la fumee qui sortait du palais d' Ithaque. 



EPILOGUE 

Sur une question laissee sans reponse, il me reste a dire un seul mot : non, 
Monsieur, je n'ai pas pense de moi-meme qu'il faMt « abattre » l'Allemagne 
« avant tout ». L'Allemagne me l'a fait penser. 

En la regardant bien, je me suis d'abord apercu qu'elle ne voulait plus faire 
partie de cette Republique spirituelle a laquelle appartinrent jadis des hommes 
de toutes langues et de la sienne meme : le grand Albert, ou Leibniz, ou Goethe ; 
elle m'a d'abord paru vouloir vivre toute seule sa vie, puis, avec le temps, elle a 
ambitionne d'etre maitresse de la vie d'autrui ; en dernier lieu, j'ai constate que 
1' Oligarchic imposee a l'Etat francais entre 1880 et 1940 offre certains aspects 
d'une colonie allemande. 

De ces trois observations, il suit que « la reorganisation de la France » exige 
que l'Allemagne respecte notre autonomic mentale et n'attente point a notre 
independance de pays et de nation. 

Mais ces deux libertes francaises sont-elles compatibles avec 1' unite allemande ? 

Je ne le crois pas. 

La France n'a pas grandi sous ce mancenillier. 

Mais ce mauvais arbre a grandi avec notre aide. 

II ne nous a fait que du mal. 



II lui a toujours suffi d'exister pour nous desirer ce mal et pour nous le faire. 

« L' abattre », alors ? 

Je n'ai le gout d'aucune ferocite, ni germanicide, ni comme on dit, je crois, 
genocide. II m'a toujours paru qu'il suffirait de retirer aux hommes allemands 
une arme juridique et politique dont ils se sont toujours servi pour le malheur 
d'autrui et pour leur propre perte : 1' unite les excite et meme les sollicite dans le 



sens du derangement et du trouble, des subversions et des guerres. D'ailleurs, de 
differents cotes, Pologne, Alsace, Autriche, Suisse alemanique, elle ne se croit 
jamais finie, elle ne le sera jamais. Ni dans 1' Europe divisee, ni dans 1' Europe 
federee, elle ne peut laisser personne vivre en paix. Loin d'arreter le 
panslavisme, elle commence par le doubler. Retranchons ce pouvoir funeste. 
Nions-en la legalite, la raison, la justice. Lorsque je desire la fin de cette 
« execrable unite » comme prononcait mon vieux maitre France, c'est une 
operation qui ne saurait faire de mal a une mouche allemande, un pretre 
allemand, le Bavarois abbe Moenius, en est tombe d' accord avec moi. Tout 
homme doue de raison comprendra que j'ecarte de toutes mes forces quelque 
chose qui ne peut qu'endolorir le monde et tuer notre France. 

Jeune Francais, vive la France ! 

Pour que la France vive, jeune Francais, vive Son Roi. 

FIN 



& 



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