DICTIONNAIRE ENCYCLOPÉDIÛUE
DES
SCIENCES MÉDICALES
PARIS. — IMPRIMERIE A. LAIll'RE
Rue de Fleurus, 9.
DICTIONNAIRE ENCYCLOPÉDIOUE
/hi/
^
DES
SCIENCES MÉDICALES
COLLABORATEUBS : MM. LES DOCTEURS
ARCUjkUBADLT, ARLOING, AH>dnLD {].), ADBRT (j.), AXENFELD, DAlLLAnGER, BAILLON, BiLBIA.M, BALL, BARTII ,
BAZIN, BEADGHAUD, BÉCLABD, BÉHIER, VAN BEXEDEN, BERGER, BEri>HElU, BERTILLON, BERTIN, ERNEST BESNIER, BLACBE,
BLACHEZ, BOLNET, BOISSEAU, BORDIER, BORILS, BOOCHACOCRT, CU. BODCUARD, BOUCHEREAU, BODISiON,
BOULAND (P.j, BOULEY (u.), BOUREL-RONCIÈRE, BOLRSIER, SOUTIER, DOÏER, BROCA, BROCHIN, BRODABDEL,
BBOWN-SÉQUARD, BDRCKER, CALMEIL, CASiPANA, CARLET (g.), CERISE, CBAMBARD, ClIARCOT, CHARVOT, CHASSAIG.'IAC,
CHAtrVEAU, CUAUVEL, CHÉREAO, CHOCPPES, CHRÉTIEN, CIIBISTIAN, COLIN (L.), CORNIL, COTARll, COULIER, COURTT,
COÏNË, DALLÏ, DAVAINE, DECHAMBBE (a.), DELENS, DELIODX DE SAVIGNAC, DELORE, DELPECn, DEMANGE,
DENONVILLIERS, DEPAUL, DIDAT, DOLBEAU, DLBOISSON, DU CAZAL, DUCLAUX, DUGDET, DUPLAï(s.), DUREAO, DLTROULAU,
DDWEZ, ÉLT, FALRET (j.), FARABECF, FÉLIZET, FÉRIS, FERRAND, FOLLIX, FOXSSAGRIVES, FOORNIER (e.),
FRANCK FRANÇOIS!, GALIIER-DOISSIÈRE, GARIEL, GaYET, CAYRABD, GAVARRET, GERVaIS (p.), GILLETTE,
GIRAHD-TEULON, GOBLEY, GODELIER, GBAXCHER, GRASSET, GREENllILL, GRISOLLE, Cl'BLER, GUÉNIOT, GL'ÉRARD,
GUILLAHD, GUILLAUME, GUJLLEMLH, GDY0N(F.), IIAHN (l.) , UAMELIN, OATEU, UECRT, UECKEL, UENNEGCT, OÉnOCQUE,
BEYDENREICU, HOVELACQDE, BUMBERT, ISAUBERT, JACQUEMIER, KELSCH, KHISIIABER, LABUÉ (lÉOn) , LABBÊE,
LABORDE, LABOBLliÈNE, LaCASSAGNE, LADREIT DE LACHARRIÈBE, LAGNEAC (g.), LANCEREAUX, LARCHER (O.), LAVERAS,
laverah (a.), layet, leclerc(l.), lecorché, ledouble, lefèvre (éd.), le fort (Léon), legouest, legros,
LEGROUX, LEREBOULLET, LE ROY DE UÉRICOURT, LETOURNEAU, LEVEN, LÉVY (mICHEL), LIÉGEOIS, LIÉTARD,
LINAS, LIOUTILLE, LITTRÉ, LUTZ, MAGITOT (E.), MAIIÉ, UALAGUTI, MAIICHAND, lUREY, MARTINS, MATHIEU,
MICHEL (de NA.NCY), MILLARD, DANIEL IIOLLIÈRE, UONOD (CU.), UONTAMER, UORACUE, MOREL (b. A.), NICAISE,
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PERRIN IMAURICE), peter (m.), PETIT (l.-U.) , PEÏBOT, PINARD, PINGAUD, PLANCllOS, POLAILLON, POTAIN, POZZI,
BAULIN, RAYMOND, REGNARD, REGNAULI, RENAUD (j.), RENAUT, RENDU, REÏNAL, RITTI, ROBIN (aLBERT),
ROBIN (CH.), DE ROCHAS, ROGER (H.), ROLLEI, ROTUREAU, ROUGET, SAINTE-CLAIRE DEVILLE (H.), SAN.NÉ, SANSO.N,
SCHtiTZENBERGER (CH.), SCHÛTZENBERGER (p.), SÉDILLOT, SÊE (maRC), SERVIER, DE SETKES, SOCBEIRA.N (L.),
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MDCCCLXXXII
'S'^nn/or
I
DICTIONNAIRE
ENCYCLOPÉDIQUE
DES
SCIENCES MÉDICALES
DEIV'T. La série des descriptions que nous avons à présenter ici sous ce
titre devra comprendre les divisions suivantes :
I. Anatomie descriptive;
II. Histologie;
III. Anatomie comparée;
IV. Physiologie ou histoire du développement ;
V. Lots de dentition;
VI. Pathologie ou histoire des maladies des dents.
Vil. Opérations qui se pratiquent sur ces organes.
§ I. Anatomie descriptive. Les dents sont des organes d'une nature
particulière, composés de tissus spéciaux, sans analogues dans l'économie et des-
tinés à remplir des rôles physiologiques qui seront déterminés plus loin.
Leur description sera limitée ici, au point de vue purement descriptif, à
l'étude de leurs caractères généraux et à celle des caractères particuliers à
chaque variété de dents.
Les arcades dentaires, constituées par] la série non interrompue des dents,
présentent à considérer chez l'adulte comme chez l'enfant trois parties : une
partie libre, une partie recouverte par la muqueuse, une partie profonde
incluse dans les alvéoles.
« La partie libre est formée par les couronnes des dents : elle est en contact par
sa face antéro-ex terne avec les lèvres et les joues, par sa face postéro-in terne
avec la langue, par sa face supérieure ou inférieure, suivant la mâchoire que
l'on considère, avec l'arcade de l'autre mâchoire. Les deux premières ont des
dimensions à peu près égales dans toute leur étendue, la partie horizontale
ou triturante est au contraire mince, et tranchante pour les dents antérieures,
plus large pour celle des cotés, très-large aux postérieures. En avant, elle n'a
»ir,T- FJ\'c. XXVIl. 1
2 DENT (anatomie).
guère qu'un tubercule par dent; puis ceux-ci augmentent, se disposent sur
deux rangées, l'une interne, l'autre externe ; celles de la mâchoire inférieure
s'engrènent dans celles de la supérieure et réciproquement, pour broyer les
aliments pendant la mastication.
La partie inoyenne ou gingivale est marquée par un léger rétrécissement,
plus prononcé en arrière qu'en avant : c'est le collet de la dent, qui sépare la
couronne de la racine, et par la réunion avec celui des autres dents forme deux
lignes festonnées au niveau de la gencive, qui adhère étroitement en ce point.
La partie profonde des arcades est constituée par l'ensemble des racines;
elle est uni-radiculaire à la partie moyenne, puis bi et muUiradiculaire en ar-
rière. Les anciens, prenant des dents pour des os, avaient fait de l'imidantation
des dents dans les alvéoles un mode particulier d'articulation, qu'ils appelaient
gomphose. Il est surabondamment démontré que cette interprétation est erronée;
les dents ne sont nullement articulées dans la mâchoire, mais adhérentes et fixes
par l'intermédiaire d'un véritable périoste qui ne permet dans l'état physiolo-
gique aucun mouvement. Il n'en est pas de même, il est vrai, chez certaines es-
pèces animales, les poissons, par exemple, qui ont parfois des dents véritable-
ment pourvues de mouvement, de redressement, grâce à un appareil ligamenteux
et à un système musculaire propre.
1» Cahactèues communs a toutes les dents humaines. La forme générale des
dents est celle d'un cône allongé, verticalement dirigé, et présentant vers le tiers
de son étendue un faible étranglement. Cette opinion est parfaitement conforme
aux lois de la philosophie anatomique, car nous verrons plus loin en étudiant
les Lois de dentition que toutes Its dents, aussi bien celles qui sont simples que
celles qui sont compliquées, sont susceptibles de se réduire par voie d'analyse à
un type morphologique unique qui est le type conique, ïunite' dentaire.
Quoi qu'il en soit, au point de vue descriptif, nous distinguerons deux formes
principales qui sont : le cône plus ou moins parfait pour les incisives et les
canines, et la forme de pyramide quadrangulaire pour les molaires.
En outre toutes deux présentent à considérer sa base ou couronne, son som-
met ou racine, et le point intermédiaire étranglé, le collet.
Les couronnes par leur face libre ou triturante sont disposées sur un plan
horizontal, parallèle au plan visuel et au plan alvéolo-condylien de Broca.
De cette face triturante, les plans qui limitent la couronne sur les côtés
convergent légèrement vers le collet, et il résulte de là que les dents en
contact réciproque immédiat, à leur partie la plus élevée, interceptent au-
dessous des espaces triangulaires, formant ce qu'on appelle les interstices
dentaires. La couronne représente par sa constitution anatomique la partie la
plus dure de tout l'organe; sa couleur est très-variable, tantôt blanche, demi-
transparente, lisse et polie, et d'une résistance extrême, tantôt plus ou moins
grisâtre, ce qui est l'indice d'une plus grande densité des parties, tantôt enfin
offrant une teinte légèrement bleuâtre et diaphane qui correspond en général à
une faiblesse relative dans la constitution des tissus. Les racines ont toujours
une longueur plus grande que la couronne, leur tissu est beaucoup moins
compacte; leur couleur plus foncée, généralement jaunâtre. Pour les dents
antérieures, incisives et canines, cette racine est unique, sauf une certaine
exception que nous signalerons plus loin pour les canines inférieures. Aux dents
antéro-supérieures, cette racine est régulièrement conique; pour les inférieures
elle est au contraire légèrement aplatie dans le sens transversal, circonstance
DENT (anatomie). Z
qui s'oppose aux tentatives de rotation brusque que nécessitent certaines ano-
malies, tandis que la même opération est très-facile aux supérieures. Cet apla-
tissement transversal peut être considéré en outre co\nme le vestige d'une
première subdivision qui s'accentue aussitôt pour les prémolaires et qui s'affirme
tout à fait aux molaires.
La direction générale des racines est un point utile à noter; elles ne sont
pas en effet verticales, c'est-à-dire perpendiculaires au plan masticateur;
elles obéissent à une disposition générale qui les incline dans leur ensemble
vers la partie postérieure d-i^s maxillaires. Elles sont donc ainsi parallèles entre
elles et légèrement curvilignes dans le sens postérieur. Cette particularité
s'accentue davantage aux molaires, si bien que la dernière ou dent de sa-
gesse offre parfois dans sa partie radiculaire une concavité postérieure très-
marquée.
Le collet des dents est cette partie en quelque sorte fictive, intermédiaire entre
la couronne et la racine et qui coupe sur un point variable de bauteur la tota-
lité de l'organe en deux parties inégales. La couronne en effet représente à peu
près le tiers resté libre au dehors, la racine formant les deux tiers inclus.
C'est à proprement parler une ligne située à l'intersection de deux des tissus
composants de l'organe, le cément et Vémail. En ce point vient s'insérer d'une
part le bord libre de la gencive, d'autre part le feuillet du périoste alvéolaire,
lesquels y sont d'ailleurs en continuité parfaite dans l'état physiologique. Ce
collet, qui répond en outre au bord libre des cloisons alvéolaires, est donc
également horizontal.
2° Caractèkes propres a chaque groupe de dents, a. Caractères propres
AUX incisives. Les incisives, au nombre de huit, soit quati^e à chaque mâchoire,
sont situées à la partie moyenne ou antérieure des arcades dentaires.
Caractères généraux. Leur couronne, coupée en bec de flûte, présente
quatre facettes, qui convergent vers un bord tranchant : deux latérales, trian-
gulaires et verticales; une antérieure, semi-ovalaire, convexe; une jiostérieure,
triangulaire, légèrement concave, très-obliquement ascendante pour les incisives
supérieures, obliquement descendante pour les inférieures, s'unissent à la pré-
cédente pour former un bord mince horizontal et transversal ,
C'est sur ce bord que s'aperçoivent au moment de l'éruption les saillies ou
mamelons au nombre de tiois de dimensions égales et qui s'usent plus tard par
les progrès de l'âge. Ces mamelons ont même chez certains animaux un plus
grand volume, en même temps qu'une différence de dimension entre eux. On
les connaît chez le chien où ils affectent la forme dite en fleurs de lys, le
mamelon central étant beaucoup plus élevé que les autres. Ou sait aussi que
l'usure de ces m;mielons sert à déterminer l'âge de l'animal. Le même phéno-
mène s'observe avec la même signification chez d'autres espèces, le cheval, par
exemple. Une application de même genre serait donc possible chez l'homme
pour la détermination de l'âge, et cela aussi bien pour les incisives que pour
tes molaires, dont les tubercules subissent la même usure.
Dans lous les cas, cette usure n'est pas réparable chez l'homme non plus que
chez le chien et les herbivores. Il n'en est pas de même, comme on le sait, des
rongeurs, chez lesquels l'accroissement continu vient contrebalancer d'une
manière incessante la perte de substance.
Caractères différentiels des incisives en général. On distingue les inci-
sives, tant supérieures qu'inférieures, en centrales et ea latérales. Les centrales
4 DENT (anatomie).
ou médianes sont les deux du milieu, et les latérales, celles qui sont contiguës
aux canines.
Les incisives supérieures diffèrent des inférieures par leur couronne, qui est
plus large, et leur racine, qui est plus ronde. La racine des inférieures présente
toujours un sillon de chaque côté, et dans le sens de sa longueur. Les incisives
centrales supérieures, encore appelées grandes incisives, ont leur couronne très-
large, tandis que les centrales inférieures sont les plus petites de toutes les
dents. II est donc facile de les reconnaître. Il l'est un peu moins de distinguer
les latérales supérieures de leurs correspondantes inférieures, qui en dilfèrent
très-peu de volume. La couronne des incisives latérales supérieiu-es est taillée
moins nettement en bec de sifflet que celle des incisives inférieures ; de plus, la
face postérieure de la couronne de l'incisive latérale supérieure présente deux
sillons qui se réunissent à la base en formant un V. De chaque côté des branches
du V, on peut remarquer un petit bourrelet dont l'interne est, en général, plus
droit et moins volumineux que l'externe. Ces deux sillons n'existent jamais
sur les incisives inférieures. Ils ont une certaine importance, car c'est souvent
dans la dépression qu'ils interceptent que se produisent des altérations et en
particulier la carie dont elles constituent un lieu d'élection. La racine des
incisives centrales supérieures est plus longue que celle des latérales supérieures,
mais la racine des incisives centrales inférieures est plus courte que celle des
latérales inférieures.
Distinction des incisives supérieures entre elles. Les centrales ont en général
une dimension égale en largeur et en hauteur, tandis que les latérales ont une hau-
teur à peu près double de la largeur. Pour toutes ces dents le bord interne est
droit, tandis que le bord externe est légèrement courbe, à concavité interne. 11 en
est de même des angles, qui sont droits à la partie interne et mousses à l'externe.
Distinction des incisives inférieures entre elles. Les centrales ont à la fois
la couronne plus petite et la racine plus courte que les latérales, mais cette
distinction est toujours très- difficile pour une dent isolée. Toutefois on pourra
encore distinguer l'incisive droite de la gauche par la légère courbe des racines,
ainsi que nous l'avons signalé tout à l'heure.
B. Canikes. Les canines, unicuspidées, sont surtout remarquables par leur
longueur, supérieure à celle de toutes les autres dents qu'elles débordent à la
fois par leur racine et par leur couroiuie. Plus solidement implantées que les
incisives et plus rapprochées aussi du point qui répond au centre des mouve-
ments de la mâchoire, elles peuvent supporter des efforts beaucoup plus
considérables.
Ces dents atteignent un grand développement chez les carnassiers, pour
lesquels elles représentent non- seulement l'un des principaux organes de la
mastication, mais une arme véritable : les canines ont pour atti-ibut essentiel la
forme conoïde de leur couronne. Cependant celle-ci, attentivement étudiée,
peut encore se décomposer en quatre facettes assez distinctes : deux latérales,
triangulaires; une antérieure, convexe, limitée au collet par une courbe semi-
ovalaire, et une postérieure, oblique comme celle des incisives. Sur cette der-
nière on remarque une crête mousse plus ou moins accusée, s'étendant, d'une
part, vers le collet; de l'autre, vers le sommet. De ce sommet descendent deux
petits bords arrondis, dont l'externe est un peu plus long que l'interne.
La racine des canines est unique, très-longue et plus régulièrement conoïde
que celle des autres dents. Toutefois on a signalé la bifidité de la racine des
DENT (anatomie). 5
canines inférieures, et l'on a attribué à ce fait une certaine valeur dans la
caractéristique des races inférieures et préhistoriques. Nous l'avons du reste
rencontré assez fréquemment à titre d'anomalie accidentelle chez les individus
de nos races actuelles.
Caractères différentiels. Les canines supérieures se distinguent des infé-
rieures : l" par leur couronne, qui est plus épaisse, moins longue et plus large.
Le bord externe de la face antérieure de la couronne des canines inférieures
se contourne plus fortement en dedans que celui des supérieures. La face
postérieure de la couronne des canines supérieures est plus pleine, c'est-à-dire
moins concave que celle des inférieures, qui est presque creusée en forme de
bec de sifflet; 2° par leur racine, qui est plus longue, plus ronde et très-peu
sillonnée (quelquefois n'offrant même pas trace de sillon) pour les canines
supérieures, tandis que les canines inférieures ont toujours une racine aplatie
latéralement et creusée d'un sillon sur chaque face latérale. On distingue les
canines droites des canines gauches par les mêmes caractères que ceux déjà
signalés pour les incisives, savoir : 1° si sur la face antérieure on trace une
ligne verticale partant du sommet de la couronne, on divise cette face en deux
parties : la partie externe est toujours plus large que la partie interne ; 2"^ le
bord incisif de chaque canine est divisé en deux parties par un angle : la partie
interne est toujours plus pelite que la partie externe, laquelle est toujours plus
inclinée.
De plus. Il couronne est contournée sur la racine, de manière que toute la
partie qui est en dehors de la ligne abaissée du sommet de la couronne sur la
face antérieure se dirige non directement en avant, mais en dehors (c'est-à-dire
à l'opposé d'une ligne tracée perpendiculairement entre les deux incisives
centrales).
Enfin la face interne des canines est aplatie dans toute son étendue, tandis
que la face opposée qui répond à la petite molaire est arrondie : sur cette
dernière face, le sillon est toujours moins marqué que sur la première.
C. Petites MOLAIRES 00 biccspidées. Les petites molaires, au nombre de huit,
quatre à chaque mâchoire, deux à droite et deux à gauche, sont situées entre
les canines et les grosses molaires. On les distingue par les noms de première
et de seconde, en procédant d'avant en arrière.
i° Caractères généraux. Leur couronne est irrégulièrement cuboïde. LeS'
faces antérieure et postérieure, tournées vers les dents voisines, sont à peu près
planes. Les faces qui regardent en dehors et en dedans sont convexes. La l'ace
libre ou triturante présente deux tubercules, l'un interne et l'autre externe. Ce
dernier est le plus gros et le plus saillant; un sillon antéro-postérieur le sépare
du tubercule opposé.
La racine des petites molaires est ordinairement unique, quelquefois bifide.
Dans le premier cas, on observe sur les faces antérieure et postérieure un sillon
vertical bien accusé. Dans le second, l'une des racines est interne, l'autre externe;
mais elles n'atteignent jamais la longueur de celles des grosses molaires ; en
général, la bifidité reste limitée à leur sommet. Les divisions sont ordinairement
très-effilées, parfois inclinées en courbes variées et toujours fragiles, ce qui explique
leur fracture fréquente dans l'extraction.
Caractères différentiels. Il est facile de distinguer les petites molaires
supérieures des petites molaires inférieures : 1" les couronnes des supérieures
ont deux cuspides beaucoup plus saillantes que celles des inférieures ; de plus
6 DENT (akatojiie).
elles sont séparées par vue rainure dont la profondeur est d'autant plus consi-
dérable que ces cuspides sont plus élevées. Les petites molaires inférieures,
au contraire, ont la rainure moins profonde et leurs cuspides sont quelquefois
réunies par une saillie qui sépare deux petites fossettes très- inégales dont
l'interne est toujours plus petite que l'externe. La couronne des bicuspidées
supérieures est aplatie transversalement, tandis que la couronne des inférieures
est sensiblement sphéroïdale. Enfin les cuspides des petites molaires supérieures
sont sur le même plan : cependant la cuspide extérieure est toujours un peu plus
basse que l'intérieure. La cuspide intérieure est plus mousse que l'extérieure.
L'extérieure semble formée de la réunion de trois petites cuspides dont la cen-
trale est plus développée que les deux autres; 2" la racine des petites molaires
supérieures est toujours composée de deux racines divisées ou réunies, tandis
que celle des inférieures est ordinairement unique, ronde, et ne présente qu'un
très-petit sillon.
Les premières petites molaires supérieures se distinguent des secondes :
{"parla couronne. La couronne présente deux cuspides plus saillantes que celles
des secondes, et par cela même la rainure des premières est plus profonde que
oelle des secondes. Les cuspides des premières sont inégales; l'extérieure descend
plus bas que l'intérieure, tandis que les deux cuspides des secondes sont presque
sur le même plan, quoique l'extérieure descende parfois encore un peu plus
bas que l'intérieure; 2° par la racine qui est toujours plus divisée dans les pre-
mières petites molaires supérieures que dans les secondes, et, lors même que
ces racines ne sont pas divisées, le sillon que l'on remarque sur les parties laté-
rales des premières est toujours plus profond que celui qu'on observe sur celles
des secondes. La racine des premières petites molaires supérieures présente un
commencement de transition vers le type des molaires, c'est-à-dire qu'elles
offrent dans certains cas trois racines parfaitement distinctes.
La première petite molaire supérieure droite se distingue de la gauche : 1" par
la couronne, qui, comme il a été déjà^it, présente à la face intérieure ou tritu-
rante deux cuspides : or, si on tire une lif^rne droite passant par le sommet des
deux cuspides, on remarque que celte face triturante est divisée en deux parties
inégales et que la plus large est toujours l'externe, c'est-à-dire la partie la plus
rapprochée de la seconde petite molaire; ^° par les racines, qui sont dirigées en
arrière, c'est-à-dire formant une légère concavité postérieure. Comme pour les
premières petites molaires supérieures droite et gauche, la partie la plus large
est toujours celle qui est le plus près de la première grosse molaire.
On distinguera les premières petites molaires inférieures des secondes :
1° par la couronne, qui est un peu plus étroite et un peu plus haute de celle
des secondes petites molaires. La couronne de la première ressemble davantage
à celle de la canine, tandis que celle de la seconde ressemble davantage à la
couronne des grosses molaires. La cuspide extérieure des premières est bien plus
élevée que la cuspide intérieure, qui est très-petite, tandis que la cuspide
intérieure des secondes petites molaires inférieures est presque de niveau avec
l'extérieure ; 2" par la racine. La racine des premières et des secondes petites
molaires inférieures n'est jamais bifide. Enfin il faut encore remarquer que
leur extrémité est dirigée dans le sens postérieur.
La première petite molaire inférieure droite se distingue de la première petite
molaire inférieure gauche par : 1° la couronne, dont la face supérieure ou tritu-
rante est toujours divisée en deux parties inégales par une saillie d'émail qui
DEÎ^T (anatomie). 7
réunit les deux cuspides; la partie la plus large de cette division naturelle est
toujours celle qui est du côté de la seconde petite molaire (ce caractère est
infaillible). Cette saillie sépare deux petites fossettes très-inégales : l'interne
est beaucoup plus petite que l'externe; cette dernière a même la forme d'une
petite gouttière qui se prolonge davantage vers la face intérieure que vers la
face extérieure; 2° la racine, qui présente presque toujours un sillon sur sa face
interne, c'est-à-dire celle qui" répond à la canine. Quelquefois ce sillon est si
bien marqué que l'on observe une véritable division à la face interne, tandis
qu'il n'y en a pas trace à la face externe. 11 est curieux de remarquer que ce
petit sillon se trouve presque toujours plus près du bord inférieur que du bord
extérieur.
Distinction des secondes biciispidées inférieures. Pour reconnaître l'une de
ces deux dents, il faut tirer une ligne d'un tubercule à l'autre; alors on voit
que la face supérieure ou triturante de la couronne est divisée en deux parties
inégales, dont la plus large est celle du côté de la grosse molaire. La racine
des secondes petites molaires inférieures ne présente jamais le sillon signalé
sur la racine des premières; c'est à peine si quelquefois la racine des secondes
petites molaires inférieures offre une légère dépression.
Caractères de transition. La différence entre une incisive bien développée,
une canine et une prémolaire, est si marquée, que les points de ressemblance
<\m les rapprochent n'ont pas besoin d'être mis en lumière; on pourrait croire,
en effet, que ces dents n'ont entre elles rien de commun.
Mais une gradation saisissante, au contraire, peut être établie entre elles, car
il n'est pas rare de rencontrer des dents qui possèdent à un haut degré des
caractères frappants de transition. Si l'angle externe d'une incisive latérale est
plus fuyant, plus effacé que de coutume, en même temps que la crête et le
tubercule de la base de la couronne sont plus accentués, l'incisive ressemble à
une canine; cet exemple des incisives latérales tombe souvent sous les yeux de
ceux qui recherchent les déviations de forme des dents. Ainsi donc, la forme ca-
ractéristique d'une incisive latérale, légèrement modiOée, nous conduit à la
forme d'une canine.
Entre les canines et les bicuspidées, la même parenté de forme s'observe, et
cela bien mieux à la mâchoire inférieure qu'à la supérieure. La transition des
bicuspidées aux grosses molaires est plus brusque; du moins il n'est pas aussi
facile de préciser exactement le point qui manque le passage de la forme des
premières à celle des secondes. Qu'on s'imagine, au contraire, que la différence
existant entre la canine et la première bicuspidée s'exagère encore un peu, et
l'on aura presque exactement une deuxième bicuspidée. Ou peut conclure que les
incisives, les canines et les bicuspidées, ne forment pas trois types de dents com-
plètement distincts, d'une forme sui (jeneris, mais qu'elles sont des modifica-
tions d'un seul et même type.
D. Grosses molaires ou multicuspidées. Les grosses molaires, au nombre de
douze, six à chaque mâchoire, trois à droite et trois à gauche, occupent la
partie la plus reculée et la plus large des bords alvéolaires. On les désigne par
les termes numériques de première, seconde, troisième, en procédant d'avant en
arrière. La dernière, qui apparaît plus tardivement, porte aussi le nom de den
de sagesse. Ces couronnes forment dans les races élevées une série dite descen-
dante de volume de la première à la troisième, tandis que la relation inverse
ou ascendante devient le caractère propre aux races inférieures telles que les
8 DENT (anatomie).
Australiens, les Néo-Calédoniens, etc. Ce même fait aurait été rencontré chez
les races préhistoriques, qui auraient ainsi un cai'actère marque d'infériorité.
11 rapproche, en définitive, à ce point de vue, l'homme des singes anthropomorphes
chez lesquels la série ascendante est la règle.
1° Caractères généraux. La couronne assez régulièrement cuboïde, mais à
angles arrondis, est armée de trois à cinq tubercules pyramidaux et triangulaires.
Les racines sont au nombre de deux ou de trois ; on en compte quelquefois
quatre, très-rarement cin({. Lorsqu'il en existe deux seulement, l'une est anté-
rieure, l'autre postérieure, et toutes deux sont volumineuses, aplaties d'avant
en arrière, allongées de dehors en dedans. Lorsque leur nombre s'élève à trois
ou quatre, deux sont externes et la troisième ou les deux autres internes. Elles
restent alors rarement parallèles, mais s'écartent le plus souvent, les externes
descendant à peu près verticalement, la troisième ou les deux internes s'incli-
nant plus ou moins en dedans.
2° Caractères (Jiffcrentieh. Les multicuspidées supérieures diffèrent des
inférieures : \° par leur volume qui est plus considérable; 2° par le bord
externe de leur face triturante qui est plus tranchant; 3" par leurs racines
qui sont au nombre de trois au moins, le plus souvent isolées, quelquefois soudées
entre elles. De ces trois racines, deux sont externes; la troisième est interne,
très-grosse, arrondie, fortement inclinée en dedans. Les grosses molaires infé-
rieures, sauf de très-rares exceptions, ne possèdent que deux racines, l'une
antérieure, l'autre postérieure, toutes deux aplaties d'avant en arrière et allongées
de dehors en dedans.
Caractères individuels des rmdticuspidées. Premières grosses molaires
supérieures. La première multicuspidée supérieure est la plus large et la plus
volumineuse des grosses molaires; sa couronne a ordinairement quatre et quel-
quefois cinq tubercules : dans ce dernier cas, il y en a trois extérieurs et deux
intérieurs. Les racines sont plus grosses, plus longues, plus divergentes que
celles de toutes les autres molaires ; elles sont invariablement au nombre de trois.
La racine interne, plus grosse, plus longue et plus ronde, est aussi la plus
divergente; elle se porte toujours obliquement en dedans; les deux externes sont
sensiblement égales. La face antérieure de celte dent, c'est-à-dire celle qui
touche la petite molaire, est plus large et plus aplatie que l'externe; la face
interne de sa couronne est plus ronde et moins large que la face externe.
Sur la face intérieure de la couronne delà première multicuspidée supérieure
on remarque un sillon qui, partant du point où .se réunissent les deux cuspides
intérieures, se continue jusque sur la racine, oii il forme une espèce de petite
gouttière. Ce sillon n'existe jamais sur la seconde multicuspidée ou, s'il existe
sur cette dernière, il ne se prolonge jamais sur sa racine interne.
Secondes grosses molaires supérieures. Cette dent, un peu moins volumi-
neuse que la précédente, n'est surmontée le plus souvent que de trois cuspides,
tandis que la première grosse molaire en a toujours au moins quatre. Des trois
cuspides que présente la couronne des secondes grosses molaires, deux sont
extérieures et une intérieure. Lorsqu'il existe une quatrième cuspide sur la face
triturante de cette dent, elle est bien plus petite que les autres et est placée sur
l'angle de la face interne. Les racines de la seconde multicuspidée supérieure
sont moins divergentes que celles de la première, le collet en est par conséquent
moins rétréci.
Troisièmes grosses molaires ou dents de sagesse. Cette dent a une forme
Q
DENT (anatomie). 9
très-ii régulière ; sa partie triturante n'est pas cuboïde comme celle des autres
grosses molaires ; c'est bien plutôt un prisme triangulaire. Ordinairement elle
ne présente que trois cuspides, dont deux extérieures et une intérieure, mais
quelquefois elle en offre une foule d'autres petites. Daus quelques cas la face
triturante de cette dent est mamelonnée, chagrinée, plissée. Les trois racines
sont généralement réunies plus ou moins complètement en un seul faisceau.
Cependant, lors même que les racines de la troisième molaire sont réunies, on y
trouve toujours le vestige des caractères propres aux molaires de la série à
laquelle elle appartient, c'est-à-dire la trace des trois racines, une intérieure
et deux extérieures pour la molaire supérieure, et pour la molaire inférieure
le vestige de deux racines, une antérieure et une postérieure. Ces racines sont
courtes et dirigées en arrière toujours vers l'origine de leur nerf.
Premières grosses molaires inférieures. Cette denl est remarquable par les
cinq tubercules qui se trouvent sur sa face triturante : savoir trois en dehors et
deux en dedans. Sur la face extérieure de la couronne de cette dent, on
l'emarque deux sillons séparant les trois tubercules : le plus petit de ces trois
tubercules se trouve toujours en arrière. Comme il n'y a que deux cuspides
en dedans, on n'observe à la face intérieure qu'un sillon pour les séparer. Le
collet de la première grosse molaire inférieure est, comme celui de la première
grosse molaire su|iérieure, beaucoup plus étranglé que celui de toutes les
autres dents : étranglement formé par la divergence des racines et la grosseur
delà couionne. Des deux l'acines de celte dent, l'une est antérieure, l'autre posté-
rieure. La racine postérieure est toujouis plus divergente, moins grosse et plus
ro;:!dc que l'antérieure qui est au contraire plus longue, plus plate et plus
profondément sillonnée dans le sens de sa longueur. Ces deux racines présentent
d'ailleurs un aplatissement dans le sens transveisal de manière à indiquer la
tendance à la division, c'est-à-dire à la séparation des quatre racines; ce qui nous
a fait dire que ces dents ont en réalité quatre racines au point de vue anatomique,
tandis qu'elles n'en présentent que deux au point de vue chirurgical.
Secondes grosses molaires inférieures. La face triturante de la couronne de
la seconde grosse molaire inférieure est surmontée seulement de quatre cuspides
que sépare un sillon crucial. Les racines de la seconde multicuspidée inférieure
sont moins divergentes, c'est-à-dire plus rapprochées l'une de l'autre, que celles
de la première; quelquefois même les deux racines de cette dent sont l'éunies,
mais il est toujours facile de reconnaître la trace de leur soudure.
Troisièmes grosses molaires inférieures ou dents de sagesse. Cette dent est
sujette à de grandes variétés, la face triturante de cette denl est garnie de cinq
tubercules, comme celle de la première grosse molaire inférieure; mais ces cinq
cuspides ne sont pas aussi bien conformées, ne sont pas placées aussi régulière-
ment. La face triturante de cette dent est, comme sa correspondante supérieure,
rugueuse, mamelonnée, plissée. Les racines de la dent de sagesse inférieure
sont plus courtes et moins divergentes que celles de la première grosse molaire;
ses racines sont souvent réunies plus ou moins complètement en une seule. Les
racines de cette dent se dirigent en général très-fortement vers la branche mon-
tante du maxillaire inférieur.
Quant à la distinction à faire entre les dernières molaires inférieures et supé-
rieures, elle s'établira par la direction des racines qui prennent, ainsi que nous
l'avons dit, une concavité postérieure très-marquée.
Caractères différentiels entre les deyits temporaires et les permanentes.
10 DENT (histologie).
Les dents de première dentition, dites aussi temporaires ou caduques, par oppo-
sition aux permanentes, sont, comme on sait, au nombre de vingt, soit dix à
chaque mâchoire, et forment deux arcades parabohques, l'inférieure plus courbe
inscrite dans la supe'rieure. Ces dents comprennent par leur forme trois gi-oupes :
Les incisives, les canines et les molaires.
D'une façon générale, les dents temporaires, d'un volume beaucoup plus
iaible que les permanentes, sont avec celles-ci dans un rapport approximatif de
1 : 5, c'est-à-dire environ du tiers.
Les proportions sont en outre notablement différentes ; les couronnes sont
moins hautes, à peu près égales à la largeur pour les incisives, les canines et la
première molaire. La seconde molaire seule a une hauteur environ moitié
moindre que la largeur.
Toutes ces couronnes sont en quelque sorte renflées et comme ventrues ; leur
couleur présenle toutes les variations qu'offrent les dents permanenles elles-
mêmes et a la même signification au point de vue de la constitution des tissus
et des prédispositions morbides qu'elle entraîne.
En ce qui regarde leur nombre, les incisives et les canines sont en nombre
égal dansles deux dentitions: ladifféience numérique porte donc sur les molaires;
celles-ci chez l'enl'unt sont au nombre de huit, soit quatre à chaque mâchoire, et
on ne peut à l'égard de leur forme les distinguer comme chez l'adulte en petites
et grosses molaires, bien que cependant elles soient d'un volume différent ; elles
ont en effet la même forme extérieure; elles sont les unes et les autres multi-
cuspidées, la plus petite n'offrant point les deux tubercules caractéristiques de
la prémolaire de l'adulte.
Quant aux racines, elles affectent, au volume près, les mêmes formes que
celles des dents permanentes : uniques pour les incisives et les canines et sans
jamais présenter de bifidité accidentelle, elles sont multiples pour les molaires,
c'est-à-dire au nombre de deux transversales et parallèles pour les molaires infé-
rieures et de trois pour les supérieures ; pour ces dernières, deux sont externes
et parallèles, une interne, oblique en dedans. Ces racines présentent en outre
dans leur ensemble la légère courbure postérieure qui se remarque aux perma-
nentes. Les pièces de la dentition temporaire éprouvent pendant leur séjour dans
l'organisme d'une part la même augmentation de densité progressive qui est la
loi physiologique commune à toutes les dents et d'autre part l'usure graduelle
qui en amène rapidement la réduction en hauteur. C'est ainsi (|ue les dents ca-
duques, à l'époque voisine de leur chute, sont souvent mutilées par l'usure et
deviennent de véritables tronçons informes. On peut donc dire que la dentition
temporaire présente dans son évolution totale, et malgré les différences considé-
rables de durée, les mêmes phénomènes généraux qui s'observent aux dents per-
manentes. Ajoutons enfin que les diverses lésions pathologiques sont de tous
points identiques dans leurs manifestations et susceptibles des mêmes appli-
cations, héiapeutiques. La distinction d'une dent temporaire déterminée iso-
lément de son homologue permanente se fera donc au moyen des caractères de
volume, de forme, de densité et d'usure. Cette dernière particularité sera même
de nature à contribuer dans une certaine mesure à la détermination de Và<^e de
l'enfant, de même que nous l'avons vu appliquer au même résultat pour les
dents de l'adulte.
§ IL Structure histologique. Âu point de vue de la structure intime
DENT (histologie). M
l'organe dentaire se compose de cinq tissus différents qui se divisent en deux
groupes : 1° tissus durs : émail, ivoire, cément; 2" tissus mous : pulpe den-
taire et périoste alvéolo-dentaire.
I, Tissus DURS. A. Émail. L'émail est représenté dans la constitution d'une
dent en général par cette couche de tissu compacte et résistant qui recouvre la
totalité de la couronne. Dans un certain nombre d'espèces animales (pachydermes,
molaire des ruminants, etc.), il est recouvert à son tour d'une couche d'un autre
tissu, le cément. Chez un grand nombre d'animaux (homme, carnassiers, pois-
sons, etc.), on le trouve à découvert à la surface de l'organe, mais ce n'est là,
ainsi que nous le verrons, qu'une simple apparence, car, en l'absence du cément,
il est recouvert d'une autre substance, la cuticule, dont nous verrons plus loin le
rôle et la signification physiologiques.
L'émail l'orme à la couronne un revêtement d'une épaisseur très-variable,
selon les espèces de dents, selon les différents animaux et en particulier chez
l'homme suivant les variétés individuelles et les races. Cette épaisseur, qui atteint
son maximum au sommet des tubercules, c'est-à-dire sur les points culminants
de la couronne, décroît de volume depuis ce point jusqu'au collet où elle se termine
par un bord aminci. Cette épaisseur, qui peut atteindre pour certaines dents et
chez certaines races jusqu'à 3 ou 4 millimètres, est en moyenne de 1 millimètre à
1 millimètre et demi.
Détaché par certains procédés chimiques de la surface de la couronne, l'émail
a la forme d'un capuchon exactement moulé sur la surface de l'ivoire à laquelle il
adhère sans interposition d'aucune substance; la prétendue membrane qui a été
décrite entre l'ivoire et l'émail n'existe pas, et son apparence n'est due qu'à la
différence de réfraction des tissus lorsqu'on les étudie sur une coupe qui com-
prend toute l'épaisseur de la couronne.
Ainsi isolé, le chapeau d'émail a donc exactement la même forme que le chapeau
de dentine, lequel représente à son tour la forme de la surface de la pulpe qu'il
recouvre.
La couleur de l'émail observée à l'œil nu varie depuis le jaune plus ou moins
foncé jusqu'au blanc mat et assez souvent jusqu'au gris bleuâtre. Toutefois cette
coloration ne paraît pas être propre à ce tissu, cjui est essentiellement transparent,
de sorte que la couleur des dents résulterait de la teinte particulière de l'ivoire
transmise grâce à la transparence de l'émail. Toutefois ce caractère constant dans
l'état physiologique éprouve de nombreuses variations : ainsi l'émail , par suite de
certaines anomalies de structure étudiées ailleurs, présente des tons opaques ou
des taches diversement colorées qui résultent de certaines défectuosités de rapport
des parties constituantes; d'autre part les aspects bleuâtres de certaines dents
sont dus en partie à des lacunes ou des défauts de cohésion entre les mêmes
éléments composants. Mais ce sont là des accidents, car un chapeau d'émail
détaché à l'état frais est diaphane ou légèrement opalin.
La densité et la résistance de l'émail sont considérables, on a dit depuis
longtemps qu'il avait une structure vitreuse, et cette comparaison est assez
exac(e ; il fait feu avec le briquet et il peut émousser les instruments les
mieux trempés.
Il ne subit que très-difticilement l'action de la lime, sauf, bien entendu, le cas
d'altération préalable ; toutefois ce tissu ne résiste pas à l'action de l'émail lui-
même, et c'est ainsi que l'usure réciproque des couronnes dentaires entame et
détruit si facilement les festons du bord des incisives et les sommets tuberculeux
i2 DEM (histologie).
des molyires. Mais celte résistance aux agents physiques ou mécaniques ne se
retrouve pas pour les actions chimiques, car les acides même faibles entraînent sa
désorganisation rapide; c'est même là, ainsi qu'on le verra, que réside le
phénomène initial de la carie dentaire. Ces particularités si opposées s'expli-
quent parl'aitemcnt en même temps par la densité extrême du tissu et par sa
composition chimique qui se prêtent essentiellement aux actions acides. Cette
composition chimique étudiée depuis longtemps montre une proportion consi-
dérahle de phosphates et de carbonates calciques avec une quantité très-faible de
matières organiques.
Voici d'ailleurs l'analyse de Bibras :
Molaire Molaire
d'une femme d'un homme
de 25 ans. adulte.
Phosphate de cliaux avec traces de (luorure de calcium . . . 81,65 89,82
Carbonate de chaui 8,88 4,^7
Phosphate de magnésie 2,55 1,5-1
Sels soluhles 0,97 0,88
Substance organique 5,97 3,59
Graisse traces. 0,20
100.10 100.00
Substances organiques. ... 5,9.t 5,59
Matériaux inorganiques 91,06 96,51
Au point de vue purement histologique, l'émail se compose de colonnes prls-
mati([ties juxtaposées constituant jiour toute l'étendue du chapeau d'émail une
couche continue, de sorte que l'épaisseur très-variable des tissus se mesure par
l'étendue même des prismes. Ceux-ci ont donc une longueur qui varie depuis
2 à 3 millimètres jusqu'à ime dimension très-faible, puisqu'elle arrive même à
zéro au niveau du collet.
Etudié sur une coupe verticale de la couronne et dans une direction parallèle
au diamètre des prismes, l'émail ai)paraît comme manifestement composé d'une
substance homogène dans laquelle on n'aperçoit les points de contact des colonnes
qu'au moyen de certains artifices d'éclairage oblique ou par l'emploi des réactiis
acides qui eu limitent plus facilement les contours ; la couche des prismes
contigus offre cependant dans son épaisseur certaines lignes parallèles considé-
rées autrefois par beaucoup d'observateurs et parnous-mème comme la trace t'e
rangées superposées des cellules de l'émail directement calcifiées. C'était là une
erreur d'interprétation, car les prismes ne représentent qu'une rangée unique,
les lignes en question résultent de certaines inflexions générales qu'éprouve la
masse des colonnes dans leur trajet au sein du tissu.
Ces inflexions ou courbures générales des prismes d'émnil peuvent parfois
s'exagérer et devenir de véritables spires, mais c'est là une disposition anormale
qui se rencontre sur les points défectueux de la couche, au voisinage, par exemple,
de ces perforations accidentelles du tissu, de ces enfoncements fréquents dans les
interstices des tubercules des molaires et sur d'autres points qui constituent les
lieux d'élection delà carie. C'est dans ces circonstances que s'observent les dispo-
sitions des prismes enchevêtrés ou en towr5i//oMS, suivant l'expression de Tomes,
dispositions qui se compliquent de lacunes, de cavités de formes diverses, inter-
posées aux prismes et donnant au tissu une friabilité relative plus ou moins
grande. Nous n'insisterons pas ici sur ces faits anatomiques qui rentrent dans la
catégorie des anomalies de structure extérieure étudiées plus loin; mais il faut
en tous cas les différencier soigneusement d'autres dispositions dans lesquelles
DENT (histologie). io
certaines lacunes irrégulières situées dans le tissu de l'émail, entre les prismes
et au voisinage de l'ivoire, sont en communication avec les extrémités des canali-
cules de la dentine. Ch. Tomes, qui les a étudiées avec soin, les a rencontrées
chez l'homme oîi elles nous paraissent accidentelles et anormales, tandis que
chez d'auties espèces animales elles seraient constantes. C'est ainsi que le
même anatomiste les signale chez le Kangnroo et chez certains poissons, les
Sargus {Dental Anatomy. London, 1876, p. 52).
Quoi qu'il en soit, ces communications entre le système tubulaire de l'ivoire
et les prismes de l'émail sont utiles à noter au point de vue de la physiologie de
ce dernier. Elles établissent la possibilité d'un certain échange de matériaux au
sein de l'émail et donnent la raison des modifications très-sensibles de résis-
tance et de densité qu'éprouve le tissu pendant le cours de la vie.
Si après avoir étudié l'émail au point de vue de sa structure dans une coupe
longitudinale on l'examine sur une tranche transversale perpendiculaire aux
prismes, la préparation à un grossissement de 300 diamètres représente une véri-
table mosaïque composée de pièces hexagonales toutes identiques et juxtaposées
immédiatement. Sur des préparations très-amincies on peut suivre exacte-
ment le contour des prismes, qui dans un émail tout à fait normal sont
d'une régularité parfaite. Mais assez souvent sur des dents moins bien
conformées ces contours, au lieu d'être de forme polygonale, présentent des
arêtes moins vives, parfois même émoussées, de telle sorte que les prismes se
rapprochent de la forme cylindrique. Dans ces conditions, la juxtaposition des
prismes ne peut être parfaite et on remarque dans les interstices une faible quan-
tité de tissu compacte, mais légèrement granuleux. Ces conditions qui donnent,
ainsi qu'on le prévoit, une friabilité plus ou moins grande à la masse de l'émail,
se rencontrent dans les dents de sujets cachectiques ou diathésiques comme
prédisposition marquée à la carie. L'étude de la constitution anatoniique de
l'émail se trouve singulièrement favorisée par l'emploi sous le microscope de
certains réactifs, comme, par exemple, les acides faibles. Si l'on soumet une coupe
longitudinale à l'influence de l'acide chlorhydrique faible, on voit peu à peu les
prismes devenir opaques dans leur partie fondamentale en même temps que se
produisent transversalement des striations parallèles assez régulières et granu-
leuses. De même les séparations des prismes s'accusent plus nettement et, si l'ac-
tion chimique se prolonge, on peut voir se détacher des groupes de prismes
restés accolés, mais très-friables et dans lesquels se reconnaît très-exactement
l'existence d'un prisme unique dans le sens de l'épaisseur du tissu et non de
plusieurs prismes superposés. Si l'on répète cette même réaction sur une coupe
transversale, on arrive à produire un résultat tout particulier; c'est que la déca-
lilication portant principalement sur la coupe des prismes et ménageant relative-
ment leurs lignes de contact et leurs interstices, il se produit une véritable
lamelle perforée d'ouvertures à peu près circulaires toutes semblables et donnant
l'aspect d'une découpure à l'emporte-piècc.
Cette disposition en mosaïque qui se révèle à la coupe transversale se retrouve
aussi, si l'on examine dans une préparation favorable la face profonde de la
couche d'émail, celle qui répond à la surface de l'ivoire. Or, cette face profonde
de l'émail a exactement la figure géométrique d'une série d'hexagones réguliers.
€ette même disposition se retrouve d'ailleurs identique à la surface extérieure
de la dentine qui reçoit précisément les extrémités centrales des prismes. C'est
encore de la sorte qu'on reconnaît sur cette surface de .rencontre de l'émail et de
Si DElM (histologie).
l'ivoire l'absence complète de tout vestige de membrane que les faits de déve-
loppement embryogénique excluent d'ailleurs complètement.
Mais, s'il n'existe aucune membrane à la face profonde de l'émail, il n'en est
pas de même de la surface externe qui est tapissée d'une membrane propre iso-
lable et recouvrant exactement toute la surface extérieure : c'est la cuticule de
l'émail.
La cuticule, découverte en 1859 par Nasmyth [Medico-chirurgical Trans-
actions, janvier 1859), qui l'a décrite sous le nom de persistent capsular, est
une pellicule amorphe d'une épaisseur de 0'"'",001, intimement adhérente à la
surface extérieure de l'émail, inattaquable par les acides, d'une résistance
extrême et dont le rôle est de protéger le tissu soiis-jacent contre les agents alté-
rants. Sa présence n'est perceptible sur une dent qui n'a point subi d'usure que
sur une coupe mince soumise pendant quelques instants à l'action de l'acide
chlorhydrique étendu. Dans une préparation de ce genre, l'action de l'acide
désorganisant la substance de l'émail détache de sa surface la pellicule protec-
trice qu'on aperçoit soulevée par les bulles de gaz. On reconnaît alors qu'elle est
transparente, d'une épaisseur uniforme et légèrement granuleuse sur certains
points. Les alcalis la gonflent sans la désa-
gréger et en favorisent l'étude.
Étudiée par Kôlliker, qui lui a conservé le
nom de cuticule, puis par Raschkow, Huxley,
Todd et Bowman, elle représenterait la trace
de la membrana prœformativa qui envelop-
perait le bulbe et au travers de laquelle se
seraient déposés les éléments de l'émail. Cette
interprétation ne nous paraît pas exacte et on
doit selon nous se rattacher à l'opinion de Ch.
Tomes, qui la représente comme composée par
le vestige de V organe du cément sur les dents
privées de cément coronaire. C'est en traitant
des préparations de cuticule par les alcdis et
en particulier par la potasse qu'il réussit à
saisir quelques indices sur sa nature anato-
mique. La présence sur certains points plus
épaissis d'un ou plusieurs ostéoplastes recon-
naissables vient confirmer cette hypothèse. La
cuticule manque donc à la surface de l'émail
des dents à cément coronaire.
Au point de vue physiologique la cuticule
de l'émail est un agent puissant de protection
de ce tissu ; aussi faut-il qu'elle soit détruite sur
un point pour permettre à un agent altérant de
désorganiser l'émail. 11 en est ainsi dans les
sillons ou anfractuosités de la surface de la
couronne, la cuticule restant perforée à leur
niveau sans se réfléchir dans la profondeur. Ces points sont, comme on sait, les
lieux d'élection de la carie. Une autre circonstance amène le même résultat, car
l'usure a pour premier effet d'entraîner la cuticule, mais avec cette diffé-
rence que, l'usure produisant toujours une surface lisse et polie, le séjour des
Fig. 1. — Coupe d'une dent prise sur
un sujet et comprenant la dentine et
l'émail traité par les acides (d'après
Ch. Tomes).
a, Cuticule de l'émail détachée de la
surface désorganisée de l'émail. —
b, dentine. — d, renflement de la
cuticule occupant une aiifractuosité
de l'émail et présentant les traces de
deux ostéoplastes. — e, émail. —
a', bout déchiré de la cuticule.
DENT (iiistolouie). lô
agents destructeurs est fort difficile, de sorte que les surfaces d'usure sont très-
rarement attaquées par la carie.
B. Ivoire. L'ivoire ou dentine représente la portion essentielle, la niasse
principale de la dent. C'est une substance d'une densité inférieure à l'émail,
mais supérieure à celle du tissu compacte des os.. Elle est d'une couleur
blanche inclinant tantôt vers le jaune faible, tantôt vers le gris avec reflet
bleuâtre. C'est le tissu qui, ainsi que nous l'avons dit, donne à la dent en
général sa couleur extérieure, l'émail transparent n'ayant pas de coloration
propre.
L'ivoire est recouvert dans la couronne par l'émail qui lui forme un revête-
ment complet, et dans la racine par le cément qui le recouvre jusqu'au sommet
radiculaire. Il résulte de là qu'il n'est nulle part exposé au dehors, car même
au collet le bord terminal de l'émail est recouvert par un prolongement très-
aminci du cément qui se continue avec la cuticule.
La surface extérieure de l'ivoire, après ablation de la couche d'émail,
est, dans la couronne, couverte de petites dépressions concaves et hexa-
gonales signalées pour la première fois par Owen et destinées à recevoir les
exlrémilés terminales des prismes de l'émail. Cette surface présente par suite
un aspect réticulé ou à facettes que nous avons comparé depuis longtemps
à la surface des yeux composés des insectes. Dans la racine la face externe
de l'ivoire est inégale et rugueuse, couverte d'anfractuosités remplies par le
cément.
La surface interne de l'ivoire répond à la cavité centrale dont est creusée
chaque dent. Cette cavité a exactement la même forme que la couronne et
que l'organe (la pulpe) qu'elle renferme et sur laquelle elle est exactement
moulée.
Cette cavité a donc, de même que la dentine qui la contient, une figure
variable suivant les espèces de dents, c'est-à-dire qu'elle est fusiforme pour les
canines, analogue à un coin pour les incisives et, dans les molaires, pourvue
à la partie la plus élevée d'un nombre d'enfoncements conoïdes ou cornes, en
nombre égal aux saillies de la pulpe.
Du côté de la racine, cette cavité présente des prolongements simples aux
incisives et canines, multiples aux molaires et destinés à contenir les ramitlca-
tions de la pulpe et les faisceaux vasculo-nerveux, qui pénètrent au centre
de l'organe.
Les dimensions de la cavité centrale, très-grandes chez l'enfant oiî la pulpe
qu'elle contient est volumineuse, diminuent progressivement avec l'âge pour dis-
paraître finalement chez le vieillard. Le mécanisme de cette réduction d'étendue
réside dans le phénomène continu de production de dentine, laquelle se sura-
joute couche par couche pendant toute la durée de la vie à la face interne de
la cavité centrale. Cette circonstance nous a permis de dire que chez tous les
animaux, en raison d'une loi constante, l'accroissement en volume de la dent
est continu, mais non point, il est vrai, à la manière des incisives des ron-
geurs, lesquelles, composées uniquement d'une couronne, sont appelées à s'user
par la mastication. Ce phénomène pour les dents pourvues de racines se renferme
dans la cavité de la pulpe, dont la capacité s'affaiblit peu à peu sous la pro-
duction incessante des couches successives.
La surface de cette cavité lisse et polie à un examen superficiel présente, si
on l'examine à un grossissement de 500 diamètres et sur une préparation
16 DENT (histologie).
sèche, les innombrables orifices de canaux devenus vides par la dessiccation
de leur contenu et qui rayonnent dans toutes les directions.
Sur une pièce sèche comme un petit fragment de chapeau de dentine en voie
d'évolution, les orifices apparaissent comme un point noir central limité par une
petite 7.one claire, entourée elle-même d'un cercle noir. Cet aspect est de nature
à donner l'idée d'un double contour à la lumière des canalicules. Ce n'est là
qu'une api)arence duc ù la réfraction des deux orifices superposés de la coupe
vue par transparence, car, si l'on étudie une coupe analogue à l'état frais, le
contenu des tubes apparaît clair et transparent et le contour unique.
Si la préparation est un peu oblique par rapport à la direction des canalicules,
on verra à la fois l'orifice de ceux-ci et une certaine étendue de leur trajet.
Si enfin la coupe est tout à fait parallèle au trajet des canalicules, on pourra
réaliser sur mie dent fraîche une préparation dans laipielle on verra l'orifice
d'entrée des tubes, et au delà de ceux-ci des cellules de l'ivoire tantôt brisées
et ayant laissé les prolongements dans le canalicule, tantôt entières et restées
dans leur rajiporl normal. Parfois mémo une de ces cellules reste en connexion
d'une part avec le canalicule dans lequel elle pénètre, et d'autre part avec l'une
des cellules du stratnm que nous étudierons dans l'histoire du développement
{voy. Physiologie).
Maintenant, en étudiant la niasse de l'ivoire au point de vue de sa structure
intime, on lui reconnaît deux éléments qui sont : une substance fondamentale
et des fibrilles.
La substance fondamentale, tissu propre de l'ivoire, est une matière homo-
gène d'une grande dureté, transparente ou finement granuleuse à un fort
grossissement. Cet état granuleux s'observe particuliètement dans les dents
de structure défectueuse, tandis que la grande transparence et l'aspect nacré
de la dentine sont les indices d'une constitution plus parfaite. Cette substance
est interposée aux fibrilles qu'elle sépare et forme ainsi des colonnes de contour
irrégulier.
Par cette disposition, la substance fondamentale de la dentine se présente en
proportion variable suivant la situation plus ou moins rapprochée des fibrilles
et les points où elles sont plus ou moins confluentes. C'est ainsi qu'elle est moins
abondante au voisinage de la cavité centrale où les origines des fibres sont très-
rapprochécs, tandis que sur les points plus éloignés de la périphérie de l'ivoire
les canalicules s'éloignent notablement les uns des autres en diver^^eant vers la
surface extérieure de la dent; toutefois ces différences de quantité relative de
substance fondamentale sont plus apparentes que réelles, car, si au voisinage de
la pulpe les fibres sont plus rapprochées, la multiplicité des anastomoses dans
les couches plus éloignées ne laisse que peu de place aux intervalles de la
substance traversée souvent par places par un réseau extrêmement serré. Ce
qui est plus exact, c'est que la densité de la dentine est beaucoup plus grande
à la périphérie qu'au centre, les couches les plus anciennes continuant sans
cesse à se calcifier par la suraddition incessante des matériaux élaborés par
la pulpe. Ainsi s'explique la très-grande dureté et l'extrême fragilité qu'acquièrent
les dents des vieillards, chez lesquels on constate d'ailleurs, en même temps que
la diminution d'étendue de la cavité de la pulpe, la réduction du diamètre et
parfois même l'atrophie d'un grand nombre de fibrilles. Ce phénomène, qui est
ici tout à fait physiologique, s'observe, comme on sait, dans la marche de
certaines caries où l'ivoire, réagissant d'une manière tout à hii organique ou
DENT (histologie). 17
vitale, devient le siège de production de ce que nous avons appelé le cône de
résistance. Or ce cône est représenté par une zone d'ivoire dont les fibrilles sont
calcifiées par une formation de dentine secondaire.
Considéré dans la coupe transversale d'une couronne saine, l'ivoire présente
une disposition stratifiée, c'est-à-dire que la substance parjît composée de
couches parallèles et concentriques. Les Anciens avaient déjà remarqué cette
disposition qu'ils avaient rencontrée sur des dents soumises à l'incinération.
L'emploi des acides faibles et les altérations telles que la carie amènent le
même résultat en permettant de dissocier le tissu de l'ivoire en couches su-
perposées.
Sur une coupe normale, la disposition stratifiée dont il s'agit se traduit par
des lignes parallèles appelées par W. Owen lignes de contour et observées par
la plupart des anatomistes. Dans une théorie actuellement abandonnée, et dans
laquelle on croyait l'ivoire produit par la calcification directe de couches super-
posées de cellules, les lignes de contour étaient regardées comme la trace de ce
travail de formation. Mais il est démontré aujourd'hui que ce n'est p;is ainsi
que se forme la denline et il faut dès lors expliquer autrement les dispositions
en question. Oi', un examen attentif permet de reconnaître que la masse des
fibrilles ainsi que la substance interposée éprouvent dans leur trajet excentrique
des ondulations assez régulières, de telle sorte que chacune de ces ondulations
correspondrait à l'épaisseur d'une couche d'ivoire, résultat du trava'l des cel-
lules de la surface de la pulpe. Celte formation par couches superposées rap-
pelle exactement les dispositions des lamelles concentriques des os autour d'un
canal de llavers et dont le mode de développement comparable pour les deux
tissus a été mis en évidence pai les expériences déjà anciennes de Flourens
avec la garance. Il semble donc, pour la denline comme pour le tissu osseux,
que le travail qui a produit une couche de tissu est suivi non d'un temps de
repos, carie phénomène est continu, mais d'un certain changement de direction
générale qui se traduit ainsi par une légère ligne de démarcation.
Outre les lignes concentriques de l'ivoire on observe très-souvent, mais non
constamment, dans l'épaisseur des lissus, des zones composées de globules de
dentine séparée par des espaces intercjlobulaires (fig. 2, </). Ces dispositions
considérées comme normales par Czermak et Owen, sans doute en raison de leur
fréquence, sont en réalité des accidents de l'évolution, de véritables anomalies
déstructure. Nous n'avons donc pas à les décrire ici; ils trouveront leur place
dans l'étude des anomalies desquelles ils relèvent.
Les auteurs ont décrit de tout temps dans la composition de l'ivoire un réseau
de canalicules qui en constitueraient avec la substance fondamentale les deux
parties essentielles. Ces canalicules existent en effet sur toute préparation sèche
d'ivoire, et c'est dans ces conditions qu'on en a établi les caractères, les dimen-
sions, les dispositions diverses, et qu'on a réussi même à les injecter. Nous
allons les décrire aussi à notre tour, nous réservant de dire ensuite à quelle
interprétation nous avons été conduit sur leur nature et leur mode déformation.
Les canalicules sont des tubes qui parcourent la substance de l'ivoire dans
toute son étendue depuis la cavité centrale où ils s'ouvrent jusqu'à la limite
extérieure du tissu où ils se terminent au voisinage même de l'émail.
Découverts en 1673 par Leeuwenboeck, ils ont été étudiés depuis par tous les
anatomistes et injectés pour la première fois, croyons-nous, par le professeur
Gerlach en 1859.
DICT. ENC.XXVJI, 2
18 DENT (histologie).
Ce sont des canaux microscopiques dont le diamètre varie suivant les pomts
oij on les observe : leur largeur au voisinage de la pulpe est de 0""",005,
et dans les ramifications terminales ils arrivent à être difficilement perceptibles
même à un fort grossissement. Leur dimension moyenne est de 0"'°s0015 à
0™"',00'2. Ces chiffres observés chez l'homme varient infiniment suivant les es-
pèces animales, mais c'est chez les pois-
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Fig, 2. — Coupe lon^iluiliriale d'une molaire
adulte, intéressant l'émail et l'ivoire, et des-
tinée à montrer les dii^posilions et les anasto-
moses des librilles dentaires (fig^ure empruntée
au mémoire Robin et Magitol. 1860).
a. Émail avec ses prismes. — b, Couche des
cellules anaslomotiques de la couche superli-
cicUe de denline. — c. Ivoire avec les fibrilles
ramifiées et anastomosées. — d, Couche des
globules de démine et des espaces interglo-
bulaires.
sons qu'ils acquièrent leur plus giand
accroissement. Aussi devra-t-on s'a-
dresser à ces animaux pour étudier ies
particularités anatomiquesqui les con-
cernent, la constitution des canalicules
étant d'ailleurs identique chez tous les
vertébrés pourvus de dents ou de pro-
ductions analogues.
Les canaliculcs de l'ivoire suivent
un trajet uniforme représenté par le
rayon de la dent ou par une ligne per-
pendiculaire à la cavité de la pulpe
aussi bien qu'à la surface extérieure de
l'ivoire. Ils s'irradient ainsi du centre
à la périphérie. Leur orifice central
s'ouvre à la surface de la pulpe et ils
fournissent ainsi dès leur début même
et dans toute leur étendue des anaslo-
moscs qui affectent les formes les plus
variées : parfois elles sont transver-
sales entre canalicules voisins, ce qui
s'observe même au voisinage de la
pulpe. Un peu au delà, les anastomoses
prennent souvent la forme arbores-
cente, ce qu'on remaïque, par exemple,
lorsqu'un canalicule occupe une sorte
de lacune de la substance fondamen-
tale. Mais cette disposition représente
plutôt un accident qu'un système nor-
mal. Ordinairement les branches laté-
rales assez courtes se perdent en ana-
stomoses réciproques dans un réseau
très-fin. Quelquefois une branche se
détache d'un tube et, conservant un
diamètre sensiblement égal au tronc
primitif, se dirige transvei salement ou
plus ou moins obliquement soit vers
le canalicule voisin où elle pénètre directement, soit vers un canalicule distant
de deux ou trois intervalles, pour constituer une véritable anse de commu-
nication. On peut voir dans la figure ci-contre (fig. 2, c) les différents procédés
d'anastomoses qui peuvent se rencontrer.
Enfin la masse des canalicules parvenue à la couche la plus superficielle de
l'ivoire offre sur ce point une série de lacunes ou de vacuoles rares dans cer-
DENT (histologie). . 19
taines préparations, confluentes dans d'autres, et dans lesquelles viennent se
rendre les extrémités terminales des canalicules. Ces vacuoles, qui représentent
une couche spéciale de la substance de l'ivoire, ont été depuis longtemps désignées
par nous sous le nom de réseau anastomotique des canalicules dentaires. C'est
-en effet un véritable système d'anastomoses réciproques des exlrémités termi-
nales des tubes et dont le contenu estidrntiqueà celui des canalicules eux-mêmes.
En outre, c'est de ces lacunes que partent les ramifications qui pénètrent dans les
vacuoles propres de l'émail où elles ont pour but physiologique d'entretenir un
certain mouvement nutritif, très-rudimenlaire toutefois, dans ce dernier tissu.
Ces relations tubulaires entre l'ivoire et l'émail, mises en doute par Waldeyer
■et Hertz, ont été démontrées de la manière la plus évidente dans ces derniers
temps par Tomes, qui les a étudiées chez plusieurs espèces de mamuiifèies et
en particulier chez les marsupiaux.
Considérés dans leur ensemble et sur une coupe observée cette fois à un
faible grossissement, les canalicules de la duntine décrivent dans leur trajet plu-
sieurs séries d'ondulations dont les courbures répondent exactement à ces lignes
■de contour dont nous avons parlé plus haut.
Le contenu des canalicules de l'ivoire a été l'objet d'un grand nombre de
discussions parmi les anatomistes. Primitivement on pensait que les canalicules
étaient creux et qu'ils transportaient un liquide alcalin d'imbibition. Ce liquide
aurait même été analysé, mais une telle hypothèse est actuellement presque
universellement rejetée ; M. Salter reste à peu près le seul à la défendre.
€'est M. J. Tomes qui le premier en 1853 découvrit dans l'intérieur du tube
la présence d'une fibrille molle qui le remplit entièrement et se divise ainsi
qu'eux en ramifications et en anastomoses. Suivant le savant anatoniiste, cette
fibrille n'exclurait pas la présence d'une paroi propre des canalicules, mais ce
point ne nous paraît pas suffisamment démontré, et, malgré nos plus patientes
recherches sur des coupes d'ivoire diversement traitées par les acides, nous
n'avons pu réussir à discerner à la fois la fibrille centrale et la gaine périphé-
rique. D'ailleurs les considérations tirées du développement de l'ivoire ne
permettent pas, ainsi qu'on le verra plus loin, d'admettre la formation d'une
paroi spéciale aux tubes de l'ivoire, tandis que la présence des fibrilles est due
à la persistance pendant toute la vie du prolongement ou queue des cellules de
l'ivoire qui tapissent la surface de la pulpe et qui sont l'axe ou le centre autour
■duquel se groupent les éléments de la substance fondamentale.
Ces fibrilles sont amorphes, molles et transparentes à l'état frais, et destruc-
tibles par la dessiccation, de sorte que les canalicules à l'état de vacuité se rem-
plissent d'air et apparaissent noirs sous le microscope. Très-fines chez rhomme
et les mammifères oii les tubes dentinaires sont très-étroits, elles prennent un
développement plus grand et sont plus faciles à étudier chez les poissons, qui
ont des canalicules très-larges. C'est ainsi qu'on peut reconnaître certaines
particularités importantes : ainsi sur une coupe de dentine d'une dent de raie,
soumise successivement à l'action des acides faibles et additionnées de chlorure
d'or, on peut rencontrer dans le tmjet des tubes des fibrilles très-déliées, pré-
sentant de petites nodosités sur certains points. Les fibrilles ainsi détachées par
les agents employés occupent le centre des canalicules.
Il résulte des considérations anatomiques qui précèdent que la dentine ne
doit plus être considérée actuellement comme un tissu creusé de canalicules
proprement dits.
20 . DENT (ijistologie).
En effet, si l'on prépare, sous Teau et en évitant soigneusement toute tendance
à la dessiccation, une coupe histologique de dentine prise sur un des organes
désignés plus haut et fraîchement séparés de l'animal, la composition de ce
tissu apparaît sous l'aspect suivant :
1" Une substance fondamentale homogène ou finement granuleuse forme la
masse du tissu. Elle est dure, résistante, demi-transparente et d'une composi-
tion organo-minérale dans la proportion de 1/2 ;
2° Un faisceau de fibrilles molles disposées à leur point de départ par troncs
parallèles, puis ramifiées et anastomosées dans tous les sens pendant leur trajet
au sein de la substance fondamentale, et aboutissant, à la limite du tissu, à
une série de petites dilatations formant dans leur ensemble un système terminal
d'anastomoses réciproques. Ces fibrilles sont intimement adhérentes au tissu
ambiant, sans inteiposition d'aucune membrane ou substance quelconque. Elles
font partie intégrante de la masse ;
3" Un oigane mou, de nature papillaire, occupant invariablement une cavité
creusée au centre ou au-dessous de la masse du tissu dentinaire. Toute sa
surface est recouverte d'une couche non interrompue de cellules épithéliales,
cellules de la denline ou udontoblaxlcs. L'organe est en outre abondamoieiit
pourvu de vaisseaux et contient une quantité considérable de nerfs de sensi-
bilité dont les extrémités terminales sont en continuité avec les cellules elles-
mêmes par l'intermédiaire d'un système de filaments et de cellules spéciales
{substratuni des odontoblastes). D'autre part, ces odontoblastes présentent à
leur extrémité péi iphérique des prolongements filiformes (queues des odonto-
blastes), lesquels pénètrent dans la substance de la dentine et y repiésentent
précisément par leur ensemble le réseau fibrillaire.
Dans un examen ainsi pratiqué d'une pièce fraîche préparée sous l'eau, avec
ou sans ramollissement préalable dans les acides faibles, il est impossible de
discerner aucune autre particularité anatomique essentielle, non plus qu'on ne
peut apercevoir la trace de canalicules indépendants. L'existence universelle-
ment admise de ceux-ci ne repose que sur une erreur d'interprétation résultant
de l'observation de pièces sèches, dans lesquelles la dessiccation de la fibrille a
produit l'apparence purement artificielle d'un tube devenu vide.
La démonstration de cette manière de voir deviendra complète, si l'on étudie une
coupe fraîche de dentine soumise à l'action prolongée des acides faibles ; on se
convaincra aisément que le réseau fîbrillaire isolé au sein d'une masse devenue
gélatiniforme constitue en réalité la trame unique du tissu.
La dentine doit donc être regardée comme un tissu fibrillaire inclus dans
une masse dure et homogène à laquelle on ne saurait attribuer la structure
canaliculée, pas plus qu'on ne serait fondé à l'admettre pour un muscle ou
tout autre organe parcouru par un réseau de fibrilles nerveuses. Le tissu osseux
lui-même, occupé, comme on sait, par des cellules ramifiées, ne saurait être
davantage regardé comme creusé de cavités et de canaux qu'en raison de la
même erreur d'interprétation résultant de l'observation de pièces sèches.
Les faits du développement du tissu dentinaire concourent d'autre part, ainsi
qu'on le verra plus loin, à la démonstration de ces vues anatomiques.
On observe, en effet, dès le début de la formation de la dentine, que les
éléments de la substance fondamentale élaborés par la couche des cellules ou
odontoblastes se déposent molécule à molécule autour du filament caudal de
chacune de ces cellules. Ils forment ainsi à ce filament et à toutes ses subdivi-
DENT (histologie). 21
sions une véritable gaîne complète en contact absolu avec lui. Chaque filament
fibrillaire repiésente donc l'axe de développement d'une gaîne de dentine,
tandis qne l'ensemble des fibrilles forme comme le squelette général du tissu.
La formation de la dentine, ainsi commencée par le groupement des maté-
riaux organo-calcaires autour des prolongements périphériques des odonto-
blastes, se continue de dedans en dehors par l'allongement progressif de chaque
filament et l'augmentation proportionnelle en épaisseur de la couche de dentine.
Ce phénomène est permanent.
La dentine, ainsi formée à la surface d'une couche de cellules spéciales et
autour de filaments émanés de ces cellules mêmes, est un tissu éminemment
pourvu d'un mouvement nutritif et de rénovation moléculaire complète. Il est
doué, d'autre part, d'une sensibilité propre, dont l'agent essentiel est la fibrille,
laquelle est mise, par l'intermédiaire des odontoblastes, en [communication
directe avec les extrémités terminales des nerfs de sensibilité. Ces ramifications
nerveuses sont les mêmes que celles qui alimentent les papilles sensitives de la
peau, dont les organes pourvus de dentine ne sont que des dépendances (tissu
phanérophore et phanères de de Blainville).
Ainsi constituée, la dentine n'est nullement assimilable à un produit sécrété,
ainsi que l'idée en a été formulée par quelques auteurs : c'est un tissu vivant,
sensible, sans analogue dans l'économie animale, où il possède une physionomie
€t un rôle qui lui sont propres.
La découverte par Tomes dans l'intérieur des tubes dentinaires de fibrilles
spéciales a éclairé d'une manière à la fois nouvelle et complète la physiologie
de la dentine. On sait en effet que les dents sont douées d'une sensibilité très-
vive et qu'elles perçoivent la présence et les qualités physiques des corps qui
les touchent. On constate d'autre part que l'ivoire au voisinage de la couche
d'émail est très-impressionnable au contact de corps étrangers et de certains
agents chimiques. Les phénomènes d'agacement par le grattage ou par les
liquides acides ou sucrés i-onl bien connus. On avait cherché jusqu'alors à en
donner la raison par un simple fait de transmission au travers du tissu jusqu'à
la pulpe centrale, laquelle avait seule le rôle de perception. Mais on n'expli-
quait pas ainsi comment cette sensibilité est si variable suivant certains points
de l'ivoire lui-même: ainsi la couche la plus superficielle, sous-jacente à l'émail,
est extrêmement sensible, celles qui sont au-dessous le sont infiniment moins
et celles qui avoisinent la cavité centrale le redeviennent à un haut degré. Les
fibrilles considérées comme organes directs de sensibilité donnent de ces phé-
nomènes une explication satisfaisante. Nous verrons en effet que les fibrilles
sont, par l'intermédiaire des cellules de l'ivoire dont elles représentent le pro-
longement, en continuité directe avec le tissu propre de la pulpe et plus exac-
tement avec les extrémités terminales des filets nerveux sensitifs de la cinquième
paire. On se souvient en outre que ces fibrilles se ramifient et s'étalent dans le
réseau anostomotique de la cavité superficielle de l'ivoire, tandis qu'en deçà do
ce point elles n'occupent que le centre des tubes et de leurs anastomoses ; de
plus il est reconnu que c'est au voisinage de la cavité centrale que les tubes
sont le plus larges et les fibrilles le plus volumineuses.
Les expériences de Tomes que chacun pourra vérifier et répéter confirment
pleinement les données anatomiqucs. Cet anatomiste a reconnu en effet qu'en
détruisant la pulpe on anéantit immédiatement toute sensibilité de la dentine
et que d'autre part les cautérisations des surfaces dénudées d'ivoire, soit par
22 DENT (histologie).
le feu. soit par les caustiques, amènent le même résultat. Ces derniers agents-
ont pour premier effet de détruire les extrémités mises à nu des fibrilles,
tandis qu'elles provoquent plus tard l'oblilération des canalicules par la dentine
secondaire. C'est le même phénomène qui s'effectue dans le passage d'une carie
active en carie sèclie, et c'est encore lui qu'on s'efforce de provoquer par certains
moyens astringents dans la thérapeutique de cette maladie. Il n'est donc pas dou-
teux aujourd'hui que l'ivoire doive sa sensibilité sous toutes ses formes à la pré-
sence des fibrilles qui le parcourent dans tous les sens. La réduction progres-
sive qu'amènent les progrès de l'âge dans le volume de la pulpe et dans la
capacité des tubes explique également comment la sensibilité devient graduel-
lement très-rudimentaire chez le vieillard.
Ainsi qu'on vient de le voir, la constitution de l'ivoire permet donc de lui
reconnaître une sensibilité propre (pii se retrouve, bien qu'avec une intensité
variable, sur tous les points de sa substance, aussi bien dans les racines que
dans les couronnes, tant que la substance des fibrilles ou celle de la pulpe
centrale n'a pas été intéressée. L'émail toutefois n'y participe point directement,
son tissu étant, comme on l'a vu, parfaitement compacte : aussi est-il nécessaire
d'invoquer ici une simple transmission purement mécanique pour les impres-
sions qui frappent la couronne à la surface de sa couche d'émail.
La constitution âc l'ivoire, ainsi que nous venons de la décrire, se retrouve à
peu près idciili([uo chez l'homme et la plupart des mammifères, mais il n'en est
pas de même pour les animaux inférieurs et en particulier chez les poissons.
C'est en effet chez ces derniers qu'ont été décrites par Owen et Ch. Tomes
des dispositions qui ont reçu certains noms.
Ainsi dans certaines espèces la cavité centrale, au lieu d'être unique comme
chez l'homme, présente des ramifications, des diverticulum logés dans des
canaux spéciaux de l'ivoire. Ces ramifications, qui rappellent la disposition des
racines des dents, se composent d'un capillaire sanguin qui serait dépourvu,
suivant Ch. Tomes, d'une paroi propre et d'une couche régulière de cellules de
l'ivoire ou odontoblastes en rapport direct avec la substance de l'ivoire. Ce
dernier tissu présenterait lui-même certaines particularités de structure, comme,
par exemple, l'absence de tubes. On a donné à cette variété le nom de vaso-
dentine ou dentine vasculaire. Les dents des Myliobates et des Saumons ea
offrent des exemples.
D'autres fois les lames de l'ivoire présentent une forme contournée sur elles-
mêmes et comme formant des plis multipliés. C'est la plici-dentine. Telles sont
les dents du Labyronthodon, d'après R.Owen.
Enfin, lorsque la dentine présente des lacunes plus ou moins étendues qui
se trouvent remplies par du cément dont les éléments se mêlent plus ou moins
entièrement aux tubes eux-mêmes, le tissu intermédiaire prend le nom à'ostéo-
dentine. La dent du Brochet serait ainsi composée d'ostéo-dentine, car on y ob-
serve un tronçon conique de tissu osseux recouvert d'une couche mince d'ivoire
ordinaire.
C'est de la sorte que Ch. Tomes décrit dans ses remarquables études d'ana-
toniie comparée jusqu'à quatre variétés de dentine, y compris la dentine tubulaire
des mammifères. Ces diverses variétés se retrouvent soit isolées, soit combinées
entre elles dans certaines espèces.
Les analyses chimiques de l'ivoire ont donné les résultats suivants d'après
Bibra :
DENT (histologie).
INCISIVE ADULTE
23
Substances organiques .
Substances inor^ani(iues
MOLAIRE ADULTE
Pbosphate de chaux avec traces de fluorure de calcium
Carbonate de chaux
IMiosphalc de cliaux
Sels soiubles
Cartilage
Graisse
Homme.
6G,72
3,5G
1,0S
0,83
27,61
0,40
400,00
Hommes.
28,70
71 ,30
Femme.
67,54
7,97
2,49
1,00
20,42
0,58
100,00
il
G. Cément. Le cément, partie la moins considérable de l'organe dentaire,
est une véritable substance osseuse.
Son existence est à peu près constante
dans les espèces animales supérieures,
mais son volume est très-variable. Chez
le cheval, l'éléphant, le dauphin, le
cachalot, son épaisseur est très-grande
et atteint presque, chez ces deux der-
niers animaux, le volume de la den-
tine; chez l'homme, les carnassiers,
les rongeurs, il ne forme autour de la
racine qu'une écorce très-mince. C'est
lui qui, chez les ruminants el les
pachydermes, réunit en une seule
masse les divisions de leurs dents com-
posées et qui, dans l'espèce humaine,
confond quelquefois en un seul faisceau
les diverses racines des molaires.
Dans les dents humaines, le cé-
ment revêt toute la surface des ra-
cines. Commençant au niveau du
collet par uu bord aminci qui se pro-
longe même sur l'émail, il s'épaissit
peu à peu à mesure qu'on s'approche
du sommet de la racine où il atteint
parfois 3 à 4 millimètres. Son aspect
extérieur est très-analogue à celui de
l'os; il est jaunâtre et opaque, d'une
densité voisine de celle du tissu osseux,
et inférieure à celle de la dentine. Ap-
pliqué intimement sur la surface ex-
térieure de celte dernière, il remplit
exactement toutes les anfractuosités
Fig. 3. — Coupe verticale d'une dent adulte, iD-
téressant le rément el l'ivoire, grossissement de
350 diamètres.
A, Substance fondamentale du cément, marquée
de stries granuleuses indic|uant un commence-
ment de slratilicalion. — B, Corpuscules osseux
ou ostéoplastes disposés irrégulièrement au
sein de la substance fondamentale et présentant
les formes les plus variées. — C, Canalicules
rayonnes des ostéoplastes. — D, Couclie granu-
leuse continue sous-jacente au cément et à l'é-
mail et disposée au sein de l'ivoire. Elle repré-
sente cette série de cellules formant l'épanouis-
sement des fibrilles dentaires. — E, Anastomoses
des filtrilles deniinaires. — F, Fibrilles denli-
naircs avec leurs ramifications.
qu'elle présente, de sorte que la ligne
de démarcation des deux tissus devient souvent inappréciable. Sa surface
externe, couverte de petites nodosités, est tapissée delà membrane alvéolo-den-
taire, qui fait ici l'oflice d'un véritable périoste, et dont les vaisseaux commu-
niquent avec le tissu cémentairc.
24; DEIST (histologie).
La couche de cément se développe en même temps que les racines qu'elle
recouvre, et présente un accroissement de volume continu. C'est ainsi que,
très-faible au début de sa formation, son épaisseur s'accroît avec l'âge et devient
assez grande dans la vieillesse, circonstance qui pourrait expliquei' comment
certaines dents de vieillards se maintiennent dans leurs alvéoles, grâce à la
couche de cément qui les entoure, et malgré la disparition complète de la
pulpe centrale.
De même que les os, le cément se compose d'une substance fondamentale et
de cavités osseuses (corpuscules osseux de Purkinje, ostéoplasLes de Robin).
Quant aux canaux de Havers, qui sont nombreux dans le cément des pachy-
dermes et des ruminants, ils ne se rencontrent chez l'homme que lorsque le
cément acquiert une certaine épaisseur, au sommet des racines, par exemple,
et principalement dans les masses hypertiophiques connues sous le nom
d'exostoses, afleclioiis assez communes chez l'homme.
La substance l'ondamenlale du cément est homogène ou finement granuleuse
et diaphane. Au voisinage du collet, où elle ne contient pas d'ostéoplables, elle est
mince, transparente et friable : aussi la renconlre-l-on souvent marquée de
stries, de fissures, etc. On sait en outre que sur ce point elle se prolonge à la
surface de l'émail où, d'après Ch. Tomes, elle constituerait la cuticule de l'émail.
D'après celle théorie à laquelle nous nous sommes raUié entièrement, le cortical
représente donc pour les dents dépourvues de cément coronaire la trace persistante,
sous forme de membrane amorphe, de l'organe du cément embryonnaire. Dans
les parties les plus épaisses, elle présente quelquefois la disposition en couches
stratifiées, ordinaire dans le tissu osseux, et l'on peut observer également dans
ces circonstances la présence de quelques canaux de llavers, dont la lumière
sert de centre commun aux stratifications de la substance osseuse.
Les corpuscules osseux ou ostéoplasles sont ordinairement disposés dans l'iu-
térieur du cément d'une façon très-irrégulière. Il ne faudrait donc pas leur
considérer avec KoUiker la précision de forme et les divers caractères qu'on leur
trouve dans les os. Leur nombre est toujours en rapport avec l'épaisseur de la
couche de cément. Leur direction, suivant llannover, est telle que leur grand
diamètre se présente perpendiculairement à l'axe de la dent, tandis que, suivant
KôUiker, le diamètre serait parallèle à cet axe. Pour nous, nous les avons
toujours vus placés sans aucun ordre, sans aucune direction déterminée, et
disposés çà et là dans l'épaisseur du cément. Ce n'est que dans les points où se
rencontre un canal de Havers que les ostéoplasles prennent une direction
parallèle au contour des lames stratifiées, et offrent alors une forme et une
disposition à peu près constantes.
Les canalicules ramifiés des ostéoplasles participent le plus souvent de
l'irrégularité de la cavité : aussi les voit-on présenter les directions les plus
bizarres. Dans certains cas ils se portent tous du même côté, et simulent une
toulfe de mousse (Tomes); d'autres fois ils parlent tous du môme point de la
cavité; quelquefois enfin ils manquent compléleaienl. Dans quelques endroits,
on voit les cunalicules se porter vers la surface extérieure du cément et la
membrane alvéolo-dentaire, à laquelle ils empruntent sans doute des matériaux
de nutrition.
Les dimensions des ostéoplasles sont assez difficiles à déterminer; néanmoins
leur diamètre moyen nous a paru être de 0'""',0ô à 0">'",0() dans leur plus
grande longueur. KoUiker eu a signalé de si allongés qu'on [jouvail les comparer
DENT (histologie). 25
à des canalicules de l'ivoire, analogie qu'on ne saurait méconnaître, dit-il, et
qui établirait une transition insensible entre le cément et la denline. Nous
n'avons jamais observé cette disposition, et nous admettons entre les deux sub-
stances une limite assez nette, que ne franchissent jamais les parties constituantes
de l'une ou de l'autre. Le même auteur décrit en outre, dans le cément, des
espaces anfractueux, qu'il considère comme des productions pathologiques, et
dont il ne spécitie pas les caractères.
La communication des ostéoplastes et de leurs divisions avec les brandies
lerminides des canalicules dentaires à été admise par un certain nombre d'ana-
toinistes. Kolliker indique même, comme nous venons de le voir, un système
spécial de canaux intermédiaires aux deux autres, et destinés à établir ces
anastomoses. Ilaniiover nie cette circonstance, et se fonde sur ce que le cément
et l'ivoire sont séparés par une matière particulière, le stratum intermedium,
transformation de la membrana mierm«/ia qui s'oppose à cette communication.
Mais aujourd'hui les derniers travaux de Ch. Tomes ont mis hors de doute
les communications entre les extrémités des canaux des ostéoplastes et les
ramiiications terminales des canalicules.
La constitution cliimique du cément, presque identique à celle de l'os, est
la suivante, d'après une analyse de Bibra :
Chez riiomme Bœuf.
Substances organiques 29,12 52,21
Substances inorganiques 70,58 67,76
100,00 100,00
Ces substances, étudiées chez le bœuf, ont donné :
Pliosphates de chaui et fluorure de calcium 48,73
Carbonate de chaux 7,22
Phosphate de magnésie. , 0,99
Sels solubles 0,82
Cartilage 31,51
Graisse 0,93
100,00
II. Tissus MOUS. A. Pulpe dentaire. La pulpe dentaire, chez l'adulte,
n'est autre chose que la papille dentaire du fœtus, dont le volume est énormé-
ment réduit par suite des progrès du développement; elle occupe la cavité
centrale dont est creusée l'épaisseur de la denline, et se prolonge dans les
racines à travers les canaux dont celles-ci sont traversées. Exactement moulée
sur les parois de la cavité qui la contient, elle représente par sa forme celle de
la dent qui la recouvre : ainsi, disposée en fuseau dans l'intérieur des canines,
elle est taillée en biseau dans les incisives, et offre dans les molaires un nombre
égal de saillies coniques au nombre des tubercules de la couronne. Son volume,
considérable chez l'enfant, diminue graduellement avec l'âge , et se trouve
réduit chez le vieillard à un mince filet allongé, occupant l'étroit canal de la
dent. Enfin elle disparait complètement vers le terme de la vie, lorsque la
production incessante des éléments de l'ivoire a comblé entièrement la cavité
qu'elle occupe.
La pulpe dentaire est un organe mou, de couleur rougeâtre ou rosée, et se
détachant assez facilement de la paroi qui la renferme; toutefois on verra que
cette séparation ne se fait qu'aux dépens des cellules de l'ivoire, qui se brisent
sur un point variable de leur étendue.
26 DENT (histologie).
Examinée chimiquement par M. le professeur Wurtz {Union médicale,
25 novembre 1856), elle a été trouvée imprégnée d'un liquide fortement alcalin,
et contenant en dissolution une matière albuminoïde particulière. Cette matière
est la modification de l'albumine qui se forme par l'action des alcalis sur ce
principe. Elle précipite par l'acide acétique, ce qui la distingue de l'albumine
normale. Le liquide qui la tient en dissolution est incomplètement coagulé par
la chaleur : il est précipité d'ailleurs par les acides minéraux, le tannin, les
sels niélalliques, tels que le sous-acétate de plomb, le sulfate de cuivre, le
sublimé ; l'alcool le coagule en flocons épais. L'alcalinité de ce liquide excluant
l'idée d'y admettre le phosphate de chaux à l'état de simple dissolution, il
paraît plus probable que ce sel est intimement combiné à la matière albumi-
noïde elle-même.
La pulpe dentaire incinérée a donné, entre les mains du même chimiste, un
résidu fortement alcalin , dans lequel ou n'a découvert que des traces de
phosphate de chaux.
Au point de vue histologiquc, la pulpe dentaire de l'adulte n'offre que de
très-légères différences avec le même organe chez le fœtus. On le trouve, en
effet, composé d'une trame fibreuse assez serrée, avec interposition de matière
amorphe homogène, finement granuleuse et transparente, au sein de laquelle
se trouvent disposés des noyaux embryoplastiques qu'ont peut observer à toutes
les périodes de leur évolution. Les noyaux sont moins volumineux cependant
que chez le fœtus, mais leurs divers caractères sont identiques. On ne trouve
plus, dans l'intérieur de l'organe, les masses calcaires et les cristaux d'héma-
toïdine que l'on observe chez le foetus.
Les vaisseaux de la pulpe dentaire sont extrêmement nombreux, d'où la
couleur rosée ou rougeàtre de ce tissu. La pulpe reçoit autant de filets vascu-
laires et nerveux que la dent présente de racines. Pour certaines dents qui ne
présentent qu'une racine unique ou dans lesquelles la racine proprement dite
ne se distingue pas morphologiquement, l'ivoire et le cément sont traversés par
des canaux qui tantôt directs, tantôt courbes, renferment un faisceau vasculo-
nerveux qui se rend à la pulpe.
Les vaisseaux qui se ramifient ainsi par les divisions deplusieurs troncs primitifs
forment un réseau très-fin qui se termine au voisinage de la surface. Ces
capillaires ont, d'après Kôlliker, 0""",009 à 0"'"\010 de largueur; ils appar-
tiennent à la troisième variété des capillaires de Robin.
Ordinairement on rencontre à la base de la pulpe deux ou trois vaisseaux ar-
tériels et un nombre égal de veines qui assez fréquemment affectent après un
certain trajet une disposition en anse ou en crosse, de la convexité de laquelle
partent des rameaux qui se ramifient au sein du tissu. Ces dispositions se re-
trouvent ainsi semblables chez l'homme et les mammifères.
Les vaisseaux lymphatiques ne se sont jamais rencontrés dans la pulpe, et
d'ailleurs les lésions inflammatoires de ces organes ne présentent aucun reten-
tissement dans les ganglions du voisinage.
Le réseau nerveux qui pénètre dans la pulpe est extrêmement riche, chaque
rameau vasculaire est accompagné, suivant Kôlliker, non d'un filet nerveux,
mais de plusieurs (jusqu'à six et davantage). Ces filets effectuent au niveau des
premières ramifications vasculaires une division qui donne lieu à un plexus
très-serré, lequel occupe toute la couclie superficielle de l'organe. Les fibres pri-
mitives par lesquelles ce réseau se termine ont de 0""',002 à 0™"%005 de lar-
DENT (histologie). 27
geur. Ce sont ces fibres qui, se détachant alors de ce réseau, se dirigent vers la
surface même de la pulpe dans la couche des cellules de la dentine, soit par
des anses terminales, suivant Wagner, soit par des extrémités coniques ou ren-
flées en bouton, ainsi que nous les avions décrites naguère avec M. Robin.
Dans des recherches plus récentes poursuivies de concert avec Ch. Legros,
nous avons dû modifier cette dernière manière de voir. C'est dans l'étude du
bulbe pendant la phase embryonnaire que nous sommes arrivés à saisir le mode
spécial de terminaison des filets nerveux sensitifs dans les éléments mêmes d'une
couche cellulaire sous-jacente à la rangée des cellules de l'ivoire et en continuité
complète avec elles. Nous insisterons plus loin, en traitant du développement
du follicule, sur ce point particulier qui est pour nous acquis détinilivcmei\t.
Ainsi s'explique, comme nous l'avons déjà dit, la sensibilité propre au tissu
de l'ivoire, par les fibrilles que renferment les tubes et qui sont en continuité
directe avec les éléments nerveux.
La pulpe dentaire est recouverte dans toute son étendue par une rangée uni-
que, mais non interrompue, de cellules, cellules de l'ivoire ou odonstalastes. Elles
sont incluses dans une mince couche de matière amorphe transparente ou fine-
ment grenue qui déborde la masse des éléments fondamentaux de l'organe.
C'est cette matière amorphe qui a été considérée comme une membrane, mem-
hrana prceformativa de la pulpe, parce que dans certains hasards de prépara-
tion cette couche amorphe, d'une densité un peu différente du tissu sous-jacent,
se détache en lambeaux membraniformes. Ce n'est donc là qu'une illusion, et la
couche en question entre réellement dans la constitution anatomique de la
pulpe. C'est dans son intérieur que sont situées les cellules de la dentine. Nous
renverrons à l'étude de la structure du follicule les détails anatomiques relatifs
à ces cellules de l'ivoire, nous résumez^ons seulement ici l'ensemble de leurs
caractères.
Ces cellules sont des corps ovoïdes ou piriformes, exactement contigus ou lé.
gèrement comprimés réciproquement. Dans leur grand diamètre, qui est dirigé
suivant le rayon de la pulpe, elles ont en longueur de 0"'™,02 à U""",04. Dans
leur diamètre transversal elles ont de 0'"™,005 à 0™'",015. Leur contour est ex-
trêmement pâle, leur contenu granuleux, mais également tiès-[>âle. Le noyau
qui occupe l'extrémité centrale est très-foncé et relativement volumineux. Il est
ovoïde ou sphérique et son diamètre atteint parfois 0"'™,01, de sorte qu'il occupe
alors toute la largeur de la cellule, dont il dépasse même souvent les limites.
11 renferme deux ou trois nucléoles brillants.
L'extrémité périphérique de la cellule de l'ivoire, celle qui est opposée au
noyau, est pourvue d'un prolongement en forme de queue ou de filament qui
pénètre directement dans le canalicule de l'ivoire ouvert devant chacune d'elles.
Ce prolongement occupe, ainsi que nous l'avons vu, le centre du canalicule avec
lequel il se ramifie à l'infini.
D'un autre côté, l'extrémité centrale pourvue du noyau se prolonge à son tour
par un ou plusieurs filaments qui se rendent dans une autre couche de cel-
lules, celles-ci étoilées et ramifiées, et qui sont désignées sous les noms de
stratum ou substratum des cellules de la dentine. Ce sont ces dernières qui
constituent un intermédiaire entre les cellules de l'ivoire proprement dites et le
tissu de la pulpe, ses vaisseaux, et surtout enfin avec les extrémités des fibres
nerveuses.
Nous n'insisterons pas davantage ici sur ces particularités anatomiques, dont
28 DENT (histologie).
nous réservons l'étude complète pour le moment où nous décrirons la morphologie
du bulbe dans l'organe folliculaire, cette description ne pouvant être séparée de
la question du développement de l'ivoire, et les conditions anatomiques restant
d'ailleurs pendant toute la vie ce qu'elles sont pendant la phase embryonnaire.
B. Périoste alvéolo-dentaire . Le périoste alvéolo-dentaire, qui a reçu les dif-
férents noms de membrane p érid entai re, intra-alvéolaire, etc., est un feuillet
fibreux qui tapisse toute la portion extérieure de la dent iiîcluse dans l'alvéole.
Elle sert d'intermédiaire entre la dent et le tissu osseux de la mâchoire. Elle
adhère intimement à la surlace dentaire, ainsi qu'à la paroi alvéolaire. Mais son
union avec cette dernière paraît moins intime, car l'extraction d'une dent per-
met d'entraîner en entier le périoste qui la revêt. Cependant, d'après Pietckicwicz,
il resterait dans ce cas encore une petite lame de lissu fibreux adhérant à l'al-
véole, ce qui serait dû à une certaine différence de structure et de densité.
Spence Bâte (British Joiirn. of Dent Science, vol. 1) va même jusqu'à considé-
rer cette membrane comme composée de deux feuillets, l'un dentaire, l'autre
alvéolaire, mais l'examen le plus minutieux est incapable de fournir la démons-
tration de cette opinion.
Formée par l'enveloppe épaissie du follicule, que nous avons vue se fixer for-
tement au collet de la dent, elle prend origine en ce dernier point et y con-
tnicte souvent une assez forte adhérence avec le tissu gingival, dont elle ne pa-
raît ctie du reste qu'une continuation, circonstance qui, dans l'opération de
l'extraction des dents, cause quelquefois des déchirures de la gencive, quand on
n'a pas pris le soin d'isoler la dent des parties molles. Elle se porte ensuite
vers le sommet de la racine, envoyant çà et là quelques brides fibreuses lâches
à la paroi alvéolaire, et, parvenue enfin au sommet, elle rencontre les vaisseaux
et nerfs de la dent, sur lesquels elle se prolonge pour former leur gaine, sans
se replier, comme on l'a cru, dans les canaux dentaires et y tapisser la surface
de la pulpe. Ces vaisseaux ne sont donc pas accompagnés par le périoste dans
leur trajet au sein de la dent, mais se trouvent en contact immédiat avec
l'ivoire.
La structure de cette membrane participe en même temps de la constitution de
la muqueuse et de celle du périoste osseux : aussi peut-on la considérer comme
intermédiaire à ces deux derniers. On la trouve composée, en effet, d'une trame
fibreuse simple, sans éléments élastiques, pai'courue par un réseau vasculaire
très-riche, et de nombreuses ramifications nerveuses formées, suivant Koliiker,
par des tubes larges. La vascularité de cette membrane et sa richesse nerveuse
expliquent les inflammations fréquentes dont elle est le siège, et les douleurs
vives qui les accompagnent.
Les éléments fibreux proprement dits du périosle alvéolo-dentaire sont accom-
pagnés pendant toute la vie d'un certain nombre de cellules embryonnaires,
de corps fusiformes , quelques corps étoiles , inclus dans un reticulum , que
Pietckewicz comparait à celui des muqueuses et dans lesquels Albrecht voit une
provision d'éléments destinés à la prolification des tissus fibreux et au dévelop-
pement de la suppuration qui est si commune dans cette membrane.
Au point de vue de son rôle physiologique, la membrane alvéolo-dentaire est
un véritable périoste appartenant essentiellement à la couche de cément, avec la-
quelle il existe un véritable échange de matériaux nutritifs. Cet échange peut
même parvenir, par les communications décrites plus haut, jusque dans l'inté-
rieur de l'ivoire lui-même.
DENT (anatomie comparée). 29
C'est surtout dans les cas de suppression accidentelle ou pathologique de la
pulpe que le périoste devient le centre d'une suractivité' circulatoire qui repré-
sente sans doute l'une des meilleures sources de nutrition collatérale et supplé-
mentaire, ainsi qu'une prédisposition aux accidents inflammatoires.
La membrane al véolo-den taire est susceptible de présenter un grand nombre
d'altérations que nous aurons à étudier plus loin, et elle semble éprouver
chez le vieillard une sorte d'hyperlrop' ie graduelle qui concourt peut-être,
ave c bien d'autres causes, à la chute physiologique de l'organe dentaire.
Magitot.
§ III. Anatomie compart-e. Nous nous proposons d'étudier l'appareil den-
taire, au point de vue de l'anatomie comparée, en exposant successivement les
variations de ses caractères chez tous les êtres. C'est, comme on le voit, l'ordre
inverse de celui qui est adopté par la plupart des auteurs, qui indiquent pour
chaque espèce animale en particulier toutes les conditions que présente son sys-
tème dentaire. Nous prendrons donc l'un après l'autre les caractères de nombre,
de siège, d'étendue, de forme et de durée, et nous exposerons les types princi-
paux que chacun d'eux affecte dans la série animale en indiquant, lorsqu'il y a
lieu, les modifications imprimées par le sexe et par l'âge.
I. Caractères de nombre. Rien n'est plus variable que le nombre des dents.
Quelques animaux en manquent complètement, d'autres, au contraire, en ont un
nombre presque indéfini. Deux lois cependant se dégagent et peuvent être ainsi
formulées :
Première loi. Variabilité extrême du nombre des dents dans le règne
animal ;
Deuxième loi. Fixité remarquable du type numérique dans l'espèce.
Les édentés véritables seraient bien rares, si l'on voulait reconnaître comme des
dents toutes les pièces dures qui arment l'orifice antérieur du tube digestif du plus
grand nombre des animaux; mais nous ne pensons pas qu'il doive en être ainsi,
et nous considérons comme édentés les vers et les insectes. De même les chélo-
niens et les oiseaux actuels sont pour nous dépourvus de dents ; leurs mâchoires
sont, à la vérité, garnies de lames cornées, de nature épithéliale comme les
dents, et qui jouent le même rôle physiologique ; mais ce serait une erreur
anatomique de considérer des tissus comme identiques parce qu'ils ont pour point
de départies mêmes éléments, et des organes parce qu'ils remplissent les mêmes
fonctions. Quelques oiseaux tossiles possèdent des dents : l'iclithyornis découvert
dans les Montagnes-Rocheuses par le professeur Marsh en a quarante-deux à la
mâchoire inférieure, et un nombre probablement égal à la mâchoire supérieure.
L'hesperornis en est également pourvu d'un grand nombre, mais à la partie
postérieure seulement des mâchoires, tandis que l'aspect de la partie antérieure
semble indiquer qu'elle était recouverte d'une lame cornée. A part ces quelques
représentants d'espèces aujourd'hui disparues, nous ne connaissons pas d'oiseaux
possédant des dents.
Presque tous les vertébrés, si nous en exceptons les oiseaux actuels et les
chéloniens, sont pourvus de dents. Citons cependant quelques exceptions : chez
les poissons, l'esturgeon, l'hippocampe, chez les batraciens, les crapauds ; les
grenouilles, lorsqu'elles sont à l'état de têtards, ont les mâchoires recouvertes
d'une lame cornée, mais elles n'ont pas de dents ; elles n'auraient pas même,
paraît-il, de follicules dentaires, ceux-ci n'apparaissant que plus tard lorsque
30 DENT (anatojiie comparée).
l'animal a opéré sa métamorphose et est passé de l'état de poisson à l'état d'am-
phibie.
Les Mammifères ont tous des dents au moins pendant une partie de leur
existence, soit fœtale, soit extra-utérine; les baleines, par exemple, ont quelques
dents dont la mue a lieu avant la naissance, et qui sont plus tard remplacées
par les fanons, produits de même ordre que les dents, mais non identiques. Les
fanons sont constitués par des faisceaux de fibres filiformes, formées d'un amas
de cellules épidermiques groupées autour d'une papille vasculaire extrêmement
allongée. L'enveloppe de ces faisceaux est constituée par des couches de cellules
plates reliant le tout ensemble, comme ferait un étui.
La dénomination d'édenlés appliquée à certains Mammifères est fausse dans
l'acception réelle du mot, ces animaux possédant des dents véritables, et en
certain nombre, mais présentant seulement cette particularité de manquer d'in-
cisives. Quelques-uns possèdent des incisives latérales, mais aucun n'a d'inci-
sives centrales.
Le nombre des dents peut être extrêmement réduit, jusqu'à l'unité : la myxine
parasite, poisson de l'ordre des Cyclostomes, le Narval, n'en possèdent qu'une
seule; le diodon et le télrodon (plectognathes) n'en ont que deux et trois ; d'où
leur est venu leur nom {Sic, -rirpa, 6Sov;).
Ce nombre ))eut au contraire être très-considérable et devenir pour ainsi dire
incalculable. C'est chez les poissons qu'on trouve les animaux les plus remar-
quables par ce caractère. La gueule des requins, des raies, du brochet commun,
est hérissée d'une telle multitude de dents qu'on ne peut en établir la formule.
Le type numérique perd alors toute fixité dans l'espèce, et même chez l'individu,
le nombre en effet variant non-seulement d'un sujet à un autre de même espèce,
mais encore chez le même individu par suite d'un mouvement continu et pour
ainsi dire indéfini dans la production de ces organes.
Les crocodiles sont également remar({uables par le nombre considérable de
leurs dents, mais, comme elles se remplacent par le même mode que celles des
Mammifères, c est-à-dire par la substitution sur place d'une dent à une autre,
il en résulte que le nombre n'en varie pas comme chez les poissons, et reste
à peu près constant chez l'individu et même dans l'espèce.
Les serpents ont en général d'autant plus de dents qu'ils sont moins venimeux :
les vipères et les serpents à sonnettes en ont un très-petit nombre, leurs mâ-
choires sont dégarnies en arrière du crochet à poison, tandis que les serpents
non venimeux en ont deux rangées à la mâchoire supérieure, une très-complète
à la mâchoire inférieure.
Chez les Mammifères le nombre se modifie dans deux sens :
1" Il se réduit à un chiffre relativement peu considérable ;
2° Il acquiert dans l'espèce une telle invariabilité qu'il devient un des meilleurs
caractères dont les zoologistes se servent pour la classification des espèces et des
genres.
La plupart des Mammifères fossiles, ainsi que l'a fait remarquer U. Owen,
ont 44 dents, se décomposant de la manière suivante :
Iiic. '- can. - prém, - mol. = = H
3 1 "^ 4 S
et l'on a proposé le nom d'entelodon pour un animal omnivore qui présente cette
formule [complète (ivreXei;, orîovxe;, dents complètes;.
Les Mammifères qui ont plus de 44 dents sont rares, ils appartiennent au
DENT (anatomie comparée). 31
groupe des cétacés, tels que le dauphin, qui en a près de 200, et le marsouin,
chez lequel on en compte plus de 100.
Le plus fréquemment, les espèces actuelles ont une formule moins complète,
cette diminution portant principalement sur les incisives et sur les prémolaires.
Ainsi les édentés n'ont pas d'incisives, les ruminants n'en ont qu'à la mâchoire
inférieure, ce qui donne une formule entièrement différente de nombre pour
chaque mâchoire :
0 0,5,3
Inc. = can. ; prem, - mol. -
3 13 3
Le rhinocéros africain a dans son jeune âge 8 incisives qu'il perd lorsqu'il
devient adulte. Chez l'homme et les singes, il n'y a que 2 incisives de chaque
côté des deux mâchoires.
Quelquefois, mais plus rarement, c'est la canine qui fait défaut, surtout la
canine supérieure : en général, les ruminants n'ont pas de canines à la mâchoire
supérieure, sauf les caméliens et quelques ruminants sans cornes, tels que le
chevrotain porte-musc mâle, le porte-musc nain et quelques daims.
Quant aux prémolaires, il est rare qu'elles se trouvent au nombre de 4,
c'est-à-dire de 8 pour chaque mâchoire. Souvent on n'en trouve que 5, soit
un total de 12 : tels sont les ruminants et les singes du Nouveau-Monde; et
même deux seulement : l'homme et les singes de l'Ancien continent.
SINGES DU NOUVEAU MOSBE
2 1 , 5 , 3 _.
Inc. - can. - prem. - mol. - = 36
A 1 o o .
l'homme et les SIKGËS de l'ancien CONTINENT
2 1 2 3
Inc. - can. - prém. - mol. 5 = 32
Ai- ^ o
D'après la théorie de R. Owen admettant une formule typique de 44 dents
(l'oîi seraient dérivées toutes les autres, la réduction se serait produite d'une
manière fixe sur chaque ordre de dents. Pour les incisives, la perte se ferait par
les extrémités de la série, c'est-à-dire qu'une seule dent persistant, ce serait l'in-
cisive moyenne; lorsqu'il en existe deux, ce sont la centrale et la moyenne, l'in-
cisive absente serait la troisième ou latérale. Pour les prémolaires, la réduction
s'opérerait d'avant en arrière : lorsqu'il en manque une, ce serait l'antérieure
ou première prémolaire, celle qui suit immédiatement la canine; lorsqu'il n'en
reste que deux, ce sont les deux dernières, la troisième et la quatrième. L'homme
n'aurait donc conservé que la troisième et la quatrième prémolaires, de même
qu'il n'a gardé que la première et la deuxième incisives.
Le nombre des molaires est ordinairement de douze, c'est-à-dire que la plupart
des Mammifères en ont trois de chaque côté des deux mâchoires, sauf les ron-
geurs et les vrais carnivores qui n'en ont qu'une ou deux. Les éléphants ont la
formule complète, mais l'ordre d'éruption est tel qu'ils ne se servent jamais
que d'une seule dent à la fois. Elles apparaissent successivement d'avant en ar-
rière, la première prémolaire est chassée par la seconde et celle-ci par la troi-
sième; les molaires apparaissent ensuite et dans le même ordre, s'éliminant
successivement l'une l'autre. Par conséquent, si au premier abord les éléphants
paraissent avoir un nombre de molaires extrêmement réduit, il n'en est rien ;
ils n'ont qu'une molaire à la fois, mais ils en ont trois successivement.
52 DENT (anatomie comparée).
II. Siège. Direction et rapports kes dents entre elles et avec les parties
VOISINES. Les dents sont presque toujours situées à la partie antérieure du
tube digestif, soit dans la cavité buccale, soit dans le pharynx et l'œsophage,
ou bien au pourtour de l'orifice buccal, à la face externe des mâchoires. Tou-
tefois on en trouve dans des parties beaucoup plus éloignées et sans aucun rap-
port fonctionnel avec la bouche ou le tube digestif. Telles sont les épines for-
mées de dentine qu'on trouve à la surface du corps et sur la tète des requins et
de certaines raies qui doivent la qualification de bondées à la présence de ces
épines dentaires; telles sont encore les épines implantées au nombre de 60 à 80
sur la lame rostrale de la scie de mer. On remarquera que chez ce poisson
les vraies dents sont très-petites, tandis que les dents rostrales sont longues
de 5 à 4 centimètres et s'accroissent d'une façon continue grâce à une pulpe
persistante. Chez le chien de mer on trouve sur la peau des régions voisines
de la gueule des épines qui offrent cette particularité remarquable qu'elles
siègent sur la peau après avoir occupé un certain temps la cavité buccale; elles
sont devenues cutanées par suite du renversement en dehors de la muqueuse
qui les a entraînées avec elle, et il devient impossible d'établir une distinction
quelconque entre ces dents externes et celles qui arment l'intérieur de la
gueule.
Le pharynx peut être le siège de dents aussi nombreuses que celk'S qui existent
dans la bouche; c'est un fait qu'on observe fréquemment chez les poissons osseux.
Quelques-uns d'entre eux, la carpe, par exemple, n'en ont que dans celle région;
on les trouve implantées sur les deux os pharyngiens inférieurs. Certains seipents
qui se nourrissent d'œufs offrent, d'après Tomes, la même disposition : ils n'ont
dans la gueule que des dents rudimentaires, leurs dents principales sont dans
l'œsophage fixées à la face antérieure des vertèbres.
Direction. Le plus habituellement les dents occupent un plan vertical, la di-
rection horizontale est l'exception : on l'observe cependant chez quelques pois-
sons, notamment chez les plagiostomes dont les rangées postérieures s'inclinent
en arrière, plus ou moins obliquement, quelques-unes étant tout à fait cou-
chées. Chez le brochet quelques dénis sont verticales, mais le plus grand nombre
sont inclinées en arrière, celles de la ligne médiane directement en arrière, celles
des bandes latérales en arrière et en dedans.
Le crochet à poison des serpents venimeux est rabattu à plat sur le palais.
Pour s'en servir, l'animal est obligé d'en modifier la direction : or, cette énorme
pointe étant fixée par une sorte d'ankylose au maxillaire, il faut que la gueule
s'ouvre démesurément, de façon que la mâchoire supérieure se redresse jusqu'à
ce que le crochet soit présenté presque vertical, d'horizontal qu'il était.
Rapports des dents entre elles. Relativement à leur disposition réciproque,
les dents sont rangées sur plusieurs lignes ou sur une seule.
Lorsqu'il existe plusieurs rangées, elles peuvent être disposées par lignes
concentriques, comme chez le requin oii les dents sur 6 ou 7 rangs de profon-
deur forment autant de lignes demi-circulaires inscrites les unes dans les autres
d'arrière en avant. Les dents du brochet sont rangées en bandes antéro-posté-
rieures.
La forme de l'arcade dentaire n'est pas commandée par celle des mâchoires,
mais généralement elles sont en rapport : aussi la forme demi-circulaire plus
ou moins allongée est-elle la plus commune. Les animaux qui manquent d'un
grand nombre de dents, ceux qui manquent d'incisives, par exemple, comme les
DENT (anatomie comparée). 55
édenlés, les ruminants, n'ont plus que des fragments de cette ligne en demi-
cercle.
Les dents sont quelquefois serrées les unes contre les autres ; d'aulres fois elles
sont espacées sur plusieurs points, laissant alors entre elles une lacune qu'on
désigne sous divers noms : barre ou diastème chez le cheval, chez rélé[ihant
et chez leurs ancêtres, l'Hipparion et le Mammouth. Chez les rongeurs il
existe entre la canine et les molaires un vide, un diastème très-vaste. Chez
les carnivores et chez les singes anthropoïtlcs il existe entre l'incisive latérale
supérieure et la canine un certain espace dans lequel vient se loger la canine
inférieure.
Les rapports dos dents des deux mâchoires entre elles sont très-variables,
quelquefois ils sont nuls : ainsi les dents horizontales ne peuvent pas avoir de
rapports réels avec celles de la mâchoire opposée.
Lorsqu'il existe deux rangées à l'une des mâchoires (généralement c'est à la
mâchoire supérieure) et une seule à la mâchoire opposée, la rangée simple se
place toujours entre les deux autres.
La rencontre des dents opposées peut se faire bord contre bord (incisives du
cheval, de certains singes), ou par engrènement (molaires des carnivores, des
omnivores), ou par frottement l'une contre l'autre des faces, soit verticalement,
faces contraires (incisives des rongeurs), soit dans le sens horizontal (molaires des
herbivores).
Rapports des dents avec les os des mâchoires et les parties molles qui les
recouvrent. En anatomie comparée, on attache une grande importance à la
situation des dents sur chaque os pour en fixer l'espèce en dépit de la forme et
des autres caractères. Ainsi, quand la canine manque, si une dent par sa forme
conique embarrasse le zoologiste, il doit pour en fixer la désignation rechercher
si elle est placée sur l'intermaxillaire ou sur le maxillaire : placée sur l'inter-
maxillaire, c'est une incisive, sur le maxillaire, c'est une canine.
Les dents chez les animaux pourvus d'une seule rangée, sont situées sur les
maxillaires et les intermaxillaires ; mais chez les poissons, les batraciens et les
reptiles, elles semblent se grouper sur la ligne médiane, c'est-à-dire sur le chemin
que parcourt la proie qui, n'étant pas broyée, mais avalée souvent vivante, passe
immédiatement dans l'œsophage sans séjourner dans la cavité buccale. Aussi
est-il exceptionnel chez les poissons de trouver des dents sur les maxillaires vrais,
même chez le brochet dont la gueule entière cependant, l'os lingual et le pharynx,
sont hérissés de dents.
Chez les serpents non venimeux, il existe une double rangée de dents, ainsi
que chez les batraciens; chez les premiers la rangée interne est placée sur les os
palatins et les ptérygoïdes, chez les seconds elle est implantée sur le vomer.
Modes d'implantation. Les modes d'implantation sont très-variés, pouvant
se faire par attache à la muqueuse seule, ou bien à l'os par contact simple ou
par pénétration.
Insertion à la muqueuse seule. Les dents' peuvent être fixées par la muqueuse
seule, comme on le voit chez les requins, chez le cachalot. En enlevant la
gencive, on arrache les dents. Mais ce mode d'attache à la muqueuse sans rapport
direct avec les os est rare, et chez la plupart des animaux les dents sont fixées à
l'os par différents procédés que nous allons passer en revue.
Insertion à Vos par une surface plane. Elles peuvent être simplement posées
sur l'os et fixées par un ligament périphérique, à la manière d'uixe articulation
DICT. ENC. XXVIL 3
DENT (anatomie comp.vrée).
véritable: aussi les dents qui ont ce mode d'attache sont-elles mobiles et peuvent
se fléchir dans lesensantcro-poslérieur : ce sont, par exemple, les dents à char-
nière de la baudroye.
Implantation dam une gouttière simple. A un degré plus parfait d'insertion,
des dents sont placées dans une gouttière creusée dans l'épaisseur de l'os; gout-
tière peu prolonde au début, simple sillon, tel qu'on le retrouve chez l'hesper-
ornis, puis ensuite gouttière plus excavée au fond de laquelle apparaissent les
premiers essais de cloisonnement dans ie sens transversal (mode d'implantation
des dents de l'icblhyosaure) .
Implantation dans des cavités alvéolaires distinctes. L'implantation dans
des cavités distinctes, dans des alvéoles, est rare chez les poissons; elle est au
contraire la règle chez les crocodiles, et chez les animaux supérieurs elle existe
seule. Parmi les oiseaux fossiles, quelques-uns, tels que l'ichtliyornis, ont les
mâchoires creusées d'alvéoles distincts.
Enfin dans l'implantation alvéolaire ou distingue deux moyens d'attache de la
dent à l'os, suivant qu'il existe un lieu fibreux entre les deux parties, ou que
l'union se fait directement par le tissu osseux soudant la racine à la paroi alvéo-
laire, c'est-à-dire par soudure véritable.
Les dents des poissons, lorsqu'elles sont complètement alvéolées, sont fréquem-
ment ankylosécs : citons comme exemple les dents du brochet ; celles de la
grenouille sont dans le môme cas. Les dents des sauriens sont parfois ankylosées,
par leur face antérieure, à un rebord osseux, appareil de soutènement formé par
le maxillaire.
Celles des serpents sont fixées par soudure, et nous avons vu dans quelle posi-
tion ces animaux doivent placer leur mâchoire supérieure lorsqu'ils veulent
frapper leur proie, surtout les serpents venimeux, dont le crochet à poison,
très-long et couché horizontalement, ne peut devenir vertical que par un énorme
renversement en arrière de la mâchoire à laquelle il est soudé.
Les dents de tous les animaux supérieurs sont comme celles de l'homme fixées
dans leurs alvéoles par un lien fibreux, le périoste alvéolo-dentaire, analogue
dans sa texture et sa structure au périoste des os en général, et qui maintient
solidement la dent en place, ne permettant aucun mouvement. Nous l'avons
étudié ailleurs.
Rapports des dents avec les gencives. Nous mentionnerons la disposition
qu'affectent les dents avec les gencives chez quelques poissons et chez les serpents
venimeux. Chez les requins, les dents de la première et de la seconde rangée
sont seules découvertes, tandis que les rangées postérieures sont recouvertes
chacune par un repli de la muqueuse. Chez les serpents venimeux le crochet
st dissimulé sous un repli de la gencive qui se tend en manière de poche
^jour empêcher la perte du venin ; sans cette disposition une partie du poison
jaillirait en avant et ne pénétrerait pas dans la plaie faite par le crochet.
III. Dimensions bes dents. Longueur, largeur, volume. La longueur doit être
appréciée de deux façons :
1° En considérant chaque dent isolément, d'une façon absolue;
2" D'une façon relative, en comparant entre elles, d'après leur longueur, les
dents d'un même animal, afin d'établir les hauteurs relatives des sommets. Ce
procédé permet de tracer la courbe des points culminants de l'arcade dentaire chez
les différentes espèces animales.
Nous trouvons parmi les fossiles et chez quelques espèces devenant plus rares
DENT (anatomie comparke). 35
chaque jour des dénis qui atteignent des dimensions vraiment colossales, hors
de proportion non-seulement avec la taille de l'animal, mais encore avec les
fonctions qu'elles remplissent. Ce sont toujours les dents de la re'gion anté-
rieure, les canines et surtout les incisives, qui acquièrent ces dimensions excep-
tionnelles. Les animaux de l'ordre des proboscidiens sont remarquables par
l'énorme développement de leurs incisives supérieures ou inférieures qui
constituent leurs défenses. L'éléphant actuel et le mammouth n'en portent
qu'à la mâchoire supérieure ; l'éléphant africain a des défenses qui mesurent
quelquefois 2 et 5 mètres et sont en général plus longues que celles de l'élé-
phant des Indes. Le mastodonte en portait aux deux mâchoires, celles de la
mâchoire supérieure étant toujours plus développées que celles de la mâchoire
inférieure. Le Dinothérium n'était armé d'incisives-défenses qu'à la mâchoire
inférieure.
Le narval mâle ne possède ordinairement qu'une dent, incisive supérieure laté-
rale, qui devient énorme et forme une défense droite spiralée de 2'", 50 à 3 mètres
de longueur. C'est tantôt l'incisive du côté droit et tantôt celle du côté gauche
qui se développe; mais il est tout à fait exceptionnel de trouver deux défenses
sur un seul animal, l'un des deux follicules s'atrophiant presque toujours, sous
l'influence de conditions qui nous échappent.
11 est à l'emarquer que les animaux porteurs d'incisives-défenses n'ont ni
canines ni d'autres incisives ; le narval n'a même aucune autre dent.
Chez les rongeurs les dents sont, comme on sait, très-variables de longueur,
et, tandis que les molaires ont un volume moyen, les incisives peuvent acquérir
un énorme développement. Ces dernières, sur la nature desquelles les analo-
mistes ont été longtemps en désaccord, ne doivent plus être considérées comme
des canines, ainsi que le voulait E. Geoffroy Saint-Ililaire. Ce sont bien évidem-
ment des incisives, car l'origine de leur follicule répond invariablement à la
région antérieure et médiane. Ce qui n'empêche pas ces dents d'occuper par-
fois dans leur développement toute la longueur de la branche horizontale, de
telle sorte que la base de leur couronne se trouve portée jusque près de
l'angle de la mâchoire, en passant au-dessous de la série des molaires.
Dans l'île de Madagascar, on trouve un animal curieux, l'aye-aye, qui pen-
dant longtemps n'a pu être classé; il se rapproche par quelques caractères
des Lémuriens, tandis que ses énormes incisives rappellent celles des ron-
geurs.
Les détenses de l'hippopotame sont constituées par les incisives développées
€n haut et en dehors, volumineuses et cylindriques à leur base, rétrécies par
l'usure à leur sommet.
La canine est très-dé veloppée chez les carnivores ; recourbée en forme de
crochet, elle constitue une arme redoutable, mais elle reste en rapport par sa
taille avec les fonctions qu'elle remplit. Beaucoup d'autres animaux, notam-
ment le cochon et le sanglier, ont des canines-défenses recourbées en haut et
trop longues pour être recouvertes par les lèvres; elles sortent de la bouche
quelquefois de dix ou quinze ccnlimètres. Une autre variété, le Babironssa,
animal de petite taille et de mœurs peu belliqueuses a des défenses supé-
rieures qui poussent avec une telle vigueur qu'elles ne contournent pas la
lèvre supérieure, mais la transpercent, puis, se recourbant en haut et en
arrière, elles atteignent un tel développement que parfois, ne s'écartant pas suf-
fisamment en dehors, elles rentrent dans la tête ou dans la mâchoire.
ÔG DENT (anatomie comparée).
Le morse a deux énormes défenses formées par les canines supérieures, qui
sont dirigées de haut en bas presque verticalement. 11 s'en seit comme d'une
paire de crochets puissants pour arracher les plantes marines et détacher des
rochers les mollusques dont il se nourrit. Ces dents sont chez la femelle aussi
développées que chez le mâle.
Le chevrotain porte- musc mâle a des canines supérieures énormes qui donnent
à première vue à la mâchoire de cet herbivore l'aspect redoutable d'une mâchoire
de grand Carnivore.
Courbe générale des sommets de l'arcade dentaire. Au point de vue de la
longueur relative des différentes parties de l'arcade dentaire, c'est-à-dire de
lu hauteur des sommets, on obtient en anatomie comparée deux lignes prin-
cipales : la ligne droite et la ligne ondulée.
La ligne droite tirée de la partie antérieure de J'arcade aux parties posté-
rieures affecte trois directions :
i° Elle se maintient horizontale, c'est-à-dire que tous les sommets sont au
même niveau, comme chez le marsouin, chez le cachalot, chez un grand nombre
de reptiles et de sauriens ;
2" Elle devient ascendante d'avant en arrière, c'est-à-dire oblique de bas en
haut et d'avant en arrière, les dents les plus courtes étant antérieures, et les
plus longues postérieures (dentition des ruminants et des édenlés) ;
5° Enlin la courbe des sommets peut avoir une direction inverse et être obhque
d'avant en arrière, de haut en bas. Ce sont les poissons qui nous offrent les
exemples les plus marqués de cette disposition, dans laquelle les dents les
plus longues et les plus importantes sont antérieures, celles des parties posté-
rieures étant très-courtes. La ligne ondulée ou brisée a son type dans la
disposition des dents des carnivores. Peu élevée en avant, au niveau des inci-
sives, elle devient brusquement ascendante au niveau de la canine, retombe
très-bas en arrière, et se relève au niveau de la carnassière, pour redescendre
de nouveau jusqu'à la dernière molaire.
Largeur et volume. Les poissons et les reptiles ont des dents rarement bien
longues, et presque toujours étroites et peu volumineuses. Les dents larges et
épaisses sont propres aux animaux supérieurs, qui gagnent ainsi en volume et
en force ce qu'ils perdent en nombre.
A part les incisives et les canines énormes auxquelles on donne le nom de
défenses, les seules dents réellement larges et volumineuses sont les molaires.
Elles atteignent leurs dimensions les plus considérables chez les herbivores.
Les molaires des carnivores sont étroites et peu épaisses, sauf la première
d'entre elles.
Si nous n'avons pu établir de rapports entre la longueur et la fonction, nous
en constatons d'intimes entre la largeur et le rôle que remplissent les dents.
Nous ne voyons guère à quoi servaient au mastodonte ses quatre énormes
défenses, tandis que la dimension de ses molaires se trouvait en rapport avec
son genre de nourriture.
Les courbes de longueur et de largeur des dents sont directement opposées,
celle de longueur étant d'une façon générale rapidement descendante d'avant
en arrière et celle de largeur fortement ascendante dans le même sens. La
courbe d'épaisseur est la même en général que celle de largeur. Celle de volume
se déduisant de celles de largeur et d'épaisseur, il en résulte que le volume
des dents est disposé en sens inverse de leur longueur. C'est en avant que sont
DENT (anatomie comparée). 57
les plus longues, en arrière que se trouvent les plus volumineuses. Mais ces
données ne doivent être accepte'es que d'une façon très-générale, car il y a
autant de modifications à apporter à la courbe de longueur qu'à celle de
volume.
Modifications dans la longueur et le volume des dents, produites par le sexe
et par l'âge. D'une façon générale, le sexe n'a pasd'influencesurles dimensions
des dénis, et les femelles ont des dents aussi longues et aussi épaisses que les
mâles. Mais il y a quelques exceptions cependant à cette uniformité dans les
deux sexes : les dents incisives et les canines, lorsqu'elles peuvent servir au
combat, sont volumineuses cbez le mâle, rudimentaires ou absentes chez la
femelle. Les défenses de l'éléphant sont ordinairement plus développées chez le
mâle, mais pas dans toutes les espèces. Les incisives du Dugong sont de véri-
tables défenses chez le mâle, elles sont rudimentaires chez la femelle; il en est
de même chez le narval.
Les canines de l'étalon et celles du porc sont bien développées, celles de
la jument et de la truie sont insignifiantes. Les canines supérieures du che-
vrotain porte-musc mâle sont de vraies défenses de carnassier, sa femelle en est
dépourvue.
L'âge enfin peut faire sentir son influence sur la longueur et le volume
des dents, mais il importe de distinguer son mode d'action, qui peut être
double.
Les animaux à deux dentitions ont dans leur jeune âge des dents peu volu-
mineuses : ce sont les dents temporaires; les permanentes atteignent des dimen-
sions qui peuvent être trois ou quatre fois plus considérables que celles des
dents qui les ont précédées. En outre, le sexe n'a pas d'action sur ces premières
dents, et les jeunes mâles ont des incisives et des canines de môme taille que
leurs femelles, quelle que doive être plus tard la distinction sexuelle qui les sépare
sous ce rapport.
Les dents à accroissement indéfini, telles que les défenses de l'éléphant, qui ne
s'usent pas par le frottement comme les incisives des rongeurs, atteignent une
longueur et un volume proportionnels à l'âge de l'animal. De longues défenses
indiquent un éléphant âgé, comme de hauts bois, plusieurs fois ramifiés, font
reconnaître de suite un vieux cerf.
IV, Forme des dents. De tous les caractères que présentent les dents, ceux
de forme sont à la fois les plus variés chez les animaux, et les plus fixes
dans l'espèce : aussi la forme des dents est-elle pour cette dernière plus carac-
téristique que leur nombre, leur siège, leurs dimensions et leur durée.
Envisagés d'après ce cara'Jlère, les animaux se divisent en deux grandes calé-
gories : animaux à dents d'une seule forme ou homodontes ; animaux à dents
de formes variées ou hétérodontes.
Animaux homodontes. Les animaux dont toutes les dents sont du même
type morphologique sont ceux qui ont le plus grand nombre de dents : ce
sont par conséquent tout d'abord les poissons. Chez eux les dents de toutes les
parties de la gueule se ressemblent, elles peuvent varier de dimensions et de
direction, mais la forme en est toujours la même, qu'on examine les dénis
antérieures ou les postérieures, les supérieures ou les inférieures. Elles affectent
presque toujours la forme conique, soit droite, soit recourbée. Lorsque la
pointe s'émousse, la dent conique prend la forme d'un mamelon ou cône surbaissé,
devenant parfois hémisphérique. Ce type est fréquent chez 'beaucoup d'espèces
58 DENT (anatomie comp.vrke).
de reptiles sauriens. Lorsque la dent conique s'aplatit d'avant en arrière, elle
prend la forme de dent de scie, à bords soit lisses, soit dentelés. Chez certains
squales de l'ordre des myliobates, les dents, extrêmement nombreuses, se fixent
exclusivement sur la ligne médiane aux deux mâchoires et, s'accolant les unes
aux autres, elles forment un véritable pavage à l'aide duquel ces animaux peu-
vent broyer les coquillages les plus durs dont ils se nourrissent. Les serpents
ont des dents de même forme : ce sont toujours des cônes fortement recourbés;
mais le crochet est beaucoup plus volumineux que les autres dents. Chez les
serpents venimeux, le crochet a pour fonctions non-seulement de faire une plaie,
mais encore d'y porter le poison sécrété par une glande spéciale placée près de
lui : de là, une forme particulière : la face postérieure du crochet à venin est
creusée d'une gouttière, simple rainure quelquefois, mais qui devient chez les
serpents à sonnettes, chez les vipères un véritable tube, par suite de la dépres-
sion graduelle de la gouttière, dont les bords se rapprochent à mesure que la
profondeur augmente, et qui finissent par se souder l'un à l'autre. Même
lorsque le tube est formé, il reste une ligne indiquant le point oii s'est faite la
soudure. L'extrémité du crochet est très-aiguë, et le canal ne s'ouvre pas à la
pointe, il vient s'ouvrir à la face antérieure.
Animaux hélérodonles. Les Mammifères sont hétérodontes, à l'exception des
cétacés, des monotrèmes et des édentés, c'est-à-dire qu'on trouve sur la mâchoire
de chacun d'eux des dents de différentes formes, les unes en forme de lames
coupantes nommées incisives, et les autres qu'on appelle molaires ressemblent
à des cubes verticaux entre lesquels sont broyées les substances alimentaires.
Mais certains hétérodontes, parmi les fossiles, ont des dents si peu variées qu'on
serait tenté de les placer parmi les homodontes. C'est en effet par une modifi-
cation insensible au début que la transition s'opère des uns aux autres, et que
le type conique devient biconique ou bicuspidé, mulliconique ou multicus-
pidé. Le nombre des racines suit ordinairement celui des éminences de la cou-
ronne, c'est-à-dire qu'un cône simple a une racine unique, tandis qu'une
bicuspidée en a deux, soit soudées, soit isolées, et une dent multicuspidée en a
autant qu'il existe de cônes sur sa couronne. Mais la longueur des racines n'est!
pas toujours en rapport avec le volume de la couronne : ainsi l'éléphant actuel
a des molaires énormes dont les racines sont rudimentaires ; la longue incisive
des rongeurs n'a pas de racines, elle est maintenue solidement en place par la
portion de la couronne qui reste intra-alvéolaire.
Nous avons dit dans l'anatomie humaine que toutes les dents avaient pour
point de départ le cône, et que les incisives ainsi que les mullicuspidées étaient
le résultat de la modification ou de l'agglomération de cette unité primordiale.
C'est à l'anatomie comparée d'indiquer les formes principales que présentent
les dents et d'indiquer autant que possible quel lien existe entre ces transfor-
mations.
Les incisives s'éloignent très-peu du type primitif; ce sont des cônes, dont le
sommet s'est émoussé et la masse s'est aplatie d'avant en arrière. La racine
est restée cylindro-conique lorsqu'elle n'a pas été comprimée par les dents
voisines ; elle s'est aplatie latéralement lorsqu'elle a subi leur pression.
Chez le cheval, chez l'hipparion et les ongulés du même groupe, les incisives
ont une forme particulière sur laquelle nous appellerons l'attention; leur extré-
mité libre est légèrement excavée en doigt de gant, et la couche d'émail descend
jusqu'au fond de cette dépression. Or, la rencontre des incisives des deux
DENT (anatomie comparée). 39
mâchoires se faisant bord à bord, et ranimai s'en servant constamment pour
couper l'herbe, il en résulte une usure progressive qui diminue peu à peu
la hauteur du cornet d'émail, et finit même par en faire disparaître toute
trace. L'âge du cheval peut donc se reconnaître à ce signe, qu'on appelle
la marque en langage vétérinaire. 11 suffit de savoir à (piel âge correspond
chaque degré d'usure : sur les incisives centrales, le cornet d'émail est usé
à l'âge de neuf ans, sur les incisives moyennes à dix ans, et enfin il a disparu
sur toutes les dents à l'âge de onze ans. On dit qu'à cet âge le cheval ne
marque plus.
Les incisives de quelques animaux ont une apparence bifide qui pourrait faire
croire qu'elles sont formées de deux cônes; mais il n'en est rien, et cet aspect
est dû seulement à l'accumulation sur deux points de la couronne de masses
considérables d'émail. C'est ainsi que les insectivores, dont toutes les dents sont
recouvertes de couches d'émail si épaisses, ont des incisives que l'on prendrait
pour des bicuspides, elles ont la forme de pinces. Les incisives centrales supé-
rieures des musaraignes ont un sommet bifurqué, le tubercule postérieur étant
petit et l'antérieur étant très-long et très-aigu; le sommet de l'incisive inférieure
est simple et vient se placer entre les deux tubercules supérieurs. Cette bifidité
du sommet est encore beaucoup plus marquée sur les incisives inférieures d'un
autre insectivore, le galéopilhèque, elle s'étend à toute la hauteur de la couronne,
donnant à ces dents l'aspect de peignes.
La dent que l'on désigne sous le nom de canine à cause de son grand dévelop-
pement chez le chien représente exactement le type primitif; sa couronne et sa
racine sont restées coniques.
Quant aux bicuspidées et aux multicuspidées, elles résultent de l'aggloméra-
tion de plusieurs cônes pour former une masse unique. L'étude histologique
nous montre très-nettement ce phénomène ; et dans l'élude du squelette des
animaux nous assistons fréquemment à un acte analogue, qui détermine l'unifi-
cation de certaines pièces osseuses par suite de la soudure entre elles de plu-
sieurs parties secondaires ayant existé jusqu'alors indépendantes.
Nous distinguons trois formes principales de dents multicuspidées :
1° La dent à cônes très-aigus, légèrement aplatis sur leurs faces : c'est la dent
du Carnivore, la dent carnassière des félins;
2° La dent à cônes émoussés : c'est la dent du mastodonte, de l'omnivore;
3° La dent à cônes aplatis, disparus de bonne heure, dent des herbivores, des
ruminants. Celle-là seule mérite vraiment par sa forme et ses fonctions le nom
de molaire.
Dent à cônes aigus [carnassiers). Les dents multicuspidées des carnivores
présentent cette forme caractéristique d'avoir un cône très-développé, aplati
transversalement en forme de lame coupante : d'où il résulte que les sillons
séparant les diverses pointes sont très-profonds, et que les dents opposées péné-
trant dans ces sillons jouent réciproquement comme les lames de ciseaux l'une
contre l'autre. Celte disposition est très-favorable à la division des chairs.
Les carnassières ne sont pas aussi coupantes chez les carnivores qui fouil-
lent les cadavres ; elles ont des lames non tranchantes à sommet émoussé,
mais épaisses et munies d'un talon, capables, en un mot, de briser les os,
bien plutôt que de diviser la viande : telles sont les molaires des hyènes, des
pterodon.
Guvier a nommé carnassière vraie la multicuspidée, qui présente au plus haut
40 DENT (anatomie comparée).
degré cette forme de lame coupante ; on ne la trouve que chez les carnivores se
nourrissant de chair fraîche; elle existe aux deux mâchoires formant en haut la
4* prémolaire, et en bas la l"* molaire. La lame antéro-poslérieure est mince et
très-haute; la prémolaire supérieure porte un tubercule à la partie antérieure
et interne de cette lamelle. Plus l'animal est vrai Carnivore, plus la lamelle est
développée et le tubercule faible ; le tubercule augmente quand l'alimentation
est mixte.
Dents à cônes émoussés. La dent à cônes multiples du mastodonte s'offre
à nous comme le meilleur type de celle variété : elle est constituée par la
réunion en une seule masse de plusieurs rangées transversales de cônes juxta-
posés.
Le sommet de ces cônes ou tubercules est arrondi, et recouvert d'émail et de
cément; les intervalles ne contiennent pas de cément. De là il résulte que ces
dents sont peu modifiées par les progrès de l'âge : les sommets s'usent légè-
rement, et la surface coronaire conserve toujours son aspect fortement
ondulé.
Dents à cônes effaces {herbivores). Au contraire, les mullicuspidées des her-
bivores perdent rapidement leur forme première. Une couche de cément les
enveloppant complètement, recouvrant les tubercules et comblant les inter-
valles, l'usure a une prise différente sur chacune de ces parties, car l'émail plus
dur que l'ivoire cl que le cément, et résistant plus longtemps aux frottements,
se dresse au milieu de la masse environnante comme une crête. C'est cette
différence de niveau entre les tissus constituants de ces dents, émail, ivoire et
cément, qui crée une surface râpeuse si favorable à l'écrasement des végétaux
dont ces animaux se nourrissent. Si l'on débarrasse une molaire ainsi constituée
de sa gangue de cément, ou bien si l'on fait une coupe verticale, il est facile
de reconnaître qu'elle est formée de cônes qui se sont soudés entre eux pour
former des ciêtes dirigées dans deux sens principaux : les crêtes des molaires
supérieures forment une courbe à convexité antérieure, tandis que les crêtes des
molaires inférieures forment une courbe à convexité postérieure.
V. Caractères de duréf et modes de remplacemeist des deists. La durée des
dents, c'est-à-dire l'espace de temps qu'elles restent en place, semble être en rai-
son inverse de leur nombre. Les dents les plus éphémères sont celles des reptiles
et des poissons ; elles tombent de bonne heure et sont remplacées par d'autres
qui à leur tour se détachent; de nouvelles leur succèdent bientôt, et ce mou-
vement continue ainsi pendant toute la vie de l'animal. Cette production inces-
sante des dents chez les poissons explique la riclicsss des amas si considérables
qu'elles forment dans certains gisements.
Chez la plupart des batraciens les dents se succèdent, comme chez les pois-
sons, d'une manière indéfinie.
Le remplacement des dents des poissons, des reptiles et des batraciens, se
fait suivant deux modes : soit vertical, soit sériaire. Le remplacement vertical
est le plus rare; il est exceptionnel que la dent nouvelle pousse directement
au-dessous de la précédente, comme chez les mammifères; le plus habituel-
lement elle sort sur un des côtés, mais très-près de la base qu'elle use par
frottement.
Chez les plagiostomes, la chute des dents se fait par une sorte de renversement
en dehor-s de la muqueuse qui entraîne jusqu'au bord des mâchoires les dents
dont l'insertion ne se fait pas à l'os, comme nous l'avons vu. Arrivées au bord
DEKT (physiologie). H
libre du maxillaire, elles se détachent, tandis qu'en arrière poussent les nou-
velles rangées.
D'après leur durée, les dents des mammifères se divisent en diverses caté-
gories : celles qui apparaissent les premières ont une durée en général assez
courte, et nous chercherons plus loin a établir une relation entre ce temps
et celui de la vie de l'animal, ainsi qu'entre la durée des dents temporaires et
celle des dents permanentes.
Parmi les animaux qui présentent la durée la plus courte des dents tempo-
raires, nous citerons le morse, la baleine, qui les perdent avant leur naissance,
les phoques, quelques semaines plus tard, certains rongeurs, tels que le lièvre,
du quinzième au vingtième jour. Toutefois parmi les rongeurs nous citerons le
castor, qui ne les remplace qu'à l'âge adulte. Magitot et Cuauveau.
§ IV. Physiologie. Les différents problèmes que soulève la physiologie des
dents comprennent dans leur ensemble l'évolution du follicule dentaire, c'est-à-
dire : 1° l'origine et la formation du follicule; 2° la morphologie de cet appa-
reil; 3° le méianisme de formation de l'organe dentaire.
I. Origine et formation du follicule, a. État des mâchoires de Vemhryon
au moment de la genèse du follicide et du bourrelet épUhélial. Bien que nous
n'ayons pas à envisager ici la constitution des mâchoires au moment de la
genèse du follicule [voy. Maxillaire [Développement^), nous pensons toutefois
devoir revenir spécialement sur certains points plus directement en rapport
avec notre sujet.
En ce qui concerne la mâchoire inférieure, on sait qu'à une certaine époque de
l'a vie embryonnaire, variable suivant les espèces animales, l'arc maxillaire,
absolument dépourvu de toute trace d'éléments osseux, renferme au scindes tissus
qui le composent et à titre de soutien squelettique une bande cartilagineuse
paire, symétrique, réunie à sa congénère sur la ligne médiane au niveau de la
symphyse future et s'étendant sur les côtés dans toute la longueur de cet arc
maxillaire et jusqu'au cadre tympanique : c'est le cartUage de Meckel {voy. ce
mot). Cet organe, qui ne joue dans le développement du maxillaire qu'un rôle
transitoire, occupe la partie interne de l'arc; il est plongé au milieu d'un tissu
embryonnaire avec lequel il représente, à cette époque de la vie fœtale, les seuls
éléments fondamentaux de la mâchoire.
Pour la mâchoire supérieure, le moment de l'évolution qui correspond à
l'époque que nous venons d'établir pour le maxillaire inférieur est celui où les
deux bourgeons maxillaires ont opéré leur soudure avec le bourgeon médian
ou intermaxillaire. C'est environ vers le quarante ou quarante-cinquième jour
qu'a lieu ce phénomène chez l'embryon humain.
Les deux arcs maxillaires étant ainsi constitués, on remarque bientôt que
dans la partie arrondie et saillante qui répond à la cavité buccale et qui consti-
tuera plus tard le bord alvéolaire il s'est produit une couche de cellules épithé-
liales formant dans toute la longueur une saillie ou bourrelet lisse, arrondi et
sans aucun pli ou dépression quelconque. Ce bourrelet visible à l'œil nu est
encore plus manifeste, si l'on examine une coupe perpendiculaire à l'axe de l'arc
maxillaire, et l'on reconnaît que sur les côtés de ce bourrelet, qui se compose
d'une épaisse couche de cellules, le revêtement épithélial n'est formé que de
quelques rangées peu nombreuses superposées, quelquefois même d'une rangée
unique.
42 DENT (physiologie).
Le bourrelet épithélial s'ojoute ainsi à un moment donné aux éléments em-
bryonnaires des mâchoires qui ne renferment encore aucun autre tissu bien défini,
si ce n'est quelques vaisseaux, des nerfs et des fd^rcs musculaires en voie d'évo-
lution.
Ce bourrelet épitliélial a une forme tout à fait spéciale sur laquelle il importe
d'insister, et que le seul examen de sa surfoce extérieure ou buccale ne saurait
laisser supposer. En effet, sur une coupe verticale on remarque qu'en outre de la
saillie lisse et arrondie qu'il offre dans la bouche, et qui justifie le nom
que nous lui donnons [rempart maxillaire, Kieferwall de Kôlliker, Waldeyer
et Kollmann), le bourrelet présente dans la partie qui plonge dans le tissu des
maxillaires une configuration spéciale. En opposition à la saillie extérieure et
libre, on en voit une seconde qui pénètre au milieu des éléments sous-jacents
et dont les limites représentent à peu près la forme d'un V, dont le sommet
s'incline légèrement vers le côté interne.
Ainsi constitué, le bourrelet épithélial représente donc en réalité une bande
continue à peu près verticale et sans aucune interruption dans toute la longueur
du bord alvéolaire. L'existence do cette bande est constante chez les mammi-
fères supérieurs et chez l'homme ; on la retrouve même sur des points qui res-
teront dépourvus de dents, comme la barre des solipèdes. Sa forme est égale-
ment constante chez les différentes espèces et, tandis que du côté du bord
alvéolaire il offre sa plus grande largeur, il va de là s'amincissant dans la
profondeur du tissu sous-jacent en môme temps qu'il se recourbe vers le bord
interne de manière à présenter une concavité qui regarde vers la ligne médiane
et une convexité qui répond à la joue. Cette extrémité amincie ou sommet,
d'abord mousse et arrondi au début, devient bientôt très-aigu au moment de
l'apparition de la première trace des follicules.
Ilistologiquement, le bourrelet épithélial se compose des mêmes éléments
qui constituent le revêtement épithélial de la muqueuse buccale, c'est à-dire de
cellules polyédriques par pression réciproque pourvues de leur noyau et dont la
masse est limitée au niveau des deux côtés et du sommet par une rangée con-
tinue de cellules prismatiques. Les cellules qui coujposent le centre du bour-
relet présentent souvent sur leurs bords cette disposition dentelée qui a été
signalée par les auteurs pour les cellules de l'épiderme, et en vertu de laquelle
les éléments s'engrènent réciproquement. Quant à la couche prismatique, elle
n'offre aucune différence avec la couche de Malpighi dont elle dérive d'ailleurs
directement.
Par les considérations qui précèdent, on voit que le bourrelet épithélial que
nous venons de décrire n'est qu'un simple prolongement de la couche épithéliale
tégumentaire delà bouche qui, en s'enfonçant dans le tissu embryonnaire des
arcs maxillaires, s'y creuse, pour ainsi dire, un sillon qu'il i-emplit exacte-
ment. C'est ce sillon qui, sur des mâchoires d'embryon altérées par une macé-
ration prolongée, apparaît isolé et vide de son contenu, lequel s'est spontanément
détaché.
Il résulte de là que, dans l'état normal, on ne peut rencontrer à aucune
époque de la vie embryonnaire, à la surface du bord alvéolaire, aucune dépres-
sion, enfoncement ou perforation quelconque. Or, on sait qu'une théorie de
l'évolution des dents, émise en 1839 par Goodsir, et adoptée depuis par le plus
grand nombre des auteurs, était fondée sur un certain mécanisme qui consis-
tait dans la formation du sac folliculaire aux dépens d'une dépression extérieure
DENT (physiologie). 43
de la muqueuse buccale. Le décollement par macération de la couche épithéliale
pouvait à la rigueur donner l'explication de cette erreur, mais rien dans l'état
normal ne saurait se prêter en aucune manière à une interprétation de ce genre.
La théorie de Goodsir est donc absolument erronée.
b. De la lame épithéliale. Genèse de Vorgane de l'émail. Nous venons
de voir que le bourrelet épithélial continu qui occupe le bord alvéolaire pré-
sente, dans la profondeur de la mâchoire, deux faces : l'une externe, convexe,
l'autre interne, concave ; c'est sur un point de cette dernière que se produit ce
que nous allons décrire sous le nom de lame épithéliale.
Aussitôt qu'est achevé le développement du bourrelet, on voit apparaître, à
peu près vers le milieu de sa face interne ou parfois sur un point plus rap-
proché de la surface de la muqueuse, une saillie transversale, ou légèrement
oblique, qui semble être une sorte de diverticulum du bourrelet lui-même. Elle
présente une forme un peu aplatie
de haut en bas, avec une extrémité
arrondie et légèrement recourbée en
forme de crosse.
Cette disposition justifie comme
on voit complètement le terme de
lame que lui a donné KôIIiker. Elle
occupe ainsi, de même que le bour-
relet dont elle dérive, toute la lon-
gueur du bord alvéolaire. I
On peut considérer à la lame épi- "*"
théliale (fig. 4, E) 'iine hase adhé- Fig. 4. — Coupe d'une des branches du maxillaire
rente au bourrelet; un sommet inlérieur du mouton (emlnyon de 0,0-:J milli-
' . melrcs de long), grossiBsement de 80 diamètres.
dirigé en dedans dans le tissu em-
, . , , • , a, Cartilage de Meckel. — d, Epilhélium buccal et
bryonnaire et a extrémité mousse ; bourrelet cpitbéUal. - E, lame épithéliale. - g,
deux faces, l'une supérieure tournée ^^^^^ de rorgane de rémaii.
vers la muqueuse, l'autre inférieure regardant le fond de l'arc maxillaire.
La composition de la lame est fort simple au début : elle est constituée par
une couche centrale de petites cellules polygonales entourée d'une rangée continue
de cellules prismatiques ; plus tard on rencontre dans son épaisseur de grandes
cellules semblables à celle du bourrelet ou de la couche épidermique. Ces dis-
positions sont importantes à noter, car jamais, ainsi que nous le verrons, dans
les débris de celte lame ou dans ceux du cordon qui en dérivera, on ne retrouve
les éléments prismatiques qui en forment le revêtement.
C'est à l'extrémité de cette lame que va se produire l'organe de l'émail, pre-
mier vestige du follicule dentaire :
Un léger renflement se produit d'abord à cette extrémité. Ce renflement
apparaît rigoureusement au point qui correspond à la position de la dent
future : il naît de la sorte un nombre de renflements égal à celui des dents elles-
mêmes pour une même dentition. Nous donnerons à ce renflement le nom de
bourgeon primitif du follicule. Ce bourgeon, dérivation immédiate de la lame,
reste réuni à celle-ci par une partie amincie en forme de col, qui s'allonge peu
à peu en même temps que la masse terminale augmente de volume.
C'est cette masse qui pendant tout le cours du développement constituera Vor-
gane de l'émail, tandis que le col par son allongement progressif ne représente
. qu'un moyen temporaire d'union avec la lame elle-même.
44 DENT (physiologie).
Le bourgeon primitif présente au début une forme exactement sphérique.
Il se compose d'une couche extérieure de cellules prismatiques, continuation de
celles de la lame, et au centre de cellules polygonales dont le diamètre est
toujours inférieur à la dimension des cellules qui remplissent la lame elle-
même. Ajoutons que dans les progrès de l'évolution ces éléments subissent une
modification qui les transforme en corps étoiles, phénomène qui ne se produit
jamais dans ceux du cordon. Ces dilférences de volume, jointes aux circonstances
morphologiques, nous paraissent suiTisantcs pour établir dès maintenant une
distinction très-nette entre la constitution de la lame et celle du bourgeon qui
en émane. Si nous insistons sur ce point, c'est que les auteurs les plus récents
ont créé une confusion entre les deux parties. La différence s'accuse d'ailleurs
encore davantage, ainsi que nous le verrons, par les progrès de l'évolution qui
amèneront dans le bourgeon une série de phénomènes importants, tandis
que les éléments de la lame resteront invariablement de nature exclusivement
épidermique.
En continuant son évolution le bourgeon primitif qui était d'abord sphérique
devient plutôt cylindrique tout en conservant sa direction horizontale. 11 s'al-
longe ensuite notablement suivant la même direction, puis il s'infléchit brus-
quement pour prendre une direction verticale qui porte son extrémité dans la
profondeur de la mâchoire.
Dans cette étendue de son trajet le bourgeon, qui peut prendre justement à ce
moment le nom de cordon primitif, présente une longueur variable suivant les
espèces animales et il éprouve en oulre certaines inflexions secondaires en
rapport avec cette longueur même. Chez l'homme le cordon est court; il
en est de même chez le chien, mais c'est chez les solipèdes qu'il présente
la brièveté la plus grande. Chez le veau et l'agneau il offre une certaine
longueur et il décrit en outre diverses ondulations. Toutefois, nous ne lui
avons jamais reconnu la disposition spiroïde signalée par plusieurs auteurs
et qui est si remarquable, ainsi que nous le verrons pour le cordon des dents
permanentes.
Ces différences dans la longueur du cordon primitif s'expliquent par les dispo-
sitions spéciales des parties suivant d'une part les espèces animales dont les
mâchoires présentent plus ou moins de hauteur verticale, d'autre part suivant la
nature même des dents futures. On comprend en effet par là comment devra
être plus étendu le bourgeon d'un follicule de dent permanente, car il doit se
prêter au trajet relativement long qu'il doit parcourir pour plonger du point où
il naît jusqu'au-dessous du follicule temporaire.
Dans le cours de son trajet le cordon primitif présente en outre quelques
particularités dignes d'être notées : ce sont des phénomènes de bourgeon-
nements latéraux qui donnent naissance à de petites masses arrondies en forme
de varicosités et qui forment comme un chapelet irrégulier {voij. fig. 5, F).
Ces petites masses sont composées exclusivement de petites cellules polyé-
driques analogues à celles que renferme le cordon lui-même et ce sont elles
qui plus tard, après la rupture du cordon, deviennent le point de départ de
ces prolongements épithéliaux si nombreux sur lesquels nous aurons à revenir.
Il est bien entendu que nous ne confondons point ici les bourgeonnements
multiples de la continuité des cordons avec la production si spéciale qui donne
naissance au cordon de follicule secondaire, point sur lequel nous reviendrons
plus loin.
DEINT (physiologie). 45
Lorsque s'est effectué le cliangement de diiedion du cordon qui d'horizontal
qu'il était devient vertical, son extrémité renflée en forme de massue prend un
plus grand développement, ce qui résulte de la multiplication des cellules polyé-
driques qu'elle renferme et du revêtement des cellules prismatiques dont le
nombre augmente proportionnellement. Cette niasse terminale plongée ainsi dans
la profondeur du tissu des mâchoires présente assez exactement la forme d'une
sphère dont le pôle supérieur répondrait à l'insertion du cordon et dont le pôle
inférieur libre est dirigé vers le fond de la mâchoire ou plus ou moins oblique-
ment vei s le côté interne. Celte masse représente Vorgane de V émail.
Peu de temps après, on voit le pôle
inférieur se déprimer légèrement par
une sorte de refoulement vers le cen-
tre, ce qui amène la formation d'une
concavité dirigée vers la profondeur.
La masse de sphérique qu'elle était
offre alors la forme d'un capuchon ou
de bonnet qui reste toujours suspendu
à l'extrémité du cordon.
Ce phénomène de refoulement coïn-
cide avec l'apparition d'un nouvel or-
gane au sein des màclioires : cet or-
gane est le bulbe dentaire (fig. 5,1).
Celui-ci naît en effet au niveau même
de ce iiôle inférieur. Il apparuît d'abord
sous la forme d'un point opaque qui
prend rapidement une forme conique
dont le sommet s'enfonce ainsi dans la
dépression correspondante de l'organe
de l'éniail.
Cette disposition réciproque des
deux organes qui se produit dès le
début de leur apparition se retrouve
dans toutes les phases ultérieures, l'or-
gane de l'émail recouvrant constam-
ment le bulbe dont il suit exactement
tous les contours, quels que soient la
forme de celui-ci, le nombre et la
disposition des divisions qu'il peut présenter. Il n'existe d'ailleurs entre les deux
organes aucune continuité de tissus à une époque quelconque du développement.
La dissection simple, la macération dans les liquides coagulants, de même que
l'observation des coupes, établissent surabondamment ces particularités. Cette
application simple à la surface du bulbe s'arrête toutefois au niveau de la base
de celui-ci, qui reste adhérent au tissu ambiant, et l'organe de l'émail se termine
sur ce point en se réfléchissant sur lui-même par un bord arrondi.
Si nous envisageons maintenant la constitution de l'organe de l'émail, nous
voyons que les éléments primitifs, cellules polygonales centrales et couche corticale
prismatique, ont éprouvé des modifications notables ; on reconnaît en effet que
le centre de l'organe est occupé par des éléments d'une forme nouvelle différant
essentiellement des cellules du début. Ce sont des corps étoiles composés d'un
Fig. 3. —Coupe d'une des branches du maxillaire
inférieur d'un embryon de mouton de 0,082
millimèlres de long (grossissement de 80 dia-
mèircsj.
c, épithélium buccal. — E, lame épithéliale. —
F, fordon. — g, organe de l'émail. — H, bulbe.
— I, début du la paroi du follicule. — K, bour-
geon du cordon qui donnera plus tard nais-
sance au follicule de la dent pi.'rmanente.
DENT (physiologie).
noyau central entouré d'une masse transparente ou finement gi-anuleuse ramifiée
et anastomosée avec les éléments voisins.
Ces corps étoiles (fig. 5, g) n'occupent primitivement que le centre du
bourgeon, les parties périphériques conservant leur structure première. Plus
lard leur nombre augmente proportionnellement à l'accroissement en volume de
l'organe; mais on remarque que toujours les prolongements anastomosés sont
d'autant plus longs et plus ramifiés qu'on se rapproche du centre, tandis qu'à
la périphérie on éprouve quelque difficulté à distinguer ces prolongements qui
sont rudimentaires. Les éléments ainsi configurés sont plongés au sein d'une
masse amorphe translucide coagulable par les acides et ayant la consistance et
l'aspect du blanc d'oeuf.
La production des corps étoiles au sein de l'organe de l'émail se fait directe-
ment aux dépens des cellules polygonales qui la composent. Elle a lieu de la
manière suivante :
Au niveau des lignes d'intersection des petites cellules polygonales primitives,
on voit s'interposer une matière amorphe semi-liquide qui, augmentant peu
à peu de quantité, refoule les parois des cellules. Celles-ci perdent dès lors dans
une grande partie de leur surface le contact réciproque qu'elles affectaient aupa-
ravant, sauf toutefois sur certains points où elles restent adhérentes. 11 résulte
immédiatement de ce phénomène que le corps de la cellule primitive éprouve des
dépressions multiples s'effectuant de la surface extérieure vers le noyau central
et donnant conséquemment à cet élément une forme étoilée.
Dans cette explication, la matière muqueuse ou albumineuse de formation
nouvelle viendrait s'interposer aux éléments primitifs qu'elle déprime et qu'elle
tendrait à isoler, s'il ne persistait entre eux des points d'adhérence. Ce sont les
points d'adhérence, qui, distendus et allongés par les progrès du développement
et de l'accumulation de cette matière, arrivent à constituer ces filaments allongés
qui donnent à l'organe son aspect spécial. Il est remarquable que sur les points
de ces cellules polygonales qui restent ainsi en contact dans cette transformation
les lignes d'intersection s'effacent par la soudure entière de la substance du corps
des cellules, et cela de telle sorte que, même par l'emploi des divers réactifs
employés pour déceler la segmentation des cellules, on n'arrive à en retrouver
aucune trace
D'après celte théorie la pulpe étoilée de l'organe de l'émail, dont nous n'avons
pas à décrire maintenant la composition intime, résulterait ainsi d'une simple
modification de forme des cellules polygonales primitives avec soudure intime
sur certains points de leur périphérie. C'est donc en quelque sorte passivement
qu'elles subiraient ce phénomène de dépression sur certains points et d'allon-
gement sur d'autres. L'organe de l'émail doit donc être considéré, malgré la
forme étoilée des éléments qui le composent comme absolument de nature épi-
théliale. Toutefois le mécanisme que nous venons de décrire diflere sensible-
ment de celui qu'ont admis Kôlliker et après lui plusieurs anatomistes qui ont
prétendu que les cellules primitivement polygonales pouvaient spontanément
prendre la forme étoilée. Notre opinion est au contraire plus conforme à celle
de W'aldeyer, qui le premier a bien examiné et décrit ce phénomène. Déjà bien
antérieurement toutefois Huxley avait admis, hypothétiquemeut, il est vrai, que
l'orf^ane de l'émail avait une origine épithéliale, mais il n'avait point indiqué le
mécanisme de cette transformation.
La métamorphose des éléments polygonaux de l'organe de l'émail commence
DENT (physiologie). 47
par le centre et s'étend peu à peu à toute la masse des élcmeufs, de sorte que
les cellules étoilées arrivent au voisinage de la couche prismatique. Toutefois on
remarque qu'en ce point il reste toujours une le'gère couche qui ne suhit qu'in-
complètement la transformation. C'est cette couche qui sera décrite tout à l'heure
et que nous désignerons avec Kollmann sous le nom de stratum intermediiim
de l'organe de l'émail.
Quant aux cellules prismatiques que nous avons trouvées identiques de carac-
tères et de dimensions sur tous les points de la périphérie pendant les premiers
temps de l'évolution, elles éprouvent des modifications qui surviennent à partir
du moment où l'organe de l'émail a pris, par suite de l'apparition du hulbe, une
forme nouvelle.
A ce moment, en effet, les cellules qui tapissent la partie concave de l'organe
de l'émail et qui se trouvent en contact avec le bulbe éprouvent une augmenta-
tion de longueur, tandis que celles qui occupent la portion convexe de l'organe
se sont au contraire notablement atrophiées, et cette différence de dimension
s'accuse de plus en plus pendant l'existence de l'organe de l'émail au seiu du
follicule. Nous verrons même plus tard que cette couche externe finit par dispa-
raître bien antérieurement à l'atropliie complète de l'organe, tandis que les
autres persistent pour remplir le rôle important qui leur est dévolu, la fonna-
mation de l'émail.
Les cellules prismatiques de la face concave ou profonde de l'organe de l'émail
présentent quelques particularités sur lesquelles nous allons appeler l'attention.
Primitivement identiques à celles de la couche de Malpiglii dont elles dérivent
directement, elles acquièrent, outre une augriientalion de longueur, quelques
changements dans leur forme: l'extrémité centrale de ces cellules, qui répond à
la partie gélatineuse de l'organe, s'amincit et s'effile de manière à se terminer
par un cône dont le sommet allongé et aminci se continue ou se soude avec le
prolongement des cellules étoilées voisines, lesquelles constituent cette portion
de tissu connue sous le nom de stratum intermedium.
D'autre part, l'extrémité opposée ou périphérique, c'est-à-dire la base des
cellules, prend très-régulièrement l'aspect de l'extrémité d'an prisme, de telle
sorte que sa surface de section est régulièrement hexagonale.
Si mai'.itenant on examine à un grossissement de 400 diamètres environ une
rangée nou déformée de cellules, on remarque que le bord libre de cette rangée,
c'est-à-dire la partie qui répond à la base des cellules, se présente sous l'aspect
d'une ligne plus claire que le corps même de la cellule et n'offrant en appa-
rence sur les préparations fraîches aucune solution de coutinuiié. Si on fait le
même examen sur des préparations durcies ou si l'on pratique quelques manœu-
vres de dilacération, on arrive à constater que cette ligne peut se subdiviser en
autant de sections qu'il y a de cellules. Toutefois il peut se rencontrer des prépa-
rations dans lesquelles une portion plus ou moins étendue de cette ligne se
détache sous forme d'un petit lambeau libre. C'est cette disposition purement
artificielle, comme on le voit, qui a pu donner lieu, ainsi que nous le verrons
plus loin, à l'hypothèse d'une membrane tapissant extérieurement la couche des
cellules. Nous verrons d'ailleurs en décrivant avec détails ces particularités que
cet aspect n'est pas spécial et exclusif aux cellules de l'organe de l'émail, car on
le retrouve partout où il existe des cellules prismatiques pourvues de ce qu'on
appelle un /;/afeaM ; les cellules prismatiques de l'intestin sont, comme on le sait,
dans ce cas. Or il arrive que, suivant le mode de traitement des préparations, ce
48 DENT (physiologie).
plateau peut rester adliérent isolément à chaque cellule ou bien soudé à ses
voisins de manière ù se détacher sous iorme d'une véritable lambeau membrani-
forme.
Quant au noyau des cellules prismatiques de l'organe de l'émail, son siège varie
suivant l'époque du développement : situé au milieu delà cellule lorsque l'organe
de l'émail apparaît, on le voit se rapprocher de plus en plus de l'extrémité effilée
ou centrale delà cellule, non point parce qu'il a effectué une migration, car il
ne change pas déplace en réalité, mais parce que, l'extrémité élargie de la cel-
lule se développant avec une grande énergie, il semble s'être rapproché du côté
opposé. Cette différence de développement des deux extrémités des cellules pris-
matiques est surtout rem;irquable sur les incisives de rongeurs, chez lesquelles ces
éléments acquièrent une grande longueur.
c. Origine et formation du bulbe dentaire et de la paroi folliculaire.
Ainsi que nous l'avons vu tout à l'heure, l'organe de l'émail ne tarde pas à
perdre sa forme sphérique pour prendre l'aspect d'un capuchon ou d'un bonnet.
La dépression qu'il subit coïncide avec l'apparition d'une nouvelle partie compo-
sante du follicule. Cette partie est le bulbe dentaire.
Sur le point du tissu embryonnaire des mâchoires qui correspond à la dépression
de l'organe de l'émail, on voit ap[)araître tout d'abord une légère opacité. Cette
opacité est due à la production d'éléments nouveaux qui se groupent de manière
à former d'abord un petit mamelon arrondi de forme hémisphérique et dont la
convexité répond exactement à la dépression de l'organe de l'émail. Ce petit
mamelon qui représente le bulbe dentaire ne conserve cette forme que pendant
un temps fort court et bientôt il accuse nettement par sa disposition la con-
figuration de la dent future : ainsi pour les incisives et les canines il prend
une forme conique; pour les molaires chez l'homme et les carnassiers, le
mamelon primitif se recouvre bientôt de saillies secondaires en nombre égal
aux tubercules de la couronne future. Pour les molaires composées des herbi-
vores et des rongeurs, le mamelon envoie des prolongements qui représentent
les divisions de la couronne. Une disposition analogue se retrouve pour les
incisives à cornets des solipèdes. Dans toutes ces circonstances, l'organe de
l'émail, se laissant pour ainsi dire déprimer par les saillies simples ou multiples
du bulbe, reste constamment moulé à la surfiice de celui-ci.
Si le bulbe dentaire accuse, comme nous venons de le voir, peu de temps après
son début, la forme de la dent future, il n'en est pas de même de sa direction
qui est souvent un peu oblique relativement à l'axe du follicule.
Dans tous les cas, le bulbe, en même temps qu'il se développe eu hauteur,
éprouve un certain rétrécissement à sa base en forme de collet, lieu où se
réflécdit, comme nous l'avons vu, l'organe de l'émail.
Le point opaque qui représente la première ébauche du bulbe dentaire se
compose uniquement d'éléments embryoplastiques nucléaires au début, puis en
corps fusiformes et étoiles. On remarque aussi qu'à ce moment il pénètre dans
la masse une anse vasculaire semblable à celle qu'on trouve dans les papilles
de la peau, mais nous n'y avons pas rencontré de nerfs à cette époque de l'évo-
lution ; ceux-ci apparaissent lorsque le bulbe a déjà sa forme mamelonnée.
La constitution anatomique que nous venons de reconnaître au bulbe à son
début reste invariable dans tout le cours du développement. 11 est toutefois une
particularité de sa structure sur laquelle nous devons insister ici : c'est la natui-e
de la superficie de l'organe.
DEAT (piiYsiOLor.iE). 49
Si l'on étudie en effet la slrucliuc du biilhc sur une coupe verticale, on
reconnaît qu'à la liinilc de l'organe il exi>le une petite zone claiic (jui par
sa léfringence se distingue aisément du lissu sous-jacent. Cette zone, à laquelle
divers anatomistes ont l'ait jouer uu rôle important, n'est autre chose qu'une
mince couche de la matière amorphe bulbaire qui sur ce point reste dépourvue
d'éléments anatomiques et de granulations. Cette couche de matière amorphe,
outre sa transparence, présente une densité un peu plus grande que celle du
tissu sous-jacent, de sorte que dans les manœuvres de dilacération de l'organe
elle se détache parfois sous l'aspect de lambeaux assez nets qui ont pu faire
supposer à quelques anatomistes que le bulbe était revêtu d'une niendjrane
isolai)le [membrana prœformativa de Raschkow). Nous dirons plus loin quels
sont le rôle et la nature de cette couche amorphe, mais nous pouvons déjà avancer
que c'est dans ce milieu (pi'apparaissent les cellules dites de livoire.
Dès que la petite masse d'éléments nouveaux qui constitue le bulbe denlairea
pris la forme hémisphérique que nous avons signalée, on voit se détacher de sa
base deux petits prolongements opaques (|ui paraissent émaner directement du
tissu même de ce bulbe et qui se dirigent en divergeant sur les côtés. Ces
petits prolongements reiivésentent la première trace de la paroi du follicule
futur (lig. ,'), 1).
Si à ce début de leur développement on étudie la constitution de ces deux
prolongements, on les trouve exactement composés des mêmes éléments que le
bulbe dont ils émanent. Puis, à mesure que celui-ci se développe, ils s'allongent.,
se recourbent l'un vers l'autre de manière à embrasser dans leur double concavité
non-seulement le bulbe, mais aussi l'organe de l'émail qui lui reste, comme
on sait, constamment superposé. De cette manière la paroi folliculaire, qui n'est
d'abord qu'une sorte de collerette fixée au collet du bulbe, arrive peu à peu à
constituer un sac (|ui enferme et isole finalement la totalité des deux organes
de l'émail et de l'ivoire. A ce moment la paroi folliculaii'e peut être considérée
comme une sorte de cylindre renllé au centre dont i*'ouverturc profonde répond
à la base du bulbe, autour duquel il reste inséré, tandis que l'ouverture opposée
répond au col de l'organe de l'émail, c'est-à-dire au point oii celui-ci adhère
au cordon épilhélial. Enfin ce cordon, sur le point ipii correspond à l'orifice
du sac folliculaire, se brise par suite de la résorption de ses éléments consti-
tutifs, ce qui est (!ù sans doute à la compression ou à l'étraiiglement qu'il subit,
et la paroi du follicile se clôt en ce point même. L'organe de l'émail perd ainsi
les connexions qu'il avait conservées jusqu'alors avec la lame épithéliale et le
follicule dentaire se trouve définitivement isolé.
La texture de cette paroi, composée au début, ainsi que nous l'avons vu, d'élé-
ments embryoplastiques, prend peu à peu l'aspect d'une membrane distincte et
séparai lie des tissus adjacents, sauf toujours de la base du bulbe auquel elle
rest^ lixée.
Kôlliker et la plupart des auteurs décrivent à cette paroi deux lames concen-
triques et admettent encore avec Huxley que la couche transparente qui revêt
le bulbe {membrana prœformativa de Raschkow) se réfléchit à sa face interne
et la tapisse dans toute son étendue. Nous étudierons plus loin ces différentes
particularités de structure.
Au moment du développement auquel nous sommes arrivé dans notre descrip-
tion, le follicule est achevé et clos. Si alors nous en examinons la constitution
générale, nous le trouvons composé de dehors en dedans :
DICT, ENC. XXVII. 4
50 DENT (physiologie).
1° De la paroi folliculaire qui l'enveloppe dans toute sa surface, sauf la base
du bulbe, «jui reste lil)re;
2" De l'organe de l'émail sous-jacent à la paroi folliculaire qu'il suit dans
toute son étendue, de telle sorte que, si par sa face externe il répond à cette paroi,
il est par ^a face profonde en contact immédiat avec le bulbe ;
3» hnfin du bulbe lui-même qui occupe le fond et le centre du sac folliculaire.
En dehors de ces trois pari les fondamentales, aucune autre subslance ne
trouve place dans la constitution du follicule. L'organe de l'émail remplit en
effet exactement tout l'intervalle compris entre la paroi et le bulbe et il descend
sur les côtés de celui-ci jusqu'au cnl-de-sac qui résulte en ce point de la réflexion
de la paioi. En ce dernier lieu, l'organe de l'émail forme aussi un bourrelet
arrondi au niveau du(|uel a lieu cette délimitation entre les cellules pneuma-
tiques de la lace concave de l'organeet celles de sa fiice convexe. Cette délimitation
n'est d'ailleurs pas arliliciclie; i-lle résulte d'une part de différences anatoraiques
et d'autre part du rôle physiologique auquel sont appelées les cellules de la
face profonde, tandis qne la conclie externe s'atrophie rapidement et disparaît.
(]'est cette couche iirismatiipie profonde qui constitue, ainsi que nous le verrons,
la rangée des ecllules de l'émail [mrnihrane adamantine, adainantobla^te^) :
aussi persistc-t-elle très-longtemps dans la composition du follicule non-seule-
ment ajjrcs la disparition de la courbe externe, mais même après l'atrophie de
la partie gélatineuse de l'organe de l'émail, .ajoutons de suite que chez les ron-
geurs, dont les incisives croissent, comme on sait, d'une manière continue, celli^
couche de cellules subsiste pendant toute la vie sur une partie de la face
antérieure ou convexe de ces dents.
Celte con-litulion du follicule composé de trois parties fondamentales paraît
être propre au follicule de l'homme, des carnivores et en général de tous les
niamnnfères dont les dents sont dépourvues de cément coronaire; mais, si l'on
vient à observer un follicule chez un embryon de solipède, ou constate que même
longteni|)s avant la formation du premier chapeau de dentiue il existe entre la
paroi et les nrganes sous-jacents un nouveau tissu bien distinct des parties voi-
sines par sa couleur, sa consistance et sa composition intime : c'est cet organe
auquel sera dévolu ultérieurement le rôle de la formation du cernent. Nous
n'avons pas à le décrire ici, car il n'apparaît chez certaines espèces spéciales
i[u'après rachèvcmeut de la formation du follicule. Nous l'étudierons plus loin
avec détails. Ce que nous voulons simplement élablir dès à présent, c'est sou
existence incontestable dans les follicules des dents à cément coronaire. Ce fait
est tellement précis que dans le simple examen d'un follicule on peut par la
constatation de la présence ou de l'absence de cet organe conclure que la dent
future présentera ou ne présentera pas de cément coronaire.
Le follicule dentaire, dont toutes les parties composantes sont ainsi groupées
et réunies dans un même sac, a une forme générale ovoïde. Son volume,
très-vaiiable suivant les espèces animales et la nature des dents auxquelles il
correspond, ne saurait être déterminé d'une manière exacte. Une fois achevé
il reste inclus au sein du tissu embryonnaire des mâchoires avec lequel il
conserve une certaine continuité de tissu, du moins au déhut. Isolé ainsi dans
la profondeur des mâchoires il a perdu, par la rupture du cordon, sa commu-
nication avec la muqueuse, et il n'en présente pas encore avec l'os maxillaire,
car la formation des cloisons alvéolaires ne s'effectue que plus lard.
Le réseau vasculaire qui se ramifie dans le follicule provient de diverses
DENT (physiologie). SI
sources et pénètre du tissu ambiant dans le bulbe dentaire et dans la paroi,
tandis que l'organe de l'émuil est, comme on sait, dépourvu de vaisseaux.
La direction lin follicule, c'est-à-dire le grand axe de l'ovoïde qu'il représente,
est assez variiible : régulièrement vertical chez l'homme et les carnivores, il
présente chez les herbivores une certaine oblicjuité principalement marquée pour
les follicules des incisives. Ceux-ci ont en effet une direction oblique et diver-
gente comme en éventail, ce qui est d'nilleurs tout à fait conforme à l'incli-
naison même de l'arcade alvéolaire. On peut d'ailleurs dire (|ue, d'une manière
générale, l'axe du follicide est déterminé par l'iixe du bulbe et qu'il est rigou-
reusement identique à celui dn bord alvéolaire pour chatjue espèce en particulier.
Quant à son siège au sein des màchoiies, il diffère également suivant les
espèces : assez rapproché de la muqueuse chez l'homme, les carnivores et les
solipèdes chez bsquels le cordon épiihélial est conséqncmment court, il est
situé plus profondément chez les herbivores {agneau, veau), et le cordon dans
ce cas acquiert une longueur proportionnelle.
d. Phénomènes consécutifs à la formation du follicule et à la rupture du
cordon épithélial. Aussitôt que le follicule dentaire se trouve clos et isolé
après la rupture du cordon épithélial, divers phénomènes se produisent au
dehors de cet organe, au sein du tissu embryonnaire ambiant, dans la région
comprise entre le sommet du follicide et la couche épidernn'que de la gencive.
Ces phénomènes ont pour sièges princi[taux la lame épilhéliale el le cordon lui-
même.
En effet, la lame épitbélialc, une fois priv.'e de sa continuité avec le follicule,
devient le centre d'une véritable multiplication des éléments qui la composent.
Cette miilliplicatiDU amène la production de bourgeons irrégulicts se dirigeant
dans diflérents sens au sein du tissu end)ryûnnaire. Ces bourgeonnements ont
les formes les pins diverses : tantôt ce sont de simples cylindres lestant unis
par un pellicule plus ou moins étroit à la lame primitive ; tantôt ce pédicule
se résorbe et une masse épithéliale se trouve ainsi isolée.
Ces masses sont formées uniqucmcMit de grandes cellules polygonales sr ni-
blal les à celle- qui se trouvent au centn^ de la lame épilhéliale, mais elles n'ont
jamais comme celle dernière une enveloppe de cellules prisnuitiques. Très-
fréquemment en outre des groupes de ces éléments affectent la forme de globes
épidermiques en tout point semblables à ceux qu'on rencontre parfois au sein de
la lame épithéliale elle-même. Ce sont ces diverses dispositions qui rendent
compte de la | régence de ces masses épilhéliales de formes si variées et jusqu'ici
inexpliquées qu'on rencontre dans presque toutes les coupes pratiquées sur
les micboires à cette époque de l'évnlulion.
Ces phénomènes de bourgeonneaicnis s'arrêtent à un certain moment qui
paraît loujours antérieur à l'époque d'appaiilion de l'ivoire dans le follicule, et
alors tiius les débris et la lame elle-mênie rpronvenl une résorption graduelle
qui amène leur disparition complète avant le développement achevé de la dent.
En même temps que les phénomènes que nous venons d'indi|uer se sont
effectués aux dépens de la lame épithéliale, le cordon subit de son côté une série
de modifieations absolument anjlognes. De ces débris du cordon partent dans
divers sens des prolongements parfois très-nombreux, comme nous l'avons
constaté, par exemple, dans certaines préparations d'embryons de vean, La
persistance de ces phénomènes est assez giande, puisqu'on peut les observer
jusqu'à une époque voisine de l'éruption.
52 DEA'T (physiologie).
La forme générale de ces bourgeonnements peut varier: tantôt ils apparaissent
sous l'aspect d'une sorte de bouquet dont le pied répond au sommet des folli-
cules et dont la masse s'étale et s'épanouit en s'élargissant jusqu'au voisinage
de l'épiderme. D'autre fois ils iorment par une foule d'anutomoses réciproques
un véiilable réseau, au milieu duquel on retrouve encore quelques masses qui
restent isolées.
L'ensemble de ces bourgeonnements épilliéliaux «diversement groupés ou
anastomosés ne suit pas néces-sairement la direction de la lame ou du cordon et
ordinairement on les voit se diriger plus manifestement vers la surface tégu-
menlaire.
Tous ces débris sont invariablement formés de petites cellules polyédriques
juxtaposées cl tout à fait semblables à celles du cordon, avec celte pailicularité
déjà signalée pour les débris de la lame qu'on n'y retiouve point le revêlement
de cellules prismatiques, (pii tapissait le cordon lui-même.
Les bouigcons du cordon ont un diamètre variable : quelques-uns sont
extrêmement minces et se composent d'une rangée unique de cellules; d'autres
affectent l,i forme de rendements contenant plusieurs couches superposées de
ces éléments, mais jamais on n'y rencontre les grandes cellules et bs globes
épid('rmi(|ues dont nous avons recomui la présence dans les débris de la lame.
De uK'me (jnc les débris de la lame épiiliéliale, ceux du cordon, après avoir
éprouvé ces ninltiplicalions, se résorbent graduellement, puis disparaissent vers
l'éjioque qui correspond, ainsi que nous l'avons dit, à la période' de piogressioii
de la (lent du fond de la gouttière vers l'extérieur, c'est-à-dire à l'éruplion.
Pendant qut; ces pliénomcnes de bourgeonnements s'eflécluent aux dépens
des débris du cordon on remarque que des dispositions analogues se sont
produites à la surface extérieure de la paroi folliculaire : ces deux séries de
phénomènes sont d'ailleurs simultanées.
En eirel,si l'on prali |ue uncoiipeverticaledelarégion comprise entre le sommet
d'un follicule et la surface épidcruiiqiie evt rieure peu de temps après la rupture
du conion, on reconnaît (pie les débris de ce cordon même se continuent et se
confondent avec des bourgeons qui sont adhérents à la paroi. Ceux-ci ont les
formes les plus variées : ce sont le plus ordinairement des renllenients ou
cylindres plus ou moins longs, terminés par une extrémité arrondie, quelquefois
pourvus d'une sorte du pédicule et occupant sur la paroi du follicule une région
qui correspond à peu près à la moitié de la surface tournée vers la muqueuse.
C'est au point le plus élevé ou sonmiet du follicule qu'ils sont le plus abondants
et leur non bre diminue peu à peu sur les côtés. Ces bourgeons s'anatomosent
transvei salement soit entre eux, soit avec ceux qui dépendent du cordon, et
cela de telle sorte que, si l'on examine non plus une coupe verticale, mais la sur-
face même du lollicule, on aperçoit une sorte de réseau à mailles très-irrégu-
lières et qui se superpose à la façon d'un filet à la paroi folliculaire.
La constitution analomique de ces bourgeons de la paroi ne dillère en rien
de ce que nous avons indiqué pour les débris du cordon. Ces sont les mêmes
cellules polyédriques de petite dimension, sans parement de cellules | risnia-
tiques. Cette identité de stiucture résulte de ce que ces masses épiihéliales de
la paroi sont la continuation des débris mêmes du cordon qui sont Ks plus
voisins des follicules et qui se propagent ainsi de proche eu proche pour con-
stituer aux lollicules ce revêtement réticulé.
Cet ensemble de phénomènes de prolifération épilhéliale répond donc à un
DEA'T (phvsiologie). 65
seul et même processus. La lame cpilhéliale est eu le siège primitif, puis ils
se répandent de là dans le cordon et enlin jnsqu'à la surface de la [taroi l'ollicu-
laire. Il y a coiiliuLUté directe entre eux, ils otlrent la même constitution aua-
tomique et tous finissent par se résorber entièrement et disparaître.
C'est à la persistance accidentelle de ces masses cpitliéliales an sein des
mâchoires et au delà des limites de la vie fœtale que M. Verneuil a cru pouvoir
attribuer, dans une théorie récente, le point de départ de l'épithélionia central
des maxillaires.
Nous avons indiqué plus haut l'époque à laquelle débutent ces phénomènes
de bourgeonnement. C'est au moment oii le cordon épitliéllal a achevé son trajet
et porté l'organe de l'émail au point où il effectuera son évolution ultérieure
et peu de temps après la formation du bourgeon du follicule délinilif. Quant
à leur dis|:arilion, elle correspond à une période variable suivant bs espèces
animales. Dans l'embryon humain on retrouve les débris du cordon des folli-
cules primitifs jusqu'au delà de l'époque de formation des follicules permanents,
et c'est vraisemblablement pendant le mouvement d'éruption (pie ces bourgeonne-
ments s'atrophient. H en est à peu près de même chez le chien. Sur les inibryons
de veau et d'agneau, il nous a semblé ijue cette disparition était notablemeni
plus précoce, mais nous croyons pouvoir dire d'une manière générale que
c'est vers l'époque de l'éruption qu'ils disparaissent.
La signification physiologique de ces phénomènes nous paraît difficile à
déterminer. IVous n'avons pas d'opinion personnelle à cmctire à cet égard;
toutefois nous dirons qu'en raison de leur mode d'évolution et de leur structure
on ne saurait leur attribuer aucun rôle quelconque de nature glandulaire, ainsi
qu'on l'a indiqué. On sait en effet que Seires avait décrit dans l'épaisseur de la
muqueuse des mâchoires des glandes spéciales, glandes tartaricjues, idée à
laquelle s'étaient rattachés Ivolliker, Todd, Bowman, et^;. Cette opinion est
inadmissible en raison de la nature anatomique de ces masses épithéliales
et en outre parce que la production du tartre répond à un tout autre phéno-
mène.
Pendant que toutes ces modifications s'effectuent aux dépens des débris
épitbéliaux du cordon et de la lame, le tissu embryonnaire dans lequel sont
plongés les follicules change aussi de nalure et l'on y rencontre des éléments
lamineux formant un réseau lâche et transparent. Le tissu osseux du maxillaire
dont on n'apercevait aucune trace à l'époque de la naissance du cordon primitif
se produit en premier lieu vers la base du follicule où il prend bientôt la forme
d'une bande continue qui a pour rôle immédiat de séparer par une cloison hori-
zontale la gouttière des follicules du canal réservé aux vaisseaux et au nerf den-
taires. De cette bande primitive se détachent ensuite latéralement deux prolon-
gements qui s'élèvent sur les parois des mâchoires et complètent la froullière
folliculaire qui reste longtemps unique, c'esl-à-dire sans subdivisions alvéolaires.
Ce n'est que plus taid après le début du développement de la couronne que
les cloisons secondaires se sont formées et ont constitué à chaque follicule une
loge qui n'est ouverte que vers la muqueuse.
Le système vasculaire du tissu qui entoure le follicule est extrêmement riche
et les anses vasculaires arrivent jusqu'au contact de la paroi dans l'intérieur de
laquelle elles se ramifient jusiju'à la limite de l'organe de l'émail.
Quant au bulbe, sa vascularisatiou est entièrement distincte sans anatomoses
avec le réseau précédent. Nous aurons du reste l'occasion de revenir ultéi'ieure-
bi DENT (physiologie),
ment sur ces particularités quand nous traiterons de la morphologie et de la
structure du follicule.
e. Lieu et mode d'origine (lu follicule des dents permanentes. Le problème
de l'origine du follicule des dents permanentes est un de ceux qui ont le plus
attiré l'atlenlion des derniers auteurs qui ont étudié l'évolution des dents. C'est
aussi l'un de ceux que nous avons poursuivis avec le plus de soin et de patience,
et nous pouvons dire que nous avons réussi à le déterminer avec la plus grande
rigueur.
Depuis les travaux de Goodsir, la plupart des anatomistes avaient admis sans
examen et sans contrôle que le follicule des dents secondaires naissait d'un repli
du sac qui représentait le follicule primitif. Cette explication n'est pas plus
conforme aux faits que la théorie de la formation du sac des dents temporaires
|)ar un renversement de la muqueuse. ÎNous avons déjà cx})rimé notre opinion
sur cette hypothèse et nous y l'eviendrons en terminant ce travail. La théorie de
Goodsir restera donc aussi erronée pour ce qui regarde les dents permanentes
que pour les dents temporaires.
Nous devons dire toutefois que Kolliker et Waldeyer se sont approchés de la
vérité en indicpiiuit et en figurant certains prolongeniciils du cordon primitif
destiné à devenir le cordon secondaire, mais dans le plus récent des travaux publiés
en Allcm;igne, celui de Kollmann, l'explication précédente n'est pus adoptée, et
cet anatomisle fait provenir le cordon des dents permanentes des débris du
cordon primitif qui, après sa rupture, produit ces divers hourgeonnenienls ou
masses épilhéliales que nous avons décrits plus haut. C'est de l'un de ces débris
que partirait le cordon destiné à représenter l'organe de l'émail de la dent
future. C'est encore de cette manière que, d'après Kollmann, s"e.\pli(|uerait la
production des dents surnuméraires. Cette nouvelle théorie est également er-
ronée, el si l'auteur allemand s'est laissé séduire par quelques apparences de
nature à donner créance à son opinion, c'est qu'il a négligé de suivre rigoureu-
sement dans leurs phases physiologiques successives les phénomènes de celte
évolution spéciale.
En effet, le mode d'origine des follicules des dents permanentes est un phé-
nomène complexe en ce sens qu'il n'est pas identique pour toutes les dents
de la seconde dentition. Il est tout dilférent suivant que telle dent perma-
nente a été précédée d'un follicule temporaire correspondant, ou que telle
autre est apparue au sein des mâchoires en l'absence de toute dent temporaire
préalable. 11 y a donc là une première distinction importante à établir, et tandis
que vingt dents permanentes correspondant aux vingt dents de première denti-
tion se forment d'une façon identique, les douze autres, qui sont les molaires de
l'âge adulte, apparaissent par un mode différent de genèse.
C'est sur un nombre considérable d'embryons de mammifères répondant à
toute la série des phases successives du développement qu'il nous a été possible
de fixer les faits que nous allons établir :
Si l'on étudie, par exemple, des coupes pour l'examen microscopique pratiquées
sur des mâchoires d'embryon humain, mesurant 20 centimètres du vertex aux
talons, on constate qu'il existe constamment au niveau du point de jonclioa du
cordon primitif avec l'organe de réniail de la dent temporaire un bourgeon en
forme de cylindre plus ou moins renflé à son extrémité, ce qui lui donne l'aspect
d'une petite massue (fig. 4, K). Un faible grossissement de 100 à !200 diamètres
permet de le voir très-nettement. Ce bourgeon se dirige plus ou moins verti-
DENT (physiologie^. -j"»
calement vers la partie profonde des mâchoires entre la paroi osseuse alvéolaire
et le follicule primitif sur la face interne ou buccale de celui-ci. Il est constitué
des mêmes éléments que le cordon primitif, tlont il n'est en réalité (ju'un véri-
table bourgeonnement; ce sont les mêmes cellules polygonales recouvertes d'une
couche uni([ue de cellules prismatiques. C'est ce bo\irgeon qui représente la
première ébauche des dents permanentes; chacun des vingt lollicules de la
première dentition présente on effet à la même époque un phénomène de genèse
identique, et c'est de la sorte à un fait physiologique imifurme que les dents de
la première denlitiou doivent leur remplacement par un nombie égal de dents
de la seconde.
Aussitôt que ce bourgeon a pris un certain développement, on peut suivre
aisément les phénomènes ulté-
rieurs dont il est le siège. On le
voit alors s'enfoncer profondément
au fond de la gouttière dentaire,
puis il s'isole du follicule primi-
tif par une rupture qui a lieu au
point de jonction, primitivement
siège de sa naissance (fig. 5, E).
De la sorte, le follicule primitif
devient indépendant de toute con-
nexiofk du voisinage, tl continue
ainsi son évolution individuelle,
tandis que le bourgeon secondaire
reste adhérent au cordon primitif
et par lui à la lame épiihéliale et
à la muqueuse. C'est ce dernier
état, observé sans tenir compte
des phases antérieures et despha«
ses ultérieures du développement,
qui a pu faire croire que le cor-
don des dents permanentes nais-
sait des débris du cordon primitif
ou directement de la lame épithé- ^% '''■ -*'"'f"' '!'""" '"■'':'=''° ':!' ■"^^^iH';''- infcnem-
r a un cmhryon liumain de O/io centirnclres dans la
liaie. région incisive (giossisseriicnt do 80 diainctics).
La descente du bourgeon se- a, Can,lage,le MocUel.- (,.EpiU.éliumlmrca1.-c, Coupe
COndaire est bientôt suivie de toute ^'^ l'anère demairc. — c\ Coupc de; nerfs. — rf, Traces
1 ' • j 1 ' ' osseuses alvcoliiios. — E, Cordon du fùllicule tempo-
la série des phénomènes communs raire séparé du follicule corre^ponda,,.. - g, Cyane de
à toute évolution folliculaire, c'est- l'émail du folUculc temporaire. — 11, Uiillic sunuonlé
^ 1- I • 1' L /i, '''^" petit chapeau de dcnlinc. — K, Cordon du fol-
a-dire la naissance d un bulbe sur Hcuie de la dent permanente.
le point culminant de la masse
que termine le bourgeon, devenue organe de l'émail, son enfoncement pour
loger l'organe nouveau, l'apparition de la paroi folliculaire qui s'élève sur les
côtés pour atteindre le col du nouvel organe de l'émail et constituer par sa
soudure le follicule secondaire, etc.
Pendant le temps que mettent à s'accomplir ces phases de développement, on
voit survenir certaines modifications dans les régions qui avoisinenl le follicule
primitif; au niveau du point oii se sont effectués la rupture du cordon secondaire
et l'isolement du follicule primitif, le tronçon du cordon qui reste adhérent à
j)0 DENT (physiologik).
ce dernier devient le siège de ces fragmentafions avec bourgeonnement et
muli|ilicalioa dos débris, sur lesquels nous avons longuement insisté dans le
paraij;ra|)lic précédent. L'époijue qui coirespoiid au début de ces pbénomenes est
celle oîi l'emlirjon bun)ain mesure 25 conlimctres.
Chez les embryons d'autres mammifères, ces faits, qui ont toujours pour point
de départ le moment de la rupture du cordon, nous ont paru se iiroduire un
peu plus lot relativement à h durée de la gestation. Il en est ainsi chez le
cheval et le veau. En outre, chez ces animaux le bourgeon secondaire naît sur
un point un peu plus éloigné du follicule primitif, c'est-à-dire dans le parcours
du cordon de la lame épithéli.ile au sonmiet de celui-ci; le mouton est égale-
ment dans ce cas. Quelques dilTérences ^'observent aussi relativement à la direc-
tion (le ce cordon secondaire dans les diilérenles esjièces. Ainsi, tandis que chez
riionmie nous lui avons leconnu une direction verticale, chez les heibivores il
affecle une direction très-obli(iue, de telle sorte que, parti tlu côté externe non
loin de la lameépithéliale, avec laquelle il reste en connexion, il passe au-dessus
du follicule temporaiie, suivant une ligne courbe qui le conduit du côté interne
de ce dernier. On peut voir nettement cette disposition sur les coupes de
mâchoires de veau, de mouton et de cheval, dans la région incisive.
L'origine et la direction de ce cordon secondaire n'entraînent pas un rapport
absolu avec sa longueur, car chez l'honmie, où sa direction est verticale, il est
plus long que chez: le cheval, où il est ccnviligne; d'une manière générale sa
dimension, ainsi que celle du cordon primitif, est subordonnée à la h;iuteur
même du bord alvéolaire et à la direction du follicule lemporaiie. i-hez l'homme,
chez les carnivores, celte hauteur est relativement plus considérable et, de
plus, l'obliquité si grande qu'affectent les Ibllicules primitifs des incisives des
herbivores permet au bjurgeon secondaire de franchir directement l'arc maxil-
laire pour se placer, après un trajet fort court, au côté interne du follicule anté-
rieur, et il y effectue son évolution complète.
Dans sa progression au sein des mâchoires, le cordon du follicule secondaire
offre une forme spéciale; il est constamment disposé en spirale, et son aspect
rappelle parfaitement celui des j^landes sudoripares dans leur trajet épiderniique.
Cette physionomie pailiculière est tellement accusée pour le cordon des dents
permanentes qu'elle devient un caractère propre à le distinguer du cordon teni-
])oraire, lequel peut décrire quelques sinuosités, mais n'est jamais si franche-
ment sj)iroide.
Cette dillérence a d'ailleurs pour explication la nécessité pour le cordon
secondaire de parcourir un trajet plus long dans un maxillaire plus développé
et de conduire le follicule futur jusqu'au-dessous du follicule temporaire.
Les llexuosités spiroïdes du cordon secondaire sont surtout très-marquées au
voisinage de son point d'origine et dans la première moitié de son trajet, puis,
quand on se rapproche de son extrémité, elles diminuent et disparaissent enfin
complètement pour faire place à un petit renflement arrondi en forme de
massue, qui rappelle exactement la disposition que nous avons décrite à l'extré-
mité du cordon primitif, ce renflement représentant Yorgane de l'émail de la
dent permanente (fîg. 5, 1\).
Lorsque la série des pliénomèncs évolutifs a amené le follicule nouveau au
moment où chez l'homme, par exemple, le bulbe est apparu unicuspidé pour les
incisives et canines, multicuspidé pour les molaires, certaines particularités se
produisent au sein du cordon épithélial : celui-ci, dont la séparation avec le
DENT (physiologie). 57
follicule primitif est déjà effectuée depuis quelque temps, se rompt à son tonr
sur uu point de son tnijet au milieu des ilexuosilcs ou spires qu'il présente.
C'est alors que le follicule secondaire ainsi que le primitif se trouvent séparés de
toute connexio i pendant toutes les phases ultérieures de leur évolution. Cette
rupture est bientôt suivie de nouvelles subdivisions dans la substance même
du cordon qui semble se désagréger en fragments de volume varié. Ces frag-
ments s'allongent et bourgeonnent dans divers sens, de telle sorte que ces pro-
longements épiihéliaux se mêlent et se confondent avec ceux du cordon primitif,
s'anastomosent avec eux et arrivent à former dans cotte région une sorte de
réseau à mailles parfois très-serrées et qui se prolongent jusqu'au contact de
la paroi folliculaire avec les bourgeons qui la recouvrent. Enfin, toutes ces
masses épiihéliales, après avoir proliféré et végété, s'atrophient et dispa-
raissent.
Tel est le mode de genèse des follicules des dents permanentes précédées de
dents temporaires correspondantes. Vingt dents sont dans ce cas, mais, s'il s'agit
de celles qui naissent d'emblée en arrière de la série des dents caduques, c'est-
à-dire des molaires adultes, le mode d'origine n'est plus le même. En effet, la
première molaire permanente, dont on \oit déjà le follicule assez développé
pendant la vie fœtale, naît d'un cordon épitliélial qui pieiid sou origine direc-
tement à la lame épithéliale, et son cordon pénètre au sein du tissu embryon-
naire dans une région où il ne rencontre aucun follicule antérieur.
Pour la seconde molaire, le phénomène revient au mécanisme des dents de
la première série, car c'est par un diverticulum du cordon de la première
molaire que se produit le follicule de la seconde. Ces deux dents sont donc en
quelque sorte, l'une à l'autre, comme une dent caduque à une permanente.
Seulement, comme la seconde se loge en arrière et non au-dessous de la pre-
mière, le cordon épitliélial ne prend pas la direction descendante ou verticale,
mais se porte d'abord horizontalement pendant un certain trajet pour s'infléchir
au delà du follicule et se placer au bout de la rangée.
Quant à la dernière molaire, ou dent de sagesse, sa naissance s'effectue par
un mécanisme analogue à celui (pie nous venons d'étudier, c'est-à-dire que le
cordon épitliélial qui donne naissance à son organe de l'émail e?t une éni.inatioii
du cordon de la seconde molaire. Toutefois nous devons dire que la constatation
de cette origine a rencontré beaucoup de difficultés en raison du siège oîi elle
a lieu et de la nécessité de soumettre les mâchoires d'un grand volume et d'une
dureté considérable à des réactions nombreuses qui altèrent les tissus. Cepen-
dant, il nous a été permis dans plusieurs préparations de constater d'une façon
à peu près certaine la naissance du cordon épitliélial de la dent de sagesse sur
le point que nous indiquons.
Il suit de là que chacune des deux dernières molaires déiivc directement de
celle qui la précède, tandis que la première naissant, comme on l'a vu dans
la lame épithéliale, reste par son origine le point de départ des dernières géné-
j-ations des follicules.
Quoi qu'il en soit, en dehors des conditions variables de la genèse des follicules,
l'ensemble des phéjiomènes ultérieurs de l'évolution est identique, à quelque
dentition qu'ils appartiennent; toutefois, cette identité ne se retrouve pas au
point de vue de l'ordre dans lequel évoluent les follicules, et de la durée des
phénomènes physiologiques. Ainsi, tandis que la série des follicules de la pre-
mière dentition se développe dans le temps compris entre le premier tiers de la
58 DENT (physiologie).
vie foetale et la fin de la troisième année, la plupart des follicules de la seconde
dentition comprennent dans leur développement un temps bien plus considé-
rable ; exemple : le follicule de la première molaire qui, bien qu'il apparaisse à la
quinzième semaine de la vie fœtale, c'est-à-dire peu après les follicules tempo-
raires, n'achève son évolution qu'à la sixième année. Les phénomènes de
l'évolution folliculaire, tout identiques qu'ils soient, mettent donc à s'accomplir
un temiis variable, suivant la nature, le rôle et le caractère caduc ou perma-
nent des dents futures.
f. Chronologie du follicule dentaire ou époques d'apparition de ses
diverses parties composantes. Dans le cours de nos recherches sur le mode
de formation du follicule dentaire des Mammifères, nous avons été conslan)ment
préoccupés d'une (juestion importante, celle qui est relative à la fixation des
époques auxquelles apparaissent les divers organes qui concourent à la consti-
tution de cet organe.
Celte étude devait nécessiter l'emploi d'un grand nombre d'embryons tant de
l'homme que des principaux animaux domestiques sur lesquels portaient nos
observations. Cn autre point du pioblème consistait à déterminer exactement
l'âge de ces embryons eux-mêmes, ce i|ui, en l'absence de renseignement sur
l'époque exacte de la conception, ne pouvait être résolu le plus souvent que par
leur mensuration. Or leurs dimensions qui correspondent, il est vrai, pour
l'homme, d"a()iès les documents recueillis par les auteurs, à des âges bien
détei minés, n'ont [las été jusqu'à ce jour, cn ce qui concerne les Mammifères, aussi
exactement rapi oi tées aux phases successives de la vie embryonnaire. Il résulte
de là que si, pour l'espèce humaine, nous sommes en mesure de doimer les
âges exacts de la vie embryonnaire correspondant à tel ou tel état de l'évolution
folliculaire, il n'en pourra être de même pour d'autres espèces de Mammifères
au sujet desquels les tables chronologiques manquent de rigueur suffisante.
En ce qui concerne l'homme, chez lequel cette étude offre le plus d'intérêt et
le plus grand nombre d'applications, nous avons pu recueillir un grand nombre
d'observations sur une série d'embryons depuis l'époque où ils mesurent
3 centimètres de longueur totale, ce qui correspond à la septième semaine,
jusqu'au moment où ils atteignent 57 centimètres, c'est-à-diie six mois et demi.
Cette première série nous a permis de fixer toutes les périodes de l'évolution des
follicules de la première et \me partie de celle de la seconde dentition. Quant
aux auties phases de cette dernière, nous les avons établies par l'étude des
sujets voisins du terme ou chez des nouveau-nés de divers âges.
Le plus petit de ces embryons, celui de 3 centimètres (de la septième
semaine), dont nous avons fait des coupes portant sur la totalité de la tête, nous
a permis de déterminer qu'à cette période on ne rencontre encore de point
d'ossification sur aucune partie du ciàue ou de la face ; seule la mâchoire infé-
rieure présente quelques travées osseuses rudimentaires au voisinage du carti-
lage de Meckel.
A ce moment les mâchoires n'offrent à considérer, au point de vue de l'évolu-
tion folliculaire, que l'existence du bourrelet épithélial, lequel est identique aux
deux mâchoires. Ce bourrelet offre tous les caractères que nous lui avons
assignés plus haut. 11 n'y a pas trace de lame épitheliale. Le follicule n'est donc
pas encore apparu dans ses premiers rudiments.
Le deuxième embryon que nous avons pu observer avait 5 centimètres 1/2.
soit deux mois, et, à cette époque, nous avons constaté que les croutlières
DENT (physiologie). 59
dentaires commencent à se former ; les cordons épithéliaux, représentant l'organe
de l'émail, sont Irès-neltemenl détachés, et le bulbe dentaire apparaît déjà sous
forme d'un point opaque dans l'endroit que nous avons désigné à sa genèse. Cette
période du développement comparée à l'état précédent nous a permis ainsi de
lixer de la septième à la huitième semaine l'apparition de la lame épithéliale
et vers la huitième semaine la genèse de l'organe de l'émail du cordon épithé-
lial. En outre une remarque importante que nous avons pu faire, c'est que
l'évolution est au même degré aux deux mâchoires, ainsi que pour tous les
l'ollicules de la première dentition. Qu'il s'agisse des incisives, dr^s canines ou
des molaires, l'état du développement est identique. Ces données, qui nous
paraissent présenter un degré suffisant de précision, sont de nature à modilier
les chiffres fournis à cet égard par un travail antérieur dans lequel on assigne
au début de l'évolution folliculaire le soixantième ou soixante-cinquième jour,
ce qui coriespondrait à la neuvième semaine : ce phénomène est donc nota-
blement plus précoce. De plus l'évolution, d'après les recherches dont nous par-
lons, présenterait à la mâchoire supérieure un certain retard sur l'inférieure, ce
(jue nous n'avons pas constaté.
Sur un troisième embryon de 7 centimètres 1/2 correspondant à la onzième
semaine, nous avons reconnu que le développement, toujours identique auxdeux
mâchoires et pour chacun des follicules de la même dentition, était parvenu à
cet état où, le cordon folliculaire restant entier, le bulbe est constitué, unicus-
pidé pour les incisives et les canines, multicuspidé pour les molaires. La piiroi
l'olliculaire se détache de la base de ce bulbe, mais n'est pas encore soudée au
sommet du follicule. Il n'existe en ce moment aucune trace du cordon des dents
secondaires. Le bulbe est constitué par de la substance amorphe et des noyaux;
sa couche superhcielle d'apparence membraneuse se constate ; l'organe de
l'émail est franchement étoile et la couche épithéliale périphérique a déjà
éprouvé un commencement d'atrophie relativement à la couche profonde.
Un quatrième embryon de H centimètres, soit douze semaines, nous a permis
de constater que les follicules n'étaient pas clos et qu'aucune trace de chapeau
de dentine, c'est-à-dire d'apparition première d'ivoire, n'était encore appréciable.
L'état était resté le même sur un embryon de 15 centimètres, c'est-à-dire âgé
de treize semaines.
C'est sur un embryon de 20 centimètres, soit au commencement du qua-
trième mois, que nous avons recueilli des observations précieuses sur certaines
phases ultérieures de l'évolution : en effet à cette époque le cordon folliculaire
primitif n'est pas encore rompu, le follicule n'est pas clos. On aperçoit mani-
festement un petit chapeau de dentine très-nettement dessiné sur certains folli-
cules et non sur toute la série de la même dentition temporaire. En effet c'est
au moment de la genèse des traces primitives d'ivoire que se dessine la pre-
mière différence chronologique entre les divers groupes de follicules : ainsi, tandis
({ue les incisives et les canines sont pourvues d'un chapeau de dentine embryon-
naire, les molaires ne le présentent qu'environ une semaine plus tard. Le bulbe
a déjà tout à fait la forme de la dent future, sa base est étranglée et rejoint
les prolongements latéraux de l'organe de l'émail encore complètement constitué
avec sa couche interne de cellules pourvues de son stratum intermedium très-
accusé.
Enfin c'est à cette époque qu'apparaît le premier bourgeonnement émanant
du cordon primitif et destiné à former le cordon secondaire ou organe de
CO DENT (physiologie).
Téniail des dents de seconde dentition. Ce bourgeon est au même état pour toutes
les dents des deux mâchoires.
Sur un embryon voisin du précédent long de 25 centimètres i/2 et corres-
pondant à la dix-liuilième ou dix-neuvième semaine, nous avons fixé l'époiiue
à laquelle a lieu la séparation du cordon secondaire avec le follicule primitif.
Celui-ci s'isole de la sorte de la lame épithéliale et continue son évolution sans
aucune connexion avec la muquHuse. Le (ullicule permanent de son côté reste
en continuité avec le cordon et par celui-ci à l'épiderme. Si nous appelons
l'attention sur celte disposition, c'est parce qu'en négligeant de tenir compte
des piiases successives de l'évolution on serait tenté de croire que le follicule
des dents permanentes naît directement de la lame épithéliale et non du cordon
des dents temporaires. Ce dernier mode de genèse est au contraire très-précis
et tout à fait invariable pour tous les follicules des dents permanentes précédées
de dents leiuporaircs correspondantes, soit par coiisé(iueiit pour 20 dents de la
seconde dentition : les 8 incisives, les 4 canines et les 8 prémolaires. Nous
allons voir qu'il n'en est pas de même des autres follicules des dents pei manentes.
Kn effet, les coupes pratiquées sur les mâchoires de ce même embryon de
20 centimètres nous ont permis de préciser un phénomène très-important : c'est
le moile et l'époque de la genèse du cordon de la première molaire permanente
qui n'est pas, comme on sait, précédée d'une dent temporaire correspondante.
Celle genèse s'effectue directement à la lame épiihéliaie et, comme chez Tem-
bryon dont nous parlons le cordon épithélial présentait déjà une assez grande
étendue, nous sommes autorisé à conclure que son apparition répond à la
dix-septième semaine environ.
A cette époque de la séparation des follicules temporaires et du cordon des per-
manents correspondants apparaît encore la première trace des phénomènes de
bourgeonnements et proliférations diverses des débris de ce cordon primitif et
des masses épithéliales de la paroi, particularités qui ont été décrites plus haut.
D'autres embryons humains, variant de dimensions entre 27 et 57 centimètres
et davantage, nous ont permis de fixer les phases ultérieures de l'évolution
aussi bien des follicules temporaires que de ceux des dents permanentes. Ces
études successives nous ont ainsi conduit jusqu'à l'époque de la naissance et
aux premiers temps de l'enfance.
C'est alors que nous avons pu établir deux points qui restaient à élucider dans
cet ordre de recherches, à savoir : le mode et l'époque d'évolution du follicule
de la seconde molaire permanente et de la troisième molaire ou dent de sagesse.
Les résultats auxquels nous sommes parvenus à cet égard sont les suivants :
Lorsque sur des coupes pratiquées chez un nouveau-né de deux à trois mois
on observe la région occufiée parle follicule de la première molaire permanente,
on reconnaît que le cordon épithélial de celle-ci présente un prolongement
cylindrique dirii^é horizontalement en arrière et terminé par une extrémité
arrou'lie. Ce prolongement est le premier début du follicule de la deuxième
molaire permanente. Ainsi se trouve fixée au troisième mois de la naissance
l'origine de ce follicule.
Les phénomènes de l'évolution de la dent de sagesse se rencontrent aux épo-
ques que voici :
Vers la troisième année, le bourgeon épithélial se détache du cordon delà
molaire précédente, c'est-à-dire de la deuxième molaire permanente. On peut
regarder celle date comme à peu près certaine, d'après de nombreuses observa-
DENT (physiologie). 61
lions et bien que les difficultés dont nous avons parlé nous aient empêché de
suivre d'une manière très-rigoureuse les phases ultérieures de l'évolution. Ce
qui est hors de doute, c'est qu'un petit chapeau de dentine est visible dans lo
follicule de la dent de sagesse vers la douzième année.
CHRONOLOGIE DES PARTIES CONSTITUANTES DU FOLLICULE DENTAIRE.
DESIGNATION
DES FOLLICULES.
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A. — DeNTITTION TEUrORAIBE CHEZ l' HOMME.
luclsives centrales
rii
infô-
neiir
— supérieures
Inc'sives latérales infé-
rieures
— snpprieures
Caniiirs inlërieiires
— supérieures. . ,
Premières molaires infé-
rieures
— supérieures
Second. s molaires infé-
rieures
— supérieures
V lame
/ épiihéliale.
de la 7" a la „
o, ( 9" sem.
8* sem.
10* sem.
(')
10* sem.
commence-
ment du
5* mois.
sem.
20" sem.
21" sem.
B, — Dentitios permanente chez l'homme.
Incisives centrales infé-\
rieui es j
— siipéiieiiros f Cordon des
Incisvi's latérales infé-\dents tempo-]
rii ures I raires cor-
— supéiieures irespondanles.J
Canines inférieures . . .1 I , ,
— supéneures i ) !f* '^ j
Premiers pilitesiriolaires\ „ , , ' ^^^'
■ tA... . „„„ Cordon des
inleneures 1
I molaires
— s peneurcs f
r> • „ ... / temporaires
Deuxièmes petites mo-l '^
, ■ r- \ correspou-
laircs inférieures. . .\ , '
danles.
— supérieures j i
Piemièr^s molaires infé-), , . . , .
flame epiine-j .„. „
neures > .. .'^ ^ IS" sem.
— supérieures j " I
Dcuxièiiies molaires infé- icordon de lai ô' mois \
rieures . .....[ 1" molaire ^ après la '■ 6* mois.
— supérieures. . . ,) précédente, juaissance.)
Troisièmes molaires infé-icordon de lai
rieures [ 2* molaire > 6" année.
— supérieures ) précédenie. )
17" srm.
/" année.
18" sem.
10° mois.
7" année.
9° mois.
)
l" mois
de
la naissance.
\
6" mois
20' sem. ^ de
rla vie fœtale
fin de
1" année
8 ans.
la 3" année
12 ans.
' L'apparition du chapeau de dentine, désignée dans ce tableau comne s'elfecluanl la 16" se-
maine, n'a pas lieu toutefois simultanément pour les divers follicules des incisives et des canines.
Ou les voit naître successivement et à quelques jours d'intervalle pour ces différentes dents, et
suivant l'ordre de leur dé-ignation. La m me remarque s'applique aux incisives, cmiiies et pré-
molair.s permanentes, dont le chapeau de dentine est désigué comme apparaissant dans le cours
du premier mois de la naissance.
62 DENT (physiologie).
Sans pousser plus loin cette longue analyse des préparations si multipliées
que nous avons dû faire, nous allons les résumer en un tableau d'ensemble dans
lequel se trouvent indiquées toutes les époques correspondant aux [«hases succes-
sives de révolution folliculaire. Ce tableau est le premier qui ait encore été
donné d'une manière complète avec les indications exactes des dimensions et de
l'âge des embryons.
L'examen de ce tableau permet d'envisager par un coup d'œil d'ensemble
toutes les phases successives de l'évolution dentaire chez l'homme. Les indications
qu'il fournit reposent sur l'examen d'un nombre considérable de pièces et elles
nous paraissent ainsi pré^enter une grande précision. Elles ont en outre, en
dehors de leur intérêt physiologique, une portée importante, tant au point de
vue de la tératologie si complexe du système dentaire qu'au point de vue plus
particulièrement chirurgical. On y trouvera en effet des données i-récienses à
l'égard de certaines anomalies, soit dans le siège, soit dans la direction, soit
encore dans les dispositions diverses du syslcnie dentaire. Elles édaiient en
outre la pathogénie de certains kystes qui ont pour siège le follicule den-
taire et elles permettront de fixer l'époque du début de ces productions pa-
thologiques ainsi que ctlle de certaines lésions de nutrition, les odontomes.
par exemple. Nous le croyons donc appelé à un certain nombre d'applications
utiles.
Pour ce qui concerne les autres espèces de Mammifères sur lesquelles nous
avons fait porter nos observations, nous ne pouvons donner que des résultats
fort irapai faits. Les embryons que nous avons pu recueillir étaient parlois iui om-
plets en effet, tantôt parce que la tôle seule avait été mise à notre disposition,
tantôt par suite de la macération prolongée qui avait altéré leur forme el leurs
dimensions, tantôt enfin en raison de l'absence de tout document l'tiiblissant
les relations d'âge et de longueur. Certains d'entre eux ont pu toutefois nous
fournir des données utiles que nous reproduiions.
Chez le chien nos observations se sont bornées à l'examen de quelques
individus nouveau-nés, aussi les faits concernant la chronologie des folli-
cules dentaire sont-ils très-peu nombreux. Nous avons toutefois reconnu qu'à
l'époque de la naissance les follicules de première dentition sont déjî pour-
vus d'un chapeau de dentine; que le cordon des incisives permanentes est né
■et que pour les incisives centrales il est déjà possible d'apercevoir le bulbe
naissant.
Chez le mouton et le veau, nos études ont porté sur un grand nombre
<rcmbryons, mais nous n'avons pu en établir l'âge en raison de l'absence de
documents. Nous allons toutefois lournii quelques indications en tenant sim-
plement compte de la longueur des individus mis en observation.
Chez le mouton, alors que l'embryon a 42 millimètres de longueur totale, on
ne trouve au bord des mâchoires que le bourrelet sans traces de /ame e/jiZ/te/i'a/e.
C'est lorsque l'embryon a acquis 52 millimètres que l'on afierçoit la lame
épilhéliale bien constituée. Sur un embryon de 65 millimètres rien n'est encore
changé dans le développement et l'on peut alors étudier à un grossissement de
500 diamètres environ la constitution de la lame.
Lor-que l'embryon a atteint 72 millimèires, l'extrémité de la lame présente
un renllement très-marqué qui correspond à la formation de l'organe de 1 émail
de la dent future.
.\ un degré un peu plus avancé, l'embryon mesurant 82 millimètres, l'organe
DENT (physiologie). 65
(le l'émail et le bulbe ont acbevé leur formation et la paroi folliculaire apparaît
à la base du bulbe.
C'est seulement lorsque l'embryon a atteint 115 millimètres que l'on con-
state la formation complexe de la paroi et sa clôture au niveau du cordon
épitliélial dont la rupture est imminente.
Il re'sulte ;iinsi de ces divers documents que c'est ulte'rieurement à l'époque
où l'embryon mesure 115 millimètres qu'on voit apparaître le début du cbapeau
de dentiiie.
Tels sont les faits que nous avons recueillis sur les embryons d'agneaux que
nous avons pu nous procurer.
Cbez le veau, nos observations sous le rapport chronologique sont beaucoup
plus limitées. Les pièces que nous avons étudiées se bornaient sinqilement à
la tête, sans renseignement aucun sur l'époque de la gestation. Aussi ces pièces
nous ont-elles principalement servi à des descriptions de détail qui ont pu
être Irès-iigoureusement déterminés chez cet animal. Nous dirons toutefois que,
cbez un fœtus de huit mois, nous avons trouvé les dents incisives temporaires
très-dévelo|)pées et que les incisives permanentes sont à l'étut de follicule complet
avec un commencement de chapeau de dentine.
Cbez le clieval nous sommes parvenu à quelques fixations assez précises rela-
tivement aux phases de l'évolution folliculaire. Nos observations ont porté sur
quatre embryons de dimensions variées :
Le premier de ces embryons, que nous devons ainsi que les trois suivants à
l'obligeiince du directeur de l'école vétérinaire d'Alfort, avait cent jours. A
cette période l'organe de l'émail du follicule de la pince centrale est déjà formé
et le bulbe apparaît; pour les pinces latérales le développement correspond à
l'apparition de l'organe de l'émail. Ces circonstances établissent que l'évolution
est un peu diflcrente pour les diverses espèces d'incisives, ce qui les distingue
des mémos dents chez l'homme et d'autres Mammifères chez lesquels l'évo-
lution paraît être au même degré.
Pour les molaires, on constate qu'à cette même époque le bulbe a apparu
pour tous les follicules de la première dentition ainsi que les premiers vestiges
de la paroi fulliculaire.
Sur im second embryon de cent quatre-vingt-dix jours le follicule de la
pince centrale temporaire est clos, tandis (pie celui de la première pinct^ laté-
rale n'est parvenu qu'à l'époque de l'apparition du bulbe et celui de la seconde
latérale an moment où apparaît seulement l'orgaue de l'émail. Ces dispositions,
comme on voit, confirment encore l'inégalité de développement des diverses
incisives.
Pour les niobiires les choses sont très-analogues ; le follicule de la première
molaire temporaire est au même degré, tandis que celui de la seconde molaire
est à l'état d'apparition de l'organe de l'émail et alors qu'on n'aperçoit encore
aucune ébauche de la troisième molaire.
C'est encore à cette période toutefois qu'on aperçoit pour la première molaire
permanente la production d'un début de l'organi^ de l'émail.
Dans un troifième embryon mesurant 255 millimètres, ce qui correspond à
deux cents jour^ environ, les follicules des incisives permanentes sont clos, complets;
l'organe d«' l'émail est très-gros. Lescllules prismatiques de sa couche interne
sont très volumineuses. La couche externe a déjà disparu, mais il n'existe encore
aucune trace de chapeau de dentine.
64 DENT (physiologie).
Les follicules des incisives permanentes Font parvenus à la pt'riode où l'organe
de l'email surmonte déjà un bulbe naissant, non encore étranglé à sa base.
Pour les molaires l'élal du développement est à peu près le même pour les
Ibllicules des dents temporaires qui sont clos et bien constitués, mais sans
trace de chapeau de denline; on voit manifestement l'organe du cément coro-
naire naissant. Il n'y a pas trace de l'organe du cément radiculaire. Le cordon
épilbélial brisé a produit des bourgeonnements nombreux.
Le quatrième embryon de clicval que nous ayons pu étudier avait deux cent-vmgt
jours, mais une macération Irès-prolongée dans l'alcool ne nous a p:is permis d'en
tirer grand prolit. Nous avons pu seulement déterminer que les follicules tem-
poraires étaient très-volumineux, pourvus d'un chapeau de dentine dijà consi-
dérable. Le cordon épilbélial, rompu depuis longtemps sans doute, présentait
encore quelques débris. Les deux, organes du cément coronaire et radiculaire
sont en place et tout à fait développés.
Nous terminerons ces considérations chronologiques par quelques notes rela-
tives aux rongeurs : sur un embryon de cobaje de 2 centimètres de longueur
totale, ce qui paraît correspondre au milieu de la gestation environ, le follicule
est à l'état où l'organe de l'émail en forme de capuchon coiffe le bulbe; il n'y
a pas de paroi folliculaire constituée, ni de chapeau de dentine apparent.
Sur un autre embryon dr 4 cenliiuèlres de longueur, les follicules temporaires
sont constitués et à un degré à peu près égal de développement, llssunt pourvus
d'un chapeau de dentine recouvert d'une petite couche d'émail.
Chez le lapin, nous avons reconnu qu'à la naissance les incisives temporaires
ont effectué leur éruption ; les molaiies encore incluses sont à l'état de follicules
lrès-dévclop|)cs avec un chapeau de dentine composé d'ivoire el d'émail en
couches épaisses Au-dessous des molaires temporaires, on constate la piésence
des loUiculcs permanents déjà pourvus d'un petit chapeau de denline très-
manifeste.
Nous ne poursuivrons pas idus loin ces considérations qui perdent d'ailleurs
chez les Mammifères tout l'intérêt qu'elles présentent chez l'homme, à propos
duquel nous avons surtout multiplié nos études.
g. Critique des théories. Le problème de la genèse et de la formation du
follicule dentaire des mannuifères a d(>puis très-longtemps été l'objet de nom-
breuses recherches et suscité plusieurs théories. L'époque relativement précoce
de la vie embryonnaire à laquelle coirespond le début de ces phénomènes, les
difficultés que présente la préparation des pièces, le traitement par divers réac-
tifs auxquels on est (.bligé de les soumettre, etc., sont autant de causes qui ont
retardé la connaissance exacte des faits de celte évolution embryogénique.
La question a passé par un ceitain nombre de phases et, sans lemonter bien
loin dans cette histoire, sans rappeler les opinions des auteurs anciens imbus de
théories piéconçue? sur la nature des dents ou étrangers aux procédés d'inves-
tig.itious de l'école anatomi [ue moderne, nous dirons qu'en remontant seule-
ment vers le milieu du siècle dernier nous trouvons que Hérissant, ayant cru
constater à la surface de la muqueuse gingivale certaines petites dépressions, les
a considérées comme des orifices de canaux communiquant avec les follicules
dentaires. Cette opinion qui ne repose sur aucun fait anatomique n'a d'ailleurs
été adoptée que par un petit nombre d'auteurs (Bonn, 1775; Uudet, 1835).
Suivant la théorie d'Hérissant que nous retrouverons plus tard plus ne'.tement
exprimée par Goodsir, la muqueuse gingivale serait le point de départ de la
DEM (physiologie). 65
formation du follicule et la paroi de celui ci se développerait ainsi en premier lieu.
En 1835, dans un travail important, Hasclikow avance que le follicule dentaire
se produit à la face prof()nde do la niui|neuse sans particijtalion nécessaire do
celle-ci ; toutefois il nespécilie pas quelle partie du follicule apparaît la première
et comment se produisent les autres. Toutefois Ilenle, Biscliol'f et plus récem-
ment Kcilliker, dans la première édition de son Anatomie microscopique, se
rallient à son opinion.
Quo^kpies années plus tard parut letiavail ih' Goodsir dans lequel est formulée
cette lliéorie bien connue qui fait dériver les lullicules temporaires et dédiiitifs
d'une dépression de la muqueuse. Aussitôt adojilce sans conleslation par la
plupart des auteurs, elle est aciuellement encore à peu près la seule (ju'on trouve
dans le plus grand nombre des traités d'anfitomie et de pliysiolo-io. Nous ne
décrirons pas ici celte lliéorie par laquelle les follicules des deux dentitions
résultent d'un simple renversement de la muqueuse yingivide ; elle n'tst fondée
sur aucune donnée anatomique, si ce n'est sur celle apparence de gouttière qu'on
réalise sur le bord alvéolaire de l'embijoii p.ir une macération prolongée des
préparations dans lesquelles s'opère alors l.t séparation de la couclie épiderniiquc
formant le bourrelet gint:ival d'avec la gouttière qui le renferme. Ce n'est donc
que par un procédé artificiel, ainsi que Tout lait d'jà remanpier KôlliluT et
Kollmann, que la théorie en quesli ne peut pvndre quelque appparence de vérité,
car rien dans les conditions normales ne peut s'\ prêter en aucune manière.
Malgré le succès de la tliéorie de Gooilsir universellement répandue en Angle-
terre et en Allemagne, N. Guillot piildia en France un travail dans le(piel il
cliercba à montrer que la denlse développait en dehors de toute participation de
la muqueuse. C'est suivant Ini par une masstî née au sein des lissus embryon-
naires que se forment les follicules : il lappelle i^phéroïde initial on trace pri-
mitive des dents. Il décrit ensuite dans ce s|ihét()ïde trois divisions : l'une cen-
trale,qu'il nomme nucléus re[irésent;inL le bulbe; l'aiiire moyenne située autour
de la première, c'est ['organe de rémail ; U troisième enfin la plus extérieure
qui s'orgiiniserait pour former une memlninic, c'est \c sac dentaire. Dans cet
ensemble de descriptions il est facile de voir que N. Guillot s'est borné à pra-
tiquer et à figurer des coupes durcies p.issant au traveisde follicules à un degré
déjà avancé de l'évolution et qu'il n'a nullement saisi le mode d'oiigiiie des par-
ties composantes de l'organe et la succes-ion de phases de développement. Ce tra-
vail n'a donc nullement éclairé la question.
Quelques années plus tard, en 1860, païut encore en France un travail étendu
publié par Cb. Uobin en collaboration avec nous-mcme. Ce mémoire contenait
une théorie complète de l'évoUilion folliculaire d'après laquelle le bulbe dentaire
serait la première partie du follicule qui apparaît au sein des mâchoires auprès
de la gouttière et au voisinage des vaisseaux el des nerfs. Viendraient ensuite
l'organe de l'émail, puis la paroi comme émanation du bulbe s'élevanl sur les
côtés de l'organe pour entourer toutes ses ])arties et se rém ir au sommet, (juelle
que soit l'exactitude des descriptions de ce travail, il est évident que ses auteurs
ont méconnu le mode exact de genèse du follicule, c'est-à-dire l'apparition
initiale de l'organe de l'émail, le bulbe ne se produisant qu'en second lieu.
D'où vient cette erreur sur l'interprétation du phénomèneinitial? Elle résulte
évidemment du mode trop exclusif d'étude qui a été adopté : c'est en eifet par
des préparations de follicules aplatis progressivement entre deux lames de verre
que les observations ont été faites. Très-peu de coupes ont été pratiquées; nous
DICT. ENC. XXVII. .n
6f) DENT (pHYSioLofiii:).
avions voulu en cela conserver dans leurs rapports réciproques toutes les parties
que nous disséquions ensuite pour les recherches de détail. La crainte des
(iérormalions et des peiturbations dans les rapports résultant jiarfois de coupes
pratiquées sur des masses un peu épaisses de tissus et, il l\uit le dire, l'insuf-
lisance des procédés de durcissement connus à cette époque, ont également con-
tribué singulièrement à entraîner ces auteurs dans l'erreur qu'ils ont commise.
La question en était à ce point lorsque Kôllikei' découvrit en 1865 l'existence
d'une bande épithélialesous-jacente au bourrelet gingival de la muqueuse et qui
occupe toute la longueur des mâchoires. C'est cette bande continue que Kôlliker
appelle Vorgaue de l'émail et que nous ne considérons que comme une simple
dépendance du bourrelet épithélial. Le terme d'organe de rémail ne nous paraît
pas convenir en effet à une lame qui ne contribue pas directement à la forma-
tion du follicule, puisque c'est sur un certain nombre de points de celle-ci
qu'ajiparuisseut des bourgeons qui deviennent alors directement les organes de
l'émail; ces bourgeons sont en nombre égal à celui des dents futures, et dans
l'intervalle de deux bourgeons ou organes de l'émail on retrouve intacte la
lame épitbéliale. Quoi qu'il en soit de l'inteiprélaliou, les vues de Kôlliker
étaient Irès-justes et elles devinrent le point de départ d'une série de travaux qui
donnèrent à la q':cstion de révolution du iollicule dentaire une plijsionomie toute
nouvelle. Deux laits étaient désormais acquis, à savoir : l'appaiition de l'organe
de l'émail comme première partie constituante du follicule et sa nature comme
dépendnnce cpilhéliale. Sur ce dernier point, les idées déjà anciennement
émises par Marcusen et Huxley se trouvaient confirmées.
A la suite du travail de Kôlliker viennent se grouper un certain nombre de
recherches soit émanant de ses élèves, soit provenant d'autres écoles allemandes:
tels sont les mémoires de Waldejer, Hertz, Wendzel, Kollmann, etc.
Dans ces difféients travaux l'idée de Kôlliker est prise conmie point de départ,
Waldeyer décrit exactement la descente du cordon et la formation des parties
composantes du follicule. 11 indique aussi que le follicule des dents perma-
nentes naît d'un bourgeonnement du cordon primitif, mais il ne mentionne point
à cet égard la variabilité du mode de genèse suivant les espèces de dents, ni le
lieu précis où s'effectue cette genèse. Il signale d'ailleurs dans sa dernière
publication les lacunes qui subsistent dans ces questions, malgré les nombreux
travaux publiés. Hertz et Wendzel se sont ralliés aux idées émises par Kôlliker
et Waldejer, sans rien apporter de nouveau à la question de l'origme du folli-
cule. Hs ont toutefois avancé quelques opinions nouvelles sur d'autres points de
l'évolution folliculaire, et nous aurons à les discuter dans une autre occasion.
Quant à Kollmann, le dernier anatomisle allemand qui ait étudié la question, il
adopta d'abord les vues de Kôlliker et de Waldeyer au sujet de la naissance de
l'organe de l'émail des dents temporaires, mais lorsqu'il s'agit de l'origine du
follicule permanent il le fait dériver tantôt directement de la muqueuse, tantôt
des débris épilbcliaux du cordon primitif, parfois même d'un globe épidermique.
C'est encore de l'un de ces derniers points qu'il fait provenir les follicules surnu-
méraires, ainsi que nous l'avons déjà mentionné fdus haut.
Les auteurs allemands sont donc, comme on voit, très-loin de s'entendre sur
le mode d'oi igine du follicule dentaire. Quant aux phénomènes qui s'opèrent au
sein de l'organe par suite de la naissance du bulbe, de la formation de la paroi,
de la transiormation de l'organe de l'émail, ce sont pour eux des points encore
controversés.
DE.NÏ (physiologie). 67
Pour nous, et c'est ainsi que nous pouvons lésunier eu quelques mois notre
juanièie de voir, la l'ormalion du follicule dentaire consiste essentiellement dans
la genèse de deux organes : l'un de nniuve épitliéliale, émanant de répithéliuin
de la muqueuse; l'autre de nature einbryo plastique, née au sein du tissu
embryonnaire des mâchoires. Le premier de ces organes est Vorcjane de l'email,
le second est le hulbe ou organe de l'ivoire. Us se forment ainsi tous deux
individuellement, allant à la rencontre l'un de l'autre; ils se pénètrent, de sorte
que l'un devient en quelque sorte le capuchon de l'autre, tandis (jue de la
base du bulbe se détachent des lambeaux membraniformes qui enveloppent peu
à peu complètement les deux organes et achèvent la clôture du follicule.
Si l'on envisage ce mécanisme au point de vue de la physiologie géncrale, on
est immédiatement frappé de l'analogie extrême qu'il présente avec les phéno-
mènes de la formation du follicule pileux. Ici encore on voit, d'une part, un
cordon qui descend de la couche de Malpighi au sein du derme, puis sur un
point de celui-ci apparaît le bulbe qui pénètre le premier, s'en f;iit un c:q)nchon,
tandis- que de sa base se détachent les lambeaux qui formeront les parois du sac.
Les fails sont identiques. Ainsi se trouve conlirmée, par les données de la phy-
siologie et de l'embryologie modernes, la théorie émise depuis longtemps déjà
par de Blainville sur l'analogie de composition et de formation des pimnères,
ainsi que la doctiine des produits développée avec tant de précision dans l'école
anatomique moderne par Cli. iiobin.
IL Morphologie du follicule dentaire. Parvenu à l'époque qui précède
immédiatement le début de la formation de la couronne, le follicule est constitué
par un certain nombre de parties incluses dans une paroi commune, le sac
folliculaire.
Nous avons donc à décrire ici les caractères et la texture de chacune de ces
parties.
En procédant de dehors en dedans, la dissection attentive permet de rencontrer :
A- La paroi folliculaire;
B. L'oigane du cément (dans le follicule des dents pourvues de cément
coronaire) ;
G. L'organe de l'émail;
D. Le bullie ou organe de l'ivoire.
Le but que nous nous proposons est donc de tracer la description de l'état
anatonii<jue du follicule au moment où il est parvenu en puissance de formation
de l'organe dentaire. C'est l'état statique du petit appareil qu'il représente.
««■ A. De la paroi folliculaiue. Lorsqu'on ouvre une mâchoire chez un embryon
fi* de Mammifère à l'époque que nous venons de déterminer, on constate que les
lis» follicules de première dentition sont rangés en séries régulières dans une gout-
'oc? tière comnmne qui ne présente pas encore à ce moment de subdivisions
Hi*' alvéolaires.
pis Ces follicules sont donc contigus, mais isolables l'un de l'autre, bien qu'ils
jlfi> conservent les deux adhérences qui les maintiennent, c'est-à-dire, d'une part
à leur base par le faisceau vasculo-nerveux du fond de la gouttière, d'autre
iè part, à leur sommet avec la muqueuse, dont ils ne sont pas séparables sans
■nj^ déchirure. Or ce dernier point corres|)ond à la région où se sont opérés divers
Jijlil phénomènes qui ont été décrits dans le paragraphe précédent, et qui compren-
ijiiliS nent successivement la rupture du cordon épithélial, la clôture du follicule et
les proliférations ou bourgeonnements des débris du cordon.
68 DEM' (i'Iiysiologie).
Coiisénitivoniont à ces divers pliénomèiies, le tissu de cette région acquiert
une densité beaucoup plus grande que les parties latérales, et l'on voit, alors
du souiniel du follicule et de la surface même de la paroi s'élever des prolon-
gemeius cellulaires, visibles même à un faible grossissement, et qui s épanouissent
vers la muqueuse en constituant au follicule une véritable insertion. Cette
disposition juslilie, dans une certaine mesiue, l'hypothèse de Serres et d'autres
auteurs sur 1 existence du ijubernacvlum dentis.
Cette adhérence du follicule à la face profonde de la muqueuse persiste jusqu'à
rériiption, cl les follicules sont ainsi (ixés dans leur situation rériproque, en
exerçant mulucllenieut une certaine compiession et un véritable aplatissement
sur leurs points de contact.
A l'examen direct, lorsqu'on a isolé les lollicules de la gouttière commune
(pli k'S renferme, on en aperçoit toutes les parties composantes comme si elles
étaient libres, sans protection extérieure. C'est que la paroi propre qui enveloppe
chacun d'eux offre une grande transparence qui ne s'affaiblit que plus lard,
après le di-but île la formation de la couronne. Celte paroi devient alors un peu
blanchâtre et opaline.
La dissection minutieuse permet toutefois d'isoler cette paroi des organes
sou^-jacents. C'est une niemhrai.c très-fragile et tout à fait translucide, se
déchirant également dans tous les sens. Elle est simple, et non divisible en
plu->ieiirs leuillets superposés, ainsi que nous l'avions admis antérieurement
par erreur. Celte membrane ne paraît pas en effet plus résistante sur un point
du follicule que sur l'autre. Cependant son épaisseur n'«'St pas partout identique,
car sur une coupe de follicule durci on reconnaît que de la base du bulbe d'où
elle é.aiane cette paroi va s'amincissant sur les côtés. A cette base, l'épaisseur
est d'environ 0""",08, et au delà elle est en moyenne de 0""',U5 à 0""",06.
Envisagée au point de vue de ses rapports, l'enveloppe follii;ulaire répond par
sa surface extérieure à l,i paroi de la gouttière dentaire, à laquelle elle e^t
directement conliguë sans interposition d'aucun périoste ou tissu (quelconque.
A la base du lollicule elle est adhéienle au cordon vasculaiie par l'intermédiaire
des rameaux nourriciers qui pénètrent dans la membrane, soit pour s'v raniilier,
soit pour la traverser et se rendre dans le bulbe. Au sommet elle répond,
comme nous l'avons dit, à la muqueuse.
l'ar sa face profonde, elle est en contact avec la masse des organes contenus
dans le follicule. Chez les espèces dépourvues de cément coronaiie, celle lace
profonde est immédiatement conligué à l'organe de l'émail, lequel, comme on
sait, entoure complètement le bulbe, sauf à sa base étranglée en forme de col.
Mais, chez les animaux dont les dents sont pourvues de cément coronaire, celle
contiguïté de la paroi avec l'organe de l'émail n'existe plus, et un autre organe
se liouve interposé entre eux ; c'est Vorgane du cément, organe parfaitement
distinct et dissécable, ainsi qu'on le verra plus loin.
Étudiée au point de vue de sa texture, la paioi folliculaire se compose d'élé-
ments embryonnaires, noyaux libres assez rares, corps fusiformes nombreux,
tantôt i>olés, tantôt anastomosés en chapelet. Ces divers éléments sont plonj;és
dans une matière amorphe non granuleuse tonl à fait transparente, constituant
par son abondance relative la substance fondamentale du tissu.
Ainsi que nous l'avons dit, cette texture se modifie sensiblement à mesure
des progi'ès de l'évolution. Elle devient peu à peu plus serrée; des fibres du
lissu conjonclif s'y développent; la matière amorphe diminue de proportion, e'
DEM (pHYsioiOGir.). t)9
l;i membrane acquiert une certaine résistance. C'est vers l'époque de l'éruption
que CCS moclificalions sont le plus marquées; elles préparent ainsi le passage
delà paroi l'ollicullairc à l'élal de périoste dentaire.
Le sac folliculaire renferme un système vasculaire très-riche; il provient de
plusieurs branches qui se détachent du i-ameau de l'artère dentaire destiné ;iu
bulbe, et s'en séparent à la hase même de celui-ci. Ces branches s'élèvent ainsi
verticalement dans l'épaissem-dc la trame cellulaire et s'y ramifient délicatement.
Parvenues au sommet du ibllicule, où elles re|)résenlent des capillaires très-
déliés, elles s'anastomosent avec les exlrémilés terminales des capillaires propres
delà muqueuse, dans la région occupée par le cordon cellulaire, qui réiitiit
celle-ci au follicule. Aucun tronc d'une notaole importance ne se dirige loiitelois
de la muqueuse dans la paroi, et la totalité du réseau propre à celle-ci vient
d'une source unique, les branches de l'artère dentaire.
Si l'on poursuit l'étude de l'état vasculaire de la paroi en observaul à un plus
fort gro>sissement une coupe de follicule chez un sujet jeune injecté au carmin,
on arrive à saisir tout le système de ramification et de répariilinii capillaires
qui apparaissent avec leur extrême richesse et leur disposition éli'gante. Lorsque
la coupe intéresse à la fois la paroi folliculaire etla région de la nuupieuse
correspondante, on reconnaît ipie les vaisseaux de celle-ci, qui sont déjà d'une
notable richesse, se ramifient d'une part jusque vers les papilles du derme au
centre desquelles pénètre un ramuscule, et d'autre part s'anastomosent avec les
terminaisons du réseau de la paroi. Toutefuis, l'intensité vasculaire de la
muqueuse s'accroît très-notablement lorsqu'on s'éloigne de la couche de Malpighi,
et il est aisé de reconnaître t|ue les rameaux les plus vulumineiix sont ceux
qui occupent le voisinage de la paroi. Les derniers rameaux ont un mode de
subdivision tout à fait particulier : ainsi, tandis (pie par leur côlé externe il
ne se détache que de rares ramuscules, le cô:é interne, celui (pii répond au
follicule, donne naissance à un réseau très-fin et très-serre (pii se terni ne au
voisinage même de la superficie de l'organe de l'email par une disposition
très-régulière en anses égales et symétriquement rangées. Dans certains cas
cependant, le réseau terminal perd cette régularité et fait place à une disposition
réticulée moins nette de forme, mais également abomlante et serrée. Cette
variété d'aspect peut être attribuée à des différences dans le mode ou dans l'in-
tensité de l'injection, et nous donne à penser que la conformation du réseau
terminal en anses parallèles et égales est une disposition constante. Une figure
schématique montre d'ailleurs les rapports réciproques de l'arlériole et de la
veinule qui donnent naissance au réseau en question.
Quant aux nerfs, ils sont en très-petit nombre, et émanent de quelques filets
détachés du nerf dentaire au point d'insertion du follicule. On les rencontre
dans toute l'étendue de la paroi jusqu'au sommet, qu'ils débordent même pour
se perdre dans le tissu lamineux ambiant.
B. Bulbe dentaire. Organe de la dentise. Bien que le bulbe dentaire ne
soit pas directement sous-jacent à la paroi folliculaire, nous croyons devoir le
décrire ici en second lieu, par cette considération que la paroi est une sorte
d'émanation de sa substance et que les deux tissus sont en continuité directe.
Le bulbe qui, dès le début de sa formation, présente la forme conique ou
unicuspidée, acquiert plus lard la configuration de la couronne future. Ce phé-
nomène est accompli au moment oîi se clôt le follicule, époque qui précède
immédiatement l'apparition des premiers actes formateurs des tissus dentaires
70 DENT(physiologie).
proprement dits. Cette condition morphologique du bulbe à cette période est
d'ailleurs une nécessilé pbysiologicpie, car on verra que les éléments de l'ivoire
et de l'émail se groupent sur lui comme sur un moule qui fixe d'une manière
invariable et définitive la forme de la couronne future.
Cet organe est situé au centre du follicule et séparé de la paroi, sauf à sa base,
par l'organe de l'émail qui l'en-
toure complètement ainsi que
nous l'avons vu, jusqu'à sa portion
rélrécie ou col qui répond à son
point d'implantation au Ibnd de
la gouttière. Par su face extérieure,
il n'a donc de rapport direct qu'a-
vec l'organe de l'émail, lequel est
revêtu à sa face concave de sa
couche de cellules épitliéliales
prismatiques dites cellules de
l'email (membrane adamantine).
C'est donc avec les extréiuités
de ces cellules que se trouve
directement en contact la sur-
face du bulbe, tandis que par
sa base il se continue avec le
tissu embryonnaire, au sein du-
quel se trouvent les vaisseaux et
nerfs, et sur les côtés avec la paroi
folliculaire qui se détache de son
pourtour.
Observé à l'œil nu, le bulbe a
une coloration grisâtre ou légè-
rement rosée, demi-transparente,
à surface lisse. Sa résistance est
assez grande toutefois, et, si l'on
cherche à dilacérer le tissu à l'aide
des aiguilles, on n'y parvient qu'a-
„ „ , . . , •,• . , • , ^ec peine en raison de la densité
fi, Bulbe dentaue avec les éléments analomiquos qui le "^ . ^
composent et parsemé dt; cristaux d'hémaioïiiiiic et de la matière amorphe qu'il ren-
de grains phosplialiques ovoïdes et dianlinnes. — b, f'prmn
Couche des cellules étoilées formant le siibslrahnn
Dans l'étude de la texture du
bulbe nous introduirons, pour
facilit<ir la description, une dis-
tinction à la fois anatoniique et
physiologique en plusieurs parties
essentiellement différentes, bien
qu'il n'y ait entre elles aucune délimitation; c'est : 1" le tissu propre du
bulbe; 2" sa couche superficielle, et, comme dépendance de cette dernière,
les cellules de l'ivoire ou. épithélium bulbaire; 5'^ enfin les vaisseaux et les
nerfs.
1" Tissu propre du bulbe. La masse du bulbe, constituée au début de sa
formation par des éléments purement embryonnaires inclus dans une substance
J.BLANADET.
Fig. 7. — Portion d'une coupe verticale du germe de l'i
voire ou bulbe et du chapeau de denliiic qui lu recou-
vre chez un embryon humain de trois mois (grossisse-
ment de 400 diamèlresj.
des cellules de l'ivoire. — c. Cellules de l'isoire ou odon-
toblastes avec les extrémités caudales ou périphériques
pénétrant et se ramiliant dans la bub>taiiae homogène
et transparente de l'ivoire. — rf, région des liliriUes.
— e. Surface extérieure de l'ivoire piivéc de son revê-
tement d'émail ; on y volt l'extrémité des fibrilles qui
se terminent jusqu'à sa surface libre.
DE>'T (physiologie). 7*
amorphe, éprouve, par suite des progrès du développement, des modifications
qui ramènent à l'état anatomique que nous observons au moment de son entrée
en Ibnclionnement.
La matière amorphe a sensiblement changé de densité : c'est elle qui donne ù
l'organe la résistance et l'aspect spécial que nous avons indiques. Cette matière
tout à fait transparente à l'état frais subit avec la plus grande rapidité l'influence
des réactifs divers et même celle de l'eau distillée. Les premières modilicalions
qu'on observe sont la perte de la transparence et le passage à l'état granuleux;
mais il est digne de remarque que ces réactions sont beaucoup plus rapides
et plus marquées au centre de l'organe qu'à la périphérie.
Les éléments anatomiques inclus dans cette matière sont des cellules fusi-
formes ou éloilées dont les prolongements s'anastomosent les uns avec les autres,
en formant une sorte de réseau réticulé dans les mailles duquel se trouvi;
renfermée la matière amorphe. Les cellules ont pour la plupart un noyau à
contour net et brillant occupant tout le diamètre du corps cellulaire lui-même.
Les noyaux ovoïdes ont une dimension de 0™"\0Û7.
Cette constitution hislologique du bulbe ne s'observe que très-difficilement à
l'état frais, et la coloration par le carmin ne suffit pas d'ordinaire à la mettre en
évidence. Il est nécessaire, pour en marquer nettement les contours, de traiter
une préparation par certains réactifs, et en particulier par le chlorure d'or ou li'
nitrate d'argent. On voit alors que la totalité de la substance du bulbe est formé*'
invariablement des mêmes éléments, qui sont régulièrement disposés à intervalles
à peu près égaux. . ,
2" Partie superficielle du hvlhe. La partie superficielle, qui, pendant la
première phase embryonnaire, présentait des éléments nucléaires régulièrement
groupés jusqu'à la surface de l'organe, devient à cette période du développement
le siège de modifications anatomiques très-importantes, et qui justifient l'élendue
relativement considérable que nous donnons à cette description.
Elle prend en elfet, au moment oij va se développer l'ivoire, une physionomie
toute spéciale qui avait déjà depuis longtemps frappé l'attention des anatomistes,
et était devenue parmi eux l'olyel de nombreuses dissidences.
Ainsi Ilaschkow, qui l'a signalée pour la première fois, n'hésite pas ta consi-
dérer le tissu du bullje dentaire comme revêtu d'une véritable membrane,
membrana prœformativa. Cette idée a été adojjlée d'une façon complète par
Todd et Bowman, Marcusen, Kôlliker, etc. Ce dernier auteur pense même que
cette membrane, soulevée de dehors en dedans par les éléments de l'émail,
devient finalement la pellicule qui revêt ce dernier, c'est-à-dire la cuticule
de rémail.
Dans un travail publié en France en 1860, en commun avec le professeur
Ch. Robin, l'existence de la membrane préformative du bulbe a été complète-
ment rejetce, et une étude très-attentive a permis de conclure à une interpré-
tation toute différente : La couche de matière amorphe qui déborde de I à 2 cen-
tièmes de millimètre la masse des éléments embryonnaires forme en effet une
zone claire, transparente, sans granulations, qui a l'apparence d'un vernis
recouvrant l'organe. Elle est douée d'une densité plus grande que le tissu sous-
jacent, de sorte que, dans certaines manœuvres de dilacération par les aiguilles
ou à la suite de macération dans l'eau, elle peut parfois se détacher en lambeaux
membraniformes plissés finement. Mais ces lambeaux sont très-irréguliers dans
leur épaisseur, et représentent de véritables déchirures, sans offrir dans aucun
72 DENT (physiologie).
cas ra?pect régulier d'une pellicule membraneuse. En outre, c'est dans l'inte'-
rieur môme de celle courhe iiyuline (|ue se montrent les premières traces des
cellules de l'ivoire, et qu'elles y accomplissent par la suite toutes les phases de
leur évolution. Aussi peut-on constater, jusqu'au moment oîi nait la première
trace du chapeau de deutine, que cette bamie amorphe déborde aussi bien eu
dehors qu'en delans la couche des cellules de l'ivoire, lesquelles s'y trouvent
ainsi etilièrcmcut contenues. Cette dernière dispositiotr, qu'il fsl facile de véri-
iier par la dissection de prépar. lions iraiches de bulbes, à un grossissement de
300 «liamètres environ, constitue un argument péremptoire contre l'hypothèse
de la nature membraneuse de cette sulistance.
C'e.-l donc dans cette zone superlicielle de matière amorphe que se trouve
incluse la rangée des cellules spi-ciales dites cellules de l'ivoire ou odonto-
blastes ; elles en occupent la pjulie moyenne, tandis que, d'une part, elles sont
surmontées d'une certaine quantité de substance qui les isole de la surface du
bulbe, et que, d'autre part, elles recouvrent à leur tour une autre couche
d'éléments particuliers, celbiles à forme spéciale désignées sous le nom de
stratum ou snh^lratum des cellules de l'ivoire.
Vav cette distmetion, on peut considérer el décrire successivement trois étages
à cette couche superlicielle :
Uétncje supérieur, composé de la bande de matière amorphe limitant
l'organe ;
Vêlage moijen, correspondant aux cellule)^ de V Ivoire;
L étage injérieur, comprenant le suhalratum de ces dernières.
Étage supérieur de la superficie du bulbe. 11 comprend cette couche déjà
in(U(|uée de substance amorphe transparente, sans granulations ni éléments
d'aucime sorte et composant comme une sorte d'atmosphère au-dessus des
éléments cellulaires sous-jaci nls. Sur une préparation aplatie entre deux hmies
de verre par une légère pression, elle se présente comme une zone ondulée,
parfois ofirant des espèces de plis, bien qu'elle ne se sépare jamais, nous le
répétons, des parties sous-jaceiiles sans déchirures.
Elle constitue le milieu organique où vont évoluer les cellules propres de
1 ivoire ci où s'accomplissent les phénoniènes de la donlilication.
Étage moyen de la superficie du bulbe, cellules de l'ivoire, épilhelium
bulbaire ou odontoblastes. Les élémenis anatomiques qui composent cette
couche spéciale sont des corps cellulaires de forme générale ovoïde à grand
diamètre, dirigés peruendiculairement à la sunace du bulbe, composant une
seule rangée, et juxtaposés sans conipres>ion réciproque.
Leur n.ode de formation corn, rend deux phénomènes : la genèse du noyau,
puis la genèse du corps de la cellule elle-même, dont la substance vient se
grouper autour du noyau, formé le premier.
Au sein de la substance amorphe que nous venons d'indiquer, on voit appa-
raître des noyaux disposés l'un à côté de l'autre, sur une même rangée : ce
sont de petits corps ovoïdes, transparents, d'une longueur de G'"'", 005 à O""'", 006.
Peu après son apparition, le contenu devient légèrement granuleux, en même
temps qu'il se produit dans son intérieur un ou deux nucléoles très-petits et
brilliints.
C'est autour de ce noyau comme centre, et principalement vers les extrémités
de son grand diamètre, que viennent se grouper les éléments devant constituer
ultérieurement la cellule proprement dite. Toutefois, cette substance se dispose
DENT (i'iiysiolocie). "ÎS
en quantité plus grande vers l'extrémité périphérique du grand diamètre du
noyau, d'où il résulte que celui-ci occupe linalenient l'extrémité centrale de la
cellule. D'autre part, la niasse de la cellule située en avant du iiDjau se con-
tinue en s'amincissant pour former un véritable (ilament ou prolongement cau-
dal qui est constant, car il est destiné, ainsi que nous le verrons plus loin, à
devenir l'axe de chaque canalicule, le centre de formation des éléments de
l'ivoire.
La formation du proloiigement caudal s'effectue directement par une simple
prolifération des molécules mêmes du corps de la cellule. En elfet, lorsqu»^ sur
une coupe de la surface du bulbe on observe une cellule en voie de développe-
ment, on reconnaît que la queue périphérique a|)paraît d'abord par une petite
saillie conique. Cette saillie reste quelque temps incluse dans la matière
amorphe, mais bientôt elle la dépasse et s'allonge progressivement au dehors du
tissu, aussitôt que sont produits les premiers rudiments du chapeau de
dentine.
A mesure que se développe, à l'extrémité périphérique de la cellule de
l'ivoire, le prolongement que nous venons de signaler, il se détache de l'extré-
mité centrale, en dei^à du noyau, un ou ])lusienrs autres piolongements plus
pâles, plus transparents que les précédents, et qui se dirigent vers la profon-
deur du tissu du bulbe. Nous verrons [dus tard ce qu'ils deviennent; mais il
résulte de celte première disposition que, si l'étage moyen de la couche amorphe
contient la cellule proprement dite, l'étage supérieur renferme le pndonLjement
caudal, et l'inférieur un autre système de prolongements. Nous négligerons
provisoirement ces deux dernières particularités pour décrire isolément les
cel'ules de l'ivoire.
Au point de vue de leurs caractères anatomi(|ues, les cellules de l'ivoire sont
composées d'une masse de substance grisâtre, pâle, (inement granuleuse, d'une
extrême altérabilité. Elles mesurent dans leur grand diamètre de 0""",04 à
0"'°',05, et dans leur largeur de 0'""',006 à 0""",007 ; les dimensions varient
sensiblement sur les différents pomts de la surface bulliaire : ainsi elles sont
plus volumineuses au sommet que sur les côtés, où elles i;ont parfois très-
petites et où Ton assiste assez facilement à leur mode d'origine Elles diffèrent
aussi suivant les espèces animales. Elles sont cependant très analogues chez
l'homme et chez les carnassiers.
Chez les Ruminants et les Pachydermes, elles sont notablement plus grandes,
et mesurent quelques millièmes de millimètre en plus dans les deox
diamètres.
Chez le porc, les cellules décroissent de dimension sans changer sensi-
blement de forme, et chez les Rongeurs elles descendent de 0""",01 à 0""",03
de longueur, sur 0'°'",005 à 0""'',00o de largeur. Ces variations sont d'ailleurs
indiquées par les dessins que nous en avons tracés dans nos publications anté-
rieures.
Les cellules de l'ivoire n'ont pas de paroi ni d'enveloppe; elles se comjiosent
d'une masse homogène dans laquelle se répartissent d'une manière é"ale les
granulations qui la composent et qui, sur les éléments frais, sont très-pâles.
Toutes les parties se teintent également par les matières colorantes, le carmin,
par exemple. Le noyau invariablement situé à l'extrémité centrale tst ovoïde,
assez pâle, mais d'une réfringence un peu plus forte que le corps de la cellule
qui le contient. li renferme un ou deux, parfois trois nucléoles brillants.
74 DENT (phïsiologie).
Les prolongements ont la même composition que la cellule, dont ils repré-
sentent une émanation. Toutefois le prolongement caudal est souvent plus pâle,
comme transparent, et tranche aussi par sa réfringence sur le corps de la
cellule. Il est ordinairement simple, quelquefois double ou triple, mais plus
souvent la division porte sur une queue unique qui se bifurque après un court
trajet dans la matière amorphe ambiante. Quelques auteurs, BoU enire autres,
ont signalé jusqu'à six prolongements partant, soit de la cellule même, soit
d'un tronc primitif.
Dans le cas de bifurcations multiples, le prolongement caudal est particu-
lièrement pâle et de forme coni(|uo. Siiii(de à son point de départ, il se subdivise
bientôt, et apparaît alors sous l'aspect d'un pinceau de filaments déliés, et
parfois assez difficiles à suivre. Cet aspect est d'ailleurs identique, soit qu'il
s'agisse des prolongements périphériques, soit de ceux qui se rendent vers le
centre du bulbe, c'est-à-dire aux éléments qui représentent le stralum ou
substratum des cellules, et que nous étudierons tout à l'heure.
Les réactions diverses des cellules de l'ivoire ont un certain intérêt : ce sont,
avons-nous dit, des éléments extrêmement altérables, même par l'eau simple ou
distillée et la glycérine. Si l'on veut les étudier avec leurs caractères normaux,
il faut enlever un l'ollicule sur un aninud vivant ou récemment sacritié, et dispo-
ser les fragments de bulbe dans le sérum pur. On les observe alors avec toute
leur régularité de forme et de disposition. L'étal cadavérique les altère au bout
de quelques heures, et nous devons déclarer ici que la plupart des formes qui
ont été représentées par les auteurs — et que nous avons nous-mème dessinées
naguère — sont des formes altérées cadavériquement. En effet les cellules,
aussitôt isolées de la rangée qu'elles composent, se renflent, se déforment ; leur
conteim granuleux devient plus foncé. L'eau active singulièiement ces phéno-
mènes d'altération; un des premiers effets qu'elle produit est la disparition du
noyau, qui devient invisible. Plus tard, on voit se produire sous l'objectif des
masses sarcodiques, qu'il ne faudrait pas considérer comme des dispositions
normales, et qui indiquent un commencement de destruction générale. Les
manœuvres des aiguilles, en dilacérant les tissus où les cellules sont incluses,
ont aussi pour effet de briser très-fréquemment les prolongements et principale-
ment ceux qui se dirigent dans l'étage inférieur. Les ((ueues résistent davantage.
Ce sont ces particularités qui ont induit en erreur beaucoup d'anatomistes, et
nous-même au début de nos recherches.
Certaines réactions chimiques sont cependant nécessaires pour permettre de
saisir quelques détails d'organisation des cellules ou certains rapports : ainsi,
«i l'on veut constater la présence et la direction des queues périphériques, on
pourra traiter un fragment de bulbe avec le chapeau de dentitie correspondant
au moyen d'une solution de chlorure d'or dans l'eau distillée à 2 pour 100
pendant une demi-heure, et plonger ensuite la préparation dans la glycérine.
On verra ainsi nettement les cellules notablement rétractées, il est vrai, mais
pourvues de leurs queues disposées en pinceaux de librilles parallèb s arrachées
de la masse de dentine, tandis que les prolongements centraux et le stratuni
lui-même sont devenus très-nets.
Les diverses matières colorantes employées en technique ont des effets intéres-
sants : le carmin qui colore, ainsi que nous l'avons dit, le corps de la cellule et
le noyau, est presque sans effet sur les prolongements.
Le bleu d'aniline soluble dans l'eau et le rouge d'aniline, qui colorent très-
DENT (physiologik). '^•>
éner"iqaement l'organe de l'émail et l'email lui-même, colorent à peine les
cellules de l'ivoire et le tissu du bulbe, l'hématine est dans le même cas;
l'acide picrique et les picrates pénètrent très-manifestement la cellule de l'ivoire
ainsi que le bulbe. Enfin d'autres réactifs plus ordinairement employés, les acides,
le chlorure d'or, ont sur ces éléments la même action que sur la plupart des
éléments anatomiques. Par la coagulation des matières albuminoïdes, ils accu-
sent plus \ivement les contours, les filaments, et, tout en déformant la masse des
cellules, rendent plus perceptibles les noyaux, les nucléoles et l'état granuleux
du contenu.
Étage inférieur de la superficie du bulbe. Siibstralum des cellules de
Vivoire. L'étage inférieur, qu'il nous reste à décrire dans la constitution de la
superficie du bulbe, est représenté par une couciie d'éléments anatomiques
particuliers interposés entre la rangée des cellules de l'ivoire et la masse piopre
du bulbe. C'est le substratum des cellules de l'ivoire.
Ce sont des cellules étoilées, à prolongements multiples, lesquelles s'anasto-
mosent d'une part avec les filaments inférieurs des cellules de la dentine, et
d'autre part avec les éléments du tissu propi'c du bulbe lui-même.
Les éléments qui le composent se développent postérieurement à la formation
des cellules de l'ivoire, car au moment de l'apparition de celle-ci dans la couche
transparente du bulbe, on ne les rencontre pas encore. Ces deuv étages n'ont
donc pas un mode de développement contemporain. Les éléments du slratum
effectuent leur genèse parla production d'un noyau isolé, et qui bientôt s'entoure
de la matière finement granuleuse et transparente qui constitue la cellule et
qui, par suite de son évolution, s'entoure de filaments déliés.
Chacune de ces cellules, considérée isolément, .se compose d'un noyau très-
distinct, occupant le centre et pourvu de deux ou trois nucléoles. Le corps de
la cellule est rempli de granulations d'une grande ténuité, d'une teinte un peu
plus foncée que les cellules sous-jacentes, et moins sombres que les éléments
du bulbe.
Le stralum des cellules de l'ivoire n'a pas les mêmes réaclions que ces
dernières : l'eau ne les altère pas avec la même facilité; il en est de même
de l'état cadavérique qui les modifie bien moins rapidement; toutefois les
matières colorantes, le carmin, par exemple, exercent sur elles les mêmes effets
que sur les éléments cellulaires en général, en colorant fortement le noyau et
fort peu la cellule.
De ces éléments cellulaires partent, ainsi que nous l'avons dit, des prolonge-
ments ou filaments qui se dirigent dans tous les sens ; les uns font communiquer
entre elles les cellules du même stratum, d'autres se rendent aux cellules de
l'ivoire; d'autres enfin s'anastomosent avec les extrémités terminales des prolon-
gements des corps embryoplastiques fusiformes ou étoiles du tissu propre
du bulbe.
Des détails histologiques qui précèdent il résulte que les éléments qui
constituent la couche des cellules de la dentine et celles qui forment leur
substratum sont de nature anatomique différente, bien qu'elles soient en conti-
nuité absolue de substance. Il faut ajouter qu'elles possèdent un rôle physiolo-
gique tout à fiiit distinct et spécial, rôle sur lequel nous allons insister dans les
considérations qui vont suivre sur le système nerveux du bulbe.
3" Vaisseaux et nerfs du bulbe. Système vasculaire du bulbe. Les
vaisseaux du bulbe proviennent d'une source unique : un rameau artériel qui
16 DEXT (physiologie).
se détache de l'artère dentaire au inomeiit où celle-ci rencontre dans Sun trajet
le fond du sac folliculaire; le rameau se rend directement à l'organe, qu'il
traverse à piii près en son centre pour se diriger vers son sommet, il repiésente
pour ainsi due l'axe du bulbe. A soîi côlé se trouve un rameau veineux d'un
volume sensiblement égal, et qui se jette dans la veine du même faisceau
dentaire.
L'artériole présente dans la première partie de son trajet une largeur de
un à deux dixièmes de millimètre, et elle se divise dès son entrée à la base de
lorgane en un grand nombre de ramiisculcs d'un volume relativement assez
considérable, mais sans que les premières divisions diminuent sensiblement son
calibre, car elle continue son tiaiel presque vers le sommet du bulbe sans chan-
gerde diamètre. Assez ordinairement, lorsque le rameau primitif est parvenu au
tiers ou au quart supérieur du bulbe, u se recourbe en forme de crosse, et c'est
de celle-ci (|ue p.irleiit a ors les brandies qui forment le réseau terminal.
Ce réseau se dirige ainsi en se subdivisant et s'anastomosant très-finement,
jusqu'à la limite de l'étage inférieur de la superlicie du bulbe, qu'il n'atteint
cependant pas. Son mode de terminaison s'opère sous forme d'anses très-petites,
tout à fait légulières et (larallèles sur certains points, ùisposéesen 8 de cbilïre
sur d'autres, mais toujours très-déliées et très élégantes.
C'est de ce point que part le réseau veineux de retour qui, avec les mêmes
.dispositions que les artériolcs, gagne le tronc unique qui occupe le côlé de
l'artère.
Le système vasculaire ainsi constitué s'observe de la manière la plus ?im[jle
sur des bulbes injectés au carmin et aussi, plus simplement encore, sur des
bulbes congestionnés des animaux asphyxiés ou sur certains follicules affectés
diiillammalion spontanée ou provoquée.
L'état vasculaire du bulbe (jue nous venons d'indiquer pour l'époque qui
précède le début de la denlilication varie sensiblement avec les périodes du
développement. Ainsi, au début de la formation bulbaire, on observe seulement
un capillaire afférent qui, après avoir pénétré au centre de l'organe, se recourbe
brusquement en anse et revient directement gagner le tronc veineux comme
capil'aire elféreut. Plus tard au contraire, lorscjuc la couronne a achevé son
développement et que l'activité fonctionnelle de l'organe s'est considéiablemeut
ralentie, l'appareil capillaire, tout en conservant la position qu'il avait à la
période antérieure, présente une réduction sensible dans le diamètre des ramifi-
cations principales et secoudaiios.
A ces changements correspondent des différences d'aspect du tissu bulbaire.
An début de sa formation, il est pâle, gris losé; au moment de la genèse de
l'ivoire il devient rougeàtre ; enfin chez l'adulte il reprend la teinte grise,
transparente, de l'état embryonnaire. Les maladies en moditient singulièrement
la ph\siononiie : ainsi dans h ptiljnte il devient rouge foncé, violacé, et parfois
la rupture de quelques capillaires forme un très-lin piqueté à la surface et dans
l'épaisseur de l'organe. C'est dans ces circonstances qu'on peut rencontrer la
disposition variqueuse des capillaires avec de courts replis intestiniforraes
distendus par les hématies entassées et cohérentes sans trace de sérum entre
elles, comme cela s'observe en ircnénd dans les autres tissus enflammés.
Nerfs (lu bulbe. La description du tissu nerveux du bulbe est une(|uestion
de la plus haute importance au point de vue du rôle et des caractères physiolo-
giques de l'organe dentaire dans la série animale. Une partie de ce problème a
DENT (piiysiologik). 77
déjà été présentée dans un Mémoire antérieur, publié en France en 1860(nobin
etiMagitol); mais depuis celte épocjue aiiciii trav,iil nouveau ne nous paraît en
avoir donné une solution satisl'aisante. Si nous y revenons aujourd'liin, c'est que
nos recherclies nous ont permis de suivre plus loin que ne l'avaient l'ail nos
devanciers les faits relatifs à la répariilion des éléments nerveux dans le luilhe,
à leur mode de terminaison et à leurs rapports de continuité avec les cellules
de l'ivoire ou odontobUtsies.
Lorsqu'on observe le bulbe cliez l'Iiomme après l'aihèvenient de la formation
folliculaire, on rencontre ordinniremenl deux faisceaux de tubes nerveux (|ui
pénètrent dans l'organe par sa partie étranglée ou col, et q'ui proviennent d'un
rameau détacbé du ncri' dentaire. Clicz les gr.mds Mannnifères, ces laisceaux
sont au nombre de trois ou quatre. Leur largeur, qui est assez souvent chez
ces derniers animaux de un dixième de milliuièlre, descend cliez l'Iiomme
à 0""",05. Ils sont rectilignes et distants les uns des autres, tandis que leurs
intervalles sont remplis par des capillaires et des fais'-eaux de fibres cellulaires.
Us sont eorn|)osés de tubes minces iumicdiatement coiiligus les uns aux autres,
sans capillaires dans leur épaisseur et entourés d'un très-mince prrinèvre qui
les retient fortement serrés les uns contre les autres.
Ces particularités peuvent s'observer directement et sans réaction spéciale
sur des bidbes frais dilacérés au moyen des aiguilles et à un grossissement
moyeu; mais, pour pousser plus loin l'investigation, il faut d'autres piépai allons
et l'emploi de certains réactifs.
Afin de suivre eu effet les faisceaux nerveux jusqu'au voisinage de la partie
superficielle du bulbe, on devra traiter des buibes enlevés à des animaux
vivants ou récemment sacrifiés, par la macération dans l'acide osiiiiqiir et la
réaction par le cidorure d'or. Sur nue préparation favorable ainsi disposée, à
un grossissement minimum de fiOO diamètres, ou parvient, avec l'ohjtctif à
immersion, à poursuivre les subdivisions des faisceaux nerveux. Les petites
saiUies coniques qui surmontent le bulbe cliez les animaux cirnassieis (chien,
chat) et le cône terminal du bulbe chez le veau nous ont paru particulièrement
favorables à cette recherche. C'est chez ce dernier animal que nous avons pu
constater le mode de terminaison que nous allons indiquer :
En plaçant sur l'objectif une préparation ainsi traitée et dans une lumière
très-vive, on aperçoit à côté d'une aise capillaire un tube nerveux mince.
Quelques variations dans l'éclairage permettent de reionnailre son double
contour.
On le voit alors dépasser légèrement la limile de l'anse vasculaire qu'il
accompagne et se continuer par soudure, sans interposition d'aucune substance
et par voie de continuité complète avec un des lilaments ]iroi'onds d'une cellule
du stratum {étage inférieur de la superficie du bulbe).
Cette continuité est le fait fondamental dont nous tirerons certaines consé-
quences et qui éclaire d'ailleurs tant de points restés obscurs de la |)hysinlo"ie
du bulbe aussi bien dans l'état embryonnaire qu'à la période adulte. Les cellules
du stratum deviennent ainsi les éléments intermédiaires entre le rameau nerveux
sensilif et la couche des odontoblastes, et ceux-ci prennent nécessairement la
physionomie d'une couche épithéliaie.
On pourrait même regarder le stratum comme composé de cellules nerveuses
épanouissement véritable des tubes nerveux terminaux de la pulpe.
Certains laits d'histologie comparée apportent à cette interprétation anato-
78 DENT (physiologie).
miqne chez l'homme des raisons démonstratives. Ainsi les recherches de
plusieurs observateurs allemands, Max Schuitze, Ecker, Eckardt et Balogh, ont
établi cette même continuité des extrémités nerveuses sensitives avec les cellules
épithéliales de la tache olfactive choiz certains animaux inférieurs, et récemment
M. Remy est arrivé à une démonstration identique relativement à la même
couche épithéiiaie chez le chien. Il est même digne de remarque que ces parti-
cularités sont bien plus facilement saisissables chez les Vertébrés inférieurs, la
poule, le canard, la grenouille. M. Remy les a toutefois mises hors de doute
chez les Carnassiers et chez l'homme, tanchs que de notre côté nous croyons en
avoir réalisé la démonstration (.our les cellules de l'organe de l'ivoire chez les
Mammifères.
De ces détails il résulte que le réseau cellulaire qui compose le stratum est
une couche de cellules qui sont en contiimité, d'une part, avec les extrémités
des tubes nerveux, et, d'autre part, avec les cellules de l'ivoire. C'est ainsi que
l'hypothèse de Tomes sur les qualités sensitives propres des cellules d'ivoire et
de leurs prolongements se coniiriiie de faits anatomiquement démontrés.
Les faits hislologiqiies que nous venons de décrire sur la continuité des
éléments nerveux avec les cellules de l'ivoire par l'intermédiaire du stratum
reposent, ainsi qu'on vient de le voir, sur l'étude minutieuse d'une préparation
soumise aux réactions des sels d'or, réactions très-fugaces, il est vrai, parfois
infidèles, mais qui cependant n'ont laissé aucun doute dans notre esprit. Et
cependant cette élude, entreprise par d'autres histologistes, ne paraît pas avoir
fourni le même résultat. La recherche des terminaisons nerveuses reste l'un des
plus difficiles problèmes (jue puisse se poser l'investigation microscopique. Déjà
Roll, élève du laboratoire de Max Schuitze, avait publié, en 1868, un Mémoire
destiné à étudier cette question relativement au bulbe dentaire. Il était arrivé à
une conclusion que noiis n'avons pu vérifier pour notre compte. Pour lui, les
extrémités terminales des nerfs du bulbe auraient été suivies jusqu'au delà des
cellules mêmes du stratum. Elles traverseraient cette couche cellulaire sans
continuité de substance avec elle, iraient de là côtoyer la paroi des cellules de
l'ivoire et, débordant leur limite périphérique, pénétreraient dans l'intérieur des
canalicules à côté des filaments ou queues de ces cellules. Ce serait ainsi, non
plus la contmuilé, mais la s'\m])\e contiguïté avec celles-ci.
Pour l'auteur allemand, la chose paraît hors de doute ; mais nous ne compre-
nons pas aisément conmient il a pu discerner au delà de la couche des cellules
de l'ivoire et dans les canalicules les filaments nerveux d'avec les prolongements
des cellules, car les uns et les autres se colorent d'une manière à peu près égale
par les préparations d'or.
En outre, nous dirons que la continuité dont nous avons parlé explique d'une
manière saisissante certains faits de la physiologie do l'ivoire. On peut même
ajouter qu'elle peut seule en donner la raison : on sait en effet que l'ivoire est
doué d'une sensibilité propre. Il n'y a là nullement un phénomène de transmis-
sion à la pulpe, ainsi que nous l'avions admis dans des recherches antérieures,
c'est un fait d'impression directe. Qu'on détache, par exemple, de la surface
d'une dent chez un individu vivant et jeune la couche d'émail, on découvre
ainsi une certaine étendue de la superficie de l'ivoire qui peut se prêter à ua
certain nombre d'expériences. Qu'on impressionne cette surface par divers agents
mécaniques ou chimiques, on reconnaîtra aussitôt son extrême sensibilité;
qu'on augmente l'intensité de ces actions, qu'on y applique, par exemple,
DENT (physiologie). 79
un caustique, aussitôt on constatera une véritable hypcresthe'sie qui sera à son
tour susceptible d'être amoindrie par d'autres agents anesthësiques ou par la
cautérisation.
Si on promène un cautère rougi, on pourra à son gré soit anéantir cette sensi-
bilité, soit l'exaspérer excessivement suivant la diu'ée ou l'intensité de l'appli-
cation. En un mot, le tissu de l'ivoire se comporte vis-à-vis des réactifs divers
au même titre et avec la même pbysionomie que tous les tissus vivants pourvus
de sensibilité piopre.
Le mécanisme de cette sensibilité est extrêmement simple à concevoir, si l'on
admet les détails anatomiqucs que nous venons de décrire. Les fibrilles qui
occupent chaque canalicule et qui s'épanouissent précisément à la superficie de
l'ivoire sont, non des organes de transmission à la pulpe centrale, mais des
points d'impression directe. Si l'on veut poursuivre l'observation, on pourra, à
l'exemple de Tomes, sur cette même deut en expérience, pratiquer par une
trépanation directe la destruction de la pulpe centrale, et aussitôt toute sensibi-
lité, si exaltée qu'elle soit, de la surface de l'ivoire, s'éteindra complètement.
C'est même là, dans la pratique, un mode de traitement de certaines formes de
caries superficielles ou de quelques fractures avec iiyperesthésie de l'ivoire.
Comment dès lors expliqiiera-t-on cette sensibilité propre de l'ivoire autrement
que par le> propriétés sensllives personnelles des fibrilles et par la continuité de
substance entre elles, et les ramifications nerveuses terminales de la pulpe?
Particularités secondaires du tissu du bulbe. A l'époque de l'évolution du
bulbe qui |irécède immédiatement son entrée en fonctionnement, la niasse du
tissu présente quelques particularités transitoires, qui sont d'abord la foruialion
de grains phosphatiques de forme spbéroïdale ou ovoïde, et dont la composition
chimique rappelle exaclement celle de la substance fondamentale de l'ivoire. Ces
grains phosphiiliqucs, déjà décrits dans un travail antérieur, sont insolubles dans
l'éthor, l'alcool et le sulfure de carbone; l'acide chlorhydrique, sans les dissoudre,
les pâlit et les rend granuleux. Ces petites masses sont très-brillantes et douées
d'un indice de rélraction qui les rapproche sous le microscope de celui des
gouttes d'huile.
Ces divers caractères établissent qu'ils sont composés de phos])hates calcaires
déjà combinés avec la matière azotée, qui s'oppose à leur dissolution complète
dans les acides. Ils sont en outre assiinihiblos à d'autres masses dont on connaît
la présence dans les couches de l'ivoire anormal, les gobules de dentine, avec
cette différence que ceux-ci sont parcourus par des canalicules, tandis que les
premiers sont amorphes et homogènes.
La signification physiologique de cette production de grains phosphatiques se
rattache à l'exagération du mouvement nutritif au sein de la pulpe, pendant les
phénomènes de la dentification, c'est-à-dire à un aiflux de matériaux calcaires
qui, dépassant les besoins de la formation dentinaire, se déposent en partie dans
l'épaisseur de l'organe sous foime de masses amorphes.
Cette explication se confirme encore d'une autre particularité, qui consiste en
la présence, d;)ns les interstices des éléments anatoniiques de l'organe, de dépôts
iVhématûïdine, tantôt amorphe et infiltrée, tantôt cristallisée en houppes ou
aiguilles. Ces deux phénomènes se sont présentés à notre observation ordinaire-
ment d'une f.içon simultanée et comme indices communs d'un travail de denti-
tion en pleine vigueur.
G. De Corgane de V émail. L'organe de l'émail, dont nous avons suivi dans
80 DEi\T (physiologie).
le précédent paragraphe le mode de formation par épanouissement du cordon épi-
théliul primitif, apparaît dans le follicule constitué et clos sous une forme spéciale.
C'est uniupuclion d'une épaisseur variable et coiflant d'une manière absolue la
surface saillante du bullie, dont il suit exactement les contours, depuis le cul-
dc-sac que forme celui-ci avec la paroi folliculaire jusqu'au sommet simple ou
multiple, suivant la forme de la dent future. Cette application de l'organe de
l'émail à la surface du bulbe est telle que, dans aucun cas, il n'y a interposition
d'aucune substance ni production d'un espace quelconque entre eux. Toute sépa-
ration ou lacme que cerlaiiies préparations peuvent présenter sont dès lors pure-
ment artiticielles. Il y a, entre la lace convexe du bulbe et la face concave de
l'organe de l'émail, juxtaposition complète, mais nullement adhérence ou con-
tinuité de tissu, les deux organes restant aussi distincts par leur surface de
contact (pi'ils le sont par leur or-anisaliou et leur rôle physiologique. La dis-
section directe ou la pression entre deux lames de verre les sépare donc l'un de
l'autre par simple glisseuieut.
Il nVn est pas de même de la paroi extérieure ou surface convexe de l'organe
de l'émail. Celle-ci est manifestement adhérente à la face profonde de la paroi
folliculaire, et il faut une véritable déciiirure pour les séparer. Nous verrons
plus loHi par quel mécanisme a liiu cette adiiérence.
Au piiiiit de vue de sa constitution à l'œil nu, l'organe de l'émail a la forme
d'une lame molle gélatinilbrnie interposée entre le bulbe d'une part et la paroi
folliculaire de l'autre cliez les animaux dépourvus décernent coronaire, et entre
le bulbe et l'organe du cément dans les espèces qui présentent une couche de
cément supei posé à l'émail. Il e^t transparent, extrêmement altérable, car, si
on l'examine (piolques heures après la mort, il perd sa consistance, devient
diffluent, et prend l'aspect d'un mucus. Sa coloration est gris clair, ce qu'il doit
en partie à l'absence complète de vaisseaux sanguins, cet organe étant, comme
nous le verrons plus loin, absolument dé[)ourvu aussi bien de système vasculaire
que de système nerveux.
C'est précisément celte absence de vaisseaux qui donne à l'organe de l'émail,
sur une coupe de follicule dmxi par l'acide chromique, cet aspect transparent
qui tr.mclie si nettement sur les deux tissus qui le limitent : d'une part, le
bulbe contrai, éminemment vasculaire, et d'autre part l'organe du cément ou
la paroi iolliculainî, également gorgés de vaisseaux. Le contraste est surtout sai-
sissant sur un follicule d'une molaire d'herbivore dans lequel l'organe du cément
qui plonge, comme on sait, entre les divisions de l'organe de l'émail, est par-
couru par de nombreuses et volumineuses anses vasculaires.
A l'égard de sa texture, l'organe de l'émail, au moment où le follicule a
achevé son dévelop; ement, présente des particularités toutes spéciales pour l'in-
telligence desquelles nous croyons devoir revenir un instant sur les phases anté-
rieures de son développement.
Nous avons distingué, en el'fet, dans les phénomènes d'évolution de l'organe
de réni.iil, trois phases successives, dont les deux premières ont déjà été décrites
plus haut. Ces trois phases sont :
1" La période épithéliale, comprenant la naissance et la descente du cordon
épithélial depuis la couche de Malpighi, d'où il émane, jusqu'à son extrémité,
où il se renfle en forme sphéroïdale. Pendant cette [lériode, la structure est exclu-
sivement é|)ithéliale, soit : épilhélium prismatique à la périphérie, épithélium
polyédrique au centre ;
DENT (FnvsiOLOGiK). 81
2° La période muqueuse, c'est-à-dire celle qui correspond à la transformation
de répithéliiim polyédrique central en cellules étoilées par un mécanisme que
nous avons décrit. C'est à ce moment que l'organe prend l'aspect d'une masse
o^élatiniforme restant toujours entourée de la couche des cellules prismatiques ;
3" Enfin la période de résorption^ qui marque le début de la formation de
l'émail, et qui consiste dans la disparition de la masse centrale par voie de résorp-
tion pure et simple, ce qui produit l'amincissement considérable de la masse et
amène les cellules de la convexité presque au contact de celles de la concavité.
C'est cette période qu'd nous reste à décrire, car elle paraît être la condition de
fonctionnement physiologique de l'organe, c'est-à-dire la production de l'émail.
A ce moment, l'organe de l'émail peut donc être considéré et décrit comme
composé d'une couche mince centrale de tissu étoile et d'un revêtement périphé-
rique de cellules épithéliales. C'est une sorte de lame mcmbraniforme, ce ((ui
a fait émettre par beaucoup d'auteurs l'idée que cet organe représentait une
réelle membrane (memfcrawa adamantina de Raschkow). Elle est indiquée sous
cet aspect par beaucoup d'anatomistes et plus particulièrement par Henle.
La diminution progressive ou la résorption du tissu étoile centi al est un phéno-
mène sur lequel un travail français antérieur (Robin et Magitot, 1860-1801) a
déjà insisté longuement ; seulement, l'époque exacte à laquelle il correspond a
été inexactement indiquée. Il est dit dans ce mémoire que cette résorption s'ef-
fectue alors que la couronne est déjà en pleine formation, tandis qu'en réalité
il est achevé lorsque débute la production du premier chapeau de denline. Il
est dès lors antérieur à cette période, de telle sorte que l'organe n'entre en
fonctionnement que lorsqu'il est réduit à l'aspect mcmbraniforme.
Le mécanisme de la disparition de la pulpe étoilée de l'organe de l'émail paraît
être le fait de la résorption pure et simpledes cellules et de leurs prolongements,
phénomène précédé d'une certaine compression, due sans doute au développe-
ment exagéré que prend à ce moment le bulbe central. La matière amorphe
interposée aux cellules disparait la première et les éléments prennent alors une
disposition comme feutrée, puis on remarque, bientôt après, la production de
fuies granulations graisseuses qui apparaissent dans le corps de la cellule autour
du noyau. Celui-ci s'aplatit ensuite, et la totalité de la cellule s'efface déiînitive-
meiit. Ce travail s'effectue avec une très-grande rapidité, car, si on le suit avec
quelque attention sur un follicule de mammifère, le mouton, par exemple, on
constate qu'entre le moment où la paroi du follicule vient de se fermer, alors
que l'organe de l'émail est complet, et l'époque du début de la couronne, où ce
même organe est résorbé, il s'écoule quelques jours à peine. La portion centrale
de l'émail est donc tout à fait éphémère, et représente un exemple d'existence
transitoire si commun du reste dans beaucoup de formations embryonnaires.
Nous n'avons donc plus à l'étudier ici, et il nous suffira de décrire la couche
épithéliale, qui subsiste seule à cette époque du développement.
Épithélium de l'organe de rémail. L'organe de l'émail, pendant toute la
période de sa formation, est entouré, ainsi qu'on l'a vu précédemment, d'une
couche non interrompue de cellules prismatiques, prolongement par une sorte
d'invagination de la couche de cellules de Malpighi. Ces cellules conservent
jusqu'à l'époque du développement à laquelle nous sommes parvenus, des carac-
tères identiques. Mais, à ce moment, des modifications surviennent, si marquées
et si importantes, qu'il faut dans la description distinguer la physionomie de la
couche épithéliale qui occupe la convexité de l'organe de celle qui tapisse lu
DICT. ENC. XXVII. g
82 DEIST (physiologie).
surface concave. Or, tandis que les premières, celles de la surface convexe,
conservent la forme et la dimension qu'elles avaient précédemment, les secondes
acquièrent un tel développement qu'elles ont reçu le nom de couche de cellules
de l'émail, parce que c'est à leur fonctionnement que sera due la production des
prismes de l'émail. Ces différences de dimensions sont tellement accusées, qu'on
a supposé que les cellules externes s'atrophiaient en mente temps que les externes
s'allongeaient. Cela n'est pas exact, et les cellules externes conservent
simplement leurs dimensions antérieures. Nous allons d'ailleurs les décrire
isolément :
1» Épithélium externe de l'organe de'l'émail. L'épithélium externe de l'or-
gane de l'émail constitue une couche cellulaire prismatique ayant conservé tous
les caractères des cellules de l'organe épithélial primitif. Elles en ont exacte-
ment la forme, les dimensions, la régularité parfaite. La rangée continue
qu'elles constituent s'étend depuis le fond du repli formé par la réflexion delà
paroi sur le bulbe jusqu'au sommet du follicule. A leur point de départ dans
le repli en question, elles se continuent avec l'autre couche des cellules de
l'émail, étoiles y présentent brusquement un contraste de dimensions tel, qu'il
semble au premier abord qu'elles soient d'une autre origine. Les cellules de la
convexité sont donc courtes, d'une longueur de 0"'"S008 à 0'"",010. Leur noyau
est central, pâle et finement granuleux. Elles présentent, du reste, les mêmes
réactions que les cellules centrales, réactions que nous établirons plus loin.
Mais, bien que stationuaires et ne participant en rien aux modifications qui
atteignent les autres, elles jouent un certain rôle qui n'est p;is sans importance,
et qui résulte d'une disposition anatomique que nous allons indiquer.
Lorsqu'on ouvre en effet par sa face gingivale un follicule parvenu à la période
d'évolution que nous envisageons ici, on reste frappé de l'adhésion manifeste qui
s'observe entre cette paroi et la superficie de l'organe de l'émail, formé parla
rangée des cellules susdites. La séparation des deux parties ne se fait pas saus
déchirure, et c'est la couche épithéliale qui se détache, restant ainsi adhérente
à la paroi.
C'est qu'en effet ladite couche épithéliale communique au travers de la paroi
folliculaire avec ces prolongements épithéliaux cylindroïdes, simples ou multi-
lobés, qui occupant le tissu sous-muqueux et qui ont été longuement décrits
précédemment (p. 51). Nous les avons désignés sous le nom de débris du
cordon épilhélial primitif, et c'est à leur prolifération que sont dues précisé-
ment ces villosités qu'on trouve interposées à la couche de Malpighi et à la
paroi folliculaire.
Leur rôle a été diversement interprété. Ainsi, Todd et Bowman, qui les ont
rencontrés, semblent les considérer comme des culs-de-sac glandulaires. Nous
ne saurions partager cette opinion. Pour nous, les prolongements tubulés qui
sont pleins, sans cavité quelconque et sans paroi propre, ont un double but : le
premier est de servir de moyen de fixation de l'organe de l'émail ; le second de
lui permettre d'emprunler ses matériaux de nutrition, car ou sait que cet organe
est dépourvu de vaisseaux. Or, les villosités pénètrent dans un tissu remarqua-
blement vasculaire, surtout au moment qui précède la formation de la couronne.
Des anses très-nombreuses et très-serrées les entourent comme d'une sorte de
gaîne, et lui constituent ainsi une source de nutrition d'une grande richesse.
Ces prolongements cylindriques d'épithélium qui pénètrent ainsi au travers de
la paroi, dans les follicules de dents dépourvues de cément, se retrouvent encore
DENT (physiologie). 83
identiques dans les follicnles des molaires d'herbivores ; seulement, c'est au sein
de l'organe du cément qu'ils pénètrent, ce qui justifie encore la richesse Tascu-
laire non moins grande de ce dernier, car il doit subvenir non-seulement à sa
propre nutrition, mais encore à celle de l'organe de l'émail.
2" Épithéliiun interne de l'organe de rémaU. Cellules de rémail, ada-
viantoblastes. La couche cellulaire qui tapisse Ja face profonde de l'organe de
l'émail, membrane de rémail de certains auteurs, est composée d'une rangée
continue d'éléments en contiguïté ^ùrh'de avec la surface du bulbe, ot on con-
tinuité de tissu avec les éléments sous-jacents de l'organe dont elle représente
le revêtement.
Ces éléments, qui ne sont autres que les cellules prismatiques de la couche de
Malpighi, ont pris peu à peu des caractères nouveaux qui lui ont donne une
physionomie particulière. Ces modifications, qui comprennent une période de
temps qui s'écoule entre la constitution de l'organe de l'émail en forme de
capuchon et le début de la formation de l'émail, ont pour effet d'en accroître
singulièrement la longueur sans modifier leur diamètre transversal. En outre, il
survient un phénomène nouveau : c'est la production d'une couche cellulaire
sous-jacente, véritable snbstralrnn des cellules de l'émail, tandis que l'extié-
mité libre de celles-ci se recouvre d'une [lartie épaissie connue sous le nom
de plateau.
Nous allons décrire successivement ces trois parties, intimement liées entre
elles au double point de vue anatomique et fonctionnel.
Les cellules de l'émail sont des corps prismatiques à cinq ou six pans accolés
et comprimés les uns contre les autres, de dimensions égales et toujours recli-
ligues, malgré les inflexions des parties avec lesquelles elles sont en rapport.
Ces cellules sont étroites et allongées, mais leur forme prismatique n'est due
qu'à la pression réciproque, car aussitôt qu'elles sont isolées elles reprennent
la forme cylindrique. Leur largeur uniforme est de 0""", 003 à 0""",005 ; leur
longueur atteint, au moment de la formation de l'émail, jusqu'à un dixième de
millimètre, ce qui, n'était leur extrême transparence, les rendrait presque
visibles à l'œil nu.
Le corps de la cellule est clair, grisâtre, parsemé de fines granulations pâles,
d'égal volume. Le noyau est ovoïde, à grand diamètre parallèle à l'axe de la
cellule; sa dimension, dans le sens transversal, est à peu près égale à la laro^eur
de la cellule, qu'il déborde même quelquefois. Ce noyau a un contour net
foncé, à centre finement granuleux et transparent. Lorsqu'il acquiert un certain
volume, il éprouve sans doute à fon tour une notable compression, car il peut
devenir plus cylindrique qu'ovoïde, et représente plutôt une sorte de bâtonnet.
Sa longueur est de 0™"\0I4 à O-^'^sOlS. Le siège du noyau est d'abord centrai,'
comme il était dans les cellules du pourtour du bourgeon épithélial; puis, par
le fait même du développement, il arrive à occuper l'extrémité périphérique
de la cellule, c'est-à-dire celle qui est en rapport avec le bulbe. Cette modifica-
tion de siège résulte, non point d'un fait de déplacement du noyau, mais du
phénomène d'allongement du corps de la cellule dans la direction de l'organe
de l'émail. Le noyau occupe ainsi un point invariable, pendant que la cellule
s'allonge par une seule de ses extrémités.
Tel est l'aspect du corps des cellules de l'émail vues par le côté, dans le
sens delà longueur, et réunies en masse; mais, si l'on réussit dans une prépa-
ration favorable à les observer par leur extrémité libre, leur disposition apparaît
c
84 DENT (physiologie).
sous l'aspect d'une véritable mosaïque très-régulière et très-élégante. Cette
mosaïque rappelle assez exactement la pliysionoraie de la surface de l'œil
composé des insectes, et elle se retrouve d'ailleurs dans un faisceau de prismes
d'émail vu par leurs extrémités, et aussi dans la surface extérieure du chapeau
de dentine, qui doit son aspect réticulé à l'adhérence même des prismes à cette
surface.
L'extrémité péri|ihérique delà cellule de l'émail, celle qui regarde le bulbe,
présente une particularité très-digne d'attention : elle est coupée très-régulière-
ment à angle droit, et son bord extrême est marqué par une ligne foncée d'une
notable épaisseur. Celte ligne est formée par un \évi\.nb\c piateau, en tous points
comparable !i celui qui s'observe à l'extrémité des cellules prismatiques de
l'intestin. Ce plateau, qui est tout à fait adhérent à la cellule, dont il fait partie
intégrante, peut, sous l'influence de certains agents chimiques, se durcir, devenir
plus foncé et plus étroit, et linalenient se séparer du corps de la cellule. Le
petit opercule flotte alors librement dans la préparation, mais dans certains
cas le plateau d'une cellule peut rester adhérent à son voisin, de sorte que,
dans une macération dans l'eau, par exemple, les plateaux réunis l'un à l'autre
arrivent à constituer un lambeau membranilorme que Kôlliker, Raschkow,
Ilenle et la plupart des auteurs, décrivent comme une membrane véritable, la
membrana prœformativa des cellules de l'émail. Cette explication doit être
rejelée. En dehors de la paroi folliculaire, il n'existe, ainsi que nous l'avons
affirmé à plusieurs reprises, aucune membrane dissccable dans le follicule, pas
plus à la limite des cellules de l'émail qu'à la superficie du bulbe lui-même.
Ce sont ces hypothèses qui ont si longtemps compliqué et obscurci l'élude du
follicule, sans réussir à établir anatomiquement un fait qui ne repose que sur
un mécanisme artificiel. En effet, la plupart des réactifs qui désorganisent les
cellules de l'émail sont sans action sur le plateau, dont la substance est plus
compacte et plus résistante. Quant au rôle physiologique qui lui est dévolu, il
est sans doute assimilable à un phénomène d'exosmose ou de diapédèse, car les
éléments constitutifs de l'émail élaborés par les cellules traversent ce plateau,
et vont au delà, sur la convexité du chapeau de dentine, constituer les prismes
ou colonnes de l'émail.
Tandis que l'extrémité périphérique ou bulbaire de la cellule de l'émail est
pourvue d'un opercule ou plateau, l'extrémité centrale offre de son côté des
particularités anatomiques qui doivent être mentionnées.
Nous avons vu déjà que cette extrémité centrale a pris un plus grand déve-
loppement, de telle sorte que la partie de la cellule qui est en deçà du noyau
est plus allongée que celle qui est au delà. En outre, cette extrémité, qui n'est
terminée par aucun opercule ou plateau, n'est point taillée à angle droit, mais
présente un bord oblique qui s'effile sur un ou plusieurs points, de manière à
présenter, à la façon des cellules de l'ivoire, un ou plusieurs prolongements clairs
et transparents. Ces prolongements se terminent à leur tour par un véritable
filament qui se rend à une couche mince de cellules multipolaires ou étoilées qui
forment le substratum de la couche des cellules de l'émail. Les cellules de ce
stratum n'ont pas besoin d'être décrites, car elles ne sont autres que les derniers
vestiges des cellules étoilées de la pulpe de l'organe. Or, celles-ci ne diffèrent
de l'état antérieur que par une plus grande compression, un véritable tassement
dont elles ont été l'objet.
Cette couche cellulaire, qui est composée d'éléments à contours nets et foncés,
DENT (physiologie). 85
est en tous points comparable au même stralum qu'on trouve au-dessous des
cellules de l'ivoire, et elle joue vraisemblablement un rôle important dans
l'élaboration des matériaux de formation de l'énjail, avec celte diOcreiice toute-
fois qu'elle n'e.-t en rapport ni avec des vaisseaux, ni avec des nerfs, far
l'organe de l'émail est, comme on sait, aussi bien dépourvu des uns que des
autres.
Pour terminer l'étude histologique des cellules de l'émail, nous devons parler
de leurs réactions chimiques : l'eau les gonile et les déforme en leur donnant
l'aspect cylindrique. Ce gonllement est quelquefois assez prononcé et assez régu-
lier pour que leur forme se rapproclie assez manifestement de celle des cellules
de l'ivoire ; mais une telle confusion sera toujours évitée lorsqu'on étudiera les
éléments anatomiqucs du follicule à l'état irais. On distinguera toujours aisé-
ment ainsi les cellules courtes et ventrues de l'ivoire des cellules étroites et
allongées de l'émail. La glycérine a pour effet de pfdir le corps de la cellule,
mais sans modifier l'aspect du noyau; l'alcool a sur ces éléments les effets ordi-
naires : il les contracte et les défoi'me. Les acides étendus accusent plus nette-
ment les contours des granulations et le noyau. Concentrés, ils désorganisent le
tout, qui se réduit en un petit amas uniforme de granulations noires. La soude
caustique (solution concentrée) a pour effet de gonfler les cellules de l'émail
ainsi ([ue leurs prolongements centraux et les éléments du stratum. Cette réaction
permet ainsi de les observer plus facilement; mais cet effet n'est que tempo-
raire, car au bout d'une lieure environ toute la masse entre en destruction
véritable et se trouve, ainsi que par les acides concentrés, réduite à l'état d'un
petit groupe informe de granulations.
D. Organe du ckmext. Le germe ou organe du cément, considéré comme
partie intégrante du follicule dentaire, n'appartient qu'aux espèces animales
pourvues de cément coronaire. Telles sont les molaires des herbivores, celles des
pachydermes, etc. Les dents de riiommeet des carnassiers, n'étant pourvues que
d'une couche relativement mince de cément radiculaire, n'ont pas d'organe
spécial à cette formation. Il résulte de là que la formation du cément répond
à deux mécanismes physiologiques distincts : cément coronaire, du à la tran-
sformation sur place d'un organe particulier ; cément radiculaire, résultat de
modifications d'une couche cellulaire qui n'est autre que la paroi folliculaire
de\enue périoste dentaire. Nous n'avons pas à tracer cette dernière description:
elle trouvera sa place dans l'étude du développement du cément radiculaire.
C'est donc la seule étude de l'organe du cément qu'il nous reste à faire.
Une démonstration de l'existence de l'organe du cément paraîtra sans doute
superflue aux analomistes fiançais, car ce point d'histologie a été suffisamment
établi antérieurement. Cependant, devant les erreurs de certains auteurs et les
négations de quelques autres, il nous paraît utile d'y revenir.
Les divers travaux entrepris en Allemagne et en Angleterre par Waldeyer,
KoUmann, Hertz, Ch. Tomes, etc., sont muets sur la question de l'organe du
cément.
Or voici comment il faudra procéder pour résoudre d'une manière absolue la
démonstration de son existence.
Que l'on prenne, par exemple, pour cette recherche, un follicule de molaire
d'embryon de veau à une époque correspondant à la formation du premier rudi-
ment de la couronne, on trouve, en pratiquant sa dissection attentive, les
parties suivantes de dehors en dedans :
86 DENT (physiologie).
1" Une membrane dissécable mince, tiansparenle et friable, la paroi follicu-
laire ;
2° Au-dessous de celte dernière, un tissu mou, grisâtre, limité d'une part
par la paroi précédente, et d'autre part par un autre tissu complètement distinct
d'aspect et de caractère. Ce tissu grisâtre intermédiaire est ï organe du cément.
Il offre l'apparence d'une couclie mince étendue sur tout le pourtour des
organes folliculaires sous-jacents, jusqu'à la base du bulbe, où il s'arrête, con-
stituant ainsi un capuchon superposé à l'organe de l'émail qu'il recouvre dans
toute son étendue.
Son épaisseur est de quelques dixièmes de millimètre, et par conséquent très-
appréciable à l'œil nu ; sa consistance est gélatiniforme, très-supérieure à celle
de l'organe de l'émail, qui lui est sous-jacent et qui est d'aspect muqueux et
fluide. 11 est opaque, demi-transparent et laiteux, mais, en outre, et c'est là
un autre élément fondamental de distinction, il est très-vasculaire dans toutes
ses parties. Cette richesse de vascularisation donne même à la couleur grisâtre
du tissu une légère teinte rouge ou rosée très-manifeste ;
5° Au-dessous de l'organe du cément se trouve Vorgane de l'émail, dont
nous avons tracé la description plus haut ;
A" Au-dessous de ce dernier et au centre du follicule, le bulbe ou organe de
l'ivoire.
Telle est dans un follicule de molaire d'herbivore, ou d'incisive de cheval,
et généralement dans tous les follicules de dents à cément coronaire, la super-
position invariable des organes constituant cet appareil.
Si mamtenant, après avoir séparé de ses connexions l'organe du cément
par une dissection à l'œil nu, on en poursuit l'étude anatoraique au point
de vue de sa constitution intime et de sa texture, on arrive aux résultats sui-
vants :
Une première distinction est d'abord nécessaire, car, au moment où vont se
former les premiers rudiments de l'ivoire et de l'émail, le germe du cément
n'est pas parvenu encore à sa période de fonctionnement ou de transformation.
En effet, le cément, qui représente la couche osseuse propre dans l'organisation
d'une molaire d'herbivore, par exemple, ne se forme qu'après l'achèvement com-
plet de la couronne, à laquelle il constitue un dernier révêtement. Aussi n'est-ce
que beaucoup plus tard, dans le cours de l'évolution folliculaire, que le germe
du cément devient l'organe cartilagineux, proprement dit, qu'il se métamor-
phose en tissu osseux.
C'est ainsi qu'il faut décrire deux états successifs à l'organe du cément :
l'état fibreux simple, qui correspond à l'époque de formation dé la couronne,
et l'état fibro-cartilagineiix, qui apparaît au moment où le chapeau de dentine
est constitué, et où commence le développement de la racine.
Le premier état est caractérisé par l'existence d'une trame de tissu lami-
neux lâche, entre-croisé par mailles larges avec substance amorphe abondante
contenant des corps fusiformes et des corps fibro-plasliqucs nucléaires. Tout
ce tissu est parcouru d'une manière uniforme par des capillaires volumineux
formant un réseau tellement serré et riche, que sa présence obscurcit souvent
le champ de T'observation.
On n'y trouve aucune trace de nerfs. Dans le voisinage de la paroi folli-
culaire, le germe du cément ne se distingue de celle-ci, malgré leur adhésion
réciproque complète, que par une diflérence d'aspect du tissu lamineux. La
DENT (physiologie). 87
paroi des follicules, en effet, se trouve représentée par une lame fibreuse formée
des mêmes éléments, mais plus condensée, plus feutrée, et par conséquent plus
dense.
L'organe du cément est, comme on le voit, un véritable organe embryonnaire
dans lequel il n'est possible, à cette époque, de découvrir ni cellules cartilagi-
neuses propres, ni aucun de ces éléments épithéliaux qui sont assez abondants
dans le tissu sus-muqueux interposé entre la paroi folliculaire et l'épithélium
buccal.
Quelques réactions confirment pleinement les résultats de l'observation anato-
mique. Ainsi, le carmin, qui colore uniformément les éléments embryonnaires,
et l'acide acétique, qui accuse plus vivement leurs contours, ne permettent de
distinguer aucune trace de cellules cartilagineuses.
Le second état est véritablement fibro-cartilagineux, car, outre les éléments
ci-dessus indiqués et qui persistent en proportion déterminée dans le tissu, on
reconnaît la présence d'éléments nouveaux : ce sont des petites cavités contenant
une ou plusieurs cellules cartilagineuses ou chondroplastes.
Les cboudroplastes contiennent le plus souvent une cellule, quelquefois deux,
rarement trois. Le diamètre de ces cellules est de 0'"'",018 à 0""",020. Lors-
qu'il n'y a qu'une cellule dans un cbondroplaste, elle le remplit souvent
d'une manière exacte, et alors le contour de ce dernier est difficile à voir
ou même il se confond entièrement avec celui de la cellule. D'autres fois il
en est e'carté de quelques millièmes de millimètres : alors on distingue aisé-
ment le bord de la cavité du contour de la cellule qu'elle renferme. Lorsqu'il
y a deux ou trois cellules dans un cbondroplaste, la distinction du contenant
et du contenu est beaucoup plus facile. Les cellules renferment un noyau ordi-
nairement sphéiique, quelquefois ovoïde (ruminants), d'un diamètre moyen
de 15 millièmes de millimètre à contour net. En général, une cellule ne con-
tient qu'un seul noyau, quelquefois deux. Le noyau est parsemé de granulations
(rès-fines, avec un ou deux nucléoles brillants. Autour du noyau se tiouve
la masse de la cellule, incolore, transparente et presque toujours dépourvue de
granulations.
Lorsque la dilacération ouvre un cbondroplaste, ce qui n'est pas rare, on
trouve libres et isolées dans la préparation les cellules qu'il contenait.
Telle est la constitution anatomiqiie de l'organe du cément aux deux pliases
de son évolution, et les caractères (ju'il présente sont identiques, quelle que soit
d'ailleurs la nature de la dent future, pourvu que celle-ci soit recouverte d'une
coucbe de cément coronaire. 11 existe, en effet, un grand nombre d'espèces
animales (carnassiers, rongeurs, homme) dans le follicule dentaire desquelles
aucune trace d'un organe de cément ne s'observe à \me époque quelconque, et
dans ces circonstances il est aisé de reconnaître que l'organe de l'émail est
immédiatement contigu à la paroi du follicule. De la sorte l'oroane de Lémail
emprunte les matériaux de sa nutrition et de son fonctionnement, tantôt à la
paroi folliculaire (dents dépourvues de cément coronaire), tantôt à l'orn-ane du
cément, dont l'extrême vascularité peut bien suffire à la double formation du
cément et de l'émail (dents pourvues de cément coronaire).
Toutes les dents des mammifères contiennent cependant une couche cémentaire
à siège variable : ainsi, chez l'homme, c'est une lame mince de tissu osseux
qui revêt la ç^urface de la racine. 11 en est de même chez les singes, dans les
incisives des herbivores, et même dans celles de certains pachydermes (porc).
8< DE>T(PHïSIOLOGtEU
Les incisives des rongeurs elles-mêmes sont pourxTies dune couche de cément
qui revêt la face antérieure et convexe de leur portion incluse, et qui, de même
que l'émail et l'ivoire, est douée de développement continu. Mais, chez ces
diverses espèces, c'est à un phénomène tout différent qu'est due la formation
du cément : non point, ainsi que le croyaient Hannoyer et quelques autres ana-
tomistes. qu'on doive l'attribuer à la couche superficielle de l'organe de l'émail:
le seul fait de l'existence de certaines dents dépourvues d'émail et entourées de
cément (défense de l'éléphant) suffirait à infirmer cette hypothèse.
La formation cémentaire est un phénomène d'ossification direct, sans qu'on
puisse admettre le passage à l'état fibro-cirtilagineux d'une certaine portion (la
couche interne) de la paroi folliculaire. C'est là le fait que nous nous bor-
nons à indiquer seulement ici, car nous le développons dans le dernier para-
graphe, qui traitera du mécanisme du développement des tissus dentaires pro-
prement dits.
Ce i|ue nous avons voulu établir seulement ici, c'est l'existence incontestable
pour tous les follicules de dents à cément coronaire d'un organe spécial, fibreux
d'abord, fibro-cartilagir>eux ensuite et qui, ainsi que tous les fibro-cartilages
quelconques de l'économie, fait place à une formation osseuse légulière.
Synthèse anatomiqce dl" folliccle dentaire. Le follicule dentaire est un
appareil embryonnaire dont la durée et le rôle physiologique dépassent con-
sidérablement la limite de la vie fœtale, car on le retrouve au sein des mâ-
choires et en pleine activité fonctionnelle j^endant l'enfance et jusqu'à la période
adulte.
A partir du moment où sa formation est achevée, il se compose essentielle-
ment : 1'^ d'un sac membraneux, clos de toutes parts; 2" d'un certain nombre
d'organes contenus dans le sac.
Le sac, ou enveloppe folliculaire, est constitué par une paroi celluleuse ou
fibro-<:elluleuse, affectant avec le tégument extérieur, muqueux ou cutané, une
adhérence complète.
Les organes inclus sont en nombre vaiiable et de composition anatomique
parfaitement distincte. Uelativement à leur nombre, celui-ci n'est jamais inl'é-
rieur à denx ni supérieur à trois. L'un de ces organes, dont la présence est fixe
et invariable, est le bulbe, car sa fonction consiste dans la formation de la
dentine ou ivoire, tissu fondamental de tout organe dentaire défini. Lorsque
le follicule dentaire ne contient que deux orixanes formateurs, le second qui
entre dans sa composition est tantôt Vorgane du cément (follicule de la
défense de l'éléphant), tantôt l'organe de l'émail (follicule des carnassiers, de
l'homme, etc.^.
Dans l'état le plus œmplet du follicule, alors qu'au dessous du sac trois
organes intérieurs figurent dans sa constitution, ceux-ci sont, par ordre de
superposition : 1'^ le bulbe central; 2* l'organe de l'émail, exactement moulé
sur la face convexe du précédent; 5" l'organe du cément entourant les deux
autres et recouvert lui-même par la paroi folliculaire. Tel est le follicule des
dents composées des grands mammifères (mohiires des herbivores).
Le bulbe, partie essentielle et centrale du follicule dentaire, est composé d'une
masse d'éléments embryonnaires du tissu cellulaire, noyauv libres, cellules
fusiformes et étoilées, recouverte d'une couche hyaline de matière amorphe
transparente, membrana prœformativa des auteurs. Cette masse est revêtue
d'une couche de cellules dites cellules de la dentine, ûdontoblastes, qui ont pour
DENT (physiologie). ^9
lieu de déveioppement l'épaisseur même de la couche transparente. Le tissu
central est pourvu d'un système
vasculaire d'une grande richesse
et d'un réseau nerveux seiisilif
très-abondant, dont les terminai-
sons sont en continuité directe
avec les cellules de la dentine.
Celles-ci représentent un épithé-
lium dont chaque élément se
compose d'un corps principal
contenant un noyau, et dont les
extrémités offrent divers prolonge-
ments. Ces prolongements sont
les uns périphéiiques, appelés
queues, les autres formés de ra-
mifications centrales qui se ren-
dent à uue autre couche mince
de cellules étoilées, substratum
de l'épilhélium du bulbe.
A la couche épithéliale, ou des
odontobkstes , est dévolue la
fonction de produire l'ivoire, dont
les matériaux viennent se grouper
autour du prolongement caudal,
lequel subsiste comme axe et cen-
tre de chacun des canalicules
dont l'ivoire est creusé. Le bulbe
est un organe définitif, car il per-
siste pendant toute la vie, de
sorte que la formation de l'ivoire
est continue. Ce phénomène, d'a-
bord considéré comme exclusif aux
rongeurs, est donc commun à
toutes les espèces animales pour-
vues de dents.
h'organe de l'émail, étalé
comme un capuchon sur le pré-
cédent, qu'il recouvre jusqu'à sa
base, se compose d'une trame de
cellules épithéliales étoilées, en-
tourée de toutes parts d'une cou-
che épithéliale prismatique non
interrompue. La trame centrale,
transparente, de consistance mu-
queuse, est absolument dépourvue
de vaisseaux et de nerfs. La couche
épithéliale périphérique se distin-
gue en deux rangées : celle qui occupe la face profonde et regarde la superficie
du bulbe, et celle qui tapisse la face convexe. Celle qui regarde le bulbe [mem-
Fig. 8. — Coupe d'ensemble comprenant un fragmentde
follicule il'une molaire de cheval, embryon de trois
mois injecte au carmin (grossissement de 200 diamè-
tres).
a, Couche épithéliale pavimenteuse de la gencive. —
b. Courbe prismatique de Malpighi. — c, Tissu con-
jonclif sous-muqueuï et vasculaire. — d. Paroi folli-
culaire. — c. Organe du cément d'une richesse vas-
culaire considérable. — f, Couche épithéliale externe
de l'organe de l'émail. — g, Pulpe de l'organe de l'é-
mail ou cellules étoilées. — h,Si(bslralum des cellules
de l'émail. — (", Rangée continue des cellules de l'é-
mail, épitliélium inicrne, ou adameuiloblastes. — j.
Bulbe avec son appareil vasculaire et présentant au
sommet le début du la genèse des cellules de l'ivoire.
Aucune trace de chapeau n'est encore distincte et le
vide qui sépare cet organe des cellules de l'émail ré-
sulte d'un glissement accidentel dans la préparation.
-90 DENT (physiologie),
hrane adamantine, cellules de rémail) est composée de cellules volumineuses, al-
longées, pourvues d'un noyau central et d'un plateau qui occupe l'extrémité libre.
L'autre extrémité est en rapport, par des prolongements filamenteux, avec une
mince couche de cellules éloilées, substratum de l'épithélium de l'organe de
l'émail. Cette disposition est, comme on voit, analogue à celle des cellules de
l'ivoire elles-mêmes. C'est par un phénomène d'élaboration de l'épithélium de
l'organe de l'émail que se produisent et transsudent au travers du plateau les
éléments qui constitueront les colonnes ou prismes de l'émail. La couche péri-
phérique, composée de petites cellules, à noyau central, présente des prolonge-
ments en l'orme de diverticulum qui plongent dans le tissu voisin et y jouent le
rôle d'agents de nutrition, par voie d'emprunt au réseau vasculaire ambiant.
L'organe de l'émail, lorsque sa fonction est achevée, s'atrophie et disparaît. C'est
donc un organe épithélial transitoire, dépourvu de vaisseaux quelconques, et,
lorsque est achevée la formation de la couche d'émail, on n'en retrouve aucune
trace.
Vorgane du cément, troisième et dernier organe constituant du follicule,
présente dans son développement deux phases successives : c'est d'abord un
tissu embryonnaire, très-riche en vaisseaux, mais dépourvu de nerfs; puis il se
transforme en un véritable fibro-cartilage pourvu des cléments caractéristiques
ou cliondroplastcs. Cet organe subit, après l'achèvement de la formation de la
couronne, une dernière transformation osseuse par le mécanisme commun à
l'ossification de tous les cartilages de l'économie. C'est à ce phénomène qu'est
dû le développement de la couche de cément qui entoure la couroime des
molaires des herbivores. Quant aux dents non pourvues de cément coronaire,
mais dont les racines sont revêtues de celte couche osseuse, celle-ci résulte de
l'ossification du périoste alvéolo-dentaire. Or, ce périoste n'est autre que la
paroi folliculaire elle-même. De même que l'organe de l'émail, l'organe du
cément est transitoire, car il disparaît entièrement pour faire place à une for-
mation osseuse régulière; mais il en diffère en ce qu'il possède son appareil
vasculaire propre.
m. Formation de l'organe dentaire. L'appareil folliculaire étant ainsi
constitué morphologiquement, ainsi que nous l'avons déterminé dans le para-
graphe précédent, est prêt à entrer en fonctionnement, c'est-à-dire à produire
les tissus dont se compose l'organe dentaire; c'est l'état dynamique de l'appareil.
La description des phénomènes de formation des tissus composant la dent
-comprendra les divisions suivantes :
a. Développement de l'ivoire ;
b. Développement de l'émail ;
c. Développement du cément;
d. Formation du périoste alvéolaire.
Nous ne parlerons pas ici, comme on peut le voir, du développement de la
pulpe, cet organe n'étant autre chez l'adulte, où il occupe le centre de chaque
dent, que le bulbe embryonnaire qui persiste sans modification sensible de
constitution et conservant d'ailleurs pendant toute sa vie sa fonction initiale,
la formation de l'ivoire.
a. Développement de Vivoire. L'ivoire est la première partie dure qui
apparaît au sein des organes mous et friables qui constituent le follicule dentaire.
A l'époque indiquée plus haut pour chaque follicule en particulier on voit
naître sur un lien fixe et invariable qui est le point culminant du bulbe, et sur
DENT (physiologie). 91
\a Mme de démarcalioii qui sépare ce dernier de Torgane de Témail, un point
noir et opaque ayant la forme d'un petit cône creux (d'où le nom de chapeau de
dentine). Sur les bulbes unicuspidés comme celui de la canine, un chapeau
unique apparaît au sommet; pour les dents à saillies multiples, un nombre égal
de chapeaux se montre sur chaque sommet. Le bulbe des incisives se recouvre
ainsi primitivement de trois petits cônes qui naissent sur les trois saillies du
liulbe, pour se réunir plus tard par leur base et donner au bord tranchant de
la couronne cet aspect dentelé qui s'efface par les progrès de l'âge. Pour les
molaires, le phénomène est analogue et chaque saillie bulbaire reçoit un cha-
peau qui se soude rapidement à ses voisins.
Or, le point culminant du bulbe oii se montre la première trace d'ivoire est
représenté par cette couche de matière
amorphe hyaline qui a été si souvent,
et bien à tort, considérée comme une
membrane [memhrayia prœformativa
du bulbe). Cette matière amorphe ren-
ferme les cellules de l'ivoire ou odon-
toblastes de nature t'pithéliale, rangées
parallèlemeul entre elles et perpendi-
culairement au bord libre du bulbe.
Ces cellules sont, comme ou l'a vu,
composées d'un corps et de deux pro-
longements, l'un périphérique, qui se
dirige vers la superficie du bulbe, l'au-
tre central qui se relie aux cellules
du substratum et par elles aux extré-
mités nerveuses du réseau sensitif du
bulbe.
C'est autour du prolongement péri-
phérique ou queue des odontohlastes
que se produit l'ivoire.
Des matériaux calcaires qui sur-
abondent dans la pulpe à cette époque
de l'évolution subissent une élabora-
tion particulière de la part des cellules
de l'ivoire elles-mêmes. Cette élabora-
tion donne naissance à une matière
homogène transparente qui, molécule
à molécule, se dépose autour du pro-
longement périphérique, lequel représente l'axe du cana'icule.
L'examen attentif de la composition du bulbe à cette époque montre que :
\" En deçà de la couche des odontohlastes, le tissu du bulbe n'offre d'autres
particularités nouvelles qu'une suracliv'ité circulatoire, congestion vasculaire,
grains d'hématoidine, etc., et une surabondance de matériaux calcaires (grains
phosphatiques) ;
2" Au niveau delà couche des cellules, celles-ci ne subissent aucune modifi-
cation de leur substance, aucun cliangement d'aspect;
3" Au delà de la rangée des cellules et dans les intervalles des prolongements
filiformes, une masse calcaire, dure et transparente s'est produite, l'ivoire.
Fig. 9. — Fragment de dentine de formation ré-
cente chez un chien nouveau-né (grossissement
de o50 diamètres).
a, Mas=e de dentine traversée par les queues des
cellules, lesquelles dépassent même le bord ir-
régulièrement brisé de la préparation. — b,
Cellules de l'ivoire en place. — c, Substratum
de CCS cellules dont les ramifications centrales
sont en continuité avec les exlrcmités termi-
nales des nerfs de bulbe.
92 DENT (physiologie).
Il résulte de ces fiùts que l'ivoire n'apparaît dans la couche des odontoblasles
que sur un point fixe et spécial, le pourtour des prolongements périphériques.
Celte détermination présente une importance très-grande au sujet de la solution
de ce point de physiologie, car les auteurs sont jusqu'à présent fort divisés sur
la question du mécanisme de cette formation.
Ainsi les auteurs anatomisles sont ])resque unanimes pour considérer l'ivoire
comme un produit de sécrétion du bulbe, idée qui a d'ailleurs été reprise dans
ces dernières années par Kolliker, Lent, Hertz, etc.
Une autre doctrine, défendue aujourd'hui avec conviction par des anatomistes
de premier ordre, Waldeycr, Frey, Boll, Lionel Beale, les deux Tomes, regardent
l'ivoire comme le produit de la transformation directe des odontoblasles.
Dans un travail français (Hobin et iMagitot, J800), cette seconde théorie a
été déjà longuement développée et eufin adoptée. 11 a doue fallu que nos re-
cherches modernes nous aient conduit à des résultats bien différents, puisque
nous venons de dire qu'à une époque quelconque de la formation de l'ivoire
la couche des odontoblasles ne subit aucune transformation de sa substance.
En effet, notre conviction actuelle est que l'ivoire est un produit d'élaboration
des cellules de la 'denline, produit spécial, homogène, et dans k constitution
duquel les cellules elles-mêmes jouent un rôle constant, puisque d'une part les
prolongements périphériques occupent les canalicules, non-seulement au début
de la formation, mais durant toute la vie, et que d'autre part les cellules per-
sistent iiuléfiniment à la couche profonde de l'ivoire, accomplissant sans cesse la
même fonction: la production de l'ivoire.
D'après cette manière de voir, on Sc-ra tenté de nous ranger parmi les auteurs
qui considèrent la dentine corrme un produit sécrété; nous repoussons cette
théorie. Dans l'état actuel de nos connaissances pliysiologiques, tout produit
sécrété perd ses connexions avec le tissu qui lui a donné naissance; il est en
réalité rejeté par lui; il lui devient étranger, quel que soit d'ailleurs son rôle
futur. En outre, sa composition physique, ses propriétés chimiques, sont fixes et
invariables. Or, comment dès lors comparer la dentine à un produit sécrété, en
présence d'un tissu rempli par un faisceau fibrillaire très-serré et très-lin
constitué par les prolongements de cellules subdivisés et anastomosés, alors que
cette substance est douée d'un mouvement continu de rénovation moléculaire,
et qu'elle est pourvue de sensibilité propre, puisque les filaments sont des agents
directs d'impression tactile?
De telles conditions n'appartiennent pas à un produit sécrété. La dentine est
un tissu spécial, ayant une constitution auatomique et un rôle physiologique
uniformes dans la série des vertébrés. Elle se forme à la surface de la couche
des cellules épithéliales qui tapissent le bulbe, enfermant et conservant dans sa
substance une partie de celles-ci; tissu sans analogue dans l'économie animale,
vivant, sensible et moditiable dans ses propriétés diverses par l'âge et les cir-
constances accidentelles ou morbides.
Il n'y a rien là qui puisse rapprocher un tel tissu de ce qu'on entend d'ordi-
naire par produit sécrété.
La première couche d'ivoire qui a englobé les prolongements d'un groupe de
cellules au sommet bulbaire repose donc, par sa face concave, sur le corps
même de ces cellules, dont elle est d'ailleurs, grâce à la pénétration des prolon-
gements, inséparable sans déchirure. Sa surface convexe, au contraire, est libre
et ne s'accroît plus extérieurement, car c'est toujours de dehors eu dedans que
DEiNT (physiologie). 93
s'effectue le développement du chapeau de dentine. D'autre part, cette surface
convexe reçoit, ainsi que nous le verrons plus loin, les prismes de l'émail, les-
quels, aussitôt qu'est formée la première couche de dentine, viennent se fixer
à sa surface. Une adhérence intime s'établit ainsi entre les deux tissus, dès le
début du développement et jusque chez l'adulte. C'est de la sorte qu'on retrouve,
à la surface extérieure de l'ivoire, les impressions en mosaïque des extrémités
des prismes de l'émail.
Le phénomène de formation de la dentine qui s'est produit, comme on vient
de le voir, autour des filaments des premières cellules, se poursuit et s'étend
sur les côtés aux cellules voisines, de sorte que le chapeau primitif s'étend à
la fois en surface à sa base, et en épaisseur à son centre. De cette façon, le bulbe
se trouve peu à peu envahi et recouvert par une coque de dentine dont l'inces-
sant accroissement réduit d'autant, et d'une façon progressive, le volume du
bulbe. Celui-ci parvient ainsi peu à peu à se renfermer dans une cavité close, la
cavité de la pulpe, laquelle ne conserve plus tard de relation avec les tissus
ambiants que par les canaux radiculaires qui laissent passer les vaisseaux et nerfs
nourriciers de l'organe. Mais le fait sur lequel nous ne saurions trop insister,
c'est que, à toute époque son développement, aussi bien chez l'embryon que
chez le vieillard, tant qu'on retrouve au centre d'une dent une pulpe vivante et
saine, on observe à sa surface la couche invariable des cellules épitliéliales pro-
pres ou odontoblastes dont les ramifications sont incluses dans les canalicules
cl entretiennent au sein de l'ivoire la vie et la sensibilité.
Quoi qu'il en soit, il nous reste à dire un mot du mode de développement des
canalicules qui sillonnent, comme on sait, la substance fondamentale de l'ivoire.
Les canalicules, tels qu'ils ont été décrits de tous temps par les auteurs, ne
doivent pas être considérés comme réels et indépendants : ils sont, au contraire,
absolument fictifs, et ne se montrent avec les apparences de tubes creux qu'à
l'état sec, alors que la destruction de la fibrille leur a donné cet aspect pure-
ment artificiel.
Sur la dentine vivante, à l'état frais, les canalicules sont occupés et remplis
par les prolongements fibrillaires des odontoblastes, désignés sous le nom de
fibrilles de Tomes, du nom de l'anatomiste qui les a découvertes.
Il serait donc plus exact de considérer la dentine comme composée d'une
masse fondamentale dure et d'un faisceau de filaments déliés renfermés dans
la précédente. Les fibrilles sont d'une ténuité extrême, et, comme elles remplis-
sent exactement les canalicules et leurs ramifications, elles ont la dimension
même de ceux-ci, c'est-à-dire de 0"',00l à 0"',005, très-difficiles à voir sur les
coupes de l'ivoire, chez les animaux supérieurs; elles sont très-nettement visibles
dans les canalicules des dents des poissons en général. Les tubes sont alors plus
larges et la dessiccation donne à la fibrilh un contour plus net et une apparence
de nodosités qui la fait ressembler à un petit chapelet isolé au centre d'un
tube creux.
On voit par là que les canalicules dont la description figure dans tous les
traités d'histologie n'existent pas à proprement parler. On n'est point autorisé
en effet à les considérer comme des tubes véritables parcourant la substance de
la dentine, car ils n'apparaissent sous cet aspect que par suite de procédés
artificiels, soit la dessiccation après la mort, soit, sur le vivant, la destruction de
la pulpe centrale qui entraîne fatalement la gangrène des fibrilles. Sur une dent
vivante en effet ou dans une coupe de dentine fraîche préparée sous l'eau, les
g( DENT (physiologie).
canalicules sont Irès-difticiles à apercevoir, par la raison bien simple qu'ils
n'existent pas et que les seules parties qu'on rencontre sont les filaments ou
fibrilles incluses dans la masse de la dentine. Mais aussitôt que la préparation
est restée exposée à l'air et desséchée, l'aspect des fibrilles change; elles devien-
nent noires et opaques, et c'est de leur rétraction cadavérique que résulte eu
réalité la lormation du canalicule.
D'après ces idées, déjà exprimées plus haut, l'ivoire serait composé de deux
éléments essentiels : 1" la substance fondamentale; 2° les fibrilles qui la par-
courent. C'est là très-exactement la constitution normale de la dent vivante, et
c'est pour avoir décrit les caractères de l'ivoire mort sur des dents séparées de
l'économie et desséchées qu'on a alfirmé sa structure canaliculée, laquelle est,
nous le répétons encore, un fiùt artificiel.
Cette théorie sur la nature de l'ivoire paraîtra sans doute bien éloignée des
opinions courantes. Elle est assurément nouvelle, car, depuis la découverte des
prétendus canalicules, tous les auteurs sans exception les décrivent comme
des canaux creux, remplis d'un liquide qu'on a même eu la prétention d'ana-
lyser, dont on a donné les réactions et qui renfermerait des substances diverses,
terreuses et autres.
Quoi qu'il en soit, et pour rester conforme à noire présente manière de voir,
nous aurons à décrire la disposition qu'acquièrent les fibrilles, leurs ramifica-
tions, leurs anastomoses, leurs modes de terminaison. Cette description tiendra
lieu de celle du développement des canalicules à laquelle nous la substituons.
Or, on a vu que les cellules de la denline ou odonloblastes présentent dans
leurs prolongements périphériques des subdiviîiions en forme d'arborescences
véritables, de tous points comparables aux divisions d'un rameau nerveux, par
exemple. Dans l'examen qu'on fait d'une préparation de cellules arrachées à la
face profonde d'un chapeau de dentine, les ramifications sont fort courtes; les
subdivisions sont rares, mais, si l'on observe attentivement les extrémités de ces
divisions, on reconnaît quelles sont le plus souvent coupées nettement et brisées
par l'arrachement. Ou n'aperçoit donc pas ainsi leurs terminaisons ou extrémités
effilées et fermées.
Il n'en sera pas de même, si on procède d'une autre manière : qu'on étudie,
par exemple, sur une masse d'ivoire et de pulpe traitée par les acides faibles,
une coupe microscopique comprenant à la fois la couche profonde du chapeau
dentinaire et la rangée des odontoblastes dans leurs rapports réciproques et
in situ, on saisira la continuité absolue entre les cellules de l'ivoire et la totalité
du faisceau de fibrilles qui, dans la dentine ramollie et gélatiniforme, semblent
flotter comme une masse chevelue.
Celte méthode est excellente pour étudier et suivre les diverses particularités
des fibrilles.
Elles apparaissent ainsi comme un pinceau ayant pour base la paroi de la
cavité de la pulpe et s'étalant dans toute l'étendue de l'ivoire. Si l'on considère
un de ces faisceaux, on remarque d'abord qu'il décrit dans son parcours un
certain nombre d'ondulations assez régulières. Ces ondulations, qui modifient
l'indice de rétraction, donnent l'apparence de lignes générales limitant des
couches parallèles et concentriques [lignes de contour de Richard Owen) et qui
ont fait admettre que l'ivoire était formé par couches superposées d'éc^ale
épaisseur.
Outre ces ondulations, il faut expliquer la production des anastomoses mul-
DENT (physiologie). 95
liples qui parcourent le tissu de l'ivoire. Ces anastomoses, ainsi qu'on l'a vu
plus haut, présentent toutes les variétés. Tantôt penniformes, elles se jettent
directement dans les ramifications analogues d'une fibrille voisine, tantôt c'est
un rameau isolé qui se détache transversalement à angle droit et se rend direc-
tement à la fibrille la plus proche. D'autres fois le rameau franchit sans y péné-
trer une ou plusieurs fibrilles voisines et va se jeter dans la troisième ou la
quatrième.
Cependant, la disposition la plus commune est celle d'arborisation ordinaire,
ramifications subdivisées, dont les extrémités terminales aboutissent à la péri-
phérie de l'ivoire sous forme de renflements de dimensions diverses. Ces renfle-
ments, qui ont été étudiés ailleurs, s'anastomosent eux-mêmes réciproquement
par un système de petits filaments rayonnants et prennent sous le microscope
l'aspect qui a été désigné sous le nom de réseau anastonwtlque des canalicules
dentaires. Dans la théorie que nous formulons aujourd'hui ces renflemenls, qui
appartiennent à l'ensemble du système fibrillaire de l'ivoire, doivent être regardés
non plus comme des lacunes anastomotiques, mais comme de petites dilatations
(le la fibrille, sortes de renflements, ayant tous les caractères de véritables
cellules.
Il suit nécessairement de ce qui précède que le développement de ces anasto-
moses quelconques, de ces renflements, de toutes les dépendances enfin des
fibrilles de l'ivoire, obéit au même mécanisme de formation que le tronc principal
représenté par la queue de la cellule de l'ivoire. Ces divisions préexistent dans
le prolongement caudal et, au moment où s'accumulent les matériaux de la
dentine, ceux-ci se groupent et se disposent autour de la fibrille, quels que
soient d'ailleurs le nombre, la direction et les dispositions secondaires de celle-ci.
On doit donc, suivant nous, renoncer désormais à considérer l'ivoire comme
creusé de canalicules pourvus de paroi propre et contenant un liquide d'imbibi-
tion charriant des matériaux de nutrition ; aucune préparation fraîche traitée par
les réactifs qui permettent de déceler la présence d'une paroi membraneuse n'au-
torise une telle supposition. Sur une coupe de dentine ramollie par les acides, la
fibrille qui flotte dans la masse a exactement 'es dimensions et les caractères
que les auteurs ont assignés ordinairement aux canalicules eux-mêmes, et, si l'on
ajoute des réactifs coagulants énergiques et en même temps colorants, tels que
l'acide chromique, le chlorure d'or, etc., on ne parvient pas à discerner l'une de
l'autre la paroi et la fibrille, cette dernière représentant donc réellement à la
fois l'axe et le contenu du canal. D'ailleurs, toutes les réactions indiquées pour la
démonstration de la prétendue paroi propre des canalicules s'appliquent exac-
tement à celles de la fibrille. D'autre part, à l'examen attentif d'une préparation
sèche, dans laquelle le canal apparaît, par le fait seul de la dessiccation de la
fibrille, on observe ({ue tout le système de canalisation ainsi réalisé artificielle-
ment est devenu noir par l'entrée de l'air et contient des granulations informes,
détritus noirâtres, qui avaient souvent attiré l'attention des observateurs et qui
ne sont autre chose que les débris de fibrilles réduites à l'état de poussières
amorphes.
La formation de l'ivoire par l'accumulation régulière des matériaux calcaires
qui en constituent la partie fondamentale se poursuit ainsi progressivement,
non-seulement pendant toute la période active de l'évolution de la couronne,
mais encore durant toute la vie. Seulement, dans la période folliculaire, les
phénomènes revêtent une grande activité, tandis que chez l'adulte ils sont
96 DENT (piiisioLOGiE).
très-lents. Toutefois, ils n'ont comme limite que la \ieillesse et l'envahissement
complet de la cavité de la pulpe. C'est ainsi que s'établit, aussi bien pour
riiomme que pour les autres animaux, ce fait du développement continu de
l'ivoire. Or, tandis que chez ccriaines espèces, comme les rongeurs, ce déve-
loppement continu, justifié par l'usure rapide des dents, se manifeste par
l'allongement incessant de la couronne, il se confine, pour les dents à racines
fermées, à l'intérieur même de la cavité centrale, qui se réduit peu à peu d'é-
tendue, mais le phénomène est partout identique.
Quoiqu'il en soit, ce travail déformation de l'ivoire n'est pas toujours régulier
et continu. li est soumis à certaines perturbations qui constituent en réalité des
accidents de l'évolution et relèvent conséquemment du domaine des anomalies,
mais leur fréquence est assez grande pour que nous devions leur consacrer une
étude spéciale. Nous voulons parler du mécanisme de production des globules
de dentine et des espaces interylobidaires.
Lorsque le développement de la dentine est en pleine activité et que les
couches successives de matière se déposent molécule à molécule autour du
filament caudal des odontoblastes et de ses divisions, le tissu se forme régylier
et homogène. 11 se poursuit ainsi t;int qu'aucune perturbation quelcom^ue ne
survient soit dans le fonclionnemeut local des follicules, soit dans le système
nerveux central, qui tient sous sa dépendance les phénomènes généraux de la
nutrition.
C'est dans ces conditions qu'apparaît chez l'adulte la dentine normale, au sein
de laquelle l'observateur ne constate absolument que la substance homogène et
les fibrilles qui la parcourent. Mais qu'un trouble, même léger, survienne soit
dans le follicule, soit dans l'état général du sujet, immédiatement le dévelop-
pement de l'ivoire est modifié. La matière éburnée, au lieu de se déposer par
un travail contiuu et insensible, se forme par masses globuleuses, sphéroïdales
ou ovoïdes, d'un volume très-variable (0'"'",004 à 0'"'^,03). On les appelle glo-
bides de denline. Ces masses, en raison même de leur forme, ne peuvent plus
constituer une couche régulière d'ivoire. Leurs rapports réciproques ne peuvent
s'effectuer que par des points tangents, et il en résulte immédiatement la pro-
duction d'espaces irréguliers circonscrits par les surfaces courbes des globules
et qui sont connus sous les noms d'espaces interglobulaires.
La production des globules de dentine n'est donc pas un phénomène normal,
mais une anomalie de nutrition. C'est à ce titre que cette question figure dans
l'histoire des anomalies générales de l'ai^pareil dentaire. Cette disposition est
toutefois très-fréquente, ce qui prouve que des influences même fugaces et
faibles sont susceptibles de la produire. Dans les cas où une perturbation
sérieuse survient dans la formation intra-folliculaire, la production de masses
globuleuses au sein de l'ivoire coïncide avec des perturbations analogues et
concomitantes dans la formation de l'émail, et ce dernier renferme alors des
stries, des zones d'arrêt de production, qui donnent extérieuremeut à la cou-
ronne l'aspect des dents frappées d'érosion. Nous n'insisterons pas ici sur
l'étude du mécanisme de l'érosion, quia été développée longuement plus haut
ivoy. Dent [Anomalies]); disons seulement que la présence de la dentine globu-
laire est beaucoup plus fréquente que les stries ou sillons de l'émail, dont la
coexistence n'est pas par conséquent un fait constant. 11 semble dès lors que les
troubles du fonctionnement des odontoblastes soient plus faciles à produire que
ceux de la couche des cellules de l'émail, et entons cas il est digne de remarque
DEiNT (physiologie). 97
que la présence des globules dans la denline n'apporte aucune modification
sensible à la direction et au trajet des fibrilles. Cc-lles-ci en effet continuent leur
parcours régulier, de sorte qu'elles traversent ainsi les globules ou les espaces
interglobulaires indifféremment. Les globules |)réseiitent, par leur forme même,
un indice de réfraction tout différent de la dentiue normale, et d'autre part les
espaces interglohulaires représentent des lacunes tantôt remplies par un épa-
nouissement de la substance de la fibrille, tantôt par un dépôt même de la den-
tiue réparatrice, mais celte dentine supfilémentairc est généralement plus granu-
leuse, ce qui contribue avec les dilférences de réfraction à donner à ces espaces
un aspect tout spécial. En outre, le dépôt de denline, dont ils sont le siège,
s'accroît souvent, de telle sorte que l'espace d'abord vide ou rempli d'une matière
imparfaite s'efface dans la suite et disparaît. C'est ce phénomène que nous avons
appelé réparation des es^paces inler globulaires. Dans aucun cas ces es|jaces ne
sont vicies, et si Czermack, qui les a décrits le premier, les croit remplis d'air,
c'est qu'il les a observés sur des pré[)arations sèclies, dans lesquelles la dessicca-
tion du contenu a donné cette apparence. Cb. Tomes qui les a soigneusement
étudiés, les croit pleins d'une matièie molle, facilement envahie dans le cours
de la maladie appelée carie par les filaments de Leptholhrix, auxquels il
semble disposé à faire jouer un rôle important dans la marche de cet!e alVeclioii.
Synl'ièse du développement de l'ivoire. Discussion des théories. De
l'ensemble des considérations anatomiques qui précèdent il ressort que dans
notre opinion l'ivoire ou dentine se forme par l'accumulation à la surl'ace exté-
rieure de la couche des odontoblasles d'une matière orgaiio-minérale, qui est le
résultat de l'élaboration des cellules elles-raèmes.
Celte matière ainsi foimée se dépose par un phénomène insensible et continu
autour du prolongement caudal ou péri|)liéri(jue de chacune des cellules, ainsi
qu'autour de ses divisions et subdivisions, lesquelles servent à la fois de sque-
lette ou d'axe au groupement de ces molécules.
Si nous cherchions une analogie qui frappe l'esprit, nous dirions que ce
phénomène peut se comparer au mécanisme qui dépose sur la tige ramifiée
d'une liante, plongée dans une source c;ilcaire pétrifiante, les particules de.
matière qui entourent et enferment, par une précipitation continue, la tige
centrale et toutes sos subdivisions.
Lorsque les progrès du développement amènent l'épaississemenl de la pre-
mière lame de denline formée, le prolongement de l'odonloblaste subit un allon-
gement équivalent, tandis que d'autre part le tissu du bulbe sous-jacent à la
couche des odontoblastes éprouve un retrait proportionnel. Ainsi se produisent
deux |ihénomènes inverses et concomitants: d'une part, l'épaississemenl du
chapeau de denline; d'autre part, la réduction de volume du bulbe.
Le prolongement caudal, devenu axe de développement de la dentine, persiste
dans l'intérieur de la masse d'une manière permanente et indéfinie. C'est lui
qui a été décrit chez l'adulte sous le terme de fibrille de Tomes.
Les fibrilles de Tomes, dont l'ensemble constilue le faisceau d'arborisation
qui parcourt la dentine normale, constituent donc avec la matière fondamentale
les seules parties composantes de ce tissu.
En dehors de ces deux éléments, fibrilles et masse homogène, il n'y a place
pour aucune autre partie. Les canalicules déciits dans la composition de l'ivoire
sont, nous le répétons, de formation artificielle et résultent de la dessiccation
pure et simple de la fibrille.
DICT. ENC. XXVIL 7
9ti DENT (physiologie).
Aucune préparation, quels que soient les réactifs employés, ne permet de
(lé<eler la présence d'une pi étendue paroi propre des canalicules. On n'arrive
dans aucim cas à discerner sur une piéparalion fraîche ces divers éléments. La
fibrille remplit exactement le canalicule qu'elle accompagne rigoureusement
dans tout son parcours. La prétendue parui que décrit Tomes, et qu'il ligure
sur une coupe transversale, résulte d'une illusion d'optique qui montre par
réfraction les deux orilices superposés du même tube vidé de son contenu.
Nous n'avons jamais pu réaliser non plus la préparation par laquelle Bull croit
avoir vu sur une coupe transversale brisée les gaines des tubes surajustées
à la fibrille qui en formerait le centre.
C'est cependant d'après ces idées que Tomes décrit dans la denline formée
trois parties distinctes : 1° la sub^ancc fondamentale parcourue par des tubes;
2" les parois propres de ces Iules ou gaines de Nenmann; 3* les tibrilles conte-
nues dans ceux-ci. La réaction, qui (•on^istc à soumettre une coupe longitudinale
de denline à l'action de l'alcool bouillant qui détruit le contenu des tubes, ne
nous a jamais permis de voir nettement une paroi propre in-.lépi ndante du canal
devenu libre par la desiruction du contenu. C'est toujours le contour même du
canalicule (|ui p.'oduit l'illusion d'une g;'înedistin( te. laquelle, sur aucun point,
ne nous a paru démonliablc. Celle mémo illusion a trompé Hope, qui a cru
voir la gaine des tubes dans des coupes de dents fossiles.
La présence des fibrilles ramifiées dans la masse de l'ivoire n'est en tout cas
l'objet d'aucune contestation. Aujourd'hui Kôlliker, Ijcnt, Waldeyer et Neumann
sont d'accord sur ce point.
Les préparations que nous avons personnellement étudiées, et dont quelques-
unes ont été dessinées, montrent d'ailleurs in situ les diverses parties compo-
sâmes «le l'ivoire qui n'app iraissent nettement et sans cause d'erreur que sur
une coupe longitudinale portant simultanément sur la dentine ramollie et le
tissu du bulbe maintenu dans ses rapports norn)aux avec le préci'dent.
Dans ces conditions que résume complètement la figure 9, on voit à un très-
fort grossissement, à l'aide de l'objectif à immersion :
1« La couche des odonloblastes, dont les prolongements pénètrent dans la
lumière des canalicules {b) ;
2° La masse de l'ivoire transparente et homogène (a).
On ne distingue point ni directement, ni sous l'influence des réactifs,
l'existence d'une paroi quelconque que d'ailleurs les faits du développement
ne sauraient expliquer, car on ne peut admettre que le prolongement cellulaire
puisse former à la ibis la lilirille centrale et la gaine à laquelle les auteurs
attribuent une nature tout à fait différente de la fibrille elie-même ainsi que
des réactions opposées.
La denline devra donc être considérée et décrite comme un tissu puremeut
fibrill .ire, l'ensemble des fibrilles et de leurs ramifications étant inclus dans
une masse durcifiée dont elles sont pliysiologiquement inséj arables, et à laquelle
elles adhèrent sans interposition d'aucune substance ou paroi quelconnue.
b. Développement de l'émail. L'apparition des premiers éléments de l'émail
a lieu simultanément avec la formation de la première couche de dentine. Le
point exact oti elle se produit est la surface convexe du chapeau de dentine.
Or le chapeau se formant dans l'inleislice qui sépare le bulbe de la couche des
cellules de l'émail, c'est donc exactement à la face profonde de celle couche
de cellules qu'apparaissent les premières traces de l'émail.
DENT (physiologie). 90
D'autre paît, chaque cellule de l'orgaue de l'émail étant, comme on sait,
pourvue d'un plateau, c'est à la l'ace interne de celui-ci qu'on voit transsuder,
de la manière la plus positive, la sulislance de l'émail. Ctiai|ue cellule élabore
les matériaux nécessaires à la forniali<in d'un pri^rae : les premières cellules
qui entrent en fonctionnement sont ct-lles qui répondent au sommet même du
chapeau dentinaire, et de la sorte la contiguïté entre le plateau des cellules de
l'émail et la surface du bulbe se trouve rompue à la fois par la formation de la
denline et, par celle de l'émail qui la recouvre immédiatement.
Ce phénomène initial au point de vue du lieu lixe de son début, ainsi que du
mécanisme de sa formation, est très-évident, si l'on observe insilu les dilTérentes
parties d'un follicule préalablement durci par l'acide chroinique,puis traité par
.des matières colorantes et le
chlorure d'or.
On voit alors très-nettement
de dehors en dedans (fig. 10) :
1" La pulpe éloilée de l'organe
de l'émail (a) réduite à une très-
faible épaisseur et limitée au
dehors par la couche de petites
cellules de l'épithélium externe
2° Le subsLratum des cellules
de l'émail avec ses cellules étoi-
lées, ttès-serré {au-dessousde b);
3° La couche des cellules de
l'émail dans laquelle les réactifs
ont rendu le noyau granuleux
¥ Le plateau des cellules
représentant ce que les auteurs
ont considéré comme la membrane préformative {e);
h" Enfin, au-dessous du plateau et en coniact direct avec la face convexe du
chapeau de dentine, les éléments de Téniail lui-même.
La distinction de ces diverses parties su|ier|)Osées est rendue très-nette par la
coloration au carmin, qui teinte les cellules, leur substratum et le tissu de l'or-
gane de l'émiil, tandis qu'il épargne rémuil lui-même, qui apparaît avec sa teinte
grise et sa transparence caractéri>liques.
Les premières traces de l'émail ainsi formées au-dessousde la série de plateaux
rencontrent immédiatement la surface exié/ ieure du chapeau de denline et s'y
fixent directement sans interposition d'aucune substance. C'est alors que sur
une préparation favorable on peut apercevoir l'aspect en mosaïque de cette
face convexe de la dentine formée par les petites dépressions poly^^onales qui
reçoivent les colonnes prismatiques de l'émail. On reconnaît en même temps ce
fait très-important que, tandis que chaque prisme d'émail est le lésultat de
l'exsudation isolée de chacune des cellules de l'émail, ces dernières, qui sont
comme on snit, polygonales par pres^ion réciproque, donnent exactement au
prisme produit la même forme. C'est celle dis|io.>ilion qui imprime à un "roune
de prismes détachés de l'ivoire cet a-pecl de mosaïque élégante qui se retrouve
dans les dépressions de la surface du chapeau de dentine. On a attribué
Fig. 10. — Coupe de l'organe de rdmail et de rémail
soiis-jiicenl in situ chez un embryon de rhien voisin du
tenne (loliicule d'incisive) (groîsissement de 600 di»-
mèlros).
a, Coui lie d^s cellules externes de l'organe de l'émail (épi-
tlii'liuiM exirriie). — b. Tissu propre de roryaiie ou
sulisiruliim des cellules ctoilées. — c, Cellules de rémail,
adantanlohlastes. — e. Plateau des cellu'e>forn)anl mem-
brane.— Au-dessous, les prismes de l'émail.
100 DENT (physiologie).
souvent aux prismes de l'émail une forme exactement hexagonale. Cela n'esf
pas tout à fait exact, et sur une coupe transversale d'un fragment d'émail
récemment formé la disposition n'est pas aussi matliémaliquement régu-
lière.
Après le di'but de formation que nous venons d'indiquer, la couche d'émail
augmente à la fois en surface et en épaisseur : l'augmenlatioti en surface
s'effectue par l'entrée en fonctionnement des celhiles situées au poui tour du
fragment déjà formé et par un mécanisme absolument semblable. La seule
raison [thysiologi(|ue qui détermine ce fonctionnement est l'extension en surface
du clia|ieau dcntinaire; dès qu'une nouvelle zone de dentine s'est ajoutée
autour du chapeau, une quantité de prismes suffisante pour le recouviir se
développe aussitôt. Les deux phénomènes sont simultanés.
Quant au dcvt loppement en épaisseur, il est le résultat du fonctionnement
plus ou moins long de chaque cellule d'émail, de sorte que, si sur le sommet
d'iui lubeicule de la couronne l'émail offre une hauteur quatre ou cinq fois
plus grande que sur les côtés, c'est que le mécanisme de formation est quatre
ou cinq fois plus long. Mais ce qui est pleinement démontré, c'est que, sur
quelque point qu'on observe la couche d'é-
mail, il n'y a jamais qu'un seul prisme
pour occuper toute l'épaisseur du tissu.
Ainsi qu'on le voit, le mécanisme de
formation de l'émail peut se formuler dans
sa physionomie essentielle de la manière
suivante :
i° L'émail est un produit d'élaboration
des cellules épithéliales prismatiques dites
de rémail que nous proposons d'appeler
adamantoblastes, lesquelles cellules lais-
sent transsuder par leur extrémité ceutrale
et au travers de leur plateau les éléments
calcaires qui constituent la substance de l'é-
mail;
2" Chaque cellule d'émail produit ainsi
un prisme déforme identique à elle-même,
mais de longueur variable suivant la région
de la couronne et l'épaisseur future du re-
vêtement d'émail;
3° Les prismes d'émail adhèrent entre
eux et à la surface exlériume du chapeau
de dentine par contact moléculaire immé-
diat et sans interposition d'aucune matière quelconque.
Les prismes d'émail ainsi formés ont, comme on sait, une constitution tout à
fait homogène : ils s(mt constitués par une substance d'une très--n-;Mide dureté,
Iransp.rente, sans granulations ni stiies d'aucune sorte. 11 n'existe dans son
intérieur aucune trace de canalisation quelconque et, dès que son développement
est achevé, il n'est susceptible d'aucune modification dans sa constitution. Son
modcd'oiigino, son isolement de toute source vasculaire et nerveuse quelconque,
en font une soile de vernis fixe et invariable.
La nature épithéliale qu'a présentée l'organe de l'émail dans tout le cours de
m-
-.y^
!Fig. "11. —Coupe de l'organe de l'émail et
(le l'émail lui-même sur un follicule de
chien ii.ort-f é ; pi cparation ramollie par
Tacide tlilorhvdnque (grossissement de
300 diamctiosj.
/7, Email ramolli devenu granuleux et strié.
— b, (.'ellules de l'email surmontées de
cellules éloiléeMiu sulislratum. — c, Sub-
stralum des cellules. — d, Plateau des
cellules avec leur aspect membranilorme.
DENT (pnrsioLOGiE). 101
son évolution se retrouve exactement dans le tissu dur et compact auquel il
donne naissance ; l'émail est un revêtement de provenance épitheliale.
Le développement de l'émail dont nous venons d'esquisser les phénomènes
essentiels e4 très-souvent soumis, ainsi que nous l'avons déjà signalé plus haut,
à des perturbations qui, bien que relevant de la tératologie, peuvent être utile-
ment rappelées ici.
Il arrive souvent, en effet, que sous l'influence d'un trouble local dans le
fonctionnement du follicule ou sous la dépendance d'un arrêt de nutrition le
phénomène de formation régulière des prismes est plus ou moins profondément
vicié : on voit alors ces prismes perdre leur parallélisme, s'infléchir en groupes
plus ou moins étendus et quelquefois se disposer, suivant l'expression de Tomes,
en des espèces de tourbillons.
En même temps, la constitution intime de la substance semble avoir perdu
de sa pet feciion ; la structure n'est plus homogène ; les prismes sont comme
marbrés, granuleux et opaques.
Les conséquences de ces dispositions accidentelles sont bien connues des
observateurs : la couche d'émail présente alors des taches, des onilulatioiis ou
bien des fissures, des gouttières dans lesquelles un stylet fin peut parfois pénétrer
jusqu'à l'ivoire mis à nu au fond de la perte de substance. Nous n'insisterons
pas davantage sur ces détails.
Nous avons vu dans le cours du précédent paragraphe que le début delà genèse
de l'émail coïncidait avec une réduction générale de volume de l'organe de
rémail en même temps qu'avec un allongement concomitant des cellules de
l'épilhélium interne (cellules de l'émail ou adamantoblasles) . On observe en
effet à cette péiiode de l'évolution que la pulpe étoilée de 1 organe subit un
amincissement tel qu'il ne reste plus en réalité que la seule couche du substra-
tum des cellules, laquelle est dès lois limitée en dehors par la rangée des petites
cellules de l'épithélium externe et en dedans par la rangée des cellules de
l'émail. Cette résorption se continue pendant la iormation du tissu et, dès (|ue
aelui-ci a atteint son entier développement, l'atrophie et la résorption gagnent
jusqu'aux cellules de l'émail elles-mêmes, lesquelles, après l'achèvement de
leur fonction physiologique, disparaissent sans laisser aucune trace. Seul le
plateau persisterait à la surface extérieure de l'émail formé, de manière à
constituer cette pellicule qu'on a désignée sous le nom de cuticule de l'émail.
Telle est du moins ro|)inion de beaucoup d'auteurs. Mais il est une autre théorie
émise pour la première fois par Owen, et qui tendrait à prouver que sur les
dents de certains Mammifères, dépourvues en apparence de cément coronaire
(homme, singes, carnassiers, etc.), la cuticule ne serait autre qu'une couche
iudimentaire de véritable cément.
Cette idée a été reprise plus récemment par Ch. Tomes, et cette fois, ainsi
que nous l'avons vu, avec une apparence de démonstration. Cet ingénieux ana-
tomiste ayant soumis diverses coupes d'émail frais empruntées à des dents hu-
maines aux réactifs ordinaires qui décèlent la présence de la cuticule, a réussi
à rencontrer des points favorables sur lesquels l'existence de cavités caractéris-
tiques du cément lui a paru hors de doute.
Nous sommes très-lenté de nous ratta' lier à cette théorie en raison des faits
anatomiques sur lesquels elle s'appuie, et nous serions conduit ainsi à considérer
le phénomène de résorption de l'organe de l'émail comme complet, y compris le
plateau des cellules. On ne saurait que difficilement admettre, en effet, que le
102 DENT (physiologie).
plateau formé d'une pellicule amorphe puisse jouer à un moment donné le rôle
d'organe du cément. Dans les follicul^•s des dents à cément coronaire on trouve
ù la fois Vorgane du cément, qui est cartilagineux, et Vorgane de l'émail
sous-jacenl au premier avec ses cellules ei leur plateau. Il est dès lors impro-
bable que le plateau joue un rôle quelconque d;uis le développement du cément,
et il est raiionuel de lui refuser également ce rôle pour les dents dépourvues
de cément coronaire. Mais ce raisonnement, qui a pour conséquence de nous
rapprocher de la ma lière de voir de Ch. Tomes, se trouve confirmé en outre par
une expérience personnelle, qui est la suivante :
Si la cuticule de l'émail représente à la surface des dents sans cément coro-
naire la couche rudimentairc de cément, on ne doit donc pas la retrouver à la
surface de l'émail des dents entourées d'une couche épaisse de cément, telle
que les molaires composées des llerhivores.
Or, l'élude d'une cou|ie mince transversale de ces dents, intéressant à la fois
l'émail et le cément contigus, ne décèle entre eux, sous riulluence des réactifs
appropriés, la prés' nce d'aucune pellicule quelconque. Cette expérience est
donc un argument favorable à la théorie de Ch. Tomes.
Si nous résumions en quelques mots le développement de l'émail, ainsi que
nous l'avons lait pour celui de l'ivoire, nous nous bornerions à formuler les
conclusions suivantes :
1. L'émail est un produit de traiissudation des cellules épithéliales dites de
l'éma 1, adamanioblastes ;
2. 11 est composé de prismes parallèles, homogènes, d'une constitution anato-
mique et chimique fixe et invariable dès le moment où est achevée sa
formation.
3. Sans être rigoureusement de nature épithrliale, il représente à la surface
de la dent et joue, à l'égard de l'ivoire, le rôle d'un épithélium urci.
c. Développement du cément. Le cément {cortical osseux de Tenon, Tooth-
èone des analomistes anglais) est composé, comme on sait, par du tissu osseux
proprement dit, avec quelques modiîicaiions, secondaires d'ailleurs, dans la
forme et dans la disposition de ses éléments {voy. Os).
Le mécanisme de sa genèse et de son développement devra donc être ici
identique de tous points à ce qu'on observe dans toute autre partie du
squelelie.
Or, le phénomène du développement du tissu osseux en général comprend
deux modes (lilférents :
1" Tantôt l'ossitication s'effectue Tp^r substitution, c'est-à-dire que les éléments
osseux se substituent à un cartilage préexistant de même disposition et de même
forme. C'est ce qui a lieu, ain^i qu'on sait, pour les os des membres, par
exemple;
2''Taniôt le tissu osseux se produit par genèse directe et primitive an sein
du tissu cellulaire embryonnaiie dit fihro-plastique. On l'appelbi ossification par
envahissement. C'est à lui qu'est due la formation des os du crâne, des mâchoires
et, en général, de tous les os qui ne sont point précédés de caitilages.
Ces deux modes sont entièrement applicables au développement de la couche
osseuse appelée cément; seulement, rossification par substitution appartient aux
follicuhs qui renferment un organe du cément dissécable et distinct, tandis que
l'ossification par envahissement fournit le cément radiculaire dans les follicules
dépourvus d'organe du cément.
DENT (physiologie). 105
La production du cément, quelle que soit d'ailleurs son étendue en surface
ou en épaisseur autour des dents des Mammifères, se rattache donc essentielle-
ment au phénomène physiologique de l'ossification, et dès lors sa l'oniialion est
absolument dilTérente, dans l'ensemble de ses caractères, de celle qui a donné
naissance à l'ivoire et à l'émail. On voit de plus que, tandis que ces deux
derniers tissus obéissent dans leur développement à un mécanisme unilorme, la
formation cémentaire se présente sous les deux aspects que nous venons d'indi-
quer : toutes les fois qu'il existe un organe du cément, l'os se aiibslilue à son
cartilage suivant les lois ordinaires. C'est ce qui a lieu pour les Iblliculcs des
molaires des Herbivores, lesquelles sont, comme on sait, entourées complè-
tement d'une épaisse couche osseuse. Lorsqu'il s'agit au contraire de dents qui
sont dépouivues de cément coronaire et qui n'ont autour de leurs racines
qu'une laible couche cémentaire, le tissu osseux envahit une mince lame de
tissu cellulaire de la face interne de la paroi du follicule, laquelle paroi devient
plus tard le périoste alvéolo-dentaiie par le reste de son épaisseur. Ici, par
conséquent, cette membrane cellulo-vasculaire qui tapisse la racine des dents
présente les conditions de la production des o^téohlastes ci de la substance phos-
phatique, etc., qui les englobe en les faisant arriver iÀ l'état d'ofttéoplastea,
tels que les présente la surface profonde du périoste osseux en général [voy. Os,
première partie, § I, et deuxième partie, § III).
Nous avons donc à étudier ici les deux modes de formation du cément; en ce
qui concerne celte nouvelle partie de netre travail, nos idées n'ont subi
aucune modification depuis celles que nous avons déjà formulées antérieurement
en France, dans un travail publié avec noire maîtie Ch. Uobiii (ISGO-OI).
A. Ossification (le Torgane du cément. Pour observer d'une fayon complète
l'ossification du fibro-cartilage qui repvésenle l'organe du cément, il tant choisir
dans un follicule de molaire d'Herbivore et plus spécialement de Sulipède une
coupe d'ensemble intéressant à la fois toutes les couches superposées des tissus
qui occupent un sommet bulbaire. Le follicule ayant été traité par les acides
faibles destinés à ramollir l'émail et l'ivoire, puis durci par l'acide chromique
et traité par le carmin, on y pratique assez aisément une coupe d'ensemble,
grâce à la densité devenue égale dans les diflerenls tissus. On réalise ainsi
une préparation dans laquelle toutes les parties superposées sont conservées
in situ.
Or, si la couche d'émail est parvenue à son épaisseur définitive, on assiste
au phénomène de la substitution osseuse au fibro-carlilage cémentaire, car
son début coïncide exaclement avec l'achèvement de la couche d'émail.
L'organe fibro-carlilagineux que nous avons décrit éprouve d'abord des
modifications très-sensibles : il perd sa vascularité et prend une teinte grisâtre.
Toutefois cette modification ne se produit pas simultanément sur tnus les
pointsde la masse : c'est à la face profonde ({ifil apparaît tout d'abord pour s'étendre
ensuite à toute l'épaisseur de l'cu-gane {voij. (ig. 12). Ace moment l'atrophie de
l'organe de l'émail est complète et la couche osseuse du début se montre ainsi
en contact direct avec l'émail. On aperçoit alors' dans le sein même de ce fibro-car-
tilage des traînées ou des nappes de grains phosphaliques, opaques et granuleux,
solubles par les acides, mais formant des taches grisâtres dans l'intervalle des
chondroplastes. La présence de ces taches donne à la bande du tissu par laquelle
débute l'ossification une teinte uniforme, dont on peut suivre l'extension pro-
gressive en épaisseur sur une série de préparations analogues prises sur des
•104 DENT (physiologie).
follicules de plus en plus avances dans l'évolution. C'est ainsi que peu après
les points d'ossification, se multipliant et s'étendant à la fois dans tous les sens,
arrivent à ocruper toute l'épaisseur de l'organe.
A ce moment, l'ossification de l'organe du cément est un fait accompli et la
dent (molaire d'Herbivore) elfeclue son ascension au sein de la muqueuse et
paraît au dehors.
Le cément examiné à cet état définitif est constitué par les éléments ordi-
f e d c' c B
Fig. 12. — Fi'aprtient de la coupe d'un follicule d'incisive prali(iuée au niveau des saillies bull^aires dans
un follicule d'tmbryon de cheval de 220 jours et destinée à montrer dans leur situation léciptoque les
diverses parties composantes du follicule au moment de la formation des tissus dentaires. Le sujet a
été injecte au carmin et la prcparalion a été traitée par les acides faibles, pui? duruie par les chro-
mâtes.
n, Paroi osseuse alvéol.iire. — bb, Sac folliculaire. — ce. Organe du cément Irès-vasculaire; il présente
à gauche une grande épaisseur parce que dans ce point il ^e ro|die dans la profondeur du coiDCt. —
c', Portion la plus interne de l'organe du céiuent qui a déjà subi la transformation en cartilage. —
rf, Couche «les cellules de l'émail, dernier vestige à celte époque de l'organe de ce nom. — e, Email
formé. — f, Dcntine. — 3, Bulbe central.
naires du tissu osseux : ostéoplasles inclus au sein d'une substance fonda-
mentale légèrement striée. Toutefois on constate que la portion la plus interne
du cément est beaucoup moins riche en cellules que les autres points, et qu'elle
forme comme tme zone claire et transparente immédiatement contiguë à la sur-
face de l'émail.
En même temps que le développement osseux s'achève dans le sens de
l'épaisseur, il se poursuit dans la direction des racines par la produclion
progressive des taches et traînées phosphatiques. Ce phénomène est corollaire de
la marche même de l'éruption et chaque poussée de la couronne à l'extérieur
coïncide avec une production équivalente du cément, puis, lorsque l'éruption
est complète, l'ossitication se prolonge dans la direction des racines qui se
recouvrent, comme on sait, d'un revêtement décernent dont l'épaisseur s'accroît
encore notablement au niveau du sommet radiculaire pour te terminer souvent
DENT (physiologie). 105
par un mamelon arrondi composé de substance fondamentale avec des ostéoplastes
finement ramifiés. C'est ce mamelon qui est traversé par l'ofifice du canal
radiculaire et par les vaisseaux et nerfs nourriciers de la pulpe.
B. Formation du cément radiculaire. On sait que cliez l'homme, les
quadrumanes, les carnassiers, et chez un grand nombre d'autres espèces
animales, les dents ne sont pourvues de cément (|u'autonr de leur racine, et que
la couche qui représente ce tissu est d'une minceur telle que le plus souvent
elle n'est pas visible à l'œil nu.
Mais, si l'on cherche dans les follicu'es des dents des espèces que nous avons
indiquétîs une trace de l'organe du cément, tel que nous venons de le décrire,
on ne rencontre rien d'anidogue. Dans un follicule préalablement durci el
préparé suivant une coupe intéressant toute son étendue, on reconnaît qu'an
delà de l'organe de l'émail et sur le point qu'occupe dans un follicule de
molaire d'herbivore Vorgane du cément, il n'existe qu'une mince couche de
tissu conjonctif disposée en lame ou membrane homogène, laquelle représente
exactement la paroi du follicule.
Au moment où s'effectue l'éruption de la couronne, celle-ci refoule cette
paroi du follicule el se fraye un passage au travers de la muqueuse. Mais,
comme on sait que cette couronne présenîe à la surface de sa couche d'émail
une pellicule connue sous le nom de cuticule, il est intéressant de rechercher
ici si cette cuticule est représentée par celte paroi folliculaire (jui s'applique
sur l'émail au moment du passage, ou si elle est constituée par les débris de
l'organe de l'émail dont la résorption ne serait pas conqtièlc. Ch. Tomes a, comme
nous l'avons dit plus haut, défendu la première opinion qu'il parait même avoir
démontrée par la découverte dans l'épaisseur de la cuticule de celhdes carac-
téristiques de la substance des os. 11 résulterait de là que la paroi folliculaire,
en se fixant à la surface du cément, pourrait, dans des circonstances sans
doute accidentelles, subir un commencement d'ossilication dont quelques
préparations iavorables auraient révélé les vestiges au savant anatomisle que
nous venons de citer.
La seconde opinion, qui fait dériver la cuticule des débris de l'oigane de l'émail,
est celle de Huxley, de Rashkovv et de la plupart des auteurs. Nous avons déjà
dit que nous étions très-disposé à nous ranger à l'opinion de Ch. Tomes; nous
ne reviendrons pas sur cette question.
Ce que nous allons chercher à établir, c'est le mécanisme de la formation du
cément à la périphérie de la racine : or lorsque la couronne a effectué sa sortie
complète et qu'elle est libie au dehors de la mâchoire jusqu'au collet, on
constate tout d'abord qu'à ce niveau ni l'ivoire, ni l'émail, ne sont à découvert;
une mince pellicule amorphe se piolonge de la racine à la surface de l'émail
et s'y confond absolument avec la cuticule, tandis que d'autre part cette
pellicule par.iît faire partie intégrante de la couche même du cément. Cette
disposition est, comme on voit, un nouvel argument en faveur de la théorie de
Tomes.
Aussitôt que la dent a ainsi achevé son éruption au dehors, il ne s'ensuit pas
qu'elle soit entièiement formée. La couronne est seule constituée; la racine
commence sa formation. Cette formation comprend, par conséquent, des phéno-
mènes qui répondent à l'accroissemeut des deux tissus qui co'uposeut la jtortion
radiculaire des dents : c'est, d'une part, le développement progressif de l'ivoire
qui s'elfectue par le processus que nous avons décrit en son temps, ot, d'autre
106 DENT (piivsiologie).
part, la production du cément. Mais à mesure que les deux i)liénomènes
s'accomplissent par un travail simultané, cliaque portion de racine nouvellement
formée se recouvre à son tour d'une membrane celluleuse qui n'est autre
encore que la paroi folliculaire elle-même et qui joue, comme on va le voir,
le rôle essentiel dans la genèse du cément.
C'est en eflel à la face profonde de cette membrane fibreuse, futur périoste
dentaire, et aux dépens d'une couche de cellules ou ostéoblastes de Gegenbaur,
que s'elTectue le développement du cément.
Ce mode d'ostcogenèse, très-commun dans un grand nombre de points de
l'économie, est celui qui est désigné par Gli. Robin sous le nom d'ossification par
envahissement.
Le phénomène se produit d'après le mécanisme physiologique décrit pour les
os du crâne. Les ostéoblastes se forment par ontogenèse, c'est-à-dire par génération
directe. Le groupement de plu-ieurs ostéoblastes dans l'interviille desquels se
dépose une cert.iine quiintilé de substance fondamentale constitue des petits
rayons de matière osseuse autour desquels ne se rencontre aucune trame cartila-
gineuse. Ces petits rayons augmentent d'étendue dans tous les sens par l'addi-
tion progressive d'autres éléments osseux; seulement, dans le cément radicubiire,
le groupement des ostéoblastes ne s'elfectuc pas avec cette régulari;é et cette
dis|)Osition par couches concentriques qui se remari|uent dans le tissu osseux
ordinaire. Les ostéoblastes sont épars et sans ordre dans la masse de substance
homogène. C'est ainsi qu'apparaît constamment le cément à la surface radicu-
laire d'une d'ut de l'homme ou des carnassiers; mais, dès que par une circon-
stance quelconque cette couche cémentaire acquiert une plus grande épais-
seur, lu structure du cément se rapproche aussitôt de celle de l'os proprement
dit. C'est ce qu'on observe dans les tumeurs des racines constituées par une
simple hypertrophie cémentaire [voy. plus loin Maladies du cément).
Les principes nutiitifs à l'aide desquels se produit la substance osseuse du
cément sont apportés par les vaisseaux du périoste lui-même, de sorte que celui-
ci fournit par sa face profonde les éléments formateurs du cément, tandis que
par sa face externe il joue encore le même rôle de périoste à l'égard de la paroi
de l'alvéole. Ce périoste est donc en n'alité interposé à deux couches osseuses :
le cément radiculaire d'un côté, la paroi de l'alvéole de l'autre, et joue un double
rôle par ses faces opposées.
Le mode d'adhésion du cément avec l'ivoire est assez intéressant à étudier. Il
n'y a, bien entendu, aucune analoge entre ce mode de contact et celui qui réunit
l'émail à l'ivoire. Dans ce dernier cas, on sait que les prismes de l'émail sont
reçus dans une série ("e dépressions creusées à la surface extérieuie de l'ivoire.
Pour le cément, cette union a une tout autre physionomie : il adhère à l'ivoire
de la manière ordinaire, c'est-à-dire par contiguïté moléculaire sans interposition
d'aucune substance. La surlace de l'ivoire des racines présente un système d'on-
dulations très-simples, dont le cément suitiigoureusement toutes les courbures.
En outre, la bande de cément qui est la plus interne est visiblement plus claire,
ne contenant que de rares ramitications des canalicules radiés des ostéoplasies.
Cette disposition pourrait faire croire à une continuité absolue des deux tissus,
et cependant nous n'avons jamais constaté qu'une simple juxtajjosilion. Telle
n'est pas, toutefois, l'opinion de divei's anatomistes, tels que Czermak, llannover,
J. et Ch. Tomes, qui croient a>oir démontré la communication directe entre les
ramitications des ostéoplastes du cément et les divisions de la couche anastomo-
DENT (physiologie). '10''
lique. Ces auteurs s'autorisent même de celle disposition pour expliquer la
continuation du mouvement nulrilil' dans la denliue en l'absence de la pulpe
dentaire dont la destruction accidentelle ou morbide n'est pas, comme on sait,
une condition de mort de la dent.
Nous ne pensons pas, toutefois, qu'une telle considération physiologique
puisse se substituer à la démonstration d'un fait anatomiquc qui n'est pas aiisolue.
D'ailleurs, il nous suffirait pour coniprendre, sinon la persistance d'un mouve-
ment nutritif véritable dans l'ivoire, du moins la tolérance de l'oryane dentaire
après la destruction de la pulpe, de la seule présence bien suffisante du périoste,
tissu éminemment vasculaireel dont les [iliénomènes organiques restent inlime-
menl liés à ceux du cément lui-même. Il se produit, d'ailleurs, dans certains
cas pathologiques, une particularité qui peut cire regardée comme un méca-
nisme de compensation : c'est ainsi que l'on observe sur quelques dénis privées
de pulpe un ceriain épaississement de la couche de cément qui s'accompagne
immédiatement d'une multiplication dans le nombre des <»stéoplasles. 11 existe
en outre normalement dans le cément rarliculaire de beaucoup d'espèces ani-
males, et du'Z l'homme en parliculier, des mamelons de substance o-scuse
plongeant pour ainsi dire dans l'intérieur de l'ivoire et entre les(|uels s'inllé-
chit le périoste. Ces mamelons coiitiemient de nombreux canalicules et parfois
même, en leur centre, une cavilê qui semble occupée par un rame^iu va^cu-
laire émyné du périoste. Cette particularité a été l'objet de développements
assez étendus dans la partie anatomique de ces études, et nous n'avons pas
besoin d'y revenir ici.
Des considérations qui précèdent il résulte que le cément est représenté par
une couche osseuse véritable, tantôt extérieure, à la fois coronaire et ladiculaire
(molaire des herbivores, défense de l'éléphant, etc.), tantôt intia-alvéolaire
(cément radiculaire). Dans le premier cas, le cément est libre, et c'est peut-être
le seul cas de l'économie animale oîi un os est exposé à l'extérieur. Dans le
second cas, la couche osseuse cémentaire joue le rôle de trait d'union, de lien
physiologique entre la dentine et l'os maxillaire avec l'aide intermédiaire du
périoste.
d. Formatix)7i du périoste alvéolaire. Le mécanisme de formation du périoste
alvéolaire est des plus simples, car cette membrane n'est autre que la paroi folli-
culaire elle-même.
Lorsque la couronne d'une dent est formée, quelle que soit d'ailleurs la
composition anatomique et la forme de ctUe-ii, l'éruption commence. Celte
éruption, qui résulte essentiellement de la formutioi de la racine, se produit
par une sorte de pénétration lente et progressive de la couronne dans le tissu
sous-muqueux d'abord, puis au travers du derme et de l'épideime jusqu'au
dehors, (i'est donc l'allongement de la racine qui est l'agent de ce phénomène,
et le trajet que parcourt la dent dans l'épaisseur de ces tissus est exactement
proportionnel à la quantité de substance dure qui se produit au fond du folli-
cule.
Dans sa progression vers l'extérieur, la couronne traverse donc, à un mo-
ment donné, la paroi folliculaire. Elle sort ainsi à la surlace des mâchoires,
jusqu'à ce que le point d'étranglement ou (ollet, qui corespondau bord terminal
de l'émail, arrive an niveau du bord gingival. .Alors l'éruption est achevée et
la paroi folliculaire se trouve, par le pourtour de sa perforation, enrapportavec
le collet de la dent.
108 DENT (physiologie).
Le sac folliculaire se trouve ainsi réduit considérablement d'étendue, puisque,
étant ouvert supérieurement par le passage de la dent, il ne subsiste de cette
membrane que lapai lie qui répond à la base du bulbe : or ce bu'be, continuant
de se recouvrir de denlinc, s'amincit à son tour, se pédiculise et s'allonge consé-
qucmmeiit, tandis que la surface extérieure de la racine se revêt de cément,
suivant l'un des deux procédés décrits plus haut. La paroi du follicule suit exac-
tement dans son allongement l'accroissement même de la racine, de sorte
qu'après s'être fixi'e au collet elle se prolongea la surface de la racine, à laquelle
elle adhère de la façon la plus intime.
L'idenlilé de la paroi folliculaire et du périoste alvéolaire se démontre donc
surabondamment d'une part en considérar.L les faits successifs du développement,
d'autre part en constatant l'identité du rôle de cette membrane de|iuis l'époque
où elle joue le rôle d'enveloppe du follicule jusqu'au moment où elle vient se
fixer comme périoste à la surlace ra liculaire.
Lorsque le développement de la racine est achevé et que la dent a acquis sa
forme et son volume définitifs, le péi ioste alvéolaire acquiert la constitution
(l'un périoste ordinaire, c'est-à-diic d'une membrane fibreuse simple, non dissé-
cable en plusieurs feuillets et adhérant à peu près également à la surlace dentaire
et à la face osseuse de l'alvéole. Cependant l'extraction d'une dent sur le cadavre
entraîne toujours le périoste, ce qui montre que l'adhérence est plus forte du
côté de la racine que du côté de l'os.
On y retrouve tous tes clémi nts analomiques qui ont été rencontrés dans la
paroi du follicule : réseau fibrillaire plus ou moins serré, composé de fibres
de tissu conjonclif entrelacées dans tous les sens sans tiaces de fibres élas-
tiques.
Placée ainsi entre deux surfaces osseuses, l'une composée du cément qui revêt
la racine, l'autre représentant la paroi alvéolaire, la membrane en question est
à tous Tes titres un périoste véritable : elle en joue le rôle, elle en présente la
composition anatomique exacte, et ses maladies sont absolument celles d'un
pér'oste.
Nous n'avons plus à en décrire la structure intime. On sait qu'elle contient un
réseau vasculaire riche et des faisceaux nerveux, mais ce que nous pouvons
ajouter, c'est qu'après avoir revêtu la racine elle se prolonge autour du faisceau
vasrub-nerveux de chaque orifice radiculaire et elle lui foime une gaine propre
qui le protège dans son trajet intra-osseux.
V. Des lois de dEiNtitiox. Nous désignons sous le nom de lois de dentition les
conditions générales qui régissent l'organisation de l'appareil dentaire dans
l'état jihysiologique. Ces conditions doivent être envisagées suit dans leurs rap-
ports réciproques entre l'homme et les autres espèces animales, soit dans la
physionomie qu'elles affectent chez Ihomme seulement.
Ces notions ont une très-grande importance, car elles fixent l'état normal de
l'appareil dentaire et permettent dès lors d'apprécier quelles seront l'origine, la
nature et la gravité des pei turbalions dépendantes de causes accidentelles ou de
divers états morbides, et qui seront étudiées plus loin.
Nous allons envisager ainsi les lois dont il s'agit en suivant rigoureusement,
dans l'examen de leurs manifestations, l'ordre physiologique, c'est-à-dire les
phases successives de l'évolution.
Cette méthode nous conduit à la division suivante :
4" Lois de formation; 2" lois d'éruption; 5'' lois numériques; 4" lois raorpho-
DENT (physiologie). 109
logiques; o" lois de volume ; C" lois de siège et de direction; 7" lois de dispo-
sition ; 8" rôle physiologique.
C'est la première fois, croyons-nous, que les problèmes complexes que soulève
l'étude de la dentition chez l'homme ont été abordés sous cette forme : aussi
présentons-nous ces con-idéralions à litre de tentative ou de premier essai dont
le seul but est de résumer d'une manière brève les conditions physiologiques
d'un important appareil de l'économie et de loimulcr les lois ijui le régissent.
Rappelons toutefois qu'une étude anti'ricnre sur ce sujet, mais envisagée au
point de vue purement anthropologique, a été présentée par nous dans une occa-
sion récente [Magitoï, Des lois de denlilion au point de vue anthropologique,
in Congrès d'anthropologie de Moscou, 1879).
1. Lois DE roRM.vTiox. L'appareil dentaire envisagé dans la série des verté-
brés est le résultat de l'évolution plus ou moins complexe d'un tissu ana'o-
raique qui est une dépendance immédiate du système tégumentaiie cutané ou
muqueux.
Si l'appareil se rattache au système cutané, il consiste dans les productions
qui occnpenl la surface de la peau de certains poissons cartilagineux et que les
naturalistes connaissent sous le nom de plaques, épines ou boucles des Séla-
ciens et des Gaiioïdcs.
Agassiz, dans son admirable livre sur les poissons fossiles, avait déjà indique
ces faits, qui ont été depuis, de la paît d'ilannover, l'objet de recherches plus
complètes.
Lorsque l'appareil dépend du système muqueux, il est dû à l'évolution d'un
tissu particuliiT, découvert et décrit par Kôllikcr sous le nom de lame épilhé-
Haie. Coite lame épithéliale occupe invariablement la région qui correspond
à l'entrée du tube diçjestif.
Dans sa plus grande simplicité anatomique, la lame épithéliale se transforme
sur place en un bourrelet d';ipparence cornée qui devient le fanon de certains
cétacés, la lame cornée des reptiles, le bec des oiseaux. Toutefois, pour le plus
grand nombre des vertébrés, chez les mammifères, par exemple, et chez liiomme,
la lame épithéliale di Kôllikcr devient le point d'origine de la form;ition d'un
petit appareil clos par n sac membraneux, et au sein duquel se développent les
organes muUip'es q li doivent présider à la genèse des tissus composant la
dent complète. Ce pî !t appareil, à existence transitoire, s'appelle le follicule
dentaire.
Les dents humaines se forment donc dans un appareil embryonnaire, lequel
ne livre l'or.ane au dehors que lorsque sa constitution est achevée. Or la durée
du travail physiologique varie infiniment suivant la nature des dents elles-
mêmes ; elle est en général longue. On sait, par exemple, qu'elle n'est jamais
moindre d'une année, ainsi que cela a lieu pour les dents temporaires, dont le
follicule a|)paraît au troisième mois de la vie imra-ulérine, tandis que l'éruption
ne conmicnce qu'au sixième mois de la naissance. Pour d'autres dents elle est
bien plus prolongée : ainsi la première molaire permanente existe à l'état folli-
culaire bien avant la naissance, et son éruption n'a lieu qu'à la sixième année.
Les incisives, canines et prémolaires permanentes, visibles à la naissance dans
les gouttières dentaires, n'apparaissent au dehors que de sept à douze ans. La
deuxièae molaire met à évoluer huit années entières; la dernière molaire ou
dent de sagesse plus de temps encore
Mais, quoi qu'il en soit de ces variations d'éruption qui seront fixées plus loin,
110 DENT (physiologie).
!;\ série des actes pliysiologiques qui représente cette évolution intra-foUiculairc
de la dent est identique, sauf la lorme, pour toutes les pièces quelconques de
l'appareil die/. Thomme.
Késumé des lois de formation. 1° Au point de vue des ph('nomènes embryo-
géiiiqiies de révohilion, la dent est invariabl(!nieiit une dépendance du syslèrac
tégurnenlaire. Elle se iormc conséquemnient aux dépens du feuillet externe du
blastoderme ;
2' Toute formation dentaire s'effectue au sein d'un sac embryonnaire ou
foJliciC.e, lequel naît hii-même par une double émanation de l'épiderme (organe
de l'émail) et du derme (bulbe dentaire);
Z° Les |i|iénomènes de formation sont d'ailleurs identiques pour tous les
organes de même ordre, c'est-à-dire ceux qui rentrent dans la classe pliysiolo-
yique des phanères ou des produits.
2. Dfs L'IIS D'ÉRurTiON. L'cruplion du système dentaire cbez les vertébrés,
et en particulier dans la srric des mammilèies, parait soumise à une loi unii'orme
qui est celle des deux dentitions : l'une primitive et caduque, l'antre secondaire
et délinilive. La r 'ison de ce double pli' nomène et de son évolution dans le
lemjis réside dans le développement (nèmede l'être dont la croissance implique
la nécessité d'un systèn)c dentaire d'un volume et d'un nombre d'abord restreint
dans le jeune âge, et qui fait j)lace à une seconde séiie proportionnée aux
conditions nouvelles et définitives de l'élat adulte. 11 résulte immédiatement de
là que la succession même des deux pbénomènes sera dans un rapport direct
avec l'évolution générale de l'individu, c'est-à-dire que, cliez les espèces qui
parviennent rapidement à l'état adulte, la première phase sera courte, tandis
qu'elle aura une durée considérable, si l'élat adulte est Irès-éloigné du moment
<ie la naissance. Ces mômes conditions seront également en rapport avec la durée
moyenne de la vie pour chaque espèce animale.
Toutefois, la loi des deux dentitions subit certaines exceptions : les poissons
ne paraissent avoir qu'une seule dentition ; ils sont monopliyodontes, suivant
l'expression de P. Gervais. Les cétacés seraient dans le môme cas, si l'on s'en
rapftorte aux assertions de quelifues naturalistes modernes Toutefois, les
phoques auraient les deux dentitions: ils seraient diphyodontes, mais avec celte
particularité que leur première dentition s'e'fectuerait pend;int la vie fœtale, de
sorte quil y a une véritable mue des dents dans la cavité utérine. Les dents de
lait sont ainsi tombées bien avant l'époque de l'allaitement. Ce sont ces parti-
cularités de l'évolution denture chez les phoques qui ont permis d'établir la
transition insensible des carnassiers terrestres aux carnassiers aquatiques et
même aux cétacés, le genre otaria se rapprocherait encore, à ce point de vue,
du genre plioca, suivant Reneden et Rcinhart.
Le même phénomène de chute des dents de lait avant la naissance a été
«ignalé, pour la première fois, par Cuvier, chez certains rongeurs, et en parti-
culier chez le Cobaye. Aussi ces animaux peuvent-ils manger dès les premiers
jours de la naissance. Le lièvre perd ses dents temporaires peu de jours après
la naissance, le lapin notablement plus fard.
L'existence d'une seule dentition aurait été reconnue, en outre, chez certaines
espèces de mammifères terrestres, et si l'on en croit do Blainville qui, dans son
Ostéographie, étudie avec le plus grand >oin ces questions relatives au système
dentaire. Ainsi, chez les Chéiroptères et les Insectivores, il n';uirait réussi à
observer qu'une seule série de dents, dont les premières apparaîtraient soit avant,
DENT (physiologie). HI
soit peu après la naissance, et dont les .nutres viendraient se placer en série au
delà des premières, sans que celles-ci effectuassent leur chute. Les roussettes, les
molosses et les vespertilions seraient dans ce cas. Les observations du même
natnrali>te, chez les taupes et les musaraignes, n'ont monde également qu'une
seule dentilion. Pour les musaraignes, toutefois, Duvornoy aurait infirmé cette
assertion, et décrit chez ces animaux une mue périodique, mais partielle, de
dents, (|ui s'effectuerait vers le mois de juillet de chaque année.
Les assertions de de Blainville sur l'exis^tence d'une seule dentition chez un
certain nombre d'espèces animales pourraient bien, du reste, èlre entachées
d'erreur, par la raison que nous venons d'indiquer, et qui établit l'cxislcnce
d'une dentilion caduque avant l'époque de la naissance, de sorte que la loi des
deux dentitions serait bien plus générale et bien plus constante qu'on ne serait
tenté de l'admettre.
D'ailleurs, certains arrêts de développement d'une pièce de système dentaire
considérés comme antimalics accidentelles chez l'homme et les mammifères supé-
rieurs consliluenl parfois dans la série animale un fait normal, une anomalie
constante, suivant l'expression de de Blainville : telles sont les dénis aborlives
du Narval, du Lamantin. Le musée Vrulik (d'Amsterdam) renlcrnic une tète
de Lamantin dans l'intermaxillaire duquel on voit incluse la dent abortive.
Chez d'autres espèces, les dents abortivcs peuvent accidentellement prendre
un développement plus prononcé : ain>i, chez la jeune baleine, on trouve des
dents à la mâchoire supérieure, alors que dans I âge adulte on n'en retrouve pas.
Leidig cependant donne sous le nom de squamodon une variété de baleine qui
a des dents développées à la mâchoire supérieure. De son côté. Van Beneden a
observé une mâchoire inférieure de Dugong qui présentait huit paires d'inci-
sives très-d'Veloppées, alors que cet animal est considéré comme n'ayant point
de dents inférieures.
Darwin, qui a recueilli ces faits, les rapproche de l'existence, admise par lui,
des dents abortives dans la mâchoire supérieure des riimitiants. Nous nous
sommes élevé, dans un autre travail, et d'après des recherches spéciales du
docteur Pietkiewicz, contre l'interprétation erronée du grand naturaliste, qui a
considéré comme des follicules dentaires rudimentaires les débris de l'organe
de Jaiobson, ce qui tend à inlirmer les conséquences qu'il dégage de ces con-
sidérations au profit de la théorie des affinités mutuelles des êtres organises et
de sa loi de descendance modifiée.
Quoi qu'il en soit, la grande loi de la double dentition, qui semble s'éteindre
avec les ci tarés, s'alfirme dans la série ascendante des mammilères.
Elle est en même temps invariable, c'est-à-dire que jamais les dentitions ne
dépassent le nombre de deux : la première à caractère temporaire, la seconde
persistant dans le reste de la vie. Nous établirons donc tout d'abord un point
sur leiiuel nous reviendrons plus lom, c'est qu'il n'existe jamais dans aucun
cas de denlition tertiaire ou quaternaire. Les exemples de cet ordre qu'on
trouve mentionnés dans les auteurs doivent être considérés comme apoirvphes
ou résultant de l'interprétation erronée d'un simple fait de deuxième denlition
tardive.
Une autre condition fondamentale dans les rapports des deux dentitions
consiste dans le nombre infiniment plus restreint des pièces de la piemière
dentition r lativement à celles de la seconde. Les deux dentitions présentent à
cet égard des rapports numériques qui sont parfaitement fixes pour chaque
112 DENT (physiologie).
espèce de mammifères. Ce rapport peut se cliiffrer, c'est-à-dire se représenter
par des formules que nous fixerons plus loin; c'est ainsi qu'on trouve pour
l'homme
Dentilion temporaire. . . =;: 20.
Deiililion définitive ... =: 52.
Nous étudierons tout à l'heure dans les lois numériques les conditions de ces
rapports, mais nous pouvons dire que les deux nombres sont entre eux dans
des proportions très-variables. Chez l'homme, ainsi qu'on le voit, le rapport
est invariablement de cinq à huit.
Considérées dans une espèce animale isolément, les lois de l'éruption dentaire
paraissent cependant être soumises à quelques variations qui sont toutefois très-
secondaires, et ne consistent que dans certaines modifications d'époque. Ainsi
de Blainville avait déjà émis celle remarque que chez les peuples sauvages ou
même dans les races inférieures les dernières molaires appaiaissent en général
plus régulièrement à l'âge normal, circonstance qui est en relation avec le
degré plus ou moins acuisé du prognathisme. Simonds et Darwin avaient de
leur côté affirmé (|ue, chez les animaux améliorés de tous genres, la période de
maturité serait plus précoce tant en ce qui concerne la croissance complète que
l'époque de la reproduction, et en corrélation avec ce fait on observerait que les
dents se développent avec une précocité proportionnelle, de sorte qu'à la grande
surprise îles éleveurs les anciennes règles établies pour la détermination de
l'âge cesseraient d'être exactes.
Parmi les phénomènes généraux de l'évolution il en est qui ont une influence
incont'Stable sur l'éruption, soient, [)ar exenq>le, la précocité de l'âge adulte
et la br'.èvelé moyenne de la vie; c'est-à-dire que plus la vie moyenne est courte,
plus révolution et en particulier l'éruption des dents sont précoces. Nous avons
vu que ce rapport est constant dans la série des vertébrés et nous le retrouvons
dans les variétés ou les races que présente une espèce animale déterminée.
L'homme n'échappe pas à cette loi, et il résulte de quelques observations encore
peu nombreuses que chez certaines races humaines dont la vie est relativement
plus courle et l'âge adulte plus précoce l'éruption des dents est prématurée.
Des faits de ce genre ont été signalés par nous-mème chez les Lapons et les
Esquimaux. Dans une enquête dont les détails sont consignés à la Société d'an-
thropologie de Paris {Bulletins, 1880, p. 11), nous avon. constaté cette relation
de la manière la plus évidente chez les peuplades voisines du pôle qui, ainsi
qu'on sait, sont adultes de très-bonne heure, et chez lesquelles la durée de la
vie est relativement courle.
II est encore d'aulres influences générales dont on a invoqué le rôle dans la
précocité ou le retardement des phénomènes de l'éruption dentaire. On a
recherché, par exemple, si l'éruption débutait, dans un maxillaire déterminé,
plutôt à gauche qu'à droite, et un élève de l'école de Paris, le docteur Delaunay,
a cru pouvoir lirer d'un nombre de faits, beaucoup trop restreint selon nous,
cette conclusion que les dents se développaient en premier lieu à dioile à la
mâchoire inférieure, et à gauche pour la mâchoire supérieure.
Les diallièses ont été ausM invoquées, et sans qu'elles puissent produire,
ainsi qu'on a voulu le prétendre, des lésions de formes plus ou moins caracté-
ristiipies il est constant que la syphilis héréditaire, la scrofule, la lubeiculose,
le racliilisme, relardent l'évolution dentaire d'une manière notable. 11 en est de
DENT (physiologie). M5
même chez les crétins et les idiots, suivant les remarques de Bourneville. Des
affections graves delà première enfance peuvent encore entraîner ultérieurement
des troubles de cette évolution, et ceux-ci consistent invariablement en des re-
tards plus ou moins considérables : tel est l'exemple que nous avons recueilli d'un
enfant qui, comme conséquence d'une hémiplégie gauclie datant de la (piatrième
année de la vie, éprouva un très-notable et très-évident retard dans l'apparition
des dents définitives du côté paralysé. Ces exemples prouvent que l'évolution
oi-ganique des organes et des appareils peut subir à un degré appréciable l'at-
teinte des affections générales de l'économie et des lésions des centres nerveux.
L'influence de la nutrition sur la précocité de réru[»lion dentaire paraît d'ail-
leurs avoir été établie par les travaux de plusieurs observateurs : ainsi M. Sanson
affirme que, d'une manière générale, l'éruption est plus précoce dans les races
d'animaux domestiques que dans les races restées sauvages. Il en est de même
des races perfectionnées par la culture et la sélection conformément aux idées
de Darwin.
D'autre part, un médecin de Moscou, le docteur Bensengre, a fait une étude
très-minutieuse sur l'influence de la nutrition chez les enfants en bas âge au
point de vue de l'éruption des dents, et ses conclusions sont tout à fait conformes
aux précédentes.
Ce n'est que depuis un très-petit nombre d'années que l'étude du développe-
ment folliculaii'e a permis de fixer les époques d'apparition des divers organes
formateurs des dents au sein des mâchoires, soit pendant la vie intra-utérine,
soit dans les premiers temps de la vie Les travaux de Kôlliker, Waldeyer,
Kollniann, etc., ceux que nous avons entrepris nous-même avec M. Ch. Robin,
plus récemment encore avec un physiologiste regretté, notre ami Ch. Legros,
nous semblent avoir établi les phénomènes de genèse et d'évolution d'une manière
à peu près définitive.
11 n'en est pas de même des notions relatives aux phases et aux époques de
l'éruption, bien qu'elles aient été recherchées depuis longtemps par beaucoup
d'auteurs. On remarque en effet tout d'abord un désaccord très-marqué dans les
résultats publiés.
Nous nous expliquons, jusqu'à un certain point, ces divergences, par cette
raison qu'on n'a point éliminé des chiffres recueillis les faits dépendant soit des
conditions de race auxquelles nous attribuons, il est vrai, un rôle assez restreint,
mais surtout celles qui résultent des influences générales, diathèses héréditaires
ou acquises, arrêts de développement, rachitisme, idiotie, microcéphalie, etc.
On ne saurait en effet leur dénier une action très-marquée dans la production
des troubles lératologiques de l'éruption dentaire.
Meckel, dès 1825, avait tenté d'établir une loi d'après laquelle l'ordre dans
lequel apparaissent les premiers rudiments des follicules serait aussi celui qui
préside à l'éruption proprement dite. Cette assertion n'est pas absolument exacte,
et il nous suffira de faire remarquer que, d'après les recherches physiologiques
que nous rappelions tout à l'heure, les follicules de première dentition apparais-
sent presque simultanément dans les mâchoires, tandis que l'éruption s'effectue
par séries succer.sives parfaitement distinctes. A peine avons-nous pu constater
un léger retard de quelques jours dans l'iipparition des follicules supérieurs sur
les inférieurs, mais l'époque de sortie n'a présenté aucun rapport fixe avec les
phénomènes de genèse primitive. La canine, par exemple, dont le follicule appa-
raît en même temps que celui des incisives, n'efiéctue son éruption que lou"^-
DicT. ENc. XXVn. 8
114 DENT (physiologie).
temps après elles, tandis que les prémolaires, qui se forment à une époque plus
tardive, sortent avajit les canines.
Un grand nombre d'observateurs se sont efforcés, depuis Meckel, de fixer les
époques normales de l'éruption dentaire. Mais, sans nous arrêter à les indiquer
ici, nous nous bornerons à reproduire les documents les plus accrédités en cette
matière. Ce sont les indications dues à Trousseau, et que la plupart des auteurs
ont depuis lors reproduites de confiance.
Trousseau indique de la manière suivante l'ordre d'éruption des dents tempo-
raires :
!<"■ groupe, comprenant : les incisives médianes inférieures ;
2* groupe : les incisives supérieures, les médianes d'abord, les latérales
ensuite ;
3" groupe : les incisives latérales inférieures et les premières molaires ;
4" groupe : les canines;
5"^ groupe : les grosses molaires.
Trousseau ajoute que cet ordre de succession subit de nombreuses exceptions.
Les époques d'éruption ont été étudiées à leur tour. D'après les tableaux qui
ont été dressés à cet égard, Trousseau fixe l'époque de sortie du premier groupe,
incisives médianes inférieures, au seplièmemois. Mais cette date, établie corame
moyenne d'observations, prouve précisément, suivant la remarque du grand
clinicien, que cette première éruption n'a jamais lieu à cette date, mais tantôt
avant, tantôt après.
Les autres groupes se suivraient à environ six mois d'intervalle.
Quant au temps que met à s'effectuer l'éruption de tel ou tel groupe, Trous-
seau afiirmo que les incisives médianes inférieures sortent dans un espace de
im à dix jours, les correspondantes supérieures en quatre ou six semaines, les
latérales inférieures et les premières molaires en un ou deux mois, etc.
Dans le même travail on trouve une recherche relative aux diverses influences
qui peuvent retarder ou avancer l'époque de l'éruption. Le sexe jouerait un
certain rôle, et l'éruption serait plus précoce chez les filles que chez les garçons,
Toutes ces affirmations nous paraissent bien arbitraires ; elles ne portent d'ail-
leurs que sur les faits de la première dentition et sont, en tout cas, fort incom-
plètes. Il n'est pas dit sur quel chiffre d'observations (es moyennes ont été
établies, et, lorsqu'il nous a été donné de les contrôler, nous sommes parvenu à
des résultats fort différents.
Les recherches auxquelles nous nous sommes livré comprennent une période
d'une dizaine d'années; elles portent sur un nombre considérable d'observations.
Nous les avons résumées sous forme de tableau d'tnsemble. On voit dans ce
tableau ci-conlre et placées par colonnes parallèles (page H5) :
1" L'ordre de succession physiologique des dents pour les deux dentitions;
2" L'époque d'apparition première du follicule, c'est-à-dire la genèse du
cordon épilliélial primitif ;
r>" L'époque normale d'éruption. Celte dernière a été fixée en moyenne sur un
minimum de cinq cents observations;
4° L'époque de la cimte spontanée;
Ces derniers documents, relevés pour la première dentition, ne figurent pas à
l'égard de la seconde. C'est qu'en effet il est impossible de fixer la date de la
chute sénile des dents permanentes par des raisons que nous établirons plus
loin ;
DENT (physzologie). ''13
5° Enfin dans une cinquième colonne nous avons établi une nouvelle division
de la dentition liumaine; elle comprend cinq phases parfaitement distinctes et
ORDRE DE SUCCESSIO.N.
ÉPOQl'E
d' AIT A nlTlON
DU
FOLLICULE.
EPOQL'E
D'ÉRUriIOPi.
ÉPCQUE
IIE LA CHUTE
Ï-PONTAISÉE.
\. — Tableau de l'évolution- de la premièhe phase [i" dentition).
Dents temporaires.
Incisives centrales in[éiieu-|i6b° joui- après la
res ) conceiilion
Incisives centrales supérieu-
res
Incisives latérales inférieures.
Incisives laléiaies supéiieures.
Préinolaires inférieures . . .
PrémulairL'S supérieures. . .
Molaires iiiférieuns l Du 83 au 100'
Molaires supérieures [ jour
Canines inférieures . . .
Canines supérieures. . .
70" jour.
80' jour.
bS" jour.
r mois .
10' mois ,
16" mois
20" niois ,
24" mois
Ï6" mois
28" mois
30* mois
I' année.
7 ans 1/2.
8" année .
Du 30" au 53" mois.
année.
ans 1/-2.
année.
ans 1/2.
12° année.
Total 20 dénis.
B. — Tableau de l évolution de la seconde phase (r destition)
Dents permanentes.
1
. ,., . iVcrs le 90" ioiirl
Premières molaires inferieu-\ ^^^^^ ,^ ^^^J
Premières molaires supérieu-
res.
Incisives centrales inférieu-
cepiion . . .
Vers le 100° jonr|
après la cou
I ception. . . .
iDe 5 ù 6 ans
)(" année
8 ans 1/2
^De 9 à 12 ans
Incisives centrales supérieu-
res
Incisives laténles inféiieures
Incisives latérales supérieures
Premières prémolaires inté-
rieures l Du 110'
Premières prémolaires supé-? au 120" jour,
rieures
Deuxièmes prémolaires infé-|
rieures
Deuxièmes prémolaires supé-
rieures
Canines inférieures . . . . ,
Canines supérieures
Deuxièmes molaires inférieu-\ '\
_ ' .■,*■',■.*■■,■'■ '.Vers le 5" mois . De 12 à 1
Deuxièmes molaires superieu-j i
Troisièmes molaires inférieu-
DIVISION
DE LA TOTALITÉ
DE
LA DE^TIT10.>(
HUMAINE
EN O PÉRIODES.
1" période.
20 dents.
2" période.
4 dents.
ri" période.
20 deuls.
.11" année.
loe 11 à 12 ans
0 ans
4" période.
4 (lents.
Troisièmes molaires supé-
rieures. .......
A la 3° année . .JDe 19 à 25 ans
Total 32 dents.
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DENT (physiologie).
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118 DENT (physiologie).
successives, suivant un ordre rigoureusement physiologique. On peut dire ainsi
qu'il y a en réalité rm^y dentitions ou <:'?>?^ périodes : la première seule cjiduquc
et les quatre autres définitives. Ces périodes comprennent des groupes de
dents parfaitement définis, bien que variables dans le nombre des pièces qui
les composent. Ainsi, tandis que le premier groupe comprend vingt dents, le
second se compose de quatre pièces seulement, lesquelles apparaissent an delà
de la série des précédentes, et sans qu'aucune de celles-ci ait encore effectué
sa chute.
C'est le troisième groupe qui est appelé à remplacer le premier, et cela par
un nombre identique de dents.
Les deux dernières périodes appartiennent aux deuxièmes et troisièmes
molaires permanentes.
Cet ensemble de documents relatifs aux époques de genèse, d'éruption et de
chute physiolcigiques du système dentaire, devrait se compléter de donnéis con-
cernant les phases mêmes du développement lolliculaire soit chez l'embryon,
soit chez l'enfant.
Nous avons déjà publié à cet égard des considérations qui portent sur l'évo-
lution fœtale. Nous les reproduisons ici tant à l'égard de la détermination des
périodes du développement qu'au point de vue médico-légal pour la recherche
de l'identité et pour celle de l'âge du produit expulsé daiis le cas d'avortement
ou de iœticide (voy. tableau, p. 116 et 117).
Aux considérations relatives au mode d'éruption des dents nous pourrions
en ajouter d'autres non moins importantes au sujet des changements de forme
que subissent les mâchoires pendant la double période d'évolutioa des dents
temporaires et des définitives. Des recherches déjà anciennes de Miel avaient
établi que l'accroissement en longueur des maxillaires s'effectuait exclusivement
aux dépens de la portion de l'os située au delà de la série des dénis temporaires,
c'est-à-dire dans la branche ascendante qui exécute en arrière un mouvement
de recul progressif et proportionnel aux phases mêmes de l'évolution dentaire.
La simjile observation de la dentition de l'enfant, dont les pièces conservent
invariablement leur position et leurs rapports de contiguïté, sans présenter à
aucune époque ni écartement, ni disjonction, en pouvait déjà fournir la preuve,
mais en outre l'élude attentive d'une série de maxillaires aux différents âges,
en prenant certains points de repère fixes, comme les trous mentonniers. par
exemple, permet de fixer mathématiquement ce mode d'accroissement. Quant
au développement des mâchoires dans le sens de l'épaisseur, les études du
même observateur, confirmées depuis lors par Tomes, Kôlliker et Ilumphrey,
ont établi que ces os augmentaient de volume aux dépens de la surface externe,
tandis que l'interne restait invariable. Il résulte de là que la courbe des maxil-
laires, dès le moment où est achevée l'éruption des dents temporaires, est défi-
nitivement fixée. 11 en est de même de l'axe de l'arcade dentaire, c'est-à-dire de
la ligne fictive qui passerait par le centre des couronnes de dents, de telle sorte
qu'en prolongeant en arrière cette lijjne on détermine exactement, avec l'al-
longiment de l'arcade dentaire, la situation et la direction des dents futures qui
vont évoluer au delà de la série des dents temporaires.
Nous n'insistons pas davantage sur ces remarques qui appartiennent d'ailleurs
aux phénomènes du développement des mâchoires.
Quoi qu'il eu soit de toutes ces considérations touchant l'époque physiologique
de l'éruption, il faut remarquer, ainsi que nous l'avons dit plus haut, que ces
DENT (physiologie). H9
dates diverses sont soumises, dans l'état normal, à certaines variations. C'est
surtout pour la première dentition que ces différences sont intéressantes à
signaler.
Dans un relevé de naissances observées à la Maternité de Paris pendant une
période de dix années, de 1858 à 1868, sur 17 578 nouveau-nés, trois seule-
ment présentaient des dents : deux sont nés avec deux incisives centrales supé-
rieures, le troisième avec les deux inférieures. Il y avait, on outre, treize becs-
de-lièvre, une tumeur éreclile de la gencive, une division du voile.
Dans un travail publié à Moscou par le docteur Bcnseugre l'époque d'appari-
tion de la première dent se décompose ainsi qu'il suit sur 525 enfants :
A la naissance 0
1*' mois 0
2* mois 1
5* mois 3
4« mois 8
5* mois '. 33
(')* mois 43
7° mois 104
8" mois b8
9' mois 43
10* mois 80
11* mois 53
12° mois 63
2" année 2i
3' année 2 (rachitiques).
Total 525
Nos observations personnelles, faites sur un nombre de 500 enliints nou-
veau-nés, dans les conditions de santé normales et dans notre race française
actuelle, nous ont fourni sur l'apparition de la première dent les résultats
suivants :
A la naissance \
1" mois 2
2* mois 3
3° mois 9
4° mois IQ
5" mois 39
6' mois 45
■3" mois jOg
8° mois gg
9* mois ^9
10° mois o^
11° "-'O's '.'.'. 58
12" mois ^2
2° amiée 10
Total
MO
Quant à la chute des dents temporaires, nous dirons que, les conditions de
chute physiologique étant intimement liées comme phénomènes conséquents à
l'éruption prématurée ou retardée des dents permanentes, ces considérations
n'auraient aucune porlée ni aucune valeur particulières.
Nous savons, en effet, que la raison physiologique de la perte d'une dent
temporaire, c'est l'évolution et la sortie de la dent permanente correspondante,
et, en ce qui concerne la chute de celle-ci, l'époque à laquelle elle peut être
fixée physiologiqueraent paraît bien difficile à préciser, car elle ne tiendrait à
rien moins qu'à résoudre cette question : les dents permanentes de l'homme
120 DENT (physiologie).
tombent-elles avant la fin de la vie, à un âge déterminable, ou doivent-elles
accompagner l'individu jusqu'à la mort sénile? Nous pouvons répondre, à cel
égard, que ce phénomène, même dans les conditions physiologiques, nous paraît
être soumis à des variations bien gran<les. S'il nous fallait ici fixer une dale,
nous dirions que la chute sénile des dents ne saurait être admise avant
soixante-dix ans. Il est toutefois une remarque qui nous a frappé à ce point de
vue, c'est que les crânes de vieillards qui figurent dans nos collections anthro-
pologiques, ceux des races primitives et préhistoriques, par exemple, présentent
très-raiement une absence complète de dents. Il s'ensuivrait de là que la chute
des dents avant le terme physiologique de la vie pourrait être attribuée à un
ensemble de circonstances pathologiques.
Il nous reste, pour terminer les considérations relatives aux lois d'éruption, ù
étudier un dernier problème, celui de l'éruption de la dernière molaire ou
dent de sagesse, c'est-à-dire de la cinquième et dernière phase d'éruption chez
l'homme.
On a depuis longtemps affirmé, et quelques auteurs affirment encore que la
dernière molaire apparaît chez le singe avant la canine, tandis que l'ordre
inverse s'observe chez l'homme. Nous nous sommes élevé déjà contre cette
interprétation en faisant remarquer que, si l'on ne considère que le moment
d'apparition de ces deux dents hors des mâchoires, on doit reconnaître que
chez le singe comme chez l'homme la canine apparaît la première; seulement,
chez le singe, le volume de cette dernière est si considérable, surtout chez le
mâle, que son développement est nécessairement très-lent, et qu'elle ne parvient
en réalité à l'âge adulte qu'après la sortie de la dernière molaire.
Mais cette question n'est pas la seule que soulève l'éruption de la dent de
sagesse chez l'homme. Il en est une autre qui pourrait avoir précisément un
rapport direct avec la race.
Ainsi Darwin a fait cette remarque que les dents de sagesse manquent fré-
quemment dans notre race blanche, tandis que leur présence est la règle dans
les races inférieures. Il en conclut qu'elle doit être regardée comme un organe
en décadence. M. Mantegazza s'est rallié à cette opinion que partage aussi
M. Broca {Bull, de la Soc. danlhrop., 1878, p. 255 et 256).
Nous n'avons aucune raison pour repousser à priori une telle doctrine, mais
nous ne pensons pas que les faits lui apportent des éléments suffisants de
démonstration.
Ainsi, il est tout d'abord démontré par l'examen direct et aussi par l'étude
embryogénique du développement de l'appareil dentaire que l'existence du
germe de la dent de sagesse chez l'homme est constante; seulement l'organe
peut ne pas paraître au dehors ou sortir atrophié, difforme, ce qui dépend de
la compression qu'il éprouve dans une place trop restreinte.
Un déiail statistique apporte un certain argument à cette manière de voir : il
est relatif à la proportion relative dans les cas d'apparition de la dent de sagesse
supérieure et de l'inférieure. Or, nous avons trouvé les chiffres suivants sur
500 observations : ■
Apparition de la dent de sagesse :
Supérieure 578 fois.
Inlmeure 122
Total 500 fois.
DEiNT (physiologie). 121
11 en résulte qu'à l'égard de la précocité relative la dent de sagesse supé-
rieure est à l'inférieure : : 5 : 1 .
La cause essentielle des conditions anormales du dévelop])ement de la dent
de sagesse chez l'Iiomine est donc rinsiiflisance du développement des mâchoires,
ce qui, inversement, peut se traduire par cette loi que la fréquence de l'appa-
rition de ht dent de sagesse chez l'homme est proportionnelle au degré du
prognathisme accidentel ou ethnologique.
Il est vrai que M. Broca répond que le prognathisme est ici un résultat et
non une cause, et que le développement de la dent de sagesse subordonne les
conditions de dimensions des mâchoires. Mais, s'il en est ainsi, pourquoi l'érup-
tion de la dent de sagesse inférieure cause-t-elle des accidents d'intensité,
variables, il est vrai, mais dont la fréquence est telle qu'elle ligure pour un chiffre
de 75 pour 100 dans une statistique dressée à ce sujet par un médecin de Paris,
le docteur David ?
Ces remarques doivent nous conduire à des réserves très-grandes au sujet de
l'interprétation de Darwin, de MM. Mantegazza et Broca. Elles appellent en
tous cas de nouvelles recherches, que nous avons commencées pour noire part, et
qui apporteront, nous l'espérons, leur contingent au point de vue de la solution
de cette question spéciale.
2° Du MÉCANISME DE l'érlption. Lc mécanisme physiologique de l'éruption est
un problème qui doit trouver sa place ici. Il comprendra trois questions : 1" le
mécanisme essentiel de l'éruption en général; 2° l'éruption des dents tempo-
raires ; 3° l'éruption des dents permanentes.
Le mécanisme de Véruption en général est fort simple. Dans les recherches
antérieures sur l'évolution de l'organe dentaire dans le follicule, nous avons
poursuivi l'étude des phénomènes jusqu'à la formation de la racine. C'est qu'en
effet, à ce moment qui correspond à la période d'achèvement de la couronne,
le follicule s'ouvre à la partie culminante du sac et livre passage à l'organe.
L'éruption est dès lors le fait de la formation même de la partie radiculaire,
et chaque degré d'ascension de la dent dans le tissu sous-muqueux et au dehors
est mesuré par la quantité exacte de tissus nouveaux formés au fond du sac
folliculaire qui continue à fonctionner dans la partie profonde. C'est ainsi
qu'on peut mesurer rigoureusement, par la progression du phénomène d'érup-
tion, la hauteur de substance produite dans un temps déterminé. Ce phénomène
est variable de rapidité suivant certaines circonstances qui sont sous la dépen-
dance de la nature des dents, de leur rôle, de leur caractère caduc ou perma-
nent, de la précocité, de l'âge adulte, etc.
Quoi qu'il en soit, l'éruption est dans l'état physiologique un phénomène lent
et progressif qui entraine la résorption concomitante de la muqueuse par un
fait de compression simple. Ce passage de la couronne au travers des tissus vas-
culaires ne s'accompagne toutefois d'aucune lésion, d'aucun traumatisme appré-
ciable, les tissus comprimés se résorbent par un travail insensible, sans inflam-
mation ni hémorrhagie, et, lorsque la couronne a enfin terminé son trajet au
dehors, la muqueuse qui lui a livré passage se fixe et s'insère au collet où elle
adhère au périoste alvéolaire qui n'est autre que la paroi même du follicule.
L'éruption des dents temporaires, lesquelles apparaissent sur des bords alvéo-
laires entièrement vierges, répond exactement au mécanisme que r.ous venons
d'indiquer. Ainsi se dégagent et se placent les vingt dents de première dentition,
ainsi sortent également les dents de la série des molaires, lesquelles apparaissent
122 DENT (physiologie).
à la partie postérieure des ai'cades dentaires où elles ne sont pas précédées de
•dents prc.ilubles.
L'éruption des dents permanentes, précédées de dents temporaires corres-
j)ondantes, est un phénomène plus complexe; la progression de la couronne au
travers des tissus de la muqueuse est, de tous points, identique au précédent;
mais il se présente une autre particularité, c'est la résorption de la racine
des dents temporaires. Ce mécanisme particulier a donné lieu à certaine?, expli-
cations de la part des auteurs : ainsi Tomes a attribué la disparition des racines
temporaires à la présence d'un organe particulier, sorte de disque mou et vas-
culaiie qui aurait la fonction de résorber et de faire rentier dans le torrent cir-
culatoire les éléments qui constituent les racines. Il est vrai que, lorsqu'on
pratique l'ablation d'une couronne de dents temporaires au moment où elle
commence à s'ébranler, ou observe dans l'alvéole et au-dessous de celle-ci uu
tissu rougeâtre, riche en vaisseaux, et ((ui saigne au moindre contact. Cette
petite masse de tissu, que Tomes croit être un organe spécial, agent de résorp-
tion, ne nous a semblé autie que la muqueuse elle-même plus ou moins con-
gestionnée à cette épo(|ue de l'évolution.
Dans tous les cas la raison phys-iologique de la résorption des racines d'une
dent tcnjporairc est l'existence au-de>.'-ous d'elle d'une dent permanente cor-
rcspondante. C'est pourquoi l'atrophie d'une dent de seconde dentition aura pour
conséquence la persistance de la temporaire correspondante. L'anomalie par
déplacement delà première, en amenant sa sortie sur un |)oint distant de la
précédente, aura le même résultat. C'est de la sorte que des dents temporaires
persistent parfois pendant une grande partie ou la totalité de la vie, gardant
en conséquence leurs racines intactes et leur solidité complète.
Résumé des i.ois d'éruption. 1° La dentition humaine est invariablement
<;omposée de deux grandes périodes : l'une, dentition temporaire ou du premier
âge; l'autre, dentition permanente ou de l'adulte. 11 n'existe jamais de denti-
tion tertiaire ou quaternaire ;
2° La précocité de l'éruption, considérée au point de vue des espèces animales,
•est en raison directe de la brièveté de la vie et de la précocité de l'âge adulte
et de la nutrition générale ;
3° Au point de vue des races, la précocité est en raison directe du degré de
^upéiiorité et de culture;
4° A l'égard des maladies et des diathèses, la tardiveté de l'éruption est pro-
portionnelle à l'intensité et à la durée des |ihéi;omènes morbides généraux;
5" La chute des dents temporaires à l'éfioque de leur remplacement par les
permanenies est le résultat de la résorption moléculaiie de leurs racines,
laquelle résorption est le fait de la compression qu'elles subissent de la part de
la couronne permanente.
5" Des lois numériques. Les pièces qui composent l'appareil dentaire sont
soumises dans la série ascendante des espèces à un phénomène double de
réduction numérique et de fixité croissante dans le siège et la forme. Ainsi le
nombre des dents, incalculable chez les vertébrés inférieurs comme les poissons,
se restreint de plus en plus à mesure qu'on s'élève dans l'échelle pour arriver
enfin, chez l'homme et les primates, à une formule invariable dans l'état phy-
siologique.
Toutefois il peut se produire chez l'homme, dans le nombre des dents, des
perturbations diverses : les unes sont purement tératologiques et seront étudiées
DENT (physiologie). 125
à propos des anomalies dentaires (voy. Dents, Pathologie [Vices de conforma-
tion]), les autres constituent des variations qui sont sous la dépendance de la
sélection, de l'hérédité ou de la race.
Dans l'état normal le nombre des dents chez Thomme est fixe. 11 comprend,
pendant la durée totale de la vie, 52 pièces qui se divisent en deux grandes
séries : les dents de la première dentition et celles de la seconde dentition.
La première série est composée de 20 dents, d'où la formule :
ou plus simplement
2-2 1 — 1 ,2-2 a„
4 2 4
[lie. - eau. - mol. r = 20.
4 2 4
La seconde série est composée de 52 pièces qui donnent la formule
2 — 2 1—1 . 2-2 ,3 — 5 ,-
Inc. ^-— ^ can. j— -^ pwm. ^—^ mol. ^-— r = 52,
ou plus simplement
, ^ 2 , 4 , 6 _
Inc. - can. - prcm. -■ mol. - = oi
4 2 4 6
Si l'on étudie comparativement ces deux formules, on est conduit à certaines
considérations :
En premier lieu, on voit que le rapport numérique entre la première denti-
tion et la seconde est *.: 5 : 8. On remarque ensuite que le nombre des incisives
et des canines est identique dans les deux formules et que la différence porte
exclusivement sur les molaires. Cette circonstance est en relation absolue avec
le phénomène de raccroissement des maxillaires qui se développent dans la partie
postérieure correspondante à l'angle de la mâchoire et non à l'antérieure qui est
fixe. On sait en effet qu'à aucune époque delà période de la première dentition
les dents ne perdent leur contiguïté ahsolue et que dès lors les inaxilLiires ne
se modifient nullement dans le sens de la longueur. Un léger accroissement de
dimension s'effectue cependant dans la région antérieure des mâchoires au
moment du remplacement des dents temporaires, caries permanentes qui leur
succèdent, bien qu'étant de nombre égal comme pièces, ont un volume nota-
blement plus considérable, mais le mouvement d'allongement est en tout cas
rigoureusement proportionnel au degré de cet allongement même, car les dents
de remplacement reprennent, ainsi queles antérieures, leur contiguïté parfaite.
C'est de la sorte que les dents, au point de vue de leur nombre, aussi bien qu'à
l'égard de toutes les autres conditions de leur évolution, commandent et déter-
minent dans l'étal physiologique le développement des mâchoires, lesquelles
sont en quelque sorte passives des conditions mêmes de l'appareil dentaire.
Quoi qu'il en soit, les variations numériques des dents, subordonnées aux
relations d'hérédité ou de race, comprennent tantôt la diminution, tantôt
Vaugmenlation de la formule dentaire.
La diminution numérique, suivant une loi formulée depuis longtemps par
Isidore GeoflVoy-Saint-Ililaire, porte de préféience sur les espèces de dents qui
sont normalement en nombre plus considéiable, c'est-à-dire les incisives et les
molaires. Nous verrons que l'augmentation numérique obéit à la même loi.
Seule la canine, ne subissant jamais dans le nombre, non plus que dans la
124 DENT (physiologie).
forme, aucune modification, représente le type primitif fixe et invariable, l'unité
morpliologiqiie, dont les autres dents ne sont que des dérivés par multiplication
ou coalesccnce.
Ainsi se trouve réalisée, à l'égard du système dentaire, l'hypollièse des types
fondamentaux, non point les hjpes fictifs de Gœlhe, mais, suivant les idées de
Guvier et de Geoffroy Sainl-IJilaire, les types considérés au point de vue de la
subordination des organes.
Les laits de diminution numérique des dents s'accompagnent parfois de
perturbations concomitantes dans un autre appareil organique. Ainsi l'on se
rappelle sans doute, par exemple, ces individus qui ont présenté à la fois une
exagération dans le développement du système pileux et une réduction des pièces
du système dentaire.
Un grouiie de ces individus, appartenant à la même famille, étaient nés en
Hussie, à Kostroma, et ils ont été étudiés ici par les Sociétés d'anthropologie de
Berlin et de Paris.
L'anomalie simultanée par augmentation des poils et diminution des dénis
était héréditaire chez eux pendant trois générations. On les avait surnommés en
France, dans les foires publiques où ils se montraient, les Hommes-Chiens.
A'ous avons étudié jadis avec nos collègues de la Société d'anthropologie de
Paris ces singuliers personnages, et, en faisant quelques recherches sur les faits
analogues, nous avons pu en recueillir divers exemples.
Ainsi, Sedwick et Crawfurd en ont observé en Birmanie. Lombroso en cite
un autre en Italie.
Darwin, qui connaissait quelques-uns de ces faits, les invoque en faveur de
sa théorie sur les lois de variabilité corrélative. Il s'appuie sur certains exemples
empiunlés d'une part à des animaux chez lesquels la domestication accroît
siinultauémcnt le développement des deux systèmes pileux et dentaire, d'autre
part à l'espèce humaine.
L'un des exemples qu'il rapporte est relalifà une certaine danseuse espagnole,
Julia Pastrana, qui avait, paraît-il, le front et le visage couverts de poils et
présentait en outre une double rangée de dents. Cette observation, toutefois,
n'est pas exacte, ainsi que nous avons pu nous en convaincre à Londres par les
photographies de la danseuse et les moulages de ses mâchoires. Elle avait très-
réellement la face et le corps velus, mais «on appareil dentaire, loin de présenter
une auf^mentation numérique, était au contraire très-réduit. Darwin a évidem-
ment été trompé ici par une narration erronée {voij. notre travail : Les Hommes
velus, in Gaz. méd. de Paris, ib novembre 1875).
D'autres faits l'avaient cependant frappé déjà et dont nous avons reconnu
l'exactitude : ce sont les chiens chinois et turcs, qui offrent en même temps une
réduction numérique des poils et des dents. Ces animaux présentent en effet
une décroissance proportionnelle des deux systèmes, lesquels occupent, comme
on sait, en philosophie anatomiquc, la place que de Blainville leur a assignée
sous le nom de Phanères; les poils disparaissent presque entièrement et la for-
mule dentaire tombe aux chiffres 24, 16 et même 4,
Toutefois, de ces différents faits observés comparativement peut-on déduire
un caractère de race, une loi fixe?
Nous ne le pensons pas.
D'une part, les exemples recueillis chez l'homme appartiennent à des individus
en nombre restreint, consanguins, il est vrai, mais ne dépassant pas deux ou
DENT (physiologie). 125
trois générations. Ils constituent simplement des faits à la fois léralologiques
et héréditaires. Jamais un groupa elhnique normal ne les a présentés.
D'autre part, les exemples relatifs aux animaux, comme les chiens nus, sont
dus à la sélection artificielle et représentent des fliits de dégradation de race.
Ainsi la loi que Darwin avait pensé pouvoir formuler à cet égard ne saurait
avoir aucune fixité, puisque tantôt chez les chiens nus il y a corrélation de
décroissance et que chez les hommes velus il y a rapport inverse, soit, si l'on
veut, compensation on balancement.
Tout au contraire, Vaiifimenlalion numérique des dents chez l'homme, lors-
qu'elle représente un phénomène isolé et nettement d('hiii, est susceptible de se
rattacher à une loi anthropologique lixe.
Nous essaierons tout à l'heure de formuler cette loi, mais nous devons au
préalable rapporter quelques exemples qui l'autorisent et la justifient.
Un grand nombre d'auteurs, parmi les(juels il faut citer Rudolplii, Gavard,
Sœmmerring, Meckel, Isidore Geoffroy-Saint-lUlaire, de Blainvilleet beaucoup de
modernes, rapportent des faits d'augmentation numérique des dents, soit placées
en séiie régulière et de formes normales, soit situées en divers points hors des
mâchoires et loin des arcades.
Ces faits, qui sont connus sous le nom de (Jent^ surnuméraireit, s'accompa-
gnent de certaines particularités dans la forme : ainsi tantùt la dent nouvelle
prend l'aspect de celles au voisinage desquelles elle apparaît suivant la loi
d'analogie de formation, tantôt, ce qui est le plus fréquent, elle afiécte la forme
conoïde, c'est-iî-dire qu'elle fait retour à Vunité on au type spécifique primitif.
Mais les mêmes auteurs que nous venons de citer font cette autre remarque
que le phénomène d'augmentation numérique s'observe toujours dans sa plus
grande fréquence chez les races inférieures, soit actuelles, soit considérées dans
le temps.
Ainsi ces exemples, qui figurent dans les recueils, appartiennent a\ix Austra-
liens, auxNéo-Calédoniens, aux Tasinanienset surtout aux nègres, qui ont fourni
le j)lus grand nombre d'observations.
Quelques exemples plus récents viennent encore confirmer les influences
ethniques en matière d'augmentation numérique. Ainsi, dans l'une des dernières
séances de la Société d'anthropologie de Paris, on a présenté plusieurs moulages
de mâchoires d'Australiens qui toutes témoignaient de leur provenance par des
pViénomènes d'inlériorité ethnique relative. L'une d'elles présentait un com-
mencement de division d'une incisive supérieure, ce qui constituait une aug-
mentation numérique. Due autre offrait un volume considérable des dents d'ail-
leurs normales ; une troisième était excessivement prognathe. Ces fait venaient de
nouveau confirmer les opinions émises par Gavard, Sœmmerring et bien d'au-
tres auteurs.
L'un de ces derniers exemples, le plus remarquable de tous, a été observé
chez un nègre donné par le professeur Langer, de Vienne, au musée de la Société
anthropologique de cette ville. Cette formule, qui comprend quatre molahes à
chaque moitié de mâchoire, constitue essentiellement un exemple de retour à
la formule des singes inférieurs, les lémuriens.
C'est de la sorte que la formule dentaire, qui est représentée normalement
par le chiffre 52, s'élève à 55, 54, 55, 57 et même 59.
Nous pourrions multiplier ces citations, car Sœmmerring en rapporte cinq faits
chez les nègres; Lesson, plusieurs chez les Australiens; de Blainville, Mum~
126 DEM' (physiologie).
mery, H;imy, Broca et nous-mème, d'autres encore, ce qui représente un cliiffre
relativement très-élevé.
Sans donner ici toutes les formules d'augmentation numérique des dents
suivant les races, et dont les mâchoires figurent dans les divers ouvrages, ainsi
que dans les nôtres (voy. Traité des anomalies du système dentaire, p. 99.
Paris, 1877), nous résumerons ces considérations dans les conclusions suivantes :
Résumé des lois kumériques. 1» Le nombre des dents est proportionnel aux
dimensions des mâchoires dont il détermine l'étendue actuelle et l'allongement
progressif;
2° La diminution numérique de la formule dentaire est un phénomène de
dégradation de l'espèce ou de l'individu et lié à la sélection natui'elle ou artifi-
cielle;
3» L'augmentation numérique de la formule dentaire est en raison directe
du degré d'infériorité de la race et proportionnel à l'intensité du prognathisme
accidentel ou ethnique ;
4" Toute augmentation numérique dans une race élevée constitue un phéno-
mène de retour vers les races inférieures ou les espèces animales de l'ordre
des primates ou des ordres inférieurs.
4° Lois morphologiques. L'appareil dentaire éprouve dans la série des ver-
tébrés des variations infinies au point de vue de la iorme des pièces qui la com-
posent. Chez les poissons, ou bien les dents manquent comme dans l'ordre
entier des Lopliohr anches, ou bien elles se présentent suivant des conditions
mor()hologiques uniformes. C'est presque invariablement pour chaque espèce un
cône plus ou moins aigu, plus ou moins surbaissé; parfois c'est une plaque
composée d'uu nombre variable de cônes élémentaires agglomérés. Chez les
Batraciens, pourvus de dents comme les Sauriens, les Ophidiens et les Croco-
diliens, les dents affectent encore une forme unique et constante.
Chez les oiseaux le type morphologique des dents se perd de nouveau pour
faire place à un double organe de nature cornée, véritable transformation
de la lame épilhéliale représentant non deux mâchoires, comme le croyait
Etienne Geolfroy-Sainl-Hilaire, mais deux revêtements épithéliaux recouvrant
deux maxillaires rudimentaires, ainsi que cela a lieu d'ailleurs chez quelques
Batraciens et chez tous les Ghéloniens.
Viennent ensuite les mammitères, chez lesquels, sauf peut-être la classe infé-
rieure de transition des édentés, l'appareil dentaire présente dans la forme de ses
éléments une fixité tout à fait remarquable pour chaque espèce en particulier.
Les dents perdent rapidement le type conoïde pour affecter les caractères les
plus complexes et les plus variés. C'est de la sorte que chez les mammifères
supérieurs on reconnaît l'existence d'un grand nombre de formes diverses. lis
sont en effet pourvus do quatre espèces de dents distinctes : les incisives, les
canines, les prémolaires ou bicuspides et les molaires. Ce nombre peut à la
rigueur être réduit à trois par la réunion des deux derniers en une seule variété
sous le nom de molaires. De plus, il y a symétrie complète au point de vue de la
forme entre les deux séries supérieure et inférieure.
Mais, si nous envisageons maintenant cette question morphologique dans la
série descendante des mammifères isolément, nous verrons aussitôt que les
caractères complexes des espèces supérieures se simplifient et se dégradent. Chez
les carnassiers les formes ne sont plus qu'au nombre de trois : incisives, canines
et molaires.
DENT (phïsiologie). *27
Dans la classe des rongeurs Ja forme spécifique e'prouvc un nouveau change-
ment : les canines disparaissent; les molaires deviennent absolument homologues
et uniformes, et le système dentaire se trouve réduit à deux espèces de dents,
les incisives et les molaires.
Chez les herbivores, la dégradation continue : ainsi, à part quelques rares
espèces et la division tout entière des pachydermes, les incisives disparaissent
de la mâchoire supérieure et le système dentaire subit ainsi une nouvelle et pins
importante réduction; il ne se compose plus que des molaires et de la moitié
de la série des incisives.
Enfin, dans le dernier ordre des mammifères édcnlés, l'appareil offre un.^
dernière dégradation morphologique, et les pièces, lorsqu'elles existent à l'état
isolé, sont uniformes. 11 n'y a plus qu'une seule espèce de dents.
Mais, si chez les mammifères supérieurs l'appareil dentaire présente la plus
grande complexité de formes connues, cette complexité n'est qu'appnrenle cl
non réelle, de sorte que, si l'on vient à envisager au point de vue de l'analyse
anatomiquc la composition des pièces de l'appareil, on est conduit à considérer
toutes les formes si diverses comme une dérivation d'un type primordial, dont
nous avons retrouvé l'élément fondamental dans le système dentaire des poissons :
c'est le type conique, l'archétype, V unité dentaire.
Prenons, en effet, un des organes dentaires dont la forme est la plus comj)lexe,
la molaire de l'homme, par exemple : ne voit-on pas qu'elle est composée pnr
le groupement des parties homologues qui peuvent être rattachées au type conique?
Les saillies ou tubercules de la couronne sont semblables de forme, leur nombre
seul varie.
Les faits du développement intra-foUiculaire ne fournissent-ils pas un argu-
ment puissant en faveur de cette théorie? Le bulbe dentaire, on effet, est pri-
mitivement composé par une base conoïde qui persiste ainsi pendant les pre-
mières phases de l'évolution : cette forme primordiale est invariable et constante.
Quel que doive être l'aspect de la dent future, elle se retrouve aussi bien poul-
ies dents qui restent coniques que pour celles qui prendront la disposition en
masses quelconques : dents cylindroïdes, placoïdes, multituberculeuses, molaires
composées, etc.
Sur cette base primitive apparaissent des saillies en nombre égal aux tub-M-
cules de la couronne future. Chacune de ces saillies est conique; elle devient,
au moment de la formation de la dent, le point de genèse d'un chapeau de
dentine également conique et en nombre toujours égal aux saillies bulbaires et
aux tubercules futurs. Ces saillies et leur chapeau restent quelque temps isolés
et distincts; ce n'est que par les progrès de l'évolution que les chapeaux so
réunissent et se confondent par leur base, pour constituer la couronne.
Les molaires de volume anormal tl présentant une augmentai ion du nombre
des tubercules se sont formées, de même que celles de volume ordinaire aux
dépens d'un bulbe présentant un nombre équivalent de saillies et de chapeaux
de dentine; la multiplication des tubercules a donc été précédée d'un accroisse-
ment de nombre des saillies bulbaires. Si, au lieu d'une augmentation de
volume, il y a réduction, le nombre des tubercules décroît; il peut êtie réduit
à un seul, et ce fait tératologique constitue immédiatement une réversion au
type conique primitif. Ce phénomène de retour se rencontre, ainsi que nous le
verrons, dans presque tous les cas de production de dents surnuméraires, qui
sont, comme on sait, atrophiées et presque toujours conoïdes. '
128 DENT (physiologie).
Les incisives, dents en apparence simples, sont de constitution complexe et
susceptibles de se prêter à la même analyse. Observons, en effet, la formation du
bulbe dans un follicule de cet ordre; il est encore primitivement unique, mais
à un moment de l'évolulion il se surmonte de saillies au nombre de trois,
lesquelles se recouvrent encore d'un nombre e'gal de chapeaux dentinaires, et,
lorsqu'au moment de l'éruption on observe cette dent, on la trouve en effet
surmonléc de trois saillies très-nettes, très-accusées, même chez l'homme. Ce
sont 6es saillies qui s'effacent rapidement, ainsi d'ailleurs que les tubercules
des molaires, par les progrès de l'âge et le fait même de la mastication; mais, si
les saillies des incisives de l'homme sont peu marquées et rapidement effacées,
il n'en est pas de même dans d'autres espèces, les carnassiers, par exemple,
chez lesquels celte forme en flem de lis, si connue chez le chien, persiste,
comme on sait, très-longtemps comme trace des trois cuspides primitifs.
On peut rappeler en outre, à l'appui de cette vue théorique, que dans cer-
laines anomalies de forme on voit parfois une de ces divisions s'accuser davan-
tage et s'isoler j)lus ou moins complètement du reste de la dent, disposition qui
se produit normalcmciil d'ailleurs dans les dents pectinées de certains singes
inférieurs, chez lesquels elle représente un fait transitoire dans la série des muta-
tions morpholngii|ues.
Si nous ap|)li(juons ce procédé d'analyse à d'autres types de dents, nous
arrivons a-u mèaie résultat : les dents ruhanées des rongeurs apparaissent par
un bulbe qui se recouvre de saillies égales au nombre des rubans futurs. Les
molaires, en apparence si complexes, des ruminants, celles des pachydernes, ne
sont-elles pas formées de cônes accouplés, constitués régulièrement par de
l'ivoire et de l'émail superposés, tandis que toute la masse est incluse par une
sorte de coalescence dans une gangue osseuse;, représentée par le cément, seul
élément de réunion et de jonction des cornets primitifs? Cette disposition, qui
constitue la dent composée de ces animaux, se retrouve à un plus haut degré
encore dans la molaire des grands pachydermes, oîi elle reste soumise à la
niêmc loi d'organisation.
Seule la canine, et cela dans toute la série, conserve sa forme primordiale
et constante. Formée d'un bulbe à une seule saillie, elle se retrouve toujours
unicuspidée. C'est qu'en effet elle représente la tradition morphologique,
V unité dentaire; elle est le témoin des transmutations organiques qu'a subies
dans la succession des êtres le système dentaire.
L'unité dentaire est donc une réalité incontestable et les dents les plus
complexes comme les plus simples peuvent être rattachées à cette loi de l'unité.
Les applications de ce principe sont nombreuses ; nous les avons déjà fait entre-
voir et nous les développerons plus spécialement à propos des anomalies de
forme où nous serons conduit à les envisager, non-seulement au point de vue
de la constitution de la couronne, mais à celui de la conformation des racines
et de leurs variations.
Sans insister davantage sur ces considérations, disons encore que ces résultats
sur la morphologie primitive des dents ont été formulés de la même manière
par la plupart des analomistes modernes, par Ch. Tomes, dans son Anatomie
de l'appareil dentaire, et par le professeur Flowers (de Londres). Ce dernier a
même retrouvé sur un animal aujourd'hui disparu et qu'il a appelé Uomalo
dontlierium un système dentaire offrant un type numérique complet, tandis que
les dents étaient invariablement coniques. Un tel exemple représente à la fois un
DENT (piiYsioi.oGiEj. 129
fait de reversion au type dentaire des vertébrés inférieurs et un puissant argu-
ment en faveur de la théorie de révolution.
Résumé des lois morphologiques, i" La forme initiale des dents est le cône :
c'est le type primordial, l'unité dentaire;
t2" Les formes les plus complexes des organes dentaires peuvent se réduire par
l'analyse en un nombre variable d'éléments primordiaux ou unités réunis par
voie de coalescence;
5" La canine dans les races élevées représente l'unité, c'est-à-dire le témoin
permanent des mutations morpliolojj,iques successives;
¥ L'anomalie connue sous le nom de dents surnuméraires reproduit le plus
ordinairement par voie de reversion le type originel ou le cône.
5' Lois DE VOLUME. Lcs varialious de volume des dents dans l'oidre physio-
logique sont inlinies. Elles sont sous la dépendance soit de la taille générale
avec laquelle les dimensions des dents sont dans un rapport ù peu près con-
stant, soit des relations d'hérédité, soit enfm des conditions ethniques. Mais,
dans ces diverses circonstances, la réduction ou l'aiiginentation de volume porte
sur toutes les dents d'un même sujet indistinctement. Nous n'avons pas à
entrer ici dans des considérations relatives aux difiérences de volume dans l'état
normal, cette étude est du ressort de l'anatomie descriptive.
A l'égard de l'hérédité, le volume des dents obéit aux mêmes lois que toutes
les conditions diverses du système dentaire, et, des lors que nous établissons
dans ce travail la transmission des anomalies dentaires, à fortiori devra-t-on
admettre la transmissibilité des conditions normales.
Pour ce qui concerne les races, la question présente un intérêt beaucoup plus
grand. D'une façon générale, le volume des dents est en raison directe de
l'étendue des diamètres des mâchoires et du degré de prognathisme. Cette loi
a été pleinement confirmée par les recherches des anthropologistes. Dans ce
cas encore, les circonstances relatives au volume des dents portent sur les
diverses espèces d'une manière à peu près uniforme. On pourra s'en convaincre
aisément en étudiant, comparativement à ce point de vue, une série de crânes
apparttnant aux diverses races soit parmi celles qui subsistent aujoud'hui, soit
en y comprenant les races paléontologiques. Ainsi, les races inlérieures sont
remarquables par le volume énorme de leurs incisives et de leurs canines, de
telle sorte que ces dernières ont pu être assimilées à des défenses analogues
à celles des singes anthropomorphes. La même remarque a été faite pour les
races préhistoriques auxquelles dans l'état actuel des sciences anthropologiques
on attribue une infériorité très-marquée. Darwin et Haîckel ont signalé ces faits
auxquels ils ajoutent cette particularité qu'il se produit assez fréquemment avec
des canines très-dé veloppées un diastema qui les rapproche encore davantaoe
de la physionomie simienne. Une canine fossile figurée par Schmerlint^ est dans
le même cas. A ces caractères peut s'ajouter, ainsi que nous l'avons dit plus
haut, certain fait de bifidité des racines, des incisives ou des canines. De tels
exemples sont nombreux aujoud'hui, et on les invoque en faveur de la doctriuo
transformiste et de la théorie de la reversion.
C'est ainsi que parmi les races vivantes nous pouvons citer les Nègres les
Australiens, les INéo-Calédoniens, qui, étant très-prognathes, ont les dentsparticu-
lièrement volumineuses.
D'autre part, il existe certaines races, non proguathes, comme les Casques,
qui sont remarquables par la petitesse extrême de leurs dents.
DICT. ENC XXYII. g
150 DENT (imiysioi.ooie).
Mais le volume des dents est solidaire d'une autre particularité anatomique,
le nombre des tubercules. Tous les anlliropologistes s'accordent à décrire presque
invariablement quatre tubercules aux molaires supérieures, tandis que les
inféiieures en auraient tantôt quatre et tantôt cinq. Ils affirment en outre que
le nombre de quatre tubercules à ces dernières est particulier aux races actuelles
d'Europe cbez lesquelles la présence d'un cinquième tubercule devient une
anomalie. On a noté aussi la plus grande fréquence des molaires à cinq tuber-
cules dans les races préhistoriques et dans les races inférieures actuelles. Nous
n'avons pas réussi jus(|u'à présent à contirmer ces vues plutôt spéculatives que
fondées sur des faits rigoureusement observés. Les seuls points qui semblent
établis sont : le rapport direct du volume des dents .ivec le degré d'inlériorité
de la race et la présence plus fréquente des molaires à cinq tubercules chez
l'homme que chez la femme.
Les dents de même espèce, bien que toujours égales en hauteur, ne le sont
point en volume : ainsi les incisives supérieures présentent un fait de décrois-
sance de volume de la première à la seconde, tandis que la relation inverse
s'observe aux inférieures, la centrale étant plus petite que la latérale.
Pour les })rémolaii'os la série de décroissance est constante, la première étant
toujours plus volumineuse que la seconde.
Mais c'est à l'égard des molaires que celte loi de volume prend une plus
grande importance. En efiet, il est reconnu que cbez l'homme la série des
molaires forme une série descendante de la première à la dernière, tandis que
chez les singes le volume serait ascendant dans le même sens. On a cru pouvoir
établir ici un caractère distinclif de l'homme, mais, si l'on envisage ce caractère
dans la gradation des races, on observe que chez les races inférieures le volume
n'est pins descendant, mais égal et parfois croissant. Cette disposition, qui cor-
respond d'ailleurs constamment avec l'intensité du prognathisme, représente par
conséquent un fait de transition entre l'homme et le singe et devient un argu-
ment en faveur de la loi de l'évolution.
Résdmp: des lois de volume. 1" Le volume des dents est en raison directe de
la taille générale des sujets ;
2° Le volume des dents est proportionnel au degré du prognathisme et con-
séquemment en raison directe de l'inlérioritc de la race.
6" Lois de siège et de direction. Les considérations relatives au siège des
dents chez l'homme sont nécessairement très-bornées, car la situation des
dents chez les mammifères en général est fixe et exclusive. Le seul intérêt à
faire ressortir ici est le principe de la localisation qui s'afiirms progressi-
vement en suivant la série ascendante des vertébrés.
Ainsi, tandis que dans les classes inférieures les dents occupent un point
(juelconque du tégument cutané ou muqueux, il se limite de plus en plus dans
la gradation ascendante pour occuper exclusivement la région supérieure du
tube digestif.
L'intérêt que peuvent présenter ces remarques appartient au fait d'anomalies
de siège qui amènent souvent chez l'homme des phénomènes de reversion,
lorsque, par exemple, la genèse lératologique d'une dent apparue sur la peau
ou dans une région quelconque du corps arrive à représenter un phénomène
de retour à un type inférieur.
En ce qui concerne les conditions de direction des dents chez l'homme, nous
présenterons les considérations suivantes :
DENT (piivsiologie). 131
Le système dentaire considéré au point de vue de sa direction dans l'état
physiologique se présente sous deux points de vue qui sont : 1 " la direction
de l'ensemble des dents et des arcades ; 2° la direction relative des deux arcades
dentaires réciproquement.
Sous le premier point de vue, la question se subdivise. Il convient en effet
d'envisager la direction générale des dents d'une part suivant leurs axes
parallèles, d'autre part suivant le plan de la surface triturante.
D'une façon absolue, la direction générale des dents est la verticale, c'est-à-
dire perpendiculaire au plan horizontal du crâne; c'est là aussi, il faut le dire,
la direction idéale, car bien des circonstances et surtout les induences ethniques
modifient le caractère à des degrés divers. Ce sont précisément ces modifica-
tions ([ui produisent les dispositions connues sous les noms de pwgnatltisme ou
à^oplsthognathlsme, par opposition au terme à'orthognathisme qui représenterait
l'état physiologique parfait, dans nos races européennes du moins. Nous disons
dans nos races, car c'est le plus souvent le caractère ethnique qui domine la
formation de ces deux caractères : projection en avant et projection en arrière,
lesquelles constituent les dispositions extrêmes.
L'étude du prognathisme ethnique est des plus intéressantes. Elle a été d'ail-
leurs l'objet de nombreuses recherches.
Nous rappellerons toutefois que la forme dite prognathe des arcades den-
taires peut se produire accidentellement en dehors de la relation ethnologique:
ainsi la microcéphalie, les déformations artificielles du ciàne, la compression
du front, peuvent les produire. D'autre part, la forme inverse, opisthognathe ,
peut être le résultat de dispositions crâniennes ou faciales opposées aux précé-
dentes : l'hydrocéphalie, la compression postéro-antérieure du crâne, etc.
Certaines pratiques de populations sauvages peuvent ainsi modifier parfai-
tement la physionomie du système dentaire dans sa direction et créer des
déviations artificielles. Considéré d'une manière générale, le prognathisme est
défini ordinairement par ce terme : {'obliquité des mâchoires, c'est-à-dire la
projection antérieure des deux arcades dentaires par opposition au terme
à' orthognathisme qui en représente la rectitude plus ou moins complète, et à
celui à'opisthognathisme qui serait la projection en arrière.
Les recherches de M. Topinard ont toutefois montré que cette division était
purement artificielle et que tous les crânes, à quelque race qu'ils appar-
tiennent, sont toujours plus ou moins prognathes : les ditférences portent donc
sur les chiffres que représentent les indices comparés entre eux. Celte obser-
vation, parfaitement juste au point de vue des distinctions de races, n'exclut
pas toutefois les conditions accidentelles qui rentrent précisément dans le
cadre tératologique : c'est ainsi que, dans une race déterminée dont l'indice
prognathique moyen a été établi, quelques individus offrent une exagération
de la disposition normale. S'il s'agit alors d'une race à indice moyen, comme
notre race blanche, par exemple, l'augmentation de cet indice donne à la physio-
nomie le cnractère bestial, et rapproche l'individu de la forme qui est propre
à une race humaine [inférieure, ou même à une espèce simienne, si celte
augmentation s'exagère. Il se produit alors ce phénomène déjà mentionné et
quia été désigné sous le nom de fait de retour ou de réversion, suivant la
doctrine darwinienne du transformisme.
Si, dans une circonstance opposée, un individu de cette même race blanche
vient à présenter, toujours d'une manière accidentelle, une projection en
132 DENT (piiysiolocie).
arrière des deux mâchoires, l'indice prognathique peut être réduit à zéro ou
prendre un cai-.ictère négatif. La face ai;quiert dès lors cette disposition connue
vulgairement sous le nom de menton fuyant. Cette dernière forme est en
particulier celle à laquelle M. Topinard refuse toute valeur ethnologique et
qui est, dès lors, essentiellement tératologique.
Dans tous les cas, qu'il s'agisse de la piojection en avant ou de la projection
en arrière, il importe de déterminer si c'est sur l'ensemble des pièces du
système dentaire et des mâchoires, ou même sur certaines régions de la face,
que porte la déviation. On distingue à ce point de vue plusieurs variétés.
C'est ainsi que M. Topinard décrit deux divisions du prognathisme: \e facial
supérieur et le facial inférieur. Ces deux espèces se subdivisent de la manière
suivante :
I' Facial supérieur propiemeut dit.
Maxillaire supniieur.
Alvoolo-sous-nasal.
Dciilaire siipéiieur.
_.,.... ^ Dentaire inférirur.
Facial inférieur. . . ^ 5,,„„aj,e .^férieur.
De ces diverses variétés, une seule aurait un caractère purement anthropo-
logique : c'est V alvéolo-sous- nasal ; les autres seraient accidentelles, et repré-
senteraient ainsi des monstruosités à des degrés divers.
Une division correspondante pourrait s'appliquer à Vopisthognathisme, qui
pourrait être distingué en maxillaire ou dentaire supérieur et en dentaire
inférieur. Dans le premier cas, il y a piojection en arrière de l'arcade supé-
rieure, et la fiice prend la forme connue sous le nom de menton de galoche;
dans le second cas, la mâchoire supérieure conservant sa direction normale,
c'est l'inférieure qui éprouve un retrait et une projection en arrière : c'est la
disposition désignée sous le terme de menton- fuyant. On verra plus loin, dans
l'étude des anomalies, que ces dispositions ont reçu de notre part des noms
spéciaux, et représentent dans notre division ïanterersion et la rétroversion
d'une arcade sur l'autre.
Il résulte de ces remarques que, dans l'uneou l'autre de ces diverses variétés,
l'arcade dentaire n'éprouve jamais en totalité la déviation qui constilus l'ano-
malie de direction. Il est en elfet une i-égion du système dentaire qu'elle
n'atteint point : c'est la région des molaires. La pièce molaire reste invariable
dans sa direction; verticale chez l'homme, c'est-à-dire perpendiculaire au plan
horizontal du crâne, elle i-este constamment telle, quel que soit le degré de
prognathisme que puisse présenter un sujet. Chez les mammifères voisins de
l'homme, cette région ou pièce molaire cesse d'être perpendiculaire à l'horizon,
par suite de l'obliiiuilé croissante de l'axe de la tète ; mais elle reste invaria-
blement perpendiculaire à l'axe des mâchoires. Toutes les déviations dites
absolues dans la direction du système dentaire, qu'elles soient ethnologiques
ou accidentelles, doivent donc être considérées comme spéciales et exclusives
à la région antérieure composée des incisives et des canines; parfois même les
canines échappent à la déviation; les incisives l'éprouvent seules. Cette par-
ticularité est encore un caractère des déviations accidentelles, car, dans les cas
de prognathisme nettement accusé, les canines sont entraniées avec la région
incisive, ce qui donne lieu aussitôt à la production d'un intervalle entre les
canines elles-mêmes projetées plus ou moins en avant et les molaires restées
verticales. Cet intervalle, dont la dimension est proportionnelle avec l'indice
DENT (physiologie). 133
<lii prognalliisme, et qui a reçu le nom de dlastema, s'accuse de plus en plus
chez les espèces animales place'es au-dessous de l'homme jusqu'à se confondre
avec la barre chez certains mammifères.
En ce qui concerne la direction de la surface triturante des dents, c'est-à-
dire du plan masticateur, la loi absolue est l'horizontalité. Cette surface en effet
est rigoureusement parallèle à l'axe des bords alvéolaires inférieur et supérieur,
lesquels sont de leur côté parallèles entre eux et au plan horizontal du crâne.
Toutefois cette loi, vraie pour les molaires, semblerait être moins absolue pour
les incisives et les canines, ce qui résulte de la fréquence du prognathisme
accidentel ou ethnique. Cependant, dans les races élevées, les dents antcro-
supérieures débordent en avant les correspondantes inférieures, mais il est
aisé de reconnaître malgré cette disposition que la direction générale des bords
libres est encore l'horizontaie.
Nous venons de dire que l'horizontalité des surfaces triturantes était corol-
laire de l'horizontalité des bords alvéolaires eux-mêmes. Or il se présente ici
une objection trèo-sérieuse et à laquelle nous avons déjà répondu d'ailleurs
dans un autre article de ce Dictionnaire {voij. Bouche). Voici sur quoi elle
repose :
L'horizontalité des mâchoires chez l'homme n'est pas un caractère difficile
à reconnaître pour la mâchoire supérieure, laquelle, étant soudée au crâne et fixe,
est parallèle au plan alvéolo-condylieii ; mais pour la mâchoire inférieure combien
de perturbations dans sa direction surviennent dans le cours de la vie! chez
le nouveau-né en effet, en l'absence d'aucune dent, les bords alvéolaires sont
parallèles entre eux et dès lors hoiizoutaux. Mais, lorsque les dents font leur
éruption aux deux mâchoires, le maxillaire inférieur qui est le seul mobile
s'incline-t-il et devient-il oblique en avant? Chez le vieillard enfin, alors que
les dents ont disparu, le maxillaire inférieur s'incline-t-il en arrière? Quels
sont enfin les phénomènes de compensation qui, malgré l'éruption et la dispo-
sition des dents, permettent aux mâchoires de conserver leur horizontalité et
leur parallélisme?
C'est à ces diverses questions que nous avons répondu dans l'article rappelé
plus haut en formulant une loi relative à la direction normale de la bouche.
Cette loi est celle de ï horizontalité des mâchoires, et quant au mécanisme qui
assure la permanence suivant les âges, il repose sur les variations alternantes .
de V angle de la mâchoire inférieure.
Qu'on observe eu effet l'angle de la mâchoire chez le nouveau-né, il est,
comme ou suit, extrêmement ouvert ou ohtus, et sa normale tracée sur un os
placé sur un plan horizontal passe en avant de l'échancrure sygmoïde. Qu'on
l'observe ensuite chez l'adulte, il est droit, et la normale passe au nrilieu à peu
près de l'échanrrure sygmoïde ; enfin qu'on l'observe de nouveau chez le
vieillard, la disposition de l'enfant se rétablit. C'est donc l'angle du maxillaire
inlérieur qui, éprouvant des changements alternatifs dans son ouverture, établit
la compensation nécessaire à assurer l'Iiorizontalité absolue et permanente des
arcades dentaires et des surfaces triturantes.
Résdmé des lois de sie'ge et de direction. 1° Les dents à l'égard de leur
siège chez l'homme occupent invariablement l'entrée du tube digestif, c'est-à-
dire la cavité buccale. Ce caractère est d'ailleurs commun à tous les vertébrés
supérieurs ;
^^ Ce n'est qu'accidentellement et par voie tératologique que des dents
*34 DENT (piIYS10LOf;IF,).
Iiumaines peuvent .ipparaîlre sur divers points du corps soit par un phénomène
(le migration, soit par genèse d'emblée ;
T)" Au point de vue de leur direction générale les dents de l'homme sont
verticales et perpendiculaires au plan horizontal du crâne;
4" L'inclinaison en avant des dents antérieures est en rapport avec le pro-
gnathisme et proportionnelle au degré d'infériorité de la race ;
5" Au point de vue de la direction de la surface triturante, ieplan masticateur
est horizontal et parallèle au plan alvéolo-condylien et au plan visuel. Ce carac-
tère corollaire de la loi de Vhorizontalité des mâchoires est subordonné aux
variations de compensation que subit d'une manière alternante l'angle du
maxillaire inférieur aux différentes époques de la vie.
7" Lois DE Disi'osrrio.N. Les dents forment pour chaque mâciioire une série
non interrompue de pièces contiguës les unes aux autres, sans intervalles entre
elles et suivant rigoureusement la courbe parabolique des maxillaires. Cette
courbe variable d'élendue et de diamètre est d'une manière générale plus allon-
gée dans le sens antéro-postérieur dans les races inférieures, caractère qui est en
rapport, ainsi qu'on l'a vu, avec le degré de prognathisme, mais elle présente
dans toutes les races indistinctement un caractère constant, c'est l'horizontalité
de la surface libre de la série. Ce caractère essentiellement humain se pour,
suit cependant chez quelques anthropomorphes, mais il se perd aussitôt chez
les espèces animales inférieures en même temps qu'apparaît l'inclinaison en
avant du plan de la face et du plan visuel.
Les deux arcades paraboliques que forment les dents chez l'homme sont
inégales, c'est-à-dire que la supérieure déborde l'inférieure en avant et sur les
côtés. Les incisives supérieures passent devant les inférieures et le niveau des
molaires dépasse notablement de la même façon les correspondantes inférieures.
Il faut encore ajouter que les dents homologues des deux mâchoires ne se corres-
pondent pas : c'est ainsi que les incisives inférieures, d'un volume plus petit, ne
correspondent dans leur rapports réciproques qu'à une partie seulement, les
deux tiers environ, de la largeur des supérieures.
Cette disposition qui se poursuit jusqu'aux canines amène cette circonstance
que la canine supérieure vient se placer pendant l'occlusion dans l'intervalle
qui sépare l'incisive latérale de la canine inférieure, tandis que cette dernière
correspond de son côté à l'intervalle de la canine et de la première prémolaire
supérieures. Ce double rapport constitue un fait constant qui se retrouve dans
toute la série des mammifères, chez lesquels il s'accentue singulièrement
d'ailleurs, car il arrive à constituer le diastema, c'est-à-dire un intervalle plus
ou moins grand, double à chaque mâchoire et formant une lacune dans la con-
tinuité des arcades dentaires.
h^ diastema, qui est constant chez les singes, résulte donc essentiellement du
volume même des canines, lesquelles pour se frayer une place séparent les dents
contiguës qu'elles rencontrent à la mâchoire opposée. Ce diastema toutefois se
retrouve parfois chez l'homme et même en l'absence du volume exagéré des
canines. Il constitue alors soit un fait anormal, comme nous en avons rencontre
sur le vivant des exemples, soit un fait ethnique. Sous ce dernier aspect on l-i
rencontré sur des crânes de races inférieures et sur certaines mâchoires des
époques préhistoriques (Broca). 11 représente donc à la fois un caractère de
dégradation de race en même temps qu'il devient chez un individu contemporain
un phénomène de reversion.
DE.NT (physiologie). 135
Au delà des canines, les rapports réciproques des couronnes des dents se con-
tinuent, etcliaque molaire supérieure correspond ainsi à l'interstice de son
homologue inférieure et de celle qui précède immédiatement cette dernière. 11
résulte de là que dans la rencontre normale et complète des deux paraboles la
courbe inférieure est inscrite par rapport à la suj)érieure et celle-ci se termine
de chaque côté en arrière un peu plus tôt que celle-là.
Les bords libres des dents incisives et la Aice triturante des molaires sont de
la sorte réciproquement conligués par le point de rencontre, de telle sorte que
la présence du moindre corps étranger est exactement perçue, par la raison
qu'en outre de ses propriétés physiipies, que la dent apprécie très-exactement
par sa sensibilité propre, il oppose un obstacle à la juxtaposition des dents.
C'est celte disposition réciproque qui est cause de l'usure progressive et inces-
sante que subissent les bords libres et les surlaces dentaires pendant le cours de
la vie. Cette usure efface rapidement les saillies multiples des incisives et les
tubercules des molaires, circonstance qui est de nature à permettre, dans une
certaine mesure, chez l'homme la détermination de l'âge en matière de
recherche de l'ideulilé. Ainsi que cela se présente chez les animaux domestiques
où cet élément a une grande valeur, celte recherche devrait rentrer dans les
applications médico-légales auxquelles se prêterait l'étude des dents. La question
n'a pas été encore abordée dans son ensemble sous cet aspect particulier, mai>
il est facile de comprendre quelle serait la valeur de l'usure des dents, lorsque,
l'évolution dentaire étant achevée, on serait appelé sur le vivant ou sur le
squelette à dire l'âge du sujet.
Celte usure toutefois est soumise à bien des variations accidentelles dont il
faudrait tenir soigneusement compte : ainsi l'alimentation joue évidemment
un grand rôle dans ce phénomène. Chez les populations peu civilisées et primi-
tives l'usage des aliments crus, des graines de fruits, amène une usure plus
rapide. Le fait est encore surabondamment démontré sur les crânes des races
inférieures et préhistoriques, lesquelles présentent une usure parfois excessive.
Quelques faits contemporains ont d'ailleurs confirmé ces applications : ainsi
une observation fort curieuse du docteur Laveran sur un mendiant arabe, qui
se nourrissait de graines crues, a montré une usure ayant fait entièrement dis-
paraître les couronnes jusqu'au collet.
D'autres circonstances produisent encore cette usure : ainsi les tics diurnes
ou nocturnes qui amènent des grincements de dents sont des conditions de rapi-
dité extrême de l'usure. Nous dirons plus loin quels sont les accidents parti-
culiers qui accompagnent ces phénomènes {Voy. De.nt [Pathologie]).
Résumé des lois de disposition, l» A l'égard de la disposition réciproque, les
arcades dentaires sont en rapport fixe, l'inférieure étant circonscrite par la
supérieure ;
2° Les deux arcades sont, quant à leur direction générale, disposées sur deux
pans parallèles entre eux et parallèles au plan horizontal du crâne ;
5° La rencontre réciproque des arcades dentaires est, dans l'état normal et
pendant l'occlusion de la bouche, rigoureusement complète sans interposition
possib.e d aucune substance ou corps étranger quelconque.
8» RÔLE PHYSIOLOGIQUE. La question du rôle physiologique des dents repré-
sente un problème des plus intéressants et aussi des moins étudiés.
Si l'on suit la gradation ascendante des êtres, on reconnaît aussitôt qu'au début
de son apparition dans l'économie animale l'appareil dentaire occupe un point
136 DENT (physiologie).
quelconque du tégument soit cutané, soit rauqueux. Il en est ainsi, comme on
sait, chez les poissons qui ont des dents cutanées représentées par les épines
des écailles. Tous les poissons cartilagineux sont dans ce cas.
D'autre part, la présence des dents sur les branchies, dans le pharynx, dans
l'œsophage, vient aussitôt faire pressentir, de même que leur siège cutané, le
rôle spécial de protection et de sensibilité. C'est qu'en effet dans de telles cir-
constances les dents sont de véritables organes de tact.
Ces considérations rel tives aux dents des vertébrés inférieurs ne perdent nulle-
ment de ionr caractère et de leur valeur en remontant la série des êtres, car chez le
plus grand nombre des mammifères la seule sensibilité tactile dont ils sont doués
réside exclusivement dans l'appnreil dentaire. Les rongeurs, les carnassiers, ne
perçoivent les qualités physiques des corps qu'à l'aide de leur appareil dentaire,
et il suflit pour s'en convaincre d'assister à tous les actes de perception de la
part d'un chien, par exemple, pour cire convaincu qu'il emploie ses dents à titre
d'organe de sensibilité tactile. Chez l'homme enfin, bien qu'il soit pourvu d'un
merveilleux sens du tact par le corps papillaire du derme, les dents conservent
à un égal degré la sensibilité la plus délicate.
A ces remanjues de [)hysiologie générale viennent s'ajouter les faits qui
démontrent que l'organisation même de l'organe dentaire est constitué en vue
de celte fonction spéciale. Si l'émail en effet représente v.n revêtement inerte
dont le rôle exclusif est celui de transmission simple des impressions reçues, il
n'eu est pas de même de l'ivoire dont l'organisation, ainsi qu'on Ta vu, est d'une
richesse extrême de filaments ou fibrilles sensibles répandues à profusion dans
toute sa substance. Ces filaments émanent d'ailleurs d'un organe central, la
pulpe dentaire, qui représente chez l'adulte le bulbe de l'embryon et qui pré-
sente la structure particulière et la richesse en rameaux nerveux de sensibilité
d'une papille véritable.
Le bulbe est une papille. Celte assimilation est en tous points exacte. Dans
sa célèbre théorie du phanère, de Blain ville avait envisagé la question sous cet
aspect. Étudiant le système légumentaire dans la série animale, il détermina
par un ensemble d'observations ingénieuses et de déductions philosophiques
élevées le rôle exact qu'il convient d'assigner aux productions diverses qui sont
sous la dépendance de ce système.
Les cornes, les poils, le sabot, l'organe dentaire, furent ainsi considérés
comme des produits se rattachant invariablement aux téguments. La science
moderne n'a rien changé à ces vues systématiques; elle en a au contraire fixé
les caractères et démontré l'exactitude, et lorsque dans ces derniers temps nous
avons été conduit, avec Charles Legros, à étudier les analogies de formation et
de constitution anatomique des deux systèmes pileux et dentaire, nous n'avons
fait qu'apporter des preuves analytiques à l'admirable synthèse organique du
grand naturaliste.
La papille dermique est un organe du tact; revêtue d'épithélium, elle reste
spécialement dévolue à la fonction de la sensibilité et aux relations avec le monde
extérieur, et lorsque, par la diversité des rôles multiples qu'elle affecte dans la
série des êtres, elle change de nature et de forme, ces changements ne sont
qu'apparents : le revêtement papillaire se modifie seul ; épidermique ou épi-
thélial dans la peau et les muqueuses, il reste tel dans le poil, le sabot et
l'ongle, qui sont, comme on sait, constitués par l'épitliélium modifié. La dent
n'échappe pas à la règle, et l'on sait, depuis les belles recherches de Kôlliker
DENT (physiologie). 137
et Waldeyer, que l'organe de l'émail est une émanation de la couche prisma-
tique de Malpighi, et l'émail un tissu épiihélial ; le bulbe central reste un
organe papillaire ; il en conserve exactement la composition analomiijue, la
constitution nerveuse exclusivement sensitive et jusqu'à la forme typique. La
/}rtpi7/e dentaire est conique comme la dent qui la surmonte ou l'enveloppe, le
cône est unique dans les dents simples, multiple dans les dents composées, et
l'unité morphologique qui a été fixée pour l'organe total se poursuit dans la
papille elle même qui est le hulhe, contre et foyer de l'évolution organique. La
présence de l'ivoire ou dentine, tissu spécial interposé entre le bnlhe et le revê-
tement d'émail, ne saurait modifier cette manière de voir, car nos recherches
avecLegros nousonl amenés à envisager l'ivoire comme une transformation sur
place d'une des portions du tissu du bulhe lui-même. Ainsi se trouve établie,
avec l'unité de composition organique, l'unilé de fonction, la dent restant
pourvue du rôle d'organe du tact. Telles les dents cutanées et branchiales des
poissons; telles aussi les dents des mammifères auxquelles on ne saurait refusçr
la sensibilité tactile à peine émoussée par la couche compacte et résistante qui
revêt le corps papillaire fondamental.
C'est par les considérations qui précèdent que se trouve démontrée l'existence
chez tous les vertébrés pourvus d'apparence dentaire quelconque du sens den-
taire.
Déjà ces vues physiologiques avaient frappé quelques observateurs. Ainsi
Gubler [voy. article AciDui.Edece Dictionnaire, t. 1, p. 545), cherchant à expli-
quer la sensibilité particulière des dents, avait cru en donner la raison en sup-
posant un sens électro-chimique à ces organes. Mais un autre auteur, Robert
Graves, de Dublin {Dublin, Med. Journal, 1846, et Ârch. de méd., 2= série, t. \,
p. 400, 1846), avait plus nettement affirmé l'exislence de la sensibilité tactile
des dents. Toutes les observations modernes soit physiologiques, soit historiques,
établissent ce fait comme une vérité incontestable.
Résimé du rôle physiologiqce. i" Les dents constituent par leur ensemble
aussi bien chez l'homme que chez tous les animaux un appareil de tact, sus-
ceptible de percevoir d'un manière complète les qualités physiques des corps
telles que température, résistance, etc. ;
2" Cette sensibilité est due à ce que chaque dent est représentée par une
véritable papille en tous points comparable anatomiquement à la papille der-
mique du corps papillaire de la peau;
5» Les perceptions sont transmises au travers de la couche d'émail au tissu
de l'ivoire, lequel est parcouru par des émanations fibrillaires du corps papil-
laire central représenté par la pulpe. E. Magitot.
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E. M.
g YI. Pa(liolo;;ie Oi: HISTOir.E DES MALADIES DES DENTS ET DES OPÉRATIONS QDI SE
rRATIQl'ENT SUR CES ORGANES.
Cette partie de notre travail comprendra : A. Histoire des maladies des dents. —
B. Médecine opératoire.
A. Maladies des dents. Nous adopterons daiis cette description la division
suivante :
I. Vices de cnnforynation de l'appareil dentaire consistant en 1° accidents de
l'évolution ou anomalies; 2" accidents de rrriiplion.
II. Affections de V organe en totalité : \° lésions Iraumaliques : luxations,
fractures, usure : 1" lésions organiques : carie dentaire, déjà étudiée (t>Oî/. Carie
dentaire).
m. Affections des tissus dentaires en particulier : 1" maladies de la pulpe;
2" maladies du périoste ; 5" maladies du cément.
I. VICES DE CONFORMATION DE L'APPAREIL DENTAIRE. 1° Accidents de
l'évolution ou ANOMALIES DE l'appareil DENTAIRE. Les anouialies du système den-
taire sont extrêmement fréquentes; les considérations auxquelles peut donner lieu
l'étude de leur mode de production ou leur tératogénie, les applications plus oa
moins importantes qu'on peut en déduire à l'égard de la pathogénie de certaines
affections chirurgicales et au point de vue même de leur thérapeutique spéciale,
c'est-à-dire de leur curabilité dans certains cas, sont aussi intéressantes qu'utiles.
Les points de vue sous lesquels peut être tracée l'histoire des anomalies de
l'appareil dentaire sont multiples, et nous avons été ainsi conduits à traiter
notre sujet sous les chefs suivants :
1° Sous le rapport de la définition, de la classification et de la statistique;
2° Dans la série des mammifères;
3" Dans la succession des races humaines ;
4" A l'égard du mode de production des anomalies dentaires on de la téra-
togénie ;
DENT (pathologie). 141
5" Au point de vue pathologique et chirurgical.
1" Définition des anomalies dentaires^ classification et statistique. Avec
Geoffroy Saint-IIihiire, nous donnons le nom d'anomalies du système dentaire à
toute déviation du type primitif.
Ce type primitif que nous déterminerons se dégage d'un ensemble de carac-
tères variables suivant les diverses espèces animales, mais fixes dans une espèce
en particulier. Ils se déduisent de la forme, du volume, du nombre, du siège
absolu ou relatif, de toutes les conditions, enfin, qui sont, dans l'état pliysiolo-
gique, immuables et transmissibles à la descendance.
Les perturbations tératologiques de ces conditions constituent les anomalies.
Les dents peuvent en présenter une ou plusieurs à la lois, constituant ainsi les
anomalies simples ou complexes.
Le caractère général de ces anomalies, c'est qu'elles représentent toujours des
accidents de l'évolution, qu'il ne faut pas confondre avec ceux de l'éruption.
La dent ne quitte le follicule, qui est en quelque sorte son sac fœtal, que
pourvue d'une manière définitive de ses caractères normaux ou anormaux ;
ceux-ci sont dès lors permanents et indélébiles ; l'organe régulier ou difforme
est parvenu pour ainsi dire à l'âge adulte, et toute lésion ultérieure qui vient
l'atteindre sera désormais du domaine de la pathologie et non plus de la téra-
tologie.
Ne pouvant citer toutes les tentatives de classification des anomalies faites
jusqu'à ce jour, nous rappellerons celles de Ilunter {Œuvres compi, tvad. franc.,
t. II, p. 78 et 120, 1839), Meckel {Man. d'anat. patli., trad. franc., 1823,
t. m, p. 559), Is. Geoffroy Saint-IIilaire {Des anomalies de l'organisation, t. 1,
p. 409, 546, 641, et atlas, p. H), Blandin [Anatornie du système dentaire chez
ihomme et les animaux, thèse de concours. Paris 1836), Tomes {Manuel de
chir. dent., 2^ édit. trad. franc. Paris. 1872), Wedl {Pathologie der Zàhne.
Leipzig, 1870), Forget (Des anomalies dentaires, etc. Paris. 1859), Davaine
{Dict. encyl. des sciences méd., art. Mo.xstkes, 2"= série, t. I\, p.. 26), qui ont
rapporté en outre un certain nombre de cas d'anomalies. En nous basant sur
les particularités de celles-ci, nous avons dressé des anomalies le tableau suivant :
TABLEAU SYNOPTIQUE DES ANOMALIES DU SYSTÈME DENTAIRE CHEZ LES JUMMIFÈRES.
r Anomalies totales.
l" Anomalies de forme j Anomalies coronaires.
( Anomalies radiculaires.
î Diminulion ou nanisme ! n° ?^',
■1' Anomalies de volume j Toîalc
' Augmentation ou géantisme. ..in .• n
° " ( Partielle.
[ Absence congénitale.
.'î'' Anomalies de nombre J Diminution numérique.
( Augmentation numérique.
/ Transposition.
4' Anomaliei de siège Hétérolopie ... "«^f ^«'«P-e par migration folliculaire.
neterolopic Inirorsion blastodermique.
[ par 'Hétéroplastie.
r Absolues i Prognathisme accidcniel.
., .., ,. . .. ,. \ou totales. . . • i Opisthognathisme accidentel,
o- Anomalies de direction j , Antévertion.
(Relatives . . . . |''''''°^"='°"- . ,
I Inclinaison latérale.
\ Rotation sur l'axe.
142 DENT (pathologie).
i Éruption précoce.
Éruption tardive.
Chute précoce.
Chute tardive.
iEmbryoplastiques.
l Avec ou sans grains phospha-
Fibreux. . . < tiques.
Atrophie. .1 ' Avec ou sans grains dentaires.
' Cémenlaircs.
Hypertrophie I ^ „ . ■ j Circonscrits.
, Odontoplastiques. ^Dentinaires. . \ ^-^^^^
V .'iHomfliîM rfc ««-jl'ÏPergcnèse. / \,inmnnlins ^J"""eurs hétérotopiqucs do
trition. \ Odoutoiiics. \ . Adanianuus . ^ l'émail.
( Cémeutaires.
Radiculaires. . ■ | peutinaires.
1 Prédcntinaires.
Transformation kystique, kystes folliculaires. . , Odonloplasliques.
f Coronaires.
Défectuosités de 1 , . , , „
, ,.,•,. , f Accidentelles
la totalité de ,. ^. ...
/ i'„ „ ,„ l Dialnesiques.
lotalcs ( 1 organe. . . . ) '
1 I hrosion.
f,' .{iiomnlics (le J l Colorations anormales des dents.
structure. J r snious et défectuosités de lémail.
! Partielles \ Vices de structure de l'ivoire.
( \ ices de structure du cément.
i Anomalies par coulinuilé, réunions anormales.
Anomalies par di.-jonction, divisions anormales.
1 Atrésic de l'arcade dentaire.
Anomalies par asymétrie des arcades dentaires. ^ Aujmenialion des diamètres
( de l'arcade.
Rapports anormaux des arcades dentaires.
Les anomalies dentaires sont, ainsi que nous l'avons déjà dit, tantôt simples,
tantôt multiples. Dans le premier cas, elles portent sur une seule des conditions
du type fondamental et elles i-entrent rigoureusement dans l'un des cadres que
nous avons tracés; mais, si elles sont complexes, c'est-à-dire lorsqu'elles repré-
sentent plusieurs perturbations simultanées de divers caractères fondamentaux,
elles se prêtent difficilement à une classification régulière. Cependant nous avons
cru devoir procéder dans ce cas en faisant figurer l'anomalie complexe dans la
catégorie propre à l'anomalie principale, à celle, par exemple, qui a entraîné la
seconde. Ainsi, un follicule hétérotopique est-il devenu le siège d'un otioutome
ou d'un kyste, c'est-à-dire d'une anomalie secondaire de nutrition, la seconde
déviation é(ant manifestement le résultat de la première, c'est dans la classe de
celle-ci que devra être rangé un pareil exemple.
La fréquence des anomalies du système dentaire n'a pas été étudiée jusqu'alors
avec toute la précision désirable; on les croit relativement rares en général el
même certains auteurs, M. Puech en particulier, dans un récent travail {Des
anomalies de l'homme et de leur fréquence relative. Paris, 1871), n'en font
aucune mention.
Réunissant toutes les pièces recueillies dans divers musées et collections
particulières, nous avons pu examiner 2000 anomalies qui, classées d'après le
précédent tableau, nous ont donné les chiffres suivants pour chaque espèce:
Anomalies de forme 92
— de volume 120
— de nombre 440
— desiégp, 193
— de direction • 581
— de développement. lr>4
— de nutrition 208
— de structure 168
— de disposition 244
Total 2000
PEXT (pathologie). Ii5
?{ous n'insisterons pas dans cet article sur les anomalies dentaires chez les
mammifères et dans les diverses races humaines; celte étude a été i'a^ d'une
manière "énérale dans notre Traité des anomalies du système dentaire chez
les mammifères (in-i» avec un allas de 20 planches, Paris, 1877), auquel nous
renvoyons le lecteur. Nous nous contenterons de résumer ici les considérations
que nous y avons développées dans les propositions siùvantes :
Les dents chez les mammifères procèdent toutes d'un même type primitif, le
cône, qui est la forme élémentaire, V unité morpholo(/i(jue du système dentaire.
Le type conique est celui vers lequel s'ohservent les tendances de retour de la
part des termes supérieures lorsqu'elles sont frappées d'aherrations téralologiques.
Le caractère régressif des dents esl un signe d'intériorilc de race.
Chez les mammifères, les dénis perdent le caractère exclusivement conoïde
pour alfecter des formes plus complexes et plus variées ; la perfection relative
du type se rencontre chez les espèces supérieures et chez l'homme, mais elle
se dégrade à mesure qu'on descend l'échelle des êtres.
La complexité des formes est toutefois plus apparente que réelle, et, si l'on
vient à envisager dans leur constitution les différentes pièces du système den-
taire, on est conduit à considérer toutes les formes diverses comme une dérivation
<lu type primitif, dont nous avons cru retrouver l'élément fondamental dans le
système dentaire des derniers vertébrés, les poissons. C'est ce que nous avons
appelé le type conique, Varchétype.
La canine seule, et cela dans toute la série, conserve sa forme primordiale et
constante. Formée d'un bulbe à une seule saillie, elle se retrouve toujours unicus-
pidée. Les incisives et les molaires au contraire subissent dans leur forme des
modifications nombreuses dont l'origine se retrouve dans la forme de leur bulbe.
La raison physiologique déterminante qui entrauie la formation des cônes ou
tubercules simples ou multiples suivant la forme des dents est donc le bulbe.
Le type dentaire est aussi une réalité incontestable et les dents les plus
complexes comme les plus simples peuvent être rattachées à celte loi de
l'unité.
Toutes les classes de mammifères peuvent présenter des perturbations acci-
dentelles, lesquelles s'observent dès lors isolément chez un individu ; elles
peuvent ne pas être nécessairement transmissibles à la descendance et constituent
rmmédialement unfaittératologique. Ainsi toute déviation dans laformule dentaire
d'une espèce représentera une anomalie; toute modification dans la forme ou le
volume sera dans le même cas; toute aberration de siège constitue l'hétérotopie;
toute perturbation dans l'époque de l'éruption, les troubles dans la nutrition,
dans la structure, dans le mode réciproque de classement et de rencontre des
arcades dentaires, seront des faits téralologiques. Toutes ces données trouvent
leur application dans la suite de cette étude relative à l'homme.
Les caractères des dents des races anciennes paraissent indiquer que les ano-
malies n'étaient pas plus fréqiientes chez elles que dans les races actuelles; ces
considérations ne peuvent permettre de conclure en faveur de l'hypothèse d'une
infériorité physique chez nos ancêtres.
Les caractères des anomalies ne paraissent pas avoir changé, mais la loi de
dégradation du système dentaire que nous avons observée dans la série des
vertébrés se retrouve dans la succession des races humaines avec l'ensemble des
autres caractères physiques.
Considérés sous le rapport purement physiologique, les caractères du système
114 DENT (pathologie).
dentaire éprouvent en effet certaines moiUtîcations par le fait seul de la race;
mais ces modifications portent seulement sur le volume et la direction, c'est-
à-dire qu'elles sont liées presque exclusivement au degré plus ou moins prononcé
du prognathisme. Nous avons étudié déjà ces variations dans vn autre travail
(Uhomme et les singes anthropomorphes. [Bull, de la Soc. (V anthropologie.
Paris, 1860, p. Ho]).
Envisagées sous le rapport numérique, les anomalies du système dentaire sont
peut-être celles qui s'accusent le plus nettement au point de vue ethnologique.
L'hérédité joue un grand rôle dans la production des anomalies, chaque iorme
particulière pouvant en subir l'influence.
Nous verrons dans la suite de cette étude quelles sont les applications chirur-
o^icales particulières qui conviennent à chaque espèce d'anomalies.
A. Anomalies de forme. Nous avons indiqué dans l'anatomie descriptive des
dents les traits caractéristiques de chacune d'elles ; les anomalies peuvent frapper
la forme de la dent soit en totalité, soit dans sa couronne, soit dans ses racines;
la comparaison de ces formes anomales avec les formes normales pourra s'élabiir
avec ce que nous en avons dit précédemment.
Suivant une division toute naturelle, nous tiécrirons successivement les ano-
malies de forme totales, ies anomalies île la forme de la couronne, les anomalies
de forme de la racine.
I. Anomalies de forme totales. Ce genre d'anomalies, plus fréquent chez
les dents définitives que chez les temporaires, frappe souvent une dent isolée,
d'autres fois deux dents homologues d'une même mâchoire et plus rarement
les quatre dents des deux mâchoires. Pour les dents temporaires, on invoque
l'inlluence des troubles survenus au sein des mâchoires pendant la vie intra-
utérine ou dans les premiers temps de la vie ; parfois ces troubles passent
inaperçus, mais des traumatismes portant sur les mâchoires ont le même résultat,
surtout pour les anomalies des dents permanentes; les chutes sur la face, les
extractions intempestives, sont les causes les plus efficaces des anomalies de
forme. Nous l'avons constaté nous-même un certain nombre de fois.
La forme de la dent est parfois tellement altérée qu'on ne reconnaît plus le
type primitif. Toutefois les éléments constituants sont reconnaissables, et leurs
rapports ne varient point.
L'anomalie de forme qui frappe ainsi une dent dans une série, en nombre
d'ailieurs normal, se retrouve en outre dans le dents surnuméraires, qui repré-
sentent ainsi deux anomalies à la fois.
La dent frappée d'une anomalie de forme peut avoir son siège normal, mais
cette anomalie coïncide souvent avec l'anomalie de volume. En pareil cas l'ano-
malie est incurable; si elle est trop gênante, on peut extraire la dent, surtout
chez les sujets jeunes où l'on peut espérer que le rapprochement des dents voi-
sines comblera le vide, en partie du moins.
11. Anomalies de forme de la couronne. Cette anomalie peut aflecler
indifféremment toutes les dents et, sauf le cas de traumatisme, c'est à la mâchoire
supérieure qu'elle se présente le plus souvent. Chez les incisives elle prend
surtout la forme conoïde ou bien il se forme des saillies secondaires ; la diffor-
mité est le plus souvent isolée pour les incisives centrales et symétrique pom'
les latérales.
Si cette anomalie se complique d'un excès de volume, la dent ne peut occuper
sa place normale et mie anomalie de siège prend naissance.
DENT (pathologie). 145
Pour les prémolaires, la cause de l'anomalie est souvent la production d'acci-
dents inllammatoires ayant pour point de départ la carie de la dent temporaire.
Lorsque l'anomalie est spontanée, elle consiste souvent dans la production d'un
tubercule supplémentaire.
On trouve aussi l'augmentation des tubercules cliez les autres molaires;
d'autres fois on observe un aplatissement delà couronne, soit transversalement,
soit dans le sens anléro-postérieur.
L'augmentation du nombre des tubercules prédispose davantage à la carie
dentaire, en raison de l'étendue et de la profondeur des interstices qu'ils inter-
ceptent entre eux.
Ul. Anomalies de forme des racines, La racine des incisives et des canines
peut affecter une courbure plus ou moins prononcée soit en avant, soit en
arrière; plus rarement elle est bifide. D'après les rechercbes de M. llamy, cette
bifidité, pour la canine inférieure, serait un caractère propre aux races préhis-
toriques {Bull, de la Soc. d'nnthropolocjie, 187-i, p. 54). Nous ne l'avons
rencontrée que dans la proportion de 1 pour 100 [Bidl. de la Soc. d'anthro-
pologie, 1874, p. 127). Povir les prémolaires on trouve les mêmes dispo-
sitions de courbure, et le nombre des racines peut également augmenter : la
division en deux racines est plus accentuée, et on a même trouvé jusqu'à trois
racines.
Les molaires sont de toutes les dents celles dont les racines présentent le plus
d'anomalies dans leur forme et leur nombre. Celui-ci dépasse cependant rarement
le nombre de quatre; on trouve surtout cette disposition à la mâchoire supé-
rieure, où les molaires ne présentent normalement que trois racines.
Les anomalies de forme des racines sont plus importantes surtout au point
de vue chirurgical. Outre les courbures que l'on peut rencontrer, les racines
sont parfois divergentes ou convergentes. S'il y a divergence des racines, l'écar-
tenieiit de celles-ci ne s'oppose pas à la luxation de la dent au moment de l'avul-
sion, mais leur extraction est à peu près impossible, et il faut en fracturer une
ou plusieurs qui restent dans l'alvéole. S'il y a convergence, les racines com-
prennent dans leur concavité une portion osseuse de l'alvéole, dite barre, qu'il
faut briser dans l'avulsion.
B. Anomalies de volume. Nous connaissons déjà les variations de volume d'une
même séiie de dents normales; nous savons aussi que ces variations sont héré-
ditaires; que les variations de certaines dents, surtout les canines et les molaires,
ont une grande importance au point de vue ethnique; mais nous devons surtout
nous occuper ici des anomalies au point de vue de la médecine et de la chi-
rurgie dentaires.
L'anomalie de volume peut être simple, ou porter sur deux dents homologues,
ou encore sur toutes les dents d'une même série.
Dans tous les cas, cette anomalie consiste dans une augmentation ou une
diminution du volume des dents sans altération dans la forme de l'ort^ane;
cependant chez les molaires on constate, dans le cas d'accroissement de volume,
une augmentation du nombre des tubercules de la couronne.
Les causes tératologiques de ces anomalies sont les mêmes que pour les
autres. Elles affectent plus spécialement les dents permanentes.
Les dents qui présentent des anomalies de volume sont par ordre de fréquence
les molaires, puis les incisives ; enfin les bicuspides et les canines. Nous divise-
rons naturellement ces déviations en deux groupes : l" l'anomalie par dirainii-
DICT. ESC. XXVII. JQ
146 DENT (pathologie).
lion de volume ou nanisme; 2" l'anomalie par augmentation de volume ou
géantisrne.
I. Anomalies par diminution ou nanisme. La diminutiou de volume
des dents peut être générale ou partielle. Si elle affecte la totalité du système
dentaire, on peut lui attribuer comme causes des conditions inhérentes à la
constitution générale ou à la sypliilis héréditaire : la syphilis (llutchinsou), les
troubles généraux de la nutrition chez les enfants. Bourneville a signalé le même
fait chez les idiots [Journal des connaissances médicales, 1862 et 1865). Dans
tous les cas, les dents ne présentent dans ces circonstances qu'une diminution
pure et simple de leur volume général, laquelle s'accompagne toujours d'une
modification plus ou moins profonde dans la structure et la composition ana-
tomiques des organes.
Si la réduction de volume est isolée à certaines dents en particulier, elle peut
porter tantôt sur la totalité, tantôt sur une seule des parties, la couronne ou la
racine. Lorsque la diminution de volume porte sur une partie seulement de la
dent, c'est toujours sur la racine; lorsque la couronne est affectée, la racine
l'est également ; mais la racine peut l'être alors que la couronne reste nor-
male.
II. Anomalies par augmentation de volume ou géantisrne. L'augmentation
de volume d'une dent peut également affecter la totalité de l'orgajie ou l'une
seulement de ses parties, couronne ou racine.
L'augmentation totale est de beaucoup la plus fréquente: toutes les espècesde
dents peuvent la présenter, mais ce sont surtout les incisives et les molaires
qui en sont atteintes. Parmi les incisives, les supérieures seules paraissent en
être affectées, car on n'en connaît pas d'exemple aux inférieures.
Dans les molaires, le nombre des tubercules et des racines est augmenté;
dans d'autres cas, le volume des molaires offre une gradation ascendante de la
première à la troisième, disposition inverse de l'état normal chez les races
élevées, et qui constitue un fait reversif vers l'organisation dentaire des races
inférieures et vers celles des singes.
Lorsque l'anomalie atteint la couronne seule, il y a multiplication du nombre
des tubercules, qui peut s'élever à 5, 6, et même 8 ; c'est le plus souvent la
dent de sagesse qui la présente ; elle a alors environ le double de son volume
normal.
L'intervention chirurgicale n'est réclamée que lorsque le volume trop consi-
dérable d'une dent entraîne des désordres de voisinage qui en nécessitent
l'avulsion.
C. Des anomalies de nombre. L'anomalie de nombre des dents consiste dans
toute modification accidentelle quelconi|ue de la formule dentaire spéciale à
chaque espèce de mammifères. Ce sont, avec les anomalies de direction, les plus
fréquentes de toutes.
En règle générale, les dents qui présentent les plus fréquentes anomabes
numériques sont celles qui sont constituées en séries plus nombreuses ; les canines
n'en présentent pas; les prémolaires en sont quelquefois frappées; c'est surtout
aux incisives et aux molaires que cette anomalie s'observe le plus fréquemment.
L'anomalie numérique peut se traduire de deux façons : i^ar diminution ou par
augmentation.
Dans le premier cas, l'anomalie a pour cause soit l'atrophie d'un germe
ou l'absence de genèse primitive de ce même germe, soit, ce qui nous paraît
DENT (pathologie). 147
plus fondé, un retard dans son développement. Cette disposition est souvent
héréditaire.
Lorsque l'on constate l'absence congénitale d'une dent permanente, on trouve
presque toujours à sa place la dent temporaire correspondante; ce qui donne la
preuve de l'atrophie ou de la suppression originaire de la seconde. On devra
donc bien se garder de suivre une pratique complètement erronée qui consiste,
dans le but de provoquer l'apparition d'une dent permanente manquante, à
extraire la dent temporaire qui en occupe la place.
Les causes et le mécanisme de production d'une augmentation numérique des
dents sont bien difficiles à établir ; il y a à cet égard plusieurs tliéories. Nous
n'en mentionnerons que deux qui méritent d'être discutées.
La première consiste à admettre que dans le sein du follicule il se produit,
par suite de certains troubles d'évolution, une division d'un bulbe dentaire
précédée d'une division analogue dans l'organe de l'émail, et qu'à la suite de
cette scission, les deux fragments ayant évolué isolément, il en est résulté deux
dents au lieu d'une. Cette explication, à laquelle paraît s'être rattaché Is. Geof-
froy Saint-Ililaire, ne nous paraît pas soutenable.
L'autre admet une augmentation accidentelle du nombre des cordons épi-
théliaux partis de la lame épithéiiale de Kolliker, lesquels sont en nombre
égal des dents futures.
Kollmann pense de plus que, lorsque le col de l'organe de l'émail se détache
du follicule, le cordou qui le constituait végète, prolifère et envoie dans diffé-
rentes directions des prolongements qui auraient la propriété de se constituer en
organes de l'émail et de devenir centres de production d'un follicule nouveau sur-
numéraire. Suivant la direction qu'il prend, ce follicule ira se placer soit dans
l'arcade dentaire correspondante, soit dans un point plus ou moins éloigné, con-
stituant ainsi une dent surnuméraire hétérotopique. C'est ainsi que se produisent
celles que l'on rencontre dans la fosse canine, le rebord orbilaire, la voiite pala-
tine, la branche montante du maxillaire intérieur, etc.
Cette théorie, reposant sur des laits prouvés, nous paraît la plus admissible.
Au point de vue de la description nosographique, les anomalies de nombre
des dents se distinguent en : 1° l'absence congénitale de la totalité des dents;
2» la diminution numérique ; Z° l'augmentation numérique.
I. Absence congénitale de la totalité des dents. On trouve dans des auteurs
anciens, et môme relativement modernes {voy. Borrel, Hist. et obs. rar. cent.,
obs. 41. - Dautz, Arch. deStark, t. IV, p. 694. — Fox, Hist. nat. et mal. des
dents, 1821. — Sabatier, Anatomie, t. I, p. 78. — Fauchard, Le chirurgien den-
tiste, t. I, p. 340), des exemples d'absence totale des dents; mais nous considérons
comme apocryphes ces observations, abstraction faite, bien entendu, des faits de
lésions pathologiques graves des maxillaires pouvant entraîner la perte totale des
dents ou même des follicules chez un sujet jeune.
II. Diminution numérique. Nous avons rapporté, d'après les auteurs, un
certain nombre de faits de ce genre dans notre Traité des anomalies dentaires
p. 74. '
La diminution numérique, d'après ce que nous avons observé, est très-variable
quelquefois, mais rarement, une seule dent manque; le plus souvent l'anomalie
frappe deux dents homologues d'une même mâchoire. On la rencontre rarement
dans la dentition temporaire; lorsqu'elle existe, elle entraîne forcément la sup-
pression des dents permanentes correspondantes; en effet, le follicule des dents
148 DENT (pathologie),
permanentes provenant d'un bourgeonnement du cordon épithélial du follicule
de la dent temporaire qui lui correspond, si celle-ci manque, la dent perma-
nente sera nécessairement supprimée.
Comme beaucoup d'autres anomalies dentaires, celles de nombre subissent
les lois de l'hérédité.
Les dents permanentes présentent fréquemment l'anomalie de nombre ; à la
mâchoire supérieure, on observe souvent l'absence des incisives latérales, par-
fois d'une seule ; les dents de sagesse manquent très-souvent aussi. L'absence des
incisives centrales est très-rare, celle des canines n'a jamais été signalée et nous
n'en avons jamais vu d'exemple, pas plus que celle des premières molaires per-
manentes.
A la mâchoire inférieure, l'absence la plus fréquente est celle de la dent de
sagesse, dont le germe, comprimé entre la branche montante et la deuxième
molaire, s'atrophie et disparaît par résorption. Celles qui manquent ensuite le
|)lus souvent sont la preniièie et la seconde prémolaires, puis les incisives, et
particulièrement les centrales. Quant aux autres, premières et secondes molaires,
canines et incisives latérales, nous ne connaissons pas d'exemple bien constaté
de leur absence.
La conduite du praticien, dans un cas de diminution numérique par absence
congénitale, devra être nécessairement l'abstention, aucune opération ne pou-
vant provoquer le développement d'un follicule atrophié ou absent. Peut-être
dans ces cas pourrait-on avoir recours soit à la greffe dentaire, soit à la greffe
des follicules, si de nouvelles études venaient établir dans quelles circonstances
et suivant tjuels procédés opératoires des greffes de follicules deviendront pra-
ti((uement réalisables (w?/. les résultats que nous avons obtenus avec Ch. Legros
in Comptes rendus de VAcad. des sciences, 2 février 1873).
On a signalé, chez certains animaux, une coïncidence entre la rareté des poils
et la diminution du nombre normal des dents ; chez l'homme, au contraire, on
a recueilli plusieurs faits dans lesquels, à un système pileux exagéré, corres-
pondait une diminution numérique plus ou moins marquée du système dentaire.
Nous renvoyons au travail que nous avons publié à ce sujet {Les hommes velus,
in Gaz. méd. de Paris, 1873, p. 609).
IlL Augmentation numérique. Cette variété d'anomalies est de beaucoup
la plus fréquente et la plus importante des déviations de cette classe. Elle a été
signalée de tout temps, désignée sous le nom de dents surnuméraires, avec
toutes les exagérations et les invraisemblances que nous remarquons de la part
de beaucoup d'auteurs à propos d'autres anomalies. Les dents surnuméraires
prennent quelquefois la forme de celles de la région qu'elles occupent, mais
le plus souvent elles ont la forme conoïdale.
Nous étudierons ces anomalies successivement dans la dentition temporaire
et ensuite dans la dentition permanente.
Les anomalies numériques des dents chez l'homme sont beaucoup plus fré-
quentes à la mâcboire supérieure qu'à l'inférieure; elles portent aussi bien sur
la première que sur la seconde dentition.
Pour la première, sur six cas que nous avons recueillis cinq appartiennent à
la mâchoire supérieure et un seul à l'inférieure. De plus, ils siègent tous au
voisinage des incisives, c'est-à-dire qu'ils dépendent de l'espèce de dents
([ui est l'une des plus nombreuses dans la série. Ils ont en outre ce caractère
que les dents surnuméraires ont pris la forme identique ou analogue à celles
DEIST (pathologie). 1^9
voisina'Te desquelles elles ont pris naissance, ce qui est conforme à la loi
au
de Vogel.
Fig. 15. — Denis sunuiinéraircs ayant fait retour
, à la forme conoïde.
Fig. 11. — Dent surnuméraire ajant pris la forme
d'une incisive.
Dans plusieurs cas, des dents surnuméraires siégeant, en arrière de la série
normale affectent la forme conoide.
Dans d'autres exemples enfm, il y a en réalité production de deux incisives
latérales très-régulièrement conformées. Chez un enfant affecté d'un bec-de-lièvrc
double avec saillie antérieure du tubercule incisif, ces deux dents occupaient
la partie la plus avancée des os maxillaires et au devant des canines, tandis
que le tubercule médian portait régulièrement quatre incisives tout à fait nor-
males. Le point curieux de ce fait, c'est que des incisives ont pu se développer
sur les maxillaires, c'est-à-dire en dehors de la région incisive de la mâchoire,
région anatomiquement réservée à leur genèse.
En résumant par des chiffres les considérations précédentes, nous voyons que
de la formule 20, qui est normale
pour les dents temporaires chez
l'homme, on arrive aux formules
21 et 22, mais rarement au
delà.
Dans la dentition permanente,
les exemples d'augmentation nu-
mérique sont beaucoup plus Iré-
quents et se présentent plus sou-
vent à la mâchoire supérieure qu'à
l'inCérieure. La dent surnumé-
raire se place soit entre les au-
tres, soit en avant, soit en arrière ;
dans d'autres cas, surtout pour
les incisives, les dents surnumé-
raires forment dans la région un
groupe plus ou moins nombreux {voy. fig. 15).
Tomes {Trans. ofthe odontological Soc. of Great Britain, i"^ série, vol. III,
p. 365) et Tellander (cité par Tomes, eod. loco, p. 282) ont signalé des groupes
de 14 et 24 dents de formes variées réunies en masse et occupant un point
voisin de la région incisive où elles avaient provoqué la formation de kystes à
contenu multiple.
Pour les molaires, les dents supplémentaires se placent soit en arrière de la
série normale, et dans l'axe même de celle-ci, soit en dehors de l'arcade den-
taire, jamais en dedans. Dans le cas où la molaire surnuméraire est double et
Fig. 13. — Groupe de cinq dents surnuméraires situées
dans la région incisive d'un liomrae adulte.
150 DENT (pathologie).
symétrique, elle se place à la fin de la série dont elle augmente la longueur.
Les dents surnuméraires peuvent occuper une autre place que la région maxil-
laire, constituant ainsi à la fois une anomalie de nombre et une anomalie de
siège. Le plus souvent elles ont la forme des dents voisines de la région qu'elles
occupent, mais parfois elles paraissent atrophiées et se rapprochent plus ou
moins de la forme conique soit simple ou multiple, et alors plus ou moins irré-
gulière. Le type conique se produit lorsqu'il n'y a qu'une seule dent surnu-
méraire, s'il en existe un plus grand nombre, il peut s'en rencontrer parmi elles
quelques-unes de cette forme et plusieurs autres se rapprochant du type normal
des dents voisines.
La conslilution anatomique intime des dents surnuméraires ne diffère pas
ordinairement de celle des dents normales; si la dent supplémentaire est de
forme pareille à celles de la région à laquelle elle répond, sa structure est
identique à la leur. Si au contraire elle affecte la forme conoïde, bien qu'on
y retrouve encore les mêmes tissus avec leurs caractères ordinaiies, on remarque
cependant certaines différences dans leur densité et leur résistance : ainsi l'émail
paraît plus friable, souvent irrégulier et mamelonné ; l'ivoire est poreux, spon-
gieux et creusé de nombreux espaces interglobulaires, circonstances qui sont de
nature à prédisposer gravement à la carie, affection qui se rencontre assez sou-
vent chez ces dents anormales. La cavité de la pulpe continue d'ailleurs à pré-
senter une étendue et une forme régulièrement proportionnelle au contour exté-
rieur de l'organe. Quant au périoste et au cément, ils ne présentent rien de
particulier.
INDICATIONS THÉRAPEDTIQrES RELATIVES A l'aIGMENTATION MMÉRIQIE DES DENTS
CHEZ l'homme. Certaines indications thérapeutiques peuvent se présenter à l'égard
de quelques cas de dents surnuméraires. En effet, la présence d'une dent supplé-
mentaire entraîne ordinairement des déviations d'un autre ordre dans la région
qu'elle occupe ou même dans une étendue plus grande de l'arcade dentaire. C'est
ainsi que des anomalies de direction et de disposition reconnaissent pour cause
cette seule circonstance. Le praticien, dans ce cas, devra s'inspirer des condi-
tions mêmes qui se sont produites sous cette influence ; une dent surnuméraire
conoïde ayant paru au centre de l'arcade dentaire, sur la ligne médiane, dans
l'interstice de deux incisives centrales supérieures, par exemple, on devra, chez
un sujet jeune, en faire la suppression pure et simple, laissant au temps le soin
de provoquer le rapprochement des dents ainsi séparées, ou cherchant à le réaliser
par l'emploi de divers moyens. La conduite sera la même, si la dent supplémen-
taire, de forme conoïde ou normale, avoisine les incisives latérales dont elle
détermine la déviation. Si elle se développe en dehors d'un bord alvéolaire, soit
dans la voûte palatine, soit à l'intérieur de l'arcade, on devra encore en effectuer
la suppression.
S'il s'agit d'une molaire, on agira de même, lorsqu'elle siège hors de l'arcade
normale ; mais on la conservera, si elle occupe une place dans la série régulière.
Enfin, dans le cas d'augmentation numérique multiple, on devra tenir compte
des particularités et des dispositions spéciales et, suivant les circonstances,
conserver certaines dents, enlever certaines autres, de manière à rétablir, s'il est
possible, l'harmonie du système dentaire.
D. Anomalies de siiîge ou hétérotopie. L'anomalie de siège ou hétérotopie
sert à désigner toute production d'une dent hors du lieu où elle est placée norma-
lement. Nous en étudierons trois espèces principales :
DENT (pathologie). 15*
1° La dent n'a point perdu sa connexion avec l'arcade dentaire, mais elle a
pris la place d'une autre et vice versa : il y a donc simple transpodtion ;
2° La dent occupe un point plus ou moins éloigné du bord alvéolaire, tandis
que sa place normale reste vacante; l'héte'rotopie peut être ainsi dans les maxil-
laires ou hors des maxillaires, etc.;
3» Les arcades dentaires étant au complet, une dent apparaît dans un point
quelconque du corps : elle est donc à la fois surnuméraire et hétérotopique par
génération de toutes pièces.
I. Du mécanisme de production des anomalies de siège. Théories qui s'y
rapportent. L'explication tératogéniquc des anomalies de siège diflëre sensible-
ment, suivant qu'il y a simple transposition ou déplacement au dedans ou au
dehors de l'arcade, ou bien qu'il y a production d'une dent surnuméraire.
Ce que nous avons dit précédemment de la naissance et de la migration des
cordons épithéliaux, origine des loUicules, nous permettra de comprendre la
formation des deux premières espèces d'anomalies de siège. Au lieu de venir
prendre sa place normale, le follicule, par suite d'une aberration de direction du
cordon, peut prendre la place d'une dent voisine, qui prendra alors la sienne.
Si Taberration est plus étendue, le cordon s'allonge, se déroule, et la dent fera
éruption dans un point plus éloigné, en dehors de l'arcade, à la voûte palatine,
dans la fosse canine, dans la fosse temporale, etc. Cette migration pure et simple
peut se faire d'ailleurs spontanément, si le siège de la dent est pris par une
autre, par exemple, daus les cas de brièveté des arcades dentaires, d'alrésie des mâ-
choires ou de séjour trop prolongé des dents temporaii'es. Dansées cas, le nombre
total des dents ne varie pas généralement et la présence d'une dent sur un point
rapproché des mâchoires coïncide avec son absence sur l'arcade dentaire.
11 n'en est point de même pour la tératogénie des anomalies consistant dans
l'apparition d'une dent sur une partie quelconque du corps, mais dépourvue de
toute connexion possible avec les màchoiies qui sont d'ailleurs pourvues de leur
système dentaire normal. La dent ainsi hétérotopiquement développée est surnu-
méraire, ce qui entraîne dès lors une double anomalie de nombre et de siège.
Plusieurs théories ont été émises pour expliquer ces faits de production hèlé-
rotopiques des dents. La plus généralement adoptée jusque dans ces derniers
temps est celle de l'inclusion; actuellement elle est reconnue comme absolument
erronée. Elle reposait sur ce fait que les dents ainsi développées étaient renfer-
mées dans une poche kystique, dans l'ovaire, le scrotum, le testicule, la paroi
abdominale, la région cervicale, le sourcil, etc. Nous avons démontré dans un
travail antérieur {Traité des anomalies du sijstème dentaire,^. 113 et suivantes)
que cette théorie n'était pas admissible, en ajoutant que les théories plus récentes
de MM. Balbiani et Dareste sur la diplogénèse n'étaient pas fondées sur des
preuves suffisantes.
Nous pensons que ces dents renfermées dans des kystes s'y sont formées par
suite de l'emprisonnement dans la profondeur des tissus d'une portion du feuillet
blastodermique externe, par un mécanisme analogue à celui qui a été admis pour
la formation des kystes dermoïdes de la queue du sourcil, de l'organe de
Wolff, etc. (Follin, Recherches sur le corps de Wolff, thèse inaugurale.
Paris, iSoO. — Verneuil, Recherches sur les kystes de T organe de Wolff dans
les deux sexes [Mém. de la Soc. de chir., 1852, t. III, p. 218] et de l'inclusion
scrotale et testiculaire, in Arch. de méd., 1855, 2« série, t. XI, p. 303. — Broca,
Traité des tumeurs, § I, p. 13). Mais, pour que cette introrsion tègumeutaire
152 DENT (pathologie).
puisse produire une hétérotopie dentaire, il faut admettre, en raison des analo-
gies des deux téguments cutané et muqueux, que la première anomalie par dépla-
cement de l'élément cutané entraîne des modifications de structure qui le
rapprochent de la constitution et du rôle d'une muqueuse et préparent ainsi les
conditions histogéniques d'un cordon épithélial.
La possibilité de la production d'une dent se trouve ainsi établie dans la
patliogénie d'un kyste dermoide et, tandis que la génération de cet organe
implique l'assimilation organique de la poche avec une muqueuse, la présence
des poils et des matières grasses et sébacées qui coexistent souvent avec des dents
rappelle la constitution cutanée. Quant aux fragments osseux qui figurent parfois
dans ces cavités accidentelles, et dont la présence n'a pas peu contribué à établir
les hypothèses de l'inclusion fœtale et de la parthénogenèse, nous inclinons à
penser qu'ils se forment consécutivement à la production des follicules dentaires
et comme une sorte de conséquence physiologique de la présence même de
ceux-ci.
Ajoutons enfin que toutes ces parties, fragments osseux, dents, poils, etc.,
sont toujours altérées morphologiquement, de sorte que les dents difformes,
irrégulières et atrophiées, paraissent avoir une tendance manifeste à revenir au
type conoïde.
L'hétérotopic simple, c'est-à-dire la génération isolée d'une dent sur un point
([uelconquc du corps, se produit d'une autre manière. Il faut faire appel ici à la
loi indiquée pour la première fois par Lebert sous le nom dliéléroplastie, et
qui est ainsi formulée :
« Beaucoup de tissus simples ou composés et des organes plus complexes
même peuvent se former de toutes pièces dans des endroits du corps où à l'état
normal on ne les rencontre pas » (Des kystes dermoïdes, etc. [Comptes rendus et
mém. delaSoc. debioL, 1852, t. IV, p. 205]).
Cette loi a son corollaire dans le domaine pathologique où elle porte le nom
d'hétéradénie, suivant l'expi-ession de Ch. Robin [Ga:i. hebd., 1856, t. III, p. 35).
Nous admettons donc d'une manière positive que la présence hétérotopique d'une
dent sur un point quelconque du corps sans connexion aucune avec les bords
alvéolaires est due à l'hétéroplastie simple. Toutefois nous ne pensons pas avec
Lebert que ce phénomène de génération puisse se produire indifféremment à toute
époque de la vie, et nous inclinons à penser avec Broca [Traite des tumeurs,
1869, t. II, p. 159) qu'il s'elfectue toujours pendant la période embryonnaire
et reste sous la dépendance exclusive des phénomènes histogéniques primitifs,
La dent ain^i formée peut être unique, mais le nombre total peut s'élever à
20, 50, 80, et même atteindre 500 (l'ioncquet, Memorabile physconiœ necnon
osteogeniœ anomalœ exemplum. Tubenga;, 1798. — Autenrietb, in Arch. fur
die Physiologie, Bd. VU, p. 257, 259. Halle, 1807). Dans ces conditions, la dent
peut rester incluse dans les tissus sans causer d'accident, mais d'autres fois elle
peut provoquer la formation d'un kyste, d'un abcès, d'un odontome (Broca,
Ourlt), d'ostéites et de nécroses osseuses, etc.
II. Faits d' hétérotopie dentaire chez l'homme. Dans l'expoié des exemples
d'anomalies de siège des dents, nous allons présenter successivement :
A. Les faits de transposition, ou migration double ;
B. Les cas à.' hétérotopie par migration simple ;
C. Ceux qui résultent de la genèse d'emblée.
A. Transposition ou migration double. Toutes les dents n'y sont point égale-
155
DENT (pathologie).
mentsuielles; nous n'en connaissons pas d'exemples dans la dentition tempo-
raire et pour la permanente, les dents inférieures paraissent y échapper abso-
lument. C'est donc à la mâchoire supérieure et dans la seconde dentition que
celte anomalie serait limitée. De plus, la région antérieure jusqu'à la première
prémolaire inclusivement semble en être seule" affectée.
Les iaits de transposition simple des dents sont assez rares; "«f"^^" *=«""!;.'■
sons qV quatre, rapportés l'un par Miel {Journal de médecuie mi, t. XX\A
p 08 ), lautre par Tomes {Chirurgie dentaire, trad. Darin, 187.), p \lù) ei
le's deux autres par nous-même {Traité des anomalies du système dentaire,
^'" B^ Hélérotopieparmigralion simple. Les faits de ce genre sont extrêmement
nombreux. Ils présentent des variations intinies aux deux màchon-cs. mais sont
plus fré(|uents à la supérieure
qu'à l'inférieure, et la dentition
permanente semble seule en être
affectée. Les limites de ces dépla-
cements de dents sont celles
mêmes de la région faciale. Les
faits qui ont été observés au delà,
soit dans le crâne, soit sur la
peau dans la région cervicale,
appartiennent le plus souvent à
)a troisième catégorie, que nous
étudierons tout à l'heure.
Tous les follicules peuvent ap-
paraître sur un point plus ou
moins distant de l'arcade, mais ce
sont surtout les canines supérieu-
res qui présentent le plus souvent
cette disposition. Cela tient à ce
que cette dent effectue son évolu-
tion à la fin de la série, alors que l'arcade dentaire est déjà en partie garnie,
parfois même complètement. Ce follicule pouvant rencontrer ainsi toutes les
places occupées est nécessairement rejeté hors des maxillaires. Les prémolaires
sont moins souvent affectées que les canines, mais l'hétérotopie y est presque
aussi fréquente chez les molaires.
Indépendamment des accidents que nous avons signalés comme pouvant être
provoqués par les dents incluses dans les tissus, il en survient d'autres lorsque
ces dents siègent sous la langue ou sont en rapport avec la face interne des joues,
où elles produisent des excoriations et même des ulcérations rebelles.
C. Hétéroiopie par genèse. Les faits dus à l'iwvagination blastodermique ont
une physionomie un peu différente de ceux qui proviennent de l'hétéroplastie
simple. Les exemples siègent sur des points du corps où les phénomènes du
développement embryonnaire permettent d'établir la production tératologiquede
l'introrsion elle-même. Ils occupent le plus ordinairement une cavité kystique
dans laquelle une ou plusieurs dents se trouvent réunies à d'autres productions
de nature dermique ou épidermique, des poils, des cheveux, par exemple. Les
faits de genèse proprement dite sont représentés, au contraire, par l'apparition
d'une dent sans autres parties accessoires.
Fig. 16. — Héliirotopic par migration d'une dent do sa-
gesse inférieure ayant fait son apparition sur la peau
de la région cervicale (Cartwrighl).
154 DENT (pathologie).
Les kystes dermoïdes contenant des dents ont été le plus souvent observés dans
l'ovaire ; plus rarement on en a trouvé dans le testicule, dans l'estomac, dans
l'intestin, la clavicule, le cou, le vagin, etc. Le nombre et la forme des dents
ainsi enkystées sont très-variables ; le plus souvent la forme est conoïde, consti-
tuant ainsi une reversion au type primitif. Très-rarement la forme est assez régu-
lière pour être reconnaissable, et le plus souvent l'altération morphologique est
telle que les dents ne peuvent être rattachées à aucun type normal ; elles sont
petites, avortées, difformes. Elles présentent fréquemment en outre d'autres alté-
rations comme des traces d'usure et de résorption qui ont été confondues avec la
carie, lésion inadmissible cependant dans de telles circonstances (voy. Traité de
la carie dentaire, 1872, p. 159).
Le nombre des faits de ce genre est très-considérable, et Lebert en a réuni
une très-grande quantité [Comptes rendus et Mém. de la Soc. de biologie, 1852,
t. IV, p. t>2l).
Les faits de formation simple et isolée d'une dent sans complication d'une
cavité kystique ni d'autres produits dermoïdes quelconques demandent une autre
interprétation : tels sont, par exem|ile, les faits de dents fixées à la paroi interne
Fig. 17. — Hétérotnpie d'une molaire dans la cavilé crânienne chez le cheval (M. Gouhaux).
Musée de l'Ecole d'Alfort.
du crâne et comprimant la masse cérébrale (Goubaux), de dent implantée dans
la paroi vésicale (Leudet), etc.
Les conséquences pratiques et les applications thérapeutiques relatives aux
anomalies de siège des dents sont très-bornées. Il ne faut en effet songer à
aucune intervention à l'égard des faits de transposition simple. Dans le casd'hété-
rotopie au voisinage des mâchoires, on devra extraire la dent lorsqu'elle sera
gênante et susceptible d'être saisie. Quant aux faits d'hétérotopie sur un point
quelconque du corps, qu'il y ait ou non production de lésion concomitante,
abcès, kyste, etc., la conduite à tenir en pareil cas est celle qui concerne ces
diverses altérations dans lesquelles la présence d'une dent n'est en définitive, au
point de vue clinique, qu'un élément accessoire.
E. AisoMALiES DE DIRECTION. Lc Système dentaire, considéré au point de vue de
sa direction dans l'état physiologique, doit être envisagé sous deux rapports qui
DENT (pathologie). *^5
sont : iMa direction de l'ensemble des dents et des doux arcades dentaires simul-
tanément, c'est la direction absolue; 2° la direction relative des deux arcades
réciproquement.
Cette première distinction nous conduit à localiser nettement notre sujet. En
effet, les déviations dans la direction
absolue des arcades dentaires consti-
tuent ce qui a reçu le nom générique
de prognathisme ou obliquité des
mâchoires, c'est-à-dire la projection
antérieure des deux arcades dentaires,
et à'opisthognathisme, ou projection
des arcades en arrière, par opposition
avec Vorthognatisme qui représente
l'état normal, dans nos races euro-
péennes du moins.
Nous n'avons point à étudier ici le
jrrogîiathisme ethnique : il a été l'objet
de nombreuses et importantes recher-
ches {voy . G. Vogt, Leçons stir l'homme,
trad. franc. Paris, 18(35, p. 67, et Mé-
moire sur les Microcéphales. Genève,
1867. — Topinard, Des différentes
espèces de prognathisme, in Revue
d'anthrop. de P. Broca, 1872, t. I,
p. 628, et 1873, t. 11, p. 71 et 251.
— Bull, de la Soc. d'anthrop., 1873,
p. 19, et 1874, p. 328). Nous dirons
toutefois que la forme prognathe des
arcades dentaires peut se produire
accidentellement, en dehors de la
relation ethnique, par la microcéphalie, les déformations artificielles du
crâne, la compression du front. D'autre part, la forme opisthognathe peut être le
résultat de dispositions crâniennes ou faciales opposées aux précédentes : l'hydro-
céphalie, la compression postéro-antérieure du crâne, etc.
Le prognathisme artilîciel, comme d'ailleurs le prognatisme ethnique, est
beaucovip plus fréquent chez la femme que chez l'homme.
Ces déviations de la totalité des arcades ne portent pas néanmoins sur toutes
les dents; elles n'affectent que la région antérieure, soit les incisives seules, soit
celles-ci et les canines simultanément; la région des molaires conserve sa recti-
tude ordinaire et normale. Toute tentative de réduction doit être rejetée, puisque
la difformité est le fait d'une déviation primordiale des os de la face, à laquelle
on ne peut remédier.
Anomalies de direction kelatives. Celte catégorie de déviations est beau-
coup plus intéressante au point de vue pratique : aussi nous y arrêterons-nous
davantage. Elle se subdivise dans les variétés suivantes : antéversion, rétro-
version, inclinaison latérale, rotation sur l'axe, qui constitueront autant de
paragraphes particuliers.
I. De Vantéversion. L'antéversion consiste dans la projection en avant de
l'une des arcades dentaires sur l'autre. Elle est infiniment plus fréquente à la
Fi<r. 18. _ Hélérotopie |)ar inlroision ljla»loiler-
mique ou yenèsc d'une incisive incluse dans la
vessie et fixée à la paroi (Musée de l'Ecole de
niéd. de Rouen).
156 DENT (pathologie).
mâchoire supérieure qu'à l'iiilérieure; elle peut porter sur toutes les dents
antérieures, incisives et canines, mais le plus souvent elle occupe les incisives
seules. Dans les cas les plus simples elle n'affecte qu'une ou deux incisives, les
autres étant normales.
L'inclinaison des dents déviées occupe tous les intermédiaires depuis la direc-
tion normale jusqu'à l'horizontalité ; nous ne connaissons toutefois que fort peu
d'exemples de cette dernière disposition.
Les maxillaires peuvent garder leur direction primitive, mais dans certains
cas la région incisive du maxillaire supérieur a subi également une projection en
avant, et c'est ce phénomène qui peut aller jusqu'au bec-de-lièvre double avec
saillie du tubercule médian et projection des dents.
C'est à l'époque de la seconde dentition que se produit cette déviation. Celle-ci
étant constituée définitivement, elle imprime aux lèvres une forme particulière
et aux arcades dentaires des rapports nouveaux qui nuisent singulièrement à
l'accomplissement régulier des fonctions de la bouche.
Ce phénomène donne ordinairement lieu à une irritation plus ou moins grande
de la gencive, qui devient le point de départ d'altérations plus sérieuses, stoma-
tites, ulcérations rebelles, etc. j^bandonnée à elle-même, une telle difformité est
absolument définitive et nullement curable spontanément; elle est toutefois par-
faitement réductible par les moyens orlhopédi(j[ues : le bâillon, les appareils à
traction postérieure, les appareils à pression antérieure.
Le bâillon est un moyen incommode que l'on n'a que rarement roccasioii
d'employer; il nous a cependant été utile dans un cas (Traité des anomalies
dentaires, p. 145).
Les appareils à traction postérieure consistent en une lame métallique, de
platine ou d'or, fixée aux molaires, et du bord antérieur de laquelle partent des
anses de fil de soie ou de caoutchouc adaptées autour des dents qu'elles sont
destinées à tirer en arrière.
Ce procédé, que nous avons employé trois fois avec succès, a cependant plu-
sieurs inconvénients sérieux qui nous ont amené à lui préférer le suivant.
Appareils à pression antérieure. Ces appareils se composent d'un double
bandeau, soit de métal, soit mieux de caoutchouc vulcanisé. L'un de ces ban-
deaux, placé en arrière de l'arcade dentaire, est appliqué sur le palais et à la
face interne des dents latérales ; l'autre est antérieur et circonscrit exactement
l'arcade. Les deux parties de l'appareil sont reliées l'une à l'autre par des liens
transversaux, composés soit de lils métalliques dans le cas oii il n'y a aucun vide
dans la série des dents, soit de caoutchouc lorsqu'il existe une lacune entre deux
dents. Le bandeau antérieur porte des clievilles de bois incluses dans des trous
ménagés à cet effet, et en nombre égal à celui des dents difformes. Les chevilles
sont placées de telle sorte qu'elles exercent une pression d'avant en arrière sur
la couronne de celles-ci, et c'est ainsi que, renouvelées de temps en temps, elles
produisent une action à peu près continue.
Cet appareil ne présente pas d'inconvénients sérieux; les sujets le placent
eux-mêmes et ne le retirent qu'au moment des repas. 11 n'apporte dans la bouche
aucune gêne notable, si ce n'est un certain soulèvement de la lèvre supérieure
correspondant à l'épaisseur du bandeau antérieur. 11 peut être maintenu d'une
manière constante pendant la nuit aussi bien que pendant le jour.
La durée du traitement est variable, suivant le degré de la déviation, la fré-
quence du renouvellement des chevilles de bois, et la régularité avec laquelle
DENT (pathologie). 157
les sujets portent l'appareil. Lorsque la réfliiction de la difformité est réalisée
par le retour des derts à la position a
normale, il importe de conserver
à celles-ci leur situation nouvelle
et régulière par l'applicalion d'un
dernier appareil dit de maintien,
porté soit un jour sur deux, soit
seulement pendant la nuit.
Nous avons employé encore un
appareil plus simple que les pré-
cédents, et dont le caractère es-
sentiel est d'a«ir sur la dent
déviée à la façon d'un ressort.
Il se compose d"un anneau d'or
embrassant une ou plusieurs dents
auxquelles il est solidement fixé.
De cette armature part un ressort
de même métal ou même d'acier,
recouvert d'une couche de nickel
et qui, exerçant une pression con-
tinue sur la dent déviée , en
amène rapidement la réduction.
Les appareils précédents sont
surtout applicables à la réduction
(les déviations en avant des inci-
sives supérieures. Les canines sont
quelquefois seules déviées par
suite d'un certain degré d'atrésie
du maxillaire supérieur, de sorte
qu'à la fin de la période de la
seconde dentition il ne reste,
entre la première prémolaire et
l'incisive latérale, qu'un espace
insuffisant pour recevoir la ca-
nine.
Si l'on peut intervenir au moment de l'éruption de celte dent, il faut enlever
Fig. 19. — Moulages représentant -. A, l'élat des deu\
imlclioires d'un sujet de douze ans affecté d'anléver-
fion des dents antéro-supérieures. — B, l'appareil à
pression antéro-postérieuie en place. — C, l'état du
sujet guéri après un mois de traitement.
Fig. 20. -Autre exemple d'anléversion borné aux incisives centrales supérieures; les appareils
sont indiques en place do façon à montrer les distances parcourues pendant le traitement.
Î58 DENT (pathologie).
la première prémolaire, dont la canine prend la place; si au contraire on ne
constate la difformité qu'au moment où la canine a effectué son évolution, il
laut recourir à l'extraction de celte dent elle-même. Nous devons mentionner
cependant encore une tentative qui paraît avoir été faite parfois dans le but de
donner à l'arcade supérieure une étendue suffisante pour loger toutes les dents
sans en extraire aucune. 11 s'agit des appareils dits extenseurs à l'efficacité des-
quels nous ne croyons pas.
A la mâchoire inférieure, les déviations sont rares; les appareils redresseurs
sont généralement inapplicables, et lorsque la difformité est trop gênante, il vaut
mieux alors recourir à l'extraction des dents déviées.
II. De la rétroversion. Cette anomalie consiste dans la projection en arrière
■de l'arcade dentaire, c'est-à-dire au dedans de la courbe normale, d'une ou de
plusieurs dents antérieures, incisives ou canines. Le caractère essentiel de cette
-déviation est que la couronne seule semble avoir éprouvé le mouvement de
recul, tandis que la racine conserve son point d'implantation.
Les dents antérieures des deux mâchoires peuvent subir également ce phéno-
mène, qui présente toutefois beaucoup moins d'importance à l'inférieure qu'à la
supérieure.
A la mâchoire inférieure, la déviation des incisives reconnaît la même cause
qu'à la supérieure, c'est-à-dire un défaut déplace. Le traitement est également
Je même.
A la mâchoire supérieure la dent déviée occupe une position vicieuse non-
seulement en dedans de ses voisines, mais encore en arrière des dents inférieures
correspondantes, et la présence de ces dents inférieures au devant des supérieures
déviées est précisément la raison qui rend la déviation définitive en s'opposant à
foute réduction spontanée.
Les causes les plus ordinaires de la rétroversion des dents antéro-supérieures
«ont :
J° La saillie anormale du menton entraînant l'arcade dentaire inférieure et
constituant la disposition connue sous le nom de menton de galoche;
2° Le retrait également congénital de l'os incisif entraînant à son tour la
|)ortion correspondante de l'arcade dentaire et donnant lieu à l'aplatissement de
la région labiale supérieure, ce qui, pour la physionomie, amène le même
résultat que dans le cas précédent.
Lorsque la déviation ne porte que sur une ou deux incisives ou sur une canine
seule, il faut l'attribuer à une anomalie primitive de direction du follicule cor-
respondant à la dent déviée ou à un retard dans l'époque de son éruption,
laquelle ne peut se faire normalement parce que la place est occupée par une
autre dent.
Les variétés de cette espèce de déviation réclament les mêmes moyens de
réduction, qui répondent à deux indications fondamentales :
1° Exercer sur la dent déviée une action d'arrière en avant destinée à ramener
progressivement la dent supérieuie au devant des inférieures et à sa place
normale ;
2" De supprimer temporairement, c'est-à-dire pendant la durée du traitement,
l'influence des dents inférieures qui sont la cause de la persistance de la
<léviation.
Les appareils répondant à ce double but sont les suivants :
A. Le jilan incliné. Ce moyen, dià à Catalan {Mémoire, rapport et observa'
DENT (pathologie), 159
lions sur Vappareil propre à corriger la difformité vulgairement nommée
menton de galoche. Paris, 1826), consiste en une sorte de boîte recouvrant une
partie plus ou moins étendue de l'arcade inférieure, et surmontée du plan
incliné dirigé en arrière et en haut, et dans une obliquité telle que la dent déviée
le rencontre inévitablement dans l'occlusion delà bouche. Cet appareil, qui doit
toujours rester en place, sauf pendant les repas, suftit à produire la réduction
d'une déviation simple d'une ou de ^
deux incisives, et il est préféiable à
tout autre dans ces cas. Nous pou-
vons même ajouter que dans certains
faits de rétroversion totale de la ré-
gion incisive il a pu procurer la
guérison complète chez des sujets
jeunes. Nous en avons observé plu-
sieurs exemples.
B. Appareils à pression constante.
Ces appareils consistent, comme ceux
que nous avons décrits plus haut à
propos de l'antéversion, en deux ban-
deaux de caoutchouc appliqués l'un
en avant, l'autre en arrière de l'ar-
cade supérieure, et reliés entre eux
par des traverses en caoutchouc ou en
métal. Seulement, les chevilles de bois
destinées à exercer la pression sont
placées sur le bandeau postérieur
pour comprimer la dent d'arrière en
avant. Ils sont en outre construits de
façon à s'opposer à la rencontre ré-
ciproque des deux arcades dentaires.
Les appareils à bandeaux sont préfé-
rables à tous les autres dans les cas
de déviation de plusieurs mcisives,
et conviennent également lorsqu'il y
a coïncidence d'une antéversion avec
une rétroversion; il suffit pour cela
d'appliquer deux chevilles, l'une sur
le bandeau postérieur, l'autre sur le
bandeau antérieur.
Dans les cas où les dents sont par-
faitement contiguës sans interstice
pouvant laisser passer même un fil
métallique, l'appareil devra enchâsser
la région dentaire à la façon d'un capuchon recouvrant les molaires et dégagé
au niveau des incisives de manière à n'exercer son action que sur celles-ci.
C'est encore aux chevilles de bois qu'on a recours pour produire la pression
continue.
Ces appareils à capuchon, s'opposant à la rencontre des arcades dentaires,
neutralisent l'influence des dents inférieures et laissent ainsi plus de liberté
Fig. 21. — Représeiitaut un cas de rétroversion
de la région antéio-supérieure traitée par le plan
incliné.
A, moulage de la déviation vue de profil. — B, ap-
pareil en place. — C, résultat au bout d'un mois
et demi de iraitement.
160 DENT (pathologie).
aux dents déviées pour reprendre leur place normale. Leur application devra
donc être préférée lorsqu'il s'agira de
réduire la rétroversion simultanée de
plusieurs dents ou celle des incisives
centrales en particulier, dont la ré-
sistance est toujours plus sérieuse
que celle des latérales.
Il résulte essentiellement de ces
diverses considérations thérapeuti-
ques que, soit qu'il s'agisse d'une
antéversion ou d'une rétroversion
simple, soit qu'on se trouve en pré-
sence d'une combinaison de ces di-
verses déviations occupant la même
mâchoire, un appareil basé sur les
principes que nous venons de for-
muler convient aussi bien à l'un qu'à l'autre cas et même aux deux simulta-
nément.
A B
Ki». 22. — Apparoîl à pression poslérieure destiné
à remédier à la rélrovoiiioii de la iéf;ion antéro-
supérieure. La pression s'exerce au moyen de
chevilles.
Fig. 23. — Quatre types d'appareils à double bandeau présentant en différents points les pas de vis
armés de chevilles destinées à redresser soit des antévcrsions (A et Dj, soit une rétroversion (B), soit
à la fois des antéversions et une réiroversion (C). On voit en E la vis de pi'ession terminée par la
cheville de bois.
Le principe sur lequel doivent être établis ces appareils est donc celui du double
bandeau, l'un antérieur à l'arcade anormale, l'autre postérieur, et tous deux reUés
DENT (pathologie). 16i
sur les côlés par un système embrassant les molaires et prenant sur celles-ci
deux poiuts fixes. Le système de points fixes aux molaires se composera d'anneaux
faits de même substance que l'ensemble de l'appareil, c'est-à-dire de caoutchouc
vulcanisé. Les bandeaux seront également en caoutchouc, sauf les cas particu-
liers où, en raison de l'extrême épaisseur qu'on est contraint de leur donner,
on devra leur préférer les lames métalliques qui recevront d'ailleurs tout aussi
facilement des tubes ou pas-de-vis armés de la cheville de bois ordinaire.
Mais, si nous acceptons dans certains cas le bandeau métallique, nous le repoussons
absolument pour les parties en contact avec les molaires. Cette réprobation
s'adresse surtout à certains appareils à capuchons métalliques recouvrant entiè-
rement de chaque côté la région des molaires et qui ont été préconisés dans ces
derniers temps. De tels appareils ont en premier lieu l'inconvénient, par la
matière rigide et dure qui les composent, de blesser les dents ou les gencives, et
en second lieu ils présentent le danger conunun à tous les capuchons quelconques,
danger qui consiste à former un réceptacle de matières diverses, alimentaires ou
autres, qui deviennent fatalement des foyers de fermentation et des sources de
tarie.
m. Inclinaison latérale ou latéroversion. Cette anomalie de direction
consiste dans une disposition telle qu'une dent dont l'implantation est en appa-
rence régulière a sa couronne inclinée latéralement, mais toujours dans le
sens de l'arcade dentaire. L'inclinaison latérale peut ainsi comporter tous les
degrés, depuis l'angle le plus faible jusqu'à l'horizontale, et même jusqu'au
renversement complet. Dans certaines circonstances l'inclinaison se complique
de la rétention complète de la dent et la déviation reste ainsi entièrement mé-
connue pendant la vie.
Le mécanisme des déviations latérales des dents repose sur deux circonstances
principales : tantôt l'arcade dentaire est continue, au moment de l'éruption de
la dent, qui est forcément projetée au dehors de la série, tantôt au contraire la
présence d'un vide congénital ou accidentel au voisinage immédiat d'une dent
amène celle-ci à s'y incliner.
L'anomalie peut affecter indifféremment toutes les dents lorsqu'elles se
trouvent dans ces conditions; mais elle est particulièrement intéressante à
étudier pour les dents antérieures et pour la dernière molaire. Les premières et
secondes molaires présentent très-rarement cette- direction; les petites molaires
s'inclinent souvent en avant ou en arrière par suite de la perte des dents
contiguës, et en dedans ou en dehors lorsque leur place est occupée par les
dents voisines.
Il peut être quelquefois nécessaire de remédier à ces difformités lorsqu'elles
affectent les dents antérieures. Si des incisives centrales sont divert^enles, on
pourra nouer sur les deux dents un fil de soie ou de caoutchouc qu'on réunira
en 8 de chiffre par un nœud sur le côté , ou bien encore mettre les deux dents
dans un anneau en caoutchouc qui agira d'une manière plus continue. Lorsqu'une
des dents antérieures est déviée latéralement, on peut appliquer sur plusieurs
dents régulières de l'arcade un petit appareil de traction muni d'une anse de fil
qui représente la partie active de l'appareil.
Dans d'autres cas, surtout lorsque la déviation latérale a pour cause la
persistance d'une dent temporaire, on peut supprimer les dents qui sont
le plus en saillie, de manière à provoquer le rappi ochement complet des
autres.
DICT. ENC. XXVIL -H
1C2 DENT (pathologie).
Mais la plus importante de ces déviations par inclinaison latérale est celle
qui affecte la dent de sagesse, supérieure ou inférieure.
L'inclinaison de la dent de sagesse supérieure du côté du pilier du voile
du palais, de la joue ou de la cavité buccale, est fréquente, mais peu grave;
les deux premières peuvent occasionner des érosions, des ulcérations de la
muqueuse aux points de contact de la couronne, mais elles cèdent à quelques
cautérisations, si l'on ne veut pas sacrifier la dent déviée. Les autres déviations
passent le plus souvent inaperçues.
Les déviations de la dent de sagesse inférieure sont plus graves; nous étu-
dierons ailleurs les accidents qui en résultent; nous indiquerons seulement ici
les diverses variétés de déviation de cette dent en restant sur le terrain de la
tératologie proprement dite.
Nous avons déjà dit que la cause constante des anomalies de direction de la
dernière molaire inférieure est l'insuffisance de place laissée à cette dent au
moment de sa sortie entre la seconde molaire et la branche montante. La
compression exercée sur la dent lorsqu'elle est encore à l'état de follicule a
parfois pour résultat d'en amener l'atrophie, soit incomplète, et alois la dent
est petite et comme avortée, soit complète, et alors la dent ne paraît pas.
La dent de sagesse inférieure peut s'incliner 1" en arrière, et soulever alors la
muqueuse qui, heurtée par la dent supérieure correspondante, ne tarde pas à
s'enllanimer; la dent elle-même est souvent cariée; 2" en dehors, vers la joue.
dans laquelle elle pénètre ou qu'elle ulcère; 3" en avant, dans le sens antéro-
postérieur, soit obliquement, soit tout à fait transversalement. Cette déviation
est la plus grave de toutes, à cause des accidents qu'elle détermine du côté de
la mâchoire inférieure.
IV. De la rotation sur Taxe. Dans cette déviation, la dent atteinte a
pour ainsi dire pivoté sur elle-même, de façon à faire décrire à ses bords un
arc de cercle plus ou moins étendu.
Très-fréquente aux incisives et aux canines, on l'observe souvent aussi aux
prémolaires, mais jamais aux molaires. La thérapeutique ne doit d'ailleurs se
préoccuper de cette déviation qu'aux incisives et aux canines. Lorsqu'elle existe
aux prémolaires, la déviation passe le plus souvent inaperçue, n'apportant aucun
trouble sensible dans la physionomie du système dentaire et dans ses fonctions.
Les causes de ces anomalies de direction sont les mêmes que celles des
autres : défaut de place par atrésie de la mâchoire, persistance d'une dent
caduque au moment de l'éruption, traumatismes, etc.
L'anomalie par rotation peut présenter des variations assez grandes : tantôt
une seule dent a subi la déviation, d'autres fois elle affecte les deux dents
homologues. Tantôt encore ce sont les deux incisives du même côté. Dans
quelques cas la déviation porte sur les quatre incisives simultanément. Une
dent peut être déviée dans un sens, une autre dans le sens opposé. Tantôt c'est
le bord externe qui est en avant, tantôt le bord interne. Cependant la déviation
s'effectue le plus souvent de dedans en dehors {Bull, de thér., 1876, t. ClV,
p. 19).
Dans tous les cas, 1 intervention chirurgicale dans cette variété de déviation
devra être subordonnée à l'intensité de la difformité même. Ainsi, quand
celle-ci est légère, c'est-à-dire lorsqu'une ou plusieurs dents n'ont subi qu'une
faible inclinaison produisant un chevauchement peu prononcé, on pourra l'aban-
donner à elle-même. Cette conduite sera surtout applicable à la mâchoire
DENT (pathologie). 165
inférieure, car le plus souvent la déviation est due à une simple insuffisance
de place, et dès lors la suppression d'une des dents amènera la régularisation
spontanée de l'arcade.
Toutefois il n'en saurait être de même à la mâchoire supérieure, où la diffor-
mité est bien plus apparente, et c'est là surtout que la thérapeutique doit in-
tervenir.
Or deux procédés s'offrent au choix du chirurgien. Ce sont :
1° La luxation lente et progressive à l'aide 'd'appareils à pression continue et
graduée ;
2° La luxation brusque ou immédiate.
1" De la luxation lente ou progressive. De nombreux appareils orthopé-
diques ont été inventés pour déterminer la réduction lente; nous parlerons seu-
lement et en quelques mots des plus fréquemment employés.
Le plus souvent, c'est une plaque de métal ou de caoutchouc vulcanisé exacte-
ment moulée sur la voûte palatine et
la face postérieure des dents et portant
en avant une bande métallique ou de
vulcanite qui repose sur la face anté-
rieure de l'arcade dentaire. Au niveau
de la dent déviée, des chevilles ou de
petits coins de bois sont logés dans des
cavités ménagées dans la plaque. Ces
petits coins de bois, fréquemment re-
nouvelés ou mis en mouvement par
une vis, exercent en avant ou en ar-
rière, quelquefois simultanément en
avant et en arrière, une pression
constante qui détermine le pivotement
de la dent. Pend?\nt la marche du trai-
tement, il est nécessaire de modifier
plus ou moins fréquemment l'appareil
ou au moins les cavités contenant les chevilles, de façon à augmenter le dia-
mètre et la longueur de celles-ci et à entretenir la permanence et l'énergie
de leur action.
A la place de chevilles d'autres appareils portent des ressorts qui agissent
sur la dent dans le sens de lu réduction. Langsdorff avait imaginé d'entourer
la dent déviée d'un anneau métallique portant une tige fixée à la plaque palatine
au moyen de crans disposés en séries, de telle sorte que la guérison devait
être effectuée lorsque la série des crans aurait été parcourue.
Quel que soit l'appareil employé, une fois la réduction obtenue, il faut la
maintenir, et cela pendant très-longtemps, à l'aide d'un appareil qui fi.xela dent
dans ses nouveaux rapports.
Ces appareils présentent tous les inconvénients de ceux destinés à la réduction
lente des déviations, et sur lesquels nous reviendrons plus loin.
Nous ne connaissons que deux exemples dans lesquels la réduction ait été
obtenue ; l'un appartient à Tomes, l'autre à nous-même.
Dans le cas de Tomes, le maintien définitif de la guérison n'est pas établi
et les circonstances défavorables du traitement nous laissent réellement des
doutes sur la persistance de la guérison.
Fig. '21. — Appareil à pression coiislaulo ilestiné
à réiiuire la rotation sur l'axe d'une incive
centrale bupérieure. Un cran établi dans le
bandeau antérieur fixe le bord interne devenu
antérieur et une cheville presse sur le bord
opposé dans le sens du mouvement à obtenir.
164 DENT (pathologie).
Dans le nôtre, qui était en principe bien plus favorable, les difficulte's sur-
vinrent à propos du maintien de lu réduction, et la durée totale du Irailement
dépassa deux années, sans parvenir à la guérison définitive {Bidl.dethér., 1876,
t. IVG, p. 66).
On a signalé un autre procédé de rotation lente qui s'applique dans le cas
particulier oij deux incisives centrales, par exemple, sont inclinées sur leur axe
d'une quantité égale, de sorte que les deux bords internes forment un angle anté-
rieur plus ou moins prononcé. Le pioccdé consisterait dans l'application sur
l'angle saillant formé par les deux dents d'un petit disque de bois qu'on lie
fortement par un cordonnet de soie en comprenant avec lui dans la ligature les
deux dents. La pression avait pour effet de faire rentrer cet angle et de redres-
ser ainsi la double rotation. Nous ne nous portons point garant de refficacilé de
cette méthode dont nous ne connaissons qu'une observation due à un prati-
cien de Plymouth, M. Balkwill {British Journal of dent. Se. London, 1881,
p. 1125), et nous lui opposerons les mêmes objections formulées déjà sur la
pratique de la rotation lente en général.
2° De la luxation brusque ou hnmédiate. La luxation brusque a pour
effet de rétablir immédiatement la régularité de l'arcade dentaire, et c'est de
la sorte, ainsi qu'on le verra, qu'au prix d'une douleur très-supportable, d'une
gêne légère de quelques jours, on obtient la guérison définitive de la difformité.
Cette opération assez délicate, bien que facile, donne à peine lieu à un lé"er
écoulement de sang; jamais de récidives, jamais d'accidents consécutifs, au
moins n'en connaissons-nous pas. D'une innocuité presque absolue, elle offre
de tels avantages sur l'emploi des appareils orthopédiques, que nous n'hésitons
pas à conseiller l'abandon de ces derniers. Les seuls cas dans lesquels nous
nous résignerions à recourir à leur emploi seraient ceux dans lesquels on aurait
à lutter contre une anomalie complexe, soit, par exemple, ime déviation d'incisive
par antéversion ou rétroversion compliquant une rotation sur l'axe. Dans ces
circonstances, l'appareil à double bandeau, nécessité par la première déviation,
serait utilisé pour agir simultanément sur la seconde, et encore pourrait-on
se borner à réduire l'antévcrsion ou la rétroversion par l'emploi d'un appareil,
tout en réservant la luxation immédiate pour les dents en rotation. C'est celte
conduite que nous avons adoptée dans un cas récent.
Dans un autre cas (obs. 12 du tableau p. 168), la dent réduite se trouvant
en arrière de l'arcade à cause de la présence d'une canine située au-dessous
d'elle, nous fîmes l'extraction de la canine, et eu quinze jours un appareil
à plan incliné ramena la dent en avant.
Dans un troisième cas (n» 13 du tableau) la rotation fut précédée de l'extrac-
tion d'une dent surnuméraire et de l'application d'un appareil destiné à rappro-
cher la dent tournée de sa voisine et d'en permettre la rotation.
Au point de vue de la médecine opératoire, la luxation brusque se fait à
l'aide d'un davier droit dont il faut soigneusement garnir les mors pour ne pas
léser les tissus. Quelques praticiens emploient pour cet usage le papier ordinaire
ou le papier de verre ; Tomes se sert de feuilles de plomb. Nous préférons la
soie, dont on enroule soigneusement l'instrument. On pourrait aussi utiliser
dans ce cas le caoutchouc sous forme de deux petits tubes entourant les deux
mors du davier.
La dent est alors solidement saisie au niveau de la gencive et on lui imprime
leutement, mais avec fermeté, un mouvement dans le sens le la réduction. U
DENT (pathologie). "165
faut bien se garder de faire stibir à la dent des mouvements de latéralité ou de
torsion dans les deux sens, qui, facilitant, il est vrai, l'opération, déchiraient,
plus qu'il n'est besoin, les adhérences périostalcs, et exposeraient à la rupture
du fiiisceau vasculo-nerveux, qui doit seulement être tordu. L'application des
mors du davier se fait soit sur les faces, soit sur les bords de la dent déviée,
suivant le cas et le degré de rotation. Quelquefois, avant d'opérer la réduction
complète, il faut changer le point d'application et saisir la dent par ses bords
après avoir au début appliqué l'instrument sur les faces. Dans d'autres circon-
stances enfin, il faudra, pendant lo mouvement de torsion, faire nolablemenl
dépasser à la dent la limite où ou doit la fixer et la ramener ensuite au point
normal. Ce petit détail de médecine opératoire u pour résultat de rompre plus
complètement les adhérences périostales et de mettre en garde contre toute
récidive.
Lorsque le sujet est assez âgé et que la rotation sur l'axe est très-piononcée,
on éprouve quelquefois une grande résistance à la réduction. Tomes conseille
dans ces cas d'opérer en deux fois plutôt que d'exagérer les efforts. Ainsi, la
luxation étant effectuée à moitié, on abandonne le malade pendant huit ou
quinze jours, et l'on ne continue (jue lorsque la dent s'est consolidée et que
tous les phénomènes inflammatoires ont disparu. La seconde partie de l'opéra-
tion se fait alors très-facilement et presque sans effort. Nous conseillons aussi
nous-raêrae d'exagérer le mouvement de torsion un peu au àc\h de la réduc-
tion. Lorsqu'on enlève le davier, la dent pivotée revient, en effet, un peu sur
elle-même, ramenée en ce sens par les fibres du périoste allongées plutôt que
rompues en certains points.
La douleur n'est pas frès-intense, bien qu'elle rappelle les premiers temps
de l'extraction ordinaire; toutefois, il n'y a pas rupture du faisceau vasculo-
nerveux, qui représente le temps le plus douloureux de l'avulsion. On peut
d'ailleurs appliquer à celte opération tous les procédés connus d'anesthésie. La
perte de sang est le plus souvent insignifiante; la dent est d'abord extrême-
ment mobile, et l'on a conseillé de la maintenir soit à l'aide d'un bandage de
soie poissée en 8 de chiffre, soit, suivant le conseil de Tomes, à l'aide d'un
petit morceau de gutla-percha ramolli et moulé sur l'arcade dentaire. Dans les
cas favorables, on peut se dispenser de tout appareil de contention. Les tirail-
lements occasionnés par l'application des bandages ou leurs déplacements pos-
sibles sont plutôt dangereux, et il suffit ordinairement de quelques précautions
pendnnt les premiers jours pour voir le périoste contracter de nouvelles adhé-
rences et la dent reprendre sa fixité.
Il va sans dire qu'avant d'opérer la luxation brusque d'une dent il faut
s'assurer s'il y a une place suffisante pour sa couronne entre les dents voisines.
Il faut aussi s'enquérir de la forme probable de la racine. Il n'est point rare, en
effet, dans les cas d'anomalies, de voir les racines subir des déformations qui
peuvent amener un obstacle sérieux à la réduction. C'est ce qui nous est ariivé
en particulier dans les observations 10 et 17 du tableau. Dans le premier cas
même nous n'obtînmes qu'un résultat incomplet, à cause de l'aplatissement
transversal de la racine. Pour les dents uniradiculaires, il est assez souvent
possible de constater la forme des racines par le palper des gencives.
Il y a tout avantage à pratiquer cette opération chez de jeunes sujets, avant
que les alvéoles aient atteint leur hauteur et leur densité définitives. L'acte le
plus convenable paraît être de huit à dix ans, et il n'y a pas lieu de se préoc-
166 DENT (pathologie).
cuper de l'état plus ou moins complet de l'éruption. Nos opérations, faites avant
que les dents aient acquis leur longueur totale, n'ont pas empêché celles-ci
d'achever leur croissance. Tomes cependant l'a pratiquée chez des sujets de
treize et de quinze ans, et nous verrons dans une de nos observations une réduc-
tion opérée avec succès chez une jeune fille de dix-sept ans.
Quelques précautions sont encore nécessaires pour assurer le résultat de
l'opération. Il faut avant tout modérer la réaction inflammatoire par des lotions
glacées en permanence, l'usage des aliments liquides et froids, le repos aussi
complet que possible de l'organe opéré. L'emploi des dérivatifs, des purgatifs,
doit être réservé aux cas où il se produirait quelques phénomènes généraux.
Les suites de l'opération sont ordinairement des plus simples, et au bout de
huit à dix jours la dent est consolidée et aple à reproduire ses usages.
Nous avons opéré la réduction brusque dans 17 cas dont 5 ont été publiés
dans le Bulletin de thérapeutique (1876).
Dans le premier cas, la dent déviée était une incisive centrale supérieure
droite; les deux incisives latérales étaient en outre rétroversées ; l'arcade den-
taire avait un développement insuffisant. Huit jours après l'extraction des deux
incisives latérales, nous pratiquons la rotation d'un quart de cercle de l'incisive
centrale. La gnérison parfaite fut constatée dix-luiit mois après.
Fig. 25. — L'un des exemples de rotation sur l'axe d'une incisive centrale supérieure déviée d'un
quart de cercle : la rotation brusque a été précédé de l'extraction des incisives latérales cariées elle
résultat est figuré eu B.
Dans le second cas les quatre incisives présentaient une imbrication comme
les tuiles d'un toit. Dans une première séance, nous fîmes la rotation des deux
incisives médianes, et trois semaines après celle des deux latérales. La guéri-
son fut parfaite et durable, comme nous l'avons observé quatre ans après.
Dans le troisième cas, l'incisive latérale droite était seule déviée, mais les
canines étaient en outre absentes. Aussi, tout en redressant la dent, l'avons-
nous attirée légèrement du côté de la prémolaire voisine. Deux années après, la
gnérison ne s'était pas démentie.
De nos 17 cas 16 ont été guéris complètement. Dans un seul cas (n" 10 du
tableau) la rotation ne s'effectue qu'incomplètement, à cause de la forme aplatie
transversalement de la racine.
Nous n'eûmes d'accident opératoire que dans un seul cas (n° 14 du tableau).
La rotation fut très-difficile à obtenir, et il y eut une fracture verticale d'une
lamelle d'émail pendant les efforts de rotation, malgré les manchons de soie
qui garnissaient le davier.
Les 17 observations se répartissent de la manière suivante
DENT (pathologie). 167
Nombre
Nature des dents. d'opérations.
Incisives latérales 8
Incisives centrales 8
Canine 1
Rotation d'un quart de cercle 9
Rotation de moins d'un quart de cercle. . 8
Ces observations ont été résumées dans le tableau ci-joint (p. 1G8).
V. Des inconvénients et des accidents des appareils de réduction. Les
appareils ont des inconvénients qui leur sont communs et d'autres qui sont
particuliers à quelques-uns d'entre eux.
Considérés d'une manière générale, tous les appareils orthopédiques appliqués
dans la bouclie entraînent comme conséquence immédiate un certain trouble
dans les fonctions, résultat qui est en proportion avec le volume ou l'étendue de
l'appareil employé, mais au bout de peu de jours cette gêne disparaît. Dans certains
cas on voit survenir une irritation de la muqueuse buccale ou gingivale dans fies
points en contact avec les appareils; rarement on a affaire à une stomatite géné-
ralisée. En n'employant que le caoutchouc vulcanisé pour ces appareils, en ne les
faisant porter que pendant la nuit, en les supprimant pendant les repas, eu
pratiquant des lotions buccales fréquentes avec une solution de chlorate de
potasse, on peut réduire ces inconvénients à leur minimum.
Des douleurs déterminées par la pression constante des appareils sur les
dents indiquent un certain degré de périostite alvéolo-dentaire , sans gravité
d'ailleurs, et qu'on peut modérer en faisant varier, suivant les besoins, l'intensité
d'action des appareils.
L'un des accidents les plus sérieux de l'application des appareils de redres-
sement est celui qui consiste dans la perturbation des rapports réciproques
des arcades dentaires. Ceci a lieu toutes les fois qu'une cause quelconque
s'oppose à la rencontre régulière des arcades dentaires soit dune manière
permanente, soit pendant un temps assez long, et les dents éprouvent alors
une déviation qui a pour résultat leur allongement ou soulèvement hors des al-
véoles.
L'importance et l'intensité de cet accident varient donc suivant la hauteur
du corps étranger et la durée de son application dans la cavité buccale, de telle
sorte que, si un appareil n'est appliqué que pendant quelques jours, les dents
reprendront très-vite leur position et leurs rapports, dès qu'on abandonnera le
traitement. Si; au contraire, le traitement s'est prolongé pendant quelques
mois ou même plusieurs années, la perturbation dans les rapports pourra de-
venu^ définitive et telle déviation, simple au début, se transformera parfois en
anomalie de disposition plus difforme encore que la première et aussi plus in-
curable.
Cet accident est la conséquence fréquente de l'application de l'appareil dit
plan incliné, mais il appartient d'ailleurs à tous ceux qui forment obstacle, à
un degré quelconque, aux rapports réciproques des arcades dentaires. C'est
pourquoi il faut préférer les appareils qu'on puisse enlever pendant une partie
de la journée.
Signalons enfin la tendance extrême des difformités à se reproduire dès qu'or
a enlevé les appareils après la correction complète de cette difformité, et alors
que l'on croit la guérison définitive.
C'est pourquoi, tout en faisant nos réserves pour certains cas, en ce qui
regarde les anomalies par rotation sur l'axe, préférons-nous la luxation brusque
a la réduction lente des déviations au moyen des appareils orthopédiques.
168
DENT (pathologie).
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470 DENT (pathologie).
F. Anomalies de l'éruption. Sous le nom d'anomalies de Ve'ruption, nous
décrirons les troubles qui surviennent dans 1 époque de la sortie des dents et
qui sont de deux ordres: 1" Y éruption précoce ou anticipée; 2° Y éruption
tardive.
Nous avons étudié dans un chapitre précédent l'éruption normale des dents,
à l'état physiologique. Nous savons donc déjà à quelle époque se fait cette
apparition normale.
I. Éruption précoce. A la première dentition le phénomène a été de tout temps
signale. Pline cite les deux Romains nés avec des dents, Curius Dentatus et Papi-
rius Corbon (Pline, Hist. naturelle, livre VII, chap. xv) ; plus près de nous
on apiétendu que Louis XIV et Mirabeau présentaient des dents à leur naissance.
Bien que M. Blot n'ait observé aucun cas d'éruption précoce sur plus de
20000 naissances {Bull, de la Soc. de cliir., 6 mai 1868, p. 186), on ne peut
révoquer en doute les faits de ce genre rapportés par MM. Tarnier, Guéniot, Masse,
Giraldès, Sappey et Thore, Mattei, etc. Néanmoins ils sont rares (Guéniot, Bull,
de thérap., 1875, p. 50. — Masse, ib., 1874, p. 500. — Giraldès, Comptes
rendus et Mém. delà Soc. de biologie, 1860, p. 9. — Sappey et Thore, même
recueil, 1859, p, M et 55. — Matlei, Union médicale, 12 juin 1875,
p. 870), et le phénomène ne porte jamais que sur une ou deux dents, les
incisives.
Ces dents ne sont pas supplémentaires ; leur éruption est précoce, elle
précède de quelques mois celle des autres, mais elles font partie de la même
série dentaire.
Les causes de l'éruption anticipée nous échappent entièrement.
Il est généralement admis que l'éruption prématurée à la naissance peut
devenir la cause des accidents dits de dentition à cette période.
La précocité dans l'éruption des dents temporaires n'exerce pas nécesaire-
ment une influence soit sur la chute normale, soit sur l'apparition de la seconde
dentition. Cependant nous avons observé deux cas de ce genre.
La dent prématurément sortie peut avoir sa forme normale, mais dans un
certain nombre de cas elle est atrophiée, conoïde, etc.
Pour la dentition permanente, l'éruption anticipée s'observe de la même
manière à un intervalle de temps plus ou moins grand avant l'époque normale.
Mais celte anomalie présente alors une bien plus grande importance et des
inconvénients beaucoup plus sérieux que dans la première dentition, attendu
que l'éruption d'une dent permanente, survenant au milieu de dents tempo-
raires, rencontre de la part de celles-ci des obstacles qui entraînent la production
de désordres variés. C'est même dans ces circonstances que se produisent les
anomalies de direction comme celles que nous avons décrites plus haut.
La première grosse molaire peut devancer son époque d'apparition (sixième
année) d'un an ou deux ; puis viennent les incisives supérieures ou inférieures
qui, se plaçant en dedans de l'arcade, simulent une double rangée de dents.
Les prémolaires et les canines présentent rarement une avance notable dans
la sortie.
La conduite à tenir en pareille circonstance varie suivant les indications des
cas particuliers. Pour la dentition temporaire aucune intervention ne nous
paraît autorisée.
Pour la seconde dentition, au contraire, l'intervention est souvent indiquée :
ainsi, lorsqu'une dent permanente, apparaissant avant la chute d'aucune des
DENT (pathologie). 1^*
temporaires, éprouve une déviation marquée, il est nécessaire de sacrifier une
ou plusieurs de ces dernières pour provoquer le redressement de la dent déviée.
Dans d'autres cas, il y a lieu d'appliquer des appareils destinés à réduire les
mêmes déviations. Ces faits appartiennent d'ailleurs à l'étude des anomalies de
direction.
II. Éruption tardive. Cette anomalie est beaucoup plus commune que
la précédente. Nous avons signalé plus haut l'influence d'un mauvais état général
sur les retards de l'évolution dentaire. Ces retards varient de plusieurs mois à
un ou deux ans et peuvent atteindre non-seulement les incisives, mais encore
toute la série. Toutefois l'éruption tardive d'une ou de plusieurs dents tempo-
raires ne réclame aucune intervention directe. La seule inlluence qui puisse
s'exercer appartient aux traitements généraux dirigés vers un état général ou
une diathèse.
Les retards de Téruption ont été cause que les auteurs anciens ont cru avoir
observé des troisièmes et même des quatrièmes dentitions. Nous n'en con-
naissons pour notre part aucun exemple authentique, c'est-à-dire scientifique-
ment observé, et ce que nous savons des phénomènes intimes Je l'évolution du
follicule nous fait soutenir qu'au point de vue physiologique une telle repro-
duction de dents est inadmissible chez le vieillard. Par contre, nous connais-
sons des exemples d'éruption très-retardée et authentique. MM. Legendre, Casse,
Trélat, et nous-même, en avons rapporté plusieurs cas (Legendre, Comptes ren-
dus et Mém. de la Soc. de biologie, 1859, p. 165. — Casse, ib., 1869, p. 84.
— Tréhd, Bidl. de la Soc. d'anthropologie. Paris, 4 juillet 1867. — Magitot,
Traité des anomalies, etc., p. 218).
L'éruption tardive d'une ou de plusieurs dents, lorsqu'elle ne représente
qu'un accident local, s'accompagne ordinairement de quelques troubles pré-
curseurs ou concomitants. Ainsi dans les cas de Legendre, Casse, et dans un
des nôtres, le phénomène avait été précédé de phlegmon et d'abcès, au milieu
desquels la dent avait effectué son apparition.
L'intervention de l'art dans les cas d'éruption tardive dépend absolument des
circonstances qui la précèdent ou l'accompagnent. Lorsqu'il n'y a aucun désordre,
il n'y a évidemment rien à faire; dans d'autres faits, au contraire, il peut être
formellement indiqué, à cause de la violence des accidents iiiilammatoires,
d'effectuer l'extraction des dents anormales.
III. Chute prématurée et chute tardive. Ces phénomènes, dans la denti-
tion temporaire, sont presque toujours en relation intime avec l'éruption tar-
dive ou anticipée des permanentes. Certaines dents temporaires persistent à leur
place régulière pendant une partie ou pendant toute la durée de la vie : telles
sont les incisives centrales, les grosses molaires, etc. Dans ce cas, les dents de
lait conservent leur physionomie et leur solidité, mais, comme elles sont d'un
volume et d'une hauteur moindres que les dents permanentes voisines, elles
apportent à la courbe et à la symétrie de l'arcade dentaire des irrégularités,
des dépressions qui peuvent devenir la cause d'une certaine gêne dans les
fonctions. En outre elles paraissent plus facilement atteintes de certaines
maladies et en particulier de la carie.
Dans certains cas, on a vu une région de l'arcade dentaire privée chez l'adulte
de dents définitives, bien que les dents temporaires correspondantes manquassent
absolument.
Dans tous ces cas, soit de dents temporaires persistantes, soit d'absence con-
172 DENT (pathologie).
génitale, aucune intervention chirurgicale n'est admissible, et il faudrait bien
se garder de conseiller dans ces conditions l'extraction d'une dent de lait dans
le but de provoquer l'apparition de la permanente correspondante.
En ce qui concerne la chute prématurée des dents permanentes, elle ne
représente jamais, selon nous, un fait de tératologie, mais répond à des phéno-
mènes morbides qui sont du domaine de la pathologie spéciale. D'autre part,
leur persistance au delà de l'époque moyenne, loin d'être un fait anormal, serait,
au contraire, l'indice d'une santé vigoureuse et d'une constitution robuste.
G. Anomalies de nutrition. Parmi les troubles de l'évolution qui donnent nais-
sance aux anomalies si diverses du système dentaire, il est une classe com-
prenant les perturbations qui surviennent soit dans le fonctionnement des
organes formateurs de la dent, soit dans la constitution des éléments anato-
miques des tissus dentaires en voie de genèse.
Ce sont ces perturbations portant invariablement sur le processus physio-
logique de l'une ou de l'ensemble des parties constituantes du follicule que
nous désignons sous le nom d'anomalies de nnlrition.
Ces anomalies se traduisent sous différents aspects qui varient essentiellement
suivant l'organe intra-folliculaire qui est frappé ensuivant l'époque de l'évolution
correspondante à l'apparition des causes perturbatrices.
Les conséquences de celte espèce d'anomalie se présentent ainsi sous trois
formes :
1° L'atrophie folliculaire ;
2° L'odontome;
3° La transformation kystique
Ces trois états appartiennent aux périodes de formation folliculaire; ce sont
des troubles congénitaux ; il est bon cependant de faire remarquer que ces trois
formes, atrophie, odontome et transformation kystique, peuvent apparaître cli-
niquement à un âge avancé, aussi bien que pendant la période embrvonnaire
de la dent ; mais ces variations dans l'époque de constatation de la lésion ne
résultent que de la lenteur plus ou moins grande dans le processus des phé-
nomènes ; s'ils sont rapides, l'anomalie se reconnaît dès les premiers âges, dans
l'enfance ou dans l'adolescence; s'ils sont lents, la production ne se constate
que beaucoup plus tard. Rien dans les altérations pathologiques delà dent adulte
ne saurait être assimilé à des troubles nutritifs de l'évolution proprement dite.
\. De l'atrophie folliculaire. Le phénomène de l'atrophie, considéré au
point de vue tératologique, c'est-à-dire comme fait de disparition d'un follicule,
consiste essentiellement en une résorption pure et simple du sac folliculaire et
de son contenu.
La résorption est tantôt complète, et l'on ne retrouve à l'ouverture du maxil-
laire, au point correspondant à une dent manquante, aucune trace de follicule,
ou bien on constate que celui-ci a éprouvé une réduction de volume et une
sorte de transformation fibreuse de ses parties.
Dans le premier cas, la disparition complète d'un follicule peut être con-
fondue avec l'absence congénitale de la dent con-espondante ; dans le second,
lorsqu'on retrouve un débris plus ou moins réduit de follicule, on peut affirmer
soit un phénomène d'atrophie complet, soit un simple arrêt de développement.
La résorption d'un follicule peut en outre survenir à toutes les époques de
l'évolution, tantôt pendant les phases embryoplastiques, tantôt pendant la for-
mation de la couronne; nous en avons eu la preuve dans les expériences que
DENT (pathologie). *'?5
nous avons entreprises avec Ch. Legros sur les greffes des follicules denlaires
{Comptes rendus de TAcad. des sciences, 1874, séance du 2 février).
Les circonstances qui paraissent le plus prédisposer les follicules dentaires à
la résorption et à l'atrophie sont Y hérédité et la compression; cette dernière
cause doit être invoquée surtout pour la dent de sagesse inférieure.
Le phénomène intime de l'atrophie est donc analogue à celui qui se passe
en d'autres parties du corps dans les mêmes circonstances.
II. De Vodontome. L'odontome consiste dans une tumeur développée aux
dépens tantôt d'un ou de plusieurs des organes constituants du follicule, tantôt
des tissus dentaires eux-mêmes an moment de leur genèse. Les deux phéno-
mènes principaux auxquels sont dus les odontomes sont l'Iiypergcnèse et l'hy-
pertrophie des éléments du follicule restés en place. Il en est encore un autre
qui joue un rôle important dans la production de beaucoup de tumeurs, c'est
Yhétéradénie, ou développement avec erreur de lieu : c'est ainsi que certains
odontomes adamantins, par exemple, se développent à la surface du cément
radiculaire.
Nous n'admettons pas, pour des raisons que nous avons développées dans un
travail antérieur {Traité des anomalies du système dentaire, p. 252), la divi-
sion des odontomes de Broca {Traité des tumeurs. Paris, 1869, t. 11, p. .'îOO).
Pour nous, les diverses espèces d'odontomes admises par Broca peuvent, au point
(le vue anatomo-pathologique, se résumer en trois variétés :
1» Les odontomes bulbaires;
2" Les odontomes odontoplastiques;
5° Les odontomes radiculaires.
1» Des odontomes bulbaires. Cette espèce de tumeur est depuis longtemps
désignée cliniquement sous des noms divers : tumeurs fibreuses, fibromes des
mâchoires, tumeurs fibro-plasliques, corps fibro-cellulaires, etc.
L'examen microscopique a pu établir la composition intime des odontomes
bulbaires, qui sont le plus souvent constitués par les éléments du bulbe lui-
même : corps fibro-plastiques nucléaires ou fusiformes, libres lamiucuses plus
ou moins serrées, comme dans les fibromes des autres régions de l'économie.
La paroi folliculaire forme une enveloppe à la tumeur; certaines tumeurs
renferment même un liquide séreux ou séro-sanguinolent, quelquefois formé
d'une sorte de mucus filant, contenant de la cholestérine, des cellules épillié-
liales et des matières grasses.
Dans une autre variété, les odontomes bulbaires sont constitués par l'hyper-
genèse ou l'hypertrophie du bulbe dentaire, ou par les deux ensemble. 11 résulte
de là que tantôt le bulbe est augmenté de volume dans des proportions considé-
rables ; tantôt, quand il y a simplement hypergeuèse, la tumeur se compose
d'une multitude de bulbes agglomérés. On trouve en outre au sein de la masse
fibroïde des grains phosphatiques (Broca, Traité des tumeurs, t. Il, p. 520),
ou des chapeaux de dentine, ou encore des grains dentinaires (Panas, Bull, et
mém. delà Soc. de chirurgie, 4876, p. 547).
Le siège presque exclusif des odontomes bulbaires chez l'homme est le folli-
cule de la dent de sagesse, plus particulièrement de l'inférieure : ils partent
donc directement de l'angle maxillaire, d'oii ils envahissent les parties voisines.
2" Odontomes odontoplastiques. Les odontomes odontoplastiques comuren-
nent les altérations de nutrition qui surviennent au sein du follicule après le
début de formation des éléments constitutifs de la dent : ivoire, émail ou
174 DENT (pathologie).
cément ; c'est ce qu'on appelle précisément la période odontoplastique du folli-
cule. Le chapeau de dentine est commencé et en voie de développement, les
organes formateurs sont en pleine activité physiologique, et c'est par la pertur-
bation même de leur fonction que se traduisent ces odontomes.
Ils se subdivisent en quatre catégories : cémentaires, dentinaires, cémento-
(lentinaires, adamantins ; ils peuvent être aussi mixtes lorsque les troubles, au
lieu de porter sur un des oi'ganes isolément, étendent leur iniluence à deux
organes à la fois, comme dans certaines tumeurs composées d'ivoire et de
cément.
Les odontomes odontoplastiques cémentaires appartiennent aux herbivores,
les seules espèces animales dont les dents présentent une couche de cément
coronaire.
Les odontomes odontoplastiques dentinaires sont ceux dans lesquels un
chapeau de dentine a subi non une division ou une dispersion de fragments de
sa substance, mais une altération de nutrition sur place (odontomes pulpaires
de Broca). Ils se divisent en deux sous-variétés : les odontomes coronaires diffus
et les odontomes coronaires circonscrits.
a. Dans les odontomes coronaires diffus, le mécanisme de production a eu
pour point de départ simultanément une hypertrophie avec altération de sub-
stance de la pulpe, et des irrégularités dans la formation de l'ivoire ; de son
côté, l'organe de l'émail peut être frappé de troubles concomitants qui entraî-
nent des perturbations dans la formation des prismes. Il peut l'ésulter de là que,
si une portion de la couronne, développée antérieurement à l'apparition des
troubles fonctionnels, a pu conserver la physionomie normale, toute l'étendue
correspondante à ces troubles constitue une tumeur
plus ou moins volumineuse (Broca, Traité des tu-
meurs, t. II, p. 558, et fig. 19).
b. Les odontomes coronaires circonscrits con-
sistent dans la production, sur un point isolé de la
couronne, d'une tumeur dure, formée d'ivoire et
d'émail, tantôt globuleuse et assez lisse, tantôt cou-
Fig. 26. — odoniomc coronaire ""^^^^ ^6 végétations [Dents verruqueuses de Salter,
circonscrit d'une incisive. {Gui/s Hosp. Reports, 3^ sect., VOl. IV, p. 276,
1858)].
Les odontomes coronaires de la variété ce'mento-dentaire appartiennent
exclusivement aux herbivores.
Les odontomes odontoplastiques adamantins consistent dans des perturba-
tions de nutrition de l'organe de l'émail isolément. Ils se présentent ordinai-
rement sous l'aspect de petites tumeurs d'émail du volume d'une tête d'épingle
ou d'un petit pois, ovoïdes ou sphériques, parfois mamelonnées, et fixées soit
au collet, soit au-dessous de ce point. Ces productions sont donc ordinairement
he'térotopiques, c'est-à-dire situées en un point de la dent dépourvue d'émail,
sur le collet, ou dans l'angle d'intersection des racines d'une molaire (Tomes,
System of Dental Surgery, 1859, p. 255, fig. 102 et 103. — Wedl, Atlas zur
Pathologie derZïthne. Leipzig, 1869, pi. Il, fig. 25 et 24).
Nous n'insisterons pas davantage sur les considérations relatives aux odon-
tomes adamantins, qui représentent en réalité bien plus une curiosité tératolo-
gique qu'une lésion susceptible d'intervention chirurgicale.
3" Odontomes radiculaires. Ces odontomes se forment au sein du follicule
DENT (pathologie). 175
àl'époqne où, la couronne dentaire ayant achevé son développement, les racines
commencent à effectuer leur formation. Ils participent des deux tissus radicu-
laires, l'ivoire et le cément, et sont tantôt purement cémentaires, tantôt
cémento-denlinaires. On ne connaît pas encore d'exemple d'odontome purement
dentinaire.
Les odontomes raïUculaires cémentaires ont l'aspect d'une tumeur de volume
variable, mamelonnée et inégale, dans laquelle l'examen histologique ne permet
de reconnaître que les éléments du tissu osseux irrégulièrement groupés, comme
cela se produit, par exemple, dans l'exostose soit osseuse, soit cémentaire pro-
prement dite. Cette analogie de composition entre les odontomes et les exostoses
ne permet pas cependant d'assimiler les premiers aux secondes.
Fig, 27. — OJoutome radiculaire (Tomes). Fig. SS. — Odonlomc radiculaire (Maisonneuve),
Cette variété est extrêmement rare; nous n'en connaissons qu'un exemple,
observé et bien décrit par Tomes {Tmsact. of the Odontological Society of Great
Britain, 1872, p. 81).
Les odontomes cémento-dentinaires sont plus communs, et nous en connais-
sons plusieurs exemples (Forget, Anomalies dentaires, pi. II, fîg. 1 et 2. —
Wedl, Atlas zur Pathologie der Zàhne, tabl. XI, fig. 28 et 29).
Signalons encore les odontomes composés de Broca, dans lesquels plusieurs
follicules dentaires ont été em'ahis par le même processus tératologique {von.
Forget, Étude histologique d'une tumeur fibreuse non décrite de la mâchoire
inférieure. Paris, 1861, avec 1 planche, et Bull, de la Soc. de chir., 2^ série,
t. X, p. 60. — Robin, Bull, de l'Acad. de méd., t. XXIV, p. 1205, et Mém.
de la Soc. de Biologie, 1862, o" série, p. 216. — Broca, Traité des tumeurs^
t. II, p. 565), et les odontomes hétérotopiques du même auteur, développés au
sein d'un follicule frappé d'hétéropie (Salter, GuijsHosp. Rep., 5" série, vol. lY,
p. 229, 1858).
III. Du kyste folliculaire. Ce sujet ayant été décrit dans une autre partie
de ce Dictionnaire, nous ne pouvons qu'y renvoyer le lecteur [voy. Maxillaires
[Kystes des]).
H. Anomalies de structure. La constitution intime ou structure des tissus
dentaires offre un certain nombre de variations soit chez les individus, soit
d'une race à l'autre, mais qui sont jusqu'à présent fort peu connues. A peine
possédons-nous quelques documents relatifs aux différences d'aspect extérieur
que présentent certains tissus suivant les races et certains rapports des dents
176 DENT (pATHotociE).
comparées entre elles (Coudereau, Bidl. de la Soc. d'anthropologie, 1875, p. 86).
D'ailleurs ces variations ne nous intéressent qu'autant qu'elles causent des trou-
bles plus ou moins profonds dans la constitution des tissus, apportant comme
conséquence des prédispositions à diverses maladies.
Nous étudierons ces déviations soit dans l'organe dentaire en totalité, c'est-à-
dire lorsqu'elles intéressent à la fois l'émail et l'ivoire, soit si elles affectent
isolément un tissu en particulier. Celles du cément sont trop peu importantes
chez l'homme pour que nous nous en occupions ici.
I. Anomalies de structure dans la totalité de l'organe. Ces anomalies sont
sous la dépendance tantôt de conditions particulières et isolées chez un sujet
déterminé, tantôt de l'hérédité, c'est-à-dire des dispositions ou des diathèses
congénitales. Nous avons indiqué déjà les rapports existant entre l'aspect des
dents et l'état général du sujet. Mais le plus souvent les altérations de la
structure de l'organe ne sont appréciables qu'à l'investigation microscopique.
Si l'on examine dans ce cas la coupe d'une dent ainsi altérée à un grossisse-
ment de 200 diamètres environ, on reconnaît que l'émail et l'ivoire ont subi
simultanément des troubles plus ou moins marqués dans l'homogénéité et la
disposition réciproque de leurs éléments. Pu côté de l'émail : opacité, état gra-
nuleux, flexuosités très-accusées des prismes ; du côté de l'ivoire, dilatations
et même varicosité des canalicules, lignes de contour très-marquées, formation
de globules dentinaires que, contrairement à Czermak ( Zeitschr. fur ivissen-
schaftl. Zoologie, von Siebold und Kôlliker, 1850) et quelques autres, nous
considérons comme anormale (voy. nos Études sur le développement et la
structure des dents humaines. Thèse de Paris, 1857, p. 55).
Dans les imperfections de structure d'un ordre plus général encore, comme
celles qui dépendent de la race, l'examen microscopique révèle des particularités
analogues, mais moins nettes que dans le cas de diathèse.
La lésion de beaucoup la plus importante de cette espèce est V érosion.
L'érosion est caractérisée par une altération de la couronne des dents qui,
au moment de l'éruption, apparaissent comme usées ou rongées sur un certain
point de leur hauteur. Cette usure atfecte une forme si spéciale, qu'il n'est pas
possible de la confondre avec aucune autre lésion. Ce sont tantôt des échancrures
toujours courbes qui occupent le bord libre des dents, tantôt des sillons horizon-
taux qui partagent en plusieurs divisions la hauteur de la couronne. Un premier
caractèi'e fondamental de cette altération consiste en ce qu'elle n'est jamais
isolée à une seule dent, mais qu'elle affecte constamment sur le même point, à
un égal degré et sous une forme identique, les dents homologues d'une même
mâchoire ou des deux mâchoires.
Les deux dentitions n'y sont pas également sujettes, et, bien que certaines
lésions des dents temporaires puissent se rattacher à l'érosion (Fournier, Dict.
en 60 vol., art. Dent, p. 541, 1814. — Rattier, Contribution à l'étude de
r érosion dentaire. Thèse de Paris, 1879), on peut dire toutefois que cette lésion
est particulière aux dents permanentes.
Sur 12 cas pris au hasard, de un à neuf mois, M. Parrot a constaté que l'éro-
sion atteignait, par ordre de fréquence et d'intensité, les canines, les secondes
prémolaires, les premières prémolaires, les incisives latérales, la première
incisive médiane (Parrot, La syphilis dentaire, communication au Congrès de
Reims, 1880).
Toutes les dents permanentes peuvent être exposées à l'érosion mais il est
DENT (pathologie). 177
rare qu elles soient toutes frappées à un degré égal. La première molaire est la
plus fréquemment atteinte. Viennent ensuite les incisives inférieures et supé-
rieures, la canine, puis les prémolaires. La seconde molaire et la dent de sagesse
sont rarement affectées.
Les caractères de l'érosion revêtent plusieurs formes. C'est d'abord une
échancrure arrondie ou ellipsoïde , pour les incisives ; aux molaires , la
surface triturante est transformée en une série de petits mamelons plus ou
moins irréguliers, séparés par des anfracluosités traversant la couche d'émail
tout entière. Le bord de l'écliancrure des incisives et celui de la région érodée
des molaires sont occupés par un bourrelet irrégulier, composé démail normal,
mais plus épais que dans les autres points, et recouvrant un ivoire également
normal.
Dans une seconde forme, la couronne apparaît comme rongée par un acide
dans une certaine étendue de sa hauteur, laquelle est presque complètement ou
complètement privée de sa couche d'émail : cest l'érosion en nappe. Dans ce cas,
comme dans l'érosion en écliancrure, la lésion est encore limitée par un bour-
relet d'émail.
Dans des circonstances plus simples, l'érosion apparaît sous forme d'un trait
ou sillon léger, granuleux et pointillé, mais n'atteignant jamais en profondeur la
totalité de l'épaisseur de l'émail. Il n'y a pas alors de changement sérieux de
coloration ni d'aspect; une ligne transversale la représente essentiellement.
Plusieurs de ces lésions peuvent d'ailleurs exister ensemble sur la même dent.
Ainsi la présence d'une échancrure n'exclut pas l'existence, au-dessous d'elle,
soit d'une zone étroite ou large, soit d'un ou de plusieurs sillons parallèles: ce
sont les dents dites en étages ou en escaliers.
11 peut même arriver qu'une dent, présentant simultanément plusieurs formes
d'érosion, devienne méconnaissable et ne constitue plus qu'un tronçon difforme
à la place de la couronne. C'est cette lésion que Tomes a désignée sous le nom de
dents en gâteau de miel.
L'altération, avec ses formes multiples, peut encore se montrer simultanément
sur une partie ou la totalité des dents indiquées plus haut, et toujours d'une
manière homologue. Elle est d'ailleurs toujours de forme circulaire, c'est-à-dire
qu'elle représente un anneau tracé autour de la dent.
Au microscope on reconnaît que, tandis que la couche d'émail paraît seule
atteinte, la denline présente simultanément une lésion sur laquelle il est inté-
ressant d'insister. C'est Yérosion de Vivoire. A un grossissement de 200 diamè-
tres environ, on trouve à ce niveau une ou plusieurs couclies composées de ces
globules et de ces espaces interglobidaires (dentine globulaire de Czermak et
Owen) dont nous avons déjà signalé l'existence dans un grand nombre de troubles
de structure même légers. Mais ici la lésion, au lieu de se présenter par petits
groupes espacés et peu prononcés, affecte dans l'érosion le caractère d'une bande
altérée, dans laquelle les globules sont abondants et pressés, tandis que les
espaces qu'ils interceptent sont larges, prolongés dans divers sens, et remplis
d'une matière noirâtre granuleuse. Ce sont ces espaces interglobulaires auxquels
KôUiker attribue à tort une ressemblance avec les cavités osseuses {Éléments
d'histologie, 2" édit. française, Paris, 1856, in-8s P- 424), erreur que Czermak
et Wedl se sont efforcés de relever (Wedl, Histol. patholog., trad. an^-laise.
Londres, 1855, p. 51i). Au-dessus et au-dessous de la lésion, le reste du tissu
a conservé sa composition normale.
DICT. ENC XXVIL ']2
178 DENT (pathologie).
A une érosion de l'émail correspond une couche de dentine globulaire ; c'est
ainsi que nous avons pu observer jusqu'à trois couches superposées dans une
dent molaire qui présentait manifestement jusqu'à trois étages d'érosion. Ces
couches sont alors régulièrement concentriques, séparées par des zones plus ou
moins étendues de dentine normale et d'autant plus marquées qu'elles sont plus
près de la limite extérieure de l'ivoire. Nous sommes porté à croire que le
voisinage de la pulpe, fournissant à l'ivoire des matériaux de réparation, est
la cause du caractère peu marqué des couches profondes de dentine globulaire,
et que la lésion de l'ivoire finit par disparaître alors que celle de l'émail sié-
geant dans un tissu sans rénovation possible reste fixe et indélébile.
On observe souvent dans les couches d'ivoire de la racine des zones globu-
laires, mais elles sont moins nettes, les globules sont moins volumineux, leurs
espaces plus petits. Dans le cément, nous n'avons jusqu'à présent reconnu aucun
phénomène analogue.
Examinons maintenant la cause et le mécanisme de production de celte
lésion.
Les anciens auteurs, Fauchard, Bunon, Mahon, Fournier, el quelques modernes,
Tomes {Traité de chir-ur g te dentaire, trad. Darin, 1872, p. \^S), Broca, ont admis
que l'érosion se traduisait sous l'influence des pyrexies de l'enfance, du scorbut,
(le la coqueluche, etc. — Castanié a invoqué la scrofule dans un cas {De l'érosion
des dents permanentes. Thèse de Paris, 1874); d'autres, le rachitisme (Mahon,
Castanié, Horner, Becker (de Leipzig), Nicati {Revue mens, de méd. etdechir.,
1879, p. 7).
Dans sa très-intéressante communication faite au Congrès de Reims, M. Parrol,
discutant toutes ces opinions, ainsi que la nôtre, les a toutes rejetées, sauf le
rachitisme, pour se prononcer en faveur de la syphilis héréditaire. Il n'a d'ail-
leurs admis l'influence du rachitisme que parce qu'il fait de cette affection une
forme de la syphilis héréditaire.
Hutchinson avait fait de l'échancrure des incisives un signe pathognomonique
de syphilis héréditaire {Trans. of the Path. Soc, vol. IX, p. 449, et vol. X,
p. 287). Plus récemment, Berkeley Hill s'est efforcé de confirmer les vues d'Hut-
chinson {Monthly Review of Dental Science, juin 1872).
Nous ne croyons pas que les maladies fébriles de l'enfance aient une grande
influence sur la production de l'érosion, non plus que le scorbut et la coque-
luche; elles sont trop passagères et de trop courte durée. Quant aux diathèses,
la syphilis, comme nous l'avons déjà dit en 1875 {Bull, et mém. de la Soc. de
chir., 1875, p. 139), le rachitisme, etc., ont pour effet de produire soit des
retards dans l'évolution ou des atrophies de certains follicules, soit des pertur-
bations fonctionnelles, permanentes, uniformes, dans l'organisation des tissus
dentaires, mais non les lésions de l'érosion. Celle-ci, au contraire, a un caractère
brusque, et il est évident que la cause qui l'a produite a eu une durée limitée
et proportionnelle à l'étendue et à la profondeur de l'érosion elle-même. La
formation des tissus de l'émail et de l'ivoire a été momentanément suspendue,
et comme les dents apparaissent toujours ainsi frappées, au moment de l'érup-
tion hors des mâchoires, il est clair que le trouble qui en a été la cause a
exercé son influence sur l'organisation de l'organe pendant sa vie intra-folliculaire,
c'est-à-dire pendant la période pour ainsi dire fœtale de la dent. C'est donc dans
les troubles qui atteignent un sujet pendant cette période même qu'il faut
chercher l'explication de l'érosion. Or, d'après un grand nombre d'observations
DENT (pathologie). 179
auxquelles nous nous sommes livré en remontant d'un lUit d'crosion à letude
des antécédents, nous croyons être parvenu à fixer le véritable mécanisme du
phénomène, et pouvoir attribuer à l'éclampsie infantile la production de l'érosion.
C'est en effet dans cet ordre de phénomènes qu'on rencontre le caractère
d'invasion brusque, avec durée courte, suivie ou non de plusieurs accès ultérieui'S
et qui, prenant leur origine dans le système nerveux central, sont éminemment
susceptibles de produire des perturbations assez profondes pour arrêter la nutri-
tion et suspendre les phénomènes de formation au sein d'organes en voie d'évo-
lution. Lorsque l'affection est de courte durée, elle se traduit par un sillon
unique plus ou moins marqué, et dont le siège est invariablement la base du
chapeau de dentine des deuls en voie d'évolution. Si l'affection consiste en
plusieurs accès consécutifs, le nombre des sillons de l'érosion est égal à celui
des crises; si enfin l'affection susceptible de produire une telle altération survient
après l'achèvement de la dentification, elle ne fait éprouver au système dentaire
aucune lésion appréciable de structure.
On peut donc conclure que l'érosion dentaire est la trace mdescriptible et
permanente d'une affection inf tntlle à invasion brusque, de forme conviddve, et
tout spécialement de Yéclampsie.
Tout récemment, MM. Quinet et Ratier, reprenant la question, l'ont résolue
comme nous. « Il n'y a pas, dit M. Quinet, de dents syphilitiques proprement
dites, mais bien plutôt des dents éclamptiques, si l'on peut s'exprimer ainsi »
(Bull, de VAcad. de Belgique, janvier 1879).
Nous pourrions rapprocher de l'érosion dentaire le sillon unguéal sur lequel
Beau a particulièrement insisté et qui se montre à la base de l'ongle à la suite
de certaines affections. Mais ce sillon disparaît par suite du renouvellement
continu de l'ongle, tandis que celui de la couronne dentaire est indélébile ; en
outre le premier apparaît sous la moindre influence, tandis que le second a
pour cause une affection ordinairement subite.
L'étude des trépanations préhistoriques faites par Broca a conduit ce regretté
maître à admettre que cette opération était pratiquée sur des enfants atteints de
convulsions, soit de l'éclampsie, soit de l'épilepsie; plus tard on a trouvé dans
des gisements de crânes trépanés des dents frappées de sillons ou d'échancrures
évidemment congénitales {Bull, de la Soc. d'anthropologie, 1876, p. 426), et
nous en avons conclu à la coïncidence de l'éclampsie et de l'érosion dentaire
chez les sujets trépanés. M. Parrot, de son côté, a pensé que les dents érodées
prouvaient en faveur de l'existence de la syphilis dans les temps préhis-
toriques.
Quant au mécanisme de la production de la lésion, nous pensons qu'il consiste
essentiellement dans une simple interruption ou une suspension du travail
physiologique de formation des tissus de l'émail et de l'ivoire, interruption
qui est toujours contemporaine de la lésion anatomique.
Dans l'émail une ou plusieurs rangées de prismes étant ainsi frappées d'une
sorte d'inaction laissent à la surface du chapeau de dentine une raie ou un sillon
plus ou moins large et entièrement dépourvu de revêtement d'émail.
Dans l'ivoire, à un moment donné, la production d'abord régulière des couches
dentinaire se trouve suspendue, non d'une manière complète, car le fonction-
nement des cellules de l'ivoire ne saurait être absolument anéanti, mais les
matériaux calcaires, au lieu de se déposer molécule à molécule, se produisent
par une série d'intermittences séparées par des temps de repos. C'est ainsi que
180 DENT (pathologie).
les poussées de production dentinairc amènent la formation de globules, et les
temps de repos celle des espaces iiiterglobulaires.
II. Anomalies de structure particulières à rémail. Les plus simples de
ces imperfections de structure de l'émail consistent dans certaines taches opaques
blanchâtres ou diversement colorées, tranchant sur la physionomie générale du
tissu: ces taches sont simples ou multiples pour chaque dent ; elles peuvent être
soit isolées, soit paires et symétriques aux dents homologues. Leur forme est en
général circulaire et parfois irrégulière; on pourrait plus justement les consi-
dérer comme des troubles de composition chimique, car la disposition prisma-
tique se retrouve à leur niveau et sans trouble sensible à l'examen microscopique.
Tout au plus reconnaît-on que le tissu présente une moindre transparence et un
état parfois un peu granuleux.
Dans d'autres circonstances, on trouve, surtout entre les tubercules des mul-
ticuspidés, des sillons, des anfractuosités, des pertes de substance en trous ou
en plaques, comprenant toute l'épaisseur de la couche d'émail ; ces anomalies de
structure reconnaissent, sauf les cas observés de lésion traumalique du follicule,
un même mécanisme de production, un trouble tératologique spontané ou pro-
voqué, dans le développement des prismes de ce tissu et dans le fonctionnement
de l'organe de l'émail.
Nous avons d'ailleurs insisté sur ces lésions à propos de la carie dentaire,
dans la production de laquelle elles jouent un rôle important.
I. Anomaliks de disposition. Par le terme d'anomalies de disposition, nous
désignons tous les troubles de l'évolution qui amènent des modifications dans les
rapports soit des dents entre elles, soit des arcades dentaires réciproquement.
C'est ainsi que nous étudierons successivement :
1" Les anomalies par continuité ou réunions anomales;
2° Les anomalies par disjonction ou divisions anomales;
5° Les anomalies par alrésie de l'un ou des deux maxillaires ;
4" Les anomalies par augmentation du diamètre transversal des mâchoires;
5° Les rapports anormaux des arcades dentaires réciproquement.
Les deux premiers groupes de ces anomalies comprennent des déviations
essentiellement isolées et locales, car elles n'atteignent qu'un ou deux follicules
au plus de la série en voie d'évolution. Les trois derniers sont au contraire la
conséquence d'une disposition tératologique primitive et préalable, et qu'on
pourrait justement désigner par le terme d'asymétrie du système dentaire.
Toutefois les faits qui s'y rapportent ne sont pas nécessairement liés, comme on
• pourrait le croire, à l'un de ces états particuliers connus sous le nom d'asymé-
trie de la face ou du crâne. Ils peuvent y être complètement étrangers, caries
troubles qui frappent le système dentaire restent le plus souvent isolés et
spéciaux, de même que les phénomènes d'évolution physiologique de cet appareil
qui obéissent à un ensemble de lois particulières. Notons cependant que certaines
lésions générales, comme la microcéphalie et l'idiotie, en amenant des altérations
morphologiques profondes de la tête, produisent des troub'es corrélatifs du
système dentaire qui appartiennent dès lors à cette catégorie d'altérations.
L Anomalies par continuité. Réunions anomales. Les soudures par
continuité, qu'il ne faut pas confondre avec les réunions en une masse plus ou
moins informe de plusieurs dents entre elles, comprenuent tous les faits de
réunion avec conservation toujours reconnaissable de la forme des dents.
Ces soudures n'affectent que des dents normalement voisines et conti<^uës,
DENT (pathologie). 181
comme, par exemple, des incisives ou des molaires, ainsi que cela s'observe le
j.lus ordinairement. Le mécanisme de formation de celte anomalie consiste dans
la pénétration d'un follicule par son voisin avec disparition de la paroi loUicu-
laire intermédiaire et envahissement l'une par l'autre des couches décernent ou
simultanément de l'ivoire, de l'émail ou du cément. Il faut donc aussi que leur
évolution soit à peu près contemporaine.
Celte anomalie est très-anciennement connue, et nous ne pourrions rapporter
ici tous les exemples qui figurent dans les auteurs ou qu'on peut rencontrer
dans les musées [voy., par exemple : Schenck, Obs. med. rar. de dentelure. —
Bartholin, Hist. anat. rar. cent. \, obs. XXXV. — B. Genga, Istor. anat. dell
ossa del corpo umano. Roma, 1672 (extrait dans le Journal des Sarants, ann.
1675). _ Yan den Lindeu, Med. physiologica, chap. xiu. — Sabalier, Traité
d'anatomie, t. I, p. 74. —Berlin, Traité d'ostéologie, art. Dents. — Serres,
Nouv. théorie delà dentition, p. 160.— E. Geolfroy Saint-llilaire, Syst. den-
taire des mammif. et des oiseaux, ç. '50. — Is. Geoffroy Sainl-IIilaire, Anoma-
lies de l'organisation, t. 1, p. 547. — Fauchard, Le chirurgien dentiste, t. 1,
p. 342. — Lindcrer, Handbuch der Zahnheilbmde, pi. VllI. — Davaine,
Comptes rendais et mém. de la Soc. de biologie, 1850, p. 16).
La première dentition paraît moins sujette que la seconde à cette anomalie.
Celle-ci, en raison de Li contemporanéité de l'évolution folliculaire, se rencontre
particulièrement pour les incisives et pour les molaires. Ou ne connaît que fort
peu d'exemples de soudure entre canines et molaires, ainsi qu'entre incisives et
canines, et, dans tous les cas, le point de réunion, ou plus exactement le niveau
de la soudure, est précisément subordonné aux variations mêmes dans l'état
réciproque des formations folliculaires; c'est de la sorte que s'explique l'adhé-
rence d'une couronne de seconde molaire avec les racines d'une première, dont
l'évolution a notablement précédé la sienne.
Wedl {lac. cit., taf. XI, fig. 22) et Broca [Laboratoire d'anthropologie des
Hautes Études) ont toutefois signalé des exemples de soudure entre canine et
incisive, mais à la dentition temporaire. Tomes a vu un cas analogue.
Davaine a rapporté un fait de soudure d'un follicule surnuméraire à une dent
en sene régulière.
La soudure peut s'effectuer soit dans toute l'étendue verticale des parties
contiguës, soit seulement dans la couronne ou dans la racine.
Le plus souvent les tissus dentaires fusionnés restent normaux et sans aucune
lésion secondaire de leur substance, mais certaines perturbations organiques
peuvent frapper l'ivoire ou le cément. C'est surtout ce dernier qui offre des
altérations.
D'autres fois la soudure se fait d'une manière plus ou moins régulière : une
molaire se fixe aux racines d'une autre molaire, ou entre ses racines, ou
même dans la cavité de la pulpe d'une autre dent, ainsi que Tomes en a rap-
porté un exemple [System of Dental Surgery, édition anglaise, London, 1859,
p. 206).
Les réunions anomales de dents entre elles par soudure plus ou moins profonde
sont considérées par Is. Geoffroy Sainl-Hilaire comme étant sous la dépendance
de cette loi d'affinité des parties semblables, laquelle comprend toutes les réu-
nions des parties homologues, les doigts, les reins, les yeux, etc. Elles repré-
sentent en outre, pour le système dentaire, un fait de reversion, en ce sens
qu'elles rapprochent la dentition humaine de celle des espèces mammifères, dont
182 DENT (pathologie).
les dents sont normalement soudées entre elles, les herbivores, par exemple,
dont les dents sont plus ou moins composées.
Lorsque deux dents éloignées l'une de l'autre se sont réunies, ce phénomène
a été précédé soit d'une anomalie ou d'une lésion plus ou moins profonde des
mâchoires, soit d'un fait d'hétérotopie, qui a rendu préalablement contigus des
follicules normalement éloignés et qui se sont ensuite confondus.
Au point de vue pratique, les réunions anomales de deux dents entre elles
sont quelquefois visibles à l'œil nu, lorsque la fusion a porté soit sur deux dents
en totalité, soit seulement sur leurs couronnes; mais, lorsque la soudure porte
sur la seconde molaire et la dent de sagesse, ne s'en apei'çoit-on le plus souvent
que par les difficultés d'extraction apportées par la présence d'une dent profon-
dément fixée aux racines de la première. Dans ces cas, les désordres sont sou-
vent très-grands, et l'extraction a même été impossible, comme Fauchard, Tomes,
Oudet et nous-mème en avons rencontré des exemples.
Les déductions pratiques qui découlent de ce fait sont ou nulles, ou très-bor-
nées. Lorsque la disposition est reconnaissable à l'inspection directe, il faut
l'abandonner à elle-même et traiter les affections qui peuvent la compliquer, la
carie, par exemple, parles moyens ordinaires. Si, en pratiquant l'avulsion d'une
molaire, on arrive à rencontier une résistance inusitée qui puisse faire soup-
çonner une anomalie de ce genre, il faut procéder avec de grands méiiagemeuts
et, après avoir cherché à reconnaître la nature et la situation de l'obstacle,
pratiquer des débridements et des tractions ménagées, de manière à entraîner la
niasse totale sans faire éprouver aux parties voisines de trop grands dés-
ordres.
IL Anomalies par disjonction. Divisions anomales. Ce genre d'anomalies
n'est que l'exagération du phénomène normal qui donne lieu, d'une part, aux
divisions du bord libre des incisives et aux tubercules des molaires, d'autre
part à la séparation des racines ; mais jamais on n'observe la séparation com-
plète d'une des portions de l'organe dentaire.
Au point de vue pratique, la division anomale des racines des molaires doit
seule nous intéresser ; la dent peut présenter alors, soit divergentes, soit conver-
gentes, quatre racines distinctes, et la disposition qui en résulte présente immé-
diatement comme conséquence des troubles et des obstacles sérieux dans l'extraction
comme dans les anomalies de forme correspondantes.
Toutes ces dispositions, telles que division plus marquée des tubercules des
molaires ou des saillies du bord libre des incisives, séparation exagérée des
racines, bifidité de certaines racines normalement simples, pourraient figurer
dans la classe des anomalies par reversion du système dentaire. Car, considérées
chez l'homme, elles le rapprocheraient soit des simiens qui ont, comme carac-
tère constant, des molaires à tubercules plus accentués et plus nombreux, des
racines bifides aux canines, etc., soit même des lémuriens, dont les incisives
présentent des divisions profondes qui leur ont mérité le nom de pectinées.
Nous ajouterons toutefois, comme dernière remarque, qu'il faut bien se garder
de confondre les anomalies par division avec les altérations de la couronne en
sillons ou échancrures, et qui ont été étudiées à propos des anomalies de
structure.
IIL Anomalies par atrésie de Vun des maxillaires ou des deux. L'atrésie
consiste dans une diminution du diamètre transversal d'une des mâchoires ou
des deux mâchoires simultanément. Si cette disposition est double, les arcades
Fis
29. — Alrésie d'un maxillaire
supciieur (Wedl).
DENT (pathologie). 183
dentaires sont maintenues en rapport réciproque ; si une seule mâchoire subit
cette déviation, et c'est alors constamment la supérieure, les rapports sont
complètement troublés et la courbe parabolique de l'arcade dentaire supérieure
se trouve inscrite dans l'inférieure : il y a
alors asymétrie des mâchoires. Les dents, au
lieu de se rencontrer par leur face triturante,
ne se touchent plus que par un point beau-
coup plus limité, le bord externe des supé-
rieures arrivant au contact du bord interne
des inférieures. Il se produit de la sorte une
rétroversion totale d'une.mâchoire sur l'autre.
Dès lors les fonctions de la bouche s'exé-
cutent difficilement, d'autant plus que la
voûte palatine acquiert en même temps une
hauteur considérable.
Lefoulon a essayé de remédier à cette dif-
formité par deux moyens ( Déviation des
dents. Paris, 1859).
Le premier consiste dans des pressions ex-
centriques exercées matin et soir au moyen
des doigts et pendant quelques minutes. Cette pratique n'est indiquée quo
pour les cas les plus simples et chez les sujets très-jeunes. Nous l'avons
essayée sans succès dans deux cas d'atrésie du maxillaire supérieur, chez des
enfants de neuf et dix ans.
Le second moyen paraît être autrement efficace, au moins au premier abord ;
il consiste dans l'application d'un ressort extenseur, fabriqué en or ou en aciei',
suivant la courbe de la voûte palatine. On le place en arrière de l'arcade den-
taire, et il sert à relier entre elles deux armatures embrassant la face interne
d'un certain nombre de dents, depuis la canine jusqu'aux molaires. Cet appareil
extenseur, dont on accroît l'intensité d'action en augmentant la force du ressort
central, est maintenu constamment en place pendant un temps variable, suivant
le degré de la déviation et l'âge plus ou moins avancé du sujet. Ordinairement il
faut l'employer pendant plusieurs mois, parfois une année ou deux. 11 a pour
effet l'accroissement progressif du diamètre transversal de la mâchoire et
simultanément l'abaissement proportionnel de la voûte palatine. Lefoulon paraît
avoir retiré de bons effets de cet appareil chez des sujets d'un âge même avancé,
vingt et vingt-cinq ans.
Pour la mâchoire inférieure les mêmes moyens sont applicables, avec des
modifications dans la disposition de l'appareil extenseur.
Malgré les bons résultats annoncés par Lefoulon, son exemple a été peu suivi.
Nous avons appliqué deux fois son appareil, mais sans succès.
IV. Anomalies par augmentation du diamètre transversal des mâchoires.
•Cette anomalie, inverse de la précédente, consiste dans une augmentation du
diamètre de la parabole que décrit l'arcade dentaire. Si cette disposition est
double, il en résulte une proéminence des mâchoires qui ne saurait réclamer
aucun traitement.
Si la déviation est localisée à l'une des mâchoires, elle représente l'exaoération
de Vantéversion ou projection en avant ; seulement, tandis que les incisives et
les canines ont éprouvé l'inclinaison antérieure, les molaires sont rejetées en
184 DENT (pathologie).
dehors sur les côtés. Dans ce cas, chez un sujet jeune, on pourrait tenter la
réduction au moyen d'un ressort qui serait disposé inversement à celui de
l'atrésie, c'est-à-dire à pression concentrique. Nous avons essayé ce procédé chez
un enfant de treize ans, mais le traitement n'a pu être prolongé que pendant
trois mois et n'a produit qu'un résultat très-incomplet.
A cette anomahe se rattache l'existence du diastema simple ou douhle con-
stitué par un intervalle situé en haut entre la canine et l'incisive latérale, de
manière à loger la canine inférieure dans l'occlusion de la houche, tandis qu'en
bas ce même intervalle est placé entre la canine et la prémolaire, de façon à
recevoir la canine supérieure. On a signalé à plusieurs reprises ce diasléma, qui
cxisie à l'i'tat normal chez le singe, dans certaines races humaines inférieures,
les races océaniques (voy. Bullet. de la Soc. d'anthropologie, 1877, p. loO). 11
a été aussi reconnu plus fréquent dans les races préhistoriques, et enfin nous en
avons observé récemment un exemple chez un individu vivant, de race blanche.
V. Dispositions vicieuses des arcades dentaires réciproquement. Cette
anomalie, désignée par certains auteurs sous le nom d'engrènement, est assez
rare; elle consiste dans une sorte d'enchevêtrement des couronnes dentaires
pendant le rapprochement des mâchoires. Essentiellement complexe, elle pour-
rait être regardée comme une réunion de plusieurs déviations, plutôt que
comme une disposition essentielle. D'autres fois la rencontre des mâchoires est
telle, que l'une des moitiés de l'arcade supérieure se trouve en avant de la
moitié inférieure correspondante, et l'autre moitié en arrière, de sorte qu'il y a
en avant, sur la ligne médiane, croisement en X.
La cause de celte anomalie est le plus souvent un vice de forme des maxil-
lau^es eux-mêmes; elle est assez difficile à réduire. On doit s'adresser dans ce
traitement aux diverses déviations simples qu'on aborde tantôt successivement,
tantôt simultanément, en appliquant les principes et les procédés que nous
avons décrits plus haut. Toutefois, dans les cas trop compliqués, soit que les
sujets aient passé l'âge moyen, qui autorise ces tentatives de réduction, soit qu'on
ait affaire au croisement en X, comme dans l'exemple cité tout à l'heure, on
devra renoncer à tout traitement et abandonner l'anomalie à elle-même. Ce cas
nous semble d'ailleurs le plus souvent incurable, tant à cause de sa complexité
et de son intensité, qu'en raison des difficultés d'application des moyens ortho-
pédiques dont dispose jusqu'à présent la pratique chirurgicale.
2° Accidents de l'ércption des dents. Dans une précédente partie de ce travail
{roy. p. 115), nous avons proposé une nouvelle division de la dentition hu-
maine en cinq phases ou périodes correspondant exactement aux cinq éruptions
successives absolument distinctes au point de vue physiologique et essentiel-
lement séparable à l'égard des accidents qu'elles peuvent produire.
C'est suivant cette méthode que sera tracée la description qui va suivre :
I. Accidents de la première période {accidents de dentition des auteurs).
Tracer ici l'historique de celte question des accidents de première dentition est
chose impossible, car il faudrait passer en revue toute la littératuie médicale,
depuis les livres hippocratiques jusqu'aux derniers traités de pathologie infan-
tile. Nous nous bornerons donc à résumer les principales théories émises sur ce
sujet.
Or, il est de toute évidence que le premier âge chez l'homme, comme chez
beaucoup d'autres animaux d'ailleurs, est fréquemment troublé par des mani-
DENT (pathologie). 185
fostations morbides de divers ordres. Tantôt ce sont des affections inllammatoires
localisées à la bouche, ce qui est fort rare, ou apparaissant sur des points plus
ou moins distants ; tantôt ce sont des troubles du tube digestif, des affections
catarrhales des voies respiratoires, enfin des accidents nerveux..
La plupart des auteurs de nos ouvrages de patbologie interne et surtout de
patbologie infantile considèrent la dentition chez le nouveau-né comme une
phase critique entièrement responsable de presque tous, sinon de tous les acci-
dents les plus variés, les plus simples, comme les plus graves, qui peuvent
frapper le^a-emier âge.
Hunter est certainement parmi les auteurs celui qui, par l'autorité de son nom
et de ses éludes spéciales, a donné le plus de poids à cette croyance, et sa con-
viction s'appuie sur cette première remarque que ces accidents ne sauraient être
imputables à aucune autre cause, puisqu'ils cessent d'ordinaire, dit-il, après l'é-
ruption. Les troubles locaux de la bouche ou des régions voisines, les manifes-
tations lointaines de certains appareils, n'auraient pour lui aucune autre origine.
Il n'est pas jusqu'à certains faits de blennorrhée chez les petites fdles ou les
petits garçons qui seraient liés, d'après lui, à la dentition., lluntcr ne donne
du reste de ces accidents aucune pathogénic, aucun mécanisme, et la simple
coïncidence des faits tient pour lui lieu d'explication.
Tous les auteurs qui, à sa suite et à son exemple, ont adopté cette doctrine,
ont émis l'idée que la dentition, sans être par elle-même un fait pathologique,
devait être assimilée à certains états, comme la grossesse, par exemple, et
considérée comme capable d'entrauier, ainsi qu'elle, une série indéiiuie de
manifestations morbides. Ainsi professent Joseph Franck, qui a inventé le mot
de dysodontiasis (dentition difficile), Rillet et Barlhez, Dugès, Billard, Guer-
sant, Valleix, les auteurs du Compendium, Baumes (de Montpellier), Bou-
chut, etc.
Partis d'une opinion préconçue, les auteurs ont alors tracé un véritable cadre
morbide comprenant ce qu'ils appellent les maladies de la première dentition.
Ces maladies se diviseraient de la manière suivante: 1" troubles locaux:
ptyalisme, gonflement du bord alvéolaire, rougeur des joues, stomatite, aphthes
et plaques couenneuses delà muqueuse, adénite, etc.; 2" troubles sympathiques :
convulsions, fluxions vers les muqueuses, conjonctivite, entérite, colite;
5" troubles sans lésions apparentes : vomissements, flux séreux ou diar-
rhéiques, etc. C'est, comme on le voit, toute la pathologie infantile qui recon-
naîtrait cette cause unique : l'éruption des vingt dents temporaires.
Nous acceptons tout d'abord la fréquente contemporanéilé entre cette période
de la première éruption qui s'étend aux trois premières années et les pertur-
bations morbides qui ont été signalées; mais contemporanéilé n'implique pas
causalité, et il ne faut pas perdre de vue qu'à cette même période de la première
enfance il est bien d'autres organes que les dents qui poursuivent ou achèvent
leur évolution. Pourquoi ne les a-t-on pas incriminés au même litre que les
dents? C'est que l'éruption dentaire est un phénomène extérieur et visible et que,
à quelque moment qu'on observe un enfant, il y a toujours une dent qui va
sortir ou qui vient d'apparaître au dehors ; le médecin, aussi bien que les
parents eux-mêmes, trouvent là une explication toute prête et qui n'oblige à
aucune autre recherche, à aucun autre examen.
Les objections les plus sérieuses ne se présentent même pas à l'esprit, ainsi:
1° Pourquoi ces accidents seraient-ils exclusifs à celte première phase, alors
186 DENT (pathologie).
qu'au point de vue physiologique elle est évidemment bien moins susceptible de
produire des désordres locaux, puisque les premières dents apparaissent sans
traumatisme d'aucune sorte sur des gencives vierges et entièrement libres de
tout obstacle ? 2° Comment établira-t-on celte intervention lorsque des accidents
ordinairement attribues à la première dentition se produisent soit avant l'appa-
rition, soit après l'achèvement complet de celle-ci? 3° Comment expliquer que
des lésions, très-souvent observées et plus ou moins graves, des follicules en voie
d'éruption (abcès, hématocèle, ectopie, etc.), n'ont jamais été cause d'accidents
■dits de dentition [voij. à ce sujet les observations relatées par M. Lévêque, thèse
<le Paris, 1881 , p. 42 et suiv.) ? 4» Comment expliquer que des expériences faites
sur les animaux, blessures des follicules, lésions de la gencive, etc., n'ont pas
produit les mêmes accidents ? 5» Comment rattachera-t-on à la dentition les
troubles morbides qu'on observe dans le premier âge chez beaucoup d'animaux
domestiques, accidents qui sont en tous points analogues à ceux de l'homme,
alors que l'éruption des premières dents est achevée et y est conséquemment
tout à fait étrangère ?
Ces remarques avaient déjà frappe du reste plusieurs auteurs qui ont élevé
des doutes sur la réalité des accidents de la première dentition. Parmi eux, il
convient de citer Rosen, Andral et trousseau lui-même, qui formulent à cet égard
de sages réserves {voy. llosen, Trailédes maladiesdes enfants, MIS. — Trousseau,
Gazette des hôpitaux, 1848, n" 276). Tomes, dont l'opinion a grand poids dans
cette question, conclut aux mêmes incertitudes (Tomes, System of Dental Sur-
gery. Londres, 1859, p. 48). Mais déjà longtemps auparavant Serres {Nouvelle
théorie de la dentition. Paris, 1817), avec son esprit si judicieux, protestait
contre les assertions de Sydenham qui, attribuant à la dentition l'apparition de
la fièvre et de divers autres accidents chez les jeunes enfants, déclarait en même
temps pouvoir les guérir avec quelques gouttes d'esprit de corne-de-cerf. 11 s'élève
aussi contre l'opinion de Boerhaave qui, décrivant les convulsions de la dentition,
prétendait aussi les guérir avec l'esprit volatil. 11 faut donc admettre, ajoute
Serres, que les accidents ont une tout autre cause que l'éruption dentaire.
Quant aux auteurs qui acceptent cette causalité, il faut voir à quels expédients
ils ont recours pour expliquer la pathogénie de ces accidents. Les uns, comme
€uersant et Monneret, invoquent les phénomènes de congestion cépiialique sous
l'inlluence de l'éruption ; d'autres accusent l'inflammation des gencives comme
point de départ, bien qu'aucune observation ne puisse permettre de vérifier le
fait; d'autres enfin le simple prurit de dentition, qui serait l'occasion de phé-
nomènes réflexes.
Quelle que soit la facilité avec laquelle les actions réflexes apparaissent chez
l'enfant, nous sommes cependant en droit de réclamer, pour leur production,
une lésion initiale, si légère qu'elle soit.
Or, nous rappellerons d'abord que le plus grand nombre des observations
publiées par les auteurs, même les plus convaincus, sont impuissantes à étabhr
rigoureusement la relation de cause à effet entre l'éruption d'une dent et les
accidents qu'on lui attribue. Nous dirons ensuite que des observations d'accidents
rattachés tout d'abord à la dentition ont montré qu'elle y était absolument
étrangère. M. Lévêque en cite deux qui sont tout à fait concluantes. Enfin nous
rappelons les exemples déjà fort nombreux de troubles sérieux survenus au
niveau des gencives ou sur des follicules en voie d'évolution, exemples dans
lesquels on n'a signalé aucun accident, alors que tout devait faire prévoir leur
DENT (pathologie). 187
production prochaine : tels sont les faits cités par MM. Masse {Bulletin de théra-
peutique, 1874, p. 50),Guéniot [Bulletin de thérapeutique, [S1A,t^.Z0), et }^ar
nous-mcme (m thèse de Lévêque, loc. cit., p. 45).
A ces observations se rattachent les expériences que nous avons instituées avec
Ch. Legros sur de jeunes animaux. C'est ainsi qu'en piquant des follicules, eu
lésant de diverses nianières le bord gingival au moment de l'éruption, nous
n'avons réussi qu'à produire certains traumatismes locaux et des troubles de
nutrition ultérieure intra-folliculaires, aboutissant à la production artificielle de
monstruosités (odoutomes), mais sans provoquer des phénomènes généraux.
"Voici un résumé de ces expériences entreprises en 1872 au laboratoire d'his-
tologie de la Faculté de médecine :
ExpÉRiEiNCE 1". Sur un chien de deux mois, allaité par sa mère, nous
pratiquons sur le bord alvéolaire inférieur gauche diverses piqûres avec une
aiguille à microscope. Ces pipùres pénètrent dans plusieurs follicules de molaires,
mais sans laisser couler au dehors plus de quelques gouttelettes de sang.
L'animal est remis à sa niche et devient l'objet d'une observation continue.
Aucun accident apparent ne se manifeste dans l'état général. Les jours suivants,
on observe une certaine injection de la muqueuse correspondante. Plus tard, au
moment de l'éruption des dents du côté opposé, celles qui ont été blessées ne
paraissent pas.
Expérience 2^ Sur un autre chien de la même portée que le précédent, nous
pratiquons avec des ciseaux courbes l'excision d'un lambeau de muqueuse au
niveau de la région molaire, sur la partie saillante du bourrelet gingival. Cette
excision pénètre jusqu'au niveau des follicules oîz l'instrument rencontre les
pointes des chapeaux de dentine déjà engagés dans la muqueuse. L'animal,
observé avec la plus grande rigueur, ne présente à la suite de cette mutilation
aucun accident de la santé.
ExpÉRiErscE 0". Sur un troisième chien également de la même portée, nous
pratiquons, au moyen du galvano-cautère, une cautérisation portant sur toute
l'épaisseur de la muqueuse dans la région molaire. La même surveillance exercée
avec la même attention ne permet de reconnaître aucune apparition d'accidents
quelconques.
C'est en raison de l'ensemble des considérations qui précèdent que nous
sommes parvenu, sur cette question des accidents de la première dentition, à
une incrédulité que nous formulons par les conclusions suivantes que nous
empruntons à la thèse de M. Lévêque et auxquelles nous nous associons complè-
tement :
1° Il n'a jamais été établi d'une manière incontestable aucune relation de
cause à effet entre la dentition et les accidents qu'on lui attribue ; 2" on ren-
contre dans la science un grand nombre de faits pathologiques de l'enfance
auxquels la dentition, d'abord incriminée, a été reconnue parfaitement étran-
gère ; 3° des expériences directes ayant pour objet des blessures du follicule ou
du bord gingival chez des chiens nouveau-nés n'ont produit aucun accident dit de
dentition ; 4" il est reconnu que les phénomènes morbides observés dans le pre-
mier âge chez les animaux domestiques, et tout à fait comparables aux accidents
de l'enlimce chez l'homme, sont absolument indépendants de la dentition ; 5° la
théorie des accidents dits de dentition ne nous paraît basée jusqu'à présent sur
aucune preuve absolue ; 6" les accidents considérés chez le nouveau-né comme
étant sous la dépendance de la dentition doivent, selon nous, être rattachés à
188 DENT (pathologie).
un ensemble de phénomènes mal connus encore, et que l'on pourrait désigner
par un terme général ne préjugeant rien : accidents ou maladies de l'évolution
ou du premier âge.
Que dirons-nous maintenant de toutes les tentatives thérapeutiques conseillées
ou appliquées pour remédier à tel ou tel accident? Arrêtons-nous seulement à
une piatique recommandée par un grand nombre d'auteurs. Nous voulons parler
de Vincision ou de l'excision des gencives.
. On sait que Vésale, Ambroise Paré, Hunter et B. Bell, les conseillent formel-
lement, on sait aussi qu'en Angleterre cette pratique a fait école, et les travaux
ele Harris, de Cooper, de Brownlicld, de Copland, en proclament l'utilité. Il est
bon d'ajouter aussi que Van Swieten, dans ses commentaires sur les Aphorismes
de Boerhaave, exprimait déjà sur l'efficacité de ces moyens des doutes qui ont été
partagés depuis par quelques auteurs, par Guersant entre autres. L'opération
n'en est pas moins recommandée partout. En tout cas, elle semble basée sur
un prétendu état congestif de la muqueuse gingivale, que nous n'avons jamais
réussi à constater et contre lequel proteste d'ailleurs, ainsi que nous l'avons dit,
le processus pliysiologi(pie de l'éruption.
Un mot de celte opération en elle-même. Une incision ou excision des gencives
est-elle donc une opération iusiguillanle?
Sans parler ici de la lésion de la gencive, qui n'a certes pas d'importance, il
y a lieu d'examiner quel inconvénient peut avoir sur une couronne en voie de
formation le contact du bistouri ou des ciseaux. Cette circonstance n'est pas
indifiérente et l'on sait quelle est la fragilité extrême du revêtement d'émail,
crayeux et friable, qui recouvre une couronne encore incluse dans son follicule,
et l'incision de la paroi de celui-ci ne peut-elle avoir pour conséquence l'inllam-
mation de la poche et la destruction de son contenu? On a proposé, il est vrai,
de substituer à l'emploi de l'instrument tranchant la simple déchirure avec
l'ongle ; cette pratique, qui serait, dit-on, familière aux nourrices, est, il est
vrai, relativement moins grave, bien qu'elle puisse encore amener des compli-
cations sérieuses intra-folliculaires. Mais, en présence des inconvénients possibles
d'une telle pratique, nous attendrons encore pour la conseiller que son indi-
cation soit formulée d'une façon plus précise et son efficacité plus rigoureu-
sement établie.
II. Accidents de la deuxième période de la dentition {éruption des
quatre premières molaires permanentes). Un double processus physiologique
marque la deuxième phase de la dentition : l'apparition d'une dent volumineuse
et l'accroissement proportionnel des mâchoires. Cependant, malgré la com-
plexité des phénomènes, les auteurs ne mentionnent aucun accident local ou
lointain dû à cette éruption, non point que la série des manifestations morbides
des premières années soit épuisée, car les mêmes accidents des temps anté-
rieurs se montrent encore, bien qu'avec moins d'intensité, mais l'attention se
déplace alors de ce côté de la dentition et l'on ne songe pas à incriminer cette
nouvelle phase dont on serait cependant à priori tout aussi fondé à invoquer
l'influence.
Il est cependant quelques accidents de dentition appartenant à cette seconde
période, et que nous devons signaler; mais hàtons-nous de dire qu'ils sont exclu-
sivement locaux et sans retentissement quelconque sur le reste de l'économie.
Ces accidents sont en effet purement muqueux, c'est-à-dire qu'ils consistent dans
certains troubles gingivaux, dont nous établissons la pathogénie de la manière
DENT (pathologie). 189
suivante : Au moment où cette dent exécute son passage au travers de la
muqueuse, qui à cet endroit est encore représentée par le bourrelet volumineux
du premier âge, quelques lambeaux en voie de résorption peuvent rester appli-
qués sur la face triturante de la molaire et éprouver dans les manœuvres de la
mastication des contusions répétées, une sorte de trituration de la dent opposée
Ce mécanisme, qui n'est admissible d'ailleurs qu'à la condition que les deux
molaires arrivent ainsi à la rencontre l'une de l'autre, implique deux circon-
stances : la sortie simultanée des deux dents et la présence entre elles d'un
lambeau gingival. C'est alors qu'on assiste à une véritable gingivite locale,
tantôt simple, tantôt phlegmoneuse, tantôt eufm ulcéreuse chez certains sujets
débilités et cachectiques.
La gingivite simple se manifeste par l'injection avec rougeur des lambeaux
dont l'inflammation se propage souvent à la région voisine et envahit parfois
toute l'étendue d'un bord alvéolaire. L'inaction dans laquelle se trouve immé-
diatement plongé le côté correspondant a pour autre conséquence la production
de ces amas de mucosités, de croûtes blanchâtres et de masses de tartre, (jui
entretiennent à leur tour la congestion gingivale.
Le traitement est bien simple et consisté essentiellement dans l'excision des
lambeaux, l'ablation des corps étrangers, et l'administration de quelques col-
lutoires, le chlorate de potasse, par exemple. Nous n'insisterons pas, n'ayant pas
à tracer l'histoire de la gingivite qui a été faile ailleurs.
Si la forme inflammatoire aboutit à une collection purulente, à un abcès, on
traite d'abord par les moyens appropriés l'état local, pour arriver ensuite, après
cessation de la période aiguë, à la même excision indispensable.
Enfin, la gingivite prend parfois la forme ulcéreuse et bon nombre de stoma-
tites dites ulcéro-membraneuses des jeunes enfants n'ont pas d'autre ori'rine. L'état
préalable des sujets est certainement la cause particulière de ce nouveau pro-
cessus. Mais il est très-important de ne pas perdre de vue le point local, sous
peine d'échouer dans les tentatives thérapeutiques, qui s'adresseraient uniquement
aux complications ulcéreuses.
Ici les moyens seront d'abord dirigés vers les ulcérations elles-mêmes qui
devront être attaquées par l'emploi des caustiques, soit le nitrate d'arn^ent, soit
l'acide chromique, mais nous proscrivons complètement, comme néfastes aux
dents si friables des jeunes sujets, les applications des acides minéraux, et plus
spécialement celles d'acide chlorhydrique, si fréquemment conseillées. Puis
aussitôt que les ulcérations seront en voie de réparation, on aura recours à la
même pratique conseillée plus haut : l'excision des lambeaux.
Telle est, en quelques mots, la physionomie ordinaire des accidents de
l'éruption des quatre premières molaires permanentes. Nous n'en avons, dans
une pratiqvie déjà longue, jamais observé d'autres.
Il est pourtant quelques phénomènes dont on serait en droit d'attendre la
production dans de telles circonstances: c'est d'abord la compression possible
au moment de la sortie de cette molaire, de la série des dents temporaires'
Nous ne l'avons pas observée, et la raison nous paraît fort simple : l'évolution
lente des nouvelles dents entraînant l'allongement équivalent du maxillaire
elles trouvent tout naturellement leur place suffisante quelles ont en quelque
sorte préparée elles-mêmes, car on sait qu'en vertu de la loi à' appropriation
physiologique l'évolution folliculaire chez l'enfant, aussi bien que chez l'em-
bryon, commande le développement proportionnel des mâchoires.
190 DENT (pathologie).
Si donc aucune compression ne s'exerce sur les dents temporaires, il en sera
de même du côté postérieur, c'est-à-dire dans la direction de la branche montante
ou de la tubcrosité maxillaire. Ici d'ailleurs l'emplacement reste encore libre,
bien que, relativement toutefois, car déjà, à la cinquième année, le follicule de
la deuxième molaire a commencé son évolution ; mais la première molaire pré-
sente en quelque sorte une force éruptive trop grande pour être troublée en
aucune façon par la présence d'un nouveau follicule si peu développé encore.
L'influence perturbatrice pourrait porter bien plus facilement sur ce dernier,
s'il n'était doué à son tour du même rôle que son prédécesseur, c'est-à-dire de
provoquer l'accroissement du maxillaire dans une étendue correspondant à son
volume même.
Quant aux accidents sympathiques ou réflexes, les auteurs, nous le répétons,
n'en mentionnent pas d'exemple, et nous n'en avons nous-même jamais été
témoin.
111. Accidents de la troisième période delà dentition [chute de 20 dents
temporaires et leur remplacement par un nombre égal de permanentes). Ici
encore les accidents seront purement et exclusivement locaux ; mais hàtons-nous
d'ajouter qu'ils sont à la fois très-variés et très-importants à connaître.
Et, d'abord, si le nombre des dents nouvelles qui se substituent aux dents
antérieures est identique, il n'en est pas de même de leur volume, qui est bien
plus considérable, car les dimensions comparées d'une incisive, par exemple,
sont, d'une dentition à l'auti-e, dans le rapport approximatif de 1 à o. 11 ressort
immédiatement de là que le remplacement d'une incisive caduque par la sui-
vante implique, si elle se fait normalement, un accroissement correspondant de
l'arcade alvéolaire; et c'est, en effet, à ce moment que les régions antérieures et
latérales des mâchoires, jusqu'alors fixes et invariables, éprouvent à leur tour
un allongement nécessaire. 11 n'y a point toutefois corrélation constante entre
les deux phénomènes, et c'est ici que se place la pathogénie des diverses
déviations de direction et de disposition des dents permanentes. Si le maxillaire
se développe d'une manière insuffisante, les dents nouvelles éprouvent certaines
anomalies de situation ; c'est le cas le plus fréquent. Si le développement osseux
est, au contraire, plus marqué, les dents nouvelles restent espacées notable-
ment, ce qui est un inconvénient encore, mais bien moins sérieux que le
précédent.
Ces diverses considérations, relatives aux rapports réciproques entre l'évo-
lution des dents et le développement des maxillaires, ont, à une certaine
époque, préoccupé singulièrement les auteurs, et il s'est même produit, au
commencement de ce siècle, une assez vive polémique à ce sujet. Ainsi, d'une
part, Miel, Fox et Duval [voy. Miel, Recherches sur ta seconde dentition. Paris,
1826. — Fox, Maladiesdes doits, trad. franc., 1821. — Duval, De rarrangement
des secondes dents. Paris, 1826), s'efforçaient, à l'exemple de Hunter, de
démontrer que la seule région du maxillaire qui s'agrandit au moment de
l'éruption des secondes dents est la portion postérieure située au delà des dents
temporaires, de telle sorte que l'espace occupé par ces dernières était toujours
suffisant à loger celles qui les remplacent. Ces auteurs, et surtout Miel, se
livrent alors à des calculs mathématiques destinés à démontrer que la longueur
du segment alvéolaire occupé par les dents de lait reste identique après l'achè-
vement de leur remplacement. La disproportion de volume entre les premières
et les secondes ne serait qu'apparente, car, si les incisives et les canines per-
DENT (pathologie). 19^
manentes sont plus fortes que les ante'iieures, les dents prémolaires sont infi-
niment plus petites que les molaires de l'enfant.
Serres {loc cit. Paris, 1817, p. 53), de son côté, avait émis, quelques
années auparavant, une doctrine tout opposée à celle de llunter et de ses suc-
cesseurs, dont il déclare l'opinion absolument contraire aux lois de la pliysio-
lo'fieet aux faits de l'observation. Ses recherches, très-exactes et très-minutieuses,
sont basées sur l'examenM'un grand nombre de pièces recueillies aux différentes
périodes de l'évolution. Il fixe ainsi plusieurs points de repère: la position inva-
riable du trou mentonnier, l'ouverture du canal dentaire, l'apparition tardive de
la tubérosité du maxillaire supérieur, l'ouverture de l'angle de la mâchoire
inférieure et ses variations suivant les âges, le développement du sinus maxil-
laire. Il arrive à démontrer que l'accroissement de la mâchoire est dans l'étal
physiologique tout à fait corollaire de l'évolution dentaire. Les recherches
modernes n'ont fait que confirmer pleinement ces premières observations
{voy. Robin et Magitot, Genèse et évolution des follicules dentaires. — Journal
de physiologie de Broivn-Se'quard, janvier 1860, p. A), et c'est ainsi que, pour
résumer ces remarques, nous pouvons considérer au développement des
mâchoires cinq périodes successives tout à fait connexes des pliases correspon-
dantes de l'éruption de l'appareil dentaire :
1° Dans une première phase, la pliase embryonnaire, le maxillaire, dont
la première apparition a lieu après celle des follicules dentaires, est rigoureu-
sement subordonné, dans sa genèse et ses dispositions, à la première série fol-
liculaire.
2° Dans la seconde phase, phase infantile, la dimension de l'arcade alvéolaire,
fixe au niveau des dents temporaires, s'accroît en arrière, en vertu du dévelop-
pement folliculaire des premières molaires permanentes.
5" Dans sa troisième phase, le maxillaire éprouve un développement corres-
pondant au volume total des vingt dents permanentes qui succèdent à la chute
des vingt dents de lait, et aussitôt que le remplacement est réalisé il reprend
sa fixité première.
4° Dans ses quatrième et cinquième phases, il s'accroît enfin de nouveau
dans ses parties postérieures, pour subvenir à l'emplacement des deuxième et
troisième molaires.
Cette appropriation des mâchoires aux dispositions diverses du système
dentaire est donc constante; c'est la loi physiologique.
On prévoit déjà quels pourraient être, d'une manière générale, les accidents
de cette troisième période de l'éruption ; ils consisteraient, suivant les auteurs :
1° En perturbations diverses résultant de troubles accidentels dans les rapports
réciproques des mâchoires et des pièces de l'appareil dentaire : déviations dans
le siège et la direction. Ces perturbations comprennent une grande classe de
lésions qui appartiennent à la tératologie et ont été étudiées plus haut;
2" En accidents purement locaux et résultant de la sortie même des dents
permanentes aux lieu et place des temporaires persistantes ;
3° En accidents lointains, sympathiques, ou réflexes.
Nous n'avons à parler ici que des deux dernières catégories.
Les accidents locaux consistent essentiellement dans des troubles inflamma-
toires, c'est-à-dire dans la production d'une gingivite, variable d'ailleurs d'in-
tensité et de caractère.
Dans la plupart des cas, il faut le dire, ce double phénomène de la chute des
192 DENT (pathologie).
dents de lait et de leur remplacement ne s'accompagne d'aucun désordre ni de
la bouche ni de la santé générale. Mais il arrive parfois chez des enfants débilités
ou cachectiques qu'il devient l'occasion d'un état congestifde la muqueuse. Pour
peu qu'il se produise une déviation même légère dans les axes des deux dents,
l'apparition de la seconde s'ajoutant à la résistance de la première, on voit ?c
produire une gingivite locale le plus souvent sans gravité et qui cesse aussitôt
que la ciiute de la dent temporaire s'est accomplie. Dans l'éruption normale, les
dents apparaissant par paires symétriques, cet accident, s'il se produit, reste
insignifiant et passe même inaperçu ; mais, si plusieurs groupes de dents
évoluent simultanément, il y a véritable gêne dans les fonctions de la bouche,
inaction assez marquée dans la région correspondante et, immédiatement, amas
de mucosités et de larlre dont la présence devient cause nouvelle de gingivite.
C'est dans ces circonstances que l'affection prend parfois la forme ulcéreuse dont
nous avons déjà parle dans le paragraphe précédent et se confond avec cet état
que les médecins ont décrit sous le nom de stomatite ulcéreuse des enfants.
Nous trouvons ici une cause nouvelle à cette forme dont l'éliologie restait, de
l'aveu même des auteurs, assez obscure. Elle se complique alors, chez les indi-
vidus d'ailleurs prédisposés, de phénomènes de voisinage, fluxion, adénite,
quelquefois assez intenses et assez durables pour aggraver ces quelques mani-
festations ulcéreuses.
Nous n'avons point à décrire ici le traitement de la gingivite, mais il nous
faut mentionner une pratique spéciale destinée dans les cas de ce genre à com-
battre rapidement les accidents. Cette pratique consiste dans l'ablation pure et
simple de la dent temporaire afin de laisser l'emplacement libre à la perma-
nente. Celte petite opération qui s'adresse souvent à une dent ordinairement déjà
ébranlée est formellement indiquée, fort simple, et, outre qu'elle a pour avantage
de délivrer la dent permanente de l'obstacle qu'elle rencontre, elle a encore
pour effet de causer une légère hémorrhagie favorable à la décongestion de la
muqueuse et des parties voisines.
Quant aux accidents lointains qu'on pourrait rattacher à cette période. de
l'éruption, nous ferons l'aveu que nous n'en avons jamais observé qui recon-
nussent incontestablement ce mécanisme, si ce n'est toutefois quelques accès
fébriles ou quelques troubles généraux ayant pour justification l'intensité même
de l'état local.
IV. Accidents de la quatrième période de la dentition {éruption des quatre
secondes molaires permanentes, de onze à douze ans). Les accidents possibles
de cette nouvelle phase sont de tous points identiques à ceux de la seconde
période relative à l'éruption des quatre premières molaires qui apparaissent
dans le cours de la cinquième année. Ils sont encore moins fréquents et surtout
moins intenses, ce qui résulte d'abord du volume plus faible de celte dent,
surtout dans nos races blanches où la série des molaires présente, comme on
sait, un volume décroissant de la première à la troisième.
Nous n'avons donc à signaler ici que des troubles locaux: gingivite, soit
simple pendant le soulèvement de la muqueuse, soit phlegmoneuse, s'il y a
rencontre et traumatisme de la part de la dent opposée', soit ulcéreuse chez
certains sujets déterminés. ,
V. Accidents de la cinquième période de la dentition {éruption des quatre
dernières molaires, de dix-huit à vingt-cinq ans). Accidents de la dent de
sagesse. Nous abordons maintenant une histoire pathologique des plus sérieuses
DENT (pathoi.oi.ie). ''QS
et des plus complexes, hisloire qui a donné lieu à un nombre considérable
d'études et de travaux.
C'est qu'en effet, si la désignation d'époque critique, attribuée d'une façon
«Générale à la dentition, ne convient guère aux périodes que nous venons de
passer en revue, elle est entièrement légitimée par le cortège considérable de
désordres de toutes sortes, dus fort souvent à celte dernière éruption, et par la
(Tiavité de ces accidents qui est parfois telle, qu'ils mettent en question la vie
des malades.
Il convient donc d'en faire ici une description complète.
Â. Historique et généralités. Au point de vue historique, les accidents de
l'éruption de la dent de sagesse ont été signalés depuis très-longtemps. Dès
le seizième siècle, Urbain Hemard {De la Vraye Anatomie des dents, nature et
propriétés d'icelles. Lyon, 1581, p. 48), commentant certains récits de Pline et
d'Avicenne, rapporte des faits de douleurs vives causées pendant l'éruption de
cette dent par la tension et l'inflammation de la gencive, et il cite l'exemple
personnel de son contemporain Vésale, qui avait éprouvé et décrit sur lui même
des accidents de cet ordre.
Ambroise Paré, si bon observateur en ce qui concerne bien des questions
relatives aux dents, est cependant muet sur ce point particulier. Il en est de
même de Fauchard, qui écrivait vers le milieu du dix-lmitième siècle.
Hunter se borne à signaler quelques lésions de la muqueuse à l'époque de
cette éruption. Mais c'est Jourdain, en 1778 {Traité des maladies et des opéra-
tions réellemejit chirurgicales de la bouche, t. H, cliap. xvii, p. 616), qui
ilistingua le premier les accidents de cette période en lésions de la muqueuse et
en lésions osseuses proprement dites.
H faut cependant arriver à Toirac {Mémoire sur les diverses espèces de dévia-
tions de la dent de sagesse, et des accidents qui accompagnent sa sortie [Revue
médicale, 18'28, t. I, p. 596]) pour trouver une première description vraiment
précise et des indications thérapeutiques rationnelles.
Depuis ce moment, le nombre des publications sur cette question devient
considérable. La plupart des auteurs qui écrivent sur les maladies de la bouche
en tracent une description particulière, tels sont : Lisfranc, Velpeau, Robert,
Nélaton, les auteurs du Compendium de chirurgie, etc. (Lisfranc, Médecine
opératoire, t. 1, p. 487. — Velpeau, Cliniques, t. III, p. 380. — Robert, Cli-
niques, 1880, p. 127. — Nélaton, Gaz. des hop., 1860, p. 454), et, à l'étran-
ger, Lœwcnhardt, Albrecht, Weber, Wedl, pour l'Allemagne (Lœwenbanlt, in
Arch. gén. de med. [anal., 1840], p. 119. — Albrecht, Klinik der Mundkrank-
heiten. Berlin, 1862. —Weber, Deutsch. Viertelj. f. Zahnheilk. Berlin, 1867.
— Wedl, Pathologie der Zàhne. Leipzig, 1870); Salter, Holmes, Tomes, en
Angleterre (Salter, Gm/s Hospit. Rep., 1867, t. XllI, p. 80. — Holmes, Syst.
of Surgery, t. IV. — Tomes, Traité de chirurgie dentaire, trad. Inmç. Paris,
1873). Et enfin, plus récemment, nous trouvons un nombre considérable de
thèses soutenues à la Faculté de Paris. Citons, parmi elles, celles de Ghevassu
(1873), de Reynaud (même année), de Comoy (1876), d'Anuilphy (1876), de
Pietkiewicz (1876), de Real et Guyet (1870-78). Les deux dernières étudient
spécialement un accident particulier de l'éruption de la dent de sagesse, c'est-
à-dire la constriction des mâchoires, complication que d'autres auteurs trai-
tent, à leur tour, au point de vue chirurgical. Tels sont MM. Sarasin (thèse
1855), Boisson (thè;e 1878), Duplay, Richet, etc. (Duplay, Progrès médical,
DICT. ENC. XXVII. J5
jt)4 DENT (patholooik).
15 avril 1878. — Richet, Clinique de l'Hùtel-Dieu [Gaz. des hôpit., 1877,
p. 772]).
Enfin, signalons, pour terminer cette nomenclature, la remarquable Ihèse
(l'agrégation de M. lleydenreicli, dans laquelle l'histoire de cette éruption est
tracée d'une façon magistrale [Des accidents provoqués par l'éruption de lu dent
de sagesse. Paris, 1878).
Les accidents dus à l'éruption de la dent de sagesse sont donc aujourd'hui
classés dans le cadre nosologique, et forment un groupe de lésions diverses
reconnaissant une cause unique. Mais, avant d'envisager le mécanisme et la
pathogénie de ces accidents, il nous faut dire un mot des conditions auatoniiques
et physiologiques qui sont de nature à en préparer l'apparition.
Or, nous avons vu que la précédente période d'éruption, celle de la sortie des
quatre secondes molaires permanentes (douzième année), s'effectue le plus ordi-
nairement sans aucun désordre, l'emplacement réservé à leur évolution étant
largement sullisant. Aussitôt cette éruption achevée, la formule dentaire,
entièrement composée de dents permanentes, s'élève au chiffre 28, ainsi réparti:
2-2 1-1 , 2-2 , 2 - 2
^"'- T=^i "°- T^l P'""'- â^r-2 ™o'- 2^r7 = "^•
Cette formule 28 se maintient même chez un certain nombre de sujets,
environ 10 pour 100, pendant toute la vie, dans nos populations de race blanche,
ce qui impliijue dès lors l'atrophie des quatre germes des dents de sagesse. 11
n'en est pas de même quand on descend l'échelle des races humaines, où cette
absence congénitale de la dent de sagesse est un fait relativement rare.
Ce phénomène est ici corollaire d'un autre fait ethnique qui est \e. prognathisme,
lequel éprouve dans la gradation descendante des races une progression corres-
pondante. Or, comme nous avons maintes fois cherché à mettre en lumière cette
loi qui assigne à l'évolution dentaire le rôle essentiel dans le développement des
mâchoires, il résulte nécessairement de là que si le maxillaire, à partir de la
douzième année, cesse de s'accroître en longueur, c'est que la dernière molaire,
par son atrophie ou par l'extrême lenteur de son développement, cesse d'im-
])rimer au tissu osseux l'impulsion physiologique nécessaire à son allongement.
11 est, en effet, très-facile de reconnaître, lorsque l'éruption des secondes
molaires est achevée, que celles-ci rencontrent souvent par leur face postérieure
la base de l'apophyse coronoïde, et qu'il ne subsiste conséqnemment, à ce
moment, aucune place pour une évolution ultérieui'e. Que cette situa' ion se
maintienne pendant quelques années, l'état aiUille se fixe dès lors vers la sei-
zième ou dix-huitième année, suivant les sujets, et l'apparition d'une nouvelle
dent rencontre des obstacles sérieux.
A celle observation, si facile à vérifier dans notre race, il faut ajouter immé-
diatement ce fait que, dans les races inférieures, le développement considérable
du diamètre antéro-postérieur des mâchoires, qui amène le prognathisme, laisse
à la partie postérieure des arcades dentaires un espace considérable qui permet
non-seulement l'évolution facile delà dent de sagesse, mais devient même la
cause de ces anomalies par accroissement numérique des molaires, qui transfor-
ment parfois la formule 52 en formule 54 ou 56. Nous avons ailleurs insisté sur
ces faits en traitant des anomalies de nombre de l'appareil dentaire, et en signa-
lant la fréquence si grande de cette variété chez le Nègre, l'Australien, le Néo-
DENT (PATHOLOGIEI. 195
Calédonien, etc. (voy. Traité des anomalies du système dentaire. Paris, 1877,
p. 98).
Ces observations avaient vivement frappé Darwin quand il émit cette idée que
la troisième molaire était chez l'homme un organe en décadence et tendant à
disparaître [System of meti., I, p. 25). Mantegazza et Broca se sont, comme
on l'a vu, ralliés complètement à cette manière de voir {Bulletin de la Soc.
d'anthropologie, 1878, p. 2S.'5).
A l'époque de cette discussion à la Société d'anthropologie de Paris, nous
n'étions pas disposé à nous ranger à celte opinion, car nous avions remarque
que cette atrophie de la dent de sagesse se retrouvait assez fréquemment aussi
<lans les crânes de certaines époques préhistoriques, dans ceux de la race des
Dolmens, par exemple, que l'on considère comme une race inférieure; mais les
faits recueillis par M. Mantegazza et l'opinion si considérable de Broca étaient
de nature à nous rallier.
Une autre observation donnait d'ailleurs une valeur nouvelle à la conjecture
de Darwin : c'est que, de même que l'existence de la dent do sagesse serait plus
fréquente dans les races inférieures, on reconnaîtrait en outre, chez celles-ci,
le volume soit égal, soit ascendant, de la série des molaires de la première à la
troisième, tandis que l'ordre inverse se rencontre dans les races élevées, où les
molaires ont un volume décroissant.
Quoiqu'il en soit, ces diverses considérations, sur lesquelles nous avons déjà
insisté plus haut, n'ont trouvé place ici que parce qu'elles vont nous fournil-
l'explication de Ja fréquence si grande des accidents de la dent de sagesse dans
notre race.
B. Pathogénie. Le mécanisme de production des accidents de l'éruption de
la dent de sagesse repose essentiellement sur le défaut de concordance entre lo
volume ou la direction de cette dent et l'emplacement dévolu à sa sortie.
Celte première remarque donne immédiatement la raison de la rareté extrême
à la mâchoire supérieure des accidents si fréquents à l'inférieure. Pour la pre-
mière, en effet, la disposition particulière de la tubérosité maxillaire, libre en
arrière et sur les côtés, n'apporte aucun obstacle à l'éruption; non pus toutefois
que la dent de sagesse supérieiire évolue ici toujours normalement; il n'en est
rien, et il laut déjà en signaler ici l'absence fréquente, ce qui est conforme à
l'hypothèse de Darwin.
En outre, il arrive fort souvent que cette dent se dirige soit en arrière, soit
en dehors, et va heurter ainsi la muqueuse, à laquelle elle cause certaines lésions
sans gravité d'ailleurs, et sur lesquelles nous reviendrons plus loin. Ces compli-
cations sont assez rares, toutefois, pour que la plupart des auteurs se soient
bornés à décrire les accidents de la dent de sagesse considérés exclusivement à
la mâchoire inférieure.
C'est qu'en effet, pour cette dernière, les conditions sont tout autres, et se
présentent en outre sous les aspects les plus variés.
i" En premier lieu, une dent de sagesse de volume normal, ou même relati-
vement petite, rencontre une place insuffisante à sa sortie.
2° En second heu, elle peut éprouver une anomalie préalable dans sa direction
et se porter soit en arrière, vers la base de l'apophyse coronoïde, soit en dehors'
vers la muqueuse de la joue, soit enfin en avant, oblique ou même horizontale'
et venant heurter par sa face triturante la lace postérieure de la deuxième molaire
Cette disposition, que nous avons fréquemment rencontrée, et dont nous avons
196 DENT (pathologie).
mentionné divers exemples {Traité des anomalies, loc. cit., pi. XIll, fig. 7, 8,
10, 12, et pi. XIV, fig. 1, 2, 3, A), a été signalée par beaucoup d'auteurs.
M. Gaillard, dans un ouvrage récent, en cite plusieurs [Des déviations des
arcades dentaires. Paris, 1881, p. 97 et 101), et MM. de Quatrefages et Hamy
en ont figuré un cas dans une mâchoire de Mélanésien {Crania ethnica, p. 43,
lig. 47). Le musée Vrolik, d'Amsterdam, renferme une pièce semblable.
Meckel et Tomes (Meckel, Ânat. génér., 1825, t. III, g 2, 126. — Tomes,
loc. cit., p. 195) citent encore chacun un cas dans lequel il y avait renverse-
ment complet de la dent de sagesse inférieure, dont les racines étaient dirigées
en haut, et la couronne inférieurement.
5° Elle peut, par suite d'une anomalie ])lus rare, présenter un accroissement
de volume tel que l'emplacement, qui eût sulfi à loger une dent normale, devient
insuffisant à recevoir un organe devenu monstrueux. Tomes et Forget en ont
cité des exemples (Forget, Des anomalies dentaires. Paris, 1859), et nous en
avons rencontré nous-même {Traité des anomalies, p. 64 et pi. H, fig. M, 14,
15ctl6).
4" Enliii, des obstacles d'une autre nature peuvent se produire de la part du
maxillaire lui-même ou de l'apophyse coronoïde.
Dans le premier cas, signalé déjà par Jourdain, l'alvéole est fermé parle
rapprochement complet des deux lames osseuses de l'arcade dentaire.
Dans le second, une disposition particulière de l'apophyse coronoïde représente
la résistance." Cette explication a été invoquée surtout par Lœwenhardt(irc/i.(/eH.
de méd.y loc. cit., p. 119), qui a constaté que cette éminence forme parfois avec
le maxillaire un angle aigu, tandis que son bord antérieur devient convexe en
avant. C'est à cette anomalie spéciale que sont dus les faits de développement
d'une dent de sagesse dans l'épaisseur même de l'os, oîi elle peut former un
kyste ou un odontome {voij. notre Mémoire sur les kystes des mâchoires [Arch.
gén. de méd., 1872, 5, p. 685]). C'est encore à elle qu'il faut rattacher les faits
si curieux d'évolution de la dent de sagesse apparaissant jusque dans 1 échan-
erure sygmoïde. Saunilers en a recueilli un exemple qui figure au musée de la
Société otlontologique de Londres, et dont nous avons reproduit le dessin.
Tels sont les aspects divers qu'affectent, dans leur pathogénie, les déviations
de la dent de sagesse devenant cause de désordres varies. Mais, avant d'étudier
ceux-ci dans leurs manifestations morbides, nous allons dire un mot de leur
fréquence générale et des âges auxquels ils apparaissent.
A l'égard de la fréquence, une statistique, dressée sous nos yeux en 1876
par le docteur David, alors notre chef de clinique, a donné les résultats suivants :
Sur 100 observations prises parmi les étudiants en médecine qui fréquentaient
la Clinique, et qui ont été interi'ogés avec le plus grand soin, il s'en est trouvé
75 qui présentaient ou avaient présenté antérieurement des accidents au
moment de la sortie de la dent de sagesse, abstraction faite d'ailleurs de la nature
et de la gravité de ces accidents mêmes. Cette proportion si considérable permet
de dire que les manifestations morbides de cette période sont presque de règle
dans notre population, nouveau fait conforme à la théorie darwinienne.
Mais, si nous cherchons à établir la proportion relative de ces accidents aux
deux mâchoires, nous reconnaissons qu'ils sont très-rares à la supérieure, où
2 cas seulement sur 75 ont été constatés.
En ce qui concerne l'âge des sujets atteints d'accidents c'était le plus souvent
de div-neuf à vingt-cinq ans que nous les avons rencontrés. Cependant, Toirac en
DENT (pATUOLOGlli). 19'^
a si^^nalé chez un homme de quarante-cinq ans, Jourdain chez une femme de
cinquante ans et chez un homme de soixante ans, M. Richet chez un sujet de
soixante-six ans, et nous-mêmenous avons naguère rencontré, dans le service de
Velpeau, des accidents survenus chez une femme de S(iixan(e-cinq ans, par la
sortie des deux dents de sagesse supérieures {Traité des anomalies, pi. VIII, tig. !2).
Mais ce sont là, il faut le dire, bien plus des accidents de dentition tardive i]w
des troubles proprement dits de l'éruption {Ib., loc. cil., Anomalie>^ de V éruption,
p. 218). • . , ,
L'influence du sexe a été invoquée par M. Ileydenreich, qui trouve chez la
femme une plus grande fréquence que chez l'homme, ce qu'il attribue du reste,
suivant une idée tout à fait rationnelle, à une certaine i)réilominance du progna-
thisme chez la première (thèse citée, p. 28).
C. Forme et nature des accidents. Considérés d'une manière générale, lr>
accidents provoqués par l'éruption de la dent de sagesse sont très-nombreux.
Une division méihodique de ces phénomènes n'est pas chose facile, et bien sou-
vent un accident d'une certaine nature au début se modifie pour passer par
d'autres formes successives. Toutefois, comme une classification est nécessau-e à
la description, nous avons adopté la suivante :
i" Accidents inflammatoires, lesquels se subdivisent en accidents mwpieux
et en accidents osseux;
2" Accidents nerveux: névralgies, troubles des organes des sens, phénomènes
réflexes ;
3» Accidents organiques, qui comprennent les kystes folliculaires de la dent
de sagesse, les odontomes, les néoplasmes.
1» Accidents inflammatoires, a. Accidents muc{ueux. Les accidents mu-
queux de l'éruption de la dent de sagesse sont extrêmement fréquents ; ils com-
mencent à la simple irritation de la muqueuse gingivale, pour finir au phlegmon,
à l'ulcération et à la gangrène. Tantôt encore l'accident local est isolé, tantôt il
se complique, à son tour, de troubles de voisinage plus ou moins intenses. Dans
tous les cas, cette forme muqueuse des accidents est de beaucoup la plus com-
mune, car dans la statistique citée plus h;mt du docteur David elle représen-
tait dans les 75 pour 100 d'accidents quelconques dus à cette éruption une
proportion de 70 observations, ce qui lui donne dans la somme des accidents
divers la proportion d'environ 93 pour 100.
Dans les circonstances les plus simples, la muqueuse de la région de la dent
de sagesse est simplement soulevée, modérément tuméfiée et douloureuse. C'est
une gingivite légère ou subaiguë. L'accident, sans passer inaperçu, ne cause
qu'une faible gêne, et la dent, triomphant bientôt de cet obstacle, apparaît au
dehors au milieu de quelques lambeaux ayant à peu près l'aspect de bourgeons
charnus. La présence de ces lambeaux, qui restent pendant un temps plus ou
moins long appliqués sur la surface triturante d'une dent, a pour conséquence
habituelle de former certains cloaques qui se remplissent de corps étrangers, do
détritus alimentaires, et deviennent ainsi de véritables foyers de production de
caries. C'est par ce mécanisme que se produisent les lésions si prématurées aux
dents de sagesse, à ce point qu'elles ont donné lieu, de la part d'observateurs
peu attentifs , à cette affirmation que les dents de sagesse sortaient souvent
cariées.
 un degré plus marqué de l'inflammation gingivale, toute la portion de
muqueuse sus-jacente à la dent est le siège d'un véritable phlegmon, au foyer
198 DENT (pathologie).
duquel se trouve la dent elle-même, qui reste ainsi emprisonnée sans communi-
cation avec l'extérieur. C'est à cette forme d'accident que Cliassaignac a donne'
le nom d'enkystement de la dent de sagesse, pour la distinguer de la forme
précédente, qu'il nomme enchatonnement (Chassaignac, Traité pratique de la
suppuration et du drainage chirurgical. Paris, 1859, t. II, p. 151). Cette
distinction, un peu subtile, est d'ailleurs tout artificielle, car la première forme
aboutit ordinairement à l'autre lorsque, après l'ouverture spontanée ou provoquée
de l'abcès, la dent incluse se trouve en communication avec le deliors.
La forme phlegmoneuse consiste, en définitive, en un véritable abcès du fol-
licule, et c'est dans ce cas que l'accident local se propage le plus ordinairement
aux parties voisines. Tantôt c'est une gingivite qui s'étend en avant le long de
l'arcade, et parfois jusqu'à la ligne médiane; tantôt c'est une amygdalite dont
le caractère particulier est une ténacité extrême, tant que la cause reste méconnue.
Toirac en cite une observation très-remarquable due au docteur Fiard {loc. cit.,
obs. YI). De l'amygdale, le processus inflammatoire s'étend aux piliers du voile
et au pbarynx, donnant lieu à une angine également rebelle. Robert en rapporte
un cas {Cliniques, 1800, p. 127).
Quoi qu'il en soit, cette forme d'accidents est propre à la fois à la dent de
sagesse inférieure et à la supérieure. Pour l'inférieure la sortie simple d'une
dent, d'ailleurs normale comme volume et comme direction, peut en être la cause,
tandis qu'à la supérieure elle ne se produit qu'à la condition que la dent de
sagesse se dirige anormalement soit en dehors vers la joue, soit en arrière vers
le pilier antérieur. C'est, du reste, presque généralement à cette forme que se
bornent, ainsi que nous l'avons fait remarquer, les troubles de l'éruption de
cette dernière.
A la forme phlegmoneuse que nous venons d'indiquer et parfois aussi à b
gingivite simple succède souvent l'état ulcéreux. On voit alors au niveau des
lambeaux déchirés de la muqueuse ou à la suite de l'ouverture de l'abcès folli-
culaire se produire des ulcérations à fond grisâtre, irrégulières, couvertes de
lambeaux d'éidtliélium qui lui donnent l'aspect décrit sous le nom de stomatite
ulcéro-memhraneuse. Le siège de ces ulcérations est la région même de la dent
de sagesse ou le bord gingival qui lui fait suite; assez souvent c'est la muqueuse
de la joue; plus rarement enfin l'ulcération siège sur la langue, ce qui se pro-
duit quand la dent de sagesse a une direction interne.
En tout cas, cette variété ulcéreuse est celle que nous avons indiquée ailleurs
en traitant des gingivites proprement dites (voy. les Leçons sur la gingivite
[Gaz. des hôp., 1876-79, et art. Gencives du Dictonnaire encijclopédique, 4' série,
t. VII, p. 280]), comme représentant, pour un certain nombre d'auteurs et pour
aous-même, la véritable nature de la stomatite ulcéro-membraneuse, décrite
chez les soldats, en général chez tous les jeunes sujets à l'âge de l'évolution de
la dent de sagesse.
Les accidents muqueux de la dent de sagesse comprennent donc, comme on
voit, trois variétés : la gingivite simple, la gingivite phlegmoneuse et la variété
ulcéreuse.
Mais ce n'est pas tout, et dans les trois variétés, mais surtout dans les deux
dernières, il se produit ordinairement des complications de voisinage sur les-
quelles il convient de s'arrêter : la plus fréquente est Y adénite sous-maxillaire.
Elle apparaît presque infailliblement dès que les phénomènes inflammatoires
locaux prennent une notable intensité ou une certaine durée. C'est cette adénite,
DENT (pathologie). i9i)
particulièrement constante dans la forme ulce'ro-membraneuse, qui a e'tc décrite
chez les jeunes soldats comme conséquence de la pression du col militaire ou
d'autre cause spéciale, alors qu'elle appartient, selon nous, à la série des acci-
dents de la dent de sagesse.
Cette adénite, considérée comme complication d'un accident purement
muqueux, aura toutefois pour siège exclusif les ganglions sous-maxillaii'os pour
lu mâchoire inférieure et les ganglions parotidiens pour la supérieure. Les gan-
glions cervicaux ne s'engorgent que lorsque les phénomènes morbides ont
envahi le tissu osseux des mâchoires.
De l'adénite à la fluxion proprement dite il n'y a qu'un pas, et celle nouvelle
complication est également très-fréquente. Ici la fluxion revêt les dilfércnles
formes que nous lui avons assignées ailleurs {dictionnaire encyclopédique,
article Fldxion, t. 11, 4^ série, p. 456), œdème simple, jddegmon circonscrit,
phlegmon diffus, suivant la gravité même de la lésion initiale. Disons cependant
que, dans un accident muqueux, la fluxion œdémateuse est la complication la
plus ordinaire. La forme phlegraoneuse appartient au cas d'inflammation grave
de la muqueuse ou à ces cas particuliers dans lesquels une dent de sagesse infé-
rieure se trouve incluse dans les parties molles de la joue oii elle détermine des
ulcérations, des indurations et des fongosités au milieu desquelles la dent est,
comme on l'a dit, enchatonnée.
Ces diverses particularités pathologiques ne sont pas d'un diagnostic facile
dans la plupart des cas, puisqu'un grand nombre d'observations ont été absolu-
ment méconnues dans leur véritable nature et dans leur origine Ce|)endant, si
l'on veut bien tenir compte de l'âge des sujets, qui répond toujours à la période
de la vie où s'effectue cette éruption de la dent de sagesse; si l'on prati(iue
d'autre part l'examen attentif de la région sou|içonnée, on arrivera à une déter-
mination exacte. Le point essentiel est d'avoir l'attention éveillée vers l'inter-
vention possible de celte époque critique qu'on appelle l'éruption de la dent de
sagesse,
b. Accidents osseux. Les accidents osseux se produisent tantùt comme con-
séquence d'accidents muqueux préalables et tantùt apparaissent d'endjiée. Dans
le premier cas, ils résultent de la propagation au tissu osseux de phénomènes
inflammatoires longtemps fixés à la muqueuse. Les ulcérations anciennes; les
indurations persistantes, toujours très-rares à la mâchoire supérieure, sont fort
communes à l'inférieure, qui en est essentiellement le lieu d'élection.
Quand ils succèdent à des accidents muqueux, ils apparaissent tout d'abord
sous la forme d'une ostéo-périostite des maxillaires dans une région où, le ves-
tibule de la bouche étant presque entièrement effacé, le point central de l'in-
tlammalion se trouve en rapport anatomique direct avec les pa-ties molles de
la joue {voy. notre travail de la Pathogénie des kystes et des abcès des mâchoires
[Gaz. des hop., 1869, p. 245 et 250]); le processus est alors simple, et passe,
par continuité de tissu de la muqueuse gingivale tuméfiée, au uérioste dû
maxillaire.
Si les accidents osseux se produisent d'emblée, ils ont pour début une ostéite
par compression du tissu alvéolaire et consécutivement un phlegmon de la joue.
Toutefois cette ostéite se complique ordinairement d'une inflammation simul-
tanée du périoste dentaire, et la périostite de la dent de sagesse devient alors le
centre véritable des accidents inflammatoires. Le docteur Pielkiewicz, dans sa
thèse, rapporte plusieurs cas de ce genre [De la périostite alvéolo-dentaire.
200 DENT (pathologie).
Pai'is, 1876, p. 85). Mais cette patliogénie spéciale, avec le point de départ
intra-alve'olaire, est bien plus fréquente encore lorsque la dent de sagesse est
frappée de périoslite consécutive à une carie préalable, ce qui est, comme on
sait, très- fréquent. Ce dernier mécanisme appartient toutefois réellement à l'his-
toire delà périostite et non à celle des accidents de la dent de sagesse proprement
dite.
Quoi qu'il en soit, l'ostéo-périostite du maxillaire est la forme initiale con-
stante qu'affectent les accidents osseux de la dent de sagesse. Tantôt le processus
est lent, en quelque sorte chronique, et aboutit à ces indurations sous-périos-
tiques de la mâchoire inférieure qu'on observe ordinairement à la face extérieure
et qui déforment aussitôt la joue. Cette forme lente est en général soumise à des
alternatives de décroissance et de poussées aiguës. 11 ne se produit point d'abcès
ni de suppuration du côté de l'alvéole, les douleurs sont faibles ou nulles, sur-
tout dans l'intervalle des crises aiguës.
Une telle marche est l'indice des efforts de pression accomplis par la dent en
voie d'évolution. Les périodes de poussées correspondent aux crises aiguës, et
celles d'arrêt à l'état slationnaire. 11 arrive même, dans un bon nombre de cas,
qu'après une succession plus ou moins longue d'intermittences de ce genre les
accidents se dissipent entièrement, ce qui coïncide avec la sortie délinitive do
la dent de sagesse.
Dans d'autres circonstances, on voit l'ostéo-périostite revêtir une forme aiguë,
et sa terminaison inévitable et rapide est alors la su|ipuralion. Vn véritable
phlegmon apparaît dans la région de l'angle de la mâchoire. Un loyer purulent
se forme, et le pus cherche à se frayer un passage au dehors. Dans cette marche,
la collection peut affecter l'un des trois trajets suivants :
1" Elle prend une direction ascendante en suivant le bord même de la dent et
s'ouvre dans la Louche, au niveau de l'alvéole. Cet écoulement, une fois installe
par cette voie, s'y prolonge souvent indéfiniment, et dès lors une grande quan-
tité de pus, s'écoulant incessamment dans la bouche, pénèlre dans les voies
digestives et arrive à produire cet état que Chassaignac a appelé cachexie buccale;
2" Elle aboutit au vestibule et s'ouvre également dans la bouche par une
ouverture qui est tantôt voisine du foyer primitif, tantôt plus ou moins distante
en avant. La collection purulente, ayant fusé au-dessous du périoste osseux
décollé, vieul s'ouvrir parfois au niveau de la première grosse molaire et même
plus en avant jusqu'à la région mentonnière {voij. Robert, loc. cit., obs. Y).
Cette circonstance est très-importante à noter au point de vue du diagnostic;
3" Enfin elle se porte au dehors et s'ouvre sur la peau, en un point plus ou
moins éloigné, tantôt par une seule ouverture, tantôt, ce qui est le plus ordi-
naire, après une marche lente et intermittente, par plusieurs orifices qui restent
fistuleux. C'est dans certains cas invétérés de cette dernière forme que la joue
est si souvent criblée d'ouvertures livrant passage à une suppuration iiilans-
sable.
Cet ensemble de phénomènes apparus, comme nous venons de le voir, à l'exté-
rieur, y restent le plus souvent localisés. Ils y produisent, par leur persistance
et par le retour de périodes aiguës successives, des désordres qui aboutissent
invariablement à la nécrose partielle de l'os. Mais il se présente certains cas
dans lesquels l'osléite et la nécrose s'étendent à une portion plus considérable
du maxillaire. La situation s'aggrave alors; le phlegmon de la face prend la
l'orme diffuse, s'étendant à la région cervicale et parfois jusqu'au sternum et a
DEiNT (pathologie). 201
l'épaule; des décollements considérables, la gangrène, surviennent, et souvent,
malgré l'intervention la plus énergique, la mort arrive, soit par infection puru-
lente ou putride, soit par ulcération de la carotide interne nu de l'artère den-
taire, soit par une complication cérébrale. MM. Chassaignac, Gaujot, Richet,
Pietkiewicz, ont rapporté des faits de ce genre {voy. Chassaignac, loc. cit. —
Richet, thèse de Heydenreich, p. 61. — Tueflert, Union médicale, iSTi,
vol. Il, p. 810. — Gaujot, thèse de Chevassu, obs. XVII. — Pietkievicz, thèse.
obs. XXI, XXXIV, XXXV). ,
Le tableau pathologique, que nous venons de tracer sommairement, del osleo-
périostite du maxillaire, s'accompagne encore de (pielipics phénomènes secon-
daires sur lesquels il convient de nous arrêter.
Le plus important de ces phénomènes est la constriction des mâchoires. C'est
là une complication des accidents muqueux, mais plus fré(iuemmeiit des acci-
dents osseux.
Les auteurs qui la décrivent ont presque tous adopté une opinion exclusive
qui rattache cet état tantôt à une contraction spasmodique et réflexe, tantôt a
un état inflammatoire des muscles élévateurs. La première interprétation ne
saurait en aucun cas être admise, et malgré l'autorité des observateurs qui en
rapportent des exemples, Salter, Diiplay, etc., nous ne connaissons aucun l'ail
rigoureusement observé de contracture réflexe el spasmodique. L'erreur vient
ici de ce que, dans certaines circonstances, le processus inflammatoire, sourd et
latent au centre de l'os, gagneplus rapidement que dans d'autres cas les gaines
musculaires des ptérygoïdiens ou du masséter, qui se trouvent ainsi plus direc-
tement liappées. C'est de la sorte ijue la contracture, qui représente ordinai-
rement un phénomène secondaire et tardif, peut, dans ([uel([ues cas, apparaître
d'emblée comme signe de début.
En ce qui concerne les muscles atteints de contracture, il faut éliminer tout
d'abord le temporal, qui ne saurait être influencé que par une ostéite ayant
envahi la plus grande partie de la branche montante, ce (|ui est très-rare. Les
ptérygoïdiens ne sont frappés que dans les cas d'ostéo-périostite de l'angle même
delà mâchoire inférieure. Mais le muscle qui est le plus ordinairement atteint,
c'est le masséter. Ce cas est môme si fréquent, qu'on peut le considérer comme
étant la règle. Il suffit, en effet, pour amener la contracture de ce muscle, d'une
simple propagation de l'inllammalion au périoste qui revêt la face cxtéiieuni
du maxillaire inférieur. La plilegmasie, rencontrant aussitôt les gaines muscu-
laires, s'y propage, et immédiatement une m.i/osite véritable envahit la totalité
du muscle. Cet accident est, à coup sur, l'un des plus rapides auxquels il soit
donné d'assister, car quelques heures suffisent, chez un sujet dont les mouve-
ments de la bouche sont normaux, pour produire rimmobilisation de la mâchoire
inférieure.
La nature analomique de la rétraction massélérine, rattochée essentiellement
à l'inflammaliou du tissu musculaire, a été confirmée par les deux autopsies
des malades cités plus haut de MM. Gaujot et Richet. Chez le premier, le muscle
était transformé en une masse noire dissociée et n'adhérant plus à l'os. Chez le
second, M. Richet trouva le muscle changé en tissu fibreux par suite de l'an-
cienneté de la rétraction. Cette dernière circonstance est dénature à justifier au
premier abord l'opération plusieurs fois faite par ce chirurgien de la section os-
seuse par la méthode d'Esmarch ou celle de Rizzoli.
Il nous reste à signaler encore un autre accident qui se rattache aux lésions
502 DENT (pathologie).
osseuses. C'est la compression générale que peut éprouver dans certains cas la
totalité de l'arcade alvéolaire, c'est-à-dire la série des dents, au moment de ces
tentatives d'éruption de la dent de sagesse.
Ce fait de compression est réel ; on en rencontre souvent la preuve chez des
individus dont les dents, mal disposées dans la mâchoire inférieure, éprouvent,
au moment de la sortie de la dent de sagesse, une recruduscencc de déviation.
Mais cet état n'a pas ordinairement d'autre conséquence, du moment que la dent
de sagesse évolue normalement. Nous ne pensons donc pas, avec M. Després
{Chirurgie journalière, d877, p. 656), que cette compression puisse devenir la
cause de l'éhraiilement et de la chute des dents, et nous ne saurions nous asso-
cier au précepte qu'il formule de sacrifier, de chaque côté de la mâchoire, une
dent, pour permettre le classement régulier des autres. Une telle pratique, bonne
en soi dans les cas ordinaires de compression bien démontrée, avec déviation
consécutive, ne saurait avoir d'effet sur une gingivite ou sur une ostéo-périostite
alvéolaire à forme chronique. Or, c'est dans l'une ou l'autre de ces dernières
affections qu'il faut ranger les phénomènes, assez mal déiinis d'ailleurs, dont
parle M. Després.
2" Accidents nerveux. Les accidents nerveux attribuables aux anomalies de
l'éruption de la dent de sagesse peuvent se distinguer en deux variétés : les
accidents névralgiques et les troubles des organes des sens. Kous ne mention-
nons donc pas ici les contractures musculaires de nature spasmodique, décrites
par divers auteurs et acceptées par Heydenreich [loc. cit., p. 84), par la raison
exprimée tout à l'heure que cette complication a, pour nous, une origine exclu-
sivement inflammatoire.
Les accidents névralgiques ont pour siège tantôt les nerfs dentaires eux-
mêmes, tantôt des ramifications diverses de la face, du crâne, du cou, de
l'épaule ou du tronc, en rapport anatomique avec les rameaux émergents, pro-
fonds ou cutanés, des nerfs dentaires de l'une ou de l'autre mâchoire.
La cause essentielle de ces névralgies est de toute évidence la compression des
filets nerveux alvéolaires par la dent emprisonnée dans sa loge osseuse inexten-
sible. Cette compression s'exerce tout d'abord sur les rameaux qui pénètrent au
centre de la dent par les extrémités radiculaires, mais elle peut aussi porter sur
des lîlets du périoste alvéolaire, qui ont d'ailleurs la même origine anatomique.
Il se produit donc une névralgie qui revêt toutes les formes qu'on remarque
aux névralgies d'origine identique : douleurs dans le trajet même des nerfs
dentaires; douleurs orbitaires par les anastomoses cutanées avec les rameaux
correspondants de la cinquième paire; douleurs crâniennes ayant la même pro-
venance ; douleurs auriculaires par les anastomoses ou les rameaux auriculo-
temporaux du plexus cervical; douleurs cervicales et brachiales par les ramifi-
cations anastomotiques avec les branches cutanées du plexus brachial.
Comme on le voit, nous n'admettons guère ici que des névralgies par voie de
continuité des filets nerveux, et non par action réilexe. En effet, il est d'obser-
vation que les névralgies les plus intenses et les plus rebelles parmi celles qui
sont dues à celte origine ne dépassent guère, dans leur propagation la plus loin-
taine, la région supérieure du tronc ou celle du bras ; rarement elles s'étendent
à l'avant-bras. En outre, elles ne franchissent pas la ligne médiane, ce qui est
d'ailleurs la loi ordinaire en matière de névralgies.
Il faut dire aussi que les névralgies préexistent souvent en dehors de tout
accident inflammatoire, et même de tout soupçon préalable du côté de la dent de
DENT (pathologie). 205
sagesse. Elles peuvent même représenter le seul symptôme de celte éruption^
caractère très-important au point de vue des recherches diagnostiques, qui
devront, surtout dans ce cas particulier, avoir pour ohjectifs spéciaux l'âge
d'élection des sujets atteints et l'état local de la dent de sagesse. L'exploration
directe permettra alors d'ohserver soit des phénomènes de compression, soit un
certain degré d'inflammation des gencives ou du tissu osseux; mais, dans ces
derniers, l'élément névralgique présente, en général, une intensité et une impor-
tance disproportionnées avec l'état phlegmasique.
Les douleurs ont tantôt le caractère continu, tantôt le ly]>e intermittent. Con-
tinues, elles peuvent acquérir une intensité telle qu'elles deviennent intolé-
rables; tel était le cas d'un malade observé par Malagou-Désirabode, et qui fut
conduit au suicide (thèse de Paris, 4858).
La forme périodique est toujours quotidienne, comme dans les exemples de
Hunter, et les accidents cessèrent à la simple incision du bourrelet gingival.
Quant aux névralgies orbitaires, auriculaires, faciales, crâniennes, etc., tous
les auteurs, ainsi que nous-mcme, en ont ra|)porté tant d'exemples, que le lait
devient banal et n'a besoin d'aucun autre développement {voy. Weber, Deutsch.
Viertelj. f. Zahnheilk., 1867. — Tomes, Cliir. dent., trad. franc., 1875. — Glie-
vassu, thèse, obs. V. — Bourdin, Gaz. viéd., 1875, p. 48).
Les accidents des organes des sens et les accidents réjlexes complètent le eadie
des phénomènes nerveux. Les descriptions des auteurs en renferment un grand
nombre d'exemples, dont tous n'ont peut-être pas les garanties désirables d'au-
thenticité. Aussi sommes-nous autorisé à considérer les faits comme tout à fait
exceptionnels.
Quoi qu'il en soit, on a signalé, du côté de la vision, des faits d'amblyopie
compliquée de douleurs intra-oculaires. Tels sont les faits de Salter et de llyde
Salter, rapportés par Heydenreich [loc. cit., p. 89); un exemple de kératite
mterstitielie de l'œil gauche, dîi au docteur l'arinaud, et rapporté par le même;
mais le fait le plus démonstratif est assurément celui qui est dû à Duplay, et
dans lequel des désordres de la vision et de l'ouïe ont eu pour cause incontes-
table l'éruption difficile d'une dent de sagesse (ircA. qén. de médecine, 6« série,
t. XXm,1873, p.217).
Nous aurions voulu rencontrer les mêmes caractères démonstratifs dans les
faits de Monro, qui attribua à cette cause la chorée d'une jeune bile ; de Portai,
qui décrit des convulsions épileptilormes et hystériques, et d'Esquirol, qui
guérit, suivant Toirac, un cas de folie par une incision cruciale de la muqueuse.
0° Accidents organiques. Les accidents organiques comprennent trois ordres
de lésions :
1" Les kystes folliculaires de la dent de sagesse ; 2» les odontomes ; 3° les néo-
plasmes divers.
A l'égard de cette dernière catégorie de phénomènes pathologiques, nous
ferons une première remarque : c'est qu'ils sont dus, en réalité, non à l'érup-
tion plus ou moins troublée de la dent de sagesse, mais à l'absence même de
cette sortie, ou, si l'on veut, à sa non-éruption. C'est que, en effet, les troubles
de nature organique représentent des accidents de révolution, bien plus que
des phénomènes d'éruption. Aussi ne sont-ils mentionnés ici que pour mémoire,
car leur description a été tracée ailleurs [voy. plus \im\ Anomalies de nutri-
tion.
Ce que nous devons dire ici, c'est que la dent de sagesse figure, pour une part
20-4 DENT (i'Aïiiologie).
considérable, dans le nombre des faits d'altérations organiques reconnaissant
une origine dentaire. Les kystes des follicules de cette dent sont fréquents ; ils
occupent tantôt le corps du maxillaire inférieur, comme dans les cas cités par
MM. Richet et Ilerbet (voy. Bulletin de la Soc. de chirurgie, 1878, p. 410),
tantôt l'épaisseur même de l'apophyse coronoïde, comme les faits rapportés par
Forget {Anomalies dentaires, 1859, obs. IX), Guibout [Union médicale, 1847),
et par nous [Mémoire sur les kystes des mâchoires [Arch. de méd., 1872, t. Il,
p. 685].
Ne pouvant décrire de nouveau ici les kystes de la mâchoire, nous n'insiste-
rons pas, et nous ferons de même pour la question des odonlomes, qui ont
très-fréquemment pour origine le Collicule de la dent de sagesse, sous l'in-
fluence d'une compression prématurée, et conséquemment inverse de l'éruption
même. Telles sont les observations de Broca, de Forget, de Panas, et de bien
d'autres auteurs (Broca, Traité des tumeurs, (869, t. II. — Forget, loc.
cit., pi. H, lig. 5 et 6. — Panas, Bulletin de la Soc. de chir., 1876,
p. 547).
Quant aux néoplasmes de la màclioire, il est incontestable qu'un grand nombre
d'entre eux ont encore pour point d'origine la région occupée par le follicule de
la dent de sagesse. Tantôt ce sont des chondromes ou des fibro-chondromes, au
sein desquels en constate la présence de la dent de sagesse, ce qui confirme ce
point de pathogénie.
Watermann et Mac Cormac en citent chacun un fait (Watermann, Boston
Med. and Surç/icalJourn. , 8 avril 1869. — Mac Cormac, Dublin, Quart. Journ.,
mai 1869). Tantôt ce sont des osléomes, ainsi cpi'en décrivent les auteurs du
Compendium ; tantôt, enfin, ce sont des épitliéliomas qui reconnaissent sans
doute ici la pathogénie si judicieusement invoquée par Verneuil et Reclus,
aux dépens des débris épithéliaux du cordon folliculaire.
D. Traitement des accidents de la dent de sagesse. La description des dif-
férents modes de traitement des accitlenls de la dent de sagesse devra présenter
la même subdivision que les formes elles-mêmes de ces accidents.
Cependant, l'intervention thérapeutique, pour être vraiment efficace, devra
s'adresser, une fois le diagnostic nettement posé, au lieu même d'origine des
accidents, et, mieux encore, à l'organe qui en est le point de départ. Celte
première pre>cription est de la plus haute importance, afin d'éviter au patient
de s'égarer dans un traitement symptomatique qui devra, dans tous les cas,
rester absolument secondaire.
Or, nous supposerons le premier cas, c'est-à-dire celui oii les accidents
sont absolument localisés à la muqueuse enflammée, soit par la compression
venue de la dent en éruption, soit par la rencontre et la contusion d'une dent
opposée, soit par les deux circonstances à la fois. Nous admettrons encore que
le cas est simple, c'est-à-dire qu'il n'y a encore aucune complication profonde
ni du périoste du maxillaire, ni du tissu osseux, ni contracture musculaire.
C'est, comme on sait, la forme la plus commune.
Ici l'indication est très-nette : débrider la dent de sagesse par Vincision et
Vexcision de la muqueuse.
L'incision suffit rarement : aussi beaucoup d'auteurs, qui la conseillent, lui
reprochent justement d'être rapidement suivie de la réunion des lambeaux et
du retour complet de l'accident. C'est pour éviter cet inconvénient que Toirac
interposait aux lèvres de la plaie un bourdonnet de charpie renouvelé pendant
DENT (pathologie). 205
quelques jours, jusqu'à ce que les bords, cicatrisés isolément, n'aient plus ten-
dance à se souder.
C'est par suite de l'inefficacité reconnue à la simple incision que I on a
recommandé l'incision en V à sommet antérieur ou l'incision cruciale, suivie
des mêmes applications isolantes.
Ces variétés d'incisions ne valent guère mieux l'une que l'autre. Aussi plu-
sieurs auteurs ont-ils conseillé d'y ajouter quelques applications astringentes ou
caustiques : Chassaignac préconise le nitrate d'argent, moyen insuffisant; Toirac
le cautère actuel, auquel Lisfranc reprochait si justement de désorganiser le
tissu de l'émail, et de préparer ainsi des altérations ultérieures de la dent. Le
même reproche s'adresserait aussi au procédé de Tomes, qui indique de loucher
les lambeaux avec l'acide nitrique, dont on cherche à neutrahscr les eflcts sur
la dent avec le pliénate de soude.
Quant au procédé même de l'incision, on a proposé le bistouri, (jui est loin
d'être commode, et il vaudrait mieux, en ce cas, se servir d'un petit scalpel à
lame courte et à dos résistant.
L'incision sera faite d'avant en arrière, et devra comprendre toute l'épaisseur
des tissus jusqu'à la surface même de la couronne. Il n'est pas indispensable
que la lame soit très-lranchante, une plaie déchirée ayant moins de tendance à
se guérir qu'une incision nette; puis, si l'on veut recourir aux procédés isolants,
on suivra la pratique de Toirac. Si l'on a recours aux caustiques, nous conseil-
ions l'acide chromique employé pur, qui est sans action sur l'émail et cautérise
cnergiquement les muqueuses.
Quoi qu'il en soit, l'incision de la gencive est un procédé en général iiisuflisanl,
et qu'il faudra rejeter. Nous ne nous arrêterons doue pas aux attaques violentes
que lui ont adressées certains auteurs, lesquels lui ont attribué les accidents les
plus graves et même la mort, comme dans une observation de Tulpius (d'Amster-
dam) (/« thèse dTleydenreich, p. 97).
Dans tous les cas, en effet, où l'incisjon de la muqueuse paraîtra indiquée, il
Aiudralui préférer Vexcision.
Cette opération, pratiquée soit avec le bistouri, soit avec les ciseaux, tandis
que d'autre part le lambeau est fixé avec des pinces à griffes, est de tous points
excellente dans les cas, bien entendu, où les accidents sont exclusifs à la
gencive.
On devra faire ainsi l'ablation d'un lambeau demi-circulaire ou circulaire, et
découvrir entièrement la couronne.
Les bords de la plaie seront ensuite touchés par des applications de chlorate
de potasse, soit sec et en poudre, soit en pastilles ou en solution aqueuse saturée.
Si la cicatrisation s'accompagne de fongosités ou de ([uelque tuméfaction, on
devra recourir à l'acide chromique, qui s'adressera plus particulièrement encore
aux ulcérations pouvant compliquer la gingivite locale.
A ce débridement, tout à fait efficace dans la plupart des cas, devra s'adjoindre
une autre pratique qui consistera à exciser aussi les nodosités ou indurations
qui pourraient survenir du côté de la joue ou de la muqueuse du pilier antérieur.
11 faut, en un mot, dégager entièrement la couronne en voie d'ascension.
Mais, si la pratique que nous venons d'indiquer suffit dans tous les cas d'acci-
dents muqueux, elle ne saurait être applicable à ceux qui se compliquent de
phénomènes de compression bien reconnus ou d'accidents osseux, avec ou sans
rétraction musculaire et phlegmon de la joue. Ici le débridement doit porter
206 DENT (pathologie).
non sur la muqueuse, mais sur l'alvéole lui-même, centre de la compres-
sion. Ce débridement peut s'obtenir par deux moyens : le premier, recom-
mandé par Toirac, consiste à supprimer l'obstacle, c'est-à-dire la deuxième
molaire; le second consiste à enlever l'agent même de la compression, soit la
dent de sagesse elle-même.
Le procédé de Toirac a toutes les apparences de logique, car il est d'observation
que, dans une bouche oii la seconde molaire manque, les accidents de la dent
de sagesse ne se produisent pas. 11 a été maintes fois appliqué par son auteur et
par beaucoup de cliirurgiens.
Nous déclarons toutefois le rejeter entièrement, pour les raisons que voici :
1° Nous connaissons un grand nombre de cas dans lesquels, pour des troubles
profonds, l'opération n'a point empêché les accidents de Ja dent de sagesse de
continuer leur évolution morbide, et de conduire à la propre extraction de
celle-ci ;
2" Nous trouvons irrationnel que, pour parer aux accidents d'une dent à peu
près inutile aux fonctions de la bouche, k dent de sagesse, on prive le sujet
d'un organe essentiel, la seconde molaire ;
3" A ces deux raisons s'ajoute cette autre, que, dans tous les cas où l'on peut
songer à enlever la deuxième molaire, il est presque aussi aisé d'extraire la
troisième, et que, si cette dernière opération est reconnue difficile, on pourra,
pour arriver à la dent de sagesse et en pratiquer l'ablation, supprimer tempo-
rairement la seconde molaire qu'on réimplante ensuite.
Dans la pratique que nous recommandons, on devra donc s'adresser exclusi-
vement à la dent qui est cause essentielle des accidents, et non à aucune autre.
Un très grand nombre de cas ont été ainsi traités par nous, m;ilgré les diffi-
cultés de toutes sortes que nous ayons rencontrées : rétraction musculaire
complète, gonflement extrême des parties, état inclus de la dent à extraire, etc.
Ces diverses circonstances s'opposent, comme on le pense bien, à l'introduction
des instruments ordinaires, le davier, par exemple. Mais il en est un, emprunté
au vieil arsenal chirurgical, et qui porte le nom de langue de carpe : c'est un
simple levier coudé, à extrémité tranchante, qu'on introduit, après quelques
tâtonnements, dans l'interstice qui sépare la dent de sagesse de la dent précé-
dente. Puis, par un mouvement de bascule dans le sens postérieur, on arrive,
dans l'immense majorité des cas, à luxer la dent de sagesse.
L'emploi de cet instrument a cela de particulier, qu'il est possible même dans
le cas d'occlusion complète de la bouche, car il s'introduit au lieu de son action,
par le dehors de l'arcade dentaire, et sans nécessiter l'éLartement des mâchoires.
Ainsi qu'on le voit, l'extraction de la dent de sagesse, tout à faitcontre-indiquée
en présence de simples accidents nmtjueux, est de règle dans les accidents
osseux.
Mais cette indication, si impérieuse qu'elle puisse être, rencontre dans quelques
cas particuliei's de telles difficultés qu'elle devient la source des plus grands
embarras de la part des chirurgiens. Sans rappeler ici la rétraction musculaire
qui peut être vaincue dans une certaine mesure par l'écartement iorcé des
mâchoires, le malade étant plongé dans le sommeil anesthésique, il est bien
d'autres complications : tantôt la dont de sagesse est tout à fait incluse sous une
couche épaisse de muqueuse transformée en tissu cicatriciel ; tantôt la déviation
qu'elle a éprouvée dans sa direction a porté la couronne soit d'arrière en avant,
sa surface triturante venant heurter la face postérieure de la deuxième molaire;
DENT (pathologie). 207
tantôt sa direction est tout à fait extéiieuie, absolument liorizontale, et la cou-
ronne pénètre dans une masse indurée formée par le tissu de la joue.
L'ouverture artificielle de la bouche, tout en ]iermettant l'exploration des
parties, ne rend pas pour cela l'opération plus facile, et toute application d'un
instrument demeure irréalisable.
C'est dans les cas de ce genre que plusieurs chirurgiens ont eu l'idée de
pratiquer, comme opération prélimiuaire, la section transversale complète de la
joue au niveau de la commissure, afin d'aborder directement le foyer des acci-
dents et de pratiquer l'extraction par cette voie. Hàtons-nous d'ajouter que nous
n'avons jamais eu, en ce qui nous concerne, recours à cette opération; disons
même que nous avons réussi plusieurs fois à la conjurer, en réussissant à
délivrer les malades par la voie ordinaire de la bouche.
Dans un fait entre autres, il s'agissait d'un jeune homme de vingt ans, qui
était en 1865 à l'hôpital Saint-Antoine dans le service de Broca. Il présentait
depuis plus de six mois les accidents les plus graves du côté de la face : fistules
multiples, induration de la joue, rétraction complète des mâchoires, accidents
généraux, etc. Plusieurs tentatives d'extraction d'une dent de sagesse inférieure
gauche, cause reconnue des accidents, avaient été faites infructueusement, et le
chirurgien se proposait de pratiquer la section de la joue afin de découvrir la
région de la dent en question. Nous demandâmes à faire une dernièie tentative :
le malade étant endormi par le chloroforme, nous écartâmes les m;ichoires par
la vis conique et, ayant reconnu que la dent de sagesse incluse dans des bour-
relets de muqueuse indurée était toutefois di'oite, nous réussîmes à l'extraire par
l'emploi de la langue de carpe.
Quelque temps auparavant un cas de même genre s'était présenté, à l'hôpital
Saint-Louis, dans le service de M. Lallier, chez un jeune homme souffi'anl
depuis un an d'abcès multiples, de fistules siégeant à la joue gauche et ayant
fait supposer une affection scrofulcuse ancienne. Le chef de service, ayant très-
judicieusement soupçonné l'intervention d'une dent de sagesse, nous fit appeler,
et la même opération que dans le cas précédent amena le même résultat.
Mais ce sont là encore des cas relativement simples, et il en est où, malgré
l'écartement suffisant des mâchoires, des anomalies de direction de la dent de
sagesse ne permettent l'application d'aucun instrument. C'est dans un exemple
de ce genre, dont nous avons longuement relaté l'histoire {Contribution à
l'étude des accidents de la dent de sagesse inférieure, observation recueillie par
le docteur Aguilhon. Gazette hebdomadaire de méd. et de chir., 1879, p. 3),
que nous avons songé à utiliser, à tili^e d'opération préliminaire [voy. sur
cette question des opérations préliminaires en général, préconisées par le profes-
seur Verneuil, l'intéressante thèse de M. Kirmisson. Paris, 1879), l'ablation
temporaire de la deuxième molaire. Chez le sujet, gravement malade et épuisé
par une longue suppuration et des tentatives infructueuses, la dent de sagesse
était tout à fait incluse dans la joue, el M. Verneuil, dans le service duquel le
malade était externe, songeait, afin de le délivrer, à pratiquer la section de la
joue. L'ablation de la deuxième molaire, qui fut maintenue pendant deux
heures hors de la bouche dans un milieu humide, nous permit l'accès des instru-
ments jusqu'à la dent de sagesse qui, après maintes tentatives, parvint à être
luxée au dehors. La greffe de la deuxième molaire, pratiquée deux heures après,
fut suivie de consolidation, et tous les accidents disparurent.
Ces cas heureusement sont rares, mais nous tenons ici à signaler l'intervention
208 DENT (pathologie).
possible de la pratique de la greffe par restitution applicable à l'extraction d'une
dent, dans le but de créer une voie de passage auprès d'une dent de sagesse
inaccessible dans les cas ordinaires.
Disons un mot maintenant du traitement spécial d'un des accidents les plus
sérieux de cette série de phénomènes. 11 s'agit de la rétraction musculaire. Or, on
sait que plusieurs chirurgiens, MM. Sarasin, Richet, Gaujot, conseillent formel-
lement, lorsque la rétraction se maintient depuis longtemps, de pratiquer soit la
section des fibres du masséler, soit l'opération d'Esmarch ou celle de Rizzoli. Mais
nous avons suffisamment établi que le fait de la rétraction musculaire est ici une
conséquence, un phénomène secondaire dans la série des accidents de la dent
de sagesse, et que dès lors il doit cesser, et cesse constamment de lui-même,
aussitôt que la cause première, c'est-à-dire la dent do sagesse, a été extraite.
JjOrs donc ([u'on se trouve en présence d'un fait de ce genre avec occlusioi;
même complète de la bouche et en l'absence bien constatée de toute ankylose
de l'articulation temporo-maxillaire, il faudra repousser l'idée préalable de la
section musculaire ou de la section de la branche montante. Les efforts du
chirurgien devront porter exclusivement sur la dent de sagesse à laquelle on
pourra toujours accéder, ainsi que nous l'avons dit, snit par le bord externe de
l'arcade alvéolaire, soit en provoquant récartement dos mâchoires s^ous le chloro-
forme, ou en pratiquant encore l'extraction temporaire de la deuxième molaire.
Dans quelques observations publiées par les auteurs cités plus haut, et oii la
section osseuse a été faite, on trouve en effet que l'ab'ation de la dent de sagesse
a été jugée nécessaire et a été effectuée en second lieu. Cette pratique est
blâmable, et nous restons convaincu que, si l'on avait commencé par celle
dernière opération, on eut évité la première, qui ne tiouve d'indication formelle
(|ue dans un état d'immobilisation reconnu incurable de l'articulation du maxil-
laire inférieur, et nullement dans aucune des circonstances qui peuvent accom-
pagner ou compliquer l'éruption de la dent de sagesse.
II. AFFECTIONS DE L'ORGANE DENTAIRE EN TOTALITÉ. Cette division
comprend: A. Les lésions trauma tiques, fractures, luxations, usure. — B. Les
affections organiques coyisistant en une seule affection, la carie dentaire,
déjà étudiée dans une autre partie de ce Dictionnaire {voy. Carie DE^TAIRE).Nous
n'avons doijc à nous occuper que des lésions traumatiques.
A. Lésions traumatiques des dents. Les lésions traumatiques des dents se
distinguent en :
1» Fractures. Les fractures des dénis, malgré leur extrême fréquence, n'ont été
étudiées que par fort peu d'auteurs. En dehors de quelques observalions isolées,
nous ne pouvons citer qu'un seul travail d'ensemble dû au docteur Maurel,
médecin de 1"^ classe de la marine {Archives demédecine navale, janvier 1875).
Avant de décrire les fractures proprement dites des dents, nous devons une
courte mention à certaines lésions Iraumutiqnes superficielles, telles que les
fissures, craquelures de l'émail, qui ont pour cause une violence exercée sur l'or-
gane ou plus simplement des transitions de température auxquelles la dent est
si communément exposée dans la bouche. Ici, l'émail se comporte comme une
véritable substance vitreuse, et il est certain cas dans lesquels, sous des actions de
cet ordre, les sujets ont même pu avoir conscience de l'accident lui-même au
petit bruit sec qi>i a accompagné la fissure accidentelle.
Cette lésion est d'ailleurs extrêmement commune, et il n'est guère de sujets
DEiNT (pathologie). 209
arrivés à un âge avancé chez lesquels on ne puisse reconnaître l'existence de ces
fentes de l'émail tantôt verticales, tantôt horizontales et plus rarement ohliiiues,
faciles à voir à un examen attentif. Elles n'ont d'ailleurs aucun inconvénient
sérieux et ne deviennent le lieu d'élection d'altérations ultérieures, comme la
carie, que chez les individus particulièrement prédisposés d'autre paz't. Elles
n'ont donc pas la gravité des autres fissures de l'émail de nature congénitale,
lesquelles ont été étudiées à propos des anomalies de structure et qui sont
essentiellement des causes prédisposantes de carie. Un auteur anglais, M. Ilepburn,
adu reste insisté sur ces faits auxquels il attribue précisément pour cause constante
les transitions de température qui peuvent alternativement porter le milieu do
la bouche de 50 degrés centigrades environ, sous l'influence d'une boisson
chaude, à 0 m au-dessous par le contact d'une glace ou d'un sorbet (voy.
Brithh Médical Journal, July 1879, p. 154).
Les fractures proprement dites des dents résultent soit du choc d'un corps
étranger ou d'une chute sur la face, soit de la rencontre d'un corps dur pendant
la mastication. On doit les distinguer en trois variétés: les fractures simples ou
partielles, c'est-à-dire celles qui produisent une perte de substance en dehors de
la cavité de la pulpe; les fractures complètes, qui partagent la dent en deux
fragments en passant par la cavité centrale; les fractures comminutives, dans
lesquelles il y a multiplicité de fragments. Mais dans tous les cas il ne saurait
ctre question ici que de lésions portant sur des dents préalablement saines,
c'est-à-dire sans complication de carie ou de toute autre affection quelconque.
Les fractures simples sont caractérisées par la perle de substance d'un
fragment de la couronne mettant subitement à nu une couche plus ou moins pro-
fonde du tissu de l'ivoire et avec chute complète du fragment. Les dents qui y
sont le plus exposées sont les incisives et particulièrement les supérieures, puis
les dents latérales, les biscupides, enfin les molaires. Elles sont particulièrement
fréquentes cbez les enfants et les vieillards, en raison de la fragilité particulière
des dents aux deux époques extrêmes de la vie. Ces fractures affectent diverses
directions : si elles résultent du choc violent ou d'une chute, elles peuvent
entamer une dent dans sa largeur et enlever une bande régulière paral-
lèle au bord libre. D'autre fois elles enlèvent un angle de la couronne, quelquefois
une simple lame oblique, comme cela se présente si souvent au bord libre des
incisives chez les femmes qui tirent violemment avec leurs dents sur des fils
de soie ou de lin.
D'une manière générale, les accidents, au point de vue de leur gravité, sont
toujours proportionnels à l'étendue en surface et au degré en profondeur de la
couche de denline mise à nu. Ils sont également en rapport avec la jeunesse des
sujets. Ces deux circonstances trouvent leur commune explication dans le niveau
même de la fracture, qui est plus ou moins rapprochée de la cavité pulpaire,
laquelle, comme on sait, est beaucoup plus grande chez l'enfant que chez
l'adulte et le vieillard.
Si la surface de section est superficielle, les accidents se bornent à une légère
sensibilité de contact sous l'influence d'un corps froid ou du passage d'un objet
dur, ou d'un instrument. 11 en résulte alors une sensation analogue à celle qui
s'observe dans certaines caries superficielles, et en raison même de la couche
dentinaire intéressée, qui répond à cette ligne grisâtre sous-jacente à l'émail,
et qui renferme les épanouissements des fibrilles (réseau anastomolique).
La sensation, toutefois, n'est que bien rarement spontanée, et d'ordinaire elle
DICÏ. ENC. X.XY1I. 14
iîiO DENT (pathologie).
cesse rapidement en vertu de celle réparation moléculaire par la dentine secon-
daire qui vient donner au tissu l'racturé une résistance et une compacité qui
s'opposent bientôt à toute transmission des impressions extérieures. Dans quel-
ques circonstances toutefois, ce phénomène ne se produit qu'avec une grande len-
teur, et il est dès lors indiqué de le favoriser ou de ie provoquer par quelques
applications. Le meilleur moyen est, dans ce cas, la cautérisation avec le galvano-
cautère qu'on passe légèrement sur la surface sensible. Le résultat cherché est
souvent immédiat, parce que le feu transforme en eschares les extrémités cou-
pées des fibrilles, mais il se continue ensuite par la surexcitation provoquée dans
les fonctions réparatrices de la pulpe. On pourra, du reste, revenir plusieurs fois
sur cette pratique, mais toujours avec les plus grandes précautions, afin d'éviter
un accident dont nous parlerons plus loin, l'inflammation de la pulpe. 11 sera
aussi de toute nécessité de préférer le galvano-cautère ou (hormo-cautère, en
raison du plus grand rayonnement calorifique de ce dernier.
Dans les cas de fracture passant dans une couche d'ivoire plus rapprochée de
la pulpe, les accidents qui surviennent sont d'une autre nature: souvent la sur-
face de section présente une sensibilité moindre ou même nulle, la fracture
ayant dépassé la couche anastomotique. Mais la pulpe centrale, impressionnée
plus vivement par les influences extérieures, n'entre pas en fonctionnement sup-
plémentaire pour réparer la couche mise à nu; elle s enflamme alors ou même
elle est frappée de gangrène. Si cet organe s'enflamme, on assiste à une véri-
table explosion des accidents de pidpite que nous n'avons pas à décrire ici et
qui nécessitent une intervention rapide par débridement, c'est-à-dire trépa-
nation directe de la cavité et soins consécutifs. Si c'est la gangrène de la pulpe
()ui se produit, le signe presque immédiat est la coloration grisâtre plus ou moins
Ibncée de la totalité de la couronne restante ou même une coloration noire. Cet
accident résulte de l'imbibitiou de la dentine par les éléments mortifiés de
la pulpe et des fibrilles. Parfois les phénomènes ne s'arrêtent pas là et le périoste
d'une dent ainsi privé de sa pulpe s'enflamme à son tour, ce qui entraîne la
production soit d'une simple périostite aiguë avec abcès, ou d'une périostile à
marche lente et chronique, aboutissant à une fistule ou à un kyste qui corn-
jiromettent gravement la vitalité des fragments restant et nécessitent leur ex-
traction.
Cette issue présentera une gravité exceptionnelle, s'il s'agit d'une incisive, et
ou devra tout tenter pour l'éviter, ne fût-ce que pour conserver dans la suite le
moignon sur lequel s'appliquerait un appareil prothétique comme une dent à
pivot, par exemple.
Sans insister ici sur ie traitement particulier de la pulpite, ni sur celui de la
périostite, nous rappellerons, toutefois, qu'en présence d'une menace de gangrène
de la pulpe on devra rapidement pénétrer dans la cavité centrale, détruire
l'organe par les caustiques et panser les canaux radiculaires par la méthode
antiseptique, afin d'éviter la complication de la périostite.
Ce deiniier accident n'est pas, toutefois, une contre-indication absolue à la
réparation de l'accident par la prothèse, et dans un cas récent de fracture d'une
incisive centrale supérieure chez un enfant de treize ans, avec complication de
périostite chronique du sommet, nous avons tenté avec un succès complet la
greffe : le moignon ayant été extrait pour réséquer son sommet radiculaire,
un appareil à pivot tuhulé a été appliqué hors de la bouche et le tout réim-
planté. Un bandage de maintien a assuré la greffe qui fut complète au bout de
DENT (pathologie). 2H
quelques jours. Ce résultat fut réalisé chez un jeune malade du docteur
Th. Anger, qui a bien voulu nous assister dans cette opération.
Les fractures complètes des dents sont celles qui, passant par la cavité cen-
trale, sont tantôt verticales, tantôt transversales, tantôt obliques. Elles diffèrent
essentiellement de îa variété précédente en ce que les fragments peuvent se
maintenir sans déplacement sensible. Elles partagent ainsi une dent en deux
parties qui sont à peu près égales.
Si la fracture est transversale, elle peut se produire soit en deçà, soit au
delà du collet. Dans le premier cas son niveau sera pcrceptililo à l'œil et la
mobilité du fragment externe sera plus marquée. Dans le second cas, le maintien
en contact des deux fragments sera bien plus favorable au pronostic et au
traitement.
D'une manière générale, la fracture complète d'une dent s'accompagne ordi-
nairement d'une douleur assez vive par suite de la commotion même de la pulpe
et parfois de sa déchirure. En outre, on observe une hémorrhagie légère dont il
conviendra tout d'abord d'apprécier exactement l'origine. En effet, l'écoulement
sanguin peut provenir de la gencive ou du périoste, et non de la pulpe. S'il a
celte dernière pour origine, il y a bien des chances pour que toute tentative
de consolidation soit sérieusement compromise. Ce sera le cas contraire, s'il est
dû au périoste ou à la gencive.
Si nous insistons sur cette distinction, c'est que la conduite invariable du
chirurgien en présence d'une fracture complète d'une dent, soit transversale,
soit verticale ou oblique, doit être de tenter la consolidation par la formation
d'un véritable cal.
11 faudra donc, suivant le cas, maintenir rigoureusement en contact les deux
fragments tantôt au moyen du bandage qui suffira dans les fractures verticales,
tantôt par une gouttière de gutta-percha pour les fractures transversales.
L'immobilisation ainsi réalisée devra être maintenue pendant un temps assez
long, plusieurs semaines, par exemple : car la consolidation, lorsiju'elle se pro-
duit, est fort lente et s'effectue par un processus particulier : si la pulpe n'a
éprouvé aucune lésion de sa substance ou si une lésion a 'pu se réparer rapide-
ment, elle entre aussitôt en fonctionnement régulier, produisant une quantité
sufùètxnle de dentine secondaire qui vient ainsi souder l'un à l'autre les fra^mens
affrontés. A ce phénomène vient s'ajouter un autre, surtout dans les cas de frac-
tures verùeales: c'est la réparation osseuse du cément qui produit alors un véri-
table cal à la manière des os ordinaires (c'est même tout spécialement à la répa-
ration osseuse par le cément coronaire qu'est due la consolidation assez commune
de certaines dents de grands pachydermes, comme les défenses de l'éléphant.
Ces dents sont, comme on sait, fréquemment fracturées à la chasse par des coups
de feu, et leur réparation s'effectue par la production d'un véritable lien osseux
qui arrive à immobiliser et à envelopper les fragments divisés).
Quoi qu'il en soit, un certain nombre de cas de consolidation de fractures
complète de dent chez l'homme ont été signalés. Duval en avait déjà indiqué
le mécanisme et en rapporte plusieurs observations (Journal de Sédillot dSiS
t. Xlll, p. 275). ' '
J. Tomes de son côté en a observé un exemple [A Course on dental Phmioloqi
andSurgery. London, 1848, p. 192). D'autres observateurs, Wedl, Delestre, elc."^
en citent également. ' ''
Ces cas sont rares toutefois et pour notre compte, bien que nous ayons
212 DENT (pathologie).
plusieurs fois tenté cette réparation, nous n'avons point réussi à l'obtenir. C'est
qu'en effet le maintien de la pulpe dans son état d'intégrité fonctionnelle est
difficile à réaliser. Cet organe est d'une grande friabilité de tissu, et la moindre
déchirure, sa commotion simple même, devient ordinairement le point de départ
d'inflammation, de suppuration ou de gangrène. Le résultat est immédiatement
compromis et l'on se voit forcé de pratiquer soit l'ablation du fragment le plus
mobile, soit même la suppression de la totalité de l'organe.
Les fractures comminuiives des dents consistent dans une sorte d'écrasement
et de dilacération qui ne saurait avoir pour cause qu'un traumatisme violent :
chute sur la face, percussion d'un corps étranger, coup de feu, etc. Dans ces
circonstances, il y a production d'un nombre plus ou moins considérable de
fragments détachés en partie ou maintenus en contact par la pulpe et les parties
molles voisines.
Cet accident particulièrement fréquent aux dents antérieures est ordinairement
très-douloLireux, en raison de la lésion inévitable de la pulpe de la gencive et du
périoste.
La conduite du chirurgien dans un cas de ce genre ne saurait être déterminée
d'une manière précise et devra nécessairement être subordonnée aux diverses
circonstances de l'accident. Dans tous les cas on devra d'abord faire l'ablation
de toutes les portions libres et détachées de façon à ne laisser dans la mâchoire
que le fragment principal dont la consolidation, si elle est réalisable, permet-
trait ultérieurement une application prothétique. Puis, si la pulpe n'a pas été
entraînée dans la dilacération, on devra procéder à sa destruclion soit par ablation
directe, soit par l'emploi des caustiques ou du cautère. Enfin, dans les cas oiî
aucune conservation partielle ne pourra être tentée, on pratiquera l'extraction
pure et simple de la totalité des fragments.
2" Luxation. Les • luxations des dents également étudiées par le docteur
Maurel {Archives de méd. nav., avril 1875) se produisent dans les mêmes cir-
constances qui ont amené les fractures ; de sorte que le même traumatisme peut
entraîner tantôt l'un, tantôt l'autre de ces accidents, tantôt même les deux à la
fois. Si la dent présente une suffisante résistance de tissu, c'est la luxation qui
pourra se produire. C'est ce qui a lieu surtout chez les adolescents ou chez les
adultes, tandis que la fracture est plus commune, ainsi que nous l'avons dit,
dans l'enfance et la vieillesse.
La luxation d'une dent sera incomplète, si l'organe a subi un simple ébran-
lement avec ou sans déplacement, ou complète s'il a été complètement détaché
et projeté hors de l'alvéole.
La luxation incomplète consistera donc dans une perte partielle des adhérences
d'une dent avec projection soit en avant ou en arrière de l'arcade, soit sur
les côtés : s'il n'y a aucune complication de fracture, la conduite du praticien
est toute tracée et il faut immédiatement rétablir dans sa place l'organe luxé
et procéder dans l'immobilisation par les mêmes moyens que pour les fractures.
Si une seule dent a été frappée, on devra la réunir aux voisines restées fixées au
moyen d'un bandage en 8 de chiffre ; ces bandages devront être faits soit en
cordonnet de soie préalablement ciré, avec la précaution de laver avec l'alcool
pur les dents sur lesquelles il devra s'appliquer, soit encore avec ces fds
très-résistants appelés racine des pêcheurs (intestin du ver à soie) et qui
donnent d'excellents résultats. Si une certaine étendue de l'arcade a éprouvé
cet accident, il conviendra d'établir une gouttière de gutta-percha ou d'étain
DE.NT (pathologie). 9Aô
en lame mince pour maintenir simultanément plusieurs dents luxées. La
consolidation s'obtiendra ainsi très-rapidement. Quelques circonstances peuvent
toutefois se présenter dans le cours ou à la suite d'une semblable réduction.
En premier lieu il faut noter les déchirures de la gencive, lesquelles présentent
quelquefois assez d'étendue pour faire obstacle à l'installation d'une gouttière,
en raison du gonflement des parties qui peut se produire les jours suivants.
Dans ce cas on devra placer temporairement une première gouttière, c'est-à-dire la
retirer au bout des premières vingt-quatre heures qui suffisent d'ordinaire à
permettre quelques adhérences; puis on les renouvelle une seconde ou une
troisième fois, afin de tenir compte de l'engorgement des parties molles et de
leur dégorgement consécutif.
Une autre particularité qui peut survenir est l'inflammation plus ou moins
vive de la pulpe centrale sous l'influence même du traumatisme cl comme
conséquence de la commotion, ou bien sa destruction par le fait de la rupture
du faisceau vasculo-nerveux à son entrée dans le canal dentaire.
Dans ce dernier cas, la pulpe est frappée de gangrène avec ses conséquences
sur la coloration grisâtre ou noire de la totalité de la dent et les chances plus
grandes de périostite consécutive. Cet accident, qui dépend de l'intensité même
du traumatisme ou de certaines conditions particulières, n'est pas dans tous les
cas une contre-indication à la réduction de la luxation, car, en dehors des
conséquences de coloration, la dent peut reprendre toutes ses connexions et le
retour complet de ses usages.
Si même après une consolidation complète avec perte spontanée de la pulpe
une périostite venait à se fixer au sommet, le cas ne serait pas encore au-dessus
des ressources de la thérapeutique et relèverait de la (jreffe proprement dite.
La luxation complète d'une dent est l'arrachement de l'organe qui est entiè-
rement séparé de l'alvéole et projeté hors de la bouche. Un tel accident est
rarement borné à une seule dent, et le plus ordinairement il porte sur une
région de deux ou d'un plus grand nombre d'entre elles.
La conduite du chirurgien sera en tous cas la même, qu'il s'agisse d'ime ou
de plusieurs dents ainsi luxées à des degrés divers. 11 faut les rétablir toutes en
place, aussi bien celles qui n'ont pas subi de déplacement que celles qui sont
entièrement détachées.
Après avoir reconnu exactement le caractère et l'étendue de la lésion, on
rétablira donc eu place toutes les parties qu'on fixera ensuite soit au moyen
des bandages, soit par la gouttière.
Des soins consécutifs seront en outre indiqués, surlout s'il existe des délabre,
mentsde parties molles. Des précautions particulières concernant l'alimentation
sont aussi nécessaires; dans ce but nous conseillons les gargarismes de chlorate
de potasse en solution saturée à chaud ou encore les compresses de ouate imbibées
de la même solution et appliquées en avant du bord gingival dans la gouttière
du vestibule; quant à l'alimentation, elle devra être liquide et iVoide, afin
d'éviter les mouvements de l'arcade dentaire et de modérer la réaction inflam-
matoire.
Les limites de temps dans lesquelles une consolidation de dent entièrement
luxée reste possible sont assez considérables, à la condition toutefois que l'organe
projeté au dehors aura été recueilli et conservé dans un milieu humide. °Ces
diverses questions seront traitées plus longuement dans un chapitre ultérieur
consacré à la greffe dentaire en général. Mais nous pouvons toutefois dire ici
214 DENT (pathologie).
que la réparation reste possible pendant plusieurs heures. C'est ainsi que nous
avons publié naguère des faits de réduction de luxation complète datant de
deux heures, de quatre heures même, avec réparation complète et définitive [voy.
thèse de PaulBert, De la greffe animale. Paris, 1865, n° 118, et notre mémoire
sur Deux cas de réimplantations des dents [Archives générales de médecine, 1 865,
t. I, p. 544]).
Dans l'un de ces cas toutefois l'accident signalé plus haut de la gangrène
delà pulpe n'a pu être évité, en raison de l'époque tardive de la réimplantalion
d'une incisive supérieure (quatre heures) et aussi de la fracture assez étendue
d'un angle de celte dent.
La pratique opératoire que nous recommandons dans ce cas de luxation com-
plète des dents est d'ailleurs celle des auteurs anciens qui en ont rappelé des
exemples, tels que Fauchard, Ilunter, Bourdet, Benjamin, Bell, etc., et plus
récemment Mitscherlisch, qui en a cité quatre observations suivies de succès
(voy. Archives générales de médecine, 1864, t. I, p. 678.
Mais, nous le répétons, ces cas particuliers rentrent dans la catégorie des greffes
proprement dites et seront rappelés plus loin, quand nous tracerons cette étude
dans son ensemble.
5" Usure des dents. Les dents humaines, en raison même de la disposi-
tion et du mode de rencontre des arcades dentaires, éprouvent fatalement avec
les progrès de l'âge un certain degré d'usure du aux frottements réciproques
pendant les mouvements de la bouche et les actes masticateurs. C'est donc là un
phénomène physiologique depuis longtemps observé et étudié au point de vue
de la détermination de l'âge, chez les animaux domestiques, le chien et le cheval,
par exemple, et qui pourrait tout aussi bien chez l'homme être apphqué au
même problème. Une telle étude n'a pas cependant été encore tentée, ce qui est
très-regrettable, car on en comprend tout l'intérêt aussi bien sous le rapport
physiologique qu'au point de vue médico-légal. C'est qu'en effet, envisagée dans
l'état normal, l'usure des dents présente une moyenne d'intensité assez uniforme
chez la plupart des sujets pour permettre d'en apprécier les divers degrés corres-
pondant aux divers âges.
Les modifications morphologiques que ce phénomène fait éprouver aux dents
consistent pour les incisives dans la suppression des festons que présente le bord
de la couronne au moment de l'éruption, tandis que pour les molaires elles ont
comme résultat l'effacement des tubercules. Ce premier phénomène est bientôt
suivi de la disparition plus ou moins complète de la couche d'émail et de la mise
à nu de l'ivoire sous-jacent; toutefois, comme ce second degré ne se produit que
dans un âge assez avancé, il est ordinairement contrebalancé dans ses effets par
le passage progressif de la dentine à l'état compacte et résistant, de telle sorte que
les dents ainsi frappées d'usure n'en continuent pas moins de vivre et de fonc-
tionner régulièrement. •
Tel est le cas physiologique ; mais un certain nombre de circonstances peuvent
modifier soit l'intensité, soit la forme de l'usure, et produire divers accidents
dont nous devons parler ici.
Les conditions qui peuvent exagérer l'usure des dents sont de divers ordres :
ainsi, l'on a invoqué le mode d'alimentation, certains rapports anormaux
des arcades dentaires, les contractures involontaires des mâchoires, les tics
de la face, les grincements de dents surtout pendant la nuit, etc.
L'alimentation végétale et l'usage de viandes crues ont été accusées de provo-
DENT (pathologie). 215
quer l'usure rapide des dents, c'est dans ce sens qu'on a cherché à expliquer la
lésion si avancée de cet ordre sur les crânes des races inférieures et des races
préhistoriques.
Owen professe depuis longtemps cette opinion et un certain nombre d'explora-
teurs frappés de trouver les dents profondément usées dans les gisements paléo-
lithiques ou néolithiques se sont ralliés à cette idée. Nous citerons, par exemple,
M. Garrigou, quia fait celte remarque sur les crânes de la caverne des Lombrives
[Bull, de la Soc. d'anthrop., vol. V, p. 921); M. Pruner-Rey, qui croit avoir
trouvé une forme spéciale d'usure sur les dents préhistoriques {Bull, de la Soc.
d'anthrop., vol. VI, p. 535). Cette croyance paraît avoir rallié d'ailleurs la
plupart des anthropologistes, car même pour cei'tains peuples contemporains qui
vivent d'aliments crus la même remarque aurait été faite. M. liordier, par exem-
ple, l'a signalée chez les Esquimaux et les Groéalandais, dont l'usure spéciale
des incisives serait due à l'habitude qu'ont ces peuples de déchirer avec les
dents antérieures des aliments durs et résistants.
Nous partageons entièreraeiU cette manière de voir et dans une étude spéciale
à laquelle nous nous sommes livré à ce sujet {Bull, de la Soc. d'anthrop., 1880,
p. 312) nous sommes arrivé aux mêmes conclusions.
On peut même distinguer, au point de vue ethnique, plusieurs variétés
d'usure. Ainsi tantôt la rencontre des dents se fait de telle sorte que l'usure est
transversale et régulière, c'est le cas le plus ordinaire ; tantôt la perte de sub-
stance est oblique; mais dans celte dernière forme l'une est à la fois oblique
interne pour la mâchoire inférieure cl oblique externe à la supérieure ou vi.e
versa. Celle qui s'observe le plus ordinairement dans les crânes préhistoriques,
c'esiV oblique externe comnmn& aux deux mâchoires. Broca l'a retrouvée fréquem-
ment sur des crânes de l'époque des cavernes et aussi sur un crâne de fellah
moderne (Bm//. de la Soc. d'anthrop., 1879, p. 342).Mantegazza a fait la même
remarque sur des crânes d'Égyptiens modernes {Bull, de la Soc. d'anthrop.,
1879, p. 544). On retrouverait ainsi la même usure constatée déjà sur des
mâchoires de momies {Revue des Deux Mondes, t. LXVlll, p. 6G1).
Ces diverses variétés relèvent d'ailleurs de circonstances purement individuelles
€t peut-être aussi de certaines conditions anatomiques de l'articulation temporo-
raaxillaire qui peut varier suivant les races. Elles sont toujours dues à cette
sorte de rumination volontaire ou instinctive nécessitée par les procédés d'ali-
mentation au moyen de graines ou de fruits broyés directement ou après une
préparation insulfisant'^. Dans un cas que nous avons personnellement rapporté
d'après le docteur Laveran, il s'agissait d'un Arabe mendiant qui ne se nourrissait
que de graines crues et qui mourut à l'âge de quarante ans, à l'hôpital deBiskra,
d'une djsenterie consécutive à ce régime. A l'autopsie, les dents furent trouvées
frappées d'une usure telle que les couronnes étaient entièrement dis[)arues et
remplacées par une sorte de moignon arrondi, lisse, poli et d'une extrême dureté.
Les diverses variétés d'usure, qui dans certains cas ont une signification
ethnique véi'itable, se retrouvent d'ailleurs avec moins d'intensité et moins de
fréquence sur les individus contemporains et à titre de phénomène purement
accidentel. Certains tics nerveux, des contractures nocturnes, en sont, comme nous
l'avons dit, les causes ordinaires, et nous connaissons plusieurs cas dont nous
avons recueilli les moulages dans lesquels l'usure avait envahi la totalité de la
couronne.
Les accidents auxquels peut donner lieu cette lésion sont divers. Si l'usure
216 DENT (patiiolooie).
survient dans l'ùge avancé ou dans la vieillesse, la réparation moléculaire de
l'ivoire et l'oblitération de la cavité de la pulpe protègent les couches sensibles,
de sorte que le seul inconvénient réside dans la suppression de la couronne
et certains troubles fonctionnels de la bouche qui en résultent. Mais, si le
phénomène se produit avec une grande rapidité chez un sujet encore jeune,
l'usure entraîne la mise à nu des couches profondes de dentine, dont la sensi-
bilité devient cause d'accidents : hyperesthésie de surface ou même pulpite spon-
tanée. Parfois même la pulpe est tout à fait dénudée et la lésion représente exac-
tement une carie du troisième degré nécessitant le même traitement.
Sur une surface d'ivoire ainsi frappée de sensibilité on devra procéder par les
applications caustiques et particulièrement par l'emploi du galvano-cautère. Dans
quelques circonstances on sera même forcé, pour faire cesser des douleurs vives,
de pratiquer la trépanation même de la cavité centrale et la destruction de la
pulpe pour arriver à une vérilable obturation au même titre que dans un cas de
carie ordinaire.
Toutefois ces procédés, qui sont applicables pour des cas d'usure isolés à une
ou deux dents, ne sauraient suffire, si l'usure est généralisée à une arcade
dentaire ou aux deux arcades simultanément : dans ce cas on devra procéder tout
autrement et nous conseillons alors deux moyens qui nous ont donné d'excellents
résultats : le premier de ces moyens consiste dans l'installation sur une arcade den-
taire, l'inférieure, parexemjjle, d'un capuchon métallique en or exactement moulé
sur les surfaces usées et qui s'applique soit constamment, soit pendant les repas ou
pendant la nuit. De la sorte, l'une des arcades dentaires vient rencontrer l'arma-
ture métallique et y exerce la mastication d'une manière très-satisfaisante d'ail-
leurs. Le second procédé, fort analogue au précédent, s'applique lorsque dans
l'une des mâchoires l'absence de quelques dents permet l'installation d'un appa-
reil de prothèse. On fait alors établir cet appareil en lui donnant une hauteur qur
dépasse notablement le niveau des dents restantes, la mastication s'effectue sur
la pièce artificielle et épargne d'autant les surfaces déjà frappées d'usure. On
peut même combiner l'un avec l'autre les deux procédés et établir un appa-
reil mixte à capuchon sur les dents restantes et à pièces prothétiques dans les
vides. On devra du reste s'inspirer, dans le choix de ces divers appareils, des con-
ditions de chaque cas particulier.
De ces diverses considérations touchant l'usure accidentelle ou ethnique des
dents par rencontre réciproque des deux arcades nous devons encore rapprocher
certaines lésions de même ordre, lésions volontaires et ^ui consistent dans ces
mutilations que s'imposent certains peuples qui se fracturent les angles des
incisives, ou les liment sur la face antérieure ou les côtés, et cela assez profon-
dément pour découvriras couches profondes de l'ivoire ou la pulpe elle-même.
Nous avons ailleurs étudié les diverses mutilations au point de vue ethnique
{Études sur les mutilations ethniques [Compte rendu du Congrès de Lisbonne,
1880]), mais nous pouvons utilement rappeler parmi ces faits l'exemple d'un
crâne des plus curieux qui figure dans les collections du Muséum (crâne de
Feloupe de la côte de Gambie) et qui permet d'envisager d'un seul coup d'œil les^
conséquences variées que l'usure des dents peut entiaîner pour les maxillaires.
Dans ce crâne, seules les incisives et les canines aux deux mâchoires avaient
été profondement limées, et l'individu avait survécu longtemps à cette
mutilation, car une série de lésions des plus curieuses s'était produite : les bords
alvéoiaiz-es étaient, dans toute la région mutilée, le siège d'ostéite à divers degrés.
DENT (patiiolooie). 217
En outre, plusieurs perforations osseuses plus larges traversant la paroi alvéo-
laire antérieure pour pénétrer dans l'alvéole indiquaient d'anciens abcès restés
fistuleux pendant un certain te.iips. Enfin, d'autres altérations se rencontraient
encore à la mâclioire supérieure. C'étaient deux cavités vastes et profondes
creusées dans l'épaisseur de l'os dans la région incisive du côté droit et dans la
fosse canine du côté gauche. Ces deux excavations représentaient de véritables
kystes périostiques, soit produits d'emblée, soit ayant succédé à des abcès, mais
ayant en tout cas pour point de dépail invariable le sommet des racines des
dents mutilées, car les deux cavités communiquaient directement avec le fond
des alvéoles.
En somme, cette pièce curieuse montrait, de la manière la plus évidente, l;t
série des complications pathologiques que peut amener l'usure des dents portée
au voisinage de la pulpe ou jusqu'à la paroi même de la cavité centrale.
L'usure des dents affecte aussi bien les dents temporaires que les perma-
nentes, mais elle n'a pas, chez les premières, la gravité qu'elle présente chez
les secondes. Les deux phénomènes sont cependant tout à fait comparables,
et parfois on l'encontre des enfants de huit à douze ans chez lescpiels les
couronnes des incisives ont entièrem_ent disparu par usure prolongée. Des com-
plications de voisinage en deviennent les conséquences habituelleN : ce sont des
inflammations, des abcès, des fistules si fréquentes pendant la première enfance
et qui, là encore, résullent de la pénétration de la cavité centrale.
Dans ces dernières circonstances, toutefois, nous ne saurions conseiller l'em-
ploi des moyens proposés pour les cas d'usure des dents permanentes. Cet acci-
dent ne survenant en effet, le plus ordinairement, qu'à la fin de la première
enfance et à une époque voisine de la chute spontanée des dents de lait, il con-
viendra le plus ordmairement, comme tout traitement, de pratiquer l'avulsion
pure et simple des dents ainsi usées et devenues cause d'accidents de voisinage.
Tout ce que nous désirons conclure de cette étude, c'est que dans tous les cas.
d'usure accidentelle dans la pratique courante le chirurgien n'est jamais désarmé
et que, soit par les procédés thérapeutiques appropriés, soit par les moyens
prothétiques, on peut arriver à arrêter les progrès de cette lésion et remédier aux
accidents qui en résultent.
B. 11 est toutefois une altération des dents qui par ses caractères se rapproche
smgulièrement de l'usure, bien qu'elle appartienne à l'ordre des lésions patho-
logiques : c'est une certaine forme de carie dentaire dcgà mentionnée ailleurs.
Cette carie occupe presque exclusivement le collet des dents et se présente
sous l'aspect d'une entaille transversale plus ou moins profonde à surface
lisse, polie et d'une grande dureté. Nous lui avons donné, avec Delestre
{Du ramollissement des gencives, thèse inaugurale, 1861, p. 14), le nom de
carie serpigineuse, et dc^à Duval l'avait signalée sous le terme bien significatif
de carie simulant l'usure (Duval, article Dent du Dictionnaire en 60 volumes
1814, t. Vm, p. 348).
Rien ne ressemble plus en effet à l'usure véritable que cette singulière affec-
tion, et son mécanisme particulier ajoute encore à ces caractères d'analogie.
Elle résulte en effet de deux phénomènes qui sont : 1° la production d'une
carie simple du collet en forme de sillon ou de gouttière et survenue soit sous
l'influence d'une gingivite, soit plus ordinairement pendant le cours d'une
aflection chronique de l'estomac ou du tube digestif; 2« le passage ultérieur à
l'état de carie sèche de la gouttière primitive par suite de la suppression de la
218 DENT (pathologie).
cause productrice et aussi par l'action plus ou moins énergique de la brosse, dont
les frictions répétées égalisent et polissent la surface cariée au point de lui donner
l'aspect en question.
Nous n'insisterons pas d'ailleurs sur ces faits et nous renverrons pour les
détails relatifs à cette lésion à l'article Carie dentaire, son traitement n'étant
pas différent de celui de cette dernière.
m. AFFECTION DES TISSUS DENTAIRES ISOLÉMENT. Cette division de
notre travail comprend : 1" les maladies de la pulpe dentaire ; 2'' les maladies
du périoste dentaire ; 3° l'ostéo-périostite alvéolo-dentaire ; 4" les maladies du
cément.
i" Maladies de la pulpe dentaire. Les maladies de la pulpe dentaire se
distinguent en : a. vices de conformation ; b. lésions traumatiques ; c. lésions
inflammatoires ; d. lésions organiques.
a. Vices de conformation. Les vices de conformation de la pulpe n'ont
qu'une très-faible importance : ils sont d'ailleurs la conséquence des anomalies
de forme ou de volume des dents elles-mêmes, et conséquemment de la cavité
pulpairc. Nous pourrions donc nous borner sur ce sujet à renvoyer le lecteur à
nos études antérieures sur les Anomalies de forme et de volume des dents
(voy. Anomalies).
11 en est cependant qui peuvent se produire en deliois de cette relation mor-
phologique extérieure avec la couronne. Elles consistent dans certaines disposi-
tions de l'organe ou seulement des saillies ou cornes qui le surmontent dans
les dents multicuspidées. On observe ainsi des diverticulums se prolongeant par-
fois assez loin dans l'épaisseur de l'ivoire où la pulpe présente des prolonge-
ments cylindroïdes qui rappellent la physionomie de la vaso-dentine de
quelques vertébrés inférieurs, les poissons, par exemple. Ce serait là pour cer-
tains anatomistes de l'école de Darwin un fait d'anomalie reversive. Dans ces
cas la structure de la pulpe ainsi que son mode de fonctionnement n'en sont du
reste nullement troublés. C'est une simple modification toute secondaire de la
forme de l'organe.
Nous n'insisterons pas et nous dirons seulement qu'en vertu des lois physio-
logiques établies surabondamment ailleurs toute perturbation de forme de la
pulpe est corollaire d'un trouble morphologique quelconque de la cavité qui la
reçoit et en même temps de la couronne elle-même, celle-ci étant exactement
moulée sur la pulpe centrale.
b. Lésions traumatiques. Les lésions traumatiques de la pulpe sont : la
commotion, les contusions et les plaies.
La commotion de la pulpe est un état particulier de cet organe, succédant à
un ébranlement mécanique de ses éléments anatomiques et caractérisé par une
exagération temporaire de ses propriétés et de ses fonctions sans modifications
anatomiques appréciables.
Sous l'action de certains traumatismes, une dent qui aurait pu être chassée
de son alvéole et luxée plus ou moins complètement a conservé sa posi-
tion et sa fixité normales. Mais à l'instant même, ou seulement au bout de
quelques heures, ordinairement quelques jours ou une semaine au maximum,
l'organe est le siège de divers phénomènes qui consistent principalement en
une hyperesthésie considérable soit au contact des doigts, de la langue ou d'un
corps étranger quelconque, soit aux changements de température ; en outre les
DENT (pATnoLor.iE). 219
sujets accusent une douleur spontane'e sourde, profonde, et comme la sensation
d'une augmentation de volume de l'organe.
Ces perturbations répondent, croyons-nous, à un certain état congestif de la
pulpe elle-même, de sorte que la commotion ne serait en re'alité qu'un degré
inférieur de l'inllammation dont nous étudierons tout à l'heure l'état
confirmé.
Aucun signe extérieur, aucune modification de la couleur de la dent malade,
aucun changement dans son apparence ordinaire, n'accompagnent celte lésion,
elle n'a d'autres caractères que les symptômes que nous venons de signaler.
La commotion simple de la pulpe guérit ordinairement sans traitement; les
accidents se dissipent spontanément au bout de quelques jours, la légère dou-
leur sourde s'éteint peu à peu; l'hypcresthésie diminue et disparaît et bientôt
tout rentre dans l'ordre. On pourrait toutefois favoriser cette issue, surtout s'il
y avait menace d'inflammation, par des émissions sanguines locales : scarifica-
tions ou sangsues sur la gencive, lotions froides permanentes dans la bouche, etc.
Toutefois, il convient d'ajouter que cette issue n'est pas constante ; dans un
certain nombre de cas la lésion de l'organe prend un autre caractère : il se
produit alors une véritable pulpite qui s'accompagne immédiatement d'étrangle-
ment et de gangrène ; les accidents revêtent alors la physionomie propre à
cette maladie que nous décrirons ci-après. Mais le signe extérieur qui dénote cette
terminaison de la commotion, c'est la coloration brune ou gris noirâtre que
prend la dent affectée. Cette coloration est le résultat de la gangrène de
l'organe cevtral et de la pénétrétation dans l'intérieur de l'ivoire des parti-
cules colorantes du tissu réduit en pulrilage.
Cet accident, qui ne se produit que dans le cas d'un traumatisme violent, sur-
vient encore dans d'autres circonstances parmi lesquelles il faut noter les
manœuvres d'écartement brusque qu'on est parfois conduit à imprimer à des
dents pour la cure d'une carie d'un insterstice. L'emploi des coins de bois
introduits violemment dansées intervalles a produit souvent cette comphcation :
aussi devra-t-on dans cette pratique recourir à l'écartement lent et progressif au
moyen des pansements ouatés ou des lames de caoutchouc.
La contusion et les plaies de la pulpe sont produites fréquemment dans les
manœuvres d'exploration d'une dent cariée au troisième degré; mais en dehors
de cette circonstance elles peuvent être le résultat d'une fracture pénétrante.
Dans ces conditions, la pulpe peut être simplement mise à nu ou déchirée.
Dans le premier cas, il n'y a point d'hémorrhagic, la surlace de l'organe n'étant
point pourvue de vaisseaux et la légère couche de matière amorphe qui la revêl
l'isolant en quelque sorte du réseau sous-jacent. Dans le second cas, il se
produit aussitôt un écoulement sanguin plus ou moins abondant, mais qui
s'arrête d'ordinaire spontanément.
L'organe ainsi exposé aux influences extérieures ne tarde pas à s'enflammer,
de sorte qu'au bout d'un jour ou deux, parfois même après quelques heures, il
augmente notablement de volume et de pâle et rose qu'il est normalement
devient rouge et violacé. En même temps sa sensibilité s'accroît notablement, de
sorte que d'emblée ou sous l'influence du moindre contact il devient le
point de départ de douleurs extrêmement vives.
Lorsque la pulpe est abandonnée à elle-même dans cet état, il peut y avoir
deux modes de terminaison : le plus favorable est la suppuration et la fonte de
l'organe, fait exceptionnel dans le cas de dénudation simple, plus fréquent dans
220 DENT (pathologie).
le cas de de'chirure; l'autre issue est l'innammalion chronique de l'organe avec
hypertrophie consécutive.
Les symptômes qui accompagnent ces lésions sont d'abord locaux, mais ils
s'étendent quelquefois aux diverses ramifications du système nerveux sensitifde
la face à la manière des irradiations douloureuses qui ont été signalées à propos
de la carie dentaire. Le caractère habituel de ces douleurs est d'être non pas
spontanées, mais provoquées par le contact accidentel et le passage des ali-
ments.
Le seul traitement à opposer à la dénudation traumatique de la pulpe est la
destruction de l'organe par l'un des procédés que nous avons indiques : cauté-
risation avec le cautère actuel, par les caustiques, ou bien l'extirpation.
Celte destruction doit d'ailleurs être suivie de l'obturation de la cavité et des
canaux dentaires eux-mêmes, de manière à éviter que le reste de l'organe den-
taire subisse d'autres altérations et en particulier la carie , qui trouverait
dans ces circonstances les conditions les plus favorables à son développement.
c. Lésions inflammatoires. Inflammation de la pulpe. L'inlïammation de
la pulpe a été étudiée par divers auteurs tels que Albrecht [Die Krankheiten der
Zahnpulpa. Berlin, 1850), Maurel (De l'inlïammation aiguë et chronique
delà pulpe dentaire. Thèse de Paris, 1873), et Bruck {Deitrag ziir Histologie
nnd Pathologie der Zahnpidpa. Breslau, 1871).
Étiologie. Celte aflection revêt deux formes : elle est primitive ou consécu-
tive. L'inflammation primitive ou essentielle est assez rare. Nous en avons
néanmoins observé quelques exemples ; dans ces cas l'affection n'acquiert
pas une grande intensité et se termine presque toujours par résolution. Consécu-
tive, elle est beaucoup plus fréquente. Ses causes les plus ordinaires sont:
l'exposition brusque et répétée aux températures extrêmes, les lésions trauma-
tiques des dents, surtout les fractures et les luxations, la carie et les obtura-
lions intempestives.
L'exposition aux températures extrêmes s'observe particulièrement à la suite
de l'ingestion des glaces ou des boissons très-chaudes. Dans ces circonstances,
surtout si la dent est intacte, sans fracture ni carie, l'inflammation reste subai-
guë comme dans la périoslite essentielle et les pliénomènes qu elle détermine ne
représentent en réalité qu'un degré plus avancé de la commotion.
L'inflammation consécutive à la dénudation de l'organe par une carie ou une
fracture est 11 ès-fréquente , ainsi que nous l'avons déjà signalé eu étudiant ces
lésions. Elle peut d'ailleurs se développer sous l'influence des mêmes causes,
alors que la |)ulpe n'est pas mise à nu, comme on le constate assez fréquem-
ment dans certaines caries avancées du deuxième degré ou à la suite de frac-
tures non pénétrantes, mais voisines de la cavité centrale. Elle résulte alors de
l'irritation des fibrilles nerveuses contenues dans l'épaisseur de l'ivoire par
les liquides de la bouche ou les substances alimentaires et par les transitions de
température, irritation transmise par ces fibrilles à la pulpe centrale d'où elles
émanent. C'est de la même manière que peuvent agir certaines obturations
pratiquées sans traitement préalable ou après un traitement insuffisant dans les
caries du deuxième ou du troisième degré. Tantôt alors la pulpe dénudée et
incomplètement détruite est mise en contact direct avec la substance obturatrice,
qui joue ici le rôle de corps étranger ; tantôt, dans les caries non pénétrantes,
les canalicules de l'ivoire n'étant qu'incomplètement oblitérés par une produc-
tion insuffisante de denline secondaire, les fibres nerveuses qu'ils contiennent
DENT (pATiioLOGiii). 221
sont mises directement en rapport avec la masse métallique qui agit à la fois
par son contact et par sa grande conductibilité.
L'une des causes les plus communes de pulpite consiste dans une pratique
qui a pour effet d'opérer d'une manière brusque l'écarteraent des deux dénis
conti'^uës dans le but soit de réduire une déviation, soit de préparer un em-
placement pour le traitement d'une carie de l'interstice. L'emploi souvent
conseillé des [coins de bois appliqués avec force amène souvent, ainsi que
nous l'avons dit, cet accident. Si nous insistons ici sur celte cause particulière,
c'est que nous avons souvent observé des cas dans lesquels un écartement violent
réalisé en quelques heures a eu pour conséquence inévitable une pulpite gan-
greneuse et la transformation noirâtre indélébile d'une dent.
Ces remarques nous conduisent à parler des luxations des dents. Or, bien
qu'en général elles enlrauient plutôt l'inflammation du périoste alvéolo-dentaire,
il n'est pas rare d'observer à leur suite l'inflammation de la pulpe. C'est là un
des arguments qui ont été invoqués contre l'opération du redressement brusque
dans le cas d'anomalie de direction par rotation sur l'axe ; ajoutons toutefois
que nous ne l'avons jamais observée dans ces conditions et (pi'il semble d'ail-
leurs facile de l'éviter, ainsi que nous l'avons dit, eu opérant avec toutes les
précautions requises et en ne négligeant aucun des soins consécutifs que nous
avons indiqués.
Anatoniie pathologique. Les dents frappées de pulpite ont conservé en général
leur apparence normale, à l'exception peut-être du collet, qui présente un liséré
bleuâtre ; le périoste est sain ou offre les altérations de la périostite lorsque
cette affection est venue compliquer la pulpite. Si on pénètre dans la cavité
centrale, on trouve la pulpe dans un état variable suivant le degré de la
maladie.
1" Degré (État rouge). Si l'inflammation est légère, partielle ou générale,
le tissu de l'organe offre une simple injection avec coloration rose ou rougeàtrc
se distinguant nettement de la teinte grise de la pulpe noi^male.
L'examen plus attentif montre en même temps dans la profondeur du tissu
de petits noyaux hémorrhagiques et des masses pliosphatiques arrondies et
mamelonnées qui dénotent une surexcitation fonctionnelle de l'organe et une
production plus abondante de matériaux dentinaires.
S*" /)e^re (État violacé). A un degré plus avancé, la coloration de la pulpe
est rouge lie de vin, les foyers hémorrhagiques envahissent toute la masse, la
suppuration s'établit et l'organe est menacé d'une entière désorganisation.
3f Degré (Gangrène). La pulpe en pleine destruction devient absolument
méconnaissable; ce n'est bientôt plus qu'un putrilage noirâtre dans lequel on
ne retrouve plus aucune trace de la texture primitive.
C'est à la présence de ce putrilage qu'est due la coloration noire ou bleuâtre
des dents ainsi frappées de pulpite gangreneuse, alors que la matière désorija-
nisée a pénétré dans l'intérieur de l'ivoire à la faveur des canalicules vidés
de leur contenu fibrillaire.
Symptômes. Les symptômes de l'inflammation de la pulpe sont très-tran-
chés et facilement reconnaissablcs.
Un liséré bleuâtre apparaît constamment au niveau du collet de la dent; il
résulte de la coloration rouge ou violacée de la pulpe dentaire enflammée, vue
par transparence à travers Tivoire dont l'épaisseur est faible en ce point.
Mais le signe caractéristique est la douleur. Variable dans son intensité
222 DENT (pathologie).
intermittenle ou continue, elle naît spontanément; c'est à la douleur de la
pulpile que s'applique l'expression vulgaire de rage de dents.
Elle est toujours beaucoup plus intense lorsque la pulpe n'est pas à décou-
vert, l'organe enfermé dans sa cavité inextensible devenant alors le siège d'un
véritable étranglement.
Le caractère principal de cette douleur est d'être calmée par le froid, tan-
dis qu'elle est exaspérée par les températures élevées. C'est là le signe vraiment
pathognomonique.
La douleur présente au point de vue de son siège des variations remar-
quables : tantôt localisée nettement au niveau de la dent malade, elle apparaît
d'autres fois et se fixe sur un point plus ou moins éloigné, sur une dent voisine,
parfois même sur une dent de la mâcboire opposée, mais du côté correspon-
dant. On observe en outre fréquemment des irradiations douloureuses dans le
voisinage de la tempe, dans l'œil ou dans l'oreille; quelquefois même l'ir-
rilation détermine du côté des organes des sens des pbénomènes réflexes va-
riés.
diagnostic. L'inflammalion de la pulpe caractérisée par le phénomène
douleur est en général facile à reconnaître, surtout lorsque l'organe est mis à
nu à la suite d'une carie ou d'une fracture. Dans quelques circonstances cepen-
dant, lorsque l'affeclion est encore à son début ou lorsqu''elle est compliquée ou
accompagnée d'autres lésions de la même dent ou d'une dent voisine, il peut
y avoir quelque obscurité. C'est surtout sur l'appréciation de la cause réelle
de l'odontalgie que doit porter le diagnostic [cog. Odomalgie). De toutes les
affections qui y donnent lieu, c'est la périostite qui pourrait le plus facilement
induire en erreur.
On trouve en effet dans la périostite une douleur continue, assez souvent
calmée par le froid et exaspérée par la cbaleur; mais la douleur de la périos-
tite s'accompagne de battements et d'élancements; elle est surtout exagérée
) ;i les manœuvres et les chocs sur la dent malade, alors que ceux-ci sont sans
effet sur la douleur de la pulpite ; enfin, dans la périostite, la dent est plus ou
moins ébranlée et comme allongée, phénomène qui rend la mastication très-
difficile.
Les névralgies faciales essentielles peuvent aussi en imposer pour une pulpite,
c'est l'étude attentive des phénomènes et l'examen minutieux de la cavité buc-
cale qui permettront dans ces circonstances d'éviter l'erreur.
Marche. Terminaison. L'inflammation de la pulpe, lorsqu'elle est essentielle
ou consécutive à une commotion violente de la dent, n'acquiert- pas en général,
ainsi que nous l'avons dit, une grande intensité ; elle se termine le plus souvent
par résolution au bout do quelques jours, soit spontanément, soit à la suite d'un
traitement approprié.
Mais c'est là la terminaison la plus rare de la pulpite.
Dès que rinilammation est violente, la suppuration devient inévitable; le
pus fuse dans le canal des racines, le périoste alvéolo-dentaire s'enflamme à
son tour et la dent est définitivement compromise, si le pus ne trouve pas promp-
tement une issue au dehors, soit par un pertuis préexistant comme dans la
carie pénétrante, soit par un orifice pratiqué artificiellement, c'est-à-dire j:ar
la trépanation.
Dans ces conditions et quel que soit le mode de communication de la cavité
centrale avec l'extérieur, l'inflammation de générale qu'elle était primitive-
DENT (pathologie). 223
ment peut devenir locale et se circonscrire au point qui correspond aupertuis;
c'est dans ces circonstances que la pulpite devient chronique, et alors
deux terminaisons se présentent : tantôt il y a végétation de la surface même de
l'organe, hypertrophie et production d'une véritable tumeur, ainsi que nous
l'étudierons tout à l'heure; tantôt la pulpite chronique entraîne un suintement
purulent ou séro-purulent indéfini tel qu'on pourrait l'appeler catarrhe de
la pulpe. Dans le premier cas la lésion est curable par l'ablation des fongosités
ou de la masse hypertrophique, dans le second par la destruction de l'organe
au moyen des caustiques, ainsi qu'on va le voir.
Traitement. Dans le cas de pulpite spontanée ou traumatiquc et en l'ab-
sence d'aucune fracture ou carie qui donne accès à l'organe, le traitement doit
être nécessairement borné aux moyens indirects. Ces moyens sont : les applications
de sant^sues sur la gencive, les scarifications suivies ou non de l'application
de petites ventouses spéciales (sangsues artificielles). Ces moyens ont parfois
un effet très-prompt et amènent en vingt- quatre heures la disparition d'une
pulpite même assez intense. 11 ne faudra donc pas hésiter à y recourir en
faisant appliquer, par exemple, au moyen de petits tubes de verre appropriés,
des sangsues sur le bord gingival au voisinage du collet de la dent affectée.
Un autre moyen auquel on pourra recourir dans le cas de pulpite subaiguë
ou persistant à l'état chronique, c'est l'emploi des cautérisations ponctuées
au moyen du galvano-cautère.
Mais les agents qui pourront être efficaces dans les formes simples ou subaiguës
ne sauraient suffire dans le cas de pulpite suppuréc. Ici il faut de toute néces-
sité et sans tarder pratiquer le débridement de l'organe enflammé et étranglé.
Ce débridement s'opère par la trépanation, opération qui, en l'absence de
carie ou d'obturation antérieure, se pratique sur le point de la dent qui est le
plus rapproché de la cavité de la pulpe, c'est-à-dire au collet. C'est ce point que
nous avons coutume d'appeler le lieu d'élection de la trépanation directe.
Cette ouverture qui se pratique par un petit perforateur mù là la main ou au
moyen du tour permet d'apprécier tout d'abord l'état du tissu enllammé et
l'existence des produits. Si la pulpite est suppurée, on voit s'écouler au dehors
une notable quantité de pus qui indique un état inflammatoire déjà très-
avancé de l'organe. Si la période inflammatoire est moins prononcée, c'est
une légère hémorrhagie qui s'écoule par l'ouverture. Enfin, si la destruction de
l'organe est complète, on ne retire de la cavité que des masses noirâtres et
désorganisées.
Nous n'avons pas à insister du reste sur le traitement des lésions inflam-
matoires de la pulpe ainsi dénudée, ce traitement étant exactement celui qui
a été décrit à propos du traitement de la carie dentaire parvenue à sa troisième
période.
11 doit nécessairement en être de même à propos du traitement de la pulpite
à la suite d'une fracture ou d'une carie pénétrante. Ce sont les mêmes règles
que nous avons déjà indiquées : emploi des caustiques et spécialement de l'acide
arsénieux, ablation des débris, lavages et finalement obturation définitive
après cessation de tout accident et destruction complète de l'organe.
Nous disons ici que le traitement de la carie doit s'appliquer au cas de
fracture. C'est qu'en effet la mise à nu de la pulpe, même sur une incisive
centrale, ne saurait constituer une indication d'extraction, à moins de certaines
anomalies de siège ou de nombre qui permettent la réparation possible de la
224 DEIST (pathologie).
brèche que causerait la suppression de la dent fracturée. Il faut donc procéder
comme dans une carie pénétrante et obturer la cavité de la pulpe ou le canal
radiculaire découvert par la fracture. De la sorte, on conserve le fragment
restant de la dent qui peut ultérieurement être utilisé pour l'application d'un
appareil de prothèse à la pose duquel l'existence d'une racine indolente apporte,
comme on sait, une condition favorable.
(1. Affections organiques. Les affections organiques de la pulpe dentaire
sont; l'atrophie et l'hypertrophie.
Atrophie de la pulpe. A l'état normal, la pulpe subit pendant le cours de
la vie un retrait continu. Cette atrophie, qui entraîne nécessairement une
diminution proportionnelle de la cavité centrale, peut être complète, et c'est
ainsi que chez certains vieillards on trouve des dents dont la pulpe tout entière
et la cavité centrale elle-même ont entièrement disparu. Mais en dehors de cette
réduction, qu'on pourrait appeler normale et physiologique, la pulpe peut
encore subir une véritable atrophie à la suite de divers états pathologiques de
l'organe dentaire, particulièrement à la suite de la carie, des fractures, des
luxations ou de l'usure.
Considérée ainsi comme conséquence de ces désordres préalables, l'atrophie
peut affecter différentes formes : elle est lente et régulière ou brusque et irré-
gulière.
Dans le premier cas , l'organe surexcité faiblement par une fracture non
pénétrante, un traumatisme modéré, ou une carie du premier ou du second
degré, acquiert une suractivité fonctionnelle qui aboutit à une hyperproduction
de dentiue; celle-ci se substitue peu à peu à la pulpe et finit dans certains cas
par remplir progressivement la totalité de la cavité centrale. Nous avons d'ail-
leurs décrit ce phénomène avec détails à propos des diverses affections dentaires
qui le provoquent et particulièrement à propos de la carie, et il nous semble
inutile d'insister davantage.
Dans la seconde forme d'atrophie , l'organe est vivement et brusquement
surexcité par une fracture se rapprochant beaucoup de la cavité centrale, ou par
une carie pénétrante; il se fait alors des noyaux hémorrhagiques alternant avec
des productions accidentelles et saccadées de dentine sans forme déterminée.
C'est dans ces cas qu'on rencontre ces masses irrégulières formant des cloison-
nements complets ou incomplets que nous avons décrits en étudiant l'anatomie
pathologique de la carie dentaire, et qui rendent parfois si difficile la destruc-
tion de tous les débris de la pulpe par les applications du caustique arsenical.
Ce même accident se produit dans le cas d'usure, et ici encore il y a lieu de
faire une distinction : dans l'usure sénile, il y a corrélation habituelle, équi-
libre en quelque sorte entre l'usure qui s'approche de l'extérieur à l'intérieur et
la production de dentine secondaire qui lutte de l'intérieur à l'extérieur. Mais
il n'en est pas de même dans l'usure précoce oii l'atrophie de la pulpe peut
être plus rapide et s'accompagner aussi de cloisonnements.
Hypertrophie et néoplasmes de la pulpe. Les tumeurs de la pulpe den-
taire ont été étudiées avec soin par Tomes {Course of Lectures on dental
Physiology and Surgery. London, 1848, p. 275) sous le nom de Polypes ou
Granulations, et par le docteur Albrecht {Die Krankheiten der Zahnpulpa.
Berlin, 1858) sous celui d'hypertrophies. Ce dernier auteur a surtout
déterminé la nature anatomique de ces tumeurs, et le terme d'hypertro-
phie qu'il leur applique résume en effet assez bien la structure de ces
lie
DENT (pathologie). 225
productions ordinairement composées des éléments mêmes de la pulpe. Nous
préférons cependant le terme moins absolu de tumeurs en ce qu'il ne préjuge
pas la nature du tissu morbide, et il faut noter que des éléments anatomiqnes
étrangers à l'organe sain peuvent quelquefois se rencontrer dans les productions
pathologiques dont il est le siège.
Les tumeurs de la pulpe dentaire sont des masses molles, charnues,
développées aux dépens du tissu propre de l'organe et faisant saillie à l'extérieur.
Elles ne peuvent évidemment se produire que si la pulpe a été préalablement
mise à nu par une perte de substance de la
dent intéressant toute l'épaisseur de la cou-
ronne : aussi les rencontre-t-on presque exclu-
sivement dans l'intérieur d'une carie profonde
ayant envahi la cavité de la pulpe et mis cet
organe à découvert. Les dents molaires, en
raison du volume relativement considérable de ^.^ _^ _ .^^^^^^^. hype.tropi.ique
leur pulpe, en sont le plus souvent le siège. U pulpe développée au fond d'une
^ , r 1 u i^,.o„ ,,..,i; carie Lénétrante de molaire.
Ces tumeurs ont une forme globuleuse, ordi- ^
nairement réunie au reste de l'organe par une
portion rétrécie ou pédicule, située au niveau de l'orifice étroit qui fait com-
muniquer la cavité de la carie avec celle de la pulpe (fig. 30).
Il résulte de cette particularité que la production morbide présente dans sa
totalité la forme générale d'une masse charnue composée de deux lobes : un
profond, la pulpe elle-même, l'autre superficiel, composé par la tumeur pro-
prement dite, et entre ces deux lobes la portion rétrécie ou col qui les réunit.
Leur volume varie depuis celui d'un pois jusqu'à celui d'une amande. La cou-
leur est blanchâtre à l'extérieur, rouge ou rosée à l'intérieur; leur lace libre
n'est pas mamelonnée, mais nettement limitée et lisse. On trouve à leur surface
extérieure et surtout dans l'intervalle qui les sépare de la paroi de la carie des
débris de matières alimentaires, des vibrions et des algues filiformes de la
bouche, des filaments de lepthothrix. Quant à leur structure microscopique, elle
se compose d'une agglomération de noyaux analogues aux éléments embryo-
plastiques, qui constituent en grande partie la pulpe normale, et mêlés à une
matière amorphe granuleuse parcourue par des vaisseaux et des nerfs. Les noyaux
sont seulement plus volumineux; la fine couche de matière amorphe formant
comme une membrane propre à l'organe sain se conserve et s'épaissit même
à la surface des tumeurs, de sorte qu'on peut considérer ces productions de la
pulpe dentaire comme constituées presque constamment par une hypertrophie
simple avec hypergenèse des éléments normaux de l'organe. C'est du moins ce
que nous avons constaté dans tous les cas que nous avons obseivés.
Les accidents produits par cette afft-ction sont en général légers, les malades
ne se plaignent le plus souvent que d'une très-grande gêne de la mastication
du côté malade, de sorte qu'il y a souvent inaction absolue du côté correspon-
dant de la bouche. Il résulte de cette circonstance que les dents se recouvrent
de tartre, non-seulement à la face extérieure de la couronne, mais encore ;<
leur Tace triturante et dans la cavité même de la carie qui contient la tumeur.
Celle-ci est douloureuse au contact des corps étrangers; elle ne paraît pas
subir sensiblement l'influence des liquides chauds ou froids ; mais sa surface
molle est très-fréquemment le siège d'hémorrhagies, soit spontanées, soit le plus
souvent provoquées par un choc.
DICT. ENC. XXVII. 15
226 DENT (pathologie).
Contrairement à l'opinion de Tomes, qui regarde l'avulsion de la dent comme
le seul moyen à opposer à cette affection, nous croyons qu'on peut obtenir la
gucrison complète de la maladie en conservant la dent.
L'opération consiste dans l'excision de la tumeur, suivie de la destruction des
parties restantes de la pulpe. L'excision est suivie d'une hémorrhagie assez
considérable qu'on arrête aisément avec le perchlorure de fer; la destruction
s'obtient ordinairement par la cautérisation, soit avec le cautère actuel, soit, ce
que nous préférons, à laide des caustiques et particulièrement avec l'acide arsé-
nieux, dont les applications doivent être faites ici suivant les mômes préceptes
que nous avons formules au sujet du traitement de la carie dentaire; puis,
lorsque la masse est entièrement détruite, on procède à l'obturation de la cavité
d'après les règles ordinaires.
2° Maladies du périoste dentaire. Les maladies du périoste dentaire étu-
diées suivant l'ordre didactique se divisent en trois catégories : a. les lésions
traumatiqucs; h. les lésions inflammatoires; c. les lésions organiques.
a. Lésions traumatiques. Nous n'aurons q'.ie peu de mots à dire sur les
lésions traumatiqucs du périoste, qui n'est guère susceptible de présenter
que de simples denudations accidentelles ou des déchirures }^\iis oumolns
étendues.
L'un ou l'autre de ces accidents ou les deux à la fois se produisent tantôt
dans les fractures ou les luxations des dents, tantôt dans l'arrachement d'un
lambeau de gencive qui peut comprendre avec lui une certaine étendue du
périoste.
Ce que nous avons établi plus haut à l'égard des conditions anatomiques et
physiologiques du périoste nous a montré que cette membrane est composée
d'un simple feuillet fibreux qui, bien qu'interposé entre deux couches osseuses,
le cément et la paroi alvéolaire, appartient réellement à la dent avec laquelle il
est entraîné pendant l'extraction.
Or, si dans un traumatisme il y a mise à nu de ce feuillet, la conséquence
inévitable est son inflammation, c'est-à-dire la périostite. Si en même temps
la paroi osseuse alvéolaire a été entraînée sans réparation possible, l'inflam-
mation périostique est rapidement suivie de la destruction pure et simple de
la membrane. C'est par un semblable mécanisme qu'on observe fréquemment
les denudations de racines de plusieurs dents contiguës à la suite d'arrachement
de gencive et de fractures de la lame externe de l'alvéole ; des extractions labo-
rieuses ou compliquées en sont la cause la plus ordinaire. Les racines ainsi
mises à découvert sont donc dépourvues de toute protection fibreuse et mu-
queuse, et, si on les examine de plus près, on reconnaît en outre que la
couche de cément qui est, comme on sait, très-mince à l'état normal, a éga-
lement disparu par nécrose ou exfoliation insensible, de telle sorte que l'ivoire
est mis à nu à son tour.
La gravité de cet accident est dans tous les cas proportionnée à l'étendue
même de ladénudation. Si une face de la racine, la face antérieure, a perdu son
périoste, la dent peut n'être pas sérieusement compromise et subsiste dans la
bouche avec des adhérences suffisantes. Les circonstances diverses des gteffes
prouvent surabondamment '^ju'une dent même dépourvue d'une étendue consi-
dérable de périoste peut se maintenir dans l'alvéole grâce à une portion même
restreinte de membrane periostale. C'est en vertu de ces conditions qu'on voit
fréquemment des incisives ou des molaires dont les racines sont entièrement
DENT (i>ATJioLor,iE). 227
mises à jour sur toute l'étendue de leur hauteur, sans entraîner pour cela m
déplacement ni ébranlement.
Ce que nous venons de dire de la dénudation simple du périoste par cause
traumatique, laquelle est suivie de destruction, s'applique « fortiori à la déchi-
rure de cette membrane, car, si la mise à nu aboutit à la destruction, la séparation
complète d'un lambeau de ses adhérences normales est encore moins susceptible
de réparation ; le résultat final du premier cas est donc en réalité le début
dans le second, mais il est toutefois une complication qui peut survenir à la
suite de l'un ou l'autre de ces accidents, c'est l'inllammation de la portion
restante du périoste ou pérmtite simple. Nous n'avons point à décrire la
périostite, qui sera étudiée tout à l'heure, mais nous pouvons dire que l'issue
de cette maladie dépendra tout à la fois de la violence des traumatisraes, de
l'étendue en surface du périoste qui a échappé à l'accident et de certaines dispo-
sitions individuelles plus ou moins propres suivant les sujets à favoriser le déve-
loppement de cette phlegmasie.
h. Lésions inflammatoires. Les lésions inflammatoires du périoste dentaire
comprennent l'histoire de la périostite.
La PÉRIOSTITE ou inflammation du feuillet fibreux unissant dans l'intérieur de
l'alvéole la racine des dents à la paroi osseuse est une affection qui n'est connue
que depuis un petit nombre d'années. La première description vraiment
scientifique qui en ait été tracée appartient à Albrecht [die Kranklieiten an der
Wurzelhaut der Zdhne. Berlin, 1860). Mais la monographie la plus complète est
due à M. Pietkievicz, qui lui a consacré sa thèse inaugurale {De la périostite
alvéolodentaire, thèse de Paris, 1876). En dehors de ces deux publications, les
auteurs qui ont écrit sur les maladies de la bouche ou des dents se taisent sur
ce point ou ne parlent de cette maladie qu'à propos de certaines complications
dont elle est l'origine.
La périostite alvéolaire, qui est tantôt spontanée ou traumatique, tantôt consé-
cutive à une lésion grave de l'organe dentaire comme la carie, doit être divisée,
au point de vue de ses lésions anatomiques, de ses symptômes, de sa marche et
de l'ensemble de ses caractères, en quatre périodes :
1° La périostite subaiguë;
2° La périostite aiguë simple ;
5" La périostite phlegmoneuse ;
4° La périostite chronique.
C'est suivant cet ordre que nous en tracerons la description.
A. Lésions akatomiq0es. Lorsqu'on examine une dent extraite du début
d'une périostite, alors que celle-ci est faible et subaiguë, on n'observe qu'une
simple injection de la membrane avec arborisation vasculaire et léger cpaissis-
sement. Quant au siège de ces phénomènes, il occupe soit la totalité de la
membrane, soit la région voisine du collet, ou celle du sommet. Si elle est géné-
ralisée, l'état congestif et la vascularisation s'observent dans toute la surface
radiculaire, et l'examen d'un lambeau détaché par le scalpel permet de recon-
naître que la membrane a acquis environ le double de son épaisseur normale ;
que ses adhérences à la couche de cément sont amoindries et que les vaisseaux,
sans avoir augmenté de nombre, sont seulement en état de réplétion. En effet,
cette période subaiguë est ordinairement fugace ; c'est elle qui survient d'or-
dinaire après un traumatisme léger ou dans le cours du traitement dune
carie pénétrante. A cet état la congestion périostique ne retentit d'ordinaire sur
228 DENT (pathoiogie).
aucun point du voisinage, elle ne se propage pas, et ni le faisceau vasculaiie
aerveux du sommet radiculaire, ni la gencive elle-même, ne participent à la
phlegmasie. C'est la phase inflammatoire la plus simple et la plus prompte à se
dissiper.
Dans la forme aiguë franche, il y a exagération de 1 état précédent : injection
très-vive, épaississement considéiable qui se mesure d'ordinaire par le degré
d'allongement extérieur et visible que subit l'organe affecté. Cet épaississement
est dû à la fois à l'injection extrême des vaisseaux, à la multiplication des capil-
laires, à l'hypergenèse des fibres de tissu conjonctif et à l'interposition entre
celles-ci de matière amorphe et de sérosité, ainsi que cela s'observe dans toute
inlluramation des tissus fibreux en général. Dans cette période on observe alors
quelques lésions au voisinage; la gencive offre une injection manifeste sous
forme d'une bande rouge qui suit la direction de la racine malade; le faisceau
vasculû-nerveux de la pulpe, distendu par le soulèvement de l'organe, est à son
tour injecté et la pulpe elle-même, lorsqu'elle subsiste, éprouve un certain degré
d'intlammalion qui se traduit par une injection plus ou moins marquée.
Le lissu osseux alvéolaire et la couche de cément radiculaire n'éprouvent pas
toutefois de lésion manifeste lorsque celte forme aiguë n'a pas une trop longue
durée, si ce n'est un certain degré d'ostéite sans gravité.
Dans la forme plilegmoaeuse la surface radiculaire se présente sous une phy-
sionomie (oute nouvelle : le périoste est en pleine suppuration, sa trame fibreuse
est désorganisée, ramollie, inliltrée de pus. Une tentative d'extraction dans ce
cas a toujours pour résultat la déchirure de la membrane qui a perdu ses adhé-
rences normales; l'alvéole est rempli d'un liquide blanc épais qui renferme au
milieu des leucocytes du pus des lambeaux désorganisés de fibres cellulaires de
la membrane et des vaisseaux. Dans celte période les tissus voisins sont frappés
de lésions concomitantes : la couche de cément dénudé devient le siège d'ostéite
et sexfolie; les vaisseaux de la pulpe sont détruits à leur entrée dans le canal
dentaire et la pulpe, si elle subsiste, est aussitôt frappée de mortification, ce qui
se traduit par un changement rapide de coloration de la couronne, laquelle
prend les teintes grise ou noirâtre. La gencive, de son côté, est prise d'inflam-
mation localisée; ses connexions avec le périoste au niveau du collet sont rom-
pues, et, lorsque la dent est finalement chassée au dehors par la suppuration,
on ne retrouve plus à la surface de la racine ni périoste, ni cément, l'ivoire
étant libre à l'extérieur.
La physionomie que nous venons de reconnaître aux lésions de la périostite
phlegmoneuse est d'ailleurs celle qui s'observe encore, par exemple, à la suite
d'une greffe par' restitution lorsque celle-ci est suivie d'insuccès par élimination.
On trouvera là un cas tout à fait propre à permettre l'examen des altérations
anatorao-pathologiques de cette forme.
C'est qu'en effet l'issue malheureuse d'une greffe est due à la suppuration et
à la destruction du tissu fibreux destiné à la soudure de l'organe et à la
reprise des connexions vasculaires et nerveuses. Si l'élimination est rapide, on
n'observera à la surface radiculaire que la destruction pure et simple du périoste;
si elle se fait avec lenteur, ce qui signifie que plusieurs points de la surface
out repris temporairement quelque vitalité, il se produit d'autres lésions qui se
caractérisent par des résorptions plus ou moins étendues, soit au niveau de la
surface de section, soit sur d'autres parties de la racine. Celle-ci peut même
arriver à représenter un tronçon irrégulier et couvert d'aspérités résultant de la
DEiNT (pathologie). 229
disparition par place non-seulement du cément, mais aussi de l'ivoire lui-
même.
Ce sont les mêmes lésions des parties dures qui se rencontrent dans le cas de
périostite généralisée lorsqu'elle succède à certains traumatismes. Nous l'avons
observé, par exemple, plusieurs fois sur des inci;;ives frappées d'un coup violent
et qui ont été prises de périostite avec résorption consécutive; dans l'un de ces
cas, la racine avait entièrement disparu, de la même manière que cela se passe
pour une dent temporaire à la veille de sa chute spontanée. Tomes, qui déciit
ces altérations d'origine traumatique, considère la lésion comme une maladie
particulière des dents dont il n'indique d'ailleurs nullement la pathogénie ni les
causes {Chirurgie dentaire. Traduction Darin, p. 402). 11 n'est pas douteux
pour nous qu'elle appartienne au processus de la périostite. Il convient toutefois
de distinguer ces faits das cas de compression de dents permanentes entre elles,
ce qui produit alors des résorptions d'une nature tout autre et sans partici|»ation
de périostite; mais ce que nous voulons bien établir ici, c'est que la périostite
entraîne quelquefois comme lésion secondaire le phénomène de destruction dont
nous parlons.
Dans l'état chronique de la périostite il est un premier point à remarquer, c'est
qu'elle n'est jamais généralisée, si ce n'est dans une certaine forme de périostite
à laquelle nous avons consacré une description spéciale et un nom particulier :
celui à'ostéo-périostite alvéolaire [voy. plus loin). Pour la périostite proprement
dite, l'état chronique a pour lieu d'élection presque constant le sommet, et
l'état local est alors tout à fait caractéristique.
En premier lieu le périoste, dans une étendue de plusieurs millimètres, est
soulevé par une collection de liquide variable de quantité et de caractère ; la
partie correspondante de la racine est donc entièrement dénudée, rugueuse, cou-
verte de pointes et d'aspérités ; la distension du feuillet membraneux constitue
alors parfois un abcès assez limité comme volume pour que les hasards d'une
extraction aient pu l'amener entièrement au dehors. D'aulres fois l'opération le
déchire et on n'en retrouve que des lambeaux. Dans quelques cas, ce n'est plus
un abcès, mais un kyste périostique, ce qui signitie que le processus inflamma-
toire a été beaucoup plus lent. Dans les deux cas l'origine est donc unique, la
marche seule a été différente. Nous établirons du reste plus loin les diveis modes
de terminaisons de cette même lésion. Mais dans l'un et dans l'autre il y a
épaississement considérable du périoste, ce qui prouve l'hypergenèse des élé-
ments fibreux qui le composent. La trame de tissu est en outre infdtrée de pus
et de divers produits inflammatoires. Le sommet radiculaire est mis à nu et
l'orifice de la racine est ordinairement libre et béant, laissant parfois passer le
liquide de la collection qui peut s'écouler au dehors à la faveur d'une carie
pénétrante de la forme dite à suintement. Ce liquide est d'ailleurs variable :
tantôt il est franchement purulent, plus ou moins épais ; tantôt il est séreux,
limpide ou visqueux, ainsi que cela se produit dans les kystes des mâchoires.
Dans cette forme, les lésions anatomiques ne sont donc plus bornées au
périoste, aux parties sous-jacentes et aux produits inflammatoires qui s'accu-
mulent à sa face profonde, car le tissu osseux de l'alvéole participe bientôt aux
altérations de voisinage. La paroi alvéolaire distendue en effet par les productions
nouvelles forme une véritable poche qui devient le siège d'ostéite et de nécrose.
Une perforation de la lame externe ou de la lame interne ou des deux à la fois
donne alors passage aux produits inflammatoires et une fistule en est la consé-
230 DENT (pathologie).
quence inévitable. Celte fistule, qui a pour orifice le plus souvent le bord gin-
gival ou la région palatine, s'ouvre aussi parfois à la peau suivant les disposi-
tions mêmes de la région et le niveau de la racine affectée.
Ces fistules sont en outre tantôt permanentes, tantôt intermittentes, et peuvent
se compliquer à leur tour d'indurations dont le siège est le périoste osseux du
maxillaire, le revêtement gingival ou le tissu cellulaire de la face. Ces altérations
sont de règle dans la forme chronique de la périostite du sommet, et nous ne
devons pas ici y insister devant y revenir à propos de la marche et des compli-
cations de cette maladie.
Les lésions anatomiques de la périostite peuvent donc se résumer de la
manière suivante :
Périostite subaiguë : injection simple plus ou moins étendue ou générale du
périoste sans lésion de voisinage, sauf congestion légère de la gencive.
Périostite aiguë : exaspération de l'état précédent avec complication fréquente
de voisinage, phlegmon œdémateux de la face (forme simple).
Périostite j)hlegmoneuse : destruction du périoste, exfoliation du cément, phleg-
mon circonscrit ou diffus de la face.
Périostite chronique du sommet : dénudation complète de la partie corres-
pondante de la racine ; abcès sous-périostique ou kyste, ostéite et perforation
de la paroi alvéolaire, fistules simples ou multiples; induration des parties
molles; clapier fibro-osseux du maxillaire, état purulent ou séro-purulent du
conteiui, présence de la cholestérine dans le liquide.
B. Ëtioloyie et mécanisme. Dans la recherche des causes multiples de la
périostite nous ne croyons pas devoir nous arrêter à la série de causes banales
comme l'influence du sexe, de l'âge, des professions, des diathèses auxquelles
M. Pietkiewicz dans sa remarquable monographie croit devoir accorder une
certaine valeur. Ce sont là des conditions que nous regardons comme impuis-
santes à elles seules à produire une maladie si nettement définie et toujours
essentiellement locale, au moins au début.
Au point de vue étiologique, la périostite est : 1° spontanée; 2" trauma-
tique; 3° consécutive à des lésions antérieures de l'organe dentaire; 4" résul-
tant de la propagation d'une phlegmasic de voisinage.
1° La périostite peut donc être tout à fait, spontanée, c'est-à-dire qu'elle appa-
raît sans aucune cause appréciable sur une dent absolument dépourvue de toute
lésion antérieure. Ces cas ne sont pas très-rares; nous en avons rencontrés
plusieurs et M. Pietkiewicz en cite également de son côté. La maladie reste
bornée dans ce cas à la forme simple subaiguë ou franchement aiguë ; elle sur-
vient au même titre que toute inflammation spontanée quelconque du tissu
cellulaire ou fibreux de l'économie et sa terminaison assez fréquente est la réso»
lution. Le siège le plus habituel de la périostite spontanée est la région des
incisives et particulièrement des inférieures.
2" La périostite traumatique est le résultat d'un choc venu du dehors ou de
la rencontre d'un corps étranger pendant les manoeuvres de la mastication.
Nous ne parlons pas, bien entendu, des cas où il se produit une fracture ou
une luxation dont la complication inévitable est la périostite. Nous avons men-
tionné ces faits à propos des lésions traumatiques des dents elles-mêmes. A
côté des violences extérieures, il faut noter les tentatives d'extraction ou la
pression de certains instruments pendant une opération de voisinage ; les
manœuvres plus ou moins violentes pour remédier à une déviation des dents,
DENT (pATHOi.or.iE). ^^^
dans le traitement des anomalies par les appareils à pression brusque ou pro-
lonnée. Nous en avons parlé d'ailleurs à propos des complications des dévia-
tions dentaires en général.
Mentionnons encore la pratique qui consiste à éloigner l'une de I autre deux
dents contiguës dans le but de découvrir une carie d'un interstice. L'emploi de
coins de bois qui produisent rapidement ce résultat est une cause fréquente de
périostite : aussi faut-il procéder constamment [lar l'emploi ménagé et répété de
pansements de ouate ou de lames de caoutcliouc d'épaisseurs graduées ; le but est
aussi plus lent à atteindre, mais dépourvu de danger. Nous avons bien souvent
reconnu pour cause unique de l'apparition d'une périostite grave avec gan-
grène de la pulpe, coloration noire rapide de la couronne et perle ultérieure de
l'organe, de simples tentatives d'écartement brusque des dents.
La résection d'une portion plus ou moins étendue d'une dent au moyen de la
lime ou des gouges est encore une cause de périostite, bien que d'une façon un
peu indirecte, puisque l'accident immédiat après ces sortes d'opérations est
d'abord la pulpite qui se propage ensuite au périoste alvéolaire.
A cette cause se rattachent certaines obturations de carie superficielle pralniuées
avec violence. C'est le cas, en particulier pour l'auriflcation, qui exige toujours
une pression intense et prolongée ou des chocs répétés, si l'opération est laite avec
le marteau, suivant nn procédé assez usité aujourd'hui. Ici le mécanisme n'est
pas le même que pour la résection, car la périostite peut survenir d'emblée,
sans pulpite préalable, et comme résultat du traumatisme cliirurgicai portau
sur la totalité de l'organe.
Une autre série de corps étrangers, pouvant devenir cause de périostite, com-
prend certaines parcelles alimentaires, fragments d'os, arêtes de poissons, qui
peuvent pénétrer violemment et se maintenir dans l'alvéole au sein même du
tissu du périoste. C'est ainsi que l^ielkiewicz reproduit d'après (lalezowski une
observatiou de périostite avec abcès du sinus, amaurose consécutive ayant reconnu
pour cause un petit fragment de bois implanté dans le canal radiculaire d'une
dent {loc. cit., observ. XLll). De ces faits se rapprochent essentiellement les
exemples de périostite survenue à la suite d'applications d'appareils protlié-
tiques avec pivots métalliques ou autres. Cet accident est si fréquent dans ce
cas que toute installation d'appareils de ce genre réclamera du "praticien les
plus grandes précautions.
Enfin signalons, parmi les agents traumatiques capables de produire la périos-
tite, les liquides ou substances irritantes : on connaît le fait rapporté par Paget
d'un matelot qui fut pris d'une périostite violente avec phlegmon et nécrose
consécutive du maxillaire à la suite de l'introduction d'une chique de tabac
dans une carie pénétrante {the Lancet, 1864, t. I, p. 684). L'acide arsénieux
employé intempestivement dans une carie de môme nature amène encore rapi-
dement une périostite qui peut ainsi entraîner des complications fort graves.
Le docteur Combe en cite dans sa thèse plusieurs cas et rapporte d'autre part
des faits de périostites survenues par l'emploi des mêmes agents caustiques ap-
pliqués par erreur ou maladresse dans un interstice dentaire au contact direct
du périoste (De l'acide arsénieux dans les applications à la thérapeutique de
la carie dentaire. Thèse ds Paris, 1879).
11 est enfin une forme spéciale de périostite représentant le début de la
nécrose pliosphorée et qui a de même pour mécanisme la pénétration au contact
du périoste, au travers du canal dentaire, des vapeurs phosphorées.
252 DENT (pathologie).
Arrivons maintenant à l'nne des causes les plus fréquentes de la périostite,
la carie. Ici une distinction est nécessaire, car la périostite peut survenir à l'une
des deux dernières périodes de la maladie, la seconde ou la troisième.
Si la périostite survient dans le cours d'une carie de la seconde période, c'est-
à-dire celle qui n'a pas pénétré dans la cavité de la pulpe, elle a pour origine
immédiate l'inflammation même de cet organe ou pulpite. L'affection prend alors
le caractère de la pulpo-périostite. Voici le processus : la pulpe, impressionnée
par voie indirecte et au travers de la couche de dentine qui la sépare de l'exté-
rieur, s'enflamme, devient turgide et se gangrène; les ramifications pulpaires
des racines se congestionnent, puis, par simple contiguïté, le périoste au som-
met de la racine. Là la périostite prend l'une des deux formes soit locale au
sommet, soit générale.
Le second mode de production de la périostite est celui qui succèile à une carie
pénétrante avec disparition complète de la pulpe et de ses ramifications. Les
causes ici sont fort simples à saisir, bien que multiples. La dent ainsi vidée de
son contenu représente une cavité dans laquelle entrent librement tous les agents
arrivant ainsi sans obstacle jusqu'au con'act même du périoste au sommet des
racines. L'influence est donc direcle. Or, dans l'alimentation ordinaire il est
déjà bon nombre d'agents susceptibles de causer une irritation suffisante pour
amener une périostite : les substances salines, alcoolique>, etc.
Mais il est un autre mode de production de la périostite à cette période ultime
de la carie, c'est lorsque, la cavité pulpaire étant entièrement libre, il subsiste à
la portion la plus éloignée des canaux radiculaires quelques débris de pulpe
frappés d'inflammation chronique, laquelle a déjà gagné d'ailleurs la partie du
périoste revêtant ce sommet même. Dans cet état, les parties inflammées sont
très-souvent le siège d'une légère suppuration ou plus ordinairement d'un
faible suintement séreux ou séro-purulent dont l'écoulement s'effectue par la
carie et au dehors dans la bouche. Ces cas, qui ont été déjà décrits plus haut
dans l'histoire de la carie sous le nom de caries pénétrantes avec suintement,
sont d'un diagnostic facile et leur signe essentiel est l'odeur fétide qui s'en
échappe, odeur que le malade accuse lui-même et que le chirurgien peut recon-
naître à son tour.
C'est dans les cas de ce genre que nous avons préconisé la méthode du drai-
nage, la seule qui puisse permettre l'occlusion de la carie avec persistance d'uu
orifice capillaire d'écoulement. Un autre signe non moins démonstratif de cette
forme est précisément rintoléraiice de l'obturation, ce qui se démontre par la
pratique de V occlusion temporaire, laquelle est plus ou moins rapidement
suivie d'accidents. Cette occlusion lorsqu'on l'enlève, se trouve ainsi baignée
de liquide en telle quantité parfois qu'il forme un véritable flot s'écoulant dans
(a bouche et soulageant immédiatement le malade.
Or, que dans de telles conditions on pratique interapestivement et sans pré-
caution préalable une obturation complète, lu périostite aiguë par rétention
éclate aussitôt et, si l'on n'intervient pas immédiatement par une désobturaliou
ou une trépanation de la cavité de la pulpe, les complications peuvent revêtir
la plus haute gravité. C'est dans les circonstances de ce genre qu'une périostite
devient l'origine d'un phlegmon de la face avec nécrose du maxillaire, ou d'un
phlegmon diffus aboutissant aux désordres les plus étendus, à la phlébite des
jugulaires avec envahissement aux sinus de la dure-mère, à l'infection puru-
lente et à la mort. Ces faits sont nombreux, et nous ne saurions trop insister
DENT (pathologie). 25o
sur leur mécanisme, afin de mettre en garde les praticiens contre les dangers
de celte opératioir si simple en apparence, si banale même, l'obturation, laquelle
dans ces conditions devient véritablement néfaste. Nous y reviendrons d'ailleurs
à propos des complications de la périostite et nous rapporterons quelques
exemples fréquents mentionnes dans les auteurs.
Ici se placent encore à titre d'irritants directs les agents dont nous avons
déjà parlé tout à l'heure; l'arsenic et les vapeurs pliosphorées. C'est ainsi que
rien n'est plus propre à produire une périostite qu'un pansement arsenical
appliqué intempeslivement dans une carie pénétrante privée entièrement de sa
pulpe. Le caustique, portant directement son action sur le périoste, y développe
aussitôt une plilegmasie dont on a grand'peine à se rendre maître et qui peut
en outre devenir l'origine des plus graves complications. Le même résultat
se produit par l'intervention des vapeurs du pliospliore, et nous avons cherché
à établir, dans nos études sur la patliogénie de la nécrose pliosphorée, que
cette terrible maladie, si souvent mortelle, débute invariablement par une
périostite alvéolaire. Ces divers agents, arsenic, phosphore, auxquels on jiour-
lait joindre d'autres causes professionnelles (l'abrication des chromâtes, vapeurs
de cldorc, acide nitreux divers, etc.), juslilient ainsi pleinement la désigna-
lion d'une grande division des nécroses des mâchoires sous le nom de nécroses
toxiques.
Une dernière série de causes de périostite comprend les influences de voisi-
nage, c'est-à-dire les faits de propagation par continuité : un traumatisme de la
gencive, une dénudation du bord alvéolaire, ont très-souvent causé la périostite.
Mais l'une des plus communes dans cette catégorie, c'est la gingivite. Nous avons
vu en effet, en traçant l'histoire de cette maladie (voy. art. Gkncivks), que l'une
de ses complications fréquentes est précisément la périostite alvéolaire. Nous
insisterons en même temps sur ce f^it que cette dernière survient seulement
dans certaines formes de gingivites, les gingivites mercurielles, pliospho-
riques, etc. Cette complication toutefois n'est point fatale et, lorsqu'elle appa-
raît dans le cours d'une gingivite intense, elle se manifeste par les phénomènes
d'ébranlement et de douleur des dents, phénomènes qui n'appartiennent nulle-
ment en réalité à lu gingivite elle-même.
Tel est le cadre éliologi([ue de la périostite dans lequel ne rentrent pas,
comme on voit, l'influence des maladies générales, des diathèses, lesquelles sont
l'origine d'une autre lésion que nous avons éliminée de la description actuelle
pour en faire une espèce nosologique distincte ; nous voulons parler de Vosléo-
périostite décrite plus loin.
C. Symptomatologie. 11 convient de diviser les phénomènes, tant objectifs
que subjectil's de la périostite, suivant l'ordre didactique ordinaire, en trois or-
dres : les syniptùmes locaux; les symptômes de voisinage; les symptômes
généraux.
Les symptômes locaux sont ceux qui ont pour siège le niveau même de la
dent malade et le point correspondant de la mâchoire. Ils marquent toujours le
début de la maladie et parfois même subsistent seuls pendant toute sa durée.
Nous devons les étudier dans leur gradation croissante, correspondant aux
degrés divers d'intensité de la phlegmasie.
Le phénomène de début d'une périostite est un simple sentiment de o^êne
une sorte de tension au niveau de la dent affectée. Les malades accusent la
sensation d'un corps étranger, d'une pesanteur dont l'explication réside dans
254 DENT (pathologie).
l'état d'hyperén)ie et de gonflement du périoste. A celte première sensation,
correspond une sorte de besoin instinctif d'exercer certaines pressions sur l'organe
atfecté en rapprochant les mâchoires, et cette manœuvre a pour résultat immé-
diat un soulagement notable par le simple fait de dégorgement mécanique. Ce sou-
lagement est d'ailleurs de faible durée, car, l'inflammation continuant son déve-
loppement, la douleur s'accuse bien plus nettement, devient continue, lancinante,
avec battements isochrones aux pulsations artérielles, ainsi que cela se montre
à tout début d'inflammation.
En même temps un signe extérieur apparaît, c'est un degré très-faible d'allon-
gement quelquefois difficile à constater à cette période, mais tout à fait percep-
tible pour le malade, qui déclare que dans le rapprochement des deux mâchoires
la dent affectée est rencontrée la première et quelquefois? même s'oppose au
rapprochement normal. En outre, ces contacts qui, dans le degré précédent,
étaient un moyen de soulagement, deviennent des occasions de douleur vive.
Le sujet les évite soigneusement et la mastication devient dès lors très-dif-
ficile, parfois même impossible. La douleur devient ainsi peu à peu continue,
ne subissant dans son caractère ou son intensité aucune modification sous l'in-
fluence des transitions de température, si ce n'est une certaine recrudescence
par les li(iuidcs chauds, au voisinage d'un foyer ou pendant la nuit sous
l'action d'une certaine élévation de la chaleur du lit. De la sorte s'expliquent
les recrudescences nocturnes des symptômes de la périostite, qui s'accom-
pagnent du reste bientôt d'un certain degré d'allongement et d'ébranlement. Il
résulte de là que le malin au réveil la dent affectée, ayant échappé pendant
plusieurs heures au contact involontaire ou conscient des dents opposées, est
soulevée, comme luxée en quelque sorte, tandis que pendant la journée ces
phénomènes diminuent d'intensité.
Tel est le tableau symptomatique local d'une périostite simple soit de nature
spontanée, soit survenant à titre de complication d'un traumatisme ou dans
le cours d'un traitement de carie.
Des symj)tômes ayant pour siège l'intérieur même de l'alvéole nous devons
rapprocher d'autres phénomènes locaux occupant la gencive. Celle-ci pré-
sente une rougeur plus ou moins vive suivant exactement comme direction
et comme siège l'étendue même du périoste enflammé. C'est une bande de
muqueuse injectée qui indique nettement la surface du périoste affecté. Ce
signe, surtout évident aux incisives et aux canines, mais manquant aux mo-
laires, est donc le second phénomène qui apparaisse dans le début d'une périos-
tite, et, si la phlegmasie prend une certaine intensité, la gingivite locale s'ac-
compagne bientôt d'un commencement de décollement au collet et d'une
véritable desquamation épithéliale qui substitue une teinte grisâtre à la bande
rouge primitive.
Dans la périostite phlegmoneuse ou suppurée, les symptômes se modifient; la
durée est notablement moindre, car la compression et l'étranglement du début
ont disparu ; l'alvéole baigne dans le pus ; la dent soulevée s'incline dans un sens
ou dans l'autre; son ébranlement est considérable, et la gencive devient le siège
d'un phlegmon véritable qui s'ouvre d'ordinaire spontanément et donne issue
par un ou plusieurs trajets à une notable quantité de pus.
A partir de ce moment, les symptômes locaux prennent des physionomies
inverses : ou la période de destruction continue, pour aboutir à l'élimination de
la dent après de nouvelles exacerbations aiguës et des recrudescences de dou-
DENT (pathologie). 235
leurs, ou bien la périosfite passe à l'état chronique, ce qui correspond à sa locali-
sation au sommet.
Dans ce dernier cas, les pliénomènes s'atténuent progressivement et, sans que
la dent ait repris sa place et sa hauteur primitives, la sensibilité au contact
diminue; il ne reste qu'une sensation légère analogue à celle du début et par-
fois même qu'une simple douleur à la pression du doigt sur la partie corres-
pondante du bord alvéolaire.
La périostite chronique est ainsi caractérisée par un état presque indolent
et par l'apparition de périodes aiguës greffées sur le précédent. Ce sont alors
des crises qui reproduisent les phénomènes aigus du début ; mais chacune de
ces crises laisse d'ordinaire après elle une situation de moins en moins indo-
lente et amène en même temps la formation de noyaux d'induration suscep-
tibles de retentir plus on moins sérieusement sur les parties environnantes.
C'est qu'en effet, si l'état do la dent est relativement indolent, il n'en est
pas tout à fait de même des régions voisines et particulièrement du maxillaire.
Le périoste de celui-ci et les parties molles avoisinanles sont le siège d'un état
congestif permanent qui éprouve comme le périoste alvéolaire les altei natives de
crises aiguës et de calme apparent. Souvent aussi pendant les crises il se pro-
duit de petits abcès gingivaux suivis de fistules, qui s'ouvrent et se ferment
alternativement ; la production de ces petits abcès correspond au retour des acci-
dents aigus et des douleurs, et ceux-ci cessent dès que l'ouverlure spontanée
ou provoquée de la collection a donné issue aux produits inflammatoires. Ces petits
abcès peuvent aussi fuser loin des mâchoires et aboutir sur un point plus ou
moins distant de leur origine réelle. C'est le cas le plus ordinaire lorsque la pé-
riostite a frappé une dent de sagesse en voie d'évolution. Parlois encore l'abcès
et la fistule siègent à la peau où. ils prennent du reste le même caractère d'in-
termittence, et nous avons vu plus haut en étudiant les lésions anatomiques de
la périostite, que la persistance de ces phénomènes soit sur la gencive, soit sur
la peau, coïncide avec des désordres plus profonds qui ont pour siège le maxil-
laire, lequel se creuse de cavités purulentes ou de kystes suppures, avec forma-
tion de séquestres plus ou moins étendus.
Les symptômes de voisinage sont divers, et nous allons les énumérer briè-
vement.
Tout d'abord ils ont pour siège le tissu alvéolaire des mâchoires, et ces phé-
nomènes sont si intimement liés à l'état local que nous avons dû les confondre
tout à l'heure avec les accidents locaux proprement dits. Nous n'y reviendrons
pas. Mais il en est d'autres moins immédiats dans leur siège et leur forme : il faut
citer immédiatement la fluxion.
La fluxion a en effet pour origine constante la périostite, non pas que toute
périostite entraîne cet accident; cette proposition ne serait pas exacte, mais on
peut dire que toute fluxion — sauf peut-être les cas de traumatisme des mâchoires
ou quelque forme d'accident de la dent de sagesse — reconnaît invariablement
pour cause cette lésion. 11 est donc erroné de dire, comme persistent à le faire
la plupart des médecins, que la périostite est le résultat d'une carie : cette der-
nière est absolument incapable à elle seule de la produire.
Or la fluxion, dont l'histoire a été tracée plus haut (voy. Fluxion) et qui a du
reste donné lieu de notre part à une étude complète, appartient essentiellement
à la symptomatologie de voisinage de la périostite alvéolaire.
Toutefois, il faut déclarer tout d'abord qu'elle n'apparaît que dans certaines
25G DENï (pathologie).
formes de la maladie. La périostite subaiguë, la périostite aiguë franche spon-
tanée ou traumatifjue, n'y donnent pas lieu. La lésion qui la détermine est
tantôt la foi'me phlegmoneuse ou suppnrée, tantôt le retour à l'état aigu de
la forme chronique. Il faut en effet, dans sa production, un processus particulier
que nous allons rappeler en quelques mots : une phlegmasie purulente de la
membrane donne lieu immédiatement à une ostéite alvéolaire et par contiguïté
de tissus à l'infdtration séreuse ou purulente de la trame du tissu conjonctif de la
gencive ou de la face suivant le niveau de l'inflammation et les rapports anato-
miques de la région. A l'infdtration séreuse correspond la fluxion œdémateuse
simple, à l'infdtration purulente le phlegmon circonscrit ou diffus. Cette dernière
forme amène en outre la production d'ouvertures fistuleuses permanentes ou
intermittentes qui établissent une communication entre le foyer central alvéolaire
et l'extérieur. Il convient encore de mentionner à titre de complications secon-
daires de la périostite ou, si l'on veut, de la fluxion même, l'ostéite de l'alvéole,
l'ostéo-périostite phlegmoneuse du maxillaire, la nécrose plus ou moins étendue,
1 adénite simple ou suppurée des gan^ilions en rapports anatomiques avec le
point affecté, la formation de clapiers purulents à foyers multiples, traversant
parfois de part en pari la mâchoire et versant dans la bouche ou à l'extérieur une
grande quantité de pus. Nous ne pouvons nous arrêter davantage sur ces àet-
nières complications dont la description a trouvé sa place ailleurs (voy. Maxil-
LAiiiES [Maladies des] et qui ne doivent être mentionnées ici qu'à titre symptoma-
lologique.
Les accidents nerveux qui rentrent encore dans les symptômes de voisinage
consistent en névralgies sur divers rameaux et en troubles des organea des
sens.
Les névralgies ont généralement pour siège, au début surtout, une ou plu-
sieurs ramilications de la b" paire. Elles offrent aussi certains lieux d'élec-
tion. Ainsi une périostite de la mâchoire inférieure donne lieu à des points
névralgiques à l'émergence du nerf mentonnier, ce qui, en l'absence de signes
objectifs assez marqués, laissera supposer au malade et au chirurgien que la
région affectée est celle de la canine ou des incisives; cette névralgie se locali-
sera assez souvent à l'un des rameaux cutanés émergents, mais parfois la dou-
leur occupe un ensemble de filets et prend alors une extension très-grande sur
le trajet des anastomoses avec les ramilications cutanées des branches du plexus
cervical et du plexus brachial. Ainsi s'expliquent, sous l'influence d'une lésion
dentaire, ces névralgies qui s'étendent au cou, à l'épaule, à la partie supérieure
du Ironc et jusqu'à la totalité du membre supérieur.
L'un des symptômes de cet ordre qui est le plus souvent accusé par les malades
est une douleur auriculaire, et l'on en trouve ordinairement l'explication dans
une névralgie ayant envahi le rameau auriculo-temporal du maxillaire inférieur
dans son trajet ascendant au voisinage de la conque : la douleur est donc ici
superficielle, sous-cutanée, appréciable au doigt, et exclut au moins dans ce
cas une atteinte aux nerfs profonds de l'oreille ou aux nerfs de sensibilité spé-
ciale.
Les névralgies dépendant d'une périostite de la mâchoire supérieure auront
une tout autre localisation. Ce seront les filets émergents des nerfs sus ou
sous-orbitaires, les filets anastomotiques de la tempe, du crâne, de sorte que
parfois la douleur prend le caractère d'une névralgie hémi-crânienne simulant
une migraine.
DENT (pathologie). 237
Ces diverses névralgies sont assez souvent, il faut le noter, des symptômes
de début, et précèdent de quelques jours les phénomènes locaux caractéristiques
de la périostite. Us attirent ainsi seuls l'attention des malades et des médecins,
et provoquent souvent l'application de moyens thérapeutiques qui restent inva-
riablement sans efl'et.
Les troubles des organes des sens qu'il nous faut mentionner à la suite des
accidents névralgiques sont de deux ordres : oculaires ou auriculaires.
Les troubles oculaires ont été observés et décrits par beaucoup d'auteurs :
Galezowski, Mangin, Pielkiewicz, Terrier, etc. Ils portent, soit par voie d'ana-
stomose, soit par voie réflexe, sur tous les éléments nerveux de l'orbile; la pau-
pière est parfois affectée de blépharospasme (Pielkiewicz), le globe oculaire d'am-
blyopie (Mangin), de paralysie de certains muscles ; enfin de lésions profondes de
l'œil, amaurose, cécilé, etc. (Pietkiewicz). Les troubles de l'ouïe sont : les bour-
donnements, la surdité complète, des névralgies profondes, très-souvent men-
tionnées aussi par les mêmes observateurs et fréquemment rencontrées par nou>-
même.
La relation symplomatologique ne fait d'ailleurs dans toutes ces observations
l'objet d'aucun doute, car les accidents ont le plus souvent cessé iiiunédiafe-
ment avec la périostite elle-même traitée par les moyens rationnels ou après
l'extraction de l'organe affecté.
Signalerons-nous encore parmi les symptômes nerveux : l'épilepsie, le tétanos,
tantôt terminé par la guérison après cessation de l'état local, parfois aussi ayant
amené la mort? Pielkiewicz en cite plusieurs cas tout à fait. concluants {voij. Thèse
citée, obs. L, LI, Llf).
Quant au mécanisme de ces manifestations, nous le trouvons tout entier
démontré par les lésions mêmes des filets nerveux qui parcourent le périoste :
ce sont des névrites des filets périostiques du nerf dentaire se propao-eant
sans doute au tronc principal intra-osscux qui est dès lors siège d'étrano^le-
raent. La traction opérée ainsi sur le nerf dentaire à son entrée dans la cavité
de la pulpe amène sans doute l'inflammation du tissu nerveux : aussi pou-
vons-nous dire que, toutes conditions égales d'ailleurs, la périostite sera moins
susceptible de produire ces accidents lointains, réflexes ou directs, lorsque la
perte préalable de la pulpe a anéanti les ramifications nerveuses (jui o'y ren-
dent. Les filets périostiques seuls, envahis par la suppuration et distendus o;i
comprimés par le gonflement du périoste, sont, sinon moins nombreux, du
moins d'un plus faible volume et moins susceptibles, croyons-nous, d'entraîner
de telles conséquence:..
Les symptômes généraux de la périostite n'appartiennent pas aux formes
simples ; tout au plus la forme aiguë franche amène-t-elle un léger mou-
vement fébrile. Mais la marche phlegmoneuse de la maladie avec phle-^mon
circonscrit ou diffus entraîne avec elle tout un processus de phénomènes
généraux tels que inappétence, insomnie, délire : ce sont des accidents immé-
diats.
D'autres, plus tardifs, sont le résultat de l'étendue des désordres de voisinac^e
de l'importance de la suppuration et aussi de la nature des produits inflamnn-^
toires. Un grand nombre de malades arrivent à un degré marqué d'épuisement
et de cachexie par l'intensité de la suppuration ; d'autres, absorbant par l'esto-
mac une grande quantité de pus, tombent dans l'état décrit par Chassai-nicsous
le nom de cachexie buccale^ C'est ainsi que se produisent les complications les
■238 DENT (pathologie).
plus graves et les terminaisons fatales par l'infection purulente ou putride et
la phlébite des veines du cou et des sinus.
D. Marche, terminaisons, complications. La marche de la périostite est
essentiellement subordonnée à l'intensité même des phénomènes inflammatoires :
l'état subaigu simple, soit spontané, soit consécutif à une carie ou compliquant
un traitement de cette maladie, aboutit le plus ordinairement à la résolution,
'les accidents disparaissant sans retour.
L'état aigu, au contraire, obéit à un autre processus : outre les phénomènes
locaux résultant de l'inflammation totale de la membrane, il y a immédiatement
retentissement dans le voisinage; la gencive ou le tissu cellulaire de la face devien-
nent le siège d'un phlegmon qui peut rester œdémateux et sans gravité, si la pé-
riostite reste elle-même simplement inflammatoire sans passer à l'étnt purulent.
Mais la périostite suppurée produit constamment des désordres beaucoup
plus sérieux : le phlegmon gingival ou facial se circonscrit en un véritable
abcès, et la collection purulente, qui survient soit au bord alvéolaire, soit à la
peau, se guérit spontanément ou donne lieu à un orifice fistuleux intermittent
ou permanent. Dans le premier cas, on peut inférer que le tissu périostique
frappé d'inflammation n'a pas encore subi de désorganisation sensible de sa
substance, et la réparation s'est ainsi effectuée sans lésion définitive; mais dans
le second cas, celui de fistule, il y a constamment destruction du tissu avec ou
sans résorption partielle du cément sous-jacent et même résorption d'une por-
tion d'ivoire. C'est à cette lésion que plusieurs auteurs ont donné le nom de
nécrose partielle de la racine. Ce terme n'est pas tout à fait impropre, car il y
a en effet destruction complète d'une partie des tissus durs de l'organe.
Cette lésion est irréparable et elle se fixe définitivement sur une surface plus
ou moins étendue du périoste, assez ordinairement au sommet, de manière
à entretenir ou à reproduire sous formes d'intermittences les accidents de voi-
sinage que nous venons d'indiquer. C'est ainsi que l'état chronique succède à
la période aiguë. Mais cet état chronique apparaît quelquefois d'emblée, et dans
ce cas sa marche est toute spéciale.
La périostite chronique n'occupe en effet presque jamais la totalité de la
membrane : elle est localisée au sommet. En ce point, elle donne lieu à deux
processus distincts.
Le premier de ces processus est celui de l'abcès sous-périostique appelé aussi
abcès alvéolaire. Le périoste du sommet de la racine se distend lentement
sous la production purulente et forme une véritoile poche bien connue des
cliniciens qui, dans les manœuvres de l'extraction, amènent souvent au dehors
les collections purulentes du volume d'une lentille ou d'une petite amande, les-
quelles ne se déchirent pas toujours pendant l'opération. Les collections puru-
lentes ainsi limitées donnent lieu à certains symptômes qui en permettent
d'ordinaire le diagnostic. C'est une sensation douloureuse, sourde et permanente,
que les malades rapportent très-exactement au sommet d'une racine, c'est-à-dire
au centre du maxillaire, sensation qu'exagère toujours la pression du doigt.
Un léger gonflement s'observe aussi parfois soit à la gencive au point correspon-
dant, soit à la face, ce qui est plus rare.
L'autre processus de la forme chronique du sommet nous conduit à la for-
mation du kyste de la variété désignée aujourd'hui sous le nom de kyste pe'rios-
tique. Sans développer ici cette pathogénie qui a été suffisamment mise en
lumière à propos des kystes des mâchoires en général, nous rappellerons seu-
DENT (pathologie). 239
lement que le soulèvement du périoste est dû à une accumulation de sérosité
particulière, rarement purulente, tantôt limpide, tantôt épaisse et visqueuse
avec quelques produits secondaires, cholestérine, hématoïdine, etc. Cette
marche est toutefois entièrement indolente, et c'est de la sorte qu'un kyste
volumineux apparaît et grossit lentement sans causer aucun accident autre que
la tuméfaction du bord alvéolaire ou de Ja face. C'est surtout à la mâchoire supé-
rieure que ce processus passe le plus" souvent inaperçu, caria plupart de ces
productions rencontrent dans le sinus un pomt favorable à leur développe-
ment, soit qu'ayant franchi le plancher de celui-ci le kyste s'étale tout à l'aise
dans l'intérieur, soit qu'il en soulève la double paroi osseuse et muqueuse, et
que dans son développement il efface entièrement cette cavité et se substitue
simplement à elle.
Cette marclie est fréquemment observée, et tout récemment M. Berger en
a présenté un exemple à la Société de chirurgie {Bnllet., 1881, p. 422).
Ainsi qu'on le voit, la périostile est,le point du départ commun, le lieu initial
unique de divers processus ou courbes pathologiques qui peuvent se résumer
par le tableau suivant :
! Subaiguë simple . . . Résolution.
4iguë. Plilegmoii simple, œdémateux, gingival ou facial,
l Plileemon circonscrit, abcès.
Siinnurct! ! m i i n-
suppuict, ) Plilcgmou iliflus.
1 Purulente. . . Abcès sus-périostique.
Chronique j Séreuse .... Kyste périoslique des mâchoires.
Cette étude de la marche de la périostite indique déjà une partie des compli-
cations de la maladie qu'il nous reste à mentionner.
Les complications sont de trois ordres : tantôt elles sont locales, tantôt elles
occupent le voisinage, tantôt enfin elles sont lointaines et revêtent le caractère
d'accidents nerveux.
A. Accidents i>flammatoires. Ces complications locales comprennent la for-
mation de ces productions du périoste connues sous le nom de fongosités ou
de tumeurs. Les fongosités ont ici les mêmes caractères que toutes les pro-
ductions du même genre qui se développent sur les tissus fibreux analogues.
Ce sont des altérations organiques par hypertrophie et hypergenèse de certains
éléments fibreux de tissu conjonctif, vaisseaux, éléments embryonnaires, leuco-
cytes, etc.-, tantôt il se produit une véritable tumeur, ainsi que. nous les
décrirons plus loin. Pietkievvicz insiste tout particulièrement sur cette termi-
naison de la périostite par la production d'une tumeur (Thèse citée, p. 32).
Dans nos recherches personnelles nous avons parfois reconnu cette origine, mais
nous pensons toutefois que ces néoplasmes obéissent dans leur développement
à un autre processus qui n'a rien d'inflammatoire. C'est une lésion organique
des éléments de la membrane.
Les complications de voisinage sont fort nombreuses, très-variées, et leur
histoire a été si bien tracée par Pietkievvicz, que nous n'hésitons pas à lui
emprunter presque sans modifications cette partie de sa Thèse [loc cit
p. 54).
Les premières complications de voisinage de la périostite sont les phénomènes
inflammatoires qui, s'étendant de proche en proche, gagnent les parties les plus
voisines d'abord et ensuite des parties de plus en plus éloignées.
Le mécanisme de cette propagation inflammatoire diffère suivant le cas, mais
240 DENT (pathologie).
nous croyons un peu subtil et surtout d'une utilité pratique contestable de
chercher à l'expliquer en fixant le début de l'inflammation à la face interne ou
à la face externe du périoste dentaire (Foucher, Gazette des hôpitaux, 29 juil-
let 1856). Tandis que l'inflammation de la face interne déterminerait le décol-
lement du périoste à sa facecémentaire et la formation d'un petit kyste purulent
à ce niveau, l'inflammation de la face externe pourrait ainsi s'étendre au maxil-
laire et provoquer des abcès sous-périostiques, puis des accidents plus étendus,
et ensuite la formation, par exemple, de fistules à ouvertures diverses. Celte
division nous paraît absolument théorique, car, dans tous les cas d'ostéite ou de
nécrose partielle du maxillaire consécutives à une périostite alvéolo-dentaire,
aussi bien que dans tous les cas de fistules odontopathiqucs muqueuses ou
cutanées, récentes ou anciennes, nous avons toujours observé le décollement
plus ou moins étendu du périoste dentaire et la mise a nu du cément. Jamais
on n'observe ces accidents de voisinage avec l'intégrité du périoste à sa face
interne au niveau de l'altération primitive. En nous tenant donc aux données
positives de l'observation et sans chercher si l'inflammation, qui envahit rapi-
dement toute l'épaisseur de la membrane, a eu pour point de départ la face
interne ou la face externe du périoste, nous dirons que cette inflammation à
ses divers degrés peut très-bien ne pas rester confinée dans ses limites alvéo-
laires et s'étendre aux parties voisines par des voies diverses que nous indiquerons
brièvement.
L'inflammation de la pulpe consécutive à une périostite alvéolo-dentaire
est fréquente et s'explique facilement par les rapports de cet organe avec le
périoste dentaire confondu au niveau du sommet de la dent avec la gaîne du
faisceau vasculo-nerveux destiné à la pulpe. Nous croyons inutile d'insister sur
cette complication dont les symptômes viennent fréquemment s'ajouter à ceux
de la périostite, symptômes que nous étudierons au chapitre du diagnostic dif-
férentiel.
Souvent limitée d'abord à un seul point du périoste, la périostite peut
devenir totale, envahir toute l'étendue de la membrane sur toute sa circonfé-
rence et du sommet de la dent au collet. A ce niveau, la continuité du périoste
avec le tissu de la gencive explique facilement la possibilité de stomatites par-
tielles ou totales, d'amygdalites, de périostites alvéolo-dentaires développées sur
les dents voisines, etc. On comprend aussi que, du collet, l'inflammation gagne
la face externe du périoste maxillaii'e lui-même et détermine la formation d'abcès
sous-, ériostiques.
ÏNous avons vu aussi, à propos de l'anatomie pathologique, qu'à lu période
de suppuration le pus, formé ordinairement vers le sommet de la dent, s'écoulait
par le canal dentaire, lorsque celui-ci était perméable, ou bien s'accumulait
entre le cément et le périoste, et, décollant peu à peu celui-ci, pouvait se faire
jour à la gencive, au niveau du collet; mais souvent aussi il arrive que ce
décollement reste limité, et il se forme ainsi une petite poche purulente à l'extré-
mité de la racine. L'affection a-t-clle une marche lente, subaiguë, nous assiste-
rons à la formation d'un kyste périostique de la mâchoire; prend-t-elle, au
contraire, une marche aigué, la formation rapide du pus déterminera la rupture
de cette petite poche et consécutivement une ostéite, puis une nécrose du maxil-
laire et la formation d'abcès sous-périostiques pouvant déterminer des accidents
graves tels que phlegmon péri-maxillaire, phlegmon du cou, etc. Si l'in-
flammation du maxillaire est plus considérable, nous pourrons voir se déclarer
DENT (pathologie). 241
une véritable ostéo-périostite du maxillaire. Les abcès des gencives, le phleg-
mon périmaxillairc, aboutiront à la foimation de fistules muqueuses ou cuta-
nées ; des nécroses plus ou moins étendues embrassant quelquefois toute la mâ-
choire; des accidents inflammatoires qui s'étendront par propagation aux veines
faciales, et de là au sinus du crâne, et amèneront des complications de la der-
nière gravité, méningo-encéphalite, phlébite des sinus. Nous allons passer succes-
sivement en revue quelques-uns de ces accidents.
Gingivite, Stomatite, Amygdalite. Au niveau d'une dent atteinte de
périostite on constate de la rougeur et une inflammation le plus souvent légère
de la gencive, mais il n'est pas rare non pins de voir cette inflammation s'élcndre
à tout le boid gingival au niveau de la dent malade, et cela souvent aux deux
mâchoires. Au bout de quelque temps les gencives se couvrent alors d'un enduit
blanchâtre se détachant facilement en minces pellicules et formé tout simple-
ment par une desquamation épithcliale de la muqueuse, ainsi que nous nous
en sommes assuré à plusieurs reprises par l'examen direct. Celte inflamma-
tion dépasse quelquefois même la ligne médiane à laquelle elle reste pourtant
le plus souvent limitée et gagne alors toute la bouche, mais ce n'est plus
alors une gingivite, c'est une véritable stomatite avec fétidité de l'haleine et
une gêne considérable pour le malade. Cette affection amène fréquemment une
amygdalite plus ou moins intense, mais cela ne s'observe que si rinllan)matiou
n'a point atteint toute la muqueuse buccale, alors que la périostite occuj)e une
des dernières molaires et surtout une molaire inférieure. Un ptyalisme considé-
rable dû à la fois à l'hyperséci'étion salivaire et à la difficulté de la déglutition
s'observe en même temps. Ces complications, sans gravité aucune ordinaire-
ment, cèdent facilement aux moyens habituels et dès que la périostite alvéolo-
denlaire s'amende un peu.
Périostite du voisinage par propagation directe. Le plus souvent, la
périostite n'occupe qu'une seule dent, mais on peut aussi l'observer, chez le
même individu, sur plusieurs dents voisines ou éloignées, lorsque celles-ci sont
soumises aux mêmes influences étiologiques, carie, refroidissement, trauma-
tisme, etc. Une cause unique ou différente pour chaque dent aura porté son
action sur chacune d'elles en particulier. Il est plus rare d'observer la pro-
pagation de l'inflammation au périoste d'une dent voisine. Le périoste dentaire
est en effet assez bien isolé dans son alvéole, et le plus souvent la périostite ne
franchit pas celte limite ; quelquefois cependant, au lieu de rester une affection
locale, isolée, l'inflammation s'étend au périoste d'une dent voisine, quelquefois
même à celui des deux dents qui avoisinent l'organe primitivement atteint. Les
rapports anatomiques entre le périoste des dents contiguës au niveau de la
base des cloisons alvéolaires expliqueraient facilement ce processus et semble-
raient même faire craindre une plus giande fréquence de celte propao-ation.
Ce fait est assez rare cependant, avons-nous dit, au moins en tant que périostite
aiguë et bien caractérisée, car il arrive souvent de provoquer de la douleur par
la percussion sur des dents immédiatement contiguës à celle atteinte de pé-
riostite, mais celte douleur est le plus souvent assez légère; elle ne s'observe
que lorsque la périostite de la dent primitivement atteinte est très-ai'^^uë, et
peut-être alors y a-l-il plutôt un peu d'ostéite du maxillaire dans une certaine
étendue: il faut aussi distinguer le cas où, les dents étant assez serrées, les
vibrations produites sur une dent voisine sont alors transmises par la dent ma-
lade.
MCT. ENC. XX VU. ]g
2i2 DENT (pathologie).
Lorsqu'elle a lieu, cette propagation peut même s'étendre davantage et gagner
de proche en proche le périoste d'un plus ou moins grand nom))rc de dents.
Tout un côté de la bouche pourra ainsi se prendre. N'y a-t-il pas, dans ce cas,
quelque prédisposition individuelle? Nous sommes porté à le croire. Les symp-
tômes delà périostite peuvent même diminuer, disparaître complètement sur la
dent primitivement atteinte, tandis que l'alfeclion continue sa marche sur les
dents consécutivement affectées.
Kystes périostiques des mâchoires. Au lieu d'embrasser toute l'étendue du
périoste alvéolo-dentaire et gagner ainsi les parties voisines par l'intermédiaire
de la gencive, l'inflammation, avons-nous dit, peut très-bien rester renfermée
dans l'alvéole, n'occuper même qu'une portion du périoste dentaire ou au moins
ne poursuivre ses phases successives que sur un seul point, les phénomènes
inflammatoires disparaissant sur le reste de la membrane. A un moment donné
une ])etite quantité de pus ou de sérosité purulente s'accumule entre le cément
et le périoste décollé. Cette petite poche, située le plus souvent au sommet de la
racine, mais qui peut fort bien aussi avoir son siège sur un des côtés, augmente
peu à peu de volume, au fur et à mesure de la production du liquide. Cette aug-
mentation est due non-seulement à la distension continue, mais aussi à l'hyper-
genèse des éléments du périoste dont l'épaisseur peut aussi s'augmenter en
même temps. Cette distension se fait d'une façon lente, sans phénomènes inflam-
matoires bien marqués, et nous assistons ainsi, le malade souffrant à peine, à
la formation d'un kyste périostique de la mâchoire, dont le développement
pourra atteindre des limites considérables et dont le contenu, d'abord purulent,
pourra se transformer à un moment donné, ainsi que l'a indiqué Broca (Broca,
Traité des tumeurs, t. II, p. 121).
Parmi les causes qui favorisent ou déterminent la formation des kystes, nous
ne devons pas omettre de mentionner le fait intéressant d'une obturation mal
raisonnée, venant mettre obstacle à l'écoulement d'un liquide purulent ou séro-
purulent, dans les cas de périostite chronique, avec perméabilité du canal den-
taire. Supprimé ainsi mécaniquement, cet éoulement, s'il est abondant, déter-
minera une périostite aiguë avec toutes ses conséquences. S'il est peu abondant,
au contraire, de façon à passer inaperçu et à fournir à peine une gouttelette
de pus dans les vingt-quatre heures, sa rétention va déterminer peu à peu le dé-
collement du périoste sur la racine malade, et la distension progressive de cette
membrane. Là encore, c'est à une périostite, mais alors à une périostite chro-
nique et déjà ancienne, qu'il faudra attribuer le développement de la maladie.
Dans tous les cas, sur un point de la cavité on trouve toujours l'extrémité de
la racine primitivement atteinte, ordinairement résorbée en grande partie. Plu-
sieurs racines peuvent aussi faire saillie dans la poche, soit que celle-ci les ait
successivement envahies, soit que plusieurs dents aient donné lieu à la même
affection.
Adékite. Phlegmon. Abcès périmaxillaire. Sous le nom de suppurations
maxillaires, Chassaignac comprend « une foule de collections purulentes, va-
riables dans leur origine, mais ayant toutes ceci de commun qu'elles offrent un
rapport de voisinage avec les os de la mâchoire et qu'elles exercent une influence
plus ou moins marquée sur les fondions de l'appareil maxillaire. » (Chassai-
gnac, Traité pratique de la suppuration, t. II, p. 177).
Si nous empruntons ici cette dénomination de périmaxillaire pour l'appli-
quer à tous les accidents inflammatoires de voisinage, adénites, phlegmons.
DENT (pathologie). 245
abcès consécutifs à la pcriostite alvt'olo-dentaire, c'est que nous distinguerons
ces complications suivant leui- siège au-dessus ou au-dessous du rebord saillant
qui constitue la base de la mâclioire inférieure. Cette distinction topograpliique
est, en effet, des plus importantes.
Parmi les phlegmons et abcès périmaxillaires, nous ne décrirons, bien
entendu, que ceux dont l'origine est une périostite alvéolo-dentaire, mais il
faut dire que c'est là la cause la plus fréquente, presque constante, de ces
accidents. Chassaignac, en eftet, a divisé chacune do ses deux grandes classes
d'abcès en cinq espèces différentes :
1» Abcès phlegmoneux simple ;
2" Abcès angioleucitiques;
3° Abcès odonlopathiques; ^
4° Abcès ostéopathiques ;
5° Abcès salivaires.
Il est facile de se convaincre par la lecture de ses observations que sa troi-
sième espèce, celle des abcès odontopathiques, est loin d'être complète, et (lUc
la plupart des abcès qu'il désigne sous les noms d'abcès angioleucitiques et
d'abcès ostéopathiques sont sous la dépendance de lésions du système dentaire
et en particulier de l'inflammation du périoste. L'exemple d'abcès sus-maxillaire
osthéopalhique dont il donne l'observation {Traité de la suppuration, t. Il,
p. 184, obs. CCCL) est justement un cas d'abcès odontopalhique. II en est de
même pour la plupart des abcès sous-maxillaires dits ostéopathiques, le titre
même de l'observation l'indique : ainsi, l'observation 587 porte: Phlegmon
sous-maxillaire ostéopalhique consécutif h une carie dentaire, etc. {lococitato,
t. II, p. 217, obs. CCCfAXXVIl) ; les accidents rapportés dans les observa-
tions 388 et 389 reconnaissent encore la môme cause.
Parmi ces abcès périmaxillaires, nous décrirons le phlegmon et les abcès
des gencives, désignés sous le nom de parulie et consécutifs à la périostite : il
nous semble, en effet, que c'est bien là leur place, d'autant que souvent ils ne
sont que le début des phlegmons sus et sous-maxillaires, et qu'en s'éten-
dant ils peuvent devenir l'origine de toutes les complications habituelles
à ces accidents. C'est là aussi que nous signalerons les abcès de la voûte pala-
tine qui empruntent à leur siège certains caractères particuliers.
Adénite. On observe très-souvent l'adénite dans le cours de la périostite
alvéolo-dentaire, au moins à l'état d'engorgement ganglionnaire, non pas
que dans ce cas l'adénite ne puisse arriver à la suppuration, mais il est rare
que les malades attendent ce moment pour réclamer l'inlervention chirur-
gicale qui les met ordinairement à l'abri de cette terminaison. Une fois la
périostite guérie ou la dent enlevée, les accidents disparaissent en effet, et rapi-
dement.
Cet engorgement est le plus souvent peu douloureux, il peut occuper un ou
plusieurs ganglions. Pietkiewicz cite l'observation d'une jeune femme chez laquelle
une dizaine de ganglions du volume d'une noix formaient un chapelet complet
autour du maxillaire inférieur. C'est presque toujours une adénite sous-maxil-
laire que provoque la périostite, qu'elle occupe une dent de mâchoire supérieure
ou de la mâchoire inférieure. On observe cependant quelquefois l'adénite sus-
maxillaire, elle siège alors à la région parotidienne, ainsi que nous l'avons vue
plusieurs fois, mais c'est là un fait très-rare comparativement à la fréquence de
l'adénite sous-maxillaire, ce qui se conçoit facilement, celte dernière réo-ion étant
24i DENT (pathologie).
lecentre de tout le système lymphatique de la face. C'est bien ordinairement là,
2n effet, une adénite par transmission inflammatoire suivant le trajet des lym-
phatiques, mais il est à peu près impossible de constattr par quel trajet s'est
faite cette transmission, l'inflammation des vaisseaux n'ayant été que très-légère
et ayant déjà disparu au moment où l'on observe l'adénite.
Nous avons dit que cette adénite cédait ordinairement très-vite après la dis-
parition de la périostite qui l'avait occasionnée, quelquefois cependant cette
résorption demande un temps assez long, plusieurs mois, par exemple, et
il arrive aussi que chez certains individus prédisposés cet engorgement gan-
glionn.iire persiste après la guérison de la périostite et même après l'extrac-
tion de la dent primitivement affectée.
Phlegmon, abcès des gencives (parulie). Le phlegmon des gencives, connu
sous le nom de parulie, complication fréquente de la périostite, peut être
produit de deux fliçons différentes, ce qui nous en expliquera la bénignité.
la guérison rapide dans un cas, la persistance des fistules ou le retour
périodique des accidents dans l'autre. Nous croyons utile d'indiquer en
quelques mots le mécanisme de ces deux variétés. C'est, en effet, pour avoir
méconnu cette petite question de pathogénie indiquée déjà par Foucher
(Gazette (les hôpitaux, 29 juillet 1856), que les auteurs, en réunissant dans
la môme description ces deux variétés du phlegmon des gencives, nous ont
tracé une histoire un peu confuse de la maladie.
L'inflammation du périoste alvéolo-dentaire peut se transmettre au tissu
gingival, soit directement, soit par l'intermédiaire du péiioste maxillaire. La
continuité de ces tissus au niveau du collet de la dent nous a déjà expliqué lu
facilité de cette transmission. Une fois produite, il est rare que celte inflam-
mation se termine par résolution ; la périostite qui lui a donné naissance peut
même disjiaraître sans que cela l'empêche de continuer sa marche. Ce phlegmoa
des gencives se traduit par un gonflement douloureux, d'abord rouge, vermeil,
puis livide, le centre de la petite tumeur devient saillant, blanchit et finit bien
souvent par se rompre spontanément, donnant issue à une petite quantité de pus.
Cette ouverture se cicatrise bientôt et tous les accidents disparaissent. La termi-
naison cependant n'est pas toujours aussi favorable, et l'inflammation, qui reste
ordinairement limitée et dont le siège habituel est très-proche du bord libre de
la gencive, peut s'étendre au cul-de-sac alvéolo-labial et aux jnues : il est donc
prudent d'intervenir et d'ouvrir ces abcès de bonne heure. Si l'on introduit un
stylet par l'ouverture, on ne constate pas de dénudation du côté du maxillaire,
car il ne s'agit dans ce cas que d'un abcès sus-périostique.
Le phlegmon des gencives peut encore se produire d'une façon toute différente :
cette fois l'inflammation du périoste confinée dans l'alvéole va se terminer
par suppuration; après avoir détruit le périoste alvéolaire sur un point, le pus
s'infiltre dans l'os maxillaire à ce niveau, produisant une ostéite et consécuti-
vement une nécrose très-limitée, arrive sous la face interne du périoste maxil-
laire qui se soulève, s'enflamme à son contact et transmet l'inflammation au
tissu gingival, créant ainsi ce que Velpeau appelait un abcès en bouton de che-
mise. C'est encore là un abcès de la gencive, mais son mode de production a
été tout autre cette fois, et l'abcès est sous-périostique. Alors surtout il est
utile d intervenir de bonne heure pour donner issue au pus, empêcher l'in-
flammation de s'étendre an périoste maxillaire et d'amener consécutivement
une nécrose. Il ne faut pas craindre non plus d'enfoncer profondément le bis-
DENT (pathologie). 245
touri; la poiiile doit arriver au contact de l'os et débrider le périoste. Les
caractères extérieurs de la maladie diffèrent peu; cependant la douleur est
plus intense, profonde, la marche moins rapide, le pus est ordinairement plus
abondant, il est mal lié, séreux; un st\let introduit jiar l'ouverture arrive sur
l'os dénudé et rugueux; le gonflement des parties molles diminue moins rapi-
dement; l'ouverture ne se cicatrise pas, elle reste fistuleuse. Quelquefois cepen-
dant, au bout d'un certain temps, il arrive que l'ouverture se ferme, mais
presque aussitôt le malade est repris d'un petit phlegmon de la gencive dont
l'ouverture spontanée reste fistuleuse à sou tour; cette lislule peut très-
bien changer de place. Ce petit accident se répète fréquemment chez certains
malades, et l'affection évolue avec une rapidité extrême, du jour au lendemain.
Chez d'autres, au contraire, la cicatrisation s'est maintenue assez longtemps,
pour faire croire à une guérison complète lorsque des accidents aigus se dé-
clarent de nouveau. 11 n'est pas rare alors de voir une ou plusieurs parcelles
osseuses éliminées par la suppuration.
Cette seconde variété ne peut être désignée sous le nom de parulic que
lorsque les accidents inflammatoires sont tiès-localisés et ne s'étendent pas
au delà de la gencive, autrement ils rentrent dans les abcès pciimaxillaires,
à l'étude desquels nous allons passer maintenant.
Phlegmon, abcès sus-maxillaires. L'inflammation du périoste alvéolo-
dentaire peut provoquer ces phlegmons, de même que ceux de la région sous-
maxillaire, suivant les deux modes de transmission que nous venons d'indiquer
pour les abcès des gencives : nous n'y reviendrons donc pas. Disons toutefois
que le deuxième mode de production, c'est-à-dire celui qui s'effectue par la
migration du pus au travers de l'alvéole après la suppuration du |)ériosle
dentaire, est le plus ordinaire. Bien que ce soit le plus souvent une périostite
alvéolo-deutaire de la mâchoire supérieure qui détermine ces abcès, il n'est
pas absolument rare de les observer consécutivement à une périostite siégeant
en un point du maxillaire inférieur.
Le phlegmon sus-maxillaire est bien moins fréquent que les abcès sous-
maxillaires ; sa gravité est Lien moindre aussi. Il est rare de le voir s'étendre
et gagner la face. Le plus souvent il peut être complètement abandonné à
sa marche naturelle, et, lorsqu'il ne se termine pas par résolution, il s'ouvre
de lui-même sans produire de grands désordres. 11 reste presque toujours
sous-muqueux, et son ouverture spontanée s'effectue dans la bouche. C'est
aussi par la bouche que le chirurgien l'incise, lorsqu'il est obligé d'intervenir;
la plaie destinée à l'évacuation du foyer occupe ainsi la partie la moins élevée
et ne donne lieu à aucune cicatrice apparente. Quelquefois cependant il devient
sous-cutané,' mais, nous le répétons, celte terminaison est ici assez rare;
lorsqu'elle se produit, elle entraîne alors d'assez sérieuses conséquences,
l'ouverture spontanée ou provoquée ayant lieu à la joue et étant suivie de
tous les inconvénients physiques inhérents à une fistule ou à une cicatrice dans
cette région.
Au lieu de se porter vers la face externe de l'os et de venir provoquer une
tumeur inflammatoire saillante dans le vestibule de la bouche, le pus peut
très-bien perforer l'alvéole en dedans, décoller le périoste de la voûte palatine
sur une plus ou moins grande étendue et produire une collection purulente
sur ce pomt. Toutes les dents de la mâchoire supérieure peuvent ainsi produire
ces abcès de la voûte palatine : Pielkievvicz cite le fait d'une fistule de la voûte
246 DENT (patuologie).
consécutive à une périostite de la première grosse molaire supérieure gauche
qui avait amené la formation d'un abcès dans cette région. Ce sont les dents
antérieures cependant, canines et incisives, qui amènent le plus souvent cette
complication, et les incisives latérales en particulier. La muqueuse palatine,
très-dense, comme on sait, offre une grande résistance au développement de ces
abcès, et, la suppuration ne trouvant point à s'étendre facilement de ce côté, il
est fréquent de voir un abcès du vestibule suivre de près la formation d'une
collection de la voûte palatine, donnant ainsi au pus une issue plus facile par
l'établissement d'une fistule gingivale. L'ouverture spontanée de l'abcès de la
voûte palatine s'observe cependant qi'.elquefois el, lorsqu'elle se produit après la
formation d'une fistule gingivale, le malade porte ainsi une fistule à double
ouverture traversant le bord alvéolaire et dont la partie moyenne répond au
sommet de la dent altérée. 11 en est de même lorsqu'on incise ces abcès; mais,
dans les deux cas, il est habituel de voir une des ouvertures se fermer rapide-
ment après l'évacuation du pus, c'est ordinairement la fistule palatine qui
persiste, en raison sans doute du décollement de la muqueuse et de sa
situation défavorable à son rapprochement des parties osseuses.
Phlegmon, abcès sous-maxillaires. Ces complications sont beaucoup plus
fréquentes que les précédentes et beaucoup plus graves aussi.
Tandis qu'à la mâchoire supérieure les abcès odontopathiques sont prin-
cipalement sous-muqueux, à la mâchoire inférieure ils sont surtout sous-
cutanés ; l'intervention chirurgicale, inutile le plus souvent pour les premiers,
est ici impérieuse, mais les incisions ne poufi'ont ê^re faites par la bouche,
la plaie se trouverait ainsi à la partie supérieure du foyer, c'est-à-dire dans la
situation la plus défavorable à l'évacuation du pus. L'inflammation menace tou-
jours de se propager vers la partie inférieure du cou et même vers la poitrine,
et cette propagation est quelquefois si rapide ou elle entraîne de tels désordres
qu'elle rend inutile toute intervention.
Ces accidents sont graves, surtout quand ils atteignent un sujet cachectique
ou débilité par les privations ou les excès. Ainsi, dans une observation de
Pietkiewicz, nous voyons un phlegmon gangreneux consécutif à une périostiie
alvéolo-dentaire envahir en deux jours la face et le cou d'un sujet alcoolique
et amener sa mort malgré le traitement le plus énergique. L'obset;,vation XIX
nous montre une périostiie de la canine inférieure gauche déterminant un
phlegmon de la région sus-hyoïdienne chez une rachitique dont l'alimentation
était insuffisante.
C'est dans les abcès sous-maxillaires aussi que l'on observe le plus souvent
des propagations inflammatoires du côté des centres nerveux, des méninges et
du cerveau, consécutivement à l'inflammation des veines faciales, propagations
inflammatoires dont l'issue fatale est la règle. Les malades succombent à une
méningo-céphalite consécutive à une phlébite étendue aux sinus mêmes de la
dure-mère. C'est dans un cas analogue que M. Guyon a aussi observé la propa-
gation de l'inflammation aux veines faciales et aux sinus crâniens [Dictionn.
encijcl. des se. méd., 2'^ série, t. V, p. 555). Ajoutons que dans un travail
d'ensemble entrepris par M. Démons (de Bordeaux) sur cette question l'auteur
rapporte une douzaine de cas de mort par ce processus [Bidleiin de la Société
de chirurgie, 1880). Bien d'autres chirurgiens et nous-même pouvons en citer
de semblables. Une observation analogue est due à Th. Anger {Progrès médi-
cal, 1879, p. 479).
DENT (pathologie). 247
Même en restant limités, les abcès sous-maxillaires sont encore d'un pro-
nostic sérieux; souvent en effet ils entraînent des pertes de substance plus ou
moins considérables de la part du maxillaire inférieur. Il arrive aussi, et c'est
heureusement le cas le plus fréquent encore, que, malgré l'étendue de l'in-
flammation, on voit le phlegmon se terminer par résolution ; les phénomènes
généraux diminuent d'intensité et les accidents locaux disparaissent peu à
peu. Enfin quelquefois, l'inflammation restant plus locale, l'abcès s'ouvre
de lui-même à l'intérieur de la bouche dans le vestibule; cette terminaison,
moins fréquente ici, avons-nous dit, que pour les abcès sus-maxillaires, s'ob-
serve surtout aux dents antérieures, mais il est fréquent aussi de voir une
périostite des canines ou incisives inférieures donner naissance à un abcès dont
l'ouverture se fera dans la région mentonnière.
Il arrive aussi, dans les phlegmons périmaxillaires, que l'extraction même
de la dent atteinte de périostite, pratiquée dès le début, ne suffit pas à enrayer
la marche ultérieure de la maladie, les phénomènes inflammatoires continuent
et aboutissent à la formation d'un abcès.
Souvent la marche de ces abcès est beaucoup moins rapide; on observe
cette lenteur d'évolution aussi bien pour les abcès sous-maxillaires que pour
les abcès sus-maxillaires, mais nous l'avons vue beaucoup plus fréquente cliez
ceux de la voûte palatine que chez tout autre. Là, en effet, les abcès ont une
tendance à prendre une marche chronique dès le début même, et on les voit
rester ignorés du malade pendant fort longtemps. Il arrive alors que la pression
prolongée et continue, occasionnée par l'abcès, peut déterminer la résorption
d'une partie de l'apophyse palatine du maxillaire supérieur. C'est presque
toujours aussi à une périostite chronique suppuréc qu'il faut attribuer la for-
mation de ces abcès à marche si lente. On les voit survenir à la suite d'un
obstacle à l'écoulement du pus après une obturation ou après la fermeture d'une
fistule. Nous avons déjà dit que dans ce cas, lorsqu'on ne voyait pas se déve-
lopper d'accidents aigus, il pouvait se former un kyste périostique de la
mâchoire, mais, au lieu de rester ainsi enfermé dans l'alvéole, le pus se fraye
lentement un chemin à travers sa paroi, puis à travers les parties molles, et va
se collecter plus ou moins loin sous la forme d'un kyste purulent dont le déve-
loppement se fera tout doucement, sans douleur, mais qui pourra un jour
aussi s'enflammer et s'ouvrir sur la peau. Le doigt promené dans le ves-
tibule sent alors un cordon fibreux qui s'étend de la tumeur au maxillaire, au
niveau de la dent malade.
Nous devons noter aussi que le pus contenu dans les abcès périmaxillaires
est, dans certains cas, d'une fétidité extrême due sans doute au voisinage de
la cavité buccale.
L'fnstoire des abcès périmaxillaires nous a montré qu'ils s'ouvraient tantôt
dans la bouche, tantôt à l'extérieur. Lorsque ces abcès s'ouvrent ainsi à la
peau, on constate généralement que l'extrémité des racines dépasse le niveau
où la membrane muqueuse se réfléchit de la joue sur les gencives. Ce fait anato-
mique nous donne l'explication des différentes issues du pus 'suivant le sié^e
exact de l'afYection primitive. Que cette ouverture se fasse dans la bouche ou
vers la peau, qu'elle soit spontanée ou artificielle, elle ne se cicatrise pas
l orifice reste permanent, constituant ainsi une fistule dentaire, affection dont
nous devons parler.
Fistules odontopathiques. Ainsi que nous venons de le dire, ces fistules
2i8 DEM (i'atiiologie).
succèdent à l'ouverture des abcès périmaxilléires, que ces abcès soient limités
à la gencive ou qu'ils s'étendent aux parties voisines. Cependant les abcès des
gencives consécutifs à une propagation directe de 1 inflammation périostale
au tissu gingival sans altération consécutive du cément ou de l'avéole ne
donnent pas lieu à ces accidents. Ces fistules cutanées ou muqueuses sont
bien souvent la terminaison des plilograons étendus, à marche douloureuse et
rapide, que nous avons étudiés, mais plus souvent encore elles succèdent aux
abcès à marche lente et indolore. Cela s'observe surtout pour les fistules
cutanées, les fistules faciales en particulier, celles pour lesquelles on est le
plus souvent consulté, les fistules muqueuses n'entraînant pour la plupart
aucun inconvénient apparent et restant fréquemment ignorées des malades
eux-mêmes. Ainsi, par exemple, une périoslite chronique avec suintement entre-
tient depuis longtemps une fistule gingivale et occasionne ces petits abcès à
répétition. Sous l'inlluence d'une cause quelconque, la fistule gingivale s'oblitère
complètement ; cela détermine une petite poussée de périostite aiguë et une
fluxion qui disparaît plus ou moins rapidement, mais en laissant un noyau
induré dans la profondeur de la joue. L'apparition de ce noyau induré n'est
même souvent précédée d'aucun phénomène concomitant, fluxion ou autre.
Cette petite tumeur augmente de volume en avançant peu à peu vers l'exté-
rieur, enfin la peau finit par lougir, s'amincit, se perfore; l'abcès est main-
tenant ouvert et donne lieu à une fistule permanente. Quelquefois aussi c'est
le chirurgien qui, méconnaissant l'origine de la maladie, hâte cette terminaison
on intervenant d'une façon intempestive pour amener la résolution de ce noyau
d'induration. Pendant tout ce temps, lu dent qui est le point de départ de tous
les accidents reste presque toujours complètement indolente. Les quelques dou-
leurs éprouvées de ce côté par le malade dans le cours des abcès à répétition
ont disparu avec les accidents gingivaux. La dent est saine ou cariée, obturée
ou non, mais en général la pulpe a lot;dement disparu; la pression, la percus-
sion, ne provoquent aucune douleur. On conçoit alors, la répugnance des ma-
lades à en faire le sacrifice, et le chirurgien doit êlre bien sûr de son diagnostic
avant d'essayer de les convaincre, alors surtout qu'il s'agit d'une dent dont
la couronne est intacte.
Nous ne pouvons faire ici l'histoire complète de ces fistules, nous avons dû
nous borner à indiquer en quelques mots les particularités les plus intéressantes
à étudier sur leur point de départ, leur trajet et leur orifice.
11 n'y a pas lieu d'insister sur les lésions des racines. Nous avons déjà
étudié ces altérations du périoste, du cément et de l'ivoire, à propos de
l'anatomie pathologique. Du côlé du maxillaire, les désordres sont souvent
des plus limités, l'alvéole seul est atteint, et encore partiellement. En gé-
néral, sa paroi est amincie et perforée, en un point, d'un orifice régulier,
percé comme à l'emporte-pièce. Plus souvent encore elle prend l'apparence
d'une lame criblée ; une infinité de petits trous livrent passage à la suppura-
tion; à ce niveau, l'os est dénudé de son périoste et rugueux. L'altération,
cependant, peut être beaucoup plus étendue et constituer de véritables séques-
tres quelquefois considérables, qui deviennent eux-mêmes la cause de compli-
cations et provoquent ou entretiennent de nouvelles fistules. Nous reviendrons
sur ce sujet en pariant des nécroses du maxillaire consécutives à la périostite
alvéolo-dentaire.
Le plus souvent le trajet fistuleux est unique, mais il peut être double.
DEiM (pathologie). '249
multiple; il n'est pas rare, non plus, d'en constater plusieurs se rendant
séparément à des dents atteintes chacune de périostite chronicjue. Quand
l'abcès s'est ouvert dans la bouche, directement au niveau de la racine
atteinte, son trajet est si peu étendu qu'il n'olïre rien de particulier; mais
U trajet peut avoir une certaine longueur. Souvent, en effet, l'orifice est assez
éloigné de la dent malade : dans ce cas encore, le trajet n'offre rien de bien
remarquable; c'est plutôt un décollement de la muqueuse, et, lorsqu'on a en-
levé la dent ou guéri la périostite, il ne reste ordinairement aucune trace
de son existence. 11 n'eu est malheureusement pas de même alors que la fistule
s'est ouverte à lu peau : daus ce cas, ainsi que nous le verrous tout à l'heure
en parlant du siège des orifices fistuleux, le trajet peut être très-élendu et
s'accompagne bientôt, sur tout son parcours, d'une induration des tissus envi-
ronnants, induration qui ne tarde pas à convertir le trajet fistuleux en une bride,
parfois fort épaisse, donnant au doigt la sensation d'un cordon dur qui, du
maxillaire, se rend à la peau. Cette bride, qu'il est souvent facile de sentir au
fond du vestibule, fournit ainsi d'utiles renseignements pour le diagnostic de la
dent atteinte, mais, par sa tendance à se rétracter et à se raccourcir sans ce^se,
elle attire fortement la peau vers l'os et imprime à l'orilice un aspect en infun-
dibulum tout particulier.
L'orifice des fistules odontopatliiques présente des caractères différents, suivant
son siège, dans la bouche ou à l'extérieur. A la muqueuse, l'ouverture se
présente quelquefois sous la forme d'une sorte de papille allongée, flexible
et flasque, au travers de laquelle le pus a l'air de sourdre; mais, en la dé-
primant avec un stylet, on constate à son centre la présence d'un perluis uni-
que, masqué par le développement fongueux de son pourtour. D'autres fois,
c'est une petite saillie, dure, granuleuse, analogue au tissu cicatriciel. A la
peau, l'orifice présente des aspects plus variables encore. Lorsque la fistule
existe depuis un certain temps, la rétraction des parois du trajet imprime
à l'orifice une dépression en cul-de-poule, fréquente surtout à la face, et de
laquelle s'échappe un liquide purulent et séreux. Lorsqu'il est peu abondant,
cet écoulement forme, en séchant, sur les bords, des petites croûtes jaunes,
plus ou moins épaisses, qui comblent momentanément l'orifice et peuvent
faire croire à sa cicatrisation au-dessous; mais bientôt cette croûte se dé-
tache en un point, se soulève, laisse couler le pus et finit par tomber; puis
la même série de phénomènes recommence et se répète ainsi indéfiniment.
D'autres fois, il y a comme une sorte de boursouflure de la peau, qui est vio-
lacée, rougeàtre et amincie sur une certaine étendue. Ici, l'orifice prend tout
à fait l'aspect des fistules urinaires; là, on croirait plutôt à des ulcérations scro-
fuleuses.
Parfois il n'y a qu'un orifice, souvent aussi il y en a plusieurs. Il est fréquent
d'en voir deux, mais on peut eu observer un très-grand nombre : ainsi,
dans une observation de Pielkiewicz (obs. XXVIll), on voyait douze orifices
fistuleux siégeant sur le côté droit, depuis h sommet de la tête jusqu'à la
clavicule.
La situation particulière de ces orifices varie avec les dents qui ont été le
point de départ de la fistule. Les molaires supérieures provoquent ordinaire-
ment cet accident à la joue, vers la fosse canine, lorbite ou la fosse temporale.
Une périostite des canines et incisives supérieures déterminera une fistule vers
le voisinage de l'aile du nez ou dans les fosses nasales et pourra faire croire
^50 DENT (p.vtiiologie).
^lors à un ozène, comme clans le cas rapporté par M. le professeur Dolbeau
{Gazette des hôpitaux [Des fistules dentaires'^, leçon recueillie par M. V. Piet-
kiewicz, 1874, n° 153). L'abcès s'ouvrira au menton ou à la région sous-
hyoïdienn.o, lorsque les incisives ou les canines inférieures sont en cause, vers
le bord inférieur du maxillaire inférieur ; vers son angle ou la région cervicale,
si ce sont les molaires inférieures, et, pour la dent de sagesse supérieure, vers
la fosse temporale. Le siège de ces orifices n'a rien de bien fixe cependant, et
peut exister loin de la dent malade. Nous avons cité l'exemple de douze fis-
tules occupant tout le côté de la tête, depuis le sommet jusqu'à la clavicule.
Peu de temps avant de faire sa leçon sur les fistules dentaires, M. Dolbeau
venait d'observer à Tours, en consultation avec M. le docteur Duclos, une fistule
produite par une dent de la mâchoire inférieure et dont l'orifice se trouvait au
«ou, vers l'insertion sternale du sterno-mastoïdien [Gazette des hôpitaux, 1874,
n" 133. Leçon recueillie par M. V. Pietkiewicz). Salter {System of Surgery,
p. 330) a vu l'abcès d'une prémolaire s'ouvrir au-dessous de la clavicule. Un
phlegmon, provoqué par une première molaire, commença par s'ouvrir une
issue au-dessous de la mâchoire; le pus, obéissant aux lois de la pesanteur,
descendit entre les muscles du cou et détermina une seconde ouverture; enfin,
plus tard, deux trajets fistuleux s'ouvraient au-dessous de la clavicule (Tomes.
Traduction Darin, p. 437).
Lorsque ces orifices arrivent à se fermer, leur guérison amène toujours la
formation de cicatrices adhérentes, indélébiles. La même fistule, en se fermant
et en s'ouvrant ensuite, peut ainsi produire un grand nombre de cicatrices
plus ou moins voisines les unes des autres, l'orifice s'étant un peu déplacé à
chaque crise.
Le plus souvent, les parties voisines de l'orifice ne présentent rien de remar-
quable, mais elles peuvent aussi éprouver différentes altérations. La rétraction
du trajet, dans certaines fistules, déprime les parties molles et produit une
véritable difformité. L'écoulement constant du liquide purulent et séreux sur
les téguments les enflamme, les excorie et produit des affections cutanées chez
des individus à peau fine et délicate. Enfin, dans certains cas, alors surtout
que les orifices sont multiples, les parties voisines peuvent devenir le siège de
lésions plus profondes et plus étendues qui pourront en imposer pour des affec-
tions organiques cancéreuses ou scrofuleuses.
Ostéite. Nécrose des os maxillaires. Nous n'avons pas à faire ici la
description de l'ostéite et de la nécrose des os de la mâchoire, nous n'avons
à nous en occuper que comme conséquences possibles et même assez fréquentes
de la périostite al véolo -dentaire. Nous nous contenterons donc d'indiquer les
caractères particuliers qu'elles doivent à leur cause spéciale.
De toutes les lésions qui peuvent affecter l'organe dentaire, c'est la périostite,
et la périostite seule, qui peut provoquer l'inflammation et consécutivement la
nécrose des maxillaires, elle est l'intermédiaire obligé et constant de la propa-
gation inflammatoire. La pulpite ne peut jamais donner lieu directement à
CQ& complications, il lui faut d'abord envahir le périoste alvéolo-dentaire.
Toutes les fois qu'il se forme un abcès périmaxillaire consécutivement à la
migration du pus à travers l'alvéole et qu'il s'établit une fistule cutanée ou
muqueuse, la suppuration ne peut se créer ainsi un trajet au travers de l'os
qu'en y déterminant une ostéite et une nécrose à ce niveau. Mais ces lésions
sont ordinairement si limitées qu'elles ne donnent lieu à aucun symptôme
DENT (pathologie). 251
bien tranché et passent parfois inaperçues au milieu des phénomènes
concomitants. Il peut se faire cependant que l'inflammation de l'os, au lieu
de se limiter ainsi, s'étende davantage ; les symptômes généraux acquièrent alors
d3 suite une inlensilé inaccoutumée; les douleurs prol'ondes, très-aiguës,
s'étendent à toute la mâchoire; la pression sur les dents voisines devient dou-
loureuse. Le plus souvent cependant cette inflammation est légère et, si elle
paraît menaçante, l'extraction de la dent suffit ordimiremcnt pour arrêter ses
progrès. Malheureusement aussi il arrive qu'elle ne peut être enrayée et le
pronostic devient des plus graves : l'évolution de la maladie est en effet
très-rapide ; elle prend tous les caractères d'une véritable ostéo-périostite du
maxillaire et amène rapidement la mort du sujet. Nous avons emprunté
à M. Daga une observation de ce genre (Pietkiewicz, obs. WXVII). Après avoir
présenté de l'agitation et du délire, un jeune homme de vingt-trois ans succomba
dans la prostration au bout de six jours. Une périostite de la deuxième grosse
molaire inférieure droite avait été le point de départ de tous les accidents.
La nécrose, au moins la nécrose très-limitée, insensible, est des plus fréquentes ;
nous avons déjà dit et l'on comprend qu'il n'y a pas de fistule sans nécrose préa-
lable. 11 est très-rare, dans ce cas, de pouvoir constater l'élimination d'un
séquestre, si petit soit-il. Ce n'est guère que dans les abcès à répétition que
l'on peut quelquefois trouver dans le pus de petites parcelles osseuses au
moment de l'ouverture spontanée ou artilicielle de l'abcès. Assez souvent ce-
pendant l'altération de l'os est un peu plus étendue, et l'alvéole de la dent
malade est atteint dans toute sa hauteur. Cette mortification peut s'étendre à
une notable portion du bord alvéolaire, la moitié de la mâchoire ; d'autres
fois enfin la nécrose occupe l'os dans toute son épaisseur et parfois toute son
étendue. Ces formes s'observent surtout dans la nécrose phosphorée, dont le
début est toujours une périostite alvéolo-denlaire.
Les nécroses partielles limitées à la paroi alvéolaire se rencontrent aussi fré-
quemment à l'une qu'à l'autre mâchoire, mais les nécroses étendues comprenant
toute une portion du maxillaire ou la mâchoire en entier s'observent surtout à
la mâchoire inférieure. Des nécroses partielles de l'apophyse palatine du maxil-
laire supérieur succèdent cependant presque toujours aux abcès de la voùle
palatine.
L'élimination de toute une paroi de la cavité alvéolaire n'entraîne pas toujours
la perte de la dent enfermée dans cet alvéole ; il arrive qu'elle reprend peu à
peu une fixité compatible avec ses fonctions, surtout à la mâchoire inférieure,
où les réparations osseuses sont la règle, tandis qu'elles sont rares à la su-
périeure, où il ne se fait guère qu'une réparation fibreuse. Pietkiewicz cite
cependant un cas dans lequel une nécrose de toute la partie du maxillaire
située au devant de l'incisive et de la canine gauche fut suivie d'une réparation
assez solide pour que les dents, très-mobiles d'abord, aient fini par recouvrer
leur solidité normale. S'il est donc urgent quelquefois d'enlever une dent com-
prise dans un séquestre et qui n'est plus qu'un corps étranger dans la mâchoire,
il faut bien se garder d'enlever les dents ébranlées par l'extension du mal,
alors même qu'elles sont devenues vacillantes au point de paraître devoir
tomber spontanément; il est fréquent de les voir reprendre ensuite leur solidité
et conserver leurs fonctions comme si elles n'avaient jamais été atteintes. Dans
un cas de nécrose de la branche horizontale du maxillaire étendue depuis l'angle
jusqu'aux incisives, nous avons vu les prémolaires et la canine reprendre leur
252 DE.NT (patuolûgie).
solidité, et chez celte malade cependant il avait fallu faire à travers un trajet
fistuleux la résection du sommet de la canine pour permettre la sortie d'un
séquestre situé en arrière de cette dent.
Souvent l'élimination se fait toute seule, mais la plupart du temps il est
utile d'intervenir et de faciliter cette mise en liberté par des opérations, des
incisions presque toujours. Dès que les séquestres sont mobiles, cette inter-
vention est urgente ; on s'expose sans cela à des accidents consécutifs : ainsi
Cattlin rapporte une observation dans laquelle une portion mortifiée de la
mâchoire inférieure, après être descendue dans des cavités abcédées, fut enfin
enlevée au-dessous de la clavicule.
Nous croyons cependant qu'il est d'une bonne pratique d'attendre que les
parties mortifiées soient mobiles avant de rien tenter. Cette expectation est surtout
indiquée chez les jeunes sujets dont la dentition permanente est en voie d'évo-
lution. D'après Tomes {Traité de chirurgie dentaire, p. 457), on doit à
M. Olivier Chalk plusieurs observations dans lesquelles des portions de la mâchoire
renfermant les dents temporaires et les follicules des permanentes furent
nécrosées. Cependant des dents permanentes apparurent et se développèrent
sur l'os nouveau et la mâchoire redevint aussi parfaite que si elle n'avait pas
été malade. Au premier abord, ces observations ne paraissent pas s'accorder
avec ce que nous savons sur la genèse et le mode de développement du système
dentaire. Les recherches enibryogéniques cependant ne nous autorisent pas à
contester des faits à 1 égard desquels il est permis sans doute de faire quelques
réserves, mais que l'on peut expliquer aus^i sans admettre l'apparition dune
seconde série de dents permanentes. A l'état normal, en eftet, les follicules des
dents définitives ne sont que faiblement adhérents aux cavités osseuses qui les
renferment ; il est probable que les phénomènes de résorption habituels à la
nécrose exagèrent encore cet état, et l'on conçoit que ces organes puissent alors
rester adhérents aux parties molles lorsque la partie mortifiée se détache de
l'os nouveau après la résorption d'une portion de son tissu. Dans le cours de
son développement, l'os nouveau viendra alors embrasser ces follicules et leur
constituer de nouveaux réceptacles.
Les nécroses étendues ne s'observent pas sans de graves lésions de voisinage,
suppurations plus ou moins vastes, fistules, etc. : aussi, lorsqu'elles guérissent,
sont-elles suivies de véritables difformités, mais l'on conçoit que ces complications
exposent aussi le malade à de nombreux accidents, à l'infection purulente, à
l'asphyxie, à des hémorrhagies parfois mortelles. i\ous connaissons des obser-
vations où la mort survint ainsi par hémorrhagie : une fois la nécrose déter-
mina l'ulcération de l'artère dentaire ; une autre fois, ce fut la carotide interne
qui se trouva ulcérée.
Abcès du si>us maxu.laire. Si nous employons le terme d'abcès du sinus
maxilLiire, c'est pour nous conformer aux habitudes acquises, mais avec
M. Guyon nous croyons cette dénomination d'abcès, qui a une signification bien
précise en chirurgie, impropre à désigner ici l'inflammation ou le catarrhe d'une
cavité ouverte, d'une cavité muqueuse, comme le sinus maxillaire. C'est aussi
sous l'empire de ces considérations que M. Bousquet [Étude sur les abcès déve-
loppés dans le sinus maxillaire. Thèse de Paris, 1876) a donné dernièrement
aux collections purulentes développées sous la muqueuse ou dans son épaisseur
le nom d'abcès développés dans le sinus, pour les distinguer de l'inflammation
de la muqueuse elle-même. Peut-être l'auteur voit-il entre ces deux termes
DENT (pathologie). 255
abcès du simoi et abcès développés dans le sinus une différence plus grande
qu'entre ces deux autres, par exemple : abcès du creux axillaire et abcès déve-
loppés dans le creux axillaire. Pour nous celte différence n'est point aussi
évidente; nous pensons que les xleux termes se valent, qu'ils peuvent l'un ou
l'autre et tout aussi bien s'appliquer aux abiès étudiés par M. Bousquet, mais
qu'il faut les réserver aux abcès stiulemont et qu'il suffirait de désigner l'in-
flammation, le catarrhe de la muqueuse, |)ar le nom d'empyème du sinus maxil-
laire, ainsi qu'on Ta proposé récemment, pour voir cesser toute confusion ((juyon,
Dictionn. encyclopédique des sciences médicales, 2« série, t. V, p. 338).
Depuis longtemps déjà, les auteurs ont accusé les dents cariées d'être une des
causes et même la plus fréquente des causes des abcès du sinus maxillaire. Nous
ferons remarquer que ce n'est point ici encore la carie qui est en jeu, mais bien
lapériostite alvéolo-dcnlaire qui la complique souvent, il est vrai, mais (pie l'on
observe si fréq\iemment aussi en dehoi s de toute altération de la couronne.
L'extrémité des racines des prémolaires et des deux premières grosses mo-
laires est, comme on sait, à peine S('parée delà cavité du sinus par une mince
lamelle osseuse. Chez beaucoup d'individus même, les racines de la première
grosse molaire pénètrent dans l'antre d'Hyghmore, et chez tous, quand même
cette pénétration n'existe pas, la cavité du sinus descend dans l'espace circonscrit
par le sommet des racines de celle dent, de sorte qu'il y a une dépression de la
paroi du sinus à ce niveau. Ces données anatomiques nous expliquent chiiremciit
le rôle de la pérostite dans la production des abcès du siiuis maxiUaiie. Un
voit, en effet, quelle est la facilité de transmission de l'inflammation du périoste
dentaire à la muqueuse de l'antre d'Hyghmore, et l'on voit aussi que celle
transmission pourra se fîiire de deux façons fort différentes suivant les dit-
positions anatomiques du sujet ou la dont atteinte. Les dents qui donneront lieu
à cette af!ection seront donc surtout les prémolaires et les deux premièics
grosses molaires; la canine et la dent de sagesse pourront bien aussi la pro-
duire, mais exceptionnellement et d'une façon beaucoup plus indirecte. Lors-
que la périostile atteint une dei\t dont les racines sont en rapport immédiat
avec la muqueuse du sinus, on conçoit combien celle-ci est exposée à s'en-
flammer consécutivement, dès le début même de la maladie ; il n'y a pas besoin
pour cela que la périostile alvéolo-denlaire parcoure toutes ses phases, le ca-
tarrhe du sinus pourra fort bien exister sans que le périoste dentaire ait sup-
puré. D'autres t'ois, l'abcès du sinus succède à l'ouverlure d'un abcès odonto-
pathique dans sa cavité : c'est ce qui arrive lorsque les racines sont recouvertes
d'une lamelle osseuse plus ou moins épaisse suivant la dent malade. Il se pro-
duit dans ce cas une fistule muqueuse, mais une fistule dont l'ouverture s'est
faite dans le sinus, et pour certaines dents celte terminaison sera plus fré-
quente que l'ouverture dans la bouche ou à l'extérieur : c'est qu'en effet, du
côté du sinus, l'alvéole oflrira le moins d'épaisseur et par conséquent le moins
de résistance.
Toutes les causes des fistules dentaires pourront ainsi devenir des causes
d'abcès du sinus : il est donc inutile de répéter ce que nous avons déjà dit, à
propos de ces affections. Souvent c'est une périostile chronique ancienne qui
donne lieu à cette complication ; depuis longtemps elle entretenait une listule
gingivale ou occasionnait des abcès à répétition. Un jour tous ces petits acci-
dents disparaissent, le pus a pris une autre voie et, au lieu de venir aux té'^u-
ments, il est allé chercher une issue dans le sinus maxillaire. L'erapyème
254 DEM (p-atiiulogie).
succède aussi à la périostite aiguë, et dans ce cas sa marche peut être très-rapide.
Nous venons de dire que la fermeture d'une fistule gingivale peut devenir la
cause déterminante d'un abcès du sinus maxillaire; la réciproque est vraie aussi,
et il est fréquent de voir une listule s'établir à la muqueuse buccale dans le
cours del'empyème de l'azilre dHyghmore. L'inflammation, le gonflement delà
muqueuse, peuvent en effet déterminer l'occlusion de l'orifice de communication
avec les fosses nasales, et, quand même cet orifice resterait libre, sa situation
éminemment défavorable à l'évacuation du pus explique la tendance de la suppu-
ration à chercher une autre issue.
Toutes les causes de [lériostite sont donc indirectement des causes d'abcès
du sinus quand elles portent sur les dents indiquées, et nous pouvons tout
aussi bien observer l'abcès du sinus à la suite d'une périostite spontanée qu'à
la suite d'une périostite traumatique ou consécutive.
Quand l'abcès du sinus est consécutif à une périostite alvéolo-denfaire,
l'extraction de la dent primitivement atteinte suffit en général à amener la
guérison. Les racines enlevées présentent les lésions habituelles de la périostite,
nous n'avons donc rien à en dire ici. Cette opération détermine par cela même
presque toujours l'ouverture du sinus au niveau de la racine extraite, et il est
facile de faire pénétrer par l'ouverture un stylet dans la cavité du sinus. Cette
ouverture peut cependant n'avoir pas lieu , peut-être aussi échappe-t-elle à
l'examen, et l'extraction de la racine altérée est néanmoins suivie de la guérison
du catarrhe.
COi\TRACTCRE DES MACHOIRES. La contracfure des mâchoires fait également
partie des complications de la périostite, mais elle est bien moins fréquente que
la fluxion. On ne l'observe pas dans la périostite aiguë, quelle que soit son
intensité, alors que celle-ci se termine par résolution ; elle est fréquente, au
contraire, lorsque l'inflammation du périoste dentaire détermine un phlegmon
périmaxillaire. Le siège de la périostite a donc une influence très-évidente sur
la production de cet accident ; les abcès périmaxillaires consécutifs à une
périostite d'une dent antérieure la déterminent rarement ; à la mâchoire supé-
rieure, on voit même quelquefois des abcès développés autour des dernières
molaires, sans qu'il y ait de contracture, tandis que les mêmes accidents produits
par les molaires inférieures et la dent de sagesse surtout amènent toujours le
resserrement des mâchoires.
Diverses théories ont été émises pour expliquer ce phénomène; nous croyons
que la plus simple est encore la pins satisfaisante: celle qui attribue ce resser-
rement à la propagation de l'inflammation au tissu lamineux interposé aux
faisceaux secondaires du masséter, en un mot, au périmysium de ce muscle.
Nous comprenons aussi que les modifications inflammatoires de ce périmysium
peuvent, même après la disparition des accidents primitifs, s'opposer à l'écar-
tement normal des mâchoires, de même que nous voyons cette inflammation
maintenir la rétraction de certains autres muscles, du psoas, par exemple.
B. Accidents jserveux. Les développements auxquels nous nous sommes
laissé entraîner malgré nous, à propos des complications inflammatoires, nous
forcent à abréger beaucoup ce qui reste à dire sur les accidents nerveux.
Nous nous bornerons donc ici à citer des observations, sans discuter la
question de savoir si on doit rattacher ces accidents à des phénomènes réflexes,
à manifestations diverses, ou bien les expliquer par une propagation de l'inflam-
mation ou la compression de nerfs spéciaux par des tumeurs, des abcès odon-
DEM (pathologie). ^^^
topathiques. La plupart de ces observations nous sont étrangères ; depuis
lonf^temps déjà, en effet, on a signalé ces rapports entre les altérations du
système dentaire et d'autres maladies, celles des organes des sens en particulier,
mais ou bien les auteurs ont complètement négligé le diagnostic de l'affection
dentaire incriminée, se contentant de celte mention absolument insuflisanle,
une dent gâtée (Hancock, Arch. (jen. de med., 1859, août, !2'' vol., p. 224;
Tripier, Arch. gén. de méd., 1869, p. 47), ou bien ils ont exagéré de beau-
coup le rôle delà dénudationct de l'inflammation de la puljie (Xavier Galezowski.
Étude sur les affections oculo-dentaircs [Recueil d'ophtluilmolor/ie, avril 1874^
p. 245, et juillet 1874, p.o()3]K En deliors de toute complication du côté de la
pulpe cependant, après même sa disparition complète, des lésions éloignées,
des accidents du coté des organes des sens peuvent être déterminés parTinllam-
mation aiguë ou cbronique du périoste alvéolo-denlaire. Personne, néanmoins,
n'a reconnu l'intluence de la périostite sur ces complications; cette influence a
échappé aux auteurs mêmes auxquels nous empruntons leurs observations, et
si nous donnons ces faits comme des preuves à l'appui de notre manière de
voir, c'est que les symptômes de l'affection dentaire, les lésions observées, ne
nous permettent aucun doute à cet égard. Nous avons trouvé ainsi un grand
nombre d'observations dans lcs(pielles le rôle de la péricstite était des plus
évidents pour nous, mais dans le choix qu'il nous a fallu faire nous avons
éliminé toutes celles qui n'auraient pas semblé absolument démonstratives
pour tout autre.
Ce que nous avons dit des névralgies dentaires nous dispense d'y revenir ici;
disons seulement que, si toutes les lésions de la périostite peuvent donner
naissance à ces phénomènes douloureux, les névralgies persistantes s'observent
en particulier dans les cas d'exostoses du cément et elles sont dues sans
doute alors à la compression des filets nerveux par le développement de la
tumeur osseuse. Dans deux cas de névralgies dentaires présentés à la Société
odontologique de Londres, M. Caltlin avait observé une fois la résorption par-
tielle de l'extrémité de la racine, une autre fois une exostose siihéroïdale du
sommet de la dent {Transact. of the Odontol. Society, vol. 111). Pour notre
compte personnel nous avons observé à deux reprises différentes l'existence
d'exostoses du cément dans des cas de névralgies rebelles à tout traitement et
dont l'extraction des racines altérées amena la guérison.
La périostite aiguë n'est pas sans influence sur les troubles des organes de&
sens, mais c'est presque toujours la périostite chronique, ainsi que nous l'avons
observé nous-même et que nous avons pu le constater par la lecture des obser-
vations étrangères, c'est presque toujours, disons-nous, la périostite chronique
qui est la cause de ces accidents, soit que le périoste ait suppuré ou que ses élé-
ments se soient hypertrophiés. Dans l'observation XLI de Pietkiewicz, c'est un
abcès au sommet de la racine d'une incisive. L'observation XLII rapporte la gué-
rison d'une amaurose datant de douze ans, à la suite de l'enlèvement d'une
obturation au-dessous de laquelle se trouvait du pus. Dans deux exemples
d'amblyopie, le périoste dentaire avait éprouvé l'hypertrophie et l'hypergenèse
de ses éléments; dans la première, le sommet de la racine était surmonté d'une
production molle, volumineuse; dans la deuxième, le chicot extrait était
devenu tout vacillant. C'est encore une périostite chronique de la première
grosse molaire supérieure droite avec fistule à la voûte palatine et à la gencive
qui peut déterminer du blépharospasme et de la photophobie, mais dans ce cas
256 DENT (i'atholocie).
l'extraction permet de constater à la fois la résorption d'une racine et la pro-
duction de fongosités du périoste.
La périostite peut aussi produire des troubles de l'auditien variant depuis de
simples phénomènes douloureux jusqu'à la surdité complèîe. L'otalgic est cer-
tainement moins fréquente alors que dans l'inflammation de la pulpe, mais ou
l'observe assez souvent encore. Dans ce cas, comme pour la pulpite, ce sont ordi-
nairement les dents de la mâchoire inférieure, les molaires surtout, qui sont
atteintes ; pourtant dans un cas Totalgie de l'oreille droite était consécutive à
une périostite de la première grosse molaire, supérieure droite. On a observé aussi
le développement d'une tumeur fibreuse sur les racines d'une deuxième molaire
inférieure gauche s'accompagner de bourdonnement d'oreille d'abord et de
surdité plus tard. Un cas de surdité de l'oreille droite observée par Rubio recon-
naissait pour cause la périostite d'une molaire inférieure et disparut peu de
temps après l'extraction de celte dent.
Des troubles de l'olfaction sont fréquemment aussi la conséquence d'une
périostite occupant presque toujours alors une dent canine ou petite molaire de
la mâchoire supérieure. Nous avons souvent observé, dans ce cas, un coryza de
la narine correspondante, mais la périostite d'une dent plus éloignée de l'appareil
olfactif peut cependant produire cette complication.
Enfin, dans un chapitre consacré par Tomes aux affections secondaires dues
à Virritation résultant des maladies des dents {Traité de chirurgie dentaire,
p. 551), nous avons relevé trois observations d'accidents généraux que les lésions
anatomiques ou les symptômes observés nous permettent de regarder comme des
complications de la périostite. Dans les deux observations L et Ll de Pietkiewicz,
l'épilepsie était consécutive à des périostites chroniques avecexostose des racines.
Le tétanos, au contraire (obs. LU), avait été la conséquence d'une périostite
aiguë déterminée par la pose d'une dent à pivot,
E. Diagnostic. Nous n'avons pas à faire ici le diagnostic des complications
de la périostite, notre étude doit se borner au diagnostic de cette affection.
L'allongement, l'ébranlement de la dent et ce caractère particulier de la
douleur à la pression et à la percussion la feront facilement reconnaître. Mais
ce qu'il faut établir en plus, c'es.t la période de la maladie, son siège, sa cause,
sa terminaison, toutes choses fort importantes au point de vue du traitement.
L'état d'inflammation subaiguë, c'est-à-dire la période d'hyperémie, se carac-
térise par un sentiment de gène et de tension au niveau de la dent malade
plutôt que par de la douleur. La pression exercée sur la dent avec celle de la
mâchoire opposée n'est pas douleureuse, elle amène plutôt un sentiment de
bien-être passager, la percussion avec un corps dur éveille un peu de douleur,
l'allongement de la dent, à peine visible pour l'observateur, est déjà sensible
[lour le malade ; on n'observe qu'un léger ébranlement. Sur la gencive on re-
n arque un petit liséré rouge qui entoure le collet. Le séjour des liquides
tièdes dans la bouche et leur maintien au contact de la dent produisent un peu
de soulagement, l'impression des liquides froids est douloureuse.
L'état aigu ou d'inflammation confirmée se distingue par des douleurs spon-
tanées plus ou moins violentes; la pression avec les dents opposées provoque de
vives douleurs que le contact même de la langue suffit à éveiller, l'allongement
de la dent est manifeste, l'ébranlement quelquefois considérable, non-seulement
la gencive est rouge ou livide dans toute sa hauteur au niveau de la dent
malade, mais elle est le siège d'un gonflement douloureux à la pression et sa
DENT (i-ATiKaoï.iE). 257
routeur s'étend aux parties voisines. Loin de calmei' la douleur, les liquides
tièdes l'exagèient, tandis que les liquides froids amènent un peu de calme,
comme dans toutes les inflammations, du leste.
Ces deux états, avons- nous dit, peuvent se terminer par résolution, ce qui
est indiqué par la diminution graduelle et la disparition des symptômes, dispa-
rition qui peut s'effectuer en quelques iieures ou moins pour la périostite
subaiguë, mais ils peuvent aussi passer à l'état chronique ouaboulir à la sup-
puration, qui peut elle-même prendre des caractères de chronicité.
Le passage à l'état chronique de celle période de la maladie, caractérisée par
le développement et l'hypergenèse des éléments du périoste, est marqué par la
diminution de certainssymptômes et par la persistance de certains autres : ainsi
l'allongement et l'ébranlement de la dent, bien qu'éprouvant une légère dimi-
nution, se maintiennent et peuvent même augmenter avec le temps ; les dou-
leurs spontanées et les douleurs provoquées perdent ensuite de leur intensité,
et arrivent, dans certains cas à disparaître complètement.
L'inilammalion, au contraire, est-elle très-vive, l'exagération de tous les
symptômes, le caractère lancinant des douleurs, suivis bientôt d'un calme relatif,
annoncent le moment de la formation du pus. Lorsque celui-ci a trouvé son
issue au dehors par une des voies que nous avons indiquées, sa production et
sou écoulement peuvent persister indéfiniment, mais l'état du malade s'amé-
liore de plus en plus, les douleurs disparaissent, la dent reprend sa fixité et
ses fonctions, et, lorsqu'au bout d'un certain temps le malade vient consulter
pour quelqu'une des complications qu'on peut alors rencontrer, il se peut
très-bien que le médecin méconnaisse la cause de la maladie. Cet em-
barras a lieu surtout alors que la lésion, ce qui s'observe quelqm fois, chez
les individus affaiblis en particulier, a suivi dès son début une marche très-
lente, passive, pour ainsi dire, arrivant à la suppuration sans éveiller l'at-
tention du malade. On conçoit toute la gravité d'une erreur de diagnostic
dans ce cas, l'extraction pratiquée le plus souvent n'amenant d'autre résultat
que la privation pour le malade d'un organe sain sans améliorer en rien sa
position. Certains signes cependant doivent déterminer le choix du chirurgien.
Ainsi, assez souvent la dent atteinte présente une diflérence de coloration, les
produits de la décomposition de la pulpe, après sa gangrène, ont pénétré la
denline et lui ont donné une teinte grisâtre qui tranche un peu sur les voisines.
La percussion olfre aussi une petite différence de sonorité sur cette dent, le
timbre est un peu plus mat que sur les autres. Lorsqu'il y a un abcès déve-
loppé ou en voie de formation, un petit kysle purulent situé à quelque distance
dans l'épaisseur de la joue, par exemple, on peut sentir avec le doigt pro-
mené dans la gouttière du vestibule un cordon fibreux qui relie la dent avec
la nouvelle formation pathologique. Lorsqu'une fistule s'est établie, soit à la
gencive, soit à la peau, il est très-nnporlanl d'explorer le trajet avec le stylet,
sa direction mettra presque toujours sur la voie et conduira sur la racine
altérée. 11 est cependant permis d'hésiter même après l'exploration par le
stylit : ainsi, lorsqu'on introduit le stjlet dans une fistule cutanée de la
région mentonnière déterminée par la périostite chronique d'une incisive infé-
rieure, il est parfois difficile, après avoir traversé les parties molles et le maxil-
laire, de reconnaître sur quelle dent porte l'inslrument; on peut hésiter entre
deux dents contiguës. La percussion pratiquée alors d'une façon toule spéciale
apporte un précieux élément de diagnostic. Si l'on percute avec un corps dur
mcT. ERc. XXVII. 17
258 DENT (pathologie).
l'extrémilé du stylet maintenu d'une main en même temps que l'on applique
un doigt de l'autre main alternativement sur l'une ou l'autre des dents soup-
çonnées, la transmission du choc est perçue d'une façon beaucoup plus évi-
dente quand on applique le doigt sur la dent dont la racine est en contact
avec le stylet. En même temps, le malade interrogé accuse ordinairement une
sensation particulière à peine douloureuse dont il fixe invariablement le siège
dans la même dent. La percussion pratiquée sur la couronne sans changer le
stylet de place est transmise aus^i d'une façon plus distincte par l'instrument
alors que l'on frappe sur la dent malade.
Si l'inflammation du périoste alvéolo-dentaire a envahi cette membrane dans
toute son étendue, tous les symptômes, l'allongement et l'ébranlement en par-
ticulier, se présentent alors à leur plus haut degré de développement. Lorsqu'elle
est partielle, il importe pour le traitement de savoir si elle occupe l'une des
faces ou le sommet. Dans la périostite du sommet, la plus fréquente, la per-
cussion pratiquée perpendiculairement à l'axe transversal de la dent est mani-
festement plus douloureuse que lorsqu'on vient à frapper sur l'une des faces.
Dans la périostite du pourtour de la racine, c'est le contraire : la douleur provo-
quée par la percussion latérale est plus vive que par la percussion verticale.
Diagnostic différentiel. La périostite alvéolo-dentaire, au moins à l'état
aigu, se présente avec des caractères tellement tranchés, qu'il est à peu près
impossible de la méconnaître ou de la confondre avec une autre maladie. i\ous
dirons cependant un mot de quelques affections qui pourraient peut-être donner
lieu à une erreur de diagnostic : l'ostéo-périostile alvéolo-dentaire, l'évolu-
tion pathologique de la dent de sagesse, la carie, la pulpite, les stoma-
tites, la gingivite, les névralgies dentaires, les tumeurs du périoste et du
cément.
Ostéo-periostite alvéolaire. Bien que nous donnions plus loin, à propos de la
description de cette maladie, un diagnostic détaillé, nous dirons ici quelques
mots touchant cette distinction, car plusieurs auteurs, et M. Pietkiewicz entre
autres (thèse citée, p. 82), persistent à considérer cette dernière comme une
forme de périostite proprement dite. On verra cependant combien l'ostéo-périos-
titc alvéolaire, telle que nous en avons tracé l'histoire, diffère de la périostite vraie.
Son étiologie est toute spéciale et repose sur des influences diathésiques ou
générales, sur l'hérédité, toutes conditions qui seraient seules impuissantes à
produire la périostite. Elle occupe non une dent isolée, mais une région plus ou
moins étendue, et elle se propage par envahissement. Sa marche est chronique,
continue ou intermittente. Son point de départ est au collet, et cela invariable-
ment, pour s'étendre ensuite à toute la surface de la membrane. L'altération ou
la chute de la dent affectée n'arrête pas la maladie et semble au contraire en
provoquer la marche plus rapide.
De tels caractères suffisent déjà à différencier la périostite de l'ostéo-périos-
tite. Nous n'insisterons donc pas, devant d'ailleurs y revenir à propos de la
seconde.
Évolution pathologique de la dent de sagesse. Les difficultés que rencontre
dans sa sortie la dent de sagesse et sa rétention dans la mâchoire donnent fré-
quemment lieu aux mêmes accidents consécutifs que la périostite développée
sur cette dent ; les auteurs confondent le tout ensemble sous le nom d'accidents
de la dent de sagesse. Cette confusion est regrettable cependant, en dehors
même de toute question de paihogénie, car elle influe sur le traitement et il
DENT (pathologie). 259
■suffit d'être prévenu pour l'éviter. Disons tout de suite que les accidents en
■question ne s'observent guère qu'à la mâchoire infe'ricure, la troisième molaire
trouvant toujours une place suffisante à la mâchoire supérieure. A I inférieure,
au contraire, une fois l'arcade dentaire complète, il arrive souvent que la troi-
sième molaire ne trouve plus entre l'apophyse montante et la face postérieure
de la deuxième molaire la place nécessaire à son éruption. De là des phéno-
mènes variables et plus ou moins graves, soulèvement, ulcération de la
muqueuse, phlegmon de la joue, ostéite lente ou rapide du maxillaire, phlegmon
du cou, etc. La dent de sagesse atteinte de périoslite peut devenir aussi l'ori-
gine de la plupart de ces accidents en raison de son siège au fond de la mâchoire.
Ces accidents sont d'autant plus fréquents que la périostite de la dent de sagesse
s'observe très-souvent, consécutivement à la carie qui l'atteint très-fréquemment,
la lenteur de son évolution dans l;i mâchoire pendant plusieurs années exposant,
en effet, ses tissus au retentissement de toutes les affections qui ont pu atteindre
le sujet pendant cette longue période de formation. L'examen de la bouche
permet de remonter tout de suite à la cause première des accidents. Dans le cas
de périoslite, la troisième molaire est visible au fond delà bouche, faisant saillie
à sa place normale au travers de la muqueuse plus ou moins enflammée. Elle
est souvent attaquée de carie, ce qui est déjà une présomption, puis, en même
temps qu'elle est sensible à la pression, elle est ébranlée et mobile sous les
instruments. A-t-on affaire à des accidents de l'éruption, d'abord la dent peut
faire défaut, être restée incluse, ou bien l'on n'en aperçoit qu'un petit coin sous
une ulcération de la muqueuse; si elle est un peu plus découverte, la pression
exercée sur la couronne est très-douloureuse, mais la dent comprimée de
toute part est absolument immobile.
Carie. Nous dirons peu de chose du diagnostic différentiel de la périostite
et de la carie dont les caractères sont si particuliers. Les deux affections coexis-
tent fréquemment sur la même dent, l'une n'étant qu'une complication de l'autre,
mais très-souvent il y a des caries sans périostite consécutive et des périostites
sans carie préalable. Les douleurs qui pourraient alors induire en erreur
quelqu'un de peu exercé sont dues le plus souvent à une inflammation de la
pulpe : nous n'en dirons donc rien pour le moment, ayant traité celte question
à propos de la pulpite.
Los dents affectées de caries très-légères, ou chez lesquelles la pulpe a com-
plètement disparu, sont insensibles en dehors de toute complication périostale :
nous les laissons donc de côté. Mais les dents cariées et dont la pulpe n'est pas
détruite peuvent, sans qu'il y ait inflammation de cet organe, présenter des
phénomènes douloureux dans des circonstances diverses. Le caractère de ces
douleurs permet facilement de les distinguer de celle de la périostite. L'ira-
presion des liquides froids est douloureuse dans les caries du deuxième de<^ré
un peu profondes et bien davantage encore dans les caries du troisième où" la
pulpe est à découvert. Mais c'est une douleur vive, instantanée, avec irridiations
névralgiques multiples, disparaissant rapidement dès que la cause qui l'a pro-
duite cesse d'agir, tandis que la douleur de la périostite est sourde, continue-
à la première période, les liquides froids l'exagèrent, il est vrai, mais ce n'est
point d'une façon aussi vive et surtout aussi instantanée; elle n'éclate pas tout
d'un coup avec une violence extrême. Et lorsque dans le cours d'une périostite
bien caractérisée, arrivée à cette période aiguë, on voit les liquides froids exac^é-
rer instantanément les phénomènes douloureux, on peut affirmer qu'il reste^au
260 DENT (pathologie).
moins dans une racine des débris de pulpe. La succion pratiquée avec la langue
dans ces caries du troisième degré provoque la même douleur avec les mêmes
caractères d'instantanéité, tandis que dans les cas de périostite la succion no
produit absolument rien. Enfin on n'observe dans la carie ni l'ébranlement de
la dent ni la douleur à la percussion.
L'exploration du fond de la cavité avec les instruments est douloureuse dans
les caries avancées du deuxième degré et provoque de vives douleurs dans celles
du troisième lorsque l'instrument arrive sur la pulpe; dans la périostite, pour
provoquer de la douleur, il faut que l'exploration soit faite avec assez peu de
ménagements pour amener l'ébranlement de la dent.
Pulpite. Nous avons vu, à propos de l'étiologie, que la pulpite était souvent
l'origine de la périostite, les symptômes de cette dernière affection viennent
alors s'ajouter à ceux de la première. Endeborsde cette simultanéité, il importe
de bien établir les caractères différentiels de ces deux affections, le traitement
indiqué pour l'une pouvant fort bien, en cas d'erreur, exagérer les symptômes
et aggraver les douleurs du malade, au lieu de lui apporter quelque soula-
gement.
L'analogie de symptômes est surtout accusée à la première période, au moins
quant à la sensation de tension, de corps étranger au niveau de la dent atteinte.
Dès le début cependant le sentiment d'étranglement est déjà plus marqué et il
y a de petites crises douloureuses dans l'inflammation de la pulpe ; le malade
n'éprouve pas ce besoin constant de pression exercée avec les dents oppo.-ées ; les
liquides chauds et les liquides froids exagèrent la douleur, les tièdes plus que les
froids ; on n'observe pas de liséré sur la gencive au niveau de la dent atfectée.
Dans la péi'iostite, au contraire, outre les caractères de la douleur, plus sourde
et continue avec besoin de pression sur l'organe malade, rimpre>sion produile
par les liquides tièdes est bienfaisante, tendis que le froid est douloureux et le
collet de la dent est entouré d'un petit cercle livide.
A uue période plus avancée, alors que l'inflammation est confirmée, les
caractères différentiels sont encore bien plus marqués. Des crises douloureuses
d'une violence extrême caractérisent la pulpite, la pression et la | ercussion ne
sont I as douloureuses, au moins la percussion verticale, car, en frappant un
peu vigoureusement sur une des faces de la dent, on peut de cette façon pro-
voquer un ébranlement douloureux de la pulpe; la dent n'est pas allongée, ni
ébranlée. Pour la périostite : la rougeur limitée du début a envabi dans toute
sa bauteur la gencive, qui est en même temps gonflée et douloureuse à la pres-
sion; la dent est allongée, mobile, douloureuse à la percussion.
Dans les deux cas les liquitles chauds exagèrent la douleur, tandis que les
liquides froids la calment, mais ce qui différencie la pulpite d'une façon bien
nette, c'est l'instantanéité de l'impression.
L'inflammation de la pulpe peut aboutir à la suppuration tout aussi bien
que la périostite, et dans une carie pénétrante cet écoulement de pus par le
canal denlaire peut en imposer momentanément pour une périostite suppurée. La
distinction est facile cependant, la cessation absolue de tous les symptômes
accompagne cette terminaison dans la pulpite ; un calme complet succède aux
crises douloureuses qui l'ont précédé; le pus est épais, verdàtre, il ne s'en écoule
qu'une petite quantité et il se tarit rapidement par la disparition de la pulpe.
Dans la pério>tite, cette terminaison, même quand la sup|iuration va passera
l'état clii'onique, n'est pas suivie par la disparition de tous les symptômes. Tout
DENT (pathologie). 261
en s'amendant, les douleurs spontanées persistent encore quelque temps, il en
est de même des douleui's provoquées par la pression et la percussion. La dent
reste aussi allongée et ébranlée un certain temps, enfin les caractères du pus
sont très-diflVrenls, c'est un pus clair, un peu séreux, dont l'écoulement est
très-peu abondant, il est vrai, surtout au bout de quelques Jours, mais constant.
Il serait facile aussi de reconnaître une périostile chronique suppurant depuis
longtemps el chez laquelle l'introduction d'un corps étranger dans sa cavité ou
une obturation seraient venues mettre obstacle à l'écoulement du liquide. Dans ce
cas, le passage à l'état aigu s'annonce par tous les symptômes de la périostile
aiguë dont nous avons établi les caractères diflérentiels.
Stomatiles, gingivites. Les stomatites simples ou spécifiques, diplithéri-
liques ou autres, ne peuvent induire en erreur. Elles occupent toute la muqueuse
buccale débutant par un point quelconque, les joues, la langue, les amygJales,
et présentant des caractères spéciaux.
La gingivite ne commence pas par un point isolé, elle occupe toute l'étendue
ou au moins une notable étendue de la gencive et, quand elle amène rébranlcmenl
des dents, c'est là le plus souvent un phénomène consécutif el ijui porte à la
fois sur plusieurs dents.
Névralgie dentaire. La névralgie dentaire essentielle, assez rare du reste,
se distingue facilement des douleurs de la périostile. Elle occupe tout un cùlé
des mâchoires en haut ou en bas, quelquefois en haut et en bas à la fois, elle
subit des paroxysmes revenant surtout à intervalles réguliers. Toutes les dents
innervées par une même branche sont douloureuses, mais ne présentent pas
d'ébranlement. Les douleurs irradiées le long des trajets nerveux sont particu-
lièrement aiguës au niveau des points d'émergence des filets superficiels men-
tonniers, sus et sous-orbitaires. Le traitement habituel de la névralgie fait
disparaître tous ces accidents et reste sans effet sur la périostile. l'ielkiewicz,
il est vrai, a cité le fait d'une périostile intermittente qu'il a cru pouvoir
attribuer à des influences paludéennes, et nous savons que la périostile peut
déterminer des névralgies faciales. Il est donc probable que dans le cas
d'une telle coïncidence le traitement amènerait à la fois la disparition de la
névralgie et de la périostile, mais encore la névralgie n'aurall-elle été que
consécutive.
Tumeurs du périoste, exosloses du cément. Nous ne croyons pas devoir
insister sur la question de diagnostic différentiel à propos des tumeurs du
périoste aussi bien que pour les exosloses du cément. Nous verrons eu effet
que le plus souvent ces tumeurs avec leurs variétés ne montrent que l'exagéra-
tion des phénomènes ordinaires de la périostile.
Abcès alvéolaire, résorption spontanée des racines. Nous ne ferons pas non
plus le diagnostic des abcès alvéolaires et des abcès sous-périostau.v, qui ne sont
que la terminaison de la périostile par suppuration avec une marche rapide,
aiguë, et tous les phénomènes consécutifs pour les premiers, tandis que les
seconds, avec leur marche lente et progressive, président ordinairement à la
formation des kystes de la mâchoire.
Ce que l'on a encore décrit sous le nom de résorption spontanée des racines
des dents permanentes n'est qu'une conséquence des phénomènes de résorption
dans le cas de périostile chronique ou de poussées successives de périostile.
F. Pronostic. La périostile alvéolo-dentaire peut, il est vrai, causer de Lien
vives douleurs et donner lieu, dans certains cas, à quelques phénomènes gêné-
962 DENT (pathologie).
raux, mais, par elle-même, elle n'offre jamais de gravité, elle ne devient véri-
tablement sérieuse que par les complications qu'elle peut amener. C'est donc sur
rimmiueuce plus ou moins grande de ses complications que repose le pronostic
de la périostite. Or, ces complications variant dans leur nature et dans leur
fréquence suivant le siège de la dent affectée, c'est donc le siège même de la
périostite, à l'une ou à l'autre mâchoire, et le rang occupé par la dent malade,
dans l'une des deux arcades dentaires, qui deviendront les principaux éléments
du pronostic.
Ainsi, toutes choses égales d'ailleurs, une périostite de la mâchoire inférieure
sera toujours plus grave que celle de l'arcade dentaire opposée. Le phlegmon,
les abcès périmaxillaires, sont plus fréquents dans ce cas ; les altérations consé-
cutives des mâchoires plus graves ; l'extension des accidents inflammatoires du
côté du cou, de la poitrine, sont plus à craindre. Alors même que les compli-
cations ne prennent pas une gravité extrême, la terminaison des abcès péri-
maxillaires par une fistule interne est la règle à la mâchoire supérieure, tandis
qu'en bas les accidents du côté de la peau sont plus fréquents.
A la mâchoire inférieure même, le pronostic variera suivant la dent atteinte.
Les dents antérieures canines et incisives, dont le sommet ne dépasse pas le cul-
de-sac alvéolo-labial, exposent à moins de désordres consécutifs que les molaires
et surtout que la troisième, en raison de leurs rapports anatomiques. A la
. mâchoire supérieure, si une périostite des canines ou des incisives peut faire
craindre quelques complications du côté des fosses nasales, on pourra redouter
l'extension de l'inflammation du périoste des prémolaires et de la première
molaire surtout à la muqueuse du sinus maxillaire.
Selon que l'inflammation occupe une plus ou moins grande portion du périoste
dentaire, l'affection sera aussi plus ou moins bénigne, une périostite partielle
étant toujours moins grave qu'une périostite totale.
La cause de la périostite n'est point sans importance, non plus que la violence
qui l'a déterminée. Si celle-ci n'a pas été extrême et n'a pas amené de lésions de
voisinage, la périostite traumatique a le plus souvent une terminaison heureuse
et rapide. La périostite spontanée ou de cause générale offre ceci de particulier
qu'elle expose le malade à des rechutes fréquentes ; de plus, elle nous a paru,
plus que toute autre, avoir une tendance au passage à l'état chronique. C'est la
marche même de la périostite qui lui donne, en effet, plus ou moins de gravité.
La périostite subaiguë est le plus souvent une affection si légère qu'elle mérite
à peine l'attention ; à l'état aigu, outre les douleurs qu'elle occasionne, elle
expose à toutes les complications inflammatoires du voisinage dont nous avons
fait l'étude et elle peut, en outre, se terminer par le passage à l'état chronique,
c'est-à-dire en donnant lieu à une affection d'une durée indéfinie, à moins d'une
intervention chirurgicale : c'est ainsi qu'une périostite chronique du sommet,
curable par la résection de celte partie de la racine, offrira plus de chance
de guérison qu'une périostite limitée à une des faces.
Le tempérament, l'état de santé général du malade, influent beaucoup sur la
marche et la terminaison de l'affection. Les lymphatiques, les scrofuleux, les
individus débilités, seront plus que personne exposés aux engorgements ganglion-
naires, aux suppurations, etc.
Une périostite qui, chez toute autre, pourrait paraître une affection sans
conséquence, revêt, au contraire, un caractère d'une gravité extrême, quand elle
aiteiiTt des individus exerçant certaines professions, les ouvriers, par exemple.
DENT (patiioi,0(;ie). 263
qui travaillent dans les ateliers de trempage et de mise en boîtes des allumetleà
chimiques. C'est en effet une menace, le premier indice delà nécrose phosphorée
ou plutôt de la périostite et de l'ostéite phosphorées.
G. Traitement. Le traitement de la périostite compreni deux problèmes
qui sont :
4» La thérapeutique de la périostite et de ses accidents immédiats;
2° Les pratiques opératoires destinées à conserver l'organe et lui permettre
de recouvrer ses usages.
Nous ne dirons rien de la prophylaxie de la périostite alvéolo-dentaire, car,
s'il est difficile de se mettre à l'abri des causes générales ou traumaliques sous
l'influence desquelles elle peut se développer, nous ne pourrions que faire des
recommandations banales sur l'hygiène de la bouche, sur la nécessité de ne pas
laisser le tartre s'accumuler au collet des dents, sur le danger des obturations
mal faites ou intempestives. Inutile, croyons-nous.de faire ressortir rimporlancc
du traitement rationnel de la carie dentaire, comme moyen préventif de la
périostite. En effet, si la carie peut déjà par elle-même produire des phénomènes
douloureux, intenses, et amener une grande gène des fonctions de la digestion
après la disparition d'un certain nombre de dents, c'est surtout par la périostite
consécutivement développée qu'elle devient grave ; c'est par son intermédiaire
qu'elle peut produire les complications les plus étendues et les plus désas-
treuses.
Avant d'aborder le traitement curatif de la périostite alvéolo-dentaire, disons
tout de suite aussi qu'un des éléments importants du traitement est la recherche
de la cause qui a donné lieu à la maladie et que souvent il suffit de supprimer
cette cause pour amener la guérison de la périostite. Ainsi rinflammation du
périoste dentaire occasionnée par un appareil de prothèse défectueux disparaîtra
par la suppression de cet appareil et son remplacement p>r un aulrc mieux
approprié. 11 suflîra de donner un coup de lime sur une obturation qui débordait
la cavité d'une carie pour voir céder une périostite consécutive à l'irritation du
périoste produite par ce contact. L'enlèvement d'une obtiu'ation ou sa perfo-
ration amènera la fin de tous les accidents aigus produits par la rétention des
liquides sécrétés dans une dent atteinte de périostite chronique. Le traitement de
la pulpite par les opiacés et les anestliésiques ou la destruction de la pulpe par
les caustiques dans une carie pénétrante amènera de même la guérison d'une
périostite consécutive à l'inflammation de la pulpe.
Le traitement curatif de la périostite varie suivant la forme, le degré de la
maladie. Nous aurons donc à étudier :
i''Le traitement delà périostite subaiguë;
2° Le traitement de la périostite aiguë ;
3° Le traitement de la périostite chronique. Mais nous verrons que pour cette
dernière il y a lieu d'étudier en plus un traitement palliatif auquel le chirur-
gien doit avoir fréquemment recours.
1" Traitement de la périostite suhaiguë. Le traitement est ordinairement
des plus simples, toujours local, et le plus souvent même la périostite dis-
paraît spontanément. II est rare du reste d'être consulté à ce moment par les
malades : ils supportent patiemment cette gêne assez légère dans l'espoir sou-
vent justifié qu'elle disparaîtra toute seule, et ce n'est que lorsque l'affection
plus intense a pris déjà des caractères aigus qu'ils viennent demander conseil.
Elle ne se présente guère à l'observation du praticien que lorsqu'elle lui débute
264 DEi>JT (pathologie).
sous les yeux, pour ainsi dire, dans le cours, par exemple, du traitement de la
carie dentaire,
A cette période l'usage de décoctions tièdes, émollienteset narcotiques, comme
la décoction de guimauve et de pavot, donne de bons résultats et suffit souvent.
Le malade conserve chaque fois ce liquide dans la bouche et le maintient un
certain temps au contact de la dent affectée, de façon à l'y faire baigner.
Quelques applications irritantes sur la gencive, telles que la teinture d'iode,
le collodion cantharidé, peuvent aussi rendre service. L'action de l'acide chro-
mique pur légèrement appliqué sur la gencive à l'aide d'une mince baguette
de bois est particulièrement eflicace et nous a souvent suffi sans avoir recours à
d'autres moyens.
Lorsque la périostite est consécutive à une carie, ce qui réussit le mieux, alors
même qu'on néglige tout autre chose, est l'emploi des opiacés, une petite
boulette de coton soigneusement imbibée de teinture d'opium ou de laudanum
de Rousseau est placée dans la cavité. La façon de procéder au pansement est
très-importante dans le traitement de la périostite à tous les degrés, et nous l'in-
diquerons tout de suite pour n'avoir pas à y revenir, mais c'est surtout dans les
caries pénétrantes ([u'il faut suivre ce précepte. Au lieu de calmer les accidents
et d'amener le résullat qu'on est en droit d"atlendrc des opiacés, un pansement
mal appliqué ne peut en elfet qu'aggraver l'affection et augmenter les souffrances
du malade. Le coton bien mouillé, mais peu serré, doit être placé très-légère-
ment d.ins la cavité, sans aucune compression. Souvent, en effet, il se fait
un petit suintement par le canal dentaire, et si le pansement, quel qu'il soit,
metobstacle à son écoulement, les symptômes n'en deviennent que plus aigus et
plus douloureux. L'emploi des opiacés n'est pas aussi efficace dans les périostites
spontanées, il y est moins commode d'abord, car il n'y a pas de cavité pour le
recevoir. Cependant, quand il existe un intervalle suffisant dû à l'écarfement nor-
mal des dents ou à une extraction antécédente, ou peut appliquer un pansement
opiacé au collet de la dent, mais il faut bien veiller à ce qu'il ne détermine
pas de compression sur la gencive ou sur la dent elle-même.
2" Traitement de la périostite aiguë. A cette période le traitement de la
périostite est le plus souvent encore purement local, mais il peut se produire des
phénomènes généraux dus à la violence des accidents locaux et nécessitant l'em-
ploi d'un traitement approprié. Nous ne parlons pas ici, bien entendu, de tous
les phénomènes généraux qui pourraient se trouver sous la dépendance des com-
plications. Nous croyons inutile d'insister sur cette partie du traitement, qui
ne diffère en rien de la thérapeutique habituelle des accidents fébriles, mais
nous croyons devoir nous élever contre l'emploi de moyens tels que la saignée,
lorsque les accidents de la périostite sont purement locaux et quelle que soit
leur intensité. D'une utilité contestable sur la marche de la périostite, elle n'a
d'autre résultat que d'affaiblir inutilement le malade. Sans proscrire les pur-
gatifs d'une façon aussi absolue, nous devons dire que leur emploi est le plus
souvent inutile et n'a d'indication que dans l'acuité des symptômes.
Aux moyens locaux indiqués pour la période précédente, mais parmi lesquels
il nous faudra supprimer les lotions tièdes dans la bouche, devenues intolérables,
nous ajouterons les cataplasmes en permanence sur la joue, l'emploi du cautère
actuel à titre de révulsif, les applications de sangsues, les scarifications de la
gencive.
Les cautérisations, pratiquées dans ce cas avec le fer rouge ou le galvano-
DË.\T (pATIIOLOr.lE). 265
cautère, doivent être légères, multiples, et occuper toute la hauteur de l'alvéole
affecté; ce sont des pointes de feu.
Les émissions sanguiniïs locales obtenues à l'aide d'une sangsue donnent les
meilleurs résultats, c'est le remède par excellence pour la périostite aiguë
franche, et il est absolument exceptionnel de uc pas le voir amener la guérison.
Le calme ne succède pas toujours à l'application, mais il larde peu et annonce la
disparition graduelle de tous les accidents. Lorsque ce moyen échoue, il faut le
plus souvent attribuer l'insuccès à la façon dont l'appliciilion a clé faite. Le point
d'application sur la gencive est, en eifet, la chose importante avant tout, et il
suffit de peu de chose pour rendre inutile cette saignée locale ou pour qu'elle ne
donne qu'un résultat incomplet. La sangsue doit être appli((uée sur la gencive,
bien exactement au niveau de la dent malade, à égale distance à peu près de
son bord li))re et du cul-de-sac muqueux du vestibule. De petits tubes spéciaux
facilitent cette opération en permettant de porter l'animal à la place indiquée
et en l'obligeant à se fixer juste où l'on veut. Une fois prise, on abandonne la
sangsue jusqu'à ce qu'elle se détache d'elle-même; immédiatement après, on
peut encore prescrire l'usage de lotions tièdes, de laçon à favoriser un pou
l'écoulement du sang, auquel on ne doit mettre obstacle, par les moyens habi-
tuels, que s'il menaçait de devenir trop abondant, ce qui est fort rare dans ces
conditions,
La répugnance qu'inspirent à beaucoup de personnes l'inlioduclion et le
séjour d'une sangsue dans la bouche a l'ait naître le désir de la remplacer par
d'autres moyens, mais jusqu'ici les essais tentés à cet égard sont restés infruc-
tueux ou peu s'en faut. Les scarifications de la g^•ncive sullisent lorsque la pério-
stite n'est pas aiguë, mais restent sans effet dès que l'affection est un peu plus
intense. Cette petite opération peut se faire avec le bistouri ordmiiire ou même
avec la lancette, quand il s'agit d'une dent antérieure, mais on emploie de préfé-
rence, pour cet usage, un petit bistouri spécial dont la lame, qui n'a pas plus
de \ centimètre et demi de longueur, se trouve montée sur un manche d acier
mince et cylindrique de 12 à 15 centimètres; il est ainsi facile de porter le
tranchant jusqu'au fond de la bouche sans se masquer la lumière. On entretient
ensuite l'écoulement sanguin à l'aide de liquides chauds.
Des ventouses spéciales portant des scarificateurs, des sangsues artificielles,
puisqu'on les a ainsi nommées, ont été inventées pour remplacer la sangsue,
mais ces appareils nombreux et variés ne témoignent guère que de l'imagination
de leurs auteurs sans rendre aucun service. En attendant de nouveaux perfec-
tionnements, nous croyons donc inutile de décrire des instruments dont l'emploi,
plus ou moins facile dans la bouche, n'a pas donné jusqu'ici de résultat satis-
faisant.
Quand la périostite est très-aiguë, il est avantageux de prescrire le chlorate
de potasse concurremment aux moyens indiqués. L'action du chlorate de potasse,
si remarquable déjà dans toutes les stomatites, est, en effet, des plus évidentes
aussi dans la périostite. A haute dose peut-être agit-il, dans ce cas, d'une façon
générale, mais son action utile est surtout une action locale ; nous savons, en
effet, que son élimination est des plus ra|)ides et qu'elle se fait principalement par
les glandes de la bouche, par la salive qui forme ainsi dans la cavité buccale une
solution de chlorate de potasse. Aussi, dans le but de concourir encore à cette
action, avons-nous l'habitude de prescrire ce sel en pastilles que le malade laisse
fondre entre la gencive et la joue, le plus près possible de la dent atteinte.
266 DENT (pathologie).
Nous recommandons encore, dans ce cas, l'emploi des pastilles contenant une
plus forte dose de chlorate de potasse que celles que l'on trouve dans le com-
merce, des pastilles de 30 à 35 centigrammes, par exemple, de sorte que le
malade ne soit pas obligé d'en prendre un trop grand nombre pour obtenir une
dose suffisante. Quoique plus riches en substance active, ces pastilles peuvent
être très-petites et très-minces. On peut aussi prescrire le chlorate en potion,
mais son action est moins efficace; il en est de même des gargarismes, qui
sont cependant utiles; néanmoins, lorsque les malades répugnent à l'emploi
des pastilles, nous croyons préférable, en imitant la pratique de M. Gosselin, de
faire appliquer sur la gencive une bande d'ouate imbibée dans une solution
saturée, c'est là un véritable cataplasme de chlorate de potasse.
3" Traitement de la périoslite chronique. Nous savons que la périostite
chronique se présente sous deux aspects diflerents. Dans une variété, les éléments
du périoste ont pris un développement exagéré ; dans l'autre, l'inllammatioii
s'est terminée par suppuration et il est survenu consécutivement une ostéite et
une nécrose partielle du cément qui perpétuent maintenant l'écoulement. Le
traitement variera suivant qu'il s'adressera à l'une ou à l'autre de ces
variétés.
Lorsqu'une périostite aiguë menace de passer à l'état chronique par le déve-
loppement des éléments du périoste alvéolo-dentaire, on retire souvent de
grands avantages d'une saignée locale. Une application de sangsues, dans ce
cas, peut faire revenir l'affection à l'état aigu, et les moyens usités à cette
période peuvent souvent conduire alors à la guérison d'une affection qui, sans
cela, se serait indéfiniment prolongée jusqu'à la chute de l'organe atteint. Lors-
qu'on n'a pu s'opposer ainsi au passage de l'affection à l'état chronique ou
lorsqu'on n'est pas consulté à temps, des cautérisations sur la gencive avec le
cautère actuel peuvent enrayer la marche lentement progressive de l'affection,
quelquefois même amener sa guérison. Dans ce cas, les cautérisations doivent
être nombreuses, profondes, pratiquées à l'aide d'un cautère en boule sur-
montée d'une pointe amincie; on doit faire là, en un mot, de l'ignipuncture
sur toute la hauteur de l'alvéole. En même temps aussi on peut faire au niveau
du bord des applications énergiques d'acide chromique.
Le traitement doit être tout autre lorsque la périostite chronique entretient un
suintement de sérosité purulente. Le chirurgien trouvera, dans ce cas, des indi-
cations particulières suivant l'issue choisie par le pus, les complications consé-
cutives, le siège de la dent malade, etc., et le traitement sera ou palliatif ou
curatif.
Traitement palliatif. Sans prétendre à la guérison de la périostite chronique,
le traitement palliatif se propose de mettre la maladie dans des conditions telles
que son existence soit compatible avec la conservation de la dent et l'usage de
ses fonctions. Pour cela, le chirurgien s'efforcera de copier ce qui se produit
souvent spontanément sous ses yeux. Il est fréquent, en effet, de voir une périos-
tite chronique ne plus entraîner aucune gêne pour le malade, alors que le pus
trouve une issue facile au collet de la dent après avoir décollé le périoste, ou
bien à la gencive par la formation d'une fistule muqueuse. Les fistules cutanées
arrivent bien au même résultat, mais nous ne pouvons regarder comme une
terminaison heureuse la production d'une difformité pour laquelle on réclame
si souvent l'intervention chirurgicale. Les accidents douloureux disparaissent,
l'écoulement se régularise, diminue d'une façon notable, au point de passer
DENT (pathologie). 267
inaperçu ; le plus souvent, le malade croit à sa guérison complète, ne soupçon-
nant pas parfois l'existence d'une fistule en un point de sa gencive.
La position est tout autre, au contraire, alors que l'écoulement se fait par le
canal dentaire : La cavité de la pulpe étant confondue avec celle de la carie, l'in-
troduction de parcelles alimentaires jusque dans l'inférieur des canaux den-
taires est une cause d'irritation constante pour le périoste alvéolo-dcntaire. Elles
entretiennent ainsi une suppuration abondante et fétide et perpétuent un état
peu douloureux, il est vrai, mais assez cependant pour condamner à l'inaction
tout un côté de la bouche. De temps à autre, du reste, se déclarent des crises
tout à fait aiguës lorsqu'un corps étranger accidentellement introduit est venu
mettre un obstacle à l'écoulement des produits inflammatoires en oblitérant
complètement le canal dentaire. C'est quelquefois aussi par un procédé analogue
([ue le chirurgien provoque une de ces crises. Lorsiiue le siège de la carie ou sa
forme ne se prête pas à l'introduction facile de corps étrangers, il peut très-
bien arriver qu'une périostite chronique tout à fait indolente soit méconnue;
une obturaticn pratiquée dans ces conditions, en retenant le pus dans les
canaux dentaires en le refoulant vers la racine, déterminera une intlannuation
aiguë. Dans un cas de ce genre, le praticien peut profiter d'une de ces crises
aiguës pour essayer de détourner le cours de la suppuration, lorsqu'il croit re-
marquer quelque tendance à la l'ormation d'un petit abcès de la gencive consé-
cutivement au décollement du périoste, sur toute la hauteur de la racine, ou à
la migration du pus à travers l'alvéole. 11 doit espérer déterminer ainsi la for-
mation d'une fistule mu([ueuse dont le maintien permettra à la dent de re-
prendre ses fonctions. L'introduction dans la cavité de la dent cariée de panse-
ments de plus en plus serrés qui empêcheront complètement la sortie du pus
par le canal dentaire favorisera cette terminaison, si la périostite aiguë n'a
pas été déterminée déjà par une obturation. 11 va de soi que le médecin doit
veiller à ce que l'inflammation qu'il provoque ainsi ne dépasse pas certaines
limites au delà desquelles elle pourrait produire des complications fâcheuses»
11 est quelquefois utile, pour faciliter la sortie du pus au collet de la dent,
d'enfoncer à ce niveau, entre la racine et la dent, une petite tige d'acier fine
et aiguë. L'instrument le plus commode pour celte petite opération est tout
simplement la sonde exploratrice dont on se sert pour l'examen des dents
cariées. L'écoulement du pus une fois assuré par cette voie nouvelle et les petits
accidents aigus disparus, on peut alors pratiquer sans crainte l'obturation de la
cavité.
A part ces conditions spéciales, lorsque l'existence d'une périostite chronique
suppurée a été bien démontrée par la sortie du pus à travers les canaux dentaires,
il est préférable de recourir à un autre moyen qui assure les mêmes avantages
sans créer aucune complication de voisinage. Nous voulons parler de l'applica-
tion du drainage à la thérapeuti(jue de cette forme de périostite chronique, dans
le but d'assurer un libre écoulement au pus, tout en obturant les cavités cariées,
de façon à permettre l'usage de la dent malade.
Les indications de cette opération ont, du reste, été nettement formulées par
nous il y a quelques années déjà (6m//. de thérap., 50 août 1867). Pour obtenir
la permanence d'un perluis allant du centre de la cavité de la pulpe au dehors
et éviter ainsi tout accident aigu, il suffit de modifier un peu le procédé habituel
d'obturation et d'une façon différente suivant le siège de la carie. Nous avions eu
l'idée de faire fabriquer de petits tubes de platine qui, placés à la partie la plus
268 DEM (pathologie).
déclive de la cavité et maintenus par la substance obturatrice même, établis-
saient ainsi un drainage permanent. Depuis longtemps déjà nous avons renoncé
à l'emploi de ces tubes qui créait un embarras de plus, sans aucun avantage. Il
est plus simple, en effet, de creuser un canal dans la substance obturatrice
même : il suffit pour cela de placer la sonde dans la cavité de la dent cariée, de
telle sorte que son extrémité engagée dans le canal dentaire l'obture complète-
ment et empêche ainsi la pénétration de la matière employée pendant l'obtura-
tion qui, à part celte petite manœuvre, se fait comme d'habitude. Une fois l'opé-
ration achevée, on retire doucement la sonde et à sa place se trouve un conduit
dont la substance obturatrice même forme les pai'ois. Oadoit avoir la précaution
de donner à la sonde une courbure telle (lue le pertuis se trouve à la partie la
plus déclive de la cavité, aussi rapproché quo possible de la gencive et vers sa
portion vestibulaire pour éviter autant que faire se pourra son oblitération par
quelques débris alimentaires. C'est le procédé le plus commode et le plus rapide,
mais il n'est applicable (|ue dans les caries de la face vestibulaire des dents et
dans celles de l'interstice antérieur des molaires. Lorsque l'altération n'a porté
que sur la face triturante, un drainage fait au moyen de la sonde comme nous
venons de l'indiipier placerait le pertuis à la partie la plus élevée de la couronne,
c'est-à-dire dans la position la plus défavorable à l'évacuation du pus et de telle
sorte qu'il serait infailliblement oblitéré à chaque repas. Ce procédé est inappli-
cable encore lorsque la carie a son siège à l'interstice postérieur d'une molaire.
Dans ces conditions il faut avoir recours à la trépanation de la dent à son lieu
d'élection, c'est-à-dire au collet, à l'endroit précis où finit l'émail et où
commence le cément, c'est là aussi que la cavité de Ja pulpe est la plus large et
qu'elle est séparée de l'extérieur par la moindre épaisseur de dentine. Cette
opération se fait facilement soit par l'emploi du tour que nous décrirons plus
loin, soit plus simplement à l'aide d'un porte-foret dont la tige en forme de vis
d'Archimède porte à une de ses extrémités un petit trépan, tandis qu'un anneau
mobile permet de la maintenir fixe à l'autre bout enire les doigts. Les mou-
vements de rotation sont déterminés à l'aide d'un petit manche en forme de
curseur aucpael la main droite imprime des mouvements de va-et-vient. Pour
éviter le glissement de l'instrument au début, il est prudent de commencer à
attaquer la dent avec un équarrissoir, petite tige d'acier bien trempé et terminée
par une pointe aiguë à trois facettes. La cessation brusque de toute résistance
indique très-bien le moment précis de la pénétration de l'instrument dans la
cavité de la pulpe. Une fois ce résultat atteint, on pratique l'obturation comme
d'habitude après avoir eu soin d'introduire une sonde ou une petite mèche
de coton par le petit canal de façon à maintenir sa communication avec le
canal dentaire. C'est toujours à la face vestibulaire de la dent que doit être
placé ce petit pertuis. On l'établira donc à sa partie la plus antérieure, au
niveau du collet, ainsi que nous venons de le recommander, de telle sorte
que le bord libre de la gencive le recouvre pour ainsi dire et soit un obstacle
de plus à l'introduction des corps étrangers. C'est à ce procédé encore qu'il
faut avoir recours alors que la périostite chronique siège sur une dent dont la
couronne est intacte.
Alors même qu'il existe déjà une petite fistule à la gencive, le drainage est
quelquefois indiqué encore lorsqu'au lieu de rester permanente l'ouverture
gingivale se cicatrise de temps à autre et détermine ainsi des abcès à répétition
qui sont un ennui continuel pour le malade. Tout en restant ouverte, une
DENT (pathologie). 269
fistule muqueuse n'offre quelquefois pas un écoulement assez facile au pus et la
dent reste ainsi toujours un peu douloureuse et incapable de reprendre ses fonc-
tions ; il est alors avantageux de pratiquer dans la dent un petit canal artificiel,
le plus souvent même, dans ce cas, cette nouvelle issue suffit au bout de quelque
temps, et la gencive se cicatrise d'une façon définitive.
On peut encore perforer la substance obturatrice alors qu'elle est suffisam-
ment durcie, mais nous conseillons d'employer ce moyen seulement quand la
périostite chronique atteint une dent déji obturée depuis longtemps, ou lors-
qu'elle n'a été reconnue qu'après l'obturation. Il n'est pas toujours facile, en
effet, d'arriver à travers la substance obturatrice juste dans le canal dentaire,
([ui peut avoir été pénétré lui-même par cette substance à une plus ou moins
grande profondeur, et puis il faut attendre le durcissement préalable de la
matière employée, et la rétention des produits inflammatoires pendant ce temps
expose à des accidents aigus.
Quel que soit le procédé choisi, il est toujours bon de faire précéder le drai-
nage de pansements narcotiques qui dissipent toute douleur lorsque la dent
n'est pas complètement insensible et diminuent de beaucoup la formation du
pus. On ne doit jamais non plus négliger de recommander au malade de pra-
tiquer quelques mouvements de succion après le repas et au moment de la
toilette de la bouche, afin d'entretenir toujours la liberté de son diain. Il suffit,
en effet, de l'introduction dans ce canal d'un corps étranger qui l'oblitère complè-
tement pour voir réapparaître tons les accidents inflammatoires ; le passage d'un
stylet ou d'un ciin un peu résistant, d'un poil de sanglier, par exemple, en
rétablissant la perméabilité du drain, amène rapidement la disparition de cette
crise aigue.
Le drainage est insuffisant dans le cas de fistules cutanées, mais nous n'avons
pas évidemment à faire ici le traitement des fist\iles dentaires et nous sortirions
de notre sujet en parlant de l'ingénieux procédé de M. Chassaignac pour le traite-
ment des fistules cutanées par la transposition inléro-buccale de leur oiifice
fistuleux {Traité pratique de la suppuration, t. I, p. 555); ce procédé, en
effet, ne s'adresse nullement à la périostite chronii|ue, origine de tous les
accidents, il la laisse telle que et déplace seulement le point de sortie des pro-
duits sécrétés.
Traitement curatif. Si la formation d'une fistule à la gencive ou l'établisse-
ment du drainage permanent n'amènent point la guérison delà périostite, cette
guérison s'observe quelquefois cependant, mais ce n'est jamais qu'au bout d'un
temps fort long que l'on voit se cicatriser définitivement les fistules muqueuses
ou que l'on peut oblitérer complètement une dent qui a été drainée. Dans ce
cas les symptômes douloureux disparaissent, l'écoulement se régularise, devient
inappréciable, les fonctions de la bouche se rétablissent, mais la périostite
subsiste et, avec elle, des menaces de retour à l'état aigu et de conqjlications
plus ou moins graves. Il arrive aussi que le drainage améliore fort peu l'état du
malade, la dent reste douloureuse ou la gencive est le siège fréquent de petits
abcès; enfin la périostite chronique peut avoir déterminé une ou plusieurs
fistules cutanées, et le drainage est impuissant à faire disparaître cette diffor-
mité.
Dans ces conditions, il est donc indiqué d'avoir recours à une opération qui
amène la cure définitive de la périostite et par suite la guéridon de toutes ses
complications. Celte opération consiste dans l'avulsion de la dent et sa réim-
^70 DENT (pathologie).
plantation immédiate après la résection de la portion nécrosée du cément.
Cette opération spéciale, qui trouve ici son indication formelle dans la
périostite chronique du sommet, rentre dans l'histoire générale de la greffe
dentaire. Or, comme cette méthode opératoire est décrite plus loin dans tous ses
détails [voy. Greffe dentaire), nous ne nous y arrêterons pas ici; disons seule-
ment que le but particulier ou l'objectif de cette pratique est la suppression pure
«t simple de la portion de racine frappée de cette lésion incurable, nécrosée en
quelque sorte et constituant par sa présence la véritable épine inflammatoire
dont la suppression est la condition absolue de la guérison.
Mais, si nous ajournons ici la description de la greffe, il nous reste encore pour
achever l'étude du traitement de la périostite à dire quelques mots de la résec-
tion de la couronne qui peut, selon les cas, être considérée comme un traitement
palliatif ou comme un traitement curatif de cette maladie et peut aussi bien
s'adresser à sa forme aiguë qu'à sa forme chronique. Cette opération, qui a pour
résultat de soustraire la racine malade aux pressions et aux chocs inévitables,
surtout pendant la mastication, et qui l'entretiennent dans un état constant
d'inflammation, amène, en effet, le plus souvent la disparition de tous les
symptômes de la périostite. Elle se fait à l'aide de pinces coupantes, de scies ou
de limes de formes varices suivant les cas, et quelquefois par l'emploi successif
de ces divers instruments. On lait disparaître ainsi tout ce qui dépasse le niveau
de la gencive, mais ou doit comprendre qu'il faut réserver cette opération pour
les circonstances où tous les autres moyens ont échoué, et en particulier pour ces
cas extrêmes oii la carie a détruit la couronne presque en totalité, de sorte qu'il en
reste à pcme quelques débris. Au point de vue des fonctions, cette opération
entraîne, en effet, la perte de l'organe malade; elle est cependant préférable
encore à l'extraction, car le maintien et le séjour des racines dans la mâchoire
empêchent la résorption du bord alvéolaire, le déchaussement des dents voisi-
nes, et, si plus lard le malade est obligé d'avoir recours à l'usage des appareils
de prothèse, il trouvera dans la présence de moignons radiculaires indolents
des moyens d'adaptation beaucoup plus sérieux.
Quels que soient donc sa forme, sa cause, son siège, il est donc très-rare
que la périostite alvéolo-dentaire se trouve au-dessus des ressources d'une thé-
rapeutique bien conduite.
c. Affections ORGANIQUES do périoste dentaire. Les affections organiques du
périoste dentaire comprennent les néoplasmes ou tumeurs.
Or par tumeurs du périoste dentaire nous désignerons toute production molle,
persistante, formant une masse circonscrite et ayant son siège sur un point
quelconque de l'étendue de la membrane.
Ces tumeurs se divisent en deux variétés : 1° ou bien elles sont extra-
alvéolaires, c'est-à-dire qu'ayant leur point d'origine sur le bord terminal du
périoste elles font saillie dans la bouche, ce sont les polypes du périoste ; 2° ou
bien elles sont intra-alvéolaires, développées sur un point plus profond de
l'alvéole et ne faisant pas saillie à l'extérieur.
1° Des polypes du périoste. Les polypes du périoste sont des tumeurs
molles, pédiculées, ayant leur point d'origine et leur implantation sur le périoste
dentaire et effectuant leur développement dans la bouche. Ces productions sont
de celles qui appartiennent à la série des complications ou conséquences de la
carie dentaire. Nous les avons en effet constamment rencontrées ayant pour siège
des dents dont la carie, après avoir envahi une portion de la couronne, s'avançait
laire.
DENT (pathologie). 271
jusqu'au collet, déterminant en ce point une sorte d'irritation du bord terminal
du périoste, et devenant ainsi la cause probable de la maladie.
Ces polypes ont pour siège presque exclusif les dents molaires, soit les petites,
soit les grosses. Ils se pre'sentent sous l'aspect d'une masse rougeàlre, spliéroïde,
ayant en moyenne le volume d'un gros pois, à surface mamelonnée, et occupant
presque constamment la cavité de la carie de la dent qui en est le siège, tandis
que leur pédicule très-mince, arrondi
ou aplati, s'insère au niveau du collet.
11 résulte de cette particularité qu'au
premier aspect ces polypes peuvent
être facilement confondus avec les
tumeurs de la pulpe, et disons tout de
suite que le meilleur signe dislinclif des , / / \ "■*
deux maladies consiste dans l'explo- " -^ —
ration directe de la carie avec un stjlet. f'g- 5i. - Polype du périoste doma
Celte exploration apprendra Irès-faci- „_ la tumeur en place. — h, la même pcnJanle
lement si la tumeur est une expan- 'h^i-s de U carie et montrant nnseniou (le son
sion de la pulpe ou une dépendance du
périoste.
Les symptômes de cette affection sont très-analogues à ceux dos tumeurs de
la pulpe, c'est-à-dire qu'ils consistent simplement dans une gène très-grande de
Ja mastication du côté malade, et parfois des douleur.s assez vives provoquées
par le choc d'un corps étranger sur la tumeur, qui devient alors souvent le
siège d'hémorrhagies plus ou moins abondantes.
Considérés histologiquement, les polypes du périoste dentaire sont composés
soit du tissu même du périoste normal liyperlrophié, soit d'éléments libro-
plastiques, noyaux ou corps fusiformes, et d'éléments fibreux simples; mais nous
n'avons pas jusqu'à présent constaté dansées productions la présence d'éléments
d'ordre différent, tels que : épithélium, myéloplaxes, etc., que nous avons
rencontrés dans les tumeurs proprement dites du périoste.
Cette affection est assez commune ; nous en avons observé un grand nombre
d'exemples : aussi avons-nous éprouvé quelque surprise de ne rencontrer dans
aucun auteur la description de celte maladie.
Ces polypes, de même que les tumeurs de la pulpe, nous paraissent suscep-
tibles d'une guérison radicale. La méthode qui doit être appliquée à ce Irailement
consiste dans l'excision de la tumeur par la section de son pédicule. Le polype
tombe alors dans la bouche, et l'on doit, pour éviter toute récidive, détruire
par la cautérisation les dernières traces du pédicule; puis, afin d'arrêter les
progrès de la carie, on procède à \ obturation soit immédiate, soil précédée du
traitement approprié.
2" Tumeurs proprement dites. Les tumeurs du périoste dentaire non plus
que les polypes n'ont été l'objet d'aucune description nosographique depuis
notre mémoire personnel de 1860 [Mémoires sur les tumeurs du périoste den-
taire lu à la Société de chirurgie, 13 avril 1860). Ce n'est point cependant une
affection rare et il est invraisemblable qu'elle ait échappé à un observateur
attentif. Aussi pensons-nous qu'elle a été confondue avec les productions végé-
tantes, fongosités diverses qui compliquent la périostite. Nous ne saurions
trop nous élever contre celte confusion.
La plupart de ces tumeurs paraissent en effet étrangères à un processus
272 DENT (pathologie).
inflammatoire antérieur neltement défini; elles apparaissent lentement, sour-
dement, sans aucune lésion dentaire apparente, déplaçant et allongeant la
dent qu'elles soulèvent et ne produisant que secondairement des phénomènes
phlegmasiqucs. La carie, d'autre part, y semble absolument étrangère, et leur
composition anatomique, leur marche et leurs symptômes, les rattachent entière-
ment au processus commun à tout néoplasme en g('néral avec des particularités
inhérentes à leur siège particulier.
A. Anatomie pathologique des tumeurs du périoste. Les tumeurs du
périoste dentaire observées immédiatement après l'extraction de la dent qui les
supportent se présentent sous l'aspect d'une production molle, fongueuse, dont
la surface inégale et mal limitée est ordinairement couverte de lambeaux ilottants
et dont la face profonde adhère plus ou moins intimement au cément qui revêt
les racines. Leur volume, assez difficile à déterminer en raison de l'irrégularité
de leur forme et de leur siège, peut varier depuis celui d'un gros pois jusqu'à
celui d'une petite noix. Leur forme est extrêmement variable ; tantôt la tumeur est
aplatie entre la paroi alvéolaire et la surface dentaire, à laquelle elle est fixée
par une portion plus ou moins régulière, produisant l'écartement des deux
surfaces entre lesquelles elle se développe et causant ainsi un degré plus ou
moins avancé de luxation de la dent malade. Dans un certain nombre de circon-
stances, la tumeur prend naissance dans l'intervalle des racines, envahit la
cloison osseuse qui les sépare, et trouve ainsi une rlisposition favorable à son
développement. Dans d'autres cas, après avoir débuté sur un point limité du
tissu, elle envahit de proche en proche une grande partie ou la totalité de la
membrane périostale, et se développe ainsi plutôt en surface qu'en épaisseur,
paraissant alors constituer une simple liypertrophie générale plutôt qu'une véri-
table tumeur. Lnfin, mais plus rarement, le périoste ollVe la production de
plusieurs tumeurs indépendantes l'une de l'autre, et développées sur divers
points des racines de la même dent.
La couleur, de même que le volume, est extrêmement variable. Lorsque le
périoste est le siège d'une simple hypertrophie, ou que la nature de la produc-
tion est épithéliale ou fibro-plastique, la coloration est généralement blanchâtre,
parsemée de quelques [ilaques rouges indiquant un certain degré de vascularité
et pouvant déceler l'existence d'un foyer inflammatoire localisé. C'est ce qui
arrive surtout lorsque l'extraction de la dent malade a été pratiquée pendant le
cours d'une crise douloureuse. La tumeur est alors le siège d'un étal congeslif plus
ou moins considérable; elle présente, soit partiellement, soit dans sa totalité, une
teinte ronge violacée. Lorsque les éléments constituants de la tumeur sont doués
de caractères physiques spéciaux, ils impriment à la masse une coloration
particulière, il en est ainsi des uiyéloplaxes, éléments qui donnent à la tumeur
une couleur rouge ou brune, et des éléments graisseux, cellules ou granulations
qui lui communiquent une couleur jaunâtre.
La consistance des tumeurs varie suivant que la trame fibreuse qui en forme
la base est plus ou moins serrée et contient une quantité plus ou moins
grande de matière amorphe ou d'éléments anatomiques divers interposés.
Rarement les tumeurs sont dures; en général, elles sont molles, faciles
à déchirer, et se détai hent quelquefois pendant l'extraction de la surface
qui les supporte : dans plusieurs circonstances, le tissu présente des points
considérablement ramollis, indiquant un travail inflammatoiie ancien, ayant
donné lieu à une fonte purulente partielle du tissu.
DENT (pathologie). 275
Au point de vue histologique, la constitution des tumeurs du périoste présente
un certain inte'rêt. En général, plusieurs éléments anatomiques d'ordre différent
concourent à leur formation, mais, presque toujours, une certaine classe de ces
éléments prédomine sur les autres et constitue la partie fondamentale on les
éléments fondamentaux de la masse, tandis que les autres gardent le rôle d'ac-
cessoires. Ce sont ces éléments fondamentaux qui dans nos observations ont
servi à déterminer le nom de la tumeur sans que, par conséquent, les désigna-
tions dont nous nous sommes servi impliquent en aucune façon la présence de
certains éléments à l'exclusion absolue des autres.
Quoi qu'il en soit, la substance même du périoste plus ou moins modifiée
forme constamment la trame et h base principale de l'altération. C'est donc
toujours dans son tissu que se trouvent inclus les éléments de la production
morbide. Nous devons donc nous attacher dans notre étude histologicpie à déter-
miner la nature des éléments qui s'ajoutent à la trame fibreuse primordiale du
périoste. Nous distinguerons, à ce point de vue, nos tumeurs sous les cinq
divisions suivantes :
Premier croui'e. Tumeurs fibreuses ou hypertrophiques. Dans celte pre-
mière division, nous observons que l'altération anatomique consiste en une
simple hypertrophie avec multiplication ou hypergenèse des éléments primitifs
norn)aux de la membrane alvéolo-dentaire. Les parties qu'on y rencontre sont
donc principalement du tissu fibreux dont nous ne tracerons pas ici les caractères
bien connus, tissu que parcourent un nombre considérable de vaisseaux anorma-
lement développés, et qui contient en outre de la matière amorphe granuleuse
ou non, interposée aux mailles fibreuses; des éléments Cbro-plastiques, noyaux
eu corps fusiformes, puis quelques cytoblastions, quelques myéloplaxes, rares
éléments accessoires préexistant d'ailleurs pour la plupart dans le tissu normal,
mais qui, sous une même influence pathogéniquc, subissent un commencement
d'hypertrophie qui permet de les observer plus facilement. Enfin ces tumeurs,
de même que certaines autres que nous signalerons chemin faisant, peuvent
leufermer encore des leucocytes qui ne résultent pas pour tous les cas,
comme on pourrait le croire, d'un travail inflammatoire. Ou sait en effet-,
d'après les recherches déjà anciennes de M. Ch. Robin, que des leucocytes
se trouvent comme éléments accessoires interposés çà et là à d'autres éléments
dans un grand nombre de tumeurs n'ayant jamais subi d'inflammation. Tels
sont l'épithélioma du gland, de la màclioire, de la langue, les tumeurs glan-
dulaires des fosses nasales, du rectum, du col utérin, etc. Nous signalons ce fait
avec d'autant plus d'attention que dans d'autres circonstances quelques-unes
de nos tumeurs ont offert l'accumulation dans un point limité des mêmes leu-
cocytes, correspondant alors à un foyer inflammatoire véritable.
Les hypertrophies simples du périoste ou tumeurs fibreuses figurant dans nos
18 observations pour le nombre 3.
IP GROUPE. Tumeurs fibro-plastiques. Une seconde division histologique
de nos tumeurs comprend un certain nombre de productions voisines des précé-
dentes et constituées par des éléments fibro-plastiques, soit simplement nucléaires,
soit devenus déjà corps fusiformes. Ces divers états ne sont, comme on sait,
autre chose que deux phases successives du développement de la fibre lamineuse,
élément fondamental du tissu fibreux, et qui peuvent être pathologiquement le
siège d'une aberration organique en vertu de laquelle ils deviennent éléments
tondamentaux de certaines tumeurs. Parmi nos 18 exemples, 5 ont revêtu celte
DICT. ENC. XXVII. 18
274 DENT (pathologie).
constitution anatomique avec addition, à titre d'accessoires, des éléments qui,
dans d'autres tumeurs, peuvent figurer à leur tour comme fondamentaux,
myéloplaxes, épithéliura, etc.
IIP GROLTE. Tumeurs épilhéliales, épiihehomas, cancer de certains auteurs.
Dans une troisième division, les tumeurs ont présenté une constitution toute
spéciale, et les parties qu'on y trouvait n'étaient autres que des éléments épithé-
liaux. Ces éléments se sont présentés à nous sous les diverses formes qu'ils
peuvent affecter, soit dans l'économie normale, soit dans les diverses tumeurs
de l'économie qui en sant composées ; tantôt la tumeur ne renfermait que des
noyaux simples, sphériques ou ovoïdes, plus ou moins réguliers, ayant de
Qmm^Ol à O^^iOOSde diamètre, et contenant un nombre variable de nucléoles;
tantôt elles se composaient de cellules soit pavimenteuses, soit spbériques, à
contours plus ou moins réguliers, pouvant atteindre jusqu'à 0'"'",1 de diamètre,
quelquefois parsemées de granulations graisseuses, contenant des noyaux plus
ou moins nombreux, et pouvant se rapprocher ainsi, dans ceitaines circonstances,
des caractères assignés à la cellule dite cancéreuse. Disons cependant que, dans
la plupart des cas, les cellules épilhéliales de nos tumeurs n'ont pas présenté
tout à fait le même degré d'hypertrophie de leur noyau que celui qui est offert
par les cellules épilhéliales pathologiquement modifiées, dites cancéreuses.
m
Fig. 32. — Tumeur fibro-plasfique développée sur
la face latérale du périoste d'une prémolaire dé-
pourvue de toute autre lésion apparente.
a, la tumeur in situ. — b, sa composition histo-
logique.
Fig. 5ô. — Tumeur épithéliale volumineuse déve-
loppée sur le périoste d'une grosse molaire dé-
pourvue de carie et de toute autre lésion.
a, la tumeur in situ. — b, les éléments histolo-
giqnes qui la composent.
Quoi qu'il en soit, et sans vouloir soulever aucune question de doctrine,
nous avons rencontré 5 tumeurs offrant la constitution dont nous venons de
parler. Parmi elles, nous en avons observé une dans laquelle les éléments épilhé-
liaux nucléaires affectaient une disposition particulière : ils étaient groupés
régulièren-ent autour d'un faisceau lîbro-vasculaire, et représentaient exactement
par leur disposition une véritable papille. Xous avons rangé celte curieuse
production parmi celles connues sous le nom de tumeurs épilhéliales
papilliformes.
Enfin, une autre observation parmi ces dernières porte sur une tumeur volu-
mineuse formée d'éléments épithéliaux pavimenteux et sphériques ayant subi
tine altération assez commune aux tumeurs dites cancéreuses etfibro-plastiques;
nous voulons parler du dépôt de granulations graisseuses dans leur épaisseur.
La tumeur dont nous parlons présentait, sur une grande partie de son
étendue, une coloration jaune très-prononcée due à l'accumulation de granu-
DENT (pathologie).
275
lations graisseuses au seia du tissu morbide. Celte coloration n'était pos
générale, et la tumeur, dans certains points, offrait un degré d'altération moins
avancé, de sorte qu'on pouvait, par un examen comparatif, se rendre com|ite
des phases successives de son évolution. Ainsi le périoste dentaire avait subi une
hypertropliie simple qu'on retrouvait isolément sur certains points, puis au
sein des mailles s'étaient développés des éléments épitbéliaux qui de nucléaires
qu'ils étaient primitivement sans doute, s'étaient transformés en cellules par
suite de la segmentation de la matière amorphe ambiante; enhn ces cellules
avaient éprouvé linalemeut l'altération dile dégénérescence graisseuse, consistant
en un dépôt de granulations jaunâtres dans leur épaisseur. On trouvait aussi
entre ces éléments des granulations analogues ayant environ 0™'", (101 de dia-
mètre, douées du mouvement brownien, et pouvant devenir tellement nom-
breuses qu'elles masquaient la nature du tissu primitif et lai donnaient la
couleur du tissu graisseux, lui-même.
Nous avons rencontré encore la présence de granulations graisseuses ou de
gouttes d'huile au sein de 5 autres tumeurs de nature lîbro-plaslique, celte
particularité indiquant sans doute, dans ces dernières circonstances, le début
de la même superfétation morbide graisseuse dont le tissu allait devenir le
siège.
1V« GROUPE. Tumeurs à myéloplaxes. Une quatrième forme de tumeurs,
à laquelle se rattache une seule observation, a présenté comme parties consti-
tuantes une réunion d'éléments connus sous le nom de myéloplaxes. Ces éléments.
^/-
ù
Fig. 51. — Tumeur à myéloplaxes développée dans
l'interstice des racines d'une molaire supé-
rieure.
a, la tumeur in situ. — b, les éléments qui la
composent.
Fig. 3o. — Tumeur du périoste développée dans
l'interstice des racines d'une molaire supérieure
non cariée.
a, la tumeur in situ. — 6, les éléments {cytoblas-
tions] qui la composent.
appelés aussi plaques ou lamelles à noyaux multiples, sont, ainsi que les décrit
M. Robin, des masses de granulations fines, aplaties, polvédriques, régulières
ou dentelées, d'un volume variant de 0'^-,020 à Û'^'^,001, parsemées de^novaux
ovoïdes dont le nombre varie de i à 50, et dont les dimensions sont de O'"'^ 00^
à 0-,006 sur 0-,009 à 0-,Oil de longueur. Les myéloplaxes qu'on retrouve
dans la composition d'un certain nombre de tumeurs de l'économie, et particu-
lièrement des épulies, se rencontraient comme éléments fondamentaux dans
l'observation, au sein d'une trame fibreuse très-lâche, et communiquaient
au tissu la couleur brune habituelle aux tumeurs principalement composée^ d,^
myéloplaxes. ^ ^
27'» DEM (pathologie).
V^ GROUPE. Tumeurs à cytoblastions. Cette cinquième division ne se
compose, comme la précédente, que d'une seule observation, dans laquelle
la tumeur s'était développée sur la racine interne d'une première grosse
molaire supérieure droite, chez un sujet âgé de quatorze ans. Cette tumeur,
qui s'était rapidement développée, se composait d'une trame fibreuse renfer-
mant, comme partie fondamentale, des éléments anatomiques connus sous le
nom de cytoblastions de la variété nucléaire. Ces éléments étaient caractérisés
par la forme de noyaux libres sphériques ou un peu ovoïdes de 0""",004 à
0""",006, à fines granulations de teinte obscure dans l'intérieur, mais sans
nucléole proprement dit. Ils se rencontrent normalement, mais en très-petite
quantité, dans le tissu du derme cutané, dans celui des muqueuses et des
séreuses, dans le parenchyme pulmonaire, etc. A 1 état pathologique, ils consti-
tuent les fongosités des plaques muqueuses syphilitiques, les condylomes, les
chancres indurés ou non, les tumeurs gommeuses, les chalazions, etc. On les
rencontre souvent, comme dans notre observation, joints à des éléments
fibreux ou fibro-plastiques, et ils impriment aux tissus qu'ils composent un
caractère particulier de développement très-rapide. C'est ainsi que la tumeur
que nous avons observée avait acquis en un mois un volume relativement
considérable.
L'existence, dans les productions pathologiques du périoste dentaire, de tissus
à cytoblastions, complète, avec les 4 groupes précédents, le cadre des tumeurs
dont cette membrane semble pouvoir devenir le siège. Nous retrouvons en
eflet, dans l'ordre pathologique, la série complète des éléments constitutifs
normaux du périoste dentaire, avec cette particularité que l'état morbide a
imprimé à ces éléments des modifications variées de nombi'e, de forme et de
volume, modifications qui, pour l'observateur exercé, permettent de recon-
naître sous la forme pathologique les éléments du tissu primitif. Ainsi nous
avons vu, dans la constitution normale du périoste, les éléments fibreux, fibro-
plastiques, myéloplaxes et cytoblastions joints aux vaisseaux, au tissu grais-
seux, etc., et nous retrouvons, soit simultanément, soit isolément, les mêmes
parties dans les tumeurs. Une seule exception s'est offerte relativement aux
éléments épilhéliaux, qui, n'existant pas dans le périoste sain, se sont rencontrés
dans certaines tumeurs. Pour ce dernier cas, l'existence de ces éléments ne
saurait donc s'expliquer que par la genèse, avec erreur de lieu, de l'épithélium
au sein du tissu périostal, particularité dont la physiologie pathologique des
tumeurs offre d'ailleurs dans l'économie de nombreux exemples {tumeurs
h étéra dén iques, etc . ) .
Au point de vue clinique, il résulte des considérations p-écédentcs que la
palhogénie des tumeurs du périoste dentaire ne paraît pas liée, comme celle
d'un certain nombre de tumeurs de l'économie, à l'état de diathèse qui domine
d'ordinaire les manifestations morbides de ce genre. Toutes nos observations
portent, comme on le verra, sur des sujets jouissant d'une bonne santé, et
n'ayant présenté sur aucun autre point du corps des productions pathologiques
de composition analogue ou différente. Nous remarquerons seulement que le
périoste dentaire, étant un organe assimilable au périoste proprement dit, en
raison de sa structure et de ses usages, est susceptible de devenir individuel-
lement le siège exclusif de tumeurs, de même que, dans d'autres circonstances,
on trouve chez un sujet en particulier une série d'altérations organiques
affectant exclusivement un même ordre de tissus (tumeurs des glandes, des
DE.NT (pathologie). ^''
tissus musculaire, adipeux, etc.). C'est ce q\ii explique pourquoi ordinairement
les tissus voisins du périoste dentaire, l'alve'ole, la muqueuse gingivale, elc,
doués d'une constitution différente, ne sont pas envahis par les tumeurs du
périoste. Nous ne voudrions pas affirmer, cependant, que certaines affections
ort^aniques de la mâchoire n'ont pas débuté par des altérations de même ordre
du périoste dentaire; les observations manquent à ce sujet, et peut-être
les accidents qui accompagnent ces dernières sont-ils cause que les malades
demandent souvent l'extraction de la dent avant que ctl envahissement ait eu le
temps de se produire.
Ainsi donc, pour nous résumer, l'examen microscopique de nos tumeurs, que
nous devons, pour tous les cas, à l'extrême obligeance de notre maître et ami
M. le professeur Ch. Robin, a donné les résultats suivants :
10 tumeurs sont constituées par dos éléments (ibro-plasliques.
5 sont formées d'éléments épithéliaux.
3 sont formées de tissus iibreux et représentent une simple hypertrophie du
périoste.
\ se compose d'éléments mijéloplaxes.
\ d'éléments cytoblastions.
B. Étiologie. Les productions des tumeurs du périoste sont entourées
d'autant d'obscurité que la production des tumeurs en général : nous nous
bornerons donc à signaler les conditions diverses au milieu desquelles celte
afiection s'est développée dans les observations que nous avons recueillies.
Une première particularité digne d'être signalée, c'est que toutes les tumeurs
que nous avons observées appartenaient à des sujets doués d'une bonne consti-
tution et qui, dans leurs antécédents, n'avaient jamais été attcinls de tumeurs
développées sur d'autres points du corps. Dans plusieurs circonstances, toute-
fois, des malades qui sont venus nous consulter pour une dent alfectée de
tumeur nous ont affirmé avoir déjà éprouvé antérieurement des accidents
identiques à ceux que nous observions, et avoir été contraints de faire extraire
la dent qui les occasionnait, sans que cet organe présentât la moindre atteinte.
Plusieurs de nos observations tendent à établir cette circonstance : ainsi l'une
d'elles est relative à une tumeur fibro-plastique développée sur une dent de
sagesse inférieure droite, chez un homme de cinquante-cinq ans, ayant perdu
déjà plusieurs dents, parmi lesquelles quelques-unes avaient paru causer les
symptômes propres aux tumeurs. Enfin d'autres portent sur des tumeurs égale-
ment fihro-plastiques et appartenant à des sujets qui ont déclaré, bien pins net-
tement que les précédents, avoir déjà éprouvé pour d'autres dents des douleurs
et des accidents identiques; l'un d'eux même aurait très-distinctement observé
qu'une dent antérieurement enlevée présentait sur ses racines une proluc-
tion molle du genre de celle qu'on lui faisait remarquer sur la dent qu'on
venait d'extraire. Ces faits tendent à établir la possibilité du développement
de plusieurs tumeurs sur le même sujet par récidive, non point sur place, il est
vrai, et par envahissement des tissus conliaus, mais dans le voisinac^e sur le
périoste des autres dents. Ajoutons aussi que la circonstance de deux tumeurs
développées sur des dents contiguës ne s'est pas observée, et que la récidive a
paru pouvoir s'effectuer à de certaines distances, pour des dents soit de mâchoires
différentes, soit des côtés opposés de la même mcàclioire. La disposition anato-
mique des dents, couvertes de leur périoste respectif et renfermées chacune dans
278 DENT (pathologie).
un alvéole séparé, ne favorise pas d'ailleurs la progression de la tumeur du
périoste de l'une au périoste des dents voisines.
Les diverses affections dont l'organe dentaire peut devenir le siège n'ont pas
paru exercer une notable influence sur le développement des tumeurs du
périoste. Ainsi la carie, par exemple, la plus commune des altérations des dents,
nous a semblé y rester complètement étrangère. Les observations que nous
avons recueillies portent principalement sur des dents dépourvues de carie, et,
dans les autres cas, moins nombreux, où cette affection accompagnait les
tumeurs, nous n'avons pu saisir aucune relation manifeste entre les deux lé-
sions. Sur nos 18 cas de tumeurs du périoste, 8 dents seulement étaient cariées,
et parmi elles 3 portaient des cavités très-superficielles, n'offrant pas de commu-
nication avec la pulpe et ne pouvant par conséquent causer aucun accident
sérieux. Les o autres dents étaient au contraire altérées dans une grande profon-
deur, mais, la pulpe ayant entièrement disparu par suite de gangrène ou de fonte
purulente, aucun accident périoslique n'était également possible. Ces dernières
cependant auraient pu devenir le siège de périoslite chronique, affection qui
succède le plus souvent à une carie extrêmement avancée, et qui serait peut-être
de nature à déterminer la production d'une tumeur. Or, 5 dents seulement
sur 18 se seraient trouvées dans ces conditions, et ce nombre est relativement
trop faible pour permettre d'établir sur ce point d'étiologie une détermination
définitive. Aucune affection dentaire ne paraît donc influencer le dévelop-
pement des tumeurs du périoste.
D'autres circonstances également dignes d'intérêt accompagnent encore le
développement des tumeurs : ainsi les dents molaires paraissent être exclusive-
ment le siège de ces productions. Les 18 exemples que nous avons observés sont
dans ce cas. Sur ce nombre, Iti tumeurs occupaient les gi'osses, 2 seulement les
];etites molaires. Sur les 16 grosses molaires, il y avait 10 premières, 4 secondes
et une troisième molaire. Quant aux petites, elles étaient toutes deux de la
mâchoire supérieure. Les dents permanentes n'y sont pas exclusivement dispo-
sées, car nous en avons observé un exemple sur une grosse molaire temporaire
chez un enfant de quatre ans.
Ainsi, dans nos 18 observations, les dents affectées par ordre de fréquence
sont :
TABLEAU DES TUMEURS DU PERIOSTE d'ai'RÈS l'oRDRE DE FRÉQUENCE DES DENTS AFfEClÉES
i8 supérieures . . j
gauches,
droites .
, . ,, . ( fiauches. . . o
4 inférieures.. . \ ^^.^^^^ ... i
. , ., , . 13 inférieures.. . [ f^^j'e'^;' ; ' î
4 deuxièmes grosses molaires permanentes < , „ u «
" ' ) , . \ gauche ... 0
r 1 supérieure. . . j ^^^-^^ ^
, . ( gauche ... 1
2 secondes pctiies molaires permanentes ) " ~ ' ' 1 droite. ... 1
0 inférieure I
1 première grosse molaire temporaire inférieure droite 1
1 troisième grosse molaire permanente inférieure droit» 1
Total 18
En ce qui concerne l'âge des sujets atteints, voici ce que nous avons remarqué :
tous les âges nous ont paru susceptibles de présenter cette affection. Le sujet
DENT (pathologie). 279
ie moins âgé avait quatre ans; le plus âgé en avait soixante. Trois enfants
«n étaient atteints, l'un de quatre ans, le second de douze, le troisième de treize
ans; cinq sujets étaient d'un âge variant de vingt à quarante ans; enlin dix avaient
<le cinquante à soixante ans. Il semble, d'après ces quelques chilïres, que les
sujets âgés paraissent être plus disposés à l'alfection qui nous occupe que les
adultes et les enfants. Quoi qu'il soit, ces considérations reposent sur un trop
petit nombre de faits pour présenter une valeur réelle; nous ne nous y arrêterons
pas plus longtemps.
C. Symptomatologie. Les symptômes produits par la présence d'une tumeur
du périoste sont de trois ordres : i" ils peuvent être locaux, c'est-à-dire siégeant
dans la mâchoire, au niveau de l'organe affecté; 5° ils peuvent être des symp-
tômes de voisinage, c'est-à-dire revêtir le caractère d'accidents névralgiques sur
une ou plusieurs ramifications de la cinquième paire ; enlin ils peuvent être
généraux et provoqués alors ordinairement par la violence des accidents locaux.
Ces trois ordres de symptômes se présentent soit isolément, soit simulta-
nément. Les symptômes locaux peuvent exister seuls et indépendants; ils mar-
quent le plus souvent le début de l'affection; les accidents névralgiques ne sur-
viennent ordinairement qu'après le» précédents et paraissent être sous leur
dépendance; quelquefois, cependant, ils apparaissent les premiers, se main-
tiennent isolément pendant quelque temps et peuvent ainsi tromper sur la nature
de la maladie; enfin, les accidents généraux ne surviennent que plus tard,
j-estent sous la dépendance des autres et ne se développent d'ailleurs que peu-
plant certaines périodes de la maladie que nous décrirons sous le nom d'accès
douloureux ou crhes.
Au début de l'affection, lorsque la tumeur n'occupe encore dans l'alvéole
qu'un espace très-limité, les malades accusent le plus souvent un sentiment de
gène ou de douleur sourde dans la mâchoire. Quelquefois la sensation est vague
■et indéfinie, comparable dans certains cas à une sorte de prurit ou chatouil-
lement qui engage les malades à porter fréquemment le doigt ou la langue sur
les dents du côté affecté ; d'autres fois elle est localisée au niveau de l'organe
înalade : c'est alors une douleur ordinairement profonde, faible, mais continue
■et pouvant devenir très-fatigante, plutôt par sa persistance que par son inten-
sité. Les manœuvres de la mastication l'exaspèrent ordinairement, de sorte que
les malades se plaignent particulièrement après les repas. En même temps, les
ganglions sous-maxillaires deviennent parfois le siège d'un engorgement qui
reste indolent et stationnaire ou s'accroît, suivant l'état correspondant de la
lésion locale qui le détermine- Un peu de roideur et de gonflement peuvent
survenir aussi sur la joue du même côté, quelquefois même un peu de douleur
à la pression. Puis la dent commence à se dévier de sa direction primitive pour
se porter généralement en dehors, en raison de l'impulsion permanente de la
langue. La gencive du côté malade s'altère,, devient le siège d'une inflammation
lente, se décolle de la surface de la dent, et celle-ci, abandonnée d'un de ses
éléments de soutien, flotte dans son alvéole au sein d'un liquide purulent que
fournit quelquefois la tumeur, mais plus souvent le bord gingival. L'inflam-
mation de la gencive ne reste pas ordinairement limitée au point correspondant
à la dent malade et s'étend souvent aux dents voisines, de sorte que celles-ci
peuvent être le siège d'une certaine douleur à la pression et d'un ébranlement
plus ou moins prononcé, suivant qu'elles sont plus ou moins éloignées du siège
primitif de la maladie.
280 DENT (pathologie).
Dans un certain nombre de cas, rares, à la vérité, le début de l'affection est
marqué par l'apparition de douleurs dans le voisinage de la mâchoire. Les
malades accusent alors des points douloureux ordinairement cutanés, siégeant
sur divers endroits de la face et affectant le caractère névralgique. Les douleurs
sont ordinairement assez vagues et fugaces, se portant sur diverses régions, soit
simultanément, soit isolément : ainsi la tempe, le pourtour de l'orbite, la partie
supérieure de la joue, peuvent devenir le siège de douleurs dépendantes d'une
tumeur d'une dent supérieure et localisées sur le trajet des filets émergeants ou
les anastomoses superficielles des nerfs sus et sous-orbitaires, tandis que, dans
le cas de tumeur d'une dent inférieure, la douleur occupe ordinairement soit
l'oreille par le rame.m auriculo-temporal du maxillaire inférieur, soit le trajet
intra-maxillaire de ce dernier, ou les rameaux cutanés du nerf mentonnier.
Quoi qu'il en soit, ces derniers accidents, lorsqu'ils se développent les pre-
miers, et bien qu'ils restent ordinairement faibles, sont cependant de nature à
causer, dans certains cas, une erreur de diagnostic en raison de leur appa-
rition antérieure à tout symptôme local du côté des dents, de sorte que les
malades se croient affectés d'une névralgie faciale simple, et le médecin, parta-
geant quelquefois cette erreur, a pu diriger en vain contre une névralgie sup-
posée un traitement spécial. Nous avons été témoin de plusieurs faits de ce genre.
Ajoutons toutefois que, dans les circonstances dont nous parlons, les accidents
névralgiques ne icstent pas longtemps isolés, et que les phénomènes locaux, se
manifestant peu de temps après, ne laissent bientôt plus de doute sur la cause
réelle de la maladie.
Dans tous les cas, que les premiers symptômes prennent pour siège la dent
malade ou qu'ils occupent les ramifications nerveuses de la face, ils ont toujours
pour caractère général de se maintenir à un degré faible, s'exaspeVant parfois
sous certaines infiuences, mais conservant un caractère de bénignité constante.
C'est ce que nous appellerons Vétat stationnaire de la maladie, état dont la
durée peut varier depuis quelques semaines jusqu'à un et même plusieurs mois,
et qui fait suite à une nouvelle apparition de symptômes que nous allons décrire.
En effet, au milieu de l'état douloureux habituel se développent subitement
de nouveaux phénomènes qui ne sont que l'exagération des accidents primitifs
et dont l'ensemble constitue une crise d'une durée variable de cinq à quinze
jours.
Sous l'intlaence d'une cause provocatrice quelconque, soit choc sur la deot
malade, soit changement brusque de température, ou bien sans cause appré-
ciable, la crise se déclare.
La douleur locale s'accroît rapidement et devient le plus souvent lancinante;
la dent est douloureuse au moindre ébranlement ; le contact même de la langue
n'est quelquefois pas tok'rable; l'impression des liquides chauds inti'oduits dans
la bouche développe de vives douleurs, qui sont au contraire calmées le plus
souvent par le contact des liquides froids, et la mastication devient totalement
impossible. Les douleurs névralgiques de voisinage, naguère faibles et passagères,
s'établissent en permanence et acquièrent une grande intensité; elles occupent
alors soit una ou plusieurs des branches nerveuses que nous avons signalées,
soit la totalité de ces branches et leurs anastomoses superficielles, de sorte que
la névralgie peut devenir hémi-crânienne. La douleur localisée au niveau d'un
des organes des sens peut aussi s'accompagner de troubles spéciaux; c'est ainsi
que nous a -ons observé quelquefois une certaine gène de la vision dans le cas
DENT (pathologie). 281
de névralgie orbitaire, et des bourdonnements accompagnés même d'un peu do
surdité dans un cas de jiévralgic auriculaire.
Des symptômes inflammatoires se développent également : la joue se tuméfie,
devient douloureuse à la pression, et le gonllement, s'ctendant quelquefois plus
loin, peut envahir les paupières et devenir une nouvelle cause de trouble de la
vue; les ganglions sous-maxillaires se tuméfient davantage et deviennent dou-
loureux ; la gencive au niveau de la dent malade se gonfle, se renverse en dehors
de la surface dentaire et prend une teinte violacée; quelquefois elle devient le
siège de petits abcès fnronculaires du volume d'un gros pois qui se succèdent
pendant toute la durée de la crise sans produire cependant de fistule. L'inflam-
mation se propage le long de la mâchoire, et nous l'avons vue une fois envahir,
dans un cas de tumeur d'une molaire inférieure, les piliers du voile du palais,
l'amygdale correspondante, et causer par suite une dysphagie assez prononcée.
La dent altérée s'ébranle fortement ; elle fait saillie plus ou moins hors de l'al-
véole, et sa couronne dépasse souvent alors de plusieurs millimètres le niveau
des dents voisines ; le moindre mouvement qu'on lui imprime est Ircs-doulou-
reux, et la percussion v»iatiquée au moyen d'un maiiclie d'instrument, au lieu
de produire un son clair, comme il arrive pour les dénis saines, rend le son
mat habituel aux dents ébranlées.
Enfin, à cet ensemble de phénomènes peuvent se joindre des accidents géné-
raux. La crise s'accompagne alors de fièvre, d'inappétence, d'insomnie, de céphal-
algie générale, elc. Quelquefois même, lorsque les accès se reproduisent à des
intervalles rapprochés et que l'aflection se prolonge, les sujets ^leuvent pré-
senter un certain degré d'éraaciation, particularité que nous avons observée, par
exemple, chez une petite fille de quatre ans, affectée depuis plusieurs mois d'une
tumeur occupant les racines d'une grosse molaire temporaire.
Les symptômes que nous venons de passer en revue sont loin, comme on le
pense bien, de se présenter suivant un ordre et une régularité constants. Ainsi
que l'attestent les observations que nous avons recueillies, les accidt-nts ont
offert tous les degrés d'intensité. Les premières crises, en général faibles, étaient
suivies de plus fortes qui, toutefois, n'arrivaient que rarement à présenter des
phénomènes bien sérieux, les malades venant le plus souvent réclamer de
bonne heure les secours de l'art. C'est ainsi qu'ordinairement les accès ne se
présentent qu'avec une intensité moyenne. Dans une circonstance, cependant,
les symptômes inflammatoires acquirent assez de violence pour que la joue
devînt le siège d'un abcès. Cet abcès, qui fut ouvert à l'extérieur, donna lieu à
une fistule faciale qui ne céda qu'à l'extraction de la dent malade. Cette termi-
naison est la seule que nous ayons à signaler dans nos dix-huit observations. En
général, au contraire, les accidents constituant une crise, après une durée
variable que nous avons déterminée plus haut, s'apaisent progressivement pour
faire place à un calme plus ou moins complet qui n'est plus troublé que par la
sensation douloureuse habituelle de Vétat stationnaire et la gêne de la mastica-
tion. Les accidents se terminent donc ordinairement par résolution ; la tuméfac-
tion de la joue (hsparaît peu à peu, les douleurs névralgiques s'apaisent, la dent
semble rentrer dans son alvéole, reprend un peu de solidité, et peut même,
dans quelques circonstances rares, recouvrer ses usages. La gencive, cepen-
dant, reste généralement décollée de la surface dentaire, et le pus produit
par l'inflammation gingivale continue à baigner le pourtour de la dent, puis le
calme fait bientôt suite ii un nouvel accès, en général plus violent que le pré-
282 DENT (pathologie).
cèdent, jusqu'à ce qu'enfin le malade, las de souffrir, réclame l'extraction de la
dent cause de tous ces désordres.
Quoi qu'il en soit, les alternatives de calme et de crise douloureuse, consti-
tuant le caractère dominant de la maladie, correspondent à des modifications
inhérentes à la tumeur elle-même.
Au début de l'affection, la tumeur conservant un volume invariable ou
prenant un accroissement progressif très-lent, la douleur reste faible, soit vague,
«oit localisée dans le point affecté; c'est Vétat stationnaire. Après un certain
temps, la production devient tout à coup le siège d'une congestion qui a pour
«ffet immédiat d'en augmenter rapidement le volume et de développer une crise.
Alors s'expliquent l'exagération des accidents locaux, la production des phéno-
mènes inflammatoires dans les parties voisines, l'allongement et la déviation de
la dent malade ; alors aussi surviennent les vives douleurs névralgiques. Ces
dernières, qui accompagnent toute altération dentaire dans laquelle les parties
molles de l'organe sont intéressées, sont la conséquence naturelle d'une modi-
fication apportée dans l'état de la dent malade. En effet, le développement d'une
tumeur dans l'alvéole ayant pour effet d'éloigner la suriace dentaire de la paroi
osseuse, il en résulte un tiraillement et une distension plus ou moins grands,
qui, s' exerçant sur la pulpe et les filets nerveux de la dent, déterminent ainsi
les névralgies qui occupent soit le trajet des nerfs dentaires, soit celui des
ramifications anastomotiques si multipliées de la 5' paire. Enfin cette con-
gestion, phénomène passager de la maladie, après avoir parcouru ses diverses
phases, se termine ordinairement, soit par résolution, ce qui arrive le plus sou-
vent, soit par une hémorrhagie spontanée qui apaise rapidement l'inflammation,
ramène la tumeur à son volume primitif, et fait dès lors cesser les accidents.
Ainsi, étal de gêne ou de douleur faible permanent, production accidentelle
€t passagère d'accidents plus sérieux inflammatoires et névralgiques, parfois
d'accidents généraux, telles sont en quelques mots les expressions morbides qui
caractérisent la présence d'une tumeur du périoste dentaire.
C. Diagnostic. Les caractères des tumeurs du périoste dentaire se présen-
tent en général avec une assez grande netteté pour que le diagnostic soit facile
à établir. L'état ordinairement sain de la couronne, l'ébranlement et la dévia-
tion de la dent, l'altération de la gencive, la suppuration du bord gingival, les
douleurs provoquées par la pression ou la percussion sur l'organe affecté, sont
des signes qui permettent de soupçonner l'existence de la maladie, et, si le sujet
a éprouvé eu même temps les symptômes spéciaux avec alternatives de calme
et de crises, on pourra songer sérieusement à la présence d'une tumeur. Néan-
moins, comme plusieurs affections peuvent offrir dans certaines circonstances
<]uelques points de contact avec ce processus, et que d'ailleurs presque toutes
les questions de pathologie dentaire sont fort peu étudiées et fort peu connues,
nous allons jeter un coup d'oeil sur les maladies qui pourraient être confondues
avec les tumeurs : c'est ainsi que nous passerons en revue la carie dentaire, la
névralgie faciale, la périostite, les abcès sous-périostaux, les tumeurs du cément.
1" Carie dentaire. Les symptômes propres à la carie dentaire ne sauraient
eu imposer pour ceux des tumeurs que lorsque ces dernières ont pris naissance
sur les racines d'une dent cariée, et que ces deux affections occupent ainsi
simultanément le même organe. Dans ces circonstances, il faudra s'enquérir si
la carie communique ou non avec la cavité de la pulpe. Si la communication
existe, il importe alors de savoir si la pulpe dentaire est conservée ou si elle a
DENT (pathologie). 285
disparu. Les symptômes qui accompagnent la carie étant constamment le résultat
de l'irritation ou de l'inûammation de cet organe exposé à l'extérieur, nous
mettrons d'abord hors de cause les dents qui sont affectées de tumeur et atteintes
en même temps de carie soit légère et ne communiquant pas avec la pulpe,
soit très-avancée et accompagnée de disparition complète de cet organe. Disons
en passant que les dix-huit observations que nous avons recueillies rentrent
dans ces deuv catégories. Restent donc comme pouvant causer un doute les dents
qui sont affectées simultanément de tumeur et de carie communiquant avecla
pulpe denlaire conservée. Les symptômes peuvent offrir alors de grandes ana-
logies : ainsi, dans les deux cas, douleurs pendant les repas, accidents névral-
giques de voisinage reparaissant à des intervalles variés se produisant avec une
intensité parfois très-forte, puis cessant pendant quelque temps pour reparaître
sous l'influence d'une nouvelle cause provocatrice. Hàtons-nous d'ajouter cepen-
dant que les signes tirés de l'observation directe font bientôt disparaître le doute.
Ainsi, dans la carie simple, point d'inflammation de voisinage, point d'altération
de la gencive, point de douleur à la pression, point de déviation ni d'ébran-
lement de la dent, point de suppuration gingivale. La distinction, comme on
voit, sera donc possible.
1° Névralgie faciale. La névralgie faciale essentielle se distinguera aisément
des accidents produits parles tumeurs, en ce qu'aucune dent ne présentera les
symptômes et les signes qui décèlent l'existence de cette affection. Cependant,
lorsque les douleurs névralgiques forment le début des symptômes d'une tumeur,
quelque embarras pourrait sui'gir : alors on devia recourir à un moyen qui nous
a réussi dans un cas, à savoir au traitement delà névralgie faciale. Ce traitement
sera, comme on le pense bien, sans effet sur des accidents provoqués par la
présence d'une tumeur, tandis qu'il triomphera ordinairement d'une névralgie
faciale simple.
3° Périostile dentaire. L'affection dont les symptômes présentent certai-
nement le plus d'analogie avec les accidents produits par la présence d'une
tumeur du périoste est l'inflammation elle-même de cette membrane, ou périos-
tite dentaire, surtout lorsque cette affection est passée à l'état chronique. Nous
allons nous arrêter un instant à cette détermination importante.
La périostite aiguë peut affecter soit une dent cariée, soit une dent saine.
Lorsqu'elle naît sur une dent saine, elle occupe le plus souvent les dents anté-
rieures et supérieures, et résulte alors d'un traumatisme, d'une transition
brusque dans la température de la bouche, etc. Lorsqu'idle occupe une dent
cariée, celle-ci peut être en même temps le siège d'une inllammation générale
de la pulpe, et la périostite est alors le résultat de l'extension de la phlegmasie;
dans le cas au contraire où la dent est absolument privée de sa pulpe, la
maladie doit être considérée comme une tentative produite par l'économie pour
expulser un organe devenu corps étranger.
Quoi qu'il en soit des conditions de développement de la périostite aiguë,
cette affection se distinguera sans trop de difficulté d'une tumeur du périoste!
Les symptômes cependant offrent parfois certaines ressemblances : ainsi, à part
l'invasion des douleurs, qui est lente et progressive dans les tumeurs, brusque
et inattendue dans la périostite aiguë, ils se présentent avec les mêmes carac-
tères, de même que dans les tumeurs les douleurs de la périostite sont conti-
nues, lancinantes, accompagnées souvent de phénomènes inflammatoires de voi-
sinage, d'accidents névralgiques, parfois d'accidents généraux. Leur marche est
28-4 DENT (pathologie).
lente et graduelle dans ces deux cas, et leur terminaison peut s'effectuer par
résolution des accidents inflamnialoires. U est utile de remarquer toutefois que
les phénomènes sérieux qui résultent de la présence d'une tumeur et qui con-
stituent ce que nous avons appelé les crises surviennent toujours au milieu
d'un état douloureux habituel, circonstance qui ne se rencontre pas pour la
périostite aiguë, dont l'apparition est subite. Cette particularité servirait au
besoin de caractère distinctif, mais les signes tirés de l'examen de la bouche
suffiront à cette détermination. En effet, dans la périostite aiguë la dent ne pré-
sente ni l'ébranlement considérable, ni la déviation plus ou moins prononcée
de l'organe, ni l'état fongueux de la gencive, ni la suppuration gingivale dos
tumeurs. Ainsi donc, il sera facile dans la plupart des cas de distinguer la
périostite aiguë de l'affection qui nous occupe. U n'en sera pas de même de la
périostite chronique, ainsi que nous allons le voir.
La périostite chronique, suite ordinaire de la périostite aiguë, est caractérisi'e
anatomiquement par les lésions ordinaires de l'inflammation qu'il nous paraît
inutile de rappeler ici ; elle occupe presque exclusivement les dents profondément
cariées et dans lesquelles la pulpe dentaire a complètement disparu. Cette pre-
mière circonstance permet une distinction facile pour les cas très-fréquents de
dents soupçonnées de tumeurs et exemptes de carie. Quant à celles qui sont
simultanément le siège d'une carie profonde et d'une périostite chronique, elles
offrent avec les tumeurs de grandes analogies de symptômes. Ainsi, les dou-
leurs sont continues, accompagnées d'élancements, de phénomènes nerveux,
d'accidents inflammatoires de voisinage, de tuméfaction et décollement de la
gencive, d'ébranlement et parfois de déviation de la dent, d'abcès du bord gin-
gival souvent suivi de fistule permanente, etc. De plus, la périostite chronique
est sujette à présenter certaines périodes de retour à l'état aigu, périodes qui
simulent parfaitement les crises que provoquent les tumeurs du périoste. Lors
donc qu'une dent affectée de carie avec disparition de la pulpe présentera les
phénomènes que nous venons de signaler, le diagnostic pourra rester très-diffi-
cile. Ajoutons cependant que dans de telles circonstances la conduite du chirur-
gien ne sera nullement influencée, le traitemeut consistant invariablement, pour
les deux cas, dans l'extraction de l'organe malade, sauf dans la périostite chro-
nique à pratiquer la greffe. Disons enfin que l'anatomie pathologique de la pé-
riostite chronique est très-différente des altérations des tumeurs : dans le pre-
mier cas, le périoste est ramolli, offrant quelquefois un certain épaississement,
mais plus ou moins généralisé dans toute la membrane, qui est injectée ou
imprégnée de pus, quelquefois décollée. Dans les tumeurs, au contraire, l'alté-
ration est limitée à un point du péiiosle, et les caractères histologiques, d'ail-
leurs, sont très-différents, dans les modifications organiques des tumeurs, de
ceux qu'on observe dans les productions inflammatoires de la périostite.
Il est encore une affection très-voisine, par ses caractères, de la périostite
chronique, et qui a reçu le nom d'ostéo-périosfite alvéolaire ; nous la décrirons
tout à l'heure. Elle affecte de préférence les dents antéro- inférieures, et paraît
caractérisée anatomiquement par une disparition complète de la paroi osseuse
alvéolaire, accompagnée d'une fonte purulente du périoste dentaire. Quant à ses
symptômes, ils consistent en des douleurs continues, faibles, sans accidents
inflammatoires de voisinage, sans phénomènes névralgiques, et leur marche
uniforme et progressive ne présente pas les alternatives de crise et de calme que
nous avons reconnues aux tumeurs.
DENT (pathologie). '-^^S
4" Abcès sous-périostaux. Ces abcès sous-périostaux des racines, plus connus
sous le nom de kystes des racines, ont été peu étudiés. Nous en avons observé
un certain nombre d'exemples. Les dents antéro-supérieures paraissent en
être plus souvent le siège que les autres. Ces productions, qui reconnaissent
une origine essentiellement inflammatoire, succèdent ordinairement à une
périostite partielle limitée au sommet de la racine. L'étude de leur struc-
ture, faite dans trois cas par M. Robin, a fourni les indications suivantes : La
masse est globuleuse, molle, s'écrasant facilement et laissant sourdre un liquide
purulent. Elle est formée d'une enveloppe fibreuse représentée par le périoste
lui-même, un peu épaissi et soulevé de la surface du cément par le pus accu-
mulé au-dessous de lui. Quant aux symptômes, ils présentent, il est vrai, quel-
ques analogies avec ceux des tumeurs, mais les signes suffiront ordinairement à
établir la distinction. Ainsi, dans le cas d'abcès sous-périostal des racines, on
n'observe ni altération de la gencive, ni suppuration du bord alvéolaire, et
l'ébranlement de la dent, lorsqu'il existe, est très-faible et ne s'accompagne pas
de déviation de l'organe.
0» Tumeurs dures des racines. Ces tumeurs, qui sont assez rares, sont ordi-
nairement formées par des exostoses du cément qui revêt la surface des racines.
Elles ont pour caractère particulier de se développer avec une extrême lenteur,
et, comme leur marcbe est régulièrement progressive, leurs symptômes, au lieu
de présenter les alternatives de calme et d'aggravation qui sont le propre des
tumeurs molles, sont remarquables au contraire par leur persistance au même
degré. De plus, la dent, loin de présenter de l'ébranlement, reste fixée très-
solidement à la mâchoire. Enfin, aucun signe ne se produit du côté de la gen-
cive, de sorte que presque toujours le diagnostic nous parait facile.
D. Traitement. Nous introduirons dans les courtes considérations relatives
au traitement une division nécessaire; en effet, le traitement pourra être pal-
liatif ou curatif. L'affection étant par nature incurable radicalement par les
ressources thérapeutiques ordinaires, les malades seront presque invariablement
conduits par les progrès de la maladie à réclamer l'extraction de la dent
affectée. Mais, si cependant une circonstance spéciale ou la volonté du sujet
s'opposent à l'extraction, on devra entreprendre le traitement des symptômes
Le traitement palliatif, s'adressant presque toujours aux accidents constituant
une crise, devra consister dans l'emploi, selon les cas, des émollients, des
saignées locales, scarifications ou sangsues, des révulsifs, divers moyens pouvant
produire la cessation plus rapide de la crise, et ramener l'état stationnaire,
ordinairement très- supportable.
Le traitement curatif consiste, comme on le pense bien, dans l'extraction de
la dent, seul moyen qui permette une gucrison radicale. Cette extraction est
ordinairement très-facile, car la dent est toujours plus ou moins ébranlée ; mais,
comme l'opération s'effectue en général pendant une période de crise qui amène
le malade chez le chirurgien, elle s'accompagne d'une douleur généralement
assez vive et pouvant même devenir très-intense dans le cas, par exemple, de
dent dépourvue de carie et ayant conservé sa pulpe et ses filets nerveux. L'opé-
ration donne lieu également, dans la plupart des cas, à une liémorrhagie beau-
coup plus considérable que dans les avulsions ordinaires. Cette particularité
tient à l'état de congestion plus ou moins prononcée de la tumeur et des parties
ambiantes coïncidant avec la crise.
Il est donc du devoir du chirurgien consulté, après constatation des symptômes
286 DENT (pathologie).
et détermination précise du diagnostic, d'engager les malades à faire cesser, par
l'extraction de la dent, la série des phénomènes morbides qu'occasionne une
tumeur du périoste, dont la présence peut entraîner par la suite des accidents
sérieux, tels que ceux que nous avons signalés dans le cours de cette de-
scription.
3" De l'ostéo-périostite alvéolo-dentaire. Les médecins qui ont apporté
quelque attention aux affections diverses de la bouche ont pu être frappés de
certaines circonstances dans lesquelles des individus éprouvent prén^turéraent
un ébranlement progressif et continu d'une ou de plusieurs dents, accompagné
de suppuration abondante de l'alvéole, de phénomènes inflammatoires de la
gencive, fongosités, abcès, et de certains autres phénomènes particuliers, sans
que cependant les dents elles-mêmes présentent aucune altération apparente
de leur substance. On a pu remarquer, en outre, que cette affection, abandonnée
à elle-même, aboutissait fatalement à la chute de ces organes.
Cette maladie, dont nous avons l'intention d'indiquer le siège anatomique
précis et de déterminer la véritable nature, a été signalée déjà depuis longtemps
par divers auteurs.
En effet, Jourdain {Maladies de la bouche, t. II, p. 596), qui a laissé de
cette affection un certain nombre d'observations, lui donne le nom de suppu-
ration conjointe des alvéoles et des gencives, admettant que la lésion a pour
siège simultané le tissu gingival et l'alvéole proprement dit, puis, regardant cet
état comme de nature scorbutique, il conseille l'ablation des dents comme seul
moyen de guérison.
Quelques années avant Jourdain, en 1746, Fauchard {le Chirurgien dentiste.
Paris, 1746, t. I, p. 275) avait déjà remarqué cette étrange maladie, mais, sans
lui assigner de nom spécial, il reconnaissait l'impuissance de tout moyen
thérapeutique et sa terminaison inévilable par la perte des dents.
Toirac enfin l'a signalée de nouveau et, frappé d'un des signes les plus carac-
téristiques de la maladie, lui donna le nom de pyorrhée-inter-alvéolo-dentaire.
11 est regrettable que cet auteur n'en ait tracé aucune description et se soit
borné à faire sur ce sujet une simple communication orale dans une société
médicale de Paris.
Oudet {Dictionnaire de médecine en 30 vol., t. X, p. 195) la mentionne
également dans ses excellents articles d'odontologie publiés dès 1855. Il lui
conserve le nom assigné par Jourdain et suppose le premier que l'affection
paraît siéger dans la membrane externe des racines.
C'est encore à cette maladie qu'on doit rapporter sans doute une certaine
communication de Marchai (de Caivi) faite à l'Académie des sciences sous le
nom de gingivite expulsive {Comptes rendus de V Académie des sciences, 1861,
séance du 10 septembre). On voit qu'il s'agit ici pour 1 auteur d'une affection
spéciale du tissu gingival : or nous pensons montrer, par la suite de cette étude,
que la gencive, n'étant jamais atteinte que consécutivement, n'est point le siège
réel de la lésion.
Quoiqu'il en soit, il n'existe aucune étude complète de cette affection signalée
et reconnue depuis longtemps, mais nullement décrite dans ses caractères
particuliers, son siège exact, sa symptomatologie et enfin la thérapeutique
rationnelle qui peut en amener la guérison.
La maladie dont nous nous occupons paraît essentiellement caractérisée au
point de vue anatomique par une destruction lente et progressive de la mem-
DEM (pathologie). 287
brane pc'riostnle et de la couclie de cément qui lui est sous-jacente (on sait
que le cément (cortical osseux de Tenon) est représenté par une couche de
tissu osseux proprement dit, étendue à toute la surface de la racine; son épais-
seur varie de 1 à 5 millimètres dans le voisinage du sommet et il va ens'amin-
cissant vers le collet. 11 sert en quelque sorte d'intermédiaire organique entre
l'ivoire et le périoste dentaire, lequel présente à peu près la texture du périoste
osseux lui-même), dcstrucùon de n;iture inllammatoire, à marche chronique,
procédant constamment du collet au sommet de la racine et entraînant fatalement
la chute des dents.
Cette physionomie spéciale, ce mode de début et le siéi^e précis de la lésion,
nous semblent donc justifier pleinement le nom que nous proposons à'ostéu-
périostite ulvéolo-dentaire.
Toutefois cette affection, malgré sa spécialisation primitive au périoste et au
cément dentaires, se complique peu de temps après son apparition de certains
désordres du côté de la gencive et de la paroi osseuse alvéolaire elle-même;
mais l'étude de la succession des phénomènes morbides ne nous permet pas-
d'admettre, ainsi que l'ont prétendu divers auteurs, que ces parties soient pri-
mitivement le siège du mal. Nous n'en voudrions pour preuve que la localisation
isolée de l'affection à une ou plusieurs dents sans se propager nécessairement
aux voisines, les circonstances du siège anatomiqnc, les signes spéciaux de la
lésion et enfin le fait de la guérison constante qui succède à l'abhitioii de Ja
dent affectée.
Ces raisons nous paraissent devoir prouver surabondamment que c'est bien
la dent et non point le tissu gingival ou toute autre partie qui doit ètra regardée
comme le siège de l'altération.
Anatomie pathologique. Si l'on observe une dent enlevée de l'alvéole au
début de l'affection, on constate sur le périoste dentaiie, dans le voisinage du
collet, point de début constant de la maladie, une légère injection disposée
ordinairement par plaques irrégulières, quelquefois étendue en forme d'anneau
horizontal incomplet au pourtour de la dent. La membrane est en même temps
notablement épaissie, plus molle et inégale d'aspect. Un peu plus tard, le
périoste présente un décollement manifeste dans la partie primitivement atteinte,
tandis que la congestion a gagné vers le sommet de la racine. C'est au moment
où commence ce décollement que la couche sous-jacente de cément, se trouvant
ainsi découverte, se prend d'ostéite, puis de nécrose consécutive, et, si l'on
examine la surface de la racine en grattant le périoste avec un instrument
mousse, on la trouve inégal-e, rugueuse, finement mamelonnée et offrant au
doigt la sensation d'une râpe. Cette sensation est due à la disparition par places
de la substance du cément et à sa persistance sur d'autres à l'état de petits frag-
ments en voie de résorption.
L'altération que nous venons d'indiquer, se propageant à partir du collet vers
le sommet de la racine, arrive bientôt à occuper, soit toute la hauteur d'un des
côtés de cette racine, soit la surface totale de celle-ci. Pour les dents à une seule
racine, la maladie en occupe rapidement toute l'étendue, tandis que pour celles
qui en ont plusieurs distinctes la lésion peut se limiter à l'une d'elles et v rester
fixée sans s'étendre aux voisines.
Dans le cours de la maladie, les parties du périoste et du cément primitive-
ment atteintes disparaissant par voie de résorption, l'ivoire reste en définitive
complètement à découvert, tandis que l'envahissement continue vers les points
288 DENT (pathologie).
de la racine où le cément présente une plus grande épaisseur. lien résulte que,
si on vient à examiner avec une foVte loupe la surface dentaire ainsi mise à nu,
on y retrouve la disposition irrégulière et un peu ondulée de la dentine. Ce
tissu, toutefois, ne paraît éprouver ni ramollissement ni aucune lésion quel-
conque.
Lorsque, par suite delà progression non interrompue de la maladie, l'injection
a gagné de proche en proche, accompagnée du décollement et de la nécrose
osseuse sous-jacente, le sommet de la racine est enGn entouré lui-même de
tissus ainsi modifiés.
A ce moment, la gencive et les bords alvéolaires, frappés dans leur vitalité et
leurs fonctions, éprouvent des altérations de voisinage, caractérisées par des
phénomènes inflammatoires à marche lente et chronique, avec des fongosités
ou ulcérations marginales que nous étudierons plus loin dans la symptoma-
tologie.
En même temps on trouve l'alvéole tout entier rempli d'un pus crémeux,
épais et jaunâtre, baignant toutes les parties altérées, et dont la production
active et incessante entraine les lambeaux mortitiés du périoste et du cément.
Les caractères anatomiques de l'altération ainsi observés à la période habituelle
ou période d'état se modifient notablement, si on les étudie pendant une des
crises ou périodes aiguës qui surviennent, comme on le verra, à des intervalles
variés. Les parties sont alors le siège d'inflammation vive avec rougeur et
injection intense du périoste, état congestif considérable du bord gingival devenu
épais et sanguinolent. La quantité de pus fournie par l'alvéole est bien plus
considérable, et la dent soulevée et allongée présente une mobilité extrême.
Si maintenant on soumet à l'examen microscopique les diverses parties
altérées, on constate les éléments ordinaires de l'inflammation des tissus de
l'ordre de ceux qui sont affectés dans cette maladie. Ainsi, en déposant sur une
lame de verre les débris obtenus par le grattage de la racine, on reconnaît, au
milieu d'un nombre considérable de leucocytes du pus, des lambeaux de périoste
à l'état de trame fibreuse, épaissie, lâche, pénétrée de pus; des petits débris
de cément, reconnaissables à leur constitution spéciale, si voisine de l'os :
ostéoplastes irréguliers, disposés sans ordre au sein d'une substance fondamentale
devenue opaque et granuleuse par suite de l'altération qu'elle a subie.
Au milieu de ces éléments on rencontre encore des lambeaux d'épithélium
pavimenteux provenant de la gencive ; des bouquets d'oïdium et de leptolhrix
[lepiliothrix buccalis, Robin) {Végétaux parasites qui croissent sur l'homme et
sur les animaux vivants. Paiis, 1853), des vibrions [vibrio lineola Ehrenberg)
et un certain nombre de petites masses irrégulières composées de phosphates et
de carbonates de chaux et constituant sans doute des dépôts de tartre.
A la période la plus avancée de la maladie, alors que presque toute la hauteur
du périoste et du cément a été envahie et détruite, les lambeaux du périoste au
voisinage du sommet et au pourtour de l'orifice d'entrée du faisceau vasculo-
nerveux dans le canal dentaire offrent souvent des végétations fongueuses plus
ou moins abondantes et qui fournissent précisément la quantité de pus ordinai-
rement si considérable qui suinte à ce moment de l'alvéole. Ce sont ces végétations,
sujettes à des congestions passagères et subissant ainsi une augmentation de
volume pour revenir ensuite à leur état habituel, qui donnent lieu au phénomène
d'allongement des dents vers la fin de la maladie.
L'organe dentaire, considéré dans sa totalité, ne change pas ordinairement
DEiS'T (pathologie). 289
d'aspect. Toutefois, lorsque l'affection est ancienne et qu'elle a envahi, par
exemple, une ou deux des racines d'une grosse molaire, la pulpe se tiouve
parfois frappée de gangrène, et la dent prend la coloration grise ou noirâtre
caractéristique de cette lésion. Ce pliénomène s'observe aussi pour les dents à
une seule racine, comme les incisives, lorsque la maladie, ayant occupé lou(e la
hauteur d'une des faces de la racine, a déterminé la doslruclion du faisceau des
vaisseaux et nerfs dentaires et privé la pulpe de ses éléments de nutrition. Si
donc on pratique une coupe verticale dans une dent ainsi parvenue vers la lin
de la maladie, on reconnaît que la pulpe, complètement disparue, est rcmpkicée
par un putrilage noirâtre. On constate en outre que la matière colorante noire
résultant de cette gangrène a pénétré par les canalicules dans toutes les parties
de l'ivoire, et que l'artère et la veine dentaires sont dans un état de vacuité
complète.
Si enfin l'on examine une dent après qu'elle a été chassée spontanément par
le seul fait de la maladie, on reconnaît que la couche de cément a comidélemenl
disparu, ainsi que le périoste sus-jacent, et que la racine a subi de la sorte une
espèce de desquamation de ses deux moyens de protection, liens intermédiaires
entre l'organe dentaire et le corps des maxillaires. L'ivoire est donc complétemi nt
mis à nu dans toute l'étendue de la racine, et il baigne dans le pus au milieu
des fongosités qui remplissent la cavité alvéolaire. Cette résorption, parvenue
au sommet de la dent oii l'épaisseur du cément est parfois considérable, laisse
après elle des inégalités et une sorte d'amincissement aigu qui le font paraître
pointu et piquant au doigt. H nous a même semblé évident que l'ivoire lui-même
éprouvait quelquefois à cette période extrême un commencement de destruction
qui rapprocherait cette affection d'une autre maladie des dents que nous n'avons
pas à décrire ici et qui est caractérisée par une résorption spontanée de la
totalité de la racine.
Telles sont les lésions anatomiques qu'offre la maladie observée cà ses diffé-
rentes phases : injection, épaississemeut et fonte du périoste, puis nécrose et
élimination du cément, de sorte que la dent, au moment où elle tombe sponta-
nément, est complètement privée de ces deux tissus. Nous devons toutefois
mentionner une petite particularité dans les lésions anatomiques que nous
venons d'indiquer : elle consiste en ce que, dans certains cas, au lieu d'une
disparition complète du cément, ce tissu oifre, vers le sommet seulement, un
épaississement avec végétations festonnées, comme cela s'observe dans les
hypertrophies cémentaires ordinaires. Cette modification dans la nature des
altérations ne change en rien d'ailleurs la marche et la terminaison de la
maladie.
Étiologie. Les causes de cette affection sont assez complexes et doivent être
recherchées souvent, non dans un étal local de la bouche ou des gencives, mais
dans certaines conditions de la santé générale.
La maladie Irappe ordinairement soit l'une des dents isolément, soit plusieurs
d'entre elles; mais dans ce dernier cas les dents affectées ne sont pas
nécessairement contiguës; elles peuvent occuper divers points de la bouche
éloignés les uns des autres, Toirac et Oudet croient avoir remarqué cependant
que les incisives inférieures en étaient plus particulièrement et simultanément
le siège. Nous n'avons pas reconnu cette particularité, qui nous paraît plus
spéciale à la gingivite avec laquelle peut, dans certains cas, se confondre l'osléo-
périostite.
DICT. ENC, XXVII. 19
2'JO DENT (pathologie).
Les dents atteintes sont, par ordre de fréfiuence : en première ligne, les
grosses molaires, puis l'incisive inférieure, les petites molaires, les incisives
supérieures, et enfin les canines. Nous n'avons jamais observé cette maladie
occupant simultanément la totalité des dents. Tantôt elle siège sur une ou deux
incisives inférieures, ou bien sur les supérieures; tantôt les incisives sont
épargnées et l'altération occupe une ou plusieurs molaires, ordinairement deux
ou trois des côtés différents de la bouche. Parfois même la maladie n'atteint
qu'une seule des racines de ces dernières ou même qu'un seul côté d'une racine,
circonstance qui conserve à la dent pendant assez longtemps une certaine
solidité.
Les dents affectées d'ostéo-périostite ne présentent en général aucune autre
altération antérieure ou concomitante. La carie, par exemple, n'offre avec cette
maladie aucune relation, et, si cette complication se présente, elle est purement
accidei)telle. 11 est même utile de remarquer que les conditions locales qui
accompagnent le développement de l'ostéo-périostite parnissent inverses de celles
de la production de la carie : le milieu buccal est en effet plutôt alcalin qu'acide,
et une production plus ou moins abondante de tartre s'observe sur les lieux
d'élection. Qi\ pourrait même être tenté au premier abord d'attribuer à ce
dépôt une part plus ou moins active dans l'étiologie de la maladie; il n'en est
rien. Le dépôt de tartre représente un accident secondaire, et dans tous
les cas sa formation, élant en général uniforme et continue dans une même
région, ne saurait être invoquée dans la production d'une affection isolée et
locale. Cette petite complication a toutefois une certaine importance, et nous
verrons, à propos du traitement, combien son ablation est indispensable à la
guenson.
Les remarques relatives aux conditions diverses que présentent les sujets
atteints d'ostéo-périostite sont très-importantes à noter.
Uàge auquel s'observe cette affection ne répond en général ni à l'adolescence
ni à l'âge avancé ; l'époque moyenne est de trente à cinquante ans. Elle paraît
également fréquente chez l'homme et chez la femme, et, pour cette dernière,
elle apparaît souvent au milieu des phénomènes si complexes de la ménopause.
Dans un certain nombre de cas, l'ostéo-périostite survient dans l'état de santé
parfaite, et, quelque soin qu'on mette à en rechercher la cause, on ne la ren-
contre ni dans les conditions locales de la bouche, ni dans aucun désordre
appréciable de l'économie. Toutefois, les tempéraments qui y paraissent disposés
sont presque exclusivement les tempéraments sanguin et bilieux. Les constitu-
tions d'ailleurs vigoureuses en apparence, mais sujettes aux congestions cépha-
liques, les personnes à professions sédentaires, les hommes de bureau, y sont
particulièrement disposés. Nous avons également constaté plusieurs fois la relation
qui se produit dans l'apparition des crises avec la cessation de l'écoulement
menstruel ou des flux hémorrhoïdaux.
Cette influence des tempéraments se rattache encore à l'hérédité qui nous a
paru déterminer, dans certaines familles, l'apparition de la maladie. Ainsi des
individus l'ont présentée pendant deux ou trois générations et dans des conditions
analogues d'âge et de constitution.
Certains phénomènes intestinaux s'observent soit en coïncidence, soit en
rapport étiologique : la constipation habituelle se remarque en effet chez les
sujets atteints. Un médecin des hôpitaux de Paris, M. Yidal, a constaté que
ces mêmes sujets présentaient souvent des phénomènes dyspeptiques. Peut-être
DENT (pathologie). 291
ceux-ci étaient-ils dus aux difficultés de la mastication. Dans tous les cas, nous
avons eu personnellement l'occasion de vérifier cette assertion.
Quelques étals généraux ou diathésiques exercent sur la production de l'ostéo-
périostite une action considérable. Ainsi le scorbut, les fièvres éruptives, ont,
comme on sait, parfois pour conséquence la chute des dents. Nous serions
disposé à croire que, dans ces circonstances, le résultat est dû à la production
de lostéo-périostitc [voij. Saller, Giii/'s Hospital Reports, 5" série, t. IV,
p. 269). Les goutteux, les arthritiques, les rhumatisants, la présentent souvent;
les individus frappés d'anémie consécutive à des affections longues sont dans le
même cas, mais il n'est point de lésions générales qui exercent sur la pro-
duction de la maladie d'influence plus grave que l'albuminurie et surtout ht
diabète. Pour la première, il s'agit ici, bien entendu, non de l'albuminurie
symptomatique, mais de la maladie de Briglit proprement dite.
Dans la glycosurie, ce phénomène est absolument constant, et il constitue
même un des signes primordiaux do l'état morbide. On trouve, en effet, dans
la description de la plupart des auteurs, qu'au début du diabète les dents
s'ébranlent et se carient. Cette assertion, relative à la carie, n'est point exacte,
mais la première l'est parfaitement et répond à l'ostéo-périostite qui suit dans
son développement la même marche et la même progression que la maladie
générale, pour arriver au moment de la terminaison de celle-ci à la perte d'un
nombre considérable ou delà totalité des dents (voy. De la valeur diagnostique,
dans le diabète sncré, de la pe'riostite alvéolaire des mâchoires [Académie de
médecine, janvier, 1882]).
Nous n'avons point reconnu que d'autres conditions de la santé fussent en
relation avec l'ostéo-périostite : ainsi certaines diathèses, comme la syphilis,
dont les accidents tertiaires affectent les os et les tissus fibreux du ]tério;te, ne
paraissent pas la produire; les accidents mercuriels sont dans le même cas, et
la gingivite, quelle qu'en soit la gravité, ne paraît en devenir ni le principe, ni
la cause occasionnelle.
Marche et symptomatologie. L'ostéo-périostite, pendant toutes les phases
de son évolution, suit constamment une marche essentiellement lente et cbro-
nique, présentant, depuis le moment de son début jusqu'à la chute de l'organe,
une durée qui n'est jamais moindre de quelques mois, et qui, le plus souvent,
s'étend à plusieurs années.
Le phénomène initial, presque constant, consiste dans une déviation de la
dent malade, soit qu'elle s'incline vers le vide laissé à son voisinage par la
perte d'une autre dent, soit qu'elle se dirige en avant ou en arrière du bord
alvéolaire, soit encore qu'elle subisse un certain mouvement de rotation sur
son axe. Ce fait de la déviation est quelquefois le seul qui, au début, frappe
les malades, en raison du changement qu'il apporte dans les rapports des arcades
dentaires et de la gêne plus ou moins grande qui en résulte dans les fonctions
de la bouche. Cette déviation s'accompagne bientôt après d'un léger allongement,
de sorte que la dent affectée dépasse toujours sensiblement par son bord libre
le niveau des voisines.
A ces premiers phénomènes succède immédiatement un état local du collet
de la dent et du bord libre de la gencive. Celle-ci offre à l'observateur attentif
un petit liséré rougeàtre, d'abord extrêmement étroit, dépassant rarement en
largeur 1 à 2 millimètres. La dent ne présente encore aucune mobilité, mais,
lorsqu'on cherche à pénétrer avec un stylet fin dans l'intérieur même de Talvéole.
292 ■ DENT (pathologie).
on sent qu'il s'est produit déjà un certain décollement, et, si l'on presse légère-
ment sur la gencive au niveau du collet, on fait sourdre une petite quantité
d'un pus blanc jaunâtre, épais, qui forme aussitôt comme un anneau autour
de la dent affectée, et que les malades o'Dservent eux-mêmes, surtout le matin
au réveil.
A une période plus avancée, la rougeur de la gencive s'est propagée, mais
dans le sens vertical, suivant ainsi rigoureusement la direction de l'altération
dentaire elle-même. On constate alors devant la racine affectée une petite bande
injectée verticale, et, si plusieurs dents sont simultanément atteintes, on les
reconnaît à la présence d'autant de petites bandes qu'il y a de racines malades.
Le bord libre de la gencive subit à ce moment un peu d'épaississement, ou
devient le siège de petites protubérances ou de fongosités qui se logent dans les
interstices dentaires. Ces altérations gingivales donnent lieu à des hémorrhagies
spontanées ordinairement faibles, mnis assez fréquentes, et les malades se
réveillent souvent le matin avec la bouche pleine de sang. Quelquefois, au lieu
de fongosités saignantes, on observe des ulcérations marginales grisâtres, ordi-
nairement stationnaires et non douloureuses, reposant sur un tissu violacé,
tumélié et ramolli, mais étalées irrégulièrement, sans présenter les bords taillés
à pic et les taches ecchymotiques que M. Bergeron a signalées dans les ulcérations
de la stomatite ulcéreuse {De la Stomatite ulcéreuse des soldats, 1859, p. 96),
puis, le décollement continuant son cours et se proportionnant à l'étendue
même de la plaque rouge, la suppuration, signe pathognomonique et constant
de la lésion, y trouve un reluge facile, devient plus abondante, plus active et
toujours aisément appréciable à la pression du doigt.
La maladie, au début parfaitement indolente, prend, à un certain moment,
un caractère légèrement douloureux en même temps qu'un faible ébranlement
de l'organe devient perceptible. La sensation qu'accusent les malades est une
sorte de chaleur de la bouche, jointe à une saveur acre. Cette sensation de
chaleur, lorsqu'elle se constate chez les sujets qui présentent sur plusieurs points
simultanés des atteintes d'osléo-périostite, répond à une élévation réelle de la
température. Nous avons fait à cet égard une série de six observations, dans
lesquelles la température de la bouche, prise au niveau des points affectés entre
la joue et la gencive, était de un à deux degrés supérieure à celle du creux
axillaire. Or, on sait, par les recherches de M. Roger [Archives générales de
médecine, 1844, t. LXV, p. 301), que la température de la bouche est norma-
lement toujours inférieure à celle de l'aisselle. Nos résultats appartiennent
d'ailleurs à toutes les lésions inflammatoires de la gencive, aux différentes formes
de gingivite, etc.
Dans le cours de l'ostéo-périostite, l'haleine est chaude et devient rapidement
fétide, si plusieurs dents sont affectées simultanément. Le caractère de l'haleine
est ici un peu différent de celui qu'elle présente dans la carie dentaire et les
diverses affections du pharynx et des voies aériennes ; elle est en même temps
fade et fétide. Les sujets éprouvent une sensation de plénitude et de chatouil-
lement de la gencive, et comme un besoin impérieux de passer le cure- dent ou
d'autres corps étrangers dans les interstices dentaires voisins du point malade,
de manière à provoquer un léger écoulement de sang, qui amène en général un
soulagement momentané. D'auti'es fois la douleur est sourde, pongitive, ressem-
blant assez à une sorte de tension ou de pesanteur profonde au niveau de la
dent affectée, La pression des dents opposées peut même produire un certain
DEi\T (pATHOLor.iE). 293
soulagement, en raison sans doute du dégorgement vasculairc qu'elle provoque.
C'est ainsi que certains malades éprouvent le matin, après le repos de la nuit,
une espèce d'agacement des dents malades qui disparait après quelques pressions
des arcades dentaires.
Dans la phase qui suit la série des phénomènes précédents, et qu'on peut
appeler la période d'état de la maladie, l'alvéole est eu pleine suppuration; la
dent offre un ébranlement plus ou moins considérable, et le décollement est
assez avancé pour permettre à un stylet de pénétrer fort avant et de percevoir au
contact les lésions qu'ont subies le périoste et le cément. Les accidents prennent
alors une physionomie nouvelle. L'état habituel, pénil)!e ou faiblement doulou-
reux, est interrompu par de courtes périodes inflammatoires aiguës, avec douleurs
permanentes, s'exaspérant encore au contact des dents opposées ou à la pression
du doigt. La dent est en même temps plus allongée, la suppuration plus
abondante, de sorte qu'elle s'écoule spontanément au dehors, et l'éljranlemcnt
devient considérable. Ce dernier signe est toutefois assez variable suivant cer-
taines circonstances. Eu effet, si la dent affectée n'a qu'une seule racine, il sera
très-prononcé; mais, si l'une des racines d'une molaire est seule atteinte, la
dent peut rester relativement solide.
Pendant les périodes aiguës de la maladie nu à leur suite, la gencive devient
presque constamment le siège de petites pustules ou abcès furonculaires du
volume d'une gi'osse tête d'épingle ou d'un petit pois, simples ou multiples,
sans fluxion de la joue ou des lèvres, ordinairement sans accidents généraux et
aboutissant à une petite perforation fistuleuse qui persiste jusqu'à la fin de la
crise, et souvent même longtemps au delà. Ces petites perforations livrent
directement passage jusqu'à la racine altérée et constituent un nouveau trajet
à la suppuration qui s'écoule alors également par le bord alvéolaire et par la
fistule. La muqueuse, au pourtour de l'orifice de celle-ci, devient molle et
saignante comme au bord libre de la gencive. L'haleine augmente de fétidité,
une salivation s'ajoute et fatigue beaucoup les malades, puis la période aiguë
s'apaise et disparait, faisant place à l'état indolent antérieur, mais pour revenir
après un intervalle qui varie de quelques semaines à plusieurs mois.
Dans la période extrême de la maladie, la dent, dénudée dans toute l'étendue
de sa racine, ne tient plus à la mâchoire que par quelques faibles adhérences
fibreuses du sommet; la gencive décollée toaibe et flotte dans la bouche; la
paroi alvéolaire elle-même s'est affaissée par résorption, et la dent, très-mobile,
change ordinaii'ement de couleur. De blanche ou jaunâtre qu'elle était norma-
lement, elle devient grise, bleuâtre ou noire, phénomène qui résulte, ainsi que
nous l'avons dit, de troubles profonds apportés dans sa vitalité par des lésions
spéciales de la pulpe. En effet, l'inflammation ayant gagné de proche en proche
jusqu'au sommet de la racine, point d'émergence des vaisseaux et nerfs nourri-
ciers de la dent, ceux-ci éprouvent eux-mêmes par continuité les effets de la
maladie, et subissent une destruction dont la conséquence immédiate est la
gangrène de la pulpe.
A ce moment, la maladie marche avec une grande rapidité vers sa terminai-
son, la chute de la dent : l'ébranlement devient une cause de gêne considérable ;
les crises aiguës se rapprochent ; l'état indolent habituel des périodes précé-
dentes disparaît pour faire place à une sensation permanente de pesanteur,
accompagnée d'élancements, et une quantité considérable de pus s'échappe de
l'alvéole à la moindre pression. Alors, les dernières adhérences fibreuses
204 DENT (pathologie).
qui rattachent encore l'organe au fond de la cavité alvéolaire s'hypertrophient
sous forme de fongosités rougeàtres, et ajoutent leurs produits inflammatoires
au pus qui baigne l'alvéole. Ces fongosités soulèvent nécessairement la dent,
qui se balance alors dans la bouche, provoquant au moindre contact une douleur
intolérable. Enfin, pendant une des crises aiguës l'organe, incessamment repoussé
hors de la mâchoire, fiait, à la suite d'un choc, ou même spontanément, par
se détacher, et tombe dans la bouche.
Ainsi s'achève la maladie par l'expulsion véritable de l'organe malade, et
ensuite la gencive, siège des diverses lésions consécutives que nous venons de
décrire, revient sur elle-même, entre en cicatrisation rapide, sans conserver
désormais aucune trace de la lésion dentaire.
Avant de terminer l'exposé symptomatologique de l'ostéo-périostife, nous
devons noter quelques complications qui peuvent survenir dans le cours de la
maladie.
Nous signalerons en première ligne la salivation, qui peut se produire à
toutes les périodes de l'affection, dont elle suit les phases successives, s'exas-
pcrant dans les crises aiguës et devenant plus faible dans leurs intervalles.
Un autre accident, également très-fréquent, est Vadénite sous-maxillaire,
dans le cas d'ostéo-périostite d'une ou de plusieurs dents de la mâchoire infé-
rieure. Elle survient ordinairement non au début de l'affection, mais à une
période assez avancée, principalement aux époques des crises inflammatoires.
La stomatite ^^énévàXxsée s'observe également, mais plus rarement, par propa-
gation de l'inflammation locale, soit à un côté de la bouche, soit plus rarement
à toute l'étendue de la muqueuse gingivale. Elle peut même, dans ce dernier
cas, s'étendre jusqu'au pharynx, et donner lieu à de l'amygdalile, ou à une
angine pharyngée simple.
Pendant le cours des crises, il peut se produire encore certains phénomènes
de voisinage, phlegmon de la joue ou fluxion ordinairement simple et se termi-
nant le plus souvent par résolution, mais pouvant, si cet accident se produit à
plusieurs reprises, entraîner la production, dans le tissu cellulaire de la joue,
d'un loyer purulent qui s'ouvre au dehors et laisse à sa suite une fistule faciale.
Ces divers phénomènes inflammatoires s'accompagnent quelquefois d'accidents
généraux, fièvre, céphalalgie, etc., et nécessitent alors une intervention rapide,
même par la suppression de la dent affectée, si le cas est au-dessus des moyens
palliatifs.
Diagnostic. L'ostéo-périostite dentaire est une affection caractérisée d'or-
dinaire assez nettement par ses phénomènes locaux, et pouvant être reconnue
sans difficulté : déviation du début, puis ébranlement et allongement suivis
de la période de décollement gingival et de suppuration alvéolaire. Ce dernier
signe, véritablement pathognomonique de la maladie, s'observe pendant toute sa
durée, depuis la période initiale jusqu'à l'époque la plus avancée. D'autre
part, la maladie présente, comme physionomie particulière, sa relation fré-
quente avec état général de l'économie, état quelquefois bien déterminé, comme
le diabète ou l'albuminurie, goutte, arthritisme et généralement toute pertur-
bation durable de la nutrition générale.
Cet ensemble de faits ne permet guère de confondre celte afiection avec
d'autres. Nous allons toutefois esquisser quelques indications diagnostiques.
La gingivite otfre quelques points de ressemblance avec l'ostéo-périostite.
C'est cette confusion qu'a commise Marchai (de Calvi). Nous ferons remarquer
DEiNT (pathologie). 295
à cet é"-ard que la gingivite n'occupe jamais un point isolé de la bouche, ou
plusieurs points localisés simultanément comme des dents éloignées l'une de
l'autre, mais bien une région plus ou moins étendue, ou la totalité des arcades
dentaires; l'ébranlement de la dent, au lieu d'être primitif, est secondaire et
n'apparaît le plus souvent qu'à la suite d'une gingivite longue et rebelle. En
outre la suppuration, lorsqu'elle se produit, n'occupe que le bord libre ou le
collet des dents, mais non point l'intérieur même de l'alvéole, de sorte que la
pression du doigt sur la gencive n'exagère pas l'écoulement purulent. De plus,
le bord gingival épaissi et hypertropliié dans la gingivite est souvent réduit de
volume, atrophié avec ou sans ulcération dans l'ostéo-périostile. Enlin, la
marche et la terminaison de la gingivite sont différentes, et si cette dernière
amène parfois dans les cas graves la chute de quelques dents, cette issue n'est
pas fatide, comme le croit Marchai (de Calvi), quand il décrit la gingivite
expulsive.
La gingivite seule ne saurait produire ce résultat sans une lésion du périoste
ou de l'organe dentaire liii-mème. Nous n'insisterons pas sur cette distinction
bien établie par un excellent observateur, le docteur G. Delestre, dans une mono-
graphie sur la gingivite {Du Ramollissement des gencives. Thèse inaugurale,
1861, p. 17.
D'autres formes de stomatite, soit simple ou mercurielle, soit ulcéro-mem-
braneuse ou diphthéritique, ne sauraient être non plus l'objet d'aucune con-
fusion. Leurs causes spéciales, leur caractère souvent épidémique, leur siège,
sur une étendue quelconque de la muqueuse des joues, des lèvres ou de la
langue, sans participation nécessaire de la gencive, sont des signes particuliers.
Ces remarques n'ont d'ailleurs nullement échappé aux divers auteurs qui ont
décrit des affections (2;oî/.Bergeron, ouvr. cité, p. 72 et 152. — Blache, Bulle-
tin de thérapeutique, t. XLVlll. — Isambert, Études sur le chlorate de -potasse,
1856, p. 36).
Une autre altération dentaire qui présente avec l'ostéo-périostite quelque
analogie, c'est la résorption spontanée des racines des dents permanentes,
l'affectiou locale lente et progressive aboutissant, lorsque la résorption est très-
avancée, à la chute spontanée de l'organe. Nous décrirons plus loin cette maladie
fort peu connue, bien qu'assez fréquente, mais nous dirons ici que, pour la
différencier de l'ostéo-périostite, il suffit de remarquer qu'elle n'occupe
jamais, comme cette dernière, plusieurs dents simultanément ou consécuti-
vement, mais une seule, toujours isolée, et qu'elle résulte constamment d'un
traumatisme antérieur ou d'une gangrène de la pulpe, particularités appré-
ciables soit à l'examen direct, soit à l'étude des antécédents.
La périostite alvéolo-denlaire, avec ses formes variées, présente avec la
maladie qui nous occupe quelques points de ressemblance : nous voulons
parler surtout de la périostite cbronique avec ses exacerbalions aiguës et ses
périodes de calme intermédiaires, l'ébranlement et quelquefois la suppuration
abondante. Nous objecterons à cette assimilation les mêmes remarques que pour
la résorption des racines : la périostite est locale et bornée à une seule dent; elle
succède le plus ordinairement à une lésion grave antérieure de l'organe dentaire,
carie pénétrante, traumalismes, et, de plus, elle est constamment douloureuse,
ce qui n'est qu'accidentel ou exceptionnel pour l'ostéo-périostite.
D'autres alfections du périoste devront encore être prises en considération:
les kystes purulents sous-périoslaux, les fongosités et les tumeurs diverses. Les
296 DENT (pathologie).
kystes ont une marche indolente avec crises aiguës, phe'nomènes de voisinage,
plilegmon de la joue, etc. ; seulement, il ne se produit ni allongement ni dévia-
tion de la dent, qui reste relativement fixe et immobile, et il faut noter en outre
que ces productions attestent bientôt leur présence par leur volume même
appréciable à l'examen direct.
Les fongosités ou les tumeurs du périoste dentaire sont des productions dont
les phénomènes morbides se rapprochent beaucoup plus que les précédents de
ceux de l'ostéo-périostite ; la marche est analogue, ainsi que le décollement de
la gencive, l'ébranlement et l'allongement de la dent et la suppuration alvéo-
laire. Nous devons rappeler d'ailleurs que parfois des hypertrophies périostales
surviennent dans les dernières phases de l'ostéo-périostite, mais, dans le cas où
ces lésions sont esentielles, elles offrent cependant des caractères assez Iranchés.
D'autre part, le développement de fongosités ou d'une tumeur n'affecte jamais
qu'une seule dent à la fois {voy. plus haut Les tumeurs du périoste dentaire).
Nous n'étendrons pas plus loin ces considéi'ations diagnostiques, les autres
affections dentaires ne pouvant présenter avec l'ostéo-périostite aucune analogie
sérieuse; telles sont : la carie dentaire, dont la physionomie est toute spéciale,
les névralgies faciales, etc.
Traitement. Les auteurs qui ont reconnu ou signalé cette maladie sont loin
d'avoir tous désigné une méthode de traitement. Le plus grand nombre décla-
raient simplement que l'intervention de l'art était tout à fait impuissante et se
bornaient à indiquer l'extraction des dents affectées comme seul moyen théra-
peutique. Telles étaient, comme nous l'avons vu, les idées de Fauchard, Jour-
dain, etc. Ce moyen est, en effet, radical, et entraîne immédiatement la cessation
de tout accident, ce qui constitue une preuve de plus que la maladie est bien
de nature dentaire et non gingivale.
Bourdet, et après lui Toirac, songèrent, les premiers, à opposer à la maladie
une thérapeutique moins absolue et proposèrent l'application de certains moyens :
en premier lieu, ils pratiquaient une incision en V à soiumet dirigé vers l'extré-
mité de la racine et circonscrivant un lambeau triangulaire à base répondant
au collet de la dent. Le lambeau détaché, ils passaient un petit cautère sphérique
ou olivaire sur toute la surface de la racine ainsi dénudée et laissaient ensuite
les parties abandonnées à elles-mêmes.
Cette méthode qui, de l'aveu même de Toirac, ne lui a pas fourni de résultats
heureux, a produit entre nos mains des effets tels que nous avons dû aussitôt
y renoncer. 11 a pour inconvénients principaux d'abord de priver la gencive d'un
lambeau étendu que les ressources des tissus ne sont pas aptes à réparer et ne
réparent jamais complètement. En outre, le cautère actuel promené sur la racine
anéantit absolument le périoste et le cément, qui sont également incapables de
se reproduire, en même temps qu'il peut développer au centre de la dent une
réaction inflammatoire ou des désordres plus ou moins graves de la pulpe et
amener même sa mortification complète.
Oudet {Dictionnaire en 30 vol., 1855, 2" édit., t. X, p. 199), convaincu
avant nous de l'impuissance et des dangers de ce procédé, avait conseillé l'emploi
de moyens généraux dérivatifs : l'application d'un séton, des purgatifs répétés.
11 aftirme avoir obtenu un certain nombre de résultats favorables.
Plus récemment, Velpeau et Bauchet [l'Union médicale, 1853, p. 312),
considérant la maladie comme une forme particulière d'ulcération des gencives,
conseillèrent les applications répétées d'alun et des cautérisations avec le nitrate
DEi\T (pathologie). 297
d'argent. .\ous reprocherons au premier de ces moyens d'exposer les dents aux
altérations si graves et si spéciales de l'alun sur le tissu de l'émail, ainsi qu'il
résulte de nos expériences (voy. De In salive considérée comme agent de la
carie dentaire, 2^ édition, 1867, p. 57), et au second l'inconvénient de produire
à la surtace des dents des colorations noires presque indélébiles.
Dans ces derniers temps enfin divers auteurs ont propose' d'autres applications
topiques: Marchai (de Calvi) [loc. cit., p. 11), hien qu'il ait, selon nous,
méconiui la nature réelle de la lésion, préconisa la teinture d'iode, moyen
appliqué déjà depuis longtemps par Delestre dans la gingivite (ouvr. cili'; thèse
inaugurale, 1861, p. 20). A'ous avons essayé nous-mème cet agent à plusieurs
reprises et il ne nous a donné dans aucun cas des résultats satisfaisants. L'iode,
employé même à une dose supérieure à la leintnre au douzième, c'est-à-dire en
solution concentrée ou à l'état solide, n'a produit sur les parties qu'une irri-
tation sans résultat favorable.
Dans ces derniers temps enfui, un médecin des hôpitaux, M. Vidal (commu-
nication orale), avait songé à opposer à cette maladie des applications fréquentes
de perchlorure de fer neutre. Nous croyons que ce liquide n'est pas pourvu
d'une causticité suffisante, et il a de plus l'inconvénient de noircir les dénis
au même titre que toutes les préparations ferrugineufes sohibles.
Pénétré de l'insuffisatice de ces moyens, nous nous sommes efforcé d'instituer
une lliérapeutique réellement eflicace d'une affection aussi rebelle. Ce problème
nous paraissait devoir remplir deux indications solidaires : {" modiliei' l'état
local; 2" traiter les états généraux qui dominent toujours, dans une certaine
mesure, l'affection buccale.
Afin d'amener une modification salutaire et suffisante de l'état local, étant
démontré l'inefficacité complète ou l'impuissance des divers procédés jusqu'ici
employés, nous avons songé à nous adresser à un agent caustique d'une grande
énergie, en même temps que d'un maniement facile et d'une innocuité relative
assez grande, soit pour la bouche elle-même, soit pour l'économie, en cas d'in-
gestion, V acide chromique.
Cet agent, appliqué depuis un certain temps dans la thérapeutique chirur-
gicale à titre de caustique sur certaines fongosités, végétations, etc., n'avait
pas encore été employé dans la bouche. 11 se présente, comme on sait, à l'élat
pur, sous l'aspect de petits grains amorpiies d'une couleur brune, entrant à l'air
très-rapidement en déliquescence et se transformant en. un liquide brun foncé
presque noir.
Pour pratiquer la cautérisation de la cavité alvéolaire elle-même, au moyen
de Pacide chromique, nous procédons de la manière suivante {voy. notre mé-
moire sur Y Acide chromique [Bulletin de thérapeutique'], 1869) : au moyen
d'une baguette de bois taillée à plat, et chargée d'une faible quantité à'eau de
déliquescence, ou d'une parcelle solide, on promène doucement la substance
à la partie antérieure du collet de la dent affectée, en ayant soin de soulever
légèrement la gencive, et après avoir pris la précaution indispensable d'enlever
soigneusement les dépôts de tartre, s'il s'en est formé. Ainsi déposé à l'entrée
de l'alvéole, l'acide chromique s'écoule aussitôt le long de la racine et baigne
ainsi toutes les parties affectées; on applique alors, pendant quelques minutes,
entre la lèvre ou la joue et le point touché, une bande de charpie ou d'ouate,
afin de protéger les muqueuses voisines.
La première application d'acide chromique doit être faite très-légèrement,
298 DEM (patiioi.ocie).
afin d'apprécier la susceptibilité du sujet : aussi pourra-t-on, d;uis certains cas,
chez les femmes, par exemple, commencer par une solution aqueuse ou alcoolique
assez faible (parties égales) pour arriver, après plusieurs séances, à l'acide
chromique pur.
L'effet immédiat de la cautérisation est une sensation d'ailleurs très-légère,
sourde et profonde, s'irradiant parfois, mais faiblement, aux parties voisines,
quelquefois complètement nulle, surtout après plusieurs applications antérieures.
Au bout de quelques heures commence alors une réaction inllammatoire très-
variable, suivant les individus ou la dose employée, et les phénomènes dou-
loureux s'accompagnent d'une augmentation notable dans rébranlement de
la dent affectée ; le bord gingival se recouvre d'une eschare superficielle dont
la chute entrahie dans les limites exactes de la surfiice touchée une véritabb
desquamation épithéliale; la suppuration alvéolaire augmente notablement, puis
survient une sédation, toujours suivie d'une amélioration sensible sur l'état
primitif.
Dans la plupart des cas, sauf ceux qui répondent au premier début de la
maladie, une seule application n'est jamnis sutfisante, et, si l'on bornait là le
traitement, la maladie reprendrait sa gravité. Il faut donc renouveler, à certains
intervalles, l'application d'acide cliromique, et nous avons à cet égard l'habitude,
dans notre pratique, de les répéter tous les six ou huit jours en moyenne, en
augmentant en même temps la dose de substance, de manière à provoquer des
effets caustiques progressivement croissants. Les cautérisations à l'acide chro-
mique ne doivent pas, dans tous les cas, être bornées au collet même de la dent,
et on peut les appliquer avec une grande efllcacité aux fongosités gingivales du
bord libre, ou à celles qui répondent à l'orifice des perforations tistulaires que
nous avons signalées. Ainsi employées, elles les répriment rapidement et provo-
quent souvent l'oblitération du pertuis.
L'application dans la cavité buccale d'une substance de la nature de l'acide
chromique peut soulever à priori des objections auxquelles nous devons répondre.
Au point de vue local, on peut craindre en effet une action caustique trop vive
de la muqueuse, dans le cas surtout d'application un peu irréfléchie. Cet accident
peut se produire, mais hàtons-nous de dire qu'il est promptement modéré par
le passage rapide de l'acide cbromique à l'état de chromate, au contact des sels
alcalins de la salive. Au point de vue de la santé générale, en cas de pénétration
de la substance dans l'estomac, en supposant qu'il s'en introduise par hasard
une faible quantité, cet accident serait sans danger. iSous savons, en effet,
depuis le remarquable travail de M. Delpech sur l'hygiène des ouvriers employés
aux préparations chromiques [Bulletin de V Académie impériale de médecine,
1805-64, p. 289), que ces agents sont à peu près inoffensifs, quand ils sont
ingérés à faible dose, et que les phénomènes morbides qu'offre cette industrie
sont surtout des effets locaux caustiques sur" certaines muqueuses exposées
aux poussières.
Toutefois, l'acide chromique et les chromâtes introduits dans l'estomac agi-
raient, suivant M. Delpech, comme vomitifs énergiques, mais nous n'avons
observé jusqu'à ce jour aucun fait de ce genre.
Les applications d'acide chromique ainsi faites au collet et dans l'alvéole
même, à intervalles réguliers, ne constituent pas notre seul traitement local,
et nous y ajoutons constamment l'emploi du chlorate dépotasse, à la dose quoti-
dienne de 1 à 3 grammes. Le mode d'administration auquel nous nous sommes
DENT (pathologie). 209'
définitivement arrêté est la forme des pastilles. Nous formulons cet égard la
préparation de la manière suivante :
Chlorate de potasse 20 grammes.
Comme ou réglisse q- s.
Pour faire 80 pastilles à '^5 centigrammes chafiuo de chlorate. — Aromatisez
avec essence de menthe.
Nous faisons prendre au malade six à huit pastilles par jour, c'est-à-dire
1 gramme et demi à 2 grammes de chlorate de potasse, et sous cette forme
commode, facile, ne dérangeant ni les habitudes ni les occupations des malades,
nous obtenons un effet double : 1° l'effet local, en recommandant de laisser
fondre les pastilles au contact des parties affectées ; 2° l'effet ordinaire par
l'élimination salivaire.
Le chlorate de potasse, employé de cette manière et à la dose que nous venons
d'indiquer, est en général d'une innocuité complète pour la santé. Toutefois,
dans certaines circonstances, il amène un peu de fatigue et d'intolérance de
l'estomac. Alors nous substituons, à l'emploi des pastilles, l'application topique
extérieure du chlorate pur et porphyrisé, ou bien le mélange suivant :
Chlorsle de pota.se j .^, ^ ^^.^
Borate de soude '
L'administration du chlorate de potasse ne figure d'ailleurs dans notre trai-
tement qu'à titre d'adjuvant, et dans le but surtout de modifier simultanément
les comphcations gingivales. Nous sommes en effet bien convaincu, avec MM. Ber-
geron et Isambert, que son rôle serait absolument insuffisant ou inefficace
contre l'ostéo-périostite (voy. Isambert, ouvr. cité, p. 36).
Dans le cas, fort rare d'ailleurs, où par suite de susceptibilités des dents ou
en raison de carie concomitante l'application du chlorate de potasse produit
des douleurs ou des accidents, nous lui substituons certaines teintures ou
macérations astringentes de crucifères, celles de cochléaria ou de cresson de
Para employées pures en badigeonnages avec un pinceau.
Dans ces derniers temps, M. A. Després, a fait quelques essais d'application du
chlorure de zinc contre cette affection, et paraît en avoir obtenu d'assez bons
effets. En attendant que les observations de M. Després soient plus nombreuses
et plus concluantes, nous ferons toutefois remarquer que l'emploi de cet agent
peut, ce nous semble, pi'ésenter quelques inconvénients sérieux dans le cas,
par exemple, de défectuosités anatomiques des dents ou de caries commençantes
ou confirmées.
Pour terminer l'indication des moyens locaux contre l'ostéo-périostite, nous
devons mentionner certaines applications adjuvantes auxquelles nous attachons
une notable importance. Ainsi, dans le cas où plusieurs points sont simultané-
ment atteints avec atonie générale des gencives et absence de carie dentaire,
nous conseillons des frictions fréquentes avec des quartiers d'oranges ou de
citrons aussi mûrs que possible, ou bien encore avec des feuilles de cresson de
Para, fraîches, ou macérées dans l'alcool.
Les émissions sanguines locales, scarifications, sangsues, ont été conseillées
par divers auteurs. Sans les recommander d'une manière générale, nous croyons
leur intervention utile dans les périodes de crises inflammatoires de la maladie
avec douleur et allongement considérable de la dent affectée. Elles sont alors
300 DENT (pathologie).
susceptibles de ramener plus rapidement l'état habituel et de permettre le retour
au traitement spécial énergique.
Le traitement général institué concuremment aux applications locales doit
s'adresser aux indications particulières que peut présenter chaque sujet déter-
miné. Ainsi, chez les gens à profession sédentaire et sujets aux congestions
céphaliques ; chez ceux où domine le tempérament sanguin, on devra employer
les dérivatifs intestinaux, purgatifs doux répétés à intervalles rapprochés, la
magnésie calcinée, ou mieux les eaux minérales purgatives, les eaux de Pullna,
d'Unyadi, etc. Nous avons retiré un excellent effet, soit du traitement hydrothéra-
pique simple, soit des bains de vapeur et des douches sulfureuses ; l'un de nos
malades, qui passait une saison à l'établissement thermal de Luchon pour
une affection rhumatismale, est revenu complètement guéri d'une ostéo-
périostite assez avancée.
Si l'affection est liée à la suppression des flux hémorrhoïdaux ou menstruels,
on devra se préoccuper de les ramener par la série des moyens appropriés aux
différents cas.
On a vu plus haut, dans nos remarques sur l'étiologie de l'ostéo-périostite,
que cette affection accompagnait presque constamment le début du diabète et de
l'albuminurie, et que les progrès de la lésion dentaire suivaient la même marche
que l'affection générale. Nous devons dire ici que, dans ces circonstances, le
traitement rationnel n'est autre que celui de la maladie générale et que les
applications topiques, ainsi que les divers moyens que nous venons d'indiquer,
ne doivent occuper qu'un rôle secondaire. Suivant M. le professeur Piorry
{y Événement médical, 13 avril 1867), la perte des dents chez les diabétiques
pourrait être attribuée à des phénomènes de résorption des éléments calcaires
de l'organe par l'urine, et l'administration du phosphate de chaux aurait eu,
dans certains cas, une notable influence. Il sera utile, dans les circonstances
de ce genre, de recourir avant tout traitement à l'examen des urines.
En résumé, le traitement de l'ostéo-périostite devra, suivant nous, consister
dans les moyens suivants :
a. Applications périodiques répétées tous les six ou huit jours d'acide chro-
mique solide ou déliquescent ;
h. Emploi habituel du chlorate de potasse à la dose de 1 à 4 grammes par
jour, sous forme de pastilles, ou, en cas de contre-indications, application de
cette substance en gargarismes ou eu compresses ;
c. Antiphlogistiques locaux, -sangsues ou scarifications des gencives, dans
les cas d'hyperémie ou de congestion plus ou moins vive des parties ;
d. Emploi de divers moyens généraux, dérivatifs cutanés ou intestinaux;
e. Prescription de certaines règles d'hygiène ou de régime appropriées.
5° Maladies du cément. Le cément, qui est, comme on sait, une substance
osseuse, ne forme dans l'organisation des dents humaines qu'une couche mince
que revêt la surface extérieure des racines. Les maladies n'ont donc qu'une
faible importance et sont en tous cas entièrement assimilables à celle du tissu
osseux en général. C'est ainsi que nous décrirons en quelques mots : a l'ostéite
et la nécrose du cément ; b l'exostose ou les tumeurs; c la résorption.
a. h' ostéite et la nécrose du cément ne sont jamais primitives et essentielles;
elles accompagnent constamment l'une des formes de la périostite, tantôt la
périostite chronique du sommet, tantôt l'ostéo-périostite proprement dite.
Dans les deux cas le cément, mis à nu par le soulèvement ou la destruction
DE>T (pathologie). 301
du périoste, se détruit alors en passant par les périodes d'ostéite et de nécrose
par exfoliation insensible. Ce mécanisme est rendu évident par l'aspect même
de la racine frappée d'inflammation de son périoste. Lorsqu'on examine en
effet la surface ainsi altérée d'une racine, on constate qu'elle est rugueuse,
couverte d'aspérités et d'inégalités, et si l'on pousse plus loin l'investigation par
une coupe microscopique, on ne retrouve plus aucune trace du cément non
plus que du périoste, si bien que l'ivoire est à nu au sein du foyer purulent de
la périostite et dans toute l'étendue de la dénudalion au delà de laquelle on
retrouve dans leur superposition normale l'ivoire, le cément et le périoste.
Mais ce n'est pas tout, et dans cette même étendue d'ivoire dénudé ou trouve à
ce tissu une surface ondulée et comme rayée en quelque sorte. C'est que la de-
struction qui a fait disparaître périoste et cément a également envalii l'ivoii-e, et
c'est de la sorte que s'explique la résorption parfois très-étendue et même totale
de certaines dents permanentes, ainsi que nous le verrons plus loin.
L'ostéite et la nécrose du cément cbez l'homme ne se constatent donc, comme
on voit, que par la dernière période, la destruction, et l'on n'assiste pas par con-
séquent aux phénomènes inflammatoires qui s'observent sur toutes les autres
parties du squelette frappées de la même lésion. Mais, si un tel examen est
impossible chez l'homme, en raison de la très-faible épaisseur du tissu, il n'en
est pas de même chez certains animaux oiî la couche du cément est très-
épaisse, le cheval, par exemple, de telle sorte que c'est surtout chez ce dernier
qu'on peut étudier les affections du cément et en déduire l'histoire pour les
dents humaines. Chez le cheval en effet l'ostéite et la nécrose du cément ne sont
pas rares. Elles siègent souvent aux molaires, qui sont revêtues, comme on sait,
dans leur couronne, par une épaisse couche osseuse. Qu'il survienne une fracture
par un corps étranger, un caillou égaré dans l'avoine, et l'on constate alors la
série des lésions propres à l'ostéite : piqueté du tissu osseux, élimination insen-
sible ou production d'un séquestre, végétations d'ossification secondaire, dénu-
dation des cornets et surtout propagation des accidents au tissu osseux des
maxillaires. Si la lésion occupe le maxillaire supérieur, un phénomène bien
connu indique cette complication : c'est \ej étage purulent et fétide qui prouve
un envahissement de la maladie au sinus maxillaire. C'est à une telle lésion
que les vétérinaires ont donné improprement le nom de carie dentaire, affection
que nous n'avons point encore observée chez les herbivores avec les caractères
qu'elle affecte chez l'homme. Il faut donc la classer selon nous dans les
maladies du cément, et nous n'avons rappelé ici ces faits que dans le but d'aider
à leur intelligence chez l'homme.
b. Hypertrophie du cément, tumeurs. L'hypertrophie du cément est une
affection très-commune aux dents de l'homme et, à l'inverse de l'ostéite et
de la nécrose, très-facile à observer dans ses diverses formes et ses caractères
variés.
On sait déjà que dans l'état normal et par les progrès de l'âge la couche cémen-
taire des racines, à peine visible à l'œil nu chez l'adulte, s'épaissit notablement
chez le vieillard, et que cet épaississement peut s'accompagner de la formation
de couches concentriques, disposition tout à fait exceptionnelle normalement et
qui rappelle immédiatement la constitution osseuse ordinaire. Ce phénomène
physiologique est ici un acte de compensation destiné à suppléer, au point de vue
de la conservation et de la vitalité de l'organe, à la disparition de la pulpe qui
s'atrophie chez le vieillard et disparaît.
o02 DE.^T (pathologie).
Or cette suractivité fonctionnelle entraîne parfois la formation d'une véri-
table exostose. Telle est déjà l'une des causes de cette hypertrophie. Une autre
condition favorable à ce développement est une certaine forme assez rare de
périostite à forme chronique sans suppuration ni production d'aucune sorte,
processus inflammatoire très-lent qui amène simultanément l'épaississement du
périoste et du cément. C'est à la fois une périostose et une exostose. Des trauma-
tismes anciens et relativement faibles amènent cette complication.
Enfin il est encore une cause particulièrement favorable à la production de
l'hypertrophie cémentaire, ce sont certaines anomalies : soit l'anomalie de siège
ou hétérotopie, soit les anomalies de disposition par réunions anomales de deux
ou de plusieurs dents entre elles, soit enfin les anomalies de nutrition ou
odontomes.
Dans le cas d'hétérotopie, on observe fréquemment qu'une dent frappée dans
son lieu anormal des diverses perturbations de nutrition présente une hyper-
trophie cémentaire parfois considérable. Uue pièce fort curieuse du Musée
de Hunter à Londres fn" 1022 du catalogue) présente une dent prémolaire restée
incluse dans le maxillaire et portant sur le côté de la racine uue tumeur
osseuse cémentaire ayant acquis un volume double delà dentelle-même. Wedl
et Tomes en ont cité d'analogues.
Dans le cas d'anomalie par réunion anomale de deux dents, lorsque la fusion
s'est produite dans les racines, c'est toujours à la faveur d'une masse hypertro-
phique du cément que s'effectue la soudure. La pièce la plus remarquable en
ce genre est celle qu'on doit à M. Maisonneuve et qui figure au Musée Diipuy-
tren. Nous l'avons d'ailleurs figurée plus haut [voy. p. 175, fig. 28).
Enfin dans les odontomes, qui sont, comme on sait, des anomalie» de nutrition
de la totalité de la dent, l'hypertrophie cémentaire est ici un fait secondau'e
compliquant la lésion première. C'est à ce sujet que les auteurs et surtout
Broca ont soigneusement insisté sur la
distinction nécessaire entre les odon-
tomes proprement dits et les tumeurs
du cément qui dans certains cas les
simulent parfaitement. La pièce de
Maisonneuve est eu effet non un odon-
tome proprement dit, mais un fait de
réunion anomale des deux molaires, la
seconde étant incluse dans une niasse
considérable de tissu osseux réunie par
un pédicule à la couche de cément de
la première.
Si de ces diverses considérations
relatives aux causes de l'hypertrophie
cémentaire nous passons aux formes qu'elles affectent, nous en distinguerons
trois principales : 1« V exostose en sphère, ce sont des masses sphériques qui
occupent le sommet des racines ; 2» Vexostose en nappe, celle qui s'observe
dans les réunions anomales; 5» enfin Vexostose en masse, celle qui réper-
cute soit une tumeur hypertrophique simple, soit une tumeur englobant une
dent normale ou non, adhérente tératologiquement à une autre.
Au point de vue histologique, les productions cémentaires sont invariablement
composées des éléments normaux du cément frappé d'hypergenèse et présentant
Fig. 56. — Deux types d'exostoses cémentaires
chez l'homme.
a, exostose en nappe feslonnée. — 6, exostose
en sphères occupant les trois sommités l'aJicu-
laires d'une molaire supérieure.
DEMI (pathologie). 505
quelques variations dans la disposition. Ainsi le cément normal, qui est compose'
de substance fondamentale granuleuse et d'ostéoplastes de forme et de dispo-
sition irrégulières, a fait place à un tissu qui se rapproche tout à fliit du tissu
osseux ordinaire : les ostéoplastes sont rangés par couches concentriques autour
du point occupé par un canal vasculaire. Ils sont d'un volume et d'une couli-
(îuraliou plus uniformes. C'est, en un mot, un retour aux caractères du tissu
osseux de la variété compacte.
Ces dispositions sont la règle dans les hypertrophies cémentaircs en boules ou
en plaques ; mais il n'en est pas de même dans les odontonies où le tissu cémen-
taire se trouve mélangé avec les autres tissus composant une production tératolo-
gique. On rencontre alors des masses diverses interposées aux parties osseuses, par-
fois même des tissus mous fibroides ou fibreux provenant des éléments celluleux
du follicule. Les parties osseuses sont aussi dans ce c;is fort anormales de
composition ; tantôt il y a afQience d'ostéoplastes, tantôt prédominance de
matière foudamentale granuleuse. Il est évident que le cément a en même temps
subi une hypertrophie et une aberration de forme et de disposition de ses
éléments.
Les symptômes de cette affection sont ordinairement nuls, et c'est le plus
souvent dans une autopsie accidentelle ou dans les hasards d'une opération chi-
rurgicale qu'on en a rencontré les exemples les plus reman|uables. l'iusicurs fois
les chirurgiens appelés pour pratiquer l'ablation d'une dent malade ont ren-
contré des obstacles tels qu'après des débridements ou des excisions considérables
ils ont amené au dehors une masse osseuse dont rien ne faisait prévoir l'existence.
Toutefois, il faut dire qu'il est une certaine forme d'hypertrophie cémentaire
qui se manifeste par certains signes et qui peut être soupçonnée, c'est la forme
en sphères occupant le sommet radiculaire. Les accidents ont, dans ce cas, une
forme spéciale: c'est une douleur sourde, profonde, assez analogue à celle de la
périostite chionique, mais ne s'accompa^nant presque jamais d'aucun ébran-
lement. La dent est tout au contraire ''"une solidité extrême: la pression du
doigt sur la région du sommet ne donne lieu à aucune sensation douloureuse ;
on n'observe que des phénomènes subjectifs que le malade rattache toutefois à
un point fixe radiculaire. La dent, du reste, dans sa totalité, par l'aspect de sa
couronne, par l'absence de déviation ou du changement de couleur, n'aide en
rien au diagnostic.
Eu ce qui concerne le traitement, nous n'avons aucune indication à formuler.
Pour les cas de volumineuses tumeurs intra-maxillaires nous ne saurions con-
seiller que l'ablation, si des accidents venaient à en révéler la présence. Mais
nous rejetons absolument cette pratique pour les cas qui seraient soupçonnés de
tumeurs globuleuses des racines. L'opération rencontrerait ici de tels obstacles
matériels par le volume et la situation de la tumeur qu'il ne faut pas la tenter.
C'est pour l'avoir essayée quelquefois au début de notre pratique, et pour y avoir
échoué entièrement, que nous conseillons formellement l'abstention. Les accidents
d'ailleurs, nous le répétons, ne justifieraient pas une intervention chirurgicale
dont les conséquences pourraient devenir sérieuses.
c. Résorption des racines des dents permanentes. Nous croyons devoir
donner place ici à cette affection, assez rare d'ailleurs, dans laquelle une
partie ou la totalité de la racine d'une dent éprouve une disparition lente et
progressive de sa substance, au point d'entraîner sa chute.
Cetti maladie a déjà attiré l'attention de quelques auteurs, de Duval entre
304 DENT (pathologie).
autres, qui la décrit sous le nom de consomption de V extrémité de la racine
des dents.
Il donne d'ailleurs ce nom à deux formes d'altérations : la première carac-
térisée par le. présence de petites aspérilés à l'extrémité de la racine des dents.
C'est, comme on voit, la nécrose du cément et la résorption partielle de la racine;
la seconde est représentée par une perte de substance considérable de la même
racine. Dans l'idée de Duval, il s'agit, comme on voit, de deux degrés de la
même lésion. Nous venons de décrire le premier, il nous reste à parler du
second, c'est-à-dire de la résorption ou consomption totale de la racine.
Cette affection reconnaît plusieurs causes : l'une des plus fréquentes consiste
dans les traumalismes qui ont amené à la suite et d'une manière lente la série des
lésions bien connues, et dont voici le processus : commotion de la pulpe, gangrène
de cet organe, coloration grise ou noire de la couronne ; périostite du sommet à
formé chronique, et alors résorption lente du cément et de l'ivoire dans la tota-
lité de la racine; enfin, chute de la dent à la façon d'une dent temporaire.
Il est à remarquer, toutefois, que celte résorption est particulièrement tar-
dive, de sorte que le traumatisme est ordinairement oublié depuis longtemps
lorsque commence le travail de destruction; tel est, par exemple, le cas suivant :
Obseevatiox. — M. X., trenle-cinq ans, fit à l'âge de dix ans une chute sur une marche
d'escalier et s'ébranla très-violcmmenl l'incisive médiane gauche supérieure. Toutefois
celle-ci se consolida, conservant cependant une légère déviation qui la portait vers sa congé-
nère sur la ligne médiane. Quelques mois après l'accident, elle avait entièrement repris
sa solidité et ses usages.
Il y a deux ans, c'est-à-dire vingt-trois ans après l'accident et sans aucune cause
appréciable, cette dent, qui avait depuis quelques années changé de couleur et était devenue
bleuâtre, s'ébranla peu à peu sans causer ni douleur, ni accident quelconque de voisinage,
et elle tomba spontanément.
Son examen permit de reconnaître que la totalité de la racine avait disparu par résorp-
tion. La couronne élait ainsi surmontée d'un court tronçon rugueux et déchiqueté sans
suppuration ni écoulement quelconque par l'alvéole. La plaie se ferma d'ailleurs au bout de
quelques jours.
Une autre cause qu'il faut mentionner, c'est la sortie anomale et tardive d'une
dent permanente au voisinage d'autres dents qui ne laissent à celle-ci aucun
emplacement. Le fait est particulièrement fréquent pour les canines qui, ainsi
qu'on sait, font parfois leur apparition dans l'âge mûr ou dans la vieillesse.
Nous avons observé plusieurs faits de ce genre dans lesquels la sortie d'une
canine à cinquante, soixante ou même soixante-quatorze ans, a occasionné la
chute de deux incisives dont les racines se sont trouvées résorbées et ont été
ainsi chassées des alvéoles. C'est dans ce cas à un phénomène de compression
simple qu'est due cette résorption en tous points comparable, nous le répétons,
au même fait des dents temporaires.
Voici, par exemple, une observation qui établit parfaitement ce mécanisme :
Observatiox. — Résorption de la racine d'une incisive latérale supérieure droite permanente
par l'évolution anormale et tardive de la canine. — Mademoiselle L., âgée de dix-neuf ans, a
toutes les dents frappées d'érosion par suite d'une affection grave survenue dans knfance-
Toutefois la dentition était complète, sauf la canine supérieure droite qui manquait, lorsqu'il
y a un an celle-ci commença son éruption ; seulement, au lieu de sortir à sa place accou-
tumée, très-réduite d'ailleurs par le rapprochement de l'incisive et de la petite molaire
limitantes, elle fit son éruption en arrière de la petite incisive. Au bout d'une année, sa
longueur ne dépasse pas de 2 à 3 millimètres; sa pointe regarde le fond de la bouche, de
sorte qu'elle se dirige par conséquent d'avant en arrière et de dehors en dedans.
Depuis une année aussi, époque de l'apparition du sommet de la canine, la petite incisive
DEIS'T (pathologie). 305
s'est noiablement allongée, de sorte qu'elle dépasse aujourd'hui de plusieurs millimètres
le niveau des dents voisines; de plus, cette dent s'est considérablement ébranlée et avancée,
de manière qu'elle se place souvent au devant de la lèvre inférieure lorsque la bouche est
fermée.
Cette dent causant par sa déviation et son ébranlement une gêne assez grande, made-
moiselle L. en demande l'extraction. L'opération faite, on constate, que la racine de cette dent
est entièrement résorbée à l'instar d'une dent de lait. La surface d'usure est oblique et répond
exactement à la place et à la direction même de la canine.
Certaines affections du périoste avec abcès ou kyste périostique se compli-
quent encore de cette forme de résorption. Il en est de même de l'ostéite et du
cément du bord alvéolaire dans l'épaisseur duquel se trouvent souvent des dents
incluses et baignant dans le pus, qui sont privées d'une partie plus ou moins
grande de leur lacine. Le fait s'observe en particulier dans la marche envahis-
sanle de certaines nécroses, la nécrose pliosphorée, par exemple.
La lésion est caractérisée par un étal proprement dit d'usure de la racine,
qui apparaît comme rongée avec des surfaces inégales, déchiquetées, couvertes
d'aspérités, baignant en général dans un li(|uide séro-punilent ou purulent.
Dans les cas d'usure par l'action d'un corps étranger, comme une dent évo-
luant tardivement, la résorption occupe le point directement en rapport avec
cette dernière, et elle s'effectue alors sans purulence, sans liquide, sans pro-
cessus inflammatoire quelconque.
Dans ce dei aier cas, l'analogie est, on le voit, complète avec lu résorption des
racines des dénis de lait à l'époque de leur remplacement. Ce n'est pas là un
moindre argument en faveur de la théorie que nous avons émise, et par laquelle
la chute des dents de lait serait due à un simple fait de compression de la part
de la dent permanente correspondante.
La marche de cette lésion est ordinairement extrêmement lente, et, si l'on
n'intervient pas pour enlever une dent ainsi frappée, il peut s'écouler bien des
années avant sa chute.
Quant aux symptômes, ce sont en général ceux de la périostite à forme lente
et chronique : parfois c'est l'indolence absolue et, sans les signes objectifs, l'af-
fection passerait inaperçue. Ceux-ci toutefois sont caractéristiques : la dent, après
avoir subi la transformation grise ou noire de sa couleur, se soulève d'une façon
progressive, si bien qu'en la prenant entre les doigts, on perçoit très-neltement la
sensation de la destruction de la racine. Les adhérences avec le tissu alvéolaire sont
entièrement perdues; la dent flolle dans une cavité où elle n'adhère plus que
par quelques liens fibreux gingivaux, et encore ceux-ci se rompent-ils à leur tour,
laissant passage en ce moment à quelque liquide suintant au dehors et achevant
d'isoler l'organe. C'est ainsi que celui-ci effectue alors sa chute.
Le traitement d'une telle affection est fort difficile, surtout par les moyens
directs qu'on, viendrait porter au foyer même de la résorption. Dans quelques
cas cependant le drainage de ce foyer même par une contre-ouverture pratiquée
sur le bord alvéolaire et la pose d'un drain sont susceptibles de retarder sinoii-
lièrement le travail pathologique.
Les moyens indirects sont plus efficaces. Tels sont, par exemple, ceux qu'on
dirigerait sur un corps étranger, cause première de la lésion. Ceci s'adresse par-
ticulièrement aux dents dont l'éruption vicieuse ou tardive menacerait des dents
essentielles comme des incisives. Si le diagnostic peut être fixé, on ne devra pas
hésiter, même au prix d'incisions ou de débridements osseux suffisants, à aller
à la recherche de la dent qui cause ces désordres et en effectuer l'ablation.
DICT. EJiC. XXVII. 20
506 DENT (médecine opératoire).
Il résulte de là qu'en dehors du drainage comme moyen palliatif et de la
suppression des agents de résorption l'intervention est nulle. L'affection
échappe d'ordinaire à une thérapeutique efficace, et la terminaison inévitable est
la chute de la dent malade.
B. Opérations qui se pratiquent sur les dents. Cette partie de uotre travail
comprend dans toute son étendue la médecine opératoire spéciale.
Nous la diviserons de la manière suivante :
I. De l'exploration de la bouche.
II. De l'abrasion des dents.
III. De la résection.
IV. De l'obturation.
V. De l'extraction.
VI. De la greffe dentaire.
Vil. De l'anesthésie chirurgicale dans les opérations qui se pratiquent sur la
bouche.
I. Exploration de la bouche. L'exploration de la bouche se pratique sui-
vant certaines règles que nous devons indiquer.
Le sujet doit être placé en face de la lumière, assis sur un fauteuil élevé et
la tète solidement fixée au dossier du siège. Un fauteuil ordinaire solide et
pesant, dont le dossier peut s'élever d'une part et se renverser d'autre part
au moyen de deux crémaillères, suffit à tous les cas; le siège peut toujours être
élevé ou abaissé par l'addition ou la suppression d'un simple coussin. Les
fauteuils spéciaux, à mécanismes plus ou moins compliqués et dont les diverses
parties deviennent mobiles par l'emploi de ressorts et de manivelles, sont en
général trop volumineux. Ils représentent de véritables machines dont le moindre
inconvénient est d'effrayer les malades et ne présentent d'ailleurs aucun avan-
tage particulier. Nous les rejetons donc absolument.
L'opérateur se place à la droite du malade et, après lui avoir prescrit d'ouvrir
la bouche, il écarte doucement la commissure des lèvres avec l'index de la main
gauche, l'autre main restant libre soit pour écarter en même temps la commis-
sure opposée ou les lèvres, soit pour saisir les instruments d'exploration.
Dans certains cas l'abaisse-langue de l'un ou l'autre des modèles bien connus
favorise l'exploration par le regard lorsqu'il s'agit, par exemple, d'un état mor-
bide du fond de la bouche ou de la région de la dent de sagesse. On emploiera
aussi dans le même but des écarteurs des lèvres ou des mâchoires.
Cela fait, le praticien dirige son regard sur toutes les parties de la bouche et
il peut ainsi apprécier dans leur ensemble les conditions d'aspect et de colo-
ration de la muqueuse, la conformation générale du système dentaire, la dis-
position des mâchoires et leurs rapports réciproques. Ce premier examen suffit
souvent à un œil exercé pour établir sinon un diagnostic précis, du moins des
présomptions sérieuses sur l'état pathologique des parties ; il permet d'apprécier
d'emblée s'il s'agit d'une stomatite ou d'une gengivite locale ou généralisée ; si
un suj t, à la suite d'une affection grave, a contracté des caries dentaires nom-
breuses. Il pourra encore se rendre compte approximativement de la nature du
mal.
Toutefois, si l'intervention directe de la vue est suffisante pour apprécier un
état morbide des gencives ou une altération avancée du système dentaire, elle
ne l'est plus lorsqu'il s'agit du diagnostic d'une altération commençante ou dis-
DENT (médecine opératoire). ^"'
simulée dans un interstice; mais là encore elle peut fournir des indications
précieuses : lorsque, par exemple, un sujet accuse sur un côté de la bouche une
douleur Tive, on peut reconnaître l'altération dentaire à une tache noire ou
bleuâtre; ou bien c'est une teinte blanchâtre et crayeuse qui décèle à l'œil
exercé une cavité sous-jacente avec ramollissement primitif de la couche d'émail
dont l'opacité tranche nettement avec la transparence des parties voisines. On
fîg. 37. — Deux modèles d'abaisse-langue pour l'exploration de la bouche ; l'un des deux est muni
d'une lampe avec réflecteur.
peut encore au moyen de la vue constater le degré d'allongement qu'a éprouvé
une dent par suite d'une altération aiguë ou chronique de son périoste ou de
l'alvéole, et dans certains cas les déviations plus ou moins prononcées avec ou
sans ébranlement telles qu'on les observe dans le coiu's de certaines formes de
périostite chronique, Tostéo-périostite diabétique, par exemple.
En même temps que la vue, il est un autre sens qui s'exerce aussitôt : c'est
l'odorat. Or les odeurs de la bouche sont très-diverses et en même temps assez
caractérisées pour devenir d'ordinaire un élément important de diagnostic. D'une
manière générale la carie dentaire n'a pas d'odeur par elle-même, mais par les
matières alimentaires en putréfaction qu'elle peut renfermer. Cependant des
caries multiples dues à une cause morbide générale s'accompagnent d'une odeur
fade et aigrelette qui rappelle les milieux en fermentation; dans d'autres cas
une carie profonde, pénétrante et s'accompagnant de suintement dû à un état
inflammatoire chronique du périoste, devient le siège d'une odeur putride
très-gênante d'ordinaire pour les malades et facilement appréciable pour l'explo-
rateur.
A ces diverses odeurs s'ajoute encore celle qui provient des lésions des
gencives. Elle est. à la fois chaude et fétide. On l'observe dans les accidents
308 DENT (médecine opératoire),
muqueux de la dent de sagesse, dans la gingivite simple ou ulcéreuse, dans
l'ostéo-périoslite des diathèses, etc. On sait, par exemple, quelle est l'odeur
habituelle de l'haleine des diabétiques : elle est due à l'étal des alvéoles qui
sont toujours, comme on sait, dans un état de suppuration plus ou moins pro-
noncé.
A ce mode d'exploration directe de l'état de la bouche vient s'adjoindre l'explo-
ration au moyen des doigts. Cet examen comprend :
Le toucher, qui fera reconnaître si une dent a conservé sa solidité normale ou
si elle a subi un degré plus ou moins prononcé d'ébranlement; si une dent
cariée ou fracturée présente des aspérités ou des bords tranchants. Il permettra
d'expliquer la présence, sur les points correspondants de la langue ou des
joues, d'écorchures ou d'ulcérations dont le traitement serait alors clairement
indiqué.
L'emploi des doigts comprend encore la palpation ou le palper : c'est ainsi
qu'en passant l'index le long du bord alvéolaire en dehors ou en dedans de l'ar-
cade on constate l'état des parties profondes, des alvéoles et des racines; la pré-
sence d'un noyau inflammatoire périostique, d'une petite collection purulente,
d'un kyste, se perçoit de la sorte. Il en est de même du diagnostic différentiel
de ces divers états comparés aux autres lésions du bord alvéolaire, néoplasmes,
altérations osseuses, etc. Le palper sert encore à déterminer pendant la période
de la dentition la situation exacte d'une dent en voie d'évolution, sa direction
probable et conséquemment les conditions diverses qui peuvent favoriser ou
entraver sa sortie. De même, lorsqu'une dent aura été frappée de déplacement
plus ou moins grand, le palper, en ne constatant point sa présence dans le voi-
sinage du bord alvéolaire, permettra de lui attribuer certains accidents plus
ou moins graves dont ces déplacements sont ordinairement l'origine.
La percussion est un mode spécial de toucher. On peut la pratiquer au moyen
d'un doigt, pour déceler la sensibilité d'une dent ; mais il vaut mieux se servir
du manche d'un instrument ou d'un petit percutein- consistant simplement en
un petit marteau de métal ou d'ivoire monté sur une tige flexible de baleine
ou d'acier.
La percussion, pratiquée sur la couronne d'une dent, soit dans le sens hori-
zontal, soit dans le sens vertical, indique l'existence des altérations périostiques
et alvéolaires. Si la douleur est ressentie à la fois dans les deux sens, on peut
en conclure à l'existence d'une périostite généralisée; si la percussion horizen-
tale seule est douloureuse, l'altération occupe un point du périoste sur les côtés
del'ahéole; si au contraire c'est la percussion verticale qui est surtout doulou-
reuse, l'altération siège au sommet et peut être ou non compliquée d'un kyste
ou d'un abcès.
Dans certains cas l'épaisseur anormale des lèvres ou des joues ou le volume
de la langue font obstacle à l'examen de la cavité buccale; on a recours alors à
l'emploi d'une spatule ou d'un abaisse-langue qu'on peut au besoin faire tenir
par un aide : ces précautions sont surtout indiquées dans l'examen des faces
interne et externe des arcades dentaires, dans les cas de caries du collet ou de
ésions du bord gingival.
L'application des sens à l'exploration de la bouche peut rencontrer, dans cer-
taines dispositions accidentelles ou morbides, de sérieuses complications : ainsi,
dans les cas d'altérations inflammatoires dues à des lésions profondes du système
dentaire ou à 1 évolution anormale d'une dent de sagesse, les mâchoires sont
DENT (médecine opératoire). 309
rapprochées par la contraction des muscles ou maintenues serre'es par l'engor-
gement des gaînes musculaires. La bouche n'étant plus susceptible que d'une
ouverture très-limitée ou même restant complètement fermée, l'exploiation
immédiate devient impossible. Il faut alors avoir recours à des soins prélimi-
naires pour calmer l'inflammation, cause du rapprochement des mâchoires, ou
provoquer arliûciellement leur écartement. On peut employer à cet effet soit la
vis conique, soit l'un des écarteuis bien connus des chirurgiens et que l'on
introduit entre les petites molaires en le faisant manœuvrer lentement, de
taçon à obtenir graduellement une ouverture plus grande. L'appareil doit être
laissé en place quelques instants, jusqu'à ce que sa présence devienne insup-
portable au malade, et les manœuvres doivent être renouvelées tous les jours
une ou deux fois jusqu'à ce qu'on ait obtenu un écartement suffisant pour rendre
possible l'exploration de la cavité et la pratique des opérations.
Dans quelques circonstances, lorsqu'il sera nécessaire d'intervenir rapidement,
l'ouverture brusque et immédiate de la bouche remplacera la dilatation progres-
sive ; on est autorisé dans ces cas à recourir à l'anesthésie, qui abrège et facilite
l'opératiou et évite au patient les douleurs parfois excessives de l'ouverture
forcée.
A ces moyens d'exploration par l'application directe des sens vient s'ajouter
l'intervention de certains instruments ou appareils. Ce sont : la sonde, le miroir,
les fraises et les perforateurs, la poire à injection et les divers stomatoscopes.
1° La sonde est une tige métallique renflée à sa partie moyenne de façon à
être facilement saisie et maintenue par la main et effilée à ses deux extrémités.
Elle doit être en acier non trempé ou en fer doux, afin de pouvoir se fléchir
dans tous les sens et se prêter à toutes les courbures. Cet instrument sert par-
ticulièrement à déterminer le siège, l'étendue et la sensibilité des caries. Dans le
cas où la maladie est récente et la cavité superficielle, n'ayant encore causé que
peu où pas de douleurs, cet examen au moyen de la sonde se fait très-simplement.
Si au contraire l'altération est ancienne et a déjà causé des douleurs plus ou
moins vives, la recherche et l'exploration de la carie doivent se faire avec les
plus grandes précautions. En effet, l'opérateur, après avoir introduit doucement
l'instrument dans la cavité et l'avoir débarrassée des matières alimentaires et des
corps étrangers qu'elle peut contenir, rencontre vers les parties les plus pro-
fondes un point très-douloureux qui répond au pertuis faisant communiquer la
cavité de la carie avec celle de la pulpe, et par lequel cet organe se trouve mis à
nu. C'est sur ce point que doivent être dirigés souvent avec le même instrument
les divers moyens, pansements, cautérisations, etc., soit pour modifier l'état de
cette pulpe, soit pour la détruire.
2" Le miroir, de forme ronde ou ovalaire, doit avoir 3 à 4 centimètres de
diamètre ; il est articulé en boule de façon à pouvoir se prêter à tous les mou-
vements ; il doit être concave, pour grossir les objets qu'il réfléchit et éclairer
plus vivement les points sur lesquels il projette les rayons lumineux; enfin, si la
surface de réflexion est» en verre, elle doit être entourée d'une garniture métal-
lique. La raison de cette particularité est que le plus ordinairement le miroir se
ternit dès qu'on l'introduit dans la bouche, et qu'il est nécessaire, pour éviter
cet inconvénient, de le tremper dans l'eau chaude ou de le passer vivement dans
la flamme d'une lampe à alcool, ce qui serait impossible avec une oamiture de
bois, d'os ou d'ivoire. Le miroir sert, soil; à éclairer les parties obscures, en pro-
jetant à leur surface un faisceau de rayons convergents, soit à observer les points
310 DENT (médecine opératoire]).
qui ne sont pas directement accessibles à la vue, comme la face postérieure des
incisives et la couronne des molaires dans leurs faces postérieures ou externes,
ainsi que dans leurs interstices.
3° Les fi'aises et les perforateurs, que nous retrouverons surtout dans la pratique
de l'obturation, sont souvent indispensables pour le diagnostic de certaines
caries, par exemple, lorsqu'il s'agit de découvrir une altération de ce genre sié-
geant dans un interstice et dont l'existence n'est révélée que par des signes
indirects comme une coloralion anormale, la douleur, etc. Le petit perforateur,
auquel on imprime quelques mouvements de rotation, pénètre alors aisément au
travers de l'émail désorganisé dans l'inléiieur de la cavité; les fraises, qui sont
en général d'un volume plus considérable et à tête arrondie ou ovoïde, serviront
ensuite à agrandir l'orifice jusqu'à ce que l'on puisse facilement pénétrer avec la
sonde dans la cavité pour pratiquer l'exploration complète.
Fig. 38. — Miroir à exploration (modèle White). Fig. 39. — Poire en caoutchouc pour injections
4" Les poires ou seringues à injection servent, soit à laver les parties et à
débarrasser la cavité d'une carie des détritus qui y sont accumulés, soit et plus
ordinairement à explorer la sensibilité des dents aux températures extrêmes.
Ce sont de petites seringues métalliques, ou mieux de petites poires en caout-
chouc terminées par un ajutage de petit calibre et dont l'extrémité est droite ou
légèrement recourbée.
5° Stomatoscopes. Les divers moyens d'exploration que nous venons de passer
en revue sont, dans la majorité des cas, parfaitement suffisants pour assurer le
diagnostic d'une affection buccale ou dentaire. Toutefois, un praticien de Breslau,
le docteur Bruck, a imaginé, il y quelques années, un appareil plus compliqué
destiné à l'exploration de la cavité buccale au moyen de la lumière électrique
dirigée soit directement devant la bouche, soit portée en arrière des arcades den-
taires. Ce stomatoscope (voy. Gazette des hôpitaux, 1866, p. 47) se compose
d'une pile galvano-caustique de Middeldorff, aux fils conducteurs de laquelle
se visse le manche de l'armature ou bougie électrique; celle-ci consiste en un
DEM (médecine opératoire). 311
miroir concave en maillechort ou en argent, d'un demi-pouce de diamètre,
représentant assez bien la forme d'un dé à coudre et au foyer duquel se trouve
adapté le fil de platine en spirale mis en communication avec les fils conduc-
teurs renfermés dans le manche.
Le miroir est enveloppé d'une capsule en buis poli qui dépasse son rebord,
afin (l'empêcher que la chaleur rayonnante brûle les parties de la bouche avec
lesquelles il doit être mis en contact. Une plaque fermant la bouche fait de
celte cavité une chambre obscure. Certaines modifications permettent d'adapter
l'acilement la partie éclairante de cet appareil aux diverses parties delà bouche,
aux gencives, à la face interne des joues, au voile du palais et à l'isthme du
gosier
Toutes les parties des dents et même leurs rncines sont vues par transparence
avec une netteté telle que la plus légère altération ne saurait échapper à cet
examen. M. G. Trouvé a simplifié l'appareil de Bruck.
s
fig. iO. — Stomatoscope de Trouvé.
Les stomatoscopes, dont nous reconnaissons d'ailleurs l'ingénieuse disposition,
ont néanmoins le grave inconvénient de n'être pas pratiques; ils exigent le
maniement d'un appareil électrique d'une grande puissance it dégagent une
trop grande chaleur rayonnante qui peut devenir insupportable dans la bouche;
nous croyons en outre que les cas oîi ils pourraient rendre de réels services sont
excessivement rares, les moyens d'exploration ordinaire pouvant, selon nous,
suffire à tous Ks cas de la prati(jue courante.
II. Abrasion des dents. Nous désignons sous ce nom la petite opération
qui consiste à enlever les dépôts de tartre et d'autres substances recouvrant
fréquemment les dents, et qui sont, soit de provenance accidentelle, soit la
conséquence de diverses maladies. C'est, en un mot, ce qu'on a appelé vulgai-
rement le nettoyage des dents.
Or, les divers corps étrangers qui peuvent se rencontrer au conta^'t des dents
sont :
1° Le tartre, dépôt calcaire dont nous avons étudié ailleurs le mode de pro-
duction, la composition et les lieux d'élection ;
2° Les amas de matières, analogues au mucus, qui se déposent particulière-
ment au niveau du collet dans le cours des affections générales aiguës ou
chroniques ;
0° Les taches de diverses sortes, soit verdàtres et résultant des mêmes causes,
soit brunes ou noirâtres et de provenance alimentaire.
Les dépôts de tartre de consistance et de volumes variables dont l'influence
est si souvent pernicieuse pour le bord gingival doivent être enlevés avec une
certaine attention. Lorsqu'ils siègent à la face antérieure des dents, on se sert
pour les détacher de petits instruments appelés burins. Pendant que l'on sou-
tient la dent avec un des doigts de la main gauche, la main droite, armée de
312 DENT (médecike opératoire).
l'instrument, en insinue doucement l'extrémité tranchante sous le bord gm-
gival jusqu'à la limite du dépôt, puis, par un mouvement brusque, on fait
sauter quelquefois, eu un seul temps, toute la masse. Si le dépôt siège à la face
postérieure dos dents, comme cela se présente surtout aux incisives inférieures,
on emploie des burins coudés en différents sens; si le tartre occupe les inter-
stices dentaires, on le détache au moyen de petites lames rigides et minces, à
l'aide desquelles on travers les interstices.
Cette petite opération, lorsqu'elle est faite avec tout le soin convenable, ne
Fifi. Al.
lùvcrjcs lormes de
iuiins destinés à enlever les cor(is clunpers du contact des dents
(mod(Mcs Wliilc).
peut léser la surface des dents, ni le bord gingival; on recommande au sujet
d'en compléter les résultats en pratiquant de fortes frictions sur toutes les sur-
faces dentaires avec une brosse assez dure, et de les renouveler assez fréquem-
ment pour éviter le retour des mêmes inconvénients.
Les dépôts de mucosités, parfois très-épais, qui recouvrent les dent?, jouent
un rôle important dans la production des diverses altérations de ces orgunes,
de la carie en particulier : c'est au-dessous d'eux que l'on constate, à la hn des
fièvres graves, ces destructions de l'émail par points isolés ou par plaques qui
deviennent cause d'accidents douloureux, de gène considérable dans l'es fonc-
tions buccales, et sont le point de départ presque constant de caries dentaires.
L'ablation de ces dépôts exige les plus grandes précautions : On ne doit pas
employer les instruments d'acier, dont le contact serait douloureux et pour-
rait aggraver encore les altérations, mais bien de petites baguettes de bois tail-
lées qu'on promène doucement autour du collet et dans les interstices. Celle
manœuvre, que l'on peut confier aux soins des personnes qui entourent et gar-
dent les malades, doit être suivie de rapi)lication de collutoires alcalins com-
posés de bouillies de magnésie ou de bicarbonate de soude, et destinés à com-
battre l'influence altérante de ces amas, véritables foyers de fermentations
acides.
Les taches diverses qui recouvrent les dents ont une composition bien diffé-
rente : ce sont des dépôts de matière colorante de provenance alimentaire ou
résultant de l'usage du tabac. Leur résistance est quelquefois telle que les
soins de propreté ordinaires et l'usage de la brosse ne suffisent pas à les enlever :
le praticien doit alors intervenir et procéder avec les plus grandes précautions
pour ne pas atteindre la substance de l'émail ; les instruments d'acier ne doivent
être employés qu'avec beaucoup de modération; on leur substituera, autant que
possible, les baguettes de bois ou d'ivoire.
DEM (.MÉDECINE opératoire). 51o
L'adhérence de ces dépôts à la surface de l'émail, dans les interstices ou les
dépressions de la couronne, est quelquefois si grande, qu'on a proposé l'emploi
des agents chimiques susceptibles de les dissoudre. C'est ainsi qu'on a conseillé
le citron, les dentifrices alumines et même l'acide chlorhydrique. Malgré notre
iTrande répugnance pour l'emploi de tels moyens chimiques, nous sommes con-
traint d'avouer qu'ils sont parfois seuls capables d'enlever certaines taches très-
difformes et qui défigurent la pbysionomie.il faut toutefois, dans une telle pra-
tique, procéder avec la plus extrême prudence et, de tous les agents, préférer
encore l'acide chlorhydrique étendu de deu\ tiers d'eau, dont l'action est à la
fois rapide et sûre.
C'est ainsi qu'une petite baguette de buis, entourée d'une légère couche de
ouate et imbibée de cette solution, enlève en quelques instants lez taches les
plus rebelles. Celles-ci étant enlevées de la sorte, on neutralise aussitôt l'excès
d'acide par le passage, sur les surfaces touchées, d'un tampon d'ouate imbibé
d'une solution alcaline. Cette petite opération, pratiquée avec ces précautions,
peut être regardée comme parfaitement inoffensive.
111. De la résection. La résection appliquée à la thérapeutique des lésions
dentaires est une opération qui consiste dans la suppression d'une portion de la
substance dure d'une dent, soit de la couronne, soit des racines. C'est une abla-
tion partielle de l'organe.
rs'ous distinguerons ici les deux applications de cette opération ; résection
de la couronue, résection des racines.
A. Résection de la couronne. Les indications de la résection de la couronne
sont diverses. En premier lieu nous devons signaler la résection comme mé-
thode à peu près constante dans la préparation de la cavité des caries pour
recevoir l'obturation. Nous dirons plus loin à propos de cette dernière opération
le rôle de la résection. Rappelons seulement que l'une des conditions essen-
tielles du maintien d'une substance étrangère dans une carie dentaire, c'est
l'état régulier des orifices, la résistance des parois, la suppression des lambeaux
d'émail dépourvus du soutien d'une lame d'ivoire sous-jacente. Or, c'est à
l'emploi des instruments divers de résection qu'il faut recourir pour réaliser
ces indications particulières.
Une autre indication de réseclion repose sur tous les cas dans lesquels une
portion de couronne est devenue, par suite d'accident ou de maladie, le siège de
bords tranchants sur des points dont la rencontre avec la langue ou les joues
donne lieu à des lésions plus ou moins sérieuses.
Ces cas sont extrêmement communs : le plus ordinairement ils sont faciles à
reconnaître et les malades eux-mêmes n'hésitent pas à rapporter telle écorchure
ou telle ulcération de la muqueuse à l'arête ou la pointe qui l'a provoquée. Mais
il est toutefois des circonstances dans lesquelles cette cause exacte a été inéconnne
et où une ulcération de la langue ou du plancher de la bouche a pu s'accom-
pagner d'induration, de phlegmon du voisinage, d'adénite grave. Ces lésions,
surtout lorsqu'elles siègent sur la langue, ont même été confondues soit avec des
accidents de syphilis tertiaire, soit avec l'épilhélioma, et certaines de ces ulcé-
rations sont devenues l'occasion d'amputation partielle de la langue suivie
parfois de récidive par la persistance de la cause méconnue. Nous connaissons
plusieurs observations de ce genre basées sur cette erreur de diagnostic.
Une autre indication de la résection se présente sur un cas du genre de ceux-ci :
une carie est déclarée incurable par suite de l'extrême étendue de la cavité
314 DENT (médecine opératoire).
et de l'impossibilité de l'obturation, ou bien cette obturation est reconnue im-
praticable par intolérance de l'organe qui devient douloureux aussitôt qu'on
l'applique et redevient indolent dès qu'on la supprime. Dans ce même cas, on
note d'autre part que l'état ordinaire ne cause aucune douleur, aucun accident,
et que l'état physique de la couronne est simplement une cause de gène, de
réceptacle d'aliments, etc.
Dans un cas semblable on ne saurait raisonnablement songer à l'extraction;
la résection est ici une ressource excellente en ce qu'elle permet la disparition
des débris saillants de la couronne et la conservation du moignon des racines
qui maintient les bords alvéolaires, évite les rétractions et reste encore comme
utile moyen de mastication. Ajoutons que la résection. ainsi effectuée fait partie
des manœuvres diverses de préparation des bords alvéolaires pour la réception
des appareils prothéliques, ceux-ci s'appliquaut souvent, comme on sait, sur
des moignons ainsi conservés.
Pratiquée dans ces cas la résection porterait plus justement le nom d'am/)M-
tation de la couronne, car c'est en eifet la suppression totale de celle-ci qu'il
convient d'effectuer. C'est d'ailleurs sous ce terme que nous avons désigné le
moyen curatif de certaines formes de caries {Des limites de curabilité de la carie
dentaire, transaction du Congrès de Londres de 1881, t. III, p. 516).
Enfin il est une dernière indication de la résection, peut être la plus impor-
tante et en tous cas la plus employée au moins il y a quelques années. Cette
indication est la guérison extemporanée de certaines caries superficielles.
En effet, dans une pratique sinon abandonnée, du moins très-restreinte, on
avait l'habitude de traiter un grand nombre de caries, notamment celles des
bords latéraux des incisives, par l'emploi de la lime. On effaçait ainsi d'une
manière complète une cavité que l'on transformait en une surface plane. Il
s'ensuivait nécessairement une perte de substance assez sérieuse et surtout
une déformation véritable de la dent. La guérison était, il faut le dire, très-
souvent obtenue par ce moyen, et la carie ainsi effacée n'avait aucune ten-
dance à se reproduire. Ce procédé était en réalité tout à fait rationnel, la sur-
face lisse et polie substituée à la carie ne permettant plus le séjour d'aucun
agent altérant. Le principe essentiel de la guérison, Visolement, était ainsi réa-
lisé.
11 est bon d'ajouter que cette pratique, malgré sa logique apparente, n'était
pas dénuée d'inconvénients et de dangers. Au lieu d'un point limité où la couche
d'ivoire était ;i nu au niveau d'une carie, la lime produisait une surface étendue
exposée à l'air extérieur, impressionnable aux transitions de la température,
aux agents acides, aux liquides siicrés, etc. Les fibrilles si sensibles de la den-
tine, sectionnées par l'instrument, étaient le siège de sensations très-doulou-
reuses qui parfois retentissaient jusqu'à la pulpe centrale devenue le siège
d'inflammations plus ou moins vives. 11 est vrai d'ajouter que l'on conseillait
comme correctif de cette opération la cautérisation avec le feu de la surface
ainsi limée. Dans les cas simples la résection était efticace et les sensations causées
par les agents externes étaient arrêtées ainsi ; mais quelquefois aussi le passage
du feu avait un résultat inverse ; il provoquait une réaction de la part de la pulpe
et celle-ci enflammée et étranglée se gangrenait. C'est ainsi que certaines dents
limées arrivaient après bien des douleurs et des accidents à présenter ces colo-
rations bleuâtres ou grisâtres, éaractérisliques de la gangrène pulpaire.
Nous faisons donc, comme on le voit, le procès à l'emploi de la lime pour la
DE>"T (médecine opératoire). 515
cure radicale de la carie et, en effet, la resection considérée à ce point de vue
d'une façon générale doit selon nous être absolument rejetée.
Nous la réservpns cependant, mais pour un nombre extrêmement restreint
de cas que nous déterminerons en quelques mots.
11 est en effet des caries tout à fait au début, apparaissant sous l'aspect d'une
petite tache crayeuse ou noirâtre occupant, comme lieu d'élection, le bord laté-
ral d'une incisive et dont l'étendue en profondeur n'atteint pas la limite de
la couche d'émail.
Dans un cas de ce genre, lorsqu'il est bien nettement reconnu par un obser-
vateur attentif, deux procédés sont en présence : le premier consiste à tempo-
riser jusqu'au moment où la carie plus profonde, mieux conformée, se prêtera à
l'obturation; l'autre, immédiat, est la résection. Certains opérateurs très-
hostiles, non sans une grande apparence de raison, à l'emploi des limes, préfèrent
le premier procédé. Pour nous," nous considérons le cas ainsi défini comme rele-
vant essentiellement de la résection.
On voit par là combien devraient être rares les cas dans lesquels nous em-
ploierions ce procédé, et nous en formulons l'indication précise en disant qu'il
n'est applicable qu'aux caries des bords latéraux des incisives lorsqu'elles ne
dépassent point la couche d'émail. Ce sont donc les caries du premier degré, les
lésions tout à fait superficielles et dont l'obturation est reconnue impraticable.
Par cette opinion ainsi formulée nous déclarons implicitement que nous ne
mettons nullement en parallèle la résection et l'obluralion, pui.^que en présence
d'un cas dans lequel il y a hésitalion entre les deux moyens nous préférerons
toujours le second au premier.
B. Résection des racines. La résection des racines des dents est ici consi-
dérée comme une section directe pratiquée sur place, soit dans le cas où une
racine fait saillie eu dehors et occasionne des accidents, soit lorsqu'elle est le
centre de développement d'un abcès ou d'un kyste dont la cavité est accessible
aux instruments de résection, soit enfin qu'on découvre chirurgicalement cette
partie de la dent par une trépanation préalable de la paroi alvéolaire.
Examinons biièvement ces différents cas : on observe assez fréquemment, dans
la pratique courante, des circonstances dans lesquelles une racine de molaire,
par exemple, par suite d'une résorption lente de la paroi alvéolaire et de la
gencive, se trouve dénudée et exposée aux agents extérieurs; cette dénudation
parvient ainsi jusqu'au sommet même de la racine , c'est-à-dire au point où
les vaisseaux et nerfs de la pulpe pénètrent dans l'organe. Un état très-douloureux
en est la conséquence. La névrite du filet nourricier provoque une douleur
constante et des crises aiguës fréquentes. La pulpe elle-même s'enflamme par
continuité et l'organe tout entier devient le siège de sensations extrêmement
pénibles qu'un auteur, le docteur Moreau, caractérise par le terme d'//î/;jems//îrâ<>
de la pulpe dentaire. Or, dans le cas dont il a déjà été question plus haut nous
avons conseillé une petite opération qui consiste à pratiquer au sommet radicu-
laire la section du faisceau vasculo-nerveux au moyen du petit bistouri courbé
sur le plat. Cette section, lorsqu'elle est praticable, procure un calme immédiat;
mais elle n'est pas toujours possible et c'est pourquoi nous sommes amené à
proposer dans ce cas la résection même de la racine dans une certaine
étendue : c'est donc ici la résection du sommet substituée à la section simple.
Les résultats favorables sont également immédiats et complets.
La résection des extrémités radiculaires des dents dans un abcès ou un kyste
516 DENT (médecine opératoire).
est une opération qui prendra sa place dans l'iiistoire de la greffe, car elle est
la partie essentielle de la variété dite greffe par restitution dans laquelle oa
sectionne la portion malade avant de rétablir l'organe dans sa place primitive.
Elle doit être toutefois mentionnée ici, car elle a suffi, dans un certain nombre
de cas, à la guérison, et sans qu'il y ait eu à recourir à l'extraction et à la greffe.
Des faits de ce genre ont été rapportés par divers auteurs : MM. Péaa et
Th. Anger ont guéri ainsi des abcès entretenus par un sommet radiculaire malade
et qui put être atteint et sectionné par la pince de Liston introduite dans le
clapier {voij. notre mémoire sur la greffe par restitution, Bull, de la Soc. de
chirurgie, 1879, p. 75). Plus récemment M. Terrillou a communiqué à la Société
de chirurgie un cas des plus intéressants de kyste du maxillaire supérieur qui,
ayant été ouvert largement, permit l'introduction d'une pince coupante et la
section de deux racines des dents point de départ du kyste.
Le troisième cas oii la résection se présente comme moyen thérapeutique est
celui qui a été spécifié par un praticien de Lyon, M. Martin {Lyon médical,
1881, p. 75), et qu'il propose en vue d'éviter l'extraction et la greffe dans le
cas de périostite chroni(]ue du sommet. 11 consiste à pratiquer la trépanation de
la paroi alvéolaire et la résection radiculaire par cette voie artificielle. Nous nous
sommes expliqué au sujet de cette pratique dans plusieurs circonstances et en
particulier devant la Société de chirurgie à l'occasion du travail de M. Ter-
rillon. Nous y reviendrons à propos de la greffe et nous dirons de nouveau
pour quel ensemble de raisons nous croyons devoir la rejeter pour lui préférer
la grelfe proprement dite.
Les instruments propres à la résection sont tantôt des limes, tantôt des gouges
ou bien encore des scies à amputation.
Les limes peuvent revêtir toutes les foniies afin de se prêter à tous les cas et
de manière à être portées sur un point quelconque de la bouche. C'est ainsi
qu'il y a des limes plates d'une minceur extrême agissant tantôt sur le bord
exclusivement, tantôt sur l'une des faces ou les deux faces à la fois. D'autres
sont rondes et s'appliquent à l'amputation des couronnes en égalisant le moigaon
des racines avec les bords alvéolaires, d'autres enfin présentent diverses cour-
bures et quelques-unes ont la forme de baïonnette, afin daller porter leur
action dans l'inteistice de deux molaires, par exemple.
Les gouges sont des instruments trop connus en chirurgie générale pour être
décrits de nouveau. Ce sont à proprement parler des lames tranchantes tantôt
droites, tantôt courbes et pouvant agir sur les portions isolées d'ivoire et d'émail
soit [)ar pression simple de la masse, soit par choc avec un marteau. Leur
mode d'emploi est en définitive le même que pour la rugination des os.
Une autre série d'instruments de résection sont les pinces coupantes. Elles
sont très-utiles lorsqu'un lambeau assez étendu d'émail ou d'ivoire doit être
supprimé et alors que l'emploi de la lime nécessiterait un temps fort long.
La pince de Liston, bien connue des chirurgiens, est le premier instrument .i
utiliser dans ce cas. Viennent ensuite plusieurs pinces construites suivant la
même idée et tantôt droites, tantôt courbes, mais toutes à bords tranchants comme
les pinces coupantes des industries métalliques.
Terminons cette série d'instruments à résection en signalant les limes et les
meules d'émei'i dont l'action plus douce est parfois plus utile, s'il s'agit d'adoucir
une arête vive sans enlever une étendue assez grande delà substance d'une dent.
Ces meules sont composées de poudre d'émeri plus ou moins fine incorporée à
DENT (jiKDECiNE opératoire). 517
chaud dans une masse de résine à laquelle on donne des formes diverses: tantôt
c'est une plaque mince qu'on emploie comme une ve'ritable lime, tantôt un
cvlindreou un bâton demi-cylindrique, tantôt enfin c'est une véritable meule qui
s'ajuste sur un appareil dont nous aurons à parler plus loin, le tour.
C'est ainsi que des débris de couronne peuvent être réséqués sans violence,
doucement et par usure progressive, au moyen d'une véritable meule fine ma-
niée à la main dans tous les coins de la cavité buccale ou mise en mouvement
rapide par un appareil à pédales d'une grande précision et d'une grande puis-
sance.
Ainsi qu'on le voit, toute résection simple ou compliquée, limitée à quelques
lambeaux de couronne ou étendue à la totalité de celle-ci, s'effectuera par l'un ou
Fig. -i^, — Divers modèles d'instruments à résection.
a, limes plates. — b, lime en forme de baïonnette. — c, porte-lime auquel peuvent s'adapter le&
limes figurées en a et pouvant être porté dans les parties profondes de la bouche. — d, scie à
amputation (modèles Wliite, de Philadelphie, et Ash. de Londres).
l'autre des instruments que nous venons de décrire et le plus souvent par
plusieurs d'entre eux successivement. De la sorte, l'amputation complète de la
couronne d'une dent devra se pratiquer tout d'abord avec une pince coupante,
puis les aspérités et angles divers seront adoucis par les limes de métal et les
dernières surfaces polies à leur tour au moyen des limes ou meules d'émeri.
U est pourtant des cas dans lesquels l'emploi des pinces coupantes et les efforts
brusques qu'elles nécessitent peuvent être évités. Lorsque, par exemple, on de\Ta
procéder à l'ablation de la couronna d'une dent antérieure, incisive ou canine.
318 DENT (médecine opératoire).
en vue d'un appareil de prothèse, on pourra, si cette dent est suffisamment
isolée, pratiquer sa section avec les scies spéciales.
L'une de ces scies peut même, par l'addition de deux genouillières, per-
mettre à la lame de prendre les directions les plus variées, de sorte que l'em-
ploi de cet instrument est souvent possible du moment que l'interstice de deux
dents contiguës permet le passage de la lame fine dont il est armé.
Accidents de la résection. Les accidents de la résection sont de divers
ordres et déjà, en faisant le procès de cette opération ainsi qu'elle se pratiquait
autrefois contre la carie dentaire, nous en avons signalé un certain nombre :
l'hypéreslliésie de la pulpe, son inflamraaiion, sa gangrène.
Malgré les réserves que nous avons formulées touchant l'emploi de la résec-
tion aux caries du premier degré, il arrive parfois dans la pratique ordinaire
qu'on se trouve en présence d'une sur-
face d'ivoire dénudée soit par la lime,
soit par un accident provenant d'une
fracture. Pour ce dernier cas nous avons
plus haut indiqué, comme moyeu de re-
médier à la sensibilité extrême de ces
surfaces, l'application du cautère ou
mieux du galvano-cautère.
Le même cas se rencontre souvent ici
au sujet de la résection : lors donc qu'on
se trouvera en présence d'une de ces sur-
faces de dentine impressionnables dou-
loureusement par les transitions de
température, le contact des acides ou des
liquides sucrés, la cautérisation sera
formellement indiquée. Quant au mode
d'application, on devra recourir selon
nous exclusivement au galvano-cautère
et faire choix de l'un des deux appareils
figurés ici et dont l'extrémité de platine
tantôt droite, tantôt coudée, sera passée
très-légèrement, chauffée à blanc, sur la
surface sensible. Ce procédé donne des
résultats excellents.
En dehors des cas de carie, la résection appliquée aux débris de couronnes à
détruire présente un autre inconvénient particulier, Celui de produire sur le
moignon des racines une périoslite ou de rappeler une périostite antérieure.
Tels sont les inconvénients principaux qui seront à craindre à la suite
de la résection : pulpite dans un cas, périostite dans l'autre. Les moyens
propres à éviter ces complications peuvent se résumer ainsi : Pour conjurer la
pulpite, il faut limiter l'emploi de la résection, en cas de carie, aux lésions
delà première période exclusivement; pour éviter la périostite il suffira de
procéder, dans les manœuvres de résection, avec une extrême douceur, rejeter
l'emploi de la pince de Liston pour les dents déjà affectées autrefois de périoslite
et chez lesquelles un ébranlement ramènerait l'inflammation. Il faudra donc
se borner aux limes douces, aux meules qui agissent plus lentement, mais
sans risque de provoquer aucune réaction.
iiil
Fi". 45. — Deux modèles de galvano-caulèrc.
DENT (médecine opératoire). 319
Quant au traitement de ces diverses complications, si elles viennent à se
produire dans l'opération en question, nous renvoyons à la thérapeutique de la
pulpite ou de la périostite.
IV. Obturation de la carie. On désigne sous le nom d'obturation l'opéra-
tion qui consiste à combler avec une substance solide, inaltérable et indestructible,
la cavité d'une carie placée, par un traitement approprié, dans les conditions
propres à recevoir cette substance.
C'est donc le dernier terme de la thérapeutique de la carie, et l'opération a
de la sorte le double but de soustraire d'une façon définitive une dent aux
causes extérieures d'altération et de réparer artificiellement une perte de
substance.
Envisac'ée de la sorte, la guérison par l'obturation est la confirmation de la
nature purement chimique de la carie dentaire, puisqu'elle a pour résultat
essentiel l'isolement d'une dent contre les agents destructeurs. L'organe dentaire
est d'ailleurs, de tous les tissus de l'économie, le seul qui supporte la présence
d'un corps étranger sans devenir le siège de réaction. Nous ne voulons point
dire par là qu'une dent accepte invariablement la présence d'une matière
étrant'èie et nous verrons plus loin quels sont les accidents divers de l'obturation
proprement dite. Mais ce qu'il faut bien préciser, c'est que ces réactions
ne viennent point de l'ivoire ni de l'émail, mais d'autres tissus d'une vitalité
toute différente, lu pulpe et le périoste.
Nous aurons à étudier successivement :
1» Les indications de l'obturation;
2» La préparation de la cavité ;
3» L'obturation proprement dite;
4° Les accidents de l'obturation.
1° Indications de r obturation. D'une manière générale l'obturation est in-
diquée toutes les fois qu'une dent cariée est exempte de toute complication dou-
loureuse ou inflammatoire aiguë ou chronique, et lorsqu'en même temps, en
raison de la forme ou de la profondeur de la cavité, la résection est reconnue
inapplicable.
Nous avons exposé plus haut dans quels cas exceptionnels il convient d'em-
ployer la résection : or, ces circonstances étant de beaucoup les plus rares, la
pratique de l'obturation est bien plus répandue que celle de la résection. 11
n'en était pas de même autrefois, alors que le manuel opératoire et les matières
applicables étaient très-défectueux : aussi préférait-on souvent emplover la
lime, au risque même de produire certaines déformations dont nous avons
parlé.
Une première distinction se présente toutefois dès maintenant suivant que la
carie n'aura réclamé aucun moyen thérapeutique ou qu'elle aura subi un traite-
ment complet. L'obturation sera donc immédiate ou consécutive : immédiate,
lorsqu'elle s'applique à une carie qui, n'ayant causé aucun accident antérieur
et n'étant le siège d'aucune douleur provoquée, ne nécessite aucun traitement •
consécutive, lorsqu'on a dij la faire précéder d'un traitement plus ou moins
long, variable d'ailleurs suivant les formes et la période de l'altération.
L'obturation immédiate peut donc quelquefois constituer à elle seule toute
la thérapeutique de la maladie, et dans ces cas, si les règles d'a[iplication sont
rigoureusement observées, elle procure la guérison définitive et radicale.
L'obturation consécutive se trouve en général dans des conditions moins avanta-
20 DENT (médecine opératoire).
geuses. En effet, d'une part, le traitement par les pansements divers, astringents
ou caustiques, peut rencontrer certaines complications et échouer même dans
quelques cas; d'autre part, la c^wité cariée offre d'ordinaire des dimensions
plus considérables; ses parois sont quelquefois peu résistantes, friables et
susceptibles de s'affaisser soit pendant l'opération, soit consécutivement; enfin
les substances obturatrices appliquées sur une surface plus étendue peuvent
y adhérer moins solidement, ce qui peut entraîner ultérieurement leur destruc-
lion ou leur chute précoce.
11 résulte de ces diverses considérations que l'obturation est d'autant plus
efficace et durable que la carie est moins développée en dimension et qu'elle
donne lieu à moins d'accidents.
Mais la forme et les dimensions de la cavité, en dehors des cas où la résection
est applicable, ne constituent jamais une contre-indication à l'obturation, car
on peut toujours, ainsi que nous le verrons, donner artificiellement à cette cavité
une forme telle qu'elle puisse garder la substance obturatrice.
Quant aux accidents, il importe de bien préciser quels sont ceux qui doivent
être regardés comme une contre-indication; il arrive quelquefois en effet que
l'obturation n'est pas tolérée par la dent malade: par tolérance, nous ne compre-
nons pas ici la résistance qu'opposerait l'ivoire au contact d'un corps élranger;
l'ivoire ne réagit point personnellement. L'intolérance provient, ainsi que nous
l'avons dit, soit de la pulpe, tiop voisine de la matière étrangère, ou recouverte
et comprimée directement par elle, soit du périoste dentaire, qui se congestionne
ou s'enflamme sur une partie plus ou moins grande de son étendue, soitdesdeux
tissus à la fois.
Les accidents imputables à la pulpe ne sauraient être regardés comme des
conlre-iudications, car en conduisant rationnellement le traitement, approprié
aux différents cas, en variant au besoin le choix de la substance obturatrice, en
apportant à l'opération elle-même certaines précautions, ou même détruisant la
pulpe par les moyens que nous avons indiqués ailleurs {voy. Carie dentaire), on
peut toujours réaliser une obturation tolérée et durable.
Mais il n'en est pas de même pour les complications qui viennent du périoste;
quelques-unes contre-indiquent formellement l'obturation, car, lorsque le périoste
dentaiie est affecté d'inflammation chronique avecfongosités, abcès ou productions
organiques diverses, il entretient dans la mâchoire un état permanent de souffrance
avec des crises aiguës à retour plus ou moins fréquent.
C'est là que semble se rencontrer la limite de l'application de l'obturation;
mais ce n'est qu'une apparence que les progrès de la thérapeutique moderne
tendent à faire disparaître. Nous verrons en effet que, dans ces cas, le chirurgien
n'est pas désarmé. 11 lui reste en effet des ressources; la première consiste dans
une modification dans l'aménagement même de l'obturation au sein de laquelle
on applique un tube de drainage destiné à permettre l'écoulement au dehors de
certains produits inflammatoires dont lissue épargne les régions voisines; la
seconde consiste dans cette opération déjà mentionnée et que nous décrirons
en son lieu : nous voulons parler de la greffe.
2" Préparation de la cavité. Étant donné un cas de carie pour lequel
l'obturation est indiquée, il faut mettre la cavité dans des conditions telles
qu'elle puisse recevoir et conserver la substance obturatrice. Deux conditions
sont indispensables : tout d'abord, la substance employée doit être appliquée
directement sur des couches d'ivoire et d'émail entièrement dépourvues d'alté-
DEM (.MÉDECINE OPERATOIRE). 521
ration, c'est-à-dire sur les couches saines sous-jacentes à la zone ramollie; en
second lieu, la forme de la cavité doit être telle que la matière une fois introduite
ne puisse plus se détacher, c'est-à-dire que l'orilicc doit être plus étroit que
le fond de la cavité, ou que celle-ci présente des anfractuosités ou des saillies
capables de retenir la substance.
Si la cavité offre par elle-même la forme convenable, sa préparation consiste
simplement dans l'ablation des couches ramollies et dans la régularisation de
l'ouverture, sans préjudice, bien entendu, des soins préalables ou de la thérapeu-
tique proprement dite, dont nous n'avons pas à nous occuper ici.
Mais très-souvent il est nécessaire d'excnver la cavité ou de pratiquer dans ses
parois des anfractuosités plus on moins profondes; cette préparation varie suivant
le mode d'obturation choisi dans chaque cas particulier. Ainsi, toutes conditions
égales d'ailleurs, elle exige plus d'attention et de soins lorsqu'on veut employer
l'or que lorsque l'obturation doit être faite avec les pâtes ou mastics durcissants.
L'aurification, en effet, pour être solide et durable, exige des conditions de résis-
tance plus parfaites, sa contention résultant simplement de la pression exercée
sur des parois résistantes et le lingot qu'on produit ainsi n'adhérant que d'une
manière purement mécanique. Les matières pâteuses au contraire, tout en n'exi-
geant qu'une moindre pression, adhèrent beaucoup mieux, à la seule condition,
toutefois, qu'il n'y ait interposition d'aucune particule d'air ou de liquide.
Kous ne pouvons entrer ici dans de gi'ands détails sur la forme et le siège
varié des caries au point do vue de l'obturation et de la préparation de la cavité.
Ces détails ne nous paraissent pas avoir une bien grande importance, et nous
devons laisser au praticien l'appréciation des conditions qui conviennent à
chaque cas particulier.
h h '1
.1\
à
Fig. 4i. — Divers types d'excavateurs (Asie).
Les instruments aiiplicables à la préparation des cavités sont : les rugines,
les perforateurs ou trépans, les limes et les fraises.
A. Les rugines ou excavateurs sont de petits instruments de forme spéciale
et de dimensions très-variées, destinés à couper ou à creuser les couches d'ivoire
ramollies d'une carie, et même les couches saines sous-jacentes. Elles doivent
être faites d'acier très-fin et trempées soigneusement, afin de pouvoir vamcre la
résistance parfois très-forte de certaines parties d'ivoire. Quelques-unes sont
droites, mais le plus souvent on donne à leur extrémité une courbure tantôt
sur le plat, tantôt sur le dos de l'instrument; cette courbure est à an^le droit,
à angle aigu ou plus ordinairement à angles obtus. Le manche doit être léo^er
et assez long pour pouvoir atteindre les cavités placées au fond de la bouche.
Le mode d'emploi de ces instruments est facile à comprendre, mais il faut
prendre grand soin, lorsqu'il s'agit d'une carie non pénétrante, de ménaf^er le
fond même de la cavité, afin d'éviter la pénétration de la pulpe. Cette rccom-
DICT. ENC. XXYII. 21
322 DENT (médecine orÉaATOiRE).
mandalion s'applifjue siirlout aux incisives, dont la cavité centrale' est très-
rapproctiée de la surface.
S'il s'agit au contraire d'une carie pénétrante, on devra, au moyen des
nigines et des perforateurs, réunir la cavité de la carie avec celle de la pulpe, après
destruction de celle-ci, et pratiquer une seule excavation qu'on remplira de la
substance obturatrice.
B. Les fraises sont de petits instruments composés d'un manche et d'une tige
d'acier comme les rugines, mais leur extrémité a une forme spéciale, elle pré-
sente un renflement sphérique, cylindrique ou conique, trempé dur et taillé en
lime. Ce sont en effet de véritables petites limes qu'on manœuvre en leur impri-
1
Fig. 4S.
Fraises de formes diverses.
mant avec les doigts un mouvement de rotation et qui sont destinées à régu-
lariser les cavités ; elles s'appliquent surtout aux cavités à orifice étroit, là où
la rugine manœuvrerait difficilement, et
permettent de les débarrasser rapidement
des corps étrangers et des couches de
dentine ramollie qui en tapissent les
parois.
Il est inutile d'msister davantage sur
le mode d'application de ces instru-
ments que le praticien appréciera aisé-
ment dans les cas particuliers où ils
peuvent convenir.
Il va sans dire qu'on doit avoir à sa
disposition un assortiment de fraises
de dimensions graduées dans chaque
forme, les plus grosses ayant jusqu'à
cinq ou six millimètres de diamètre et
les plus petites un millimètre et même
moins.
On peut même procéder dans la manœuvre de ces fraises à l'aide de quel-
ques petits appareils favorisant leur rotation et en épargnant en même temps
la main de l'opérateur; tel est, par exemple, celui figure 46.
On a imaginé encore divers moyens pour substituer à la manœuvre des doigts,
dans l'emploi des fraises, un mécanisme qui permette d'obtenir un mouvement
à la fois plus l'apide et plus régulier.
Fig. 46.
Bague à cupule s'adaptant à la
main (Aste).
DENT (médecine opératoire). 525
Tel est en particulier le petit appareil fort ingénieux qui est représente
figure 47, dans lequel le mouvement de rotation est produit au moyen d'un écrou
auquel on fait exécuter des mouvements de va-et-vient sur la tige en liélice qui
supporte la fraise. Cet instrument, désigné sous le nom de drill, peut être arme
également d'un foret ou trépan et peut ainsi rendre de réels services dans bien
des circonstances.
Fig. 47. — Drill ou porle-foret.
Les praticiens anglais et les Américains emploient aussi depuis quelques
années, toujours dans le même but, un appareil beaucoup plus couipliqué et iiui
est en réalité une véritable petite macliiiie ((ig. 48). Le mouvement imprimé à
uue pédale est communiqué à une tige mobile eu tous sens et disposée de façou
à recevoir à son extrémité des fraises ou forets, des perforateurs et autres
instruments spéciaux.
Il est certain que ce moteur facilite et simplilîc singulièrement le manuel
opératoire, et, malgré notre répugnance instinctive à substituer toute espèce de
machine à l'action modérée et régulatrice de la main, nous ne pouvons nous
défendre d'en conseiller l'emploi dans les cas où l'opérateur veut procéder rapi-
dement dans une carie d'ailleurs indolente.
C. Les perforateurs ou trépans sont de petits prismes d'acier à cinq pans
terminés par une pyramide à trois pans, à bords tranchants et à pointe aiguë ; ils
sont montés sur un manche arrondi qu'on manœuvre aisément dans la main par
des mouvements de rotation vifs ; leurs dimensions doivent être très-variées,
depuis le diamètre de deux dixièmes de millimètre jusqu'à deux millimètres et
plus.
On emploie les perforateurs ou trépans dans le but d'élargir ou de réséquer
l'orifice trop étroit d'une carie, de manière à briser les bords plus ou moins
altérés de l'émail et à pratiquer ainsi une ouverture régulière.
Ou les emploie encore à la trépanation directe de la cavité de la pulpe, soit
dans le cas d'inflammation ou d'étranglement de cet organes, soit lorsqu'on veut
pratiquer le drainage préventif ou consécutif. Nous n'avons pas à décrire longue-
ment le manuel opératoire de ces instruments : on les applique sur les points
qu'on veut perforer ou régulariser et on leur imprime un mouvement de
rotation; dans quelques cas de caries ta parois fragiles, il est utile de procéder
avec mén.igements, car par des mouvements brusques on pourrait dépasser
de beaucoup l'effet recherché et produire des éclats de la paroi qui aug-
menteraient singulièrement les dimensions qu'on voulait donner à l'ouverture.
On évitera ce petit inconvénient en appliquant successivement plusieurs trépans
de dimensions graduées de façon à produire, par degrés successifs, l'effet que
l'on cherche.
Ajoutons enfin que ces mêmes perforateurs font partie de l'arsenal instrumental
du tour décrii tout à l'heure et que, maniés de ia sorte, ils peuvent faciliter sin-
524 DENT (médecine opératoire).
gulièrement la besogne, surtout lorsqu'il s'agit de la trépanation de la cavité de
la pulpe.
Fig. '18. — Tour dentaire de Whiie.
D. Les limes ont déjà été décrites à propos de la résection. Leur emploi est
DENT (médecine opératoire). 325
fréquemment utile dans la préparation d'une cavité, lorsque, par exemple, les
bords de l'orifice doivent être régularise's et aplanis de manière à laisser toujours
une couche d'émail protégée par une couche de dentine sous-jacente, condition
essentielle d'une bonne obturation. C'est qu'en effet les lames d'émail isolées
seraient insuffisantes pour supporter l'application de la substance obturatrice et
risqueraient de se rompre, soit spontanément après l'obturation, soit par les
effets de la pression exercée pendant l'opération, ou bien encore par les mouve-
ments de dilatation que peuvent éprouver certaines matières, les amalgames
métalliques en particulier, sous l'intluence de l'élévation de la température de la
bouche.
Outre cet emploi de la lime, nous signalerons encore son application à la régu-
larisation de la surface même d'une obturation, dans l'aurification, par exemple.
Obturation proprement dite. L'obturation proprement dite consiste dans
l'application de la matière obturatrice destinée à remplir l'excavation delà carie.
Mais avant d'y procéder, lorsque l'indication a été posée, lorsque la cavité a
été convenablement préparée, il reste encore à dessécher ses parois et à les
garantir pendant toute la durée de l'opération du contact de la salive. Enfin,
comme il existe plusieurs substances qui peuvent servir à l'obturation, il faut
entre toutes choisir celle qui convient le mieux dans chaque cas particulier.
Nous allons donc, avant de décrire le manuel opératoire, dire quelques mots
du dessèchement de la cavité et donner les indications qui doivent guider le
chirurgien dans le choix de la matière obturatrice.
Le dessèchement de la cavité est nécessaire pour assurer l'adhérence de la
masse obturatrice aux parois de la carie; nous verrons, en outre, plus loin que
le contact de la salive ou même simplement l'humidité font perdre à quelques-
unes des substances employées les qualités pour lesquelles on les recherchait.
C'est ainsi que l'or dit adhésif perd cette propriété adhésive et que les ciments
minéraux restent mous et friables, si l'on n'observe pas avec soin les règles que
nous allons indiquer.
Pour dessécher la cavité, on y introduit de petites boulettes de ouate au
moyen de la sonde. Quelques praticiens préfèrent employer l'amadou ou même
le papier buvard ; mais ces substances sont d'un maniement assez incommode :
elles sont difficiles à fixer à l'extrémité de la sonde et ne paraissent pas agir
mieux que la ouate.
Lorsque la cavité est bien desséchée, il suffit ordinairement, pour empêcher
la salive d'y arriver pendant l'opération, d'appliquer les doigts autour de la dent,
d'inclmer la tète du patient du côté opposé et de l'inviter en même temps à ne
pas porter sa langue du côté opéré. Mais dans quelques cas, lorsque l'opération
ne peut être rapidement faite, lorsque la cavité arrive au contact ou même au-
dessous du bord gingival, lorsqu'elle est en regard de l'orifice d'un des canaux
salivaires, comme il arrive pour les caries de la face externe des molaires, ces
moyens peuvent être insuffisants. On peut alors, suivant les circonstances, isoler
la dent au moyen d'une compresse, ou appliquer le doigt garni ou non d'un petit
tampon de ouate sur l'orifice du canal de Stenon, ou, si la gencive tuméfiée ou sai-
gnante atteint le niveau de la cavité, la déprimer par l'application de boulettes
de ouate renouvelées pendant deux ou trois jours avant l'opération.
Quelques praticiens se servent, pour assurer plus complètement l'isolement de
la dent et empêcher d'une manière absolue l'arrivée de la salive, d'artifices plus .
mgénieux que pratiques et dont l'usage nous paraît complètement inutile : c'est
526 DENT (médecine opératoire).
d'abord une feuille mince de caoutchouc appelée di^iie, percée de petits trous dans
lesquels on passe la couronne de la dent à obturer et celle des deux ou trois
dents voisines ot ensuite certains appareils destinés à absorber ou à rejeter la
salive. On les appelle des pompes salivaires. Il n'est pas douteux que ces
moyens procurent un isolement complet, mais leur application est souvent dif-
ficile, nécessite presque toujours le concours d'un aide et est au moins très-
désagréable pour le patient.
Nous avons toujours réussi avec les petits moyens que nous avons indiqués et
nous rejetons complètement cette tendance à compliquer les opérations et à mul-
tiplier les appareils sans avantage pour le malade et souvent à son détriment.
Choix de la matière obturatrice. Toute substance employée pour l'obtu-
ration des dents doit, pour répondre à toutes les indications, réunir les condi-
tions suivantes:
i" Être susceptible de recevoir sans effort ni pression considérable et de
conserver après son installation l'empreinte exacte de toute cavité de forme
appropriée, quels que soient sa situation et son volume ;
2° Être un mauvais conducteur de la chaleur ;
3» Ne subir aucune modification de volume, soit par le fait de son durcis-
sement, soit sous l'influence des variations de température ;
A" Offrir une résistance suffisante à l'action mécanique de la mastication;
5° Être absolument inaltérable par tous les agents chimiques qui peuvent se
rencontrer dans la bouche ;
6" Avoir une coloration qui se rapproche autant que possible de celle des dents.
Une matière obturatrice qui réunisse toutes ces qualités est encore à trouver.
Mais un certain nombre de substances se rapprochent plus ou moins de ce type
parfait ; et, comme toutes les conditions requises n'ont pas la même importance
dans tous les cas, on choisit, parmi ces substances, celle qui répond le mieux
aux indications de chaque cas particulier.
On peut, à cet égard, les diviser en quatre catégories:
Les métaux purs.
Les amalgames.
Les ciments minéraux.
Les pâtes de nature organique.
Les substances qui composent chacune de ces catégories ont des avantages et
des inconvénients communs, et c'est de leur connaissance que se déduit ration-
nellement l'indication de leur emploi. Ce que nous allons dire maintenant sera
donc la réponse à cette question qui se pose naturellement ici : Quelle est dans
un cas donné la matière obturatrice qui convient le mieux?
1" Métaux purs. — L'étain, l'argent et l'or, sont à peu près les seuls qui aient
été proposés. Les deux premiers ont été successivement abandonnés et l'or reste
aujouid'hui à peu près le seul métal pur qui serve à la pratique des obturations.
Lorsqu'il est bien tassé dans la cavité, il résiste aux actions mécaniques ; il
est de plus inattaquable parles agents chimiques qui peuvent se rencontrer dans
la bouche ; mais son application exige une grande habitude, elle est souvent
impossible pour certaines caries Ties dents postérieures d'un accès dilTicile, elle
exige une pression considérable, incompatible avec la fragilité des parois de
certaines caries ; enfin la couleur du métal fait avec celle des dents un contraste
fâcheux, et son prix élevé peut devenir un obstacle pour les cavités de grande
dimension.
DEM (médecine opératoire). 527
L'aurification doit être réservée pour les caries du premier ou du second
degré, à parois solides, à cavité régulière de petite ou moyenne dimension,
facilement accessibles et situées de façon que la surface de l'obturation ne sera
pas trop apparente extérieurement. Enfin la dent doit être dans des conditions
telles que l'on soit en droit d'espérer qu'elle pourra être conservée encore pendant
de longues années. Par conséquent l'emploi de l'or est contre-indiqué : 1" pour les
dents de lait dans tous les cas et pour les dents permanentes lorsque le sujet a
atteint un âge avancé; 2° dans tous les cas de carie pénétrante, surtout lorsque
la dent malade a déjà été atteinte de quelques manifestations inflanimatoiies de
son périoste ; 5° pour toutes les caries à parois fragiles.
2° Amalgames. Exclusivement employés par certains praticiens, rejetés au
contraire systématiquement par d'autres qui attribuent injustement à tous les
imperfections de quelques-uns, les amalgames peuvent rendre de très-grands
services, lorsque leur cboix est judicieusement fait et leur emploi réservé aux
cas où ils conviennent.
Nous discuterons plus loin la composition des principaux amalgames qui ont
été successivement proposés et nous verrons que, si un grand nombre doivent
être rejetés, quelques-uns d'entre eux possèdent au contraire des ([ualités
précieuses. L'amalgame d'argent et d'étiiin dont nous nous servons -depuis
quelques années se modèle très-bien, il est très -facile à manier et forme après
son durcissement une masse très-résistante et à peu près inaltérable chimique-
ment dans la bouche. Sa couleur contraste certainement moins que 1 or avec celle
des dents; il subit néanmoins par le durcissement un certain retrait; mais ce
retirait est réellement très-faible et même tout à fait inappréciable lorsque la
masse employée n'est pas trop volumineuse. Nous ferons plus loin justice des
prétendus inconvénients qui résulteraient de la présence du mercure des amal-
games dans la bouche.
Les amalgames dé bonne qualité présentent donc sur l'or l'avantage d'être plus
faciles à manier et de n'exiger pour leur installation qu'une faible pression ; ils
offrent une résistance au moins égale aux actions mécaniques ; par contre, ils
résistent moins bien aux actions chimiques et subissent un léger retrait ; enfin
ils ont avec l'or certains défauts communs ; la coloration et la conductibilité.
L'indication de leur emploi devient dès lors facile à préciser : Les amalgames
conviennent dans tous les cas oii l'aurification est contre-indiquée et lorsqu'en
même temps il n'existe pas de raison particulière pour éviter le contraste de la
couleur ou les inconvénients de la conductibilité.
3° Ciments minéraux. Les ciments minéraux qui servent à la pratique des
obturations sont des oxychlorures de zinc, des pyrophosphates du même métal et
des combinaisons diverses de même ordre qui, appliqués à l'état pâteux, acquiè-
rent très-rapidement une solidité suffisante.
Ils sont d'un maniement très-facile et leur coloration blanchâtre les rend très-
précieux pour l'obturation des caines des dents antérieures; mais leur résistance
est très-inférieure à celle de l'or on des amalgames et les obturations les mieux
faites s'usent bientôt par les frottements delà mastication ; de plus leur inaltéra-
bilité chimique n'est pas absolue et, lorsqu'ils sont en contact avec la gencive, ils
se décomposent et se désagrègent très-facilement.
Les ciments minéraux ne sont donc guère applicables qu'à ces caries latérales
des dents antérieures, à cavités profondes et à parois très-fragiles; ils rendent
dans ces cas de réels services, car ils permettent de conserver quelquefois peu-
Z28 DENT (médecine opératoire).
dant longtemps des organes qui seraient condamnés sans eux à une destruction
prochaine, les amalgames étant inapplicables en raison de leur couleur et de
plus les variations de volume qu'ils subissent aux changements de température
devant nécessairement amener à bref délai la fracture de ces parois minces et
souvent fragiles comme du verre.
¥ Pâte& dénature organique. Quant aux pâtes de nature organique, elles
servent d'intermédiaire entre l'obturation définitive et l'obturation provisoire.
Leur qualité dominante est la facilité avec laquelle on peut les enlever en cas
d'accidents-, à ce point de vue elles sont très-utiles; de plus, la gufta-percha, qui
est la base de toutes ces compositions, étant un très-mauvais conducteur de la
chaleur, ces pâtes deviennent précieuses pour l'obturation des caries dont le fond
est resté sensible aux variations de température. C'est ainsi que, dans certains
cas, on pratique des obturations en garnissant le fond de la cavité d'une certaine
épaisseur de gulta-perclia et en comblant le reste avec de l'or ou un amalgame, de
façon à laisser entre la masse métallique très-conductrice et la couche d'ivoire
sensible un corps isolant à l'abri duquel la réparation des canalicules de l'ivoire
pourra se faire peu à peu et l'insensibilité deviendra définitive.
Si maintenant, avant de passer à la description des divers modes d'obturation,
nous avions à résumer au point de vue de la forme et du siège de la carie le
choix du procédé et de la substance à employer, nous pourrions présenter le
tableau suivant :
Irês-superliciellc ne dépassant pas la couche d'émail et
siégeant aux bords latéraux des incisives Résection.
nettement limitée, à bords résistants, à orifice étroit
ayant sr>n siège aui incisives et à la face triturante
des molaires Aurlfication.
Car:e .
/ siégeant sur des points diflicilemeut accessibles des mo-
\ la ires,
mais à parois résistantes Obturation avec les amal-
games.
très-friable des dents antérieures Obturation avec les céments
minéraux.
profonde, friable et avec des doutes sur la guérison ou
des menaces de périostites Obturation avec les matières
organiques (gutta-perclia si-
lice e).
A. Aurification. De toutes les méthodes d'obturation, l'aurification est la
plus ancienne. L'or réduit en feuilles minces et chimiquement pur se modèle
avecla plus grande facilité sur les surfaces contre lesquelles on l'applique et
est absolument inattaquable par les liquides buccaux ; ces deux propriétés le
désignèrent tout d'abord à l'attention des praticiens.
Pendant longtemps, l'aurification consista simplement à remplir la cavité delà
carie au moyen de feuilles minces froissées eu boulettes et successivement
comprimées dans la cavité, mais bientôt on s'aperçut que l'obturation faite ainsi
ne présentait qu'une durée très-limitée : les fragments d'or, simplement appli-
qués les uns contre les autres sans méthode et au hasard, se détachaient peu à
peu et, quelque soin que l'on eût mis à les tasser, s'e/feuillaient en quelque
sorte.
On fut ainsi amené à rechercher une disposition qui assurât à ce mode d'ob-
turation une durée illimitée ; un grand nombre de procédés ont été indiqués,
mais tous peuvent se résumer de la manière suivante : Faire avec des feuilles
d'or de petits cylindres que l'on juxtapose dans la cavité de la carie, de façon
DENT (médecine opératoire). 529
qu'ils reposent par une de leurs extrémités sur le fond même de la cavité,
l'autre extrémité étant libre au dehors. Tomes a très-heureusement com|. are cette
disposition à celle que présenteraient des cigares juxtaposés dans un verre ; il
est évident que, si les cylindres sont suflisamment pressés les uns contre les
autres, la masse obturatrice sera impénéirable, et l'on n'aura plus à ciaindre
refreuillement, puisque chaque fragment d'or occupe en réalité toute la hauteur
de la cavité.
Plus tard, on découvrit que les feuilles d'or possèdent dans certaines condi-
tions la propriété de se souder entre elles à la température ordinaire. Celle
découverte, due au hasard, fut aussitôt mise à profit et l'on pensa (|u'on pouvait
substituer au simple tassement des feuilles une nouvelle méthode dans laquelle
toutes les parties de la masse obturatrice, adhérentes et réellement soudées
entre elles, doivent constituer un véritable lingot.
Deux méthodes d'aurificalion sont donc en présence : celle par tassement,
celle par soudure. On nomme or mou, malléable, non adhésif, celui qui sert
dans la première, or dur, adhéi^if ou cohésif, celui qui sert dans la seconde.
Chacune des deux méthodes a ses partisans exclusifs; d'autres praticiens combi-
nent les deux, employant l'or mou pour commencer l'aurification, l'or adhésif ])Our
terminer. Nous croyons que, suivant les cas, il faut savoir adopter celle des deux
méthodes qui ])résente le plus de chance de succès, et que le plus souvent c'est
la combinaison des deux qui assure les meilleurs résullats. iXoiis reviendrons
d'ailleurs sur ce point tout à l'heure; mais auparavant nous étudierons succes-
sivement les conditions que doit remplir l'or employé pour les obturations ;
les instruments qui servent à pratiquer l'aurification et le procédé opératoire
applicable à chaque méthode.
I. De V or employé pour les aurifications. A. Or mou, non adhésif . Il est
employé sous forme de feuilles très-minces que l'on trouve dans le commerce en
petits cahiers d'une demi-once et sous des numéros qui indiquent le poids eu
grains de chaque feuille d'un décimètre carré. Les numéros 6 à 8 suffisent à
tous les cas de la pratique. Les feuilles minces s'obtiennent par le battage ; elles
doivent être faites d'or chimiquement pur, très-souples et dépourvues de toute
propriété adhésive.
B. L'or adhésif peut être employé sous forme de feuillet ou sous une forme
particulière qu'on désigne improprement sous le nom d'or cristallisé.
Or adhésif en feuilles. Les feuilles d'or non adhésif, lorsqu'elles sont de
bonne qualité, peuvent dans certaines conditions devenir adhésives; il suffit pour
leur donner cette propriété de les recuire en les portant dans la llamme d'une
lampe à alcool jusqu'au rouge brun ; on peut d'ailleurs sans inconvénient
dépasser cette température. Après le refroidissement, on constate que les feuilles,
qui étaient molles et absolument dépourvues de la propriété adhésive, sont deve-
nues moins souples, plus rigides, et ont acquis la propriété de se souder entre
elles sous une pression même très-modérée.
11 est probable que sous l'influence de l'élévation de la température il se
produit un changement d'état moléculaire ; mais la chaleur agit certainement
beaucoup plus en débarrassant la surface delà feuille d'or de toute impureté et
en chassant complètement toute trace d'humidité.
Toutefois, cette propriété de l'adhésivité se perd aussi facilement qu'elle s'ac-
quiert, et il suffit pour la faire disparaître complètement de la plus petite trace
d'humidité : aussi, lorsqu'on pratique des obturations avec l'or adhésif, doit-on
330 DENT (médecine opératoire).
recuire les feuilles d'or au moment même de les employer et seulement au fur
et à mesure des besoins.
Ou trouve cependant dans le commerce des feuilles
d'or dites adhésives, prépare'es à l'avance, numérotées
suivant leur épaisseur et disposées en petit cahier
comme les feuilles d'or ordinaire. Ces feuilles per-
dent à la longue et même quelquefois très-rapide-
ment leur propriété spéciale; on peut, il est vrai, la
leur rendre par le recuit, mais on comprendra alors
qu'il devient inutile d'avoir des feuilles particulières,
puisqu'on peut à son gré rendre adhésives les feuilles
d'or ordinaires.
Or cristallisé ou en éponge. On désigne ainsi l'or
précipité de sa solution dans l'eau régale; il se pré-
sente sous la forme de petites masses spongieuses qui,
examinées au microscope , présentent l'apparence
cristalline ; il possède au plus haut degré la propriété
adhésive, mais il suffit aussi de la plus petite trace
d'humidilé pour la lui faire perdre; en outre il n'est
pas susceptible de se recuire aussi commodément que
l'or en fouilles et il est difficile lorsqu'on le porte
dans la flamme de la lampe à alcool d'éviter la fusion
de quelques parcelles d'or qui grillent, suivant l'ex-
pression employée en métallurgie.
Cet état spongieux du métal n'est d'ailleurs pas
spécial à l'or ; l'éponge de platine connue de tout le
monde, s'obtient par les mêmes procédés et jouit
comme l'or de la propriété adhésive. Ce n'est pas ici
le lieu d'examiner le mode de préparation chimique
et les propriétés physiques de l'or spongieux; nous
dirons seulement que la découverte de celte propriété
du métal précipité, alors qu'on ne connaissait pas
encore la propriété adhésive des feuilles, sembla devoir
faire abandonner les anciennes méthodes ; mais la
plupart des praticiens y revinrent bientôt à cause de
la grande variabilité de l'or spongieux et de la diffi-
culté du manuel opératoire.
En somme, des trois variétés d'or qu'on peut em-
ployer pour l'obturation, les feuilles spéciales dites
adhésives et l'or spongieux doivent être rejetées; les
ieuilles d'or ordinaire, bien pur, des numéros 6 ou 8,
suffisent toujours ; employées telles quelles, elles ser-
vent à pratiquer les aurifications par tassement; re-
cuites au moment de l'opération, elles deviennent adhésives et sont employées
pour l'aurification par soudure.
II. Instruments de Vaurification. Les instruments qui servent à pratiquer
les aurifications sont : la pince, les fouloirs, les limes et les brunissoirs.
A. La pince en forme de brucelle sert à manier les fragments d'or, elle est
utile dans l'emploi de l'or adhésif; l'une de ces pinces, celle de Tomes, présente
a
Fig. 49. — Pince pour manier les
feuilles d'or (modèle >Yliite).
DEÎS'T (médecine CPKRATOir.E). û31
à rexlrémité de chaque mors de petites dentelures qui peimeltent d'utiliser la
pince comme fouloir léger (fig. 49),
B. Les fouloirs, comme leur nom l'indique, sont des instruments qui servent
à tasser les fragments d'or dans la cavité de la carie; leur manche doit être assez
volumineux, l'instrument devant être manié à pleine main. L'extrémité de la
tif^e est droite ou recourbée à angle et présente des formes très-variées. On peut
les rattacher à l'un des quatre types suivants :
1° Fouloirs en pieds ;
2° Fouloirs cylindriques;
3° Fouloirs en coins ;
4° Fouloirs en olives.
Le mode d'emploi de chacun de ces instruments sera plus utilement décrit
.'^ f)
1 î n w? ,
fi ( ft
Fig. oO. — Divers modèles de fouloirs (modèle AVhite).
avec les différentes méthodes d'aurification ; nous nous bornerons pour le moment
à décrire les plus usuels.
l"^ Fouloirs en pieds. Il suffit d'avoir à sa disposition deux fouloirs en pieds,
Fun de dimension moyenne, l'autre plus petit;
2" Les fouloirs en cylindres sont droits ou presque droits ou coudés en baïon-
nettes pour les dents supérieures, coudés à angle droit pour les dents infé-
rieures, et enfin contournés en spirales pour les faces latérales des dents anté-
rieures. Les derniers, au lieu d'être cylindriques, sont quelquefois aplatis à leur
extrémité afin de pénétrer plus facilement dans les interstices; on est obligé, à
cause de leur courbure, de les avoir par paires, l'un servant pour le côté
droit, l'autre pour le côté gauche ;
5" Les fouloirs en coin sont terminés par une extrémité conique ou taillés en
trocart, et forment avec la tige un angle presque droit;
4° Les fouloirs en olive ou en sphère sont terminés par une surface arrondie
qui forme avec la tige un angle variable.
Tous ces instruments doivent être faits en bon acier et trempés durs, tous,
à l'exception des fouloirs en coin, présentant sur leur partie active, au lieu
d'une surface lisse et polie, de petites saillies régulièrement taillées.
G. Les limes servent à régulariser la surface de l'obturation et à la ramener
au niveau convenable; les limes plates et certaines autres dites rifloirs, qui
ont été décrites à propos de la résection, sont les plus employées ; on peut aussi
se servir de fraises spéciales taillées finement et qu'on manœuvre soit à la
332 DENT (^médecine opératoire).
main, soit à l'aide de l'un des appareils décrits précédemment (Drill ou tour de
White).
D. Les brunissoirs servent à polir la surface de l'aurification. Ils sont montés
sur des manches volumineux qui permettent de les tenir à pleine main et
terminés par une extrémité de forme variée dont la surface doit être soigneu-
sement polie : les modèles représentés ci-joint sont ceux qui répondent au plus
grand nombre de cas; ils peuvent à la rigueur remplacer tous les autres.
Fig. 5J. — Diverses formes de brunissoirs (modèle Wiiite).
On construit aussi des brunissoirs spéciaux à rotation qui s'adaptent à l'ap-
pareil dit tour de White.
III. Procédés opératoires. Le mode d'introduction des feuilles et leur amé-
nagement dans la cavité étant essentiellement dilférent suivant qu'on emploie
la feuille molle ou la feuille adhésive, nous décrirons successivement ces deux
méthodes, puis la méthode mixte dans laquelle on combine l'emploi des deux
variétés d'or.
A. Méthode par tassement. Or non adhésif. La feuille d'or est coupée
ou déchirée suivant toute sa longueur en deux, trois ou même quatre fragments,
selon que les dimensions de la cavité sont plus ou moins considérables, puis
chaque fragment est plié en ruban ou simplement roulé entre les doigts de
manière à former un boudin peu serré d'un diamètre à peu près égal à celui
de la cavité.
Les rubans ou boudins sont ensuite divisés en petits fragments dont la lon-
gueur doit être environ triple de la profondeur de la cavité. Ainsi préparé, l'or
est prêt à être introduit.
. A cet effet on saisit successivement chacun des fragments avec la pince et
on les place un à un dans la cavité de façon qu'ils reposent par leur milieu sur
le fond de celle-ci, les deux extrémités étant libres au dehors et dépassant
même les rebords de la cavité à cause de l'excès de longueur qu'on leur a
donné. Au lieu de la pince, on peut employer pour l'introduction de l'or l'un
des fouloirs en pieds dont on applique la pointe sur la partie moyenne des petits
cylindres qui adhèrent très-facilement aux saillies de l'instrument.
Chaque fois que l'on a introduit deux ou trois cylindres, on presse la petite
masse contre l'une des parois au moyen des fouloirs en pied et l'on dispose
ensuite de nouveaux cylindres que l'on foule de la même manière jusqu'à ce
qu'enfin la cavité paraisse comblée.
DENT (médecine opératoire). 355
On fait alors pénétrer la pointe d'un fouloir en coin au centre de la masse
d'or, de manière à la refouler contre les parois de la cavité, et l'on remplit la
petite cavité produite par l'instrument avec de nouveaux cylindres. On pratique
ainsi au moyen de fouloirs à pointe de plus en plus fine une série de nouvelles
perforations que l'on remplit successivement jusqu'à ce que l'instrument refuse
de pénétrer.
A ce moment, l'obturation est composée d'une masse compacte faisant au
dehors une légère saillie. Avant de terminer, on cherche encore à faire pénétrer
dans la masse en les repliant les extrémités des petits cylindres qui dépassent
le niveau des bords de la cavité; les fouloirs cylindriques de petite dimension
appliqués avec force sur tous les points de la surface servent à exécuter cette
partie de l'opération ; on les remplace ensuite par des fouloirs de même modèle,
mais plus volumineux, ou par des fouloirs en olive, de m:uiière à com|'rimer
plus régulièrement et dans son ensemble toute la surface ; par ces dernières
manœuvres on voit en même temps se détacher la plus grande partie des
fragments qui sont en excès, et il ne reste pour terminer qu'à ramener la
surface au niveau convenable au moyen de la lime et à la polir.
Le limage sert en même temps d'épreuve; si l'obluralion résiste aux secousses
de la lime; si l'or, au lieu de s'effeuiller, se laisse difficilement entamer, il est
à peu près certain que l'opération est bonne et que l'obturation résistera. On
pratique le limage avec les limes plaies, les rifloirs ou les fraises que nous
avons décrits; tous ces instruir,ents doivent être taillés assez finement, afin de
laisser après leur passage une surface déjà presque polie.
Le polissage est lui-même très-important et s'exécute en promenant un
brunissoir de forme et de courbure appropriées, avec force et dans tous les
sens sur la surface de l'obturation. En même temps, le brunissoir achève et
rend plus partait encore, au moins à la surface, le tassement des fragments
d'or. Aussi, lorsque toutes les parties de l'opération ont été exécutées avec soin,
la masse obturative est tellement dure et compacte qu'elle rend sous l'instru-
ment qui la frappe un son métallique très-pur.
B. Méthode par soudure. Or adhésif. Le procédé opératoire diffère ici
complètement du précédent. Le succès de l'opération dépend des conditions
suivantes :
1" N'employer que de l'or bien pur et qui possède au plus haut dc^ré la
propriété adhésive, ce qu'on obtient toujours en recuisant les feuilles au mo-
ment même de les utiliser ;
2° Eviter avec le plus grand soin le contact de la salive, la plus petite trace
d'humidité suffisant pour faire perdre aux feuilles d'or leur propriété adhésive :
condition souvent difficile sans l'emploi de la digue, parfois même impossible à
remplir rigoureusement, surtout lorsque l'opération doit être un peu longue •
0" N'introduire dans la cavité que de très-petites quantités d'or à la fois et
les fouler complètement et définitivement avant d'en introduire de nouvelles.
Cette dernière condition est d'autant plus importante que, lorsqu'on lané<7lio-e
l'aurification n'en présente pas moins toutes les apparences extérieures d'une
bonne obturation; ce n'est qu'au bout de quelque temps que la faute se mani-
feste par la désagrégation de la masse et par sa chute prématurée. Voici
comment les choses se passent : Les feuilles adhésives se soudent entre elles
avec la plus grande facilité sous une pression même modérée de l'instrument-
il en résulte que, si l'on applique successivement de petits fragments d'or, il
534 DENT (médecine opératoire).
suffira d'un effort Irès-faible pour assurer leur adhérence. Si au contraire on
introduit d'emblée une quantité d'or assez considérable, la partie superficielle
de la masse directement foulée par l'instrument acquerra immédiatement
une certaine dureté par la soudure des premières feuilles sous-jacentes et
formera une sorte de croûte rés,istante sou? laquelle les parties profondes échap-
pent à la compression. On pourra, il est vrai, triompher de la résistance en
développant une pression plus considérable; mais, outre qu'il serait imprudent
de dépasser certaines limites, l'expérience montre qu'on ne réussirait encore
qu'incomplètement à condenser la masse.
Cela posé, voici comment on procède : Les feuilles sont roulées en boudin
comme pour la méthode par tassement, puis chaque boudin, tenu avec la
pince, est porté dans la flamme de la lampe à l'alcool jusqu'à ce qu'elle rou-
gisse, en ay.uit soin d'éviter toutefois la fusion ou le grillage de l'or ; à partir
de ce moment il est bon de ne plus manier les feuilles qu'avec la pince, les doigts
pouvant y déposer quelques impuretés qui pourraient empêcher la soudure.
Puis les boudins sont coupés avec des ciseaux en petits fragments de dimension
sensiblement égale au fond de la cavité. Quelques praticiens partagent d'abord
les boudins en petits fragments et préfèrent recuire chacun d'eux au moment
de l'introduire.
Quoi qu'il en soit, un premier fragment est porté avec la pince au fond de la
cavité, puis tassé avec le fouloir en pieds ou le fouloir cylindrique suivant les
commodités du cas particulier. Ici se présente souvent une petite difficulté :
la petite masse bien tassée n'adhère pas aux parois et, lorsqu'on veut fouler sur
^ïlleun second fragment, elle roule sous l'instrument et s'échappe même souvent
de la cavité. On peut, dans ces cas, les fixer momentanément au moyen d'un
instrument à pointe fine tenu de la main gauche, comme une sonde ou une
rugine, jusqu'à ce que la masse acquière, par l'addition de nouveaux fragments,
un volume suffisant pour être retenue en place. On peut aussi pratiquer sur le
fond de la cavité ce qu'on appelle des points de rétention; ce sont deux ou trois
petites cavités divergentes creusées au moyen d'un petit foret et dans lesquelles
il est fiicile de fixer les premiers fragments d'or. Nous vendons que la métliode
mixte fournit un moyen plus rationnel et plus simple de tourne." la difûctdté.
En tous CHS, une fois les premiers fragments d'or bien tassés et fixés, le
reste de l'opération est relativement simple : on foule successivement de nou-
veaux fragments, jusqu'à ce que l'obturation remplisse bien la cavité et la
dépasse même un peu ; mais il est très-important, chaque fois que l'on applique
un nouveau fragment, de le tasser en appliquant bien exactement l'instrument
sur tous les points de la surface et particulièrement près des parois de la
cavité, afin d'assurer le contact parfait non-seulement des feuilles entre elles,
mais du lingot sur toute la surface de la cavité. Le meilleur moyen de réussir est
de disposer les fragments de façon à obtenir toujours une surface régulière :
le tassement est ainsi plus facile, moins long à exécuter, et en même temps
on se rend mieux compte des fissures ou anfractuosités qui auraient pu se
produire dans la masse. Les fouloirs cylindriques de dimension moyenne sont
les plus commodes pour ce temps de l'opération.
Le tassement des feuilles de métal suivant les méthodes de l"or adhésif a
€té encore l'objet, de la part des praticiens anglais et américains, de procédés
particuliers longuement et minutieusement décrits. On peut les résumer sous trois
désignations :
DENT (médecine opératoire). 335
1° Procédé par pression manuelle. C'est celui par lequel l'or est introduit,
fixé aux parois de la cavité, comprimé et durci par la seule pression de la main
sans le secours d'aucune force étrangère. C'est le procédé ancien, suffisant à
tous les cas, et nous lui conservons notre préférence.
2° Procédé par le marteau automatique. Ce procédé consiste à appliquer
les fragments dor au fond d'une carie au moyen d'un fouloir en forme de pied
ou autre, lequel est monté sur un manche particulier qui, par un système de
déclanchemeut, imprime au fragment d'or, aussitôt qu'il est en place, une
secousse brusque analogue à un véritable coup de marteau. Cette méthode, ainsi
d'ailleurs que la précédente, n'exige pas pour l'opération l'intorvenlion indis-
pensable d'un aide : c'est la combinaison de la pression simple et du coup de
marteau opérée par le même instrument et la même main.
3" Procédé du marteau manié par un aide. Ce procédé, qui est assurément
le plus compliqué des trois, consiste à placer successivement dans une carie des
fragments d'or, tandis qu'un aide donne un coup sec avec un petit maillet sur
le manche de l'instrument. On établit ainsi par couches successives et fortement
comprimées une masse d'or dont la partie libre doit toujours, quel que soit le
procédé employé, dépasser la limite de l'ouverture.
On termine, comme dans la méthode précédente, par la régularisation de la
surface au moyen de la lime et par le polissage. Mais tandis que, dans l'aurifi-
cation par tassement, le brunissoir contribue à rendre la niasse plus compacte,
en même temps qu'il en polit la surface, dans la méthode de l'or adhésif son
•action se borne à polir, le tassement opéré par le fouloir étant définitif et le
lingot obturateur devant être absolument incompressible, si l'obtuinlion a été
bien exécutée.
C Méthode mixte. Dans la méthode mixte on utilise à la fois les avantages
des deux autres et on évite une partie des inconvénients que chacune d'elles
présente en particulier. On commence par garnir le fond delà cavité d'une feuille
d'or non adhésif roulée en boulette entre les doigts et on la foule complètement,
puis on remplit toute la cavité de petits cylindres comme dans la méthode par
tassement; seulement, après avoir pratiqué la première application avec le fouloir
en cône, on remplit la cavité secondaire ainsi produite avec des fragments d'or
adhésif que l'on foule successivement comme il a été dit plus haut. On obtient
de cette manière une obturation dont le fond et les bords sont constitués par les
feuilles non adhésives et dont le milieu et la surface sont faits d'or adhésif;
condition éminemment favorable, puisqu'on a en réalité une surface, qui ne
peut se désagréger en même temps qu'on est sur de l'adhérence de la masse
obturatrice aux parois, les feuilles molles se moulant et s'adaptant toujours
plus exactement que les adhésives.
Il est inutile d'insister plus longuement sur le procédé opératoire de cette
troisième méthode qui tient des deux autres, et dont l'exécution est facile
quand on connaît bien celles-ci. Mais il nous paraît indispensable d'entrer dans
quelques détails sur les conditions qui doivent fixer le choix de l'opérateur
dans un cas donné, sur l'une ou l'autre des trois méthodes.
L or mou est d'un maniement facile. Son aménagement dans la cavité n'exi^^e
aucune des conditions spéciales que réclame l'emploi de l'or adhésif, le contact
de la salive n'enlève aux feuilles du métal aucune de leurs qualités ; on pourrait
en quelque sorte opérer sous l'eau, sans que l'obturation fût pour cela moins
parfaite. Mais en revanche la masse est toujours moins compacte et doit par
336 DEKT (médecine opératoire).
conséqvient résister moins longtemps. Ce genre d'obturation exige aussi, comme
nous l'avons dit, une cavité plus régulière, à parois solides et se rapprocliant
le plus possible de la forme cylindrique.
Le maniement de l'or adbésif est beaucoup plus délicat : l'écbec vient le
plus souvent de la salive qui, mouillant le métal, empêche l'adhérence des
feuilles entre elles. L'emploi de la digue de cioutchouc peut, il est vrai, mettre
complètement à l'abri de cet inconvénient; mais nous avons expliqué pourquoi
nous rejetons cet appareil qui, d'ailleurs, n'est pas toujours applicable. La
méthode par soudure doit, par ce fait, être nécessairement rejetée dans un grand
nombre de cas. De plus l'opération est beaucoup plus longue, et ne peut, par
cette raison, convenir que pour de petites cavités. Mais à côté de ces incon-
vénients elle a de grands avantages, la masse obturatrice forme un lingot inusable
et dont toutes les parties constitutives ne peuvent être désagrégées : aussi peut-on,
dans certains cas, pratiquer l'obturation de cavités irrégulières et dont la
paroi présenterait un point faible ou même une solution de continuité. Il n'est
pas ici question des tours de force que prétendent i éaliser ces aurificateurs à
outrance qui mettent toute leur gloire à refaire la couronne d'un dent usée par
une carie avancée de la troisième période ; ce sont là des prodiges d'adresse sans
valeur thérapeutique sérieuse ; mais dans certains cas de carie des faces latérales
des dents anlérienres, il peut être utile de restituer à la couronne, partielle-
ment du moins, sa forme primitive. La méthode de l'or adhésif offre ici de
précieuses ressources.
Nous réservons donc la méthode par tassement pour les cavités de grande-
dimension et pour lesquelles il est impossible ou très-difficile d'empêcher
l'arrivée de la salive, tandis que la méthode de l'or adhésif sera applicable aux
petites cavités, lorsque siutout il manque une partie plus ou moins étendue
de la paroi, enfin la méthode mixte pour tous les autres cas. Celle-ci est donc
d'usage beaucoup plus fréquent que les autres, et c'est elle que nous conseil-
lons toutes les lois que son emploi sera possible.
n. Obturation par les amalgames métalliques. L'obturation au moyen des
pâles métalliques date de la découverte des alliages fusibles et des propriétés de
certains amalgames.
L'alliage de Darcet, d'abord employé, fut bientôt perfectionné par un prati-
cien distingué du commencement de ce siècle, Regnard, qui le rendit plus
fusible encore par l'addition d'une notable quantité de mercure.
L'idée de Regnard fut ensuite appliquée à d'autres mélanges métalliques, tt
l'on imagina une série d'amalgames dont la plupart, d'abord vantés, tombèrent
bientôt dans une juste oubli, mais dont quelques-uns sont restés aujourd'hui
encore dans la pratique courante.
Le plus ancien de ces amalgames est celui qui se préparait avec une combi-
naison pulvérulente de chaux et d'oxyde d'argent (chaux-argent) additionné
d'une quantité suffisante de mercure pour faire une pâte assez ferme. Cette
pâte introduite dans la cavité de la carie acquérait assez rapidement une dureté
considérable, mais elle présentait, outre les inconvénients communs à toutes
les matières métalliques qui subissent des modifications de volume parfois très-
sensibles sous l'influence des changements de température, le grand désavantage
de se colorer rapidement en noir par sulfuration de la surface ; cette coloration
s'étendait même au tissu de la dent qui se pénétrait de fines particules de sul-
fure d'argent véhiculées à travers l'ivoire. On dut. alors chercher d'autres
UENT (médecine opératoire). 337
combinaisons ne donnant pas lieu à une sulfuration aussi rapide, ou des
composés métalliques dont les sulfures ne présentassent pas cette coloration
foncée.
On essaya successivement la monnaie d'argent re'duite en limaille et associée
au mercure, puis les amalgames connus sous le nom de ciments de Sullivan,
qui contenaient une notable proportion de cuivre. Un cbimiste distingué ,
Malaguti, proposa un alliage de cuivre et de mercure dont le mode de prépa-
ration est le suivant :
On dissout du mercure dans l'acide sulfurique et on triture ensuite le sulfate
obtenu avec du cuivre en poudre et de l'eau à 60 ou 70 degrés. Par le broyage,
le cuivre fait précipiter le mercure et il se forme du sulfate de cuivre, mais
l'excès de ce métal se combine avec le mercure à l'état naissant et forme un
amalgame qu'on lave et qu'on exprime fortement dans un nouct. Quoique
d'abord mou, cet alliage finit par durcir au bout de quelques heures. Chaufté
à une température de 530 à 5 iO degrés, il se gonfle et se recouvre de niercure,
mais, si on le broie dans un mortier pour le rendre homogène, il se ramollit et
peut être pétri entre les doigts. Plus tard il durcira de nouveau et possédera
une texture cristalline très-serrée.
Toutes ces tentatives ne donnèrent que des résultats insuffisants ; les amal-
games qui contiennent du cuivre présentent rapidement une surface noire et
communiquent à la longue à la dent elle-même une teinte générale foncée.
Après ces composés, les amalgames de cadmium et d'étain jouirent rapide-
ment d'une grande vogue; les deux métaux s'unissent en effet très-facilement
au mercure et la masse acquiert assez promptement une dureté suffisante, mais
l'altération est encore très-rapide; toutefois, la sulfuration portant surtout sur
le cadmium, il s'ensuit bientôt la production de sulfure jaune de ce métal qui
s'interpose entre la masse obturatrice et la paroi, pénètre la substance de l'ivoire
et amène plus ou moins vite l'ébranlement et la chute de l'obturation.
Ces sortes d'amalgames doivent donc être complètement rejetéés.-
Dans une étude très-consciencieuse, entreprise par un des praticiens les plus
recommandables de Londres, M. J. Tomes, un certain nombre d'amalgames ont
été essayés comparativement (Physical and chemical Properties of Amalgams
[Transact. of odontolog. Soc, march 1872]). L'auteur arrive à cette conclu-
sion que tous subissent par le durcissement un certain retrait, mais ce retrait
est très-variable suivant les métaux employés et, d'une manière générale, il paraît
d'autant moins prononcé que la solidification est plus rapide.
Nous avons entrepris à notre tour une série d'observations et d'expériences
portant d'une part sur des alliages métalliques composés par nous-mème, et
d'autre part sur un certain nombre de substances qui figurent dans le com-
merce.
■ Or, les dernières substances sont le plus souvent des compositions restées
secrètes et qui ne sont désignées que par le nom de leur auteur ou par celui
de l'industriel qui les met en vente.
Quelques praticiens, cependant, ont publié la composition de certains
mélanges. Tel est M. Arnold Rogers {Pharmaceuticaî Journal, vol. IX, p. 402,
i850), qui a fait connaître un alliage ainsi composé:
Or 1
Argent vierge 1
Mercure 7
DICT. ESC. XXYII. 2â
338 DENT (médecine opératoire).
Tel encore M. Bolestson (même journal, 1852, n° 12), dont la formule est la
suivante :
Or 1
Argent 3
Élain 2
Enfui, citons le docteur Henri Chase (Missouri dental Journal, 1877), qui a
publié les trois formules suivantes :
1° Or I
Argent ? de chaque 33 gr. I/o.
Étain )
2« Or 25
Argent 39
Étain 56
3° Or 20
Argent 40
Étain 40
Ces alliages amalgamés avec une quantité suffisante de mercure donnent
d'assez bons résultats, mais nous leur ferons un reproche immédiat : c'est de
contenir une trop grande quantité d'or, ce qui en élève d'abord le prix et ce
qui, dons cette proportion et d'après nos expériences, en amoindrit notablement
la dureté.
D'autres formules contiendraient, dit-on, du palladium dont le prix, plus élevé
que celui de l'or, en rend l'emploi difficile. D'autres encore renfermeraient du
platine, mais nous ne croyons guère à la possibilité d'aliier ce métal avec le
mercure. Nos propres essais sur ce point ont complètement échoué.
Nous n'insisterons pas sur ces diverses formules, qui n'ont guère qu'un
intérêt historique, et nous allons arriver à étudier les substances les plus
couramment usitées dans la pratique. Plusieurs d'entre elles ont été composées
par nous, et nous en donnons les formules; d'autres ont acquis quelque
réputation et sont employées par beaucoup de praticiens.
C'est sur un choix de ces matières qu'a été instituée une enquête dont
notre chef de clinique, le docteur Chauveau, a bien voulu se charger. Nous
donnerons ci-après les résultats tels qu'ils sont consignés sur les registres
d'expériences.
« Expériences faites au laboratoire sur divers amalgames dans le but d'éprou-
ver leur résistance aux actions mécaniques, physiques et chimiques, qui peu-
vent les influencer dans la cavité buccale.
Alliages mis en expérience :
N» 1. Étain 1 ^
Argent i ^a
Formule publiée depuis longtemps.
N« 2. Étain 60
Argent 58
Or 2
Formule personnelle récente.
jN" 3. Ciment métallique dit de Lemile.
N° 4. Amalgame dit de Fletclier. — Or et platine (?)
K* 5. Extra-plastic amalgame (Fletcher).
1N° 6. Flings for metallic paste stopping (Asb).
Dureté. Pour nous rendre compte du degré de dureté que peuvent acquérir
DENT (médecine opératoire). 530
ces amalgames, nous en avons forme des boulettes de même volume que nous
avons laissées durcir pendait vingt-quatre heures, puis nous avons recherche la
résistance qu'offrait chacune d'elles à ja pression et à la percussion; nous avons
essaye' à l'aide d'un instrument d'acier de les rayer, de les entamer. D'après la
re'sistance qu'ils ont offerte à ces actions me'caniques, nous les avons classe's
ainsi qu'il suit :
Le plus dur est le n° 4, annoncé comme contenant de l'or et du platine;
vient ensuite le n° 5, puis les n"* 5 et 6 sur la même ligne; le n° 2 et eufin le
n'' 1 , qui ne contient pas d'or.
La dureté des n°' 4 et 3 est extrême ; elle dépasse de beaucoup le degré qu'il
soit nécessaire d'atteiudre pour résister aux plus grands efforts de mastication.
Le n° 1, le moins résistant de tous, est encore bien assez dur. Enfin, nous
trouvons dans le n° 2 l'amalgame dont la résistance est parfaitement suffi-
sante.
Tous ces amalgames, quel que soit le degré de dureté qu'ils aient acquis, se
ramollissent promptement lorsqu'ils sont exposés à la vapeur d'eau bouillante.
Ils repremient ensuite, mais lentement, leur dureté première.
Dilatation sous Vinfluence de Ja chaleur. Nous avons bourré d'amal-
game des tubes de verre de 1 millimètre de diamètre, et nous avons formé
ainsi des colonnes hautes de 40 millimètres. Nous les avons plongés dans la
vapeur d'eau bouillante pendant quinze minutes, sans observer une dilatation
appréciable.
Exposés ensuite à une température de 0°, nous n'avons pu noter aucun retrait.
Si l'on considère la hauteur (40 millimètres) de la colonne métallique éprou-
vée, on verra combien doit être faible la dilatation d'une obturation dentaire
qui ne mesure guère, dans la grande majorité des cas, qu'une hauteur de 5 ù
4 millimètres, c'est-à-dire dix fois moindre, surtout si l'on tient compte des
températures extrêmes de 100 degrés et de zéro, auxquelles cous les avons
exposés, températures que l'on ne franchit jamais dans la bouche.
SidfiiraUon. Nous avons pris de petites masses de ces divers amalgames,
toutes de même volume et chacune présentant une surface polie, les autres
grenues. Nous les avons placées sur un vase contenant un morceau de foie de
soufre dissous dans l'eau bouillante, le tout recouvert d'une cloche.
Au bout de vingt-quatre heures nous avons obtenu les résultats suivants :
1° Les surfaces polies ou ncyi étaient indistinctement et également teintées.
Le brunissage ne protège donc pas les amalgames contre la sulfuration;
2» Les amalgames ont été placés dans l'ordre ci-dessous d'après le degré de
coloration auquel ils étaient arrivés :
N" 5 teinte de noir de fumée ;
N°' 6 et 4 teinte un peu' moins foncée ;
N° 1 gris foncé ;
N° 3 gris clair;
N" 2 traces légères de sulfuration.
Conclusions. Nous rejetons l'emploi des amalgames 4, 5 et 6, pour deux
raisons :
1° Ils se sulfurent plus que tous les autres;
2° Leur dureté extrême, qui au premier abord semble une qualité, non-
seulement n'est qu'une qualité négative, puisqu'elle est inutile, mais encore
devient un obstacle réel quand l'obturation doit être détruite.
340 DENT (médecine opératoire).
Le II" 3 se sulfure légèrement, mais nous lui ferons le même reproche qu'aux
précédents : il est trop dur.
En outre, ces amalyames ayant une formule que les fabricants ne font pas
connaître, ne se prêtent pas aux modifications que chacun peut désirer apporter
aux substances qu'il emploie.
Nous accorderons donc toutes nos préférences aux n°' 1 et 2, en faisant cetie
réserve toutefois que le n° I, qui est moins dur et qui se sulfure plus fortement
que l'autre, devra être réservé pour les cavités latérales et postérieures des
molaires, dont l'accès difficile rend Ja désobturation toujours laborieuse.
Notre n° 2 réunit toutes les qualités d'un bon amalgame, c'est-à-dire :
1° Sulfuration très-faible, moindre que celle de tous les autres;
2° Dureté largement suflisante pour permettre à l'obturation de résister à
toutes les actions mécaniques pouvant s'exercer dans la bouche, sans atteindre
cependant le degré extrême que les fabricants semblent avoir poursuivi comme
la qualité maîtresse de toute substance employée à l'obturation. »
On a élevé à différentes époques certaines objections sur l'emploi général des
amalgames métalliques pour les obturations dentaires. Ces objections portaient
sur la présence du mercure dans le mélange et sur les dangers de son absorption.
Entraînés par un zèle irréfléchi, certains auteurs ont eu l'idée de mettre sur le
compte de ce métal une foule d'accidents purement imaginaires. Nous n'aurons
pas de peine à dissiper ces craintes chimériques en faisant remarquer simple-
ment : 1° que, dans les amalgames, le mercure n'est pas à l'état libre, mais
combiné à d'autres substances, ce qui modifie singulièrement les conditions de
son absorption ; 2° qu'en supposant celle-ci possible, le mercure ne serait absorbe
qu'à l'état métallique, état sous lequel il est, comme on sait, inoffensif: les
liquides de la bouche ne paraissent pas susceptibles de former avec cet agent
des sels solubles et d'ailleurs en quelles minimes quantités se produiraient-ils!
En outre, nous affirmons que jamais l'observation si fréquemment renouvelée,
si universelle aujourd'hui, de ces obturations, ne nous a révélé la production
d'aucun accident. Quo de fois n'arrive-t-il pas que des obturations détachées
sont avalées! Même dans ces cas, nous n'avons jamais constaté d'accidents; la
masse est simplement véhiculée dans le tube digestif sans subir de moditica-
tions manifestes.
Procédé opératoire. Les instruments qui servent à introduire et à fixer les
amalgames sont les fouloirs et les spatules.
Les fouloirs sont formés d'une tige métallique terminée par une extrémité
mousse, renflée en bouton ou en olive à la manière des cautères ; la forme, la
courbure et les dimensions de cette extrémité sont très-variées.
Ces instruments servent à faire pénétrer dans la cavité de la carie, préalable-
ment préparée, comme nous l'avons dit plus haut, pour l'obturation en général,
les divers amalgames à l'état mou, en les foulant doucement dans tous les sens,
afin de les établir en contact immédiat avec les parois.
Quant aux spatules, leur conformation est extrêmement simple; elles doivent
être minces, flexibles et susceptibles d'être facilement recourbées de façon que
l'on puisse atteindre les différents sièges des caries et pénétrer, s'il est besoin,
dans les interstices dentaires où se rencontrent fréquemment les cavités.
Les spatules servent au même titre que les fouloirs pour l'aménagement de
la matière obturatrice, mais leur principal rôle est d'égaliser la surface et de la
ramener au niveau des bords de la cavité, de donner enfin à l'obturation la
DENT (médecine opératoire). 541
forme et la disposition extérieure les plus conformes à chaque cas particulier.
Il est bon d'avoir à sa disposition une spatule terminée d'un côté par une
petite cuillère dont on se sert pour porter l'amalgame dans les cavités qui
siègent sur les dernières molaires, là où les doigts n'arriveraient que diffici-
lement.
Fig. S-2. — Divers moilèlcs de fouloirs pour les amalgames (modèle While).
Il est maintenant bien facile de comprendre comment on pratique les obtu-
rations au moyen des amalgames : on met dans un petit mortier de verre, de
porcelaine ou de marbre, la quantité nécessaire de limaille, et on y ajoute du
mercure en quantité suffisante, ce que l'on apprécie très-facilement avec un peu
d'habitude. L'exactitude de la proportion n'a d'ailleurs pas grande importance,
car on peut toujours ajouter du mercure, si l'on trouve la pâte trop sèche, ou
supprimer celui qui serait en excès, par une simple pression, si elle éiait trop
molle. On triture ensemble les deux substances jusqu'à ce qu'elles s'unissent en
une masse bien homogène, puis l'on verse dans le mortier une petite quantité
d'éther sulfurique i)our laver la pâte et la débarrasser complètement de toutes
les matières grasses qu'elle pourrait contenir. Après avoir trituré pendant
quelques instants le mélange au milieu de l'éther, on rejette celui-ci, et on
recueille l'amalgame sur une peau de chamois, sur un petit linge ou simple-
ment entre les doigts, on l'exprime modérément de façon à chasser l'excès du
mercure et, si l'amalgame a été bien fait, on obtient une petite masse bien
homogène, brillante, plutôt cassante que pâteuse et se modelant si facilement
qu'elle conserve l'empreinte très-exacte du linge ou des doigts qui l'ont com-
primée.
La cavité de la carie ayant été préalablement préparée, on en dessèche les
parois avec soin, puis on y introduit l'amalgame avec les doigts ou la spatule en
cuillère; on foule bien exactement avec l'un des instruments appropriés ou avec
la spatule et on termine en égalisant la surface de l'obturation.
Quelques heures après, l'amalgame devient complètement solide et dur; alors
on peut, si on le juge nécessaire, en polir la surface, mais nous croyons cette
précaution absolument inutile et superflue. 11 est très-important, lorsque l'opé-
ration est terminée, de bien s'assurer qu'il n'y a pas un excès de matière ; que,
s'il s'agit d'une carie située sur une des faces contiguës des dents, l'interstice
n'est pas comblé, et qu'enfin aucune parcelle libre ou attenant à l'obturation
ne s'est insinuée sous la gencive, où elle pourrait provoquer des phénomènes
inflammatoires de la muqueuse ou divers accidents du côté des alvéoles.
342 DEiS'T (médecine opératoire).
C. Obturation par les pâtes ou ciments minéraux. Il existe un certain
nombre de cas dans lesquels l'aurification ou l'obturation au moyen des amal-
games ne pourraient être laites sans inconve'nients : telles sont ces caries des
dents antérieures à cavités déjà profondes et à parois extrêmement fragiles ; la
pression nécessaire pour pratiquer l'aurification, les cbangements de volume
que subissent les amalgames aux variations de température, risqueraient de
briser les parois de la cavité, sans oublier que la couleur de ces obturations
forme avec celle des tissus dentaires un contraste désagréable et que l'on doit
éviter autant que possible. On a cherché pour ces circonstances une substance
dont la coloration se rapprochât de celle des dents et qui, réduite en pâte molle,
pût se solidifier sur place sans éprouver de modification sensible de couleur ou
de volume.
Le premier essai de ce genre est dû à un ingénieur français, M. Sorel
{Comptes rendus de l' Académie des sciences, 1855, t. XLI, p. 784), qui décou-
vrit la combinaison qui s'effectue entre l'oxyde de zinc et le chlorure du même
métal (oxycblorure). La pâte produite par le mélange de ces deux corps en
proportion convenable est d'une grande dureté; mais ce résultat complet à l'air
libre n'est pas aussi satisfaisant dans la bouche où la salive lui fait subir une
destruction assez rapide.
Des recherches furent entreprises dans différentes directions, pour perfec-
tionner ce mélange. C'est ainsi qu'on a songé à ajouter à l'oxyde de zinc de la
silice ou du verre pilé en poudre impalpable (voy. Répertoire de pharmacie
de Bouchardat, 1859-1 8G0, p. 65). On a aussi additionné le chlorure de zinc
de borax afin de retarder le durcissement de la pâte et de faciliter aussi son
emploi.
M. Reene {Transactions of odontological Society ofLondon, vol. II) a proposé
le mélange suivant :
Oxyde de zinc 8
Oiyde de cadmium i l
Silice pulvérisée et tamisée 1
Faites avec l'acide chlorhydrique une pâte molle.
Toutes ces modifications n'ont pas apporté d'améliorations sensibles.
Dans une série d'essais que nous avons entrepris personnellement, nous
avons constaté que l'oxyde de zinc sublimé ou précipité donne des résultats
moins favorables que l'oxyde calciné en vase clos, ce qui augmente sa densité.
Mais c'est certainement un chimiste américain, M. Rostaing, qui a réalisé dans
la préparation de ces mélanges le progrès le plus sensible.
Unissant l'oxyde de zinc à divers autres oxydes de métaux de la même classe,
tels que l'oxyde de chrome, il arriva'à obtenir la vitrification de leurs mélanges.
La masse vitrifiée est ensuite traitée par une dissolution aqueuse toujours
saturée de chlorure de zinc.
Ce procédé est de beaucoup celui qui donne les meilleurs résultats. Dans une
série d'expériences comparatives sur la résistance et l'inaltérabilité de certaines
matières obturatrices du même genre, la Société odontologique de Londres
constata que le mélange de M. Rostaing est préférable à tous les autres {Trans-
actions of odontological Society of Great Britain, vol. lY, p. 229 et suiv.).
Cette composition, maniée avec les précautions et l'habileté convenables, est
en effet presque inaltérable dans la bouche, si l'on a pris soin d'éviter, pendant
les premières minutes qui suivent l'application, le contact de la salive. G. Tomes
DE.XT (médecine opératoire). 3^3
{British Journal of odental Science, vol. XIII, p. 552) a cependant observé
qu'elle s'altère et se désagrège rapidement lorsqu'elle touche en quelque
point la gencive, fait qu'il attribue à la décomposition de l'oxychlorure sous
l'influence de l'action des acides ou des alcalis, qui sont toujours retenus en
ces points en rapport avec l'obturation.
Quoi qu'il en soit, la composition de M. Rostaing a été longtemps préfé-
rée à toute autre pour l'obturation des cavités qui ne peuvent être comblées par
raurification ou par les amalgames.
A la suite des préparations qui précèdent, nous devons mentionner un certain
nombre de tentatives faites dans une autre direction. On sait que le silicate de
potasse est susceptible de former avec les sels de chaux un silicate double qui
présente une certaine dureté. Si l'on fait le mélange de chaux avec du silicate
à l'état pâteux tel que les boues de silicate que l'on trouve dans l'industrie,
avec le plâtre fin, le produit obtenu est encore beaucoup plus dur; malheureu-
sement il ne résiste que très-imparfailement à l'action de l'eau et de la salive,
et c'est en vain que nous avons essayé d'augmenter sa résistance en l'additionnant
de silice ou de verre porpbyrisé.
Peut-être arrivera-t-on par de nouvelles rechei'ches à perfectionner ces pâtes
au silicate, mais actuellement elles doivent être rejetées, et les ciments à
l'oxychlorure seraient restés les seuls produits de cette classe qui puissent être
utilement employés, si l'on n'avait dans ces derniers temps utilisé une autre
combinaison dont la formule, bien que restée secrète, nous paraît consister es-
sentiellement en un mélange d'acide pyrophosphorique et de chlorure de zinc
unis à l'oxyde de zinc comme dans les ciments précédents. Il se produit
dans ce cas un oxychloro-pyrophosphate de zinc dont les qualités de résistance
sont déjà infiniment supérieures à celles de l'oxychlorure de zinc seul. Les
diverses substances livrées par le commerce aux praticiens échappent, il faut
le dire, à une analyse scrupuleuse, de sorte que nous ne pouvons qu'en soup-
çonner la composition sans en fournir la formule précise.
Quoi qu'il en soit, ce dernier mélange donne d'excellents résultats et doit être
absolument prétéré aux précédents. Il s'adresse d'ailleurs aux cas analogues et
possède en particulier cet avantage d'être maniable même sous l'eau ou dans la
salive sans danger de désagrégation. Il est aussi, de même que les sels de
zinc, susceptible d'être coloré de diverses teintes suivant la couleur même des
dents.
Procédé opératoire. Le mode d'emploi des ciments est des plus simples.
La poudre d'oxyde est pétrie au moyen d'une petite spatule, sur une plaque
de verre dépoli, avec une quantité suffisante de la solution; les deux substances
doivent être unies dans une proportion telle, que l'on obtienne une pâte à
consistance de mastic.
11 est bon de n'employer pour ce maniement que des spatules en platine : le
fer ou l'acier se rouillent très-rapidement au contact de ces substances.
La cavité de la carie ayant été préalablement nettoyée et séchée avec le plus
grand soin, on y introduit la pâte au moyen de la spatule. On laisse déborder
de la cavité un excès de la substance, puis on applique sur elle et sur les dents
voisines un linge fin que l'on soutient avec les doigts de façon à éviter le contact
de la salive.
Après une ou deux minutes, le durcissement est acquis et il ne reste pour
terminer qu'à enlever par le grattage l'excédant de la substance.
544 DENT (médecine opératoire).
Le durcissement des pâtes d'oxycholrure ou de pyrophosphate est suffisant
au bout de quelques minutes, mais il augmente encore un peu pendant les
vingt-quatre heures qui suivent. On peut le rendre beaucoup plus rapide en
promenant sur la surface de l'obturation un instrument préalablement chauffé,
comme une spatule. Enfin quelques praticiens ont encore l'habitude de recouvrir
cette irurface d'une dissolution de gutta-percha dans le chloroforme ou d'une
petite couche de collodion, de façon à l'isoler complètement pendant quelques
heures et la préserver ainsi du contact de la salive.
D. Obturation avec les substances de nature organique. Il est des circon-
stances où aucun des trois modes d'obturation que nous venons d'indiquer ne
saurait convenir. On a recours alors à des substances de nature organique
qui, en général, sont de mauvais conducteurs de la chaleur, très-faciles à appli-
quer, sans grande préparation préalable, et faciles à enlever aussi en cas d'ac-
cident.
Ce genre d'obturation forme l'intermédiaire entre l'obturation provisoire qui
figure à titre d'épreuve dans le traitement de la carie et l'obturation définitive.
On emploie dans ce cas la gutta-percha, soit pure, soit mélangée avec de la
silice ou du verre porphyrisé. On trouve dans le commerce plusieurs mélanges
de ce genre : le meilleur est celui qui esl connu sous le nom de yâte de Hill.
Bien que nous regrettions de ne pouvoir en donner exactement la formule, nous
le croyons composé de gutla-percha, blanchie par le chlore et mélangée à la
silice.
On a proposé dans le même but des composés divers de matières résineuses,
mais ces substances, bien que susceptibles de décoloration par le chlore, n'ont
ni la dureté, ni l'aspect blanc de la pâte de Hill à laquelle nous donnons
absolument la préférence sur toutes les autres.
Voici comment on l'emploie : la cavité étant préparée et séchée, on installe
au bout d'une sonde ou d'une rugine une petite boulette de la composition,
de volume suffisant; on peut aussi la passer dans la flamme d'une lampe à
alcool de façon à la ramollir et en évitant toutefois qu'elle brûle, ce qui la
rendrait soluble dans les liquides de la bouche. On reconnaît que la substance
est convenablement chauffée lorsqu'elle devient gluante à la surface. A ce
moment, on la porte dans la cavité et on l'y installe au moyen de spatules ou
de fouloirs appropriés; le durcissement se fait rapidement à mesure que la
température s'abaisse, et il ne reste pour terminer qu'à enlever l'excès de
matière et à régulariser la surface au moyen d'une spatule préalablement
chauffée.
Quelques praticiens, pour assurer plus complètement l'adhérence de la masse
obturatrice aux parois de la cavité, ont l'habitude d'humecter celle-ci, avant
l'introduction de la pâte de Hill, avec un petit tampon de ouate imbibé de chlo-
roforme. Le chloroforme dissout en effet, comme on sait, la gutta-percha et par
suite la pâle de Hill, et cette petite précaution est très-utile. On peut aussi,
et pour la même raison, en terminant l'obturation, promener sur sa surface un
petit tampon semblable ; l'obturation se polit mieux ainsi et présente une sur-
face plus régulière.
Accidents de l'obturation. On peut diviser les accidents de l'obturation en
immédiats ou consécutifs.
Les accidents immédiats les plus ordinaires sont : la saillie trop grande de
l'obturation, les lésions par contact de la gencive ou du périoste dentaire,
DENT (médecine opératoire). 545
a production de phénomènes galvaniques et la sensibilité exagérée de l'organe
aux transitions de température.
La saillie trop grande de la matière obturatrice a pour inconvénient, soit
d'empêcher la rencontre normale des arcades dentaires lorsque l'opération a
été pratiquée sur les faces triturantes, soit de s'opposer au rapprochement de
deux dents contiguës, si l'obturation siège sur la face latérale de l'une d'elles
et si elle a été appliquée après un écartement artificiel préalable.
Dans le premier cas, si la matière obturatrice est une pâte métallique ou
minérale, elle pourra être déplacée ou brisée avant son complet durcissement
par le choc de la dent opposée; s'il s'agit d'une :iurification, la ])etite masse
d'or pourra dans certains cas être comprimée utilement par la rencontre des
mâchoires et devenir ainsi de plus en plus dure et compacte. Quelquefois cepen-
dant il se produit une gène suffisante pour nécessiter l'ablation partielle de
l'obturation. On procède alors à l'usure du point saillant au moyen de rugines
ou de petites limes ; on agirait de la même manière pour les caries interstitielles.
Cet accident est en tous cas sans aucune gravité, et il est toujours facile d'y
remédier.
Les lésions par contact de la gencive ou du périoste dentaire se produisent
ordinairement à la suite de l'obturation des caries des interstices, lesquelles
siègent au voisinage du collet, il se produit ainsi une irritation, soit par la
saillie de la matière obturatrice, soit par quelques fragments isolés qui, par leur
contact avec la gencive ou le périoste, provoquent des accidents inflammatoires
de ces parties.
On évitera facilement ces petites complications en apportant dans l'application
des substances obturatrices toutes les précautions que nous avons recommandées.
Si elles se produisaient dans les jours consécutifs, on y remédierait aisément en
recherchant pour les enlever les fragments en question ou en passant un trait
de lime dans l'interstice jusqu'à la gencive, de manière à maintenir une fente
qui permette les lavages et le passage du cure-dents. Souvent des gingivites ou
des périostites locales n'ont pas d'autre cause; il suffit de signaler le fait pour
en indiquer le remède.
Les phénomènes galvaniques sont exclusifs aux obturations avec les pâtes
métalliques; on ne les observe ni avec l'aurification, ni avec les autres mélanges
minéraux ou organiques. Ils ont été signalés pour la première fois par Duval et
se produisent de la manière suivante : lorsqu'au moyen d'une spatule ou d'un
fouloir d'acier on applique un amalgame d'argent et d'étain, par exemple, dans
une carie de la seconde période, c'est-à-dire avec conservation intégrale de la
pulpe, on remarque que le contact de l'instrument avec la substance, s'il y a
interposition d'un peu de salive, donne lieu subitement à une douleur vive et
fugace. Si on répète la même manœuvre avec un instrument d'ivoire, ou même
avec un instrument d'acier après ablation complète de la salive, le phénomène
ne se produit plus. C'est qu'en effet, dans le premier cas, la rencontre de l'acier
de la salive et de la pâte métallique constitue un petit élément de Volta dont
la pulpe perçoit le courant. Que l'on vienne à supprimer l'une des trois parties
dont la réunion est nécessaire pour donner naissance au courant, le phénomène
n'a pas lieu, c'est ce qui arrive dans la seconde expérience lorsqu'on remplace
la spatule d'acier par une d'ivoire ou lorsqu'on empêche complètement la présence
de la salive.
Ce petit phénomène, que nous devions signaler à cause de sa fréquence, n'a
546 DENT (mkdecine opératoire).
d'ailleurs aucun inconvénient ; il ne se produit que pendant l'opéralion elle-même
et il démontre la persistance de la pulpe dentaire qui perçoit l'impression
galvanique à travers l'obturation et la couche d'ivoire qui l'en sépare.
La sensibilité plus ou moins grande qu'éprouve une dent obturée métallique-
ment aux impressions de températures extrêmes est un accident qui peut, dans
certains cas, avoir plus d'importance.
Il arrive souvent en effet qu'une carie de la seconde période avec conserva-
tion de la pulpe qui, avant l'obturation, supportait sans en être impressionnée
le passage d'un liquide froid ou chaud projeté dans sa cavité, donne lieu au
contraire à des sensations très-pénibles lorsqu'elle est soumise à la même
influence dès que l'application métallique est achevée.
Ce phénomène s'exp]i(|ue parfaitement par la présence même de l'obturation,
qui par sa nature métallique favorise essentiellement la transmission des tempé-
ratures alors que les détritus et matières diverses que contenait la cavité, étant
moins conductrices, ne permettaient que peu ou pas cette impression.
Si cet accident essentiellement immédiat est faible, si la sensation produite
par les liquides chauds ou froids ou même par le passage de l'air inspiré est
encore supportable, ou pourra passer outre en ayant soin toutefois de prévenir
le sujet de la nature du phénomène et de son peu d'importance : il cesse en
effet ordinairement après un temps très-court par suite de la réparation molé-
culaire de l'ivoire dans la couche interposée entre la pulpe et la masse métal-
lique.
Quelquefois cependant la douleur devient assez vive pour être une cause de
gêne permanente; il suffit alors d'enlever l'obturation et de faire au fond de la
carie une série d'applications astringentes dans le but de provoquer la réparation
de la couche d'ivoire ; on peut ensuite et dans ces nouvelles conditions pratiquer
une nouvelle obturation sans crainte de voir reparaître les accidents.
Dans certains cas enfin, beaucoup plus rares, il est vrai, la pulpe incessam-
ment impressionnée de la sorte finit par s'enflammer au-dessous de sa double
protection d'ivoire et de métal, et on constate alors tous les phénomènes de la
pulpite, tels que nous les avons décrits.
L'ouverture de la cavité de la pulpe })ar le fond même de la carie ou par la
trépanation directe devient dès lors indispensable; mais on transforme parce
fait une carie de la deuxième période en carie de la troisième, et, si l'on n'a
plus à craindre ultérieurement aucun accident du même ordre, il est certain
que la dent reste dans des conditions de vitalité inférieure. Ici d'ailleurs on se
trouve en présence d'un accident qui ne peut plus être considéré comme
immédiat, et nous aurons à y revenir en parlant des accidents consécutifs.
Accidents consécutifs. L'obturation, considérée communément comme une
petite opération vulgaire et sans conséquences fâcheuses, peut être suivie dans
certaines circonstances d'accidents qui peuvent entraîner des désordres graves
de la bouche et des parties voisines et même la mort.
Les deux principales lésions qui par leur développement et leurs complications
peuvent amener ces conséquences graves sont : l'inflammation de la pulpe den-
taire ou pulpite et l'inflammation du périoste alvéolo-denlaire ou pe'riostite.
L'inflammation de la pulpe peut survenir dans deux conditions : dans le
premier cas déjà mentionné tout à l'heure, l'obturation ayant été faite dans une
carie non pénétrante, l'organe central impressionné par transmission à travers la
matière obturatrice s'enflamme plus ou moins vivement; dans le second cas, la
DENT (médecine opératoire). 347
•dénuilalion de l'organe ayant été méconnue, l'inflammation résulte du contact
direct de la matière obturatrice.
Quelle qu'en soit la cause, cet accident se manifeste quelques heures ou
quelque-; jours après l'obturation; la dent devient le siège de douleurs, d'abord
provoquées par les transitions de température, puis spontanées, continues et
sans cause provocatrice. Cet état, qui devient bientôt absolument intolérable, se
distingue facilement de la périoslite, en ce qu'il ne s'accompagne ni d'ébran-
lement de la dent, ni de douleurs à la pression, ni d'inflammation de la gen-
cive, ni de phlegmon delà joue ou de la face. Abandonnée à elle-même, l'inilam-
mationde la pulpe aboutit le plus souvent à la mortification de l'organe, dont le
signe pathognomonique est la coloration gris foncé ou noirâtre de la couronne.
La thérapeutique de cet accident consiste dans l'ablation de la matière obtu-
ratrice et dans l'application de pansements appropriés. Quelquefois même on
est obligé, par suite de l'intensité de la persistance de la douleur, de débrider
l'organe étranglé dans son enveloppe inextensible; il faut alors trépaner le fond
même de la cavité pour mettre à nu la pulpe et procéder ensuite à sa destruction.
Lorsque toutefois l'ablation de l'obturation est difficile ou impossible, en" raison
de son siège ou de sa résistance, on peut arriver au même résultat par la trépa-
nation directe de la cavité de la pulpe, au lieu d'élection, c'est-à-dire au collet.
Aussitôt que le débridement est opéré, les accidents cessent. On entreprend
alors le traitement approprié au cas particulier, et soit qu'on arrive à pratiquer
une nouvelle obturation, soit qu'on laisse le canal de perforation à titre de
drainage, la guérison définitive peut être réalisée et maintenue.
La périostite alvéolo-dentaire consécutive à l'obturation est la complication la
plus sérieuse. Elle peut succéder à l'inflammation de la, pulpe, ou se produire
d'emblée après l'obturation, et cela de la manière suivante : Lorsque l'obturation
d'une carie pénétrante, compliquée de suppuration de la pulpe ou du périoste,
a été pratiquée sans examen ou sans traitement préalable, elle détermine aussitôt
la rétention du liquide purulent.
Les accidents inflammatoires apparaissent alors après un temps plus ou moins
long, ordinairement quelques jours, et avec une intensité en rapport avec l'abon-
dance de la sécrétion. Tous les accidents de la périostite aiguë se manifestent
bientôt : le phlegmon de la gencive ou de la joue dans ces circonstances ne se
termine que bien rarement par résolution ; la suppuration s'établit, et une fistule
s'ouvre à la gencive ; ou bien le pus contenu un certain temps au sommet de la
racine ou au sein même du maxillaire y provoque l'ostéite et la nécrose, puis
des fusées purulentes en divers sens et la mortification consécutive d'une étendue
plus ou moins grande de tissu osseux.
Dans des circonstances plus graves encore, c'est un point de la face ou du cou,
suivant la dent affectée, qui devient le siège du phlegmon; il peut s'ensuivre des
décollements plus ou moins étendus, et des complications locales ou générales
parfois si graves que les malades succombent.
Nous ne pouvons insister ici sur ces deux complications les plus redoutables
de l'obturation, la pî</piïe et Xd. périostite, cç. serait reproduire la description que
nous avons faite plus haut de ces deux maladies. Qu'il nous suffise de rappeler
seulement que c'est dans ces deux lésions et surtout dans la seconde que réside le
vrai danger et les graves conséquences possibles d'une obturation. Que cette
opération soit pratiquée dans les conditions de thérapeutique rationnelle et avec
les précautions préalables, elle donne les meilleurs résultats ; qu'elle soit appli-
348 DEM (médecine opératoire).
quée empiriquement et sans examen, sans diagnostic, sur une carie complique'e
antérieurement de périostite légère, elle peut être suivie des accidents les plus
graves et même de la mort.
Ces cas sont plus nombreux qu'on ne saurait croire, et nous renverrons
pour le mécanisme de leur production à nos considérations sur la pathogénie, la
marche et les terminaisons de la périostite proprement dite {voy. plus haut la
Périostite alvéolo-dentaire).
V. ExTRACTio:v DES DENTS. Histovique. L'opération connue sous le nom
d'fi^fraci/on -ou d'ai'»/sion est celle qui consiste à enlever une dent à ses con-
nexions normales. Cette opération a été connue de tout temps ; les auteurs les
plus anciens en font mention, mais ils regardaient cette opération comme fort
sérieuse et hésitaient singulièrement à l'entreprendre.
L'instrument suspendu dans le temple d'Apollon à Delphes et destiné à prati-
quer l'avulsion était en plomb, d'oiî la règle ainsi caractéiisée emblématique-
ment, qu'on ne devait l'appliquer qu'aux dents ébranlées, sans doute aux dents
des vieillards (Cœlius Aurelianus, in lib. H Morh. chronic, cap. iv, De dolore
dentunn). Les Hébreux attachaient tant de prix à la possession de leurs dents,
que celui qui, par quelques sévices, en détruisait une à son prochain, encou-
rait la peine du talion (Fournier, art. Dent du Dictionn. des sciences méd.,
t. Vlll, p. 372. Paris, 1814).
A une époque plus rapprochée, il était défendu aux musulmans de se faire ôter
une dent sans la permission du souverain (Fournier, art. Dent du Dict. des
sciences méd., t. Vlll, p. 572. Paris, 1814).
Si l'on en croit Duval, si compétent en matière historique, Hippocrate con-
seillait et pratiquait l'extraction des dents vacillantes et même des dents cariées,
et les instruments dont il se servait étaient de véritables pinces (Duval, Recher-
ches historiq. sur Fart du dentiste chez les anciens, 1808, p. 8).
Celî-e, tout en proscrivant l'extraction, et indiquant une série de formules
destinées à calmer les douleurs de la carie, conseille, si l'on est contraint d'y
recourir, des précautions préliminaires consistant dans l'ébranlement progressif
de la dent avant d'en opérer l'ablation. C'est aussi Celse qui, suivant Duval, con-
seilla le premier l'obturation des dents avant d'en pratiquer l'extraction et dans
le but de favoriser l'opération (Duval, loco citato, p. 18).
D'après Cicéron, l'extraction des dents aurait été inventée par Esculape, troi-
&ième du nom (Cicéron, De natura Deorum, lib. III, n'^ 22).
A partir des temps anciens jusqu'à la Renaissance on ne trouve mentionné
dans les auteurs aucun moyen nouveau propre à cette opération. C'est Ambroise
Paré qui, le premier, a fait connaître un instrument qui paraît être de son
invention et qu'il nomma le pélican.
Le pélican est l'instrument qui avec la pince servit jusqu'à la fin du dix-
huitième siècle à l'extraction des dents.
C'est frère Côme qui a inventé la clef. Garengeot, avant la découverte de la clef
qui porte son nom, perfectionna d'abord assez ingénieusement le pélican d'Am-
broise Paré (Garengeot, Traité des instruments de chirurgie, 1. 11, p. 54, 1727);
mais il y renonça bientôt et vers 1740 il employa et préconisa la clef, qui réalisa
un progrès considérable dans cette pratique opératoire.
Depuis Garengeot, la ciel a subi une série de modifications qui n'en ont pas
altéré le principe. Ces modifications sont innombrables, et tous les chirurgiens-
DENT (médecine opératoire). 540
depuis les contemporains deGarengeot, les frères Côme, entre autres, jusqu'à nos
iours, se sont évertués à améliorer quelquefois et souvent à compliquer l'in-
strument primitif.
Enfin depuis une vingtaine d'années cet instrument est lui-même à peu près
abandonné, et c'est aux daviers ou forceps que l'on a presque exclusivement re-
cours. Les daviers n'ont rien de commun avec les pinces qui servirent de tous
temps à l'extraction ; ces pinces en effet ne variaient tout au plus que dans
leurs dimensions générales, mais nullement dans la forme de leur extrémité es-
sentielle ou mon. C'est sur cette dernière partie qu'ont porté les modifications
radicales qui ont amené à la constitution des daviers actuels.
Si après avoir donné ce court aperçu historique de l'arsenal chirurgical
de l'extraction nous voulions parler des desciiptions qui ont été faites de cette
opération, il nous faudrait passer en revue tous les ouvrages de médecine opé-
ratoire, les manuels de petite chirurgie et les livres spéciaux de chirurgie
dentaire.
Cette étude serait sans intérêt et nous nous garderons bien de nous y arrêter,
pour les deux raisons déjà entrevues : la première, c'est que l'extraction est deve-
nue, par suite du progrès de la thérapeutique, une opération d'exception ; la se-
conde, parce que la transformation toute récente des instruments relègue, sans
autre valeur qu'un simple intérêt historique, les descriptions des anciens pro-
cédés opératoires.
Mentionnons toutefois un excellent travail du docteur Redier, qui a publié des
considérations et des faits sur les indications de l'extraction et sur ses accidents,
travail auquel nous avons cru devoir faire de fréquents emprunts {Journal des
sciences médicales de Lille, 1880).
Indications et contre-indications de Y extraction. D'une manière générale
l'extraction d'une dent, dit fort justement M. Redier, est indiquée lorsque sa
conservation est reconnue impossible : mais quelles sont les limites de la con-
servation, c'est-à-dire de la curabilité? Nous croyons avoir suffisamment établi la
valeur de ces deux termes dans les développements relatifs à la pathologie et à
propos de chaque cas particulier pour n'avoir pas à y revenir; nous dirons seulement
d'une façon générale qu'une dent est nuisible toutes les fois qu'elle apporte un
trouble notable, soit dans la régularité des arcades dentaires, soit dans l'accom-
plissement des diverses fonctions qui ont leur siège dans la bouche ou lorsqu'elle
détermine autour d'elle des troubles pathologiques sérieux. Quant à la limite de
la curabilité, elle n'a rien d'absolu, puisqu'elle est entièrement subordonnée
aux progrès de la thérapeutique.
Il ne faut pas oublier d'ailleurs que la suppression d'un organe n'est pas un
mode de traitement, c'est un aveu d'impuissance, et, pour nous servir de l'expres-
sion d'un chirurgien distingué, le docteur Sarazin, c'est la défaite de Vart.
Mais les inconvénients de l'extraction ne se bornent pas à la perte de l'organe.
Après l'opération, l'alvéole laissé vide subit une résorption complète ; les dents
voisines perdent ainsi une partie de leur appui et subissent bientôt des dévia-
tions à la suite desquelles on les voit s'incliner tantôt vers l'espace libre, et
tantôt en dedans vers l'intérieur de la bouche. A la mâchoire opposée, la dent
correspondante, ne trouvant plus de point de rencontre dans l'occlusion des
mâchoires, éprouve elle-même une déviation qui a pour résultat un allongement
ou soulèvement hors de l'arcade, en vertu de la loi générale que nous avons
formulée ailleurs {voy. Anomalies de direction). Enfin, si la mastication est
550 DENT (médecine opératoire).
devenue laborieuse de ce côlé par suite de la suppression de l'organe, le
sujet prendra l'h ibltude de se servir exclusivement du côté opposé et l'on verra
bientôt toutes les dents inactives se recouvrir de dépôts de tartre dont on connaît
les inconvénients. 11 semblerait à priori que ces résultats fâcheux soient
aujourd'hui faciles à éviter par l'application d'une dent artificielle; il n'en
est rien, car cette application n'est pas toujours pratiquement réalisable, et le
fùt-elle, un appareil prothétique, si bien fait qu'il soit, est nécessairement tou-
jours inférieur, comme usage, à une dent naturelle même imparfaite.
Avant de se résoudre à l'extraction d'une dent, il est nécessaire de tenir
compte d'un certain nombre de faits qui peuvent dans certains cas modifier la
conduite du chirurgien dans un sens ou dans l'autre. Ce sont: en première
ligne, l'état de la dent et des parties voisines, puis l'âge du sujet et le siège de
la dent; enfin les dispositions individuelles. Ce n'est qu'après l'examen attentif
de ces différents points qu'on peut formuler dans un cas donné l'indication ou
la contre-indication.
[° État de la dent et des parties voisines. L'extraction de la dent sera for-
mellement indiquée :
A. Lorsqu'une dent surnuméraire, déviée ou îinormale, détermine par sa pré-
sence une irrégularité de l'arcade dentaire, et que cette irrégularité échappe
aux moyens thérapeutiques.
F». Lorsqu'une dent frappée d'altérations avancées cause des désordres de
voisinage, phlegmons périodiques graves, abcès de la gencive ou de la joue,
fistules, etc.
Il convient de remarquer ici que la dent doit être frappée d'altérations
avancées, car, si la couronne est dans un état de conservation suffisant pour
qu'elle puisse remplir ses usages, si la racine n'est dénudée que partiellement
de son périoste, ce n'est pas à l'extraction définitive qu'il faut avoir recours,
mais à la greffe {voy. plus loin).
La fluxion, soit qu'elle résulte d'une périostite aiguë, soit des complications
inflammatoires ou organiques de cette lésion, n'est pas, comme on le prétend
vulgairement, une contre-indication de l'extraction. Une seule considération
peut avoir une certaine valeur en faveur de ce préjugé : c'est la douleur plus
vive que cause l'extraction pendant la fluxion à cause de l'état congestif du
périoste et des parties voisines. Mais il est un fait bien avéré, c'est que l'extraction
faite au début de la fluxion peut la faire avorter, et à une époque plus avancée
évite les complications plus ou moins graves, abcès des joues, de la face ou des
gencives, et complications osseuses du maxillaire.
G. Lorsque par suite d'affection aiguë ou chronique de l'alvéole, des gencives
ou des maxillaires, une dent sera ébranlée à un point qui ne permette plus
d'espérer sa consolidation et sa conservation. A l'égard de la première condi-
tion bien des exceptions peuvent encore être signalées, car fort souvent des
dents qui, au premier abord, paraissaient devoir être sacrifiées, ont guéri et sont
revenues complètement à l'état normal par l'emploi de moyens appropriés, par
les applications d'acide chromique en particulier.
2» Age du sujet. Les indications qui dépendent de l'âge du sujet doivent
être étudiées pour les dents temporaires et pour les permanentes.
A. Pour les dents temporaires nous ne partageons nullement l'opinion géné-
rale qui admet l'extraction dans tous les cas de carie simple ou compliquée ;
nous croyons au contraire que l'on doit se comporter à l'égard de ces dents de
DENT (médecine ori-RAioiRE). oM
la même manière que pour les permanentes, et entreprendre leur traitement
régulier, laissant ainsi s'effectuer la chute spontanée aux époques ordinaires.
Ajoutons toutefois que, si les lésions graves surviennent à ces dents à un âge
voisin de celui de leur chute, ou si elles ont déjà éprouve un ébranlement plus
ou moins marqué, l'extraction sera en définitive le traitement le plus sim-
ple, le plus rapide et le plus rationnel. Mais dès lors qu'on se trouve en pré-
sence d'un sujet très-jeune, de trois, quatre ou cinq ans, on devra tenter la con-
servation d'organes dont la chute, comme on sait, ne s'effectue normalement
que de sept à douze ans. On évitera de la sorte les troubles fonctionnels plus ou
moins sérieux qui peuvent résulter pour un enfant de la privation de ses dents,
en même temps que les désordres que l'on peut apporter dans les follicules
sous-jacents des dents permanentes par l'ablation d'une dent temporaire, anti-
cipée ou faite sans toutes les précautions et suivant toutes les règles voulues.
L'extraction d'une dent temporaire serait néanmoins indiquée en dehors de
toute lésion apparente de celle-ci, si par sa persistance anormale elle favorisait
ou provoquait la déviation des dents permanentes en voie d'éru[ition.
B. Pour les dents permanentes on ne doit jamais perdre de vue que la facilité
de l'avulsion est en raison inverse de l'âge du sujet, ce qui ne veut pas dire
qu'il faille se hàler d'enlever les dents avant la vieillesse, mais que chez le
vieillard l'extraction d'une dent qui a conservé toute sa solidité doit être le plus
souvent évitée ; elle n'aboutirait qu'à la fracture de l'organe ou du bord alvéolaire.
Une double raison donne l'explication de ce fait: d'une part, la dent acquiert
avec l'âge une densité et une h'agilité progressives ; d'autre part, le tissu osseux
du vieillard devient sec et friable, de sorte que chez un individu de soixante-
cinq à soixante-quinze ans l'extraction doit être presque absolument- proscrite,
sauf naturellement dans le cas de dents ébranlées.
0" Siège. Indépendamment de son état d'altération, les conditions d'extrac-
tion d'une dent peuvent varier suivant le lieu qu'elle occupe. Toutes conditions
égales d'ailleurs, une extraction à la mâchoire inférieure rencontrera plus de
difficultés qu'à la supérieure, celle-ci étant d'un tissu plus aréolaire et spon-
gieux et offrant par conséquent une moindre résistance. De plus, c'est ordi-
nairement à la mâchoire inférieure qu'on rencontre les obstacles sérieux, parfois
même insurmontables, qui s'opposent à l'extraction : telles sont les dispositions
anormales connues sous le nom de dents barrées et que présentent assez souvent
la première et la deuxième molaire inférieures.
Les règles générales qui ont été formulées plus haut s'appliquent aux dents
antérieures aussi bien qu'aux autres. Ce serait commettre une faute grave que
d'extraire une incisive ou une canine dont la coloration ou la forme aurait été
altérée par une carie avancée, sous prétexte qu'elles sont d'un aspect désa-
gréable et qu'elles seraient avantageusement remplacées par une dent artificielle.
La résection de la couronne serait seule autorisée dans ces cas, la racine, surtout
si elle est saine, devant être un puissant auxiliaire pour le maintien d'une pièce
artificielle, ainsi que nous le dirons ailleurs.
Les seules deuts pour lesquelles on soit quelquefois autorisé à s'écarter de ces
préceptes rigoureux sont les premières dents molaires permanentes ou dents de
cmq ans, les inférieures particulièrement. Il arrive, en effet, très-fréquemment
que, venues longtemps avant les autres dents permanentes, souvent imparfaites
dans leur structure, exposées avant toutes les autres aux causes diverses d'alté-
rations que peut offrir la cavité buccale, il arrive souvent, disons-nous, que ces
552 DENT (médecine opératoire).
dents, dès la septième ou huitième année, plus ordinairement vers l'âge de dix
à douze ans, sont déjà profondément cariées et ne présentent plus qu'une cou-
ronne très-incomplète.
Les efforts que l'on ferait dans ces conditions pour conserver une dent ainsi
altérée n'aboutiraient la plupart du temps à prolonger son existence que de
quelques années ou même de quelques mois seulement. En pratiquant l'extrac-
tion à cet âge on a la certitude de voir bientôt l'espace qu'occupait la dent
comblé au moins en partie par le rapprochement des voisines, et l'on se met du
même coup en garde contre les accidents de l'éruption de la dent de sagesse si
fréquents et parfois si graves, en lui ménageant par cette mesure un espace suffi-
sant. Mais ces raisons s'appliquent presque exclusivement à la mâchoire infé-
rieure : aussi les tentatives de conservation doivent-elles toujours être poussées
plus loin pour les pi'emières molaires inférieures que pour les supérieures.
Quant à la dent de sagesse inférieure, nous avons dit qu'on est souvent obligé
de la sacrifier, alors même qu'elle ne présente aucune altération, mais à cause
des accidents de voisinage qu'elle provoque ; nous ne reviendrons sur ces faits
que pour rappeler que l'extraction de cette dent est indiquée dès qu'il se produit
de la constriction des mâchoires ou d'autres accidents d'une gravité particulière.
¥ Dispositions individuelles. Diverses considérations dépendant des dispo-
sitions individuelles doivent encore être signalées : ainsi les sujets éminemment
nerveux et impressionnables supporteront plus difficilement l'extraction et en
éprouveront une douleur plus vive que ceux qui sont doués d'un tempérament
différent et d'une sensibilité relativement moindre. Chez ces derniers une extrac-
tion peut être pratiquée sans provoquer aucune douleur, ainsi que nous en
connaissons divers exemples.
Chez les épileptiques, l'extraction d'une dent provoque ordinairement un accès:
aussi devra-t-on, autant que possible, proscrire chez eux cette opération et faire
toutes les tentatives possibles pour réaliser la guérison. Si le résultat n'est pas
obtenu, on sera autorisé à recourir à l'anesthésie pour l'avulsion de l'organe malade.
La grossesse a été souvent signalée comme contre-indication. Il est dilTiciie de
donner à ce propos une règle absolue ; en général, nous croyons qu'on doit
éviter de pratiquer l'avulsion d'une dent pendant la grossesse ; c'était l'opinion
professée par P. Dubois dans ses cliniques et il conseillait de recourir dans ces
cas aux anesthétiques, pour éviter à la femme la commotion douloureuse et son
retentissement sur l'économie. Nous laissons d'ailleurs cette appréciation au
praticien, qui devra tenir compte de la susceptibilité de la femme, de l'époque
de sa grossesse, de l'existence ou non des fausses couches antérieures, de l'état
d'altération de la dent à extraire, de l'intensité probable de la douleur, etc.
Enfin, il est évident que chez les hémophiles l'extraction sera formellement
contre-indiquée au même titre que toute autre opération sanglante quelconque.
Opération de l'extraction. Règles générales. Les instruments actuellement
employés pour l'extraction des dents sont : les daviers, les divers leviers et
les clefs.
Ces instruments, par leur mode de construction et leurs procédés d'applica-
tion, peuvent répondre à tous les cas de la pratique. Aucun d'eux ne doit être
préféré à l'exclusion des autres, malgré les tendances de plusieurs auteurs qui
affectent de n'employer qu'une seule espèce d'entre eux, les daviers, par
exemple. 11 est aussi une remarque sur laquelle nous ne saurions trop insister,
c'est que dans les appréciations fuites généralement des instruments d'ex-
DENT (mkdecine opératoire). 553
traction on est frappé de ce fait que, dans le choix de tel ou tel moyeu, il
n'est fait aucune mention de l'état d'altération de la dent à extraire. Il semble
qu'il s'agit toujours de dents saines et intactes, ce qui est le cas tout à fait
exceptionnel. Or, il est de la plus élémentaire logique de subordonner le choix
et l'application d'un instrument au cas particulier qui se présente, de sorte
que là où le davier remplit toutes les indications la clef fdoit être rejetée,
tandis que le davier peut être inapplicable là oij la clef rendra de très-grands
ser\ices. Il résulte de là que, dans l'extraction d'une dent, deux points doivent
être préalablement fixés :
1» La forme de la dent, appréciable à l'œil, du moins pour la couronne, et
supposable pour la racine incluse, en tenant compte des anomalies possibles de
cette dernière ;
2" L'état d'altération de l'organe, c'est-à-dire la détermination par un examen
préalable des points fyibles et des points résistants.
Tomes dit, avec raison, que l'extraction d'une dent exige l'accomplissement
de trois conditions [Trailé de chirurgie dentaire, trad. Darin. Paris,
1873, p. 604):
1° Enlever en totalité l'organe nuisible;
2° Blesser aussi peu que possible les tissus dans lesquels il est implanté;
0" Éviter au paljent toute douleur inutile.
Pour réaliser ces trois conditions, il est des règles dont on ne doit jamais se
départir. Ce sont ces règles générales, applicables à tous les cas, et quel que
soit l'instrument employé, que nous allons décrire maintenant.
Avant tout, le sujet doit être informé de l'opération qu'il doit subir; le chirur-
gien a besoin non-seulement de son consentement, mais de son concours. 11
vaut mieux renoncer à l'opération que de la pratiquer au hasard, comme il
arrive nécessairement lorsque le malade se débat, ferme la bouche ou fait
obstacle aux mouvements du chirurgien. Les accidents de fractures de la dent,
d'avulsion de dents saines, de lésions des parties molles et même les fractures du
maxillaire, arrivent trop souvent parce qu'on néglige ces précautions. Un des
reproches que nous aurons à adresser à l'anesthésie] est précisément l'inertie
qu'elle entraîne, privant ainsi le chirurgien d'un concours d'autant plus utile
que l'opération est pliis compliquée; à plus forte raison doit-on redouter
d'opérer malgré le malade, que les obstacles qu'il apporte à l'opération soient
volontaires ou qu'ils soient indépendants de sa volonté.
Cette recommandation est surtout applicable aux extractions faites chez les
enfants, pour lesquelles on sollicite trop souvent le praticien d'opérer par
surprise.
Le patient est assis dans un fauteuil bien en face du jour, la tête droite pour
les dents inféiieures, renversée en arrière pour les supérieures.
Le chirurgien, après avoir attentivement examiné et exploré l'organe, choisit
l'instrument qui convient au cas particulier et détermine ses points d'appli-
cation.
Ici se pose la question du déchaussement préalable des gencives. En général,
nous n'en sommes point partisan; c'est une première opération qui, bien que
peu douloureuse par elle-même, prolonge inutilement l'opération principale,
effraie et impatiente l'opéré, ne facilite que rarement l'extraction et gêne sou-
vent par la petite hémorrhagie qui l'accompagne, laquelle, en masquant les
parties, peut rendre plus difficile l'application de l'instrument. Mais, si nous
Din. E>c. XXVII. 25
354 DENT (médecine opératoire).
proscrivons le déchaussement en général, nous le i-ecomraandons toutes les
fois que des débris plus ou moins cachés par la gencive saine ou hypertrophiée
ne sont que dif cilement accessibles; sans cette précaution, l'on irait au hasard
et l'instrument appliqué directement sur les parties molles produirait des
désordres inutiles et parfois très-douloureux.
L'instrument qui convient le mieux dans ces cas est un bistouri étroit, bien
pointu et à lame mince; on l'insinue avec précaution entre la gencive et le
collet de la dent, et on le promène tout autour de celle-ci, en débridant large-
ment, s'il en est besoin.
Ce n'est qu'après toutes ces précautions qu'on doit procéder à l'extraction.
Avant d'appliquer l'instrument, il est bon de l'approcher de la flamme d'une
lampe à alcool, afin d'éviter au patient le contact douloureux du métal froid.
Quel que soit l'instrument employé, l'extraction doit être faite lentement, sans
tour de force; la dent, luxée d'abord par des mouvements modérés, est ensuite
extraite dans le sens qui offre le moins de résistance, et bien qu'il n'y ait pas
de règle absolue à cet égard, on peut dire en général que les dents supérieures
s'enlèvent plus facilement de dedans eu dehors, les inférieures de dehors en
dedans.
Si après ces efforts bien dirigés et dont la puissance ne doit jamais être
exagérée, on ne parvient pas à luxer la dent, il faut retirer l'instrument et recher-
cher si quelque défaut dans son point d'application, quelque anomalie dans la
disposition des racines n'explique pas la difficulté; la luxation quand même
pourrait entraîner des accidents dont le moindre et le plus fréquent serait la
fracture de la dent. Il vaut mieux renoncer momentanément à une extraction
que de la pratiquer au prix d'accidents graves ; souvent, d'ailleurs, ces tentatives
infructueuses sont suivies d'un certain calme qui permet au patient de garder
la dent quelque temps encore; et on choisit alors une époque ultérieure plus
favorable, comme le moment où se produirait de la périostite, une fluxion ou
un abcès, alors que la dent, soulevée et ébranlée, sera toujours plus facile à
extraire.
Après l'opération, il se produit une hémorrhagie ordinairement très-courte;
des gargarismes avec de l'eau légèrement tiède ou mieux froide suffisent pour
l'arrêter dans la plupart des cas. Enfin, les doigts introduits dans la bouche
pressent la gencive et rapprochent les parois alvéolaires parfois écartées et
distendues par le passage de racines divergentes.
Ordinairement la cicatrisation de la plaie a lieu très-rapidement; pendant
quelques jours on voit à son niveau de petits lambeaux de muqueuse sphacélés
superficiels qui sont bientôt éliminés et, au bout d'une semaine, tout est rentré
dans l'ordi'e. On peut d'ailleurs favoriser la guérison à l'aide de divers moyens,
les gargarismes au chlorate de potasse, par exemple.
Daviers. Les daviers ou forceps sont des instruments qui ont la forme
générale d'une pince dont les mors ont reçu une forme appropriée, comme
disposition, comme volume et comme courbure, à la forme même de la dent
à extraire.
Leur emploi repose sur ce jirincipe vrai, en général, qu'une même dent pré-
sente chez la plupart des individus une forme et un volume à peu près iden-
tiques au moins en ce qui concerne le collet. Ce principe fondamental entraîne,
comme on le pense, la nécessité d'avoir à sa disposition autant de daviers qu'il
y a de variétés de dents : en effet, on a tellement multiplié successivement la
DENT (médecine opératoire). 355
forme de ces instruments suivant les différents cas de la pratique que leur
nombre est considérable; nous nous abstiendrons toutefois de décrire toutes
ces modifications, car nous croyons qu'on peut, avec un nombre relativement
restreint, répondre à toutes les indications.
L'idée première des daviers actuellement en usage remonte à la pince, qui
dès l'antiquité était à peu près le seul moyen d'extraction : c'est cet instru-
ment primitif qui a subi des modifications considérables d'abord par les prali-
ticiens anglais, puis par les américains. Tels (|u'ils sont fabriqués aujourd'hui,
les daviers sont de tous les instruments pour l'extraction ceux qui remplissent
le mieux toutes les conditions : aussi leur emploi doit être préféré toutes les
fois qu'il est possible, et il est vrai de dire qu'ils répondent à presque tous les
besoins.
Les daviers se composent essentiellement de trois parties :
Les mors, l'articulation et la poignée. Les mors sont droits ou plus ou moins
courbes suivant le siège de la dent à extraire; leur longueur doit être telle
qu'ils permettent d'embrasser librement la couronne; trop courts, ils ne pour-
raient atteindre le collet par leur extrémité; trop longs, ils diminueraient la
puissance du levier. L'extrémité terminale doit s'adapter exactement au contour
du collet de la dent dans la plus grande étendue possible; on conçoit que
plus ce contact sera parfait, plus les points d'applications seront multipliés,
moins il y aura de chances de briser la dent; cette extrémité ne doit pas être
coupante, mais taillée en biseau, de façon à circonscrire le collet non-seulement
par une ligne, mais par une petite surface; la face interne des mors doit être
profondément excavée en gouttière et dépourvue de ces cannelures transversales
qu'on trouve sur les anciens daviers, de façon à ne toucher par aucun point
la couronne de la dent. Enfin, lorsque l'instrument est fermé, les mors ne
doivent pas arriver au contact, mais laisser entre eux le plus grand espace
possible; de cette façon, lors de l'application sur le collet de la dent, il n'est
besoin que d'un faible écarlement des branches de la poignée et l'instrument,
mieux en main, peut être manœuvré avec plus de dextérité.
L'articulation doit être libre, mais sans jeu ; les daviers anglais diffèrent
par leur articulation des daviers américains; mais ces différences ne sont que
des détails de fabrication et ne modifient en rien le principe et les applications
de l'instrument.
La poignée, composée de deux branches, est droite ou courbe : droite quand
les mors sont droits, ordinairement courbe, mais eu sens inverse, quand les
mors sont courbes. Aux courbures simples des daviers anglais les Américains
préfèrent des courbures plus complexes et terminent une des branches par un
crochet destiné à recevoir le petit doigt, de façon à éviter le glissement de la
main. La face extérieure des branches est taillée en lime et non polie, et cette
disposition suffit pour assurer la position de l'instrument. Enfin les manches
ne doivent pas être trop longs, et il semble qu'il y ait plutôt une tendance à
exagérer leurs dimensions.
L'avulsion d'une dent au moyen du davier se compose de trois temps : l'appli-
cation de l'instrument, la luxation de l'organe et l'extraction proprement dite.
Ces trois moments de l'opération sont parfaitement distincts et c'est trop sou-
vent parce qu'on veut les réunir et faire tout d'un coup qu'on échoue et qu'il
arrive des accidents.
Premier temps. L'instrument porté doucement au niveau du collet doit
556 DENT (médecine opératoire).
être ensuite enfoncé avec une certaine pression sous la gencive de façon à
détruire les adhérences de celle-ci et à saisir la dent aussi profondément que
possible. C'est de l'accomplissement régulier de ce premier temps que dépend
en grande partie le succès de l'opération ; tout l'effort doit venir de la main et
non du bras 'ou de l'avant-bras, qui doivent agir, en quelque sorte, en sens
inverse, de façen à empêcher les échappées ou une pénétration immodérée. Les
mors de l'instrument ne doivent pas être serrés, mais juste assez rapprochés
pour pénétrer sous la gencive jusqu'au moment oià l'on sent qu'ils embrassent
bien exactement la racine, ce que l'habitude permet de très-bien apprécier.
Deuxième temps. Far des mouvements latéraux modérés d'abord, et de
plus en plus étendus, on parvient à luxer la dent et à détruire peu à peu toutes
ses adhérences. Les mouvements de rotation ne doivent être employés que pour
les débris de racine, pour les dents branlantes ou pour les dents uniradi-
culaires.
Si on les appliquait à la luxation de dents solidement implantées, ils néces-
siteraient pour empêcher le glissement des mors une pression trop énergique
qui n'aboutirait le plus souvent qu'à la fracture de la dent.
Cette partie de l'opération, parfois très-couitc, exige au contraire dans quel-
ques cas une certaine durée ; il est essentiel de n'y apporter aucune brusquerie
et aucune impatience, d'autant plus qu'il est d'observation que cette partie de
l'opération est relativement peu douloureuse.
Pendant que la m;iin droite agit sur la dent par l'intermédiaire du davier,
la main gauche doit soutenir la mâchoire et l'immobiliser; à cet effet, pour
les dents supérieures, le bras gauche est passé autour de la tête du patient, et
la main vient s'appliquer sur le front. Pour les dents inférieures, c'est le maxil-
laire inférieur qui doit être soutenu par la main de l'opérateur appuyée sous
le menton. Cette précaution est tout particulièrement utile ici à cause de la
mobilité excessive de l'articulation et de la facilité avec laquelle se produisent
les luxations temporo-maxillaires.
Le troisième temps n'est que la fin du précédent : lorsque la dent est bien
luxée, on apprécie par les derniers mouvements de latéralité dans quel sens
l'extraction définitive seia le plus favorable, et il suffit alors d'un mouvement
pins étendu pour retirer l'organe. Il est important ici encore d'agir sans brus-
querie pour éviter que le davier, cédant tout à coup, aille heurter les dents
opposées sur lesquelles il produirait un choc douloureux ou même de petites
fractures.
Extraction des dents temporaires. 11 suffit d'un très-petit nombre d'instru-
ments pour les dents temporaires dont l'avulsion n'est le plus souvent indiquée
que pendant l'évolution de la seconde dentition, alors qu'elles sont plus ou
moins ébranlées.
Nous avons insisté plus haut sur ce point et l'on conçoit que cette méthode
simplifie singulièrement l'avulsion dentaire chez les enfants. Aussi peut-il sut-
fire pour cette pratique de quatre daviers :
Les quatre daviers suivants répondent à tous les cas :
1° Un davier droit pour les incisives et canines supérieures ;
2" Un davier dont les mors sont légèrement recourbés en bec d'oiseau pour
les incisives et canines inférieures ;
3" Un davier très-légèrement courbe et à mors plus larges pour les molaires
supérieures ;
DENT (médecine opératoire). 357
4° Un davier dont les mors sont inclinés presque à angle droit pour les mo-
laires inférieures.
Le bord inférieur de chacun des mors est divisé en deux parties inégales par
une petite crête destinée à s'introduire dans l'intervalle des racines.
Tous ces instruments sont de petites dimensions; dans le premier temps de
l'opération, on doit agir avec beaucoup de ménagement; les mors doivent à
peine dépasser le collet, afin d'éviter de léser le follicule ou la dent permanente
sous-jacents.
Extraction des dents permanentes. i° Incisives et canines supérieures.
Le même davier peut servir à l'extraction des incisives centrales, des latérales
et des canines supérieures; la poignée et les mors sont droits; ceux-ci doivent
être enfoncés aussi haut que possible sous la gencive, particulièrement pour
les canines dont les racines ordinairement très-longues sont très-adhérentes.
Fig. 33. — Davieri droits pour les incisives et canines supérieures (modèle Ash).
2° Incisives et canines inférieures. Les mors de l'instrument sont recourbés
en bec d'oiseau ou dans le sens opposé, comme ceux du davier des petites molaires
inférieures; nous préférons la forme en bec d'oiseau, quoique moins favorable
Fig. 51. — Davier dont les mors sont à angle droit avec la tige. Extraction des incisives et canine;
inférieures.
au développement de la puissance, parce qu'elle masque moins les dents voi-
sines et permet d'agir avec plus de siareté.
5° Petites molaires supérieures. Les mors sont légèrement recourbés comme
le précédent et la poignée présente utilement une courbure en sens inverse.
4" Petites molaires inférieures. Davier à mors coudés presque à an^la dioit.
Il est essentiel de bien se rappeler que les petites molaires sont très-adhérentes
et souvent très-difficiles à extraire. L'instrument doit pénétrer le plus profon-
dément qu'il est possible, et les mouvements de latéralité doivent être faits
avec ménagement au début.
5" Premières et deuxièmes molaires supérieures. Ces dents ont, comme on
sait, trois racines : une interne ou palatine, et deux autres externes ; des deux
racines externes, l'antérieura est notablement plus volumineuse.
558 DENT (.médecine opératoire).
Celte disposition exige un davier distinct pour chaque côté; les mors sont
un peu recourbés, et la poignée peut présenter elle-même une courbure en sens
inverse. Le mors externe (en supposant l'instrument en place dans la bouche)
présente sur son bord supérieur une crête qui le divise en deux parties inégales.
S'adaptant chacune à la racine correspondante, la crête pénètre entre les deux
vacines; le mors interne s'applique sur la racine palatine.
Fig. 55. — Davier pour l'extraction des première et deuxième molaires supérieures gauches.
Fig. 56. — Davier pour l'extraction des première et deuxième molaires supérieures droites.
Pour extraire la première ou la deuxième grosse molaire supérieure, après
l'application du davier, on porte la main d'abord en dehors de façon à luxer la
racine palatine, puis en dedans pour les deux racines externes ; on recommence
la même manœuvre jusqu'à ce que l'on ait rompu toutes les adhérences et on
termine par un mouvement en dehors et en bas dans le sens de la racine
palatine. Lorsqu'on exécute avec soin cette manœuvre, on n'échoue presque
jamais et, malgré la divergence parfois très-prononcée des trois racines, il est
rare qu'on produise quelque fracture. Si néanmoins la forme de l'organe rendait
cet accident inévitable, ce serait la paroi alvéolaire externe qui céderait, à cause
de sa minceur et en raison du sens de la traction, circonstance bien moins défa-
vorable que si le fragment brisé appartenait à la voùle palatine.
Fig. 57.
6° Premières et deuxièmes molaires inférieures. Ces dents présentent au
point de vue chirurgical chacune deux racines, l'une antérieure, l'autre posté-
rieure. Un seul davier suffit pour les deux côtés : il est recourbé presque à
angle droit, et rextrémilé de chaque mors est divisée en deux parties par une
crête qui vient s'appliquer dans l'intervalle des racines.
Après avoir luxé la dent, on éprouve quelquefois de grandes difficultés pour
la sortir entièrement de son alvéole; après avoir essayé alternativement l'avul-
sion en dehors et en dedans, il est bon, si l'on échoue, de relever la poignée
de l'instrument de façon à faire décrire à la dent un mouvement circulaire
vers la partie postérieure de l'arcade ; c'est qu'en effet la difficulté tient quel-
DENT (médecine opératoire). 359
quefois à ce que les racines sont incline'es en arrière; par cette petite manœuvre
on agit dans le sens de la courbure et l'on réussit presque toujours.
7° Troisièmes molaires ou dents de sagesse. Il n'est peut-être pas utile
d'avoir des daviers spéciaux pour l'extraction des dents de sagesse. Lorsqu'elles
sont normalement disposées, et lorsque l'ouverture de la bouche est suffisante,
les daviers qui servent pour les autres molaires peuvent encore dans bien des
cas permettre de pratiquer l'opération. Cependant il faut pour cela qu'elles
soient faciles à extraire et n'exigent que très-peu d'efforts.
Mais, lorsqu'elles sont anormales, comme cela est si commun pour les infé-
rieures, lorsqu'on est obligé de pratiquer l'avclsion alors que la couronne est
incomplètement sortie ; lorsque, circonstance très-fréquente, les accidents
s'accompagnent de conslriction des mâchoires, il est facile de comprendre
qu'aucun davier n'est applicable ; c'est aux leviers qu'il faut recourir dans ces
cas et particulièrement à la langue de carpe, ainsi que nous le verrons un peu
plus loin.
8° Extraction des racines ou débris de dents. Lorsqu'une dent à racine
unique a été brisée au niveau du collet, il peut être encore facile de saisir la
racine avec le davier correspondant, il en est de même pour les dents à racines
multiples, lorsque toutefois celles-ci sont encore réunies entre elles. Mais,
lorsqu'il ne reste dans les alvéoles que des débris profondément cachés, friables
ou ramollis dans une plus ou moins grande étendue, lorsque des racines primi-
tivement unies en un seul faisceau sont séparées et inégalement détruites, il ne
faut plus songer à employer les daviers ordinaires.
Fig. 58. — Davier à racines supérieures.
On a construit pour ces cas un grand nombre de daviers spéciaux, mais ils
ne rendent pas tous de grands services et ne permettent souvent que l'extraction
de débris vacillants ou peu adhérents. Ceux que nous employons de préférence
sont les suivants :
Fig. 59. — Davier pour l'exlraction des racines inférieures.
L'un est droit ou mieux en baïonnette et sert à la mâchoire supérieure;,
l'autre est recourbé à angle droit et s'applique aux racines inférieures ; tous
deux ont des mors fins et effilés pour pénétrer sous les gencives et jusque dans
les alvéoles.
La manière de les employer varie avec chaque cas particulier et il est impos-
sible de donner des règles précises à cet égard ; mais il est très-important avant
de les appliquer de bien se rendre compte du nombre, de la position, de la
300 DENT (médecine opér.vtoire).
forme' et de la re'sistance des débris à extraire. Si après quelques tentatives
bien dirigées on ne parvient pas à extraire la racine ou le débris, on a recours
aux divers leviers dont nous allons donner la description.
Leviers simples. On a imaginé un très-grand nombre de leviers qui ne
diffèrent les uns des autres que par des détails déforme et agissent toujours de
la même manière. Les seuls qui soient nécessaires sont : la langue de carpe et
les trois élévateurs, représentés fig. 60.
Fig. 60.
Ces instruments sont applicables à un nombre considérable de cas dans
lesquels un débris de dent ou une racine encore solidement fixés, ou ébranlés
et notablement déviés de leur direction primitive, sont trop ramollis pour être
saisis par le davier.
La langue de carpe est un levier simple droit ou courbé dont le mode d'em-
ploi réclame absolument un point d'appui sur une dent ou mieux une série de
dents saines, tandis que son point d'application porte sur la dent ou les débris
à extraire.
Pour mieux préciser, supposons qu'on veuille enlever une dent dont l'état
d'altération ne permette pas l'emploi du forceps ou de la clef, celte dent étant
d'ailleurs isolée soit en avant, soit en arrière, et placée d'autre part contre une
dent saine ou mieux encore en avant ou en arrière d'une série de dents saines
et solides. Dans ce cas, l'instrument, droit ou coudé suivant la position de la
dent à extraire, est introduit aussi profondément que possible dans l'avéole de
celle-ci et du côté de la dent saine voisine ; puis par un mouvement de renver-
sement modéré la racine est soulevée hors de son alvéole ; si l'avulsion n'est
pas complète, on l'achève avec le davier simple. Dans cette manœuve c'est à la
fois le rebord alvéolaire et la dent voisine qui servent de point d'appui : il est
donc de toute importance que celle-ci soit en bon état et solidement implantée;
s'il en était autrement, elle ne pourrait fournir qu'un point d'appui insuffisant
et on risquerait de la luxer elle-même.
Mais il est une dent pour l'avulsion de laquelle la Umgue de carpe est parti-
DENT (médecine opératoire). 561
culièrement utile : c'est la dent de sagesse, dont la situation à l'extrémité de
l'arcade dentaire et libre au delà se prête tout spécialement à la manœuvre de
l'instrument.
Souvent même pour les dents de sagesse inférieures la langue de carpe est
le seul instrument qui puisse être employé, lorsque ces dents sont à peine
sorties de leurs alvéoles ou que les mâchoires resserrées rendent impossible
l'introduction du davier. Dans ces cas l'instrument dont l'application reste seul
possible dans l'état d'occlusion complète de la bouche prend son point d'appui
sur la face postérieure de la deuxième molaire. Ainsi placé il soulève très-
facilement la dent de sagesse, qui est chassée de son alvéole par une sorte d'énu-
cléalion.
Le maniement de la langue de carpe exige une grande attention et une certaine
habitude ; l'instrument, tranchant par son extrémité, doit être, en même temps
qu'introduit avec force, retenu par l'opérateur, qui doit être maître de ses mou-
vements. S'il n'en est pas ainsi, on risque de produire ce ([ue nous avons
observé plusieurs fois, une échappée qui pousse violemment l'arête tranchante
de l'instrument vers les parties voisines ; des déchirures et même des perfora-
tions du voile du palais ou de la joue en ont été la conséquence.
On a imaginé depuis quelque temps pour l'extraction des dents de sagesse un
instrument qui agit en réalité de la même faron ipic la langue de carpe; c'est
une sorte de davier dont ks mors légèrement inclinés ont la forme de deux
coms. L'instrument est porté au fond de la bouche de façon que les mors écartés
viennent s'appuyer dans l'interstice de la deuxième molaire et de la dent de
sagesse ; lorsqu'on les rappi'ochc, les mors pénètrent comme deux coins entre
les deux dents et déterminent la luxation de la dent de sagesse toujours moins
adhérente et libre d'un côté; après que la luxation a été produite, on abaisse la
poignée de l'instrument qui agit alors à la façon d'un levier simple et produit
ordinairement l'extraction déUnitive de l'organe; si celle-ci est incomplète, la
dent est tellement ébranlée qu'on peut la saisir sans efl'ort avec un davier
simple ou même avec les doigts. Un petit ressort mobile est placé contre la
face interne de l'un des manches, de façon à permettre de régler le degré de rap-
prochemeut des mors.
Ce davier n'expose pas, comme la langue de carpe, aux échappées, mais il
ne peut être employé ([ue lorsqu'il y a un degré moyen de constriction des
mâchoires et lorsque la couronne est encore partiellement incluse ; mais il
faut prendre garde de l'enfoncer trop profondément, dans la crainte de pro-
voquer une fracture du maxillaire.
Les élévateurs (fig. 60) sont des instruments très-utiles et qui réussissent
souvent là où tous les autres échouent.
Il en faut trois : un droit et deux autres courbés en sens inverse, de façon à
pouvoir agir à droite et à gauche ; leur extrémité est tranchante et excavée en
forme de cuiller, le manche doit être solide et assez gros, de façon à être bien
en main.
Pour bien faire comprendre le mode d'emploi des élévateurs, supposons qu'on
veuille extraire la racine de la deuxième prémolaire inférieure gauche. Le chi-
rurgien placé en face du malade soutient le maxillaire avec la main gauche ;
avec la droite, il enfonce l'élévateur aussi profondément que possible et par de
petits mouvements de bascule, entre la paroi alvéolaire et la racine au niveau
du point correspondant à la première molaire. L'instrument prend ainsi peu à
362 DENT (médecine opératoire).
peu la place de la racine qui est d'abord ébranlée, puis soulevée et enfin cbassée
de l'alvéole.
11 est impossible de tracer des règles précises pour l'emploi des leviers en
général. Devant un cas donné, le chirurgien, tenant compte du siège de la
racine, de sa résistance, de sa forme et de l'état des parties voisines, adoptera
l'instrument dont la forme et la puissance lui paraîtront le plus convenables,
et le fera agir suivant les circonstances.
Clefs. La clef dite de Garengeot a subi des modifications plus nombreuses
peut-être que n'importe quel autre instrument de chirurgie. L'instrument est
trop connu pour que nous ayons cru devoir le figurer ici. Ses incessantes modi-
fications indiquent à la fois son utilité et son imperfection. C'est qu'en effet, avant
rinvention des daviers, elle était à peu près le seul instrument qui servît à l'avul-
sion des dents ; c'est même encore le seul employé par les médecins, et nous
dirons même le seul classique en France.
Elle se compose essentiellement d'une poignée, fixée à angle droit et en T à
l'extrémité d'une tige d'acier ; l'extrémité opposée de cette tige est aplatie
et porte le nom de panneton ; l'un des côtés du panneton est échancré de façon
à recevoir la base d'un crochel qui se meut librement autour d'un axe et peut
occuper dilTérentes positions par rapport au panneton.
Les diverses modifications qu'on a proposées ont porté tantôt sur une seule
partie, tantôt sur l'ensemble de l'instrument.
A. Poignée. Nous conseillons de fixer le manche sur la tige à l'union du
tiers externe avec le tiers moyen, de façon à augmenter la longueur du bras de
levier et à avoir à sa disposition le moyen de développer une plus grande force.
B. Tige. La tige est tantôt droite, tantôt coudée en un point plus ou moins
rapproché du panneton. Lorsqu'on est obligé d'appliquer le panneton en dedans,
la tige coudée ne vient pas heurter les dents antérieures, ce qui arrive avec les
tiges droites, lesquelles obligent nécessairement à incliner l'instrument. Il
résulte de là une action moins directe de la puissance et par conséquent une
déperdition de force. Aussi préférons-nous les tiges coudées.
Le panneton est plus ou moins large; il est poli ou au contraiie finement
taillé en lime. Dans la clef de Delestre le panneton est recouvert de caout-
chouc et mobile au moyen d'une charnière. Il y a une, deux et même trois échan-
crures pour loger le crochet qui peut occuper ainsi différentes positions.
Les crochets, au nombre de deux ou trois pour chaque clef, ont des formes
variées; ils sont terminés en pointes, ou bifides ou même trifides ; on leur
donne quelquefois des courbures complexes pour leur permettre d'atteindre plus
facilement certaines dents et même la dent de sagesse.
L'axe des crochets est la partie qu'on a le plus variée. C'est une simple vis
ou une tige à pompe ; dans la clef de Ritouret, le crochet se meut autour
d'un axe qui se déplace au moyen d'un écrou ; dans la clef anglaise, il tourne
sur un point qu'on immobilise à volonté au moyen d'un ressort.
Quelle que soit la variété qu'on adopte, le mode d'emploi est toujours le même.
Généralement on garnit le panneton d'une petite bande d'étoffe pour atténuer
les effets de la pression sur les gencives; puis on introduit l'instrument dans la
bouche et l'on applique le panneton sur l'un des bords alvéolaires au point
correspondant aux racines de la dent à extraire ; d'autre part le crochet embras-
sant la dent dans sa demi-circonférence va s'appliquer par son extrémité libre
sur le point de la dent directement opposé. Enfin un mouvement lent de
DENT (médecine opératoire). 3&5
rotation autour du point d'appui du panneton comme centre est imprimé à
l'iiistrumeat, mais sans brusquerie, et de façon à ne produire que la luxation
de l'organe.
Il est bon pendant ce mouvement de soutenir le crochet avec l'un des doigts
de la main gauche, pour éviter son déplacement. Lorsqu'on opère comme il
vient d'être dit, il est rare que la dent soit extraite d'emblée ; la luxation seule
est obtenue dans ce premier temps et l'opération s'achève ensuite facilement au
moyen du davier ou de la pince.
On a beaucoup discuté pour savoir de quel côté il vaut mieux appliquer le
panneton de la clef; les uns, et c'est le plus grand nombre, le placent toujours
en dehors, sur le bord labial des gencives ; d'autres toujours en dedans, d'autres
enfin, tantôt en dedans et tantôt en dehors. Il ne faut pas adopter de règle absolue.
D'une manière générale, on peut dire que toutes les fois qu'il est possible le
panneton doit être appliqué en dehors, la position est ainsi plus commode pour
l'opérateur, et expose moins l'opéré aux accidents qui peuvent résulter de
l'écrasement de la table interne du maxillaire, mais, si la carie a détruit toute
la partie interne de la couronne et empiété même de ce côté sur la racine, il
est certain que, le crochet ne pouvant plus trouver un point d'appui suffisant,
l'opération échouera avec le panneton en dehors, tandis qu'elle pourra réussir,
si on l'applique en dedans.
Nous ne voulons pas faire le procès à la clef, mais il est évident que c'est
un instrument brutal, inconscient et par conséquent dangereux par la
force qu'il permet de développer. ?séanmoins, malgré tous ses défauts, la clef
peut rendre service dans certains cas, mais elle ne doit jamais être employée
que pour les molaires et leurs débris, el seulement dans le cas où les autres
instruments sont reconnus inapplicables.
La contre-indication est formelle pour les incisives, les canines et les prémo-
laires, dont l'avulsion est toujours plus facile avec les daviers et qui, à cause de
la longueur de leurs racines, ne pourraient supporter sans se briser la luxation
brusque que produit toujours la clef.
Quant aux dents de sagesse, cet instrument ne leur convient pas davantage ;
leur situation à l'extrémité du rebord alvéolaire, là où ce bord est à peine
saillant, la forme des racines et la courbure presque constante qu'elles pré-
sentent dans le sens postérieur, rendent presque impossible l'application du
panneton; nous avons vu d'ailleurs que leur avulsion réclame une pratique
toute spéciale.
AcciDE.Ms DE l'extraction. L'histoirc des accidents de l'extraction des dents
a été tracée par beaucoup d'auteurs, mais sans remonter au delà de ce siècle
nous citerons l'excellente étude de Duval {Des accidents de Vextraction des
dents, 1825), puis celle de Delestre sur le même sujet (1870), après quelques-
travaux plus spéciaux, comme celui du docteur Moreau sur Thémorrhagie
consécutive à l'extraction, et quelques autres {ioy. Moreau, Arch. gén. deméd.,
1879). Tout récemment une autre publication de Redier sur le même sujet
a paru dans le Journal des sciences médicales de Lille (1880); nous l'avons
déjà citée plus haut et la description des accidents de l'extraction est exposée
d'une manière si magistrale que nous ne croyons mieux faire que d'y pratiquer
de larges emprunts.
Lorsqu'on parcourt la liste innombrable des observations d'accidents consécutifs
à l'extraction dentaire, on est étonné de voir avec quelle légèreté les malades
56i DENT (médecine opératoire).
se livrent aux mains des praticiens improvisés. C'est qu'en effet le plus grand
nombre de ces observations se rapporte à des faits où l'ignorance et la témérité
ont joué le plus grand rôle. Nous ne pouvons considérer ces exemples que comme
des fautes et non comme des accidents, pas plus qu'en chirurgie on ne range
parmi les accidents des opérations les erreurs grossières qui ne sont appli-
cables qu'à l'incapacité. Pour nous, les accidents de l'extractiwj ne comprenneat
que les événements imprévus qui accompagnent ou suivent l'opération.
Ils se divisent ainsi naturellement en deux groupes suivant qu'ils sont immé-
diats ou consécutifs.
Les accidents immédiats comprennent les lésions mécaniques des dents, des
maxillaires ou des parties molles, certains accidents nerveux et l'hémorrhagie.
Les exemples qu'on a rapportés de dents extraites tombées dans les voies
aériennes ou digestives rentrent aussi dans ce pi^emier groupe.
Les accidents consécutifs sont les complications inflammatoires, les troubles
nerveux ou l'hémorrhagie secondaire.
Sans avoir la prétention de donner une classification parfaite de tous ces
accidents, nous croyons qu'on peut les grouper de la manière suivante :
luUÉOlATS .
Lésions
mécaniques
ACCIDENTS DE L EXTR.iCTION DES DEXTS
i Fracture de la dent.
des dents ' Luxation ou fracture des dents voisines.
Extraction d'une dent voisine.
Fractures incomplètes.
Pénétration liu sinus maxillaire.
Fracture complète du maxillaire inférieur.
Luxation du maxillaire inférieur.
/ des gencives.
Déchirure
ou contusion. .
des maxillaires. ,
des parties molles. . j
Introduction des dents dans les voies
.\ccidents nerveux
Hémorrhagie primitive.
Accidents inilammalcires .
COSSÉCOTIFS.
, Accidents nerveux
I des lèvres ou des joues.
I de la langue.
l de la muqueuse palatine.
\ aériennes.
I digestives.
Douleur.
CoUap^us par excès de douleur.
Spasme ou tremblement convulsif.
Accès épileptiformes ou hystériformes.
! Stomatite et gangrène de la b juche.
Phlegmon de la joue ou de la face.
Abcès.
Ostéite et nécrose des maxillaires.
f Névralgie traumatique.
. < Paralysies réDexes.
( Tétanos.
Ces accidents n'ont pas tous la même importance; le plus grand nombre
n'entraîne pas ordinairement de conséquences fâcheuses, mais quelques-uns
peuvent acquérir, dans certaines circonstances, une gravité exceptionnelle et
même entraîner la mort.
Nous ne pourrions faire ici leur histoire complète sans répéter ce que nous
avons dit ailleurs : nous nous bornerons donc à montrer comment ils se
produisent, comment on peut les éviter le plus souvent et comment on peut y
remédier ou en atténuer les effets lorsqu'on se trouve en présence d'un fait
accompli.
Pour la commodité de la description nous étudierons successivement :
A. Les lésions mécaniques ;
B. Les accidents inflammatoires;
DENT (médecine opératoire). 565
C. Les troubles nerveux ;
D. L'hémorrhagie.
A. Lésions mécaniques. La fracture de la dent pendant les tentatives
d'extraction dépend soit de l'imperfection de l'instrument ou de son application
vicieuse, soit de la friabilité de l'organe ou de la disposition anormale des racines
(dents à racines convergentes (barrées), dents à racines divergentes). La fracture
sié'^e tantôt sur la couronne, tantôt sur les racines, plus ou moins près du collet.
Doit-on dans ces conditions abandonner l'opération, ou au contraire aller à la
recherche des portions incluses dans les alvéoles ?
Nous croyons qu'en général on doit continuer l'opération, qui, bien que plus
laborieuse, n'en reste pas moins presque toujours possible. 11 est bien évident
que, si on réserve l'extraction pour les seuls cas où elle est formellement indiquée,
on ne saurait espérer qu'après la fracture les désordres qui justifiaient l'opé-
ration cesseront de se présenter.
Dans quelques circonstances cependant, il arrive qu'à la suite des tentatives
d'extraction il se produit un état intlammafoire du périoste qui amène le
soulèvement de la racine et rend ainsi l'avulsion plus facile; mais, outre qu'à
ce moment l'opération sera infiniment plus douloureuse, on n'est guère en
droit de compter sur ce résultat, qui est en réalité exceptionnel.
Il arrive quelquefois qu'une dent, après des efforts plus ou moins considérables,
cède brusquement, et que le davier vient heurter les dents de la mâchoire
opposée : le choc peut alors faire éclater des fragments de la couronne des dents
atteintes ou même 4éterminer une fracture transversale au niveau du collet.
La luxation des dents voisines est un accident plus fréquent : c'est surtout
lorsqu'on emploie les divers leviers et particulièrement la langue de carpe et
lorsqu'on prend le point d'appui sur une dent isolée ou déjà peu solide, que la
luxation se produit : elle peut être complète ou incomplète. Dans ce dernier
cas, si la dent n'est qu'ébranlée, il est à peu près certain qu'elle contractera de
nouvelles adhérences et retrouvera au bout de ([uelques jours toutes ses qualités,
surtout si le faisceau vasculo-nerveux n'a pas été rompu. Si la luxation est
complète, il ne faut pas hésiter à faire la réiraplantaliou immédiate suivant les
indications que nous donnons {voy. Greffe dentaire), après s'être assure
toutefois que l'alvéole et la racine sont en bon état. On agirait de même, si par
une méprise bien difficile à expliquer ou par le fait de mouvements brusques
du malade une dent saine était enlevée, soit au lieu de la dent malade, soit
en même temps qu'elle.
La lésion des follicules des dents permanentes pendant l'extraction des tempo-
raires peut avoir pour conséquence l'élimination de ceux-ci, par suppuration ou
la production de diverses anomalies.
Dans une série d'expériences que nous avons entreprises sur déjeunes chiens,
dans un but tout différent, nous avons observé que les traumatisraes des
follicules aboutissaient fréquemment à la formation d'odontomes : il est bien
probable que les choses se passent de la môme manière chez les enfants.
On a encore signalé l'extraction complète du follicule. Oudet, à propos d'un
cas qu'il avait observé, fit à ce sujet une communication à l'Académie de
médecine (Séance du 14 aoiit 1828). Tomes {Traité de chirurgie dentaire.
Trad. Darin, p. 369) en rapporte deux exemples. Dans ces trois observations,
il s'agit de molaires temporaires de la mâchoire inférieure; lorsqu'elles furent
extraites, on constata que la permanente correspondante ou son follicule,
5C6 DE.M (médecine opératoire).
embrassé par les racines de la temporaire était venue avec elle. Cet accident est
rare et en tous cas impossible à prévoir : il faut pour qu'il se produise que
les racines de la dent temporaire correspondante et extraite avec l'autre
n'aient pas encore subi la résorption qui détermine le moment de la chute
spontanée de l'organe; ces faits viennent d'ailleurs à l'appui du précepte
que nous avons posé, qu'on ne doit en général pratiquer l'avulsion des dents
temporaires que lorsqu'elles sont déjà ébranlées et alors que les racines ont
presque totalement disparu.
Les lésions mécaniques des parties molles siègent aux gencives, aux joues,
aux lèvres, à la langue ou au voile du palais : Ce sont des contusions, des plaies
contuses ou des pluies par arrachement. C'est tantôt le panneton de la clef qui
comprime la gencive, tantôt le crochet de cet instrument ou les mors du
davier qui, appliqués directement sur la muqueuse, la déchirent ou l'arrachent
dans une étendue plus ou moins considérable, tantôt c'est le pied de biche ou la
langue de carpe qui par une échappée viennent lacérer la langue, la joue ou la
muqueuse palatine. Dans ce dernier cas, la lésion peut être très-étendue, et les
exemples de perforation des joues ou du voile du palais ne sont pas rares.
Lorsqu'elles sont peu étendues et peu profondes, les plaies de la muqueuse
buccale n'ont aucune importance ; il est rare qu'on enlève une dent sans eutrauier
avec elle quelques petites portions de gencive adhérentes au collet; mais,
lorsipie celle-ci est arrachée et décollée dans une grande étendue, l'excision du
lambeau flottant doit être faite séance tenante, s'il ne peut être réappliqué
avec quelques chances de succès; le rebord alvéolaire mis à nu peut alors se
nécroser partiellement et les dents, mal soutenues dans leurs alvéoles incomplets,
peuvent s'ébranler consécutivement. Le plus souvent cependant l'os bourgeonne
et se recouvre d'un tissu cicatriciel qui répare la perte de substance et rétablit
les choses en ordre.
Les lésions des maxillaires sont peut-être les plus fréquents de tous les acci-
dents de l'extraction.
La fracture, lorsqu'elle est limitée au bord alvéolaire et qu'elle a peu d'é-
tendue, n'a aucune importance, les parois alvéolaires devant, à la suite de
l'extraction, subir une résorption graduelle qui les fera disparaître peu à peu.
C'est ordinaii'ement le bord externe qui est brisé en raison de sa faible épais-
seur, et l'accident se produit d'autant plus facilement, que le sujet est moins
jeune, le tissu osseux devenant avec l'âge plus dense, moins élastique et par
conséquent plus fragile. L'extraction des dents à racines divergentes entraîne
presque nécessairement de semblables fractures.
Mais les fractures partielles des maxillaires peuvent dans quelques circon-
stances acquérir une gravité exceptionnelle, soit que, le fragment s'étendant
jusqu'aux alvéoles des dents voisines, celles-ci soient compromises dans leur
solidité ou même entraînées du même coup, soit que l'ouverture du sinus
maxillaire ou la compression et la déchirure du nerf dentaire dans un canal
osseux en soient la conséquence.
Les exemples de ces fractures compliquées ne sont malheureusement pas
très-rares. Dans un cas rapporté par Desirabode, une fracture [Gazette des
hôpitaux, 1857, p. 545) du bord alvéolaire inférieur s'était produite pendant
les tentatives d'extraclion de la première prémolaire gauche à l'aide de la clef
de Garengeot; le fragment supportait sept dents; le canal dentaire avait été
compris dans la fracture et la lèvre inférieure était paralysée; le fragment
DE>'T (médecine orÉR.VTOiRE). '^67
osseux avec les sept dents qu'il supportait dut être enlevé à la suile d'eflorts
infructueux pour le conserver.
On trouve dans Tomes (Trad. Darin, p. 638) une observation due à M. Cattlin
où les désordres ont été plus graves encore. Dans une tentative d'extraction au
moyen d'un levier simple, l'instrument s'échappa des mains de l'opérateur et
alla détacher la tubérosité du maxillaire avec une portion du plancher du
sinus et un fragment du sphénoïde. Des accidents graves furent la conséquence
immédiate de cette lésion et le malade conserva, outre une fistule du sinus et
des troubles des mouvements de la mâchoire, une surdité complète du côté
lésé.
Nous-même. parmi de nombreux faits d'accidents divers consécutifs à des
extractions, nous avons recueilli une observation dans laquelle l'extraction d'une
dent de sagesse inférieure avait été pratiquée au moyen de la clef appliquée de
dehors en dedans et maniée avec une grande violence. Il s'ensuivit une fracture
de l'alvéole au niveau de l'entrée des vaisseaux et nerfs dentaires et la compression
de ceux-ci entraîna une paralysie de la sensibilité dans l'arcade correspondante et
la région mentonnière, et en outre une paralysie réflexe delà langue. Ces accidents
furent suivis d'une nécrose partielle de l'os dont l'élimination permit le rétablis-
sement de la sensibilité.
L'ouverture du sinus maxillaire peut être le résultat de l'extraction des
prémolaires ou des molaires supérieures dont les racines sont en rapport avec le
plancher de cette cavité ; cela a lieu lorsque la racine pénètre jusque dans la cavité
du sinus, circonstance anormale, il est vrai, mais qui se rencontre néanmoins
quelquefois. Le même fait se produit beaucoup plus souvent dans le cas où,
une altération organique ou un abcès du périoste s'étant développé au sommet
d'une de ces racines, la production pathologique vient faire saillie ou s'ouvrir
dans le sinus; alors en faisant l'extraction de la dent on constate non- seulement
une épistaxis par passage direct du sang dans les fosses nasales, mais encore
l'écoulement par la même voie de l'eau qui est introduite dans la bouche.
Tomes signale un autre accident qui peut arriver dans les mêmes conditions
{Transact. of the odontolog. Society. New Séries, vol. III, p. 581, cité par
Tomes, Traité de chirurgie dentaire, Trad. Darin) : c'est l'enfoncement d'une
racine dans la cavité du sinus dans les tentatives d'extraction avec le pied de
biche ou la langue de carpe ; il en résulte nécessairement une perforation à
travers laquelle on doit aller rechercher la racine refoulée.
L'ouverture du sinus à la suite d'une extraction simple, lorsque l'orifice est
de petite dimension, se referme spontanément au bout de quelques jours dans
la plupart des cas; mais il n'en est pas de même lorsque l'accident est le
résultat d'une fracture, surtout lorsque celle-ci a déterminé la séparation d'un
fragment d'une certaine étendue ; la communication reste établie pour toujours
et .l'installation d'un appareil prothétique devient nécessaire pour empêcher le
passage des aliments et des boissons dans l'antre d'Hygmore. Les faits de ce
genre qui ont été rapportés par les auteurs sont très-nombreux.
Duval a cité dans son Mémoire sur les accidents de Vextraction (p. 52)
plusieurs cas de perforation plus au moins large du sinus par enfoncement ou
par arrachement delà paroi inférieure. L'un des faitsqu'il rapporte a cela de cu-
rieux qu'il fut suivi d'un procès et que l'opérateur, qui était un rebouteur
fut condamné à de gros dommages et intérêts.
Delestre en cite plusieurs observations analogues, et enfin le docteur Moreau
568 DENT (médecine opératoire).
en a plus récemment publié {Union médicale, 25 septembre 1878) un cas qui
se termina également par une fistule définitive du sinus et donna lieu aussi à
un procès qui eut la même issue que dans le cas de Duval.
C'est dans les mêmes conditions que se produisent les fractures complètes
du maxillaire inférieur et même la luxation de cet os. Mais sont-ce bien là des
accidents imputables à l'opération? Nous comprendrions à la rigueur la luxation
chez un sujet dont l'articulation serait très-làche, comme on en rencontre
fréquemment des exemples; mais dans ces cas le maxillaire inférieur reprend
d'ordinaire sa position normale aussi facilement qu'il la quitte, et les malades
habitués à ces déplacements n'en prennent aucun souci. D'ailleurs la mâchoire
doit toujours être soutenue pendant l'opération, et lorsqu'on ne néglige pas
cette précaution le déplacement est presque impossible.
Nous ne nous arrêterons pas davantage sur les accidents dont nous venons de
parler, lesquels ne tirent de leur mode de production aucune indication spéciale,
et qui devraient en tous cas être traités par les procédés ordinaires de la
chirurgie générale.
Un dernier accident que nous signalerons ici à la suite des lésions méca-
niques est V introduction de la dent extraite dans les voies aériennes ou dans les
voies digestives. Delestre en a réuni un certain nombre d'observations (G. Delestre,
Des accidents causés par Vextraction des dents, l'aris, 1870, p. 92 à 103) ; le
Dental Cosmos en rapporte aussi plusieurs exemples [Dental Cosmos, février 1867,
p. 384) ; néanmoins ces faits sont rares.
Dans l'extraction au moyen de la clef ou de divers leviers, l'organe luxé
s'échappe quelquefois brusquement et peut être projeté dans le pharynx au
moment d'une forte inspiration ou pendant un mouvement de déglutition; il ne
peut en être ainsi avec les daviers, la dent extraite restant nécessairement
maintenue entre les mors. L'anesthésie générale favorise encore la production
de cet accident, la tête du sujet étant nécessairement plus ou moins renversée
en arrière, l'écoulement du sang donnant lieu à des mouvements de dégluti-
tion, et le réveil subit provoqué par la douleur s'accompagnant toujours d'inspi-
rations brusques et irrégulières.
Lorsqu'une dent s'est introduite dans les voies digestives, elle est rejelée
ordinairement dans les selles au bout de quelques jours; il n'y aurait en tout
cas aucun avantage à provoquer son expulsion immédiate par l'administration
d'un vomitif ou d'un purgatif, car les contractions intestinales violentes déter-
minées par ces agents thérapeutiques pourraient occasionner des déchirures de
la muqueuse contre les aspérités de la dent ingérée.
Mais, si la dent extraite est tombée dans les voies aériennes, l'accident peut
avoir des conséquences beaucoup plus graves et même entraîner la mort. La
conduite du chirurgien dépendra ici des circonstances de l'accident; s'il ne
s'agit que d'un fragment de racine de petite dimension, on peut espérer qu'il
sera rejeté dans un effort de toux. Si le corps étranger produit des accidents de
suffocation qui menacent la vie du sujet, on pourrait être conduit à pratiquer
d'urgence la trachéotomie à la fois pour rétablir le libre passage de l'air et
pour enlever la dent égarée. En dehors de ces circonstances oiî une intervention
irnmédiate est nécessaire, le mieux serait peut-être d'attendre, tout en soumettant
le sujet à une rigoureuse observation. C'est qu'en effet le diagnostic n'est pas
toujours facile à établir d'une manière absolue au moment même de l'accident ;
il pourrait arriver, par exemple, qu'une dent eût été simplement avalée et
DENT (médecine opératoire). 569
que quelques gouttes de sang tombées dans le larynx provoquassent de violents
accès de toux et un commencement de suffocation.
Une intervention hâtive n'aurait pas d'objet dans ces conditions, et souvent
même elle pourrait avoir plus d'inconvénients que le mal auquel elle prétendait
remédier.
En tout cas, l'intervention du chirurgien dans le fait démontré de rentrée
d'une dent dans les voies aériennes devra suivre les règles ordinaires du trai-
tement des corps étrangers de ces conduils, renversement brusque du sujet,
recherche immédiate au moyen de pinces spéciales, etc.; cet accident, nous
le répétons, est toutefois fort grave et plusieurs fois déjà il s'est terminé par la
mort. Nous devons en rnpprocher encore quelques cas de corps étrangers qui
ont été pendant l'extraction projetés dans les voies aériennes : tels sont, par
exemple, des bouchons ou des coins de bois introduits entre les arcades den-
taires pour faciliter ou fixer l'écartement des mâchoires, et qui par suite de
mouvements brusques d'aspiration pendant le sommeil anesthésique ont déter-
miné l'asphyxie mortelle.
B. Accidents injlammaloires. L'extraction des dents détermine nécessaiie-
menlune plaie qui, toulesimple et si peu étendue qu'elle soit, peut dans certaines
circonstances ne pas suivre la marche régulière qui aboutit à une prompte cica-
trisation. C'est tantôt l'état général du sujet, tantôt les altérations du voisinage
dont riuiluence se fait sentir. Qu'il y ait dans la bouche des pla(iues de sto-
matite ulcéreuse, des plaques syphilitiques ou des ulcérations scorbutiques, et la
plaie résultant de l'extraction, au lieu de se cicatriser, revêtira tous les carac-
tères des lésions qui l'avoisineut.
Quelquefois aussi il semble que l'extraction devienne la cause déterminante
d'accidents auxquels le sujet devait d'ailleurs être prédisposé: c'est ainsi que des
stomatites partielles ou généralisées se déclarent quelquefois à la suite d'extrac-
tions faites très-régulièiement et sans qu'on puisse invoquer aucune autre cause.
Ces stomatites se compliquent souvent d'altérations profondes et étendues ; on
observe même quelquefois de véritables plaques gangreneuses et Jourdain a vu
un cas de mort par gangrène de la bouche, survenue à la suite d'une extraction
(Jourdain, Maladies de la bouche, t. 1, p. 488).
Nous ajouterons toutefois que ces accidents ne sont pas très-fréquents; si
d'ailleurs on observait chez un sujet quelque prédisposition qui put en faire
craindre la production, on devrait retarder l'extraction et k remettre autant que
possible à un moment plus favorable.
Les complications inflammatoires sont bien plus souvent le résultat des
désordres immédiats produits pendant l'extraction : ce sont les déchirures delà
muqueuse ou les lésions des maxillaires qui deviennent le point de départ des
phlegmons de la face et du cou, ou de périostite, d'ostéite ou de nécrose des
maxillaires.
La fluxion simple avec induration des tissus et se terminant par résolution est
de toutes ces complications la plus bénigne. Bien qu'essentiellement différent
par sa nature et son mode de production, on peut en rapprocher l'emphy-
sème, qui à priori pourrait en imposer pour un phlegmon à sa première
période.
L'emphysème est d'ailleurs un accident tout à fait exceptionnel, et nous n'en
connaissons pas d'autres exemples que l'observation du docteur Dupuy {Gaz,
des hop., 1870, 5 juillet) et celle de Delestre {op. cit., p. 44).
DICT. E.Nfi. XXYII. 24
370 DENT (MKDEci?iE opératoire).
Dans le premier cas, il s'agissait d'une dernière molaire inférieure gauche qui
fut extraite à une personne âgée de trente-sept ans. Le lendemain une petite
hémorrhagie se déclara ; bientôt arrêtée, elle fut suivie de douleurs, de constric-
tion des mâchoires et de gonflement de la région sous-maxillaire, la partie
tuméfiée donnant à la main la sensation de crépitation caractéristique ; après
deux jours d'application de glace, les accidents disparurent.
Dans l'observation de Delestre, le développement de l'emphysème fut presque
instantané et se produisit quelques minutes après l'extraction d'une première
petite molaire inférieure gauche ; la résorption fut complète au bout de quelques
jours.
Nous no pouvons donner à ces faits une interprétation précise ; les auteurs de
ces deux observations ne signalent aucun désordre particulier, aucune fracture
qui puisse rendre compte du phénomène. 11 est cependant probable que l'air
expiré pendant les cris ou pendant un effort violent des malades pénètre par un
des points de la surface de la plaie et vient s'accumuler dans le tissu cellulaire
lâche des joues ou de la région sous-maxillaire. Peut-être d'ailleurs l'em-
physème se produit-il plus fréquemment qu'il ne semble et n'échappe-t-il
à l'observation qu'en raison même de son peu d'importance, les malades ne
s'inquiétunt point de ce qu'ils regardent comme une fluxion indolente et sans
gravité.
Mais revenons à la fluxion, premier degré du phlegmon, et qui, nous l'avons dit,
guérit souvent spontanément. D'autres fois la suppuration s'établit et il
se forme un abcès qui vient proéminer ordinairement dans le sillon labio-
gingival. Si l'abcès est ouvert à temps, ou s'il s'ouvre spontanément et si l'in-
flammation est circonscrite, la guérison ne tarde pas à se réaliser: mais, si le
périoste des maxillaires est envahi, l'accident devient beaucoup plus sérieux, les
fusées purulentes, les décollements bientôt suivis d'ouvertures, de fistules multi-
ples, sont à craindre, et le maxillaire lui-même peut s'enflammer et se nécroser
partiellement. Arrivées à ce degré, les complications n'ont plus de limites, et les
désordres les plus graves peuvent en résulter.
Tel est le cas de cet enfant de dix ans (observation communiquée par
M. Després), auquel une grosse molaire delà mâchoire inférieure avait été enlevée.
Dès le lendemain les accidents inflammatoires se manifestèrent ; la périostite du
maxillaire se compliqua bientôt d'adénite, puis de phlegmon du cou et de la
poitrine. Un mois après l'avulsion de la dent, la mâchoire inférieure se mouvait
encore difficilement, la périostite persistait et la peau du cou était sphacélée
dans une grande étendue. De larges incisions furent pratiquées, et ce n'est
qu'au bout de six mois que l'enfant guérit avec une cicatrice vicieuse, consé-
quence de la perte de substance qu'avait éprouvée la région cervicale.
Dans quelques circonstances l'inflammation s'est propagée jusqu'au tissu
cellulaire de l'orbite et a donné lieu à toutes les conséquences du phlegmon
orbitaire.
Fischer {Kîinischer Unterricht in der Augenheilkunde, p. 9. Prague, 1832,
cité par Mackensie, Traité des maladies de l'œil, traduction de Warlomont et
Testelin, 1. 1, p. 440) rapporte un exemple dans lequel on voit l'inflammation
phlegmoneuse du tissu cellulaire de l'orbite, consécutive à l'extraction d'une
dent, déterminer une méningite mortelle.
Tierlinck a publié plusieurs observations analogues {Essai sur les rapports
pathologiques du système dentaire et de l'appareil visuel. Annales de la Société
DENT (médecine opératoire). 371
de médecine de Gand, 1848) ; ces faits ne sont malheureusement pas très-rares,
mais nous ne pourrions les reproduire ici sans nous e'iendre démesure'ment sur
ces considérations {voy. Soret, Annales d'oculistique, t. XVIII, p. 159. Gazette
médicale de Paris, 26" année, Z" série, t. XI, n" 35, 50 aovit 1856. — Meynicr,
Abeille médicale, t. XIV, 1857, p. 6. — Decaisne, Sur lea dents œillères, Mém.
de l'Acad. de méd. de Belgique, t. XIII, 1855, etc., etc.).
Troubles nerveux. Les accidents nerveux de l'extraction des dents sont
immédiats ou consécutifs; la douleur avec le collapsus et les spasmes qu'elle
détermine quelquefois, les attaques épileptiformes provoquées par l'extraction,
sont des accidents nerveux immédiats ; les névralgies traumatiques, les para-
lysies réflexes et le tétanos, sont des accidents nerveux consécutifs.
La douleur qui accompagne ordinairement l'avulsion des dents ne doit pas
èlre considérée comme un accident; mais qu'elle vienne à manquer, ou qu'elle
atteigne un degré inusité, le fait est insolite ; il y a accident à proprement
parler.
Les causes de la douleur produite par l'extraction sont très-nombreuses; le
contact de l'instrument, la contusion de la gencive, la déchirure du périoste
alvéolo-dcntaire, la rupture du faisceau vasculo-nerveux, le tiraillement do
la pulpe, la nature et le volume de la dent à extraire, la durée et les difficultés
de l'opération, enfin la susceptibilité et le tempérament du sujet, constituent
les éléments divers de la production du phénomène douleur.
Supposons, par exemple, une dent à une seule racine, dont la pulpe est
détruite et dont le périoste ne serait pas enflammé; si le sujet est d'une nature
peu sensible — expression vulgaire, mais qui rend très-bien la pensée — il est
évident que la douleur sera très-faible ; elle pourra même être absolument
7mlle, comme nous en avons recueilli maints exemples. Supposons au con-
traire un sujet impressionnable, à tempérament nerveux, auquel il s'agit d'en-
lever une molaire à racines divergentes, avec complications inflammatoires du
périoste et de la pulpe, la douleur atteindra son maximum. Entre ces deux
extrêmes, tous les degrés se rencontrent et, sans prétendre qu'on puisse rigou-
reusement déterminer l'intensité de la souffrance qui sera ressentie dans un
cas particulier, on conçoit qu'il soit possible de prédire avec quelque certitude
si une extraction sera peu douloureuse, ou si elle le sera beaucoup.
Ldinévralyie traumatique n'est pas excessivement rare à la suite de l'extrac-
tion, et cependant c'est à peine si on en trouve deux ou trois exemples dans les
auteurs. Delestre dit l'avoir observée plusieurs fois {loc. cit., p. 104) et nous
avons eu nous-même l'occasion d'en voir tout récemment deux exemples très-
nets tous deux, à la suite de l'extraction d'une petite molaire supérieure. L'opé-
ration avait été faite très-régulièrement et sans délabrements; quelques heures
après il se produisit une véritable névralgie des nerfs sus et souscrbitaires;
les douleurs bien distinctes de celles qui avaient déterminé l'extraction se pro-
longèrent pendant une huitaine de jours et cessèrent à la suite d'applications de
boulettes de ouate imbibées de teintures opiacées et introduites dans l'alvéole
de la dent extraite.
Les paralysies réflexes paraissent plus fréquentes; nous avons vu qu'un
certain nombre de troubles nerveux des organes des sens ou des branches
nerveuses de la face, du cou et même de l'épaule, pouvaient avoir leur origine
dans différentes affections du système dentaire; les paralysies réflexes rentrent
dans le même ordre de faits. Citons encore, en opposition aux faits de paralysie.
572 DENT (médecine opératoire).
les cas assez fréi]uents de contractures spasmodiques soit de l'orbiculaire, soit
des muscles propres du globe.
Ajoutons toutefois qu'en général ces accidents sont passagers et disparaissent
spontanément au bout de quelques jours, à moins qu'ils ne soient le résultat de
quelque désordre grave ayant entraîné la destruction de brancbes nerveuses impor-
tantes.
Nous ne ferons ([ue mentionner le tétanos qui peut se déclarer à la suite de
l'extraction des dents comme à la suite de tout autre traumatisme.
D. llémorrhacjies. L'extraction d'une dent est toujours suivie d'un petit
écoulement de sang. Celui-ci vient des vaisseaux qui se rendent à la pulpe, si cet
organe n'a pas été détruit, de la paroi alvéolaire et de la petite plaie gingivale.
L'écoulement, dont la quantité est variable suivant l'état de congestion et
d'inllammalion des parties, s'arrête ordinairement de lui-même au bout de
l'uelques minutes, d'un quart d'heureou d'une demi-beure au plus. Mais parfois
il continue pluslongtem[)s, quelquefois même pendant plusieurs jours ou après
s'être arrêté un certain temps, il reparait et peut même devenir plus intense
qu'au moment de l'opération.
Dans ces cas, l'Iiéniorrliagie devient un accident qui, si l'on n'y porte un
prompt remède, peut devenir très-grave et même mortel.
Lorsqu'on parcourt les nombreuses observations d'bémorrbagies consécutives à
l'extraction des dents, on est frappé de ce fait que presque toujours l'opération
avait été pratiquée très-régulièrement : l'accident ne peut donc être imputé à
des décbirures étendues des parties molles ou ù des lésions des maxillaires :
on coincevrait en effet que si, par exemple, l'artère dentaire avait été dila-
cérée dans son canal osseux par un fragment du maxillaire, il y ait eu hénior-
rliagie grave ; mais ce n'est pas ainsi que les choses se sont passées, et l'on est
obligé le plus souvent, pour expliquer la persistance de l'écoulement, d'in-
voquer l'état général du sujet ou une prédisposition spéciale.
Les auteurs signalent volontiers comme causes de ces hémoribagies les affec-
tions scorbutiques, le purpura, l'anémie et certains états typhoïdes dans lesquels
il y a une tendance générale aux héniorrhagies ; c'est le cas des hémophiles en
particulier. Mais beaucoup d'observations publiées ne montrent rien de sem-
blable, et elles concernent au contraire des sujets pleins de santé et chez les-
quels rien ne pouvait faire prévoir l'accident.
On est donc obligé d'admettre dans la plupart des cas qu'il existait une prédis-
position spéciale. Graiididier, dans un mémoire sur l'hémophilie [Arch. deméd.,
1865, p. 591), cite des cas de mort occasionnés par l'avulsion de dents suivie
d'hémorrhagie chez des sujets reconnus hémophiliques ; l'observalion de Scbu-
aeman [Wirchoivs Ârchiv., t. XLI, p. 287, 1867, cité par G. Delestre, Méra.
cit., p. 52) concerne aussi un héraophilique. Harris rapporte le fait d'une jeune
fille qui eut une héniorrhagie à la suite de l'extraction d'une seconde molaire
supérieure gauche ; ayant eu plus tard l'occasion d'enlever une dent à la
sœur et deux à la mère de la jeune fille, l'accident se reproduisit chaque fois;
il est impossible dans ces cas de nier les prédispositions héréditaires.
Le siège de l'organe extrait ne parait jouer aucun rôle, pas plus que l'âge du
sujet; nous avons même publié récemment l'observation d'un cas de mort à la
suite d'une héniorrhagie consécutive à l'ablation des deux incisives supérieures
chez un nouveau-né {Gazette des hôpitaux, 1876, n°^ des 4 et 9 mai).
Enfin l'accident peut être immédiat ou consécutif, c'est-à-dire que l'écoulé-
DENT (médecine opératoire). 375
ment de sang peut continuer sans inlerruption depuis le moment de l'opérntion
ou se reproduire plus ou moins longtemps après. Jourdain (Maladies de la
bouche, t. II, p. 605) a vu l'hémorrhagie n'apparaître que le troisième jour et
même le cinquième jour après Topéralion.
Les moyens à opposer à une liémorrhagie sont très- nombreux : c'est d'abord
le tamponnement et la compression, puis l'application des diverses substances
astringentes ou coagulantes désignées sous le nom générique d'hémostatiques ;
enfm la cautérisation par le fer rouge.
Le tamponnement est de tous les moyens celui sur lequel on doit le plus
compter, pourvu qu'il soit établi dans de bonnes conditions; mallieureiisement,
tel qu'il est pratiqué habituellement, il est difficile à maintenir et c'est pour
cela qu'il échoue assez souvent. On conseille en effet de remplir la cavité de
l'alvéole de boulettes de coton ou de fragments d'amadou suffisamment tassés
ou de faire un tampon de cire rendue fibreuse par l'addi'.ion de colon caidé ;
on a conseillé d'introduire dans l'alvéole un morceau de licge taillé suivant la
forme de la l'aoine de la dent extraite, ou même simplement de rcappliquer
celle-ci dans sa cavité. Tous ces moyens sont bons dans les ciiconstances
ordinaires, mais il en est un autre sur lequel nous avons spécialement attiré
déjà l'attention lors d'une discussion récente à la Société de chirurgie sur les
hémorrhagies alvéolaires {Bulletin, 1879, p. 396) : c'est le tamponnement à la
gutta-percha. Voici comment l'on procède : une petite masse de gutla-percha
étant ramolfie dans l'eau chaude, on y mêle une quantité à peu près égile de
charpie ou de ouate qu'on pétrit ensemble de manière à faire une matière à la
fois malléable et fibreuse. On dispose alors, toujours à l'état mou, une sorte de
cône qu'on introduit dans l'alvéole après avoir épongé le sang et les caillots, on
le maintient en place pendant quelques instants, puis on le retire et on le plonge
dans l'eau froide. On a réalisé de la sorte un tampon dur qui présente exacte-
ment la forme des racines de la dent extraite, on l'introduit alors définitivement
dans l'alvéole et, si elle ne se maintient pas en place par sa forme même, on
complète la compression par une autre masse de la même matière superposée à
la première et sur laquelle on fait rapprocher les mâchoires qu'on maintient
serrées par une mentonnière. Nous donnons le procédé comme à peu près infail-
lible.
Quant à l'emploi des hémostatiques, il peut être très-utilement associé au
tamponnement : Talun, le nitrate d'argent, le tannin, le matico, l'eau de Pagliari
et surtout le perchlorure de fer ont donné de bons résultats.
Mais de ces diverses substances si communément employées dans le cas
d'hémorrhagie, nous ne saurions trop recommander celle que nous considérons
comme le meilleur des hémostatiques, l'acide chromiqiie. On peut toutefois lui
adresser un reproche sérieux, c'est qu'il est caustique et peut par suite causer
dans une plaie récente des désordres très-graves.
En ce qui concerne la cautérisation au fer rouge, nous devons dire qu'elle ne
réussit presque jamais, et si pour un moment l'hémorrhagie semble s'arrêter,
elle reparaît bientôt après et souvent avec plus d'intensité. Nous en dirons autant
des escharofiques, dont l'action est toujours difficile à limiter et qui, lorsqu'ils
ne réussissent pas, ont l'inconvénient d'augmenter l'étendue de la surface
saignante, ainsi que le fait très-judicieusement observer Tomes.
11 va sans dire qu'aux moyens locaux employés contre l'hémorrhagie on doit
joindre les précautions d'usage : repos, boissons froides et acidulées, diète, etc.
374 DENT (médecine opératoire).
Quelquefois cependant tous les efforts sont infructueux et le malade épuisé
par la perte du sang meurt d'anémie. C'est dans les cas de ce genre que s'est
trouvée indiquée la ligature de la carotide primitive tantôt suivie do guérison
comme dans une observation de M. Hémard {Bull, de la Soc. de chir., 1879,
p. 593), tantôt impuissante à conjurer la terminaison fatale comme dans les
faits signalés par Blagden [Medico-chir . Trans., 1817, t. VIII, p. 224).
VI. De la greffe dentaire. La greffe chirurgicale, considérée dans toutes
ses applications possibles à la restauration des arcades dentaires, comporte une
histoire à la ibis étendue et complexe, car elle comprend diverses variétés qui
dilfèrent essentiellement par leurs caractères et leurs indications.
C'est ainsi que nous diviserons la greffe dentaire en trois groupes, qui sont:
1" La greffe par restitution, c'est-à-dire la réimplantation d'une dent après
ablalion accidentelle ou intentionnelle. Cette première variété se subdivise en
ré implantation immédiate ou en ré implantation tardive, et l'une et l'autre
doivent se différencier encore, suivant que la dent greffée est réintégrée entière
ou qu'elle a subi une perte de substance. Cette perle de substance sera à son
tour ou traumalique ou chirurgicale.
2° La greffe par transposition. Elle comprend trois cas :
Dans le premier, une dent est prise sur un point de la mâchoire et greffée
dans un autre alvéole chez le même sujet. Une subdivision se présente, suivant
que la greffe est faite entre dents semblables ou entre dents dissemblables.
Dans le second cas, la transposition est pratiquée d'un individu à l'autre, de
la même espèce animale.
Dans le troisième enfin, la greffe est effectuée entre animaux d'espèces diffé-
rentes, comme une dent d'un animal à l'homme.
5° La greffe hétérotopiqiie, c'est-à-dire celle qui consiste à emprunter une
dent à son al viole normal, pour la fixer sur un point du corps autre que les
mâchoires. Elle se compose de greffes de follicules ou de greffes de dents
adultes. Les greffes de follicules ont été tentées par nous, il y a quelques années,
avec un physiologiste regretté, notre ami CIi. Legros. Les greffes de dents
adultes sont fort anciennes; on connaît les expériences de Ilunter, d'A. Cooper,
de Piiilipeaux. L'une et l'autre de ces variétés ne sont point, d'ailleurs, jusqu'à
ce jour, serties du domaine de la physiologie expérimentale.
Voici du reste un tableau de la répartition des greffes en question :
I sans perte de substance.
I . .31 l accidenlelle.
' avec perte de substance. { • . .• n
^ { intentionnelle.
!sans perle de substance,
avec perte de substance.
I j. • j- -j . 1 • . l Dents semblables.
Greffe dentaire { ( '^ "° ""«l'^du a lu.-meme | ^^^^^. dissemblables.
par transplanlation. ' j-y^ individu à un autre de même espèce.
( d'un individu à un autre d'espèce différente.
,,., , . l Greffes de follicules,
l heterotop.que . . . J ^^^^j.^^ ^^ ^^^^^ ^j^,j^^_
C'est suivant cette classification que nous tracerons notre description.
§ 1". Des greffes par restitutio". A. Greffes par restitution iinmédiate
{Replantation des auteurs anglais). C'est l'opération qui consiste à replacer
tout de suite dans son alvéole une dent qui en a été complètement séparée.
' par restitution.
DENT (médecine opératoire). 575
La greffe par resiitulion immédiate sans perte de substance a été pratiquée
dans tous les temps. C'est à elle qu'ont eu recours les opérateurs malheureux
qui ont enlevé une dent à la place ou en même temps qu'une autre et ont
eu l'idée de la réimplanter immédiatement. C'est aussi à cette opération qu'on
a recours lorsqu'un traumatisme a luxé complètement une ou plusieurs dents
et qu'on est appelé au même moment pour y remédier.
Dans ces deux cas nous n'avons point à décrire la pratique qu'il convient
d'employer. Aussitôt l'erreur ou l'accident reconnu, on réapplique la dent luxée
dans son alvéole et l'on procède pour les soins consécutifs comme pour le cas
de luxation simple [voy. Lésions traumatiques des deîjts). Mais il est un troi-
sième cas dans lequel la luxation est intentionnelle, c'est-à-dire que l'opérateur
a produit chirurgicalement la luxation pour pratiquer immédiatement après la
réimplantation sans faire subir à 1 organe aucune mutilation.
C'est là une opération spéciale tiès-vantée par Frank {voy. Thèse de Bert Sur
la greffe animale, loc. cit., p. 67), conseillée plus récemment par le doc-
teur Gervais {Union médicale, 1" juillet 1879), qui a été conseillée et appliquée
pour faire cesser certaines douleurs intenses ayant pour origine la pulpe den-
taire. Soit qu'il y ait carie préalable, soit en l'absence de toute déniidation de
ce tissu, il est certains cas de névralgie qu'on a eu l'idée de traiter par la rupture
du faisceau vasculo-nerveux de la pulpe, et la luxation est un procédé pour
parvenir à ce résultat.
Ce n'est pas toutefois que nous ayons l'idée de la conseiller, loin de là; dans
un cas ainsi défini de névralgies violentes ayant pour origine la pulpe, il
faudra avant toute autre opération atteindre l'organe par les procédés appro-
priés, soit à la laveur d'une carie préalable, si elle existe, soit par une trépa-
nation directe en l'absence de carie.
^"ous ne connaissons guère de cas dans la pratique courante qui puisse jus-
tifier une semblable pratique, et ce ne doit être là, suivant nous, qu'une opéra-
tion d'exception. Quelles que soient nos prédilections pour la greffe, nous ne
saurions conseiller l'avulsion toujours douloureuse d'une dent dans le but de
frapper de mort la pulpe dentaire alors que nous possédons tant de moyens
d'obtenir le même résultat par les voies les plus directes. 11 est cependant un
cas particulier dans lequel une racine de molaire, par exemple, dénudée et
déchaussée à ce point qu'elle est impressionnable à toutes les influences exté-
rieures, est frappée d'une véritable hyperesthésie générale extrêmement pé-
nible.
Le docteur Moreau, qui a particulièrement insisté sur cet état, en décrit les
divers accidents dont nous avons déjà parlé {De l' hyperesthésie de la pulpe den-
taire). La luxation appliquée à ces cas serait à la rigueur fondée après l'in-
succès des autres moyens ; or ces moyens sont de deux sortes : le premier, qui
est précisément celui que préconise le docteur Moi'eau, est la trépanation directe
de la cavité de la pulpe et la destruction de celle-ci; le second, que nous avons
pratiqué plusieurs fois avec un plein succès, consiste dans la section directe du
faisceau vasculo-nerveux de la pulpe au sommet même de la racine dénudée à
l'aide d'un petit bistouri spécial. C'est là, comme on voit, une véritable névro-
tomie sous-muqueuse du nerf dentaire que nous recommandons tout particuliè-
rement dans les cas dont il s'agit.
Quoi qu'il en soit, cette pratique de la luxation d'une dent suivie de réim-
plantation immédiate a été dernièrement interprétée d'une façon un peu
576 DENT (médecine opératoire).
nouvelle, et à titre de procédé d'élongation du nerf dentaire, dans les cas de
névralgie. On sait quelle faveur a acquise dans ces derniers temps cette pratique
particulière, et M. Bernard (de Cannes) {Gazette des hôpitaux, 1881, p. 467),
ayant remarqué que la luxation d'une dent cariée ou non correspondant au siège
de la névralgie entraînait la cessation immédiate de la douleur, a supposé qu'on
piatiquait dans ce cas Vélongation du nerf dentaire. Celte interprétation est tout
à fait erronée, et le résultat produit ici est la rupture et non l'élongation.
La greffe par restitution immédiate avec perte de substance com]>Tenà de\n
cas: le premier, sans importance, qui consiste dans la réimplantation d'une
dent qui aurait subi une perte de substance accidentelle comme dans un cas de
luxation compliquée de fracture. Ce traitement est ici celui des luxations en
général, nous n'avons pas à y revenir.
Le second, au contraire, représente une des applications les plus répandues de
la greffe dentaire, celle à laquelle on a quelquefois donné le nom de réimplan-
tation.
11 nous faut donc la décrire avec quelques détails, car elle représente aujour-
d'hui une véritable méthode opératoire qui a pour objet d'enlever un organe à
ses connexions normales afin d'en supprimer aussitôt la partie malade, et de
réintégrer l'autre partie restée saine en son lieu primitif. C'est une combinaison
de la greffe et de la résection.
11 faut remonter à Ilunter pour trouver la première mention d'une semblable
opération. Il en indique les termes exacts et en formule même très-nettement
les indications (Traité des dents, traduction Richelot, 18ô9, t. II des Œuvres
complètes, p. 109). Seulement il ne paraît pas y ajouter une foi bien \ive; il
dit même l'avoir vue ordinairement suivie d'insuccès, et il ne semble pas qu'il
l'ait personnellement essayée.
La première tentative appartient réellement à Delabarre, qui, en 1820, ayant
pratiqué l'ablation d'une dent, cause d'abcès et de fistule, flt la résection d'une
partie de sa racine et la réimplanta avec un plein succès (Annales du Cercle
médical, 1820, l"''' partie, p. 525).
La seconde est due à un chirurgien, le professeur Alquié, de Montpellier.
Ayant en 1855 reçu, .à plusieurs reprises, dans son service d'hôpital, un soldat
atteint d'une fistule de la fossette mentonnière rebelle à tout traitement, il
eut l'idée d'enlever une incisive inférieure que le stylet venait heurter au fond
de la fistule; il fit la section du sommet reconnu malade et la réimplanta. Le
malade sortit guéri huit jours après (Clinique du professeur Alquié, de Montpellier.
Observation recueillie par le docteur Planchon [Bulletin de thérapeutique,
50 mai 1858]).
En 1870, deux chirurgiens de l'hôpital Saint-Barthélémy de Londres,
MM. Coleman et Lyons, répétèrent cette opération. Leurs observations, très-
courtes et assez peu démonstratives, comprennent 14 cas, dans lesquels il y
aurait eu 9 succès. Les autres se terminèrent par suppuration et élimination de
la greffe [Tranmct. ofthe odontological Society ofGreatBritain. London, ISTOji.
Nos expériences personnelles remontent à 1875. Les trois premières ont ét«
publiées à cette époque (Gazette des hôpitaux, 1876, p. 55 etsuiv.); d'autres
figurent dans la thèse de deux de nos élèves, MM. Pietkiewicz et David (Thèses
de Paris, 1876 et 1877). Elles comprennent dans leur ensemble une durée
d'environ sept années, et reposent sur un nombre déjà considérable. Mais pen-
dant cette période d'autres observateurs en ont signalé des exemples.
DENT (mkdecine opkrmoire). 3//
Ainsi, M. Théophile Anger l'a pratiquée chez une jeune fille de vingt ans,
et guérit ainsi en quelques jours une fistule du mentoa datant de deux anne'es.
Deux autres opérations entreprises pour des cas analogues ont été suivies de
succès à l'hôpital Saint-Louis, dans le service de M. Péan. Plus récemment,
M. Terrillon a également tenté l'application de cette méthode sur une jeune
fille atteinte de fistule cutanée ancienne du menton, l'ne incisive grisâtre,
mais sans carie, fut extraite par lui, réséquée dans une étendue de o milli-
mètres, puis réimplantée. La dent se consolida très-vite, et la fistule était en
voie de guérison lorsque la malade fut perdue de vue. Le docteur David, pour-
suivant les études consignées dans sa thèse inaugurale, en a recueilli vingt
nouveaux exemples avec un seul insuccès {Comptes rendus et Méin. de la
Soc. de biologie, 1878, 9 novembre. — Bulletin de l'Académie de médecine,
19 novembre 1878. — Comptes rendus des séances de V Académie des sciences,
6 janvier 1879).
D'autre part, il nous faut citer encore des faits récemment observes par
M. Redier {Journal de médecine de Lille, 1880) et dans lesquels la propor-
tion de succès est également considérable; puis une observation du docteur
Notta de Lisieu.v, qui dans un cas de fistule cutanée réussit par le même
moyen à guérir une jeune fille souffrant depuis six mois {Union médicale,
1880).
Enfin, pour compléter cet liis!orique, nous rapporterons une greffe encore
suivie de succès, pratiquée par Broca sur son ami personnel, M. A. Joly, député
de Seine-et-Oise. Il s'agissait dans ce cas d'une molaire inférieure qui donnait
lieu à des accidents inflammatoires graves avec menace d'abcès de la face. Ce
qui nous engage à rappeler ce fait, c'est que c'est la dernière opération chirur-
gicale faite par notre regretté maître, qui avait dans le début de nos recherches
apporté un grand inléiêt à la méthode naissante. Aujourd'hui l'opérateur et
l'opéré sont morts, et les détails de cette tentative nous ont été communiqués
par un honorable médecin, le docteur Brucy (de Gien), qui les tenait du frère
de M. A. Joly.
L'indication chirurgicale de la greffe, combinée à la résection, repose essen-
tiellement sur Je diagnostic d'une lésion spéciale de l'extiémilé radiculaire des
dents et caractérisée par la périostite chronique du sommet : inflammation du
feuillet périostique, déiiudation et nécrose du cément sous-jacent, résorption de
l'ivoire, etc. C'est une sorte de mortification partielle de la racine.
Ce diagnostic est d'ailleurs ordinairement très-facile, en considérant le pro-
cessus morbide, qui consiste dans une série d'accidents particuliers bien connus
des chirurgiens; ce sont des phlegmons du bord alvéolaire ou de la face, la
dénudation et la nécrose partielle du maxillaire, des fistules muqueuses ou
cutanées. Nous n'avons pas à insister ici sur ces phénomènes, car il faudrait
refaire ici l'histoire de la périostite, affection souvent sérieuse, quelquefois
grave, puisque, par son intensité ou ses complications, elle peut mettre en
question la vie des malades.
Le but thérapeutique, en présence d'une lésion ainsi définie, est la suppres-
sion du sommet radiculaire mortifié, qui joue le rôle d'épine inflammatoire.
Or, cette suppression n'est que bien rarement réalisable directement. Nous
l'avons faite, toutefois, dans deux cas : pour l'un il s'agissait d'un vaste clapier
alvéolaire, dans lequel une pince de Liston a pu être introduite et permettre de
réséquer en un seul temps le tiers environ de la racine malade; l'autre était un
578 DENT (médecine opératoire).
kyste périostique qui permit aussi l'accès du même iustruraent et la section
du sommet d'une canine. C'est un fait du même genre que M. Terrillon com-
muniqua récemment à la Société de chirurgie et dans lequel, grâce à l'existence
d'un kyste de la même variété, les racines de deux dents antérieures furent sec-
tionnées sur place sans qu'il ait été nécessaire de recourir à la greffe {Bull, de
la Société de chirurgie, 1881, p. 769).
Dans un cas analogue, M. Péan, en 1872, avait pratiqué de même directe-
ment la section d'un sommet de racine dentaire qui entretenait une fistule
(Clinique de l'iiôpital Saint-Louis, communication orale).
Dans ces derniers temps, un praticien de Lyon, M. Martin, proposa même
d'appliquer ce procédé à titre de mélliode générale et pratiqua la résection du
sommet à la faveur d'une trépanation préalable de l'alvéole donnant accès
dans le foyer à une pince de Liston. L'auteur cite six observations de guérison
[De la trépanation des extrémités radiculaires des dents appliqvée au traite-
ment de la périostite chronique [Lyon médical, 1881, t. XXXYll, p. 55]). Nous
ne sauiions nous refuser à considérer cette opération comme applicable dans
certains cas, mais non d'une manière générale, car bien souvent les délabre-
ments nécessaires pour atteindre la racine malade seraient plus graves que
l'extraction et, quant à la greffe elle-même, qui représente ici le moyen et non
le but de l'opération, elle est en réalité d'une simplicité et d'une innocuité qui
défie selon nous toute critique sérieuse.
Le plus ordinairement, d'ailleurs, une telle pratique est impossible. Une
nécessité s'impose alors : l'ablation préalable et temporaire de la totalité de
l'organe, permettant d'elfectuer en dehors de l'économie la résection de la partie
altérée. Telle est l'opération de la greffe, qui permet la restitution.de la partie
restée saine en son lieu primitif.
Le manuel opératoire comprend trois temps :
1° Exti'actioii de la dent, dont on a diagnostiqué une périostite chronique
du sommet et qui présente un état susceptible de conservation ou de restau-
ration ;
2° Résection de la partie altérée;
3" Réimplantation immédiate.
Incidemment, entre le deuxième et le troisième temps, le chirurgien devra
pratiquer, avant la greffe, diverses autres opérations : lavage du foyer puru-
lent, ablation de séquestres et, sur la dent même, en dehors de la bouche,
résection de certaines portions malades de la couronne, obturation dans le cas
de carie, etc.
L'extraction de la dent, qui comprend le premier temps, doit être pratiquée
avec des précautions particulières. 11 faut, en effet, éviter toute lésion, aussi bien
de la gencive que de la dent elle-même. L'emploi du davier devra être exclusi-
vement adopté. L'opération se fera lentement, progressivement et par de faibles
mouvements de latéralité, pour éviter de compromettre l'intégrité du bord alvéo-
laire. 11 faut dire, du reste, que l'opération est ordinairement facilitée par
l'existence même de la périostite qui a gonflé notablement le périoste et conges-
tionné les parties voisines. Cependant, dans quelques cas de fistule ancienne,
il arrive au contraire que les adhérences avec le périoste resté sain sont d'autant
plus serrées et solides, que les produits inflammatoires ont une issue facile par
la fistule, et ne tendent plus à se propager sur les autres points.
Aussitôt l'extraction effectuée, et pendant que le malade prend quelques
DENT (médecine opératoire). «^'^
minutes de repos, on procède à l'examen de la dent pour apprécier la nature et
l'étendue de la lésion radiculaire, puis, au moyen de la pince de Liston, on
pratique la section de toute la partie dénudée et rugueuse. On adoucit ensuite
avec une lime neuve ou très-soigneusement lavée les angles de section, afin
de ne laisser aucune arête tranchante ou piquante, et ou place aussitôt après
la dent dans un linge mouillé d'eau tiède. On fait alors l'examen de la cou-
ronne.
Si la dent est dépourvue de toute autre lésion que celle du sommet déjà
réséqué, on la réimplante aussitôt que l'hémorrhagie alvéolaire est arrêtée. Si
elle est frappée de carie, on devra rapidement pratiquer les opérations néces-
saires, c'est-à-dire la préparation de la cavité et une obturation métallique
qui donnera parfois des résultats irréalisables dans la bouche. Ces indications
particulières ne sont toutefois pas constantes, car la périoslite du sommet n'est
pas nécessairement liée à une carie antérieure. Un bon nombre de dents résé-
quées et greffées étaient dépourvues de toute altération de la couronne, la
lésion radiculaire ayant sa pathogénie individuelle en dehors de toute autre
intervention morbide.
Le troisième temps, qui comprend la greffe proprement dite, ne présente pas
ordinairement de difficultés sérieuses. Pour les dents uniradiculaires, la réim-
plantation est toujours facile. Elle est plus laborieuse parfois pour les molaires,
dont les racines peuvent être divergentes, et la remise en place s'accompngne
d'un petit bruit sec qui indique qu'elle a repris sa position première. Cette
manœuvre ne cause que peu ou pas de douleur. Dans quelques cas, cependant,
elle a été accompagnée d'une douleur très-aiguë, mais sans durée.
Les soins consécutifs consistent d'abord dans l'application quelquefois néces-
saire de moyens contentifs : bandage en 8 de chiffre, gouttière en gutla-percha, etc.
Ces procédés sont surtout indiqués pour les dents uniradiculaires, lorsqu'une
résection assez étendue les a privées d'une grande partie de leur surface
d'affleurement. Il n'en est pas de même pour les molaires, que la perte d'une
racine réséquée n'empêche pas de conserver, par les autres restées saines, une
surfac-e de greffe suffisante.
Les moyens contentifs ne sont d'ailleurs nécessaires que pendant un ou
deux jours au plus, la réunion, lorsqu'elle s'effectue, étant très-prompte.
Ensuite, nous avons l'habitude d'appliquer en permanence dans le vestibule
des compresses de ouate imbibées d'une solution saturée de chlorate de po-
tasse, fréquemment renouvelées, pendant toute la durée des phénomènes de
réaction.
S'il existe une fistule, ce qui est le cas le plus fréquent, on devra en main-
tenir le trajet béant soit par un tube de drainage, soit par un cathétérisme
fréquemment répété. Le maintien d'une fistule pendant les premiers jours qui
suivent la greffe est même une condilion essentiellement favorable au succès,
en ce sens qu'elle favorise l'élimination des produits divers dont le foyer est le
réceptacle : débris de périoste mortifié , productions fongueuses , fragments
osseux détachés, etc.
L'utilité bien démontrée d'une fistule nous a même engagé, lorsqu'il n'en
existe pas de naturelle, à perforer directement la paroi alvéolaire pour pénétrer
dans le foyer et y maintenir pendant quelques jours un séton.
Le drainage est particulièrement indiqué lorsqu'il existe des fistules multiples
communicantes, comme, par exemple, un trajet traversant de part en part le
580 DENT (siÉDiiciNE otératoire).
maxillaire supérieur et réunissant deux orifices, l'un situé dans le vestibule,
l'autre à la voûte palatine.
Un mode de drainage spécial qui nous a donné les meilleurs résultats est
l'installation au travers de l'os d'un fil métallique en or ou en platine, conduit
au moyen d'une aiguille de Dcscliaraps détrempée, afin de suivre sans se briser
les contours les plus sinueux. Cette application, maintenue pendant plusieurs
semaines, nous a permis, dans quelqiies cas, d'assurer non-seulement le maintien
de la greffe et sa consolidation régulière, mais encore l'éliminalion complète de
tous les produiis inflammatoires accumulés dans un trajet osseux.
Les suites de l'opération sont le plus souvent fort simples. Si la consolidation
s'effectue, les adhérences nouvelles sont établies dès les premières heures; la
réaction locale est légère, surtout s'il existe par une fistule, drainée ou non,
une communication libre du pus avec l'extérieur. Peu ou pas de phénomènes
généraux. Los fistules se tarissent et se ferment; le foyer s'oblitère, sans doute
par des productions cicatricielles à la fois fibreuses et osseuses (nous n'avons pas
vérifié exactement ce mécanisme, l'occasion nous ayant manqué jusqu'à présent
de pratiquer l'ablalion d'une dent un certain temps après la reprise de la greffe),
et la consolidation complète, ainsi que la guérison de tous les accidents, survient
après un temps moyen de dix à douze jours.
Cette période, toutefois, se prolonge davantage dans les cas de fistules
doubles ou triples, nécessitant un drainage prolongé, en raison de la présence
de clapiers multiples et de fragments nécrosés dont l'élimination est néces-
sairement lente.
Le mécanisme de la consolidation consiste d'abord dans le rétablissement des
adhérences vasculaires entre l'anneau du périoste resté sain autour du tronçon
de la racine et la muqueuse gingivale. Ces premières connexions sont bientôt
suivies du retour des liens vasculaires avec la paroi osseuse alvéolaire elle-même.
Elles sont amplement suffisimles pour rétablir, au sein des tissus de la dent
greiïée, le mouvement nutritif interrompu.
On sait, en effet, par les travaux les plus récents des anatomistes, que la
couche de tissu appelée cément, qui revêt l'extérieur de la racine, est reliée par
les ramifications des ostéoplastes aux canalicules de l'ivoire , de sorte que ce
dernier tissu peut continuer de vivre et de fonctionner par cette voie. Elle est
désormais la seule d'ailleurs, car la pulpe centrale est toujours frappée de mort
lorsqu'une périostite a envahi le sommet de la racine et détruit le faisceau
vasculo-nerveux qui représente, on le sait, la source vitale la plus importante
pour l'organe.
Cette perte préalable de la pulpe donne précisément la raison de la coloration
grise ou bleuâtre que présentent constamment les dents frappées de périostite
chronique du sommet. Cette coloration est même un signe important de dia-
gnostic.
Le succès de la greffe par restitution réside donc entièrement dans l'existence
d'une surface de périoste suffisante, et formant, ainsi que nous l'avons dit,
une bande circulaire complète autour de la racine. La présence de cet anneau
membraneux est une condition si absolue, que tous les cas d'élimination sont
dus à l'interruption dans sa continuité de cette surface vasculaire. Il arrive
parfois, en effet, que les phénomènes de la périostite ont amené la production
de quelques fusées purulentes qui se sont fait jour au bord même de l'alvéole
autour du collet. Le périoste a ainsi subi, dans le sens vertical, une mortification
DENT (médecine opératoire).
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582 DENT (médecine opératoire).
ou suppuration de son tissu, et la coulée purulente qui en résulte devient la
cause presque absolue d'un insuccès.
L'échec de la greffe se manifeste ainsi dès les premiers jours par une élimi-
nation pure et simple de la dent entraînée par la suppuration de ralvcole et du
foyer.
Les résultats que nous a fournis cette méthode opéialoire sont extrême-
ment précieux et, dans une circonstance récente, nous avons pu les établir par
un ensemble de documents des plus précis {De l'état actuel de la greffe par
restitution, appliquée à la cure de la périostite alvéolaire chronique. Congrès
des sciences médicales de Londres, 1881), et qui repose sur un total de ce«^ obser-
vations. Ne pouvant reproduire ici ces observations, nous renverrons le lecteur à un
premier travail qui contient dans tous leurs détails les cinquante premiers cas
(Bulletins et Mémoires de la Société de Chirurgie de Paris, 2 janvier 1879),
et nous nous bornerons à reproduire le tableau qui résume les particularités
principales des cent observations (p. 581). Le bilan de notre pratique se com-
posait au commencement de 1882 de cent dix-sept greffes par restitution,
chiffre dans lequel les insuccès sont au nombre de huit.
Les cent premières observations ont été présentées dans leurs principaux
détails au Congrès des sciences médicales de Londres en 1881, et leur relation
analyti(jue est insérée en totalité dans les comptes rendus du congrès
(voy. Transactions of tlie international médical Congres, t. Ill, p. 445).
B. Greffe par restitution tardive. Elle ne diffère des cas précédents que
par l'espace de temps plus ou moins considérable qui s'est écoulé entre le
moment de la séparation complète d'une dent et celui de sa réintégration dans
l'alvéole. Mais cette différence, comme on le pense bien, joue nécessairement
un très-grand rôle dans le résultat, et c'est ainsi que se trouve justifiée cette
division de noire sujet.
La greffe par substitution tardive sans perte de substance est encore une
opération qui a été pratiquée tout d'abord à l'occasion de certains traumatismes,
lorsque, par exemple, une dent a été luxée et projetée au dehors de la bouche
pendant plus ou moins de temps, et ici se pose immédiatement ce problème
capital :. combien de temps une dent peut-elle rester séparée de son alvéole
sans perdre ses chances de soudure ?
Nous répondrons à cette question en citant quelques faits observés par nous,
et qui fixeront d'eux-mêmes les limites connues de la greffe.
En premier lieu, nous rappellerons d'abord les faits recueillis parles auteurs
anciens, et plus récemment par Mitscherlich et par nous-mème (voy. Les
lésions traumatiques des dents), faits dans lesqnels des dents, séparées
de la bouche pendant deux heures, quatre heures, ont pu être réimplantées
avec succès. Quatre heures, c'est déjà un temps fort long, et nous ne croyons
dans ce délai à la possibilité de la greffe qu'à la condition que l'organe
soit maintenu dans un milieu humide, et c'est à celte précaution que nous
avons dû une consolidation complète dans un cas d'extraction temporaire d'une
deuxième molaire inférieure dont la présence gênait les manœuvres d'extraction
de la dent de sagesse, cause d'accidents graves. La dent, maintenue pendant
quatre heures dans un milieu humide et tiède, se greffa parfaitement (voy. Gaz.
hebdomadaire de médecine et de chirurgie, 1879, p. 3).
Nous connaissons toutefois un cas de greffe suivi de succès après six heures ;
le fait est assez curieux pour mériter d'être relaté brièvement ici :
DENT (médecike opératoire). 385
(( Une jeune fiUe de \ingt-deux ans portait à la joue, au voisinage de l'aile du
nez, une fistule cutanée, due certainement à la périostite chronique d'une inci-
sive latérale supérieure. Ou eut l'idée de tenter, pour la guérir, la greffe, dont les
heureux résultats avaient été déjà préconisés, et dans ce hut on enleva cette
dent. L'opérateur, un peu troublé après ce premier acte et ne voyant pas claire-
ment la lésion qu'il s'agissait d'alteintlre par la résection, conseilla, une fois la
dent enlevée, d'aller consulter un médecin. La dent devait, pendant ce temps,
être maintenue dans un mouchoir mouillé. Par suite de circonstances diverses,
l'opérée ne revint que six heures après l'extraction, apportant le conseil for-
mel de réimplanter la dent extraite. Cela fut fait immédiatement et sans
aucune résection ni manœuvre quelconque sur la dent elle-même. Or, la dent
reprit si bien que, six mois plus tard, appelé nous-mème à traiter celte jeune
fdle par l'extraction suivie de la résection et de la greffe, nous dûmes pour
l'extraire faire autant d'efforts que s'il se fut agi d'une dent dans les conditions
ordinaires ».
Tels sont les faits que nous avons pei'sonnellement observés, et en con-
séquence nous ne sommes en mesure de donner que le chiffre de six heures
comme limite de la grelfe par restitution tardive sans perte de substance.
Quant à cette même opération avec perte de substance soit accidentelle, soit
intentionnelle, nous ne pensons pas que les limites de temps soient sensiblement
différentes : l'un des cas de réimplantalion tardive que nous avons traités avec
succès était compliqué d'une fracture et la réimplantation faite après quatre
heures réussit toutefois : mais quant aux opérations de greffe après résection
du sommet, nous n'avons jamais dépassé quelques minutes, désirant avant
tout réunir, au point de vue de la réparation, le plus de chances possible,
et nous estimons certainement que l'une des principales conditions de succès de
la greffe après résection, c'est la rapidité d'exécution.
§ 2. Des greffes par transplantation. — Les greffes par transplantation
comprennent, suivant la classification adoptée plus haut : A. Celles qui s'o-
pèrent d"ua individu à lui-même soit entre dents semblables, soit entre dents
dissemblables. B. Celles qui ont lieu d'un individu à un autre de même es-
pèce. C. Enfin celles qui se font d'un individu à un autre d'espèce dif-
férente.
A. Les greffes par transplantation d'un individu à lui-même sont aujour-
d'hui assez nombreuses. La première observation vraiment authentique est due
au docteur Pletkiewicz, qui en a publié la relation complète à la Société de Bio-
logie (De /a valeur et de l'emploi thérapeutiques de certaines anomalies du sys-
tème dentaire. Compt. rend, et Me'in. de la Société de Biologie, 1878, p. 573).
Il s'agissait d'une dame qui, ayant une incisive latérale supérieure atteinte de
carie profonde, présentait en outre à la mâchoire inférieure une anomalie con-
sistant dans une disposition vicieuse des incisives, de sorte que l'une de celles-
ci était située profondément en arrière de l'arcade. L'idée vint à M. Pictkiewicz
de transplanter cette dent difforme à la place de l'incisive supérieure : l'opéra-
tion eut un plein succès.
A la même époque, nous avons fait une tentative identique chez une jeune fille
de seize ans et le résultat se maintient depuis trois années {Bullet. et Mém. de
la Soc. de Biologie, 1878, p. 577).
Une opération identique a été pratiquée également par nous en 1879 avec le
584 DEiNT (MÉDECiiNE opératoire).
même résultat, et nous croyons savoir que les docteurs David et Redier ont
e'galement tenté cette variété de greffe avec un égal succès.
Il est de fait qu'une incisive inférieure se rapproche notablement comme
forme des incisives latérales supérieures, ce qui justifle [deinenient ces ten-
tatives; l'opération présente toutefois dans la pratique quelques diflicultés : il
est très-rare en effet, malgré la similitude apparente de deux, dents, qu'elles
aient identiquement les mêmes dimensions dans toutes leurs parties. Si la lar-
geur de la dent qu'on veut transplanter est plus grande, c'est là un incon-
vénient sérieux et qui oblige soit à l'introduction avec force et à la distension
de l'alvéole, soit à la résection d'une portion de la couronne. C'est ainsi que
dans notre premièi'e tentative nous avons du réséquer un quart environ du
bord libre de la couronne d'une canine inférieure destinée à remplacer une pré-
molaire supérieure. 11 est bien préférable que la dent à transplanter soit plus
petite, ce qui oblige seulement à l'installation d'un moyen contcntif, bandage
ou gouttière.
La différence de forme est un autre inconvénient que nous avons aussi ren-
contré et qui nous a obligé à faire subir à la dent, au moment de son intro-
duction, un certain mouvement de rotation sur son axe, afin d'imiter autant que
possible la dent remplacée.
Quant à la longueur plus grande de la racine, c'est là le cas le plus ordinaire
pour les incisives inférieures, toujours plus longues (jue les supérieures. Cette
circonstance exige une opération préalable à la greffe, c'est lu résection d'une
portion de cette racine.
Ces diverses particularités, qui ont été signalées dans presque toutes les ten-
tatives de ce genre, n'ont pas toutefois altéré le résultat. Les dents ainsi réim-
plantées n'ont pas éprouvé de changement de coloration, ce qui semble impliquer
une persistance des fonctions de la pulpe. Ce point du reste n'est pas encore
élucide, car aucune dent ainsi transplantée n'a été ensuite enlevée pour appré-
cier la nature de ses connexions nouvelles, mais le retour de la sensibilité, de
sa solidité, joint au maintien de la couleur, sont des indices favorables à cette
interprétation.
Le manuel opératoire ne diffère point dans ce cas de celui qui a été indiqué
pour la greffe par restitution, et, lorsque lu dent a été installée dans son alvéole
nouveau, elle doit y être maintenue un temps assez long par lun des appareils
contentifs qui paraîti'a le mieux approprié. Toutefois nous n'estimons pas à
moins d'un mois le temps moyen nécessaire à cette consolidation.
Le bilan opératoire est dans tous les cas fort restreint, car, en dehors de
cinq ou six cas connus ou publiés, nous n'enconnaissuns pas d'autres exemples
authentiques. Cette pénurie est due à la rareté des cas appropriés qui exigent à
la fois la perte d'une incisive supérieure et la situation anomale d'une dent
correspondante inférieure. Nous n'hésitons pas toutefois à la recommander
absolument dans de telles circonstances et nous restons convaincu que de
nouvelles tentatives ainsi faites entre deux dents de la même bouche pré-
senteront des chances de succès bien plus grandes que dans les cas dont nous
allons parler.
B. Greffe par transplantation d'un individu à un autre de même espèce.
Cette opération ainsi définie est peut-être celle qui a été tentée le plus souvent
dans tous les temps. Anibroise Paré, Fauchard, Jourdain, Bunon, Bourdet, etc.,
se livrent à des récits plus ou moins authentiques de grandes dames de la cour
DENT (médecine opératoire). 5^5
qui se seraient fait poser à la place de dents brisées des incisives de Savoyards.
Les quelques observations dont nous avons suivi les détails ne sont même pas
encourageantes, car plusieurs d'entre elles se sont terminées plus ou moins tai-
divement par des accidents inflammatoires, abcès, phlegmons, suivis d'élimina-
tion de la greffe.
Nous avons tenté pour notre compte six fois cette opération et n'avons obtenu
que trois succès.
L'un de ces cas est relatif à une jeune fille de dix-neuf ans dont la canine supé-
rieure gauche était profondément altérée par carie et périoslite chronique consé-
cutive. Il nous fut proposé par la famille de prendre dans la bouche d'un jeune
garçon de treize ans la dent correspondante, mais au moment de faire l'opération
nous reconnûmes que cette dent n'était pas encore sortie. Nous songeâmes alors
à utiliser l'incisive latérale supérieure qui était en place et pariailcmcnt saine.
La substitution fut ainsi faite et le résultat se maintient irréprochable depuis
plus de quatre années.
Le second fait est relatif à un homme de trente-cinq ans dont la canine supé-
rieure droite était également détruite profondément par la carie. Ici nous uti-
lisâmes une dent homologue prise chez un jeune étudiant en médecine âgé de
vingt ans et chez lequel les dents supérieures, très-mal disposées, présentaient
des chances de régularisation par la suppression de cette canine saillante en
avant. La transplantation fut pratiquée en juin 1880 et la grelfe se maintenait
irréprochable un an après.
Dans le troisième cas, nous avons transplanté chez une dame de 25 ans la pre-
mière prémolaire d'une petite fille de 9 ans à la place de la même dent brisée
par suite de t;arie et ayant donné lieu à un kyste. L'opération eut un plein succès.
Tels sont nos trois cas favorables et, quant à nos trois insuccès, ils ont été dus
à cet inconvénient déjà signalé du plus grand volume de la dent transplantée et
à une véritable mutilation des racines que nous avons été obligé de pratiquer;
l'insuccès était d'ailleurs prévu et nous n'avons tenté l'aventure qu'en désespoir
de cause et afin d'utiliser encore des dents extraites de la bouche d'enfants offrant
des dilformités de siège ou de direction. Ces tentatives ont été faites d'ailleurs
par des dents d'enfants greffées soit sur leur père, soit sur leur mère.
On voit quels sont les résultats actuels qu'a fournis cette opération : nous
ne parlons, bien entendu, que des faits entourés de toutes les garanties d'authen-
ticité. Les succès se comptent aisément. En ajoutant aux trois exemples que
nous venons de signaler trois cas également favorables du docteur Rédier {Greffes
dentaires par transplantation. Jouimal des sciences médicales de Lille, 1879),
nous arrivons à un total de 6 opérations heureuses. Enfin si, pour juger la
greffe par transplantation d'une façon plus générale, nous les réunissons aux
greffes pratiquées d'un individu sur lui-même, le nombre total ne dépasse pas
douze succès sur plus d'une vingtaine de tentatives.
Quoi qu'il en soit, nous formulerons les préceptes à suivre, en cas de trans-
plantation, de la manière suivante :
1° La dent à transplanter devra avoir des dimensions moindres que celle qu'il
s'agit de remplacer, afin d'éviter toute mutilation de la couronne ou de la racine;
2" Ces dents devront avoir la même forme et la même direction, afin d'éviter
tout déplacement et toute rotation sur l'axe ;
5" Elles devront avoir autant que possible la même coloration ;
4" Il faudra, dans le cas de périostite chronique de la dent à remplacer, pra-
DICT. ENC. XXVII. i!5
386' DENT (médecine opératoire).
tiquer soigneusement le drainage du foyer soit par la fistule, s'il en existe, soit
par une ouverture artificielle entretenue longtemps par un tube de drainage ;
5" Enfin il conviendra de fixer très-soigneusement la greffe au moyen d'un
bandage et mieux encore, pendant les premiers jours, à l'aide d'une gouttière
de gutta-percha.
G. Greffe par transposition (Vun individu à un autre d^espèce différente.
Les diverses tentatives de greffe épidermique ou osseuse faites des animaux
à l'homme étaient bien de nature à suggérer l'idée de transplanter aussi les
dents. En même temps la difliculté extrême qu'on éprouve à rencontrer des
sujets disposés au sacrifice volontaire d'une dent devait faire songer à de tels
emprunts. Mais des difficultés sérieuses, insurmontables même, se présentent
tout d'abord.
La première de ces difficultés réside dans l'extrême dissemblance de forme
entre les dents des animaux et celles de l'homme. Le fait ne saurait surprendre,
puisque c'est précisément la forme des dents qui constitue l'un des principaux
éléments delà caractéristique des espèces. Si quelques animaux, comme certains
singes ou le porc, offrent avec l'homme une analogie, bien éloignée encore, au
sujet de la forme de leurs dents, les conditions de volume et de longueur sont
incompatibles. Aussi toutes les tentatives dans celte voie sont-elles restées
infructueuses, et nous ne les mentionnons que pour mémoire. Comment
d'ailleurs songer sérieusement dans la pratique à utiliser pour les greffes de
dents humaines les dents de l'orang ou du chimpanzé, les seules dont les analo-
gies soient quelque peu marquées? Nous n'insisterons donc pas sur cette question,
considérant de telles tentatives comme tout à fait illusoires.
3. Des greffes hétérotopiques. Nous désignons sous ce nom les greffes
soit de follicules clos et complets, soit de dents adultes transplantées sur des
régions du corps autres que les alvéoles. Ce sont là, ainsi que nous l'avons
dit en commençant, des faits purement physiologiques, jusqu'à ce jour du
moins. Mais, comme en matière de greffes en général la voie de la physiologie
expérimentale peut conduire dans un temps plus ou moins long à des appli-
cations thérapeuti(iues, nous allons reproduire ici les résultats des expériences
que nous avons instituées en 1874, avec notre ami regretté Ch. Legros, sur les
greffes de follicules dentaires entiers et sur celles de certains organes folli-
culaires isolément (voy. Comptes rendus des séances de l'Académie des
sciences, 1874, 'J février).
Greffes de follicules. Elles n'ont été tentées jusqu'à présent que sur le chien.
Elles comprennent un ensemble de S8 expériences qui se résument de la
manière suivante :
« Toutes les greffes ont été empruntées à des chiens soit nouveau nés,
soit âgés de quelques jours. Dans quelques expériences, les chiens avaient vingt-
deux et cinquante-huit heures. Les animaux ont été invariablement sacrifiés par
la piqûre du bulbe, et les mâchoires aussitôt ouvertes pour mettre les follicules
à nu. Une moitié des deux mâchoires a ainsi servi à fournir les greffes, taudis
que l'autre moitié était conservée comme terme de comparaison.
« Les animaux sur lesquels ont été appliquées les greffes étaient le plus
souvent adultes et quelquefois de même âge et de la même portée que celui qui
les fournissait. Les organes en expérience ont été rapidement isolés des gout-
tières dentaires et, le plus ordinairement, introduits aussitôt dans le point
désigné pour la greffe. Dans quelques circonstances, ils ont été pendant quelques
DEiS'T (médecine opératoire). 587
minutes plongés dans le scrum du sang de l'animal sacrifié, sérum qui était
maintenu par le bain-marie à une température de 50 à 55 degrés C.
« Les greffes étaient introduites sous la peau de certaines régions, choisies
parmi les mieux soustraites aux manœuvres de l'animal : la nuque, le sommet
de la tête, les régions cervicale, dorsale et lombaire. Dans les premières séries,
le procédé d'application était la simple incision et l'introduction de la greffe à
2 ou 5 centimètres de l'ouverture, qui était réunie par deux points de suture :
il en a été ainsi dans 36 de nos expériences. Dans les 52 autres, nous avons
employé un trocart spécial, d'un diamètre intérieur de 7 millimètres et qui per-
mettait une tr.insplantation beaucoup plus rapide et plus sûre. Nous devons
dire toutefois que ce dernier moyen ne nous a pas paru exercer d'influence
appréciable sur les résultais.
« Sur notre total de 88 greffes, 10 ont été pratiquées du chien nouveau-né
sur des cobayes adultes; elles se répartissaient de la manière suivante: folli-
cules entiers, 6; organes de l'émail isolés, 3 ; bulbe seul, 1. Ces expériences ont.
toutes abouti à des résultats négatifs par résorption ou par suppuration, ce qui
est conforme aux faits recueillis par M. Bert et par d'autres physiologistes sur
les greffes entre animaux d'ordres zoologiques différents.
» Les 78 autres greffes ont été invariablement pratiquées de chiens nouveau-
nés ou jeunes sur chiens adultes. Le temps pendant lequel ces greffes ont été
maintenues a varié de treize à cinquante-quatre jours; mais nous dirons tout de
suite qu'une série de 25 greffes, qui sont ainsi restées le temps maximum de
cinquante-quatre jours, se sont toutes résorbées.
« Ces 78 greffes se divisent de la manière suivante :
Portion de maxillaires avec follicules inclus ;;
Follicules isolés et entiers 2(3
Bulbes dentaires isolés Ig
Bulbes restés recouverts de leur cliapeau de dentine rudimentaire ... 7
Organes de l'émail i^^olés et grefl'és avec un lambeau de muqueuse buccale. 19
Organes de l'éra;iil avec le chapeau de dentine sous-jaccnt 1
Chapeaux de dentine isolés 4
Total 73
« Ces expériences ont fourni les résultats suivants :
« Les 5 portions de maxillaires avec les follicules dentaires inclus ont donné
lieu à 3 suppurations et à 2 résorptions. M. Bert, dans des tentatives analo'^ues,
avait réalisé les mêmes résultats négatifs.
« Les 19 greffes d'organe de rémail seul et la greffe d'organe de l'émail avec
conservation du chapeau de dentine sous-jacent se sont invariablement terminées
par résorption. Ce résultat ne doit pas surprendre, quand on son<Te à l'extrême
fragilité de ce tissu et à son absence de vascularisation. Nous avions toutefois eu
soin de greffer en même temps le lambeau correspondant de muqueuse qui
fournit à l'organe ses vaisseaux nourriciers.
« Parmi les 26 follicules complels transplantés, 7 ont continué de vivre ce
qui établit une proportion de près Je 25 pour 100. Ces 7 follicules se sont accrus
régulièrement, sauf un cas dans lequel quelques troubles de nutrition ont
amené la produ(;tion de dentine globulaire et de faisceaux irréguliers de prismes
d'émail.
« Les 16 greffes de bulbes dentaires seuls ont donné trois résultats positifs,
soit environ 20 pour 100. Un nouveau chapeau de dentine s'est reproduit tout à
388 DENT (médecine opératoire).
fait régulier dans deux cas et dans le troisième un peu altéré dans sa structure
et globuleux : ils étaient tous dépourvus d'émail.
« Les 7 greffes de bulbes dentaires recouverts de leurs chapeaux de dentine
n'ont pas été retrouvées; elles avaient subi la résorption. Ce résultat est de
nature à surprendre, sien le rapproche du précédent, mais nous ferons remarquer
que ces 7 greffes appartenaient aux séries dans lesquelles les expériences ont
été maintenues pendant quarante-trois et cinquante-quatre jours.
« Sur les 4 chapeaux de dentine isolés, un seul a continué de vivre, mais
sans présenter d'accroissement ; il était resté, après quarante-trois jours, à l'état
stationnaire.
« Un certain nombre d'autres greffes, considérées dans notre statistique
comme négatives, ont été trouvées soit réduites de volume et manifestement en
voie de résorption, soit ayant subi la transformation graisseuse, fait signalé
plusieurs fois par M. Bert; les autres ont donné lieu à des abcès et ont été
éliminées ; d'autres enfui n'ont pu être retrouvées, quelle qu'ait été l'attention
que nous ayons mise à leur recherche.
« De l'ensemble des expériences précédentes il nous a paru possible de tirer les
conclusions suivantes :
« l*" Les greffes de follicules dentaires ou d'organes folliculaires isolés n'ont
donné de résultats dans nos expériences qu'entre animaux du même ordre
zoologique ;
« 2" Les expériences consistant à transplanter des portions plus ou moins
volumineuses de mâchoires avec des follicules inclus ont échoué par suppuration
ou résorption ;
« 5" Les greffes d'organe de l'émail isolément paraissent vouées invaria-
blement à la résorption;
« 4" Les follicules entiers et les bulbes dentaires isolés peuvent continuer à
vivre et à se développer ;
« 5° Dans certaines circonstances, l'accroissement s'effectue régulièrement et
sans autre diflérence avec l'état normal qu'une notable lenteur dans les phéno-
mènes d'évolution ;
« 6'^ Dans d'autres circonstances, quelques troubles dans la formation de
l'ivoire et de l'émail se sont produits, et leur étude a pu être utilement appliquée
à la recherche des phénomènes encore si obscurs du développement de l'organe
dentaire ;
(( 1° Les résultats qui ressortent de ces expériences peuvent ainsi être réunis
à ceux qui sont déjà acquis dans la voie de la greffe chirurgicale. »
Greffes de dents adultes. Les greffes hétérotopiques de dents adultes n'ont
guère qu'un intérêt historique. 11 faut en effet rappeler la célèbre expérience de
Ilunter qui, ayant implanté dans la crête d'un coq une dent humaine, constatala
soudure des parties et la production de communications vasculaires. A. Cooper
avait répété cette expérience avec le même résultat. De son côté M. Philipeaux
avait implanté de la même façon la dent d'un jeune lapin qui avait continué, dit-
il, de s'accroitre {voij. sur ces différents faits thèse de P. Bert, Greffe animale,
lac. cit., p. G6).
Ces faits ont leur portée et il nous paraît très-important qu'ils ne soient point
oubliés. On n'a point encore expérimenté la greffe d'une dent vivante dans la
mâchoire d'un individu dépourvu de dents depuis longtemps. L'expérience, bien
qu'elle n'ofû'*; pas à priori de grandes probabilités de succès, mériterait d'être
DENT (médecine opératoire). 589
tentée et aurait bien, après tout, autant de chance de soudure qu'une dent hu-
maine dans la crête d'un coq. Bornons-nous donc à la signaler et même à la con-
seiller, ne fût-ce qu'à titre expérimental.
VU. De l'anesthésie chirurgicale dans ses applications aux opérations qui
SE PRATIQUENT DANS LA BOUCHE. L'anesthésie chirurgicalc a été déjà l'objet d'uii
travail d'ensemble dû à l'un des plus savants collaborateurs de ce Dictionnaire
{voy. Anesthésie chirurgicale, l'^' série, t. lY, p. 454). Aussi n'avons-nous
nullement la prétention de reproduire ici les considérations générales qui sont
exposées dans cet article ; nous y renvoyons le lecteur. Notre intention est seu-
lement de développer certaines considérations de détail ou d'application spéciale,
et cela pour deux raisons : la première, c'est que depuis la publication du tra-
vail en question (1866) la littérature relative aux anesthésiques s'est enrichie
d'un certain nombre de recherches importantes ; la seconde, c'est que l'histoire
des anesthésiques est en quelque sorte inséparable de la pratique des opérations
buccales, car c'est presque toujours l'extraction d'une dent qui a servi de pré-
texte ou d'occasion aux essais multipliés des chirurgiens.
Cependant, envisagée au point de vue pai'ticulier qui nous occupe, l'aneslhé-
sie chirurgicale n'a été l'objet que de fortjieu d'études. Sans rappeler les recher-
ches entreprises au sujet de tel ou tel agent anesthésique, nous n'avons à men-
tionner qu'une seule publication due au docteur Redier (de Lille) (Journal des
sciences médicales de Lille, 1879). Cette monographie a d'ailleurs été présentée
par l'auteur comme écrite d'après nos idées personnelles et avec des documents
que nous avions recueillis ensemble. C'est donc notre commune opinion que
nous allons exposer ici et nous ferons au mémoire de M. Redier de fréquents em-
prunts. Un autre travail a toutefois été écrit plus récemment sur le même
sujet. Il est de M. Rottenstein [Traité d" anesthésie chirurgicale, 1880). Mais
le livre, fort diffus, est loin d'avoir la valeur scientifique de l'article précédem-
ment cité et il est en tous cas destiné à préconiser exclusivement les vertus et
l'innocuité d'un certain agent anestliésique, le protoxyde d'azote, employé d'après
les procédés nouveaux de Paul Bert.
L'anesthésie chirurgicale appliquée à notre sujet comprend deux problèmes
distincts, ce qui nous conduit à diviser cette étude en deux parties : 1» l'anes-
thésie générale; 2" l'anesthésie locale.
I. Anesthésie générale. C'est llumpbry Davy qui, en 1799, prépara l'avé-
nement de l'anesthésie chirurgicale par la découverte des propriétés du pro-
toxyde d'azote: mais bien qu'il eût annoncé dans un mémoire la possibilité
d'utiliser le gaz hilarant comme aneslhésique pendant les opérations, ses expé-
riences furent bientôt oubliées et restèrent sans profit pendant un demi-siècle.
Cependant, dès ce moment, des recherches furent faites sur divers points à
la fois; tout le monde connut bientôt, sans songera les utiliser d'abord, les
propriétés stupéfiantes de l'éther et, à quelques années d'intervalle, les trois
agents anesthésiques qui se partagent aujourd'hui la faveur firent leur appa-
rition dans la pratique chirurgicale : l'éther en 1843, le protoxyde d'azote
en 1844 et le chloroforme en 1847.
Les propriétés anesthésiques d'un certain nombre de produits plus ou moins
voisins du chloroforme ou de l'éther ont été découvertes depuis une vingtaine
d^'années, mais les tentatives faites pour substituer ces nouveaux agents à leurs
aînés sont restées sans résultat ; nous nous contenterons de les mentionner
sans nous y arrêter.
590 DENT (médecine opéeatouie).
Anesthésiques généraux. Au point de vue pratique, on peut diviser les
anesthésiques généraux en trois classes :
La première comprend toute une série de composés ternaires ou quaternaires
formés d'hydrogène et de carbone combinés avec le brome, le chlore, l'iode
ou l'oxygène : les types des produits de cet le classe sont le chloroforme et
l'éther.
La deuxième ne comprend que le protoxyde d'azole.
• Dans la troisième, on peut grouper des substances qui agissent plutôt comme
narcotiques que comme anesthésiques : tel est en particulier le chloral, qui a
été employé dans ces derniers temps pour les opérations de petite chirurgie.
Les produits de cliacun de ces trois groupes diffèrent complètement, ainsi
qu'on le verra plus loin, dans leur état physique, dans leur mode d'admi-
nistration, dans leurs effets physiologiques, et par conséquent dans leurs indi-
cations. A cliaqiie groupe correspond donc, en réalité, une méthode particulière
d'aneslhésie; mais le chirurgien peut encore recourir à une métlnide mixte par
la combinaison des produits appartenant à des groupes différents, de façon à
obtenir des résultats nouveaux représentant une sorte de moyenne des effets
phj Biologiques des agents employés. Nous allons passer successivement en
revue ces quatre modes d'anesthésie, mais sans insister sur les points qui sont
généralement connus.
1° Êlher sulfiirlqne, chloroforme, sels de méthylène, de méthyle, d'amyle,
éthers. Le plus grand nombre de ces produits n'a été essayé que sur les
animaux, et les résultats ont été tels qu'on ne s'est pas cru autorisé à faire des
expériences sur l'homme; quelques-uns cependant, et eu particulier le bichlo-
rure de méthylène, ont été queli|ue temps employés dans la pratique chirurgicale,
mais ils ont tous été successivement abandonnés, à l'exception de l'éther et du
chloroforme.
L'histoire, les propriétés physiologiques et le mode d'administration de ces
deux derniers agents, étant longuement traités dans tous les ouvrages de chirur-
gie générale, nous ne ferons que les rappeler sommairement.
Après quelques tentatives isolées et qui n'eurent aucun retentissement, faites
en 1842 et J843 par le docteur Vî. G. Long d'Athènes, c'est un dentiste de
Boston, du nom de Morton, qui, en 1846, fit le premier de l'éther une appli-
cation suivie. Dès l'année suivante, la pratique de Morton était connue de toute
l'Europe et, le 12 janvier 1847, Malgaigne, après plusieurs essais dans son
service chirurgical, confirmait devant l'Académie de médecine les merveilleux
résultats annoncés par les Américains. Quelques accidents mortels ne tardèrent
pas cependant à calmer l'enthousiasme général, et l'éthérisation commençait
à rencontrer une certaine opposition lorsque la découverte des propriétés du
chloroforme par Flourens, en 1847, vint encore lui enlever un grand nombre
de ses partisans. Jacob Bell et surtout Simpson adoptèrent immédiatement
le nouvel agent et eurent bientôt de nombreux imitateurs ; depuis cette époque,
la cause du chloroforme a toujours gagné du terrain, et l'éther est aujourd'hui
abandonné presque partout.
Nous n'avons aucun argument nouveau à ajouter, en faveur de l'un ou l'autre
des deux anesthésiques, à tous ceux qui ont été donnés par leurs partisans
respectifs ; mais, si on pouvait démontrer par des statistiques rigoureuses qu'ils
sont identiques au point de vue de leurs effets et aussi des dangers auxquels
ils exposent, c'est encore au chloroforme que nous donnerions la préférence :
DE?JT (.MÉDECINE opérvtoip.e). 591
sa vohililité moins grande ne rend pas nécessaire l'emploi d'appareils spéciaux
toujours plus ou moins compliqués ; il n'exige qu'une simple compresse, et c'est
là déjà une supériorité ; il permet en outre d'obtenir une aneslhésie plus com-
plète, et cette considération a pour nous une certaine importance, la résolution
des muscles masticateurs ne se produisant qu'à une période très-avancée de
l'anesthésie.
Rappelons encore que l'éther, par son inflammabilité, présente des dangers
qui doivent le faire rejeter rigoureusement toutes les fois que les nécessités de
l'opération exigent l'emploi du feu : il suffit d'une lumière, d'un foyer
allumé, ou même d'un simple cautère dans la pièce oij l'on administre l'ancsllié-
sique, pour amener l'inflammalion de la vapeur répandue. Il nous suffira, entre
autres, de rappeler l'accident arrivé récemment à Lyon à M. Poncet, qui, malgré
les précautions les plus minutieuses pour éviter l'inflammalion des vapeurs
élhcrées, l'ut tout à coup enveloppé de llammes au moment oîi il commençait à
appliquer, sur le genou de sa malade, des pointes de feu à l'aide du thermo-
cautère de Paquelin (Lyon médical, 21 septembre 1879, p. 73).
C'est alors que diverses tentatives furent faites à l'aide de quelques autres sub-
stances plus ou moins voisines chimiquement des précédentes. Parmi les re-
cherches nous mentionnerons celles qui ont eu pour objet le bromure d'éthyle.
Cette substance, assez analogue à l'éther ordinaire par ses propriétés pliysiolo-
giques, essayée pour la première fois en Angleterre en 1849, a été remise der-
nièrement en faveur par M. Terrillon (Bull, de tliérap., n"^ du 15 au 50 avril,
15 mai 1880) et par l'un de ses élèves, le docteur Duval (Thèse de Paris, 1880).
De même que l'éther dont il partage la volatilité extrême, sans être inflam-
mable comme lui, il est susceptible d'être employé à la fois comme anesthé-
sique général et comme anesthésique local.
Comme anesthésique général il semble avoir pour avantages particuliers un
elfet plus prompt, un réveil plus rapide et sans accidents, et dès lors convien-
drait particulièrement aux opérations courtes.
2" Protoxyde d'azote. C'est Horace Wells, dentiste de Hartfort, petite ville
du comté de Connecticul, qui, quarante ans après les travaux de Humphry
Davy, eut le premier l'idée d'utiliser les propriétés physiologiques du protoxyde
d'azote pour l'extraction des dents. Après plusieurs succès sur lui-même et
sur des malades de sa clientèle, il fit à Boston, en 1844, une expérience
pubhque qui échoua complètement ; il se rendit alors en Europe pour renou-
veler ses essais, mais il ne put se faire entendre et, fatigué, dit-on, de ses
luttes stériles, il se donna la mort.
Des tentatives de Hora;e Wells il ne resta pendant vingt ans que le souvenir
de sa mésaventure; cependant, vers 1864, les Américains recommencèrent à
expérimenter le protoxyde d'azote; les dentistes l'adoptèrent très-rapidement à
partir de ce moment, et aujourd'hui il est manié partout avec une telle prodi-
galité qu'on pourrait croire son administration exempte de tout danger et abso-
lument inoffensive.
Déjà, en 1866, lorsque Jules Cloquet annonça à l'Académie des Sciences les
résultats avantageux obtenus par quelques dentistes de Paris, Dumas insista
sur la difficulté d'obtenir le protoxyde d'azote à l'état 'de pureté, et sur les
dangers que présente son inhalation quand cette condition n'est pas remplie
(séance du 24 décembre 1866). Fn 1872, un premier cas de mort survint à
Brooklin (New-York) pendant l'extraction d'une dent {the Médical Press and
392 DENT (mkdecine opératoire).
Circular, 30 octobre 1872), et, le 25 janvier 1873, il s'en est produit un second
dans les mêmes conditions entre les mains d'un dentiste d'Exeter {Ihe Times,
24 janvier 1875, et Gaz. hebd., 1875, p. 110).
Cependant des avertissements étaient venus déjà de plusieurs cotes; des
recherches expérimentales avaient été faites, qui toutes étaient arrivées à des
conclusions identiques telles que l'on s'étonne de voir encore le gaz hilarant,
laissé aux mains du premier venu, devenir l'objet d'une véritable industrie ou
d'une basse réclame et publiquement employé par ceux-là mêmes à qui la loi
l'interdit formellement (a L'inhalation des anesthésiques ne peut être considérée
comme une des grandes opérations interdites aux officiers de i^anté, mais il ne
saurait en être ainsi pour les sages-femmes et les dentistes : pour ceux-ci l'inter-
diction est absolue) » (Décret du 8 juillet 1850, concernant la vente des
substances vénéneuses).
En 1868, la Société médicale du VP arrondissement de Paris mit à l'étude
la question du proloxyde d'azote, afin d'établir la nature de son action physiolo-
gique, les caractères de l'anesthésie produite et le degré de confiance que les
praticiens doivent accorder à cet agent. La Commission, dont nous avions l'hon-
neur de faire partie, entreprit une longue série d'expériences et d'observations
dont nous allons brièvement rendre compte {voy. Léon Duchesne, Rapport de
la Commission du protoxyde d'azote, lu à la Société médicale du VP arrondisse-
ment, 1868, et Dlct. des Se. méd., art. Protoxvde d'azote, emploi médical).
Des expérimentations de l'ordre physiologique ont été instituées d'abord sur
les animaux et ensuite sur l'homme : des lapins furent soumis aux inhala-
tions du protoxyde d'azote pur par la trachée découverte au cou; lanesthésie
complète fut obtenue après deux à quatre minutes, et la mort survint dans un
temps moyen de sept minutes, après un ralentissement brusque de la circu-
lation au début de l'inhalation, puis une accélération marquée et enfin une
suspension subite des mouvements du cœur. Si alors on essayait de ranimer
l'animal, au moyen de la respiration artificielle et de l'insufflation, on n'y
parvenait que très-rarement.
D'autres lapins ont été soumis ensuite à l'action du protoxvde mélangé d'air
à volume égal. Les mêmes phénomènes se reproduisirent avec une différence
notable dans l'intensité et la durée.
Afin d'étudier le mode exact de l'action du gaz, des animaux ont été sou^
mis à l'asphyxie pure et simple par la ligature de la trachée, et l'on constata
que la mort arrivait plus lentement que par le protoxyde. Ces expériences
ont paru établir ce premier point : que le protoxyde d'azote est un gaz irres-
pirable et qu'il entraîne en même temps la mort par intoxication et par as-
phyxie ; ce résultat s'éloignerait sensiblement de l'opinion émise par Berzelius,
qui affirme que le protoxyde d'azote est décomposé en petite quantité par la
respiration et que son introduction dans le sang lui communique une couleur
purpurine : aussi considère-t-il la mort comme due, non à l'asphyxie, mais aui
effets prolongés de l'ivresse (Berzelius, Traité de chimie, trad. d'Esslinger,
t. II, p. 49).
Les expériences sur l'homme ont donné les résultats suivants : des sujets
soumis à l'action du protoxyde d'azote pur ont éprouvé, après cinq ou six
inspirations, une sorte d'ivresse agréable avec sensation de déplacement et de
voyage. Le pouls, d'abord normal, s'accélère après les premières inspirations
pour baisser sensiblement bientôt après, et à ce moment survenaient des
DENT (médecine opératoire). 59j
phénomènes asplipiques qui faisaient suspendre aussitôt l'expérience : la face
■levenait pâle, stertoreuse, et les lèvres livides.
Quant aux phénomènes d'anesthésie proprement dite, ils ne se sont pas
présentés constamment, et même à la période asphyxique certains sujets ont
conservé encore la sensation de piqûre, de pincement; toutefois, dans un grand
nombre de cas, l'insensibilité a été complète, et diverses opérations, des cauté-
risations de la conjonctive, des incisions de la peau, des extractions dentaires,
ont pu être laites sans douleur.
En 1875, MM. Jolyet et Blanche, à la suite de nouvelles expériences, ont
conclu que : « le gaz protoxyde d'azote ne peut entretenir la respiration des
plantes ni celle des animaux; que, si ce gaz respiré pur produit à un certain
moment l'aneslhésie, c'est par privation d'oxygène dans le sang, c'est-à-diie
par asphyxie » {Comptes rendus des séances de l'Académie des Sciences,
t. LXXVll, judlet-décembre 1875, p. 59).
Comment concilier ces conclusions formelles , qui sont aussi celles de
M. L. Hermann {Archives de Reichert et du Bois-Raymond, 1864, et Journal de
méd., de cliir. etde pharm., publié par la Société royale des sciences médicales
et naturelles de Bruxelles, 18G7), et de la p!u[)art des expérimentateurs, avec
l'innocuité relative dont le protoxyde d'azote semble jouir dans la pratique,
et avec cette opinion de Tomes, qui le considère comme préférable aux autres
anesthésiques pour les opérations légères et de courte durée {Traité de chirurgie
dentaire, trad. Darin, p. 647)? ÎVous avons la conviction que, dans le plus grand
nombre des cas, le gaz n'est pas donné jusqu'à l'aneslliésie complète, et que
les inhalations sont suspendues avant le début ou aux premiers signes de la
période d'asphyxie; à ce moment la sensibilité générale est simplement en-
gourdie, et le patient, plungé dans une sorte de rêverie, peut ne ressentir que
confusément la douleur d'une opération rapidement faite; mais, si celle-ci se
prolonge au delà de quelques instants, la douleur se manifeste avec toute son
intensité, et les cris et les mouvements du malade ne montrent que trop l'im-
puissance de l'anesthésique.
C'est là ce que nous avons vu toutes les fois que nous avons assisté à des
opérations pratiquées à l'aide du protoxyde d'azote, en particulier au Dental
Hospital de Londres, où ce gaz est administré journellement pour de nom-
breuses extractions par des praticiens dont l'expérience et l'habileté ne sau-
raient être mises en doute. C'est là ce que nous ont dit un grand nombre de
malades qui s'étaient soumis aux inhalations du gaz hilarant et qui, pour la
plupart, sont décidés à ne plus recommencer, prétérant supporter la douleur
complète de l'opération que de s'exposer aux dangers de l'anesthésie sans en
recueillir les bénéfices.
Nous nous croyons donc fondés à rejeter l'usage du protoxyde d'azote, du
moins jusqu'à ce que l'on ait trouvé les moyens de l'administrer de façon à
obtenir sans danger une anesthésie complète.
Or de récentes expériences de M. P. Bert semblent indiquer que la solution de
ce problème n'est pas impossible. On sait que l'action des gaz susceptibles d'im-
pressionner l'organisme dépend de leur tension; si cette loi, établie pour l'acide
carbonique et l'oxygène, pouvait s'appliquer au protoxyde d'azote, on obtiendrait
avec un mélange à parties égales d'air et de protoxyde comprimé à deux atmosphères
tous les effets physiologiques du gaz pur et l'anesthésie pourrait alors être poussée
aussi loin que possible sans danger d'asphyxie. M. P. Bert (Communication
594 DENT (médecine opératoire).
à la Société de Biologie, séance du 2 février 1878, a cherché à résoudre la question
par l'expérimenlalion : à cet effet il soumit deux rats placés dans une cloche à
trois atmosphères de protoxyde d'azote; l'anesthésie se produisit rapidement sans
trace d'asphyxie pendant 20 minutes; dès que la décompression fut opérée, les
animaux recouvrèrent la sensibilité, mais, pendant 48 heures, ils restèrent
sonnolents et présentèrent une température au-dessous de la normale.
Au moment où nous écrivons, le savant physiologiste poursuit ses expé-
riences, et l'on peut affirmer, dès aujourd'hui, en présence des faits récemment
publiés, qu'il est possible d'utiliser le proloxyde d'azote pour des opérations
de longue durée.
La dernière communication de M. P. Bert à la Société de Biologie (juillet
1879] est relative à l'ablalioi! d'une tumeur du sein pratiquée par M. Péan,
à l'hôpital Saint-Louis, à l'aide du protoxyde d'azote sous pression employé
pour obtenir l'anesthésie. L'opération dura \-i minutes : la malade était installée
dans une des cloches d'un établissement de bains d'air comprimé. La pression
à l'intérieur de la cloche fut portée entre 17 et 10 centimètres, et l'on fit
respirer à la malade le mélange, indiqué par M. Bert, de 85 parties de protoxyde
d'azote et de 15 parties d'oxygène.
Il n'y eut aucune espèce de réaction; la malade était profondément endormie
au bout d'une minute et demie.
Lorsque l'opération fut terminée, on cessa les inhalations de protoxyde
d'azote : la malade s'éveilla presque aussitôt dans un état de bien-être parfait,
et elle demanda à manger.
En 14 minutes, elle avait absorbé 150 litres de gaz, soit un peu plus de
10 litres par minute.
Il est donc désormais incontestable que le protoxyde d'azote jouit de pro-
priétés spéciales qui permettent de le ranger parmi les aneslhésiquss propre-
ment dits, et que, par conséquent, l'insensibilité plus ou moins complète qu'il
détermine n'est pas simplement le fait de l'asphyxie, comme MM. Jolyet et
Blanche s'étaient crus autorisés à l'affirmer après leurs expériences.
A ce point de vue, les travaux de M. Paul Bert présentent uu incontestable
intérêt, mais il faut reconnaître aussi que, jusqu'ici, l'emploi du gaz sous
pression est à peu près impossible dans la pratique; il exige des conditions
que l'on ne peut réunir qu'exceptionnellement, et il est nécessaire que de
nouvelles recherches amènent la découverte d'un mode d'emploi facilement
réalisable partout, pour qu'il sorte du domaine de la physiologie expérimentale.
5° Hydrate de chloral. L'hydrate de cliloral est un hypnotique et un anti-
spasmodique puissant qui, à la dose de 8 à 10 grammes, peut même produire
l'anesthésie chez l'adulte; mais, à cette dose, l'estomac se révolte et refuse
ou rejette le médicament. Dans une communication au Congrès de Bruxelles,
M. Bouchut (voy. Bulletin général de Thérapeutique) a montré que, chez l'enfant
au contraire, le chloral peut être pris sans difficulté à la dose de 5 et 4 grammes,
être parfaitement toléré et, dans ces conditions, produire une aneslhésie com-
plète : sur un grand nombre d'observations, il n'y aurait jamais eu aucun accident.
Plus récemment le docteur Choquet (Thèse de Paris, 1880) a de nouveau pré-
conisé cet agent.
L'hydrate de chloral doit être administré en une seule fois dans une potion
de 60 à 100 grammes; un quart d'heure après l'ingestion de la dose entière,
l'anesthésie commence à se produire; elle est complète au bout d'une heure et
DENT (médecixe opératoire). 595
se prolonge environ quatre heures. Pendant cette période, on peut pratupier
l'extraction d'une ou plusieurs dents ou toute autre opération, san' que l'enfant
en garde le souvenir : il pousse un petit gémissement, remue sans se réveiller,
et retombe aussitôt dans l'immobilité.
Les expériences de Redier ont d'ailleurs pleinement confirmé les résultats
annoncés par M. Bouchut {voy. Mémoire sur l'emploi du cldoral comme anes-
thésique chez les enfants, in Journal des Se. méd. de Lille., décembre 1878) :
nous croyons donc que l'anesthésie pale peut,r chlor a. dans des cas particuliers,
rendre service, et c'est à ce titre que nous la signalons ici, bien que l'extraction
des dents chez les enfants ne puisse justifier que très-exceptionnellement l'em-
ploi des ancsthésiques, les dents temporaires • étant toujours plus ou moms
ébranlées et privées de leurs racines à l'époque de leur chute.
¥ Anesthésie mixte. 11 était naturel qu'après avoir expérimenté les divers
anesthésiqucs isolément on cherchât à les associer dans le but d'ob'.enir des
résultats meilleurs et d'atténuer les dangers inhérents à l'emploi exclusif de
chacun d'eux.
Jusqu'à présent, à notre connaissance du moins, les seuls agents par l'action
combinée desquels on ait cherché à produire l'anesthésie sont :
L'éther et le chloroforme ;
La morphine et le chloroforme ;
Le protoxyde d'azote et l'éther.
Le mélange d'éther et de chloroforme (60 parties d'éther pour 40 de chloro-
forme), après avoir joui d'un moment de vogue, n'est guère usité maintenant
qu'en Angleterre et en Amérique; encore n'est-ce que très-exceptionnellement
qu'on y a recours. La confiance qu'il inspirait a été fortement ébranlée par trois
cas de mort survenus à quelques années de distance (Jules Rochard, Histoire
de la Chirurgie française au XIX'- siècle. Paris, 1875, p. 492). Nous ne nous y
arrêterons pas.
Pour la morphine et le chloroforme, c'est Claude Bernard qui, par des
expériences qui eurent un grand retentissement, ouvrit la voie des recherches.
En 1864, le savant physiologiste, injectant cinq centigrammes de morpiiine
dans le tissu cellulaii'e d'un chien qui, quelques instants auparavant, avait été
soumis au sommeil chloroformique et qui venait à peine de recouvrer la sensi-
bilité, vit avec étonnement l'anesthésie se reproduire et se prolonger très-
longtemps; il renouvela plusieurs fois l'expérience et obtint constamment le
même résultat. Plus tard il constata que, lorsqu'on commence par l'injection
de morphine, il suffit d'une très-faible dose de chloroforme pour déterminer le
sommeil et de quelques courtes inhalations pour l'entretenir {Revue des cours
scientifiques, 1869, p. 447).
Au moment même où Claude Bernard faisait sa première expérience, Nusbaum,
de Munich, la réalisait avec succès dans l'espèce humaine : dans dix-sept opé-
rations, après avoir obtenu par le chloroforme une anesthésie complète, il
pratiqua une injection hy|)odermique d i.iéUte de morphine, et l'anesthésie se
prolongea pendant douze heures chez cinq sujets, de deux à huit heures chez
les autres (J. Rochard, loc. cit.).
Un certain nombre de chirurgiens français entrèrent immédiatement dans la
voie tracée par Claude Bernard : Ollier, de Lyon, fit avec un succès complet et
sans accidents des opérations très-longues et très -douloureuses, en employant
les inhalations de chloroforme suivies de l'injection morphinée; en substituant
396 DENT (médecine opératoire).
l'étlier au chloroforme, le sommeil était prolongé jusqu'à vingt-quatre et
quarante-huit heures.
En 1870, pendant la guerre, Poncet entreprit, à l'hôpital militaire de Stras-
bourg, quelques essais auxquels il renonça bientôt, ce moyeu lui ayant paru
dangereux pour les grands traumatismes. Agir ainsi, dit Poncet, c'est accumuler
toutes les chances de mort, et nous rejetons bien loin cette association dange-
reuse. Elle est acceptable quand le système nerveux et la calorificalion générale
ne sont pas en danger ; mais à l'armée, il faut en donner le moins possible
[Gazette liebd., 1872, p. 185). En 1872, MM. Labbé et Goujon publièrent les
résultats de leurs expériences (Comptes rendus de ï Académie des sciences,
2G février 1872), et quelques mois plus tard Grosjean rendit compte de dix-
neuf observations prises dans les services de Rigaud et Sarrazin à Strasbourg
(Grofjean, Thèse de Paris, 1872). La dose de morphine employée par MM. Labbé
et Goujon était de Os%02 ; dans les observations rapportées par Grosjean, la
dose n'a jamais dépassé 0,01. Tous reconnaissent que celte association de la
morphine et du chloroforme a l'avantage de produire plus rapidement l'anes-
thésieetde la prolonger en n'employant que de très-faibles doses de chloroforme.
Quoi qu'il en soit de ces résultats, et tout en reconnaissant que celte méthode
peut trouver une indication précieuse diins certaines alfections très-douloureuses
ou dans les opérations qui, sans présenter de gravité réelle, nécessiteut une
intervention chirurgicale très-prolongée, nous pensons que l'emploi isolé du
chloroforme présente, dans la grande majorité des cas, plus d'avantages. Il
n'est pas démontré, en effet, que l'anesthésie mixte par le chloroforme et la
morphine soit absolument exempte de dangers, et l'on reconnaîtra avec nous
qu'il est au moins inutile de plonger un malade dans un sommeil de plusieurs
heures quand une anesthésie de courte durée peut suffire.
Mais l'association de la morphine et du chloroforme peut, dans certaines con-
ditions, produire des effets physiologiques tout différents de l'anesthésie. C'est
le docteur Guibert, de Saint-Biieuc, qui, dans un pli cacheté déposé le 20 juin
1870 à l'Académie des sciences, et ouvert seulemeilt deux années plus tard, le
12 mars 1872, fit connaître les résultats nouveaux qu'il avait observés. En
suivant le procédé indiqué par Claude Bernard, il avait réussi à déterminer deux
états bien distincts : 1" Vanalge'sie cixec conservation do l'intelligence, des sens
et du mouvement volontaire ; 2° l'anesthésie mixte, comme l'avait indiqué
Claude Bernard. Si l'analgésie pouvait être obtenue à volonté, si les résultats
annoncés par le docteur Guibert pouvaient se généraliser, ce serait une admirable
ressource pour toutes les opérations oi)i le patient doit conserver son intelligence
pour seconder l'action de l'opérateur, notamment pour les opérations qui se
pratiquent dans la bouche.
Une nouvelle communication du docteur Guibert fut faite à l'Académie des
sciences par Claude Bernard en 1877; elle confirmait la première en tous points
{Comptes rendus de V Académie des sciences, nov. 1877). L'analgésie vient, en
outre, d'èlre l'objet d'expériences récentes faites au Collège de France par
M. Franck, dans le laboratoire de M. Marey (Concours médical, 12 juillet 1879);
et M. Bossis, dans sa thèse inaugurale, a, plus récemment encore, étudié la
question sous ses principaux aspects (Bossis, Thèse de Paris, mai 1879). II
semble donc que Y analgésie chirurgicale soit dès aujourd'hui acquise; nous
n'en avons personnellement aucune expérience.
Quant à la manière de procéder, voici comment l'auteur l'indique lui-même :
DEM (médecine opératoire). 3o'7
« Il suffit de faire précéder rinhalatioii du chloroforme d'une injeclion de 1 à
2 centigrammes de chlorhydrate de morphine. 11 sera rarement utile d'employer
une dose supérieure à 15 milligrammes, dose qui est nécessaire pour une anal-
gésie complète ; l'injection sera faite quinze à vingt minutes avant l'inhalation.
Le chirurgien aura soin de faire causer toujours le patient, et dès qu'il verra
survenir le plus léger trouble intellectuel : verbiage, incohérence d'idées, légère
agitation, il pourra pratiquer l'opération la plus douloureuse sans cris, sans
plaintes, sans mouvements difficiles à contenir, et cet état pourra être maintenu
facilement tout le temps nécessaire à l'opération. Enfin le malade pourra même
assister en curieux à son opération sans ressentir de douleur, et exécuter les
mouvements commandés par le chirurgien. »
V association du pwtoxijde d'azote et de Vélher constitue un troisième pro-
cédé d'anestliésie mixle, dont l'emploi tend à se généraliser en Angleterre, et
que nous avons eu l'occasion de voir appliquer pour l'extraction des dents
au Dental Hospital de Londres. On commence par faire aspirer au malade (piatre
ou cinq bouffées de protoxyde, jusqu'à ce qu'on obtienne un commencement
d'engourdissement et de stupeur, mais sans aller jusqu'à l'apparition des pre-
miers signes de l'ajphjxie, puis l'on termine par des inhalations d'éther jusqu'à
ce que l'anesthésie soit complète. M. Clover, un des anesthésieurs de Londres
des plus en renom (Londres possède des anesthésieurs de profession qui exercent
à côté du cliirurgien et sous leur responsabilité personnelle), est l'inventeur
d'un appareil qui porte son nom et qui a pour but de régler les doses de gaz et
d'éther mélangé à l'air atmosphérique qui sont administrées au patient. 11
prétend supprimer par sa méthode toute période d'excitation, empêcher les vomis-
sements et mettre le malade, au réveil, à l'abri de l'ivresse. Les résultats que nous
avons observés ne nous ont pas convaincu, et ils ne nous paraissent pas suffi-
sants pour justifier l'emploi d'un appareil aussi volumineux et aussi compliqué
que celui de M. Clover; il s'agit en effet d'une véritable machine pour le
maniement de laquelle le concours d'un aide spécial et expérimente est indis-
pensable. Or, ces conditions sont rarement réalisables dans la pratique ordinaire,
en France du moins, où l'administration des aneslhésiques reste tout entière
sous la responsabilité du chirurgien. Ajoutons que la nouvelle méthode ne
met pas plus que les autres à l'abri des accidents, ainsi que le prouve le cas de
mort survenu il y a deux ans à University-College Hospital (iledic. Times and
Gazette, 1877, p. 154).
Les mêmes observations s'appliquent à l'administration successive du pro-
toxyde d'azole et du chloroforme, que certains chirurgiens semblent vouloir
introduire dans la pratique. Les expériences auxquelles nous avons assisté
à l'Hôtel-Dieu de Paris nous ont laissé absolument incrédule.
Indicatio.ns DE l'anesthésie. Les opérations qui se pratiquent dans la bouche
s'accompagnent d'un certain nombre de conditions spéciales qui excluent en
général l'emploi des aneslhésiques. La nécessité d'avoir un éclairage convenable
exige presque toujours que le malade soit assis; la difficulté de laver les parties
et d'éponger le sang, au fur et à mesure de son écoulement, rendent nécessaire
l'intervention du malade, qui, par l'emploi répété de gargarismes, peut seul
débarrasser complètement la bouche du sang qui s'y accumule, et masque au
chirurgien la région où il opère. Enfin, sans pénétrer nécessairement dans les
voies aériennes, le sang qui remplit l'arrière-gorge détermine constamment
des mouvements réflexes de déglutition, accompagnés de toux, de spasmes de
398 DENT (médecine opératoire).
la fflotte el pai fois aussi tle véritables accès de suffocalion; il en résulte un
déplacement continuel de la langue, du voile du palais et de la mâchoire infé
rieure, dont l'abaissement ne peut être maintenu qu'à l'aide d'appareils, lesquels
ne remplissent qu'incomplètement leur but, et ont en tous cas l'inconvénient
de gêner plus ou moins les manœuvres opératoires.
Aussi la plupart des chirurgiens rejettent-ils l'emploi des ancsthésiques dans
ces opérations, et telle est aussi notre manière de faire, malgré l'opinion con-
traire de Giraldès {Dict.de niécL et de chir.prat., art. A^esthésiques, p. 251),
qui recommande d'y recourir toutes les fois que les malades peuvent être opérés
dans la position horizontale.
Pour l'extraction des dents en particulier, l'emploi des anesthcsiques doit
être formellement rejeté, à moins d'indications spéciales et bien précises; de
nouvelles raisons s'ajoutent encore aux précédentes, pour justifier la réserve
du chirurgien. C'est qu'en effet, si l'opération peut être faite rapidement, la
douleur, quelle que soit son intensité, ne durera qu'un instant, et il serait
inadmissible dans ces conditions d'exposer le malade aux accidents inhérents à
l'administration des ancsthésiques, si rares qu'ils soient. Lorsque, au contraire,
l'opération se prolonge et ne peut être faite qu'en plusieurs temps; lorsque la
dent à extraire est située profondément, le concours du patient peut être pour
l'opérattur un auxiliaire précieux et même indispensable, soit pour maintenir
la bouche largement ouverte, soit pour donner à la région et pour lui conserver
pendant l'opération la direction et l'attitude les plus favorables, soit enfin pour
débarrasser la bouche des divers liquides, salive, sang, pus, qui peuvent s'y
accumuler pendant l'opération.
Il est cependant des circonstances dans lesquelles l'anesthésie peut rendre
service et même simplifier l'œuvre du chirurgien. C'est, par exemple, lorsqu'il
s'agit de sujets d'une impressionnabilité excessive, chez lesquels la douleur
ou seulement l'appréhension peuvent donner lieu à des troubles nerveux divers :
tel est en particulier le cas des hystériques et surtout des épileptiques, chez
lesquels les traumatismes les plus simples déterminent parfois le retour des
accès.
La constriction des mâchoires est encore une indication de l'anesthésie,
qu'elle résulte de l'infiltration séreuse de la gaine des muscles élévateurs, du
masseter en particulier, de la contracture de ces muscles, de la formation de
brides cicatricielles ou d'une ankylose partielle des articulations. L'éruption de
la dent de sagesse inférieure donne souvent lieu à des complications de celte
nature : à la suite d'un phlegmon diffus des régions parotidienne et sous-maxil-
laire, les mâchoires restent plus ou moins resserrées, et une intervention
immédiate devient nécessaire : l'anesthésie permet dans ces conditions de
triompher facilement de la résistance, tandis que l'ouverture forcée de la bouche
n'aurait pu être obtenue sans son concours qu'au prix d'efforts beaucoup plus
grands et de douleurs intolérables.
Il est évidemment impossible de tracer des limites rigoureuses à l'emploi des
anesthésiques ; la conduite du chirurgien doit être subordonnée aux indications
de chaque cas particulier ; mais l'abstention doit être une règle dont on ne doit
se départir que pour des motifs sérieux et non pour donner satisfaction au
caprice ou à la pusillanimité des malades.
Administration des A^■ESTHÉSIQUES. C'est par centaines que l'on compte
aujourd'hui les accidents mortels imputables aux anesthésiques. Ce n'est donc
DENT (uiÉDECiNE opératoire). 509
pas exagérer que de coiisidérer l'administration de ces agents comme un
acte grave et qui doit toujours être accompli dans toutes les règles et avec toutes
les précautions prescrites par l'expérience et les données scientifiques. Aussi, bien
que ces questions soient longuement traitées dans tous les ouvrages de chirurgie,
nous ne croyons pas inutile de rappeler ici ces indications, d'autant plus que
les opérations qui se pratiquent dans la bouche donnent lieu à l'application de
quelques mesures spéciales qu'il est important de connaître.
En dehors de l'hôpital ou de la clinique, c'est toujours à son domicile, et
jamais dans le cabinet de l'opérateur, que le malade doit être anestliésié : l'in-
térêt bien entendu du malade et celui du médecin, bien plus que des motifs
d'ordre scientifique, imposent cette manière de faire. Le malade, obligé de
quitter partiellement ses vêtements, et exposé à souiller ceux qu'il conserve
pendant les inhalations, aura chez lui, sous ce rapport, des facilités sur lesquelles
il est inutile d'insister; après l'opération, il pourra, sans se déplacer, trouver
dans son lit un repos souvent nécessaire pour dissiper le malaisée qui suit le
réveil et se prolonge parfois assez longtemps : enfin, placé dans un milieu qui
lui est familier et se sachant auprès des siens, il se livrera avec plus de con-
fiance. Le chirurgien qui anesthésie dans son cabinet, outre qu'il prive le
malade des avantages précédents, s'impose des charges inutiles ; les malades
vomissent, ont parfois pendant le sommeil des émissions involontaires d'urine
et de matières fécales, et restent quelquefois plusieurs heures avant d'être
en état de retourner chez eux ; et ce ne sont là encore que des inconvénients
matériels : mais quelles complications, si, par malheur, un accident mortel
arrivait !
Un aide doit être chargé exclusivement des inhalations, mais il doit i^tre
suffisamment expérimenté pour que le chirurgien, tout entier à l'opération,
puisse s'en remettre à lui des soins de l'anesthésie. A défaut d'un aide, on exi-
gera la présence d'un témoin : des procès scandaleux, souvent justifiés, il est
vrai, par l'indignité de praticiens dégradés, mais quelquefois aussi provoqués
dans une intention criminelle par de prétendues victimes, rendent celte pré-
caution nécessaire.
On sait quelles sont les règles ordinaires en matière d'anesthésie : le malade
doit être à jeun, couché horizontalement de façon à diminuer les chances de la
syncope et débarrassé de tout lien ou vêtement qui pourrait entraver la respi-
ration ou la circulation cérébrale.
Avant de commencer les inhalations, on doit lui indiquer comment il faut
respirer, lui recommander surtout de le faire naturellement et sans eifort, et
lui expliquer ce qu'il va ressentir; il est bon de continuer à lui adresser la
parole et de lui faire quelques questions pendant les premières inhalations, de
manière à détourner son attention et à provoquer des réponses qui exioent
nécessairement le jeu de l'appareil respiratoire ; on devra aussi, surtout dans
l'anesthésie chloroformique, adopter la méthode des intermittences, suivant les
préceptes si sages de M. Gosselin. A partir du début et jusqu'au réveil, une
surveillance minutieuse et incessante doit être exercée sur les deux faraudes
fonctions de la respiration et de la circulation.
L'anesthésie de la région buccale doit en général être poussée très-loin les
muscles masticateurs étant, comme on sait, des derniers à entrer en résolution ;
on obtient même assez rarement une résolution complète : aussi, pour assurer
un ccartement suffisant des deux mâchoires, il est nécessaire de placer et de
400 DENT (médecine opératoire).
maintenir entre les arcades dentaires une petite masse capable de résister à l'ac
tion des muscles. Un bouchon de liège, limé en gouttières sur les deux faces et
dans lesquelles doivent s'appliquer les dents, remplira pariaitement le but; on
peut aussi se servir de petits appareils construits spécialement pour cet usage ;
ils sont en buis ou en caoutchouc durci, et sont nécessairement moins volu-
mineux et plus résistants que le liège. Quel que soit d'ailleurs l'appareil adopté,
il faut avoir soin d'y fixer un lien qui permette de le retenir et au besoin
de le ramener, s'il venait à s'échapper en arrière des arcades. Les journaux
anglais ont rapporté l'observation d'un cas de mort survenu dans ces circon-
stances : le bouchon placé entre les dents pour maintenir les mâchoires écar-
tées pendant l'anesthésie était venu s'engager dans la trachée et avait déterminé
la. suiHocixhon {Bi itisli Med. Journal, l"'' février 1875, p. 126).
Dans les cas de constriction des mâchoires, lorsqu'on est obligé de recourir à
l'ouverture forcée de la bouche, il est nécessaire d'employer des instruments
spéciaux. Le plus simple est un cône de buis ou d'ivoire creusé en pas de vis.
Le dilatateur de Larrey, qui permet de développer graduellement une force
beaucoup plus grande, doit être préféré au précédent; tel est encore l'instrument
de M. Cattlin. Tous deux se composent essentiellement de deux tiges glissant
l'une sur l'autre soit au moyen d'un pas de vis (Larrey), soit au moyeu d'une
crémaillère et d'un pignon (Cattlin) ; les lames ou mors sont en acier comme les
tiges dont elles sont la continuation, et sont garnies, sur la face destinée à
s'appliquer contre les dents, de corne, de buis, de plomb ou de toute autre
substance analogue. Un cliquet d'échappement permet de fermer l'instrument
et d'en rapprocher les mors instantanément {voy. pour la description de ces
appareils V Arsenal de la chirurgie contemporaine, de Gaujot et Spillmann).
Pendant l'opération, il est quelquefois dii'ticile de bien s'éclairer, les appareils
qui servent à maintenir les mâchoires écartées diminuant toujours plus ou
moins l'ouverture de la bouche. Ce sont souvent les doigts beaucoup plus que
l'inspection directe qui doivent guider l'instrument : aussi faut-il prendre
grand soin de ne pas blesser les parties voisines. Mais un point qu'il ne
faut jamais négliger, c'est de sortir de la bouche, au iur et à mesure de leur
extraction, toutes les dents, racines ou débris dentaires, afin d'éviter qu'ils
soient entraînés dans les voies aériennes ; des accidents mortels se sont produits
plus d'une fois dans ces conditions.
Enfin il est une dernière règle de la plus haute importance que nous devons
rappeler ici, parce qu'elle est souvent trop négligée : c'est de ne jamais pro-
céder à l'anesthésie sans avoir sous la main tous les moyens qui peuvent être
mis en jeu en cas d'accident. Nous ne retracerons pas ici le tableau détaillé des
accidents de l'anesthésie : c'est tantôt une asphyxie mécanique produite par la
langue qui, soustraite à l'influence de la tonicité musculaire, est entraînée par
son propre poids et vient obstruer l'entrée des voies aériennes; tantôt, et plus
souvent le pouls cesse de battre, le malade ne respire plus, et cela brusquement,
sans prodromes. C'est suivant ce dernier processus qu'un accident très-grave,
qui faillit être mortel, a été observé récemment à Londres par M. Coleman {Bri-
tish Med. Journ., 1882, avril, p. 582).
Dans tous les cas, les inhalations doivent être immédiatement suspendues et
l'air de la pièce renouvelé. Si le danger résulte de l'obstruction du larynx, la
langue sera attirée en avant avec une pince ou une érigne, et une profonde
inspiration viendra souvent rassurer le chiruigien. Si le malade présentait les
DENT. 401
signes de la syncope, il serait imprudent de compter sur les demi-mesures
(stimulants de la peau et des muqueuses, projection d'eau fioide, vinaigre, etc.)
et de s'y attarder; le malade doit être allongé liorizoataleraent ou même renversé
la tète en bas (Denonvilliers, Nélalon, Giraldès) (voy. Dict. de mécl. et de cliir.
prat., loc. cit.) ; puis on cherchera à rétablir la respiration par tous les moyens
possibles.
Si les auteurs ne sont pas d'accord sur les causes de la mort par les anesthé-
siques, tous sont unanimes à reconnaître que la respiration artificielle est le
seul traitement qui offre des chances de succès. En se répandant dans l'arbre
aérien, le courant d'air exerce sur la muqueuse pulmonaire une stimulation
dont l'effet est de ranimer par action rcllexe les mouvements du cœur et de la
respiration; le gonnemeiit brusque et réitéré du parenchyme pulmonaire, en
changeant, suivant MM. Perrin, les conditions hydrostatiques de l'organe et
modifiant l'étut physique de la circulation, contribue sans doute aussi pour sa
part au réveil de l'organisme. Quelle que soit donc l'opinion que l'on se forme
sur la nature du danger à conjurer, qu'il s'agisse d'un empoisonnement, d'une
asphyxie ou d'une syncope, on conçoit que l'efficacité de la respiration artificielle
doit être la même.
Pour pratiquer la respiration artificielle, on doit commencer par les manœuvres
directes qui déterminent les mouvements alternatifs de la cage thoracique :
pressions sur la base du thorax, mouvements d'élévation et d'abaissement
des membres supérieurs, etc. Après quelques tentatives infructueuses, il faut
sans tarder avoir recours à la faradisation des nerfs phrcniques : il est donc
nécessaire d'avoir toujours sous la main un appareil prêt à fonctionner : un
des pôles est placé sur la région cervicale, à la partie moyenne du sterno-cléido-
mastoidien, l'autre à la base du thorax, au niveau des insertions du diaphragme.
Ce moyen, beaucoup plus puissant que le précédent, doit être continué quatre
ou cinq minutes; mais si, après ce temps, le cœur reste immobile, il faut
l'abandonner pour recourir à la dernière ressource, l'insufflation pulmonaire.
L'insufflation pulmonaire, pour être efficace, exige l'emploi de la sonde
laryngienne; mais l'introduction de l'instrument n'est pas toujours f;\cile, et
l'on ne devrait pas hésiter à se créer une voie artificielle par la trachéotomie, si
l'on ne pouvait y arriver par la voie naturelle.
Trop souvent, malgré toutes ces tentatives, le cœur reste immobile et le
chirurgien se trouve en présence d'un cadavre. Que de regrets se serait préparés
celui qui aurait pratiqué l'anesthésie sans motifs suffisants, et sans avoir pris
toutes les précautions nécessaires!
Conclusions : 1° l'anesthésie générale ne doit être employée que très-excep-
tionnellement pour les opérations qui se pratiquent dans la bouche et pour
l'extraction des dents en particulier; 2° loin de simplifier les opérations, elle
les complique presque toujours; o° l'éther et le chloioforme, et spécialement
ce dernier, sont actuellement les seuls agents anesthésiques dont l'emploi offre
des garanties suffisantes; 4° les anesthésiques ne doivent être administrés que
par des personnes expérimentées, et le chirurgien doit toujours avoir sous la
main des moyens de combattre les accidents (pince linguale, appareil électrique,
sonde laryngienne, etc.).
AsESTHÉsiE LOCALE. Lcs Grecs et les Romains ont certainement connu et
pratiqué l'anesthésie locale : Dioscoride et Pline parlent d'une préparation
composée d'une espèce particulière de marbre, la pierre de Memphis, qui,
DICT. ENC. XXVU. '2Q
492 DENT.
après avoir été broyée dans du vinaigre, était appliquée sur les parties pour les
rendre insensibles pendant les opérations : c'est évidemment l'acide carbonique
mis en liberté par le vinaigre qui était ici l'agent anestliésique. Cette pra-
tique nécessairement très-imparfaite est à peu près la seule digne d'être
rapportée que l'on trouve dans les auteurs jusqu'à la fin du siècle dernier. A
cette époque, un chirurgien anglais, James Moore, tenta de constituer une
véritable méthode d'anestliésie locale par la compression des troncs nerveux
(M. Perrin, lac. cit.); ses recherches furent reprises, il y a quarante ans, par
M. Liégeard (de Caen), qui à la compression limitée au trajet du nerf substitua
la compression circulaire du membre sur une large surface (De la compression
circulaire très-exacte des membres au-dessus du point malade avant et pendant
l'opération, in Mélanges de méd. et de chir. prat., Caen, 1837).
Malgré ces tentatives, l'anesthésie locale ne commença réellement à entrer
dans la pratique qu'après la découverte de Richardson en 1805. Depuis, un
certain nombre de procédés nouveaux ont été tour à tour vantés et abandonnés;
parmi eux les uns, absolument inapplicables aux opérations de la bouche, ne
doivent pas nous occuper : telles sont, en particulier, les pulvérisations de
sulfure de carbone ou d'acide carbonique, les applications directes de mélanges
réfrigérants, etc. ; d'autres ont été spécialement recommandés pour supprimer
la douleur pendant l'extraction des dents : ce sont la compression nerveuse, le
galvanisme, les pulvérisations d'éther el les applications directes de substances
narcotiques. Seuls, ces deux derniers procédés peuvent être utiles dans quelques
cas; les deux autres sont à peu près abandonnés; nous allons néanmoins les
faire connaître sommairement.
1» Compression nerveuse. La compression nerveuse a été appliquée, soit
sur le facial, soit au niveau de l'angle du maxillaire inférieur, soit au voisinage
du conduit auditif. On a même inventé un instrument spécial (Moreau. De
l'anesthésie locale produite, pendant l'extraction des dents, au moyen de la
compression; in Gai. des Hôp., n" du 22 juillet 1879) qui se compose d'une
lame d'acier élastique courbée en cercle, à la façon des ressorts anglais destinés
à la contention des hernies ; aux deux extrémités de l'arc qu'elle représente
sont adaptés deux renflements en ivoire ou en métal de forme ovalaire ou aplatie.
Ce compresseur élastique est passé en travers derrière la tête, et les deux
renÛements sont introduits à l'entrée des conduits auditifs ou appliqués derrière
les branches de la mâchoire au niveau des oreilles. Nous, ne nous arrêterons pas
à discuter ces moyens qui sont absolument sans effet; il est d'ailleurs inadmis-
sible que la compression des nerfs du mouvement puisse déterminer l'anesthésie
sur les nerfs de la sensibilité, comme ceux qui se ramifient aux organes
dentaires.
2° Galvanisme. On a imaginé de faire traverser les tissus par un courant
électrique, afin de prévenir la douleur que provoque l'extraction des dents ou
l'ouverture des abcès. Les premières expériences faites en Amérique eurent
rapidement chez nous un grand retentissement, et des résultats magnifiques
furent annoncés de plusieurs côtés à la fdis. Afin de vérifier ce qu'il pouvait y
avoir de réellement utile dans la nouvelle méthode d'anestliésie locale, nous
avons entrepris en 1861, dans divers hôpitaux, une série d'expériences :
à la Charité dans le service de Yelpeau; à l'Hôtel-Dieu dans celui de Robert; à
Saint-Louis, à Necker, etc.
L'app areil employé a été tantôt la pile électro-dynamique de M. Duchenne
DENT. 405
(de Boulogne), tantôt l'appareil de MM. Morin et Legendre; le courant a toujours
été gradué suivant le sujet, de fliçon que le passage ait toujours été supportable
sans être pénible; l'instrument, clef de Garengeot ou davier, a toujours été
garni d'une couche de soie isolante, de façon que l'exlrémité seule livrai passage
au courant. Ces expériences ont conduit aux conclusions suivantes :
a. Les opérations chirurgicales, et particulièrement les extractions dentaires,
effectuées avec l'intervention du courant électrique, ont présenté les mêmes
variations de douleurs que dans les cas ordinaires;
h. Toutefois le passage brusque d'un courant électrique a produit, chez
certains sujets, une impression si imprévue et si spéciale, qu'elle a pu servir
de diversion à la douleur, d'ailleurs légère, d'une opération nqjide;
c. En définitive, le courant électrique ne saurait être considéré comme un
agent anesthésique [voy. le résumé de ces expériences dans Jamain, Petite
chirurgie, 5^ édit.).
3° Pulvérimtion d'éther. L'anesthésie galvanique étant ainsi jugée par
l'expérience, on a proposé la réfrigération, noa pas par les mélanges de glace et
de sels dont l'emploi dans la cavité buccale est presque impossible, mais par
pulvérisation d'un jet d'éther.
L'expérience avait montré qu'il est possible d'obtenir ainsi l'anesthésie
complète dans diverses opérations : ouverture d'abcès, ablation d'ongles incar-
nés, etc. On proposa bientôt d'appliquer ce moyen à l'avulsion des dents. On
pourra juger de la valeur du procédé appliqué à ce but spécial d'après une
série d'expériences que nous avons personnellement entreprises et dont nous
allons reproduire les résultats (voy. Bull. gén. de thérapeutique, n" du
15 juillet 1866).
C'est l'appareil même de Richardson aux deux boules de caoutchouc qui a
été employé; il est armé d'une extrémité droite de manière à projeter un jet vil
el très-fin sur la région occupée par la dent à extraire; l'ajutage à deux jets
convergents doit être rejeté à cause de la nécessité de rapprocher l'appareil du
point d'application, et aussi à cause de la pulvérisation incomplète et de la
condensation trop rapide de l'éther qui en résultent.
Les résultats obtenus ont été très-variables : tantôt la douleur a été nulle,
tantôt elle a été simplement affaiblie, tantôt enfin elle a été absolument aussi
vive, sinon plus, que dans les cas ordinaires. Ces différences dans les résultats
s'expliquent par les différences dans les altérations dentaires elles-mêmes : si
la dent a conservé sa pulpe et les rameaux nerveux qui s'y rendent, la douleur
de l'extraction sera ou peu modifiée ou accrue ; si la dent devenue inerte par
la perte de ces parties n'est douloureuse que par péiùostite ou phlegmon des
gencives, la sensation pourra être avantageusement modifiée, la réfrigération
pouvant atteindre la gencive et même le périoste. La position antérieure ou
isolée d'une dent favorisera aussi l'application du jet de vapeurs ; enfin on doit
■encore tenir compte des susceptibilités du sujet, de la durée et des difficultés
de l'opération elle-même.
A la suite d'un grand nombre d'expériences, nous avons résumé notre opinion
dans les conclusions suivantes :
a. L'emploi de la pulvérisation d'éther, comme agent anesthésique réfrinérant,
n'est pas applicable d'une manière régulière et constante dans la bouche;
b. L'introduction dans cette cavité de la poussière éthérée peut déterminer
des suffocations qui troublent ou interrompent l'application, ou amènent, pîtr
404 DENT.
sa condensation rapide, des briilures légères de la muqueuse buccale et des
lèvres ;
c. Uenfermée dans la bouche, la vaporisation de l'éther est moins rapide et
conséquemment moins efficace qu'à l'air libre et sur la peau;
d. L'épaisseur de la couche dure d'une dent et sa faible conductibilité
permettent difficilement la réfrigération totale de cet organe;
e. Cette application peut demeurer impossible pour les parties profondes de
la bouche, et son emploi doit être réservé aux dents placées sur la partie anté-
rieure des mâchoires, ou limitées et isolées nettement;
f. Enfin, les seules circonstances où son application puisse être vraiment
utile et complète sont celles où une dent, devenue inerte par la perte de sa
pulpe, ne cause d'accidents que par son périoste et la gencive, deux parties
susceptibles de subir l'anesthésie par le froid, en raison de leur situation
relativement superficielle.
4" Applications de substances narcotiques. Enfin un dernier moyen, plus
rationnel peut-être que les autres, mais cependant rarement efficace, c'est
l'application directe de substances narcotiques sur la région qui doit être le
siège de l'opération. Ou a proposé ainsi l'introduction, dans la cavité d'une
carie, avant l'extraction de la dent, de pansements narcotiques divers;
il suffit d'en faire une fois l'expérience pour en reconnaître l'inutilité com-
plète. Une injeclion hypodermique de chlorhydrate de morphine, ou même
(l'une goutte de chloroforme, faite sous la muqueuse buccale, au niveau de la
dent à extraire, peut quelquefois donner de meilleurs résultats; il en est de
même des applications d'ouate imbibée de chloroforme et maintenues quatre ou
cinq minutes, surtout lorsqu'il ne s'agit que de débris dentaires; mais ces
moyens ont l'inconvénient de déterminer presque toujours des eschares plus
ou moins étendues et de compliquer ainsi la guérison.
Voici néanmoins quelques-unes des mixtures qui ont été indiquées comme
susceptibles de produire l'anesthésie locale par application sur la gencive :
\° Morphine ) ^ n -n
Vêiatrine ( a» "*''^"
Teiniure d'acouit 30 grammes.
Pyrèlhre IS —
Appliquez un tampon de charpie imbibé de ce mélange pendant une demi-
minute sur la gencive.
2° Camphre en poudre 10 grammes.
Élher sulfuriqiic 20 —
M. Fournie recommande les vapeurs d'un mélange d'acide acétique et de
chloroforme.
Enfin une solution de camphre et de chloroforme a été employée avec succès
par le docteur Martinot, chirurgien militaire (On trouve ces formules dans un
travail de M. Dop, publié dans la Pievue médicale de Toulouse, 1878).
En somme, de tous les procédés d'anesthésie locale que nous venons de
passer en revue, un seul mérite d'être conservé pour la pratique des opérations
de la bouche, et particulièrement pour l'extraction des dents : c'est la réfrigé-
ration à l'aide du jet d'éther; mais, pour être efficace, son emploi doit être
restreint aux dents antérieures ou facilement accessibles, et à celles qui, privées
de leur pulpe, n'ont plus avec les tissus d'autres liens que ceux du périoste
DENT (bibliographie). 405
alvéolo-dentiiire. Les applications locales du cliloroforme pur ou associé à divers
agents donnent quelquefois ainsi des résultats partiels.
Nous ne pouvons terminer cet examen des agents anesthésiques locaux sans
signaler l'emploi de bromure d'cthyle que nous avons déjà mentionné plus haut
comme anesthésique général. Malheureusement, nous sommes contraint d'oppo-
ser à son emploi les mêmes arguments qu'à Téther sulfuriqiie lui-même dont
il partage la saveur acre et brûlante et l'action irritante très-manifeste sur la
peau et surtout sur les muqueuses. E. Magitot.
BiBuoGivAPHiE de la Pathologie et de la Médecine opératoire. — Consulter les traités
classiques de pathologie externe et de médecine opératoire aux chapitres des Maladies des
DENTS et des Opérations qui se pratiquent sur ces organes. — Voyez en outre les ouvrages
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Pl.
DE\TAIBE {Dentaria L.). Genre de plantes dicotylédones appartenant à la
DENTAIRE (hygiène). 409
famille des Crucifères. Ce sont des plantes glabres, à souche horizontale, écail-
leuse, à tige simple, portant à la partie supérieure 2 à 5 feuilles })almées, pin-
natiséquoes, amples et péliolées. Fleurs grandes disposées en un grappe termi-
nale, courte ; blanches ou lilas. Le fruit est une silique dressée, linéaire,
lancéolée, comprimée, à valves planes, sans nervures. Graines à cotylédons ayant
les bords infléchis longitudinalement.
On distingue trois espères principales de Dentaria :
1" Le Deniaria pinnala L. [Denlaria pentaphyllos L., et D. heplaphyllosL.),
dont les feuilles sont pinnatiséquées, à sept segments elliptiques, lancéolés,
acuminés, inégalement dentés en scie. Les fleurs sont blanches, rarement lilas ;
2" Le Dentaria digitata L. {Denlaria pentaphijllosl). et L.), à feuilles palma-
tiséquées et à cinq segments semblables à ceux de l'espèce précédente. La corolle
est lilas, rarement blanche ;
3" Le Dentaria hulbifera L., à feuilles caulinaires, nombreuses, les inférieures
pinnatiséquées, les supérieures non divisées, portant des bulbilles à leur aisselle.
Les fleurs sont lilas pâle ou blanches.
Les Dentaria croissent dans les bois des régions montagneuses. Elles sont
astringentes, et partagent probablement les propriétés antiscorbutiques des
Crucifères. Lemery donne toutes les espèces comme détersives, dessiccatives,
c.nminatives et vulnéraires. On se sert des deux premières à l'intérieur contre
les ulcères du poumon, la colique venteuse; la dernière ne doit être employée
qu'à l'extérieur.
De nos jours ces plantes sont tombées en désuétude.
Le nom de Dentaria, qui vient de ce que les rhizomes de ces plantes sont
comme dentés, a été appliqué pour la même raison aux Orohanches. 1*l.
Bibliographie. — Lin'xé. Gênera, 8H, Species, 912. — Lamauck. Encyclopédie, Dictionn.,
11,268. — De Candolle. Stjstema, U, 277. — Floi-e française, 4204. — Grenier et Godron.
Flore de France, t. III. — I.emerv. Dicl. drogues, 516.
DEXTAIRE (Hygiène). L'hygiène des dents ou plus exactement l'hygiène
de la bouche comprend en premier lieu l'élude des conditions diverses qui
peuvent amener des perturbations dans l'état d'intégrité des parties qui com-
posent cette région. En second lieu, elle doit faire connaître les moyens propres
à éviter ou à neutraliser ces influences. C'est donc à proprement parler la pro-
phylaxie des maladies de la bouche.
Or les maladies de la bouche, qui sont multiples et diverses, frappent tantôt
l'organe dentaire lui-même, tantôt la muqueuse buccale, gencive ou muqueuse
proprement dite. Nous ne parlerons pas ici des affections plus profondes soit
du parenchyme de la langue, soit des bords alvéolaires. Ces derniers, n'étant
point exposés à l'extérieur, échappent à toute influence prophylactique directe.
Le but de l'hygiène de la bouche est donc de veiller à l'mtégrité de ces diffé-
rents organes et de les diriger rationnellement dans l'exercice de leurs usages
physiologiques. On comprend dès lors qu'indépendamment de ce résultat immé-
diat elle puisse contribuer dans une certaine mesure au maintien de la santé
générale par l'influence qu'exercent les fonctions de la bouche sur les phéno-
mènes digestifs en général et sur l'état de l'estomac eu particulier. C'est ainsi
que s'établissent les relations si souvent observées entre les conditions de la
bouche et le fonctionnement du tube digestif.
410 DENTAIRE (hygièke).
D'autre part, il est d'observation vulgaire que des dents saines et bien con-
servées indiquent une bonne santé, et qu'au contraire des dents caritjes ou
couvertes d'un enduit gluant, tenace et plus ou moins solide, des gencives
rouges, tuméfiées et saignantes, et une haleine plus ou moins fétide, sont l'apa-
nage des dyspeptiques et des gens à constitution débile. Et cependant, lorsqu'on
parcourt les auteurs, on ne trouve nulle part d'indications rationnelles; les
traités d'hygiène sont silencieux ou se bornent à recommander les soins de pro-
preté ; les ouvrages spéciaux sont également muets ou n'abordent ce sujet que
pour prôner des élixirs ou des poudres dentifrices dont la composition est soi-
gneusement cachée; et si l'on juge de ces panacées mystérieuses par la plupart
de celles dont on connaît les formules, on arrive fatalement à cette conclusion
que le plus grand nombre de ces préparations, loin d'être utiles ou même ano-
dines, sont dangereuses et doivent être rigoureusement proscrites.
La banalité des règles tracées par quelques auteurs et le silence des autres
sont le corollaire naturel de l'abandon dans lequel a été laissé tout ce qui touche
à la pathologie du système dentaire. C'est qu'en effet les règles d'hygiène se
déduisent naturellement de l'étude des conditions dans lesquelles un grand
nombre de personnes maintiennent et améliorent leur santé, de la manière dont
les organes se comportent sous l'atteinte de certains modificateurs, et de la
limite des perturbations qu'ils peuvent subir sans dommage réel. Or il faut bien
avouer que ce domaine n'est encore qu'à peine ébauché.
L'hygiène de la bouche est une étude qui n'est donc nulle part scientifique-
ment tracée, et lo seul travail qu'il nous soit permis de citer est encore celui
du docteur Redier {Journal des sciences médicales de Lille, 1879), travail écrit
également suivant nos idées communes.
Afin d'apporter une certaine méthode dans ce travail, nous le divisons de la
manière suivante :
1° Des modificateurs généraux de la bouche; 2° des conditions locales de la
cavité buccale; 5° règles et procédés d'hygiène locale.
i" Modificateurs généraux. En tête des modificateurs généraux se place
Vhéi-édité, envisagée dans la famille et dans la race. Déjà dans un autre article de
ce Dictionnaire nous avons exposé l'influence de cet élément dans la production
et la répartition de la carie dentaire {voy. ce mot).
11 est d'observation banale que certaines familles ou certaines races sont par-
ticulièrement exposées à celte maladie.
Le mécanisme de cette influence est fort simple et réside essentiellement dans
l'état anatomique des organes, lequel état est transmissible héréditairement : tel
groupe ethnique est remarquable par la perfection de son organisation dentaire
et la résistance qu'il apporte aux maladies, tel autre y est fatalement disposé.
Ces variations pour une même population sont même si tranchées qu'il nous u
été possible de dresser des cartes de répartitions géographiques qui ne s'expli-
quent qu'en invoquant les groupements particuliers des éléments ethniques
composants. Dans la population Ihmçaise, par exemple, malgré l'intensité et
l'ancienneté des croisements, Broca, Lagneau, Boudin et d'autres observateurs
ont pu distinguer deux groupes principaux, l'un composé de l'élément blond de
grande l&ille, dolichocéphale, particulièrement prédisposé à la carie; l'autre re-
présenté par l'élément brun, de petite taille, brachijcéphale, et à dentition
robuste et résistante {voy. notre Traité de la carie dentaire, 1872, carte, p. 64).
Si de l'hérédité élevée à la question ethnique nous descendons à la famille^
DENTAIRE (hygiène). 411
nous n'avons pas besoin de rappeler combien sont fre'quentes les pre'dispositions
à la même maladie transmise fatalement de génération en génération. Ces faits
sont patents. Or, l'hérédité porte ici encore sm- la constitution des organes, les
défectuosités accidentelles de forme et de structure, sur les anomalies, en un
mot, qui se reproduisent si fi'équemment. Ainsi s'expliquent comment telle ou
telle dent ou telle série de dents se détruisent invariablement chez les membres
de la même famille. Mais cette hérédité tératologique, si l'on peut dire, ne porte
pas seulement sur l'organe frappé de maladie, mais sur l'agent même de cette
destruction, c'est-à-dire la salive. Sans revenir encore sur le rôle que nous
avons assigné à cet agent dans la production de la carie, nous rappellerons ce
que nous avons avancé, à savoir que l'état de ce liquide et les modifications
accidentelles qu'il éprouve dans la bouche sont encore de nature héréditaire. On
hérite de la salive de ses ancêtres tout aussi bien que des dents elles-mêmes, et
c'est en vertu de cette double Iransmissibililé que certaines familles perdent
prématurément et fatalement leurs dents par la carie.
Si de l'état des dents et du liquide salivaire nous passons, en suivant le même
point de vue, à l'état de la muqueuse buccale et particulièrement de la gencive,
nous arriverons à des données analogues. On a souvent observé l'état fongueux
du bord gingival chez les membres d'une même famille et indépendamment de
questions d'âge, la même affection se rencontrant chez le père et l'enfant. Mais
ici, il faut le dire, un autre élément que l'hérédité seule intervient. C'est la trans-
mission des diathèses souvent en puissance chez le père et à l'état latent chez
l'enfant : le rachitisme, la scrofule, sont dans ce cas. Citons aussi l'artluitismc,
dont l'influence est si notoire sur la production d'une forme particulière de
périostite alvéolaire. C'est de la sorte que les médecins ont si souvent recueilli
ces aveux des malades qui affirment qu'un de leurs ascendants avait ainsi qu'eux-
mêmes perdu ses dents prématurément et par ébranlement et chute spontanée.
L'une de ces influences, la plus grave sans doute, est le diabète, dont l'hérédité
n'est pas méconnue par les auteurs et dont l'influence sur ce mode de perte de
dents est si nettement établie [voy. notre étude sur La valeur diagnostique dans
le diabète sucré de la périostite alvéolaire des mâchoires, in Bullet. de l'Acad.
de médecine, séance du 5 janvier 1882).
Ainsi donc, qu'il s'agisse de la transmission des constitutions organiques ou
des diathèse prédisposantes, l'hérédité en matière d'affection de la bouche se
trouve surabondamment démontrée.
L'âge n'exerce pas une influence très-marquée sur la production des maladies
de la bouche. Pour ce qui concerne la carie, il est démontré tout d'abord que
cette affection est proportionnellement aussi fréquente pendant l'enfance sur les
dents temporaires que sur les dents permanentes chez l'adulte. Quant à cette
dernière période, nous avons essayé de faire par des tableaux graphiques la pro-
portion relative des caries suivant les âges et nous sommes parvenu à ce lésultat
que cette maladie présente un maximum de fréquence de quarante à cinquante ans.
En ce qui concerne les affections de la gencive ou de la muqueuse buccale en
général, elles sont susceptibles de se produire aussi bien chez l'enfant que chez
l'adulte; seules, les diverses variétés d'ostéo-périostite alvéolaire chronique
appartiennent presque exclusivement à l'âge de cinquante ans en moyenne,
époque d'élection des états généraux ou diathèses qui en dominent, comme on
sait, la production.
Les professions jouent un rôle important dans le développement des maladies
412 DENTAIRE (hygiène).
de la bouche: ainsi pour ce qui regarde la carie, qu'il faut toujours signaler eu
premier lieu, un certain nombre de professions y prédisposent particulièrement.
Sans reproduire ici les considérations diverses qui établissent d'une manière
péreniptoire que la carie est le résultat d'une altération purement cliimique de
la substance des dents, il est de toute évidence que les pratiques industrielles
qui peuvent mettre en contact avec les dents des substances liquides ou
gazeuses susceptibles d'altérer ces tissus seront essentiellement nuisibles à l'état
d'intégrité de ces organes.
C'est ainsi que se placent en première ligne certaines industries, celle, par
exemple, de la soude artificielle qui développe, comme on sait, des vapeurs d'acide
chlorbydrique, et donne la raison de la fré(iuence ainsi que de l'étendue des
caries qui affectent les ouvriers. Le siège même de ces caries aux interstices
dentaires et au collet s'explique par le lieu d'élection et de condensation de
vapeurs à la faveur des liquides ou des mucosités qui occupent ces régions.
D'autre part, il est d'observation banale que les individus qui manient les
sucres, les confiseuis, les cuisiniers, les casseurs de sucre, perdent très-préma-
turément leurs dents par suite de carie. Le mécanisme est fort simple : la salive
des ouvriers dans ces industries est sans cesse impi-égnée de particules sucrées
qui, toujours à la faveur des interstices dentaires et du bord gingival, entrent
en fcDiientation lactique, et les produits de ces fermentations ont, comme on
sait, l'inlluence la plus délétère sur la constitution chimique des dents. C'est de
la sorte que dans nos expériences déjà anciennes les dissolutions sucrées livrées
à la fermentation et les solutions d'acide lactique ont produit les destructions les
plus rapides et les plus considérables.
Pour les affections gingivales, il faut noter certaines professions qui ont pour
résultat presque constant la production de diverses variétés de gingivites. Tels
sont les tailleurs de verre de Baccarat chez lesquels Putegnat a décrit une stoma-
tite spéciale qui est due aux particules de matière qui pénètrent sous le bord
gingival {voij. article Gekcive, les Gingivites iïïdustrieUes). Les ouvriers tour-
neurs en cuivre auraient une affection analogue et produite par un mécanisme
semblable. De même les ouvriers du plomb ont le liséré avec étal inflammatoire
des gtmcives. L'industrie des chromâtes est dans le même cas. Enfin on connaît
l'influence pernicieuse des industries à émanations phosphorées dans la produc-
tion de cette forme particulière de nécrose des mâchoires, maladie grave, très-
souvent mortelle, et dont la porte d'entrée invariable^ et constante est, dans
notre opinion, une certaine forme de carie dentaire, la carie pénétrante (voy.
Pathogénie et proplnjlaxie de la nécrose phosphorée, in Compt. rend, de VAcad.
des sciences, 1875, p. 735).
Les conditions alimentaires ont été constamment invoquées, principalement
dans la production de la carie dentaire. On sait, par exemple, quel rôle on attribue
empiriquement à l'eau, dans beaucoup de maladies qui peuvent prendre le
caractère endémique, et la carie est de ce nombre. Nous avons fait naguère
justice de ces imputations {voy. Carie dentaire).
L'eau n'a-t-elle pas d'ailleurs été accusée de tout temps d'une foule de maladies,
le goitre, la scrofule, le rachitisme, etc. ? Ce sont là des assertions contre lesquelles
se sont élevés divers auteurs à propos d'une discussion à l'Académie de méde-
cine {Bulletin, janvier 1863). C'est ainsi que M. Robinet a établi que l'eau pure
était en définitive la boisson la plus rerement usitée, même parmi les popula-
tions pauvres qui ont, suivant les latitudes, des boissons particulières, vin,
DlîNTAIRE (hygiène). 413
cidre, bière, etc. Ajoutons d'ailleurs que ce liquide est peut-être le plus inca-
pable de produire des maladies, et en ce qui concerne la carie des dents, nous
avons cherché à prouver que la presque universalité des eaux potables, par leur
réaction toujours alcaline et quelle que soit leur composition en matières fixes,
étaient impuissantes à la produire.
Mais, si nous devons rejeter toute influence nuisible de la part des eaux
potables, il n'en sera pas de même de bien d'autres substances employées dans
l'alimentation. Ainsi nous avons signalé, à propos des professions, l'intluence
désastreuse du sucre, nous devons y revenir ici, car cette substance fait partie du
régime alimentaire habituel. C'est surtout chez les enfants que les effets sont
fréquents et rapides, de sorte qu'ici le préjugé vulgaire qui attribue au sucre
une action destructive sur les dents est en accord complet avec l'observation
scientifique et avec l'expérieuce.
Ce n'est pas toutefois qu'il faille selon nous proscrire du régime alimentaire
ordinaire les aliments sucrés en général. Mais nous estimons que rien n'est plus
dangereux sur les dents que l'abus des bonbons et sucreries de tout genre ; le
miel et les bonbons au miel nous ont paru particulièrement dangereux. La
salive, imprégnée incessamment de substance sucrée, entre en fermentation, et
l'acide lactique qui en résulte est, nous le lépétons, l'un des agents destruc-
teurs les plus actifs auxquels les dents puissent être exposées. Nous n'insiste-
rons point sur ce fait que des expériences déjà anciennes ont fixé d'une manière
complète (De la salive considérée comine agent de la carie dentaire, 1866).
D'autres conditions de l'alimentation peuvent iniluer sur les dents : ainsi les
aliments ou les liquides trop chauds peuvent produire des fissures de l'émail.
Il en sera de même des aliments trop froids ou glacés et surtout du pas3agv, des
uns aux autres. Ce mécanisme a été maintes fois observé et c'est à lui qu'on
doit ces fissures si communes aux dents des adultes sur la couche d'émail
et qui ont des conséquences bien faciles à prévoir sur le mode de production de
la carie.
Mais, si certaines conditions alimentaires ont une influence nuisible sur les
dents, il en est de bien plus marquées encore sur l'état des gencives : les aliments
irritants, épicés, les piments et autres substances analogues, sont susceptibles de
produire des gingivites parfois rebelles, sans préjudice, bien entendu, des résul-
tats néfastes que certains régimes alimentaires exercent sur la santé générale et
des conséquences, indirectes dans ce cas, de ces troubles sur l'état des organes
de la bouche.
Certaines pratiques se rapprochent encore de ces dernières influences par la
similitude de leur action, par exemple, l'usage du biscuit dans l'armée de terre
et de mer, et les inconvénients qu'il provoque : usure des dents, fractures, exco-
riations de la muqueuse. Tel est encore l'usage du tabac, auquel on a attribué
aussi les fissures de l'émail, à cause de la température élevée des vapeurs
introduites dans la bouche, mais qui est surtout cause de l'usure des dents
(pipe) et d'une certaine forme de gingivite, dite gingivite des fumeurs.
Il nous reste à mentionner maintenant un certain nombre d'états morbides et
d'indiquer leur influence sur la production des affections des dents ou de la
muqueuse buccale.
En dehors de l'hérédité, il est certain que l'influence la plus énergique qui
puisse s'exercer sur les organes de la bouche est celle des affections intercur-
rentes de la première enfance. On sait en effet que l'évolution des dents, par
414 DENTAIRE (hygiène).
exemple, dépasse de beaucoup par sa période intra-folliculaire l'époque de la
naissance, et il est dès lors facile de comprendre que toute perturbation de
l'état général cbez le nouveau-né puisse retentir plus ou moins gravement sur
l'état anatomique des dents. Les affections héréditaires s'ajoutent souvent encore
à cette action. Telle est la syphilis, dont les métamorphoses diverses, scrofule ou
rachitisme, exercent une action si nuisible sur l'évolution des organes et des
appareils en général.
Parmi les affections du premier âge auxquelles il faut attribuer l'influence
que nous cherchons, on doit en premier lieu signaler celles qui ont pour mo-
dèle de manifestation les formes convulsives, c'est-à-dire l'éclampsie, dont nous
avons à plusieurs reprises invoqué l'influence dans la production des altérations
si profondes de l'ivoire et de l'émail connues sous le nom d'érosion {Gazette
des hôpitaux, 1881).
Cette interprétation toutefois n'est pas généralement adoptée, et l'on sait, par
exemple, que pour le professeur Parrot l'érosion dentaire est un signe de syphilis
héréditaire. Nous ne pouvons reproduire ici la série d'arguments que nous avons
opposés dans ces derniers temps à cette manière de voir (voy. Congrès de
Londres, 4881 [Transactions, vol. IV, p. 128]), mais nous n'avons pas la pensée
de nier l'influence très-manifeste des diathèses, en général, héréditaires ou
acquises, sur l'état anatomique des organes de la bouche.
La syphilis, la scrofule, le rachitisme, ont donc très-réellement une action
considérable sur la constitution de la dent, dont les éléments restent défectueux,
difformes et dépourvus de la cohésion nécessaire à leur résistance aux actions
morbides. C'est de la sorte que les dents des rachitiques sont petites, atrophiées,
difformes et frappées de notables défectuosités de composition intime.
Les idiots sont dans le même cas, ainsi que cela a été établi par des recherches
déjà anciennes de Bourneville. Or, l'idiotie étant d'ordinaire le résultat d'une
altération rachitique du crâne, c'est encore au rachitisme qu'il convient de rat-
tacher les phénomènes.
Si des diathèses de la première enfance nous passons aux états morbides de
l'adulte, nous arrivons à des considérations analogues, et ici leur influence peut
encore se différencier suivant qu'elle s'exerce sur les dents ou sur les gencives.
A l'égard des dents, il est une classe d'affections dont l'action est considérable,
non point directement, il est vrai, mais par suite des modifications qu'elles
impriment à l'un des éléments fondamentaux du milieu buccal, la salive. Nous
voulons parler des maladies du tube digestif. Toute affection de l'estomac ou
de l'intestin a un effet bien connu sur la production de la carie. Les dyspepti-
ques, les gastralgiques, sont fatalement prédisposés à cette maladie, et nous
avons cherché ailleurs à expliquer le mécanisme de cette action par des modifi-
cations de sécrétion et de réaction de la salive elle-même {De la salive considérée
comme agent de la carie dentaire, loc. cil.) ; les affections analogues du tube
intestinal, les maladies des parenchymes voisins, l'hépatite, par exemple, peuvent
êtie mentionnées dans le même ordre d'influences.
Mais, si nous envisageons d'autres lésions de la bouche qui sont sous la dépen-
dance des maladies, nous trouvons plusieurs affections du bord alvéolaire, la
gingivite et la périostite, par exemple.
Ainsi il a été maintes fois constaté que le tempérament sanguin avec tendance
aux congestions prédispose très-fréquemment à certaines formes de gingivite,
soit phlegmoneuse, soit fongueuse. Par un mécanisme différent, l'auémie amène
DENTAIRE (hygiène). 415
souvent chez les femmes et les jeunes sujets le même résultat. Parmi les
causes de stomatite il faut encore signaler la grossesse, dont l'influence, d'après
M. Pinard, serait si manifeste à cet égard {De la gingivite des femmes en-
ceintes).
Enfin, il est une grande classe d'états généraux de l'adulte qui ont une action
toute particulière sur la production d'une affection alvéolaire connue sous le nom
de pe'riostite alvéolaire des mâchoires.
En tête de ces états se place le diabète, dont nous avons invoqué récemment
encore l'action constante dans la production de cette maladie. Mais le diabète
sucré n'est pas le seul état parmi les perturbations de la nutrition générale qui
ait cette influence. L'artliritisme, l'albuminurie, sont dans le même cas, et la
périostite alvéolaire chronique devient conséquemment l'indice de l'un ou de
l'autre de ces troubles de la santé.
Nous devons ajouter toutefois que dans certains cas on ne retrouve dans la
pathogénie de la périostite alvéolaire aucune de ces causes générales, et qu'il
faut invoquer d'autres interventions; parmi ces dernières, signalons la ménopause
chez les femmes, et d'autres fois une simple relation héréditaire, ainsi que nous
l'avons rappelé plus haut.
Tels sont les modificateurs généraux qui peuvent exercer une influence délé-
tère sur l'intégrité physique et fonctionnelle de la bouche. En présence de plusieurs
d'entre eux, tels que les professions, le régime alimentaire, etc., l'hygiène peut
intervenir efficacement soit en éloignant de leur influence les individus particu-
lièrement prédisposés, soit en arrivant à neutraliser sur place les actions nocives
elles-mêmes. Mais quel rôle peut avoir l'hygiène sur l'hérédité, la race, les con-
stitutions, les diathèses? Ici elle est désarmée et son intervention ne peut
s'exercer que sur les réactions du milieu buccal lui-même.
Or le milieu buccal réside essentiellement dans la salive, liquide complexe
et qui représente en quelque sorte l'atmosphère de la muqueuse et des dents.
Normalement alcaline, elle est quelquefois acide chez certains individus. Mais sa
composition physiologique peut être modifiée par une foule de circonstances;
on sait que telle ou telle réaction de la salive entraîne la prédominance de telles
ou telles affections, et qu'inversement les états pathologiques des dents et de la
muqueuse buccale entraînent à leur tour des modifications dans la réaction
normale. Rechercher les causes et les effets de ces modifications, déterminer les
conditions les plus favorables à l'état de santé et indiquer les moyens de les
réaliser, tel doit être le programme de l'hygiène de la bouche.
Nous avons donc à étudier les différents états du milieu buccal, puis, sous le
nom générique de dentifrices, nous ferons connaître les moyens hygiéniques qui
correspondent à chaque état particulier.
2° Conditions locales de la cavité buccale, a. État alcalin. Tartre et
concrétions salivaires. Normalement, la salive est alcaline. Cette réaction, qui
constitue l'état le plus favorable, assure dans une certaine mesure la neutrali-
sation des produits acides qui peuvent se développer accidentellement dans la
bouche ou qui y sont introduits par les usages alimentaires; mais il exio-e, en
revanche, le fonctionnement régulier des organes, les manœuvres de la masti-
cation, les mouvements de la langue et des lèvres, étant indispensables pour
empêcher l'accumulation du tartre, dont le dépôt est la conséquence même de la
composition de la salive alcaline.
C'est qu'en effet les salives pures, toujours alcalines à leur sortie des canaux
416 DENTAIRK (hygiène).
d'excrétion, subissent au contact de l'air et de la muqueuse buccale une sorte de
décomposition qui détermine la précipitation des carbonates insolubles. C est ce
fait qui entraîne, suivant nous, la formation des dépôts de tartre dont nous
allons expliquer d'abord le mode exact de production.
Le tartre est une masse concrète, pierreuse, ordinairement jaunâtre ou diver-
sement colorée, susceptible d'acquérir parfois une très-grande dureté,^ et qui se
dépose à la surface des dents. Les points où on l'observe spécialement sont, par
ordre de fréq\)ence : la face postérieure des dents antéro-inférieures, situées ea
regard de l'orifice des canaux excréteurs f!es glandes sous-maxillaires et sublin-
guales, la face externe des molaires supérieures au voisinage de l'orilice du canal
de Stenon, puis les molaires inférieures. Il se dépose très-rarement à la face
linguale des molaires des deux mâchoires, et ne se rencontre jamais à la face
postérieure des dents antéro-supérieures qui n'est pas baignée par la salive. Ces
dépôts de tartre qui, lorsqu'ils sont abondants, deviennent l'indice d'une réaction
alcaline habituelle delà salive, peuvent se produire par masses parfois considé-
rables surtout lorsque, par une cause quelconque, les dents d'un côté de la
bouche ne prennent plus part à la mastication devenue exclusive au côté opposé.
Nous avons vu des dépôts de tartre si abondants qu ils entouraient de toutes
parts une série de dents enfouies ainsi au milieu de la masse. C'est à ce phéno-
mène que l'on doit rapporter les récits de Pline et d'autres auteurs anciens sur
les cas de dents réunies et constituant alors en apparence une seule dent demi-
circulaire pour chaque mâchoire.
Le tartre se compose principalement de matières minérales, phosphates et
carbonates terreux, dont la proportioti relative est très-variable suivant les
diverses analyses (Berzelius, Vauquolin, Bibra). Ainsi, tantôt on trouve 60 pour 100
de phosphates, tantôt la même quantité à peu près de carbonates. Nous nous
expliquons très-facilement ces différences dans les résultats obtenus: ainsi, si le
tartre analysé a été recueilli sur les grosses molaires supérieures qui se recouvrent
particulièrement das dépôts de la salive parotidionne, il y aura prédominance de
carbonates comme dans ce liquide lui-même. S'il a été extrait de la face posté-
rieure des incisives inférieures, il sera riche en phosphates.
Ces variations de composition chimique se retrouvent d'ailleurs dans la
constitution des calculs salivaires, et y sont soumises à la même explication.
Les sels, carbonates ou phosphates, sont, dans le tartre, mélangés et réunis à
une certaine proportion de matière organique, à des cellules épithéliales, des
globules graisseux, des leucocytes, des algues filiformes et des infusoires des
genres vibrio et monas.
On a émis sur la formation du tartre diverses hypothèses : M. Serres a admis
l'existence de glandes tartariques siégeant dans l'épaisseur des gencives et ayant
la propriété de sécréter le tartre des dents. L'observation anatomique n'a point
démontré l'existence de ces glandes.
Cl. Bernard {Leçons de physiologie, p. 154) donne comme probable une
explication qui ferait dépendre la formation du tartre d'une irritation du périoste
alvéolo-dentaire à la suite du déchaussement des gencives ramollies par des
fragments alimentaires pendant les actes de la mastication. Il compare cette
sécrétion anormale à celle qui accompagne parfois la périostite des os. Cette
explication ne saurait être admise, et, outre qu'on ne peut attribuer au périoste
dentaire aucune action sécrétoire, il suffirait pour la faire rejeter de remarquer
que l'existence de dépôts de tartre se constate sur certains corps étrangeis
DENTAIRE (hygiène). 417
introduits dans la bouche, comme des appareils de prothèse en l'absence com-
plète des dents, et conséquemment du périoste dentaire.
Une troisième théorie est celle de M. Dumas, qui admet dans la bouche deux
espèces de salives : l'une acide, l'autre alcaline, qui sursature la première. La
salive acide tiendrait en dissolution les phosphates, et, dès que l'acide serait
saturé par la seconde salive alcaline, ceux-ci se précipiteraient.
Cette théorie ne nous paraît pas tout à fait conforme à la vérité. Dans notre
opinion, le tartre résulte d'un simple dépôt par précipitation des phosphates et
carbonates terreux tenus en dissolution dans la salive à la faveur de la matière
or'Tanique avec laquelle ils sont combinés. A leur arrivée dans l.i cavité buccale,
les pnncipes se dédoublant au contact de l'air et de la muqueuse, les sels
insolubles dans l'eau se précipitent et se déposent à la surface des dents.
La quantité de tartre qui se produit dans la bouche varie énormémeut suivant
les sujets, et ces différences s'expliquent aisément dans notre théorie. En effet,
d'une part, les salives simples peuvent contenir, chez certains individus, une
proportion moindre de sels terreux en dissolution, et le dépôt tartreux sera
relativement faible; d'autre part, le dépôt peut rencontrer, à mesure de sa pré-
cipitation à la surface des dents, une réaction accidentelle acide qui le neutralise
et le fait rentrer en dissolution dans la salive; et si enfin le dépôt, déjà peu
abondant, se trouve en présence d'un milieu acide fort énergique, on reconnaît
qu'il subsiste encore au contact des dents, et malgré la neutralisation du tartre
formé, une réaction acide qui entraîne des effets désastreux sur ces organes.
On pourrait objecter à cette théorie de la formation du tartre la grande dispro-
portion souvent observée de phosphates terreux peu abondants dans la salive,
tandis que le tartre en contient environ 60 pour 100.
Cette objection n'est pas fondée, si l'on réfléchit que la quantité de. salive
sécrétée en moyenne en quarante-huit heures, chez l'homme, est de 400 grammes
environ; de sorte que, si peu que contiennent de phosphates les liquides sali-
vaires, la formation du tartre s'explique encore, car on sait que ce dépôt se
produit ordinairement avec une extrême lenteur, et qu'il faut souvent plusieurs
années pour en former une couche d'une certaine épaisseur.
L'existence ou l'absence de tartre dans la bouche présente donc une signifi-
cation très-nette : très-abondant, il indique une réaction alcaline franche de la
salive, ainsi que du milieu oii se trouvent les dents, et exclut la carie de celles-ci ;
absolument nul, il implique nécessairement un milieu dentaire acide, avec
toutes ses conséquences sur l'état de ses organes; puis, entre ces deux états
extrêmes, se groupent des degrés avec prédominance plus faible, alcaline ou
acide, et les résultats variés qui en résultent.
Les conséquences pratiques qui découlent de ces faits sont maintenant faciles
à établir : la salive alcaline constitue une garantie contre la carie dentaire,
mais elle aboutit fatalement à la formation des dépôts de tartre. Ceux-ci,
lorsqu'ils sont peu abondants, durs et compactes, n'ont pas d'inconvénient bien
sérieux, mais, sous l'influence de circonstances favorables, l'accumulation des
sels terreux peut devenir considérable, et il peut en résulter un véritable dan^-er
pour les dents et pour la muqueuse. Celle-ci, irritée par la présence de cette
masse qui joue, vis-à-vis d'elle, le rôle d'un corps étranger, devient le siège d'une
inflammation chronique ; les gencives fongueuses et saignantes se détachent, et
les dents, mal soutenues dans leurs alvéoles, paraissent d'abord s'alJonn-er déme-
surément, puis s'ébranlent peu à peu et finissent par tomber. Lorsque les dépôts
DICT. KNC. XXVU. '21
418 DENTAIRE (hygiène).
de tartre sont riches en matériaux organiques, ils donnent à l'haleine une
odeur fétide encore augmentée par la sécrétion sanieuse des gencives.
Les indications hygiéniques qui correspondent à cet état sont les suivantes :
enlever soigneusement les dépôts de tartre à mesure qu'ils atteignent des pro-
portions anormales ; éloigner les causes qui peuvent favoriser ces dépôts en
certains points de la houche (traitement des affections locales de la muqueuse
ou des dents), application d'appareils prothétiques, etc., et faire un usage jour-
nalier de dentifrices appropriés, neutres ou acidulés, seuls ou associés aux pré-
parations chloratées ou antiputrides, suivant les conditions particulières.
Le tartre ne constitue pas le seul dépôt dont les dents et le bord gingival puis-
sent devenir le siège, et l'on observe souvent, à la surface des couronnes des
dents ou au collet, des taches ou dépôts, soit de coloration verdàtre ou noire, soit
formés par accumulation de matière molle, analogue au mucus.
Les taches sont tantôt verdàtres et résultent dans ce cas de la présence
de matières végétales provenant de l'alimentation, tantôt elles sont brunes ou
noires et sont composées de particules charbonneuses.
Les taches vertes se rencontrent chez un grand nombre de sujets et elles
occupent ordinairement le collet des dents en s'étendant plus ou moins sur la
surface de la couronne. Si on les étudie au point de vue de leurs caractères his-
tologiques et de leurs réactions, on voit qu'elles sont composées de matières
colorantes végétales, insolubles dans l'eau, insolubles dans les liqueurs alca-
lines, solubles dans les acides. Elles n'indiquent donc point par conséquent une
réaction acide de la salive, et cependant on en constate parfois la coexistence avec
les mucosités blanchâtres qui recouvrent le collet des dents et qui ont une
réaction le plus ordinairement acide.
Quoi qu'il en soit, ces taches peuvent s'enlever par les procédés mécaniques du
grattage ou les dentifrices inertes. Lorsqu'elles résistent à ces moyens, on les
détache aisément en les touchant légèrement et rapidement avec une baguette de
bois chargée d'une solution acide faible. Cette petite opération n'aura aucune
conséquence nuisible aux dents, si l'on a soin d'essuyer aussitôt après la sur-
face touchée.
Ces taches vertes devront être soigneusement distinguées de celles qui sont
communes chez les personnes qui font usage des préparations solubles de fer.
Cet inconvénient de tacher les dents appartient aux eaux ferrugineuses en
général, aux sirops, aux vins et en général à tous les excipients liquides qui
séjournent dans la bouche au moment de leur administration.
Les taches ferrugineuses diffèrent toutefois notablement des précédentes; elles
sont plutôt jaunâtres que vertes et se rapprochent de la teinte des clilorures de
fer dont elles sont d'ailleurs formées à la faveur des chlorures de la salive et de
l'alimentation. Elles sont en outre solubles dans les acides et peuvent s'enlever
aisément par le même procédé que les précédentes.
Les taches brunes ou noires sont composées de charbon et insolubles dans tous
les réactifs. Elles se rencontrent fréquemment chez les fumeurs, les ouvriers
qui manipulent du charbon, ceux qui font abus des dentifrices contenant du
charbon porphyrisé.
Ces dernières n'indiquent donc aucune réaction prédominante de la salive et
elles peuvent se rencontrer aussi bien dans un milieu acide, ou alcalin, ou neutre.
Seules les mucosités blanchâtres, dont les amas occupent le collet des dents
et les interstices, dénotent presque certainement une réaction acide : aussi est-
DENTAIRE (hygiène). 419
on presque sur, lorsqu'elles sont Irès-abondantes, de trouver en même temps de*
caries sur les points d'éleclion de ces dépôts.
b. État acide. Nous avons dit que, normalement, la réaction de la salive
est alcaline; toutefois, il est d'observation que, chez certains sujets exempts de
tout état anormal de la bouche ou de la santé générale, la salive qui baigne la
surface des dents et des gencives présente constamment une réaction acide. Ce
fait, constaté déjà par M. Boudct [Journal de Phys. et de Chimie, mai 1842),
coïncide presque toujours avec une plus grande viscosité de la salive et avec
l'existence de coucbes épaisses de mucosités sur les dents ; il entraîne comme
conséquence la pi'oduction de caries nombreuses et semble être, dans certaines
familles, une disposition habituelle, susceptible de se transmetire par hérédité
au même titre que d'autres prédispositions quelconques.
Mais cet état, permanent chez quelques-uns, peut se produire accidentellement
chez d'autres, sous l'influence de certaines circonstances.
On sait que chez les enfants dans certaines conditions de santé générale la
salive peut devenir acide, réaction qui, suivant Gubler, devient la cause déter-
minante de la production de muguet [Gazette hebdomadaire, 1857, p. 561, et
1858, p. 129 et 158). D'autres auteurs, M.Ch. Bley entre autres {Comptes ren-
dus de la Société' de gynécologie de Strasbourg, 1859), vont même jusqu'à
affirmer que la salive chez le nouveau-né est normalement acide. C'est là une
erreur qui provient de ce que dans quelques circonstances le lait d'un biberon
peut acquérir une légère réaction acide. Cette même circonstance se produit
aussi dans le cas si fréquent de régurgitation du lait aigri dans l'estomac et qui
a pu modifier la réaction de la salive.
Les causes qui peuvent modifier dans le sens de l'acidité la réaction de la
salive sont: les fermentations salivaires, l'usage fréquent et répété de substances
alimentaires ou de boissons acides, l'emploi comme agents thérapeutiques de
produits ayant la même réaction, les affections générales aiguës et certaines
affections généiales chroniques; la présence de nombreuses dents cariées,
certaines dispositions anormales de ces organes, agissent encore dans le même
sens en favorisant le séjour des détritus alimentaires et, par suite, les fermen-
tations.
Qu'il constitue d'ailleurs une disposition habituelle ou accidentelle, l'état
acide de la bouche se reconnaît aux mêmes signes, entraîne les mêmes consé-
quences et donne lieu aux mêmes indications. Ses signes objectifs sont l'absence
complète de tartre, l'accumulation de mucosités blanchâtres, visqueuses et
épaisses le long du bord libre des gencives et à la surface des dents, et la pro-
duction de caries multiples à forme rapide et siégeant de préférence au collet. A
ces caractères s'ajoutent parfois des sensations subjectives, goût ai^re de la sa-
live, régurgitations et éructations acides, phénomènes dyspeptiques, oastral-
gie, etc. Ce sont évidemment les préparai ions alcalines qui conviennent ici et
nous verrons qu'on peut les employer sous les formes les plus variées ; mais il
est nécessaire en même temps d'éloigner toutes les causes qui peuvent contribuer
à entretenir ou à développer cet état (abus des sucreries chez les enfants dents
cariées, etc.).
c. État neutre.. L'état neutre indique un équilibre exact entre les produits
salivaires constamment alcalins et les produits acides qui prennent naissance ou
sont amenés dans la bouche. Il représenterait l'état parfait, si les conditions
mêmes de sa production ne le rendaient pas difficilement réalisable et n'expo-
42.) DENTAIRE (hycikne).
saient le milieu buccal à des oscillations permanentes. Or, si un faible excès d'al-
càlinité ne peut avoir d'inconvénient, la prédominance même passagère et peu
marquée de la réaction acide a toujours des conséquences plus ou moins
fâcheuses: aussi l'hygiène doit-elle avoir pour but, ici, d'en empêcher la pro-
duction par l'usage des dentrifices légèrement alcalins, qui assureront une
sorte de provision destinée à neutraliser les produits acides qui pourraient se
développer accidentellement dans la bouche.
S" Règles et procédés d hijçiiène locale. Des considérations générales qui
précèdent nous pouvons maintenant déduire les prescriptions d'une hygiène
rationnelle.
Ces règles sont les suivantes : éviter les manœuvres ou les agents qui peuvent
agir mécaniquement sur les parties; restreindre, autant que possible, l'usage
des aliments et des boissons acides ou qui, par leur décomposition, donnent lieu
à des produits acides (sucre, vinaigre, limonade, etc.) ; empêcher les fermen-
tations des matières alimentaires ou des produits de sécrétion (lavages, soins de
propreté); s'opposer à l'accumulation du tartre par l'usage modéré de brosses
douces ; traiter soigneusement les affections à mesure qu'elles se développent ;
enfin provoquer ou maintenir, par des dentifrices appropriés, le milieu buccal
dans l'état neutre avec légère prédominance de la réaction alcaline.
Procédés d'applications dentifrices. Les dentifrices font le sujet d'un article
spécial {voy. ce mot), mais seulement sous le rapport de leur composition. Nous
n'en parlerons donc ici qu'au point de vue des indications diverses qu'ils sont
destinés à remplir.
Les dentifrices doivent en effet répondre à certaines indications dont le
premier venu ne peut être juge, et à ce titre leur choix doit être subordonné
aux conseils de l'hygiéniste. On comprendra dès lors quel cas nous faisons de
la plupart des produits qu'on vend partout sous le nom de dentifrices. Réveil,
dans un mémoire lu à l'Académie [voy. aussi S. Piesse et 0. Réveil, Des odeurs,
des parfums, des cosmétiques, etc. Paris, 1865, p. 456 et suiv.), a montré par
le résultat de nombreuses analyses chimiques le danger des cosmétiques en
général; ses observations s'appliquent aussi aux dentifrices dont la vente, par
une él range lacune de notre législation, est laissée libre et en dehors de tout
contrôle. Nous ne saurions trop nous élever contre cette déplorable interpré-
tation de la loi qui refuse de reconnaître comme remèdes secrets les prépa-
rations hygiéniques et comestiques, et nous nous associons aux appels faits déjà
maintes fois à la sollicitude de l'autorité sanitaire pour réclamer contre cet
iibus.
Considéré d'une manière générale, tout dentifrice doit contenir trois sub-
stances susceptibles de se mélanger en une masse homogène. Ces trois sub-
stances sont :
1° Une substance inerte servant de véhicule et pouvant aussi parfois agir mé-
caniquement sur les matières étrangères accumulées sur les dents ou les gen-
•cives ;
2^ Une substance active à réaction définie et capable de neutraliser la réaction
dominante des liquides de la bouche ;
3° Une substance aromatique destinée à masquer, s'il est besoin, la saveur ou
l'odeur des matières actives employées.
Envisagés ainsi, les dentifrices sont ou pulvérulents, ou liquides, ou mous
(opiats).
DENTAIRE (hygiène), âM
Les dentifrices pulvérulents doivent toujours être impalpables. Sans cette
condition, ils peuvent constituer un danger pour les dents par l'usure de leur
émail, et pour la muqueuse par l'irritation que les frottements y déterminent,
et aussi par l'accumulation de particules sous le bord libre des gencives où elles
jouent à la longue le rôle de corps étrangers : nous avons plusieurs fois observé
des lisérés grisâtres produits par l'usage prolongé de la poudre de charbon; il
est probable que les autres produisent les mêmes résultats, mais que ceux-ci
passent inaperçus lorsqu'ils ne donnent pas lieu à une coloration particu-
lière.
L'action des dentifrices liquides s'étend uniformément à tous les points de la
cavité buccale, à l'inverse des précédents, dont l'effet reste limité aux points
avec lesquels ils sont mis en contact. Par leur forme, ils se mêlent l'acilement,
en toutes proportions, à l'eau ou à d'autres liquides inertes, ce qui permet d'en
graduer les doses suivant les effets qu'on veut obtenir ; enfin ils se prêtent
mieux à une grande variété de composition, ce qui peut, dans certaines circon-
stances, être une précieuse ressource.
Les dentifrices mous ou opiats qui contiennent du miel doivent être com-
plètement rejetés, le sucre étant un agent destructif des plus actifs pour les
tissus dentaires. Quant aux savons dentifrices, ils ne peuvent convenir que dans
les cas oiî la réaction alcaline est recherchée; ils ont un goût désagréable et
qu'on ne parvient jamais à masquer complètement.
Envisagés au point de vue de leur composition et de leurs indications, les
dentifrices peuvent être divisés en : neutres ou inertes, alcalins, acides, astrin-
gents et antiputrides.
1" Dentifrices neutres ou inertes. Indications : salive légèrement alcaline,
absence de dents cariées et de dépôts de tartre, intégrité de la muqueuse ;
2» Dentifrices alcalins. Indications : salive acide ou neutre; caries nom-
breuses et à marche rapide ; absence complète de tartre; mucosités blanchâtres
le long du bord libre des gencives et sur les dents; muqueuse saine ou plus ou
moins enflammée. Les savons conviennent particulièrement aux cas où il importe,
de lutter éneigiquement contre la réaction acide très -prononcée du milieu sali-
vaire. Nous devons les trois formules suivantes à l'obligeance d'un pharmacien
distingué de Paris, M. Faguer; k seul reproche qu'on puisse leur faire, comme
à tous les savons, est leur saveur désagréable qu'il est impossible de masquei
complètement.
SAVON PULVÉRULENT.
Savon de magnésie 10 grammes.
Carbonate de chaux précipilé 9 —
Essence de roses, gouttes n° X
— de menthe anglaise, gouttes n" X
— de lavande 1 —
Carmin 0,10 —
SAVON POLVÉKULENT.
Savon de magnésie 10 grammes.
Carbonate de chaux précipite 8
Savon médicinal pulvérisé 1 —
Essence de roses, gouttes n* X.
— de raentlie anglaise, gouttes n* X.
— de lavande 1 —
Carmin 0,10 —
422 DENTAIRE (prothèse).
SAVON MOU.
Beurre do cncao' 12 grammes.
Carbonate de cliaux 20 —
— de magnésie 25 —
Savon dépotasse 20 —
Essences 0,1^ —
Les dentifrices alcalins sont très-nombreux, et dès les temps les plus anciens
on en a préconisé l'emploi. Pline, par exemple, recommande une recette dans
laquelle figure le sel ammoniac, les cor|uilles d'œufs, les écailles d'huîtres
pilées et de la myrrhe brûlée. On leur attribue non-seulement des vertus comme
cosmétirpie, mais même comme agent thérapeutique : Utilissima fiât ex lus
dentifricia, dit-il. On connaît aussi les préparations auxquelles certaines peu-
plades attribuent la beauté irréprochable de leurs dents : tel est le bétel [voy. ce
mot).
o" Dentifrices acides. Indications : miheu salivaire fortement alcalin; dépôts
abondants de tartre, absence de dents cariées; muqueuse normale ou plus ou
moins enflammée. L'usage de ces dentifrices exige une certaine surveillance, et
leur emploi ne doit pas être trop fréquent.
4° Dentifrices astringents. Indications : état morbide des gencives ou de la
muqueuse buccale ; gingivite chronique ; granulations buccales et pharyn-
giennes. La forme liquide est celle qui convient le mieux à ces préparations, la
muqueuse irritée supportant difficilement le contact des poudres. Toulefois au-
cune des préparations ordinairement préconisées ne vaut la solution de chlorate
de potasse : on l'emploie à la dose ordinaire des gargarismes, soit 4 grammes
pour 100, et on aromatise avec des essences au moment de l'emploi; le chlorate
de potasse, outre son action spéciale siu' la muqueuse buccale, a encore l'avan-
tage d'être légèrement alcalin, circonstance qui doit le faire rechercher d autant
plus que les inflammations chroniques de la muqueuse buccale déterminent
souvent l'acidité de la réaction salivaire. Le chlorate de potasse ne pourrait être
remplacé par l'alun qui, ainsi qu'il est démontré, agit directement comme dis-
solvant sur le tissu de l'émail.
5° Dentifrices antiputrides. Indications : état fétide de la bouche avec ou
sans lésion appréciable. Ces préparations peuvent* s'employer isolément ou être
associées aux autres dentifrices, suivant les conditions particulières; elles con-
tiennent de la poudre de charbon, du permanganate de potasse, des acides
phénique, salicylique, thymique, les salicates, le borax, etc.
Nous recommandons les deux préparations suivantes :
Silicate de potasse 2
Eau lOOJ
Thymol î
Borax 5
Eau lOCO
Thymol 1
E. Magitot.
DEIVTAIRE (Prothèse). En considérant que, sans préjuger ce qui sera
décidé sur l'organisation de l'art dentaire en France, actuellement à l'ordre du
jour, la partie mécanique de cet art appartiendrait toujours à l'atelier plus qu'à
l'école, on a pensé qu'il n'y avait pas lieu d'en traiter ici ex professa. Cepen-
dant, le médecin lui-même a intérêt à conisaître la nature des substances
DENTAIRE (prothèse). ^t25
employées comme dents artificielles, et quelques-uns des procédés] à l'aide
desquels on les adapte ù la bouche.
On emploie pour le remplacement des dents : 1" les denU numaine^, cnoisies
dans la classe de celles auxquelles on doit les substituer. Elles sont plus exposées
à se "âter que des dents vivantes, mais sont généralement d'un long usage ;
2" les dents de bestiaux. On leur donne aisément par l'usure la forme de dents
incisives, mais non celle de canines; elles ont une blancheur éclatante, qui
contraste avec celle des dents humaines; elles sont plus aisément que celles-ci
attaquées par les acides; 5'^ l'ivoire d'éléphant ou celui d'hippopotame. Le
premier est moins dense que le second. Les dents qu'on y a taillées manquent
entièrement d'émail, absorbent avec une extrême facilité les liquides et s'altèrent
rapidement. Le dur émail des dents d'hippopotame les rend bien préférables
aux précédentes ; cependant, les pièces qu'on en a formées ne tardent pas non
plus à s'altérer, en prenant la teinte jaune de dents trop négligées ; 4» les dents
de porcelaine. Leur fabrication est arrivée à un haut degré de perfection ; on
est parvenu à donner à la porcelaine des teintes imitant admirablement celles
des gencives. Les dents minérales, incorruptibles,sont presque exclusivement em-
ployées aujourd'hui. La pâte de ces dents est formée de: feldspath, 560 grammes;
quartz, 60; kaolin, 27; titane, 1. Dans l'émail entrent : feldspath, 90 gram-
mes ; éponge de platine, 5 à 20 ; fondant (préparé en faisant fondre 120 grammes
de quartz broyé avec du verre de borax et du sel de tartre), 5 grammes.
Les dents de remplacement se fixent au moyen : 1» d'un pivot ; 2" de crochets ;
0° de ressorts; 4° delà pression atmosphérique.
1° Dents à pivot. Cette méthode, qui consiste à fixer les dents sur une racine
naturelle, ne doit être suivie que si la racine est saine : elle est beaucoup mieux
applicable aux incisives et aux canines de la mâchoire supérieure qu'à celles
de la mâchoire inférieure, qui sont généralement d'un plus petit volume; en
outre, l'opération faite sur ces dernières est plus souvent suivie d'abcès. On
commence par réséquer, au moyen d'une lime, d'une scie ou d'une pince cou-
pante, la couronne de la dent à remplacer; puis on détruit le nerf en enfonçant
dans le canal un instrument à extrémité recourbée ou dentelée, avec lequel on
ramène la pulpe ; on lime la racine jusqu'à ce qu'elle soit arrivée un peu au-dessus
du niveau de la gencive; on élargit un peu le canal avec un instrument ad hoc.
€ela fait, on introduit, soit dans la couronne préalablement forée de la dent
naturelle, soit dans le trou tout préparé de la dent minérale, un pivot, dont on
enfonce l'autre extrémité dans le canal. On se sert presque toujours de pivots
d'or ou de platine ; quelques dentistes préfèrent le bois (celui de noyer habi-
tuellement) comme exposant moins à user la couronne; même quand on fait usage
du métal, on enfonce quelquefois un petit cylindre de bois dans la couronne et
l'on y fait pénétrer le pivot métallique, auquel on a donné la forme de vis. Pour
éviter plus sûrement l'action des liquides buccaux sur le canal de la racine, on
a conseillé d'y introduire une sorte de gaine d'or, dans laquelle on enfonce
ensuite le pivot.
2» Pièces à crochets. Une plaque métallique, portant une ou plusieurs dents
et s'adaptant parfaitement à l'arcade dentaire, est fixée à d'autres dents au moyen
de crochets. Tantôt la plaque et les crochets sont également en or ou en platine,
tantôt on adapte les crochets métalliques à une plaque ou cuvette de caoutchouc
vulcanisé. Ces pièces sont toujours disposées de manière à pouvoir être enlevées
ou replacées à volonté et facilement.
AU DENTAIRE (prothèse).
3° Pièces à ressorts. Lorsque la deiUure du sujet n'offre pas de points
d'appui pour des crochets, on pose deux dentiers, un supérieur et l'autre infé-
rieur, réunis par un ressort en spirales, qui, par une pression continue, main-
tient les pièces en place dans les mouvements des mâchoires. Cet appareil, sujet
à se déranger par suite de la déformation des spirales, et exigeant d'extrêmes
soins de propreté, n'est plus guère en usage, et on y substitue le suivant :
4° Pièces à pression ahnosphérique ou à succion. La méthode consiste à
mouler si parfaitement la forme de la monture sur celle des gencives que l'air
ne puisse pas pénétrer entre les uns et les autres. L<i pièce est alors maintenue
par la pression atmosphérique de la même manière que dans un jeu d'enfants
qui consiste à lever un pavé avec une ficelle portant une rondelle de cuir mouillée
et fortement appliquée contre la surface de ce pavé. Le succès du moyen dépend
donc de sa précision ; il importe surtout que dans le rapprochement des mâchoires
la pièce supérieure et la pièce inférieure, s'il y en a deux, ou, s'il n'y en a
qu'une, celte pièce et les dents correspondantes de l'autre mâchoire se ren-
contrent à droite et à gauche en même temps, et avec la même force de pression,
car, si elles se touchaient seulement par un côté, ou plus foitement d'un côté
que de l'autre, l'appareil basculeiait, l'air pénétrerait entre lui et la gencive et
l'adhésion serait détruite. Ou est arrivé, du reste, en cela, à une telle perfection
d'exécution, qu'on peut porter, sans inconvénient sensible, deux dentiers com-
plètement séparés et tout à fait dépourvus de ressorts.
On vient de voir quelle est la composition des dents de remplacement;
quelques mots maintenant sur les substances qui servent à les monter et à les
souder aux plaques.
L'argent est rarement assez pur pour résister longtemps à l'action oxydante
de la salive. L'or pur est trop ductile pour la prothèse dentaire; il faut l'alliera
l'argent ou au cuivre. Celui-ci lui donne plus de fermeté sans paraître le rendre
plus sensible à l'action des acides, du moins si l'on ne dépasse pas le titre voulu,
qui est d'environ 835 à 900 millièmes pour les plaques, de 750 à 800 pour
les crochets. L'alliage du platine à l'or donne aussi plus de consistance à ce
aiiétal : la proportion de 10 à 15 parties d'or pour \ de platine convient pour la
conieclion des ressorts à spirale; elle n'assurerait pas la solidité nécessaire pour
les plaques. L'aluminium, peu employé du reste, n'a pas toujours résiste à
l'action des liquides de la bouche : c'est probablement qu'il n'était pas pur. 11
n'y aurait guère d'avantage à l'allier au platine ou à l'or.
Mais la substance la plus usitée comme base dentaire est assurément le
caoutchouc durci, qui est très-solide, inaltérable par les liquides de la bouche,
et d'ime grande légèreté.
D'après Wildmann, la vulcanite dentaire la plus solide est celle qui est com-
posée de 1 partie de soufre pour iO de caoutchouc. On y ajoute souvent du
vermillon, qui est inoffensif, pour lui donner une couleur plus approchante de
celle des gencives, mais qui ne l'imite qu'imparfaitement et qui a l'inconvénient
de diminuer la solidité de la pâte. Le caoutchouc rouge anglais foncé contient
en poids 2 parties de sulfure de caoutchouc et 1 partie de vermillon. Enfin,
pour obtenir le caoutchouc blanc grisâtre ou rose, on ajoute de l'oxyde blanc
de zinc ou de l'argile blanche, dans la proportion de 20 à 50 pour 100, aux caout-
choucs rouge ou brun.
On fabrique aussi des gencives artificielles en porcelaine avec une base
mélalhque. h?i fritte pour gencives conûeni : oxyde d'or, 50 centigrammes;
DENTAIRES (Artères). 425
l'eldspath, 20 grammes; fondant (le même que pom- les dents), 12 grammes.
On emploie pour les émaiiler la préparation suivante : Fritte pour genci-
ves, 50 grammes; feldspath, 90 grammes. Diverses substances colorées entrent
dans ces compositions suivant les teintes qu'on veut obtenir. On les applique
autour des attaches des dents préalablement soudées sur une plaque de platine
pur, puis on les fait fondre à une température très-élevée. On obtient ainsi des
gencives continues.
Enfin, sans vouloir décrire les procédés par lesquels on soude la dent à la
monture, avec le chalumeau ou autrement, disons qu'on interpose souvent entre
l'un et l'autre une substance adhésive. Une soudure très-recommandée en An-
gleterre, est celle du docteur Slarr, contenant 7 parties d'aluminium contre 1 d'é-
tain pur.
Telles sont les seules notions que nous croyions devoir consigner ici à l'usage
des médecins. Elles sont suffisantes pour donner une idée des pièces dentaires
qu'ils rencontreront dans la bouche de leurs clients et permettre d'apprécier les
avantages et les inconvénients qu'elles peuvent présenter, sous le rap|iort de leur
composition, de leur fabrication ou de leur adaptation aux arcades dentaires.
A. Decuambre.
DEXTAIRES (Artères). Au nombre de trois de chaque côté : deux pour la
mâchoire supérieure et une seule pour la mâchoire inférieure.
Les artères dentaires supérieures se distinguent en postérieure et antérieure.
1" Artère dentaire supérieure et postérieure, alvéolaire, alvéolo-dentaire ;
elle constitue l'une des deux branches collatérales de la maxillaire interne qui
se dirigent en avant (Sappey). Née de ce dernier vaisseau avant sa pénétration
dans la gouttière sous-orbitaire par la fente sphéno-maxillaiie, l'alvéolaire se
porte en bas et en avant, s'applique sur la tubéiosité du maxillaire supérieur et
glisse flexueuse sur cette saillie osseuse au devant de laquelle elle se termine
par des ramusculcs destinés aux gencives, aux alvéoles supérieurs et au buccina-
teur; mais, chemin faisant, elle a fourni deux ou trois rameaux qui s'engagent dans
des conduits osseux creusés dans la tubérosité du maxillaire (conduits dentaires
postérieurs et supérieurs] et, après avoir cheminé obliquement dans ces petits
canaux, aboutissent, les uns aux racines des molaires, d'autres au tissu osseux
et un certain nombre à la muqueuse du sinus maxillaire ; assez souvent une
artériole va plus loin en avant s'anastomoser dans l'épaisseur de la paroi du
sinus avec un ramuscule émanant de la dentaire supérieure et antérieure.
2" Artère dentaire supérieure et antérieure. L'arlère sous-orbitaire, pendant
qu'elle est encore contenue dans le canal du même nom, et avant de sortir par
le trou sous-orbitaire, fournit l'artère destinée aux incisives et à la canine ; c'est
l'artère dentaire supérieure et antérieure ; elle se loge dans un conduit osseux
qui porte le même nom et occupe l'épaisseur de la paroi antérieure du sinus
maxillaire ; l'artère s'épuise dans les racines des incisives et de la canine, dans
le tissu osseux et la muqueuse du sinus. Une branche anastomotique la fait
souvent communiquer avec la dentaire postérieure.
0° Artère dentaire inférieure. L'une des blanches descendantes delà maxil-
laire interne ; elle naît souvent par un tronc commun avec la temporale profonde
postérieure, la massétérine et la buccale, se dirige en bas et en dehors vers
l'orifice supérieur du conduit dentaire inférieur : dans ce trajet, elle se glisse
entre h face interne de la branche de la mâchoire et la face externe du ptéry-
4i.'6 DENTAIRES (Nerfs).
goidien interne dont elle reste séparée par la bandelette aponévrotique qui, sous
le nom de ligament interne ou sphéno-maxillaire, vient s'attacher en bas, sur la
petite lamelle triangulaire qu'offre le côté interne de l'oiifice du canal dentaire
et la protège, comme le nerf dentaire inférieur auquel elle s'accole.
Une fois engagée dans le conduit osseux, elle en parcourt toute l'étendue, en
formant une aixade à concavité supérieure qui longe le sommet des alvéoles et
fournit pour chacune des racines des dents des ramuscules parliculiers qui ont
élé décrits à l'article Dent du Dictionnaire avec tous les détails que comporte le
sujet. Mais la dentaire inférieure ne s'épuise pas dans les alvéoles des molaires:
arrivée au niveau du trou mentonnier elle se partage en deux artères distinctes :
la mentonnière, qui émerge du canal osseux pour se perdre dans les parties
molles du menton et de la lèvre inférieure en s'anastomosanl avec des branches
de la faciale, et l'autre qui continue son trajet intra- osseux et se termine dans les
dents canine et incisives, et dans le tissu os<cux.
Ainsi, dans toute la longueur du corps de la mâchoire inférievire et la partie
inférieure de la branche de cet os règne un canal osseux qui protège et contient
les vaisseaux dentaires inférieurs ainsi que le nerf du même nom. En ce qui
concerne l'artère, il en résulte certaines apj)lications à la pathologie externe et
à la médecine opératoire; notons, en pailiculier, deux phénomènes constatés
souvent dans les fractures de la mâchoire : savoir, 1" une ecchymose considé-
rable qui se forme sous la muqueuse du plancher de la bouche, sous la langue;
2° un suintement sanguin, persistant alors que le tissu gingival est déchiré,
suintement qui peut venir des capillaires de la muqueuse, mais qu'il me paraît
rationnel de rattacher, dans quelques cas, à la lésion de l'artère dentaire,
quoique très-fréquemment, les parois de celle-ci ayant été déchirées, arrachées,
il y ait peu de tendance à l'hémon'hagie [voy. Fracture du maxillaire [Diction-
naire encyclopédique]).
Au point de vue de la médecine opératoire, il est évident que toute section
du corps de l'os en arrière du trou mentonnier divise l'artère dentaire inférieure
et nécessite souvent l'application de moyens hémostatiques particuliers. L'auteur
de cette note a été témoin d'un fait de ce genre dans une opération qu'il a pra-
tiquée en 1863 pour remédier à l'immobilité cicatricielle de la mâchoire : après
la section du corps de l'os par la méthode de Rizzoli, il eut à combattre uu
écoulement de sang provenant du bout postérieur de l'artère et dont il se rendit
maître non sans difficulté, en écrasant sur l'orifice osseux du fragment posté-
rieur une boulette de cire {Bulletin de la Société de chirurgie, année 1864,
5* fascicule, p. 3-48, et Thèse pour le Doctorat, par M. Mathé (Adolphe), 30 juil-
let 1864).
Veines dentaires. En nombre égal à celui des artères et en suivent le trajet;
elles ne comportent pas de descriptions spéciales.
LvMrHATiQUEs. Ceux des gencives sont les mieux connus; ils se rendent dans
les ganglions parotidiens et sous-maxillaires. J. Aubry.
DEiVTAlRES (Nerfs). Deux pour la mâchoire supérieure, un seul pour
l'inlérieure : ces trois nerfs proviennent, les deux premiers du nerf maxillaire
supérieur, le troisième du maxillaire inférieur. En somme, ils émanent tous les
trois de la portion sensitive du trijumeau.
1° Nerf dentaire supérieur et postérieur. Quand le nerf maxillaire supérieur
a traversé d'arrière en avant le tond de la fosse zygomatique, qu'il a envoyé au
DENTAIRES (Nerfs). 427
ganglion spliéno-palatin ou de Meckel ses filets de sensibilité, mais avant de se
loger dans la gouttière sous-orbitaire, il émet le nerf ou plutôt les nerfs den-
taires supérieurs et postérieurs, car le plus souvent, au lieu d'un troue unique,
on en tiouve deux; ces filets, qui naissent cependant quelquefois par un faisceau
commun, se portent siu* la tubérosité maxillaire, fournissent quelques rameaux
à la partie postérieure de la gencive supérieure, et après plusieurs flexuosités
s'engagent dans les conduits dentaires postérieurs et supérieurs où ils s'anasto-
mosent les uns avec les autres dans l'épaisseur de l'os pour former des arcades
de la convexité desquelles se détaclient un grand nombre de filets dont les uns
se distribuent encore à la muqueuse des gencives, dont les autres pénètrent avec
les artères et les veines dans les canalicules des racines des dents grosses et
petites molaires. En avant ce nerf communique avec le dentaire supérieur et
antérieur et fournit quelques filets à la muqueuse du sinus maxillaire et même
au tissu osseux.
2" Nerf dentaire supérieur et antérieur. C'est le nerf qui donne la sensibilité
aux dents incisives et canines ; il s'isole du nerf sous-orbitaire dans le canal de
ce nom, s'engage dans l'épaisseur de la paroi antérieure du sinus maxillaire,
logé dans un conduit osseux qui lui est commun avec les vaisseaux du même
nom, et après un trajet oblique en bas et en avant, pendant lequel il longe le fond
des alvéoles auxquels il donne des filets dentaires, il se termine dans l'épais-
seur du tissu osseux au voisinage de l'orifice des fosses nasales: de sa partie
postérieure part une brancbe anastomotiquc qui l'unit au nerf dentaire supé-
rieur et postérieur; d'autre part la muqueuse du sinus reçoit aussi plusieurs
filets qui en sortent.
5» Nerf dentaire inférieur. On sait que le nerf maxillaire inférieur est un nerf
mixte ; qu'il est composé de deux sortes de fibres, les unes provenant du gan-
glion de Casser et destinées à la sensibilité, les autres faisant suite à la racine
non ganglionnaire du trijumeau et conduisant aux muscles masticateurs le prin-
cipe de leur contraction. Or le nerf dentaire inférieur, quand il se sépare du nerf
maxillaire, réunit sous la même enveloppe névrilématique des tubes nerveux des
deux ordres; seulement, avant que le nerf pénètre dans le canal dentaire dont
est creusée la mâclioire inférieure, les fibres motrices se séparent des autres
pour former un petit cordon qui sous le nom de nerf mylo-byoïdien va animer
le muscle de ce nom et le ventre antérieur du digastrique. Ce fait, bien connu
aujourd'hui par les travaux des anatomistes modernes et surtout de Longet, per-
met de comprendre ce qu'il pouvait y avoir d'extraordinaire dans l'origine
■apparente du nerf mylo-byoïdien, nerf de mouvement émanant d'un nerf de sen-
timent, le dentaire inférieur. En réalité, quand ce nerf s'engage dans l'orifice
supérieur du canal dentaire, il ne renferme plus que des fibres qui ont traversé
le ganglion semi-lunaire, des fibres de sentiment.
Parcourant avec les vaisseaux le conduit dont est creusée la mâchoire inférieure,
le nerf dentaire décrit une courbe à concavité supérieure de laquelle se détachent
autant de filets qu'il existe de racines aux molaires, et qui vont dans la pulpe
dentaire se terminer suivant un mode décrit précédemment à l'article Dents de
•ce Dictionnaire.
Arrivé au niveau du trou mentonnier, le nerf émet par cet orifice une grosse
branche qui, sous le nom de nerf mentonnier, va donner la sensibilité à la peau
•du menton et de la lèvre inférieure ainsi qu'à la muqueuse de son bord libre et
de sa face postérieure, les muscles de la même région étant sous la dépendance
428 DENTALE.
exclusive du nerf lacial, puis sous le nom de nerf incisif le rameau qui reste
dans l'épaisseur de l'os va se terminer dans la pulpe des incisives et de la canine.
Après ce que nous avons dit des applications chirurgicales, des connaissances
anatomiques de l'artère dentaire inférieure, on ne sera pas étonné de les ren-
contrer de nouveau pour le nerf du même nom, et il suffira de rappeler que
dans les fractures, le nerf pouvant être tiraillé, pincé ou déchiré, on pourra
observer soit des douleurs violentes, soit la paralysie du sentiment, des lèvres et
du menton.
On comprendra de même, à plus forte raison, que les opérations dans lesquelles
on a scié le corps de l'os en arrière du trou mentonnier doivent entraîner la
peite de la sensibilité de la moitié correspondante de la lèvre avec conservation
de l'action du muscle triangulaire et carré du menton. J. Acbiiy.
DEX'TALE. Les animaux désignés sous le nom de Dentales présentent dans
leur forme extérieure et dans leur organisation des particularités remaniuables.
Par leur enveloppe calcaire tubuleuse, par leurs appendices buccaux et leurs
premières phases embryonnaires, ils ont quelques ressemblances éloignées avec
les Annélides tubicoles, et c'est parmi ces derniers qu'ils furent placés par la
plupart des anciens auteurs, notamment par Cuvier, dans l'édition du Bègue
animal publiée en 1850. Cependant, dès 1825, Ueshayes [Anatomie et monogra-
phie du genre Dentale, in Mém. de V/iist. nat, de Paris, t. 11, p. 524), s'ap-
puyant sur des faits anatomiques incontestables, avait démontré la nécessité
absolue de ranger ces animaux parmi les Mollusques, et de Blainville, adoptant
cette manière de voir [voy. art. Mollusques du Dictionnaire dliist. nat. en
60 vol., t. XXXII, p. 286), avait ciéé spécialement pour eux, dans ses Mol-
lusques-Paracéphaloplwres, l'ordre des (jrrhobranches. Depuis lors, l'opinion
de Deshayes a été confirmée par William Clark {On the Animal of Dentalium
tarentinum, in the Annals and Magazine of Natural History, 2*^ sér., vol. IV,
1849, p. 321), et plus récemment par M. Lacaze-Uuthiers dans son remar-
quable mémoire intitulé : Histoire de rorganisation et du développement du
Dentale, publié dans \q% Annales des sciences naturelles. Zoologie, t. VI, 1856,
p. 225, de sorte qu'aujourd'hui les Dentales constituent, dans l'embranchement
des Mollusques, sous le nom de Solénoconques que leur a donné M. Lacaze-
Dulhiers, un groupe important formant à lui seul la classe des Scaphopodes,
intermédiaire entre les Lamellibranches et les Gastéropodes.
La coquille des Dentales a la lormed'un tube allongé, conique, plus ou moins
arqué, et ouvert aux deux bouts. Sa surface extérieure, tantôt lisse, tantôt marquée
de stries ou de côtes longitudinales, présente des stries circulaires, traces évi-
dentes des périodes d'accroissement; elle est le plus ordinairement de couleur
blanche, grisâtre ou jaun.Ure, souvent teintée de rose à l'extrémité.
Le corps de l'animal, allongé et conique comme la coquille, est enfermé dans
un manteau en forme de sac, dont la portion inférieure, membraneuse, est très-
mince et tiansparente. Il est pourvu antérieurement d'un pied trilobé, charnu,
essentiellement musculaire, qui fait saillie hors de la grande ouverture de la
coquille. Il n'existe pas à proprement parler de région céphalique distincte, mais
on observe, dans l'angle formé par l'union du pied avec la partie dorsale du
manteau, un appendice ovoïde {niamelon buccal), au sommet duquel se trouve
située la bouche dont l'orifice, presque toujours fermé, est entourée de huit
appendices foliacés, disposés en rosette.
DENTALE. ^'i'>
Inféiieurement, le mamelon buccal se rétrécit eu mi pédicule très-court, pré-
sentant extérieurement deux replis cutanés sur lesquels sont insérés, à droite et
à "auche, deux paquets de nombreux filaments très- extensibles, sortes de tenta-
cules couverts de cils vibratiles et terminés cbacun par une petite cupule. L'ex-
trémité postérieure de ce pédicule débouche dans un pharynx très-développé,
qui est pourvu d'un appareil masticateur puissant, composé de cinq lamelles
cornées garnies de dents nombreuses et très-fortes. A la suite du pharynx se
trouve un estomac cordiforme dans lequel aboutissent les conduits excréteurs
d'un foie très-volumineux ; puis vient le tube digestif, dont les parois épaisses
sont tapissées intérieurement d'un épilhélium de cils vibratiles très-vifs, et qui,
après avoir décrit de nombreuses circonvolutions ramassées sur [elles-mêmes,
débouche, en arrière du pied, dans la cavité palléale, par l'intermédiaire d'une
partie dilatée en une sorte de cloaque. Les organes de la sécrétion urinaire
{organe de Bojanus), situés près de l'intestin, débouchent par deux orifices à
droite et à gauche de l'anus.
Chez les Dentales, les yeux, le cœur et les branchies manquent. La circulation
s'effectue au moyen de deux vaisseaux palléaux prenant naissance, par deux
rameaux, dans un sinus qui occupe le milieu du corps. Le système capillaire est
remplacé par un système compliqué de lacunes. Il existe un grand nombre de
sinus s'ouvrant au dehors par des fentes transversales susceptibles de se fermer.
Quant à la respiration, elle s'opère par la surface du manteau et par le revêtement
ciliaire qui tapisse intérieurement la cavité palléale.
Le système nerveux, analogue à celui des Lamellibranches, se compose de trois
paires de ganglions {cére'broïdes, pédieux et viscéraux), reliées entre elles par
des commissures et des connectifs. A l'extrémité postérieure des ganglions pédieux
sont accolées deux vésicules sphériques contenant chacune un grand nombre
d^otolilhes.
Les sexes sont séparés, mais il n'y a pas accouplement. L'appareil reproducteur
consiste, comme dans les LamelHbranches, en deux glandes génitales, dont les
produits sont déversés au dehors par une ouverture du manteau située à l'extré-
mité postérieure de la coquille. Les œufs, une fois fécondés, donnent naissance
à des embryons piriformes, pourvus d'un flagellum et de six ou huit rangées cir-
culaires de cils. Dans cet état, ils ressemblent alors beaucoup à des embryons
d'Annélides, mais ils ne tardent pas à acquérir un vélum, un disque moteur
et une coquille presque bivalve, dont les deux portions symétriques se réunis-
sent plus tard, après la disparition des cils vibratiles, pour former un tube
conique.
Essentiellement marins, les Dentales vivent enfoncés dans le sable ou la vase
en laissant toujours saillir au dehors la partie postérieure de la coquille; ils se
nourrissent de Foraminifères. On les rencontre principalement près des côtes,
mais à des profondeurs relativement assez grandes ; quelques-uns même n'ont
encore été trouvés qu'à 5000 et 5000 mètres {Expéditions du Challenger, du
Porcupine et du Travailleur).
On en connaît plus de 150 espèces, les unes vivantes, les autre fossiles. Ces
dernières apparaissent dans les couches du terrain dévonien, se continuent dans
le Carbonifère, le Jurassique et le Crétacé, mais sont surtout abondantes dans le
Tertiaire. Quant aux espèces vivantes, qui appartiennent en majeure partie au
genre Dentalium L., elles ont des représentants dans presque toutes les mers
Nous citerons comme principales : D. fihim Sow., répanda à la fois dans l'Océan
450 DENTELAIRE.
Atlantique, dans la Méditerranée et dans la Manche, D. novemcostatum Lamk-,
de l'Océan Atlantique; D. ruhescens \)ç^A\. , spe'cial à la Méditerranée, D. elephan-
tinum L., du Grand Océan Indien ; D. tarentinum Lamk, des côtes de la Manche;
D- enlalis L., espèce boiéale, qu'on retrouve dans la Méditerranée par tîO et
G5 mèlres de fond; enfin D. pietiosiim Sow., des côtes occidentales de l'Amé-
rique du Nord, qui, sous le nom de Hay-aqna, est accepté comme monnaie par
les peuplades sauvages depuis la Californie jusqu'à l'Alaska. Ed. Lefèvre.
DEXTECULAÎ. Mollière, dans son Vçrjage (I, 27), donne ce nom à une
plante d'Afrique dont le fruit, ressemblant à une orange, a des graines disposées
comme celles des courges. Ce fruit a une odeur agréable de vanille, et son écorce
est très-dure. C'est probablement une Cucurbitacée. Pl.
Méhat et De Lens. Dict. matière médicale, t. Il, p. 610. I>l.
nEKTELAiRE (Plumbago L.). Genre déplantes dicotylédones, appartenant
à la famille des Plumbaginées, à laquelle il donne son nom.
Les caractères de ce groupe sont les suivants : Les fleurs sont hermaphrodites,
formées d'un calice herbacé, à 5 lobes, glanduleux; d'une corolle hypocratéri-
forme, également à 5 divisions, de 5 étamines, alternes avec les pièces de la
corolle, à filet élargi à la base et d'un ovaire surmonté par 5 styles soudés sur
une grande partie de leur longueur et libres au sommet. Le fruit est petit, sec,
et s'ouvre supérieurement en 5 valves; il est enveloppé par le calice; la semence
est inverse, albuminée, et renferme un embryon ortliotrope, à radicule supère.
Les Plumbago sont des plantes d'une àcreté considérable, dont plusieurs espèces
ont été employées à cause de ces propriétés. Ce sont :
1" Le Plumbago eiiropœa L., appelée plus spécialement Dentelaire et aussi
Malherbe ou Mauvaise herbe.
Cette espèce, qui croit dans toute la région méditerranéenne, a une tige ronde,
cannelée, haute de 65 centimètres environ, portant des feuilles oblongues,
amplexicaules, chargées de poils glanduleux sur les bords. Les fleurs sont ras-
semblées au sommet de la tige et des rameaux; elles sont bleues et purpurines;
le calice est tout couvert de poils glanduleux.
La racine de cette Dentelaire est longue, pivotante, blanche, quand elle est
récente, devenant rougeâtre par la dessiccation; enfermée dans un bocal, elle
donne au papier une couleur plombée, et les diverses parties de la plante, frois-
sées entre les doigts, donnent à la peau la même coloration. De là le nom de
Plumbago, qui de cette espèce s'est étendu au genre tout entier. D'^iutres auteurs
font venir cette appellation de la couleur plombée des feuilles. Ce sont des
raisons analogues qui l'ont fait aussi appeler Mohjbdœna. Quant à la désignation
de Dentelaire, elle provient de l'âcreté de cette racine qui, agissant comme
révulsif et comme siliagogue, calme souvent la douleur des dents.
La racine de Dentelaire a été préconisée comme vulnéraire, propre à faire
cicatriser d'anciens ulcères, et on l'adonnée comme rongeant de véritables cancers;
c'était surtout l'huile dans laquelle avait bouilli la plante qu'on employait à ces
usages. Cette même préparation a été vantée au siècle dernier comme le meilleur
moyen de traiter promptement et sûrement la gale. Enfin, la Dentelaire a été
donnée comme émétique, d'où le nom de Ipecacuanlia nostras, qu'on lui a donné ;
c'est le rpinàliQ-j de Dioscoride.
DENTELÉS (anatomie et physiologie). 4'i!
2» Le Phimbago scandens L. , nommé parfois Herbe du diable. Celte
espèce a une tige fruliculeuse, qui s'enroule autour des autres plantes ; les feuilles
sont oblongues, lance'oloes, acuminées, atténuées insensiblement en un court
pétiole embrassant et auriculé; les fleurs sont en un long épilâche, terminal; la
corolle est régulière, de couleur blanche.
Cette esjièce croît dans l'Amérique tropicale, depuis le Mexique jusqu'au Chili
et au Brésil. Elle a une âcreté considérable et produit sur la peau des effets
vésicants. Descourtilz, dans sa Flore médicale des Antilles, l'indique comme
causant un véritable empoisonnement et comme rongeant les chairs; les vétéri-
naires seuls s'en servent pour guérir les ulcères baveux. On lui attribue aussi
une action vomitive, et Pison rapporte qu'elle est propre à faire rejeter les
poisons, et qu'on en prépare des clystcres pourchasser les viscosités intestinales.
La plante porte au Brésil le nom de Caajandiivap.
5° Le Plumbago zeylanica L. Cette espèce, qui croît dans les Indes Orientales,
est très-voisine de la précédente, avec laquelle elle a été souvent confondue. Elle
s'en distingue par ses feuilles ovales ou oblongues, brusquement atténuées eu
un pétiole amplexicaule, par son calice couvert de poils glanduleux plus longs,
plus denses et plus inégaaux entre eux.
Les propriétés de cette espèce rappellent tout à hil ccWcs du Plumbago scandens.
On l'emploie en application sur les tumeurs ou sur les bubons, en la pilant et
la mélangeant à la pâte de riz pour modérer son action vésicante.
4° Le Plumbago coccùiea Boissier [Plumbago rosea L.). C'est une très-belle
espèce herbacée des Indes, de Java et de la Chine, à tiges dressées, à grandes
feuilles oblongues, obtuses, à fleurs disposées en longs épis axillaires et termi-
naux, grands de 1 1/2 à 2 pouces, d'un rouge vermillon. Elle est parfois cultivée
en Europe dans les terres chaudes.
Rumphius appelle sa racine radix vesicatoria, ce qui indique ses propriétés
analogues à celles des espèces précédentes. On l'emploie, d'après Ilorsficld,
comme vésicante à Java. Pilée et mélangée avec une huile douce, on l'emploie
en topique sur les membres paralysés ou rhumatisants. On la donne aussi à
petites doses à l'intérieur, additionnée de poudres inertes ou douces. Pl.
Bibliographie. — Dioscoride. Materia medica, t. IV, p. 135. — Tournefort. Insliliitioues,
140, lab. 58. — Linné. Gênera, p. '213; Species, t. I, p. 215. — Esdlicher. Gênera, n" 2174. —
BoissiER in De CandoUe Prodromus, t. XII, p. 690. — Pisos. Brasil, p. 105. — Descourtilz.
Floi-. medic. des Antilles, t. III, p. 94. — Rueede. Malabar, t. X, p. 9. — Gabidel. Histoire
des plantes de Provence, p. 5t58. — Mérat et De Lens. Dict. mat. média. , t. V, p. 401. Pl.
DEXTELÉS. § I. Anatoniie et physiologie. Ils sont au nombre de
trois : le grand dentelé, le petit dentelé postéiieur et supérieur et le petit den-
telé postérieur et inférieur.
Grand dentelé {Serratus magnus Albinus, costo-scapidaire Chaussier).
Le grand dentelé est un muscle qui recouvre la partie antéro-latérale de la ca"-e
thoracique. Plus épais et plus étroit en arrière, où il est attaché au bord spinal
du scapulum, plus mince et plus large en avant, oiî il est fixé aux côtes, il a
une forme irrégulièrement quadrilatère. Il constitue la paroi interne du creux
de l'aisselle.
Insertions : d'une part, au scapulum, à l'interstice du bord spinal dans
toute sa longueur, et par deux faisceaux aux surfaces triangulaires situées en
452 DENTELÉS (anatomif, et physiologie).
avant des angles supérieur et inférieur de cet os ; iV autre part, aux neuf ou
dix premières côtes par autant de digitations. Les digitations costales sont
disposées suivant une ligne courbe à concavité postérieure.
La 1''' digilation, très-larg*^, naît de la !''« et de la 2*^^ côte et d'une arcade
aponévrotique qui les unit. De là ses fibres se dirigent en arrière, en dehors et
en haut, pour aller se fixer à la focette antérieure de l'angle postérieur et supé-
rieur de l'omoplate. Elle constitue \a portion supérieure du grand dentelé.
Les 2«, 5'' et ¥ digitations naissent de la 'i^ côte (qui donne naissance à deux
digitations, 1" et 2"), des 5* et 4° côtes. Ces digitations, qui sont les plus minces
et les plus larges, se perdent horizontalement en arrière, pour s'attacher, par de
courtes fibres aponévrotiques, à tout l'interstice du bord spinal de l'omoplate, en
avant du rhomboïde. Ces digitations forment une lame mince continue, à laquelle
on donne le nom de portion moyenne ou seconde portion du grand dentelé.
Les 5% 6«, 7% 8", 9" et 10" digitations, naissent de la face externe des côtes
correspondantes en formant des dentelures dans lesquelles pénètrent des digi-
tations analogues du grand oblique. Chez les sujets bien musclés et doués d'un
faible embonpoint, ces dentelures se dessinent sous la peau, et les peintres et
les sculpteurs les leproduisent, en général, assez fidèlement. A ces dernières
digitations du grand dentelé font suite autant de faisceaux charnus distincts qui
convergent vers la facette antérieure de l'angle postérieur et inférieur de l'omo-
plate, à laquelle ils s'insèrent. Cette portion est appelée 3" portion, portion infé-
rieure, portion rayonnée du grand dentelé.
Les trois portions sont séparées les unes des autres des sillons remplis de tissu
cellulaire. La portion supérieure est la plus étroite; la portion moyenne, la moins
épaisse; la portion inférieure, la plus longue, la plus large et la moins mince.
Rapporta. La face interne ou concave du grand dentelé recouvre les huit
premières côtes, les muscles intercostaux externes, les attaches costales du petit
dentelé supérieur. Elle est séparée de toutes ces parties par un tissu cellulaire
lâche.
La face externe ou convexe est recouverte dans ses deux tiers inférieurs par la
peau ; en haut et en arrière par le sous-scapulaire ; en haut et en avant, par le
grand pectoral, le petit pectoral, le sous-clavier; en haut et au milieu, où elle
forme la paroi interne du creux axillaire, elle est recouverte par les nerfs du plexus
brachial et les vaisseaux axillaires. Nous avons indiqué ailleurs les rapports du
grand dentelé avec la bourse séreuse sous-scapulaire {voy. Muscle sous-scapulaire).
Structure. Après avoir exposé la division du grand dentelé en trois portions
et noté le nombre de digitations que comprend chacune de ces trois portions, il
reste à étudier l'aponévrose d'enveloppe du muscle, les vaisseaux et les nerfs.
L'aponévrose d'enveloppe est une lame cellulo-fibreuse comparable aux aponé-
vroses d'enveloppes qui recouvrent les muscles larges de l'abdomen, toutefois
elle n'est pas également constituée sur chacune des trois portions. Sur la portion
inférieure ou rayonnée, plus grande à elle seule que les deux autres ensemble,
elle est très-épaisse. Sur les deux portions moyenne et supérieure elle n'est plus
représentée que par une lame celluleuse très-mince. Cette aponévrose s'attache,
en avant, aux côtes, et, en arrière, au bord spinal de l'omoplate.
Les artères du grand dentelé sont fournies par la scapuluire postérieure,
branche de la sous-clavière, et par la thoracique inférieure et la scapulaire infé-
rieure, branches de l'axillaire. Les veines correspondent aux artères. Les lym-
phatiques se rendent aux ganglions lymphatiques de l'aisselle.
DKNTELÉS (anatomie et puysiologie). ^oS
I.c grand dentelé reçoit un nerf spécial, le nerf du grand dentelé ou grand
nerf respiratoire externe de Ch. Bell, rameau de la 6'= paire cervicale du plexus
brachial. Ce nerf se termine dans la digitation inférieure du muscle après avoir
fourni des lilets à chacune des digitations. Dans les fractures de la colonne verlé-
hrale, lorsque la fracture a lieu au niveau de la région cervico-dorsale et que la
moelle conserve sa structure normale aussi bas que la 6" vertèbre cervicale, la
respiration se fait par le diaphragme et par le grand dentelé. L'inspiration a lieu par
la contraction de ces muscles; l'expiration se produit par le poids dos viscères
abdominaux et l'élasticité des parois abdominales. Cependant, il l'aut le dire de
suite, dans ces sortes de lésions, les blessés ont grande chance de mourir par le
poumon. En effet, la respiration est souvent troublée par le développement d'une
tympanite causée par un défaut de compression des muscles abdominaux paralysés
sur les intestins. Le diaphragme est refoulé en haut par les gaz, il n'a plus d'ac-
tion efficace, le grand dentelé seul est insuffisant et la respiration devient
anxieuse. D'autre part, les bronches se remplissent peu à peu d'une écume
muqueuse qui les obstrue, surtout si antérieurement le blessé a souffert de
quelque bronchite chronique.
Anumalies. Absence totale du grand dentelé, de la portion snpé)'ieure, de la
portion moyenne ou de la portion inférieure.
Isolement plus marqué de chacune des trois portions. Au lieu d'être séparées
par d'étroits sillons remplis de tissu cellulaire, chacune des trois portions peut
être séparée par un large espace.
Variation dans l'étendue du muscle. Le nombre de dentelures et consé-
quemment celui des faisceaux qui constituent chacune des trois portions du
muscle peuvent augmenter ou diminuer: de là une diminution ou une exagération
dans la hauteur du muscle. Ainsi, dans la portion supérieure, on a constaté le
défaut de présence du faisceau de la l'^'^côte, et, dans la portion moyenne, le
défaut de présence de ceux de la ¥ et de la 5'^ côtes. Dans un cas, le grand
dentelé ne s'étendait pas au delà de la 1^ côte. Inversement on a observé des
sujets chez lesquels il se prolongeait jusqu'à la 11^ côte.
En avant, le grand dentelé dépasse quelquefois ses limites habituelles.
Des fibres du grand dentelé peuvent se continuer avec des fibres des siircos-
taux, des intercostaux externes ou de V oblique externe.
Faisceaux complémentaires. On a trouvé des faisceaux profonds naissant
des premières côtes ; un faisceau du grand dentelé à l'aponévrose du bras et de
l'aisselle; un faisceau profond, né de la 2" cote et s'insérant isolément à toute
la longueur du bord spinal de l'omoplate depuis l'épine. RosenmùUer a donné
la description d'un muscle angulaire de l'omoplate , dont le faisceau alloïdien
complètement indépendant allait se confondre avec la première digitation du
grand dentelé (RosenmùUer, De nonnullis musc, var., Leipzig, 1814, p. 5).
Henle indique un fait analogue. Kelch a vu l'angulaire divisé en trois ban-
delettes dont la médiane allait se fixer sur l'aponévrose scapulo-thoracique
(Kelch, Beitràge fur path. Anat., 1815, p. 53). Chez un sujet où l'angulaire de
l'omoplate avait six insertions à la colonne cervicale, M. le professeur Wood a vu
ce muscle être représenté par les trois premiers faisceaux (dont un, le plus élevé,
avait quelques attaches au transversaire du cou) et une partie du A" faisceau,
tandis que les 5* et 6« faisceaux formaient une masse musculaire unique insérée
inférieurement sur le bord vertébral du scapulaire, entre l'épine et l'antile
inférieur de cet os, confondant leurs fibres avec celles du grand dentelé. Ce qui
DICT. EXC. XXVIf. 28
4?>4 DENTELÉS (anatdmie et physiologie).
restait du 4« faisceau allait se perdre dans le rhomboïde. M. Pozzi a commu-
niquéà la section d'anthropologie du Congrès de Lille (Association française, 1874)
le dessin d'une bandelette d'union entre l'angulaire et le grand dentelé. .le
possède plusieurs spécimens de cette anomalie dont je vais reproduire ici un des
cas les plus curieux :
A, bord spinal de l'omoplaie écarté du tronc pour laisser voir le grand dentelé. — B, grand dentelé. —
C, angulaire de l'omoplate. — D, D', D", faisceaux de communication entre l'angulaire de l'omoplate
et le faisceau supérieur du grand dentelé.
Anatomie comparée. Chez les vertébrés inférieurs, il n'y a pas de disconti-
nuité entre l'angulaire et le grand dentelé, et ces deux muscles ont pu être dé-
crits comme une seule et même lame charnue sous le nom de dentelé large.
Déjà, dans les amphibiens et les reptiles, l'angulaire et le grand dentelé ont pour
caractère constant de relier les apophyses transverses du cou et du dos à l'épi-
scapulum sans prendre d'insertions sur le scapuhim. Chez l'axolotl, l'angulaire
s'attache à la face inférieure de l'ex-occipital d'une part, d'autre part sur la
face superficielle du %us-%tdi^\\\nm{ex-occipito-épiscapulaire). Le grand dentelé
naît, au niveau des myotomes 4, 5 et 6, dans l'intervalle des masses musculaires
dorsale et ventrale, se dirige en avant et en haut pour se fixer à la face pro-
fonde du sus-scapulum (transverso-épiscapulaire). On peut donc considérer ces
deux muscles comme formant un seul système transverso-épiscapulaire (Lanne-
grâce, Myologie comparée des membres. Th. de Montpellier, 1878, p. 46).
Ce système transverso-épiscapulaire se décompose chez les anoures et les rep-
tiles en trois portions distinctes. La portion inférieure du système se rencontre
seule chez les oiseaux. Chez l'homme ces trois portions peuvent être retrouvées :
la première est représentée 'par l'angulaire de l'omoplate et le faisceau supé-
rieur du grand dentelé ; la deuxième, par le faisceau moyen du grand dentelé ;
la troisième, par le faisceau inférieur du même muscle.
Le mouton, le castor, l'hyène, etc., etc., ne possèdent pas un angulaiie fixé
à l'omoplate. Attaché à un plus ou moins grand nombre de vertèbres cervicales,
quelquefois à toutes, ce muscle constitue la partie antérieure du grand den-
telé.
DENTELÉS (\xatomie et piiysioLOGiEJ. 455
Chez les anthropoïdes, comme clicz l'homme, il existe un vaste intervalle
triangulaire entre le grand dentelé et l'angulaire. Dès le papion {Cynocephalus
iiphinx) pithécien, encore bien éloigné de l'extrémité inférieure de l'ordre des
primates, cet intervalle disparaît, il est comblé par un musle supplémentaire
qui s'insère sur les apophyses transverses des trois dernières vertèbres cervi-
cales, et qui par ses deux bords se confond si bien avec les deux muscles en
question, que tout cet appareil ne forme qu'un seul plan, qu'un seul muscle.
Cette conformation différente est en rapport avec l'attitude horizontale et la
marche quadrupède des singes non anthropoïdes.
Comme pour démontrer l'étroite parenté de l'homme et des animaux, des
fibres d'union entre le grand dentelé et l'angulaire apparaissent dans l'espèce
humaine. Parfois elles sont troublées dans leur évolution formatrice et alors,
au lieu de rejoindre le grand dentelé, elles se rendent aux parties molles ou
dures avec lesquelles celui-ci est en rapport, c'est-à-dire, au bord vertébral du
scapulum, au scalène postérieur, au splénius, etc.
Dans la série animale, le grand dentelé s'étend plus ou moins en hauteur
ot en largeur. Le nombre de ses digitalions est donc sujet à variations.
Fonctions. L'action du grand dentelé a été parfaitement déterminée par Du-
chenne (de Boulogne). Comme nous l'avons déjà fait pour d'autres nniscles,
nous emprunterons beaucoup à cet habile expérimentateur (Duclienne, de Bou-
logne, Physiologie des mouvements. Paris, 1807, p. 29 et suiv.).
Le grand dentelé est accessible à l'action directe de l'électricité dans tout
l'espace compris entre le grand pectoral et le grand dorsal, espace dans lequel
une portion de ses sept dernières digitations est sous-cutanée. Mais les quatre
dernières digitations n'offrent en avant du grand dorsal qu'une partie de leurs
extrémités antérieures, de telle sorte qu'on n'obtient en général qu'une action
tiès-faible par leur excitation. Les autres digitations, surtout les 4% 5" et 6'',
déterminent, chez les sujets très-musclés, des mouvements du scapulum que
nous exposerons bientôt. C'est sur le gros faisceau radié qui s'attache à l'angle
inférieur de l'omoplate et vers lequel convergent les 5^, 6'', 7*^, 8^, 9^ et 10'^ di-
gitations, qu'il faut concentrer la force électrique pour avoir une action réelle
de la portion inférieure du grand dentelé. Malheureusement ce faisceau est re-
couvert à l'état normal par le grand dorsal, et il est, par conséquent, inacces-
sible normalement à la faradisation directe. L'atrophie musculaire progressive,
qui souvent détruit la couche superficielle dus muscles du tronc, a offert cepen-
dant bien des fois à Duclienne (de Boulogne), l'occasion de trouver sous la peau
ce faisceau parfaitement conservé.
L'excitation électrique, à un courant modéré, du faisceau inférieur du grand
dentelé, imprime à l'omoplate un mouvement de rotation sur son angle interne
en vertu duquel l'acromion s'élève, tandis que l'angle inférieur est porté en
avant et en dehors. Après son mouvement de rotation le scapulum s'élève en
masse, de la même manière que par la contraction de la portion moyenne du
trapèze. Les 3% ¥ et S** digitations de la portion moyenne du grand dentelé,
élèvent aussi l'acromion, mais d'autant moins que chacune d'elles est située
plus haut. Si l'on excite à la fois les digitations de la partie moyenne et
celles de la partie inférieure du grand dentelé, l'omoplate se porte en masse en
avant, en dehors et en haut. Pendant ce mouvement, le bord spinal de l'omo-
plate s'éloigne de la ligne médiane de 2, 3 et même 4 centimètres, en tournant
sur son angle interne, il s'applique contre la paroi Ihoracique en faisant à la
456 DE.NTELÉS (an.vtomie et imivsioi.ogi e).
surface de la peau une dépression qui indique la direction un peu oblique de
haut en bas, et de dedans en dehors, du bord spinal de l'omoplate. La contrac-
tion en niasse de tous les faisceaux du grand dentelé, par l'excitation directe de
son nerf propre au-dessus de la clavicule, produit exactement le même mouve-
ment de romo|)late.
Il découle de ces expériences électro-physiologiques un certain nombre de con-
sidérations fort intéressantes.
On voit que la portion inférieure du grand dentelé fait tourner l'omoplate sur
l'un de ses angles, l'angle interne, qui reste fixe, en même temps qu'elle élève
l'angle externe. Les anatomistes et les physiologistes ont professé pendant Ions-
temps que les mouvements d'élévation, soit de l'angle externe, soit de l'anyle
interne de l'omoplale, qui ont lieu sous l'influence du trapèze, du rhombuïJe,
de l'angulaire de l'omoplate et du grand dentelé, sont toujours le résultat d'un
mouvement de bascule de cet os. Us ont supposé qu'alors le scapulum tourne
sur un axe fictif qui traverserait sa partie uîoycnne, de telle sorle que l'angle
externe ne peut s'élever sans que l'angle interne s'abaisse et vice versa. L'expé-
rimentation est contraire à cette proposition. Ainsi on ne voit jamais pendant la
contraction électrique de ces différents muscles ou portions musculaires l'angle
interne s'abaisser pendant que l'angle externe s'élève et rice versa. En plaçant
un doigt sur l'un ou l'autre de ces angles, on constate que le scapulum lounie
sur chacun d'eux comme sur un axe.
L'expression de mouvement de bascule de l'omoplate, appliquée à celui qui
produit l'élévation ou l'abaissement de ses angles externe ou inlerne, donne donc
une idée fausse du mécanisme des mouvements imprimés au scapulum par l'ac-
tion isolée de ses muscles ou portions musculaires. Aussi Duchenne (de Bou-
logne) les appelle-t-il justement : mouvements de rotation sur l'angle externe ou
inlerne qui reste en place, tandis que l'angle opposé s'élève.
Le professeur Cruveilhier a comparé le mécanisme des mouvements que
l'omoplate exécute sous l'influence de certaines portions du trapèze à celui d'un
mouvement de sonnette. Cette comparaison est heureuse : dans le mouvement
de sonnette, en effet, deux angles tournent sur le troisième angle, qui reste
fixe. C'est justement ce qui se passe dans les mouvements du scapulum par la
contraction des muscles précités. 1! convient d'observer toutefois que la compa-
raison n'est pas encore d'une exactitude parfaite, car, dans le mouvement
de sonnette, l'axe est toujours placé à l'angle inférieur, tandis que pour
l'omoplate il est toujours situé en haut, soit à l'angle externe, soit à l'angle
interne.
II ressort aussi des expériences électro-physiologiques précédentes que tous les
muscles qui, par leur contraction isolée, impriment à l'omoplate un mouve-
ment de rotation, produisent en même temps des mouvements d'élévation en
masse de cet os. Cela tient à ce que les muscles producteurs du mouvement de
rotation ont à lutter avec des antagonistes que AVinslow nomme justement mo-
dérateurs, qui leur opposent la résii>tance de leur force tonique et ne supportent
qu'un degré donné d'élongation. Par exemple, la partie inférieure du grand
dentelé, comme la portion moyenne du trapèze, élève puissamment l'acromion
en portant en avant et en dehors l'angle inférieur de l'omoplate. Ce dernier
mouvement est bientôt limité par la moitié inférieure du rhomboïde et par l'an-
gulaire leurs modérateurs quand ces muscles ont subi leur maximum d'élonga-
tion. Alors, la contraction de la partie moyenne du trapèze continuant, le scapu-
DENTELÉS (anatosiie et patiiolocie). 457
luni se meut dans une direction où il ne renconlie aucune résistance, c'est-à-
dire en haut, selon la difcction de la résultante des forces combinées de ces
muscles.
Les mouvements de rotation sur l'angle interne et d'élévation eu masse
de l'omoplate par le grand dentelé se compliquent, on l'a vu plus haut, d'un
mouvement de totalité en avant et en dehors. C'est ce qui n'a pas lieu
sous l'inlluence des autres muscles. — .La portion inférieure du grand dentelé
produisant énergiquement l'élévation du moignon de l'épaule, plusieurs phy-
siologistes lui ont attribué la plus grande part dans l'action de porter de
lourds fardeaux sur l'épaule. L'inexactitude de cette proposition est facile à
démontrer.
Si on fait élever l'épaule à un sujet, pendant qu'on appuie iorlenicnt sur le
moignon, de manière à provoquer un grand effort musculaire, on s'aperçoit que
le trapèze, le rhomboïde et le tiers supérieur du grand pectoral, sont seuls con-
tractés. Le grand dentelé reste flasque, pourvu que le bras soit appliqué contre
le tronc. Dans cette situation, on sent la portion inférieure du grand dentelé se
durcir seulement lorsqu'on porte rexcilaliun électrique sur les faisceaux rayon-
nés ou sur le nerf respiratoire externe de Cli. Bell. Un autre moyen de faire
contracter celte portion inférieure consiste encore à faire lever le bras. Le grand
dentelé, dont l'action est puissante comme élévateur de l'épaule, n'intervient
pas pour aider celle-ci à porter ou à soutenir de lourds fardeaux parce que sa
contraction gênerait la respiration en maintenant soulevées les côtes sur les-
quelles il prend son point d'appui. S'il intervenait, les côtes diaphragmatiqucs
seules seraient alors libres dans leur action ; et encore cette liberté serait-elle
très-limitée, car, les muscles de l'abdomen se contractant énergiquement lors-
qu'on soulève un lourd fardeau, ces côtes diaphragmatiqucs seraient inévitable-
ment fixées par leurs extrémités sternalcs.
En somme, le grand dentelé ne se contracte pas dans l'action de porter un
fardeau sur l'épaule, et cette fonction est dévolue à la portion moyenne du
trapèze, au rhomboïde et à la portion supérieure du grand pectoral, qui agit
également dans l'élévation de l'épaule.
C'est dans l'action de pousser en avant avec le moignon de l'épaule que le
grand dentelé se contracte puissamment, concurremment avec le grand pectoral ;
la pathologie donnera l'explication de ce fait.
Le grand dentelé a d'autres usages plus importants : il vient en aide au
deltoïde dans beaucoup de cas. Lorsque nous avons étudié le deltoïde nous avons
traité longuement cette question, nous n'y reviendrons pas {voy. Deltoïde).
Le grand dentelé est-il inspirateur? La plupart des physiologistes se pronon-
cent pour l'affirmative.
Pour que ce muscle mette en mouvement les côtes sur lesquelles il s'insère,
il est nécessaire que l'omoplate soit préalablement maintenu par la contraction
synergique du rhomboïde; dans le cas conti'aire, le thorax deviendrait le point
fixe, et l'élévation de l'épaule, par le mouvement de rotation de l'omoplate sur
son angle externe, serait le seul résultat de la contraction du grand dentelé.
Selon Beau et Maissiat {Recherches sur le mécanisme des mouvements respi-
ratoires , suivies de considérations pathologiques [Arch. gén. de méd. ,
décembre 1842; mai-s, juillet 1847]), on a beau faire les inspirations les plus
violentes, la main appliquée sur les digitations inférieures du grand dentelé, on
ne peut parvenir à sentir la moindre apparence de contraction. Cela est vi-ai.
458 DENTELÉS (an.vtomii': et physiologie).
mais cola tient à ce qu'il est très-difficile de palper de cette manière les digita-
tions du grand dentelé, même au moment où elles se contractent, et non pas à
l'absence de contraction.
Duchenne, par une expérience très-simple faite sur un sujet dont le grand
dentelé et le rhomboïde étaient placés superficiellement sous la peau, par suite
de l'atrophie du trapèze et du grand dorsal, a démontré que le grand dentelé
agrandit la capacité Ihoracique en élevant les côtes auxquelles il s'insère et en
les tirant en dehors. Ayant réglé deux appareils d'induction de telle sorte qu&
l'intensité de l'un fût trois ou quatre fois plus grande que celle de l'autre^
l'habile physiologiste a posé les réophorcS de celui-ci sur le faisceau radié qui
reçoit les digitations de la portion inférieure du grand dentelé, tandis que les
réophores du premier étaient posés sur le rhomboïde (c'est à peu près la dose
d'excitation qu'il faut donner à chacun de ces muscles, quand on vent égaliser
la force de leur contraction, de manière que l'angle inférieur de l'omoplate reste
immobile pendant leur excitation simultanée). A l'inslant oîi les appareils furent
mis en activité, l'expérimentateur constata : I" un mouvement d'élévation directe
et en masse de l'omoplate; 2" un mouvement en dehors et en haut de la portion
convexe des côtes, dont la courbure parut augmenter.
Pendant l'expérience, le sujet fit une inspiration bruyante qu'il ne pouvait,
disait-il, empêcher. Duchenne recommença cette expérience en fermant la narine
et la bouche de l'individu, et celui-ci éprouva un grand besoin de respirer au
moment de la contraction musculaire.
Le mouvement ascensionnel de l'omoplate qui a lieu pendant le premier
temps de cette expéiience par la contraction simultanée du rhomboïde et du
grand dentelé, et qui va jusqu'à 5 et 4 centimètres, est des plus favorables à
l'action inspiratrice du grand dentelé, car il place les digitations supérieures et
moyennes de ce muscle dans une direction oblique de bas en haut et de dehors
en dedans par rapport aux côtes auxquelles il s'insère, et augmente considéra-
blement l'obliquité des digitations inférieures. On concevra dès lors que. toutes
les digitations du grand dentelé agissant ainsi plus obliquement de bas en haut
et de dedans en dehors, la capacité thoracique doit augmenter pendant leur
contraction. L'expérimentation électro-physiologique ne saurait donner une idée
complète de ce fait, car la contraction musculaire qui a lieu sous l'influence
nerveuse se fait avec bien plus d'ensemble et bien plus d'énergie que par l'exci-
tation électrique.
En fait, le grand dentelé et son associé le rhomboïde sont deux muscles
nspirateurs puissants, dont le concours est sans doute plus fréquent qu'on ne
l'a admis généralement, pendant l'inspiration.
Pathologie. La paralysie du grand dentelé avec l'atrophie dont elle est une
des conséquences sera décrite au mot Paralysies musculaires. Nous en dirons
pourtant ici un mot, au point de vue physiologique seulement, c'est-à-dire au
point de vue des fonctions du muscle.
A. Troubles dans V attitude de V épaule, consécutivement à l'atrophie du
grand dentelé. Bien qu'il soit ressorti des expériences électro-physiologiques
de Duchenne que la portion inférieure du grand dentelé agit, comme élévatrice
de l'épaule, avec beaucoup plus d'énergie que la portion moyenne du trapèze,
la pathologie démontre cependant que cette portion du grand dentelé n'est pas
destinée, de même que cette dernière portion du trapèze, à maintenir par sa
force tonique le moignon de l'épaule à sa hauteur normale. Qu'un malade soit
DEMELES (anatomie et physiologie). 439
privé de son grand dentelé, le moignon de l'épaule sera maintenu dans son
attitude normale, pourvu qu'il ait conservé la portion moyenne du trapèze.
L'épaule, au contraire, sera abaissée, si la portion moyenne du trapèze est
atrophiée alors même que le grand dentelé sera intact.
Une paralysie ou une atrophie parfaitement limitée au grand dentelé étant
excessivement rare (sur une vingtaine de cas ou moins d'atrophies ou de para-
lysies qu'il a vus, Duchenne ne l'a pas rencontré une seule l'ois), il est encore
difficile de préciser exactement le trouble apporté dans l'altitude de l'omoplate
par la perte de la puissance tonique du grand dentelé. 11 est toutefois présumable
que ce trouble doit être très-grand, car, à l'état normal, le scapulum est solli-
cité par les forces combinées du trapèze et du rhomboïde qui fendent à le rap-
procher de la ligne médiane. On croirait, à priori, que, par suile de l'atrophie
du grand dentelé, le parallélisme du bord spinal du scapulum et de la colonne
vcrtébiale ne puisse exister, et que la prédominance du rhomboïde et de l'angu-
laire doit élever l'angle inférieur de l'omoplate en le rapprochant de la ligne
médiane. La pathologie ne confirme pas ce raisonnement; c'est à peine si alors
l'angle inférieur du scapulum est attiré on haut et en dedans de 1 centimètre,
et encore faut-il que, dans ce cas, l'angulaire et le rhomboïde jouissent de toute
leur force tonique.
Le poids du membre supérieur tend toujours à déprimer l'angle externe de
l'omoplate. La nature y a heureusement pourvu en lui offrant dos puissances
toniques qui agissent dans un sens contraire au poids qui tend à abaisser cet
angle extei^ne. Ces forces toniques sont fournies par le faisceau moyen du tra-
pèze qui élève l'acromion, par le tiers inférieur de ce muscle, qui abaisse son
angle interne, et enfin par le f^\isceau radié du grand dentelé qui élève à la fois
son angle inférieur et son angle externe. Or l'observation clinique fait connaître
que l'angle externe de l'omoplate, n'étant plus suffisamment soutenu consécuti-
vement à la perte du trapèze, s'abaisse pendant que son angle inférieur s'élève
et se rapproche de la ligne médiane. On doit donc prévoir que, si le grand deii-
telé vient à manquer à son tour, le scapulum a perdu la dernière des forces qui
neutralisaient l'action de la pesanteur du membre sur son angle externe, et que
celui-ci, eu conséquence, s'abaissera davantage, tandis que son angle inférieur
s'élèvera dans les mêmes proportions. C'est, en effet, ce qui a lieu, car l'angle
inférieur, s'écartant considérablement des parois thoraciques, s'élève presque au
niveau de l'angle externe et le bord axillaire devient presque horizontal. Cette
difformité augmente pendant l'élévation du bras.
B. Troubles dans les mouvements volontaires de Vépaide, consécutivement à
la paralysie du grand dentelé. L'étude des troubles occasionnés dans les
mouvements volontaires par l'atrophie du grand dentelé est inséparable de celle
du deltoïde. Il suffira donc de se reporter à mon article sur le deltoïde.
La paralysie par atrophie du grand dentelé a été attribuée à un certain nombre
de causes fort discutables : violences exercées sur le muscle, fonctionnement
exagéré de celui-ci, etc. Les moins douteuses de ces causes sont : la diathèse
rhumatismale et l'action de l'humidité et du froid.
Petit dentelé postérieur et supérieur [dorso-costal, Cliaussier; serratus posticus
superior). C'est un petit muscle très-mince, à peu près quadrilatère, situé à
la partie postérieure et supérieure du thorax. Il complète, avec le petit dentelé
postérieur et inférieur la gahie des muscles des gouttières vertébrales.
DENTELÉS (anatomie et physioldcie).
Insertions : d'une part, à la partie inférieure du ligament cervical médian
postérieur, aux apopliyses épineuses de la septième vertèbre cervicale et des
trois premières dorsales et aux ligaments interépineux; d'autre part, à la face
externe des 2'', 3'', 4'" et 5'^ côtes, en deliors de l'angle des côtes.
Rapports. 11 recouvre le splonius, le transversaire du cou, le transversaire
épineux, le long dorsal, le sacro-lombaire et les intercostaux externes; il est
recouvert presque en totalité par le rhomboïde ; en haut, où déborde ce muscle,
il est en contact avec l'angulaire de l'omoplate et le trapèze; extérieurement il
est sous-jacent au grand dentelé.
Structure. Les insertions vertébrales se font par une lame aponévrotique
très-mince, à fibres parallèles obliques de dedans en dehors et de haut en bas.
De cette aponévrose, qui constitue presque la moilié du muscle, se détachent
les fibres cliarnucs (]ui ont la même direction que les libres aponévroliques, et
se divisent presque immédiatement eu quatre languettes ou dentelures , les-
quelles se terminent par de courtes fibrilles conjonctives qui constituent les
attaches costales du muscle : la première digitation se fixe à l'angle de la
2'' côte; les suivantes, d'autant plus loin de cet angle qu'elles sont plus infé-
rieures.
Les artérioles ]iroviennent des branches dorso-spinales des intercostales, de
la cervicale profonde de la soiis-clavière. Les veinules répondent aux artères.
Les lymphatiques se rendent aux ganglions axillaires. Le petit dentelé postérieur
et supérieur est innervé par la branche du rhomboïde, il reçoit en outre des
filets des nerfs intercostaux.
Anomalies. 11 manquait une fois chez un bossu (Isenflamm, Ahhandlung
itber die Knochen u. deren Krankheiten. Erlangen, 1752). Une fois il
envoyait en haut un faisceau au tubercule posléiieur de l'atlas. Ce faisceau,
décrit par Ollo, me semble constituer une variété du muscle rhombo-atloïdien
signalé par M. le professeur 31acalister (de Dublin). Le nombre de ses digita-
tions, qui peut se réduire à trois, peut, inversement, augmenter jusqu'à six.
J'ai constaté maintes fois, avec mon prosecteur, M. Delailtre, cette extrême
variabilité dans le chiflre des dentelures. Elle a été remarquée aussi par
Henle et J. Cloquet. M. Chudzinski a insisté tout particulièrement sur le
développement de la 1"'" languette chez un nègre (Chudzinski, Revue d'anthro-
pologie, 1872).
Fonctions. Ce muscle a, comme le suivant, pour fonction de brider les
muscles des gouttières vertébrales. Descendant obliquement du rachis sur les
côtes, et prenant constamment son point d'appui eu haut et en dedans, le petit
dentelé postérieur et supérieur aurait encore, pour quelques auteurs, pour usage
d'élever les côtes, d'être inspirateur. Cette action est plus que douteuse.
Petit dentelé postérieur et inférieur {lovibo-COStal, Ghau^sier/, SerratUS posli-
cus inferior), mince et aplati, et de même forme que le précédent, mais un peu
plus étendu en largeur; il est situé à la partie inférieure du dos et supérieure
des lombes.
Insertions : d'une part, aux apophyses épineuses des deux dernières ver-
tèbres dorsales et des trois premières lombaires, et aux ligaments interépineux
correspondants; d'autre part, au bord inférieur des 2% 5% 4" et 5'^ fausses
cotes.
Rapports. Il recouvre, en lui adhérant intimement, le feuillet postérieur du
DENTELÉS (anatomie et physiologie). 441
muscle tiansverse de l'abdomen qui le sépare du long dorsal et du sacro-lombaire ;
plus en dehors, il est immédiatement eu rapport avec les trois dernières côtes
et les muscles intercostaux externes. Il est recouvert par le grand dorsal avec
raponévrose duquel sa portion fibreuse est si unie qu'il est très-dilTicile de l'en
détacher entièrement.
Structure. Les insertions à la colonne vertébrale ont lieu par l'intermédiaire
d'une aponévrose analogue à celle du petit dentelé postérieur et supérieur, mais
dont les fibres sont obliquement dirigées de bas en haut et de dedans en dehors,
c'est-à-dire eu sens inverse de la précédente. A cette aponévrose, qui constitue
la moitié interne du muscle, font suite des libres charnues qui ont la même
direction que les fibres aponévrotiques qui se divisent presque aussitôt en quatre
dentelures d'autant plus larges et plus longues qu'elles sont plus élevées. Ces
digitations s'imbriquent comme les tuiles d'un toit et se fixent aux côtes par
autant de lamelles fibreuses. D'après M. Sappey, la languette supérieure s'at-
tache au bord inférieur de la 9' côte, sur une longueur de 10 centimètres;
la 5", au bord inférieur de la 11'*, sur une étendue de 2 centimètres; la 4'',
au sommet de la 12% sur une étendue qui varie de quelques millimètres à
1 centimètre.
Les artéiioles émanent des branches dorso-spinales des dernières intercostales
et de l'iléo-lombaire. Les veinules correspondent aux artères. Les troncules lym-
phatiques vont aux ganglions axillaires. Ce muscle est animé et sensibilisé par
le nerf du grand dorsal et par quelques filets des parois nerveuses intercostales
inférieures.
Anomalies. 11 était absent dans un cas (Isenflamm , loc. cit.). Passant au-
dessus des côtes on l'a vu aller rejoindre le grand dorsal. 11 peut seulement,
en dedans, s'attacher à une ou deux vertèbres lombaires, et en dehors, à deux
ou trois fausses côtes. La dernière dentelure fait souvent défaut.
Fonction. Quelques physiologistes prétendent que ce muscle est expiratcur.
Celte action est très-discutable. Il sert principalement à contenir les muscles des
gouttières vertébrales.
Anatomie comparée des petits dentelés. La plupart des animaux supérieurs
n'ont qu'un seul dentelé, le second muscle s'étant atrophié ou confondu avec le
premier qui a acquis des dimensions considérables. Le plus souvent c'est le
dentelé inférieur qui semble disparaître. C'est ce qui a lieu dans les genres
taupe, hyène, chien, chat, ours, etc. L'ai, au contraire, n'a offert à Meckel que
le dentelé inférieur, soit que le supérieur n'existe pas, soit qu'il se transforme
pour constituer une couche interne et profonde du grand dorsal.
Chez les mammifères qui ont, comme l'homme, deux petits dentelés, les
insertions externes et internes des deux muscles changent presque dans chaque
espèce.
Aponévrose intermédiaire aux petits dentelés. Transparente, mince, rectan-
gulaire, elle augmente d'épaisseur et de résistance de haut en bas. Son bord
interne s'attache aux apophyses épineuses des vertèbres dorsales et au lio-ament
interosseux correspondant, son bord externe s'insère à l'angle des côtes, de
façon que h largeur de cette lame fibreuse soit exactement celle des muscles
spinaux.
Son bord inférieur se fixe au bord supérieur du petit dentelé postérieur et
inférieur; son bord supérieur se continue rarement avec le bord inférieur du
petit dentelé postérieur et supérieur. Presque toujours cette aponévrose s'en-
4i2 DENTELÉS {pathologie).
fonce en liant sous ce dernier muscle pour recouvrir le splénius sur lequel elle
se perd.
La texture de cette aponévrose est celle des aponévroses des muscles larges.
Elle complète la gaîne ostco-fibreuss dans laquelle sont renfermés les muscles
spinaux postérieurs ou longs du dos; elle sert de moyen de contention à ces
muscles, et leur offre un plan résistant lorsqu'ils se contractent. La direction
en sens opposé des petits dentelés favorise la tension de cette aponévrose.
A. Le Double.
^ H. Padiologic. I'ar.vlysie uv GRA^D DE>TELK. Hldoriquc. La paralysie
du grand dentelé est la plus fréquente des paralysies isolées des muscles du
tronc. Son histoire cependant n'est pas très-ancienne : c'est seulement en 1835
qu'elle fut signalée pour la première fois par Velpeau. Peu de temps après Gen-
drin en rapportait une seconde observation et en 18iO elle était l'objet d'un
article spécial de Marcbessaux, qui en avait observé un troisième cas. A partir
de ce moment la paralysie du grand dentelé fut à l'ordre du jour et un certain
nombre d'observations en furent publiées coup sur coup; Ch. Desnos (1846)
en faisait le sujet de sa thèse inaugurale. De 1845 à 1848 il ne parut pas
moins de quinze observations de paralysie, vraie ou apocryphe, du grand den-
telé, dans la Gazette des llùpitauc.
Mais tous les auteurs que nous venons de citer n'avaient pas eu affaire le plus
souvent à la paralysie isolée du grand dentelé : aussi la svmptomatologie variait-
elle souvent singulièrement d'une observation à l'autre. Dans celle de Marcbes-
saux, par exemple, le bord spinal de l'omoplate était de plus en plus saillant,
comme si cet os tendait à prendre la direction antéro-postérieure au lieu de la
direction presque transversale qu'il affecte ordinairement ; l'omoplate avait
éprouvé un mouvement de bascule ayant pour conséquence la saillie de l'angle
inférieur, qui était porté en arrière, et l'abaissement du moignon de l'épaule
par rapport au reste do la région. Chez le malade de lUiyer il y avait une saillie
considérable formée sous la peau par l'angle inférieur de l'omoplate. Cet o^
était déplacé à l'état de repos ; son bord spinal était dirigé de bas en haut, d'ar-
rière en avant et de dedans en dehors. Dans une des observations de Jobert
(celle d'un cordier âgé de vingt-huit ans), la paralysie était double, les omo-
plates étaient relevées en ailes, les angles inférieurs soulevés et rapprochés de
la ligne médiane, les épaules affiissées. Dans l'autre (celle d'un serrurier âgé de
vingt-trois ans), l'épaule droite affectait une saillie très-prononcée, qui n'existait
pas à l'épaule gauche à l'état de repos : elle formait une surface large, convexe,
triangulaire, écartée du thorax et comme soulevée en totalité. Un malade de
Nélaton présentait aussi une double paralysie des dentelés, et il y avait cela de
particulier chez lui, dit l'auteur, que du côté droit, où la paralysie était entière,
l'angle inférieur n'était pas rapproché des vertèbres, mais plus éloigné d'un centi-
mètre au moins.
Dans tous ces cas, il est facile de reconnaître, comme nous l'avons dit, que les
observateurs n'ont pas eu affaire à des paralysies isolées du grand dentelé, mais
qu'en même temps qu'elle avait plus ou moins frappé ce dernier muscle la
paralysie avait atteint aussi soit le deltoïde, soit le rhomboïde, soit le grand
pectoral, soit enfin et surtout le trapèze.
Avec les reclieixhes de Duchenne de Boulogne l'histoire de la paralysie isolée
ou associée du grand dentelé fut définitivement édifiée.
DENTELÉS (pathologie). 44J
Étiolofjie. La paralysie du grand deulele peut être d'origine centrale ou
d'origine périphérique; dans ce dernier cas, elle tient à une altération du nerf
thoracique postérieur, branche du plexus brachial qui, superficiel pendant une
partie de son trajet, est exposé aux traumatismes et à l'action du l'roid.'
On l'observe assez souvent à la suite de contusions reçues sur l'épaule ; dans-
un cas observé par moi au Yal-dc-Gràce, dans le service du professeur Chauvel,
la maladie paraissait avoir pour origine une violente contusion de l'épaule pai'
siiile d'une chute sous un cheval.
On a aussi invoqué la fatigue exagérée du muscle par suite de certains mouve-
ments trop souvent répétés. Dans une observation rapportée par VVoodman, il
s'agit d'un homme de trente-neuf ans qui, après quinze ans de service comme
marin, fut employé comme lampiste sur un navire; de ce fait cet homme avait
chaque jour à allumer et à transporter seize lampes munies de réflecteurs, c'est-
à-dire assez lourdes. Ce travail nécessitait des efforts constants d'élévation de
l'épaule. En mai 1874, six mois après ses débuts dans cette fonction, il ressentit
de la faiblesse dans l'épaule droite et de la dillicultc dans l'élévation du bras ;
trois mois plus tard il ht une chute sur l'épaule et n'en continua pas moins sa
fatigante besogne, mais en se servant du bras gauche. A partir de ce moment et
pendant un an il fut incapable de lever le bras droit. En mai 1875 il se présenta
à Woodman. qui reconnut une paralysie du grand dentelé. Dans ce cas, il est
difficile de dire si la paralysie a été consécutive à la chute sur l'épaule que ht
le malade en août 1874 ou, comme le veut l'auteur, aux efforts résultant des
fonctions spéciales de cet homme.
C'est à tort qu'on a invoqué comme pouvant provoquer cette paralysie le fait
de porter de trop lourds fardeaux sur l'épaule : c'est là une cause de paralysie du
trapèze, mais non du grand dentelé.
La paralysie rhumatismale ou à frigore est aussi assez fréquente : c'est ainsi
qu'on l'a signalée à la suite du séjour dans un endroit habituellement humide,
du décubitus sur la terre mouillée. Le malade de Marchessaux avait couché
quelque temps dans une chambre située au premier étage sur une cour dans
laquelle était placé un réservoir; un tuyau de conduite en mauvais état passait
dans l'épaisseur de la muraille contre laquelle était placé son lit et cette muraille
elle-même était fort humide.
Enfui dans la Irès-grande majorité des cas observés, même très-probablement
dans bon nombre de ceux qui ont paru pouvoir être rattachés à des traumatismes,
l'alfection que nous étudions est symptouialique de l'atrophie muaculaire progres-
sive. C'est ce qui nous explique ce fait, sur lequel j'ai déjà insisté, à savoir
l'extrême rareté de la paralysie isolée du grand dentelé, qui serait au contraire
celle qui serait observée le plus souvent, si l'affection était consécutive à une lé-,
sion du nerf thoracique postérieur, puisque ce nerf est spécial au grand dentelé.
Symptomatologie. Lorsque la paralysie est exclusivement limitée au grand
dentelé, ce que nous avons dit être très-rare, et que le malade laisse ses bras
tomber naturellement le long du corps, il n'existe pas de déformation de l'épaule
ni de déplacement de l'omoplate. Dans cette situation, il serait impossible de
soupçonner la maladie. Cependant un certain nombre d'auteurs, 0. Berger,
Lew'insky, ont prétendu qu'on observait dans ce cas certaines déformations telles
que l'abaissement du moignon de l'épaule ou la saillie exagérée de l'angle infé-
rieur de l'omoplate ; mais, comme l'a très-bien montré Duchenne, ces symptômes
appartiennent à la paralysie d'autres muscles, tels que le rhomboïde et le trapèze,.
441 DENTELÉS (pathologii;).
tandis que ceux que l'on observe dans la paralysie du grand dentelé n'apparais-
sent que lorsque le malade exécute certains mouvements du bras. Qu'un malade
soit privé de son grand dentelé, si la portion moyenne de son trapèze est intacte,
le moignon de son épaule conservera une altitude parfaitement normale, car
c'est surtout ce dernier muscle qui lutte contre l'action de la pesanteur résul-
tant du poids du membre supérieur.
11 semble aussi que la paralysie du grand dentelé doive détruire le parallé-
lisme qui existe normalement entre le bord spinal de l'omoplate et la colonne
vertébrale, par la prédominance d'actions de ses antagonistes, le rhomboïde et
l'angulaire. 11 n'en est rien non plus cependant ; c'est à peine si dans cette affec-
tion 1 angle inférieur de l'omoplate est attiré en haut et en dedans de 1 centi-
mètre, ce qui est absolument inappréciable. Encore faut-il pour que ce résultat
se produise que le rhomboïde et l'angulaire jouissent de toute leur intégrité.
Desnos propose de ranger en trois périodes les symptômes qui précèdent,
accompagnent ou suivent cette paralysie. La première période serait caractérisée
par des douleurs soit rhumatismales, soit névralgiques. Dans la dernière période
« la dilformité de l'omoplate commence à apparaître et annonce que le muscle
se paralyse. » La troisième période enfinest caractérisée par l'atrophie du muscle
paralysé et la contracture des antagonistes.
11 nous parait bien inutile d'adopter une semblable division et, avec Duchenne,
nous étudierons la maladie à son début et lorsque la paralysie est complète.
Dans ce dernier cas, si l'on se place derrière le malade et qu'on lui dise de
porter le bras en avant et en haut, on voit l'omoplate subir immédiatement un
double dépl.icement ; de son côté le malade peut tout au plus élever la main
jusqu'au niveau de l'épaule, c'est-à-dire jusqu'à l'horizontale.
Les déplacements subis par l'omoplate se font instantanément et en un seul
temps, mais l'analyse, comme je l'ai dit, permet de les ramener à deux mouve-
ments : 1° elle tourne sur son axe verticale de telle sorte que sou bord externe
se porte en avant et devient antérieur pendant que son bord spinal se détacbanl
du thorax vient faire saillie sous la peau eu forme d'aile ; 2" eu même temps l'angle
inférieur se porte directement en haut en remontant de5 à 6 centimètres.
Si l'on dit au malade de lever son bras davantage pour le rapprocher de la
situation verticale, tous ses efforts restent impuissants et il ne peut obéir, car,
pour que ce mouvement soit exécuté, il faut précisément que l'omoplate reste
appliquée sur la cage ihoracique. Jusqu'à un certain point cependant la portion
moyenne du trapèze peut suppléer le dentelé dans ce mouvement d'élévation du
bras au-dessus de l'horizontale, mais c'est à la condition qu'il jouisse d'une
grande énergie; encore cette suppléance n'est- elle jamais parfaite et le bras ne
.peut-il être élevé verticalement. Aussi les malades cherchent-ils instinctivement
à suppléer à cette action du dentelé et à augmenter l'élévation du bras par
certains mouvements tels que l'inclinaison du tronc en arrière et du côté opposé
à la paralysie. Erb rapporte l'histoire, citée par Grasset, d'une femme qui renver-
sait la partie supérieure du corps en arrière et, par un mouvement d'oscillation,
lançait son bras en haut en produisant une luxation de la tête de l'humérus en
bas.
Pour s'assurer, dit Duchenne, qu'il s'agit bien dune paralysie du grand den-
telé à l'exclusion du deltoïde, il suffit de maintenir avec la main l'omoplate
appliquée sur le thorax ; le bras peut alors exécuter complètement son mouve-
ment d'élévation. Mais il me paraît d'abord bien peu probable qu'une seni-
DENTELÉS (pathologie). 445
blable confusion puisse jamais être faite, car, lorsqu'on dit au malade d'élever le
bras en le portant en avant, de deux choses l'une : ou il y a paralysie du deltoïde
en même temps que du grand dentelé' et alors le mouvement ordonné ne peut
même pas recevoir un commencement d'exécution; ou la paralysie du dentelé
existe seule et le malade alors ne pourra élever son bras jusqu'à l'horizontale que
par la contraction de son deltoïde, contraction qui sera des plus énergiques et
par suite des plus faciles à constater. L'expérience conseillée par Duchenne est
au contraire très-diflicile ù réaliser; j'ai essayé pour ma part dans un cas de
paralysie du dentelé de chercher à maintenir ainsi l'omoplate appliquée contre
le thorax, mais sans pouvoir y réussir, pas plus du reste que d'autres personnes
qui assistaient à cet examen ; la main était repoussée par l'omoplate avec une
force irrésistible. Le malade chercha alors à obtenir le résultat désiré en s'arc-
i)0utaut coutre la muraille de manière à comprimer son omoplate entre son
liiorax et le mur, mais ce fut sans plus de succès.
Les déplacements et les déformations de l'omoplate et de l'épaule que nous
venons de décrire ne se produisent qu'à l'occasion des mouvements volontaires ;
si, prenant le bras du malade avec la main, nous le portons en avant sans que
celui-ci fasse aucun effort, on ne verra se produire non plus aucune dc'formatiou.
Dans la paralysie du dentelé le malade, avons-nous dit, ne peut élever son
bras au-clessus d'une ligne horizontale, au-dessus du niveau de l'épaule; mais
il est encore, comme le fait remarquer Grasset, un certain nombre de mouve-
ments qui se font difdcilement dans celte affection: ainsi les malades croisent
diiiicilemeat les bras sur la poitrine, ont de la difficulté à porter l'épaule en
avant, à pousser avec l'épaule. Cepcndaut l'impuissance du grand dentelé, tout
en enlevant au membre supérieur une partie de sa force, en compromet moins
les fonctions que la paralysie du deltoïde. Duchenne rapporte l'histoire d'un
individu qui, quoiqu'il fût privé de sou grand dentelé, pouvait pousser devant
lui une petite voiture dont il tenait les brancards dans ses mains; il était mar-
chand des quatre-saisons. Il portait la main à la bouche, à la tète, à l'épaule
opposée, faisait, en un mot, une foule de mouvements qui eussent été impossibles
si, au lieu de son dentelé, il eût perdu l'usage de son deltoïde.
Cette paralysie, même quand elle est double, n'entraîne aucune gêne de la
respiration. Duchenne a prétendu cependant qu'elle pouvait rendre les grandes
inspirations plus difficiles.
Quels sont maintenant les signes qui nous permettront de reconnaître la
paralysie du grand dentelé à son début? Ils ressortent surtout de la compa-
raison entre ce qui se passe dans l'omoplate du coté sain et celle du côté malade
au moment où les bras sont en même temps portos en dehors. On verra alors que
du côté malade le bord spinal de cet os fera une légère saillie sous la peau en
même temps que son angle inférieur se portera un peu moins en avant que du
côté opposé.
Complications. A la paralysie du mouvement peut, dans des cas très-rares,
se joindre la disparition de la sensibilité.
La complication la plus grave est la paralysie concomitante du deltoïde. Dans
ce cas tous les signes de la paralysie du grand dentelé font défaut, puisque la
condition nécessaire à leur apparition est impossible à réaliser. Aussi beaucoup
de ces paralysies doivent-elles passer inaperçues. Duchenne a cependant donné
le moyen d'établir si'ireraent ce diagnostic par l'exploration électro-musculaire.
Voici ce passage que je transcris textuellement en raison de son importance :
446 DENTELÉS (pathologie),
« Eu appliquant les excitateurs d'un appareil d'induction, en avant du bord
inférieur du grand dorsal, sur les points du thorax où se trouvent les digitations
<lu grand dentelé, ou sur le nerf qui anime ce muscle, on voit souvent le scapu-
lum rester en place, si le grand dentelé est paralysé, tandis que, s'il est sain,
cet os obéit à l'action de ce muscle à l'instant où il est mis en contraction par
un courant d'induction.
« Ce signe négatif annonce d'une façon certaine l'atrophie ou la paralysie du
grand dentelé. Mais on ne pourrait pas affirmer que ce muscle n'est pas lésé,
alors même qu'il réagit sous l'influence d'un courant localisé dans son tissu ou
dans son nerf. Il peut arriver en effet ou que l'atrophie du grand dentelé soit
assez peu avancée pour que quelques-uns de ses faisceaux puissent se contracter
•encore par la faradisation localisée, ou que la paralysie de ce muscle soit de
l'espèce de celles qui conservent leur contractilité électro-musculaire.
i( J'ai cherché alors quel était, parmi les mouvements volonlaires imprimés au
scapulum, celui qui exigeait l'action synergique du grand dentelé et d'un ou
plusieurs muscles, et j'ai remarqué que, dans le mouvement des épaules en avant,
le grand dentelé entraîne en dehors et en avant le bord spinal du scapulum,
pendant que le grand pectoral agit sur l'angle externe de cet os par l'intermé-
diaire de l'humérus auquel il s'attache. Il est évident que, si dans ce mouve-
ment volontaire le grand dentelé vient à ne plus prêter son concours, le bord
spinal du scajtulum doit rester en place et l'angle externe de cet os être entraîné
■en avant.
« Cette théorie de mécanique musculaire n'a pas tardé à se trouver justifiée
par l'observation pathologi([ue. Chez un malade le grand dentelé droit était
paralysé, mais son pectoral était parfaitement sain. Eh bien, lorsque je lui lis
porter fortement les épaules en avant, je vis du côté droit malade : 1" le moignon
de l'épaule droite entraîné en avant ; 2° le bord spinal de l'omoplate rester en
place, puis soulever la peau en se portant un peu en arrière par un mouvement
de rotation de cet os sur son axe vertical. Cette attitude du scapulum droit
faisait alors un contraste frappant avec Tallitude du scapulum du côté opposé,
qui avait exécuté son mouvement normal. »
On a donc ainsi, même lorsque des mouvements volontaires ne peuvent être
imprimés au bras, un moyen simple et pratique de diagnostiquer la paralysie
du grand dentelé.
Pronostic. Il dépend surtout de la cause de la maladie. La paralysie à frigore
ou rhumatismale est celle dont la disparition est le plus facilement obtenue ;
celle qui est consécutive à des traumatismes est en général d'assez longue
durée et résiste souvent à tous nos moyens de traitement. Enfin la paralysie qui
est symptomatique de l'atrophie musculaire progressive est comme celle-ci au-
dessus des ressources de l'art.
Traitement. Nous n'insisterons pas longuement sur le traitement, qui est le
même que dans toutes les paralysies musculaires. Il consiste dans l'emploi local
de frictions excitantes, dans l'application de révulsifs plus ou moins énergiques,
vésicatoires, pointes de feu, etc., dans l'administration de la noix vomique à
l'intérieur et enfin dans l'emploi de l'électricité, quia surtout pour but d'empêcher
ou de retarder l'atrophie du muscle. L. du Cazal.
Bibliographie. — Velpeau. Anatomie ckirurgicale, 1" édit., p. 312. Paris, 1854. — Gendrin.
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DENTELLIÈllES. 447
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Grasset. Traité pratique des maladies du système nerveux, 2= édit. Paris, 1881. L. C.
DEXTELLIÉRES (Hygiè.xe PROFESSIONNELLE). Le tableau que les observa-
teurs de tous temps ont trace de la santé des dentellières est des plus tristes.
Ainsi Uetz, dans son Précis sur les maladies qui sont les sources de la mortalité
parmi les artisans, etc., 1787, assure que la plus grande partie des ouvrières
en dentelles d'Arras mouraient delà poitrine. Après lui Brieude, dans sa Topogra-
phie médicale de la haute Auvergne (Âurillac, 1821), dit avoir remarqué que
toutes les jeune? personnes de Saint- Flour, d'AuriJlac, de Murât et de Mauriac,
qui travaillent de la dentelle, contractaient une mauvaise santé et finissaient
par avoir toutes les cacbexies qu'une vie sédentaire, une attitude défectueuse et
une mauvaise nourriture produisent.
L'attitude courbée et assise, le mouvement uniforme et continu des doigts,
l'immobilité presque absolue des extrémités inférieures, l'application continuelle
des yeux qu'exige un travail délicat et fatigant, telles sont en effet les causes
constantes qui déterminent des accidents fàclieux'chez ces ouvrières. Mais lorsque
à ces causes, qui agissent communément chez toutes les ouvrières en couture,
viennent s'ajouter l'influence d'une habitation humide et rendue malsaine par
l'encombrement, le défaut d'hygiène physique, l'insuffisance de l'alimentation et
surtout les déplorables effets d'un apprentissage commencé trop jeune, on ne
sera plus étonné du sombre portrait que Thouvenin a fait des dentellières
de Lille.
« C'est principalement à Lille, dit cet auteur, que la position de dentellière est
malheureuse. On peut regarder comme un fait positif que sur 100 jeunes filles
de cinq à six ans à qui l'on fait apprendre la fabrication de la dentelle dans un
âge aussi tendre, et pendant quatre ans, comme l'usage le veut, la moitié au
moins, à cinquante ans, seront bossues ou atteintes d'une des nombreuses affec-
tions des yeux, comme l'engorgement des paupières, l'asthénopie, la^myopie, la
cécité, dus à l'extrême fatigue de ces organes, ou d'un des symptômes de la
maladie scrofuleuse, et d'une taille beaucoup au-dessous de la moyenne, avec
voussure du dos, pâleur et maigreur de la figure; et celte proportion de
femmes infirmes augmente encore avec l'âge ».
La scrofule et la plithisie tuberculeuse, tels sont eu effet les deux grands vices
organiques dont ces ouvrières sont menacées.
La vie sédentaire qu'elles mènent dans des milieux le plus souvent confinés,
le déhmt d'exercice général du corps, joints à toutes les conséquences d'iuie
448 DENTELLIÈRES.
mauvaise hygiène prive'e, diminuent les activités fonctionnelles et donnent lieu à
une réparation insuffisante de l'or-anisme : de là la tendance aux dégénérescences
constitutionnelles.
Pour prévenir les effets fâcheux de l'attitude vicieuse que les ouvrières
prennent en travaillant, on a proposé l'emploi d'un support qui maintiendrait
leur ouvrage à une hauteur convenable; ce qui les empêcherait de se tenir
courbées. Au lieu de poser leur carreau sur les genoux, ce qui, dit Tiiouvenin,
force les dentellières à se pencher fortement en avant, il faudrait leur conseiller
l'usage d'un pupitre.
« Combien de femmes âgées, ajoute cet auteur, occupées de longues années
à la fabrication de la dentelle, éprouvent une grande difticulté à mouvoir leurs
jambes, quand après un travail de quatre à cinq heures elles sont obligées de
se lever pour prendre leur repas et satisfaire à leurs besoins I Certainement, si dans
leur bas âge, quand elles ont commencé à travailler, on leur avait fait contracter
l'usage d'un pupitre, le mouvement de leurs jambes serait tout aussi facile chez
elles que chez les autres ouvrières, et elles ne seraient pas exposées comme on eu
voit beaucoup à Lille à avon- leurs genoux ankylosés dans leur vieillesse; enfin le
meilleur conseil qu'on puisse leur donner, c'est de quitter l'habitation des caves
et des chambres noires humides ».
Maliierbe (de Nantes) a, dans ces dernières années, proposé à son tour
l'emploi d'une pelote hygiénique pour remédier aux inconvénients de la position
vicieuse que les ouvrières prennent en cousant. Les jambes croisées de manière
à élever le genou droit sur lequel elles fixent l'ouvrage, la partie supérieure du
corps fortement penchée en avant pour que l'objet soit à portée des yeux, une
semblable position, dit-il, apporte nécessairement une gène considérable à
l'accomplissement des fonctions des poumons, du cœur et de l'estomac, surtout
quand le travail a lieu immédiament après les repas; chez les femmes enceintes,
celte attitude peut produire beaucoup d'accidents et peut-être favoriser les
positions vicieuses du produit de la conception. Pour les apprenties qui tra-
vaillent dans les ouvroirs, à Tàge où le développement du corps se produit ou
s'achève, les prédispositions aux déviations du rachis, à la phthisie, à la chlore-
anémie, à l'hystérie, sont certainement accrues par cette attitude vicieuse et
fatigante.
Voici en quoi consiste le moyen préservatif que propose M. Malherbe : « Au
bord d'une table ordinaire, devant chaque ouvrière, se trouve solidement vissée
une tige verticale de 40 à 60 centimètres, portant une pelote qu'on peut élever,
abaisser à volonté, afin que le travail puisse se faire alternativement dans la
position assise ou debout. Dans l'un et l'autre cas, la colonne vertébrale reste dans
la rectitude, et le changement fréquent de position prévient à la fois l'excès de
fatigue et les attitudes vicieuses ».
M. Gélineau a signalé chez les ouvrières en couture, principalement chez les
ouvrièies des campagnes qui travaillent de longues journées entières, l'existence
d'une affection, véritable signe professionnel, caractérisée « par la contracture
et l'ankylose de la phalangine et de la phalangette du petit doigt et de l'annu-
laire de la main qui manie l'aiguille ».
Dans le manœuvrement de l'aiguille, dit M. Gélineau, les trois premiers doigts
de la main droite sont sans cesse en activité, Vannulaire et le petit doigt sont
au contraire condamnés à Vimmohilité la plus absolue. Rephés sur eux-mêmes,
leurs extrémités se cachent dans la paume de la main, derrière la saillie que
DENTELLIERES. 441)
fait l'éininence théiiar, sans recouvra' le fil qui s'échappe au dehors entre le
médius et l'annulaire. S'il était gardé à l'intérieur de la main, ce fil, frotlant
50 fois par minute contre le rebord cubital, finirait par excorier la peau et y
creuser des sillons douloureux.
(( La flexion de ces doigts chez les personnes nerveuses ou chez celles qui sont
pressées d'aller très-vite est si forte que les ongles s'impriment dans les chairs,
tant est grand instinctivement leur désir de rendre leur main aussi petite et aussi
peu gênante que possible pour faciliter leur tâche.
(( Il résilie de celle ilexion forcée des doigts annulaire et médius, conservée
pendant de nombreuses heures d'un travail de tout un jour et souvent d'une
partie de la nuit, une rétraction progressive des tendons fléchisseurs, un
affaiblissement de plus en plus marqué de l'action des extenseurs, qui font que
les daigts llécliis ne peuvent plus se déployer sans que le mouvement soit très-
douloureux; la main gauche intervient alors, et quelquefois le mal est tel qu'il
faudrait faire un violent effort pour vaincre la rétraction des tendons dont on
sent sous la peau la saillie noueuse et surtout pour détruire l'ankylose qui est
survenue.
« Cette ankylose est plus ou moins complète, plus ou moins prompic à s'établir
suivant l'âge de la personne, son assiduité à la couture et son tempérament.
Elle peut survenir aux deux articulations phalango-métacarpiennes. Elle se
rencontre plus fréquemment chez les lymphatiques que chez les gens sanguins
et chez les personnes issues de goutteux ou de rhumatisants que chez les gens
non arthritiques ».
L'extension forcée de la main maintenue la nuit, aussitôt que se manifeste
une roideur articulaire, le massage et le soin de faire jouer les articulations
menacées, tels sont les moyens de traitement qu'indique M. Gélineau,
Il est un travail particulier qui expose les dentellières à des accidents d'intoxi-
cation saturnine : c'est la confection des volants à fleurs d'application dites de
Bruxelles.
Les ouvrières qui sont employées à ce travail s'appellent striqueuses {stri-
kesseJi). Blanchel, puis Thibault, ont attiré, les premiers, l'attention sur
l'insalubrité des opérations qui comprennent le blanchiment des fleurs et leur
mode d'application.
Pour bien comprendre comment l'absorption plombique peut avoir lieu, il
est nécessaire d'entrei- daas les détails de ce travail.
(( Sur un chevalet bombé on étend des couvertures plusieurs fois doublées,
puis une toile cirée noire bien étendue ; alors au moyen d'un parchemin piqué
qui reproduit le dessin, et du carbonate de plomb pulvérisé que l'on tamise
au-dessus, on reporte en blanc sur le fond noir de la toile tous les contours de
ce dessin. On prend ensuite les fleurs ou orneipents divers qui doivent figurer
dans le volant, et on les frappe entre deux papiers gris dans lesquels du blanc
de plomb est pulvérisé; le blanc pénètre dans l'épaisseur des fils et donne
aux fleurs une riofidité et un éclat extraordinaires. Une fois blanchies, les
Heurs sont légèrement bâties sur la toile cirée à la place que le transport en
blanc du dessin leur a assignée, puis on étend sur elles le réseau du volant
auquel on les fixe très-solidement par les petits œillets qui leur servent de
bordure ».
Les striqueuses ont, pendant ce travail, les mains couvertes de plomb; elles
en sont pour ainsi dire imprégnées ; penchées sur leur ouvrage, elles respirent la
Diei. ENc. XXYU. 29
450 DENTIFRICES.
poussière toxique el l'absorbent. De là, chez presque toutes, des symptômes plus
ou moins prononcés d'intoxication saturnine.
Blanclict attribuait à cette intoxication les troubles de la vue et de l'ouïe qu'il
avait eu l'occusion d'observer chez un certain nombre d'ouvrières employées au
blanchiment des dentelles.
En Belgique, où cette industrie occupe un grand nombre d'ouvrières, les
accidents étaient assez nombreux pour que, vers la fin de l'année 1861, le
Gouvernement ait saisi le Conseil supérieur d'hygiène publique de la question de
savoir si l'usage de la céruse devait être absolument proscrit du blanchiment des
dentelles (Gh. de Freycinct).
De nombreux procédés ont été essayés pour obvier aux inconvénients observés.
On a cherché Ti remplacer le carbonate de plomb par le sulfate, lequel, à cause
de son insolubilité plus grande, exposerait moins au danger d'intoxication. Mais
comme bien d'autres substances que l'on a essayé de substituer à la céruse, le
sulfate de plomb a le défaut de jaunir et de ne pas adhérer suffisamment; de
plus, il est loin de mettre à l'abri de l'empoisonnement professionnel, ainsi qu'il
résulte des recherches de Flandrin (Notes à V Académie des sciences, 1856).
Le moyen de préservation par excellence consisterait à faire exécuter le battage
mécanique dans un appareil clos recevant les fleurs à blanchir. Ce moyen a été
préconisé et exécuté à Bruxelles dans quelques ateliers. La machine en usage
rappelle, dit M. de Freycinct, un orgue de Barbarie. Elle consiste essentiellement
en une caisse hermétique dans laquelle se glisse l'espèce de portefeuille garni de
feutre blanc qui reçoit les fleurs à blanchir. L'ouvrièie n"a qu'à tourner extérieu-
rement une manivelle; par la rotation d'un rouleau de bois muni de tenons, des
lattes pourvues de ressorts d'acier battent et frappent le portefeuille qui contient
les fleurs saupoudrées de blanc de céruse. Ce n'est pas cependant une solution
complète de la difficulté, puisque l'ouvrière reste exposée au contact du plomb
avant et après le battage. Néanmoins il y a là un progrès notable qui doit sans
doute se généraliser.
On conseillera en outre l'usage des moyens préservateurs individuels tels que
masques, voiles, gants, soins de propreté, et administration d'iodure de potas-
sium à l'intérieur à la dose éliminatrice du poison saturnin. Alexandre Layet.
Bibliographie. — Thoi venin. De V influence que l'industrie exerce sur la santé des popula-
tions dans les centres manufacturiers. In Journ. de vicd. dr Bordeaux, avril et mai 1846. —
Blaxciiet. Note sur les affections de la vue et de l'ouïe survenues chez les personnes employées
au blanchiment des dentelles connues sous le nom d'application de Bruxelles. In Compt.
rend, de l'Acad. des se, 4847. — A. Chevallier. Sur l'emploi du carbonate de plomb dans
la fabrication des dentelles dites de Bruxelles et sur les inconvénients de ce jirocédé. lu
Ann. d'hyg. publ., 1.S47, t. XXXVII, p. I M. — V. Tiiibault. Note sur le développement des
affections saturnines chez les dessinateurs en broderie sur étoffes et chez les ouvrières en
dentelles. In Ann. d'hyg. publ., I85b, t. YI, p. 55. — De Freycinet. Blanchiment des dentelles
à la céruse. In Traité d'assainissement industriel, p. 89, 1870. — A. Layet. Art. Dextellières,
Bhopeuses. In Traité d'hygiène des professions et industries, p. 278, 1875. — Malheuee.
Pelote hygiénique pour les ateliers de couture. In Rapport sur les travaux du Conseil
d'hygiène de la Loire-Inférieure. Nantes, 1877 à 1878. — Géhxeau. De Vankylose digitale
des tailleurs el des couturières. In Journ. d'hygiène, n° iQ, 6 juin 1878. A. L.
DËIMTIERS. Voy. Dektaire (Prothèse).
nsKTiFRlCES (de dens, dent, el fricare, frotter). Il a été dit quelques
mots des cosmétiques de la bouche au mot Gosmétiqles, et leur valeur est
DENTIFUICES. 451
appréciée dans l'article consacré à l'hygiène dentaire {voy. Dentaire [Hygiène]).
D'après l'étyraologie, le nom de dentifrice ne convient rigoureusement qu'aux
substances employées pour frictionner les dents ; mais, d'une part, certaines
préparations auxquelles ce nom est consacré sont destinées à agir tout à la fois
sur les dents et sur les gencives, quelquefois même sur ces dernières seulement;
d'autre part, nombre de cosmétiques des dents sont dirigés, principalement ou
exclusivement, contre l'odontalgie, et sont appelés pour cela odontalgiques ; de
ceux-là il est question aux cliapitres concernant, à l'article Deat, les diverses
maladies dentaires auxquelles ils sont applicables. Il ne reste à donner ici que
quelques notions générales et quelques formules.
Les dentifrices sont ou solides, ou liquide^, ou mous.
Les premiers sont pulvérulents et destinés surtout au nettoyage des dents.
Les poudres doivent être porphyrisées afin de ne pas rayer et user l'émail. Les
unes sont inertes, comme le charbon, le corail, la pierre ponce; d'autres plus
ou moins alcalines, comme le carbonate de magnésie, le carbonate de chaux,
le phosphate de chaux, l'os de seiche; d'autres plus ou moins acides, comme la
crème de tartre; d'autres toniques, artringentes, hémostatiques, résolutives,
comme la quinine, le ratanhia, le sang-dragon, le bol d'arménie, la laque, etc. ;
d'autres désinfectantes, comme l'acide jihéiiique. On comprend dès lors que le
choix des dentifrices ne soit pas indifférent {l'oy. Bouche et DENTAinE [Hygiène]).
Les cosmétiques liquides de la bouche qui agissent non-seulement comme
dentifrices quand on les applique avec la brosse, mais aussi à la manière de col-
lutoires, se composent d'alcoolats et d'essences aromatiques de menthe, de
girolle, de cannelle, de pyrèthre, d'ambre, auxquelles on mêle, quand on veut
les rendre odontalgiques, de l'éther, du chloroforme, du laudanum ou mieux de
la teinture d'opium. Ils tiennent quelquefois en dissolution des substances
minérales, telles que le chlorate de potasse, l'acétate de plomb, le sulfate de
zinc. On les emploie soit mêlés à de l'eau, soit en friclions douces sur les gen-
cives, soit versés purs sur un peu de coton qu'on introduit dans le creux de la
dent malade.
Beaucoup de comestiques de la bouche, solides ou liquides, sont colorés par
la cochenille.
Les cosmétiques mous sont : ou des opiats, dont le miel est presque toujours
l'excipient, ou des savons qui sont nécessairement alcalins.
Nous ne parlons pas ici des préparations qui ont pour but de combattre
des affections toutes spéciales des gencives ou des dents, comme la gingivite
mercurielle ou l'érosion de l'émail par les vapeurs d'acide chlorhydrique chez
les ouvriers employés à la fabrication de la soude artificielle.
Voici les formules des cosmétiques les plus usités :
PODDRE DEMIFRICE ABSORBANTE (cODEx).
?-' Carbonate de chaux iOO grammes.
Hydrocarbonale de magnésie 100 —
Poudre de quinquina gris 100
Huile essentielle de menthe poivrée 1 —
POUDRE DENTIFRICE ABSORBAKTE ET TOXIQUE (cODEX).
2C Charbon de bois léger 200 grammes.
Poudre de quinquina gris 100 —
Huile essentielle de menthe poivrée 1 —
452 DENTIFRICES.
rOUDKE DENTIFRICE ACIDE.
Il Ta)c (le Venise 120 giDniraes.
I lème do lartre 50 —
Essence de menilie -3 gouttes.
(.'.aniiin 0,5 —
POUDRE DENTIFRICE ACIDE (cODEx).
?i: Bilarlralc de potasse pulvérisé 200 grammes.
Sucre de lait pulvérisé 200 —
Laque carminée 20 —
Huile essentielle de menllic poivrée 1 —
POUDRE DENTIFRICE ALCALLNE.
■2f, Carbonate de chaux 20 grammes.
Jlaguésie -40 —
Sucre 20 —
AUTRE POUDRE DENTIFRICE ALCALINE (dESCUAMPs),
2: Talc de Venise ^00 pariies.
Bicarbonate de soude IIJO —
Carmin i —
Essence de mcnllie 2 —
ItJcll'Z.
SAVO.NS DENTIFRICES.
()ii en trouvera à l'article Dektaire (Hygiène) trois formules recommandées
parliculièicmont par l'auteur de l'article.
POUDRE DENTIFRICE ASTRINGENTE ET TONIQUE (mIALHE).
2C Sucre de lait lOUÛ grammes.
Laque carminée 20 —
Tannin 1o —
Essence de mentlie 20 —
— d'anis 20 —
— de fleurs d'oranger 10 —
ALCOOLÉ DENTIFRICE ASTRINGENT (jE.VNNEL).
2: Alcoolé de cachou 80 grammes.
— de benjoin £0 —
Essence de menthe 3 —
POUDRES DENTIFRICES ASTRINGENTES.
Mélange variable de poudres formées principalement de pyrèlhre, menthe,
anis, cannelle, girofle, cochléaria, gaiac, quinquina, ratanbia.
EAU PUÉNIQUÉE DENTIFRICE.
:^ Acide phénique 1 partie.
Essence de menthe 1 —
Eau.. . „ 1000 —
Faites dissoudre par agitation. — A employer pure, en collutoire.
DENTIFRICE ANTIPUTRIDE.
:^ Permanganate de potasse 10 grammes.
Eau 1000 —
AUTRES DENTIFRICES ANTIPUTRIDES.
Voy. Dentairk [Hygiène).
DENTIFRICES. 455
ÉLIXIR DENTIFRICE, DITE EAU DE BOTOT.
2: Padiane 2 parties.
Girofle 2 —
Cannelle 2 —
Crème de tarira 1 —
Essence de menthe 1 —
Alcool à 80 degrés 320 —
On fait l'alcoolé par déplacement et l'on ajoute l'essence. Cette formule est
celle de Bordeaux; il en existe d'autres dans lesquelles n'entre pas la crème
de tartre.
AUTRE ELIXIR DENTIFRICE.
^ Kino 100 grammes.
Batanhia 100 —
Teinture de baume de lolu 2 —
— de benjoin 2 —
Essence de menthe.. . 2 —
— de cannidlle 2 —
— d'anis 1
Alcool à 90 degrés 1000 —
Faites macérer pendant 15 jours et liltrez.
ELIXIR DE PRUDHOMHE.
Analogue aux précédents ; il y entre de l'angélique et de la muscade.
Nous avons dit plus haut que certains cosmétiques de la bouche sont surtout
odontalgiques. Bien que ce ne soient pas là de vrais dentifrices, comme ils y sont
souvent mêlés dans les livres de pharmacologie, nous en donnerons ici quelques
formules.
TEINTURE ODONTALGIQUE.
"if. Alcoolé de pyrèlhre 4 parties.
Alcoolé d'opium 1 —
COLLUTOIRE ODONTALGIQUE.
^ Racine de pyréthre 4 parties.
Opium brut 1 — ■
Vinaigre blanc 2S —
Faites séjourner pendant 12 heures ; passez, exprimez et filtrez.
ÉTHÉROLÉ ODONTALGIQUE.
"21 Éther sulfurique camphré 20 grammes.
Ammoniaque liquide 1
GOUTTES ODONTALGIQUES.
■if, Alcool îi 100 degrés ^ grammes.
Créosote 40
Essence de menthe 1
AUTRES GOUTTES ODONTALGIQUES.
■if Alcool à 93 degrés 20 gramme».
Extrait d'opium 6
Camphre 6
Essence de «iroÛe , . . 40
Huile de cajeput iO —
Faites dissoudre.
TOPIQUE ODONTALGIQUE.
■if Acide phénique cristallisé 1 partie.
Chloroforme , 3
Imbibez une boulette de coton.
A. Dechambre.
454 DENTISTE.
DE1VTII\'E. Voij. Dent.
»Ei\TlKOSTRES. G. Cuvicr, dans la première édition de son Règne
animal, avait cru pouvoir établir parmi les Passereaux {voy. ce mot) un certain
nombre de subdivisions, en tenant compte seulement des caractères extérieurs
fournis par le bec et les pattes de l'oiseau. Mais, comme nous avons eu déjà
l'occasion de le dire en parlant des oiseaux en général {voij. le mot Oiseaux), la
conformation du bec et des pattes traduit plutôt les habitudes de l'animal que
ses véritables affinités zoologiques. Dans un même groupe on voit le bec s'al-
longer ou se raccourcir, s'effiler ou se dilater, rester absolument droit ou se
recourber en crochet, suivant que l'oiseau se nourrit d'insectes, de vers, de fruits
succulents ou de graines coriaces, suivant qu'il saisit sa proie au vol, qu'il la
cueille sur les branches ou qu'il va la chercher au fond d'une corolle, dans le
tronc d'un arbre, dans la fissure d'un rocher, dans la vase d'un marais. De même
les pattes, toujours fort réduites chez les oiseaux qui passent la plus grande
partie de leur vie dans les airs, s'allongent au contraire chez les oiseaux cou-
reurs. En étudiant les Oiseaux de proie, les Oiseaux-Mouches, les Soui-Mangas
[voy. ces mots), nous avons déjà constaté de ces modifications du bec ou des
patios correspondant à de légères différences dans le régime ou les allures. En
réunissant dans une première famille de Passereaux, sous le nom deDentiJVstres,
toutes les espèces de petite et de moyenne taille dont le bec supérieur est
échancré de chaque côté de la pointe, de manière à présenter une dent latérale,
G. Cuvier a nécessairement créé un groupe quelque peu hétérogène. Pour s'en
convaincre, il suffit de parcourir la liste des genres que ce grand naturaliste
com]>rend dans la catégorie des Dentirostres. A côté des Pies-grièclies et des
Langrayens, on voit figurer les Merles et les Fauvettes, les Cotingas et les Coqs
de roche, les Fourmiliers et les Tyrans, tandis qu'en revanche les Fringilles sont
séparées, à tilre de Conirostres, des Tangaras leurs proches parents, et que le
groupe des Flssirostres se trouve intercalé entre les Alouettes et les Farlouses,
dont G, Cuvier reconnaissait pourtant les affinités. 11 est juste de dire cependant
que, lorsqu'on a retiré des Passereaux, tels que les comprenait G. Cuvier, les
Oiseaux-Mouches, les Engoulevents et les Martinets, qui doivent sans doute former
un groupe tout à fait à part, on se trouve encore en présence d'une telle masse
d'oiseaux, très-voisins les uns des autres par la structure intérieure, qu'on se
voit dans la nécessité de les répartir en un certain nombre de groupes, plus ou
moins artificiels, et c'est ce qui nous explique pourquoi certains naturahstes
modernes et, par exemple, G.-R. Gray, ont souvent conservé les subdivisions
établies par Cuvier, tout en en reconnaissant les inconvénients. D'autres au
contraire, et cette méthode est peut-être préférable, ont supprimé ces catégories
de Dentirostres, Fissirostres, Conirostres, etc., pour partager simplement les
Passereaux en groupes moins importants, en familles représentant à peu près
les anciens genres linnéens. E. Oostalet.
Bibliographie. — G. Cuvier. Règne animal, i'" édit , 1817, t. I, p. 356. — Ch.-L. Boxa-
PAUTE. Conspectus systematis ovnilhologiœ, 1854, et Conspectus generum avium, 1856. —
HuxLEï. Ontlie Classification of Bircls. In Proc. Zool. Soc. Lond., 1867, p. 415 et suiv. —
G. R. Grat. Handlist of Gênera and specics of Birds, 1869-1871, t. I et II. — Sclater et
Salvis. Nomenclator avium neotropicalium, 1873. E. 0.
DEI\TISTE. L'art du dentiste, au sens littéral, consiste dans le nettoyage,
le limage, la cautérii^ation, l'obturation, l'extraction des dents, ainsi que dans
DENTISTE. 455
la pose de dents artificielles ou d'appareils destines à redresser les dents natu-
relles. A considérer les opérations dans leur ensemble, l'art dentaire est une
branche de la chirurgie, en ce qu'elles supposent, pour une bonne exécution,
— quelques-unes d'entre elles du moins — non-seulement la dextérité, mais
un certain nombre de connaissances en anatomie, en physiologie et en patho-
logie. Si même on veut négliger les connaissances générales qui, sous ce triple
rapport, sont indispensables là comme ailleurs à la parfaite intelligence des faits
particuliers, il reste la nécessité de posséder une instruction solide sur l'évo-
lution dentaire, sur la composition des dents, sur la nature de leur maladies :
érosion, carie, indammation de la pulpe, etc. Dans la pratique et par la force
des choses, l'art dentaire est amené à prendre un caractère médico-chirurgical
des plus manifestes en rencontrant aux limites de son domaine les affections
des gencives, du périoste, des maxillaires mêmes, tellement mêlées aux mala-
dies dentaires proprement dites, que la clini([ue ou la thérapeutique ne peu-
vent que difficilement les séparer. Il est possible, il n'est pas douteux que, dans
ces cas, des dentistes consciencieux renvoient leur patients au médecin ou au
chirurgien ; mais ce n'est pas sur des délicatesses privées qu'une loi prévoyante
doit compter pour sauvegarder la santé publique.
Quelle est aujourd'hui devant la loi la position des dentistes?
Avant le décret des 2-17 mai 1781, qui a déclaré libre l'exercice des profes-
sions, arts et métiers, et celui du 18 août 1792, qui a supprimé les écoles de
médecine et de chirurgie, le droit d'exercice était conféré par deux ordres de juri-
diction. Les licenciés en médecine étaient reçus par la Faculté de Paris et par
les facultés provinciales ; les chirurgiens par le Collège des chirurgiens de Paris,
par les collèges de provinces et par certaines communautés du geiu-e de Saint-
Côme et Damien, nanties de ce privilège par des édits royaux. 11 y avait alors
comme aujourd'hui des spécialistes : des herniaires, des renoueurs, des ocu-
listes, des dentistes. En ce qui concerne ces derniers, l'édit de 17G8 imposait
à ceux qui voulaient s'occuper de la cure des dents l'obligation d'obtenir le di-
plôme d'expert, et il déterminait avec soin les conditions auxquelles la récep-
tion devrait avoir lieu. Les décrets de 1791 et de 1792 emportèrent l'édit avec
le Collège et tous les autres établissements publics d'enseignement. Vint la loi
du 14 frimaire an III (4 décembre 1794), qui, en instituant à Paris, Montpellier
et Strasbourg, des Écoles de santé (devenues Écoles de médecine par la loi de
floréal an X et Facultés de médecine par le décret de 1808), créa pour le ser-
vice des hôpitaux militaires des ofticiers de santé, dont quelques-uns firent
néanmoins concurrence aux guérisseurs des villes et des campagnes; on n'y
trouve aucune disposition concernant les spécialistes. Il en est de même
de la loi du 19 ventôse an XI, qui nous régit encore et qui institue les deux
ordres de médecins aujourd'hui existants. Sa disposition fondamentale est la
suivante (art. 1") : « A compter du l^' vendémiaire de l'an XII (24 sept. 1803),
nul ne pourra embrasser la profession de médecin, de chirurgien ou d'officier
de santé, sans être examiné et reçu comme il sera prescrit par la présente loi »
{voy. Médecine [Enseignement et exercice de /a] et Officier de samé).
Dans cet état de choses, le dentiste est-il légalement astreint à se munir d'un
diplôme de docteur en médecine ou d'oifîcier de santé? Un arrêt célèbre de la
Cour de cassation a résolu la question par la négative. 11 a été rendu le
15 mai 1846. Des poursuites dirigées contre MM. Williams Rocher, Aimé Simon
et Rubeck, sur la plainte de MM. Audibran, Toirac, Regnard et Rossi, avaient
450 DENTISTE.
obtenu gain de cause devant le tribunal de police correctionnelle de la Seine et
devant la Cour d'appel. La Cour de cassation a décidé, au contraire, que l'exer-
cice de l'art dentaire n'était soumis à aucune garantie légale de capacité. Cet
arrêt peut être discutable dans quelques-uns de ses termes, ainsi que dans son
application à l'espèce ; nous reviendrons tout à l'heure là-dessus ; mais, envi-
sagé au seul point de vue juridique, il nous paraît parfaitement fondé.
La Cour de cassation dit : La pensée de la loi était de remédier au mal créé
par la suppression d'établissements publics d'instruction médicale, d'où sortaient
des praticiens présentant des garanties de capacité; quant aux spécialistes, aux
experts, la loi ne s'en est pas occupée et l'on ne peut suppléer au silence de l;i
loi '. A cette interprétation que répond-on? Si la loi n'a pas désigné les experts
et notamment les dentistes, c'est qu'elle les supprimait en tant que spécialistes
et les soumettait à l'obligation commune du diplôme. Elle s'occupe des sages-
femmes : elle n'eût donc pas oublié ou négligé les autres spécialistes, si elle eût
entendu les laisser vivre. D'ailleurs, si le droit des dentistes était reconnu, il
faudrait reconnaître également celui des bailleuls, des oculistes, des lilhoto-
niistes, des herniaires, etc.
Examinons, non pas, encore une fois, en médecin, mais en légiste. De fait,
il est absolument certain que la loi organi(]ue sur l'exercice médical ne parle pas
des dentistes, n'y fait aucune allusion. Est-ce parce qu'elle entendait les com-
prendre dans la généralité des médecins? On peut soutenir celte opinion, mais
ce n'est qu'une opinion. D'autres pourront soutenir que c'est, au contraiie,
parce qu'elle se formait de l'art du dentiste la même idée que s'en était tou-
jours faite le législateur, celle d'un art moitié scientifique, moitié industriel, et
non assimilable au grand art enseigne dans les écoles. Toujours on avait fait de
la dentisterie un rameau détaché de la médecine, dont la culture n'exigeait pas
le même appareil de soins que l'arbre entier. Le législateur a pu le mettre pro-
visoirement de côté, sauf à s'en occuper plus tard. Notez que nous ne faisons
nous-même qu'une supposition, et l'on verra même plus loin que celte supposition
ne nous plaît guère ; mais la Cour de cassation , gardiennne des lois même
insuffisantes, même imprévoyantes, même mauvaises, ne peut entrer dans une
voie semblable. Les dispositions légales qui régissaient la profession de dentiste
ont été supprimées; elles n'ont pas été remplacées : voilà la base de l'arrêt. Du
reste, la Cour a en quelque sorte pour complice la haute administration, qui
n'applique pas plus aux dentistes les lois sur la phirmacie que les lois sur la
médecine. Ajoutons que, lors du projet de loi sur les patentes (iS^ti), la com-
mission de la Chambre des députés avait proposé de classer les dentistes parmi
les exonérés, ce qui était les assimiler aux docteurs en médecine et aux officiers
de santé. Mais M. Bouillaud, alors député, ayant demandé et obtenu que la
l'éJaction de l'article fijt contorme aux termes de la loi de l'an XI, les « doc-
teurs en médecine, officiers dosante et sages-femmes », y furent seuls mentionnés,
elles dentistes restèrent, vis-à-vis de la loi, dans la même situation qu'auparavant.
Les sages-femmes ! Comment se f;iit-il que la loi de ventôse s'en soit occupée
spécialement? Cela veut-il dire qu'elle a refusé de reconnaître toute eLutre spé-
cialité. Rien n'est moins certain. Très -probablement la considération du sexe
* Ueclifions, puisque l'occasion s'en présenle, une erreur qui nous est écliappée dons un
article sur le mùme sujet (Gazette hebdomadaire, 1871, p. ISO), en disant que les anciens
collèges de médecine ne délivraient pas de diplômes aux dentistes. On a vu tout à l'heure le
contraire. A. D
DEINTISTF. 457
est la seule qui ait alliré l'atlention du législateur sur les sages-femmes, et
la preuve, c'est qu'elle n'a pas créé d'experts accoucheurs. Ce n'est donc pas au
fond une spécialité qu'elle a organisée, mais un corps exceptionnel de praticien-
nes. D'un autre côté, en l'an XI, l'anatomie, la physiologie et la pathologie den-
taires, les alfinités de celles-ci avec la pathologie générale, étaient trop peu
avancées pour qu'on puisse prêter au législateur la pensée d'avoir volontairement
fait à l'art dentaire l'honneur de le comprendre dans l'exercice général de la
médecine, quand il en séparait un art que la réunion de la grossesse et de
raccouchement rendent à la fois, et au premier chef, médical et chirurgical.
Mais, dit-on encore, pourquoi les oculistes ne jouissent-ils pas de la même
immunité que le dentiste? Pourquoi la spécialité de l'art oculistique n'est-elle
pas libre comme celle de l'art dentaire? Comment se fait-il, surtout, que la
Cour de cassation elle-même (20 juillet 1855) ait décidé que le diplôme de mé-
decin est obligatoire pour quiconque s'adonne au traitement des maladies des
yeux ou à celui des entorses et des fractures ?
Là précisément est le nœud de la difficulté. Les spécialistes, on l'a vu, ne
figuraient aux édits que comme experts; c'est le nom qu'on peut encore leur
donner aujourd'hui que la profession est libre ; ce sont des hommes versés
dans un art particulier, ce sont des artistes. Comme tels, ils restent en
dehors des prescriptions de ia loi de ventôse, qui ne s'applique, encore une lois,
qu'aux docteurs et aux officiers de santé. ?s'ous le répétons à dessein, cette loi,
ne les faisant pas médecins, les a laissés experts. Or, à ce titre, il en existe aussi
bien dans la pathologie herniaire, dans la pathologie oculaire, que dans la patho-
logie dentaire. On trouve partout des bandagistes herniaires et des opticiens
oculistes. De quoi s'agit-il donc pour les magistrats? 11 s'agit de savoir s'ils
sortent de leur rôle. La loi s'est renfermée dans des ternies généraux; aux tri-
bunaux d'apprécier les cas particuliers avec les lumières du bon sens et de la
justice. Un bandage herniaire mal appliqué peut faire courir des dangers au
patient; les magistrats n'en interdisent pas la pose au bandagiste. L'usage pro-
longé de lunettes trop convergentes ou trop divergentes peut affectei* gravement
la vue; les magistrats n'interdisent pas la vente des lunettes aux opticiens. En
un mot, ils ne reconnaissent plus de spécialistes et leur font la même applica-
tion de la loi qu'à l'universalité des citoyens. C'est là, à notre avis, le vrai sens
de l'arrêt de la Cour de cassation du 15 mai 1846, dont le seul tort est de
n'avoir pas assez spécifié ses motifs, et de n'avoir paru viser que des soins ma-
nuels là 011, dans l'espèce, il y avait eu diverses opérations chirurgicales et
emploi des anesthésiques.
Nous sommes des premiers à le reconnaître, et notre délinition même le di-
sait tout à l'heure, l'art du dentiste, tel qu'il se pratique de nos jours, relève
partiellement de la chirurgie ; il ne s'y rattache que de loin par le nettoyage,
le limage et la prothèse; il y entre pleinement par l'extraction et la cautérisa-
tion. Laisser les choses en l'état nous paraît impossible. La pratique, même res-
treinte, de la chirurgie, doit être entourée de garanties sérieuses de capacité.
Quelles seront ces garanties? Mais voyons d'abord ce qui a été fait à cet égard
en France et ailleurs.
Dans Ledit de 1768 que nous rappelions tout à l'heure, le titre IX, relatif à
la réception des experts, portait : « Art. 127. Ne pourront aucuns aspirans être
admis à ladite qualité d'experts, s'ils n'ont servi deux années entières et con-
sécutives chez l'un des maîtres en chirurgie, ou chez l'un des experts établis
458 DENTISTE.
dans la ville et lauxbonrgs de Paris, ou enfin sons plusieurs maîtres ou experts
des autres villes pendant trois années ; ce qu'ils seront tenus de justifier par
des certificats en bonne iorme, et par des actes d'entrée chez lesdits maîtres ou
experts, enregistrés comme il a été dit ci-devant, article LXXXIII, au greffe de
notre premier chirurgien, dans la quinzaine de leur entrée, à peine de nullité'.
— Art. 128. Seront reçus lesdits experts, en subissant deux examens en deux
jours différents dans la même semaine, après avoir présenté requête dans la
forme ordinaire, à laquelle seront joints leurs extraits baptistaires, certificats de
religion et ceux de service. Ils seront interrogés le premier jour sur la théorie,
■et le second sur la pratique desdits exercices par le lieutenant de notre premier
chirurgien, les quatre prévôts et le receveur en charge, en présence du doyen
de la Faculté de Médecine, des deux prévôts et du receveur qui en sortent, de
tous les membres du Conseil et deux maîtres de chacune des quatre classes qui
seront successivement choisis à leur tour. S'ils sont jugés capables dans ces
examens, ils seront admis à ladite qualité d'experts, en payant les droits porte's
ci-après pour les experts, et en prêtant serment entre les mains de notre pre-
mier chirurgien ou de son lieutenant. — Art. 129. Défenses sont faites auxdits
experts, à peine de trois cents livres d'amende, d'exercer aucune partie de la
chirurgie que celle pour laquelle ils auront été reçus, et de prendre sur leurs
-enseignes ou placards, affiolies ou billets, la qualité de chirurgiens, sous peine
(le cent livres d'amende. Ils auront seulement la faculté de prendre celle
d'experts herniaires ou dentistes ».
Passons aux pays où la profession de dentiste a été soumise à réglementation :
la Prusse, l'Angleterre, les Etats-Unis.
En Prusse, sous le régime de l'ordonnance du 24 août 1825, les aspirants au
tilre de dentiste ne pouvaient se présenter aux examens exigés d'eux que s'ils
appartenaient déjà à l'une des trois classes de médecins : celles des médecins
praticiens, des chirurgiens de première classe et des chirurgiens de seconde
classe. Mais la loi du 1°'' décembre de la même année, après avoir réglementé
l'examen d'état pour les médecins, chirurgiens, pharmaciens, vétérinaires, ocu-
listes et dentistes, permit, en ce qui concerne ces derniers (art. 51, § 5), de rem-
placer le diplôme (le médecin ou de chirurgien par un certificat d'assiduité aux
<;ours d'anatomie, de chirurgie générale et spéciale, de médecine opératoire, de
matière médicale et thérapeutique, de chiruigie clinique. L'aspirant était tenu,
en outre, à un stage chez un dentiste. L'expérience ayant montré que le titre
de chirurgien de seconde classe était une trop faible garantie d'instruction, on le
remplaça par un service militaire de trois ans comme chirurgien ou par deux
années d'études dans une école de médecine (ordonnance du 19 avril 1835).
Enfin, après l'unification du diplôme, quand il n'y eut plus en Prusse qu'un
seul ordre de médecins (ordomiance du 8 octobre 1852), il parut excessif de
maintenir à l'égard des dentistes l'obligation d'être médecins, et on créa pour
eux, par ordonnance du 25 septembre 1869, des examens spéciaux. Nous abré-
gerions trop peu cette ordonnance eu l'analysant; nous préférons la reproduire :
Art. l"'. L'approbation ne peut être conférée qu'aux canciidats qui ont subi dans
touies leurs parties les examens de dentiste. Une seule exception est faite pour ceux aux-
quels l'anicle 0 est applicable.
Art. 2. L'examen de dentiste est passé devant la commission d'examen pour le titre de
médecin praticien [Arzl). Un dentiste praticien est adjoint à cette commission.
.\rt. 3. Le candidat, pour se présenter à l'examen, doit produire : 1° un certificat de
maturité pour la première classe (î'un gymnase (Lycée) ou d'une école professionnelle [Real-
DENTISTE. i^^
schulc] de première classe (École secondaire spéciale) ; 2° un certificat de deux aimées d'études
dims une université; 5° un certificat de deux années de pratique de travaux odontologiques.
Anr. 4. L'examen se compose de quatre parties :
La première épreuve comprend l'examen cliniiiue d'une affection des dents, des gencives,
du palais, etc. Après avoir établi son diagnostic, le candidat doit rédiger, sans pouvoir
s'aider de livres, de notes ou de conseils, une composition écrite sur la nature, l'étiologic
et le traitement de la maladie qu'il a eue à examiner.
La deuxième épreuve, passée sous la surveillence d'un membre de la commission d'exa-
men, consiste dans une composition sur 10 questions tirées au sort, parmi 40 au moins, et
portant sur l'anatomie, In physiologie, la palliologieet la thérapeutique générales, y compris
la matière médicale, la toxicologie, la pathologie et la thérapeutique chirurgicales et odonto-
logiques.
Dans la troisième épreuve, le candidat doit prouver des connaissances pratiques dans la
fabrication et l'application de dents ou de dentiers artificiels, comme dans toutes les parties
de l'art du dentiste et dans l'emploi des instruments d'odontologie, par des opérations sur
le cadavre ou sur le squelette.
Dans la quatrième épreuve, passée devant trois examinateurs au moins, le candidat est
interrogé oralement sur l'anatomie, la physiologie, la pathologie et l'hygiène dentaires, les
maladies des dents et des gencives, la préparation et l'emploi des médicaments employés
dans l'art dentaire, sur les indications et l'exécution des opéiations pratiquées sur les dents.
Art. 5. En ce qui concerne l'inscription aux examens, l'admission ou l'ajournement à
chacune des épreuves, la fixation des notes, la publication des noms des candidats admis,
les mesures sont les mêmes que pour ce qui concerne les examens au titre de Arzt.
Art. 6. Les médecins diplômés, qui désirent obtenirle titre de dentiste sontexemplés des
formalités mentionnées à l'article 5, et doivent subir la première, la troisième et la quatrième
épreuves des examens.
Art. 7. Les dL'oits à acquitter pour cliaque épreuve sont fixés à 5 Ihalers (18 fr. 75 c).
Le,-; candidats au diplôme de dentiste qui, avant le 1" octobre 1871, s'inscriront pour les
examens, n'auront à présenter que les certificats qui, dans leur pays, sulfisent pour l'ad-
mission à l'examen d'état pour le titre de dentiste.
En Angleterre, la réglementation de la pratique dentaire date de la loi du
22 juillet 1878, connue sous le nom de the Denlists Acl. Les cor[)oralions et les
écoles officiellement recoinmes exigent de ceux qui veident se livrer à la
pratique dentaire des examens conférant un titre que nous spécifierons tout à
l'heure. Le candidat qui a conquis ce titre peut demander son inscription sur
le registre des dentistes, laquelle lui confère le droit à l'exercice légal. Néanmoins
le Conseil général d'éducation médicale et d'enregistrement, qui dresse chaque
année le Médical Register , c'est-à-dire la liste de ceux qui, munis des diplômes
délivrés par les corps enseignants indiqués plus haut, sont autorisés à exercer
la médecine, ce Conseil a le droit d'apprécier les garanties offertes par les
examens passés devant tel ou tel corps enseignant; il a également à l'égard des
dentistes le droit qu'il possède à l'égard de l'ensemble des médecins, celui de
rayer de la liste quiconque tendrait, par sa conduite, à déshonorer la profession.
Il reste juge de la validité des demandes d'inscription. L'usurpation du titre de
dentiste peut être punie d'une amende de 500 francs, et l'inscription sur le
registre au moyen d'une fausse déclaration est punie d'une année d'emprisonne-
ment. Il faut bien remarquer que ce droit légal de pratiquer l'ait dentaire, ou
la médecine en général, qui résulte d'une inscription sur un registre, après
obtention de titres conférés par diverses corporations, n'est pas l'analogue du
droit conféré chez nous ou en Allemagne par des titres d'état émanant de corps
officiels.
Le titre exigé pour avoir droit à l'inscription est celui de licencié en chirurgie
dentaire. Il est délivré parle Collège royal de chirurgie d'Angleterre, le Collège royal
de chirurgie d'Edimbourg, la Faculté de médecine et de chirurgie de Glasgow et
le Collège royal de chirurgie d'Irlande. Son obtention est soumise à des condi-
460 DENTISTE.
lions assez dures. Il faut avoir suivi un cours d'études auquel déjà on n'est
admis qu'après avoir subi avec succès un examen es arts, analogue à notre
baccalauréat. Ce cours dure quatre années. Les deux premières sont consacrées:
l'une à l'étude de l'anatomie, de la physiologie et de la chimie générale; l'autre
à l'étude de l'anatomie de la tète et du cou, de la médecine, de la chirurgie et
de la chimie pratiques. Pendant ces dcuv années, l'élève est astreint à un stage
d'au moins douze mois dans un hôpital général pour y suivre l'enseignement
clinique. Les deux années suivantes sont consacrées à l'étude de la dentisterie :
auatomie et physiologie dentaires, humaines et comparées ; chirurgie, mét;d-
hirgie et mécani(pie dentaires. Dans le cours de cette seconde période, l'élève
doit faire un stage dans un hôpital dentaire spécial ou dans un service dentaire
d'un hôpital général. Après les deux premières années d'études, l'élève subit un
examen sur l'anatomie et la pathologie générales; après les deux autres, un
examen dit de réception. Ce second examen comprend une épreuve écrite et une
épreuve orale sur l'anatomie chirurgicale, la théorie et la pratique de la méde-
cine, de la chirurgie et de la mécanique dentaires. 11 ne peut, du reste, clie
pa>sé que sur la présentation d'un certificat de trois ans d'apprentissage chez un
praticien enregistré. Le candidat ayant subi l'examen avec succès doit pro-
mettre de ne recourir, dans l'exercice de cet art, qu'à des moyens honorables.
Les Etats-Unis ont de nombreux collèges de dentistes, que les uns disent
libres, les autres officiels. Cette contradiction n'est qu'apparente et résulte d'un
malentendu. Ces Collèges ne sont pas créés par l'IUat, ni payés ])ar l'État, mais
seulement créés avec l'autorisation de l'Etat, par une charte de l'État, qui jouit
à leur égard du droit de contrôle. Nous en donnerons ici la liste d'après le
rapport officiel de 1880, relatif à l'année 1878, en indiquant la date de la fondation
delà plupart d'entre eux: New- ïork dental Collège (18(37); — Ballimore Collège
of dental Surqenj (1859; ; — Boston dental Collège (1868) ; — Dental School of
Harvard University Boston; — Dental Collège of the Vniversity ofMichigan;
— Missouri dental Collège (1805) ; — New-York Collège of dentistry (1865);
— Ohio Collège of dental Surgery (1844) ; — Départ, of dentistry, Universitij
of Pennsylvania ; — Pennsylvania Collège of dental Surgery (1850) ; — Phila-
delphia dental Collège (1805); — Dental départ. Nashville médical Collège
(1876). Chacun de ces Collèges a un président doyen à sa tète, avec des profes-
seurs, les uns résidents, les autres non résidents. On compte dans Pennsylvania
Collège, président M. Peissc, 157 élèves; dans Philadelptiia Collège, président
M. D.-D. Smith, 118; dans New-York Collège, président M. Abbott, 86; dans
Ballimore Collège, président M. Gorgas, 82; dans Dental Collège of Michigan,
président M. Taft, 62, etc. Relativement aux études, prenons l'exemple de
Philadelphie : elles durent deux années et comprennent la chimie générale et
pratique, l'anatomie, la physiologie, la matière médicale et la thérapeutique,
la chirurgie, la mécanique et la métallurgie dentaires, les opérations dentaires.
Les cours de chimie ne sont suivis que la première année. Les élèves doivent
suivre les cliniques de l'hôpital. Deux examens sont passés: l'un, à la fin de la
première année, sur la chimie et la matière médicale; l'autre, à la fin de la
seconde année, sur l'anatomie, la physiologie, les opérations dentaires, la méca-
nique dentaire et la métallurgie'.
* 11 a été récemment créé une École dentaire à Genève. La direction scientifique de l'école
est coniiée à une Commission de cinq membres, nommée tous les deux ans par le dépar-
tement de l'Instruction publique.
DEiNTlSTE. 4oI
En présence de semblables institutions, il y a longtemps qu'on s'étonnait en
France de ne pas voir la législation mettre fin à l'équivoque qui divise les tribu-
naux et supprimer la liberté de la profession de dentiste, quand le 18 mai 1850,
M. Gréard, vice-recteur de l'Académie de Paris, adressa à M. le doyen de la
Faculté de médecine les deux questions suivantes, ressortant de nombreuses
plaintes parvenues au ministère de l'instruction publique : i" Faut-il exiger de
tout dentiste qu'il ait acquis par des examens, au moins par ceux d'officier de
santé, le droit d'exercer la médecine ? 2° Y a-t-il lieu, en deliors de cette exigence,
d'imposer aux futurs dentistes un stage professionnel, qui aurait poiu- consé-
quence un examen de validation de stage? A la lettre de M. le vice-recteur était
joint un projet de loi ainsi conçu :
Aut. ruEMiEn. A partir du 1'' janvier 188..., nul ne pourra exercer l'art denlaire, ni
porterie titre de chirurgien-dentiste, s'il n'est pourvu du diplôme spécial de chirurgien-dentiste.
Anr. 2. l'our obtenir le diplôme de chirurgien-dentiste, le candidat doit : 1° produire le
diplôme dolTicier de santé; '2° justifier de trois ans de stage, soit chez un dentiste, soil
dans une école d'odontologie; ô° passer un examen de validation de stage.
Art. 5. Le jury pour cet examen est composé d'un professeur de l'acuité, président, et do
deux dentistes pourvus du grade de docteur en médecine ou pourvus du droit d'exercice de
la médecine.
Aut. 4. L'examen comporte des épreuves pratiques et une épreuve orale.
Epreuves pratiques. Les épreuves pratiques consislcnt en opérations faites sur un sujet
vivant ou mort : extraction, obturation, exécution ch loge iï un appareil de prothèse entier
ou partiel, et application de cet appareil.
Epreuves orales. L'épreuve orale comprend : l'anatomie, l'histologie, la physiologie,
principalement en ce qui concerne la tête ; la patliolo:fie interne et externe, la matière
médicale et la thérapeutique au point de vue des maladies de la bouche; la physique, la
chimie, la métallurgie, la mécanique, appliquées à l'art du dentiste.
La Faculté renvoya ce projet à une commission composée de MM. les profes-
seurs Gavarret, Duplay et Léon Le Fort. Ce dernier, connu par de beaux travaux
sur l'organisation de la médecine en France et à l'étranger et sur celle des ser-
vices bospitaliers, rédigea un rapport étendu auquel nous|avons déjà fait des em-
prunts et dont nous aurons à tenir grand compte dans l'appréciation qui va suivre.
Et d'abord, sur la question de M. le vice-recteur, s'il convient d'imposer au
dentiste la production d'un diplôme d'officier de santé, nous partageons plei-
nement le sentiment de la commission.
L'officiat en lui-même est, à nos yeux, un mal présentement nécessaire, mais
qui diminue de jour en jour et dont le train des clioses amènera tôt ou tard la
disparition [voij. Officier de santé). Ce n'est donc pas nous qui pouvons approu-
ver une mesure où il trouverait l'appât nouveau d'une profession devenue tout
ensemble plus lucrative par la réduction de son personnel, et plus relevée dans
la considération publique. Eu l'état actuel des choses, les dentistes ne trou-
vent pas d'avantage sensible à acquérir le diplôme d'officier de santé, parce que ce
signe exceptionnel n'est pas visible chez ceux qui le porlent, et parce qu'il con-
stitue une force médiocre contre la concurrence dans une profession ouverte à tous
et où le savoir-faire est si puissant. On ne s'impose pas d'<iilleurs volontiers une
charge dont la loi vous dispense. Que ces conditions cliangent, que l'art du den-
tiste soit classé parmi les professions savantes, comme celle du médecin, au prix
d'un diplôme facile à acquérir, et il n'est pas douteux que la classe des offi-
ciers de santé trouve là une abondante source de recrutement, d'autant
plus que le titre vaudrait toujours à tout hasard pour l'exercice général de la
médecine.
V
4G2 DENTISTE.
Esl-ce donc le doctorat qu'il convient d'iini)Oser aux dentistes? A plu-
sieurs reprises, des praticiens distingués, M. Âuilibran en 1844, M. Anàrieu
en 18G4, 1868 et 1877, adressèrent des pétitions au ministre de rinstruclioii
publique, au ministre de l'Agriculture et du Commerce, au Corps législatif, au
Sénat, pour deniauder que la loi qui régit la médecine fût observée à l'égard des
dentistes; et M. Andrieu, président de la chambre syndicale, dans sa pétition
de 1877, allait jusqu'à réclamer l'obligation du doctorat. La pétition fut ren-
voyée aux minisires de l'Instruction publique et de l'Intérieur, snr un rapport
l'avorable de M. le sénateur Gayot. Contre cette opinion, on fait valoir un ar-
gument sérieux. En raison même de sa spécialité si marquée, et si bien éta-
blie qu'elle échappe à noire enseignement officiel, la technique dentaire exige
un stage qui ne peut être de moins de deux ou trois ans chez un praticien ou,
(|uand cela est possible, dans un hôpital dentaire. Cette obligation dusta^e, avec
l'examen de validation qu'il entraîne, jointe à l'obligation du doctorat, impose
à un art très-limité une plus lourde charge qu'à l'art médical tout entier, et du
même coup on confère aux dentistes une sorte de supériorité sur les médecins
ordinaires, puis(iu'ils doivent plus apprendre et subir plus d'épreuves. C'est
même un avantage qu'ils se procurent quelquefois sans y être astreints par la
loi, dans les pays oîi la scolarité du doctorat n'est pas de longue durée. En Penn-
sylvanie, par exem[)le, il paraît que nombre d'étudiants du collège dentaire, au
lieu de se contenter du diplôme de doclenr-dentiste qu'ils peuvent, comme ou
l'a vu, obtenir au bout de deux ans, préfèrent pousser leurs études jusqu'à la lin
delà troisième année, pour conquérir celui de docteur-médecin.
Ces objections que nous rencontrons en partie dans le rapport de la commis-
sion de la Faculté ne suffiraient pourtant pas à nous convaincre, si nous n'étions
en présence que d'un seul ordre de médecins. Il flmt bien reconnaître que la
seule demande étiuitable à adresser aux pouvoirs publics, dès qu'on veut appli-
quer aux dentistes la loi de l'an XI, est de l'appliquer tout entière. Aucun
moyen conséquemment de forcer les aspirants dentistes à prendre le diplôme
de docteur à l'exclusion de celui d'officier de santé. Ce serait déclarer la pra-
tique de l'art dentaire plus difticile, plus relevée que la pratique delà médecine
rurale pour laquelle on sait que le second ordre de médecins a été inventé. Mais,
si cette difficulté n'existait pas ou était écartée, si l'on venait à supprimer légale-
ment l'officiatou à unifier d'une manière quelconque le diplôme de médecin pra-
ticien ^ nous n'hésiterions pas à demander l'assujettissement des dentistes à la
loi commune après avoir strictement délimité le champ de la pratique dentaire.
11 faut, pour bien juger cette question, ne pas tenir les yeux fixés sur une seule
spécialité, mais bien les envisager toutes dans leur ensemble. Chacune, nous
l'avons déjà dit, en dehors des connaissances médicales dont elle ne peut ou ne
doit point se passer, a une technique qui tient plus de l'industrie, de l'art, si
l'on veut, que de la science. A quel titre une loi organique sur la médecine
s'occuperait-elle plus de la technique dentaire que de la technique oculistique
ou de la technique herniaire, ou de la technique orthopédique? Il n'est pas
besoin de lois spéciales pour la pratique de l'ophthalmiatrie, de la chirurgie
herniaire, de l'orthopédie, et le diplôme est exigible pour le traitement d'une seule
maladie des yeux et d'un seul malade, pour une seule kélotomie, pour une seule
* On sait qu'il a été souvent proposé et naguère encore (Bapport de M. Paul Bert à
l'Assemblée nalionale, 1874) de créer au-dessous du doctorat le grade de licencié, donnant
seul droit de pratique, en faisant du doctorat relevé un titre purement honorifique.
DENTISTli. 46*
opération de pied-bot. Supposez qu'on veuille rattacher à ces spécialités diverses,
comme dépendance inséparable, leur partie technique, manuelle, instrumentale,
(|ue s'en suivra-t-il? Qu'il faudra interdire aux opticiens la vente sans ordon-
nance de verres concaves, ou convexes, ou périscopiques, et exiger des médecins
qu'ils c!loisi^sent ces verres et même les l'abriquent de leurs propres mains ; il laiidra
interdire encore aux bandagistes, pour en charger les médecins , la confection et
lapose despelotes herniaires; aux orthopédistes, la fabrication d'appareils de redres-
sement ou de soutènement, tout comme on s'apprête à refuser au premier venu
le droit de nettoyer, de limer les dents ou de iabriquer et poser des appareils
prothétiques. Or, certainement la santé publique n'est pas plus compromise par
ces dernières pratiques que par les précédentes ; nous croyons même qu'elle
l'est moins en raison du stage, du véritable apprentissage, auquel s'astreignent
toujours d'eux-mêmes ceux qui se préparent à la profession de dentiste, et par
lequel Us n'ont pas de peine à devenir aussi habiles dans cette partie mécanique
de leur art que, dans d'autres, les ébénistes, les couteliers, les bijoutiers, qui,
eux aussi, doivent tour à tour fabriquer et ajuster des pièces délicates.
Que l'Etat, en tant que dispensateur de titres de capacité, ne s'occupe donc
pas des dentistes; qu'il les ignore, comme il ignore les oculistes, les auristes,
les orthopédistes, les aliénistes, les syphilographes, les dermato^raphes, les uro-
palhes, les laryngopalhes. etc. 1 Qu'il se dise : « Celui qui extrait une dent, qui
introduit dans sa cavité de l'arsenic ou toute autre substance active, qui ouvre ou
cautérise un kyste dentaire, celui-là pratique la chirurgie; celui qui se borne à
nettoyer les dents, à les limer peut à la rigueur, sans doute, nuire à son client;
mais il est l'analogue du pédicure (jui lime ou extrait les cors. El le dentiste qui
fabri([ue et pose des pièces de prothèse est tout semblable au bandagiste qui
fabrique et pose des bandages. » Que le gouvernement les soumette donc tous
à la même règle ; qu'il renvoie leurs infractions aux disposilions pénales de la
loi sur la médecine et au code pénal. C'e^t le moyen régulier, pratique, d'en finir
avec cette question embrouillée de la limitation du champ d'exercice profession-
nel, qui déjà, sur un autre terrain, celui des deux classes de praticiens, est une
source de perpétuels conflits. Un ne demandera plus oij commence et où finit la
bouche, jusqu'à quel point les dents tiennent aux gencives, si l'alvéole va avec
la dent ou avec le maxillaire, ou celui-ci avec le périoste. Le patient ne sera plus
obligé de courir du médecin ordinaire au dentiste, du dentiste au chirurgien,
pour une névralgie de la face, pour un abcès du sinus maxillaire, pour un kyste
périostique dentaire, etc. Tout cela n'empêcherait pas, mais au contraire appel-
lerait un enseignement spécial au sein du grand enseignement, des cliniques
dentaires parmi les cliniques médico-chirurgicales, analogues à l'enseignement
actuel et aux cliniques actuelles des maladies de la peau, des maladies des yeux,
de la médecine mentale. Bien plus, si l'on tenait absolument à surveiller la pro-
thèse, rien ne serait plus simple que de munir ces cliniques d'un laboratoire
approprié. Conséquemment pas d'écoles odontologiques d'Etat, c'est-à-dire d'é-
coles séparées de la Faculté, avec un personnel professoral distinct. Aucun
besoin non plus d'écoles odontologiques libres et délivrant des brevets de chi-
rurgien-dentiste, telles qu'il s'en est fondé une à Paris (elle exige deux ans d'é-
tudes et trois examens; il ne faut pas la confondre avec la Chambre sijndicale
odontologique de France) ; ces diplômes deviendraient même une sorte d'anomalie
en ce qu'ils constitueraient un titre privé à côté d'un titre officiel. Aujourd'hui,
en l'absence d'une loi qui fixe la position légale des dentistes, un brevet de ce
404 DENTISTE.
genre, outre qu'il rencontre la protection de la loi sur l'enseignement libre,
peut avoir l'avantage de témoigner, sans garantie de l'État, d'un certain savoir,
d'une certaine expérience; il est l'analogue de ce droit de maUrise conféré, dans
ks anciennes corporations, à ceux qui avaient rempli certaines conditions et
fait, comme on disait, leur chef-d'œuvre; il n'aurait plus de raison d'être, si
l'art dentaire était placé sous l'autorité de la loi de ventôse.
Pour résumer toute notre pensée, que la /of divorce avec toutes les spécialités
et que V enseignement les épouse toutes ! On sait déjà que nous exceptons du
divorce la spécialité des accouchements.
Mais nous oublions que nous nous sommes placé volontairement en face
d'une hypothèse, et d'une hypothèse qui peut larder à se réaliser : celle de la
suppression des officiers de santé. Or, en matière d'organisation comme en
beaucoup d'autres, c'est souvent pour les principes une nécessité de s'accom-
moder aux circonstances. Le dentiste obligatoirement oflîcier de santé est un
danger; le dentiste obligatoirement docteur quand il ne voudrait être qu'un
officier de santé est presque une illégalité. Dès lors, il n'y a pour nous de bonne
solution que celle-ci : demander aux Chambres la révision de la loi de l'an XI,
l'unification du diplôme, c'est-à-dire la suppression du second ordre de méde-
cins dans un délai suffisant pour donner toute satisftiction aux besoins de h
santé publique. Si l'on faisait cela, plus de difficultés pour nous. Nous deman-
derions formellement que la nouvelle loi fût applicable à Tart dentaire. Autre-
ment, nous admettrions (à titre provisoire, nous le répétons, et pour un temps
égal à la durée de l'ofticiat) (pi'on préférât au statu quo la création d'un di-
plôme spécial qui fût le prix d'études et d'examens sérieux.
En tous cas, un projet dans ce sens existe, et nous avons à l'examiner.
Une école d'odontologie distincte des facultés et écoles actuelles ne semble pas
encore indispensable, bien qu'il soit possible, comme ledit M. Le Fort, que l'uti-
lité s'en fasse sentir. En attendant, la Commission de la Faculté a fait suLir au
projet de l'Administration certaines additions et certains changements. N'ayant pas
en vue un autre dentiste que le dentiste actuel, limité aux petits soins et aux pe-
tites opérations indiqués au commencement de ce livre, ne considérant pas le
dentiste-médecin, elle se montre modérée dans l'ensemble de ses exigences.
Rejetlant l'obligation du diplôme d'officier de santé, elle le remplace par un
diplôme de dentiste, et écarte à dessin le titre de chirurgien-dentiste, afin de
bien marquer l'interdiction de pratiquer des opérations chirurgicales. Elle
demande au candidat la preuve d'une certaine instruction littéraire, en exi-
geant de lui le certificat de grammaire (mesure excellente, qui a produit de
très-bons effets sur un autre terrain [voy. Officier he santé]), un diplôme
d'études de l'enseignement secondaire spécial. Elle réduit à deux ans la durée
des études, avec un stage d'un an dans un service de chirurgie. Quant au stage
chez un dentiste (ou dans une école d'olontologie), elle le prescrit formellement,
«e tiui peut se comprendre dans un projet destiné à donner à une profession
médicale une organisation entièrement séparée de l'organisation générale de la
médecine. Enfin les examens se composent de trois épreuves très-bien comprises
pour permettre de juger de l'aptitude des candidats. Voici d'ailleurs tout entier
le projet sorti des délibérations de la Commission :
Art. pbemier. A partir du 1" janvier 188..., nul ne pourra exercer l'art dentaii'e, ni porter
le litre de dentiste, s'il n'est pourvu du diplôme spécial de dentiste.
DENTISTE. A65
Art. 2. Pour obtenir le diplôme de dentiste le candidat doit :
1° Être âgé de 20 ans au moins;
2° Produire un certificat de grammaire ou un diplôme d'études de l'enseignement secon-
daire spécial;
ô" Suivre pendant deux années, auprès d'une faculté ou d'une école de médecine, les
cours d'anatomie, de physiologie, de pathologie interne et externe ;
Remplir pendant les deux derniers semestres les fonctions de stagiaire dans un service de
chirurgie;
4° Justifier de deux années de stage, soit chez un dentiste, soit dans une école d'odonto-
logie. Le début du stage, qui ne peut commencer qu'à l'expiration des deux années d'éludés
prescrites par le paragraphe 5, est établi par l'inscription du candidat sur un registre
spécial, soit dans une faculté, soit dans une école de médecine.
Tout changement dans le lieu où l'élève fait le stage devra être précédé d'une déclaration
auprès de la faculté ou de l'école, et consigné sur le registre d'inscription;
o* Satisfaire aux examens établis par la pi'ésente loi.
Art. 3. Chaque jury d'examen est composé d'un professeur de faculté, président, d'un
agrégé et d'un dentiste, nommés chaque année par le ministre de l'instruction publique.
Art. 4. Les épreuves sont au nombre de trois :
1° Une épreuve orale suv l'anatomie, l'histologie, la physiologie de la bouche et de ses
dépendances ; sur la pathologie interne et externe, la matière médicale et la thérapeutique,
au point de vue spécial des maladies de la bouche ;
2° Une épreuve clinique sur un malade atteint d'une affection de la bouche et de ses
dépendances. Le candidat, après avoir établi de vive voix son diagnostic, devra rédiger, sans
pouvoir s'aider de livres, de notes ou lie conseils, une composition écrite sur la nature,
l'étiologie et le traitement de la maladie qu'il a eue à examiner;
3° Une épreuve pratique consistant en opérations faites sur le vivant, sur le cadavTe ou
sur le squelette; extraction, obturation des dents, etc., et, de plus, exécution en loge d'un
appareil de prothèse entier ou partiel, avec application de cet appareil. A la suite de cette
épreuve, le candidat sera interrogé sur les opérations odontologiques, sur la physique, la
chimie, la mécanique et la métallurgie, dans leurs applications à l'art du dentiste.
Art. 5. Les docteurs en médecine et les officiers de santé qui désireront pouvoir joindre
à leur titre celui de dentiste ne seront astreints qu'aux deux années de stage spécial, et
n'auront à subir d'autre examen que l'épreuve pratique établie par l'article 4.
Art. 6. Les étrangers, quels que soient leurs titres, qui désireront pratiquer en France
la profession de dentiste, seront soumis aux examens exigés des nationaux. Toutefois le
ministre, sur l'examen de leurs titres, et après avis du comité consultatif, pourra les dis-
penser des formalités de stage et d'inscription établies par l'article 2.
Art. 7. La liste officielle des dentistes ayant droit 'de pratique légale en France sera
publiée chaque année par les soins du ministre de l'instruction publique. Cette liste, di-essce
par ordre alphabétique, comprendra la mention de résidence, la nature et la date des titres
donnant droit à la pratique.
Dispositions transitoires. Les dentistes français pouvant par pièces officielles, telles que
la patente, établir qu'ils exercent leur profession en France depuis dix ans au moins, sont
admis de droit à la pratique légale.
Ce droit pourra être conféré par le ministre aux dentistes ".étrangers exerçant en France
depuis dix ans au moins, après avis du comité consultatif.
Un délai de trois années est accordé aux dentistes français et étrangers exerçant en France
depuis moins de dix ans pour se soumettre aux examens 'établis par la présente loi. Sur le
vu des pièces établissant la nature de leurs études antérieures et la date de leur établisse-
ment, ils pourront être exemptés des formalités imposées par l'article 2. Passé ce délai, le
droit d'exercice leur sera retiré, à moins qu'ils n'aient satisfait aux examens établis à
l'article 4.
Le programme de la Commission, en ce qui concerne les études, est, comme
on le voit, plus simple, moins onéreux que le programme allemand. Il modifie
le projet de l'administration principalement en ce qu'il ajoute une épreuve cli-
nique, en partie écrite, à l'épreuve orale; en ce que l'élève devra s'initier
aux notions générales de la médecine en suivant des cours d'anatomie, de
physiologie et de pathologie, dans une école préparatoire ou une faculté ; enfin
en ce que le stage chez un dentiste ou dans une école d'odontologie ne sera que
DICT. EXC. XXVII. 5J
466 DENTITION.
de deux ans au lieu de trois ; toutefois il ne commencera qu'à l'expiration des
deux années d'études.
On aura remarqué l'article 5 suivant lequel le stage de deux ans et l'épreuve
pratique (n° 4) seront seuls imposés aux docteurs ou officiers de santé qui vou-
dront acquérir le diplôme de dentiste. Cet article répond à cette pensée exprimée
dans le corps du rapport : que les hommes de l'art, malgré le caractère général
de leur droit d'exercice, ne doivent pas pouvoir pratiquer l'art dentaire sans avoir
subi des épreuves spéciales. Il en est ainsi, comme on l'a vu, dans le système
allemand. Cette pensée, que rend naturelle la préoccupation de la partie tech-
nique de l'art dentaire, nous ne saurions la partager. On s'étonnera d'une res-
triction apportée aux droits du doctorat. Le rapport en donne pour raison
que la technique de l'art dentaire n'est pas enseignée dans les facultés et dans
les écoles médicales ; mais, de ce fait, on pourrait tout aussi bien inférer qu'elle
n'est pas liée à la médecine proprement dite plus étroitement que la techn'que
des autres spécialités, qui n'est pas enseignée davantage; car donner aux élèves
des notions sur les bandages ou sur les corsets n'est pas la même chose qu'exi-
ger la fabrication et la pose de pièces dentaires. Il nous semble d'ailleurs
que cette disposition jetterait quelque confusion dans la matière même qu'il
s'agit de régler. Il n'est pas un praticien de campagne ou de petite ville qui ne
soit appelé fréquemment à extraire, à cautériser des dents, même à les limer,
pour guérir certaines érosions de la langue, ou à les nettoyer pour enlever
les dépôts de tartre qui produisent l'inflammation des gencives. Si c'était là
faire acte de dentiste, il faudrait imposer le stage et l'épreuve pratique à l'im-
mense majorité des docteurs. Restent les pièces artificielles, les appareils de
redressement : est-ce donc toute la dentisterie? Alors, pourquoi soumettre
l'aspirant à des épreuves d'anatomie, de physiologie et de pathologie? Dans
cette difficulté nous ne pouvons voir, pour notre part, qu'un motif de plus de
faire entrer à un titre quelconque l'odontologie dans la clinique des hôpitaux,
en laissant les futurs docteurs ou officiers de santé, si l'on institue des exer-
cices de prothèse, libres de les suivre ou de les délaisser. Il n'est pas à craindre
que des praticiens qui auraient voulu ignorer la prothèse se mettent à vendre
des râteliers artificiels ; et l'enseignement du reste de la pratique dentaire à
l'ensemble des praticiens aurait des avantages incontestables pour les patients
habitant loin des grands centres de population, en dehors desquels, on le sait,
ne se trouvent guère de dentistes dignes de ce nom.
Si nous regrettons vivement en terminant cet article de n'être pas entièrement
d'accord avec un confrère aussi versé que M. Le Fort dans les questions d'organi-
sation médicale, et auquel nous unissent les liens d'une sympathie profonde, en
revanche nous voyons avec grande satisfaction que les principes défendus par nous
l'ont été, avec une compétence spéciale, par M. le docteur Magitot dans une série
de Lettres adressée à la Gazette hebdomadaire (1881, n"* 56-45*). Dechambre.
DEi\TlTlOX. Il convenait, dans une œuvre comme celle-ci, que M. Magitot,
avec l'autorité spéciale qui lui appartient, exposât ses idées personnelles touchant
la question de l'influence, si généralement affirmée, de la dentition, sur la
production d'un certain nombre de maladies autres que celles de l'appareil
* Postérieurement à la rédaction de cet article, la commission de la faculté a spontané-
ment renoncé à la disposition (art. 5) que nous venons de critiquer. Le reste du projet de
M. Le Fort a été voté par l'assemblée des professeurs.
DENTITION. •467
dentaire ou des parties qui y confinent. M. Magitot conteste absolument cette
influence. On a pensé que l'opinion contraire, l'opinion commune , doit être
également représentée. C'est le motif des quelques lignes qui vont suivre.
La dentition par elle-même n'est pas une maladie. Il est cependant assez rare
de la voir parcourir toutes ses périodes sans provoquer chez l'enfant quelque
symptôme morbide. C'est la première époque critique de la vie.
Les accidents auxquels elle peut donner lieu sont locaux ou généraux. Les
premiers n'ont jamais été l'objet de controverse sérieuse. Leur évidence est telle
dans certains cas qu'on ne saurait les mettre en doute et en discuter raisonna-
blement la nature et l'origine. 11 n'en est pas de même des accidents généraux,
qui ont été vivement contestés. Ces divergences d'opinions doivent être expliquées.
Il est certain qu'on ne saurait, sans abus, attribuer à la dentition toutes les
maladies dont un enfant peut être atteint pendant l'évolution dentaire. Sous ce
rapport il y a eu beaucoup d'exagération. Il n'y en a pas moins à méconnaître
des accidents, observés par tous les médecins, accompagnant le travail d'une
dentition difficile, apparaissant au moment de l'évolution d'un groupe dentaire,
diminuant ou cessant dès qu'une dent a percé poiir reprendre quelque temps
après dans les mêmes conditions et sans qu'où puisse faire intervenir une autre
cause. On ne peut nier l'accident, mais on nie la cause et on refuse à la denti-
tion toute influence sur l'état pathologique. On a même prétendu (Rosen) que
les enfants bien nés, indemnes de toute disposition morbide, n'étaient pas sujets
aux accidents de dentition.
11 est remarquable d'ailleurs que nul médecin d'enfant n'a sérieusement
contesté ces accidents. Depuis Guersant père, tous ceux qui ont écrit sur la
pathologie infantile se sont attachés à combattre sur ce point les exagérations
commises et à donner les caractères des véritables accidents de dentition.
Nous venons de voir que les accidents locaux n'ont jamais été sérieusement
contestés et ne pouvaient pas l'être. Ces accidents ne sont d'ailleurs que
l'exagération des symptômes physiologiques. La gencive normalement turgescente
peut devenir très-douloureuse, des aphthes peuvent se développer sur la mu-
queuse voisine, donner lieu à une stomatite plus ou moins étendue. Or, quand
on connaît l'extrême sensibilité des enfants, ou s'expliquerait difficilement à
priori que ces désordres, d'abord localisés, n'eussent pas un retentissement
sur le reste de l'appareil en y provoquant mie irritation plus ou moins
vive qui se traduira par des troubles digestifs variés. Ce qui est applicable à
l'appareil digestif est vrai également pour les organes respiratoires, la peau, le
système nerveux. De là un ensemble de troubles fonctionnels ayant pour
caractère commun de dépendre de la dentition et de ses différentes phases, de
commencer et de cesser avec elles, sans qu'on puisse faire intervenir, à moins
de forcer les faits, aucune autre cause plausible.
La meilleure méthode pour exposer la question serait donc de partir des
accidents locaux indiscutables, de montrer leurs effets immédiats sur les diverses
fonctions de l'enfant et d'en rapprocher les accidents généraux qui peuvent
survenir alors même que les douleurs locales de la dentition sont moins
accusées.
Nous supposons les accidents locaux bien connus et nous ne nous occuperons
que des accidents généraux.
Nous répétons que le caractère commun de ces accidents est de survenir au
moment de la dentition, sans autre cause appréciable; de suivre l'évolutiou des
468 DENTITION.
dents, et de cesser au moment où celles-ci percent la gencive, à moins qu'on
n'ait affaire à des lésions organiques dont la marche ultérieure ne peut être
brusquement suspendue.
La fièvre est la complication qu'on observe le plus généralement. Elle peut
exister seule ou accompagner d'autres manifestations morbides. D'après Rilliet
et Barthez, cette fièvre de dentition se caractérise par son irrégularité. On la
voit survenir, surtout chez les enfants délicats et nerveux, aussitôt que l'éruption
dentaire provoque des douleurs continues. Elle tombe au moment des accalmies,
se réveille a\ec les souftrances. L'augmentation de la température, l'accéléiation
du pouls, s'accompagnent d'une colomlion marquée des joues, où la rongeur a
été plus souvent disposée par plaques. L'enfant est irascible, crie, pleure à la
moindre excitation. S'il est déjà en âge de marcher, il devient paresseux,
demande sans cesse à être porté, criant jusqu'à ce que son désir soit satisfait.
Il est triste, grognon. Si la fièvre persiste, l'appétit devient nul et la nutrition e&t
atteinte. L'enfant maigrit rapidement.
En dehors de la fièvre d'autres accidents peuvent se développer sous l'influence
de la dentition. Nous étudierons sous ce rapport ceux qui surviennent du côté
des voies digeslives, de l'appareil respiratoire, du système nerveux, et nous termi-
nerons par Tétude des maladies cutanées.
Les troubles des fonctions digestives sont peut-être ceux qu'on observe le plus
fréquenmient pendant la dentition. L'irritation de la muqueuse buccale retentit
naturellement sur les autres parties de la muqueuse digestive, d'où la diarrhée
et quelquefois les vomissements qu'on observe communément, [ci les rapports
de sympathie et de contiguïté peuvent être également invoqués. Sur 158 enfants
en dentition, Bouchut a constaté 112 fois la diarrhée.
Ch. West, relevant 2129 cas de diarrhée, montre que la moitié des cas a été
observée chez les enfants âgés de six mois à deux ans, et correspond par consé-
quent à l'époque où ce travail de la dentition est le plus pénible. JNous devons
aussi noter que cette période compreud l'époque de sevrage si périlleuse pour
l'enfant. Le même auteur remarque combien il est fréquent d'observer une
concordance parfaite entre une attaque de diarrhée et la sortie de chaque dent,
la diarrliée cessant au moment où la dent parait à l'extérieur. J'observe en ce
moment un enfant chez lequel l'apparition d'une dent est invariablement
annoncée par une diarrhée qui n'est motivée par aucun changement dans le
régime, aucune modification appréciable dans les habitudes. Au début de sa
dentition cet enfant a été atteint d'une entérite grave, presque cholériformc. que
les traitements les plus rationnels n'ont fait qu'atténuer jusqu'au moment où
les premières incisives se sont montrées. Alors la diarrhée qui durait depuis dix
jours a cessé en quarante-huit heures sans qu'on puisse raisonnablement faire
honneur de la cure au traitement jusque-là impuissant. Ch. y\'est fait remarquer
que cette sensibilité symj athique du tube digestif s'explique à ce moment par
l'évolution active de toutes les parties de l'appareil. En même temps que les
glandes salivaires sont surexcitées, toutes les glandes du tube digestif s'associent
à cette hypersécrétion. Le moindre écart de régime produira alors les plus
fâcheux elléts. Souvent même l'alimentation que l'enfant avait bien supportée
jusqu'alors cessera d'être tolérée et une sécrétion profuse s'établira, sécrétion
que l'on conseillait même autrefois de respecter comme une sorte de soupape
de sûreté modérant l'excitation générale provoquée par la dentition.
Ces diarrhées peuvent être légères. Elles ne réclament alors qu'une surveil-
DENTITION. 469
lance attentive du régime, une diète relative, un clioix éclairé des aliments.
Mais il n'en est pas toujours ainsi. La diarrhée acquiert souvent une intensité
menaçante; son abondance, le caractère glaireux et quelquefois sanguinolent des
selles, montrent assez que les sécrétions de la muqueuse intestinale sont profon-
dément modifiées. Les évacuations, d'abord jaunes, tournent rapidement au vert
et deviennent bientôt séreuses. Elles ont lieu plusieurs fois par heure. Dans ces
conditions l'enfant je refroidit, s'affaiblit rapidement et peut succomber en
plusieurs jours. Mais ces diarrhées de dentition ont habituellement une marche
lente. Elles traînent tant que la dent en évolution n'a point paru. A ce moment
elles cessent pour reprendre à l'occasion d'une nouvelle pousse'e dentaire. Ch.
West insiste sur l'absence ou tout au moins sur le peu d'importance des lésions
constatées dans les autopsies. Une saillie un peu exagérée des follicules de
l'intestin grêle et des glandes salivaires du côlon et du rectum est (juelquefois
la seule lésion que laissent après elles ces diarrhées de dentition.
Un de leurs caractères cliniques, qui permet d'en bien reconnaître la nature
et la cause, est précisément leur résist;mce à toute espèce de traitement. Les
aliments les plus légers, ceux auxquels l'enfant était le mieux habitué, sont
indistinctement nuisibles. Les médications les mieux indiquées n'agissent que
momentanément et ne font que suspendre les accidents. Elles sont néanmoins
utiles en rendant les évacuations moins abondantes, mais, la Ciause persistant, le
mal se reproduit invinciblement jusqu'au moment où la sortie de la dent change
la scène en quelques heures.
Yogel (de Dorpat) émet l'opinion assez singulière que ces diarrhées sont liées
à la salivation abondante qui accompagne la dentition. La déglutition de cette
salive toujours chargée de sels ferait l'effet d'un véritable purgatif. Mais cette
déglutition a-t-elle vraiment lieu, et ne voit-on pas en pareils cas la salive
couler abondamment au dehors, tandis que l'enfant n'en avale qu'une bien
petite quantité?
Le retentissement de la dentition est surtout accentué sur la membrane
muqueuse de l'intestin, et il n'est pas rare de voir des enfants atteints de diarrhées
graves et chez lesquels l'estomac ne cesse pas d'accepter les aliments. Il n'en
est pas toujours ainsi. L'estomac peut être irrité en même temps que la muqueuse
intestinale, et alors au flux diarrhéique se joignent des vomissements qui
aggravent singulièrement la situation. En pareil cas, le dépérissement est beau-
coup plus rapide; la température s'abaisse notablement et la mort peut survenir
en quelques jours. Entons cas, le vomissement constitue donc une complication
des plus dangereuses. Guersant a fait depuis longtemps la remarque que
cette association des vomissements à la diarrhée s'observe plus souvent au
moment de la sortie des canines ou des molaires. C'est en effet le moment
dangereux des dentitions laborieuses.
Les voies respiratoires paient à la di ntition un tribut bien moins lourd que
l'appareil digestif. Ici la sympathie est moins évidente et nous comprendrions
qu'on admît plutôt des coïncidences que de véritables relations. Guersant note
cependant la fréquence des affections du larynx, liilliet et Barthez parlent assez
vaguement de la toux (?). Ch. West est beaucoup plus affirmatif et signale à ce
point de vue le spasme glottique, la laryngite striduleuse, comme une maladie
coïncidant fréquemment avec la dentition, au point que sur 37 cas il en a observé
31 chez des enfants âgés de six mois à deux ans. Conformément h l'opinion de
Marshall-Hall, il attribue à l'irritation du tiijumeau pendant la dentition cette
470 DENTITION.
coïncidence remarquable ; mais il pense qu'il y aurait erreur à se préoccuper
exclusivement de cette cause locale et à n'envisager l'influence de la dentition
qu'à ce point de vue restreint et en quelque sorte mécanique. En effet,
pendant cette période dentaire des changements importants se produisent dans
l'organisme affecté d'une suractivité morbide. De nouvelles maladies appa-
raissent, parmi lesquelles les affections catarrhales des muqueuses, les congestions
des centres nerveux, occupent la place la plus importante. Dans ces conditions,
différentes affections spasmodiques, et le spasme de la glotte en particulier
surviendraient comme un résultat plutôt secondaire que primitif de la dentition.
Les gencives peuvent être à peine gonflées; aucune douleur locale n'existe au
moment même où survient ce trouble nerveux; mais la connexion de ce dernier
avec le travail de la dentition n'en est pas moins indéniable.
West pense que « le temps de la dentition est eu réalité pour l'enfant une
occasion particulière de danger, bien qu'on ne comprenne pas toujours très-bien
pourquoi il en est ainsi. C'est l'époque d'un développement rapide de l'orga-
nisme, de la transition d'une manière d'être à une autre, sous le rapport de
toutes les importantes fonctions dont l'accomplissement régulier préside à la
nutrition et au développement du corps. Les statistiques portant sar les nombres
les plus considérables dénotent les dangers de cette période et montrent qu'il
y a lieu de se féliciter quand on voit le travail de la dentition terminé. »
En citant presque textuellement les paroles del'éminent médecin anglais nous
voudrions bien faire saisir comment on doit comprendre et interpréter l'in-
fluence de la dentition, non-seulement sur le spasme de la glotte en particulier,
mais sur toutes les affections que nous avons étudiées et sur celles dont nous
avons encore à parler. Cette manière de voir est celle de tous les médecins
d'enfants les plus autorisés. Guersant père, Trousseau, Rilliet et Barthez,
expriment tous les mêmes idées dont la justesse ne nous paraît pas discutable.
West reconnaît d'ailleurs que toutes les circonstances pouvant surexciter la
sensibilité de l'enfant sont aptes à déterminer chez lui le spasme de la glotte. La
dentition a donc sur cette affection une influence remarquable. Certaines toux
quinteuses qu'on pourrait appeler coquelucboides peuvent survenir dans les
mêmes conditions. Ces toux de dentition s'accompagnent rarement des symp-
tômes de la bronchite véritable. L'auscultation ne révèle que quelques légers râles
dans la poitrine. La toux apparaît tout à coup, généralement au réveil, et quelque-
fois procède par accès nocturnes déterminant dans certains cas des accès d'op-
pression inquiétants. La déglutition des aliments, l'action de téter, sont une oc-
casion fréquente de crises.
Quant aux bronchites \Taies ou pneumonies, elles ne subissent l'irifluence de
la dentition que d'une façon toute secondaire, la dentition créant, comme nous
venons de le voir, des conditions toutes particulières, une sorte d'opportunité
morbide pour l'enfant.
Convulsions. C'est la complication la plus fréquente de la dentition, celle
qui a de tout temps attiré le plus vivement l'attention des médecins et qu'on
redoute particulièrement. Si on considère que chez l'enfant la convulsion peut
être le résultat de toute irritation, qu'elle peut être provoquée par tout ce qui
trouble plus ou moins violemment les fonctions de l'organisme : douleurs, fièvre,
phlegmasies diverses, etc., on s'expliquerait dilûcilement que la dentition eiit
1 heureux privilège de ne pas figurer dans son étiologie. On observe des enfants,
bien portants d'ailleurs, chez lesquels l'apparition de toutes les dents est
DENTITION. 471
accompagnée de convulsions, au point que les parents, après avoir été fort
effrayés, n'y attachaient plus qu'une médiocre importance. Doit-on attribuer
cette fréquence des convulsions chez l'enfant à une sorte de prédominance du
système spinal sur le système cérébral au début de la vie (West)? Elle serait alors
en rapport avec le peu de développement du cerveau pendant les premiers mois.
Dans cette théorie l'action modératrice de l'encéphale sur les mouvements réflexes
suscités par l'excitation de la moelle fait défaut chez l'enfant, et, par contre, la
moelle est chez lui particulièrement irritable. West fait remarquer que les convul-
sions, qui ont chez l'adulte une gravité exceptionnelle, disparaissent fréquemment
chez l'enfant sans laisser aucune trace sérieuse. Elles remplacent souvent chez lui le
frisson initial de la fièvre et peuvent être provoquées par bien des causes tout à
fait incapables de les déterminer chez l'adulte : vers, constipation, calculs des
voies urinaires et surtout dentition, début d'une fièvre éruptive, simple indi-
gestion.
Les convulsions qui surviennent pendant la dentition n'ont rien de particulier
dans leur forme. Elles peuvent chez les enfants commencer dès le cinquième
mois, accompagner, comme nous l'avons dit, toutes les phases de l'évolution
dentaire, et cesser définitivement avec la période de la première dentition. On
remarque qu'elles se montrent bien plus fréquemment à l'occasion do la percée
des molaires et surtout des canines [dentés matribus detestatœ) qu'au moment
de l'apparition des incisives. Ces convulsions peuvent être limitées ou généralisées.
Quand elles sont limitées, elles occupent différents groupes musculaires, particu-
lièrement à la face, d'où certains tics, une sorte de rictus particulier qu'on
observe souvent pendant le sommeil. Ailleurs les convulsions sont générales.
C'est la grande attaque d'éclampsie avec sa période congestive initiale suivie de
secousses musculaires, de contractures, terminée par un état d'accablement, de
sommeil comateux dont l'enfant sort épuisé, le teint pâle, la figure abattue. Si
la mort a été la suite d'une de ces grandes attaques, ce qui est exceptionnel, il
est remarquable qu'on ne trouve à l'autopsie aucune lésion constante qui puisse
rendre compte des phénomènes observés. C'est le caractère anatomique, en quelque
sorte négatif, de ces convulsions ^qu'on désignait autrefois sous le nom d'idio-
pathiques.
Affections cutanées. Elles se rangent par leur fréquence à côté des convul-
sions et se rattachent peut-être à la dentition d'une façon encore plus évidente.
C'est dans ces cas qu'on voit l'éruption suivre pour ainsi dire pas à pas l'évolu-
tion dentaire, apparaître et disparaître avec la poussée d'un groupe de dents, pour
revenir quelque temps après, annonçant l'apparition d'un autre groupe. Les
formes anatomiques de ces affections cutanées sont habituellement l'érythème,
l'eczéma et l'impétigo. Le plus souvent ces trois affections, les deux- dernières
surtout, sont associées. Chez certains enfants les points envahis par l'éruption
sont limités; chez d'autres la peau est atteinte dans une étendue considérable
et l'éruption peut même se généraliser. Il est remarquable d'observer combien
la santé générale de l'enfant se maintient en quelque sorte indifférente aux
lésions les plus étendues. A part les démangeaisons qui provoquent plusieurs
fois par jour de véritables crises, on voitl'enlant rester gai et plein d'appétit sous
les éruptions les plus abondantes. La peau, et surtout celle de la face, est alors
couverte de croûtes jaunâtres formées par la dessiccation d'un ichore qui suinte
continuellement; la figure est boursouflée, les oreilles épaissies et gonflées ; les
cheveux agglutinés, tous les ganglions voisins hypertrophiés, quelques-uns même
472 DENTITION.
s'enflamment et suppurent. Les souffrances augmentent ordinairement pendant
la nuit et l'enfant paraît plus fatigué de ces insomnies prolongées que de l'érup-
tion elle-même qui les^détermine. Ces éruptions sont tenaces, rebelles aux traite-
ments les plus rationnels, se réveillant tout à coup après avoir paru disposées à
s'éteindre. Au bout d'un temps variable, oscillant assez habituellement entre
trois et six semaines, l'éruption diminue rapidement et disparaît laissant la peau
écailleuse ou lisse et comme veinée. Bien souvent alors, si on regarde les
gencives, on voitjqu'un groupe dentaire a fait son apparition.
S'il nous paraU difficile de nier le lien qui existe entre ces éruptions et la
dentition, nous sommes tout disposé à admettre qu'elles se manifestent de
préférence chez les enfants de souche arthritique ou herpétique. On a égale-
ment observé que l'influence de la nourrice avait une certaine importance. Le
changement de lait> fait chez certains enfants disparaître en quelques jours une
éruption ancienne ou qui s'était reproduite plusieurs fois déjà. Tout en faisant la
part de la dentition, il faut, autant que possible, remonter dans les antécédents,
où l'on trouvera quelquefois^une disposition morbide qui ne sera pas sans valeur
pour le choix d'un traitement. Notons encore les otites ou otorrhées, les engor-
gements lymphatiques cervicaux, etc.
Après avoir passé en revue les principaux accidents qui peuvent survenir
pendant la dentition, il convient de rechercher quels sont les caractères géné-
raux, communs, de ces accidents, caractères qui permettent de les rapporter à
leur véritable cause.
Rilliet et Barthez font remarquer avec beaucoup de justesse qu'ici le sym-
ptôme constitue souvent toute la maladie et que les lésions font habituellement
défaut.
Dans la grande majorité des cas les accidents généraux se montrent dans les
dentitions laborieuses, alors que la souffrance locale a augmenté l'irritabilité
excessive des enfants. Les affections qui surviennent dans ces conditions attei-
gnent rapidement leur summum d'acuité et se compliquent facilement de phéno-
mènes nerveux. Rebelles]^à!^tous les traitements tant que persiste l'irritation qui
leur a donné naissance, elles^ cèdent avec la plus grande facilité aussitôt que les
symptômes locaux se sont amendés. Les symptômes généraux qu'elles provoquent
ne s'expliquent pas par les lésions légères que l'on peut constater pendant la
vie, et les autopsies ont démontré que les altérations organiques faisaient le plus
souvent défaut et n'étaient pas, tout au moins, en rapport avec la gravité de ces
symptômes.
11 ne faut cependant pas méconnaître les difficultés extrêmes que peut présenter
le diagnostic. Ces difficultés se rapportent surtout aux affections cérébrales et
intestinales ; d'autant^plus qu'une méningite, une congestion cérébrale ou une
entérite grave, peuvent fort bien survenir pendant la période dentaire. Ces mala-
dies gardent alors leurs caractères propres et rien n'est changé dans leur évolu-
tion. C'est précisément l'absence de ces principaux caractères qui distingue les
accidents de dentition. Tout se passe en quelque sorte à la surface, et des traits
nombreux manquent au tableau. Dans certains cas, on croit avoir affaire à une
méningite. Les convulsions, la céphalalgie, les vomissementa, sont réunis dans un
ensemble des plus alarmants ; mais les caractères du pouls font défaut ; la
température n'a pas ces grands écarts qu'elle affecte dans la vraie méningite et
que M. Roger a particulièrement signalés. Un jour, l'enfant paraît au plus mal;
le lendemain une détente définitive a lieu. Ces faits se rapportent à ce qu'on a nommé
DENTITION. -475
la pseudo-méningite dentaire. S'agit-il d'une affection bronchique, même irré-
gularité. L'enfant tousse incessamment; la toux a un caractère presque convulsif.
L'auscultation ne laisse percevoir aucun râle ou seulement quelques râles dissé-
minés cfui n'expliquent rien. On soupçonne souvent une coqueluche au début.
Ces phénomènes persistent quelques jours sans amélioration sensible et dispa-
raissent en quelques heures. J'observe en ce moment un enfant de vingt-
cinq mois qui sans cause appréciable est pris de cohques et de toux. On ne
trouve rien dans la poitrine ; les selles glaireuses sont accompagnées de ténesme.
L'enfant était en bonne santé la veille et rien n'a été changé à son régime d'ail-
leurs très-surveillé. L'examen des gencives me montre une des secondes molaires
soulevant fortement la muqueuse. La gencive est douloureuse, l'enfant crie à la
moindre pression. La dent paraît et dès le lendemain l'enfant a repris sa bonne
humeur et sa santé. Chez un autre âgé de sept mois, nourri par sa mère, et
suivi de très-près, à la suite d'une journée passée dans rajipartement, en
raison des mauvaises conditions atmospl)ériques, la fièvre s'allume tout à coup
dans la soirée. L'enfant s'agite et crie toute la nuit. Une toux incessante se
déclare; la poitrine paraît assez embarrassée pour qu'on administre d'urgence
un vomitif. Dès le matin, tout cet orage se calme; l'enfant, un peu affaibli, a
repris de la gaîté, bien qu'il soit encore un peu irritable. La gencive est examinée
et on voit poindre la première incisive inférieure. Les accidents ne se sont pas
renouvelés. Chez un troisième, également noui-ri par sa mère, jeune leznme dont
la santé ne laisse rien àdésirer, la peau, jusque-là parfaitement nette, commence
vers six mois à présenter quelques plaques d'eczéma. La poussée dentaire exas-
père l'éruption qui couvre toute la face et une partie du tronc. Les huit incisives
sortent successivement et l'eczéma se modifie en quelques jours après avoir
résisté pendant six semaines à divers traitements.
Tous ces faits peuvent être discutés, surtout quand on ne les a pas constatés
de visu ; mais le médecin qui assiste à la scène pathologique, qui obsirve les
rapports des choses, échappe difficilement à cette conclusion : qu'il y a un lien
intime entre ces accidents et le trouble général suscité dans l'organisme par le
retentissement de la période dentaire. L'évidence de la conclusion s'impose quand
une nouvelle période dentaire ramène les mêmes accidents-, et le scepticisme le
plus enraciné tient difficilement contre ces arguments cliniques.
C'est ce qui explique le consensus pi'esque généi'al des médecins sur ces acci-
dents suscités par la dentition, accidents que le père de la médecine avait le
premier signalés. Sans vouloir faire ici l'hiïtorique de la question, nous voyons
que Haller, Hunter, Baumes, ont décrit ces accidents. De nos jours, les auteurs du
Compendium, Rilliet et Barthez, Trousseau, Bouchut, Ch. West, Vogel, Fonssa-
grives, les ont étudiés. Mais, sans en contester l'existence, la plupart de ces
auteurs réagissent contre l'opinion trop exclusive de ceux qui rendent la den-
tition responsable de toutes les maladies qui atteignent un enfant entre cinq
mois et deux ans. Par contre, et de nos jours, des médecins distingués consi-
dèrent ces accidents de la dentition comme tout à fait exceptionnels ou même
les nient formellement. C'est ainsi que l'auteur fort estimé d'un Traité de mala-
dies d'enfants Johann Stein ( de Prague ) ( Compendium des maladies des
enfants, 1880), repousse formellement toute connexion entre la dentition et les
maladies locales ou générales qui lui sont attribuées. Il considère ces maladies
comme dues au manque de propreté, à un traitement malheureux (?) des maxil-
laires des enfants.
474 DENTITION.
Ce n'est donc pas sans quelque surprise que nous lisons à la fin de son
article les lignes suivantes : « 11 est non moins établi que dans la dernière phase
de l'e'ruption des dents, notamment à l'égard des molaires, les enfants sont en
proie à une certaine mauvaise humeur, à de 1 agitation. Leur caractère est
chagrin; ils souffrent de symptômes fébriles. Ajoutons que ces troubles généraux
disparaissent avec la cessation des perturbations locales ».
Nous ne soutenons pas autre chose et l'aveu méritait d'être enregistré. En
somme, la vérité est entre les deux extrêmes, et dans bien des cas le retentisse-
ment de la dentition sur l'organisme fournira l'explication de symptômes variés
dont on chercherait vainement l'origine ailleurs.
Ici, comme partout, les auteurs ont donné des théories diverses sur la nature
de ces accidents. 11 serait peu intéressant d'en faire un examen critique, d'autant
plus qu'elles se réduisent toutes à ce fait d'une influence sympathique ou réflexe
de l'irritation gingivale sur les principaux appareils. Considérée dans son
ensemble, cette explication nous paraît très -admissible et aussi justement appli-
cable à la dentition qu'elle l'est en principe aux symptômes morbides qui
signalent la puberté, l'âge de retour ou tout autre état physiologique pouvant à
un moment donné susciter des troubles divers. Il faut avant toutes choses et,
comme nous l'avons maintes fois indiqué, tenir compte de la sensibilité extrême
de l'enfant à un moment oîi tous les organes sont dans une période en quelque
sorte aiguë de développement.
La question de thérapeutique est ici très-limitée; elle doit se restreindre
aux indications spéciales créées par la dentition, le traitement ordinaire des
accidents restant le même. On aura soin chez un enfant irritable, nerveux, que
les dents travaillent particulièrement, d'éviter toutes les occasions morbides.
Le régime devra être attentivement surveillé. Tout écart, ailleurs inoffensif, serait
dangereux à ce moment. La sensibilité de l'enfant doit être ménagée, toute
répression un peu énergique de ses petites fautes sera évitée. C'est le moment
des précautions et des attentions de toute nature. Si quelque accident apparaît :
toux, diarrhée, convulsions, etc., les moyens usités seront applicables comme
en toute autre circonstance.
Dans les cas où ces accidents revêtent un caractère de gravité exceptionnelle,
convient-il de s'attaquer à la cause et de chercher par une médication locale à
conjurer Je danger? Nous voulons parler ici de l'incision des gencives, qui est
encore le remède favori de beaucoup de médecins.
Sans lui accorder une efficacité héroïque, nous croyons que cette petite opéra-
tion peut rendre de grands services. Il y a là des conditions d'opportunité qu'il
faut connaître. Si la gencive est gonflée et douloureuse, si le tissu est assez
mince pour qu'on puisse arriver sur la couronne de la dent, l'incision est indi-
quée. Nous conseillons de faire préalablement avec une aiguille très-fme une
sorte de ponction exploratrice qui permet de reconnaître à quelle distance se
trouve la couronne dentaire. Si la couche qui la sépare de l'extérieur n'est pas
très-mince, l'incision serait inutile. Les lèvres se cicatriseraient au-dessus delà
couronne et le tissu cicatriciel serait plus résistant que le tissu gingival normal.
Mais, si l'incision doit mettre à nu la couronne dentaire, il n'y a aucun inconvénient
à la pratiquer. Elle doit être assez profonde pour diviser tout le tissu superposé
à la couronne. On préfère habituellement une petite incision cruciale. Son effet
immédiat est d'ailleurs de décongestionner Li gencive, d'où un soulagement très-
rapide. Dans certains cas, le calme déterminé par celte légère opération est
DENYAU. 475
vraiment remarquable; au bout de quelques minutes un sommeil tranquille suc-
cède à une agitation inquiétante.
En tdus cas l'opération est suns aucun danger.
Si l'incision n'est pas indiquée, on peut essayer de modérer les douleurs en
frictionnant doucement les gencives avec un sirop calmant. Le sirop de belladone
convient parfaitement et peut remplacer diverses mixtures de composition plus
ou moins mystérieuse et dont l'efficacité supérieure est tout au moins fort
douteuse ; on prescrira des bains un peu prolongés, d'un quart d'heure à vingt
minutes de durée, après lesquels on couchera l'enfant pendant quelques heures.
Nous demandons la permission de ne pas revenir sur celte question un peu ridi-
cule de l'utilité ou du danger des différents hochets qui nous paraissent absolu-
ment indifférents, pourvu que par leur nature ils ne puissent pas blesser les
tissus délicats de la bouche.
Nous ne nous sommes occupé dans cet article que des accidents liés à la
première dentition. Ce n'est pas qu'on ne puisse, chez des enfants prédisposés
ou particulièrement nerveux, observer au moment de la seconde dentition des
symptômes analogues à ceux que nous avons décrits, mais ces accidents sont
beaucoup plus rares et ne présentent en tous cas rien de particulier. Quant à
ceux qui accompagnent assez souvent l'éruption des dernières molaires, des dents
de sagesse, ils sont exclusivement locaux et relèvent du traitement chirurgical.
11 est à remarquer qu'en ce cas les accidents locaux les plus sérieux ne provoquent
pas ces réactions multiples et polymorphes, que nous avons cru devoir rapporter
à la première dentition. On pourrait y voir un argument contraire à la nature
véritable de ces réactions. Nous pensons au contraire que cette sorte de silence
de l'organisme démontre combien les conditions sont encore diflérentes et com-
bien on aurait toi't de conclure de ce qui se passe chez l'adulte à ce qu'on
observera chez l'enfant où tous les symptômes s'exaltent si facilement sous la
double influence d'une sensibilité exagérée et de l'état particulier créé par
l'évolution organique. Blachez.
de:vtau (Les deux).
Le père se nommait Mathurin, le fils Alexandre-Michel, Ils ont joui tous deux
d'une grande réputation comme praticiens à Paris.
Oenyau (M.vthurin). Était de Vendôme (Loir-et-Cher) ; il fut f;\it docteur le
24 janvier 1635 et mourut à Senlis le 7 mars 1680, laissant de sa femme,
Claude Poitou, plusieurs enfants, parmi lesquels :
Denyau (Alexandre-Michel). Né à Paris le 6 mai 1657, il fut reçu docteur
le 20 octobre 1658, et mourut à Paris sur la Paroisse de Saint-Sulpice, le
12 mars 1712. Il avait épousé Françoise Guignard de la Solaye, fille de Michel
Guigziard de la Solaye, chirurgien du roi. Voici, du reste, son acte d'inhuma-
tion :
Paroisse Saint-Sulpice.
Le quatorze mars 1712 a été fait le convoy, service et enterrement, de Alexandre-Michel
DEÎS'YAU, doyen de la Faculté de médecine de Paris, et ancien professeur royal, âgé de
soixante et quinze ans, décédé le 12' du présent mois, rue et liôlel de Bussy ; et y ont assisté
M'= Augustin-Guillaume Denyau, avocat au Parlement, son fils, et M^= Urbain Garbe, prieur
de Saint-Vincent, son neveu, qui ont signé.
U. Garbe, Denïau.
47t3 DÉODACTYLES.
Que l'on ne s'y trompe pas : Alexandre-Michel Denyau ne fut jamais doyen de
la Faculté de médecine, comme le ferait croire l'acte précédent. Il ne fut que
doyen par date de réception doctorale, Decanus ad honorem, Antiquior, mais non
doyen en charge, Decanus ad omis.
Les deux Denyau n'ont laissé que leurs thèses qu'ils ont soutenues comme
bacheliers ou comme présidents d'actes.
Mathurin Donyau a signé les suivantes :
An à titillatu risiis ? oui, 1633. — An ulceraio utero non dolente rà oÙ7ra9>) doleanl ? oui,
1634. — An humorales febres ab humoruni putreditie ?oui, 1635. — Ah heroum filii noxœ?
oui, 1656.
A Alexandre-Michel Denyau appartiennent :
An ingeniosi ad risum et fletùm proclives ? oui, 1657. — An arthritidi conveniant pyro-
tica? oui, 1658. — Est-ne solus sanguis purus corporis alimentum? oui, 1658. A. C.
DENYS (Jacobus). Chirurgien et accoucheur du dix-huitième siècle, né
Leyde. Il servit pendant sept ans dans les Indes en qualité de médecin, puis
vint se fixer dans sa ville natale où il jouit de la faveur de Boerhaave et de celle
d'Oosterdyk Schacht; c'est là aussi qu'il fit la connaissance de Rau, dont il adopta
les procédés de lithotomie. En 1719 fut fondé à Leyde un collège médical ad
negotia artis obstetricice : Benys y fut aussitôt nommé accoucheur et en 1725
fut officiellement chargé d'un cours pour les sages-femmes. C'est en 1750 qu'il
publia son ouvrage sur la lithotomie où il attaquait \ivement Titsing etSermes:
Heelkundige aanmerkingen over den steen een het snijden von denzelven
(Leyden, 1730). Titsing lui répondit en 1831 par un autre ouvrage. Les avis
sont du reste assez partagés sur la valeur de Denys ; Ulhoorn le traite d'ignorant
et de rapace; van Swieten, au contraire, dit de lui, dans ses Commentaires :
« Aliquoties ad fui dum calculosos secaret Denys »; et ailleurs : « Crebris et feli-
cissimis scctionibus calculi secundum methodum Ravianamcelebris ». Titsing
lui-même, son adversaire le plus sérieux, lui rend justice, surtout au point de
vue de l'art obstétrical ; il le considère comme un excellent accoucheur et vante
surtout sa connaissance des difformités du bassin. Denys a publié un ouvrage
sur les accouchements : Verhandelingen over het ampt der vroedmesters en
vroedvroiiwen (Leyden, 1733). Dans ce livre, il suit Portai et surtout Deventer;
il a passé longtemps pour un bon guide à l'usage des commençants.
L. Ih.
DÉODACTYLES. Comme nous avons déjà eu l'occasion de le faire observer,
l'ordre des Passereaux {voy. ce mot), tel que le comprenaient G. Cuvier et les
naturalistes de son époque, était un groupe hétérogène, dont la classification
intérieure présentait nécessairement de grandes difficultés. Ce groupe, G. Cuvier,
dans la première édition de son Règne animal, le partageait en deux catégories
comprenant, l'une les espèces « oiî le doigt externe, presque aussi long que celui
du milieu, lui est uni jusqu'à l 'avant-dernière articulation »; l'autre les espèces,
infiniment plus nombreuses, « où le doigt externe est réuni à l'interne seulement
par une ou par deux phalanges ». La première catégorie était constituée par
une seule famille, celle des Syndactyles (de o-uv, avec, préposition marquant la
reunion, etddy.zvloç, doigt), tandis que la seconde se composait de quatre familles
dont les noms faisaient allusion à des formes différentes des mandibules, ou
plutôt de l'étui corné qui revêt les mandibules. Ces quatre familles étaient
DÉODACTYLES. 477
appelées par G. Cuvier Dentirostres, Fissirostres, Conirostres et Ténuirostres,
mais la grande division qui renfermait ces groupes secondaires et qui avait la
même importance zooiogique que la division des Syndactyles ne portait pas,
dans la première édition du Règne animal, de désignation particulière, et c'est
plus tard, et dans d'autres ouvrages, qu'elle a reçu le nom de Déodactijles
(de Ô2ÎW, je divise, et 5â-/Tu)oç, doigt). Mais il importe de remarquer : l"^ que
cette dénomination, qui signifie litléralemcnt Oiseaux à doigts indépendants,
ne convient pas rigoureusement à tous les Passereaux de cette catégorie, puisque,
comme Cuvier le reconnaissait lui-même, beaucoup d'entre eux ont encore les
doigts en partie réunis à la base par une petite membrane ; 2° qu'elle semble
consacrer l'importance d'un caractère purement extérieur, celui de l'extension
plus ou moins grande d'une membrane interdigitale. Or, chez les Oiseaux, comme
chez les Mammifères, les caractères empruntés au système tégumentuire et
notamment aux parties cornées ou membraneuses de la tête ou des pattes sont
loin d'avoir la valeur des caractères fournis par le squelette et l'organisation
intérieure; souvent même les premiers conduisent le naturaliste à des rappro-
chements inexacts, ainsi que nous aurons l'occasion de le montrer en parlant
de l'ordre des Passereaux {vog. ce mot).
Des critiques analogues peuvent être fornmlées pour les subdivisions de la
catégorie des Déodactyles, c'est-à-dire pour les Dentirostres, Fissirostres, Coni-
rostres et Ténuirostres [voy. ces mots), et l'on est forcé de reconnaître qu'en
s'attachant à la forme du bec pour l'établissement de ces différents groupes
Cuvier a souvent rompu les liens de parenté qui existent entre certains oiseaux,
tandis que d'autre part il a associé des genres essentiellement différents.
Dans la famille des Dentirostres, comprenant les Passereaux dont le bec est
muni d'une dent de chaque côté de la pointe, G. Cuvier énumérait un assez
grand nombre de genres, pour la plupart mal délimités. Ainsi, après les Pies-
grièches {voy. ce mot) et les Pies-grièches hirondelles ou Langrayens, oiseaux à
plumage gris ou brunâtre, plus ou moins varié de blanc, à bec bleuâtre, à ailes
très-allongées, qui vivent en Australie, en Papouasie et en Malaisie, et qui
constituent pour les naturalistes modernes le genre Artamus, venaient les Cassi-
cans ou Barila, dans lesquels Cuvier faisait rentrer non-seulement des oiseaux
au plumage varié de noir et de blanc et au bec crochu qui ressemblent à la fois
à des Corbeaux et à des Pies-grièches de grande taille, mais encore une espèce
de Paradisiers, le Manucode vert delà Nouvelle Guinée; puis les Bécardes [Psaris)
de l'Amérique tropicale, que l'on range maintenant parmi les Cotingas, les
Choucaris {Graucalus) qui portent une livrée grise ou noirâtre, avec des bandes
blanches dans le jeune âge, et qui sont répandus depuis l'Inde méridionale
jusqu'en Australie et à la Nouvelle-Guinée, les Bélhyles ou Cissopis, les Tan-
garas, les Gobe-Mouches, les Tyrans [voy. les mots Tangara et Gobe-Mouche),
les Cotingas, magnifiques passereaux américains, au plumage vert, bleu, pourpre,
noir ou blanc, à la tète souvent ornée de pendeloques et de caroncules, les
Échenilleurs, voisins des Choucaris, les Jaseurs [Ampelis), dont une espèce se
montre parfois dans notre pays et qui sont si remarquables par la présence à
l'extrémité de quelques plumes de leurs ailes de petites productions cornées,
de couleur écarlate, les Gymnodères, alliés aux Cotingas, les Drongos asiatiques
et africains {Edolius), au plumage noir, à la queue souvent ornée de brins
démesurément allongés, les Merles (voy. ce mot), les Chocards, que l'on réunit
maintenant aux Corbeaux (voy. ce mot), les Loriots, les Fourmiliers, les Gincles,
478 DÉODACTYLES.
les Philédons, les Martins, les Lyres, les Manakins et les Becs-fins , dont nous
dirons quelques mots.
Les Loriots [Oriohis), à une ou deux exceptions près, se reconnaissent tous
à leur plumage d'un jaune d'or, rehaussé de noir chez le mâle ou nuancé de
verdàtre chez la femelle; ils sont à peu près de la taille d'un Merle et se ren-
contrent dans tout l'Ancien-Moade, en Europe, en Asie et en Afrique. Les Four-
miliers, au contraire, sont des passereaux américains aux couleurs ternes, qui se
nourrissent de fourmis et de menus insectes. Les Ciiicles, les uns d'un brun
fuligineux uniforme , les autres bruns avec le ventre blanc, sont connus vulgai-
rement sous le nom de Merles d'eau. Ils ont en effet les formes générales d'un
Merle, avec la queue plus courte, et se plaisent dans le voisinage des torrents;
ils plongent avec facilité et peuvent même courir pendant un certain temps sous
l'eau, soit pour chercher leur nourriture, soit pour gagner leur nid. placé
ordinairement entre des pierres moussues, sous une chute d'eau. Les Philédons
de Cuvier ne contribuent en aucune façon au genre naturel ; on y trouve côte à
côte des Méliphages comme le Tropidorhynque corniculé de l'Australie, et des
Étourneaux comme le Goulin {Sarcops calvus) des Philippines. C'est encore au
groupe des Étourneaux qu'appartiennent les Martins [Gracula) de G. Cuvier,
qui auraient dû par conséquent être rangés, non dans les Dentirostres, mais dans
les Conirostres du même auteur. Les Lyres (Menura) sont de magnifiques passe-
reaux australiens que leur grande taille et leurs allures ont souvent fait prendre
pour des Gallinacés. Dans ce genre d'oiseaux, en effet, les mâles font la roue
comme des Paons, en étalant leur queue, dont les pennes latérales se recourbent
en S, tandis que les pennes médianes, à barbes très-espacées, figurent assez bien
les cordes d'une lyre. Les Manakins et les Coqs de roche, ceux-là de dimensions
très-réduites, ceux-ci gros comme des Pigeons, sont originaires de l'Amérique
tropicale et se font remarquer par l'éclat de leurs couleurs. Quelques-uns sont
d'un brun cramoisi, avec les plumes du sommet de la tête redressées en une
sorte de cimier et couvrant en partie la base du bec, qui rappelle un peu un bec
de Mésange. Quant aux Becs-fins, ce sont des oiseaux que tout le monde connaît ;
en effet, c'est parmi ces passereaux insectivores que se placent, suivant G. Cuvier,
les Traquets [voy. ce mot), que l'on voit souvent, pendant la belle saison, per-
chés au sommet d'un buisson ou accrochés à une tige de graminée et faisant
entendre un petit cri saccadé , qu'on a comparé au tic-tac d'un moulin, les
Bergeronnettes et les Hochequeues ou Lavandières, qui courent à pas pressés dans
les pâturages ou au bord des ruisseaux en agitant en cadence leur longue queue
comme le battoir d'une lavandière, les Rubiettes, les Rossignols, les Fauvettes
ordinaires, les Roitelels, les Farlouses ou Pitpits, qui ont certains liens de parenté
avec les Alouettes, sans parler d'une foule d'espèces étrangères à la faune de nos
pavs. L'énuinération des Becs-fins que l'on rencontre en France nous entraînerait
déjà beaucoup trop loin: aussi nous nous contenterons de citer parmi les Rubiettes
le Rouge-gorge, qui est d'un gris brun tirant à l'olivâtre, avec la gorge et la poi-
trine d'un roux ardent et le ventre blanc, et qui, surtout à l'arrière-saison, se
montre singulièrement familier, s'approchant des endroits habités et pénétrant
même dans les fermes isolées ; le Rouge-queue et le Rossiguol de murailles, oiseaux
plus farouches, qui font leurs nids dans les vieux murs, et la Gorge-bleue,
répandue dans toute l'Europe orientale, en Asie et en Afrique. Le Rossignol est
l'objet d'un article spécial {voy. le mot Rossig.nol), de même que le Troglodyte
{voy. ce mot), mignonne petite créature que l'on confond souvent avec le Roi-
DÉODACTYLES. 470
telet, mais qui porte une livrée beaucoup plus terne que ce dernier, et n'a pas
comme lui une huppe de plumes dorées sur le sommet de la tête; nous laisserons
donc de côté ces passereaux, et nous passerons rapidement aussi sur les Fau-
vettes, petits oiseaux au plumage gris ou verdâtre, qui sont pour la plupart
doués d'une voix harmonieuse et qui, au printemps, se montrent fréquemment
dans nos jardins, à la lisière des bois ou dans les roseaux, au bord des rivières.
Ces Fauvettes sont des oiseaux éminemment utiles, car elles se nourrissent
presque exclusivement de vers et de petits insectes et débarrassent les forêts et
les arbres fruitiers d'une foule d'animaux nuisibles.
Il n'est peut-être plus un seul ornithologiste qui admette, à l'heure actuelle,
la famille des Fissirostres telle que la concevait G. Cuvier; tout le monde, en
effet, reconnaît la nécessité de séparer nettement les Hirondelles des Martinets,
car, si ces oiseaux ont certaines analogies extérieures et se ressemblent par leurs
ailes très-longues, leur queue souvent fourchue et leur bec largement fendu, ils
diffèrent beaucoup les uns des autres par le squelette : les Hirondelles sont
construites sur le même type que les Moineaux, les Mésanges et les Gobe-Mouches,
tandis que les Martinets se rapprochent beaucoup par leur charpente intérieure
des Engoulevents et des Oiseaux -Mouches {voy. ce mot) et doivent constituer avec
eux un groupe particulier dans l'ordre des Passereaux.
Les Alouettes, ces petits passereaux que l'on voit pendant l'été' s'élever en sif-
flant gaiement au-dessus des sillons dans lesquels se cachent leurs nids, les
Mésanges {voy. ce mot), les Bruants, au bec conique, au plumage strié et souvent
varié de jaune, qui comptent dans leurs rangs l'Ortolan {voy. ce mot) si prisé
des gourmets, et les Moineaux, qu'il est superflu de décrire, constituaient, pour
G. Cuvier, les premiers genres de la famille des Conirostres.
Tout à côté des Moineaux se plaçaient les Pinsons {voy. ce mot), les Linottes,
dont la livrée est souvent rehaussée par une calotte ou un plastron d'un rose vif
et qui se montrent en troupes, à certaines saisons, dans nos champs et dans nos
vignes; les Chardonnerets {voy. ce mot, en addenda à la lettre C) ; les Serins
{voy. ce mot) ; les Veuves, qui vivent en Afrique et dont la queue est souvent
munie de longues plumes recourbées en familles; les Gros-becs {voy. ce mot),
parmi lesquels on plaçait autrefois les Bouvreuils et les Becs-croisés; les Colious,
passereaux singuliers que l'on rencontre dans les parties les plus chaudes de
l'Afrique et qui grimpent et se suspendent aux branches à la manière des Perro-
quets; les Glaucopes, oiseaux de la Nouvelle-Zélande, au plumage cendré, au
bec garni à sa base de caroncules charnues; les Pique-bœufs [Buphaga), qui
vivent en Afrique et vont sur le dos des bestiaux chercher les larves de diptères
cachées sous le poil ou enfoncées dans la peau ; les Cassiques américains et leurs
proches parents, les Etourneaux européens; les Sitlelles, dont une espèce, fran-
çaise {Sita europœa), a reçu le nom vulgaire de Torchepot à cause de l'habi-
tude qu'elle a de rétrécir, avec de la boue ou des matières fécales, l'entrée de
son nid ; les Corbeaux {voy. ce mot) et leurs proches parents, les Pies et les
Geais {voy. ces mots) ; les BoUiers, qui auraient été mieux placés à la suite des
Guêpiers et des Calaos, et qui ont le plumage vert, bleu ou rougeâtre, mais
toujours de couleurs vives; les Mainates {Eulabes), de l'Inde et des Moluques, à
la tête souvent dénudée et ornée de pendeloques charnues, et enfln les Oiseaux de
Paradis ou Paradisiers {voy. ce mot), qui comptent parmi les plus beaux oiseaux
de la faune papouane.
Les Ténuirostres, c'est-à-dire les passereaux « au bec grêle, allongé et plus ou
480 DEONTOLOGIE.
moins arqué dans sa totalité, sans échancrure >;, étaient partagés, dans la clas-
sification de G. Cuvier, en trois genres seulement; les Huppes, les Grimpereaux
et les Colibris ; mais ces trois genres étaient extrêmement vastes , on peut
dire beaucoup trop vastes, ou composés d'éléments hétérogènes. Ainsi aux
Huppes proprement dites [voy. ce mot), qui avec les Irrisor méritent sans doute
de constituer un groupe particulier, G. Cuvier a.ssociait les Graves [Fregilus],
qui sont de vrais Corbeaux, et les Épimaques (Epimachus), qui sont des Para-
disiers {voy. ce mot) ; de même aux Grimpereaux ordinaires {voy. ce mot) il
réunissait non-seulement les Soui-Mangas {voy. ce mot), les Sucriers, les Dicées
et autres passereaux mcUiphages {voy. le mot Sucrier), mais encore lesFourniers
{Furnarius) , oiseaux américains, qui construisent leurs nids avec de la terre
gâchée et qui doivent plutôt être placés dans une famille voisine de celle des
Fourmiliers (FormicarùWs). Seuls les Colibris ou Oiseaux-Mouches (î;oî/. ce mot)
constituaient un groupe naturel, mais un groupe beaucoup trop nombreux et
qu'il était nécessaire, pour la commodité de l'étude, de subdiviser en groupes
secondaires.
Le genre Colibri {Trochilus) terminait, dans le système que nous analysons,
non-seulement la famille des Ténuirostres, mais le groupe de Passereaux qu'on
a nommé plus tard les Déodactyles; immédiatement après venaient les Syn-
dactyles, dont il sera traité dans une autre partie de ce recueil {voy. le mot SïiN-
DACTYLEs) et qui établissaient la transition des Passereaux aux Grimpeurs.
E. OUSTALET.
Bibliographie. — G. Cuvieb. Le règne animal, !'• édit., 1817, t. I, p. 334. — Ch. Bonaparte.
Conspectus avium, 1850, t. I. — Blanchard. Recherches sur les caractères osléologiques des
oiseaux appliqués à la classification de ces animaux. la A?in. des se. nat., Zool., i' série,
1859, t. XI, p. 11. — Degland et Gebbe. Ornithologie européenne, 2° éd., 1867, t. I et II. —
A. Milke-Edwards. Recherches sur les oiseaux fossiles des terrains tertiaires de la France,
1869-1871, t. II, chap. xxix, p. 196. — G.-R. Gbay. Handlist of Gênera and Species of Birds,
1869-1871, 1. 1 et II. — Sclateh et Salvin. Nomenclator avium neotropicalium, 1873.
E. 0.
DÉOD.iR. Ce nom, qui, suivant le docteur T. Thomson, signifie don de
Dieu, est donné dans l'Inde à une espèce de pin, appelé aussi Kelon, dont la
térébenthine, très fluide, est employée par les indigènes contre les ulcères et
les maladies de la peau, j)^
DÉO\^TOLO€ilE (de oio'i , devoir) et dicéolosie (de^waiov, devoir).
Des deux mots placés en tête de cet article, le premier, quoique créé depuis
peu de temps (par Max Simon), est entré dans l'usage des médecins; l'autre est
d'aujourd'hui et, quoique j'y tienne médiocrement, il est né d'une sorte de
nécessité : je veux dire la réciprocité nécessaire des devoirs et des droits. Deux
néologismes parallèles, concernant deux choses qui le sont également, devenaient
d'ailleurs une commodité de langage.
Une autre observation à faire, c'est que le mot déontologie ne répond pas
avec la même exactitude à toutes les qualités qui sont à souhaiter chez un
médecin et même n'embrasse pas toutes celles dont il est habituellement traité
dans ,les recueils de conseils professionnels. Cela vient de ce que les auteurs,
à commencer par Hippocrate, ne considérant pas le médecin seulement en lui-
même, mais aussi dans ses rapports avec le public, sont conduits par là à
s'occuper de toutes les qualités que le public doit rechercher en lui et dont
DÉONTOLOGIE. 481
quelques-unes sont tout à fiiit étrangères au domaine moral. Aussi, obligé d'en-
visager tous les côtés du sujet, donnerai-je pour base à cette étude les qua-
lités, plutôt que les devoirs proprement dits, du médecin praticien.
De toutes les professions, la profession médicale est certainement celle qui
est mêlée au plus grand nombre d'intérêts moraux. Cette remarque, cent fois
reproduite, et échappée même à des détracteurs de la médecine tels que
J.-J. Rousseau, a atteint aujourd'hui un degré de lianalité qui est tout à
l'honneur des médecins, mais qui m'aurait engagea i'écarler, si elle ne servait
de préambule naturel à l'exposé qui va suivre de toutes les conditions dans les-
quelles l'homme de l'art a été de tout temps appelé à rendre service à la
société.
Coup d'œil msTORiQiiE. L'art de guérir a sans doute commencé partout
comme nous le voyons commencer chez les peuples barbares de notre temps.
Les maladies, effet de la colère des démous ou de divinités supérieures, ont
surtout pour remède des formules conjuratoires, des sacrifices et cent autres
pratiques superstitieuses. Mais des croyances de cette nature, qui ne se sont
jamais effacées, qui ont traversé les civilisations les plus brillanlcs et qui durent
encore, n'ont jamais annulé, comme ellesn'annulentpas aujourd'hui, lesentiment
naturel qui porte l'homme à se secourir lui-même. Il paraît impossible que
l'individu souffrant n'ait pas, dès l'origine des temps, trouvé dans son instinct
quelques moyens de soulager ses maux.
Déjà, chez les Indous, même aux époques les plus anciennes auxquelles nous
reporte leur littérature médicale, les nombreuses allusions qu'on rencontre dans
le Rig-Véda touchant l'influence bienfaisante, la générosité, le dévouement des
médecins, attestent chez ceux-ci un fonds sérieux d'honneur professionnel. Plus
tard, sous la civilisation brahmanique, pendant la période classique de la litté-
rature médicale et celle des systèmes philosophiques, des Codes de Manou, la
caste des médecins, dont les devoirs se précisèrent davantage, ne fit que
gagner en considération. La science qu'ils enseignaient était toujours une
science révélée; et c'est le caractère qu'on attribue à l'Ayurveda [Science delà
vie) et à quelques ouvrages dont les autres ne sont que les commentaires. Aussi,
et cela est dit par Suçruta, l'auteur de l'Ayurveda, les textes de ces ouvrages
principaux devaient-ils être appris mot à mot, comme un catéchisme, et obéis à
la lettre^ Il en fut de même, du reste, en Egypte, où, suivant Diodore de Sicile
(L. I, c Lxxxii, Bibl. gréco-latine de Didot), la peine de mort était prononcée
contre ceux qui violaient les drescriptions du Code sacré de la médecine.
En Grèce, en Italie, le respect de l'art médical a eu des interprètes nombreux
chez les philosophes et les lettrés. Pythagore l'appelle un art divin (Apollonius
de Tyane, Let. XXIII) ; Cicéron, le sceptique Lucien, vantent sa noblesse, etc., etc.
Chez les barbares comme chez les nations civilisées, les chefs de peuple, les
grands, ont leurs médecins. Mithridate a ses Scythes comme Alexandre a son
Philippe, comme nos empereurs et nos rois auront leurs premiers médecins.
Bref, quand la médecine est devenue laïque, et même avant de l'être tout
à fait, si l'on a pu se moquer d'elle quelquefois; si Lucien lui-même, qui la vantait
si fort, la taquine dans ses épigrammes [n° 38) et dans son poème sur la goutte,
les médecins n'en ont pas moins toujours conservé le genre d'autorité attaché
* L'absence de chronologie dans t'histoire de l'Inde antique ne permet pas d'indiquer
l'époque à laquelle remonte cet ouvrag-e. De savants linguistes croient que l'écriture dans
l'Inde ne remonte pas beaucoup au delà du temps d'Alexandre.
DICT. ENC. XXVII. 31
482 DÉONTOLOGIE.
à la nature (les services qu'ils rendaient ou qu'on attendait d'eux. C'était déjà
dans ce temps- là comme du temps de Molière.
Le médecin a, sans doute, toujours eu deux rôles à remplir: un rôle public
et un rôle privé : celui-ci ressortant de la profession, celui-là ne se détermi-
nant et ne se développant qu'avec les progrès de la civilisation. Disons, le plus
brièvement possible, comment ce rôle nous apparaît dans la suite des temps.
I. Rôle publîo du médecm. A part la grande situation à laquelle le médecin
était élevé dans l'Inde et dans l'Egypte antique par sa qualité de prêtre et de
dépositaire d'une science révélée, il serait difficile, je crois, de lui assigner
quelques fonctions publiques dans le genre de celles auxquelles furent appelés
plus tard les médecins grecs et romains. Au temps des Rajas, les devoirs publics
des médecins indous consistaient essentiellement à se dévouer en toute circon-
stance à ces chefs féodaux, protecteurs de tout mouvement scientifique et litté-
raire, patrons des prêtres, des astronomes, des médecins, etc., dont ils faisaient
publier les œuvres. Il devait refuser le secours de son art à tout ennemi du roi,
à ceux que le roi avait condamnés comme traîtres.
Avec la loi mosaïque, la médecine prend un corps, et le rôle du thérapeute se
dessine. Cette loi est en grande partie une institution de prophylaxie sanitaire,
et c'est précisément sur ce terrain et sur celui de l'assistance médicale, qui lui
est connexe, qu'il convient de suivre d'abord les progrès de la médecine publique.
Hygiène et assistance médicale. La prophylaxie sanitaire instituée par
Moïse porte nécessairement l'empreinte de la théogonie du temps et du lieu;
c'est aux mains du prêtre qu'elle est confiée : c'est lui qui inspecte les lépreux,
qui les sépare les uns des autres et qui veille à l'exécution de ces deux remar-
quables prescriptions : purifier les vêtements, racler et recrépir les murailles
des maisons infestées de lèpre; c'est lui aussi qui écarte du sacrifice les animaux
malades. Dans Homère, s'accuse déjà le rôle que jouaient dans les pratiques
salutaires des Grecs les exercices corporels et la balnéation. Ce n'est encore
qu'un usage, très-répandu, il est vrai ; plus tard sont fondés dans les grandes
cités grecques des bains publics, tantôt exploités par l'administration, tantôt
affermés. Ils sont bientôt réunis aux gymnases; les stades marchent de pair.
La culture de l'être physique par l'exercice corporel, par le genre d'alimenta-
tion et par des mesures d'État d'un caractère parfois sauvage, est le but suprême
des lois de Lycurgue. Y avait-il dans ces établissements d'hygiène un rôle pour le
médecin? C'est ce qui ne ressort d'aucun texte; tout au plus pourrait-on le
conjecturer d'après d'autres rapports officiels des médecins avec les cités. Des
médecins municipaux en effet (dont on peut suivre l'origine jusqu'à plus de
cinq siècles avant J.-C), nommés à l'élection par les citoyens, salariés par les
villes sur le produit d'un impôt particulier {Impv/.ov), avaient le devoir de dis-
tribuer les secours de l'art à tous ceux qui les réclamaient, disent ceux-ci; aux
indigents seulement, affirment ceux-là. Platon avait à cet égard, une idée assez
originale ou plutôt conforme au principe qui prévalait dans la civilisation de
ce temps : le principe des inégalités sociales, peu favorable] à l'idée générale
d'humanité. Il voulait qu'on refusât le bienfait de la médecine aux gens mal
constitués de corps et d'esprit. Je dirai plus loin la conduite des médecins
indous envers les incurables.
La médecine à Athènes était uniquement pratiquée par les hommes libres,
dont les aides [ministri medicorum) soignaient les esclaves. Cum œgrotantes
DÊOiNTOLOGIE. ^^^5
in civitatibus servi sunt et liberi, nonne vides ut servis fere servi pler unique
medicentur circumcursantes et in medicinis e.rpectantes (Platon, les Lois,
p. 529 du t. Il de la Bibl. gre'co-Iat. de Didot)? Les médecins municipaux
n'agissaient certainement pas autrement que les autres. Le nombre variait, à
mon avis, contre l'opinion de M. le docteur Vercoulre [La méd. publique de
Vantiquité grecque), suivant le chiffre de la population. Leurs services deve-
naient pre'cieux en temps d'épidémie. Leur position officielle, à laquelle un
traitement était attaché (bien qu'il leur fût permis de recevoir en dehors du
traitement municipal des dons des citoyens aisés], rendait leur zèle oMi^atoire
et prévenait la désertion. Les villes récompensaient d'ailleurs quelquefois, par
des honneurs publics ou des privilèges, ceux qui s'étaient distingués par leur
dévouement et leur désintéressement. Une officine publique était mise à la dis-
position de ces médecins : c'était là que se rendaient les malades pour y subir
certaines opérations et y recevoir des médicaments; peut-être ceux qui y étaient
transportés pour des blessures graves y restaient-ils quelque temps à demeure.
Hippocrate, qui donne de précieux détails sur la destination et l'aménagement des
officines, ne dit rien de bien précis sur les devoirs spéciaux des médecins publics;
ses conseils sur l'hygiène sont de ceux qui peuvent s'adresser à tous les praticiens.
N'oublions pas de rappeler les secours médicaux que les médecins grecs
allaient quelquefois porter au loin en temps d'épidémie. On sait qu'Hippocrate,
mandé en Macédoine, y envoya son fils Thessalus avec des instructions médicales,
tandis que son autre fils Dracon et son gendre Polybe étaient dépêchés dans
d'autres directions.
Si du monde grec nous passons au monde romain, l'intervention du médecin
dans toutes les grandes institutions sanitaires devient plus directe et plus
étendue. On le sait, à Rome, la médecine fut pendant plusieurs siècles toute
domestique ; quand elle eut des représentants spéciaux, ce furent des esclaves,
des affranchis, presque tous Grecs, et ce sont ceux-là surtout que Caton désignait
au mépris public. Rome avait fait de leur mérite une expérience particulière
dans la personne d'Archagatus, venu ou appelé du Péloponèse (vers 219 av. J.-C.).
Elle ne l'avait pas créé médecin municipal ; rien n'indique qu'elle lui ait attribué
un salaire quelconque ; mais elle lui avait acheté une boutique (tabernam) des
deniers publics et lui avait décerné le droit quiritaire. L'expérience avait mal
tourné, et ce médecin ou plutôt ce chirurgien (vulnerarius) avait été obligé de
quitter le pays. A partir de Jules César, qui accorde le droit de cité à tous les
médecins, la profession gagne rapidement en dignité et en influence, et est
appelée à d'honorables fonctions dans toutes les institutions impliquant un in-
térêt sanitaire, depuis les associations d'artisans jusqu'à la maison de l'Em-
pereur. Laissons de côté, faute de documents suffisants, le rôle de l'art médical
dans les nombreuses applications de l'hygiène aux travaux publics ou privés :
à la construction des égouls, à l'écoulement des eaux, à l'assainissement des ter-
rains marécageux (il fut plusieurs fois question, vers la fin de la république et
sous les premiers Césars, d'assainir la campagne romaine), à la distribution des
eaux potables, à l'orientation et à la police des cimetières, etc. Ne nous atta-
chons qu'aux fonctions spéciales auxquelles les médecins ont été successivement
portés par le progrès de la civilisation et de la science médicale en particulier.
Je suivrai en cela un bon guide, 31. le docteur Briau, sauf les réserves que j'ai
déjà eu occasion de faire ailleurs sur quelques-unes de ses affirmations.
Des médecins étaient attachés aux jeux du cirque, pour y veiller au maintien
484 DEONTOLOGIE.
de bonnes dispositions hygiéniques, pour en soigner le personnel dans toutes leurs
maladies, enfin, très-probablement, pour porter des secours immédiats en cas
d'accidents survenus pendant les courses. Ces médecins étaient choisis par les
associations ou factions concourant aux jeux : chaque faction avait le sien pour
ses employés particuliers. Il est certain également que les liidi gJadialorii et les
ludi nmtutini (réservés aux combats d'animaux) étaient également pourvus de
médecins ; mais il est douteux s'il y en avait d'autres que ces unclores préposés
aux frictions huileuses et aux massages et dirigeant les exercices des gladiateurs
et des lutteurs. Y avait-il des médecins du xyste (portique couvert où l'on s'exer-
çait à la palestre) ? Aucun texte ne l'établit et l'on peut en dire autant quant au
collège des Vestales; je ne puis partager sur ces deux points l'opinion si arrêtée
de M. Briau, sans néanmoins la contredire absolument. Mais il y en avait dans
les collèges d'artisans; du moins rencontre-t-on dans les inscrifitions des noms
de médecins parmi les membres de ces collèges, et il n'est guère douteux qu'ils
y soient entrés pour y exercer leur profession et qu'ils y aient eu conséquemment
une situation distincte de celle des autres membres de l'association. On en peut
rapprocher, bien qu'il ne s'agisse plus là d'un service public, ceux que les
maîtres chargeaient de donner des soins aux familles esclaves et qni étaient eux-
mêmes de condition servile. Los empereurs avaient leurs médecins; c'étaient les
archiàtres, dont Andromaque (sous Néron) fut le premier; on peut assurer même
que quelques-uns d'entre eux avaient plusieurs médecins, constituant une véri-
table maison médicale. Dans celle qu'avait formée Septime Sévère, il y avait
un premier médecin, qui seul recevait un traitement fixe. Constantin, à By-
zance, avait près de lui, au contraire, plusieurs médecins décorés tous du titre
d'archiâtres, mais avec un comte à leur tête, un président [cornes archiatrorum) .
Ce titre s'est étendu à des médecins fonctionnaires d'un autre ordre, et à côté de
l'archiâtrie palatine se place l'archiâlrie municipale, réserve faite du temps où
celte désignation entra dans la langue officielle. 11 s'agit de l'organisation, dans
l'empire romain, de cette médecine publique que nous signalions tout à l'heure
en Grèce. De proche en proche, elle passe des cités helléniques, où la con-
quête la trouve tout instituée, jusqu'au centre des provinces romaines; elle
est favorisée par l'émancipation des médecins sous Jules César, et enfin spécia-
lement réglée par Antonin le Pieux. Aux termes du décret, les petites villes pou-
vaient avoir cinq médecins publics; celles de moyenne importance, sept; les
grandes, dix. Les médecins étaient nommés directement par les conseils des
cités, assistés des propriétaires ; ils pouvaient être révoqués pour cause de
négligence ou de mauvaise conduite. Des immunités particulières leur furent
attribuées. Antonin le Pieux les exonéra des charges personnelles et civiles,
et Julien des charges sénatoriales [senatoriis muneribus). L'institution fut con-
firmée et réorganisée en 568 par Yalentinien.
Cette forme d'assistance médicale envers les indigents, qui en certaines cir-
constances avait eu pour occasion les misères que la guerre laissait après elle,
n'était probablement pas la seule. 11 ne serait pas déraisonnable de conjecturer
que le concours des médecins était requis pour le service de certaines institutions
de bienfaisance, et que, par exemple, ils aient eu quelque devoir à remplir spé-
cialement envers ces enfants pauvres des deux sexes auxquels Trajan assura, par
un statut célèbre, des secours perpétuels. Mais aucun texte, que je sache, ne vient
à l'appui de cette supposition.
L'assistance médicale prend une forme nouvelle à peu près à la date de l'édit
DÉONTOLOGIE. i85
de Valentinien. Dans une haute antiquité, bien difficile à déterminer, les malades
étaient exposés sur les places publiques, afm, dit l'iutarquc, que chacun put
leur conseiller le remède qui l'avait guéri dans un cas semblable (Plutarque,
3/o/-.,p. 1520, Bibl. Didot). Cet usage durait encore en Orient, entretenu moins
par une pensée d'utilité publique que parla misère, quand saint Jérôme et saint
Basile fondèrent à Jérusalem et à Gésarée des hospices, des hôtelleries {ÎvjoSo'/jîot),
de Itjo;, étranger) pour les pèlerins, auxquels des soins médicaux étaient assurés
dans leurs maladies. 11 n'est pas sur que ces hospices aient recueilli les ma-
lades des places publiques. Enfin une grande dame romaine, Fabiola, l'amie de
saint Jérôme, fonda à Rome même un véritable hôpital (fin du quatrième siècle).
A partir de cette époque, un long temps s'écoule avant que l'hygiène publi-
que crée de nouveaux devoirs à la protession médicale. Bientôt même cette
partie de la science décline comme les autres et finit [lar tomber. Presque
rien des capitulaires de Charlemagne et de ses successeurs ne concerne 1 hygiène
ou l'assistance publique. On remarque cependant des dispositions relatives au
prix des grains et du pain (après la famine de 79'2), à la défense de l'expor-
tation et de l'accaparement des denrées (après la disette de 805). Un des capitu-
laires, celui de 79Ô, règle l'administration laïque de certains hôpitaux. Les
léproseries sont des habitacles de réprouvés. Pourtant, contre le fléau terrible
de la peste, bien fait pour réveiller l'apathie des populations et des autorités,
quelques mesures sanitaires sont prises à partir du quatorzième siècle ; mais il
faut de longs âges encore pour qu'elles deviennent réellement intelligentes et
efficaces, pour qu'elles arrivent à revêtir le caractère international, pour qu'elles
reçoivent partout, plus ou moins suffisamment, les seules lumières qui puissent
les guider sûrement : les lumières de la science médicale. Les quarantaines
s'étendent à la fièvre jaune, au choléra, aux épizooties ; on place des médecins
sanitaires en sentinelles aux diverses portes d'entrée de ces fléaux. Les devoirs
publics des hommes de l'art se multiplient en se diversifiant avec les institu-
tions : grâce à leur concours on réglemente le commerce et la vente des sub-
stances alimentaires ; on renouvelle même l'institution ancienne des langayeurs
de porcs; on surveille ou l'on soumet à la formalité de l'autorisation les profes-
sions et les industries susceptibles de nuire à la santé, y compris la prostitu-
tion ; on s'occupe davantage de l'assainissement des villes, des hôpitaux ; on
fonde un service de secours aux noyés et aux asphyxiés ; on organise l'emploi
des eaux minérales naturelles, qui deviennent une grande richesse publique en
même temps qu'une importante ressource de thérapeutique. Les aliénés, que la
loi romaine confiait aux familles sous leur responsabilité et que notre société a
longtemps laissés sans secours, même quand ils étaient judiciairement protégés,
ainsi que je le dirai, vivant quelquefois dans une sorte de liberté sauvage
comme des fauves, plus tard recueillis dans les hôpitaux communs mais en-
chaîné comme des malfaiteurs, sont enfin, grâce à la généreuse initiative des
Pinel, traités comme des malades ordinaires ; on leur ouvre des refuges salubrcs,
où ils jouissent de toutelalibertcqueleur état comporte; on en ouvre également
et l'on prodigue les soins médicaux les plus attentifs aux enfants, aux vieillards,
aux incurables. La découverte de Jeûner provoque des mesures préventives
contre la variole ; on a comme un reflet des antiques médecins des villes dans
les médecins des bureaux de bienfaisance, dans ceux qu'enrégimente l'assistance
médicale dans les campagnes. On institue des médecins de l'état civil pour l'en-
registrement des naissances et pour la constatation des (Jécès. L'hygiène et
486 DÉOiMOLOGlE.
l'assistance médicale étaient devenues dès le commencement de ce siècle une
affaire d'État assez importante pour qu'elle ait été comprise dans l'enquête
ouverte par le Premier Consul sur les grandes institutions de la France. Aujour-
d'hui, le médecin remplit dans les institutions charitables un rôle^ qui, pour
ne pas répondre encore à tous les besoins, n'en est pas moins d'une importance
considérable et d'une grande efticacité.
2" Sur la médecine d'armée, qui astreint l'jiomme de l'art à des devoirs si
spéciaux, l'antiquité nous offre de précieux renseignements. Suçruta consacre un
cliapitre aux devoirs des médecins indous pendant la guerre; un d'eux accom-
pagne le roi au même titre que l'astrologue et le prêtre. Son premier devoir est de
veiller à la préservation du roi, comme parle le texte : le salut de celui-ci, c'est
le salut de lanation tout entière. 11 doit déjouer les ruses de l'ennemi, qui essaiera
d'empoisonner les provisions de bouche, l'ombre des arbres, le soldes chemins;
i] doit se munir des instruments et des remèdes utiles, et en campagne comme
ailleurs : « apporter dans l'exercice de ses fonctions la sagesse, l'amour de la
vérité et le sentiment de la justice. » Du temps d'Homère les médecins présents
à l'armée comptaient, comme chefs ou soldats, parmi les combattants; on les
détachait pour les besoins du service. Dans les armées lacédémoniennes, il y en
avait, au dire de Xénopbon (Gouv. de Lac, ch. xiv, éd. Haase), qui se tenaient
près du roi avec les joueurs de flûte et les devins. Le ser\ ice médical des armées ne
paraît pas se modifier sensiblement sous Xénopbon (Corlieu, Gaz. hebd., 1879,
p. 589), non plus que sous Alexandre; mais il fut plus fortement organisé dans
l'empire romain par Auguste. C'est à cette époque qu'apparaît, dans les armées
devenues permanentes, \emedicus militaris. Des infirmeries [valetudinarid] sont
installées dans les campements; des médecins y sont spécialement attachés, ainsi
qu'à la cohorte, à la légion, au corps des vigiles, au corps des auxiliaires ; il y
en a aussi dans la marine. Cette organisation peu à peu relâchée, puis brisée
par les invasions barbares, reste détruite pendant tout le moyen âge, où les éru-
dits ne signalent pas trace de médecin d'armée. Celui-ci reparaît avec Charles
le Téméraire, qui attache des médecins et des chirurgiens à ses compagnies ;
une pléiade de médecins d'armée se distingue dans les siècles suivants : parmi
eux, l'illustre Ambroise Paré, qui fut chirurgien de Charles EX et de Henri 111.
Enfin Sully fonde les hôpitaux militaires et organise un service de santé dont le
service actuel peut être considéré comme une suite et un perfectionnement.
0° Si l'on considère maintenant ce qu'on appelle aujourd'hui la médecine
légale et \si jurisprudence médicale, on en trouve des rudiments dans une très-
haute antiquité.
Nous avons vu les médecins égyptiens punis de' mort pour s'être écartés
des préceptes de l'art. La loi mosaïque ne les atteint, que je sache, nulle part;
si elle s'occupe de l'avortement accidentel, elle ne dit rien de i'avortement
volontaire. Les Asclépiades, on le verra mieux plus loin, l'interdisaient à leurs
disciples, mais le serment qu'ils exigeaient d'eux à cet égard est un témoignage
de plu= du silence gardé par la loi. Dans l'antiquité grecque et même romaine,
l'avortement volontaire était pratiqué librement, dans un intérêt de famille,
pour diminuer le nombre des héritiers, ou dans l'intérêt de l'État, pour dimi-
nuer la population. On sait que de nos jours le médecin est quelquefois appelé
à éclairer la justice dans l'application de l'article 27 du code pénal ainsi conçu
(avec une incorrection de langage qui a été respectée) : « Si une femme con-
damnée à mort se déclare et s'î"/ est vérifié qu'elle est enceinte, elle ne subira
DÉONTOLOGIE. 487
sa peine qu'après sa délivrance. » Or, on lit dans jEIien que, l'Aréopage ayant
condamné à mort pour crime d'empoisonnement une femme enceinte, il fut
sursis à l'exécution jusqu'à ce que l'enfant fût venu au monde. On peut, à bon
droit, présumer que le cas avait été soumis à l'examen des hommes de l'art. En
termes généraux, Hippocrate regrette que la société ne soit pas mieux protégée
contre les écarts de la pratique médicale ; il se plaint qu'aucune pénalité n'at-
teigne ceux qui compromettent la sûreté publique par leur ignorance {la Loi).
Bien que la capacité professionnelle ne fût alors garantie par aucun titre légal,
la qualité de médecin couvrait bien des méfaits. Cependant Platon établit entre
les fautes des médecins une distinction formelle : Quicumque curans aliquem
« invitus » leto dat, piirus esto ex lege [les Lois, t. II, p. 427, Bibl. Didot).
C'est la même immunité que confère aujourd'hui notre diplôme, en ne livrant
à la répression légale que les fautes commises par ignorance ou par négligence,
avec cette différence pourtant que la condition exigée du fait de la mort d'être
involontaire n "équivaut pas précisément à celle de résulter d'une impéritie.
Un plus grand souci de la vie humaine sous les derniers empereurs païens et
sous les premiers chrétiens amena des dispositions législatives concernant l'exer-
cice de la médecine. Et d'abord l'avorlement, qui est une des expressions les plus
manifestes du mépris de la vie, devint passible des peines les plus sévères, et
même bientôt de la peine capitale, qui fut maintenue plus tard par les Con-
ciles. La responsabilité du médecin est étendue et mieux précisée. Le principe
de Platon passe dans les lois : le médecin n'est pas poursuivi pour les accidents
involontaires de sa pratique, mais l'incapacité et la négligence sont punies sur la
poursuite des intéressés. La justice appelle l'homme de l'art à l'assister pour la
découverte des crimes et pour la détermination des responsabilités : Meclici proprie
non s^mt testes, sed magis judiciiim quam testimonium (Digeste). Quant aux
aliénés, s'il n'est pas certain que la justice au moyen âge ait eu recours à
l'homme de l'art pour examiner leur état mental, il l'est qu'elle les a entourés
de protection, et qu'elle n'a pas méconnu leur irresponsabilité légale.
Avec le droit canon, le principe de la responsabilité des médecins est main-
tenu ; il traverse les siècles, quelquefois exagéré, mais en général maintenu
dans les limites où nous le voyons aujourd'hui [voy. Responsabilité). Et en
même temps que les progrès parallèles de la civilisation et de la science donnent
une connaissance plus claire et permettent une protection plus efficace des in-
térêts matériels et moraux de la société, à mesure que s'établit e*: se consolide
le principe de l'égalité de tous devant la loi, on voit se dégager, avec l'assistance
médicale, un code de protection des citoyen* contre le crime, du criminel lui-
même contre les erreurs ou les empiétements de la justice, du foyer contre
certaines suites de la débauche, de l'ouvrier contre les périls de sa profes-
sion, etc. C'est le souffle du progrès qui à la place des épreuves judiciaires
du serment, du feu, de l'eau bouillante, de l'eau froide, de la croix, du champ
clos, mettant l'innocence ou la culpabilité de l'accusé à la merci d'une inter-
vention surnaturelle, à la place de toutes ces coutumes aveugles et barbares
dont on retrouve encore aujourd'hui l'analogue chez des peuples sauvages, mit
cette haute et on peut dire cette sainte garantie de l'expertise médicale, qui
n'a cessé, depuis saint Louis et Philippe-le-Bel, de devenir plus humaine.
Les progrès de la médecine légale furent lents en Europe. Leurs initiateurs
les plus célèbres sont : en; France, Ambroise Paré (mort à la fin du seizième
siècle); en Italie, Paul Zacchias (milieu du dix- septième siècle).
488 DÉUMULOGIE.
4° Dès le seizième siècle, on pressent de divers côtés une inÛuence plus générale
et plus profonde de la médecine sur l'ordre social ; l'économie politique tout
entière la subira. Après Bacon, notre Bordeu est un de ceux qui signalent le
mouvement ; un des nôtres encore, Quesnay (au dix-huitième siècle), le détermine,
non précisément par des applications directes de connaissances médicales au
gouvernement de l'État, mais en établissant le principe de la suprématie des lois
de la nature. Il crée cette science qui a reçu — pour le perdre, il est vrai, bien-
tôt — le nom de physiocratie {y^xriç, nature), et devint le précurseur des écoles
diverses d'économie sociale qui se sont succédé depuis, jusqu'à la sociologie
de nos jours, dont les apôtres les plus fervents sont ou ont été des médecins.
5" 11 est enlîn, dans le cercle d'action de la médecine, un point à signaler.
Tout le monde connaît les antiques rapports de cette science avec la philoso-
phie grecque. De nos jours, cette fusion est devenue encore plus complète, du
moins en certains points, et sous une autre forme. La [ihysiologie et la psychologie
ne marchent plus de front, comme deux sciences distinctes, du consentement
unanime des opinions. C'est la tendance de la physiologie actuelle de se subor-
donner entièrement la psychologie. Jusqu'ici, il faut bien le reconnaître, elle y
réussit médiocrement, et longtemps encore la profonde, peut-être l'irrémédiable
obscurité du problème protégera l'autonomie de la psychologie, comme de la
logique et de la morale; mais ce qui n'est pas contestable, c'est le grand purti
que le médecin peut tirer de l'observation de l'homme malade pour l'étude des
facultés psychiques. C'a été une de ses supériorités au temps de la sorcellerie
et de la démouomanie ; c'en est un encore aujourd'hui en médecine jadiciaire
et dans nombre de problèmes sociaux que les gouvernements sont appelés à
résoudre. Et cette pleine connaissance de l'homme intellectuel et moral, qui
appartient au médecin observateur plus qu'à tout autre, qui le prémunit plus
sûrement contre l'erreur et le' préjugé, qui répand pour lui une lumière
paiticulière sur les actions des hommes, a été de tout temps, dans la pratique,
un guide et une force pour lui-même et pour ceux qui demandent ses conseils.
Ainsi s'est constitué et lentement agrandi le domaine dans lequel le médecin,
appelé à mettre son art au service de la communauté, a contracté des devoirs
publics. On comprend que le code des devoirs privés, qui incombent à tout
homme de l'art, se soit établi plus vite.
11. Rôle privé du médecin. Le devoir que dicte la conscience n'a pas besoin
d'être défini, u Le devoir, disait Cruveilhier, dans un discours prononcé à la
rentrée de la Faculté de médecine (1856), c'est l'honneur, c'est la vie morale de
l'homme, c'est la vie morale des sociétés, qui languissent lorsqu'il se relâche, qui
périssent lorsqu'il s'éteint. » Il n'y a pas de morale particulière pour le méde-
cin : qu'il soit honnête homme dans l'exercice de sa profession comme dans
toutes les autres circonstances de sa vie, voilà tout. Néanmoins, cette profes-
sion a un caractère si spécial, elle confie à celui qui l'exerce de si grands inté-
rêts, elle l'appelle à des fonctions si délicates, elle le charge de responsabilités
si lourdes, elle l'initie à tant de secrets, qu'elle soumet i'accompUssement du
devoir à des conditions plus hautes et plus rigoureuses pour lui que pour tout
autre. L'objet exclusif de la profession médicale est, en un seul mot, de faire le
bien ; aucune autre n'a ce grand privilège. Dans toutes on doit exiger l'honnê-
teté; celle du médecin, avec celle du prêtre, est la seule dans laquelle ce soit
une forme obligatoire de l'honnêteté de se mettre au service de tous, délever
DÉONTOLOGIE. 489
l'intérêt d'autrui au-dessus du sien propre, de braver les dégoûts et les fatigues,
de risquer sa vie pour le salut de ses semblables ; et c'est en réalité un hom-
mage que lui rend la loi quand elle crée pour lui des obligations et des respon-
sabilités exceptionnelles, parce que c'est lui reconnaître par là une certaine
prééminence dans l'échelle des professions.
La dignité de l'art médical et les devoirs du médecin sont corrélatifs. Xa
première condition pour que la dignité médicale soit respectée, c'est que le
médecin lui-même en soit pénétré plus que personne. Quand il se sera dit que
son importance dans la société, découlant du bien qu'il est appelé à faire, ne
doit être employée qu'à faire le bien en réalité, et ne doit pas dégénérer en une
force abusive dont les malades aient à souffrir, il aura posé la grande règle de
toute sa conduite. « Là où est l'amour des hommes est aussi l'amour de l'art »,
est-il écrit excellemment dans les Préceptes (llipp.), [•ist-ce à dire que le médecin
doive être le serviteur, soumis et obéissant, de tous ceux qui réclament ses
offices, de l'administration comme des individus? Non, certes. S'il a des devoirs
à remplir, il a des droits à revendiquer. Les droits du médecin, c'a même été le
sujet spécial de quelques dissertations, et il en est une qui traite résolument du
devoir des malades (Woltfgand). On reconnaîtra par plus d'un exemple que la
médecine^, par cela même qu'elle est respectable, a le droit de se faire respecter;
par cela même qu'elle rend des services, a le droit de demander qu'on veuille
bien compter avec elle. Le dévouement du médecin, l'abnégation même absolue
qu'il doit s'imposer en beaucoup de circonstances, n'empêchent pas que son art
s'exerce, comme les autres, sur la base d'un contrat entre lui et la société,
et, s'il se sent élevé au-dessus des termes vulgaires de ce contrat, ce n'est pas
une raison pour qu'il laisse à la société toute liberté d'y manquer.
Le sentiment des devoirs privés du médecin, quoiqu'il doive remonter à
l'origine même de l'art de guérir, ne serait pas aisé à dégager du peu qu'on sait
de ces temps reculés. Dans l'Inde antique, en Chaldée, en Egypte oii tout
est d'abord hiératique et mugique, les devoirs du médecin comuienceut
par se confondre avec ceux du prêtre et du magicien ; mais avec le temps
quelques-uns s'en dégagent avec une certaine netteté. Les qualités exigées du
médecin indou, par exemple, ne bont pas sans analogie avec celles que recom-
mandait Hippocrale, et cette analogie va même jusqu'aux qualités physiques.
D'après Suçruta, le médecin doit être de bonne famille, beau, fort, vigoureux,
discret, aimable, sérieux sans prétention, et gai. Il doit avoir le plus grand
soin de sa personne, se présenter partout en ami, absolument sobre en toutes
choses et esclave de la vérité. Son empressement auprès des malades doit être
pour ainsi dire sans bornes. Seulement, dans l'intérêt de sa réputation et pour
sauvegarder la dignité de l'art, il doit refuser ses soins à ceux qu'il aura
reconnus pour incurables. Voilà ce qui n'est pas dans Hippocrale ; mais ce
qu'on y trouvera tout à l'heure, c'est le respect de l'élève pour le maître, et
la tradition déontologique qui était un des traits les plus marqués de la pratique
indoue. L'étudiant, solennellement initié à son art, après une sorte de stage,
faisait acte de soumission à son maître le brahmane et recevait de lui une
instruction spéciale sur les devoirs du médecin. Le premier devoir est toujours
d'avoir la plus grande considération pour les brahmanes ; le second d'être plein de
commisération pour les malheureux : « Tu éviteras, dit le maître, toute mau-
vaise compagnie; tu ne donneras jamais de remède à un homme condamné pour
crime contre le roi ; tu n'iras pas soigner une femme en l'absence de son mari
490 DÉONTOLOGIE.
et sans le consentement de celui-ci; tu ne recevras d'elle rien autre chose que
la nourriture qui te serait nécessaire. Le médecin ne se rendra pas près d'un
malade sans y être appelé, etc. »
Des renseignements de cette nature ne pourraient être fournis sur l'Egypte,
Celle-ci, du temps d'Hérodote (cinquième siècle avant J.-C), était déjà cou-
verte de spécialités de tout genre, remontant peut-être à l'origine de l'art,
et au milieu desquelles il serait difficile de dire ce qu'était la déontologie
médicale. Avec les Hébreux, une lueur apparaît. Les magiciens entre autres
devoirs, ont celui, dont ils usent, de donner la peste et autres maladies aux
Égyptiens; des prêtres, on l'a vu, sont charges d'exécuter les mesures prescrites
contre les maladies impures; ils sont chargés des embaumements. Quand Jacob
meurt, Joseph commayide à ses médecins d'embaumer le corps de son père,
et ils exécutent l'ordre qui leur est donné. Le médecin est honoré : « Honora
medicum propter neces^itatem ; da Jociim medico et non discedat a te », dit le
Livre Saint. Ce sont là de faibles indications.
La médecine grecque du temps d'Homère et d'Homère à Hippocrate (environ
quatre siècles) n'a pas été, comme l'a établi Daremberg, absorbée par la théurgie
le devoir médical privé, qu'on pourrait appeler libre, celui qui ne procède pas
d'un rituel, a dû y avoir sa place. Un fait permettrait, ce nous semble, de l'af-
firmer, c'est que l'obscurité se dissipe soudainement avec Hippocrate. Or, l'œuvre
portant le nom de celui qu'on appelle le père de la médecine n'est pas tout en-
tièi'c d'un homme, ni d'un moment. Quelque part personnelle qu'on y doive
faire au médecin de Cos, deux choses sont absolument certaines : c'est d'abord
que cette œuvre est collective, ensuite qu'elle représente un état de la science
réalisé en partie par des progrès antérieurs. Ce qui est vrai de la partie scien-
tidque ne peut pas ne pas l'être de la partie professionnelle. Le Serment en
est d'ailleurs un témoignage assez probant, comme on va le voir dans un instant.
Toujours est-il que les cinq livres hippocratiques qui ont pour titre : Do médecin,
De l\ bienséance. Préceptes, Serjiem, et La loi, contiennent un vrai code de
déontologie médicale, qui suffirait à former Vhonnête homme dont je parlais
tout à l'heure. La série des devoirs n'y est pas exposée méthodiquement, ni
avec détails, mais en traits brefs et comme aphoristiques. Il faut les reproduire
tels qu'ils sont, sans les scinder. Ce sera un excellent préliminaire, une sorte
d'argument pour la suite de cet article. On y verra comment, ainsi que dans
la déontologie indoue, les qualités morales du médecin, celles qui répondent à
ses devoirs les plus essentiels, y sont mêlées à des qualités purement intellec-
tuelles, et même à des qualités physiques dont quelques-unes ne dépendent
guère de la volonté.
Yoici le passage par lequel s'ouvre le livre Dîi médecin. J'ai la bonne fortune
d'en devoir la traduction inédite à M. le professeur E. Egger, dont le nom
suffit à en garantir l'absolue fidélité :
« C'est une recommandation pour le médecin d'avoir bon visage et juste
embonpoint, selon son tempérament. Car d'un médecin mal portant on pense
d'ordinaire qu'il ne saura pas non plus soigner bien les autres. Il faut ensuite
qu'il soit net sur sa personne, bien vêtu, et qu'il use de parfums agréables et dont
l'odeur n'ait rien de suspect. Car tout cela dispose le malade en sa faveur. Le
médecin sage doit aussi, quant au moral, observer ce qui suit: d'abord savoir
se taire, puis bien régler sa vie, car cela est très-important pour la réputation.
Il faut qu'il ait le caractère d'un parfait honnête homme, et qu'avec cela il soit
DÉONTOLOGIE. 491
à la lois grave et bienveillant. Car l'excès d'empressement même à rendre
service le fera moins respecter. Qu'il observe ce qu'il peut se permettre. Car les
mêmes offices rendus rarement aux mêmes personnes suffisent à les contenter.
Quant à sa tenue, elle sera celle d'un homme réfléchi, sans morgue. Autrement
il paraît arrogant et dur. Au contraire, s'il s'abandonne au rire et à la gaieté, il
devient fatigant, et c'est de quoi il faut surtout se garder. Qu'il soit honnête en
toutes ses relations, car l'honnêteté lui est souvent d'un grand secours; les
malades ont mainte affaire grave avec le médecin, se livrant à lui sans réserve;
à toute heure, il voit des femmes, des jeunes filles, des objets du plus grand
prix. 11 lui faut donc partout rester maître de lui-même. Voilà ce que doit être
le médecin au physique et au moral. »
Dans le livre De la bienséance se rencontrent des conseils analogues, l'oint
d'affectation dans les vêtements, une tenue grave, de l'urbanité, une parole
sobre ; aucune ostentation. Certaines recommandations concernent plus direc-
tement la pratique, comme de voir fréquemment le malade et de veiller aux
infractions qu'il peut commettre et dont les effets pourraient être mis à la
charge du médecin.
Dans les Pre'ceptes, certains passages sont encore relatifs au vêtement, aux
abus de la parole, mais il est surtout recommandé au médecin de ne pas com-
mencer par s'occuper de ses honoraires, d'en proportionner le t.iux aux ressources
des malades, 'd'appeler des consultants dans les cas graves et embarrassants.
C'est là qu'on rencontre (ch. vu) un passage souvent cité sur les charlatans,
sur les ignoi'ants, opprobre du monde, qui arrivent au succès par toutes sortes
de procédés déloyaux. A propos d'honoraires, il faut laver Hippocrate du reproche
qui lui a été fait de ne pas dire un mot de la médecine gratuite en faveur des
indigents. « Le Serment n'impose dans aucun cas au médecin, si ce n'est
envers ses maîtres et ses proches, d'exercer gratuitement sa profession; en un
mot, il n'est pas fait mention des pauvres dans le serment médical d'Hippo-
crafe », dit M. Briau [Assistance publique chez les Romains, p. 101); et il
ajoute : « Rien ne prouve mieux que ce fait combien les hommes, même les
plus éclairés et les meilleurs..., étaient encore éloignés des sentiments de la
philanthropie la plus élémentaire ». Or, d'une part, Hippocrate ne saurait être
responsable d'une lacune dans un document qu'il n'a peut-être pas rédigé et
qui serait en tout ou en partie un héritage de la famille des Asclépiades ; et
d'autre part, dans le \i\Te des Préceptes, dû vraisemblablement à Hippocrate lui-
même, l'auteur, revenant une seconde fois sur l'âpreté du médecin, s'exprime
ainsi : « Parfois vous donnez des soins gratuits en souvenir d'une obligation
ou pour le bon renom du malade (a Traosoûo-av eùSoY.lrrj). S'il y a lieu de
secourir un homme étranger et pauvre, c'est surtout le cas d'intervenir. »
Et c'est comme une sorte de justification de ce précepte qu'il ajoute la maxime
citée plus haut : « L'amour des hommes est aussi l'amour de l'art ». Assuré-
ment, il n'y a pas là une pleine conception de l'assistance médicale gratuite,
mais on voit aussi qu'il n'était pas exact de présenter le père de la médecine
comme ne l'ayant prescrite en aucun cas.
Le livre de La loi insiste particulièrement sur l'avantage de l'instruction
première. L'instruction commencée dès l'enfance, « c'est l'ensemencement fait
dans la saison convenable » ; c'est comme l'air où les plantes puisent leur nour-
riture. Hippocrate s'élève à la fois contre « la timidité qui décèle l'impuissance
et la témérité qui décèle l'inexpérience ».
4<j-2 DÉOMOLOGIE.
Citons enfin le Serment, ce serment auquel on accole généralement le nom
d'Hippocrate. Tout le texte de ce document porte la trace d'une tradition plus
ou moins longue, et quelques-uns de ses passages semblent bien prouver qu'il
est sorti du temple pour se transmettre, avec l'enseignement scientifique lui-
même, aux Asclépiades laïques, dont il ne parait plus douteux, depuis les
travaux de D.iremberg, qu'Hippocrate ait fait partie (consulter sur ce sujet
E. Foumier, in Gaz. hehd., 1881, p 216). J'emprunte encore à M. E. Egger
la traduction an Serment, (complétée sur deux points) insérée dans ses Mémoires
de littérature ancienne (p. 284) :
« Je jure par Apollon médecin, par Asclépios, Hygie et Panacée, et je prends
à témoin tous les dieux, toutes les déesses, d'accomplir, selon mon pouvoir et
ma raison, le serment dont ceci est le texte : d'estimer à l'égal de mes parents
celui qui m'a enseigné cet art, de faire vie commune et, s'il est besoin, de
partager mes biens avec lui ; de tenir ses enfants pour mes propres frères, de
leur enseigner cet art, s'ils ont besoin de l'apprendre, sans salaire ni promesse
écrite; de faire participer aux préceptes, aux leçons et à tout le reste de l'ensei-
gnement, mes fils, ceux du maître qui m'a instruit, les disciples inscrits et
engagés selon les règlements de la profession, mais ceux-là seulement. J'appli-
querai les régimes, pour le bien des malades, selon mon pouvoir et mou juge-
ment, jamais pour faire tort ou mal à personne. Je ne donnerai à personne, pour
lui complaire, un remède mortel, ni un conseil qui l'induise à sa perte. De
même, je ne donnerai pas à une femme un pessaire abortif. Mais je conserverai
purs et ma vie et mon art. Je ne pratiquerai pas la taille même sur un cal-
culeux (manifeste) ; je laisserai cette opération aux praticiens. Dans toute mai-
son où je viendrai, j'y entrerai pour le bien des malades, me tenant loin de
tout tort volontaire et de toute séduction, et surtout loin des plaisirs de l'amour
avec les femmes ou avec les hommes, soit libres, soit esclaves ; ce que dans
l'exercice ou en dehors de l'exercice et dans le commerce de la vie j'aurai vu
ou entendu qu'il ne faille pas répandre, je le tiendrai en tout pour un secret. Si
j'accomplis ce serment avec tidélité, qu'il m'arrive de jouir de ma vie et de mon
art en bonne réputation parmi les hommes et pour toujours; si je m'en écarte
et l'enfreins, qu'il m'arrive le contraire. »
Disons en passant que le texte relatif à l'opération de la taille a donné lieu à
de nombreux commentaires et que beaucoup le regardent comme altéré. Ceux
que cette question intéresse la trouveront exposée et examinée avec une clarté
parfaite et une grande autorité dans un rapport de M. Bailly (d'Orléans) sur
un mémoire de M. Charpignon (voy. Gazette hebdomadaire, 1881, p. 152).
Rapprochons tout de suite, malgré la distance des deux époques, un autre
serment médical en vers grecs, très-peu connu, de date incertaine mais qui
peut passer pour l'œuvre de quelque rhéteur du quatrième ou du cinquième
siècle après Jésus-Christ. 11 est tiré des 'laTptzwv noi7]ua-Mii rà X£ii]/ava IFrag-
mentiim poematum rem naturalem vel medicinam spectantium, éd. de Bus-
semaker, Bibl. de Didot, p. 91). Voici cette assez vulgaire pièce:
« À\i grand Dieu lui-même je jure, en paroles sincères, de ne détruire par
maladie aucun homme, étranger ou de mon pays, à l'aide de pratiques homicides ;
que nul ne m'entraînerait, par des présents, à commettre un crime horrible, en
donnant à quelqu'un des remèdes funestes, capables de lui causer un mal
mortel ; que, même par amitié, je ne me chargerais pas d'en administrer à autrui.
Mais je lève au ciel de pieuses mains, et en tout je n'ai que des pensées
DÉONTOLOGIE. 495
exemptes des souillures du crime. Je m'appliquerai à faire ce qui pourra sauver
le malade, et à tous je procurerai la santé qui conserve la vie. » On remarquera
entre les deux serments cette diffe'rence que le premier, en défendant le mal,
commande le bien, tandis que le second n'engage guère qu'à s'abstenir d'actes
criminels. 11 pourr;iit être remplacé aujourd'hui par le Code pénal.
Quelques-uns des traits du programme d'IIi|ipocrate que, d'ailleurs, il agrandit
encore dans plusieurs parties de la collection, se retrouvent dans maint auteur
do l'antiquité : ceux surtout qui concernent l'observation des malades, l'expé-
rience, la bonne tenue, l'honnêteté des procédés, etc. Aristote malade s'assu-
rait d'abord des connaissances pratiques de son médecin en exigeant de lui un
exposé du cas et une justification des moyens de traitement. C'est du moins ce
qu'on ht dans les histoires d'^Elien {Hist., 1. IX, c. 23, Bibl. Didot). La supé-
riorité de l'expérience sur l'érudition chez le médecin est souvent affirmée.
Lucien notamment compare le médecin expérimenté au musicien qui sait chanter
et Je médecin érudit au musicien qui ne connaît que le nombre et l'harmonie
LUI, llippias, 1, Bibl. Didot). Encore est-il bon que le chanteur connaisse 'la mu-
sique, et, pour des raisons analogues, que le médecin ne reste pas étranger
aux doctrines. Hippocrate proclamait l'alliance intime de la philosophie et de la
médecine; Galien reprend cette pensée à sa manière, en proclamant l'excellence
de la méthode rationnelle et de la science logique, et il y reste lidèle dans son
Exhortation à l'étude des arts, où il met la médecine au premier rang. Ce sont
là des qualités intellectuelles. Considérons-nous les qualités morales, de nom-
breuses plaintes contre le charlatanisme montrent combien on les appréciait et
combien aussi elles faisaient défaut. Au deuxième siècle avant Jésus-Christ,
Polybe, déclamant contre les médecins alexandrins, les montre parcourant le
pays avec pompe {non sine pompa urbes perambidantes), amassant la foule autour
d'eux, se parant du titre de rationalistes {rationalis artis nomem carpentes)
et captant la confiance publique à force de paroles (verborum probabilitate sœpe
vincente ipsarum reriim experientiam, 1 XXII, 25, d. 2, Bibl. Didot). Environ
quatre siècles plus tard, quand Dion Cbrysostomc veut faire honte aux habitants
deTarsedeleurgoùttropprononcé pour la faconde, pour « ces avalanches de mots»
qu'ils écoutent et admirent sans en profiter, il ne trouve rien de mieux que de
comparer ces débauches de la parole « aux exhibitions de ces prétendus méde-
cins qui, campés sur la place publique, y étalent maint assortiment de membres
et d'o3 assemblés et articulés, et autres objets de même genre, à grand renfort
de jets d'eau, d'air comprimé ou de filtrages... » « Tel n'est pas, ajoute-t-il, le
médecin véritable, et il ne pérore pas de la sorte avec ceux qui ont effectivement
besoin de lui. Pourquoi? c'est qu'il sait prescrue ce qu'il faut faire, interdire
d'autorité au malade le boire ou le manger, et l'amputer par force de quelque
tumeur. Si donc tous les malades s'ameutaient ensuite et s'avisaient d'aller chez
le médecin faire bombance et se gorger de son vin, la chose ne tournerait "uère
selon leur espérance et il lui en cuirait de son accueil ? {Discours XXXIIl p. 455
de l'éd. d'Emperius, 1844, in-S").
A propos de charlatanisme, si l'on fouillait les anciens auteurs on y trouverait
plus d'une mention, sinon de l'exercice illégal (l'époque ne permettrait pas
le mot), du moins de l'exercice intrus. Il résulte assez clairement des textes ■
d'Hippocrate que bien des gens exerçaient la médecine sans s'être soumis aux
« règlements de la profession. » Le mal ne s'est jamais arrêté ni ralenti, et c'est
pour cela qu'il n'y a pas intérêt à en signaler des témoignages particuliers. J'en
49i DÉO.MOLOGIE.
citerai un pourtant en manière de distraction : c'est la XIY'' fable de l'hèdre,
qui a pour titre : le Cordonnier médecin. Ce faux confrère, dont le métier
n'allait pas, débitait un antidote : mais un jour il a affaire à un roi. Celui-ci
feint de mêler du poison à l'antidote et ordonne au cordonnier de tout avaler.
Celui-ci refuse, et le roi dit au peuple assemblé ces sages paroles :
capita vostra non dubitatis credere
Cui calceandos nenio commisit pedes.
Et ceci conduirait aux remèdes secrets. Dans la TjsaYoJ^oTro^ay/ia de Lucien,
qui a eu la bonté, comme on voit, de s'occuper souvent de notre art, la goutte
menace de sa vengeance deux médecins syriens qui prétendent posséder un
remède contre ses atteintes. « Ilélas ! répondent à peu près les pauvres diables,
nous mourons de faim et nous promenons sur terre et sur mer un onguent que
nous tenons de nos ancêtres et qui est bon contre les douleurs des pieds. — Quel
est-il? comment le prépare-t-on? — Nous avons juré de le tenir secret, et notre
père mourant nous en a fait la recommandation. » N'est-ce pas le langage qu'on
entend encore quelquefois? y C'est un remède de famille! »
La question des honoraires est une de celles qu'on peut reprendre de plus
loin. Dans l'espèce de code déontologique des Indous, le médecin avait droit à
une rémunération, mais il devait la proportionner à la condition du malade
et se contenter au besoin d'un « surcroît de considération " ; et l'instruction du
maître lui commandait particulièrement de fuir l'avidité du gain.
Au livre des Rois, un prêtre, Elisée, refuse de rien accepter de Naaman guéri
par lui de la lèpre : on en peut conclure à peu près sûrement que lui ou d'autres
prêtres recevaient quelquefois des récompenses pour un service de ce genre ; au-
trffluent cette offre d'un patient serait bien extraordinaire. Et l'on voit déjà appa-
raître en cette circonstance quelque chose de fort commun aujourd'hui, qui est le
profit illicite des domestiques : car le serviteur d'Elisée qui avait tout observé
court après Niiaman et, au moyen d'un conte, lui extorque une petite somme
d'argent. Ce coquin en fut puni par une lèpre qui lui couvrit tout le corps. Mais
voici quelque chose de plus précis encore et qui est tiré de V Exode : « Si deux
hommes se querellent et que l'un frappe l'autre avec une pierre ou avec le poing
et que le blessé n'en meure pas, mais qu'il soit obligé de garder le lit ; s'il se
lève ensuite et qu'il marche dehors, s'appuyant sur son bâton, celui qui l'aura
blessé sera obligé de le dédommager pour le temps où il n'aura pu s'oc-
cuper à son travail, et de lui rendre tout ce qu'il aura donne' à ses médecins. »
Incapacité de travail, dommages-intérêts, frais de maladies, toute notre juris-
prudence sur la matière est là. L'usage de payer les soins médicaux est d'ailleurs si
naturel et si légitime, qu'd a dû exister partout et de tout temps. Cela est trop
connu en ce qui concerne la Grèce et Rome pour qu'il y ait lieu d'y insister.
Aristote prend le soin (dans sa Politique, si je ne me trompe) de montrer combien
il est juste que le médecin, après avoir soigné son malade par amitié, reçoive de
lui une récompense pour l'avoir guéri (œgris saiiatis, mercedem accipiunt). Mal-
heureusement bien des passages des auteurs faisant allusion aux honoraires
témoignent en même temps de cette plaie éternelle et incurable de la cupidité.
Ce même Aristote y fait allusion dans son Éthique à propos du mensonge. On
connaît encore l'histoire du médecin d'Aspasie, au rapport d'.Elien [Hist., 1. XII,
c. i). Toute jeune fille, elle eut une tumeur au menton: le praticien auquel son
DÉONTOLOGIE. 495
père la montra promit de la gue'rir raoyennaiit trois statères (monnaie des villes
grecques d'Asie) ; le père ne les possédant pas, le médecin répond que, lui,
manque de médicaments. Celui-là n'entendait rien à la médecine gratuite, ni à
bon marché. Mais la plus remarquable des citations qu'on puisse faire est celle
d'un précepte d'Hippocrate (non contenu dans le Serment), qui trouvera plus loin
son application : « Si vous commencez, dit-il, par vous occuper de vos hono-
raires..., vous susciterez chez le malade cette pensée que, n'ayant pas de conve-
ntion, vous partirez et le quitterez, ou que vous le négligerez et ne prescrirez
rien pour le moment présent. Vous ne vous occuperez donc pas de fixer le
salaire..; mieux vaut faire des reproches à des gens qu'on a sauvés que d'écor-
cher des gens qui sont en danger » [Précepte 4s éd. Littré).
En ce qui concerne les médecins romains, on trouverait dans Pline des exem-
ples de fortunes qui n'attestent pas un désintéressement immodéré. Il est juste
néanmoins de rappeler qu'il était fait parfois usage de ces richesses au profit de
l'indigence ou de quelque fondation publique.
Quant aux médecins officiels, grecs ou romains, on a vu qu'ils étaient rétribués
par les villes. 11 subsiste des doutes sur la moyenne de ces traitements, néces-
sairement variables ; C3pendant une utile indication est permise pour le cas de ce
Démocède qui, recevant à Égine un talent (un peu moins de 6000 francs), fut
attiré à Athènes par l'appât d'un traitement de 100 mines (environ 1000 francs),
et vint enûn à Samos où Polycrate lui assura 2 talents. C'est ce même Démocède
de Crotone qui, fait prisonnier par les Perses et emmené en esclavage à Suie,
guérit Darius d'une entorse et sa femme d'une tumeur au sein, et fut comblé
d'honneurs par ce roi. Il est problable que ces médecins des villes, qui avaient
pour fonction spéciale de soigner les indigents, ne refusaient pas les secours de
leur art aux personnes aisées qui les consultaient et qu'ils en recevaient le prix,
comme font aujourd'hui nos médecins de bienfaisance, rétribués par la muni-
cipalité. Ce que Diodore de Sicile dit (1. I, c. lxxxii, 5) du salaire attribué sur
les fonds publics à ces médecins égyptiens dont nous avons vu plus haut la pra-
tique enchaînée à un code thérapeutique ne doit s'appliquer qu'à une classe
restreinte de médecins, à des médecins officiels, puisqu'on voit en Egypte des
hommes de l'art se livrer à toutes sortes de spéciahtés étroites, d'autres se déplacer
librement et se rendre même hors du pays à l'appel des malades.
Les honoraires conduisent aux récompenses par vole testamentaire. On con-
naît cet article de notre Code pénal qui déclare non valables les dispositions
entre vifs ou testamentaires faites par des malades en faveur des médecins qui les
ont soignés pendant la maladie dont ils sont morts. Avec la restriction désagréable
qui termine l'article, un médecin ne peut s'assurer la reconnaissance posthume
de son client qu'en l'abandonnant dans sa dernière maladie, ce qui est parfois
embarrassant parce qu'il ne sait pas toujours si la maladie actuelle sera h
dernière, et aussi parce que, sous le coup de cet abandon, la reconnaissance
même pourrait mourir avant le patient. Il y a là cependant, pour l'homme
de l'art qui entend ses intérêts, une ressource dont son habileté peut profiter,
et qui lui manquait sous l'empire de l'ordonnance de 1539, ne visant nomi-
nativement que les tuteurs, curateurs, gardiens, baillistes et autres adminis-
trateurs, mais étendue en fait aux médecins, et déclarant nulles, sans réserves,
toutes dispositions entre vifs ou testamentaires faites en leur faveur par leurs
malades. Était-ce le premier acte qui réglementait la matière? Briau attribue ce
caractère à un texte du Code de Justinien, dont voici les termes : « Quos (me-
496 DÉONTOLOGIE.
dicos) etiam expatimur accipere qua? sa7îi offerunt pro ohsequiis, non ea quœ
périclitantes pro salute promittunt. » J'ai essayé ailleurs [Gaz. hehd., 1879,
p. 665 et suiv.) d'établir que ce texte n'a pas le sens compris par M. Briau
et signifie simplement : « Nous permettons aux médecins d'accepter ce que leur
offrent pour leurs soins {obsequiis) les malades guéris (sani), mais non ce que
leur promettent, pour prix de leur salut, les malades en danger. » En d'au-
tres termes : que les médecins reçoivent un salaire des malades après guérison,
rion de plus juste, mais il est malhonnête de profiter du trouble d'esprit des
malades en danger pour obtenir d'eux une récompense exceptionnelle. Il n'y a
là, ce me semble, aucune allusion à des dispositions testamentaires, et, si le
texte les avait visées, ne les aurait-on pas spécifiées en termes formels?
Quoi qu'il en soit, un document dont la date ne peut être précisée, mais qui
émane d'un bistorien des dernières années du règne de Justinien (de 553 à 559),
témoigne d'un abus persistant de la captation testamentaire par les médecins. 11
s'agit d'une épigramme d'Agatbias le Scholastique. Alcimène est tourmenté par
la fièvre; son poumon est comme décbiré par des épées ; un asthme gêne sa
respiration. Arrive Callignotbe, de Cos, médecin sententieux, médecin de la
tète aux pieds, comme aurait dit Molière. Il examine le visage du malade, fâte le
pouls, consulte le Traité sur les jours de crise, et prononce enfin sa sentence.
« Si la gorge cesse d'être bruyante, si les poumons ne souffrent plus, si la
fièvre ne gêne plus ta respiration, tu ne mourras pas encore de la pleurésie;
car tout cela nous présage une guérison prochaine. Prends courage; toutefois
fais venir un notaire, dispose sagement de tes biens, cesse de mener désormais
une vie inquiète; et moi, ton médecin, pour prix de cette bonne ordonnance,
mets-moi pour un tiers sur ton testament » [Anthologie palatine, ch. xi.
n" 382, p. 445 du t. 1'^'' de la traduction de Dehèque).
Jusqu'aux temps modernes, si des mœurs différentes et la complication plus
grande des éléments de civilisation ont tantôt excité, tantôt affaibli, ou incliné
en d'autres sens, le sentiment public sur les qualités privées du médecin,
le fond est resté le même; il ne pouvait pas plus changer que la conscience
humaine. Il suffira, pour s'en convaincre, de se transporter tout de suite au
dix huitième siècle et d'ouvrir Hufeland et J. Frank, qui ont fait, le second
surtout, une étude détaillée du sujet. Ce n'est guère qu'un commentaire des
antiques préceptes, rajeunis et adaptés au temps et aux circonstances : le méde-
cin doit avoir une tenue convenable, la finesse des sens; il doit être tempérant,
de bonne vie, ami de ses semblables, circonspect, patient, modeste, d'esprit
droit, de mémoire sûre, instruit sans donner trop de temps aux lettres, érudit
sans trop accorder aux systèmes, etc. Et voici presque textuellement le résumé
par lequel J. Frank termine son opuscule : Les qualités qui doivent déter-
miner dans le choix d'un médecin sont : la probité, la discrétion, l'amour de
l'humanité, l'indulgence pour les autres, la sévérité pour lui, un entier dévoue-
ment à son art, un zèle ardent pour ses progrès, des mœurs simples et droites,
un caractère désintéressé. Indépendant sans fierté, le médecin alliera la patience
au courage, la fermeté à un jugement solide ; il aura le raisonnement sur et
priuipt et l'imagination modérée.
Voilà donc le résumé des devoirs publics et privés des médecins, et accessoire-
ment de certaines qualités physiques ou intellectuelles qui ont été de tout
temps prêchées à l'homme de l'art. Il est traité des devoirs publics, c'est-à-
dire de ceux qui se rapportent aux institutions civiles, à l'administration, à la
déontologie; 497
justice, dans nombre d'articles spe'ciaux de ce Dictionnaire. Le lecteur voudra
bien se rapporter particulièrement aux mots Aliénation, Aliénés, Assistance,
Camp, Crèches, Choléra, Éléphantiasi^, Hôpitaux, Hygiène, Médecine légale,
Médecins cantonaux civils, sanitaires, etc.. Militaire (Hygiène), Militaire
(Service de santé). Navale (Hygiène), Pénitentiaire (Système), Professions (les
noms divers des). Quarantaines, Responsabilité, Rurale (Hygiène), etc. Quel-
ques-unes des questions traitées à ces mots devront néanmoins reparaître dans
le présent article au point de vue de certaines règles morales qui en découlent.
Dans la catégorie des questions impliquant celle des qualités et devoirs privés
du médecin, il en est qui, comportant d'autres points de vue que celui de la
déontologie, doivent être également traitées à part : telles sont, par exemple,
celle du secret médical, qui soulève des questions d'application juridique, et
celle des honoraires, qui, louchant d'un côté à la moralité du médecin, affecte
aussi ses droits et fait partie du problème de l'organisation professionnelle [voy.
Honoraires, Secret professionnel).
I. Devoirs publics du médecin. Ceux de ces devoirs qu'on pourrait appeler
fonctionnels, parce qu'ils ont rapport à des fonctions exercées par le médecin,
ayant été, comme je viens de le dire, étudiés ailleurs, il me reste seulement à
présenter quelques considérations générales sur la part que le médecin peut
ot doit prendre à l'œuvre progressive de l'humanité. Il ne peut s'agir ici de la
sociologie proprement dite. Que l'homme ait passé par de nombreuses trans-
formations pour devenir ce qu'il est, et que les perfectionnements indéfiniment
produits par la lutte pour l'existence et par la sélection naturelle constituent
un enseignement pour les générations ultérieures, c'est un problème encore plein
d'obscurités, digne toutefois des méditations du médecin. Que la physiologie
humaine doive fournir à elle seule les bases d'une physiologie sociale ; que
l'humanité puisse être corrigée," élevée, uniformisée par l'application universelle
d'une bonne hygiène et par une satisfaction plus complète et plus égalitaire
des besoins instinctifs de l'homme, c'est un ordre d'idées qui, ne pouvant être
faux absolument, se recommande encore au médecin plus qu'à tout autre. Que.
sans aller tout à fait aussi loin et restant à peu près dans l'orbite un peu vague
de Quesnay, on établisse un parallèle entre les lois de l'économie humaine et
celles de l'économie sociale; qu'on crée une physiologie, une pathologie, une
hygiène et une thérapeutique politiques, tirées tout entières d'un ensemble de
faits positifs et scientifiquement établis, tout médecin doit s'y prêter parce qu'il
y a là encore une part de vérité. Tous ces systèmes que recommande parfois, sui-
vant la remarque de Max Simon, l'esprit sincèrement religieux de leurs adeptes,
ne pèchent que par l'exagération du principe et une appiéciation inexacte de
l'état moral d'une société. Oui sans doute les instincts égoïstes de l'homme, ceux
qui lui assurent la vie matérielle, la possession, la satisfaction des sens, sont
légitimes. Ils ont droit à toute la sollicitude des gouvernants, et leur liberté
doit être assurée. Mais c'est un principe vulgaire que la liberté de chacun est
limitée par celle des autres; et si l'on veut que la société, en étant satisfaite
ne cesse pas d'être honnête, il faut fournir aussi à l'instinct moral son aliment
celui qui convient à sa nature, qui la développera, qui la fortifiera. C'est ici
que le médecin s'exagère un peu, suivant nous, son importance. Plus que per-
sonne il a l'occasion de faire intervenir l'action morale; plus que personne il
a les moyens de la faire réussir ; seulement, ces moyens ne dilfèrent guère de
ceux qui sont à la disposition de tout le monde, et il se trompe quand il s'ima-
DITC. ESC. XXVIl. 52
498 DÉONTOLOGIE.
gine que, parce qu'il a rattaché un sentiment à un organe, il sera plus apte
qu'un autre à le perfectionner. Non, les instincts mêmes, comme l'intelligence,
se perfectionnent par l'éducation, c'est-à-dire par un procédé dont l'action va
de la fonction à l'organe, non de l'organe à la fonction, et se soustrait ainsi
en partie à la spécialité scientifique, réserve faite du plus ou moins d'habileté
et de succès dans l'application. A tout prendre d'ailleurs, il en est de l'élément
psychique comme de l'élément somatique : il y a une éducation du système
musculaire; il en est une aussi du moral et de l'intellect.
Quoi qu'il en soit, l'influence des médecins sur la société n'est pas subor-
donnée à la valeur de ces spéculations. Il lui reste son initiative auprès des pou-
voirs publics, auxquels il lui appartient de faire connaître les desiderata de
l'hygiène, qu'il est toujours le premier à apercevoir, et qu'il leur apprendra
à satisfaire; il lui reste son action individuelle dans le cercle de ses relations^
et dans tous les genres d'intérêt social où les institutions font appel à ses
lumières. Le médecin privé peut et doit être le bras du médecin public. Ce-
lui-ci conseille les administi^ations, les pouvoirs de l'État, et leur fournit les
éléments des lois ou des règlements sanitaires; celui-là conseille les parti-
culiers et les éclaire sur les applications des prescriptions légales et adminis-
tratives. Combien de détails, d'ailleurs, échappent aux mesures officielles, com-
bien d'éventualités auxquelles ne peuvent pourvoir les dispositions réglementaires
les plus précises et les plus prévoyantes 1 Contre les influences épidémiques,
contre les causes d'insalubrité des habitations, contre certaines influences nocives
des professions, etc., journellement le médecin est dans le cas de suppléer à
l'insuffisance inévitable des mesures de prophylaxie, des règlements d'édilité ou
de police médicale. Le médecin ici ne doit pas attendre qu'on provoque son avis.
Partout où il rencontre une condition d'hygiène susceptible de nuire à la santé,
qu'il la signale aux intéressés et même, en certains cas, à l'autorité. Un déonto-
logiste, Thouvenel, lui conseille de concourir par des études d'orographie,
d'hydrographie, de météorologie, à la détermination de la topographie médicale
de la région où il exerce. C'est surtout [dans les campagnes que ses services
trouveront leur emploi : là souvent une incurie obstinée ne compte ni avec la
malpropreté, ni avec le manque d'air, ni avec les miasmes, ni avec les vices
du régime alimentaire. Que l'assistance aux indigents, aux infirmes, aux enfants
orphelins ou abandonnés, ait dans le médecin un apôtre et un agent; qu'il soit
l'inspirateur et l'exécuteur des œuvres charitables. Mieux que tout autre, il con-
naîtra les misères à soulager; il en aura été souvent le premier confident. 11 n'est
pas, jusque dans un ordre de choses tout opposé, d'autres circonstances lui per-
mettant d'être utile à ses semblables. Que d'intentions criminelles ne voit-il pas
éclore sous ses yeux! Combien même, s'il est un peu perspicace, ne devine-t-il
pas, qu'on s'efforce de lui cacher ! Avortement, infanticide, suicide, empoison-
nehaent, tout cela se complote le plus souvent, sinon devant le médecin, du
moins à côté de lui; des indices viennent parfois l'en avertir: qu'il se hâte d'en
profiter pour entreprendre une œuvre de salut. Dans ces graves circonstances, il
peut faire plus encore. Les confidences qu'il aura reçues, spontanées ou pro-
voquées, lui seront quelquefois une occasion, non-seulement d'empêcher une
mauvaise action, mais encore d'en déterminer une bonne; et ceux-là, par
exemple, devront se féliciter, qui auront donné pour dénouement à une grossesse
illégitime, au lieu d'un acte criminel, une union qui sauve à la fois l'enfant
de la mort et la mère du déshonneur.
DÉONTOLOGIE. 499
Je n'insiste pas davantage sur les devoirs du praticien dans les occurrences
qui sont du ressort de la médecine publique, parce qu'ils comporteraient des points
de vue très-nombreux, qu'un petit nombre d'exemples laissent d'ailleurs aisé-
ment deviner. Je passe donc à l'étude des qualités privées qui conviennent au
médecin.
II. Qualités et devoirs privés du médecin. Laissant de côté ce qu'il y a de
nécessairement banal dans un tel corps de préceptes, je vais essayer d'indiquer
les principales règles de la conduite du médecin : \° vis-à-vis de lui-même;
^^ vis-à-vis des malades ; '5'^ vis-à-vis des confrères. D'ailleur.«, certains pré-
ceptes, tout banals qu'ils sont, peuvent motiver encore quelques remarques
utiles au jeune médecin.
1. Conduite du médecin vis-à-vis de lui-même. A Ce point de Vue il y a à
considérer successivement les qualités extrinsèques, les qualités intellectuelles,
littéraires et scientifiques, enûxi les qualités morales.
a. Qualités extrinsèques. Nous réunissons sons ce titre ce qui concerne le
physique, la condition sociale et le genre de vie. Nous n'avons jamais été autant
d'accord avec Hippocrate que lorsqu'il exprime le désir que le médecin soit
bien portant et d'un embonpoint modéré. Ce désir, nous le transmettons scru-
puleusement à nos confrères, en nous permettant d'ajouter que la bonne santé
et le défaut d'obésité sont les fruits d'une vie sobre et active. D'autres veulent
que le médecin ait les sens intacts. J. Franck insistait sur l'utilité d'une bonne
vue; on appuierait davantage aujourd'hui sur celle d'une bonne oreille, en
l'honneur de l'auscultation. Un bon odorat ne paraît pas non plus à dédaigner
quand on songe à l'odeur de souris des typhoïdes. D'autres écrivains exigent
du médecin une voix agréable. Ne soyons irrévérencieux envers personne, surtout
envers le divin vieillard; ce n'est pas, encore une fois, à litre de devoirs qu'on
recommande ces heureuses dispositions corporelles, mais à titre de qualités
dont les clients ont à tenir compte ; et c'est ce que dit formellement l'opuscule
de J. Franck.
Même remarque pour l'âge. On a l'âge qu'on peut; mais ce qui est siir, c'est
que, sauf de rares exceptions, on en porte la marque dans les tendances de
son esprit et dans ses habitudes. « Un ami, écrivait Réveillé-Parise dans un
feuilleton sur les jeunes et les vieux médecins [Gazette médicale de Paris,
1854, p. 594), me faisait remarquer dans une assemblée un peu nombreuse la
série des cheveux naturels et de leurs nuances jusques et y compris les cheveux
blancs; puis la série des faux toupets, la série des têtes chauves, la série des
ailes de pigeon, la série des perruques, et il soutenait, non sans raison, que la
série des idées était relative à ces différences. » Si l'âge, suivant une expression
pittoresque du même auteur, dont Munaret se pare dans un livre que j'aurai
à citer, si l'âge blanchit les opinions avec les cheveux, cela, appliqué à notre
profession, est beaucoup plus vrai aujourd'hui qu'il y a cinquante ans, parce
qu'il faut plus d'activité et de vigueur intellectuelle pour suivre les évolutions
si prononcées, si rapides, si inattendues de la science contemporaine. Zimmer-
mann faisait remar^juer que le nombre des années n'est pas une bonne mesure
de l'expérience acquise, tandis que J. Franck conseillait aux familles de ne se
fier qu'aux praticiens d'âge un peu avancé ; ce qui n'était guère encourageant
pour les jeunes. Au fond cependant, c'est à l'opinion de Franck que conduirait
de nos jours le raisonnement. 11 reste, en médecine pratique, sous les végéta-
ÔOO DÉONTOLOGIE.
tions luxuriantes de la science nioderne, un vieux londs non entamé, solide,
toujours fécond, dont la jeunesse s'écarte volontiers, mais auquel ramène l'âge
mijr. D'un autre côte, ce n'est pas de la lassitude et de la somnolence des vieux
praticiens ffu'on peut attendre une connaissance approfondie et une application
résolue des grandes découvertes qui se succèdent en physiologie, en patho-
lo<^ie, en thérapeutique. D"où la conséquence que ce serait à l'âge moyen que le
praticien offrirait le plus de garanties, s'il n'y avait pas en même temps à tenir
un si grand compte de la capacité individuelle, et s'il n'y avait pas des vieillards
aventureux ou des jeunes gens routiniers.
Le maintien, la tenue, qui ne sont déjà plus entièrement des qualités de
nature, et sur lesquelles la volonté a prise, sont dignes d'une assez sérieuse
attention. Les habitudes de vie que contractent les étudiants les entraînent
souvent à des hardiesses de ton, à des excentricités ou à des négligences de
vêtement, à une loquacité, à des crudités de langage dont tous ne parviennent
pas à se défaire à leur entrée dans la carrière. D'autres passent à un excès
contraire et cherchent l'importance dans un grand soin de leur personne, rem-
plaçant la robe, le bonnet ou la perruque d'autrefois, par l'habit à la mode et
la cravate blanche. Je ne conn;iis que le titre d'un ouvrage de Triller (dix-hui-
tième siècle, Sur les odeurs du médecin); je n'ose doncm'aventurer sur le sens
qu'il donne au mot odeurs. Mais j'aimerais à apprendre qu'il bafoue les médecins
trop pommadés et trop parfumés. En attendant, je retiens ces paroles d'ilippocrate
dans son précepte 10 (éd. Littré) : « Vous fuirez le luxe des mouchoirs de tète
en vue de gagner des maladies et les parfums recherchés. » Aujourd'hui, toute
façon de se moderniser est en réalité de l'archaïsme. Dans notre société fermée
aux prestiges de tout genre, le vrai bon ton est celui de la simplicité sans aban-
don, de l'urbanité sans affectation et de la gravité sans refro^nement : la bien-
séance enfin, le decens habitus. On a lu plus haut le commentaire d'ilippo-
crate sur la bienséance. Cicéron en donne une définition admirable. C'est, dit-il,
« comme une certaine fleur de la vertu » {Des devoirs, XXVII, coll. Nisard). Et
un peu plus loin: « La décence qui a sa place dans les actions et les paroles se
remarque aussi dans les mouvements et les attitudes du corps, et ici elle con-
siste en trois choses : la grâce, la bienséance des gestes et la tenue (XXXV).
Au moyen de succès qui vient d'être indiqué s'en rattache un autre, plus
efficace peut-être, qui dérive des mœurs contemporaines. L'amour du bien-être
a singulièrement augmenté dans le cours de ce siècle; l'aisance est descendue
dans les classes inférieures et le luxe dans les classes moyennes. Le médecin vise
donc au luxe : en outre, il a une tendance de plus en plus marquée à subir une
exigence qui pèse surlemonde des affaires : celle de provoquer la confiance publique
par tout cet ensemble de démonstrations et de décorations extérieures qu'on
appelle l'apparat. J'ai connu les appartements de Dupuytren, de Marjoliu, de
Lisfranc, de Fouquier, de Chomel, d'Andral, de Louis. Ils étaient larges suffi-
samment, décorés convenablement, aménagés pratiquement, en rapport de tout
point avec l'usage professionnel et le rang. C'était des appartements judicieux.
Aujourd'hui à peine satisferaient-ils des praticiens de la classe moyenne. Du bas
en haut de l'échelle, les habitations s'agrandissent et s'embellissent — qu'on
me passe un rapprochement trivial — en même temps et par la même raison gé-
nérale que les magasins de nouveauté, les boucheries et les boulangeries. C'est
presque une nécessité du temps. Du reste, si j'en parle ici, ce n'est pas, ai-je
besoin de le dire? pour blâmer le luxe des médecins riches, qui est pour eux un
DÉONTOLOGIE. 5C1
droit, presque un devoir; je les loue au contraire de déverser le trop-plein de
leur fortune sur la communauté. Je veux seulement mettre en garde les débutants
contre un entraînement qui peut engager en un seul jour tout l'avenir, parce
que, une fois entré dans cette voie, on n'en peut plus sortir sans déchoir.
Combien d'exemples en ai-je vus ! Que les jeunes confrères me permettent à celte
occasion un conseil dont la valeur pratique relèvera la vulgarité. Que le méde-
cin pauvre qui débute se tire d'affaire comme les circonstances le lui per-
mettront, mais, dès qu'il a vaincu les premières difficultés, il doit s'occuper
sérieusement de l'économie de son budget ; régler d'abord ses dépenses perma-
nentes de telle façon que les exercices se soldent en excédants, si minimes
qu'ils puissent être; ensuite n'imputer les dépenses snperilues que sur ces
excédants mêmes, en les y proportionnant avec mesure, jusqu'au temps où
ceux-ci, en s'accumulant et en fructifiant, auront constitué un capital capable
d'assurer l'avenir. Celui qui ne s'écartera pas de ce plan de conduite sera un jour
surpris de l'avantage qu'il en aura retiré.
Ici se place une question touchée par quelques auteurs : celle du mariage.
En général, il n'est pas douteux que l'état de mariage convienne tout particu-
lièrement à la profession médicale. Et cela pour deux motifs principaux. Le pre-
mier est que cet état est de nature à le préserver de certains entraînements, de
certaines embiîches, auxquelles il est plus que tout autre exposé; le second
que ce préseivatif, utile pour lui-même, est aussi une garantie pour les familles
où il deviendra le confident de tous les secrets du sexe. Et, à ce point de vue,
le mariage devra être précoce, parce que l'inconvénient attaché au célibat paraîtra
d'autant plus grave que le praticien sera plus jeune. Il faut néanmoins savoir
que certaines femmes ont tellement peur des indiscrétions du médecin dans
l'intimité de leur ménage, qu'elles le préfèrent célibataire quand il offre les
garanties de l'âge et de l'éducation morale.
Il sera parlé plus loin de la discrétion du médecin, mais on peut dire tout de
suite qu'elle est obligatoire même au sein du foyer domestique; que les confi-
dences qu'on s'y |:ermettrait pourraient d'ailleurs en sortir et, revenant jusqu'aux
intéressés, devenir des sujets de [jlainte et de rupture. En général, je ne conseille
pas à un jeune médecin marié de provoquer en trop giand nombre et sans précau-
tions des intimités entre son ménage et ceux de sa clientèle. Plus elles seraient
fréquentes, et plus la profession subirait les vicissitudes des relations sociales.
Je laisse à dessein de côté l'argument ad hominem par lequel Treyling cherche
à montrer le danger que courent en se mariant les médecins très-occupés, surtout
s'ils épousent une belle femme {thèse d'Ingolstadt). C'est une pensée peu sérieuse
et peu digne, ne venant guère à l'esprit de ceux qui contractent des liens conjugaux.
L'immense majorité des médecins se marient, la plupart encore jeunes. D'autres
se conforment à l'opinion d'Hoffmann, attendant qu'une position officielle, un
commencement de renommée, aient ajouté à leur valeur personnelle. L'essentiel
pour tous est qu'ils n'importent pas dans la société l'antique coutume romaine
du mariage usu et, par là même, à ternie.
Le médecin marié qu'accablent les occupations, celui si'.rtout qui se livre à
la lois à la pratique et aux travaux de cabinet, court un autre danger que celui
dont paile Treyling, et dont généralement il ne se préoccupe pas assez dans le
règlement de sa vie. Les obligations intérieures, les joies et les peines, les dis-
tractions du monde, se disputent son temps, et, s'il le livre sans compter, ce
qui lui en reste ne sufEt plus à ses occupations professionnelles et scientifiques
502 DÉONTOLOGIE.
qu'au détriment de sa santé et de son avenir. Tout dépend de la sagesse de
l'épouse : car, en présence des plaisirs du théâtre, des concerts, des bals, des
réceptions, l'époux ne peut résister sans apparence de tyrannie.
b. Qualités intellectuelles, littéraires et scientifiques. Ne nous arrêtons pas
à démontrer qu'une bonne mémoire, un jugement sain, et autres qualités pré-
cieuses de l'esprit, sont très-utiles au médecin. On ne le sait que trop. Disons
seulement que, chez un lycéen destiné à la médecine, on ferait bien de cultiver
tout spécialement la mémoire, qu'attend une rude tâche, et le jugement, fort
exposé à vaciller dans l'instabilité d'une science aujourd'hui si profondément
remuée. Mais il est une qualité sur le mérite de laquelle les auteurs ont
disputé : c'est Vimagination. Généralement on l'a condamnée : le médecin ne
peut qu'errer, conduit par la folle du logis. Jean Huarte {Examen des esprits
pour les sciences) la préconisait comme un moyen de deviner les maladies qui
sont habituellement si cachées et ont des périodes et des mouvements si secrets.
Réveillé-Parise, pour des motifs plus clairs, l'a défendue dans deux lettres élé-
gantes, insérées dans le tome II de ses Études sur Vhoynme (1845). Qu'est-ce
donc que l'imagination? Au sens où on l'entend ici, c'est la faculté d'inventer
des explications, de supposer des phénomènes encore inobservés, soit par une
déduction tirée de phénomènes déj\ connus, soit par une sorte d'inspiration ou
de divination. Or rien n'est plus légitime, et rien n'est plus commun. Ce serait
étrangement méconnaître l'esprit de la science ou calomnier l'esprit humain lui-
même que de vouloir interdire l'emploi d'une faculté qui est un instrument de
découvertes. Dans les sciences aussi bien que dans les lettres et les arts, les
hommes dont on admire le génie doivent beaucoup à l'imagination, et chacun
de nous l'appelle journellement à son aide. Quelques-uns de ceux qui consen-
tent à l'accepter chez le médecin, de Kerkaradec, par exemple, la veulent mo-
dérée. Cela ne peut avoir qu'une signification : c'est que les hypothèses soient
provisoires, conditionnelles ; qu'on n'en use pas comme de vérités positives
avant de les avoir vérifiées par l'observation et l'expérience. C'est une exigence
fort naturelle. Encore ne faut-il pas oublier que les vues de l'imagination ne
sont pas toujours aussi primesautières. aussi fortuites qu'on pourrait le penser,
et que bien souvent elles sont comme l'éclair d'une vérité encore inconsciente,
mais déjà entrée dans l'esprit par la porte commune des faits ; elles sont alors
le produit d'une rapide induction, dans laquelle l'esprit, comme un courant élec-
trique, a parcouru une chaîne d'idées sans en compter les anneaux.
Ceci conduit à la circonspection, qui figurerait mieux peut-être parmi les
qualités morales, mais dont l'emploi s'applique ici aux choses de l'intelligence.
C'est dans ce sens que les déontologistes l'ont à l'envi recommandée. Le médecin
rencontre deuxécueils : une foi aveugle en son art, ou une défiance trop grande.
La première est le lot ordinaire du jeune médecin. Celui-ci entre dans la carrière
avec des armes toutes prêtes ; il a lu dans les livres des descriptions classiques
de maladies, avec des chapitres sur le diagnostic et le pronostic; il a vu dans les
hôpitaux des types de la plupart de ces maladies; le voilà sûr d'abord de recon-
naître l'ennemi dès qu'il se présentera. Il amis aussi dans sa tête les moyens divers
de le combattre; si un moyen échoue, il en emploiera un autre; la liste n'en
est pas petite; son maître, s'il en a un, avait à cet égard ses habitudes, il les
suivra. Actuellement le vent est aux remèdes nouveaux, excitateurs ou modéra-
teurs de certaines propriétés physiologiques ; il ne manquera pas d'y recourir.
Ainsi, tout se présente à lui avec les apparences de la fixité et de la clarté. De
DÉONTOLOGIE. 503
là aune thérapeutique brutale, à coups de bâton, comme disait, si nous ne nous
trompons, le regrelté Pidoux, il n'y a pas loin. 11 lui faut beaucoup de temps et
beaucoup de clients (ce qui n'est pas la même chose) pour s'apercevoir qu'il opère
^ur un terrain mal connu et même en partie nouveau; que les maladies de la
ville ne sont pas, pour la plupart, celles des hôpitaux, parce qu'on n'entre pas
à l'hôpital pour une céphalalgie, une dyspepsie simple, de l'insomnie, d-^s palpi-
tations, quelques vertiges, etc. ; que ces affections ont leur source latente dans
quelque coin de l'économie qu'il s'agit de découvrir; qu'un état diathésique
gouverne souvent les troubles les plus variés de la santé; que les médicaments
■spéciaux ne s'adressent qu'à des symptômes spéciaux; que les meilleures inspi-
rations du praticien doivent être souvent tirées de l'évolution naturelle de la
maladie; enfin qu'il y a des maladies, et dans une maladie, des incidents salu-
taires, qu'il importe de favoriser au lieu de les combattre.
La circonspection est plus nécessaire au chirurgien qu'au médecin. Les opé-
rations nouvelles sont autant à la mode que les médicaments nouveaux, et cette
seconde mode-là a plus de conséquences que l'autre. La inanie opératoire est une
•des plus dangereuses infirmités dont puisse être affligé un jeune chirurgien ;
«t il y est naturellement porté par l'ignorance oiî il est encore de toutes les
ressources que peut fournir, contre nombre d'affections dites chirurgicales, une
thérapeutique médicale, guidée par une étude approfondie de l'étiologie. Nous les
engageons, sur ce point, à méditer un passage d'un de leurs maîtres qui a pris
la direction d'un mouvement de résistance contre les entraînements du jour.
« Avec cette vue (celle que nous venons d'exprimer), l'espérance pourra renaître.
On se demandera s'il est possible de prévenir, de combattre, de détruire la néo-
plasie d'origine arthritique, comme on prévient, combat et détruit la néoplasie
syphilitique, jadis supprimée, souvent et sans façon, par le bistouri; comme on
guérit aussi sans opération la néoplasie inflammatoire simple, et comme on
guérira prochainement certaines néoplasies parasitaires superficielles et résis-
tantes ; comme on guérit enfin chez certains la néoplasie strumeuse, en favori-
sant la métamoplasie caséeuse ou fibreuse du tubercule. » « En condamnant sans
hésitation, ajoute-t-il, l'abus que l'on fait aujourd'hui de la thérapeutique in-
strumentale, en exhortant les jeunes à lutter contre l'entraînement et à pour-
suivre plutôt l'œuvre de la chirurgie conservatrice, j'ai la ferme conviction de
combattre le bon combat » (Verneuil, Mémoires de c/iî'rar^ie, t. Ill, Introduction).
Une considération surtout doit être présente à l'esprit du chirurgien. Quel sera le
profit probable de l'opération? Quelles chances de mort immédiate va-t-on sub-
stituer aux chances de vie que laisse encore le mal ? Quelles chances de récidive
vont rendre vaine à courte échéance la réussite de l'opération? C'est ce que, trop
souvent, on est peu porté à se demander dans l'ardeur des premières armes.
A l'opposé de la foi aveugle et remuante, se présente le scepticisme. Je
parlerai plus tard du septicisme du public; chez le médecin, c'est un état d'es-
prit dont les inconvénients sont moins manifestes peut-être que ceux du précé-
dent, mais ont plus qu'eux le double effet de nuire à la fois au malade et au
médecin. Le médecin sceptique n'accorde aux jiialadies pour lesquelles il est
appelé qu'une attention distraite. Ne croyant guère aux indications, il ne se donne
pas la peine de les rechercher ; les remèdes ne produisant que des perturbations
superficielles dont la maladie se joue, les moins actifs seront les meilleurs. Si
encore il s'en tenait à ce rôle neutre! Mais en l'absence de tout principe,
quand il se mêle d'agir, il le fait au hasard, au petit bonheur, et administre
504 DÉONTOLOGIE.
des remèdes qui ne peuvent être qu'inutiles ou nuisibles. C'est même pour moi
un fait d'observation qu'il n'est que les médecins entachés de scepticisme pour
donner dans les nouveautés thérapeutiques, même dans les pratiques charlala-
nesques. Rien de plus naturel d'ailleurs, puisque le scepticisme est un empi-
risme renforcé. Ce défaut de foi, cet énervement ou ce décousu de la pratique
finissent par être compris du client, et celui-ci à son tour devient sceptique à
l'égard de son médecin; il consulte ailleurs et se jette aisément entre les mains
de celui qui fait de son mal une étude attentive et en déduit ou paraît en déduire
une thérapeutique convaincue.
Une bonne éducation littéraire est-elle indispensable au médecin? On se
rappelle que celte question se trouvait impliquée dans le plan d'études imaginé
par le ministre de l'Instruction publique au commencement du second Empire,
quelque temps suivi, puis abandonné à cause des mauvais résultats qu'il
produisait. Les études furent alors, comme on disait, bifurquées, c'est-à-dire
que les études littéraires et les études scientifiques furent entièrement séparées.
Dans le conseil de Ilnstruction publique, P. Bérard et Denonvilliers plaidèrent
en faveur de l'éducation littéraire des médecins. Aujourd'hui, nul étudiant n'est
admis à prendre sa première inscription, s'il ne justifie du grade de bachelier
es lettres : une exception est faite pour les officiers de santé, desquels on n'exige
que le certificat de grammaire, délivré à l'issue de la classe de quatrième.
Mais ce qui importe, ce n'est pas d'avoir fréquenté le collège ou lycée et de
s'être muni d'un diplôme de bachelier : c'est de ne pas laisser dépérir la semence
qui a été alors déposée dans l'esprit. Bacon ne comprenait pas qu'on blâmât
le médecin de cultiver la rhétorique, la poésie, la critique, la théologie même.
Rien de ce qui concerne l'humanité, disait-il, ne doit être étranger au mé-
decin. Bien avant l'époque de Bacon, sans remonter à Lucrèce et encore moins
aux œuvres métriques des premiers philosophes grecs, la poésie, qui à elle
seule est un témoignage irrécusable d'une forte culture littéraire, avait prêté
sa langue à bien des ouvrages de science et particulièrement de médecine. Le
mouvement de la Renaissance rendit cet usage familier, et, depuis cette époque,
on compte encore bien des anatoraistes, physiologistes, botanistes, parmi les poètes
et les archéologues {voy. Médecins poètes, 2" série, t. V, addendum). Je ne nom-
merai que le grand Haller, pour montrer que le positivisme des sciences natu-
relles n'exclut pas l'inspiration poétique, non plus que la connaissance de l'his-
toire et des antiquités. Je n'en demande pas tant aux praticiens de nos jours. Si
même on considère la situation sociale d'un grand nombre d'entre eux, de ceux
qui exercent dans la classe ouvrière ou dans les campagnes, on admettra volon-
tiers que tous les ornements de l'esprit leur seront de peu d'utilité. Mais, s'ils
n'en retirent pas de services professionnels, ils en profiteront pour eux-mêmes,
parce que le refuge dans un monde idéal est la seule ressource de ceux que le
monde réel ne peut contenter. D'ailleurs, la destinée du lycéen qui entre dans une
école de médecine lui est encore inconnue, et ce qu'il rejetterait aujourd'hui comme
un bagage encombrant aurait pu lui procurer un jour de précieux avantages.
Parmi ces avantages il y en a de généraux et de spéciaux.
Il est bon d'abord que l'homme de l'art ne soit jamais sensiblement inférieur
en éducation à celui qu'il devra soumettre, en somme, à ses prescriptions, à
ses ordonnances, et envers lequel il lui faudra maintenir l'atitorilé de la
science. Ce n'est pas seulement au lit du malade qu'il donne la mesure de sa
valeur personnelle : c'est aussi dans les rapports journaliers, dans la conversa-
DÉONTOLOGIE. 505
tion, dans les jugements qu'il porte sur Icshonimeset les choses, clans le savoir
dont il lait preuve. C'est même souvent sur des indices de ce genre que la
famille choisit son médecin, ne pouvant juger de son habileté dans son art; et
c'est aussi et seulement à ce litre d'iiomme instruit et judicieux qu'elle le
prend souvent pour confident et pour conseil dans ses affaires intimes. Lui-même
doublera sa faculté d'observation, agrandira et fortifiera ses conceptions, s'il
a été formé à celte gymnastique intellectuelle qui assouplit l'esprit, qui
le dispose à se rendre compte de ses impressions, de ses idées, à s'orienter
dans toutes les directions du savoir humain, et, même sur le terrain des sciences
phvsiques, à discerner dans le mélange confus des phénomènes le lien de leur
enchaînement et la valeur relative de chacun d'eux.
L'instruction littéraire porte aussi à savoir profiter de ce qu'on a appris et à
en faire profiter les autres. Le livre, qui parait n'être qu'un simple dépôt des
acquisitions de l'esprit, en est souvent le promoteur pour une grande part. On
croit n'avoir qu'à consigner un certain nombre de faits, à tirer certaines déduc-
tions; mais les faits appellent les faits; les déductions ont besoin d'être véri-
fiées. Aussi peut-on dire que celui qui est en état d'écrire sur un sujet d'après
ses propres observations en sait toujours plus que celui qui n'a fait qu'y appli-
quer son esprit spéculativement, et j'irai jusqu'à prétendre que tout écrivain
qui est parvenu à acquérir un style net, précis, où la suite des idées se lie
naturellement et logiquement, sera sans aucun doute un bon observateur.
Enfin, sans humanités, le médecin se trouve privé des sources les plus utiles
d'instruction. On peut à la rigueur lui faire grâce du grec; les livres grecs
qu'on peut consulter avec fruit ne sont pas nombreux et sont, pour la plupart,
vulgarisés par des traductions fidèles. Mais il en est autrement pour les auteurs
latins, dont les traductions font souvent défaut ou sont plus difficiles à se procurer
que les originaux, surtout pour certains auteurs du dix-septième et du dix-huitième
siècle, où se trouvent déposées tant de doctrines, tant de vues, tant de faits que la
médecine moderne n'a pas détruits et qu'elle réédite même quelquefois sous des
formes nouvelles. N'est-il pas désirable qu'un médecin puisse lire dans leur lan-
gue un Bordeu, un Baglivi, un Boerhaave, un Stahl, un F. Hoffmann, un Mor-
gagni, un Haller, un StoU, un Sydenham? Et nous ne parlons ici que du
médecin praticien; car, s'il s'agissait d'un érudit, d'un historien, il y aurait
bien d'autres choses à exige;* de lui, à cause de la solidarité qui unit aujour-
d'hui toutes les sciences aussi bien que toutes les branches de l'histoire.
Tels sont les motifs généraux qui doivent inspirer au médecin le goût d'une
solide instruction littéraire. Les autres dépendent de circonstances particu-
lières de sa vie de savant et de praticien. A celui qui veut se tenir toujours
au courant des progrès de la science, qui se prépare à entrer dans la carrière
des concours, la connaissance d'un certain nombre de langues vivantes, princi-
palement de l'allemand et de l'anglais, est indispensable. La multiplicité et la
promptitude des communications établies entre les divers pays d'Europe, entre
l'Europe et le Nouveau-Monde, et en outre l'instilulion des Congrès internationaux,
ont créé par-dessus toutes les frontières une république d'idées dont tout
savant est citoyen. Il est naturel et indispensable qu'on se mette en mesure de
se comprendre réciproquement dans cette Babel. L'étude du dessin n'est guère
moins utile. Les notions de mathématique, de géométrie, de physique, de
chimie, exigées pour le baccalauréat es sciences et à certains examens de méde-
cine, ont mis à même d'imaginer les ingénieux appareils qui rendent tant de
506 DÉONTOLOGIE.
services à la médecine et surtout à la médecine expérimentale. La connaissance
du dessin, déjà utile pour ces inventions mécaniques, donnera le moyen de
fixer certaines observations dont la description analytique donne si difficilement
une idée exacte et dont l'anatomie microscopique est lamine principale; elle
permettra aussi à l'hygiéniste de tracer des plans d'habitations, d'hôpitaux, de
campements, qui indiquent à un simple coup d'œil les dispositions les plus
favorables à la santé publique. Le chant, la musique, n'ont plus pour les
sciences et pour le médecin en particulier la même importance que du temps de
Pythugore {Medici miisici) ; cependant certains auteurs, notamment Foissac, en
recommandent l'étude aux élèves. Ces arts sont, du reste, directement utiles aux
physiologistes et aux spécialistes qui s'occupent des maladies des voies respi-
ratoires et de celles de l'oreille.
Les médecins feront bien encore de se familiariser avec quelques principes
fondamentaux de philosophie. Un médecin instruit, un médecin écrivain ne
doit pas rester étranger, par exemple, aux éléments de la logique; il doit savoir
ce que sont et ce que valent les procédés de l'esprit qui tiennent une si grande
place dnns les opérations scientifiques : l'analyse, la synthèse, l'induction, la
déduction, l'hypothèse, l'expérimentation. Un physiologiste illustre, Claude
Bernard, lui a d'ailleurs donné cet enseignement dans son ouvrage sur la science
expérimentale. J'ai dit plus haut quelles lumières le médecin pourrait emprun-
ter à la psychologie, à l'étude des facultés intellectuelles et affectives, etc. L'ob-
servation personnelle d'individus chez lesquels la souffrance rompt l'équilibre des
facultés, engourdit les uns, excite les autres, et met en relief les traits du carac-
tère, est une école ajoutée à celle du commun des psychologues ; mais, pour être
en mesure d'en bien profiter, il faut s'y être préparé de bonne heure, l'éducation
du psychologue n'étant pas de celles qui s'improvisent.
Un dernier conseil, en ce qui touche les qualités littéraires, à l'adresse des
médecins qui désirent s'en servir publiquement et devenir eux-mêmes écrivains.
Trois qualités essentielles doivent caractériser leur style : la clarté, la simplicité
et la précision. La clarté d'abord. Elle est la qualité la plus utile en tout genre,
mais elle l'est surtout dans une science où la théorie, la théorie légitime, sans
laquelle les faits n'acquerraient pas le caractère scientifique, repose rarement
sur des bases aussi bien définies, aussi palpables, pour ainsi dire, que le sont,
même sur le terrain de l'hypothèse, les bases des théories physico-chimiques. Elle
est nécessaire à une physiologie compliquée, parfois versatile; à une pathologie
engagée dans des voies nouvelles, où elle n'avance qu'en tâtonnant, jettant l'é-
crivain dans des difficultés imprévues où les rapports des choses s'obscurcissent,
où le sens des mots dévie, et dont il se tire par des néologismes plus ou moins
heureux qui tranchent commodément et la difficulté d'interprétation et la diffi-
culté d'expression. Cet embarras est visible chez beaucoup de jeunes auteurs. On
leur a dit dès le lycée, avec raison, que la clarté des idées engendre celle du
style; mais ils ne savent pas que la recherche de celle-ci amène celle-là. C'est en
s'appliquant à disposer son plan d'écrit, ses phrases, ses mots, dans un ordre lo-
gique, qu'on s'aperçoit souvent de ce qui manque, sous le rapport de l'exactitude,
aux idées elles-mêmes. C'est ce qu'on peut d'ailleurs vérifier immédiatement en
essayant la définition grammaticale des mots qu'on emploie : aussi ne risquerait-
on pas beaucoup à dire qu'un écrivain très-clair a presque toujours raison.
La simplicité du style n'est pas moins importante ; elle est du reste un des
éléments de la clarté. Chaque genre de littérature a sa langue propre, depuis
DÉONTOLOGIE. 507
la langue technique des métiers jusqu'à la langue quintescenciée de la poésie.
La médecine comportant beaucoup de ces genres, le médecin très-instruit peut
avoir à parler toutes ces langues ; mais, au lieu de les employer tour à tour et à
propos, son défaut est souvent de les mêler. S'étanl nourri, je suppose, d'études
philosophiques, il en transporte à chaque instant les formules dans l'explication
d'un cas de pathologie, déroutant ses lecteuz's et s'exposant lui-même à être
dupe de ses abstractions. Que dire de ceux qui, ne connaissant de la philoso-
phie que les mots, parlent couramment analyse, synthèse, généralisation,
lois, principe? et le reste? Tout cela a sa place dans les sciences, dans la
science médicale comme dans les autres, mais il faut apprendre à s'en servir.
Le style médical enfin doit être précis. L'abondance du style est une qualité
rare et qui suffit à faire la fortune d'un écrivain; elle est entraînante dans
Saint-Simon; mais, appliquée à la science, elle amortit le relief des faits, elle
énerve l'interprétation. C'est comme un nuage qui s'efface en s'étalant. Le vrai
mérite ici doit consister à dégager dans une forme brève et sévère le principal
de toutes les questions, en laissant l'accessoire au second plan. On tient plus
attentif et l'on persuade plus aisément un lecteur qui ne cesse de voir nette-
ment le but auquel on veut le conduire.
Arrivons aux qualités scientifiques. Quelques-unes, on l'a vu, se confondent
presque avec les qualités intellectuelles et littéraires; d'autres sont plus spé-
ciales. La première de toutes est de ne regarder jamais son éducation
médicale comme achevée. « Tous les moments du médecin, dit Cruveilliier, doi-
vent être partagés entre l'étude et la pratique : la pratique qui fournit les ma-
tériaux, l'étude et la réflexion qui les coordonnent et les fécondent. La médecine
n'est pas seulement une science d'observation, mais tout ensemble une science
d'observation et de raisonnement. I/expérience que n'éclaire pas le raisonne-
ment, c'est la routine, c'est l'empirisme. On ne saurait donc assez inviter les
hommes de l'art à suivre le mouvement de la science. » Ainsi deux préceptes
en un : réfléchir sur ce qu'on observe soi-même, s'éclairer des lumières d'autiui.
« Non, dit de son côté M. Max Simon, il n'a compris ni les difficultés de la
science, ni la gravité de la responsabilité morale qu'il assume vis-à-vis de la
société, le médecin qui ne réserve pas quelque partie de son temps pour la
méditation, pour le travail solitaire du cabinet Si, dans tous les temps, ce
fut un devoir sacré pour le médecin qui a compris la sublimité de sa mission,
ce devoir est bien plus rigoureux encore aujourd'hui que tant d'intelligences
concourent à l'élaboration de la science, et qu'une immense publicité fait cir-
culer les idées dans le monde avec la rapidité du courant électrique » (p. 89,
90). Voilà ici le précepte avec le moyen de le suivre. Quelle difficulté, en
effet, ce serait pour le praticien occupé des villes comme pour celui qui che-
vauche tout le jour et souvent la nuit à travers plaines et montagnes, de se
tenir toujours au pas de la science contemporaine, si, comme jadis, celle-ci ne
sortait pas des livres! Quelle bibliothèque et quelle dépense! Mais, grâce au
nombre toujours croissant des journaux, des revues, des annuaires, auxquels
aboutissent et les travaux individuels et ceux des académies et des sociétés les
plus importantes, il n'est pas une idée de quelque valeur qui ne puisse
pénétrer rapidement et à bien peu de frais jusque dans les hameaux les plus
humbles et les plus cachés. C'est donc comme une obligation morale du pra-
ticien de se munir de quelqu'un de ces moyens d'information. Certes, il n'aura
pas trop de tout son discernement pour démêler dans ces matériaux de toute
508 DÉONTOLOGIE.
provenance le vrai et le faux, le possible et le chime'rique. Il lui sera d'autimt
plus nécessaire de chercher des moyens de contrôle dans son propre jugement
et sa propre expérience, que les publications dont le prix modique l'attire, à
juste titre d'ailleurs, ne sont pas toujours en état de joindre à leurs résumés
une solide appréciation critique qui pi éparerait et éclairerait la sienne.
Ce qu'on doit prêcher notamment au médecin que sa situation retient com-
plélement dans le domaine de la pratique, c'est de s'attacher surtout aux faits
d'application. L'imagination, qui favorise les recherches du laboratoire, ou
même les recherches cliniques susceptibles d'être vérifiées sur un grand théâtre,
celte imagination dont je revendiquais tout à Iheure les droits, serait le plus
souvent nuisible à la pratique des petites localités. C'est ici le cas de suivre
les préceptes établis par llippocrate dans l'Ancienne médecine. Or, il est, dit
encore Cruveilhier dans ce discours où il a dessiné d'une main si ferme les prin-
cipaux traits de ce sujet si vaste, « il est des esprits qui ne se plaisent que
dans le monde des abstractions et qui se trouvent mal à l'aise dans le monde des
réalités. La plume, un auditoire nombreux, les inspirent, mais la vue d'un
malade ne les inspire jamais. Leur esprit généralisateur ne saurait se plier à la
marche froide, sérieuse, patiente, de l'observation — Pour eux, un aperçu,
c'est un fait; une idée à priori, un point de départ; une induction, une
vérité démontrée. Ce sont les métaphysiciens ou les poètes de la science; ils
ne seront jamais praticiens. » Cette supériorité du praticien sur le métaphy-
sicien se vérifie chaque jour dans les campagnes où si souvent d'humbles des-
servants d'un Esculape d'argile opèrent au château voisin des cures qui avaient
été essayées en vain dans les temples dorés d'une grande cité.
L'hôpital est une précieuse source d'instruction et de vérification, mais c'est
une Gorinthe pour l'immense majorité des médecins. A son défaut, il reste
des moyens, pour chacun d'eux, de profiter du savoir et de l'expérience de leurs
confrères. Dans les grands centres, ce sont les Sociétés savantes, dont chaque
membre apporte son tribut à l'instruction commune et où la discussion aide
les opinions à se former. Aussi ne doit-on pas manquer de s'y affilier. Loin de
ces centres, il reste, pour la France du moins, les sociétés médicales des dépar-
tements, dont le siège est au chef-lieu. Les Bulletins que publient un certain
nombre de ces sociétés prouvent qu'il y règne souvent une assez grande
activité scientifique. Néanmoins on comprend les obstacles qui naissent des
difficultés de déplacement et de la rareté obligée des séances. C'est pourquoi,
dans quelques départements, on a fondé des sociétés d'arrondissement. Ce sont
celles-là qu'il faudrait multiplier. J'ai eu personnellement occasion, au Comité
des Sociétés savantes du Ministère de l'Instruction publique, de louer leur
zèle et de constater leur utilité ; et je ne saurais trop engager nos confrères
de province à fréquenter assidûment celles qui existent dans leurs circon-
scriptions. Enfin, à défaut d'académies, de grandes ou de petites sociétés, il y
a encore ïécole mutuelle des praticiens. Hippocrate la recommandait déjà; il
voulait qu'on se fît part réciproquement de ses observations. C'est principale-
ment au sujet des variations de la constitution médicale, aux approches des
constitutions saisonnières, qu'il y a un réel avantage pour le praticien à être
averti par ceux de ses confrères qui en ont observé les premiers signes. Ces
changements dans le caractère, dans le génie des maladies, sont très-marqués
dans certaines régions et y peuvent revêtir des traits en rapport avec la con-
stitution physique et météorologi(jue du pays. Ils appellent des modifications
DEONTOLOGIE. £09
corrélatives dans la Ihérapeu'ique, et celui qui les reconnaît à temps rend par
cela même un grand service aux malades.
Celte sorte de perfectionnement auquel je convie le médecin doit porter, cela
va sans dire, sur toutes les matières de l'enseignement reçu dans les écoles, et,
d'une manière plus spéciale, sur tout ce qui intéresse la pratique. Or, dans cette
dernière catégorie se trouve un moyen de traitement dont on ne voit guère les
applications dans le cours des études, parce qu'il est à peu près inusité dans les
hôpitaux. Ce qu'on en a entendu dire dans la chaire, quand d'aventure on
en parle, ne peut guère rester dans la mémoire, et de plus, il s'agit d'un moyen
dont l'emploi sera fait en grande partie loin du médecin même qui l'aura pre-
scrit. Je veux parler des eaux minérales. On peut emporter de l'école, par
exemple, celte notion: que les eaux chlorurées et arsenicales et les eaux sulfu-
reuses conviennent dans les affections pulmonaires, mais ne sont pas des
succédanées les unes des autres; qu'il y a une différence d'action entre les
sulfurées sodiques et les sulfurées calciques ; qu'il y en a une autre entre celles
qui renferment des sulfures et celles qui doivent leur sulfuration à une disso-
lution de gaz sulfhydrique ; que la présence d'acide carbonique dans les eaux
ferrugineuses a une importance particulière, etc. Avec un peu de mémoire et une
carte de géographie, on saura où diriger ses clients. Mais on sera loin encore
d'une connaissance suffisante de la pratique des eaux minérales, dont le mode
ni le degré d'action ne sont pas entièrement subordonnés à la composition chi-
mique et n'apparaissent souvent aux yeux des médecins résidents eux-mêmes
qu'après un long apprentissage. On sera plus novice encore sur leur mode d'ad-
ministration. Se figurer de loin des baignoires, des piscines, des douches, des
salles d'inhalation, des bouches de pulvérisation, des étuves, sans savoir com-
ment tout cela est disposé ; si — chose à considérer pour certains cas — l'eau
entre par le fond de la baignoire ou y tombe par un robinet, si l'eau y est ou
non courante, comment les piscines sont aménagées, si la température des
douches varie à volonté, etc., est chose assez difficile. Il y a peu d'années
qu'on ne pouvait guère obtenir de bains aux Eaux-Bonnes, 'au grand étonne-
menl des malades et des médecins qui les y avaient envoyés ; et nous nous sou-
venons qu'un des praticiens les plus renommés de Paris, professeur à la Faculté,
conseilla un jour à un de ses collègues d'aller prendre les hains de Mauhourat^
c'est-à-dire d'un ruisseau sulfureux à l'usage des dyspeptiques de Cauterets.
C'est donc un conseil très-utile à donner aux jeunes médecins que celui de con-
sacrer un peu de temps et d'argent à aller visiter les établissements thermaux
les plus renommés. La mode, dans la clientèle riche, induit souvent le médecin
à prescrire des eaux lointaines, et à varier beaucoup les localités. Une douzaine
d'établissements tant en France qu'en Suisse suffisent à tous les besoins de la
pratique. Trousseau se vantait presque de n'en pas connaître davantage. Un ou
deux jours passés dans chacun d'eux, à visiter tout l'aménagement, à causer
avec les médecins du lieu, à observer le genre de malades qui se rend aux
bains ou à la buvette ; un coup d'œil jeté sur le pays, sur son orientation, sur son
site, fixentà jamais dans la mémoire les connaissances nécessaires pour un emploi
rationnel des eaux et pour fournir aux familles tous les renseignements qu'elles
pourraient désirer.
Je m'arrêterai encore à un des aspects du devoir scientifique du médecin.
Personne n'ignore la bruyante réprobation dont les expériences sur les animaux
avaient été l'objet après la loi Gramraont, et l'on n'a pas oublié la discussion qui
510 DÉONTOLOGIE.
eut lieu sur ce sujet à l'Académie de médecine en 1863, à propos de plaintes
portées par la Société protectrice de Londres jusqu'à notre ministre de l'in-
struction publique. On ne peut entrer ici dans toutes les considérations que ce
sujet comporte, mais il en faut dire néanmoins assez pour éclairer la conscience
des expérimentateurs, physiologistes, pathologistes et thérapeutistes. M. Max
Simon, dans son livre si complet, ne manque pas d'en dire quelques mots.
Et d'abord cette sensiblerie britannique à l'égard des animaux ne venait pas
précisément à propos. Pendant que l'Académie consentait à répondre à cette dénon-
ciation, voici ce qui se passait à peu de distance de Londres. Deux hommes,
Goss et Mace, — deux taureaux, si l'on veut, mais non pas deux lapins ou deux
cochons d'Inde — se rendaient à Purfleet : pourquoi faire ? Pour s'assommer
réciproquement, pour sacrifier au culte imbécile de la force physique et donner
pâture aux instincts brutaux de la foule. La bataille dura plus de deux heures.
Dix-neuf fois, aux applaudissements de milliers de spectateurs, les deux masses
se choquèrent avec violence, avec fureur. Au dix-neuvième assaut, Goss fut jeté
sans connaissance sur le terrain, la face triturée et sanglante. Le lendemain,
une feuille anglaise, le Sporting Life, écrivait : « Il n'est pas dans notre patrie
un homme, une femme, un enfant, qui n'aime la boxe, cet art viril, et les grandes
leçons qu'il donne... Ce sont les bigots qui ont excité l'opinion publique contre
cet exercice vraiment noble, si éminemment anglais. » Cet enthousiasme, Userait
injuste de le prêter aux classes bien élevées du Royaume-Uni ; on peut se
demander seulement pourquoi elles n'instituent pas à côté delà société protec-
trice des bêtes une société protectrice de l'homme.
Au fond, la question n'est difficile que si on l'embrouille. Yise-t-onles abus?
Se plaint-on seulement de celui qui torture les animaux sans utilité ? On a raison
en principe, mais quel sera le caractère de l'abus? L'Académie n'est pas parvenue
à le délînir nettement; c'est l'affaire du commissaire de police et des juges cor-
rectionnels. Une loi existe ; telle ou telle expérience y contrevient-elle? Voilà ce
qu'ils ont à déterminer, s'ils le peuvent. Certaines personnes voudraient qu'on
interdit aux élèves des vivisections faites loin du maître, sans but de décou-
verte et seulement pour voir : mais les auditeurs d'un cours ne sont pas rivés
pour leur vie aux bancs de l'école, et si l'on concède au professeur le droit de
vivisection, il est naturel que l'élève apprenne à l'imiter avant de devenir savant
ou même professeur à son tour. D'autres ne permettent pas la répétition d'expé-
riences portant sur des faits définitivement acquis. Yaiiie flatterie envers la
science et assurée de démentis perpétuels. Exiger de l'expérience qu'elle ait
toujours en vue la recherche de faits nouveaux ou un progrès à accomplir,
illusion et impossibilité ! C'est en vérifiant qu'on découvre. La loi donc, puisqu'on
en demandait une application aux vivisecteurs, n'aurait eu à punir que l'intention,
et il faudrait être, qu'on me passe cette trivialité, dans la peau de celui qui
expérimente pour pouvoir se flatter de saisir son intention. Quant à la légitimité
de la vivisection en elle-même, c'est une question qui n'est susceptible de con-
troverse que dans les régions les plus vagues du sentiment. On peut vivre sans
manger de viande : certains religieux le prouvent tous les jours ; il est certain, de
plus, que nombre de gens en consommeent très-peu. Si l'on ne tuait plus d'ani-
maux ou si l'on en tuait moins? Admettons l'usage de la chair; il n'est pas indis-
pensable qu'elle ait telle ou telle qualité artificielle, ni que ce soit telle chair
plutôt que telle autre : pourquoi imposer des tortures au volatile pour obtenir un
foie gras, et pourquoi tuer un pauvre crustacé dans l'eau bouillante? Les mem-
DÉONTOLOGIE. 5H
bres des Sociétés protectrices mangent certainement des pâtés de Strasbourg et
des homards : eh bien, ils sont en cela complices d'une cruauté plus grande que
celle d'infliger aux animaux des souffrances qui sont le prix de grands progrès
scientiflques et humanitaires et qui sont aussi indispensables à la pliysiologie qu'à
la physique. Est-ce donc à dire que, dans sa conscience, le médecin ne doive
pas s'imposer une règle de douceur et de compassion envers ses victimes obligées :
celle notamment de ne pas répéter inutilement des expériences? Cette règle
impossible à introduire efficacement dans un texte de loi, il peut, il doit l'in-
scrire en lui-même. Qui ne sait d'ailleurs que les physiologistes d'aujourd'hui
s'appliquent à éviter le plus de douleur possible aux animaux en expérience et
qu'ils ont recours dans ce but au choral, au chloroforme, au curare, toutes les
fois que l'effet de ces substances ne doit pas avoir d'influence sur le résultat
cherché ?
c. Qualités morales. Je ne considère ici que celles de ces qualités qui
regardent les devoirs du médecin envers lui-même, réservant les autres pour le
chapitre concernant la conduite du médecin envers les malades. Or tout ce qu'il
est utile de dire sur les premières peut se ramener à trois chefs : la dignité^
X honnêteté Qi \& courage; la dignité, qui assurera au médecin le respect dont il
a tant besoin ; l'honnêleté, qui lui tracera la voie droite dans toutes les cir-
constances de sa vie professionnelle; le courage, qui le portera au-devant de tous
les périls où le devoir l'appellera.
La dignité médicale est le corollaire de la noblesse de l'art. La première ne se
définit guère mieux que la seconde ; c'est le decens habitus de l'âme ; c'est une
manière d'être où toutes les actions de la vie, toutes les relations sociales, toute
la conduite privée, respirent la pudeur morale, la hauteur du sentiment, un
caractère solide, un esprit réfléchi, et décèlent l'homme auquel peut être remis
avec confiance le dépôt des misères humaines. Ainsi, point de conversations
légères, point de propos futiles, un emploi très-circonspect de l'esprit de saillie
qu'on peut avoir, de la suite dans les idées, aucun étalage d'opinions, rien
qui atteste l'intolérance, fille de l'orgueil, un usage modéré des distractions
mondaines, la tempérance, une vie privée enfin qui ne puisse jamais être
pour les familles un sujet de scandale. Il est des cas où la dignité du méde-
cin a besoin de s'alfirmer contre les clients eux-mêmes, parfois enclins à lui
demander des services qu'il ne lui appartienne pas de rendre. Le médecin étant,
hors de la parenté, le confident habituellement le plus intime de la maison, c'est
à lui qu'on songe à s'adresser, surtout s'il est jeune, pour certains services
délicats, comme celui de remettre des lettres secrètes, ou de prendre des ren-
seignements en des occasions compromettantes, ou de délivrer des ordonnances
ou des certificats de complaisance, ou de faire subir à des notes d'honoraires
des surcharges au détriment d'héritiers, etc. Aucun praticien n'est à l'abri
de pareilles demandes. Inutile de s'arrêter à la manière dont on doit y répondre.
L'honnêteté embrasse un plus large horizon que la dignité ; si large qu'il n'y a
vraiment pas possibilité de le circonscrire. C'est dans les livres de morale générale,
plus encore dans les consciences, et non dans des articles comme celui-ci, que les
lois de l'honnête et du juste peuvent parler suffisamment à l'àme du médecin.
Une maxime stoïcienne était celle-ci : "On povov ày«9ov tô xa),ov. Cicéron la com-
mente dans son premier paradoxe: Quod honestum sit, id solum bonnm esse;
et Sénèque la reproduit dans sa 71^ épître (à Lucile). On voit le crédit de cette
maxime qui, en effet, dit tout en quelques mots. Et de même que l'honnête
512 DÉONTOLOGIE.
n'a pas de formes arrêtées, ni de contours définis, de même le déshonnête en
médecine peut être étudié sous le nom de cette chose si ancienne et si vivace,
d'aspect si multiple et si complexe, qu'on appelle le charlatanisme.
Dans une boutade spirituelle, mais qui a peut-être le tort de ne pas être relevée
à la fin par quelque remarque réconfortante, où il entreprend la défense du
charlatanisme (Le médecin et la médecine, t. II, 175), Peisse le fait très-bien
caractériser par le contradicteur qu'il se donne : c'est l'application de l'industrie
à la médecine. Le charlatanisme, dit ce contradicteur, ne peut être défini per^ewws
et differentiam ; « mais chacun sait ce que c'est qu'un charlatan. Il en est du
mot de charlatan comme de celui d'intrigant ; on l'applique dans'des cas particuliers
avec une propriété parfaite, bien qu'il soit difficile d'en déterminer la signifi-
cation par une formule générale. » Si l'impossibilité de cette formule devait être
l'excuse et la sauvegarde du charlatanisme, on pourrait prendre davantage ses
aises et se permettre en termes illimités d'être malhonnête ; car une formule de
riionnête et du malhonnête ne serait pas non plus fort commode à trouver. Il y a
donc vraiment un charlatanisme et des charlatans, qu'il n'est pas mal de
stimagtiser. Y en a-t-il plus, y en a-t-il moins que dans les siècles derniers,
par exemple, du temps de Ilecquet, qui écrivait en 1755 un livre contre le
Brigandage des médecins? Je ne le crois pas; et puisque l'occasion s'en pré-
sente, pourquoi ne pas rappeler que le niveau général de la moralité dans la
gent médicale est, à notre époque, très-élevé?Seoutetten s'est donné la satisfac-
tion de faire remarquer que, dans une période de dix années (de 1829 à 1858),
et dans une autre période de quinze années (de 1859 à 1844), le nombre des
médecins traduits devant une cour criminelle en France avait été si minime
qu'il avait àù être négligé par la statistique officielle, tandis que, la proportion
des accusés a varié de 26 à 81/10,000 pour les autres professions libérales,
les huissiers tenant la tête. Il ne me déplaît pas d'ajouter que, si les médecins
ont été en général de petits saints, ils en ont compté parmi eux bon nombre
de grands, j'entends de béatifiés , à telle enseigne qu'il a été publié cinq ou six
ouvrages sur la vie Des saints médecins.
Le si regretté professeur Schiilzenberger, dans son discours d'ouverture du cours
de clinique médicale prononcé à Strasbourg en 1862, montrait avec chaleur aux
élèves quel préservatif c'est contre les tentations de l'industrialisme médical
que l'amour de la science et un sentiment, de bonne heure cultivé, de la grandeur
de l'art. On ne pollue pas aisément un art et une science qu'on respecte. Les vraies
sources de succès, ajoutait ce savant si distingué et cet honnête homme, sont le
dévouement à la science et à l'humanité. Et, en effet, si à ces hautes qualités on
joint celles dont aucune profession ne peut se passer, on est assui'é de réussir dans
la mesure que comportera d'ailleurs le talent. Je ne voudrais pas paraître trop
optimiste, mais je reste persuadé que chacun ici-bas est traité par le destin à peu
près selon son mérite. Ceci demanJe explication. La malhonnêteté peut être
plus ou moins dissimulée, et le faux honnête obtiendra quelquefois le même
succès que l'honnête vrai. Mais d'abord ce dernier n'en aura pas moins obtenu la
récompense de sa vertu, et ce sera une application de la parabole des ouvriers
de la vigne. Ensuite, ce que j'entends ici par mérite, c'est le bon exercice de ces
qualités physiques et intellectuelles qui viennent d'être rappelées et, sinon des qua-
lités proprement morales ou éthiques, du moins de celles qui constituent le carac-
tère, l'initiative, l'activité, la vigilance, la persévérance, la décision. On rencontre
des médecins d'une honnêteté profonde, d'une instruction étendue, qui ne s'élè-
DÉOiNTOLOGIE. 515
"vent pas au-dessus d'une clientèle médiocre. Est-ce la faute du public, ou la
leur? Considérez-les bien, et vous constaterez presque toujours qu'ils ont péché
de quelque façon par le caractère ; que ces qualités intrinsèques dont ils sont
doués, ils n'ont pas su les faire ressortir, les mettre en œuvre, et qu'ils les ont
rendues vaines comme serait une mine précieuse qu'on ne saurait pas exploiter.
Et receperunt mercedem suam, vani vanam.
Il ne faut pas trop se plaindre de l'injustice du public. Le public a un intérêt
et ne se croit pas sans compétence dans le jugement de la pratique médicale,
parce qu'il y voit une question de faits faciles à observer, laciles à apprécier. A
part l'impression qu'il reçoit de l'homme, c'est à la guérison des maladies qu'il
l'attend. Toute guérison opérée dans le cours d'un traitement est le résultat de
ce traitement et le triomphe du médecin. Le talent de celui qui est réputé guérir
est donc évident de soi et la notoriété qui s'y attache peut se passer de toute autre
consécration. Si donc on parvient à persuader au public, par quelque moyen que
ce soit, par affiche, par réclame, par colportage de recommandation, qu'un
médecin est heureux dans sa pratique, on l'amène à conclure logiquement que
ce médecin est habile. De là sou ingénuité à se laisser prendre à toutes lespiperies
du charlatanisme. Le confrère honnête s'en scandalise, sans assez se dire qu'il
souffre d'un mal en quelque sorte logique, puisqu'il est dans la nature des
choses; sans songer que cette erreur de l'ignorance est excusable et doit se perpé-
tuer indéfiniment, du moment où elle ne rencontre que des contradictions isolées,
qu'on peut croire dictées par la jalousie. Ajoutez que les moyens de charlata-
nisme en se diversifiant vont toucher dans le public des natures d'esprit difl'é-
rentes, et provoquent des crédulités d'autant plus fortes que l'esprit se trouve
plus satisfait. Un auteur, M. Verdo, range les dupes du charlatanisme dans l'ordre
suivant : 1" les femmes; 2" les poëtes mystiques, les rêveurs; 5" les joueurs
(avec les militaires et les marins, qui aiment le jeu de la guerre) ; 4° les paysans.
Classification peu rigoureuse eu ce qu'elle traite le charlatanisme comme une
unité, tandis que, bien évidemment, ses variétés nombreuses séduiront diffé-
remment chacune de ces quatre classes, et qu'une médecine mystique, par
exemple, aura plus de prise sur un rêveur que sur un dragon ou sur un loup de
mer. (Juoi qu'il en soit, on ne peut rien contre ces dispositions du public, et
c'est pourquoi il importe tant au jeune médecin de ne pas se fier uniquement à
sa science comme à une clef d'or, mais de se munir des quahtés de tout ordre
que réclame sa profession. C'est, en somme, le conseil auquel s'arrête Philo-
mathèsdans le Dialogue des deux médecim, de Réveil lé-Parise(£i. de l'hom. , 1. 1).
Ces variétés du charlatanisme, je n'ai pas à les rappeler ici : elles ont été
énuméi'ées, classées et même numérotées à l'article Charlatanisme. Il y a
lieu néanmoins de séparer ici, plus nettement, le charlatanisme proprement dit
de l'exercice illégal ; et, en indiquant ses traits principaux, de poser en quelque
sorte le diagnostic de la maladie contre laquelle on a proposé divers remèdes
qui sont à examiner. A tout prendre, on peut ramener tous les charlatans à
deux types : le charlatan de cabinet et le charlatan de la rue, ou, plus exactement
peut-être, le charlatan privé et le charlatan public.
Le charlatanisme privé a ceci de particulièrement détestable: d'abord qu'il n'apas
le courage de ses vices; ensuite que, se pratiquant dans l'ombre, il esta l'usage
principalement de médecins que les nécessités de la vie n'y obligent pas.
Ceux-ci, au lieu de rompre bravement en visière avec les mœurs médicales,
s'insinuent dans la faveur publique par toutes sortes d'intrigues souterraines,
DicT. ESC. XXYIi. 55
514 DÉONTOLOGIE.
de combinaisons laborieuses et de compromis ; par mille assiduités intéressées,
par le jeu d'influences mondaines, par des avances aux dépositaires des places et
des distinctions honorifiques ou aux distributeurs de renommée, par des pro-
cédés superbes de clientèle, par la hauteur du verbe, par l'agitation factice de
toute la personne et sous l'aiguillon d'occupations simulées, etc., etc. De cette
variété on rapprochera les auteurs qui enfantent de temps à antre, au sujet d'une
maladie lucrative, un ouvrage dont la presque totalité des exemplaires passe du
magasin de l'éditeur dans leurs mains pour être distribuées aux confrères de pro-
vince, en manière d'appel à la consultation. Toute cette catégorie d'hommes
remuants est souvent douée de qualités d'esprit et de cœur très-estimables ; et
c'est ce qui sauve leur situation au sein du corps médical ; mais au fond, leur
considération souffre, et leurs écrits, mêmes sincères, perdent une partie de la
confiance qu'ils auraient pu obtenir.
Je laisse pour le moment certaines atteintes formelles à l'honneur médical qui
sont moins des actes de charlatanisme que des actes de malhonnêteté et qui
seront signalés plus loin.
Le charlatanisme public se produit par la publication extra-scieulifique ;par
l'affiche, l'annonce, la réclame. Celui-lii marche tête découverte dans les chemins
les plus larges et les plus fréquentés. La divulgation des faits médicaux par la
voie de la presse non scientifique, voilà le grand grief de l'époque ; grief trop
fondé assurément et qui tend à le devenir davantage. Mais ici se présente une
question très-sérieuse et que j'envisagerai librement. Il ne faut pas perdre
de vue, dans un sujet qui intéresse l'existence du médecin, le côté pratique, et
ne pas oublier que la déontolgie médicale est doublée de dicéologie. La publicité
extra-scientifique doit-elle être toujours et absolument interdite au médecin?
C'est ce qu'il faut voir.
La justice est une : elle a ses principes immuable? ; mais autour de ces points
fixes, hors du cercle rigoureux du juste et de l'injuste, flottent et se succèdent
les formes changeantes des mœurs et de la coutume. Cette mobilité n'est pas
un pur effet du caprice des hommes, un reflet de la mobilité de notre nature
même; elle est le plus souvent, sinon toujoui-s, la conséquence légitime, néces-
saire, de la variabilité des conditions sociales, delà nature multiple des intérêts,
du degré d'éducation des peuples, de la forme du gouvernement, etc. Prendre
au milieu d'une époque un fait de l'ordre moral et le juger abstractivement des
mœurs régnantes ou sous le jour des mœurs d'une autre époque serait s'exposer
à une très-fausse appréciation. S'il est vrai, comme l'a dit un pliilosophe, que
ce qui est hors les gonds de la coutume nest pas toujours hors les gonds de la
raison, il ne l'est pas moins que des coutumes en apparence vicieuses ont sou-
vent leur origine dans des nécessités de la vie sociale parfaitement respectables,
parfaitement convenables, aussi convenables que la nécessité de respirer ou de
manger.
L'immense développement delà presse Tamise à la portée de toutes les classes,
et toutes les classes en ont profité. Sans citer l'exemple trop connu des commer-
çants et industriels, l'avocat réserve dans un journal une place pour sa plaidoirie ;
le savant, chimiste, physicien, botaniste, y annonce ou y laisse annoncer son cours
et ses ouvrages avec bonne mesure d'éloges ; et il n'est pas jusqu'au prédicateur en
renom qui n'implore les bonnes grâces d'une feuille politique pour l'annonce ou
la reproduction d'un sermon. Il s'agit de savoir si le bénéfice d'un semblable
état de choses ne peut jamais et sous aucune condition s'étendre au médecin.
DEONTOLOGIE. 515
En principe, ce serait une sévérité injustifiable, une véritable proscription.
Le plus naturel intérêt du praticien, après celui de devenir réellement savant,
€st de le paraître, et de s'offrir aux clients paré du lustre scientifique acquis
par ses travaux. Lui interdire ahsolumenl de donner satisfaction à cet intérêt,
serait commettre à la fois une injustice et une inconséquence ; ce serait priver le
travail et le talent de sa plus juste récompense et refuser le moyen après avoir
accordé le but. Mais, d'un autre côté, comme gardien de la santé publique et
comme chargé d'un ministère sans contrôle, il est astreint en ceci à des règles
particulières. Dépositaire du plus précieux des biens, son premier devoir est de
ne l'exposer à aucun risque, partant de ne rien annoncer qui ne soit strictement
vrai. Le commerçant qui trompe sur la qualité de la marchandise vendue est
un fripon: quel nom donner au médecin qui, trompant sur la santé par i'appât
d'annonces mensongères, amène jusqu'à lui un client dupé? Chargé d'un minis-
tère occulte, il ne lui est pas permis de prendre le public pour juge direct de
son mérite. De ces deux principes, dont le premier est déontologique et l'autre
dicéologique, découlent toutes les règles de conduite du médecin en matière
de publicité. Le premier n'a pas besoin de commentaires ; peu de mots suffiront
à faire ressortir les conséquences du second.
La prétention de former l'opinion publique sur son propre mérite est
souvent contenue, non-seulement dans le jugement porté sur l'objet même de
la divulgation, mais encore dans le simple énoncé du fait. II en est ainsi, par
exemple, quand il s'agit d'un instrument nouveau ou d'un nouvel agent théra-
peutique. Qu'on veuille bien y réfléchir, car c'est ici un des points les plus
délicats de la question; lorsque l'intérêt commercial ou industriel d'un médecin
se trouve en cause dans un livre (je dirai de quel genre) à débiter, ou dans un
établissement à faire prospérer, il est juste d'admettre la libre divulgation du fait,
c'est-à-dire de l'apparition du livre, de la fondation de l'établissement, parce
que, dans ces cas, la divulgation est la condition nécessaire et légitime du succès,
et que, dépourvue de toute appréciation scientifique, elle n'exprime rien autre
chose que l'offre de la marchandise mise en circulation. Mais dans une question
de science appliquée, la libre divulgation du fait par les soins de l'intéressé
couvre de toute nécessité un jugement et même un éloge. Celui qui, ayant
inventé un instrument de lithotritie, l'annonce dans ua journal politique ou
littéraire, s'il ne se propose pas en cela d'en faciliter la vente, ne peut avoir
d'autre but que d'engager les calculeux à recourir à cet instrument, par conséquent
d'en prôner les avantages : car ce n'est pas assurément pour déprécier un moyen
de traitement de son invention qu'on le propose à la confiance des gens. Ainsi
naît pour le médecin, en matière de pratique, l'obligation de demander à une
autorité compétente le contrôle de ses idées et de ses découvertes, et de n'arriver
au public qu'à travers cette autorité.
Or, où siège cette compétence? Dans les corps savants, recrutés parmi les
plus illustres et les plus laborieux serviteurs de la science, assurés autant que
faire se peut contre la décadence de leur autorité par le principe tutélaire de
l'élection et, par le nombre, contre les suggestions de l'intérêt personnel et de la
passion. Les corps savants sont seuls en état de contrôler la monnaie scientifique
avec laquelle le médecin achètera plus tard, légitimement, honorablement, la
confiance publique. Cette marche est tout à l'avantage de l'équité. Si les titres
sont réels, la haute recommandation qu'ils auront reçue assurera d'autant leur
valeur et leur influence; s'ils sont illusoires, la déception ne passera guère l'en-
516 DÉONTOLOGIE.
ceinte des académies. De toute manière, on aura satisfait à la conditien de pu-
blicité posée plus haut : la vérité des faits divulgués.
Maintenant, du sein des corps savants, comment le médecin devra-t-il arriver
devant le public? L'état présent fies choses lui en offre un moyen licite,
d'autant plus licite qu'il n'en dispose pas lui-même. Je veux parler des comptes
rendus des académies dans les journaux politiques. La création de ces comptes
rendus a été la conséquence naturelle de la publicité donnée aux séances. On n'a
pas voulu refuser à la plume d'écrire ce qu'on permettait à l'oreille d'entendre,
et l'on a donné accès à l'Académie de médecine dans un journal non médical
parce qu'on avait laissé au premier venu la faculté d'assister aux débats.
Je sais bien en quoi la réalité des choses ne s'accorde pas avec des principes
généraux d'apparence si claire. Les académies se bornent souvent à enregistrer ou
à résumer dans leurs Bulletins, sans les juger, les communications qui leur sont
adressées, et la réclame déguisée y trouve son compte; cela est vrai : aussi ne
pourrait-on assez souhaiter que les bureaux se montrent plus sévères dans
le choix des matières du dehors et ne se croient pas autant tenus d'ouvrir leurs
portes à tout ce qui vient y frapper. Mais les principes, quand ils sont bons,
ne sont pas responsables des applications vicieuses qui peuvent en être faites, et
les habitude? académiques n'infirment en rien ceux qui viennent d'être exposés.
Je n'ignore pas non plus que l'introduction, sous n'importe quelle forme, des
travaux de l'Académie de médecine dans les journaux politiques, est une ten-
tative offerte aux esprits remuants et aux praticiens ambitieux. Toutefois, il est
à penser que cet inconvénient réel est compensé par l'avantage de détourner vers
une voie honnête et pouvant être surveillée le besoin de plus en plus pressant et
général d'un autre genre de publicité. Quant aux abus qu'on ne peut éviter,
ils ressemblent à tant d'autres qui, dans toutes les sphères de l'activité sociale,
profitent de tout ce qui est permis pour faire tout ce qui n'est pas défendu, et
ils ne sont justiciables que de la conscience publique.
Précisément parce que les conditions que nous venons de dire justifient la
divulgation des faits médicaux, partout où elles manquent cette divulgation doit
être interdite. Du moment où, se soustrayant à tout contrôle, elle s'étale direc-
tement dans un journal, fùt-elle même strictement conforme à la vérité, elle doit
être rejetée comme incompatible avec la dignité de la profession ; et ce serait une
pratique détournée et hypocrite celie qui consisterait à introduire soi-même dans
la partie politique de la feuille la mention d'une communication académique,
l'analyse du travail présenté ou le résumé d'un rapport favorable. Je le répète,
l'exposé fût-il rigoureusement exact, il n'en mériterait pas moins le blâme le
plus sévère. Manifestement, celui qui, pouvant arriver au public par une voie
ouverte à tous et acceptée de tous, prend volontairement un chemin plus
découvert, plus accessible à la vue, témoigne d'un goût fâcheux pour les réputa-
tions artificielles et d'une délicatesse de sentiment peu développée. A plus forte
raison doit-on réprouver, sous toutes ses formes, la réclame, l'annonce et
l'affiche appliquées aux faits de l'ordre scientifique. Les convenances sont ici
d'accord avec la raison. Si la réprobation porte jusque sur la divulgation spon-
tanée de faits préalablement marqués à Testampille des corps savants, à plus
forte raison atteint-elle celle de faits dépourvus de sanction. Partout néan-
moins les mœurs ont été plus fortes que la raison : les annonces ont fini par
envahir les couvertures des journaux de médecine, le praticien restant juge
de l'importance à y attacher; mais au moins cette digue ouverte eût-elle dû
DÉONTOLOGIE. 517
emporter du corps même du journal les autres annonces mal costume'es en
articles de fond, qu'on appelle des réclames. Malheureusement il n'en a pas été
ainsi, même dans des feuilles sérieuses, qui voient dans les bénéfices de ces
réclames un moyeu de soutenir la presse et de contribuer à la dilfusion des
idées. C'est l'excuse toujours reproduite. Cependant, si l'on veut bien mettre de
côté tout intérêt et toute complaisance, il est impossible de ne pas reconnaître
que la réclame est entachée d'un double vice : elle peut tromper le médecin
lui-même, aux yeux de qui on la déguise dans le corps du journal; elle trompe
le public plus sûrement que ne peut le faire l'annonce, parce que le journal
politique ne l'emprunte au journal médical qu'en se couvrant de son autorité.
On peut préjuger aussi, par ce qui précède, ce que nous pensons de la part
faite régulièrement à la médecine dans beaucoup de journaux politiques par la
plume et sous la responsabilité d'un rédacteur médecin. Les intentions les plus
pures, la loyauté la plus éprouvée, ne sauraient nous rassurer contre les consé-
quences inévitables et, s'il faut le dire, cliaque jour réalisées, d'une semblable
tentative. Qu'il n'y ait nul inconvénient, qu'il y ait même une occasion de faire
ressortir le mouvement scientifique de notre pays et d'encourager les travail-
leurs, dans le compte rendu d'ouvrages sur l'histoire de la médecine, sur l'ana-
tomie, sur la physiologie, nous l'admettons volontiers; mais dès qu'il s'agit de
travaux de médecine pratique, les abus naissent d'eux-mêmes. A qui parle-
t-on? A la foule, ignorante de la médecine. Quelle est la compétence placée
entre elle et l'auteur? Ce n'est plus celle d'un corps savant, mais d'un confrère.
Or cette compétence-là est à peu près illusoire, car elle ne peut avoir pour
mission de juger le fond des idées, d'en faire la critique, de dire sérieusement
à l'abonné, au notaire, à l'avocat, à l'architecte, au fruitier, au liquoriste, que
tel symptôme n'a pas la valeur qu'on lui attribue; que tel remède ne vaut rien
et qu'il ilmt lui en subslituer un autre. Ce serait un moyen trop sur d'achever
le discrédit de la médecine et de donner la parole aux savants de salon ou
de boutique, que nous avons déjà tant de peine à faire taire. Tout au plus
le rédacteur pourra-t-il refuser la publicité à un travail jugé trop médiocre,
non à cause de telle ou telle doctrine erronée, non dans l'intérêt de la santé de
tous, mais dans l'intérêt du journal. Parfois encore, il barrera le passage à
certaine publication trop ostensiblement apprêtée dans un but de clientèle. Mais,
cette part de surveillance exercée, restera toujours la possibilité de porter direc-
tement devant le public une question de pratique; restera la faculté laissée à
chacun de gratifier le vulgaire d'un exposé plus ou moins tentant des heureux
résultats d'une thérapeutique personnelle dans son service d'hôpital, dans
son dispensaire, dans sa clientèle, ou de ses propres idées sur quelque affection
bien populaire, comme la syphilis ou la hernie. Et je vois ici les choses sous leur
plus beau jour; je compte sans les capitulations de conscience du médecin. Qui
ne sait pourtant que nombre d'articles médicaux des journaux politiques, couverts
par la signature d'un confrère, ne sont en réalité que d'indignes réclames ?
A cette plaie grandissante du charlatanisme pourrait-on opposer un remède
efficace, j'entends un remède topique, différent de celui qu'on pourrait attendre
du progrès des mœurs? On a souvent appelé sur elle la répression légale.
MM. Piogey et Tardieu notamment ont consacré à cette thèse deux mémoires
souvent cités, et la question a été sommairement traitée à l'article
Charlatajnisme. La première condition pour y voir clair est de savoir exacte-
ment de quoi l'on parle. Or, on parle ici, je l'ai déjà dit, de deux choses qui ne
518 DÉONTOLOGIE.
se confondent pas : l'illégalité et l'indélicatesse. Il ne peut entrer dans Tesprit
de personne que le même remède leur convienne également.
Contre l'exercice illégal, contre l'abus de confiance, contre l'escroquerie en
général, la loi est armée; il resterait seulement à rechercher si certains actes
nuisibles à la société, aujourd'hui impunis et impunissables, pourraient ou être
rangés dans la catégorie de ces délits et punis comme tels, ou tomber sous le
coup des articles du Titre VI de la Loi de ventôse an XL Dès à présent on peut
dire que tout cet arsenal est insuffisant par cette double raison : premièrement^
que la définition légale des délits dont il s'agit n'embrasse pas dans ses termes
les actes professionnels qui, aux yeux du bon sens, constituent néanmoins des
fraudes ou des abus de conflance; secondement, que l'article 35 de la Loi de
ventôse ne vise qu'un seul délit, qui est l'exercice illégal. L'article 405 du
Code pénal, relatif à V escroquerie, qui appelle la sévérité de la justice sur des
actes chaque jour commis dans le domaine de la médecine, sur les faux noms
et les fausses qualités, sur les manœuvres frauduleuses pour persuader
l'existence de fausses entreprises, d'wn pouvoir ou d'un crédit imaginaire, ou
pour faire naître l'espérance ou la crainte d'un succès, d'un accident ou de
tel autre événement chimérique, ne les rend punissables que si on les a commis
« pour se faire remettre ou délivrer... des fonds, des meubles ou des obligations,
dispositions, billets, promesses, quittances ou décharges... ». Or, ces conditions
ou quelques-unes d'entre elles se rencontrent rarement dans l'escroquerie médicale,
et seulement dans les plus bas étages de la pratique illicite. Dans l'article 406,
qui vise l'abus de confiance, rien d'applicable à l'exercice de l'art médical.
Celui qui a abusé des besoins, des faiblesses ou des passions d'un mineur, est
exemplairement puni, mais non celui qui a abusé des passions, des faiblesses
et des besoins d'un malade. C'est seulement contre l'usurpation de titres que
nous trouvons dans les termes mêmes de la loi une protection explicite. L'ar-
ticle 56 de la Loi de ventôse édicté une peine contre ceux qui se qualifieraient
sans droit d'officiers de santé, et l'article 259 du Code pénal contre quiconque,
en vue de s'attribuer une distinction honorifique, aura publiquement pris un titre.
Celte dernière disposition, par sa généralité, pourrait porter plus loin que l'usur-
pation du diplôme et atteindre, par exemple, celui qui se qualifierait membre
d'une académie. Il est juste d'ajouter que, comme l'a dit M. Tardieu, la
jurisprudence supplée en plus d'un cas au silence de la loi par l'interprétation
du texte concernant les délits de droit commun.
Des considérations analogues pourraient se présenter au sujet des lois sur la
pharmacie {voy. Pharmacie, Remèdes secrets).
Peut on aller plus loin et invoquer l'assistance de la loi contre le charlata-
nisme proprement dit? Non. L'erreur des confrères bien intentionnés qui pensent
autrement vient de ce que, au lieu de considérer la société dans l'ensemble de
son mécanisme, ils ne la regardent que par un côté et dans un seul point. Le
charlatanisme nuit fort à la médecine et à la pluralité des médecins, mais le
charlatanisme est la conséquence naturelle d'un état de choses commun à toutes
les professions. Chaque profession a, pour ainsi dire, sa moralité particuhère. Le
médecin digne de ce nom ne se permet pas toutes les pratiques du commerce ; le
prêtre ne se permet pas toutes les pratiques du médecin; celui-ci même n'entend
pas de la même manière en tout pays la délicatesse professionnelle; en Angleterre,
en Belgique ou à Genève, il inscrit son nom sur la porte de la rue; en France, il
se voile la face devant une telle inconvenance. Partout, néanmoins, la société
DÉONTOLOGIE. 519
laisse de plus en plus de latitude à l'activité sociale de l'individu et tend de
plus en plus à l'affranchissement des professions. Voilà un grand fait avec
lequel il est impossible de ne pas compter. De plus, la médecine porte en elle
une cause paiticulière d'émancipation professionnelle. On s'est toujours plaint
des spécialistes; Pline les accablait de son mépris, et une secrète hostilité contre
eux n'a pas cessé de couver dans le corps médical. Pourquoi? Le voici en deux
mots : La spécialité aujourd'hui est légitime et nécessaire ; elle est entourée de
considération dans la personne de nombre de ses représentants ; mais elle ne
la conserve qu'autant qu'elle reste la iille du spécialisme scientifique. Que
ce lien entre la science et l'art vienne à se rompre, que la spécialité s'installe
sans cette marque d'une noble origine, à l'instant même elle devient suspecte.
C'est précisément ce qui arrive. Chaque spécialité nait d'abord d'études spéciales
et par là elle répond à de vrais besoins, elle est un bienfait; puis, comme elle
profite d'ordinaire à celui qui l'a créée, elle devient un appât. Les ambitions se
précipitent vers cette nouvelle amorce de la fortune; on se fait spécialiste, non
par penchant, mais par calcul et, de propos délibéré, tout de suite, on se pose
en maître dans un art qu'un est en train d'apprendie. Alors manquant, d'une
part, de la notoriété qui fait fructifier sans peine le spécialisme vraiment autorisé,
et, de l'autre, exclu de la clientèle ordinaire par la qualité même qu'on s'attribue,
on se trouve dans la nécessité, pour attirer à soi l'attention publique, de se
livrer à des démonstrations très-apparentes, à hisser des signaux comme fait un
équipage en détresse. Ce sont les nombreux cas de ce genre qui ont soulevé des
défiances contre la spécialité.
Mais que faire contre des licences couvertes par le droit individuel et qui
n'atteignent pas la morale publique? Un médecin annonce ses consultations, un
pharmacien son remède (je le suppose conforme au Codex); il s'intitule pro-
fesseur particulier ; il se dit honoré de médailles ; il parle de son habileté,
de sou talent. Absurdité, dit M. Piogey, c'est comme si l'on affichait : « Opéra-
tion avec la dextérité de Dupuylren et la sagacité chirurgicale de Boyer;
diagnostic des maladies de poitrine avec l'habileté d'auscultation do Laennec. »
Eh oui, absurdité; mais depuis quand la loi permet-elle l'absurde? En 1847,
la Chambre des pairs a été accessoirement saisie de la question; qu'a-t-elle fait?
Elle a fortifié en quelques points la législation et mis le charlatanisme hors
de cause; elle a déclaré l'incompatibilité de la profession de médecin et
de celle de pharmacien ; elle a pris ses précautions contre les faux ortho-
pédistes; elle a prononcé des peines plus sévères contre certaines infrac-
tions ; mais rien sur les pratiques les plus usuelles et les plus profitables
du charlatanisme; rien sur les annonces, les réclames; rien sur les spéciahtés
pharmaceutiques. On doit même ajouter que les orateurs les plus éminents, le
ministre de l'Instruction publique en tète (de Salvandy), ont repoussé toute
proposition tendant à la prohibition des annonces et des réclames.
Du reste, la thèse soutenue ici paraît avoir pour elle, dans la littérature
déontologique, le nombre et l'autorité : les uns, comme M. Delasiauve, s'y rat-
tachent surtout à cause des caractères changeants et insaisissables du charlata-
nisme; les autres, comme Schùtzenberger, au nom d'un grand principe. « Les
médecins, écrit-il, n'ont rien à gagner, à la campagne pas plus que dans les
villes, aux mesures restrictives de la liberté professionnelle. »
Ainsi je crois fermement, aujourd'hui comme il y a longtemps, qu'aucune
disposition législative, aucun règlement d'administration, ne peuvent protéger
520 DÉONTOLOGIE.
la profession et la société contre la dégradation du diplôme. 11 reste à voir si le
corps médical, juge compétent de la conduite de ses membres, n'ayant à compter
qu'avec un intérêt de dignité et non avec des droits de citoyen, n'ayant pas à sa
disposition de peines communes, comme l'amende ou la prison, ne pourrait pas
faire lui-même la police sur ses terres.
Ici se présente la très-délicate question des conseils de (UscipUne. Ou le sait,
une discipline particulière régit chacune des corporations qui appartiennent plus
ou moins étroitement à l'ordre judiciaire, ou qui ont en mains le marché de la
fortune publiijue : celles des avocats, avoués, notaires, huissiers, commissaires-
priseurs, gardes du commerce, agents de change, courtiers de com-
merce. Et ce pouvoir disciplinaire, institué pour veiller à la considération du
corps à tous égards, s'exerce à la fois sur la vie professionnelle et sur la vie
privée. Dans cette dernière application, rare d'ailleurs, et qui tend à le devenir
davantage, elle use de beaucoup de ménagements, et se fait sentir seulement dans
les cas d'indélicatesse notoire, de préjudice grave causé à autrui , ou d'acte immoral
ayant donné lieu à un scandale public. Il n'y a jamais prescription, et les décisions
sont souveraines en ce qui concerne la corporation qui a le plus d'analogie avec
la nôtre, celle des avocats. Les peines prononcées par les conseils de discipline
(appelés aussi conseils de l'ordre) sont l'avertissement, la réprimande, la censure,
la suspension temporaire, la radiation du tableau.
On comprend bien la répugnance ou l'hîsitation avec laquelle a toujours été
accueillie par la majorité des médecins l'introduction d'un pareil pouvoir dans
une corporation où les faits de profession sont bien plus compliqués, plus
délicats, plus occultes, plus indéterminés, que dans celle des avocats, et oii les
rivalités, se choquant de trop près, peuvent amener des dénonciations intéressées.
On remarquera néanmoins que, aux nuances près, la situation est la même dans
ces deux corporations. Cet argument du protée, du caméléon, contre la préten-
tion d'atteindre le charlatanisme, n'a pas arrêté les avocats. Les actes qu'ils
poursuivent sont, eux aussi, des actes en général non définis et, avec de la pru-
dence, ils ne frappent jamais à faux. S'ils ne punissent pas et sont même loin
de poursuivre toutes les fautes, ils n'en punissent que de réelles, et chaque
exemple est plus efficace par ce qu'il prévient que par ce qu'il réprime. Chose
remarquable, leurs conseils n'inspirent aucune défiance. Nommés à l'élection,
souvent renouvelés, responsables devant l'opinion, ils offrent des garanties
d'impartialité que personne ne méconnaît.
11 viens de dire que les manquements déférés aux conseils de discipline ne
sont pas définis. C'est en effet pour ceux de ce genre qu'ils sont institués; mais
il en est quelques uns qui consistent en de véritables infractions à des obligations
positives et bien déterminées. Ainsi, les officiers ministériels, notaires, avoués,
huissiers, sont soumis à certaines interdictions, comme de s'immiscer dans
l'administration des sociétés financières, de se livrer à des spéculations de
banque, de prendre un intérêt personnel dans les affaires qui se traitent à leurs
éludes, etc. Les infractions à ces prescriptions collectives sont du ressort des
conseils de discipline comme des tribunaux. Or, il serait peut-être malaisé de
donner, dans le domaine médical, beaucoup de bases fixes à l'action des conseils;
mais on en trouverait quelques-unes en sortant du charlatanisme tel que nous
venons de l'envisager, pour entrer plus avant dans les rapports du médecin avec
le client. C'est ce qu'on verra plus loin. En tout ca<, je le répète, le vrai rôle des
conseils de discipline est de réprimer ces manquements à la dignité et à l'hono-
DÉONTOLOGIE. 521
rabilité professionnelles qui ne peuvent être définis, et justement à cause de cela.
On me demandera maintenant si je conclus formellement à la création de
conseils de discipline me'dicaux. J'en serais tenté en voyant combien la notoriété
la mieux acquise de charlatanisme nuit peu à ceux qui s'en rendent coupables,
faute d'une voix qui s'élève pour les dénoncer; et avec quelle assurance il se
poursuit, faute d'une menace de répres>ion. J'en serais, dis je, tenté, si je ne
voyais un moyen d'y suppléer, qui manque précisément aux autres corporations.
Le corps des médecins est réuni en association générale ; il se partage en un
très-grand nombre d'associations locales; une association indépendante fonc-
tionne pour le département de la Seine ; toutes ont inscrit sur leur drapeau :
la régénération morale de la profession (voy. Association). Ce n'est pas tout.
La France est couverte de sociétés scientifiques de médecine, ordinairement
pourvues de conseils de famille. Que de forces en dépôt, qui suffiraient à pro-
duire un bien considérable, et qui s'énervent dans l'inaction I Que de pratiques
honteuses ou compromettantes ne pourraient-elles pas stigmatiser, à Paris
et en province, ces sociétés particulières, scientifiques ou professionnelles,
qui ont une vue si directe sur la conduite de leurs membres ! Elles ne pour-
raient sans doute, telles qu'elles sont constituées, atteindre le délinquant dans
sa profession, prononcer contre lui la suspension ou la radiation; mais ne
serait-ce rien qu'une réprimande, ou la censure, ou l'éviction de la société avec
inscription aux archives? Pour arriver ù cela, que faudrait-il? Le courage de
l'initiative pour signaler le mal, et le courage de l'action pour le punir. C'est
beaucoup, paraît-il; car cette action salutaire des sociétés ne s'exerce presque
jamais. 11 y a plus, à en juger par des faits caractéristi(jues, il semble que des
pratiques auxquelles personne n'épargne sa vertueuse indignation ne fassent
obstacle à aucune ambition. V Association générale eiV Association de la Seine,
qu'elles me permettent de le dire, se trompent quand elles croient remplir leur
programme de raoralisation en dénonçant l'exercice illégal ou en soutenant des
prétentions d'honoraires. V immoralité à détruire, celle quon se flattait de
poursuivre, n'eut pas l'immoralité de ceux qui n'appartiennent pas à la pro-
fession médicale, mais celle des médecins eux-mêmes. Quand on aura bien
compris ce principe, on verra que l'intluence moralisatrice des associations et
des sociétés a été à peu près stérile. Je vais même jusqu'à cette conviction
qu'une mise en demeure de frapper dans un de leurs membres le cas le plus
avéré de charlatanisme resterait sans effet auprès de nos associations.
Eh bien, voilà l'état de la question. Le corps médical veut-il être moralisé?
Qui veut la fin veut les moyens. Qu'il tache de se moraliser par ceux dont il
dispose actuellement; s'il ne le peut, qu'il en demande un autre à des conseils
de discipline, institués ad hoc, investis d'une mission expresse et tenus de la
remplir. En attendant, qu'on n'oublie pas que, en Angleterre, le ConseU général,
chargé de dresser chaque année la liste des médecins qui ont le droit légal d'exer-
cice, est armé d'un droit de radiation contre les membres indignes de la corpo-
ration [voy. DEJiTisTE, p. 459).
Quant à la proposition qu'a faite M. Delasiauve dans son important mémoire
Sur l'organisation de la médecine, d'entretenir, dans toute l'étendue du pays,
des commissions de surveillance chargées de constater et de dénoncer les infrac-
tions, elles n'auraient guère moins d'inconvénients que les conseils de discipline
eux-mêmes; et comme il s'agit, dans ce mémoire, d'infractions légales, on se
demande [lourquoi une sorte de corps de rabatteurs spéciaux pour un genre
522 DÉONTOLOGIE.
de délit soumis comme tous les autres à la surveillance des agents judiciaires.
Ce grand sujet du charlatanisme m'a entraîné loin. Je ne puis cependant clore
le chapitre des qualités morales du médecin sans m'arrèter un peu sur une de
celles qui lui sont le plus nécessaires en certaines occasions : c'est le courage.
Il s'est rencontré des écrivains, des médecins, pour nier qu'il soit du devoir
de l'homme de l'art de donner ses soins aux malades atteints d'affections
contagieuses. C'est la thèse de Jean Besnier (fin du dix-septième siècle), l'auteur
déréglé des Essais de médecine et de l'Histoire chronologique de la médecine
et des médecins. 11 ne fait exception que pour ceux qui seraient aux gages de la
République ou auraient passé une stipulation avec des particuliers. C'était
pourtant bien assez d'avoir à enregistrer dans l'histoire, et de notre temps même,
certaines désertions en masse ou individuelles. En revanche, il a été écrit de
belles pages sur le courage des médecins, et je me plais à signaler celles d'un
des collaborateurs de ce Dictionnaire, M. Fonssagrives (Discours prononcé le
15 février 1866, devant la faculté de Montpellier).
On doute encore si Galien s'éloigna de Rome en 168 pour échapper à la haine
des praticiens grecs ou plutôt pour fuir la peste qui y régnait. Du reste, la seule
existence du fléau est un motif suffisant de condamner sa conduite. La même
incertitude n'existe pas à l'égard de Sydenham, s'échappant de Londres dès le
début de l'épidémie pestilentielle de 1665. Quelle tache sur cette grande
figure ! Les historiens des maladies épidémiques ont de tout temps signalé la
désertion d'un certain nombre de médecins, et c'est de nos jours qu'une ville
du nord de l'Italie donna, dit-on, sous ce rapport un fâcheux spectacle dans
une épidémie de choléra. Mais ces rares exemples, qui peut-être ne se repro-
duiraient plus aujourd'hui, se perdent dans l'abnégation et dans l'ardeur
charitable dont l'ensemble du corps médical n'a cessé et ne cesse de donner
des preuves. Les victimes des maladies contagieuses, de la diphthérie, de la
variole, de la fièvre typhoïde, s'y accumulent chaque jour, et l'on n'a pas oublié
le lourd tribut que leur ont payé dans ces derniers temps les élèves des hôpitaux.
Comme le dit Max Simon à propos d'une excuse dont on a voulu couvrir une
de ces défaillances, ce ne sont ni des avantages offerts, ni des témoignages de
reconnaissance, ni même l'envie de se distinguer, qui doivent exciter le zèle du
médecin, mais seulement l'amour profond et viril de sa mission. Le médecin est
un soldat en faction devant la citadelle de la santé publique; la citadelle est
attaquée; il a le devoir de la défendre au prix de tous les périls. C'est le seul
raisonnement qu'il ait à se faire à lui-même. « A la voix du devoir, dit Cruveil-
hier... , le soldat reste à son poste et reçoit la mort; Régulus retourne à Carthage
où l'attendent les plus cruels supplices ». Cicéron fait la remarque que Régulus
était lié par un serment, qui avait à cette époque une vertu irrésistible, et que
son mérite « était de son temps plutôt que le sien » {Traité des devoirs, XXXI).
Le médecin n'a pas besoin du serment pour sacrifier sa vie, et ce lui est un
honneur de plus.
Le courage du médecin anime celui des malades. J'entends surtout ici
le courage civil, professionnel, parce que l'admirable intrépidité des médecins
militaires sur le champ de bataille n'est au fond que celui des soldats. Larrey à
Héliopolis et en tant d'autres lieux, Saint-Hilaire à Trafalgar (Fonssagrives), ne
sont que des modèles mille fois imités. Il n'est pas facile de savoir ce qui s'est
passé à l'hôpital de Jaffa, et si Desgenettes s'est réellement inoculé le pus d'un
bubon de pestiféré. J'ai entendu dire par Réveillé-Parise, que, lorsqu'on
DÉONTOLOGIE. 523
interrogeait là-dessus l'ex-médecin en chef de l'armée d'Egypte, il répondait :
« Trois personnes seulement ont su ce qui s'était passé : le général Bonaparte,
moi et un petit bossu placé près de nous ». Si le fait est vrai, il est héroïque. Du
reste, Guyon, à la Martinique, s'est réellement inoculé du pus pris sur le vési-
catoire d'un homme atteint de fièvre jaune; Chervin, en Espagne, a couché dans
les draps et revêtu la chemise de victimes de la même maladie. Dans les épi-
démies, la peur engendre mille préjugés, donne lieu aux accusations les plus
déraisonnables. On redoutait au seizième siècle les semeurs de peste, répandant
dans les rues, sur les vêtements, sur les meubles, ou mêlant aux breuvages une
poudre faite avec des bubons enlevés aux cadavres. Lors de notre première épidé-
mie de choléra, le peuple ne voulait plus boire l'eau des fontaines publiques,
qu'il disait empoisonnée; les malades des hôpitaux refusaient, pour la même
raison, de prendre les médicaments. C'est surtout aux médecins qu'il appartient
de combattre de si dangereuses préventions. Il y en avait, en 1842, qui avalaient
devant la foule l'eau des fontaines, des puits. Louis, à la Pitié, goûtait les potions
devant tous les malades qui manifestaient des inquiétudes. Ce n'était pas lu, si l'on
veut, des actes de courage; mais le public les prenait pour tels, et cela suffisait.
En dépareilles circonstances, le devoir du médecin, pour être absolument im-
pératif, doit-il être aveugle ? Le médecin est-il tenu d'aller au-devant du danger
sans précaution ou sans utilité, et de se livrer à la mort comme un condamné du
cirque ? Le devoir, s'il n'a qu'une racine, touche par bien des côtés à des intérêts
respectables. Quand il peut conduire jusqu'à l'immolation de soi-même, il cora~
mande la réserve. Non-seulement il n'est prescrit par aucune loi morale de
mourir dans des circonstances où l'on pouvait se sauver, ou de mourir sans
profit pour personne ; mais un père, un fils, un époux, ne doivent pas perdre de
vue, s'ils le peuvent sans dommage, la blessure que fera dans d'autres cœurs
l'arme qui l'aura tué. De ce danger que courent maîtres et élèves devant des mala-
dies contagieuses, il y a une conséquence pratique à tirer et dont l'oubli trans-
formerait le courage en fanfaronnade : c'est qu'il y a lieu pour l'homme de l'art
de s'entourer de toutes les précautions prophylactiques qui sont à sa disposition ;
d'éviter autant qu'il le peut les contacts suspects, de recourir aux moyens
connus de désinfection, de ne séjourner que le moins possible dans les milieux
contaminés, etc. ; c'est aussi que l'assistance publique ne saurait être trop
active à écarter des hôpitaux toutes les causes d'insalubrité et de contagion,
qui ne menacent pas seulement ceux qui y restent, mais aussi ceux que leur
fonction appelle à y séjourner un certain temps chaque jour.
Des confrères touchés de ces conséquences, désastreuses pour les familles,
qu'entraîne souvent le dévouement professionnel d'un des leurs, ont adressé au
Sénat, à la fin de 1868, une pétition tendant à assimiler dans ces cas le médecin
au soldat tombé sur le champ de bataille, et à obtenir une pension d'Etat
« pour toute veuve de médecin mort victime d'une maladie contagieuse con-
tractée dans l'exercice de sa profession. » J'ai le regret de ne pouvoir m'associer
à une proposition généreuse, mais basée sur une application inexacte de la pro-
fession médicale et grosse de difficultés comme d'injustice. On a toujours mau-
vaise grâce, je le sais, à ne pas appuyer des efforts favorables aux intérêts de la
famille médicale, mais un défaut de franchise ne serait pas plus méritoire.
La profession médicale est... une profession. Celui qui l'embrasse a dû, et
J. Frank notamment l'y engage en termes pressants, en peser les charges. Dans
les moments de crise, il a le droit strict, le droit naturel de se dérober : alors,
524 DÉONTOLOGIE.
je viens de le dire, il est lâche; mais, s'il demeure, il remplit purement et sim-
plement un devoir moral. Gela ne regarde pas l'État. L'assimilation du médecin
au soldat est une image (et je mêla suis permise moi-même tout à l'heure), mais
qu'il ne faut pas transformer en réalité. Le soldat fait un service public, qui est
obligatoire et qui l'enlève à la vie professionnelle; il est le pupille de la nation,
pour laquelle il se bat. Le médecin fait le service qu'il veut, comme il veut, à
l'avantage des individus et aussi au sien propre. Je dis de plus que le projet
est impraticable, parce que c'est une question trop souvent obscure de savoir si
la maladie contagieuse à laquelle un médecin succombe lui a été communiquée
par son client. Une épidémie parcourt la France : c'est la variole, c'est l'angine
diphthéritique. Tous les médecins, ou peu s'en faut, en traitent un ou plusieurs
cas : l'un d'eux contracte le mal et en meurt. Où l'a-t-il pris? Dans les émanations
d'un malade, ou dans l'atmosphère viciée? Est-il victime d'un acte professionnel
ou d'une épidémie? Une enquête, la plupart du temps, n'arriverait pas à l'éta-
blir; et cette difficulté, que la complaisance ou l'indifférence peuvent toujours
résoudre, dans un sens positif ou dans un sens négatif, deviendrait certainement
une source de favoritisme. On pourrait d'ailleurs se trouver en face de maladies
dont la contagiosité n'est pas hors de doute pour tout le monde : le choléra, par
exemple; et à la difficulté du jugement de fait se joindrait celle du jugement
scientifique. Il ne suit pas de là que jamais, dans aucune circonstance, l'État ne
doive intervenir pour assurer l'avenir d'un médecin mort réellement victime de
son devoir. Je l'admettrais au contraire dans les cas exceptionnels où le ser-
vice serait indéniable, éclatant, où la situation de la veuve et des orphehns
serait réellement précaire. Mais il n'est besoin pour cela d'aucune loi nouvelle.
La Société centrale de Paris, les sociétés locales des déparlements, outre la part
qu'elles pourraient prendre au soulagement des infortunes, introduiraient par
voie de pétition une demande de pension auprès des grands corps politiques,
où les médecins ne manqueraient pas pour la tirer des cartons. Cette pension
serait à titre de récompense nationale. On en a eu un assez bon nombre
d'exemples dans les derniers temps, au profit de citoyens ayant rendu des servi-
ces au pays, de leurs veuves, de leurs enfants et même de leurs descendants. Ce
ne serait pas là des secours humiliants, des aumônes, mais bien un titre
d'honneur en même temps qu'un moyen de vivre.
Du reste, le projet que je repousse, à mon grand regret, a été accueilli ou
par des critiques ou par le silence dans presque toute la presse médicale fran-
çaise et dans des organes importants de la presse étrangère. « A première vue,
écrivait, par exemple, le Médical Times and Gazette, la proposition peut paraître
plausible; mais un court examen montre qu'elle est basée sur une fausse
analogie. » Au moment où j'écris, un projet de loi est déposé à la Chambre des
députés, ayant le même but que celui de nos confrères : celui de secourir les
veuves des victimes de leur dévouement, mais ne visant pas particulièrement les
sinistres de la profession médicale. Peut-être la discussion les y fera-t-elle entrer.
II. Conduite du médecin vis-à-vis des clients. Le jcuue médecin qui entre
dans la carrière plein de foi comme d'ardeur, qui n'a vu encore de malades que dans
les hôpitaux, où la passivité de l'être souffrant répond à la domination nécessaire
du chef de service, se trouve souvent déconcerté dans le milieu nouveau où il a
affaire à Thorame autant qu'au malade. Les dispositions d'esprit qu'il rencontre
sont principalement le scepticisme, les préjugés et certaines idées religieuses.
DÉONTOLOGIE. 525
Le scepticisme à l'égard de l'art médical ne peut mourir tant que cet art
restera, dans une forte mesure, conjectural. Le public juge l'ensemble des méde-
cins comme on a vu qu'il juge un médecin en particulier, c'est-à-dira par leurs
services. Certaines maladies s'entêtent à être incurables; nombre de maladies
curables ne guérissent pas; c'en est assez pour démontrer péremptoirement au
public que la médecine n'est pas une science tout à fait positive. Il pourrait se
dire que l'imperfection d'une science n'est pas son néant ; que celle-ci témoigne
cbaque jour de son progrès; que, si elle échoue souvent dans ses applications,
souvent aussi elle produit les preuves les plus évidentes de son efficacité; que
l'incertitude du succès dans un cas particulier n'est pas une raison suffisante de
ne pas le chercher; que les entreprises humaines les mieux garanties par des prin-
cipes scientifiques et par des réussites innombrables comptent néanmoins avec la
fortune; qu'une mécanique faite de main d'homme peut éprouver des avaries
incurables; qu'un navire armé d'une bonne boussole, avec un bon pilote, un
capitaine doué de toutes les connaissances de la nautique, un bon vent au départ,
peut sombrer dans un orage ou manquer le port dans une nuit noire. La patho-
logie, qui est un orage, a aussi des obscurités inattendues. Ce sont là des
raisonnements à l'usage des esprits cultivés, mais dont eux-mêmes se servent
rarement. Le médecin doit prendre à tâche de les rappeler à tous ceux qui
sont en état de les comprendre. En général, d'ailleurs, il ne peut trouver
qu'avantage à ne pas surfaire son art, comme les jeunes gens y sont trop portés;
à le présenter tel qu'il est, riche en ressources, parfois dénué, soulageant
quand il ne guérit pas, et augmentant chaque jour le nombre de ses bienfaits.
La sincérité du médecin appelle la confiance du malade, en redressant son juge-
ment et prévenant ses récriminations.
A côté des sceptiques vrais sont les faux sceptiques. Ceux-là sont de la classe des
beaux esprits. Ils ont lu Molière; ils répètent le « qu'il mourût! », de Casimir
Delavigne. Par malheur, ou par bonheur, on les reconnaît justement, pour la
plupart, à leur peur affreuse du mal, à leurs agitations et à leurs inquiétudes
quand le mal les possède. C'est un cas de diplomatie médicale ; il faut leur tenir,
comme on dit vulgairement, la dragée haute, traiter légèrement leurs doléances,
leur faire attendre les remèdes qui ne sont pas nécessaires, tout en faisant briller
à leurs yeux la variété des moyens qu'on a vu réussir, jusqu'à ce qu'ils soieni;
amenés à les réclamer eux-mêmes. C'est particulièrement chez ce genre de clients
que sont de mise les médications palliatives qui, en f.ùsant cesser un symptôme
gênant, marquent au moins sur un point la réalité de la thérapeutique. Cette
réalité, d'ailleurs, le scepticisme étudié ne l'ignore pas, et voilà pourquoi il est
assez facile à conduire. Beaucoup d'entre nous ont connu de ces do uteurs obstinés
qui ont perpétuellement, même dans des écrits, déversé la moquerie sur la méde-
cine, et qui allaient consultant tous les praticiens en renom. -C'est que le scepti-
cisme outré, s'il n'affirme jamais qu'une chose soit, doute également qu'elle ne
soit pas. Mais la condition principale pour exercer sur le sceptique une action
salutaire, c'est de ne pas l'être soi-même, comme il lui en a été fait plus haut une
véritable obligation professionnelle. J'allais ajouter : ou de ne pas le paraître;
mais non ; un médecin qui ne croit pas à son art se trahit inévitablement. Incré-
dule ou inhabile, telles sont les qualifications dont une au moins l'attend pour
prix de ses hésitations ou de son inertie. On vient de voir le médecin sage
découvrant, expliquant aux gens éclairés les incertitudes de l'art présent; mais
qu'il n'en soit que plus fervent à prêcher tout ce que cet art a encore do puis-
526 DEONTOLOGIE.
sant, tous les services qu'il rend à l'homme et à la société. 11 y a, quoi qu'on
puisse dire, très-peu de médecins réellement sceptiques, si par sceplicisme on
entend la négation de l'art lui-même; l'empirisme et la science réunis crient
trop fortement contre eux ; mais celui qui se sent envahi tout entier par le doute
doit trouver dans sa conscience d'honnête homme la force de se retirer.
Le client k préjugés est tout différent da sceptique. Ce n'est pas la foi qui
lui manque; il a au contraire une confiance robuste dans la vertu, des re-
mèdes; seulement il l'applique sans discernement. Des idées fausses et arrêtées
sur la nature de telle ou telle maladie, sur l'action de telle ou telle plante, sur
l'influence de telle ou telle saison, sur l'utilité ou le danger de telle ou telle
pratique d'hygiène, le rendent sourd à tous les conseils qui ne s'y adaptent
pas. C'est lui qui professe qu'on n'a jamais trop de sang et qu'une évacuation
sanguine est toujours nuisible; que toutes les affections générales viennent de
la hï\e et indiquent la purgation; que le sulfate de quinine est un poison ter-
rible; que le melon donne la fièvre; que l'hépatique des jardins guérit les ma-
ladies du foie; les hernioles, les hernies; l'aegopodium, la goutte, etc., etc.
Les divers préjugés de cette nature, vous les trouverez enracinés avec bien d'au-
tres dans les classes supérieures tout autant pour le moins que dans les classes
ouvrières ou dans les campagnes. Beaucoup d'entre eux ne peuvent être di-
rectement combattus que par la persuasion ou par l'autorité du ministère;
d'autres peuvent être tournés, le médecin ne manquant pas de ressources
pour se soustraire à leur influence en ayant l'air de ne pas les contrarier. Des
rèo^les particulières de conduite ne peuvent être tracées ici ; c'est à l'adresse et
au savoir de chacun de les approprier aux circonstances.
La religion, quand elle devient superstitieuse, confine au préjugé; le pré-
jugé religieux a bien plus de force que le précédent. La superstition est née,
du reste, sœur de la médecine, puisque toute la médecine antique attribuait
les maladies à des causes surnaturelles et en cherchait le remède dans
la ma^ie {voy. Démo>'s et Magie). Cette parenté ne s'est jamais rompue, et
l'élément religieux à toutes les époques est intervenu dans la guérison des ma-
ladies. La vertu curative qu'on attril)ue aujourd'hui au contact des reliques ou
à l'ingestion d'une eau sanctifiée est du même ordre, par exemple, que celle
dont on disait doué Vespasien le jour où, d'après une révélation de Sérapis,
il guérit un aveugle en crachant sur ses yeux, et un boiteux en lui donnant
un coup de pied (Suélone, Vespasien, c. vu). C'est pour avoir différé d'obéir
à un ordre des dieux qu'Atinius fut frappé de paralysie , puis guéri
soudainement après l'avoir exécuté {Tite Live, LU, c. xxxvii) ; et les rois de
France et d'Angleterre ne guérissaient les écrouelles par le toucher que sous la
condition de certaines pratiques religieuses, comme d'enduire leur doigt de saint-
chrême ou d'entendre préalablement la messe. La vertu qui sortait d'eux après
cette préparation était celle qui émanait spontanément de saint Pierre et de saint
Paul quand ils guérissaient les malades à Jérusalem. Ce consensus de croyances dans
tous les temps et dans tous les lieux doit contribuer à les protéger contre tout
mauvais procédé de la part du médecin, à quelque religion qu'il appartienne
lui-même. Il est devant un fait permanent de l'histoire de l'humanité. Tout
homme, même catholique, peut penser ce qu'il lui plaira de croyances qui ne
sont pas articles de foi ; mais il est obligé rigoureusement à les respecter. Quand
donc il lui arrive d'apercevoir, mêlé aux potions, un flacon d'eau de Lourdes;
attachée au cou du patient, une médaille de Paray-le-Monial ; suspendue au-dessus
DÉONTOLOGIE. 527
du lit, une branche de buis béni à un autel privilégié, il ne doit rien laisser
paraître qui puisse sembler une désapprobation de ces secours apportés à la
médecine. Il se peut bien que, dans l'heureuse issue de la maladie, ces pratiques
aient, aux yeux de la famille, le principal honneur de la guérison ; rien assuré-
ment ne fait un devoir au médecin d'adhérer à cette appréciation ; il ne lui est
pas interdit même de revendiquer le droit de son art; mais qu'il le fosse douce-
ment, amicalement, mettant toujours la joie du succès au-dessus des égratignures
de l'amour-propre.
A plus forte raison respecterez-vous et, en certaines occasions, aiderez-vuo«; à
mettre en pratique les dogmes fondamentaux d'une religion quelconque. J'en-
tends par là que ce ne serait pas assez de ne point contrarier les sentiments pieux
du malade, mais que, si celui-ci s'en rapporte à vous du soin de veiller à ce que
les secours religieux lui arrivent à temps, vous lui devez ce service. Songez que
pour lui, comme pour Pascal, c'est la plus grande affaire de la vie, plus impor-
tante mille fois que la santé, et que ne pas consentir à l'y aider, ce serait bien
pis que de lui refuser un remède efficace. L'homme de l'art, je le répèle, est,
en pareille occurrence, religieusement neutre; mais médicalement il doit élargir
son ministère, non à l'égal de celui du prêtre, du pasteur ou du rabbin, mais
dans la mesure où il y sera expressément convié par le malade.
Je dis par le malade : car il peut arriver que la famille, méconnaissant
votre rôle, vous invite à faire naître vous-même des suggestions religieuses
dans l'esprit du patient; vous devez vous y refuser. Venant du médecin, de celui
dont on attend la guérison, des suggestions de cette nature, avec quelques
ménagements qu'elles soient présentée-;, auraient presque nécessairement
une signification sinistre. Dans le cas de tout à l'heure, vous aviez un
moyen facile de rendre un office sans risquer de froisser douloureusement
les dernières attaches à la vie : c'était de provoquer secrètement l'intervention
d'uu intermédiaire, rendant la vôtre inutile et donnant à croire nu patient
que l'heure d'agir n'était pas venue pour vous. Ici, c'est vous-même qui don-
neriez le suprême avertissement, sans savoir seulement dans quel esprit il
serait reçu. Ces choses-là ne peuvent se faire par mandat.
Il est une autre situation créée au médecin par les croyances religieuses des
familles : c'est celle qui le place en présence du baptême, en cas de danger de
mort du fœtus. L'urgence de l'ondoiement peut se poser soit quand le fœtus est
encore dans le sein d'une mère décédée, soit au cours de l'accouchement, soit
quand l'enfant venu au monde est menacé de mort très-prochaine. La question
de la dystocie et de l'opération césarienne est donc ici engagée ; mais je n'ai pas à
entrer dans les considérations scientifiques qui peuvent influencer la con-
duite du médecin (viabilité du fœtus, causes de la dystocie, dangers de l'hysté-
rotomie) : on les trouvera aux articles Avortemeint provoqué et Hystérotomie ;
j'examine seulement le devoir du médecin dans toutes les circonstances où le
baptême du fœtus doit avoir lieu extemporanément.
Il faut d'abord rejeter comme excessif le principe posé à l'Académie de
médecine en 1861 par le respectable Kerkaradec. L'exercice du culte catholique
est garanti par l'État; le baptême est nécessaire au salut; l'âme s'unissant au
corps très-probablement à l'instant de la conception, le baptême est dû au
fœtus, quel que soit son âge, et il n'est jamais trop tôt pour le lui administrer :
de là l'obligation absolue de pratiquer l'hystérotomie dans tous les cas de mort
d'une femme enceinte, la grossesse fùt-elle de la veille. Celte doctrine, on le
528 DÉONTOLOGIE.
reconnaît aisément, est tirée de certains embryologistes sacres, tels que Can-
giamila, dédaigneux de toute physiologie, et qui ont surpris des signes de vie
chez des fœtus gros comme une abeille. Ce qui en rend les applications inad-
missibles (car la question médicale est là), c'est qu'elle subordonnne tout, lois
de l'État, principes scientifiques, liberté individuelle, à une croyance religieuse.
La loi qui assure le libre exercice du culte catholique garantit aussi la liberté
des cultes. En proclamant Yohligatioii d'ouvrir les entrailles de toute femme pré-
sumée morte en état de gestation, non-seulement on ne respecte pas la liberté
religieuse, mais on la détruit très-formellement en imposant à son semblable
une règle qui parfois n'est pas la sienne. De plus, en prescrivant l'opération
dans les cas mêmes oii la grossesse est toute récente parce que le fœtus est déjà
en possession d'une âme, on décide sans qualité une question de théologie.
Que le fœtus jouisse d'une âme dès sa formation, ce peut être une opinion
individuelle, ce n'est pas l'opinion unanime de rÉ,^lise ; d'ailleurs elle n'engage
pas même un catholique. Ou a disputé au contraire sur l'époque de la vie fœtale
à laquelle l'âme se marie au corps, comme on s'est ingénié en vaines hypothèses
sur son origine : est-elle une partie d'une âme universelle? est-elle créée à
chaque naissance pour chaque individu? ou encore se reproduit-elle par géné-
ration successive depuis Adam, comme le corps lui-même? Ce sont d'étranges
questions pour un médecin. Je dis en outre que, en s'attachant à celles qui
impliquent la contemporanéité de l'âme et du corps et en y subordonnant la
pratique médicale, on rend beaucoup plus fréquente la chance de porter le
couteau sur une femme en état de mort apparente. On l'augmente d'autant
plus que, pour être conséquent avec son principe, on invite le prêtre ou, à son
défaut, toute autre personne (Kerkaradec le dit expressément), à pratiquer l'opé-
ration, si le médecin est absent ou s y refuse. Il n'y a plus, on le voit, de
question scientifique, d'indication et de contre-indication, de compétence légale,
d'aptitude manuelle. Cette malheureuse qui, tant qu'elle n'est pas inhumée ou
du moins tant qu'elle n'a pas été exposée vingt-quatre heures, est réputée vivante,
à l'instar du prévenu réputé innocent tant qu'il n'a pas été condamné, la voilà
exposée au couteau du premier venu, éventrée au nom de la religion! On sait que
le précepte est de temps en temps appliqué. Deux cas de ce genre ont ému le
sentiment public en 1878. A Cliampoly (Loire), l'hystérotomie a été exécutée
une heure après la mort, sur l'invitation d'un prêtre, par un aubergiste, qui
s'est servi pour cela d'un couteau-poignard : l'enfant était mort. Dans le même
département, à Saint-Etienne, elle a été pratiquée par un boucher sur la
demande des parents et amis de la défunte : l'enfant, dont on avait senti les
mouvements, a été retiré vivant, mais est mort peu de temps après.
Ce n'est pas tout. Cette opération de vaine pâture, accessible à tout le
monde, elle n'est pas strictement nécessaire pour le baptême. L'Académie de
médecine de Belgique, appelée à s'occuper de ce sujet il y a une quarantaine
d'années, a rappelé que de leau pouvait être, au moyen d'une sonde, portée dans
la matrice jusque sur l'œuf. Mais, de plus, l'Église a une formule pour le
baptême des enfants encore enfermés dans les membranes : Si tu es capax. 11
est vrai que ce baptême conditionnel doit être renouvelé, si l'enfant est trouvé
ensuite vivant dans la poche amniotique; en cas contraire il est valable. JN'est-ce
pas un droit exorbitant que celui que s'arroge une personne étrangère à la
médecine d'aller perfectionner, par l'éventration de la mère, un ondoiement
déjà valable, et qui restera tel manifestement, si l'opération n'est pas effectuée?
DÉONTOLOGIE. 529
Ainsi, la considération du baptême, en apportant dans la question pratique
de riiystérotomie post mortem le principe d'absolutisme qui convient naturel-
lement aux prescriptions religieuses, lui enlève les garanties de prudence don.
la clinique s'efforce de l'entourer; elle porte ou peut porter atteinte à la liberté
de conscience des familles; elle multiplie les hystérotomies ; elle en produit
d'inutiles; elle amène la violation indirecte de la loi sur les inhumations, sans
même l'assistance de l'homme de l'art; elle écarte enfin l'homme de l'art lui-
même, s'il veut faire valoir sa compétence.
Ce sont là de graves abus auxquels il n'était pas possible de ne pas s'arrêter.
Mais, si la question m'était livrée tout entière, embrassant avec le point de vue
du baptême celui de la vie de l'enfant, j'aurais à démontrer que ce serait un
abus en sens contraire de ne faire aucune exception à la pratique extra-médicale
de l'opération, et que, s'il y aurait quelque danger à spécifier l'exception dans
une loi, au moins serait-il sage de tenir grand compte des motifs de l'infrac-
tion aux lois actuelles et d'en peser attentivement toutes les circonstances. En
thèse générale, on no peut méconnaître quiun devoir social naisse de celte ter-
rible conjoncture d'un enfant qu'on sent palpiter sous la main et qui va périr
dans le sein de la mère, si on ne l'en retire promptement. Or, ce devoir, qui
raccom[ilira, si le médecin manque? Je ne dis pas pour cela qu'il faille laisser
les choses en l'état : mais l'hystérotomie ne pourrait-elle être autorisée sous la
condition qu'un représentant de l'autorité, le procureur de la République, ou le
maire, ou le greffier, ou l'adjoint, ou le garde champêtre, ou l'officier de gen-
darmerie (tous nantis, on le sait, de certains pouvoirs civils et judiciaires), ou
un magistrat quelconque, un membre du conseil municipal, un officier mi-
nistériel, soit appelé auprès delà femme présumée défunte, ou plutôt mourante?
Dans un personnel si nombreux, ce serait grand hasard qu'on ne mit pas en peu
d'instants la main sur un ou plusieurs témoins. L'important serait de s'y pren-
dre à temps. L'opération du moins ne serait plus pratiquée à huis clos ; on sau-
rait bien dans quel but on la pratique, et l'on serait bien assuré de la volonté
des familles. Du reste, en l'état présent des choses, les tribunaux ne se montrent
pas sévères pour cette intrusion des bouchers et des aubergistes dans la méde-
cine opératoire. Les deux praticiens cités plus haut ont été condamnés, l'un à
5 francs, l'autre à 15 francs d'amende, pour exercice illégal de la médecine.
Je crois, en effet, que l'acte n'avait pas d'autre caractère juridique.
Après ces remarques, il reste bien peu de chose à dire du baptême considéré
pendant et après l'accouchement. L'obligation reste la même pour le médecin.
Quand le travail se prolongera, deviendra difficile, nécessitera l'usage d'instru-
ments, on lui demandera quelquefois d'ondoyer l'enfant. Le désir de la mère se
manifeste surtout au moment où l'on se prépare cà appliquer les fers. Ici, aucune
difficulté d'exécution. Suivant la position de l'enfant, on ondoie la têle direc-
tement ou au moyen d'une seringue. Les membranes alors sont presque tou-
jours rompues. Si elles ne l'étaient pas, on en opérerait soi-même la rupture pour
pouvoir répandre l'eau sur le crâne, et si enfin on ne jugeait pas à propos de le
faire, on se trouverait dans le cas du baptême intra-utérin. Toute cette casuis-
tique est nécessaire à qui comprend que, en pareille matière, il n'est pas
permis au médecin, même le plus incrédule, de se jouer par une simulation
quelconque de la confiance des familles.
Quant au baptême post-puerpéral, il est requis principalement dans l'asphyxie
des nouveau-nés. L'état de mort apparente des enfants ne doit jamais être un
DICT. ENC. XXVII, 34
530 DÉONTOLOGIE.
motif d'abstention ; on sait qu'on en a ramené à la vie par la flagellation et
l'insufflation, qui étaient veslés plusieurs /iewres sans respirer.
Je suppose toujours que le médecin procédera lui-même à l'ondoiement. Il
peut s'en trouver qui répugnent à un acte contre lequel protesteraient de sincères
convictions. L'accoucheur peut d'ailleurs être hérétique. Dans ces cas, son
devoir ne change pas au fond; il consiste à donner les instructions nécessaires
pour que le baptême puisse être administré par toute autre personne, comme
le mari ou la garde-malade.
Telle est en quelque sorte la physionomie générale du sujet; telles sont les dispo-
sitions d'esprit du public en présence duquel va se trouver le jeune médecin, et les
devoirs spéciaux qui en ressortiront pour lui. Voyons maintenant quelles sont
les qualités plus particulières dont il doit faire preuve à l'égard des clients.
C'est un sujet bien rebattu, où se pressent les banalités, et sur lequel je
demande la permission d'être bref. J'envisagerai d'abord certaines qualités
générales, telles que le dévouement, l'abnégation, la charité, la discrétion, etc.,
puis la conduite à tenir dans certains cas particuliers relatifs à Vâge, au sexe,
à la nature ou à la gravité de la maladie, etc. 11 sera parlé à ce propos de
l'opportunité des consultations.
a. Dévouement, activité. Au moment oîi il reçoit son diplôme, le jeune
docteur revêt la robe virile d'une profession qui ne ressemble à aucune autre,
ou mieux encore celle d'un Ordre laïque voué aux sacrifices et à la bienfaisance.
On peut trouver ces expressions bien solennelles quand on voit, dans les grandes
villes, l'existence dorée et mondaine de quelques médecins ; mais elles paraîtront
justes aux médecins de campagne et à tous ces modestes praticiens qui ne
connaissent ni repos, ni satisfaction de fortune. C'est dans cette humilité de
condition que le devoir parle avec le plus de force, et le plus souvent. Là point
de ces clientèles indécises, changeantes, où le donnant donnant résume à
peu près toutes les relations du malade avec le médecin, mais au contraire,
dans un cercle étroit et toDJours le même, une intimité de rapports qui provoque
le dévouement, qui appelle mille services, qui impose le désintéressement. Je
l'ai déjà dit, si le médecin exerce une profession libre, celle-ci trouve sa chaîne
en elle-même, dans sa propre destination, qui est de faire le bien. Or, le bien ne
peut se vendre ni se mesurer comme une marchandise; le bien n'a pas de
valeur vénale qui lui permette de se réclamer de la loi de l'oifre et de la
demande. Il doit s'effectuer à tout prix. Assurément on ne peut exiger
raisonnablement d'un médecin qu'il soit tout à tous ; cela peut s'écrire dans
les livres, mais n'est jamais pratiqué, même par ceux qui l'ont écrit. La situation
qu'on occupe dans le corps médical, le nombre des occupations auxquelles on
est assujetti, des considérations de société, sont à cet égard des motifs légitimes
de détermination. Je laisse à d'autres la responsabilité de l'histoire d'ihppocrate
refusant les présents d'Artaxerxès, ou celle de Dexippe refusant de se rendre
auprès d'ilécatone, roi de Carie, tous deux pour raison politique. Cette raison-là
ne serait pas acceptable ;iujourd'hui (on a vu tout à l'heure la conduite d'ilip-
pocrate à l'égard des Macédoniens). En toutes circonstances, d'ailleurs, il y a
lieu de réserver les cas d'urgence ou les cas d'absence de tout autre médecin.
Mais dès qu'un homme de l'art s'est chargé de traiter un malade, dans quel-
ques conditions que celui-ci se trouve, il lui doit son dévouement tout entier.
Ayant pris en main l'intérêt de sa santé, dont un autre aurait pu se charger
DÉONTOLOGIE. ^51
il lui serait nuisible, il serait son ennemi, s'il laissait cet intérêt en souffrance.
b. Abnégation. Ingratitude des clients. Le dévouement prodigué à rbomme
souffrant, la fatigue que vous vous serez imposée pour lui, le soulagement
que vous lui aurez procuré, les paroles sympathiques par lesquelles vous aurez
soutenu son courage et son esprit, tout cela peut être comme non avenu. Voilà
un triste avertissement à donner au débutant. 11 le trouverait dans Sénèque :
« Vous vous plaignez d"avoir rencontré un ingrat : si c'est le premier, vous en
devez remercier la fortune ou votre prudence» (Ép. 81, Bibl. Did.). Enivré de
ses premiers succès, ému et ravi des premiers témoignages de gratitude qu'il
reçoit, le débutant se plaît à considérer la famille connue obligée à tout jamais
envers lui, el se figure être ine^;pugaable dans une aussi triomphante posi-
tion. Peut-être a-t-il gardé du lycée la mémoire de l'ode de Virgile à son mé-
decin Antonius Musa. Eh bien, l'eùt-on couvert de caresses, l'eut-on sacré du
nom classique de sauveur, lui eùt-on juré une fidélité inaltérable, peut-être
avant peu de temps aura-t-il un successeur. Que faut-il pour cela? Un simple
échec. Et quelle nature d'échec menacerait le plus sa situation? On pourrait
croire que c'est la terminaison funeste de quelque pyrexie, d'une variole, d'une
fièvre typhoïde. Non; les familles savent que les individus frappés de ces
maladies meurent assez souvent entre les mains des praticiens les plus renom-
més; un grand zèle aura pu sauver sa responsabilité. L'écueil dangereux, c'est
la maladie chronique, une de celles qu'on n'a guère vues dans les hôpitaux, contre
laquelle on escarmouche un peu au hasard, et dont la résistance accuse de
jour en jour l'impuissance du traitement: de là à l'impéritie, au moins partielle,
du médecin, il n'y a qu'un pas, et ce pas est franchi le jour où un ami déclare
que lui ou quelque autre a été guéri de la même maladie par ttl confrère qu'il
désigne, ou par tel ou tel empirique. Le proverbe contre lequel protestent trois
ou quatre dissertations : nouveau médecin, nouveau cimetière, n'effraie qu'un
petit nombre de familles.
A regarder les choses de près, l'ingratitude proverbiale des malades n'est pas
toujours si noire qu'on la fait. L'espèce ingrate est, en effet, diverse. 11 y a
l'ingrat grossier, celui qui manque de la délicatesse nécessaire pour élever son
cœur à la hauteur de celui du médecin et ne voit dans les soins reçus que
l'équivalent de son argent; on peut le rencontrer dans toutes les classes de la
société, mais il appartient plus particulièicment à celle qui manque d'éducation.
Il y a l'ingrat badaud, souvent inlidèle, toujours reconnaissant ; celui-là est
commun dans la haute classe des oisifs, où l'abondance des esprits légers et
des cœurs superhciels, l'abondance des préjugés et des superstitions que nourrit
et propage une étroite mutualité de relations sociales, subordonne généralement
le choix du médecin aux conseils d'un collègue de club, d'une voisine de
campagne, ou seulement au caprice d'une vogue fantaisiste. Quelquefois l'ingra-
titude n'est que simulée : c'est quand l'expression du sentiment contraire aurait
sur la bourse, ou sur quelque intérêt d'un autre genre, des conséquences aux-
quelles on veut se soustraire. Enfin il est, à l'honneur du cœur humain, de
nombieux cas où, contre des apparences que le médecin froissé interprète mal.
une gratitude sincère et solide s'allie à l'infidélité; ce sont ceux que je rap-
pelais tout à l'heure, dans lesquels le changement de médecin est motive par
son insuccès persistant. Soyons juste envers les clients : si un médecin vous
avait retiré de la rivière au moment où vous alliez vous noyer, et que, un peu plus
tard, votre enfant tombant gravement malade, ce médecin vons parût, même à
552 DEONTOLOGIE.
tort, incapable de le bieu soigner, n'en choisiriez-vous pas un autre qui vous
inspirerait confiance? Assurément, oui; vous le devriez à votre enfant. Eh bien,
c'est l'image de ce qui arrive chaque jour dans les familles de malades. Un client
de sentiment noble tâche d'accorder son devoir d'obligé avec son légitime intérêt
en adjoignant un second médecin au premier; mais ce procédé n'est pas à la
portée de tous, et ne peut être d'ailleurs suivi indéfiniment sans blesser
celui-là même avec qui on aurait voulu conserver d'affectueuses relations.
Comment se comportera le praticien en pareille circonstance? Qu'il envisage
d'abord du même œil toutes les variétés d'ingratitude et ne se chagrine d'au-
cune. Sil a fait son devoir, s'il n'a pas échoué par sa faute ou s'il a fait un
bien qu'on méconnaît, l'assentiment de sa conscience lui suffira. L'ingratitude
vraie est bien une monstruosité, mais elle n'enlaidit que celui qui en est affligé.
Qu'il ne réponde pas par la haine à un mauvais procédé. L'important est de
savoir quelle ligne il doit suivre. 11 le saura tout à l'heure par ce qui sera dit
sur les rapports des médecins entre eux; en deux mots, il doit accepter l'ad-
jonction de tout confrère honorable; se retirer devant celle d'un confrère in-
dit^ne d'estime, et sa retraite ne doit être que provisoire si la confiance de la
famille, un moment déviée plutôt que disparue, l'appelle de nouveau. Je trouve
excessive la susceptibilité de celui qui rompt à tout jamais avec une famille
parce qu'elle a cru devoir préférer les soins d'un autre aux siens; il va là-
dessous un levain d'orgueil ou de jalousie. Un cas seulement peut justifier la
rupture : c'est le cas où le changement a été dissimulé. Ce manque d'égards .
place le médecin dans une situation fausse, où sa bonne foi trompée l'expose
à jouer un rôle ridicule; il porte atteinte à sa dignité. Or la dignité de la
profession est faite de celle de tous ses membres, et elle périrait si chacun fai-
sait bon marché de la sienne. Je n'oserais donner à cette règle de conduite un
caractère absolu ; trop de circonstances étrangères à la médecine et en premier
lieu une ancienne amitié la rendraient parfois bien pénible; mais il importe au
moins que le retour, précédé d'explications catégoriques, paraisse une faveur et
non une rentrée en grâce. On s'assurera de plus que les conditions de ce retour
ne sont pas de nature à vous compromettre. Évincé au profit d'un confrère qui
n'est pas plus heureux que vous, ou qui l'est moins, vous êtes quelquefois prié
de vous joindre à lui au cours d'une maladie menacée dune terminaison
funeste. Prenez garde qu'il y a des confrères désireux de partager une responsabi-
lité pesante et qui, après vous avoir supplanté, vous rappellent eux-mêmes en ce
moment critique au secours delà famille. 11 y a en clientèle des milieux, comme
celui que j'ai assigné à ma seconde variété d'ingrats, où il n'est pas bon de
courir sans motif la chance de bruits inconsidérés et de fausses interprétations.
c. Douceur, sensibilité, charité, bienfaisance. Être doux et bon envers
les malades, devrait-il être besoin de le conseiller? Et pourtant la dureté de
cœur et la brusquerie des manières ne sont que trop communes parmi les
médecins. Bien plus, il en est qui prennent à tâche de les affecter : un travers
d'esprit prend la place d'un défaut de caractère. On croit avoir relevé son
importance quand on a fait peur à de pauvres gens déjà disposés à l'anxiété
devant celui qui tient ou est censé tenir leur sort entre ses mains. Les chirur-
giens doniiaiont, ce me semble, dans ce travers autrefois plus qu'aujourd'hui,
en imitation de certains confières célèbres qui s'étaient fait la réiiutation de
Jupiters tonnants. La plupart, il est vrai, n'étaient en réalité que des doublures
de Chrysale, que sa servante met en colère à force de lui soutenir qu'il n'est
DÉONTOLOGIE. 555
pas méchant. Il y a temps pour la fermeté et le commandement, on le verra
bientôt; mais, hors ce cas, celui qui souffre a le droit de compter sur votre
pitié. On n'est déjà que trop porté à accuser l'insensibilité des hommes de
l'art. Cruveilhier le dit très-bien : « L'exercîce de la médecine émousse celte
sensibilité des nerfs qui trouble les sens, mais il laisse intact et pure cette
sensibilité virile qui compatit à la douleur, qui l'abrège, qui la console, qui
relève le courage abattu.... Cette sensibilité de l'àme, c'est l'humanité, c'est
la bienfaisance. L'humanité et la bienfaisance sont par excellence les vertus du
médecin, et le bonheur qui s'attache à l'exercice de ces vertus est sa plus douce
récompense. » J'ajoute qu'il y gagne encore un heureux apprentissage de
morale. La sensibilité active et secourable, qui vous fait prendre part aux
souffrances d'autrui, qui vous initie à leurs causes les plus secrètes, qui vous
donne le spectacle, ici du plus noble courage, là des terreurs les plus pussillanimes;
qui vous montre chez le pauvre, chez le paysan, la misère assise à côté de la
maladie, et tant d'autres tristesses du drame social; qui aussi, par compensation,
vous procure la joie de sentir couler sur vos mains, ne fût-ce qu'un jour, les
larmes de la reconnaissance, tout cela élève l'esprit, agrandit le cœur et dispose
aux bonnes actions. C'est une remarque à faire que la classe inférieure manque
souvent de déférence pour le médecin; si l'on pénètre au fond de ce sentiment,
on reconnaîtra qu'il a sa source dans la défiance. Le pauvre commence par
douter de l'intérêt qu'on va lui porter; si vous lui parlez d'un peu haut, il
entre tout de suite tn révolte, devient exigeant. Parlez-lui doucement, amicale-
ment ; n'ayez l'air de regarder ni son taudis, ni ses habits de travail, il s'en
montrera profondément touché. Ces deux états extrêmes sont surtout mar-
qués chez les femmes d'ouvriers, et, quand c'est le bon sentiment qui parle,
elles ont mille manières délicates de l'exprimer. Je me souviens d'avoir donné
des soins, pendant le siège de Paris, à une pauvre famille de réfugiés de la
banlieue. Deux cas de variole grave s'y étaient heureusement terminés. Un jour
toute la nichée, homme, femme, enfants, fait irruption dans mon cabinet; une
petite fille poussée par sa mère se détache du groupe et vient m'offrir un sac
noué avec des faveurs roses. Intrigué, j'ouvre ce sac et qu'y trouvé-je? une
douzaine bien comptée de pommes de terre ! Songez qu'on manquait de pain.
La bienfaisance est à la portée de tout le monde, mais le médecin a plus que
personne l'occasion et le moyen de la pratiquer. 11 sait où trouver la pauvreté;
il a un rôle actif dans toutes les institutions charitables. Quand sa bourse est
incapable de largesses, il a toujours la ressource de son art. De même que les
visites de nuit ne peuvent être imposées à tous les médecins, on ne peut exiger
de tous de soigner indifféremment riches et pauvres. Mais je voudrais que, dans
les plus hautes positions, on ne repoussât jamais un pauvre venant demander
un conseil. Que ce supplément d'occupation ne soit pas au détriment de la clien-
tèle ordinaire; qu'il n'ait pas lieu, par exemple, à l'heure habituelle des consul-
tations, on le comprend; mais on peut toujours entre le matin et le soir trouver
quelques instants pour une bonne action; on saurait les trouver pour une mau-
vaise, ou pour un plaisir. Le plus occupé des médecins de son temps, je viens
de le nommer, donnait des consultations gratuites le dimanche et recevait des
pauvres presque tous les matins avant sa première sortie. Ghomel, qui n'avait
pas à cet égard d'habitude aussi régulière, ne refusait jamais d'aller visiter un
pauvre à son domicile, pour peu qu'il lui fut désigné par une famille ou par
un confrère. Dans une circonstance particulière, appelé par le médecin ordi-
554 DÉONTOLOGIE.
naire auprès de pauvres gens, il se rendit une dizaine de fois avec une ponc-
tualité exemplaire aux consiillalions, restant longtemps près du malade, attentif
à ses maux comme il devait Tèlre à ceux de son royal client; et, quand le
moment tut venu de lui offrir des honoraires, que la famille tenait tout prêts,
il ne voulut pas les recevoir. Sur ce chapitre, on peut lire dans ce Dictionnaire
une petite histoire sur Récamier.
d. Patience. Si l'on voulait écrire un traité de la patience à l'usage du
praticien, on la considérerait successivement par rapport à la maladie, par
rapport au malade et par rapport au public. On aurait aisément de la sorte la
matière de trois gros clia pitres pouvant former ensemble un volume respectable.
Mais le vague et l'extensibilité indéfinie du sujet sont justement une raison de
le réduire ici à un petit nombre de considérations générales d'où l'on puisse
tirer une ligne de conduite.
La [lationce du médecin à l'égard de la maladie est un fruit de l'expérience.
Elle manque donc d'ordinaire au jeune médecin qui, ne connaissant pas ce
qu'on pourrait appeler les mœurs des maladies, leur évolution spontanée, les
variations dont elles sont susceptibles dans leur marche et leur terminaison,
l'inlluence qu'elles reçoivent de l'âge, du sexe, de l'hérédité, de leur coexistence
chez le même malade, ne comptent jamais avec le temps et s'épuisent en médi-
cations inutiles ou fâcheusement perturbatrices. Cet excès en amène un autre.
Plus le traitement a été actif, agité, et plus vite ils se dépitent en cas d'msuccès,
plus d'ailleurs leurs ressources ont diminué et plus leur impuissance finale
éclate aux yeux des familles. C'est la situation d'un commandant d'armée
dont la fougue inopportune gâte tout, dont la patience expérimentée sait pré-
venir et attendre, pour porter au moment voulu le coup décisif. Une longue
pratique et une observation attentive, voilà donc ce qui pourra seul former la
patience du clinicien.
Quant à celle de l'homme en présence des malades et de leur entourage, elle
est si souvent mise à l'épreuve qu'on finit par y être insensible : les vieux
médecins sont patients, mais d'une patience particulière où l'indifférence a une
grande part. Ils ne tolèrent les tracasseries que parce qu'ils n'y prêtent pas
attention : ce n'est plus une vertu. La patience méritoire est celle qui a, comme
d'aulres qualités du médecin, une racine morale. Un patient rend un compte
obscur de son état; il répond mal à vos questions; il se perd en explications
verbeuses: dirigez-le dans son récit, redressez-le dans ses écarts, arrètez-le dans
ses divagations, mais doucement, avec bonne humeur. C'est d'ailleurs le moyen
d'obtenir de lui des éclaircissements. La brusquerie le décontenance, lui brouille
les idées, et c'en est fait : n'attendez plus de lui aucun éclaircissement. Aussi
est-il quelquefois bon de ne pas insister, de paraître comprendre et de remettre
l'interrogatoire à un autre moment, sous prétexte de réfléchir. D'autres fois, c'est
le malade lui-même qui questionne, objecte, ergote, contredit. Il n'est pas
défendu alors de repousser l'assaut avec une pointe de moquerie. Ce moyen
est prcfér.ible à une admonestation superbe dont le malade, qui se croyait
dans son droit, est tout ébahi. Il y a sans doute des limites à la longani-
mité : c'est au tact à les reconnaître; je veux seulement prémunir le jeune
médecin contre cette tendance trop générale à se formaliser, comme d'une in-
jure, de quelques innocentes et inoffensives observations qu'aura faites un pauvre
homme dans une affaire où il s'agit de pelle suâ.
On a le droit de prendre davantage ses aises avec l'entourage qui, lui, se
DÉO>«TOLOGIE. h^o
mêle de ce qui ne le regarde pas. L'indignation est là encore inutile; mais
un moyen sur de faire bientôt cesser les ingérences déplacées, les obsessions,
les bistoires de guérison miraculeuse, les propositions de remèdes, c'est le
silence ou quelques mots éloquents comme ceux-ci : nous verrons; très-bien;
merci. Ce qui fait réussir ce moyen, c'est que, répélé deux ou trois fois, il
devient pour les inconséquents la cause d'une petite mortification. ISélaton,
qui avait la finesse normande, quoiqu'il fût né à Paris, excellait à ce jeu. 11
sortit un jour d'une maison sans avoir donné à une maladie le nom qu'on lui
avait demandé à cinq ou six reprises. Soa peut-être et son oui, oîu' perpétuels,
avaient fini par lasser tous les curieux.
e. Autorité, fermeté, intimidation. La patience n'exclut pas la fermeté,
tout au contraire elle y est une très-bonne préparation. Celui dont on a longtemps
toléré les écarts sent mieux combien ils déplaisent le jour où l'on se décide
à y mettre fin. Ce jour-là est celui où la fermeté est utile au malade, car c'est
toujours à cela qu'il faut revenir. Elle a alors ime indication, comme un
remède; elle entre dans la tbérapeutique. Consbrucb, J. Franck, en parlent
très-bien, en ce sens qu'ils n'en font pas une vertu revècbe et intraitable. Ils
veulent que la confiance du malade se gagne « tantôt par une large condes-
cendance, tantôt par une inflexible fermeté », et que, en exigeant la soumission
aux prescriptions, on interdise seulement ce qui est nuisible. « 11 est des mé-
decins, ajoute Frank, qui se plaisent à contrarier le malade sur ses goûts: alors
le malade les satisfait en cachette. » Il est prudent néanmoins de s'arrêter dans
les concessions en deçà de la juste mesure, parce que le malade dépassera
très-probablement celle qui lui aura été assignée. Un ancien a dit très-justement :
« Celui à qui l'on permet plus qu'il n'est raisonnable veut plus qu'on ne
lui permet » (Publius Syrus in Macrobe, 254, coll. ISisard). 11 est des malades
rebelles envers lesquels la fermeté doit aller jusqu'à l'intimidation. Si vous êtes
assuré de leur confiance, dites que des visites sans résultat sont superflues,
que vous ne pouvez prendre la responsabilité de l'issue d'une affection que
vous ne dirigez pas, et, en termes froids, mesurés, mais résolus, annoncez votre
retraite. Vous laissàt-on partir, vous auriez au moins sauvé l'honneur de l'art.
D'autres procédés d'intimidation sont suggérés par les circonstances. C'est au
nom d'une beauté périclitante qu'on ramène certaines insoumises. D'autres
femmes plus sérieuses écoutent le reproche de manquer à l'amour maternel ou
à l'amour conjugal. On menacera les hommes d'infirmités préjudiciables à
leurs travaux, à leurs amusements favoris. Enfin, il est des cas où le médecin
est autorisé à rompre avec une de ses obligations habituelles : au lieu d'écarter
du malade l'image d'une fin funeste, il la lui présentera comme une consé-
quence très-probable de son indocilité. M. Max Simon lui-même, si tendre et si
onctueux, n'hésite pas à donner ce conseil. « Le raisonnement, écrit-il, jr.d'.iuceur,
les témoignages fréquemment renouvelés d'une sympathie réelle, soni les moyens
par lesquels le médecin doit tout d'abord s'efforcer de triompher des obstacles
qu'il rencontre à l'accomplissement de sa mission; mais, lorsqu'il s'est cou-
vaincu par une expérience suffisante que ces moyens sont impuissants, c'est
alors qu'il lui est permis, que dis-je ! qu'il est de son devoir de faire comprendre
aux malades indociles les dangers de leur position, en déchirant d'une main
hardie le voile qui leur cache la vérité » (p. 561). Patin raconte comment il a
décidé une femme à prendre de la nouniture en lui annonçant crûment sa
mort prochaine. Cette ultima ratio de l'homme de l'art est pénible à em-
536 DEONTOLOGIE.
l)loyer ; elle est] d'ailleurs sujette à des effets inattendus, tels qu'un ébranle-
ment violent du syslème[[nerveux, des idées de suicide, surtout quand il s'agit
d'une maladie chronique, etc. Aussi exige-t-elle autant de perspicacité que
de prudence. Elle a besoin d'ailleurs, pour réussir, de beaucoup d'autorité
personnelle ; de la part d'un jeune médecin, elle passerait aisément, auprès de
la famille, pour une légèreté.
Ce n'est pas toujours l'indocilité (jui motive l'emploi des procédés d'intimi-
dation. Ils sont indiqués également dans les maladies simulées, et dans certaines
affections nerveuses, où l'instinct d'imitation joue un plus grand rôle que la
simulation.
Les faux malades des hôpitaux sont bien connus; c'est pour eux qu'on a
inventé^les ventouses morales, qu'on remplace tantôt par le fer rouge, tantôt
par les applications électriques. Celles-ci ont l'avantage de pouvoir être
employées réellement avec possibilité de régler l'intensité de la douleur, tandis
que le cautère actuel ne peut guère être présenté qu'en perspective et que, pour
beaucoup d'hommes du peuple, les douceurs de l'iiôpital balancent bien le
supplice de la ventouse sèche.
On rencontre assez'^souvent dans le inonde des jeunes personnes simulant le
délire, les unes pour écarter la responsabilité d'une faute, d'autres pour se
rendre intéressantes auprès de l'homme aimé ou pour jeter le remords dans l'àme
d'un époux contrariant. Celle-ci se gratifie d'une maladie de langueur, ne
mange plus, maigrit, pâlit, rêve et se délecte de la désolation de ceux qui
l'entourent; avec un peu plus d'imagination, elle ajoute à ce navrant tableau
des contractures, des anesthésies ou des visions. Celle-là, moins ambitieuse,
se borne à tousser, à accuser un point de côté ou des maux de lête, des maux
d'estomac, pour se faire ordonner un voyage, ou pour rester à la maison, suivant
l'humeur ou l'intérêt. On comprend que toutes ces fantaisies ne sont pas sans
de graves inconvénients pour les familles. Le médecin doit à celles-ci son
appui, mais dans un certaine mesure; il n'ira pas porter le trouble dans un
ménage en dénonçant au mari les petits calculs et les inventions pathologiques
tramés contre lui; il parlera raison à la femme, lui expliquera comment lui,
médecin, est lié par des devoirs de conscience, profitera des moindres incidents
de sa santé pour lui présenter comme périlleux les bains de mer ou le trai-
tement thermal auxquels elle aspire. Dans les cas plus graves et qui jettent
l'inquiétude dans le cœur des parents, comme est le cas de folie simulée, le
médecin ne doit pas encore se hâter de dévoiler la supercherie; mieux vaut
que la famille la reconnaisse spontanément, sauf à avouer qu'on n'en était
pas dupe soi-même. A moins qu'd ne s'agisse d'un tout jeune enfant, le mé-
decin ne cesse pas d'être le confident, bien que trompé, des soi-disanls malades,
etc'est justement parce que celle-ci ne délire pas en réalité, parce qu'elle n'est
pas folle, qu'il lui doit de la discrétion. Donc, à ce titre de confident, c'est
à elle qu'il doit d'abord s'adresser. Une fois sûr de son fait, il la prendra en
particulier et, d'un ton qui ne décèle aucune incertitude, il lui déclarera sa
conviction, lui fera comprendre que le médecin a des moyens, à elle inconnues,
de savoir la vérité, et pourra même lui promettre son aide et ses conseils pour
la transition parfois embarrassante du mal simulé. Que si elle ne se rend pas,
il lui annoncera l'adjonction d'autres médecins, il la menacera de la délais-
ser, d'avertir les siens, etc. Que si enfin tout échoue, il a la ressource de ces
moyens terrifiants dont il était question tout à l'heure mais , pour qu'il
DÉONTOLOGIE. è37
puisse s'en servir utilement, il imporle, on le comprend, qu'il paraisse lui-
même vaincu dans ses soupçons par la persistance des symptômes et entière-
ment converti à l'existence d'une maladie réelle. Quant aux moyens propres à
déceler la simulation des maladies et en particulier du délire, on les trouvera
indiqué aux mots Maladies sdiulkes et Aliénation meîstale (Médecine légale).
Les procédés moraux d'intimidation ne sont plus que d'un faible secours ;
les procédés physiques seuls ont une sérieuse efficacité dans les maladies
nerveuses qu'une imitation contagieuse propage quelquefois avec tant de rapidité.
Tout le monde connaît ce trait de la vie de Boerhaave, mettant fin, dans l'Iiôpital
de Harlem, à une épidémie de convulsions par la seule menace d'appliquer un
fer rouge sur le bras de chaque malade. Si la menace ne suffisait pas dans des
cas semblables, on n'irait pas jusqu'à l'exécution; mais un moyen qui ne
serait pas h dédaigner serait celui dont parle Sydenham, dans sa Nosologie, et
qui paraît avoir assez bien réussi : il s'agit du fouet religieusement administré
après chaque accès. J'ai déjà dit le parti qu'on pourrait tirer d'une bonne bou-
teille de Leyde.
f. Discrétion. Le médecin qui se bornerait à obéir aux prescriptions de
l'article 578 du Code pénal ne remplirait que bien imparfaitement son devoir.
Comme le dit justement M. Tourdes en traitant du secret médical {vog. ce mot),
l'obligation morale est ici beaucoup plus claire que l'obligation légale, sujette
à exceptions et à restrictions. Le Code pénal ne vise que les personnes déposi-
taires de secret par état ou par profession; le Gode moral réprouve toute
espèce d'indiscrétion. L'accès du foyer domestique à toute heure de jour et
de nuit, l'initiation à toutes les intimités de la vie de famille, le droit impli-
cite de rechercher lui-même dans celte vie honorable ou non ce qui peut être
utile à son diagnostic et à son traitement, lui constituent une position de con-
fiance dont aucun texte ne saurait limiter les termes. C'est ce qu'exprime avec
une concision parfaite le serment des Asclépiades, où le secret est juré pour
ce qu'on a vu ou entendu dans l'exercice ou en dehors de l'exercice et dans le
commerce de la vie. Le serment fait pourtant une réserve, et une réserve néces-
saire. II est évident qu'on peut voir ou entendre dans l'intérieur des familles
bien des choses indifférentes, et que, les visites purement médicales s'y mêlant
d'ordinaire aux visites de société et la même visite pouvant avoir ce double carac-
tère, le secret obligatoire ne saurait s'étendre à tout ce qui s'y passe. Le serment
spécifie donc qu'il s'appliquera à ce qu'il ne faut pas répandre ; et il arrive
ainsi, parce que c'est dans la nature des choses, à livrer l'interprétation du
serment au jugement et à la délicatesse du médecin. C'est à celui-ci de peser
l'importance de ce qu'auront recueilli ses yeux et ses oreilles, et de bien veiller
sur lui-même dans toutes ses conversations. De toutes les personnes qui peuvent
se trouver réunies dans un salon, le médecin est celui qui rencontre le plus
d'occasions de retenue et de silence. Je n'en excepte pas même les prêtres, qui
n'ont avec leurs ouailles de relations intimes qu'à l'église et ne savent rien
d'elles que ce qu'on leur confie volontairement.
Ces préceptes généraux suffiront à ceux qui voudront les appliquer avec
bonne foi. Ils s'adressent plus particulièrement à ces babillards que dépeint
La Bruyère, aux esprits affligés de cette « intempérance de langue qui ne permet
pas à un homme de se taire. » Caton avait déjà, suivant Aulu-Gelle (p. 447,
coll. >'isard), donné cette définition du grand parleur. S'il est un sentiment qui
soit de nature à faire mentir ces moralistes, à rendre capable de se taire à
558 DEOMOLOGIE.
point le parleur le plus effréné, c'est assurément le sentiment de ce devoir de
discrétion qui parle si fort chez l'honnête médecin. Aussi n'est-il pas rare de
rencontrer des praticiens qui, bien que poussant le babil de salon jusqu'aux
apparences de la légèreté, n'en sont pas moins de très-fidèles gardiens des
moindres secrets professionnels.
Du reste, si l'indiscrétion a souvent sa source dans la loquacité et dans l'in-
consistance du caractère, elle peut provenir aussi d'une fausse appréciation du
devoir. Ce sujet a été examiné avec toute compétence à l'article Secret médical,
sous les rubriques Pratique médicale (p. 451) et Positions spéciales du médecin
(p. 454). On verra à cet article quelles sont les positions susceptibles de resserrer
ou de relâcher les liens de la discrétion obligatoire, et combien il est difiicile de
tracer en celte matière des règles absolues. La plus délicate de toutes est celle
qui place le médecin entre le père et l'enfant, et surtout entre le mari et la
femme. Assurément la loi du secret subsiste, et ce n'est pas là ce qui peut
embarrasser le médecin; mais où il est exposé à se tromper, c'est sur le caractère
des faits qui seraient l'objet de la révélation. Des inconvénients imprévus et
sérieux peuvent résulter de la révélation faite, à bonne intention, à un mari,
de particularités concernant sa femme, mais ne touchant celle-ci ni dans sa
personne intellectuelle, ni dans sa personne morale. J'eus à me repentir dans les
commencements de ma carrière d'une faute de ce genre, dans un cas que je
cite parce qu'il marque bien la difliculté. Je venais d'ausculter et de percuter
une dame encore jeune, et j'avais constaté d'un côté de la poitrine, en arrière,
un défaut de résonnance et uue faiblesse du bruit respiratoire dont je ne me
rendais pas bien compte. Soupçonnant une courbure de l'épine, mais n'o.-ant
trahir cette pensée malséante par un doigt porté le long des apophyses épineuses,
j'eus l'ingénieuse pensée d'interroger dans une pièce voisine le mari, qui ne
manqua pas de le dire le jour même à sa femme, laquelle me reçut le lendemain
d'autant plus mal que j'avais deviné juste. A partir de ce moment, j'ai appliqué
avec la dernière rigueur les prescriptions hippocratiques aux imperfections
physiques des femmes.
A plus forte raison est-ce souvent une chose très-délicate — et ici sans accep-
tion de sexe — que d'avertir un des conjoints de préoccupations d'esprit qu'on
a cru remarquer chez l'autre. Faire entrevoir quelque cause cachée d agit;ition ou
de chagrin, c'est donner ouverture à une enquête dont le résultat peut être un
drame de famille. C'est à voire malade même et à lui seul que vous devez vous
adresser. L'histoire de Stratonice est un beau sujet de peinture, maison ne trou-
verait pas plus, espérons-le, d'Érasistrate pour dénoncer à un mari l'amour de
son beau-fils pour sa femme, que de mari pour livrer, sur une si bonne raison,
sa femme à son beau-tils. Passe pour la bucolique du jouvenceau et de la jou-
vencelle amenés aux pieds des autels par la perspicacité d'un médecin à tabatière.
g. Prudence. Il a été question de la prudence en thérapeutique, à propos
des qualités intellectuelles du médecin. Celle dont il s'agit ici concerne la con-
duite à l'égard du malade. Tous les auteurs en parlent ; quelques-uns tr.iitent
même spécialement du mensongs du médecin, et c'est le sujet principal d'une
brochure du docteur Lelient, de Nice. Notre confrère, ne se préoccupant pas
de ces conditions d'opportunité dont il s'agissait tout à l'heure, n'entend pas que
le patient soit jamais trompé sur la nature ni sur la gravité de sa maladie,
même « dans le but de faire du bien à sa santé ». Si cette maladie est in-
curable, déclarez-le lui sans amb.ige: il se résignera et finira par ne pUis s'ef-
DÊO^^TOLOGTE. 539
frayer même de la mort. Et M. Lelient finit par domier de son précepte une
raison qui aurait pu le dispenser de toutes les autres : c'est que mentir est
toujours laid.
Cet honorable confrère était alors, comme il le dit, hors pratique; peut-être
a-t-il écrit sous l'inspiration de quelques incidents de clientèle. Pour moi, je ne
regarde pas comme praticable une conduite aussi rigoureuse: ce serait ne vou-
loir pas compter avec cet amour instinctif de la vie, cette horreur du néant,
Ce frisson de mort
Qui contracte la chair sur le cœur du plus fort ;
ce serait retrancher à la douleur ce baume sans cesse renouvelé de l'espérance
qui aide à la supporter et qui est comme l'avant-goùt d'une réalité meilleure. Il
est, au contraire, du devoir du médecin d'appeler au chevet de 1 homme souf-
frant la troupe de ces vaines images que les Anciens faisaient sortir d'un palais
d'ivoire, la troupe des illusions et des songes, et aussi du mensonge, puisque
cette si laide chose est, le mot le dit, un songe de l'esprit.
La vérité crue doit-elle être cachée d;ius tous les cas, sans réserve aucune ? Je
l'ai déjà présentée comme un moyen permis d'intimidation. Je le reconnais volon-
tiers encore, il se rencontre des malades qu'un stoïcisme extraordinaire ou des
espérances supérieures à celles dont nous disposons permettent de mettre face à face
avec l'avenir qui les attend. Ce sont là des exceptions rares. Encore y faut-il un
motif, car, je le répète, la mort est un déchirement, et celui qui paraît le plus
faire bon marché de la vie tombera peut-être dans les angoisses du condamné dès
qu'il sera assuré de la perdre bientôt. On m'excusera de raconter souvent des his-
toires particulières ; c'est qu'elles sont le meilleur commentaire des préceptes géné-
raux. Une dame d'un grand nom, mère de plusieurs enfants, étant devenue veuve,
avait pris le voile. Atteinte un peu plus tard d'une tumeur viscérale dont elle
ignorait la nature cancéreuse, elle me demanda un jour un entretien pour chose
particulière et grave; et là, après m'avoir rappelé combien peu elle appartenait
encore à ce monde et tout ce qu'elle espérait gagner en le quittuit, elle m'ex-
posa une situation de famille dans laquelle le danger de sa mort prochaine la
déterminerait à des arrangements d'affaires très-importants, qu'elle evit souhaité,
pour certaines raisons, renvoyer à une époque un peu éloignée et qui exigeaient
toute sa force et sa lucidité d'esprit. Tout cela fut exprimé avec une fermeté si
calme que, après un moment de réflexion, je me décidai à lui répondre ces sim-
ples mots : « Madame, prenez vos dispositions. » J'en fus remercié et loué dans
les termes les plus touchants. Une autre fois, je crus devoir être moins sincère
avec une vieille dame mourant d'une pneumonie chronique et dont la question,
non motivée, était inspirée sans doute par des sentiments de grande piété, auxquels
il était d'ailleurs donné d'amples satisfactions par son mari et tous ses parents,
aussi pieux qu'elle. La pauvre dame eut un mouvement d'impatience, et je crus
apercevoir jusqu'à sa fin, qui fut très-prochaine, les signes de son méconten-
tement. Voilà comment, dans la pratique de cet art si délicat de la médecine, les
règles de conduite sont sujettes à des nuances, à des contradictions appa-
rentes, au gré de circonstances dont aucun traité de déontologie ne peut se flatter
d'offrir un tableau complet.
Prudent vis-à-vis des autres, il faut aussi l'être vis-à-vis de soi-même et ne
pas trop se hâter de porter un jugement sur la nature d'une maladie. C'est pour-
tant ce qu'on aime généralement à faire, ou par vanité ou pour éblouir les
540 DÉONTOLOGIE.
familles. Tout est bien qui réussit, mais, si l'on s'est trompé, on a fait tort tout
ensemble à soi et au malade. Les jeunes médecins agissent à la manière d'éco-
liers qui, appelés à réciter une leçon, veulent toujours paraître la savoir. Les
familles n'en demandent pas tant; elles admettent très-bien la difficulté du dia-
gnostic, et elles savent gré de sa prudence au médecin qui leur fait comprendre
l'impossibilité de se prononcer quand la nature ne l'a pas fait elle-même. Le
diagnostic, en effet, est chose compliquée; il se construit avec tous les éléments
réunis de la maladie : antécédents, causes, symptômes, lésions, marche, etc. ; et
c'est quelquefois l'élément prédominant, par exemple, la lésion anatomique, qui,
au lieu d'éclairer le diagnostic, devient une lueur trompeuse. De tous ces élé-
ments, celui qui est le plus propre à dissiper l'obscurité, c'est l'évolution de la
maladie. Et c'est pour cela que, dans les cas embarrassants, le temps devient un
auxiliaire indispensable du clinicien.
h. Conscience. Il n'est, pour ainsi dire, pas de qualité du médecin dont
l'exercice ne soit soumis aux inspirations d'une conscience honnête. Ce dont il
s'agit ici, c'est l'honnêteté appliquée au traitement des malades ou, plus généra-
lement, aux rapports immédiats que ce traitement établit entre le malade et le
médecin, celle qui mérite précisément à l'homme de l'art le nom de conscien-
cieux. De ce point de vue découlent un certain nombre de préceptes.
La loi est armée contre la négligence et jusqu'à un certain point contre l'ignorance
du médecin {voy. Responsabilité) ; mais que de fautes commises, que de dom-
mages causés, iion-seulement à l'insu de la justice, mais même ù l'insu des
malades ! La responsabilité légale n'atteint pas la pratique consciencieuse de l'art
suivie de résultats fâcheux : mais qui descendra dans la conscience du méde-
cin? Qui reconnaîtra, qui sera en état de prouver que son observation n'a pas
été assez attentive, que ses remèdes ont été insigniliants, qu'il a été de mauvaise
foi en traitant une fracture absente, etc. ? La plus vulgaire habileté déjouera à
coup sur des prescriptions combinées du Code civil et du Code pénal, et c'est
ainsi que la profession médicale peut devenir une sorte d'asile interdit aux lois
protectrices de la vie humaine.
Qui descendra dans la conscience du médecin? Le médecin lui-même ! Ce pri-
vilège de quasi-irresponsabilité, quel crime s'il en abusait ! Et quelle lâcheté!
Pour un homme de cœur, une telle situation resserre le lien du devoir au lieu de
le relâcher ; le malade devient pour lui ce qu'était l'hôte dans l'antiquité, ou ce
qu'est aujourd'hui le pupille pour son tuteur; il le couvre d'une protection
d'autant plus vigilante qu'il n'y a pas à en attendre d'autres. Cette protection,
elle a bien des manières de s'exercer. Et d'abord résister aux tentatives de
négligence qui s'emparent aisément de l'homme trop occupé ou trop mou. On
remet à demain les affaires, habitude fatale à tant de personnages dont Mon-
taigne donne la liste. C'est une coutume trop routinière que celle de ne faire
jamais ses visites qu'à des heures déterminées de la journée et suivant l'ordre
topographique. On en comprend l'avantage et même l'ordinaire nécessité, mais
elle ne répond pas toujours aux exigences de l'indication thérapeutique. Une
maladie, pour être bien connue, a besoin quelquefois d'être observée à de cer-
taines phases, conséquemment à des heures déterminées. Le nombre et la durée
des visites ne sont pas non plus choses indifféi"entes ; elles doivent être unique-
ment réglées par la nature et la gravité du mal.
Mediciis non accédât nisi vocatus. Je ne sais qui a émis ce précepte,
dont l'humanité et l'amitié ne s'arrangeraient pas toujours. Les visites com-
DEONTOLOGIE. 541
mencées, leur nombre devrait être en rapport avec les besoins de la ma-
ladie ; mais il l'est plus souvent avec les besoins du malade ou avec les
tendances de son caractère. Tel client atteint d'un mal insignifiant se dira
négligé, s'il n'est pas visité une ou plusieurs fois par jour; un autre, sous le
coup d'une pneumonie ou d'une angine maligne, sera porté à mal interpréter
la succession rapide des visites. C'est l'étude morale du client qui devra servir
de guide; il sera en cette circonstance ce qu'on l'aura vu être partout ailleurs-.
L'expérience des premiers soins d'ailleurs tracera bientôt à qui saura obser-
ver une règle pour l'avenir. Quand une visite paraît nécessaire pour bien
connaître la marcbe de la maladie, pour mettre de la suite dans le traitement,
il faut savoir l'imposer. Dans les cas moins bien déterminés, un jeune médecin
fera bien de la présenter seulement comme probable et de faire attention à la
manière dont celte ouverture sera accueillie; ou bien il s'annoncera pour un
intervalle de temps un peu éloigné, à moins d'être rappelé. C'est une indication
que le client comprend toujours.
Une des obligations les plus pénibles pour le praticien est d'aller visiter des
malades pendant la nuit, mais cette obligation est absolue. La maladie n'observe
pas de convenances; elle ne prend l'heure de personne. Le plus à plaindre est
encore celui qui souffre. Il arrive que la visite est à peu près inutile; on s'était
effrayé à tort; une mère a entendu la toux rauque de son enfant et elle a vu le
fantôme du croup; elle a pris le cauchemar pour le délire, etc. Le praticien
dérangé de son sommeil se plaint, et en cela il a souvent tort. Qu'il se demande
ce qu'aurait fait sa propre femme, loin de lui, en pareille circonstance.
Quelquefois cependant, il faut bien le dire, certains clients apportent dans
ces appels de nuit une sorte d'égoisme. A la moindre élévation du pouls, à la
moindre cbaleur générale, sans même l'apparence d'accidents sérieux, ils envoient
tirer la sonnette du médecin. Dans ces cas, on est autorisé à présenter des
observations, moins pour récriminer que pour prémunir le client contre les
effets futurs de ses pusillanimités, et s'épargner par là d'autres dérano-ements
intempestifs. En général, quand on sera aux prises avec une maladie grave, on
fera bien de faire une visite à une heure très-avancée de la soirée, afin de réo^ler
le traitement pour la nuit, en donnant quelques indications sur les symptômes
possibles et sur ceux qui seraient seuls de nature à exiger un dérano-ement.
Un autre abus de la part des familles consiste à mander la nuit le médecin
le plus proche, afin de s'éviter la peine d'aller chercher le leur. Rien n"ohlio-e
le premier à se rendre à cette invitation : ni la confraternité, à moins d'un
service demandé et consenti; ni le devoir professionnel, à moins d'uro-ence
manifeste. Le médecin qu'on vient appeler la nuit pour une famille inconnue de
lui fera donc bien d'interroger le messager, de lui demander le nom et la
demeure du médecin habituel, et, autant qu'on pourra le rensei'^ner, la nature
des accidents ; la réponse à ces questions suffit souvent à vous éclairer sur le parti
à prendre. Il est difficile de ne pas reconnaître que, dans certaines situations excep-
tionnelles, dans lesquelles les forces permettent à peine de porter le poids excessif du
labeur quotidien, de fréquentes courses nocturnes altéreraient rapidement la
santé. Généralement, pour être plus sûr de ne pas pousser le sacrifice trop loin,
on s'en abstient totalement; ce qui prouve que le sacerdoce médical n'est encore
qu'une image, car le prêtre ne connaît pas de dispense. Sans absolument délier
personne d'une obligation à laquelle aucun médecin n'est étran"-er, on peut
être indulgent envers ces grands affairés. Mais combien pour qui l'affranchis-
542 DEONTOLOGIE.
sèment de celte obligation n'est qu'une forme d'aristocratie professionnelle et
qui la trouvent bonne pour les médecins du quartier !
Si enfin on tient compte des goûts de villégiature qui à Paris se sont emparés
des médecins comme du reste de la population, on comprend que la privation des
soins médicaux pendant la nuit soit devenue un mal assez répandu et assez
fâcheux pour qu'on ait songé à y porter remède. C'est dans ce but qu'a été
fondée V As&istance médicale de nuit ^ par l'initiative de M. ie docteur Passant,
secrétaire général de la Société des bureaux de bienfaisance. 11 en a été traité
à l'article Nuit [Eygiène] (p. 766).
Les malades n'acceptent pas volontiers les visites courtes : leur politesse les
tolère quand elles sont molivées par de grandes occupations, mais le malade se
laisse aller aisément à la pensée qu'il n'a pas sa part proportionnelle du temps
du docteur, que d'autres sont mieux paitagés, et il arrive un jour, surtout si le
résultat du traitement n'a pas été heureux, où les méconteatements accumulés
font explosion, à la grande stupéfaction du praticien, qu'un visage aimable
avait toujours accueilli. Aussi, quand il y a nécessité d'abréj^er les visites,
doit-on s'appliquer à les rendre, si on peut le dire, substantielles, à donner
au malade seul jusqu'à sa dernière minute, et notamment à ne manquer à aucun
des examens, palpation, percussion, auscultation, etc., que la famille sait être
indispensables à la connaissance de la maladie. Une personne est traitée pour une
pleurésie, je suppose ; la résolution s'opère. On entre rapidement dans la
chambre, sans jirendre la peine de s'asseoir ; on tâte le pouls, on tàte la peau,
tout va bien ; et l'on dispar-aît comme une ombre chinoise. Et cela se répèle deux
ou trois jours de suite. Cependant le malade avait un peu plus toussé qu'à l'or-
dinaire; il avait éprouvé du malaise. On l'examine de nouveau ; l'épanchement a
reparu. Et la famille de se dire et de dire à tous les amis : « Si l'on avait
ausculté ces jours derniers ! » Ce sont incidents journaliers de clientèle, qu'on
ne saurait trop signaler aux jeunes praticiens.
La même conscience doit présider au choix et à l'application des moyens thé-
rapeutiques. La simple circonspection conseillait plus haut au médecin de se
mettre en garde contre les médicaments à la mode et de ne faire usage qu'avec
un extrême ménagement de ceux qui jouissent de propriétés très-actives. 11 s'agit
maintenant de ne jamais transformer le malade en un sujet d'expériences. Je ne
veux pas contester le droit qu'a le médecin de tenter sur l'être humain, dans uu
but curatif, l'emploi d'un médicament dont l'action a été bien déterminée par
des expériences sur les animaux. Ce serait bannir la science de la pratique. Mais
on ne peut contester qu'on est loin d'apporter toujours à ces tentatives la réserve
nécessaire. La moindre communication à une société savante, le moindre article
de journal, servent de prélexte à une médication nouvelle, et le malade pâtit
d'une foule d'inventions chimériques: « Une ignorance profonde, dit Max Simon,
est souvent cachée sous le masque de cette fière indépendance. Dans une sphère
élevée, c'est la vanité, l'ambition, qui poussent le médecin à sortir des sentiers
battus ; on veut surprendre l'attention publique par l'énumération de faits qu
établissent l'eflicacité d'agents thérapeutiques nouveaux et, dans cette vue,
on oublie que c'est sur la chair de l'homme qu'on va se livrer à des essais ; on
s'abstient parfois des médications les plus rationnelles pour courir la chance des
agents théi"apeutiques les plus incertains. » Là en effet est un des graves inconvé-
nients d'une thérapeutique par trop moderne. Devant elle s'effacent les grandes
indications qui ressortissent à la clinique proprement dite, et les petites notions
DÉONTOLOGIE. 545
locales des médicaments prennent la place de celles qui auraient pu modifier
le fond même de la maladie, ou imprimer à ses mouvements une direction
salutaire. Je ne dis pas que la science de nos jours ait nécessairement cet effet ;
l'eùt-clle, qu'il faudrait encore l'encourager parce qu'elle apporte à la science
médicale des élcmenls nouveaux, redresse souvent ses erreurs et donne un corps
à celles de ses théories qui étaient réellement nées de l'observation. L'histoire
scientifique enfante dans la douleur, mais c'est toujours le progrès qui en sort.
Grâce à Dieu ! on rencontre encore beaucoup de praticiens qui savent faire de
justes parts à la découverte et à la tradition et allier sagement la physiologie à
la clinique. Mais il faut bien reconnaître que le nombre est grand aussi de ces
chevau-légers de la médecine qui aiment à courir la thérapeutique d'aventure,
et c'est à eux que s'adressent les remarques précédentes.
Il est un autre genre d'expérimentation plus interdit encore que le précédent :
c'est celui qui a ostensiblement pour but de vérifier une hypothèse scif^ntifique
aux dépens d'un malade. L'histoire récente de la syphilis en offre des exemples
que je neveux pas reproduire dans tous leurs détails; je rappelle seulement
que c'est par des inoculations sur des malades d'un hôpital qu'on s'est assuré de
la contagiosité des accidents secondaires, dont la clinique, à mon sens, donnait
déjà une preuve suffisante. Dépareilles expériences ne sauraient se justifier par
la considération du bien général. Personne n'a mandat pour sacrifier un seul au
salut d'Israël ; les Iphigénies ne sont plus du temps et, si les Gurtius en étaient,
au moins devrait-on attendre qu'ils se dévouassent volontairement. C'est, du reste,
ce qui a eu lieu plus d'une fois en médecine et en syphiliographie même ; c'est
ce que font fréquemment, sur un terrain moins périlleux heureusement, les
consciencieux confrères qui expérimentent sur eux-mêmes l'action des substances
médicamenteuses.
i. Conduite du médecin dans des cas particuliers. 1" Opportunité des con-
sultations, llufcland regardait comme très-problématique en général l'avantage
des consultations. Il craignait l'indifférence du médecin traitant pour la médi-
cation nouvelle, la suspension de son initiative. Ces reproches ne sont pas sans
fondement, et c'est souvent la manière d'agir du consultant qui les justifie. Si
celui-ci peut presque toujours fournir quelque lumière à un débutant, bien
souvent il n'a rien à apprendre à son confrère qui puisse être sérieusement utile
au malade, surtout dans les grandes pyrexics. Ce conhère, que je suppose
instruit et que l'âge et une pratique active ont rendu expéiimenté, s'est tracé en
face du patient un plan de conduite, tiré des habitudes de santé, des antécé-
dents du sujet, de l'existence de symptômes actuellement disparus, de leur ordre
de succession, etc. C'est alors qu'intervient le consultant. S'il a la sagesse de
tenir compte de ces déterminations antérieures et, quand elles sont bonnes, de
se borner à les approuver, il excite le zèle du médecin, il l'assure dans sa voie,
et tout le monde y gagne. Mais trop fréquemment il tient à marquer la trace
de son passage par des prescriptions nouvelles. La famille, qui y voit un redres-
sement ou un heureux complément du traitement jusque-là suivi, en presse
l'exécution : de là une dépression inévitable du médecin habituel, et l'affaiblis-
sement de son ressort intellectuel et moral. D'autres fois le consultant, dominé
par l'état présent du malade, ignorant ou négligeant trop le mode d'enchaî-
nement des phénomènes, tombe dans quelque erreur palpable au détriment de
la réputation de son confrère. C'est alors qu'un des plus illustres représentants
de la médecine contemporaine prend un cancer du poumon pour un hydropéri-
5i4 DÉONTOLOGIE.
carde ; un autre une fièvre typhoïde au début pour une fièvre typhoïde au
dédia ; un troisième un embarras de la langue par ramollissement cérébral
commençant pour l'effet d'un chicot dentaire. Si je nommais mes auteurs, on
verrait que ce p'est calomnier personne que de se méfier un peu des erreurs
des consultants.
Cependant, il n'est pas besoin de dire que les consultations sont souvent utiles.
Quand deviennent-elles opportunes? C'est quand le médecin a des doutes sur
la nature de la maladie ou sur le traitement à employer ; quand il juge à propos,
en présence d'un cas grave, de couvrir sa responsabilité ; quand le patient ou sa
famille a besoin d'être rassurée ; enfin quand il y a lieu de ranimer l'espoir d'un
malade en état désespéré.
La première proposition n'a pas besoin d'être expliquée. C'est une obliga-
tion pour un praticien de prendre l'avis d'un confrère toutes les fois qu'il ne
se sent pas suffisamment éclairé ; et il le choisira parmi ceux que leurs études
et leurs écrits désignent pour être plus aptes à juger le cas particulier. C'est
le triomphe des consultants spécialistes, et c'est un peu pour cela qu'il s'est créé
tant de spécialités. Le monde en suppose davantage, et distribue journellement
des palmes à qui n'y prétendait pas pour son habileté dans telle ou telle ma-
ladie. Bon pour les catarrhes, c'est l'éloge qu'on faisait d'un médecin dans un
certain cercle d'amis.
Une consultation paraissant superflue au médecin traitant, il a néanmoins, en
certaines circonstances, le droit de la provoquer. Sans doute il doit avoir le
courage de supporter toutes les responsabilités auxquelles l'expose un devoir
professionnel; mais il n'est pas tenu d'encourir celles qu'il peut éviter, ou de
risquer sans motif sa réputation. Ce genre de consultation peut d'ailleurs servir
l'intérêt des familles, qui, en cas de malheur, regretteraient qu'elle n'eiït pas
eu lieu. Le médecin agira suivant le degré de confiance dont il se sentira en-
touré.
En général, bien que cette manière de voir ne soit pas partagée par tout le
monde, je crois qu'il vaut mieux proposer une consultation que d'en recevoir la
demande par la famille. Sans doute, si on la proposait de l'air effaré d'un homme
qui ne reconnaît plus sa route, on compromettrait son autorité; mais il en seia
autrement si on la motive sur l'inquiétude bien naturelle du malade et des
parents, tandis que la proposition d'une consultation par la famille a toujours,
plus ou moins, le caractère d'un acte de défiance. Le jour où ce désir vous est
communiqué, il a quelquefois couvé longlemps à votre insu, et exprime alors
une disposition d'esprit plus fâcheuse que vous ne le pensez. Inutile de dire que
les consultations provoquées ne doivent jamais être refusées.
Quant aux consultations pour maladies désespérées, comme une phthisie
avancée, il importe de n'en user que sur provocation expresse et après avoir
prévenu la famille de leur inutilité. Il y a ici à tenir compte de la position de
fortune. Certains malades n'hésitent pas apporter la gêne dans leur ménage
pour courir après les avis les plus décevants ; le médecin fera bien de modérer
leur fantaisie, autant qu'il le pourra sans les désespérer, surtout si le charla-
tanisme est mis de la partie.
2» Maladies chroniques incurables. Avec ou sans consultations, le médecin
a des devoirs particuliers à remplir envers les malades incurables. Ou ceux-ci
connaissent leur situation ou ils l'ignorent. Dans le premier cas, j'ai tracé en
parlant de la prudence la ligne de conduite à suivre, et je viens d'y ajouter un
DEONTOLOGIE. 545
trait à propos des consultations. Dans le second cas, l'action du médecin peut
encore s'exercer avec profit sur le moral. C'est au médecin en effet plus qu'à tout
autre qu'il appartient de posséder et d'inculquer à autrui la force de caractère
et la tranquillité d'ànie qui bravent tous les mauvais traitements de la fortune.
11 y a place pour lui à côté ou à défaut du prêtre. Dans la diversité des croyances
se rencontrent de communs principes et, en l'absence même de toute foi, de
communs sentiments, que le médecin, plus libre en cela que le pasteur, peut
f.iiie parler auprès d'un malade de quelque valeur morale. Le stoïcisme qui
a fait les Caton, les Sénèque et les Marc-Aurèle, qui soumet tous les asservis-
sements de la. nature à l'empire de la lorce libre que l'bomme porte en lui, a
encore des remèdes efficaces contre les souffrances irrémédiables. A défaut de
consolation, il a l'abnégation, le sacrifice de soi-même. Ce sacrifice, les stoïciens
d'autrefois le portaient fréquemment jusqu'au suicide, et la pensée de ce der-
nier refuge vient aussi à certains malades. Quand il le découvre, quand seu-
lement il le soupçonne, le médecin a le devoir de le combattre. Le principe de
l'inviolabilité de la vie humaine est une conquête d'une civilisation que per-
sonne ne peut renier : la même qui a proclamé l'égalité de tous les hommes
entre eus et aboli l'esclavage. Le suicide, s'il est un acte de liberté parce
qu'il dompte le corps, est au fond une défaillance parce qu'il est une capitu-
lation devant la souffrance. Ce sont des vérités dont tout médecin peut avoir
l'occasion de tirer parti. C'est dire à quel point manquent à leur mission ceux
qui, abusant des facilités de leur profession, procurent du poison à leurs clients.
Cela s'est vu dans des circonstances mémorables; qu'on ne soit pas étonné
d'apprendre que pareil office est encore sollicité assez fréquemment; et, quand
il l'est, c'est avec une persistance, une obstination qui met à de pénibles épreuves
le devoir du médecin. Il est même des personnes actuellement bien portantes qui
veulent être munies de moyens de suicide pour le jour des maladies douloureuses
ou sans remèdes. Je ne serais pas embarrassé d'en citer des exemples.
S'il est des malades qu'on peut soutenir en réveillant l'énergie du caractère,
il en est d'autres qu'il est mieux d'attaquer par le sentiment. Celui qui n'a pas
la foi en pnrlerait mal et ne doit pas en parler. Mais la religion du malade,
quelle qu'elle soit, peut devenir, sur l'initiative du médecin et par l'inter-
médiaire de la famille, un moyen d'apaisement : car, il ne faut jamais l'oublier,
tout remède qui peut soulager est obligatoire pour l'homme de l'art. « Est-ce
que, dit M. Max Simon dans'j un écrit inédit qu'il a bien voulu me communiquer
et dont j'aurai encore à tirer profit \ le médecin va essayer d'apprendre à l'incu-
rable à se passer de lui? Non, non. .Mais dans ces cas sa mission se transforme :
il ne doit pas oublier que la science est une charité savante, et que là même où
elle n'a que des palliatifs à opposer au mal, sa main, jusqu'à la fin secourable,
doit poser sur la plaie le népenthès, le dictame de la sympathie qui va plus loin
que la science qu'elle complète, vis-à-vis du malheureux qu'attend la terre béante.
Qui oserait soutenir que le chloroforme, le chloral, l'éther, le bromure de potas-
sium, la morphine, épuisent le pouvoir du médecin dans cette lutte contre une
mort inévitable? Tous les hommes qui ne sont point parvenus à faire taire en
eux le cri suprême de la vie près de s'éteindre répètent d'instinct cette pai'ole
d'Obermann : « Je suis las des choses certaines et cherche partout des voies
d'espérance. »
* Cette note a pour sujet : Le devoir imposé au médecin d'apprendre à certains malades à
se passer de lui.
DICT. ENC. XXVII. 35
546 DÉONTOLOGIE.
« Écoutez d'ailleurs, ajoute Max Simon, ces paroles de M. Renan dans l'intro-
duction à sa traduction de VEcclésiaste : « L'homme n'arrivera jamais à se per-
suader que sa destinée soit senibiable à celle de l'animal. Même quand cela sera
démontré, on ne le croira pas. C'est ce qui doit nous assurer à penser librement.
Les croyances nécessaires sont au-dessus de toute atteinte. L'humanité ne nous
écoutera que dans la mesure où nos systèmes conviendront à ses devoirs et
à ses instincts. Dans ses plus grandes folies, Gobelet (l'auteur de VEcclésiaste)
n'oubliera pas le jugement de [)ieu ; faisons comme lui. »
En dehors des systèmes philosophiques et de la religion, la voix du senti-
ment a plus d'une manière de se faire entendre. Une âme élevée comprendra quel
petit incident c'est qu'une misère particulière dans l'immense et navi ant tableau
des misères humaines; et combien sont plus à plaindre encore ceux dont la
maladie a pour cortège la faim, le froid, Je dénuement, la solitude. C'est le
moment, si l'on fait partie de quelque œuvre de bienfaisance, de faire appel à
la générosité du riche. S il y répond, sa bonne action le réconfortera lui-même
en suggérant à ce condamné de la maladie l'idée que sa destinée ici-bas n'est
pas finie et qu'il est encore bon à quelque chose. Mais pour la grande majorité des
patients le moyen le plus sur d'émouvoir les bons sentiments, c'est le désoue-
ment affectueux qu'on leur témoigne, les soins dont on les entoure, l'absence
visible de toute répugnance devant la hideur de leur mal. Se sentir aimé, c'est
vivre la meilleure part de la vie, et l'on s'achemine moins douloureusement
vers la mort par une voie semée de bienfaits et de consolations. Aussi combien
est juste, doublement juste, le précept-e de ceux qui, comme Ilufeland ou Max
Simon, insistent sur le dsvoir de ne jamais déserter le chevet d'un malade, sous
prétexte d'incurabilité ! Ce prétexte et d'autres qu'on sait inventer couvrent le
plus souvent l'indifférence ou l'égoïsme; on cesse de voir l'ami derrièi'e le
malade, ou l'on veut s'épargner des soins désagréables. Or il n'est plus sïuère
aujourd'hui d'affection incurable où l'on ne puisse joindre à l'efticiicité de l'in-
fluence morale celle, plus directe et plus sûre, des moyens thérapeutiques. De
nombreux sédatifs et la méthode hypodermique offrent, sous ce rapport, des res-
sources pour ainsi dire inépuisables.
ô" Imminence de la mort; mort confirmée. En réalité tout le monde
meurt d'une maladie incurable ; tout le monde arrive, par des chemins diffé-
rents, au terme où le mal est devenu plus fort que toutes les ressources de
l'art et de la nature. Les préceptes qui viennent d'être indiqués trouveront donc
ici leur application; il faut toujours fortifier, consoler et soulager; mais le mo-
ment impose au médecin certains devoirs paiticuliers.
Le sévère langage du stoïcisme frapperait avec trop de rudesse le cœur affaibli
et l'esprit du mourant. 11 blesserait presque toujours la famille. Lisez dans
Lucrèce (liv. III, p. 61 et 62 de l'éd. Nisard) l'apostrophe de la Nature au misé-
rable qui gémit de quitter les biens de ce monde, cà ce convive rassasié de la
vie qui ne veut pas aller dormir tranquille, à ce vieillard qui a épuisé toutes
[es joies et qui sèche encore de désirs! II est clair que ce ne peut être le lan-
gage d'un médecin ni de personne; mais surtout l'heure n'est plus celle des
raisonnements philosophiques. L'action morale doit être, pour ainsi dire, topique,
avoir pour objet unique de rendre plus fticile ou de masquer le terrible passage.
Aux âmes fortes et sans illusions on paide de résolution, d'exemple à donner
aux siens, de déchirements de cœur à éviter, de laprochaine délivrance, etc. Pour
ceux qui se débattent violemment, avec une sorte de révolte, conti-e les étreintes
DiiONTOLOGIE. 517
de la mort; pour ces femmes de plaisir qui appellent au secours d'une voix de'ses-
pérée, qui vous implorent d'un œil hagard, qui s'attachent à vos mains, à vos
habits, comme pour éviter un précipice, il n'est d'efficace qu'une promesse
hardie de salut, suivie de l'emploi de quelques moyens palliatifs. Diins ce
paroxysme du désespoir, la seule douceur, les paroles tendres ne sont plus de
mise; elles ne font souvent qu'augmenter l'irritation.
Il eit encore deux points sur lesquels je crois utile d'appeler l'attention du
praticien :
Aux approches de l'agonie, beaucoup demaiades, immobiles, les yeux fermés
et paraissant étrangers à tout ce qui se passe autour d'eux, entendent les conver-
sations. Il importe conséquemment de bien veiller sur soi quand la famille
vous interroge près du lit, et de lui l'ecommander à elle-même de se tenir en
garde contre les réflexions imprudentes.
Par une même erreur d'appréciation, le médecin se hâte souvent trop de
mettre fin à tout traitement. Il peut en résulter de Irès-séiieux inconvénients,
même pour lui. Les terminaisons funestes ménagent souvent de grandes sur-
prises aux plus expérimentés; un coma qui paraissait définitif se dissipe; le
pouls qui fuyait se ranime; la peau froide et visqueuse se réchaufl'e, et la vie se
prolonge au delà du terme prévu. Alors le défaut de traitement, d';ihord accepté
par la famille, ne lui paraît plus supportable, et elle se prend à le regretter. Ce
peut être d'ailleurs avec raison. Un précepte donc à suivre scrupuleusement est
celui de ne jamais abandonner un malade même en état de mort imminente, et
de continuer à tout mettre en œuvre ou pour relever les forces ou pour apaiser
les souffrances. Quand celles-ci sont très-violentes, le praticien se trouve sou-
vent en présence d'un grave embarras : celui de ne pouvoir les soulager qu'en ris-
quant d'abréger l'existence. Pour moi, je n'hésite pas à lui reconnaître le droit
d'adopter ce dernier parti. Certes, si le remède devait tuer nécessairement, on de-
vrait s'en abstenir à tout prix; mais la simple possibilité de hâter de quelques
instants la fin d'un malheureux ne doit pas être mise en balance avec la cer-
titude d'adoucir ses derniers moments.
Le malade meurt : quelle doit être la conduite du médecin? D'abord, il est
d'usage qu'il n'assiste pas aux obsèques, de peur de rappeler par sa présence des
scènes douloureuses, surtout si l'on croyait avoir quelque faute à lui reprocher.
Mais cet usage est loin d'être rigoureusement suivi ; il est en grande partie
subordonné aux relations extra-professionnelles du médecin avec la famille, et
c'est même souvent une satisfaction à donner à celle ci que de se mêler à elle
dans la cérémonie funèbre. Quoi qu'il en soit, le médecin ne doit pas hésiter à
visiter la famille les jours qui suivent le décès. Une longue disparition risque,
sous l'inlluence des causeries de l'entourage, de devenir définitive. Des commu-
nications immédiates permettent de redresser, s'il en existait, les fausses appré-
ciations; elles permettent en tout cas au médecin de juger de la situation qu'il
a gardée dans la maison.
¥ Maladies imaginaires, hypochondrie, névrosisme, pusillanimité. Les
hypochondriaques, dont on peut dire avec un ancien : « Lacryma; eis deerunt
antequàm causœ dolendi » (Sénèque, Consob. à Polybe), sont un sujet de spé-
culation pour certains méJecins. Leurs préoccupations constantes de santé,
l'espoir sans cesse nourii de rencontrer le remède qui leur échappe toujours, en
font les dupes habituelles des théories grossières et de la polypharmacie. Le vrai
médecin ne doit pas les livrer à celte exploitation; il doit au contraire s'efforcer
548 DEONTOLOGIE.
de les y soustraire en suivant les règles indiquées plus haut, mais avec plus de
tolérance et d'abnégation. Les hypochondriaques en efiet sont particulièrement
dignes de pitié; leur croyance à des maux qui n'existent pas et qu'ils exagèrent
est un tourment cent fuis pire que la souffrance piiysique. (juand l'un d'eux
réclame vos soins, gagnez-le d'abord par la douceur, par des marques d'intérêt,
par l'attention prêtée à ses prolixes expositions. La confiance est la porte par
laquelle vous ferez entrer plus tard les idées saines. Ce moment venu, ne croyez
pas réussir par une guerre ouverte et sans merci à toutes les plaintes, à toutes
les fausses théories, à toutes les vaines médications : vous ne produiriez que la
révolte; le client, assuré, lui, de souffrir, n'aurait l'air de se rendre que pour
aller porter ses doléances ailleurs. La simple négation de sa théoiie ne le satisfait
pas; il lui faut une démonstration, du moins apparente. Donnez-la lui en mon-
trant, en inventant même des désaccords entre cette théorie et les symptômes
qu'il accuse; son ignorance vous fait à cet égard un rôle facile. Quant aux
souffrances accusées, rejetez-en une partie comme insignifiantes, comme acces-
soires et devant disparaître un jour d'elles-mêmes, et attachez-vous à quelques-
unes seulement, choisies parmi celles qu'on peut le mieux faire disparaître
par une action médicamenteuse sur le système nerveux central, ou sur les
nerfs de la partie à laquelle elles sont rapportées. Exemple : les déchirures
d'estomac, les battements de cœur, qu'on traite par l'ingestion de stimulants
diffusiblcs, par une piqûre à l'éther, à la digitaline, etc. Quelques symptômes
disparus donnent espoir pour le reste. Et les rares remèdes dont vous croyez
devoir faire usage, ordonnez-les (suivant le précepte de Baglivi, rapporté par
Max Simon) avec autorité, avec toute l'apparence de la foi en leur eflicacité.
Tâchez aussi d'amener le sujet à certains actes dont il redoute les efiets,
quand vous les savez inoffensifs. Un hypochondriaque qui prend à peine de
nourriture, qui n'ose toucher au vin, sera tout étonné le lendemain d'un grand
dîner de n'avoir pas souffert des excès auxquels on l'aura entraîné. L'hypoChon-
driaque, encore une fois, n'est accessible qu'aux démonstrations de fait. On
connaît l'histoire du prince de Weimar soi-disant malade d'une fièvre tierce, et
qui fut enchanté de n'avoir pas d'accès le jour oîi Hufeland avait eu soin
d'avancer l'heure de la pendule. C'est l'analogue de l'histoire de ces lypémaniaques
qui cessent d'accuser des tortures intestinales quand on leur a montré dans le
vase de nuit la grenouille qui ravageait leurs entrailles.
Des auteurs posent la question de savoir s'il est permis de pratiquer dans ces
cas la médecine dite ésotérique, dans laquelle on trompe le malade par des
remèdes illusoires. Tout est licite qui doit être utile au patient. Qu'importe que
le soulagement procuré soit dû à une action médicamenteuse réelle ou à une
action morale? L'essentiel est qu'il ait lieu. On assure mieux l'effet de ce mode
de traitement en l'entourant de formalités particulières, comme en fixant les
heures précises, les minutes auxquelles seront prises les pilules àemicapanis,
et en attirant d'avance l'attention des malades sur les symptômes qu'ils pourront
éprouver, tels que borborygmes, pesanteur de tête, etc. On choisit ces symptômes
parmi ceux que toute personne constaterait chez elle, si elle y regardait de près;
en dehors même de ceux-là, on peut être assuré que le malade en signalera
d'autres en les mettant sur le compte du prétendu médicament.
Ce qui vient d'être dit au sujet des hypochondriaques indique assez comment
devront être traitées les personnes affectées de ces mille perturbations des fonc-
tions nerveuses, qu'on réunit sous le nom commun de névrosisme ; une seule
DÉONTOLOGIE. 5i9
remarque est nécessaire. C'est dans les épisodes de la vie intime que se trouve le
plus souvent le point de départ de toutes les altérations de la sensibilité mo-
rale et physique qui ont sur le caractère et les actes une influence si profonde et
quelquefois si fâcheuse. Le médecin portera donc, avec toute la prudence et la
délicatesse possible, ses investigations de ce côté. Il dirigera mieux son traite-
ment quand il connaîtra la cause première des accidents. Seulement, il doit
se défier des déclarations fausses et des exagérations. Le monde féminin ne
manque pas de ces natures sensibles que la maternité déçue a comme déclas-
sées au sein du mariage et qu'une aigreur secrète porte à l'injustice; ou de ces
victimes penchées et nonchalantes qui ne se trouveront bien mariées qu'après
avoir épousé l'idéal. 11 n'est pas inutile d'avertir le jeune médecin que cet
idéal, on le cherchera quelquefois en lui, peut-être par amour sincère, pent-
être aussi par commodité, étant le plus aisément accessible de ceux qu'on
pourrait avoir remarqués. C'est dans ces circonstances qu'il fimt se rappeler
ce passage du serment d'Hippocrale : « Dans toute maison où je viendrai, j'y
entrerai pour le bien des malades, me tenant loin de tout tort volontaire et de
toute séduction, et surtout lom des plaisirs de V amour avec les femmes... »
Quant aux blasés, aux pusillanimes , aux ihanatopliobes, Max Simon les
stigmatise dans la note manuscrite indiquée plus haut, et dit en même temps
comment on doit se conduire à leur égard. Je copie presque entièrement ce
passage où respire une âme élevée avec une grande expérience du cœur humain :
« Ils ne sont pas rares les hommes qui ne savent pas encore que la vie est un
travail continu, qui a ses règles, et que les mille rouages qu'elle met en œuvre
pour se réaliser ne peuvent le faire sans frottement ; les délicats, les ennuyés,
les amateurs de la vie intensive, y sentent le pli de la rose qui les écorche. Mais
ils sont légion, ceux dont le système nerveux, l'estomac, mal élevés et plus
mal dirigés, font de la vie un laborieux apprentissage qu'il faut chaque jour
reconimencer, surtout quand on touche au seuil de la vieillesse, et que les
illusions évanouies ne viennent plus murmurer à l'oreille leurs capiteuses canti-
lènes. Kant passait à Vordre du jour sur les accidents, un peu plus vifs qu'à
l'ordinaire, provoqués de temps en temps par un catarrhe chronique dont il était
atteint ; de la Rochefoucauld savait être vieux ; Montesquieu savait être aveugle ;
un inconnu, de noble race, aveugle aussi, disait que, la nuit approchant, il
était simple qu'on fermât ses volets; Voisenon se vantait d'avoir passé trente
ans de sa vie à mourir d'un asthme; Fontenelle ne se plaignit jamais que
d'une difficulté d'être, etc., etc. ; mais on compte les hommes qui se sont
ainsi bronzés aux événements de la vie. Voilà les grands enfants qui viennent à
chaque instant frapper à l'huis du cabinet du médecin, aussi bien à la campagne
qu'à la ville. Têtes vides, cœurs inoccupés, leur horizon ne s'étend pas au delà
de la sensation du moment; un sac vide, disait Francklin, ne saurait se tenir
debout. C'est à ces hommes, auxquels nous nous heurtons à chaque pas, que
le médecin, qui ne veut pas laisser vilipender sa noble et secourahle science,
doit' apprendre à se passer de lui- a Voilà vingt ans que vous vous mourez, ré-
pondis-je aux sempiternelles plaintes d'une vieille cliente ; est-ce que vous ne
finirez pas par me laisser quelque repos? — Osez vivre, dis-je un jour à une
vieille fille qui me fatiguait de l'odyssée des symptômes inconscients d'un
amour rentré. — Mourir, mourir, vous ne me parlez que de mourir, disais-je
à une autre, eh bien ! je vous défie de mourir. » Un jeune prêtre est convaincu
qu'il va devenir enragé ; il me poursuit de ses lamentations : il me dit qu'il a
550 DEONTOLOGIE.
été une ou deux fois forcé d'interrompre sa me?se, parce qu'il craignait que
la rage éclatât au milieu du saint sacrifice. Un jour, las de ses jérémiades, et
non sans éprouver une profonde pitié pour les angoisses terribles de ce pauvre
homme, je lui dis que toutes ces terreurs n'étaient que vaines fantasmagories
d'une imagination troublée, et, pour le lui prouver, j'ôtai ma robe de chambre,
je m'armai d'une lancette et ajoutai que, s'il le voulait, j'allais m'inoculer.
séance tenante, une goutte de son sang, me vacciner de sa prétendue rage. A
ces mots prononcés d'un air décidé, le malade m'arrêta, et me dit, à son tour :
« Docteur, je suis guéri. » Il vit encore, et il est aujourd'hui le doyen respecté
d'une paroisse de Rouen. Il y a ainsi des mots qui guérissent; seulement il faut
les trouver; c'est plus difficile quelquefois que de chercher une formule dans le
Codex commenté ou non; la pilocarpine eùt-elle mieux réussi? j'en doute.
Nos vieux maîtres, les austères de la médecine, quand ils voulaient amener à
se faire hommes d'eux-mêmes, selfmade men, ces grands enfcints qui cachent
leurs cheveux grisonnants sous un bourrelet perpétuel, semblaient s'être inspirés
de l'exemple de Guillaume III, qui, à son avènement au trône d'Angleterre,
quand les malades vinrent, suivant une vieille tradition, lui demander de
toucher leurs écrouelles (quand écrouelles il y avait), se contenta de leur donner
sa bénédiction.... laïque, et les adjura d'avoir plus de bon sens et de raison.
Cruveilhier, qui avait un peu l'air d'un quaker, mais d'un quaker sympa-
thique, quand il se trouvait en présence d'une grande maladie, se rassérénait, s'il
avait en face de lui un homme qui ne pouvait plus manger parce qu'il mangeait
trop, et réconduisait doucement en lui conseillant de lire l'ouvrage de Cornaro,
et d'en suivre les conseils, en les mitigeant un peu, pendant huit ou quinze
jours. Le noble Vénitien, ajoutait-il finement, en savait plus que lui sur ce genre
de maladie. Ghomel conseillait à ces malades volontaires de visiter les pauvres;
Rajer (moins puritain, celui-là) leur apprenait à analyser leurs liquides buc-
caux par l'apphcation sur la langue du papier de tournesol, ou d'observer
leur urine matin, midi et soir (il prétendait que cela les amusait); mais c'est
là une pratique mauvaise; on fait ainsi des bypochondriaques; on ne guérit
pas. Andral, dans ses bons jours, les envoyait promener, « fuge medicos, et sana-
beris. »
5° Aliénation mentale. Une question assez grave de déontologie se pose au
sujet de l'aliénation mentale. Le droit refusé au chirurgien de soumettre à une
opération une personne saine d'esprit qui n'y a pas consenti doit-il lui être
accordé à l'égard des aliénés? Cette question a été soumise en 1876 à la Société
médico-psychologique par lé docteur Billod. Une femme de son service, âgée de
soixante et un ans, en état de démence complète, avec aphasie et hémiplégie du
côté droit, était affectée d'un cancer du sein et présentait, au dire du chirur-
gien, les conditions les plus favorables au succès de l'opération ; mais, chaque fois
que ce dernier mot était prononcé près de la malade, elle sanglotait. Fallait-il
passer outre et opérer? La discussion ne fut pas longue à la Société. En effet, le
devoir du médecin, dans les cas de ce genre, paraît assez clair, et il a été ju-
dicieusement établi par M. Billod lui-même. « Il est, a-t-il dit, un cas où....
il n'y a pas lieu de tenir compte de la résistance du malade à une opération
jugée nécessaire ; c'est celui où le malade, n'exprimant aucune appréhension
de la douleur, non plus que du danger et des suites de cette opération, base
son refus sur des motifs qui portent l'empreinte évidente du délire, ou, en
d'autres termes, le cachet de la déraison. Le devoir du médecin serait encore
DÉONTOLOGIE. 5^1
(l'opérer un malade qui, consécutivement à une tentative de suicide, présen-
terait des accidents rendant une opérai ion urgente et nécessaire, et qais'yreluse-
rait en basant son refus sur ce motif : que l'opération a pour but de lui sauver
une vie dont il veut se débarrasser. » Ces principes n'ont pas été contestés.
MM. Blanche et Lunier ont seulement rappelé l'obligation de consulter les
familles, au moins dans les cas de placement nécessaire. ■.( Pour les placements
d'office, a dit ce dernier, le médecin est le juge de sa situation et décide confor-
mément aux règles scientifiques. »
6° Passions. Il semble, après tout ce qui a été écrit touchant l'influence des
passions sur la santé, que le médecin y trouvera toujours matière à des inspira-
tions utiles aux besoins de sa pratique : qu'on se détrompe. Ce sont d'intéres-
sants ouvrages que ceux de Marc-Antoine Petit, Tissot, Descuret, Cerise, Réveillé-
Parise, sur la médecine morale; mais quand on essaie d'en tirer quelques
préceptes bien définis, autres que ces préceptes généraux écrits dans le livre
même de la conscience, on se trouve comme en présence du vide. De tous ces
auteurs, Réveillé-Parise est celui qui a donné à ses études la forme la plus
pratique, suivant la passion dans ses effets généraux sur l'organisme, puis ses
effets particuliers sur les humeurs et sur les grands viscères, cerveau, cœur,
foie, estomac; faisant ressortir les analogies symptomatiques de la douleur
physique et de la douleur morale; formulant enfin un traitement approprié
aux diversités qu'il vient d'établir. Hélas! qu'il y a loin de la coupe aux lèvres!
Et Réveillé-Pai'ise ne le conteste guère. « Ces données, dit-il, ne sont, à vrai
dire, que générales, synthétiques, et ne suffisent pas; mais lier et systématiser
en un tout logique les faits et les axiomes, c'est là surtout la grande difficulté
quand il s'agit des affections morales. Et la preuve, c'est que, quand on vent pré-
ciser, induire avec quelque certitude, le médecin est arrêté dans une foule de
cas ». Il existe, dans la voie anatomique oii s'engageait Réveillé-Parise, un
guide mal connu de son temps : c'est la physiologie du bulbe rachidien, du
pneumogastrique et du grand sympathique; c'est l'ensemble de leurs influences,
suivant des modes divers, sur les mouvements de l'estomac, sur les sécrétions
gastriques, sur la fonction glycogénique du foie, sur la respiration, sur la fré-
quence, la force, le rhythme des battements du cœur. Il sera possible quelque-
fois au médecin d'établir, en propres termes, le diagnostic anatomique et la
pathogénie d'une affection passionnelle. D'autres signes, également anatomiques
et trop négligés, ce me semble, par les auteurs cités, sauf P>éveillé-Parise
[Études de l'homme, t. II, p. 70), peuvent être fournis par la physionomie. Je
dis la physionomie, et non le faciès, pour mieux exprimer qu'il ne s'agit pas seu-
lement de l'expression physique. Les passions en effet marquent leur empreinte
sur le visage humain, souvent en traits spéciaux et propres à chacune d'elles. La
passion vénérienne est de celles-là; de même la haine prolongée, de même
l'alcoolisme. Hors de là, et sur le terrain psychique, il en sera réduit à de
vagues déterminations, dont je suis loin pourtant de contester l'importance, l^ne
nonchalance inaccoutumée, la négligence dans les affaires coïncidant avec la
pâleur des traits et la diminution des forces, fera soupçonner quelque passion
énervante, comme celle de l'amour ou du jeu. Un geste, un regard surpris, sont
une lumière; plus encore, le hasard des rencontres, certains changements d'habi-
tudes; des heures de sortie toujours les mêmes, avec de brusques revirements de
caractère (gaîté ou morosité) au départ ou au retour; un trouble involontaire,
une irritabilité mal dissimulée, toujours amenés par le même sujet de conversa-
55Î DEONTOLOGIE.
tion ou en présence de la même personne. Les indices de ce genre sont
innombrables; mais on voit combien leur utilité dépend de la sagacité du
médecin.
Ce n'est pas tout de les reconnaître; il s'agit maintenant de s'en servir.
Grande difficulté! Ici encore c'est remplir une lâche périlleuse, c'est engager
gravement sa responsabilité, que de faire part de ses remarques aux intéressés :
il le faut cependant, puisque la passion toujours déchaînée produira toujours le
même ravage; il le faut, ne serait-ce que pour faire comprendre l'inutilité des
moyens pharmaceutiques. De toutes les passions, l'amour est celle dont la décou-
verte discrète est le mieux supportée, et l'on est parfois surpris d'être accueilli
d'un serrement de main par une femme dont on aurait pu craindre d'avoir
blessé la pudeur. Il n'est pas prudent, toutefois, de procéder sommairement.
Ces sortes de confidences ne sont bien reçues des femmes que par le médecin
qui a lui-même une place dans leur affection. C'est donc par le cœur qu'il faut
entrer dans le sanctuaire de la passion secrète, et, si l'on n'est pas encore assez
sur de cette porte, il faut l'ouvrir insensiblement par une action morale prépara-
toire. Dans ces moments de trouble intérieur, les femmes sont plus accessibles
que jamais aux sentiments tendres ; des soins attentifs, des paroles amicales,
une compassion marquée pour leurs peines, les touchent profondément. Et
alors il peut suffire d'un conversation adroitement amenée sur le sujet qui les
possède pour écarter toute gêne et faire échapper la confidence attendue.
L'amour est une passion noble, qui peut seulement se dégrader; et c'est pour-
quoi on l'avoue sans trop de peine. Mais, chez certaines natures tiès-sensibles,
la honte d'avoir toujours sous les yeux un témoin de sa faute, chez d'autres
la crainte d'une indiscrétion, exposent quelquefois le médecin le plus dévoué
à être écarté. A plus forte raison en sera-t-il ainsi quand il s'agira de passions
viles. Cette éventualité se réalise principalement quand le malade, impuissant
à se corriger, se sent dorénavant exposé à de continuelles admonestations, ou
quand, habitant avec sa famille, il soupçonne entre elle et le médecin une
coalition contre lui.
Noble ou vile, quand une passion a été reconnue et dénoncée, de quelle façon
la combattre? Comme on pourra, c'est le précepte le plus sensé. Réveillé-Parise,
qui mérite d'être souvent cité en cette matière, essaie de poser des principes
généraux de thérapeutique morale. « Il faut se rappeler, dit-il : 1" que ces
moyens (moraux) doivent toujours se baser d'après le caractère, la sensibi-
lité, l'.'ge, l'éducation, les préjugés, le sexe du malade, et surtout d'après la
cause e «on degré d'intensité ; 2" d'examiner avec soin les effets déjà produits
sur l'économie, en prévenir les résultats, connaître surtout l'organe lésé ou le
plus menacé ; 5° de combiner les moyens, de les varier, d'en faire une méthode
de traitement d'autant plus complète et efficace qu'elle sera plus diversifiée;
4° de mettre dans son emploi autant que possible une persévérance, une reli-
gieuse ponctualité, presque toujours couronnées par le succès; 5° enfin que, si
la guérison n'est pas toujours complète, au moins obtient-on avec certitude une
diminution de souflrance morale capable de prévenir les altérations organiques,
ce qui est un immense avantage. » Rappelez-vous tout cela, vous ferez bien;
souvenez-vous de toutes les qualités de patience, de douceur, de fermeté, rap-
pelées plus haut; pensez aux exercices corporels, à l'hydrothérapie, aux distrac-
tions du monde, aux voyages, aux stations maritimes ou thermales, aux médi-
caments toniques ou sédatifs ; mais n'oubliez pas non plus que les circonstances
DÉONTOLOGIE. 555
particulières seules vous dicteront le choix à faire dans ce fonds banal de res-
sources. Les voyages, par exemple, quand l'objet de la passion ne peut vous
suivre, peuvent être une diversion puissante pour un esprit cultivé et curieux,
surtout si d'intelligents compagnons s'appliquent à la tenir en éveil; ils sont
quelquefois le sujet d'un insurmontable ennui pour le touriste indolent et
solitaire. Le théâtre, qui concentre l'attention sur un seul objet, serait de tou-
tes les distractions mondaines la plus efficace, si l'aliment même des pas-
sions, des plus dépravantes comme des plus nobles, n'y jouait un si grand
rôle. Mais aucun moyen de cet ordre ne peut être mis en balance avec le tra-
vail. Celui-là est toujours à notre disposition; il met à notre service le spec-
tacle que nous voulons, l'occupation qui nous plaît; il procure tout ensemble
la solitude qui convient à la douleur farouche et une société choisie d'êtres ima-
r^inaires qui la charme et l'apaise. Le travail en outre a cela de supérieur à tout
dérivatif moral qu'il est à la portée des plus pauvres comme des plus riches,
des plus bornés comme des plus intelligents.
7° Age. Dans les soins donnés au tout jeune enfant, la bonté, l'aménité,
un visage riant et ouvert, toutes les qualités extérieures qui frappent la vue,
sont des auxiliaires précieux du traitement; son instinct le rend confiant envers
ceux qui savent lui plaire. Savoir plaire à un enfant, savoir lui sourire, le
caresser, lui parler le langage de son âge, changer de ton ou d'objet suivant
son caprice du moment, trouver le mot qui calmera sa peur ou la distraction
instantanée qui la détournera, ce n'est pas le talent de tous. Beaucoup d'entre
nous savent que Blachc y excellait ; on disait de lui qu'il soignait les bébés
maternellement. Quand on essaye de se rendre un compte psychologique de
l'influence des procédés du médecin sur la docilité de ces petits êtres, on re-
marque, si je m'en rapporte à mon expérience, qu'elle tient surtout à l'art de
se servir de l'extrême mobilité de leurs impressions. En détournant dix fois,
vingt fois en quelques minutes, sans leur donner le temps de se reconnaître,
leurs dispositions maussades par des occupations inattendues de l'ouïe, de la
vue, du toucher, par des questions 4'épétées, par des mots plaisants à leur
portée, par des taquineries amicales, etc., on obtient plus d'eux que par la
continuité des prières et des caresses. Il faut, non s'attaquer fout de suite à leur
résistance, mais faire en sorte qu'ils ne songent plus à résister. Bien des en-
fants, il est vrai, et presque toujours par la faute de l'éducation, résistent à
tous les moyens de persuasion ou de surprise : c'est le tour de la contrainte ;
mais ce moyen, dès qu'on a résolu d'y recourir, doit être porté jusqu'à effet.
Il importe que l'enfant comprenne qu'il n'est pas le plus fort; si l'on s'arrêle
à mi-chemin, comme y oblige trop souvent l'opposition des parents eux-mêmes,
on lui inspire une indocilité irrémédiable.
On comprend l'importance de la composition des préparations médicamen-
teuses destinées à un enfant, tant sous le rapport des doses que sous celui
du goût. En général, on emploie des doses trop élevées : la plupart des médecins
ne possèdent à cet égard que des notions vagues et procèdent par à peu près.
N'étant pas toujours bien renseignés sur les doses minima et maxima des médi-
caments, ils ont d'autant plus de peine à formuler la dose moyenne qui convient
à un enfant d'un âge déterminé; et, de plus, ils sont trop peu familiarisés avec
les recherches de détail qui ont servi à établir, pour beaucoup de substances
pharmaceutiques, une posologie infantile. D'autres praticiens ne prennent pas
assez de soin d'accommoder leurs drogues au goût des enfants. Deux indications
554 DÉONTOLOGIE.
spéciales se présentent ici : rendre les médicaments agréables et les dissimuler.
En remplissant la première, on on fait des friandises, et c'est le cas de se per-
mettre l'emploi de certains remèdes spéciaux difficiles à formuler en une ordon-
nance : biscuits, dragées, chocolats médicamenteux, etc. La secontle indication
coneistc presque entièrement à mêler aux aliments et aux boissons des substances
à peu près insipides, telles (jue l'infusion de séné dans le café au lait, la poudre
de scammonée dans la panade, l'iodure de potassium dans l'eau vineuse.
Un conseil à donner aux mères, c'est d'habituer de très-bonne heure leurs
enfants aux bains et aux lavements. C'est un sérieux dommage, dans certaines
maladies, de ne pouvoir recourir à ces deux moyens sans produire chez l'enfant
des secousses nerveuses souvent préjudiciables. La ressource, si fréquemment
employée, de faire baigner la mère avec l'enfant, n'est pas toujours, pour la
première, sans inconvénient, et n'est pas d'une réussite assurée. L'administra-
tion d'un lavement à un enfant rebelle est plus laborieuse encore. La mère qui
se garde de lui en jamais donner dans le cours ordinaire de la vie, de peur de
l'y habituer, fait un mauvais calcul; car rien n'est plus aisé que de ne pas
créer une véritable habitude.
A mesure que l'enfant grandit, personne en dehors de la famille n'acquiert
plus d'autorité sur lui que le médecin ; c'est même pour cela qu'il lui cache
tout ce qu'il peut de ses fautes : mais, si le médecin sait s'emparer de sa con-
fiance par l'affection, il peut lui être un guide précieux dans la première éman-
cipation de ses instincts, dont il s'appliiiuera surtout à empêcher les déviations
vicieuses. Il lui sera aussi d'un bon conseil dans le premier emploi de ses
aptitudes intellectuelles; car le médecin est communément consulté ]>ar les
parents et devrait l'être plus encore sur la préparation de son avenir. Mais je
n'insiste pas sur ces points de vue qui m'entraîneraient sur le terrain de la
pédagogie.
A l'autre extrémité de la vie, on rencontre des conditions qui ne diffèrent pas
en tout de celles de la jeunesse. Si trop d'adolescents tombent dans la débauche,
beaucoup de vieillards y restent ou y reviennent; et ils la pratiquent par des
procédés plus dangereux. Comme ils les dissimulent avec plus de soin, l'homme
de l'art, retenu d'ailleurs par le respect de l'âge, les soupçonne moins aisé-
ment. 11 est bon d'éveiller sur ce point la méOance des médecins à qui une
longue expérience n'a pas fait perdre leur ingénuité. Je ne dis pas la pratique
de la piété, mais la piété elle-même, et la plus sincère, n'est point, sous ce
rapport, une garantie de mœurs régulières. Non pas assurément qu'on ne doive
en tenir aucun compte, mais des exemples de ce genre pris jusque dans l'ex-
trême vieillesse montrent que rien ne doit arrêter le praticien dans une in-
vestigation de laquelle dépend sa conduite et conséquemment l'intérêt même du
malade,
La vieillesse, par elle-même, n'en doit pas moins être pour le médecin le
sujet d'attentions particulières ; et cela pour des raisons diverses, car le monde
a d'étranges contrastes. Quelle mission attachante que celle de prolonger, s'il
est possible, les jours d'un père de famille entouré d'amour et de vénération!
Mais quelle tâche ingrate que de proléger contre l'indifférence et le défaut de
soins, ou contre les obsessions d'un dévouement affecté, celui dont l'avidité
guette les derniers moments ! Alors on a trop de confiance en vous pour deman-
der une consultation ; on ne veut pas causer de nouvelles souffrances par des
remèdes inutiles ; on vous interroge sur le nombre de jours que le mal peut
DÉONTOLOGIE. 555
durer encore. Que le médecin, premier tuteur du malade, mette toute son
attention et son intelligence à bien reconnaître le milieu où il est appelé, afin
de ne rien permettre qui ne soit bon et de ne rien négliger qui soit utile.
Si l'enfant a des caprices, le vieillard a des préjugés. Il a ceux de tout le
monde et, en outre, les siens propres, nés de longues observations sur sa
personne. Il tient à des pratiques d'bygiène ou de traitement dont il a, dit-
il, l'expérience, et il a eu le temps de se composer, sur leurs effets, des
opinions aussi fausses qu'inébranlables. La tbérapeutique moderne le trouve
en défiance. Ici on ne peut conseiller à IMiommc de l'art de rompre en visière
avec ce parti-pris, comme il le ferait pour un adulte ; l'âge impose, au con-
traire, de grands ménagements à ses paroles comme à ses actes, et c'est par
la persuasion ou par des voies détournées qu'il devra s'efforcer de pourvoir aux
indications.
8" Sexe. Quand on songe à toutes les particularités de la constitution
physique et morale de la femme qui intéressent la pratique médicale, on sent
l'impossibilité d'eu effleurer seulement l'étude dans un article déjà si chargé.
Au surplus ce sujet est en partie traité dans ce Dictionnaire même, à l'ar-
ticle Femme. Ce n'est ni le volume de son crâne, ni la largeur de son bassin,
ni la direction ou la longueur de ses côtes, ni même sa destinée sociale, qui
importent au médecin praticien, mais bien certains modes spéciaux de sa vie
physique, intellectuelle et morale. Que, après avoir lu Roussel, Auguste Comte,
Prudhon, Michelet, Broca, et tant d'autres, on soit ou non pour l'égalité des
deux sexes; qu'on trouve dans la crâniologie la preuve d'une quasi-parité de
l'homme et de la femme au point de vue de la capacité crânienne dans les
civilisations primitives ou aux époques préhistoriques, et de leur inégalité au
détriment de la femme dans les civilisations qui ont réduit sa [lart du travail
commun; ou bien qu'on regarde comme primordiaux et indélébiles les caractères
différentiels des deux sexes, et en tout cas comme ne pouvant plus être rendus
à l'égalité par les conditions actuelles et futures de la civilisation, — le médecin
reste toujours en présence de conditions féminines, avec lesquelles il lui faut
compter. Les principales de ces conditions sont : la faiblesse physiiiue, l'excès
de sensibilité, une sagacité qui devine plus qu'elle n'approfondit, la vivacité
de l'imagination, la chaleur et la mobilité des facultés affectives. Voilà ce que,
dans la diversité des natures humaines, où l'on peut rencontrer certaines fem-
mes en tout supérieures à certains hommes, voilà ce qu'on observe dans nos
sociétés. Cela étant, il est manifeste que l'état psychique de l'être féminin,
moins bien assis que celui de l'être masculin, sera plus exposé encore à se
déranger sous l'influence de toute cause perturbatrice des fonctions nerveuses.
Ajoutez cette fonction propre à son sexe {Mulier tota in utero), dont Michelet
a fait un commentaire que la richesse du style n'a pu rendre supportable
à toutes ses lectrices. Quelqu'un disait que la femme est bonne seulement
cinq ou six jours par mois, ne l'étant ni dans les huit jours qui précèdent la
période mensuelle, ni dans cette période, ni dans les huit jours qui suivent.
Encore fallait-il pour cela que le mois de février fût bissextile. Cette innof-
lénsive plaisanterie est, du reste, déplacée, car il s'en faut que cette période
porte toujours la femme à l'humeur revêche. Ce qui est le plus marqué en elle,
à tous les moments de son existence, et qui se révèle dans tout son être, c'est
ce je ne sais quoi de ressemblant à une Ibmme qui brille et vacille, qui darde
et s'amortit, qui se répand sur les surfaces sans pénétrer beaucoup les pro-
556 DÉONTOLOGIE.
londeurs; quelijue chose enfin de particulier à l'espèce sans lui être exclusif,
semblable en cela à la plupart des caractères qui servent à classer l'ensemble des
espèces vivantes.
Les facultés morales delà femme, si elles sont plus mobiles, ])lus superficielles
que chez l'homme, sont, comme j'ai dit, plus vives, plus agissantes, surtout
les qualités du cœur. La sensibilité chez elle domine et emporte tout, répond
violemment à tout ce qui vient l'exciter. L'amour, la pitié, sont ses vertus
familières; d'obscures infortunes lui arrachent des larmes; elle est souvent
l'àme d'associations de bienfaisance; avec cela, elle est sujette à des haines
subites et ardentes. Est-ce une contradiction de sa nature? Au contraire,
c'en est l'effet naturel; sa sensibilité a réagi contre une atteinte blessante
avec la même soudaineté et la même force qu'elle se fût emparée d'une agréable
impression. Dans un ménage, il vaut mieux, pour un médecin, avoir pour lui la
femme que le mari.
En présentant ces remarques, on se persuade naturellement qu'elles doivent
trouver leur confirmation dans la statistique de laliénalion mentale, et que
l'aliénation doit être plus fréquente dans le sexe féminin que dans le sexe
masculin. Ce fait est loin d'être prouvé; et même, si la comparaison est établie
d'après les chiffres d'admission dans les asiles, le contingent des hommes est
supérieur à celui des femmes. Mais d'abord la différence n'est pas très-grande
(H3 pour JOO); ensuite, si l'on tient compte à l'homme de la part toute spéciale
et considérable que lui font, dans l'étiologie de la folie, le gouvernement et la
responsabilité des affaires d'intérêt, on voit que l'ensemble des autres influences,
qui sont en grande partie morales, donne plus de cas d'aliénation chez la
femme; et, si l'on pénètre plus avant dans le sujet, on constate que la folie
chez elle vient surtout des orages du coeur, et che? l'homme des orages des
sens et de la fortune.
Eh bien, le médecin doit avoir ce tableau devant les yeux, et les occasions
d'en profiter ne lui manqueront pas. Ce qui a été dit au chapitre du névrosmie
lui indique déjà sa ligne de conduite, tant il est vrai que, chez la femme, en
matière de susceptibilité nerveuse, l'état normal et l'état morbide se touchent.
Les lignes précédentes feront mieux connaître encore le terrain des névropa-
thies vraies ou simulées et l'éclaireront mieux sur la conduite à tenir. « Mal-
heureusement, dit avec quelque dureté Max Simon, tel est l'artifice d'un certain
nombre de femmes, telle est leur habileté à mentir les accidents hystériques,
que les médecins les plus sagaces et les plus probes tout à la fois, qui rougi-
raient d'exploiter à leur profit cette pathologie curative, sont souvent les dupes
de celte comédie morbide. Tant qu'ils doutent, ils doivent combattre sérieu-
sement le mal dont ils ont au moins les symptômes sous les yeux, mais, si le
masque tombe au milieu de la pièce, le devoir leur défend de servir de com-
parses à ces héroïnes de boudoir Ces accidents, après avoir été simulés...
peuvent finir par dominer la volonté elle-même et créer une sorte d'habitude
pathologique. Le médecin qui se laisse prendre au jeu de ces spasmes étudiés
contribue par ses soins à convertir en une affection réelle cette mascarade
nerveuse. »
Il est une circonstance qui cause toujours un peu d'embarras aux débutants :
c'est celle où il y a lieu de procéder à un examen des parties sexuelles. Proposer
l'examen d'emblée, simplement, comme une chose banale, est un procédé qui
convient pour une femme d'un certain âge, surtout si l'on sait qu'elle a déjà
DEONTOLOGIE. 557
subi l'opération; les tergiversations du médecin, celte sorte de délibération
intime sur le cas à faire de sa pudeur, lui déplaît, et elle préfère de beaucoup
une résolution immédiate. Mais il en est autrement d'une femme jeune, de timi-
dité farouche, que le seul interrogatoire suffit à troubler. Il est alors convenable
de la faire avertir de la nécessité occurrente par le mari ou par la mère, qui la
chapitrera. Ou, si c'est vous qui deviez donner cet avertissement, ne montrez
d'abord l'opération qu'en perspective, pour laisser à la malade le temps d'en
supporter l'idée.
Quelquefois ce n'est pas une jeune femme mariée, mais bien une jeune fille
qu'il s'agit de soumettre à un examen. Il est des mères qui n'hésitent pas à
l'accepter, même à en ouvrir l'avis, et des filles qui obéissent sans difficulté.
C'est presque toujours un hommage rendu à la probité de l'homme de l'art;
mais ce peut être un piège. On aura spéculé sur vous-même ; on attendra de
vous une ordonnance dont l'usage ultérieur vous impliquera dans de fâcheuses
aventures; on se proposera d'expliquer par l'introduction du doigt l'avortement
qui ne tardera pas à être provoqué. Aussi un médecin prudent qui se trouve
dans son cabinet en face de personnes d'un si facile abandon et qu'il ne connaît
pas doit-il se tenir sur ses gardes et poser des questions tendant à savoir par
quel canal elles vous sont arrivées, s'il existe réellement une maladie et si elle
est de nature à nécessiter l'inspection directe. Que si l'examen proposé vous
paraît utile et s'il alarme trop la pudeur de la jeune fille, n'insistez pas et
adressez-la à une sage-femme instruite qui vous fera part de ses constatations. Il
est bon d'ailleurs de savoir qu'un certain nombre de femmes, y compris les
femmes mariées, s'adressent à des médecins inconnus d'elles pour ces sortes
d'opérations, qui les mettraient mal à l'aise devant celui qu'elles voient chaque
jour. Il n'est pas téméraire d'affirmer que la réserve de certaines femmes à
l'égard du médecin ordinaire n'a pas d'autre motif qu'une tendre affection pour
lui et la répugnance à étaler à ses yeux le spectacle matériel d'infirmités, tan-
dis qu'il en est d'autres pour qui un premier examen est, si j'ose le dire, une
manière d'entrer en conversation.
9" Avortement. Le médecin qui indique ou administre un moyen d'avor-
tement est puni par l'article 517 du Code pénaL Si c'était la seule règle de
déontologie qui lui tut imposée, il n'en serait pas question ici {voïj. Avorte-
ment); mais il en trouve en lui-même une autre que les clientes l'amè-
nent assez souvent à consulter. En présence d'une demande d'assistance crimi-
nelle, le médecin se trouve à peu près dans la même situation qu'en présence
du secret professionnel. Celui qui remplit son devoir en ne révélant pas à
un des futurs la maladie incurable ou transmissible de l'autre, fait tort au
moins au premier; celui qui repousse brutalement une femme le suppliant de
sauver son honneur peut la dévouer malgré lui aux dangereuses entreprises
de matrones ignorantes. Inutile de dire qu'il doit pourtant refuser ce service.
Que fera-t-il donc? 11 a une première ressource. Rarement les femmes, s'adres-
sant à un médecin qu'elles savent honnête, commencent par une proposi-
tion claire et explicite; elles confient leur inquiétude, déplorent la situation dont
elles sont menacées, essaient enfm de vous mettre sur la voie d'une réponse. Si
vous feignez de ne pas comprendre, elles s'en vont avec l'intention de renouveler
leur tentative. Restez fermé tant que vous le pourrez; ce n'est pas encore le
genre de refus qui désespère. A chaque visite, si la grossesse est très-récente
émettez des doutes sur sa réalité ; déclarez le toucher impuissant encore à vous
558 DÉONTOLOGIE.
éclairer, et donnez quelques conseils insignifiants. Un certain nombre de femmes
se rassurent et prennent patience jusqu'au jour où, la grossesse se trouvant plus
avancée , vous déclarerez l'avortement dangereux. Vous vous serez en outre
réservé la chance de voir se produire avec le temps une révolution dans les
idées de la malade, devant laquelle se sera ouverte quelque porte de salut.
Mais la résolution persiste; la cliente vous a pris directement à partie; elle a
résisté à tous vos conseils, à toutes vos intimidations; vous comprenez que, sur
votre refus obstiné, elle va se livrer à d'autres mains. Alors, votre devoir à
vous restant le même, la ([uestion est de savoir si vous pouvez la tromper,
vous déclarer vaincu et vous faire son complice apparent en lui administrant de
faux abortifs. Ce parti, auquel des confrères croient devoir se déterminer et
que Munaret préconise dans son livre Du médecin des villes et du médecin des
campagnes (2« édit., p. 427), n'est pas sans péril pour l'homme del'art lui-même
Le remède le plus insignifiant réussit quelquefois, c'est-à-dire que son admi-
nistration peut être suivie d'une fausse couclie naturelle. La malade a eu vraisem-
blablemenl un ou plusieurs confidents ou confidentes; vous avez passé pendant
un temps plus ou moins long pour un entrepreneur d'avortements, et un entre-
preneur liabile. Munaret lui-même avoue avoir reçu dans ces conditions une
lettre de remercîment. Qu'adviendrait-il, si, sur ces faux indices, l'attention de
la police était éveillée? Et n'est-ce pas pousser bien loin l'abnégation que
d'exposer son nom à une déconsidération d'abord restreinte, mais qui peut
devenir publiciue, tout en essayant d'amener à son insu une femme coupable
jusqu'au précipice de honte qu'elle voulait éviter à tout prix? Quant à moi,
j'estime que le médecin a suffisamment rempli son devoir quand il a fait tous
ses efforts pour prévenir l'accomplissement de l'acte criminel.
10" Médecin des campagnes. On a beaucoup loué ce livre de Munaret
que je citais tout à l'Iieure et que l'auteur, comme la critique du temps, ont
eu le tort de regarder comme unique eu son genre. 11 est d'une lecture agréable,
très-chargé de citations, d'anecdotes qui amusent l'esprit; mais on arrive au
bout de cinq cents pages sans avoir rencontré beaucoup d'observations nou-
velles ni de remarques originales. C'est plus souvent un tableau de ce que
tout le monde peut voir qu'un recueil de conseils. Je parle surtout de la partie
qui touche à la déontologie, car il y a une autre partie concernant la patho-
logie et la thérapeutique, dont on peut tirer plus de profit. J'ouvre la Lettre
consacrée aux erreurs et préjugés médicaux des paysans et aux moyens de les
combattre. J'y vois bien que la campagne est infestée de rhabillenrs, de inéde-
cins des urines, de marchands d'orviétans; que le paysan consulte tous les pra-
ticiens de la localité et des environs, sans s'attacher à aucun; qu'il aime les
fortes purges, les fortes suées; qu'il déteste les saignées et les sangsues; qu'il
a moins de répugnance pour les premières parce qu'elles coûtent moins cher;
qu'il a horreur de la diète, etc.; mais aucune indication sur la conduite à
tenir et sur les moyens de lutter contre tant d'obstacles, si ce n'est le conseil,
donné plus haut, de ne pas repousser h brebis malade qui s'est égarée chez un
confrère, ou celui de dissimuler dans les préparations certaines subst.mces dont le
paysan a particulièrement horreur, le mercure, par exemple. Quant aux moyens
de diminuer les préjugés médicaux, proposés à la fin du chapitre, ce sont des
lois nouvelles contre le charlatanisme, qui ne feraient pas grand mal aux préjugés,
dont la plupart relèvent de la liberté personnc'.'e et de la vie privée; qui n'en fe-
raient pas non plus au charlatanisme, confondu encore ici avec l'exercice illégal.
DÉONTOLOGIE. 559
De même, dans la Lettre concernant la médecine légale appliquée àla moralité'
des campagnes, on cherche l'action moralisatrice du médecin et l'on trouve
seulement un expose des conditions particulières que rencontre devant lui
le médecin de campagne requis par la justice, avec de sages conseils de pru-
dence imposée par les ruses et les calculs des paysans.
Je ne sais s'il y aurait plus à faire sur ce sujet ; je le présume, mais, étranger
toute ma vie au milieu rural, je ne crois pas devoir essayer d'en tirer un
nouveau chapitre de déontologie et je m'en tiens à ce que j'ai eu occasion d'en
dire au cours de cet article.
J. Honoraires. L'homme de l'art a rempli son devoir envers le malade;
un droitenesl sorti pour lui : celui d'être rémunéré de ses soins. Zimmermann
a écrit : « On console, on rend la justice, on traite des malades, non pour
obéir à un penchant du cœur, mais parce qu'il le faut, parce qu'on est appelé,
parce qu'on porte une robe noire, parce qu'on est attaché à un tribunal, parce
qu'on a mis à sa porte telle o;i telle enseigne « (Traité de Ihabilude, p. 486,
éd. Jourd.). Max Simon reprend le médecin de Brugg de cette sèche maxime, el
comme elle se termine par une moquerie sur les témoignages de reconnaissance
dont les clients sont prodigues, notre respectable confrère s'efforce tout à la fois
de relever la notion du devoir et la réputation des clients. Pour moi, je
l'avoue, quelque chose me plaît dans la maxime du misanthrope : c'est que le
sacerdoce ne lui fait pas perdre de vue la profession et les droits qui s'y atta-
chent. Certainement, et je l'ai assez dit, une mission d'humanité s'impose à
l'homme de l'art; elle découle de la nature de sa profession, mais n'absorbe
pas la profession elle-même. Celui qui embrasse la médecine a, comme le
notaire ou l'avoué, l'intention formelle de mettre un prix aux services qu'il
rendra, et la légitime conviction que ce prix lui sera dû au même titre que
celui des contrats de vente ou de l'introduction d'une action civile. Tout ce que
l'humanité lui inspire ou lui dicte comme un devoir moral eu opposition avec ce
principe est louable; mais le principe demeure, et il est bon, au nom de la
justice, qu'il ne périsse pas.
La rémunération affecte plusieurs modes. Le chirurgien, faisant un tout de
son opération et des visites qui s'y sont rattachées, évalue ses honoraires à
une somme fixe. Certains médecins dans les grandes villes prennent aussi pour
base de leurs exigences l'ensemble des soins donnés dans le cours d'une mala-
die ou quelquefois dans le cours d'une année. Mais, pour l'immense majorité
des praticiens, les honoraires sont réglés à tant par visite. A ceux-là surtout il
n'est pas inutile de recommander, quelque mode de comptabilité qu'ils adoptent,
d'être toujours en mesure de justifier du nombre de leurs visites et des dates
auxquelles elles ont été faites. Cela pourra paraître bien vulgaire ]iour un
ministre de la santé, mais est absolument imposé par les conditions ordinaires
de l'exercice. Une substitution d'adresse peut faire parvenir à un client un
relevé de visites qui ne le concerne pas ; des erreurs peuvent se glisser dans
la confection des notes. De plus, dans les contestations judiciaires, soit
contre un client, soit dans une succession, la production du regisîre ou de
la feuille afférente du registre peut être ordonnée par le tribunal. Dans
tous les cas, l'mipossibilité matérielle d'une vérification tournerait contre le
médecin.
Certains praticiens envoient leurs notes tous les trois mois; les familles s'y
accoutument malaisément. A peine acceple-t-on volontiers la période de six
560 DEONTOLOGIE.
mois; presque toujours c'est celle d'une année qui est adoptée. On verra à l'ar-
ticle PIoîiORAiRE l'inconvénient qui peut en résulter par suite de la prescription
légale; mais cet inconvénient, il faut le reconnaître, se produit rarement, et
bien des médecins laissent dormir plusieurs années une partie au moins ce
leurs créances. Il en est même, mais ils sont peu nombreux, qui n'envoient
jamais de notes, comme on dit que faisait Bouvard. Un des représentants les
plus purs de la médecine humanitaire, l'auteur de la Médecine du cœur,
n'approuvait pas ces lenteurs : « Ne souffrez jamais, écrivait-il, que la reconnais-
sance s'accumule en longues dettes ; ainsi que la mémoire, elle s'use par les
années. » M. A. Petit n'avait pas tort; seulement il exagérait un peu la suscep-
tibilité des clients en ajoutant qu'une note tardive les faisait rougir et ne
pouvait pas leur être présentée sans offense.
La méthode anglaise prévient toute difficulté. Le médecin reçoit à sa pre-
mière visite le prix de deux, et le prix d'une à toutes les autres; il est ainsi
toujours payé d'avance d'une visite. Le jour où il ne reçoit rien, il sait qu'il ne
doit plus revenir. Au Congrès médical de Lyon en 1873, M. le docteur Caron (de
Paris), dans un mémoire concernant les moyens pratiques d' améliorer la situa-
tion du médecin, a proposé d'adopter eu France cette méthode, modifiée en ce
sens que les honoraires ne seraient reçus que pour la visite en cours. De cette
manière, il n'y aurait plus lieu à contestation et le praticien pauvre, obhgé
quelquelbis de vivre au jour le jour, pour qui un retard de payement équivaut
à une avance de fonds, rentrerait dans les conditions habituelles des autres
pi^ofessions. On doit seulement se demander si, en France du moins (car chaque
pays a ses mœurs), un pareil usage n'aurait pas pour résultat de diminuer sen-
siblement le nombre des visites. On est toujours mieux disposé à une dépense
future qu'à une dépense actuelle, dont les moyens d'ailleurs peuvent faire
défaut.
Létaux des honoraires est nécessairement très-variable. Dans les petites villes,
quelquefois dans les cantons, les médecins peuvent se concerter à l'amiable
pour ne le pas abaisser au-dessous d'un certain chiffre. Il y en a de nombreux
exemples. On peut toutefois douter que la convention soit toujours obéie, parce
que, entre la richesse ou l'aisance qui permettent des prix convenables et la
misère qui mérite la gratuité, il y a des degrés pour lesquels le chiffre minimum
est encore trop élevé. Le médecin se trouverait ainsi obligé, pour observer la
règle, d'agrandir la sphère de ses soins "gratuits et de les étendre à des clients
qui ne les réclament pas. La charité offre alors ce double inconvénient d'être
tyiannique pour ceux qui la font et humiliante pour ceux qui la reçoivent. Ce
n'est même plus la charité, dont la source ne peut être ailleurs que dans l'amour
de ses semblables. Quant aux grandes villes, ce qui vient d'être dit suffit à
montrer combien elles seraient réfractaires à une paieille méthoda.
Mais ce qui est, à mon sens, tout à fait déraisonnable, c'est la prétention
non-seulement de taxer la visite en elle-même, mais encore de faire varier la
taxe suivant certaines particularités de la visite, telles que la durée ou l'heure à
laquelle elle est faite; c'est de fixer le prix de chacune des opérations de petite
chirurgie, comme saignée, application de ventouses, et même les grandes opéra-
tions. La meilleure manière de former sur ce sujet l'opinion du lecteur, c'est
de mettre sous ses yeux deux projets de tarif dont l'un appartient aux médecins
de Rennes, et dont l'autre a été imaginé en Allemagne, il y a déjà longtemps,
par le docteur Klein.
DÉONTOLOGIE. 561
Tarif des honoraires des médecins de Rennes, délibère' et arrêté par le Conseil
de l'Association, le 19 avril iSbS. Ce projet, reconnaissant que les malades ne
peuvent pas tous accorder aux médecins la même rétribution, les a partagés en
quatre classes : 1° celle des gens riches, oîi se trouvent les hauts fonctionnaires,
les grands industriels, les banquiers, les chefs d'administration et les sous-chefs,
les propriétaires riches, etc.; 2" celle des gens aisés, tels que les commerçants,
les petits propriétaires, les employés, etc. ; 5° celle des gens peu aisés compre-
nant les mêmes individus que la seconde, mais placés dans des conditions de
fortune moins avantageuses; 4" celle des ouvriers.
Ces distinctions faites, le tarif a été arrêté comme il suit :
Visites de jour : 1° ponr les malades de la ['" classe, 5 francs; 2° pour ceux de la 2',
2 francs; 3° pour ceux de la 5% 1"",50; 4° pour ceux de la 4», l franc. — Visites de nuit.
Sont appelées visites de nuit celles qui sont faites entre dix heures du soir et six heures du
matin, été comme hiver : 1° pour les malades des deux premières classes, 10 francs; 2° pour
ceux des deux dernières, G francs.
Consultations entre confrères, quel que soit le nombre des médecins : 1" pour les malades
des deux premières classes, 10 francs; 2° pour ceux des deux dernières, 6 francs.
Conférences ou visites à heure fixe : le double du prix de la visite de jour, en égard aux
diverses classes de malades établies ci-dessus.
Consultations de nuit entre confrères : le double du prix de la visite de nuit. — ISuit
passée près du malade, 15 francs. — Consultations données dans le cabinet du médecin :
le même que celui des visites de jour. — Consultations écrites, détaillées : 1» pour les
malades de la 1''° et de la 2= classe, 10 francs; 2° pour ceux de la 5° et de la 4=, 5 francs.
Certificats de 3 à 6 francs.
Opérations qui sont du ressort de la petite chirurgie, telles que toucher, application de
selon, ventouse, moxa, cautère, saignée, extraction de dents; se payeront en sus de la visite
de jour ou de la consultation. Le prix minimum, pour chacune d'elles, sera le prix de la
visite de jour.
Visites de jour à la campagne. — Sont appelées visites à la campagne toutes celles que
l'on fait en dehors des limites de l'octroi. — Prix par kilomèli'e, 1 franc. — Visites de nuit
à la campagne : le double du prix de la visite de jour, si la distance n'excède pas 20 kilo-
mètres; au delà, la moitié en sus seulement.
Accouchements naturels : 1° pour les malades de la 1"'° classe, 100 francs; 2° pour ceux
de la 2% 60 francs ; 3° pour ceux de la 3% 30 francs ; 4° pour ceux de la 4«, 15 francs. Dans
le prix de l'accouchement se trouvent compris les soins de la couche, dont la durée est fixée
à huit jours inclusivement.
Vaccination. Elle se payera en outre du prix de l'accouchement. Prix minimum, o francs.
Le dernier article a pour but de régler la conduite des médecins vis-à-vis des corpora-
tions d'ouvriers. Il a été convenu que ceux-là ne consentiront à devenir médecins d'une cor-
poration qu'à la condition que toutes leurs visites soient comptées au prix de 1 franc cha-
cune, et que les accouchements leur soient payés en sus, conformément au tarif ci-dessus,
qui en fixe à 15 francs le prix minimum. Sont exceptés les médecins des sociétés de bien-
faisance proprement dites.
Projet de tarif de M. Klein. L'auteur établit que la taxe doit varier suivant
la position de fortune du malade et suivant les circonstances qui ont rendu l'ac-
tion médicale facile ou difficile, ou qui ont été plus ou moins onéreuses pour
le médecin. Il demande une élévation de la taxe pour le cas où il y a danger
d'infection, le payement des instruments qui ne peuvent plus servir à une seconde
opération, elc, 11 montre que la taxe de 1815 était mal cojiçue et que, par
exemple, le médecin qui opérait un malade la nuit gagnait moins que s'il eût
fait une seule visite nocturne. Il arrive enfin à fixer le taux des honoraires dans
une foule de circonstances, dont je mentionne les principales :
Pour une Consultation de plusieurs médecins, à chacun, le jour, 4 à 12 francs- la nuit
8 à 24 francs (payement spécial, si l'habitation du malade est à plus d'un quart de lieue)'
Visite ;e;our, !'■■, 25 à 4 francs; la nuit, 4 à 12 francs. Pour répéter une ordonnance, 75 cent'.
DICT. E.NC. XXVII. 55
562 DÉONTOLOGIE.
à 1 franc. Certificat de décès, 4 à 8 francs ; si l'on essaie de rappeler le malade à la vie,
8 à 16 francs {^'. B. On paye les médicaments à part). Certificat de maladie, 12 à 24 francs.
Opérations. Extirpation d'un polype de l'œil, 12 à 30 francs. — Désobstruction de l'oritice
extérieur de l'oreille, 20 à 60 francs. — Opération du cancer des lèvres, 16 à 48 francs. —
Opération du bec-de-lièvre, 16 à 48 francs. — Ouverture de la bouche oblitérée, 16 à
48 francs. — Elargissement de la bouche rétrécie, 8 à 24 francs. — Ablation d'une parlie
de la mâchoire supérieure, 40 à 120 francs. — Ablation d'une partie de la màchoii'e inférieure,
40 à 120 francs. — La même opération avec désarticulation de la pièce, 60 à 180 francs. —
Examen des parties génitales internes de la femme à l'aide du spéculum, 4 à 12 francs. —
Opération de l'incision du ventre, 00 à 180 francs. — Opération de lithotritie, 80 à 240 francs
Opération de l'uréthrotomie, 16 à 48 francs. — Désarticulation coxo-fémorale, 120 à
300 francs. — Réduction de la luxation des bras, 20 à 60 francs. — Réduction de la luxation
de la main, 20 à 60 francs. — Réduction de la luxation d'un doig-t, 8 à 24 francs. — Réduction
des luxations ou fractures vieilles de plus de vingt-quatre heures, le double de la taxe. —
Ligature d'une grosse artèi-e dans sa continuité, 32 à 96 francs. iV. B. Les ligatures des
vaisseaux dans l'amputation d'un membre ou comme préliminaire d'un pansement ne sont
pas payées séparément. — Rhinoplastie, 80 à 240 francs. — Section des petits tendons,
muscles ou nerfs, 4 à 12 francs. — Lavement liquide, 60 cent, à 2 francs. — Lavement
sous forme de vapeur, 2 à 6 francs.
Entre les nombreuses observations auxquelles pourraient donner lieu ces tarifs,
il en est une générale qui suffit à les condamner : ils ne tiennent compte ni de la
valeur de l'ouvrier, ni de la valeur et de la somme de travail accompli. Et c'est bien
ainsi que la question doit être pese'e sur un terrain tout industriel ou, si l'on
veut, artistique. Entre la visite de A et la visite de B, il y a, quant à la valeur,
autant de différence qu'entre l'œuvre d'un grand architecte et celle d'un petit
entrepreneur, ou entre le tableau d'un maître et celui d'un rapin. Moi, pa-
tient, je veux bien payer 20 francs la visite d'un médecin habile ou réputé tel,
mais, en mon àme et conscience, celle de son voisin ne vaut que 5 francs. De
même une opération mal exécutée n'équivaut pas à une opération bien exécutée;
une bouche close ou trop étroite peut être bien ou mal ouverte ou élargie. De
plus le mérite des opérations ne se mesure pas ainsi à la grandeur du trauma-
tism-^; il y a telle section sous-cutanée de tendon (ci : 12 francs au maximum)
qui exige plus d'habileté et d'expérience qu'une amputation de cuisse. Enfin,
pour la même opération et pour le même chirurgien, ni le temps ni les difficultés
ne sont toujours les mêmes. Je sais bien que M. Klein tient compte des diffi-
cultés rencontrées dans une opération déterminée. Mais qui les appréciera? Le
chirurgien apparemment. Qui donc le contrôlera lui-même? Et si vous lui lais-
sez, dans la fixation des honoraires, une latitude de moitié ou des deux tiers, espé-
rez-vous qu'il aura beaucoup de goût pour le minimum? 240 francs pour une opé-
ration de lithotritie vaudront toujours mieux que 80 francs.
Des remarques analogues seraient applicables au tarif des consultations entre
confrères, on, dans une ville comme Rennes, qui possède une École de médecine,
le consultant, appelé en raison de sa supériorité, est mis à la portion congrue
du médecin ordinaire. Je ne vois guère que le doublement du prix des visites
de nuit qui soit ici acceptable sans réserve; il est d'ailleurs assez généralement
en usage, et le jeune médecin peut s'en faire une règle.
Du reste, le temps est de moins en moins à l'égalité professionnelle en matière
d'honoraires. Par une exagération inverse de celle qu'on vient de voir, c'est-à-
dire par une application abusive du principe de la liberté professionnelle, mais
retenant avec soin, pour l'accommoder à leur profit, le principe du seri;ice rend!/,
certains médecins ou chirurgiens des grandes villes mettent leurs soins à un
prix excessif, « faisant naître, par leur cupidité, un fâcheux préjugé contre le
DEONTOLOGIE. 565
corps médical tout entier. » Celte dernière réflexion est de J. Frank, mort au
commencement de ce siècle. Que dirait -il donc aujourd'hui? M. Delasiauve a
également signalé cette tendance, en insistant sur le peu de dignité d'un calcul
familier à plusieurs, très-répandu dans les boutiques de certains quartiers, et
qui consiste à surélever les prix en prévision d'un rabais. Ces confrères se
couvrent de tous les motifs que pourraient alléguer les plus délicats et les plus
soucieux de la considération professionnelle, comme le prestige de l'art, la gran-
deur des bienfaits qu'il procure, la cherté croissante de la vie, etc. Ils n'oublient
que deux choses : la première, que la vraie question ici est une question de me-
sure et que c'est d'outrepasser la mesure qu'on les accuse; la seconde, c'est que
la nature de ces bienfaits qu'ils se flattent de rendre ne peut se prêter qu'à des
évaluations arbitraires, qui, faites par eux, peuvent aisément devenir exagérées.
Je comprends le haut prix d'une œuvre d'art signée d'un nom célèbre, même
quand elle n'est pas digne de l'auteur. Ce que j'achète a un corps, une valeur
appréciable, et c'est à mes risques et périls que je conclus le marché. Mais, si je
commandais à ce grand artiste un tableau à de dures conditions et qu'il m'ap-
portât un barbouillage, je me croirais parfaitement autorisé à ne pas lui verser la
somme convenue, et le tribunal éclairé par des experts me donnerait raison.
Vous, chirurgien, vous pratiquez mal une opération, vous obtenez de mauvais
résultats, et vous dites à l'opéré : « Je m'appelle un tel ; ego nominor leo; vous
me devez deux, quatre, six, dix mille francs. Ou (ce qui est pis), vous médecin,
votre célébrité a conduit dans votre cabinet un incurable, ou un individu atteint
d'un mal curable, mais que, par hypothèse, vous n'avez pas guéri; et vous lui
réclamez les mêmes honoraires que si vous lui aviez sauvé la vie. Qui, parmi
les personnes initiées au monde médical des grandes villes, ne pourrait citer
de pareils exemples? Et qui ne sent se poser ici une question de bonne foi,
d'équité, de probité; qui n'aperçoit une limite en deçà de laquelle la rémunéra-
tion sera convenable, au delà de laquelle elle deviendra exorbitante et partici-
pera de l'exploitation .''C'est justement le mot qu'emploie Schûtzenberger dans
son discours sur le médecin : <( Plus la position d'un praticien est élevée, plus
elle est en vue, et plus elle oblige... Si la pratique prend le caractère d'une
exploitation de clientèle, la déchéance approche et la désertion (des clients) ne
se fera pas attendre. »
Un autre abus, qu'on associe souvent au premier, consiste à exiger le payement
anticipé des honoraires. On a de la sorte le malade à sa merci, et Ton est fort
à l'aise pour ne pas tenir les promesses dont on l'a bercé avant le marché. Et en
fait, si cette exigence du médecin se colore habituellement du simple désir
d'éviter les contestations et les déboires, elle couvre souvent de mauvais des-
seins. Sachant d'avance que les malades seront déçus dans leur espoir de gué-
rison, on se réserve de les tromper de manière ou d'autre, et de se retirer quand
on le trouvera bon. Ce sont là, croira-t-on, des suspicions bien hardies envers des
confrères. Non, c'est la morale de faits positifs et connus, et qui ne sont pas
tous fournis par la tourbe vulgaire des charlatans. J'ai été mis, il n'y a pas bien
longtemps, par les intéressés eux-mêmes, au courant d'une négociation dans
laquelle un praticien fort connu et même fort habile demandait, pour un traite-
ment dont les résultats eussent été nécessairement imparfaits, une so nme
énorme, dont partie payable immédiatement, le reste en diverses échéances
pendant une durée de plusieurs années. J'ai entendu les plaintes d'un de nos
plus honorables et plus distingués confrères au sujet d'un client atteint d'une
5ji DEONTOLOGIE.
maladie interne, qui, atliré par la renommée d'un praticien, dut lui verser tout
d'abord une forte somme et fut abandonné de lui après quelcpies consultations.
A celte question d'honoraires se rattache celle des gains illicites.
Je ne dis qu'un mot de la surcharge du ciiiftVe des visites; c'est une vente à
faux poids, dont le caractère dolosif ressort de lui-même. Les praticiens ne sau-
raient poiter trop d'attention à ce que le soupçon d'un tel méfait ne puisse,
même injustement, les atteindre. Cela, malheureusement, serait presque impos-
sible, si l'on n'était garanti par une probité reconnue; on l'a déjà compris
par ce qui a été dit plus haut. En effet, beaucoup de clients inscrivent les vi-
sites reçues; il ne dépend pas de vous qu'ils ne commettent aucune erreur, et
que leur chiffre de fin d'année ne soit inférieur au chiffre vrai que vous aurez
trouvé. Il y a d'autres causes de désaccord : une erreur d'addition, une visite
notée sur l'agenda comme à faire et inscrite par mégarde comme faite, la mau-
vaise habitude de s'en rapporter à ses souvenirs. Ce qui contribue à sauver de
tout soupçon le praticien consciencieux, c'est que, presque toujours, il oublie
])lus souvent que le malade de noter les visites, et c'est chose commupe que de
voir entrer dans son cabinet, un papier à la main, un client qui vous dit, de
l'air satisfait d'un homme méditant une bonne action : « Docteur, vous vous
êtes trompé », et, après une pause: « à votre désavantage! ». Ce certificat de
bonnes mœurs vous sert pour les cas d'erreur possible au désavantage du client.
Certains médecins, qui rougiraient peut-être de commettre une tromperie
directe, cherchent une source de bénéfice dans des générosités périodiques d'un
pharmacien préféré ou même dans une association formelle avec lui. Ce que
J. Frank écrit sur ce sujet mérite d'être reproduit in extenso :
« Qui ne sait, dit-il, que certains médecins n'adressent leurs malades qu'à
certains pharmaciens qui savent reconnaître leur patronage par de riches cadeaux?
Peut-on douter que les médecins qui se laissent ainsi corrompre ne seront
pas des juges impartiaux de la bonté des médicaments que dispense le pharma-
cien si reconnaissant? N'est-il pas à craindre qu'ils prescrivent les remèdes les
plus coûteux dans la persuasion qu'il doit leur revenir une partie du gain qu'ils
procurent? Cette coutume pourrait être tolérée, si ces cadeaux consistaient seule-
ment en quelques bagatelles; mais, dans les grandes villes, elle est arrivée au
point qu'on en porte la valeur à des sommes considérables, dont l'avidité de
quelques-uns ne se contente pas encore. Cependant, le pharmacien n'est jamais
dupe de ce luxe des étrennes : si parfois il lui cause quelque embarras, il sait
fort bien s'en dédommager par la surcharge du prix des médicaments. Mais le
pauvre malade, le père de famille, qui s'impose les plus dures privations pour
procurer à sa femme et à son fils les médicaments nécessaires, devient la mal-
heureuse victime de cette infâme usure. C'est en vain qu'il se plaint à son
médecin du prix excessif des médicaments ; il ne trouve en lui aucun secours
contre l'oppression et la cupidité d'un pharmacien avec lequel ce médecin a
conlraclé une alliance offensive et défensive.
« 11 est certains médecins à conscience élastique qui ne croient pas faillir
en exigeant un droit de commission sur le produit des médicaments qu'ils font
débiter, ravalant ainsi la dignité de leur art à une spéculation commerciale.
Comment ne seraient-ils pas déconsidérés, puisqu'ils s'abaissent à ce point de
c ntracter un accord qui les rend trop faciles envers les pharmaciens, lesquels
e:i abusent au profit des malades ? Bien plus coupable encore est celui qui tient
boutique ouverte de médicaments ou s'entend avec un pharmacien pour ran-
DÉONTOLOGIE. 565
çoiiner les malheureux malades qui ont U malheur de tomber entre leurs
mains. »
Depuis J. Frank, ce genre de spéculation s'est beaucoup perfectionne; on a
passé des traités en règle; on a imaginé de glisser les ordonnances dans des
enveloppes portant l'adresse de l'officine, mieux encore de les écrire sur des
papiers ornés du nom du pharmacien (j'ai possédé une collection de ces pièces);
on a forcé le client, par la substitution de numéros convenus à des formules
détaillées, à aller chercher les médicaments au bon endroit. Inutile d'ajouterque
les malades n'ont jamais à se plaindre du trop petit nombre ni de la trop grande
simplicité des médicaments.
J. Frank ajoute : « Je suis certain que plusieurs propriétaires d'eaux thermales
payent un tribut annuel aux médecins des villes voisines et, par ce moyen, par-
viennent à donner de la réputation et de la célébrité aux prétendues vertus
salutaires de leurs sources. » Cette branche de commerce aussi a fait des progrès.
Les propriétaires ou fermiers d'établissements thermaux portent leur tribut bien
plus loin que les villes voisines. Ils ont leurs salariés à Paris, dans des livres
d'hydrologie et dans la presse médicale. Des sociétés d'exploitation se sont
instituées, qui ont eu le bon esprit de mettre à leur tète des médecins influents
et de se ménager des plumes complaisantes. J'ai même reçu un jour une offre
très-avantageuse, et je sais qui l'a acceptée.
On n'en finirait plus, si l'on entreprenait les dénombrements des gains illicites.
La directrice d'une maison de nourrices bien connue pourrait nous dire ce que
lui coûtent les remises faites aux médecins ; de même, certains petits fabricants
d'instruments de chirurgie et d'appareils orthopédiques, si toutefois l'antique
usage ne s'est pas perdu. Il est tel remède spécial, très-lucratif, qui, en
récompense d'un appui prêté dans les livres, dans les sociétés savantes, pro-
cure annuellement de beaux bénéfices à des confrères qui ne s'en vantent pas.
Oui ne connaît encore des médecins à la fois compères intéressés de charla-
tans et complices d'exercice illégal? J. Frank, contre toutes les pratiques de
ce genre, invoquait, lui aussi, le secours de la justice. J'ai dit plus haut ce
qu'il était raisonnable d'attendre d'une législation spéciale.
Un point qui mérite une attention particulière, parce qu'il préoccupe beaucoup
le public médical depuis quelque temps, c'est le partage d'honoraires entre pra-
ticiens ayant donné leurs soins au même malade. Presque toujours c'est un
chirurgien qui, plus largement payé que le médecin de la famille, lui donne une
paît de ses honoraires; mais ce cas n'est pas tout à fait étranger aux médecins
consultants qui sont restés longtemps adjoints au médecin traitant. Cette habi-
tude a suscité de si violentes réciminations, que c'est vraiment un mérite de
l'aborder en toute liberté.
J'ose dire tout d'abord que le principe n'en est aucunement répréhensible.
Deux confrères sont réunis auprès d'un malade; ils sont souvent de valeurs peu
différentes, mais l'un, s'il est chirurgien, gagne 5 à 6000 francs en vingt minutes,
ou, s'il est médecin, 1200 francs en vingt visites, là où le médecin ordinaire
qui l'aura appelé gagnera une soixantaine, mettons une centaine de francs.
N'allons pas, pour le moment, plus loin que le point de vue moral, et demandons-
nous s'il y a forfaiture au chirurgien ou au consultant d'offrir à un confrère si
mal partagé, mais à celui-là seulement, un certain dédommagement. On pourrait,
à meilleur droit, y voir un acte de bonne confraternité; et, s'il en est ainsi, le
médecin traitant peut aussi bien accepter que le consultant offrir ; c'est affaire
566 DÉOMTOLOCtIE.
de délicatesse personnelle , où la morale n'est nullement engagée. Aussi les
hommes de ma génération ont-ils connu une époque où les médecins les plus
justement honorés, dont l'état actuel de l'opinion ne permet plus de divulguer
les noms, voulaient diminuer en quelque mesure cette inégalité de traite-
ment quand elle devenait trop considérable. Je déclare, — car il n'y a pas de
meilleure preuve de loyauté que la publicité des actes, — je déclare avoir moi-
même accepté de pareilles offres. Ce sera, si l'on veut, une confession. A
mon avis, l'acte n'est blâmable devant la conscience que si le client en fait les
frais, c'est-à-dire si le chirurgien ajoute à la somme qu'il croit lui être due une
autre somme que le client se trouve ainsi payer, malgré lui et à son insu, au
médecin habituel; mais les vieux praticiens dont je parle ne songeaient pas à
pareil calcul et prélevaient une part sur des honoraires parfaitement normaux,
comme ceux qui résultent d'un nombre déterminé de consultations au prix
habituel. J'ajoute que cette part était d'ordinaire assez faible pour ne pas valoir
d'être prise en considération dans leur note d'honoraires. C'était, malgré les
doléances des déontologistes , un temps relativement primitif: celui où l'accou-
cheur de l'impératrice Joséphine avait une maison de santé, et où l'ancien chirur-
gien de l'empereur vendait lui-même, à son domicile, sur une grande table
en manière de comptoir, son grand Traité des maladies chirurgicales. Il n'est
que de ne pas entendre malice aux choses.
Malheureusement la malice s'en est mêlée. On s'est dit que, en augmentant
ses largesses, on pourrait se faire une clientèle de confrères, devenant des pour-
voyeurs de malades, et qu'il convenait d'être généreux envers eux en proportion
de ses propres prétentions : de là des remises considérables, et la transformation
d'un simple acte d'équité en véritables commissions. On a parlé de sommes
remises, non plus, comme autrefois, aux assistants des opérations ou des consul-
tations trop mal rétribués par les malades, mais à [ceux-mêmes qui, de leur
côte, avaient reçu largement le prix de leurs soins ; non plus même unique-
ment à ces assistants, mais encore aux confrères de province envoyant leurs
malades à Paris. Une guerre de commissions s'est engagée et la confiance des
pourvoyeurs ou rabatteurs a été mise aux enchères. Naturellement, c'est le client
qui fait tous les frais de l'entreprise.
Tel est, du moins, le bruit répandu. Pour ma part, je n'ai été témoin d'aucun
fait qui l'appuie; et l'indignation très-générale que soulève ce genre de spécu-
lation me donne à penser qu'il est assez restreint. Mais la femme de César et
le médecin ne doivent pas être soupçonnés : il n'est pas permis d'ailleurs de
prêter des armes, même involontaires, aux détracteurs de la profession médicale;
et quiconque est jaloux de l'estime publique et de la dignité de l'art doit
aujourd'hui refuser, à quelque titre, sous quelque prétexte et dans quelque
mesure que ce soit, toute participation aux honoraires des chirurgiens ou des
médecins consultants.
Un usage ne s'est pas perdu, et je me suis assuré bien des fois dans des
conversations qu'il était accepté et pratiqué- par des confrères de la plus indis-
cutable moralité, que révolte fortement le système des remises. Cet usage con-
siste à présenter en commun, chirurgien et médecin, une note unique faisant
masse des honoraires de l'un et de l'autre, sauf à s'entendre entre eux pour le
partage. Ici le médecin est rétribué convenablement, et il l'est au su du client,
qui, libéré envers lui, n'étant pas exposé à le payer deux fois, n'a pas à s'occuper
de ce qui pourra lui revenir. Certes, cet autre système n'est pas absolument
DÉONTOLOGIE. 567
réfraclaire à l'exploitation des familles : aucun principe n'est bon là où il est
entre les mains de rimprobité ; mais celui-ci a la double qualité' d'être sincère
et de parer à une injustice.
Reste la question de demande en payement d'bonoraires devant les tribunaux,
Je n'ai qu'un mot à en dire : qu'on use le moins possible de ce droit; mais c'est
une fausse délicatesse que celle qui l'interdit au nom de la dignité. 11 est
■d'odieuses spéculations auxquelles le médecin fait bien, au contraire, de résis-
ter. La dignité sans argent est vraiment « un meuble inutile » à ceux que pres-
sent les nécessités de la vie,
K. Cessation d'exercice. Un praticien non caduc, s'il a su gagner la con-
fiance et l'affection de ses clients, éprouve les plus grandes difficultés à prendre
sa retraite. On lui dit qu'un médecin se doit à l'humanité, qu'il va livrer aux
incertitudes d'un apprentissage des santés dont il avait la longue expérience ;
que c'est mal reconnaître un attachement indissoluble. Tout cela ne doit rien
changer à unerésolution bien prise. Lecaractère professionnel de la médecine pratique
reprend ici toute sa valeur; on jure d'être humain, dévoué, consciencieux et le
reste tant qu'on exercera; on ne jure pas d'exercer jusqu'à la mort. Ceux qui
le font font bien; les autres ne font pas mal. Seulement, comme l'homme de
l'art qui rompt avec la pratique ne rompt pas avec les sentiments qui doivent
l'animer, il agira suivant ces sentiments en restant à la disposition de ses
clients pour des visites exceptionnelles, de concert avec le nouveau médecin de
leur choix. Cet arrangement apaise et rassure la clientèle, tandis qu'elle voit
ordinairement de l'insouciance, un manque d'affection, chez ceux qui rompent
avec elle tout d'un coup et pour toujours.
Si vous êtes appelé à désigner un successeur, choisissez-le doué des qualités
d'esprit et de cœur qui conviennent à la profession, sans faire trop de sacrifice
à la protection. 11 y va de la santé de vos semblables, et là, comme ailleurs,
c'est surtout leur intérêt que vous avez à consulter. Quant à la question de
savoir si la clientèle du médecin est chose vendable, elle n'appartient pas à la
déontologie, mais à la jurisprudence]; elle a été examinée au mot Clientèle.
IV. Conduite du médecin vis-à-vis de ses confrères. La confraternité des mé-
decins doit avoir le même principe que leur honnêteté; elle doit reposer sur
un sentiment profond de la noblesse de lari qu'ils exercent en commn. Bien
pénétré de ce principe salutau'e, on respectera la dignité de son confrère
comme la sienne propre; on ne le desservira pas, on ne le dépréciera pas en
secret; on fera pour lui, dit le docteur Laroche, comme on voudrait qu'il fît pour
vous. On l'aimera. Mais en cela, comme en tout, il faut être conséquent; en
aimant les confrères honnêtes, on détestera et on écartera autant que possible
ceux qui ne le sont pas. Qu'on ne s'étonne pas de voir faire une place à la
haine dans un pacte de confraternité ; la haine du vice est une vertu; la sépara-
lion du bon grain d'avec le mauvais est un précepte de l'Évangile. L'mdifférence
à l'égard des choses déshonnêtes est bien près d'être une complicité. Le
monde est plein de ces gens aimables, serviables, souriants, doucereux amis de
tout le monde, enveloppant bons et mauvais dans la même caresse superficielle
et banale, et n'aimant pas qu'on leur signale un méfait, de peur d'avoir à en
donner leur avis. C'est avec cet esprit de mansuétude inaltéi'able qu'on encou-
rage, par des relations professionnelles, par des rencontres compromettantes en
consultation, par des paroles complaisantes ou par le silence, tantôt la foule
568 DEONTOLOGIE.
bigarrée des charlalans, tantôt cette troupe de guérisseurs tarés qui s'insinuent
dans les clientèles, attachés à la basque d'un duc, d'un marquis, d'un litté-
rateur en renom, d'un liomme politique; calomniant les conlrères et affichant
des prétentions de clinicien inspiré. Non, ce n'est pas là comprendre et pra-
tiquer pleinement la confraternité, parce que ce n'est pas défendre les intérêts
du corps. Avec le bon cœur, il y faut aussi du caractère.
Mettons-nous donc en présence de médecins honorables et, ne nous laissant
pas plus aller à la sentimentalité qu'au rigorisme, voyons pratiquement ce que
doit être le devoir réciproque des médecins en matière de clientèle.
a. Détournement de malades. Joseph Frank déverse le mépris sur les mé-
decins qui traitent sous main les malades de leurs confrères. C'est en effet
une sorte de sournoiserie, moralement inférieure à l'assaut direct et à la prise
d'un client. On ne pourrait néanmoins, sans violenter la nature des choses,
interdire absolument la simple visite d'un malade traité par un confrère. Des
proches, des amis, des patrons, des maîtres, désirent quelquefois, par affection
ou par intérêt, connaître l'état exact d'un patient, et ils s'adressent pour cela
à leur médecin ordinaire. Celui-ci est-il tenu en toute circonstance de refuser?
Je ne le pense pas. L'acte ne deviendra blâmable que s'il est mal accompli.
Or, on lui ôtera ce caractère, premièrement en donnant avis de sa visite au
confrère traitant, secondement en se bornant avec une entière rigueur à l'exa-
men du sujet, sans contrôler la médication. Le médecin du malade remplira
un devoir de confraternité en permettant une visite par un homme honorable.
Le fait du détournement de clients n'est pas toujours aisé à déterminer. S'il
y a des détournements directs, patents, il y en a d'indirects qu'on accepte plus
qu'on ne les opère. Les mutations dans les clientèles sont fréquemment l'œuvre
de bonnes âmes désireuses de produire dans leur cercle de connaissances le
médecin de leur goût, ou le médecin de leur opinion politique ou religieuse.
La dernière surtout joue un grand rôle, et la Bruyère la signale. Parlant du
directeur : a un seul, dit-il, en gouverne plusieurs (plusieurs femmes); il
cultive leur esprit et leur mémoire, fixe et détermine leur religion , il leur
donne son médecin, son marchand, ses ouvriers, etc. [Les femmes, p. 45,
éd. Servois : coll. Hachette). Il n'est pas besoin de dire que des manœuvres
faites en vue expresse de supplanter un confrère sont toujours répréhcnsibles ;
mais on comprend aussi qu'il soit bien malaisé d'apprécier à cet égard les res-
ponsabilités. Bornons-nous à nous mettre en face du fait et voyons quelles
règles déontologiques doivent présider à ce changement de médecin.
« Tout médecin qui se respecte ne se permet en aucun cas et sous aucun
prétexte que ce puisse être à'enlever des clients à ses confrères.... Une délica-
tesse scrupuleuse lui fait une loi de refuser ses soins à un malade qui a déjà
reçu ceux d'un autre homme de l'art. » Cette déclaration de Monfalcon, dans le
Dictionnaire en 60 volumes, pose la règle générale ; d'autres y ajoutent l'obli-
gation de la part d'un praticien à qui échoit un nouveau client d'avertir par
lettre le médecin auquel il succède. Le professeur Forget (de Strasbourg), qui
avait bien le droit de se montrer exigeant en fait de délicatesse, a soutenu cette
thèse. D'autres vont plus loin encore, et veulent que le praticien n'en sup-
plante un autre qu'après s'être assuré que celui-ci a reçu ses honoraires.
Gomme ces prescriptions s'appliquent à une situation de tous les jours et que
les scrupules qui les ont dictées sont d'une nature fort sérieuse, il importe
beaucoup d'avoir à leur égard une opinion réfléchie et bien arrêtée.
DÉONTOLOGIE. 569
N'oubliez pas qu'il y a ici deux intérêts en cause : l'intérêt du corps médical
et celui du malade. Tous deux sont fort respectables, mais le second l'est plus
que le premier, parce que c'est lui qui a mis en contact un médecin et un
patient, et que la guérison de celui-ci a été le but direct de celte entente. Le
patient, en demandant au médecin de le guérir, s'est réservé implicitement le
droit d'en prendre un autre, s'il le jugeait, à tort ou à raison, utile pour sa
santé. Or, toute ibrmalité introduite par les conventions confraternelles dans
la substitution d'un médecin à un autre est une entrave à ce droit du malade.
L'esprit de corps ne peut aller jusqu'à l'oppression du client, et il ne faut pas
que, pour être plus confrères, nous soyons moins médecins.
La conciliation de ces deux intérêts, avec prédominance de la liberté du
client, voilà la vraie question. Pour obtenir cette conciliation, il faut commencer
par écarter la charge imposée au nouveau venu d'avertir l'autre de sa disgrâce,
et encore plus celle de veiller au payement de ses honoraires. Ce sont là, qu'on
excuse le mot, d'honnêtes enfantillages. On en parle, puis, vienne l'occasion,
on trouve d'ordinaire quelque motif plausible de ne pas s'y livrer. Gicéron distin-
guait le devoir strict, conforme au bien, et le devoir moj/en, àoni on peut seule-
ment donner une raison plausible; on se range, dans cette circonstance, du côté
du droit moyen. Ces choses-là regardent la famille. En se mettant à sa place,
malgré elle, dans de semblables démarches, on commet un acte d'ingérence
abusive. Qui nous a donné le droit d'intervenir d'autorité dans des relations
nouées sans nous et sans nous dénouées? A quel titre viendrons-nous exposer
une famille qui ne veut plus d'un médecin, qui a peut-être à s'en plaindre gra-
vement, à quel titre l'exposerons-nous à des visites importunes, à des obses-
sions, à des récriminations? La conduite du remplaçant à cet égard est très-
simple : défendre un confrère honorable, engager le client à lui continuer sa
confiance, et, s'il n'y réussit pas, l'accepter pour lui-même. Une telle conduite
ouvrira la porte aux abus : soit; trouvez-en un autre qui la leur ferme. Est-ce
que cet empressement même à signifier son congé à un confrère et à lui couper
tout retour par un règlement immédiat de ses honoraires ne pourrait pas éga-
lement couvrir une déloyauté?
Telle est la règle : on peut être appelé à l'appliquer dans deux cas distincts :
1° le malade, traité ou non antérieurement, ne reçoit pas actuellement de soins
réguliers; 2" le malade est en cours de traitement.
Le premier cas n'est pas toujours aisé à déterminer, et il est bon d'être en
garde contre la tromperie du client. Si l'on a quelque motif sérieux de la soup-
çonner, alors exceptionnellement, non pour obéir à un commandement de
déontologie, mais pour se mettre en règle avec soi-même, il sera bien de s'in-
former auprès du confrère ou ailleurs. Mais, en thèse générale, on a satisfait à
un devoir quand on a provoqué et reçu l'affirmation du malade. Quand donc le
début tout récent de l'affection, des présomptions particulières, la déclaration
de la personne intéressée, vous donnent le droit de croire que celle-ci ne reçoit
pas en ce moment les soins d'un confrère, tout est dit pour vous. Rien ne vous
oblige à demander, comme on voudrait en faire une loi, à ce malade non traité
encore, s'il a un médecin habituel ou s'il n'en a pas. La question est au moins
inutile; ou il nen a pas, et tout est pour le mieux; ou il en a un, et il y
renonce, puisqu'il ne l'a pas fait appeler. C'est son affaire. Votre conscience à
vous est sauve dès que vous ne supplantez personne dans la cure de l'affection
présente. Qu'on y réiléchisse bien : voilà un client résolu, dès la première in-
570 DEONTOLOGIE.
disposition, à quitter un médecin qu'il n'agrée pas et à en mander un autre
qui lui inspire confiance. Celui-ci est appelé, et l'on veut que, au lieu de pro-
céder aux soins impatiemment attendus de son ministère, il se livre à je ne sais
quelle enquête rétrospective! Mais cela constitue une inquisition véritable et ou-
trepasse toute permission. C'est comme si un prêtre refusait l'absolution à un
pécheur qui aurait antérieurement confessé ses fautes à un confrère.
La maladie est-elle en voie de traitement, le nouveau venu doit commencer
par offrir de se réunir au médecin traitant. Mais, supposons que le malade s'y
refuse, qu'il déclare avoir de sérieuses raisons de ne plus le recevoir, je dis
sérieuses, et c'est encore trop. Je fus un jour évincé d'une riche maison pour
avoir porté le crayon sur la plaie d'un enfant endormi, me croyant bien habile
de me mettre ainsi à l'abri de son indocilité habituelle. L'enfant bondit, cria;
la mère fit comme lui, et le lendemain N... prenait ma place sans m'en aviser.
J'en fus quitte pour lui transmettre spontanément, dans l'intérêt de l'enfaut,
une note sur la cause présumée du mal qu'il allait soigner. Supposez, dis-je,
que le malade rompe avec son médecin : lui refuserez-vous vos soins unique-
ment parce qu'tV a déjà reçu ceux (Vun autre homme de l'art, comme dit le
Dictionnaire de médecine cité plus haut? 11 faut pourtant bien que ce malade
soit traité! A votre défaut, il en appellera un autre. Ce quelque autre refusc-t-ilà
son tour? Mais quoi! est-il permis de mettre un patient en interdit? Comment
donc sortir d'embarras? Par une seule voie : le dernier appelé, après s'être vu
repoussé dans son olfre de consultation, plaidera d'abord la cause de son con-
frère, cherchera à dissiper les préventions élevées contre lui, essaiera enfin de
lui reconquérir son ancienne situation. Mais, s'il échoue, c'est lui-même qui
doit mettre à ses soins la condition que son prédécesseur sera définitivement
écarté. La conséquence est tout à fait forcée. De même que a'ous n'avez pas
voulu vous immiscer à son traitement, vous devez vouloir rester maître absolu
du vôtre.
Un mode de détournement de malades qui mérite une mention à part est
celui qui se pratique de temps à autre aux Établissements d'eaux minérales,
d'autant plus tentant, phis facile et plus prompt, que la clientèle est là plus for-
tuite et plus transitoire. Il est avéré que les agents qui se rendent aux environs
des gares afin d'y recruter des pratiques pour les hôteliers y racolent quelque-
fois des clients pour les médecins. On répugne à croire qu'ils y soient autorisés
par les médecins eux-mêmes ; mais ils le sont au moins par les hôteliers auxquels
ceux-ci adressent de préférence leurs malades. On sait, en outre, que nombre
de baigneurs, après avoir soigneusement pris note, en quittant leurs résidence,
du nom du confrère auquel les adresse leur médecin habituel, n'ont rien de plus
pressé, en arrivant aux eaux, que d'en aller trouver un autre, recommandé
par des amis. Quand la note à consulter ne contient pas à cet égard d'indi-
cation, il n'y a lieu à aucune remarque ; mais deux conjonctures peuvent se
présenter.
Premièrement, le malade va trouver un médecin avec une lettre ou une carte
adressée à un de ses confrères, mais en même temps il lui déclare agir inten-
tionnellement et lui demande de se substituer à celui qui n'a pas sa confiance.
Ce cas rentre dans celui qui vient d'être examiné. L'offre peut être acceptée, si
elle est réellement pressante ; on ne peut obliger personne à un voyage circulaire
chez tous les praticiens de la localité pour revenir de force à celui qu'on n'agrée
point. Seulement, dans un milieu aussi restreint, et pour ne pas donner un
DÉONTOLOGIE. 571
aliment de plus à un foyer toujours actif d'animosités, on fera bien, cette fois
encore et quoique le devoir strict n'y oblige pas, de témoigner de sa loyauté
auprès du confrère écarté en lui donnant avis de ce qui se passe.
Secondement, un malade, muni également d'une lettre ou d'une carte avec
adresse d'un médecin, tombe au domicile d'un autre par erreur, ou traîtreuse-
ment égaré par un voiturier ou un agent quelconque. Le médecin qui voit la
suscription lit néanmoins la lettre et, par une véritaljle substitution de personne,
entreprend la cure du malade. On ne saurait trop blùmer une telle conduite.
Précisément un procès pour un fait de ce genre vient de se dérouler devant un
tribunal de première instance et devant une cour d'appel. Un individu illettré est
envoyé à une station thermale, muni d'une carte de visite sur laquelle son méde-
cin le recommande aux soins du docteur A. Un conducteur d'omnibus le con-
duit chez le docteur B, qui garde la carte et le client. Une discussion violente
s'élève à ce sujet sur la voie publique entre les deux confrères. B. traduit A. devant
le tribunal pour injures graves, en réclamant 10 000 francs de dommages-inté-
rêts; mais le tribunal, sur les conclusions conformes du ministère public, l'a
débouté de sa demande et condamné aux frais. En appel, le jugement a été con-
firmé de tous points par la Cour.
b. Consultations entre confrères. J'arrive aux rapports des médecins entre
eux dans les consultations. J'ai dit plus haut dans quelles circonstances elles
devaient être provoquées ou acceptées par le médecin traitant; voyons main-
tenant comment elles doivent se passer.
Le caractère de la science moderne, en se reflétant dans les consultations, en
a changé la physionomie. Sans remonter aux Des Fonandrès et aux Macrolon,
elles avaient autrefois une sorte de solennité due en partie à ce que l'autorité
de l'âge y jouait un grand rôle. Quand la médecine était en grande partie systé-
matique, et que la pratique consistait surtout dans l'application de quebjue
doctrine générale aux cas particuliers, l'âge avancé était à peu près synonyme
d'expérience, et constituait une présomption de supériorité clinique. Non pas
qu'on ne tînt aucun compte de la notoriété, mais le nombre des années ajoutait
beaucoup à son importance. Aussi l'usage établi par les anciens statuts de la
Faculté, et longtemps suivi avec ponctualité, était-il de laisser au plus ancien
des consultants le soin de faire connaître à la famille le résultat des délibérations,
sauf le cas où il jugeait à propos de déléguer son droit au plus considérable.
Au commencement de ce siècle, je l'ai dit plus haut, Hufeland s'efforçait encore
d'inculquer aux jeunes le respect pour l'expérience des anciens; mais déjà Joseph
Frank revendiquait contre l'expérience les droits du savoir. A l'époque oii
nous sommes, le morcellement de la science et de la pratique, qui multiplie les
spécialités, qui en enfante non-seulement pour les yeux, les oreilles, la vessie,
mais pour le cou, pour le poumon, pour l'estomac, pour le cerveau, pour la
moelle; non-seulement pour l'ensemble des maladies propres à chaque viscère,
mais pour l'une d'elles en particulier, comme la phthisie, l'asthme, la gas-
tralgie, l'hystérie, etc., ce morcellement a accru et, plus encore, diversifié la
classe des médecins consultants et détruit à peu près le prestige des ans. Que le
consultant soit plus jeune ou plus âgé que tous les autres membres de la réu-
nion, c'est lui qui est en réalité le plus considérable, puisque c'est à lui qu'un
supplément de lumières a été personnellement demandé.
Comment s'exerce l'action commune des hommes de l'art, avant, pendant et
après la consultation?
57-2 DÉOÎs'TOLOGIE.
Pour la mettre en mouvement, les familles tantôt désignent celui ou ceux
qu'elles désirent appeler, tantôt s'en rapportent au choix de leur médecm habi-
tuel. En général, celui-ci doit accepter quiconque lui est proposé, sans considé-
ration de rang ou de réputation. Certaines notabilités croiraient s'abaisser en
consentant à s'adjoindre un modeste praticien que le bruit de quelques succès
dans des cas analogues au cas actuel, ou une confiance née de relations fréquentes,
ont désigné à l'attention de la famille. « Moi, disait dans une telle circonstance
un médecin des hôpitaux, je puis donner des conseils à un confrère, mais non
en recevoir. » C'est un lier langage, mais doublement déplacé; il est la néga-
tion brutale du droit le plus indéniable du malade ou des parents, et il est une
insulte à la confraternité. Le refus de consultation ne doit être exercé qu'à
l'égard de confrères indignes d'estime; on n'est pas tenu de comprometire son
nom pour être agréable à autrui ; mais, dans ce cas même, il n'appartient pas au
médecin de mettre un empêchement absolu à la satisfaction d'un désir formel-
lement exprimé. Ses observations présentées, soit que le malade se rende chez
le confrère, soit qu'il le reçoive chez lui, le médecin habituel doit encore garder
à un client qui l'avait loyalement averti de son intention assez d'intérêt pour
jeter un coup d'œil sur l'ordonnance rapportée et s'assurer qu'elle ne renfeime
rien de nuisible à son état. Après quoi il doit se retirer jusqu'à expérience faite
du nouveau traitement. Il en est qui voient, en de semblables occurrences, des
causes de rupture. C'est toujours, sous couleur de dignité, l'opposition de l'in-
térêt du médecin à l'intérêt du malade. Celui-ci agit comme vous agiriez vous-
même, si vos rôles étaient intervertis. Et la preuve, c'est que des médecins atteints
d'une de ces affections pour lesquelles sont renommés certains remèdes secrets
ont souvent, en désespoir de cause, recours à ces remèdes et quelquefois à la
personne même de ceux qui les ont exploités. Un ancien agrégé de la Faculté de
Paris, qui avait promené sa goutte dans les établissements thermaux, s'était mis
à la fin entre les mains d'un de ces inventeurs. Il est même deux cas oii le méde-
cin fait bien d'aller au-devant d'un désir latent et de prévenir ainsi des regrets,
dont il subirait un jour les conséquences. J'avais appris que la famille d'un client
arrivé au dernier terme d'une maladie organique du cœur, — famille animée
pour moi d'une grande affection, que je lui rendais, — était pressée par son en-
tourage de remettre le malade entre les mains d'un homœopalhe qu'on désignait.
Je provoquai amicalement une explication; on me proposa en elfet de me rencon-
trer avec cet homœopathe, je refusai ; de continuer mes visites hors de sa pré-
sence, je refusai; mais je promis deux choses : premièrement, de faire prendre
des nouvelles du malade en garantie de mon amitié persistante; secondement,
de rentrer dans la maison, si l'homœopathie en sortait. Ce dernier cas s'est réa-
lisé avant la mort du pauvre patient, et les vieilles relations se sont renouées
aussi fidèles que jamais.
Le projet de consultation arrêté, les familles ont une propension marquée à
charger leur médecin habituel de se concerter directement avec le ou les confrères
désignés. C'est un service qu'on peut convenablement rendre, mais qui expose
à des déplacements, à des pertes de temps, surtout quand le nombre des consul-
tants rend la négociation compliquée. 11 est plus simple de faire par écrit des
propositions de jour et d'heure, qu'un parent se chargera d'aller présenter à
qui de droit.
Entîn, on s'est entendu, et les consultants se réunissent. Ils n'entrent pas direc-
tement dans la chambre du malade, mais dans une pièce séparée, où le mé-
DÉONTOLOGIE. 573
decin habituel expose l'histoire du cas, son début, sa marche, la médication
employée, ses effets, etc. Cette conférence préliminaire a une grande importance
en ce que, loin du sujet, il est permis de s'exprimer librement sur la nature
et la gravité du cas, et aussi en ce que les consultants peuvent poser des ques-
tions de fait, dont la solution prépare l'interrogatoire en éclairant déjà l'examen
auquel il est ensuite procédé.
L'interrogatoire du malade dans ces conditions exige, au point de vue confra-
ternel, du tact et de la mesure. La situation du médecin ordinaire est peut-être
déjà plus ou moins fausse, la demande de consultation ayant pu être l'expres-
sion d'une confiance ébranlée. Il n'est pas rare alors que les familles donnent
cours à leur prévention en mêlant leurs réponses à celles du m-dade, ou en
posant au consultant des questions explicatives. Celui-ci, s'il a de la tinesse,
pourra déjouer la tactiiiue sans avoir l'air de la comprendre. S'il n'y parvient
pas, il la combattra directement en écartant ou en contre-carrant les observa-
tions. L'examen physique donne lieu aux mêmes remarques. Des parents intelli-
gents sont attentifs aux signes de la percussion; ne pouvant suivre l'oreille ou
la main du consultant dans l'auscultation ou la palpalion, ils guettent son
visage et recueillent ses moindres mois. Le consultant doit faire en sorte que les
résultats de l'examen ne paraissent pas, aux yeux des assistants, contraires
à ceux qu'avait déclarés le médecin habituel. Ou, si la différence est mani-
feste et doit d'ailleurs ressortir du traitement à prescrire (comme l'application
d'un vésicatoire sur telle ou telle partie de la poitrine), il doit le présenter
comme un effet naturel de la marche de la maladie. Enfin, dans les cas où
plusieurs consultants ont été appelés, on ne saurait trop leur recommander
d'apporter tous une égale attention à l'interrogatoire et à l'examen. 11 n'est pas
rare d'en voir qui, laissant toute initiative à l'un d'eux, paraissent étrangers à
la scène, et regardent le plafond ou les tableaux. Quoique cette manière de pra-
tiquer la consultation doive toucher surtout le patient, elle ne laisse pas de jeter
la défaveur sur le corps médical et particulièrement sur le groupe de ceux
en qui les familles ont coutume de mettre leur refuge.
Après l'examen, les médecins se retirent de nouveau dans une pièce séparée.
Dans cette pièce, qui leur est ordinairement désignée, les portes ont souvent des
oreilles, et c'est une précaution utile de s'assurer matériellement de leur discré-
tion. Cela même ne suffit pas toujours; je connais des délibérations qui ont
eu des témoins secrets derrière un piano ou sous le tapis d'une table. Dans cette
seconde réunion, chacun présente les observations que le cas lui suggère, et
l'on convient du traitement et de ce qui devra être dit au malade ou à la famille.
C'est la coutume de régler les tours de parole par rang d'âge, en commençant
par le plus jeune. L'ordonnance est écrite par le médecin habituel, signée par
lui d'abord et ensuite par le ou les consultants. Inutile de rappeler aux médecins
la bonne harmonie, la tolérance mutuelle qui doit régner dans ces petites
assises, sans faire tort à la liberté des opinions, et aussi la nécessité de ne pas
s'égarer en de vaines discussions théoriques, mais de rester attachés au fait, et
de rechercher seulement ce qui est attendu du malade, à savoir un moyen de
guérison ou de soulagement.
Les médecins rentrent dans la chambre du malade ou, s'il est trop fatigué,
dans le salon de famille. C'est là surtout que le porte-parole doit s'efforcer
de concilier l'intérêt du patient avec les scrupules de la confraternité. L'igno-
rance du public en médecine rend d'ailleurs la tâche aisée. Ce n'est pas que je
574 DÉONTOLOGIE.
recommande l'exorda banal : « Je partage entièrement l'avis de » Je le trouve
un peu maladroit et de nature à faire soupçonner une divergence. On attend
le seulement d'une pièce connue. Au lieu de proclamer lui-même l'accord, il vaut
mieux amener la famille à le constater comme une conséquence de l'exposé
fait devant elle. Dans cet exposé, on s'appliquera notamment à ne pas laisser
soupçonner une critique du diagnostic antérieurement porté et du traitement
qui s'en est suivi.
Toutefois cette protection du médecin habituel ne doit aller que jusqu'où il
lui convient. Certains auteurs n'hésitent pas à soutenir que, pour lui, la consul-
tation est impérative (Hufeland, je crois, dit inviolable), et qu'il doit l'exécuter
strictement. C'est le plus inacceptable des principes. 11 viole la conscience de
l'homme de l'art et sent un peu son code médical de l'Egypte antique. Un mé-
decin honorable peut bien consentir à prendre un conseil, mais s'obliger à
le suivre, non. Sa responsabilité personnelle domine tout. Il est des cas où
son savoir, son expérience, l'habitude de son client, lui crient que le consultant
se trompe ; il doit déclarer à la famille ouvertement, franchement, l'impossi-
bilité où il se trouve de partager l'opinion de son confrère, et provoquer une
seconde consultation. Si celle-là et d'autres encore lui donnaient tort itérati-
vement et qu'il persistât dans sa conviction, son devoir rigoureux ser;iit de se
retirer provisoirement; mais, comme la pratique des consultations deviendrait
à ce prix bien périlleuse, il peut croire sa responsabilité dégagée et consentir
à surveiller l'emploi de moyens qu'il n'aurait pas approuvés. Je connais une
circonstance dans laquelle le médecin résista à deux consultants successifs de
haute renommée ; le troisième (c'était Andral) lui donna raison, et encore plus
la marche de la maladie, qui finit par devenir caractéristique. Un confrère
aussi distingué qu'honorable, le docteur Riembault, va jusqu'à faire aux droits
du médecin traitant une part bien plus grande encore. Pour lui « le médecin
traitant est l'arbitre unique qui dirige et décide tout » ; étant le mandataire du
malade, il doit présider les réunions de médecins, surveiller l'examen clinique,
recueillir les avis et conseils, décider seul le traitement qui convient. C'est
même lai qui doit faire part à la famille du résultat de la consultation. Il est
bien à craindre que notre confrère ne gâte la part de ce médecin en la rendaut
si large. Il est vrai qu'il s'agit seulement de Saint-Étienne, ainsi que l'indique
le titre de l'opuscule.
L'usage veut que le médecin habituel s'occupe des honoraires du consultant.
Si l'on voulait lui en faire une règle, il sei'ait juste de lui laisser quelque
action sur la fixation de la somme, car, d'une part, ce n'est pas lui toujours
qui a fait appeler le consultant et il n'a contracté envers lui aucune ob'igation ;
et d'autre part, il est avant tout, suivant une expression juste de M. Riembault,
le mandataire de son client, dont il a à sauvegarder les intérêts autant et
plus que ceux d'un confrère. C'est môme son devoir, dans les cas de prétentions
excessives, de se placer entre le malade et le consultant pour protéger le pre-
mier contre 1 âpre té du second.
Enfin, c'est une loi pour le médecin de refuser la continuation de ses soins à
un malade qu'il a vu en consultation avec un confrère. Beaucoup d'auteurs
rappellent cette loi ; mais M. Foissac s'exprime avec une justesse particulière,
en spécifiant que l'indélicatesse est grande surtout quand ce confrère a
ft honoré le consultant de sa confiance. » Des cas, en effet, peuvent se présenter
où la rencontre de deux médecins auprès d'un client a été toute fortuite et
DÉONTOLOGIE. 575
où, l'un d'eux ayant cessé d'être appelé parla famille, l'autre pourrait prendre
sa place en toute se'curité de conscience. 11 ne s'agit plus là que d'un chan-
gement de médecin.
On voit par ce qui précède que la position de médecin ordinaire en face du
consultant n'est pas aussi inférieure et subordonnée qu'on pourrait le croire.
En fait pourtant, il faut bien le reconnaître, le public en juge autrement. Je ne
fais que constater une vérité incontestable, et dont la bonne confraternité des
consultants s'afflige quelquefois elle-même, en disant que tout, dans ces réunions
de médecins, depuis l'inégalité d'influence jusqu'à celle des bonoraires, tend à
amener une dépression profonde et souvent imméritée du médecin traitant. A
cet inconvénient y a-t-il un remède? En 1870, il s'organisa à Paris des con-
férences médicales dont le but général était évidemment de pousser à l'é-
mancipation de la masse des médecins en lui communiquant une vie, profes-
sionnelle et scientifique, indépendante des sociétés officielles. Ces conférences
eurent quelque succès, mais ne furent pas contimiées, pour plus d'une raison.
Je me permis alors d'émettre cet avis que, si les espérances des organisateurs
de l'institution semblaient exagérées, elles étaient du moins dans la nature des
choses. « Les grandes réunions, disais-je, mettent en présence les bons et les
mauvais éléments, l'or et le plomb vil que renferme le corps médical.... Sans
doute on ne redressera pas le faux jugement du monde ; mais ce sera déjà quelque
chose que de le mettre en présence du sentiment public des médecins.... D'un
autre côté, avec de grandes discussions scientifiques, avec la publicité de la
presse, les valeurs du corps médical seraient cotées plus justement, au dehors
comme au dedans, qu'elles ne le sont aujourd'hui. En mettant en lumière leurs
connaissances spéciales, leurs aptitudes diverses, les membres de la conférence
constitueraient un fonds commun de ressources au service tout à la fois de la
science et de la pratique, qui, en les associant à l'œuvre du progrès, les rendrait
aussi plus utiles les uns aux autres, plus indépendants des idoles du public.
En un mot, les conférences pourraient créer, pour une masse actuellement obscure
de confrères, une école de notoriétés; notoriétés au petit pied, si l'on veut, noto-
riétés de quartier comme la force des choses en a créé, qui, sans prétendre
faire échec aux célébrités d'un autre origine, s'y substitueraient souvent avec
moins de péril pour l'égalité confraternelle » {Gaz. hebdomadaire, 1870, p. 449).
Pour achever ce qui concerne les rapports des médecins entre eux, il resterait
à parler de l'Association de secours mutuels et des cercles confraternels. La pre-
mière question a été traitée au mot Association ; la seconde donnera lieu à
quelques remarques.
La fondation de cercles médicaux dans le but de faciliter les rehitions entre con-
frères, de leur apprendre à se mieux connaître, de se renseigner et de se concerter
pour leurs affaires communes, de se procurer les uns aux auti'es des moyens
d'instruction, a été souvent proposée et plusieurs fois tentée. A Paris, elle a
toujours échoué. Pourquoi? C'est qu'une idée, excellente en soi, est une graine
qui ne peut fructifier que dans certains milieux et avec des moyens particuliers
de culture. On a été séduit par l'existence de nombreux cercles, dont beaucoup
sont florissants. Mais, si l'on y regarde de près, on s'apercevra qu'ils ne déposent
guère en faveur d'un projet de cercle médical. En effet, un très-petit nombre
d'entre eux sont professionnels. Les professions qui veulent se créer des centres
de réunion et d'action fondent des Sociétés où l'on discute, dans des assemblées
570 DEONTOLOGIE.
plus ou moins fréquentes, les intérêts communs, et où l'on organise l'assistance
mutuelle. Cela n'a rien de commun avec le cercle, qui est une réunion cos-
mopolite de personnes se recrutant elles-mêmes par élection et se cotisant pour
se procurer en commun un lieu de lecture et de délassements. On est à la fois
membre d'une société et membre de tel ou tel cercle ou club, dont le nom
seul indique le caractère extra-professionnel : Cercle des pommes de terre.
Cercle Montmartre, Cercle du jeu de paume, Cercle des arts, Club de l'uni-
vers, Jocke^j-Club, etc. Même le Cercle du commerce, le Cercle agricole, le
Cercle des chemins de fer, ne peuvent passer pour représenter une profession;
chacun d'eux est né du besoin de défendre des intérêts communs à des protes-
sions multiples. Pourquoi les cercles professionnels vraiment cercles et vrai-
ment professionnels sont-ils si rares? C'est qu'ils seraient, dans la majorité
des cas, plus gênants qu'utiles. Dans toutes les professions qui ne laissent pas
une certaine liberté de temps, surtout la liberté des soirées, on a son journal
ou sa revue et, si l'on sent le besoin de quelque distraction, on aime mieux la
prendre au café voisin, ou chez des amis, que d'aller la chercher plus ou moins
loin, avec la charge d'une cotisation annuelle. Or, de toutes les professions, la
moins libre, la plus tyrannique et la plus capricieuse, est assurément celle de
médecin. Le commerçant le plus en vogue dispose de sa soirée aussi bien que
le moins occupé dès qu'il a fermé sa porte. 11 n'y a pas d'heure réglée de repos
pour le médecin, en sorte que les praticiens les plus éminents seraient ceux
surtout qui feraient défaut au cercle. Parmi les humbles même, il en est qu'ac-
cable une clientèle improductive et qui ne soupirent le soir qu a regagner le
foyer.
Ce n'est pas toute la difficulté. Dans cette immense ville de Paris, oii sera ce
cercle? Quelles séductions offrira-t-il aux confrères venus de Belleville, des
Batignolles ou de la barrière d'Enfer? On comptait sur l'attrait d'une bibliothèque.
Les quatre cinquièmes des médecins de Paris ont assez ou trop de la leur; le
reste dispose de la bibliothèque de la Faculté, de la bibliothèque nationale, de
celle de Sainte-Geneviève; tous ceux qui travaillent font, en outre, partie de
([uelqu'une de ces sociétés de médecine aujourd'hui si nombreuses et si variées.
Quelle sera aussi la capacité des salons du cercle pour le jour où, d'aventure, la
foule des docteurs de Paris viendrait à s'y précipiter? Il est évident que, si
l'on voulait tenter de nouveau l'expérience, il faudrait multiplier les cercles,
en établir un, je suppose, par arrondissement. Mais les médecins de la circon-
scription se contenteront toujours vraisemblablement de leur Société d'arron-
dissement, où l'on ne lit pas de-journaux politiques, où l'on ne joue pas aux
échecs, où l'on ne prend pas de rafraîchissements, mais où l'on échange des
vues et des observations sur toutes les questions scientifiques et professionnelles.
On ne se méprendra pas sur le sens de ces observations. Personne n'apprécie
[dus haut que moi les bienfaits d'une confraternité serrée et agissante; personne
non plus n'est mieux disposé à la servir; mais l'agitation n'est pas le progrès;
les intentions les plus généreuses ne sont que ■vent et fumée, si elles ne sont
pas réglées par le bon sens et la raison, et ce n'est pas trahir les intérêts du
corps que de l'empêcher de se fourvoyer. Je n'ai jamais adhéré aux divers
projets de cercle médical par les raisons que je viens de rappeler, et aussi,
puisque je suis amené à le dire, par la crainte d'une épuration insuffisante. Les
faits ne m'ont pas démenti jusqu'ici; puissent-ils me donner tort dans l'avenir!
DÉONTOLOGIE. 577
Parvenu à la fin de cet article, le souvenir me revient naturellement des
plaintes qu'on a tant de': ois élevées contre l'absence de tout enseignement
déontologique dans les écoles. L'élève, dit-on, quitte les bancs sans une idée
suffisante de la carrière qu'il va parcourir, sans un guide pour s'y diriger. Gtla
est vrai : mais un enseignement officiel de ce genre est-il possible? Est-il même
souhaitable? On ne peut songer à créer une chaire pour un cours qui, devant
être pratique, ne devrait pas occuper plus de quatre on cinq leçons. Le confier
à quelqu'un des professeurs actuels? Qui voudrait s'en charger? Et puis un pro-
fesseur, si habile qu'il soil, n'a fourni, quand les portes de l'école lui ont été
ouvertes, que des garanties de capacité scientifique, et non celles, toutes spé-
ciales et multiples, qu'exigerait ce genre d'enseignement. Tout ce qu'on peut
faire, c'est d'engager ceux des maîtres qui s'y sentent du goût et de l'aptitude à
donner bénévolement leurs conseils, en particulier ou en public, aux élèves
qui sont prêts à commencer l'exercice professionnel. C'est, du reste, ce qu'avait
compris un maître éminent dont les qualités intellectuelles et morales se prê-
taient si bien à ce rôle. M. le professeur Jules Cloquet terminait autrefois son
cours de clinique chirurgicale par trois ou quatre leçons oîi il posait avec esprit,
finesse et sûreté dejugement, les règles de la conduite du médecin dans toutes
les circonstances embarrassantes oii il peut se trouver.
Enfin, puisque j'ai risqué ailleurs la publication d'une pièce de vers résumant
sous une forme simple et brève les principaux devoirs du médecin envers lui-
même et envers ses semblables, je serai assez brave pour demander au lecteur
la permission de la reproduire ici :
LES COMMANDEMENTS DU MÉDECIN
De la Douleur fais une épouse,
Une maîtresse de ton cœur ;
Éiouffe toute voix jalouse
Qui la dispute à ton ardeur;
Va la chercher dans la chaumine,
Ya la chercher dans les salons;
Car elle est belle sous l'hermine,
Plus belle encor sous les haillons.
j Qu'elle attaque le corps ou l'âme,
Qu'elle dise ou taise son nom,
Qu'elle soit pure ou soit infâme.
Dès qu'elle frappe à ta maison,
Ou dès qu'au loin sa voix t'appelle,
Dans ta veille ou dans ton sommeil,
Ouvre vite et \ole près d'elle.
Sous l'étoile ou sous le soleil.
Que tout soit doux dans ta personne,
L'œil, le geste, ainsi que la voix;
Que ta bonté partout rayonne,
Et tu soulageras deux fois.
■¥*¥
Dans la bataille des épées
Et des fusils et des canon?,
A travers les plaines trempées
Du sang tiède des légions,
BICT. ENC. XXYII. 37
578 DÉONTOLOGIE.
Ou sous les flèches invisibles
Qui sillonnent l'air empesté,
Creusant des blessures horribles
Aux enlrailles de la cité,
Toi, soldat de la bienfaisance.
Dans tous les périls lais-toi voir
Avec l'arme de la science
Et sous le drapeau du devoir.
Que la conscience soit l'urne
Où l'on met la cendre des morts;
Dépositaire taciturne
Des maux, des fautes, des remords,
Des chagrins que la maison cèle
Sous le Taux voile de la paix,
D'un sceau sacré qu'elle les scelle.
Pour les garder à tout jamais.
Dans toute famille qui livre
Ses jours intimes à ta foi.
Où va désormais le saint livre
Du foyer s'ouvrir devant toi,
Qu'aucun acte, en nulle rencontre.
Ne déshonore ton crédit;
Ne vois rien que ce qu'on te montre,
N'entends rien que ce qu'on te dit.
Lorsque ton pied des gynécées
Franchit le seuil mystérieux,
Arme de pudeur tes pensées
Comme tes lèvres et tes yeux.
¥*■¥■
Que tu sois juif ou catholique,
Même athée, écoute le vœu
De qui réclame un viatique
Des mains du prêtre de son Dieu.
Des deux parts qui forment le monde,
La richesse et la pauvreté,
-C'est bien souvent dans la seconde
Que la fortune t'a jeté;
Mais, riche ou pauvre, à l'indigence
De tes soins réserve une part ;
Et quand de ta noble science
■On te paira — fût-ce un peu tard.
Mesure le poids à l'épaule ;
Hier bon, sois juste aujourd'hui ;
Tu trahirais ce double rôle
Si tu permettais que celui
Dont le mal a fait la misère,
En payant un trop lourd tribut
DÉOMOLOGIE. [,70
Retrouvât, par un sort contraire,
La misère dans son salut.
Lors, en ta vieillesse sereine,
Nul trésor ne vaudra le tien,
Si ton nom sur la bouche amène
Ces simples mots : Homme de bien!
A. Dechambre.
Bibliographie. — Il faudrait bien des pages de ce Dictionnaire pour contenir la men-
tion de tout ce qui a été écrit sur les qualités et sur les devoirs et droits du médecin.
La liste suivante, avec les indications données au cours de l'article, suffira pour mettre tous
ies éléments de la question sous les yeux du lecteur qui voudra recourir aux textes.
Albertus (M.). De medici officio circa animam in causa sanitatis, ilib. — Dp mèhe. De
voto castilatis niedico, 1750. — .^matus Lusitancs. De iiilroitu medici ad œgrotantem. In
■Curai, medic. centunn' septem. Florence, 1551. — Argenterio. De officiis medici. In Oper.
omn. — Du même. De consultai ionibus medicis. Florent., l.")51. — Bienvenc. Qualite's morales
du médecin. Thèses de Paris, n" 7, 1819. — Bohmerls (J.-L.). De mcdicorum animœ et
corporis in sanandis œgris conjunctione, in-4°. Hall. Magd., 1756. — Bohn. De officia
7nedici. Lips., 1797. — Beïer. De dicterio : novo medico novo opus est sepulcreto. Hal.
1742. — Boyer (de Montpellier). Eist. de la médecine et des médecins dans la société et
leur influence sur le progrès et la civilisation, discours prononce au Congrès scientifique
rfe F;anc<;. Montpellier, 1868. — Urasswolx. De of/icis medicis. Ferrare, 1590. Bulletins
de la Soc. de médecine légale : discussion sur le secret médical, 18t)9. — Browx (Thomas)
De religione medici, in-12, Lugd. Batav., 1644. — Carrarios. De medico et ejus erga œqrum
officio. Ravennœ, 1581. — Castellus (Petr.). De visitatione œgrotantium, in-12, RomîG
1650. — Giiardo-x. Des devoirs du médecin, brocli. in-8°. Paris, 1852. — Ci.addixi (J -C ) De
ingressu ùd infirmas libri duo, etc. Basileae, in-8°, 1612, — Coquelet. Critique de la
charlatanerie, in-8°. Paris, 1726. — Corte (Ilyer.) . Summa medendi met/iodus, in quû
certa visendi œgrotos ratio, in-4°. Vetiet., 1658. — Crome. De conscientiâ medicâ.
Hal., 1872. — Cruveilhier. Sur le devoir du médecin, discours prononcé à la Faculté de
médecine de Paris. In Gaz. méd. de Paris, 1856. — Dol^us. De juvcnis medici ideâ errante
pliilosopkico-medicâ, 1697. — Descdret. Médecine des jJassions, 5» édit., 2 vol. in-8°
1860. — Dethardtxg. De medico temcrario. Rostoch., 1752. — Deusing. De boni medici officio'
Groning., 1C48. — Devay (Francis). Sur la confraternité médicale, discours à la Soc. de
méd. de Lyon, 1854. — Douté. Ergo metu quam audaciâ medicus felicior. Paris 168'^
Dubois (d'Amiens). Traité des études médicales, in-8<'. Paris, 1840. — Ely. Clironique m'e'dic
de l'année 1865, contenant un ctiapitre sur le secret professionnel, 1 vol. in-12. Paris 1804 —
Ett.mulleb (M.). De medico weHdace, in-4°. Lipsiœ, 1709. — Ewaldt. De taciturnitate medici.
Erlord., 1705. — Y,s\)?.\.. De prudentiâ medici in indagandis morborum causis. Erf. 1704 —
Falcoburgo Neomarchicus. De prudcntiâ medicomim, in-4°. Altorf., 1724. — Fischer ^J -A 1
De medici circa moralia et physica in curandis morbis prudentiâ, in^". Erford 1727 —
Dd même. Pr. de prudentiâ medicâ . Erf., 1727. — Foissac. Devoirs professionnels', discours
prononcé à la Soc. médic. du 1" arrondiss. de Paris, 1855. — Foxssagrives. Le couraqe
médical ; discours prononcé à la Fac. de méd. de Montjjellier le 15 février 1866 broch
in-12. Montpellier, 1S06. — Gagliardi. Idea del vero medico fisico e morale. Rorna 1718 —
Gisrorne (Thomas). On tlie Dulies of Pliysicians resuliing from tlieir Profession ~ Gœli'cke
De officio medici circa superstilionem œgroforum. Helmst., 1755. Gouvet 5;/)- / è
qualités les plus nécessaires au médecin. Thèses de Paris, an XIII. Hebenstreit De offi '
medici forensis. Lips., 1748. — Heister. De medico nimis timido, in-4°. Helmstadt 175^
Hexnrger. De officio medici erga animam œgroti. Helmst., 1740. — Hilscherics (S Fin
Suntne fiabiliores ad artem medicam qui imaginatione prœpollent? Paris, 1756 f
De patientia medicorum. Altdorf., 1724. — Joire. Dignité de la profession médic ■ discours
prononcé à l'École de méd. de Lille le 7 déc. 1865. — Kerkaradec (Le Jumeau de). Sur la néces-
sité et la dignité de la médecine, et sur les qualités nécessaires au tnédecin. Th. de Paris'
1809. — LaMettrie(de). Caractères des médecins, d'après Pénélope, in-12°. Paris 1760 —
Lamasa (de). De officio medici. . Franc, ^1 695. — Laxzexus. De medici Ifficio et m,,,,].,..
officio et munere.
■ 1^/ - i- . Jnoncé à la séance
de rentrée de l'Ecole d'Angers, Ibo^. — Lasse (de). De officio medici. Toulouse 1656 —
Ferrarte, 1729. — Laroche. Devoirs et qualités du médecin; discours prononcé à la séance
580 DÉPILATOIRES.
Lfxient. Mol de prudence en matière de médechie par un me'decin hors de 2)^'atique. Nice,
.jj^QO. hnscwml. Qualités morales dumédecin. Thèses de Paris, n° 116, 1821. — Letourneur.
Bar ports du médecin avec la société. Ihèses de Paris, n" 155, 1821. — I.ic.eus. De optimo
medico, in-12. Harlem, 1748. — Linker. De officio medici. Prag., 1G84. — Littletox. De
juramcnto me.dicoruin. Lond., 1003. — Littré. Médecine et médecins, 1 vol. in-12. Formé
d'articles extraits de divers recueils. Paris, 1875. — Louve. De dignitate el officio veri
medici. Dresd., 1085. — Ludolpii. De requisilis medici conscienliosi. Erf., 1724. — Lutheu
(L.-I;.). De sale medico, in-4°. Erford., 1752. — Lutueu (C.-F.-D.). Prœcipuis caulelis
vraxin adeunti juxta clinicos probe attendendis, in-4°, 1733 — Max Simon. Déontolofjie
médicale, 1 vol. iii-8°. Paris, 1845. — Miuakda (de). Dialogus de perfectione el pcntibiis boni
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BIuNARET. Du médecin des villes et du médecin de campagne, 1 vol. in-12. Paris, 1840. —
Wusoco (de). Dissertatio de medico. Patav., 1005. — Naudé. An Uceat medico fallere œgrotos.
Rouen, 1035. — ISeucranz. Idea perfect. medici. Lubeck, 1655. — Papius. De arte meclica....
el veri medici virlulibus. IVesiomoini, 1012. — Patin. Quod oplimus medicus debeat esse^
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joint au Compt. rend, de l'assemblée générale de la Société des médecins du Doubs, du
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Réveillé-Parise. Éludes de l'homme, 2 vol. in-S", contenant un essai de médecine morale.
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Gœtting'., 1752. — Roberg. De ideâ boni medici. Upsal. (Collect. AValler), 1768. — Rodericus a
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4879. — ScouTETTEN. Dcs devoirs et des droits des médecins. Discours lu à la Soc. des se.
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Manuduclio ad medicinam brevis. .\ug. Vindelic, 1706. — Simpson (James-Young). Physician
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cœmeterium. Rasil., 1695. — Steixmetzius. Dejusta medici timiditate, in-4°. Lipsiaî, 1783. —
Stenzel (Ch.-S.). Medicus ab iniquis judiciis vindicaturus, in-4°. 'Vittenb., 1758. — Do
MÊME. Garrulitatem a genuino officio medici alienissimum esse. Witeb., 1743. — Stock
(C.-L.). De temperenlia medicorum, in-4°. Altorf., 1725. — Thiaudière. De l'exercice de la
médecine enprovinceet à la campagne, in-8°. Paris, 1839. — Tiiouvenel de Medonville. Devoirs
jniblics et particuliers du médeciri. Thèse de Paris, 1800. — Tourbes (G.). Secret médical,
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Oral, inaug. Ingolstadt, 1739. — Triller. De officio medici. len., 1701. — Vicq d'Azyr.
Éloges historiques. — Van der Linden. Manuductio ad ^nedicinam, in-12. Lo\anii, 1639. —
Verdo. Le charlatanisme elles charlatans médecins, 1 vol. in-12. Paris, 1807. — Yoigt.
Triniim medicum, id est, de medico, œgroto et adstantibus. Prag., 1708. — Westphal.
Fama isla calamitosa : « fsovi medici, tiova cœmeteria », à medicis junioribus depellilur.
Gryphisw., 1743. — Woeffel. De obligatione medicorum. Erf., 1692. — "Wolffgang-Wedelius.
De officio œgrotantium, in-4"'. lenœ, 1719. A. D.
DÉpiLiVTioiv. Voy. Épilation.
UÉPILATOIRES. VoiJ. Épilatoires.
LŒ (M. A CE ME. NT s. 581
«ÉPLACEMEXT. (PiuKMACii:). MM. Boullay, pharmaciens, ont donné le
nom àQ Méthode par déplacement à un mode particulier de dissolution qui a été
<lccrit à l'article Solution (p. 256). ^'
DÉPLACEME\T DES ORGAMES. Voy. EcTOPIES.
DÉPliACEMEXTS (Chirurgie). La connaissance et l'ctude de laplupartdes
déplacements remontent aux époques les plus reculées de la chirurgie. Aussi
leur histoire compte-t-elle un nombre de travaux considérable, mais seulement
en ce qui concerne chacun d'eux en particulier. Jusqu'ici, en effet, ou n'a guère
cherché à réunir dans le même tableau les caractères communs qu'ils présentent,
les grandes indications thérapeutiques qu'ils réclament ; seul, Maisonneuve les
a envisagés à ce point de vue dans une de ses leçons cliniques.
Il est difficile de faire autre chose que de tracer le cadre d'un groupe patho-
logique si vaste et formé d'éléments si divers, sous peine de s'encombrer de
détails réservés aux articles spéciaux. Cependant, parmi les différents chapitres
que comprend l'hisloiie générale des déplacements, il eu est un, celui du trai-
tement, qui se prête mieux à une étude d'ensemble. Ce traitement appartient
à la variété de la méthode anaplastique que M. Verneuil a nommée anataxie. En
exposant les procédés et les indications de l'anaplastie, il a dû toucher aux
déplacements, et il a ainsi accompli une partie de notre tâche et facilité celle qui
nous reste à remplir. Mais nous aurons à dégager des principes qu'il a formulés
tout ce qui s'applique spécialement à notre sujet, en y ajoutant les particularités
qui auraient inutilement chargé la description de l'anaplastie en général.
Limites on sujet. Définition. 1. Les déplacements constituent un genre
àliéléwtaxie. Ce mot avait été exclusivement employé par les tératologistes pour
désigner certains changements congénitaux de rapports et de situation des
organes (transpositions, anomalies de siège), jusqu'au jour oii M. Verneuil lui a
donné une plus large acception, conforme d'ailleurs à l'étymologie, et justifiée
par les besoins du langage chirurgical.
Sous ce nom, il comprend non-seulement les anomalies congénitales de posi-
tion, transpositions et ectopies, mais encore des lésions accidentelles, caractéri-
sées par un changemeat dans la direction, la situation, les rapports des organes
(luxations, hernies, prolapsus, déviations proprement dites).
L'hétérotaxie, en effet, représente toute une classe d'étals anormaux ou patho-
logiques auxquels la même méthode thérapeutique, l'anaplastie par anataxie,
-est applicable, en vertu de celte loi qui veut que, d'une manière générale, l'art
oppose à une difformité donnée une anaplastie de nom contraire: à une diérèse,
la synthèse; à une exérèse, la prothèse; à une hétérotaxie, l'anataxie.
Mais l'hétérotaxie comprend plusieurs genres. 11 est donc indispensable, avant
d'étudier les déplacements, d'établir nettement leurs limites et de les définir
d'une manière exacte.
1'^ Le mot déplacement signifie, à proprement parler, action de quitter une
place pour en occuper une autre. Celte signification implique l'idée d'un
transport des organes, c'est-à-dire de leur passage d'une position préexistante à
une position accidentelle ;
2" L'idée de lieu, de position, fait naître immédiatement l'idée corrélative de
contiguïté, de rapports des organes entre eux. Tout changement de position
sera donc en même temps un changement de rapports.
582 DÉPLACEMENTS.
A l'aide de ces deux propositions, on distinguera facilement les attributs
respectifs des déplacements et des autres genres d'hétérotaxie.
a. Les transpositions viscérales et les ectopies sont des hétérotaxies, mais non
des déplacements, puisque cette dénomination ne peut s'appliquer à la position
anormale d'un organe qu'autant qu'elle est secondaire, qu'elle a succédé à une
autre. Le cœur, développé d'emblée à droite, et n'ayant jamais eu d'autre situa-
tion, est un viscère transposé, mal placé pour ainsi dire, mais non déplacé.
Quand le testicule, qui parcourt successivement dans sa migration différents
points de l'abdomen, se fixe dans une de ces régions de passage, y a-t-il dépla-
cement? Non, puisqu'il demeure dans un lieu qu'il occupe pour la première
fois. Il n'y a que cette variété d'hétérotaxie congénitale connue sous le nom
d'ectopie.
Les anomalies de position congénitales diffèrent donc essentiellement des dépla-
cements. Ces vices de conformation constituent un premier genre qu'il serait
rationnel d'appeler, pour éviter toute confusion avec les déplacements vrais
congénitaux, hétérotaxies d'emblée ou de développement. En tout cas, ils ne
sauraient conserverie nom à' anomalies par déplacement, trop souvent employé
jusqu'ici, car il a l'inconvénient de se prêter à une extension peu conforme aa
sens qu'on lui attribue.
Le caractère fondamental des déplacements, celui qui seul permet de catégo-
riser des lésions si nombreuses et si variées, c'est leur origine purement et
constamment accidentelle, c'est, en d'autres termes, leur qualité d'états mor-
bides. Aussi bien pendant la vie intra-utérine qu'à n'importe quelle époque de
l'existence ce caractère reste le même, le fœtus étant justiciable de maladies
proprement dites, tout comme de vices ou d'arrêts de développement.
De ce que différentes affections sont contemporaines, ce n'est pas une raison
pour qu'elles aient la même oi'igine, et dire d'une lésion qu'elle est congénitale,
c'est indiquer seulement son âge, et non pas sa nature ; sans compter que cette
épithète est souvent appliquée d'une manière qui s'accorde mal avec sa véritable
signification. C'est ainsi que la hernie vaginale dite congénitale est toujours
postérieure à la naissance, quelquefois même tardive dans son apparition, lien
est de même des luxations congénitales qui, dans certains cas, se développent chez
le nouveau-né, jusque-là absolument indemne de tout déplacement articulaire.
Mais, pour en revenir aux changements de situation véritablement congénitaux,
c'est-à-dire antérieurs à la naissance, ils peuvent être ou ne pas être des dépla-
cements, selon qu'ils succèdent à une malformation primitive ou bien à une
maladie, à un traumatisme, affectant des organes déjà en possession de leurs
rapports normaux. La méningocèlc congénitale est un déplacement, car rien
dans ses causes ne se rattache à un vice de développement des membranes du
cerveau ou des os du crâne; c'est une hydropisie arachnoïdienne, une accumu-
lation de sérosité circonscrite à un point limité de la cavité crânienne, qui
produit par pression une trouée osseuse à travers laquelle la dure-mère, excen-
triquement réfoulée, vient faire saillie au dehors. Par contre, une hernie ombili-
cale congénitale est une hétérotaxie d'emblée, mais non un déplacement,
puisque elle est constituée par des viscères développés hors de l'abdomen, et
simplement restés à demeure dans le lieu où ils se sont primitivement formés.
De telles distinctions, si subtiles qu'elles puissent paraître, ne laissent pas que
d'avoir leur importance lorsqu'on cherche à définir, en pathologie générale, un
groupe de lésions similaires indépendamment des organes qu'elles affectent.
DÉPLACEMENTS. 585
Les déplacements, tels que nous les entendons, c'est-à-dire les changements
accidentels de situation et de rapports des organes, peuvent exister seuls ou
s'accompagner d'un changement concomitant de direction, d'une déviation.
Quand la tête de l'humérus abandonne la cavité glénoïde de l'omoplate, il y a
déplacement de cette extrémité osseuse, et en même temps déviation du membre
supérieur dans un sens ou dans l'autre. Ici, c'est le déplacement qui est le fait
capital et qui régit la déviation, fait secondaire et accessoire. Mais, de leur côté,
les déviations ont souvent leur indépendance, et constituent à elles seules un
état pathologique. Dans la scoliose, il n'y a aucun changement de rapports;
comme à l'état normal, les vertèbres se correspondent entre elles, chacune
conserve ses relations de contiguïté avec ses voisines, avec les côtes, les muscles,
les viscères; seul, l'axe de la colonne est modifié. Au lieu d'être rectiligne, la
tige osseuse est infléchie, elle est déviée; rien n'est déplacé. Un autre exemple
fera mieux ressortir encore les limites respectives des deux genres d'hétérotaxie
que nous cherchons à différencier : un doigt luxé est déplacé, en ce sens que la
cupule de la première phalange a perdu ses rapports avec la tête du métacar-
pien; le même doigt, à la suite d'un rhumatisme, n'est plus parallèle à l'axe
du métacarpien qui le supporte, mais plus ou moins écarté de cet axe et fixé
dans cette nouvelle direction; ce doigt est dévié.
En résumé, si les déviations appartiennent aux hétérotaxies, elles occupent
dans cette classe une place à part, à côté des déplacements, mais sans confusion
possible avec eux.
I. Ces considérations général esétaient nécessaires pour nous permettre de donner
une définition précise des déplacements. Nous savons mahitenant ce que cette
définition doit comprendre; encore faut-il s'exprimer d'une manière telle que la
formule s'adapte à tous les cas indistinctement, même les plus dissemblables
en apparence. Dire que les déplacements sont des difformités par hétérotaxie
accidentelle., c'eût été rappeler en trois mots l'aspect, la nature et la cause de
la plupart de ces états morbides. Mais, si cette définition, séduisante en raison
de sa brièveté, peut être appliquée à un grand nombre de cas, elle ne saurait
l'être à tous : aussi devons-nous y renoncer. Sans doute, un organe ne peut
guère changer de place sans qu'il survienne quelque modification, soit dans
sa forme, soit dans celle des parties qu'il envahit ou qu'il abandonne; et cepen-
dant il est impossible de regarder tous les déplacements comme des difformités.
Devons-nous, par exemple, considérer comme tels les déplacements des organes
profonds, dont l'existence n'est révélée par aucun signe extérieur? Une hernie
diaphragmatique est-elle une difformité? L'utérus abaissé, mais encore renfermé
dans le vagin, ne représente-t-il pas un déplacement pur et simple? La difformité
existe-t-elle avant qu'il ait franchi l'orifice vulvaire? Je sais bien que M. Ver-
neuil n'admet pas cette distinction, ou plutôt n'en tient pas compte dans la
description générale de l'anaplastie, et qu'à l'opération, restauration de la
forme, il oppose la difformité, c'est-à-dire le vice de forme, que celui-ci soit
caché ou apparent. Mais c'est forcer un peu le langage classique, et, si cette
liberté est légitime dans le vaste exposé d'une méthode qui comprend presque
la moitié de la chirurgie, ce serait prêter à la confusion dans une étude plus
restreinte, comme la nôtre, que de ne pas conserver à chaque mot le sens que
l'usage a consacré. D'autre part encore, la forme extérieure est bien souvent
altérée sans qu'il y ait réellement difformité. Ce terme implique en effet
quelque chose d'ancien, d'établi, d'immuable. Un bec-de-lièvre est une diffor-
58i DEPLACEMENTS.
mité; une plaie récente delà lèvre n'en est pas une; au lendemain d'une
luxation, une articulation est déformée, mais non difforme, ce qui est tout autre
chose. La difformité viendra plus tard, quand, en l'absence de réduction, un
travail plastique, fixant les parties dans leur position nouvelle, donnera à la
région un vice de forme définitif et permanent. Il y a entre ces deux espèces
d'états morbides une différence capitale, et celle-là ne saurait être discutée.
M. Verneuil, tout le premier, l'a netlement établie, et il l'a si bien observée
qu'il a décrit sous le nom spécial iïanaplastie préventive celle qui s'applique
aux lésions qui ne sont pas encore des difioimités, mais qui sont susceptibles
d'en engendrer dans un avenir plus ou moins éloigné.
Pour ces raisons, et dans la nécessité où nous sommes de préférer l'exactitude
à la concision, nous définirons les déplacements de la manière suivante : genre
d'hétcrotaxie dans lequel un organe abandonne la position qu'il occupait primi-
tivement.
jNoMEiN'CLATDRE ET VARIÉTÉS DES DÉPLACEMENTS. I, Lc champ dcs déplacements
est extrêmement étendu. Ils peuvent affev^ter les organes passifs et actifs de la
locomotion, les viscères, les organes des sens.
a. Déplacements des organes passifs de la locomotion. Les déplacements
des os dans la contiguïté, ou articulaires, constituent la grande classe des luxa-
tions. On les distingue, en général, d'après le sens dans lequel se porte l'os luxé
par rapport a celui qui reste en place : luxations eu haut ou en bas, en avant ou
en arrière, en dehors ou en dedans. Les déplacements dans la continuité appar-
tiennent aux fractures; ici encore les variétés anatomiques sont nombreuses;
les fragments peuvent se déplacer suivant la direction, la circonférence, l'épais-
seur, la longueur, la distance.
A cette catégorie il faut joindre les déplacements des cartilages, soit adhé-
rents de toutes pièces, comme les cartilages costaux, soit plus ou moins libres,
comme les fibro-cartilages interarticulaires.
b. Déplacements des organes actifs de la locomotion. Beaucoup moins fré-
quents que les précédents, ils ne sont représentés que par les hernies musculaires
et les hixalions des tendons.
c. Déplacements viscéraux. Cette classe comprend des déplacements aussi
nombreux que variés. On y trouve en effet :
Dans ïappareil digestif, les déplacements des gros viscères (foie, rate,
estomac) ; ceux de l'intestin grêle et du gros intestin, de l'épiploon (hernies,
rectocèle, prolapsus du rectum).
Dans ïappareil respiratoire, les hernies du poumon.
Dans V appareil génito-ur inaire, les déplacements du rein ; les hernies de la
vessie, de l'ovaire; la chute et l'inversion de l'utérus.
Dans le système nerveux central, les hernies des méninges et du cerveau.
d. Déplacements des organes des sens. Ils ont pour siège l'appareil de la
vision. Ce sont les hernies de l'iris, les luxations du cristallin, les déplacements
du globe de l'œil dans sa totalité.
JMaisonneuve ajoute à cette nomenclature les déplacements des lèvres et des
paupières. Nous croyons préférable de les ranger dans la classe des déviations,
car ces replis membraneux, qui n'ont de rapports fixes que par leur bord adhé-
rent, changent plus souvent de direction que de place. Le même auteur énumère
encore les déplacements de certains organes, dont nous n'avons pas parlé, tels
que le cœur, les artères et les veines, les ganglions lymphatiques, les neifs, le
DÉPLACEMENTS. 585
larynx et la trachée. Sans doute, chacun d'eux est susceptible de se déplacer;
lorsqu'une tumeur se développe dans leur voisinage, elle peut les repousser au
fur et à mesure de sou accroissement et leur faire abandonner leurs rapports
normaux ; mais ces différents organes ne se déplacent jamais sous une autre
influence. Or, dans ces cas, la cause seule domine, l'effet n'est qu'accessoire.
Ces déplacements n'ont donc pas d'existence individuelle, ils ne constituent
pas à eux seuls un état morbide, eu un mot, ils sont exclusivement symptoma-
tiques. Voilà pourquoi nous ne les avons pas admis dans notre classification, pas
plus que nous ne nous occuperons, dans le cours de cette étude, d'aucune autre
espèce de déplacements de cette nature, quelque organe qu'ils affectent. Les
déplacements symptomatiques, en effet, ne se prêtent pas à une description
générale, et leur liistoire est inséparable de celle des affections dont ils relèvent.
Sans caractère personnel, engendrés par les lésions les plus disparates, illimités
dans leur degré, quelquefois graves par eux-mêmes, souvent insignifiants à côté
de la maladie qui les produit, ils n'offrent entre eux ni point de repère, ni
terme de comparaison. Subordonnés à une cause de voisinage, ils naissent et
disparaissent avec elle ; ils ne réclament aucun traitement qui leur soit propre.
Extirper un néoplasme qui luxe, une articulation ou un goitre qui déjette le
larynx, ponctionner un épanchement pleurétique qui refoule le cœur, ce n'est
pas traiter un déplacement, ce n'est pas faire de l'anataxie, pas plus que ce n'est
opérer un rétrécissement du rectum que d'enlever une tumeur qui comprime ce
conduit.
II. On peut observer, sur le même sujet, un ou plusieurs déplacements, analo-
gues ou dissemblables dans leur siège et dans leur nature. En d'autres termes,
les déplacements sont mono ou poly-régionnaiies. Ceux-ci n'ont d'intérêt que
lorsc[u'ils sont similaires et relèvent d'une même cause, comme les hetnies bila-
térales, les luxations congénitales doubles; autrement, la pluralité des lésions
n'est qu'un effet du hasard, une simple coïncidence qui ne mérite pas de fixer
l'attention.
On dislingue encore les déplacements en mono au pobj-organiques, selon
qu'un ou plusieurs organes changent de situation dans le même temps, dans le
même lieu et sous l'influence d'une même cause. Les déplacements poly-organi-
ques sont de beaucoup les moins fréquents. Ils ne sont guère représentés que
par les eutéro-épiplocèles, la chute de l'utérus accompagnée de cystocèle et de
rectocèle, le prolapsus du rectum compliqué d'une hernie intestinale dans le
cul-de-sac péritonéal.
La division des déplacements en complets et incomplets sert à exprimer la
distance qui sépare la situation accidentelle d'un organe de sa situation primi-
tive; elle mesure l'étendue, le degré du déplacement, selon que les rapports
des parties contiguës sont simplement modifiés ou totalement abolis, que ces
parties correspondent mal, sans s'être absolument abandonnées, ou qu'il n'existe
plus entre elles aucun point de contact. Cette distinction est d'une application
pratique journalière dans le diagnoslic des luxations.
En dehors des déplacements osseux, elle est plus difficile ou même impossible
à établir d'une manière précise, car elle n'est appréciable qu'autant que les
organes déplacés et ceux dont ils s'écartent présentent des points de repère fixes,
invariables, et une consistance telle que leur forme ne change pas en même
temps que leurs rapports. Cependant, en l'absence même de ces conditions, on
peut quelquefois définir assez exactement le degré d'un déplacement en prenant
586 DEPLACEMENTS.
pour jalons les différents points du trajet que l'organe déplacé est susceptible
de parcourir. C'est ainsi que la pointe de hernie, la hernie interstitielle, le
bubonocèle et l'oschéocèle représentent différents degrés de la liernie inguinale,
selon que l'anse intestinale a seulement franchi l'orifice interne du canal
inguinal, occupe l'épaisseur des parois de l'abdomen, fait saillie au pli de l'aine,.
ou, enfin, est descendue dans le scrotum.
11 faut se garder de confondre les déplacements incomplets avec ceux qu'on
peut appeler joor^ze/s. Ce dernier terme, en effet, ne caractérise pas l'étendue
d'un déplacement, mais bien la quantité déplacée d'un organe par rapport à sa
masse totale.
Les déplacements partiels, auxquels appartiennent les espèces les plus com-
munes et les plus importantes de la grande classe des hernies, sont ceux des
viscères dépourvus de consistance, doués de souplesse, d'élasticité, d'extensibi-
lité, susceptibles de pousser en quelque sorte des prolongements en dehors des
cavités qui les renferment, sans que le reste de leur masse subisse aucun chan-
gement de situation. 11 va sans dire, au contraire, que les organes rigides,
comme les os, formés d'un tissu résistant et nettement limités, comme le rein
ou l'utérus, ne peuvent se mouvoir que d'une seule pièce, dans la totalité de
leur substance. Lors même que l'on ne rencontre dans le foyer d'un déplace-
ment, si l'on peut s'exprimer ainsi, ([u'un point limité de leur surface, comme
on l'observe dans les luxations des os longs, l'extrémité opposée n'en subit
pas moins un mouvement de locomotion proportionnel à l'étendue du déplace-
ment. De là résultent, à côté des signes physiques locaux, d'autres signes plus
ou moins éloignés du siège du déplacement, dont la constatation a quelquefois
une grande importance, et qui, naturellement, font absolument défaut dans les
déplacements partiels.
Que faut-il entendre par les expressions si communément employées de dépla-
cements siiHples et de déplacements compliqués? Il est assez difficile d'établir
des limites précises entre ces deux variétés. D'une manière générale, cependant,
on peut dire que les premiers sont uniquement caractérisés par les lésions indis-
pensables à leur production, quelle que soit d'ailleurs l'importance de celles-ci,
depuis le simple relâchement des tissus jusqu'aux solutions de continuité des
parties molles ou des os. Compliqués, au contraire, les déplacements s'accompa-
gnent de lésions plus ou moins graves portant sur les organes du voisinage :
telles sont les plaies, les fractures, la déchirure ou la compression des vaisseaux
et des nerfs, en un mot, tous les désordres occasionnés par une violence supé-
rieure en force ou en étendue à celle qui était nécessaire pour engendrer le
déplacement, ou bien encore par l'organe déplacé lui-même, agissant comme
corps vulnérant sur les parties qui l'entourent. 3Iais, outre ces complications
immédiates, qui sont presque toujours le fait du traumatisme, on peut en
observer d'autres, plus ou moins éloignées et dues à un processus pathologique,
le plus souvent inflammatoire, développé dans l'organe déplacé ou dans les tissus
environnants; de telle sorte que le déplacement en apparence le plus simple peut
devenir dans la suite, quelquefois à une époque tardive, un déplacement com-
pliqué. Les complications, quelles qu'elles soient, aggravent toujours le pro-
nostic et apportent souvent de sérieux obstacles à l'anataxie. Il nous suffira
cependant de les signaler ici, car elles sont si variables et souvent si imprévues
qu'elles ne peuvent guère trouver place dans l'histoire générale des déplace-
ments.
DÉPLACEMENTS.
587
Devons-nous, en terminant cet exposé des principales variétés des déplace-
ments, les distinguer encore en réductibles et irréductibles, comme on le fait
dans la description particulière de quelques-uns d'entre eux?
Nous ne le croyons pas, car ces termes ont une valeur purement convention-
nelle. Pour être appliqués aux déplacements en général, ils devraient posséder
un sens absolu ; il faudrait qu'irréductibilité signifiât impossibilité de la réduc-
tion. Or, il en est tout autrement. Une hernie dite irréductible, par inflammation,
engouement ou étranglement, n'est nullement une hernie impossible à réduire.
Sans doute elle exige plus d'efforts, des moyens spéciaux, mais elle n'est pas au-
dessus des ressources de l'anataxie. A proprement parler, un déplacement ne
peut être qualifié d'irréductible que lorsque l'organe déplacé a perdu droit de
domicile dans son ancienne situation, lorsque la place qu'il a abandoimée est
déformée, rétrécie, oblitérée, de telle sorte que la reconstitution de ses rapports
normaux soit matériellement impraticable.
Étiologie et Pathogénie. I. Les causes des déplacements sontpm//s;josan<<?s
ou efficientes. Leur recherche et l'appréciation exacte de l'ordre auquel elles
appartiennent ne doivent jamais être négligées. Nous verrons, en effet, que
la prépondérance relative des premières ou des secondes n'est pas indifférente
au point de vue de la facilité et du succès définitif de l'anatiuie.
a. Au nombre des causes prédisposantes se placent tout d'abord certaines
conditions anatomiques ou physiologiques, (elles que la situation des organes,
leur /orme, leur consistance, leur mobilité. Les os superficiels sont particulière-
ment exposés aux fractures directes ; la souplesse de l'intestin favorise son
issue à travers les oi'ifices même les plus étroits de l'abdomen; une articulation
se luxe d'autant plus aisément qu'elle jouit de mouvements plus étendus.
A côté de ces causes prédisposantes naturelles, il en est d'autres qui consis-
tent dans des états morbides antérieurs; ce sont de beaucoup les plus nom-
breuses et les plus importantes. On peut les diviser en deux groupes : celles qui
'dépendent de l'organe déplacé lui-même; celles qui dépendent des parties voi-
sines.
Du côté de l'organe déplacé, nous trouvons toutes les modifications qu'il
peut subir dans sa forme, son volume, son poids, sa consistance. Par exemple,
la malformation primitive des surfaces articulaires, leur destruction dans les
tumeurs blanches, favorisent l'abandon réciproque des extrémités osseuses, les
luxations congénitales ou pathologiques; la dilatation de l'estomac ou de la
vessie précède souvent la hernie de ces viscères; l'utérus hypertrophié, le
rectum atteint d'hémorrhoïdes, ont une tendance naturelle au prolapsus ; la
friabilité du tissu osseux chez le vieillard est une cause de fracture pour
certains os.
Du côté des parties voisines, les causes prédisposantes des déplacements con-
sistent dans l'altération des liens qui maintiennent les organes en place, ou dans
l'altération de leurs enveloppes. Les muscles paralysés, les ligaments articu-
laires ou viscéraux affaiblis, allongés, maintiennent moins étroitement les con-
nexions des organes auxquels ils s'insèrent, et ceux-ci jouiront d'une mobilité
anormale d'autant plus grande que le relâchement de leurs moyens de fixité sera
plus considérable. Que les parois d'une cavité splanchnique perdent leur résis-
tance physiologique, qu'elles soient intéressées par une solution de continuité
accidentelle ou que leui"s orifices naturels se relâchent et s'agrandissent, autant
de portes de sortie ouvertes aux organes qu'elles renferment.
588 DÉPLACEMENTS.
Telles sont les principales causes ])ié<lisposanles des iléplacements. Leur
existence n'est pas indispensable, car les causes efficiente? peuvent agir à elles
seules; mais ces dernières, dans bien des cas, demeureraient sans effet, ou du
moins s'exerceraient plus difficilement, si l'organisme n'était déjà préparé à
leur influence, soit par une disposition naturelle, soit par un travail patholo-
gique antérieur.
b. Les causes efficientes sont de deux ordres : elles résident soit dans la
mise en jeu des propriétés physiologiques des tissus et des appareils organiques,
soit dans l'action d'une violence extérieure. Les unes sont donc inhérentes à
l'organisme, les autres lui sont étrangères.
Parmi les premières, la tonicité et la contraction musculaires occupent le
premier rang. La peau et le tissu cellulaire peuvent bien quelquefois prendre
part à la production des déplacements, mais seulement à la suite de lésions
préalables qui les transforment eu tism inoilulaire. Encore la rétractilité des
cicatrices détermine-t-elle bien plus. souvent des déviations que des déplace-
ments. L'influence des muscles a une tout autre importance. Deux surfaces
articulaires sont-elles déformées, leur engrenage est-il détruit? Le corps d'un
os est-il divisé par le trait d'une fracture? La tonicité musculaire, dans sa ten-
dance incessante à rapprocher les deux extrémités des muscles, luxera l'articu-
lation, fera basculer ou chevaucher les fragments osseux.
La tonicité agit avec lenteur, progressivement, jusqu'à ce qu'ellesoit épuisée;
la contraction est brusque, instantanée, elle donne d'emblée toute sa puissance.
La tonicité, à elle seule, ne suffit pas à produire un déplacement; elle a besoin
<lu concours de causes prédisposantes; la contraction peut se passer de tout
auxiliaire. Que la force déployée soit supérieure à l'effet demandé, elle détruit
les rapports les plus étroits, rompt les liens les plus solides; elle fracture un
os, elle luxe une articulation. Les fractures de la rotule, de l'olécrane, du calca-
•néum, n'ont souvent pas d'autre cause ; quelquefois même des os plus volumi-
neux se brisent par un mécanisme analogue. Un mouvement violent peut déter-
miner la luxation de l'épaule, le bâillement celle de la mâchoire.
Dans tous ces cas, l'action musculaire s'exerce directement sur les organes
■qu'elle déplace ; elle peut aussi agir indirectement, comme dans l'effort. Ce phé-
nomène physiologique, en effet, resserre les cavités thoracique et abdominale;
leurs parois contractées compriment les viscères, tendent, pour ainsi dire, à les
exprimer au dehors. Appliqué au déploiement du travail des membres ou à des
actes physiologiques tels que la miction, la défécation, raccouchement, l'effort
intervient dans la production des déplacements avec une fréquence et une énergie
<lont l'histoire des hernies et des prolapsus nous donne journellement la
mesure.
Ajoutons enfin que les muscles, comme l'a justement fait observer Maison-
neuve, sont, en vertu de leur locomotilité spontanée, les seuls organes capables
d'être les agents effectifs de leurs propres déplacements. C'est ce que l'on
observe dans les hernies musculaires, surtout lorsqu'elles n'ont été précédées ni
d'une déchirure, ni d'un amincissement des aponévroses.
Les causes efficientes des déplacements extérieures à l'organisme, c'est-à-dire
les cames traumatiques, sont d'une extrême fréquence. Elles peuvent produire
toute espèce de déplacements; elles déterminent, en particulier, le plus grand
nombre des fractures et des luxations. Ces causes varient à l'infini dans leur
nature et dans leur intensité; leur effet est subordonné à la forme, au volume,
DÉPLACEMliMS. 58»
au poids de l'agent vulncrant, à la violence du traumatisme. De ces conditions
dépendent la présence ou l'absence des complications immédiates dont nous
avons déjà parlé. Au point de vue de leur mécanisme, les causes traumatiques
agissent du-ectement ou par contre-coup. Dans ce dernier cas, le choc imprimé
à l'extrémité d'un organe se transmet, par continuité de tissu, à l'extrémité
opposée, qui seule se déplace. 11 peut même se transmettre d'un organe à un
autre, par contiguïté : c'est ainsi qu'une chute sur la main occasiqnnera aussi
bien une luxation de l'épaule ou une fracture du col de l'humérus qu'une
luxation du coude ou une fracture de l'avant-bras.
Les différentes causes que nous venons de passer en revue ont permis de
diviser les déplacements, d'après leur étiologie, en deux; grandes classes : le&
déplacements traumatiques elles déplacements spontanés, ou, pour mieux dire,
pathologiques. Ces derniers sont encore appelés déplacements graduels, par
opposition à ceux qui succèdent au traumatisme, généralement brusques dans
leur apparition. Cette division classique s'accorde à la majorité des cas. Elle
peut donc être conservée dans le langage usuel, à la condition toutefois de ne
pas lui attribuer une valeur trop absolue; bien des déplacements, en effet, sont
dus à l'association de plusieurs causes différentes, contemporaines ou successives.
Tel organe, préparé en quelque sorte par des lésions antérieures, conser-
vera néanmoins ses rapports jusqu'au moment où il sera déplacé brusquement
par un traumatisme, traumatisme qui, de son côté, eût peut-être été impuis-
sant à déplacer le même organe en l'absence d'altérations préalables. On pour-
rait encore faire observer que les déplacements brusques occasionnés par un
effort ne sont, à proprement parler, ni pathologiques, ni traumatiques ; nous
croyons cependant qu'on peut les assimiler à ces derniers, bien qu'aucune vio-
lence extérieure n'intervienne dans leur production, et qu'il est permis de
considérer un effort violent, une contraction musculaire exagérée, comme de
véritables traumatismes physiologiques.
11. Si variées que soient les causes des déplacements, il est aisé de se rendre
compte que la condition pathogénique essentielle de ces états morbides est
toujours une et identique. En effet, la stabilité des organes est subordonnée à
l'intégrité des divers agents de contention (tissu cellulaire, replis séreux,
aponévroses, ligaments, muscles) qui- les unissent à leurs voisins et limitent
l'étendue de leurs mouvements. Pour (|u'un déplacement se produise, il est donc
indispensable que ces agents perdent leurs propriétés physiologiques, qu'ils
deviennent insuffisants. Quel que soit ledegié de cette insuffisance, sous quelque-
influence qu'elle se développe, son existence est constante, nécessaire; c'est à elle
qu'aboutissent fatalement les procédés étiologiqucs les plus dissemblables.
Aussi la pathogénie des déplacements, extrêmement simple, peut-elle se résumer
en quelques mots, d'une manière applicable à tous les cas sans exception i
affaiblissement temporaire ou permanent, destruction lente ou rapide des moyens
de fixité des organes.
Physiologie pathologique. Les déplacements, quels que soient leur sié^e
ou leurs causes, n'ont aucune tendance à se réduire spontanément. Les organes
déplacés demeurent dans leur situation nouvelle ; ils y contractent des rapports
de jour en jour plus étroits ; ils peuvent même s'y fixer d'une manière telle que
les efforts de l'anataxie soient impuissants à les déloger.
Ce maintien des déplacements peut être dû à la persistance de leurs causes
dans tous les cas où ils sont le résultat d'un processus pathologique dont l'action
590 DÉPLACEMENTS.
est lente et durable. Mais alors même qu'ils se forment brusquement, et que
la cause cesse aussitôt l'effet produit, on voit apparaître successivement divers
phénomènes qui contribuent à assurer leur permanence.
Tout d'abord, ce sont les tissus voisins du siège du déplacement qui, après
avoir été distendus, reviennent sur eux-mêmes en vertu de leur élasticité, et
fixent l'organe déplacé dans sa position accidentelle. Les ligaments allongés,
les orifices élargis, reprennent leurs dimensions primitives; les muscles se
contractent spasmodiquement, et concourent non-seulement à maintenir le
déplacement, mais souvent même à l'augmenter.
Plus tard, un travail de cicatrisation s'empare des parties molles contuses ou
déchirées; à la rétraction physiologique succède une véritable rétraction inodu-
laire. L'irritation, l'inflammation, qui peuvent se développer dans les tissus en
l'absence de toute solution de continuité, aboutissent au même résultat, qui se
traduit toujours par une constriction de plus en plus étroite, par le resserrement
du trajet intermédiaire à l'organe déplacé et à la région qu'il a abandonnée. En
môme temps, la place demeurée vide, se rétrécit peu à peu, se comble, finit par
disparaître. Dès lors la voie de retour est devenue trop étroite, ou bien la posi-
tion à reprendre n'existe plus. De son côté, l'organe déplacé peut subir des
altérations qui le mettent lui-même dans l'impossibilité de regagner son ancien
domicile. Tantôt son volume augmente, soit par une congestion due à la gêne
circulatoire, soit par l'accumulation et la rétention de son contenu, comme dans
les hernies distendues par des gaz ou par des matières; tantôt il devient le
siège d'une inflammation dont la conséquence la plus ordinaire est la formation
d'adhérences qui augmentent l'intimité et la solidité de ses nouveaux rapports.
A un degré plus élevé, l'inflainmalion ou les troubles circulatoires altèrent grave-
ment la nutrition de l'organe déplacé, l'entravent même complètement, au point
qu'il se mortifie et tend à s'éliminer.
L'histoire particulière de chaque espèce de déplacements comporte seule une
étude moins sommaire des différentes causes qui déterminent leur permanence.
Remarquons seulement que ces causes sont de deux ordres, physiologiques ou
pathologiques. Les premières existent seules au début, dans les déplacements
récents. Les secondes, plus tardives, produisent aussi des effets plus durables,
des obstacles plus rebelles. Sans doute, la difficulté de la réduction n'est pas
constamment subordonnée à l'ancienneté des déplacements. Une hernie, par
exemple, peut être d'emblée irréductible. Mais l'exception n'infirme pas la règle,
et nous pouvons dire que, dans l'immense majorité des cas, l'anataxie est d'au-
tant plus difficile que le déplacement est plus âgé.
Signes et diagnostic. I. L'intégrité des rapports normaux des organes est la
condition indispensable de l'harmonie des formes et du libre exercice des fonc-
tions. Altération de la forme, altération de la fonction, telle sera donc d'une
manière générale l'expression symptomatique des déplacements. Ces deux ordres
de phénomènes morbides, qui constituent les signes pfujsiqiies et les signes
ralionneU, sont ordinairement associés ; quelquefois ils se manifestent isolément.
Ils ont pour siège l'organe déplacé lui-même, la région qu'il a abandonnée ou
celle qu'il occupe accidentellement,
a. Les signes physiques se traduisent par deux grands caractères généraux :
saillie au niveau de l'organe déplacé, dépression dans le lieu qu'il a évacué.
Le premier de ces caractères est à peu près constant ; le second fait défaut dans
ia plupart des déplacements viscéraux, non-seulement quand une cavité
DÉPLACEMENTS. 591
splanchnique est invariable dans sa forme, comme le crâne ou le thorax, mais
encore lorsque ses parois sont souples comme celles de l'abdomen. Dans une
luxation de l'e'paule, le moignon est déprime', en même temps que la tête
humérale fait saillie dans l'aisselle ou sous la clavicule; dans une hernie
intestinale, dans la chute du rectum, on constate bien une tumeur formée par
l'oro-ane de'place', mais non un affaissement de la paroi abdominale. A l'encontre
des cas précédents, une dépression peut être quelquefois la seule marque d'un
déplacement; mais le fait est rare, et on ne l'observe guère que dans les
fractures avec enfoncement des os larges, celles du crâne, par exemple. Encore
existe-t-il en réalité une saillie du fragment enfoncé, mais une saillie en dedans,
pour ainsi dire, qui se dérobe à nos moyens d'investigation et ne trahit sa pré-
sence que par des troubles fonctionnels.
S'il est peu de déplacements qui ne se manifestent par l'un ou l'autre des
signes dont nous venons de parler, leur association, on le voit, n'est guère de
rè"\e que dans les solutions de continuité ou de contiguïté des os. Remarquons,
à ce propos, que dans les luxations la saillie anormale la plus accentuée ne
correspond pas toujours à l'extrémité osseuse déplacée, mais qu'elle peut être
constituée par l'os contigu demeuré fixe, dont le relief, inappréciable à l'état
physiologique, se trouve démasqué par l'écartement des surfaces articulaires.
Parmi tous les déplacements, ceux des os tiennent le premier rang par leur fré-
quence: aussi nous sera-t-il permis, même dans une élude générale, de signaler
encore un caractère qui leur est propre, et qui offre une grande importance au
point de vue du diagnostic; nous voulons parler de l'attitude que prennent, dans
les fractures et les luxations des membres, les parties situées en aval du siège
du déplacement. Tantôt c'est un mouvement de rotation, tantôt un allongement
ou un raccourcissement, d'autres fois une déviation. Ces différents cliangements
dans l'axe, la longueur et la direction d'un membre, se combinent souvent entre
€ux; ils peuvent atteindre d'emblée leur maximum d'étendue, ou augmenter
progressivement sous l'influence d'une foz'ce constante comme la pesanteur,
l'élasticité, la tonicité musculaire. L'allongement et le raccourcissement expri-
ment exactement l'abaissement ou l'élévation du point déplacé par rapport au
point fixe ; la déviation se produit toujours dans un sens opposé à celui dans
lequel le déplacement s'est effectué. Son degré varie non-seulement suivant
l'étendue du déplacement, mais encore selon que celui-ci siège plus ou moins
près du tronc. Un membre, en effet, ou un segment de membre dévié, représente
un rayon dont l'extrémité périphérique décrira un arc de cercle d'autant plus
étendu que sa longueur sera pi us considérable.
Les signes physiques fournis par les parties voisines des organes déplacés n'ont
en général rien de caractéristique; seules, les ecchymoses que l'on observe dans
les déplacements traumatiques méritent d'être signalées. De cause externe, et
limitées au point sur lequel a porté la violence extérieure, elles offrent peu
d'intérêt. Il n'en est pas de même lorsqu'elles sont le résultat d'un épanchement
de sang profond qui vient peu à peu se faire jour à l'extérieur. Dans ce cas,
leur siège, leur étendue, la date de leur apparition, constituent souvent d'utiles
éléments de diagnostic.
b. Les signes rationnels ne se manifestent presque jamais isolément, si ce
n'est dans quelques déplacements rares d'organes profondément situés. Dans
l'immense majorité des cas ils sont associés aux signes physiques. Ils se révèlent
par des troubles fonctionnels dont il est bien difficile de donner une vue d'en-
592 DEPLACEMENTS.
semble, car, loin de présenter quelques caractères communs, ils varient forcé-
ment dans leur nature d'un organe à un autre. Remarquons seulement que leur
existence est à peu près constante dans les déplacements des organes de la
locomotion; sans parler de l'impotence des membres due aux solutions de
continuité des os, il n'est guère de luxation qui ne s'accompagne d'une gêne
plus ou moins considérable des mouvements. Les déplacements viscéraux, au
contraire, ne sont pas nécessairement incompatibles avec l'exercice des fonctions
organiques; souvent ils les rendent pénibles, douloureuses, irrégulières; parfois
même ils les entravent complètement, surtout lorsque des complications se
manifestent, mais, enfin, bien souvent ils les respectent. Nous voyons tous les
jours des bernies, même anciennes et non contenues, dont l'existence n'est pa&
un obstacle à la digestion.
Nous savons que, dans les déplacements , les lésions ne sont pas toujours
limitées aux organes déplacés, mais qu'elles peuvent être plus étendues, soit que
la cause primitive agisse en même temps sur les parties adjacentes, soit que
l'organe déplacé lui-même joue à l'égard de celles-ci le rôle de corps vulnérant.
De cette extension des lésions résultent parfois des troubles fonctionnels de
voisinage dont l'appréciation n'est pas à négliger. Parmi les plus importants et
les plus communément observés, nous signalerons les troubles de la circulation
et de l'innervation consécutifs à la contusion, à la compression ou à la décbirure
des vaisseaux et des nerfs.
Quant à la douleur, qu'on peut compter au nombre des signes rationnels, elle
n'a aucune valeur séniéiologique générale. Dans les cas particuliers même, elle
n'offre qu'un intérêt très-médiocre. D'ailleurs, elle n'est pas en réalité le fait
des déplacements, mais bien celui de la maladie ou du traumatisme qui les
causent, ou des complications qui les accompagnent. Dans les déplacements
anciens elle est presque toujours nulle ou insignifiante.
II. Les signes rationnels n'ont qu'uneimportancesecondaireau point de vue du
diagnostic, qui repose presque entièrement sur la constatation des signes phy-
siques. Il va sans dire que cette constatation est d'autant plus aisée que l'organe
déplacé est plus superficiel, plus accessible, par conséquent, à la vue ou au
toucher. Us sont quelquefois si saillants et en même temps si caractéristiques
qu'il suffit presque d'un coup d'œil pour se rendre compte de la lésion. Sans
compter les cas où un organe se montre à nu, comme l'utérus ou le rectum
abaissés, ne reconnaîtra- t-on pas au premier abord une luxation de la mâchoire,
une fracture du radius en dos de fourchette? La déformation peut donc, à elle
seule, être pmthognomonique; malheureusement le fait est rare. Tantôt, en effet,
un déplacement se manifeste par des caractères extérieurs facilement appré-
ciables, mais qui peuvent être confondus avec ceux d'une lésion offrant le même
aspect, présentant le même siège, et pourtant d'une nature toute différente :
c'est ainsi qu'on a pu prendre une hernie pour un bubon, une hypertrophie du
col ou une tumeur fibreuse pour une chute de l'utérus. Tantôt la défor-
mation, quelque accentuée qu'elle soit réellement, est masquée par l'épaisseur
des parties molles, par un gonflement plus ou moins intense, œdémateux ou
inflammatoire. Que l'on songe, par exemple, à ces traumatismes du coude qui
s'accompagnent si rapidement d'une tuméfaction considérable : n'est-ce pas une
exploration profonde qui révélera seule la nature de la lésion? Pourrait-on
affirmer, à l'inspection seule, qu'il s'agit d'une luxation plutôt que d'une fracture,
ou même que d'une simple contusion?
DÉPLACEMENTS. 595
En somme, dans le plus grand nombre des déplacements, les apparences sont
insigniliantes ou trompeuses, et le diagnostic exige l'attention la plus sérieuse,
le concours de tous nos moyens d'investigation, palpation, toucher des orifices
naturels, mensuration, percussion, auscultation. Les déplacements des organes
pairs nous offrent encore une ressource précieuse, à savoir la comparaison du
côté malade avec le côté sain. Bien souvent, enfin, le chirurgien trouvera dans
l'anesthésie un auxiliaire utile ou même inriispensable.
Le diagnostic des déplacements ne consiste pas seulement à reconnaître leur
existence. II serait incomplet, si l'on ne déterminait encore, d'une manière
exacte, la nature de l'organe déplacé, ses rapports avec les parties voisin-^s, les
lésions concomitantes, enfin les causes qui ont produit ou qui maintiennent le
déplacement. Une tumeur existe au pli de l'aine : on s'est assuré qu'il
ne s'agit pas d'une adénite, d'un abcès, mais d'une hernie. Encore faut-il
savoir si elle renferme de l'intestin ou de l'épiploon, si elle est crurale ou
inguinale, directe ou oblique; il faut constater la largeur ou l'étroitesse de
l'anneau abdominal, établir la prépondérance relative des causes prédisposantes
ou efficientes, reconnaître enfin, lorsqu'elle est irréductible, si c'est l'inflamma-
tion ou l'étranglement qui s'oppose à la réduction. Suffit-il de diagnostiquer
une luxition, de ne pas la confondre avec une fracture ou avec une simple
contusion? Non; on examinera encore le sens dans lequel s'est portée l'extrémité
osseuse, l'étendue du changement de ses rapports, c'est-à-dire le degré du dépla-
cement, l'état des parties voisines.
Il en est de même pour toute espèce de déplacements. Un diagnostic pricis
comprend donc des questions multiples, qui toutes doivent être résolues, si l'on
ne veut s'exposer à porter un pronostic hasardé, ou à mal diriger les efforts de
l'anataxie.
Pronostic. Les déplacements envisagés en eux-mêmes, indépendamment
de toute complication immédiate ou tardive, ne compromettent généralement
pas la vie.
Qu'une plaie communique avec le foyer d'une fracture ou d'une luxation,
qu'une hernie s'étrangle, on pourra voir se développer une ostéomyélite, une
ï'rthrite, des accidents d'obstruction intestinale qui emporteront le malade. Mais
ou ne meurt pas jiarce que deux fragments osseux se sont séparés, ni parce
qu'une surfuce articulaire s'est disjointe de sa voisine; la présence d'une anse
intestinale hors de la cavité abdominale n'a rien d'incompatible avec l'existence.
Au point de vue de la mortalité, le pronostic des déplacements est donc
subordonné à leurs complications; mais, lors même que celles-ci n'entrahient
])as une terminaison funeste, elles peuvent toujours être la source d'accidents
plus ou moins graves qui exigeront un traitement plus long, plus difficile ou
plus dangereux.
En dehors de ces cas, les déplacements, même les plus simples, constituent
des lésions contre lesquelles on ne saurait intervenir avec trop de promptitude
et d'énergie. Sans doute, leur gravité varie avec leur nature, leur degré, leur âo-e,
avec l'importance fonctionnelle de l'organe déplacé. Mais, quelles que soient ces
conditions, leur pronostic est toujours sérieux.
Réduits en temps opportun, les déplacements peuvent être suivis d'une gué-
rison durable. Mais combien de fois n'a-t-on pas à craindre une ou plusieurs
récidives, surtout lorsqu'ils sont dus à certaines dispositions organiques vicieuses
qui persistent après la réduction? Et même dans les cas où il ne reconnaît d'autres
lier. ENc. XXVII 58
594 DÉPLACEMENTS.
causes que le traumatisme, un premier déplacement ne prédispose-t-il pas les
organes qu'il atteint à abandonner de nouveau leurs rapports? N'observe-t-on pas,
chez certains sujets, des luxations répétées de la même articulation, qui Unissent
par se reproduire sous l'influence de la cause la plus légère?
Non réduits, les déplacements sont toujours graves, car nous savons qu'ils ont
une tendance fatale à devenir permanents, à produire par conséquent dans un
avenir plus ou moins éloigné des difformités et des infirmités. A ce degré, ils
acquièrent une importance toute spéciale, en raison des altérations physiques et
fonctionnelles qu'ils entretiennent, et de Ja difficulté, quelquefois même de
l'impossibilité qu'on éprouve à y porter remède.
Traitement. Le traitement des déplacements appartient, nous le savons, à
l'anataxie, qui constitue elle-même avec la diérèse, l'exérèse, la [irolhèse et la
synthèse, un des procédés de la grande méthode connue et décrite sous le nom
d'anaplastie.
I. L'anataxie peut être spontanée, c'est-à-dire que l'on voit quelquefois des
organes déplacés reprendre d'eux-mêmes leurs rapports normaux sans l'inter-
vention de l'art. Tantôt c'est la nature elle-même qui opère par la mise en
jeu de propriétés physiques ou physiologiques, telles que la pesanteur, l'élasticité,
la coutraction musculaire; tantôt c'est une cause accidentelle, souvent analogue
à celle qui a produit le déplacement. C'est ainsi qu'un mouvement, un effort invo-
lontaire, un choc imprévu, peuvent ramener une extrémité osseuse luxée à sa
position primitive, même dans les cas où les parties ne sont pas conformées de
manière à se remettre aisément en contact, et où l'action des muscles, loin de
favoriser la réduction, la rend ordinairement plus pénible. Mais les faits de ce
genre, aussi bien dans l'histoire des luxations que dans celle des autres déplace-
ments, sont extrêmement rares. Naturelle ou accidentelle, l'anataxie spontanée
est une exception que la science doit connaître, mais à laquelle la pratique ne
saurait attacher d'importance.
Si la nature n'est pas une ressource pour le malade, elle favorise encore moins
l'œuvre du chirurgien; presque toujours il doit lutter contre elle. Mais il ne
suffit pas de vaincre ses efforts; il faut, dans bien des cas, savoir les diriger, les
rendre d'avance impuissants. N'oublions pas, en effet, que, s'il y a des déplace-
ments à réduire, il y a aussi des déplacements à prévenir. Tel est le cas des
déplacements pathologiques dont une cause préétablie permet de redouter la
formation, dont on peut saisir le début, suivre la marche et, par conséquent,
enrayer les progrès. Il est souvent possible de les éviter; c'est dire qu'il est
toujour^ indiqué de les combattre. Quelquefois il est d'une urgence absolue de
s'opposer à labandon réciproque de deux organes contigus, comme dans le mal
de Pott cervical, où la mort subite peut être déterminée par le chevauchement
des vertèbres et la compression de la moelle. Mais aussi bien, dans les cas d'une
gravité moindre, cette règle de conduite doit être observée. Abandonnée à elle-
même, la nature agit à l'aveugle, elle concourt presque fatalement à la production
des déplacements; maîtrisée, elle cède; elle peut même, d'ennemie qu'elle était,
devenir un auxiliaire utile.
Ce traitement préventif des déplacements graduels a d'autant plus d'impor-
tance que ceux-ci, en vertu même de leurs causes, présentent n'emblée une
tendance à la permanence qui n'appariient pas aux déplacements l»rusijues. Ces
derniers ne deviennent définitifs qu'à la longue; les premiers s'organisi'iit, pour
ainsi dire, au fur et à mesure de leur développement. Aussi, en leur présence,
DÉPLACEMENTS. 595
l'anataxie réduite à ses propres forces est-elle le plus souvent impuissante; elle
doit appeler à son aide d'autres moyens, tels que la diérèse ou l'exérèse, ce qui
rend la reconstitution des rapports normaux des organes à la fois plus difficile et
plus dangereuse.
II. Certains déplacements sont au-dessus des ressources de l'art. Tels sontceux
des organes profondément situés qui se dérobent à nos moyens d'action. Mais,
à part ces cas spéciaux, l'anataxie est presque toujours praticable. Est-ce à dire
qu'elle doive toujours être pratiquée? Étant donné un déplacement quelconque,
faut-il constamment chercher à le réduire? iNon; agir ainsi, ce serait marcher au
hasard vers un résultat incertain et s'exposer à de graves mécomptes.
L'anataxie, en effet, comme tout procédé thérapeutique, a ses indications et
ses contre-indications. S'il est plus facile de les établir nettement en face de
chaque déplacement en particulier que de formuler des principes s'adaptant à
l'ensemble des hétérolaxies accidentelles, il est cependant des règles applicables
à la majorité des cas, et qu'il est bon de ne pas oublier.
D'une manière générale, on peut dire que l'anataxie est indiquée dans tous les
déplacements récents. Nous savons, en effet, qu'il ne faut pas compter sur la
réduction spontanée, et que tout déplacement tend à devenir permanent, à
constituer pour l'avenir une difformité ou une infirmité, le plus souvent même
l'une et l'autre à la fois. En outre, l'anataxie a d'autant plus de chances de
succès qu'elle est pratiquée de meilleure heure; plus elle est hâtive aussi,
plus ses manœuvres sont simples, et partant inoffensives.
L'indication est encore plus urgente toutes les fois qu'un déplacement menace
la vie, soit immédiatement, soit dans un avenir plus ou moins éloigné. Ni l'hé-
sitation ni la temporisation ne sont permises ; il faut agir, quels que puissent
être les dangers inhérents à l'opération, et agir sans retard. On peut poser en
principe qu'on ne doit jamais quitter le malade avant que le déplacement soit
réduit.
Un seul cas fait exception à cette règle : c'est celui oiî l'organe déplacé pré-
sente des altérations capables de se propager dans son ancien milieu ou d'y
occasionner des lésions nouvelles. Par exemple, l'épiploon enflammé, une anse
intestinale gangrenée ou perforée, ne seront jamais réintégrés dans la cavité
abdominale. Ici l'anataxie serait plus grave que le déplacement lui-même. Elle
est formellement interdite.
Quelquefois, enfin, elle échoue malgré tous les efforts. Mieux vaut alors no
pas les prolonger outre mesure, ni surtout les exagérer, mais faire un peu plus
lard de nouvelles tentatives, ou bien renoncer à l'anataxie et avoir recours à un
autre procédé. C'est ainsi qu'on extirpe l'astragale, dans la luxation double de
cet os, lorsqu'on n'a pu parvenir à le remettre en place.
Si nous examinons maintenant la conduite à tenir en présence des déplace-
ments anciens, permanents, des diflbrmités définitives, mais qui ne compro-
mettent pas l'existence, les indications et contre-indications sont beaucoup plus
difficiles et plus délicates à établir. D'une part, en effet, les moyens- simples
qui donnent en général de si bons résultats dans les déplacements récents sont
bien souvent inefficaces, et l'on est obligé de pratiquer des opérations infiniment
plus sérieuses; d'autre part, l'urgence n'existe pas, puisque la vie n'est pas
menacée. Seules, la forme et la fonction sont plus ou moins altérées.
La restauration de la forme n'est que secondaire; à elle seule, elle ne justifie
presque jamais les risques d'une intervention tant soit peu périlleuse. Il n'eu
596 DÉPLACEMENTS.
est pas de même de la fonction. Lorsqu'elle est compromise, à plus forte raison
lorsqu'elle est abolie, le chirurgien est autorisé à agir. Mais dans quelle mesure?
Voilà ce qu'il est impossible de fixer d'une manière précise. La question est
.complexe, et ne peut être résolue par la science seule, car elle met en jeu la
responsabilité personnelle du chirurgien, dont on ne saurait préjuger. Ici, en
effet, il y a plus que des indications locales; il faut encore tenir compte de con-
ditions éloignées, non moins importantes, telles que l'état général du malade,
son désir ou son refus d'être opéré, sa position sociale. Ces conditions varient
d'un individu à l'autre, et il est indispensable de les peser scrupuleusement pour
faire la part respective des bénéfices et des dangers éventuels de l'intervention
chirurgicale. Pour ne parler que de la dernière d'entre elles, quelle n'est pas
sa valeur, si l'on réfléchit que l'utilité du rétablissement d'une fonction est en
raison directe des besoins auxquels elle répond; que la même lésion, qui n'est
chez tel sujet qu'une difformité plus ou moins disgracieuse, prive tel autre de ses
moyens d'existence; quela même opération, par conséquent, peut être chez le pre-
mier une opération de complaisance, et, chez le second, une opération de nécessité?
Nous pourrions développer et appuyer par des exemples ces grands principes qui
doivent toujours guider le chirurgien, mais ce serait refaire une tâche déjà
accomplie : W. Verneuil les a si magistralement exposés, à propos des indications
et des contre-indications générales de l'anaplastie, que nous n'avons rien à
ajouter, même en ce qui concerne les déplacements en particulier.
Rappelons-nous seulement que, dans les déplacements anciens, on ne doit
tenter l'anataxie qu'après s'être assuré que les organes déplacés peuvent reprendre
leur position primitive; en d'autres termes, que leur ancien domicile est encore
vacant. Emploi d'une force souvent considérable, rupture d'adhérences, inci-
sions, débridements, résections, autant de manœuvres que l'anataxie réclame et
que la nécessité justifie, mais seulement durant une certaine période qu'il serait
à la fois dangereux et inutile de franchir. A cet égard l'expérience nous a appris,
pour un bon nombre de déplacements, jusqu'à quelle époque l'anataxie pouvait
être essayée, et le moment où il faut l'abandonner, s'abstenir, ou employer un
autre procédé. Passé un certain temps, par exemple, on ne cherchera plus à
réduire une luxation; non que l'on ne puisse détruire les nouveaux rapports,
mais parce qu'on ne pourra rétablir les anciens ; parce que les surfaces articu-
laires éloignées l'une de l'autre auront subi des modifications telles que tout
rapprochement, toute coaptation sera matériellement impraticable.
On ne sera pas désarmé, puisqu'on aura encore des ressources telles que la
résection, l'établissement d'une pseudarlhrose ; mais elles n'appartiennent plus
à l'anataxie à laquelle on aura dû renoncer. Cette perte du droit de domicile,
pour employer l'expression consacrée, est donc une contre-indication formelle de
l'anataxie; souvent même elle repousse tout autre mode d'intervention. Tel est
le cas de certains déplacements viscéraux, par exemple, des vieilles hernies très-
volumineuses. Il ne reste alors qu'à appliquer un appareil protecteur, qui jouera
vis-à-vis des organes déplacés le rôle des parois dans lesquelles ils étaient primi-
tivement contenus, et les soustraira autant que possible à l'action des violences
extérieures.
En terminant ce court aperçu des indications générales de l'anataxie, n'ou-
blions pas un précepte de la plus haute importance, à savoir qu'il faut être
extrêmement réservé vis-à-tis des déplacements d'origine pathologique, de ceux
qui sont l'effet, le reliquat d'une lésion antérieure actuellement guérie, toutes
DÉPLACEMENTS. 597
les l'ois que celte lésion elle-même a été l'expression d'une diathèse. C'est dans
les cas de ce genre que l'état général du malade doit être considéré avant tout,
et que les indications tirées de l'état des parties ou de la fonction ne viennent
qu'en seconde ligne. C'est alors qu'il faut savoir temporiser, s'abstenir même,
et envisager comme un heureux résultat une guérison obtenue au prix d'une
difformité, plutôt que de s'exposer à réveiller la diathèse par une intervention
prématurée ou inopportune.
III. Les considérations générales qui précèdent nous ont appris que l'anataxie
était parfois impraticable, parfois coiitre-indiquce; que, lorsqu'elle échouait,
enfin, le chirurgien pouvait s'adresser à un autre procédé opératoire. Ces restric-
tions faites, elle n'en reste pas moins la grande méthode curative des déplace-
ments : aussi devons-nous maintenant étudier les moyens dont elle dispose et la
manière de les mettre en œuvre.
L'agent principal de l'anataxie, le plus usuel, qu'on l'emploie seul ou qu'on
lui adjoigne des auxiliaires dont nous parlerons tout à l'heure, c'est la force.
Envisagée dans son mécanisme, la force est directe ou indirecte, suivant
qu'elle agit par pression immédiate, par refoulement, ou bien par une traction,
par im mouvement de bascule s'exerçant sur un point de l'organe déplacé plus
ou moins éloigné du siège du déplacement.
Envisagée dans sa nature, elle est physiologique, manuelle ou mécanique.
La force physiologique est celle qui réside dans les propriétés mêmes des
tissus organiques. Malheureusement, il est bien rare qu'on ait l'occasion de
l'utiliser. Solliciter la contractilité de l'intestin, dans les hernies et les invagi-
nations, par des lavements purgatifs ou irritants, dilater l'irisa l'aide de l'atropine
pour prévenir ou combattre la hernie de cette membrane, telles sont à peu près
ses seules applications.
La force manuelle a une tout autre importance. Bien souvent elle suffit aux
besoins de l'anataxie : aussi doit-on presque toujours l'employer la première, et,
tant qu'elle est assez puissante, il n'est rien qu'on puisse lui préférer. La main,
en effet, est plus qu'une force, c'est une force intelligente, susceptible de décroître
ou d'augmenter, à chaque instant, lentement ou brusquement, suivant la néces-
sité; non-seulement la main agit, elle sent. Sous ses doigts, le chirurgien juge
des progrès de la réduction en même temps qu'il l'opère; il la conduit, il la
dirige; il a conscience de ses efforts, et, ce qui est particulièrement important,
des limites dans lesquelles il doit les contenir.
Mais la force manuelle ne peut dépasser un certain degré, et elle est sujette à
s'épuiser. Son intensité diminue en raison de la durée de son application. Aussi,
lorsqu'on a besoin d'une force considérable et soutenue, il est nécessaire d'em-
ployer les moyens mécaniques. Bandages ou appareils compressifs, poids, bandes
élastiques, poulies, mouifles ou machines spéciales, telles sont les principales
ressources que l'anataxie met en usage pour exercer des pressions ou des tractions
que la main ne saui-ait réaliser. Nous ne pouvons entrer dans le détail de ces
procédés, aussi nombreux que variés; ce serait sortir du cadre de cet article.
Mais, quel que soit celui auquel on s'adresse, il ne faut pas oublier que leur force
est aveugle, et redoubler d'attention pour ne pas dépasser le degré qu'on se
propose d'atteindre. La plupart du temps, heureusement, ce degré peut être
mesuré exactement à l'aide du dynamomètre. C'est en l'ayant constamment sous
les yeux, et en se rappelant en même temps les règles fournies par l'expérience
pour chaque cas particulier, que le chirurgien développera une force utile, sans
598 DÉPLACEMENTS.
aller au delà du but et sans rester en deçà, sans pe'cher par timidité ou par
imprudence.
Ce n'est pas dans une étude de l'ensemble des déplacements qu'il est permis
d'indiquer, même d'une manière approximative, la quantité de force que l'on peut
déployer. Ici, les applications particulières ne peuvent être généralisées. Autant
de variétés dans l'espèce, la nature, le siège, l'âge des déplacements, autant de
degrés dans l'intensité de la force, depuis la simple pression des doigts, suf-
fisante pour réduire une hernie ou refouler l'utérus abaissé, jusqu'aux tractions
de 100 kilogrammes et même davantage, nécessaires à la réduction de certaines
luxations anciennes. Mais, s'il est impossible de déterminer les limites de la force
réclamée par l'anataxie, en revanche on peut établir d'une manière générale les
règles qui doivent en diriger l'emploi. Jamais de violence, tel est le principe
qui dans aucun cas ne souffre d'exception. Quelque grands que soient les
efforts exigés par un déplacement, récent ou ancien, qu'ils soient perçus par la
main ou enregistrés par le dyuanomètre, ni la main ni la machine ne doivent
donner d'en)blée leur maximum de puissance, mais y arriver lentement, progres-
sivement, par degrés successifs; mieux vaut soutenir l'effort que le doubler. Et
quand ce maximum est atteint, il faut savoir s'arrêter. Si l'on n'a obtenu aucun
résultat, on fera une nouvelle tentative, ou l'on s'aidera d'un des moyens auxi-
liaires dont nous parlerons plus loin. Mais qu'on n'insiste pas, qu'on ne cherche
pas à réduire quand même. Ce serait une déplorable pratique. Le taxis forcé u
sans doute l'ait reutrer bien des hernies irréductibles, mais à quel prix? Quelles
sont les conséquences de pareilles manœuvres? La violence est à la fois inutile
pour l'anataxie et dangereuse pour les organes déplacés ou pour ceux qui les
entourent. N'oublions pas, en effet, que la réduction d"un déplacement ne peut
être obtenue qu'au prix d'un déplacement nouveau produit par le chirurgien, et
qu'on ne rend à un organe ses rapports primitifs qu'en détruisant ses rap-
ports accidentels. Or ces derniers sont quelquefois si étroits, ils ont acquis, par
un travail pathologique ou par le temps, une fixité telle qu'en cherchant à
les rompre coule que coûte, à l'aide d'une force brutale, on s'expose à des
désordres graves, souvent même d'une gravité supérieure à celle de la lésion
primitive.
J'ai dit que l'emploi delà force dans l'anataxie réclamait souvent des moyens
auxiliaires sans lesquels elle demeurerait inelficace, quelle que fût d'ailleurs
son intensité. Qu'un organe déplacé ait augmenté de volume, qu'il ait contracté
des adhérences résistantes dans sa nouvelle situation, ou que la voie qu'il a
suivie soit devenue trop étroite pour qu'il puisse la parcourir en sens inverse,
tous les efforts du chirurgien demeureront stériles, s'il ne s'applique tout d'abord
à détruire ces obstacles, d'autant plus insurmontables, en général, que le dépla-
cement est plus ancien.
Par une position convenable, destinée à favoriser ou à combattre l'action de
la pesanteur ; par la compression ou les massages, par le froid ou les astringents,
par les antiphlogistiques locaux ou généraux, par des ponctions ou des scarifica-
tions, on diminuera la tension, la congestion, l'inflammation de l'organe déplacé.
Si ce traitement préparatoire facilite souvent la réduction, il estrare qu'elle s'opère
sous son influence seule. 11 faut savoir cependant qu'il en est ainsi dans quel-
ques cas ; on voit, par exemple, de grosses hernies enflammées rentrer d'elles-
mêmes grâce au décubitus dorsal, à l'élévation des bourses, aux onctions mer-
curielles et aux cataplasmes, alors qu'une intervention active, à main nue ou
DÉPLACEMENTS. 599
armée, eût été une faute capable d'entraîner les plus graves conséquences.
Quand les moyens précédents sont contre-indiquésou inapplicables, quand ils
ont éclioué ou qu'on les juge d'emblée insuftisants, c'est à l'instrument tranchant
qu'il faut avoir recours. C'est le bistouri qui agrandira un orifice inextensible,
qui disséquera des adhérences, qui sectionnera des brides cicatricielles, des liga-
ments, des tendons, en un mot, qui détruira les obstacles qu'on n'aura pu tour-
ner. Dans certains cas, on a l'aviintage de pouvoir employer la méthode sous-
cutanée ; d'autres fois il faut opérer à ciel ouvert ; on ne manquera pas alors de
s'entourer de toutes les précautions de !a méthode antiseptique.
A côté de ces auxiliaires purement locaux et dont l'indication est variable,
l'anataxie possède encore un auxiliaire général, commun à tous les cas,
et de la plus haute efticacité : je veux parler de l'anesthésie. Aussitôt que des
tentatives modérées de réduction sont demeurées sans effet, elle devient indispen-
sable. Elle paralyse la résistance physiologique des tissus, elle met le malade
dans l'impossibihté de se défendre, de lutter même malgré lui, quels que soient
sa volonté et son courage. On employait autrefois la saignée, les narcotiques ;
aujourd'hui nous avons le ch'oroforme, qui procure un relâchement plus complet,
en même temps qu'il supprime la douleur. Le premier de ces bénéfices est de
beaucoup le plus important dans tous les cas où il y a une grande résistance à
vaincre, où une force considérable et soutenue est nécessaire ; le second l'em-
porte, au contraire, dans les opérations souglantes préliminaires qui préviennent
les efforts du chirurgien, mais augmentent les souffrances du patient. L'emploi
du chloroforme dans l'anataxie doit êtie entouré des plus grandes précautions ;
son administration réclame plus que dans toute autre circonstance la surveil-
lance la plus attentive, car pour obtenir un résultat utile il faut aller jusqu'à
la période de résolution absolue. Il suffit de jeter un coup d'oeil sur la liste des
accidents causés par l'anesthésie pour constater que c'est dans la réduction des
déplacements qu'on a eu lé plus de morts à déplorer.
IV. Lorsqu'un organe déplacé a été ramené à sa position primitive, lorsqu'il a
repris ses rapports normaux, le chirurgien ne doit pas considérer son œuvre
comme terminée; loin de là, il n'a accompli qu'une partie de sa tâche : il ne
suffit pas, en effet, de réduire, il faut maintenir la réduction.
D'une manière générale, comme l'a très-bien fait observer Maisonneuve, « la
difficulté de la contention dans les déplacements est en raison directe de l'énergie
des causes prédisposantes, et inverse de celle des causes efficientes. » Quand le
relâchement des tissus, l'agrandissement d'un orifice, sont tels qu'un organe
puisse au moindre effort abandonner sa position primitive, il peut la reprendre
aisément, mais il peut tout aussi bien la quitter de nouveau. Lorsque, au contraire,
un déplacement ne s'opère qu'au prix d'une violence plus ou moins considérable,
il faut sans doute plus d'efforts pour le réduire, mais, en revanche, il n'a plus
aucune tendance à récidiver. Aussi peut-on ajouter à la proposition si juste de
Maisonneuve ce corollaire : Anataxie facile, contention difficile, et réciproque-
ment.
Dans les luxations, par exemple, une fois la réduction obtenue, la guérison
peut être considérée comme définitive. Il suffit d'immobiliser l'articulation pen-
dant le temps nécessaire à la cicatrisation des liens déchirés et à la prophylaxie
des complications inûammatoires, puis de pratiquer peu à peu un exercice
rationnel en vue du rétablissement delà fonction. Et le résultat est d'autant plus
certain que les surfaces articulaires présentent une disposition plus compliquée,
600 DÉPORTATION.
qu'elles s'engrènent plus étroitement entr elles, telles sont les trochlées com-
parées aux éiiarthroses.
Le rôle du chirurgien n'est plus aussi simple en face des déplacements qui,
en vertu même de leurs causes, sont fatalement sujets à récidive. Dans ces cas
où la nature est impuissante, son devoir est d'intervenir, mais comment? Ici,
deux indications se présentent: ou bien instituer un traitement palliatif, c'est-
à-dire maintenir la réduction à l'aide d'un appai'eil, dont l'application perma-
nente répondra seule de la contention du déplacement; ou bien chercher à
obtenir un résultat durable et faire appel à la médecine opératoire pour créer à
l'organe déplacé une barrière artificielle qu'il ne puisse franchir. C'est ainsi que,
dans les hernies, on se bornera à appliquer un bandage ou qu'on tentera la cure
radicale ; que, dans la chute de l'utérus, on soutiendra ce viscère à l'aide d'un
pessaire, ou que l'on en préviendra l'abaissement en accolant les parois du vagin.
Lequel de ces deux modes de traitement mérite la préférence? A cela il est
bien difficile de répondre d'une manière précise, et nous ne pourrions que
répéter ici ce que nous avons dit à propos des indications générales de l'anataxie.
Qu'il s'agisse de réduire un déplacement ou de maintenir la réduction, les consi-
dérations dont il faut tenir compte pour admettre ou rejeter une intervention
armée sont identiques. C'est la même question d'opportunité, de jugement, de
comparaison entre les bénéfices et les dangers de l'opération. Si l'opinion est
faite sur certains points, sur d'autres elle ne saurait être fixée d'avance. Pour
nous en tenir aux exemples que nous citions tout à l'heure, il est bien certain
que la cure radicale des hernies ne doit être tentée que tout à fait exceptionnel-
lement, et que, dans l'immense majorité des cas, on doit préférer l'application
d'un bandage bien fait aux risques d'une opération périlleuse. Mais, dans la chute
de l'utérus, faut-il aussi s'en tenir constamment aux pessaires ? Non, car ils sont
souvent une cause de gêne ou de douleurs, ils sont incommodes on répugnants.
Que faut-il donc faire? Pratiquer l'épisiorrhaphie ou l'élytrorrhaphie, rétrécir la
vulve ou le vagin? Soit; mais alors la question se complique d'un nouvel élé-
ment, car le maintien de la réduction ne peut être obtenu qu'au prix de l'abo-
lition d'une fonction, celle du conduit vulvo-utérin, et telle opération qui
sera justifiée chez une femme âgée ne le sera pas chez celle qui n'a pas dépassé
la I ériode de la menstruation et des rapports sexuels.
Nous pourrions poursuivre cette discussion, la soutenir par de nouveaux faits,
mais ce serait sortir de notre catire pour arriver à la même conclusion, à savoir
qu'il est impossible d'établir un parallèle général entre le traitement curatif et
le traitement palliatif des déplacements, et d'en fixer la valeur relative. Les
indications, en effet, varient non-seulement suivant l'espèce de ces états morbides,
miiis encore, dans la même espèce, d'un malade à un autre. Aussi ne sauraient-
elles être établies utilement, et avec tout le développement qu'elles comportent,
si ce n'est dans les articles consacrés à chaque déplacement en particulier.
G. HUMBERX.
Bibliographie. — Maisonseove. Des déplacements, clinique chirurgicale, t. I. Paris, 1865
voy. Anaplastie, Anataxie, Déviations). G. H.
DE POIS, ou LE POIS, en latin ?iso. Voy. l'article Le Pois (Les).
DÉPORTATiox. Voy. PÉNITENTIAIRE [Système).
DE PRÉ. 601
DÉPOSITIOIV. Ce qui concerne la déposition du médecin expert devant ia
justice se trouve à l'article Médecine légale, p. 708. D.
DÉPOTOIRS. Voy. Fosses d'aisances et Vidanges.
DEPPiîMG (Georges-Bernard). Né à Munster, le 13 mai ilSi, fit ses études
au Gymnase de cette ville, puis se rendit à Paris en 1803, accompagnant un
émigré français et dans le seul but de visiter la capitale, mais il s'y fixa tout à
fait et se fit naturaliser en 1 827. Érudit laborieux, il avait étudié la linguistique,
l'archéologie, la médecine, et a publié de nombreux travaux littéraires. 11
mourut à Paris, le 5 septembre 1855. Nous devons citer de lui les ouvrages
ci-après :
I. La vaccine combattue dans les pays où elle a pris naissance; traduction de trois
ouvrages anglais : 1. De l'inefficacité et des dangers de la vaccine, par W. Rowlf.y ; 2. Dis-
ciissioiï historique et critique sur la vaccine, par Moseley ; 3. Observations sur V inoculation
variolique, par U. Squirrel. Paris, 1807, in-8°. — II. Description de l'hôpital à Londres,
d'après Fbank. In Ann. de l'architecture et des arts. Paris, 1808, n° 1. — III. Der Arzt
und Missionar Van der Kemp. In Morgenblatt, 1814, n" 207. A. D.
DEPRÉ (Johann-Friederich). Médecin allemand, né à Mayence, dans la se-
conde moitié du dix-septième siècle, entra dans l'ordre des Jésuites. Son noviciat
terminé, il enseigna pendant cinq ans à Erfiirt et à Wurtzbourg, puis pas!^a dans
l'ordre des Augustins, qu'il ne tarda pas à quitter pour se livrer à l'étude de la
médecine. Il passa à Erfurt tn 1701 et y fut reçu docteur l'année suivante.
Après avoir exercé l'art de guérir à Erfurt avec succès pendant plusieurs années,
il se rendit à Neustadt, dans le Palatinat, où il fut nommé médecin pensionné,
puis en 1717 revint à Erfurt occuper la chaire d'anatomie, de botanique et de
chimie, devenue vacante par la mort d'Eysel. L'électeur de Mayence lui conféra,
en 1822, le titre de conseiller, et deux ans après l'appela auprès de lui, en lui
laissant la jouissance de toutes ses places. Depré mourut à Mayence le 22 oc-
tobre 1727, laissant :
I. Diss. de morbis archealibus seu haeredilariis infausto sub sidère natis. Erford., 1702,
in-4°. — II. Diss. de mutalione medica aeris alieni. Erl'ord., 1717, in-4''. — III. Diss. de
régna vegetabili morborum curandorum principe . Erford., 1717, in-4°. — lY. Diss de noxio
nutricum minislerio. Erford., 1717, in-4°. — V. Diss. de sententia pei-vulgala, quod omnium
morborum origo sit in ventriculo. Erford., 1718, in-4°. — VI. Theoria morborum congruorum
cum annexa Iherapia generali fondamentis phfisico-mechanicis superstructa. Erford., 1718,
in-4°. — VII. Diss. de primis secundarum curarum principiis et sanioris longiorisque vitae
fundamentis, fundatis in diaeta. Erford., 171^, in-4°. — VIII. Diss. de aegro ulcère auris
laborante. Erford., 1718, in-4°. — IX. Diss. de perpeluo mobili moris rubrimicrocosmici,
seu de sanguine purpurato, fluidorum principe, trford., 1718, in-4°. — X. Diss. de diaeta
nonnumquam salulariter neglecta et negligenda. Erford. , 1718, in-4''. — XI. Diss. dechlorosi.
Erford., 1719, in-4'>. — XII. Diss. de machina micracosmica per motum animata. Ertbrd.,
1719, in-4°. — XIII. Diss. de arthritico doloribus vagis gravissimis liberalo. Erford., 1719,
in-4°. — XIV. Uiss. de vomitoriorum usu et abusu. Erford., 1719, in-4°. — XV. Diss. de
phlhisi pulmonari sauciatorum. Erford., 1719, in-4°. — XVI. Diss. de arundine saccharica,
vom Zucker-Rohr. Erford, 1719, in 4°. — XVII. Diss. de hœmoptysi. Erford., 1719, in-4°. —
XVIII. — Diss. de inelaphoi-a medica, seu Iranslalione morborum, von Ueberlragung und
Ueberpflanzung der Krankheitcn. Erford., 1720, in-4°. — XIX. — Dis", de quinta essentia
regni vegetabilis, seu de melle, vom Honig. Erford, 1720, in-4"'. — XX. Diss. de analogia
inter primam et uUimam aetatem in statu sano. Erford., 1720, in-4°. — XXI. Diss. de confi-
dentia in medicum. Erford, 1720, in-4°. —XXII. Diss. deerysipelate. Erford., 1720,in-4°. —
XXIII. Diss. de usu et abusu amulelarum. Erford., 1720, 10-4°. — XXIV. Diss. de lienteria.
Erford., 1720, in-4"'. — XXV. Diss. de denfitione difftcili, varia lis et rubeolis, tanquam tribus
morborum classibus superandis infantibus. Erford., 1720, in-4'. — XXVI. Diss. de usu et
602 DÉPRESSOIR.
abusu spirifus vini. Erford., 1720, in-4°. — XXVII. Diss. de acrimonia acutamagis acciden-
tali universaliler resoluta. Erford., 1721, in-4°. — XXVIII. Z>«s. de iclero. Erford., 1721,
in-4<>. — XXIX. Diss. de lahoratorin nalurae et artis. Erford, 1721, in-4». — XXX. Dm. de
hœmorrhagiis in génère. Erford., 1721, in-4°. —XXXI. Diss. de calaleplico afieclu. Erford.,
1721, in-4°. — XXXII. Diss. de cephalalgia. là'ford., 1722, in-4°. — XXXIU. Diss. de erroti-
bus formularum. Erford., 1722, in-4». — XXXIV. Diss. de hyperemesi. Erford., 1722, in-4°. -
XXXY. Diss. de phlhisi. Erford., 172 ', m-^". — XXXYI. Diss. de millepedibus, (ormicis et
lumbricis lerrestribus, gualemusum haecinseclahabeantinmedicina Erford., 1722, iii-4°. —
XXXVII. Diss. debahamo Euangelico Samaritano. Eiford., 1725, in-4°. — XXXVUI. Diss. de
diabète. Erford., 1723, in-4». — XXXIX. Diss. de sali bus acidis. Erford., 1723, \n-i\ ~
XL. Diss. de hemlcrania periodica . Erlord., 1723, in 4°. — XLI. Diss. de o/ficw lactantium.
Erford., 1723, in-4''. — XLII. Diss. de purpura puerperarum. Erfoid., 1724, in-4°. —
XLHI. Diss. de purgantibus in diebus canicularibus caute daiidis. Erford., 1724, in-4°. —
XLIV. Diss. de eo quod citiiis moriantiir obesi g uam graciles. Erford., 1724, iii-4°. —
XLV. Diss. desaitu nalurae. Erford., I'î2i, in-4°. — XLVI. Diss. de lempore, quando et quare
movendum in jnorbis. Erlord., 1725, iu-4°. — XLVII. Diss. de valeludine senum. Erford.,
1725. in-4''. — XLVIII. Diss. de nephrilidis palhologia et llierapia. Erford., 1725, in-4". —
XLIX. Diss. de haemorrhagiis naluralibus juxla intentionem nalurae prudentia médita
dirigendis. Erford., 1725, in-4°. — L. Diss. de genuina vcrminationis indole el llierapia.
Erlord., 1725, 111-4". — LI. Diss. delaclis progenie, caseoalque bulyro. Evford., 1725,in-4°.—
LU. Diss. de calcula microcosmico in génère et in specie spectalo. Erford., 1726, in-4°. —
LUI. Diss. de vulneribus. Erford., 1720, in-4'. — LIV. Diss. de vulneribus in génère per se
el per accidens centingentibus. Erford., 1726, in-4°. — LV. Diss. de magno remédia fliixus
haemorrhoidales ad vilam sanam et longam. Erford., 1726, in-4">. — LVI. Diss. de erroribm
circa salivationem mercurialem. Erford., 1720, in-i°. — LVII. Diss. de febri tertiana inter-
milteiite. Erford., 1727, in-4°. — LVllI. Diss. de chlorosi. Erford., 1727, in-4°. — LIX. Disk
deapktilis. Erford., 1727, in-4''. — LX. Diss. de febre epheinera ejusdemque exislentia,
essentia el Uurapia. Erford., 1727, in-4°. — LXI. Diss. de angina. Erford, 1727, iii-4°. —
LXll. Diss. de melaticholia /(?/.s<er/ca. Erford., 1727, in-4°.— LXIII. Diss. de inflammalionum
theoriaet llierapia. Erfort, 1727, in-4°. L. Hs.
DÈPRESSEL'BS. 1. Anatoniie. Nerfs dépresseur S, modérateurs, de relâ-
chement, d'arrêt {voy. PiNEUMOGASiRiQUE et Vaso-moteurs).
II. Chirurgie. On a donné le nom de dépresseurs à certains instrumenta
destinés à exercer une pression sur les tissus de manière à les refouler, à
agrandir un canal ou l'entrée d'une cavité. Les sondes mêmes laissées quelque
temps à demeure sont des instruments de dépression. On peut augmenter et
localiser leur effet par l'introduction de mandrins rigides et étroits dans des
sondes flexibles préalablement engagées dans la vessie : on déprime ainsi la
paroi postérieure du canal et du col vésical. On a imaginé pour cela des man-
drins courbes, mais susceptibles de se redresser une fois introduits dans la
vessie. Jlercier a inventé un instrument spécial, appelé dépresseur prostatique,
formé de deux tiges d'acier dont l'une peut être écartée de l'autre et tixée dans
cette position par un mécanisme particulier. Si alors on tire l'instrument à soi,
cette branche déprime fortement el agrandit le col de la vessie {voy. Prostate,
Vessie). û.
DÉPRES$iOi\. Diminution des forces physiques, intellectuelles ou morales
{voy. Folie, Forces).
DÉPRESi^OiR. Cet instrument, appelé aussi méningo-phylax (de pjvty?,
membrane, et cpu>«?, gardien, prolecteur), est aujourd'hui inusité. Il se compose
d'une tige arrondie, montée sur un manche de bois. On s'en servait pour intro-
duire, après l'opération du trépan, entre le crâne et la dure-mère, le petit
disque de linge appelé siudon, et quelquefois pour presser sur la dure-mère elle-
DÉPURATION. fi03
même, pendant l'expiration, afin de faciliter l'écoulement du pus ou du sang
épanché. '^•
DÉPUKATIOJV. Quand on parcourt les livres de médecine des siècles
derniers, et qu'on s'y retrouve en plein galénisme, au milieu des acrimonies,
des cacochvmies et des putridités, on éprouve une sorte de dégoût et l'on est
tenté de rompre absolument avec cette soi te de cuisine nosologique. On n'est
Tuère plus satisfait parles Ihéories plus savantes, plus expérimentales de la chi-
miâti-ie proprement dite. On ne réiléchit pas assez que la plupart des idées
mères sur lesquelles a vécu la médecine de l'antiquité avaient leur source dans
une observation exacte de la nature et reposaient sur un fond où il n'y avait
d'imaginaire que l'explication théorique, il en est ainsi en particulier de la
dépuration, dont la destinée a subi bien des chances diverses depuis Ili|)pocrate,
mais ne s'est jamais perdue. Or, à l'époque même ovi son crédit est plus déprécié
que jamais, nous croyons que la même science qui l'a ruinée est appelée à la
relever de ses propres mains. Le mot Dépuration ne désignera plus les mêmes
choses, il aura une autre signification pratique et théorique, mais il exprimera
avec quelque justesse un ordre de faits et de principes conformes celte fois aux
données les mieux établies de la physiologie conune aux tendances les plus
légitimes de la thérapeutique.
Prenons d'abord la chimiàtrie et voyons-la chez son représentant le plus complet,
chez Sylvius. Pour lui, l'acte digestif est une fermentation ; les ferments sont la
salive, le suc pancréatique et la bile L'acidité ou l'alcalescence des humeurs, du
sang surtout, sont la raison chimique de leur àcreté, et un sang acre, une bile
acre mêlée au sang, portent le trouble dans la santé. Nous écartons à dessein les
applications fausses et bizarres d'un s\stème exclusif, où les solides ne jouent
plus de rôle sérieux. Mais l'idée même de ce système est-elle en soi si déraison-
nable? Il n'est rien qui soit plus à l'ordre du jour que les ferments digestifs,
rien qui soit mieux démontré que les états cachectiques produits par une mau-
vaise élaboration des aliments. Que la science moderne ne soit pas encore assez
avancée pour mettre en évidence, dans les liquides ou les solides, les caractères
chimiques spéciaux de ces cacolrophies par vice de digestion, ce n'est pas contes-
table, mais le praticien les constate par un grand nombre de symptômes et de
lésions, que font disparaître de simjdes moyens de diète générale et de régime
alimentaire, dont l'effet peut être facilité d'ailleurs par l'emploi des remèdes
amers, laxatifs ou sudorifiques.
Le sang peut-il être acide, ou trop alcalin? Ici encore la chimie de nos jours
est insuffisante. Elle peut déterminer la proportion des principes alcalins con-
tenus dans une quantité donnée de liquide sanguin; elle peut également y
reconnaître des proportions diverses d'acide phosphorique, d'acide sulfurique,
d'acide carbonique. Voilà déjà, bien que le sang total donne toujours une réac-
tion alcaline, une première constalation matéiielle favorable à la chimiàtrie. La
physiologie de la nutrition, c'est-à-dire la notion des états successifs par lesquels
passe la matière alimentaire avant de s'incorporer à l'organisme et le mécanisme
de cette incorporation, la pathologie dans ses rapports avec le trouble des
actes nutritifs lui apportent de remarquables confirmations. Le sang reçoit des
acides résultant des réactions chimiques de la nutrition; des acides se forment
dans hîs tissus mêmes; les uns et les antres doivent être éliminés ou subir un
degré supérieur d'oxydation ; que cette élimination n'ait pas lieu par les émonc-
604 DÉPURATION.
toires ordinnires, par la peau, par les voies urinaires, par l'intestin; que cette
oxydation reste insuffisante, et il s'établit une dyscrasie acide que la pathologie
accuse de la façon la plus claire. La chaux ou ne se forme plus , ou est reprise
par les acides dans le tissu osseux : de là l'ostéomalacie qui donne une réaction
acide ; ou bien c'est l'acide phosphorique qui ne se forme pas ou ne se fixe pas
eu quantité normale sur les os. L'oxalurie est une maladie connue; il y a
de l'acide oxalique dans le sang des goutteux. On sait que dans certaines
maladies la quantité des acides éliminés augmente notablement, comme on
peut s'en assurer par l'examen des urines, de la sueur, des produits de l'ex-
piration. Ils peuvent y être en assez grande quantité pour que l'odeur seule
des sécrétions suffise à en accuser la présence. Toutes ces conditions morbides
donnent lieu à des indications formelles, et ce sont, pour la plupart, de véri-
tables indications de chimiàtrie, tendant à prévenir la formation des acides
en excès, ou à les neutraliser avec des bases alcalines, ou à les éliminer de
l'économie, ou enfin à fournir à l'économie en grande quantité les principes
qui détruisent en elle une acidification exagérée. Le tout, bien entendu, sous
réserve du traitement approprié aux causes premières de tout le désordre, si
elles peuvent être discernées.
La glycosurie est dans le même cas. Elle est en réalité, quelle que soit sou
origine, le résultat direct d'un vice d'action chimique. Le sucre s'est formé en
trop grande quantité pour être consommé dans l'organisme; ou, formé en quan-
tité normale, il n'a pas subi, de la part d'un organisme malade , les métamor-
phoses nécessaires et ne s'est pas assimilé; ou encore, suivant une autre théorie,
il provient d'une désassimilation de tissus renfermant de la matière glycogène.
Dans tous les cas, outre l'indication d'en arrêter la production ou d'en faciliter
l'assimilation, il y a celle de l'éliminer; c'est ce qu'on essaie d'obtenir à l'aide
surtout des diurétiques.
On pourra demander si tout cela rentre légitimement dans la doctrine et dans
la pratique de la dépuration. Oui, suivant nous, et complètement. La dépu-
ration traditionnelle ne consiste pas seulement dans l'expulsion, spontanée ou
provoquée, des principes nuisibles, des matières peccantes, des impuretés; elle
se réalise aussi par des actions internes, dites dépuratives, accomplies à l'aide
de moyens appelés dépuratifs et dont l'effet est de détruire sur place la cause
des cachexies, comme, en pharmacie, on épure un liquide en le débarrassant de
matières hétérogènes et on le maintient pur en empêchant ces matières de se
reformer. Il est d'ailleurs constant que les maladies cachectiques où nous pou-
vons aujourd'hui assigner un rôle à la chimie vivante étaient jadis, sous d'autres
dénominations, de celles qui relevaient de la médication dépurative.
Chiiniâlrie à part, il est beaucoup d'autres conditions pathologiques dans les-
quelles l'éviction de matières nocives, qu'on peut bien appeler impures, puis-
qu'elles n'ont pas subi dans l'organisme les mutations voulues par leur destina-
~tion physiologique, est une des indications du traitement. Plus on étudie la
goutte et plus on se persuade qu'elle est le résultat d'un vice de nutrition par
insuffisance des métamorphoses nutritives. L'excès d'acide urique dans le sang
en est l'expression la plus frappante : mais qui peut apprécier le coup porté aux
éléments anatomiques, à ceux du sang surtout, aux fonctions sécrétoires ou
excrétoires? N'est-il pas vraisemblable que nombre d'éléments perdent, à la
suite des accès principalement (car les accès ne mesurent pas leur violence à la
constitution de l'individu), assez de leur vitalité pour ne plus être en état de
DÉPURATION. 60j
prendre part à la vie générale et passent à l'état de déchets, de corps étrangers?
N'est-on pas autorisé à supposer que l'économie se charge des principes retenus
dans le sang par le défaut de sécrétion, ou des principes sécrétés retenus par
le défaut d'élimination? Toujours est-il que le praticien qui se met en pré-
sence de cette hypothèse, si vague qu'elle puisse être, en tire un parti avan-
l^ageux, au moins transitoire. Rien ne nous paraît mieux établi, en effet, que
l'efficacité, au début d'un accès de goutte, de purgatifs drastiques, dans les-
quels on se sent porté à voir des agents d'élimination. Nous n'oublions pas que
cette sorte de vicariat des quatre grands émonctoires de l'économie (poumon,
reins, intestin, peau), par lequel ils se substitueraient fonctionnellcment les
uns aux autres, est chose contestable. Mais, si l'intestin n'élimine pas ce que
devrait éliminer le rein, par exemple, qui sait s'il ne donne pas issue à des prin-
cipes nocifs autres que ceux qui font naturellement partie des matières d'excré-
tion? Ce bien-être qui suit d'ordinaire les accès eux-mêmes, ce silence de
toutes les manifestations habituelles de la maladie, souvent d'autant plus long
que l'accès a été plus fort, ne ressemble-l-il pas à l'effet d'un acte dépuratif
accompli par l'économie, mais à la violence duquel aurait résisté l'énergie vitale
des éléments organiques. Il faut compter aussi avec l'hypothèse défendue par
M. le professeur Bouchard dans ses remarquables leçons sur Les maladies par
ralentissement de la nutrition : à savoir que, si l'accès de goutte rend pour
un temps au malade l'intégrité de sa santé, « ce résultat est dû à l'activité inac-
coutumée que l'état fébrile imprime à des mutations nutritives habituellement
ralenties ». Cette hypothèse n'est pas en contradiction formelle avec la précé-
dente. On peut très-bien admettre tout à la fois que des matières devenues nui-
sibles dans l'économie provoquent un accès fébrile dont la conséquence soit de
les éliminer au dehors, et que ce même accès ait pour elfet d'activer les méta-
morphoses nutritives. C'est bien même ce qui parait arriver d'après les recherches
directes de cet auteur, puisque, dans la fièvre goutteuse, les urines éliminent
au commencement une quantité exagérée d'acide urique et n'en contiennent plus
après l'attaque.
Ainsi se confirmerait dans ce cas particulier la thèse ancienne de la fièvre
dépiiratoire, toute fièvre d'ailleurs ayant pour effet, suivant les auteurs anciens
et surtout suivent Sydenham, d'expulser en dehors de l'économie les matières
nuisibles ou de corriger un état vicieux de l'acidilé sanguine. Fred. Hoffmann
avait écrit, à son point de vue solidiste : « Salutaris — elïectus sequitur, si
« spasmi ejus sunt naturge nt causam a qua proveniunt, nempe sanguinem
« stagnantem, évacuent » {Verœ pathol. natura, c. m, §37).
Les paiHisans des causes finales voient dans l'acte dépuratoire un but au lieu
d'un effet: le mouvement fébrile serait en quelque sorte intentionnel; il aurait
sa raison dans l'acte qu'il va réaliser. Il est au moins inutile de pousser l'inter-
prétation jusque-là [voy. Science).
Les exemples que nous venons de citer prêtent à la doctrine un appui
physiologique qui dispose l'esprit à la considérer comme fondée. Les fièvres,
l'accès de goutte, sont les expressions d'une vie en état d'excitation et do
tumulte, où nous venons de voir qu'on peut trouver l'explication d'une purifi-
cation des humeurs. Cette ressource fait défaut dans les diathèses apyrétiques.
Jusqu'ici, la physiologie n'est guère en mesure, et n'a pas essayé, croyons-nous,
d'interpréter dar s le même sens ces suppurations multiples et prolongées qui
••^'effectuent par des furoncles, ces poussées d'eczéma qui rendent, dit-on, la
606 DÉPURATION.
santé, ni ces ulcères chroniques qui passent pour l'entretenir. La composition
du pus ne dit rien à cet égard, car les matières non comburées qu'il contient
appartiennent sans doute aux parties malades au lieu d'être en circulation avec
le sang. Cette disparition plus ou moins durable des accidents, cette éclaircie
dans la santé, qu'on dit suivre les sécrétions pathologiques et la suppuration,
est-elle trompeuse? La santé s'améliore-t-elle simplement parce qu'une scène
patliolo-iqne, qui s'exprimait en même temps par des symptômes généraux et
par des symptômes locaux, \ient de se terranier, ou bien parce que le travail
local a éliminé la cause matérielle de la maladie? Les opinions diffèrent à cet
égard, mais aucune d'elles ne peut se prévaloir d'une démonstration véritable.
Théoriquement il n'est guère douteux que les troubles permanents de la nutrition
engendrent d'une façon permanente des substances anormales ou augmentent
d'une façon habituelle la proportion de substances anormales : d'où résulte la
mise en jeu irrégulière de quelque fonction d'excrétion et souvent un état patho-
logique de l'émonctoire correspondant. Que si l'on s'en rapporte uniquement à
l'observation, on est forcé de convenir que, tout au moins, elle n'est pas en
désaccord avec la doctrine de la dépuration. Le fait de périodes de sanlé excep-
tionnellement longues, ou de santé exceptionnellement bonne, après des explo-
sions intenses d'une dialhèse apyrétrique, nous semble parfaitement réel. Il y a
des maladies salutaires, sujettes à répercussion, et elles affectent de préférence
les émonctoires sur tout l'intestin et la peau.
Autrefois, quand la doctrine régnait sans conteste, elle trouvait une appU-
cation dans la pratique quotidienne. On ouvrait à l'élimination des matières im-
pures une voie artificielle, en établissant un vésicatoireouun cautère à demeure.
Il n'y a pas plus de quarante ans que l'exutoire au bras ou à la cuisse était pour
les dîmes les mieux portantes un moyen de coquetterie; il avait pour objet
d'éclaircir le teint. Aujourd'hui les praticiens sont rares qui le prescrivent
dans les cachexies ou les dyscrasies les plus prononcées. Etait-ce cependant
une entière illusion de nos pères que cette confiance dans l'action dépurative
des exutoires? Nous n'oserions pour notre part l'affirmer; ou plutôt, laissant
l'explication pour nous en tenir au fait, nous n'oserions déclarer qu'un cautère
n'exerce jamais une influence avantageuse sur un catarrhe chronique, un eczéma,
une tendance aux furoncles, etc. Nous ne parlons pas ici de cautères appliqués
sur la région du mal, à l'hypochondre dans les maladies du foie, au creux épigas-
trique dans les maladies de l'estomac, sous la clavicule dans la pbthisie; leur
effet, quel qu'il en soit, appartient dans ces cas à l'ordre des révulsions; il
s'agit de cautères appliqués loin du lieu malade, sur un point quelconque du
corps, et ne pouvant guère être efficace que par action indirecte.
Nous le répétons, cette pratique était suivie encore il y a quelques lustres, et
suivie avec une foi entière, par les praticiens les plus expérimentés; nous l'avons
pu croire nous même à son déclin; mais nous l'avons imitée depuis assez sou-
vent, quelquefois sur la demande expresse des malades, et les résultats que nous
en avons obtenus, sans être manifestes comme ceux qui suivent l'emploi d'un
remède spécifique, ne nous ont pas paru moins clairs que les effets de nombre
de médications dépuratives aujourd'hui en honneur, tels que ceux de l'emploi
du daphné mézéréum, de la fumetene, de l'Iiydrocotyle, etc.
Ces considérations générales suffisent peut-être à montrer que la doctrine de
la déiiuration, avecap|dication à la thérapeutique, peut s'adapter en partie, avec
un changement de forme, aux progrès de la médecine moderne, et pour établir
DE RAET. 607
en même temps qu'elle est loin de trouver dans ces progrès réponse à tous les
problèmes qu'elle a posés. En tant qu'elle vise, non plus les réactions chimiques,
non plus les combuslioiis, mais les conditions vitales «jui introduisent le trouble
dans les opérations motritives, la vitalité diminuée ou éteinte de l'organisme;
en tant qu'elle s'occupe, non du produit des réactions imparfaites, mais des
éléments constitutifs du mixte organique devenus impropres à la vie ou de la
composition vicieuse des humeurs; en face surtout de certaines diathèses, comme
la scrofule, les dartres, la doctrine appelle toujours les lumières d'une science
plus positive. En attendant, les médecins, consciemment ou non, continuent à
la faire entrer dans leur pratique.
11 convient, du reste, de dire en terminant que le domaine de la dépuration,
circonscrit plus haut à ce qu'il a de plus spécial et de mieux caractéiisé, est
plus étendu qu'on ne le croit d'ordinaire. Il suffit, pour s'en convaincre, de
passer en revue, avec Barbier (d'Amiens), la liste même incomplète des sub-
stances dépuratives. On y trouve des plantes émollienles et mucilagineuses,
comme la scorsonère, la Ijourrache, la buglosse, etc., des substances mucoso-
sucrées, comme le raisin, les fraises, les pêches, etc.; des composés gélatineux,
comme le bouillon de grenouille, de tortue, de poulet, de veau, le lait de vache,
d'âne.<!se, de clièvre, le petit-lait; des substances amères, comme la patience, le
pissenlit, le houblon, la fumeterre; des substances acres, comme le raifort,
le pissenlit, le cresson; des substances stimulantes, comme la cannelle, la
menthe, etc. C'est que la pratique de la dépuration avait ses règles. Ces di-
verses substances médicamenteuses ne se substituaient pas les unes aux autres
indifféremment; elles répondaient à des indications multiples. Les médicaments
adoucissants, tempérants, préparaient la dépuration; les amers et les stimulants
l'opéraient, les premiers en rendant aux tissus le ton qui leur manquait, les
seconds en provoquant, par une activité plus grande des fonctions circulatoires,
l'acte vital à l'aide duquel s'accomplirait l'élimination des matières impures. On
peut voir par quelques-unes des considérations précédentes que cette dernière
indication ne saurait être désavouée par la thérapeutique de nos jours.
A. Dechambre.
DÉRADELPHES (de §eîpn, COU, et à^zlçoç, frère). Nom donné à divers
monstres doubles, du groupe des monocéplialiens, dont les troncs, séparés au-
dessous de rombilic, sont réunis en dessus [voy. Anencéphales et Diplogenèse
ou Monstres Doubles), 0. L.
DE RAET (Jean). Médecin hollandais, né à Anvers vers la fin du seizième
siècle. « 11 voyagea en Allemagne où il s'adonna à l'étude de la chirurgie. Ayant
eu occasion de traiter la peste à Francfort en 1605 et 1606, il revint dans sa
ville natale pour faire profiter ses concitoyens, surtout les pauvres et les habi-
tants delà campagne, des connaissances pratiques qu'il avait acquises. L'occa-
sion d'être utile à ses concitoyens ne se fit pas attendre. On sait que la pre
mière moitié du dix-septième siècle fut marquée, pour ainsi dire, par des
épidémies annuelles. Après avoir expérimenté sa méthode, il résolut de la faire
connaître au public sous le titre : Cort verhael oft tractast van de Laestighe
sierkte (1er peste met etteJycke onde geerperiuventeerde remedien ende preser-
vatien door JoAN^ES de Raet T'Antwerpeii, 1625, in-12. » Ce livre est de
peu de valeur. C'est l'œuvre d'un chirurgien de bonne foi, mais accordant trop
608 DÉRIVATION.
d'importance, dans l'étiologie de la peste, au courroux céleste, et trahissant
une confiance aveugle dans l'astrologie.
Jean de Raet fut doyen de la corporation des barbiers d'Anvers. Il occupa
longtemps le poste de chirurgien de l'hôpital Sainle-Élisabeth et de chirurgien
des pauvres et mourut le 14 mars 1660. Pour plus de détails sur l'homme et
sur le livre, vorj. Broeckx. Galerie médicale anversoise, in Annal, de la Soc. de
méd. d'Anvers, 1865, p. 174. L. Hn.
DERjiniM. Naturaliste arabe, vivait en Espagne au quatorzième siècle. De
son nom véritable il s'appelait Â.bou-Fatab-Ali, mais son grand-père se nommait
Derahim ou Al-Derihim. On a de lui un Traité sur l'utilité des animaux, où
il parle séparément des quadrupèdes, des oiseaux, des poissons et des insectes.
La bibliothèque de l'Escurial possède un manuscrit de cet ouvrage orné de pein-
tures. Enfin Derahim a en outre publiée un livre Sur la supériorité de l'âme
sur les agitations des sens (Biogr. Didot). L. Hn.
DËRE!>icÉPHALES (de ^dpt, COU, et £cpxÉ(})«>.ov, encéphale). Ce nom,
donné d'abord par Et. Geoffroy Saint-Hilaire à des monstres (Thlipsencéphales
d'Is. Geoffroy Saint-Hilaire) dont le cerveau imparfait est placé sur le cou, a été
réservé depuis, par Is. Geoffroy Saint-Hilaire, aux monstres caractéiisés par
l'absence totale d'encéphale et de moelle épinière dans la région cervicale
{voy. Anencéphales). 0. L.
DE RE\'OU (Jean), en latin Renodœus. Un des plus célèbres médecins de
l'ancienne Faculté de Paris, né à Goutances en 1560, mort au mois d'août 1616.
Son doctorat porte la date du 5 octobre 1588. 11 s'appliqua d'une manière parti-
culière à la matière médicale, et fut un des premiers qui rejetèrent une foule
d'erreurs populaires touchant les vertus des plantes et des minéraux. Ses écrits
ont joui d'une grande faveur et présentent ces titres :
I. Esf-ne homo omnium animalium morbosissimus? oui. Thèse quodlibétaire; président :
Simon Piètre, 1587. — II. An famcn solvat meri potiis? oui. Thèse quodlib. ; président :
Nicolas Jabot, 1588. — III. An paralysi vcnœ seclio? oui. Thèse quodlib,; président:
Guillaume Lusson. — IV. An cor princeps unicuin? oui. Thèse quodlib.; bachelier : h^y
Perreau, 1598. — ^ . An calor febrilis pro ratione nalivi? oui. Thèse quodlib.; bachelier:
Michel Toctain, 1598. — \l. AiUidotarium dogmalicorum vêtus, renovatum, aucium, illustra-
tum. Parisiis, 1608, in 4°. — VII. Liispensatorium tnedicum. Francofurti, 1615, in-i";
Genevœ, 1645, in-8°; trad. du latin par I.ouys de Serres. Lyon, 1624, in-4"'. — VIII. Insti-
tutionum pharmaceulicarum libri quinque. Parisiis (S. d.), in-4°. — IX. Œuvres pharma-
ceutiques. Lyon, 1626, in-fol. ; 1657, in-fol. A. C.
DERDA:» (Samuel). Médecin anglais, né en 1655, dans le comté de Glo-
cester, mort le 26 aoijt 1689, fit ses études à Oxford, où il fut reçu successi-
vement maître es arts en 1679 et docteur en médecine en 1G87. O.i cite de lui :
Ihjdrologia philosophica or an Account of llmington Waters in Warwickshire. Oxford,
1685, in-8". L. Un.
DËRIVATIOIV. C'est dans Galien, au chapitre iv du livre II de la Méthode
THÉiupEUTiijUE, qu'il faut aller chercher le sens traditionnel du mot Dérivatiok.
Ce mot emprunté à Hippocrate (nocpoyJnvTn) implique l'idée dun liquide
détourné de son cours ou du lieu où il séjourne, à-^m-ÔM signifiant la dérivation
DÉRIVÉS CHIMIQUES. 609
(le l'eau d'un ruisseau. Le mot grec répondant à Révulsion fàvTîc-Trao'i;) veut
dire simplement l'action de tirer, d'attirer d'un autre côté. Mais Galien appli-
quait ce mot également au détournement des humeurs, en particulier à celles
qui sont encore en mouvement, tandis que la dérivation était le détourne-
ment des humeurs qui ont déjà envahi la parlic. Ainsi la révulsion diminue la
quantité du sang qui afflue vers un organe en détournant le courant qui le lui
amène, ou en produisant une forte fluxion dans un endroit éloigné : par exemple,
s'il y a afflux vers l'utérus, en ouvrant la veine du bras, en appliquant des
ligatures sur les membres inférieurs ou des ventouses sur les mamelles. La
dérivation attire directement le sang de la partie où il séjourne, par l'ouverture
des veines qui sont en communication avec cette partie : les veines ranines en
cas d'angine, les veines externes dtuées dans un rapport direct (trad. de
Daremberg). Cette distinction a été adoptée par certains auteurs, rejetée par
d'autres; nous n'avons pas à l'apprécier ici; elle l'a été à l'article Révulsion.
DeCH AMBRE.
DÉRivÉJi» ciiiMBiJjrES. Prenant cette dénomination dans un sens très-
rêstreint, nous n'envisagerons ici que les composés résultant d'une combinaison
organique par substitution (ou pouvant être assimilés à un dérivé de substi-
tution) d'un élément ou d'un radical simple à im ou à plusieurs atomes d'hydro-
gène. C'est ainsi que s'engendrent, directement ou indirectement, les dérivés
chlorés, hromés, iodés; les dérivés nitrés, amidés, nilrosés, azoïques ; les
dérivés sulfonés ou sulfoconjugués, etc., etc. A côté de ces déi'ivés de si;bsti-
tution, il faut signaler les dérivés d addition dont la production n'a lieu qu'avec
des composés non saturés et qui sont identiques ou isomériques avec les pro-
duits de substitution dérivés d'un produit salure. Nous allons passer successi-
vement en revue, en ne tenant compte que des cas les plus simples, le mode
de formation de ces diverses classes de corps, leurs propriétés générales et leurs
métamorphoses fondamentales.
Dérivés chlorés, bromes et iodés. Un grand nombre de matières organiques
sont attaquées par le chlore en cédant à cet élément un ou plusieurs atomes
d'iiydrogène en même temps que cet hydrogène est remplacé atome par atome
par du chlore :
RH -H Cl* = RCl + HCl
aiP -f- 2 Cl* = RGP + 2 HCl, etc.
C'est ainsi qu'on obtient successivement par l'action, d'abord très-ména"ée,
du chlore sur le gaz des marais Cil', les dérivés
CtPCl Méthane monochloré ou chlorure de méthyle.
CH^GP Méthane bichioré ou chlorure de méthyle monochloré.
CHCl^ Méthane trichloré (chloroforme).
CCU Perchlorométhane ou perchlorure de carbone.
L'acide acétique donne naissance à une série analogue, et ce sont précisément
ces composés qui ont donné lieu à la découverte des substitutions par M. Dumas.
L'acide acétique ou méthylcarbonique CIPCO^H donne successivement
L'acide monochloracétique GlPCl.COML
L'acide bichloracétique CllCP.GO^H.
L'acide trichloracétique CCP.CO^H.
»icT. ENC. XXYII. j;(ji
610 DÉRIVÉS CHIMIQUES.
Dans un grand nombre de cas, la substitution du premier atome de chlore
s'effectue avec facilité à la température ordinaire. D'autre fois, l'action du chlore
doit être aidée par la chaleur | ou par la lumière. A mesure qu'on avance dans le
degré de substitution, l'intervention de ces agents physiques devient plus néces-
saire. Souvent leur emploi ne suffit pas et l'on est alors obligé d'avoir recours
à des agents chimiques pouvant fournir du chlore naissant : acide chlorhydrique
et chlorate de potassium; perchlorure d'antimoine ou de molybdène, chlorure
d'iode. Ce dernier agent est le plus usité, seulement il est inutile de l'employer
tout formé et l'on fait agir généralement le chlore en présence d'une petite
quantité d'iode : il se forme une quantité correspondante de chlorure d'iode qui
agit sur la matière organique en lui cédant son chlore, tandis que l'iode, remis^
en liberté, fixe une nouvelle quantité de chlore. Ces deux réations se produisent
en quelque sorte simultanément.
Certains dérivés chlorés s'obtiennent par fixation de HCl sur des composés
non saturés. C'est ainsi qu'on obtient un acide chloropropionique en partant de
l'acide acrylique C'H'O^ H- HCl = C''1PC10^
Les composés chlorés sont toujours plus denses que le produit primitif et leur
densité augmente avec le nombre d'atomes de chlore substitués. Leur point de
fusion est aussi plus élevé, ainsi que le point d'ébullition, qui augmente ea
général de 20 à 40 degrés, suivant les cas, pour chaque atome de chlore substitué.
La distillation d'un grand nombre de dérivés chlorés a lieu sans décompo-
sition. Pour d'autres il y a une décomposition plus ou moins profonde qui se
manifeste par des fumées d'acide chlorhydrique et par la carbonisation du
résidu.
Les dérivés bromes s'obtiennent par l'action directe du brome, liquide, gazeux
ou en dissolution, sur les matières organiques, à froid ou à chaud. Selon le
degré de bromuration à atteindre on emploie une ou plusieurs molécules de
brome. Ces déx-ivés sont encore plus denses que les dérivés chlorés et ils distil-
lent à une température supérieure. Ils sont moins stables et leur décomposition
par la distillation est plus fréquente. Ils se prêtent mieux, par suite de leur
instabilité relative, aux métamorphoses que nous signalons plus bas.
Les dérivés iodés donnent lieu à des remarques semblables et il présentent
encore plus d'instabilité que les dérivés bromes, lis s'obtiennent beaucoup plus
difficilement par substitution directe, et il faut pour cela faire agir l'iode en
présence d'im composé oxygéné susceptible de détruire ou de fixer l'acide iodhy-
drique résultant de la substitution, acide iodhydrique qui peut réagir par
hydrogénation, c'est-à-dire par substitution inverse. On emploie pour cela ou
l'acide iodique ou un oxyde métallique, notamment celui de mercure. C'est
ainsi, par exemple, qu'on obtient l'iodophénol et le biiodophénol :
SC'H^OH + 2P + HgO :== 2C«Hn.01I + IlgP -^ IPO
SC'IP.OH 4- 4P + 2HgO = 2C«H-^P.0H + 2HgP + 2W0
Certains dérivés iodés résultent de l'action de l'acide iodhydrique sur les dérivés
chlorés : ainsi le chloroforme est transformé en iodoforme.
Les dérivés chlorés, bromes, iodés, ainsi que ceux qu'on obtient par leurs
métamorphoses, présentent des cas très-importants d'isomérie, suivant les
circonstances qui président à leur formation. Dans la série dite grasse, ces
isoméries sont généralement distingués pour les lettres a, p... Elles tiennent
DÉRIVÉS CHIMIQUES. 6H
à la position que vient occuper dans la molécule l'élément substitué. Nous
cilerons comme exemple les acides a et (3 bromopropionique. Dans l'acide a,
qui résulte de la substitution directe du brome dans l'acide propionique
GH^.GH'.COOH, le brome se fixe sur le carbone central. 11 se produit aussi par
l'action de l'acide bromhydrique sur l'acide lactique :
GH^GH(0H).C0M1 + HBr = GH'.GHBr.GO^H
L'acide S bromopropionique GH-Br.GlP.GO'H est celui qui résulte de la fixation
de HBr sur l'acide acrylique GH-:GH.GO-H. Ges deux acides sont très-différents
l'un de l'autre : l'acide a ne se solidifie qu'à 17 degrés; l'acide a fond à 61»,5.
Dans la série aromatique, ces isoméries sont encore plus nombreuses et
elles sont de deux ordres, suivant que la substitution porte sur le noyau aroma-
tique (benzine) ou sur une chaîne dite lalérale (méthyle ou homologues) . Dans
ce dernier cas les dérivés participent des propriétés génériques des composés
de la série grasse. Des isoméries produites dans le noyau benzique sont désignées
par les préfixes ortho, meta, jiara, suivant la position occupée par l'élément
substitué par rapport à une première substitution ou à une chaîne latérale.
Pour préciser, nous prendrons exemple dans les dérivés du toluène ou méthyl-
benzine, G^H^ ou G^H^GIP. La substitution dans le noyau G'^II'' par un atome
de chlore donnera le monochlorotoluène ortho, meta ou para, G'^H'Gl.GIP,
suivant la position du chlore à l'égard de GH^. Si au contraire la substitution
a lieu dans le groupe GH% ce qui arrive lorsque l'on opère à l'ébuUition, on
obtient le composé C^H^.GH^Gl, qui porte le nom de chlorure de benzyle. La
fonction chimique de ce dérivé est toute différente de celle des chlorotoluènes :
il correspond aux alcools, tandis que ceux-ci conduisent à des phénols.
Les dérivés chlorés, bromes et iodés, régénèrent le composé primitif par sub-
stitution inverse (de H à Gl). On effectue de semblables substitutions par l'action
de l'acide iodhydrique, de l'amalgame de sodium en présence de l'eau, etc.
Les alcalis agissent sur les dérivés chlorés, etc., de deux manières diffé-
rentes, soit en enlevant HGl et en donnant ainsi naissance à un composé non
saturé, soit en donnant un oxydérivé {voy. ci-dessous).
OxYDÉRivÉs. Ges dérivés, qu'on n'obtient que rarement par oxydation directe,
résultent de la substitution d'un groupe 011 {hydroxyle) à un atome de chlore, etc.
Une telle substitution est obtenue par l'action de l'oxyde d'argent humide sur
les dérivés halogènes, par l'action de la potasse en solution concentrée ou de la
potasse en fusion, dans un creuset d'argent.
Les oxydérivés dans la série grasse offrent un caractère alcoolique. Les alcools
eux-mêmes peuvent être obtenus par ces réactions. En dehors de ceux-ci nous
citerons comme exemples la production des acides lactique [oxypropionique)
et tartrique ou dioxysiiccinique à l'aide de l'acide bromopropionique et de
l'acide dibromosucciaique :
GIP.GHBr.GO^H -f- KHO =. GIP.GII(011).G0-'H + KBr
Acide bromopropionique. Acide lactique.
G^'HBr^ ) G^OH + ^ ^^^^ = C^H^(Oll)^ j ^J^,|| + 2 KBr
Acide dibromosucciuique. Acide tartrique.
Dans la série aromatique, les oxydérivés constituent des phénols, du moins
6!2 DÉRIVÉS CHIMIQUES.
lorsque l'introduclion du groupe 011 a lieu dans le noyau aromatique. Les
phénols proprement dits et les phénols à fonction mixte, tels que l'acide salicy-
lique, l'acide gallique, peuvent être obtenus ainsi :
CIP-Cl + KHO = cm'. Oïl + KCl
Chlorobenzine, Phénol.
C^H'CLCO^II -+- KHO = CH^Cl.CO^H + KCl
Acide clilofobenzoïquc. Acide salicylique.
CTPP(OH),CO^H + 2 KHO = G«1P(0H)^C0^H + 2KI
Acide diiodo-salirj'lique. Acide gallique.
Ce groupe OH est caractérisé notamment par la possibilité où l'on est de
substituer à son hydrogène soit un radical d'alcool, soit un radical d'acide tel
que l'acétyle C^H^O, pour donner des dérivés acétylés.
Dérivés cyanés et dérivés acides. En traitant les dérivés halogènes par un
cyanure, ou y remplace l'élément haloïde par le cyanogène CAz
CWGP + 2CAzK = 2 KCl -h G-'lP(CAz)2
Ce qui donne de l'intérêt à ces dérivés, c'est la facilité avec laquelle on peut
les convertir en dérivés acides, par substitution du groupe carhoxyle COOH au
cyanogène, par l'action des alcalis ou de l'acide chlorhydrique :
C'-H*(CAz)2 _^ 2 KHO -f- 2 H^O = C-H*(CO^K)^ + 2 AzH^'
Dicyanure Succinale
d'éthyle. de potassium.
Ci«H°.CÂz + HCl + 2 11-0 = C'«IP.C02H H- AzH*Cl
Cyauonaplualine. Acide naplitoique.
Dérivés sclfoconjcgués ou sulfo:siques. En agissant sur les composés orga-
niques, surtout de la série aromatique, l'acide sulfurique donne naissance à
des dérivés dans lesquels 1 atome ou plusieurs atomes d'hydrogène sont rem-
placés par un ou plusieurs grouges SO'H :
C6fP + SO*H^ = H'O 4- ClPSO^-Il
Denzine. Acide pliénylsuifureux.
ou
phaiiysulfonique.
Ces dérivés représentent le composé primitif plus SO-, d'où le nom d'acide
phénylsulfureux. Et, en réalité, ils fonctionnent comme des dérivés sulfureux.
Ainsi on les obtient par l'action du bisulfite de potassium ou d'ammonium sur
les dérivés chlorés :
C'Wa + SO^KH = CH'SO^H + KCl
Inversement, lorsqu'on les fond avec la potasse, ils se dédoublent en produisant
un oxydérivé et du sulfite :
C«H^SO"'H + 2KH0 = SO^K^ + H^O -+- C'W{OYi)
C'est même là un mode de production des phénols.
Pour obtenir les dérivés sulfoniques, on emploie l'acide sulfurique concentré
ou l'acide fumant, à froid ou à chaud.
DÉRIVÉS CHIMIQUES. 613
Dérivés nitrés. Ces déi-ivés résultent de l'nction de l'acide azotique, une
e'iimination d'eau, et substitution du reste AzO- ù II
CfP + AzO^II = Cm'iAzO'-) H- H^O
Benzine. ^'itrobcnzille.
C^H" + 2 AzO'^H = C''H*(AzU^)^ + 2 IPO
Dinitro-benzine.
On emploie le plus souvent l'acide azotique fumant; dans quelques cas
pourtant on peut faire usage d'un acide plus faible. Dans d'autres cas enfin,
surtout lorsqu'il s'agit d'obtenir des dérivés polysubstilués, il faut employer
un mélange d'acides azotique et sulfurique fumants. Ces dérivés s'obtiennent
très-aisément dans la série aromatique et n'ont que peu de représentants dans
la série grasse. Ils constituent dans ce cas des isomères des éthers nitreux. Tel
est le nitréthane C-H'(AzO^) qui s'obtient, en même temps que son isomère
le nitrite d'éthyle AzO.OC^tP, lorsqu'on décompose l'iodure d'étbyle par le nitrite
d'argent. Les dérivés nHrés de la cellulose et de ses congénères (fulmicoton,
xyloïdine) se comportent comme des éthers, en ce sens que les agents réduc-
teurs régénèrent la cellulose, etc. Les dérivés nitrés proprement dits, au con-
traire, fournissent par la réduction des dérives amidés, c'est-à-dire des composés
dans lesquels AzO- est remplacé par AzH^
Ainsi, le nitréthane C-IP(ArO-) fournit l'élhylamine C-lP(AzIP) ; la nitroben-
zine C''IP(AzO-') fournit l'aniline CH^AzIP; l'acide nitrobenzoïque CH'lAzO^ICOMI
fournit l'acide amidobenzoïque ^/^(AzH-jCO-n.
Dérivés amidés. Le résidu AzIP peut, indirectement, remplacer l'atome
d'hydrogène. La réduction des dérivés nitrés est le mode le plus fréquent pour
obtenir ces dérivés. Mais on pi^ut encore les préparer par d'autres procédés,
notamment par l'action de l'an)moniaque sur les dérivés halogènes
C^H^CH^Cl -I- 2AzH^ = C«^lI.CIP(AzIP) -4- 2AzIPCl
Chlorure llenzylamjne.
(le ben^yle.
L'acide chloracétique fournit de même l'acide amido-acétique, c'est-à-dire le
glycocolle
CH-^Cl.GO^H -f- 2AzH-' = CIP(AzIP)CO-^H + AzH*Cl
Les composés amidés de cet ordre ont à la fois une fonction acide par le groupe
CO-II qu'ils contiennent et une fonction basique résidant dans le groupe AzIP.
Les amidés sont des dérivés amidés des acides, par substitution du groupe
AzfP à OU dans le groupement CO-II. ils se forment par élimination d'eau des
sels ammoniacaux
G^'0^(OAzH*)-' = 2 H^'O -+- C^'0^(AzlP)2
Osalate ammon. Oxamide.
par l'action du gaz ammoniac sec sur les éthers ou sur les chlorures d'acides
CtP.GO.GG^H* + ÂzH' = CH^COAzH^ -h C^H^OH
Éther acétique. Acétamide. Alco(^.
COCP + 4AzH-^ = CO(AzH*)^ + 2ifeH'*Cl
Chlorure Carbamide
Carbonique OU xtrée^
(phosgène).
614 DERMALGIE.
Wp.ivés nitrosés. Par substitution de AzO à H. S'obtiennent en ge'néral par
l'action de l'acide nitreux (ou un nilrite et un acide). On obtient ainsi lenitroso-
phénol C''fP(AzO)Ori, la nitroso-éthylaniline, CHl\iv.{kzO}Cni\ etc. Ces com-
posés sont très-instables, explosifs. Ils donnent lieu à des réactions variées
parlaitement définies.
Dérivés azoïques. Ils sont de divers ordres, mais renferment toujours 2 atomes
d'azote. Voici les deux principaux représentants de ces dérivés, choisis dans la
série de la benzine :
Azobenzol CTF.Âz:Az.C*^IP. S'obtient par réduction de la nitrobenzine par
l'amalgame de sodium, ou par oxydation de l'aniline à l'aide du permanganate
de potassium
2C°FMzH^ 4-02 = c«lP.Az^G«ff -h 2 IPO
Diazobenzol CH'^Az-. Corps très-instable obtenu sous forme de nitrate par
l'action de l'acide nitreux sur le nitrate d'aniline. Il se combine aussi à la
potasse. Ses sels font explosion par la chaleur et par le choc. — Chauffés avec
de l'alcool, ses sels fournissent de la benzine, du gaz azote et de l'aldéhyde,
produit d'oxydation de l'alcool. L'eau bouillante les décompose avec production
de phénol ; les hydracides avec production de benzine chlorée, bromée ou iodée.
Ces actions sont fréquemment utilisées. Ed. Willm.
BERMALCJaE OU I>ERMATALGQE. Anglais Dermcitalgy ; allemand /iai^^
nervenschmerz ; italien Dermalalgia.
Des études peu nombreuses qui ont été publiées sur la dermalgie on peut
dégager les deux faits suivants : le premier, c'est que les auteurs désignent sous
ce nom les douleurs névralgiques de la peau, lorsqu'elles ne dépendent d'aucune
lésion anatomique ; le second, c'est qu'ils confondent volontiers dans leurs
descriptions la dermalgie et l'hyperesthésie cutanée, c'est-à-dire les douleurs
spontanées avec celles que réveille une excitation légère ou insignifiante du
tégument.
Peut-on donner aujourd'hui de la dermalgie une définition qui consacre ces
opinions? nous ne le croyons pas. Persister à faire de l'absence de lésions une
condition essentielle de la dermalgie, c'est vouloir rayer de la pathologie le
nom de ce symptôme. L'étude plus précise des centres nerveux dans les névroses,
les notions acquises sur la névrite des gros troncs nerveux ou de leurs ramifi-
cations sous-dermiques et même dermiques (Déjerine, Leloir), ont montré
l'existence de lésions précises dans des affections où l'on n'aurait pas songé
autrefois à les soupçonner. Le cercle des symptômes sine materia tend à se
restreindre chaque jour. Mais, pour être autrement interprétées, les douleurs
cutanées n'en restent pas moins des symptômes importants, dont l'étude mérite
autant que jamais d'être poiu-suivie; et dans ces conditions le meilleur parti
nous paraît être de modifier la définition de la dermalgie, d'accord avec les
progrès de l'anatomie pathologique, et d'en retrancher ce caractère presque
irréalisable de l'absence de lésion anatomique.
Quant à l'hyperesthésie, elle nous paraît devoir être distinguée au moins
théoriquement de la dermalgie. Ressentir spontanément de la douleur, en
éprouver sous l'influence d'une impression légère qui, à l'état normal, ne saurait
en déterminer aucune, ce sont là deux actes pathologiques différents. L'un sera
toujours dénoncé par le malade lui-même, l'autre ne sera quelquefois découvert
DEIIMALGIE.
615
que grâce à une exploration méthodique. Souvent, sans doute, ils se rencontre-
ront sur les mêmes points, souvent aussi il pourra être difficile de discerner si
une douleur est vraiment spontanée ou bien n'est pas sous la dépendance d une
excitation très-faible (contact de l'air, température extérieure, etc.). Mais plus
souvent encore la distinction pourra être faite. La nécessité d'établir dans les
descriptions des limites tranchées là où les phénomènes naturels n'en présentent
que de douteuses ne s'impose-t-elle pas d'ailleurs à chaque instant? et dans le
cas actuel n'est-il pas rationnel de séparer les douleurs spontanées des douleurs
provoquées? Dans le premier cas, le malade porte dans ses tissus ou ses organes
des désordres suffisants pour exciter son système nerveux au point d'en ressentir
de la douleur; dans le second, l'intervention d'une cause extérieure est néces-
saire. C'est là une différence pathogénique importante, qui légitime la séparation
de la dcrmalgie et de l'hyperestliésie.
En conséquence des considérations précédentes, on peut donc dire : Le nom
de dermalcjie s'applique aux doideurs spontanément ressenties dans la peau.
Ces douleurs peuvent affecter des formes très-variées, qu'il y aurait peut-être
.intérêt à étudier isolément. Mais, comme le dit judicieusement M. Rendu :
<( Picotements, fourmillements, élancements, sensations de froid, de chaleur,
de cuisson, de brûlure, sont évidemment des manifestations qui ont chacune
leur valeur, mais qui échappent complètement à l'analyse, car elles reposent
exclusivement sur le dire des malades. Or la plupart de ceux-ci les apprécient
mai, les exagèrent souvent et ne savent point en faire la différence. » La der-
malgie comprendra donc pour nous ces diverses sensations. On remarquera que
-dans cette énumération il n'est pas question du prurit. Le prurit en effet est
une sensation tout à fait spéciale, qui dans aucun cas ne saurait être assimilée
aux douleurs véritables auxquelles s'applique le terme de dermalgie. Par ses
caractères spéciaux, par la nature des réflexes qu'il détermine, par l'importance
qu'il a dans la dermatologie, le prurit mérite donc une place à part ; il ne sau-
rait en être question dans cet article, sinon d'une façon tout à fait passagère et
pour l'opposer à la dermalgie proprement dite.
Nous ne ferons pas de ce dernier symptôme une étude générale. Les douleurs
■cutanées se prêtent à trop de variétés de forme, de siège, d'intensité, de durée ;
et ces variétés sont en rapport trop intime avec les affections qui amènent la der-
malgie, pour qu'il y ait intérêt à les rapprocher dans un chapitre d'ensemble qui
serait forcément artificiel. C'est à propos de chacune des affections dont la der-
malgie est un symptôme que nous étudierons les diverses modifications de celle-ci.
PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE. La douleur, au même titre que toute sensa-
tion, est un acte cérébral. L'accomplissement de cet acte est déterminé par
•des excitations diverses qu'il importe de rappeler en quelques mots.
La douleur peut se produire dans trois conditions différentes. Dans un
premier cas, elle apparaît comme conséquence de l'action exagérée du monde
extérieur : chocs violents, fortes pressions, plaies, brûlures, etc. Elle est alors
un phénomène normal. C'est la sensation régulière que doit produire à l'état
sain une impression exagérée.
Dans un second cas, les simples impressions de contact sont ressenties comme
des douleurs. Les mouvements, les frottements qu'exige l'accomplissement
régulier des fonctions, provoquent de vives souffrances, et les douleurs qu'une
excitation trop forte détermine à l'état normal sont dans ces cas intolérables
OiO DERMALGIE.
C'est l'hypereslhésie vraie et, comme le remarque très-justement Cli. Richet, au
moment où l'hypereslbésie survient, la sensibilité tactile commence à s'émousser.
La vivacité plus grantle de la sensation porte sur la douleur et non sur les
impressions du toucher, qui au contraire sont moins bien perçues. De même la
vision est moins nette quand il y a de la photophobie.
Enfui, dans un dernier cas, la douleur est spontanée. Le monde extérieur
n'intervient en rien pour la provoquer; c'est de celle-là seule que nous avens à
nous occuper. Si nous avons rappelé les deux autres modes de production, c'est
pour démontrer avec Gh. Richet qu'il y a des rapports intimes entre la sensibilité
normale et la douleur, et que si, dans des circonstances déterminées, la seconde
se substitue à la première, toutes deux n'en suivent pas moins probablement
les mêmes lois et n'en sont pas moins à des degx-és divers les fonctions des
mêmes organes.
Ces organes dont il s'agit actuellement d'apprécier le rôle sont les terminaisons
des nerfs dans la peau, les nerfs sensibles et certaines parties des centres
nerveux.
La part que prennent les terminaisons nerveuses aux fonctions sensitives est
difficile à apprécier. D'après F. Franck {voy. article Nekveux [Système]), toutes
les impressions tactiles dépendraient d'une condition commune, la pression
subie par la peau ; mais des appareils nerveux différents recevraient chaque
variété d'impression. Les corpuscules de Krausc seraient réservés au touclicr
actif; ceux de Pacini, aux sensations de pression plus énergique. Ces appareils
de perfectionnement destinés aux plus délicates fonctions interviennent-ils dans
la douleur? On peut en douter, si l'on se rappelle surtout que le tact perd sa
linessc à mesure que se développent les sensations pénibles. Peut-être jouent-ils
vm rôle dans le prurit, dans les sensations de chatouillement ; peut-être aussi
dans les cas où la douleur n'est pas absolument pure, mais se complique de
fourmillements, de picotements, de sentiments de brûlure ou de froid, toutes
les fois, en un mot, qu'une impression extérieure semble se mélanger à elle.
Quant à la douleur vraie, isolée, elle paraît beaucoup plutôt dépendre d'une
excitation anormale des lilels nerveux.
Les effets de cette excitation ont pu être expérimentalement étudiés chez
l'homme par la compression ou par la réfrigération du nerf cubital dans la
gouttière épitrochléenne (Weir Mitcliell, Ch. Richet). Dans les deux cas, il se
produit une douleur lancinante, bientôt suivie d'engourdissement dans tout le
territoire cutané du nerf. Cette douleur est plus ou moins vive, mais ne s'accom-
pagne pas, du moins au début, de sensations anormales : ainsi la congélation
d'un nerf ne provoque pas de sentiment de froid dans les parties auxquelles il se
distribue. En un mot, l'excitation d'un filet nerveux ne détermine que de la
douleur. C'est pour cette raison que les amputés pourront souffrir du membre
qu'ils n'ont plus, y ressentir de la dcrmalgie aussi bien que des crampes
musculaires. .Mais ils ne se plaindront ni d'un contact pénible ni d'une compres-
sion fatigante : ces douleurs compliquées de sensations tactiles ne sont pas le
fait du l'excilaLion du nerf; elles appartiennent plutôt, comme nous le disions
plus haut, à l'irritation des terminaisons nerveuses (Ch. Richet). Ces faits
permettent de soupçonner quelle importance les névralgies et les névrites
doivent avoir dans certaines dermalgies, et de comprendre comment on pourra
rencontrer sur les mêmes points la dermalgie unie à l'anesthésie. Lorsqu'un
nerf est enflammé, irrité ou coupé, l'excitation qui résulte de son allération
DERMALGIE. 617
détermine une douleur que nous localisons, comme toute autre sensation, à
l'extrémité de ses filets (dermalgie) ; mais il est devenu impropre à transmettre
aux centres les impressions de la périphérie (anesthésie). Cette explication
très-simple nous paraît préférable à l'opinion récemment exposée par Mox Brucb,
qui reconnaît des conducteurs différents aux impressions tactiles et aux impres-
sions douloureuses, sous prétexte que la même excitation augmente celles-ci et
diminue celles-là, et que l'on ne saurait admettre qu'un seul agent puisse à la
fois augmenter et diminuer l'excitabilité du même nerf.
La physiologie nous apprend peu de chose au sujet du rôle des centres
nerveux dans la dermalgie. L'expérimentation fait ici complètement défaut, car
elle est impossible chez l'homme, et stérile chez les animaux, où l'on ne peut
déterminer en quel point est ressentie une douleur provoquée par une lésion
(les centres nerveux. Bornons-nous donc à dire que la transmission des impres-
sions douloureuses suit dans la moelle et dans l'isthme de l'encéphale les mêmes
voies que les impressions tactiles et aboutit à l'écorce cérébrale, probablement
dans cette vaste région que M. Ballet a récemment limitée sous le nom de zone
sensitive, et qui comprend toutes les circonvolutions situées en arrière du p:ed
des frontales. Quels éléments nerveux sont spécialement affectés à la sensibilité
cutanée? Quel ordre de lésions peut y déterminer la dermalgie? Ce sont là tout
autant de points obscurs.
Tant que la lumière n'aura pas été faite sur ces questions, la pathogénie des
dermalgies dites réflexes restera extrêmement obscure. Il arrive en effet (ju'un
point de la peau peut devenir douloureux à l'occasion d'une lésion siégeant
dans un point éloigné. L'intervention des centres nerveux dans ces phénomènes
n'est pas douteuse. S'agit-il d'une sorte d'erreur de localisation, comme dans
les cas où un amputé souffre de son membre absent? S'agit-il d'une propagation
de l'excilalion venue de l'organe malade aux centres sensilifs en rapport avec
les points douloureux de la peau? Ces hypothèses n'expliquent rien, et il est
plus sage d'attendre que des faits nouveaux viennent nous éclairer.
En appliquant aux faits cliniques ces notions de physiologie pathologique,
nous verrons que les dermalgies peuvent reconnaître des causes diverses. Tantôt
il s'agira de douleurs cutanées en rapport avec des lésions de la ])eau, agissant
soit sur les terminaisons nerveuses, soit sur les ramifications dermiques des
nerfs. Tantôt il s'agira d'affections des cordons nerveux (névrite, névralgie) ou
des centres nerveux (myélites, névroses). Dans d'autres cas la dermalgie survien-
dra comme conséquence d'altérations générales de l'organisme, d'intoxications,
d'anémies, états divers dans lesquels le système nerveux est en souffrance et le
manifeste soit par des névroses, soit par des névralgies. La dermalgie ainsi
produite rentre dans le cadre des précédentes et ne saurait être l'objet d'une
étude isolée. Enfin elle peut apparaître sous l'influence de lésions éloignées ou
profondes (douleurs réflexes). Nous aurons donc à décrire : 1" les dermalgies
dans les diverses lésions de la peau ; 2» les dermalgies dans les lésions des
nerfs ; 3° les dermalgies dans les maladies des centres nerveux; 4° les dermalgies
réflexes.
DERMALGIES DANS LES LÉSIONS CUTANÉES. 1« Dermalgie dans les
AFFECTIONS GÉNÉRIQUES DE LA PEAU. La doulcur n'cst pas uu Symptôme fréquent
dans les affections cutanées. Parmi les sensations que déterminent les lésions
tégumentaires, le prurit tient sans contredit la première place ; et nous avons
618 DERMALGIE.
vu plus haut que ce symptôme était tout à fait étranger à la dermalgie. D'autres
sensations pénibles peuvent aussi être signalées : picotements, fourmillements,
cuissons. Il s'agit là de phénomènes particuliers, spéciaux au sens tactile, à
peu près comme les bourdonnements appartiennent au sens auditif. L'usage
n'attribue pas en général à ces sensations le nom de dermalgie. Elles ne sont
pourtant pas bien loin de le mériter, car elles se compliquent toujours d'un
sentiment douloureux, qui parfois devient prédominant et finit par effacer la
sensation anormale de cuisson ou de picotement, pour ne laisser au malade que
le sentiment de la souffrance. Enfin dans certains cas la dermalgie vraie coexiste
avec des lésions cutanées. Ces réserves ainsi établies, il nous a paru utile de
passer rapidement en revue les principales dei'matoses, de façon à mettre celles
où la dermalgie intervient en opposition avec celles où la douleur vraie ne joue
aucun rôle.
Parmi les affections génériques de la peau, les unes sont indolentes, d'autres
simplement prurigineuses, d'autres enfin douloureuses. Il est difficile d'établir
à ce sujet des catégories bien tranchées. Cependant la considération du siège
anatomique de la lésion élémentaire peut servir de point de repère. Quand la
lésion est très-superficielle (épiderme, corps muqueux de Malpighi), c'est le
prurit qui domine. Quand les éléments primitivement affectés sont les glandes
cutanées, sébacées ou sudoripares, le prurit fait déflmt et la douleur vraie est
souvent absente. Mais quand le derme même est intéi^essé, quand il s'y produit
nés exsudats interstitiels, surtout quand la rétraction des faisceaux conjonctifs
ou la contraction des fibres lisses entrent enjeu, alors la dermalgie peut exister.
Ces assertions doivent être prouvées par des faits.
L'affection peut être la plus superficielle, c'est le psoriasis. (Nous ne parlerons
pas du pityriasis, que tant de recherches nouvelles ont démembré et qui semble
arriver à la fin de son histoire). Dans cette affection, pas d'autre sensation
subjective que la démangeaison; et lorsque après avoir enlevé les squames on
arrive jusqu'à excorier le corps papillaire, on fait peu souffrir le malade,
preuve évidente que le terrain n'est pas préparé pour la douleur. Car la peau,
comme tous les autres organes, supporte beaucoup plus péniblement une
douleur provoquée, lorsqu'elle est déjà antéi-ieurement douloureuse.
Après le psoriasis, on peut citer Veczéma. Ici la lésion est déjà un peu plus
profonde. Le réseau muqueux est plus complètement intéressé. Aussi, à côté du
prurit, qui reste encore le symptôme subjectif le plus important, voyons-nous
apparaître de la cuisson, des picotements, quelquefois un sentiment exagéré de
chaleur à la peau. On sait que M. Rendu a excellemment distingué, au point de
vue des modifications de la sensibilité tactile, trois catégories d'eczéma : les
artificiels, les pseudo-exanthématiques et les diathésiques. Dans les premiers, le
sens du toucher est peu altéré; il l'est notablement dans les troisièmes, d'une
façon irrégulière dans les seconds. Peut-être pourrait-on, au point de vue de la
dermalgie, conserver encore ces divisions. La deuxième y serait toujours celle
des phénomènes inconstants ; la troisième, comprenant les eczémas secs des
-scrofuleux, posséderait la plupart des cas indolores. La première enfin, relative
aux eczéma de cause externe, à ceux où l'inflammation épidermique joue un
rôle véritable, verrait se ranger avec elle bien des cas où il existe une douleur
■cuisante et lancinante delà peau. Mais cette catégorisation, que nous ne saurions
encore appuyer sur des faits nombreux, pourrait paraître un peu artificielle. Il
faut seulement remarquer que l'eczéma devient douloureux lorsque, sous son
DERMALGIE. 619
influence directe ou par celle du grattage qu'il provoque, il se produit des
excoriations ou des fissures de la couclie papillaire. De là les douleurs parfois si
vives de l'eczéma des plis interdigitaux, des paupières, des lèvres, du mamelon,
de toutes les régions, en un mot, où la disposition anatomique favorise la produc-
tion et la permanence de ces fissures. Mais, si la douleur survient alors, c'est
que de nouvelles lésions se sont en réalité surajoutées à l'eczéma primitif, c'est
qu'elles ont dépassé le réseau muqueux : aussi présente-t-elle les caractères des
dermalgies dermiques, si l'on peut ainsi parler, que nous étudierons tout à
l'heure.
Les affections protopathiques des glandes sudoripares sont encore peu connues.
Il est inutile d'y insister. Quant aux glandes sébacées, leur étude plus approfon-
die, la multiplicité et la fréquence de leurs altérations, permettent de s'y arrêter.
Le prurit fait défaut, absence naturelle, puisque la lésion anatomique évolue
loin des corpuscules sensilifs et ne peut les exciter. Cette absence de déman-
geaison dans une affection cutanée a même impressionné les Anciens au point
qu'ils ont, paraît-il, tiré de ce caractère le nom d'Acné (a privatif; «:<», je
démange). Mais, en outre, le plus souvent la douleur fait aussi défaut. L'acné
comédon, l'acné sébacée flucnte, l'acné sébacée concrète, sont toujours indolentes ;
les bouffées de chaleur dont se plaignent parfois les malades atteints d'acné
rosacée ne méritent pas le nom de douleur. L'acné éléphantiasique, l'acné
lupeuse (herpès crétacé, lupus acnéique), arrivent à bouleverser le sol cutané
sans déterminer de souffrances aiguës. C'est seulement dans les cas de suppura-
lion et de gangrène, dans les furoncles, dans les anthrax, que l'on voit éclater
de vraies douleurs : sentiment de tension et d'étranglement, douleur lancinante,
pulsative, rayonnant autour du point enflammé. Mais alors que d'éléments
compromis autres que les glandes ! Le derme est enflammé dans toute son
épaisseur, l'hypoderme même est souvent atteint; et certainement les douleurs
du malade traduisent plutôt les lésions dermiques que les lésions glandulaires.
Dans les affections où le dei'me même est intéressé, la multiplicité des
lésions, leur évolution plus ou moins rapide, entraînent des différences notables
dans les phénomènes douloureux. Ces lésions peuvent se ramener d'une façon
élémentaire au nombre de trois : l'hyperémie, l'exsudation, la prolifération. 11
est bien évident que jamais aucune d'entre elles ne se présente à l'état absolu-
ment isolé; mais une des trois peut prédominer sur les deux autres et imprimer
à la marche générale de l'affection des caractères spéciaux. Dans les cas où
l'hyperémie est le fait capital, la douleur vraie fait presque défaut. On la cher-
cherait en vain dans les exanthèmes comme la rougeole, la scarlatine, la variole
au début de son éruption, dans les roséoles de quelque nature qu'elles soient.
Tout se borne à quelques cuissons ou à du prurit.
Si à la congestion s'ajoute un certain degré d'exsudation, alors la douleur
survient, peut-être sous l'influence de la compression des filets nerveux intra-
cutanés. Dans la peau, comme dans tout autre organe, l'inflammation se traduit
par delà douleur : aussi les dermites, quelles qu'elles soient, de cause externe
(brûlures), de cause interne (érysipèles), s'accompagnent-elles de souffrances
plus ou moins vives, et en particulier de cette sensation de chaleur mordicante
presque spéciale aux phlegmasies cutanées.
Entre les dermatoses congestives et les dermatoses exsudatives prennent place
plusieurs affections intermédiaires : d'abord les érythèmes, puis les affections
vésiculeuses ou huileuses, dans lesquelles l'apparition des phlyctènes, quelles
620 DERMALGIE.
que soient leurs dimensions, traduit toujours l'exhalation de sérosité et la diapé-
dèse de leucocytes dans des proportions variables. En général l'intensité de la
douleur correspond ici à l'abondance et à la rapidité de l'exsudat. Les nodosités
de Vérythème noueux seront très-douloureuses; il en sera de même de la
formation d'une bulle après une briilure ou l'application d'un vésicaloire. Au
contraire, Vérythème solaire sera simplement accompagné de cuisson; il en est
df même des vésicules de l'herpès lahialis.
Comme pour l'eczéma, il importe, au point de vue de la douleur, de faire la
part de la lésion primitive de la peau et des complications qui peuvent succéder.
Si, par suite de l'évolution d'un érythème, il se forme des crevasses, des fissures
du derme, il surviendra de la douleur, quelle qu'ail été l'intensité de l'affection
première. De même, si l'on enlève la calotte épidermique d'une vésicule d'herpès
ou d'une bulle de pemphigus, la mise à nu du réseau muqueux éveillera de
vives souffrances. Mais ces douleurs secondaires ont une pathogénie spéciale, et
leur apparition dans les cas les plus simples d'érythèmes ou d'herpès ne nous
paraît pas devoir infirmer ce qui a été dit plus haut sur les rapports de la
dermalgie symptomatique avec l'abondance et la rapidité de l'exsudation.
Si Tune de ces conditions vient à faire défaut, la douleur manque à son tour :
c'est ainsi que dans ïéléphantiasis on voit des infiltrations énormes de la peau
et de rhypoderine demeurer indolentes, grâce sans doute à la lenteur de leur
formatiou, qui demande souvent des années, et qui ne sont jamais assez abon-
dantes sur un point donné pour déterminer le décollement de l'épiderme et la
formation d'une phlyctène.
Lorsqu'il s'agit de ces affections cutanées où la prolifération d'éléments
analomiques joue le rôle le plus important, l'étude des dermalgies symptoma-
tiques devient plus compliquée. Le plus souvent ces productions néoplasiques,
qu'on erit appelées autrefois dégénératives ou régressives, sont peu douloureuses.
C'est ainsi que le lupus dans ses diverses formes, les syphilides tuberculeuses
et même plusieurs formes de cancer cutané, sont indolentes ou à peu près indo-
lentes. Si la prolifération porte sur des éléments pour ainsi dire mieux organisés,
sur le tissu fibreux du derme, par exemple, on observe que la sensibilité à la
douleur est plus vive, qu'il y a un degré plus ou moins élevé d'hyperesthésie,
mais il n'y aura pas encore de douleurs spontanées: exemples, le cas de dermato-
fibrome, récemment publié par M. Ernest Besnier [Annales de dermatologie,
1881), et la plupart des cas de sclérodermie en plaques. Enfin, quand l'hyper-
plasie atteint les fibres lisses du derme, on observe, après une assez longue
période d'indolence ou de simple hyperesthésie, de véritables crises névralgiques,
longues, atroces, à répétitions fréquentes, survenant spontanément ou comme
conséquences d'une impression très-légère, et qui finissent par rendre la vie
insupportable [Dermatomyomes^ obs. de M. Ernest Besnier, obs. de MM. Solles,
Arnozan, Vaillard, Annales de dermatologie, 1880-1881). La compression des
filets nerveux serait dans ces cas la cause des douleurs; c'est du moins ime
supposition fort raisonnable, mais non démontrée.
Hàlons-nous d'ajouter qu'il serait dangereux de prendre à la lettre la catégo-
risation que nous venons d'établir dans les lignes qui précèdent. Trop d'éléments
nous échappent encore pour qu'il soit possible d'établir des distinctions absolues.
Pourquoi, par exemple, la sclérose de la peau, si peu douloureuse quand elle se
montre par plaques isolées, s'accompagne-t-elle fréquemment, quand elle revêt
l'aspect de la sclérodactylie, des phénomènes si pénibles de l'asphyxie des
DERMALGIE. t)21
extrémités? Est-ce à des lésions vasculaires, est-ce à une prolifération des fibres
lisses, comme Neumann et Rossbach en ont quelquefois signalé la présence,
qu'il faut attribuer ces dermalgies? On ne peut que rester sur la réserve. Quand
l'anatomie pathologique fait défaut, la pathogénie ne peut être interprétée. Or,
en matière de sclérodermie et de tumeurs de la peau, nous sommes au début
de nos connaissances. En attendant que les études dont mon savant maîtie
M. E. Besnier a si heureusement pris l'initiative, aient pu être terminées, on
ne saurait se prononcer.
En énuroérant, comme on vient de le voir, la plupart des dermatoses, nous
n'avons pas eu la prétention de les classer. En cherchant à les grouper au point
de vue d'un symptôme unique, la douleur spontanée, nous avons montré quels
rapports semblent exister habituellement entie ce symptôme d'une part, le
siège et la forme générale des lésions cutanées de l'autre. Peut-être trouvera-t-on
dans celte méthode quelque chose de trop artificiel; à coup siir, elle n'a pu
embrasser tous les cas, et nous a forcé à laisser de côté, entre autres affections,
toute une série de cas sur lesquels il faut maintenant appeler l'attention : nous
voulons parler des dermatoses que l'on peut considérer comme des lésions
tropliiques consécutives aux maladies du système nerveux. Ici le problème
devient singulièrement complexe, et l'on conçoit très-bien que la dermalgie, si
elle se rencontre dans ces cas, puisse dépendre tout à la fois et de la lésion
nerveuse primitive et de la lésion cutanée secondaire, devienne très-difficile à
interpi'éter au point de vue pathogénique et présente par suite une valeur séméio-
logique d'une évaluation des plus délicates. Ces remarques peuvent s'appliquer
à un nombre considérable d'atfections : le zona, certaines éruptions pemphi-
goïdes, quelquefois même des ichthyoses partielles, des vitiligo. L'étude de ces
laits exige quelques détails, mais nous pensons qu'elle ne peut être faite avec
fruit que lorsque la connaissance des dermalgies dans les cas de maladies du
système nerveux, et en particulier de névralgies et de névrites, nous aura mis
en main tous les éléments de la question.
2° De la dermalgie dans ses rapports avec le rhumatisme. En dehors des
dermatoses proprement dites, la peau peut être affectée à titre secondaire dans
les affections des organes qu'elle recouvre (arthrites, phlegmons, etc.), et devenir
ainsi le siège de douleurs parfois très-pénibles. Ces dermalgies, accessoires en
quelque sorte dans le tableau clinique, ne nous arrêteront pas. Mous nous occu-
perons seulement d'un point : les douleurs cutanées dans leurs rapports avec le
rhumatisme. La plupart des détails qui suivent sont empruntés à l'article de
M. E. Besnier.
Le rhumatisme peut intéresser la peau dans différentes conditions. Dans son
mode aigu, les lésions articulaires peuvent compromettre la peau circonvoisine,
et il est fréquent de constater, « outre les douleurs articulaires, des douleurs le
long des gaines tendineuses, des névralgies, des points dermalgiques plus ou
moins étendus » (E. Besnier, loc. cit.). Dans le même mode, les déterminations
tégumentaires peuvent encore provoquer de la douleur. « Souvent indolentes
en elles-mêmes, les éruptions du rhumatisme articulaire aigu sont parfois
douloureuses spontanément (élancements), fréquemment douloureuses à la
pression, dans les cas surtout où l'érythème forme des nodosités ou des plaques »
(E. Besnier, /oc. ciï,).Ces dermalgies, liées aux éruptions avec exsudations et op-
posées à l'indolence des simples érythèmes marginésdnntla congestion fait presque
tous les frais, montrent que les manifestations cutanées du rhumatisme n'échappent
622 DEUMALGIE.
pas à la loi que nous avons cherché à établir à propos des dermatoses. De même,
dans sa thèse inaugurale, Davaine nous montre que l'œdème rhumatismal peut
être indolore, douloureux à la pression ou spontanément douloureux, suivant le
degré de dureté des parties tuméfiées, c'est-à-dire en réalité suivant l'abondance
de l'exsudat qui infiltre les mailles du tissu conjonctif sous-cutané et le derme
lui-même.
A côté de ces douleurs manifestement dépendantes de lésions cutanées, le
rhumatisme peut provoquer de la dermalgie sans qu'aucun autre symptôme que
la douleur vienne révéler sa localisation dans la peau. C'est surtout dans les cas
de rhumatisme vague qu'on observe ces faits. « Chez ces malades, dit M. £. Besnier,
il y a très-fréquemment des perversions de la sensibilité cutanée; au premier
rang, l'impressionnabilité au froid, aux courants d'air... Puis sous des influences
diverses, émotion, fatigue, course rapide, quelques sujets éprouvent des sensa-
tions douloureuses ou plutôt pénibles d'élancements et surtout de picotements
multipliés, qui envahissent tout ou partie du tégument à la manière d'étincelles
traversant la peau. Chez d'autres, c'est une véritable dermalgie, transitoire ou
permanente, localisée le plus ordinairement au crâne, sur le tronc, sur les
membres inférieurs * [loc. cit., p. 772). Ces douleurs rhumatismales de la
peau ont été pendant longtemps presque seules, étudiées sous le nom de dermalgie.
Beau, le premier, en a donné une description détaillée, et jusqu'à la publica-
tion de l'article de M. Martineau dans le Dictionnaire de médecine et de chirurgie
■pratiques, son mémoire a constitué à lui seul toute la bibliographie du sujet,
car les auteurs du Co»*;;enr//«m, Grisolle, Axenfeld, etc., se sont bornés à le
reproduire ou à le résumer.
Les caractères de la dermalgie rhumatismale seraient, d'après Beau, les
suivants : à la suite d'un refroidissement, surtout à la suite de l'action du froid
humide, le malade, qui le plus souvent est un homme adulte, sent se développer
une douleur, dans une région limitée du tégument, située quelquefois aux
membres inférieurs et plus fréquemment à la tête. La région malade peut être
très-étendue, quelquefois elle n'occupe que 1 à 2 décimètres carrés. La douleur
est d'intensité et de nature très-variables; chez l'un, ce sont de simples pico-
tements ; chez l'autre, des souffrances aiguës intolérables. Presque toujours elle
est continue à redoublements intermittents, plus insupportable encore la nuit
que le jour. Le moindre frottement réveille la douleur, et l'hyperesthésie s'ajoute
à un tel point à la dermalgie que le simple frôlement des cheveux peut provoquer
un accès. La durée de cette affection ne dépasse guère deux septénaires; elle
peut être beaucoup plus courte et la douleur s'éteint quelquefois le jour même
qui l'a vue naître. Dans quelques cas assez rares, la dermalgie rhumatismale a
pris les allui'es d'une maladie aiguë féluilc. Une grande étendue de la peau est
alors rapidement envahie par la douleur; toute la surface du corps peut être
même atteinte. La fièvre s'allume, grandit avec la douleur, puis les deux
phénomènes décroissent et disparaissent simultanément après une courte durée.
11 était nécessaire de reproduire les traits principaux du mémoire de Beau,
mais il ne l'est pas moins d'y ajouter certaines réserves. S'il est incontestable,
en effet, que cette description s'applique à une forme particulière de dermalgie,
il n'est pas démontré qu'il s'agisse d'une dermalgie rhumatismale. Beau se
préoccupe avant tout de l'action étiologique du froid, mais on ne saurait accepter
comme rhumatismales toutes les affections à frigore. C'est par la coïncidence
d'affections articulaires, par la constatation, chez le sujet observé, d'atteintes
DERMALGIE. 025
antérieures ou actuelles du rhumatisme, que l'on pourrait démontrer l'identité
de nature de cette dermalgie. Pareille étude ne paraît pas avoir été faite par Beau.
Ses observations indiquent à peine les antécédents des sujets, elles ne contien-
nent aucun renseignement sur les phénomènes nerveux qu'ils pouvaient présenter
par ailleurs. Cette omission, légitime à une époque où l'on n'avait que de vagues
notions sur les maladies spinales, doit inspirer une sage défiance aujourd'hui
que l'on sait rapporter à des lésions centrales du système nerveux un grand
nombre de douleurs ressenties à la périphérie. Pour toutes ces raisons on doit,
en acceptant la description clinique de Beau, rester dans l'indécision au sujet
de la pathogénie qu'il affirme, en attendant que des faits du même genre, plus
complètement observés, puissent nous éclairer sur le bien-fondé ou le mal-fondé
.de ses assertions.
3* De la douleur traumatique. Avant d'arriver à l'étude des névralgies, il
est un dernier mode de douleurs cutanées dont nous voulons dire un mot : c'est
celle qui succède aux traumatismes de la peau. Lorsque le tégument subit une
violence extérieure, celte action détermine une douleur immédiate, dont les
caractères peuvent varier suivant la nature et la force de l'agent vulnérant.
Cette douleur s'épuise peu à peu, de même que l'écoulement de sang finit par
s'arrêter. C'est ce que M. Yerneuil appelle Valyostase, phénomène qu'il oppose
et compare à Vhémostase. Mais en même temps se développe une hyperesthésie
qui survit à cette douleur, et dont nous rappellerons ici les caractères, non parce
qu'ils se rattachent directement à la dermalgie, mais au contraire pour montrer
combien il est important de distinguer l'hyperesthésie des douleurs spontanées.
« Elle (l'hyperesthésie) n'en constitue pas moins un phénomène à part d'une
indépendance manifeste. En effet, on la voit souvent manquer dans les premiers
moments qui suivent la blessure, se développer, en revanche, après douze, vingt-
quatre heures ou plus tardivement encore, alors que la douleur primitive a déjà
complètement disparu, s'accroître encore les jours suivants, sans que les souf-
frances proprement dites se réveillent, manquer enfin quand le sensorium rap-
porte encore au point blessé ou à ses environs des sensations plus ou moins
pénibles » {loc. cit., p. 536). Ces réflexions peuvent s'appliquer aux simples
contusions.
Plus tard, des douleurs spontanées peuvent apparaître autour du point blessé.
Elles dépendent alors de névralgies ou de névrites, soit précoces, soit tardives ;
malgré l'intérêt clinique qu'elles présentent, elles ne doivent pas actuellement
nous arrêter, car elles n'ont pas d'autres caractères que les dermalgies qui vont
faire le sujet du chapitre suivant.
DERMALGIES DANS LES AFFECTIONS DES NERFS. La question des lésions
propres aux névralgies, de leui's rapports avec la névrite, est loin d'être résolue;
on se convaincra de l'incertitude qui règne encore sur elle en lisant les publica-
tions récentes oii elle est traitée, entre autres les articles de M. Haliopeau dans
le Dictionnaire de médecine et de chirurgie pratiques, et de M. Lereboullet dans
ce. Dictionnaire. Bien que, pour la parfaite clarté du sujet actuel, il soit de la plus
haute importance qu'elle soit tranchée, ce n'est point ici le lieu delà reprendre.
Il vaut mieux se contenter actuellement d'une solution provisoire, qui ne
préjuge rien ; comme névralgies proprement dites, nous ne considérerons que
les cas où la douleur est le symptôme prédominant, et où l'on ne constate en
outre que de simples troubles fonctionnels sensitifs ou moteurs; si à ces signes
624 DERMâLGIE.
s'ajoutent des lésions tropliiques (amyotrophies, éruptions, etc.), ce n'est plus seu-
lement de la névralgie, c'est de la névrite. Réduite à ces termes, la question n en
reste pas moins fort délicate, et en clinique l'interprétation des faits observés
set parfois si difficile que ^Yeir Mitchell, laissant de côté les noms trop compro-
mettants de névralgie et de névrite, parle souvent de l'irritation des nerfs en
ayant bien soin de dire que cette irritation ne répond à rien de précis dans sa
pensée.
1° Névralgie. Lorsque la névralgie est pure, si l'on peut ainsi dire, lorsque
la douleur en est l'unique ou, du moins, le principal signe, il est difficile de
savoir quel rôle y joue la dermalgie, car cette question semble avoir laissé
indifférents malades et médecins. Le malade, en effet, s'inquiète peu de savoir
quel tissu, quelle membrane, quel organe, souffrent; il souffre en un point .
déterminé qu'il désigne, en un point où la pression augmente la douleur, où le
mouvement l'augmente aussi quelquefois, et peu lui importe qu'elle soit cutanée
ou musculaire, pourvu qu'il sacbe qu'elle est nerveuse. Pour faire cette locali-
sation, il faut détacber la peau des parties sous-jacentes et en faire un pli dont
on explore la sensibilité, ou bien faire glisser les téguments et comprimer à
travers la peau saine les parties sous-jacentes au niveau du point douloureux.
Si la douleur se reproduit encore dans ce cas, c'est qu'elle est profonde. Mais
cette exploration, pourtant bien simple, est rarement faite ou du moins men-
tionnée par les auteurs. Valleix, uniquement préoccupé de la détermination
géograpbique de ses points névralgiques, ne rechercbe pas si la douleur est
superficielle ou profonde. Les auteurs qui, après lui, ont étudié les névralgies,
ont discuté l'existence, la fréquence, la situation de ces points douloureux, ils
ont fait connaître la coexistence de troubles de la sensibilité tactile, anesthésie
ou hyperesthésie avec les douleurs. Mais la recherche même de la dermalgie a
encore été négligée. Elle exige donc de nouveaux faits cliniques; en les atten-
dant, voici ce qui résulte des observations antérieures. La douleur essentielle de
la névralgie a pour siège le tronc nerveux lui-même; mais les picotements, les
fourmillements, les engourdissements si fréquents dans cette affection, dénotent
que la peau souffre aussi. Les points névralgiques, oià la douleur est permanente
et d'où partent les élancements douloureux intermittents, paraissent aussi être
lies points dermalgiques, car souvent une légère excitation de la peau à leur
niveau, incapable d'agir directement sur le nerf, suffit à provoquer les paroxysmes.
Enfin, quelques observations, mais elles sont rares, mentionnent que les élan-
cements douloureux sont très-supertîciels et ne suivent le trajet anatomique
d'aucun filet nerveux, ce qui ne peut s'expliquer que par la localisation de la
douleur dans les ramuscules intra-ciitanés. Sans préjudice des douleurs plus
profondes, la dermalgie est donc un élément de toute névralgie bien caractérisée,
mais un élément d'une valeur beaucoup moindre que Ihyperesthésie.
2° Névhite. Cacsalgie. Les douleurs de la névrite ont été remarquablement
étudiées par Weir Mitchell. On ne saurait mieux faire que de reproduire sa
description : « Les désordres consécutifs à l'irritation des nerfs blessés, lorsqu'ils
commencent à se produire, constituent une nouvelle source de douleurs; les
actions réflexes prennent un développement nouveau; la peau elle-même, parti-
cipant à ces déviations Irophiques, ne protège plus les extrémités nerveuses que
d'une façon insuffisante, et on voit alors surgir des douleurs d'une nature par-
ticulière. Nous avons rencontré fréquemment dans notre pratique médicale des
hommes qui se plaignaient de douleurs très-vives, qu'ils comparaient eux-mêmes
DERMALGIE. 025
à une brûlure, à l'action d'un sinapisme très-chaud, ou à l'effet d'une lime
rougie au feu qui éroderait la peau. Chez ces malades et chez beaucoup d'autres
que j'ai vus plus récemment, la douleur dont nous parlons s'accorapagaait de
cette disposition particulière que nous avons appele'e aspect luisant de la peau.
Jamais nous n'avons rencontré cette affection des téguments sans la sensation de
cuisson; celle-ci, d'ailleurs, peut se montrer sans altération de la peau, ou alors
que cette altération ne fait que commencer. La sensation de cuisson est donc le
phénomène primitif ; les modifications cutanées, le symptôme secondaire. Jamais
cette espèce de souffrance n'a fait défaut dans les cas oiî la nutrition de la peau
était gravement compromise. »
Weir Mitchell établit ensuite que cette douleur apparaît pendant la guérison
de la plaie, soit dans le territoire du nerf blessé, soit dans celui des nerfs voi-
sins; qu'elle siège de préférence à la paume des mains et sur la face dorsale du
pied, jamais au tronc.
« Le plus grand nombre des patients décrit la douleur comme localisée à la
superficie, mais d'autres prétendent la ressentir dans la profondeur et presque
dans les jointures. Quoi qu'il en soit, lorsqu'elle a duré longtemps, elle paraît
se réfugier dans la peau. Son intensité varie depuis une simple cuisson jusqu'à
un état de toiture à peine croyable, capable de réagir sur toute l'économie et de
compromettre la santé générale. Non-seulement la partie affectée souffre de cette
sensation de brùliu'e, mais l'hyperesthésie exalte sa susceptibilité nerveuse au
point qu'un simple choc, un léger attouchement avec le doigt, provoquent une
exacerbation de la souffrance. Les malades évitent l'exposition à l'air avec des
précautions qui semblent ridicules ; quelques-uns passent leur temps à mouiller
continuellement leur main, trouvant un soulagement dans l'humidité elle-même
plutôt que dans la fraîcheur de l'eau qu'ils emploient. Deux de ces malheureux
transportaient partout avec eux une bouteille d'eau et une éponge, afin de ne pas
permettre que la peau se desséchât jamais. A mesure que la douleur augmente,
le retentissement sur tout l'organisme s'accroit, le caractère s'aigrit, le visage
exprime l'anxiété, le regard laisse lire la fatigue et la souffrance. Les nuits sont
sans repos. L'état général, réagissant à son tour sur la blessure, exalte encore
l'hyperesthésie, et alois le froissement d'un journal, le souffle du vent, le pas
d'un homme, les vibrations produites par une marche militaire, le choc du pied
contre le sol, exaspèrent la douleur. En un mot, pour employer le seul terme
qui convienne à cet état, le patient devient hystérique. Sa démarche est caute-
leuse; il soutient le membre blessé avec le membre sain; il est tremblant,
nerveux, il recourt à toutes sortes de moyens pour atténuer ses souffrances.
Dans deux circonstances j'ai vu les téguments s'hyperesthésier dans toute leur
étendue, lorsque la peau devenait sèche ; ces malades n'éprouvaient de soulage-
ment qu'en remplissant d'eau leurs bottes. Lorsqu'on leur en demandait la
raison , ils prétendaient en agissant ainsi diminuer les chocs que provoque la
marche. Nous ne pouvons nous expliquer comment et pourquoi il en était ainsi.
Un de ces hommes poussait les choses jusqu'à mouiller la main saine lorsqu'il
devait toucher l'autre, et lorsqu'un observateur voulait l'examiner, il insistait
pour qu'il prît la même précaution. La saison froide était ordinairement plus
favorable; la chaleur ou la déclivité du membre étaient mal supportées. Dans
les cas les plus intenses, les mouvements étaient intolérables, mais dans les cas
de gravité moyenne ils n'amenaient aucune incommodité, à moins d'être répétés
au point d'échauffer le membre » {loc. cit., p. 233 et suiv.).
DICT. ESC. XXVII. 40
626 DERMALGIE.
De pareils phénomènes me'ritent bien un nom spc'cial, et celui de causalgie,
que leur ont donné, les auteurs américains, est admirablement approprié. Il ne
laut pas croire que la causalgie soit spéciale aux névrites trauniatiques. Dans la
remarquable thèse de mon ami Tédenat sur les gelures on trouve plusieurs
exemples de causalgie consécutive à de très-anciennes gelures. Les douleurs
cutanées, le glossij-skin , cet état luisant de la peau, qui est en même temps
atrophiée, mince et congestionnée d'une façon permanente, en un mot, tous les
symptômes indiqués par Weir Mitchell, se trouvent réunis. J'ai pu récemment
observer moi-même un vieillard atteint de causalgie et de glossy-shm aux deux
pieds et qui présentait en outre un mal perforant. Gomme dans les faits de
Tédenat, il s'agissait de gelures anciennes.
Parfois des malades accusent non pas une sensation de chaleur ardente, mais
de froid glacial ; d'autres voient s'ajouter à leurs douleurs locales de véritables
douleurs fulgurantes. Toujours des troubles de la sensibilité tactile s'ajoutent
aux douleurs spontanées. L'hyperesthésie est la règle; quelquefois même, fait
exceptionnel, elje coïncide avec l'intégrité du tact. Souvent, au contraire, les
contacts sont mal perçus, mal analysés. Enfin, les sensations thermiques sont
presque toujours exagérées, amoindries ou perverties, sans qu'il ait été jusqu'à
présent possible de saisir la loi qui préside à leurs altérations.
La névrite, qui donne naissance à cet ensemble de désordres anatomiques et
fonctionnels, a pu être constatée par des nécropsies (Tédenat). Weir Mitchell
avait cru d'abord devoir les attribuer à un acte réflexe, l'irritation traumatique
d'un point du trajet nerveux étant simplement rapportée à la périphérie confor-
mément à une loi bien connue. Mais il observa plus tard que la sensation de
cuisson ne se rencontrait jamais dans les cas de division complète des nerfs,
que les irritations locales au niveau des points causalgiques y exaspéraient les
douleurs, alors que les mêmes excitations restaient sans action au niveau de la
cicati^ice; qu'au contraire les injections hypodermiques de morphine, qui géné-
ralement peuvent être faites en un point quelconque, sont toujours beaucoup
plus efficaces dans la causalgie lorsqu'on les fait « dans l'épaisseur des tissus
affectés ».
Il conclut que les désordres trophiques et circulatoires produits à la périphérie,
comme conséquences de l'irritation et de l'inflammation du nerf, deviennent
à leur tour la véritable cause des phénomènes douloureux. Cette interprétation
pathogénique nous amène naturellement à parler des autres lésions trophiques de
la peau consécutives aux lésions des nerfs et des douleurs qui les accompagnent.
Car le glossy-skin n'est pas la seule altération anatomique du tégument externe
qui puisse survenir dans des conditions analogues.
5*^ Lésions trophiques de la peau consécutives aux affections des nerfs.
L'affection la plus importante dans cet ordre de faits est le zona, que les
documents connus jusqu'à présent font considérer comme la conséquence d'un
état morbide dans la région du nerf, soit à son origine, soit dans son ganglion
spinal, soit dans son trajet ultérieur (M. Kaposi, loc. cit., p. 413). Les caractères
généraux de cet herpès sont trop connus pour qu'il soit utile de les rappeler.
Si la névralgie et l'éruption, qui en forment les traits les plus essentiels, évo-
luaient exactement dans le même temps, il serait difficile de faire la part de la
douleur qui doit être attribuée à l'état du nerf et de celle qui revient à la lésion
cutanée. Heureusement, la marche du zona présente souvent des irrégularités
qui peuvent nous éclairer. La névralgie peut précéder le zona de plusieurs jours
DERMALGIE. 627
on de plusieurs semaines ; et dans ce cas, il est bien e'vident que la douleur,
quelle qu'elle soit, superficielle ou profonde, n'a rien à voir avec les lésions
cutanées : c'est une névralgie dont les caractères, au point de vue de la dermalgie,
sont ceux qui ont été indiqués plus haut. Mais l'éruption survient. Sur une
base primitivement rouge s'élèvent des groupes de papules d'uii rouge vif,
bientôt transformées en vésicules ; et sur les points de la peau ainsi atteints
le malade éprouve une sensation de brûlure, parfois très-vive, qui se sura-
joute aux douleurs antérieures. Enfin, les complications qui sont le fait de la
maladie même Ihémorrhagies, gangrène), ou quelquefois des pansements in-
tempestifs (rupture des vésicules, application de collodion imparfaitement
élastique), peuvent, en augmentant les désordres locaux, entretenir et accroître
les douleurs.
Cependant, après une durée très-variable, les lésions cutanées finissent par
guérir, et avec elles disparaissent ce sentiment de brûlure, celte hyperesthésie,
qui ne peut supporter le plus léger contact; mais, dans quelques cas anormale-
ment graves, il peut rester, outre des troubles trophiques très-divers, une
névralgie rebelle.
A ce complexusde symptômes douloureux s'ajoutent fréquemment des troubles
de la sensibilité tactile, qui rendent plus confus encore le tableau clinique.
L'inégalité des lésions dans les différents filets cutanés du nerf enflammé
amènera, outre des élancements douloureux, ici de l'anesthésie, là de l'iiyperes-
thésie; et ces troubles seront répartis dans le territoire du nerf sans affecter de
rapport constant avec les placards éruptifs, de telle sorte qu'un groupe de
papulo-vésicules, très-douloureux au dire du malade, pourra être, aux yeux du
médecin qui explore la sensibilité, soit réellement byperesthésique, soit au
contraire anesthésique (voy. Rendu, loc. cit., p. 111). En dépit de ces difficultés,
nous croyons que d'une façon générale on peut admettre que dans le zona la
sensation de cuisson, de chaleur, de brûlure, est le fait de la lésion cutanée;
que les douleurs .paroxystiques, suivant le trajet du nerf, n'affectant avec l'ef-
florescence cutanée aucun rapport chronologique ni topographique absolu, sont
au contraire le résultat de la lésion nerveuse. Les mêmes réflexions s'appliquent
aux herpès de nature trophique, dont la description prend chaque jour plus
d'importance.
Les éruptions pemphigoides (nous ne disons pas le pemphigus) , qui suc-
cèdent à des lésions des nerfs traumatiques ou spontanées, donnent lieu à des-
considérations analogues.
Dans le pemphigus vulgaire on note une sensation modérée de brûlure et
de démangeaison au niveau des bulles, de la douleur et de la tension sur les
parties couvertes de phlyctènes et de croûtes nombreuses et cohérentes ou exco-
riées à la suite de l'arrachement de ces dernières (Kaposi, loc. cit., t. Il, p. 52).
Le pemphigvis zoster, qui succède à des lésions centrales, peut même être totale-
ment indolent, ainsi qu'en fait foi une observation de Brissaud {Bull. Soc. cli-
nique, t. m, p. 221).
Si, au contraire, l'éruption pemphigoïde succède à une névralgie, alors la
lésion du nerf ajoute à l'éruption une série de douleurs lancinantes, cuisantes
dans la peau, au point où apparaîtront les bulles, mais, avant leur apparition, de
sensations anormales et pénibles telles que fourmillements, engourdissements,
tiraillements des ongles. Les exemples abondent dans le traité de Weir Mitchell,
le mémoire de Rendu, la thèse de Leloir. Il n'y a point de doute : la dermalgie
628 DERMALGIE.
qui accompagne ces éruptions est attribuable à l'état des nerfs, non à l'éruption
même.
De même, si l'on étudie, au point de vue de la douleur, les dermatoses tro-
phiques, que Leloir a si remarquablement exposées, on reconnaît que les
affections naturellement indolentes, telles que le vitlligo et Vichthyose, peuvent
s'accompagner de douleurs très-vives, apparaître sur des plaques dermalgiques,
lorsqu'elles reconnaissent pour origine une lésion des nerfs péripliériijues. Nous
pourrions étendre cette affirmation jusqu'à l'érythème de Vacrodynie, si nous
avions la preuve qu'il n'est lui aussi qu'une lésion trophique; mais, si probable
que soit cette supposition, elle manque de démonstration, et il vaut mieux ne
rien préjuger.
En résumé, les affections tropbiques de la peau s'accompagnent souvent de
douleurs en disproportion avec leur lésion anatomique, et ce fait pourrait au
premier abord sembler en contradiction flagrante avec la loi qui, dans des affec-
tions génériques, nous a paru régler les rapports de la dermalgie et de l'état
anatomique de la peau. Mais cette contradiction n'est qu'apparente; la lésion
cutanée détermine toujours son contingent régulier de douleur; l'excès de sout-
france, ainsi qu'on peut en juger par les rapports chronologiques des douleurs
et des éruptions, par la comparaison des divers cas entre eux, appartient à la
névralgie ou à la névrite. C'est même là un fait si évident que la disproportion
de la douleur avec l'étendue ou la profondeur d'une lésion de la peau doit
toujours engager le clinicien à rechercher dans l'état des nerfs l'origine de cette
dermatose.
4° Migraine. Points de côté. Il eût été intéressant d'étudier si la dermalgie
intervient à un titre quelconque dans certaines douleurs, telles que la migraine,
les points de côté, etc. Mais l'analyse symptomatique est sur ce point-là si peu
avancée, qu'il vaut mieux réserver à des observations ultérieures le soin d'élu-
cider ces questions et ne pas s'engager prématurément dans une discussion
stérile.
DERMALGIE DANS LES MALADIES DES CENTRES NERVEUX. 1° Moelle
ÉpiNiÈRE. Un assez grand nombre d'affections spinales s'accompagnent de
violentes douleurs dans les membres. Au premier rang se trouve placé le tabès
dorsalis; c'est par lui qu'il importe de commencer l'étude des dermalgies d'o-
rigine centrale.
Les douleurs des membres dans l'ataxie affectent deux types principaux : le
type fixe, dans lequel elles ont le caractère de rongement, de martèlement,
de tenaillement; le type intermittent, auquel appartient la fulguration. Malgré
leur instantanéité, les douleurs fulgurantes se présentent avec des caractères
si nets, sont décrites par les malades en termes si précis, qu'on ne saurait
en méconnaître la localisation. La plupart des ataxiques que nous avons inter-
rogés à ce point de vue nous ont répondu que ces douleurs sont profondes,
dans les os ou près des os.
Paifois elles sont plus superficielles. Pierret rapporte que les malades se plai-
gnent d'élancements, de coups de canif dans les rameaux cutanés du tri-
jumeau.
Charcot signale aussi la fulguration douloureuse le long des nerfs cutanés ;
alors il n'est pas rare de voir des lésions trophiques succéder à une crise de
douleurs fulgurantes. Mais, dans ces cas, on le voit, la souffrance est par son
DERMALGIE. 629
siège plutôt névralgique que dermalgique. Elle peut cependant avoir dans cer-
tains cas ce dernier caractère. Sans parler des démangeaisons très-cuisantes
dont se plaignent certains ataxiques, il en est qui mentionnent des sensations
multiples de coups d'épingle dans la peau, analogues, nous disait un malade
fort intelligent, aux piqûres profondes qu'on lui avait faites pour explorer sa
sensibilité.
Les douleurs fixes le plus souvent aussi sont profondes : « Ce sont les os
qui sont rongés, les chairs déchirées par des tenailles, ce n'est presque jamais
la peau qui souffre. » Cependant le cas se rencontre. Une femme de quarante-
quatre ans, que nous observons en ce moment et chez qui l'at.ixie se caractérise
par des douleurs fulgurantes, des crises gastriques, des symptômes oculaires,
présente chaque jour, après ses repas, des plaques rouges nettement circon-
scrites sur les joues, plaques au niveau desquelles elle gouffre pendant plusieurs
heures d'une sensation atroce de rongement. Chez un malade du service de
M. le professeur Pitres, il existe, presque symétriquement sur le bord externe
des pieds et la partie postérieure des talons, deux zones oii le malade ressent
un rongement perpétuel à la surface de la peau. Cette douleur redouble
au moment des changements atmosphériques. Les zones qu'elle occupe sont
peu sensibles à la douleur (piqûres), assez sensibles au froid. Les contacts
comme les excitations douloureuses y sont perçus avec un retard de deux à trois
secondes.
Cette anesthésie au niveau des régions douloureuses dans l'ataxie est fré-
quente, mais est loin d'être la règle. Chez une de nos malades, il existait au
contraire dans un cas analogue de l'hyperesthésie. De même, après les douleurs
fulgurantes, on trouve les régions qui en ont été le siège soit pourvues de leur
sensibilité normale, soit anesthésiées, soit hyperesthésiées.
Telle est la dermalgie dans l'ataxie. A quelle lésion faut-il la rapporter? Peut-
elle servir au diagnostic de localisation de la sclérose dans les divers territoires
de l'axe médullaire? Nous nous garderons de répondre à ces questions; nous
ferons même à cet égard une réserve : c'est que peut-être certaines lésions des
nerfs périphériques ont une part importante dans la production de ces douleurs.
Des observations récentes de Déjerine et de Pitres ont montré qu'il pouvait y
avoir des lésions dans les nerfs des ataxiques.
Ces faits, bien qu'isolés encore, sont de nature à laisser en suspens toute ten
talive d'interprétation pathogénique de la dermalgie, ausfi bien que des douleurs
plus profondes dans le tabès.
D'autres affections spinales peuvent s'accompagner de douleurs périphé-
riques, par exemple, la sclérose en plaques, la compression lente et les plaies de
la moelle, les méningites racbidieiines, etc. Ces douleurs sont le plus souvent
profondes. Dans tous les cas, d'ailleurs, on retrouve soit une lésion plus ou
moins étendue des coi-dons postérieurs, soit une altération des racines, des
ganglions ou des nerfs rachidiens, c'est-à-dire les désordres anatomiques du
tabès dorsal ou de la névrite.
Dans ces conditions, la dermalgie, si elle existe, prend des caractères qui
nous sont déjà connus et sur lesquels il est inutile de revenir. On peut men-
tionner seulement la sensation excessive de chaleur qui tourmente les sujets
atteints de paralysie agitante et qui a son siège habituel au creux épigastrique,
au dos, à la face, aux membres. Cette sensation, avec laquelle coïncide une
abondante sécrétion de sueur et que ne justifie aucune élévation de la terapé-
630 DERMALGIE.
rature centrale, est une cause de plaintes incessantes de la part des malades
et mérite peut-être d'être rapprochée de la dermalgie.
2° Encéphale. Nous ne dirons rien de la dermalgie dans ses rapports avec
les maladies de l'encéphale. Nons serions même embarrassé de dire si elle
existe ou si elle n'existe pas. L'iiyperesthésîe a été rencontrée trois fois, d'après
Ballet, consécutivement à des lésions de l'écorce cérébrale ou du centre ovale,
au niveau du lobe frontal, c'est-à-dire en dehors de la zone sensitive qui dans
ces cas aurait été excitée par action de voisinage. Quant aux douleurs spon-
tanées de la peau, nous n'avons pas trouvé à leur égard de documents utilisables.
5° Névroses. La dermalgie n'est pas un symptôme de l'épilepsie; on ne
saurait en effet donner ce nom à la sensation d'air frais qui constitue l'aura.
Quelquefois cette aura est douloureuse. Mais la douleur, dans ces cas, paraît
être plutôt limitée au trajet d'un nerf qu'étendue à une portion de la surface
de la peau.
Dans l'hystérie, au contraire, les douleurs cutanées sont fréquemment obser-
vées. Malheureusement les auteurs ne distinguent pas assez nettement entre
l'hyperesthésie et la dermalgie. Ainsi, d'après Briquet, qui fait de celle-ci le
degré le plus élevé de celle-là, ce symptôme pourrait passer inaperçu, s'il ne
s'applique qu'à de petites surfaces, affirmation qui vise évidemment les douleurs
provoquées, mais qui dans aucun cas ne peut concerier les douleurs spontanées.
Axenfeld, qui reprend la description de Briquet, ajoute cependant que « quel-
ques malades accusent spontanément à la peau un froid glacial ou une ardente
chaleur, des fourmillements, des picotements, des élancements, de vives déman-
geaisons » {loc. cit., p. 622). Nous ne saurions utiliser ici les divisions, les
statistiques que donnent ces auteurs; la confusion que nous avons signalée
exige que ces études soient reprises.
On trouve à ce sujet de remarquables observations dans les leçons de Brodie.
C'est ainsi qu'à propos de la coxalgie hystérique, après avoir montré par
combien de signes elle se rapproche en apparence de la vraie coxalgie : douleur
spontanée, douleur à la pre<^sion exercée sur les os, immobilité, il ajoute :
« Partout la sensibilité siège dans l'enveloppe cutanée ; si vous pincez la peau
jusqu'à la soulever des parties sous-jacenles, la malade se plaint plus que si
vous poussez fortement le fémur dans la cavité cotyloïde; » signe important
qui peut mettre sur la voie du diagnostic. Puis, avec une grande finesse d'ob-
servation, il remarque qu'il n'y a pas d'amaigrissement malgré la longue durée
des douleurs, pas d'élancements douloureux pendant la nuit, et que, si la
douleur empêche la malade de s'endormir, le sommeil une fois venu persiste
plusieurs heures sans interruption.
Au sujet de certaines paraplégies hystériques, Brodie fournit encore des
observations de graufle valeur. La malade se plaint d'une douleur dans le dos.
Mais celle-ci, plus vive d'ailleurs que dans la carie vertébrale, siège dans la
peau, dont le pincement est plus douloureux que la percussion des apophyses
épineuses. De plus, elle est mobile et se déplace fréquemment; enfin elle n'est
pas limitée à un point, mais s'étend dans les diverses régions du rachis.
Le clou hystérique est-il formé par une région dermalgique du cuir chevelu?
Pour Briquet la question n'est pas douteuse; c'est simplement une myalgie.
Valieix, en le rattachant à la névralgie de la cinquième paire, ne tranche pas la
question, car il ne se préoccupe pas de sa localisation superficielle ou pro-
fonde.
DERMALGIE. 631
Sans nier que les parties profondes, nerfs ou muscles, participent à cette dou-
leur continue, térébrante, qui constitue le clou hystérique, il nous semble
<jue la sensibilité à des pressions très-légères, telles que le passage du peigne,
^st de nature à faire admettre que la peau joue aussi un rôle important.
Dans la faiiase péritonite des hystériques, les douleurs cutanées ont égale-
ment leur grande part. « C'est une douleur vive, très-vive même; les malades
ne peuvent supporter le moindre attouchement, le poids des couvertures; elles
s'éloignent par un mouvement instinctif du doigt investigateur. Joignez à cela
un certain degré de gonflement, et vous aurez l'ensemble de la fausse péritonite,
apurions peritonitis des auteurs anglais. 11 est évident qu'ici les muscles et
la peau elle-même sont de la partie. La douleur occupe alors une assez grande
surface. » Cette citation, empruntée à M. Charcot, s'applique aux douleurs de
la région ovarienne. Mais ce n'est pas la seule qui puisse être atteinte. Dans
une observation de la thèse de Marcé, où des vomissements verdtitres complé-
taient le tableau de la fausse péritonite, c'est dans le flanc droit que la malade
soulfrait. « Dans toute cette zone qui répond au muscle grand oblique, la dou-
leur est violente, à peu près uniforme; elle s'accroît par la pression, mais
plus encore lorsqu'on pince la peau pour la détacher des couches profondes. »
La dermalgie h yslérique peut, on le voit, affecter les sièges les plus vai'ia-
bles : cuir chevelu, tronc, membres ; elle occupe en général des surfaces dont
l'étendue est loin d'être la même chez les divers sujets, mais qui ont des
limites assez tranchées; elle ne suit la direction d'aucun trajet nerveux connu,
mais s'associe au contraire à des douleurs des muscles et des viscères sous-
jacenls à la peau qu'elle frappe; elle est toujours accompagnée d'hyperesthésie;
ajoutons enhn qu'elle est très-mobile, ou plutôt très-irrégulière dans son allure,
et qu'après avoir habité de longues semaines la même région de la peau, elle
peut se déplacer brusquement ou même disparaître, sous l'influence d'une vive
émotion, en attendant qu'une autre secousse physique ou morale vienne déter-
miner son retour.
Ces caractères font de la dei'malgie hystérique une espèce bien distincte, au
milieu des autres dermalgies que nous avons étudiées soit dans les dermatoses,
soit dans les névralgies, soit dans l'ataxie.
La dermalgie hystérique n'est pas fréquemment associée aux douleurs qui
pi'écèdent et annoncent les grandes attaques; elle ne se lie pas volontiers aux
zones hijstérogènes. Ce n'est pas là un fait absolu; c'est ainsi qu'à travers la
peau endolorie par la fausse péritonite on i-elrouve parfois la douleur ovarienne.
Mais en général, aussi bien au niveau de l'ovaire qu'au niveau des zones mam-
maires, brachiales, poplilées, etc., la peau ne présente que sa sensibilité nor-
male ou même est absolument insensible, s'il s'agit d'une zone du côté hémi-
anesthésié.
Ce fait, déjà indiqué dans la thèse de Buet, m'a été confirmé par MM. Pitres
et Gaube, qui préparent en ce moment une étude complète des zones hystérogènes
et m'ont communiqué leurs documents avec une complaisance dont je suis
heureux de les remercier.
4** iMoxiCATioiNs. Les intoxications chroniques par le plomb et l'alcool déter-
minent des troubles de la sensibilité au nombre desquels la dermaliiie a été
signalée. On a même décrit une forme hyperesthésique de l'alcoolisme (Racle),
dans hiquelle le moindre attouchement provoque des cris et où des douleurs
atroces peuvent survenir spontanément dans la peau. Mais, dans ces intoxica-
632 DERMALGIE.
lions, la diminution, les perversions de la sensibilité, sont beaucoup plus fre'-
quentes que les modifications en excès. La dermalgie y est trop rare et trop peu
décrite pour que nous nous y attardions plus longtemps.
5° Aliénation mentale. La sensibilité cutanée est fortement troublée dans
les diverses formes de l'aliénation mentale. L'hyperesthésie, d'après Fèvre, rare
dans la démence et l'idiotie, serait plus fréquente cbez Ifs maniaques et les
mélancoliques hallucinés. « Tel malade, par exemple, sent à chaque instant des
courants électriques très-intenses que des ennemis lui appliquent sur maintes
parties de l'enveloppe cutanée; tel autre se plaint constamment de piqiàres
d'aiguilles sur la peau, qui le font horriblement souflrir. On s'aperçoit que ces
hyperesthésiés éprouvent réellement les douleurs qu'ils vous dépeignent, par
les contractions des muscles de leur visage, le jeu et l'expression de leur physio-
nomie, et par la vérité et la vivacité qu'ils mettent dans la description de leurs
tourments. »
Les hypochondriaques, les délirants par persécution, accusent fréquemment
de l'engourdissement, des picotements, fréquemment aussi des fourmillements
qui, d'après Semai, seraient d'un fâcheux augure, car ils dénoteraient l'ap-
proche de paralysies. Un aliéné cité par Morel (Racle, loc. cit., p. 75) se plaignait
amèrement qu'un chat lui grimpât le long des jambes en enfonçant ses griffes
dans les chairs. Un hypochondriaque, observé par Beau, présentait une analgésie
de toute la surface du corps et cependant éprouvait une sensation fort pénible,
dont il ne parlait qu'avec agacement et qu'il appelait une attaque de nerfs dans
la peau. Cette sensation le forçait à se lever la nuit et à se promener dans la
salle.
Ces faits se rapportent évidemment à la dermalgie : mais la douleur prend
dans tous ces cas des cai-actères particuliers. Il ne s'agit pas de sensations fixes,
permanentes, mais au contraire des phénomènes rapides, instantanés, imprévus.
Tantôt la sensation est générale et se répand sur toute la surface du corps,
tantôt elle est localisée à un membre ou à une surface limitée du tronc. Dans
les deux cas, elle se complique presque toujours d'hallucinations. L'aliéné ne se
contente pas de ressentir une impression pénible ; il en découvre aussitôt la
cause : c'est un ennemi qui le frappe, c'est un animal qui le pique ou le mord.
On conçoit combien ces hallucinations peuvent devenir dangereuses, soit pour
l'aliéné même, soit pour ceux qui l'entourent. Elles poussent parfois le malade
à tuer son persécuteur, à écraser l'animal qui le tourmente; ces hallucinations
douloureuses de la peau ont certainement une part dans les déterminations de
certains aliénés et méritent d'être attentivement étudiées. îl serait intéressant
de rechercher si elles provoquent des actes de violence plus facilement que les
hallucinations du toucher sans douleur, qui ne rentrent pas dans notre cadre.
DERMALGIES RÉFLEXES. Les dermalgies réfiexes ont été plutôt men-
tionnées que décrites; en réalité on trouve peu d'observations qui les re-
présentent d'une façon précise. On admet généralement que les diverses
régions de la peau sont en sympathie avec les viscères immédiatement sous-
jacents; quelques auteurs même, frappés de la coïncidence des douleurs super-
ficielles avec les lésions des organes profonds, ont supposé que les filets sym-
pathiques qui vont à ces derniers tirent leur origine de la moelle aux mêmes
points où naissent les nerfs des parties correspondantes de la peau. C'est ainsi
qu'on a indiqué des dermalgies du thorax dans les affections pulmonaires; de
DERMALGIE. 635
l'épigastre dans les maladies de l'estomac et du foie; du dos et du cuir chevelu
dans les le'sions de la moelle ou de l'encéphale. Quelquefois aussi c'est loin du
point de départ que se fait sentir la douleur, à la peau du nez, par exemple,
dans les cas de vers intestinaux (Beau) ou dans les régions symétriques du
membre opposé à celui qui a été atteint de gelures (Tédenat). Mais, nous le
répétons, on ne trouve à cet égard que des affirmations sans descriptions.
L'étude des dermalgies réflexes est tout entière à reprendre, ou plutôt à faire.
RÉSUMÉ. INDICATIONS THÉRAPEUTIQUES. En résumant les notions actuel-
lement acquises sur la dermalgie, on voit que ce symptôme peut se rencontrer
dans un grand nombre d'affections, souvent avec des caractères variés qui lui
donnent une certaine importance séméiologique. Dans les lésions de la peau,
associé le plus souvent à un degré plus ou moins élevé d'hyperesthésie, il
présente une intensité en rapport avec le siège des lésions, la rapidité de leur
évolution, avec leur nature. Chez les rhumatisants, la dermalgie se fait surtout
remarquer par sa marche et la coïncidence d'autres déterminations rhuma-
tismales. Un peu effacée dans la névralgie simple, elle se place au premier
rang dans la névrite, liée à la fois à l'état des nerfs et aux lésions trophiques,
et accompagnée de troubles de la sensibilité tactile qui lui donnent dans ces cas
une physionomie toute spéciale. Assez peu fréquente dans le tahes dorsal, peu
marquée dans les autres affections spinales, absente ou méconnue dans les
lésions encéphaliques, elle tient une large place dans la symptomatologie de
l'hystérie, où sa topographie spéciale, son nssocialion à l'hypéresthésie et aux
myalgies, en font un symptôme des mieux caractérisés, et dans certaines formes
d'aliénation mentale où elle exerce une influence incontestable sur les troubles
psychiques et les actes du malade.
Il n'existe pas de traitement vrai de la dermalgie. Dans certains cas, en effet,
elle peut passer inaperçue au milieu d'autres douleurs. Quand elle est reconnue,
c'est en s'adressant à la cause même qui la produit qu'on peut le plus sûrement
la combattre. Rappelons seulement que dans le rhumatisme et l'hystérie l'ap-
plication de vésicatoires loco dolenti a paru exercer une action favorable; que
dans les autres cas où elle mérite d'être directement attaquée, les injections
hypodermiques de morphine mieux que toute autre application narcotique ont
paru soulager le malade ; que dans la causalgie elles doivent de préférence être
faites au niveau des régions douloureuses (Weir Mitchell). Aiunozan.
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634 DERMÂTOBIE.
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WoiLLEz. Dict. de diagn. inédical, 1870.
DERMA^ISSE (.îsppa, peau, et vO(7(Tâj, piquer, qui pique la peau). Nom
d'un genre d'Arachnides du groupe des Acariens et de la famille des Gama-
sidés. Ces animaux attaquent les oiseaux et même accidentellement l'homme.
J'ai donné les caractères du genre, la description des principales espèces,
ainsi que des détails sur leurs mœurs et leur nocuité, à l'article Gamases (yoij.
Acariens, Gamases, Dermanyssus, ¥ série, t. VI, p. 620-622). A. Laboulbène.
«ERMAPTÈRES. Nom donné par Kirby à un ordre d'insectes que Bur-
meisler et Huxley ont nommé depuis Dermatoptères {voy. ce mot). Ed. L.
DERMATALGIE. Voy. DermALGIE.
DER.^ATITE. Voy. Peau.
DERMATOBIE (oépua, peau, et p/o;, vie, qui vit dans la peau). Genre
d'insectes Diptères, établi par Brauer dans les mémoires de la Société zoologique
et botanique de Yieiuie {Verhandhingen der K. K. Zool.-botanisch. Gesellschaft
in Wien, t. X, 1860), et renfermant des espèces rapportées aux Gutérèbres
{voy. CnrÉRÈBRE) par Macquart, Joly, Goudot, etc.
Les principaux caractères taxonomiques qui différencient les Dermatobies des
Gutérèbres sont les suivants : le troisième article des antennes est plus long
que les deux premiers pris ensemble, allongé au lieu d'être oviforme ou ellip-
tique comme dans les Gutérèbres. Le front est relativement plus large, plus
avancé. L'abdomen est aplati, triangulaire, au lieu d'être voûté et cordiforme.
Ges insectes sont extrêmement intéressants en ce qu'ils ont été regardés comme
parasites de l'homme sous le nom à'Œstrus hominis. Leurs larves ont été primi-
tivement connues et décrites. Ge n'est que bien plus tard et presque récemment
que les insectes parfaits ont été obtenus d'éclosion.
L'existence de larves de mouches vivant sous la peau de l'homme dans le sud
de l'Amérique a dû être constatée par les premiers voyageurs et naturalistes de
cette contrée. Mais le médecin français Artnre est le premier qui ait fait
connaître le Ve7' macaque de Cayenne [Observations su7' Vespèce de ver nommé
Macaque [in Mémoires de V Académie royale des sciences de Paris, Hist.,p. 72,
1753]). Linné, dans ses lettres à Pallas, avait mentionné des larves d'Œstre
parasites de l'homme. Gmelin, dans le Systema naturœ de Linné (édit. XIII, I,
V, 1788), admet, d'après Linné et Pallas, un OEstrus hominis, dont la larve
vivrait six mois sous la peau avant de se transformer. Humboldt et Bonpland
parlent de Mouches déposant leur œuf dans la peau de l'homme et produisant
une tumeur dans laquelle elles vivent [Essai sur la géographie des plantes,
p. 156, 1805).
Roulin, Guérin-Méneville et Vallot, en 1835, communiquent à l'Académie des
sciences des documents sur V OEstrus hominis. Geoffroy Saint-Hilaire et Duraéril
font un rapport, le 15 juillet 1835, sur trois notices relatives à l'existence de
l'Œstre de l'homme (voy. aussi Annales de la Société entomologique de France,
t. III, p. 518, et Bulletin, p. 85, 1855). La question de VŒstrus hominis était
DERMATOBIE. 635
très-discutée ; Latreille avait dit formellement : « Sans révoquer en doute la
véracité de ces témoignages, il n'en est pas moins certain que toutes ces obser-
vations... sont incomplètes. Je présume qu'elles appartiennent plutôt à la
Musca carnaria de Linut-eus ou à quelque autie espèce analogue, car toutes les
larves d'Œstres que nous connaissons ne vivent que sur des quadrupèdes her-
bivores et rongeurs [Nouveau Dictionnaire d'histoire naturelle, etc., t. XXlï,
p. 270. Paris, 1818). Et cependant, depuis les faits d'Arture, ceux de Howship,
de Say, de La Condamine, du Père Simon et de Barrère, tous ceux relatés par
Hope dans son mémoire célèbre {Transactions of the Enlomological Society of
London, vol. Il, p. 256-271, pi. XXll, 1840), ne se rapportaient pas à des larves
de Muscides créopbages ordinaires.
Justin Goudot fixa la science à cet égard en décrivant dans les Annales des
sciences naturelles {Zoologie, 5" série, t. III, p. 221, 1845) le fait d'une Œstride
ayant vécu sous la peau humaine à l'état de larve à la Nouvelle-Grenade, et en
même temps nuisible aux bœufs. 11 la décrivit sous le nom de Cnterebra
noxialis.
Depuis cette époque, l'idée d'un Œstrus hominis, exclusivement propre à
l'espèce humaine, adoptée par lUidolphi, Raspall, Guérin-Méneville, etc., est
abandonnée, et tontes les observations qui ont suivi, propres à Coquerel et Salle,
Friedrich MûUer, à Frantzius, etc., montrent que les Dermatobies attaquent à
Ja fois les animaux domestiques et sauvages, ainsi que l'homme.
La synonymie des larves du genre Dermatobie est la suivante : à Cayenne,
Ver macaque; au Brésil, Ura; à Costa Rica, Torcel; parmi les Indiens-Maynas,
Suglacuru; à la Nouvelle-Grenade, Gusano-peludo ou Niiche; au Mexique,
Ver moyacuil.
Les larves de Dermatobies sont allongées, terminées en pointe, pourvues
d'épines à leur moitié antérieure et seulement au bord supérieur et inférieur
de leurs anneaux {voy. pour les figures : Brauer, Monographie der Œstriden
[in Verhandl. der K. K. Zool.-botan. Gesellschaft in Wien, tab. X, fig. 1 à 5,
1863]; A. LABonLBÈNE, Rapport sur une larve d' Œstride extraite de la peau
d'un homme à Cayenne [in Mémoires de la Société de Biologie, 5- série, t. 11,
p. 161, 1860]; Description et figure d'une larve d'Œstride de Cayenne [in
Annales de la Société entomologique de France, 4* série, t. I, p. 249, pi. 7,
1861]). Ces larves sont très-différentes de celles des Cutérèbres, qui sont épaisses,
ramassées, non atténuées en arrière, et simplement grenues, sans fortes épines
lamelliformes ou unciformes {voy. Brauer, loc. cit., tab. X, hg. 4).
Les deux espèces principales de Dermatobies connues à l'état parfait, de per-
fectose ou d'imago, sont la Dermatobia cyaniventris de Macquart, décrite par
lui en 1843 dans ses Diptères exotiques (t. 11, p. 19. Paris, l'ioret) sous le nom
de Cuterebra cyaniventris {Extrait des Mémoires de la Société royale des sciences,
de l'agriculture et des arts de Lille, 1840). Cette espèce du Brésil ne diffère de
la Dermatobia noxialis de Goudot que par l'abdomen entièrement bleu.
La célèbre Dermatobia noxialis de Goudot, longue de 17 millimètres environ
(7 à 8 lignes), a la face et la cavité frontale d'un jaune fauve, avec des poils
courts d'un blanc soyeux; yeux bruns, rayés au milieu par une bande noirâtre;
antennes jaunes, style brun; thorax brun, nuancé de bleuâtre, tacheté de gris
et de noir, formant des zones longitudinales, couvert de poils très-courts et noirs;
écusson comme le thorax; abdomen chagriné, d'un beau bleu, couvert de très-
petits poils noirs; le premier segment et le bord antérieur du second sont
636 DERMâTOBIE.
d'un blanc terne, avec des poils de cette couleur; ailes brunes; pattes fauves,
avec des poils fauves (mâle).
Goudot a donné sur les mœurs des larves et des insectes parfaits les détails
suivants, d'un haut intérêt : La Dermatohia {Cuterebra) notialis se trouve en
très-grand nombre sur la lisière des grands bois et dans les prairies à taillis. Ce
Diptère inspire beaucoup d'effroi aux bœuls à demi sauvages, qui préfèrent passer
la journée dans des endroits stériles et sablonneux plutôt que de s'exposer en
paissant à l'ombre aux attaques multipliées de nombreux ennemis.
Il est probable que les Dermatobies dé|tosent leurs œufs à la manière des
Hypodermes {voij. Hypoderme et Œstre) ; elles choisissent de préférence les points
les moins accessibles au museau ou bien à la queue de l'animal. Toutefois, les
Dermatobies femelles paraissent extrêmement fécondes, puisque sur un seul
bœuf on peut compter souvent, au dire de Goudot, plusieurs centaines de larves.
Ces larves couvrent une grande partie des épaules des bêtes à cornes formant
sous la peau, par leur réunion, une agglomération de nombreuses tumeurs, d'oii
découlent continuellement, par une multitude d'orifices, des matières purulentes.
Ces trous servent souvent à d'autres insectes diptères, qui viennent y déposer
leurs œufs, produisant ainsi des plaies parfois dangereuses et toujours difficiles
à guérir. On trouve aussi des larves de Dermatobies sur la tête, les flancs, la
queue, le long de l'épine dorsale, mais c'est toujours sur les épaules qu'est le
principal foyer d'habitation.
Une larve recueillie vers le milieu de juin, au district des mines de Marmafo,
s'est métamorphosée en insecte parfait le 4 août suivant.
Justin Goudot a démontré que non-seulement les bœufs, mais encore les chiens
transportés dans le Nouveau Monde, sont atteints, et que l'homme n'est pas
épargné : il n'y a donc point de parasitisme exclusif pour l'homme, et YŒstrus
hominis n'existe point comme espèce tout à fait à part. Lui-même a été atteint
par les Dermatobies. « J'ai eu, dit-il, sur différentes parties du corps, et indis-
tinctement sur toutes celles qui se trouvaient fortuitement découvertes, des
larves qui ne différaient pas de celles du bœuf et du chien. J'en ai même conservé
une pendant une quinzaine de jours sur une cuisse, et j'ai pu ainsi remar-
quer que l'espèce de succion qu'exécute la larve a lieu particulièrement de
très-grand matin (de 5 à 6 heures) et sur le soir, produisant un effet analogue
à celui d'une aiguille qu'on enfoncerait vivement dans la peau. »
J. Goudot nous a appris qu'en Amérique on emploie, pour débarrasser les
bœufs des Dermatobies logées dans leur peau, des procédés analogues à ceux
employés en Europe contre les Hypodermes. Après avoir fait sortir les larves des
tumeurs, on lave celles-ci avec de l'eau salée, on cherche à entraîner les œufs
que les Diptères ne cessent d'y déposer.
Souvent l'animal, nettoyé le matin, offre déjà le soir, dans les trous vides des
Dermatobies, une fourmilière de petits vers qu'on ne parvient à faire mourir
qu'en remplissant ces trous d'extrait de tabac, ou mieux encore en les saupou-
drant avec les fruits réduits en poudre de ÏAsagrea officinalis Lindley.
11 convient de laisser croître pendant quelques jours les larves des Dermato-
bies qui ont été constatées chez un homme, afin que la pression que l'on exer-
cera sur elles soit plus directe et plus efficace, et par là leur extraction
plus facile. C'est ce que les indigènes savent faire lorsqu'ils nourrissent des
larves de Dermatobies [voy. Diptères, Cotérèbre, Œstridks, Macaque).
A. Laboulbène.
DERMATOLYSIE. €37
DERMATOBRA!¥cnES. Groupe de MoJlusques-Opislhobranches compre-
nant tous ceux de ces animaux chez lesquels la respiration s'opère soit par la
surface des téguments, soit au moyen de brancliies externes {voy. Opistho-
BRANCHES). Ed. LEFiîVRE,
DEBMATOCHELYS. Le nom de Dermatochelys (ou Dermochelys) a e'té
proposé par de Blainville pour un genre de Tortues marines dont l'espèce la
plus remarquable est la Tortue Luth {Testudo coriacea L.). Il est donc absolu-
ment synonyme de Sphargis {voy. ce mot) . E. 0.
DERMATODECTE {Sipij-ix, peau, et ^/jxTi/.ôç, piquant, mordant, qui pique
ou mord la peau). Dès l'année 1841, Paul Gervais, ayant reconnu que VAcarus
de la gale en plaques et en croûtes écailleuses du cheval diffère du Sarcopte de
la gale humaine, avait établi pour cet Acarien un genre particulier qu'il caracté-
risa nettement et appela Psoroptes^ par opposition à Sarcoptes {Ayinales des
sciences naturelles, Zoologie, 2^ série, t. XV, p. 9, pi. 2, fig. 6, 1841).
Ce n'est que plus tard que Gerlach désigna le même Acarien sous le nom
générique de Dermatodecte, nom qui fut adopté à tort par 0. Delafond, malgré
la priorité du terme Psoroptes. Enfin, Furstenberg a publié sans plus de néces-
sité un troisième nom géuérique synonyme, celui de Dermatocopte {oépp.a,peau,
et xôTTTsiv, couper). Le professeur Charles Robin (voy. Mémoires de la Société'
des Naturalistes de Moscou, 1860) a rétabli les choses en leur lieu et place ; il
a rendu la priorité au nom de Psoroptes et rejeté en synonymie les Derma-
todectes et Dermatocoptes [voij. Acariens, Sarcoptes et Psoroptes).
A. Laboulbène.
DER:matoltsie (de Sépi/.x, peau, et >ûsiv, relâcher). Ce mot a été créé
par Alibert pour désigner une « affection caractérisée, selon lui, par une exten-
sion anormale de la peau, provenant d'une altération particulière de la faculté
contractile de cette enveloppe. »
Cette définition est au moins incomplète. Elle ne tient aucun compte d'une
modification très-importante, et peut-être la seule importante, éprouvée par le
tissu du derme : je veux parler de l'accroissement en nombre de quelques-uns
des éléments anatomiques qui entrent dans sa composition. Or, la dermatolysie
ou relâchement de la peau, cutis pendula, cutis lapsus, chcdazodermie, etc.,
ne va pas sans un certain degré d'hypertrophie.
Enfin, il est nécessaire d'ajouter que la dermatolysie, affection le plus sou-
vent congénitale et quelquefois acquise, appartient à la classe des difformité dse
la peau ou affections cutanées arrêtées dans leur évolution.
Nosographie. La dermatolysie consiste essentiellement, comme nous venons
de le dire, en une extension insolite avec épaississement et relâchement de la
peau. Devenue trop large pour les parties qu'elle recouvre, cette membrane
s'en détache, se [die en double en s'adossant à elle-même par sa face profonde,
et retombe entraînée par son propre poids vers les régions déchirées [cutis pen-
dula). De là la formation de plis ou prolongements cutanés variables en nombre
et en étendue selon le degré de l'altération, et dont la forme et la direc-
tion sont en rapport avec la configuration des parties. Tout se borne, dans cer-
tain cas, à un ou deux de ces plis, comme il arrive plus particulièrement aux
paupières; mais dans une forme compliquée de la maladie les prolongements
cutanés sont multiples et donnent lieu par leur ensemble à des apparences
658 DERMATOLYSIE.
très -diverses. On les a vus simuler, par leur disposition, les plis flollants d'une
draperie, ou s'enrouler autour du cou ou d'un membre à la manière d'une pala-
tine. On les a comparés encore assez justement aux claies du dindon et a-iix plis
qui existent naturellement au cou du taureau. M. Furneaux-Jordan a décrit une
affection qui formait comme une sorte de collier autour de la cheville, et un cas
analogue s'est également présenté à l'observation de M. Adams : l'hypertrophie
de la peau s'étendait à toute la jambe et s'accompagnait de prolongements
pendants sur différentes parties du corps.
La peau atteinte de dermatolysie n'a rien perdu de son activité fonctionnelle;
sa coloration, sa température, sont restées normales, au moins dans la généralité
des cas; les poils continuent à végéter à sa surface; ses diverses sécrétions n'ont
5ubi aucune modification appréciable. Quelquefois pourtant on remarque
une certaine vascularisation du tissu cutané qui entre dans la formation des
plis, et si l'on interroge sa sensibilité, on la trouve généralement un peu
diminuée.
La dermatolysie est une affection absolument indolente ; mais elle peut donner
lieu, par le seul fait de sa présence, à d< s désordres fonctionnels d'une véritable
gravité. C'est ce qui arrive notamment à la face, où toute déviation du type
normal devient si facilement une cause de trouble et de gêne pour les organes si
importants qui s'y trouvent concentrés.
La dermatolysie est toujours partielle. Alibert en a mentionné cinq variétés
selon le siège :
1° Une dermatolysie palpébrale (dermatolysis palpehrariwi) , variété très-
commune. Il cite le fait d'une jeune fille de la campagne dont les paupières
supérieures s'étaient allongées d'une manière si prodigieuse qu'elles couvraient
les yeux et la partie supérieure des joues;
2" Une dermatolysie faciale {dermatolysis faciei). Assez commune. Alibert
en rapporte un exemple des plus extraordinaires, observé chez un nommé
Lemoine, âgé de quarante-cinq ans. La presque totalité de la face et du crâne
était occupée par une suite de plis, les uns longitudinaux, les autres transver-
saux ou obliques, la plupart d'une étendue considérable, et qui formaient des
masses de peau pendantes, entraînées par leur propre poids vers les parties
déchirées, et au milieu desquelles disparaissaient à peu près complètement les
traits du visage ;
5" Une dermatolysie cervicale {dermatolysis collaris). Il s'agit ici d'un
homme âgé de soixante-deux ans, chez lequel le mal se serait manifesté vers
l'âge de quatorze ans. La tumeur avait la forme suivante : la peau singulière-
ment relâchée et sillonnée formait une sorte de triangle qui, de l'oreille droite,
se propageait jusqu'au devant de la poitrine ; cet amas de peau ressemblait
assez bien à celle que l'on voit pendre sous le cou des vaches ou au cou des gros
chiens de basse-cour;
4" Dermatolysie ventrale {dermatolysis abdominalis) . Variété assez fréquente ;
le relâchement de la peau de l'abdomen peut atteindre des proportions assez
considérables pour nécessiter l'emploi de moyens spéciaux de contention;
5» Dermatolysie génitale {dermatolysis genitalium). Alibert cite un cas fort
curieux, observé par lui chez une jeune fille de vingt ans. Cette affection, qui
consistait en un relâchement de la peau située entre les grandes et les petites
lèvres, lui parut avoir un rapport singulier avec l'appendice décrit par les
voyageurs che2 les femmes des Boschimans.
DERMATOPHILE. 659
Les cinq localisations mentionnées par Alibert ne sont pas évidemment les
seules que puisse affecter la dermatolysie. J'ai dit que M. Furneaux-Jordan avait
observé cette affection sur la région du cou-de-pied, et M. Adams sur la totalité
de la jambe; l'hypertrophie des orteils, maladie particulière aux Africains, est
aussi vraisemblablement une lésion du même ordre. Enfin Turner, dans son
T raité des maladies de la peau (Introduction, page xxi), cite un cas bien remar-
quable de dermatolysie (?) ayant pour siège l'épaule droite et la mamelle; ce
fait mérite d'être consigné ici ; je laisse la parole à Turner : « Je n'ai rien vu,
dit il, quant à la dilatabilité surprenante de la peau, qui approche de ce que
Mekrin rapporte d'un jeune Espagnol qui, avec la main gauche, portait à sa
bouche la peau de son épaule droite et de sa mamelle, comme il le fit voir dans
l'hôpital d'Amsterdam à Van Horn, à Sylvius, à Pison, et à quelques autres
savants médecins. Il étendait aussi la peau de son menton sur la poitrine, en
forme de longue barbe, et la portait après sur le sommet de la tête,
par où il se cachait les deux yeux ; après quoi, se remettant avec régularité dans
sa situation naturelle, elle y paraissait aussi unie que celle d'aucune autre
personne. Cet Espagnol pouvait étendre aussi en haut et en bas la peau du
genou et de la jambe droite, de la longueur d'une demi -verge; mais, ce qui
paraît encore plus remarquable, la peau du côté gauche du corps ne souffrait
aucune extension pareille. »
La dermatolysie est presque toujours congénitale; quelquefois pourtant elle
s'est manifestée à une époque variable après la naissance, mais peut-être ne
faut-il voir dms ces faits que le résultat d'une conformation organique jusque-là
restée latente et par conséquent méconnue : en effet, lai ésion qui nous occupe
paraît susceptible d'un certain développement, mais tout se borne à des modifi-
cations de forme et de volume.
Comme je l'ai dit en commençant, la dermatolysie ne va point sans un certain
degré d'hypertrophie ; le derme est épaissi, le tissu lamineux est plus dense
qu'à l'état normal, les filets nerveux plus volumineux et parfois renflés de
distance en distance de manière à constater des névromes. Ces caractères distin-
guent suffisamment la chalazodermie de tous les relâchements de la peau dus
à des causes purement mécaniques, comme l'ascite, la grossesse, etc.
En résumé, la dermatolysie est une difformité de la peau due à une aberra-
tion de nutrition dont le point de départ remonte généralement à la vie intra-
utérine. Cette affection, absolument locale, n'aura aucune influence fâcheuse
sur la santé générale, mais elle peut être grave en raison des déformations
qu'elle produit et des troubles fonctionnels qu'elle occasionne, lorsqu'elle se
trouve à proximité d'organes plus ou moins importants, comme il arrive à la
face. Quant au traitement, il n'y en a qu'un, faire l'ablation des plis avec le
bistouri, et réunir ensuite par la suture : mais on conçoit que ce moyen ne
s'applique qu'aux cas où l'affection est parfaitement circonscrite et de peu
d'étendue. Bazin.
DERMATOiiES. Tumeurs de la peau. Voij. Peau.
DERMATOPniLE {Sipixoc, peau, et tpi>oî, qui aime). Nom d'un genre d'in-
sectes, créé par Guérin-Méneville pour désigner la Chique ou Puce pénétrante,
si nuisible dans les pays chauds [voy. Chique). Les caractères de ce genre, dont
la priorité appartient bien réellement à Guérin-Méneville, ont été exposés avec
640 DERMATOSES.
ceux de l'espèce typique (Chique, t,. XVI, p. 229). J'ai discuté la valeur des
termes RJujnchoprion et Sarcopxj/Ua que Oken, Karsten et Westwood,ont voulu
appliquer à la Puce pénétrante. J'ai enlin démontré que la désignation de Der-
matophilus penetmns devait prévaloir (Chique, loco citato, p. 259) {voij. Lnsectes,
Puce, Suceurs). A. Laboulbène.
DERM.4TOPTÈRES {Dermcitoptera Burra.), de Sîpua, peau, et -^TÉpov, aile.
Groupe d'insectes que leur aspect caractéristique, rappelant un pou celui des
Coléoptères de la famille des Staphylinidés, et certaines particularités de leur
organisation, ont fait considérer pendant longtemps comme devant l'ormer un
ordre distinct, mais qui ne constituent plus aujourd'hui qu'une simple division
de l'ordre des Orthoptères.
Ce "^roupe correspond aux Labidoiires de Duméril et de Léon Dufour, aux
Dermaptères de Leacli, de Kirby et de Stephens, aux Euplexoptères de West-
wood et d'Emile Blanchard, enfin aux Harmoptères de Fieber. Il renferme la
seule famille des Forficulidés, dont les représentants, bien connus sous les
noms vulgaires de Forficitles, Pevce-oreilles, sont remarquables autant par les
deux organes en forme de pince qui terminent leur abdomen que par la ma-
nière compliquée dont s'opère le plissement de leurs secondes ailes sous les
élytres {voy. Orthoptères). Ed. Lefèvre.
DERMATOSES (de Sipaa,peau), mot par lequel Alibert désignait indistincte-
ment toutes les affections ou maladies de la peau.
Avant de tracer, de notre point de vue, l'histoire générale des dermatoses, il
convient de faire connaître de quelle façon ce vaste sujet a été envisagé par
les auteurs tant anciens que modernes. C'est donc par des considérations histo-
riques que nous commencerons cet article.
HISTOBIQUE DES DERMATOSES. Afin de créer quelques points fixes qui per-
mettent à la mémoire de se reconnaître au milieu des documents sans nombre
que comprend cette étude, nous établirons trois époques correspondant aux
grandes divisions de l'histoire universelle : la première s'étendra depuis les
temps les plus reculés jusqu'à la fin du quatrième siècle de notre ère; la
deuxième depuis le commencement du cinquième siècle jusqu'au milieu du
quinzième; la troisième depuis le milieu du quinzième jusqu'à nos jours. Je
tracerai, s'il y a lieu, des divisions secondaires.
Première époque. Elle se réduit à peu près complètement pour nous à l'an-
tiquité grecque et latine, en dehors de laquelle nous ne savons rien ou presque
rien des différentes races qui ont peuplé le monde en ces temps reculés. On
ne saurait douter pourtant que les dermatoses, exposées qu'elles sont à tous les
regards, s'offrant sous mille aspects divers, atteignant tous les âges et les deux
sexes, se montrant sous toutes les latitudes, aient dû, nécessairement, frapper
l'attention des observateurs de tous les lemps. Une preuve de ce fait nous est
fournie par le peuple Juif, dont les annales nous ont été transmises dans la
Bible, oiî l'on trouve les affections de la peau pour la première fois mentionnées
sous le nom de tsavath, traduit en grec dans la version des Septante par celui
de liivpx. Or, ce mot tsavath s'appliquait, selon toute vraisemblance , à un
certain nombre d'affections cutanées fort différentes, mais dont l'une présentait
évidemment de grands rapports avec la lèpre tuberculeuse ou éléphantiasis des
DERMATOSES. C4I
Grecs; et ces affections étaient sans doute bien fréquentes chez le peuple Juil,
et quelques-unes bien redoutables, si l'on en juge du moins par la frayeur
qu'elles inspiraient et par les mesures sanitaires dont elles ont été l'objet de
la part du législateur hébreu. Remarquons du reste que le penple Juif, tel que
la Bible nous le représente, toujours errant, misérable, dénué des choses les
plus nécessaires à la vie, se trouvait précisément dans les conditions qui favo-
risent au plus haut degré le développement des affections de la peau.
Autre fait qui prouve l'intérêt qui s'est attaché de tout temps à cet ordre
d'états morbides : nous avons eu entre les mains un Traité des alfections de la
peau, écrit en chinois 2000 ans avant notre ère. Ce traité, que nous avons fait
voir à nos élèves en 1857, était illustré; mais, malgré les planches intercalées
dans le texte, il nous a été impossible d'y trouver un seul dessin qui ressemblait
à l'une quelconque de nos maladies cutanées : ce qu'on ne peut évidemment
attribuer qu'à l'état d'enfance où se trouvait l'art de la peinture à l'époque
où cet ouvrage a été écrit.
Si l'Egypte et la Chine peuvent disputer à la Grèce l'origine de la médecine,
elles ne sauraient lui ravir la gloire de l'avoir amenée, par des révolutions suc-
cessives, au degré de développement où nous la trouvons dans les œuvres d'IIip-
pocrate et de Galien.
C'est par Hippocrate que nous allons commencer la revue des évolutions
<[u'a subies la pathologie cutanée depuis les temps antiques jusqu'à nos jours.
Et cette première partie de notre tâche n'en est certes pas la plus facile. En
effet, Hippocrate ne nous a laissé généralement sur les affections de la peau
que des indications tellernent vagues, concises et aphoristiques, qu'il semble
n'en aA^ir eu qu'une connaissance forte imparfaite. Telle est du moins l'im-
pression que l'on éprouve lorsque l'on relit, au point de vue spécial qui nous
occupe, les œuvres de ce grand homme. Frappé de l'existence de celte lacune
dans la médecine antique, Lorry a cru pouvoir en inférer que les maladies de
la peau étaient sans doute beaucoup moins fréquentes autrefois qu'elles ne sont
aujourd'hui, ce qui s'expliquerait, dit-il, soit par la sévérité des mœurs en ces
temps primitifs, soit par la salubrité des lieux où fleurit d'abord l'art de la
médecine. Lorry invoque en outre à l'appui de sa thèse le silence d'Hésiode et
d'Homère, qui ne font mention des maladies cutanées dans aucun endroit de
leurs ouvrages, et certains passages d'Hérodote et de Thucydide où ces maladies
sont présentées comme très-rares et à peu près inconnues en Grèce. Mais toutes
ces raisons ne nous semblent pas démontrer suffisamment que l'assertion de Lorry
soit conforme à la réalité des faits.
Assez généralement les termes employésjpar Hippocrate semblent s'appliquer
bien plutôt à des groupes ou catégories d'éruptions qu'à une forme éruptive bien
déterminée : ainsi en était-il des mots lîizpxi, jiMpcf.i, ^sux.at, hr/jn-js;, è^avS/;-
para, etc., que l'on voit reparaître si fréquemment dans ses œuvres. Quant au
sens qu'il convient d'attribuer à ces dénominations collectives, c'est ce qu'il est
le plus ordinairement fort difficile de préciser d'une manière rigoureuse. Lorry
lui-même, le savant Lorry, dont l'autorité est si grande en pareille matière, n'a
pas toujours à beaucoup près réussi à débrouiller ce chaos, et c'est en vain que
nous avons cherché dans plus d'un cas des éclaircissements dans son livre.
Essayons néanmoins de nous faire une idée telle quelle des principaux termes
de nomenclature employés par Hippocrate pour désigner les affections de la
peau.
DIOT. ENC. XX VIL 41
6i2 DERMATOSES.
Les )s7rpat, comme l'indique le sens e'tymologique (de Ic-t;, too;, écaille),
étaient avnnt tout des affections écailleuses ou squameuses, et comprenaient
sans doute les formes aujourd'hui connues sous les noms de lèpre des Grecs,
psoriasis, pityriasis. Lorry fait remarquer que ce terme est employé par Hippo-
crate au nombre pluriel « Quasi siib hoc nomine gênera morhi potius quant
morhum deprehenderet ». Du reste, pour le médecin de Cos, les ^sTrpai pouvaient
également se développer sur le tégument interne, ainsi qu'on en trouve un
exemple au livre Y des Épidémies, § 17, où il est question d'une /cTroa de la
vessie qui aurait déterminé la mort. Le mot Is-rroai a été généralement rendu
dans les traductions latines par celui de leprœ^ et dans les traductions fran-
çaises par celui de dartres. Ajoutons qu'au moyen âge le mot ^sTrpa fut détourné
de son sens primitif par les Arabes, qui s'en servirent pour désigner l'éiéphan-
tiasis des Grecs.
Les -^wpat (de -^w, je gratte) s'appliquaient vraisemblablement à des éruptions
surtout accompagnées de prurit (lichen, pruritus, prurigo, etc.), mais rien ne
prouve que, sous ce litre, Ilippocrate ait particulièrement désigné la gale. Telle
était aussi l'opinion de Lorry : « Hippocrates enim videtur nomine ■Lùpy.i; non
eam tantum quam nos ohservare aggredinmr affectionem intellexisse {scilicet
scabiem), sed cœtera omnia malorum prurientium gênera. » Le terme -^/w.oa a
été rendu en latin par celui de scabies, et en français, fort improprement, est-il
besoin de le dire? par celui de gale.
Sous le nom de Izi/r/js; (de ïsv/u, je lèche), Ilippocrate fait mention, sans
autrement les décrire, d'efflorescences cutanées survenant surtout sous l'in-
fluence des saifons et affectant parfois un caractère épidémique (Aphor., sect. 111,
20). Mais quelle était la forme de ces efflorescences ? Galien, et après lui Aetius
et Oribase, en ont fait des tumeurs de la peau : opinion contre Inquelle Lorry
proteste, tout en y conformant son classement des lichenes, affections, dit-il,
qui de leur nature ne s'élèvent pas sensiblement au-dessus du niveau de la
peau, et qu'il semble par conséquent bien difficile de rapporter aux tumeurs.
En effet, pour donner une idée des lichenes tels qu'il les comprend, Lorry cite
en exemple les éruptions « qua? Gallis dicuntur dartres farineuses ». Mais est-ce
bien là ce qu'Hippocrate entendait par le terme Iziyjryzçl Tel n'était pas l'avis
de Manardus, qui veut que sous ce titre Hippocrate et Galien aient désigné parti-
culièrement l'impétigo. La question, comme on voit, ne laisse pas que d'être
obscure. Aussi le mot Iziyrnz^ a-t-il été traduit tour à tour par celui d'impétigo
et celui de dartres.
C'est à ces trois termes, XsTrpat, -^wpat, l-iyj,-jiz, que pourraient être ramenées,
dit Lorry, toutes les affections cutanées mentionnées par Hippocrate : Cujus si
voces ad accuratani loquendi distinctionem ponderare velis, tria tantiim mor-
borum cutaneorum gênera agnoret, psoras, lepras, lichenes. Toutefois, on
trouve en outre dans la collection qui porte son nom un certain nombre d'ex-
pressions que nous devons au moins indiquer ici, bien que le sens n'en ait pas
été précisé avec exactitude. Tel est le terme èÇavQïjpiaTa, traduit en latin par le
mot pustidœ et qui semblait s'appliquer à des formes éruptives aiguës, plus ou
moins généralisées, et offrant ordinairement les caractères des crises; celui
d'ÉpTTïîç [herpès), dont le sens le moins contestable nous est fourni nar la raison
étymologique (de soTrav, ramper); celui d'èpv^'.rzzlocç, qui servait' selon toute
apparence à dénommer notre érysipèle, bien qu'Hippocrate l'étende à l'inflamma-
tion d'organes internes, du poumon, par exemple ; tels encore les termes èzôu-
DERMATOSES. 645
para, ©W.raivai, iiSoMx, Ti-oayoi, àsôat, àvQpazsç, qui s'appliquaient à diverses
formes de boulons séreux ou purulents, pustules psydraciées ou phlyzaciées,
bulles et phlyctènes ; celui de ray/ai, donné à des espèces de tumeurs scrofu-
leuses, celui de ).otcoi, qui implique l'idée de desquamation, celui de H/;o«(jta,
qui signifie aridité de la peau, etc. Mentionnons enfin les mots à)/i)o;, [/.âlx; et
>£uz/3, qui servaient à désigner certaines altérations mal déterminées de la peau :
akfoç, lorsque cette membrane était parsemée de taches , blanches ; iJ.slxç, lorsque
les taches étaient noires ; Izwrj, lorsqu'à la blancheur de la peau se joignaient
l'état de dépression de sa surface et la décoloration des poils.
Au point de vue doctrinal, la pensée d'Ilippoci'ate sur les maladies de la peau
se tire de sa doctrine générale en pathologie et en étiologie.
On sait que pour lui les maladies étaient dues aux altérations des humeurs,
soit dans leurs qualités, soit dans leurs proportions relatives. Dans cette théorie,
toute humeur viciée ou surabondante devait être expulsée de l'économie, et dans
ce but la nature lui faisait subir une élaboration préparatoire désignée sous le
nom de coction. Sous l'influence de ce travail, la matière morbifique, jusque-là
éparse et comme flottante au sein de l'organisme, se modifiait peu à peu, se
dépouillait de ses propriétés nuisibles, prenait de la consistance, de la fixité, et
c'est alors, mais alors seulement, que devenait possible son élimiiialion. Cette
expulsion, qui caractérisait la crise, avait lieu le plus souvent par les voies
ordinaires d'évacuations, par les sueurs, les urines, les excrétions alvines, les
vomissements, l'expectoration ; d'autres fois, c'était une hémorrhagie nasale ou
autre qui servait de solution ; dans d'autres cas, enfin, toutes ces issues restant
fermées, la matière morbifique se portait avec plus ou moins de violence sur
un point particulier du corps, où elle constituait un dépôt, àno^rxiri;. Le dépôt
pouvait se présenter lui-même sous une multitude de formes selon l'organe ou
le tissu qui en était le siège; mais ce qu'il nuus importe de savoir, c'est que la
peau était précisément l'un des organes oii ce genre de crise se trouve plus
particulièrement signalé dans les œuvres du Père de la médecine.
L'état de santé n'étant, selon la doctrine, qu'un résultat du mélange régulier
des humeurs, il suftisait évidemment que cette condition vînt à manquer pour
que la maladie apparût. Or, le corps de l'homme se trouve incessamment soumis
à des influences nombreuses qui peuvent à tout instant détruire ou troubler
cette harmonie nécessaire, influences venues du milieu, c'est-à-dire des saisons,
des climats, de l'habitation, des variations de l'atmosphère, du chaud, du froid,
du sec, de l'humide, etc., influences venues de l'alimentation, du genre de
vie, de l'exercice, de l'âge. De là toutes les maladies, quels qu'en soient le siège
et la forme, et les affections de la peau ne faisaient point exception à la règle.
Ainsi, et c'est là un point qu'il ne faut pas oublier, on peut dire qu'à part l'in-
fluence des âges cette étiologie était tout entière placée dans l'action des causes
extérieures.
Cela dit, un premier point à noter, c'est que les mêmes affections de la peau
n'avaient pas toujours aux yeux d'Hippocrate une même signification : tantôt,
en effet, il semble leur reconnaître une existence propre, indépendante, et tantôt
il les subordonne à d'autres états morbides en leur attribuant une influence
heureuse ou défavorable sur l'issue de la maladie principale : de là, pour lui,
deux oz'dres bien distincts d'affections cutanées, les unes essentielles ou idio-
pathiques, les autres symptomatiques et présentant le plus souvent les caractères
des crises. Cette distinction est surtout parfaitement marquée dans le passage
644 DERMATOSES.
suivant : « Ces affections {lBi)(^-nvsi, Isirpxi xai >îuzai), lorsqu'elles surviennent
dans la jeunesse ou dans l'enfance, et que, d'abord légères, elles augmentent peu
à peu et s'aggravent avec le temps, ne sauraient être conside'rées comme des
dépôts : ce sont des maladies. Mais, lorsqu'au contraire elles apparaissent subite-
ment et avec une grande intensité, alors on peut prononcer avec certitude qu'il
s'agit bien d'une crise ou dépôt [ànoa-TocTi;) » {Prédictions, liv. II).
Je me suis plus d'une fois demandé sur quel passage des œuvres hippocra-
tiques Gibert avait pu se fonder lorsqu'il a prétendu faire remonter au Père de
la médecine la distinction, si importante, comme il le reconnaît lui-même, que
j'ai établie entre les maladies de la peau locales de cause externe, et celles qui
dépendent d'une cause interne. Le passage que je viens de citer ne saurait
évidemment se prêter à une semblable interprétation. On rencontre, il est vrai,
dans plusieurs endroits des œuvres d'IIippocrate, quelque chose qui ressemble
plus ou moins à la distinction précitée, notamment au liv. I""" Des maladies^ § 1,
où l'on peut lire : « Toutes les maladies, si elles sont internes, proviennent de
la pituite ou de la bile ; si elles sont externes, des accidents et des plaies. »
Mais qui ne voit qu'il s'agit là d'une proposition générale tendant à séparer
les maladies internes des maladies chirurgicales, ou, comme nous disons au-
jourd'hui, la pathologie interne de la pathologie externe, et que par conséquent
cette proposition n'offre absolument rien de commun avec une classification
méihodique des affections de la peau. Il y a d'ailleurs, contre l'assertion que je
combats, cette autre raison décisive, qu'il n'existait pas, en réalité, pour Hippo-
crate, de maladies véritablement de cause interne, du moins dans le sens que
nous attachons à ce mot, puisqu'il faisait dépendre, comme nous l'avons dit plus
haut, toute sa pathologie de l'action des causes extérieures sur le corps de
l'homme : aussi n'y avait-il point de place, dans cette doctrine, pour les mala-
dies spontanées, diathésiques ou constitutionnelles, et les affections de la peau se
divisaient en deux ordres : !<> les unes idiopathiques ; 2° les autres syrapto-
matiques et critiques. C'est aux affections cutanées idiopathiques à forme chro-
nique que s'applique plus particulièrement, si je ne me trompe, le passage sui-
vant du Traité des affections : « Isrzpxi, prurigo, icjpat, l^xc-^cç, à^o;, etalopeciae,
ex pituita oriuntur : sunt « autemista fœditas potins qiiam morhi » [De effect.,
§ 26). Des difformités plutôt que des maladies ! Voilà donc le jugement que
l'on portait alors sur le plus grand nombre des maladies de la peau. Et, en
effet, les éruptions chroniques, celles qui devaient être plus tard confondues
sous le nom de dartres, et qui composent aujourd'hui plus des deux tiers de
la pathologie de la peau, ces éruptions si nombreuses ne tiennent dans les
écrits d'IIippocrate qu'une place infiniment restreinte, mais on le voit se préoc-
cuper continuellement des éruptions aiguës symptomatiques ou critiques, soit
qu'il les considère dans leurs rapports avec les saisons, les âges, les variations
de l'atmosphère, .soit qu'il s'étudie à rechercher leur valeur séméiotique et les
données qu'elles peuvent fournir au pronostic et au traitement des maladies
dans le cours desquelles on les rencontre.
Le transport et le dépôt de la matière morbifique qui, selon Hippocrate,
produisait les éruptions symptomatiques et critiques, pouvait se manifester
sous les formes les plus diverses, telles que tumeurs scrofuleuses, suppurations,
ulcère, éruptions, desquamations, chute de cheveux, l'alphos, la lèpre et
autres choses analogues (oiov Tayyat, v.ai t« èy.nvo^jvrx, OQOV àlxoç, y.oct TOC zoiomx
£?av9v2p.aT«, r) Wot, n p.a5-fl(7i; Tpi;/wv, à>,yoi, >S7rp«t. Épid., liv. II, 7, p. 77, t. V,
DERMATOSES. 645
édit. Littré), et le résultat était plus ou moins favorable selon le siège du dépôt,
son abondance, la rapidité de son apparition, etc. Le dépôt, pour être avan-
tageux, devait se produire loin de la maladie et sur une partie plus déclive ; il
fallait surtout que, par son abondance, sou intensité, sa durée, il répondit à la
grandeur du mal : « 11 y avait de petites éruptions qui n'étaient d'aucune utilité,
qui ne répondaient pas à la grandeur du mal, et qui disparaissaient promptc-
ment, des parotides qui ne délivraient de rien, etc. » {Epid., liv. 1, § 20).
Lorsque le dépôt remplissait les conditions voulues, il servait de solution à la
maladie principale : « Après le coucher des Pléiades, les vents du midi régnaient.
Les crises se faisaient le cinquième ou quatrième jour; elles amenaient des
taches avec des phlyclènes flasques » {Epid., liv. IV, § 27). Le fait suivant,
que je trouve au liv. VU des Epid., § 181, se rapporte évidemment à notre herpès
critique : « Les lièvres dans lesquelles il vient du mal aux lèvres se terminent
peut-être avec cette éruption. »
Si la matière morbiiîque peut se déposer à la périphérie, elle peut aussi, sous
l'influence de causes spéciales, être reprise par un mouvement inverse et
transportée sur les organes internes, ou tout au moins dans un lieu différent de
celui qu'elle occupait d'abord : de là les phénomènes dits de métastase, de
rétrocession ou de répercussion. Or, il est fort souvent question, dans Hippocrate,
d'éruptions rétrocédées, répercutées, et il attache généralement à ce fait une
signification grave. Tel est le cas d'un malade dont il rapporte l'histoire au
livre Y des Epidémies, § 59 : « Des démangeaisons vives existaient sur toute la
surface du corps, principalement au front et aux bourses, et la peau était si
épaisse qu'il était impossible de la pincer ; cette éruption ayant disparu sous
l'influence de bains chauds, le malade tomba hydropique et mourut. » Tel est
encore le cas d'un enfant de deux mois, atteint de boutons fort rouges, avec des
enflures aux jambes, aux cuisses et aux lombes; l'éruption étant rentrée, l'enfant
fut pris de convulsions et d'attaques d'épilepsie (Épid.,\i\. Yll, § H8). Ailleurs,
il parle de la rétrocession de l'érysipèle, favorable, si elle a lieu de dedans en
dehors, funeste dans le cas contraire [Aphor., sect. VI, aph. 25); ailleurs
enfin, ce sont des humeurs pituiteuses, même rongeantes, qui se déplacent,
quittent la tête pour se porter sur les oreilles, sur les pieds, la poitrine [Épid.,
liv.4, § 1).
Dans certains cas, Hippocrate paraît se préoccuper surtout de la signification
pronostique d'une éruption : Qiiibus per fehres assiduas vfk-S'ioLv.ia. toto corpore
enascuntur, lethale est, nisi quid purulentum ahscedat. In his vero prœcipUe
adnasci ad aures tuhercula soient {Coacœ prœnot., lib. I, § 120). Remarquons
ici l'influence funeste d'une éruption contre-balancée par l'apparition d'un dépôt
purulent. Certaines éruptions {veliit summa cute leviter lace rata aut vellicata)
étaient pour lui le signe d'une atteinte grave portée à l'économie tout entière
(Coacœ prœnot., § 12). On lit également dans le même Traité, liv. 11, ch. xxvi,
sentence i : Quibiis ad arliculos prcerubrœ pustuke superficiales enatœ siint,
ac subindè régent iis, velut ex acceptis, plagis cum dolore venter et inguina
rubescunt et pereunt. Et ailleurs (liv. 11, § 68) : « Des taches rouges aux
pieds et aux mains, funeste ».
Hippocrate regardait les hémorrhoïdes comme un flux le plus souvent salu-
taire, et pouvant préserver d'un grand nombre de maladies, parmi lesquelles
des affections cutanées, telles que : furoncles, ulcères rongeants, lèpre, etc.
Aussi la suppression intempestive de ce flux était-elle considérée par lui comme
6i6 DERMATOSES.
une cause très-efficace de ces mêmes maladies [Des humeurs, § 57. — Épid.,
liv. VI, § 61).
Enfin, et c'est par là que je termine cette étude déjà longue, Hippocrate a
signalé l'urticaire (Des maiad., liv. Il, § 68), le lichen [Épid., liv. V, § 39),
les engelures {Épid., liv. V, §57), l'orgeolet, dont il fait une éruption critique
[Épid., liv. II, § 19), les éruptions roséoliques d'été [Épid., liv. V, § 43), les
excoriations prurigineuses du pudendum [De naturâ muliebrï), les éphélides
{De morh. mnlierum, lib. 11), des affections gangreneuses graves {Prœdict,
lib. II. — iVJ., liv. I).
Tel était, autant qu'il est permis d'en juger, l'état de la pathologie de la
peau vers le cinquième siècle qui précède notre ère. Il serait puéril d'en faire
ressortir les imperfections et les lacunes. Ce qu'il faut chercher, je le répète,
dans la collection hippocratique, ce n'est point la description plus ou moins
exacte de telle ou telle affection cutanée : à ce point de vue, tout est vague,
indéterminé. Pour Hippocrate, comme le fait remarquer Littré, ce que les
maladies ont de commun est plus important à considérer que ce qu'elles ont
de particulier; ce qui l'intéresse avant tout, ce n'est point ce qui peut servir
à les caractériser, à les distinguer les unes des autres, mais ce qu'elles ont de
commun, de général, les relations qu'elles présentent, les présages qu'on en peut
tirer, eu un mot, le rôle qu'elles jouent dans la scène morbide dont tout malade
est le théâtre nécessaire, et dont les différents actes se résumaient en ces trois
termes : la crudité, la coction et la crise.
Après Hippocrate, l'auteur le plus considérable qui se présente à nous dans
l'ordre chronologique est Celse, qui vivait probablement dans le premier siècle de
notre ère. Son livre, écrit d'un style élégant et concis, est l'un des plus précieux
que nous ait légués l'antiquité {De re medicà ucto libvï). Les affections delà
peau y sont décrites avec des développements qui attestent que cette partie de
l'art de guérir avait été chez les Romains l'objet d'études sérieuses et d'observa-
tions multipliées. La langue dermatologique, si pauvre dans Hippocrate, s'est
enrichie de termes nouveaux dont la plupart ont été adoptés par la science
moderne.
Celse ti'aitc des affections cutanées dans plusieurs parties de son ouvrage,
mais plus particulièrement à la fin du cinquième livre et au commencement du
sixième, oîi leur place se trouvait naturellement marquée dans le plan général
de classification que l'auteur s'était tracé en commençant son travail et que nous
n'avons pas à reproduire ici. Disons seulement que dans cette classification les
affections cutanées appartiennent au groupe des maladies externes. Celles-ci
peuvent être le résultat d'une cause extérieure ou bien d'une cause interne. De
là deux sections. Celse décrit dans la première les blessures, aussi bien celles
des organes profondément situés que celles dont l'action se limite à la périphérie :
distinction que semblait réclamer son mode de classement; la deuxième section
comprend les maladies d'origine interne, et comme il ne s'agit plus ici que
d'affections extérieures ou périphériques, c'est la pathologie de la peau que
Celse expose dans ce chapiti-e. De plus, il distingue dans les maladies de la
peau, comme dans les autres maladies externes, celles qui sont communes à
toute la surface du corps et celles qui sont propres à certaines parties. C'est
donc à Celse, et non point à Galien, comme on l'a prétendu, que remonte la
division tant de fois reproduite des maladies cutanées en celles qui se montrent
sur tout le corps, et celles qui se bornent à la tète ou à quelque autre région.
DERMATOSES. 647
Celse subdivise les affections de la peau, au point de vue étiologique, en celles
({ui dépendent d'une cause extérieure, et celles qui résultent d'une cause
interne. Est-ce donc à Geise, si ce n'est point à Hippocrate, que doit être
attribué l'honneur de cette distinction fondamentale en pathologie cutanée? Oui,
sans doute, si l'on s'en tient à la lettre. Mais alors je demanderai pourquoi cette
distinction, aujourd'hui proclamée si importante, est demeurée ensevelie
pendant des siècles dans le livre de Celse; comment il ne s'est trouvé personne
pour en faire sentir toute la valeur, pour en tirer les conséquences qui s'y
trouvaient enfermées. C'est que l'auteur lui-même, dans l'application qu'il en
a faite aux maladies externes ou périphériques, n'y a vu qu'un simple mode
de classement, un moyen commode de séparer les affections traumatiques de
celles qui ne présentent pas cette origine; et ce qui le prouve, c'est que ce
principe est resté complélement stérile entre ses mains : « Ceux qui ont l'esprit
de discernement, dit Pascal, savent combien il y a de différence entre deux mots
semblables, selon les lieux et les circonstances qui les accompagnent... Tel dira
une chose de soi-même, sans en comprendre l'excellence, où un autre comprendra
une suite merveilleuse de conséquences qui nous fait dire hardiment que ce
n'est plus le même mot, et qu'il ne le doit plus à celui d'où il l'a appris ». La
vérité est que Celse, après avoir tracé la division précitée, prend comme au
hasard chaque maladie cutanée, et la décrit sans se préoccuper le plus souvent
de sa nature, de ses causes, des conditions au milieu desquelles elle se développe,
des rapports qu'elle peut affecter avec d'autres états morbides, soit de la peau,,
soit des organes internes. Il en résulte une succession de tableaux sans doute
tracés de main de maître, mais disposés comme au hasard, et dont l'ensemble
ne saurait satisfaire un esprit véritablement médical. De là aussi parfois une
certaine obscurité dans ces descriptions dont les grandes lignes ne sont mises en
relief par aucun détail accessoire. Remarquons en outre que Celse range au
nombre des affections de cause interne la pustule maligne, les engelures, les
verrues et les cors.
Ces réserves faites, et si l'on tient compte du temps où il fut écrit, il faut
reconnaître que le livre de Celse n'a pas été sazis influence sur les progrès de la
dermatologie.
Il nous reste, en ce qui concerne cet auteur, à rappeler, comme [nous l'avons
fait pour Hippocrate, les maladies qu'il décrit, la manière dont il les envisage,
enfin les dénominations qu'il leur applique, et qu'il est utile aux dermatologues
de connaître.
Dans les affections de cause interne (qiice interiùs, corruptâ aliquâ corporum
parte, nascuntiir), Celse décrit successivement : la pustule maligne [carhun-
culus), dont il ne semble pas soupçonner l'origine; le carcinome (x.apztv&jpia),
qu'il fait dépendre d'une mauvaise disposition du foie ou de la rate, différentes
espèces d'ulcères, à savoir : le ihériome, qui peut revêtir la forme phagédénique ;
Vignis sacer, qui offre les plus grands rapports avec le zona de Pline; Vulcus
chironium, dont le siège est aux jambes, et qui répond exactement à nos ulcères
calleux. Puis il fait passer sous les yeux du lecteur un certain nombre d'affections
qui diffèrent des précédentes par leur moindre gravité : {'engelure, qu'il attribue
au froid de l'hiver, malgré le classement qu'il lui donne; les éc rouelles (struma),
dont il signale la ténacité et la durée longue ; le furoncle, que quelques lignes
lui suffisent à caractériser; le phyma, qui n'est autre chose que notre abcès
dermique; le phijgethlon, sorte de furoncle; les abcès sous-cutanés ou profonds
048 DERMATOSES.
qui succèdent fréquemment aux fièvres, les fistules qui peuvent en être la
conséquence. Viennent ensuite : le ■/.r,pio-j, qui répond, soit à nos acnés pilaris,
ombiliquée et varioliforme, soit à des kystes sébacés; différentes espèces de
verrues, qu'il désigne par leurs dénominations grecques ; le cor, qu'on ue
s'attendait guère à rencontrer parmi les affections de cause interne.
Sous le nom de pustulœ, l'auteur latin comprend des lésions cutanées qui se
distinguent des taches par la saillie qu'elles forment sur la peau, et des papules
en ce qu'elles contiennent un liquide. Il en admet plusieurs espèces : les unes,
appelées i;av6/;f;taTa par les Grecs, tantôt^ rouges, tantôt de la couleur de la peau,
comparables à celles qui surviennent après les piqûres d'orties ou après les
sueurs; d'autres, dites flvy.rxuxt, produites par le froid, par le feu ou par les
médicaments; c'est sans doute quelque chose comme notre pemphigus ; d'autres
plus dures, blanchâtres, pointues, flv^ocy.iov, renfermant un liquide; d'autres
enfin, désignées sous le nom d'ÈTi-tvu/.Ti,-, de beaucoup les plus graves, mais qui
ne se rapportent à aucune affection actuellement connue. Le paragraphe suivant
est consacré à la scabies dont les caractères, d'ailleurs assez obscurs, nous
semblent s'appliquer plus spécialement, non point à la gale considérée dans son
ensemble, mais à l'une seulement de ses manifestations, l'eczéma psorique
[voy. art. Gale et Dartres). Viwpétigo, dont la description suit, nous paraît
également se rattacher à la gale par ses trois premières espèces, qui rappellent
assez exactement les variétés pustuleuse, ectbymatique et huileuse de cette
maladie parasitaire; la quatrième espèce d'impétigo, caiactérisée par des taches
squameuses, n'est pas sans quelque rapport avec le psoriasis. 3Ientionnons
encore, en suivant toujours l'ordre adopté par Celse, les papules (papulœ), dont
il admet deux espèces : l'une simple, qui répond au lichen simplex, ou bien
encore à notre eczéma arthritique ; l'autre dite «ypia par les Grecs, et fera par
les Latins, qui peut dégénérer et se transformer en impétigo, c'est Veczema
ruhrum. Celse termine enfin par le vitiligo, qu'il divise en trois espèces : àlfo;,
lj.ùa.ç et Ivjy.Ti. Mais que faut-il entendre au juste par ces trois termes, déjà
rencontrés par nous dans Hippocrate ? C'est un point assez difficile à éclaircir,
d'après le texte de l'écrivain latin, qui pourrait bien s'en être rapporté sur ce
sujet à ce qu'en avaient dit les Grecs, et nous craignons fort que le savant Lorry
n'ait tout simplement composé, sur le thème que lui livrait Celse, un véritable
roman (Tract, de morh. eut., p. 551, de Vitiligine). Nous pensons, quanta
nous, que sous les termes à)/^oç, [lù.o.^, hv/.r,, les anciens auteurs ont désigné
tour à tour, et sans les distinguer suffisamment, soit de simples affections
dyschromateuses, soit des affections parasitaires, soit des manifestations cutanées
de la lèpre tuberculeuse ou éléphantiasis des Grecs. Toutefois, cette interpré-
tation ne saurait être appliquée à Celse, du moins pour ce qui a trait à la lèpre,
qu'il a placée fort judicieusement dans sa classe des maladies générales : or dans
la courte description qu'il en donne au troisième livre, les fermes oùfoç, i^ûaç
et ).cjx./3, ne sont pas même une seule fois prononcés.
Dans Tétude des affections cutanées particulières à certaines régions, la
distinction tirée de l'origine interne ou externe disparaît devant l'ordre topogra-
phique, et c'est par la tête qu'il commence sans autre préambule, orsus à capite.
Après quelques mots sur la chute des cheveux, qu'il ne confond pas avec l'alopécie,
comme nous le verrons dans un instant, il s'occupe en premier lieu du porrigo
(en grec -irvpic/.<Tti), qni correspond évidemment à plusieurs affections, les unes
sèches, les autres humides, et plus particulièrement au pityriasis et à l'eczéma
DERMATOSES. 649
impétigineux du cuir chevelu. Ceîse en fait une maladie dépuraloire, et pense
qu'il est dangereux de le guérir radicalement. Puis vient le sycosis, o-vx.coo-i?,
qu'il qualifie d'ulcère, et dont il admet deux espèces. La description qu'il en
donne laisse beaucoup à désirer, mais il est néanmoins impossible de n'y pas
reconnaître la mentagre de Pline, dont nous avons donné l'histoire à l'article
MeiMagre de ce Dictionnaire. Une autre maladie du cuir chevelu est décrite par
le médecin latin sous le nom d'area, laquelle consisterait essentiellement en
une altération de l'épiderme accompagnée de la dessiccation et de la chute des
poils. Mais l'absence de détails caractéristiques ne permet pas de se prononcer
sur la nature des affections comprises sous le titre collectif d'area. On peut
supposer pourtant que l'alopécie était due dans certains cas à l'acné sébacée du
cuir chevelu, et dans d'autres à des affections parasitaires. Pêne ineptiœ sunt
curare varos, et lenticulas et ephelidas, sed eripi tamen feminis cura cultus
sui non potest. C'est en ces termes que Celse s'exprime au sujet des boutons
et des taches qui peuvent affecter le visage. Mais l'humanité ne change guère,
et les femmes de nos jours ne supportent pas avec moins d'impatience que les
dames romaines du temps d'Auguste tout ce qui peut altérer leur beauté ou en
diminuer l'éclat.
Tel est le livre de Celse, envisagé au point de vue spécial de la pathologie de
la peau.
Pline le Naturaliste était contemporain de Celse. Dans la partie de son ouvrage
consacrée à la médecine, ou plutôt à l'histoire des médicaments, il a ramassé de
toutes parts, et le plus souvent sans choix, un très-grand nombre de remèdts
employas de son temps pour combattre les affections de la peau ; mais on y trouve
aussi de précieux renseignements sur quelques affections cutanées alors peu
connues ou même entièrement nouvelles. C'est à Pline que l'on doit notamment
la première mention qui ait été faite de la mentagre contagieuse, maladie
jusqu'alors inconnue en Italie, selon son propre témoignage, et dont le germe
aurait été apporté d'Asie par un certain Pérusinus, chevalier romain, sous le règne
de Tibère Claude César. Dans l'article (actuellement paru dans ce Dictionnaire,
"5" série) que j'ai écrit sur la mentagre {voy. ce mot), j'ai fait voir et démontré
jusqu'à l'évidence que l'affection si éminemment contagieuse désignée sous ce
nom dans le texte de l'auteur latin n'était et ne pouvait être que notre sycosis
parasitaire. C'est une question résolue sur laquelle il n'y a pas lieu de revenir.
Parmi les maladies qui ont attiré plus particulièrement l'attention de Pline, il
faut citer l'éléphantiasis des Grecs, dont il retrace les principaux caractères, les
taches du début, les tubercules bientôt recouverts de croûtes sèches et raboteuses,
puis suivis d'ulcérations rongeant les chairs jusqu'aux os, etc. Il nous apprend
que cette terrible maladie, importée d'Egypte en Italie au temps du grand
Pompée, s'y est éteinte presque aussitùl sous l'influence heureusement défavo-
rable des conditions climatologiques. Pline a signalé en outre quelques éruptions
omises par Celse, le prurigo des vieillards, le prurigo pudendi, le pityriasis
faciei, etc. Il a parfaitement indiqué le zona, ainsi nommé, dit-il, parce qu'il
entoure le corps comme d'un cercle, et dont il compare justement les effets à
ceux de la brûlure ; il ajoute qu'une pareille affection, si elle s'étendait à toute
la surface du corps, entraînei'ait certainement la mort de l'homme. Enfin, pour
ce qui a trait aux remèdes qu'il recommande contre les maladies cutanées, la
liste en est trop longue, et surtout trop étrangement composée, pour qu'il soit
utile de s'y arrêter ici. En résumé, si Pline semble en effet mériter parfois le
650 DERMATOSES.
jugement sévère que Lorry lui applique, « qvi [Plinius) circa res medicas prœ-
cipiiè freqiientissime cœcutit », il faut avouer pourtant qu'il est des cas, même
en médecine, oii il a rencontré juste, et qu'à propos de la mentagre, par
exemple, le reproche pourrait être fort légitimement retourné contre son auteur.
Scribonius Largus, qui vivait également dans le premier siècle de notre ère,
a ajouté quelques traits à la description du zona déjà mentionné par Phne,
comme nous venons de le dire. C'est d'ailleurs le seul titre qui recommande
cet auteur à l'attention du dermatologiste.
Arétée (de Cappadoce) (81 après J.-C) est le premier qui ait donné une
description complète et précise de l'éléphantiasis des Grecs, que Celse et Pline
n'avaient probablement jamais observé eux-mêmes. Cette description, dans
laquelle l'auteur semble s'être proposé d'égaler l'énergie de l'expression à
l'horreur de la maladie, est restée un modèle qui n'a pas été dépassé. Un fait
à noter ici, c'est que l'on doit à Arétée l'emploi des mouches cantharides comme
moven vésicant ; avant lui, cette substance n'avait été mise en usage qu'inté-
]ieurement.
De même que Celse, mais moins nettement que lui, Galien a divisé les
maladies de la peau en celles qui attaquent toute la surface du corps et celles
qui sont particulières à certaines régions, au cuir chevelu, par exemple. Un pas-
sage del'Isagogé, cité par Rayer, ne saurait permettre aucun doute à cet égard:
(( Cutem totiusque corporis partes exagitant lepra, psora, alphos albus, alphos
« niger, leuce, impétigo simplex, impétigo agrestis, di-acontiasis, achrocordones
« thymi, myrmeciic, clavi, calli. Qua^dam horum ex podagra et articulari
« morbo, quc-edamex sese oriuntur Achores, pityriasis, meliceres, atheroma
« et favus. Porroeampartem, qu;o capillo tegitur, etmentum occupant alopecia,
« ophiasis, calvities et madarotes. Pili omnes fluunt, extenuantur, quassantur,
« scinduntur, squalescunt, in pulverem rediguntur, subflavescunt, canescunt «
(De exterioribus capitis affectibus. — Introductio seu medicus, 117). Celte cita-
tion nous apprend en outre que Galien avait remarqué la relation que présentent
quelquefois les affections de la peau avec la goutte et le rhumatisme. Quant aux
causes, il en admettait de deux espèces : 1" les unes externes, qu'il désigne sous
le nom de choses non naturelles, et qui ne sont autres que l'air, les aliments,
le mouvement, etc. ; 2° les autres internes, consistant dans le vice des humeurs.
Les premières ne deviennent nuisibles qu'autant qu'elles rencontrent dans l'or-
ganisjne une cause interne préparée à recevoir leur action.
Les maladies de la peau sont dues à la bile jaune, ou à la bile noire, ou à la
pituite. La bile jaune en excès produit l'érysipèle et les herpetes; la bile noire,
les cancros et phagœdenas, aut elephantos, aut aliquem ex his adeo incura-
hilibus 7norbis. Enfin, lorsque c'est la pituite qui domine, on voit s'élever des
tumeurs œdémateuses.
Galien a particulièrement insisté sur l'herpès, dont il admettait trois espèces :
1° êpTr-fl-r y.Bf,)(_pivi [herpès miliaris) ; 2» ipiztiz ètrôiouevoç {herpès erodens, serpigo) ;
5" spn-cq (olxiy-oivMr,!; [herpes phcigedenicus) . Il le définit un ulcère, mais l'ulcé-
ration n'existe pas toujours au début, « velut ni herpete miliari, qui non
« protinijs ulcus facit, quemadmodum alter; sed admodum exiguas pustulas ad
« speciem milii, qu8e,interposito spatio, in ulcus etiam dégénérant. » Uherpes
miliaris de Galien répond, comme on voit, à l'herpès de Willan, et notamment
au zona ; V herpes erodens réunit toutes les formes et variétés de l'eczéma; enfm,
Vherpes phagedeniciis nous semble se rapporter, non pas au véritable lupus,
DERMATOSES. 651
mais à l'affection complexe désignée par moi sous le nom de scrofulide maligne
crustacée ulcéreuse {votj. l'article Dartres de ce Dictionnaire),
Parmi les tumeurs du cuir chevelu, dit Galien, il fimt signaler Vày^vp, affec-
tion dans laquelle la peau est toute criblée d'ouvertures par où s'échappe une
humeur ténue et légèrement visqueuse, et le xvpiov des Grecs ou favus des
Latins, affection très-voisine de la précédente, mais qui en diffère par les
dimensions plus grandes des pertuis cutanés qui distillent une humeur semblable
au miel de l'Hymette. Il était diflîcile d'indiquer plus clairement l'eczéma Huent
et l'impétigo du cuir chevelu.
Galien croyait à la génération spontanée des ;9efZzcu/i sur le corps de l'homme.
On voii que cette opinion ne date pas de nos jours. Le médecin de Pergame les
faisait naître d'une surabondance d'humeurs chaudes (calidis), mais n'ayant
point acquis pourtant le degré de température qui appartient aux humeurs
acres et séreuses. D'où il conclut que la maladie pédiculaire se produit dans
la profondeur de la peau, seul point oià les animalcules peuvent s'engendrer, et
non point à la superficie, où se rencontrent les furfure-.
Bien d'autres affections de la peau se trouvent mentionnées dans les œuvres
de Galien, mais elles y sont principalement envisagées au point de vue de leur
étiologie humorale et des moyens thérapeutiques employés pour les com-
battre.
Je dois enfin citer le nom de Cœlius Aurelianus, médecin à peu près contem-
porain de Galien, mais originaire d'Afrique, et qui écrivit en langue latine. Il
a porté plus spécialement son attention sur les phthiriasis, dont il expose le
traitement, et sur l'éléphantiasis des Grecs, maladie alors endémique sur le
littoral africain.
Ici se termine la première époque de l'histoire des dermatoses. Elle com-
mence à Hippocrate et finit à Galien, les deux plus illustres représentants de la
médecine antique. Les affections de la peau, d'abord confondues et comme
englobées sous des dénominations collectives, tendent à se particulariser, à
former des individualités de plus en plus distinctes, et leurs caractères mieux
définis permettent enfin de les rapprocher des formes willaniques qui leur
correspondent.
Deuxième époque. Elle commence avec les Grecs du second ordre, Grœci
receiitiores, comme Lorry les appelle. Nous sommes au moment du partage de
l'empire romain, vers la fin du quatrième siècle (395). Quatre ou cinq noms
résument pour nous cette phase historique: Oribase, Aétius d'Amide, Alexandre
de Tralles et Paul d'Égine.
Ce n'est point ici le lieu de porter un jugement d'ensemble sur les œuvres de
ces médecins justement célèbres, mais avant de rechercher dans quelle mesure
chacun d'eux a pu contribuer aux progrès de la pathologie cutanée, nous croyons
devoir signaler un défaut que nous retrouverons d'ailleurs chez les médecins
arabes, c'est que leurs descriptions des maladies sont généralement fort courtes
et parfois à peine ébauchées, tandis qu'ils sent d'une étonnante prolixité dans
l'énumération des remèdes. Cette remarque a été faite par Lorry : « Idem et
« Paulus jEgineta..., aliique medici plures ex infimâ grsecitate, qui plus in
« praescribendis medicamentis quam in describendis morbis insudavere »
[Tract, de morbis ciitan., ]). i^b). Un autre fait à noter sur les auteurs en
question, c'est que la plus grande partie de leurs ouvrages n'est généralement
652 DERMATOSES.
qu'une sorte de compilation ou de commentaire des écrits des médecins qui les
ont précédés.
Les réflexions qui précèdent s'appliquent de tout point à Oribase, qui naquit
à Pergame, patrie de Galien, vers la fin du quatrième siècle de notre ère. Ce
médecin a mentionné un certain nombre d'affections cutanées, notamment le
pruritus, qui correspond plus spécialement à nos genres lichen et prurigo;
l'impétigo, la scabies et la psora, qu'il confond ou du moins prétend rapporler
à une commune origine (Lorry, p. 225) ; les huxr.^s;, qu'il place, à l'exemple
de Galien, parmi les tumeurs {liL/ji-j(.^S(ûv oj/mv not.6oz) ; le T£ppiv9oî, 1 ÈTrtvux.Ttç,
les herpetes, etc. Oribase est le premier des Grecs, selon Lorry, qui ait signalé
les dangers de l'emploi intempestif des médicaments externes dans la cure des
herpeles, et qui ait insisté sur la nécessité de débarrasser d'abord l'économie des
principes impurs qu'elle renferme par une médication interne. Oribase a géné-
ralement suivi Galien, dont il a été appelé lejinge; on trouve en outre dans
ses œuvres des fragments d'Archigène, qui sans lui ne seraient pas arrivés
jusqu'à nous. C'était avant tout un compilateur, mais un compilateur qui avait
beaucoup vu et observé lui-même, et qui savait au besoin parler d'après sou
expérience personnelle.
De même qu'Oribase, Aétius d'Amide, qui vint un siècle plus tard, n'a guère
fait que reproduire, et sur certains points compléter et développer ce que l'on
savait avant lui sur les affections de la peau. Il a beaucoup emprunté à Galien,
à Arcbigène, àDioscoride, et quelquefois aussi, pour ce qui a trait aux médica-
ments, à Oribase. C'est à lui surtout que l'on doit la conservation de ce qui
nous reste des écrits du célèbre Arcbigène, qui sut donner après Arétée, dont
il fut presque contemporain, une description remarquée de l'éléphantiasis. Dans
un fragment transmis par Aétius et cité par Lorry (p. 565), Arcbigène s'efforce
de distinguer la lèpre des Grecs (il s'agit ici de l'affection squameuse) de la
leuce et de l'alphos, d'une part, de la scabies et de l'impétigo, d'autre part;
mais ce passage ne nous paraît pas de nature à dissiper l'obscurité qui règne
dans cette partie de la nomenclature ancienne, du moins pour ce qui concerne
l'alphos et la leuce, car on ne saurait douter que la lèpre des Grecs représentât
notre psoriasis. Nous ne voyons pas non plus, quoi qu'en dise Lorry, le progrès
réalisé par Aétius et Arcbigène, qui, en présence de la confusion des termes,
prirent le parti de désigner par un même nom toutes les affections prurigineuses
de la peau, en ayant soin toutefois de les distinguer selon qu'elles s'accompa-
gnent de tumeurs, de squames ou de furfures, encore que ces particularités
soient à leurs yeux sans importance au point de vue delà thérapeutique (Lorry,
p. 225). Du reste, Aétius a généralement adopté les dénominations grecques et
latines qui existaient alors dans la science, et entre autres celles de phthi-
riasis, de pityriasis, d'achores, de psora ou scabies, d'impétigo, de pruritus,
d'herpès, de lichenes, etc. Il admet les trois espèces d'herpès de Galien, et
pour lui comme pour le médecin de Pergame le lichen est une tumeur {oyy.o;
>n;^flvw(?ïjç). Enfin, on trouve dans son ouvrage l'énumération d'une foule de
moyens thérapeutiques ramassés de toutes parts, mais dont quelques-uns ne
sont pas sans utihté. II s'est particulièrement étendu sur les remèdes externes,
auxquels il attribuait une grande efficacité. Il donne de bons préceptes sur la
diète lactée, sur l'emploi des bains, sur celui de l'eau froide en lotions, etc., etc.
Alexandre de Tralles se fait remarquer entre tous les Grecs de second ordre
par la pureté de sa diction et par l'ordre et la clarté qui brillent dans ses
DERMATOSES. 653
ouvrages. Mais on cherclierait vainement quelque vue originale ou nouvelle dans
ce qu'il a écrit sur la pathologie de la peau. Il s'est occupé surtout des affections
cutanées qui atteignent la tête, des achores, à;^wp-ç, ainsi appelés, dit-il,
« quod ichori similem Ç'-yypi izocox-nl-nyio-j) Immorem fundant ; » du favus,
qu'il distingue de l'achore, comme avait fait Galien, par les dimensions plus
considérables des ouvertures de la peau; du Trirvotao-iç, caractérisé, selon lui,
par la production de corpuscules ténus et furfuracés à la surface de la tète, ou
sur toute autre partie du corps, etc. Alexandre de Tralles a parlé fort judicieu-
sement de l'emploi des purgatifs dans la cure des maladies chroniques, où il les
veut doux et répétés, jamais violents et drastiques. Du reste, ce médecin n'a pas
échappé au travers de son temps en ce qui concerne la matière médicale et la
polvpharmacie, et on le voit multiplier à l'excès les recettes et les compositions
les plus bizarres.
Paul d'Égine, au septième siècle, est court et succinct, mais généralement fort
exact dans ses descriptions. Il a bien décrit 'a lèpre des Grecs, ou lèpre vulgaire,
qu'il confond pourtant avec la scabies; il se sépare de Galien sur la question
de l'herpès, dont il admet deux espèces seulement, comme feront plus tard
Rhazès et Avicenne ; il désigne les papules par les termes ÈxÇs^ara, iy.'C,BouaTx,
-zûiCsi/.oL-ca., mais sans les distinguer suffisamment des pustules, ce que Lorry lui
reproche [Tract., p. 252). Il parle du vitiligo et de l'épinyctide, qu'il considère
comme des affections identiques, de l'éléphantiasis des Grecs, qu'il traite par la
saignée et les purgatifs, l'usage de la thériaque, la diète végétale, etc. On lui
doit, dit Rayer, une très-bonne description de l'onychia maligna, sous le nom de
pterygion. Enfin, comme ses devanciers, il a entassé dans son livre recettes sur
recettes et formules sur formules, mais non pas toujours sans un certain
tact, et tout n'est pas à dédaigner dans cet arsenal thérapeutique ; ce qui explique
cet éloge du savant Lorry: Pauhis JEgineta..., auctor alioquin in re medica
non levis auctoritatis.
Comme nous l'avons dit plus haut, les médecins arabes ont suivi la voie tracée
]jar les Grecs du second ordre, qui n'étaient eux-mêmes que des imitateurs de
Galien, et nous devons nous attendre à voir dans leurs ouvrages la description
des symptômes et des lésions plus ou moins complètement sacrifiée au point de
vue étiologiquc et thérapeutique. On sait l'influence considérable exercée par
les Arabes sur les études médicales au moyen âge; mais lapins grande partie de
leur science était faite des débris du passé grec et romain, débris trop souvent
altérés et défigurés par l'erreur des copistes ou l'interprétation des scoliastes.
Deux hommes surtout dominent cette période, Rhazès et Avicenne, tous deux
nés en Perse, le premier vers 860 et le second vers 980, tous deux compilateurs
infatigables des travaux de la Grèce. L'enthousiasme dont on s'éprit pour leurs
productions fut tel et dura si longtemps, que l'on perdit de vue les sources où
elles avaient été' puisées, et le silence se fit peu à peu autour des noms
d'Hippocrate, de Celse, de Galien, d'Oribase, d'Aétius, etc., qui devinrent presque
inconnus dans les écoles. Cette situation, qui devait se prolonger jusqu'à la
Renaissance des lettres, était d'ailleurs le résultat de causes multiples que je
n'ai point à examiner ici. Ce qu'il nous importe de savoir, c'est que les Arabes
se sont trouvés, à un moment donné, à la tête du mouvement scientifique, aussi
bien en Europe qu'en Asie et en Afrique, et que c'est grâce à eux qu'il a^été
donné au moyen âge d'être initié dans une certaine mesure aux traditions de la
médecine grecque. Mais là ne devait pas se borner leur rôle, car ils ont'décrit
654 DERMATOSES.
plusieurs maladies inconnues à l'antiquité, et fourni sur quelques autres,
jusque-là restées obscures., les seules indications positives que la science ait pu
découvrir en remontant le cours des temps (gale, favus, etc.). C'est dans les
écrits de Rliazès que la rougeole a été clairement désignée pour la première
fois. C'est également ce médecin qui a publié le premier travail important sur
la petite vérole, "maladie déjà signalée au septième siècle par Ahron, originaire
d'Alexandrie; dans son traité dit de Pestilentia (petite vérole) , Rhazès passe
rapidement sur les symptômes, ne fait aucune mention du mode de développe-
ment des pustules varioliques, mais il insiste longuement sur les moyens
prophylactiques, hygiéniques et thérapeutiques, qu'il conseille de mettre en
œuvre, soit pour se préserver de la contagion, soit pour en atténuer les effets,
soit enfin pour obtenir la disparition du mal. Une troisième maladie dont on
chercherait vainement la trace dans les auteurs grecs et latins est l'éléphantiasis
dit des Arabes, décrit par Rhazès et Avicenne sous le nom de dlia el fil, c'est-à-
dire mal de l'éléphant. Cette affection, que j'ai rangée parmi les difformités, et
qui existe encore à l'état endémique dans certaines localités (jambe desBarbades),
était considérée par Avicenne comme une altération de nature essentiellement
variqueuse, el il faut avouer que le nom d'éléphantiasis lui convenait à mer-
veille. Mais ce terme, qui avait été employé par les Grecs pour désigner une
maladie bien autrement grave et d'ailleurs absolument différente, fut pour les
traducteurs des Arabes une cause d'embarras et de confusion, et c'est ainsi que
l'éléphantiasis d'Arétce, d'Archigène, d'Aétius, de Paul d'Égine, devint la
>E7rpa d'Avicenne, d'Haly-Abbas, d'Avenzoar, etc. Du reste, aucun doute possible
sur l'identité des états morbides compris sous ces deux expressions différentes,
mais devenues synonymes: le nom seul a change. Or, l'habitude se conserva de
désigner également sous le nom de lèpre l'éléphantiasis des Grecs, et comme ce
nom avait été lui-même appliqué à d'autres affections, on lui adjoignit l'épithète
de tuberculeuse pour en déterminer la valeur.
Parmi les affections cutanées que l'on peut considérer comme datant histori-
quement de la période arabique, je dois citer le favus et la gale. Quelques-uns
des caractères cliniques du favus ont été certainement indiqués par Rhazès et
Avicenne; ils l'appelaient sahafats, safati, albathin, et n'ignoraient pas qu'il
entraîne la perte de la chevelure ; mais ils ne l'ont pas suffisamment distingué
des autres affections du cuir chevelu, et en particulier de l'eczéma impétigineux.
Quant à la gale, je dirai ailleurs {voy. art. Gale) toute ma pensée sur la part
qu'il convient d'attribuer aux Arabes dans l'histoire de cette maladie ; après avoir
constaté le peu de valeur des documents que l'on a cru découvrir sur ce point
dans l'antiquité giecque et latine, je montrerai, par des citations tirées des
œuvres d'Avicenne, d'IIaly-Abbas, etc., que les principaux caractères de l'érup-
tion psorique ont été parfaitement connus de ces médecins ; que l'existence de
l'animalcule a été signalée au douzième siècle par Avenzoar; qu'à partir de ce
moment la notion delà gale, jusque-là si confuse, se précise, devient en quelque
sorte familière à tous ceux qui en parlaient. Il est vrai que les Arabes n'ont pas
soupçonné un seul instant qu'il put exister un rapport entre les éruptions psori-
ques et l'animalcule découvert par Avenzoar, mais comment s'en étonner quand
on songe que cette vérité, si simple en apparence, ne devait être définitivement
établie qu'en 1834?
Sous les noms de prima et ignis persicus, Avicenne a décrit deux affections
qui rappellent à certains égards la pustule maligne et le charbon pestilentiel ;
DEHMÂTOSES. 655
mais il ne parle ni de la cause extérieure de la première, ni du danger presque
immédiat qu'elle entraîne, et le feu persique n'offre vraiment que de lointaines
analogies avec la maladie si redoutable et presque fatalement mortelle qui a
reçu le nom de charbon malin ou pestilentiel.
Notons encore, mais seulement pour mémoire, la maladie dite planta nocturna
arabum, que Lorry rapproche de l'épinyctide des Grecs, dont elle diffère
pourtant, dit-il, en ce qu'elle consiste en une pustule unique et solitaire, tandis
que l'épinyctide envahit souvent plusieurs parties à la fois {op. citato, p. 424).
Mais, comme nous serions fort embarrassés de dire ce que les Grecs entendaient
au juste soiis le nom d'épinyctide, le rapprochement imaginé par Lorry ne
semble guère de nature à éclairer la question de planta nocturna Arabum, et
vice versa.
Je serai également très-bref sur l'affection de la peau produite par le ver de
Médine, affection signalée sous le nom de lîpa/.ovTiov par Galien, qui avoue ne
l'avoir jamais observée lui-même, puis par Âétius, Soranus, Paul d'Égine, qui
ne s'accordent pas sur sa nature, et enfin décrite par Rhazès et Avicenne, qui la
regardent comme le résultat de l'altération d'une veine ou d'un nerf {vena
medinends, nervus medinensis). Cependant Rhazès émet l'opinion qu'un para-
site animal pourrait bien être pour quelque chose dans la veine de Médine :
aliquid animalis in vena medinensi latere (Lorry, op. cit., 587).
Je viens d'examiner l'œuvre des Arabes dans ce qu'elle peut avoir de vraiment
personnel et original aux yeux du dermatologiste. Il me resterait maintenant à
l'envisager dans ses rapports avec la médecine traditionnelle, c'est-à-dire à
rechercher les emprunts qu'elle lui a faits, les modifications bonnes ou mauvaises
qu'elle lui a fait subir, et par conséquent l'influence qu'elle a pu exercer, à ce
point de vue, sur les progrès de la pathologie de la peau ; mais un tel travail
dépasserait évidemment les limites d'un article de dictionnaire, et n'aurait
d'ailleurs qu'une utilité fort contestable, l'œuvre des Arabes n'étant, après tout,
le plus souvent qu'un écho plus ou moins affaibli des grandes voix de la Grèce
et de Rome. Qu'importe, par exemple, que Rhazès et Avicenne n'aient admis,
des trois herpès de Galien, que deux espèces seulement, et qu'ils aient décrit
cette affection sous le nom de y.vpu.rr/.iw, formicœ scilicet nomine; que pour les
Arabes le vitiligo des Latins soit devenu la morphée (morphcea), et que Rhazès
ait appelé hothor, la morphée blanclie, Avicenne la désignant tantôt sous le nom
à'albaras, et tantôt sous celui d'alyuada; que Vessere d' Avicenne ait plus de
rapports avec l'hydroa qu'avec le vitiligo, ou se rattache, comme on l'a dit, à
l'urticaire ; que sa description de vesicis et inflatiombas s'applique plus spé-
cialement au pemphigus et au rupia,etc.? Entrer dans tous ces détails, ce serait,
je le répète, recommencer l'étude de la médecine antique, mais vue celte fois au
travers des écrits des Arabes, ce serait surtout nous engager dans un dédale oii
il nous faudrait lutter presque à chaque pas contre la confusion des termes,
l'obscurité des textes, l'infidélité des traductions, sans aucun profit pour la
science. Je ne puis cependant terminer ces quelques considérations sur les Arabes
sans dire un mot de leur thérapeutique : en effet, ce qui domine dans leurs
ouvrages, c'est la préoccupation du remède, et rien n'égale la prodigieuse fécon-
dité dont ils ont fait preuve dans l'exposition de leurs méthodes curatives; il est
vrai que les Grecs leur avaient transmis sur le sujet d'innombrables matériaux
dont ils n'ont pas manqué de profiter; mais ils ont en outre enrichi cet arsenal
thérapeutique déjà si bien fourni d'un certain nombre de médicaments, et trouvé
656 DERMATOSES.
des applications nouvelles pour quelques-uns de ceux qui étaient connus avant
eux.
L'influence des Arabes, c'est-à-dire de Rhazès et d'Avicenne, car c'est de ces
deux maîtres que tous les autres procèdent, s'était étendue, comme je l'ai dit, à
presque toutes les universités de l'Europe, et il ne fallut rien moins que le grand
mouvement intellectuel provoqué par la Renaissance des lettres pour que l'on
en vînt à secouer un joug qui menaçait de devenir fatal aux véritables intérêts
de la science. C'est dans cet intervalle que l'éléphantiasis des Grecs, alors désigné
communément sous le nom de lèpre, se répandit en Europe avec une fureur
qu'on ne lui avait pas connue jusque-là. Or, cette épidémie a laissé sa trace dans
les écrits d'un grand nombre de médecins du moyen âge, parmi lesquels je
citerai : Constantin l'Africain, auteur du onzième siècle, qui a décrit plusieurs
espèces de lèpre et indiqué les méthodes curatives qu'on peut leur opposer;
Ro'^er et Roland, qui conseillent la castration comme le principal moyen de
"ucrison, durum herclè remedium, s'écrie Lorry ; Gilbert l'Anglais, qui a donné
de la maladie une description fort exacte ; Guillaume de Salicet, qui a indiqué
les signes précurseurs du mal; enfln, Rernard Gordon, Lanfranc, Théodoric
Gaddesden, qui n'ont rien ajouté d'ailleurs à ce que leurs devanciers avaient
dit. Et certes ce n'étaient pas les faits qui manquaient aux observateurs, s'd
est vrai, comme on l'a dit, que le nombre des ladreries s'éleva à dix-neuf mille
dans toute la chrétienté, et que sous le règne de Louis Vlll la France seule ne
compta pas moins de deux mille établissements de ce genre. Mais on peut croire
aussi, avec quelques auteurs, que des affections cutanées toutes différentes
furent souvent confondues sous le nom de lèpre, et qu'on en arriva à entasser
dans les maladreries, à peu près indistinctement, tous les malades atteints de
dermatoses graves et rebelles.
J'ai dit plus haut que la connaissance de la gale ne remontait pas vraisembla-
blement au delà des Arabes, mais qu'à partir de ce moment tous les auteurs en
parlent dans les termes les moins équivoques. En effet, cette affection a été
signalée et décrite par la plupart des médecins dont le nom a surnagé dans la
période historique que nous traversons. C'est donc bien à tort que Rayer a
prétendu que l'apparition de la gale dans la pathologie ne datait que du
quatorzième siècle, et je partage complètement l'opinion de Dezeimeris lorsiju'il
déclare qu'il n'y a dans Guy de Chauliac aucun fait, aucune idée, aucun mot
peut-être, relativement à la gale, qui ne se trouve dans des auteurs beaucoup
plus anciens que lui {voy. ait. Gale).
Et puisque le nom de Guy de Chauliac se rencontre sous notre plume, c'est
par lui que nous fermerons cette seconde époque de l'histoire des dermatoses,
bien qu'il puisse être considéré comme appartenant à la troisième. Laissant à
d'autres le soin de faire ressortir tous les services que cet homme éminent rendit
à la chirurgie française, je m'occuperai seulement de la partie de son œuvre
qui a trait à la pathologie de la peau. Nous savons déjà qu'il a si bien résumé
et mis en lumière ce que l'on avait dit avant lui sur la question de la gale, que
quelques auteurs. Rayer entre autres, ont pensé qu'il avait été le premier à
décrire cette maladie, ou du moins à en signaler le caractère contagieux. C'est
lui qui nous a laissé la descinption de cette terrible peste qui s'étendit sur le
monde en 1348, et qui, d'abord caractérisée par une fièvre violente avec crache-
ment de sang, s'accompagna ensuite de la production de tumeurs charbonneuses
et d'abcès, principalement aux aines et sous les aisselles. Enfin, Guy de Chauliac
DERMATOSES. 057
a traité de la teigne, mais, moins heureux, que sur la question de la gale, il en
a admis cinq espèces : 1" tinea favosa ; 2" tinea ficosa; 5" tinea amedesa
{similis carni humiditas) ; 4° tinea tuherosa [similis, iiheribus mamillarum) ;
5° tinea lupinosa. Or, ces cinq espèces correspondent à autant d'affections diffé-
rentes, une seule, la dernière, se rattachant manifestement au favus. Du reste,
Chauliac n'avait fait que suivre à cet égard les errements de ses devanciers
pour lesquels le mot tinea, dénomination alors nouvelle dans la science, com-
prenait dans son acception la plupart des affections du cuir chevelu.
Troisième éi-oque on époque moderne. Nous la subdiviserons en deux, époques
secondaires : l'une commençant à la Renaissance des lettres et finissant à Lorry,
l'autre s'étendant de Lorry jusqu'à nos jours.
i° Époque de la Renaissance des lettres. Le quinzième siècle vit se pro-
duire deux faits pathologiques très-importants : 1° d'une part, la décroissance
rapide et l'extinction presque complète de l'épidémie de lèpre qui s'était éten-
due sur l'Europe pendant toute la durée du moyen âge ; 2" et d'autre part,
l'apparition d'un mal dont l'existence, ignorée jusqu'alors, semble se révéler
tout à coup à l'attention du monde médical, je veux parler de la syphilis.
C'est cette coïncidence qui donne lieu de croire à quelques écrivains du quin-
zième siècle que la syphilis n'était qu'une dégénération ou une transformation
de la lèpre.
La nouvelle épidémie devint aussitôt l'objet de recherches et d'observations
multipliées de la part d'un très-grand nombre de médecins contemporaine. On
s'efforça d'en fixer les caractères, d'en pénétrer l'origine et la nature. Parmi les
auteurs dont les noms se rattachent plus spécialement à ces premières recher-
ches, nous citerons : X. Leouiceno, célèbre médecin de Vicence, qui démontra
que le mal français, comme on l'appelait alors, n'avait absolument rien de com-
mun avec la maladie décrite par les Grecs sous le nom d'éléphantiasis, et dési-
gnée pai* les traducteurs des Arabes sous le nom de lèpre ; Manardi (de Ferrari),
élève de Leoniceno; AlexanderBenedictus, qui put assister aux premiers progrès
du mal en Italie, tandis que J. Grunsbeck l'étudiait en Allemagne comme une
maladie jusqu'alors inconnue; J. Cataneo, qui crut découvrir un rapport entre
l'aspect de la lésion primitive et le degré de gravité des phénomènes consécutifs ;
G. Torella (de Valence), qui publia un Traité sur la vérole où il est fait mention
d'éruptions syphilitiques papuleuses et squameuses ; Seb. Aquilauus, dont ou a
une lettre intitulée de morbo (jallico, et qui doit être compté parmi ceux qui ont
accrédité l'usage du mercure dans le traitement de la syphilis ; M. Montesaurus (de
Vérone), qui soutint contre Leoniceno, et nous pourrions dire contre la plupart
des médecins de son temps, que la vérole n'était rien moins que nouvelle, mais
qu'elle avait été anciennement connue et décrite sous diverses dénominations ;
J. Fracastor, auteur d"un poème élégant et facile dans lequel on trouve une
foule de renseignements précieux sur le début et les symptômes de la maladie
jusque-là connue sous les noms de mal français, mal de Naples, et qu'il a le
premier désignée sous celui de syphilis ; on possède en outre de Fracastor uu
Traité des maladies contagieuses, « de contagionibus », écrit en prose, où les af-
fections de la peau sont envisagées à ce point de vue spécial. Bien d'autres noms
pourraient être ajoutés à ceux qui précèdent, Dell'Âquila, Scanaroli, Brassavola,
G. Fallopio, A. Matthioli, J. Fernel, J. de Vigo, Pinctor, Fuchs, B. Tomita-
nus, etc., etc., mais je m'arrête, car les auteurs qui ont écrit sur la svphilis
DICT. ESC. XXVII. 4i
658 DERMATOSES.
dans les premiers temps de son apparition s'appellent légion, et ce n'est point
ici le lieu d'en faire le dénombrement.
Toutefois, parmi les noms précités, je dois revenir sur celui de Fernel, à qui
l'on doit une bonne description de quelques formes de syphilides, mais qui s'est
occupé en outre d'un certain nombre d'atlections cutanées non spécifiques,
telles que le lentigo, les rougeurs, les pustules et les tubercules de la couperose.
Fernel considérait l'impétigo, le pruritus, la psore et la lèpre, comme autant de
signes d'une même maladie, opinion à la rigueur qui pouvait être soutenue de
son' temps, étant donné la confusion qui régnait sur le sujet; mais ce qui se
comprend plus difficilement, c'est qu'il entend ici parler, sous le nom de lèpre,
non point de l'affection squameuse des Grecs, la seule évidemment dont il puisse
être question, mais de la lèpre des Arabes, de l'élépliantiasis lui-même : erreur
qui s'accorde assez mal avec les éloges que lui décerne Lorry sur sa connaissance
des auteurs grecs.
Ambroise Paré (1509-1590) n'a rien ajouté à ce que l'on savait avant lui sur
les affections de la peau. Il suit généralement Galien. L'érysipèle est à ses yeux
engendré par la cholère, et, selon que cette humeur est pure ou mêlée avec
d'autres humeurs, telles que sang, pituite, mélancholie, l'érysipèle est vray^
phlegmonodes , œdematodes, scirrliodes. C'est également de la cholère qu'il fait
naître l'herpès, dont il admet les trois espèces galéniques : simplex, si cette
humeur est pure ; miliaris, « si l'humeur est accompagnée de quelque portion
de pituite, et fait de petites vessies au cuir en forme de millet » ; exedens,
c'est-à-dire rongeant, corrodant et ulcérant le cuir et la chair de dessus, « si avec
la cholère quelque portion de l'humeur melancholique y est meslée. » Il décrit
sous les noms d'athérome, stéatome et mélicéride, des tumeurs « dont la matière
est contenue dans un kyste, c'est-à-dire dedans une membrane ou petite bourse»,
matière semblable dans l'athérome à de la bouillie, dans le stéatome à du suif,
et dans le mélicéride à du miel commun. Parlant ensuite des scrophules ou
escrouelles qui viennent aux parties glanduleuses, comme aux mamelles, ais-
selles, aines, et le plus souvent à celles du cou, il les montre « engendrées de
pituite grasse, visqueuse, et s'eschauffant lorsqu'il s'y mêle de l'humeur me-
lancholique, d'où ulcères corrosifs et chancreux qui rongent la substance des
glandes et des parties voisines, et adonc sont incurables. » Enfin, dans le même
VII* livre, il est question des verrues ou poireaux, dont il admet cinq sortes, et
du scirrhe ou chancre, qui est pour lui l'objet d'une élude spéciale. C'est au
commencement du XVII'' livre que se trouvent, on ne sait trop pourquoi, les
chapitres consacrés à l'alopécie et à la teigne. Paré énumère les différentes
espèces d'alopécie, syphilitique, lépreuse, teigneuse, celle qui vient de la vieil-
lesse ou par fièvre hectique, ou par brûlure, ou par quelque vice du cuir, etc.
Quant à la teigne, il en admet trois espèces, une seule, l'espèce ficosa, étant de
nature parasitaire. Notons encore le X1X'= livre où il est question de la grosse
vérole ou maladie vénérienne, et le XX% oii Paré traite succinctement de la
petite vérole, de la rougeole et de la lèpre ou ladrerie. C'est dans ce W" livre
que, parlant de quelques animaux parasites, l'auteur signale sous le nom de
cirons « de petits animaux toujours cachés sous le cuir, etc., » et qui ne sont
autre chose évidemment que le sarcopte delà gale {voy. article Gale). Enfin,
dans le XXII* livre, Paré s'occupe de la peste, des éruptions qu'elle occasionne,
et des maladies charbonneuses.
De même que Gelse et Galien, Jérôme Mercuriali divise les maladies de la
DER3IAT0SES. 659
peau en celles qui sont particulières à la tête et celles qui peuvent se développer
sur toutes les parties du corps : distinction justifiée, selon lui, par ce fait que
le cuir chevelu doit être nécessairement exposé à des maladies spéciales en
raison de la proximité du cerveau, organe très-humide et l'un des plus considé-
rables qui soient dans l'économie. Le traité comprend donc deux chapitres :
l'un pour les maladies du cuir chevelu, l'autre pour celles du tégument en
général. Nous commencerons, dit Mercuriali, par les vices du cuir chevelu, toute
étude des maladies du corps humain devant débuter par celles de la tête, qui
en est la partie la plus noble, et l'auteur passe successivement en revue, dans
une série d'articles empreints du plus pur galénisme : 1" la chute des cheveux;
2° l'alopécie ou ophiasis; 3" la calvitie; ¥ lacanilie; 5" la maladie pédiculaire;
6° le porrigo; 7° les achores et les favi; 8° la tinea; 9° la psydracia ; 10" l'hil-
cydria; 11° le sycosis ; 12" les exanthemata. Une seule parmi ces affections
mérite de nous arrêter un instant pour la façon nette et précise dont elle a été
caractérisée par Mercuriali, je veux parler de la tinta, qui représente évidem-
ment notre teigne favcuse. 11 indique la contagion comme une des causes les
plus ordinaires : El si quis est morhus quiper contagium recipiatur, proculdu-
bio hic iinus est. 11 décrit parfaitement ses croûtes jaunes et sèches : Signa horum
tdcenim... hcec sunt quod apparent crustce quœdam aridœ, interdum crocece,
interdum cinereœ, nonnunquam virides aut etiam nigricantes, quœ nihil aut
pariim humoris emittunt. Il note la chute des cheveux : Propterea corrupti pili
décidant. Enfin il montre la tinea, lorsqu'elle a longtemps persisté, s'accompa-
gnant d'une calvitie définitive : Prognostica hcec sunt, quod omnia hcec idcera
prava sunt; sed détériora hahentur illa cjiice sunt anticjua quce fere omnia in
alopeciam et ophiasim consummata terminantur. Mercuriali combat la tinea
par des moyens internes et par des moyens externes. Parmi les moyens externes,
il recommande l'épilation : Primum est, ut pili, si qui sint, auferantur. Aufe-
runtur auteni vel volcellis (petites pinces), vel etiam aliquo psylolhro (agents
dépilatoires). Quant aux maladies qui peuvent se développer sur toutes les par-
ties des téguments, Mercuriali les divise en plusieurs ordres suivant qu'elles
altèrent la couleur de cette membrane (leuce, alphos, etc.), ou qu'elles en ren-
dent la surface rude et inégale [impétigo seu lichen, priiritus, scabies ou psora,
lepra, etc.), ou entîn qu'elles y déterminent la formation de véritables tumeurs.
Riolan fils divisa les maladies de la peau, d'après leurs apparences : 1" en
pustules (prurigo, scabies, psora, lepra, impétigo, psydracia, brûlure) ; 2° en
difformités (taches, colorations morbides, chute des poils, phthiriasis) ; 5"^ en
tubercules (verrues, clous, condylomes).
En 1650, Samuel Ilafenrefter faisait paraître un traité spécial des mala-
dies de la peau sous ce titre singulier : TzitvSoyjio-j cx.loloS-piJLo-j in quo cutis eique
adherentium partium, affectus omnes, singulari méthode, etc.. traduntur. Les
maladies de la peau y sont réparties un peu au hasard en quatre livres. L'auteur
semble pourtant s'être proposé de décrire plus particulièrement dans le
P"' livre les altérations qui s'arrêtent à la superficie du tégument, et dans !■»
IP celles qui l'attaquent plus ou moins profondément dans sa substance
le 11^ livre est consacré aux lésions traumatiques ou de cause extérieure,
et le IV'= enfin aux tumeurs de la peau. En somme, aucun plan, aucune vue
générale. Quant aux descriptions particulières, elles répondent généralement
assez mal à la prétention affichée par l'auteur de joindre, selon le précepte
d'Horace, l'utile à l'agréable : Opus tam medicis quant cheirurgis jucundum et
6C0 DERMATOSES.
utile. C'est ainsi qu'à propos de la scabies et de ses espèces Hafenreft'er trouva
moyen de pr.rler tout à la fois du porrigo, de la psore, de la lèpre des Arabes
et de l'éléphantiasis des Grecs, des rhagades et fissures, du lei^^veç, de la raeu-
tagre, de l'ipTrvj; et de ses trois variétés galéniques, le tout à grand renfort
d'érudition. 11 faut reconnaître pomiant qn'Ilafenreffer ne nian([ue ni de sens
pratique, ni d'un certain talent d'exposition. La description qu'il a donnée de
l'antln'ax, sous le nom de carbuncultis, n'est point tracée d'une main vulgaire;
les abcès dermiques (x/ùf^aTa) sont distingués par lui de la manière la plus nette du
furoncle; entin, dans le chapitre X, de pediciiUs, page 73, il indique manifes-
tement l'existence de l'acarus scabiei : « Generantur inter digitos, in manu et in
« pedibus, inter cuticulani et cutem , forma imitantur ora papiliorum, sunt
« enim rotundi, albi et tam parvi, ut videri ferè effugiunt ; serpunt enim per
« cutem et ipsam corrodendo intolerabileni pruritum concitant, et nunquam
« erumpunt, sed semper intra cutem et cuticiilam lalitant. Quibusdam acari,
« aliis cyrones, quibusdam pedicelli germanis... appellantur. » Du reste, pour
Ilafenrelfer, tous ces parasites naissent d'une altération des humeurs, et leur
couleur, leur forme, leur aspect, indiquent quel est le genre et le siège de cette
altération : « rubros et crassiores ex humore sanguineo corrupto generari volunt ;
« molles et albos, ex piluiloso sanguine corrupto ; citrinos, longos et acutos, ex
« bilioso ; subnigros, macilenlos, tardioiis motus, ex melancbolico. )> J'ai cru
devoir citer ce passage, qui montre oii en était la question du parasitisme vers le
milieu du dix-septième siècle. Le livre d'IIafenreffer se termine par un glossaire
en quatre langues, l'arabe, le grec, le latin et l'allemand.
^Yillis (1682) ne semble s'être occupé des maladies de la peau qu'incidem-
ment, après avoir traité des cautères et des vésicatoires. Il donne d'abord quel-
ques détails sur la structure de la peau, qu'il montre composée de deux parties,
la cuticule et la peau proprement dite. 11 divise les affections cutanées en deux
sections, selon qu'elles sont avec ou sans tumeur. Les affections cutanées avec
tumeur sont universelles ou particulières. Parmi les premières, les unes s'ac-
compagnent de fièvre, comme il arrive dans la variole, la rougeole et d'autres
exanthèmes auxquels il faut joindre les efflorescences qui surviennent chez les
enfants ; ou bien la fièvre fait défaut, comme on le voit dans le prurigo, l'im-
pétigo et les alfections lépreuses. Les affections cutanées sans tumeur compren-
nent toutes les taches, éphéUdes, taches hépatiques, etc.
Le Traité des maladies de la peau de Turner (Londres, 1714) est divisé en
deux parties : Li première est destinée plus particulièrement aux affections qui
peuvent se rencontrer sur tout le corps, et la deuxième à celles qui s'attaquent
de préférence à certaines régions. Cependant, l'auteur semble tenir assez mé-
diocrement à cette division dont il ne prévient même pas le lecteur, et qu'il
abandonne dans les quatre derniers chapitres, consacrés par lui aux lésions
traumatiques de la peau, sans aucune distinction de siège. Turner commence
par une dissertation assez embarrassée sur les différentes espèces de lèpre, qu'il
ne sépare pas d'une manière assez nette; parlant ensuite de la gale, qu'il attri-
bue à une humeur séreuse saline des glandes cutanées, il en indique le caractère
contagieux et le siège pathognoraonique entre les doigts sous la forme de pus-
tules ; il donne une assez bonne description de l'herpès, qu'il tend à séparer de
la dartre rongeante {herpès ex edens); à propos de la maladie pédiculaire, il
révoque en doute la génération spontanée des insectes, ne pouvant croire que
<( la strujcture la plus curieuse et la mieux imaginée sorte de l'ordure et de la
DERMATOSES. 661
corruption « ; du reste, pour la description des pecUculi, il reproduit exactement
ce qu'en a dit Hafenreffer, sans oublier « l'espèce qui s'engendre sous la cuti-
cule des mains et des pieds », c'est-à-dire Vacants scabiei. Il consacre un long
chapitre aux transpirations sensible et insensible, et à leurs vices, expliquant et
commentant ces phénomènes au moyeu des notions anatomiques et physiolo-
giques alors fort incomplètes que l'on possédait sur ces matières, et il cite à ce
propos un certain nombre de faits empruntés à divers auteurs, et dont quelques-
uns présentent un véritable intérêt : tel est le cas d'une femme dont les sueurs
étaient si prodigieuses qu'on était obligé de mettre des bassins entre ses cuisses
pour recevoir l'humeur qui s'écoulait de son corps. Turner parle ensuite des
sueurs fétides et en particulier de celles des pieds et des mains « qu'on ne doit
arrêter, dit-il, qu'avec beaucoup de circonspection, et les mêmes précautions
dont on use dans le dessèchement des cautères, des ulcères anciens, des humeurs
de la teigne, etc., car l'évacuation qui se fait dans tous ces cas n'est qu'une
dépuration du sang, etc. » Mentionnons enfin les nœvi, que l'auteur regarde
« comme des marques imprimées sur la peau du fœtus par l'imagination de la
mère », et qu'il étudie principalement au point de vue de leur traitement chi-
rurgical (ligature, excision et cautérisation). En résumé, le livre de Turner n'a
rien qui le tire de ligne, mais il a le mérite d'être venu l'un des premiers dans
la série des Traités spéciaux de dermatologie ; il est, du reste, d'une leclui'e
facile et qui n'est pas sans attrait, ce qui tient à la multitude de faits, et j'allais
dire d'anecdotes dont l'auteur a entremêlé ses courtes descriptions. Quant à la
partie thérapeutique, elle abonde en recettes de tous genres, puisées à toutes
les sources, mais qui n'offrent pour la plupart qu'un intérêt de curiosité.
2° L'époque moderne, dans l'histoire de la dermatologie, ne commence véri-
tablement qu'à Lorry, qui a publié sur la matière un livre également remar-
quable par l'élégance de la forme, la connaissance approfondie du sujet et
l'étendue de l'érudition : c'est le Tractatus de morbis ciitaneis, paru en 1777.
Nul mieux que Lorry n'a connu la science antique, dont il peut être considéré
comme l'un des derniers représentants, et non pas le moins illustre ; nul n'a
su tirer de ces ruines fécondes du passé un plus grand nombre de matériaux
précieux. C'est dans le commerce des Anciens, et plus particulièrement d'Ilip-
pocrate et de Gaheu, que Lorry a puisé la plupart des principes sur lesquels
repose la conception de sou œuvre ; il insiste, avec le premier, sur les rapports
que peuvent affecter les éruptions de la peau avec les auties états morbides ;
sur les signes qu'elles peuvent fournir au pronostic et au traitement, sur les
effets de leur répercussion, etc. Mais on le voit trop souvent s'égarer, à la suite
du deuxième, dans de vaines explications théoriques sur la nature et la cause
prochaine des maladies, sur les altérations humorales qui les engendrent, etc.
11 est vrai que ce défaut, qui était celui de son époque, se trouve atténué dans
Lorry par la rectitude de son jugement et le sens médical qu'il possédait à un
haut degré, mais on peut regretter néanmoins qu'un esprit aussi distingué n'ait
point su s'y soustraire.
Après un long chapitre consacré à l'anatcimie et à la physiologie de la peau
envisagée dans l'état de santé, Lorry entre dans des considérations générales
sur sa pathologie. 11 s'occupe en premier lieu des causes, qu'il divise en trois
classes : d° la première classe comprend ce qu'il appelle assez improprement,
d'après Galien, res non naLiirales, les choses non naturelles; 2" la deuxième,
les causes dont l'origine se trouve dans le corps lui-même, et qu'on pourrait
662 DERMATOSES.
appeler naturelles ou organiques, par opposition avec les précédentes; 3" enfui,
dans la troisième classe se placent les causes venues du monde extérieur.
Les choses non naturelles (res non iiaturales) sont au nombre de six, à savoir:
1° l'air, qui agit par sa température, ses variations, son état de sécheresse ou
d'humidité, les émanations dont il est chargé, etc. ; 2° lesalimentset les boissons,,
dont l'influence varie suivant leur quantité et leurs qualités ; 5" le mouvement
et le repos ; 4" le sommeil et la veille ; 5 • les émotions de l'àme ; 6" la rétention
des humeurs et leur excrétion.
Lorry attribue à chacune de ces causes un rôle en rapport avei; ses idées doc-
trinales sur les humeurs, sur la manière dont elles s'engendrent, les altérations
qu'elles peuvent subir, leur mode d'action sur la peau, etc. Mais il faut recon-
naître que, les prémisses étant admises, tout se suit et s'enchaîne dans un
ordre rigoureux et logique. Et puis, le théoricien chez Lorry se trouvait doublé
d'un observateur sagace, d'un praticien expérimenté, et les réflexions les plus
judicieuses se rencontrent à tout instant sous sa plume. C'est ainsi qu'à propos
des aliments et des boissons il ne manque pas de citer en exemple les effets
produits sur la peau par le seigle ergoté et Tingestion des moules ; que, parlant
des excès de régime, il indique la part qu'une telle cause peut avoir dans l'éveil
ou l'explosion d'un mal jusque-là resté latent, et qu'enfin il compare avec
raison ces effets à l'action exercée sur la peau par l'usage interne de certaines
substances médicamenteuses.
Passant ensuite à l'élude des causes dont l'origine est interne {causée intra
corpus conceptœ), Lorry examine successivement à ce point de vue : l^la bile
et Vatrabile, auxquelles il attribue un certain nombre d'éruptions rebelles et
graves, depuis la tache hépatique jusqu'à l'anthrax et la gangrène ; '1° la lymphe
{lympha, sive sanguis materie rubra seclusus), humeur complexe et infiniment
variable selon les cas, qui peut-être altérée, soit dans sa partie séreuse [sérum
acre), soit dans sa partie muqueuse [mucus acer), soit dans tous ses éléments
à la fois [scrofulosum acre). Les altérations de la partie séreuse de la lymphe
donnent lieu, dans leur moindre degré, à des phlyctènes, à des engelures, sans
l'intervention d'une cause extérieure, à des efflorescences herpétiformes, etc.,
et, lorsqu'elles sont très-prononcées, à des pustules accompagnées de douleurs
atroces, à la chute des dents, à la désorganisation du poumon, etc. La partie
muqueuse delà lymphe, humeur éminemment nutritive et instable de sa nature,
produit notamment, loi'squ'elle devient acre [mucus acer), ces affections cuta-
nées si communes chez les enfants et les jeunes gens, et que les Grecs désignaient
sous le nom à'oL^hipîg (scrofulides eczémateuses et impétigineuses), affections
qu'il faut respecter, dit-il, de peur que le principe morbide, après avoir aban-
donné la peau, ne se porte sur les organes internes, le mésentère, le foie, les
poumons, etc. Cette àcreté de la partie muqueuse de la lymphe pourrait encore
dépendre, selon Lorry, d'une élaboration vicieuse et incomplète du chyle au
lieu même où il se forme, d'où altération de toutes les sécrétions, et en particu-
lier de la sécrétion de transpiration, qui est appelée à suppléer toutes les autres :
c'est ce que Lorry appelle, un peu ambitieusement, acre humanum, cause et
source féconde, selon lui, de maladies très-diverses de siège et de forme, criti-
ques, dépuratoires, etc. : Numerosa herclè morbonan cohors, quœ huic acredini
mucosœ débet originem. Enfin un dernier mode d'altération de la lymphe
aurait pour effet d'accumuler cette humeur sur certains points et d'en déterminer
la coagulation [scrofulosum acre), d'où les scrofules, les tumeurs froides et.
DERMATOSES. 663
sur la peau, des dégéne'rescences et des destructions telles que la réparation
n'est plus possible; 5" le liquide laiteux altéré {lacteum acre), dont les éléments
donnent lieu, eu se répandant dans les tissus, à du prurit, à des ulcères rebelles,
au ramollissement des os, etc. ; 4° il y a encore ce qu'il appelle le pingue acre,
qui consiste dans une altération des éléments graisseux du mucus, et dont l'action
se traduirait sur la peau par une pustule rougeàtre suivie d'ulcères fétides, et
dont le pus se fait jour par plusieurs ouvertures ; 5" le virus vénérien {venereum
acre), qu'il range parmi les venins acres et rongeants; il signale les engorge-
ments ganglionnaires qu'il détermine, et le compare, à ce point de vue, à d'autres
ferments acres, et notamment au vice scrofuleux qui souvent se porte tout à
coup vers la peau après être resté longtemps confiné dans les ganglions ; 6" le
virus varioleux [variolosum acre), auquel il attribue une vertu dépurative par
son action sur la matière muqueuse de la lymphe, et c'est pourquoi la variole
entraîne souvent à sa suite des affections cutanées, herpétiques ou autres; 7" le
virus morbilleux {morbillosum acre)^ qui détermine des éruptions dont le caractère
est de disparaître rapidement et sans laisser aucune trace de leur passage^
8* enfin, les causes sympathiques {causœ sympathicœ), et il rappelle à ce propos
les relations morbides qui lui paraissent exister entre la peau et l'estomac, les
reins, les poumons, etc.
Dans un troisième chapitre, Lorry s'occupe des causes extérieures agissant
directement sur la peau {De applicatis externis), et il en reconnaît deux espèces :
1" les unes qui tirent leur origine de la peau elle-même; 2° les autres qui
viennent du dehors.
Les causes qui tirent leur origine de la peau elle-même sont comprises sous
la dénomination générique de sorties, mot qui exprime la souillure de cette
membrane par ses propres excrétions mêlées aux particules atmosphériques, aux
débris d'épiderme, etc. La nature de ces produits varie nécessairement selon les
qualités du mucus, de la sueur, et par conséquent selon l'état de santé ou de
maladie, l'âge, le sexe, les diverses régions du corps, etc. ; de là des formes
multiples d'affections cutanées, mais que Lorry résume de la manière suivante :
Sordium proprium est epidermidem furfuraceam facere et Uchenes procreare.
Les causes qui viennent du dehors agissent sur la peau de trois manières :
1° par voie d'irritation (irritantia) , et l'on a, selon l'énergie de l'agent, soit une
désorganisation complète du tissu cutané (caustiques), soit un épanchement de
sérosité sous l'épiderme soulevé (vésicants), soit une simple rubéfaction (rubé-
fiants) ; 2° par voie de constriction [astringentia), et la peau se couvre d'abord
d'aspérités sèches, de saillies produites par l'érection des follicules ; puis une
sorte de réaction a lieu, et l'on voit paraître une rougeur érysipélateuse ; médica-
ments dangereux, dit Lorry, car ils peuvent avoir pour résultat de retenir à
l'intérieur les liquides viciés de l'organisme ; 5" enfin, il y a des agents qui ont
la propriété de refouler au dedans les humeurs [obstipantia), et de mettre obstacle
à leur élimination; les acides styptiques, les sels neutres alumineux, les huiles
qui bouchent les pores, les emplâtres qui empêchent la perspiration, etc., etc.
C'est parmi les causes venues du dehors qu'il faut placer les ligatures trop
serrées, les liens tels que ceintures, jarretières, etc. Les callosités qui se pro-
duisent aux mains des ouvriers, aux pieds, aux coudes, aux genoux, les cors, etc.,
sont autant d'effets de la pression continue exercée sur la peau de ces parties.
D'autres affections sont dues à des insectes dont les uns viennent du dehors,
tandis que d'autres peuvent naître dans le tissu même de la peau. Les cousins,
664 DERMATOSES.
les abeilles, les guêpes, les mouches, etc., sont dans le premier cas; mais Lorry
croit à la génération spontanée des pediculi sous la seule influence d'une altéra-
tion du sang ou de la lymphe.
Telles étaient, pour Lorry, les causes des affections de la peau. Toutes peuvent
se résumer en une seule, l'altération des humeurs, qui constitue pour ainsi
dire le pi^emier et le dernier terme de cette pathogénie. C'est à ce résultat que
conduisent, en définitive, les différents modificateurs désignés sous le nom de res
non naturales, l'air, le froid, le chaud, les aliments, le mouvement, le repos,
les émotions de l'àme, etc. Quant aux causes internes, elles ne sont en réalité,
dans la doctrine, que ces altérations elles-mêmes envisagées dans chacun des
liquides où elles prennent naissance. Enfin, il n'est pas jusqu'aux causes dites
extérieures que ne revendique, au moins dans bien des cas, la théorie humorale :
témoin les pediculi, qu'elle fait naître parfois dans la peau elle-même et sous la
seule influence d'un état particulier du sang ou de la lymphe.
La classification donnée par Lorry des maladies de la peau est un chef-d'œuvre
d'ordre et de simplicité, si l'on tient compte de l'état des connaissances en
dermatologie au moment où elle a été conçue. En voici les principales divisions :
Lorry partage d'abord toutes les affections cutanées : 1° en celles qui sont la
manifestation sur la peau d'un vice intérieur [De affectibus qui in cutem pro-
pellantur a vitio intus latente) ; 2° et celles qui naissent dans la peau elle-même
{De morhis in ipsa cute nascentibus). Ces deux grandes classes se subdivisent à
leur tour suivant que les maladies sont communes à toute la peau, ou se limitent
à une partie seulement de cette membrane.
Première classe. Section première. Les éruptions qui procèdent d'un vicp
intérieur, et peuvent s'étendre à toute la peau, sont :
1° Des maladies aiguës non critiques;
2° Des maladies aiguës critiques;
Z° Des affections non aiguës et dépuratoires, celles-ci de beaucoup les plus
nombreuses, et qu'il divise : a. en affections se produisant sous forme de tumé-
faction extérieure, telles que l'érysipèle ou le feu sacré ; — b. en affections carac-
térisées par des tumeurs séparées et distinctes, comme les papulce^ les maculœ,
depuratoriœ, lespsoi'a et scabies, les lichenes; — c. en affections dont les tumeurs
se résolvent en un liquide purulent ou auti'e, comme les pustules, les phlyctènes,
les pustules inflammatoires, les terminthes, les épinyctides ; — d. en affections
ulcéreuses comprenant les affections croùteuses généralisées déterminées par le
lait chez les jeunes enfants et les nouvelles accouchées ; puis viennent : e. les
herpetes ; — /'. l'impétigo; — g. le vitiligo; — h. la lèpre et les maladies
lépreuses, etc.
Section 2®. Les éruptions de cause interne, dépuratoires, qui envahissent
une partie seulement de la peau, sont :
1" Les tumeurs érysipélateuses, et Lorry traite sous ce titre : a. De roseolis
saltantibus ; — b. De sacro igné et zona ; — c. De igné sylvestri seu volatili
infantiim; — d. Deprunael ignepersico Avicennœ;
2° Les tumeurs phlegmoneuses, qui sont : a. Le phygethlon, le phyma et le
furoncle; — b. Planta nocturna Arabum, fici Galeni, lupus Manardiet rosa
Severini ;
ù" Les tumeurs lymphatiques suppurantes, à savoir : a. Meliceris cerium et
melitagra Galeni ; — b. Achores etfavi infantuni ; — c. Laclumen Manardi ;
DERMATOSES. 0G5
4° Les tumeurs croùteuses et l'arineuses : a. Crusta lactea infantinn; —
b. Intertrlgines ; — c. Aures suppurantes ; — d. Forrigo; — e. Tinea.
2* CLASSE. Les maladies qui naissent dans la peau elle-même peuvent égale-
ment l'atteindre dans toutes ses parties ou seulement dans des régions déter-
minées. De là deux sections :
Dans la première section se trouvent : 1" les maladies qui résultent d'une
modification dans les propriétés physiques de la peau, dont la substance peut
s'indurer [de crassitie auctâ), se creuserde rides anticipées (de rugis morbosis),
devenir aride et se couvrir de ïnriares [de cutis ariditate et fur furibus), etc. etc. ;
— 2° les maladies qui ont pour effet d'altérer la (orme de la peau sans l'at-
taquer dans sa substance intime, telles que les stigmates, les macules indolentes,
le ïentigo, l'acné, les verrues, les excroissances charnues, le sarcome, les njevi; —
5° les maladies cutanées produites par l'action des venins limitée à cette mem-
brane seulement, et Lorry comprend sous ce titre les éruptions provoquées par
toutes SOI tes d'agents, tant du règne végétal que du règne animal. C'est là que
figurent principalement les affections cutanées de cause externe.
La seconde section, ou section des maladies cutanées propres à certaines parties
de la surface tégumentaire, comprend : 1° les maladies des cheveux et des
parties velues : calvitie et canilie, alopécie, area, ophiasis, plique polonaise,
tumeurs kystiques, etc. ; — 2" les affections propres à la peau de la face, parmi
lesquelles la couperose ou gutta rosea; — 5° les affections propres à certaines
parties de la peau, région de l'abdomen, aisselles, aines, parties génitales; —
4" les affections propres à la peau qui recouvre les membres, telles que les
engelures, l'éléphantiasis des Arabes, les cors, les callosités.
Bien des reproches, assurément, pourraient être adressés à cette classification,
qui se recommande à première vue par son ingénieuse simplicité. Remarquons
d'abord que sa division fondamentale, je veux parler de la distinction des
maladies cutanées en celles qui ont leur origine dans l'intérieur du corps, et
celles qui naissent dans la peau elle-même, repose avant tout sur une conception
pathogénique pour le moins fort contestable. Mais il ne faut pas oublier que
Lorry était un partisan convaincu des doctrines humorales, dont cette division
n'est qu'une application plus ou moins heureuse, mais à ce point de vue fort
rationnelle : k Dans la première classe, dit-il, viennent se ranger toutes les affec-
tions qui, ayant pris naissance dans l'économie tout entière, sont ensuite portées
vers la peau ; et plusieurs cas peuvent alors se présenter : tantôt la peau par-
ticipe simplement, comme tout autre organe, à la maladie du système tout
entier, et il serait en vérité bien étrange qu'une membrane aussi étendue, enve-
loppant tout le corps, ouverte en quelque sorte et béante de toutes parts, con-
tinuellement traversée par les liquides perspiratoires, échappât complètement
aux atteintes du mal [veneni lœdentis), et n'en fît rien paraître au dehors;
tantôt la peau intervient d'une manière plus active, soit pour modifier, en vertu
de sa force propre, les atomes morbiliques quelle a reçus, soit pour en opérer
l'élimination, et elle joue alors un rôle considérable dans l'histoire des
maladies aiguës et chroniques. Mais nous aurons à étudier dans la seconde classe,
continue l'auteur, les affections qui sont engendrées dans la peau, tanquàm in
nido paterno, et dans ce cas cette membrane ne devra plus être considérée
comme un simple instrument d'élaboration ou d'excrétion entre les mains de la
nature, mais comme un organe spécial, et comme telle assujettie à des maladies
spéciales en rapport avec sa structure et ses propriétés. » C'est donc une erreur
066 DERMATOSES.
de croire que Lorry a divisé les maladies de la peau en celles qui sont de cause
externe et celles qui sont de cause interne. Tout autre est le point de vue auquel
il s'est placé. Il suffit, pour s'en convaincre, de jeter un coup d'oeil sur la
classe « des maladies qu'il fait naître dans la peau », car on y trouve les vnri,
les verrues, le sarcome, lencevus, la calvitie, la canitie, les loupes, la couperose,
l'éléphantiasis des Arabes, etc., etc., toutes affections qui, évidemment,
n'étaient pas considéi'ées par Lorry comme le résultat d'une cause extérieure.
La chose capitale à ses yeux, ce n'est donc pas la cause externe, c'est le vice
de la peau, le vice qu'elle a conçu, mûri, développé dans sa propre substance
{hic ipsius cutis substantia vitium suscipit, susceplum alit et enutrit), quel-
quefois même le vice qu'elle a reçu d'un autre organe, mais à la condition qu'il
se soit tout entier concentré en elle, sans participation morbide du reste de
l'économie.
Lorry a adopté, mais en la rejetant sur un plan secondaire, la division tradi-^
tionnelle des affections de la peau en celles qui sont communes à toute la surface
du corps, et celles qui sont particulières à certaines régions seulement. Quant
aux subdivisions, elles lui sont lournies, soit par la forme aiguë ou chronique
des affections, soit par leur mode pathogénique, soit par leurs caractères objectifs
prédominants, etc., etc.
Bien d'autres observations pourraient être faites au sujet de la classification
de Lorry, mais nous en avons dit suffisamment pour en faire connaître l'esprit et
la valeur.
Parmi les ouvrages qui parurent vers la même époque que le Tractatus de
morbis ciitajieis, et que l'on peut considérer comme appartenant aux mêmes
idées doctrinales, nous signalerons d'abord le mémoire de Roussel, couronné par
le Collège de médecine de Lyon {Dissertatio de variis herpetum speciebus, 1779),
et le petit Traité des dartres de Poupart (1784). Mais ces deux ouvrages ont
été de notre part l'objet d'un examen approfondi dans notre article Dartre de ce
Dictionnaire, et nous devons nous contenter ici d'y renvoyer le lecteur.
Un autre Traité du même genre, mais dépourvu de toute valeur scientifique,
est celui de Pietz, publié en 1785, et portant ce titre : Des maladies de la peau,
de leurs causes, de leurs symptômes, etc. Pour cet auteur, il n'existe peut-être
pas une seule maladie de la peau dont on ne trouve la cause dans la constitution
du foie et dans la nature des humeurs qui affiuent à ce viscère, et c'est à la
démonstration de cette thèse au moins singulière qu'il consacre les 72 pages de
son travail. Il existe encore du même auteur un ouvrage publié en 1790 sous ce
titre bizarre : Traité des maladies de la peau et de celles de Vesprit. C'est,
comme l'a dit Rayer, un simple recueil de notes et d'observations concises, ayant
la plupart un but pratique. 11 y est question de la chéloide, que Retz appelle
dartre dégraisse, d'éruptions aux parties génitales de l'homme et de la femme,
de l'influence que les maladies de la peau peuvent exercer sur le moral, etc., etc.
Cependant, vers l'année 1776, un peu avant la publication du Tractatus de
morbis cutaneis, un médecin allemand, Jean-Jacques Plenck, professeur à l'Uni-
versité de Vienne, faisait paraître un ouvrage dans lequel les maladies de la peau
étaient envisagées et classées d'une manière toute nouvelle {Doctrina de morbis
cutaneis, quâ hi in suas classes, gênera et species, rediguntur. Vienne, 1776).
Laissant de côté les questions de cause et de nature, qu'il n'avait pas sans doute
la prétention de résoudre, Plenck s'efforça de reconnaître, au milieu de la
diversité des formes morbides qui se produisent à la peau, un certain nombre
DERMATOSES. 607
de caractères propres à les distinguer les unes des autres, et il fut ainsi conduit
à admettre quatorze groupes de ces affections.
Première classe. Maculée, a. Maculœ fuscœ : lentigo, ephelis, fuscedo cutis,
flavedo cutis ; — b. Maculœ rubrce : gutta rosacea, stigraa, erythema, morbilli,
scarlatina, urticata ; — c. Maculœ venereœ : essene, psydraciiE, rubedo cutis,
zona, ignissacer; — d. Maculœ lividœ : eccliymosa, livor cutis, vibex, maculfe
scorbutica;, gangrenosae, petechiae ; — e. Maculœ nigrœ : mêlas, melasma,
noma, nigredo cutis ; — f. Maculœ albœ : alphos, albor cutis, pallor cutis; —
g. Maculœ incerti coloris : maculse maternœ, maculae artificiales, cutis varie-
gata, cutis fucata, cutis unctuosa.
2^ CLASSE. Pustulœ : pustulae, scabies, variolae, varicellae.
5" CLASSE. Vesiculœ : sudamen, miliaiii, bydates, vesiculse cristallinae geni-
talium, uritis.
4^ CLASSE. Bullœ : phyma, bullse, pemphigus.
5^ CLASSE. Papulœ : vari, gratum, berpes seu serpigo, cutis anserina,
tuberculum, pbygetblon, lepra, elepbantiasis.
6*= CLASSE. Crustœ : crusta, escbara, scabies capitis, crusta capitis neona-
torum, crusta lactea, tinea, mentagra, malum mortuum, exantbema labiale,
exanthema subaxillare.
7*^ CLASSE. Squamœ : furfuratio, desquamatio, exuvia epidermidis, por-
rigo, lichen, impétigo, ichthyosis, tyriasis, asperitas cutis, rugositas cutis.
8" CLASSE. Callositates : callus, cicatrix, clavus.
9" CLASSE. Excrescentiœ cutaneœ : verruca, cornua, hystrieismus, condy-
loma, frambœsia.
10* CLASSE. Ulcéra cutanea .-excoriatio purulenta, intertrigo, aphtboî, fissurte,
rhagades.
11'^ CLASSE. FMZnera CM^anea ; excoriatio cruenta, scissura, pressura, morsus,
Bunctura, ictus ab insecto.
12<= CLASSE. Insecta cutanea : phthiriasis, helmintliiasis, molis, crinones.
13*^ CLASSE. Morbi unguium : seline, eccbymoma, gryphosis, fissura unguium,
tinea unguium, mollities unguium, scabrities unguium, pterygium unguis,
arctura unguis, deformitas unguis, lapsus unguis.
lA" CLASSE. Mo7'bi pilorum : calvities, hirsuties, xerasia, triclioma, fissurœ
capillorum, canities.
Cette classification, même au point de vue restreint où s'était placé son
auteur, était fort imparfaite. N'ayant pas de règle fixe pour se guider dans la
recherche des formes caractéristiques des affections, Plenck se laissa déterminer
surtout par les apparences, par le symptôme actuel prédominant, et ce symptôme
fut, selon les cas, soit une lésion primitive, soit une lésion consécutive : d'oi!i il
advint que la même affection se trouve faire partie, selon sa période, de plu-
sieurs classes différentes ; de là aussi la diversité des éléments qui composent
chaque classe en particulier.
Quelques années après, Robert Willan, de la Faculté d'Edimbourg, s'empa-
rait de l'idée émise par Plenck, en lui faisant subir une modiûcation essentielle.
Une étude plus approfondie des formes morbides qui se manifestent à la peau
lui démontra qu'il existe pour chacune de ces formes, à un moment donné, une
lésion constante, toujours la même, et que cette lésion caractéristique corres-
pond précisément à leur période d'état, de maturité ou de plus grand dévelop-
pement. Une fois en possession de ce critérium, le pathologiste anglais supprima
668 DERMATOSES.
la croûte et l'ulcération, états évidemment consécutifs, et réduisit à huit les
quatorze classes admises par Plenck. Voici la classification de Willan (1798) :
Ordre premier. Papula : i° strophulus; 2" lichen; 5'* prurigo.
OuDRE II. Squamœ : i° lepra ; 2" psoriasis; 3" pityriasis ; 4" ichthyosis.
Ordre III. Exanthema : l^rubeola ; 2" scarlatina ; 3° urticaria; 4° roseola;
5° purpura ; 6° erythema.
Ordre IV. Bullœ : 1" erysipelas ; 2° pemphigus; 3° pompholix.
Ordre V. Pustulœ : i" impétigo ; 2» porrigo ; 3" ecthyma ; A° variola ; 5" sca-
bies.
Ordre VI. Vesiculce : i° varicella ; 2° vacciaia ; "5° herpès ; 4" rupia ; 5° mi-
liaria; 6^ eczéma; 1° aphtha.
Ordre VIL Tiibercula : 1» pliyma; 2° verruca; 3" moUuscum; 4" vitiligo;
5° acné; 6° sycosis; 7» lupus ; 8" elepliantiasis; 9" frambœsia.
Ordre VIll. Maculœ : i° ephelis ; 2° naevus; 5° spiius.
Il est facile de mesurer le progrès accompli de Plenck à Willan. Les groupes
établis par le pathologisle anglais sont plus naturels, plus homogènes, basés
sur une connaissance plus exacte des éruptions. Celles-ci reçoivent des dénomi-
nations mieux choisies, mieux définies, empruntées pour la plupart à la nomen-
clature ancienne. Enfin, chaque éruption est déci'ite avec une précision inconnue
jusque-là, suivie aux diflerentes périodes de son évolution, c'est-à-dire sous les
apparences diverses qu'elle peut successivement revêtir. Ainsi se trouvait con-
stituée l'afleclion générique, tandis que Plenck s'était arrêté au symptôme orga-
nique. Malheureusement, on peut croire que Willan a prétendu donner pour
une classification nosologique ce qui n'était en réalité qu'une classification de
lésions, une méthode excellente sans doute, mais purement artificielle, pour
arriver à la détermination des formes graphiques des éruptions : aussi la patho-
logie de la peau est-elle devenue, entre ses mains, une science à part, distincte
et isolée du reste de la pathologie, et obéissant en quelque sorte à des règles
spéciales : et cette tendance n'a fait que s'accuser de plus en plus chez ceux qui
ont depuis adopté ses idées et sa doctrine.
Quoiqu'il en soit, la classification de Willan opéra une véritable révolution dans
l'étude des affections de la peau. Popularisée en Angleterre par Thomas Batemau,
son élève et son émule, qui reproduisit et compléta les idées du maître dans un
ouvrage longtemps classique, elle fut introduite presque simultanément en Alle-
magne par A. Ilahnemann et Sprengel (1815), et en France par Bertrand, qui
publia en 1820 une traduction du livre de Bateman. C'est alors que Biett,
séduit, selon l'expression de Cazenave, par la simplicité et la netteté de la
méthode anglaise, l'adopta comme base de son enseignement à l'hôpital Saint-
Louis.
Cependant un certain nombre de médecins restaient surtout frappés des
inconvénients de la nouvelle méthode, et résistaient dans une certaine mesure
à l'entraînement général. Tels furent John Wilson et Samuel Plumbe en Angle-
terre, Pierre Frank et Joseph Frank en Allemagne, et en France Alibert.
La classification de John Wilson (1814) n'est qu'un assemblage informe de
groupes et d'affections hétérogènes. Elle repose tout à la fois sur des considéra-
tions tirées de la nature des affections, de leurs causes, de leurs rapports avec
la constitution, de leurs formes extérieures, de l'âge des sujets : 1" éruptions
fébriles (urticaire, miliaire, varicelle, variole, etc.); 2" inflammations simples
(excoriations, brûlures, engelures) ; 5° inflammations constitutionnelles (éry-
DERMATOSES. 669
sipèle, effloresceiices, rougeur de la face, etc.) ; ¥ éruptions papuleuses ; 5° érup-
tions vésiculeuses (gale, eczéma, zona, herpès, aphthes) ; 6" éruptions pustu-
leuses (gale pustuleuse, impétigo, porrigo, croûte laiteuse) ; 7" éruptions infan-
tiles (strophulus) ; 8» éruptions squameuses (lèpre, psoriasis, pityriasis, taches
syphilitiques, éléphanliasis; 9° en tumeurs (acné, (umeurs folliculeuses, fui on-
cles) ; 10" en excroissances (cors, verrues); 11» en taches (lentigo, éphélides,
purpura, nsevi); 12" blessures; 15° ulcères (ulcère simple, ulcère déprimé,
ulcère calleux, ulcère fongueux, ulcère syphilitique, ulcère scorbutique, ulcère
scrofuleux) (Wilson John, i Fami/iar Treatise on Cutaneous Diseuses, iti-S°.
London, 1814).
De même que Wilson, Samuel Plumbe (1824) ne put se résoudre à donner
pour seule base à sa classification les caractères graphiques des affections
cutanées, et tenta une sorte de compromis dont le résultat laisse également
beaucoup à désirer. H divise les maladies de la peau en cinq sections, compre-
nant -A" la première, les maladies qui tirent leurs caractères distinctil's des parti-
cularités locales de la peau (acné, sycosis, porrigo); 2" la deuxième, les maladies
qui dépendent d'un état de débilité de la constitution (purpura, pemphigus,
rupia) ; 5° la troisième, des maladies ordinairement salutaires, symptomatiques
d'un dérangement des organes digestifs, et caractérisées par une inflammation
active (porrigo favosa, porrigo larvalis, lichen, urticaire, herpès, furoncle) ; A° la
quatrième, des maladies caractérisées par une inflanimation chronique des vais-
seaux qui produisent l'épiderme (lèpre, psoriasis, pityriasis, pellagre, ichlhyose,
verrues) ; 5° la cinquième, enfin des maladies entre lesquelles il est impossible
d'apercevoir aucun rapport (gale, eczéma, éléphantiasis, érythème, etc.).
Toutefois, comme le fait remarquer Rayer, l'ouvrage de Samuel Plumbe se
recommande, sous d'autres rapports, par des qualités sérieuses, et en particulier
par des vues pratiques qui attestent, chez son auteur, un talent peu commun
d'observation. Je rappellerai seulement que Samuel Plumbe avait pressenti toute
l'importance de l'épilation dans le traitement du sycosis, opération qu'il prati-
quait et recommandait comme le meilleur moyen de calmer l'inflammation du
follicule pileux.
Commencée en 1792, la publication du Traité de médecine pratique de Pierre
Frank ne fut terminée qu'en 1820. On pouvait donc espérer d'y rencontrer
quelques traces des travaux de Willan. Il n'en est rien. Les maladies de la peau
y sont divisées en deux grandes classes, les exanthèmes et les impétigines :
1" les Exanthèmes, maladies essentielles ou affections symptomatiques, ont leur
siège à la superficie de la peau, et se subdivisent en deux ordres, selon qu'ils
sont niis, c'est-à-dire dépourvus de saillie appréciable, comme l'érysipèle, le
zona, espèce d'érysipèle, la scarlatine, l'urticaire, les pétéchies, ou, selon qu'ils
sont scabieux, c'est-à-dire avec saillie, comme la miliaire, la variole, la rou-
geole, le pemphigus, les aphthes; 2*^ les Impétigines, maladies qui s'accom-
pagnent souvent d'un état cachectique, sans en être pourtant inséparables, com-
prennent : a. des taches (éphélides, chloasma, ecchymose, érythème, vitiligo
alopécie; b. des maladies rongeantes (porrigo, dartres, hydroa, gale, psydracia,
teigne, lèpre). Il suffit d'exposer ce mode de classement pour en faire ressortir
toutes les imperfections. Relativement aux causes des maladies cutanées, Pierre
Frank les trouve, tantôt dans l'influence sympathique des premières voies,
tantôt dans l'altération des humeurs et leur action sur la peau, d'autres fois
dans le vice de l'organe cutané lui-même, etc. Il insiste particulièrement et
670 DERMATOSES.
revient à plusieurs reprises sur ce dernier ordre de causes, c'est-à-dire sur la
o^énération possible du principe morbifique dans la substance de la peau, sans
qu'on ait besoin de supposer aucun vice du sang. Voici notamment comment il
s'exprime au sujet de l'étiologie des dartres : « Peut-être serions-nous fondé à
dire que le virus berpétique, comme tous les virus spécifiques, se forme dans
la peau, sans aucune altération primitive du sang ; que les vaisseaux de l'organe
cutané, impressionnés par certaines causes, sécrètent à son piéjudice celte
liqueur acre et caustique, de même que les vaisseaux des cantharides élaborent
naturellement un principe irritant, mais qui n'est pas dangereux pour elles. »
Nous ne chercberons pas à réfuter cette théorie qui, du reste, nous paraît des-
cendre en droite ligne de la fameuse division de Lorry : De morbis in ente ipsâ
nascentihus. Enfin, puisqu'il est question des dartres, ajoutons que P. Frank
entend sous ce titre Vïpnrr, de Galien, et qu'il en décrit également trois espèces :
miliaire, rongeante et phagédénique. Nous voici bien loin, comme on voit, de
la doctrine de AYillan.
S'il est permis de supposer que Pierre Frank n'a pas connu en temps utile la
classification anglaise, il n'en saurait être de même de Joseph Frank, dont le
Traitéde pathologie médicale parut en 1821 ; néanmoins, les descriptions des
formes morbides ou génériques des affections cutanées ne laissent pas moins à
désirer dans son livre, et il semble vraiment que cet auteur se soit appliqué à
en exclure tout ce qui tenait à la nouvelle méthode. A l'exemple de Pierre
Frank, il partage les maladies de la peau, d'après leur marche, en aiguës ou
exanihématiques, et en chroniques ou impétigineuses, les unes et les autres
pouvant être idiopathiques ou symptomatiques. La classe des exanthèmes com-
piend, indépendamment des fièvres cruptives proprement dites, les pétéchies,
la miliaire, les bulles, l'urticaire, l'érysipèle, le furoncle, l'anthrax, le charbon,
la roséole, l'exanthème mercuriel et enfin le zoster, considéré par P. Frank
comme une espèce d'érysipèle. Les impétigines primitives ou idiopathiques sont
celles qui se produisent sous l'influence de causes locales, vices de conformation,
malpropreté, insectes, etc., ou de causes inconnues. Les impétigines sympto-
matiques sont dues à des maladies générales, telles que diathèses inflammatoire,
gastrique, arthritique, carcinomatcuse, scrofuleuse, scorbutique, vénérienne,
spasmodique. Telle est la classification de Joseph Frank, si l'on peut donner ce
nom à une tentative aussi incomplète ; mais il faut convenir qu'elle porte dans
quelques-unes de ses parties, et notamment dans la division des impétigines, la
marque d'un esprit véritablement médical. Joseph Frank a parfaitement saisi la
relation de causalité qui existe entre la maladie arthritique et un certain nombre
de dermatoses, et les signes qu'il indique pour reconnaître ces affections sont
bien ceux qui leur appartiennent: retour périodique, siège inconstant, influence
des saisons, sensation de prurit, d'ardeur, soulagement simultané des douleurs
internes, données tirées des maladies antérieures et de l'étiologie. La division
des impétigines scrofuleuses n'est pas moins fortement tracée : « Elles attaquent
surtout, dit-il, la jeunesse et l'adolescence ; elles chargent la peau d'espèces de
tubercules, de pustules, de croûtes, et ne la défigurent pas seulement, mais
même la rongent sans beaucoup de prurit ni de douleur ; les abcès qui en sont
la suite laissent après eux des cicatrices indélébiles » . Nous devons ajouter que
l'histoire de chaque maladie, dans le livre de Joseph Frank, est accompagnée
d'un riche bulletin bibliographique.
Pendant que Bateman, au commencement de ce siècle, travaillait à faire pré-
DERMATOSES. 671
valoir en Angleterre la conception de Willan, Alibert créait une clinique sur les
maladies de la peau à l'hôpital Saint-Louis. Doué des qualités les plus brillantes,
d'une imagination vive, d'une parole facile et entraînante, le nouveau professeur
avait vu sa réputation s'accroître de jour en jour, et était devenu en quelques
années une sorte de puissance en dermatologie. Dans un premier essai de clas-
sification, il avait admis la division traditionnelle des maladies cutanées en celles
qui sont spéciales au cuir chevelu, qu'il appelle teignes, et celles qui peuvent
se rencontrer sur toutes les autres parties du corps, et qu'il désigne sous le
nom de dartres. Ces deux graïides classes se subdivisaient en espèces et variétés
dont les caractères distinctifs étaient pris, soit dans les produits de l'inflamma-
tion, soit dans l'état de sécheresse ou d'humidité des surfaces, soit dans des
nuances de forme, dans un symptôme prédominant. Enfin, comme un certain
nombre d'états morbides restaient en dehors de cette division fondamentale, il
en fit autant de sections différentes sous les noms de pliques, éphélides, can-
croïdes, lèpres, pians, ichthyoses, syphilides, scrofules, psorides.
Mais la pensée d' Alibert ne devait trouver son expression complète et défini-
tive que quelques années plus tard, en 1852, dans sa Mo7iographie des derma-
toses. Voici comment il s'explique lui-même à cet égard dans le discours qui sert
d'introduction à cet ouvrage : « J'ai donc adopté, pour la classification des
dermatoses, la méthode des botanistes, et en cela je n'ai fait que me conformer
au vœu exprimé par Sydenham dans la préface de son admirable ouvrage. Il en
est des maladies comme des plantes; il importe de les rapprocher et de les com-
parer, car elles ne forment pas une série continue dans le système de la nature ;
elles se touchent par différents points, et sont plutôt disposées entre elles comme
les feuilles sur les arbres, ou comme les différents pays sur une carte géogra-
phique. » Rien de mieux assurément, mais la question était de savoir si la
méthode naturelle des botanistes, excellente pour la classification des végétaux,
pouvait également s'appliquer à une classification des dermatoses. Alibert le crut
et, comparant le système de Willan aux classifications botaniques basées sur un
seul caractère, il eut la prétention d'établir ses divisions sur un ensemble de
caractères tirés de la nature même des affections, c'est-à-dire de leurs causes,
âe leurs symptômes, de leur marche, de leur terminaison et de leur traitement.
Avant d'examiner la valeur de cette tentative, voyons quels en ont été les résultats.
Classification d' Alibert. Première famille. Dermatoses eczémateuses.
Genres : érythème, érysipèle, pemphyx, zoster, phlyzacia, cnidosis, épinyctide,
olophlyctide, ophlyctide, pyrophlyctide, charbon, furoncle.
2*^ Famille. Dermatoses exanthématedses. Genres : variole, vaccine, cla-
velée, varicelle, nirle, roséole, rougeole, scarlatine, miliaire.
3^ Famille. Dermatoses teigneuses. Genres : achore, porrigine, favus,
trichoma.
4^ Famille. Dermatoses dartreuses. Genres : herpès, varus, mélitagre,
esthiomène.
5^ Famille. Dermatoses cancéreuses. Genres : carcine, kéloïde.
6^ Famille. Dermatoses lépreuses. Genres: leucé, spiloplaxie, éléphan-
tiasis, radezyge.
7*^ Famille. Dermatoses véroleuses. Genres; syphilis, mycosis.
8*^ Famille. Dermatoses strumeuses. Genres : scrofule, farcin.
9" Famille. Dermatoses scabiedses. Genres : gale, prurigo.
10^ Famille. Dermatoses hémateuses. Genres: péliose, pétéchies.
672 DERMA.TOSES.
11^ Famille. Dermatoses dyschrom.vteuses. Genres ; panne, achrome.
12* Famille. Dermatoses hétéromorphes. Genres : ichthyose, tylosis, ver-
rues, onygose, dermatolysie, naeve.
Chaque genre comprend un certain nombre d'espèces et de variéte's.
Il suffit de jeter les yeux sur cette classification pour reconnaître combien peu
elle répond aux espérances que l'auteur avait fait concevoir de l'emploi de sa
méthode. C'est qu'en effet les dermatoses ne sont pas, comme le croyait Alibert,
de véritables maladies, mais seulement des parties de maladies, des symptômes,
des affections n'ayant pas en elles-mêmes leur raison d'être, et que la mélhode
naturelle se trouvait ainsi faussée dans son application, car elle ne pouvait con-
venir qu'aux maladies mêmes dont ces affections dépendent. Aussi la classifica-
tion du célèbre dermatologiste n'est-elle rien moins qu'une classification d'affec-
tions de la peau : c'est un rapprochement arbitraire de maladies dans le cours
desquelles on observe des lésions très-variées du tégument externe. Les disso-
nances éclatent de toutes parts, soit que l'on compare les familles entre elles,
soit que l'on considère les genres et les espèces qui composent chaque famille
en particulier. Ou y voit figurer d'une part, sous la dénomination commune de
dermatoses, les éruptions les plus simples et les états pathologiques les plus
complexes, les genres furoncle et acné, par exemple, sur le même plan que les
genres syphilis et scrofule ; et l'examen des familles, d'autre part, nous les
montre composées de lésions anatomiques variées, essentiellement différentes.
Enfin il faut remarquer que, contre tous les principes de la méthode naturelle,
certaines dermatoses ont été établies sur un seul caractère, la considération du
siège topographique ; exemple : les dermatoses teigneuses ; erreur d'autant plus
grave que ce caractère est absolument inexact, car on sait que les teignes peuvent
se rencontrer sur toutes les pnrties du corps oii existent des poils.
En définitive, la classification d'Alibert ne remplissait aucun but, ne pouvait
être d'aucun secours pour le diagnostic des lésions ou des symptômes, ni même
pour le diagnostic des maladies. Elle était donc incapable de soutenir le parallèle
avec celle de Willan, qui du moins présente, comme nous l'avons dit plus haut,
des avantages incontestables. C'est ce c[ue sentit parfaitement Biett, qui n'hésita
pas à se séparer de son maître pour se rallier sans réserve à la méthode an-
glaise. On vit alors, au grand scandale des partisans de la méthode naturelle,
s'élever peu à peu, à côté de l'enseignement quasi-officiel d'Alibert, un autre
enseignement rival basé sur la doctrine des lésions élémentaires. Et les adhérents
ne manquèrent pas à la nouvelle école, car tout le talent du célèbre professeur
ne put empêcher que l'idée willanique, si simple, si facile à saisir, et d'une
application si immédiate, fît rapidement son chemin dans les esprits. Biett
avait du reste fait subir à la classification anglaise quelques modifications dans
les détails qui n'ont pas été sans doute sans influence sur son succès. Voici cette
classification modifiée telle qu'on la trouve dans l'ouvrage de ses élèves Schedel
et Cazenave :
Ordre premier. Exanthèmes. l°Erythème; 2" érysipèle; 3"* roséole; 4° rou-
geole; 5° scarlatine; 6" urticaire.
Ordre II. Vésicules. 1° Miliaire; 2° varicelle; 5" eczéma; 4" herpès;
^'' gale.
Ordre III. Bulles. 1° Pemphigus; 2° rupia.
Ordre IV. Pustules, l" Variole; 2" vaccine; 5" ecthyma; 4" impétigo;
5° acné; G" mentagre; 7" porrigo.
DERMATOSES. 675
Ordre V. Papules. 1" Lichen; 2° prurigo.
Ordre VI. Squames. 1° Lepra; 2» psoriasis; 5° pityriasis; 4° ichthyose.
Ordre VII. Tubercules. 1'^ Élépliantiasis des Grecs ; 2° moUuscum ; 3° fram-
bœsia.
Ordre VIII. Macules, a. Coloration : teinte bronzée, épliélides. naevi ; —
b. décoloration : vitiligo, albinisme.
Maladies qui, par leur nature, .ne peuvent se rapporter a aucun des ordres
Cl-DESSUS :
Ordre IX. Lupus.
Ordre X. Pellagre.
Ordre XI. Bouton d'Alep.
Ordre XII. Syphilides.
Ordre XIII. Purpura.
Ordre XIV. Éléphantiasis des Arabes.
Ordre XV. Kéloïde.
Comme classification de lésions cutanées, car elle n'est pas autre chose, cette
classification est incomplète, car elle laisse en dehors d'elle : 1° l'hypertrophie
crypteuse, la glande sébacée hypertrophiée, distendue par la matière sébacée :
ainsi, le bouton de l'acné variolitorme, qui n'est, évidemment ni une pustule ni
un tubercule ; 2» les tumeurs de la peau grosses comme des tomates, décrites
sous les noms de pians, de mycosis fongoïde ; 5° le furoncle, qui est une infl;im-
mation de l'aréole dermique ; 4" le godet l'avique. A quoi il faudrait ajouter les
affections qui font suite aux huit premiers ordres, sous ce titre singulier :
Maladies qui, par leur nature (traduisez par leur lésion élémentaire), ne peuvent
se rapporter à aucun des ordres ci-dessus. Procédé commode sans doute, mais
qui porte avec lui la condamnation du système qui en a nécessité l'emploi.
Les réflexions qui précèdent s'appliquent naturellement à l'ouvrage de Schedel
et Cazenave, paru d'abord en 1828 (2" édition en 1835, i° édit. en 1847), et
dont la plupart des matériaux ont été puisés dans la clinique de Biett. Quant à
la doctrine, elle se réduit, pour les auteurs dont je parle, à la connaissance du
siège anatomique des lésions cutanées : c'est là que doit tendre toute recherche,
s'il faut les en croire; c'est cette notion qui seule peut conduire à une classifi-
cation précise et durable; c'est d'elle aussi qu'ils font découler toutes les indi-
gnations pronostiques et thérapeutiques.
l'armi les ouvrages qui ont surtout contribué à populariser en France la
méthode de Willan, il faut placer le livre de Gibert, dont la première édition
fut publiée en 1834. L'auteur l'intitula d'abord modestement Manuel des mala-
dies spéciales de la peau, et il nous avoue lui-même qu'il en a pris les éléments
essentiels dans une mauvaise traduction française du Précis de Bateman, la
traduction de Bertrand dont il a été question plus haut. Cependant, en 1840, le
Manuel, corrigé et considérablement augmenté, devenait un Traité pratique
des maladies spéciales de la peau, lequel se transformait à son tour, en 1860,
en un Traité des maladies de la peau et de la syphilis. Dans cette dernière édi-
tion, qui peut être considérée comme le couronnement de son œuvre, Gibert
est resté un partisan déclaré de la classification anglaise, mais on constate que
ses idées ont subi sur un certain nombre de points d'importantes modifications.
C'est là que notre ancien collègue parle pour la première fois de la distinction
entre les maladies constitutionnelles de la peau ou de cause interne, et les affec-
tions accidentelles ou de cause externe ; distinction qu'il fait remonter à l'anti-
DICT. EXC. XXVJI. 43
674 DERMATOSES.
quité, mais que notre enseignement n'avait pas peu contribué sans doute à lui
remettre en mémoire. C'est là aussi que, rendant justice à nos travaux sur les
affections cutanées parasitaires, il déclare que la dermatologie nous est redevable
du seul progrès important que puisse revendiquer notre époque. 11 est vrai que
Gibert, après avoir admis en principe ces divisions fondamentales, préfère les
rejeter en pratique au second plan, et baser sa classification sur la considération
des formes cliniques qui, dit-il, frappent les sens, sont faciles à saisir et mènent
à un diagnostic assuré. Mais c'était détruire d'une main ce qu'il avait établi
de l'autre, et il s'est ainsi jeté dans des difficultés inextricables. Un exemple
frappant nous est fourni par le groupe des affections parasitaires, qu'il s'est vu
dans l'obligation de disséminer dans des ordres très-divers et au milieu d'affec-
tions essentiellement différentes, et cela, dans le seul but de ne pas rompre
l'uniformité de sa classification. Et c'est pour la même raison sans doute qu'après
avoir reconnu avec nous la nature végétale des incrustations faviques, il a main-
tenu néanmoins cette affection parasitaire dans l'ordre des pustules.
Élèves et continuateurs de Biett, Cazenave et Gibert n'avaient apporté, somme
toute, que des moditications à peu près insignifiantes à la classification anglaise.
Dans d'autres publications qui parurent vers la même époque, on trouve les
affections de la peau groupées d'une manière différente, soit que les auteurs
aient eu égard surtout au point de vue éliologique, comme l'a fait Dendy qui
admet: 1° des maladies symptomatiques des désordres du canal alimentaire;
2" des maladies symptomatiques des lésions des fonctions d'assimilation ; 5° des
maladies symptomatiques d'excitations externes et d'une idiosyncrasie particu-
lière ; 4" des maladies produites par des infections spécifiques ; 5" des maladies
locales sans dérangement constitutionnel ; soit qu'ils aient établi leurs princi-
pales divisions sur des considérations tirées du siège anatoraique, comme on
peut le voir dans le travail de Grimaud qui a partagé les maladies cutanées en
quatre ordres selon qu'elles occupent: 1° le corps réticulaire ; 2" les papilles;
3° les cavités infundibuliformes ; 4" les follicules, ou dans le travail de Baker
qui a admis : l" des maladies épidémiqiies comprenant les squames, les vésicules
et les bulles, 2° et des maladies du derme embrassant les papules, les tuber-
cules et les pustules. Tel est encore le Traité théorique et pratique des mala-
dies de la peau de P. Rayer, dont la première édition parut en 1832, et la
dernière en 1835. Mais nous devons nous arrêter sur cet ouvrage, l'un des plus
considérables et des plus complets qui aient été produits sur la matière.
La doctrine de Willan tendait à faire des maladies de la peau une classe à
part, détachée du reste de la pathologie. Rayer s'efforça de réagir contre cette
tendance, dont il fit ressortir les graves inconvénients. 11 monti-a que certaines
affections cutanées ne constituent que des symptômes absolument secondaires
dans l'évolution morbide dont elles font partie, comme il arrive dans les fièvres
éruptives ; que d'autres, bien qu'en apparence plus spéciales à la peau, se relient
cependant à un état particulier de la constitution, les dartres, par exemple;
qu'il faut en outre tenir compte, dans un très-grand nombre de cas, des rapports
de causalité qui peuvent unir telle ou telle éruption avec d'autres affections de
forme et de siège très-différents ; qu'en un mot, l'étude des maladies de la
peau ne saurait être séparée de la pathologie générale, dont les principes lui sont
de tout point applicables. Rien de plus juste que ces idées, mais la difficulté
était précisément de les faire passer de la théorie à l'application, et nous verrons
qu'à cet égard Rayer n'a pas été plus heureux que ses devanciers.
DERMATOSES. 675
L'historique des dermatoses n'a été présenté nulle part avec autant de soin et
d'une manière plus complète que dans le livre de Rayer. C'est une l'evue rapide,
mais consciencieuse et bien faite, de tous les ouvrages qui ont pu contribuer
dans une certaine mesure 'au progrès de la pathologie cutanée. Un très-grand
nombre de notes et d'extraits, avec indications bibliographiques, permettent de
vérifier immédiatement les assertions de l'auteur, ou mieux encore de remonter
aux sources où lui-même a puisé.
Rayer a distribué les maladies de la peau en quatre sections, selon leur siège
anatomique :
1° Maladies de la peau proprement dites ; 2° altérations des dépendances de la
peau; 3° corps étrangers, inanimés ou animés; 4° maladie d'abord étrangère
à la peau, mais qui lui imprime quelquefois des altérations particulières : c'est
l'éléphantiasis arabe.
Section 1. Les maladies de la peau proprement dites sont : A. Des inflamma-
tions, qui peuvent être à une ou plusieurs formes élémentaires. Dans le premier
cas se trouvent les inflammations exanthémateuses, huileuses, vésiculeuses,
pustuleuses, furonculeuses, gangreneuses, papuleuses, squnmeuses, tubercu-
leuses, et dans le deuxième les brûlures, les engelures et les syphilides;
B. Des sécrétions morbides : épidroses, tannes, concrétions crétacées, enduit
cérumineux, tumeurs foUiculeuses ;
C. Des congestions et des hémorrhagies cutanées [et sous-cutanées : cyanose,
vibices, ecchymoses, pétéchies, purpura, dermatoi'rhagie ;
D. De ï anémie;
E. Des névroses : exaltation, diminution, abolition de la sensibilité cutanée,
sans autre altération appréciable ;
F. Des vices de conformation congénitaux ou acquis, lesquels peuvent
atteindre toute la peau (appendices, fanons, cicatrices), ou seulement l'un de
ses éléments, c'est-à-dire 1" le derme: hypertrophie, atrophie, naevus et tumeurs
vasculaires, chéloïde; 1" le pigment: décolorations, colorations accidentelles;
5° Yépiderme, la couche cornée et les papilles : absence, épaississement, ramol-
lissement, ichthyose, appendices cornés, cors, desquamation des nouveau-nés.
Section IL Les altérations des dépendances de la peau sont : \° celles des
ongles et de la peau qui les fournit : onyxis, absence, défaut de développement,
accroissement démesuré, changements de couleurs, taches, chute, etc., et
2° celles des poils et des follicules qui les produisent : inflammations des bulbes
des poils, plique, coloration accidentelle, canitie, alopécie, feutrage des cheveux,
tissu pileux accidentel, etc.
Section III. Corps étrangers observés à la surface de la peau, dans l'épais-
seur ou au-dessous de cette membrane : 1" inanimés : crasses, matières inorga-
niques, colorations artificielles ; 2'^ animés : pediculi, pulex irritans, pulex
penetrans, acarus, filiaria medinensis.
Section IV. Maladie primitivement étrangère à la peau, mais qui lui imprime
quelquefois des altérations particulières : éléphantiasis des Arabes.
Dans ce lableau ne sont pas comprises un certain nombre de maladies peu
connues (bouton d'Alep, radesyge, pian, etc.), dont l'auteur a relégué la de-
scription dans le Vocabulaire.
Faire rentrer les maladies de la peau dans les cadres de la patliologie géné-
rale, telle est l'idée-mère de cette classification. C'est dans ce but que Rayer les
a groupées d'après ce qu'il appelle leur caractère pathologique général, et qui
676 DERMATOSES.
n'est autre chose que le mode pathogénique, caractère sans doute fort utile à
connaître, mais dont il s'est exagéré singulièrement l'importance. On saura ainsi
que telle éruption doit être rattachée à la classe des inflammations, telle autre
à celle des congestions, telle autre aux sécrétions morbides, etc., mais on cherche
vainement quel intérêt considérable peut présenter, au point de vue nosologique,
une semblable détermination ; quelles conséquences peuvent en découler au point
de vue du diagnostic, du pronostic et du traitement. Ajoutons que ce caractère
pathologique général n'est rien moins qu':issuré, et je dirai même fort contes-
table dans un grand nombre de cas. U est permis de douter, par exemple, que
les efflorescences de la rougeole, de la scarlatine, de la roséole, soient de véri-
tables inflammations de la peau; que le même titre puisse être donné à l'urti-
caiie, aux papules du lichen, aux tubercules fibro-plastiques du lupus ou de la
syphilis, etc.
La classe des maladies cutanées inflammatoires, telle que l'a établie Rayer,
embrasse la plus grande partie des maladies de la peau ; les sous-divisions sont
tirées de la considération de la forme élémentaire, conformément à la méthode
de Willan. Mais le dermatologiste français a cru devoir introduire ici une dis-
tinction nouvelle selon que ces maladies présentent une ou plusieurs formes
élémentaires, et les alfections qui lui ont paru remplir cette dernière consi-
dération sont : 1" les brûlures; 2' les engelures; 5° les syphilides. Or, sans
parler de la singularité d'un tel rapprochement, on ne voit pas bien pourquoi
Rayer s'eii est tenu à un si petit nombre d'affections polymorphes, pourquoi il
ne leur a pas adjoint l'érysipèle, par exemple, qui se complique si fréquemment
de bulles, la roséole qui peut s'accompagner de vésicules railiaires, la gale, type
de la polymorphie, etc., etc. Remarquons du reste que, pour la création du
petit groupe des maladies inflammatoires à formes élémentaires multiples. Rayer
a fait intervenir la question jusque-là réservée de cause ou nature, et que cet
artifice l'a dispensé de la nécessité de disperser les syphilides dans les différents
ordres willaniques.
En résumé, la classification de Rayer présente plus d'inconvénients que
d'avantages ; elle ne nous fait pas sortir de la lésion de la peau, et ne saurait
assurément soutenir la comparaison avec celle de Willan, qui l'emporte à la
fois par l'unité de son plan et la simplicité de sa méthode. Toutefois, je le
répète, le livre de Rayer se recommande par des qualités sérieuses : ses descrip-
tions sont exactes, claires, et généralement suivies, en forme d'appezidice, de ren-
seignements historiques et d'observations particulières. On y trouve de plus i|uel-
ques aperçus fort justes sur les causes et les relations morbides d'un certain nom-
bre d'affections cutanées. Enfin, c'est là que les eiïïeciions artificielles ont été
pour la première fois l'objet d'une étude spéciale, bien qu'encore fort incomplète.
En 1842, Baumes (de Lyon), dans sa nouvelle Dermato/o^i'e, essaya de fonder
sa classification sur une base purement étiologique. Donnant le nom de fluxion
à la cause première inconnue des affections de la peau, il s'efforça de déterminer
les conditions morbifiques qui développent ou entretiennent cette fluxion, con-
ditions qu'il caractérise de la manière suivante :
1" Fluxion par cause externe;
2° Fluxion réfléchie; ou répétition au dehors d'un travail morbide qui existe
déjà sur un organe interne ;
b^ Fluxion déplacée : ou transport à la peau d'une maladie d'un organe
interne, ou fluxion critique ;
DERMATOSES. 677
4° Fluxion excentrique : ou succédant à une cause ou à une série de causes
qui portent leur influence sur l'économie en général, et qui introduisent par les
voies respiratoires et digestives des principes qui amènent une perturbation dans
les fonctions de tous les organes ;
5° Fluxion par diathèse : ou consécutive aux diathèses scrofuleuse, cancéreuse,
syphilitique, scorbutique;
6° Fluxion idiopatbique : ou développée dans le tissu de la peau sans cause
connue et par suite d'un principe né de l'hérédité, et par cela même de la condi-
tion organique de la peau ;
7" Fluxion complexe : ou résultant de la combinaison de plusieurs causes
réunies.
Baumes suit du reste, à peu de chose près, pour la division des groupes ainsi
formés, la méthode anatomique de Willan, et décrit des éruptions érythémateuses,
vésiculeuses, pustuleuses, etc. On ne saurait disconvenir que ce mode de clas-
sement repose sur une conception profondément médicale, et, à ce point de
vue, il doit être compté parmi les meilleures tentatives qui aient été faites en ce
sens.
En décembre 1843, un médecin allemand, le docteur Hébra, communiquait
à l'Académie de Vienne une division des dermatoses entièrement basée sur les
caractères anatomo-pathologiques. Il en admettait neuf classes : 1° hypertro-
phies ; — 2° atrophies ; — 5° anomalies de sécrétions ; — 4° processus : a. séreux ;
h. puriforme ; c. coagulable ; d. hémorrhagique ; — 5° hémorrhagies ; — 6° stases ;
— 7'^ nouvelles formations; — 8° formations végétales; — 9° formations
animales.
Dix-huit ans plus tard, dans le Traité des maladies de la peau du même
auteur, nous retrouvons cette classification modifiée de la manière suivante :
Première CLASSE. Hyperémie cutanée. Affections hypérémiques de la peau;
2^ CLASSE. Anémie cutanée . Affections anémiques de la peau;
5" CLASSE. Anomaliœ secretionis glandularum cutanearum. Conditions
morbides des sécrétions des glandes cutanées ;
4*^ CLASSE. Evsudationes. Exsudations et affections exsudatives ;
5® CLASSE. Hœmorrhagiœ cutanece. Hémorrhagies;
Eijpertrophiœ. Hypertrophies ;
Atrophiœ. Atrophies ;
Neoplasmata {Homœoplasiœ). Tumeurs bénignes ;
Pseudoplasmata {Heteroplasiœ). Tumeurs malignes;
Ulcerationes. Ulcérations;
Névroses. Névroses ;
Parasitée. Parasites.
Cette classification repose, en définitive, comme celle de Rayer, sur la consi-
dération du processus pathologique ou, si l'on préfère l'expression de l'auteur
français, sur le caractère pathologique général des affections de la peau. Il suffit
de l'exposer pour en faire ressortir toutes les lacunes et tous les inconvénients,
au double point de vue de la doctrine et de la méthode.
En 1845, dans le tome Yl du Compendium de médecine pratique, paraissait
sur les maladies de la peau un long article de pathologie générale, dans lequel
les auteurs nous semblent avoir apporté plus de soin et de travail que de véri-
table compétence dans la matière. C'est une sorte de compilation, dont la plupart
des éléments ont été empruntés aux Traités spéciaux les plus récents, et qui
6=
CLASSE.
7e
CLASSE.
8^
CLASSE.
9^
CLASSE.
10«
CLASSE.
lie
CLASSE.
12«
CLASSE.
678 DERMATOSES.
ne présente aucune vue originale et nouvelle, à moins cependant qu'on ne veuille
donner ce nom à un essai de classification des dermatoses basé sur la considé-
ration de leur siège anatomique, c'est-à dire sur la notion encore aujourd'hui la
plus obscure et la plus controversée qui soit en dermatologie.
Une tentative analogue était faite quelques années plus lard par un médecin
distingué de Paris, M. Baron. L'auteur s'est efforcé de rapporter à chacun des
éléments anatomiques de la peau les diverses altérations qui constituent les
espèces de la pathologie cutanée, et voici le tableau qu'il a dressé dans ce but :
1° Maladies de F appareil vasculaire. Roséole, rougeole, scarlatine, éry-
thème, érysipèle, vésicatoire, pemphigus, naevus, purpura;
2" Maladies des papilles. Urticaire, prurigo, hyperesthésie, anesthésie, élé-
phantiasis grec ;
3" Maladies de Vappareil sudoripare. Sueurs abondantes, éruption de la
suette, sudamina, éruption de la fièvre miliaire, éruption accompagnant les
sueurs copieuses, éruptions vésiculeuses par topiques irritants, herpès;
A° Maladies de Vappareil sécréteur de Vépiderme. Pityriasis, eczéma, pso-
riasis, ichthyose, durillon, cor, verrue;
5° Maladies de Vappareil chromatogène. Naevus, lentigo, éphélide hépatique,
éphélide mélanée, vitiligo, albinisme;
6° Maladies des follicules sébacés. Acné disseminata,a. punctata, a. rosacea,
mélitagre, raentagre, impétigo sparsa, lupus;
7° Maladies des bulbes pilifères. Lichen, favus, trichoma, alopécie, canitie;
8" Maladies de la matière des ongles. Onygose, exagération de sécrétion;
9° Maladies de la trame cellulo- fibreuse. Ecthyma, rupia, varicelle, vario-
Joïde, variole, vaccine, furoncle;
10° Maladie affectant simtdtanément plusieurs éléments de la peau. Gale;
11° Maladies de classe encore incertaine. Frambœsia, moUuscum,
chéloïde.
Gibert, à qui j'emprunte ces détails, a parfaitement montré tout ce qu'il y
avait de vain et d'illusoire, non-seulement dans ces classifications anatomiques
considérées en elles-mêmes, mais encore et surtout dans les prétentions affichées
par leurs auteurs d'en tirer des indications relatives à la nature et au traitement
des maladies.
L'année 1850 a été marquée par un progrès thérapeutique important: le
traitement de la gale, jusque-là incertain et trop souvent inefficace, est soumis
par nous à des règles fixes, précises, déduites du raisonnement et de l'observa-
tion [Union médicale, 9 juillet 1850, t. IV, n" 82, p. 355).
Deux ans plus tard, nous livrions au public médical nos Recherches sur
la nature et le traitement des teignes, recherches dont les principaux résultats
sont aujourd'hui sanctionnés par le temps et acquis à la science [voy. Teigne et
Favus).
Nous devons maintenant parler, selon Tordre chronologique, du Traité pra-
tique des maladies de la peau de M. Devergie (1854) : œuvre difficile à classer,
car on y trouve un peu de tous les systèmes accommodés, il est vrai, aux idées
personnelles de l'auteur. A l'exemple de Rayer, M. Devergie a pour but de faire
rentrer les maladies de la peau dans le domaine de la pathologie ordinaire, et
s'efforce comme lui d'étabhr que la généralité de ces maladies a pour forme
morbide habituelle l'élément inflammatoire, d'où il conclut à l'identité des causes,
de la marche, des terminaisons. Telle est la doctrine qu'il expose longuement
DERMATOSES. 679
dans la première partie de son livre, consacrée à la pathologie générale. Quant à
la méthode, M. Devergie est tantôt willaniste et tantôt alibertiste, selon les cas
ou les besoins du moment. Il a composé trois tableaux de classification. L'un,
qu'il destine à l'indication de l'ordre des matières, renferme douze groupes :
1° affections exanthémateuses ; 2° vésiculeuses et huileuses; 3° pustuleuses;
4° cachectiques ; 5" papuleuses; 6° squameuses; 7° exotiques; 8° scrofuleuses;
9° maladies du cuir chevelu; 10" maladies des ongles; 11° productions acciden-
telles; 12" syphilides. Ainsi, la forme élémentaire, la cause diathésiqne, le
cars-ctère exotique, le siège anatomique, le siège topographique, et j'en passe,
telles sont les considérations diverses qui ont servi à la formation de ces groupes.
Le second tableau de classification n'est qu'une méthode de diagnostic basée sur
les produits secondaires; les maladies y sont divisées en deux grandes classes,
selon qu'elles sont sécrétantes ou non sécrétantes. Enfin, le troisième tableau
n'est que la classification de Willan que M. Devergie a modifiée, étendue, com-
plétée par l'addition de maladies et de groupes de maladies : 1" exanthémateuses;
2" vésiculeuses ; 5° huileuses; A° pustuleuses; 5" papuleuses; 6" tuberculeuses;
7° squameuses; 8" hémateuses; 9° chromateuses; 10° cancéreuses; 11° végé-
tantes; 12° corps étrangers animés; 15° corps étrangers inanimés; 14° maladies
de la peau et du tissu cellulaire ; 1 5" maladies des poils ; 16" maladies des ongles.
Tel est, envisagé au point de vue de la doctrine et de la méthode, l'ouvrage
de M. Devergie; et c'est là tout ce qu'il nous importe ici d'en connaître. Je ne
parlerai donc, ni des formes composées, créées par ce dermatologiste, ni des
cinq médications qui forment la base de sa thérapeutique, questions intéressantes
sans doute, mais qui ont perdu l'attrait de l'actualité, et dont la discussion nous
entraînerait bien au delà des limites de cet article.
En 1855, dans une série d'articles insérés d'abord dans la Gazette des Hôpi-
taux, et plus tard réunis en brochure sous le titre de Cours de séméiotique
cutanée, suivi de leçons théoriques et pratiques sur la scrofule et les teignes,
je jetais les premiers fondements de la doctrine qui, depuis cette époque, m'a
constamment guidé dans l'étude de la dermatologie. Cette doctrine est aujourd'hui
trop connue pour qu'il soit nécessaire d'en faire ici l'exposition. Elle repose
essentiellement, comme on sait, sur le principe de la distinction absolue entre
la maladie, état de l'être qui souffre, et Vaffection, état ou modification mor-
bide de l'organe ou de la fonction : d'où cette conséquence qu'il n'y a point de
maladie de la peau, qu'il ne saurait y avoir de nosographie cutanée. Toute
dermatose est pour nous le produit ou le symptôme d'une maladie : or, la
maladie, cause efficiente des affections, peut être de cause externe ou de cause
interne : de là deux divisions parallèles pour les affections cutanées correspon-
dantes. Mais la même forme morbide élémentaire sert le plus souvent de tra-
duction à plusieurs maladies différentes : de là des affections communes, ou
génériques, qui ressortissent à la séméiotique, et des affections spéciales ou
espèces, qui font partie du domaine de la nosographie. La brochure se termine,
comme son titre l'indique, par des considérations sur la scrofule et les teignes.
L'année suivante je reprenais l'étude de la scrofule considérée en elle-même
et dans ses rapports avec la syphilis, la dartre et l'arthritis. Publiées d'abord
dans la Revue médicale, puis colligées en brochure, ces leçons avaient nour
objet spécial la détermination des dartres scrofuleuses, que je désignai sous le
nom de scrofulides, et dont je décrivis deux espèces : les scrofulides bénignes et
les scrofulides malignes.
680 DERMATOSES.
Mais mon dessein ne saurait être de donner ici une ide'e, même sommaire,
des diverses publications qui sont sorties de mon Enseignement de 1855 à 1870 :
Leçons sur les affections cutanées parasitaires (l''^ édition 1858, 2^ édit. 1862);
Leçons sur les sijphilides (1'^ édit. 1859); Leçons sur les affections cutanées
de nature arthritique et dartreuse (1" édit, 1860, 2^ édit. \^ù%)\ Leçons sur
la scrofule (2* édit., considérablement augmentée, 1861) ; Leçons sur les affec-
tions cutanées artificielles, la lèpre, les diathèses, les difformités (1862);
Leçons sur les affections génériques de la peau (2 volumes, le 1'"'' paru en 1862,
le 2'^ en 1867) ; Leçons sur la syphilis et les syphilides {2" édit. 1866) ; Examen
critique de la divergence des opinions actuelles en pathologie cutanée
(1 vol. 1866); Leçons sur le traitement des maladies chroniques en général et
des affections de la peau en particulier, par remploi comparé des eaux miné-
rales (1 vol. 1870). Ces publications représentent vingt années de recberches
et de méditations sur toutes les questions qui se rattachent à la pathologie de la
peau, questions de fait, questions de doctrine, questions de nature, questions de
classification, questions de séméiotique et de thérapeutique, et il me sera permis
de dire que quelques-unes au moins de ces questions y ont été résolues d'une
manière détinilive.
On trouvera plus loin, dans la suite de cet article, l'exposition complète
de mes idées sur les dermatoses envisagées aux différents points de vue
que comporte leur étude : tout développement à cet égard serait donc ici
superflu.
Comme on en peut juger par ce qui précède, nos idées doctrinales nous avaient
placé dès le début de notre enseignement en dehors des deux écoles qui s'étaient
jusque-là disputé la prééminence sur le terrain de la dermatologie. La méthode
de Willan avait fini par l'emporter, et lorsqu'en 1857 Alibert disparut de la
scène, personne ne se présenta d'abord pour prendre sa succession. Ce rôle était
réservé à l'un de ses plus distingués élèves, M. Hardy, qui devint en 1851
médecin de l'hôpital Saint-Louis. Convaincu que le grand tort d'Alibert avait
été de présenter sa classification sous une forme bizarre, l'arbre des dermatoses,
et de substituer aux noms généralement adoptés une terminologie nouvelle,
prétentieuse et ditticile à prononcer, M. Hardy pensa que la première chose à
faire était d'éviter cet écueil, et, craignant sans doute que le mot dermatose ne
semblât un retour vers le passé, il le raya de son vocabulaire. Sa classification,
qui offre beaucoup d'analogie avec celle d'Alibert, comprend dix classes de mala-
dies cutanées :
Première classe. Macules, diffoi^mités. Éphélides,vitiiigo,lentigo,ichthyose,
chéloïde ;
1^ CLASSE. Inflammations locales. Erythème, urticaire, herpès, ecthyma,
pemphigus;
5'' CLASSE. Maladies parasitaires. Gale, sycosis, herpès circiné, favus ;
4'^ CLASSE. Fièvres éruptives. Scarlatine, rougeole, variole, varioloïde,
vaccine ;
5" CLASSE. Éruptions symptomatiques. Herpès labialis, taches rosées de la
fièvre typhoïde, sudamina, purpura;
ô*" CLASSE. Dartres. Eczéma, psoriasis, lichen, pityriasis;
T** CLASSE. Scrnfulides. 1" érythémateuse, 2" pustuleuse, 5" verruqueuse,
4° tuberculeuse, .^° phlegmoneuse, 6" cornée;
S** CLASSE. SifpnUides. 1" pigmentaires , 2" exanthématiques , 5° vésicu-
DERMATOSES. 681
leuses, ¥ pustuleuses, 5" papuleuses, 6° huileuses, 1" squameuses, 8'' végé-
tantes, 9" tuberculeuses ;
9^ CLASSE. Cancers. Cancer de la peau, cancroïde;
10" CLASSE. Maladies exotiques. Lèpre tuberculeuse, pian.
Basée sur le même principe que celle d'Alibert, c'est-à-dire sur les analogies
et les dissemblances que présentent les maladies de la peau considérées aux
points de vue les plus divers, cette classification tombe sous le coup des mêmes
reproches. On remarquera, par exemple, tout ce qu'il y a d'arbitraire et d'arti-
ficiel dans cette succession de classes qu'aucune idée commune ne relie les unes
aux autres, et que l'on trouve composées, celle-ci de maladies entières, telles
que la rougeole, la scarlatine, la gale, etc. ; celle-là de fractions de maladies, de
lésions symptomatiques, telles que taches rosées, sudamina, etc. ; cette autre
d'affections génériques, comme l'eczéma, le psoriasis, le lichen, le pityriasis;
cette autre entin d'affections spéciales, comme les syphilides ou les scrofulides.
11 est vrai que M. Hardy n'admet pas les genres en pathologie cutanée ; que pour
lui l'eczéma est toujours une dartre, l'acné une maladie accidentelle, l'herpès
une inflammation locale, et ainsi du reste; et en cela, il faut le reconnaître, il
s'est montré conséquent avec la doctrine qu'il s'était donné pour mission de
défendre. Mais son tort est de n'avoir pas compris que c'est en cela précisément
que consistait le vice radical de la méthode naturelle ou synthétique, et que c'est
pour l'avoir faussement appliquée à l'étude et au classement des lésions de la
peau qu'Alibert, malgré tout son talent, n'a point fait œuvre qui dure. Et il
est fort à craindre que M. Hardy ne soit pas plus heureux que son illustre maître.
La séiuéiotique de la peau n'existe pas dans ses livres. Il ne voit rien entre la
maladie et la lésion. 11 a même rejeté en grande partie le progrès réalisé par
Willan, car il définit l'eczéma : « Une affection de l'enveloppe cutanée ou mu-
queuse qui se caractérise à son début, soit par des taches exanthématiques, soit
par des vésicules, soit par des fissures, soit par des pustules, soit par des squames,
soit par des papules; qui, plus tard, provoque habituellement le suintement
d'une sécrétion séreuse ou séro-purulente de quantité fort variable, et qui se
termine enfin par desquamation ». Comme je l'ai dit ailleurs, c'est une sup-
pression complète des genres, même au sens oii l'entendait Willan; plus d'im-,
pétigo, plus de pityriasis, plus de lichen! Tout cela, c'est de l'eczéma.
Du reste, des dix classes de maladies cutanées établies par M. Hardy, les seules
que l'on puisse admettre sont celles des maladies parasitaires, des fièvres
éruptives, des dartres, des scrofulides et des syphilides. Encore faudrait-il
s'entendie sur le mot dartres., qui désigne pour notre ancien collègue, non pas
une maladie à manifestations multiples, mais un certain nombre de maladies
similaires {voy. article Dartre, où ce point a été traité et discuté avec tous les
développements qu'il comporte). Mais que dire des inflammations locales ou
maladies cutanées accidentelles ! Quel est le lien qui rassemble l'érythème,
l'urticaire, le zona, le pemphigus, l'acné, l'erysipèle? La classe des éruptions
symptomatiques nous paraît défectueuse par la raison que cette épithète convient
également à toutes les dei"matoses. Enfin, à l'exemple de M. Devergie, M. Hardy
a formé une classe de maladies exotiques, et cette classe s'est .adaptée ni mieux
ni plus mal qu'une autre à sa classification.
En 187-4, M. Gailleton, ex-chirurgien en chef de l'Antiquaille à Lyon, faisait
paraître un Traité élémentaire des maladies de la peau. Ce traité se divise en
trois parties. La première contient les principes de la dermatologie, anatomie et
682 DERMATOSES.
physiologie normale et pathologique, séméiologie, étiologie, thérapeutique, consi-
dérées en général. La seconde partie est un résumé succinct des maladies qui
donnent le plus habituellement naissance aux éruptions cutanées : scrofules,
goutte, rhumatisme, syphihs, dartres, maladies du système nerveux, etc. Enfin,
la troisième partie est consacrée à la description des affections cutanées. Les
maladies du derme, de l'épiderme et des ongles, des glandes annexes (sébacées,
sudoripares, follicules pileux), sont successivement étudiées. Les sous-divisions
de ces trois groupes principaux ont pour base les différents processus inflamma-
toire, hémorrhagique, etc. Enfin, un dernier chapitre traite des maladies para-
sitaires. Tel est le plan que l'auteur a pris soin de tracer lui-même dans la
préface de son ouvrage. Ces divisions sont, comme on voit, logiques et ration-
nelles. Quant à la manière dont les questions y sont envisagées et traitées, je ne
puis que reconnaître la parfaite compétence et le talent d'observation du
médecin de Lyon, encore qu'il se sépare de nous sur un grand nombre de points,
■notamment sur les dartres, sur les difformités et sur les questions de classifica-
tions. J'ai discuté ailleurs {voy. Dartres) sa manière de comprendre les dartres,
et l'occasion se présentera naturellement, dans le cours de cet article, de revenir
sur quelques-unes des principales questions qui nous divisent. Je veux seule-
ment ici constater qu'entre les idées de M. Gailleton et les nôtres il existe déjà
de nombreux points de contact, et j'ai l'espérance que ces points de contact iront
en se multipliant.
Enfin, en 1878, M. le docteur Guibout, médecin de l'hôpital Saint-Louis, a
publié un volume de Leçons cliniques sur les maladies de la peau. L'auteur
débute par quelques généralités sur le diagnostic et le classement des dermatoses;
ce diagnostic, dit-il, doit s'attacher à la détermination de trois points essentiels :
1" l'espèce; 2° le genre; 3° la nature de la lésion. C'est bien là, sous une forme
un peu différente, le problème tel que nous l'avons posé nous-même il y a
plus de vingt ans : mais je me demande pourquoi M. Guibout a cru devoir
changer la signification que l'on donne généralement au mot espèce en l'appli-
quant à la lésion anatomique, et ainsi lui subordonner le genre. Simple question
de mots, du reste, sur laquelle il suffit de s'entendre, et qui disparaît à mes
yeux devant ce fait bien autrement important, l'admission par notre confrère des
genres en pathologie cutanée. Quant au classement, M. Guibout l'envisage à un
double point de vue : 1" au point de vue des lésions élémentaires, dont il recon-
naît 8 espèces ; 2" au point de vue de l'état de sécrétion ou de non-sécrétion des
maladies cutanées. Je ne m'étendrai pas davantage sur cet ouvrage, dont l'esprit
général m'a paru excellent, mais que je ne veux pas considérer comme l'expres-
sion définitive de la pensée de M. Guibout.
Ici se terminent les considérations que j'avais à présenter sur l'historique des
dermatoses.
Je me suis abstenu jusqu'ici, autant que possible, de parler de mes opinions
doctrinales, et le lecteur s'étonnera peut-être, après avoir vu tant de modes de
classement passer sous ses yeux, de ne pas voir figurer ici ma classification
dermatologique. Mais la chose m'a paru au moins inutile, tout le reste de cet
article devant être consacré uniquement à l'exposition et au développement de
mes idées, théoriques et pratiques, sur la pathologie de la peau.
DivisiOxXs DE LA PATHOLOGIE coTANÉE. La plupart dcs autcurs qui ont écrit des
traités de pathologie cutanée ont tout d'abord exposé des considérations générales
sur le sujet, et suivi, dans l'étude de ces généralités, l'ordre indiqué par Chomel
DERMATOSES. 683
dans ses éléments de pathologie générale. Cet ordre consiste à ti^aiter de la
maladie en général comme s'il s'agissait d'une maladie en particulier; méthode
défectueuse qui ne pouvait donner qu'une simple récapitulation de tout ce qui
doit être dit à propos de chaque affection en particulier. Aussi est-il arrivé que
la plupart du temps on néglige de lire ces considérations générales, qui seraient
mieux placées à la fin de l'ouvrage qu'au commencement, et qui n'offrent d'ail-
leurs aucun but d'utilité pratique. Quant à nous, qui ne voyons sur la peau,
comme sur tout autre organe, que des lésions et des symptômes ou des symp-
tèmes-affections, nous devons ennsager d'une tout autre façon l'histoire géné-
rale des dermatoses.
Dans mes leçons de l'hôpital Saint-Louis, j'ai partagé l'étude générale de la
dermatose en deux parties : la première traite de la lésion; la. seconde du symp-
tôme. C'est faire l'histoire analytique de l'affection cutanée qui, dans la plupart
des cas, se compose en effet de deux facteurs, lésion et symptôme, indissoluble-
ment unis. Nous devons donc commencer l'étude des dermatoses par l'histoire
des lésions ou l'anatoraie pathologique de la peau, puis étudier ensuite les
symptômes élémentaires et les symptômes composés ou symptômes-affections
(symptomatologie cutanée), et enfin terminer cette étude par les indications
que ces symptômes fournissent pour le diagnostic, le pronostic et le traitement
des maladies (séméiotique cutanée générale et spéciale).
Mais, dira-t-on, avec ce plan d'étude, vous passez sous silence l'étiologie
cutanée : où placez-vous les causes des maladies de la peau? — A cela, nous
répondons que les dermatoses ne sont pas des maladies, que ce sont des symptômes
ou des parties de maladies, et que, à la rigueur, nous pourrions renvoyer le
lecteur, pour la connaissance des causes, aux articles qui traitent des différentes
classes de maladies et de chaque maladie en particulier.
Cependant, pour ne pas trop froisser les idées généralement reçues, et éviter
les reproches de ceux qui n'adoptent pas nos doctrines en dermatologie, nous
ferons précéder l'histoire des lésions et des symptômes cutanés d'une courte
énumération des maladies qui se traduisent par des manifestations à la peau,
puisque, d'après nous, les maladies sont les causes efficientes des dermatoses.
Mais, outre les causes efficientes, nous avons encore les causes prédisposantes
et déterminantes, et ces dernières peuvent agir directement sur la peau, sans
l'intermédiaire de la maladie ; c'est d'elles surtout qu'il doit être question dans
cet article. Enfin, nous devons aussi parler de ce que les auteurs entendent par
causes pathologiques.
PREMIÈRE PARTIE. Étiologie des dermatoses. Les causes des dermatoses
sont efficientes, prédisposantes et déterminantes.
Chapitre premier. Causes efficientes. Les causes efficientes sont les
maladies ou les difformités : les premières donnent lien aux dermatoses en voie
d'évolution, les secondes aux dermatoses arrêtées dans leur évolution.
§ L Maladies. Nous les divisons en maladies de cause externe et en maladies
de cause interne. Nous aurons donc aussi des dermatoses de cause externe et
des dermatoses de cause interne.
1° Causes externes des dermatoses en voie d'évolution. Elles se rapportent
à trois principes ou maladies, qui sont: a. le traumatisme; — Z>. le parasitisme;
— c. le pathogénétisme.
a. Traumatisme. Nous comprenons sous ce titre toutes les causes d'ordre
684 DERMATOSES.
physique, mécanique ou chimique, agissant directement sur la peau, soit qu'elles
y produisent une véritable blessure, dans le sens chirurgical du mot (plaies,
contusions, ecchymoses, etc., etc.), soit qu'elles y provoquent le développement
de formes morbides particulières, en rapport avec la structure spéciale et les
propriétés de l'organe tégumentaire [éruptions "provoquées).
Exposée par sa situation superficielle à toutes les injures des corps extérieurs,
la peau peut être divisée, lacérée, meurtrie, désorganisée de mille façons diffé-
rentes. C'est elle qui reçoit le premier choc de tous les instruments vulnérants,
de tous les animaux, grands ou petits, venimeux ou non venimeux, qui peuvent
attaquer le corps de l'homme. La chaleur, le froid, exercent sur elle une action
rapide et puissante, soit que, frappée directement des rayons du soleil, elle se
couvre d'érythème, soit que, soumise au contraire à un froid excessif, le sang
s'embarrasse ou s'arrête dans ses vaisseaux, et y détermine les phénomènes de
l'engelure ou de la congélation. Dans d'autres cas, l'altération de la peau résulte
de son contact plus ou moins intime et piolongé avec une source artifi-
cielle de calorique, flamme, li(]uide bouillant, corps solides incandescents,
et cette altération varie de la simple rubéfaction jusqu'à l'eschare. Il n'est pas
jusqu'aux objets destinés à la protection de cette membrane qui ne deviennent
parfois pour elle une cause d'irritation : tels les vêtements d'une étoffe grossière
et rude, les jarretières trop serrées, les corsets, les bandages, les chaussures
trop étroites ou mal faites, etc.
Des produits de sécrétion physiologique ou morbide, déposés à la surface du
corps, y provoquent fréquemment des irritations congestives ou inflammatoires
plus ou moins intenses : ainsi le liquide de la transpiration dans les parties où.
la peau s'adosse à elle-même (intertrigo), le mucus nasal sur la lèvre supérieure
(sycosis artificiel), le flux leucorrhéique sur la région génito-crurale, etc., etc.
Ces causes offrent évidemment le plus grand rapport avec celles que Lorry a
comprises sous la dénomination générique de sardes [de applicatis externis), et
dont il plaçait le point de départ dans la peau elle-même. Je me suis expliqué,
dans l'historique, sur cette expression latine qui n'a point, que je sache, de
terme équivalent dans notre langue, au moins dans le sens exact oii l'entendait
Lorry. Cependant, le mot qui semble s'en rapprocher le plus est celui de
malpropreté. Or, on sait toute l'importance du fait que ce mot représente dans
l'étiologie des affections de la peau : la malpropreté est la cause, soit directe,
soit indirecte, d'une multitude de dermatoses, cause efficiente pour quelques-
unes, prédisposante ou occasionnelle pour le plus grand nombre.
Les différentes causes que je viens de passer en revue sont d'ordre purement
mécanique, physique ou chimique; rnais il en est d'autres dont l'action sur la
peau offre quoique chose de tout à fait spécial, et ne saurait s'expliquer par des
considérations de mêrne ordre. Tel est le cas de Vurtica dioica, dont le simple
contact avec la peau provoque l'éruption si caractéristique que tout le monde
connaît ; et je pourrais citer ici une foule de substances jouissant de propriétés
analogues, mais avec cette différence que les unes agissent plus particulièrement
sur le réseau vasculaire et les papilles, d'autres sur les follicules sébacés,
d'autres sur les glandes sudoripares, d'autres sur les follicules pileux, d'autres
enfin sur les aréoles dermiques : de là des érylhèmes, des papules, des vési-
cules, des pustules, en un mot, toutes les formes de la dermite. Un certain nombre
de ces agents ont été et sont encore journellement utilisés en médecine comme
révulsifs ; exemples : la farine de moutarde et l'ortie déjà nommée, la poix de
DERMATOSES. 685
Bourgogne, le thapsia garganica, l'huile de croton tiglium, la poudre de can-
tharides, le tartre stibié (pommade d'Autenrieth), l'huile de cade, l'huile de
noix d'acajou, etc., etc. D'autres ont été surtout employés dans un but expé-
rimental; l'ipécacuanha, les composés arsenicaux, l'acide azotique étendu, etc.
F^nfin, c'est également à ce groupe qu'appartiennent la plupart des substances
qui donnent lieu aux éruptions professionnelles.
Enfin il est un troisième ordre de causes traumatiques qui se distinguent des
précédentes par leur caractère éminemment spécifique, car elles se compliquent de
la pénétration dans l'organisme d'un principe morbifique particulier, insaisis-
sable en lui-même, et dont la nature ne nous est révélée que par les effets qu'il
détermine : je veux parler des venins, virus et matières septiques ou putrides
(piqiàres de cousins, d'abeilles, de guêpes, morsure de vipère, du crotale, etc.,
pustule maligne, cowpox, affections syphilitiques inoculées, etc.).
b. Parasitisme. 11 y a deux classes de parasites : les parasites végétaux et
les parasites animaux.
1" Parmi les paraszfes végétaux, les uns attaquent de préférence les poils et
les ongles (teignes) ; d'autres vivent plus volontiers aux dépens de l'épiderme
(crasses parasitaires) ; d'autres enfin occupent principalement les surfaces
épilhéliales (muguet).
Les parasites des teignes sont au nombre de trois :
1° Vachorio7î Schœnleinii, qui produit la teigne faveuse;
2° Le trichophyton tonsurans, qui engendre la teigne tonsurante;
5" Le microsporon Audouini, qui donne lieu à la teigne pelade.
Le cryptogame des crasses parasitaires est le microsporon fur fur, et celui du
muguet Voïdiu7n albicans.
Les affections cutanées produites par ces différents parasites ont pour caractère
commun d'être éminemment contagieuses.
2" Les animaux parasites (épizoaires) vivent à la surface de la peau ou dans
son intérieur.
Parmi les premiers se trouvent les pediculi et la puce commiine, et parmi les
seconds \di puce pénétrante et ïacarus scabiei on sarcopte.
Ce n'est point ici le lieu d'entrer dans des détails sur ces parasites, non plus
que sur les affections cutanées qu'ils déterminent {voy. Gale, Phthiriase, etc.).
c. Pathogénétisme. 11 est des substances qui, introduites dans le sang,
possèdent la propriété de déterminer des éruptions à la peau : ce sont les agents
pathogéuétiques.
Nous trouvons, parmi ces agents, des substances alimentaires, des médica-
ments et des poisons. Les aliments peuvent être liquides, comme les boissons
fermentées (couperose alcoolique), ou solides, comme les moules, le homard,
les écrevisses, les crevettes, etc. [urticaria ah ingestis). On sait que la pellagre
n'est, selon toutes probabilités, qu'une sorte d'empoisonnement chronique
produit par une altération des céréales, et plus spécialement du maïs. Comme
médicaments et poisons, nous avons le cubèbe et le copahu (roséole des résineux),
la belladone (érythème belladone), l'arsenic (éruptions diverses), les mercuriaux
(eczéma hydrargyrique), l'iodure de potassium (acné iodique), etc., etc.
2° Causes i.mernes des dermatoses en voie d'évolution. Nous les ratta-
cherons toutes à dix classes de maladies, ce qui fait dix classes de dermatoses :
1" Pestes. Éruptions pestilentielles (pétéchies, bubon, anthrax, char-
bon, _ etc.) ;
686 DERMA.TOSES.
2" Fièvres. Éruptions fébriles (sudamina, taches rosées, bleues, etc.);
0° Exanthèmes. Éruptions exanthématiques (morbilleuse, scarlatineuse,
varioleuse, etc.);
4° Pseudo-exanthèmes. Éruptions pseudo -exanthématiques (roséole, urti-
caire, herpès, zona, pityriasis rubra aigu);
5° Phlegmasies. Éruptions phlegraasiques (érysipèle, lymphite);
6° Hémorrhagies. Éruptions hémorrhagiques (purpura, dermorrhagie);
7° Maladies constitutionnelles. Scrofulides, syphilides, arthritides, herpé-
tides ;
8° Diathèses. Éruptions diathésiques ;
9" Cachexies. Éruptions cachectiques;
10" Névroses. Éruptions névrosiques.
Parmi les classes de maladies qui figurent dans ce tableau, il en est une qui
présente une importance exceptionnelle au point de vue qui nous occupe, c'est
celle des maladies constitutionnelles. En effet, cette classe l'empoi'te sur toutes
les autres ensemble par l'abondance et la variété des formes éruptives qui s'y
rattachent. Quatre unités morbides la constituent, à savoir : 1° la scrofule, qui
donne les scrofulides; 2° la syphilis, qui donne les syphilides; 5° l'arthritis, qui
donne les arthritides; 4° l'herpétisme, qui donne les herpétides.
§ II. Difformités. Les difformités sont congénitales ou acquises; elles sont,
comme les maladies, de cause externe ou de cause interne.
1° Les difformités de cause externe peuvent être le résultat d'une action
directe, locale, ou de l'introduction d'une substance dans le système circula-
toire ; l'éphélide ignéale, le tatouage, sont dans le premier cas, et la teinte
bronzée produite par l'absorption du nitrate d'argent nous offre un exemple du
deuxième,
2'^ Les difformités spontanées ou de cause interne se distinguent,
suivant leur forme, en maculeuses, boutonneuses, exfoliatrices, ulcéreuses et
atrophiques.
Il y a aussi les cicatrices permanentes, lésions consécutives qui peuvent avoir
pour origine première une cause externe ou une cause interne.
Chapitre II. Causes prédisposantes des dermatoses. Les auteurs ont
généralement étudié sous ce titre l'influence de l'hérédité, de l'âge et des
révolutions physiologiques qu'il amène, de la constitution, du tempérament, de
l'alimentation, des climats, des saisons, de l'habitation, des professions, etc.
1" Hérédité. Les dermatoses n'étant que des symptômes, il ne saurait être
question pour elles de transmission héréditaire directe : ce serait détacher
l'effet de sa cause. Or la cause, c'est la maladie. Toute affection cutanée transmise
par hérédité est donc le signe irrécusable de la présence, chez le sujet qui en
est atteint, de la maladie dont cette affection est la traduction sur la peau.
Constater une syphilide sur un enfant nouveau-né, c'est affirmer du même coup
l'existence d'une syphilis transmise, et le même raisonnement s'applique à
toute affection que les antécédents de famille autorisent à considérer comme le
résultat plus ou moins éloigné d'une prédisposition héréditaire.
Mais toutes les causes efficientes des dermatoses ne sont pas susceptibles
d'être transmises par voie d'hérédité. Parmi celles qui échappent plus ou moins
complètement à cette influence, il faut d'abord citer toutes les maladies de
cause externe, qu'elles soient d'origine traumatique, parasitaire ou pathogé-
nétique. Je n'insiste pas sur des vérités aussi évidentes.
DERMATOSES. 687
Quant aux maladies de cause interne à déterminations morbides vers la peau,
toutes ou presque toutes peuvent être regardées comme possédant à des degrés
variables la faculté de se transmettre par voie d'bérédité. Cette faculté est
surtout remarquable dans les maladies constitutionnelles; elle peut s'exercer
directement des parents aux enfants, ou bien sauter une génération. Lorsque la
transmission a lieu, il peut arriver que la même affection cutanée déjà observée
chez le père se reproduise également chez l'enfant : la dermatose réalise alors
dans sa forme la plus apparente le caractère héréditaire. 11 peut arriver aussi
que le principe morbifique, après son passage sur un .'tutre organisme, se
traduise sur la peau sous une forme différente, et qu'un père dartreux psoria-
sique, par exemple, se trouve avoir légué à ses enfants un eczéma ou un lichen
herpétique. Enfin, dans un troisième cas de transmission, rien ne paraît du
côté de la peau, et c'est sur d'autres systèmes organiques que se fait sentir et
s'épuise l'influence héréditaire.
C'est à une époque antérieure à la naissance que remonte nécessairement la
cause des difformités cutanées, sans contredit les plus nombreuses, que l'enfant
apporte en naissant : or, si le rôle de l'hérédité ne saurait être contesté pour
le plus grand nombre d'entre elles, il en est d'autres que l'on a cru pouvoir
rapporter à des influences accidentelles, étrangères et postérieures à l'acte de
la génération, influences qui auraient agi sur le fœtus pendant le temps de la
gestation : tel serait plus particulièrement le cas de ces taches de la peau
communément désignées sous le nom d'envies (nœvi materni), et qui ont été
rattachées à des troubles de l'imagination de la mère. Mais, quelque légitime
qu'elle paraisse en principe, la distinction établie entre les états morbides congé-
nitaux selon qu'ils procèdent d'une disposition ti'ansmise par voie d'hérédité,
ou qu'ils se sont simplement développés chez l'enfant pendant le cours de la
vie intra-utérine {jiialadies cannées), cette distinction, dis-je, ne fournit aucune
donnée utile et véritablement pratique sur l'étiologie des difformités de
la peau.
2" Age. Chaque âge semble avoir un certain nombre d'affections cutanées
qui lui sont propres, ou qui du moins se montrent plus fréquemment pendant sa
durée. Ce fait a été noté avec soin par tous les observateurs. 11 est des dermatoses
qui peuvent être congénitales : la variole, le pemphigus, l'ichthyose, les syphi-
lides secondaires, nous en offrent des exemples. D'autres se manifestent surtout
pendant le cours de la première enfance, telles sont ; les gourmes eczémateuses
et impétigineuses de la face et du cuir chevelu. Puis viennent les éruptions des
exanthèmes et des pseudo-exanthèmes, variole, rougeole, scarlatine, roséole
infantile, qui appartiennent plus particulièrement à la seconde enfance. Le
lupus, l'acné, sont des affections de l'adolescence; c'est également à cette période
de la vie que se montrent de préférence les premières manifestations de l'herpétis
sur la peau. Le psoriasis, l'intertrigo, la couperose, l'eczéma nummulaire, le
sycosis arthritique et, d'une manière générale, les arthritides et les herpétides
vulgaires, s'observent principalement dans l'âge adulte, tandis que la vieillesse
semble prédisposée surtout aux formes malignes et essentiellement chroni-
ques, au prurigo, au rupia, au pemphigus diutinus, à l'herpétide exfolia-
trice, etc.
Les révolutions physiologiques exercent une influence évidente et souvent
remarquée sur le développement de quelques dermatoses. Tout le monde connaît
la fréquence de l'acné vulgaire au moment de la puberté, de la couperose à
688 DERMATOSES.
l'âge critique. La grossesse, la parturilion, prédisposent aussi à certaines
affections cutanées. L'eczéma du mamelon, l'intertrigo des seins, le prurigo de
la vulve chez la femme, l'eczéma des bourses et le prurigo de l'anus chez
l'homme, surviennent dans des conditions analogues.
11 n'est pas jusqu'aux dermatoses de cause externe qui ne soient jusqu'à un
certain point justiciables, du moins en apparence, de l'influence des âges. C'est
pendant la première partie de la vie, et en particulier dans l'enfance et la
jeunesse, que se produisent généralement le favus et la teigne tonsurante.
L'impétigo gramdata produit par les pédiculi est une affection du même âge. Le
sycosis parasitaire ne rencontre que chez l'homme adulte les conditions néces-
saires à son développement. La pelade elle-même, qui se montre indifféremment
chez l'enfant, le jeune homme et l'adulte, est très-rare dans la vieillesse. Enfin,
il est un certain ordre de dermatoses que la nature de leur cause limite néces-
sairement à une période déterminée de la vie humaine : je veux parler des
éruptions qui dépendent des professions.
Il existe donc une relation incontestable entre le moment où se montrent un
certain nombre de dermatoses et l'âge des sujets qui en sont atteints. Mais quelle
est la nature de cette relation ? La question ne saurait être douteuse pour les
éruptions de cause externe, dont l'apparition plus ou moins fréquente à certains
âges s'explique naturellement par des conditions tout extérieures de milieu,
d'hygiène, de manière de vivre, d'habitudes professionnelles. Mais on ne voit pas
aussi bien pourquoi les dermatoses de cause interne peuvent également se
trouver assujetties, dans leur développement, à l'ordre de succession des âges.
Une des principales raisons de ce fait me paraît devoir être recherchée, non pas,
comme on l'a dit, dans l'état du système cutané, dont les aptitudes morbides
seraient sujettes à varier aux différents âges de la vie (ce qui du reste n'explique
rien), mais dans la nature même de la cause pathologique évoluant au sein de
l'économie. En effet, cette cause, qu'elle s'appelle scrofule, syphilis, arthritis
ou herpétis, est soumise, comme le corps humain qui lui sert de théâtre, à des
lois d'évolution en vertu desquelles on voit ses manifestations se succéder dans
un ordre déterminé et constant : de là des coïncidences nombreuses et presque
forcées entre quelques-unes de ces manifestations et les différents âges de la vie,
coïncidences favorisées d'ailleurs, dans uu grand nombre de cas, parles troubles
fonctionnels suscités dans l'organisme, soit par le travail de la dentition chez
l'enfani (gourme), soit par l'établissement de la puberté chez les jeunes gens
(acné), soit enlin par le temps critique chez la femme (couperose, eczéma des
seins, prurit vulvaire, etc.).
Les réflexions qui précèdent s'appliquent à peu près exclusivement aux
maladies constitutionnelles; encore faut-il en excepter la syphilis acquise, dont
les manifestations ne sauraient présenter aucune corrélation habituelle avec les
âges, puisque son début peut avoir lieu à toutes les époques de la vie. Mais nous
ignorons absolument comment l'âge peut déterminer l'époque d'apparition des
affections diathésiques. On sait seulement que la plupart de ces affections,
qu'elles soient héréditaires ou acquises, ne se montrent guère avant vingt ans ;
qu'elles sévissent d'ordinaire sur les personnes qui ont dépassé le terme moyen
de la vie; que l'âge critique, chez la femme, semble fournir un prétexte à leur
développement ; tels sont : le cancer de la peau, l'épithélioma, le mycosis du
lymphadénome cutané. La sclérodermie et la chéloïde sont au contraire des
affections de tous les âges. Aucune proposition générale ne saurait davantage être
DERMATOSES. 689
émise à ce point de vue sur les dermatoses cachectiques. Enfin, pour ce qui a
trait aux éruptions qui dépendent des^exanthèmes, leur apparition dans la pre-
mière partie de la vie s'explique par ce fait que ces maladies, dont chacun
apporte le germe en naissant, confèrent à ceux qu'elles ont atteints une immu-
nité le plus souvent définitive.
5° Sexe. L'intluence du sexe est peu marquée. Rien ne prouve suffisamment
que les affections de la peau soient plus fréquentes chez les hommes que chez
les femmes, ou vice versa, car l'une et l'autre opinion ont trouvé des partisans.
Toutefois, une ré.^erve nous semble devoir être laite à l'égard des dermatoses de
cause externe, dont la fréquence relative chez l'homme s'explique par les
habitudes professionnelles.
Il est des affections où le sexe joue un rôle évident : tel est, chez l'homme,
le sycosis de la barbe, et, chez la femme, l'eczéma du mamelon, l'intertrigo du
sein et l'affection parasitaire désignée sous le nom de chloasma. 11 parait égale-
ment démontré par les stalitisques que les garçons sont plus sujets que les filles
au favus et à l'herpès tonsurant, ce qui tient vraisemblablement aux occasions
plus fréquentes de contagion chez les uns que chez les autres.
Quant à la forme des éruptions, j'ai cru remarquer qu'elle était, toutes choses
égales, plutôt sèche chez l'homme, humide et suintante chez la femme.
4° Tempérament. Constitution. Quelques auteurs ont accordé à ces condi-
tions physiologiques une importance tout à fait exagérée. Pour Cazenave, par
exemple, du tempérament à la maladie, à la diaîhèse, il n'y a qu'une différence
de degré. « La prédisposition, dit-il, c'est le tempérament exagéré, mais maintenu
dans les limites compatibles avec la santé. Au delà de ces limites, c'est la
maladie, plus ou moins accidentelle, plus ou moins localisée. Que si cette
exagération, au lieu de produire un accident morbide passager, a envahi plus
ou moins les organes qui sont l'apanage de ce tempérament..., c'est la diathèse ».
Et plus loin : « Les vraies diaUièses, les seules, peut-être, sont les diathèses na-
turelles, organiques. Il y a autant de diathèses que de tempéraments : diathèses
lymphatique, nerveuse, bilieuse, etc. » [Pathologie générale des maladies de
la peau, par Alphée Cazenave. Paris, 1868).
Les idées de M. Devergie sur la question se rapprochent à beaucoup d'égards
de celles de Cazenave. Pour lui, certaines formes morbides sont liées à certains
tempéraments, à certaines constitutions, de telle sorte qu'en employant des
agents thérapeutiques connus pour être des modificateurs de ces tempéraments
on guérit l'affection cutanée qui n'en est qu'un reflet.
Je ne m'arrêterai pas à combattre ces opinions, aujourd'hui à peu près com-
plètement abandonnées, bien qu'on en retrouve cependant la trace dans les
écrits d'un dermatologisle que ses tendances et la supériorité de son jugement
auraient du préserver d'une erreur aussi manifeste. On sait, en effet, que
M. Hardy, sans aller aussi loin que les auteurs précités, attribue un tel rôle au
tempérament dans sa diathèse dartreuse, que cette condition physiologique
devient pour lui la source des principales indications thérapeutiques.
Est-ce à dire que je refuse au tempérament et à la constitution toute espèce
d'influence sur les dermatoses? Assurément non, mais cette influence se borne,
soit à localiser plus spécialement l'aflection sur un des éléments anatomiques de
la peau, soit à déterminer la prédominance de telle ou telle forme morbide. Il
est bien certain, par exemple, que les éruptions sécrétantes, pustuleuses et
vésiculeuses, se montrent de préférence avec le tempérament lymphatique,
DICT. ENC. XXVII. 44
690 DERMATOSES.
quelles que soient d'ailleurs leur cause et leur nature; que le tempérament
sanguin pre'dispose aux affections érythémateuses et tuberculeuses, le tempe'ra-
ment bilieux aux productions huileuses, et qu'enfin les individus qui présentent
les attributs du tempérament nerveux sont plus exposés que d'autres aux
éruptions sèches du lichen et du prurigo.
Ces faits n'avaient point échappé à l'attention de Cazenave et de M. Devergie,
mais, n'apercevant rien au delà de l'éruption cutanée, qui pour eux constituait
toute la maladie, et voyant cette éruption se modifier dans sa forme et dans son
siège sous l'influence du tempérament, ils se trouvèrent conduits à considérer
cette condition physiologique comme l'élément fondamental, comme la cause
prédisposante essentielle de toute maladie de la peau.
5" Alime7îtation. Lorry a étudié avec le plus grand soin l'action des modi-
ficateurs bromatologiques dans la production des affections de la peau, et nous
ne voyons pas que les auteurs contemporains aient rien ajouté d'essentiel aux
quelques pages qu'il nous a laissées sur ce sujet.
Quand on voit, dit Lorry, chez un homme qui vient de manger des moules,
la peau se couvrir instantanément de larges papules blanches et cerclées de
rouge, et devenir le siège d'atroces démangeaisons, on comprend facilement
l'inlliience que les aliments peuvent exercer sur cette membrane. Cette influence
se produirait, selon lui, dans deux circonstances principales : 1" lorsque l'ali-
ment {cibiis aut poiiis) est pris avec excès; 2° lorsqu'il est doué de propriétés
nuisibles.
Rien de plus commun surtout chez les jeunes gens (c'est toujours Lorry qui
parle) que de voir, à la suite d'excès de table et de copieuses libations, se
développer tout à coup sur le front, le nez, les paupières, des élevures rou-
ges, et même de véritables pustules. Ces phénomènes disparaissent généra-
lement assez vite par le retour à des habitudes meilleures, à moins pourtant
qu'ils n'aient éveillé par leur présence quelque vice jusque-là resté latent
dans l'économie. Mais, s'il y a persistance dans les mêmes errements, si les
écarts de régime se répètent et surtout deviennent habituels, l'éruption change
alors de caractère et d'allure, et tend à se perpétuer sous des formes de plus
en plus graves, non-seulement sur la fiice, mais encore sur d'autres régions
du corps.
Il faut avouer que les excès de table {ingluvies) n'entraînent pas généralement
d'aussi graves conséquences, du moins pour ce qui a trait aux affections de la
peau. Mais le tableau tracé par Lorry ne laisse pas d'être exact dans ses parties
essentielles. J'appellerai particulièrement l'attention sur le passage où ce judi-
cieux observateur nous montre l'influence nuisible exercée par l'aliment deve-
nant la cause occasionnelle de l'éveil d'une diathèse : Sed sœpe ab iis (commes sa-
tionibus) latens malum accenditur et evolvitur, sicque cibi acres cedunt in
occasionaleni causam.
J'arrive au cas oîi l'aliment agit principalement sur la peau par ses pro-
priétés nuisibles.
Lorry fait d'abord remarquer que certains médicaments exercent sur la peau
une influence manifestement nuisible : Que de fois, dit-il, nous trouvant dans
la pénible nécessité d'administrer à des malades des substances contenant des
esprits acres ou volatils, n'avons-nous pas vu se produire à la peau une multi-
tude de petites élevures prurigineuses, au niveau desquelles l'œil armé de la
loupe distinguait une gouttelette de sérosité presque aussitôt convertie en croûte!
DERMATOSES. 691
Or, pourquoi l'ingestion de certains aliments ne serait-elle pas suivie parfois
d'accidents analogues ?
Et l'auteur passe alors en revue tous les aliments et condiments, soit solides,
soit liquides, qu'il considère comme susceptibles de produire des éruptions
cutanées. Tels seraient d'abord les vins trop généreux, riches à la fois en alcool
et en huiles essentielles : et Lorry cite à l'appui l'exemple d'un homme vigou-
reux chez lequel l'usage habituel d'un vin fort avait amené le développement
de dartres accompagnées de démangeaisons insupportables au visage et aux
membres. La substilulion d'un vin faible et mêlé d'eau au vin fort dont se ser-
vait le malade suffit pour amener la guérison. Il incrimine pour la même raison
les aromates chargés d'huiles essentielles, tels que le poivre, la cannelle, le
gingembre, et autre produits importés de l'Inde, dont l'action serait encore plus
redoutable et les effets plus difficiles à conjurer. Certains condiments, d'ailleurs
très-utiles et même indispensables à l'homme, deviendi'aient nuisibles par
l'abus qu'on en peut faire : tel serait le sel commun, dont la présence en excès
dans le liquide de la transpiration suffirait parfois, selon Lorry, pour irriter la
peau et y provoquer des éruptions. Mais l'action pernicieuse de cet agent se ma-
nifesterait surtout lorsque, sous la forme de saumure, on l'emploie à la prépara-
tion et à la conservation de certaines substances alimentaires : résultat que l'au-
teur attribue à une sorte de combinaison du sel, soit avec des huiles essentielles
de provenance animale, soit avec tout autre principe acre volatil. Aussi proscrit-
il l'usage des viandes salées et fumées, et surtout celui des poissons conservés
par les mêmes procédés, comme pouvant donner lieu aux dermatoses les plus
graves, et entre autres à l'éléphantiasis des Grecs.
Telles étaient, en substance, vers la fin du siècle dernier, les idées du savant
Lorry sur la question de l'aliment envisagé dans ses rapports avec la pathologie
de la peau. J'ai laissé de côté, bien entendu, nombre de détails, et surtout les
exrjlications théoriques, pour m'en tenir aux faits principaux, aux divisions fon-
damentales. Il me reste à présenter quelques remarques et observations critiques
dont le lecteur appréciera l'importance.
Dans le paragraphe consacré à l'étude, ou plutôt à l'énumération des causes
efficientes des dermatoses, nous avons dit que l'ingestion de certains aliments
pouvait être suivie d'une éruption aiguë, pseudo-exanthématique, disparaissant
en quelques heures ou en quelques jours sans laisser aucune trace de son pas-
sage. Quelques médicaments, le copahu, le cubèbe, l'iodure de potassium, etc.,
déterminent assez fréquemment des effets analogues. Dans ces cas, le rapport
qui relie l'effet à sa cause est simple, immédiat, facile à saisir, quelle que soit
d'ailleurs la nature de ce rapport, aucun doute i)ossible. Mais il n'en est plus
de même lorsqu'il s'agit d'apprécier le rôle de l'aliment comme cause prédispo-
sante. Le problème se complique alors d'éléments nombreux, très-divers, dont
il faut tenir compte, et dont la part est souvent fort difficile à préciser. Ici,
comme tout à l'heure, la relation de causalité n'est rien moins qu'évidente,
dans un grand nombre de cas ; la modification imprimée à l'organisme est géné-
ralement très-lente à se produire, et se traduit par des phénomènes qui varient
nécessairement selon les individus, les âges, les tempéraments, les prédisposi-
tions morbides, les maladies, etc. Or, nous croyons que Lorry, entraîné sans
doute par ses idées théoriques, n'a point suffisamment établi ces distinctions
nécessaires, et qu'il s'est exagéré sur plus d'un point l'influence morbifîque de
l'aliment. La vérité est qu'il n'y a pas, d'une manière absolue, d'aiiments nui-
692 DERMATOSES.
sibles : ils ne deviennent lels que par l'usage exclusif, immodéré ou intempestif,
qui en est fait. Qui voudrait soutenir, par exemple, que le régime azoté, les vins
généreux, soient de mauvaises choses en soi! Mais il est pourtant des cas où
l'usage exclusif ou même seulement prédominant de ce genre d'alimentation
peut devenir une cause très-efficace d'affections cutanées : c'est ce qui arrive
notamment chez les individus prédisposés aux manifestations de l'arthritis. J'en
dirai autant des viandes salées et fumées, dont l'action prédisposante sur le
développement des dermatoses a été généralement admise par les auteurs ; mais
encore cette action, que je suis tout le premier à reconnaître, ne se produit-elle
que dans des conditions déterminées. La première de ces conditions réside dans
le sujet lui même, dans ses prédispositions morbides, héréditaires ou acquises.
Une certaine part d'influence doit être attribuée aussi à des circonstances pure-
ment extérieures : il n'est pas douteux que le même régime ne saurait égale-
ment convenir sous tous les climats, et c'est ainsi que s'explique l'interdiction
faite aux anciens Juifs de l'usage de la viande de porc, interdiction renouvelée
vingt siècles plus tard par le fondateur de l'Islamisme, qui y joignit l'abstinence
du vin et des liqueurs fermentées.
Il ne faudrait pourtant pas se méprendre fur la portée du reproche que je
viens d'adresser à Lorry. Personne, je le répète, n'a fait une étude plus complète
et plus approfondie de l'aliment considéré comme cause des affections de la
peau, et s'il attribue quelquefois à cette ciuse une importance qui nous semble
exagérée, cela tient uniquement à la nature de ses opinions doctrinales. Com-
ment, en effet, ne pas accorder à l'aliment, source oij nous puisons incessam-
ment les éléments de nos tissus et de nos humeurs, une part prépondérante dans
la production des maladies, alors que l'on est convaincu que toute maladie con-
siste essentiellement en une altération humorale?
6" Climats. Saisons. Localités. Lorry a dit, et la plupart des dermatologistes
ont répété après lui, que les maladies de la peau étaient plus fréquentes et
plus graves dans les pays chauds et humides. Mais cette proposition doit-elle
s'entendre de toutes les dermatoses sans exception, ou seulement de quelques-
unes d'entre elles? telle est la question qui se présente naturellement à l'esprit.
Or, il n'existe pas, que je sache, de faits ou de documents qui autorisent à sup-
poser que les affections vulgaires de la peau, envisagées dans leur généralité,
soient en effet plus fréquentes et plus intenses sous les climats du Midi. Ce
qui est certain, et ce qui sans doute a plus particulièrement frappé les auteurs,
c'est qu'un certain nombre de maladies généralement graves, et presque toutes
caractérisées par des altérations profondes de la peau, semblent se développer de
préférence, ou même d'une manière exclusive, dans les régions qui avoisinent
les tropiques : tel est d'abord l'élépliantiasis tuberculeux, dont Lorry place le
berceau sur les bords du Nil; tel le frambœsia sous ses trois formes, pian, yaws et
verruga, la première endémique à la Jamaïque et à Saint-Domingue, la seconde
chez les nègres de Guinée et aux Indes Occidentales, la troisième dans les vallées
des Andes péruviennes j tel aussi l'éléphantiasis arabe, difformité plutôt que
maladie, observé depuis les temps les plus reculés en Egypte, en Nubie et sur
les côtes de Malabar ; tels encore le pemphigus des Indes et celui du Brésil,
au sujet desquels les renseignements nous manquent, le lichen tropicus, affec-
tion légère, etc., etc.
Parmi les élats morbides que je viens d'énumérer comme appartenant aux
pays chauds figure la lèpre tuberculeuse : or, on sait que cette terrible maladie
DERMATOSES. 695
peut également se de'velopper sous des latitudes toutes différentes : témoin la
spedalsked de Norvège décrite par Boeck et Danielisen, et qu'il fut un temps
oii elle s'est parfaitement accommodée de nos climats tempérés.
Quelques dermatoses peuvent être considérées comme endémiques dans cer-
taines localités. J'ai déjà cité le pian, l'yavvs et la verruga; l'élépUantiasis arabe
a été appelé jambe des Barbades en raison de sa fréquence dans l'île qui porte
ce nom ; il faut y joindre le bouton d'Alep endémique en Syrie, la pellagre dans
le Milanais, la suette en Picardie, la pustule maligne en Bourgogne, la plique
en Pologne, etc., etc.
Les climats exercent une influence bien constatée sur la forme des manifes-
tations cutanées de la syphilis : la radesyge de Norvège, le mal de Fiume, de
Scherlievo, nous en offrent des exemples. Un second fait non moins solidement
établi, c'est que, dans les pays dont la température est extrême, les syphilides
tendent à revêtir un caractère de malignité plus ou moins prononcé.
Les saisons agissent surtout en déterminant l'apparition ou en provoquant le
retour de certaines affections de la peau. Cette action se fait surtout sentir sur
les manifestations cutanées de l'arthritis et de l'herpétis. A chaque retour du
printemps, les arthritides et les herpétidi'S tendent à se montrer de nouveau,
les premières revenant ordinairement sur les points qu'elles occupaient d'abord,
en s'y localisant, les secondes envahissant des surfaces déplus en plus étendues.
L'automne agit de la même manière, mais avec une intensité moindre.
C'est également au printemps, en été et en automne, que se développent de
préférence les fièvres éruptives, ainsi que les pseudo-exanthèmes, désignés pour
cette raison sous les noms de roséole d'été, roséole d'automne.
7° Professions. Un assez grand nombre de professions exposent, comme nous
l'avons dit plus haut, ceux qui les exercent à des affections cutanées; ces affec-
tions, en se perpétuant sur la peau counne une sorte d'habituJe morbide, pré-
disposent à leur tour cette membrane à subir l'influence des causes morbifiques
internes. Ces faits se présentent journellement à l'observation. Ou voit alors
l'affection de ia peau, primitivement de cause externe, se modifier peu à peu,
changer d'aspect et d'allure, et prendre enfin des caractères en rapport avec la
nature de la maladie dont elle devient la traduction sur le système tégumenlaire.
D'autres professions agissent en exposant les sujets à l'humidité, aux vicissi-
tudes atmosphériques, en les obligeant à vivre dans un état de malpropreté
habituel, etc. Enfin, on a accusé les professions sédentaires de prédisposer par-
ticulièrement aux dartres pustuleuses et squameuses, aux affections pruri-
gineuses du siège, des parties génitales.
8° Gesta. Les exercices musculaires violents ont-ils sur la production des
dermatoses l'influence que leur a attribuée Lorry : « Si l'on se livre, dit-il, à
des mouvements exagérés, surtout à l'âge où la poitinne encore étroite n'a pas
reçu son développement complet, le retour du sang par les poumons ne se fai-
sant qu'avec difficulté, la peau de la face devient turgescente par le gonflement
des vaisseaux capillaires qui la parcourent, et comme ces vaisseaux n'oflient
qu'une faible résistance à la rupture, il en résulte soit des pustules, soit des
dilatations en forme de varices. » Bien que le nom de la couperose ne soit pas
prononcé dans ce passage, on ne saurait douter qu'elle y soit spécialement
désignée, car nous savons que, pour Lorry, cette affection était de nature
essentiellement variqueuse et anévrysmale, et qu'il attribuait aux causes mé-
caniques un rôle considérable dans son développement. On peut admettre, en
694 DERMATOSES.
effet, que les mouvements musculaires trop répétés, en portant habituellement
le sang vers la face, aient pour effet de favoriser l'état congestif d<J la peau ou
d'augmenter la phlébectasie des capillaires, et qu'à ce titre ils puissent prédis-
poser dans une certaine mesure à la couperose. Mais, comme je l'ai démontré à
l'article Couperose de ce Dictionnaire, l'acné rosée consiste avant tout en une
lésion des glandes sébacées, et la vascularisation dont elle s'accompagne ne sur-
vient que plus tard et comme phénomène consécutif. De plus, et c'est par là
surtout que je me sépare de Lorry, tandis que la gutta rosacea n'est à ses yeux
qu'un état morbide local, une maladie naissant dans la peau elle-même, et
spécialement dans la peau de la face, elle constitue pour moi, dans le plus
grand nombre des cas, la manifestation cutanée d'un état morbide constitu-
tionnel, l'arthritis ou la scrofule. Quant à la couperose alcoolique, il faut avouer
que, par la nature de sa cause, elle se prête assez volontiers à la théorie méca-
nique invoquée par Lorry; mais l'objection tirée du siège primitif subsiste, et
l'influence des mouvements musculaires exagérés ne saurait évidemment reven-
diquer qu'une place secondaire dans l'étiologie de cette affection spéciale.
C'est surtout après les repas, dit Lorry, que les exercices violents exercent
une fâcheuse influence sur la peau : ce qu'il explique par la diffusion alors trop
rapide de la matière alimentaire non suffisamment élaborée dont les éléments
sont portés en grand nombre vers la peau, où ils se corrompent et donnent lieu
à des éruptions. Le fait et l'explication nous paraissent également contestables.
Le repos, au contraire, ou l'absence de mouvement, bien que nuisible à la
santé générale, sei^ait éminemment favorable aux fonctions de la peau, que les
matières acres ne pourraient atteindre, diluées qu'elles sont dans une lymphe
abondante qui leur permet de traverser sans obstacle les plus petits vaisseaux.
De là, dit Lorry, l'état brillant de la peau chez les femmes oisives et dont la
vie n'est qu'un long repos. C'est encore là une assertion que je laisse sous la
responsabilité du savant auteur du Tractatus de morhis cutaneis (Introd., p. 43,
De motu et quiète).
9° Percepta. Les passions tristes, les chagrins de toute espèce, ont été consi-
dérés comme une cause très-efficace d'affections de la peau. En effet, dit Lorry,
ce que l'on observe d'abord chez l'iiomme en proie au chagrin, ce sont des modi-
fications du côté de la peau, qui perd son éclat, sa fraîcheur, qui devient terne,,
comme flétrie, d'une teinte blafarde et jaunâtre ; plus tard se développent des
éruptions herpétiques, des macules, des pustules. Et l'auteur rappelle à ce
sujet qu'un accès de colèi'e, un désespoir subit, peuvent enrayer tout à coup le
cours de la bile et déterminer un ictère. D'où cette conséquence facile à prévoir,
que les passions tristes agissent en entravant la perspiration cutanée et la sécré-
tion biliaire.
Quoi qu'il en soit de l'explication, on ne saurait douter que les passions
dépressives prédisposent à la longue à certaines affections de la peau, notam-
ment au pemphigus diutinus, aurupia, àl'ecthymacacheotique, au purpura, aux
éruptions furonculaires ; mais on peut en dire autant de toutes les causes qui
ont pour effet de débiliter l'organisme, telles que la misère, les privations, les
veilles trop prolongées, etc., etc.
Chapitre III. Causes déterminantes ou occasionnelles. Nous allons étudier
sous ce nom toutes les causes dont l'action, ordinairement passagère, a pour
effet de provoquer le développement d'une dermatose à laquelle le sujet se trou-
vait prédisposé. Cette dernière condition est de toute nécessité : là où la prédis-
DERMATOSES. 695
position manque, la cause occasionnelle, quelles qu'en soient la forme et l'in-
tensité, ne produit que la modification, transitoire comme elle-même, qui eu
est l'effet immédiat et ordinaire.
Les causes occasionnelles des dermatoses pourraient être multipliées presque
à l'infini; il n'est point de sujet dont les limites soient plus vagues, et qui
glisse plus facilement dans la banalité. De plus, comme la plupart de ces causes
sont communes à un certain nombre de dermatoses, on se trouverait ainsi conduit
à passer en revue presque toute la pathologie de la peau. Telle n'est point assu-
rément notre intention, et, pour éviter ce double écueil, nous nous arrêterons
seulement à celles de ces causes qui nous paraîtront présenter un intérêt spécial
et bien déterminé : or, le nombre en est peu considérable.
Les causes occasionnelles des dermatoses sont extérieures à l'individu, ou
dépendent au contraire d'un état accidentel de l'organisme, émotion morale,
troubles fonctionnels, états pathologiques, etc.
1° Applicata. Toute modification locale imprimée à la peau peut devenir
le point de départ d'une dermatose constitutionnelle. Rien de plus commun que
de voir ce fait se produire à la suite de l'application d'un vésicatoire, d'un
cautère, d'un sinapisme, d'un topique irritant quelconque, huile de croton,
tartre stibié, etc.; nous pourrions citer ici tous les agents de la médication
révulsive. Une plaie , un simple traumatisme est parfois suivi du même
résultat. Les éruptions professionnelles et parasitaires ont également pour effet
d'éveiller sur la peau les prédispositions morbides ; m;iis cette proposition est
vraie surtout à l'égard des aifections parasitaires, dont les complications les
plus habituelles sont des éruptions de cause interne : éruptions scrofuleuses
dans le favus, arthritiques dans la mentagre, herpétiques dans la gale, etc. La
syphilis elle-même est soumise, comme les autres maladies, à l'influence des
causes artificielles, et tout le monde sait qu'il suffit parfois d'un bain de vapeur,
d'un bain sulfureux, pour déterminer aussitôt l'apparition d'une syphilide sur
la surface tégumentaire.
Parmi les agents employés en frictions sur la peau dans un but thérapeutique,
il en est dont l'action s'étend parfois sur des parties du corps plus ou moins
éloignées du lieu d'application : ces éruptions, dites secondaires ou à distance,
ne seront pas confondues avec des dermatoses constitutionnelles; produites par
le transport mécanique de la substance médicamenteuse, elles ne diffèrent en
aucune façon de la lésion développée au point où cette substance a été directe-
ment appliquée, et ne tardent pas à s'éteindre et à disparaître avec la cause qui
les a fait naître.
2° Circwnfusa. Les influences atmosphériques, le froid, le chaud, ont une
action très-remarquable sur le développement de certaines dermatoses. Une
température très-élevée, l'exposition à un foyer de chaleur artificielle, peuvent
produire immédiatement une éruption cutanée chez un sujet prédisposé. Le
refroidissement est une cause occasionnelle fréquemment observée dans les ma-
nifestations de l'arthritis. Enfin, l'apparition des syphilides semble favorisée par
les extrêmes de température, et plus spécialement encore, si j'en crois mon
expérience, par le passage brusque du chaud au froid.
5" Ingesta. Cette question a été traitée dans tous ses détails à propos des
causes prédisposantes, mais je devrais revenir ici sur les ingesta pour les envi-
sager à cet autre point de vue : comme causes occasionnelles. Peu de mots du
reste y suffiront.
696 DERMATOSES.
Si les excès de table ont quelquefois pour effet de produire à la longue des
éruptions à la peau, on comprend que la même cause, agissant sur un sujet
prédisposé, puisse avoir pour conséquence immédiate l'apparition d'une der-
matose constitutionnelle. Ce fait est surtout fréquent dans l'herpétis, mais on
l'observe également dans l'arthritis, et tel qui s'était levé le matin sans une
tache à la peau s'est trouvé le soir ou le lendemain couvert de macules, de
papules, de vésicules ou de pustules.
Les éruptions pathogénéliques (moules, copahu, cubèbe, etc.) peuvent éga-
lement servir de prétexte au développement d'une éruption de cause interne;
ou bien, comme le fait remarquer Lorry, si la peau était antérieurement ma-
lade, leur action consiste à exaspérer la dermatose préexistante, à augmenter le
prurit dans des proportions terribles, etc.
4,0 Percepta. Nous avons dit ce que peuvent les passions tristes, les chagrins
prolongés, comme causes prédisposantes de certaines affections de la peau; c'est
surtout comme causes occasionnelles qu'agissent les passions vives, le> impres-
sions morales subites, les mouvements violents de l'àme, les contrariétés, le
dépit, le chagrin, la colère. Parmi les maladies que ce genre d'influence atteint
plus particulièrement, il faut citer en première ligne l'herpétis : c'est là un fait
démontré par l'observation de chaque jour. Les éruptions qui se produisent
dans ces circonstances affectent le plus souvent la forme aiguë et généralisée
des pseudo- exanthèmes : roséole, urticaire, eczéma rubrum, pityriasis rubra
aigu, etc.
5° Contagion. Un certain nombre de dermatoses sont susceptibles de se
transmettre par voie de contagion. Cette cii-constance, malgré son importance
capitale et le caractère spécifique qui la distingue, n'est après tout qu'une cause
déterminante d'un genre particulier, et dont l'aclion reste entièrement subor-
donnée, comme celle de toutes les causes du même ordre, à l'état de prédisposition
ou d'immunité qu'elle rencontre chez le sujet contaminé. En effet, la transmission
contagieuse ne présente rien de fatal, d'obligé, dans la grande majorité des cas;
il peut arriver qu'elle n'ait pas lieu, bien que toutes les conditions extérieures
qui la produisent habituellement se soient trouvées réunies, et l'on dit alors
que le sujet n'est pas apte à contracter la maladie, qu'il possède l'immunité.
C'est ainsi que l'on voit des enfants sur lesquels on tente vainement, à plusieurs
reprises, l'inoculation du vaccin, sans qu'il soit possible d'attribuer ces insuccès
réitérés soit à la qualité du virus, soit au défaut (!e la méthode. C'est par le
même fait d'immunité naturelle ou acquise, temporaire ou définitive, que l'on
s'explique comment, parmi un certain nombre de personnes également soumises
à une même influence contagieuse, les unes résistent complètement à cette
influence, tandis que les autres y succombent. 11 semble même qu'il y ait en
quelque sorte des degrés dans cette immunité, ou du moins chez ceux qui en
sont dépourvus dans l'aptitude à ressentir l'impression morbifique de tel ou tel
agent contagieux : de là les différences si considérables que présente le plus
souvent, selon les sujets, une même maladie transmise, fût-elle puisée à la même
source, différences qui portent quelquefois sur ses caractères les plus essentiels,
et plus parliculièrement sur sa forme et sur son intensité. Ainsi, c'est bien le
même virus qui déterminera dans un cas une petite vérole discrète et bénigne,
et dans un autre une variole confluente et grave, comme c'est aussi le même virus
qui fera naître chez celui-ci une syphilis légère, effleurant à peine l'organisme
de quelques manifestations cutanées et muqueuses sans importance, et chez
DERMATOSES. 697
celui-là une syphilis maligne, à marche rapide, et qui, après avoir couvert l'un
et l'autre tégument de pustules, de tubercules et d'ulcères, ira porter la désor-
ganisation dans les organes les plus nécessaires à la vie. Or, qui ne voit que les
mêmes réflexions pourraient être faites à l'égard de la rougeole, de la scarlatine,
de la fièvre typhoïde, et je pourrais dire de presque toutes les maladies conta-
gieuses, sans en excepter les maladies parasitaires, telles que la gale, la phthi-
riase et les teignes? 11 faut donc avouer, et c'est là que je voulais en venir, que
la contagion n'est pas tout, que tout ne consiste pas dans le fait de son transport
mécaniiiue d'un individu sur uu autre, qu'il y a autre chose encore, une cause
interne, un état particulier de l'organisme, la prédisposition, en un mot.
Le nombre des dermatoses contagieuses n'est pas très-considérable, mais
encore est-il bon d'en faire le compte exact, s'il est possible, et la chose n'est
pas aussi simple qu'il semblerait tout d'abord.
Un fait bien remarquable, et du reste depuis longtemps signalé, c'est l'exis-
tence à peu près constante de lésions tégumeutaires dans les maladies contagieuses,
quelles qu'en soient la forme et la nature. Cette règle souffre pourtant quelques
exceptions sérieuses, parmi lesquelles il faut citer la rage, encore que l'on ait
constaté comme un de ses caractères anatomo-pathologiques les plus habituels
une rougeur inflammatoire du pharynx, de la trachée et des bronches; mais
rien ne prouve que ces lésions ne soient pas consécutives. La dysenterie, la
coqueluche, le choléra (en admettant leurs propriétés contagieuses), seraient dans
le même cas, à moins que, prenant le mot tégument dans son acception la plus
large, on ne fît entrer en ligne de compte les altérations des muqueuses viscérales.
Quant aux névroses susceptibles de se propager par voie d'imitation, je ne saurais
voir dans la qualification de contagieuses qui leur a été donnée ipi'uiie expres-
sion figurée répondant à une analogie bien plus apparente que réelle, et je me
demande, par exemple, ce qu'il peut y avoir de commun entre le mode de
transmission de la gale et l'influence toute morale qui fait éclater chez une
personne prédisposée une crise d'hystérie ou d'épilepsie. Evidemment, ce sont
là deux faits absolument distincts, mais que tend à confondre dans l'esprit des
pathologistes l'emploi d'une commune dénomination.
Mais ce n'est point ici le lieu de nous engager dans une étude approfondie des
maladies contagieuses en général, (jucls que soient d'ailleurs les rapports intimes
qui les unissent à la pathologie de la peau. C'est à ce dernier point de vue
seulement qu'il nous importe de les considérer dans cet article.
Une première distinction à établir est la suivante : les dermatoses d'origine
contagieuse sont de cause interne ou de cause externe.
1'' Les dermatoses qui procèdent de maladies contagieuses de cause interne
sont :
a. Les éruptions symptomatiques des pestes, du charbon malin, de la suette
miliaire épidémique ;
b. Les éruptions symptomatiques de la fièvre typhoïde, du typhus ;
c. Les éruptions symptomatiques des exanthèmes, rougeole, scarlatine, variole,
varioloïde, varicelle ;
d. Les manifestations cutanées et muqueuses de la syphilis;
e. Les éruptions cutanées et muqueuses des diathèses raorve'&se, farcineuse,
diphthéritique, et peut-être aussi de la diathèse gangreneuse.
La transmission de ces maladies peut avoir lieu : par inoculation, c'est-à-dire
par l'introduction directe dans les voies de la circulation d'un principe que l'on
698 DERMATOSES.
peut saisir sur la dermatose elle-même à une certaine période de son évolution ;
2° par contact immédiat; 5° par contact médiat; 4" par contagion miasmatique,
c'est-à-dire par l'intermédiaire de miasmes infecto-contagieux, poussières ani-
males, émanations putrides, etc.
La syphilis, la vaccine, et j'ajouterai la pustule maligne, bien qu'elle soit de
cause externe, ne se propagent qu'à la faveur d'une solution de continuité
préalable, ou en d'autres termes par inoculation. Je laisse de côté, bien entendu,
les cas de syphilis héréditaire, qui n'ont rien à voir avec la question de la
contagion.
La fièvre typhoïde, le typhus, la suette épidémique, la diathèse gangreneuse,
la rougeole, la scarlatine, la varicelle, se transmettent principalement par l'inter-
médiaire de miasmes infectieux transportés par l'air et absorbés par la muqueuse
des voies respiratoires. La contagion par contact immédiat et même médiat a été
également admise pour la plupart de ces maladies. C'est p;ir ces deux derniers
modes que se communiquent probablement les maladies exotiques connues sous
les noms de pian, yaws et verruga.
La variole est contagieuse par tous les modes à la fois. Il en est peut-être de
même du charbon malin, des pestes à bubons, des diathèses morveuse, farcineuse
et diphlhéritique.
Comme on le voit, les maladies constitutionnelles ne sont représentées dans
rénumération précédente que par la syphilis, qui possède en effet deux manifes-
tations directement et immédiatement contagieuses, le chancre initial et la plaque
muqueuse. Toutefois ce caractère a été également attribué à deux affections de
nature scrofuleuse, l'acné varioliforme désignée primitivement par Bateman sous
le nom de molluscum contagiosum, et la scrofulide bénigne impétigineuse.
Assurément, nous ne croyons guère aux propriétés contagieuses de l'acné vario-
liforme, ni au rôle que l'on a fait jouer pour la circonstance à Vacarus folUcu-
lorum, mais nous ne croyons pas du tout à celles de l'impétigo scrofuleux, qui
pourrait se gagner « de bouche à bouche, et notamment d'enfant à enfant, ou
d'enfant à adulte », malgré les faits les plus authentiques que M. Devergie déclare
posséder à cet égard. C'est du reste un point qui ne fait question pour personne
aujourd'hui.
2'^ A part quelques exceptions rares, parmi lesquelles il faut citer la pustule
maligne, la classe des dermatoses contagieuses de cause externe appartient presque
tout entière au parasitisme. Ces dermatoses ont pour caractère essentiel de se
propager par la transmission d'un organisme parasitaire, animal ou végétal.
Les dermatoses produites par des parasites animaux sont, comme nous l'avons
dit, la gale et la phthiriase.
Les parasites végétaux, selon leur siège anatomique, donnent lieu : aux teignes,
qui sont au nombre de trois ; aux crasses, qui sont au nombre de deux. 11 faut
y joindre le muguet, affection des surfaces épithéliales.
La contagion de ces dermatoses peut s'opérer de quatre manières différentes :
i° Par l'air; 2° par le contact immédiat; 5° par le contact médiat; A° par ino-
culation.
De ces quatre modes de contagion, deux seulement appartiennent aux parasites
animaux : c'est le contact médiat et le contact immédiat. Les parasites végétaux
peuvent se transmettre des quatre manières [voy. Gale, Favus, Mentagre).
Chapitre IV. Cadses pathologiques. Les seules causes pathologiques que
nous admettions pour les dermatoses sont les maladies que ces affections traduisent
DERMATOSES. 699
sur la peau. Nous les avons énuméi'ées toutes dans le chapitre des causes effi-
cientes. Mais ce n'est point ainsi que les auteurs l'ont généralement entendu,
et il n'est guère de maladie, ou plutôt de lésion d'organe, de trouble de fonction,
qui n'ait été considéré comme pouvant donner lieu à des éruptions cutanées.
On s'en est pris tour à tour aux ' affections de l'estomac et de l'intestin, à
celles du foie, de la rate et du rein, aux affections de l'appareil respiratoire et
des organes génito-urinaires, aux altérations du sang, de la bile, de la lymphe
et du chyle, etc. Enfin, en ce moment même, nous voyons s'élever une théorie
qui ne tendrait à rien moins qu'à subordonner la pathologie cutaaée tout en-
tière aux affections du système nerveux.
Qu'y a-t-il de vrai au fond de ces idées étiologiques? C'est ce qu'il importe
d'examiner.
C'est un fait depuis longtemps connu et signalé que celui de la coexistence
fréquente de certaines dermatoses avec des affections de l'estomac et de l'intestin.
Rien de plus commun que de voir la couperose, l'urticaire chronique ou cnidosis,
le sycosis, l'hydroa, etc., se rencontrer avec la dyspepsie ou la gastralgie, et je
n'apprendrai rien au lecteur en ajoutant que certaines formes localisées et
circonscrites de l'eczéma, du lichen, de l'herpès, du psoriasis, se trouvent
exactement dans le même cas. Voilà ce que montre l'observation. Mais ce fait,
comment l'expliquer? Quelle est la nature du raj)port qu'il implique? Les auteurs
nous répondent que l'état morbide de la peau n'est en pareil cas que le reflet
sympathique de l'état de souffrance du tube gastro-intestinal. Pour eux, c'est la
dyspepsie qui produit la coupeiose, l'urticaire, le sycosis, l'hydroa, l'eczéma
anal, etc. Quant aux i-aisons sur lesquelles se fonde cette manière de voir, elles
peuvent toutes être résumées dans cette formule dont on a tant abusé : Post
hoc, ergo propter hoc. Sans entrer ici dans une discussion qui reviendz'a plus
loin, à propos des rapports des affections de la peau avec celles des autres
systèmes, nous ferons seulement remarquer : 1" que les dermatoses en question
(couperose, urticaire, sycosis, etc.) peuvent exister sans que rien se produise
du côté de l'estomac, comme il arrive avec la couperose scrofuleuse, qui serait
alors dans l'hypothèse un effet sans cause ; 2" que l'affection de la peau, lorsqu'elle
est accompagnée de troubles gastriques, peut avoir précédé ces troubles, et qu'on
serait alors parfaitement en droit de soutenir, en renversant les rôles, que l'affec-
tion de l'estomac n'est à son tour qu'une conséquence, un reflet de la lésion
cutanée. Or, toutes ces difficultés, toutes ces contradictions disparaissent lorsque,
envisageant la question à notre point de vue doctrinal, on s'élève à la conception
de l'unité morbide, source commune de ces manifestations.
Sous le règne des théories humorales, les affections du foie ont été regardées
comme en possession d'engendrer presque toutes les dermatoses, et sans remonter
bien haut, Pujol, au commencement de ce siècle, ne craignait pas d'avancer
que toute maladie de la peau née sans cause manifeste chez un individu bilieux
dépendait d'une altération de la bile. Le docteur Retz, dans une brochure
datée de 1785, était allé plus loin encore; mais ici il faut citer : « Les rapports,
dit-il, qui existent entre les maladies de la peau et l'état du foie, sont universels ;
il n'y en a peut-être pas une, parmi celles qui proviennent de cause interne, dont
on ne trouve la cause, lorsqu'on la cherchera avec soin, dans la constitution du
foie et dans la nature des humeurs qui affluent à ce viscère » [Des maladies de
la peau, de leurs causes, elc, par M. Retz, 1785. Avant-propos, p. IX). On reste
véritablement confondu en pi'ésence de semblables affirmations quand on songe
700 DERMATOSES.
que les altérations du foie et de la bile n'ont en réalité qu'une influence fort
contestable sur le développement des dermatoses. Un assez grand nombre d'af-
fections de la peau peuvent, il est vrai, se rencontrer et se rencontrent assez
fréquemment avec des affections de l'organe sécréteur de la bile, mais aucune
relation de causalité ne saurait être établie entre les unes et les autres. Que la
couperose, que l'urticaire ou le sycosis, coexistent avec l'engorgement simple ou
la congestion partielle du foie, nous ne voyons là qu'un rapport de nature de
commune origine : ce sont des effets simultanés ou successifs d'une même cause
morbifique, l'artbritis. Il en est de même du pemphigus cacbectique envisagé
dans ses rapports avec la stéatose du foie : nous remontons aussitôt à l'influence
diatbésique qui les domine. Dans d'autres circonstances, il s'agit d'un simple
rapport de coïncidence : tel e^t le cas de ces plaques jaunes des paupières dési-
gne'es récemment sous le nom de vitiligoidea, et àoni on a voulu expliquer la for-
mation par l'action de la bile sur la peau. La seule affection cutanée çfui semble
se rattacher à certains états morbides du foie par un véritable rapport de cause à
effet est le prurigo ictérique ; mais encore faut-il remarquer que ce rapport n'est
que médiat, indirect, car papales et prurit sont dus, dans ce cas, non point à
la modification morbide produite dans l'organe hépatique, mais seulement et
exclusivement au contact des éléments plus ou moins altérés de la bile sur les
nerfs de la peau : aussi le prurigo ictérique n'est-il pour nous qu'une dermatose
de cause externe.
Les considérations que nous venons de présenter à propos des affections de
l'estomac et du foie considérées dans leurs rapports avec les dermatoses s'appli-
quent de point en point aux affections des autres organes et systèmes de l'économie.
Nous aurons du reste l'occasion de revenir, dans une autre partie de ce travail,
sur les relations morbides qui existent entre la peau et les différents systèmes
organiques, et il nous sera facile de démontrer par le détail que les relations
sont totalement dépourvues du caractère de causalité que nous recherchons en
ce moment. C'est alors que nous apprécierons avec tous les développements
nécessaires le rôle qu'il convient d'attribuer aux lésions du système nerveux dans
la production des dermatoses.
Quant aux altérations des liquides, on sait toute l'importance qui leur a été
accordée dans la pathogénie des affections de la peau par les médecins de l'école
galénique, et notre dessein ne saurait être ici de passer en revue, pour les
discuter sérieusement, toutes les rêveries théoriques que cette doctrine a succes-
sivement enfantées. Pour en avoir une idée, il suffira de relire dans nos consi-
dérations historiques le résumé succinct que nous avons donné des opinions de
Lorry sur le sujet, ou mieux encore, dans le Tractatus de morbis cutaneis, les
quelques pages que cet éminent esprit a consacrées à l'exfiosition des causes des
affections de la peau. Certes, personne ne croit plus aujourd'hui aux àcretés de
la bile, du mucus, de la lymphe ou du sang, et il ne reste rien ou presque rien
de tout l'échafaudage étiologique construit sur ces hypothèses ; mais de nouvelles
altérations humorales, mieux définies celle fois et démontrées, la balance en main,
par la chimie moderne, sont venues se substituer aux anciennes, et alors s'est
posée la question de savoir si ces altérations ne seraient pas, dans certains cas,
le point de départ d'affections cutanées. Tel est le rôle que l'on a tenté de faire
jouer au sang altéré par un excès d'acide urique ou par la présence de la glycose
dans le diabète. Mais il est trop évident que ces prétendues causes ne sont
elles-mêmes que des effets au même titre que les éruptions qui parfois les
DERMATOSES. 701
accompagnent, et le plus souvent se produisent indépendamment de toute alté-
ration appréciable du liquide sanguin. On sait en effet que la diathèse urique et le
diabète, bien que n'appartenant pas directement à la symptomatologie de Tarthritis,
se montrent assez fréquemment pendant son cours, et c'est ainsi que s'explique
leur coexistence avec certaines manifestations cutanées de cette maladie constitu-
tionnelle.
En résumé, toute cette étiolngie, dont la trace se retrouve encore dans un
certain nombre d'ouvrages contemporains, ne soutient pas un seul instant l'examen.
Elle repose sur une perpétuelle confusion des rapports qui relient les affections
de la peau à celle des autres systèmes, et sur l'ignorance absolue des véritables
causes morbifiques qui président au développement des unes et des autres. Nous
rejetons donc les causes dites pathologiques : 1° parce qu'il n'existe pas de der-
matose qui puisse leur être légitimement attribuée; 2" parce qu'elles ne sont
elles-mêmes que des effets, des symptômes appartenant le plus oi'dinairement
au même cycle morbide que l'affection cutanée concomitante ; 3° parce qu'enfin
nous ne connaissons pas de dermatose qui ne puisse être revendiquée par l'une
des causes, soit externes, soit internes, que nous avons énumérées plus haut sous
le titre de causes efficientes.
Est-ce à dire pourtant que toute influence pathologique soit par nous supprimée
de Téliologie des dermatoses? Telle n'est pas notre pensée. Mais nous soutenons
que cette sorte d'influence n'est jamais que secondaire, accessoire, et dans tous
les cas insuffisante pour nous donner la raison d'être d'une affection cutanée
quelconque. C'est ainsi que les affections parasitaires, que certaines maladies
spontanées à déterminations morbides vers le système tégumentaire, comme les
fièvres éruptives, peuvent jouer le l'ôle de causes occasionnelles dans la productiori
des dermatoses constitutionnelles, mais la connaissance de ce fait ne dispense
en aucune façon de remonter à la véritable source des phénomènes ainsi provo-
qués du côté de la peau. Dans d'autres cas, comme je l'ai dit plus haut, l'aflec-
tion cutanée semble en effet se trouver sous la dépendance plus ou moins
immédiate de lésions d'un autre système ; telles sont les affections provoquées
par le contact de produits morbides répandus à la surface de la peau ou déposés
dans l'intimité de son tissu : érythèmes du nez et de la lèvre supérieure dans le
coryza, du gland, de la vulve, dans la blennorihagie, le diabète, des paupières
et des joues dans la conjonctivite, érythèmes autour des ulcères, des fistules,
des anus contre nature, eczéma variqueux, prurigo ictérique, etc., etc. Mais ce
sont là autant de dermatoses de cause externe, évidemment produites par une
irritation toute locale, et qui par conséquent n'infirment en aucune façon ce
que nous venons de dire sur le rôle qu'il convient d'attribuer aux causes patho-
logiques.
DEUXIÈME PARTIE. Anatomie pathologique. L'étude de l'anatomie patho-
logique de la peau suppose nécessairement la connaissance préalable de cet organe
à l'état de santé. Aussi voyons-nous la plupart des auteurs, Mercuriali, llafen-
reffer. Lorry, etc., faire précéder leurs travaux en dermatologie par une descrip-
tion de la peau à l'état normal {voij. Peau).
La peau offre cela d'avantageux pour l'étude des lésions que cette étude peut
être faite pendant la vie. Toutefois, les ouvertures de corps ne doivent pas être
négligées : les nécropsies, il est vrai, ne nous permettent pas toujours d'étudier
les lésions congestives qui disparaissent à la mort, mais elles nous font connaître
702 DERMATOSES.
les lésions du tégument interne, de même nature que celles du tégument externe
ou de même genre, ce qu'explique la similitude d'organisation de la peau et des
membranes muqueuses; telles sont les lésions congestives et pustuleuses de la
muqueuse laryngo-bronchique, dans les fièvres éruptives, les vésicules et les
bulles que l'on rencontre sur la muqueuse bucco-pharyngienne, et même, dit-on,
sur la muqueuse intestinale, dans l'herpès et le pemphigus. En outre, les
nécropsies nous font connaître les lésions viscérales qui coexistent avec les affec-
tions de la peau ou qui leur succèdent.
L'histoire des lésions doit être faite dans un ordre conforme aux divisions de
l'anatomie normale. Par conséquent, nous aurons quatre classes de lésions corres-
pondant aux quatre divisions principales de l'anatomie :
i" Les lésions fœtales ou congénitales, qui correspondent à l'anatomie em-
bryonnaire (difformités congénitales);
2° Les lésions des caractères 7^/i?/s/^7<es, extérieurs, des organes, de la couleur,
du volume, de la connexion, des rapports, etc., qui correspondent à l'anatomie
descriptive (variétés de couleur et d'épaisseur, ramollissement, induration, plis
anormaux, etc.) ;
3° Les lésions de texture, qui correspondent à l'anatomie générale et de
structure (congestion, inflammation, néoplasme) ;
4° Enfin, les modifications des lésions, selon leur siège topograpliique (ana-
tomie des régions).
Comme on le voit, ces divisions principales sont, de tout point, applicables à
l'anatomie pathologique de la peau, et comme la peau est un système anatomique
complexe, il est nécessaire d'étudier successivement les lésions de chacune des
parties qui entrent dans sa conslitution : derme, épiderme, pigment, glandes
sébacées et sudoripares, follicules pileux et cheveux ou poils, matrices unguéales
et ongles. Quant aux vaisseaux et nerfs de la peau, aux follicules pileux et aux
parties nutritives des ongles, leurs lésions ne sauraient, dans la plupart des cas,
être séparées de celles des organes auxquels ils appartiennent.
Les divisions secondaires seront établies d'après le mode pathogénique ou le
processus de la lésion. C'est en nous fondant sur ces principes que nous avons
proposé la classification, dont le tableau est à la page suivante, pour l'étude des
altérations anatomiques du tégument externe.
L'étude anatomique des dermatoses se trouve pour nous fort abrégée. Elle doit
être faite plus loin, dans un chapitre spécial, par M. Renaut, qui a, on le sait,
enrichi de ses recherches sur ce sujet le traité de MM. Cornil et Ranvier, et
auquel nous aurions fait sans cela de nombreux emprunts. Nous ne pouvons
toutefois nous empêcher de toucher dans ce qui va suivre à quelques-unes des
opinions qu'il a formulées, tout en nous i-enfermant autant que possible dans le
domaine de la clinique.
Lésions du derme. Nous ne nous arrêterons pas à décrire les lésions congé-
nitales qui se rattachent à l'anatomie fœtale, ni celles qui intéressent plus parti-
culièrement l'anatomie descriptive, comme les difformités acquises, les solutions
de continuité, les distensions et déchirures du derme produites par la grossesse,
l'obésité, l'anasarque, etc. II est d'ailleurs certaines lésions qui ressortissant
aussi bien à l'anatomie de texture qu'à l'anatomie descriptive, et que l'on trou-
vera signalées plus loin (hypei'trophie, atrophie). Ce qui nous intéresse le plus
pour l'histoire générale des dermatoses, c'est la connaissance des altérations de
structure.
DERMATOSES.
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704 DERMATOSES.
Toutes les lésions cutanées qui se rattachent à des affections génériques ont
été ou seront décrites aux articles Eczém\, Psoriasis, Pityriasis, Lichen, etc.;
toutes celles qui se rattachent à des affections spéciales le sont ou l'ont été aux
articles Arthritis, Scrofule, Syphilis, etc. : nous n'avons donc à exposer ici que
des considérations générales sur les lésions dites élémentaires au point de vue
de l'anatomie et de l'histologie.
Cela posé, nous rapportons à sept processus difiérenls les lésions cutanées élé-
mentaires, à savoir :
1*^ La congestion, simple afflux de saag dans les capillaires cutanés. C'est
une hypcrémie active qu'il ne faut pas confondre avec l'hyperémie passive ou
congestion hypostatique;
2" WJiémorrhagie, accumulation de sang dans les capillaires avec extravasation
du même liquide dans le tissu ambiant;
5° L'œdème^ exsudation de la partie séreuse du sang ou de la lymphe hors
des vaisseaux, dans le tissu cellulaire environnant. L'œdème de la peau est rare-
ment primitif; le plus souvent il est consécutif à une autre lésion;
4" L' inflammation, afllux du sang dans les capillaires, exsudation séreuse
mêlée de ylobules sanguins et de fibrine : tels seraient les caractères histolo-
giques de tout travail inflammatoire, ce qui veut dire qu'avec les seules données
histologiques il est impossible de poser les limites qui séparent la congestion
de l'inflammation. L'augmentation proportionnelle de la fibrine du sang ne
saurait être donnée comme un caractère dislinctif de ces deux processus mor-
bides, car tout le monde sait que l'on rencontre cette augmentation de la fibrine
dans les érythèmes arthritiques aigus, tels que l'érythème noueux et l'éi ythèrae
papulo-tuberculeux. Rayer dit avoir observé souvent une couenne épaisse sur
les saignées pratiquées aux malades atteints de psoriasis. Quoi qu'il en soit, je
maintiens la distinction des deux processus congestif et inflammatoire, m'en tenant
aux caractères classiques de l'inflammation, la rougeur, la chaleur, la tuméfac-
tion, la douleur, la fièvre, la formation de produits nouveaux, qui distinguent
sulfisamment ces deux processus.
Tous les modes inflammatoires peuvent s'observer sur la peau : 1° l'inflam-
mation simple; 2° l'inflammation diphthéritique; 3° l'inflammation gangre-
neuse ;
5° Hypertrophie. Cette lésion peut n'être que la conséquence d'une dermite
longtemps prolongée, mais elle peut aussi se produire spontanément. Les phé-
nomènes congeslifs sont de toute évidence dans la chéloïde rouge; ils font abso-
lument défaut dans la chéloïde blanche ou morphée anglaise. Les caractères
anatomiques de l'hypertrophie dermique sont l'épaississeraent du derme, l'aug-
mentation de volume des papilles, la formation nouvelle de fibres conjonctives
et de réseaux élastiques au-dessous de l'éminence papillaire. L'hypertrophie
peut n'atteindre que le corps papillaire ou envahir le derme tout entier; elle
peut s'étendre aux parties sous-jacentes. D'autres fois, il y a atrophie du derme
et hypertrophie du tissu sous-jacent.
L'hypertropliie dermique s'offre à notre observation sous la forme de boutons,
de plaques plus ou moins étendues, de bandes saillantes. Nous rattachons à
l'hypertrophie cutanée : l'hypertrophie congénitale, la dermatolysie, le fibrome
moUuscoïde, le lipome cutané, le papillome, lerliinoscléromedu professeur llébra,
l'hypertrophie du nez et de la lèvre supérieure que l'on observe chez les sujets
scroluleux, l'éléphantiasis arabe qui succède à des lymphites répétées, l'hyper-
DERMATOSES. 705
Irophie papillaire qui se voit dans quelques cas rares d'ichthyose chez les sujets
désignés sous le nom d'hommes porc-épic.
Dans la papule ancienne aussi bien que dans la papule syphilitique on trouve
les éléments de l'hypertrophie dermique, mais dans la plaque seulement on
constate une hypertrophie des glandes sudoripares ; ce que l'observation seule
nous avait depuis longtemps appris. Aussi avons-nous établi une distinction
clinique importante entre la papule syphilitique et la plaque muqueuse;
6° h'atrophie. De même que l'hypertrophie, l'atrophie peut être la suite de
la dermite ou survenir spontanément. Selon M. Renaut, la sclérodermie serait
une atrophie du derme, avec induration hypertrophique du tissu sons-cutané.
Le caractère le plus important de la pellagre consiste dans une atrophie des
papilles de la langue, qui devient lisse et unie comme le marbre ;
7° Le néoplasme. Sous cette moderne désignation nous comprenons toutes
les lésions qui s'offrent sous forme de tubercules ou de tumeurs à la surface de
la peau, et sont constituées par des processus autres que ceux ci -dessus indiqués.
Parmi ces diflérentes modalités pathogéniques il en est deux qui méritent surtout
de fixer notre attention, à cause de leur fréquence et des nombreuses variétés
qu'elles offrent à notre observation : ce sont le mode congcstif et le mode néo-
plasmatique.
Au mode congestif et inflammatoire nous rattachons : i" les exanthèmes de
Willan (macules sanguines congestives); 2" les squames; D'îles vésicules; 4° les
bulles et pustulo-hulles ; 5° les pustules; 6° les papules: 1° les tubercules. Ces
divers modes de l'inflammation cutanée sont tellement différents qu'ils consti-
tuent comme autant d'espèces différentes du processus inflammatoire.
1° Exanthèmes Willaniques (macules sanguines congestives). L'exanthème
Willanique est une tache congestive de la peau due à l'injection des capillaires
sanguins. Le processus exanthématique ne doit être confondu ni avec l'hyperémie
passive, ni avec le process-us inflammatoire. Il y a non-seulement engorgement
sanguin des vaisseaux, mais encore exsudation séreuse, mêlée de globules sanguins
et parfois de fibrine. Quelquefois même la congestion exanthématique est accom-
pagnée d'une véritable hémorrhagie ou de petites bosses sanguines, comme on
l'observe dans l'urticaire hémorrhagiqiic. Une autre lésion se remarque encore
parfois dans l'exanthème : je veux parler de l'exfoliation épidermique, qui est
constante, régulière, accentuée dans la rougeole et la scarlatine, mais irrégulière,
incomplète, accidentelle dans les affections génériques, urticaire, érythème,
roséole.
Dans les lésions des affections génériques maculeuses, aussi bien que dans les
lésions spéciales de la rougeole et de la scarlatine, il n'y a que simple congestion,
mais dans l'érysipèle, qui a été aussi placé parmi les affections exanthématiques,
il y a inflammation, véritable dermite. Aussi l'érysipèle peut-il être suivi de tous
les modes de la terminaison inflammatoire : résolution, suppuration, gangrène,
induration hypertrophique.
2" Squames. Dans l'exanthème, la desquamation est accidentelle ou n'existe
que vers le décours et la terminaison de l'affection cutanée; dans l'inflamma-
tion squameuse, la squame apparaît dès le début et persiste pendant toutes les
périodes de l'affection. C'est un caractère constant désaffections génériques squa-
meuses; ce n'est qu'un caractère accidentel des affections génériques exanthé-
mateuses.
Des taches rouges, sans élévation, surmontées d'épiderme en desquamation,
DICT. ENC. XXVII. 45
706 DERMATOSES.
caractérisent le pityriasis; ces taches sont dues à la congestion des capillaires
cutanés. La rougeur est plus ou moins prononcée, de là les variétés de pityriasis
simplex, rosen, rubra, admises par les auteurs. Des taches rouges arrondies,
surélevées, surmontées d'une squame adhérente plus ou moins épaisse, caracté-
risent le psoriasis.
Dans richthyose la desquamation se fait également, mais les processus
congestifs font défaut.
Dans richthyose pilaris, improprement appelée pityriasis pilaris, des couches
d'épiderme corné sont incessamment produites par la gaîne interne du poil, et
s'accumulent autour de sa tige, ou s'emboîtent les unes dans les autres comme
des cornets de papier qu'on aurait superposés (Renaut).
Les détails anatomiques donnés par cet auteur sont de la plus parfaite exacti-
tude ; mais il y a plus de vingt ans que, dans les Leçons de VBùpital Saint-Louis^
nous donnions le nom d'ichthyose pilaris à ce que d'autres décrivaient sous le
nom de pityriasis pilaris. Nous en faisions connaître à nos élèves les principaux
caractères cliniques et la rangions parmi les difformités cutanées.
0° Vésicules. Dans les inflammations vésiculeuses, l'épiderme soulevé forme
ime petite poche contenant un liquide séreux transparent. Selon M. Renaut, le
mécanisme de la production des vésicules serait différent de celui de la forma-
tion des bulles et des phlyctènes {voy. plus loin).
Dans les sudamina, petites élevures transparentes produites par la sueur,
tout le monde sait que le fluide contenu est acide, bien que Neumann prétende
qu'il est alcalin. M. Renaut explique ainsi cette divergence d'opinion par i'àge
des sudamina : « Au bout de vingt-quatre ou quarante-huit heures, les sudamina
qui ne se sont pas vidés par rupture spontanée sont devenus opalescents ou
jaunes. Leur contenu est alcalin, comme tout liquide purulent ».
4" Bulles. Phlyctènes. Les bulles et les phlyctènes, qui ne sont que des
bulles irrégulières sous le rapport de la forme et du volume, ne semblent au
premier abord différer des vésicules que par un volume plus considérable.
Cependant, au point de vue pathologique aussi bien qu'au point de vue histolo-
gique, les bulles et phlyctènes sont bien différentes des vésicules. M. Renaut
traite plus loin ce sujet au point de vue histologique. Rappelons seulement la
manière dont Tilbury Fox résume les données histologiques relatives au siège
primitif des affections vésiculeuses et huileuses :
Vésicules solitaires : siège primitif entre les couches de la lame cornée de
l'épiderme, sudamina ; vésicules solitaires : siège du fluide entre la lame cornée
et le corps muqueux, pemphigus ; vésicules ou bulles composées, cavités for-
mées par les cellules distendues du corps muqueux, variole, herpès, éi'ysipèle,
vésicatoire, eczéma.
Malgré les divergences des histologistes français et étrangers sur le siège pri-
mitif des vésicules et des bulles, nous n'en rattachons pas moins ces lésions
élémentaires à l'anatomie pathologique du derme, parce qu'elles sont toujours
consécutives à l'irritation et à l'injection des vaisseaux dermiques.
5° Piixtules. La pustule est un bouton purulent qu'il ne faut pas confondre
avec la vésicule ou la bulle contenant du pus. Dans ces trois lésions élémentaires,
l'enveloppe du bouton est formée par l'épiderme, le contenu par un liquide
purulent; mais les caractères tirés de la forme extérieure, du volume, de la
dureté de la base, de l'évolution de la pustule, sont loin d'être les mêmes, et
aident au diagnostic différentiel. Quant aux caractères histologiques qui séparent
DERMATOSES. 707
les trois éléments, je dois dire que sur ce point de leur description anatomiqiie
il y a encore une lacune à remplir. Selon nous, M. Renaut a eu tort de prendre
pour type de la pustule, dans les recherches microscopiques, la pustule vario-
lique, qui n'est que le type de la variole, affection spéciale différant sous beau-
coup de rapports, aussi bien au point de vue anatomo-pathologique qu'au point
de vue séméiotique, des pustules génériques de l'impétigo, de l'acné, du sycosis,
de l'ecthyma, de l'hidrosadénite et du furoncle.
La pustule de l'impétigo doit être distinguée de la vésicule séro-purulente de
l'eczéma, du scabies, de la varicelle et de la vaccine. Il en est de même de la
miliaire blanche ou miliaire pustuleuse, qui ne doit pas être confondue avec la
miliaire rouge, miliaire vésiculeuse, dans laquelle les vésicules peuvent être
remplies d'une humeur laiteuse ou séro-purulente.
J'admettrais volontiers que l'impétigo, la miliaire pustuleuse et l'acné, ont le
même siège anatomique ; quelques raisons militent en faveur de cette opinion :
le pus de l'impétigo semble souvent participer des caractères de l'humeur sébacée ;
l'inflammation impétigineuse s'observe surtout sur les régions où abondent les
glandes sébacées, mais l'impétigo ne laisse jamais de cicatrices après lui, tandis
que la miliaire blanche et l'acné laissent presque toujours des cicatrices, quelque
petites qu'elles soient, après leur guérison.
Tilbury Fox, confondant ensemble les deux genres, eczéma et impétigo, place
le siège de l'impétigo, qu'il appelle l'eczéma pustuleux, dans la couche papillaire.
Pour ce dermatologiste, les pustules ne diffèrent entre elles que par le siège de
la formation du pus. On peut, dit-il, les diviser en larges et petites, en superfi-
cielles et profondes. Dans la variole, le siège primitif du pus est dans le corps
muqueux, tandis que dans l'eczéma pustuleux et l'ecthyma, il est dans la couche
papillaire. Pour ce qui est de l'extension de la pustulatiou, elle se fait superfi-
ciellement dans l'eczéma, et profondément dans la variole intense, dans l'ecthyma
et le furoncle.
L'histologie n'a fait que confirmer, comme chacun devait s'y attendre, l'opi-
nion générale sur le siège anatomique de la miliaire pustuleuse, de l'acné et de
la mentagre, qui est la glande sébacée pour les deux premières et le canal pilitère
pour la troisième.
Il est une forme intéressante d'acné pilaris sur laquelle nous avons particu-
lièrement insisté dans nos leçons, et que nous avons décrite sous le nom d'acné
pUaris ombiliquée. Le bouton commence par les glandes annexes du poil, qui.
par suite de l'oblitération de leurs canaux excréteurs, se tuméfient et s'élèvent
sous forme de couronne autour de la base du poil. Plus tard, l'inflammation se
propage au conduit folliculaire; il se produit une pustule que traverse le poil,
puis une croûte qui se détache emportant le poil avec elle et laissant à sa suite
une cicatrice déprimée assez analogue à celle de la variole.
Après les pustules étroites ou psydraciées viennent les pustules phlyzaciées de
l'ecthyma et du rupia ; puis les pustules profondes du sycosis tuberculeux, de
l'hidrosadénite et du furoncle, que nous devons également étudier au point de
vue histologique pour arriver à la connaissance du siège élémentaire.
Ecthyma. Nous laissons à M. Pienaut le soin de dire ce qu'on sait du siège
anatomique de l'ecthyma. De son côté M. ^»và^ {Dictionn. deméd. et de chir.
prat., article Ecthyma.) placerait volontiers le siège anatomique de l'ecthyma
dans les follicules pileux parce qu'il a vu, d'une autre part, dans un cas, un
poil se dressera travers la pustule d'ecthyma. Nous en avions hypolhétiquement
708 DERMATOSES.
place le siège dans les glandes annexes des poils, manière de voir qui conciliait
les deux hypothèses, celle du siège dans les glandes sébacées à poils rudiinen-
taires, et celle du siège dans les follicules pileux; mais la science aujourd'hui
ne se contente plus d'hypothèses ; elle veut des faits précis.
Rupin. Dans le rupia, qui est une affection pustulo-bulleuse, on trouve réiniis
les caractères anatomiques de la pustule phlyzaciée de l'ecthyma et de la bulle du
pemphigus. L'inflammation pustuleuse ecthymatique s'étend du centre à la cir-'
conférence, et donne lieu à des bulles de plus en plus larges, qui se soulèvent
en formant des croûtes, de telle sorte que la croûte ecthymatique la première
formée est aussi la plus superficielle. A la chute des croûtes, il existe une ulcé-
ration plus profonde au centre qu'à la circonférence. Cette excavation centrale
répond à la pseudo-membrane ou à Teschare de l'ecthyma.
Furoncle. Le tissu cellulo-adipeux qui x-emplil les aréoles de la face profonde
du derme me paraît être le siège primitif des inflammations furonculaires et
anthracoïdes. C'était l'opinion de Dupuytren, qui professait aussi que l'inflam-
mation furonculaire était de nature gangreneuse. Les chirurgiens contemporains
n'ont pas tous adopté l'opinion du célèbre chirurgien de l'Hôtel-Dieu, tant sous
le rapport du siège que sous celui de la nature du furoncle. Quelques-uns pen-
sent que le furoncle a pour siège l'appareil glandulaire de la peau, soit les
glandes sébacées (Richet), soit les glandes sébacées et sudoripares (Dénucé) :
Nélaton, Gûsseliu et d'autres ne voient dans le bourbillon qu'un produit pseudo-
membraneux, tandis que d'autres, fidèles à la tradition ancienne, continuent à y
voir un produit gangreneux.
Ceux qui admettent l'ideutité du siège du furoncle et des inflammations glan-
dulaires de la peau s'appuient sur la ressemblance de cette tumeur inflanmiatoire
avec les inflammations acnéiques et raentagreuses, et sur la conversion de l'acné
en furoncle ; mais cette ressemblance n'est pas aussi évidente qu'on a bien voulu
le dire. Quant aux transformations de l'acné eu furoncle, je n'ai jamais été
assez heureux pour en constater un seul cas. Je puis en dire autant de la pré-
tendue conversion du zona en furoncle dont on a tout récemment rapporté une
observation dans le service de M. Proust à l'hôpital Lariboisière {voy. Frakce
MÉDICALE, 24 avril, 78). Ces affections se succèdent, se compliquent, si l'on veut,
mais ne se transforment pas l'une dans l'autre. L'acné, le furoncle, le zona, sont
souvent des affections d'origine arthritique, bien qu'essentiellement différentes
par la forme ou par le genre. On a aussi rapproché le furoncle de l'orgeolet et
des abcès tubéreux de l'aisselle, mais, dans ces dernières affections, le siège
dan? les glandes de la peau est de toute évidence. Il en est tout autrement du
furoncle. Rayer, il est vrai, a placé l'orgeolet et le furoncle dans les inflamma-
tions furonculaires, mais il en fait deux genres différents.
Hidrosadénite. L'hidrosadénite ou inflammation de la glande sudoripare peut
être vésico-pustuîeuse ou tuberculo-pustuleuse, de même que l'inflammation du
follicule pileux qui, quand elle siège dans la profondeur du follicule, porte plus
spécialement le nom de sycosis, et celui de meutagre quand l'extrémité seule du
conduit est affectée. Nous avons plusieurs fois observé Ihidrosadènite vésico-
pustuleuse à la face palmaire des mains. La rupture de la vésicule donne lieu à
l'issue d'un liquide séreux ou séro-purulent ; après cette rupture, il reste un
conduit fistuleux qui n'est autre que le canal excréteur de la glande considéra-
blement dilaté.
6" Papules. Les éruptions papuleuses sont caractérisées par de petites émi-
DERMATOSES. 709
ueiices arrondies, rosées ou rouges, ou de même couleur que la peau environ-
nante. Elles sont constituées, à l'état aigu, par une simple congestion, à l'état
chronique par une hypertrophie du corps papillaire. Suivant Tilhury Fox, non-
seulement Ja papille pileuse est hypertrophiée, mais il y a encore production de
nouvelles papilles.
7" Tubercules. En pathologie cutanée on a donné le nom de tuhercules à des
boutons solides qui, pour le volume, tiennent le milieu entre les papules et les
tumeurs. Ces tubercules sont constitués par des produits inflammatoires et des
produits hyperplasiques, sans néoformation de tissus étrangers à l'organe sur
lequel ils se développent. Le tubercule essentiellement inflammatoire n'est ordi-
nairement que la première période de la pustule profonde, comme dans l'hidros-
adénite et le sycosis, placé à tort dans l'ordre des tubercules par Bateman. Le
moUusciim contagiosum n'est qu'une hypertrophie de la glande sébacée, ainsi
que je l'ai démontré {voy. Acné). A côté du molluscum contagiosum, on peut
placer le molluscum pendulum et les kystes sébacés.
Le lupus est un tubercule constitué par une hyperplasie cellulaire et une
hypertrophie dermique en voie d'évolution et de dégénérescence. Le lupus érythé-
mateux, dii au même processus, ne saurait être appelé tubercule, puisqu'il se
présente sous forme de taches. Cela prouse que les aftections maculeuses et les
affections tuberculeuses peuvent êtrehistologiquement identiques. La forme et la
nature sont deux choses absolument différentes. 11 en est de même pour l;i
stéatose cutanée, qui n'est qu'une simple difformité. Le xanthélasma se présente
sous forme de taches jaunes aux paupières et sous forme de boutons ou tuber-
cules sur le tronc et les membres (molluscum fibro-lipomateux).
Néoplasmes. Ce mot, de création moderne, apparaît à la naissance de l'his-
tologie. Burdach l'emploie pour désigner la masse organique qui constitue le
tissu fondamental de toutes les formations nouvelles (Robin). Avec les progrès
de l'histologie, cette expression reçoit des auteurs des acceptions très-différentes.
C'est ainsi que les uns l'appliquent à toutes les tumeurs indifféremment, tandis
que les autres séparent les néoplasmes des tumeurs formées par des poches con-
tenant des liquides ou des gaz.
Cornil et Ranvier partagent les lésions organiques en deux catégories : les
lésions inflammatoires et les tumeurs. Par ce mot tumeur, ils entendent toute
masse constituée par un tissu de nouvelle formation (néoplasme), ayant de la
tendance à persister et à s'accroître. Woh il résulte que, ponr ces histolo-
gistes, les processus hypertrophique et atropliique se rattachent toujours au
processus inflammatoire, tandis que nous admettons, nous, qu'ils peuvent être
spontanés, se montrer sans avoir été précédés d'un travail congestif ou inflam-
matoire.
Quand les néoplasmes, ajoutent-ils, se forment dans les inflammations, ils
s'organisent ou reproduisent le tissu même où ils sont nés, ou bien ils disparais-
sent peu à peu, par suppuration, état caséeux, etc. Pour Cornil et Ranvier, les
tubercules de la scrofule, de la syphilis, de la lèpre, ne sont pas des tumeurs,
mais sont de simples dermites formatives ou dégénératives, tandis que les
gommes, les tubercules et les granulations morveuses, seraient des tumeurs
(tîbromes avec atrophiedeséléments cellulaires). Dire pourquoi le tubercule lépreux
serait un produit de la dermite, tandis que la gomme serait une tumeur néoplas-
matique, et s'appuyer pour le prouver sur l'existence de macules rosges au
début de la lèpre de Gayenne, me paraît une difficulté que ne peut trancher un
710 DERMATOSES.
fait particulier et tout à fait accidentel. Tout le monde sait que les macules
lépreuses sont le plus souvent achroniiques et absolument dépourvues de con-
gestions sanguines de la peau.
Le caractère distinctif des lésions inflammatoires et des tumeurs donné par
Cornil et Ranvier n'existe pas toujours, et quand il existe, il n'est pas toujours
facile à saisir. Les papillomes et les lipomes ne tendent pas toujours à s'accroître
et disparaissent parfois spontanément ; il en est de même du moUuscum fibroïde.
Le tylosis, qui est un papillome, c'est-à-dire une tumeur pour Cornil et Ranvier,
guérit seul par l'emploi de chaussures bien adaptées à la forme du pied ; en quoi
diffère-t-il du papillome diffus? Ce dernier, dira-t-on, vient à la suite d'une
dermite, et est un produit de l'inflammation : mais le cor qui vient à la suite
d'une pression extérieure n'esl-il pas aussi le produit d'une dermite locale de
cause externe?
Disons en passant que ce papillome diffus n'est autre chose que ce que nous
avons appelé, il y a certainement plus de vingt ans, la dégénérescence papillaire
de l'eczéma chronique, et le plus souvent variqueux, des membres inférieurs.
C'est l'eczéma hypertrophique du docteur Arnaud qui, dans sa Thèse inaugurale
soutenue récemment devant la Faculté de médecine de Montpellier, semble
croire que nous avons confondu cette affection avec les éruptions qui précèdent
l'apparition des tumeurs de la lymphadénie cutanée. Le premier, au contraire,
nous avons nettement séparé l'eczéma papilliforme du mycosis fongoïde ou lym-
phadénique. Pour s'en convaincre, M. Arnaud n'a qu'à consulter son maître
M. Tillot, l'ancien inspecteur de Saint-Christau, sous la direction duquel il a
étudié les faits qui se sont présentés à son observation pendant le séjour qu'il a
fait à cette station thermale, et à lire le Mémoire deM. Guérard sur le mycosis fon-
goïde, paru longtemps avant les recherches de MM. Ranvier et Gillot : il y trou-
vera la symptomatologie du mycosis telle qu'il l'a décrite d'après la thèse de
M. Gillot. Enfin, pour l'édifier complètement, nous lui recommandons de lire
aussi notre article Mycosis du Dictionnaire encyclopédique, où il pourra s'expli-
quer la confusion introduite après coup par Hardy dans la description de l'eczéma
papilliforme et du mycosis fongoïde par la création du mot lichen hypertro-
phique.
Après cette digression, revenons à l'étude des néoplasmes : nous appelons
néoplasmes cutanés des tubercules ou des tumeurs constitués par des tissus
morbides analogues aux tissus normaux, mais rarement simples, le plus souvent
composés d'éléments anatomiques appartenant à divers tissus. Cornil et Ranvier
admettent implicitement cette composition multiple des néoplasmes, lorsqu'ils
disent que dans presque toutes les tumeurs il y a un stroma fibreux.
Ces tubrcules et ces tumeurs doivent être étudiés dans l'ordre qu'indique
leur composition anatomique, selon qu'ils se rapprochent plus ou moins par leur
structure de l'hypertrophie d'un des éléments constitutifs de la peau ou des
muqueuses avoisinantes.
En admettant ce principe de classement, nous aurions à étudier successive-
ment : 1" le librome ; 2° le papillome ; 5" l'adénome ; ¥ l'épithéliome ; 5° l'an-
giome, puis les sarcomes, les carcinomes, les lymphadénomes et les myxomes.
Les fibromes purs, les papillomes et les lipomes rentrent dans les processus hyper-
trophiques. Nous n'établissons, en effet, aucune différence entre l'hypertrophie
et l'hyperplasie. Le myxome est un néoplasme, parce que le tissu muqueux qui
en constitue la base n'existe pas, comme élément histologique de la peau, à l'état
DERMATOSES. 711
normal. La description de ces néoplasmes sera faite aux mots qui les désignent
{voy. Fibromes, Sarcomes, Adénomes, etc.).
Lésions de l'épiderme. Les lésions de répidernie qui se rattachent à l'ana-
tomie embryonnaire, telles que l'ichthyose et l'hypertrophie congéniale, celles
qui ressortissent à l'anatomie descriptive, comme les solutions de continuité de
l'épiderme, les gerçures, le tortillement et Tépaississement de l'épiderme, la
<:liair de poule, l'ichthyose pilaris, les altérations de l'épiderme par de§ corps
étrangers, des parasites animaux et végétaux, les altérations hypertrophiques
de l'épiderme dans la lèpre, l'éléphantiasis arabe, toutes ces lésions, dis-je,
étaient parfaitement connues il y a vingt-cinq ans ; mais c'est l'histologie qui
nous a révélé les diverses métamorphoses que subissent les cellules de l'épi-
derme dans les affections de la peau, c'est-à-dire qui nous a fait connaître les
infiltrations de graisse, d'hématoïdine, de mélanose, etc., dans les cellules du
corps muqueux de Malpighi.
Lésions du pigment. Le pigment est un produit spécial, physiologique ou
morbide, de couleur brune ou noire, qui doit sa coloration à une substance
granuleuse particulière appelée mélanine.
Parmi les nsevi congénitaux, il en est qui sont formés par un excès de pigment,
d'autres plus rares par l'absence de pigment : de là deux sortes de naîvi : les
naevi hyperchromiques et les nsevi achromiques. Les taches qui résultent d'un
excès, d'un défaut ou d'une répartition inégale de pigment cutané, peuvent
aussi se produire dans un âge plus ou moins avancé. Ces taches varient depuis la
couleur jaune brunâtre jusqu'au noir le plus foncé. On trouve la matière pigmen-
taire dans l'intérieur des cellules du corps muqueux, le plus souvent en dehors
des noyaux, dans le protoplasma des cellules, quelquefois dans l'intérieur des
noyaux.
Les granulations pigmentaires provenant, soit d'une élaboration des cellules,
soit d'une infiltration, sont-ils deux substances identiques? Cela ne fait aucun
doute pour Cornil et Ranvier. Si le pigment noir, disent-ils, existe dans les
cellules préexistantes des tissus, on a affaire à de la mélanose simple; s'il existe
dans les éléments cellulaires de formation nouvelle, on a affaire à des tumeurs
mélaniques sarcomateuses ou carcinomateuses.
Lésions des glandes sébacées. Les lésions des glandes sébacées ont été
mieux étudiées que celles des glandes sudoripares. Chez l'enfant naissant, on
peut observer certaines lésions foetales qui dépendent d'une altération des
glandes sébacées, mais les lésions des glandes sébacées nous intéressent surtout
sous le rapport de l'anatomie de structure et de l'anatomie topographique. En
effet, c'est particulièrement à la face et sur les régions velues qu'elles sont plus
fréquentes et acquièrent leur plus haut développement. Sur ces petits organes,
nous retrouvons tous les modes de processus morbides que nous avons admis,
soit isolés, soit réunis :
CoNGESTiF Acné rosée.
\ aiguë Acné pustuleuse.
iNFLAMMAioiiiE. •( chronique Vcné indurée.
, , . , . , ( Acné varioliforme.
r avec rétention des produits secrètes . j j^^^. éléphantiasique.
HvPERiBOrHiQ.. .,,ec rejet des produits excrétés. . . . | î^né sétacée 3^"
( avec Iiypertrophie dermique Acné chéloïdienne.
AiRorniQUE Acné aCropliique (lupus acnéiquo).
712 DERMATOSES.
„, ( Carcinome acnéique.
( Epitheliome acnejque.
LÉsioJVs DES glajndes sudoripakes. Malgré les travaux de Verneuil et des
histologistes français et étrangers, on peut dire, en toute certitude, que Tana-
tomie morbide des glandes sudoripares est encore à faire.
L'iiidrosadénite ou inflammation de la glande sudoripare se présente sous
deux modes différents : les modes vésiculo-pustuleux et tubercule-pustuleux.
Les abcès tubéreux de l'aisselle, les abcès circonscrits de la peau, les gommes
cutanées, se rattachent à l'hidrosadénite pustuleuse. Quant à l'hidrosadénite
vé5icuieuse, nous ne l'avons observée qu'à la paume des maius et à la plante
des pieds où très-probablement elle aura été confondue par les auteurs avec
l'eczéma ou le pemphigus à petites bulles. Cornil et Ranvier rapportent à l'épi-
théliome ce que Verneuil a décrit sous le nom d'adénome sudoripare, ce qui
s'explique facilement par la défmilion que ces histologistes donnent de l'adé-
nome. L'adénome est, pour eux, une tumeur constituée par des culs-de-sac
glandulaires tout à fait analogues au tissu de la glande affectée. Suivant les
mêmes auteurs, l'adénome vrai serait une affection des plus rares.
Lésio.ns des poils et de leors phanères. Nous avons distingué les lésions
des poils des lésions des follicules pileux (voy. art. Cheveux [Pathologie]).
Lésions des ongles. Ici, comme pour les poils, il importe de distinguer les
altérations de la lame cornée de celles qui sont particulièi'es à la matrice de
l'ongle et aux papilles sous-unguéales. Les lésions de l'ongle sont, comme les
lésions des autres organes, du ressort de l'anatomie morbide embryonnaire,
descriptive et de structure. Le lecteur trouvera à l'article Ongles tout ce qui
est relatif aux altérations communes de cet organe. Je ne veux m'occuper pour
le moment que de certaines lésions qui intéressent plus particulièrement le
dermatologiste.
Toutes les maladies constitutionnelles et les cachexies se traduisent sur les
ongles par des lésions spéciales, nous devons donc aussi retrouver ces lésions
spéciales dans l'arthritis et la dartre. Il importe d'autant plus de les bien con-
naître qu'elles sont habituellement confondues avec celles de la syphilis et de la
scrofule, ou du diabète, complication si ordinaire de l'arthritis.
Dans mes leçons cliniques de l'hôpital Saint-Louis, dès l'année 1864, je me
suis attaché à bien établir le diagnostic différentiel de l'eczéma et du psoriasis
unguium. Le premier est pour moi une manifestation de l'arthritis, le second
une traduction de l'herpétis : d'où le vif intérêt que j'ai pris à étudier ces deux
affections spéciales et à en lliire connaître les caractères différentiels. Mes idées
sur ce point ont été reproduites dans la thèse du docteur Ancel, qui suivait mes
cliniques, et à qui j'ai moi-même conseillé de prendre celte question pour sujet
de sa dissertation inaugurale. Dans l'eczéma unguium, il y a rougeur et gonfle-
ment de la peau qui circonscrit l'ongle, et particulièrement de celle qui répond
à la racine de l'ongle, La lame unguéale change de couleur; elle perd sa trans-
parence, devient grisâtre, jaunâtre, ou même tout à fait noire ; mais le caractère
principal qui le distingue du psoriasis unguium est son amincissement de
dedans en dehors, son soulèvement par suite de l'accumulation des produits
sécrétés à la surface du derme sous-unguéal et dans les cellules de la couche
muqueuse de l'ongle. La lame cornée fait, avec la face dorsale du doigt, un
angle qui de jour en jour devient plus prononcé jusqu'à production de son déta-
chement ou de sa destruction complète.
DERMATOSES. 715
Dans le psoriasis, les lésions ont un tout autre aspect. L'ongle se poinçonne,
offre des scissures transversales et se fendille longitudinalement, se dissocie,
puis se recouvre de squames plus ou moins épaisses. J'ai adressé au docteur
Vérité, à la Bourboule, un sujet atteint d'un psoriasis inveterata qui avait le
bout du doigt renfermé dans une gaine épidermique, comme s'il se fût agi d'un
doigt de gant. Vérité a montré ce gant épidermique au professeur Hébra en lui
faisant remarquer que ce fait intéressant venait corroborer l'opinion de Hérard
qui admet la réflexion de l'épiderme sur l'ongle, contrairement à l'opinion de
Sappey, qui fait cesser l'épiderme cutané au niveau de la racine de l'ongle. Ce
qui est certain, c'est que nous avons vu plusieurs fois des écailles partielles se
développer sur la lame unguéale des sujets atteints de psoriasis invétéré. 11 est
bon de remarquer que, si l'eczéma unguium existe souvent seul, il est rare
d'observer un psoriasis unguium sans manifestations psoriasiques sur d'autres
parties du corps.
Lésions des vaisseaux et des nerfs. A l'anatomie embryonnaire se ratta-
cbent les nsevi formés par la dilatation des capillaires cutanés et des tumeurs
érectiles ; à l'anatomie descriptive les vergetures, les phlébectasics capillaires
ou varices de la peau qui sont si multipliées chez certains sujets ; à l'ana-
tomie de structure, les angiomes, Rn général, les lésions des capillaires cutanés
se rattachent à des inflammations circonscrites de la peau, comme l'acné rosée,
ou à des tumeurs néoplasmatiques.
Les lésions des nerfs ont été peu étudiées. Verneuil a trouvé les papilles tac-
tiles hypertrophiées chez un sujet qui avait souffert longtemps d'un prurigo.
Quant aux lésions des nerfs trophiques, dont on a fait un si grand abus de nos
jours, pour remplacer l'inconnu par quelque chose de tangible, nous dirons que
leur existence et même celle des nerfs qui en seraient le siège est encore à
l'état d'hypothèse.
TROISIÈME PARTIE. Symptomatologie. Le symptôme est une modification
morbide de l'action organique, de la fonction, ou un changement perceptible aux
sens dans les qualités physiques de l'organe ou des matières excrétées.
L'école allemande a reconnu deux ordres de symptômes : des symptômes
objectifs, c'est-à-dire qui tombent directement sous nos sens, et des symptômes
subjectifs, qui ne peuvent être perçus que par une opération de l'intelligence.
Cette distinction nous paraît fausse et sans valeur, car elle repose tout entière
sur une considération prise en dehors du sujet lui-même. Combien plus naturelle
et plus vraie est la division suivante, que l'on doit à Galien :
!•> Actiones lœsœ. Troubles de la fonction; 2" Excretorum vitia. Modifications
et perversion des produits de sécrétion et d'excrétion ; 3° Qualitatum externarum
corrupiiones. Modifications des qualités extérieures de l'organe.
Cette division des symptômes est certainement la plus philosophique de toutes
celles qui ont été proposées par les auteurs de pathologie générale. Elle va nous
guider dans l'étude de la pathologie cutanée.
Chapitre premier. Actiones l.ï:s.e [Troubles de la fonction). Les fonc-
tions de la peau sont multiples. Organe du tact et du toucher, la peau est aussi
une enveloppe prolectrice du corps. Elle est le siège d'une exhalation et d'une
absorption continuelles ; c'est par la peau qu'est rejetée au dehors une partie
des matériaux qui ont servi à la nutrition; elle a sa part dans l'acte respiratoire,
et peut être considérée dans l'état physiologique comme un auxihaire de l'arbre
714 DERMATOSES.
bronchique, puisqu'elle contribue comme le poumon à la combustion de l'hydro-
gène et du carbone du sang par l'exhalation qui se fait à sa surface d'eau et
d'acide carbonique. Il résulte de là que la sensibilité cutanée générale et spéciale,
que la transpiration et l'exhalation insensible, que la protection du corps, doivent
être plus ou moins troublées dans les divers états morbides de la peau.
Nous exprimons tout d'abord le regi^et que ces troubles n'aient pas attiré
autant qu'ils le méritent l'attention des dermatologistes. Peu de recherches ont
été entreprises sur cet intéressant sujet. Nous en dirons autant de l'étude chi-
mique des produits de sécrétion et d'excrétion cutanées. II y a évidemment là
une lacune à combler dans les études dermatologiques. Sur les muqueuses qui
avoisinent la peau, on constate aussi dans les dermatoses des troubles de la
sensibilité générale et spéciale. Le goût est altéré dans le psoriasis lingual. Si
cette affection s'étend sur les joues, la sensiljilité tactile est moindre, bien que
la sensibilité à la douleur soit parfois beaucoup plus grande. La vue, l'odorat et
l'ouïe subissent également des modifications plus ou moins remarquables dans
les dermatoses de la conjonctive, des muqueuses pituitaire et auriculaire. Il
n'est pas rare de constater chez des sujets atteints de dermatoses, soit une
diminution, soit une abclition plus ou moins complète de chacun de ces sens.
Au point de vue du diagnostic, il importe de bien apprécier le degré d'affaiblis-
sement qu'a subi la sensibilité spéciale.
Les séméiologistes admettent, depuis Galien, trois modes d'altérations fonc-
tionnelles dans les maladies : 1" augmentation de la fonction ; 1° sa diminution;
5° sa perversion.
On peut objecter que ces expressions sont impropres et fausses, car l'hyper-
esthésie et l'aneslliésie sont des phénomènes morbides, et non des phénomènes
normaux augmentés ou diminués. Quoi qu'il en soit, nous devons étudier ces
trois modes de la sensibilité morbide sur le tégument externe.
A. Troubles de la sensibilité. L'augmentation ou l'exaltation de la sensibilité
cutanée s'appelle hyper esthésie cutanée ; sa diminution l'anesi/jes/e; sa perversion
comprend tous les modes de souffrance de la peau connus sous les noms de pru-
rit ou démangeaison, élancements, douleurs pongitives, piqûres, coups d'épingles,
de canif, cuisson, sentiment de brûlure, douleurs térébrantes, de pression, de
déchirure, etc., etc. Cette souffj'auce est vague, diffuse, mobile, quitte un point
pour se porter sur un autre, n'a pas de limites bien arrêtées; ou bien elle est
exactement circonscrite, fixe, persistante, ne change pas de caractère, etc. La
souffrance de la peau peut exister seule, sans altération appréciable des parties
qui en sont le siège, comme dans le prurit et la dermalgie; d'autres fois, et le
plus souvent, il existe une lésion de la peau; mais rarement la souflrance est en
rapport avec l'étendue et l'intensité de la lésion. Nous verrons plus loin quels
signes on peut tirer de ces divers modes de la souffrance cutanée dans le diagnostic
des dermatoses.
Les modifications que subit la sensibilité cutanée dans les dermatoses, sous
le rapport de l'augmentation et de la diminution, ont été étudiées expérimenta-
lement d'une manière toute spéciale par le docteur Rendu {Recherches sur les al-
térations de sensibilité dans les affections de la peau, par Rendu, t. Y et YI des
Annales delà dermatologie et de la syphilis, publiées par Doyon). Dans ce remai'-
quable travail, M. Rendu étudie séparément les trois modes de la sensibilité cuta-
née, sensibilité tactile, sensibilité thermique et sensibilité à la douleur ou sensi-
bilité algésique. Je ne puis donner ici que le résumé de cet intéressant travail :
DERMATOSES. 715
« Les divers modes de la sensibilité dans les affections cutanées se groupent
de la façon suivante :
« Premier groupe. Diminution de la sensibilité tactile et thermique ; sensibilité
à la douleur conservée; c'est le cas le plus commun (eczéma, psoriasis, lichen).
« 2'^ groupe. Exaltation de la sensibilité au contact et à la douleur, sensi-
bilité thermique émoussée; c'est le type de la dermite franche auquel se
rattachent l'érysipèle, l'herpès, quelques érythèmes, une bonne partie des éruptions
artificielles.
« S*" groupe. Intégrité du sens du tact et de la température, coïncidant avec
une analgésie plus ou moins prononcée (quelques formes de psoriasis et de
prurigo, lèpre).
« 4'= groupe. Enfin, dans certains cas, l'hyperesthésie se joint à l'aneslliésie
et à l'analgésie, la sensibilité à la température étant intacte ou diminuée; c'est
ce qu'on remarque dans le zona, qui forme ainsi une catégorie spéciale. »
Les faits exposés dans l'intéressant mémoire de M. Rendu ont besoin d'être
confirmés par de nouvelles recherches. Il nous est souvent arrivé de constater,
chez les lépreux, l'abolition la plus complète de la sensibilité tactile, coïncidant
avec une analgésie profonde. Cette même insensibilité, nous l'avons retrouvée
aussi dans quelques cas de chéloïde blanche ou morphée anglaise.
B. La peau est aussi Vorgane du toucher. Or, le toucher est très-souvent
altéré dans les dermatoses. Les doigts exécutent mal leui^s fonctions quand ils
sont le siège de vives démangeaisons, et surtout de squames et de croûtes qui
empêchent de reconnaître les inégalités et la forme, l'étendue et la consistance
des objets extérieurs. C'est suitout dans l'eczéma et le psoriasis palmaire et
plantaire, dans l'eczéma et le psoriasis unguium, que se remarque cette imperfection
du toucher
C. La peau, avons-nous dit, est un organe de protection. Elle protège les
parties sous-jacentes contre l'action des milieux dans lesquels nous vivons et
contre les injures que peuvent exercer sur eux les agents extérieurs. Or, il est
évident que, quand la peau est couverte d'excoriations et d'ulcères, elle ne peut
convenablement remplir ses fonctions préservatrices.
D. h^peau contribue pour une large part à la beauté physique. La finesse
de la peau, sa fraîcheur, son éclat, sa couleur, Tabsence de rides, d'écaillés,
d'inégalités plus ou moins choquantes, sont des qualités bien souvent compromises
par la présence des dermatoses.
E. La peau est encore un organe d" absorption et d'exhalation ou de sécrétion.
Malgré la couche épidermique dont elle est revêtue, la peau absorbe une partie
plus ou moins minime des liquides et des gaz avec lesquels elle est en contact.
L'absorption cutanée est admise aujourd'hui par le plus grand nombre des
physiologistes. On doit en conclure que, quand la peau est couverte de croûtes
de la tête aux pieds, cette faculté absorbante, si elle n'est pas tout à fait supprimée,
doit être au moins considérablement diminuée, et qu'il doit en résulter un trouble
dans l'économie tout entière. L'application sur le corps des enduits imperméables
a rais expérimentalement ce fait hors de toute contestation. Ce trouble consiste
surtout dans une gène plus ou moins grande des fonctions respiratoires. Et
cependant nous savons par l'expérience que les psoriasiques ne se portent jamais
mieux que quand ils sont recouverts de leur carapace épidermique. A quoi cela
peut-il tenir ? Évidemment à ce que le psoriasis met du temps à couvrir toute la
surface du corps, et que d'ailleurs l'excrétion abondante d'épiderme, qui agit
m DERMATOSES.
comme moyen épuratoire, l'empoi te en action salutaire sur les (juelques maté-
riaux que la peau pourrait fournir à l'économie par su faculté absorbante.
r. La peau est un organe de sécrétion et d'excrétion. Les sécrétions sont ie
produit des glandes sébacées et sudoripares. Les premières donnent lieu à une
production plus ou moins abondante d'humeur sébacée et cérumineuse ; les secondes
à la matière de la transpiration insensible et à la sueur.
Chapitre II. Excrementoruji vitia {Modification des produits de sécrétion
et d'excrétion de la peau). Nous devons comprendre dans la même étude les
divers états morbides du tégument externe et ceux des membranes muqueuses
accessibles à nos moyens d'investigation. Nous aurions ainsi à passer rapidement
en revue les altérations des produits de sécrétion et d'excrétion, non-seulement
de la peau, mais encore des membranes muqueuses avoisinantes; mais cette
étude nous entraînerait bien au delà des limites de cet article. Nous nous
bornerons donc à faire connaître les principales modifications de la sueur, de
l'humeur sébacée et de l'excrétion épidermique, notions indispensables pour
l'étude complète de la symptomatologie cutanée.
Les produits de la sécrétion cutanée sont la matière de la transpiration insen-
sible et la sueur fournies par les glandes sudoripares, et les humeurs sébacée
et cérumineuse fournies par la sécrétion des glandes sébifères.
La matière de la transpiration insensible est un lluide ténu, incolore, inodore,
qui s'échappe de la peau dans l'état de santé. 11 serait difficile d'indicjuer quelles
particularités il peut offrir dans les dermatoses. Il en est tout autrement de la
sueur, qui appartient tout à la fois à l'état de santé et à l'état de maladie.
Dans l'état physiologique, la sueur varie beaucoup sous le rapport de la
quantité, selon l'état de veille ou de sommeil, avant ou après les repas, pendant
l'état de repos ou à la suite d'exercices musculaires, de la marche, de la danse, etc.;
mais elle varie aussi selon les tempéraments et selon les prédispositions à telles
ou telles dermatoses. Chez les individus d'un tempérament lymphatique ou
lymphatico-sanguin, les sueurs sont plus faciles, plus abondantes que chez ceux
qui ont un tempérament bilieux ou nerveux. Les arthritiques ont généralement
la peau moite, plus disposée à la sueur que la peau des dartreux, qui est géné-
ralement sèche, aride et souvent rugueuse et écailleuse.
Dans l'état morbide les sueurs sont générales ou locales, spontanées, sympto-
matiques ou critiques ; elles varient beaucoup sous le rapport de la quantité et
des qualités.
Des sueurs abondantes précèdent et accompagnent quelquefois les dermatoses.
C'est ce que l'on observe dans la miliaire, et particulièrement dans la suette
miliaire ou miliaire épidémique.
Les sueurs coexistant avec certaines dermatoses à marche aiguë peuvent être
considérées comme critiques. C'est ce qui arrive dans le cours des phlegmasies
qui se jugent par des sueurs abondantes, souvent accompagnées d'herpès fébrile.
Dans les dermatoses plus ou moins généralisées avec foyers purulents, les
sueurs sont symptomatiques.
Les sueurs colliquatives des cachexies alternent souvent avec la diarrhée.
Dans la cachexie darlreuse, elles sont souvent remplacées par l'abondance de la
prolifération épidermique.
Les sueurs sont parfois d'une abondance extrême, dans la suette miliaire, par
exemple. Elles sont rares ou nulles dans le diabète, dans l'anasarque. Il y a
entre la sécrétion de la sueur et celle de l'urine un équilibre qui fait augmenter
DERMATOSES. 717
l'une quand l'autre diminue; c'est ainsi que la sueur est rare dans la polyurie,
que la sécre'tion urinaire est activée chez le dartreux qui a la peau revêtue d'une
enveloppe écailleuse ou croùteuse, de même qu'en état de santé on voit la sueur
diminuer l'hiver, inversement à l'urine, qui est plus abondante l'hiver que
l'été.
Les sueurs locales habituelles se concilient parfois avec l'état de santé Les
parties qui en sont le siège le plus ordinaire sont, les mains, les pieds, puis les
aisselles, les aines et la nuque. L'exagération de ces sueurs partielles constitue
plutôt une infirmité qu'une maladie.
La température et la consistance des sueurs intéressent plus particulièrement
la séraéiotique générale.
La sueur peut-être colorée en jaune, en bleu, en noir ou en rouge. La couleur
jaune a été vue dans l'ictère; la couleur bleue dans certaines névroses. C'est à la
couleur noire ou bleu foncé de la sueur qu'on attribue la chromidrose, affection
si souvent simulée qu'il importe de se mettre en garde et de prendre toutes les
mesures nécessaires pour éviter de tomber dans le piège et de commettre une
erreur toujours préjudiciable à la réputation du médecin.
La sueur de sang constitue la derraorrhagie, affection rare dont on ne connaît
pas encore la signification précise.
L'odeur que donne la sueur dans l'état de santé est très-variable : l'âge des
sujets, le sexe, le tempérament, les régions qui sont le siège de la sueur, etc.,
sont autant de conditions qui font varier cette odeur. Les maladies impriment
aussi à la sueur des odeurs particulières, mais, en général, les odeurs chez les
sujets atteints de dermatoses tiennent bien plutôt aux écailles, aux croiîtes, aux
produits de sécrétion morbide, qu'à la sueur elle-même.
Pas plus que les odeurs, les saveurs acide, amère ou sucrée, ne se lient direc-
tement aux affections cutanées.
L'humeur fournie par les glandes sébacées est destinée à enduire les cheveux
et les poils, et à leur donner un vernis qui disparaît quand la sécrétion est
empêchée par une cause quelconque. Les cheveux sont secs dans le pityriasis
pilaris, parce que les orifices folliculaires sont hermétiquement bouchés par des
amas d'épiderme. Ils sont gras par suite de l'exagération de la sécrétion sébacée.
L'humeur sébacée abondamment sécrétée sur le cuir chevelu s'y concrète sous
forme d'un enduit jaunâtre ou rougeâtre, comparé à du mastic, qui colle,
agglutine les cheveux et occupe leurs intervalles. Sur les régions oii les poils
n'acquièrent pas un grand développement, cet enduit devient brun ou noirâtre
par suite de son exposition à l'air et des corpuscules pulvérulents qui viennent
se déposer et adhérer à sa surface. Mais, si l'exagération de la sécrétion sébacée
est portée à ses dernières limites, l'humeur sébacée s'échappe sous forme de flux
et répand dans ces cas une odeur siii generis qui rappelle parfois l'odeur qui se
répand dans le voisinage des fabriques de chandelles.
C'est à l'absence de la sécrétion huileuse qu'il faut attribuer la sécheresse des
cheveux et des poils et les gerçures de la peau. Si l'on en croit Double, les vête-
ments de laine augmentent cette sécrétion et contribuent à la conservation de la
santé. Elle occasionnerait quelquefois l'amaigrissement, qui cesserait dès que
l'on cesserait de porter des vêtements de laine.
Le cérumen est une humeur sébacée jaunâtre, d'une odeur sui generis, fournie
par les glandes sébacées du conduit auditif. Son exagération produit une forme
particulière d'otorrhée. La sécrétion cérumineuse est favorisée par les tampons
718 DERMATOSES.
de coton ou d'ouate que beaucoup de personnes portent habituellement dans les
conduits auditifs. Le coton s'imprègne de cérumen qui s'y dessèche et forme un
corps étranger qui provoque parfois des névralgies ou des phlegraasies auricu-
laires, des éruptions eczémateuses ou furonculaires, chez les personnes prédis-
posées.
Excrétions épidermiqiies. L'épiderme et ses dépendances, cheveux, poils et
ongles, subissent pendant toute la vie une rénovation continuelle. Mais ce
renouvellement non interrompu des productions épidermiques subit dans certaines
circonstances, soit des arrêts momentanés, soit des variations nombreuses dans
les degrés de son activité. Dans l'état de santé, les productions épidermiques
sont subordonnées à l'âge et au sexe, aux tempéraments, aux influences climalolo-
giques. Quelquefois, au lieu de constater de simples augmentations ou diminutions,
c'est une véritable perversion de productions épidermi(jues que l'on observe,
comme dans l'ichtliyose. Dans les dermatoses, l'abondance de la production
épidermique varie beaucoup selon la nature des alfections. L'abondance des
squames dans les syphilides et les herpétides explique les difficultés que l'on
éprouve parfois à les distinguer. A la diminution de l'acte producteur de l'épiderme
se rapportent la chute des cheveux, des poils, des ongles {voy. Alopécie). A
l'augmentation des poils et des ongles nous devons rapporter les poils surnumé-
raires, l'exagération de la production pileuse sur certaines régions où d'habitude
ils se trouvent à l'état rudimentaire, la déformation par l'allongement excessif
des ongles, les cornes, etc.
Les cheveux offrent de nombreuses variétés tant dans l'état de santé que dans
l'état de maladie {voy. l'art. Cheveux de ce Dictionnaire).
Les poils se montrent parfois très-développés sur des lieux insolites, sur le
pavillon de l'oreille, sur le nez, etc. Chez l'homme, ces anomalies n'ont pas le
même inconvénient que chez la femme pour qui une pareille déviation de la règle
physiologique constitue une difformité qui, parfois, la jette dans une extrême
désolation. Les poils surnuméraires ou nœvi piUferes peuvent se montrer sur
toutes les parties découvertes et même sur toutes les régions du corps.
Les poils qui peuvent acquérir chez la femme un développement insolite, et
l'engager à consulter l'homme de l'art pour en obtenir au plus vite d'en être
débarrassée, sont ceux des lèvres, du menton, des parties latérales de la face
(favoris), des bras et des avant-bras. Nous verrons plus loin combien il est
difficile d'obtenir la cure radicale de cette difformité.
A la perversion de la formation des poils il faut rattacher les i-étrécissements,
les divisions de la tige des poils, qui paraissent bifides {voy. Cheveux [patho-
logie"').
Dans certaines dermatoses très-rares, les poils sont remplacés par de petites
élevures jaunâtres que j'ai comparées pour la couleur à une croûte de pain râpée
à la surface. On constate, dans ce cas, que le conduit pilifère ne renferme qu'une
substance molle, blanchâtre, en grande partie constituée par des cellules polyé-
driques. C'est une variété particulière d'alopécie due à un trouble de sécrétion
de la papille pileuse.
La configuration, la couleur, la substance propre des ongles, peuvent être
altérées dans les dermatoses. La déformation des ongles s'observe dans bon
nombre d'affections cutanées. On a généralement désigné sous le nom d'onyxis
toutes les affections cutanées génériques qui peuvent siéger sur la matrice de
l'ongle ou sur le derme sous-unguéal, et amener ces déformations. J'ai déjà parlé
DERMATOSES, 719
plus haut des caractères qui distinguent l'eczéma et le psoriasis des ongles. 11
n'est pas exact de dire avec M. Lailler que le diagnostic de l'eczéma et du psoriasis
unguéal est difficile en l'absence d'autres manifestations de même ordre sur le
tégument externe. Il suffit des signes tirés de la déformation et des altérations
de la lame unguéale pour arriver à ce diagnostic.
Le dermatologiste doit aussi étudier la couleur des ongles, qui peut devenir
jaunâtre, d'un jaune soufre, livide ou noire ; les altérations de la substance
propre de l'ongle qui s'amincit, s'hypertrophie, se ramollit, se perfore dans les
dermatoses unguéales {voy. Oingles).
Chapitre III. Qualitatum externarum corruptioiNes. Les modifications des
qualités physiques de la peau et des muqueuses accessibles à nos moyens d'inves-
tigation constituent deux ordres de symptômes. Les uns sont communs au
système cutané et aux autres systèmes, comme la teinte ictérique, la teinte chlo-
rotique, la cyanose ; les autres lui appartiennent en propre : telles sont les alté-
rations pigmentaires et les éruptions cutanées. Nous n'avons pas à nous occuper
ici des symptômes communs à la peau et aux autres systèmes; leur étude appar-
tient à la séméiotique générale, et fait partie des symptômes et des signes fournis
par l'habitude extérieure du corps; les autres sont les symptômes simples de la
peau, et les symptômes composés ou affections cutanées qu'on désigne d'une
manière générale sous le nom de dermatoses. Nous les partagerons en trois
sections :
1° Dermatoses simples, élémentaires; 2" dermatoses composées (affections
génériques et difformités) ; 3° dermatoses propres et spéciales.
A. Symptômes organiques ou DERMATOSES élémentaires. Le phénomène éruptif
ou l'affection élémentaire est un travail morbide qui se produit sur un point
circonscrit de la peau ou des muqueuses avoisinantes, quel que soit le mode
pathogénique ou le processus de ce travail morbide. Ainsi défini, le mot éruption
comprend pour nous toutes les altérations pigmentaires, aussi bien que les
congestions et inflammations circonscrites de la peau.
L'évolution de l'affection élémentaire ne peut donner lieu, sur la peau, à plus
de cinq aspects différents. Prenons pour exemple la pustule de l'ecthyma : au
début c'est une tache, plus tard un bouton, auquel succède une croûte; la croûte
tombe, et se trouve remplacée par un ulcère, qui donne lieu à une cicatrice. Ces
cinq périodes du travail éruptif le plus complet réunies constituent la lésion,
vues séparément constituent nos quatre ordres de symptômes organiques élémen-
taires, et un cinquième ordre accessoire pour les cicatrices. Tout symptôme
organique de la peau a nécessairement sa place marquée dans l'un quelconque
de ces ordres. L'étude analytique des symptômes fournis par la peau nous obhge
à décomposer ainsi l'affection élémentaire. Nous avons donc cinq ordres de sym-
ptômes à étudier successivement :
1° Les taches ; 2" les boutons; 3° les exfoliations; 4° les ulcères; 5° les cica-
trices.
Les symptômes organiques les plus simples de la peau offrent des caractères
communs aux divers ordres, tels que le siège topographique, la forme, la couleur,
le nombre, l'étendue, l'évolution, la marche, la durée, le mode de terminaison,
la transformation des éléments éruptifs, leur distribution, leur mode de groupe-
ment, et des caractères particuliers que leur impriment le siège anatomique et la
modalité pathogénique. Ce sont ces derniers caractères qui constituent la derma-
tose élémentaire à la période d'état ou l'ordre de Willan. L'étude des variétés de
720 DERMATOSES.
cette dermatose élémentaire nous mène à la connaissance des genres ou des
dermatoses génériques. A la séméiotique cutanée générale appartient cette double
étude des caractères communs à tous les symptômes simples et des affections
génériques ; à la séméiotique cutanée spéciale celle des affections propres et des
affections spéciales. La connaissance des symptômes élémentaires est le premier
pas fait pour arriver au diagnostic de la maladie ; vient ensuite celle des affec-
tions génériques, et entîn celle des affections spéciales, qui termine et complète
le diagnostic.
Caractères communs aux divers ordres de symptômes organiques, a. Siège.
Les éruptions cutanées peuvent se montrer sur toutes les régions du corps et
des muqueuses avoisinantes, bien que, le plus communément, elles affectent
chacune un siège particulier. Les différences qu'elles présentent sous ce rapport
s'expliquent généralement par les diversités anatomiques des régions sur
lesquelles on les observe. C'est ainsi que la pustule d'acné ne se voit jamais ni
à la paume des mains, ni à la plante des pieds. Mais ces différences sont surtout
bien remarquables quand on compare les éruptions des muqueuses à celles de la
peau. La strucluie différente des deux téguments rend compte de la diversité
des éruptions qui se produisent à leur surface.
b. Caractères physiques. Ces caractères varient selon l'ordre auquel appar-
tiennent les éruptions. Nos quatre ordres d'éruptions existent seuls ou réunis par
deux, par trois ou même tous les quatre ensemble sur le même sujet. Ces érup-
tions sont parfois toutes semblables de couleur, de forme et d'étendue, mais le
plus souvent elles offrent, sous ce rapport, des différences extrêmement
nombreuses.
c. Nombre et disposition. Le nombre et la disposition des éléments éruptifs
ne présentent pas moins de variations. Le nombre est quelquefois si multiplié
qu'il est impossible de les compter. Dans d'autres circonstances, il existe un
élément unique, une seule bulle, par exemple [pempJiigiis solitariiis).
Les éléments éruptifs sont symétriques ou insymétriques, groupés sur un seul
point, disposés au hasard ou dans un ordre dét.erminé, d'où les désignations de
formes discoïde, circinée, en fer à cheval, marginée, annulaire, rubanée, etc.
Les groupes d'éléments éruptifs sont irrégulièrement distribués sur le corps ou
bien ils occupent la ligne médiane symétriquement disposés de chaque côté, ou
des points symétriques sur le tronc et les membres, les deux mains, les deux
saignées, les deux jarrets, les deux oreilles. Cette symétrie a été diversement
expliquée par l'action des causes, par la sympathie des parties similaires, par
l'intervention du système nerveux agissant directement ou par action réflexe sur
le système vaso-moteur. Quelle que soit la cause immédiate de cette symétrie,
quelque explication physiologique que l'on veuille en donner, sa valeur séméio-
tique reste toujours la même ; mais on a voulu à l'occasion de celte symétrie
sortir de la physiologie pour entrer sur le domaine de la pathologie, et dès lors
on a fait fausse route. C'est ce qui est arrivé à M. Léo Testut {De la sy^nétrie
dans les affections de la peau, par Léo Testut, ex-premier interne de l'hôpital
Saint-André, de Bordeaux). Voy. la critique qui a été faite de ce livre par
M. Baudot {Gaz. hebd., n« 8, juin 1877). '
d. Étendue. Volume. L'étendue des éruptions tégumentaires n'a rien de fixe.
Que de variétés n'observe-t-on, pas depuis le point imperceptible que représente
la pétéchie jusqu'aux larges surfaces occupées par l'exanthème inflammatoire de
l'érysipcle ! Que de différences aussi dans le volume des saillies éruptivos,
DERMATOSES. ' 7-21
depuis la papule du lichen et l'éminence acarienne jusqu'à la tumeur du mycosis,
justement comparée pour le volume et la foi^rae au fruit du lycopersicum connu
sous le nom de tomate !
e. Développement. L'éruption tégumentaire est simultanée ou successive.
Elle naît sur un point pour de là se répandre sur toute la surface du corps ;
procède de bas en haut, ou commence par la face et envahit successivement le
cou, le tronc et les membres. D'autres fois elle se montre sur les membres supé-
rieurs ou inférieurs.
f. Évolution. L'évolution des éruptions est subordonnée à la maladie dont
elles ne sont que la traduction sur la peau, et nullement à la nature ou au
caractère de l'éruption elle-même. C'est la maladie qui explique les métamor-
phoses de l'éruption, les phases successives par lesquelles elle passe. Ainsi,
suivant les cas, la tache restera tache pendant tout le cours de son existence, ou
deviendra successivement bouton, exfoliation et ulcère. 11 en sera de même du
bouton, qui pourra se résoudre, s'exfolier ou s'ulcérer, de l'exfoliation, qui restera
toujours et constamment exfoliation, ou passera, suivant les cas, à l'état d'ul-
cère plus ou moins rebelle.
g. Marche. La marche de l'éruption cutanée n'est pas toujours celle de la
maladie; quelquefois, l'éruption débute avecla maladie et l'accompagne jusqu'à
sa terminaison. D'autres fois, elle apparaît au début de la maladie et ne reparaît
plus, ou bien elle se montre de nouveau et à diverses reprises, dans le cours de
la même maladie. L'éruption peut être périodique et même intermittente. Elle
a une marche aiguë ou chronique, débute par l'état aigu ou par l'état chronique.
Dans les maladies constitutionnelles, on voit l'éruption souvent débuter par l'état
aigu et passer à l'état chronique, aggravée de temps à autre par de nouvelles
poussées aiguës.
h. Durée. La durée est indéterminée et varie de quelques instants à une
période de plusieurs mois et même de plusieurs années. 11 importe de distin-
guer ici la durée individuelle des éléments éruptifset la durée totale de l'érup-
tion. Toutes ces variations s'expliquent à la fois par la nature de la maladie et le
mode pathogénique ou la nature particulière de la lésion.
i. Terminaison. Dans les maladies aiguës, les éruptions tégumentaires
disparaissent en général avec la maladie dont elles ne sont qu'un symptôme.
Cette disparition a lieu sans laisser de traces, ou bien elle laisse des traces qui
tantôt ne sont que temporaires, et d'autres fois sont indélébiles. Les premières
sont des maculatures, et les secondes de véritables cicatrices qui offrent une
étude des plus intéressantes pour la sémiotique rétrospective.
Dans les maladies chroniques, les éruptions peuvent disparaître pendant le
cours de la maladie qui n'en subsiste pas moins après leur disparition, et souvent
les reproduit, soit avec les mêmes caractères, soit sous des formes différentes.
Les affections qui persistent après la maladie, arrêtées dans leur développement,
ne sont plus que des difformités.
j. Transformation des éléments éruptifs ; modes de distribution. La trans-
formation des éléments éruptifs dépend de la nature de la maladie; il en est de
même du mode de distribution des dermatoses élémentaires dans les maladies
aiguës et chroniques.
Toutes ces modifications des éruptions ont été, selon nous, rattachées à tort à
des lois qu'expliquerait la physiologie sans qu'il fut nécessaire de faire inter-
venir l'état morbide.
DicT. FNC. XXVIL 46
722 DERMATOSES.
Caractères particuliers a chaque section de symptômes organiques élémen-
taires. Premier ordre. Taches ou macules. La tache ou macule est une
simple modification de la couleur de la peau ou des muqueuses avoisinantes,
accompagnée ou non d'une légère saillie du tégument.
Ce symptôme comprend deux ordres de la classification de Willan : les exan-
thèmes et les macules. En outre, la tache est souvent le premier phénomène de
l'évolution commençante des boutons, des exfoliations et même des ulcères; puis
on la voit reparaître après la guérison de ces derniers symptômes, et porter alors
le nom de maculature cicatricielle. Il y a donc lieu d'admettre des taches initiales,
des taches d'état et des taches terminales. C'est sur la tache d'état que sont
fondés les deux ordres exanthèmes et macules de Willan.
Division. Siège anatomique. Modalité des taches. Nous divisons les
taches en communes ou simples, et en particulières ou composées. Les premières
sont formées par un excès, un défaut ou une répartition inégale du sang ou du
pigment; les secondes, par des matières étrangères ou par des causes qu'il est
souvent difficile d'apprécier.
Suivant que le sang est contenu dans les capillaires de la peau ou extravasé
dans le tissu dermique, nous distinguons les taches hématiques ou sanguines en
taches inlra-vasculaires et en taches extra-vasculaires. Les premières sont
congeslives ou inflammatoires; les secondes comprennent le purpura et les
pétéchies.
Le sang peut donner lieu à des taches blanches par son absence (taches ortiées
Whils), ou à des taches blanches sur certains points, roses ou rouges sur
d'autres.
L'injection sanguine congestive qui constitue les taches intravasculaires offre
des différences selon qu'elle a son siège sur la peau ou sur les muqueuses ; sur la
peau, elle se présente ordinairement sous forme de taches pleines, d'un rouge à
peu près uniforme sur toute l'étendue de la tache, tandis que sur les muqueuses
l'injection est souvent ramiforme. Exceptionnellement, j'ai observé cette injection
ramiforme sur la peau, dans certains cas de pityriasis rubra chronique, dans
certains érythèmes et purpura variqueux, dans la couperose et dans quelques naevi
vasculaires.
On a cherché à déterminer les conditions qui régissent la couleur et la forme
des macules. Pour ce qui est de la couleur, on en trouve très-naturellement
l'explication dans un grand nombre de cas. Ainsi, il est évident que c'est le sang
contenu dans les capillaires qui donne la coloration rouge aux taches exanthéma-
tiques ; que c'est le sang extravasé qui donne la couleur brune, violacée ou
noirâtre aux taches de purpura; que c'est l'excès du pigment qui donne lieu aux
taches jaunâtres, brunâtres, noirâtres des éphélides, lentigo, mélasma, taches
hépatiques, etc.; que la décoloration, la tache blanche, est parfois due à l'ab-
sence du sang par suite de la compression exercée par l'œdème sur les capillaires
cutanés, dans l'urticaire blanche, et d'autres fois à l'absence du pigment, comme
dans la pelade achromateuse et l'achromie lépreuse.
Mais il est plus difficile d'expliquer la cause des taches composées. Ainsi en
est-il des taches cuivrées que Cazenave et Baumes rattachent à une altération du
pigment, tandis que d'autres la font dépendre d'une altération du sang ou l'attri-
buent môme à la présence d'une matière étrangère.
Parmi les taches que nous appelons particulières ou spéciales, il en est dont
on s'explique plu'j ii<"iK'ment la couleur : telles sont les taches noires dues à une
DERMATOSES. 725
infiltration cellulaire de mélanose, les taches ardoisées et café au lait dues à un
mélange de pigment et de parasites, les taches multicolores produites par le
tatouage, les taches jaunâtres des plaques jaunes des paupières produites par la
stéatose cutanée, l'infiltration de graisse dans les cellules du corps muqueux.
On a aussi essayé de se rendre compte de la forme de certaines éruptions
cutanées, de l'érythème circiné, par exemple, par la disposition en anses, en
réseaux, en grappes, des vaisseaux capillaires de la peau. Assurément, cette
explication mérite d'être prise en sérieuse considération ; mais, dans les affections
parasitaires, le mode de germination des cryptogames fournit une explication plus
simple et plus naturelle de la forme arrondie et circinée. En effet, lorsque
un champignon, le tricliophyton, par exemple, est déposé sur l'épiderme, il
provoque une rougeur suivie ou non de vésiculation. Tout autour des spores
primitivement déposées, il s'en développe d'autres qui provoquent à leur tour le
même travail inflammatoire. La rougeur centrale disparaît, et l'on n'a plus que
le cercle rouge circonfércntiei qui répond à la description classique de l'herpès
circiné. Les cercles peuvent être incomplets. Lorsque le centre est en pleine
végétation, le disque est plein, on a une tache rouge, parfaitement circulaire :
c'est la forme nummulaire.
2* ORDRE. Boutons. Nous désignons sous le nom de bouton toute saillie
circonscrite se montrant sur la peau ou sur les muqueuses avoisinantes, quels
que soient d'ailleurs son volume, sa forme et sa nature. Donnant à ce mot une
plus grande extension, Sauvages comprenait, dans la classe des boutons, toutes
les saillies qui peuvent apparaître sur le corps, quel qu'en soit d'ailleurs le siège.
Pour nous, le bouton provient toujours de la peau ou du tissu sous-jacent.
Siège anatomiqiie. Modalité des hoiitons. Nous admettons deux sortes de
boulons : des boutons liquides, petites poches constituées par l'épiderme et
remplies de sérosité ou de pus, d'où la division des boutons liquides en vésicules
et bulles, pustules et pustulo-bulles, et des boutons solides comprenant les
papules et les tubercules.
Les boutons liquides sont des inflammations exsudatives, accompagnées d'une
sécrétion séreuse ou purulente; les boutons solides sont- des inflammations
hypertrophiques ou des néoplasmes.
Les boutons inflammatoires et hypertrophiques constituent des affections
communes à plusieurs maladies, c'est-à-dire des affections génériques; la plupart
des boutons néoplasmatiques sont au contraire des affections propres, c'est-à-
dire des affections qui ne traduisent qu'une seule maladie sur le tégument
externe. Il y a cependant quelques exceptions à cette règle : c'est ainsi que le
sarcome cutané peut appartenir à des maladies fort différentes.
Au groupe des boutons vésiculeux nous rapportons le sudamen, la miliaire,
l'eczéma, l'herpès et la varicelle. Ces divers éléments vésiculeux n'ont pas tous le
même siège. Gazenave avait hypothétiquement placé la vésicule à l'extrémité du
conduit sudoripare; mais ce siège n'appartient en réalité qu'au sudamen et à
l'hidrosadénite vésiculeuse, affection rare dont nous avons dernièrement encore
vu un remarquable exemple sur la paume de la main ; après la rupture de la
vésicule, le conduit sudoripare dilaté s'était transformé en véritable trajet fistu-
leux, et l'on voyait sortir un liquide sudoral, plus ou moins altéré, par l'orifice
élargi de ce conduit.
D'après les analyses microscopiques les plus récentes, le mécanisme de la
formation des vésicules ne serait pas le même que celui des bulles et des phlyc-
7^4 DERMATOSES.
^ènes. Nous avons vu précédemment que, suivant M. Renaut, l'eczéma, la
miliaire et la varicelle, auraient primitivement leur siège dans le corps muqueux
de Malpighi, taudis que les bulles et les plilyctènes, l'herpès et le zona, débute-
raient par une lésion du derme lui-même.
Les pustules sont distinguées eu superficielles et profondes ; les premières sont
phlyzaciées ou psydraciées.
Aux pustules phlyzaciées se rapportent l'ecthyma, qui est une pustule simple,
et le rupia, qui est une pustulo-bulle. Sur le siège anatomique de l'ecthyma et du
rupia nous ne possédons encore que des hypothèses, ainsi que nous l'avons déjà
dit.
Les pustules psydraciées sont au nombre de quatre, à savoir : V impétigo, la
metitagre superficielle, la miliaire blanche, qui n'est autre que l'acné miliaire,
et V acné pustuleuse. Nous ne pouvons encore préciser d'une manière exacte le
siège de l'impétigo; ses rapports avec la mentagre superficielle et la miliaire
blanche nous avaient porté à croire que ces trois affections pourraient bien avoir
le même siège, c'esL-à-dire la glande sébacée, mais l'étude histologique qui a été
l'aile de ce dernier élément pustuleux ne nous permet plus d'adopter cette
manière de voir, qui séparait si nettement la pustule psydraciée de la vésico-
pustule de l'eczéma.
Les boutons liquides, vésicules, bulles, pustules, s'observent aussi bien sur les
muqueuses rapprochées de la peau. Tantôt on les voit à cheval, en quelque
sorte, sur les deux téguments, en partie sur la peau, en partie sur la muqueuse.
Ils peuvent se produire sur toutes les muqueuses, mais, en raison de la minceur
de l'épithélium, le liquide contenu dans la poche filtre à travers cette membrane,
et la distension de la poche ne se fait pas comme cela a lieu quand le liquide
s'accumule sous l'épiderme; plus souvent encore, les poches vésiculeuses et
huileuses n'ont qu'une durée éphémère; l'épithélium épaissi et blanchi s'applique
sur le chorion, et la surface malade se présente sous l'aspect d'une ou de plusieurs
excoriations rouges, entourées d'un cercle blanchâtre formé par l'épithélium.
Sur toutes les muqueuses, mais plus particulièrement à la face postérieure de
ia lèvTB inférieure, et sur le col uté;in, on constate souvent la présence de petites
saillies piriformes, constituées par de petites poches épithéliales remplies d'un
liquide clair. Ces petites saillies subglobulaires, qu'il ne faut pas confondre avec
des vésicules d'herpès, ne sont que de petits kystes succédant à l'oblitération des
orifices des conduits glandulaires ou folliculaires.
Les pustules profondes sont distinguées par leur siège : le sycosis débute par
l'inflammation du bulbe pileux ; l'hidrosadénite suppurative par l'inflammation
phlegmoneuse de la glande sudoripare ; le furoncle a pour siège primitif les
aréoles du derme.
Passons aux boutons solides.
Siège anatomique des papules. Les auteurs sont loin d'être d'accord sur le
siège anatomique de la papule. Tandis que les uns ne voient dans la papule qu'un
état morbide de la papille, les autres en placent le siège dans les follicules
pileux et perspiratoires. D'autres, et en plus grand nombre peut-être, admettent
que la papule peut siéger primitivement, soit sur les papilles, soit sur les folli-
cules. Selon le professeur Hébra, la papule et la vésicule ne sont que deux degrés
du même processus morbide, c'est-à-dire d'une exsudation séreuse dans les folli-
cules pileux. La gouttelette de liquide s'infiltre dans le tissu épidermique de la
gaine folliculaire, soulève l'épiderme et vient faire une saillie qui, si l'infiltration
DERMATOSES. 725
s'arrête, est une papule, et une vésicule, si elle continue et finit par soulever le
feuillet superficiel de l'épidémie. Dans cette hypothèse, la papule et la vésicule
auraient le même siège auatomique. Érasmus Wilson et Tilbury Fox admettent
pour la papule deux sièges différents: la couche papillaire et les follicules; mais,
dit Wilson, la papule vraie a toujours primitivement son siège dans le follicule
cutané. Tilbury Fox est du même avis, et ajoute : il serait important de distin-
guer la papule vraie, celle qui reste papule pendant toute la durée de l'éruption,
de la papule qui se transforme en vésicule ou pustule, et que l'on pourrait
appeler période (stage) papuleuse de l'éruption.
Pour nous, la papulation est un état morbide congestif de la papille qui s'étend
à la longue aux autres éléments du tissu cutané ; la papille que- nous appelons
épidermique en est plus souvent le siège que la papille tactile et plus souvent
aussi que la papille pileuse. On objecte à la localisation papillaire de la pa-
pule : la plus grande fréquence des éruptions papuleuses sur le côté externe
des membres, l'absence des éruptions papuleuses sur la face palmaire des doigts
où, cependant, les papilles du tact présentent leur plus grand développement;
le groupement des papules qui ne correspond en aucune façon à la disposition
linéaire des papilles ; l'état iiypertrophique du tissu cutané dans tous ses élé-
ments constitutifs, et non exclusivement dans son élément papillaire ; mais cette
argumentation n'est nullement convaincante ; si les papules delà partie interne
des membres et de la face palmaire des doigts, où les papilles du tact sont plus
développées, sont rares, cela tient à ce que l'affection papuleuse attaque de pré-
férence les papilles épidermiques, moins protégées que les papilles du tact par
les produits de la transpiration cutanée. Quant à l'hypertrophie du tissu culané
et à l'exagération des plis naturels de la peau, ce sont là des effets consécutifs
qui ne s'observent que quand l'affection papuleuse dure depuis longtemps.
Les papules s'observent aussi sur les membranes muqueuses ; c'est surtout sur
la langue, sur le gland, la vulve et le col utérin, qu'on les rencontre avec leurs
caractères les plus accentués ; mais elles diffèrent de celles de la peau en ce
qu'elles ne sauraient, comme ces dernières, constituer un ordre. Les papules du
prurigo et du lichen, dans le prurigo pudendi muUebris, dans le prurigo
podicis, dans le lichen des organes sexuels, ont leur siège sur la peau et non sur
les muqueuses.
Nous divisons les boutons solides en parasitaires, hypertrophiques et néoplas-
matiques. Nous appelons boutons parasitaires l'éminence acarienne, qui n'est
autre que le sarcopte lui-même recouvert du feuillet le plus superficiel de l'épi-
derrae, et le godet favique, qui n'est que Vachorion à son début, avant la rupture
de l'épiderme.
Les boutons hypertrophiques siègent : i ° dans les papilles ; 2" dans les glandes ;
5" dans le derme lui-même ; A" dans le tissu sous-dermique.
Les boutons papillaires sont les papules et les papillomes : aux papules :^t,
rapportent le prurigo et le lichen; aux papillomes le tylosis, les végétations tt
le lichen hypertrophique de Hardy, que nous appelons dégénérescence papillaire
de l'eczéma. Les boutons glandulaires sont l'acné hypertrophique et l'acné vario-
liformo, qui n'est qu'une hypertrophie de la glande sébacée, avec l'étention du
produit de sécrétion. Les boutons dermiques sont rarement dus à une simple
hypertrophie du derme. Ce sont les boutons qui ont été appelés tubercules par
les dermatologistes, et auxquels on rapporte généralement le lupus, la ciiéloïde
d'Alibert, le molluscum, etc. Tous ces tubercules peuvent aussi bien être rangt^
726 DERMATOSES.
parmi les néoplasmes que parmi les hypertrophies. Quant aux houlons ou
tumeurs ni'oplasmatiques, il nous a paru juste de prendre pour principe de leur
classificalion le degré de ressemblance que présentent leurs éléments constituants
avec ceux de la peau à l'état normal. Les tubercules se présentent très-souvent
sur les membranes muqueuses. Comme à la peau, ils se développent ou dans le
chorion de la membrane muqueuse, ou dans le tissu cellulaire sous-muqueux.
Comme sur la peau également, les tubercules des muqueuses sont en général des
affections propres, épithélioma, adénome, squirrhe, carcine, etc. Seul, le tuber-
cule du lupus est une lésion commune à la scrofule et à la syphilis.
5" ORDRE. ExFOLiATiON's. Nous eutcndons par cette expression générique,
exfoliations cutanées^ des produits d'excrétion et de sécrétion qui s'échappent
de la peau et restent appliqués à sa surface sous forme desquames ou de croûtes;
des produits mortifiés qui se détachent de la peau, ou enfin des parasites plus
ou moins adhérents et végétant à sa surface. Ce n'est pas seulement l'acte de la
séparation des matières étrangères ou des parties mortifiées que nous appelons
exfoliation : pour nous, ce mot désigne aussi le corps étranger lui-même.
Toute matière exfoliée renferme de l'épiderme en plus ou moins grande quan-
tité et des produits étrangers qui en différencient la nature. Les exfoliations
cutanées oui toutes ce caractère commun qu'elles sont des matières étrangères au
corps et doivent être expulsées et séparées de la peau.
L'exfoliation est rarement primitive ; elle est le plus souvent consécutive aux
taches et aux boutons.
Siège et modalité des exfoliations. Sous le rapport de la composition, on peut
rapporter à six ou sept groupes les exfoliations cutanées.
1» Les exfoliations gangreneuses formées par des gangrènes spontanées delà
peau, par celles que l'on observe assez souvent dans le cours des fièvres graves
ou sur la fin des maladies chroniques; par les gangrènes accidentelles du
pemphigus et du zona, les gangrènes syphilitiques, les gangrènes séniles, les
gangrènes par asphyxie locale ou même celles qui succèdent à l'usage intérieur
de certains poisons (ergot de seigle) ;
2° Les exfoliations parasitiques produites par les parasites de l'ordre animal
et végétal. Les exfoliations psoriques sont le sillon pour l'acare femelle et ses
œufs, et l'éminence acarienne pour l'acare mâle.
Les exfoliations dermophy tiques sont en grande partie constituées par les
champignons parasites, l'achorion, le trichophyton et le microsporon, et sur les
muqueuses par l'oïdium albicans. Les exfoliations sont tantôt jaunes ou jaune-
paille (favus), d'un blanc déneige (trichophyton), ou couleur café au lait (micro-
sporon furfur) ;
3° Les exfoliations squameuses ; essentiellement constituées par l'épiderme,
elles sont farineuses, lamelleuses ou cornées, de couleur blanchâtre, grisâtre ou
brunâtre, parfois tout à fait noires, comme dans Tichthyose cyprine. Pendant
plusieurs années nous avons montré à nos élèves une jeune Irlandaise qui avait
le corps couvert de cette variété rare d'ichthyose. Les papilles hypertrophiées
étaient chacune couverte d'une squame épaisse, dure, tout à fait noire. L'en-
semble de cette singulière affection rappelait la cotte de mailles des anciens che-
valiers. Les exfoliations squameuses se produisent aussi sur les membranes
muqueuses. Nous en avons un remarquable exemple dans certaine variété de
psoriasis lingual (langue d'argent). Généralement, sur les muqueuses, l'exfolia-
tion épilhéliale ne ressemble nullement à l'exfoliation épidermique : elle est
DERMATOSES. 727
humide, sous forme de pseudo-membrane ou de produits excrétés offrant un
aspect particulier (rougeole, scarlatine) ;
4° Les exfoUatious écailleuses, formées d'épiderme et de matière séro-albu-
mineuse ; ce sont des écailles humides, blanchâtres, d'un blanc sale ou d'un
blanc verdàtre, membraneuses, assez molles, peu épaisses, quoique plus épaisses
que les lamelles simplement épidermiques ;
5" Les exfoliations sébacées forment de petites croûtes minces, quelquefois
vermiformes, blanchâtres ou grisâtres et plus tard de couleur brune ou noirâtre,
surmontant le bouton folliculaire; d'autres fois, ce sont des enduits jaunâtres,
très-adhérents, comme du mastic, sur les régions velues, ou encore des lames
adhérentes, noirâtres ou grisâtres, recouvrant le nez, les joues, une partie ou
même la totalité de la figure. Nous les avons vues formant des couches granu-
leuses, exhalant une odeur sui generis, et répandues sur toute la surface du
corps. Quelquefois la matière sébacée s'amoncelle sur l'orifice de la glande et
donne lieu à l'affection que l'on désigne sous le nom de corne sébacée. Nous
avons vu un jeune homme qui avait la figure couverte de ces cornes sébacées
noirâtres, coniques, de 2 à 3 centimètres de longueur ;
6° Les exfoliations croùteuses, dues à la dessiccation du pus, formant des
croûtes de diverses couleurs, florescentes, brunes ou noires, par suite de leur
mélange avec un peu de sang ;
7*^ Les exfoliations pseudo-membraneuses. On les rencontre dans les scar-
latines graves, dans la diphlhérite épidémique, mais ce groupe est en quelque
sorte exceptionnel sur la peau.
Quatrième ordre. Ulcères. Nous désignons sous le nom d'ulcère toute
solution de continuité de la peau ou des membranes muqueuses survenue sponta-
nément sous l'influence d'une cause interne ou entretenue par un vice intérieur.
Siège anatomique. Mode pathogénique. Les ulcères sont superficiels ou
profonds; s'ils n'intéressent que l'épiderme et sont produits par la rupture des
vésicules ou des bulles, s'ils sont le résultat d'une déchirure produite par les
ongles, on les nomme excoriations; étroits, sans grand écartement des bords,
plus ou moins allongés, siégeant sur le pourtour des orifices naturels, ils portent
le nom de fissures ou de gerçures. Lorsqu'ils intéressent toutes les couches de
l'épiderme et plus ou moins la superficie du derme, le plus souvent avec fond
granuleux, ce sont les idcérations. Si l'ulcère est étroit sous forme d'un pertuis
qui n'est que l'orifice d'un conduit pénétrant profondément dans la peau, ou
même au delà de la peau, c'est un orifice fistuleux. Enfin l'on désigne sous le
simple nom d'ulcères les solutions de continuité plus ou moins étendues qui
intéressent les couches moyenne et profonde du derme et des parties molles
sous-jacentes jusqu'aux os.
Les ulcères sont communs aux deux téguments ; les mêmes divisions sont appli-
cables à ceux des membranes muqueuses aussi bien qu'à ceux de la peau. Les ul-
cérations, les ulcères et les perforations s'observent plus fréquemment sur les mu-
queuses que sur la peau, ce qui tient à la minceur de l'épithélium, qui se rompt
plus vite que l'épiderme, et à la résistance moins grande du chorion des muqueuses.
Quel est le processus de l'ulcère? Hunter a admis l'inflammation ulcéreuse.
C'est en effet un mode particulier de l'inflammation. Mais il n'en est pas toujours
ainsi, et très-souvent l'ulcère survient sans être précédé de symptômes inflam-
matoires; un ramollissement simple, un ramollissement tuberculeux ou cancé-
reux, une hémorrhagie intra-cutanée, sont parfois les seules lésions qui pré-
728 DERMATOSES.
existent à l'ulcère. D'autres auteurs ont considéré le travail ulcératif comme une
forme particulière de la gangrène, à laquelle ils ont donné le nom de gangrène
parcellaire ou moléculaire.
Ordre accessoire. Cicatrices. Nous comprenons parmi les cicatrices les
simples maculatures qui succèdent à l'évolution d'une tache ou d'un bouton, et
la production du tissu nouveau qui est consécutive à la solution de continuité
des téguments. Le classement de nos symptômes organiques est représenté par
le tableau ci-dessous :
CLASSIFICATION DES SYMPTOMES ORGANIQUES ÉLÉMENTAIRES DE LA TEAU
i" Or.DRE. — TACHES.
1° Taches
communes.
2° Taches
spéciales.
Taches
sigmenlaires
Acliromiques. . .
llyperchi'ofniques.
Dyschroiniques . .
Défaut de pigment. ,
Excès de pigment . .
Répartition inégale.
Taches
liématiques.
Excès de sang
inlra-
vasculaires.
Excèsdesang
extra-
vaseulaircs.
Défaut de sang
Congestives.
Exanlhènaes
[maculx
ruhrx).
■ Inflammatoires.
Hémori'hagiques
liépartition inégale
Taches rouges par infiltration cellulaire d'hémaloïdine.
Taches noires par infiltration de mélanose.
) Taches jaunes par stéatose cutanée.
I Taches bleues, chromhidrose. •
' Taches multicolores, tatouage.
Taches cuivrées, syphilis.
2^ Ordre. — BOUTONS.
Sudamina.
Miliaire.
■ Vésicules { Eczéma.
Herpès.
Lèpre, pelade.
Ephélides, mélasma, etc.
Vililigo.
Érythème.
I Urticaire.
Roséole.
I Piougeole.
Scarlatine.
Erysipèle.
\ Lymphite cutanée.
j Purpura.
I Pétéchjes.
Urticaire hianche.
( Cnidosis avec taches rouges
( et blanches.
Se l' eux
1° BOUTOXS
LIQUIDES .
Varicelle.
n 11 \ Penaphigus.
•1^"'"=^ Iphlvctènes.
'Psydraciées
1 Purulents
' Parasitiques.
Pustules su-
perficielles.
Pustules
profondes.
I Miliaire blanche.
I Menlagre.
j Acné.
Umpétigo.
( Pustule 1 „ ,,
Phlyzaciées. . simple. } E'^U'Y™'».
I Pustulo-bulle. Rupia.
( Follicule pileux Sycosis.
\ Follicule sudoripare .... Hidrosadénite.
( Aréoles dermiques Furoncle.
Eminence acarienne.
2° BOL'TOA'S
SOLIDES.
Congestifs et hypertrophiques,
1 Papules
j
( Godet favique.
Prurigo.
Lichen.
' Néoplasmatiques.
(Tubercules Lupus.
Mycosis.
Squirrhe.
I Carcine.
I Frambœsia.
' Granulation
, Gomme.
tuberculeuse.
morveuse.
lépreuse.
DERMATOSES. 729
5" Ordre. — EXFOLIATIO^'S.
I Exfoliations psoriques. . . . Éminenceacarienne, sillons.
1" ExFOLiATiONS PARASiTAinES j Exfoliutions \ Favus el teigne tousurante.
' dermopliyliques. I Êpidermojihyton.
( Pityriasis.
2° Exfoliations squameuses ) Psoriasis.
( Ichthyose.
, Eczéma squameux.
ô" Exfoliations choutellelses ) Pemphigus en desquama-
I tien.
i Impétigo, j . , .
•i" Exfoliations crooteuses < Eclhvma ' * perioae
iRupia . ; ^ de dessiccation.
l Acné sébacée concrète.
0° Exfoliations sébacées ! Acné sébacée cornée (cor-
' nés sébacées)..
; Terminaison-accidentelle. .] j„ '°
6° Exfoliations GANonÉNEUSES ; t. """i i-
i T „■ ■ u 1 ■. Il 1 Pustule maligne.
( Terminaison habituelle. ••{(■11,
4'' Ordre. — ULCÈRES.
S Ulcère épilhélinl. Cancroïde.
Chancre syphilitique.
Chancre arsenical.
Excoriations ou érosions sèclies ou humides lu
( Herpès.
1 Bulles, . . . 1 de la peau
Pustules . . > et des
Phlyclènes. . muqueuses.
coNSECDriFS. ) ' ( superlicielies ou exlra-cuta-
1 Fistules ( nées FoUiculitfe.
' profondes ou inlra-cutanées. Hidrosadénite.
T,. . . 1-. l Affections propres Tuberculeux, lépreux, pian.
I Ulcères proprement dits . . . ? .« .■ , . ■ r. ., , , .,? K , ,
*^ '^ 1 Affections génériques. . . . Ecthyma (syphilis, scrofule).
5° Ordre. — CICATRICES.
-MACOLATunES provenant d'affections l'^ . \ ■ '
' \ I génériques.
/ Lésions apparentes Gomme, lupus, etc.
Cicatrices propbeuext dites . l i Lupus érythémateux, cica-
I „ , , . . .1 trices sous-épidermiques
[Sans lésion apparente . . . provenant d'obésité, de
\ grossesse, d'anasarque.
Réfutation des objections faites a notre classification des symptômes orga-
niques ÉLÉMENTAIRES DE LA PEAU. On a Critiqué les expressions dont nous nous
sommes servi pour désigner les classes des symptômes organiques. Seul, le mot
tache, par lequel nous désignons la première classe, a trouvé grâce auprès de
nos détracteurs.
Le mot bouton est, dit-on, trivial. Est-ce bien à ceux qui ont réhabilité le mot
dartre à nous faire un pareil reproche? Le mot bouton (bothor) a été employé
comme terme générique par Sauvages. C'est une expression traditionnelle et
qui n'a pas, comme le mot dartre, perdu son véritable sens eu passant du glos-
saire médical dans la langue populaire.
Malgré son imperfection, que nous sommes le premier à reconnaître, le
mot exfoliation nous a paru plus propre à désigner toutes les excrétions cuta-
nées, les portions de peau mortifiée, les parasites enveloppés d'épiderme, que le
mot corps étranger, auquel la chirurgie a donné un sens restreint.
Les ulcères et les cicatrices sont toujours des lésions consécutives, dit-on;
d'accord, mais elles n'en sont pas moins des symptômes organiques qui méritent
750 DERMATOSES.
une descriplion à part; et qui ont une valeur dans le diagnostic, le pronostic et
le traitement des maladies.
Notre classe des symptômes élémentaires est destinée à combler une lacune
qui existe dans tous les traités de pathologie cutanée. Elle dissipe la confusion
qui existe, chez les auteurs, entre la lésion et le symptôme, entre la lésion pri-
mitive et la lésion consécutive. La tache congestivc peut être primitive ou
consécutive ; il en est de même de la squame. La lésion élémentaire a été, à tort,
confondue avec la lésion primitive , c'est la lésion arrivée à la période d'état sur
laquelle Willan a fondé ses ordres. La lésion élémentaire d'une affection cutanée
jie se présente pas toujours à l'œil de l'observateur qui ne constate que des
symptômes actuels, et c'est par l'étude approfondie des symptômes organiques
actuels qu'il parvient à établir la lésion élémentaire de l'affection, autrement
dit la période d'état de l'aflection cutanée. Ainsi la lésion élémentaire de l'eczéma
est la vésiculation. Or, quand le malade atteint d'eczéma consulte l'homme de
l'art, la vésiculation peut très-bien ne pas exister; il y a mieux, c'est que dans
le plus grand nombre de cas elle n'existe pas, et qu'on n'arrive à la reconnaître
que par la rougeur piquetée, les excoriations et ulcérations, la nature des
squames, le prurit constant, le suintement d'un liquide visqueux qui empèse le
linge et le colore en gris.
B. Symptômes composks ou dermatoses génériques et difformités cutanées. Le
court exposé analytique que nous venons de faire des symptômes élémentaires
nous conduit à l'élude des symptômes composés, autrement dit des dermatoses
génériques ou affections génériques de la peau et des difformités cutanées.
i" Dermatoses gém':riques. Nous entendons par affection générique, en
pathologie cutanée, un état morbide de la peau caractérisé par un ensemble de
phénomènes éruptifs élémentaires, simultanés ou successifs, ayant chacun son
évolution particulière, et dont l'ensemble constitue une seule et même affection
commune à plusieurs maladies.
Quels sont les symptômes organiques qui, pris à la période d'état de la lésion
élémentaire, vont nous servir à constituer les genres? Cherchons-les seulement
dans nos trois premières sections de symptômes organiques, car il est évident
que l'ulcère et la cicatrice, étant toujours des lésions consécutives, terminales,
ne sauraient représenter la période d'état d'une affection quelconque.
Dans ces recherches nous aurons soin d'élaguer les difformités qui sont des
affections arrêtées dans leur évolution, et les affections propres qui ne se ratta-
chent qu'à une seule maladie.
Commençons par les taches. Les taches communes, avons-nous dit, sont
pigmentaires ou hématiques. L'altération pigmentaire n'est pour nous qu'une
difformité (nœvus) ou une affection propre (achromie lépreuse); elle peut, il est
vrai, se montrer dans plusieurs maladies, et même dans chacune offrir des
caractères particuliers, mais la lésion est toujours la même et ne varie que sous
le rapport du nombre et de l'étendue; elle ne subit aucune évolution. Pai
conséquent, c'est uniquement parmi les taches sanguines que nous aurons à
choisir nos affections génériques.
Les taches sanguines sont intra ou extrà-vasculaires. La tache extra-vasculaire
nous conduit au diagnostic du purpura, qui est une affection propre. Les taches
intra-vasculaires sont congestives ou inflammatoires; la tache inflammatoire
caractérise une pblegmasie qui est Férysipèle. C'est donc aussi une affection
propre. Les taches congestives sont initiales, terminales ou d'état. Cette
DERMATOSES. 731
tlernière seule a son autonomie, ses évolutions; les autres ne sont que des
périodes, des stades d'évolution de la dermatose élémentaire. Aux taches d'état
se rapportent celles de l'érythème, de l'urticaire, de la roséole et de la scarlatine.
Ces deux dernières caractérisent deux maladies, et sont des affections propres;
les trois premières sont communes à diverses maladies et constituent par consé-
quent trois aiïeclions génériques.
Je passe à l'ordre des boutons. Dans cet ordre les affections génériques se
trouvent encore presque exclusivement renfermées dans le groupe des boutons
inflammatoires, qui sont liquides ou solides.
Aux boutons liquides se rattachent les vésicules, les bulles et les pustules.
Nous comprenons, parmi les vésicules, les sudamina, la miliaire, l'eczéma,
l'herpès et la varicelle. Les sudamina sont des lésions tout à fait accidentelles,
qui ne subissent aucune évolution, et ne sauraient constituer autre chose qu'une
simple dermatose élémentaire. Les quatre autres variétés de vésicules se ren-
contrent chacune dans des maladies différentes : elles constituent donc quatre
affections génériques qui se distinguent par la diversité des vésicules qui les
composent.
Les bulles se rencontrent comme accidents dans diverses affections de cause
externe et de cause interne, comme dans la brûlure et l'érysipèle, et sont dans
ces cas appelées phlyctènes; ou bien leur ensemble est régulier, leur développe-
ment successif; l'éruption offre des caractères qui lui sont particuliers, subit
des évolutions, et l'affection porte alors le nom de pemphigus. On le rencontre
dans des maladies fort différentes : le pemphigus est donc aussi une affection
générique.
Les pustules sont superficielles ou profondes. Les pustules superficielles se
distinguent en pustules phlyzaciées et pustules psydraciées. Parmi les premières
nous comptons la pustule simple ou l'ecthyma, el la pustule composée oupustulo-
buUe, le rupia.
L'eclhyma et le rupia sont deux affections génériques que l'on rencontre dans
les maladies de cause externe et dans les maladie de cause interne. Les secondes
sont l'impétigo, la miliaire blanche, l'acné pustuleuse et la mentagre pustuleuse,
qui sont quatre affections génériques. Peut-être n'en devrions-nous reconnaître
que trois, car la miliaire blanche ne nous paraît différer de l'acné pustuleuse
que par son siège topographique, et non par son siège anatomique qui est, dans
le premier cas, les glandes sébacées annexées aux poils, et, dans le second, les
glandes sébacées à poils rudimentaires.
Les pustules profondes sont celles du sycosis, de l'hidrosadénite pustuleuse
et du furoncle, trois affections que nous comptons aussi parmi les affections
génériques.
Les boutons solides se divisent en boutons parasitaires, qui sont des affections
propres, en boutons congestifs et hypertrophiques, et en boutons néoplasma-
tiques.
Les boutons congestifs et hypertrophiques ont été partagés en papules et en
tubercules, mais cette ancienne division est aujourd'hui quelque peu contestée.
Nous venons de voir, en effet, que les divisions des taches et des boutons liquides
sont fondées, non-seulement sur les apparences extérieures, mais encore sur la
constitution analomico-histologique de la lésion. Or, s'il est possible de ne voir
dans la papule qu'une simple congestion ou une hyperti'ophie, cela n'est plus
possible pour les lésions décrites sous le nom de tubercules. Sous cette dési-
732 DERMATOSES.
gnalion, Baleman, Gibert, etc., comprennent le lupus, la chéloïde d'Alibert, le
pian, le mycosis, etc., toutes affections de structure fort diiïérente. Peut-être
pourrait-on, à l'exemple de Tilbury Fox, conserver le molluscum fibroïde, le
lupus, dans l'ordre des tubercules, mais il faut une autre division pour le pian,
le frambœsia, le mycosis, etc. Plus le bouton s'éloigne de la constitution nor-
male de la peau, et plus il a de tendance à devenir une affection propre.
Nous divisons les boutons hyper trop hiques en boutons papilbires, glandulaires
et dermiques.
Dans les boutons papillaires nous trouvons le prurigo et le lichen, deux genres
cutanés; et dans les boutons dermiques, le lupus seulement, qui pourrait aussi
bien faire partie des néoplasmes que des boutons liypertrophiques.
Les boutons glandulaires sont tous des affections propres.
L'ordre des exfoliations nous donne enfin deux affections génériques, le pity-
riasis et le psoriasis. Quant à l'ichthyose, ce n'est qu'une difformité qui ne varie
que du plus au moins, et ne saurait être considérée ni comme une affection
propre, ni comme une affection générique.
En résumé, voici le tableau de nos affections génériques de la peau :
CLASSIFICATION DES DERMATOSES GENERIQUES.
I Roséole.
ORDRE ( Taches sariguiiies consestives ) Érvihème.
i'^^ ^*"'^5- ' ( Urlicâire.
/ Miliaire.
,, . . , \ Eczéma,
^•^'1^"'*=* Herpès.
' Varicelle.
Bulles. . Pemphigus
\ Ecthyma.
( Rupia.
2» Ordre \ pustulo-buUcs
DES ROUTONS.
Pustules \ \ P^ydl■aciées
et '
Boutons j / Phlyzaciées. .
liquides.^ ( SuperHciels . | ^Impétigo.
Miliaire blanche.
Mentagre.
\ Acné pustuleuse.
SSycosis.
Hidro;adénite.
Furoncle.
„ r. I ^ Prurigo.
Boutons ( Papules. | Lichen.
.solides. \ Tubercules Lupus.
,- /i i, Pityriasis,
o" Ordre DES SQLAMEs | Psoriasis.
RÉFDTATION des OBJECTIONS FAITES A l'adMISSION DES AFFECTIONS GENERIQUES DE LA
PEAU. A ceux qui se refusent à admettre des genres en pathologie cutanée nous
ne ferons qu'une seule question : Pourquoi, leur dirons-nous, si vous n'admettez
pas des genres, vous servez-vous à chaque instant d'expressions qui en indiquent
forcément l'existence, sans vous douter que la langue a une logique plus forte
que tous les raisonnements? Ne dites-vous pas : psoriasis dartreux, psoriasis
syphilitique, ecthyma psorique, ecthyma syphilitique, pityriasis parasitaire et
pityriasis dartreux.
Le genre n'est autre chose que l'ensemble des phénomènes communs aux
espèces. On dit, il est vrai, c'est une abstraction; mais, sans vouloir renouveler
les disputes des nominaux et des réalistes, nous dirons que, en pathologie
cutanée, l'affection de cause externe peut, à la rigueur, être considérée comme
le genre ou tout au moins comme l'espèce qui se rapproche le plus de l'abstrac-
tion générique.
Les affections génériques do la peau ne sont pas admises seulement par les
DERMATOSES. 733
médecins sortis de notre école, elles sont reconnues encore par des médecins
peu dispose's à adopter nos doctrines en 'pathologie cutanée. Le professeur Gail-
leton admet les genres; il eu est de même du docteur Guibout qui, tout en
donnant un autre sens que nous aux mots genre et espèce, n'en admet pas moins
deux psoriasis, l'un dai-treux, l'autre syphilitique, un eczéma dartreux, un
eczéma artificiel. J'en pourrais dire autant de mon ancien collègue et ami le
docteur Lailler qui reconnaît, comme moi, quatre ou cinq espèces de lichen.
Toute différente est la manière "de voir de Hardy qui, dans chacune de nos
affections génériques, ne voit (ju'une seule entité morbide, une seule espèce
pathologique. Aussi ne sait-il où placer certaines variétés de genres cutanés.
C'est ainsi qu'il confond avec l'eczéma l'herpès préputialis, avec l'érylhème
riiydroa vésiculeux, etc. Les dermatologistes étrangers, Hébra, Erasmus Wilson,
Tilbury Fox, Ânderson, que Hardy invoque souvent pour appuyer sa manière de
voir, se préoccupent peu de la question des genres et des espèces; la nature
d'une affection ét;uit pour eux toujours la même, les modifications que cette
affection peut otfrir ne constituent que des variétés qui n'en changent pas la
nature. Les rapports des affections de la peau avec celles des autres systèmes
sont méconnus. Ce sont des effets du hasard, des complications ou des états
morbides qui, comme ceux de la peau , dépendent d'une lésion du système
nerveux central. En un mot, le lien commun des affections que nous appelons
maladie n'est pour eux qu'un être imaginaire.
Caractères généraux des affections génériques. Comme on peut le voir en
jetant un simple coup d'œil sur le tableau ci-dessus, nos dermatoses génériques
appartiennent aux ti'ois premiers ordres de nos symptômes organiques élémen-
taires, et s'offrent à l'observation sous forme de taches, de boutons ou d'exfolia-
tions, dans leur période d'état; mais au début les boutons se montrent sous
forme de taches, et vers le déclin les taches se couvrent parfois d'exfoliations
épidermiques. Les boutons peuvent s'ulcérer et laisser des cicatrices ; citons, pour
exemple, l'acné pustuleuse, l'ecthyma, le lupus.
Au début, toutes les affections génériques sont sèches, et les dermatoses
comprises dans l'ordre des taches et des exfoliations restent taches ou exfoliations
jusqu'à la fin. Il n'en est pas de même des dermatoses boutonneuses ; les unes
se comportent comme les taches; elles se recouvrent d'exfoliations épidermiques,
ne s'humectent pas et restent sèches jusqu'à la fin (prurigo, lichen). Les autres
deviennent humides par suite de la rupture des boutons et d'une sécrétion mor-
bide qui s'établit à la surface de la peau (eczéma, pemphix, impétigo). Les
liquides sécrétés se concrètent et forment des écailles et des croûtes de diverses
couleurs, qui couvrent une étendue plus ou moins grande du tégument externe.
La sécrétion morbide n'accompagne pas l'affection générique pendant toute sa
durée; elle se tarit, se suspend, pendant un certain temps, pour se reproduire,
quelquefois, à diverses reprises pendant le cours de la dermatose. Parfois la
prolifération épidermique est des plus abondantes, comme dans l'eczéma, par
exemple.
Les affections génériques caractérisées dans leur période d'état par des boutons
liquides deviennent assez souvent vers leur déclin des exfoliations épidermiques
qui remplacent les sécrétions morbides , ce qui fait que beaucoup d'auteurs, et
même des dermatologistes distingués, ont confondu et même identifié l'eczéma
avec le pityriasis. Après la rupture des boutons vésiculeux, la peau se couvre
d'exulcérations qui, lorsqu'elles n'intéressent que l'épiderme, comme dans
75i DERMATOSES.
l'eczéma, l'impéligo, le pempliix, ne laissent pas de véritables cicatrices après
elles, mais laissent souvent des maculatures qui disparaissent avec le temps.
Dans les dermatoses pustuleuses profondes, et même superficielles, comme l'acné
pustuleuse, l'ecthyma, le rupia, il y a des cicatrices presque toujours indélébiles ;
mais les ulcères les plus profonds, les cicatrices les plus difformes, se montrent
surtout vers la fin des dermatoses tuberculeuses.
Les dermatoses papuleuses ne s'ulcèrent pas , mais laissent souvent après
elles des taches brunes ou noirâtres produites par l'exagération de la sécrétion
pigmentaire.
Caractères rARiicuLiERs de chaque ordre d'affections gé^ériqdes. 1" Ge^jres
EXAîNTHÉMATiQOES {Roséole, Éry thème. Urticaire) . Taches plus ou moins étendues,
plus ou moins nombreuses, ne couvrant qu'une partie ou la totalité de l'enveloppe
cutanée, tout à fait planes ou plus ou moins saillantes, comme papuleuses ou
tuberculeuses dans les genres erylhème et urticaire, de couleur variable du rose
au rouge framboise, parl'ois alternativement blanches et rouges dans le geiu'e
urticaire, peu prurigineuses dans la roséole et l'érythème, offrant au contraire
un prurit spécial tout à fait caractéristique dans le genre urticaire, indolores ou
sensibles à la pression, ^es affections ont une marche aiguë ou chronique, par-
fois intermittente. Elles se terminent par résolution ou délitescence, avec ou
sans exfoliation épidermique, et ne laissent aucune cicatrice après elles.
Les affections génériques exanlhématiques existent sans réaction fébrile, ou
sont accompagnées de fièvre et de troubles généraux plus ou moins graves. On
peut aussi les observer sur les membranes muqueuses.
2° Affections génériques vésiculedses {miliaire, eczéma, herpès, varicelle).
De toutes les affections génériques, les plus communes sont les vésiculeuses.
Elles ont une marche aiguë, subaiguë ou chronique. Très-rarement accompa-
gnées d'un mouvement fébrile, elles sont le plus souvent apyrétiques. Les
évolutions qu'elles subissent dans leur cours comprennent les quatre ordres de
nos symptômes élémentaires; elles sont successivement taches, boutons liquides
(vésicules), exulcérations à la troisième étape et exfoliations (squame) à la qua-
trième. Aucune de ces affections ne laisse après elle de véritable cicatrice; on
ne voit après leur guérison qu'une maculature rougeàtre qui disparaît avec le
temps. Remarquons de suite que l'ordre d'évolution est parfois interverti, ce qui
arrive quand la vésicule ne se rompt pas, et que le liquide se résorbe ou se
concrète.
Toutes les affections vésiculeuses commencent par une rougeur congestive,
sur laquelle se produisent une ou plusieurs vésicules. La vésiculation paraît
souvent presque en même temps que la rougeur; d'autres fois ce n'est qu'au
bout de vingt-quatre ou trente-six heures qu'on la voit apparaître ; parfois même
la rougeur subsiste longtemps sans qu'il survienne de vésicules; elle disparaît,
et ce n'est qu'au bout d'un temps plus ou moins long, de quelques mois ou
d'une année, que survient la vésiculation. Ceci se passe dans l'eczéma; nous
appelons quelquefois eczéma avorte' cet érythème précurseur de l'affection eczé-
mateuse.
La forme de la vésicule est variable et spéciale pour chaque genre. Quelquefois
plusieurs vésicules se réunissent pour n'en former qu'une seule qui ressemble
alors à une bulle de pemphix, et cependant qui en diffère non-seulement par le
volume, mais encore par les caractères histologiques.
Le liquide contenu dans les poches vésiculeuses est alcalin, et diffère par
DERMATOSES. 735
conséquent du liquide renfermé dans les sudaniina, qui est acide. Ses qualités
sont loin d'être les mêmes dans nos quatre genres vésiculeux. La sécrétion qui
succède à la rupture des vésicules offre tout autant de variétés ; elle n'est même
abondante et vraiment caractéristique que dans une seule de cc-s affections
génériques.
Les exulcérations vésiculeuses sont toujours superficielles. Parfois cependant
elles offrent assez de profondeur dans l'herpès ponr qu'on ait pu les confondi'e
avec les chancres simples et avec les syphilides ulcéreuses.
Les exfoliations qui résultent de la concrétion du liquide exhalé de la surface
des ulcérations et d'une production plus ou moins abondante de cellules épider-
miques ont un aspect et une épaisseur qui varient beaucoup pour chaque genre ;
elles se détachent d'elles-mêmes après la guérison des exulcérations sous-jacentes,
ou tombent pour se reproduire quand elles sont soulevées par la sécrétion séreuse
ou séro-purulente.
Le prurit est un symptôme d'une haute valeur dans les affections vésiculeuses.
S'il est nul ou presque nul dans la miliaire, la varicelle et l'herpès, on peut
dire qu'il est constant, et fait souvent le désespoir des malades dans le genre
eczéma. Cependant, dans le genre eczéma lui-même, le prurit offre des variations
innombrables qui dépendent de la phase d'évolution, du siège topographique de
l'affection et surtout de la nature.
La durée de l'affection générique vésiculeuse varie pour tel ou tel genre. La
miliaire, l'herpès et la varicelle, ont habituellement une marche aiguë, régulière,
une durée de un à deux ou trois septénaires. L'herpès peut aussi être successif
et chronique. Tout le monde sait que la durée de l'eczéma n'a rien de fixe, que,
bien souvent, les traitements les plus énergiques ne l'empêchent pas de récidiver
au bout d'un temps qui varie de ((uelques mois à plusieurs années et que, dans
quelques cas même, ils n'en arrêtent ni la marche envahissante, ni la durée qui
est indéfinie.
Sur les muqueuses, l'eczéma a une marche bien plus rapide que sur la peau.
L'affection générique se présente presque toujours à la période d'exulcération ;
les surfaces sont rouges, lisses ou granulées, entourées d'épithélium déchiré et
soulevé, parfois épaissi et blanchâtre ; la douleur est piquante ou brûlante ; les
fonctions de l'organe sont essentiellement troublées. Les mêmes différences de
marche et d'aspect des lésions se présentent dans l'herpès et dans le pemphigus
des muqueuses.
3° Affections génériques bolleuses [Pemphigus). 11 n'est pas d'affection
cutanée qui mérite plus de fixer l'attention que le pemphigus. La forme géné-
rique sous des aspects divers est toujours la même, mais que de différences dans
la f^ravité de l'affection spéciale ! On peut s'en faire une idée en mettant en regard
de la bulle due à l'action des cantharides la bulle du pemphigus que nous
appelons cachectique.
Comme affection générique, nous définissons le pemphigus : affection caracté-
risée par des bulles, petites poches épidermiques variables pour le volume d'une
aveline à un œuf de poule, contenant un liquide clair dans le principe, se trou-
blant ensuite et passant à l'état séro-purulent ou même purulent, et se conver-
tissant en écailles lamelleuses ou en croûtes de forme arrondie ou ovalaire. Les
bulles sont rarement isolées, ordinairement groupées en nombre variable ; quel-
quefois, cependant, il n'y a qu'une seule bulle {pemphigus solitarius) ; d'autres
fois il en existe 5 ou 6 ou un plus grand nombre. Les évolutions sont successives
736 DERMATOSES.
et peuvent se produire sur toutes les régions du corps. Le prurit est remplace'
par un sentiment de chaleur et de brûlure. La marche de l'affection huileuse
peut être continue ou périodique. La durée varie de quelques septénaires à
plusieurs années.
4° Affections génériqdes pustuleuses. Trois groupes :
iMiliaire blanche.
Impéti'o-o.
Acné
Jlentagre.
TN ■ . , .. ( Ecthyma.
2° GROUPE Pustules phlyzaciees ; Hupia
iSycosis
Hidrosadénite.
Furoncle.
Nous appelons affections génériques pustuleuses des affections caractérisées
par un foyer purulent circonscrit ayant pour siège les parties superficielle ou
profonde de la peau. Toutes ces affections génériques ont pour caractère com-
mun une collection purulente qui s'ouvre par rupture de l'enveloppe épider-
mique, rupture à laquelle succèdent une ulcération superficielle ou profonde, et
la formation d'une croiite plus ou moins épaisse, jaunâtre, brunâtre ou noire,
composée de pus desséché, de cellules épidermiques et parfois aussi d'une quan-
tité plus ou moins grande de globules sanguins Au bout d'un temps variable,
la croûte se détache et laisse à nu soit une maculature cicatricielle, soit un
ulcère plus ou moins profond, ou bien une fistule qui communique avec la
glande sudoripare ou le follicule pileux, ou enfin une ulcération plus ou
moins sinueuse et anfractueuse.
Le début de ces affections est annoncé par une rougeur assez vive, avec ou
sans élevure, douloureuse, sensible à la pression. La guérison laisse après elle
soit de simples maculatures (impétigo), soit des cicatrices plus ou moins
enfoncées, inégales, bridées, plissées, ou bien planes et lisses (acné pustuleuse,
ecthyma, rupia, hidrosadénite suppurative, furoncle).
Dans les affections pustuleuses, le prurit existe à peine ; il est remplacé par
un sentiment de chaleur, d'élancement, par des douleurs qui augmentent par
la pression. Ces affections sont souvent compliquées de lymphites. Elles ont une
marche aiguë, subaiguë ou chronique. Elles sont sujettes à récidives. Les unes
sont groupées ; les autres sont isolées, discrètes.
Sur les muqueuses bucco-pharyngienne, la pituitaire, la conjonctive, on
observe aussi des affections pustuleuses superficielles et profondes, mais les
genres acné et mentagre ne peuvent exister qu'à l'entrée des ouvertures natu-
relles : cela se conçoit, puisqu'il n'y a de poils et de glandes sébacées que sur la
peau. C'est donc à tort que le professeur Lasègue a donné le nom d'angine
acnéique à une angine simplement folliculaire.
a. Affections pustuleuses psydraciées (impétigo, acné pustuleuse, miliaire
blanche, mentagre). Les pustules psydraciées pourraient bien avoir toutes
pour siège la glande sébacée. Ce siège est évident dans l'acné, la miliaire
blanche et la mentagre, qui ne semblent différer que par le volume et le déve-
loppement plus ou moins grand de la glande sébacée affectée. Quant à l'impé-
tigo, l'inflammation des glandes sébacées n'est peut-être pas étranger à sa
production. On l'observe surtout dans les régions où abondent les glandes
sébacées ; il n'y en a pas là où il n'y a pas de glandes sébacées ; la matière de
DERMATOSES. 737
l'impétigo est jaunâtre, tenace, et ne semble être que du pus mélangé à
l'humeur sébacée (Rayer).
Les affections pustuleuses psydraciées sont discrètes ou confluentes ; plus
souvent confluentes dans l'impétigo, elles sont généralement discrètes dans les
autres formes génériques. La première période de l'éruption est marquée par
une rougeur vive, inflammatoire, une véritable dermite et non une simple tache
congestive. Les sensations de chaleur et de brûlure s'observent particulièrement
au début de l'impétigo. Les croûtes sont jaunâtres, épaisses, comparées à du
miel ou mieux encore à de la marmelade d'abricots, — tantôt isolées, tantôt
réunies sous forme de larges placards; — d'autres fois brunâtres, isolées,
distinctes pour chaque élément éruptif. A la chute des croûtes, il existe une
maculature qui ne laisse pas de cicatrice (impétigo, mentagre), et d'autres fois
une petite cicatrice blanchâtre, plissée, ou un point blanc cicatriciel légèrement
déprimé (acné pustuleuse simple et pustuleuse miliaire).
Les affections génériques psydraciées sont apyrétiques. Leur marche est
continue ; les éruptions sont successives et par poussées ; elles sont parfois
périodiques, récidivent souvent. Elles répondent à ce que l'on appelait autrefois
dartres crustacées et dartres pustuleuses.
L'impétigo est la seule affection pustuleuse psydraciée que l'on observe sur
les membranes muqueuses, d'après Rayer. Mais cet impétigo des muqueuses
siège toujours sur les régions où elles se confondent avec la pean, c'est-à-dire là
où il existe des glandes sébacées annexées aux poils. Le professeur Courty
admet sur le col utérin des pustules d'acné différentes des granulations inflam-
matoires ; je ne saurais admettre cette manière de voir, car je ne conçois pas
l'acné là où il n'y a pas de glande sébacée ( Traité des maladies de i utérus,
par Courty, 1866).
b. Affections pustuleuses phlyzaciées. Pustules larges, aplaties, bien que
parfois le centre de la pustule soit formé par un petit prolongement conoïde,
jaunâtre, r(!mpli de pus, autour duquel s'aperçoit une zone circonférentiellc
surélevée, d'un rouge plus ou moins foncé, sensible à la pression. C'est quand
la pustule phlyzaciée se montre sur une région pileuse que l'on observe cette
forme ; on voit souvent alors le poil traverser le centre de la pustule.
L'évolution de la pustule phlyzaciée a été parfaitement décrite par Rayer:
« L'éruption débute par une élevure rouge et limitée ; dès le lendemain, on
aperçoit au centre de la tache rouge une vésicule large et remplie de sérosité
transparente. Cette sérosité se trouble vers le troisième jour; elle devient
lactescente, en même temps que le centre de la vésicule se déprime et se
marque d'un point noir. Si l'on enlève l'épiderme, il s'en écoule une petite
quantité de pus, et l'on trouve une fausse membrane arrondie, déprimée au
centre et appliquée sur le derme qui présente une légère ulcération. Lorsqu'on
suit l'évolution de la pustule, à partir du troisième jour, on voit l'épiderme se
rompre et former avec la fausse membrane que nous venons de signaler une
croûte brunâtre qui se détache vers le huitième jour. Cette croûte laisse à sa
chute une cicatrice violacée et déprimée au centre. »
Le rupia doit être rapproché de l'ecthyma. C'est une affection générique
composée d'une pustule centrale et de bulles circonférentielles d'autant plus
larges qu'elles sont plus éloignées du centre. La croûte du rupia est brunâtre,
humide à la circonférence par suite de la sécrétion séro-purulente sous-jacente.
Quelquefois la croûte est formée par la dessiccation de plusieurs bulles circon-
DICT. EN'C. XXVH. i'i
758 DERMATOSES.
lerentielles qui donnent lieu à une croûte e'iagée, conique, comparable à
l'écailIe d'huître (rupia proeminens).
L'ecthyma et le rupia ne s'observent pas sur les membranes muqueui^es, ou au
moins diffèrent totalement de ce qu'ils sont sur la peau. En un mot, les genres
pustuleux sont généralement difficiles à déterminer sur les muqueuses, et il ne
faut pas demander à y voir autre chose que des pustules varioliques, morveuses,
syphilitiques, etc., c'est-à-dire des affections spéciales, et non des affections
génériques.
c Affections pustuleuses profondes (sycosis, hidrosadénite suppurative,
furoncle). Le caractère le plus général de ces affections est l'induration
inflammatoire de la base. Cette induration s'offre parfois sous forme de noyaux
que le doigt peut sentir sous la peau et attenant à la peau par une sorte de
pédicule (sycosis parasitaire du menton). Dans rhidrosadénite,onpeut également
sentir l'induration inflammatoire au début, sous forme de tumeurs plus ou
moins grosses (abcès tubéreux de l'aisselle, gommes de la peau, etc.). Dans les
furoncles, la tumeur est plus considérable, d'un rouge violacé, douloureuse à
la pression. A la seconde période, le pus est formé : dans le sycosis, le poil
tombe et le pus se fait jour à l'extérieur ; dans l'hidrosadénite suppurative,
c'est une petite tumeur arrondie, fluctuante, une petite poche purulente qui se
crève et laisse échapper l'humeur contenue par une seule ouverture, tandis que
dans le furoncle et l'anthrax la tumeur est violacée ou bleuâtre et se perfore
en divers endroits : de ces perforations s'échappe le bourbillon ou matière séro-
purulente contenant des fausses membranes ou même des eschares gangre-
neuses.
Sur les muqueuses on voit se développer des pustules profondes perforant
souvent les membranes de part en part, mais ces pustules ne sauraient être com-
parées au sycosis, à l'hidrosadénite ou au furoncle.
5° Affections géinériques papuleuses. Les anciens auteurs appelaient pru-
7^itus ou prurit indistinctement le prurit et le prurigo, et confondaient ainsi le
svmplôme et la lésion. Mercuriali, le premier, a distingue nettement le trouble
fonctionnel ou l'altération de la sensibilité de la lésion anatomique. Parmi les
auteurs modernes, il en est comme Cazenave, Erasmus Wilson et beaucoup
d'autres, qui, en faisant de l'affection papuleuse une névrose, n'ont fait que
reproduire l'erreur des anciens. A quoi cela peut-il tenir? Évidemment à l'idée
qu'ils se sont faite du rapport entre le symptôme et la lésion. En effet, qu'est-ce
qu'une névrose? un trouble fonctionnel sans lésion apparente de l'organe lésé, ou
bien un trouble fonctionnel dont l'intensité n'est nullement en rapport avec la
lésion matérielle, et comme cette disproportion du prurit et de la lésion cutanée
existe fréquemment dans les affections papuleuses, on a fait intervenir, pour en
donner l'explication, une affection primitive du système nerveux. Mais l'hy-
pothèse d'une névrose, dans ce cas, n'explique absolument rien; névrose, con-
gestion, ou hypertrophie, qu'importe le processus ou la modalité pathogénique?
il s'agit toujours d'une affection qui varie d'intensité selon qu'elle se rattache à
telle ou telle maladie. L'aifection générique papuleuse est un symptôme de
syphilis, de scrofule, d'arthritis et d'herpétis : qu'à la place du mot affection
générique vous disiez névrose, cette névrose variera toujours de la même façon
selon qu'elle sera une manifestation de l'une ou de l'autre de ces quatre
maladies constitutionnelles. A quoi bon dès lors changer des mots qui expriment
des faits pour d'autres qui n'ont qu'une signification théorique et hypothétique?
DERMATOSES. 759
Mais, comme la doctrine organopathiqueconfondraffection avec la maladie, dès
que la lésion n'est plus proportionnelle au trouble fonctionnel, il faut trouver
l'explication du fait dans un état local, et c'est à une modification particulière
du système nerveux, dite névrose ou trophonévrose, que l'on attribue cette
prédominance du trouble fonctionnel sur la lésion anatomique au lieu de la
rapporter, tout simplement, à la maladie qui en est la véritable cause. On a
cherché, il est vrai, à expliquer le désaccord entre le prurit et la lésion papu-
leuse par la diversité du siège anatomique de la papule, qui serait tantôt le
follicule, tantôt la papille ou le tissu intermédiaire ; mais, si cette explication est
admissible quelquefois, elle est loin de nous satisfaire dans le plus grand nombre
des cas.
Les affections papuleuses sont des affections de la peau, et non des affections
du système nerveux ; il n'existe entre ces deux ordres d'affections aucune rela-
tion de cause à effet. Le prurit est un symptôme qui a naturellement sa place
dans les actiones lœsœ ; l'affection papuleuse trouve la sienne dans les Quali-
tatum externarum cori'uptiones.
Les affections génériques papuleuses ont un caractère invariable qui les
distingue des autres genres cutanés et en fait un ordre à part en dermatolo-
gie ; ce caractère constant commun à toutes les espèces n'est autre que l'état
papuleux de l'éruption, à la période de son plus grand développement, état
constitué par les papules qui sont de petites élévations solides, dures, ne ren-
fermant aucun liquide, formées par un soulèvement du corps papillaire, consti-
tuées par une simple congestion ou une hypertrophie de la papille, se terminant
par résolution avec ou sans desquamation, et ne laissant d'habitude aucune
trace de leur passage. Pour ces raisons nous ne pouvons admettre un prurigo
sans papules, ou encore un lichen avec simple production épidermique. Le lichei:
pilaris des auteurs n'est qu'un pityriasis ou une ichthyose pilaris.
L'éruption qui est papuleuse à la période d'état ne saurait être confondue avec
l'eczéma, qui est une affection essentiellement vésiculeuse à la même période;
que l'eczéma débute par des pseudo-papules ou des squames, peu importe, ce
qui le caractérise essentiellement, c'est la vésiculation à la période d'état.
Les médecins anglais et allemands ont donné au mot papule un sens trop
étendu, en le faisant, pour ainsi dire, synonyme du mot bouton. La papule n»:
représente qu'une seule modalité pathogénique : la congestion à l'état aigu,
l'hyperthrophie à l'état chronique. C'est donc à tort que Hébra indique comme
sources de la papule les divers processus qui suivent :
1» Production anormale et accumulation d'épiderme sur l'orifice des folli-
cules pileux (pour nous pityriasis et ichthyose pilaris) ;
2» Sécrétion excessive de sébum (acné) ;
3* Dégénérescence de la glande sébacée (molluscum sébacé) ;
A" Hémorrhagies dans les réseaux muqueux. Hébra cite ici, pour exemple,
le lichen lividus ; msiïs l'hémorrhagie dans ce cas n'est qu'un caractère acces-
soire : le lichen lividus est un composé de purpura et de lichen ;
5° Exsudation, soit à la surface du corps papillaire, soit dans les follicules.
Ce n'est là qu'un mode ou qu'un effet de la congestion ;
6" Hypertrophie des papilles du tact ;
7» Production de nouvelles papules. Ici on confond la papule avec le
papillome ;
8" Contraction spasmodiqiie du tissu cutané {chair de poule, cutis anserina] ;
740 DERMATOSES.
mais cet état est dû à une action immédiate et transitoire des agents physiques
ou physiologiques que l'on confond avec un [état pathologique.
Les mêmes erreurs se retrouvent chez les Anglais, comme on peut s'en con-
vaincre en lisant ce qu'Erasmus Wilson et Tilbury Fox ont écrit sur la papule.
Caractères communs aux genres papuleus (prurigo, lichen et strophulus).
Eruptions papuleuses, précédées ou non de phénomènes fébriles, pouvant se
montrer à l'état aigu ou à l'état chronique, n'occupant qu'une seule région ou
dispersées sur toutes la surface tégumentaire, se limitant le plus souvent à la
peau, gagnant quelquefois les muqueuses accessibles à nos moyens d'investi-
gation.
Les papules qui caractérisent ces affections sont isolées ou rapprochées par
groupes. Elles sont quelquefois si nombreuses et tellement pressées les unes sur
les autres qu'elles forment une couche continue sur la presque totalité de
l'enveloppe du corps. La forme, la couleur et le volume de ces boutons ne
varient 'pas moins que leur nombre. Sous le rapport de la forme, on les a com-
parés à des grains de mil ou de chènevis, à des pois, à des lentilles; ils sont
acuminés ou hémisphériques, j)arfois longs et aplatis, déprimés au centre. Leur
coloration est tantôt celle de la peau, tantôt elle est rosée ou rouge, et parfois
livide ou violacée. Leur volume est extrêmement variable et constitue l'un des
signes distinctifs des genres et des espèces. Quoi qu'en dise Erasmus Wilson, la
comparaison des papules avec les objets naturels tels que des fruits ou des
graines en donne une idée plus nette et surtout plus facile à graver dans la
mémoire qvie la mensuration de ces boutons exprimée en lignes ou en milli-
mètres. C'est dans le lichen syphilitique seulement que l'on voit les papules
acquérir un volume d'un centimètre et plus d'épaisseur ; aussi est-ce surtout
dans les livres des syphiliographes qu'on trouve de la confusion dans la descrip-
tion comparée des papules et des tubercules.
Après la papule, le symptôme le plus ordinaire de ces affections est le prurit,
qui n'existe pas cependant au même degré dans toutes les espèces. Le prurit le
plus violent se rencontre dans les affections herpétiques ; le plus faible degré du
prurit ou même son absence se voient journellement dans les affectious papu-
leuses d'origine syphilitique. Le prurit est peu prononcé dans le lichen ù
papules déprimées que longtemps après nous Erasmus Wilson a décrit sous le
nom de lichen planus. Ce lichen planus n'est pas, quoi qu'en puissant dire
Wilson et Tilbury Fox, le lichen ruber d'Hébra, et ne ressemble en rien à liJ
variété, admise par nous, de lichen pilaris, ou à l'altération fonctionnelle de la
papille pileuse, comme le pense le docteur Vidal, qui certainement n'a pas lu ce
que nous avons écrit sur le lichen à papules déprimées, sans quoi il aurait
reconnu, dans la description qu'il donne d'après W^ilson et Tilbury Fox du lichen
planus, notre lichen à papules déprimées {Voy. numéro de mai 1878, Annales
de dermatologie, publiées par Dovon).
Lts modilications que peuvent présenter les altérations de la sensibilité dans
les affections papuleuses contribuent à établir la différence des espèces. Le
pi'urit n'est pas le même sur toutes les régions du corps. C'est surtout près des
ouvertures naturelles, là où la peau se confond insensiblement avec la muqueuse,
qu'existent les plus grandes souffrances, les plus terribles démangeaisons. La
production d'épiderme qui se fait souvent avec tant d'abondance dans certaines
affections papuleuses est en grande partie le résultat des grattages, car on
l'observe d'autant plus que le prurit est plus accentué.
DERMATOSES. 741
Les fonctions de la peau sont sensiblement troublées dans les affections papu-
leuses. La sueur se supprime sur les régions affectées, le sébum n'est pas sécrété
sur les régions pileuses : de là la sécheresse de la peau, la rigidité et le dépoli
des poils.
L'affection papuleuse se présente à l'état aigu et plus souvent encore à
l'état chronique. Elle offre une marche continue, paroxystique ou périodique.
L'éruption a souvent une longue durée et n'arrive à disparaître complètement
qu'après une série de rémissions et d'exacerbations alternatives.
La terminaison ordinaire de l'affection papuleuse est la résolution qui se fait
avec ou sans desquamation.
L'éruption papuleuse peut-elle se convertir m sihi en une autre affection?
Assurément oui. Toutefois il faut prendre garde de ne pas confondre la conver-
sion spontanée des papules en vésicules ou pustules avec la production d'érup-
tions artificielles, eczéma, impétigo, ecthyma, qui sont la conséquence des
grattages auxquels se livrent les malades, souvent d'une manière effrénée.
La conversion spontanée de l'éruption papuleuse en une autre affection géné-
rique se produit sous l'influence de la maladie constitutionnelle: bien que
l'éruption change de genre, elle ne change pas de nature. Le lichen qui «le con-
vertit en eczéma, s'il est arthritique, donne lieu à un eczéma arthritique; s'il
est herpétique, il donnera lieu à un eczéma herpétique; s'il est syphilitique, c'est
en une autre syphilide qu'il se convertira.
Les aifections génériques papuleuses ne s'observent pas, ainsi que nous
l'avons dit plus haut, sur les membranes muqueuses.
6° Affections génériques tuberculeuses. Comme pour les affections hui-
leuses, nous n'avons ici qu'un seul genre, le lupus tuberculeux. Cette affection
générique se présente au début sous la forme de petits noyaux durs, faisant
corps avec le derme cutané, d'une couleur variable, jaunâtre ou sucre d'orge et
d'autres fois d'un rouge cuivré. Quelquefois il n'existe qu'un seul élément
éruptif ; d'autres fois on en compte un plus grand nombre ; ils sont isolés ou
groupés ; leur siège de prédilection est la face, mais on peut aussi les observer
sur le cuir chevelu, sur le tronc et les membres. Le lupus est une affection
générique commune à la peau et aux membranes muqueuses. Sa marche peut
être partagée en deux périodes qui en font comme deux variétés différentes :
dans la première, l'affection n'est pas ulcérée ; elle l'est dans la seconde.
1° Affections génériques squameuses. Les affections génériques squameuses
ont pour caractère distinctif l'exfoliation épidermique à la période d'état.
h'ichthyose est une difformité de la peau ; elle ne peut pas faire partie de
cette section, parce qu'elle n'est point une affection générique, c'est-à-dire une
affection commune à plusieurs maladies.
L'herpétide exfoliatrice est une affection propre de la dartre ou de l'herpétis,
et non une affection générique. J'en dirai autant de la syphilide squameuse, des
érythèmes pellagreux et acrodynique ,mis au nombre des affections squameuses
par Rayer : ce sont des affections propres, et non des affections génériques.
La lèpre des Grecs [lepra vulgaris) a éié décrite à part dans la section des
affections squameuses par Bateman, Cazenave, Rayer, et comme simple variété
de forme avec le psoriasis par Samuel Plumbe, Emery, Fleury, et par nous-
même dans nos leçons sur les affections génériques de la peau. Cette affection
doit être identifiée avec le psoriasis.
Caractères communs au pityriasis et au psoriasis. Ces affections débutent
7i2 DERMATOSES.
le plus souvent par de petites taches rosées ou rouges, congestives, dont la cou-
leur disparaît momentanément sous la pression du doigt. Ces taches sont ar-
rondies ou annulaires, restent isolées ou se réunissent et forment des plaques
plus ou moins étendues. Elles sont de niveau avec la peau saine environnante
ou surélevées et comme papuleuses, parfois prurigineuses, et d'autres fois
exemptes de démangeaisons. Elles peuvent siéger sur toutes les parties du corps,
rester bornées à une seule région ou s'étendre sur toute la surface tégumentaire,
et même sur le pourtour des orifices naturels, là où la peau se confond avec les
membranes muqueuses.
Dans un temps très-court, qu'il est souvent difficile d'apprécier, ces taches se
recouvrent, en partie ou en totalité, d'écaillés épidermiques quelquefois minces et
laissant voir au travers d'elles la coloration rosée sous-jacente de la peau, par-
fois au contraire très-épaisses et complètement opaques. Ces écailles sont petites,
comparées à des écailles de son (furfures), ou plus larges, lamelleuses, et formées
de plusieurs couches épidermiques; leur adhérence à la peau est plus ou moins
grande; elles se détachent et tombent en plus ou moins grande quantité. La
couleur des squames est très-variable et dépend surtout de leur épaisseur et de
leur ancienneté; d'un gris cendré, blanchâtre ou brunâtre, elles ont parfois un
reflet argentin très-prononcé. Planes et lisses, elles sont quelquefois rugueuses
et inégales, pour s'accommoder à la disposition des papilles sous-jacentes et des
sillons plus ou moins profonds qui les séparent. Quand les squames sont déta-
chées, elles offrent également, à leur surface interne, cet aspect uniforme ou
inégal, formé par des creux et des arêtes alternatifs.
Après la squame, le symptôme le plus important de ces affections est la rou-
geur. Cette rougeur existe au début, dans l'immense majorité des cas, elle se
trouve ensuite masquée par la squame, mais presque toujours la rougeur déborde
la squame et se montre autour d'elle sous la forme d'un anneau érythémateux.
Le prurit est le plus impoi^tant des symptômes subjectifs ; il est en général
d'autant plus prononcé que la squame est moins épaisse. Le prurit est souvent
accompagné d'autres modifications de la sensibilité qui dépendent surtout de la
nature de l'affection.
Les troubles fonctionnels qui s'observent dans les affections squameuses, tels
que la suppression de la transpiration cutanée sur les régions envahies, l'in-
somnie causée par les démangeaisons, la gène des exercices musculaires, etc.,
varient beaucoup suivant l'étendue du mal, l'épaisseur des squames et l'origine
de la lésion cutanée.
Les affections squameuses ont une marche aiguë ou chronique. C'est souvent
la même affection qui se présente au début à l'état aigu, se reproduit au bout
d'un temps plus ou moins long et devient chronique avec le type continu. Par-
fois l'affection squameuse affecte le type intermittent ou périodique. La durée
varie surtout suivant la nature du mal. On peut dire qu'en général les affections
squameuses ont une durée longue, et se montrent souvent rebelles à tous les
agents de la thérapeutique.
L'analyse microscopique nous apprend que la squame est un composé de cel-
lules pavimenteuses, de pigment et souvent de parasites. Les parasites n'en
changent pas toujours la nature. On en a trouvé dans le pityriasis aussi bien que
dans le psoriasis, mais, ainsi que je l'ai dit ailleurs, l'affection ne doit être
regardée comme parasitaire que quand le parasite joue tout à la fois le rôle de
cause, de symptôme et de lésion.
DERMATOSES. 743
La production des squames épidermiques dénote un trouble dans les forma-
tions des cellules qui les composent, et ce trouble, dans les affections géné-
riques, survient habituellement sous l'influence d'une congestion sanguine du
réseau superficiel du derjîie ; mais cette congestion n'est pas absolument indis-
pensable pour la production des écailles épidermiques, ainsi qu'on peut le con-
stater dans quelques cas de pityriasis et de psoriasis, et dans l'ichtliyose.
Les affections squameuses se montrent aussi parfois sur les parties des mem-
branes muqueuses rapprochées de la peau. L'exemple le plus remarquable que
l'on puisse en citer est le psoriasis lingual que, le premier, j'ai fait connaître
dans mes leçons sur l'artbritis et la dartre. Depuis cette époque, divers auteurs
s'en sont occupés et ont confirmé mes recherches. Malheureusement, leurs travaux
ont été à peu près stériles au point de vue pratique, c'est-à-dire du diagnostic et
de la thérapeutique. Les études histologiques de mon ancien interne, le docteur
Debove, aujourd'hui médecin des hôpitaux, tendraient à faire croire que le
psoriasis lingual n'est point une affection dartreuse proprement dite, que sa
constitution histologi([ue diffère complètement de celle du psoriasis herpétique,
et qu'il n'est psoriasis que de nom. M. Debove a toujours trouvé dans les faits
de psoriasis lingual qu'il a pu étudier sous le rapport micrographique une sclérose
du derme sous-jacente à la couche squameuse de la superficie. Je suis porté à
croire que M. Debove a conclu trop vite de quelques faits particuliers à la règle
générale. Quant au travail de M. Mauriac sur le même sujet, il suffit de le lire
pour voir qu'il n'a jeté aucune lumière nouvelle ni sur le diagnostic différentiel
ni sur la thérapeutique du psoriasis lingual.
Le psoriasis lingual est souvent le début de l'épithélioma. Ce fait admis par
tout le monde aujourd'hui, je l'avais signalé depuis longtemps dans mes
recherches sur cette intéressante affection. Mais comment reconnaître au début
le psoriasis qui doit être suivi d'épithélioma et celui qui peut guérir sans dégé-
nérescence? Ce qui est certain, c'est qu'une langue couverte entièrement dès le
début de squames argentées comparables à celles du psoriasis herpétique le
mieux caractérisé peut, au bout de dix-huit mois, deux ans, devenir le siège
d'un psoriasis mamelonné en voie de transformation épithéliomatique.
Le pityriasis existe-t-il sur la langue? Ne s'y confond-il pas toujours avec
l'eczéma? Isambert, de si regrettable mémoire, a étudié cette question avec tout
l'intérêt qu'elle mérite. 11 admet un pityriasis lingual caractérisé surtout par
l'élongation des papilles qui sont enveloppées d'une squamule épiderniique à
leur extrémité libre. Je dois dire que je suis très-disposé à adopter cette manière
de voir.
Souvent l'exfoliation épidermique est remplacée sur les muqueuses par une
excrétion spéciale, ainsi qu'on le remarque dans la rougeole. Il se pourrait que
dans le psoriasis et les eczémas qui alternent avec des bronchites opiniâtres la
matière de l'exfoliation fût un mélange de pus et de mucus altéré contenant
une énorme quantité de cellules épithéliales.
2" Dermatoses statiox.xaires ou difformités cutanées. Les états morbides sta-
tionnaires sont les difformités et les infirmités ; les premières ne sauraient être
confondues avec les secondes. La difformité consiste dans une altération de la
forme, des caractères physiques : c'est une atteinte à la beauté, à la régularité
des traits. L'infirmité est un mal habituel, un obstacle à l'accomplissement
d'une fonction plus ou moins importante, par privation d'un organe ou par
impuissance de la fonction. Sur la peau, il n'y a guère que des difformités.
744 DERMATOSES.
Cependant il en est quelques-unes qui peuvent, à bon droit, passer tout à la fois
pour difformités et pour infirmités, par exemple, la chalazodermie et l'éléphan-
tiasis arabe.
Il n'y a pas de distinction radicale, absolue, entre la difformité et l'affection
patliologique, parce que la première peut se transformer dans la seconde, et
que, tous les jours, nous voyons des affections pathologiques qui deviennent
difformités dès qu'elles cessent^de marcher, qu'elles s'arrêtent dans leur évolu-
tion, ou qu'elles ne subissent que des transformations lentes et à peine sensibles.
11 importe de ne pas prendre pour des difformités les affections pathologiques
qui subissent un temps d'arrêt, comme le psoriasis. En effet, le psoriasis peut
cesser de faire des progrès, rester quelque temps stationnaire, et pour cela ne
doit pas être confondu avec l'ichthyose. L'ichthyose n'entraîne jamais après elle
la cachexie dartreuse comme le fait le psoriasis.
Les auteurs n'ont pas précisé, comme nous, la ligne de démarcation qui
sépare les difformités des affections pathologiques : c'est pour cela qu'ils ont pu
compter parmi les affections pathologiques des lésions que nous regardons comme
de simples difformités cutanées; telles sont : les verrues rapportées à une
diathèse épithéliale; l'ichthyose comptée au nombre des dartres par le profes-
seur Gailleton.
Les difformités, aussi bien que les affections pathologiques, sont de cause
externe ou de cause interne. Les difformités de cause externe sont traumatiques,
comme le tatouage et l'éphélide ignéale, ou pathogénétiques, comme les colora-
tions bronzée et bleue produites par l'usage interne du nitrate d'argent et de
l'indigo.
La division des affections pathologiques en deux ordres, exanthèmes et impé-
tiginés, n'est point applicable aux difformités, parce qu'elles ne sont point sur
la peau des manifestations de maladies aiguës ou de maladies chroniques. La
division des genres ne leur est point applicable, car elles ne sont pas des affec-
tions génériques ; là où il n'y a pas d'espèces, il ne saurait y avoir de genres.
La seule division qui puisse leur convenir est celle des dermatoses élémentaires.
Comme pour ces dernières, nous admettons des difformités maculeuses, bouton-
neuses, exfoliatrices, ulcéreuses et cicatricielles.
Les difformités sont congénitales ou acquises. Dans le premier cas elles ont
été rapportées à des troubles de l'imagination de la mère, à des envies pendant
le cours de la grossesse, mais, en admettant la réalité de cette hypothèse, cela
n'expliquerait en rien le mécanisme de leur production.
Les difformités acquises succèdent à des affections pathologiques et doivent
dès lors être attribuées aux maladies dont ces affections ne sont que la traduc-
tion sur la peau. Dans certains cas, les difformités acquises n'ont point été
précédées d'affections pathologiques, et la cause première de leur production
nous échappe.
Certains états constitutionnels prédisposent aux difformités : citons, comme
exemples, l'arthritis, la syphilis pour l'achromie, qui n'est qu'un accident dans
ces maladies, tandis qu'elle est un symptôme du début dans l'éléphantiasis.
La difformité peut n'occuper qu'un point, qu'une seule région du corps, ou
être répandue sur de larges surfaces ou même sur la totalité de l'enveloppe
cutanée. Elle est représentée, tantôt par un seul élément éruptif, et d'autres fois
par un nombre d'éléments si considérable qu'il est impossible de les compter.
La couleur et la forme sont très-variables, selon que la difformité est constituée
DERMATOSES. 745
par des taches, par des boutons ou par des exfoliations. Ce sont des taclies d'un
rouge plus ou moins vineux, des taches blanches, jaunâtres, ardoisées, brunes,
des saillies plus ou moins proéminentes, des écailles : telles sont les trois
formes sous lesquelles se présentent habituellement les difformités cutanées.
Le prurit fait défaut, et c'est là souvent un bon caraclère pour les distinguer
des affections pathologiques avec lesquelles on pourrait les confondre.
La difformité cutanée n'entraîne le plus souvent aucun dérangement dans
l'exercice des fonctions générales. 11 faut faire une exception pour l'éléphantiasis
arabe, qui trouble la locomotion quand il siège, comme cela a lieu le plus sou-
vent, sur les membres inférieurs, les fonctions génératrices, quand il siège sur
les organes sexuels, la vision, s'il a son siège sur les paupières.
Les fonctions de la peau sont souvent plus ou moins compromises par les dif-
formités cutanées occupant de larges surfaces : la sensibilité générale et spéciale
est amortie dans l'ichthyose ; la transpiration insensible et la sécrétion de la
sueur sont notablement diminuées; il en est de même de la sécrétion sébacée.
Si la difformité siège sur les parties découvertes, la face, les oreilles, le cou, les
mains, elle nuit à la régularité des traits ; elle inspire parfois du dégoût et
empêche les personnes qui en sont atteintes de paraître dans la société. Par le
volume qu'elles peuvent acquérir, les difformités sont non-seulement fort dis-
gracieuses, mais encore gênent les mouvements et nuisent au libre exercice de
certaines fonctions.
La marche des difformités est toujours lente et leurs progrès insensibles ; tou-
tefois, sous l'influence des modifications physiologiques et hygiéniques, elle
peuvent subir des transformations dans leurs caractères extérieurs et dans leur
structure intime, lesquelles, pour être à peine apparentes, n'en sont pas moins
réelles.
Leur durée est indéterminée : dans beaucoup de cas, elles persistent jusqu'à
la mort de celui qui les porte ; d'autres fois, elles disparaissent sans qu'on
puisse expliquer la cause de cette disparition, pas plus qu'on ne peut donner
la raison de leur apparition. Ainsi, le vitiligo syphilitique disparaît plus ou
moins longtemps après la guèrison de la syphilis; quelquefois il persiste, sans
que l'on puisse attribuer cette persistance et cette prolongation à la persistance
de la diathèse syphilitique. Le vitiligo arthritique est plus tenace encore, et pour
ce qui est du vitiligo spontané, idiopathique, bien qu'il soit le plus tenace de
tous, nous n'en avons pas moins observé que, dans quelques cas, rares, il est
vrai, il pouvait aussi disparaître par le seul fait du travail de la nature, et par-
fois après avoir résisté à tous les moyens employés pour le combattre.
Après ces considérations générales sur la symptomatologie des difformités
cutanées, il faudrait donner la description des difformités en particulier ; mais
ici encore je ne dois qu'effleurer le sujet, renvoyant aux articles N^vus, Derma-
TOLYsiE, IcHTHYosE, etc, oià l'ou ti'ouvera une histoire complète et détaillée de
chacune de ces affections de la peau.
Difformités de cause externe. Parmi les difformités de cause externe, il n'en
estaucunequi mérite de nous arrêter : le tatouage, l'éphélide ignéale connue sous
le nom de vergetures et qui s'observe surtout sur les femmes de la campagne
faisant usage de chaufferettes, ne nous offrent qu'un très-médiocre intérêt. 11 en
est de même des colorations assez rares produites par l'indigo et le nitrate d'ar-
gent, mais plus fréquentes alors (jue ce dernier agent était employé contre
l'épilepsie : médication aujourd'hui tout à fait abandonnée depuis que, le
746 DERMATOSES.
premier, j'ai fait connaître le traitement par le bromure de potassium à hautes
closes.
Difformités (le cause interne. Pour leur étude, ainsi que nous l'avons déjà
dit dans le cours de cet article, il faut suivre les divisions des dermatoses élémen-
taires.
Nous aurons donc des difformités maculeuses, des difformités boutonneuses
et hypertrophiques et des difformités squameuses.
Nous ne dirons rien des difformités ulcéreuses, qui sont fort rares, rien non
plus des difformités cicatricielles, dont l'histoire se confond avec celle des cica-
trices considérées comme signes et fait partie de la séméiotique cutanée. .
A. Difformités maculeuses. Elles sont pigmentaires ou sanguines, a. Les
difformités pigmentaires sont au nombre de trois : Vachromie, Vhyperchromie
et la dyschromie.
L'achromie est générale ou partielle. L'achromie générale porte plus particu-
lièrement le nom de leucopathie, qui est congénitale ou accidentelle.
La leucopathie congénitale n'est autre que l'albinisme. La leucopathie générale
et accidentelle s'observe sur les noirs qui, dans ce cas, sont appelés nègres-pies.
Reste donc la leucopathie partielle ou l'achromie. L'achromie vraie est une
affection rare; le plus souvent, elle est accompagnée d'hjperchromie, et c'est
à tort que, dans ce cas, les auteurs lui donnent le nom d'achromie. Nous avons
observé l'achromie vraie sur un ingénieur de l'isthme de Suez : cette achromie
avait son siège sur un sourcil et la peau avoisinante du côté sur lequel il rece-
vait les rayons solaires pendant son séjour dans le désert. Il n'est pas rare de
voir des individus porteurs d'une touffe ou deux de cheveux blancs sur une
belle chevelure noire.
A la difformité hyperchromique j'ai rattaché : 1° la nigritie; 2° le mélasma;
0" le Icntigo; 4" les ntevi pigmentaires.
La nigritie est générale ou partielle, congénitale ou accidentelle. On l'observe,
pendant la grossesse, comme simple difformité, et comme symptôme dans cer-
taines syphilides, certains prurigos, dans la maladie d'Addison.
L'hyperchromie syphilitique est très-commune, mais, pour moi, elle n'existe
jamais seule; toujours elle est liée à une autre syphilide, notamment aux plaques
de la peau et à la syphilide papulo-tuberculeuse. L'hyperchronde syphilitique du
cou n'est pas une hyperchroraie vraie; c'est une véritable dyschromie ou vitiligo :
il y a des taches décolorées et des taches hypercolorées.
Est-il nécessaire de dire que j'établis une distinction entre le lentigo (tache
de rousseur) spontané et le plus souvent congénital, et l'éphélide solaire, tache
de rousseur purement accidentelle ? Le lentigo peut exister partout et ne dis-
paraît jamais, tandis que l'éphélide solaire n'existe que sur les parties décou-
vertes, exposées aux rayons solaires, et disparait pendant l'hiver.
Les nrevi pigmentaires sont très-variables de couleur et d'étendue; lorsqu'ils
sont couverts de poils ayant un développement insolite, on les appelle spili,
expression consacrée par Alibcrt.
b. Difformités vasculaires. Elles sont, commes les taches, intra ou extra-
vasculaires. Nous admettons deux sortes de ncevi : les uns qui disparaissent com-
plètement par la pression du doigt, les autres qui ne disparaissent qu'en partie.
Nous avons donné aux premiers le nom de nœvi aranei, et aux seconds celui de
ncevi flammei.
Il y a des nœvi mixtes; c'est un de ces ncevi mixtes qui a été pris par
DERMATOSES. 747
M. Hillairet pour une affection pathologique. Enfin, dans quelques cas, le nœvus
est en partie vasculaire, en partie pigmentaire. Deux ou trois fois j'ai été consulté
pour des malades atteints d'une éruption roséoliqac généralisée qu'ils portaient
depuis huit ou dix ans sans qu'il fût survenu la moindre modification dans
cette éruption. L'un de ces malades avait consulté M. Ricord, qui avait su par-
faitement distinguer cette roséole de la roséole syphilitique. C'est encore une
affection à rapprocher du n;rvus acquis, qu'on peut appeler naevus roséolique.
B. Difformités hoiitonneuses. Les houtons liquides, vésicules, bulles et pus-
tules, ne sauraient traduire sur la peau des difformités ; par suite de leur con-
stitution, ces boutons subissent fatalement des modifications : l'enveloppe se
rompt et le liquide s'échappe, puis se transforme en écailles ou en croûtes.
Nous avons dit que la difformité ne subissait aucun changement : c'est donc
dans les boulons solides et durs que se trouvent comprises les difformités bou-
tonneuses. Toutefois, nous ferons une exception pour l'acné, qui peut dans cer-
tains cas donner lieu à une affection qu'à bon droit on peut classer parmi les
difformités boutonneuses : je veux parler du varus miliaris d'Alibert. Voici ce
qui se passe : la pustule acnéique se durcit par la concrétion de la matière con-
tenue dans le folhcule, forme une petite saillie granuleuse, blanchâtre, sur la
paupière ou sur d'autres points du visage, assez souvent sur les parties sexuelles,
dans l'un et l'autre sexe ; elle est arrêtée dans son évolution, ce n'est plus qu'une
simple difformité qu'Alibert et ses élèves ont appelée acné miliaris, et que nous
avons décrite sous le nom de m,olIuscum granulum. Pour ne plus revenir sur
l'acné à propos des difformités cutanées, signalons encore ces petits mamelons
jaunâtres, brunâtres ou tout à fait noirs, que l'en observe assez fréquemment
dans l'âge adulte et dans la vieillesse, sur le cou, le thorax, dans le dos, et qui
sont formés par l'agglomération de glandes sébacées hypertrophiées.
Dans mes leçons sur les difformités cutanées, j'ai rattaché aux boutons solides
un certain nombre de difformités cutanées et successivement décrit comme
telles :
\° La verrue ; 2° le iifcvus boutonneux; 5" le molluscum.
La verrue et le nœvus boutonneux ont été ou seront décrits aux articles n.evijs
et Verrue.
Quant au molluscum, qui a déjà fait l'objet d'un article intéressant dans ce
Dictionnaire, tous les auteurs sont loin d'être d'accord sur ce qu'il faut entendre
par ce mot. En effet, sous cette dénomination, on a confondu des affections pa-
thologiques comme l'acné varioliforme (molluscum contagiosum de Bateman)
et le mycosis ou lymphadénome cutané, et de simples difformités telles que le
molluscum stéarique et le fibrome de la peau. On s'accorde généralement
aujourd'hui à ne comprendre sous le nom de molluscum que des difformités
boutonneuses.
Déjà, dans mes leçons de 1866, j'avais fait voir à mes élèves, sur un malade
qui m'avait consulté, une éruption papuleuse disséminée sur la plus grande
partie de l'enveloppe cutanée, et ressemblant, de manière à tromper l'œil le plus
exercé, à l'affection pathologique décrite par Bateman sous le nom de lichen
Jividus, et par moi sous le nom de lichen à papules déprimées. L'année sui-
vante, un nouveau fait de la même affection papuleuse s'étant présenté à mon
observation, j'en fis prendre le moule en carton pâte, qui doit se trouver aujour-
d'hui au musée de l'hôpital Saint-Louis. On ne pouvait pas donner à cette affec-
tion le nom de lichen, car le lichen est une affection générique, à évolutions
7.48 DERMATOSES.
successives, très-démangeante, tandis que ralfeclion papulcuse dont je parle
était restée statiounaire et sans prurit depuis de longues années : pour ces raisons,
j'ai pensé qu'où la distinguerait suffisamment des autres difformités en l'appe-
lant molluscum lichénoïde.
J'ai admis trois sortes de difformités hypertropliiques : \° la simple hyper-
trophie de la peau; 2° la chalazodermie; 3° l'éléphanliasis arabe.
a. Difformités squameuses. Aux vices de la production épidermique se rat-
tache l'ichthyose, que j'ai décrite avec trois variétés, nacrée, serpentine et
cyprhie.
Dans mes leçons de 1866, j'ai décrit, en même temps que l'ichthyose cutanée,
l'ichtliyose pilaris, improprement appelée pityriasis pilaris. L'ichthyose pilaris est
une affection statiounaire, sans démangeaison. Les squames amoncelées sur l'in-
sertion du poil ne se détachent pas comme celles du pityriasis. On l'a con-
fondue avec la chair de poule; mais cette dernière n'a qu'une durée éphémère,
landis que la première est permanente. Momentanément disparue par les fric-
lions d'huile de cade, l'ichthyose pilaris ne tarde pas à reparaître.
En résumé, voici notre classement des difformités cutanées :
CLASSEMENT DES DIFFORMITÉS CUTANÉES (CONGÉNITALES ET ACQUISES).
PREMIER ORDRE. — Diffoiuiités de cause externe (amificieli.es).
A. Difformités de cau.ec directe (artificielles) Éphélide ignéale, tatouage.
( Teinte bronzée par l'usage du nitrate
li. Difformité.s de cause indirecte fpathogénétique.s) | d'argent.
! Teinte bleue par l'emploi de l'indigo.
DEUXIÈME ORDRE. — Difformités de cause interne (spostanées).
,, , . ( Éphélide lenticulaire, nigritie, najvi
Ilyperchromic | pigmentaires, mélasma.
. , . , . i Aliiinisrae, leucopaihie générale, par-
a. l'igmenlaires . <! .\cliroinie tiellp
. „ , I ^ , . \ Vitiligo congénital, accidentel, partiel
\. Maculeoses. ./ [Dyschromie ^ ou général.
/,.,,. ( Naevus flamnieus, araneus, à per-
I b. Vascula.res ^ „i„„g
l Naevus boutonneux, molluscum, ver-
I Eoutonneuses ! „ „„
tî. COCTOXNEDSES I > FueS.
HïPEiiTROPHiQi'Es. „ . ■ • \ Demiatolysie, hypertrophie cutanée,
ITypertroph.ques ^ éléphantiasis arabe.
I.'. ExFOLiATBicEs Ichthyosc cutanée, Ichthyose pilaris.
,, ,, . ; Atrophie congénitale,', absence d'une
D. LiXEKEUSES ATROPHiQUES , OU de plusieufs couches de la peau.
E. Cicatricielles Cicatrices permanentes.
Observations critiques relatives à V admission d'une classe particulière pour
les difformités cutanées. La plupart des dermatologistes n'ont pas su créer
une classe à part pour les difformités cutanées, car ils ont toujours ignoré le
principal caractère qui distingue les maladies des difformités, caractère tiré de
la marche des états morhides. Les maladies sont représentées sur la peau par
les affections en voie d'évolution, et les difformités par les affections arrêtées
dans leur évolution.
Cependant, à diverses époques, des tentatives ont été faites pour séparer les
affections stationnaires, qui sont les difformités, des affections en voie d'évolu-
tion, qui appartiennent aux maladies; mais, comme le même symptôme orga-
nique, la même dermatose, peuvent traduire tout à la fois sur la peau des ma-
DERMATOSES. 749
ladies ou des difformités, on conçoit facilement pourquoi ces tentatives n'ont
abouti qu'à former des groupes de difformités dans lesquels se trouvent mêlées
çà et là des affections en voie d'évolution. C'est ainsi que Batemnn a fait une
classe de macules dans laquelle figurent l'éphélide elle n;evus : sous la dénomi-
nation d'éphélide, il confond une affeclioii de cause externe, l'éphélide solaire,
avec le lentigo. Sous le titre naevus, il comprend non-seulement des affections
maculeuses, mais encore des affections boutonneuses et hypertrophiques. D'un
autre côté, l'ichtliyose, qui est une difformité, est décrite dans la classe des
squames à côté des affections squameuses pathologiques. Alibert a disséminé
les difformités cutanées dans ses deux familles des dermatoses liématiques et
hétéromorphes ; Hardy a fait une classe à 'part des macules et des difformités,
mais il ne les a pas nettement séparées des affections en voie d'évolution.
Comme Bateman, il confond l'éphélide solaire, qui est une affection de cause
externe, disparaissant l'hiver, avec le lentigo, qui est nue difformité. Il place, à
tort selon nous, la chéloïde parmi les difformités du derme.
Devergie seul a fait une objection plus spécieuse que solide à notre classe des
difformités. Comparant les deux principales classes d'états morbides admises
par nous, celle des affections en voie d'évolution et celle des affections arrêtées
dans leur évolution, il trouve que le choix n'est pas heureux, par cette raison
que la première comprend toutes les affections que le médecin est appelé à
traiter, tandis que la seconde ne comprend que des macules et des états hyper-
trophiques ou ati'ophiques presque toujours congénitaux, contre lesquels la mé-
decine est presque toujours impuissante. Ce que dit de ces deux classes M. De-
vergie est très-juste, et c'est l'argument le plus fort que l'on puisse faire valoir
pour démontrer l'utilité pratique de cette grande et importante division. Mais
M. Devergie a tort d'établir une comparaison entre deux classes d'états morbides
fort différents, les uns traduisent des maladies, les autres des difformités.
Aussi, pour ne plus nous exposer à pareil reproche, avons-nous séparé com-
plètement les difformités des maladies, pour traiter des affections qui les
représentent sur la peau dans deux chapitres différents de la symptomatologie
cutanée : le premier chapitre est consacré à l'étude des dermatoses élémen-
taires; le deuxième chapitre comprend deux parties : les affections génériques.
qui sont des affections en voie d'évolution, et les affections stationnaires, (jui
sont les difformités. Le troisième chapitre est exclusivement réservé à l'his-
toire des affections propres et spéciales traduisant sur la peau les unités patho-
logiques.
C. Dermatoses spéciales et dermatoses propres. La dermatose élémentaire
et la dermatose générique empruntent leurs caractères au siège anatomique de
la lésion et au mode pathogénique. La pustule de l'acné, prise isolément, est
une affection cutanée élémentaire. L'affection acnéique pustuleuse, considérée
dans l'ensemble de tous ses éléments éruptifs, dans son début, sa marche et sa ter-
minaison, est une affection générique. Jusque-là toute la description se borne à
l'exposé des symptômes de l'acné pustuleuse, qui repose sur le siège anato-
mique et la nature inflammatoire de l'acné ; mais le siège topographique de
l'éruption acnéique, le volume, la coloration de la base des pustules, etc., et
jusqu'aux cicatrices que laisse après elle cette éruption pustuleuse, nous four-
nissent des signes qui décèlent l'origine de l'acné ou la maladie qui lui a donné
naissance. Eh bien, ces caractères particuliers que nous transformons en signes
pour arriver à un diagnostic complet, ce sont les caractères que la maladie
750 DERMATOSES.
imprime elle-même à l'affection générique, et qui en font une affection spé-
ciale.
Nous appelons affections propres des affections qu'on ne peut rattacher à
aucun genre, et qui, pi\r leur aspect, leur évolution, leur constitution ana-
tomique, révèlent immédiatement la maladie qui leur a donné naissance. Ainsi,
la plaque muqueuse est une afi'ection propre de la syphilis : quel que soit sou
siège topogra|)hique, sur les muqueuses, sur la commissure des lèvres, sur la
peau, on ne doit pas la confondre avec une papule syphilitique, et encore moins
avec une papule de lichen. 11 serait impossible de lui assigner une place dans
la succession des accidents syphilitiques, et on la voit survenir tout aussi bien
au début qu'à la tin de la maladie constitutionnelle. L'hydroa vésiculeux est
une affection propre de l'arlhritis, de même que le mycosis est une affection
propre de la diathèse lymphadéniquc.
Sur quelles bases devons-nous établir le classement des affections spéciales
et des affections propres? Puisque les dermatoses sont la traduction des ma-
ladies sur les membranes tégumentaires, il est évident que ce classement doit
correspondre à celui des maladies. Mais le classement des maladies est difficile,
surtout avec la doctrine généralement admise aujourd'hui, doctrine qui confond
les causes, les lésions et les symptômes-affections avec les maladies. Notre mé-
thode, à nous, est celle de la distinction des états morbides, et nous divisons
les maladies comme les affections en celles de cause externe et en celles de
cause interne. C'est là, dit Gihert dans la dernière édition de son Traité des
maladies de la peau, une division éminemment pratique; mais notre regretté
collègue de l'hôpital Saint-Louis, si vite et si tristement enlevé à la science
quelques années après sa retraite de l'hôpital, tout en constatant l'exlrême uti-
lité de cette division éminemment pratique, la fait remonter à Hippocrate; ce
qui prouve qu'il n'en avait pas compris toute la portée. Cette division n'est pas
seulement une division étiologique, elle est encore et surtout une division par
Ja nature, par l'origine morbide qui imprime des caractères particuliers aux
groupes de ces deux grandes classes, caractères propres à les faire reconnaître.
Or il est évident que, quand on prend les genres pour les espèces, pour des
unités pathologiques, on s'inquiète peu de savoir si la cause qui les a détermhiés
est externe ou interne. Pour Hardy, l'eczéma étant toujours une unité patholo-
gique distincte, l'effet d'une diathèse spéciale, sans relation directe avec la scro-
fule ou l'arlhritis, on s'explique pourquoi ce distingué professeur rejette l'eczéma
de cause externe, et combat à outrance l'eczéma chronique par l'emploi de l'ar-
senic, sans calculer les suites que peut avoir une pareille médication.
Les dermatologistes contemporains qui ont pu faire progresser la science en
taxant d'erronées les limites que Plenck et Willan avaient imposées aux préten-
dues maladies de la peau pour les distinguer les unes des autres n'ont pas vu,
en admettant que la même maladie peut représenter tous les ordres de la classifi-
cation willanique, comme l'eczéma, par exemple, n'ont pas vu, dis-je, qu'ils se
trompaient seulement au point de vue de la maladie : si l'affection n'est qu'un
symptôme, elle peut être tour à tour un érythème, un impétigo, unlichen, etc.,
mais, si l'affection est une maladie, elle ne saurait être tout à la fois un érythème,
un impétigo, un lichen, un psoriasis, à moins d'être un protée pathologique, ce
que personne ne peut admettre. Ces divers états de la peau sonf-ils des formes,
des variétés d'une même maladie, l'eczéma? assurément non; c'est comme si
l'on disait : la roséole, le lichen syphihtique, l'impétigo et le lupus syphilitiques.
DERMATOSES. 751
la gomme cutanée, sont des variétés d'une seule et même maladie, h papule,
hypothèse d'ailleurs qui a été émise par certains syphiliographes, et plus parti-
culièrement par Râteau; mais le plus simple bon sens suffit pour faire rejeter
une pareille manière de voir. Toutes ces affections cutanées sont les symptômes
d'une même maladie, la syphilis. Or, il en est de même pour la scrofule, l'ar-
thritis et l'herpétis.
Nous aurons donc deux grandes classes d'affections spéciales : l'une pour les
affections de cause externe, l'autre pour les affections de cause interne.
Premœre classe. Affectio.ns de cause exterme. Trois grands caractères
séparent les affections de cause externe des affections de cause interne.
Le premier est tiré de la symptomatologie de ces affections, et consiste dans
la multiplicité des lésions élémentaires et des affections génériques; papules, vé-
sicules, pustules, sont souvent entremêlées. Les genres exanlliéraatique, papu-
leux, vésiculeux, pustuleux et huileux, se rencontrent ensemble ou se succèdent
à de courts intervalles.
Un second caractère nous est fourni par la marche de ces affections, toujours
eu rapport avec l'action plus ou moins durable de la cause provocante ou
déterminante.
Enfin, le troisième caractère est donné par la thérapeutique. C'est en effet la
thérapeutique des affections de cause externe qui justifie surtout l'aphorisme :
sublata causa, toUitur effectus.
Je divise en trois sections la classe des affections de cause externe : la pre-
mière section comprend les affections qui ont pour principe le traumatisme ; la
seconde celles qui sont dues au parasitisme ; et la troisième celles qui sont l'effet
du pathogénétisme.
Dans la première section, les lésions cutanées sont produites par des agents
mécaniques, physiques ou chimiques. Selon le mode d'action de ces agents, nous
subdivisons cette section en deux parties : la première est consacrée à l'histoire
des lésions produites immédiatement par le seul effet de la cause ; la deuxième
à l'histoire de celles qui ne surviennent qu'au bout d'un temps plus ou moins
long, temps pendant lequel la nature prépare l'affection cutanée, et qui peut
être comparé à la période d'incubation des fièvres éruptives.
Première section. Affections traumatiques. Chapitre premier. Affec-
tions DE cause MÉCA^'IQUE 00 PHïsiQCE. Dans ces affections, l'action est immé-
diate, instantanée, et les tissus vivants passent sans transition de l'état de santé
à l'état de maladie ; la lésion infligée à la peau a lieu sur place, d'une manière
entièrement passive ; la réaction n'est pas obligée, ou ne survient que plus tard
et comme effet consécutif. Dans les affections provoquées (artificielles de Rayer),
l'action n'est plus immédiate, et un intervalle de temps variable s'écoule entre
l'application de la cause et l'effet qui en doit résulter. Tout d'abord on ne con-
state rien d'appréciable, puis la réaction arrive et l'affection se manifeste. Cette
période de silence complet est assez comparable à la période d'incubation des
lièvres éruptives ; c'est une sorte de vibration imprimée à l'organisme et qui ne
s'arrête qu'au phénomène morbide.
Mais y a-t-il toujours entre les affections immédiatement déterminées et les
affections provoquées une ligne de démarcation tien nette et bien accusée? Non,
car le même agent qui, chez un sujet, aura produit un effet immédiat, n'agira
sur un autre qu'en vertu de la réaction vitale, et sur un même sujet les deux
752 DERMATOSES.
effets pourront se combiner de telle façon qu'il sera souvent difilcile de pre'ciser
où l'un s'arrête et où l'autre commence. Il ne faut donc accorder à ces divisions
qu'une importance raisonnée, et ne pas aller plus loin que la nature elle-
même.
Énumérons succinctement les différents groupes d'affections de cause méca-
nique que nous avons admis dans nos leçons sur les affections artificielles
publiées et rédigées par le docteur Guérard.
§ I. Plaies par instruments piquants^ tranchants et contondants. Leur
histoire appartient tout entière à la chirurgie.
§ II. Piqûres et morsures d'animaux non venimeux, non parasites, a. Pi-
qûres de punaises. Douleur plus ou moins vive au moment de la piqûre, puis
tache rouge et bouton papuleux ;
b. Blessures faites par les animaux urticants (processionnaires, actinies et
méduses, orties de mer). Taches rouges érythémateuses ; urticaire artificielle;
prurit très-vif;
c. Rouget. Taches rouges ; vésicules, papules (lichen acarique de Gibert
d. Cousins. Le plus souvent les effets ne se font pas sentir immédiatement
après la piqûre ; ce n'est qu'après quelques heures ou un jour ou deux qu'on
voit survenir de grosses papules très-démangeantes. Quelquefois, si les piqûres
sont nombreuses, il y a fluxion, œdème, et même quelques troubles généraux,
des nausées et de la fièvre;
e. Morsure de la sangsue. Petite plaie d'aspect triangulaire autour de
laquelle se produit quelquefois un cercle livide ou trombus formé par le sang
infiltré. Peut s'enflammer et donner lieu à une inflammation suppurative cir-
conscrite.
§ III. Tous les degrés de la brûlure, depuis Vénjthème et le coup de soleil
jusqu'à Veschare. Érythème solaire, simple rubéfaction de la peau variant du
rose tendre au rouge le plus foncé, avec sensation de chaleur et de cuisson,
suivi parfois d'exfoliation. Dans quelques cas il y a brûlure au second degré, et
l'on voit se produire des vésicules sur les surfaces rubéfiées. Dans quelques
variétés, troubles généraux (céphalalgie, anxiété, insomnie, fièvre, etc.).
§ IV. Tous les degrés de la congélation, depuis V engelure jusqu'à la mortifi-
cation complète. Engelure, érythème pernio. On distingue deux degrés dans
l'engelure : 1" l'engelure non ulcérée; 2" l'engelure ulcérée. Se complique par-
fois d'hydroa et d'érythème papulo-tuberculeux (affections de nature arthritique
qui ne surviennent que dans les engelures permanentes).
§ V. Lésions cutanées produites par l'électricité et les caustiques.
§ VI. Lésions cutanées produites par une pression lente, ou par le contact
de fluides sécrétés plus ou moins altérés, a. Intertrigo. Rougeur diffuse qui
paraît d'abord au fond du pli cutané, sous la forme d'une hgne ondulée qui
s'étend peu à peu à la manière d'un liquide et finit par envahir toute l'étendue
des surfaces en contact sans les dépasser, à moins de complications. L'intertrigo
simple, de cause externe, devient souvent le point de départ de l'intertrigo scro-
fuleux {erythenia purifluens) , ou de l'intertrigo arthritique (intertrigo sycosique);
b. Crasses non parasitaires (crasses laiteuses, crasses membraneuses,
achor lactumineux, crusta lactea) {voy. Gourmes) ;
c. Érythème par décubitus prolongé (érythème paratrime d'Alibert) ;
d. Oiiijle incarné. Ongle rentré dans les chairs.
Chapitre II. Affections provoquées. II existe, avons-nous dit [Leçons sur
DERMATOSES. 7b5
les affections cutanées artificielles), pour ces éruptions comme pour les érup-
tions constitutionnelles, un ensemble de cai-actères dont la valeur ne saurait
être contestée. Ces caractères se tirent principalement :
1° De \q\iv siège, qui est surtout aux parties découvertes; elles ont en outre"
une sorte de prédilection pour les parties génitales ; 2° de leur forme, essentiel-
lement variable, le plus souvent diffuse, mal arrêtée, quelquefois au contraire
d'une régularité presque géométrique (par suite d'applications d'emplâtres irri-
tants) ; 5" de leur Jnode pathogénique et de la multiplicité des éléments qui les
composent; 4" de lenv intensité, qui est proportionnelle à la cause; 5° de leur
marche : apparues brusquement, elles décroissent avec une égale rapidité, dès
que l'agent provocateur a été écarté ; elles ne font en quelque sorte qu'effleurer
l'organisme ; 6" de leur durée, qui est fort courte et toujours en rapport avec la
durée d'action des causes ; 7° de leur cause, généralement facile à saisir ;
8° enfui, de leur guérison, rapide et radicale, sans le secours d'aucun traite-
ment, lorsqu'elles sont simples et exemptes de toute complication.
Je divise les affections provoquées en six groupes, que nous allons passer rapi-
dement en revue :
A. Éruptions provoquées par les circumfusa et les applicata. i" Circwn-
fiisa: a. Éphélide solaire. La lumière augmente la sécrétion du pigment sur
les parties exposées à son action. L'éphélide résulte, non pas d'un surcroît d'ac-
tivité fonctionnelle de la peau, mais de la perversion et du trouble de la fonc-
tion ; c'est une véritable bypercbromie : la matière colorante en excès se rassemble
sous forme de taches irrégulières, déchiquetées, anguleuses, d'une colora-
tion jaunâtre, safranée, ne formant aucune saillie, n'étant le siège d'aucune
furfuration ;
b. Roséole estivale. Taches rouges, sans saillie, disparaissant à la pression,
petites et isolées dans certains cas, comme on l'observe dans la rougeole, ou
prenant l'aspect diffus et granulé de l'éruption scarlatineuse ; accompagnée
parfois de chaleur cuisanle, l'éruption peut être précédée ou accompagnée de
malaise général et d'une réaction fébrile peu prononcée. La résolution de ce
pseudo-exanthème, qui survient sous l'influence d'un éréthisme cutané produit
le plus souvent par les fortes chaleurs de l'été, se fait avec ou sans desqua-
mation ;
c. Miliaire sudorale. Affection qui ne diffère de la précédente que par son
caractère vésiculeux ;
d. Lichen tropicus. Papules rouges et rugueuses qui, le plus souvent, cou-
vrent tout le corps, sont accompagnées d'un prurit très-violent ; survient sons
l'influence de la température élevée des régions intertropicales ;
e. Éruptions provoquées par le- froid. Chair de poule permanente, lichen
pilaris ;
f. Éruptions provoquées par la viciation de l'air. Rentrent dans le groupe
des affections produites par la substance qui corrompt l'air (éruptions arseni-
cales, éruptions produites par les papiers de tenture).
2° Éruptions provoquées par les applicata : a. Affections érythémateuses et
pustuleuses produites sur le front par la pression du chapeau, sur le cou (dartre
en collier de Sauvages), sur les jarrets (jarretière de Sauvages), sur la partie
interne des cuisses par les pantalons de laine;
b. Tylosis. Le tylosis gompheux (cor aux pieds) ; le tylosis calleux (duril-
lon) ; tylosis bulbeux (œil de perdrix); tylosis .buUeux l(bulle), qui vient au
DICT. EKC. XXVII. 48
754 DERMATOSES.
talon ou sous les orteils à la suite d'une forte pression ou d'un choc portant sur
un point quelconque de la circonférence ou de la plante du pied.
B. Des affections cutanées qui dépendent des professions. Ces affections
sont nombreuses et très-importantes au point de vue de l'intérêt pratique qui
s'y attache.
Je les ai divisées en trois sections (voy. Leçons sur les affections cutanées
artificielles, rédigées et publiées par le docteur Guérard. Paris, 1862) : 1" Les
agents de la première section agissent non-seulement d'une manière locale, mais
encore après absorption et en vertu de propriétés toxiques; 2" les agents de la
deuxième section ne possèdent aucune propriété toxique, mais ils répandent
autour de l'ouvrier une atmosphère de poussière nuisible et irritante, laquelle
pénètre dans les voies respiratoires, agit sur les muqueuses, etc. ; 5° enfin, dans
la troisième section sont rangés les agents dont l'action ne va pas au delà de la
partie avec laquelle ils sont mis volontairement en contact.
Nous ne dirons qu'un mot de ces affections qui sont décrites spccialcuicnt
dans les articles consacrés à l'hygiène professionnelle.
1" A la première section se rattachent :
a. Les éruptions propres aux ouvriers qui manient les verts arsenicaux : éry-
thème, eczéma, chancres, plaques muqueuses d'origine arsenicale. Coloration
spéciale ;
b. Les éruptions propres aux ouvriers qui travaillent la canne de Provence :
érythème, vésicules et pustules précédés et accompagnés de symptômes géné-
raux ;
c. Affections propres aux ouvriers employés à piler les oranges amères : trou-
bles du côté du système nerveux, érythème, vésiculation, pustulation, etc. ;
d. Éruptions propres aux peintres, teinturiers, apprèteurs de couleurs, mi-
nium, chromate de plomb : éruptions locales et troubles généraux; intoxication
saturnine, etc. ;
e. Éruptions propres aux ouvriers en cuivre : coloration verdâtre des che-
veux;
/'. Éruptions propres aux ouvriers employés à l'étamage des glaces, aux do-
reurs : éruptions cutanées, eczéma artificiel. Le tremblement, les accidents pro-
duits par l'absorption du mercure n'existent plus depuis l'application des pro-
cédés galvano-plastiques ;
g. Éruptions propres aux ouvriers employés dans les fabriques de produits
chimiques et pharmaceutiques. Ce sont surtout des affections cutanées érythé-
mateuses, vésiculeiises, avec tuméfaction des parties atteintes.
2° Deuxième section : agents qui donnent lieu à une atmosphère de pous-
sière non toxique :
a. Ouvriers en nacre de perle : gerçures sur les mains ; irritation des mu-
queuses oculaire et respiratoire ;
h. Fileurs de laine : furoncles, érysipèles, anémie, ophthalmies chroniques,
asthme, œdème, phthisie, etc. ;
c. Meuliers, caillouteurs : lésions cutanées diverses, conjonctivites douloU'
reuses, opiniâtres, bronchites et phthisie.
3" Troisième section. Éruptions causées par les professions dans lesquelles
les agents employés n'ont d'action que sur les paj-ties mises volontairement en
contact avec eux. Ces éruptions se partagent en deux groupes : 1° les éruptions
aiguës; 2° les éruptions chroniques (altérations diverses de l'épiderme).
DERMATOSES. 755
1" Parmi les éruptions aiguës, nous signalerons :
a. Le mal de vers ou mal de bassine [voy. ce mot) ;
h. Eruptions des cuisiniers et des cuisinières, ébénistes, graveurs, ma-
çons. Toujours des érythèraes, des eczémas artificiels, des fissures, des cre-
vasses, etc. ;
c. Chez les foulons occupés à dégraisser les draps, chez les ouvriers employés
au blanchiment des tissus au moyen de la vapeur du soufre, l'état des mains
est caractéristique (Tardieu). La peau est ramollie par le contact de l'acide sul-
furique qui imprègne les étoffes, l'épiderme est blanchi, ridé, ratatiné, soulevé
et détruit par places, surtout aux faces correspondantes du pouce et de l'index,
ces deux doigts saisissant et tendant les pièces, au fur et à mesure qu'elles se
déroulent ;
d. Mégissiers, tanneurs, criniers, pelletiers, marchands de peaux de la-
pins, etc., sont sujets à des éruptions pustuleuses et ecthymatiques, à la pus-
tule maligne ;
e. Mineurs, houilleurs. Pustules et ampoules sur différentes parties du
corps, notamment aux pieds ;
/". Forgerons, verriers, pâtissiers. Ici c'est le calorique qui détermine des
lésions à la peau, particulièrement à la face et aux mains : érythème, production
épidermique exagérée, gerçures, crevasses, etc.;
g. Boidangers. Psoriasis artificiel, notamment sur le dos des mains, par
le contact de la pâte fermentée.
2" Parmi les professions qui donnent lieu à des altérations diverses de l'épi-
derme, nous citerons :
a. Débardeurs, déchireurs, ravageurs. Sujets à des lésions diverses, pem-
phigus artificiel aux jambes, œdème, ulcères, et plus particulièrement à l'af-
fection que ces ouvriers désignent sous le nom de grenouille, altération du derme
caractérisée par un ramollissement, des gerçures, et souvent une usure, une de-
struction des parties qui sont en contact avec l'eau. Entre les orteils on observe
de vastes fentes ou crevasses; parfois la peau s'en va comme en lambeaux, lais-
sant à vif un fond rouge pulpeux et d'une sensibilité extrême (Parent-Ducha-
telet) ;
b. Blanchisseurs et blanchisseuses. Mains rouges, gonflées, déformées; l'é-
piderme macéré, ridé, gonflé et ramolli, devient, par ! a cessation du travail,
dur, sec, cassant : de là des gerçures douloureuses, des callosités qui entravent
le libre exercice des doigts et parfois une véritable rétraction qui les tient dans
une flexion permanente ;
c. Mégissiers. Sujets à l'affection qu'ils appellent c/io/eVa des doigts;
d. Ouvriers employés au peignage. Durillons situés à la partie externe du
doigt indicateur et qui résultent de la forte pression qu'ils exercent sur la
laine placée entre le doigt et le pouce correspondant (Tardieu) ;
f. Tailleurs. Érythèmes et plus tard callosités que l'on observe surtout sur
les malléoles externes, au niveau de l'extrémité tarsienne du cinquième méta-
tarsien et sur le cinquième orteil ;
g. Brunisseuses . La main droite, qui tient le brunissoir, est calleuse, noi-
râtre à sa face palmaire ; la main gauche, qui sert à fixer l'objet, présente aussi
des callosités sur les faces correspondantes du pouce et de l'index ;
h. Cordonniers. A la main droite, le pouce et l'index qui tirent le fil pour
l'enduire de poix ont la pulpe aplatie ; celle du pouce est un peu déjetée vers
756 DERMATOSES.
l'index. Le pli qui sépare la deuxième de la troisième phalange de l'index est
coupé par le fil, et présente luie crevasse profonde, à bords durs et calleux. A la
main gauche, la pulpe du pouce, déjetée comme à droite vers l'index, a la forme
d'une spatule très-allongée, etc. ;
i. Marbriers. Lésions épidermiques à la main gauche, sur le petit doigt du
côté de l'espace interdigital ; tumeur ovalaire, dure, saillante, mobile et indo-
lente ; à la partie interne du pouce, tumeur généralement plus petite, offrant
les mêmes caractères ; une série de callosités plus ou moins prononcées s'étend
de l'une à l'autre, le long des têtes des métacarpiens.
C. Affections cutanées ■produites par des applications ou frictions irritantes,
faites dans nn but thérapeutique, expérimental ou de simulation. Nous
employons souvent en thérapeutique les agents irritants sur la peau comme
révulsifs, et nous obtenons ainsi des éruptions érythémateuses, vésiculeuses,
pustuleuses, etc. ; exemples : les éry thèmes qui succèdent à l'application des
sinapismes, les éruptions vésiculeuses et pustuleuses qui surviennent par suite
de frictions avec l'huile de croton ou la pommade d'Autenrieth.
On peut aussi provoquer des éruptions dans un but expérimental, mais l'expé-
rience a ses limites et n'est justifiable qu'autant qu'elle se concilie avec l'intérêt
du malade.
Enfin, un but de simulation préside assez fréquemment à la production de
certaines éruptions cutanées ; le médecin ne saurait trop se tenir en garde
contre de semblables menées.
Les agents provocateurs étant ici multipliés à l'intîni, il nous est impossible
d'adopter le principe de division qui nous a servi dans l'étude des éruptions
professionnelles. Nous emploierons la méthode deWillan pour classer ce nouveau
groupe d'éruptions artificielles.
a. Dermites érythémateuses. Produites par les rubéfiants (farine de mou-
tarde, poix de Bourgogne, ail pilé, clématite, anémone des bois, renoncule
scélérate, etc.) ; sensation de picotement, de cuisson, de brûlure ; petites taches,
puis teinte rosée générale. Les effets ne vont pas plus loin, quand on enlève à
temps l'agent irritant ; mais, si on prolonge la durée de son application, des
vésicules, des bulles et même des eschares peuvent succéder à l'érythème. A la
dermite érythémateuse se rattache l'urticaire artificielle, produite par le contact
de l'urtica urens.
b. Dermites papuleuses. J'en ai admis deux variétés : 1" la dermite à petites
papules produites par les pommades alcalines et lés bains alcalins ; 2" la dermite
à grosses papules, que l'on produit par des frictions répétées avec une pommade
composée de deux parties d'axonge et d'une partie d'ipécacuanha.
c. Dermites vésiculeuses. Trois variétés établies d'après le volume des vési-
cules: \° à petites vésicules (miliaire rouge, dermite produite par la térében-
thine, le soufre, etc.) ; 2" à vésicules moyennes (eczéma hydrargyrique, vési-
cules produites par les emplâtres de poix de Bourgogne, de ciguë) ; 3" à grosses
vésicules semblables aux éruptions herpétiques ou varicelliformes (frictions avec
l'euphorbe, l'huile de croton tiglium, le thapsia).
à. Dermites huileuses (l'eau bouillante, les cantharides, l'ammoniaque, le
garou). L'huile de noix d'acajou produit des bulles remplies d'une sérosité puru-
lente, de véritables bulles de rupia.
e. Dermites pustuleuses. Les pustules artificielles sont comme les pustules
spontanées phlyzaciées ou psydraciées. Aux premières se rattache l'ecthyma
DERMATOSES. 757
produit par les frictions stibiées; aux secondes les pustules cadique, arsenicale
et azotique.
L'éruption cadique, sur laquelle j'ai tant de fois a[)pelé l'attention de mes
élèves, est caractérisée par des papulo-pustules disséminées ou groupées, mais
toujours parfaitement distinctes les unes des autres, quels que soient leur siège
et leur volume. On les rencontre surtout aux membres dans le sens de l'exten-
sion, et en général sur les régions du corps où le système pileux est bien déve-
loppé. Leur forme est caractéristique : elles s'implantent dans la peau par une
large base papuleuse et se terminent presque aussitôt par un sommet acuminé
et comme pointu, marqué d'un point noir qui constamment donne issue à
un poil ; ce sommet offre en outre ceci de particulier qu'il est déjeté sur le
côté. Ces papulo-pustules sont dures, solides, d'un volume parfois considérable,
généralement assez rouges, entourées d'un cercle rougeâtre ; quelques-unes
sont blanches à leur sommet ; d'autres enfin sont entourées d'un liséré épi-
dermique. J'ai depuis longtemps désigné cette affection sous le nom de sycosis
cadique.
Les pustules arsenicales et azotiques que nous avons obtenues par le
vert de Scbeele et l'acide azotique incorporé à l'axonge se trouvaient, comme
les pustules cadiques, presque toutes traversées par un poil : ce qui tenait
évidemment au contact prolongé de la parcelle de pommade retenue à la base
du poil.
d. Dermites furonculaires. Elles sont produites par les préparations alca-
lines et sulfureuses employées en frictions. Mais ici plus encore que pour les
autres dermites il est nécessaire d'admettre une prédisposition, car tel agent
qui les fait naître sur un individu ne produit rien sur un autre.
e. Dermites phlegmoneuses . C'est par la prolongation d'action de l'agent
irritant qu'on peut voir survenir des érysipèles phlegmoneux et des phlegmons
sous-cutanés.
f. Dermites gangreneuses. Elles sont dues à un excès d'inflammation, à une
interruption de la circulation ou à la spécificité de la cause (gangrène de la
pustule maligne et du charbon).
D. Des affections provoquées par le contact de produits physiologiques ou
morbides. Ce groupe renferme trois catégories distinctes, suivant que le produit
est répandu sur la peau, versé sur les muqueuses, ou qu'il se dépose dans l'inté-
rieur même de ces organes.
A la première nous rattachons l'intertrigo produit par le contact et le séjour
de la sueur entre les deux surfaces adossées des plis cutanés; le sycosis produit
et entretenu sur la lèvre supérieure par le contact du fluide sécrété par la
muqueuse pituitaire, dans le coryza ; l'inflammation des paupières produite
par l'épiphora ; l'érythème, l'eczéma, l'herpès du prépuce et du gland, de la
vulve et de la partie interne des cuisses par le pus blennorrhagique ou par des
produits de sécrétion plus ou moins acres qui s'échappent de l'urèthre et du
vagin ; les éruptions produites sur les mêmes parties par l'urine chez les dia-
bétiques.
A la seconde catégorie appartiennent les érosions et les granulations du pha-
rynx produites par le contact des mucosités acres qui tombent des arrière-
narines en suivant la courbe du voile palatin ; les érosions, fissurations, granu-
lations du gland dans la blennoirhagie aiguë; les érosions et granulations du
col utérin qui sont la suite du catarrhe de la matrice.
758 DERMATOSES.
Enfin à la troisième catégorie je rapporte les démangeaisons et pustulettes du
purpura, le prurigo ictérique du à la présence des éléments de la bile dans le
tissu cutané, affection si rebelle et souvent accompagnée des plus intolérables
démangeaisons. Cette étiologie a été contestée. Le prurit ictérique a été attribué
sans raison valable à l'intervention du système nerveux ; assurément le système
nerveux n'est pas étranger à ce symptôme, mais ce sont les nerfs de la peau
qui sont irrités directement par le contact de la matière colorante de la bile, et
non par suite d'une action réflexe. Mentionnons aussi comme appartenant à cette
catégorie l'eczéma variqueux, qui sera décrit avec tous les détails qu'il comporte
à l'article Eczéma. C'est une affection des plus intéressantes que l'on guérit en
général assez facilement, mais qui, dans les hôpitaux, est souvent entretenue
artificiellement par les malades, dans le but de prolonger leur séjour à l'hôpital
ou d'obtenir des certificats d'incurabilité.
E. Affections provoquées par l'insertion sous Vépiderme de matières véné-
neuses, putrides ou purulentes. Ce qui caractérise essentiellement les affections
de ce groupe, c'est la pénétration d'un principe morbifique particulier, insaisissable
en lui-même, et dont la nature ne nous est révélée que par les effets qu'il
détermine. Tantôt c'est un venin, c'est-à-dire un produit de sécrétion normale
doué de propriétés délétères qui s'introduit à la faveur d'une piqûre ou d'une
morsure dans le tissu de la peau ; tantôt la lésion résulte de l'inoculation d'un
virus, c'est-à-dire d'un produit de sécrétion pathologique; dans d'autres cas,
enfin, c'est une matière septique ou putride qui vient contaminer une solution
de continuité et en changer l'aspect et la nature.
Toutes ces affections offrent ceci de remarquable que les désordres tant locaux
que généraux sont hors de toute proportion avec la lésion physique ou mécanique
infligée à la peau : celle-ci n'entre évidemment pour rien ou presque rien dans
la production des phénomènes, et n'a été que l'occasion, si je puis ainsi dire, de
leur développement [Leçons sur les affections artificielles) .
1° Affections ctdanées provoquées par V insertion sous Vépiderme de matières
vénéneuses.
a. Des piqûres du cousin. Peut-être l'affection produite par la piqûre du
cousin doit-elle faire partie de ce groupe, car il est probable que le cousin
inocule un venin par la petite plaie que son dard inflige à la peau ;
b. Piqûres d'abeilles, de guêpes, de frelons, etc. Douleurs vives, fluxions
érythémateuses, éminence pustuleuse ou papuleuse; plus rarement érysipèle,
gangrène, ulcères, telles sont les lésions produites par les hyménoptères;
c. Morsure de la vipère. Vive douleur, la peau rougit, s'enflamme et bientôt
la région devient le siège d'une tuméfaction considérable, des phlyctènes se
produisent çà et là, et l'on voit apparaîti'e de larges taches de couleur livide et
d'apparence gangreneuse;
à. Tarentule, scolopendre, scorpion. Accidents identiques ou plus graves;
e. Crotale. Inflammation gangreneuse à extension rapide. Parfois termi-
naison fatale dans l'espace de quelques minutes.
2° Affections cutanées provoquées par l'insertion sous l'épiderme de ma-
tières virulentes. Les principales sont la pustule maligne, le cowpox, les
accidents produits par l'insertion du virus syphilitique à l'endi^oit de la bles-
sure.
a. Pustule maligne. A lieu ordinairement sur les parties découvertes. Dé-
mangeaison légère, puis vésicule qui se rompt ; induration mobile, livide à sa
DERMATOSES. 759
base; le tubercule s'accroîl peu à peu, prend un aspect grenu, s'entoure d'un
engorgement sur lequel s'élèvent des phlyctènes; transformation en une eschare
noire qui fait des progrès rapides; troubles généraux, délire et mort;
b. Coivpox ou vaccine;
G. Affections syphilitiques inoculées. La plaque muqueuse inoculée n'est ni
un chancre comme on l'a dit, ni une plaque muqueuse ordinaire ; elle a des carac-
tères qui lui sont propres et permettent de la distinguer des plaques muqueuses
consécutives. On peut généralement lui reconnaître trois phases : dans la pre-
mière, elle ressem.ble à une plaque muqueuse cutanée; dans la seconde, à la
plaque muqueuse du scrotum, et dans la troisième à un chancre proéminent.
Toutefois, j'ai été à même d'observer sur le front une plaque muqueuse inoculée
qui n'a jamais offert trace d'ulcération.
Deuxième section. Affections parasitaires. On donne le nom de parasite
à un être organisé, végétal ou animal, qui, fixé sur un autre être, puise exclu-
sivement sur celui-ci les éléments de sa subsistance. De là deux classes de
parasites : les parasites animaux et les parasites végétaux.
a. Parasites animaux. Nous les partageons en deux catégories distinctes :
les uns occupent toujours la surface extérieure du corps et ia parcourent en
toute liberté; les autres sont situés dans l'épaisseur même de l'épiderme. Dans
la première catégorie se trouvent les poux et la puce commune; dans la seconde,
la chique ou puce pénétrante et le sarcopte. Les affections cutanées pro-
duites par les animaux parasites sont décrites aux mots Poux, Puces, Phthi-
RiAsis, Gale.
b. Parasites végétaux. J'ai partagé les végétaux parasites en trois catégories,
division fondée particulièrement sur le siège anatomique de ces végétaux : 1"
végétaux trichophytiques et onychophytiques ; 2° végétaux épidermophytiques;
5° végétaux épithéliophytiques. Les végétaux trichophytiques ont leur siège de
prédilection sur les poils et les ongles : c'est aux lésions qu'ils produisent que
je donne exclusivement le nom de teignes, mot qui avant moi était appliqué à
une multitude d'affections variées, de nature fort différente, et par conséquent
n'avait qu'une signification vague, indéterminée.
Voici le tableau de ma classification des teignes {Leçons sur les affections
parasitaires, 2^ édit., Paris, 1862).
. „ f Urceolaris \
l" Teigne FAVEnsE. • • • ; Scutulata
[Achorion ^chœnleinii). j g ^ ^ ' ' ' Ja. Du cuir chevelu.
Squarrosa
b. Des oneles.
iCircinaia
Punctata /C. De la face.
Gijrata 1 d. Des parties sexuelles.
l Simple ophiasique le. Du tronc et des membres.
Teigne pelaue .... ; i gvec dépression. . 1
(Microsporon). { Achromateuse.. | ^^^. dépression. . /
Cette classification des teignes, qui date de 1852, me paraît encore aujourd'hu
devoir être admise dans son intégrité, malgré les recherches des derraatologistes
modernes et des micrographes qui ont cru pouvoir élever des doutes sur la conta-
giosité et la nature parasitaire de la pelade. On s'étonne d'ailleurs que ces auteurs
n'aient pas été frappés des rapports qui existent entre la teigne tonsurante et la
pseudo-pelade, quand on voit journellement la pelade atteindre des enfants qui
sortent des collèges, pensionnats, salles d'asile où parfois la teigne tondante se
montre pour ainsi dire épidémique; des enfants qui après la guérison apparente
700 DERMATOSES.
de la teigne tonsurante reviennent consnller le médecin spécialiste pour de la
pelade, ou encore des sujets adultes qui, traités de sycosis parasitaire, sont
plus tard atteints de pseudo-pelade de la barbe. Les laits de contagion manifeste
de la pelade ne nous manquent pas ; quant au champignon parasite, tout le
monde sait qu'après avoir été nié par beaucoup d'auteurs et remplacé par le
mythe qu'on appelle trophonérrose, il a fini par être retrouvé par le docteur
Malassez. Il est vrai que le professeur Nystrom (de Stockholm) prétend que le
champignon que nous lui avons fait voir il y a vingt-cinq ans n'est autre que
le parasite du coton; mais c'est là une assertion toute gratuite, une simple
hypothèse, et non une opinion étayée par des faits irrécusables.
Aux végétaux épidermophvtiques nous rattachons les crasses parasitaires
(pityriasis versicolor), et les crasses sébacées épidermiques et parasitaires, con-
fondues avec le pityriasis capitis, et dans lesquelles Malassez a trouve des
champignons presque identiques avec ceux de la pelade.
Aux végétaux épithéliophytiques se rattachent ïoïdium albicans ou muguet,
les algues de la bouche, et sans doute beaucoup d'autres parasites sur lesquels
nous n'avons encore que des données imparfaites.
TROisif;ME SECTION. AFFECTIONS PATHociÉNKTiQDEs. Toute éruptiou produitc
par l'introduction d'une substance dans l'économie par voie d'absorption est une
affection pathogénétique.
L'affection pathogénétique sert de lien ou de transition entre l'affection
provoquée directe et l'affection pathologique; elle se rapproche de la première
par la nature et l'extériorité de sa cause, et de la seconde par les conditions dans
lesquelles se place cette cause au sein de l'organisme qui l'a reçue. Mais, bien
que de cause externe, l'affection pathogénétique ne se développe pas chez tous
les sujets qui sont soumis à l'action de cette cause ; c'est qu'il faut en outre
certaines conditions d'aptitude et de réceptivité de la part des sujets pour la
production de l'affection pathogénétique.
J'établis deux sections d'affections pathogénétiques : dans l'une sont les lésions
cutanées produites par des substances alimentaires, et dans l'autre celles qui
résultent d'agents toxiques employés dans un but thérapeutique ou expérimental.
A la première section j'ai rattaché la couperose alcoolique et l'urticaria ab
ingestis, les érythèmes pellagreux et acrodynique {voy. les mots Couperose, Urti-
caire, Pellagre, Acrodynie). Dans la deuxième section je range les éruptions
pathogénétiques provoquées par des remèdes internes, des agents toxiques
introduits dans l'économie, ou des substances dont on veut étudier les effets sur
l'homme sain.
Ces éruptions sont fort peu connues, malgré les travaux d'Hahnemann. Je me
bornerai à indiquer les principales et celles qu'il nous importe le plus de connaître,
en raison de l'intérêt pratique qui s'y attache. Nous suivrons dans cette étude
l'ordre adopté pour les éruptions médicamenteuses.
a. Affections érythémateuses. Roséole produite par les résineux (cubèbe et
copahu), par le sulfate de quinine et d'autres agents. Éry thème scarlatiniforme
dû à l'emploi de la belladone, du datura stramonium, de la jusquiame, etc.
Les préparations arsenicales donnent lieu ù des taches brunes sur lesquelles
peuvent se développer des papules, mais il ne faut pas croire, comme l'a avancé
un peu légèrement le professeur Imbert Gourbeyre, que l'arsenic peut donner
lieu à toutes les lésions willaniques. Quand l'arsenic est donné à fortes doses
pour combattre un eczéma, et surtout un eczéma de nature arthritique, on peut
DERMATOSES. 761
voir se produire des éruptions ecthymatiques et furoncuUiires très-miiltipliées.
J'ai été à même de voir dans ma clientèle un malade alleint d'eczéma arthri-
tique qui prenait, malgré mes avis, chaque jour de 7 à 8 centigrammes d'arsé-
niate de soude, et sur lequel s'est produit un anthrax qui a entraîné la mort.
J'avais eu soin cependant de le prévenir à l'avance des fâcheux effets que pou-
vait avoir l'arsenic employé à de si fortes doses.
b. Affections védculeuses. En première ligne vient l'hydrargvrie produite
par l'usage intérieur des préparations mercurielles. Autant est fréquente 1 hvdrar-
gyrie provoquée par des frictions mercurielles, autant e^t rare l'hydrargvrie
pathogénétique. Je n'en ai pas observé plus de deux ou trois cas dans le cours de
ma longue pratique. Il paraît qu'elle est plus fréquente en Angleterre; Alley en
a donné une description fort détaillée; il en admet trois espèces qu'il distingue
par lesépithètesdem/iis, febrilis etmaligna {voy. IIydrargvrie). Les préparations
sulfureuses peuvent aussi, chez certains sujets, donner lieu à des éruptions
vésiculeuses.
c. Affections pustuleuses. Les plus remarquables sont celles produites par
l'emploi des préparations iodées et bromurées; j'ai indiqué les caractères qui
distinguent l'acné iodique de l'acné bromique; la pustule iodique est plus
rouge, plus enflammée, plus étroite que la pustule bromi(|ue, qui est plus large
et plus suppurante. Fischer (de Vienne) a admis dans les éruptions iodi([ues
une forme érythémateuse, une forme papuleuse, une forme pustuleuse et même
une forme eczémateuse. Tilbury Fox m'a écrit qu'en Angleterre on avait même
observé une forme huileuse. Quant à moi, je n'ai jamais vu de pempliigus ou
d'eczéma iodiques, et quant aux trois principales formes de Fischer, elles ne
sont que les trois périodes successives de la pustule iodique.
Deuxième classe. Affectio>'s cutakées de cause interne. Nous avons pu
rapporter toutes les affections de cause externe à trois principes : le traumatisme,
le parasitisme et le pathogénétisme, qui sont les causes efficientes de toutes ces
maladi s. Dans les aflections de cause interne, il nous est impossible de substi-
tuer la cause efficiente à la maladie, parce que cette cause se dérobe à tous nos
moyens d'investigation, et que nous n'en pouvons connaître que les effets, c'est-
à-dire les maladies.
Il importe peu de suivre tel ou tel ordre dans l'énumération et le clas-
sement de ces affections. Cependant, nous avons cru qu'il serait mieux de faire
connaître les maladies aiguës et leur manifestation sur la peau avant d'a-
border les maladies chroniques et les affections cutanées qui sont sous leur
dépendance.
Aux maladies aiguës donnant lieu à des éruptions cutanées nous ratta-
chons :
1" Les pestes, expression générique employée par Sauvages pour désigner les
typhus, le choléra, etc. Comme manifestations cutanées de ces maladies pestilen-
tielles, nous avons les pétéchies, les vibias, les bubons et anthrax. Quant à
l'affection qu'on a désignée sous le nom de roséole cholérique, elle n'est pour
nous comme pour liayer qu'une affection de cause externe, et ne nous paraît
être que le résultat de l'irritation produite par les sinapismes, frictions ammo-
niacales, frictions à la glace et autres révulsifs cutanés employés dans le traitement
de la période algide du choléra ;
2° Les fièvres continues. Ici, nous noterons les taches rosées lenticulaires
762 DERMATOSES.
(exanthème pourpré d'IIildebrand) ; les taches bleues, les sudamina, ne sont que
des lésions accidentelles qu'on observe dans beaucoup de pyrexies ;
3" Les fièvres éruptives, auxquelles se rattachent les vrais exanthèmes fébriles :
rougeole, scarlatine, variole, varioloïde, varicelle;
A" Les pseudo-exanthèmes, que nous appelons ainsi à cause de l'analogie
qu'ils présentent avec les fièvres éruptives, par l'aspect, l'état aigu, la marche, etc.
Nous les divisons en quatre seclious, d'après la lésion élémentaire : Première
section. Pseudo-exanthèmes érythéniateux : roséole, urticaire aiguë, fébrile,
fièvre ortiée; 2'' section. Pseudo-exanthèmes vésiculeux : herpès fébrile, zona,
aphthes ; o" section. Pseudo-exanthèmes huileux, pemphigus aigu ; A'' section.
Pseudo-exanthèmes squameux : pityriasis rubra aigu. Que de différences entre
ces affections pseudo-cxanthématiques et les exanthèmes des fièvres éruptives !
Ces derniers sont répandus sur toute l'étendue de la membrane tégumentaire
externe et une grande partie du tégument interne; leur marche est régulière,
eurs périodes ont une durée déterminée; on y compte l'incubation, l'invasion,
l'éruption, l'état et la terminaison; la fièvre les précède et les accompagne jusqu'à
leur déclin ; ils sont éminemment contagieux. Les pseudo-exanthèmes, au contraire,
n'occupent que rarement tout le tégument externe, plus rarement encore le
tégument interne; la marche n'est pas aussi régulière, on les voit assez souvent
se prolonger pendant plusieurs septénaires, l'invasion manque le plus souvent ;
la fièvre, quand elle existe, est toujours légère, la température du corps n'acquiert
jamais le degré qu'elle peut atteindre dans les fièvres éruptives; elles ne sont
pas contagieuses ;
5" Phlegm,asies. Ou sait la distinction que nous établissons entre phlegmasie
et inflammation. Sur la peau, nous n'admettons comme phlegmasie proprement
dite que les diverses variétés de l'érysipèle : érysipèle simple, lymphatique,
phlegmoneux, etc. ;
6" Hémorrhagies. Les différentes variétés de purpura simplex et de purpura
hemorrhagica. Les hémorrhagies cutanées, avons-nous dit déjà, servent de tran-
sition entre les affections des maladies aiguës et les affections des maladies
chroniques ;
1° Les maladies constitutionnelles. Nous appelons maladies constitution-
nelles des maladies habituellement chroniques, à longues périodes, souvent
séparées par des intervalles de santé parfaite, caractérisées par un ensemble de
produits morbides et d'affections très-variées, sévissant indistinctement sur tous
les systèmes organiques {Leçons sur la scrofule, 1861). Nous admettons quatre
maladies constitutionnelles : la scrofule, la syphilis, l'arthritis et l'herpétis.
A. Scrofule {voy. l'article Scrofule).
B. Syphilis [voy. ce mot et Syphiltoes).
G. Arthritis. Nous renvoyons sur ce sujet à l'article Arthritides de ce
Dictionnaire.
D. Herpétis. Nous divisons les manifestations cutanées de l'herpétis en trois
sections correspondant aux trois sections des arthritides. Je n'insiste pas sur ce
point, qui a été ou sera traité aux mots Dartres, Herpétides, etc.
8" Diathèses. Maladies habituellement chroniques, le plus souvent con-
tinues, caractérisées par la formation d'un produit moibide qui peut avoir
son siège indistinctement dans tous les systèmes organiques. Notre classement
des diathèses est établi d'après la composition du produit morbide : de là trois
classes de diathèses : 1" diathèses inflammatoires; 2" diathèses homœoplasiques ;
DERMATOSES. 763
0" diathèses néoplasiques. Je ne dois parler ici que des affections cutanées diatlié-
siques qui font partie des affections spéciales de la peau.
1° Diathèses inflammatoires. Sous ce titre nous comprenons : — a. La
diallièse purulente simple ; — b. la diatlièse purulente spécifique ; — c. la diathèse
pseudo-membraneuse; — d. la diathèse gangreneuse.
a. Diathèse purulente simple. Elle s'accompagne parfois d'affections cutanées,
d'éruptions pustuleuses et d'une espèce de rash qui a fait l'objet dans ces
derniers temps de discussions intéressantes auxquelles ont pris part divers
membres de la Société de chirurgie, entre autres le professeur Verneuil. Cette
éruption offre-t-elle quelque analogie avec celle de la variole? Je l'ignore. Dans
tous les cas, si la seconde est d'un pronostic variable, il n'en est pas de même
de la première, qui est toujours du plus fâcheux augure.
b. Diathèse purulente spécifique. Elle comprend la morve et le farcin et se
traduit sur la peau par des éruptions qui ont été réunies sous le nom d'equinia
par Elliotson. L'equinia morveuse est caractérisée par des érysipèles dont le
siège ordinaire est la face. Ce pliénomène apparaît à une époque avancée de la
morve aiguë : à la surface du derme enflammé se forment des plaques gangre-
neuses parfois précédées de vésicules ou de bulles remplies d'une sérosité
sanguinolente. A peu près vers la même époque que l'érysipèle, souvent après,
se développe une éruption pustuleuse qui offre une grande analogie avec celle
de la vaccine ou de la variole; elle en diffère par sa marche rapide et l'absence
d'ombilication. Cette éruption a été surtout observée à la l'ace et aux membres.
A ces lésions il faut ajouter le jetage et les éruptions de la pituitairc, des
muqueuses, du pharynx, de l'épiglotte et du larynx. L'equinia farcineuse est
caractérisée par des angioleucites spécifiques, par des engorgements ganglion-
naires, et surtout par la formation d'abcès multiples qui s'ouvrent avec rapidité
et se transforment en ulcères.
c. Diathèses pseudo-membraneuses {voy. Diphthérie).
d. Diathèses gangreneuses {voy. Gangrène, Noma, etc.).
2" Diathèses homœoplasiques. Parmi les diathèses homœopîasiques, celles
qui intéressent le plus le dermatologiste sont la calculeuse et la fibreuse.
a. Diathèse calculeuse. On a rattaché nombre d'affections cutanées à la
diathèse urique ou calculeuse. C'est là une erreur de doctrine. Dans cette
manière de voir, la diathèse urique est considérée comme cause et non comme
maladie; la production d'un excès d'acide urique dans le sang est un effet et
non une cause, mais cet effet peut devenir cause secondaire et accessoire dans
la manifestation des éruptions cutanées. Mais, comme ces mêmes éruptions se
produisent dans la plupart des cas, alors qu'on ne constate aucun excès d'acide
urique dans le sang, il est évident que ce produit morbide n'a qu'une influence
tout à fait secondaire, si même il en a, sur l'apparition des affections de la
peau. Autre chose est l'irritation qu'il produit sur les muqueuses et sur la peau
en sortant des voies urinaires : le prurit, l'érythème, l'eczéma, que l'urine
chargée d'acide urique provoque et détermine dans ces circonstances, sont des
affections de cause externe occasionnées par le contact immédiat du produit
morbide.
b. Diathèse fibreuse. Nous rattachons à la diathèse fibreuse deux affections
de la peau connues sous les noms de sclérodermie et de chéloïde [voy. ces
mots) .
30 Diathèses ne'oplasiqiies. a. Diathèse tuberculeuse. Le tubercule cutané
764 DERMATOSES.
est fort rare. Nous en avons cependant rapporté un cas fort remarquable dans
nos leçons sur les difformités. C'est à tort que nous avions placé celte afi'ection
dans le genre niolluscum, puisque nous réservons cette expression aux diffor-
mités boutonneuses de la peau. D'un autre côté, plusieurs faits me portent à
croire que quelques cas de scrofulides tuberculo-ulcéreuses ne sont autre cbose que
de la tuberculose cutanée. Isambert a décrit une ulcération tuberculeuse de la
langue, et depuis quelques cas s'en sont offerts à l'observation de plusieurs de
ses collègues des liôpitaux. La coexistence de tubercules pulmonaires met sur
la voie du diagnostic mieux que ne pourraient le faire les caractères objectifs
de cette affection, qui doit rarement exister seule et sans complication de tuber-
culisation pulmonaire.
b. Diathèsp lymphadénique. La manifestation cutanée de cette diatbèse porle
le nom de rnycosis {voij. Mycosis).
c. Diathèse épithéliomatique {voy. Cancer, Carcinome, Epithélioma).
Le cancroïde offre deux périodes distinctes, qu'on peut appeler période
d'éruption et période d'ulcération.
On admet généralement qu'à son début le cancroïde se présente sous trois
formes principales : la forme papillaire, la forme tuberculeuse et la forme ver-
ruqueuse ; mais il faut dire que ce début est souvent masqué par des lésions
dont il est difficile d'apprécier le véritable caractère. Ces lésions ne sont point
des boutons solides, mais de simples croùtelles noirâtres, formées de matière
sébacée, ou des surfaces rouges suintantes, qui ont été prises par des hommes
expérimentés, dans le premier cas pour de l'acné, et dans le second pour
de l'eczéma. J'ai donné des soins, pendant plusieurs années, à deux malades
atteints d'épitliélioma dont le début avait donné lieu à des erreurs de dia-
gnostic. Chez l'un, l'affection avait pour siège le pourtour de l'ombilic et se
présentait sous la forme d'un large placard d'un rouge foncé, parsemé çà et là
de petites croùtelles noirâtres de quelques millimètres de diamètre; après le
détachement de ces petites écailles, on voyait sourdre par les orifices qu'elles
obstruaient un liquide sanieux, non plastique, n'empesant pas le linge. L'affec-
tion était d'ailleurs sans prurit ; parfois le malade y ressentait quelques picole-
. ments. Chez le second malade, que le professeur Guyon a vu en consultation
avec moi quelques jours avant sa mort, l'affection durait depuis cinq ou six ans,
et avait été prise aussi pour un eczéma. Elle avait débuté par le pli inguino-
crural, et s'était étendue de proche en proche sur le scrotum et le fourreau de
la verge. La peau était d'un rouge violacé et de sa surface s'exhalait un liquide
sanieux, comme dans le cas précédent. 11 y avait absence complète de déman-
geaison ; ce n'est que dans les derniers jours de son existence que le malade a
éprouvé des douleurs intolérables dans le bassin et la région lombaire. Les
traitement les plus divers, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, avaient été vaine-
ment essayés ; le malade s'est rendu quatre années de suite aux eaux de Royat
et de Saint-Christau; nous n'avons jamais obtenu qu'une amélioration momen-
tanée ; au bout de quelque temps, le mal se mettait à progresser de nouveau.
Enfin, six semaines avant sa mort, sont apparues sur les surfaces malades
des carcines globuleuses, arrondies, de la grosseur d'un pois ou même d'une
petite cerise, qui vinrent confirmer le diagnostic que j'avais depuis longtemps
établi .
d. Diathèse carcinomateuse . Le squirrhe, l'encéphaloïde, la carcine glo-
buleuse, rentrent dans cette variété de diathèse, sur laquelle nous ne saurions
DERMATOSES. 765
nous étendre sans sortir des limites que nous impose un article qui a pour
titre : Des dermatoses considérées d'une manière générale {voy. Carcisome,
Cancer).
D" Cachexies. Nous appelons cachexies des maladies chroniques, à marche
continue, à produits morhides variés, se terminant le plus souvent d'une
manière futaie, portant dès le début une atteinte profonde aux forces de la
vie. Ces maladies diffèrent des maladies constitutionnelles par leur marche
continue, et des diathèses par la variété de leurs produits morbides. De plus,
dans les diathèses, le produit caractéristique est en général concentré sur un
système ou sur un organe ; il est disséminé partout dans les maladies cachec-
tiques. C'est en ce sens que nous appliquons la connaissance des cachexies à
l'étude des maladies de la peau, en ayant soin encore de ne pas confondre les
cachexies avec la période terminale des maladies constitutionnelles, ijui a été
aussi désignée sous le nom de cachexie : cette dernière n'est qu'un symptôme
ou une période avancée de la symptomatologie, tandis ({ue les premières sont
pour nous des maladies ou, si l'on veut, des unités pathologiques.
Les cachexies qui nous offrent le plus d'intérêt, au point de vue de la derma-
tologie, sont la lèpre ou éléphantiasis des Grecs, les maladies d'Addisoii et
de Frerichs, le pemphigtts successif et chronique et le diabète cachectique.
a. Lèpre. J'ai partagé en deux ordres les manifestations cutanées de la
lèpre : 1° léproïdes spéciales; 2° léproïdes comnumes. Aux léproïdes spéciales
se rattachent les troubles de la sensibilité cutanée, les taches, les tubercules,
les ulcères, les atrophies et les hypertrophies ; aux léproïdes communes les
pustules d'impétigo et les bulles de pemphigus.
b. Les maladies d'Addison et de Frerichs se traduisent sur la peau et sur
les muqueuses par des taches pigmentaires, ardoisées, bronzées ou noirâtres, qui
peuvent n'occuper qu'une région ou s'étendre sur la presque totalité de l'enve-
loppe tégumentaire.
c. Le pemphigus. Le pemphigus, affection générique caractérisée par des
bulles, est commun à plusieurs maladies. Nous avons d'abord un pemphigus de
cause externe et un pemphigus de cause interne. Le pemphigus de cause externe
se voit dans la gale, provoqué par l'acare, chez les débardeurs, par le contact
de l'eau salée, etc. Le pemphigus de cause interne est arthriti({ue, herpétique ou
cachectique. C'est dans ce dernier (jue l'on trouve à l'autopsie la stéatose du
foie. Il se caractérise par des poussées successives de bulles qui peuvent ainsi
parcourir toutes les régions du corps. Il peut s'en développer sur la muijueuse
buccale et même sur la muqueuse gastro-intestinale.
d. Le scorbut. Sur la peau, le scorbut se révèle par du purpura simple ou
du purpura papuleux, par des ulcères bourgeonnants et saignants, l'œdème des
membres, le ramollissement, les ulcérations, les hémorrhagies des gencives.
e. Diabète ou glycosurie cachectique. La glycosurie coexiste fréquemment
avec l'arthritis, et, dans ce cas, beaucoup d'affections cutanées ont été attribuées
à l'excès de glycose dans le sang. Il en est ici comme de la diathèse calculeuse
qui, nous venons de le dire, se rattache aussi très-fréquemment à cette maladie
constitutionnelle; et de mémo que l'on a regardé l'excès d'acide urique dans le
sang comme la cause dune foule d'éruptions cutanées, on a également rapporté
à l'action de la glycose sur la peau nombre d'érythèmes, d'eczémas, de fu-
roncles, d'abcès, de gangrènes, d'altérations des ongles (eczéma et psoriasis
unguium). Pour nous, toutes ces affections se produisent sous l'influence pre-
766
DERMATOSES.
niière et principale de l'arthritis. Quant au prurit du méat urinaire, à l'éry-
thème et à l'eczéma des parties environnantes, à la balanite et au phimosis,
ce sont des affections de cause externe déterminées par le contact immédiat de
produits morbides sur la peau ou sur les muqueuses.
10° Névroses. Considérées comme symptômes, les névroses sont de simples
troubles fonctionnels et rentrent dans notre première catégorie de symptômes
{actionis Icesœ).
CLASSIFICATION DES DERMATOSES OU AFFECTIOiNS SPÉCIALES DE LA PEAU
d'après la nature ou l'origine de ces affections
PREMIÈRE CLASSE. — Affections de cause extehne.
Affections iramcdiales.. •
1" TllAUJIATlsME. .
, Affections mcdiatcs.
1' Pakasitisme
...i
Animal ,
Vésétal
Plaies qui intéressent la peau partiellement ou
en totalité.
Piqûres de puces, punaises, rouget.
Tous les degrés de la brûlure.
Tous les degrés de la congélation.
Lésions produites par l'électricité : sugillations.
Lésions produites par une pression lente : éry-
thèrne.
Gangrène due au décubitus dorsal.
Éphélides solaires.
Eruptions professionnelles.
Éruptions médicamenteuses.
Éruptions produites par l'inoculation de virus et
de venins.
{ Gale.
( Phtliiriasis.
S.\choriou, teigne favcuse.
Tricophyton, teigne tonsurantc.
, Microsporon, teigne pelade.
^ Épidermophyte, crasse versicolor.
l Épitrichophyte, crasse capitis.
■Substances alimen- 1 ., ,. . , . ..
( Urticana au ingcstis.
Crasses .
3° Pathouénétis.me..
Éruptions
produites
par
taires et boissons , „ , ,•
, .. S Couperose alcoolique,
alcooliques. ) .
Altération des sub- \ Éruptions pellagreuses.
stances nutritives, l Érythème acrodynique.
/ iodurées.
Agents médicamen-
teux ou toxiques. (
} Érupti
ions .
sulfureuses,
mercurielles.
, arsenicales, etc.
DEUXIÈME CLASSE. — .affections de cadse interne.
1» Pestes .
2° Fièvres.
û° Exanthèmes.
' Érytbcmateux .
•4° Pseudo-exanthèmes ( Vésiculeux. .
( Pétéchies, bubons, anthrax, éruptions miliaires
( de la sueite épidémique.
\ Sudamina, taches bleues, exanthème pourpré
' l d'IIildebrand.
j Éruption morbilleuse, scarlatineuse, varioleuse,
I varicelli forme.
/ Urticaire aiguë.
. ) Roséole morbilleuse.
( Roséole scarlatiniforme.
\ Herpès pblycténoïde.
l Herpès zoster (zona).
Bulleux Pemphigus aigu.
Squameux Pityriasis rubra aigu.
_ Lymphite.
Phlegmasies l ^'' ■ .,
l Erysipele.
„, l Purpura.
UEMORRHAGIES ir\ L
I Dermorrhagie.
Aflectiou propre.
Syphilis.
A. Syphilides
communes résolu-
tives et ulcéreuses.
a. Précoces .
'b. Tardives réso-
lutives.
c. Tardives ulcé-
reuses.
1'^
U. Syphilides malignes toutes ulcéreuses.
1° Érythémateuses.
A. Scrofulides
bénignes.
ISCROFDLE. ,
B. Scrofulides
malignes.
!2° Boutonneuses. .
i 3° Exsudatives . .
1° Érythémateuses.
I 2" Tuberculeuses. .
3° Ulcéreuses . . .
7° Maladies /
constitctionnelles .,
1° Érythémateuses
\ A. .irlhritides
pseudo-
exanthématiques ^2° Vèsiculeuses
ou primitives.
5° Squameuses. .
i° Couperosiques.
2° Pustuleuses .
Abturitis ,
B. .irthritides
communes.
3° Squameuses. .
4° Populeuses , .
5° Vèsiculeuses .
' 1° Érythémateuses
I 2» Vèsiculeuses .
C. Arthritides
\ irréguliéres. U, huileuses.
4° Pustuleuses pro-
fondes.
A. Herpétides \ 1° Érythémateuses.
f, . .. 12° Vèsiculeuses . .
exanthematiques. )
\° Vèsiculeuses . .
lieuses. . .
\llEnp
B. Herpétides
vulgaires
ou communes.
C. Herpétides
irrégulières.
r 1° \ esicu
s 3» Sqiiair
\ 4° Pa;jH/
3» Squameuses.
Populeuses.
1° Érythémateuses
2° Bulleuses. . .
3° Squameuses .
l'iaqués muqueuses.
Roséole.
Acné.
Lichen.
Varicelle.
Tuberculeuse,
apulo-tuberculeuse.
f Papulo-vésiculeuse.
I l'uro-vésiculeuses.
{ Tuberculo-ulccreuses.
I Gommeuses.
iUlcéro-bulleiises.
Tubeiculo-ulcéreuses.
Tuberculo-gangrcncuses.
I Engelure permanente.
1 Érythème induré.
iStrophulus.
Lichen.
Acné pustuleuse.
( Sébacée.
< Impétigineuse.
( Gourme et pseudo-teigne.
\ Lupus érythémateux.
{ Lupus acnéique.
\ Lupus tuberculeux.
\ Lupus hypertrophique.
Pustulo-ulcéreuses.
Tuberculeuses inflamma-
toires.
Lupus exedens.
Tuberculose cutanée et
muqueuse.
! Urticaire hémorrhagique.
Érythème papulo-tubercu-
leux.
Érythème noueux.
(i Herpès circiné.
/ Hydroa vésiculeux.
\ Pityriasis ruhra (maculeux
( et circiné).
.\cné rosée.
Intertrigo sycositiquc.
Acné indurée.
Acné pilaris ombiliquéc
Sycosis arthritique.
Pityriasis.
Psoriasis.
Prurigo.
Lichen.
Eczéma.
Hydroa vacciniformc.
Herpès successif et chro-
nique.
Cnidosis maculeux.
Cnidosis tuberculeux.
Eczéma nummulaire géné-
ralisé.
Eczéma généralisé.
[ Hydroa huileux.
( Pemphigus arthritique.
/ Hidrosadéiiite phlegmo-
I neuse.
j Ecthyma successif.
\ Furoncles successifs.
Uosèole.
1 Eczéma rubrum généra-
I lise.
Eczéma symétrique.
Mélitagre.
1 Pityriasis.
I Psoriasis.
Prurigo.
Lichen.
( Cnidosis.
Épinyctide.
Pemphigus.
Herpélide exfoliatrice.
•I
768 DERMATOSES.
Diatlièsepurulenlc simple.
Diallièse )iurulenle\ Morve.
A. Coraclérinces jmr des jjjo- ( Eruptions cutanées 1 spécifique. iFarciii.
diiits iii/lammaluires. l de la ] Diatlièse pseudo-menilna-
neUïB.
[ Diallièse gangreneuse.
Diathèse hémorrhagique.
8 DiATiiÈ^cs. . , .\^" Caractérisées par des prnduits analogues aux] fibreuse
?;roc(u(7s /iormaï/a; (liomœoplasiques). j _ osléo - cartila"i-
' neuse.
/ Diathèse tuberculeuse.
n ^ ,.■ . , , ., , • \ — carcinomaleuse.
C. Caraclensees par de, produits spéciaux 1 _ épithéliomaiique
(neo-pla^ques). _ lympl.adénique.
' Etc., etc.
f Chlorose.
I Scorbut.
I Lèpre.
1° Cachexies constilulionnetles ^^laladie d Addison.
— de Frerichs.
— de Ba«edo\v.
, Pemphigus cacliecti(|uc.
[,,,., I ,1 . • (.Maladie de Briglit.
la» Lachcxics diat lestques ^, „„i „■• ..„
* 1 • • • ( Glycosurie cachectique.
0' CAClUiXIl.S.
Réfutation des objkctioas faites a .notre classement des affectio.ns spéciales
DE LA i'eau. La division des alïeclioiis pathologii[ues en affections de cause
externe et affections de cause interne n'a rencontré <ju"unseul détracteur, M. De-
vergie, et beaucoup de partisans qui, toutefois, n'en ont pas compris toute la
valeur. Gibert lait remonter cette division à Hippocrate ; Hardy l'attribue à Lorry :
ce sont là des assertions inexactes. La division dont veut parler Gibert est une
division purement ctiologique ; la nôtre s'applique non-seulement à la cause,
mais à la nature, aux symptômes et au traitement. L'eczéma, pour Gibert, qu'il
fût de cause externe ou de cause interne, était toujours le même eczéma, avec
les mêmes symptômes, les mêmes signes et le même traitement ; pour nous,
l'eczéma de cause externe diffère de l'eczéma de cause interne par la nature,
par les symptômes, le diagnostic, le pronostic et le traitement.
Quant à la division de Lorry : Maladies dues à un vice interne avec propulsion
vers la peau, et à un vice local né de la partie affectée et de là pouvant s'éten-
dre au reste du corps, cette division, quoi qu'en ait dit Hardy, n'a rien de com-
mun avec la nôtre, et sans revenir ici sur des considérations déjà exposées dans
l'bistorique (voy. plusbaut), il me suftira pour le démontrer de transcrire le pas-
sage suivant de mes leçons sur la divergence des opinions actuelles en pathologie
cutanée : « Je ne dirai rien de la gale et de la teigne, qui se trouvent dans la
première partie. A l'époque de Lorry, elles étaient considérées comme de cause
interne. Mais dans la seconde partie, je vois figurer la gutta rosea et Vaurium
humiditas prœternaturalis, reconnaissant pour causes, selon Lorry lui-même,
la première, la suppression des menstrues, des hémorrhoïdes, et la deuxième
une lymphe trop abondante, une nourriture excessive, etc., preuve certaine que
Lorry avait pris pour base de sa deuxième classe non la cause externe, comme
je l'ai établi, mais le vice congénital ou acquis, d'origine externe ou interne »
[Examen critique, page 55 [Leçons rédigées et publiées par Langronne]).
M. Devergie prétend qu'il est impossible d'établir une division sur les causes,
vu que la même cause peut donner lieu à des affections fort difJérentes de
nature. H y a ici, dans l'esprit de notre ancien collègue de l'hôpital Saint-Louis,
DERMATOSES. 769
une confusion évidente entre la cause efficiente et la cause de'terminante. La
maladie peut avoir des causes prédisposantes et des causes déterminantes mul-
tiples; elle n'a jamais qu'une cause efficiente unique.
Le professeur Gailleton trouve notre classification des affections spéciales de
la peau plus complète que celle des auteurs qui nous ont précédé. C'est déjà
quelque chose. Mais il nous fait des objections que nous ne pouvons passer sous
silence.
Et d'abord, nous nous demandons pourquoi ce distingué professeur ne parle
que de notre classification des affections spéciales, et ne dit mot de notre clas-
sement des lésions cutanées, aussi bien de nos dermatoses élémentaires que de
nos affections génériques; mais il est facile d'en deviner la raison quand, un
peu plus loin, on le voit conclure de tout ce qu'il vient de dire des classifications
cutanées qu'il est nécessaire d'établir une classification des genres et une clas-
sification étiologique : ce qui veut dire, en d'autres termes, qu'il faut absolu-
ment sortir de la méthode de la confusion pour adopter celle de la distinction
des états morbides. Or, ce sont ces idées et ces principes que j'ai développés
dans mes cours, car, chaque année, je commençais ma leçon d'ouverture par
ces paroles : « Tout enseignement suppose une doctrine et une méthode ».
Cela dit, examinons les objections de M. Gailleton : elles sont plus remar-
quables par le nombre que par la valeur, ainsi qu'on va le voir.
Première objection. La classification étiologique, dit M. Gailleton, a des
avantages et des inconvénients, mais les inconvénients sont tellement grands
qu'elle ne saurait être adoptée dans un Traité général sans amener une confu-
sion extrême; elle expose à de nombreuses répétitions. Gailleton prend pour
exemple l'érythème, qui peut dépendre d'une foule de maladies différentes. Il
faudra, dit-il, feuilleter vingt chapitres pour avoir une idée de l'ensemble de
l'affection; et plus loin : dans la classification de Bazin, le nombre des genres
morbides symptomatiques des maladies constitutionnelles s'élève à près de
quatre-vingts. Cette objection ne m'aurait pas été faite, sans doute, si M. Gail-
leton s'était donné la peine de lire ma classification des affections génériques;
il aurait vu que je n'admets pas quatre-vingts genres d'affections cutanées ; que,
loin de là, j'en ai réduit le nombre à vingt-deux, et qu'avec la méthode de la
distinction des affections génériques et des maladies il était inutile de revenir
sur l'histoire du genre à propos des espèces. Les caractères des genres ne varient
pas, et, quand on fait l'histoire des affections cutanées qui se rattachent à une
même maladie, on ne doit faire connaître que les caractères distinctifs des
espèces qui s'y rattachent.
2^ objection. 11 est des affections dont on ne peut arriver à connaître la
cause ou la nature, on ne sait si elles sont darlreuses ou arthritiques : où les
placerons-nous? Cela est bien simple, dirons-nous à Gailleton : vous les laisserez
où elles sont, parmi les genres. Puisque vous ne pouvez pas ou que vous ne
savez pas en faire une herpétide ou une arthritide, vous en ferez un eczéma,
un pityriasis ou un psoriasis, en un mot, une affection générique à laquelle
vous opposerez le traitement indiqué par le genre.
3^ objection. Le mot difformité ne plaît pas à M. Gailleton i c'est un mot
vide de sens [voy. Difformités). Disons seulement que, si M. Gailleton n'avait pas
confondu les affections en voie d'évolution avec les affections stationnaires, il
n'eût assurément pas fait de l'ichthyose une maladie dartreuse.
4" objection. Dans les diathèses de Bazin, les maladies sont groupées
DICT. ENC. XXVII. 49
770 DERMATOSES.
d'après le caractère anatomo-palhologique. et non d'après le caractère clinique.
Cette objection est sans valeur, car le caractère clinique se confond ici avec le
caractère anatomo-pathologique : dire carcinome, épithélioma, lymphade'nome,
tubercules, etc., me paraît tout aussi clinique qu'anatomo-pathologique.
5^ objection. La classification de M. Bazin, malgré son étendue, est cepen-
dant incomplète. Elle ne comprend ni le bouton d'Alep, ni les affections symp-
tomatiques du diabète, ni celles dues à des lésions du système nerveux... Gail-
leton connaît-il la cause du bouton d'Alep? S'il la connaît, rien ne lui sera plus
facile que de le faire rentrer dans notre classification des affections spéciales ;
s'il ne la connaît pas, il le laissera dans les affections propres (ordre des bou-
tons), car évidemment on ne peut en faire une affection générique, bien qu'on
ait voulu l'assimiler à l'ecthyma ou au lupus. Comme maladie, le bouton d'Alep
trouve naturellement sa place dans les diathèses caractérisées par des affections
propres à côté de la verruga, de l'yaws de Guinée, etc. Les affections sympto-
matiques du diabète sont décrites en ce qu'elles ont de spécial avec l'arthritis
et la maladie de Bright.
Quant aux affections symptomatiques des lésions nerveuses, nous prions le
lecteur de voir un peu plus loin ce que nous disons des rapports de la peau
avec le système nerveux, et nous rappelons à M. Gailleton que notre classifica-
tion des affections spéciales ne repose pas sur les causes secondaires, mais sur
les causes premières, c'est-à-dire sur la nature ou l'origine des affections cu-
tanées.
« Une classification quelconque, dit Gibert {Traité des maladies de la peau
et de la syphilis, t. I" [Considérations générales]), ne peut jamais avoir pour
but de donner des indications précises sur la nature et le traitement des der-
matoses,... mais seulement de donner des bases solides au diagnostic des
espèces. » Sans doute, dirons-nous, mais il faut s'entendre sur ce mot espèces,
car, si par là on entend de simples variétés de genres qui ne donnent aucune
indication de la nature ou de l'origine du mal, cette connaissance est absolu-
ment stérile. Les exemples que choisit Gibert de gale, de syphilide et de lupus,
prouvent parfaitement ce que nous avançons. En effet, ce sont là des espèces,
et non desimpies variétés de genres, qu'il ne faut pas confondre, comme le fait
Gibert, avec ce qu'il appelle les formes cliniques, c'est-à-dire ce que nous appe-
lons, nous, les genres cutanés.
Terminons cette critique par l'examen comparatif de nos doctrines avec celles
des hommes qui ont exercé le plus d'influence sur les progrès de la dermato-
logie.
On peut rattacher à trois classifications principales tous les classements des
auteurs actuels : celles de Plenck, de Willan et d'Ali bert.
Toutes les classifications empruntées à l'anatomie pathologique rentrent plus
ou moins dans celles de Plenck et de Willan.
Aucune de ces classifications ne peut servir de guide pour le diagnostic com-
plet des affections cutanées. Celle de Plenck ne va pas au delà du symptôme orga-
nique ; celle de Willan ne va pas au delà de l'ordre et du genre. Celle d'Alibert
a la prétention d'arriver directement à la maladie, sans tenir compte des svmp-
tômes et du genre.
Rapprocher l'une de l'autre ces trois classifications, montrer que toutes les
trois sont utiles pour le diagnostic, faire connaître le lien qui les unit de ma-
nière qu'il n'y ait plus d'hiatus dans le diagnostic complet des affections de la
DERMATOSES. 771
peau : tel a éld le but que nous nous sommes proposé dans notre enseignement
dermatologique, de sorte que notre triple classement des affections de la peau
emprunté à Plenck, à Willan et à Alibert, peut être considéré, avec l'extension
que nous avons donnée à chacun de ces classements, comme le guide le plus
complet qui existe dans la scieuce pour le diagnostic et le traitement des affec-
tions cutanées.
En effet, le symptôme organique conduit au diagnostic de l'affection, et le
diagnostic de l'affection conduit à la maladie, ou, ce f]ui revient au même,
Plenck conduit à \Yillan, et Willan conduit à Alibert, parce que l'espèce mor-
bide est contenue dans l'affection générique. Quelle a été l'erreur de chacun
de ces auteurs? L'erreur de Plenck a été de croire qu'il diagnostiquait la maladie
quand il ne diagnostiquait que le symptôme; l'erreur de Willan, de croire qu'il
avait affaire à la maladie ou à une affection spéciale alors qu'il n'avait devant
lui qu'une affection générique ; l'erreur d'Alibert, de croire qu'il possédait toute
la maladie, tandis (ju'il n'en possédait qu'une partie, la dermatose.
{A suivre.) Bazi>.
FIN DO VINGT-SEPTIEME VOLUME
ARTICLES
CONTENUS DANS LE VINGT-SEPTIÈME VOLUME
(1" série).
Dest (Anat. descriptive). Mayitot. 1
— (Histologie). Id. 10
— (Anat. compar.). MagitotetChauveau. 29
— (Physiologie). Magitot. 41
— (Pathol.) (Malad. des dents) (Vices de
conformation).
Id. 140
_ _ _
(Affections en to-
talité). Id.
208
(Affections des
tissus dentaires
isolément). Id.
218
— (Médecine opératoire). Id.
506
Dent de chjex.
Planchon.
408
Dext de lio.n.
Id.
408
Dentaire (Botanique).
Id.
408
— (Hygiène).
Magitot.
409
— (Prothèse).
Dechambre.
422
Dentaires (Artèi'es).
Aubry.
425
— (Nerfs) .
Id.
42G
Dentale.
Lefèvre.
428
Denteculai.
Planchon.
450
Dentelaire.
Id.
430
Dentelés (Anat. et physiol.). Ledouble.
4Ô0
— (Pathologie).
Du Cazal.
442
Dentellières (Hyg. prof
essionn.). Layel.
447
Dentiers (voy. Z)e)i/a(Ve [Pi'othèse]).
Den'tifrices.
•Dechambre.
450
Destine (voy. Denl).
Dentiuostres.
Ouslalet.
454
Dentiste.
Dechambre.
454
Dentition.
Blacliez.
466
DtNYAn (Les deii.xj.
Chéreau.
475
Dents (Jacobus\
llahn.
476
Déodactïlls.
Oustalet.
476
Déodar.
Dechambre.
480
Dkontologie ET dicéologie médicales. Dech. 480
— cocp d'œil historiqde. 48]
— DEVOIRS PIBLICS. 497
— QUALITÉS et DEVOIRS PRIVÉS. 499
— — 1° CONDUITE DD MÉDECIN VIS-A-VB DE
LDI-MÊME (Qualités extrinsèq.,
qualités intellectuelles, litté-
raires et scientifiques, quali-
tés morales). Ibid.
— — 2° CONDUITE DC MÉDECIN VIS-A-VIS
DU CLIENT.
Scepticisme, préjugés, idées
religieuses du client, baptême
du fœtus. 52i
Qualités médicales (dévoue-
ment, activité, abnégation,
douceur, sensibil., bienfaisance,
charité, autorité, fermeté, dis-
crétion, prudence, conscience,
nombre de visites , moyens
thérapeutiques). 550
Cas particuliers (opportunité
des consultations, malad. incura-
bles, imminence de mort, mort
confirmée, maladies imaginai-
res, névrosisme, pusillanimité,
aliénation mentale, passions,
âge, sexe, avortement, médecine
à la campagne). 545
Honoraires. 559
— — 5° CONDUITE nr MÉDECIN VIS-A-VIS DE
SES CONFRÈRES (détoumemeiit
de malades, règles des consul-
tations, cercles médicaux). 567
— — Les COMMANDEMENTS DU MÉDECIN 568
DÉriLATioN (voy, ÉpUation).
774
ARTICLES DU VINGT-SEPTIÈME VOLUME.
Dépilatoires (voy. Epilatoires).
Déplacement (Pharmacie). Dechambre. 581
Déplacement des orgakes (voy. Ectopies).
Déplacements. Humbert. 581
De Pois on Le Pois (voy. Le Pois [Les]).
DÉPOiiTATioN(voy.Pé?«7e«<îatre[Systèine]).
Déposition. Dechambre. 601
Dépotoiks (voy. Fosses d'aisances et
Vidanges).
Deppixg (Georg-.-Bern). Dureau. 601
Defré (Johann-Friedrich). Ilahn. 601
Dépressecrs (Anatomie) (voy. Pneumo-
gastrique et Vasomoteurs).
— (Chirurgie). Dechambre. 602
Dépression. Id. G02
Dépressoir. Id. Wl
Dépuration. Id. G03
Déradelphes. Larcher. C07
De Raet (Jean). Ilahn. 607
Deraiiim. Id. 608
Déhencéphales. Larcher. 608
De Renou (Jean).
Derham (Samuel).
Dérivation.
Dérivés cuimiqdes.
Derualgie.
Dehmanïsse.
Dermaptères.
Chéreau.
Hahn.
Dechambre.
"Willm.
Arnozan.
Laboulbène.
Lefèvre.
Dermatalgie (voy. Dermalgie)
Dermatite (voy. Peau),
Dermatobie.
Dermatobranciies .
Dermatochelys.
Dermatodecte.
Dermatolysie.
Dermatomes (voy. Peau).
Dermatophile.
Dermatoptères.
Dermatoses (Historique).
— (Étiologie).
— (Anatomie pathologique)
— (Symptomatologie).
608
608
608
609
614
634
634
Laboulbène. 634
Lefèvre. 637
Oustalet
Laboulbène
637
637
Bazin. 637
Laboulbène.
Lefèvre.
Bazin.
639
640
640
Id. 683
Id. 701
Id. 715
FIN DD VI>GT-SErTIEME VOLUME
69i7. — Imprimerie \, Lahure, rue de Fleurus, 9, à Pans.
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