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Full text of "Dictionnaire encyclopedique des sciences medicales v.27"

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DICTIONNAIRE   ENCYCLOPÉDIÛUE 


DES 


SCIENCES  MÉDICALES 


PARIS.  —  IMPRIMERIE  A.  LAIll'RE 
Rue  de  Fleurus,  9. 


DICTIONNAIRE  ENCYCLOPÉDIOUE 


/hi/ 


^ 


DES 


SCIENCES  MÉDICALES 


COLLABORATEUBS   :    MM.    LES    DOCTEURS 

ARCUjkUBADLT,  ARLOING,    AH>dnLD  {].),    ADBRT    (j.),    AXENFELD,   DAlLLAnGER,    BAILLON,  BiLBIA.M,  BALL,    BARTII , 

BAZIN,  BEADGHAUD,  BÉCLABD,  BÉHIER,  VAN  BEXEDEN,  BERGER,  BEri>HElU,  BERTILLON,  BERTIN,  ERNEST  BESNIER,    BLACBE, 

BLACHEZ,    BOLNET,    BOISSEAU,    BORDIER,     BORILS,    BOOCHACOCRT,     CU.    BODCUARD,    BOUCHEREAU,    BODISiON, 

BOULAND     (P.j,     BOULEY    (u.),    BOUREL-RONCIÈRE,    BOLRSIER,    SOUTIER,    DOÏER,   BROCA,    BROCHIN,    BRODABDEL, 

BBOWN-SÉQUARD,    BDRCKER,  CALMEIL,   CASiPANA,    CARLET   (g.),    CERISE,    CBAMBARD,    ClIARCOT,  CHARVOT,  CHASSAIG.'IAC, 

CHAtrVEAU,  CUAUVEL,   CHÉREAO,    CHOCPPES,    CHRÉTIEN,    CIIBISTIAN,    COLIN   (L.),    CORNIL,    COTARll,  COULIER,    COURTT, 

COÏNË,   DALLÏ,     DAVAINE,     DECHAMBBE    (a.),     DELENS,      DELIODX   DE    SAVIGNAC,    DELORE,    DELPECn,   DEMANGE, 

DENONVILLIERS,  DEPAUL,   DIDAT,  DOLBEAU,    DLBOISSON,  DU  CAZAL,  DUCLAUX,  DUGDET,  DUPLAï(s.),   DUREAO,  DLTROULAU, 

DDWEZ,    ÉLT,    FALRET     (j.),   FARABECF,    FÉLIZET,    FÉRIS,    FERRAND,     FOLLIX,     FOXSSAGRIVES,    FOORNIER  (e.), 

FRANCK     FRANÇOIS!,    GALIIER-DOISSIÈRE,    GARIEL,    GaYET,    CAYRABD,   GAVARRET,    GERVaIS    (p.),     GILLETTE, 

GIRAHD-TEULON,    GOBLEY,    GODELIER,   GBAXCHER,    GRASSET,   GREENllILL,    GRISOLLE,    Cl'BLER,    GUÉNIOT,    GL'ÉRARD, 

GUILLAHD,  GUILLAUME,  GUJLLEMLH,  GDY0N(F.),    IIAHN    (l.)  ,    UAMELIN,    OATEU,   UECRT,   UECKEL,    UENNEGCT,    OÉnOCQUE, 

BEYDENREICU,    HOVELACQDE,    BUMBERT,   ISAUBERT,    JACQUEMIER,    KELSCH,    KHISIIABER,    LABUÉ   (lÉOn)  ,    LABBÊE, 
LABORDE,   LABOBLliÈNE,  LaCASSAGNE,   LADREIT  DE  LACHARRIÈBE,   LAGNEAC    (g.),   LANCEREAUX,  LARCHER  (O.),  LAVERAS, 

laverah  (a.),  layet,  leclerc(l.),  lecorché,  ledouble,  lefèvre  (éd.),  le  fort  (Léon),  legouest,  legros, 

LEGROUX,    LEREBOULLET,     LE     ROY     DE    UÉRICOURT,     LETOURNEAU,     LEVEN,     LÉVY    (mICHEL),     LIÉGEOIS,    LIÉTARD, 

LINAS,    LIOUTILLE,    LITTRÉ,  LUTZ,   MAGITOT    (E.),    MAIIÉ,   UALAGUTI,   MAIICHAND,    lUREY,   MARTINS,    MATHIEU, 

MICHEL    (de   NA.NCY),    MILLARD,    DANIEL   IIOLLIÈRE,    UONOD    (CU.),    UONTAMER,   UORACUE,   MOREL    (b.    A.),    NICAISE, 

NDEL,    OBEDE.VARE,    OLHER,   O.MIIUS,    OIIFILA   (l.),   OUSTALET,   PAJOI,    PARCUAPPE,    PARROT,    PASTEUR,    PAULET, 

PERRIN    IMAURICE),   peter     (m.),    PETIT    (l.-U.)  ,   PEÏBOT,    PINARD,    PINGAUD,    PLANCllOS,    POLAILLON,    POTAIN,    POZZI, 

BAULIN,    RAYMOND,    REGNARD,     REGNAULI,    RENAUD  (j.),     RENAUT,    RENDU,  REÏNAL,    RITTI,    ROBIN    (aLBERT), 

ROBIN  (CH.),    DE   ROCHAS,    ROGER    (H.),    ROLLEI,    ROTUREAU,    ROUGET,   SAINTE-CLAIRE  DEVILLE  (H.),   SAN.NÉ,    SANSO.N, 

SCHtiTZENBERGER    (CH.),   SCHÛTZENBERGER  (p.),  SÉDILLOT,    SÊE    (maRC),    SERVIER,    DE    SETKES,    SOCBEIRA.N  (L.), 

E.    SPILLMANN,    TARTIVEL,    TESTELIN,    THOMAS,    TILLAUX   (P.),    TOURBES,    TRÉL.1T    fu.),    TRIPIER  (LÉONJ,    TROISIER, 

VaLLIN,    VELPEAU,    VERNEUIL,    VÉZIAN,    ViAUD   GRAND-MARAIS,    VIDAL  (ÉM.),   VIDAU, 

VILLEMIN,    VOILLEMIER,    TULPIA.'?,    WARLOUONT,    WIDAL,    WILLM,    WORMS    (j.J,    WURTZ,    ZUBER 

DIRECTEUR  :  A.  DEGHAMRRE 


PnEMIÈRE     SÉRIE 

TOME    VliNGT-SEPTIÈME 

DEN    —   DER 


PARIS 


G.    MASSON 


LIBRAIRE   DE   L  ACADÉMIE   DE    MÉDECINE 

BonItTard  Siiot-StmiaiD,  en  fiee  de  l'ÉMle  de  H<d(Cine 


P.    ASSELIN 

LIBRAIRE  DE    LA    FACULTÉ   DE   MÉDECINE 

Place  de  l'École-de-Médecine 


MDCCCLXXXII 


'S'^nn/or 


I 


DICTIONNAIRE 

ENCYCLOPÉDIQUE 


DES 


SCIENCES  MÉDICALES 


DEIV'T.     La  série  des  descriptions  que  nous  avons  à  présenter  ici  sous  ce 
titre  devra  comprendre  les  divisions  suivantes  : 

I.  Anatomie  descriptive; 

II.  Histologie; 

III.  Anatomie  comparée; 

IV.  Physiologie  ou  histoire  du  développement  ; 

V.  Lots  de  dentition; 

VI.  Pathologie  ou  histoire  des  maladies  des  dents. 
Vil.  Opérations  qui  se  pratiquent  sur  ces  organes. 

§  I.  Anatomie  descriptive.  Les  dents  sont  des  organes  d'une  nature 
particulière,  composés  de  tissus  spéciaux,  sans  analogues  dans  l'économie  et  des- 
tinés à  remplir  des  rôles  physiologiques  qui  seront  déterminés  plus  loin. 

Leur  description  sera  limitée  ici,  au  point  de  vue  purement  descriptif,  à 
l'étude  de  leurs  caractères  généraux  et  à  celle  des  caractères  particuliers  à 
chaque  variété  de  dents. 

Les  arcades  dentaires,  constituées  par]  la  série  non  interrompue  des  dents, 
présentent  à  considérer  chez  l'adulte  comme  chez  l'enfant  trois  parties  :  une 
partie  libre,  une  partie  recouverte  par  la  muqueuse,  une  partie  profonde 
incluse  dans  les  alvéoles. 
«  La  partie  libre  est  formée  par  les  couronnes  des  dents  :  elle  est  en  contact  par 
sa  face  antéro-ex terne  avec  les  lèvres  et  les  joues,  par  sa  face  postéro-in terne 
avec  la  langue,  par  sa  face  supérieure  ou  inférieure,  suivant  la  mâchoire  que 
l'on  considère,  avec  l'arcade  de  l'autre  mâchoire.  Les  deux  premières  ont  des 
dimensions  à  peu  près  égales  dans  toute  leur  étendue,  la  partie  horizontale 
ou  triturante  est  au  contraire  mince,  et  tranchante  pour  les  dents  antérieures, 
plus  large  pour  celle  des  cotés,  très-large  aux  postérieures.  En  avant,  elle  n'a 
»ir,T-  FJ\'c.  XXVIl.  1 


2  DENT  (anatomie). 

guère  qu'un  tubercule  par  dent;  puis  ceux-ci  augmentent,  se  disposent  sur 
deux  rangées,  l'une  interne,  l'autre  externe  ;  celles  de  la  mâchoire  inférieure 
s'engrènent  dans  celles  de  la  supérieure  et  réciproquement,  pour  broyer  les 
aliments  pendant  la  mastication. 

La  partie  inoyenne  ou  gingivale  est  marquée  par  un  léger  rétrécissement, 
plus  prononcé  en  arrière  qu'en  avant  :  c'est  le  collet  de  la  dent,  qui  sépare  la 
couronne  de  la  racine,  et  par  la  réunion  avec  celui  des  autres  dents  forme  deux 
lignes  festonnées  au  niveau  de  la  gencive,  qui  adhère  étroitement  en  ce  point. 

La  partie  profonde  des  arcades  est  constituée  par  l'ensemble  des  racines; 
elle  est  uni-radiculaire  à  la  partie  moyenne,  puis  bi  et  muUiradiculaire  en  ar- 
rière. Les  anciens,  prenant  des  dents  pour  des  os,  avaient  fait  de  l'imidantation 
des  dents  dans  les  alvéoles  un  mode  particulier  d'articulation,  qu'ils  appelaient 
gomphose.  Il  est  surabondamment  démontré  que  cette  interprétation  est  erronée; 
les  dents  ne  sont  nullement  articulées  dans  la  mâchoire,  mais  adhérentes  et  fixes 
par  l'intermédiaire  d'un  véritable  périoste  qui  ne  permet  dans  l'état  physiolo- 
gique aucun  mouvement.  Il  n'en  est  pas  de  même,  il  est  vrai,  chez  certaines  es- 
pèces animales,  les  poissons,  par  exemple,  qui  ont  parfois  des  dents  véritable- 
ment pourvues  de  mouvement,  de  redressement,  grâce  à  un  appareil  ligamenteux 
et  à  un  système  musculaire  propre. 

1»  Cahactèues  communs  a  toutes  les  dents  humaines.  La  forme  générale  des 
dents  est  celle  d'un  cône  allongé,  verticalement  dirigé,  et  présentant  vers  le  tiers 
de  son  étendue  un  faible  étranglement.  Cette  opinion  est  parfaitement  conforme 
aux  lois  de  la  philosophie  anatomique,  car  nous  verrons  plus  loin  en  étudiant 
les  Lois  de  dentition  que  toutes  Its  dents,  aussi  bien  celles  qui  sont  simples  que 
celles  qui  sont  compliquées,  sont  susceptibles  de  se  réduire  par  voie  d'analyse  à 
un  type  morphologique  unique  qui  est  le  type  conique,  ïunite'  dentaire. 

Quoi  qu'il  en  soit,  au  point  de  vue  descriptif,  nous  distinguerons  deux  formes 
principales  qui  sont  :  le  cône  plus  ou  moins  parfait  pour  les  incisives  et  les 
canines,  et  la  forme  de  pyramide  quadrangulaire  pour  les  molaires. 

En  outre  toutes  deux  présentent  à  considérer  sa  base  ou  couronne,  son  som- 
met ou  racine,  et  le  point  intermédiaire  étranglé,  le  collet. 

Les  couronnes  par  leur  face  libre  ou  triturante  sont  disposées  sur  un  plan 
horizontal,  parallèle  au  plan  visuel  et  au  plan  alvéolo-condylien  de  Broca. 
De  cette  face  triturante,  les  plans  qui  limitent  la  couronne  sur  les  côtés 
convergent  légèrement  vers  le  collet,  et  il  résulte  de  là  que  les  dents  en 
contact  réciproque  immédiat,  à  leur  partie  la  plus  élevée,  interceptent  au- 
dessous  des  espaces  triangulaires,  formant  ce  qu'on  appelle  les  interstices 
dentaires.  La  couronne  représente  par  sa  constitution  anatomique  la  partie  la 
plus  dure  de  tout  l'organe;  sa  couleur  est  très-variable,  tantôt  blanche,  demi- 
transparente,  lisse  et  polie,  et  d'une  résistance  extrême,  tantôt  plus  ou  moins 
grisâtre,  ce  qui  est  l'indice  d'une  plus  grande  densité  des  parties,  tantôt  enfin 
offrant  une  teinte  légèrement  bleuâtre  et  diaphane  qui  correspond  en  général  à 
une  faiblesse  relative  dans  la  constitution  des  tissus.  Les  racines  ont  toujours 
une  longueur  plus  grande  que  la  couronne,  leur  tissu  est  beaucoup  moins 
compacte;  leur  couleur  plus  foncée,  généralement  jaunâtre.  Pour  les  dents 
antérieures,  incisives  et  canines,  cette  racine  est  unique,  sauf  une  certaine 
exception  que  nous  signalerons  plus  loin  pour  les  canines  inférieures.  Aux  dents 
antéro-supérieures,  cette  racine  est  régulièrement  conique;  pour  les  inférieures 
elle  est  au  contraire  légèrement  aplatie  dans  le  sens  transversal,  circonstance 


DENT   (anatomie).  Z 

qui  s'oppose  aux  tentatives  de  rotation  brusque  que  nécessitent  certaines  ano- 
malies, tandis  que  la  même  opération  est  très-facile  aux  supérieures.  Cet  apla- 
tissement transversal  peut  être  considéré  en  outre  co\nme  le  vestige  d'une 
première  subdivision  qui  s'accentue  aussitôt  pour  les  prémolaires  et  qui  s'affirme 
tout  à  fait  aux  molaires. 

La  direction  générale  des  racines  est  un  point  utile  à  noter;  elles  ne  sont 
pas  en  effet  verticales,  c'est-à-dire  perpendiculaires  au  plan  masticateur; 
elles  obéissent  à  une  disposition  générale  qui  les  incline  dans  leur  ensemble 
vers  la  partie  postérieure  d-i^s  maxillaires.  Elles  sont  donc  ainsi  parallèles  entre 
elles  et  légèrement  curvilignes  dans  le  sens  postérieur.  Cette  particularité 
s'accentue  davantage  aux  molaires,  si  bien  que  la  dernière  ou  dent  de  sa- 
gesse offre  parfois  dans  sa  partie  radiculaire  une  concavité  postérieure  très- 
marquée. 

Le  collet  des  dents  est  cette  partie  en  quelque  sorte  fictive,  intermédiaire  entre 
la  couronne  et  la  racine  et  qui  coupe  sur  un  point  variable  de  bauteur  la  tota- 
lité de  l'organe  en  deux  parties  inégales.  La  couronne  en  effet  représente  à  peu 
près  le  tiers  resté  libre  au  dehors,  la  racine  formant  les  deux  tiers  inclus. 
C'est  à  proprement  parler  une  ligne  située  à  l'intersection  de  deux  des  tissus 
composants  de  l'organe,  le  cément  et  Vémail.  En  ce  point  vient  s'insérer  d'une 
part  le  bord  libre  de  la  gencive,  d'autre  part  le  feuillet  du  périoste  alvéolaire, 
lesquels  y  sont  d'ailleurs  en  continuité  parfaite  dans  l'état  physiologique.  Ce 
collet,  qui  répond  en  outre  au  bord  libre  des  cloisons  alvéolaires,  est  donc 
également  horizontal. 

2°  Caractèkes  propres  a  chaque  groupe  de  dents,  a.  Caractères  propres 
AUX  incisives.  Les  incisives,  au  nombre  de  huit,  soit  quati^e  à  chaque  mâchoire, 
sont  situées  à  la  partie  moyenne  ou  antérieure  des  arcades  dentaires. 

Caractères  généraux.  Leur  couronne,  coupée  en  bec  de  flûte,  présente 
quatre  facettes,  qui  convergent  vers  un  bord  tranchant  :  deux  latérales,  trian- 
gulaires et  verticales;  une  antérieure,  semi-ovalaire,  convexe;  une  jiostérieure, 
triangulaire,  légèrement  concave,  très-obliquement  ascendante  pour  les  incisives 
supérieures,  obliquement  descendante  pour  les  inférieures,  s'unissent  à  la  pré- 
cédente pour  former  un  bord  mince  horizontal  et  transversal , 

C'est  sur  ce  bord  que  s'aperçoivent  au  moment  de  l'éruption  les  saillies  ou 
mamelons  au  nombre  de  tiois  de  dimensions  égales  et  qui  s'usent  plus  tard  par 
les  progrès  de  l'âge.  Ces  mamelons  ont  même  chez  certains  animaux  un  plus 
grand  volume,  en  même  temps  qu'une  différence  de  dimension  entre  eux.  On 
les  connaît  chez  le  chien  où  ils  affectent  la  forme  dite  en  fleurs  de  lys,  le 
mamelon  central  étant  beaucoup  plus  élevé  que  les  autres.  Ou  sait  aussi  que 
l'usure  de  ces  m;mielons  sert  à  déterminer  l'âge  de  l'animal.  Le  même  phéno- 
mène s'observe  avec  la  même  signification  chez  d'autres  espèces,  le  cheval,  par 
exemple.  Une  application  de  même  genre  serait  donc  possible  chez  l'homme 
pour  la  détermination  de  l'âge,  et  cela  aussi  bien  pour  les  incisives  que  pour 
tes  molaires,  dont  les  tubercules  subissent  la  même  usure. 

Dans  lous  les  cas,  cette  usure  n'est  pas  réparable  chez  l'homme  non  plus  que 
chez  le  chien  et  les  herbivores.  Il  n'en  est  pas  de  même,  comme  on  le  sait,  des 
rongeurs,  chez  lesquels  l'accroissement  continu  vient  contrebalancer  d'une 
manière  incessante  la  perte  de  substance. 

Caractères  différentiels  des  incisives  en  général.  On  distingue  les  inci- 
sives, tant  supérieures  qu'inférieures,  en  centrales  et  ea  latérales.  Les  centrales 


4  DENT  (anatomie). 

ou  médianes  sont  les  deux  du  milieu,  et  les  latérales,  celles  qui  sont  contiguës 
aux  canines. 

Les  incisives  supérieures  diffèrent  des  inférieures  par  leur  couronne,  qui  est 
plus  large,  et  leur  racine,  qui  est  plus  ronde.  La  racine  des  inférieures  présente 
toujours  un  sillon  de  chaque  côté,  et  dans  le  sens  de  sa  longueur.  Les  incisives 
centrales  supérieures,  encore  appelées  grandes  incisives,  ont  leur  couronne  très- 
large,  tandis  que  les  centrales  inférieures  sont  les  plus  petites  de  toutes  les 
dents.  II  est  donc  facile  de  les  reconnaître.  Il  l'est  un  peu  moins  de  distinguer 
les  latérales  supérieures  de  leurs  correspondantes  inférieures,  qui  en  dilfèrent 
très-peu  de  volume.  La  couronne  des  incisives  latérales  supérieiu-es  est  taillée 
moins  nettement  en  bec  de  sifflet  que  celle  des  incisives  inférieures  ;  de  plus,  la 
face  postérieure  de  la  couronne  de  l'incisive  latérale  supérieure  présente  deux 
sillons  qui  se  réunissent  à  la  base  en  formant  un  V.  De  chaque  côté  des  branches 
du  V,  on  peut  remarquer  un  petit  bourrelet  dont  l'interne  est,  en  général,  plus 
droit  et  moins  volumineux  que  l'externe.  Ces  deux  sillons  n'existent  jamais 
sur  les  incisives  inférieures.  Ils  ont  une  certaine  importance,  car  c'est  souvent 
dans  la  dépression  qu'ils  interceptent  que  se  produisent  des  altérations  et  en 
particulier  la  carie  dont  elles  constituent  un  lieu  d'élection.  La  racine  des 
incisives  centrales  supérieures  est  plus  longue  que  celle  des  latérales  supérieures, 
mais  la  racine  des  incisives  centrales  inférieures  est  plus  courte  que  celle  des 
latérales  inférieures. 

Distinction  des  incisives  supérieures  entre  elles.  Les  centrales  ont  en  général 
une  dimension  égale  en  largeur  et  en  hauteur,  tandis  que  les  latérales  ont  une  hau- 
teur à  peu  près  double  de  la  largeur.  Pour  toutes  ces  dents  le  bord  interne  est 
droit,  tandis  que  le  bord  externe  est  légèrement  courbe,  à  concavité  interne.  11  en 
est  de  même  des  angles,  qui  sont  droits  à  la  partie  interne  et  mousses  à  l'externe. 

Distinction  des  incisives  inférieures  entre  elles.  Les  centrales  ont  à  la  fois 
la  couronne  plus  petite  et  la  racine  plus  courte  que  les  latérales,  mais  cette 
distinction  est  toujours  très- difficile  pour  une  dent  isolée.  Toutefois  on  pourra 
encore  distinguer  l'incisive  droite  de  la  gauche  par  la  légère  courbe  des  racines, 
ainsi  que  nous  l'avons  signalé  tout  à  l'heure. 

B.  Canikes.  Les  canines,  unicuspidées,  sont  surtout  remarquables  par  leur 
longueur,  supérieure  à  celle  de  toutes  les  autres  dents  qu'elles  débordent  à  la 
fois  par  leur  racine  et  par  leur  couroiuie.  Plus  solidement  implantées  que  les 
incisives  et  plus  rapprochées  aussi  du  point  qui  répond  au  centre  des  mouve- 
ments de  la  mâchoire,  elles  peuvent  supporter  des  efforts  beaucoup  plus 
considérables. 

Ces  dents  atteignent  un  grand  développement  chez  les  carnassiers,  pour 
lesquels  elles  représentent  non- seulement  l'un  des  principaux  organes  de  la 
mastication,  mais  une  arme  véritable  :  les  canines  ont  pour  atti-ibut  essentiel  la 
forme  conoïde  de  leur  couronne.  Cependant  celle-ci,  attentivement  étudiée, 
peut  encore  se  décomposer  en  quatre  facettes  assez  distinctes  :  deux  latérales, 
triangulaires;  une  antérieure,  convexe,  limitée  au  collet  par  une  courbe  semi- 
ovalaire,  et  une  postérieure,  oblique  comme  celle  des  incisives.  Sur  cette  der- 
nière on  remarque  une  crête  mousse  plus  ou  moins  accusée,  s'étendant,  d'une 
part,  vers  le  collet;  de  l'autre,  vers  le  sommet.  De  ce  sommet  descendent  deux 
petits  bords  arrondis,  dont  l'externe  est  un  peu  plus  long  que  l'interne. 

La  racine  des  canines  est  unique,  très-longue  et  plus  régulièrement  conoïde 
que  celle  des  autres  dents.  Toutefois  on  a  signalé  la  bifidité  de  la  racine  des 


DENT  (anatomie).  5 

canines  inférieures,  et  l'on  a  attribué  à  ce  fait  une  certaine  valeur  dans  la 
caractéristique  des  races  inférieures  et  préhistoriques.  Nous  l'avons  du  reste 
rencontré  assez  fréquemment  à  titre  d'anomalie  accidentelle  chez  les  individus 
de  nos  races  actuelles. 

Caractères  différentiels.  Les  canines  supérieures  se  distinguent  des  infé- 
rieures :  l"  par  leur  couronne,  qui  est  plus  épaisse,  moins  longue  et  plus  large. 
Le  bord  externe  de  la  face  antérieure  de  la  couronne  des  canines  inférieures 
se  contourne  plus  fortement  en  dedans  que  celui  des  supérieures.  La  face 
postérieure  de  la  couronne  des  canines  supérieures  est  plus  pleine,  c'est-à-dire 
moins  concave  que  celle  des  inférieures,  qui  est  presque  creusée  en  forme  de 
bec  de  sifflet;  2°  par  leur  racine,  qui  est  plus  longue,  plus  ronde  et  très-peu 
sillonnée  (quelquefois  n'offrant  même  pas  trace  de  sillon)  pour  les  canines 
supérieures,  tandis  que  les  canines  inférieures  ont  toujours  une  racine  aplatie 
latéralement  et  creusée  d'un  sillon  sur  chaque  face  latérale.  On  distingue  les 
canines  droites  des  canines  gauches  par  les  mêmes  caractères  que  ceux  déjà 
signalés  pour  les  incisives,  savoir  :  1°  si  sur  la  face  antérieure  on  trace  une 
ligne  verticale  partant  du  sommet  de  la  couronne,  on  divise  cette  face  en  deux 
parties  :  la  partie  externe  est  toujours  plus  large  que  la  partie  interne  ;  2"^  le 
bord  incisif  de  chaque  canine  est  divisé  en  deux  parties  par  un  angle  :  la  partie 
interne  est  toujours  plus  pelite  que  la  partie  externe,  laquelle  est  toujours  plus 
inclinée. 

De  plus.  Il  couronne  est  contournée  sur  la  racine,  de  manière  que  toute  la 
partie  qui  est  en  dehors  de  la  ligne  abaissée  du  sommet  de  la  couronne  sur  la 
face  antérieure  se  dirige  non  directement  en  avant,  mais  en  dehors  (c'est-à-dire 
à  l'opposé  d'une  ligne  tracée  perpendiculairement  entre  les  deux  incisives 
centrales). 

Enfin  la  face  interne  des  canines  est  aplatie  dans  toute  son  étendue,  tandis 
que  la  face  opposée  qui  répond  à  la  petite  molaire  est  arrondie  :  sur  cette 
dernière  face,  le  sillon  est  toujours  moins  marqué  que  sur  la  première. 

C.  Petites  MOLAIRES  00  biccspidées.  Les  petites  molaires,  au  nombre  de  huit, 
quatre  à  chaque  mâchoire,  deux  à  droite  et  deux  à  gauche,  sont  situées  entre 
les  canines  et  les  grosses  molaires.  On  les  distingue  par  les  noms  de  première 
et  de  seconde,  en  procédant  d'avant  en  arrière. 

i°  Caractères  généraux.  Leur  couronne  est  irrégulièrement  cuboïde.  LeS' 
faces  antérieure  et  postérieure,  tournées  vers  les  dents  voisines,  sont  à  peu  près 
planes.  Les  faces  qui  regardent  en  dehors  et  en  dedans  sont  convexes.  La  l'ace 
libre  ou  triturante  présente  deux  tubercules,  l'un  interne  et  l'autre  externe.  Ce 
dernier  est  le  plus  gros  et  le  plus  saillant;  un  sillon  antéro-postérieur  le  sépare 
du  tubercule  opposé. 

La  racine  des  petites  molaires  est  ordinairement  unique,  quelquefois  bifide. 
Dans  le  premier  cas,  on  observe  sur  les  faces  antérieure  et  postérieure  un  sillon 
vertical  bien  accusé.  Dans  le  second,  l'une  des  racines  est  interne,  l'autre  externe; 
mais  elles  n'atteignent  jamais  la  longueur  de  celles  des  grosses  molaires  ;  en 
général,  la  bifidité  reste  limitée  à  leur  sommet.  Les  divisions  sont  ordinairement 
très-effilées,  parfois  inclinées  en  courbes  variées  et  toujours  fragiles,  ce  qui  explique 
leur  fracture  fréquente  dans  l'extraction. 

Caractères  différentiels.  Il  est  facile  de  distinguer  les  petites  molaires 
supérieures  des  petites  molaires  inférieures  :  1"  les  couronnes  des  supérieures 
ont  deux  cuspides  beaucoup  plus  saillantes  que  celles  des  inférieures  ;  de  plus 


6  DENT   (akatojiie). 

elles  sont  séparées  par  vue  rainure  dont  la  profondeur  est  d'autant  plus  consi- 
dérable que  ces  cuspides  sont  plus  élevées.  Les  petites  molaires  inférieures, 
au  contraire,  ont  la  rainure  moins  profonde  et  leurs  cuspides  sont  quelquefois 
réunies  par  une  saillie  qui  sépare  deux  petites  fossettes  très- inégales  dont 
l'interne  est  toujours  plus  petite  que  l'externe.  La  couronne  des  bicuspidées 
supérieures  est  aplatie  transversalement,  tandis  que  la  couronne  des  inférieures 
est  sensiblement  sphéroïdale.  Enfin  les  cuspides  des  petites  molaires  supérieures 
sont  sur  le  même  plan  :  cependant  la  cuspide  extérieure  est  toujours  un  peu  plus 
basse  que  l'intérieure.  La  cuspide  intérieure  est  plus  mousse  que  l'extérieure. 
L'extérieure  semble  formée  de  la  réunion  de  trois  petites  cuspides  dont  la  cen- 
trale est  plus  développée  que  les  deux  autres;  2"  la  racine  des  petites  molaires 
supérieures  est  toujours  composée  de  deux  racines  divisées  ou  réunies,  tandis 
que  celle  des  inférieures  est  ordinairement  unique,  ronde,  et  ne  présente  qu'un 
très-petit  sillon. 

Les  premières  petites  molaires  supérieures  se  distinguent  des  secondes  : 
{"parla  couronne.  La  couronne  présente  deux  cuspides  plus  saillantes  que  celles 
des  secondes,  et  par  cela  même  la  rainure  des  premières  est  plus  profonde  que 
oelle  des  secondes.  Les  cuspides  des  premières  sont  inégales;  l'extérieure  descend 
plus  bas  que  l'intérieure,  tandis  que  les  deux  cuspides  des  secondes  sont  presque 
sur  le  même  plan,  quoique  l'extérieure  descende  parfois  encore  un  peu  plus 
bas  que  l'intérieure;  2° par  la  racine  qui  est  toujours  plus  divisée  dans  les  pre- 
mières petites  molaires  supérieures  que  dans  les  secondes,  et,  lors  même  que 
ces  racines  ne  sont  pas  divisées,  le  sillon  que  l'on  remarque  sur  les  parties  laté- 
rales des  premières  est  toujours  plus  profond  que  celui  qu'on  observe  sur  celles 
des  secondes.  La  racine  des  premières  petites  molaires  supérieures  présente  un 
commencement  de  transition  vers  le  type  des  molaires,  c'est-à-dire  qu'elles 
offrent  dans  certains  cas  trois  racines  parfaitement  distinctes. 

La  première  petite  molaire  supérieure  droite  se  distingue  de  la  gauche  :  1"  par 
la  couronne,  qui,  comme  il  a  été  déjà^it,  présente  à  la  face  intérieure  ou  tritu- 
rante deux  cuspides  :  or,  si  on  tire  une  lif^rne  droite  passant  par  le  sommet  des 
deux  cuspides,  on  remarque  que  celte  face  triturante  est  divisée  en  deux  parties 
inégales  et  que  la  plus  large  est  toujours  l'externe,  c'est-à-dire  la  partie  la  plus 
rapprochée  de  la  seconde  petite  molaire;  ^° par  les  racines,  qui  sont  dirigées  en 
arrière,  c'est-à-dire  formant  une  légère  concavité  postérieure.  Comme  pour  les 
premières  petites  molaires  supérieures  droite  et  gauche,  la  partie  la  plus  large 
est  toujours  celle  qui  est  le  plus  près  de  la  première  grosse  molaire. 

On  distinguera  les  premières  petites  molaires  inférieures  des  secondes  : 
1°  par  la  couronne,  qui  est  un  peu  plus  étroite  et  un  peu  plus  haute  de  celle 
des  secondes  petites  molaires.  La  couronne  de  la  première  ressemble  davantage 
à  celle  de  la  canine,  tandis  que  celle  de  la  seconde  ressemble  davantage  à  la 
couronne  des  grosses  molaires.  La  cuspide  extérieure  des  premières  est  bien  plus 
élevée  que  la  cuspide  intérieure,  qui  est  très-petite,  tandis  que  la  cuspide 
intérieure  des  secondes  petites  molaires  inférieures  est  presque  de  niveau  avec 
l'extérieure  ;  2"  par  la  racine.  La  racine  des  premières  et  des  secondes  petites 
molaires  inférieures  n'est  jamais  bifide.  Enfin  il  faut  encore  remarquer  que 
leur  extrémité  est  dirigée  dans  le  sens  postérieur. 

La  première  petite  molaire  inférieure  droite  se  distingue  de  la  première  petite 
molaire  inférieure  gauche  par  :  1°  la  couronne,  dont  la  face  supérieure  ou  tritu- 
rante est  toujours  divisée  en  deux  parties  inégales  par  une  saillie  d'émail  qui 


DEÎ^T  (anatomie).  7 

réunit  les  deux  cuspides;  la  partie  la  plus  large  de  cette  division  naturelle  est 
toujours  celle  qui  est  du  côté  de  la  seconde  petite  molaire  (ce  caractère  est 
infaillible).  Cette  saillie  sépare  deux  petites  fossettes  très-inégales  :  l'interne 
est  beaucoup  plus  petite  que  l'externe;  cette  dernière  a  même  la  forme  d'une 
petite  gouttière  qui  se  prolonge  davantage  vers  la  face  intérieure  que  vers  la 
face  extérieure;  2°  la  racine,  qui  présente  presque  toujours  un  sillon  sur  sa  face 
interne,  c'est-à-dire  celle  qui"  répond  à  la  canine.  Quelquefois  ce  sillon  est  si 
bien  marqué  que  l'on  observe  une  véritable  division  à  la  face  interne,  tandis 
qu'il  n'y  en  a  pas  trace  à  la  face  externe.  11  est  curieux  de  remarquer  que  ce 
petit  sillon  se  trouve  presque  toujours  plus  près  du  bord  inférieur  que  du  bord 
extérieur. 

Distinction  des  secondes  biciispidées  inférieures.  Pour  reconnaître  l'une  de 
ces  deux  dents,  il  faut  tirer  une  ligne  d'un  tubercule  à  l'autre;  alors  on  voit 
que  la  face  supérieure  ou  triturante  de  la  couronne  est  divisée  en  deux  parties 
inégales,  dont  la  plus  large  est  celle  du  côté  de  la  grosse  molaire.  La  racine 
des  secondes  petites  molaires  inférieures  ne  présente  jamais  le  sillon  signalé 
sur  la  racine  des  premières;  c'est  à  peine  si  quelquefois  la  racine  des  secondes 
petites  molaires  inférieures  offre  une  légère  dépression. 

Caractères  de  transition.  La  différence  entre  une  incisive  bien  développée, 
une  canine  et  une  prémolaire,  est  si  marquée,  que  les  points  de  ressemblance 
<\m  les  rapprochent  n'ont  pas  besoin  d'être  mis  en  lumière;  on  pourrait  croire, 
en  effet,  que  ces  dents  n'ont  entre  elles  rien  de  commun. 

Mais  une  gradation  saisissante,  au  contraire,  peut  être  établie  entre  elles,  car 
il  n'est  pas  rare  de  rencontrer  des  dents  qui  possèdent  à  un  haut  degré  des 
caractères  frappants  de  transition.  Si  l'angle  externe  d'une  incisive  latérale  est 
plus  fuyant,  plus  effacé  que  de  coutume,  en  même  temps  que  la  crête  et  le 
tubercule  de  la  base  de  la  couronne  sont  plus  accentués,  l'incisive  ressemble  à 
une  canine;  cet  exemple  des  incisives  latérales  tombe  souvent  sous  les  yeux  de 
ceux  qui  recherchent  les  déviations  de  forme  des  dents.  Ainsi  donc,  la  forme  ca- 
ractéristique d'une  incisive  latérale,  légèrement  modiOée,  nous  conduit  à  la 
forme  d'une  canine. 

Entre  les  canines  et  les  bicuspidées,  la  même  parenté  de  forme  s'observe,  et 
cela  bien  mieux  à  la  mâchoire  inférieure  qu'à  la  supérieure.  La  transition  des 
bicuspidées  aux  grosses  molaires  est  plus  brusque;  du  moins  il  n'est  pas  aussi 
facile  de  préciser  exactement  le  point  qui  manque  le  passage  de  la  forme  des 
premières  à  celle  des  secondes.  Qu'on  s'imagine,  au  contraire,  que  la  différence 
existant  entre  la  canine  et  la  première  bicuspidée  s'exagère  encore  un  peu,  et 
l'on  aura  presque  exactement  une  deuxième  bicuspidée.  Ou  peut  conclure  que  les 
incisives,  les  canines  et  les  bicuspidées,  ne  forment  pas  trois  types  de  dents  com- 
plètement distincts,  d'une  forme  sui  (jeneris,  mais  qu'elles  sont  des  modifica- 
tions d'un  seul  et  même  type. 

D.  Grosses  molaires  ou  multicuspidées.  Les  grosses  molaires,  au  nombre  de 
douze,  six  à  chaque  mâchoire,  trois  à  droite  et  trois  à  gauche,  occupent  la 
partie  la  plus  reculée  et  la  plus  large  des  bords  alvéolaires.  On  les  désigne  par 
les  termes  numériques  de  première,  seconde,  troisième,  en  procédant  d'avant  en 
arrière.  La  dernière,  qui  apparaît  plus  tardivement,  porte  aussi  le  nom  de  den 
de  sagesse.  Ces  couronnes  forment  dans  les  races  élevées  une  série  dite  descen- 
dante de  volume  de  la  première  à  la  troisième,  tandis  que  la  relation  inverse 
ou  ascendante  devient  le  caractère  propre  aux  races  inférieures  telles  que  les 


8  DENT  (anatomie). 

Australiens,  les  Néo-Calédoniens,  etc.  Ce  même  fait  aurait  été  rencontré  chez 
les  races  préhistoriques,  qui  auraient  ainsi  un  cai'actère  marque  d'infériorité. 
11  rapproche,  en  définitive,  à  ce  point  de  vue,  l'homme  des  singes  anthropomorphes 
chez  lesquels  la  série  ascendante  est  la  règle. 

1°  Caractères  généraux.  La  couronne  assez  régulièrement  cuboïde,  mais  à 
angles  arrondis,  est  armée  de  trois  à  cinq  tubercules  pyramidaux  et  triangulaires. 
Les  racines  sont  au  nombre  de  deux  ou  de  trois  ;  on  en  compte  quelquefois 
quatre,  très-rarement  cin({.  Lorsqu'il  en  existe  deux  seulement,  l'une  est  anté- 
rieure, l'autre  postérieure,  et  toutes  deux  sont  volumineuses,  aplaties  d'avant 
en  arrière,  allongées  de  dehors  en  dedans.  Lorsque  leur  nombre  s'élève  à  trois 
ou  quatre,  deux  sont  externes  et  la  troisième  ou  les  deux  autres  internes.  Elles 
restent  alors  rarement  parallèles,  mais  s'écartent  le  plus  souvent,  les  externes 
descendant  à  peu  près  verticalement,  la  troisième  ou  les  deux  internes  s'incli- 
nant  plus  ou  moins  en  dedans. 

2°  Caractères  (Jiffcrentieh.  Les  multicuspidées  supérieures  diffèrent  des 
inférieures  :  \°  par  leur  volume  qui  est  plus  considérable;  2°  par  le  bord 
externe  de  leur  face  triturante  qui  est  plus  tranchant;  3"  par  leurs  racines 
qui  sont  au  nombre  de  trois  au  moins,  le  plus  souvent  isolées,  quelquefois  soudées 
entre  elles.  De  ces  trois  racines,  deux  sont  externes;  la  troisième  est  interne, 
très-grosse,  arrondie,  fortement  inclinée  en  dedans.  Les  grosses  molaires  infé- 
rieures, sauf  de  très-rares  exceptions,  ne  possèdent  que  deux  racines,  l'une 
antérieure,  l'autre  postérieure,  toutes  deux  aplaties  d'avant  en  arrière  et  allongées 
de  dehors  en  dedans. 

Caractères  individuels  des  rmdticuspidées.  Premières  grosses  molaires 
supérieures.  La  première  multicuspidée  supérieure  est  la  plus  large  et  la  plus 
volumineuse  des  grosses  molaires;  sa  couronne  a  ordinairement  quatre  et  quel- 
quefois cinq  tubercules  :  dans  ce  dernier  cas,  il  y  en  a  trois  extérieurs  et  deux 
intérieurs.  Les  racines  sont  plus  grosses,  plus  longues,  plus  divergentes  que 
celles  de  toutes  les  autres  molaires  ;  elles  sont  invariablement  au  nombre  de  trois. 
La  racine  interne,  plus  grosse,  plus  longue  et  plus  ronde,  est  aussi  la  plus 
divergente;  elle  se  porte  toujours  obliquement  en  dedans;  les  deux  externes  sont 
sensiblement  égales.  La  face  antérieure  de  celte  dent,  c'est-à-dire  celle  qui 
touche  la  petite  molaire,  est  plus  large  et  plus  aplatie  que  l'externe;  la  face 
interne  de  sa  couronne  est  plus  ronde  et  moins  large  que  la  face  externe. 

Sur  la  face  intérieure  de  la  couronne  delà  première  multicuspidée  supérieure 
on  remarque  un  sillon  qui,  partant  du  point  où  .se  réunissent  les  deux  cuspides 
intérieures,  se  continue  jusque  sur  la  racine,  oii  il  forme  une  espèce  de  petite 
gouttière.  Ce  sillon  n'existe  jamais  sur  la  seconde  multicuspidée  ou,  s'il  existe 
sur  cette  dernière,  il  ne  se  prolonge  jamais  sur  sa  racine  interne. 

Secondes  grosses  molaires  supérieures.  Cette  dent,  un  peu  moins  volumi- 
neuse que  la  précédente,  n'est  surmontée  le  plus  souvent  que  de  trois  cuspides, 
tandis  que  la  première  grosse  molaire  en  a  toujours  au  moins  quatre.  Des  trois 
cuspides  que  présente  la  couronne  des  secondes  grosses  molaires,  deux  sont 
extérieures  et  une  intérieure.  Lorsqu'il  existe  une  quatrième  cuspide  sur  la  face 
triturante  de  cette  dent,  elle  est  bien  plus  petite  que  les  autres  et  est  placée  sur 
l'angle  de  la  face  interne.  Les  racines  de  la  seconde  multicuspidée  supérieure 
sont  moins  divergentes  que  celles  de  la  première,  le  collet  en  est  par  conséquent 
moins  rétréci. 

Troisièmes  grosses  molaires  ou  dents  de  sagesse.     Cette  dent  a  une  forme 


Q 


DENT  (anatomie).  9 

très-ii  régulière  ;  sa  partie  triturante  n'est  pas  cuboïde  comme  celle  des  autres 
grosses  molaires  ;  c'est  bien  plutôt  un  prisme  triangulaire.  Ordinairement  elle 
ne  présente  que  trois  cuspides,  dont  deux  extérieures  et  une  intérieure,  mais 
quelquefois  elle  en  offre  une  foule  d'autres  petites.  Daus  quelques  cas  la  face 
triturante  de  cette  dent  est  mamelonnée,  chagrinée,  plissée.  Les  trois  racines 
sont  généralement  réunies  plus  ou  moins  complètement  en  un  seul  faisceau. 
Cependant,  lors  même  que  les  racines  de  la  troisième  molaire  sont  réunies,  on  y 
trouve  toujours  le  vestige  des  caractères  propres  aux  molaires  de  la  série  à 
laquelle  elle  appartient,  c'est-à-dire  la  trace  des  trois  racines,  une  intérieure 
et  deux  extérieures  pour  la  molaire  supérieure,  et  pour  la  molaire  inférieure 
le  vestige  de  deux  racines,  une  antérieure  et  une  postérieure.  Ces  racines  sont 
courtes  et  dirigées  en  arrière  toujours  vers  l'origine  de  leur  nerf. 

Premières  grosses  molaires  inférieures.  Cette  denl  est  remarquable  par  les 
cinq  tubercules  qui  se  trouvent  sur  sa  face  triturante  :  savoir  trois  en  dehors  et 
deux  en  dedans.  Sur  la  face  extérieure  de  la  couronne  de  cette  dent,  on 
l'emarque  deux  sillons  séparant  les  trois  tubercules  :  le  plus  petit  de  ces  trois 
tubercules  se  trouve  toujours  en  arrière.  Comme  il  n'y  a  que  deux  cuspides 
en  dedans,  on  n'observe  à  la  face  intérieure  qu'un  sillon  pour  les  séparer.  Le 
collet  de  la  première  grosse  molaire  inférieure  est,  comme  celui  de  la  première 
grosse  molaire  su|iérieure,  beaucoup  plus  étranglé  que  celui  de  toutes  les 
autres  dents  :  étranglement  formé  par  la  divergence  des  racines  et  la  grosseur 
delà  couionne.  Des  deux  l'acines  de  celte  dent,  l'une  est  antérieure,  l'autre  posté- 
rieure. La  racine  postérieure  est  toujouis  plus  divergente,  moins  grosse  et  plus 
ro;:!dc  que  l'antérieure  qui  est  au  contraire  plus  longue,  plus  plate  et  plus 
profondément  sillonnée  dans  le  sens  de  sa  longueur.  Ces  deux  racines  présentent 
d'ailleurs  un  aplatissement  dans  le  sens  transveisal  de  manière  à  indiquer  la 
tendance  à  la  division,  c'est-à-dire  à  la  séparation  des  quatre  racines;  ce  qui  nous 
a  fait  dire  que  ces  dents  ont  en  réalité  quatre  racines  au  point  de  vue  anatomique, 
tandis  qu'elles  n'en  présentent  que  deux  au  point  de  vue  chirurgical. 

Secondes  grosses  molaires  inférieures.  La  face  triturante  de  la  couronne  de 
la  seconde  grosse  molaire  inférieure  est  surmontée  seulement  de  quatre  cuspides 
que  sépare  un  sillon  crucial.  Les  racines  de  la  seconde  multicuspidée  inférieure 
sont  moins  divergentes,  c'est-à-dire  plus  rapprochées  l'une  de  l'autre,  que  celles 
de  la  première;  quelquefois  même  les  deux  racines  de  cette  dent  sont  l'éunies, 
mais  il  est  toujours  facile  de  reconnaître  la  trace  de  leur  soudure. 

Troisièmes  grosses  molaires  inférieures  ou  dents  de  sagesse.  Cette  dent  est 
sujette  à  de  grandes  variétés,  la  face  triturante  de  cette  denl  est  garnie  de  cinq 
tubercules,  comme  celle  de  la  première  grosse  molaire  inférieure;  mais  ces  cinq 
cuspides  ne  sont  pas  aussi  bien  conformées,  ne  sont  pas  placées  aussi  régulière- 
ment. La  face  triturante  de  cette  dent  est,  comme  sa  correspondante  supérieure, 
rugueuse,  mamelonnée,  plissée.  Les  racines  de  la  dent  de  sagesse  inférieure 
sont  plus  courtes  et  moins  divergentes  que  celles  de  la  première  grosse  molaire; 
ses  racines  sont  souvent  réunies  plus  ou  moins  complètement  en  une  seule.  Les 
racines  de  cette  dent  se  dirigent  en  général  très-fortement  vers  la  branche  mon- 
tante du  maxillaire  inférieur. 

Quant  à  la  distinction  à  faire  entre  les  dernières  molaires  inférieures  et  supé- 
rieures, elle  s'établira  par  la  direction  des  racines  qui  prennent,  ainsi  que  nous 
l'avons  dit,  une  concavité  postérieure  très-marquée. 

Caractères  différentiels  entre  les  deyits  temporaires  et  les  permanentes. 


10  DENT  (histologie). 

Les  dents  de  première  dentition,  dites  aussi  temporaires  ou  caduques,  par  oppo- 
sition aux  permanentes,  sont,  comme  on  sait,  au  nombre  de  vingt,  soit  dix  à 
chaque  mâchoire,  et  forment  deux  arcades  parabohques,  l'inférieure  plus  courbe 
inscrite  dans  la  supe'rieure.  Ces  dents  comprennent  par  leur  forme  trois  gi-oupes  : 

Les  incisives,  les  canines  et  les  molaires. 

D'une  façon  générale,  les  dents  temporaires,  d'un  volume  beaucoup  plus 
iaible  que  les  permanentes,  sont  avec  celles-ci  dans  un  rapport  approximatif  de 
1 :  5,  c'est-à-dire  environ  du  tiers. 

Les  proportions  sont  en  outre  notablement  différentes  ;  les  couronnes  sont 
moins  hautes,  à  peu  près  égales  à  la  largeur  pour  les  incisives,  les  canines  et  la 
première  molaire.  La  seconde  molaire  seule  a  une  hauteur  environ  moitié 
moindre  que  la  largeur. 

Toutes  ces  couronnes  sont  en  quelque  sorte  renflées  et  comme  ventrues  ;  leur 
couleur  présenle  toutes  les  variations  qu'offrent  les  dents  permanenles  elles- 
mêmes  et  a  la  même  signification  au  point  de  vue  de  la  constitution  des  tissus 
et  des  prédispositions  morbides  qu'elle  entraîne. 

En  ce  qui  regarde  leur  nombre,  les  incisives  et  les  canines  sont  en  nombre 
égal  dansles  deux  dentitions:  ladifféience  numérique  porte  donc  sur  les  molaires; 
celles-ci  chez  l'enl'unt  sont  au  nombre  de  huit,  soit  quatre  à  chaque  mâchoire,  et 
on  ne  peut  à  l'égard  de  leur  forme  les  distinguer  comme  chez  l'adulte  en  petites 
et  grosses  molaires,  bien  que  cependant  elles  soient  d'un  volume  différent  ;  elles 
ont  en  effet  la  même  forme  extérieure;  elles  sont  les  unes  et  les  autres  multi- 
cuspidées,  la  plus  petite  n'offrant  point  les  deux  tubercules  caractéristiques  de 
la  prémolaire  de  l'adulte. 

Quant  aux  racines,  elles  affectent,  au  volume  près,  les  mêmes  formes  que 
celles  des  dents  permanentes  :  uniques  pour  les  incisives  et  les  canines  et  sans 
jamais  présenter  de  bifidité  accidentelle,  elles  sont  multiples  pour  les  molaires, 
c'est-à-dire  au  nombre  de  deux  transversales  et  parallèles  pour  les  molaires  infé- 
rieures et  de  trois  pour  les  supérieures  ;  pour  ces  dernières,  deux  sont  externes 
et  parallèles,  une  interne,  oblique  en  dedans.  Ces  racines  présentent  en  outre 
dans  leur  ensemble  la  légère  courbure  postérieure  qui  se  remarque  aux  perma- 
nentes. Les  pièces  de  la  dentition  temporaire  éprouvent  pendant  leur  séjour  dans 
l'organisme  d'une  part  la  même  augmentation  de  densité  progressive  qui  est  la 
loi  physiologique  commune  à  toutes  les  dents  et  d'autre  part  l'usure  graduelle 
qui  en  amène  rapidement  la  réduction  en  hauteur.  C'est  ainsi  (|ue  les  dents  ca- 
duques, à  l'époque  voisine  de  leur  chute,  sont  souvent  mutilées  par  l'usure  et 
deviennent  de  véritables  tronçons  informes.  On  peut  donc  dire  que  la  dentition 
temporaire  présente  dans  son  évolution  totale,  et  malgré  les  différences  considé- 
rables de  durée,  les  mêmes  phénomènes  généraux  qui  s'observent  aux  dents  per- 
manentes. Ajoutons  enfin  que  les  diverses  lésions  pathologiques  sont  de  tous 
points  identiques  dans  leurs  manifestations  et  susceptibles  des  mêmes  appli- 
cations, héiapeutiques.  La  distinction  d'une  dent  temporaire  déterminée  iso- 
lément de  son  homologue  permanente  se  fera  donc  au  moyen  des  caractères  de 
volume,  de  forme,  de  densité  et  d'usure.  Cette  dernière  particularité  sera  même 
de  nature  à  contribuer  dans  une  certaine  mesure  à  la  détermination  de  Và<^e  de 
l'enfant,  de  même  que  nous  l'avons  vu  appliquer  au  même  résultat  pour  les 
dents  de  l'adulte. 

§  IL  Structure  histologique.     Âu  point  de  vue  de   la  structure  intime 


DENT  (histologie).  M 

l'organe  dentaire  se  compose  de  cinq  tissus  différents  qui  se  divisent  en  deux 
groupes  :  1°  tissus  durs  :  émail,  ivoire,  cément;  2"  tissus  mous  :  pulpe  den- 
taire et  périoste  alvéolo-dentaire. 

I,  Tissus  DURS.  A.  Émail.  L'émail  est  représenté  dans  la  constitution  d'une 
dent  en  général  par  cette  couche  de  tissu  compacte  et  résistant  qui  recouvre  la 
totalité  de  la  couronne.  Dans  un  certain  nombre  d'espèces  animales  (pachydermes, 
molaire  des  ruminants,  etc.),  il  est  recouvert  à  son  tour  d'une  couche  d'un  autre 
tissu,  le  cément.  Chez  un  grand  nombre  d'animaux  (homme,  carnassiers,  pois- 
sons, etc.),  on  le  trouve  à  découvert  à  la  surface  de  l'organe,  mais  ce  n'est  là, 
ainsi  que  nous  le  verrons,  qu'une  simple  apparence,  car,  en  l'absence  du  cément, 
il  est  recouvert  d'une  autre  substance,  la  cuticule,  dont  nous  verrons  plus  loin  le 
rôle  et  la  signification  physiologiques. 

L'émail  l'orme  à  la  couronne  un  revêtement  d'une  épaisseur  très-variable, 
selon  les  espèces  de  dents,  selon  les  différents  animaux  et  en  particulier  chez 
l'homme  suivant  les  variétés  individuelles  et  les  races.  Cette  épaisseur,  qui  atteint 
son  maximum  au  sommet  des  tubercules,  c'est-à-dire  sur  les  points  culminants 
de  la  couronne,  décroît  de  volume  depuis  ce  point  jusqu'au  collet  où  elle  se  termine 
par  un  bord  aminci.  Cette  épaisseur,  qui  peut  atteindre  pour  certaines  dents  et 
chez  certaines  races  jusqu'à  3  ou  4  millimètres,  est  en  moyenne  de  1  millimètre  à 
1  millimètre  et  demi. 

Détaché  par  certains  procédés  chimiques  de  la  surface  de  la  couronne,  l'émail 
a  la  forme  d'un  capuchon  exactement  moulé  sur  la  surface  de  l'ivoire  à  laquelle  il 
adhère  sans  interposition  d'aucune  substance;  la  prétendue  membrane  qui  a  été 
décrite  entre  l'ivoire  et  l'émail  n'existe  pas,  et  son  apparence  n'est  due  qu'à  la 
différence  de  réfraction  des  tissus  lorsqu'on  les  étudie  sur  une  coupe  qui  com- 
prend toute  l'épaisseur  de  la  couronne. 

Ainsi  isolé,  le  chapeau  d'émail  a  donc  exactement  la  même  forme  que  le  chapeau 
de  dentine,  lequel  représente  à  son  tour  la  forme  de  la  surface  de  la  pulpe  qu'il 
recouvre. 

La  couleur  de  l'émail  observée  à  l'œil  nu  varie  depuis  le  jaune  plus  ou  moins 
foncé  jusqu'au  blanc  mat  et  assez  souvent  jusqu'au  gris  bleuâtre.  Toutefois  cette 
coloration  ne  paraît  pas  être  propre  à  ce  tissu,  cjui  est  essentiellement  transparent, 
de  sorte  que  la  couleur  des  dents  résulterait  de  la  teinte  particulière  de  l'ivoire 
transmise  grâce  à  la  transparence  de  l'émail.  Toutefois  ce  caractère  constant  dans 
l'état  physiologique  éprouve  de  nombreuses  variations  :  ainsi  l'émail ,  par  suite  de 
certaines  anomalies  de  structure  étudiées  ailleurs,  présente  des  tons  opaques  ou 
des  taches  diversement  colorées  qui  résultent  de  certaines  défectuosités  de  rapport 
des  parties  constituantes;  d'autre  part  les  aspects  bleuâtres  de  certaines  dents 
sont  dus  en  partie  à  des  lacunes  ou  des  défauts  de  cohésion  entre  les  mêmes 
éléments  composants.  Mais  ce  sont  là  des  accidents,  car  un  chapeau  d'émail 
détaché  à  l'état  frais  est  diaphane  ou  légèrement  opalin. 

La  densité  et  la  résistance  de  l'émail  sont  considérables,  on  a  dit  depuis 
longtemps  qu'il  avait  une  structure  vitreuse,  et  cette  comparaison  est  assez 
exac(e  ;  il  fait  feu  avec  le  briquet  et  il  peut  émousser  les  instruments  les 
mieux  trempés. 

Il  ne  subit  que  très-difticilement  l'action  de  la  lime,  sauf,  bien  entendu,  le  cas 
d'altération  préalable  ;  toutefois  ce  tissu  ne  résiste  pas  à  l'action  de  l'émail  lui- 
même,  et  c'est  ainsi  que  l'usure  réciproque  des  couronnes  dentaires  entame  et 
détruit  si  facilement  les  festons  du  bord  des  incisives  et  les  sommets  tuberculeux 


i2  DEM   (histologie). 

des  molyires.  Mais  celte  résistance  aux  agents  physiques  ou  mécaniques  ne  se 
retrouve  pas  pour  les  actions  chimiques,  car  les  acides  même  faibles  entraînent  sa 
désorganisation  rapide;  c'est  même  là,  ainsi  qu'on  le  verra,  que  réside  le 
phénomène  initial  de  la  carie  dentaire.  Ces  particularités  si  opposées  s'expli- 
quent parl'aitemcnt  en  même  temps  par  la  densité  extrême  du  tissu  et  par  sa 
composition  chimique  qui  se  prêtent  essentiellement  aux  actions  acides.  Cette 
composition  chimique  étudiée  depuis  longtemps  montre  une  proportion  consi- 
dérahle  de  phosphates  et  de  carbonates  calciques  avec  une  quantité  très-faible  de 
matières  organiques. 

Voici  d'ailleurs  l'analyse  de  Bibras  : 

Molaire  Molaire 

d'une  femme     d'un  homme 

de  25  ans.  adulte. 

Phosphate  de  cliaux  avec  traces  de  (luorure  de  calcium  .    .    .  81,65  89,82 

Carbonate  de  chaui 8,88  4,^7 

Phosphate  de  magnésie 2,55  1,5-1 

Sels  soluhles 0,97  0,88 

Substance  organique 5,97  3,59 

Graisse traces.  0,20 

100.10  100.00 

Substances  organiques.  ...       5,9.t  5,59 

Matériaux  inorganiques 91,06  96,51 

Au  point  de  vue  purement  histologique,  l'émail  se  compose  de  colonnes  prls- 
mati([ties  juxtaposées  constituant  jiour  toute  l'étendue  du  chapeau  d'émail  une 
couche  continue,  de  sorte  que  l'épaisseur  très-variable  des  tissus  se  mesure  par 
l'étendue  même  des  prismes.  Ceux-ci  ont  donc  une  longueur  qui  varie  depuis 
2  à  3  millimètres  jusqu'à  ime  dimension  très-faible,  puisqu'elle  arrive  même  à 
zéro  au  niveau  du  collet. 

Etudié  sur  une  coupe  verticale  de  la  couronne  et  dans  une  direction  parallèle 
au  diamètre  des  prismes,  l'émail  ai)paraît  comme  manifestement  composé  d'une 
substance  homogène  dans  laquelle  on  n'aperçoit  les  points  de  contact  des  colonnes 
qu'au  moyen  de  certains  artifices  d'éclairage  oblique  ou  par  l'emploi  des  réactiis 
acides  qui  eu  limitent  plus  facilement  les  contours  ;  la  couche  des  prismes 
contigus  offre  cependant  dans  son  épaisseur  certaines  lignes  parallèles  considé- 
rées autrefois  par  beaucoup  d'observateurs  et  parnous-mème  comme  la  trace  t'e 
rangées  superposées  des  cellules  de  l'émail  directement  calcifiées.  C'était  là  une 
erreur  d'interprétation,  car  les  prismes  ne  représentent  qu'une  rangée  unique, 
les  lignes  en  question  résultent  de  certaines  inflexions  générales  qu'éprouve  la 
masse  des  colonnes  dans  leur  trajet  au  sein  du  tissu. 

Ces  inflexions  ou  courbures  générales  des  prismes  d'émnil  peuvent  parfois 
s'exagérer  et  devenir  de  véritables  spires,  mais  c'est  là  une  disposition  anormale 
qui  se  rencontre  sur  les  points  défectueux  de  la  couche,  au  voisinage,  par  exemple, 
de  ces  perforations  accidentelles  du  tissu,  de  ces  enfoncements  fréquents  dans  les 
interstices  des  tubercules  des  molaires  et  sur  d'autres  points  qui  constituent  les 
lieux  d'élection  delà  carie.  C'est  dans  ces  circonstances  que  s'observent  les  dispo- 
sitions des  prismes  enchevêtrés  ou  en  towr5i//oMS,  suivant  l'expression  de  Tomes, 
dispositions  qui  se  compliquent  de  lacunes,  de  cavités  de  formes  diverses,  inter- 
posées aux  prismes  et  donnant  au  tissu  une  friabilité  relative  plus  ou  moins 
grande.  Nous  n'insisterons  pas  ici  sur  ces  faits  anatomiques  qui  rentrent  dans  la 
catégorie  des  anomalies  de  structure  extérieure  étudiées  plus  loin;  mais  il  faut 
en  tous  cas  les  différencier  soigneusement  d'autres  dispositions  dans  lesquelles 


DENT  (histologie).  io 

certaines  lacunes  irrégulières  situées  dans  le  tissu  de  l'émail,  entre  les  prismes 
et  au  voisinage  de  l'ivoire,  sont  en  communication  avec  les  extrémités  des  canali- 
cules  de  la  dentine.  Ch.  Tomes,  qui  les  a  étudiées  avec  soin,  les  a  rencontrées 
chez  l'homme  oîi  elles  nous  paraissent  accidentelles  et  anormales,  tandis  que 
chez  d'auties  espèces  animales  elles  seraient  constantes.  C'est  ainsi  que  le 
même  anatomiste  les  signale  chez  le  Kangnroo  et  chez  certains  poissons,  les 
Sargus  {Dental  Anatomy.  London,  1876,  p.  52). 

Quoi  qu'il  en  soit,  ces  communications  entre  le  système  tubulaire  de  l'ivoire 
et  les  prismes  de  l'émail  sont  utiles  à  noter  au  point  de  vue  de  la  physiologie  de 
ce  dernier.  Elles  établissent  la  possibilité  d'un  certain  échange  de  matériaux  au 
sein  de  l'émail  et  donnent  la  raison  des  modifications  très-sensibles  de  résis- 
tance et  de  densité  qu'éprouve  le  tissu  pendant  le  cours  de  la  vie. 

Si  après  avoir  étudié  l'émail  au  point  de  vue  de  sa  structure  dans  une  coupe 
longitudinale  on  l'examine  sur  une  tranche  transversale  perpendiculaire  aux 
prismes,  la  préparation  à  un  grossissement  de  300  diamètres  représente  une  véri- 
table mosaïque  composée  de  pièces  hexagonales  toutes  identiques  et  juxtaposées 
immédiatement.    Sur  des  préparations  très-amincies  on  peut  suivre  exacte- 
ment  le    contour    des  prismes,    qui  dans  un  émail   tout  à  fait   normal  sont 
d'une  régularité   parfaite.   Mais   assez    souvent   sur     des    dents    moins    bien 
conformées  ces  contours,  au  lieu  d'être  de  forme   polygonale,   présentent  des 
arêtes  moins  vives,  parfois  même  émoussées,  de  telle  sorte  que  les  prismes  se 
rapprochent  de  la  forme  cylindrique.  Dans  ces  conditions,  la  juxtaposition  des 
prismes  ne  peut  être  parfaite  et  on  remarque  dans  les  interstices  une  faible  quan- 
tité de  tissu  compacte,  mais  légèrement  granuleux.  Ces  conditions  qui  donnent, 
ainsi  qu'on  le  prévoit,  une  friabilité  plus  ou  moins  grande  à  la  masse  de  l'émail, 
se  rencontrent  dans  les   dents  de  sujets  cachectiques  ou  diathésiques  comme 
prédisposition  marquée  à  la  carie.   L'étude  de    la  constitution  anatoniique  de 
l'émail  se  trouve  singulièrement  favorisée   par  l'emploi  sous  le  microscope  de 
certains  réactifs,  comme,  par  exemple,  les  acides  faibles.  Si  l'on  soumet  une  coupe 
longitudinale  à  l'influence  de  l'acide  chlorhydrique  faible,  on  voit  peu  à  peu  les 
prismes  devenir  opaques  dans  leur  partie  fondamentale  en  même  temps  que  se 
produisent  transversalement  des  striations  parallèles  assez  régulières  et  granu- 
leuses. De  même  les  séparations  des  prismes  s'accusent  plus  nettement  et,  si  l'ac- 
tion chimique  se  prolonge,  on  peut  voir  se  détacher  des  groupes  de  prismes 
restés  accolés,  mais  très-friables  et  dans  lesquels  se  reconnaît  très-exactement 
l'existence  d'un  prisme  unique  dans  le  sens  de  l'épaisseur  du  tissu  et  non  de 
plusieurs  prismes  superposés.  Si  l'on  répète  cette  même  réaction  sur  une  coupe 
transversale,  on  arrive  à  produire  un  résultat  tout  particulier;  c'est  que  la  déca- 
lilication  portant  principalement  sur  la  coupe  des  prismes  et  ménageant  relative- 
ment leurs  lignes  de  contact  et  leurs  interstices,  il  se  produit  une  véritable 
lamelle  perforée  d'ouvertures  à  peu  près  circulaires  toutes  semblables  et  donnant 
l'aspect  d'une  découpure  à  l'emporte-piècc. 

Cette  disposition  en  mosaïque  qui  se  révèle  à  la  coupe  transversale  se  retrouve 
aussi,  si  l'on  examine  dans  une  préparation  favorable  la  face  profonde  de  la 
couche  d'émail,  celle  qui  répond  à  la  surface  de  l'ivoire.  Or,  cette  face  profonde 
de  l'émail  a  exactement  la  figure  géométrique  d'une  série  d'hexagones  réguliers. 
€ette  même  disposition  se  retrouve  d'ailleurs  identique  à  la  surface  extérieure 
de  la  dentine  qui  reçoit  précisément  les  extrémités  centrales  des  prismes.  C'est 
encore  de  la  sorte  qu'on  reconnaît  sur  cette  surface  de  .rencontre  de  l'émail  et  de 


Si  DElM  (histologie). 

l'ivoire  l'absence  complète  de  tout  vestige  de  membrane  que  les  faits  de  déve- 
loppement embryogénique  excluent  d'ailleurs  complètement. 

Mais,  s'il  n'existe  aucune  membrane  à  la  face  profonde  de  l'émail,  il  n'en  est 
pas  de  même  de  la  surface  externe  qui  est  tapissée  d'une  membrane  propre  iso- 
lable  et  recouvrant  exactement  toute  la  surface  extérieure  :  c'est  la  cuticule  de 
l'émail. 

La  cuticule,  découverte  en  1859  par  Nasmyth  [Medico-chirurgical  Trans- 
actions, janvier  1859),  qui  l'a  décrite  sous  le  nom  de  persistent  capsular,  est 
une  pellicule  amorphe  d'une  épaisseur  de  0'"'",001,  intimement  adhérente  à  la 
surface  extérieure  de  l'émail,  inattaquable  par  les  acides,  d'une  résistance 
extrême  et  dont  le  rôle  est  de  protéger  le  tissu  soiis-jacent  contre  les  agents  alté- 
rants. Sa  présence  n'est  perceptible  sur  une  dent  qui  n'a  point  subi  d'usure  que 
sur  une  coupe  mince  soumise  pendant  quelques  instants  à  l'action  de  l'acide 
chlorhydrique  étendu.  Dans  une  préparation  de  ce  genre,  l'action  de  l'acide 
désorganisant  la  substance  de  l'émail  détache  de  sa  surface  la  pellicule  protec- 
trice qu'on  aperçoit  soulevée  par  les  bulles  de  gaz.  On  reconnaît  alors  qu'elle  est 
transparente,  d'une  épaisseur  uniforme  et  légèrement  granuleuse  sur  certains 

points.   Les  alcalis  la  gonflent  sans    la   désa- 
gréger et  en  favorisent  l'étude. 

Étudiée  par  Kôlliker,  qui  lui  a  conservé  le 
nom  de  cuticule,  puis  par  Raschkow,  Huxley, 
Todd  et  Bowman,  elle  représenterait  la  trace 
de  la  membrana  prœformativa  qui  envelop- 
perait le  bulbe  et  au  travers  de  laquelle  se 
seraient  déposés  les  éléments  de  l'émail.  Cette 
interprétation  ne  nous  paraît  pas  exacte  et  on 
doit  selon  nous  se  rattacher  à  l'opinion  de  Ch. 
Tomes,  qui  la  représente  comme  composée  par 
le  vestige  de  V organe  du  cément  sur  les  dents 
privées  de  cément  coronaire.  C'est  en  traitant 
des  préparations  de  cuticule  par  les  alcdis  et 
en  particulier  par  la  potasse  qu'il  réussit  à 
saisir  quelques  indices  sur  sa  nature  anato- 
mique.  La  présence  sur  certains  points  plus 
épaissis  d'un  ou  plusieurs  ostéoplastes  recon- 
naissables  vient  confirmer  cette  hypothèse.  La 
cuticule  manque  donc  à  la  surface  de  l'émail 
des  dents  à  cément  coronaire. 

Au  point  de  vue  physiologique  la  cuticule 
de  l'émail  est  un  agent  puissant  de  protection 
de  ce  tissu  ;  aussi  faut-il  qu'elle  soit  détruite  sur 
un  point  pour  permettre  à  un  agent  altérant  de 
désorganiser  l'émail.  11  en  est  ainsi  dans  les 
sillons  ou  anfractuosités  de  la  surface  de  la 
couronne,  la  cuticule  restant  perforée  à  leur 
niveau  sans  se  réfléchir  dans  la  profondeur.  Ces  points  sont,  comme  on  sait,  les 
lieux  d'élection  de  la  carie.  Une  autre  circonstance  amène  le  même  résultat,  car 
l'usure  a  pour  premier  effet  d'entraîner  la  cuticule,  mais  avec  cette  diffé- 
rence que,  l'usure  produisant  toujours  une  surface  lisse  et  polie,  le  séjour  des 


Fig.  1.  —  Coupe  d'une  dent  prise  sur 
un  sujet  et  comprenant  la  dentine  et 
l'émail  traité  par  les  acides  (d'après 
Ch.  Tomes). 

a,  Cuticule  de  l'émail  détachée  de  la 
surface  désorganisée  de  l'émail.  — 
b,  dentine.  —  d,  renflement  de  la 
cuticule  occupant  une  aiifractuosité 
de  l'émail  et  présentant  les  traces  de 
deux  ostéoplastes.  —  e,  émail.  — 
a',  bout  déchiré  de  la  cuticule. 


DENT  (iiistolouie).  lô 

agents  destructeurs  est  fort  difficile,  de  sorte  que  les  surfaces  d'usure  sont  très- 
rarement  attaquées  par  la  carie. 

B.  Ivoire.  L'ivoire  ou  dentine  représente  la  portion  essentielle,  la  niasse 
principale  de  la  dent.  C'est  une  substance  d'une  densité  inférieure  à  l'émail, 
mais  supérieure  à  celle  du  tissu  compacte  des  os..  Elle  est  d'une  couleur 
blanche  inclinant  tantôt  vers  le  jaune  faible,  tantôt  vers  le  gris  avec  reflet 
bleuâtre.  C'est  le  tissu  qui,  ainsi  que  nous  l'avons  dit,  donne  à  la  dent  en 
général  sa  couleur  extérieure,  l'émail  transparent  n'ayant  pas  de  coloration 
propre. 

L'ivoire  est  recouvert  dans  la  couronne  par  l'émail  qui  lui  forme  un  revête- 
ment complet,  et  dans  la  racine  par  le  cément  qui  le  recouvre  jusqu'au  sommet 
radiculaire.  Il  résulte  de  là  qu'il  n'est  nulle  part  exposé  au  dehors,  car  même 
au  collet  le  bord  terminal  de  l'émail  est  recouvert  par  un  prolongement  très- 
aminci  du  cément  qui  se  continue  avec  la  cuticule. 

La  surface  extérieure  de  l'ivoire,  après  ablation  de  la  couche  d'émail, 
est,  dans  la  couronne,  couverte  de  petites  dépressions  concaves  et  hexa- 
gonales signalées  pour  la  première  fois  par  Owen  et  destinées  à  recevoir  les 
exlrémilés  terminales  des  prismes  de  l'émail.  Cette  surface  présente  par  suite 
un  aspect  réticulé  ou  à  facettes  que  nous  avons  comparé  depuis  longtemps 
à  la  surface  des  yeux  composés  des  insectes.  Dans  la  racine  la  face  externe 
de  l'ivoire  est  inégale  et  rugueuse,  couverte  d'anfractuosités  remplies  par  le 
cément. 

La  surface  interne  de  l'ivoire  répond  à  la  cavité  centrale  dont  est  creusée 
chaque  dent.  Cette  cavité  a  exactement  la  même  forme  que  la  couronne  et 
que  l'organe  (la  pulpe)  qu'elle  renferme  et  sur  laquelle  elle  est  exactement 
moulée. 

Cette  cavité  a  donc,  de  même  que  la  dentine  qui  la  contient,  une  figure 
variable  suivant  les  espèces  de  dents,  c'est-à-dire  qu'elle  est  fusiforme  pour  les 
canines,  analogue  à  un  coin  pour  les  incisives  et,  dans  les  molaires,  pourvue 
à  la  partie  la  plus  élevée  d'un  nombre  d'enfoncements  conoïdes  ou  cornes,  en 
nombre  égal  aux  saillies  de  la  pulpe. 

Du  côté  de  la  racine,  cette  cavité  présente  des  prolongements  simples  aux 
incisives  et  canines,  multiples  aux  molaires  et  destinés  à  contenir  les  ramitlca- 
tions  de  la  pulpe  et  les  faisceaux  vasculo-nerveux,  qui  pénètrent  au  centre 
de  l'organe. 

Les  dimensions  de  la  cavité  centrale,  très-grandes  chez  l'enfant  oiî  la  pulpe 
qu'elle  contient  est  volumineuse,  diminuent  progressivement  avec  l'âge  pour  dis- 
paraître finalement  chez  le  vieillard.  Le  mécanisme  de  cette  réduction  d'étendue 
réside  dans  le  phénomène  continu  de  production  de  dentine,  laquelle  se  sura- 
joute couche  par  couche  pendant  toute  la  durée  de  la  vie  à  la  face  interne  de 
la  cavité  centrale.  Cette  circonstance  nous  a  permis  de  dire  que  chez  tous  les 
animaux,  en  raison  d'une  loi  constante,  l'accroissement  en  volume  de  la  dent 
est  continu,  mais  non  point,  il  est  vrai,  à  la  manière  des  incisives  des  ron- 
geurs, lesquelles,  composées  uniquement  d'une  couronne,  sont  appelées  à  s'user 
par  la  mastication.  Ce  phénomène  pour  les  dents  pourvues  de  racines  se  renferme 
dans  la  cavité  de  la  pulpe,  dont  la  capacité  s'affaiblit  peu  à  peu  sous  la  pro- 
duction incessante  des  couches  successives. 

La  surface  de  cette  cavité  lisse  et  polie  à  un  examen  superficiel  présente,  si 
on  l'examine  à  un  grossissement  de  500  diamètres  et  sur   une  préparation 


16  DENT  (histologie). 

sèche,  les  innombrables  orifices  de  canaux  devenus  vides   par  la  dessiccation 
de  leur  contenu  et  qui  rayonnent  dans  toutes  les  directions. 

Sur  une  pièce  sèche  comme  un  petit  fragment  de  chapeau  de  dentine  en  voie 
d'évolution,  les  orifices  apparaissent  comme  un  point  noir  central  limité  par  une 
petite  7.one  claire,  entourée  elle-même  d'un  cercle  noir.  Cet  aspect  est  de  nature 
à  donner  l'idée  d'un  double  contour  à  la  lumière  des  canalicules.  Ce  n'est  là 
qu'une  api)arence  duc  ù  la  réfraction  des  deux  orifices  superposés  de  la  coupe 
vue  par  transparence,  car,  si  l'on  étudie  une  coupe  analogue  à  l'état  frais,  le 
contenu  des  tubes  apparaît  clair  et  transparent  et  le  contour  unique. 

Si  la  préparation  est  un  peu  oblique  par  rapport  à  la  direction  des  canalicules, 
on  verra  à  la  fois  l'orifice  de  ceux-ci  et  une  certaine  étendue  de  leur  trajet. 

Si  enfin  la  coupe  est  tout  à  fait  parallèle  au  trajet  des  canalicules,  on  pourra 
réaliser  sur  mie  dent  fraîche  une  préparation  dans  laipielle  on  verra  l'orifice 
d'entrée  des  tubes,  et  au  delà  de  ceux-ci  des  cellules  de  l'ivoire  tantôt  brisées 
et  ayant  laissé  les  prolongements  dans  le  canalicule,  tantôt  entières  et  restées 
dans  leur  rajiporl  normal.  Parfois  mémo  une  de  ces  cellules  reste  en  connexion 
d'une  part  avec  le  canalicule  dans  lequel  elle  pénètre,  et  d'autre  part  avec  l'une 
des  cellules  du  stratnm  que  nous  étudierons  dans  l'histoire  du  développement 
{voy.  Physiologie). 

Maintenant,  en  étudiant  la  niasse  de  l'ivoire  au  point  de  vue  de  sa  structure 
intime,  on  lui  reconnaît  deux  éléments  qui  sont  :  une  substance  fondamentale 
et  des  fibrilles. 

La  substance  fondamentale,  tissu  propre  de  l'ivoire,  est  une  matière  homo- 
gène d'une  grande  dureté,  transparente  ou  finement  granuleuse  à  un  fort 
grossissement.  Cet  état  granuleux  s'observe  particuliètement  dans  les  dents 
de  structure  défectueuse,  tandis  que  la  grande  transparence  et  l'aspect  nacré 
de  la  dentine  sont  les  indices  d'une  constitution  plus  parfaite.  Cette  substance 
est  interposée  aux  fibrilles  qu'elle  sépare  et  forme  ainsi  des  colonnes  de  contour 
irrégulier. 

Par  cette  disposition,  la  substance  fondamentale  de  la  dentine  se  présente  en 
proportion  variable  suivant  la  situation  plus  ou  moins  rapprochée  des  fibrilles 
et  les  points  où  elles  sont  plus  ou  moins  confluentes.  C'est  ainsi  qu'elle  est  moins 
abondante  au  voisinage  de  la  cavité  centrale  où  les  origines  des  fibres  sont  très- 
rapprochécs,  tandis  que  sur  les  points  plus  éloignés  de  la  périphérie  de  l'ivoire 
les  canalicules  s'éloignent  notablement  les  uns  des  autres  en  diver^^eant  vers  la 
surface  extérieure  de  la  dent;  toutefois  ces  différences  de  quantité  relative  de 
substance  fondamentale  sont  plus  apparentes  que  réelles,  car,  si  au  voisinage  de 
la  pulpe  les  fibres  sont  plus  rapprochées,  la  multiplicité  des  anastomoses  dans 
les  couches  plus  éloignées  ne  laisse  que  peu  de  place  aux  intervalles  de  la 
substance  traversée  souvent  par  places  par  un  réseau  extrêmement  serré.  Ce 
qui  est  plus  exact,  c'est  que  la  densité  de  la  dentine  est  beaucoup  plus  grande 
à  la  périphérie  qu'au  centre,  les  couches  les  plus  anciennes  continuant  sans 
cesse  à  se  calcifier  par  la  suraddition  incessante  des  matériaux  élaborés  par 
la  pulpe.  Ainsi  s'explique  la  très-grande  dureté  et  l'extrême  fragilité  qu'acquièrent 
les  dents  des  vieillards,  chez  lesquels  on  constate  d'ailleurs,  en  même  temps  que 
la  diminution  d'étendue  de  la  cavité  de  la  pulpe,  la  réduction  du  diamètre  et 
parfois  même  l'atrophie  d'un  grand  nombre  de  fibrilles.  Ce  phénomène,  qui  est 
ici  tout  à  fait  physiologique,  s'observe,  comme  on  sait,  dans  la  marche  de 
certaines  caries  où  l'ivoire,  réagissant  d'une  manière  tout  à  hii  organique  ou 


DENT   (histologie).  17 

vitale,  devient  le  siège  de  production  de  ce  que  nous  avons  appelé  le  cône  de 
résistance.  Or  ce  cône  est  représenté  par  une  zone  d'ivoire  dont  les  fibrilles  sont 
calcifiées  par  une  formation  de  dentine  secondaire. 

Considéré  dans  la  coupe  transversale  d'une  couronne  saine,  l'ivoire  présente 
une  disposition  stratifiée,  c'est-à-dire  que  la  substance  parjît  composée  de 
couches  parallèles  et  concentriques.  Les  Anciens  avaient  déjà  remarqué  cette 
disposition  qu'ils  avaient  rencontrée  sur  des  dents  soumises  à  l'incinération. 

L'emploi  des  acides  faibles  et  les  altérations  telles  que  la  carie  amènent  le 
même  résultat  en  permettant  de  dissocier  le  tissu  de  l'ivoire  en  couches  su- 
perposées. 

Sur  une  coupe  normale,  la  disposition  stratifiée  dont  il  s'agit  se  traduit  par 
des  lignes  parallèles  appelées  par  W.  Owen  lignes  de  contour  et  observées  par 
la  plupart  des  anatomistes.  Dans  une  théorie  actuellement  abandonnée,  et  dans 
laquelle  on  croyait  l'ivoire  produit  par  la  calcification  directe  de  couches  super- 
posées de  cellules,  les  lignes  de  contour  étaient  regardées  comme  la  trace  de  ce 
travail  de  formation.  Mais  il  est  démontré  aujourd'hui  que  ce  n'est  p;is  ainsi 
que  se  forme  la  denline  et  il  faut  dès  lors  expliquer  autrement  les  dispositions 
en  question.  Oi',  un  examen  attentif  permet  de  reconnaître  que  la  masse  des 
fibrilles  ainsi  que  la  substance  interposée  éprouvent  dans  leur  trajet  excentrique 
des  ondulations  assez  régulières,  de  telle  sorte  que  chacune  de  ces  ondulations 
correspondrait  à  l'épaisseur  d'une  couche  d'ivoire,  résultat  du  trava'l  des  cel- 
lules de  la  surface  de  la  pulpe.  Celte  formation  par  couches  superposées  rap- 
pelle exactement  les  dispositions  des  lamelles  concentriques  des  os  autour  d'un 
canal  de  llavers  et  dont  le  mode  de  développement  comparable  pour  les  deux 
tissus  a  été  mis  en  évidence  pai  les  expériences  déjà  anciennes  de  Flourens 
avec  la  garance.  Il  semble  donc,  pour  la  denline  comme  pour  le  tissu  osseux, 
que  le  travail  qui  a  produit  une  couche  de  tissu  est  suivi  non  d'un  temps  de 
repos,  carie  phénomène  est  continu,  mais  d'un  certain  changement  de  direction 
générale  qui  se  traduit  ainsi  par  une  légère  ligne  de  démarcation. 

Outre  les  lignes  concentriques  de  l'ivoire  on  observe  très-souvent,  mais  non 
constamment,  dans  l'épaisseur  des  lissus,  des  zones  composées  de  globules  de 
dentine  séparée  par  des  espaces  intercjlobulaires  (fig.  2,  </).  Ces  dispositions 
considérées  comme  normales  par  Czermak  et  Owen,  sans  doute  en  raison  de  leur 
fréquence,  sont  en  réalité  des  accidents  de  l'évolution,  de  véritables  anomalies 
déstructure.  Nous  n'avons  donc  pas  à  les  décrire  ici;  ils  trouveront  leur  place 
dans  l'étude  des  anomalies  desquelles  ils  relèvent. 

Les  auteurs  ont  décrit  de  tout  temps  dans  la  composition  de  l'ivoire  un  réseau 
de  canalicules  qui  en  constitueraient  avec  la  substance  fondamentale  les  deux 
parties  essentielles.  Ces  canalicules  existent  en  effet  sur  toute  préparation  sèche 
d'ivoire,  et  c'est  dans  ces  conditions  qu'on  en  a  établi  les  caractères,  les  dimen- 
sions, les  dispositions  diverses,  et  qu'on  a  réussi  même  à  les  injecter.  Nous 
allons  les  décrire  aussi  à  notre  tour,  nous  réservant  de  dire  ensuite  à  quelle 
interprétation  nous  avons  été  conduit  sur  leur  nature  et  leur  mode  déformation. 

Les  canalicules  sont  des  tubes  qui  parcourent  la  substance  de  l'ivoire  dans 
toute  son  étendue  depuis  la  cavité  centrale  où  ils  s'ouvrent  jusqu'à  la  limite 
extérieure  du  tissu  où  ils  se  terminent  au  voisinage  même  de  l'émail. 

Découverts  en  1673  par  Leeuwenboeck,  ils  ont  été  étudiés  depuis  par  tous  les 
anatomistes  et  injectés  pour  la  première  fois,  croyons-nous,  par  le  professeur 
Gerlach  en  1859. 

DICT.  ENC.XXVJI,  2 


18  DENT  (histologie). 

Ce  sont  des  canaux  microscopiques  dont  le  diamètre  varie  suivant  les  pomts 
oij  on  les  observe  :  leur  largeur  au  voisinage  de  la  pulpe  est  de  0""",005, 
et  dans  les  ramifications  terminales  ils  arrivent  à  être  difficilement  perceptibles 
même  à  un  fort  grossissement.  Leur  dimension  moyenne  est  de  0"'°s0015  à 
0™"',00'2.  Ces  chiffres  observés  chez  l'homme  varient  infiniment  suivant  les  es- 
pèces animales,  mais  c'est  chez  les  pois- 


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Fig,  2.  —  Coupe  lon^iluiliriale  d'une  molaire 
adulte,  intéressant  l'émail  et  l'ivoire,  et  des- 
tinée à  montrer  les  dii^posilions  et  les  anasto- 
moses des  librilles  dentaires  (fig^ure  empruntée 
au  mémoire  Robin  et  Magitol.  1860). 

a.  Émail  avec  ses  prismes.  —  b,  Couche  des 
cellules  anaslomotiques  de  la  couche  superli- 
cicUe  de  denline.  — c.  Ivoire  avec  les  fibrilles 
ramifiées  et  anastomosées.  —  d,  Couche  des 
globules  de  démine  et  des  espaces  interglo- 
bulaires. 


sons  qu'ils  acquièrent  leur  plus  giand 
accroissement.  Aussi  devra-t-on  s'a- 
dresser à  ces  animaux  pour  étudier  ies 
particularités  anatomiquesqui  les  con- 
cernent, la  constitution  des  canalicules 
étant  d'ailleurs  identique  chez  tous  les 
vertébrés  pourvus  de  dents  ou  de  pro- 
ductions analogues. 

Les  canaliculcs  de  l'ivoire  suivent 
un  trajet  uniforme  représenté  par  le 
rayon  de  la  dent  ou  par  une  ligne  per- 
pendiculaire à  la  cavité  de  la  pulpe 
aussi  bien  qu'à  la  surface  extérieure  de 
l'ivoire.  Ils  s'irradient  ainsi  du  centre 
à  la  périphérie.  Leur  orifice  central 
s'ouvre  à  la  surface  de  la  pulpe  et  ils 
fournissent  ainsi  dès  leur  début  même 
et  dans  toute  leur  étendue  des  anaslo- 
moscs  qui  affectent  les  formes  les  plus 
variées  :  parfois  elles  sont  transver- 
sales entre  canalicules  voisins,  ce  qui 
s'observe  même  au  voisinage  de  la 
pulpe.  Un  peu  au  delà,  les  anastomoses 
prennent  souvent  la  forme  arbores- 
cente, ce  qu'on  remaïque,  par  exemple, 
lorsqu'un  canalicule  occupe  une  sorte 
de  lacune  de  la  substance  fondamen- 
tale. Mais  cette  disposition  représente 
plutôt  un  accident  qu'un  système  nor- 
mal. Ordinairement  les  branches  laté- 
rales assez  courtes  se  perdent  en  ana- 
stomoses réciproques  dans  un  réseau 
très-fin.  Quelquefois  une  branche  se 
détache  d'un  tube  et,  conservant  un 
diamètre  sensiblement  égal  au  tronc 


primitif,  se  dirige  transvei salement  ou 
plus  ou  moins  obliquement  soit  vers 
le  canalicule  voisin  où  elle  pénètre  directement,  soit  vers  un  canalicule  distant 
de  deux  ou  trois  intervalles,  pour  constituer  une  véritable  anse  de  commu- 
nication. On  peut  voir  dans  la  figure  ci-contre  (fig.  2,  c)  les  différents  procédés 
d'anastomoses  qui  peuvent  se  rencontrer. 

Enfin  la  masse  des  canalicules  parvenue  à  la  couche  la  plus  superficielle  de 
l'ivoire  offre  sur  ce  point  une  série  de  lacunes  ou  de  vacuoles  rares  dans  cer- 


DENT   (histologie).  .    19 

taines  préparations,  confluentes  dans  d'autres,  et  dans  lesquelles  viennent  se 
rendre  les  extrémités  terminales  des  canalicules.  Ces  vacuoles,  qui  représentent 
une  couche  spéciale  de  la  substance  de  l'ivoire,  ont  été  depuis  longtemps  désignées 
par  nous  sous  le  nom  de  réseau  anastomotique  des  canalicules  dentaires.  C'est 
-en  effet  un  véritable  système  d'anastomoses  réciproques  des  exlrémités  termi- 
nales des  tubes  et  dont  le  contenu  estidrntiqueà  celui  des  canalicules  eux-mêmes. 
En  outre,  c'est  de  ces  lacunes  que  partent  les  ramifications  qui  pénètrent  dans  les 
vacuoles  propres  de  l'émail  où  elles  ont  pour  but  physiologique  d'entretenir  un 
certain  mouvement  nutritif,  très-rudimenlaire  toutefois,  dans  ce  dernier  tissu. 
Ces  relations  tubulaires  entre  l'ivoire  et  l'émail,  mises  en  doute  par  Waldeyer 
■et  Hertz,  ont  été  démontrées  de  la  manière  la  plus  évidente  dans  ces  derniers 
temps  par  Tomes,  qui  les  a  étudiées  chez  plusieurs  espèces  de  mamuiifèies  et 
en  particulier  chez  les  marsupiaux. 

Considérés  dans  leur  ensemble  et  sur  une  coupe  observée  cette  fois  à  un 
faible  grossissement,  les  canalicules  de  la  duntine  décrivent  dans  leur  trajet  plu- 
sieurs séries  d'ondulations  dont  les  courbures  répondent  exactement  à  ces  lignes 
■de  contour  dont  nous  avons  parlé  plus  haut. 

Le  contenu  des  canalicules  de  l'ivoire  a  été  l'objet  d'un  grand  nombre  de 
discussions  parmi  les  anatomistes.  Primitivement  on  pensait  que  les  canalicules 
étaient  creux  et  qu'ils  transportaient  un  liquide  alcalin  d'imbibition.  Ce  liquide 
aurait  même  été  analysé,  mais  une  telle  hypothèse  est  actuellement  presque 
universellement  rejetée  ;  M.  Salter  reste  à  peu  près  le  seul  à  la  défendre. 
€'est  M.  J.  Tomes  qui  le  premier  en  1853  découvrit  dans  l'intérieur  du  tube 
la  présence  d'une  fibrille  molle  qui  le  remplit  entièrement  et  se  divise  ainsi 
qu'eux  en  ramifications  et  en  anastomoses.  Suivant  le  savant  anatoniiste,  cette 
fibrille  n'exclurait  pas  la  présence  d'une  paroi  propre  des  canalicules,  mais  ce 
point  ne  nous  paraît  pas  suffisamment  démontré,  et,  malgré  nos  plus  patientes 
recherches  sur  des  coupes  d'ivoire  diversement  traitées  par  les  acides,  nous 
n'avons  pu  réussir  à  discerner  à  la  fois  la  fibrille  centrale  et  la  gaine  périphé- 
rique. D'ailleurs  les  considérations  tirées  du  développement  de  l'ivoire  ne 
permettent  pas,  ainsi  qu'on  le  verra  plus  loin,  d'admettre  la  formation  d'une 
paroi  spéciale  aux  tubes  de  l'ivoire,  tandis  que  la  présence  des  fibrilles  est  due 
à  la  persistance  pendant  toute  la  vie  du  prolongement  ou  queue  des  cellules  de 
l'ivoire  qui  tapissent  la  surface  de  la  pulpe  et  qui  sont  l'axe  ou  le  centre  autour 
■duquel  se  groupent  les  éléments  de  la  substance  fondamentale. 

Ces  fibrilles  sont  amorphes,  molles  et  transparentes  à  l'état  frais,  et  destruc- 
tibles par  la  dessiccation,  de  sorte  que  les  canalicules  à  l'état  de  vacuité  se  rem- 
plissent d'air  et  apparaissent  noirs  sous  le  microscope.  Très-fines  chez  rhomme 
et  les  mammifères  oii  les  tubes  dentinaires  sont  très-étroits,  elles  prennent  un 
développement  plus  grand  et  sont  plus  faciles  à  étudier  chez  les  poissons,  qui 
ont  des  canalicules  très-larges.  C'est  ainsi  qu'on  peut  reconnaître  certaines 
particularités  importantes  :  ainsi  sur  une  coupe  de  dentine  d'une  dent  de  raie, 
soumise  successivement  à  l'action  des  acides  faibles  et  additionnées  de  chlorure 
d'or,  on  peut  rencontrer  dans  le  tmjet  des  tubes  des  fibrilles  très-déliées,  pré- 
sentant de  petites  nodosités  sur  certains  points.  Les  fibrilles  ainsi  détachées  par 
les  agents  employés  occupent  le  centre  des  canalicules. 

Il  résulte  des  considérations  anatomiques  qui  précèdent  que  la  dentine  ne 
doit  plus  être  considérée  actuellement  comme  un  tissu  creusé  de  canalicules 
proprement  dits. 


20    .  DENT  (ijistologie). 

En  effet,  si  l'on  prépare,  sous  Teau  et  en  évitant  soigneusement  toute  tendance 
à  la  dessiccation,  une  coupe  histologique  de  dentine  prise  sur  un  des  organes 
désignés  plus  haut  et  fraîchement  séparés  de  l'animal,  la  composition  de  ce 
tissu  apparaît  sous  l'aspect  suivant  : 

1"  Une  substance  fondamentale  homogène  ou  finement  granuleuse  forme  la 
masse  du  tissu.  Elle  est  dure,  résistante,  demi-transparente  et  d'une  composi- 
tion organo-minérale  dans  la  proportion  de  1/2  ; 

2°  Un  faisceau  de  fibrilles  molles  disposées  à  leur  point  de  départ  par  troncs 
parallèles,  puis  ramifiées  et  anastomosées  dans  tous  les  sens  pendant  leur  trajet 
au  sein  de  la  substance  fondamentale,  et  aboutissant,  à  la  limite  du  tissu,  à 
une  série  de  petites  dilatations  formant  dans  leur  ensemble  un  système  terminal 
d'anastomoses  réciproques.  Ces  fibrilles  sont  intimement  adhérentes  au  tissu 
ambiant,  sans  inteiposition  d'aucune  membrane  ou  substance  quelconque.  Elles 
font  partie  intégrante  de  la  masse  ; 

3"  Un  oigane  mou,  de  nature  papillaire,  occupant  invariablement  une  cavité 
creusée  au  centre  ou  au-dessous  de  la  masse  du  tissu  dentinaire.  Toute  sa 
surface  est  recouverte  d'une  couche  non  interrompue  de  cellules  épithéliales, 
cellules  de  la  denline  ou  udontoblaxlcs.  L'organe  est  en  outre  abondamoieiit 
pourvu  de  vaisseaux  et  contient  une  quantité  considérable  de  nerfs  de  sensi- 
bilité dont  les  extrémités  terminales  sont  en  continuité  avec  les  cellules  elles- 
mêmes  par  l'intermédiaire  d'un  système  de  filaments  et  de  cellules  spéciales 
{substratuni  des  odontoblastes).  D'autre  part,  ces  odontoblastes  présentent  à 
leur  extrémité  péi  iphérique  des  prolongements  filiformes  (queues  des  odonto- 
blastes), lesquels  pénètrent  dans  la  substance  de  la  dentine  et  y  repiésentent 
précisément  par  leur  ensemble  le  réseau  fibrillaire. 

Dans  un  examen  ainsi  pratiqué  d'une  pièce  fraîche  préparée  sous  l'eau,  avec 
ou  sans  ramollissement  préalable  dans  les  acides  faibles,  il  est  impossible  de 
discerner  aucune  autre  particularité  anatomique  essentielle,  non  plus  qu'on  ne 
peut  apercevoir  la  trace  de  canalicules  indépendants.  L'existence  universelle- 
ment admise  de  ceux-ci  ne  repose  que  sur  une  erreur  d'interprétation  résultant 
de  l'observation  de  pièces  sèches,  dans  lesquelles  la  dessiccation  de  la  fibrille  a 
produit  l'apparence  purement  artificielle  d'un  tube  devenu  vide. 

La  démonstration  de  cette  manière  de  voir  deviendra  complète,  si  l'on  étudie  une 
coupe  fraîche  de  dentine  soumise  à  l'action  prolongée  des  acides  faibles  ;  on  se 
convaincra  aisément  que  le  réseau  fîbrillaire  isolé  au  sein  d'une  masse  devenue 
gélatiniforme  constitue  en  réalité  la  trame  unique  du  tissu. 

La  dentine  doit  donc  être  regardée  comme  un  tissu  fibrillaire  inclus  dans 
une  masse  dure  et  homogène  à  laquelle  on  ne  saurait  attribuer  la  structure 
canaliculée,  pas  plus  qu'on  ne  serait  fondé  à  l'admettre  pour  un  muscle  ou 
tout  autre  organe  parcouru  par  un  réseau  de  fibrilles  nerveuses.  Le  tissu  osseux 
lui-même,  occupé,  comme  on  sait,  par  des  cellules  ramifiées,  ne  saurait  être 
davantage  regardé  comme  creusé  de  cavités  et  de  canaux  qu'en  raison  de  la 
même  erreur  d'interprétation  résultant  de  l'observation  de  pièces  sèches. 

Les  faits  du  développement  du  tissu  dentinaire  concourent  d'autre  part,  ainsi 
qu'on  le  verra  plus  loin,  à  la  démonstration  de  ces  vues  anatomiques. 

On  observe,  en  effet,  dès  le  début  de  la  formation  de  la  dentine,  que  les 
éléments  de  la  substance  fondamentale  élaborés  par  la  couche  des  cellules  ou 
odontoblastes  se  déposent  molécule  à  molécule  autour  du  filament  caudal  de 
chacune  de  ces  cellules.  Ils  forment  ainsi  à  ce  filament  et  à  toutes  ses  subdivi- 


DENT  (histologie).  21 

sions  une  véritable  gaîne  complète  en  contact  absolu  avec  lui.  Chaque  filament 
fibrillaire  repiésente  donc  l'axe  de  développement  d'une  gaîne  de  dentine, 
tandis  qne  l'ensemble  des  fibrilles  forme  comme  le  squelette  général  du  tissu. 

La  formation  de  la  dentine,  ainsi  commencée  par  le  groupement  des  maté- 
riaux organo-calcaires  autour  des  prolongements  périphériques  des  odonto- 
blastes,  se  continue  de  dedans  en  dehors  par  l'allongement  progressif  de  chaque 
filament  et  l'augmentation  proportionnelle  en  épaisseur  de  la  couche  de  dentine. 
Ce  phénomène  est  permanent. 

La  dentine,  ainsi  formée  à  la  surface  d'une  couche  de  cellules  spéciales  et 
autour  de  filaments  émanés  de  ces  cellules  mêmes,  est  un  tissu  éminemment 
pourvu  d'un  mouvement  nutritif  et  de  rénovation  moléculaire  complète.  Il  est 
doué,  d'autre  part,  d'une  sensibilité  propre,  dont  l'agent  essentiel  est  la  fibrille, 
laquelle  est  mise,  par  l'intermédiaire  des  odontoblastes,  en  [communication 
directe  avec  les  extrémités  terminales  des  nerfs  de  sensibilité.  Ces  ramifications 
nerveuses  sont  les  mêmes  que  celles  qui  alimentent  les  papilles  sensitives  de  la 
peau,  dont  les  organes  pourvus  de  dentine  ne  sont  que  des  dépendances  (tissu 
phanérophore  et  phanères  de  de  Blainville). 

Ainsi  constituée,  la  dentine  n'est  nullement  assimilable  à  un  produit  sécrété, 
ainsi  que  l'idée  en  a  été  formulée  par  quelques  auteurs  :  c'est  un  tissu  vivant, 
sensible,  sans  analogue  dans  l'économie  animale,  où  il  possède  une  physionomie 
€t  un  rôle  qui  lui  sont  propres. 

La  découverte  par  Tomes  dans  l'intérieur  des  tubes  dentinaires  de  fibrilles 
spéciales  a  éclairé  d'une  manière  à  la  fois  nouvelle  et  complète  la  physiologie 
de  la  dentine.  On  sait  en  effet  que  les  dents  sont  douées  d'une  sensibilité  très- 
vive  et  qu'elles  perçoivent  la  présence  et  les  qualités  physiques  des  corps  qui 
les  touchent.  On  constate  d'autre  part  que  l'ivoire  au  voisinage  de  la  couche 
d'émail  est  très-impressionnable  au  contact  de  corps  étrangers  et  de  certains 
agents  chimiques.  Les  phénomènes  d'agacement  par  le  grattage  ou  par  les 
liquides  acides  ou  sucrés  i-onl  bien  connus.  On  avait  cherché  jusqu'alors  à  en 
donner  la  raison  par  un  simple  fait  de  transmission  au  travers  du  tissu  jusqu'à 
la  pulpe  centrale,  laquelle  avait  seule  le  rôle  de  perception.  Mais  on  n'expli- 
quait pas  ainsi  comment  cette  sensibilité  est  si  variable  suivant  certains  points 
de  l'ivoire  lui-même:  ainsi  la  couche  la  plus  superficielle,  sous-jacente  à  l'émail, 
est  extrêmement  sensible,  celles  qui  sont  au-dessous  le  sont  infiniment  moins 
et  celles  qui  avoisinent  la  cavité  centrale  le  redeviennent  à  un  haut  degré.  Les 
fibrilles  considérées  comme  organes  directs  de  sensibilité  donnent  de  ces  phé- 
nomènes une  explication  satisfaisante.  Nous  verrons  en  effet  que  les  fibrilles 
sont,  par  l'intermédiaire  des  cellules  de  l'ivoire  dont  elles  représentent  le  pro- 
longement, en  continuité  directe  avec  le  tissu  propre  de  la  pulpe  et  plus  exac- 
tement avec  les  extrémités  terminales  des  filets  nerveux  sensitifs  de  la  cinquième 
paire.  On  se  souvient  en  outre  que  ces  fibrilles  se  ramifient  et  s'étalent  dans  le 
réseau  anostomotique  de  la  cavité  superficielle  de  l'ivoire,  tandis  qu'en  deçà  do 
ce  point  elles  n'occupent  que  le  centre  des  tubes  et  de  leurs  anastomoses  ;  de 
plus  il  est  reconnu  que  c'est  au  voisinage  de  la  cavité  centrale  que  les  tubes 
sont  le  plus  larges  et  les  fibrilles  le  plus  volumineuses. 

Les  expériences  de  Tomes  que  chacun  pourra  vérifier  et  répéter  confirment 
pleinement  les  données  anatomiqucs.  Cet  anatomiste  a  reconnu  en  effet  qu'en 
détruisant  la  pulpe  on  anéantit  immédiatement  toute  sensibilité  de  la  dentine 
et  que  d'autre  part  les  cautérisations  des  surfaces  dénudées  d'ivoire,  soit  par 


22  DENT   (histologie). 

le  feu.  soit  par  les  caustiques,  amènent  le  même  résultat.  Ces  derniers  agents- 
ont  pour  premier  effet  de  détruire  les  extrémités  mises  à  nu  des  fibrilles, 
tandis  qu'elles  provoquent  plus  tard  l'oblilération  des  canalicules  par  la  dentine 
secondaire.  C'est  le  même  phénomène  qui  s'effectue  dans  le  passage  d'une  carie 
active  en  carie  sèclie,  et  c'est  encore  lui  qu'on  s'efforce  de  provoquer  par  certains 
moyens  astringents  dans  la  thérapeutique  de  cette  maladie.  Il  n'est  donc  pas  dou- 
teux aujourd'hui  que  l'ivoire  doive  sa  sensibilité  sous  toutes  ses  formes  à  la  pré- 
sence des  fibrilles  qui  le  parcourent  dans  tous  les  sens.  La  réduction  progres- 
sive qu'amènent  les  progrès  de  l'âge  dans  le  volume  de  la  pulpe  et  dans  la 
capacité  des  tubes  explique  également  comment  la  sensibilité  devient  graduel- 
lement très-rudimentaire  chez  le  vieillard. 

Ainsi  qu'on  vient  de  le  voir,  la  constitution  de  l'ivoire  permet  donc  de  lui 
reconnaître  une  sensibilité  propre  (pii  se  retrouve,  bien  qu'avec  une  intensité 
variable,  sur  tous  les  points  de  sa  substance,  aussi  bien  dans  les  racines  que 
dans  les  couronnes,  tant  que  la  substance  des  fibrilles  ou  celle  de  la  pulpe 
centrale  n'a  pas  été  intéressée.  L'émail  toutefois  n'y  participe  point  directement, 
son  tissu  étant,  comme  on  l'a  vu,  parfaitement  compacte  :  aussi  est-il  nécessaire 
d'invoquer  ici  une  simple  transmission  purement  mécanique  pour  les  impres- 
sions qui  frappent  la  couronne  à  la  surface  de  sa  couche  d'émail. 

La  constitution  âc  l'ivoire,  ainsi  que  nous  venons  de  la  décrire,  se  retrouve  à 
peu  près  idciili([uo  chez  l'homme  et  la  plupart  des  mammifères,  mais  il  n'en  est 
pas  de  même  pour  les  animaux  inférieurs  et  en  particulier  chez  les  poissons. 
C'est  en  effet  chez  ces  derniers  qu'ont  été  décrites  par  Owen  et  Ch.  Tomes 
des  dispositions  qui  ont  reçu  certains  noms. 

Ainsi  dans  certaines  espèces  la  cavité  centrale,  au  lieu  d'être  unique  comme 
chez  l'homme,  présente  des  ramifications,  des  diverticulum  logés  dans  des 
canaux  spéciaux  de  l'ivoire.  Ces  ramifications,  qui  rappellent  la  disposition  des 
racines  des  dents,  se  composent  d'un  capillaire  sanguin  qui  serait  dépourvu, 
suivant  Ch.  Tomes,  d'une  paroi  propre  et  d'une  couche  régulière  de  cellules  de 
l'ivoire  ou  odontoblastes  en  rapport  direct  avec  la  substance  de  l'ivoire.  Ce 
dernier  tissu  présenterait  lui-même  certaines  particularités  de  structure,  comme, 
par  exemple,  l'absence  de  tubes.  On  a  donné  à  cette  variété  le  nom  de  vaso- 
dentine  ou  dentine  vasculaire.  Les  dents  des  Myliobates  et  des  Saumons  ea 
offrent  des  exemples. 

D'autres  fois  les  lames  de  l'ivoire  présentent  une  forme  contournée  sur  elles- 
mêmes  et  comme  formant  des  plis  multipliés.  C'est  la  plici-dentine.  Telles  sont 
les  dents  du  Labyronthodon,  d'après  R.Owen. 

Enfin,  lorsque  la  dentine  présente  des  lacunes  plus  ou  moins  étendues  qui 
se  trouvent  remplies  par  du  cément  dont  les  éléments  se  mêlent  plus  ou  moins 
entièrement  aux  tubes  eux-mêmes,  le  tissu  intermédiaire  prend  le  nom  à'ostéo- 
dentine.  La  dent  du  Brochet  serait  ainsi  composée  d'ostéo-dentine,  car  on  y  ob- 
serve un  tronçon  conique  de  tissu  osseux  recouvert  d'une  couche  mince  d'ivoire 
ordinaire. 

C'est  de  la  sorte  que  Ch.  Tomes  décrit  dans  ses  remarquables  études  d'ana- 
toniie  comparée  jusqu'à  quatre  variétés  de  dentine,  y  compris  la  dentine  tubulaire 
des  mammifères.  Ces  diverses  variétés  se  retrouvent  soit  isolées,  soit  combinées 
entre  elles  dans  certaines  espèces. 

Les  analyses  chimiques  de  l'ivoire  ont  donné  les  résultats  suivants  d'après 
Bibra  : 


DENT  (histologie). 

INCISIVE    ADULTE 


23 


Substances  organiques   . 
Substances  inor^ani(iues 


MOLAIRE   ADULTE 


Pbosphate  de  chaux  avec  traces  de  fluorure  de  calcium 

Carbonate  de  chaux 

IMiosphalc  de  cliaux 

Sels  soiubles 

Cartilage 

Graisse 


Homme. 

6G,72 
3,5G 
1,0S 
0,83 

27,61 
0,40 

400,00 


Hommes. 
28,70 
71 ,30 


Femme. 
67,54 
7,97 
2,49 
1,00 
20,42 
0,58 

100,00 


il 


G.  Cément.  Le  cément,  partie  la  moins  considérable  de  l'organe  dentaire, 
est  une  véritable  substance  osseuse. 
Son  existence  est  à  peu  près  constante 
dans  les  espèces  animales  supérieures, 
mais  son  volume  est  très-variable.  Chez 
le  cheval,  l'éléphant,  le  dauphin,  le 
cachalot,  son  épaisseur  est  très-grande 
et  atteint  presque,  chez  ces  deux  der- 
niers animaux,  le  volume  de  la  den- 
tine;  chez  l'homme,  les  carnassiers, 
les  rongeurs,  il  ne  forme  autour  de  la 
racine  qu'une  écorce  très-mince.  C'est 
lui  qui,  chez  les  ruminants  el  les 
pachydermes,  réunit  en  une  seule 
masse  les  divisions  de  leurs  dents  com- 
posées et  qui,  dans  l'espèce  humaine, 
confond  quelquefois  en  un  seul  faisceau 
les  diverses  racines  des  molaires. 

Dans  les  dents  humaines,  le  cé- 
ment revêt  toute  la  surface  des  ra- 
cines. Commençant  au  niveau  du 
collet  par  uu  bord  aminci  qui  se  pro- 
longe même  sur  l'émail,  il  s'épaissit 
peu  à  peu  à  mesure  qu'on  s'approche 
du  sommet  de  la  racine  où  il  atteint 
parfois  3  à  4  millimètres.  Son  aspect 


extérieur  est  très-analogue  à  celui  de 
l'os;  il  est  jaunâtre  et  opaque,  d'une 
densité  voisine  de  celle  du  tissu  osseux, 
et  inférieure  à  celle  de  la  dentine.  Ap- 
pliqué intimement  sur  la  surface  ex- 
térieure de  celte  dernière,  il  remplit 
exactement  toutes   les    anfractuosités 


Fig.  3.  —  Coupe  verticale  d'une  dent  adulte,  iD- 
téressant  le  rément  el  l'ivoire,  grossissement  de 
350  diamètres. 

A,  Substance  fondamentale  du  cément,  marquée 
de  stries  granuleuses  indic|uant  un  commence- 
ment de  slratilicalion.  —  B,  Corpuscules  osseux 
ou  ostéoplastes  disposés  irrégulièrement  au 
sein  de  la  substance  fondamentale  et  présentant 
les  formes  les  plus  variées.  —  C,  Canalicules 
rayonnes  des  ostéoplastes.  —  D,  Couclie  granu- 
leuse continue  sous-jacente  au  cément  et  à  l'é- 
mail et  disposée  au  sein  de  l'ivoire.  Elle  repré- 
sente cette  série  de  cellules  formant  l'épanouis- 
sement des  fibrilles  dentaires.  —  E,  Anastomoses 
des  filtrilles  deniinaires.  —  F,  Fibrilles  denli- 
naircs  avec  leurs  ramifications. 


qu'elle  présente,  de  sorte  que  la  ligne 
de  démarcation  des  deux  tissus  devient  souvent  inappréciable.  Sa  surface 
externe,  couverte  de  petites  nodosités,  est  tapissée  delà  membrane  alvéolo-den- 
taire,  qui  fait  ici  l'oflice  d'un  véritable  périoste,  et  dont  les  vaisseaux  commu- 
niquent avec  le  tissu  cémentairc. 


24;  DEIST   (histologie). 

La  couche  de  cément  se  développe  en  même  temps  que  les  racines  qu'elle 
recouvre,  et  présente  un  accroissement  de  volume  continu.  C'est  ainsi  que, 
très-faible  au  début  de  sa  formation,  son  épaisseur  s'accroît  avec  l'âge  et  devient 
assez  grande  dans  la  vieillesse,  circonstance  qui  pourrait  expliquei'  comment 
certaines  dents  de  vieillards  se  maintiennent  dans  leurs  alvéoles,  grâce  à  la 
couche  de  cément  qui  les  entoure,  et  malgré  la  disparition  complète  de  la 
pulpe  centrale. 

De  même  que  les  os,  le  cément  se  compose  d'une  substance  fondamentale  et 
de  cavités  osseuses  (corpuscules  osseux  de  Purkinje,  ostéoplasLes  de  Robin). 
Quant  aux  canaux  de  Havers,  qui  sont  nombreux  dans  le  cément  des  pachy- 
dermes et  des  ruminants,  ils  ne  se  rencontrent  chez  l'homme  que  lorsque  le 
cément  acquiert  une  certaine  épaisseur,  au  sommet  des  racines,  par  exemple, 
et  principalement  dans  les  masses  hypertiophiques  connues  sous  le  nom 
d'exostoses,  afleclioiis  assez  communes  chez  l'homme. 

La  substance  l'ondamenlale  du  cément  est  homogène  ou  finement  granuleuse 
et  diaphane.  Au  voisinage  du  collet,  où  elle  ne  contient  pas  d'ostéoplables,  elle  est 
mince,  transparente  et  friable  :  aussi  la  renconlre-l-on  souvent  marquée  de 
stries,  de  fissures,  etc.  On  sait  en  outre  que  sur  ce  point  elle  se  prolonge  à  la 
surface  de  l'émail  où,  d'après  Ch.  Tomes,  elle  constituerait  la  cuticule  de  l'émail. 
D'après  celle  théorie  à  laquelle  nous  nous  sommes  raUié  entièrement,  le  cortical 
représente  donc  pour  les  dents  dépourvues  de  cément  coronaire  la  trace  persistante, 
sous  forme  de  membrane  amorphe,  de  l'organe  du  cément  embryonnaire.  Dans 
les  parties  les  plus  épaisses,  elle  présente  quelquefois  la  disposition  en  couches 
stratifiées,  ordinaire  dans  le  tissu  osseux,  et  l'on  peut  observer  également  dans 
ces  circonstances  la  présence  de  quelques  canaux  de  llavers,  dont  la  lumière 
sert  de  centre  commun  aux  stratifications  de  la  substance  osseuse. 

Les  corpuscules  osseux  ou  ostéoplasles  sont  ordinairement  disposés  dans  l'iu- 
térieur  du  cément  d'une  façon  très-irrégulière.  Il  ne  faudrait  donc  pas  leur 
considérer  avec  KoUiker  la  précision  de  forme  et  les  divers  caractères  qu'on  leur 
trouve  dans  les  os.  Leur  nombre  est  toujours  en  rapport  avec  l'épaisseur  de  la 
couche  de  cément.  Leur  direction,  suivant  llannover,  est  telle  que  leur  grand 
diamètre  se  présente  perpendiculairement  à  l'axe  de  la  dent,  tandis  que,  suivant 
KôUiker,  le  diamètre  serait  parallèle  à  cet  axe.  Pour  nous,  nous  les  avons 
toujours  vus  placés  sans  aucun  ordre,  sans  aucune  direction  déterminée,  et 
disposés  çà  et  là  dans  l'épaisseur  du  cément.  Ce  n'est  que  dans  les  points  où  se 
rencontre  un  canal  de  Havers  que  les  ostéoplasles  prennent  une  direction 
parallèle  au  contour  des  lames  stratifiées,  et  offrent  alors  une  forme  et  une 
disposition  à  peu  près  constantes. 

Les  canalicules  ramifiés  des  ostéoplasles  participent  le  plus  souvent  de 
l'irrégularité  de  la  cavité  :  aussi  les  voit-on  présenter  les  directions  les  plus 
bizarres.  Dans  certains  cas  ils  se  portent  tous  du  même  côté,  et  simulent  une 
toulfe  de  mousse  (Tomes);  d'autres  fois  ils  parlent  tous  du  môme  point  de  la 
cavité;  quelquefois  enfin  ils  manquent  compléleaienl.  Dans  quelques  endroits, 
on  voit  les  cunalicules  se  porter  vers  la  surface  extérieure  du  cément  et  la 
membrane  alvéolo-dentaire,  à  laquelle  ils  empruntent  sans  doute  des  matériaux 
de  nutrition. 

Les  dimensions  des  ostéoplasles  sont  assez  difficiles  à  déterminer;  néanmoins 
leur  diamètre  moyen  nous  a  paru  être  de  0'""',0ô  à  0">'",0()  dans  leur  plus 
grande  longueur.  KoUiker  eu  a  signalé  de  si  allongés  qu'on  [jouvail  les  comparer 


DENT   (histologie).  25 

à  des  canalicules  de  l'ivoire,  analogie  qu'on  ne  saurait  méconnaître,  dit-il,  et 
qui  établirait  une  transition  insensible  entre  le  cément  et  la  denline.  Nous 
n'avons  jamais  observé  cette  disposition,  et  nous  admettons  entre  les  deux  sub- 
stances une  limite  assez  nette,  que  ne  franchissent  jamais  les  parties  constituantes 
de  l'une  ou  de  l'autre.  Le  même  auteur  décrit  en  outre,  dans  le  cément,  des 
espaces  anfractueux,  qu'il  considère  comme  des  productions  pathologiques,  et 
dont  il  ne  spécitie  pas  les  caractères. 

La  communication  des  ostéoplastes  et  de  leurs  divisions  avec  les  brandies 
lerminides  des  canalicules  dentaires  à  été  admise  par  un  certain  nombre  d'ana- 
toinistes.  Kolliker  indique  même,  comme  nous  venons  de  le  voir,  un  système 
spécial  de  canaux  intermédiaires  aux  deux  autres,  et  destinés  à  établir  ces 
anastomoses.  Ilaniiover  nie  cette  circonstance,  et  se  fonde  sur  ce  que  le  cément 
et  l'ivoire  sont  séparés  par  une  matière  particulière,  le  stratum  intermedium, 
transformation  de  la  membrana  mierm«/ia  qui  s'oppose  à  cette  communication. 
Mais  aujourd'hui  les  derniers  travaux  de  Ch.  Tomes  ont  mis  hors  de  doute 
les  communications  entre  les  extrémités  des  canaux  des  ostéoplastes  et  les 
ramiiications  terminales  des  canalicules. 

La  constitution  cliimique  du  cément,  presque  identique  à  celle  de  l'os,  est 
la  suivante,  d'après  une  analyse  de  Bibra  : 

Chez  riiomme  Bœuf. 

Substances  organiques 29,12  52,21 

Substances  inorganiques 70,58  67,76 

100,00  100,00 

Ces  substances,  étudiées  chez  le  bœuf,  ont  donné  : 

Pliosphates  de  chaui  et  fluorure  de  calcium 48,73 

Carbonate  de  chaux 7,22 

Phosphate  de  magnésie. , 0,99 

Sels  solubles 0,82 

Cartilage 31,51 

Graisse 0,93 

100,00 

II.  Tissus  MOUS.  A.  Pulpe  dentaire.  La  pulpe  dentaire,  chez  l'adulte, 
n'est  autre  chose  que  la  papille  dentaire  du  fœtus,  dont  le  volume  est  énormé- 
ment réduit  par  suite  des  progrès  du  développement;  elle  occupe  la  cavité 
centrale  dont  est  creusée  l'épaisseur  de  la  denline,  et  se  prolonge  dans  les 
racines  à  travers  les  canaux  dont  celles-ci  sont  traversées.  Exactement  moulée 
sur  les  parois  de  la  cavité  qui  la  contient,  elle  représente  par  sa  forme  celle  de 
la  dent  qui  la  recouvre  :  ainsi,  disposée  en  fuseau  dans  l'intérieur  des  canines, 
elle  est  taillée  en  biseau  dans  les  incisives,  et  offre  dans  les  molaires  un  nombre 
égal  de  saillies  coniques  au  nombre  des  tubercules  de  la  couronne.  Son  volume, 
considérable  chez  l'enfant,  diminue  graduellement  avec  l'âge ,  et  se  trouve 
réduit  chez  le  vieillard  à  un  mince  filet  allongé,  occupant  l'étroit  canal  de  la 
dent.  Enfin  elle  disparait  complètement  vers  le  terme  de  la  vie,  lorsque  la 
production  incessante  des  éléments  de  l'ivoire  a  comblé  entièrement  la  cavité 
qu'elle  occupe. 

La  pulpe  dentaire  est  un  organe  mou,  de  couleur  rougeâtre  ou  rosée,  et  se 
détachant  assez  facilement  de  la  paroi  qui  la  renferme;  toutefois  on  verra  que 
cette  séparation  ne  se  fait  qu'aux  dépens  des  cellules  de  l'ivoire,  qui  se  brisent 
sur  un  point  variable  de  leur  étendue. 


26  DENT   (histologie). 

Examinée  chimiquement  par  M.  le  professeur  Wurtz  {Union  médicale, 
25  novembre  1856),  elle  a  été  trouvée  imprégnée  d'un  liquide  fortement  alcalin, 
et  contenant  en  dissolution  une  matière  albuminoïde  particulière.  Cette  matière 
est  la  modification  de  l'albumine  qui  se  forme  par  l'action  des  alcalis  sur  ce 
principe.  Elle  précipite  par  l'acide  acétique,  ce  qui  la  distingue  de  l'albumine 
normale.  Le  liquide  qui  la  tient  en  dissolution  est  incomplètement  coagulé  par 
la  chaleur  :  il  est  précipité  d'ailleurs  par  les  acides  minéraux,  le  tannin,  les 
sels  niélalliques,  tels  que  le  sous-acétate  de  plomb,  le  sulfate  de  cuivre,  le 
sublimé  ;  l'alcool  le  coagule  en  flocons  épais.  L'alcalinité  de  ce  liquide  excluant 
l'idée  d'y  admettre  le  phosphate  de  chaux  à  l'état  de  simple  dissolution,  il 
paraît  plus  probable  que  ce  sel  est  intimement  combiné  à  la  matière  albumi- 
noïde elle-même. 

La  pulpe  dentaire  incinérée  a  donné,  entre  les  mains  du  même  chimiste,  un 
résidu  fortement  alcalin  ,  dans  lequel  ou  n'a  découvert  que  des  traces  de 
phosphate  de  chaux. 

Au  point  de  vue  histologiquc,  la  pulpe  dentaire  de  l'adulte  n'offre  que  de 
très-légères  différences  avec  le  même  organe  chez  le  fœtus.  On  le  trouve,  en 
effet,  composé  d'une  trame  fibreuse  assez  serrée,  avec  interposition  de  matière 
amorphe  homogène,  finement  granuleuse  et  transparente,  au  sein  de  laquelle 
se  trouvent  disposés  des  noyaux  embryoplastiques  qu'ont  peut  observer  à  toutes 
les  périodes  de  leur  évolution.  Les  noyaux  sont  moins  volumineux  cependant 
que  chez  le  fœtus,  mais  leurs  divers  caractères  sont  identiques.  On  ne  trouve 
plus,  dans  l'intérieur  de  l'organe,  les  masses  calcaires  et  les  cristaux  d'héma- 
toïdine  que  l'on  observe  chez  le  foetus. 

Les  vaisseaux  de  la  pulpe  dentaire  sont  extrêmement  nombreux,  d'où  la 
couleur  rosée  ou  rougeàtre  de  ce  tissu.  La  pulpe  reçoit  autant  de  filets  vascu- 
laires  et  nerveux  que  la  dent  présente  de  racines.  Pour  certaines  dents  qui  ne 
présentent  qu'une  racine  unique  ou  dans  lesquelles  la  racine  proprement  dite 
ne  se  distingue  pas  morphologiquement,  l'ivoire  et  le  cément  sont  traversés  par 
des  canaux  qui  tantôt  directs,  tantôt  courbes,  renferment  un  faisceau  vasculo- 
nerveux  qui  se  rend  à  la  pulpe. 

Les  vaisseaux  qui  se  ramifient  ainsi  par  les  divisions  deplusieurs  troncs  primitifs 
forment  un  réseau  très-fin  qui  se  termine  au  voisinage  de  la  surface.  Ces 
capillaires  ont,  d'après  Kôlliker,  0""",009  à  0"'"\010  de  largueur;  ils  appar- 
tiennent à  la  troisième  variété  des  capillaires  de  Robin. 

Ordinairement  on  rencontre  à  la  base  de  la  pulpe  deux  ou  trois  vaisseaux  ar- 
tériels et  un  nombre  égal  de  veines  qui  assez  fréquemment  affectent  après  un 
certain  trajet  une  disposition  en  anse  ou  en  crosse,  de  la  convexité  de  laquelle 
partent  des  rameaux  qui  se  ramifient  au  sein  du  tissu.  Ces  dispositions  se  re- 
trouvent ainsi  semblables  chez  l'homme  et  les  mammifères. 

Les  vaisseaux  lymphatiques  ne  se  sont  jamais  rencontrés  dans  la  pulpe,  et 
d'ailleurs  les  lésions  inflammatoires  de  ces  organes  ne  présentent  aucun  reten- 
tissement dans  les  ganglions  du  voisinage. 

Le  réseau  nerveux  qui  pénètre  dans  la  pulpe  est  extrêmement  riche,  chaque 
rameau  vasculaire  est  accompagné,  suivant  Kôlliker,  non  d'un  filet  nerveux, 
mais  de  plusieurs  (jusqu'à  six  et  davantage).  Ces  filets  effectuent  au  niveau  des 
premières  ramifications  vasculaires  une  division  qui  donne  lieu  à  un  plexus 
très-serré,  lequel  occupe  toute  la  couclie  superficielle  de  l'organe.  Les  fibres  pri- 
mitives par  lesquelles  ce  réseau  se  termine  ont  de  0""',002  à  0™"%005   de  lar- 


DENT   (histologie).  27 

geur.  Ce  sont  ces  fibres  qui,  se  détachant  alors  de  ce  réseau,  se  dirigent  vers  la 
surface  même  de  la  pulpe  dans  la  couche  des  cellules  de  la  dentine,  soit  par 
des  anses  terminales,  suivant  Wagner,  soit  par  des  extrémités  coniques  ou  ren- 
flées en  bouton,  ainsi  que  nous  les  avions  décrites  naguère  avec  M.  Robin. 

Dans  des  recherches  plus  récentes  poursuivies  de  concert  avec  Ch.  Legros, 
nous  avons  dû  modifier  cette  dernière  manière  de  voir.  C'est  dans  l'étude  du 
bulbe  pendant  la  phase  embryonnaire  que  nous  sommes  arrivés  à  saisir  le  mode 
spécial  de  terminaison  des  filets  nerveux  sensitifs  dans  les  éléments  mêmes  d'une 
couche  cellulaire  sous-jacente  à  la  rangée  des  cellules  de  l'ivoire  et  en  continuité 
complète  avec  elles.  Nous  insisterons  plus  loin,  en  traitant  du  développement 
du  follicule,  sur  ce  point  particulier  qui  est  pour  nous  acquis  détinilivcmei\t. 
Ainsi  s'explique,  comme  nous  l'avons  déjà  dit,  la  sensibilité  propre  au  tissu 
de  l'ivoire,  par  les  fibrilles  que  renferment  les  tubes  et  qui  sont  en  continuité 
directe  avec  les  éléments  nerveux. 

La  pulpe  dentaire  est  recouverte  dans  toute  son  étendue  par  une  rangée  uni- 
que, mais  non  interrompue,  de  cellules,  cellules  de  l'ivoire  ou  odonstalastes.  Elles 
sont  incluses  dans  une  mince  couche  de  matière  amorphe  transparente  ou  fine- 
ment grenue  qui  déborde  la  masse  des  éléments  fondamentaux  de  l'organe. 
C'est  cette  matière  amorphe  qui  a  été  considérée  comme  une  membrane,  mem- 
hrana  prceformativa  de  la  pulpe,  parce  que  dans  certains  hasards  de  prépara- 
tion cette  couche  amorphe,  d'une  densité  un  peu  différente  du  tissu  sous-jacent, 
se  détache  en  lambeaux  membraniformes.  Ce  n'est  donc  là  qu'une  illusion,  et  la 
couche  en  question  entre  réellement  dans  la  constitution  anatomique  de  la 
pulpe.  C'est  dans  son  intérieur  que  sont  situées  les  cellules  de  la  dentine.  Nous 
renverrons  à  l'étude  de  la  structure  du  follicule  les  détails  anatomiques  relatifs 
à  ces  cellules  de  l'ivoire,  nous  résumez^ons  seulement  ici  l'ensemble  de  leurs 
caractères. 

Ces  cellules  sont  des  corps  ovoïdes  ou  piriformes,  exactement  contigus  ou  lé. 
gèrement  comprimés  réciproquement.  Dans  leur  grand  diamètre,  qui  est  dirigé 
suivant  le  rayon  de  la  pulpe,  elles  ont  en  longueur  de  0"'™,02  à  U""",04.  Dans 
leur  diamètre  transversal  elles  ont  de  0'"™,005  à  0™'",015.  Leur  contour  est  ex- 
trêmement pâle,  leur  contenu  granuleux,  mais  également  tiès-[>âle.  Le  noyau 
qui  occupe  l'extrémité  centrale  est  très-foncé  et  relativement  volumineux.  Il  est 
ovoïde  ou  sphérique  et  son  diamètre  atteint  parfois  0"'™,01,  de  sorte  qu'il  occupe 
alors  toute  la  largeur  de  la  cellule,  dont  il  dépasse  même  souvent  les  limites. 
11  renferme  deux  ou  trois  nucléoles  brillants. 

L'extrémité  périphérique  de  la  cellule  de  l'ivoire,  celle  qui  est  opposée  au 
noyau,  est  pourvue  d'un  prolongement  en  forme  de  queue  ou  de  filament  qui 
pénètre  directement  dans  le  canalicule  de  l'ivoire  ouvert  devant  chacune  d'elles. 
Ce  prolongement  occupe,  ainsi  que  nous  l'avons  vu,  le  centre  du  canalicule  avec 
lequel  il  se  ramifie  à  l'infini. 

D'un  autre  côté,  l'extrémité  centrale  pourvue  du  noyau  se  prolonge  à  son  tour 
par  un  ou  plusieurs  filaments  qui  se  rendent  dans  une  autre  couche  de  cel- 
lules, celles-ci  étoilées  et  ramifiées,  et  qui  sont  désignées  sous  les  noms  de 
stratum  ou  substratum  des  cellules  de  la  dentine.  Ce  sont  ces  dernières  qui 
constituent  un  intermédiaire  entre  les  cellules  de  l'ivoire  proprement  dites  et  le 
tissu  de  la  pulpe,  ses  vaisseaux,  et  surtout  enfin  avec  les  extrémités  des  fibres 
nerveuses. 

Nous  n'insisterons  pas  davantage  ici  sur  ces  particularités  anatomiques,  dont 


28  DENT  (histologie). 

nous  réservons  l'étude  complète  pour  le  moment  où  nous  décrirons  la  morphologie 
du  bulbe  dans  l'organe  folliculaire,  cette  description  ne  pouvant  être  séparée  de 
la  question  du  développement  de  l'ivoire,  et  les  conditions  anatomiques  restant 
d'ailleurs  pendant  toute  la  vie  ce  qu'elles  sont  pendant  la  phase  embryonnaire. 

B.  Périoste  alvéolo-dentaire .  Le  périoste  alvéolo-dentaire,  qui  a  reçu  les  dif- 
férents noms  de  membrane  p érid entai re,  intra-alvéolaire,  etc.,  est  un  feuillet 
fibreux  qui  tapisse  toute  la  portion  extérieure  de  la  dent  iiîcluse  dans  l'alvéole. 
Elle  sert  d'intermédiaire  entre  la  dent  et  le  tissu  osseux  de  la  mâchoire.  Elle 
adhère  intimement  à  la  surlace  dentaire,  ainsi  qu'à  la  paroi  alvéolaire.  Mais  son 
union  avec  cette  dernière  paraît  moins  intime,  car  l'extraction  d'une  dent  per- 
met d'entraîner  en  entier  le  périoste  qui  la  revêt.  Cependant,  d'après  Pietckicwicz, 
il  resterait  dans  ce  cas  encore  une  petite  lame  de  lissu  fibreux  adhérant  à  l'al- 
véole, ce  qui  serait  dû  à  une  certaine  différence  de  structure  et  de  densité. 
Spence  Bâte  (British  Joiirn.  of  Dent  Science,  vol.  1)  va  même  jusqu'à  considé- 
rer cette  membrane  comme  composée  de  deux  feuillets,  l'un  dentaire,  l'autre 
alvéolaire,  mais  l'examen  le  plus  minutieux  est  incapable  de  fournir  la  démons- 
tration de  cette  opinion. 

Formée  par  l'enveloppe  épaissie  du  follicule,  que  nous  avons  vue  se  fixer  for- 
tement au  collet  de  la  dent,  elle  prend  origine  en  ce  dernier  point  et  y  con- 
tnicte  souvent  une  assez  forte  adhérence  avec  le  tissu  gingival,  dont  elle  ne  pa- 
raît ctie  du  reste  qu'une  continuation,  circonstance  qui,  dans  l'opération  de 
l'extraction  des  dents,  cause  quelquefois  des  déchirures  de  la  gencive,  quand  on 
n'a  pas  pris  le  soin  d'isoler  la  dent  des  parties  molles.  Elle  se  porte  ensuite 
vers  le  sommet  de  la  racine,  envoyant  çà  et  là  quelques  brides  fibreuses  lâches 
à  la  paroi  alvéolaire,  et,  parvenue  enfin  au  sommet,  elle  rencontre  les  vaisseaux 
et  nerfs  de  la  dent,  sur  lesquels  elle  se  prolonge  pour  former  leur  gaine,  sans 
se  replier,  comme  on  l'a  cru,  dans  les  canaux  dentaires  et  y  tapisser  la  surface 
de  la  pulpe.  Ces  vaisseaux  ne  sont  donc  pas  accompagnés  par  le  périoste  dans 
leur  trajet  au  sein  de  la  dent,  mais  se  trouvent  en  contact  immédiat  avec 
l'ivoire. 

La  structure  de  cette  membrane  participe  en  même  temps  de  la  constitution  de 
la  muqueuse  et  de  celle  du  périoste  osseux  :  aussi  peut-on  la  considérer  comme 
intermédiaire  à  ces  deux  derniers.  On  la  trouve  composée,  en  effet,  d'une  trame 
fibreuse  simple,  sans  éléments  élastiques,  pai'courue  par  un  réseau  vasculaire 
très-riche,  et  de  nombreuses  ramifications  nerveuses  formées,  suivant  Koliiker, 
par  des  tubes  larges.  La  vascularité  de  cette  membrane  et  sa  richesse  nerveuse 
expliquent  les  inflammations  fréquentes  dont  elle  est  le  siège,  et  les  douleurs 
vives  qui  les  accompagnent. 

Les  éléments  fibreux  proprement  dits  du  périosle  alvéolo-dentaire  sont  accom- 
pagnés pendant  toute  la  vie  d'un  certain  nombre  de  cellules  embryonnaires, 
de  corps  fusiformes ,  quelques  corps  étoiles ,  inclus  dans  un  reticulum ,  que 
Pietckewicz  comparait  à  celui  des  muqueuses  et  dans  lesquels  Albrecht  voit  une 
provision  d'éléments  destinés  à  la  prolification  des  tissus  fibreux  et  au  dévelop- 
pement de  la  suppuration  qui  est  si  commune  dans  cette  membrane. 

Au  point  de  vue  de  son  rôle  physiologique,  la  membrane  alvéolo-dentaire  est 
un  véritable  périoste  appartenant  essentiellement  à  la  couche  de  cément,  avec  la- 
quelle il  existe  un  véritable  échange  de  matériaux  nutritifs.  Cet  échange  peut 
même  parvenir,  par  les  communications  décrites  plus  haut,  jusque  dans  l'inté- 
rieur de  l'ivoire  lui-même. 


DENT  (anatomie  comparée).  29 

C'est  surtout  dans  les  cas  de  suppression  accidentelle  ou  pathologique  de  la 
pulpe  que  le  périoste  devient  le  centre  d'une  suractivité'  circulatoire  qui  repré- 
sente sans  doute  l'une  des  meilleures  sources  de  nutrition  collatérale  et  supplé- 
mentaire, ainsi  qu'une  prédisposition  aux  accidents  inflammatoires. 

La  membrane  al véolo-den taire  est  susceptible  de  présenter  un  grand  nombre 
d'altérations  que  nous  aurons  à  étudier  plus  loin,  et  elle  semble  éprouver 
chez  le  vieillard  une  sorte  d'hyperlrop'  ie  graduelle  qui  concourt  peut-être, 
ave  c  bien  d'autres  causes,  à  la  chute  physiologique  de  l'organe  dentaire. 

Magitot. 

§  III.  Anatomie  compart-e.  Nous  nous  proposons  d'étudier  l'appareil  den- 
taire, au  point  de  vue  de  l'anatomie  comparée,  en  exposant  successivement  les 
variations  de  ses  caractères  chez  tous  les  êtres.  C'est,  comme  on  le  voit,  l'ordre 
inverse  de  celui  qui  est  adopté  par  la  plupart  des  auteurs,  qui  indiquent  pour 
chaque  espèce  animale  en  particulier  toutes  les  conditions  que  présente  son  sys- 
tème dentaire.  Nous  prendrons  donc  l'un  après  l'autre  les  caractères  de  nombre, 
de  siège,  d'étendue,  de  forme  et  de  durée,  et  nous  exposerons  les  types  princi- 
paux que  chacun  d'eux  affecte  dans  la  série  animale  en  indiquant,  lorsqu'il  y  a 
lieu,  les  modifications  imprimées  par  le  sexe  et  par  l'âge. 

I.  Caractères  de  nombre.  Rien  n'est  plus  variable  que  le  nombre  des  dents. 
Quelques  animaux  en  manquent  complètement,  d'autres,  au  contraire,  en  ont  un 
nombre  presque  indéfini.  Deux  lois  cependant  se  dégagent  et  peuvent  être  ainsi 
formulées  : 

Première  loi.  Variabilité  extrême  du  nombre  des  dents  dans  le  règne 
animal  ; 

Deuxième  loi.     Fixité  remarquable  du  type  numérique  dans  l'espèce. 

Les  édentés  véritables  seraient  bien  rares,  si  l'on  voulait  reconnaître  comme  des 
dents  toutes  les  pièces  dures  qui  arment  l'orifice  antérieur  du  tube  digestif  du  plus 
grand  nombre  des  animaux;  mais  nous  ne  pensons  pas  qu'il  doive  en  être  ainsi, 
et  nous  considérons  comme  édentés  les  vers  et  les  insectes.  De  même  les  chélo- 
niens  et  les  oiseaux  actuels  sont  pour  nous  dépourvus  de  dents  ;  leurs  mâchoires 
sont,  à  la  vérité,  garnies  de  lames  cornées,  de  nature  épithéliale  comme  les 
dents,  et  qui  jouent  le  même  rôle  physiologique  ;  mais  ce  serait  une  erreur 
anatomique  de  considérer  des  tissus  comme  identiques  parce  qu'ils  ont  pour  point 
de  départies  mêmes  éléments,  et  des  organes  parce  qu'ils  remplissent  les  mêmes 
fonctions.  Quelques  oiseaux  tossiles  possèdent  des  dents  :  l'iclithyornis  découvert 
dans  les  Montagnes-Rocheuses  par  le  professeur  Marsh  en  a  quarante-deux  à  la 
mâchoire  inférieure,  et  un  nombre  probablement  égal  à  la  mâchoire  supérieure. 
L'hesperornis  en  est  également  pourvu  d'un  grand  nombre,  mais  à  la  partie 
postérieure  seulement  des  mâchoires,  tandis  que  l'aspect  de  la  partie  antérieure 
semble  indiquer  qu'elle  était  recouverte  d'une  lame  cornée.  A  part  ces  quelques 
représentants  d'espèces  aujourd'hui  disparues,  nous  ne  connaissons  pas  d'oiseaux 
possédant  des  dents. 

Presque  tous  les  vertébrés,  si  nous  en  exceptons  les  oiseaux  actuels  et  les 
chéloniens,  sont  pourvus  de  dents.  Citons  cependant  quelques  exceptions  :  chez 
les  poissons,  l'esturgeon,  l'hippocampe,  chez  les  batraciens,  les  crapauds  ;  les 
grenouilles,  lorsqu'elles  sont  à  l'état  de  têtards,  ont  les  mâchoires  recouvertes 
d'une  lame  cornée,  mais  elles  n'ont  pas  de  dents  ;  elles  n'auraient  pas  même, 
paraît-il,  de  follicules  dentaires,  ceux-ci  n'apparaissant  que  plus  tard  lorsque 


30  DENT  (anatojiie  comparée). 

l'animal  a  opéré  sa  métamorphose  et  est  passé  de  l'état  de  poisson  à  l'état  d'am- 
phibie. 

Les  Mammifères  ont  tous  des  dents  au  moins  pendant  une  partie  de  leur 
existence,  soit  fœtale,  soit  extra-utérine;  les  baleines,  par  exemple,  ont  quelques 
dents  dont  la  mue  a  lieu  avant  la  naissance,  et  qui  sont  plus  tard  remplacées 
par  les  fanons,  produits  de  même  ordre  que  les  dents,  mais  non  identiques.  Les 
fanons  sont  constitués  par  des  faisceaux  de  fibres  filiformes,  formées  d'un  amas 
de  cellules  épidermiques  groupées  autour  d'une  papille  vasculaire  extrêmement 
allongée.  L'enveloppe  de  ces  faisceaux  est  constituée  par  des  couches  de  cellules 
plates  reliant  le  tout  ensemble,  comme  ferait  un  étui. 

La  dénomination  d'édenlés  appliquée  à  certains  Mammifères  est  fausse  dans 
l'acception  réelle  du  mot,  ces  animaux  possédant  des  dents  véritables,  et  en 
certain  nombre,  mais  présentant  seulement  cette  particularité  de  manquer  d'in- 
cisives. Quelques-uns  possèdent  des  incisives  latérales,  mais  aucun  n'a  d'inci- 
sives centrales. 

Le  nombre  des  dents  peut  être  extrêmement  réduit,  jusqu'à  l'unité  :  la  myxine 
parasite,  poisson  de  l'ordre  des  Cyclostomes,  le  Narval,  n'en  possèdent  qu'une 
seule;  le  diodon  et  le  télrodon  (plectognathes)  n'en  ont  que  deux  et  trois  ;  d'où 
leur  est  venu  leur  nom  {Sic,  -rirpa,  6Sov;). 

Ce  nombre  ))eut  au  contraire  être  très-considérable  et  devenir  pour  ainsi  dire 
incalculable.  C'est  chez  les  poissons  qu'on  trouve  les  animaux  les  plus  remar- 
quables par  ce  caractère.  La  gueule  des  requins,  des  raies,  du  brochet  commun, 
est  hérissée  d'une  telle  multitude  de  dents  qu'on  ne  peut  en  établir  la  formule. 
Le  type  numérique  perd  alors  toute  fixité  dans  l'espèce,  et  même  chez  l'individu, 
le  nombre  en  effet  variant  non-seulement  d'un  sujet  à  un  autre  de  même  espèce, 
mais  encore  chez  le  même  individu  par  suite  d'un  mouvement  continu  et  pour 
ainsi  dire  indéfini  dans  la  production  de  ces  organes. 

Les  crocodiles  sont  également  remar({uables  par  le  nombre  considérable  de 
leurs  dents,  mais,  comme  elles  se  remplacent  par  le  même  mode  que  celles  des 
Mammifères,  c  est-à-dire  par  la  substitution  sur  place  d'une  dent  à  une  autre, 
il  en  résulte  que  le  nombre  n'en  varie  pas  comme  chez  les  poissons,  et  reste 
à  peu  près  constant  chez  l'individu  et  même  dans  l'espèce. 

Les  serpents  ont  en  général  d'autant  plus  de  dents  qu'ils  sont  moins  venimeux  : 
les  vipères  et  les  serpents  à  sonnettes  en  ont  un  très-petit  nombre,  leurs  mâ- 
choires sont  dégarnies  en  arrière  du  crochet  à  poison,  tandis  que  les  serpents 
non  venimeux  en  ont  deux  rangées  à  la  mâchoire  supérieure,  une  très-complète 
à  la  mâchoire  inférieure. 

Chez  les  Mammifères  le  nombre  se  modifie  dans  deux  sens  : 

1"  Il  se  réduit  à  un  chiffre  relativement  peu  considérable  ; 

2°  Il  acquiert  dans  l'espèce  une  telle  invariabilité  qu'il  devient  un  des  meilleurs 
caractères  dont  les  zoologistes  se  servent  pour  la  classification  des  espèces  et  des 
genres. 

La  plupart  des  Mammifères  fossiles,  ainsi  que  l'a  fait  remarquer  U.  Owen, 
ont  44  dents,  se  décomposant  de  la  manière  suivante  : 

Iiic.  '-    can.  -    prém,  -    mol.  =    =  H 
3  1     "^  4  S 

et  l'on  a  proposé  le  nom  d'entelodon  pour  un  animal  omnivore  qui  présente  cette 
formule  [complète  (ivreXei;,  orîovxe;,  dents  complètes;. 

Les  Mammifères  qui  ont  plus  de  44  dents  sont  rares,  ils  appartiennent  au 


DENT  (anatomie  comparée).  31 

groupe  des  cétacés,  tels  que  le  dauphin,  qui  en  a  près  de  200,  et  le  marsouin, 
chez  lequel  on  en  compte  plus  de  100. 

Le  plus  fréquemment,  les  espèces  actuelles  ont  une  formule  moins  complète, 
cette  diminution  portant  principalement  sur  les  incisives  et  sur  les  prémolaires. 
Ainsi  les  édentés  n'ont  pas  d'incisives,  les  ruminants  n'en  ont  qu'à  la  mâchoire 
inférieure,  ce  qui  donne  une  formule  entièrement  différente  de  nombre  pour 
chaque  mâchoire  : 

0  0,5,3 

Inc.   =    can.   ;     prem,  -    mol.    - 

3  13  3 

Le  rhinocéros  africain  a  dans  son  jeune  âge  8  incisives  qu'il  perd  lorsqu'il 
devient  adulte.  Chez  l'homme  et  les  singes,  il  n'y  a  que  2  incisives  de  chaque 
côté  des  deux  mâchoires. 

Quelquefois,  mais  plus  rarement,  c'est  la  canine  qui  fait  défaut,  surtout  la 
canine  supérieure  :  en  général,  les  ruminants  n'ont  pas  de  canines  à  la  mâchoire 
supérieure,  sauf  les  caméliens  et  quelques  ruminants  sans  cornes,  tels  que  le 
chevrotain  porte-musc  mâle,  le  porte-musc  nain  et  quelques  daims. 

Quant  aux  prémolaires,  il  est  rare  qu'elles  se  trouvent  au  nombre  de  4, 
c'est-à-dire  de  8  pour  chaque  mâchoire.  Souvent  on  n'en  trouve  que  5,  soit 
un  total  de  12  :  tels  sont  les  ruminants  et  les  singes  du  Nouveau-Monde;  et 
même  deux  seulement  :  l'homme  et  les  singes  de  l'Ancien  continent. 

SINGES   DU   NOUVEAU  MOSBE 

2  1  ,        5  ,     3  _. 

Inc.  -    can.  -    prem.  -    mol.  -    =  36 

A  1  o  o  . 

l'homme    et    les  SIKGËS    de   l'ancien   CONTINENT 

2  1  2  3 

Inc.  -    can.  -    prém.  -    mol.  5  =  32 

Ai-  ^  o 

D'après  la  théorie  de  R.  Owen  admettant  une  formule  typique  de  44  dents 
(l'oîi  seraient  dérivées  toutes  les  autres,  la  réduction  se  serait  produite  d'une 
manière  fixe  sur  chaque  ordre  de  dents.  Pour  les  incisives,  la  perte  se  ferait  par 
les  extrémités  de  la  série,  c'est-à-dire  qu'une  seule  dent  persistant,  ce  serait  l'in- 
cisive moyenne;  lorsqu'il  en  existe  deux,  ce  sont  la  centrale  et  la  moyenne,  l'in- 
cisive absente  serait  la  troisième  ou  latérale.  Pour  les  prémolaires,  la  réduction 
s'opérerait  d'avant  en  arrière  :  lorsqu'il  en  manque  une,  ce  serait  l'antérieure 
ou  première  prémolaire,  celle  qui  suit  immédiatement  la  canine;  lorsqu'il  n'en 
reste  que  deux,  ce  sont  les  deux  dernières,  la  troisième  et  la  quatrième.  L'homme 
n'aurait  donc  conservé  que  la  troisième  et  la  quatrième  prémolaires,  de  même 
qu'il  n'a  gardé  que  la  première  et  la  deuxième  incisives. 

Le  nombre  des  molaires  est  ordinairement  de  douze,  c'est-à-dire  que  la  plupart 
des  Mammifères  en  ont  trois  de  chaque  côté  des  deux  mâchoires,  sauf  les  ron- 
geurs et  les  vrais  carnivores  qui  n'en  ont  qu'une  ou  deux.  Les  éléphants  ont  la 
formule  complète,  mais  l'ordre  d'éruption  est  tel  qu'ils  ne  se  servent  jamais 
que  d'une  seule  dent  à  la  fois.  Elles  apparaissent  successivement  d'avant  en  ar- 
rière, la  première  prémolaire  est  chassée  par  la  seconde  et  celle-ci  par  la  troi- 
sième; les  molaires  apparaissent  ensuite  et  dans  le  même  ordre,  s'éliminant 
successivement  l'une  l'autre.  Par  conséquent,  si  au  premier  abord  les  éléphants 
paraissent  avoir  un  nombre  de  molaires  extrêmement  réduit,  il  n'en  est  rien  ; 
ils  n'ont  qu'une  molaire  à  la  fois,  mais  ils  en  ont  trois  successivement. 


52  DENT    (anatomie   comparée). 

II.  Siège.  Direction  et  rapports  kes  dents  entre  elles  et  avec  les  parties 
VOISINES.  Les  dents  sont  presque  toujours  situées  à  la  partie  antérieure  du 
tube  digestif,  soit  dans  la  cavité  buccale,  soit  dans  le  pharynx  et  l'œsophage, 
ou  bien  au  pourtour  de  l'orifice  buccal,  à  la  face  externe  des  mâchoires.  Tou- 
tefois on  en  trouve  dans  des  parties  beaucoup  plus  éloignées  et  sans  aucun  rap- 
port fonctionnel  avec  la  bouche  ou  le  tube  digestif.  Telles  sont  les  épines  for- 
mées de  dentine  qu'on  trouve  à  la  surface  du  corps  et  sur  la  tète  des  requins  et 
de  certaines  raies  qui  doivent  la  qualification  de  bondées  à  la  présence  de  ces 
épines  dentaires;  telles  sont  encore  les  épines  implantées  au  nombre  de  60  à  80 
sur  la  lame  rostrale  de  la  scie  de  mer.  On  remarquera  que  chez  ce  poisson 
les  vraies  dents  sont  très-petites,  tandis  que  les  dents  rostrales  sont  longues 
de  5  à  4  centimètres  et  s'accroissent  d'une  façon  continue  grâce  à  une  pulpe 
persistante.  Chez  le  chien  de  mer  on  trouve  sur  la  peau  des  régions  voisines 
de  la  gueule  des  épines  qui  offrent  cette  particularité  remarquable  qu'elles 
siègent  sur  la  peau  après  avoir  occupé  un  certain  temps  la  cavité  buccale;  elles 
sont  devenues  cutanées  par  suite  du  renversement  en  dehors  de  la  muqueuse 
qui  les  a  entraînées  avec  elle,  et  il  devient  impossible  d'établir  une  distinction 
quelconque  entre  ces  dents  externes  et  celles  qui  arment  l'intérieur  de  la 
gueule. 

Le  pharynx  peut  être  le  siège  de  dents  aussi  nombreuses  que  celk'S  qui  existent 
dans  la  bouche;  c'est  un  fait  qu'on  observe  fréquemment  chez  les  poissons  osseux. 
Quelques-uns  d'entre  eux,  la  carpe,  par  exemple,  n'en  ont  que  dans  celle  région; 
on  les  trouve  implantées  sur  les  deux  os  pharyngiens  inférieurs.  Certains  seipents 
qui  se  nourrissent  d'œufs  offrent,  d'après  Tomes,  la  même  disposition  :  ils  n'ont 
dans  la  gueule  que  des  dents  rudimentaires,  leurs  dents  principales  sont  dans 
l'œsophage  fixées  à  la  face  antérieure  des  vertèbres. 

Direction.  Le  plus  habituellement  les  dents  occupent  un  plan  vertical,  la  di- 
rection horizontale  est  l'exception  :  on  l'observe  cependant  chez  quelques  pois- 
sons, notamment  chez  les  plagiostomes  dont  les  rangées  postérieures  s'inclinent 
en  arrière,  plus  ou  moins  obliquement,  quelques-unes  étant  tout  à  fait  cou- 
chées. Chez  le  brochet  quelques  dénis  sont  verticales,  mais  le  plus  grand  nombre 
sont  inclinées  en  arrière,  celles  de  la  ligne  médiane  directement  en  arrière,  celles 
des  bandes  latérales  en  arrière  et  en  dedans. 

Le  crochet  à  poison  des  serpents  venimeux  est  rabattu  à  plat  sur  le  palais. 
Pour  s'en  servir,  l'animal  est  obligé  d'en  modifier  la  direction  :  or,  cette  énorme 
pointe  étant  fixée  par  une  sorte  d'ankylose  au  maxillaire,  il  faut  que  la  gueule 
s'ouvre  démesurément,  de  façon  que  la  mâchoire  supérieure  se  redresse  jusqu'à 
ce  que  le  crochet  soit  présenté  presque  vertical,  d'horizontal  qu'il  était. 

Rapports  des  dents  entre  elles.  Relativement  à  leur  disposition  réciproque, 
les  dents  sont  rangées  sur  plusieurs  lignes  ou  sur  une  seule. 

Lorsqu'il  existe  plusieurs  rangées,  elles  peuvent  être  disposées  par  lignes 
concentriques,  comme  chez  le  requin  oii  les  dents  sur  6  ou  7  rangs  de  profon- 
deur forment  autant  de  lignes  demi-circulaires  inscrites  les  unes  dans  les  autres 
d'arrière  en  avant.  Les  dents  du  brochet  sont  rangées  en  bandes  antéro-posté- 
rieures. 

La  forme  de  l'arcade  dentaire  n'est  pas  commandée  par  celle  des  mâchoires, 
mais  généralement  elles  sont  en  rapport  :  aussi  la  forme  demi-circulaire  plus 
ou  moins  allongée  est-elle  la  plus  commune.  Les  animaux  qui  manquent  d'un 
grand  nombre  de  dents,  ceux  qui  manquent  d'incisives,  par  exemple,  comme  les 


DENT   (anatomie  comparée).  55 

édenlés,  les  ruminants,  n'ont  plus  que  des  fragments  de  cette  ligne  en  demi- 
cercle. 

Les  dents  sont  quelquefois  serrées  les  unes  contre  les  autres  ;  d'aulres  fois  elles 
sont  espacées  sur  plusieurs  points,  laissant  alors  entre  elles  une  lacune  qu'on 
désigne  sous  divers  noms  :  barre  ou  diastème  chez  le  cheval,  chez  rélé[ihant 
et  chez  leurs  ancêtres,  l'Hipparion  et  le  Mammouth.  Chez  les  rongeurs  il 
existe  entre  la  canine  et  les  molaires  un  vide,  un  diastème  très-vaste.  Chez 
les  carnivores  et  chez  les  singes  anthropoïtlcs  il  existe  entre  l'incisive  latérale 
supérieure  et  la  canine  un  certain  espace  dans  lequel  vient  se  loger  la  canine 
inférieure. 

Les  rapports  dos  dents  des  deux  mâchoires  entre  elles  sont  très-variables, 
quelquefois  ils  sont  nuls  :  ainsi  les  dents  horizontales  ne  peuvent  pas  avoir  de 
rapports  réels  avec  celles  de  la  mâchoire  opposée. 

Lorsqu'il  existe  deux  rangées  à  l'une  des  mâchoires  (généralement  c'est  à  la 
mâchoire  supérieure)  et  une  seule  à  la  mâchoire  opposée,  la  rangée  simple  se 
place  toujours  entre  les  deux  autres. 

La  rencontre  des  dents  opposées  peut  se  faire  bord  contre  bord  (incisives  du 
cheval,  de  certains  singes),  ou  par  engrènement  (molaires  des  carnivores,  des 
omnivores),  ou  par  frottement  l'une  contre  l'autre  des  faces,  soit  verticalement, 
faces  contraires  (incisives  des  rongeurs),  soit  dans  le  sens  horizontal  (molaires  des 
herbivores). 

Rapports  des  dents  avec  les  os  des  mâchoires  et  les  parties  molles  qui  les 
recouvrent.  En  anatomie  comparée,  on  attache  une  grande  importance  à  la 
situation  des  dents  sur  chaque  os  pour  en  fixer  l'espèce  en  dépit  de  la  forme  et 
des  autres  caractères.  Ainsi,  quand  la  canine  manque,  si  une  dent  par  sa  forme 
conique  embarrasse  le  zoologiste,  il  doit  pour  en  fixer  la  désignation  rechercher 
si  elle  est  placée  sur  l'intermaxillaire  ou  sur  le  maxillaire  :  placée  sur  l'inter- 
maxillaire,  c'est  une  incisive,  sur  le  maxillaire,  c'est  une  canine. 

Les  dents  chez  les  animaux  pourvus  d'une  seule  rangée,  sont  situées  sur  les 
maxillaires  et  les  intermaxillaires  ;  mais  chez  les  poissons,  les  batraciens  et  les 
reptiles,  elles  semblent  se  grouper  sur  la  ligne  médiane,  c'est-à-dire  sur  le  chemin 
que  parcourt  la  proie  qui,  n'étant  pas  broyée,  mais  avalée  souvent  vivante,  passe 
immédiatement  dans  l'œsophage  sans  séjourner  dans  la  cavité  buccale.  Aussi 
est-il  exceptionnel  chez  les  poissons  de  trouver  des  dents  sur  les  maxillaires  vrais, 
même  chez  le  brochet  dont  la  gueule  entière  cependant,  l'os  lingual  et  le  pharynx, 
sont  hérissés  de  dents. 

Chez  les  serpents  non  venimeux,  il  existe  une  double  rangée  de  dents,  ainsi 
que  chez  les  batraciens;  chez  les  premiers  la  rangée  interne  est  placée  sur  les  os 
palatins  et  les  ptérygoïdes,  chez  les  seconds  elle  est  implantée  sur  le  vomer. 

Modes  d'implantation.  Les  modes  d'implantation  sont  très-variés,  pouvant 
se  faire  par  attache  à  la  muqueuse  seule,  ou  bien  à  l'os  par  contact  simple  ou 
par  pénétration. 

Insertion  à  la  muqueuse  seule.  Les  dents' peuvent  être  fixées  par  la  muqueuse 
seule,  comme  on  le  voit  chez  les  requins,  chez  le  cachalot.  En  enlevant  la 
gencive,  on  arrache  les  dents.  Mais  ce  mode  d'attache  à  la  muqueuse  sans  rapport 
direct  avec  les  os  est  rare,  et  chez  la  plupart  des  animaux  les  dents  sont  fixées  à 
l'os  par  différents  procédés  que  nous  allons  passer  en  revue. 

Insertion  à  Vos  par  une  surface  plane.  Elles  peuvent  être  simplement  posées 
sur  l'os  et  fixées  par  un  ligament  périphérique,  à  la  manière  d'uixe  articulation 

DICT.  ENC.  XXVIL  3 


DENT   (anatomie  comp.vrée). 

véritable:  aussi  les  dents  qui  ont  ce  mode  d'attache  sont-elles  mobiles  et  peuvent 
se  fléchir  dans  lesensantcro-poslérieur  :  ce  sont,  par  exemple,  les  dents  à  char- 
nière de  la  baudroye. 

Implantation  dam  une  gouttière  simple.  A  un  degré  plus  parfait  d'insertion, 
des  dents  sont  placées  dans  une  gouttière  creusée  dans  l'épaisseur  de  l'os;  gout- 
tière peu  prolonde  au  début,  simple  sillon,  tel  qu'on  le  retrouve  chez  l'hesper- 
ornis,  puis  ensuite  gouttière  plus  excavée  au  fond  de  laquelle  apparaissent  les 
premiers  essais  de  cloisonnement  dans  ie  sens  transversal  (mode  d'implantation 
des  dents  de  l'icblhyosaure) . 

Implantation  dans  des  cavités  alvéolaires  distinctes.  L'implantation  dans 
des  cavités  distinctes,  dans  des  alvéoles,  est  rare  chez  les  poissons;  elle  est  au 
contraire  la  règle  chez  les  crocodiles,  et  chez  les  animaux  supérieurs  elle  existe 
seule.  Parmi  les  oiseaux  fossiles,  quelques-uns,  tels  que  l'ichtliyornis,  ont  les 
mâchoires  creusées  d'alvéoles  distincts. 

Enfin  dans  l'implantation  alvéolaire  ou  distingue  deux  moyens  d'attache  de  la 
dent  à  l'os,  suivant  qu'il  existe  un  lieu  fibreux  entre  les  deux  parties,  ou  que 
l'union  se  fait  directement  par  le  tissu  osseux  soudant  la  racine  à  la  paroi  alvéo- 
laire, c'est-à-dire  par  soudure  véritable. 

Les  dents  des  poissons,  lorsqu'elles  sont  complètement  alvéolées,  sont  fréquem- 
ment ankylosécs  :  citons  comme  exemple  les  dents  du  brochet  ;  celles  de  la 
grenouille  sont  dans  le  môme  cas.  Les  dents  des  sauriens  sont  parfois  ankylosées, 
par  leur  face  antérieure,  à  un  rebord  osseux,  appareil  de  soutènement  formé  par 
le  maxillaire. 

Celles  des  serpents  sont  fixées  par  soudure,  et  nous  avons  vu  dans  quelle  posi- 
tion ces  animaux  doivent  placer  leur  mâchoire  supérieure  lorsqu'ils  veulent 
frapper  leur  proie,  surtout  les  serpents  venimeux,  dont  le  crochet  à  poison, 
très-long  et  couché  horizontalement,  ne  peut  devenir  vertical  que  par  un  énorme 
renversement  en  arrière  de  la  mâchoire  à  laquelle  il  est  soudé. 

Les  dents  de  tous  les  animaux  supérieurs  sont  comme  celles  de  l'homme  fixées 
dans  leurs  alvéoles  par  un  lien  fibreux,  le  périoste  alvéolo-dentaire,  analogue 
dans  sa  texture  et  sa  structure  au  périoste  des  os  en  général,  et  qui  maintient 
solidement  la  dent  en  place,  ne  permettant  aucun  mouvement.  Nous  l'avons 
étudié  ailleurs. 

Rapports  des  dents  avec  les  gencives.  Nous  mentionnerons  la  disposition 
qu'affectent  les  dents  avec  les  gencives  chez  quelques  poissons  et  chez  les  serpents 
venimeux.  Chez  les  requins,  les  dents  de  la  première  et  de  la  seconde  rangée 
sont  seules  découvertes,  tandis  que  les  rangées  postérieures  sont  recouvertes 
chacune  par  un  repli  de  la  muqueuse.  Chez  les  serpents  venimeux  le  crochet 
st  dissimulé  sous  un  repli  de  la  gencive  qui  se  tend  en  manière  de  poche 
^jour  empêcher  la  perte  du  venin  ;  sans  cette  disposition  une  partie  du  poison 
jaillirait  en  avant  et  ne  pénétrerait  pas  dans  la  plaie  faite  par  le  crochet. 

III.  Dimensions  bes  dents.  Longueur,  largeur,  volume.  La  longueur  doit  être 
appréciée  de  deux  façons  : 

1°  En  considérant  chaque  dent  isolément,  d'une  façon  absolue; 

2"  D'une  façon  relative,  en  comparant  entre  elles,  d'après  leur  longueur,  les 

dents  d'un  même  animal,  afin  d'établir  les  hauteurs  relatives  des  sommets.  Ce 

procédé  permet  de  tracer  la  courbe  des  points  culminants  de  l'arcade  dentaire  chez 

les  différentes  espèces  animales. 

Nous  trouvons  parmi  les  fossiles  et  chez  quelques  espèces  devenant  plus  rares 


DENT   (anatomie   comparke).  35 

chaque  jour  des  dénis  qui  atteignent  des  dimensions  vraiment  colossales,  hors 
de  proportion  non-seulement  avec  la  taille  de  l'animal,  mais  encore  avec  les 
fonctions  qu'elles  remplissent.  Ce  sont  toujours  les  dents  de  la  re'gion  anté- 
rieure, les  canines  et  surtout  les  incisives,  qui  acquièrent  ces  dimensions  excep- 
tionnelles. Les  animaux  de  l'ordre  des  proboscidiens  sont  remarquables  par 
l'énorme  développement  de  leurs  incisives  supérieures  ou  inférieures  qui 
constituent  leurs  défenses.  L'éléphant  actuel  et  le  mammouth  n'en  portent 
qu'à  la  mâchoire  supérieure  ;  l'éléphant  africain  a  des  défenses  qui  mesurent 
quelquefois  2  et  5  mètres  et  sont  en  général  plus  longues  que  celles  de  l'élé- 
phant des  Indes.  Le  mastodonte  en  portait  aux  deux  mâchoires,  celles  de  la 
mâchoire  supérieure  étant  toujours  plus  développées  que  celles  de  la  mâchoire 
inférieure.  Le  Dinothérium  n'était  armé  d'incisives-défenses  qu'à  la  mâchoire 
inférieure. 

Le  narval  mâle  ne  possède  ordinairement  qu'une  dent,  incisive  supérieure  laté- 
rale, qui  devient  énorme  et  forme  une  défense  droite  spiralée  de  2'", 50  à  3  mètres 
de  longueur.  C'est  tantôt  l'incisive  du  côté  droit  et  tantôt  celle  du  côté  gauche 
qui  se  développe;  mais  il  est  tout  à  fait  exceptionnel  de  trouver  deux  défenses 
sur  un  seul  animal,  l'un  des  deux  follicules  s'atrophiant  presque  toujours,  sous 
l'influence  de  conditions  qui  nous  échappent. 

11  est  à  l'emarquer  que  les  animaux  porteurs  d'incisives-défenses  n'ont  ni 
canines  ni  d'autres  incisives  ;  le  narval  n'a  même  aucune  autre  dent. 

Chez  les  rongeurs  les  dents  sont,  comme  on  sait,  très-variables  de  longueur, 
et,  tandis  que  les  molaires  ont  un  volume  moyen,  les  incisives  peuvent  acquérir 
un  énorme  développement.  Ces  dernières,  sur  la  nature  desquelles  les  analo- 
mistes  ont  été  longtemps  en  désaccord,  ne  doivent  plus  être  considérées  comme 
des  canines,  ainsi  que  le  voulait  E.  Geoffroy  Saint-Ililaire.  Ce  sont  bien  évidem- 
ment des  incisives,  car  l'origine  de  leur  follicule  répond  invariablement  à  la 
région  antérieure  et  médiane.  Ce  qui  n'empêche  pas  ces  dents  d'occuper  par- 
fois dans  leur  développement  toute  la  longueur  de  la  branche  horizontale,  de 
telle  sorte  que  la  base  de  leur  couronne  se  trouve  portée  jusque  près  de 
l'angle  de  la  mâchoire,  en  passant  au-dessous  de  la  série  des  molaires. 

Dans  l'île  de  Madagascar,  on  trouve  un  animal  curieux,  l'aye-aye,  qui  pen- 
dant longtemps  n'a  pu  être  classé;  il  se  rapproche  par  quelques  caractères 
des  Lémuriens,  tandis  que  ses  énormes  incisives  rappellent  celles  des  ron- 
geurs. 

Les  détenses  de  l'hippopotame  sont  constituées  par  les  incisives  développées 
€n  haut  et  en  dehors,  volumineuses  et  cylindriques  à  leur  base,  rétrécies  par 
l'usure  à  leur  sommet. 

La  canine  est  très-dé veloppée  chez  les  carnivores  ;  recourbée  en  forme  de 
crochet,  elle  constitue  une  arme  redoutable,  mais  elle  reste  en  rapport  par  sa 
taille  avec  les  fonctions  qu'elle  remplit.  Beaucoup  d'autres  animaux,  notam- 
ment le  cochon  et  le  sanglier,  ont  des  canines-défenses  recourbées  en  haut  et 
trop  longues  pour  être  recouvertes  par  les  lèvres;  elles  sortent  de  la  bouche 
quelquefois  de  dix  ou  quinze  ccnlimètres.  Une  autre  variété,  le  Babironssa, 
animal  de  petite  taille  et  de  mœurs  peu  belliqueuses  a  des  défenses  supé- 
rieures qui  poussent  avec  une  telle  vigueur  qu'elles  ne  contournent  pas  la 
lèvre  supérieure,  mais  la  transpercent,  puis,  se  recourbant  en  haut  et  en 
arrière,  elles  atteignent  un  tel  développement  que  parfois,  ne  s'écartant  pas  suf- 
fisamment en  dehors,  elles  rentrent  dans  la  tête  ou  dans  la  mâchoire. 


ÔG  DENT   (anatomie  comparée). 

Le  morse  a  deux  énormes  défenses  formées  par  les  canines  supérieures,  qui 
sont  dirigées  de  haut  en  bas  presque  verticalement.  11  s'en  seit  comme  d'une 
paire  de  crochets  puissants  pour  arracher  les  plantes  marines  et  détacher  des 
rochers  les  mollusques  dont  il  se  nourrit.  Ces  dents  sont  chez  la  femelle  aussi 
développées  que  chez  le  mâle. 

Le  chevrotain  porte- musc  mâle  a  des  canines  supérieures  énormes  qui  donnent 
à  première  vue  à  la  mâchoire  de  cet  herbivore  l'aspect  redoutable  d'une  mâchoire 
de  grand  Carnivore. 

Courbe  générale  des  sommets  de  l'arcade  dentaire.  Au  point  de  vue  de  la 
longueur  relative  des  différentes  parties  de  l'arcade  dentaire,  c'est-à-dire  de 
lu  hauteur  des  sommets,  on  obtient  en  anatomie  comparée  deux  lignes  prin- 
cipales :   la  ligne  droite  et  la  ligne  ondulée. 

La  ligne  droite  tirée  de  la  partie  antérieure  de  J'arcade  aux  parties  posté- 
rieures affecte  trois  directions  : 

i°  Elle  se  maintient  horizontale,  c'est-à-dire  que  tous  les  sommets  sont  au 
même  niveau,  comme  chez  le  marsouin,  chez  le  cachalot,  chez  un  grand  nombre 
de  reptiles  et  de  sauriens  ; 

2"  Elle  devient  ascendante  d'avant  en  arrière,  c'est-à-dire  oblique  de  bas  en 
haut  et  d'avant  en  arrière,  les  dents  les  plus  courtes  étant  antérieures,  et  les 
plus  longues  postérieures  (dentition  des  ruminants  et  des  édenlés)  ; 

5°  Enlin  la  courbe  des  sommets  peut  avoir  une  direction  inverse  et  être  obhque 
d'avant  en  arrière,  de  haut  en  bas.  Ce  sont  les  poissons  qui  nous  offrent  les 
exemples  les  plus  marqués  de  cette  disposition,  dans  laquelle  les  dents  les 
plus  longues  et  les  plus  importantes  sont  antérieures,  celles  des  parties  posté- 
rieures étant  très-courtes.  La  ligne  ondulée  ou  brisée  a  son  type  dans  la 
disposition  des  dents  des  carnivores.  Peu  élevée  en  avant,  au  niveau  des  inci- 
sives, elle  devient  brusquement  ascendante  au  niveau  de  la  canine,  retombe 
très-bas  en  arrière,  et  se  relève  au  niveau  de  la  carnassière,  pour  redescendre 
de  nouveau  jusqu'à  la  dernière  molaire. 

Largeur  et  volume.  Les  poissons  et  les  reptiles  ont  des  dents  rarement  bien 
longues,  et  presque  toujours  étroites  et  peu  volumineuses.  Les  dents  larges  et 
épaisses  sont  propres  aux  animaux  supérieurs,  qui  gagnent  ainsi  en  volume  et 
en  force  ce  qu'ils  perdent  en  nombre. 

A  part  les  incisives  et  les  canines  énormes  auxquelles  on  donne  le  nom  de 
défenses,  les  seules  dents  réellement  larges  et  volumineuses  sont  les  molaires. 
Elles  atteignent  leurs  dimensions  les  plus  considérables  chez  les  herbivores. 
Les  molaires  des  carnivores  sont  étroites  et  peu  épaisses,  sauf  la  première 
d'entre  elles. 

Si  nous  n'avons  pu  établir  de  rapports  entre  la  longueur  et  la  fonction,  nous 
en  constatons  d'intimes  entre  la  largeur  et  le  rôle  que  remplissent  les  dents. 
Nous  ne  voyons  guère  à  quoi  servaient  au  mastodonte  ses  quatre  énormes 
défenses,  tandis  que  la  dimension  de  ses  molaires  se  trouvait  en  rapport  avec 
son  genre  de  nourriture. 

Les  courbes  de  longueur  et  de  largeur  des  dents  sont  directement  opposées, 
celle  de  longueur  étant  d'une  façon  générale  rapidement  descendante  d'avant 
en  arrière  et  celle  de  largeur  fortement  ascendante  dans  le  même  sens.  La 
courbe  d'épaisseur  est  la  même  en  général  que  celle  de  largeur.  Celle  de  volume 
se  déduisant  de  celles  de  largeur  et  d'épaisseur,  il  en  résulte  que  le  volume 
des  dents  est  disposé  en  sens  inverse  de  leur  longueur.  C'est  en  avant  que  sont 


DENT  (anatomie  comparée).  57 

les  plus  longues,  en  arrière  que  se  trouvent  les  plus  volumineuses.  Mais  ces 
données  ne  doivent  être  accepte'es  que  d'une  façon  très-générale,  car  il  y  a 
autant  de  modifications  à  apporter  à  la  courbe  de  longueur  qu'à  celle  de 
volume. 

Modifications  dans  la  longueur  et  le  volume  des  dents,  produites  par  le  sexe 
et  par  l'âge.  D'une  façon  générale,  le  sexe  n'a  pasd'influencesurles  dimensions 
des  dénis,  et  les  femelles  ont  des  dents  aussi  longues  et  aussi  épaisses  que  les 
mâles.  Mais  il  y  a  quelques  exceptions  cependant  à  cette  uniformité  dans  les 
deux  sexes  :  les  dents  incisives  et  les  canines,  lorsqu'elles  peuvent  servir  au 
combat,  sont  volumineuses  cbez  le  mâle,  rudimentaires  ou  absentes  chez  la 
femelle.  Les  défenses  de  l'éléphant  sont  ordinairement  plus  développées  chez  le 
mâle,  mais  pas  dans  toutes  les  espèces.  Les  incisives  du  Dugong  sont  de  véri- 
tables défenses  chez  le  mâle,  elles  sont  rudimentaires  chez  la  femelle;  il  en  est 
de  même  chez  le  narval. 

Les  canines  de  l'étalon  et  celles  du  porc  sont  bien  développées,  celles  de 
la  jument  et  de  la  truie  sont  insignifiantes.  Les  canines  supérieures  du  che- 
vrotain  porte-musc  mâle  sont  de  vraies  défenses  de  carnassier,  sa  femelle  en  est 
dépourvue. 

L'âge  enfin  peut  faire  sentir  son  influence  sur  la  longueur  et  le  volume 
des  dents,  mais  il  importe  de  distinguer  son  mode  d'action,  qui  peut  être 
double. 

Les  animaux  à  deux  dentitions  ont  dans  leur  jeune  âge  des  dents  peu  volu- 
mineuses :  ce  sont  les  dents  temporaires;  les  permanentes  atteignent  des  dimen- 
sions qui  peuvent  être  trois  ou  quatre  fois  plus  considérables  que  celles  des 
dents  qui  les  ont  précédées.  En  outre,  le  sexe  n'a  pas  d'action  sur  ces  premières 
dents,  et  les  jeunes  mâles  ont  des  incisives  et  des  canines  de  môme  taille  que 
leurs  femelles,  quelle  que  doive  être  plus  tard  la  distinction  sexuelle  qui  les  sépare 
sous  ce  rapport. 

Les  dents  à  accroissement  indéfini,  telles  que  les  défenses  de  l'éléphant,  qui  ne 
s'usent  pas  par  le  frottement  comme  les  incisives  des  rongeurs,  atteignent  une 
longueur  et  un  volume  proportionnels  à  l'âge  de  l'animal.  De  longues  défenses 
indiquent  un  éléphant  âgé,  comme  de  hauts  bois,  plusieurs  fois  ramifiés,  font 
reconnaître  de  suite  un  vieux  cerf. 

IV,  Forme  des  dents.  De  tous  les  caractères  que  présentent  les  dents,  ceux 
de  forme  sont  à  la  fois  les  plus  variés  chez  les  animaux,  et  les  plus  fixes 
dans  l'espèce  :  aussi  la  forme  des  dents  est-elle  pour  cette  dernière  plus  carac- 
téristique que  leur  nombre,  leur  siège,  leurs  dimensions  et  leur  durée. 

Envisagés  d'après  ce  cara'Jlère,  les  animaux  se  divisent  en  deux  grandes  calé- 
gories  :  animaux  à  dents  d'une  seule  forme  ou  homodontes ;  animaux  à  dents 
de  formes  variées  ou  hétérodontes. 

Animaux  homodontes.  Les  animaux  dont  toutes  les  dents  sont  du  même 
type  morphologique  sont  ceux  qui  ont  le  plus  grand  nombre  de  dents  :  ce 
sont  par  conséquent  tout  d'abord  les  poissons.  Chez  eux  les  dents  de  toutes  les 
parties  de  la  gueule  se  ressemblent,  elles  peuvent  varier  de  dimensions  et  de 
direction,  mais  la  forme  en  est  toujours  la  même,  qu'on  examine  les  dénis 
antérieures  ou  les  postérieures,  les  supérieures  ou  les  inférieures.  Elles  affectent 
presque  toujours  la  forme  conique,  soit  droite,  soit  recourbée.  Lorsque  la 
pointe  s'émousse,  la  dent  conique  prend  la  forme  d'un  mamelon  ou  cône  surbaissé, 
devenant  parfois  hémisphérique.  Ce  type  est  fréquent  chez  'beaucoup  d'espèces 


58  DENT  (anatomie  comp.vrke). 

de  reptiles  sauriens.  Lorsque  la  dent  conique  s'aplatit  d'avant  en  arrière,  elle 
prend  la  forme  de  dent  de  scie,  à  bords  soit  lisses,  soit  dentelés.  Chez  certains 
squales  de  l'ordre  des  myliobates,  les  dents,  extrêmement  nombreuses,  se  fixent 
exclusivement  sur  la  ligne  médiane  aux  deux  mâchoires  et,  s'accolant  les  unes 
aux  autres,  elles  forment  un  véritable  pavage  à  l'aide  duquel  ces  animaux  peu- 
vent broyer  les  coquillages  les  plus  durs  dont  ils  se  nourrissent.  Les  serpents 
ont  des  dents  de  même  forme  :  ce  sont  toujours  des  cônes  fortement  recourbés; 
mais  le  crochet  est  beaucoup  plus  volumineux  que  les  autres  dents.  Chez  les 
serpents  venimeux,  le  crochet  a  pour  fonctions  non-seulement  de  faire  une  plaie, 
mais  encore  d'y  porter  le  poison  sécrété  par  une  glande  spéciale  placée  près  de 
lui  :  de  là,  une  forme  particulière  :  la  face  postérieure  du  crochet  à  venin  est 
creusée  d'une  gouttière,  simple  rainure  quelquefois,  mais  qui  devient  chez  les 
serpents  à  sonnettes,  chez  les  vipères  un  véritable  tube,  par  suite  de  la  dépres- 
sion graduelle  de  la  gouttière,  dont  les  bords  se  rapprochent  à  mesure  que  la 
profondeur  augmente,  et  qui  finissent  par  se  souder  l'un  à  l'autre.  Même 
lorsque  le  tube  est  formé,  il  reste  une  ligne  indiquant  le  point  oii  s'est  faite  la 
soudure.  L'extrémité  du  crochet  est  très-aiguë,  et  le  canal  ne  s'ouvre  pas  à  la 
pointe,  il  vient  s'ouvrir  à  la  face  antérieure. 

Animaux  hélérodonles.  Les  Mammifères  sont  hétérodontes,  à  l'exception  des 
cétacés,  des  monotrèmes  et  des  édentés,  c'est-à-dire  qu'on  trouve  sur  la  mâchoire 
de  chacun  d'eux  des  dents  de  différentes  formes,  les  unes  en  forme  de  lames 
coupantes  nommées  incisives,  et  les  autres  qu'on  appelle  molaires  ressemblent 
à  des  cubes  verticaux  entre  lesquels  sont  broyées  les  substances  alimentaires. 
Mais  certains  hétérodontes,  parmi  les  fossiles,  ont  des  dents  si  peu  variées  qu'on 
serait  tenté  de  les  placer  parmi  les  homodontes.  C'est  en  effet  par  une  modifi- 
cation insensible  au  début  que  la  transition  s'opère  des  uns  aux  autres,  et  que 
le  type  conique  devient  biconique  ou  bicuspidé,  mulliconique  ou  multicus- 
pidé.  Le  nombre  des  racines  suit  ordinairement  celui  des  éminences  de  la  cou- 
ronne, c'est-à-dire  qu'un  cône  simple  a  une  racine  unique,  tandis  qu'une 
bicuspidée  en  a  deux,  soit  soudées,  soit  isolées,  et  une  dent  multicuspidée  en  a 
autant  qu'il  existe  de  cônes  sur  sa  couronne.  Mais  la  longueur  des  racines  n'est! 
pas  toujours  en  rapport  avec  le  volume  de  la  couronne  :  ainsi  l'éléphant  actuel 
a  des  molaires  énormes  dont  les  racines  sont  rudimentaires  ;  la  longue  incisive 
des  rongeurs  n'a  pas  de  racines,  elle  est  maintenue  solidement  en  place  par  la 
portion  de  la  couronne  qui  reste  intra-alvéolaire. 

Nous  avons  dit  dans  l'anatomie  humaine  que  toutes  les  dents  avaient  pour 
point  de  départ  le  cône,  et  que  les  incisives  ainsi  que  les  mullicuspidées  étaient 
le  résultat  de  la  modification  ou  de  l'agglomération  de  cette  unité  primordiale. 
C'est  à  l'anatomie  comparée  d'indiquer  les  formes  principales  que  présentent 
les  dents  et  d'indiquer  autant  que  possible  quel  lien  existe  entre  ces  transfor- 
mations. 

Les  incisives  s'éloignent  très-peu  du  type  primitif;  ce  sont  des  cônes,  dont  le 
sommet  s'est  émoussé  et  la  masse  s'est  aplatie  d'avant  en  arrière.  La  racine 
est  restée  cylindro-conique  lorsqu'elle  n'a  pas  été  comprimée  par  les  dents 
voisines  ;  elle  s'est  aplatie  latéralement  lorsqu'elle  a  subi  leur  pression. 

Chez  le  cheval,  chez  l'hipparion  et  les  ongulés  du  même  groupe,  les  incisives 
ont  une  forme  particulière  sur  laquelle  nous  appellerons  l'attention;  leur  extré- 
mité libre  est  légèrement  excavée  en  doigt  de  gant,  et  la  couche  d'émail  descend 
jusqu'au  fond  de  cette  dépression.   Or,  la  rencontre  des  incisives  des  deux 


DENT   (anatomie  comparée).  39 

mâchoires  se  faisant  bord  à  bord,  et  ranimai  s'en  servant  constamment  pour 
couper  l'herbe,  il  en  résulte  une  usure  progressive  qui  diminue  peu  à  peu 
la  hauteur  du  cornet  d'émail,  et  finit  même  par  en  faire  disparaître  toute 
trace.  L'âge  du  cheval  peut  donc  se  reconnaître  à  ce  signe,  qu'on  appelle 
la  marque  en  langage  vétérinaire.  11  suffit  de  savoir  à  (piel  âge  correspond 
chaque  degré  d'usure  :  sur  les  incisives  centrales,  le  cornet  d'émail  est  usé 
à  l'âge  de  neuf  ans,  sur  les  incisives  moyennes  à  dix  ans,  et  enfin  il  a  disparu 
sur  toutes  les  dents  à  l'âge  de  onze  ans.  On  dit  qu'à  cet  âge  le  cheval  ne 
marque  plus. 

Les  incisives  de  quelques  animaux  ont  une  apparence  bifide  qui  pourrait  faire 
croire  qu'elles  sont  formées  de  deux  cônes;  mais  il  n'en  est  rien,  et  cet  aspect 
est  dû  seulement  à  l'accumulation  sur  deux  points  de  la  couronne  de  masses 
considérables  d'émail.  C'est  ainsi  que  les  insectivores,  dont  toutes  les  dents  sont 
recouvertes  de  couches  d'émail  si  épaisses,  ont  des  incisives  que  l'on  prendrait 
pour  des  bicuspides,  elles  ont  la  forme  de  pinces.  Les  incisives  centrales  supé- 
rieures des  musaraignes  ont  un  sommet  bifurqué,  le  tubercule  postérieur  étant 
petit  et  l'antérieur  étant  très-long  et  très-aigu;  le  sommet  de  l'incisive  inférieure 
est  simple  et  vient  se  placer  entre  les  deux  tubercules  supérieurs.  Cette  bifidité 
du  sommet  est  encore  beaucoup  plus  marquée  sur  les  incisives  inférieures  d'un 
autre  insectivore,  le  galéopilhèque,  elle  s'étend  à  toute  la  hauteur  de  la  couronne, 
donnant  à  ces  dents  l'aspect  de  peignes. 

La  dent  que  l'on  désigne  sous  le  nom  de  canine  à  cause  de  son  grand  dévelop- 
pement chez  le  chien  représente  exactement  le  type  primitif;  sa  couronne  et  sa 
racine  sont  restées  coniques. 

Quant  aux  bicuspidées  et  aux  multicuspidées,  elles  résultent  de  l'aggloméra- 
tion de  plusieurs  cônes  pour  former  une  masse  unique.  L'étude  histologique 
nous  montre  très-nettement  ce  phénomène  ;  et  dans  l'élude  du  squelette  des 
animaux  nous  assistons  fréquemment  à  un  acte  analogue,  qui  détermine  l'unifi- 
cation de  certaines  pièces  osseuses  par  suite  de  la  soudure  entre  elles  de  plu- 
sieurs parties  secondaires  ayant  existé  jusqu'alors  indépendantes. 

Nous  distinguons  trois  formes  principales  de  dents  multicuspidées  : 

1°  La  dent  à  cônes  très-aigus,  légèrement  aplatis  sur  leurs  faces  :  c'est  la  dent 
du  Carnivore,  la  dent  carnassière  des  félins; 

2°  La  dent  à  cônes  émoussés  :  c'est  la  dent  du  mastodonte,  de  l'omnivore; 

3°  La  dent  à  cônes  aplatis,  disparus  de  bonne  heure,  dent  des  herbivores,  des 
ruminants.  Celle-là  seule  mérite  vraiment  par  sa  forme  et  ses  fonctions  le  nom 
de  molaire. 

Dent  à  cônes  aigus  [carnassiers).  Les  dents  multicuspidées  des  carnivores 
présentent  cette  forme  caractéristique  d'avoir  un  cône  très-développé,  aplati 
transversalement  en  forme  de  lame  coupante  :  d'où  il  résulte  que  les  sillons 
séparant  les  diverses  pointes  sont  très-profonds,  et  que  les  dents  opposées  péné- 
trant dans  ces  sillons  jouent  réciproquement  comme  les  lames  de  ciseaux  l'une 
contre  l'autre.  Celte  disposition  est  très-favorable  à  la  division  des  chairs. 
Les  carnassières  ne  sont  pas  aussi  coupantes  chez  les  carnivores  qui  fouil- 
lent les  cadavres  ;  elles  ont  des  lames  non  tranchantes  à  sommet  émoussé, 
mais  épaisses  et  munies  d'un  talon,  capables,  en  un  mot,  de  briser  les  os, 
bien  plutôt  que  de  diviser  la  viande  :  telles  sont  les  molaires  des  hyènes,  des 
pterodon. 

Guvier  a  nommé  carnassière  vraie  la  multicuspidée,  qui  présente  au  plus  haut 


40  DENT  (anatomie   comparée). 

degré  cette  forme  de  lame  coupante  ;  on  ne  la  trouve  que  chez  les  carnivores  se 
nourrissant  de  chair  fraîche;  elle  existe  aux  deux  mâchoires  formant  en  haut  la 
4*  prémolaire,  et  en  bas  la  l"*  molaire.  La  lame  antéro-poslérieure  est  mince  et 
très-haute;  la  prémolaire  supérieure  porte  un  tubercule  à  la  partie  antérieure 
et  interne  de  cette  lamelle.  Plus  l'animal  est  vrai  Carnivore,  plus  la  lamelle  est 
développée  et  le  tubercule  faible  ;  le  tubercule  augmente  quand  l'alimentation 
est  mixte. 

Dents  à  cônes  émoussés.  La  dent  à  cônes  multiples  du  mastodonte  s'offre 
à  nous  comme  le  meilleur  type  de  celle  variété  :  elle  est  constituée  par  la 
réunion  en  une  seule  masse  de  plusieurs  rangées  transversales  de  cônes  juxta- 
posés. 

Le  sommet  de  ces  cônes  ou  tubercules  est  arrondi,  et  recouvert  d'émail  et  de 
cément;  les  intervalles  ne  contiennent  pas  de  cément.  De  là  il  résulte  que  ces 
dents  sont  peu  modifiées  par  les  progrès  de  l'âge  :  les  sommets  s'usent  légè- 
rement, et  la  surface  coronaire  conserve  toujours  son  aspect  fortement 
ondulé. 

Dents  à  cônes  effaces  {herbivores).  Au  contraire,  les  mullicuspidées  des  her- 
bivores perdent  rapidement  leur  forme  première.  Une  couche  de  cément  les 
enveloppant  complètement,  recouvrant  les  tubercules  et  comblant  les  inter- 
valles, l'usure  a  une  prise  différente  sur  chacune  de  ces  parties,  car  l'émail  plus 
dur  que  l'ivoire  cl  que  le  cément,  et  résistant  plus  longtemps  aux  frottements, 
se  dresse  au  milieu  de  la  masse  environnante  comme  une  crête.  C'est  cette 
différence  de  niveau  entre  les  tissus  constituants  de  ces  dents,  émail,  ivoire  et 
cément,  qui  crée  une  surface  râpeuse  si  favorable  à  l'écrasement  des  végétaux 
dont  ces  animaux  se  nourrissent.  Si  l'on  débarrasse  une  molaire  ainsi  constituée 
de  sa  gangue  de  cément,  ou  bien  si  l'on  fait  une  coupe  verticale,  il  est  facile 
de  reconnaître  qu'elle  est  formée  de  cônes  qui  se  sont  soudés  entre  eux  pour 
former  des  ciêtes  dirigées  dans  deux  sens  principaux  :  les  crêtes  des  molaires 
supérieures  forment  une  courbe  à  convexité  antérieure,  tandis  que  les  crêtes  des 
molaires  inférieures  forment  une  courbe  à  convexité  postérieure. 

V.  Caractères  de  duréf  et  modes  de  remplacemeist  des  deists.  La  durée  des 
dents,  c'est-à-dire  l'espace  de  temps  qu'elles  restent  en  place,  semble  être  en  rai- 
son inverse  de  leur  nombre.  Les  dents  les  plus  éphémères  sont  celles  des  reptiles 
et  des  poissons  ;  elles  tombent  de  bonne  heure  et  sont  remplacées  par  d'autres 
qui  à  leur  tour  se  détachent;  de  nouvelles  leur  succèdent  bientôt,  et  ce  mou- 
vement continue  ainsi  pendant  toute  la  vie  de  l'animal.  Cette  production  inces- 
sante des  dents  chez  les  poissons  explique  la  riclicsss  des  amas  si  considérables 
qu'elles  forment  dans  certains  gisements. 

Chez  la  plupart  des  batraciens  les  dents  se  succèdent,  comme  chez  les  pois- 
sons, d'une  manière  indéfinie. 

Le  remplacement  des  dents  des  poissons,  des  reptiles  et  des  batraciens,  se 
fait  suivant  deux  modes  :  soit  vertical,  soit  sériaire.  Le  remplacement  vertical 
est  le  plus  rare;  il  est  exceptionnel  que  la  dent  nouvelle  pousse  directement 
au-dessous  de  la  précédente,  comme  chez  les  mammifères;  le  plus  habituel- 
lement elle  sort  sur  un  des  côtés,  mais  très-près  de  la  base  qu'elle  use  par 
frottement. 

Chez  les  plagiostomes,  la  chute  des  dents  se  fait  par  une  sorte  de  renversement 
en  dehor-s  de  la  muqueuse  qui  entraîne  jusqu'au  bord  des  mâchoires  les  dents 
dont  l'insertion  ne  se  fait  pas  à  l'os,  comme  nous  l'avons  vu.  Arrivées  au  bord 


DEKT  (physiologie).  H 

libre  du  maxillaire,  elles  se  détachent,  tandis  qu'en  arrière  poussent  les  nou- 
velles rangées. 

D'après  leur  durée,  les  dents  des  mammifères  se  divisent  en  diverses  caté- 
gories :  celles  qui  apparaissent  les  premières  ont  une  durée  en  général  assez 
courte,  et  nous  chercherons  plus  loin  a  établir  une  relation  entre  ce  temps 
et  celui  de  la  vie  de  l'animal,  ainsi  qu'entre  la  durée  des  dents  temporaires  et 
celle  des  dents  permanentes. 

Parmi  les  animaux  qui  présentent  la  durée  la  plus  courte  des  dents  tempo- 
raires, nous  citerons  le  morse,  la  baleine,  qui  les  perdent  avant  leur  naissance, 
les  phoques,  quelques  semaines  plus  tard,  certains  rongeurs,  tels  que  le  lièvre, 
du  quinzième  au  vingtième  jour.  Toutefois  parmi  les  rongeurs  nous  citerons  le 
castor,  qui  ne  les  remplace  qu'à  l'âge  adulte.  Magitot  et  Cuauveau. 

§  IV.  Physiologie.  Les  différents  problèmes  que  soulève  la  physiologie  des 
dents  comprennent  dans  leur  ensemble  l'évolution  du  follicule  dentaire,  c'est-à- 
dire  :  1°  l'origine  et  la  formation  du  follicule;  2°  la  morphologie  de  cet  appa- 
reil; 3°  le  méianisme  de  formation  de  l'organe  dentaire. 

I.  Origine  et  formation  du  follicule,  a.  État  des  mâchoires  de  Vemhryon 
au  moment  de  la  genèse  du  follicide  et  du  bourrelet  épUhélial.  Bien  que  nous 
n'ayons  pas  à  envisager  ici  la  constitution  des  mâchoires  au  moment  de  la 
genèse  du  follicule  [voy.  Maxillaire  [Développement^),  nous  pensons  toutefois 
devoir  revenir  spécialement  sur  certains  points  plus  directement  en  rapport 
avec  notre  sujet. 

En  ce  qui  concerne  la  mâchoire  inférieure,  on  sait  qu'à  une  certaine  époque  de 
l'a  vie  embryonnaire,  variable  suivant  les  espèces  animales,  l'arc  maxillaire, 
absolument  dépourvu  de  toute  trace  d'éléments  osseux,  renferme  au  scindes  tissus 
qui  le  composent  et  à  titre  de  soutien  squelettique  une  bande  cartilagineuse 
paire,  symétrique,  réunie  à  sa  congénère  sur  la  ligne  médiane  au  niveau  de  la 
symphyse  future  et  s'étendant  sur  les  côtés  dans  toute  la  longueur  de  cet  arc 
maxillaire  et  jusqu'au  cadre  tympanique  :  c'est  le  cartUage  de  Meckel  {voy.  ce 
mot).  Cet  organe,  qui  ne  joue  dans  le  développement  du  maxillaire  qu'un  rôle 
transitoire,  occupe  la  partie  interne  de  l'arc;  il  est  plongé  au  milieu  d'un  tissu 
embryonnaire  avec  lequel  il  représente,  à  cette  époque  de  la  vie  fœtale,  les  seuls 
éléments  fondamentaux  de  la  mâchoire. 

Pour  la  mâchoire  supérieure,  le  moment  de  l'évolution  qui  correspond  à 
l'époque  que  nous  venons  d'établir  pour  le  maxillaire  inférieur  est  celui  où  les 
deux  bourgeons  maxillaires  ont  opéré  leur  soudure  avec  le  bourgeon  médian 
ou  intermaxillaire.  C'est  environ  vers  le  quarante  ou  quarante-cinquième  jour 
qu'a  lieu  ce  phénomène  chez  l'embryon  humain. 

Les  deux  arcs  maxillaires  étant  ainsi  constitués,  on  remarque  bientôt  que 
dans  la  partie  arrondie  et  saillante  qui  répond  à  la  cavité  buccale  et  qui  consti- 
tuera plus  tard  le  bord  alvéolaire  il  s'est  produit  une  couche  de  cellules  épithé- 
liales  formant  dans  toute  la  longueur  une  saillie  ou  bourrelet  lisse,  arrondi  et 
sans  aucun  pli  ou  dépression  quelconque.  Ce  bourrelet  visible  à  l'œil  nu  est 
encore  plus  manifeste,  si  l'on  examine  une  coupe  perpendiculaire  à  l'axe  de  l'arc 
maxillaire,  et  l'on  reconnaît  que  sur  les  côtés  de  ce  bourrelet,  qui  se  compose 
d'une  épaisse  couche  de  cellules,  le  revêtement  épithélial  n'est  formé  que  de 
quelques  rangées  peu  nombreuses  superposées,  quelquefois  même  d'une  rangée 
unique. 


42  DENT  (physiologie). 

Le  bourrelet  épithélial  s'ojoute  ainsi  à  un  moment  donné  aux  éléments  em- 
bryonnaires des  mâchoires  qui  ne  renferment  encore  aucun  autre  tissu  bien  défini, 
si  ce  n'est  quelques  vaisseaux,  des  nerfs  et  des  fd^rcs  musculaires  en  voie  d'évo- 
lution. 

Ce  bourrelet  épitliélial  a  une  forme  tout  à  fait  spéciale  sur  laquelle  il  importe 
d'insister,  et  que  le  seul  examen  de  sa  surfoce  extérieure  ou  buccale  ne  saurait 
laisser  supposer.  En  effet,  sur  une  coupe  verticale  on  remarque  qu'en  outre  de  la 
saillie  lisse  et  arrondie  qu'il  offre  dans  la  bouche,  et  qui  justifie  le  nom 
que  nous  lui  donnons  [rempart  maxillaire,  Kieferwall  de  Kôlliker,  Waldeyer 
et  Kollmann),  le  bourrelet  présente  dans  la  partie  qui  plonge  dans  le  tissu  des 
maxillaires  une  configuration  spéciale.  En  opposition  à  la  saillie  extérieure  et 
libre,  on  en  voit  une  seconde  qui  pénètre  au  milieu  des  éléments  sous-jacents 
et  dont  les  limites  représentent  à  peu  près  la  forme  d'un  V,  dont  le  sommet 
s'incline  légèrement  vers  le  côté  interne. 

Ainsi  constitué,  le  bourrelet  épithélial  représente  donc  en  réalité  une  bande 
continue  à  peu  près  verticale  et  sans  aucune  interruption  dans  toute  la  longueur 
du  bord  alvéolaire.  L'existence  do  cette  bande  est  constante  chez  les  mammi- 
fères supérieurs  et  chez  l'homme  ;  on  la  retrouve  même  sur  des  points  qui  res- 
teront dépourvus  de  dents,  comme  la  barre  des  solipèdes.  Sa  forme  est  égale- 
ment constante  chez  les  différentes  espèces  et,  tandis  que  du  côté  du  bord 
alvéolaire  il  offre  sa  plus  grande  largeur,  il  va  de  là  s'amincissant  dans  la 
profondeur  du  tissu  sous-jacent  en  môme  temps  qu'il  se  recourbe  vers  le  bord 
interne  de  manière  à  présenter  une  concavité  qui  regarde  vers  la  ligne  médiane 
et  une  convexité  qui  répond  à  la  joue.  Cette  extrémité  amincie  ou  sommet, 
d'abord  mousse  et  arrondi  au  début,  devient  bientôt  très-aigu  au  moment  de 
l'apparition  de  la  première  trace  des  follicules. 

Ilistologiquement,  le  bourrelet  épithélial  se  compose  des  mêmes  éléments 
qui  constituent  le  revêtement  épithélial  de  la  muqueuse  buccale,  c'est  à-dire  de 
cellules  polyédriques  par  pression  réciproque  pourvues  de  leur  noyau  et  dont  la 
masse  est  limitée  au  niveau  des  deux  côtés  et  du  sommet  par  une  rangée  con- 
tinue de  cellules  prismatiques.  Les  cellules  qui  coujposent  le  centre  du  bour- 
relet présentent  souvent  sur  leurs  bords  cette  disposition  dentelée  qui  a  été 
signalée  par  les  auteurs  pour  les  cellules  de  l'épiderme,  et  en  vertu  de  laquelle 
les  éléments  s'engrènent  réciproquement.  Quant  à  la  couche  prismatique,  elle 
n'offre  aucune  différence  avec  la  couche  de  Malpighi  dont  elle  dérive  d'ailleurs 
directement. 

Par  les  considérations  qui  précèdent,  on  voit  que  le  bourrelet  épithélial  que 
nous  venons  de  décrire  n'est  qu'un  simple  prolongement  de  la  couche  épithéliale 
tégumentaire  delà  bouche  qui,  en  s'enfonçant  dans  le  tissu  embryonnaire  des 
arcs  maxillaires,  s'y  creuse,  pour  ainsi  dire,  un  sillon  qu'il  i-emplit  exacte- 
ment. C'est  ce  sillon  qui,  sur  des  mâchoires  d'embryon  altérées  par  une  macé- 
ration prolongée,  apparaît  isolé  et  vide  de  son  contenu,  lequel  s'est  spontanément 
détaché. 

Il  résulte  de  là  que,  dans  l'état  normal,  on  ne  peut  rencontrer  à  aucune 
époque  de  la  vie  embryonnaire,  à  la  surface  du  bord  alvéolaire,  aucune  dépres- 
sion, enfoncement  ou  perforation  quelconque.  Or,  on  sait  qu'une  théorie  de 
l'évolution  des  dents,  émise  en  1839  par  Goodsir,  et  adoptée  depuis  par  le  plus 
grand  nombre  des  auteurs,  était  fondée  sur  un  certain  mécanisme  qui  consis- 
tait dans  la  formation  du  sac  folliculaire  aux  dépens  d'une  dépression  extérieure 


DENT    (physiologie).  43 

de  la  muqueuse  buccale.  Le  décollement  par  macération  de  la  couche  épithéliale 
pouvait  à  la  rigueur  donner  l'explication  de  cette  erreur,  mais  rien  dans  l'état 
normal  ne  saurait  se  prêter  en  aucune  manière  à  une  interprétation  de  ce  genre. 
La  théorie  de  Goodsir  est  donc  absolument  erronée. 

b.  De  la  lame  épithéliale.  Genèse  de  Vorgane  de  l'émail.  Nous  venons 
de  voir  que  le  bourrelet  épithélial  continu  qui  occupe  le  bord  alvéolaire  pré- 
sente, dans  la  profondeur  de  la  mâchoire,  deux  faces  :  l'une  externe,  convexe, 
l'autre  interne,  concave  ;  c'est  sur  un  point  de  cette  dernière  que  se  produit  ce 
que  nous  allons  décrire  sous  le  nom  de  lame  épithéliale. 

Aussitôt  qu'est  achevé  le  développement  du  bourrelet,  on  voit  apparaître,  à 
peu  près  vers  le  milieu  de  sa  face  interne  ou  parfois  sur  un  point  plus  rap- 
proché de  la  surface  de  la  muqueuse,  une  saillie  transversale,  ou  légèrement 
oblique,  qui  semble  être  une  sorte  de  diverticulum  du  bourrelet  lui-même.  Elle 
présente  une  forme  un  peu  aplatie 
de  haut  en  bas,  avec  une  extrémité 
arrondie  et  légèrement  recourbée  en 
forme  de  crosse. 

Cette  disposition  justifie  comme 
on  voit  complètement  le  terme  de 
lame  que  lui  a  donné  KôIIiker.  Elle 
occupe  ainsi,  de  même  que  le  bour- 
relet dont  elle  dérive,  toute  la  lon- 
gueur du  bord  alvéolaire.  I 

On  peut  considérer  à  la  lame  épi-  "*" 

théliale  (fig.  4,  E)  'iine  hase  adhé-  Fig.  4.  —  Coupe  d'une  des  branches  du  maxillaire 
rente     au      bourrelet;     un     sommet  inlérieur  du   mouton    (emlnyon   de    0,0-:J    milli- 

'  .  melrcs  de  long),  grossiBsement  de  80  diamètres. 

dirigé  en  dedans  dans  le  tissu  em- 

,  .  ,  ,     •    ,  a,  Cartilage  de   Meckel.  —  d,  Epilhélium  buccal  et 

bryonnaire  et  a  extrémité  mousse  ;         bourrelet  cpitbéUal.  -  E,  lame  épithéliale.  -  g, 

deux  faces,  l'une  supérieure  tournée        ^^^^^  de  rorgane  de  rémaii. 

vers  la  muqueuse,  l'autre  inférieure  regardant  le  fond  de  l'arc  maxillaire. 

La  composition  de  la  lame  est  fort  simple  au  début  :  elle  est  constituée  par 
une  couche  centrale  de  petites  cellules  polygonales  entourée  d'une  rangée  continue 
de  cellules  prismatiques  ;  plus  tard  on  rencontre  dans  son  épaisseur  de  grandes 
cellules  semblables  à  celle  du  bourrelet  ou  de  la  couche  épidermique.  Ces  dis- 
positions sont  importantes  à  noter,  car  jamais,  ainsi  que  nous  le  verrons,  dans 
les  débris  de  celte  lame  ou  dans  ceux  du  cordon  qui  en  dérivera,  on  ne  retrouve 
les  éléments  prismatiques  qui  en  forment  le  revêtement. 

C'est  à  l'extrémité  de  cette  lame  que  va  se  produire  l'organe  de  l'émail,  pre- 
mier vestige  du  follicule  dentaire  : 

Un  léger  renflement  se  produit  d'abord  à  cette  extrémité.  Ce  renflement 
apparaît  rigoureusement  au  point  qui  correspond  à  la  position  de  la  dent 
future  :  il  naît  de  la  sorte  un  nombre  de  renflements  égal  à  celui  des  dents  elles- 
mêmes  pour  une  même  dentition.  Nous  donnerons  à  ce  renflement  le  nom  de 
bourgeon  primitif  du  follicule.  Ce  bourgeon,  dérivation  immédiate  de  la  lame, 
reste  réuni  à  celle-ci  par  une  partie  amincie  en  forme  de  col,  qui  s'allonge  peu 
à  peu  en  même  temps  que  la  masse  terminale  augmente  de  volume. 

C'est  cette  masse  qui  pendant  tout  le  cours  du  développement  constituera  Vor- 
gane de  l'émail,  tandis  que  le  col  par  son  allongement  progressif  ne  représente 
.       qu'un  moyen  temporaire  d'union  avec  la  lame  elle-même. 


44  DENT  (physiologie). 

Le  bourgeon  primitif  présente  au  début  une  forme  exactement  sphérique. 
Il  se  compose  d'une  couche  extérieure  de  cellules  prismatiques,  continuation  de 
celles  de  la  lame,  et  au  centre  de  cellules  polygonales  dont  le  diamètre  est 
toujours  inférieur  à  la  dimension  des  cellules  qui  remplissent  la  lame  elle- 
même.  Ajoutons  que  dans  les  progrès  de  l'évolution  ces  éléments  subissent  une 
modification  qui  les  transforme  en  corps  étoiles,  phénomène  qui  ne  se  produit 
jamais  dans  ceux  du  cordon.  Ces  dilférences  de  volume,  jointes  aux  circonstances 
morphologiques,  nous  paraissent  suiTisantcs  pour  établir  dès  maintenant  une 
distinction  très-nette  entre  la  constitution  de  la  lame  et  celle  du  bourgeon  qui 
en  émane.  Si  nous  insistons  sur  ce  point,  c'est  que  les  auteurs  les  plus  récents 
ont  créé  une  confusion  entre  les  deux  parties.  La  différence  s'accuse  d'ailleurs 
encore  davantage,  ainsi  que  nous  le  verrons,  par  les  progrès  de  l'évolution  qui 
amèneront  dans  le  bourgeon  une  série  de  phénomènes  importants,  tandis 
que  les  éléments  de  la  lame  resteront  invariablement  de  nature  exclusivement 
épidermique. 

En  continuant  son  évolution  le  bourgeon  primitif  qui  était  d'abord  sphérique 
devient  plutôt  cylindrique  tout  en  conservant  sa  direction  horizontale.  11  s'al- 
longe ensuite  notablement  suivant  la  même  direction,  puis  il  s'infléchit  brus- 
quement pour  prendre  une  direction  verticale  qui  porte  son  extrémité  dans  la 
profondeur  de  la  mâchoire. 

Dans  cette  étendue  de  son  trajet  le  bourgeon,  qui  peut  prendre  justement  à  ce 
moment  le  nom  de  cordon  primitif,  présente  une  longueur  variable  suivant  les 
espèces  animales  et  il  éprouve  en  oulre  certaines  inflexions  secondaires  en 
rapport  avec  cette  longueur  même.  Chez  l'homme  le  cordon  est  court;  il 
en  est  de  même  chez  le  chien,  mais  c'est  chez  les  solipèdes  qu'il  présente 
la  brièveté  la  plus  grande.  Chez  le  veau  et  l'agneau  il  offre  une  certaine 
longueur  et  il  décrit  en  outre  diverses  ondulations.  Toutefois,  nous  ne  lui 
avons  jamais  reconnu  la  disposition  spiroïde  signalée  par  plusieurs  auteurs 
et  qui  est  si  remarquable,  ainsi  que  nous  le  verrons  pour  le  cordon  des  dents 
permanentes. 

Ces  différences  dans  la  longueur  du  cordon  primitif  s'expliquent  par  les  dispo- 
sitions spéciales  des  parties  suivant  d'une  part  les  espèces  animales  dont  les 
mâchoires  présentent  plus  ou  moins  de  hauteur  verticale,  d'autre  part  suivant  la 
nature  même  des  dents  futures.  On  comprend  en  effet  par  là  comment  devra 
être  plus  étendu  le  bourgeon  d'un  follicule  de  dent  permanente,  car  il  doit  se 
prêter  au  trajet  relativement  long  qu'il  doit  parcourir  pour  plonger  du  point  où 
il  naît  jusqu'au-dessous  du  follicule  temporaire. 

Dans  le  cours  de  son  trajet  le  cordon  primitif  présente  en  outre  quelques 
particularités  dignes  d'être  notées  :  ce  sont  des  phénomènes  de  bourgeon- 
nements latéraux  qui  donnent  naissance  à  de  petites  masses  arrondies  en  forme 
de  varicosités  et  qui  forment  comme  un  chapelet  irrégulier  {voij.  fig.  5,  F). 
Ces  petites  masses  sont  composées  exclusivement  de  petites  cellules  polyé- 
driques analogues  à  celles  que  renferme  le  cordon  lui-même  et  ce  sont  elles 
qui  plus  tard,  après  la  rupture  du  cordon,  deviennent  le  point  de  départ  de 
ces  prolongements  épithéliaux  si  nombreux  sur  lesquels  nous  aurons  à  revenir. 
Il  est  bien  entendu  que  nous  ne  confondons  point  ici  les  bourgeonnements 
multiples  de  la  continuité  des  cordons  avec  la  production  si  spéciale  qui  donne 
naissance  au  cordon  de  follicule  secondaire,  point  sur  lequel  nous  reviendrons 
plus  loin. 


DEINT  (physiologie).  45 

Lorsque  s'est  effectué  le  cliangement  de  diiedion  du  cordon  qui  d'horizontal 
qu'il  était  devient  vertical,  son  extrémité  renflée  en  forme  de  massue  prend  un 
plus  grand  développement,  ce  qui  résulte  de  la  multiplication  des  cellules  polyé- 
driques qu'elle  renferme  et  du  revêtement  des  cellules  prismatiques  dont  le 
nombre  augmente  proportionnellement.  Cette  niasse  terminale  plongée  ainsi  dans 
la  profondeur  du  tissu  des  mâchoires  présente  assez  exactement  la  forme  d'une 
sphère  dont  le  pôle  supérieur  répondrait  à  l'insertion  du  cordon  et  dont  le  pôle 
inférieur  libre  est  dirigé  vers  le  fond  de  la  mâchoire  ou  plus  ou  moins  oblique- 
ment vei  s  le  côté  interne.  Celte  masse  représente  Vorgane  de  V émail. 

Peu  de  temps  après,  on  voit  le  pôle 
inférieur  se  déprimer  légèrement  par 
une  sorte  de  refoulement  vers  le  cen- 
tre, ce  qui  amène  la  formation  d'une 
concavité  dirigée  vers  la  profondeur. 
La  masse  de  sphérique  qu'elle  était 
offre  alors  la  forme  d'un  capuchon  ou 
de  bonnet  qui  reste  toujours  suspendu 
à  l'extrémité  du  cordon. 

Ce  phénomène  de  refoulement  coïn- 
cide avec  l'apparition  d'un  nouvel  or- 
gane au  sein  des  màclioires  :  cet  or- 
gane est  le  bulbe  dentaire  (fig.  5,1). 
Celui-ci  naît  en  effet  au  niveau  même 
de  ce  iiôle  inférieur.  Il  apparuît  d'abord 
sous  la  forme  d'un  point  opaque  qui 
prend  rapidement  une  forme  conique 
dont  le  sommet  s'enfonce  ainsi  dans  la 
dépression  correspondante  de  l'organe 
de  l'éniail. 

Cette  disposition  réciproque  des 
deux  organes  qui  se  produit  dès  le 
début  de  leur  apparition  se  retrouve 
dans  toutes  les  phases  ultérieures,  l'or- 
gane de  l'émail  recouvrant  constam- 
ment le  bulbe  dont  il  suit  exactement 
tous  les  contours,  quels  que  soient  la 
forme    de  celui-ci,  le  nombre  et   la 

disposition  des  divisions  qu'il  peut  présenter.  Il  n'existe  d'ailleurs  entre  les  deux 
organes  aucune  continuité  de  tissus  à  une  époque  quelconque  du  développement. 
La  dissection  simple,  la  macération  dans  les  liquides  coagulants,  de  même  que 
l'observation  des  coupes,  établissent  surabondamment  ces  particularités.  Cette 
application  simple  à  la  surface  du  bulbe  s'arrête  toutefois  au  niveau  de  la  base 
de  celui-ci,  qui  reste  adhérent  au  tissu  ambiant,  et  l'organe  de  l'émail  se  termine 
sur  ce  point  en  se  réfléchissant  sur  lui-même  par  un  bord  arrondi. 

Si  nous  envisageons  maintenant  la  constitution  de  l'organe  de  l'émail,  nous 
voyons  que  les  éléments  primitifs,  cellules  polygonales  centrales  et  couche  corticale 
prismatique,  ont  éprouvé  des  modifications  notables  ;  on  reconnaît  en  effet  que 
le  centre  de  l'organe  est  occupé  par  des  éléments  d'une  forme  nouvelle  différant 
essentiellement  des  cellules  du  début.  Ce  sont  des  corps  étoiles  composés  d'un 


Fig.  3.  —Coupe  d'une  des  branches  du  maxillaire 
inférieur  d'un  embryon  de  mouton  de  0,082 
millimèlres  de  long  (grossissement  de  80  dia- 
mèircsj. 

c,  épithélium  buccal.  —  E,  lame  épithéliale.  — 
F,  fordon.  —  g,  organe  de  l'émail.  —  H,  bulbe. 
—  I,  début  du  la  paroi  du  follicule.  —  K,  bour- 
geon du  cordon  qui  donnera  plus  tard  nais- 
sance au  follicule  de  la  dent  pi.'rmanente. 


DENT   (physiologie). 

noyau  central  entouré  d'une  masse  transparente  ou  finement  gi-anuleuse  ramifiée 

et  anastomosée  avec  les  éléments  voisins. 
Ces  corps  étoiles  (fig.  5,  g)  n'occupent  primitivement  que    le  centre  du 

bourgeon,  les  parties  périphériques  conservant  leur  structure  première.  Plus 

lard  leur  nombre  augmente  proportionnellement  à  l'accroissement  en  volume  de 

l'organe;  mais  on  remarque  que  toujours  les  prolongements  anastomosés  sont 
d'autant  plus  longs  et  plus  ramifiés  qu'on  se  rapproche  du  centre,  tandis  qu'à 
la  périphérie  on  éprouve  quelque  difficulté  à  distinguer  ces  prolongements  qui 
sont  rudimentaires.  Les  éléments  ainsi  configurés  sont  plongés  au  sein  d'une 
masse  amorphe  translucide  coagulable  par  les  acides  et  ayant  la  consistance  et 
l'aspect  du  blanc  d'oeuf. 

La  production  des  corps  étoiles  au  sein  de  l'organe  de  l'émail  se  fait  directe- 
ment aux  dépens  des  cellules  polygonales  qui  la  composent.  Elle  a  lieu  de  la 
manière  suivante  : 

Au  niveau  des  lignes  d'intersection  des  petites  cellules  polygonales  primitives, 
on  voit  s'interposer  une  matière  amorphe  semi-liquide  qui,  augmentant  peu 
à  peu  de  quantité,  refoule  les  parois  des  cellules.  Celles-ci  perdent  dès  lors  dans 
une  grande  partie  de  leur  surface  le  contact  réciproque  qu'elles  affectaient  aupa- 
ravant, sauf  toutefois  sur  certains  points  où  elles  restent  adhérentes.  11  résulte 
immédiatement  de  ce  phénomène  que  le  corps  de  la  cellule  primitive  éprouve  des 
dépressions  multiples  s'effectuant  de  la  surface  extérieure  vers  le  noyau  central 
et  donnant  conséquemment  à  cet  élément  une  forme  étoilée. 

Dans  cette  explication,  la  matière  muqueuse  ou  albumineuse  de  formation 
nouvelle  viendrait  s'interposer  aux  éléments  primitifs  qu'elle  déprime  et  qu'elle 
tendrait  à  isoler,  s'il  ne  persistait  entre  eux  des  points  d'adhérence.  Ce  sont  les 
points  d'adhérence,  qui,  distendus  et  allongés  par  les  progrès  du  développement 
et  de  l'accumulation  de  cette  matière,  arrivent  à  constituer  ces  filaments  allongés 
qui  donnent  à  l'organe  son  aspect  spécial.  Il  est  remarquable  que  sur  les  points 
de  ces  cellules  polygonales  qui  restent  ainsi  en  contact  dans  cette  transformation 
les  lignes  d'intersection  s'effacent  par  la  soudure  entière  de  la  substance  du  corps 
des  cellules,  et  cela  de  telle  sorte  que,  même  par  l'emploi  des  divers  réactifs 
employés  pour  déceler  la  segmentation  des  cellules,  on  n'arrive  à  en  retrouver 
aucune  trace 

D'après  celte  théorie  la  pulpe  étoilée  de  l'organe  de  l'émail,  dont  nous  n'avons 
pas  à  décrire  maintenant  la  composition  intime,  résulterait  ainsi  d'une  simple 
modification  de  forme  des  cellules  polygonales  primitives  avec  soudure  intime 
sur  certains  points  de  leur  périphérie.  C'est  donc  en  quelque  sorte  passivement 
qu'elles  subiraient  ce  phénomène  de  dépression  sur  certains  points  et  d'allon- 
gement sur  d'autres.  L'organe  de  l'émail  doit  donc  être  considéré,  malgré  la 
forme  étoilée  des  éléments  qui  le  composent  comme  absolument  de  nature  épi- 
théliale.  Toutefois  le  mécanisme  que  nous  venons  de  décrire  diflere  sensible- 
ment de  celui  qu'ont  admis  Kôlliker  et  après  lui  plusieurs  anatomistes  qui  ont 
prétendu  que  les  cellules  primitivement  polygonales  pouvaient  spontanément 
prendre  la  forme  étoilée.  Notre  opinion  est  au  contraire  plus  conforme  à  celle 
de  W'aldeyer,  qui  le  premier  a  bien  examiné  et  décrit  ce  phénomène.  Déjà  bien 
antérieurement  toutefois  Huxley  avait  admis,  hypothétiquemeut,  il  est  vrai,  que 
l'orf^ane  de  l'émail  avait  une  origine  épithéliale,  mais  il  n'avait  point  indiqué  le 
mécanisme  de  cette  transformation. 

La  métamorphose  des  éléments  polygonaux  de  l'organe  de  l'émail  commence 


DENT   (physiologie).  47 

par  le  centre  et  s'étend  peu  à  peu  à  toute  la  masse  des  élcmeufs,  de  sorte  que 
les  cellules  étoilées  arrivent  au  voisinage  de  la  couche  prismatique.  Toutefois  on 
remarque  qu'en  ce  point  il  reste  toujours  une  le'gère  couche  qui  ne  suhit  qu'in- 
complètement la  transformation.  C'est  cette  couche  qui  sera  décrite  tout  à  l'heure 
et  que  nous  désignerons  avec  Kollmann  sous  le  nom  de  stratum  intermediiim 
de  l'organe  de  l'émail. 

Quant  aux  cellules  prismatiques  que  nous  avons  trouvées  identiques  de  carac- 
tères et  de  dimensions  sur  tous  les  points  de  la  périphérie  pendant  les  premiers 
temps  de  l'évolution,  elles  éprouvent  des  modifications  qui  surviennent  à  partir 
du  moment  où  l'organe  de  l'émail  a  pris,  par  suite  de  l'apparition  du  hulbe,  une 
forme  nouvelle. 

A  ce  moment,  en  effet,  les  cellules  qui  tapissent  la  partie  concave  de  l'organe 
de  l'émail  et  qui  se  trouvent  en  contact  avec  le  bulbe  éprouvent  une  augmenta- 
tion de  longueur,  tandis  que  celles  qui  occupent  la  portion  convexe  de  l'organe 
se  sont  au  contraire  notablement  atrophiées,  et  cette  différence  de  dimension 
s'accuse  de  plus  en  plus  pendant  l'existence  de  l'organe  de  l'émail  au  seiu  du 
follicule.  Nous  verrons  même  plus  tard  que  cette  couche  externe  finit  par  dispa- 
raître bien  antérieurement  à  l'atropliie  complète  de  l'organe,  tandis  que  les 
autres  persistent  pour  remplir  le  rôle  important  qui  leur  est  dévolu,  la  fonna- 
mation  de  l'émail. 

Les  cellules  prismatiques  de  la  face  concave  ou  profonde  de  l'organe  de  l'émail 
présentent  quelques  particularités  sur  lesquelles  nous  allons  appeler  l'attention. 
Primitivement  identiques  à  celles  de  la  couche  de  Malpiglii  dont  elles  dérivent 
directement,  elles  acquièrent,  outre  une  augriientalion  de  longueur,  quelques 
changements  dans  leur  forme:  l'extrémité  centrale  de  ces  cellules,  qui  répond  à 
la  partie  gélatineuse  de  l'organe,  s'amincit  et  s'effile  de  manière  à  se  terminer 
par  un  cône  dont  le  sommet  allongé  et  aminci  se  continue  ou  se  soude  avec  le 
prolongement  des  cellules  étoilées  voisines,  lesquelles  constituent  cette  portion 
de  tissu  connue  sous  le  nom  de  stratum  intermedium. 

D'autre  part,  l'extrémité  opposée  ou  périphérique,  c'est-à-dire  la  base  des 
cellules,  prend  très-régulièrement  l'aspect  de  l'extrémité  d'an  prisme,  de  telle 
sorte  que  sa  surface  de  section  est  régulièrement  hexagonale. 

Si  mai'.itenant  on  examine  à  un  grossissement  de  400  diamètres  environ  une 
rangée  nou  déformée  de  cellules,  on  remarque  que  le  bord  libre  de  cette  rangée, 
c'est-à-dire  la  partie  qui  répond  à  la  base  des  cellules,  se  présente  sous  l'aspect 
d'une  ligne  plus  claire  que  le  corps  même  de  la  cellule  et  n'offrant  en  appa- 
rence sur  les  préparations  fraîches  aucune  solution  de  coutinuiié.  Si  on  fait  le 
même  examen  sur  des  préparations  durcies  ou  si  l'on  pratique  quelques  manœu- 
vres de  dilacération,  on  arrive  à  constater  que  cette  ligne  peut  se  subdiviser  en 
autant  de  sections  qu'il  y  a  de  cellules.  Toutefois  il  peut  se  rencontrer  des  prépa- 
rations dans  lesquelles  une  portion  plus  ou  moins  étendue  de  cette  ligne  se 
détache  sous  forme  d'un  petit  lambeau  libre.  C'est  cette  disposition  purement 
artificielle,  comme  on  le  voit,  qui  a  pu  donner  lieu,  ainsi  que  nous  le  verrons 
plus  loin,  à  l'hypothèse  d'une  membrane  tapissant  extérieurement  la  couche  des 
cellules.  Nous  verrons  d'ailleurs  en  décrivant  avec  détails  ces  particularités  que 
cet  aspect  n'est  pas  spécial  et  exclusif  aux  cellules  de  l'organe  de  l'émail,  car  on 
le  retrouve  partout  où  il  existe  des  cellules  prismatiques  pourvues  de  ce  qu'on 
appelle  un /;/afeaM  ;  les  cellules  prismatiques  de  l'intestin  sont,  comme  on  le  sait, 
dans  ce  cas.  Or  il  arrive  que,  suivant  le  mode  de  traitement  des  préparations,  ce 


48  DENT  (physiologie). 

plateau  peut  rester  adliérent  isolément  à  chaque  cellule  ou  bien  soudé  à  ses 
voisins  de  manière  ù  se  détacher  sous  iorme  d'une  véritable  lambeau  membrani- 
forme. 

Quant  au  noyau  des  cellules  prismatiques  de  l'organe  de  l'émail,  son  siège  varie 
suivant  l'époque  du  développement  :  situé  au  milieu  delà  cellule  lorsque  l'organe 
de  l'émail  apparaît,  on  le  voit  se  rapprocher  de  plus  en  plus  de  l'extrémité  effilée 
ou  centrale  delà  cellule,  non  point  parce  qu'il  a  effectué  une  migration,  car  il 
ne  change  pas  déplace  en  réalité,  mais  parce  que,  l'extrémité  élargie  de  la  cel- 
lule se  développant  avec  une  grande  énergie,  il  semble  s'être  rapproché  du  côté 
opposé.  Cette  différence  de  développement  des  deux  extrémités  des  cellules  pris- 
matiques est  surtout  rem;irquable  sur  les  incisives  de  rongeurs,  chez  lesquelles  ces 
éléments  acquièrent  une  grande  longueur. 

c.  Origine  et  formation  du  bulbe  dentaire  et  de  la  paroi  folliculaire. 
Ainsi  que  nous  l'avons  vu  tout  à  l'heure,  l'organe  de  l'émail  ne  tarde  pas  à 
perdre  sa  forme  sphérique  pour  prendre  l'aspect  d'un  capuchon  ou  d'un  bonnet. 
La  dépression  qu'il  subit  coïncide  avec  l'apparition  d'une  nouvelle  partie  compo- 
sante du  follicule.  Cette  partie  est  le  bulbe  dentaire. 

Sur  le  point  du  tissu  embryonnaire  des  mâchoires  qui  correspond  à  la  dépression 
de  l'organe  de  l'émail,  on  voit  ap[)araître  tout  d'abord  une  légère  opacité.  Cette 
opacité  est  due  à  la  production  d'éléments  nouveaux  qui  se  groupent  de  manière 
à  former  d'abord  un  petit  mamelon  arrondi  de  forme  hémisphérique  et  dont  la 
convexité  répond  exactement  à  la  dépression  de  l'organe  de  l'émail.  Ce  petit 
mamelon  qui  représente  le  bulbe  dentaire  ne  conserve  cette  forme  que  pendant 
un  temps  fort  court  et  bientôt  il  accuse  nettement  par  sa  disposition  la  con- 
figuration de  la  dent  future  :  ainsi  pour  les  incisives  et  les  canines  il  prend 
une  forme  conique;  pour  les  molaires  chez  l'homme  et  les  carnassiers,  le 
mamelon  primitif  se  recouvre  bientôt  de  saillies  secondaires  en  nombre  égal 
aux  tubercules  de  la  couronne  future.  Pour  les  molaires  composées  des  herbi- 
vores et  des  rongeurs,  le  mamelon  envoie  des  prolongements  qui  représentent 
les  divisions  de  la  couronne.  Une  disposition  analogue  se  retrouve  pour  les 
incisives  à  cornets  des  solipèdes.  Dans  toutes  ces  circonstances,  l'organe  de 
l'émail,  se  laissant  pour  ainsi  dire  déprimer  par  les  saillies  simples  ou  multiples 
du  bulbe,  reste  constamment  moulé  à  la  surfiice  de  celui-ci. 

Si  le  bulbe  dentaire  accuse,  comme  nous  venons  de  le  voir,  peu  de  temps  après 
son  début,  la  forme  de  la  dent  future,  il  n'en  est  pas  de  même  de  sa  direction 
qui  est  souvent  un  peu  oblique  relativement  à  l'axe  du  follicule. 

Dans  tous  les  cas,  le  bulbe,  en  même  temps  qu'il  se  développe  eu  hauteur, 
éprouve  un  certain  rétrécissement  à  sa  base  en  forme  de  collet,  lieu  où  se 
réflécdit,  comme  nous  l'avons  vu,  l'organe  de  l'émail. 

Le  point  opaque  qui  représente  la  première  ébauche  du  bulbe  dentaire  se 
compose  uniquement  d'éléments  embryoplastiques  nucléaires  au  début,  puis  en 
corps  fusiformes  et  étoiles.  On  remarque  aussi  qu'à  ce  moment  il  pénètre  dans 
la  masse  une  anse  vasculaire  semblable  à  celle  qu'on  trouve  dans  les  papilles 
de  la  peau,  mais  nous  n'y  avons  pas  rencontré  de  nerfs  à  cette  époque  de  l'évo- 
lution ;  ceux-ci  apparaissent  lorsque  le  bulbe  a  déjà  sa  forme  mamelonnée. 

La  constitution  anatomique  que  nous  venons  de  reconnaître  au  bulbe  à  son 
début  reste  invariable  dans  tout  le  cours  du  développement.  11  est  toutefois  une 
particularité  de  sa  structure  sur  laquelle  nous  devons  insister  ici  :  c'est  la  natui-e 
de  la  superficie  de  l'organe. 


DEAT   (piiYsiOLor.iE).  49 

Si  l'on  étudie  en  effet  la  slrucliuc  du  biilhc  sur  une  coupe  verticale,  on 
reconnaît  qu'à  la  liinilc  de  l'organe  il  exi>le  une  petite  zone  claiic  (jui  par 
sa  léfringence  se  distingue  aisément  du  lissu  sous-jacent.  Cette  zone,  à  laquelle 
divers  anatomistes  ont  l'ait  jouer  uu  rôle  important,  n'est  autre  chose  qu'une 
mince  couche  de  la  matière  amorphe  bulbaire  qui  sur  ce  point  reste  dépourvue 
d'éléments  anatomiques  et  de  granulations.  Cette  couche  de  matière  amorphe, 
outre  sa  transparence,  présente  une  densité  un  peu  plus  grande  que  celle  du 
tissu  sous-jacent,  de  sorte  que  dans  les  manœuvres  de  dilacération  de  l'organe 
elle  se  détache  parfois  sous  l'aspect  de  lambeaux  assez  nets  qui  ont  pu  faire 
supposer  à  quelques  anatomistes  que  le  bulbe  était  revêtu  d'une  niendjrane 
isolai)le  [membrana  prœformativa  de  Raschkow).  Nous  dirons  plus  loin  quels 
sont  le  rôle  et  la  nature  de  cette  couche  amorphe,  mais  nous  pouvons  déjà  avancer 
que  c'est  dans  ce  milieu  (pi'apparaissent  les  cellules  dites  de  livoire. 

Dès  que  la  petite  masse  d'éléments  nouveaux  qui  constitue  le  bulbe  denlairea 
pris  la  forme  hémisphérique  que  nous  avons  signalée,  on  voit  se  détacher  de  sa 
base  deux  petits  prolongements  opaques  (|ui  paraissent  émaner  directement  du 
tissu  même  de  ce  bulbe  et  qui  se  dirigent  en  divergeant  sur  les  côtés.  Ces 
petits  prolongements  reiivésentent  la  première  trace  de  la  paroi  du  follicule 
futur  (lig.  ,'),  1). 

Si  à  ce  début  de  leur  développement  on  étudie  la  constitution  de  ces  deux 
prolongements,  on  les  trouve  exactement  composés  des  mêmes  éléments  que  le 
bulbe  dont  ils  émanent.  Puis,  à  mesure  que  celui-ci  se  développe,  ils  s'allongent., 
se  recourbent  l'un  vers  l'autre  de  manière  à  embrasser  dans  leur  double  concavité 
non-seulement  le  bulbe,  mais  aussi  l'organe  de  l'émail  qui  lui  reste,  comme 
on  sait,  constamment  superposé.  De  cette  manière  la  paroi  folliculaire,  qui  n'est 
d'abord  qu'une  sorte  de  collerette  fixée  au  collet  du  bulbe,  arrive  peu  à  peu  à 
constituer  un  sac  (|ui  enferme  et  isole  finalement  la  totalité  des  deux  organes 
de  l'émail  et  de  l'ivoire.  A  ce  moment  la  paroi  folliculaii'e  peut  être  considérée 
comme  une  sorte  de  cylindre  renllé  au  centre  dont  i*'ouverturc  profonde  répond 
à  la  base  du  bulbe,  autour  duquel  il  reste  inséré,  tandis  que  l'ouverture  opposée 
répond  au  col  de  l'organe  de  l'émail,  c'est-à-dire  au  point  oii  celui-ci  adhère 
au  cordon  épilhélial.  Enfin  ce  cordon,  sur  le  point  ipii  correspond  à  l'orifice 
du  sac  folliculaire,  se  brise  par  suite  de  la  résorption  de  ses  éléments  consti- 
tutifs, ce  qui  est  (!ù  sans  doute  à  la  compression  ou  à  l'étraiiglement  qu'il  subit, 
et  la  paroi  du  follicile  se  clôt  en  ce  point  même.  L'organe  de  l'émail  perd  ainsi 
les  connexions  qu'il  avait  conservées  jusqu'alors  avec  la  lame  épithéliale  et  le 
follicule  dentaire  se  trouve  définitivement  isolé. 

La  texture  de  cette  paroi,  composée  au  début,  ainsi  que  nous  l'avons  vu,  d'élé- 
ments embryoplastiques,  prend  peu  à  peu  l'aspect  d'une  membrane  distincte  et 
séparai  lie  des  tissus  adjacents,  sauf  toujours  de  la  base  du  bulbe  auquel  elle 
rest^  lixée. 

Kôlliker  et  la  plupart  des  auteurs  décrivent  à  cette  paroi  deux  lames  concen- 
triques et  admettent  encore  avec  Huxley  que  la  couche  transparente  qui  revêt 
le  bulbe  {membrana  prœformativa  de  Raschkow)  se  réfléchit  à  sa  face  interne 
et  la  tapisse  dans  toute  son  étendue.  Nous  étudierons  plus  loin  ces  différentes 
particularités  de  structure. 

Au  moment  du  développement  auquel  nous  sommes  arrivé  dans  notre  descrip- 
tion, le  follicule  est  achevé  et  clos.  Si  alors  nous  en  examinons  la  constitution 
générale,  nous  le  trouvons  composé  de  dehors  en  dedans  : 

DICT,   ENC.    XXVII.  4 


50  DENT  (physiologie). 

1°  De  la  paroi  folliculaire  qui  l'enveloppe  dans  toute  sa  surface,  sauf  la  base 
du  bulbe,  «jui  reste  lil)re; 

2"  De  l'organe  de  l'émail  sous-jacent  à  la  paroi  folliculaire  qu'il  suit  dans 
toute  son  étendue,  de  telle  sorte  que,  si  par  sa  face  externe  il  répond  à  cette  paroi, 
il  est  par  ^a  face  profonde  en  contact  immédiat  avec  le  bulbe  ; 

3»  hnfin  du  bulbe  lui-même  qui  occupe  le  fond  et  le  centre  du  sac  folliculaire. 

En  dehors  de  ces  trois  pari  les  fondamentales,  aucune  autre  subslance  ne 
trouve  place  dans  la  constitution  du  follicule.  L'organe  de  l'émail  remplit  en 
effet  exactement  tout  l'intervalle  compris  entre  la  paroi  et  le  bulbe  et  il  descend 
sur  les  côtés  de  celui-ci  jusqu'au  cnl-de-sac  qui  résulte  en  ce  point  de  la  réflexion 
de  la  paioi.  En  ce  dernier  lieu,  l'organe  de  l'émail  forme  aussi  un  bourrelet 
arrondi  au  niveau  du(|uel  a  lieu  cette  délimitation  entre  les  cellules  pneuma- 
tiques de  la  lace  concave  de  l'organeet  celles  de  sa  fiice  convexe.  Cette  délimitation 
n'est  d'ailleurs  pas  arliliciclie;  i-lle  résulte  d'une  part  de  différences  anatoraiques 
et  d'autre  part  du  rôle  physiologique  auquel  sont  appelées  les  cellules  de  la 
face  profonde,  tandis  qne  la  conclie  externe  s'atrophie  rapidement  et  disparaît. 
(]'est  cette  couche  iirismatiipie  profonde  qui  constitue,  ainsi  que  nous  le  verrons, 
la  rangée  des  ecllules  de  l'émail  [mrnihrane  adamantine,  adainantobla^te^)  : 
aussi  persistc-t-elle  très-longtemps  dans  la  composition  du  follicule  non-seule- 
ment ajjrcs  la  disparition  de  la  courbe  externe,  mais  même  après  l'atrophie  de 
la  partie  gélatineuse  de  l'organe  de  l'émail,  .ajoutons  de  suite  que  chez  les  ron- 
geurs, dont  les  incisives  croissent,  comme  on  sait,  d'une  manière  continue,  celli^ 
couche  de  cellules  subsiste  pendant  toute  la  vie  sur  une  partie  de  la  face 
antérieure  ou  convexe  de  ces  dents. 

Celte  con-litulion  du  follicule  composé  de  trois  parties  fondamentales  paraît 
être  propre  au  follicule  de  l'homme,  des  carnivores  et  en  général  de  tous  les 
niamnnfères  dont  les  dents  sont  dépourvues  de  cément  coronaire;  mais,  si  l'on 
vient  à  observer  un  follicule  chez  un  embryon  de  solipède,  ou  constate  que  même 
longteni|)s  avant  la  formation  du  premier  chapeau  de  dentiue  il  existe  entre  la 
paroi  et  les  nrganes  sous-jacents  un  nouveau  tissu  bien  distinct  des  parties  voi- 
sines par  sa  couleur,  sa  consistance  et  sa  composition  intime  :  c'est  cet  organe 
auquel  sera  dévolu  ultérieurement  le  rôle  de  la  formation  du  cernent.  Nous 
n'avons  pas  à  le  décrire  ici,  car  il  n'apparaît  chez  certaines  espèces  spéciales 
i[u'après  rachèvcmeut  de  la  formation  du  follicule.  Nous  l'étudierons  plus  loin 
avec  détails.  Ce  que  nous  voulons  simplement  élablir  dès  à  présent,  c'est  sou 
existence  incontestable  dans  les  follicules  des  dents  à  cément  coronaire.  Ce  fait 
est  tellement  précis  que  dans  le  simple  examen  d'un  follicule  on  peut  par  la 
constatation  de  la  présence  ou  de  l'absence  de  cet  organe  conclure  que  la  dent 
future  présentera  ou  ne  présentera  pas  de  cément  coronaire. 

Le  follicule  dentaire,  dont  toutes  les  parties  composantes  sont  ainsi  groupées 
et  réunies  dans  un  même  sac,  a  une  forme  générale  ovoïde.  Son  volume, 
très-vaiiable  suivant  les  espèces  animales  et  la  nature  des  dents  auxquelles  il 
correspond,  ne  saurait  être  déterminé  d'une  manière  exacte.  Une  fois  achevé 
il  reste  inclus  au  sein  du  tissu  embryonnaire  des  mâchoires  avec  lequel  il 
conserve  une  certaine  continuité  de  tissu,  du  moins  au  déhut.  Isolé  ainsi  dans 
la  profondeur  des  mâchoires  il  a  perdu,  par  la  rupture  du  cordon,  sa  commu- 
nication avec  la  muqueuse,  et  il  n'en  présente  pas  encore  avec  l'os  maxillaire, 
car  la  formation  des  cloisons  alvéolaires  ne  s'effectue  que  plus  lard. 

Le  réseau  vasculaire  qui  se  ramifie  dans  le  follicule   provient  de  diverses 


DENT   (physiologie).  SI 

sources  et  pénètre  du  tissu  ambiant  dans  le  bulbe  dentaire  et  dans  la  paroi, 
tandis  que  l'organe  de  l'émuil  est,  comme  on  sait,  dépourvu  de  vaisseaux. 

La  direction  lin  follicule,  c'est-à-dire  le  grand  axe  de  l'ovoïde  qu'il  représente, 
est  assez  variiible  :  régulièrement  vertical  chez  l'homme  et  les  carnivores,  il 
présente  chez  les  herbivores  une  certaine  oblicjuité  principalement  marquée  pour 
les  follicules  des  incisives.  Ceux-ci  ont  en  effet  une  direction  oblique  et  diver- 
gente comme  en  éventail,  ce  qui  est  d'nilleurs  tout  à  fait  conforme  à  l'incli- 
naison même  de  l'arcade  alvéolaire.  On  peut  d'ailleurs  dire  (|ue,  d'une  manière 
générale,  l'axe  du  follicide  est  déterminé  par  l'iixe  du  bulbe  et  qu'il  est  rigou- 
reusement identique  à  celui  dn  bord  alvéolaire  pour  chatjue  espèce  en  particulier. 
Quant  à  son  siège  au  sein  des  màchoiies,  il  diffère  également  suivant  les 
espèces  :  assez  rapproché  de  la  muqueuse  chez  l'homme,  les  carnivores  et  les 
solipèdes  chez  bsquels  le  cordon  épiihélial  est  conséqncmment  court,  il  est 
situé  plus  profondément  chez  les  herbivores  {agneau,  veau),  et  le  cordon  dans 
ce  cas  acquiert  une  longueur  proportionnelle. 

d.  Phénomènes  consécutifs  à  la  formation  du  follicule  et  à  la  rupture  du 
cordon  épithélial.  Aussitôt  que  le  follicule  dentaire  se  trouve  clos  et  isolé 
après  la  rupture  du  cordon  épithélial,  divers  phénomènes  se  produisent  au 
dehors  de  cet  organe,  au  sein  du  tissu  embryonnaire  ambiant,  dans  la  région 
comprise  entre  le  sommet  du  follicide  et  la  couche  épidernn'que  de  la  gencive. 
Ces  phénomènes  ont  pour  sièges  princi[taux  la  lame  épilhéliale  el  le  cordon  lui- 
même. 

En  effet,  la  lame  épitbélialc,  une  fois  priv.'e  de  sa  continuité  avec  le  follicule, 
devient  le  centre  d'une  véritable  multiplication  des  éléments  qui  la  composent. 
Cette  miilliplicatiDU  amène  la  production  de  bourgeons  irrégulicts  se  dirigeant 
dans  diflérents  sens  au  sein  du  tissu  end)ryûnnaire.  Ces  bourgeonnements  ont 
les  formes  les  pins  diverses  :  tantôt  ce  sont  de  simples  cylindres  lestant  unis 
par  un  pellicule  plus  ou  moins  étroit  à  la  lame  primitive  ;  tantôt  ce  pédicule 
se  résorbe  et  une  masse  épithéliale  se  trouve  ainsi  isolée. 

Ces  masses  sont  formées  uniqucmcMit  de  grandes  cellules  polygonales  sr ni- 
blal  les  à  celle-  qui  se  trouvent  au  centn^  de  la  lame  épilhéliale,  mais  elles  n'ont 
jamais  comme  celle  dernière  une  enveloppe  de  cellules  prisnuitiques.  Très- 
fréquemment  en  outre  des  groupes  de  ces  éléments  affectent  la  forme  de  globes 
épidermiques  en  tout  point  semblables  à  ceux  qu'on  rencontre  parfois  au  sein  de 
la  lame  épithéliale  elle-même.  Ce  sont  ces  diverses  dispositions  qui  rendent 
compte  de  la  |  régence  de  ces  masses  épilhéliales  de  formes  si  variées  et  jusqu'ici 
inexpliquées  qu'on  rencontre  dans  presque  toutes  les  coupes  pratiquées  sur 
les  micboires  à  cette  époque  de  l'évnlulion. 

Ces  phénomènes  de  bourgeonneaicnis  s'arrêtent  à  un  certain  moment  qui 
paraît  loujours  antérieur  à  l'époque  d'appaiilion  de  l'ivoire  dans  le  follicule,  et 
alors  tiius  les  débris  et  la  lame  elle-mênie  rpronvenl  une  résorption  graduelle 
qui  amène  leur  disparition  complète  avant  le  développement  achevé  de  la  dent. 

En  même  temps  que  les  phénomènes  que  nous  venons  d'indi|uer  se  sont 
effectués  aux  dépens  de  la  lame  épithéliale,  le  cordon  subit  de  son  côté  une  série 
de  modifieations  absolument  anjlognes.  De  ces  débris  du  cordon  partent  dans 
divers  sens  des  prolongements  parfois  très-nombreux,  comme  nous  l'avons 
constaté,  par  exemple,  dans  certaines  préparations  d'embryons  de  vean,  La 
persistance  de  ces  phénomènes  est  assez  giande,  puisqu'on  peut  les  observer 
jusqu'à  une  époque  voisine  de  l'éruption. 


52  DEA'T   (physiologie). 

La  forme  générale  de  ces  bourgeonnements  peut  varier:  tantôt  ils  apparaissent 
sous  l'aspect  d'une  sorte  de  bouquet  dont  le  pied  répond  au  sommet  des  folli- 
cules et  dont  la  masse  s'étale  et  s'épanouit  en  s'élargissant  jusqu'au  voisinage 
de  l'épiderme.  D'autre  fois  ils  iorment  par  une  foule  d'anutomoses  réciproques 
un  véiilable  réseau,  au  milieu  duquel  on  retrouve  encore  quelques  masses  qui 
restent  isolées. 

L'ensemble  de  ces  bourgeonnements  épilliéliaux  «diversement  groupés  ou 
anastomosés  ne  suit  pas  néces-sairement  la  direction  de  la  lame  ou  du  cordon  et 
ordinairement  on  les  voit  se  diriger  plus  manifestement  vers  la  surface  tégu- 
menlaire. 

Tous  ces  débris  sont  invariablement  formés  de  petites  cellules  polyédriques 
juxtaposées  cl  tout  à  fait  semblables  à  celles  du  cordon,  avec  celte  pailicularité 
déjà  signalée  pour  les  débris  de  la  lame  qu'on  n'y  retiouve  point  le  revêlement 
de  cellules  prismatiques,  (pii  tapissait  le  cordon  lui-même. 

Les  bouigcons  du  cordon  ont  un  diamètre  variable  :  quelques-uns  sont 
extrêmement  minces  et  se  composent  d'une  rangée  unique  de  cellules;  d'autres 
affectent  l,i  forme  de  rendements  contenant  plusieurs  couches  superposées  de 
ces  éléments,  mais  jamais  on  n'y  rencontre  les  grandes  cellules  et  bs  globes 
épid('rmi(|ues  dont  nous  avons  recomui  la  présence  dans  les  débris  de  la  lame. 

De  uK'me  (jnc  les  débris  de  la  lame  épiiliéliale,  ceux  du  cordon,  après  avoir 
éprouvé  ces  ninltiplicalions,  se  résorbent  graduellement,  puis  disparaissent  vers 
l'éjioque  qui  correspond,  ainsi  que  nous  l'avons  dit,  à  la  période'  de  piogressioii 
de  la  (lent  du  fond  de  la  gouttière  vers  l'extérieur,  c'est-à-dire  à  l'éruplion. 

Pendant  qut;  ces  pliénomcnes  de  bourgeonnements  s'eflécluent  aux  dépens 
des  débris  du  cordon  on  remarque  que  des  dispositions  analogues  se  sont 
produites  à  la  surface  extérieure  de  la  paroi  folliculaire  :  ces  deux  séries  de 
phénomènes  sont  d'ailleurs  simultanées. 

En  eirel,si  l'on  prali  |ue  uncoiipeverticaledelarégion  comprise  entre  le  sommet 
d'un  follicule  et  la  surface  épidcruiiqiie  evt  rieure  peu  de  temps  après  la  rupture 
du  conion,  on  reconnaît  (pie  les  débris  de  ce  cordon  même  se  continuent  et  se 
confondent  avec  des  bourgeons  qui  sont  adhérents  à  la  paroi.  Ceux-ci  ont  les 
formes  les  plus  variées  :  ce  sont  le  plus  ordinairement  des  renllenients  ou 
cylindres  plus  ou  moins  longs,  terminés  par  une  extrémité  arrondie,  quelquefois 
pourvus  d'une  sorte  du  pédicule  et  occupant  sur  la  paroi  du  follicule  une  région 
qui  correspond  à  peu  près  à  la  moitié  de  la  surface  tournée  vers  la  muqueuse. 
C'est  au  point  le  plus  élevé  ou  sonmiet  du  follicule  qu'ils  sont  le  plus  abondants 
et  leur  non  bre  diminue  peu  à  peu  sur  les  côtés.  Ces  bourgeons  s'anatomosent 
transvei salement  soit  entre  eux,  soit  avec  ceux  qui  dépendent  du  cordon,  et 
cela  de  telle  sorte  que,  si  l'on  examine  non  plus  une  coupe  verticale,  mais  la  sur- 
face même  du  lollicule,  on  aperçoit  une  sorte  de  réseau  à  mailles  très-irrégu- 
lières  et  qui  se  superpose  à  la  façon  d'un  filet  à  la  paroi  folliculaire. 

La  constitution  analomique  de  ces  bourgeons  de  la  paroi  ne  dillère  en  rien 
de  ce  que  nous  avons  indiqué  pour  les  débris  du  cordon.  Ces  sont  les  mêmes 
cellules  polyédriques  de  petite  dimension,  sans  parement  de  cellules  |  risnia- 
tiques.  Cette  identité  de  stiucture  résulte  de  ce  que  ces  masses  épiihéliales  de 
la  paroi  sont  la  continuation  des  débris  mêmes  du  cordon  qui  sont  Ks  plus 
voisins  des  follicules  et  qui  se  propagent  ainsi  de  proche  eu  proche  pour  con- 
stituer aux  lollicules  ce  revêtement  réticulé. 

Cet  ensemble  de  phénomènes  de  prolifération  épilhéliale  répond  donc  à  un 


DEA'T   (phvsiologie).  65 

seul  et  même  processus.  La  lame  cpilhéliale  est  eu  le  siège  primitif,  puis  ils 
se  répandent  de  là  dans  le  cordon  et  enlin  jnsqu'à  la  surface  de  la  [taroi  l'ollicu- 
laire.  Il  y  a  coiiliuLUté  directe  entre  eux,  ils  otlrent  la  même  constitution  aua- 
tomique  et  tous  finissent  par  se  résorber  entièrement  et  disparaître. 

C'est  à  la  persistance  accidentelle  de  ces  masses  cpitliéliales  an  sein  des 
mâchoires  et  au  delà  des  limites  de  la  vie  fœtale  que  M.  Verneuil  a  cru  pouvoir 
attribuer,  dans  une  théorie  récente,  le  point  de  départ  de  l'épithélionia  central 
des  maxillaires. 

Nous  avons  indiqué  plus  haut  l'époque  à  laquelle  débutent  ces  phénomènes 
de  bourgeonnement.  C'est  au  moment  oii  le  cordon  épitliéllal  a  achevé  son  trajet 
et  porté  l'organe  de  l'émail  au  point  où  il  effectuera  son  évolution  ultérieure 
et  peu  de  temps  après  la  formation  du  bourgeon  du  follicule  délinilif.  Quant 
à  leur  dis|:arilion,  elle  correspond  à  une  période  variable  suivant  bs  espèces 
animales.  Dans  l'embryon  humain  on  retrouve  les  débris  du  cordon  des  folli- 
cules primitifs  jusqu'au  delà  de  l'époque  de  formation  des  follicules  permanents, 
et  c'est  vraisemblablement  pendant  le  mouvement  d'éruption  (pie  ces  bourgeonne- 
ments s'atrophient.  H  en  est  à  peu  près  de  même  chez  le  chien.  Sur  les  inibryons 
de  veau  et  d'agneau,  il  nous  a  semblé  ijue  cette  disparition  était  notablemeni 
plus  précoce,  mais  nous  croyons  pouvoir  dire  d'une  manière  générale  que 
c'est  vers  l'époque  de  l'éruption  qu'ils  disparaissent. 

La  signification  physiologique  de  ces  phénomènes  nous  paraît  difficile  à 
déterminer.  IVous  n'avons  pas  d'opinion  personnelle  à  cmctire  à  cet  égard; 
toutefois  nous  dirons  qu'en  raison  de  leur  mode  d'évolution  et  de  leur  structure 
on  ne  saurait  leur  attribuer  aucun  rôle  quelconque  de  nature  glandulaire,  ainsi 
qu'on  l'a  indiqué.  On  sait  en  effet  que  Seires  avait  décrit  dans  l'épaisseur  de  la 
muqueuse  des  mâchoires  des  glandes  spéciales,  glandes  tartaricjues,  idée  à 
laquelle  s'étaient  rattachés  Ivolliker,  Todd,  Bowman,  et^;.  Cette  opinion  est 
inadmissible  en  raison  de  la  nature  anatomique  de  ces  masses  épithéliales 
et  en  outre  parce  que  la  production  du  tartre  répond  à  un  tout  autre  phéno- 
mène. 

Pendant  que  toutes  ces  modifications  s'effectuent  aux  dépens  des  débris 
épitbéliaux  du  cordon  et  de  la  lame,  le  tissu  embryonnaire  dans  lequel  sont 
plongés  les  follicules  change  aussi  de  nalure  et  l'on  y  rencontre  des  éléments 
lamineux  formant  un  réseau  lâche  et  transparent.  Le  tissu  osseux  du  maxillaire 
dont  on  n'apercevait  aucune  trace  à  l'époque  de  la  naissance  du  cordon  primitif 
se  produit  en  premier  lieu  vers  la  base  du  follicule  où  il  prend  bientôt  la  forme 
d'une  bande  continue  qui  a  pour  rôle  immédiat  de  séparer  par  une  cloison  hori- 
zontale la  gouttière  des  follicules  du  canal  réservé  aux  vaisseaux  et  au  nerf  den- 
taires. De  cette  bande  primitive  se  détachent  ensuite  latéralement  deux  prolon- 
gements qui  s'élèvent  sur  les  parois  des  mâchoires  et  complètent  la  froullière 
folliculaire  qui  reste  longtemps  unique,  c'esl-à-dire  sans  subdivisions  alvéolaires. 
Ce  n'est  que  plus  taid  après  le  début  du  développement  de  la  couronne  que 
les  cloisons  secondaires  se  sont  formées  et  ont  constitué  à  chaque  follicule  une 
loge  qui  n'est  ouverte  que  vers  la  muqueuse. 

Le  système  vasculaire  du  tissu  qui  entoure  le  follicule  est  extrêmement  riche 
et  les  anses  vasculaires  arrivent  jusqu'au  contact  de  la  paroi  dans  l'intérieur  de 
laquelle  elles  se  ramifient  jusiju'à  la  limite  de  l'organe  de  l'émail. 

Quant  au  bulbe,  sa  vascularisatiou  est  entièrement  distincte  sans  anatomoses 
avec  le  réseau  précédent.  Nous  aurons  du  reste  l'occasion  de  revenir  ultéi'ieure- 


bi  DENT   (physiologie), 

ment  sur  ces  particularités  quand  nous  traiterons  de  la  morphologie  et  de  la 
structure  du  follicule. 

e.  Lieu  et  mode  d'origine  (lu  follicule  des  dents  permanentes.  Le  problème 
de  l'origine  du  follicule  des  dents  permanentes  est  un  de  ceux  qui  ont  le  plus 
attiré  l'atlenlion  des  derniers  auteurs  qui  ont  étudié  l'évolution  des  dents.  C'est 
aussi  l'un  de  ceux  que  nous  avons  poursuivis  avec  le  plus  de  soin  et  de  patience, 
et  nous  pouvons  dire  que  nous  avons  réussi  à  le  déterminer  avec  la  plus  grande 


rigueur. 


Depuis  les  travaux  de  Goodsir,  la  plupart  des  anatomistes  avaient  admis  sans 
examen  et  sans  contrôle  que  le  follicule  des  dents  secondaires  naissait  d'un  repli 
du  sac  qui  représentait  le  follicule  primitif.  Cette  explication  n'est  pas  plus 
conforme  aux  faits  que  la  théorie  de  la  formation  du  sac  des  dents  temporaires 
|)ar  un  renversement  de  la  muqueuse.  ÎNous  avons  déjà  cx})rimé  notre  opinion 
sur  cette  hypothèse  et  nous  y  l'eviendrons  en  terminant  ce  travail.  La  théorie  de 
Goodsir  restera  donc  aussi  erronée  pour  ce  qui  regarde  les  dents  permanentes 
que  pour  les  dents  temporaires. 

Nous  devons  dire  toutefois  que  Kolliker  et  Waldeyer  se  sont  approchés  de  la 
vérité  en  indicpiiuit  et  en  figurant  certains  prolongeniciils  du  cordon  primitif 
destiné  à  devenir  le  cordon  secondaire,  mais  dans  le  plus  récent  des  travaux  publiés 
en  Allcm;igne,  celui  de  Kollmann,  l'explication  précédente  n'est  pus  adoptée,  et 
cet  anatomisle  fait  provenir  le  cordon  des  dents  permanentes  des  débris  du 
cordon  primitif  qui,  après  sa  rupture,  produit  ces  divers  hourgeonnenienls  ou 
masses  épilhéliales  que  nous  avons  décrits  plus  haut.  C'est  de  l'un  de  ces  débris 
que  partirait  le  cordon  destiné  à  représenter  l'organe  de  l'émail  de  la  dent 
future.  C'est  encore  de  cette  manière  que,  d'après  Kollmann,  s"e.\pli(|uerait  la 
production  des  dents  surnuméraires.  Cette  nouvelle  théorie  est  également  er- 
ronée, el  si  l'auteur  allemand  s'est  laissé  séduire  par  quelques  apparences  de 
nature  à  donner  créance  à  son  opinion,  c'est  qu'il  a  négligé  de  suivre  rigoureu- 
sement dans  leurs  phases  physiologiques  successives  les  phénomènes  de  celte 
évolution  spéciale. 

En  effet,  le  mode  d'origine  des  follicules  des  dents  permanentes  est  un  phé- 
nomène complexe  en  ce  sens  qu'il  n'est  pas  identique  pour  toutes  les  dents 
de  la  seconde  dentition.  Il  est  tout  dilférent  suivant  que  telle  dent  perma- 
nente a  été  précédée  d'un  follicule  temporaire  correspondant,  ou  que  telle 
autre  est  apparue  au  sein  des  mâchoires  en  l'absence  de  toute  dent  temporaire 
préalable.  11  y  a  donc  là  une  première  distinction  importante  à  établir,  et  tandis 
que  vingt  dents  permanentes  correspondant  aux  vingt  dents  de  première  denti- 
tion se  forment  d'une  façon  identique,  les  douze  autres,  qui  sont  les  molaires  de 
l'âge  adulte,  apparaissent  par  un  mode  différent  de  genèse. 

C'est  sur  un  nombre  considérable  d'embryons  de  mammifères  répondant  à 
toute  la  série  des  phases  successives  du  développement  qu'il  nous  a  été  possible 
de  fixer  les  faits  que  nous  allons  établir  : 

Si  l'on  étudie,  par  exemple,  des  coupes  pour  l'examen  microscopique  pratiquées 
sur  des  mâchoires  d'embryon  humain,  mesurant  20  centimètres  du  vertex  aux 
talons,  on  constate  qu'il  existe  constamment  au  niveau  du  point  de  jonclioa  du 
cordon  primitif  avec  l'organe  de  réniail  de  la  dent  temporaire  un  bourgeon  en 
forme  de  cylindre  plus  ou  moins  renflé  à  son  extrémité,  ce  qui  lui  donne  l'aspect 
d'une  petite  massue  (fig.  4,  K).  Un  faible  grossissement  de  100  à  !200  diamètres 
permet  de  le  voir  très-nettement.  Ce  bourgeon  se  dirige  plus  ou  moins  verti- 


DENT   (physiologie^.  -j"» 

calement  vers  la  partie  profonde  des  mâchoires  entre  la  paroi  osseuse  alvéolaire 
et  le  follicule  primitif  sur  la  face  interne  ou  buccale  de  celui-ci.  Il  est  constitué 
des  mêmes  éléments  que  le  cordon  primitif,  tlont  il  n'est  en  réalité  (ju'un  véri- 
table bourgeonnement;  ce  sont  les  mêmes  cellules  polygonales  recouvertes  d'une 
couche  uni([ue  de  cellules  prismatiques.  C'est  ce  bo\irgeon  qui  représente  la 
première  ébauche  des  dents  permanentes;  chacun  des  vingt  lollicules  de  la 
première  dentition  présente  on  effet  à  la  même  époque  un  phénomène  de  genèse 
identique,  et  c'est  de  la  sorte  à  un  fait  physiologique  imifurme  que  les  dents  de 
la  première  denlitiou  doivent  leur  remplacement  par  un  nombie  égal  de  dents 
de  la  seconde. 

Aussitôt  que  ce  bourgeon  a  pris  un  certain  développement,  on  peut  suivre 
aisément  les  phénomènes  ulté- 
rieurs dont  il  est  le  siège.  On  le 
voit  alors  s'enfoncer  profondément 
au  fond  de  la  gouttière  dentaire, 
puis  il  s'isole  du  follicule  primi- 
tif par  une  rupture  qui  a  lieu  au 
point  de  jonction,  primitivement 
siège  de  sa  naissance  (fig.  5,  E). 
De  la  sorte,  le  follicule  primitif 
devient  indépendant  de  toute  con- 
nexiofk  du  voisinage,  tl  continue 
ainsi  son  évolution  individuelle, 
tandis  que  le  bourgeon  secondaire 
reste  adhérent  au  cordon  primitif 
et  par  lui  à  la  lame  épiihéliale  et 
à  la  muqueuse.  C'est  ce  dernier 
état,  observé  sans  tenir  compte 
des  phases  antérieures  et  despha« 
ses  ultérieures  du  développement, 
qui  a  pu  faire  croire  que  le  cor- 
don des  dents  permanentes  nais- 
sait des  débris  du  cordon  primitif 
ou  directement  de  la  lame  épithé-   ^%  '''■  -*'"'f"'  '!'"""  '"■'':'=''°  ':!'  ■"^^^iH';''-  infcnem- 

r  a  un   cmhryon    liumain    de   O/io    centirnclres   dans   la 

liaie.  région  incisive  (giossisseriicnt  do  80  diainctics). 

La  descente  du  bourgeon  se-  a,  Can,lage,le  MocUel.- (,.EpiU.éliumlmrca1.-c,  Coupe 
COndaire  est  bientôt  suivie  de  toute  ^'^  l'anère  demairc.  —  c\  Coupc  de;  nerfs.  —  rf,  Traces 
1  '  •  j  1  '  '  osseuses  alvcoliiios.  —  E,  Cordon  du  fùllicule  tempo- 
la  série  des  phénomènes  communs  raire  séparé  du  follicule  corre^ponda,,..  -  g,  Cyane  de 
à  toute  évolution  folliculaire,  c'est-  l'émail  du  folUculc  temporaire.  —  11,  Uiillic  sunuonlé 
^  1-  I  •  1'  L  /i,  '''^"  petit  chapeau  de  dcnlinc.  —  K,  Cordon  du  fol- 
a-dire  la   naissance  d  un  bulbe  sur  Hcuie  de  la  dent  permanente. 

le  point  culminant  de  la  masse 

que  termine  le  bourgeon,  devenue  organe  de  l'émail,  son  enfoncement  pour 
loger  l'organe  nouveau,  l'apparition  de  la  paroi  folliculaire  qui  s'élève  sur  les 
côtés  pour  atteindre  le  col  du  nouvel  organe  de  l'émail  et  constituer  par  sa 
soudure  le  follicule  secondaire,  etc. 

Pendant  le  temps  que  mettent  à  s'accomplir  ces  phases  de  développement,  on 
voit  survenir  certaines  modifications  dans  les  régions  qui  avoisinenl  le  follicule 
primitif;  au  niveau  du  point  oii  se  sont  effectués  la  rupture  du  cordon  secondaire 
et  l'isolement  du  follicule  primitif,  le  tronçon  du  cordon  qui  reste  adhérent  à 


j)0  DENT   (physiologik). 

ce  dernier  devient  le  siège  de  ces  fragmentafions  avec  bourgeonnement  et 
muli|ilicalioa  dos  débris,  sur  lesquels  nous  avons  longuement  insisté  dans  le 
paraij;ra|)lic  précédent.  L'époijue  qui  coirespoiid  au  début  de  ces  pbénomenes  est 
celle  oîi  l'emlirjon  bun)ain  mesure  25  conlimctres. 

Chez  les  embryons  d'autres  mammifères,  ces  faits,  qui  ont  toujours  pour  point 
de  départ  le  moment  de  la  rupture  du  cordon,  nous  ont  paru  se  iiroduire  un 
peu  plus  lot  relativement  à  h  durée  de  la  gestation.  Il  en  est  ainsi  chez  le 
cheval  et  le  veau.  En  outre,  chez  ces  animaux  le  bourgeon  secondaire  naît  sur 
un  point  un  peu  plus  éloigné  du  follicule  primitif,  c'est-à-dire  dans  le  parcours 
du  cordon  de  la  lame  épithéli.ile  au  sonmiet  de  celui-ci;  le  mouton  est  égale- 
ment dans  ce  cas.  Quelques  dilTérences  ^'observent  aussi  relativement  à  la  direc- 
tion (le  ce  cordon  secondaire  dans  les  diilérenles  esjièces.  Ainsi,  tandis  que  chez 
riionmie  nous  lui  avons  leconnu  une  direction  verticale,  chez  les  heibivores  il 
affecle  une  direction  très-obli(iue,  de  telle  sorte  que,  parti  tlu  côté  externe  non 
loin  de  la  lameépithéliale,  avec  laquelle  il  reste  en  connexion,  il  passe  au-dessus 
du  follicule  temporaiie,  suivant  une  ligne  courbe  qui  le  conduit  du  côté  interne 
de  ce  dernier.  On  peut  voir  nettement  cette  disposition  sur  les  coupes  de 
mâchoires  de  veau,  de  mouton  et  de  cheval,  dans  la  région  incisive. 

L'origine  et  la  direction  de  ce  cordon  secondaire  n'entraînent  pas  un  rapport 
absolu  avec  sa  longueur,  car  chez  l'honmie,  où  sa  direction  est  verticale,  il  est 
plus  long  que  chez:  le  cheval,  où  il  est  ccnviligne;  d'une  manière  générale  sa 
dimension,  ainsi  que  celle  du  cordon  primitif,  est  subordonnée  à  la  h;iuteur 
même  du  bord  alvéolaire  et  à  la  direction  du  follicule  lemporaiie.  i-hez  l'homme, 
chez  les  carnivores,  celte  hauteur  est  relativement  plus  considérable  et,  de 
plus,  l'obliquité  si  grande  qu'affectent  les  Ibllicules  primitifs  des  incisives  des 
herbivores  permet  au  bjurgeon  secondaire  de  franchir  directement  l'arc  maxil- 
laire pour  se  placer,  après  un  trajet  fort  court,  au  côté  interne  du  follicule  anté- 
rieur, et  il  y  effectue  son  évolution  complète. 

Dans  sa  progression  au  sein  des  mâchoires,  le  cordon  du  follicule  secondaire 
offre  une  forme  spéciale;  il  est  constamment  disposé  en  spirale,  et  son  aspect 
rappelle  parfaitement  celui  des  j^landes  sudoripares  dans  leur  trajet  épiderniique. 
Cette  physionomie  pailiculière  est  tellement  accusée  pour  le  cordon  des  dents 
permanentes  qu'elle  devient  un  caractère  propre  à  le  distinguer  du  cordon  teni- 
])oraire,  lequel  peut  décrire  quelques  sinuosités,  mais  n'est  jamais  si  franche- 
ment sj)iroide. 

Cette  dillérence  a  d'ailleurs  pour  explication  la  nécessité  pour  le  cordon 
secondaire  de  parcourir  un  trajet  plus  long  dans  un  maxillaire  plus  développé 
et  de  conduire  le  follicule  futur  jusqu'au-dessous  du  follicule  temporaire. 

Les  llexuosités  spiroïdes  du  cordon  secondaire  sont  surtout  très-marquées  au 
voisinage  de  son  point  d'origine  et  dans  la  première  moitié  de  son  trajet,  puis, 
quand  on  se  rapproche  de  son  extrémité,  elles  diminuent  et  disparaissent  enfin 
complètement  pour  faire  place  à  un  petit  renflement  arrondi  en  forme  de 
massue,  qui  rappelle  exactement  la  disposition  que  nous  avons  décrite  à  l'extré- 
mité du  cordon  primitif,  ce  renflement  représentant  Yorgane  de  l'émail  de  la 
dent  permanente  (fîg.  5,  1\). 

Lorsque  la  série  des  pliénomèncs  évolutifs  a  amené  le  follicule  nouveau  au 
moment  où  chez  l'homme,  par  exemple,  le  bulbe  est  apparu  unicuspidé  pour  les 
incisives  et  canines,  multicuspidé  pour  les  molaires,  certaines  particularités  se 
produisent  au  sein  du  cordon  épithélial  :  celui-ci,  dont  la  séparation  avec  le 


DENT  (physiologie).  57 

follicule  primitif  est  déjà  effectuée  depuis  quelque  temps,  se  rompt  à  son  tonr 
sur  uu  point  de  son  tnijet  au  milieu  des  ilexuosilcs  ou  spires  qu'il  présente. 
C'est  alors  que  le  follicule  secondaire  ainsi  que  le  primitif  se  trouvent  séparés  de 
toute  connexio  i  pendant  toutes  les  phases  ultérieures  de  leur  évolution.  Cette 
rupture  est  bientôt  suivie  de  nouvelles  subdivisions  dans  la  substance  même 
du  cordon  qui  semble  se  désagréger  en  fragments  de  volume  varié.  Ces  frag- 
ments s'allongent  et  bourgeonnent  dans  divers  sens,  de  telle  sorte  que  ces  pro- 
longements épiihéliaux  se  mêlent  et  se  confondent  avec  ceux  du  cordon  primitif, 
s'anastomosent  avec  eux  et  arrivent  à  former  dans  cotte  région  une  sorte  de 
réseau  à  mailles  parfois  très-serrées  et  qui  se  prolongent  jusqu'au  contact  de 
la  paroi  folliculaire  avec  les  bourgeons  qui  la  recouvrent.  Enfin,  toutes  ces 
masses  épiihéliales,  après  avoir  proliféré  et  végété,  s'atrophient  et  dispa- 
raissent. 

Tel  est  le  mode  de  genèse  des  follicules  des  dents  permanentes  précédées  de 
dents  temporaires  correspondantes.  Vingt  dents  sont  dans  ce  cas,  mais,  s'il  s'agit 
de  celles  qui  naissent  d'emblée  en  arrière  de  la  série  des  dents  caduques,  c'est- 
à-dire  des  molaires  adultes,  le  mode  d'origine  n'est  plus  le  même.  En  effet,  la 
première  molaire  permanente,  dont  on  \oit  déjà  le  follicule  assez  développé 
pendant  la  vie  fœtale,  naît  d'un  cordon  épitliélial  qui  pieiid  sou  origine  direc- 
tement à  la  lame  épithéliale,  et  son  cordon  pénètre  au  sein  du  tissu  embryon- 
naire dans  une  région  où  il  ne  rencontre  aucun  follicule  antérieur. 

Pour  la  seconde  molaire,  le  phénomène  revient  au  mécanisme  des  dents  de 
la  première  série,  car  c'est  par  un  diverticulum  du  cordon  de  la  première 
molaire  que  se  produit  le  follicule  de  la  seconde.  Ces  deux  dents  sont  donc  en 
quelque  sorte,  l'une  à  l'autre,  comme  une  dent  caduque  à  une  permanente. 
Seulement,  comme  la  seconde  se  loge  en  arrière  et  non  au-dessous  de  la  pre- 
mière, le  cordon  épitliélial  ne  prend  pas  la  direction  descendante  ou  verticale, 
mais  se  porte  d'abord  horizontalement  pendant  un  certain  trajet  pour  s'infléchir 
au  delà  du  follicule  et  se  placer  au  bout  de  la  rangée. 

Quant  à  la  dernière  molaire,  ou  dent  de  sagesse,  sa  naissance  s'effectue  par 
un  mécanisme  analogue  à  celui  (pie  nous  venons  d'étudier,  c'est-à-dire  que  le 
cordon  épitliélial  qui  donne  naissance  à  son  organe  de  l'émail  e?t  une  éni.inatioii 
du  cordon  de  la  seconde  molaire.  Toutefois  nous  devons  dire  que  la  constatation 
de  cette  origine  a  rencontré  beaucoup  de  difficultés  en  raison  du  siège  oîi  elle 
a  lieu  et  de  la  nécessité  de  soumettre  les  mâchoires  d'un  grand  volume  et  d'une 
dureté  considérable  à  des  réactions  nombreuses  qui  altèrent  les  tissus.  Cepen- 
dant, il  nous  a  été  permis  dans  plusieurs  préparations  de  constater  d'une  façon 
à  peu  près  certaine  la  naissance  du  cordon  épitliélial  de  la  dent  de  sagesse  sur 
le  point  que  nous  indiquons. 

Il  suit  de  là  que  chacune  des  deux  dernières  molaires  déiivc  directement  de 
celle  qui  la  précède,  tandis  que  la  première  naissant,  comme  on  l'a  vu  dans 
la  lame  épithéliale,  reste  par  son  origine  le  point  de  départ  des  dernières  géné- 
j-ations  des  follicules. 

Quoi  qu'il  en  soit,  en  dehors  des  conditions  variables  de  la  genèse  des  follicules, 
l'ensemble  des  phéjiomènes  ultérieurs  de  l'évolution  est  identique,  à  quelque 
dentition  qu'ils  appartiennent;  toutefois,  cette  identité  ne  se  retrouve  pas  au 
point  de  vue  de  l'ordre  dans  lequel  évoluent  les  follicules,  et  de  la  durée  des 
phénomènes  physiologiques.  Ainsi,  tandis  que  la  série  des  follicules  de  la  pre- 
mière dentition  se  développe  dans  le  temps  compris  entre  le  premier  tiers  de  la 


58  DENT   (physiologie). 

vie  foetale  et  la  fin  de  la  troisième  année,  la  plupart  des  follicules  de  la  seconde 
dentition  comprennent  dans  leur  développement  un  temps  bien  plus  considé- 
rable ;  exemple  :  le  follicule  de  la  première  molaire  qui,  bien  qu'il  apparaisse  à  la 
quinzième  semaine  de  la  vie  fœtale,  c'est-à-dire  peu  après  les  follicules  tempo- 
raires, n'achève  son  évolution  qu'à  la  sixième  année.  Les  phénomènes  de 
l'évolution  folliculaire,  tout  identiques  qu'ils  soient,  mettent  donc  à  s'accomplir 
un  temiis  variable,  suivant  la  nature,  le  rôle  et  le  caractère  caduc  ou  perma- 
nent des  dents  futures. 

f.  Chronologie  du  follicule  dentaire  ou  époques  d'apparition  de  ses 
diverses  parties  composantes.  Dans  le  cours  de  nos  recherches  sur  le  mode 
de  formation  du  follicule  dentaire  des  Mammifères,  nous  avons  été  conslan)ment 
préoccupés  d'une  (juestion  importante,  celle  qui  est  relative  à  la  fixation  des 
époques  auxquelles  apparaissent  les  divers  organes  qui  concourent  à  la  consti- 
tution de  cet  organe. 

Celte  étude  devait  nécessiter  l'emploi  d'un  grand  nombre  d'embryons  tant  de 
l'homme  que  des  principaux  animaux  domestiques  sur  lesquels  portaient  nos 
observations.  Cn  autre  point  du  pioblème  consistait  à  déterminer  exactement 
l'âge  de  ces  embryons  eux-mêmes,  ce  i|ui,  en  l'absence  de  renseignement  sur 
l'époque  exacte  de  la  conception,  ne  pouvait  être  résolu  le  plus  souvent  que  par 
leur  mensuration.  Or  leurs  dimensions  qui  correspondent,  il  est  vrai,  pour 
l'homme,  d"a()iès  les  documents  recueillis  par  les  auteurs,  à  des  âges  bien 
détei  minés,  n'ont  [las  été  jusqu'à  ce  jour,  cn  ce  qui  concerne  les  Mammifères,  aussi 
exactement  rapi  oi  tées  aux  phases  successives  de  la  vie  embryonnaire.  Il  résulte 
de  là  que  si,  pour  l'espèce  humaine,  nous  sommes  en  mesure  de  doimer  les 
âges  exacts  de  la  vie  embryonnaire  correspondant  à  tel  ou  tel  état  de  l'évolution 
folliculaire,  il  n'en  pourra  être  de  même  pour  d'autres  espèces  de  Mammifères 
au  sujet  desquels  les  tables  chronologiques  manquent  de  rigueur  suffisante. 

En  ce  qui  concerne  l'homme,  chez  lequel  cette  étude  offre  le  plus  d'intérêt  et 
le  plus  grand  nombre  d'applications,  nous  avons  pu  recueillir  un  grand  nombre 
d'observations  sur  une  série  d'embryons  depuis  l'époque  où  ils  mesurent 
3  centimètres  de  longueur  totale,  ce  qui  correspond  à  la  septième  semaine, 
jusqu'au  moment  où  ils  atteignent  57  centimètres,  c'est-à-diie  six  mois  et  demi. 
Cette  première  série  nous  a  permis  de  fixer  toutes  les  périodes  de  l'évolution  des 
follicules  de  la  première  et  \me  partie  de  celle  de  la  seconde  dentition.  Quant 
aux  auties  phases  de  cette  dernière,  nous  les  avons  établies  par  l'étude  des 
sujets  voisins  du  terme  ou  chez  des  nouveau-nés  de  divers  âges. 

Le  plus  petit  de  ces  embryons,  celui  de  3  centimètres  (de  la  septième 
semaine),  dont  nous  avons  fait  des  coupes  portant  sur  la  totalité  de  la  tête,  nous 
a  permis  de  déterminer  qu'à  cette  période  on  ne  rencontre  encore  de  point 
d'ossification  sur  aucune  partie  du  ciàue  ou  de  la  face  ;  seule  la  mâchoire  infé- 
rieure présente  quelques  travées  osseuses  rudimentaires  au  voisinage  du  carti- 
lage de  Meckel. 

A  ce  moment  les  mâchoires  n'offrent  à  considérer,  au  point  de  vue  de  l'évolu- 
tion folliculaire,  que  l'existence  du  bourrelet  épithélial,  lequel  est  identique  aux 
deux  mâchoires.  Ce  bourrelet  offre  tous  les  caractères  que  nous  lui  avons 
assignés  plus  haut.  11  n'y  a  pas  trace  de  lame  épitheliale.  Le  follicule  n'est  donc 
pas  encore  apparu  dans  ses  premiers  rudiments. 

Le  deuxième  embryon  que  nous  avons  pu  observer  avait  5  centimètres  1/2. 
soit  deux  mois,  et,  à  cette  époque,  nous   avons  constaté  que   les  croutlières 


DENT  (physiologie).  59 

dentaires  commencent  à  se  former  ;  les  cordons  épithéliaux,  représentant  l'organe 
de  l'émail,  sont  Irès-neltemenl  détachés,  et  le  bulbe  dentaire  apparaît  déjà  sous 
forme  d'un  point  opaque  dans  l'endroit  que  nous  avons  désigné  à  sa  genèse.  Cette 
période  du  développement  comparée  à  l'état  précédent  nous  a  permis  ainsi  de 
lixer  de  la  septième  à  la  huitième  semaine  l'apparition  de  la  lame  épithéliale 
et  vers  la  huitième  semaine  la  genèse  de  l'organe  de  l'émail  du  cordon  épithé- 
lial.  En  outre  une  remarque  importante  que  nous  avons  pu  faire,  c'est  que 
l'évolution  est  au  même  degré  aux  deux  mâchoires,  ainsi  que  pour  tous  les 
l'ollicules  de  la  première  dentition.  Qu'il  s'agisse  des  incisives,  dr^s  canines  ou 
des  molaires,  l'état  du  développement  est  identique.  Ces  données,  qui  nous 
paraissent  présenter  un  degré  suffisant  de  précision,  sont  de  nature  à  modilier 
les  chiffres  fournis  à  cet  égard  par  un  travail  antérieur  dans  lequel  on  assigne 
au  début  de  l'évolution  folliculaire  le  soixantième  ou  soixante-cinquième  jour, 
ce  qui  coriespondrait  à  la  neuvième  semaine  :  ce  phénomène  est  donc  nota- 
blement plus  précoce.  De  plus  l'évolution,  d'après  les  recherches  dont  nous  par- 
lons, présenterait  à  la  mâchoire  supérieure  un  certain  retard  sur  l'inférieure,  ce 
(jue  nous  n'avons  pas  constaté. 

Sur  un  troisième  embryon  de  7  centimètres  1/2  correspondant  à  la  onzième 
semaine,  nous  avons  reconnu  que  le  développement,  toujours  identique  auxdeux 
mâchoires  et  pour  chacun  des  follicules  de  la  même  dentition,  était  parvenu  à 
cet  état  où,  le  cordon  folliculaire  restant  entier,  le  bulbe  est  constitué,  unicus- 
pidé  pour  les  incisives  et  les  canines,  multicuspidé  pour  les  molaires.  La  piiroi 
l'olliculaire  se  détache  de  la  base  de  ce  bulbe,  mais  n'est  pas  encore  soudée  au 
sommet  du  follicule.  Il  n'existe  en  ce  moment  aucune  trace  du  cordon  des  dents 
secondaires.  Le  bulbe  est  constitué  par  de  la  substance  amorphe  et  des  noyaux; 
sa  couche  superhcielle  d'apparence  membraneuse  se  constate  ;  l'organe  de 
l'émail  est  franchement  étoile  et  la  couche  épithéliale  périphérique  a  déjà 
éprouvé  un  commencement  d'atrophie  relativement  à  la  couche  profonde. 

Un  quatrième  embryon  de  H  centimètres,  soit  douze  semaines,  nous  a  permis 
de  constater  que  les  follicules  n'étaient  pas  clos  et  qu'aucune  trace  de  chapeau 
de  dentine,  c'est-à-dire  d'apparition  première  d'ivoire,  n'était  encore  appréciable. 
L'état  était  resté  le  même  sur  un  embryon  de  15  centimètres,  c'est-à-dire  âgé 
de  treize  semaines. 

C'est  sur  un  embryon  de  20  centimètres,  soit  au  commencement  du  qua- 
trième mois,  que  nous  avons  recueilli  des  observations  précieuses  sur  certaines 
phases  ultérieures  de  l'évolution  :  en  effet  à  cette  époque  le  cordon  folliculaire 
primitif  n'est  pas  encore  rompu,  le  follicule  n'est  pas  clos.  On  aperçoit  mani- 
festement un  petit  chapeau  de  dentine  très-nettement  dessiné  sur  certains  folli- 
cules et  non  sur  toute  la  série  de  la  même  dentition  temporaire.  En  effet  c'est 
au  moment  de  la  genèse  des  traces  primitives  d'ivoire  que  se  dessine  la  pre- 
mière différence  chronologique  entre  les  divers  groupes  de  follicules  :  ainsi,  tandis 
({ue  les  incisives  et  les  canines  sont  pourvues  d'un  chapeau  de  dentine  embryon- 
naire, les  molaires  ne  le  présentent  qu'environ  une  semaine  plus  tard.  Le  bulbe 
a  déjà  tout  à  fait  la  forme  de  la  dent  future,  sa  base  est  étranglée  et  rejoint 
les  prolongements  latéraux  de  l'organe  de  l'émail  encore  complètement  constitué 
avec  sa  couche  interne  de  cellules  pourvues  de  son  stratum  intermedium  très- 
accusé. 

Enfin  c'est  à  cette  époque  qu'apparaît  le  premier  bourgeonnement  émanant 
du  cordon  primitif  et  destiné  à  former  le  cordon  secondaire  ou  organe  de 


CO  DENT   (physiologie). 

Téniail  des  dents  de  seconde  dentition.  Ce  bourgeon  est  au  même  état  pour  toutes 
les  dents  des  deux  mâchoires. 

Sur  un  embryon  voisin  du  précédent  long  de  25  centimètres  i/2  et  corres- 
pondant à  la  dix-liuilième  ou  dix-neuvième  semaine,  nous  avons  fixé  l'époiiue 
à  laquelle  a  lieu  la  séparation  du  cordon  secondaire  avec  le  follicule  primitif. 
Celui-ci  s'isole  de  la  sorte  de  la  lame  épithéliale  et  continue  son  évolution  sans 
aucune  connexion  avec  la  muquHuse.  Le  (ullicule  permanent  de  son  côté  reste 
en  continuité  avec  le  cordon  et  par  celui-ci  à  l'épiderme.  Si  nous  appelons 
l'attention  sur  celte  disposition,  c'est  parce  qu'en  négligeant  de  tenir  compte 
des  piiases  successives  de  l'évolution  on  serait  tenté  de  croire  que  le  follicule 
des  dents  permanentes  naît  directement  de  la  lame  épithéliale  et  non  du  cordon 
des  dents  temporaires.  Ce  dernier  mode  de  genèse  est  au  contraire  très-précis 
et  tout  à  fait  invariable  pour  tous  les  follicules  des  dents  permanentes  précédées 
de  dents  leiuporaircs  correspondantes,  soit  par  coiisé(iueiit  pour  20  dents  de  la 
seconde  dentition  :  les  8  incisives,  les  4  canines  et  les  8  prémolaires.  Nous 
allons  voir  qu'il  n'en  est  pas  de  même  des  autres  follicules  des  dents  pei  manentes. 

Kn  effet,  les  coupes  pratiquées  sur  les  mâchoires  de  ce  même  embryon  de 
20  centimètres  nous  ont  permis  de  préciser  un  phénomène  très-important  :  c'est 
le  moile  et  l'époque  de  la  genèse  du  cordon  de  la  première  molaire  permanente 
qui  n'est  pas,  comme  on  sait,  précédée  d'une  dent  temporaire  correspondante. 
Celle  genèse  s'effectue  directement  à  la  lame  épiihéliaie  et,  comme  chez  Tem- 
bryon  dont  nous  parlons  le  cordon  épithélial  présentait  déjà  une  assez  grande 
étendue,  nous  sommes  autorisé  à  conclure  que  son  apparition  répond  à  la 
dix-septième  semaine  environ. 

A  cette  époque  de  la  séparation  des  follicules  temporaires  et  du  cordon  des  per- 
manents correspondants  apparaît  encore  la  première  trace  des  phénomènes  de 
bourgeonnements  et  proliférations  diverses  des  débris  de  ce  cordon  primitif  et 
des  masses  épithéliales  de  la  paroi,  particularités  qui  ont  été  décrites  plus  haut. 

D'autres  embryons  humains,  variant  de  dimensions  entre  27  et  57  centimètres 
et  davantage,  nous  ont  permis  de  fixer  les  phases  ultérieures  de  l'évolution 
aussi  bien  des  follicules  temporaires  que  de  ceux  des  dents  permanentes.  Ces 
études  successives  nous  ont  ainsi  conduit  jusqu'à  l'époque  de  la  naissance  et 
aux  premiers  temps  de  l'enfance. 

C'est  alors  que  nous  avons  pu  établir  deux  points  qui  restaient  à  élucider  dans 
cet  ordre  de  recherches,  à  savoir  :  le  mode  et  l'époque  d'évolution  du  follicule 
de  la  seconde  molaire  permanente  et  de  la  troisième  molaire  ou  dent  de  sagesse. 

Les  résultats  auxquels  nous  sommes  parvenus  à  cet  égard  sont  les  suivants  : 

Lorsque  sur  des  coupes  pratiquées  chez  un  nouveau-né  de  deux  à  trois  mois 
on  observe  la  région  occufiée  parle  follicule  de  la  première  molaire  permanente, 
on  reconnaît  que  le  cordon  épithélial  de  celle-ci  présente  un  prolongement 
cylindrique  dirii^é  horizontalement  en  arrière  et  terminé  par  une  extrémité 
arrou'lie.  Ce  prolongement  est  le  premier  début  du  follicule  de  la  deuxième 
molaire  permanente.  Ainsi  se  trouve  fixée  au  troisième  mois  de  la  naissance 
l'origine  de  ce  follicule. 

Les  phénomènes  de  l'évolution  de  la  dent  de  sagesse  se  rencontrent  aux  épo- 
ques que  voici  : 

Vers  la  troisième  année,  le  bourgeon  épithélial  se  détache  du  cordon  delà 
molaire  précédente,  c'est-à-dire  de  la  deuxième  molaire  permanente.  On  peut 
regarder  celle  date  comme  à  peu  près  certaine,  d'après  de  nombreuses  observa- 


DENT   (physiologie).  61 

lions  et  bien  que  les  difficultés  dont  nous  avons  parlé  nous  aient  empêché  de 
suivre  d'une  manière  très-rigoureuse  les  phases  ultérieures  de  l'évolution.  Ce 
qui  est  hors  de  doute,  c'est  qu'un  petit  chapeau  de  dentine  est  visible  dans  lo 
follicule  de  la  dent  de  sagesse  vers  la  douzième  année. 

CHRONOLOGIE    DES    PARTIES   CONSTITUANTES    DU    FOLLICULE    DENTAIRE. 


DESIGNATION 

DES     FOLLICULES. 


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—     ce 


A.    —    DeNTITTION   TEUrORAIBE   CHEZ   l' HOMME. 


luclsives   centrales 

rii 


infô- 


neiir 


—  supérieures 

Inc'sives    latérales    infé- 
rieures   

—  snpprieures 

Caniiirs  inlërieiires 

—  supérieures.  .    , 
Premières  molaires  infé- 
rieures   

—  supérieures 

Second. s    molaires    infé- 
rieures   

—  supérieures 


V        lame 
/  épiihéliale. 


de  la  7"  a  la      „ 
o,  (    9"  sem. 

8*  sem. 


10*  sem. 


(') 


10*  sem. 


commence- 
ment du 
5*  mois. 


sem. 


20"  sem. 


21"  sem. 


B,  —  Dentitios  permanente  chez  l'homme. 

Incisives  centrales   infé-\ 
rieui  es j 

—  siipéiieiiros f  Cordon  des 

Incisvi's    latérales    infé-\dents  tempo-] 

rii  ures I  raires  cor- 

—  supéiieures irespondanles.J 

Canines  inférieures  .   .    .1  I  ,       , 

—  supéneures i  )    !f*  '^     j 

Premiers pilitesiriolaires\  „     ,       ,      '  ^^^' 

■   tA...  .  „„„  Cordon  des 

inleneures 1 

I    molaires 

—  s  peneurcs f 

r>        •  „  ...  /  temporaires 

Deuxièmes    petites     mo-l         '^ 

,  ■   r-  \   correspou- 

laircs  inférieures.  .   .\       ,      ' 

danles. 

—  supérieures j  i 

Piemièr^s  molaires  infé-),  ,  .  .  ,  . 

flame  epiine-j  .„.      „ 
neures >        ..  .'^         ^  IS"  sem. 

—  supérieures j  "        I 

Dcuxièiiies  molaires  infé- icordon  de  lai    ô' mois    \ 

rieures  .       .....[  1"  molaire  ^    après  la    '■   6*  mois. 

—  supérieures.      .   .   ,)  précédente,   juaissance.) 
Troisièmes  molaires  infé-icordon  de  lai 

rieures [   2*  molaire    >  6"  année. 

—  supérieures )  précédenie.  ) 


17"   srm. 


/"  année. 


18"  sem. 
10°  mois. 
7"  année. 


9°  mois. 


) 


l"  mois 

de 

la  naissance. 


\ 


6"  mois 
20'  sem.  ^  de 

rla  vie  fœtale 

fin  de 


1"  année 

8   ans. 


la  3"  année 
12  ans. 


'  L'apparition  du  chapeau  de  dentine,  désignée  dans  ce  tableau  comne  s'elfecluanl  la  16"  se- 
maine, n'a  pas  lieu  toutefois  simultanément  pour  les  divers  follicules  des  incisives  et  des  canines. 
Ou  les  voit  naître  successivement  et  à  quelques  jours  d'intervalle  pour  ces  différentes  dents,  et 
suivant  l'ordre  de  leur  dé-ignation.  La  m  me  remarque  s'applique  aux  incisives,  cmiiies  et  pré- 
molair.s  permanentes,  dont  le  chapeau  de  dentine  est  désigué  comme  apparaissant  dans  le  cours 
du  premier  mois  de  la  naissance. 


62  DENT   (physiologie). 

Sans  pousser  plus  loin  cette  longue  analyse  des  préparations  si  multipliées 
que  nous  avons  dû  faire,  nous  allons  les  résumer  en  un  tableau  d'ensemble  dans 
lequel  se  trouvent  indiquées  toutes  les  époques  correspondant  aux  [«hases  succes- 
sives de  révolution  folliculaire.  Ce  tableau  est  le  premier  qui  ait  encore  été 
donné  d'une  manière  complète  avec  les  indications  exactes  des  dimensions  et  de 
l'âge  des  embryons. 

L'examen  de  ce  tableau  permet  d'envisager  par  un  coup  d'œil  d'ensemble 
toutes  les  phases  successives  de  l'évolution  dentaire  chez  l'homme.  Les  indications 
qu'il  fournit  reposent  sur  l'examen  d'un  nombre  considérable  de  pièces  et  elles 
nous  paraissent  ainsi  pré^enter  une  grande  précision.  Elles  ont  en  outre,  en 
dehors  de  leur  intérêt  physiologique,  une  portée  importante,  tant  au  point  de 
vue  de  la  tératologie  si  complexe  du  système  dentaire  qu'au  point  de  vue  plus 
particulièrement  chirurgical.  On  y  trouvera  en  effet  des  données  i-récienses  à 
l'égard  de  certaines  anomalies,  soit  dans  le  siège,  soit  dans  la  direction,  soit 
encore  dans  les  dispositions  diverses  du  syslcnie  dentaire.  Elles  édaiient  en 
outre  la  pathogénie  de  certains  kystes  qui  ont  pour  siège  le  follicule  den- 
taire et  elles  permettront  de  fixer  l'époque  du  début  de  ces  productions  pa- 
thologiques ainsi  que  ctlle  de  certaines  lésions  de  nutrition,  les  odontomes. 
par  exemple.  Nous  le  croyons  donc  appelé  à  un  certain  nombre  d'applications 
utiles. 

Pour  ce  qui  concerne  les  autres  espèces  de  Mammifères  sur  lesquelles  nous 
avons  fait  porter  nos  observations,  nous  ne  pouvons  donner  que  des  résultats 
fort  irapai  faits.  Les  embryons  que  nous  avons  pu  recueillir  étaient  parlois  iui  om- 
plets  en  effet,  tantôt  parce  que  la  tôle  seule  avait  été  mise  à  notre  disposition, 
tantôt  par  suite  de  la  macération  prolongée  qui  avait  altéré  leur  forme  el  leurs 
dimensions,  tantôt  enfin  en  raison  de  l'absence  de  tout  document  l'tiiblissant 
les  relations  d'âge  et  de  longueur.  Certains  d'entre  eux  ont  pu  toutefois  nous 
fournir  des  données  utiles  que  nous  reproduiions. 

Chez  le  chien  nos  observations  se  sont  bornées  à  l'examen  de  quelques 
individus  nouveau-nés,  aussi  les  faits  concernant  la  chronologie  des  folli- 
cules dentaire  sont-ils  très-peu  nombreux.  Nous  avons  toutefois  reconnu  qu'à 
l'époque  de  la  naissance  les  follicules  de  première  dentition  sont  déjî  pour- 
vus d'un  chapeau  de  dentine;  que  le  cordon  des  incisives  permanentes  est  né 
■et  que  pour  les  incisives  centrales  il  est  déjà  possible  d'apercevoir  le  bulbe 
naissant. 

Chez  le  mouton  et  le  veau,  nos  études  ont  porté  sur  un  grand  nombre 
<rcmbryons,  mais  nous  n'avons  pu  en  établir  l'âge  en  raison  de  l'absence  de 
documents.  Nous  allons  toutefois  lournii  quelques  indications  en  tenant  sim- 
plement compte  de  la  longueur  des  individus  mis  en  observation. 

Chez  le  mouton,  alors  que  l'embryon  a  42  millimètres  de  longueur  totale,  on 
ne  trouve  au  bord  des  mâchoires  que  le  bourrelet  sans  traces  de /ame  e/jiZ/te/i'a/e. 
C'est  lorsque  l'embryon  a  acquis  52  millimètres  que  l'on  afierçoit  la  lame 
épilhéliale  bien  constituée.  Sur  un  embryon  de  65  millimètres  rien  n'est  encore 
changé  dans  le  développement  et  l'on  peut  alors  étudier  à  un  grossissement  de 
500  diamètres  environ  la  constitution  de  la  lame. 

Lor-que  l'embryon  a  atteint  72  millimèires,  l'extrémité  de  la  lame  présente 
un  renllement  très-marqué  qui  correspond  à  la  formation  de  l'organe  de  1  émail 
de  la  dent  future. 

.\  un  degré  un  peu  plus  avancé,  l'embryon  mesurant  82  millimètres,  l'organe 


DENT  (physiologie).  65 

(le  l'émail  et  le  bulbe  ont  acbevé  leur  formation  et  la  paroi  folliculaire  apparaît 
à  la  base  du  bulbe. 

C'est  seulement  lorsque  l'embryon  a  atteint  115  millimètres  que  l'on  con- 
state la  formation  complexe  de  la  paroi  et  sa  clôture  au  niveau  du  cordon 
épitliélial  dont  la  rupture  est  imminente. 

Il  re'sulte  ;iinsi  de  ces  divers  documents  que  c'est  ulte'rieurement  à  l'époque 
où  l'embryon  mesure  115  millimètres  qu'on  voit  apparaître  le  début  du  cbapeau 
de  dentiiie. 

Tels  sont  les  faits  que  nous  avons  recueillis  sur  les  embryons  d'agneaux  que 
nous  avons  pu  nous  procurer. 

Cbez  le  veau,  nos  observations  sous  le  rapport  chronologique  sont  beaucoup 
plus  limitées.  Les  pièces  que  nous  avons  étudiées  se  bornaient  sinqilement  à 
la  tête,  sans  renseignement  aucun  sur  l'époque  de  la  gestation.  Aussi  ces  pièces 
nous  ont-elles  principalement  servi  à  des  descriptions  de  détail  qui  ont  pu 
être  Irès-iigoureusement  déterminés  chez  cet  animal.  Nous  dirons  toutefois  que, 
cbez  un  fœtus  de  huit  mois,  nous  avons  trouvé  les  dents  incisives  temporaires 
très-dévelo|)pées  et  que  les  incisives  permanentes  sont  à  l'étut  de  follicule  complet 
avec  un  commencement  de  chapeau  de  dentine. 

Cbez  le  clieval  nous  sommes  parvenu  à  quelques  fixations  assez  précises  rela- 
tivement aux  phases  de  l'évolution  folliculaire.  Nos  observations  ont  porté  sur 
quatre  embryons  de  dimensions  variées  : 

Le  premier  de  ces  embryons,  que  nous  devons  ainsi  que  les  trois  suivants  à 
l'obligeiince  du  directeur  de  l'école  vétérinaire  d'Alfort,  avait  cent  jours.  A 
cette  période  l'organe  de  l'émail  du  follicule  de  la  pince  centrale  est  déjà  formé 
et  le  bulbe  apparaît;  pour  les  pinces  latérales  le  développement  correspond  à 
l'apparition  de  l'organe  de  l'émail.  Ces  circonstances  établissent  que  l'évolution 
est  un  peu  diflcrente  pour  les  diverses  espèces  d'incisives,  ce  qui  les  distingue 
des  mémos  dents  chez  l'homme  et  d'autres  Mammifères  chez  lesquels  l'évo- 
lution paraît  être  au  même  degré. 

Pour  les  molaires,  on  constate  qu'à  cette  même  époque  le  bulbe  a  apparu 
pour  tous  les  follicules  de  la  première  dentition  ainsi  que  les  premiers  vestiges 
de  la  paroi  fulliculaire. 

Sur  im  second  embryon  de  cent  quatre-vingt-dix  jours  le  follicule  de  la 
pince  centrale  temporaire  est  clos,  tandis  (pie  celui  de  la  première  pinct^  laté- 
rale n'est  parvenu  qu'à  l'époque  de  l'apparition  du  bulbe  et  celui  de  la  seconde 
latérale  an  moment  où  apparaît  seulement  l'orgaue  de  l'émail.  Ces  dispositions, 
comme  on  voit,  confirment  encore  l'inégalité  de  développement  des  diverses 
incisives. 

Pour  les  niobiires  les  choses  sont  très-analogues  ;  le  follicule  de  la  première 
molaire  temporaire  est  au  même  degré,  tandis  que  celui  de  la  seconde  molaire 
est  à  l'état  d'apparition  de  l'organe  de  l'émail  et  alors  qu'on  n'aperçoit  encore 
aucune  ébauche  de  la  troisième  molaire. 

C'est  encore  à  cette  période  toutefois  qu'on  aperçoit  pour  la  première  molaire 
permanente  la  production  d'un  début  de  l'organi^  de  l'émail. 

Dans  un  troifième  embryon  mesurant  255  millimètres,  ce  qui  correspond  à 
deux  cents  jour^  environ,  les  follicules  des  incisives  permanentes  sont  clos,  complets; 
l'organe  d«'  l'émail  est  très-gros.  Lescllules  prismatiques  de  sa  couche  interne 
sont  très  volumineuses.  La  couche  externe  a  déjà  disparu,  mais  il  n'existe  encore 
aucune  trace  de  chapeau  de  dentine. 


64  DENT   (physiologie). 

Les  follicules  des  incisives  permanentes  Font  parvenus  à  la  pt'riode  où  l'organe 
de  l'email  surmonte  déjà  un  bulbe  naissant,  non  encore  étranglé  à  sa  base. 

Pour  les  molaires  l'élal  du  développement  est  à  peu  près  le  même  pour  les 
Ibllicules  des  dents  temporaires  qui  sont  clos  et  bien  constitués,  mais  sans 
trace  de  chapeau  de  denline;  on  voit  manifestement  l'organe  du  cément  coro- 
naire naissant.  Il  n'y  a  pas  trace  de  l'organe  du  cément  radiculaire.  Le  cordon 
épilbélial  brisé  a  produit  des  bourgeonnements  nombreux. 

Le  quatrième  embryon  de  clicval  que  nous  ayons  pu  étudier  avait  deux  cent-vmgt 
jours,  mais  une  macération  Irès-prolongée  dans  l'alcool  ne  nous  a  p:is  permis  d'en 
tirer  grand  prolit.  Nous  avons  pu  seulement  déterminer  que  les  follicules  tem- 
poraires étaient  très-volumineux,  pourvus  d'un  chapeau  de  dentine  dijà  consi- 
dérable. Le  cordon  épilbélial,  rompu  depuis  longtemps  sans  doute,  présentait 
encore  quelques  débris.  Les  deux,  organes  du  cément  coronaire  et  radiculaire 
sont  en  place  et  tout  à  fait  développés. 

Nous  terminerons  ces  considérations  chronologiques  par  quelques  notes  rela- 
tives aux  rongeurs  :  sur  un  embryon  de  cobaje  de  2  centimètres  de  longueur 
totale,  ce  qui  paraît  correspondre  au  milieu  de  la  gestation  environ,  le  follicule 
est  à  l'état  où  l'organe  de  l'émail  en  forme  de  capuchon  coiffe  le  bulbe;  il  n'y 
a  pas  de  paroi  folliculaire  constituée,  ni  de  chapeau  de  dentine  apparent. 

Sur  un  autre  embryon  dr  4  cenliiuèlres  de  longueur,  les  follicules  temporaires 
sont  constitués  et  à  un  degré  à  peu  près  égal  de  développement,  llssunt  pourvus 
d'un  chapeau  de  dentine  recouvert  d'une  petite  couche  d'émail. 

Chez  le  lapin,  nous  avons  reconnu  qu'à  la  naissance  les  incisives  temporaires 
ont  effectué  leur  éruption  ;  les  molaiies  encore  incluses  sont  à  l'état  de  follicules 
lrès-dévclop|)cs  avec  un  chapeau  de  dentine  composé  d'ivoire  el  d'émail  en 
couches  épaisses  Au-dessous  des  molaires  temporaires,  on  constate  la  piésence 
des  loUiculcs  permanents  déjà  pourvus  d'un  petit  chapeau  de  denline  très- 
manifeste. 

Nous  ne  poursuivrons  pas  idus  loin  ces  considérations  qui  perdent  d'ailleurs 
chez  les  Mammifères  tout  l'intérêt  qu'elles  présentent  chez  l'homme,  à  propos 
duquel  nous  avons  surtout  multiplié  nos  études. 

g.  Critique  des  théories.  Le  problème  de  la  genèse  et  de  la  formation  du 
follicule  dentaire  des  mannuifères  a  d(>puis  très-longtemps  été  l'objet  de  nom- 
breuses recherches  et  suscité  plusieurs  théories.  L'époque  relativement  précoce 
de  la  vie  embryonnaire  à  laquelle  coirespond  le  début  de  ces  phénomènes,  les 
difficultés  que  présente  la  préparation  des  pièces,  le  traitement  par  divers  réac- 
tifs auxquels  on  est  (.bligé  de  les  soumettre,  etc.,  sont  autant  de  causes  qui  ont 
retardé  la  connaissance  exacte  des  faits  de  celte  évolution  embryogénique. 

La  question  a  passé  par  un  ceitain  nombre  de  phases  et,  sans  lemonter  bien 
loin  dans  cette  histoire,  sans  rappeler  les  opinions  des  auteurs  anciens  imbus  de 
théories  piéconçue?  sur  la  nature  des  dents  ou  étrangers  aux  procédés  d'inves- 
tig.itious  de  l'école  anatomi  [ue  moderne,  nous  dirons  qu'en  remontant  seule- 
ment vers  le  milieu  du  siècle  dernier  nous  trouvons  que  Hérissant,  ayant  cru 
constater  à  la  surface  de  la  muqueuse  gingivale  certaines  petites  dépressions,  les 
a  considérées  comme  des  orifices  de  canaux  communiquant  avec  les  follicules 
dentaires.  Cette  opinion  qui  ne  repose  sur  aucun  fait  anatomique  n'a  d'ailleurs 
été  adoptée  que  par  un  petit  nombre  d'auteurs  (Bonn,  1775;  Uudet,  1835). 
Suivant  la  théorie  d'Hérissant  que  nous  retrouverons  plus  tard  plus  ne'.tement 
exprimée  par  Goodsir,  la  muqueuse  gingivale  serait  le  point  de  départ  de  la 


DEM  (physiologie).  65 

formation  du  follicule  et  la  paroi  de  celui  ci  se  développerait  ainsi  en  premier  lieu. 

En  1835,  dans  un  travail  important,  Hasclikow  avance  que  le  follicule  dentaire 
se  produit  à  la  face  prof()nde  do  la  niui|neuse  sans  particijtalion  nécessaire  do 
celle-ci  ;  toutefois  il  nespécilie  pas  quelle  partie  du  follicule  apparaît  la  première 
et  comment  se  produisent  les  autres.  Toutefois  Ilenle,  Biscliol'f  et  plus  récem- 
ment Kcilliker,  dans  la  première  édition  de  son  Anatomie  microscopique,  se 
rallient  à  son  opinion. 

Quo^kpies  années  plus  tard  parut  letiavail  ih'  Goodsir  dans  lequel  est  formulée 
cette  lliéorie  bien  connue  qui  fait  dériver  les  lullicules  temporaires  et  dédiiitifs 
d'une  dépression  de  la  muqueuse.  Aussitôt  adojilce  sans  conleslation  par  la 
plupart  des  auteurs,  elle  est  aciuellement  encore  à  peu  près  la  seule  (ju'on  trouve 
dans  le  plus  grand  nombre  des  traités  d'anfitomie  et  de  pliysiolo-io.  Nous  ne 
décrirons  pas  ici  celte  lliéorie  par  laquelle  les  follicules  des  deux  dentitions 
résultent  d'un  simple  renversement  de  la  muqueuse  yingivide  ;  elle  n'tst  fondée 
sur  aucune  donnée  anatomique,  si  ce  n'est  sur  celle  apparence  de  gouttière  qu'on 
réalise  sur  le  bord  alvéolaire  de  l'embijoii  p.ir  une  macération  prolongée  des 
préparations  dans  lesquelles  s'opère  alors  l.t  séparation  de  la  couclie  épiderniiquc 
formant  le  bourrelet  gint:ival  d'avec  la  gouttière  qui  le  renferme.  Ce  n'est  donc 
que  par  un  procédé  artificiel,  ainsi  que  Tout  lait  d'jà  remanpier  KôlliluT  et 
Kollmann,  que  la  théorie  en  quesli  ne  peut  pvndre  quelque  appparence  de  vérité, 
car  rien  dans  les  conditions  normales  ne  peut  s'\  prêter  en  aucune  manière. 

Malgré  le  succès  de  la  tliéorie  de  Gooilsir  universellement  répandue  en  Angle- 
terre et  en  Allemagne,  N.  Guillot  piildia  en  France  un  travail  dans  le(piel  il 
cliercba  à  montrer  que  la  denlse  développait  en  dehors  de  toute  participation  de 
la  muqueuse.  C'est  suivant  Ini  par  une  masstî  née  au  sein  des  lissus  embryon- 
naires que  se  forment  les  follicules  :  il  lappelle  i^phéroïde  initial  on  trace  pri- 
mitive des  dents.  Il  décrit  ensuite  dans  ce  s|ihét()ïde  trois  divisions  :  l'une  cen- 
trale,qu'il  nomme  nucléus  re[irésent;inL  le  bulbe;  l'aiiire  moyenne  située  autour 
de  la  première,  c'est  ['organe  de  rémail  ;  U  troisième  enfin  la  plus  extérieure 
qui  s'orgiiniserait  pour  former  une  memlninic,  c'est  \c  sac  dentaire.  Dans  cet 
ensemble  de  descriptions  il  est  facile  de  voir  que  N.  Guillot  s'est  borné  à  pra- 
tiquer et  à  figurer  des  coupes  durcies  p.issant  au  traveisde  follicules  à  un  degré 
déjà  avancé  de  l'évolution  et  qu'il  n'a  nullement  saisi  le  mode  d'oiigiiie  des  par- 
ties composantes  de  l'organe  et  la  succes-ion  de  phases  de  développement.  Ce  tra- 
vail n'a  donc  nullement  éclairé  la  question. 

Quelques  années  plus  tard,  en  1860,  païut  encore  en  France  un  travail  étendu 
publié  par  Cb.  Uobin  en  collaboration  avec  nous-mcme.  Ce  mémoire  contenait 
une  théorie  complète  de  l'évoUilion  folliculaire  d'après  laquelle  le  bulbe  dentaire 
serait  la  première  partie  du  follicule  qui  apparaît  au  sein  des  mâchoires  auprès 
de  la  gouttière  et  au  voisinage  des  vaisseaux  el  des  nerfs.  Viendraient  ensuite 
l'organe  de  l'émail,  puis  la  paroi  comme  émanation  du  bulbe  s'élevanl  sur  les 
côtés  de  l'organe  pour  entourer  toutes  ses  ])arties  et  se  rém  ir  au  sommet,  (juelle 
que  soit  l'exactitude  des  descriptions  de  ce  travail,  il  est  évident  que  ses  auteurs 
ont  méconnu  le  mode  exact  de  genèse  du  follicule,  c'est-à-dire  l'apparition 
initiale  de  l'organe  de  l'émail,  le  bulbe  ne  se  produisant  qu'en  second  lieu. 

D'où  vient  cette  erreur  sur  l'interprétation  du  phénomèneinitial?  Elle  résulte 
évidemment  du  mode  trop  exclusif  d'étude  qui  a  été  adopté  :  c'est  en  eifet  par 
des  préparations  de  follicules  aplatis  progressivement  entre  deux  lames  de  verre 
que  les  observations  ont  été  faites.  Très-peu  de  coupes  ont  été  pratiquées;  nous 

DICT.    ENC.    XXVII.  .n 


6f)  DENT  (pHYSioLofiii:). 

avions  voulu  en  cela  conserver  dans  leurs  rapports  réciproques  toutes  les  parties 
que  nous  disséquions  ensuite  pour  les  recherches  de  détail.  La  crainte  des 
(iérormalions  et  des  peiturbations  dans  les  rapports  résultant  jiarfois  de  coupes 
pratiquées  sur  des  masses  un  peu  épaisses  de  tissus  et,  il  l\uit  le  dire,  l'insuf- 
lisance  des  procédés  de  durcissement  connus  à  cette  époque,  ont  également  con- 
tribué singulièrement  à  entraîner  ces  auteurs  dans  l'erreur  qu'ils  ont  commise. 

La  question  en  était  à  ce  point  lorsque  Kôllikei'  découvrit  en  1865  l'existence 
d'une  bande  épithélialesous-jacente  au  bourrelet  gingival  de  la  muqueuse  et  qui 
occupe  toute  la  longueur  des  mâchoires.  C'est  cette  bande  continue  que  Kôlliker 
appelle  Vorgaue  de  l'émail  et  que  nous  ne  considérons  que  comme  une  simple 
dépendance  du  bourrelet  épithélial.  Le  terme  d'organe  de  rémail  ne  nous  paraît 
pas  convenir  en  effet  à  une  lame  qui  ne  contribue  pas  directement  à  la  forma- 
tion du  follicule,  puisque  c'est  sur  un   certain  nombre  de  points  de  celle-ci 
qu'ajiparuisseut  des  bourgeons  qui  deviennent  alors  directement  les  organes  de 
l'émail;  ces  bourgeons  sont  en  nombre  égal  à  celui  des  dents  futures,  et  dans 
l'intervalle  de  deux  bourgeons  ou  organes  de  l'émail  on  retrouve  intacte  la 
lame  épitbéliale.  Quoi  qu'il  en  soit  de  l'inteiprélaliou,  les  vues  de  Kôlliker 
étaient  Irès-justes  et  elles  devinrent  le  point  de  départ  d'une  série  de  travaux  qui 
donnèrent  à  la  q':cstion  de  révolution  du  iollicule  dentaire  une  plijsionomie  toute 
nouvelle.  Deux  laits  étaient  désormais  acquis,  à  savoir  :  l'appaiition  de  l'organe 
de  l'émail  comme  première  partie  constituante  du  follicule  et  sa  nature  comme 
dépendnnce   cpilhéliale.   Sur  ce   dernier    point,  les  idées  déjà  anciennement 
émises  par  Marcusen  et  Huxley  se  trouvaient  confirmées. 

A  la  suite  du  travail  de  Kôlliker  viennent  se  grouper  un  certain  nombre  de 
recherches  soit  émanant  de  ses  élèves,  soit  provenant  d'autres  écoles  allemandes: 
tels  sont  les  mémoires  de  Waldejer,  Hertz,  Wendzel,  Kollmann,  etc. 

Dans  ces  difféients  travaux  l'idée  de  Kôlliker  est  prise  conmie  point  de  départ, 
Waldeyer  décrit  exactement  la  descente  du  cordon  et  la  formation  des  parties 
composantes  du  follicule.  11  indique  aussi  que  le  follicule  des  dents  perma- 
nentes naît  d'un  bourgeonnement  du  cordon  primitif,  mais  il  ne  mentionne  point 
à  cet  égard  la  variabilité  du  mode  de  genèse  suivant  les  espèces  de  dents,  ni  le 
lieu  précis  où  s'effectue  cette  genèse.  Il  signale  d'ailleurs  dans  sa  dernière 
publication  les  lacunes  qui  subsistent  dans  ces  questions,  malgré  les  nombreux 
travaux  publiés.  Hertz  et  Wendzel  se  sont  ralliés  aux  idées  émises  par  Kôlliker 
et  Waldejer,  sans  rien  apporter  de  nouveau  à  la  question  de  l'origme  du  folli- 
cule. Hs  ont  toutefois  avancé  quelques  opinions  nouvelles  sur  d'autres  points  de 
l'évolution  folliculaire,  et  nous  aurons  à  les  discuter  dans  une  autre  occasion. 
Quant  à  Kollmann,  le  dernier  anatomisle  allemand  qui  ait  étudié  la  question,  il 
adopta  d'abord  les  vues  de  Kôlliker  et  de  Waldeyer  au  sujet  de  la  naissance  de 
l'organe  de  l'émail  des  dents  temporaires,  mais  lorsqu'il  s'agit  de  l'origine  du 
follicule  permanent  il  le  fait  dériver  tantôt  directement  de  la  muqueuse,  tantôt 
des  débris  épilbcliaux  du  cordon  primitif,  parfois  même  d'un  globe  épidermique. 
C'est  encore  de  l'un  de  ces  derniers  points  qu'il  fait  provenir  les  follicules  surnu- 
méraires, ainsi  que  nous  l'avons  déjà  mentionné  fdus  haut. 

Les  auteurs  allemands  sont  donc,  comme  on  voit,  très-loin  de  s'entendre  sur 
le  mode  d'oi  igine  du  follicule  dentaire.  Quant  aux  phénomènes  qui  s'opèrent  au 
sein  de  l'organe  par  suite  de  la  naissance  du  bulbe,  de  la  formation  de  la  paroi, 
de  la  transiormation  de  l'organe  de  l'émail,  ce  sont  pour  eux  des  points  encore 
controversés. 


DE.NÏ    (physiologie).  67 

Pour  nous,  et  c'est  ainsi  que  nous  pouvons  lésunier  eu  quelques  mois  notre 
juanièie  de  voir,  la  l'ormalion  du  follicule  dentaire  consiste  essentiellement  dans 
la  genèse  de  deux  organes  :  l'un  de  nniuve  épitliéliale,  émanant  de  répithéliuin 
de  la  muqueuse;  l'autre  de  nature  einbryo plastique,  née  au  sein  du  tissu 
embryonnaire  des  mâchoires.  Le  premier  de  ces  organes  est  Vorcjane  de  l'email, 
le  second  est  le  hulbe  ou  organe  de  l'ivoire.  Us  se  forment  ainsi  tous  deux 
individuellement,  allant  à  la  rencontre  l'un  de  l'autre;  ils  se  pénètrent,  de  sorte 
que  l'un  devient  en  quelque  sorte  le  capuchon  de  l'autre,  tandis  (jue  de  la 
base  du  bulbe  se  détachent  des  lambeaux  membraniformes  qui  enveloppent  peu 
à  peu  complètement  les  deux  organes  et  achèvent  la  clôture  du  follicule. 

Si  l'on  envisage  ce  mécanisme  au  point  de  vue  de  la  physiologie  géncrale,  on 
est  immédiatement  frappé  de  l'analogie  extrême  qu'il  présente  avec  les  phéno- 
mènes de  la  formation  du  follicule  pileux.  Ici  encore  on  voit,  d'une  part,  un 
cordon  qui  descend  de  la  couche  de  Malpighi  au  sein  du  derme,  puis  sur  un 
point  de  celui-ci  apparaît  le  bulbe  qui  pénètre  le  premier,  s'en  f;iit  un  c:q)nchon, 
tandis-  que  de  sa  base  se  détachent  les  lambeaux  qui  formeront  les  parois  du  sac. 
Les  fails  sont  identiques.  Ainsi  se  trouve  conlirmée,  par  les  données  de  la  phy- 
siologie et  de  l'embryologie  modernes,  la  théorie  émise  depuis  longtemps  déjà 
par  de  Blainville  sur  l'analogie  de  composition  et  de  formation  des  pimnères, 
ainsi  que  la  doctiine  des  produits  développée  avec  tant  de  précision  dans  l'école 
anatomique  moderne  par  Cli.  iiobin. 

IL  Morphologie  du  follicule  dentaire.  Parvenu  à  l'époque  qui  précède 
immédiatement  le  début  de  la  formation  de  la  couronne,  le  follicule  est  constitué 
par  un  certain  nombre  de  parties  incluses  dans  une  paroi  commune,  le  sac 
folliculaire. 

Nous  avons  donc  à  décrire  ici  les  caractères  et  la  texture  de  chacune  de  ces 
parties. 

En  procédant  de  dehors  en  dedans,  la  dissection  attentive  permet  de  rencontrer  : 
A-   La  paroi  folliculaire; 

B.  L'oigane  du  cément  (dans  le  follicule  des  dents  pourvues  de  cément 
coronaire)  ; 

G.  L'organe  de  l'émail; 
D.  Le  bullie  ou  organe  de  l'ivoire. 

Le  but  que  nous  nous  proposons  est  donc  de  tracer  la  description  de  l'état 
anatonii<jue  du  follicule  au  moment  où  il  est  parvenu  en  puissance  de  formation 
de  l'organe  dentaire.  C'est  l'état  statique  du  petit  appareil  qu'il  représente. 
««■  A.  De  la  paroi  folliculaiue.  Lorsqu'on  ouvre  une  mâchoire  chez  un  embryon 
fi*  de  Mammifère  à  l'époque  que  nous  venons  de  déterminer,  on  constate  que  les 
lis»  follicules  de  première  dentition  sont  rangés  en  séries  régulières  dans  une  gout- 
'oc?  tière  comnmne  qui  ne  présente  pas  encore  à  ce  moment  de  subdivisions 
Hi*'    alvéolaires. 

pis  Ces  follicules  sont  donc  contigus,  mais  isolables  l'un  de  l'autre,  bien  qu'ils 
jlfi>  conservent  les  deux  adhérences  qui  les  maintiennent,  c'est-à-dire,  d'une  part 
à  leur  base  par  le  faisceau  vasculo-nerveux  du  fond  de  la  gouttière,  d'autre 
iè  part,  à  leur  sommet  avec  la  muqueuse,  dont  ils  ne  sont  pas  séparables  sans 
■nj^  déchirure.  Or  ce  dernier  point  corres|)ond  à  la  région  où  se  sont  opérés  divers 
Jijlil  phénomènes  qui  ont  été  décrits  dans  le  paragraphe  précédent,  et  qui  compren- 
ijiiliS  nent  successivement  la  rupture  du  cordon  épithélial,  la  clôture  du  follicule  et 
les  proliférations  ou  bourgeonnements  des  débris  du  cordon. 


68  DEM'   (i'Iiysiologie). 

Coiisénitivoniont  à  ces  divers  pliénomèiies,  le  tissu  de  cette  région  acquiert 
une  densité  beaucoup  plus  grande  que  les  parties  latérales,  et  l'on  voit,  alors 
du  souiniel  du  follicule  et  de  la  surface  même  de  la  paroi  s'élever  des  prolon- 
gemeius  cellulaires,  visibles  même  à  un  faible  grossissement,  et  qui  s  épanouissent 
vers  la  muqueuse  en  constituant  au  follicule  une  véritable  insertion.  Cette 
disposition  juslilie,  dans  une  certaine  mesiue,  l'hypothèse  de  Serres  et  d'autres 
auteurs  sur  1  existence  du  ijubernacvlum  dentis. 

Cette  adhérence  du  follicule  à  la  face  profonde  de  la  muqueuse  persiste  jusqu'à 
rériiption,  cl  les  follicules  sont  ainsi  (ixés  dans  leur  situation  rériproque,  en 
exerçant  mulucllenieut  une  certaine  compiession  et  un  véritable  aplatissement 
sur  leurs  points  de  contact. 

A  l'examen  direct,  lorsqu'on  a  isolé  les  lollicules  de  la  gouttière  commune 
(pli  k'S  renferme,  on  en  aperçoit  toutes  les  parties  composantes  comme  si  elles 
étaient  libres,  sans  protection  extérieure.  C'est  que  la  paroi  propre  qui  enveloppe 
chacun  d'eux  offre  une  grande  transparence  qui  ne  s'affaiblit  que  plus  lard, 
après  le  di-but  île  la  formation  de  la  couronne.  Celte  paroi  devient  alors  un  peu 
blanchâtre  et  opaline. 

La  dissection  minutieuse  permet  toutefois  d'isoler  cette  paroi  des  organes 
sou^-jacents.  C'est  une  niemhrai.c  très-fragile  et  tout  à  fait  translucide,  se 
déchirant  également  dans  tous  les  sens.  Elle  est  simple,  et  non  divisible  en 
plu->ieiirs  leuillets  superposés,  ainsi  que  nous  l'avions  admis  antérieurement 
par  erreur.  Celte  membrane  ne  paraît  pas  en  effet  plus  résistante  sur  un  point 
du  follicule  que  sur  l'autre.  Cependant  son  épaisseur  n'«'St  pas  partout  identique, 
car  sur  une  coupe  de  follicule  durci  on  reconnaît  que  de  la  base  du  bulbe  d'où 
elle  é.aiane  cette  paroi  va  s'amincissant  sur  les  côtés.  A  cette  base,  l'épaisseur 
est  d'environ  0""",08,  et  au  delà  elle  est  en  moyenne  de  0""',U5  à  0""",06. 

Envisagée  au  point  de  vue  de  ses  rapports,  l'enveloppe  follii;ulaire  répond  par 
sa  surface  extérieure  à  l,i  paroi  de  la  gouttière  dentaire,  à  laquelle  elle  e^t 
directement  conliguë  sans  interposition  d'aucun  périoste  ou  tissu  (quelconque. 
A  la  base  du  lollicule  elle  est  adhéienle  au  cordon  vasculaiie  par  l'intermédiaire 
des  rameaux  nourriciers  qui  pénètrent  dans  la  membrane,  soit  pour  s'v  raniilier, 
soit  pour  la  traverser  et  se  rendre  dans  le  bulbe.  Au  sommet  elle  répond, 
comme  nous  l'avons  dit,  à  la  muqueuse. 

l'ar  sa  face  profonde,  elle  est  en  contact  avec  la  masse  des  organes  contenus 
dans  le  follicule.  Chez  les  espèces  dépourvues  de  cément  coronaiie,  celle  lace 
profonde  est  immédiatement  conligué  à  l'organe  de  l'émail,  lequel,  comme  on 
sait,  entoure  complètement  le  bulbe,  sauf  à  sa  base  étranglée  en  forme  de  col. 
Mais,  chez  les  animaux  dont  les  dents  sont  pourvues  de  cément  coronaire,  celle 
contiguïté  de  la  paroi  avec  l'organe  de  l'émail  n'existe  plus,  et  un  autre  organe 
se  liouve  interposé  entre  eux  ;  c'est  Vorgane  du  cément,  organe  parfaitement 
distinct  et  dissécable,  ainsi  qu'on  le  verra  plus  loin. 

Étudiée  au  point  de  vue  de  sa  texture,  la  paioi  folliculaire  se  compose  d'élé- 
ments embryonnaires,  noyaux  libres  assez  rares,  corps  fusiformes  nombreux, 
tantôt  i>olés,  tantôt  anastomosés  en  chapelet.  Ces  divers  éléments  sont  plonj;és 
dans  une  matière  amorphe  non  granuleuse  tonl  à  fait  transparente,  constituant 
par  son  abondance  relative  la  substance  fondamentale  du  tissu. 

Ainsi  que  nous  l'avons  dit,  cette  texture  se  modifie  sensiblement  à  mesure 
des  progi'ès  de  l'évolution.  Elle  devient  peu  à  peu  plus  serrée;  des  fibres  du 
lissu  conjonclif  s'y  développent;  la  matière  amorphe  diminue  de  proportion,  e' 


DEM   (pHYsioiOGir.).  t)9 

l;i  membrane  acquiert  une  certaine  résistance.  C'est  vers  l'époque  de  l'éruption 
que  CCS  moclificalions  sont  le  plus  marquées;  elles  préparent  ainsi  le  passage 
delà  paroi  l'ollicullairc  à  l'élal  de  périoste  dentaire. 

Le  sac  folliculaire  renferme  un  système  vasculaire  très-riche;  il  provient  de 
plusieurs  branches  qui  se  détachent  du  i-ameau  de  l'artère  dentaire  destiné  ;iu 
bulbe,  et  s'en  séparent  à  la  hase  même  de  celui-ci.  Ces  branches  s'élèvent  ainsi 
verticalement  dans  l'épaissem-dc  la  trame  cellulaire  et  s'y  ramifient  délicatement. 
Parvenues  au  sommet  du  ibllicule,  où  elles  re|)résenlent  des  capillaires  très- 
déliés,  elles  s'anastomosent  avec  les  exlrémilés  terminales  des  capillaires  propres 
delà  muqueuse,  dans  la  région  occupée  par  le  cordon  cellulaire,  qui  réiitiit 
celle-ci  au  follicule.  Aucun  tronc  d'une  notaole  importance  ne  se  dirige  loiitelois 
de  la  muqueuse  dans  la  paroi,  et  la  totalité  du  réseau  propre  à  celle-ci  vient 
d'une  source  unique,  les  branches  de  l'artère  dentaire. 

Si  l'on  poursuit  l'étude  de  l'état  vasculaire  de  la  paroi  en  observaul  à  un  plus 
fort  gro>sissement  une  coupe  de  follicule  chez  un  sujet  jeune  injecté  au  carmin, 
on  arrive  à  saisir  tout  le  système  de  ramification  et  de  répariilinii  capillaires 
qui  apparaissent  avec  leur  extrême  richesse  et  leur  disposition  éli'gante.  Lorsque 
la  coupe  intéresse  à  la  fois  la  paroi  folliculaire  etla  région  de  la  nuupieuse 
correspondante,  on  reconnaît  ipie  les  vaisseaux  de  celle-ci,  qui  sont  déjà  d'une 
notable  richesse,  se  ramifient  d'une  part  jusque  vers  les  papilles  du  derme  au 
centre  desquelles  pénètre  un  ramuscule,  et  d'autre  part  s'anastomosent  avec  les 
terminaisons  du  réseau  de  la  paroi.  Toutefuis,  l'intensité  vasculaire  de  la 
muqueuse  s'accroît  très-notablement  lorsqu'on  s'éloigne  de  la  couche  de  Malpighi, 
et  il  est  aisé  de  reconnaître  t|ue  les  rameaux  les  plus  vulumineiix  sont  ceux 
qui  occupent  le  voisinage  de  la  paroi.  Les  derniers  rameaux  ont  un  mode  de 
subdivision  tout  à  fait  particulier  :  ainsi,  tandis  (pie  par  leur  côlé  externe  il 
ne  se  détache  que  de  rares  ramuscules,  le  cô:é  interne,  celui  (pii  répond  au 
follicule,  donne  naissance  à  un  réseau  très-fin  et  très-serre  (pii  se  terni  ne  au 
voisinage  même  de  la  superficie  de  l'organe  de  l'email  par  une  disposition 
très-régulière  en  anses  égales  et  symétriquement  rangées.  Dans  certains  cas 
cependant,  le  réseau  terminal  perd  cette  régularité  et  fait  place  à  une  disposition 
réticulée  moins  nette  de  forme,  mais  également  abomlante  et  serrée.  Cette 
variété  d'aspect  peut  être  attribuée  à  des  différences  dans  le  mode  ou  dans  l'in- 
tensité de  l'injection,  et  nous  donne  à  penser  que  la  conformation  du  réseau 
terminal  en  anses  parallèles  et  égales  est  une  disposition  constante.  Une  figure 
schématique  montre  d'ailleurs  les  rapports  réciproques  de  l'arlériole  et  de  la 
veinule  qui  donnent  naissance  au  réseau  en  question. 

Quant  aux  nerfs,  ils  sont  en  très-petit  nombre,  et  émanent  de  quelques  filets 
détachés  du  nerf  dentaire  au  point  d'insertion  du  follicule.  On  les  rencontre 
dans  toute  l'étendue  de  la  paroi  jusqu'au  sommet,  qu'ils  débordent  même  pour 
se  perdre  dans  le  tissu  lamineux  ambiant. 

B.  Bulbe  dentaire.  Organe  de  la  dentise.  Bien  que  le  bulbe  dentaire  ne 
soit  pas  directement  sous-jacent  à  la  paroi  folliculaire,  nous  croyons  devoir  le 
décrire  ici  en  second  lieu,  par  cette  considération  que  la  paroi  est  une  sorte 
d'émanation  de  sa  substance  et  que  les  deux  tissus  sont  en  continuité  directe. 

Le  bulbe  qui,  dès  le  début  de  sa  formation,  présente  la  forme  conique  ou 
unicuspidée,  acquiert  plus  lard  la  configuration  de  la  couronne  future.  Ce  phé- 
nomène est  accompli  au  moment  oîi  se  clôt  le  follicule,  époque  qui  précède 
immédiatement  l'apparition  des  premiers  actes  formateurs  des  tissus  dentaires 


70  DENT(physiologie). 

proprement  dits.  Cette  condition  morphologique  du  bulbe  à  cette  période  est 
d'ailleurs  une  nécessilé  pbysiologicpie,  car  on  verra  que  les  éléments  de  l'ivoire 
et  de  l'émail  se  groupent  sur  lui  comme  sur  un  moule  qui  fixe  d'une  manière 
invariable  et  définitive  la  forme  de  la  couronne  future. 

Cet  organe  est  situé  au  centre  du  follicule  et  séparé  de  la  paroi,  sauf  à  sa  base, 

par  l'organe  de  l'émail  qui  l'en- 
toure complètement  ainsi  que 
nous  l'avons  vu,  jusqu'à  sa  portion 
rélrécie  ou  col  qui  répond  à  son 
point  d'implantation  au  Ibnd  de 
la  gouttière.  Par  su  face  extérieure, 
il  n'a  donc  de  rapport  direct  qu'a- 
vec l'organe  de  l'émail,  lequel  est 
revêtu  à  sa  face  concave  de  sa 
couche  de  cellules  épitliéliales 
prismatiques  dites  cellules  de 
l'email  (membrane  adamantine). 
C'est  donc  avec  les  extréiuités 
de  ces  cellules  que  se  trouve 
directement  en  contact  la  sur- 
face du  bulbe,  tandis  que  par 
sa  base  il  se  continue  avec  le 
tissu  embryonnaire,  au  sein  du- 
quel se  trouvent  les  vaisseaux  et 
nerfs,  et  sur  les  côtés  avec  la  paroi 
folliculaire  qui  se  détache  de  son 
pourtour. 

Observé  à  l'œil  nu,  le  bulbe  a 
une  coloration  grisâtre  ou  légè- 
rement rosée,  demi-transparente, 
à  surface  lisse.  Sa  résistance  est 
assez  grande  toutefois,  et,  si  l'on 
cherche  à  dilacérer  le  tissu  à  l'aide 
des  aiguilles,  on  n'y  parvient  qu'a- 
„  „     ,    .  .  ,     •,•      .       ,     •  ,      ^ec  peine  en  raison  de  la  densité 

fi,  Bulbe  dentaue  avec  les  éléments  analomiquos  qui  le  "^  .  ^ 

composent  et  parsemé  dt;  cristaux  d'hémaioïiiiiic  et    de  la  matière  amorphe  qu'il  ren- 
de  grains    phosplialiques    ovoïdes  et  dianlinnes.  —  b,      f'prmn 
Couche   des  cellules  étoilées  formant  le   siibslrahnn 

Dans  l'étude  de  la  texture  du 
bulbe  nous  introduirons,  pour 
facilit<ir  la  description,  une  dis- 
tinction à  la  fois  anatoniique  et 
physiologique  en  plusieurs  parties 
essentiellement  différentes,  bien 
qu'il  n'y  ait  entre  elles  aucune  délimitation;  c'est  :  1"  le  tissu  propre  du 
bulbe;  2"  sa  couche  superficielle,  et,  comme  dépendance  de  cette  dernière, 
les  cellules  de  l'ivoire  ou.  épithélium  bulbaire;  5'^  enfin  les  vaisseaux  et  les 
nerfs. 

1"  Tissu  propre  du  bulbe.     La  masse  du  bulbe,   constituée  au  début  de  sa 
formation  par  des  éléments  purement  embryonnaires  inclus  dans  une  substance 


J.BLANADET. 


Fig.  7.  —  Portion  d'une  coupe  verticale  du  germe    de   l'i 
voire  ou  bulbe  et  du  chapeau  de  denliiic  qui  lu  recou- 
vre chez  un  embryon  humain  de  trois  mois  (grossisse- 
ment de  400  diamèlresj. 


des  cellules  de  l'ivoire.  —  c.  Cellules  de  l'isoire  ou  odon- 
toblastes  avec  les  extrémités  caudales  ou  périphériques 
pénétrant  et  se  ramiliant  dans  la  bub>taiiae  homogène 
et  transparente  de  l'ivoire.  —  rf,  région  des  liliriUes. 
—  e.  Surface  extérieure  de  l'ivoire  piivéc  de  son  revê- 
tement d'émail  ;  on  y  volt  l'extrémité  des  fibrilles  qui 
se  terminent  jusqu'à  sa  surface  libre. 


DE>'T   (physiologie).  7* 

amorphe,  éprouve,  par  suite  des  progrès  du  développement,  des  modifications 
qui  ramènent  à  l'état  anatomique  que  nous  observons  au  moment  de  son  entrée 
en  Ibnclionnement. 

La  matière  amorphe  a  sensiblement  changé  de  densité  :  c'est  elle  qui  donne  ù 
l'organe  la  résistance  et  l'aspect  spécial  que  nous  avons  indiques.  Cette  matière 
tout  à  fait  transparente  à  l'état  frais  subit  avec  la  plus  grande  rapidité  l'influence 
des  réactifs  divers  et  même  celle  de  l'eau  distillée.  Les  premières  modilicalions 
qu'on  observe  sont  la  perte  de  la  transparence  et  le  passage  à  l'état  granuleux; 
mais  il  est  digne  de  remarque  que  ces  réactions  sont  beaucoup  plus  rapides 
et  plus  marquées  au  centre  de  l'organe  qu'à  la  périphérie. 

Les  éléments  anatomiques  inclus  dans  cette  matière  sont  des  cellules  fusi- 
formes  ou  éloilées  dont  les  prolongements  s'anastomosent  les  uns  avec  les  autres, 
en  formant  une  sorte  de  réseau  réticulé  dans  les  mailles  duquel  se  trouvi; 
renfermée  la  matière  amorphe.  Les  cellules  ont  pour  la  plupart  un  noyau  à 
contour  net  et  brillant  occupant  tout  le  diamètre  du  corps  cellulaire  lui-même. 
Les  noyaux  ovoïdes  ont  une  dimension  de  0™"\0Û7. 

Cette  constitution  hislologique  du  bulbe  ne  s'observe  que  très-difficilement  à 
l'état  frais,  et  la  coloration  par  le  carmin  ne  suffit  pas  d'ordinaire  à  la  mettre  en 
évidence.  Il  est  nécessaire,  pour  en  marquer  nettement  les  contours,  de  traiter 
une  préparation  par  certains  réactifs,  et  en  particulier  par  le  chlorure  d'or  ou  li' 
nitrate  d'argent.  On  voit  alors  que  la  totalité  de  la  substance  du  bulbe  est  formé*' 
invariablement  des  mêmes  éléments,  qui  sont  régulièrement  disposés  à  intervalles 
à  peu  près  égaux.  .  , 

2"  Partie  superficielle  du  hvlhe.  La  partie  superficielle,  qui,  pendant  la 
première  phase  embryonnaire,  présentait  des  éléments  nucléaires  régulièrement 
groupés  jusqu'à  la  surface  de  l'organe,  devient  à  cette  période  du  développement 
le  siège  de  modifications  anatomiques  très-importantes,  et  qui  justifient  l'élendue 
relativement  considérable  que  nous  donnons  à  cette  description. 

Elle  prend  en  elfet,  au  moment  oij  va  se  développer  l'ivoire,  une  physionomie 
toute  spéciale  qui  avait  déjà  depuis  longtemps  frappé  l'attention  des  anatomistes, 
et  était  devenue  parmi  eux  l'olyel  de  nombreuses  dissidences. 

Ainsi  Ilaschkow,  qui  l'a  signalée  pour  la  première  fois,  n'hésite  pas  ta  consi- 
dérer le  tissu  du  bullje  dentaire  comme  revêtu  d'une  véritable  membrane, 
membrana  prœformativa.  Cette  idée  a  été  adojjlée  d'une  façon  complète  par 
Todd  et  Bowman,  Marcusen,  Kôlliker,  etc.  Ce  dernier  auteur  pense  même  que 
cette  membrane,  soulevée  de  dehors  en  dedans  par  les  éléments  de  l'émail, 
devient  finalement  la  pellicule  qui  revêt  ce  dernier,  c'est-à-dire  la  cuticule 
de  rémail. 

Dans  un  travail  publié  en  France  en  1860,  en  commun  avec  le  professeur 
Ch.  Robin,  l'existence  de  la  membrane  préformative  du  bulbe  a  été  complète- 
ment rejetce,  et  une  étude  très-attentive  a  permis  de  conclure  à  une  interpré- 
tation toute  différente  :  La  couche  de  matière  amorphe  qui  déborde  de  I  à  2  cen- 
tièmes de  millimètre  la  masse  des  éléments  embryonnaires  forme  en  effet  une 
zone  claire,  transparente,  sans  granulations,  qui  a  l'apparence  d'un  vernis 
recouvrant  l'organe.  Elle  est  douée  d'une  densité  plus  grande  que  le  tissu  sous- 
jacent,  de  sorte  que,  dans  certaines  manœuvres  de  dilacération  par  les  aiguilles 
ou  à  la  suite  de  macération  dans  l'eau,  elle  peut  parfois  se  détacher  en  lambeaux 
membraniformes  plissés  finement.  Mais  ces  lambeaux  sont  très-irréguliers  dans 
leur  épaisseur,  et  représentent  de  véritables  déchirures,  sans  offrir  dans  aucun 


72  DENT  (physiologie). 

cas  ra?pect  régulier  d'une  pellicule  membraneuse.  En  outre,  c'est  dans  l'inte'- 
rieur  môme  de  celle  courhe  iiyuline  (|ue  se  montrent  les  premières  traces  des 
cellules  de  l'ivoire,  et  qu'elles  y  accomplissent  par  la  suite  toutes  les  phases  de 
leur  évolution.  Aussi  peut-on  constater,  jusqu'au  moment  oîi  nait  la  première 
trace  du  chapeau  de  deutine,  que  cette  bamie  amorphe  déborde  aussi  bien  eu 
dehors  qu'en  delans  la  couche  des  cellules  de  l'ivoire,  lesquelles  s'y  trouvent 
ainsi  etilièrcmcut  contenues.  Cette  dernière  dispositiotr,  qu'il  fsl  facile  de  véri- 
iier  par  la  dissection  de  prépar. lions  iraiches  de  bulbes,  à  un  grossissement  de 
300  «liamètres  environ,  constitue  un  argument  péremptoire  contre  l'hypothèse 
de  la  nature  membraneuse  de  cette  sulistance. 

C'e.-l  donc  dans  cette  zone  superlicielle  de  matière  amorphe  que  se  trouve 
incluse  la  rangée  des  cellules  spi-ciales  dites  cellules  de  l'ivoire  ou  odonto- 
blastes  ;  elles  en  occupent  la  pjulie  moyenne,  tandis  que,  d'une  part,  elles  sont 
surmontées  d'une  certaine  quantité  de  substance  qui  les  isole  de  la  surface  du 
bulbe,  et  que,  d'autre  part,  elles  recouvrent  à  leur  tour  une  autre  couche 
d'éléments  particuliers,  celbiles  à  forme  spéciale  désignées  sous  le  nom  de 
stratum  ou  snh^lratum  des  cellules  de  l'ivoire. 

Vav  cette  distmetion,  on  peut  considérer  el  décrire  successivement  trois  étages 
à  cette  couche  superlicielle  : 

Uétncje  supérieur,  composé  de  la  bande  de  matière  amorphe  limitant 
l'organe  ; 

Vêlage  moijen,  correspondant  aux  cellule)^  de  V Ivoire; 

L  étage  injérieur,  comprenant  le  suhalratum  de  ces  dernières. 

Étage  supérieur  de  la  superficie  du  bulbe.  11  comprend  cette  couche  déjà 
in(U(|uée  de  substance  amorphe  transparente,  sans  granulations  ni  éléments 
d'aucime  sorte  et  composant  comme  une  sorte  d'atmosphère  au-dessus  des 
éléments  cellulaires  sous-jaci  nls.  Sur  une  préparation  aplatie  entre  deux  hmies 
de  verre  par  une  légère  pression,  elle  se  présente  comme  une  zone  ondulée, 
parfois  ofirant  des  espèces  de  plis,  bien  qu'elle  ne  se  sépare  jamais,  nous  le 
répétons,  des  parties  sous-jaceiiles  sans  déchirures. 

Elle  constitue  le  milieu  organique  où  vont  évoluer  les  cellules  propres  de 
1  ivoire  ci  où  s'accomplissent  les  phénoniènes  de  la  donlilication. 

Étage  moyen  de  la  superficie  du  bulbe,  cellules  de  l'ivoire,  épilhelium 
bulbaire  ou  odontoblastes.  Les  élémenis  anatomiques  qui  composent  cette 
couche  spéciale  sont  des  corps  cellulaires  de  forme  générale  ovoïde  à  grand 
diamètre,  dirigés  peruendiculairement  à  la  sunace  du  bulbe,  composant  une 
seule  rangée,  et  juxtaposés  sans  conipres>ion  réciproque. 

Leur  n.ode  de  formation  corn,  rend  deux  phénomènes  :  la  genèse  du  noyau, 
puis  la  genèse  du  corps  de  la  cellule  elle-même,  dont  la  substance  vient  se 
grouper  autour  du  noyau,  formé  le  premier. 

Au  sein  de  la  substance  amorphe  que  nous  venons  d'indiquer,  on  voit  appa- 
raître des  noyaux  disposés  l'un  à  côté  de  l'autre,  sur  une  même  rangée  :  ce 
sont  de  petits  corps  ovoïdes,  transparents,  d'une  longueur  de  G'"'", 005  à  O""'", 006. 
Peu  après  son  apparition,  le  contenu  devient  légèrement  granuleux,  en  même 
temps  qu'il  se  produit  dans  son  intérieur  un  ou  deux  nucléoles  très-petits  et 
brilliints. 

C'est  autour  de  ce  noyau  comme  centre,  et  principalement  vers  les  extrémités 
de  son  grand  diamètre,  que  viennent  se  grouper  les  éléments  devant  constituer 
ultérieurement  la  cellule  proprement  dite.  Toutefois,  cette  substance  se  dispose 


DENT   (i'iiysiolocie).  "ÎS 

en  quantité  plus  grande  vers  l'extrémité  périphérique  du  grand  diamètre  du 
noyau,  d'où  il  résulte  que  celui-ci  occupe  linalenient  l'extrémité  centrale  de  la 
cellule.  D'autre  part,  la  niasse  de  la  cellule  située  en  avant  du  iiDjau  se  con- 
tinue en  s'amincissant  pour  former  un  véritable  (ilament  ou  prolongement  cau- 
dal qui  est  constant,  car  il  est  destiné,  ainsi  que  nous  le  verrons  plus  loin,  à 
devenir  l'axe  de  chaque  canalicule,  le  centre  de  formation  des  éléments  de 
l'ivoire. 

La  formation  du  proloiigement  caudal  s'effectue  directement  par  une  simple 
prolifération  des  molécules  mêmes  du  corps  de  la  cellule.  En  elfet,  lorsqu»^  sur 
une  coupe  de  la  surface  du  bulbe  on  observe  une  cellule  en  voie  de  développe- 
ment, on  reconnaît  que  la  queue  périphérique  a|)paraît  d'abord  par  une  petite 
saillie  conique.  Cette  saillie  reste  quelque  temps  incluse  dans  la  matière 
amorphe,  mais  bientôt  elle  la  dépasse  et  s'allonge  progressivement  au  dehors  du 
tissu,  aussitôt  que  sont  produits  les  premiers  rudiments  du  chapeau  de 
dentine. 

A  mesure  que  se  développe,  à  l'extrémité  périphérique  de  la  cellule  de 
l'ivoire,  le  prolongement  que  nous  venons  de  signaler,  il  se  détache  de  l'extré- 
mité centrale,  en  dei^à  du  noyau,  un  ou  ])lusienrs  autres  piolongements  plus 
pâles,  plus  transparents  que  les  précédents,  et  qui  se  dirigent  vers  la  profon- 
deur du  tissu  du  bulbe.  Nous  verrons  [dus  tard  ce  qu'ils  deviennent;  mais  il 
résulte  de  celte  première  disposition  que,  si  l'étage  moyen  de  la  couche  amorphe 
contient  la  cellule  proprement  dite,  l'étage  supérieur  renferme  le  pndonLjement 
caudal,  et  l'inférieur  un  autre  système  de  prolongements.  Nous  négligerons 
provisoirement  ces  deux  dernières  particularités  pour  décrire  isolément  les 
cel'ules  de  l'ivoire. 

Au  point  de  vue  de  leurs  caractères  anatomi(|ues,  les  cellules  de  l'ivoire  sont 
composées  d'une  masse  de  substance  grisâtre,  pâle,  (inement  granuleuse,  d'une 
extrême  altérabilité.  Elles  mesurent  dans  leur  grand  diamètre  de  0""",04  à 
0"'°',05,  et  dans  leur  largeur  de  0'""',006  à  0""",007  ;  les  dimensions  varient 
sensiblement  sur  les  différents  pomts  de  la  surface  bulliaire  :  ainsi  elles  sont 
plus  volumineuses  au  sommet  que  sur  les  côtés,  où  elles  i;ont  parfois  très- 
petites  et  où  Ton  assiste  assez  facilement  à  leur  mode  d'origine  Elles  diffèrent 
aussi  suivant  les  espèces  animales.  Elles  sont  cependant  très  analogues  chez 
l'homme  et  chez  les  carnassiers. 

Chez  les  Ruminants  et  les  Pachydermes,  elles  sont  notablement  plus  grandes, 
et  mesurent  quelques  millièmes  de  millimètre  en  plus  dans  les  deox 
diamètres. 

Chez  le  porc,  les  cellules  décroissent  de  dimension  sans  changer  sensi- 
blement de  forme,  et  chez  les  Rongeurs  elles  descendent  de  0""",01  à  0""",03 
de  longueur,  sur  0'°'",005  à  0""'',00o  de  largeur.  Ces  variations  sont  d'ailleurs 
indiquées  par  les  dessins  que  nous  en  avons  tracés  dans  nos  publications  anté- 
rieures. 

Les  cellules  de  l'ivoire  n'ont  pas  de  paroi  ni  d'enveloppe;  elles  se  comjiosent 
d'une  masse  homogène  dans  laquelle  se  répartissent  d'une  manière  é"ale  les 
granulations  qui  la  composent  et  qui,  sur  les  éléments  frais,  sont  très-pâles. 
Toutes  les  parties  se  teintent  également  par  les  matières  colorantes,  le  carmin, 
par  exemple.  Le  noyau  invariablement  situé  à  l'extrémité  centrale  tst  ovoïde, 
assez  pâle,  mais  d'une  réfringence  un  peu  plus  forte  que  le  corps  de  la  cellule 
qui  le  contient.  li  renferme  un  ou  deux,  parfois  trois  nucléoles  brillants. 


74  DENT  (phïsiologie). 

Les  prolongements  ont  la  même  composition  que  la  cellule,  dont  ils  repré- 
sentent une  émanation.  Toutefois  le  prolongement  caudal  est  souvent  plus  pâle, 
comme  transparent,  et  tranche  aussi  par  sa  réfringence  sur  le  corps  de  la 
cellule.  Il  est  ordinairement  simple,  quelquefois  double  ou  triple,  mais  plus 
souvent  la  division  porte  sur  une  queue  unique  qui  se  bifurque  après  un  court 
trajet  dans  la  matière  amorphe  ambiante.  Quelques  auteurs,  BoU  enire  autres, 
ont  signalé  jusqu'à  six  prolongements  partant,  soit  de  la  cellule  même,  soit 
d'un  tronc  primitif. 

Dans  le  cas  de  bifurcations  multiples,  le  prolongement  caudal  est  particu- 
lièrement pâle  et  de  forme  coni(|uo.  Siiii(de  à  son  point  de  départ,  il  se  subdivise 
bientôt,  et  apparaît  alors  sous  l'aspect  d'un  pinceau  de  filaments  déliés,  et 
parfois  assez  difficiles  à  suivre.  Cet  aspect  est  d'ailleurs  identique,  soit  qu'il 
s'agisse  des  prolongements  périphériques,  soit  de  ceux  qui  se  rendent  vers  le 
centre  du  bulbe,  c'est-à-dire  aux  éléments  qui  représentent  le  stralum  ou 
substratum  des  cellules,  et  que  nous  étudierons  tout  à  l'heure. 

Les  réactions  diverses  des  cellules  de  l'ivoire  ont  un  certain  intérêt  :  ce  sont, 
avons-nous  dit,  des  éléments  extrêmement  altérables,  même  par  l'eau  simple  ou 
distillée  et  la  glycérine.  Si  l'on  veut  les  étudier  avec  leurs  caractères  normaux, 
il  faut  enlever  un  l'ollicule  sur  un  aninud  vivant  ou  récemment  sacritié,  et  dispo- 
ser les  fragments  de  bulbe  dans  le  sérum  pur.  On  les  observe  alors  avec  toute 
leur  régularité  de  forme  et  de  disposition.  L'étal  cadavérique  les  altère  au  bout 
de  quelques  heures,  et  nous  devons  déclarer  ici  que  la  plupart  des  formes  qui 
ont  été  représentées  par  les  auteurs  —  et  que  nous  avons  nous-mème  dessinées 
naguère  —  sont  des  formes  altérées  cadavériquement.  En  effet  les  cellules, 
aussitôt  isolées  de  la  rangée  qu'elles  composent,  se  renflent,  se  déforment  ;  leur 
conteim  granuleux  devient  plus  foncé.  L'eau  active  singulièiement  ces  phéno- 
mènes d'altération;  un  des  premiers  effets  qu'elle  produit  est  la  disparition  du 
noyau,  qui  devient  invisible.  Plus  tard,  on  voit  se  produire  sous  l'objectif  des 
masses  sarcodiques,  qu'il  ne  faudrait  pas  considérer  comme  des  dispositions 
normales,  et  qui  indiquent  un  commencement  de  destruction  générale.  Les 
manœuvres  des  aiguilles,  en  dilacérant  les  tissus  où  les  cellules  sont  incluses, 
ont  aussi  pour  effet  de  briser  très-fréquemment  les  prolongements  et  principale- 
ment ceux  qui  se  dirigent  dans  l'étage  inférieur.  Les  ((ueues  résistent  davantage. 
Ce  sont  ces  particularités  qui  ont  induit  en  erreur  beaucoup  d'anatomistes,  et 
nous-même  au  début  de  nos  recherches. 

Certaines  réactions  chimiques  sont  cependant  nécessaires  pour  permettre  de 
saisir  quelques  détails  d'organisation  des  cellules  ou  certains  rapports  :  ainsi, 
«i  l'on  veut  constater  la  présence  et  la  direction  des  queues  périphériques,  on 
pourra  traiter  un  fragment  de  bulbe  avec  le  chapeau  de  dentitie  correspondant 
au  moyen  d'une  solution  de  chlorure  d'or  dans  l'eau  distillée  à  2  pour  100 
pendant  une  demi-heure,  et  plonger  ensuite  la  préparation  dans  la  glycérine. 
On  verra  ainsi  nettement  les  cellules  notablement  rétractées,  il  est  vrai,  mais 
pourvues  de  leurs  queues  disposées  en  pinceaux  de  librilles  parallèb  s  arrachées 
de  la  masse  de  dentine,  tandis  que  les  prolongements  centraux  et  le  stratuni 
lui-même  sont  devenus  très-nets. 

Les  diverses  matières  colorantes  employées  en  technique  ont  des  effets  intéres- 
sants :  le  carmin  qui  colore,  ainsi  que  nous  l'avons  dit,  le  corps  de  la  cellule  et 
le  noyau,  est  presque  sans  effet  sur  les  prolongements. 

Le  bleu  d'aniline  soluble  dans  l'eau  et  le  rouge  d'aniline,  qui  colorent  très- 


DENT  (physiologik).  '^•> 

éner"iqaement  l'organe  de  l'émail  et  l'email  lui-même,  colorent  à  peine  les 
cellules  de  l'ivoire  et  le  tissu  du  bulbe,  l'hématine  est  dans  le  même  cas; 
l'acide  picrique  et  les  picrates  pénètrent  très-manifestement  la  cellule  de  l'ivoire 
ainsi  que  le  bulbe.  Enfin  d'autres  réactifs  plus  ordinairement  employés,  les  acides, 
le  chlorure  d'or,  ont  sur  ces  éléments  la  même  action  que  sur  la  plupart  des 
éléments  anatomiques.  Par  la  coagulation  des  matières  albuminoïdes,  ils  accu- 
sent plus  \ivement  les  contours,  les  filaments,  et,  tout  en  déformant  la  masse  des 
cellules,  rendent  plus  perceptibles  les  noyaux,  les  nucléoles  et  l'état  granuleux 

du  contenu. 

Étage  inférieur  de  la  superficie  du  bulbe.  Siibstralum  des  cellules  de 
Vivoire.  L'étage  inférieur,  qu'il  nous  reste  à  décrire  dans  la  constitution  de  la 
superficie  du  bulbe,  est  représenté  par  une  couciie  d'éléments  anatomiques 
particuliers  interposés  entre  la  rangée  des  cellules  de  l'ivoire  et  la  masse  piopre 
du  bulbe.  C'est  le  substratum  des  cellules  de  l'ivoire. 

Ce  sont  des  cellules  étoilées,  à  prolongements  multiples,  lesquelles  s'anasto- 
mosent d'une  part  avec  les  filaments  inférieurs  des  cellules  de  la  dentine,  et 
d'autre  part  avec  les  éléments  du  tissu  propi'c  du  bulbe  lui-même. 

Les  éléments  qui  le  composent  se  développent  postérieurement  à  la  formation 
des  cellules  de  l'ivoire,  car  au  moment  de  l'apparition  de  celle-ci  dans  la  couche 
transparente  du  bulbe,  on  ne  les  rencontre  pas  encore.  Ces  deuv  étages  n'ont 
donc  pas  un  mode  de  développement  contemporain.  Les  éléments  du  slratum 
effectuent  leur  genèse  parla  production  d'un  noyau  isolé,  et  qui  bientôt  s'entoure 
de  la  matière  finement  granuleuse  et  transparente  qui  constitue  la  cellule  et 
qui,  par  suite  de  son  évolution,  s'entoure  de  filaments  déliés. 

Chacune  de  ces  cellules,  considérée  isolément, .se  compose  d'un  noyau  très- 
distinct,  occupant  le  centre  et  pourvu  de  deux  ou  trois  nucléoles.  Le  corps  de 
la  cellule  est  rempli  de  granulations  d'une  grande  ténuité,  d'une  teinte  un  peu 
plus  foncée  que  les  cellules  sous-jacentes,  et  moins  sombres  que  les  éléments 
du  bulbe. 

Le  stralum  des  cellules  de  l'ivoire  n'a  pas  les  mêmes  réaclions  que  ces 
dernières  :  l'eau  ne  les  altère  pas  avec  la  même  facilité;  il  en  est  de  même 
de  l'état  cadavérique  qui  les  modifie  bien  moins  rapidement;  toutefois  les 
matières  colorantes,  le  carmin,  par  exemple,  exercent  sur  elles  les  mêmes  effets 
que  sur  les  éléments  cellulaires  en  général,  en  colorant  fortement  le  noyau  et 
fort  peu  la  cellule. 

De  ces  éléments  cellulaires  partent,  ainsi  que  nous  l'avons  dit,  des  prolonge- 
ments ou  filaments  qui  se  dirigent  dans  tous  les  sens  ;  les  uns  font  communiquer 
entre  elles  les  cellules  du  même  stratum,  d'autres  se  rendent  aux  cellules  de 
l'ivoire;  d'autres  enfin  s'anastomosent  avec  les  extrémités  terminales  des  prolon- 
gements des  corps  embryoplastiques  fusiformes  ou  étoiles  du  tissu  propre 
du  bulbe. 

Des  détails  histologiques  qui  précèdent  il  résulte  que  les  éléments  qui 
constituent  la  couche  des  cellules  de  la  dentine  et  celles  qui  forment  leur 
substratum  sont  de  nature  anatomique  différente,  bien  qu'elles  soient  en  conti- 
nuité absolue  de  substance.  Il  faut  ajouter  qu'elles  possèdent  un  rôle  physiolo- 
gique tout  à  fiiit  distinct  et  spécial,  rôle  sur  lequel  nous  allons  insister  dans  les 
considérations  qui  vont  suivre  sur  le  système  nerveux  du  bulbe. 

3"  Vaisseaux  et  nerfs  du  bulbe.  Système  vasculaire  du  bulbe.  Les 
vaisseaux  du  bulbe  proviennent  d'une  source  unique  :  un  rameau  artériel  qui 


16  DEXT   (physiologie). 

se  détache  de  l'artère  dentaire  au  inomeiit  où  celle-ci  rencontre  dans  Sun  trajet 
le  fond  du  sac  folliculaire;  le  rameau  se  rend  directement  à  l'organe,  qu'il 
traverse  à  piii  près  en  son  centre  pour  se  diriger  vers  son  sommet,  il  repiésente 
pour  ainsi  due  l'axe  du  bulbe.  A  soîi  côlé  se  trouve  un  rameau  veineux  d'un 
volume  sensiblement  égal,  et  qui  se  jette  dans  la  veine  du  même  faisceau 
dentaire. 

L'artériole  présente  dans  la  première  partie  de  son  trajet  une  largeur  de 
un  à  deux  dixièmes  de  millimètre,  et  elle  se  divise  dès  son  entrée  à  la  base  de 
lorgane  en  un  grand  nombre  de  ramiisculcs  d'un  volume  relativement  assez 
considérable,  mais  sans  que  les  premières  divisions  diminuent  sensiblement  son 
calibre,  car  elle  continue  son  tiaiel  presque  vers  le  sommet  du  bulbe  sans  chan- 
gerde  diamètre.  Assez  ordinairement,  lorsque  le  rameau  primitif  est  parvenu  au 
tiers  ou  au  quart  supérieur  du  bulbe,  u  se  recourbe  en  forme  de  crosse,  et  c'est 
de  celle-ci  (|ue  p.irleiit  a  ors  les  brandies  qui  forment  le  réseau  terminal. 

Ce  réseau  se  dirige  ainsi  en  se  subdivisant  et  s'anastomosant  très-finement, 
jusqu'à  la  limite  de  l'étage  inférieur  de  la  superlicie  du  bulbe,  qu'il  n'atteint 
cependant  pas.  Son  mode  de  terminaison  s'opère  sous  forme  d'anses  très-petites, 
tout  à  fait  légulières  et  (larallèles  sur  certains  points,  ùisposéesen  8  de  cbilïre 
sur  d'autres,  mais  toujours  très-déliées  et  très  élégantes. 

C'est  de  ce  point  que  part  le  réseau  veineux  de  retour  qui,  avec  les  mêmes 
.dispositions  que  les  artériolcs,  gagne  le  tronc  unique  qui  occupe  le  côlé  de 
l'artère. 

Le  système  vasculaire  ainsi  constitué  s'observe  de  la  manière  la  plus  ?im[jle 
sur  des  bulbes  injectés  au  carmin  et  aussi,  plus  simplement  encore,  sur  des 
bulbes  congestionnés  des  animaux  asphyxiés  ou  sur  certains  follicules  affectés 
diiillammalion  spontanée  ou  provoquée. 

L'état  vasculaire  du  bulbe  (jue  nous  venons  d'indiquer  pour  l'époque  qui 
précède  le  début  de  la  denlilication  varie  sensiblement  avec  les  périodes  du 
développement.  Ainsi,  au  début  de  la  formation  bulbaire,  on  observe  seulement 
un  capillaire  afférent  qui,  après  avoir  pénétré  au  centre  de  l'organe,  se  recourbe 
brusquement  en  anse  et  revient  directement  gagner  le  tronc  veineux  comme 
capil'aire  elféreut.  Plus  tard  au  contraire,  lorscjuc  la  couronne  a  achevé  son 
développement  et  que  l'activité  fonctionnelle  de  l'organe  s'est  considéiablemeut 
ralentie,  l'appareil  capillaire,  tout  en  conservant  la  position  qu'il  avait  à  la 
période  antérieure,  présente  une  réduction  sensible  dans  le  diamètre  des  ramifi- 
cations principales  et  secoudaiios. 

A  ces  changements  correspondent  des  différences  d'aspect  du  tissu  bulbaire. 
An  début  de  sa  formation,  il  est  pâle,  gris  losé;  au  moment  de  la  genèse  de 
l'ivoire  il  devient  rougeàtre  ;  enfin  chez  l'adulte  il  reprend  la  teinte  grise, 
transparente,  de  l'état  embryonnaire.  Les  maladies  en  moditient  singulièrement 
la  ph\siononiie  :  ainsi  dans  h  ptiljnte  il  devient  rouge  foncé,  violacé,  et  parfois 
la  rupture  de  quelques  capillaires  forme  un  très-lin  piqueté  à  la  surface  et  dans 
l'épaisseur  de  l'organe.  C'est  dans  ces  circonstances  qu'on  peut  rencontrer  la 
disposition  variqueuse  des  capillaires  avec  de  courts  replis  intestiniforraes 
distendus  par  les  hématies  entassées  et  cohérentes  sans  trace  de  sérum  entre 
elles,  comme  cela  s'observe  en  ircnénd  dans  les  autres  tissus  enflammés. 

Nerfs  (lu  bulbe.  La  description  du  tissu  nerveux  du  bulbe  est  une(|uestion 
de  la  plus  haute  importance  au  point  de  vue  du  rôle  et  des  caractères  physiolo- 
giques de  l'organe  dentaire  dans  la  série  animale.  Une  partie  de  ce  problème  a 


DENT  (piiysiologik).  77 

déjà  été  présentée  dans  un  Mémoire  antérieur,  publié  en  France  en  1860(nobin 
etiMagitol);  mais  depuis  celte  épocjue  aiiciii  trav,iil  nouveau  ne  nous  paraît  en 
avoir  donné  une  solution  satisl'aisante.  Si  nous  y  revenons  aujourd'liin,  c'est  que 
nos  recherclies  nous  ont  permis  de  suivre  plus  loin  que  ne  l'avaient  l'ail  nos 
devanciers  les  faits  relatifs  à  la  répariilion  des  éléments  nerveux  dans  le  luilhe, 
à  leur  mode  de  terminaison  et  à  leurs  rapports  de  continuité  avec  les  cellules 
de  l'ivoire  ou  odontobUtsies. 

Lorsqu'on  observe  le  bulbe  cliez  l'Iiomme  après  l'aihèvenient  de  la  formation 
folliculaire,  on  rencontre  ordinniremenl  deux  faisceaux  de  tubes  nerveux  (|ui 
pénètrent  dans  l'organe  par  sa  partie  étranglée  ou  col,  et  q'ui  proviennent  d'un 
rameau  détacbé  du  ncri'  dentaire.  Clicz  les  gr.mds  Mannnifères,  ces  laisceaux 
sont  au  nombre  de  trois  ou  quatre.  Leur  largeur,  qui  est  assez  souvent  chez 
ces  derniers  animaux  de  un  dixième  de  milliuièlre,  descend  cliez  l'Iiomme 
à  0""",05.  Ils  sont  rectilignes  et  distants  les  uns  des  autres,  tandis  que  leurs 
intervalles  sont  remplis  par  des  capillaires  et  des  fais'-eaux  de  fibres  cellulaires. 
Us  sont  eorn|)osés  de  tubes  minces  iumicdiatement  coiiligus  les  uns  aux  autres, 
sans  capillaires  dans  leur  épaisseur  et  entourés  d'un  très-mince  prrinèvre  qui 
les  retient  fortement  serrés  les  uns  contre  les  autres. 

Ces  particularités  peuvent  s'observer  directement  et  sans  réaction  spéciale 
sur  des  bidbes  frais  dilacérés  au  moyen  des  aiguilles  et  à  un  grossissement 
moyeu;  mais,  pour  pousser  plus  loin  l'investigation,  il  faut  d'autres  piépai  allons 
et  l'emploi  de  certains  réactifs. 

Afin  de  suivre  eu  effet  les  faisceaux  nerveux  jusqu'au  voisinage  de  la  partie 
superficielle  du  bulbe,  on  devra  traiter  des  buibes  enlevés  à  des  animaux 
vivants  ou  récemment  sacrifiés,  par  la  macération  dans  l'acide  osiiiiqiir  et  la 
réaction  par  le  cidorure  d'or.  Sur  nue  préparation  favorable  ainsi  disposée,  à 
un  grossissement  minimum  de  fiOO  diamètres,  ou  parvient,  avec  l'ohjtctif  à 
immersion,  à  poursuivre  les  subdivisions  des  faisceaux  nerveux.  Les  petites 
saiUies  coniques  qui  surmontent  le  bulbe  cliez  les  animaux  cirnassieis  (chien, 
chat)  et  le  cône  terminal  du  bulbe  chez  le  veau  nous  ont  paru  particulièrement 
favorables  à  cette  recherche.  C'est  chez  ce  dernier  animal  que  nous  avons  pu 
constater  le  mode  de  terminaison  que  nous  allons  indiquer  : 

En  plaçant  sur  l'objectif  une  préparation  ainsi  traitée  et  dans  une  lumière 
très-vive,  on  aperçoit  à  côté  d'une  aise  capillaire  un  tube  nerveux  mince. 
Quelques  variations  dans  l'éclairage  permettent  de  reionnailre  son  double 
contour. 

On  le  voit  alors  dépasser  légèrement  la  limile  de  l'anse  vasculaire  qu'il 
accompagne  et  se  continuer  par  soudure,  sans  interposition  d'aucune  substance 
et  par  voie  de  continuité  complète  avec  un  des  lilaments  ]iroi'onds  d'une  cellule 
du  stratum  {étage  inférieur  de  la  superficie  du  bulbe). 

Cette  continuité  est  le  fait  fondamental  dont  nous  tirerons  certaines  consé- 
quences et  qui  éclaire  d'ailleurs  tant  de  points  restés  obscurs  de  la  |)hysinlo"ie 
du  bulbe  aussi  bien  dans  l'état  embryonnaire  qu'à  la  période  adulte.  Les  cellules 
du  stratum  deviennent  ainsi  les  éléments  intermédiaires  entre  le  rameau  nerveux 
sensilif  et  la  couche  des  odontoblastes,  et  ceux-ci  prennent  nécessairement  la 
physionomie  d'une  couche  épithéliaie. 

On  pourrait  même  regarder  le  stratum  comme  composé  de  cellules  nerveuses 
épanouissement  véritable  des  tubes  nerveux  terminaux  de  la  pulpe. 

Certains  laits  d'histologie  comparée  apportent  à  cette  interprétation  anato- 


78  DENT  (physiologie). 

miqne  chez  l'homme  des  raisons  démonstratives.  Ainsi  les  recherches  de 
plusieurs  observateurs  allemands,  Max  Schuitze,  Ecker,  Eckardt  et  Balogh,  ont 
établi  cette  même  continuité  des  extrémités  nerveuses  sensitives  avec  les  cellules 
épithéliales  de  la  tache  olfactive  choiz  certains  animaux  inférieurs,  et  récemment 
M.  Remy  est  arrivé  à  une  démonstration  identique  relativement  à  la  même 
couche  épithéiiaie  chez  le  chien.  Il  est  même  digne  de  remarque  que  ces  parti- 
cularités sont  bien  plus  facilement  saisissables  chez  les  Vertébrés  inférieurs,  la 
poule,  le  canard,  la  grenouille.  M.  Remy  les  a  toutefois  mises  hors  de  doute 
chez  les  Carnassiers  et  chez  l'homme,  tanchs  que  de  notre  côté  nous  croyons  en 
avoir  réalisé  la  démonstration  (.our  les  cellules  de  l'organe  de  l'ivoire  chez  les 
Mammifères. 

De  ces  détails  il  résulte  que  le  réseau  cellulaire  qui  compose  le  stratum  est 
une  couche  de  cellules  qui  sont  en  contiimité,  d'une  part,  avec  les  extrémités 
des  tubes  nerveux,  et,  d'autre  part,  avec  les  cellules  de  l'ivoire.  C'est  ainsi  que 
l'hypothèse  de  Tomes  sur  les  qualités  sensitives  propres  des  cellules  d'ivoire  et 
de  leurs  prolongements  se  coniiriiie  de  faits  anatomiquement  démontrés. 

Les  faits  hislologiqiies  que  nous  venons  de  décrire  sur  la  continuité  des 
éléments  nerveux  avec  les  cellules  de  l'ivoire  par  l'intermédiaire  du  stratum 
reposent,  ainsi  qu'on  vient  de  le  voir,  sur  l'étude  minutieuse  d'une  préparation 
soumise  aux  réactions  des  sels  d'or,  réactions  très-fugaces,  il  est  vrai,  parfois 
infidèles,  mais  qui  cependant  n'ont  laissé  aucun  doute  dans  notre  esprit.  Et 
cependant  cette  élude,  entreprise  par  d'autres  histologistes,  ne  paraît  pas  avoir 
fourni  le  même  résultat.  La  recherche  des  terminaisons  nerveuses  reste  l'un  des 
plus  difficiles  problèmes  (jue  puisse  se  poser  l'investigation  microscopique.  Déjà 
Roll,  élève  du  laboratoire  de  Max  Schuitze,  avait  publié,  en  1868,  un  Mémoire 
destiné  à  étudier  cette  question  relativement  au  bulbe  dentaire.  Il  était  arrivé  à 
une  conclusion  que  noiis  n'avons  pu  vérifier  pour  notre  compte.  Pour  lui,  les 
extrémités  terminales  des  nerfs  du  bulbe  auraient  été  suivies  jusqu'au  delà  des 
cellules  mêmes  du  stratum.  Elles  traverseraient  cette  couche  cellulaire  sans 
continuité  de  substance  avec  elle,  iraient  de  là  côtoyer  la  paroi  des  cellules  de 
l'ivoire  et,  débordant  leur  limite  périphérique,  pénétreraient  dans  l'intérieur  des 
canalicules  à  côté  des  filaments  ou  queues  de  ces  cellules.  Ce  serait  ainsi,  non 
plus  la  contmuilé,  mais  la  s'\m])\e  contiguïté  avec  celles-ci. 

Pour  l'auteur  allemand,  la  chose  paraît  hors  de  doute  ;  mais  nous  ne  compre- 
nons pas  aisément  conmient  il  a  pu  discerner  au  delà  de  la  couche  des  cellules 
de  l'ivoire  et  dans  les  canalicules  les  filaments  nerveux  d'avec  les  prolongements 
des  cellules,  car  les  uns  et  les  autres  se  colorent  d'une  manière  à  peu  près  égale 
par  les  préparations  d'or. 

En  outre,  nous  dirons  que  la  continuité  dont  nous  avons  parlé  explique  d'une 
manière  saisissante  certains  faits  de  la  physiologie  do  l'ivoire.  On  peut  même 
ajouter  qu'elle  peut  seule  en  donner  la  raison  :  on  sait  en  effet  que  l'ivoire  est 
doué  d'une  sensibilité  propre.  Il  n'y  a  là  nullement  un  phénomène  de  transmis- 
sion à  la  pulpe,  ainsi  que  nous  l'avions  admis  dans  des  recherches  antérieures, 
c'est  un  fait  d'impression  directe.  Qu'on  détache,  par  exemple,  de  la  surface 
d'une  dent  chez  un  individu  vivant  et  jeune  la  couche  d'émail,  on  découvre 
ainsi  une  certaine  étendue  de  la  superficie  de  l'ivoire  qui  peut  se  prêter  à  ua 
certain  nombre  d'expériences.  Qu'on  impressionne  cette  surface  par  divers  agents 
mécaniques  ou  chimiques,  on  reconnaîtra  aussitôt  son  extrême  sensibilité; 
qu'on   augmente   l'intensité    de  ces  actions,  qu'on  y  applique,   par  exemple, 


DENT  (physiologie).  79 

un  caustique,  aussitôt  on  constatera  une  véritable  hypcresthe'sie  qui  sera  à  son 
tour  susceptible  d'être  amoindrie  par  d'autres  agents  anesthësiques  ou  par  la 
cautérisation. 

Si  on  promène  un  cautère  rougi,  on  pourra  à  son  gré  soit  anéantir  cette  sensi- 
bilité, soit  l'exaspérer  excessivement  suivant  la  diu'ée  ou  l'intensité  de  l'appli- 
cation. En  un  mot,  le  tissu  de  l'ivoire  se  comporte  vis-à-vis  des  réactifs  divers 
au  même  titre  et  avec  la  même  pbysionomie  que  tous  les  tissus  vivants  pourvus 
de  sensibilité  piopre. 

Le  mécanisme  de  cette  sensibilité  est  extrêmement  simple  à  concevoir,  si  l'on 
admet  les  détails  anatomiqucs  que  nous  venons  de  décrire.  Les  fibrilles  qui 
occupent  chaque  canalicule  et  qui  s'épanouissent  précisément  à  la  superficie  de 
l'ivoire  sont,  non  des  organes  de  transmission  à  la  pulpe  centrale,  mais  des 
points  d'impression  directe.  Si  l'on  veut  poursuivre  l'observation,  on  pourra,  à 
l'exemple  de  Tomes,  sur  cette  même  deut  en  expérience,  pratiquer  par  une 
trépanation  directe  la  destruction  de  la  pulpe  centrale,  et  aussitôt  toute  sensibi- 
lité, si  exaltée  qu'elle  soit,  de  la  surface  de  l'ivoire,  s'éteindra  complètement. 
C'est  même  là,  dans  la  pratique,  un  mode  de  traitement  de  certaines  formes  de 
caries  superficielles  ou  de  quelques  fractures  avec  iiyperesthésie  de  l'ivoire. 

Comment  dès  lors  expliqiiera-t-on  cette  sensibilité  propre  de  l'ivoire  autrement 
que  par  le>  propriétés  sensllives  personnelles  des  fibrilles  et  par  la  continuité  de 
substance  entre  elles,  et  les  ramifications  nerveuses  terminales  de  la  pulpe? 

Particularités  secondaires  du  tissu  du  bulbe.  A  l'époque  de  l'évolution  du 
bulbe  qui  |irécède  immédiatement  son  entrée  en  fonctionnement,  la  niasse  du 
tissu  présente  quelques  particularités  transitoires,  qui  sont  d'abord  la  foruialion 
de  grains  phosphatiques  de  forme  spbéroïdale  ou  ovoïde,  et  dont  la  composition 
chimique  rappelle  exaclement  celle  de  la  substance  fondamentale  de  l'ivoire.  Ces 
grains  phosphiiliqucs,  déjà  décrits  dans  un  travail  antérieur,  sont  insolubles  dans 
l'éthor,  l'alcool  et  le  sulfure  de  carbone;  l'acide  chlorhydrique,  sans  les  dissoudre, 
les  pâlit  et  les  rend  granuleux.  Ces  petites  masses  sont  très-brillantes  et  douées 
d'un  indice  de  rélraction  qui  les  rapproche  sous  le  microscope  de  celui  des 
gouttes  d'huile. 

Ces  divers  caractères  établissent  qu'ils  sont  composés  de  phos])hates  calcaires 
déjà  combinés  avec  la  matière  azotée,  qui  s'oppose  à  leur  dissolution  complète 
dans  les  acides.  Ils  sont  en  outre  assiinihiblos  à  d'autres  masses  dont  on  connaît 
la  présence  dans  les  couches  de  l'ivoire  anormal,  les  gobules  de  dentine,  avec 
cette  différence  que  ceux-ci  sont  parcourus  par  des  canalicules,  tandis  que  les 
premiers  sont  amorphes  et  homogènes. 

La  signification  physiologique  de  cette  production  de  grains  phosphatiques  se 
rattache  à  l'exagération  du  mouvement  nutritif  au  sein  de  la  pulpe,  pendant  les 
phénomènes  de  la  dentification,  c'est-à-dire  à  un  aiflux  de  matériaux  calcaires 
qui,  dépassant  les  besoins  de  la  formation  dentinaire,  se  déposent  en  partie  dans 
l'épaisseur  de  l'organe  sous  foime  de  masses  amorphes. 

Cette  explication  se  confirme  encore  d'une  autre  particularité,  qui  consiste  en 
la  présence,  d;)ns  les  interstices  des  éléments  anatoniiques  de  l'organe,  de  dépôts 
iVhématûïdine,  tantôt  amorphe  et  infiltrée,  tantôt  cristallisée  en  houppes  ou 
aiguilles.  Ces  deux  phénomènes  se  sont  présentés  à  notre  observation  ordinaire- 
ment d'une  f.içon  simultanée  et  comme  indices  communs  d'un  travail  de  denti- 
tion en  pleine  vigueur. 
G.  De  Corgane  de  V émail.     L'organe  de  l'émail,  dont  nous  avons  suivi  dans 


80  DEi\T   (physiologie). 

le  précédent  paragraphe  le  mode  de  formation  par  épanouissement  du  cordon  épi- 
théliul  primitif,  apparaît  dans  le  follicule  constitué  et  clos  sous  une  forme  spéciale. 
C'est  uniupuclion  d'une  épaisseur  variable  et  coiflant  d'une  manière  absolue  la 
surface  saillante  du  bullie,  dont  il  suit  exactement  les  contours,  depuis  le  cul- 
dc-sac  que  forme  celui-ci  avec  la  paroi  folliculaire  jusqu'au  sommet  simple  ou 
multiple,  suivant  la  forme  de  la  dent  future.  Cette  application  de  l'organe  de 
l'émail  à  la  surface  du  bulbe  est  telle  que,  dans  aucun  cas,  il  n'y  a  interposition 
d'aucune  substance  ni  production  d'un  espace  quelconque  entre  eux.  Toute  sépa- 
ration ou  lacme  que  cerlaiiies  préparations  peuvent  présenter  sont  dès  lors  pure- 
ment artiticielles.  Il  y  a,  entre  la  lace  convexe  du  bulbe  et  la  face  concave  de 
l'organe  de  l'émail,  juxtaposition  complète,  mais  nullement  adhérence  ou  con- 
tinuité de  tissu,  les  deux  organes  restant  aussi  distincts  par  leur  surface  de 
contact  (pi'ils  le  sont  par  leur  or-anisaliou  et  leur  rôle  physiologique.  La  dis- 
section directe  ou  la  pression  entre  deux  lames  de  verre  les  sépare  donc  l'un  de 
l'autre  par  simple  glisseuieut. 

Il  nVn  est  pas  de  même  de  la  paroi  extérieure  ou  surface  convexe  de  l'organe 
de  l'émail.  Celle-ci  est  manifestement  adhérente  à  la  face  profonde  de  la  paroi 
folliculaire,  et  il  faut  une  véritable  déciiirure  pour  les  séparer.  Nous  verrons 
plus  loHi  par  quel  mécanisme  a  liiu  cette  adiiérence. 

Au  piiiiit  de  vue  de  sa  constitution  à  l'œil  nu,  l'organe  de  l'émail  a  la  forme 
d'une  lame  molle  gélatinilbrnie  interposée  entre  le  bulbe  d'une  part  et  la  paroi 
folliculaire  de  l'autre  cliez  les  animaux  dépourvus  décernent  coronaire,  et  entre 
le  bulbe  et  l'organe  du  cément  dans  les  espèces  qui  présentent  une  couche  de 
cément  supei  posé  à  l'émail.  Il  e^t  transparent,  extrêmement  altérable,  car,  si 
on  l'examine  (piolques  heures  après  la  mort,  il  perd  sa  consistance,  devient 
diffluent,  et  prend  l'aspect  d'un  mucus.  Sa  coloration  est  gris  clair,  ce  qu'il  doit 
en  partie  à  l'absence  complète  de  vaisseaux  sanguins,  cet  organe  étant,  comme 
nous  le  verrons  plus  loin,  absolument  dé[)ourvu  aussi  bien  de  système  vasculaire 
que  de  système  nerveux. 

C'est  précisément  celte  absence  de  vaisseaux  qui  donne  à  l'organe  de  l'émail, 
sur  une  coupe  de  follicule  dmxi  par  l'acide  chromique,  cet  aspect  transparent 
qui  tr.mclie  si  nettement  sur  les  deux  tissus  qui  le  limitent  :  d'une  part,  le 
bulbe  contrai,  éminemment  vasculaire,  et  d'autre  part  l'organe  du  cément  ou 
la  paroi  iolliculainî,  également  gorgés  de  vaisseaux.  Le  contraste  est  surtout  sai- 
sissant sur  un  follicule  d'une  molaire  d'herbivore  dans  lequel  l'organe  du  cément 
qui  plonge,  comme  on  sait,  entre  les  divisions  de  l'organe  de  l'émail,  est  par- 
couru par  de  nombreuses  et  volumineuses  anses  vasculaires. 

A  l'égard  de  sa  texture,  l'organe  de  l'émail,  au  moment  où  le  follicule  a 
achevé  son  dévelop;  ement,  présente  des  particularités  toutes  spéciales  pour  l'in- 
telligence desquelles  nous  croyons  devoir  revenir  un  instant  sur  les  phases  anté- 
rieures de  son  développement. 

Nous  avons  distingué,  en  el'fet,  dans  les  phénomènes  d'évolution  de  l'organe 
de  réni.iil,  trois  phases  successives,  dont  les  deux  premières  ont  déjà  été  décrites 
plus  haut.  Ces  trois  phases  sont  : 

1"  La  période  épithéliale,  comprenant  la  naissance  et  la  descente  du  cordon 
épithélial  depuis  la  couche  de  Malpighi,  d'où  il  émane,  jusqu'à  son  extrémité, 
où  il  se  renfle  en  forme  sphéroïdale.  Pendant  cette  [lériode,  la  structure  est  exclu- 
sivement é|)ithéliale,  soit  :  épilhélium  prismatique  à  la  périphérie,  épithélium 
polyédrique  au  centre  ; 


DENT  (FnvsiOLOGiK).  81 

2°  La  période  muqueuse,  c'est-à-dire  celle  qui  correspond  à  la  transformation 
de  répithéliiim  polyédrique  central  en  cellules  étoilées  par  un  mécanisme  que 
nous  avons  décrit.  C'est  à  ce  moment  que  l'organe  prend  l'aspect  d'une  masse 
o^élatiniforme  restant  toujours  entourée  de  la  couche  des  cellules  prismatiques  ; 
3"  Enfin  la  période  de  résorption^  qui  marque  le  début  de  la  formation  de 
l'émail,  et  qui  consiste  dans  la  disparition  de  la  masse  centrale  par  voie  de  résorp- 
tion pure  et  simple,  ce  qui  produit  l'amincissement  considérable  de  la  masse  et 
amène  les  cellules  de  la  convexité  presque  au  contact  de  celles  de  la  concavité. 
C'est  cette  période  qu'd  nous  reste  à  décrire,  car  elle  paraît  être  la  condition  de 
fonctionnement  physiologique  de  l'organe,  c'est-à-dire  la  production  de  l'émail. 

A  ce  moment,  l'organe  de  l'émail  peut  donc  être  considéré  et  décrit  comme 
composé  d'une  couche  mince  centrale  de  tissu  étoile  et  d'un  revêtement  périphé- 
rique de  cellules  épithéliales.  C'est  une  sorte  de  lame  mcmbraniforme,  ce  ((ui 
a  fait  émettre  par  beaucoup  d'auteurs  l'idée  que  cet  organe  représentait  une 
réelle  membrane  (memfcrawa  adamantina  de  Raschkow).  Elle  est  indiquée  sous 
cet  aspect  par  beaucoup  d'anatomistes  et  plus  particulièrement  par  Henle. 

La  diminution  progressive  ou  la  résorption  du  tissu  étoile  centi  al  est  un  phéno- 
mène sur  lequel  un  travail  français  antérieur  (Robin  et  Magitot,  1860-1801)  a 
déjà  insisté  longuement  ;  seulement,  l'époque  exacte  à  laquelle  il  correspond  a 
été  inexactement  indiquée.  Il  est  dit  dans  ce  mémoire  que  cette  résorption  s'ef- 
fectue alors  que  la  couronne  est  déjà  en  pleine  formation,  tandis  qu'en  réalité 
il  est  achevé  lorsque  débute  la  production  du  premier  chapeau  de  denline.  Il 
est  dès  lors  antérieur  à  cette  période,  de  telle  sorte  que  l'organe  n'entre  en 
fonctionnement  que  lorsqu'il  est  réduit  à  l'aspect  mcmbraniforme. 

Le  mécanisme  de  la  disparition  de  la  pulpe  étoilée  de  l'organe  de  l'émail  paraît 
être  le  fait  de  la  résorption  pure  et  simpledes  cellules  et  de  leurs  prolongements, 
phénomène  précédé  d'une  certaine  compression,  due  sans  doute  au  développe- 
ment exagéré  que  prend  à  ce  moment  le  bulbe  central.  La  matière  amorphe 
interposée  aux  cellules  disparait  la  première  et  les  éléments  prennent  alors  une 
disposition  comme  feutrée,  puis  on  remarque,  bientôt  après,  la  production  de 
fuies  granulations  graisseuses  qui  apparaissent  dans  le  corps  de  la  cellule  autour 
du  noyau.  Celui-ci  s'aplatit  ensuite,  et  la  totalité  de  la  cellule  s'efface  déiînitive- 
meiit.  Ce  travail  s'effectue  avec  une  très-grande  rapidité,  car,  si  on  le  suit  avec 
quelque  attention  sur  un  follicule  de  mammifère,  le  mouton,  par  exemple,  on 
constate  qu'entre  le  moment  où  la  paroi  du  follicule  vient  de  se  fermer,  alors 
que  l'organe  de  l'émail  est  complet,  et  l'époque  du  début  de  la  couronne,  où  ce 
même  organe  est  résorbé,  il  s'écoule  quelques  jours  à  peine.  La  portion  centrale 
de  l'émail  est  donc  tout  à  fait  éphémère,  et  représente  un  exemple  d'existence 
transitoire  si  commun  du  reste  dans  beaucoup  de  formations  embryonnaires. 
Nous  n'avons  donc  plus  à  l'étudier  ici,  et  il  nous  suffira  de  décrire  la  couche 
épithéliale,  qui  subsiste  seule  à  cette  époque  du  développement. 

Épithélium  de  l'organe  de  rémail.  L'organe  de  l'émail,  pendant  toute  la 
période  de  sa  formation,  est  entouré,  ainsi  qu'on  l'a  vu  précédemment,  d'une 
couche  non  interrompue  de  cellules  prismatiques,  prolongement  par  une  sorte 
d'invagination  de  la  couche  de  cellules  de  Malpighi.  Ces  cellules  conservent 
jusqu'à  l'époque  du  développement  à  laquelle  nous  sommes  parvenus,  des  carac- 
tères identiques.  Mais,  à  ce  moment,  des  modifications  surviennent,  si  marquées 
et  si  importantes,  qu'il  faut  dans  la  description  distinguer  la  physionomie  de  la 
couche  épithéliale  qui  occupe  la  convexité  de  l'organe  de  celle  qui  tapisse  lu 

DICT.    ENC.    XXVII.  g 


82  DEIST  (physiologie). 

surface  concave.  Or,  tandis  que  les  premières,  celles  de  la  surface  convexe, 
conservent  la  forme  et  la  dimension  qu'elles  avaient  précédemment,  les  secondes 
acquièrent  un  tel  développement  qu'elles  ont  reçu  le  nom  de  couche  de  cellules 
de  l'émail,  parce  que  c'est  à  leur  fonctionnement  que  sera  due  la  production  des 
prismes  de  l'émail.  Ces  différences  de  dimensions  sont  tellement  accusées,  qu'on 
a  supposé  que  les  cellules  externes  s'atrophiaient  en  mente  temps  que  les  externes 
s'allongeaient.  Cela  n'est  pas  exact,  et  les  cellules  externes  conservent 
simplement  leurs  dimensions  antérieures.  Nous  allons  d'ailleurs  les  décrire 
isolément  : 

1»  Épithélium  externe  de  l'organe  de'l'émail.  L'épithélium  externe  de  l'or- 
gane de  l'émail  constitue  une  couche  cellulaire  prismatique  ayant  conservé  tous 
les  caractères  des  cellules  de  l'organe  épithélial  primitif.  Elles  en  ont  exacte- 
ment la  forme,  les  dimensions,  la  régularité  parfaite.  La  rangée  continue 
qu'elles  constituent  s'étend  depuis  le  fond  du  repli  formé  par  la  réflexion  delà 
paroi  sur  le  bulbe  jusqu'au  sommet  du  follicule.  A  leur  point  de  départ  dans 
le  repli  en  question,  elles  se  continuent  avec  l'autre  couche  des  cellules  de 
l'émail,  étoiles  y  présentent  brusquement  un  contraste  de  dimensions  tel,  qu'il 
semble  au  premier  abord  qu'elles  soient  d'une  autre  origine.  Les  cellules  de  la 
convexité  sont  donc  courtes,  d'une  longueur  de  0"'"S008  à  0'"",010.  Leur  noyau 
est  central,  pâle  et  finement  granuleux.  Elles  présentent,  du  reste,  les  mêmes 
réactions  que  les  cellules  centrales,  réactions  que  nous  établirons  plus  loin. 
Mais,  bien  que  stationuaires  et  ne  participant  en  rien  aux  modifications  qui 
atteignent  les  autres,  elles  jouent  un  certain  rôle  qui  n'est  p;is  sans  importance, 
et  qui  résulte  d'une  disposition  anatomique  que  nous  allons  indiquer. 

Lorsqu'on  ouvre  en  effet  par  sa  face  gingivale  un  follicule  parvenu  à  la  période 
d'évolution  que  nous  envisageons  ici,  on  reste  frappé  de  l'adhésion  manifeste  qui 
s'observe  entre  cette  paroi  et  la  superficie  de  l'organe  de  l'émail,  formé  parla 
rangée  des  cellules  susdites.  La  séparation  des  deux  parties  ne  se  fait  pas  saus 
déchirure,  et  c'est  la  couche  épithéliale  qui  se  détache,  restant  ainsi  adhérente 
à  la  paroi. 

C'est  qu'en  effet  ladite  couche  épithéliale  communique  au  travers  de  la  paroi 
folliculaire  avec  ces  prolongements  épithéliaux  cylindroïdes,  simples  ou  multi- 
lobés,  qui  occupant  le  tissu  sous-muqueux  et  qui  ont  été  longuement  décrits 
précédemment  (p.  51).  Nous  les  avons  désignés  sous  le  nom  de  débris  du 
cordon  épilhélial  primitif,  et  c'est  à  leur  prolifération  que  sont  dues  précisé- 
ment ces  villosités  qu'on  trouve  interposées  à  la  couche  de  Malpighi  et  à  la 
paroi  folliculaire. 

Leur  rôle  a  été  diversement  interprété.  Ainsi,  Todd  et  Bowman,  qui  les  ont 
rencontrés,  semblent  les  considérer  comme  des  culs-de-sac  glandulaires.  Nous 
ne  saurions  partager  cette  opinion.  Pour  nous,  les  prolongements  tubulés  qui 
sont  pleins,  sans  cavité  quelconque  et  sans  paroi  propre,  ont  un  double  but  :  le 
premier  est  de  servir  de  moyen  de  fixation  de  l'organe  de  l'émail  ;  le  second  de 
lui  permettre  d'emprunler  ses  matériaux  de  nutrition,  car  ou  sait  que  cet  organe 
est  dépourvu  de  vaisseaux.  Or,  les  villosités  pénètrent  dans  un  tissu  remarqua- 
blement vasculaire,  surtout  au  moment  qui  précède  la  formation  de  la  couronne. 
Des  anses  très-nombreuses  et  très-serrées  les  entourent  comme  d'une  sorte  de 
gaîne,  et  lui  constituent  ainsi  une  source  de  nutrition  d'une  grande  richesse. 

Ces  prolongements  cylindriques  d'épithélium  qui  pénètrent  ainsi  au  travers  de 
la  paroi,  dans  les  follicules  de  dents  dépourvues  de  cément,  se  retrouvent  encore 


DENT  (physiologie).  83 

identiques  dans  les  follicnles  des  molaires  d'herbivores  ;  seulement,  c'est  au  sein 
de  l'organe  du  cément  qu'ils  pénètrent,  ce  qui  justifie  encore  la  richesse  Tascu- 
laire  non  moins  grande  de  ce  dernier,  car  il  doit  subvenir  non-seulement  à  sa 
propre  nutrition,  mais  encore  à  celle  de  l'organe  de  l'émail. 

2"  Épithéliiun  interne  de  l'organe  de  rémaU.  Cellules  de  rémail,  ada- 
viantoblastes.  La  couche  cellulaire  qui  tapisse  Ja  face  profonde  de  l'organe  de 
l'émail,  membrane  de  rémail  de  certains  auteurs,  est  composée  d'une  rangée 
continue  d'éléments  en  contiguïté  ^ùrh'de  avec  la  surface  du  bulbe,  ot  on  con- 
tinuité  de  tissu  avec  les  éléments  sous-jacents  de  l'organe  dont  elle  représente 
le  revêtement. 

Ces  éléments,  qui  ne  sont  autres  que  les  cellules  prismatiques  de  la  couche  de 
Malpighi,  ont  pris  peu  à  peu  des  caractères  nouveaux  qui  lui  ont  donne  une 
physionomie  particulière.  Ces  modifications,  qui  comprennent  une  période  de 
temps  qui  s'écoule  entre  la  constitution  de  l'organe  de  l'émail  en  forme  de 
capuchon  et  le  début  de  la  formation  de  l'émail,  ont  pour  effet  d'en  accroître 
singulièrement  la  longueur  sans  modifier  leur  diamètre  transversal.  En  outre,  il 
survient  un  phénomène  nouveau  :  c'est  la  production  d'une  couche  cellulaire 
sous-jacente,  véritable  snbstralrnn  des  cellules  de  l'émail,  tandis  que  l'extié- 
mité  libre  de  celles-ci  se  recouvre  d'une  [lartie  épaissie  connue  sous  le  nom 
de  plateau. 

Nous  allons  décrire  successivement  ces  trois  parties,  intimement  liées  entre 
elles  au  double  point  de  vue  anatomique  et  fonctionnel. 

Les  cellules  de  l'émail  sont  des  corps  prismatiques  à  cinq  ou  six  pans  accolés 
et  comprimés  les  uns  contre  les  autres,  de  dimensions  égales  et  toujours  recli- 
ligues,  malgré  les  inflexions  des  parties  avec  lesquelles  elles  sont  en  rapport. 
Ces  cellules  sont  étroites  et  allongées,  mais  leur  forme  prismatique  n'est  due 
qu'à  la  pression  réciproque,  car  aussitôt  qu'elles  sont  isolées  elles  reprennent 
la  forme  cylindrique.  Leur  largeur  uniforme  est  de  0""", 003  à  0""",005  ;  leur 
longueur  atteint,  au  moment  de  la  formation  de  l'émail,  jusqu'à  un  dixième  de 
millimètre,  ce  qui,  n'était  leur  extrême  transparence,  les  rendrait  presque 
visibles  à  l'œil  nu. 

Le  corps  de  la  cellule  est  clair,  grisâtre,  parsemé  de  fines  granulations  pâles, 
d'égal  volume.  Le  noyau  est  ovoïde,  à  grand  diamètre  parallèle  à  l'axe  de  la 
cellule;  sa  dimension,  dans  le  sens  transversal,  est  à  peu  près  égale  à  la  laro^eur 
de  la  cellule,  qu'il  déborde  même  quelquefois.  Ce  noyau  a  un  contour  net 
foncé,  à  centre  finement  granuleux  et  transparent.  Lorsqu'il  acquiert  un  certain 
volume,  il  éprouve  sans  doute  à  fon  tour  une  notable  compression,  car  il  peut 
devenir  plus  cylindrique  qu'ovoïde,  et  représente  plutôt  une  sorte  de  bâtonnet. 
Sa  longueur  est  de  0™"\0I4  à  O-^'^sOlS.  Le  siège  du  noyau  est  d'abord  centrai,' 
comme  il  était  dans  les  cellules  du  pourtour  du  bourgeon  épithélial;  puis,  par 
le  fait  même  du  développement,  il  arrive  à  occuper  l'extrémité  périphérique 
de  la  cellule,  c'est-à-dire  celle  qui  est  en  rapport  avec  le  bulbe.  Cette  modifica- 
tion de  siège  résulte,  non  point  d'un  fait  de  déplacement  du  noyau,  mais  du 
phénomène  d'allongement  du  corps  de  la  cellule  dans  la  direction  de  l'organe 
de  l'émail.  Le  noyau  occupe  ainsi  un  point  invariable,  pendant  que  la  cellule 
s'allonge  par  une  seule  de  ses  extrémités. 

Tel  est  l'aspect  du  corps  des  cellules  de  l'émail  vues  par  le  côté,  dans  le 
sens  delà  longueur,  et  réunies  en  masse;  mais,  si  l'on  réussit  dans  une  prépa- 
ration favorable  à  les  observer  par  leur  extrémité  libre,  leur  disposition  apparaît 


c 


84  DENT  (physiologie). 

sous  l'aspect  d'une  véritable  mosaïque  très-régulière  et  très-élégante.  Cette 
mosaïque  rappelle  assez  exactement  la  pliysionoraie  de  la  surface  de  l'œil 
composé  des  insectes,  et  elle  se  retrouve  d'ailleurs  dans  un  faisceau  de  prismes 
d'émail  vu  par  leurs  extrémités,  et  aussi  dans  la  surface  extérieure  du  chapeau 
de  dentine,  qui  doit  son  aspect  réticulé  à  l'adhérence  même  des  prismes  à  cette 
surface. 

L'extrémité  péri|ihérique  delà  cellule  de  l'émail,  celle  qui  regarde  le  bulbe, 
présente  une  particularité  très-digne  d'attention  :  elle  est  coupée  très-régulière- 
ment à  angle  droit,  et  son  bord  extrême  est  marqué  par  une  ligne  foncée  d'une 
notable  épaisseur.  Celte  ligne  est  formée  par  un  \évi\.nb\c piateau,  en  tous  points 
comparable  !i  celui  qui  s'observe  à  l'extrémité  des  cellules  prismatiques  de 
l'intestin.  Ce  plateau,  qui  est  tout  à  fait  adhérent  à  la  cellule,  dont  il  fait  partie 
intégrante,  peut,  sous  l'influence  de  certains  agents  chimiques,  se  durcir,  devenir 
plus  foncé  et  plus  étroit,  et  linalenient  se  séparer  du  corps  de  la  cellule.  Le 
petit  opercule  flotte  alors  librement  dans  la  préparation,  mais  dans  certains 
cas  le  plateau  d'une  cellule  peut  rester  adhérent  à  son  voisin,  de  sorte  que, 
dans  une  macération  dans  l'eau,  par  exemple,  les  plateaux  réunis  l'un  à  l'autre 
arrivent  à  constituer  un  lambeau  membranilorme  que  Kôlliker,  Raschkow, 
Ilenle  et  la  plupart  des  auteurs,  décrivent  comme  une  membrane  véritable,  la 
membrana  prœformativa  des  cellules  de  l'émail.  Cette  explication  doit  être 
rejelée.  En  dehors  de  la  paroi  folliculaire,  il  n'existe,  ainsi  que  nous  l'avons 
affirmé  à  plusieurs  reprises,  aucune  membrane  dissccable  dans  le  follicule,  pas 
plus  à  la  limite  des  cellules  de  l'émail  qu'à  la  superficie  du  bulbe  lui-même. 
Ce  sont  ces  hypothèses  qui  ont  si  longtemps  compliqué  et  obscurci  l'élude  du 
follicule,  sans  réussir  à  établir  anatomiquement  un  fait  qui  ne  repose  que  sur 
un  mécanisme  artificiel.  En  effet,  la  plupart  des  réactifs  qui  désorganisent  les 
cellules  de  l'émail  sont  sans  action  sur  le  plateau,  dont  la  substance  est  plus 
compacte  et  plus  résistante.  Quant  au  rôle  physiologique  qui  lui  est  dévolu,  il 
est  sans  doute  assimilable  à  un  phénomène  d'exosmose  ou  de  diapédèse,  car  les 
éléments  constitutifs  de  l'émail  élaborés  par  les  cellules  traversent  ce  plateau, 
et  vont  au  delà,  sur  la  convexité  du  chapeau  de  dentine,  constituer  les  prismes 
ou  colonnes  de  l'émail. 

Tandis  que  l'extrémité  périphérique  ou  bulbaire  de  la  cellule  de  l'émail  est 
pourvue  d'un  opercule  ou  plateau,  l'extrémité  centrale  offre  de  son  côté  des 
particularités  anatomiques  qui  doivent  être  mentionnées. 

Nous  avons  vu  déjà  que  cette  extrémité  centrale  a  pris  un  plus  grand  déve- 
loppement, de  telle  sorte  que  la  partie  de  la  cellule  qui  est  en  deçà  du  noyau 
est  plus  allongée  que  celle  qui  est  au  delà.  En  outre,  cette  extrémité,  qui  n'est 
terminée  par  aucun  opercule  ou  plateau,  n'est  point  taillée  à  angle  droit,  mais 
présente  un  bord  oblique  qui  s'effile  sur  un  ou  plusieurs  points,  de  manière  à 
présenter,  à  la  façon  des  cellules  de  l'ivoire,  un  ou  plusieurs  prolongements  clairs 
et  transparents.  Ces  prolongements  se  terminent  à  leur  tour  par  un  véritable 
filament  qui  se  rend  à  une  couche  mince  de  cellules  multipolaires  ou  étoilées  qui 
forment  le  substratum  de  la  couche  des  cellules  de  l'émail.  Les  cellules  de  ce 
stratum  n'ont  pas  besoin  d'être  décrites,  car  elles  ne  sont  autres  que  les  derniers 
vestiges  des  cellules  étoilées  de  la  pulpe  de  l'organe.  Or,  celles-ci  ne  diffèrent 
de  l'état  antérieur  que  par  une  plus  grande  compression,  un  véritable  tassement 
dont  elles  ont  été  l'objet. 

Cette  couche  cellulaire,  qui  est  composée  d'éléments  à  contours  nets  et  foncés, 


DENT  (physiologie).  85 

est  en  tous  points  comparable  au  même  stralum  qu'on  trouve  au-dessous  des 
cellules  de  l'ivoire,  et  elle  joue  vraisemblablement  un  rôle  important  dans 
l'élaboration  des  matériaux  de  formation  de  l'énjail,  avec  celte  diOcreiice  toute- 
fois qu'elle  n'e.-t  en  rapport  ni  avec  des  vaisseaux,  ni  avec  des  nerfs,  far 
l'organe  de  l'émail  est,  comme  on  sait,  aussi  bien  dépourvu  des  uns  que  des 
autres. 

Pour  terminer  l'étude  histologique  des  cellules  de  l'émail,  nous  devons  parler 
de  leurs  réactions  chimiques  :  l'eau  les  gonile  et  les  déforme  en  leur  donnant 
l'aspect  cylindrique.  Ce  gonllement  est  quelquefois  assez  prononcé  et  assez  régu- 
lier pour  que  leur  forme  se  rapproclie  assez  manifestement  de  celle  des  cellules 
de  l'ivoire  ;  mais  une  telle  confusion  sera  toujours  évitée  lorsqu'on  étudiera  les 
éléments  anatomiqucs  du  follicule  à  l'état  irais.  On  distinguera  toujours  aisé- 
ment ainsi  les  cellules  courtes  et  ventrues  de  l'ivoire  des  cellules  étroites  et 
allongées  de  l'émail.  La  glycérine  a  pour  effet  de  pfdir  le  corps  de  la  cellule, 
mais  sans  modifier  l'aspect  du  noyau;  l'alcool  a  sur  ces  éléments  les  effets  ordi- 
naires :  il  les  contracte  et  les  défoi'me.  Les  acides  étendus  accusent  plus  nette- 
ment les  contours  des  granulations  et  le  noyau.  Concentrés,  ils  désorganisent  le 
tout,  qui  se  réduit  en  un  petit  amas  uniforme  de  granulations  noires.  La  soude 
caustique  (solution  concentrée)  a  pour  effet  de  gonfler  les  cellules  de  l'émail 
ainsi  ([ue  leurs  prolongements  centraux  et  les  éléments  du  stratum.  Cette  réaction 
permet  ainsi  de  les  observer  plus  facilement;  mais  cet  effet  n'est  que  tempo- 
raire, car  au  bout  d'une  lieure  environ  toute  la  masse  entre  en  destruction 
véritable  et  se  trouve,  ainsi  que  par  les  acides  concentrés,  réduite  à  l'état  d'un 
petit  groupe  informe  de  granulations. 

D.  Organe  du  ckmext.  Le  germe  ou  organe  du  cément,  considéré  comme 
partie  intégrante  du  follicule  dentaire,  n'appartient  qu'aux  espèces  animales 
pourvues  de  cément  coronaire.  Telles  sont  les  molaires  des  herbivores,  celles  des 
pachydermes,  etc.  Les  dents  de  riiommeet  des  carnassiers,  n'étant  pourvues  que 
d'une  couche  relativement  mince  de  cément  radiculaire,  n'ont  pas  d'organe 
spécial  à  cette  formation.  Il  résulte  de  là  que  la  formation  du  cément  répond 
à  deux  mécanismes  physiologiques  distincts  :  cément  coronaire,  du  à  la  tran- 
sformation sur  place  d'un  organe  particulier  ;  cément  radiculaire,  résultat  de 
modifications  d'une  couche  cellulaire  qui  n'est  autre  que  la  paroi  folliculaire 
de\enue périoste  dentaire.  Nous  n'avons  pas  à  tracer  cette  dernière  description: 
elle  trouvera  sa  place  dans  l'étude  du  développement  du  cément  radiculaire. 

C'est  donc  la  seule  étude  de  l'organe  du  cément  qu'il  nous  reste  à  faire. 

Une  démonstration  de  l'existence  de  l'organe  du  cément  paraîtra  sans  doute 
superflue  aux  analomistes  fiançais,  car  ce  point  d'histologie  a  été  suffisamment 
établi  antérieurement.  Cependant,  devant  les  erreurs  de  certains  auteurs  et  les 
négations  de  quelques  autres,  il  nous  paraît  utile  d'y  revenir. 

Les  divers  travaux  entrepris  en  Allemagne  et  en  Angleterre  par  Waldeyer, 
KoUmann,  Hertz,  Ch.  Tomes,  etc.,  sont  muets  sur  la  question  de  l'organe  du 
cément. 

Or  voici  comment  il  faudra  procéder  pour  résoudre  d'une  manière  absolue  la 
démonstration  de  son  existence. 

Que  l'on  prenne,  par  exemple,  pour  cette  recherche,  un  follicule  de  molaire 
d'embryon  de  veau  à  une  époque  correspondant  à  la  formation  du  premier  rudi- 
ment de  la  couronne,  on  trouve,  en  pratiquant  sa  dissection  attentive,  les 
parties  suivantes  de  dehors  en  dedans  : 


86  DENT  (physiologie). 

1"  Une  membrane  dissécable  mince,  tiansparenle  et  friable,  la  paroi  follicu- 
laire ; 

2°  Au-dessous  de  celte  dernière,  un  tissu  mou,  grisâtre,  limité  d'une  part 
par  la  paroi  précédente,  et  d'autre  part  par  un  autre  tissu  complètement  distinct 
d'aspect  et  de  caractère.  Ce  tissu  grisâtre  intermédiaire  est  ï organe  du  cément. 

Il  offre  l'apparence  d'une  couclie  mince  étendue  sur  tout  le  pourtour  des 
organes  folliculaires  sous-jacents,  jusqu'à  la  base  du  bulbe,  où  il  s'arrête,  con- 
stituant ainsi  un  capuchon  superposé  à  l'organe  de  l'émail  qu'il  recouvre  dans 
toute  son  étendue. 

Son  épaisseur  est  de  quelques  dixièmes  de  millimètre,  et  par  conséquent  très- 
appréciable  à  l'œil  nu  ;  sa  consistance  est  gélatiniforme,  très-supérieure  à  celle 
de  l'organe  de  l'émail,  qui  lui  est  sous-jacent  et  qui  est  d'aspect  muqueux  et 
fluide.  11  est  opaque,  demi-transparent  et  laiteux,  mais,  en  outre,  et  c'est  là 
un  autre  élément  fondamental  de  distinction,  il  est  très-vasculaire  dans  toutes 
ses  parties.  Cette  richesse  de  vascularisation  donne  même  à  la  couleur  grisâtre 
du  tissu  une  légère  teinte  rouge  ou  rosée  très-manifeste  ; 

5°  Au-dessous  de  l'organe  du  cément  se  trouve  Vorgane  de  l'émail,  dont 
nous  avons  tracé  la  description  plus  haut  ; 

A"  Au-dessous  de  ce  dernier  et  au  centre  du  follicule,  le  bulbe  ou  organe  de 
l'ivoire. 

Telle  est  dans  un  follicule  de  molaire  d'herbivore,  ou  d'incisive  de  cheval, 
et  généralement  dans  tous  les  follicules  de  dents  à  cément  coronaire,  la  super- 
position invariable  des  organes  constituant  cet  appareil. 

Si  mamtenant,  après  avoir  séparé  de  ses  connexions  l'organe  du  cément 
par  une  dissection  à  l'œil  nu,  on  en  poursuit  l'étude  anatoraique  au  point 
de  vue  de  sa  constitution  intime  et  de  sa  texture,  on  arrive  aux  résultats  sui- 
vants : 

Une  première  distinction  est  d'abord  nécessaire,  car,  au  moment  où  vont  se 
former  les  premiers  rudiments  de  l'ivoire  et  de  l'émail,  le  germe  du  cément 
n'est  pas  parvenu  encore  à  sa  période  de  fonctionnement  ou  de  transformation. 
En  effet,  le  cément,  qui  représente  la  couche  osseuse  propre  dans  l'organisation 
d'une  molaire  d'herbivore,  par  exemple,  ne  se  forme  qu'après  l'achèvement  com- 
plet de  la  couronne,  à  laquelle  il  constitue  un  dernier  révêtement.  Aussi  n'est-ce 
que  beaucoup  plus  tard,  dans  le  cours  de  l'évolution  folliculaire,  que  le  germe 
du  cément  devient  l'organe  cartilagineux,  proprement  dit,  qu'il  se  métamor- 
phose en  tissu  osseux. 

C'est  ainsi  qu'il  faut  décrire  deux  états  successifs  à  l'organe  du  cément  : 
l'état  fibreux  simple,  qui  correspond  à  l'époque  de  formation  dé  la  couronne, 
et  l'état  fibro-cartilagineiix,  qui  apparaît  au  moment  où  le  chapeau  de  dentine 
est  constitué,  et  où  commence  le  développement  de  la  racine. 

Le  premier  état  est  caractérisé  par  l'existence  d'une  trame  de  tissu  lami- 
neux  lâche,  entre-croisé  par  mailles  larges  avec  substance  amorphe  abondante 
contenant  des  corps  fusiformes  et  des  corps  fibro-plasliqucs  nucléaires.  Tout 
ce  tissu  est  parcouru  d'une  manière  uniforme  par  des  capillaires  volumineux 
formant  un  réseau  tellement  serré  et  riche,  que  sa  présence  obscurcit  souvent 
le  champ  de  T'observation. 

On  n'y  trouve  aucune  trace  de  nerfs.  Dans  le  voisinage  de  la  paroi  folli- 
culaire, le  germe  du  cément  ne  se  distingue  de  celle-ci,  malgré  leur  adhésion 
réciproque  complète,  que  par  une  diflérence  d'aspect  du  tissu  lamineux.   La 


DENT  (physiologie).  87 

paroi  des  follicules,  en  effet,  se  trouve  représentée  par  une  lame  fibreuse  formée 
des  mêmes  éléments,  mais  plus  condensée,  plus  feutrée,  et  par  conséquent  plus 
dense. 

L'organe  du  cément  est,  comme  on  le  voit,  un  véritable  organe  embryonnaire 
dans  lequel  il  n'est  possible,  à  cette  époque,  de  découvrir  ni  cellules  cartilagi- 
neuses propres,  ni  aucun  de  ces  éléments  épithéliaux  qui  sont  assez  abondants 
dans  le  tissu  sus-muqueux  interposé  entre  la  paroi  folliculaire  et  l'épithélium 
buccal. 

Quelques  réactions  confirment  pleinement  les  résultats  de  l'observation  anato- 
mique.  Ainsi,  le  carmin,  qui  colore  uniformément  les  éléments  embryonnaires, 
et  l'acide  acétique,  qui  accuse  plus  vivement  leurs  contours,  ne  permettent  de 
distinguer  aucune  trace  de  cellules  cartilagineuses. 

Le  second  état  est  véritablement  fibro-cartilagineux,  car,  outre  les  éléments 
ci-dessus  indiqués  et  qui  persistent  en  proportion  déterminée  dans  le  tissu,  on 
reconnaît  la  présence  d'éléments  nouveaux  :  ce  sont  des  petites  cavités  contenant 
une  ou  plusieurs  cellules  cartilagineuses  ou  chondroplastes. 

Les  cboudroplastes  contiennent  le  plus  souvent  une  cellule,  quelquefois  deux, 
rarement  trois.  Le  diamètre  de  ces  cellules  est  de  0'"'",018  à  0""",020.  Lors- 
qu'il n'y  a  qu'une  cellule  dans  un  cbondroplaste,  elle  le  remplit  souvent 
d'une  manière  exacte,  et  alors  le  contour  de  ce  dernier  est  difficile  à  voir 
ou  même  il  se  confond  entièrement  avec  celui  de  la  cellule.  D'autres  fois  il 
en  est  e'carté  de  quelques  millièmes  de  millimètres  :  alors  on  distingue  aisé- 
ment le  bord  de  la  cavité  du  contour  de  la  cellule  qu'elle  renferme.  Lorsqu'il 
y  a  deux  ou  trois  cellules  dans  un  cbondroplaste,  la  distinction  du  contenant 
et  du  contenu  est  beaucoup  plus  facile.  Les  cellules  renferment  un  noyau  ordi- 
nairement sphéiique,  quelquefois  ovoïde  (ruminants),  d'un  diamètre  moyen 
de  15  millièmes  de  millimètre  à  contour  net.  En  général,  une  cellule  ne  con- 
tient qu'un  seul  noyau,  quelquefois  deux.  Le  noyau  est  parsemé  de  granulations 
(rès-fines,  avec  un  ou  deux  nucléoles  brillants.  Autour  du  noyau  se  tiouve 
la  masse  de  la  cellule,  incolore,  transparente  et  presque  toujours  dépourvue  de 
granulations. 

Lorsque  la  dilacération  ouvre  un  cbondroplaste,  ce  qui  n'est  pas  rare,  on 
trouve  libres  et  isolées  dans  la  préparation  les  cellules  qu'il  contenait. 

Telle  est  la  constitution  anatomiqiie  de  l'organe  du  cément  aux  deux  pliases 
de  son  évolution,  et  les  caractères  (ju'il  présente  sont  identiques,  quelle  que  soit 
d'ailleurs  la  nature  de  la  dent  future,  pourvu  que  celle-ci  soit  recouverte  d'une 
coucbe  de  cément  coronaire.  11  existe,  en  effet,  un  grand  nombre  d'espèces 
animales  (carnassiers,  rongeurs,  homme)  dans  le  follicule  dentaire  desquelles 
aucune  trace  d'un  organe  de  cément  ne  s'observe  à  \me  époque  quelconque,  et 
dans  ces  circonstances  il  est  aisé  de  reconnaître  que  l'organe  de  l'émail  est 
immédiatement  contigu  à  la  paroi  du  follicule.  De  la  sorte  l'oroane  de  Lémail 
emprunte  les  matériaux  de  sa  nutrition  et  de  son  fonctionnement,  tantôt  à  la 
paroi  folliculaire  (dents  dépourvues  de  cément  coronaire),  tantôt  à  l'orn-ane  du 
cément,  dont  l'extrême  vascularité  peut  bien  suffire  à  la  double  formation  du 
cément  et  de  l'émail  (dents  pourvues  de  cément  coronaire). 

Toutes  les  dents  des  mammifères  contiennent  cependant  une  couche  cémentaire 
à  siège  variable  :  ainsi,  chez  l'homme,  c'est  une  lame  mince  de  tissu  osseux 
qui  revêt  la  ç^urface  de  la  racine.  11  en  est  de  même  chez  les  singes,  dans  les 
incisives  des  herbivores,  et  même  dans  celles  de  certains  pachydermes  (porc). 


8<  DE>T(PHïSIOLOGtEU 

Les  incisives  des  rongeurs  elles-mêmes  sont  pourxTies  dune  couche  de  cément 
qui  revêt  la  face  antérieure  et  convexe  de  leur  portion  incluse,  et  qui,  de  même 
que  l'émail  et  l'ivoire,  est  douée  de  développement  continu.  Mais,  chez  ces 
diverses  espèces,  c'est  à  un  phénomène  tout  différent  qu'est  due  la  formation 
du  cément  :  non  point,  ainsi  que  le  croyaient  Hannoyer  et  quelques  autres  ana- 
tomistes.  qu'on  doive  l'attribuer  à  la  couche  superficielle  de  l'organe  de  l'émail: 
le  seul  fait  de  l'existence  de  certaines  dents  dépourvues  d'émail  et  entourées  de 
cément  (défense  de  l'éléphant)  suffirait  à  infirmer  cette  hypothèse. 

La  formation  cémentaire  est  un  phénomène  d'ossification  direct,  sans  qu'on 
puisse  admettre  le  passage  à  l'état  fibro-cirtilagineux  d'une  certaine  portion  (la 
couche  interne)  de  la  paroi  folliculaire.  C'est  là  le  fait  que  nous  nous  bor- 
nons à  indiquer  seulement  ici,  car  nous  le  développons  dans  le  dernier  para- 
graphe, qui  traitera  du  mécanisme  du  développement  des  tissus  dentaires  pro- 
prement dits. 

Ce  i|ue  nous  avons  voulu  établir  seulement  ici,  c'est  l'existence  incontestable 
pour  tous  les  follicules  de  dents  à  cément  coronaire  d'un  organe  spécial,  fibreux 
d'abord,  fibro-cartilagir>eux  ensuite  et  qui,  ainsi  que  tous  les  fibro-cartilages 
quelconques  de  l'économie,  fait  place  à  une  formation  osseuse  légulière. 

Synthèse  anatomiqce  dl"  folliccle  dentaire.  Le  follicule  dentaire  est  un 
appareil  embryonnaire  dont  la  durée  et  le  rôle  physiologique  dépassent  con- 
sidérablement la  limite  de  la  vie  fœtale,  car  on  le  retrouve  au  sein  des  mâ- 
choires et  en  pleine  activité  fonctionnelle  j^endant  l'enfance  et  jusqu'à  la  période 
adulte. 

A  partir  du  moment  où  sa  formation  est  achevée,  il  se  compose  essentielle- 
ment :  1'^  d'un  sac  membraneux,  clos  de  toutes  parts;  2"  d'un  certain  nombre 
d'organes  contenus  dans  le  sac. 

Le  sac,  ou  enveloppe  folliculaire,  est  constitué  par  une  paroi  celluleuse  ou 
fibro-<:elluleuse,  affectant  avec  le  tégument  extérieur,  muqueux  ou  cutané,  une 
adhérence  complète. 

Les  organes  inclus  sont  en  nombre  vaiiable  et  de  composition  anatomique 
parfaitement  distincte.  Uelativement  à  leur  nombre,  celui-ci  n'est  jamais  inl'é- 
rieur  à  denx  ni  supérieur  à  trois.  L'un  de  ces  organes,  dont  la  présence  est  fixe 
et  invariable,  est  le  bulbe,  car  sa  fonction  consiste  dans  la  formation  de  la 
dentine  ou  ivoire,  tissu  fondamental  de  tout  organe  dentaire  défini.  Lorsque 
le  follicule  dentaire  ne  contient  que  deux  orixanes  formateurs,  le  second  qui 
entre  dans  sa  composition  est  tantôt  Vorgane  du  cément  (follicule  de  la 
défense  de  l'éléphant),  tantôt  l'organe  de  l'émail  (follicule  des  carnassiers,  de 
l'homme,  etc.^. 

Dans  l'état  le  plus  œmplet  du  follicule,  alors  qu'au  dessous  du  sac  trois 
organes  intérieurs  figurent  dans  sa  constitution,  ceux-ci  sont,  par  ordre  de 
superposition  :  1'^  le  bulbe  central;  2*  l'organe  de  l'émail,  exactement  moulé 
sur  la  face  convexe  du  précédent;  5"  l'organe  du  cément  entourant  les  deux 
autres  et  recouvert  lui-même  par  la  paroi  folliculaire.  Tel  est  le  follicule  des 
dents  composées  des  grands  mammifères  (mohiires  des  herbivores). 

Le  bulbe,  partie  essentielle  et  centrale  du  follicule  dentaire,  est  composé  d'une 
masse  d'éléments  embryonnaires  du  tissu  cellulaire,  noyauv  libres,  cellules 
fusiformes  et  étoilées,  recouverte  d'une  couche  hyaline  de  matière  amorphe 
transparente,  membrana  prœformativa  des  auteurs.  Cette  masse  est  revêtue 
d'une  couche  de  cellules  dites  cellules  de  la  dentine,  ûdontoblastes,  qui  ont  pour 


DENT   (physiologie).  ^9 

lieu  de  déveioppement  l'épaisseur  même  de  la  couche  transparente.  Le  tissu 
central  est  pourvu  d'un  système 
vasculaire  d'une  grande  richesse 
et  d'un  réseau   nerveux  seiisilif 
très-abondant,  dont  les  terminai- 
sons sont   en    continuité  directe 
avec  les   cellules  de  la  dentine. 
Celles-ci  représentent  un  épithé- 
lium   dont    chaque    élément    se 
compose     d'un   corps    principal 
contenant  un  noyau,  et  dont  les 
extrémités  offrent  divers  prolonge- 
ments.  Ces   prolongements  sont 
les    uns   périphéiiques,    appelés 
queues,  les  autres  formés  de  ra- 
mifications centrales  qui  se  ren- 
dent à  uue  autre  couche  mince 
de  cellules  étoilées,  substratum 
de  l'épilhélium  du  bulbe. 

A  la  couche  épithéliale,  ou  des 
odontobkstes ,  est  dévolue  la 
fonction  de  produire  l'ivoire,  dont 
les  matériaux  viennent  se  grouper 
autour  du  prolongement  caudal, 
lequel  subsiste  comme  axe  et  cen- 
tre de  chacun  des  canalicules 
dont  l'ivoire  est  creusé.  Le  bulbe 
est  un  organe  définitif,  car  il  per- 
siste pendant  toute  la  vie,  de 
sorte  que  la  formation  de  l'ivoire 
est  continue.  Ce  phénomène,  d'a- 
bord considéré  comme  exclusif  aux 
rongeurs,  est  donc  commun  à 
toutes  les  espèces  animales  pour- 
vues de  dents. 

h'organe  de  l'émail,  étalé 
comme  un  capuchon  sur  le  pré- 
cédent, qu'il  recouvre  jusqu'à  sa 
base,  se  compose  d'une  trame  de 
cellules  épithéliales  étoilées,  en- 
tourée de  toutes  parts  d'une  cou- 
che épithéliale  prismatique  non 
interrompue.  La  trame  centrale, 
transparente,  de  consistance  mu- 
queuse, est  absolument  dépourvue 
de  vaisseaux  et  de  nerfs.  La  couche 
épithéliale  périphérique  se  distin- 
gue en  deux  rangées  :  celle  qui  occupe  la  face  profonde  et  regarde  la  superficie 
du  bulbe,  et  celle  qui  tapisse  la  face  convexe.  Celle  qui  regarde  le  bulbe  [mem- 


Fig.  8.  —  Coupe  d'ensemble  comprenant  un  fragmentde 
follicule  il'une   molaire  de  cheval,  embryon    de  trois 
mois  injecte  au  carmin  (grossissement  de  200  diamè- 
tres). 

a,  Couche  épithéliale  pavimenteuse  de  la  gencive.  — 
b.  Courbe  prismatique  de  Malpighi.  —  c,  Tissu  con- 
jonclif  sous-muqueuï  et  vasculaire.  —  d.  Paroi  folli- 
culaire. —  c.  Organe  du  cément  d'une  richesse  vas- 
culaire considérable.  —  f,  Couche  épithéliale  externe 
de  l'organe  de  l'émail.  —  g,  Pulpe  de  l'organe  de  l'é- 
mail ou  cellules  étoilées.  —  h,Si(bslralum  des  cellules 
de  l'émail.  —  (",  Rangée  continue  des  cellules  de  l'é- 
mail, épitliélium  inicrne,  ou  adameuiloblastes.  —  j. 
Bulbe  avec  son  appareil  vasculaire  et  présentant  au 
sommet  le  début  du  la  genèse  des  cellules  de  l'ivoire. 
Aucune  trace  de  chapeau  n'est  encore  distincte  et  le 
vide  qui  sépare  cet  organe  des  cellules  de  l'émail  ré- 
sulte d'un  glissement  accidentel  dans  la  préparation. 


-90  DENT    (physiologie), 

hrane  adamantine,  cellules  de  rémail)  est  composée  de  cellules  volumineuses,  al- 
longées, pourvues  d'un  noyau  central  et  d'un  plateau  qui  occupe  l'extrémité  libre. 
L'autre  extrémité  est  en  rapport,  par  des  prolongements  filamenteux,  avec  une 
mince  couche  de  cellules  éloilées,  substratum  de  l'épithélium  de  l'organe  de 
l'émail.  Cette  disposition  est,  comme  on  voit,  analogue  à  celle  des  cellules  de 
l'ivoire  elles-mêmes.  C'est  par  un  phénomène  d'élaboration  de  l'épithélium  de 
l'organe  de  l'émail  que  se  produisent  et  transsudent  au  travers  du  plateau  les 
éléments  qui  constitueront  les  colonnes  ou  prismes  de  l'émail.  La  couche  péri- 
phérique, composée  de  petites  cellules,  à  noyau  central,  présente  des  prolonge- 
ments en  l'orme  de  diverticulum  qui  plongent  dans  le  tissu  voisin  et  y  jouent  le 
rôle  d'agents  de  nutrition,  par  voie  d'emprunt  au  réseau  vasculaire  ambiant. 
L'organe  de  l'émail,  lorsque  sa  fonction  est  achevée,  s'atrophie  et  disparaît.  C'est 
donc  un  organe  épithélial  transitoire,  dépourvu  de  vaisseaux  quelconques,  et, 
lorsque  est  achevée  la  formation  de  la  couche  d'émail,  on  n'en  retrouve  aucune 
trace. 

Vorgane  du  cément,  troisième  et  dernier  organe  constituant  du  follicule, 
présente  dans  son  développement  deux  phases  successives  :  c'est  d'abord  un 
tissu  embryonnaire,  très-riche  en  vaisseaux,  mais  dépourvu  de  nerfs;  puis  il  se 
transforme  en  un  véritable  fibro-cartilage  pourvu  des  cléments  caractéristiques 
ou  cliondroplastcs.  Cet  organe  subit,  après  l'achèvement  de  la  formation  de  la 
couronne,  une  dernière  transformation  osseuse  par  le  mécanisme  commun  à 
l'ossification  de  tous  les  cartilages  de  l'économie.  C'est  à  ce  phénomène  qu'est 
dû  le  développement  de  la  couche  de  cément  qui  entoure  la  couroime  des 
molaires  des  herbivores.  Quant  aux  dents  non  pourvues  de  cément  coronaire, 
mais  dont  les  racines  sont  revêtues  de  celte  couche  osseuse,  celle-ci  résulte  de 
l'ossification  du  périoste  alvéolo-dentaire.  Or,  ce  périoste  n'est  autre  que  la 
paroi  folliculaire  elle-même.  De  même  que  l'organe  de  l'émail,  l'organe  du 
cément  est  transitoire,  car  il  disparaît  entièrement  pour  faire  place  à  une  for- 
mation osseuse  régulière;  mais  il  en  diffère  en  ce  qu'il  possède  son  appareil 
vasculaire  propre. 

m.  Formation  de  l'organe  dentaire.  L'appareil  folliculaire  étant  ainsi 
constitué  morphologiquement,  ainsi  que  nous  l'avons  déterminé  dans  le  para- 
graphe précédent,  est  prêt  à  entrer  en  fonctionnement,  c'est-à-dire  à  produire 
les  tissus  dont  se  compose  l'organe  dentaire;  c'est  l'état  dynamique  de  l'appareil. 

La  description  des  phénomènes  de  formation  des  tissus  composant  la  dent 
-comprendra  les  divisions  suivantes  : 

a.  Développement  de  l'ivoire  ; 

b.  Développement  de  l'émail  ; 

c.  Développement  du  cément; 

d.  Formation  du  périoste  alvéolaire. 

Nous  ne  parlerons  pas  ici,  comme  on  peut  le  voir,  du  développement  de  la 
pulpe,  cet  organe  n'étant  autre  chez  l'adulte,  où  il  occupe  le  centre  de  chaque 
dent,  que  le  bulbe  embryonnaire  qui  persiste  sans  modification  sensible  de 
constitution  et  conservant  d'ailleurs  pendant  toute  sa  vie  sa  fonction  initiale, 
la  formation  de  l'ivoire. 

a.  Développement  de  Vivoire.  L'ivoire  est  la  première  partie  dure  qui 
apparaît  au  sein  des  organes  mous  et  friables  qui  constituent  le  follicule  dentaire. 

A  l'époque  indiquée  plus  haut  pour  chaque  follicule  en  particulier  on  voit 
naître  sur  un  lien  fixe  et  invariable  qui  est  le  point  culminant  du  bulbe,  et  sur 


DENT  (physiologie).  91 

\a  Mme  de  démarcalioii  qui  sépare  ce  dernier  de  Torgane  de  Témail,  un  point 
noir  et  opaque  ayant  la  forme  d'un  petit  cône  creux  (d'où  le  nom  de  chapeau  de 
dentine).  Sur  les  bulbes  unicuspidés  comme  celui  de  la  canine,  un  chapeau 
unique  apparaît  au  sommet;  pour  les  dents  à  saillies  multiples,  un  nombre  égal 
de  chapeaux  se  montre  sur  chaque  sommet.  Le  bulbe  des  incisives  se  recouvre 
ainsi  primitivement  de  trois  petits  cônes  qui  naissent  sur  les  trois  saillies  du 
liulbe,  pour  se  réunir  plus  tard  par  leur  base  et  donner  au  bord  tranchant  de 
la  couronne  cet  aspect  dentelé  qui  s'efface  par  les  progrès  de  l'âge.  Pour  les 
molaires,  le  phénomène  est  analogue  et  chaque  saillie  bulbaire  reçoit  un  cha- 
peau qui  se  soude  rapidement  à  ses  voisins. 

Or,  le  point  culminant  du  bulbe  oii  se  montre  la  première  trace  d'ivoire  est 
représenté  par  cette  couche  de  matière 
amorphe  hyaline  qui  a  été  si  souvent, 
et  bien  à  tort,  considérée  comme  une 
membrane  [memhrayia  prœformativa 
du  bulbe).  Cette  matière  amorphe  ren- 
ferme les  cellules  de  l'ivoire  ou  odon- 
toblastes  de  nature  t'pithéliale,  rangées 
parallèlemeul  entre  elles  et  perpendi- 
culairement au  bord  libre  du  bulbe. 
Ces  cellules  sont,  comme  ou  l'a  vu, 
composées  d'un  corps  et  de  deux  pro- 
longements, l'un  périphérique,  qui  se 
dirige  vers  la  superficie  du  bulbe,  l'au- 
tre central  qui  se  relie  aux  cellules 
du  substratum  et  par  elles  aux  extré- 
mités nerveuses  du  réseau  sensitif  du 
bulbe. 

C'est  autour  du  prolongement  péri- 
phérique ou  queue  des  odontohlastes 
que  se  produit  l'ivoire. 

Des  matériaux  calcaires  qui  sur- 
abondent dans  la  pulpe  à  cette  époque 
de  l'évolution  subissent  une  élabora- 
tion particulière  de  la  part  des  cellules 
de  l'ivoire  elles-mêmes.  Cette  élabora- 
tion donne  naissance  à  une  matière 
homogène  transparente  qui,  molécule 
à  molécule,  se  dépose  autour  du  pro- 
longement périphérique,  lequel  représente  l'axe  du  cana'icule. 

L'examen  attentif  de  la  composition  du  bulbe  à  cette  époque  montre  que  : 

\"  En  deçà  de  la  couche  des  odontohlastes,  le  tissu  du  bulbe  n'offre  d'autres 
particularités  nouvelles  qu'une  suracliv'ité  circulatoire,  congestion  vasculaire, 
grains  d'hématoidine,  etc.,  et  une  surabondance  de  matériaux  calcaires  (grains 
phosphatiques)  ; 

2"  Au  niveau  delà  couche  des  cellules,  celles-ci  ne  subissent  aucune  modifi- 
cation de  leur  substance,  aucun  cliangement  d'aspect; 

3"  Au  delà  de  la  rangée  des  cellules  et  dans  les  intervalles  des  prolongements 
filiformes,  une  masse  calcaire,  dure  et  transparente  s'est  produite,  l'ivoire. 


Fig.  9.  —  Fragment  de  dentine  de  formation  ré- 
cente chez  un  chien  nouveau-né  (grossissement 
de  o50  diamètres). 

a,  Mas=e  de  dentine  traversée  par  les  queues  des 
cellules,  lesquelles  dépassent  même  le  bord  ir- 
régulièrement brisé  de  la  préparation.  —  b, 
Cellules  de  l'ivoire  en  place.  —  c,  Substratum 
de  CCS  cellules  dont  les  ramifications  centrales 
sont  en  continuité  avec  les  exlrcmités  termi- 
nales des  nerfs  de  bulbe. 


92  DENT    (physiologie). 

Il  résulte  de  ces  fiùts  que  l'ivoire  n'apparaît  dans  la  couche  des  odontoblasles 
que  sur  un  point  fixe  et  spécial,  le  pourtour  des  prolongements  périphériques. 
Celte  détermination  présente  une  importance  très-grande  au  sujet  de  la  solution 
de  ce  point  de  physiologie,  car  les  auteurs  sont  jusqu'à  présent  fort  divisés  sur 
la  question  du  mécanisme  de  cette  formation. 

Ainsi  les  auteurs  anatomisles  sont  ])resque  unanimes  pour  considérer  l'ivoire 
comme  un  produit  de  sécrétion  du  bulbe,  idée  qui  a  d'ailleurs  été  reprise  dans 
ces  dernières  années  par  Kolliker,  Lent,  Hertz,  etc. 

Une  autre  doctrine,  défendue  aujourd'hui  avec  conviction  par  des  anatomistes 
de  premier  ordre,  Waldeycr,  Frey,  Boll,  Lionel  Beale,  les  deux  Tomes,  regardent 
l'ivoire  comme  le  produit  de  la  transformation  directe  des  odontoblasles. 

Dans  un  travail  français  (Hobin  et  iMagitot,  J800),  cette  seconde  théorie  a 
été  déjà  longuement  développée  et  eufin  adoptée.  11  a  doue  fallu  que  nos  re- 
cherches modernes  nous  aient  conduit  à  des  résultats  bien  différents,  puisque 
nous  venons  de  dire  qu'à  une  époque  quelconque  de  la  formation  de  l'ivoire 
la  couche  des  odontoblasles  ne  subit  aucune  transformation  de  sa  substance. 

En  effet,  notre  conviction  actuelle  est  que  l'ivoire  est  un  produit  d'élaboration 
des  cellules  de  la  'denline,  produit  spécial,  homogène,  et  dans  k  constitution 
duquel  les  cellules  elles-mêmes  jouent  un  rôle  constant,  puisque  d'une  part  les 
prolongements  périphériques  occupent  les  canalicules,  non-seulement  au  début 
de  la  formation,  mais  durant  toute  la  vie,  et  que  d'autre  part  les  cellules  per- 
sistent iiuléfiniment  à  la  couche  profonde  de  l'ivoire,  accomplissant  sans  cesse  la 
même  fonction:  la  production  de  l'ivoire. 

D'après  cette  manière  de  voir,  on  Sc-ra  tenté  de  nous  ranger  parmi  les  auteurs 
qui  considèrent  la  dentine  corrme  un  produit  sécrété;  nous  repoussons  cette 
théorie.  Dans  l'état  actuel  de  nos  connaissances  pliysiologiques,  tout  produit 
sécrété  perd  ses  connexions  avec  le  tissu  qui  lui  a  donné  naissance;  il  est  en 
réalité  rejeté  par  lui;  il  lui  devient  étranger,  quel  que  soit  d'ailleurs  son  rôle 
futur.  En  outre,  sa  composition  physique,  ses  propriétés  chimiques,  sont  fixes  et 
invariables.  Or,  comment  dès  lors  comparer  la  dentine  à  un  produit  sécrété,  en 
présence  d'un  tissu  rempli  par  un  faisceau  fibrillaire  très-serré  et  très-lin 
constitué  par  les  prolongements  de  cellules  subdivisés  et  anastomosés,  alors  que 
cette  substance  est  douée  d'un  mouvement  continu  de  rénovation  moléculaire, 
et  qu'elle  est  pourvue  de  sensibilité  propre,  puisque  les  filaments  sont  des  agents 
directs  d'impression  tactile? 

De  telles  conditions  n'appartiennent  pas  à  un  produit  sécrété.  La  dentine  est 
un  tissu  spécial,  ayant  une  constitution  auatomique  et  un  rôle  physiologique 
uniformes  dans  la  série  des  vertébrés.  Elle  se  forme  à  la  surface  de  la  couche 
des  cellules  épithéliales  qui  tapissent  le  bulbe,  enfermant  et  conservant  dans  sa 
substance  une  partie  de  celles-ci;  tissu  sans  analogue  dans  l'économie  animale, 
vivant,  sensible  et  moditiable  dans  ses  propriétés  diverses  par  l'âge  et  les  cir- 
constances accidentelles  ou  morbides. 

Il  n'y  a  rien  là  qui  puisse  rapprocher  un  tel  tissu  de  ce  qu'on  entend  d'ordi- 
naire par  produit  sécrété. 

La  première  couche  d'ivoire  qui  a  englobé  les  prolongements  d'un  groupe  de 
cellules  au  sommet  bulbaire  repose  donc,  par  sa  face  concave,  sur  le  corps 
même  de  ces  cellules,  dont  elle  est  d'ailleurs,  grâce  à  la  pénétration  des  prolon- 
gements, inséparable  sans  déchirure.  Sa  surface  convexe,  au  contraire,  est  libre 
et  ne  s'accroît  plus  extérieurement,  car  c'est  toujours  de  dehors  eu  dedans  que 


DEiNT  (physiologie).  93 

s'effectue  le  développement  du  chapeau  de  dentine.  D'autre  part,  cette  surface 
convexe  reçoit,  ainsi  que  nous  le  verrons  plus  loin,  les  prismes  de  l'émail,  les- 
quels, aussitôt  qu'est  formée  la  première  couche  de  dentine,  viennent  se  fixer 
à  sa  surface.  Une  adhérence  intime  s'établit  ainsi  entre  les  deux  tissus,  dès  le 
début  du  développement  et  jusque  chez  l'adulte.  C'est  de  la  sorte  qu'on  retrouve, 
à  la  surface  extérieure  de  l'ivoire,  les  impressions  en  mosaïque  des  extrémités 
des  prismes  de  l'émail. 

Le  phénomène  de  formation  de  la  dentine  qui  s'est  produit,  comme  on  vient 
de  le  voir,  autour  des  filaments  des  premières  cellules,  se  poursuit  et  s'étend 
sur  les  côtés  aux  cellules  voisines,  de  sorte  que  le  chapeau  primitif  s'étend  à 
la  fois  en  surface  à  sa  base,  et  en  épaisseur  à  son  centre.  De  cette  façon,  le  bulbe 
se  trouve  peu  à  peu  envahi  et  recouvert  par  une  coque  de  dentine  dont  l'inces- 
sant accroissement  réduit  d'autant,  et  d'une  façon  progressive,  le  volume  du 
bulbe.  Celui-ci  parvient  ainsi  peu  à  peu  à  se  renfermer  dans  une  cavité  close,  la 
cavité  de  la  pulpe,  laquelle  ne  conserve  plus  tard  de  relation  avec  les  tissus 
ambiants  que  par  les  canaux  radiculaires  qui  laissent  passer  les  vaisseaux  et  nerfs 
nourriciers  de  l'organe.  Mais  le  fait  sur  lequel  nous  ne  saurions  trop  insister, 
c'est  que,  à  toute  époque  son  développement,  aussi  bien  chez  l'embryon  que 
chez  le  vieillard,  tant  qu'on  retrouve  au  centre  d'une  dent  une  pulpe  vivante  et 
saine,  on  observe  à  sa  surface  la  couche  invariable  des  cellules  épitliéliales  pro- 
pres ou  odontoblastes  dont  les  ramifications  sont  incluses  dans  les  canalicules 
cl  entretiennent  au  sein  de  l'ivoire  la  vie  et  la  sensibilité. 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  nous  reste  à  dire  un  mot  du  mode  de  développement  des 
canalicules  qui  sillonnent,  comme  on  sait,  la  substance  fondamentale  de  l'ivoire. 

Les  canalicules,  tels  qu'ils  ont  été  décrits  de  tous  temps  par  les  auteurs,  ne 
doivent  pas  être  considérés  comme  réels  et  indépendants  :  ils  sont,  au  contraire, 
absolument  fictifs,  et  ne  se  montrent  avec  les  apparences  de  tubes  creux  qu'à 
l'état  sec,  alors  que  la  destruction  de  la  fibrille  leur  a  donné  cet  aspect  pure- 
ment artificiel. 

Sur  la  dentine  vivante,  à  l'état  frais,  les  canalicules  sont  occupés  et  remplis 
par  les  prolongements  fibrillaires  des  odontoblastes,  désignés  sous  le  nom  de 
fibrilles  de  Tomes,  du  nom  de  l'anatomiste  qui  les  a  découvertes. 

Il  serait  donc  plus  exact  de  considérer  la  dentine  comme  composée  d'une 
masse  fondamentale  dure  et  d'un  faisceau  de  filaments  déliés  renfermés  dans 
la  précédente.  Les  fibrilles  sont  d'une  ténuité  extrême,  et,  comme  elles  remplis- 
sent exactement  les  canalicules  et  leurs  ramifications,  elles  ont  la  dimension 
même  de  ceux-ci,  c'est-à-dire  de  0"',00l  à  0"',005,  très-difficiles  à  voir  sur  les 
coupes  de  l'ivoire,  chez  les  animaux  supérieurs;  elles  sont  très-nettement  visibles 
dans  les  canalicules  des  dents  des  poissons  en  général.  Les  tubes  sont  alors  plus 
larges  et  la  dessiccation  donne  à  la  fibrilh  un  contour  plus  net  et  une  apparence 
de  nodosités  qui  la  fait  ressembler  à  un  petit  chapelet  isolé  au  centre  d'un 
tube  creux. 

On  voit  par  là  que  les  canalicules  dont  la  description  figure  dans  tous  les 
traités  d'histologie  n'existent  pas  à  proprement  parler.  On  n'est  point  autorisé 
en  effet  à  les  considérer  comme  des  tubes  véritables  parcourant  la  substance  de 
la  dentine,  car  ils  n'apparaissent  sous  cet  aspect  que  par  suite  de  procédés 
artificiels,  soit  la  dessiccation  après  la  mort,  soit,  sur  le  vivant,  la  destruction  de 
la  pulpe  centrale  qui  entraîne  fatalement  la  gangrène  des  fibrilles.  Sur  une  dent 
vivante  en  effet  ou  dans  une  coupe  de  dentine  fraîche  préparée  sous  l'eau,  les 


g(  DENT  (physiologie). 

canalicules  sont  Irès-difticiles  à  apercevoir,  par  la  raison  bien  simple  qu'ils 
n'existent  pas  et  que  les  seules  parties  qu'on  rencontre  sont  les  filaments  ou 
fibrilles  incluses  dans  la  masse  de  la  dentine.  Mais  aussitôt  que  la  préparation 
est  restée  exposée  à  l'air  et  desséchée,  l'aspect  des  fibrilles  change;  elles  devien- 
nent noires  et  opaques,  et  c'est  de  leur  rétraction  cadavérique  que  résulte  eu 
réalité  la  lormation  du  canalicule. 

D'après  ces  idées,  déjà  exprimées  plus  haut,  l'ivoire  serait  composé  de  deux 
éléments  essentiels  :  1"  la  substance  fondamentale;  2°  les  fibrilles  qui  la  par- 
courent. C'est  là  très-exactement  la  constitution  normale  de  la  dent  vivante,  et 
c'est  pour  avoir  décrit  les  caractères  de  l'ivoire  mort  sur  des  dents  séparées  de 
l'économie  et  desséchées  qu'on  a  alfirmé  sa  structure  canaliculée,  laquelle  est, 
nous  le  répétons  encore,  un  fiùt  artificiel. 

Cette  théorie  sur  la  nature  de  l'ivoire  paraîtra  sans  doute  bien  éloignée  des 
opinions  courantes.  Elle  est  assurément  nouvelle,  car,  depuis  la  découverte  des 
prétendus  canalicules,  tous  les  auteurs  sans  exception  les  décrivent  comme 
des  canaux  creux,  remplis  d'un  liquide  qu'on  a  même  eu  la  prétention  d'ana- 
lyser, dont  on  a  donné  les  réactions  et  qui  renfermerait  des  substances  diverses, 
terreuses  et  autres. 

Quoi  qu'il  en  soit,  et  pour  rester  conforme  à  noire  présente  manière  de  voir, 
nous  aurons  à  décrire  la  disposition  qu'acquièrent  les  fibrilles,  leurs  ramifica- 
tions, leurs  anastomoses,  leurs  modes  de  terminaison.  Cette  description  tiendra 
lieu  de  celle  du  développement  des  canalicules  à  laquelle  nous  la  substituons. 

Or,  on  a  vu  que  les  cellules  de  la  denline  ou  odonloblastes  présentent  dans 
leurs  prolongements  périphériques  des  subdiviîiions  en  forme  d'arborescences 
véritables,  de  tous  points  comparables  aux  divisions  d'un  rameau  nerveux,  par 
exemple.  Dans  l'examen  qu'on  fait  d'une  préparation  de  cellules  arrachées  à  la 
face  profonde  d'un  chapeau  de  dentine,  les  ramifications  sont  fort  courtes;  les 
subdivisions  sont  rares,  mais,  si  l'on  observe  attentivement  les  extrémités  de  ces 
divisions,  on  reconnaît  quelles  sont  le  plus  souvent  coupées  nettement  et  brisées 
par  l'arrachement.  Ou  n'aperçoit  donc  pas  ainsi  leurs  terminaisons  ou  extrémités 
effilées  et  fermées. 

Il  n'en  sera  pas  de  même,  si  on  procède  d'une  autre  manière  :  qu'on  étudie, 
par  exemple,  sur  une  masse  d'ivoire  et  de  pulpe  traitée  par  les  acides  faibles, 
une  coupe  microscopique  comprenant  à  la  fois  la  couche  profonde  du  chapeau 
dentinaire  et  la  rangée  des  odontoblastes  dans  leurs  rapports  réciproques  et 
in  situ,  on  saisira  la  continuité  absolue  entre  les  cellules  de  l'ivoire  et  la  totalité 
du  faisceau  de  fibrilles  qui,  dans  la  dentine  ramollie  et  gélatiniforme,  semblent 
flotter  comme  une  masse  chevelue. 

Celte  méthode  est  excellente  pour  étudier  et  suivre  les  diverses  particularités 
des  fibrilles. 

Elles  apparaissent  ainsi  comme  un  pinceau  ayant  pour  base  la  paroi  de  la 
cavité  de  la  pulpe  et  s'étalant  dans  toute  l'étendue  de  l'ivoire.  Si  l'on  considère 
un  de  ces  faisceaux,  on  remarque  d'abord  qu'il  décrit  dans  son  parcours  un 
certain  nombre  d'ondulations  assez  régulières.  Ces  ondulations,  qui  modifient 
l'indice  de  rétraction,  donnent  l'apparence  de  lignes  générales  limitant  des 
couches  parallèles  et  concentriques  [lignes  de  contour  de  Richard  Owen)  et  qui 
ont  fait  admettre  que  l'ivoire  était  formé  par  couches  superposées  d'éc^ale 
épaisseur. 

Outre  ces  ondulations,  il  faut  expliquer  la  production  des  anastomoses  mul- 


DENT   (physiologie).  95 

liples  qui  parcourent  le  tissu  de  l'ivoire.  Ces  anastomoses,  ainsi  qu'on  l'a  vu 
plus  haut,  présentent  toutes  les  variétés.  Tantôt  penniformes,  elles  se  jettent 
directement  dans  les  ramifications  analogues  d'une  fibrille  voisine,  tantôt  c'est 
un  rameau  isolé  qui  se  détache  transversalement  à  angle  droit  et  se  rend  direc- 
tement à  la  fibrille  la  plus  proche.  D'autres  fois  le  rameau  franchit  sans  y  péné- 
trer une  ou  plusieurs  fibrilles  voisines  et  va  se  jeter  dans  la  troisième  ou  la 
quatrième. 

Cependant,  la  disposition  la  plus  commune  est  celle  d'arborisation  ordinaire, 
ramifications  subdivisées,  dont  les  extrémités  terminales  aboutissent  à  la  péri- 
phérie de  l'ivoire  sous  forme  de  renflements  de  dimensions  diverses.  Ces  renfle- 
ments, qui  ont  été  étudiés  ailleurs,  s'anastomosent  eux-mêmes  réciproquement 
par  un  système  de  petits  filaments  rayonnants  et  prennent  sous  le  microscope 
l'aspect  qui  a  été  désigné  sous  le  nom  de  réseau  anastonwtlque  des  canalicules 
dentaires.  Dans  la  théorie  que  nous  formulons  aujourd'hui  ces  renflemenls,  qui 
appartiennent  à  l'ensemble  du  système  fibrillaire  de  l'ivoire,  doivent  être  regardés 
non  plus  comme  des  lacunes  anastomotiques,  mais  comme  de  petites  dilatations 
(le  la  fibrille,  sortes  de  renflements,  ayant  tous  les  caractères  de  véritables 
cellules. 

Il  suit  nécessairement  de  ce  qui  précède  que  le  développement  de  ces  anasto- 
moses quelconques,  de  ces  renflements,  de  toutes  les  dépendances  enfin  des 
fibrilles  de  l'ivoire,  obéit  au  même  mécanisme  de  formation  que  le  tronc  principal 
représenté  par  la  queue  de  la  cellule  de  l'ivoire.  Ces  divisions  préexistent  dans 
le  prolongement  caudal  et,  au  moment  où  s'accumulent  les  matériaux  de  la 
dentine,  ceux-ci  se  groupent  et  se  disposent  autour  de  la  fibrille,  quels  que 
soient  d'ailleurs  le  nombre,  la  direction  et  les  dispositions  secondaires  de  celle-ci. 

On  doit  donc,  suivant  nous,  renoncer  désormais  à  considérer  l'ivoire  comme 
creusé  de  canalicules  pourvus  de  paroi  propre  et  contenant  un  liquide  d'imbibi- 
tion  charriant  des  matériaux  de  nutrition  ;  aucune  préparation  fraîche  traitée  par 
les  réactifs  qui  permettent  de  déceler  la  présence  d'une  paroi  membraneuse  n'au- 
torise une  telle  supposition.  Sur  une  coupe  de  dentine  ramollie  par  les  acides,  la 
fibrille  qui  flotte  dans  la  masse  a  exactement  'es  dimensions  et  les  caractères 
que  les  auteurs  ont  assignés  ordinairement  aux  canalicules  eux-mêmes,  et,  si  l'on 
ajoute  des  réactifs  coagulants  énergiques  et  en  même  temps  colorants,  tels  que 
l'acide  chromique,  le  chlorure  d'or,  etc.,  on  ne  parvient  pas  à  discerner  l'une  de 
l'autre  la  paroi  et  la  fibrille,  cette  dernière  représentant  donc  réellement  à  la 
fois  l'axe  et  le  contenu  du  canal.  D'ailleurs,  toutes  les  réactions  indiquées  pour  la 
démonstration  de  la  prétendue  paroi  propre  des  canalicules  s'appliquent  exac- 
tement à  celles  de  la  fibrille.  D'autre  part,  à  l'examen  attentif  d'une  préparation 
sèche,  dans  laquelle  le  canal  apparaît,  par  le  fait  seul  de  la  dessiccation  de  la 
fibrille,  on  observe  ({ue  tout  le  système  de  canalisation  ainsi  réalisé  artificielle- 
ment est  devenu  noir  par  l'entrée  de  l'air  et  contient  des  granulations  informes, 
détritus  noirâtres,  qui  avaient  souvent  attiré  l'attention  des  observateurs  et  qui 
ne  sont  autre  chose  que  les  débris  de  fibrilles  réduites  à  l'état  de  poussières 
amorphes. 

La  formation  de  l'ivoire  par  l'accumulation  régulière  des  matériaux  calcaires 
qui  en  constituent  la  partie  fondamentale  se  poursuit  ainsi  progressivement, 
non-seulement  pendant  toute  la  période  active  de  l'évolution  de  la  couronne, 
mais  encore  durant  toute  la  vie.  Seulement,  dans  la  période  folliculaire,  les 
phénomènes  revêtent  une  grande   activité,   tandis  que  chez  l'adulte  ils  sont 


96  DENT   (piiisioLOGiE). 

très-lents.  Toutefois,  ils  n'ont  comme  limite  que  la  \ieillesse  et  l'envahissement 
complet  de  la  cavité  de  la  pulpe.  C'est  ainsi  que  s'établit,  aussi  bien  pour 
riiomme  que  pour  les  autres  animaux,  ce  fait  du  développement  continu  de 
l'ivoire.  Or,  tandis  que  chez  ccriaines  espèces,  comme  les  rongeurs,  ce  déve- 
loppement continu,  justifié  par  l'usure  rapide  des  dents,  se  manifeste  par 
l'allongement  incessant  de  la  couronne,  il  se  confine,  pour  les  dents  à  racines 
fermées,  à  l'intérieur  même  de  la  cavité  centrale,  qui  se  réduit  peu  à  peu  d'é- 
tendue, mais  le  phénomène  est  partout  identique. 

Quoiqu'il  en  soit,  ce  travail  déformation  de  l'ivoire  n'est  pas  toujours  régulier 
et  continu.  li  est  soumis  à  certaines  perturbations  qui  constituent  en  réalité  des 
accidents  de  l'évolution  et  relèvent  conséquemment  du  domaine  des  anomalies, 
mais  leur  fréquence  est  assez  grande  pour  que  nous  devions  leur  consacrer  une 
étude  spéciale.  Nous  voulons  parler  du  mécanisme  de  production  des  globules 
de  dentine  et  des  espaces  interylobidaires. 

Lorsque  le  développement  de  la  dentine  est  en  pleine  activité  et  que  les 
couches  successives  de  matière  se  déposent  molécule  à  molécule  autour  du 
filament  caudal  des  odontoblastes  et  de  ses  divisions,  le  tissu  se  forme  régylier 
et  homogène.  11  se  poursuit  ainsi  t;int  qu'aucune  perturbation  quelcom^ue  ne 
survient  soit  dans  le  fonclionnemeut  local  des  follicules,  soit  dans  le  système 
nerveux  central,  qui  tient  sous  sa  dépendance  les  phénomènes  généraux  de  la 
nutrition. 

C'est  dans  ces  conditions  qu'apparaît  chez  l'adulte  la  dentine  normale,  au  sein 
de  laquelle  l'observateur  ne  constate  absolument  que  la  substance  homogène  et 
les  fibrilles  qui  la  parcourent.  Mais  qu'un  trouble,  même  léger,  survienne  soit 
dans  le  follicule,  soit  dans  l'état  général  du  sujet,  immédiatement  le  dévelop- 
pement de  l'ivoire  est  modifié.  La  matière  éburnée,  au  lieu  de  se  déposer  par 
un  travail  contiuu  et  insensible,  se  forme  par  masses  globuleuses,  sphéroïdales 
ou  ovoïdes,  d'un  volume  très-variable  (0'"'",004  à  0'"'^,03).  On  les  appelle  glo- 
bides  de  denline.  Ces  masses,  en  raison  même  de  leur  forme,  ne  peuvent  plus 
constituer  une  couche  régulière  d'ivoire.  Leurs  rapports  réciproques  ne  peuvent 
s'effectuer  que  par  des  points  tangents,  et  il  en  résulte  immédiatement  la  pro- 
duction d'espaces  irréguliers  circonscrits  par  les  surfaces  courbes  des  globules 
et  qui  sont  connus  sous  les  noms  d'espaces  interglobulaires. 

La  production  des  globules  de  dentine  n'est  donc  pas  un  phénomène  normal, 
mais  une  anomalie  de  nutrition.  C'est  à  ce  titre  que  cette  question  figure  dans 
l'histoire  des  anomalies  générales  de  l'ai^pareil  dentaire.  Cette  disposition  est 
toutefois  très-fréquente,  ce  qui  prouve  que  des  influences  même  fugaces  et 
faibles  sont  susceptibles  de  la  produire.  Dans  les  cas  où  une  perturbation 
sérieuse  survient  dans  la  formation  intra-folliculaire,  la  production  de  masses 
globuleuses  au  sein  de  l'ivoire  coïncide  avec  des  perturbations  analogues  et 
concomitantes  dans  la  formation  de  l'émail,  et  ce  dernier  renferme  alors  des 
stries,  des  zones  d'arrêt  de  production,  qui  donnent  extérieuremeut  à  la  cou- 
ronne l'aspect  des  dents  frappées  d'érosion.  Nous  n'insisterons  pas  ici  sur 
l'étude  du  mécanisme  de  l'érosion,  quia  été  développée  longuement  plus  haut 
ivoy.  Dent  [Anomalies]);  disons  seulement  que  la  présence  de  la  dentine  globu- 
laire est  beaucoup  plus  fréquente  que  les  stries  ou  sillons  de  l'émail,  dont  la 
coexistence  n'est  pas  par  conséquent  un  fait  constant.  11  semble  dès  lors  que  les 
troubles  du  fonctionnement  des  odontoblastes  soient  plus  faciles  à  produire  que 
ceux  de  la  couche  des  cellules  de  l'émail,  et  entons  cas  il  est  digne  de  remarque 


DEiNT  (physiologie).  97 

que  la  présence  des  globules  dans  la  denline  n'apporte  aucune  modification 
sensible  à  la  direction  et  au  trajet  des  fibrilles.  Cc-lles-ci  en  effet  continuent  leur 
parcours  régulier,  de  sorte  qu'elles  traversent  ainsi  les  globules  ou  les  espaces 
interglobulaires  indifféremment.  Les  globules  |)réseiitent,  par  leur  forme  même, 
un  indice  de  réfraction  tout  différent  de  la  dentiue  normale,  et  d'autre   part  les 
espaces  interglohulaires  représentent  des  lacunes  tantôt  remplies  par  un  épa- 
nouissement de  la  substance  de  la  fibrille,  tantôt  par  un  dépôt  même  de  la  den- 
tiue réparatrice,  mais  celte  dentine  supfilémentairc  est  généralement  plus  granu- 
leuse, ce  qui  contribue  avec  les  dilférences  de  réfraction  à  donner  à  ces  espaces 
un  aspect  tout  spécial.  En  outre,   le  dépôt  de  denline,  dont  ils  sont  le  siège, 
s'accroît  souvent,  de  telle  sorte  que  l'espace  d'abord  vide  ou  rempli  d'une  matière 
imparfaite  s'efface  dans  la  suite  et  disparaît.  C'est  ce  phénomène  que  nous  avons 
appelé  réparation  des  es^paces  inler globulaires.   Dans  aucun  cas  ces  es|jaces  ne 
sont  vicies,  et  si  Czermack,  qui  les  a  décrits  le  premier,  les  croit  remplis  d'air, 
c'est  qu'il  les  a  observés  sur  des  pré[)arations  sèclies,  dans  lesquelles  la  dessicca- 
tion du  contenu  a  donné  cette  apparence.  Cb.  Tomes  qui  les  a  soigneusement 
étudiés,  les  croit  pleins  d'une  matièie  molle,  facilement  envahie  dans  le  cours 
de  la  maladie  appelée  carie  par  les    filaments  de   Leptholhrix,  auxquels  il 
semble  disposé  à  faire  jouer  un  rôle  important  dans  la  marche  de  cet!e  alVeclioii. 
Synl'ièse     du    développement    de  l'ivoire.    Discussion   des   théories.     De 
l'ensemble  des  considérations  anatomiques  qui  précèdent  il  ressort  que  dans 
notre  opinion  l'ivoire  ou  dentine  se  forme  par  l'accumulation  à  la  surl'ace  exté- 
rieure de  la  couche  des  odontoblasles  d'une  matière  orgaiio-minérale,  qui  est  le 
résultat  de  l'élaboration  des  cellules  elles-raèmes. 

Celte  matière  ainsi  foimée  se  dépose  par  un  phénomène  insensible  et  continu 
autour  du  prolongement  caudal  ou  péri|)liéri(jue  de  chacune  des  cellules,  ainsi 
qu'autour  de  ses  divisions  et  subdivisions,  lesquelles  servent  à  la  fois  de  sque- 
lette ou  d'axe  au  groupement  de  ces  molécules. 

Si  nous  cherchions  une  analogie  qui  frappe  l'esprit,  nous  dirions  que  ce 
phénomène  peut  se  comparer  au  mécanisme  qui  dépose  sur  la  tige  ramifiée 
d'une  liante,  plongée  dans  une  source  c;ilcaire  pétrifiante,  les  particules  de. 
matière  qui  entourent  et  enferment,  par  une  précipitation  continue,  la  tige 
centrale  et  toutes  sos  subdivisions. 

Lorsque  les  progrès  du  développement  amènent  l'épaississemenl  de  la  pre- 
mière lame  de  denline  formée,  le  prolongement  de  l'odonloblaste  subit  un  allon- 
gement équivalent,  tandis  que  d'autre  part  le  tissu  du  bulbe  sous-jacent  à  la 
couche  des  odontoblastes  éprouve  un  retrait  proportionnel.  Ainsi  se  produisent 
deux  |ihénomènes  inverses  et  concomitants:  d'une  part,  l'épaississemenl  du 
chapeau  de  denline;  d'autre  part,  la  réduction  de  volume  du  bulbe. 

Le  prolongement  caudal,  devenu  axe  de  développement  de  la  dentine,  persiste 
dans  l'intérieur  de  la  masse  d'une  manière  permanente  et  indéfinie.  C'est  lui 
qui  a  été  décrit  chez  l'adulte  sous  le  terme  de  fibrille  de  Tomes. 

Les  fibrilles  de  Tomes,  dont  l'ensemble  constilue  le  faisceau  d'arborisation 
qui  parcourt  la  dentine  normale,  constituent  donc  avec  la  matière  fondamentale 
les  seules  parties  composantes  de  ce  tissu. 

En  dehors  de  ces  deux  éléments,  fibrilles  et  masse  homogène,  il  n'y  a  place 
pour  aucune  autre  partie.  Les  canalicules  déciits  dans  la  composition  de  l'ivoire 
sont,  nous  le  répétons,  de  formation  artificielle  et  résultent  de  la  dessiccation 
pure  et  simple  de  la  fibrille. 

DICT.  ENC.    XXVIL  7 


9ti  DENT   (physiologie). 

Aucune  préparation,  quels  que  soient  les  réactifs  employés,  ne  permet  de 
(lé<eler  la  présence  d'une  pi  étendue  paroi  propre  des  canalicules.  On  n'arrive 
dans  aucim  cas  à  discerner  sur  une  piéparalion  fraîche  ces  divers  éléments.  La 
fibrille  remplit  exactement  le  canalicule  qu'elle  accompagne  rigoureusement 
dans  tout  son  parcours.  La  prétendue  parui  que  décrit  Tomes,  et  qu'il  ligure 
sur  une  coupe  transversale,  résulte  d'une  illusion  d'optique  qui  montre  par 
réfraction  les  deux  orilices  superposés  du  même  tube  vidé  de  son  contenu. 
Nous  n'avons  jamais  pu  réaliser  non  plus  la  préparation  par  laquelle  Bull  croit 
avoir  vu  sur  une  coupe  transversale  brisée  les  gaines  des  tubes  surajustées 
à  la  fibrille  qui  en  formerait  le  centre. 

C'est  cependant  d'après  ces  idées  que  Tomes  décrit  dans  la  denline  formée 
trois  parties  distinctes  :  1°  la  sub^ancc  fondamentale  parcourue  par  des  tubes; 
2"  les  parois  propres  de  ces  Iules  ou  gaines  de  Nenmann;  3*  les  tibrilles  conte- 
nues dans  ceux-ci.  La  réaction,  qui  (•on^istc  à  soumettre  une  coupe  longitudinale 
de  denline  à  l'action  de  l'alcool  bouillant  qui  détruit  le  contenu  des  tubes,  ne 
nous  a  jamais  permis  de  voir  nettement  une  paroi  propre  in-.lépi  ndante  du  canal 
devenu  libre  par  la  desiruction  du  contenu.  C'est  toujours  le  contour  même  du 
canalicule  (|ui  p.'oduit  l'illusion  d'une  g;'înedistin(  te.  laquelle,  sur  aucun  point, 
ne  nous  a  paru  démonliablc.  Celle  mémo  illusion  a  trompé  Hope,  qui  a  cru 
voir  la  gaine  des  tubes  dans  des  coupes  de  dents  fossiles. 

La  présence  des  fibrilles  ramifiées  dans  la  masse  de  l'ivoire  n'est  en  tout  cas 
l'objet  d'aucune  contestation.  Aujourd'hui  Kôlliker,  Ijcnt,  Waldeyer  et  Neumann 
sont  d'accord  sur  ce  point. 

Les  préparations  que  nous  avons  personnellement  étudiées,  et  dont  quelques- 
unes  ont  été  dessinées,  montrent  d'ailleurs  in  situ  les  diverses  parties  compo- 
sâmes «le  l'ivoire  qui  n'app  iraissent  nettement  et  sans  cause  d'erreur  que  sur 
une  coupe  longitudinale  portant  simultanément  sur  la  dentine  ramollie  et  le 
tissu  du  bulbe  maintenu  dans  ses  rapports  norn)aux  avec  le  préci'dent. 

Dans  ces  conditions  que  résume  complètement  la  figure  9,  on  voit  à  un  très- 
fort  grossissement,  à  l'aide  de  l'objectif  à  immersion  : 

1«  La  couche  des  odonloblastes,  dont  les  prolongements  pénètrent  dans  la 
lumière  des  canalicules  {b)  ; 

2°  La  masse  de  l'ivoire  transparente  et  homogène  (a). 
On  ne  distingue  point  ni  directement,  ni  sous  l'influence  des  réactifs, 
l'existence  d'une  paroi  quelconque  que  d'ailleurs  les  faits  du  développement 
ne  sauraient  expliquer,  car  on  ne  peut  admettre  que  le  prolongement  cellulaire 
puisse  former  à  la  ibis  la  lilirille  centrale  et  la  gaine  à  laquelle  les  auteurs 
attribuent  une  nature  tout  à  fait  différente  de  la  fibrille  elie-même  ainsi  que 
des  réactions  opposées. 

La  denline  devra  donc  être  considérée  et  décrite  comme  un  tissu  puremeut 
fibrill  .ire,  l'ensemble  des  fibrilles  et  de  leurs  ramifications  étant  inclus  dans 
une  masse  durcifiée  dont  elles  sont  pliysiologiquement  inséj  arables,  et  à  laquelle 
elles  adhèrent  sans  interposition  d'aucune  substance  ou  paroi  quelconnue. 

b.  Développement  de  l'émail.  L'apparition  des  premiers  éléments  de  l'émail 
a  lieu  simultanément  avec  la  formation  de  la  première  couche  de  dentine.  Le 
point  exact  oti  elle  se  produit  est  la  surface  convexe  du  chapeau  de  dentine. 
Or  le  chapeau  se  formant  dans  l'inleislice  qui  sépare  le  bulbe  de  la  couche  des 
cellules  de  l'émail,  c'est  donc  exactement  à  la  face  profonde  de  celle  couche 
de  cellules  qu'apparaissent  les  premières  traces  de  l'émail. 


DENT  (physiologie).  90 

D'autre  paît,  chaque  cellule  de  l'orgaue  de  l'émail  étant,  comme  on  sait, 
pourvue  d'un  plateau,  c'est  à  la  l'ace  interne  de  celui-ci  qu'on  voit  transsuder, 
de  la  manière  la  plus  positive,  la  sulislance  de  l'émail.  Ctiai|ue  cellule  élabore 
les  matériaux  nécessaires  à  la  forniali<in  d'un  pri^rae  :  les  premières  cellules 
qui  entrent  en  fonctionnement  sont  ct-lles  qui  répondent  au  sommet  même  du 
chapeau  dentinaire,  et  de  la  sorte  la  contiguïté  entre  le  plateau  des  cellules  de 
l'émail  et  la  surface  du  bulbe  se  trouve  rompue  à  la  fois  par  la  formation  de  la 
denline  et,  par  celle  de  l'émail  qui  la  recouvre  immédiatement. 

Ce  phénomène  initial  au  point  de  vue  du  lieu  lixe  de  son  début,  ainsi  que  du 
mécanisme  de  sa  formation,  est  très-évident,  si  l'on  observe  insilu  les  dilTérentes 
parties  d'un  follicule  préalablement  durci  par  l'acide  chroinique,puis  traité  par 
.des  matières  colorantes  et  le 
chlorure  d'or. 

On  voit  alors  très-nettement 
de  dehors  en  dedans  (fig.  10)  : 

1"  La  pulpe  éloilée  de  l'organe 
de  l'émail  (a)  réduite  à  une  très- 
faible  épaisseur  et  limitée  au 
dehors  par  la  couche  de  petites 
cellules  de  l'épithélium  externe 

2°  Le  subsLratum  des  cellules 
de  l'émail  avec  ses  cellules  étoi- 
lées,  ttès-serré  {au-dessousde  b); 

3°  La  couche  des  cellules  de 
l'émail  dans  laquelle  les  réactifs 
ont  rendu  le  noyau  granuleux 

¥  Le  plateau  des  cellules 
représentant  ce  que  les  auteurs 
ont  considéré  comme  la  membrane  préformative  {e); 

h"  Enfin,  au-dessous  du  plateau  et  en  coniact  direct  avec  la  face  convexe  du 
chapeau  de  dentine,  les  éléments  de  Téniail  lui-même. 

La  distinction  de  ces  diverses  parties  su|ier|)Osées  est  rendue  très-nette  par  la 
coloration  au  carmin,  qui  teinte  les  cellules,  leur  substratum  et  le  tissu  de  l'or- 
gane de  l'émiil,  tandis  qu'il  épargne  rémuil  lui-même,  qui  apparaît  avec  sa  teinte 
grise  et  sa  transparence  caractéri>liques. 

Les  premières  traces  de  l'émail  ainsi  formées  au-dessousde  la  série  de  plateaux 
rencontrent  immédiatement  la  surface  exié/  ieure  du  chapeau  de  denline  et  s'y 
fixent  directement  sans  interposition  d'aucune  substance.  C'est  alors  que  sur 
une  préparation  favorable  on  peut  apercevoir  l'aspect  en  mosaïque  de  cette 
face  convexe  de  la  dentine  formée  par  les  petites  dépressions  poly^^onales  qui 
reçoivent  les  colonnes  prismatiques  de  l'émail.  On  reconnaît  en  même  temps  ce 
fait  très-important  que,  tandis  que  chaque  prisme  d'émail  est  le  lésultat  de 
l'exsudation  isolée  de  chacune  des  cellules  de  l'émail,  ces  dernières,  qui  sont 
comme  on  snit,  polygonales  par  pres^ion  réciproque,  donnent  exactement  au 
prisme  produit  la  même  forme.  C'est  celle  dis|io.>ilion  qui  imprime  à  un  "roune 
de  prismes  détachés  de  l'ivoire  cet  a-pecl  de  mosaïque  élégante  qui  se  retrouve 
dans  les  dépressions  de  la  surface  du  chapeau  de  dentine.  On  a  attribué 


Fig.  10.  —  Coupe  de  l'organe  de  rdmail  et  de  rémail 
soiis-jiicenl  in  situ  chez  un  embryon  de  rhien  voisin  du 
tenne  (loliicule  d'incisive)  (groîsissement  de  600  di»- 
mèlros). 

a,  Coui  lie  d^s  cellules  externes  de  l'organe  de  l'émail  (épi- 
tlii'liuiM  exirriie).  —  b.  Tissu  propre  de  roryaiie  ou 
sulisiruliim  des  cellules ctoilées.  —  c,  Cellules  de  rémail, 
adantanlohlastes.  —  e.  Plateau  des  cellu'e>forn)anl  mem- 
brane.—  Au-dessous,  les  prismes  de  l'émail. 


100  DENT   (physiologie). 

souvent  aux  prismes  de  l'émail  une  forme  exactement  hexagonale.  Cela  n'esf 
pas  tout  à  fait  exact,  et  sur  une  coupe  transversale  d'un  fragment  d'émail 
récemment  formé  la  disposition  n'est  pas  aussi  matliémaliquement  régu- 
lière. 

Après  le  di'but  de  formation  que  nous  venons  d'indiquer,  la  couche  d'émail 
augmente  à  la  fois  en  surface  et  en  épaisseur  :  l'augmenlatioti  en  surface 
s'effectue  par  l'entrée  en  fonctionnement  des  celhiles  situées  au  poui  tour  du 
fragment  déjà  formé  et  par  un  mécanisme  absolument  semblable.  La  seule 
raison  [thysiologi(|ue  qui  détermine  ce  fonctionnement  est  l'extension  en  surface 
du  clia|ieau  dcntinaire;  dès  qu'une  nouvelle  zone  de  dentine  s'est  ajoutée 
autour  du  chapeau,  une  quantité  de  prismes  suffisante  pour  le  recouviir  se 
développe  aussitôt.  Les  deux  phénomènes  sont  simultanés. 

Quant  au  dcvt  loppement  en  épaisseur,  il  est  le  résultat  du  fonctionnement 
plus  ou  moins  long  de  chaque  cellule  d'émail,  de  sorte  que,  si  sur  le  sommet 
d'iui  lubeicule  de  la  couronne  l'émail  offre  une  hauteur  quatre  ou  cinq  fois 
plus  grande  que  sur  les  côtés,  c'est  que  le  mécanisme  de  formation  est  quatre 
ou  cinq  fois  plus  long.  Mais  ce  qui  est  pleinement  démontré,  c'est  que,  sur 

quelque  point  qu'on  observe  la  couche  d'é- 
mail, il  n'y  a  jamais  qu'un  seul  prisme 
pour  occuper  toute  l'épaisseur  du  tissu. 

Ainsi  qu'on  le  voit,  le  mécanisme  de 
formation  de  l'émail  peut  se  formuler  dans 
sa  physionomie  essentielle  de  la  manière 
suivante  : 

i°  L'émail  est  un  produit  d'élaboration 
des  cellules  épithéliales  prismatiques  dites 
de  rémail  que  nous  proposons  d'appeler 
adamantoblastes,  lesquelles  cellules  lais- 
sent transsuder  par  leur  extrémité  ceutrale 
et  au  travers  de  leur  plateau  les  éléments 
calcaires  qui  constituent  la  substance  de  l'é- 
mail; 

2"  Chaque  cellule  d'émail  produit  ainsi 
un  prisme  déforme  identique  à  elle-même, 
mais  de  longueur  variable  suivant  la  région 
de  la  couronne  et  l'épaisseur  future  du  re- 
vêtement d'émail; 

3°  Les  prismes  d'émail  adhèrent  entre 
eux  et  à  la  surface  exlériume  du  chapeau 
de  dentine  par  contact  moléculaire  immé- 
diat et  sans  interposition  d'aucune  matière  quelconque. 

Les  prismes  d'émail  ainsi  formés  ont,  comme  on  sait,  une  constitution  tout  à 
fait  homogène  :  ils  s(mt  constitués  par  une  substance  d'une  très--n-;Mide  dureté, 
Iransp.rente,  sans  granulations  ni  stiies  d'aucune  sorte.  11  n'existe  dans  son 
intérieur  aucune  trace  de  canalisation  quelconque  et,  dès  que  son  développement 
est  achevé,  il  n'est  susceptible  d'aucune  modification  dans  sa  constitution.  Son 
modcd'oiigino,  son  isolement  de  toute  source  vasculaire  et  nerveuse  quelconque, 
en  font  une  soile  de  vernis  fixe  et  invariable. 
La  nature  épithéliale  qu'a  présentée  l'organe  de  l'émail  dans  tout  le  cours  de 


m- 


-.y^ 


!Fig.  "11.  —Coupe  de  l'organe  de  l'émail  et 
(le  l'émail  lui-même  sur  un  follicule  de 
chien  ii.ort-f  é  ;  pi cparation  ramollie  par 
Tacide  tlilorhvdnque  (grossissement  de 
300  diamctiosj. 

/7,  Email  ramolli  devenu  granuleux  et  strié. 
—  b,  (.'ellules  de  l'email  surmontées  de 
cellules  éloiléeMiu  sulislratum.  — c,  Sub- 
stralum  des  cellules.  —  d,  Plateau  des 
cellules  avec  leur  aspect  membranilorme. 


DENT  (pnrsioLOGiE).  101 

son  évolution  se  retrouve  exactement  dans  le  tissu  dur  et  compact  auquel  il 
donne  naissance  ;  l'émail  est  un  revêtement  de  provenance  épitheliale. 

Le  développement  de  l'émail  dont  nous  venons  d'esquisser  les  phénomènes 
essentiels  e4  très-souvent  soumis,  ainsi  que  nous  l'avons  déjà  signalé  plus  haut, 
à  des  perturbations  qui,  bien  que  relevant  de  la  tératologie,  peuvent  être  utile- 
ment rappelées  ici. 

Il  arrive  souvent,  en  effet,  que  sous  l'influence  d'un  trouble  local  dans  le 
fonctionnement  du  follicule  ou  sous  la  dépendance  d'un  arrêt  de  nutrition  le 
phénomène  de  formation  régulière  des  prismes  est  plus  ou  moins  profondément 
vicié  :  on  voit  alors  ces  prismes  perdre  leur  parallélisme,  s'infléchir  en  groupes 
plus  ou  moins  étendus  et  quelquefois  se  disposer,  suivant  l'expression  de  Tomes, 
en  des  espèces  de  tourbillons. 

En  même  temps,  la  constitution  intime  de  la  substance  semble  avoir  perdu 
de  sa  pet  feciion  ;  la  structure  n'est  plus  homogène  ;  les  prismes  sont  comme 
marbrés,  granuleux  et  opaques. 

Les  conséquences  de  ces  dispositions  accidentelles  sont  bien  connues  des 
observateurs  :  la  couche  d'émail  présente  alors  des  taches,  des  onilulatioiis  ou 
bien  des  fissures,  des  gouttières  dans  lesquelles  un  stylet  fin  peut  parfois  pénétrer 
jusqu'à  l'ivoire  mis  à  nu  au  fond  de  la  perte  de  substance.  Nous  n'insisterons 
pas  davantage  sur  ces  détails. 

Nous  avons  vu  dans  le  cours  du  précédent  paragraphe  que  le  début  delà  genèse 
de  l'émail  coïncidait  avec  une  réduction  générale  de  volume  de  l'organe  de 
rémail  en  même  temps  qu'avec  un  allongement  concomitant  des  cellules  de 
l'épilhélium  interne  (cellules  de  l'émail  ou  adamantoblasles) .  On  observe  en 
effet  à  cette  péiiode  de  l'évolution  que  la  pulpe  étoilée  de  1  organe  subit  un 
amincissement  tel  qu'il  ne  reste  plus  en  réalité  que  la  seule  couche  du  substra- 
tum  des  cellules,  laquelle  est  dès  lois  limitée  en  dehors  par  la  rangée  des  petites 
cellules  de  l'épithélium  externe  et  en  dedans  par  la  rangée  des  cellules  de 
l'émail.  Cette  résorption  se  continue  pendant  la  iormation  du  tissu  et,  dès  (|ue 
aelui-ci  a  atteint  son  entier  développement,  l'atrophie  et  la  résorption  gagnent 
jusqu'aux  cellules  de  l'émail  elles-mêmes,  lesquelles,  après  l'achèvement  de 
leur  fonction  physiologique,  disparaissent  sans  laisser  aucune  trace.  Seul  le 
plateau  persisterait  à  la  surface  extérieure  de  l'émail  formé,  de  manière  à 
constituer  cette  pellicule  qu'on  a  désignée  sous  le  nom  de  cuticule  de  l'émail. 
Telle  est  du  moins  ro|)inion  de  beaucoup  d'auteurs.  Mais  il  est  une  autre  théorie 
émise  pour  la  première  fois  par  Owen,  et  qui  tendrait  à  prouver  que  sur  les 
dents  de  certains  Mammifères,  dépourvues  en  apparence  de  cément  coronaire 
(homme,  singes,  carnassiers,  etc.),  la  cuticule  ne  serait  autre  qu'une  couche 
iudimentaire  de  véritable  cément. 

Cette  idée  a  été  reprise  plus  récemment  par  Ch.  Tomes,  et  cette  fois,  ainsi 
que  nous  l'avons  vu,  avec  une  apparence  de  démonstration.  Cet  ingénieux  ana- 
tomiste  ayant  soumis  diverses  coupes  d'émail  frais  empruntées  à  des  dents  hu- 
maines aux  réactifs  ordinaires  qui  décèlent  la  présence  de  la  cuticule,  a  réussi 
à  rencontrer  des  points  favorables  sur  lesquels  l'existence  de  cavités  caractéris- 
tiques du  cément  lui  a  paru  hors  de  doute. 

Nous  sommes  très-lenté  de  nous  ratta'  lier  à  cette  théorie  en  raison  des  faits 
anatomiques  sur  lesquels  elle  s'appuie,  et  nous  serions  conduit  ainsi  à  considérer 
le  phénomène  de  résorption  de  l'organe  de  l'émail  comme  complet,  y  compris  le 
plateau  des  cellules.  On  ne  saurait  que  difficilement  admettre,  en  effet,  que  le 


102  DENT  (physiologie). 

plateau  formé  d'une  pellicule  amorphe  puisse  jouer  à  un  moment  donné  le  rôle 
d'organe  du  cément.  Dans  les  follicul^•s  des  dents  à  cément  coronaire  on  trouve 
ù  la  fois  Vorgane  du  cément,  qui  est  cartilagineux,  et  Vorgane  de  l'émail 
sous-jacenl  au  premier  avec  ses  cellules  ei  leur  plateau.  Il  est  dès  lors  impro- 
bable que  le  plateau  joue  un  rôle  quelconque  d;uis  le  développement  du  cément, 
et  il  est  raiionuel  de  lui  refuser  également  ce  rôle  pour  les  dents  dépourvues 
de  cément  coronaire.  Mais  ce  raisonnement,  qui  a  pour  conséquence  de  nous 
rapprocher  de  la  ma  lière  de  voir  de  Ch.  Tomes,  se  trouve  confirmé  en  outre  par 
une  expérience  personnelle,  qui  est  la  suivante  : 

Si  la  cuticule  de  l'émail  représente  à  la  surface  des  dents  sans  cément  coro- 
naire la  couche  rudimentairc  de  cément,  on  ne  doit  donc  pas  la  retrouver  à  la 
surface  de  l'émail  des  dents  entourées  d'une  couche  épaisse  de  cément,  telle 
que  les  molaires  composées  des  llerhivores. 

Or,  l'élude  d'une  cou|ie  mince  transversale  de  ces  dents,  intéressant  à  la  fois 
l'émail  et  le  cément  contigus,  ne  décèle  entre  eux,  sous  riulluence  des  réactifs 
appropriés,  la  prés' nce  d'aucune  pellicule  quelconque.  Cette  expérience  est 
donc  un  argument  favorable  à  la  théorie  de  Ch.  Tomes. 

Si  nous  résumions  en  quelques  mots  le  développement  de  l'émail,  ainsi  que 
nous  l'avons  lait  pour  celui  de  l'ivoire,  nous  nous  bornerions  à  formuler  les 
conclusions  suivantes  : 

1.  L'émail  est  un  produit  de  traiissudation  des  cellules  épithéliales  dites  de 
l'éma  1,  adamanioblastes ; 

2.  11  est  composé  de  prismes  parallèles,  homogènes,  d'une  constitution  anato- 
mique  et  chimique  fixe  et  invariable  dès  le  moment  où  est  achevée  sa 
formation. 

3.  Sans  être  rigoureusement  de  nature  épithrliale,  il  représente  à  la  surface 
de  la  dent  et  joue,  à  l'égard  de  l'ivoire,  le  rôle  d'un  épithélium    urci. 

c.  Développement  du  cément.  Le  cément  {cortical  osseux  de  Tenon,  Tooth- 
èone  des  analomistes  anglais)  est  composé,  comme  on  sait,  par  du  tissu  osseux 
proprement  dit,  avec  quelques  modiîicaiions,  secondaires  d'ailleurs,  dans  la 
forme  et  dans  la  disposition  de  ses  éléments  {voy.  Os). 

Le  mécanisme  de  sa  genèse  et  de  son  développement  devra  donc  être  ici 
identique  de  tous  points  à  ce  qu'on  observe  dans  toute  autre  partie  du 
squelelie. 

Or,  le  phénomène  du  développement  du  tissu  osseux  en  général  comprend 
deux  modes  (lilférents  : 

1"  Tantôt  l'ossitication  s'effectue  Tp^r  substitution,  c'est-à-dire  que  les  éléments 
osseux  se  substituent  à  un  cartilage  préexistant  de  même  disposition  et  de  même 
forme.  C'est  ce  qui  a  lieu,  ain^i  qu'on  sait,  pour  les  os  des  membres,  par 
exemple; 

2''Taniôt  le  tissu  osseux  se  produit  par  genèse  directe  et  primitive  an  sein 
du  tissu  cellulaire  embryonnaiie  dit  fihro-plastique.  On  l'appelbi  ossification  par 
envahissement.  C'est  à  lui  qu'est  due  la  formation  des  os  du  crâne,  des  mâchoires 
et,  en  général,  de  tous  les  os  qui  ne  sont  point  précédés  de  caitilages. 

Ces  deux  modes  sont  entièrement  applicables  au  développement  de  la  couche 
osseuse  appelée  cément;  seulement,  rossification  par  substitution  appartient  aux 
follicuhs  qui  renferment  un  organe  du  cément  dissécable  et  distinct,  tandis  que 
l'ossification  par  envahissement  fournit  le  cément  radiculaire  dans  les  follicules 
dépourvus  d'organe  du  cément. 


DENT   (physiologie).  105 

La  production  du  cément,  quelle  que  soit  d'ailleurs  son  étendue  en  surface 
ou  en  épaisseur  autour  des  dents  des  Mammifères,  se  rattache  donc  essentielle- 
ment au  phénomène  physiologique  de  l'ossification,  et  dès  lors  sa  l'oniialion  est 
absolument  dilTérente,  dans  l'ensemble  de  ses  caractères,  de  celle  qui  a  donné 
naissance  à  l'ivoire  et  à  l'émail.  On  voit  de  plus  que,  tandis  que  ces  deux 
derniers  tissus  obéissent  dans  leur  développement  à  un  mécanisme  unilorme,  la 
formation  cémentaire  se  présente  sous  les  deux  aspects  que  nous  venons  d'indi- 
quer :  toutes  les  fois  qu'il  existe  un  organe  du  cément,  l'os  se  aiibslilue  à  son 
cartilage  suivant  les  lois  ordinaires.  C'est  ce  qui  a  lieu  pour  les  Iblliculcs  des 
molaires  des  Herbivores,  lesquelles  sont,  comme  on  sait,  entourées  complè- 
tement d'une  épaisse  couche  osseuse.  Lorsqu'il  s'agit  au  contraire  de  dents  qui 
sont  dépouivues  de  cément  coronaire  et  qui  n'ont  autour  de  leurs  racines 
qu'une  laible  couche  cémentaire,  le  tissu  osseux  envahit  une  mince  lame  de 
tissu  cellulaire  de  la  face  interne  de  la  paroi  du  follicule,  laquelle  paroi  devient 
plus  tard  le  périoste  alvéolo-dentaiie  par  le  reste  de  son  épaisseur.  Ici,  par 
conséquent,  cette  membrane  cellulo-vasculaire  qui  tapisse  la  racine  des  dents 
présente  les  conditions  de  la  production  des  o^téohlastes  ci  de  la  substance  phos- 
phatique,  etc.,  qui  les  englobe  en  les  faisant  arriver  iÀ  l'état  d'ofttéoplastea, 
tels  que  les  présente  la  surface  profonde  du  périoste  osseux  en  général  [voy.  Os, 
première  partie,  §  I,  et  deuxième  partie,  §  III). 

Nous  avons  donc  à  étudier  ici  les  deux  modes  de  formation  du  cément;  en  ce 
qui  concerne  celte  nouvelle  partie  de  netre  travail,  nos  idées  n'ont  subi 
aucune  modification  depuis  celles  que  nous  avons  déjà  formulées  antérieurement 
en  France,  dans  un  travail  publié  avec  noire  maîtie  Ch.  Uobiii  (ISGO-OI). 

A.  Ossification  (le  Torgane  du  cément.  Pour  observer  d'une  fayon  complète 
l'ossification  du  fibro-cartilage  qui  repvésenle  l'organe  du  cément,  il  tant  choisir 
dans  un  follicule  de  molaire  d'Herbivore  et  plus  spécialement  de  Sulipède  une 
coupe  d'ensemble  intéressant  à  la  fois  toutes  les  couches  superposées  des  tissus 
qui  occupent  un  sommet  bulbaire.  Le  follicule  ayant  été  traité  par  les  acides 
faibles  destinés  à  ramollir  l'émail  et  l'ivoire,  puis  durci  par  l'acide  chromique 
et  traité  par  le  carmin,  on  y  pratique  assez  aisément  une  coupe  d'ensemble, 
grâce  à  la  densité  devenue  égale  dans  les  diflerenls  tissus.  On  réalise  ainsi 
une  préparation  dans  laquelle  toutes  les  parties  superposées  sont  conservées 
in  situ. 

Or,  si  la  couche  d'émail  est  parvenue  à  son  épaisseur  définitive,  on  assiste 
au  phénomène  de  la  substitution  osseuse  au  fibro-carlilage  cémentaire,  car 
son  début  coïncide  exaclement  avec  l'achèvement  de  la   couche  d'émail. 

L'organe  fibro-carlilagineux  que  nous  avons  décrit  éprouve  d'abord  des 
modifications  très-sensibles  :  il  perd  sa  vascularité  et  prend  une  teinte  grisâtre. 
Toutefois  cette  modification  ne  se  produit  pas  simultanément  sur  tnus  les 
pointsde  la  masse  :  c'est  à  la  face  profonde  ({ifil  apparaît  tout  d'abord  pour  s'étendre 
ensuite  à  toute  l'épaisseur  de  l'cu-gane  {voij.  (ig.  12).  Ace  moment  l'atrophie  de 
l'organe  de  l'émail  est  complète  et  la  couche  osseuse  du  début  se  montre  ainsi 
en  contact  direct  avec  l'émail.  On  aperçoit  alors'  dans  le  sein  même  de  ce  fibro-car- 
tilage  des  traînées  ou  des  nappes  de  grains  phosphaliques,  opaques  et  granuleux, 
solubles  par  les  acides,  mais  formant  des  taches  grisâtres  dans  l'intervalle  des 
chondroplastes.  La  présence  de  ces  taches  donne  à  la  bande  du  tissu  par  laquelle 
débute  l'ossification  une  teinte  uniforme,  dont  on  peut  suivre  l'extension  pro- 
gressive en  épaisseur  sur  une  série  de  préparations  analogues  prises  sur  des 


•104  DENT  (physiologie). 

follicules  de  plus  en  plus  avances  dans  l'évolution.  C'est  ainsi  que  peu  après 
les  points  d'ossification,  se  multipliant  et  s'étendant  à  la  fois  dans  tous  les  sens, 
arrivent  à  ocruper  toute  l'épaisseur  de  l'organe. 

A  ce  moment,  l'ossification  de  l'organe  du  cément  est  un  fait  accompli  et  la 
dent  (molaire  d'Herbivore)  elfeclue  son  ascension  au  sein  de  la  muqueuse  et 
paraît  au  dehors. 

Le  cément  examiné  à  cet  état  définitif  est  constitué  par  les  éléments  ordi- 


f  e  d  c'    c  B 


Fig.  12.  —  Fi'aprtient  de  la  coupe  d'un  follicule  d'incisive  prali(iuée  au  niveau  des  saillies  bull^aires  dans 
un  follicule  d'tmbryon  de  cheval  de  220  jours  et  destinée  à  montrer  dans  leur  situation  léciptoque  les 
diverses  parties  composantes  du  follicule  au  moment  de  la  formation  des  tissus  dentaires.  Le  sujet  a 
été  injecte  au  carmin  et  la  prcparalion  a  été  traitée  par  les  acides  faibles,  pui?  duruie  par  les  chro- 
mâtes. 

n,  Paroi  osseuse  alvéol.iire.  —  bb,  Sac  folliculaire.  —  ce.  Organe  du  cément  Irès-vasculaire;  il  présente 
à  gauche  une  grande  épaisseur  parce  que  dans  ce  point  il  ^e  ro|die  dans  la  profondeur  du  coiDCt.  — 
c',  Portion  la  plus  interne  de  l'organe  du  céiuent  qui  a  déjà  subi  la  transformation  en  cartilage.  — 
rf,  Couche  «les  cellules  de  l'émail,  dernier  vestige  à  celte  époque  de  l'organe  de  ce  nom.  —  e,  Email 
formé.  —  f,  Dcntine.  —  3,  Bulbe  central. 

naires  du  tissu  osseux  :  ostéoplasles  inclus  au  sein  d'une  substance  fonda- 
mentale légèrement  striée.  Toutefois  on  constate  que  la  portion  la  plus  interne 
du  cément  est  beaucoup  moins  riche  en  cellules  que  les  autres  points,  et  qu'elle 
forme  comme  tme  zone  claire  et  transparente  immédiatement  contiguë  à  la  sur- 
face de  l'émail. 

En  même  temps  que  le  développement  osseux  s'achève  dans  le  sens  de 
l'épaisseur,  il  se  poursuit  dans  la  direction  des  racines  par  la  produclion 
progressive  des  taches  et  traînées  phosphatiques.  Ce  phénomène  est  corollaire  de 
la  marche  même  de  l'éruption  et  chaque  poussée  de  la  couronne  à  l'extérieur 
coïncide  avec  une  production  équivalente  du  cément,  puis,  lorsque  l'éruption 
est  complète,  l'ossitication  se  prolonge  dans  la  direction  des  racines  qui  se 
recouvrent,  comme  on  sait,  d'un  revêtement  décernent  dont  l'épaisseur  s'accroît 
encore  notablement  au  niveau  du  sommet  radiculaire  pour  te  terminer  souvent 


DENT  (physiologie).  105 

par  un  mamelon  arrondi  composé  de  substance  fondamentale  avec  des  ostéoplastes 
finement  ramifiés.  C'est  ce  mamelon  qui  est  traversé  par  l'ofifice  du  canal 
radiculaire  et  par  les  vaisseaux  et  nerfs  nourriciers  de  la  pulpe. 

B.  Formation  du  cément  radiculaire.  On  sait  que  cliez  l'homme,  les 
quadrumanes,  les  carnassiers,  et  chez  un  grand  nombre  d'autres  espèces 
animales,  les  dents  ne  sont  pourvues  de  cément  (|u'autonr  de  leur  racine,  et  que 
la  couche  qui  représente  ce  tissu  est  d'une  minceur  telle  que  le  plus  souvent 
elle  n'est  pas  visible  à  l'œil  nu. 

Mais,  si  l'on  cherche  dans  les  follicu'es  des  dents  des  espèces  que  nous  avons 
indiquétîs  une  trace  de  l'organe  du  cément,  tel  que  nous  venons  de  le  décrire, 
on  ne  rencontre  rien  d'anidogue.  Dans  un  follicule  préalablement  durci  el 
préparé  suivant  une  coupe  intéressant  toute  son  étendue,  on  reconnaît  qu'an 
delà  de  l'organe  de  l'émail  et  sur  le  point  qu'occupe  dans  un  follicule  de 
molaire  d'herbivore  Vorgane  du  cément,  il  n'existe  qu'une  mince  couche  de 
tissu  conjonctif  disposée  en  lame  ou  membrane  homogène,  laquelle  représente 
exactement  la  paroi  du  follicule. 

Au  moment  où  s'effectue  l'éruption  de  la  couronne,  celle-ci  refoule  cette 
paroi  du  follicule  el  se  fraye  un  passage  au  travers  de  la  muqueuse.  Mais, 
comme  on  sait  que  cette  couronne  présenîe  à  la  surface  de  sa  couche  d'émail 
une  pellicule  connue  sous  le  nom  de  cuticule,  il  est  intéressant  de  rechercher 
ici  si  cette  cuticule  est  représentée  par  celte  paroi  folliculaire  (jui  s'applique 
sur  l'émail  au  moment  du  passage,  ou  si  elle  est  constituée  par  les  débris  de 
l'organe  de  l'émail  dont  la  résorption  ne  serait  pas  conqtièlc.  Ch.  Tomes  a,  comme 
nous  l'avons  dit  plus  haut,  défendu  la  première  opinion  qu'il  parait  même  avoir 
démontrée  par  la  découverte  dans  l'épaisseur  de  la  cuticule  de  celhdes  carac- 
téristiques de  la  substance  des  os.  11  résulterait  de  là  que  la  paroi  folliculaire, 
en  se  fixant  à  la  surface  du  cément,  pourrait,  dans  des  circonstances  sans 
doute  accidentelles,  subir  un  commencement  d'ossilication  dont  quelques 
préparations  iavorables  auraient  révélé  les  vestiges  au  savant  anatomisle  que 
nous  venons  de  citer. 

La  seconde  opinion,  qui  fait  dériver  la  cuticule  des  débris  de  l'oigane  de  l'émail, 
est  celle  de  Huxley,  de  Rashkovv  et  de  la  plupart  des  auteurs.  Nous  avons  déjà 
dit  que  nous  étions  très-disposé  à  nous  ranger  à  l'opinion  de  Ch.  Tomes;  nous 
ne  reviendrons  pas  sur  cette  question. 

Ce  que  nous  allons  chercher  à  établir,  c'est  le  mécanisme  de  la  formation  du 
cément  à  la  périphérie  de  la  racine  :  or  lorsque  la  couronne  a  effectué  sa  sortie 
complète  et  qu'elle  est  libie  au  dehors  de  la  mâchoire  jusqu'au  collet,  on 
constate  tout  d'abord  qu'à  ce  niveau  ni  l'ivoire,  ni  l'émail,  ne  sont  à  découvert; 
une  mince  pellicule  amorphe  se  piolonge  de  la  racine  à  la  surface  de  l'émail 
et  s'y  confond  absolument  avec  la  cuticule,  tandis  que  d'autre  part  cette 
pellicule  par.iît  faire  partie  intégrante  de  la  couche  même  du  cément.  Cette 
disposition  est,  comme  on  voit,  un  nouvel  argument  en  faveur  de  la  théorie  de 
Tomes. 

Aussitôt  que  la  dent  a  ainsi  achevé  son  éruption  au  dehors,  il  ne  s'ensuit  pas 
qu'elle  soit  entièiement  formée.  La  couronne  est  seule  constituée;  la  racine 
commence  sa  formation.  Cette  formation  comprend,  par  conséquent,  des  phéno- 
mènes qui  répondent  à  l'accroissemeut  des  deux  tissus  qui  co'uposeut  la  jtortion 
radiculaire  des  dents  :  c'est,  d'une  part,  le  développement  progressif  de  l'ivoire 
qui  s'elfectue  par  le  processus  que  nous  avons  décrit  en  son  temps,  ot,  d'autre 


106  DENT  (piivsiologie). 

part,  la  production  du  cément.  Mais  à  mesure  que  les  deux  i)liénomènes 
s'accomplissent  par  un  travail  simultané,  cliaque  portion  de  racine  nouvellement 
formée  se  recouvre  à  son  tour  d'une  membrane  celluleuse  qui  n'est  autre 
encore  que  la  paroi  folliculaire  elle-même  et  qui  joue,  comme  on  va  le  voir, 
le  rôle  essentiel  dans  la  genèse  du  cément. 

C'est  en  eflel  à  la  face  profonde  de  cette  membrane  fibreuse,  futur  périoste 
dentaire,  et  aux  dépens  d'une  couche  de  cellules  ou  ostéoblastes  de  Gegenbaur, 
que  s'elTectue  le  développement  du  cément. 

Ce  mode  d'ostcogenèse,  très-commun  dans  un  grand  nombre  de  points  de 
l'économie,  est  celui  qui  est  désigné  par  Gli.  Robin  sous  le  nom  d'ossification  par 
envahissement. 

Le  phénomène  se  produit  d'après  le  mécanisme  physiologique  décrit  pour  les 
os  du  crâne.  Les  ostéoblastes  se  forment  par  ontogenèse,  c'est-à-dire  par  génération 
directe.  Le  groupement  de  plu-ieurs  ostéoblastes  dans  l'interviille  desquels  se 
dépose  une  cert.iine  quiintilé  de  substance  fondamentale  constitue  des  petits 
rayons  de  matière  osseuse  autour  desquels  ne  se  rencontre  aucune  trame  cartila- 
gineuse. Ces  petits  rayons  augmentent  d'étendue  dans  tous  les  sens  par  l'addi- 
tion progressive  d'autres  éléments  osseux;  seulement,  dans  le  cément  radicubiire, 
le  groupement  des  ostéoblastes  ne  s'elfectuc  pas  avec  cette  régulari;é  et  cette 
dis|)Osition  par  couches  concentriques  qui  se  remari|uent  dans  le  tissu  osseux 
ordinaire.  Les  ostéoblastes  sont  épars  et  sans  ordre  dans  la  masse  de  substance 
homogène.  C'est  ainsi  qu'apparaît  constamment  le  cément  à  la  surface  radicu- 
laire d'une d'ut  de  l'homme  ou  des  carnassiers;  mais,  dès  que  par  une  circon- 
stance quelconque  cette  couche  cémentaire  acquiert  une  plus  grande  épais- 
seur, lu  structure  du  cément  se  rapproche  aussitôt  de  celle  de  l'os  proprement 
dit.  C'est  ce  qu'on  observe  dans  les  tumeurs  des  racines  constituées  par  une 
simple  hypertrophie  cémentaire  [voy.  plus  loin  Maladies  du  cément). 

Les  principes  nutiitifs  à  l'aide  desquels  se  produit  la  substance  osseuse  du 
cément  sont  apportés  par  les  vaisseaux  du  périoste  lui-même,  de  sorte  que  celui- 
ci  fournit  par  sa  face  profonde  les  éléments  formateurs  du  cément,  tandis  que 
par  sa  face  externe  il  joue  encore  le  même  rôle  de  périoste  à  l'égard  de  la  paroi 
de  l'alvéole.  Ce  périoste  est  donc  en  n'alité  interposé  à  deux  couches  osseuses  : 
le  cément  radiculaire  d'un  côté,  la  paroi  de  l'alvéole  de  l'autre,  et  joue  un  double 
rôle  par  ses  faces  opposées. 

Le  mode  d'adhésion  du  cément  avec  l'ivoire  est  assez  intéressant  à  étudier.  Il 
n'y  a,  bien  entendu,  aucune  analoge  entre  ce  mode  de  contact  et  celui  qui  réunit 
l'émail  à  l'ivoire.  Dans  ce  dernier  cas,  on  sait  que  les  prismes  de  l'émail  sont 
reçus  dans  une  série  ("e  dépressions  creusées  à  la  surface  extérieuie  de  l'ivoire. 
Pour  le  cément,  cette  union  a  une  tout  autre  physionomie  :  il  adhère  à  l'ivoire 
de  la  manière  ordinaire,  c'est-à-dire  par  contiguïté  moléculaire  sans  interposition 
d'aucune  substance.  La  surlace  de  l'ivoire  des  racines  présente  un  système  d'on- 
dulations très-simples,  dont  le  cément  suitiigoureusement  toutes  les  courbures. 
En  outre,  la  bande  de  cément  qui  est  la  plus  interne  est  visiblement  plus  claire, 
ne  contenant  que  de  rares  ramitications  des  canalicules  radiés  des  ostéoplasies. 
Cette  disposition  pourrait  faire  croire  à  une  continuité  absolue  des  deux  tissus, 
et  cependant  nous  n'avons  jamais  constaté  qu'une  simple  juxtajjosilion.  Telle 
n'est  pas,  toutefois,  l'opinion  de  divei's  anatomistes,  tels  que  Czermak,  llannover, 
J.  et  Ch.  Tomes,  qui  croient  a>oir  démontré  la  communication  directe  entre  les 
ramitications  des  ostéoplastes  du  cément  et  les  divisions  de  la  couche  anastomo- 


DENT  (physiologie).  '10'' 

lique.  Ces  auteurs  s'autorisent  même  de  celle  disposition  pour  expliquer  la 
continuation  du  mouvement  nulrilil'  dans  la  denliue  en  l'absence  de  la  pulpe 
dentaire  dont  la  destruction  accidentelle  ou  morbide  n'est  pas,  comme  on  sait, 
une  condition  de  mort  de  la  dent. 

Nous  ne  pensons  pas,  toutefois,  qu'une  telle  considération  physiologique 
puisse  se  substituer  à  la  démonstration  d'un  fait  anatomiquc  qui  n'est  pas  aiisolue. 
D'ailleurs,  il  nous  suffirait  pour  coniprendre,  sinon  la  persistance  d'un  mouve- 
ment nutritif  véritable  dans  l'ivoire,  du  moins  la  tolérance  de  l'oryane  dentaire 
après  la  destruction  de  la  pulpe,  de  la  seule  présence  bien  suffisante  du  périoste, 
tissu  éminemment  vasculaireel  dont  les  [iliénomènes  organiques  restent  inlime- 
menl  liés  à  ceux  du  cément  lui-même.  Il  se  produit,  d'ailleurs,  dans  certains 
cas  pathologiques,  une  particularité  qui  peut  cire  regardée  comme  un  méca- 
nisme de  compensation  :  c'est  ainsi  que  l'on  observe  sur  quelques  dénis  privées 
de  pulpe  un  ceriain  épaississement  de  la  couche  de  cément  qui  s'accompagne 
immédiatement  d'une  multiplication  dans  le  nombre  des  <»stéoplasles.  11  existe 
en  outre  normalement  dans  le  cément  rarliculaire  de  beaucoup  d'espèces  ani- 
males, et  du'Z  l'homme  en  parliculier,  des  mamelons  de  substance  o-scuse 
plongeant  pour  ainsi  dire  dans  l'intérieur  de  l'ivoire  et  entre  les(|uels  s'inllé- 
chit  le  périoste.  Ces  mamelons  coiitiemient  de  nombreux  canalicules  et  parfois 
même,  en  leur  centre,  une  cavilê  qui  semble  occupée  par  un  rame^iu  va^cu- 
laire  émyné  du  périoste.  Cette  particularité  a  été  l'objet  de  développements 
assez  étendus  dans  la  partie  anatomique  de  ces  études,  et  nous  n'avons  pas 
besoin  d'y  revenir  ici. 

Des  considérations  qui  précèdent  il  résulte  que  le  cément  est  représenté  par 
une  couche  osseuse  véritable,  tantôt  extérieure,  à  la  fois  coronaire  et  ladiculaire 
(molaire  des  herbivores,  défense  de  l'éléphant,  etc.),  tantôt  intia-alvéolaire 
(cément  radiculaire).  Dans  le  premier  cas,  le  cément  est  libre,  et  c'est  peut-être 
le  seul  cas  de  l'économie  animale  oîi  un  os  est  exposé  à  l'extérieur.  Dans  le 
second  cas,  la  couche  osseuse  cémentaire  joue  le  rôle  de  trait  d'union,  de  lien 
physiologique  entre  la  dentine  et  l'os  maxillaire  avec  l'aide  intermédiaire  du 
périoste. 

d.  Formatix)7i  du  périoste  alvéolaire.  Le  mécanisme  de  formation  du  périoste 
alvéolaire  est  des  plus  simples,  car  cette  membrane  n'est  autre  que  la  paroi  folli- 
culaire elle-même. 

Lorsque  la  couronne  d'une  dent  est  formée,  quelle  que  soit  d'ailleurs  la 
composition  anatomique  et  la  forme  de  ctUe-ii,  l'éruption  commence.  Celte 
éruption,  qui  résulte  essentiellement  de  la  formutioi  de  la  racine,  se  produit 
par  une  sorte  de  pénétration  lente  et  progressive  de  la  couronne  dans  le  tissu 
sous-muqueux  d'abord,  puis  au  travers  du  derme  et  de  l'épideime  jusqu'au 
dehors,  (i'est  donc  l'allongement  de  la  racine  qui  est  l'agent  de  ce  phénomène, 
et  le  trajet  que  parcourt  la  dent  dans  l'épaisseur  de  ces  tissus  est  exactement 
proportionnel  à  la  quantité  de  substance  dure  qui  se  produit  au  fond  du  folli- 
cule. 

Dans  sa  progression  vers  l'extérieur,  la  couronne  traverse  donc,  à  un  mo- 
ment donné,  la  paroi  folliculaire.  Elle  sort  ainsi  à  la  surlace  des  mâchoires, 
jusqu'à  ce  que  le  point  d'étranglement  ou  (ollet,  qui  corespondau  bord  terminal 
de  l'émail,  arrive  an  niveau  du  bord  gingival.  .Alors  l'éruption  est  achevée  et 
la  paroi  folliculaire  se  trouve,  par  le  pourtour  de  sa  perforation,  enrapportavec 
le  collet  de  la  dent. 


108  DENT  (physiologie). 

Le  sac  folliculaire  se  trouve  ainsi  réduit  considérablement  d'étendue,  puisque, 
étant  ouvert  supérieurement  par  le  passage  de  la  dent,  il  ne  subsiste  de  cette 
membrane  que  lapai  lie  qui  répond  à  la  base  du  bulbe  :  or  ce  bu'be,  continuant 
de  se  recouvrir  de  denlinc,  s'amincit  à  son  tour,  se  pédiculise  et  s'allonge  consé- 
qucmmeiit,  tandis  que  la  surface  extérieure  de  la  racine  se  revêt  de  cément, 
suivant  l'un  des  deux  procédés  décrits  plus  haut.  La  paroi  du  follicule  suit  exac- 
tement dans  son  allongement  l'accroissement  même  de  la  racine,  de  sorte 
qu'après  s'être  fixi'e  au  collet  elle  se  prolongea  la  surface  de  la  racine,  à  laquelle 
elle  adhère  de  la  façon  la  plus  intime. 

L'idenlilé  de  la  paroi  folliculaire  et  du  périoste  alvéolaire  se  démontre  donc 
surabondamment  d'une  part  en  considérar.L  les  faits  successifs  du  développement, 
d'autre  part  en  constatant  l'identité  du  rôle  de  cette  membrane  de|iuis  l'époque 
où  elle  joue  le  rôle  d'enveloppe  du  follicule  jusqu'au  moment  où  elle  vient  se 
fixer  comme  périoste  à  la  surlace  ra  liculaire. 

Lorsque  le  développement  de  la  racine  est  achevé  et  que  la  dent  a  acquis  sa 
forme  et  son  volume  définitifs,  le  péi  ioste  alvéolaire  acquiert  la  constitution 
(l'un  périoste  ordinaire,  c'est-à-diic  d'une  membrane  fibreuse  simple,  non  dissé- 
cable  en  plusieurs  feuillets  et  adhérant  à  peu  près  également  à  la  surlace  dentaire 
et  à  la  face  osseuse  de  l'alvéole.  Cependant  l'extraction  d'une  dent  sur  le  cadavre 
entraîne  toujours  le  périoste,  ce  qui  montre  que  l'adhérence  est  plus  forte  du 
côté  de  la  racine  que  du  côté  de  l'os. 

On  y  retrouve  tous  tes  clémi  nts  analomiques  qui  ont  été  rencontrés  dans  la 
paroi  du  follicule  :  réseau  fibrillaire  plus  ou  moins  serré,  composé  de  fibres 
de  tissu  conjonclif  entrelacées  dans  tous  les  sens  sans  tiaces  de  fibres  élas- 
tiques. 

Placée  ainsi  entre  deux  surfaces  osseuses,  l'une  composée  du  cément  qui  revêt 
la  racine,  l'autre  représentant  la  paroi  alvéolaire,  la  membrane  en  question  est 
à  tous  Tes  titres  un  périoste  véritable  :  elle  en  joue  le  rôle,  elle  en  présente  la 
composition  anatomique  exacte,  et  ses  maladies  sont  absolument  celles  d'un 
pér'oste. 

Nous  n'avons  plus  à  en  décrire  la  structure  intime.  On  sait  qu'elle  contient  un 
réseau  vasculaire  riche  et  des  faisceaux  nerveux,  mais  ce  que  nous  pouvons 
ajouter,  c'est  qu'après  avoir  revêtu  la  racine  elle  se  prolonge  autour  du  faisceau 
vasrub-nerveux  de  chaque  orifice  radiculaire  et  elle  lui  foime  une  gaine  propre 
qui  le  protège  dans  son  trajet  intra-osseux. 

V.  Des  lois  de  dEiNtitiox.  Nous  désignons  sous  le  nom  de  lois  de  dentition  les 
conditions  générales  qui  régissent  l'organisation  de  l'appareil  dentaire  dans 
l'état  jihysiologique.  Ces  conditions  doivent  être  envisagées  suit  dans  leurs  rap- 
ports réciproques  entre  l'homme  et  les  autres  espèces  animales,  soit  dans  la 
physionomie  qu'elles  affectent  chez  Ihomme  seulement. 

Ces  notions  ont  une  très-grande  importance,  car  elles  fixent  l'état  normal  de 
l'appareil  dentaire  et  permettent  dès  lors  d'apprécier  quelles  seront  l'origine,  la 
nature  et  la  gravité  des  pei  turbalions  dépendantes  de  causes  accidentelles  ou  de 
divers  états  morbides,  et  qui  seront  étudiées  plus  loin. 

Nous  allons  envisager  ainsi  les  lois  dont  il  s'agit  en  suivant  rigoureusement, 
dans  l'examen  de  leurs  manifestations,  l'ordre  physiologique,  c'est-à-dire  les 
phases  successives  de  l'évolution. 

Cette  méthode  nous  conduit  à  la  division  suivante  : 

4"  Lois  de  formation;  2"  lois  d'éruption;  5'' lois  numériques;  4"  lois  raorpho- 


DENT  (physiologie).  109 

logiques;  o"  lois  de  volume  ;  C"  lois  de  siège  et  de  direction;  7"  lois  de  dispo- 
sition ;  8"  rôle  physiologique. 

C'est  la  première  fois,  croyons-nous,  que  les  problèmes  complexes  que  soulève 
l'étude  de  la  dentition  chez  l'homme  ont  été  abordés  sous  cette  forme  :  aussi 
présentons-nous  ces  con-idéralions  à  litre  de  tentative  ou  de  premier  essai  dont 
le  seul  but  est  de  résumer  d'une  manière  brève  les  conditions  physiologiques 
d'un  important  appareil  de  l'économie  et  de  loimulcr  les  lois  ijui  le  régissent. 
Rappelons  toutefois  qu'une  étude  anti'ricnre  sur  ce  sujet,  mais  envisagée  au 
point  de  vue  purement  anthropologique,  a  été  présentée  par  nous  dans  une  occa- 
sion récente  [Magitoï,  Des  lois  de  denlilion  au  point  de  vue  anthropologique, 
in  Congrès  d'anthropologie  de  Moscou,  1879). 

1.  Lois  DE  roRM.vTiox.  L'appareil  dentaire  envisagé  dans  la  série  des  verté- 
brés est  le  résultat  de  l'évolution  plus  ou  moins  complexe  d'un  tissu  ana'o- 
raique  qui  est  une  dépendance  immédiate  du  système  tégumentaiie  cutané  ou 
muqueux. 

Si  l'appareil  se  rattache  au  système  cutané,  il  consiste  dans  les  productions 
qui  occnpenl  la  surface  de  la  peau  de  certains  poissons  cartilagineux  et  que  les 
naturalistes  connaissent  sous  le  nom  de  plaques,  épines  ou  boucles  des  Séla- 
ciens et  des  Gaiioïdcs. 

Agassiz,  dans  son  admirable  livre  sur  les  poissons  fossiles,  avait  déjà  indique 
ces  faits,  qui  ont  été  depuis,  de  la  paît  d'ilannover,  l'objet  de  recherches  plus 
complètes. 

Lorsque  l'appareil  dépend  du  système  muqueux,  il  est  dû  à  l'évolution  d'un 
tissu  particuliiT,  découvert  et  décrit  par  Kôllikcr  sous  le  nom  de  lame  épilhé- 
Haie.  Coite  lame  épithéliale  occupe  invariablement  la  région  qui  correspond 
à  l'entrée  du  tube  diçjestif. 

Dans  sa  plus  grande  simplicité  anatomique,  la  lame  épithéliale  se  transforme 
sur  place  en  un  bourrelet  d';ipparence  cornée  qui  devient  le  fanon  de  certains 
cétacés,  la  lame  cornée  des  reptiles,  le  bec  des  oiseaux.  Toutefois,  pour  le  plus 
grand  nombre  des  vertébrés,  chez  les  mammifères,  par  exemple,  et  chez  liiomme, 
la  lame  épithéliale  di  Kôllikcr  devient  le  point  d'origine  de  la  form;ition  d'un 
petit  appareil  clos  par  n  sac  membraneux,  et  au  sein  duquel  se  développent  les 
organes  muUip'es  q  li  doivent  présider  à  la  genèse  des  tissus  composant  la 
dent  complète.  Ce  pî  !t  appareil,  à  existence  transitoire,  s'appelle  le  follicule 
dentaire. 

Les  dents  humaines  se  forment  donc  dans  un  appareil  embryonnaire,  lequel 
ne  livre  l'or.ane  au  dehors  que  lorsque  sa  constitution  est  achevée.  Or  la  durée 
du  travail  physiologique  varie  infiniment  suivant  la  nature  des  dents  elles- 
mêmes  ;  elle  est  en  général  longue.  On  sait,  par  exemple,  qu'elle  n'est  jamais 
moindre  d'une  année,  ainsi  que  cela  a  lieu  pour  les  dents  temporaires,  dont  le 
follicule  a|)paraît  au  troisième  mois  de  la  vie  imra-ulérine,  tandis  que  l'éruption 
ne  conmicnce  qu'au  sixième  mois  de  la  naissance.  Pour  d'autres  dents  elle  est 
bien  plus  prolongée  :  ainsi  la  première  molaire  permanente  existe  à  l'état  folli- 
culaire bien  avant  la  naissance,  et  son  éruption  n'a  lieu  qu'à  la  sixième  année. 
Les  incisives,  canines  et  prémolaires  permanentes,  visibles  à  la  naissance  dans 
les  gouttières  dentaires,  n'apparaissent  au  dehors  que  de  sept  à  douze  ans.  La 
deuxièae  molaire  met  à  évoluer  huit  années  entières;  la  dernière  molaire  ou 
dent  de  sagesse  plus  de  temps  encore 

Mais,  quoi  qu'il  en  soit  de  ces  variations  d'éruption  qui  seront  fixées  plus  loin, 


110  DENT   (physiologie). 

!;\  série  des  actes  pliysiologiques  qui  représente  cette  évolution  intra-foUiculairc 
de  la  dent  est  identique,  sauf  la  lorme,  pour  toutes  les  pièces  quelconques  de 
l'appareil  die/.  Thomme. 

Késumé  des  lois  de  formation.  1°  Au  point  de  vue  des  ph('nomènes  embryo- 
géiiiqiies  de  révohilion,  la  dent  est  invariabl(!nieiit  une  dépendance  du  syslèrac 
tégurnenlaire.  Elle  se  iormc  conséquemnient  aux  dépens  du  feuillet  externe  du 
blastoderme  ; 

2'  Toute  formation  dentaire  s'effectue  au  sein  d'un  sac  embryonnaire  ou 
foJliciC.e,  lequel  naît  hii-même  par  une  double  émanation  de  l'épiderme  (organe 
de  l'émail)  et  du  derme  (bulbe  dentaire); 

Z°  Les  |i|iénomènes  de  formation  sont  d'ailleurs  identiques  pour  tous  les 
organes  de  même  ordre,  c'est-à-dire  ceux  qui  rentrent  dans  la  classe  pliysiolo- 
yique  des  phanères  ou  des  produits. 

2.  Dfs  L'IIS  D'ÉRurTiON.  L'cruplion  du  système  dentaire  cbez  les  vertébrés, 
et  en  particulier  dans  la  srric  des  mammilèies,  parait  soumise  à  une  loi  unii'orme 
qui  est  celle  des  deux  dentitions  :  l'une  primitive  et  caduque,  l'antre  secondaire 
et  délinilive.  La  r 'ison  de  ce  double  pli' nomène  et  de  son  évolution  dans  le 
lemjis  réside  dans  le  développement  (nèmede  l'être  dont  la  croissance  implique 
la  nécessité  d'un  systèn)c  dentaire  d'un  volume  et  d'un  nombre  d'abord  restreint 
dans  le  jeune  âge,  et  qui  fait  j)lace  à  une  seconde  séiie  proportionnée  aux 
conditions  nouvelles  et  définitives  de  l'élat  adulte.  11  résulte  immédiatement  de 
là  que  la  succession  même  des  deux  pbénomènes  sera  dans  un  rapport  direct 
avec  l'évolution  générale  de  l'individu,  c'est-à-dire  que,  cliez  les  espèces  qui 
parviennent  rapidement  à  l'état  adulte,  la  première  phase  sera  courte,  tandis 
qu'elle  aura  une  durée  considérable,  si  l'élat  adulte  est  Irès-éloigné  du  moment 
<ie  la  naissance.  Ces  mômes  conditions  seront  également  en  rapport  avec  la  durée 
moyenne  de  la  vie  pour  chaque  espèce  animale. 

Toutefois,  la  loi  des  deux  dentitions  subit  certaines  exceptions  :  les  poissons 
ne  paraissent  avoir  qu'une  seule  dentition  ;  ils  sont  monopliyodontes,  suivant 
l'expression  de  P.  Gervais.  Les  cétacés  seraient  dans  le  môme  cas,  si  l'on  s'en 
rapftorte  aux  assertions  de  quelifues  naturalistes  modernes  Toutefois,  les 
phoques  auraient  les  deux  dentitions:  ils  seraient  diphyodontes,  mais  avec  celte 
particularité  que  leur  première  dentition  s'e'fectuerait  pend;int  la  vie  fœtale,  de 
sorte  quil  y  a  une  véritable  mue  des  dents  dans  la  cavité  utérine.  Les  dents  de 
lait  sont  ainsi  tombées  bien  avant  l'époque  de  l'allaitement.  Ce  sont  ces  parti- 
cularités de  l'évolution  denture  chez  les  phoques  qui  ont  permis  d'établir  la 
transition  insensible  des  carnassiers  terrestres  aux  carnassiers  aquatiques  et 
même  aux  cétacés,  le  genre  otaria  se  rapprocherait  encore,  à  ce  point  de  vue, 
du  genre  plioca,  suivant  Reneden  et  Rcinhart. 

Le  même  phénomène  de  chute  des  dents  de  lait  avant  la  naissance  a  été 
«ignalé,  pour  la  première  fois,  par  Cuvier,  chez  certains  rongeurs,  et  en  parti- 
culier chez  le  Cobaye.  Aussi  ces  animaux  peuvent-ils  manger  dès  les  premiers 
jours  de  la  naissance.  Le  lièvre  perd  ses  dents  temporaires  peu  de  jours  après 
la  naissance,  le  lapin  notablement  plus  fard. 

L'existence  d'une  seule  dentition  aurait  été  reconnue,  en  outre,  chez  certaines 
espèces  de  mammifères  terrestres,  et  si  l'on  en  croit  do  Blainville  qui,  dans  son 
Ostéographie,  étudie  avec  le  plus  grand  >oin  ces  questions  relatives  au  système 
dentaire.  Ainsi,  chez  les  Chéiroptères  et  les  Insectivores,  il  n';uirait  réussi  à 
observer  qu'une  seule  série  de  dents,  dont  les  premières  apparaîtraient  soit  avant, 


DENT  (physiologie).  HI 

soit  peu  après  la  naissance,  et  dont  les  .nutres  viendraient  se  placer  en  série  au 
delà  des  premières,  sans  que  celles-ci  effectuassent  leur  chute.  Les  roussettes,  les 
molosses  et  les  vespertilions  seraient  dans  ce  cas.  Les  observations  du  même 
natnrali>te,  chez  les  taupes  et  les  musaraignes,  n'ont  monde  également  qu'une 
seule  dentilion.  Pour  les  musaraignes,  toutefois,  Duvornoy  aurait  infirmé  cette 
assertion,  et  décrit  chez  ces  animaux  une  mue  périodique,  mais  partielle,  de 
dents,  (|ui  s'effectuerait  vers  le  mois  de  juillet  de  chaque  année. 

Les  assertions  de  de  Blainville  sur  l'exis^tence  d'une  seule  dentition  chez  un 
certain  nombre  d'espèces  animales  pourraient  bien,  du  reste,  èlre  entachées 
d'erreur,  par  la  raison  que  nous  venons  d'indiquer,  et  qui  établit  l'cxislcnce 
d'une  dentilion  caduque  avant  l'époque  de  la  naissance,  de  sorte  que  la  loi  des 
deux  dentitions  serait  bien  plus  générale  et  bien  plus  constante  qu'on  ne  serait 
tenté  de  l'admettre. 

D'ailleurs,  certains  arrêts  de  développement  d'une  pièce  de  système  dentaire 
considérés  comme  antimalics  accidentelles  chez  l'homme  et  les  mammifères  supé- 
rieurs consliluenl  parfois  dans  la  série  animale  un  fait  normal,  une  anomalie 
constante,  suivant  l'expression  de  de  Blainville  :  telles  sont  les  dénis  aborlives 
du  Narval,  du  Lamantin.  Le  musée  Vrulik  (d'Amsterdam)  renlcrnic  une  tète 
de  Lamantin  dans  l'intermaxillaire  duquel  on  voit  incluse  la  dent  abortive. 

Chez  d'autres  espèces,  les  dents  abortivcs  peuvent  accidentellement  prendre 
un  développement  plus  prononcé  :  ain>i,  chez  la  jeune  baleine,  on  trouve  des 
dents  à  la  mâchoire  supérieure,  alors  que  dans  I  âge  adulte  on  n'en  retrouve  pas. 
Leidig  cependant  donne  sous  le  nom  de  squamodon  une  variété  de  baleine  qui 
a  des  dents  développées  à  la  mâchoire  supérieure.  De  son  côté.  Van  Beneden  a 
observé  une  mâchoire  inférieure  de  Dugong  qui  présentait  huit  paires  d'inci- 
sives très-d'Veloppées,  alors  que  cet  animal  est  considéré  comme  n'ayant  point 
de  dents  inférieures. 

Darwin,  qui  a  recueilli  ces  faits,  les  rapproche  de  l'existence,  admise  par  lui, 
des  dents  abortives  dans  la  mâchoire  supérieure  des  riimitiants.  Nous  nous 
sommes  élevé,  dans  un  autre  travail,  et  d'après  des  recherches  spéciales  du 
docteur  Pietkiewicz,  contre  l'interprétation  erronée  du  grand  naturaliste,  qui  a 
considéré  comme  des  follicules  dentaires  rudimentaires  les  débris  de  l'organe 
de  Jaiobson,  ce  qui  tend  à  inlirmer  les  conséquences  qu'il  dégage  de  ces  con- 
sidérations au  profit  de  la  théorie  des  affinités  mutuelles  des  êtres  organises  et 
de  sa  loi  de  descendance  modifiée. 

Quoi  qu'il  en  soit,  la  grande  loi  de  la  double  dentition,  qui  semble  s'éteindre 
avec  les  ci  tarés,  s'alfirme  dans  la  série  ascendante  des  mammilères. 

Elle  est  en  même  temps  invariable,  c'est-à-dire  que  jamais  les  dentitions  ne 
dépassent  le  nombre  de  deux  :  la  première  à  caractère  temporaire,  la  seconde 
persistant  dans  le  reste  de  la  vie.  Nous  établirons  donc  tout  d'abord  un  point 
sur  leiiuel  nous  reviendrons  plus  lom,  c'est  qu'il  n'existe  jamais  dans  aucun 
cas  de  denlition  tertiaire  ou  quaternaire.  Les  exemples  de  cet  ordre  qu'on 
trouve  mentionnés  dans  les  auteurs  doivent  être  considérés  comme  apoirvphes 
ou  résultant  de  l'interprétation  erronée  d'un  simple  fait  de  deuxième  denlition 
tardive. 

Une  autre  condition  fondamentale  dans  les  rapports  des  deux  dentitions 
consiste  dans  le  nombre  infiniment  plus  restreint  des  pièces  de  la  piemière 
dentition  r  lativement  à  celles  de  la  seconde.  Les  deux  dentitions  présentent  à 
cet  égard  des  rapports  numériques  qui  sont  parfaitement  fixes  pour  chaque 


112  DENT   (physiologie). 

espèce  de  mammifères.  Ce  rapport  peut  se  cliiffrer,  c'est-à-dire  se  représenter 
par  des  formules  que  nous  fixerons  plus  loin;    c'est  ainsi  qu'on  trouve  pour 


l'homme 


Dentilion  temporaire.   .   .         =;:  20. 
Deiililion  définitive  ...         =:  52. 


Nous  étudierons  tout  à  l'heure  dans  les  lois  numériques  les  conditions  de  ces 
rapports,  mais  nous  pouvons  dire  que  les  deux  nombres  sont  entre  eux  dans 
des  proportions  très-variables.  Chez  l'homme,  ainsi  qu'on  le  voit,  le  rapport 
est  invariablement  de  cinq  à  huit. 

Considérées  dans  une  espèce  animale  isolément,  les  lois  de  l'éruption  dentaire 
paraissent  cependant  être  soumises  à  quelques  variations  qui  sont  toutefois  très- 
secondaires,  et  ne  consistent  que  dans  certaines  modifications  d'époque.  Ainsi 
de  Blainville  avait  déjà  émis  celle  remarque  que  chez  les  peuples  sauvages  ou 
même  dans  les  races  inférieures  les  dernières  molaires  appaiaissent  en  général 
plus  régulièrement  à  l'âge  normal,  circonstance  qui  est  en  relation  avec  le 
degré  plus  ou  moins  acuisé  du  prognathisme.  Simonds  et  Darwin  avaient  de 
leur  côté  affirmé  (|ue,  chez  les  animaux  améliorés  de  tous  genres,  la  période  de 
maturité  serait  plus  précoce  tant  en  ce  qui  concerne  la  croissance  complète  que 
l'époque  de  la  reproduction,  et  en  corrélation  avec  ce  fait  on  observerait  que  les 
dents  se  développent  avec  une  précocité  proportionnelle,  de  sorte  qu'à  la  grande 
surprise  îles  éleveurs  les  anciennes  règles  établies  pour  la  détermination  de 
l'âge  cesseraient  d'être  exactes. 

Parmi  les  phénomènes  généraux  de  l'évolution  il  en  est  qui  ont  une  influence 
incont'Stable  sur  l'éruption,  soient,  [)ar  exenq>le,  la  précocité  de  l'âge  adulte 
et  la  br'.èvelé  moyenne  de  la  vie;  c'est-à-dire  que  plus  la  vie  moyenne  est  courte, 
plus  révolution  et  en  particulier  l'éruption  des  dents  sont  précoces.  Nous  avons 
vu  que  ce  rapport  est  constant  dans  la  série  des  vertébrés  et  nous  le  retrouvons 
dans  les  variétés  ou  les  races  que  présente  une  espèce  animale  déterminée. 
L'homme  n'échappe  pas  à  cette  loi,  et  il  résulte  de  quelques  observations  encore 
peu  nombreuses  que  chez  certaines  races  humaines  dont  la  vie  est  relativement 
plus  courle  et  l'âge  adulte  plus  précoce  l'éruption  des  dents  est  prématurée. 
Des  faits  de  ce  genre  ont  été  signalés  par  nous-mème  chez  les  Lapons  et  les 
Esquimaux.  Dans  une  enquête  dont  les  détails  sont  consignés  à  la  Société  d'an- 
thropologie de  Paris  {Bulletins,  1880,  p.  11),  nous  avon.  constaté  cette  relation 
de  la  manière  la  plus  évidente  chez  les  peuplades  voisines  du  pôle  qui,  ainsi 
qu'on  sait,  sont  adultes  de  très-bonne  heure,  et  chez  lesquelles  la  durée  de  la 
vie  est  relativement  courle. 

II  est  encore  d'aulres  influences  générales  dont  on  a  invoqué  le  rôle  dans  la 
précocité  ou  le  retardement  des  phénomènes  de  l'éruption  dentaire.  On  a 
recherché,  par  exemple,  si  l'éruption  débutait,  dans  un  maxillaire  déterminé, 
plutôt  à  gauche  qu'à  droite,  et  un  élève  de  l'école  de  Paris,  le  docteur  Delaunay, 
a  cru  pouvoir  lirer  d'un  nombre  de  faits,  beaucoup  trop  restreint  selon  nous, 
cette  conclusion  que  les  dents  se  développaient  en  premier  lieu  à  dioile  à  la 
mâchoire  inférieure,  et  à  gauche  pour  la  mâchoire  supérieure. 

Les  diallièses  ont  été  ausM  invoquées,  et  sans  qu'elles  puissent  produire, 
ainsi  qu'on  a  voulu  le  prétendre,  des  lésions  de  formes  plus  ou  moins  caracté- 
ristiipies  il  est  constant  que  la  syphilis  héréditaire,  la  scrofule,  la  lubeiculose, 
le  racliilisme,  relardent  l'évolution  dentaire  d'une  manière  notable.  11  en  est  de 


DENT  (physiologie).  M5 

même  chez  les  crétins  et  les  idiots,  suivant  les  remarques  de  Bourneville.  Des 
affections  graves  delà  première  enfance  peuvent  encore  entraîner  ultérieurement 
des  troubles  de  cette  évolution,  et  ceux-ci  consistent  invariablement  en  des  re- 
tards plus  ou  moins  considérables  :  tel  est  l'exemple  que  nous  avons  recueilli  d'un 
enfant  qui,  comme  conséquence  d'une  hémiplégie  gauclie  datant  de  la  (piatrième 
année  de  la  vie,  éprouva  un  très-notable  et  très-évident  retard  dans  l'apparition 
des  dents  définitives  du  côté  paralysé.  Ces  exemples  prouvent  que  l'évolution 
oi-ganique  des  organes  et  des  appareils  peut  subir  à  un  degré  appréciable  l'at- 
teinte des  affections  générales  de  l'économie  et  des  lésions  des  centres  nerveux. 

L'influence  de  la  nutrition  sur  la  précocité  de  réru[»lion  dentaire  paraît  d'ail- 
leurs avoir  été  établie  par  les  travaux  de  plusieurs  observateurs  :  ainsi  M.  Sanson 
affirme  que,  d'une  manière  générale,  l'éruption  est  plus  précoce  dans  les  races 
d'animaux  domestiques  que  dans  les  races  restées  sauvages.  Il  en  est  de  même 
des  races  perfectionnées  par  la  culture  et  la  sélection  conformément  aux  idées 
de  Darwin. 

D'autre  part,  un  médecin  de  Moscou,  le  docteur  Bensengre,  a  fait  une  étude 
très-minutieuse  sur  l'influence  de  la  nutrition  chez  les  enfants  en  bas  âge  au 
point  de  vue  de  l'éruption  des  dents,  et  ses  conclusions  sont  tout  à  fait  conformes 
aux  précédentes. 

Ce  n'est  que  depuis  un  très-petit  nombre  d'années  que  l'étude  du  développe- 
ment folliculaii'e  a  permis  de  fixer  les  époques  d'apparition  des  divers  organes 
formateurs  des  dents  au  sein  des  mâchoires,  soit  pendant  la  vie  intra-utérine, 
soit  dans  les  premiers  temps  de  la  vie  Les  travaux  de  Kôlliker,  Waldeyer, 
Kollniann,  etc.,  ceux  que  nous  avons  entrepris  nous-même  avec  M.  Ch.  Robin, 
plus  récemment  encore  avec  un  physiologiste  regretté,  notre  ami  Ch.  Legros, 
nous  semblent  avoir  établi  les  phénomènes  de  genèse  et  d'évolution  d'une  manière 
à  peu  près  définitive. 

11  n'en  est  pas  de  même  des  notions  relatives  aux  phases  et  aux  époques  de 
l'éruption,  bien  qu'elles  aient  été  recherchées  depuis  longtemps  par  beaucoup 
d'auteurs.  On  remarque  en  effet  tout  d'abord  un  désaccord  très-marqué  dans  les 
résultats  publiés. 

Nous  nous  expliquons,  jusqu'à  un  certain  point,  ces  divergences,  par  cette 
raison  qu'on  n'a  point  éliminé  des  chiffres  recueillis  les  faits  dépendant  soit  des 
conditions  de  race  auxquelles  nous  attribuons,  il  est  vrai,  un  rôle  assez  restreint, 
mais  surtout  celles  qui  résultent  des  influences  générales,  diathèses  héréditaires 
ou  acquises,  arrêts  de  développement,  rachitisme,  idiotie,  microcéphalie,  etc. 
On  ne  saurait  en  effet  leur  dénier  une  action  très-marquée  dans  la  production 
des  troubles  lératologiques  de  l'éruption  dentaire. 

Meckel,  dès  1825,  avait  tenté  d'établir  une  loi  d'après  laquelle  l'ordre  dans 
lequel  apparaissent  les  premiers  rudiments  des  follicules  serait  aussi  celui  qui 
préside  à  l'éruption  proprement  dite.  Cette  assertion  n'est  pas  absolument  exacte, 
et  il  nous  suffira  de  faire  remarquer  que,  d'après  les  recherches  physiologiques 
que  nous  rappelions  tout  à  l'heure,  les  follicules  de  première  dentition  apparais- 
sent presque  simultanément  dans  les  mâchoires,  tandis  que  l'éruption  s'effectue 
par  séries  succer.sives  parfaitement  distinctes.  A  peine  avons-nous  pu  constater 
un  léger  retard  de  quelques  jours  dans  l'iipparition  des  follicules  supérieurs  sur 
les  inférieurs,  mais  l'époque  de  sortie  n'a  présenté  aucun  rapport  fixe  avec  les 
phénomènes  de  genèse  primitive.  La  canine,  par  exemple,  dont  le  follicule  appa- 
raît en  même  temps  que  celui  des  incisives,  n'efiéctue  son  éruption  que  lou"^- 
DicT.  ENc.  XXVn.  8 


114  DENT   (physiologie). 

temps  après  elles,  tandis  que  les  prémolaires,  qui  se  forment  à  une  époque  plus 
tardive,  sortent  avajit  les  canines. 

Un  grand  nombre  d'observateurs  se  sont  efforcés,  depuis  Meckel,  de  fixer  les 
époques  normales  de  l'éruption  dentaire.  Mais,  sans  nous  arrêter  à  les  indiquer 
ici,  nous  nous  bornerons  à  reproduire  les  documents  les  plus  accrédités  en  cette 
matière.  Ce  sont  les  indications  dues  à  Trousseau,  et  que  la  plupart  des  auteurs 
ont  depuis  lors  reproduites  de  confiance. 

Trousseau  indique  de  la  manière  suivante  l'ordre  d'éruption  des  dents  tempo- 
raires : 

!<"■  groupe,  comprenant  :  les  incisives  médianes  inférieures  ; 

2*  groupe  :  les  incisives  supérieures,  les  médianes  d'abord,  les  latérales 
ensuite  ; 

3"  groupe  :  les  incisives  latérales  inférieures  et  les  premières  molaires  ; 

4"  groupe  :  les  canines; 

5"^  groupe  :  les  grosses  molaires. 

Trousseau  ajoute  que  cet  ordre  de  succession  subit  de  nombreuses  exceptions. 

Les  époques  d'éruption  ont  été  étudiées  à  leur  tour.  D'après  les  tableaux  qui 
ont  été  dressés  à  cet  égard,  Trousseau  fixe  l'époque  de  sortie  du  premier  groupe, 
incisives  médianes  inférieures,  au  seplièmemois.  Mais  cette  date,  établie  corame 
moyenne  d'observations,  prouve  précisément,  suivant  la  remarque  du  grand 
clinicien,  que  cette  première  éruption  n'a  jamais  lieu  à  cette  date,  mais  tantôt 
avant,  tantôt  après. 

Les  autres  groupes  se  suivraient  à  environ  six  mois  d'intervalle. 

Quant  au  temps  que  met  à  s'effectuer  l'éruption  de  tel  ou  tel  groupe,  Trous- 
seau afiirmo  que  les  incisives  médianes  inférieures  sortent  dans  un  espace  de 
im  à  dix  jours,  les  correspondantes  supérieures  en  quatre  ou  six  semaines,  les 
latérales  inférieures  et  les  premières  molaires  en  un  ou  deux  mois,  etc. 

Dans  le  même  travail  on  trouve  une  recherche  relative  aux  diverses  influences 
qui  peuvent  retarder  ou  avancer  l'époque  de  l'éruption.  Le  sexe  jouerait  un 
certain  rôle,  et  l'éruption  serait  plus  précoce  chez  les  filles  que  chez  les  garçons, 

Toutes  ces  affirmations  nous  paraissent  bien  arbitraires  ;  elles  ne  portent  d'ail- 
leurs que  sur  les  faits  de  la  première  dentition  et  sont,  en  tout  cas,  fort  incom- 
plètes. Il  n'est  pas  dit  sur  quel  chiffre  d'observations  (es  moyennes  ont  été 
établies,  et,  lorsqu'il  nous  a  été  donné  de  les  contrôler,  nous  sommes  parvenu  à 
des  résultats  fort  différents. 

Les  recherches  auxquelles  nous  nous  sommes  livré  comprennent  une  période 
d'une  dizaine  d'années;  elles  portent  sur  un  nombre  considérable  d'observations. 
Nous  les  avons  résumées  sous  forme  de  tableau  d'tnsemble.  On  voit  dans  ce 
tableau  ci-conlre  et  placées  par  colonnes  parallèles  (page  H5)  : 

1"  L'ordre  de  succession  physiologique  des  dents  pour  les  deux  dentitions; 

2"  L'époque  d'apparition  première  du  follicule,  c'est-à-dire  la  genèse  du 
cordon  épilliélial  primitif  ; 

r>"  L'époque  normale  d'éruption.  Celte  dernière  a  été  fixée  en  moyenne  sur  un 
minimum  de  cinq  cents  observations; 

4°  L'époque  de  la  cimte  spontanée; 

Ces  derniers  documents,  relevés  pour  la  première  dentition,  ne  figurent  pas  à 
l'égard  de  la  seconde.  C'est  qu'en  effet  il  est  impossible  de  fixer  la  date  de  la 
chute  sénile  des  dents  permanentes  par  des  raisons  que  nous  établirons  plus 
loin  ; 


DENT   (physzologie).  ''13 

5°  Enfin  dans  une  cinquième  colonne  nous  avons  établi  une  nouvelle  division 
de  la  dentition  liumaine;  elle  comprend  cinq  phases  parfaitement  distinctes  et 


ORDRE  DE  SUCCESSIO.N. 


ÉPOQl'E 

d' AIT  A  nlTlON 

DU 

FOLLICULE. 


EPOQL'E 

D'ÉRUriIOPi. 


ÉPCQUE 

IIE   LA   CHUTE 
Ï-PONTAISÉE. 


\.  —  Tableau  de  l'évolution-  de  la  premièhe  phase  [i"  dentition). 
Dents  temporaires. 


Incisives  centrales    in[éiieu-|i6b°  joui-  après  la 

res )    conceiilion 

Incisives  centrales   supérieu- 
res  

Incisives  latérales  inférieures. 
Incisives laléiaies  supéiieures. 

Préinolaires  inférieures  .   .   . 

PrémulairL'S  supérieures.    .   . 

Molaires  iiiférieuns l   Du   83  au   100' 

Molaires  supérieures [     jour 

Canines  inférieures  .   .   . 

Canines  supérieures.  .    . 


70"  jour. 
80'  jour. 
bS"  jour. 


r  mois  . 

10'  mois  , 
16"  mois 
20"  niois  , 
24"  mois 
Ï6"  mois 
28"  mois 
30*  mois 


I'  année. 

7  ans  1/2. 
8"  année . 


Du  30"  au  53"  mois. 


année. 

ans  1/-2. 
année. 

ans  1/2. 


12°  année. 


Total 20  dénis. 


B.  —  Tableau  de  l  évolution  de  la  seconde  phase  (r  destition) 
Dents  permanentes. 

1 


.  ,.,  .      iVcrs   le  90"   ioiirl 
Premières  molaires  inferieu-\     ^^^^^    ,^    ^^^J 


Premières  molaires  supérieu- 


res. 


Incisives   centrales   inférieu- 


cepiion  .   .  . 
Vers  le  100°  jonr| 

après    la    cou 
I    ception.    .   .   . 


iDe  5  ù  6  ans 


)("  année 


8  ans  1/2 


^De  9  à  12  ans 


Incisives  centrales  supérieu- 
res  

Incisives  laténles  inféiieures 

Incisives  latérales  supérieures 

Premières   prémolaires    inté- 
rieures  l  Du  110' 

Premières  prémolaires  supé-?     au  120"  jour, 
rieures 

Deuxièmes   prémolaires  infé-| 
rieures 

Deuxièmes  prémolaires  supé- 
rieures  

Canines  inférieures .    .  .   .    , 

Canines  supérieures 

Deuxièmes  molaires  inférieu-\  '\ 

_  '    .■,*■',■.*■■,■'■  '.Vers  le  5"  mois  .  De  12  à  1 
Deuxièmes  molaires  superieu-j  i 

Troisièmes  molaires  inférieu- 


DIVISION 

DE     LA   TOTALITÉ 

DE 

LA    DE^TIT10.>( 

HUMAINE 

EN    O   PÉRIODES. 


1"  période. 
20  dents. 


2"  période. 
4  dents. 


ri"  période. 
20  deuls. 


.11"  année. 


loe  11  à  12  ans 


0  ans 


4"  période. 
4  (lents. 


Troisièmes    molaires    supé- 
rieures. ....... 


A  la  3°  année  .   .JDe  19  à  25  ans 


Total 32  dents. 


H6 


DENT   (physiologie). 


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118  DENT  (physiologie). 

successives,  suivant  un  ordre  rigoureusement  physiologique.  On  peut  dire  ainsi 
qu'il  y  a  en  réalité  rm^y  dentitions  ou  <:'?>?^  périodes  :  la  première  seule  cjiduquc 
et  les  quatre  autres  définitives.  Ces  périodes  comprennent  des  groupes  de 
dents  parfaitement  définis,  bien  que  variables  dans  le  nombre  des  pièces  qui 
les  composent.  Ainsi,  tandis  que  le  premier  groupe  comprend  vingt  dents,  le 
second  se  compose  de  quatre  pièces  seulement,  lesquelles  apparaissent  an  delà 
de  la  série  des  précédentes,  et  sans  qu'aucune  de  celles-ci  ait  encore  effectué 
sa  chute. 

C'est  le  troisième  groupe  qui  est  appelé  à  remplacer  le  premier,  et  cela  par 
un  nombre  identique  de  dents. 

Les  deux  dernières  périodes  appartiennent  aux  deuxièmes  et  troisièmes 
molaires  permanentes. 

Cet  ensemble  de  documents  relatifs  aux  époques  de  genèse,  d'éruption  et  de 
chute  physiolcigiques  du  système  dentaire,  devrait  se  compléter  de  donnéis  con- 
cernant les  phases  mêmes  du  développement  lolliculaire  soit  chez  l'embryon, 
soit  chez  l'enfant. 

Nous  avons  déjà  publié  à  cet  égard  des  considérations  qui  portent  sur  l'évo- 
lution fœtale.  Nous  les  reproduisons  ici  tant  à  l'égard  de  la  détermination  des 
périodes  du  développement  qu'au  point  de  vue  médico-légal  pour  la  recherche 
de  l'identité  et  pour  celle  de  l'âge  du  produit  expulsé  daiis  le  cas  d'avortement 
ou  de  iœticide  (voy.  tableau,  p.  116  et  117). 

Aux  considérations  relatives  au  mode  d'éruption  des  dents  nous  pourrions 
en  ajouter  d'autres  non  moins  importantes  au  sujet  des  changements  de  forme 
que  subissent  les  mâchoires  pendant  la  double  période  d'évolutioa  des  dents 
temporaires  et  des  définitives.  Des  recherches  déjà  anciennes  de  Miel  avaient 
établi  que  l'accroissement  en  longueur  des  maxillaires  s'effectuait  exclusivement 
aux  dépens  de  la  portion  de  l'os  située  au  delà  de  la  série  des  dénis  temporaires, 
c'est-à-dire  dans  la  branche  ascendante  qui  exécute  en  arrière  un  mouvement 
de  recul  progressif  et  proportionnel  aux  phases  mêmes  de  l'évolution  dentaire. 
La  simjile  observation  de  la  dentition  de  l'enfant,  dont  les  pièces  conservent 
invariablement  leur  position  et  leurs  rapports  de  contiguïté,  sans  présenter  à 
aucune  époque  ni  écartement,  ni  disjonction,  en  pouvait  déjà  fournir  la  preuve, 
mais  en  outre  l'élude  attentive  d'une  série  de  maxillaires  aux  différents  âges, 
en  prenant  certains  points  de  repère  fixes,  comme  les  trous  mentonniers.  par 
exemple,  permet  de  fixer  mathématiquement  ce  mode  d'accroissement.  Quant 
au  développement  des  mâchoires  dans  le  sens  de  l'épaisseur,  les  études  du 
même  observateur,  confirmées  depuis  lors  par  Tomes,  Kôlliker  et  Ilumphrey, 
ont  établi  que  ces  os  augmentaient  de  volume  aux  dépens  de  la  surface  externe, 
tandis  que  l'interne  restait  invariable.  Il  résulte  de  là  que  la  courbe  des  maxil- 
laires, dès  le  moment  où  est  achevée  l'éruption  des  dents  temporaires,  est  défi- 
nitivement fixée.  11  en  est  de  même  de  l'axe  de  l'arcade  dentaire,  c'est-à-dire  de 
la  ligne  fictive  qui  passerait  par  le  centre  des  couronnes  de  dents,  de  telle  sorte 
qu'en  prolongeant  en  arrière  cette  lijjne  on  détermine  exactement,  avec  l'al- 
longiment  de  l'arcade  dentaire,  la  situation  et  la  direction  des  dents  futures  qui 
vont  évoluer  au  delà  de  la  série  des  dents  temporaires. 

Nous  n'insistons  pas  davantage  sur  ces  remarques  qui  appartiennent  d'ailleurs 
aux  phénomènes  du  développement  des  mâchoires. 

Quoi  qu'il  eu  soit  de  toutes  ces  considérations  touchant  l'époque  physiologique 
de  l'éruption,  il  faut  remarquer,  ainsi  que  nous  l'avons  dit  plus  haut,  que  ces 


DENT  (physiologie).  H9 

dates  diverses  sont  soumises,  dans  l'état  normal,  à  certaines  variations.  C'est 
surtout  pour  la  première  dentition  que  ces  différences  sont  intéressantes  à 
signaler. 

Dans  un  relevé  de  naissances  observées  à  la  Maternité  de  Paris  pendant  une 
période  de  dix  années,  de  1858  à  1868,  sur  17  578  nouveau-nés,  trois  seule- 
ment présentaient  des  dents  :  deux  sont  nés  avec  deux  incisives  centrales  supé- 
rieures, le  troisième  avec  les  deux  inférieures.  Il  y  avait,  on  outre,  treize  becs- 
de-lièvre,  une  tumeur  éreclile  de  la  gencive,  une  division  du  voile. 

Dans  un  travail  publié  à  Moscou  par  le  docteur  Bcnseugre  l'époque  d'appari- 
tion de  la  première  dent  se  décompose  ainsi  qu'il  suit  sur  525  enfants  : 

A  la  naissance 0 

1*'  mois 0 

2*  mois 1 

5*  mois 3 

4«  mois 8 

5*  mois '. 33 

(')*  mois 43 

7°  mois 104 

8"  mois b8 

9'  mois 43 

10*  mois 80 

11*  mois 53 

12°  mois 63 

2"  année 2i 

3'  année 2  (rachitiques). 

Total 525 

Nos  observations  personnelles,  faites  sur  un  nombre  de  500  enliints  nou- 
veau-nés, dans  les  conditions  de  santé  normales  et  dans  notre  race  française 
actuelle,  nous  ont  fourni  sur  l'apparition  de  la  première  dent  les  résultats 
suivants  : 

A  la  naissance \ 

1"  mois 2 

2*  mois 3 

3°  mois 9 

4°  mois IQ 

5"  mois 39 

6'  mois 45 

■3"  mois jOg 

8°  mois gg 

9*  mois ^9 

10°  mois o^ 

11°  "-'O's '.'.'.       58 

12"  mois ^2 

2°  amiée 10 


Total 


MO 


Quant  à  la  chute  des  dents  temporaires,  nous  dirons  que,  les  conditions  de 
chute  physiologique  étant  intimement  liées  comme  phénomènes  conséquents  à 
l'éruption  prématurée  ou  retardée  des  dents  permanentes,  ces  considérations 
n'auraient  aucune  porlée  ni  aucune  valeur  particulières. 

Nous  savons,  en  effet,  que  la  raison  physiologique  de  la  perte  d'une  dent 
temporaire,  c'est  l'évolution  et  la  sortie  de  la  dent  permanente  correspondante, 
et,  en  ce  qui  concerne  la  chute  de  celle-ci,  l'époque  à  laquelle  elle  peut  être 
fixée  physiologiqueraent  paraît  bien  difficile  à  préciser,  car  elle  ne  tiendrait  à 
rien  moins  qu'à  résoudre  cette  question  :  les  dents  permanentes  de  l'homme 


120  DENT  (physiologie). 

tombent-elles  avant  la  fin  de  la  vie,  à  un  âge  déterminable,  ou  doivent-elles 
accompagner  l'individu  jusqu'à  la  mort  sénile?  Nous  pouvons  répondre,  à  cel 
égard,  que  ce  phénomène,  même  dans  les  conditions  physiologiques,  nous  paraît 
être  soumis  à  des  variations  bien  gran<les.  S'il  nous  fallait  ici  fixer  une  dale, 
nous  dirions  que  la  chute  sénile  des  dents  ne  saurait  être  admise  avant 
soixante-dix  ans.  Il  est  toutefois  une  remarque  qui  nous  a  frappé  à  ce  point  de 
vue,  c'est  que  les  crânes  de  vieillards  qui  figurent  dans  nos  collections  anthro- 
pologiques, ceux  des  races  primitives  et  préhistoriques,  par  exemple,  présentent 
très-raiement  une  absence  complète  de  dents.  Il  s'ensuivrait  de  là  que  la  chute 
des  dents  avant  le  terme  physiologique  de  la  vie  pourrait  être  attribuée  à  un 
ensemble  de  circonstances  pathologiques. 

Il  nous  reste,  pour  terminer  les  considérations  relatives  aux  lois  d'éruption,  ù 
étudier  un  dernier  problème,  celui  de  l'éruption  de  la  dernière  molaire  ou 
dent  de  sagesse,  c'est-à-dire  de  la  cinquième  et  dernière  phase  d'éruption  chez 
l'homme. 

On  a  depuis  longtemps  affirmé,  et  quelques  auteurs  affirment  encore  que  la 
dernière  molaire  apparaît  chez  le  singe  avant  la  canine,  tandis  que  l'ordre 
inverse  s'observe  chez  l'homme.  Nous  nous  sommes  élevé  déjà  contre  cette 
interprétation  en  faisant  remarquer  que,  si  l'on  ne  considère  que  le  moment 
d'apparition  de  ces  deux  dents  hors  des  mâchoires,  on  doit  reconnaître  que 
chez  le  singe  comme  chez  l'homme  la  canine  apparaît  la  première;  seulement, 
chez  le  singe,  le  volume  de  cette  dernière  est  si  considérable,  surtout  chez  le 
mâle,  que  son  développement  est  nécessairement  très-lent,  et  qu'elle  ne  parvient 
en  réalité  à  l'âge  adulte  qu'après  la  sortie  de  la  dernière  molaire. 

Mais  cette  question  n'est  pas  la  seule  que  soulève  l'éruption  de  la  dent  de 
sagesse  chez  l'homme.  Il  en  est  une  autre  qui  pourrait  avoir  précisément  un 
rapport  direct  avec  la  race. 

Ainsi  Darwin  a  fait  cette  remarque  que  les  dents  de  sagesse  manquent  fré- 
quemment dans  notre  race  blanche,  tandis  que  leur  présence  est  la  règle  dans 
les  races  inférieures.  Il  en  conclut  qu'elle  doit  être  regardée  comme  un  organe 
en  décadence.  M.  Mantegazza  s'est  rallié  à  cette  opinion  que  partage  aussi 
M.  Broca  {Bull,  de  la  Soc.  danlhrop.,  1878,  p.  255  et  256). 

Nous  n'avons  aucune  raison  pour  repousser  à  priori  une  telle  doctrine,  mais 
nous  ne  pensons  pas  que  les  faits  lui  apportent  des  éléments  suffisants  de 
démonstration. 

Ainsi,  il  est  tout  d'abord  démontré  par  l'examen  direct  et  aussi  par  l'étude 
embryogénique  du  développement  de  l'appareil  dentaire  que  l'existence  du 
germe  de  la  dent  de  sagesse  chez  l'homme  est  constante;  seulement  l'organe 
peut  ne  pas  paraître  au  dehors  ou  sortir  atrophié,  difforme,  ce  qui  dépend  de 
la  compression  qu'il  éprouve  dans  une  place  trop  restreinte. 

Un  déiail  statistique  apporte  un  certain  argument  à  cette  manière  de  voir  :  il 
est  relatif  à  la  proportion  relative  dans  les  cas  d'apparition  de  la  dent  de  sagesse 
supérieure  et  de  l'inférieure.  Or,  nous  avons  trouvé  les  chiffres  suivants  sur 
500  observations  :  ■ 

Apparition  de  la  dent  de  sagesse  : 

Supérieure 578  fois. 

Inlmeure 122    

Total 500  fois. 


DEiNT   (physiologie).  121 

11  en  résulte  qu'à  l'égard  de  la  précocité  relative  la  dent  de  sagesse  supé- 
rieure est  à  l'inférieure  :  :  5  :  1 . 

La  cause  essentielle  des  conditions  anormales  du  dévelop])ement  de  la  dent 
de  sagesse  chez  l'Iiomine  est  donc  rinsiiflisance  du  développement  des  mâchoires, 
ce  qui,  inversement,  peut  se  traduire  par  cette  loi  que  la  fréquence  de  l'appa- 
rition de  ht  dent  de  sagesse  chez  l'homme  est  proportionnelle  au  degré  du 
prognathisme  accidentel  ou  ethnologique. 

Il  est  vrai  que  M.  Broca  répond  que  le  prognathisme  est  ici  un  résultat  et 
non  une  cause,  et  que  le  développement  de  la  dent  de  sagesse  subordonne  les 
conditions  de  dimensions  des  mâchoires.  Mais,  s'il  en  est  ainsi,  pourquoi  l'érup- 
tion de  la  dent  de  sagesse  inférieure  cause-t-elle  des  accidents  d'intensité, 
variables,  il  est  vrai,  mais  dont  la  fréquence  est  telle  qu'elle  ligure  pour  un  chiffre 
de  75  pour  100  dans  une  statistique  dressée  à  ce  sujet  par  un  médecin  de  Paris, 
le  docteur  David  ? 

Ces  remarques  doivent  nous  conduire  à  des  réserves  très-grandes  au  sujet  de 
l'interprétation  de  Darwin,  de  MM.  Mantegazza  et  Broca.  Elles  appellent  en 
tous  cas  de  nouvelles  recherches,  que  nous  avons  commencées  pour  noire  part,  et 
qui  apporteront,  nous  l'espérons,  leur  contingent  au  point  de  vue  de  la  solution 
de  cette  question  spéciale. 

2°  Du  MÉCANISME  DE  l'érlption.  Lc  mécanisme  physiologique  de  l'éruption  est 
un  problème  qui  doit  trouver  sa  place  ici.  Il  comprendra  trois  questions  :  1"  le 
mécanisme  essentiel  de  l'éruption  en  général;  2°  l'éruption  des  dents  tempo- 
raires ;  3°  l'éruption  des  dents  permanentes. 

Le  mécanisme  de  Véruption  en  général  est  fort  simple.  Dans  les  recherches 
antérieures  sur  l'évolution  de  l'organe  dentaire  dans  le  follicule,  nous  avons 
poursuivi  l'étude  des  phénomènes  jusqu'à  la  formation  de  la  racine.  C'est  qu'en 
effet,  à  ce  moment  qui  correspond  à  la  période  d'achèvement  de  la  couronne, 
le  follicule  s'ouvre  à  la  partie  culminante  du  sac  et  livre  passage  à  l'organe. 
L'éruption  est  dès  lors  le  fait  de  la  formation  même  de  la  partie  radiculaire, 
et  chaque  degré  d'ascension  de  la  dent  dans  le  tissu  sous-muqueux  et  au  dehors 
est  mesuré  par  la  quantité  exacte  de  tissus  nouveaux  formés  au  fond  du  sac 
folliculaire  qui  continue  à  fonctionner  dans  la  partie  profonde.  C'est  ainsi 
qu'on  peut  mesurer  rigoureusement,  par  la  progression  du  phénomène  d'érup- 
tion, la  hauteur  de  substance  produite  dans  un  temps  déterminé.  Ce  phénomène 
est  variable  de  rapidité  suivant  certaines  circonstances  qui  sont  sous  la  dépen- 
dance de  la  nature  des  dents,  de  leur  rôle,  de  leur  caractère  caduc  ou  perma- 
nent, de  la  précocité,  de  l'âge  adulte,  etc. 

Quoi  qu'il  en  soit,  l'éruption  est  dans  l'état  physiologique  un  phénomène  lent 
et  progressif  qui  entraine  la  résorption  concomitante  de  la  muqueuse  par  un 
fait  de  compression  simple.  Ce  passage  de  la  couronne  au  travers  des  tissus  vas- 
culaires  ne  s'accompagne  toutefois  d'aucune  lésion,  d'aucun  traumatisme  appré- 
ciable, les  tissus  comprimés  se  résorbent  par  un  travail  insensible,  sans  inflam- 
mation ni  hémorrhagie,  et,  lorsque  la  couronne  a  enfin  terminé  son  trajet  au 
dehors,  la  muqueuse  qui  lui  a  livré  passage  se  fixe  et  s'insère  au  collet  où  elle 
adhère  au  périoste  alvéolaire  qui  n'est  autre  que  la  paroi  même  du  follicule. 

L'éruption  des  dents  temporaires,  lesquelles  apparaissent  sur  des  bords  alvéo- 
laires entièrement  vierges,  répond  exactement  au  mécanisme  que  r.ous  venons 
d'indiquer.  Ainsi  se  dégagent  et  se  placent  les  vingt  dents  de  première  dentition, 
ainsi  sortent  également  les  dents  de  la  série  des  molaires,  lesquelles  apparaissent 


122  DENT   (physiologie). 

à  la  partie  postérieure  des  ai'cades  dentaires  où  elles  ne  sont  pas  précédées  de 
•dents  prc.ilubles. 

L'éruption  des  dents  permanentes,  précédées  de  dents  temporaires  corres- 
j)ondantes,  est  un  phénomène  plus  complexe;  la  progression  de  la  couronne  au 
travers  des  tissus  de  la  muqueuse  est,  de  tous  points,  identique  au  précédent; 
mais  il  se  présente  une  autre  particularité,  c'est  la  résorption  de  la  racine 
des  dents  temporaires.  Ce  mécanisme  particulier  a  donné  lieu  à  certaine?,  expli- 
cations de  la  part  des  auteurs  :  ainsi  Tomes  a  attribué  la  disparition  des  racines 
temporaires  à  la  présence  d'un  organe  particulier,  sorte  de  disque  mou  et  vas- 
culaiie  qui  aurait  la  fonction  de  résorber  et  de  faire  rentier  dans  le  torrent  cir- 
culatoire les  éléments  qui  constituent  les  racines.  Il  est  vrai  que,  lorsqu'on 
pratique  l'ablation  d'une  couronne  de  dents  temporaires  au  moment  où  elle 
commence  à  s'ébranler,  ou  observe  dans  l'alvéole  et  au-dessous  de  celle-ci  uu 
tissu  rougeâtre,  riche  en  vaisseaux,  et  ((ui  saigne  au  moindre  contact.  Cette 
petite  masse  de  tissu,  que  Tomes  croit  être  un  organe  spécial,  agent  de  résorp- 
tion, ne  nous  a  semblé  autie  que  la  muqueuse  elle-même  plus  ou  moins  con- 
gestionnée à  cette  épo(|ue  de  l'évolution. 

Dans  tous  les  cas  la  raison  phys-iologique  de  la  résorption  des  racines  d'une 
dent  tcnjporairc  est  l'existence  au-de>.'-ous  d'elle  d'une  dent  permanente  cor- 
rcspondante.  C'est  pourquoi  l'atrophie  d'une  dent  de  seconde  dentition  aura  pour 
conséquence  la  persistance  de  la  temporaire  correspondante.  L'anomalie  par 
déplacement  delà  première,  en  amenant  sa  sortie  sur  un  |)oint  distant  de  la 
précédente,  aura  le  même  résultat.  C'est  de  la  sorte  que  des  dents  temporaires 
persistent  parfois  pendant  une  grande  partie  ou  la  totalité  de  la  vie,  gardant 
en  conséquence  leurs  racines  intactes  et  leur  solidité  complète. 

Résumé  des  i.ois  d'éruption.  1°  La  dentition  humaine  est  invariablement 
<;omposée  de  deux  grandes  périodes  :  l'une,  dentition  temporaire  ou  du  premier 
âge;  l'autre,  dentition  permanente  ou  de  l'adulte.  11  n'existe  jamais  de  denti- 
tion tertiaire  ou  quaternaire  ; 

2°  La  précocité  de  l'éruption,  considérée  au  point  de  vue  des  espèces  animales, 
•est  en  raison  directe  de  la  brièveté  de  la  vie  et  de  la  précocité  de  l'âge  adulte 
et  de  la  nutrition  générale  ; 

3°  Au  point  de  vue  des  races,  la  précocité  est  en  raison  directe  du  degré  de 
^upéiiorité  et  de  culture; 

4°  A  l'égard  des  maladies  et  des  diathèses,  la  tardiveté  de  l'éruption  est  pro- 
portionnelle à  l'intensité  et  à  la  durée  des  |ihéi;omènes  morbides  généraux; 

5"  La  chute  des  dents  temporaires  à  l'éfioque  de  leur  remplacement  par  les 
permanenies  est  le  résultat  de  la  résorption  moléculaiie  de  leurs  racines, 
laquelle  résorption  est  le  fait  de  la  compression  qu'elles  subissent  de  la  part  de 
la  couronne  permanente. 

5"  Des  lois  numériques.  Les  pièces  qui  composent  l'appareil  dentaire  sont 
soumises  dans  la  série  ascendante  des  espèces  à  un  phénomène  double  de 
réduction  numérique  et  de  fixité  croissante  dans  le  siège  et  la  forme.  Ainsi  le 
nombre  des  dents,  incalculable  chez  les  vertébrés  inférieurs  comme  les  poissons, 
se  restreint  de  plus  en  plus  à  mesure  qu'on  s'élève  dans  l'échelle  pour  arriver 
enfin,  chez  l'homme  et  les  primates,  à  une  formule  invariable  dans  l'état  phy- 
siologique. 

Toutefois  il  peut  se  produire  chez  l'homme,  dans  le  nombre  des  dents,  des 
perturbations  diverses  :  les  unes  sont  purement  tératologiques  et  seront  étudiées 


DENT   (physiologie).  125 

à  propos  des  anomalies  dentaires  (voy.  Dents,  Pathologie  [Vices  de  conforma- 
tion]), les  autres  constituent  des  variations  qui  sont  sous  la  dépendance  de  la 
sélection,  de  l'hérédité  ou  de  la  race. 

Dans  l'état  normal  le  nombre  des  dents  chez  Thomme  est  fixe.  11  comprend, 
pendant  la  durée  totale  de  la  vie,  52  pièces  qui  se  divisent  en  deux  grandes 
séries  :  les  dents  de  la  première  dentition  et  celles  de  la  seconde  dentition. 

La  première  série  est  composée  de  20  dents,  d'où  la  formule  : 


ou  plus  simplement 


2-2        1  —  1       ,2-2      a„ 


4  2  4 

[lie.  -    eau.  -     mol.  r  =  20. 
4  2  4 


La  seconde  série  est  composée  de  52  pièces  qui  donnent  la  formule 

2  —  2  1—1       .       2-2       ,3  —  5        ,- 

Inc.  ^-— ^  can.  j— -^  pwm.  ^—^  mol.  ^-— r  =  52, 


ou  plus  simplement 


,       ^  2       ,      4       ,    6        _ 

Inc.  -    can.  -  prcm.  -■  mol.  -  =  oi 
4  2  4  6 


Si  l'on  étudie  comparativement  ces  deux  formules,  on  est  conduit  à  certaines 
considérations  : 

En  premier  lieu,  on  voit  que  le  rapport  numérique  entre  la  première  denti- 
tion et  la  seconde  est  *.:  5  :  8.  On  remarque  ensuite  que  le  nombre  des  incisives 
et  des  canines  est  identique  dans  les  deux  formules  et  que  la  différence  porte 
exclusivement  sur  les  molaires.  Cette  circonstance  est  en  relation  absolue  avec 
le  phénomène  de  raccroissement  des  maxillaires  qui  se  développent  dans  la  partie 
postérieure  correspondante  à  l'angle  de  la  mâchoire  et  non  à  l'antérieure  qui  est 
fixe.  On  sait  en  effet  qu'à  aucune  époque  delà  période  de  la  première  dentition 
les  dents  ne  perdent  leur  contiguïté  ahsolue  et  que  dès  lors  les  inaxilLiires  ne 
se  modifient  nullement  dans  le  sens  de  la  longueur.  Un  léger  accroissement  de 
dimension  s'effectue  cependant  dans  la  région  antérieure  des  mâchoires  au 
moment  du  remplacement  des  dents  temporaires,  caries  permanentes  qui  leur 
succèdent,  bien  qu'étant  de  nombre  égal  comme  pièces,  ont  un  volume  nota- 
blement plus  considérable,  mais  le  mouvement  d'allongement  est  en  tout  cas 
rigoureusement  proportionnel  au  degré  de  cet  allongement  même,  car  les  dents 
de  remplacement  reprennent,  ainsi  queles  antérieures,  leur  contiguïté  parfaite. 
C'est  de  la  sorte  que  les  dents,  au  point  de  vue  de  leur  nombre,  aussi  bien  qu'à 
l'égard  de  toutes  les  autres  conditions  de  leur  évolution,  commandent  et  déter- 
minent dans  l'étal  physiologique  le  développement  des  mâchoires,  lesquelles 
sont  en  quelque  sorte  passives  des  conditions  mêmes  de  l'appareil  dentaire. 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  variations  numériques  des  dents,  subordonnées  aux 
relations  d'hérédité  ou  de  race,  comprennent  tantôt  la  diminution,  tantôt 
Vaugmenlation  de  la  formule  dentaire. 

La  diminution  numérique,  suivant  une  loi  formulée  depuis  longtemps  par 
Isidore  GeoflVoy-Saint-Ililaire,  porte  de  préféience  sur  les  espèces  de  dents  qui 
sont  normalement  en  nombre  plus  considéiable,  c'est-à-dire  les  incisives  et  les 
molaires.  Nous  verrons  que  l'augmentation  numérique  obéit  à  la  même  loi. 

Seule  la  canine,  ne  subissant  jamais  dans  le  nombre,  non  plus  que  dans  la 


124  DENT  (physiologie). 

forme,  aucune  modification,  représente  le  type  primitif  fixe  et  invariable,  l'unité 
morpliologiqiie,  dont  les  autres  dents  ne  sont  que  des  dérivés  par  multiplication 
ou  coalesccnce. 

Ainsi  se  trouve  réalisée,  à  l'égard  du  système  dentaire,  l'hypollièse  des  types 
fondamentaux,  non  point  les  hjpes  fictifs  de  Gœlhe,  mais,  suivant  les  idées  de 
Guvier  et  de  Geoffroy  Sainl-IJilaire,  les  types  considérés  au  point  de  vue  de  la 
subordination  des  organes. 

Les  laits  de  diminution  numérique  des  dents  s'accompagnent  parfois  de 
perturbations  concomitantes  dans  un  autre  appareil  organique.  Ainsi  l'on  se 
rappelle  sans  doute,  par  exemple,  ces  individus  qui  ont  présenté  à  la  fois  une 
exagération  dans  le  développement  du  système  pileux  et  une  réduction  des  pièces 
du  système  dentaire. 

Un  grouiie  de  ces  individus,  appartenant  à  la  même  famille,  étaient  nés  en 
Hussie,  à  Kostroma,  et  ils  ont  été  étudiés  ici  par  les  Sociétés  d'anthropologie  de 
Berlin  et  de  Paris. 

L'anomalie  simultanée  par  augmentation  des  poils  et  diminution  des  dénis 
était  héréditaire  chez  eux  pendant  trois  générations.  On  les  avait  surnommés  en 
France,  dans  les  foires  publiques  où  ils  se  montraient,  les  Hommes-Chiens. 

A'ous  avons  étudié  jadis  avec  nos  collègues  de  la  Société  d'anthropologie  de 
Paris  ces  singuliers  personnages,  et,  en  faisant  quelques  recherches  sur  les  faits 
analogues,  nous  avons  pu  en  recueillir  divers  exemples. 

Ainsi,  Sedwick  et  Crawfurd  en  ont  observé  en  Birmanie.  Lombroso  en  cite 
un  autre  en  Italie. 

Darwin,  qui  connaissait  quelques-uns  de  ces  faits,  les  invoque  en  faveur  de 
sa  théorie  sur  les  lois  de  variabilité  corrélative.  Il  s'appuie  sur  certains  exemples 
empiunlés  d'une  part  à  des  animaux  chez  lesquels  la  domestication  accroît 
siinultauémcnt  le  développement  des  deux  systèmes  pileux  et  dentaire,  d'autre 
part  à  l'espèce  humaine. 

L'un  des  exemples  qu'il  rapporte  est  relalifà  une  certaine  danseuse  espagnole, 
Julia  Pastrana,  qui  avait,  paraît-il,  le  front  et  le  visage  couverts  de  poils  et 
présentait  en  outre  une  double  rangée  de  dents.  Cette  observation,  toutefois, 
n'est  pas  exacte,  ainsi  que  nous  avons  pu  nous  en  convaincre  à  Londres  par  les 
photographies  de  la  danseuse  et  les  moulages  de  ses  mâchoires.  Elle  avait  très- 
réellement  la  face  et  le  corps  velus,  mais  «on  appareil  dentaire,  loin  de  présenter 
une  auf^mentation  numérique,  était  au  contraire  très-réduit.  Darwin  a  évidem- 
ment été  trompé  ici  par  une  narration  erronée  {voij.  notre  travail  :  Les  Hommes 
velus,  in  Gaz.  méd.  de  Paris,  ib  novembre  1875). 

D'autres  faits  l'avaient  cependant  frappé  déjà  et  dont  nous  avons  reconnu 
l'exactitude  :  ce  sont  les  chiens  chinois  et  turcs,  qui  offrent  en  même  temps  une 
réduction  numérique  des  poils  et  des  dents.  Ces  animaux  présentent  en  effet 
une  décroissance  proportionnelle  des  deux  systèmes,  lesquels  occupent,  comme 
on  sait,  en  philosophie  anatomiquc,  la  place  que  de  Blainville  leur  a  assignée 
sous  le  nom  de  Phanères;  les  poils  disparaissent  presque  entièrement  et  la  for- 
mule dentaire  tombe  aux  chiffres  24,  16  et  même  4, 

Toutefois,  de  ces  différents  faits  observés  comparativement  peut-on  déduire 
un  caractère  de  race,  une  loi  fixe? 

Nous  ne  le  pensons  pas. 

D'une  part,  les  exemples  recueillis  chez  l'homme  appartiennent  à  des  individus 
en  nombre  restreint,  consanguins,  il  est  vrai,  mais  ne  dépassant  pas  deux  ou 


DENT   (physiologie).  125 

trois  générations.  Ils  constituent  simplement  des  faits  à  la  fois  léralologiques 
et  héréditaires.  Jamais  un  groupa  elhnique  normal  ne  les  a  présentés. 

D'autre  part,  les  exemples  relatifs  aux  animaux,  comme  les  chiens  nus,  sont 
dus  à  la  sélection  artificielle  et  représentent  des  fliits  de  dégradation  de  race. 

Ainsi  la  loi  que  Darwin  avait  pensé  pouvoir  formuler  à  cet  égard  ne  saurait 
avoir  aucune  fixité,  puisque  tantôt  chez  les  chiens  nus  il  y  a  corrélation  de 
décroissance  et  que  chez  les  hommes  velus  il  y  a  rapport  inverse,  soit,  si  l'on 
veut,  compensation  on  balancement. 

Tout  au  contraire,  Vaiifimenlalion  numérique  des  dents  chez  l'homme,  lors- 
qu'elle représente  un  phénomène  isolé  et  nettement  d('hiii,  est  susceptible  de  se 
rattacher  à  une  loi  anthropologique  lixe. 

Nous  essaierons  tout  à  l'heure  de  formuler  cette  loi,  mais  nous  devons  au 
préalable  rapporter  quelques  exemples  qui  l'autorisent  et  la  justifient. 

Un  grand  nombre  d'auteurs,  parmi  les(juels  il  faut  citer  Rudolplii,  Gavard, 
Sœmmerring,  Meckel,  Isidore  Geoffroy-Saint-lUlaire,  de  Blainvilleet  beaucoup  de 
modernes,  rapportent  des  faits  d'augmentation  numérique  des  dents,  soit  placées 
en  séiie  régulière  et  de  formes  normales,  soit  situées  en  divers  points  hors  des 
mâchoires  et  loin  des  arcades. 

Ces  faits,  qui  sont  connus  sous  le  nom  de  (Jent^  surnuméraireit,  s'accompa- 
gnent de  certaines  particularités  dans  la  forme  :  ainsi  tantùt  la  dent  nouvelle 
prend  l'aspect  de  celles  au  voisinage  desquelles  elle  apparaît  suivant  la  loi 
d'analogie  de  formation,  tantôt,  ce  qui  est  le  plus  fréquent,  elle  afiécte  la  forme 
conoïde,  c'est-iî-dire  qu'elle  fait  retour  à  Vunité  on  au  type  spécifique  primitif. 

Mais  les  mêmes  auteurs  que  nous  venons  de  citer  font  cette  autre  remarque 
que  le  phénomène  d'augmentation  numérique  s'observe  toujours  dans  sa  plus 
grande  fréquence  chez  les  races  inférieures,  soit  actuelles,  soit  considérées  dans 
le  temps. 

Ainsi  ces  exemples,  qui  figurent  dans  les  recueils,  appartiennent  a\ix  Austra- 
liens, auxNéo-Calédoniens,  aux  Tasinanienset  surtout  aux  nègres,  qui  ont  fourni 
le  j)lus  grand  nombre  d'observations. 

Quelques  exemples  plus  récents  viennent  encore  confirmer  les  influences 
ethniques  en  matière  d'augmentation  numérique.  Ainsi,  dans  l'une  des  dernières 
séances  de  la  Société  d'anthropologie  de  Paris,  on  a  présenté  plusieurs  moulages 
de  mâchoires  d'Australiens  qui  toutes  témoignaient  de  leur  provenance  par  des 
pViénomènes  d'inlériorité  ethnique  relative.  L'une  d'elles  présentait  un  com- 
mencement de  division  d'une  incisive  supérieure,  ce  qui  constituait  une  aug- 
mentation numérique.  Due  autre  offrait  un  volume  considérable  des  dents  d'ail- 
leurs normales  ;  une  troisième  était  excessivement  prognathe.  Ces  fait  venaient  de 
nouveau  confirmer  les  opinions  émises  par  Gavard,  Sœmmerring  et  bien  d'au- 
tres auteurs. 

L'un  de  ces  derniers  exemples,  le  plus  remarquable  de  tous,  a  été  observé 
chez  un  nègre  donné  par  le  professeur  Langer,  de  Vienne,  au  musée  de  la  Société 
anthropologique  de  cette  ville.  Cette  formule,  qui  comprend  quatre  molahes  à 
chaque  moitié  de  mâchoire,  constitue  essentiellement  un  exemple  de  retour  à 
la  formule  des  singes  inférieurs,  les  lémuriens. 

C'est  de  la  sorte  que  la  formule  dentaire,  qui  est  représentée  normalement 
par  le  chiffre  52,  s'élève  à  55,  54,  55,  57  et  même  59. 

Nous  pourrions  multiplier  ces  citations,  car  Sœmmerring  en  rapporte  cinq  faits 
chez  les  nègres;  Lesson,  plusieurs  chez  les  Australiens;  de  Blainville,  Mum~ 


126  DEM'  (physiologie). 

mery,  H;imy,  Broca  et  nous-mème,  d'autres  encore,  ce  qui  représente  un  cliiffre 
relativement  très-élevé. 

Sans  donner  ici  toutes  les  formules  d'augmentation  numérique  des  dents 
suivant  les  races,  et  dont  les  mâchoires  figurent  dans  les  divers  ouvrages,  ainsi 
que  dans  les  nôtres  (voy.  Traité  des  anomalies  du  système  dentaire,  p.  99. 
Paris,  1877),  nous  résumerons  ces  considérations  dans  les  conclusions  suivantes  : 

Résumé  des  lois  kumériques.  1»  Le  nombre  des  dents  est  proportionnel  aux 
dimensions  des  mâchoires  dont  il  détermine  l'étendue  actuelle  et  l'allongement 
progressif; 

2°  La  diminution  numérique  de  la  formule  dentaire  est  un  phénomène  de 
dégradation  de  l'espèce  ou  de  l'individu  et  lié  à  la  sélection  natui'elle  ou  artifi- 
cielle; 

3»  L'augmentation  numérique  de  la  formule  dentaire  est  en  raison  directe 
du  degré  d'infériorité  de  la  race  et  proportionnel  à  l'intensité  du  prognathisme 
accidentel  ou  ethnique  ; 

4"  Toute  augmentation  numérique  dans  une  race  élevée  constitue  un  phéno- 
mène de  retour  vers  les  races  inférieures  ou  les  espèces  animales  de  l'ordre 
des  primates  ou  des  ordres  inférieurs. 

4°  Lois  morphologiques.  L'appareil  dentaire  éprouve  dans  la  série  des  ver- 
tébrés des  variations  infinies  au  point  de  vue  de  la  iorme  des  pièces  qui  la  com- 
posent. Chez  les  poissons,  ou  bien  les  dents  manquent  comme  dans  l'ordre 
entier  des  Lopliohr anches,  ou  bien  elles  se  présentent  suivant  des  conditions 
mor()hologiques  uniformes.  C'est  presque  invariablement  pour  chaque  espèce  un 
cône  plus  ou  moins  aigu,  plus  ou  moins  surbaissé;  parfois  c'est  une  plaque 
composée  d'uu  nombre  variable  de  cônes  élémentaires  agglomérés.  Chez  les 
Batraciens,  pourvus  de  dents  comme  les  Sauriens,  les  Ophidiens  et  les  Croco- 
diliens,  les  dents  affectent  encore  une  forme  unique  et  constante. 

Chez  les  oiseaux  le  type  morphologique  des  dents  se  perd  de  nouveau  pour 
faire  place  à  un  double  organe  de  nature  cornée,  véritable  transformation 
de  la  lame  épilhéliale  représentant  non  deux  mâchoires,  comme  le  croyait 
Etienne  Geolfroy-Sainl-Hilaire,  mais  deux  revêtements  épithéliaux  recouvrant 
deux  maxillaires  rudimentaires,  ainsi  que  cela  a  lieu  d'ailleurs  chez  quelques 
Batraciens  et  chez  tous  les  Ghéloniens. 

Viennent  ensuite  les  mammitères,  chez  lesquels,  sauf  peut-être  la  classe  infé- 
rieure de  transition  des  édentés,  l'appareil  dentaire  présente  dans  la  forme  de  ses 
éléments  une  fixité  tout  à  fait  remarquable  pour  chaque  espèce  en  particulier. 
Les  dents  perdent  rapidement  le  type  conoïde  pour  affecter  les  caractères  les 
plus  complexes  et  les  plus  variés.  C'est  de  la  sorte  que  chez  les  mammifères 
supérieurs  on  reconnaît  l'existence  d'un  grand  nombre  de  formes  diverses.  lis 
sont  en  effet  pourvus  do  quatre  espèces  de  dents  distinctes  :  les  incisives,  les 
canines,  les  prémolaires  ou  bicuspides  et  les  molaires.  Ce  nombre  peut  à  la 
rigueur  être  réduit  à  trois  par  la  réunion  des  deux  derniers  en  une  seule  variété 
sous  le  nom  de  molaires.  De  plus,  il  y  a  symétrie  complète  au  point  de  vue  de  la 
forme  entre  les  deux  séries  supérieure  et  inférieure. 

Mais,  si  nous  envisageons  maintenant  cette  question  morphologique  dans  la 
série  descendante  des  mammifères  isolément,  nous  verrons  aussitôt  que  les 
caractères  complexes  des  espèces  supérieures  se  simplifient  et  se  dégradent.  Chez 
les  carnassiers  les  formes  ne  sont  plus  qu'au  nombre  de  trois  :  incisives,  canines 
et  molaires. 


DENT  (phïsiologie).  *27 

Dans  la  classe  des  rongeurs  Ja  forme  spécifique  e'prouvc  un  nouveau  change- 
ment :  les  canines  disparaissent;  les  molaires  deviennent  absolument  homologues 
et  uniformes,  et  le  système  dentaire  se  trouve  réduit  à  deux  espèces  de  dents, 
les  incisives  et  les  molaires. 

Chez  les  herbivores,  la  dégradation  continue  :  ainsi,  à  part  quelques  rares 
espèces  et  la  division  tout  entière  des  pachydermes,  les  incisives  disparaissent 
de  la  mâchoire  supérieure  et  le  système  dentaire  subit  ainsi  une  nouvelle  et  pins 
importante  réduction;  il  ne  se  compose  plus  que  des  molaires  et  de  la  moitié 
de  la  série  des  incisives. 

Enfin,  dans  le  dernier  ordre  des  mammifères  édcnlés,  l'appareil  offre  un.^ 
dernière  dégradation  morphologique,  et  les  pièces,  lorsqu'elles  existent  à  l'état 
isolé,  sont  uniformes.  11  n'y  a  plus  qu'une  seule  espèce  de  dents. 

Mais,  si  chez  les  mammifères  supérieurs  l'appareil  dentaire  présente  la  plus 
grande  complexité  de  formes  connues,  cette  complexité  n'est  qu'appnrenle  cl 
non  réelle,  de  sorte  que,  si  l'on  vient  à  envisager  au  point  de  vue  de  l'analyse 
anatomiquc  la  composition  des  pièces  de  l'appareil,  on  est  conduit  à  considérer 
toutes  les  formes  si  diverses  comme  une  dérivation  d'un  type  primordial,  dont 
nous  avons  retrouvé  l'élément  fondamental  dans  le  système  dentaire  des  poissons  : 
c'est  le  type  conique,  l'archétype,  V unité  dentaire. 

Prenons,  en  effet,  un  des  organes  dentaires  dont  la  forme  est  la  plus  comj)lexe, 
la  molaire  de  l'homme,  par  exemple  :  ne  voit-on  pas  qu'elle  est  composée  pnr 
le  groupement  des  parties  homologues  qui  peuvent  être  rattachées  au  type  conique? 
Les  saillies  ou  tubercules  de  la  couronne  sont  semblables  de  forme,  leur  nombre 
seul  varie. 

Les  faits  du  développement  intra-foUiculaire  ne  fournissent-ils  pas  un  argu- 
ment puissant  en  faveur  de  cette  théorie?  Le  bulbe  dentaire,  on  effet,  est  pri- 
mitivement composé  par  une  base  conoïde  qui  persiste  ainsi  pendant  les  pre- 
mières phases  de  l'évolution  :  cette  forme  primordiale  est  invariable  et  constante. 
Quel  que  doive  être  l'aspect  de  la  dent  future,  elle  se  retrouve  aussi  bien  poul- 
ies dents  qui  restent  coniques  que  pour  celles  qui  prendront  la  disposition  en 
masses  quelconques  :  dents  cylindroïdes,  placoïdes,  multituberculeuses,  molaires 
composées,  etc. 

Sur  cette  base  primitive  apparaissent  des  saillies  en  nombre  égal  aux  tub-M- 
cules  de  la  couronne  future.  Chacune  de  ces  saillies  est  conique;  elle  devient, 
au  moment  de  la  formation  de  la  dent,  le  point  de  genèse  d'un  chapeau  de 
dentine  également  conique  et  en  nombre  toujours  égal  aux  saillies  bulbaires  et 
aux  tubercules  futurs.  Ces  saillies  et  leur  chapeau  restent  quelque  temps  isolés 
et  distincts;  ce  n'est  que  par  les  progrès  de  l'évolution  que  les  chapeaux  so 
réunissent  et  se  confondent  par  leur  base,  pour  constituer  la  couronne. 

Les  molaires  de  volume  anormal  tl  présentant  une  augmentai  ion  du  nombre 
des  tubercules  se  sont  formées,  de  même  que  celles  de  volume  ordinaire  aux 
dépens  d'un  bulbe  présentant  un  nombre  équivalent  de  saillies  et  de  chapeaux 
de  dentine;  la  multiplication  des  tubercules  a  donc  été  précédée  d'un  accroisse- 
ment de  nombre  des  saillies  bulbaires.  Si,  au  lieu  d'une  augmentation  de 
volume,  il  y  a  réduction,  le  nombre  des  tubercules  décroît;  il  peut  êtie  réduit 
à  un  seul,  et  ce  fait  tératologique  constitue  immédiatement  une  réversion  au 
type  conique  primitif.  Ce  phénomène  de  retour  se  rencontre,  ainsi  que  nous  le 
verrons,  dans  presque  tous  les  cas  de  production  de  dents  surnuméraires,  qui 
sont,  comme  on  sait,  atrophiées  et  presque  toujours  conoïdes.  ' 


128  DENT   (physiologie). 

Les  incisives,  dents  en  apparence  simples,  sont  de  constitution  complexe  et 
susceptibles  de  se  prêter  à  la  même  analyse.  Observons,  en  effet,  la  formation  du 
bulbe  dans  un  follicule  de  cet  ordre;  il  est  encore  primitivement  unique,  mais 
à  un  moment  de  l'évolulion  il  se  surmonte  de  saillies  au  nombre  de  trois, 
lesquelles  se  recouvrent  encore  d'un  nombre  e'gal  de  chapeaux  dentinaires,  et, 
lorsqu'au  moment  de  l'éruption  on  observe  cette  dent,  on  la  trouve  en  effet 
surmonléc  de  trois  saillies  très-nettes,  très-accusées,  même  chez  l'homme.  Ce 
sont  6es  saillies  qui  s'effacent  rapidement,  ainsi  d'ailleurs  que  les  tubercules 
des  molaires,  par  les  progrès  de  l'âge  et  le  fait  même  de  la  mastication;  mais,  si 
les  saillies  des  incisives  de  l'homme  sont  peu  marquées  et  rapidement  effacées, 
il  n'en  est  pas  de  même  dans  d'autres  espèces,  les  carnassiers,  par  exemple, 
chez  lesquels  celte  forme  en  flem  de  lis,  si  connue  chez  le  chien,  persiste, 
comme  on  sait,  très-longtemps  comme  trace  des  trois  cuspides  primitifs. 

On  peut  rappeler  en  outre,  à  l'appui  de  cette  vue  théorique,  que  dans  cer- 
laines  anomalies  de  forme  on  voit  parfois  une  de  ces  divisions  s'accuser  davan- 
tage et  s'isoler  j)lus  ou  moins  complètement  du  reste  de  la  dent,  disposition  qui 
se  produit  normalcmciil  d'ailleurs  dans  les  dents  pectinées  de  certains  singes 
inférieurs,  chez  lesquels  elle  représente  un  fait  transitoire  dans  la  série  des  muta- 
tions morpholngii|ues. 

Si  nous  ap|)li(juons  ce  procédé  d'analyse  à  d'autres  types  de  dents,  nous 
arrivons  a-u  mèaie  résultat  :  les  dents  ruhanées  des  rongeurs  apparaissent  par 
un  bulbe  qui  se  recouvre  de  saillies  égales  au  nombre  des  rubans  futurs.  Les 
molaires,  en  apparence  si  complexes,  des  ruminants,  celles  des  pachydernes,  ne 
sont-elles  pas  formées  de  cônes  accouplés,  constitués  régulièrement  par  de 
l'ivoire  et  de  l'émail  superposés,  tandis  que  toute  la  masse  est  incluse  par  une 
sorte  de  coalescence  dans  une  gangue  osseuse;,  représentée  par  le  cément,  seul 
élément  de  réunion  et  de  jonction  des  cornets  primitifs?  Cette  disposition,  qui 
constitue  la  dent  composée  de  ces  animaux,  se  retrouve  à  un  plus  haut  degré 
encore  dans  la  molaire  des  grands  pachydermes,  oîi  elle  reste  soumise  à  la 
niêmc  loi  d'organisation. 

Seule  la  canine,  et  cela  dans  toute  la  série,  conserve  sa  forme  primordiale 
et  constante.  Formée  d'un  bulbe  à  une  seule  saillie,  elle  se  retrouve  toujours 
unicuspidée.  C'est  qu'en  effet  elle  représente  la  tradition  morphologique, 
V unité  dentaire;  elle  est  le  témoin  des  transmutations  organiques  qu'a  subies 
dans  la  succession  des  êtres  le  système  dentaire. 

L'unité  dentaire  est  donc  une  réalité  incontestable  et  les  dents  les  plus 
complexes  comme  les  plus  simples  peuvent  être  rattachées  à  cette  loi  de  l'unité. 
Les  applications  de  ce  principe  sont  nombreuses  ;  nous  les  avons  déjà  fait  entre- 
voir et  nous  les  développerons  plus  spécialement  à  propos  des  anomalies  de 
forme  où  nous  serons  conduit  à  les  envisager,  non-seulement  au  point  de  vue 
de  la  constitution  de  la  couronne,  mais  à  celui  de  la  conformation  des  racines 
et  de  leurs  variations. 

Sans  insister  davantage  sur  ces  considérations,  disons  encore  que  ces  résultats 
sur  la  morphologie  primitive  des  dents  ont  été  formulés  de  la  même  manière 
par  la  plupart  des  analomistes  modernes,  par  Ch.  Tomes,  dans  son  Anatomie 
de  l'appareil  dentaire,  et  par  le  professeur  Flowers  (de  Londres).  Ce  dernier  a 
même  retrouvé  sur  un  animal  aujourd'hui  disparu  et  qu'il  a  appelé  Uomalo 
dontlierium  un  système  dentaire  offrant  un  type  numérique  complet,  tandis  que 
les  dents  étaient  invariablement  coniques.  Un  tel  exemple  représente  à  la  fois  un 


DENT  (piiYsioi.oGiEj.  129 

fait  de  reversion  au  type  dentaire  des  vertébrés  inférieurs  et  un  puissant  argu- 
ment en  faveur  de  la  théorie  de  révolution. 

Résumé  des  lois  morphologiques,  i"  La  forme  initiale  des  dents  est  le  cône  : 
c'est  le  type  primordial,  l'unité  dentaire; 

t2"  Les  formes  les  plus  complexes  des  organes  dentaires  peuvent  se  réduire  par 
l'analyse  en  un  nombre  variable  d'éléments  primordiaux  ou  unités  réunis  par 
voie  de  coalescence; 

5"  La  canine  dans  les  races  élevées  représente  l'unité,  c'est-à-dire  le  témoin 
permanent  des  mutations  morpliolojj,iques  successives; 

¥  L'anomalie  connue  sous  le  nom  de  dents  surnuméraires  reproduit  le  plus 
ordinairement  par  voie  de  reversion  le  type  originel  ou  le  cône. 

5'  Lois  DE  VOLUME.  Lcs  varialious  de  volume  des  dents  dans  l'oidre  physio- 
logique sont  inlinies.  Elles  sont  sous  la  dépendance  soit  de  la  taille  générale 
avec  laquelle  les  dimensions  des  dents  sont  dans  un  rapport  ù  peu  près  con- 
stant, soit  des  relations  d'hérédité,  soit  enfm  des  conditions  ethniques.  Mais, 
dans  ces  diverses  circonstances,  la  réduction  ou  l'aiiginentation  de  volume  porte 
sur  toutes  les  dents  d'un  même  sujet  indistinctement.  Nous  n'avons  pas  à 
entrer  ici  dans  des  considérations  relatives  aux  difiérences  de  volume  dans  l'état 
normal,  cette  étude  est  du  ressort  de  l'anatomie  descriptive. 

A  l'égard  de  l'hérédité,  le  volume  des  dents  obéit  aux  mêmes  lois  que  toutes 
les  conditions  diverses  du  système  dentaire,  et,  des  lors  que  nous  établissons 
dans  ce  travail  la  transmission  des  anomalies  dentaires,  à  fortiori  devra-t-on 
admettre  la  transmissibilité  des  conditions  normales. 

Pour  ce  qui  concerne  les  races,  la  question  présente  un  intérêt  beaucoup  plus 
grand.  D'une  façon  générale,  le  volume  des  dents  est  en  raison  directe  de 
l'étendue  des  diamètres  des  mâchoires  et  du  degré  de  prognathisme.  Cette  loi 
a  été  pleinement  confirmée  par  les  recherches  des  anthropologistes.  Dans  ce 
cas  encore,  les  circonstances  relatives  au  volume  des  dents  portent  sur  les 
diverses  espèces  d'une  manière  à  peu  près  uniforme.  On  pourra  s'en  convaincre 
aisément  en  étudiant,  comparativement  à  ce  point  de  vue,  une  série  de  crânes 
apparttnant  aux  diverses  races  soit  parmi  celles  qui  subsistent  aujoud'hui,  soit 
en  y  comprenant  les  races  paléontologiques.  Ainsi,  les  races  inlérieures  sont 
remarquables  par  le  volume  énorme  de  leurs  incisives  et  de  leurs  canines,  de 
telle  sorte  que  ces  dernières  ont  pu  être  assimilées  à  des  défenses  analogues 
à  celles  des  singes  anthropomorphes.  La  même  remarque  a  été  faite  pour  les 
races  préhistoriques  auxquelles  dans  l'état  actuel  des  sciences  anthropologiques 
on  attribue  une  infériorité  très-marquée.  Darwin  et  Haîckel  ont  signalé  ces  faits 
auxquels  ils  ajoutent  cette  particularité  qu'il  se  produit  assez  fréquemment  avec 
des  canines  très-dé veloppées  un  diastema  qui  les  rapproche  encore  davantaoe 
de  la  physionomie  simienne.  Une  canine  fossile  figurée  par  Schmerlint^  est  dans 
le  même  cas.  A  ces  caractères  peut  s'ajouter,  ainsi  que  nous  l'avons  dit  plus 
haut,  certain  fait  de  bifidité  des  racines,  des  incisives  ou  des  canines.  De  tels 
exemples  sont  nombreux  aujoud'hui,  et  on  les  invoque  en  faveur  de  la  doctriuo 
transformiste  et  de  la  théorie  de  la  reversion. 

C'est  ainsi  que  parmi  les  races  vivantes  nous  pouvons  citer  les  Nègres  les 
Australiens,  les  INéo-Calédoniens,  qui,  étant  très-prognathes,  ont  les  dentsparticu- 
lièrement  volumineuses. 

D'autre  part,  il  existe  certaines  races,  non  proguathes,  comme  les  Casques, 
qui  sont  remarquables  par  la  petitesse  extrême  de  leurs  dents. 

DICT.    ENC     XXYII.  g 


150  DENT  (imiysioi.ooie). 

Mais  le  volume  des  dents  est  solidaire  d'une  autre  particularité  anatomique, 
le  nombre  des  tubercules.  Tous  les  anlliropologistes  s'accordent  à  décrire  presque 
invariablement  quatre  tubercules  aux  molaires  supérieures,  tandis  que  les 
inféiieures  en  auraient  tantôt  quatre  et  tantôt  cinq.  Ils  affirment  en  outre  que 
le  nombre  de  quatre  tubercules  à  ces  dernières  est  particulier  aux  races  actuelles 
d'Europe  cbez  lesquelles  la  présence  d'un  cinquième  tubercule  devient  une 
anomalie.  On  a  noté  aussi  la  plus  grande  fréquence  des  molaires  à  cinq  tuber- 
cules dans  les  races  préhistoriques  et  dans  les  races  inférieures  actuelles.  Nous 
n'avons  pas  réussi  jus(|u'à  présent  à  contirmer  ces  vues  plutôt  spéculatives  que 
fondées  sur  des  faits  rigoureusement  observés.  Les  seuls  points  qui  semblent 
établis  sont  :  le  rapport  direct  du  volume  des  dents  .ivec  le  degré  d'inlériorité 
de  la  race  et  la  présence  plus  fréquente  des  molaires  à  cinq  tubercules  chez 
l'homme  que  chez  la  femme. 

Les  dents  de  même  espèce,  bien  que  toujours  égales  en  hauteur,  ne  le  sont 
point  en  volume  :  ainsi  les  incisives  supérieures  présentent  un  fait  de  décrois- 
sance de  volume  de  la  première  à  la  seconde,  tandis  que  la  relation  inverse 
s'observe  aux  inférieures,  la  centrale  étant  plus  petite  que  la  latérale. 

Pour  les  })rémolaii'os  la  série  de  décroissance  est  constante,  la  première  étant 
toujours  plus  volumineuse  que  la  seconde. 

Mais  c'est  à  l'égard  des  molaires  que  celte  loi  de  volume  prend  une  plus 
grande  importance.  En  efiet,  il  est  reconnu  que  cbez  l'homme  la  série  des 
molaires  forme  une  série  descendante  de  la  première  à  la  dernière,  tandis  que 
chez  les  singes  le  volume  serait  ascendant  dans  le  même  sens.  On  a  cru  pouvoir 
établir  ici  un  caractère  distinclif  de  l'homme,  mais,  si  l'on  envisage  ce  caractère 
dans  la  gradation  des  races,  on  observe  que  chez  les  races  inférieures  le  volume 
n'est  pins  descendant,  mais  égal  et  parfois  croissant.  Cette  disposition,  qui  cor- 
respond d'ailleurs  constamment  avec  l'intensité  du  prognathisme,  représente  par 
conséquent  un  fait  de  transition  entre  l'homme  et  le  singe  et  devient  un  argu- 
ment en  faveur  de  la  loi  de  l'évolution. 

Résdmp:  des  lois  de  volume.  1"  Le  volume  des  dents  est  en  raison  directe  de 
la  taille  générale  des  sujets  ; 

2°  Le  volume  des  dents  est  proportionnel  au  degré  du  prognathisme  et  con- 
séquemment  en  raison  directe  de  l'inlérioritc  de  la  race. 

6"  Lois  de  siège  et  de  direction.  Les  considérations  relatives  au  siège  des 
dents  chez  l'homme  sont  nécessairement  très-bornées,  car  la  situation  des 
dents  chez  les  mammifères  en  général  est  fixe  et  exclusive.  Le  seul  intérêt  à 
faire  ressortir  ici  est  le  principe  de  la  localisation  qui  s'afiirms  progressi- 
vement en  suivant  la  série  ascendante  des  vertébrés. 

Ainsi,  tandis  que  dans  les  classes  inférieures  les  dents  occupent  un  point 
(juelconque  du  tégument  cutané  ou  muqueux,  il  se  limite  de  plus  en  plus  dans 
la  gradation  ascendante  pour  occuper  exclusivement  la  région  supérieure  du 
tube  digestif. 

L'intérêt  que  peuvent  présenter  ces  remarques  appartient  au  fait  d'anomalies 
de  siège  qui  amènent  souvent  chez  l'homme  des  phénomènes  de  reversion, 
lorsque,  par  exemple,  la  genèse  lératologique  d'une  dent  apparue  sur  la  peau 
ou  dans  une  région  quelconque  du  corps  arrive  à  représenter  un  phénomène 
de  retour  à  un  type  inférieur. 

En  ce  qui  concerne  les  conditions  de  direction  des  dents  chez  l'homme,  nous 
présenterons  les  considérations  suivantes  : 


DENT  (piivsiologie).  131 

Le  système  dentaire  considéré  au  point  de  vue  de  sa  direction  dans  l'état 
physiologique  se  présente  sous  deux  points  de  vue  qui  sont  :  1  "  la  direction 
de  l'ensemble  des  dents  et  des  arcades  ;  2°  la  direction  relative  des  deux  arcades 
dentaires  réciproquement. 

Sous  le  premier  point  de  vue,  la  question  se  subdivise.  Il  convient  en  effet 
d'envisager  la  direction  générale  des  dents  d'une  part  suivant  leurs  axes 
parallèles,  d'autre  part  suivant  le  plan  de  la  surface  triturante. 

D'une  façon  absolue,  la  direction  générale  des  dents  est  la  verticale,  c'est-à- 
dire  perpendiculaire  au  plan  horizontal  du  crâne;  c'est  là  aussi,  il  faut  le  dire, 
la  direction  idéale,  car  bien  des  circonstances  et  surtout  les  induences  ethniques 
modifient  le  caractère  à  des  degrés  divers.  Ce  sont  précisément  ces  modifica- 
tions ([ui  produisent  les  dispositions  connues  sous  les  noms  de  pwgnatltisme  ou 
à^oplsthognathlsme,  par  opposition  au  terme  à'orthognathisme  qui  représenterait 
l'état  physiologique  parfait,  dans  nos  races  européennes  du  moins.  Nous  disons 
dans  nos  races,  car  c'est  le  plus  souvent  le  caractère  ethnique  qui  domine  la 
formation  de  ces  deux  caractères  :  projection  en  avant  et  projection  en  arrière, 
lesquelles  constituent  les  dispositions  extrêmes. 

L'étude  du  prognathisme  ethnique  est  des  plus  intéressantes.  Elle  a  été  d'ail- 
leurs l'objet  de  nombreuses  recherches. 

Nous  rappellerons  toutefois  que  la  forme  dite  prognathe  des  arcades  den- 
taires peut  se  produire  accidentellement  en  dehors  de  la  relation  ethnologique: 
ainsi  la  microcéphalie,  les  déformations  artificielles  du  ciàne,  la  compression 
du  front,  peuvent  les  produire.  D'autre  part,  la  forme  inverse,  opisthognathe , 
peut  être  le  résultat  de  dispositions  crâniennes  ou  faciales  opposées  aux  précé- 
dentes :  l'hydrocéphalie,  la  compression  postéro-antérieure  du  crâne,  etc. 
Certaines  pratiques  de  populations  sauvages  peuvent  ainsi  modifier  parfai- 
tement la  physionomie  du  système  dentaire  dans  sa  direction  et  créer  des 
déviations  artificielles.  Considéré  d'une  manière  générale,  le  prognathisme  est 
défini  ordinairement  par  ce  terme  :  {'obliquité  des  mâchoires,  c'est-à-dire  la 
projection  antérieure  des  deux  arcades  dentaires  par  opposition  au  terme 
à' orthognathisme  qui  en  représente  la  rectitude  plus  ou  moins  complète,  et  à 
celui  à'opisthognathisme  qui  serait  la  projection  en  arrière. 

Les  recherches  de  M.  Topinard  ont  toutefois  montré  que  cette  division  était 
purement  artificielle  et  que  tous  les  crânes,  à  quelque  race  qu'ils  appar- 
tiennent, sont  toujours  plus  ou  moins  prognathes  :  les  ditférences  portent  donc 
sur  les  chiffres  que  représentent  les  indices  comparés  entre  eux.  Celte  obser- 
vation, parfaitement  juste  au  point  de  vue  des  distinctions  de  races,  n'exclut 
pas  toutefois  les  conditions  accidentelles  qui  rentrent  précisément  dans  le 
cadre  tératologique  :  c'est  ainsi  que,  dans  une  race  déterminée  dont  l'indice 
prognathique  moyen  a  été  établi,  quelques  individus  offrent  une  exagération 
de  la  disposition  normale.  S'il  s'agit  alors  d'une  race  à  indice  moyen,  comme 
notre  race  blanche,  par  exemple,  l'augmentation  de  cet  indice  donne  à  la  physio- 
nomie le  cnractère  bestial,  et  rapproche  l'individu  de  la  forme  qui  est  propre 
à  une  race  humaine  [inférieure,  ou  même  à  une  espèce  simienne,  si  celte 
augmentation  s'exagère.  Il  se  produit  alors  ce  phénomène  déjà  mentionné  et 
quia  été  désigné  sous  le  nom  de  fait  de  retour  ou  de  réversion,  suivant  la 
doctrine  darwinienne  du  transformisme. 

Si,  dans  une  circonstance  opposée,  un  individu  de  cette  même  race  blanche 
vient   à  présenter,  toujours   d'une  manière   accidentelle,   une  projection    en 


132  DENT  (piiysiolocie). 

arrière  des  deux  mâchoires,  l'indice  prognathique  peut  être  réduit  à  zéro  ou 
prendre  un  cai-.ictère  négatif.  La  face  ai;quiert  dès  lors  cette  disposition  connue 
vulgairement  sous  le  nom  de  menton  fuyant.  Cette  dernière  forme  est  en 
particulier  celle  à  laquelle  M.  Topinard  refuse  toute  valeur  ethnologique  et 
qui  est,  dès  lors,  essentiellement  tératologique. 

Dans  tous  les  cas,  qu'il  s'agisse  de  la  piojection  en  avant  ou  de  la  projection 
en  arrière,  il  importe  de  déterminer  si  c'est  sur  l'ensemble  des  pièces  du 
système  dentaire  et  des  mâchoires,  ou  même  sur  certaines  régions  de  la  face, 
que  porte  la  déviation.  On  distingue  à  ce  point  de  vue  plusieurs  variétés. 
C'est  ainsi  que  M.  Topinard  décrit  deux  divisions  du  prognathisme:  \e  facial 
supérieur  et  le  facial  inférieur.  Ces  deux  espèces  se  subdivisent  de  la  manière 
suivante  : 

I'  Facial  supérieur  propiemeut  dit. 
Maxillaire  supniieur. 
Alvoolo-sous-nasal. 
Dciilaire  siipéiieur. 

_.,....  ^   Dentaire  inférirur. 

Facial  inférieur.   .   .  ^  5,,„„aj,e  .^férieur. 

De  ces  diverses  variétés,  une  seule  aurait  un  caractère  purement  anthropo- 
logique :  c'est  V alvéolo-sous- nasal  ;  les  autres  seraient  accidentelles,  et  repré- 
senteraient ainsi  des  monstruosités  à  des  degrés  divers. 

Une  division  correspondante  pourrait  s'appliquer  à  Vopisthognathisme,  qui 
pourrait  être  distingué  en  maxillaire  ou  dentaire  supérieur  et  en  dentaire 
inférieur.  Dans  le  premier  cas,  il  y  a  piojection  en  arrière  de  l'arcade  supé- 
rieure, et  la  fiice  prend  la  forme  connue  sous  le  nom  de  menton  de  galoche; 
dans  le  second  cas,  la  mâchoire  supérieure  conservant  sa  direction  normale, 
c'est  l'inférieure  qui  éprouve  un  retrait  et  une  projection  en  arrière  :  c'est  la 
disposition  désignée  sous  le  terme  de  menton- fuyant.  On  verra  plus  loin,  dans 
l'étude  des  anomalies,  que  ces  dispositions  ont  reçu  de  notre  part  des  noms 
spéciaux,  et  représentent  dans  notre  division  ïanterersion  et  la  rétroversion 
d'une  arcade  sur  l'autre. 

Il  résulte  de  ces  remarques  que,  dans  l'uneou  l'autre  de  ces  diverses  variétés, 
l'arcade  dentaire  n'éprouve  jamais  en  totalité  la  déviation  qui  constilus  l'ano- 
malie de  direction.  Il  est  en  elfet  une  i-égion  du  système  dentaire  qu'elle 
n'atteint  point  :  c'est  la  région  des  molaires.  La  pièce  molaire  reste  invariable 
dans  sa  direction;  verticale  chez  l'homme,  c'est-à-dire  perpendiculaire  au  plan 
horizontal  du  crâne,  elle  i-este  constamment  telle,  quel  que  soit  le  degré  de 
prognathisme  que  puisse  présenter  un  sujet.  Chez  les  mammifères  voisins  de 
l'homme,  cette  région  ou  pièce  molaire  cesse  d'être  perpendiculaire  à  l'horizon, 
par  suite  de  l'obliiiuilé  croissante  de  l'axe  de  la  tète  ;  mais  elle  reste  invaria- 
blement perpendiculaire  à  l'axe  des  mâchoires.  Toutes  les  déviations  dites 
absolues  dans  la  direction  du  système  dentaire,  qu'elles  soient  ethnologiques 
ou  accidentelles,  doivent  donc  être  considérées  comme  spéciales  et  exclusives 
à  la  région  antérieure  composée  des  incisives  et  des  canines;  parfois  même  les 
canines  échappent  à  la  déviation;  les  incisives  l'éprouvent  seules.  Cette  par- 
ticularité est  encore  un  caractère  des  déviations  accidentelles,  car,  dans  les  cas 
de  prognathisme  nettement  accusé,  les  canines  sont  entraniées  avec  la  région 
incisive,  ce  qui  donne  lieu  aussitôt  à  la  production  d'un  intervalle  entre  les 
canines  elles-mêmes  projetées  plus  ou  moins  en  avant  et  les  molaires  restées 
verticales.  Cet  intervalle,   dont  la  dimension  est  proportionnelle  avec  l'indice 


DENT  (physiologie).  133 

<lii  prognalliisme,  et  qui  a  reçu  le  nom  de  dlastema,  s'accuse  de  plus  en  plus 
chez  les  espèces  animales  place'es  au-dessous  de  l'homme  jusqu'à  se  confondre 
avec  la  barre  chez  certains  mammifères. 

En  ce  qui  concerne  la  direction  de  la  surface  triturante  des  dents,  c'est-à- 
dire  du  plan  masticateur,  la  loi  absolue  est  l'horizontalité.  Cette  surface  en  effet 
est  rigoureusement  parallèle  à  l'axe  des  bords  alvéolaires  inférieur  et  supérieur, 
lesquels  sont  de  leur  côté  parallèles  entre  eux  et  au  plan  horizontal  du  crâne. 
Toutefois  cette  loi,  vraie  pour  les  molaires,  semblerait  être  moins  absolue  pour 
les  incisives  et  les  canines,  ce  qui  résulte  de  la  fréquence  du  prognathisme 
accidentel  ou  ethnique.  Cependant,  dans  les  races  élevées,  les  dents  antcro- 
supérieures  débordent  en  avant  les  correspondantes  inférieures,  mais  il  est 
aisé  de  reconnaître  malgré  cette  disposition  que  la  direction  générale  des  bords 
libres  est  encore  l'horizontaie. 

Nous  venons  de  dire  que  l'horizontalité  des  surfaces  triturantes  était  corol- 
laire de  l'horizontalité  des  bords  alvéolaires  eux-mêmes.  Or  il  se  présente  ici 
une  objection  trèo-sérieuse  et  à  laquelle  nous  avons  déjà  répondu  d'ailleurs 
dans  un  autre  article  de  ce  Dictionnaire  {voij.  Bouche).  Voici  sur  quoi  elle 
repose  : 

L'horizontalité  des  mâchoires  chez  l'homme  n'est  pas  un  caractère  difficile 
à  reconnaître  pour  la  mâchoire  supérieure,  laquelle,  étant  soudée  au  crâne  et  fixe, 
est  parallèle  au  plan  alvéolo-condylieii  ;  mais  pour  la  mâchoire  inférieure  combien 
de  perturbations  dans  sa  direction  surviennent  dans  le  cours  de  la  vie!  chez 
le  nouveau-né  en  effet,  en  l'absence  d'aucune  dent,  les  bords  alvéolaires  sont 
parallèles  entre  eux  et  dès  lors  hoiizoutaux.  Mais,  lorsque  les  dents  font  leur 
éruption  aux  deux  mâchoires,  le  maxillaire  inférieur  qui  est  le  seul  mobile 
s'incline-t-il  et  devient-il  oblique  en  avant?  Chez  le  vieillard  enfin,  alors  que 
les  dents  ont  disparu,  le  maxillaire  inférieur  s'incline-t-il  en  arrière?  Quels 
sont  enfin  les  phénomènes  de  compensation  qui,  malgré  l'éruption  et  la  dispo- 
sition des  dents,  permettent  aux  mâchoires  de  conserver  leur  horizontalité  et 
leur  parallélisme? 

C'est  à  ces  diverses  questions  que  nous  avons  répondu  dans  l'article  rappelé 
plus  haut  en  formulant  une  loi  relative  à  la  direction  normale  de  la  bouche. 
Cette  loi  est  celle  de  ï horizontalité  des  mâchoires,  et  quant  au  mécanisme  qui 
assure  la  permanence  suivant  les  âges,  il  repose  sur  les  variations  alternantes    . 
de  V angle  de  la  mâchoire  inférieure. 

Qu'on  observe  eu  effet  l'angle  de  la  mâchoire  chez  le  nouveau-né,  il  est, 
comme  ou  suit,  extrêmement  ouvert  ou  ohtus,  et  sa  normale  tracée  sur  un  os 
placé  sur  un  plan  horizontal  passe  en  avant  de  l'échancrure  sygmoïde.  Qu'on 
l'observe  ensuite  chez  l'adulte,  il  est  droit,  et  la  normale  passe  au  nrilieu  à  peu 
près  de  l'échanrrure  sygmoïde  ;  enfin  qu'on  l'observe  de  nouveau  chez  le 
vieillard,  la  disposition  de  l'enfant  se  rétablit.  C'est  donc  l'angle  du  maxillaire 
inlérieur  qui,  éprouvant  des  changements  alternatifs  dans  son  ouverture,  établit 
la  compensation  nécessaire  à  assurer  l'Iiorizontalité  absolue  et  permanente  des 
arcades  dentaires  et  des  surfaces  triturantes. 

Résdmé  des  lois  de  sie'ge  et  de  direction.  1°  Les  dents  à  l'égard  de  leur 
siège  chez  l'homme  occupent  invariablement  l'entrée  du  tube  digestif,  c'est-à- 
dire  la  cavité  buccale.  Ce  caractère  est  d'ailleurs  commun  à  tous  les  vertébrés 
supérieurs  ; 

^^  Ce  n'est  qu'accidentellement   et  par  voie  tératologique  que   des  dents 


*34  DENT     (piIYS10LOf;IF,). 

Iiumaines  peuvent  .ipparaîlre  sur  divers  points  du  corps  soit  par  un  phénomène 
(le  migration,  soit  par  genèse  d'emblée  ; 

T)"  Au  point  de  vue  de  leur  direction  générale  les  dents  de  l'homme  sont 
verticales  et  perpendiculaires  au  plan  horizontal  du  crâne; 

4"  L'inclinaison  en  avant  des  dents  antérieures  est  en  rapport  avec  le  pro- 
gnathisme et  proportionnelle  au  degré  d'infériorité  de  la  race  ; 

5"  Au  point  de  vue  de  la  direction  de  la  surface  triturante,  ieplan  masticateur 
est  horizontal  et  parallèle  au  plan  alvéolo-condylien  et  au  plan  visuel.  Ce  carac- 
tère corollaire  de  la  loi  de  Vhorizontalité  des  mâchoires  est  subordonné  aux 
variations  de  compensation  que  subit  d'une  manière  alternante  l'angle  du 
maxillaire  inférieur  aux  différentes  époques  de  la  vie. 

7"  Lois  DE  Disi'osrrio.N.  Les  dents  forment  pour  chaque  mâciioire  une  série 
non  interrompue  de  pièces  contiguës  les  unes  aux  autres,  sans  intervalles  entre 
elles  et  suivant  rigoureusement  la  courbe  parabolique  des  maxillaires.  Cette 
courbe  variable  d'élendue  et  de  diamètre  est  d'une  manière  générale  plus  allon- 
gée dans  le  sens  antéro-postérieur  dans  les  races  inférieures,  caractère  qui  est  en 
rapport,  ainsi  qu'on  l'a  vu,  avec  le  degré  de  prognathisme,  mais  elle  présente 
dans  toutes  les  races  indistinctement  un  caractère  constant,  c'est  l'horizontalité 
de  la  surface  libre  de  la  série.  Ce  caractère  essentiellement  humain  se  pour, 
suit  cependant  chez  quelques  anthropomorphes,  mais  il  se  perd  aussitôt  chez 
les  espèces  animales  inférieures  en  même  temps  qu'apparaît  l'inclinaison  en 
avant  du  plan  de  la  face  et  du  plan  visuel. 

Les  deux  arcades  paraboliques  que  forment  les  dents  chez  l'homme  sont 
inégales,  c'est-à-dire  que  la  supérieure  déborde  l'inférieure  en  avant  et  sur  les 
côtés.  Les  incisives  supérieures  passent  devant  les  inférieures  et  le  niveau  des 
molaires  dépasse  notablement  de  la  même  façon  les  correspondantes  inférieures. 
Il  faut  encore  ajouter  que  les  dents  homologues  des  deux  mâchoires  ne  se  corres- 
pondent pas  :  c'est  ainsi  que  les  incisives  inférieures,  d'un  volume  plus  petit,  ne 
correspondent  dans  leur  rapports  réciproques  qu'à  une  partie  seulement,  les 
deux  tiers  environ,  de  la  largeur  des  supérieures. 

Cette  disposition  qui  se  poursuit  jusqu'aux  canines  amène  cette  circonstance 
que  la  canine  supérieure  vient  se  placer  pendant  l'occlusion  dans  l'intervalle 
qui  sépare  l'incisive  latérale  de  la  canine  inférieure,  tandis  que  cette  dernière 
correspond  de  son  côté  à  l'intervalle  de  la  canine  et  de  la  première  prémolaire 
supérieures.  Ce  double  rapport  constitue  un  fait  constant  qui  se  retrouve  dans 
toute  la  série  des  mammifères,  chez  lesquels  il  s'accentue  singulièrement 
d'ailleurs,  car  il  arrive  à  constituer  le  diastema,  c'est-à-dire  un  intervalle  plus 
ou  moins  grand,  double  à  chaque  mâchoire  et  formant  une  lacune  dans  la  con- 
tinuité des  arcades  dentaires. 

h^  diastema,  qui  est  constant  chez  les  singes,  résulte  donc  essentiellement  du 
volume  même  des  canines,  lesquelles  pour  se  frayer  une  place  séparent  les  dents 
contiguës  qu'elles  rencontrent  à  la  mâchoire  opposée.  Ce  diastema  toutefois  se 
retrouve  parfois  chez  l'homme  et  même  en  l'absence  du  volume  exagéré  des 
canines.  Il  constitue  alors  soit  un  fait  anormal,  comme  nous  en  avons  rencontre 
sur  le  vivant  des  exemples,  soit  un  fait  ethnique.  Sous  ce  dernier  aspect  on  l-i 
rencontré  sur  des  crânes  de  races  inférieures  et  sur  certaines  mâchoires  des 
époques  préhistoriques  (Broca).  11  représente  donc  à  la  fois  un  caractère  de 
dégradation  de  race  en  même  temps  qu'il  devient  chez  un  individu  contemporain 
un  phénomène  de  reversion. 


DE.NT   (physiologie).  135 

Au  delà  des  canines,  les  rapports  réciproques  des  couronnes  des  dents  se  con- 
tinuent, etcliaque  molaire  supérieure  correspond  ainsi  à  l'interstice  de  son 
homologue  inférieure  et  de  celle  qui  précède  immédiatement  cette  dernière.  11 
résulte  de  là  que  dans  la  rencontre  normale  et  complète  des  deux  paraboles  la 
courbe  inférieure  est  inscrite  par  rapport  à  la  suj)érieure  et  celle-ci  se  termine 
de  chaque  côté  en  arrière  un  peu  plus  tôt  que  celle-là. 

Les  bords  libres  des  dents  incisives  et  la  Aice  triturante  des  molaires  sont  de 
la  sorte  réciproquement  conligués  par  le  point  de  rencontre,  de  telle  sorte  que 
la  présence  du  moindre  corps  étranger  est  exactement  perçue,  par  la  raison 
qu'en  outre  de  ses  propriétés  physiipies,  que  la  dent  apprécie  très-exactement 
par  sa  sensibilité  propre,  il  oppose  un  obstacle  à  la  juxtaposition  des  dents. 

C'est  celte  disposition  réciproque  qui  est  cause  de  l'usure  progressive  et  inces- 
sante que  subissent  les  bords  libres  et  les  surlaces  dentaires  pendant  le  cours  de 
la  vie.  Cette  usure  efface  rapidement  les  saillies  multiples  des  incisives  et  les 
tubercules  des  molaires,  circonstance  qui  est  de  nature  à  permettre,  dans  une 
certaine  mesure,  chez  l'homme  la  détermination  de  l'âge  en  matière  de 
recherche  de  l'ideulilé.  Ainsi  que  cela  se  présente  chez  les  animaux  domestiques 
où  cet  élément  a  une  grande  valeur,  celte  recherche  devrait  rentrer  dans  les 
applications  médico-légales  auxquelles  se  prêterait  l'étude  des  dents.  La  question 
n'a  pas  été  encore  abordée  dans  son  ensemble  sous  cet  aspect  particulier,  mai> 
il  est  facile  de  comprendre  quelle  serait  la  valeur  de  l'usure  des  dents,  lorsque, 
l'évolution  dentaire  étant  achevée,  on  serait  appelé  sur  le  vivant  ou  sur  le 
squelette  à  dire  l'âge  du  sujet. 

Celte  usure  toutefois  est  soumise  à  bien  des  variations  accidentelles  dont  il 
faudrait  tenir  soigneusement  compte  :  ainsi  l'alimentation  joue  évidemment 
un  grand  rôle  dans  ce  phénomène.  Chez  les  populations  peu  civilisées  et  primi- 
tives l'usage  des  aliments  crus,  des  graines  de  fruits,  amène  une  usure  plus 
rapide.  Le  fait  est  encore  surabondamment  démontré  sur  les  crânes  des  races 
inférieures  et  préhistoriques,  lesquelles  présentent  une  usure  parfois  excessive. 
Quelques  faits  contemporains  ont  d'ailleurs  confirmé  ces  applications  :  ainsi 
une  observation  fort  curieuse  du  docteur  Laveran  sur  un  mendiant  arabe,  qui 
se  nourrissait  de  graines  crues,  a  montré  une  usure  ayant  fait  entièrement  dis- 
paraître les  couronnes  jusqu'au  collet. 

D'autres  circonstances  produisent  encore  cette  usure  :  ainsi  les  tics  diurnes 
ou  nocturnes  qui  amènent  des  grincements  de  dents  sont  des  conditions  de  rapi- 
dité extrême  de  l'usure.  Nous  dirons  plus  loin  quels  sont  les  accidents  parti- 
culiers qui  accompagnent  ces  phénomènes  {Voy.  De.nt  [Pathologie]). 

Résumé  des  lois  de  disposition,  l»  A  l'égard  de  la  disposition  réciproque,  les 
arcades  dentaires  sont  en  rapport  fixe,  l'inférieure  étant  circonscrite  par  la 
supérieure  ; 

2°  Les  deux  arcades  sont,  quant  à  leur  direction  générale,  disposées  sur  deux 
pans  parallèles  entre  eux  et  parallèles  au  plan  horizontal  du  crâne  ; 

5°  La  rencontre  réciproque  des  arcades  dentaires  est,  dans  l'état  normal  et 
pendant  l'occlusion  de  la  bouche,  rigoureusement  complète  sans  interposition 
possib.e  d  aucune  substance  ou  corps  étranger  quelconque. 

8»  RÔLE  PHYSIOLOGIQUE.  La  question  du  rôle  physiologique  des  dents  repré- 
sente un  problème  des  plus  intéressants  et  aussi  des  moins  étudiés. 

Si  l'on  suit  la  gradation  ascendante  des  êtres,  on  reconnaît  aussitôt  qu'au  début 
de  son  apparition  dans  l'économie  animale  l'appareil  dentaire  occupe  un  point 


136  DENT   (physiologie). 

quelconque  du  tégument  soit  cutané,  soit  rauqueux.  Il  en  est  ainsi,  comme  on 
sait,  chez  les  poissons  qui  ont  des  dents  cutanées  représentées  par  les  épines 
des  écailles.  Tous  les  poissons  cartilagineux  sont  dans  ce  cas. 

D'autre  part,  la  présence  des  dents  sur  les  branchies,  dans  le  pharynx,  dans 
l'œsophage,  vient  aussitôt  faire  pressentir,  de  même  que  leur  siège  cutané,  le 
rôle  spécial  de  protection  et  de  sensibilité.  C'est  qu'en  effet  dans  de  telles  cir- 
constances les  dents  sont  de  véritables  organes  de  tact. 

Ces  considérations  rel  tives  aux  dents  des  vertébrés  inférieurs  ne  perdent  nulle- 
ment de  ionr  caractère  et  de  leur  valeur  en  remontant  la  série  des  êtres,  car  chez  le 
plus  grand  nombre  des  mammifères  la  seule  sensibilité  tactile  dont  ils  sont  doués 
réside  exclusivement  dans  l'appnreil  dentaire.  Les  rongeurs,  les  carnassiers,  ne 
perçoivent  les  qualités  physiques  des  corps  qu'à  l'aide  de  leur  appareil  dentaire, 
et  il  suflit  pour  s'en  convaincre  d'assister  à  tous  les  actes  de  perception  de  la 
part  d'un  chien,  par  exemple,  pour  cire  convaincu  qu'il  emploie  ses  dents  à  titre 
d'organe  de  sensibilité  tactile.  Chez  l'homme  enfin,  bien  qu'il  soit  pourvu  d'un 
merveilleux  sens  du  tact  par  le  corps  papillaire  du  derme,  les  dents  conservent 
à  un  égal  degré  la  sensibilité  la  plus  délicate. 

A  ces  remanjues  de  [)hysiologie  générale  viennent  s'ajouter  les  faits  qui 
démontrent  que  l'organisation  même  de  l'organe  dentaire  est  constitué  en  vue 
de  celte  fonction  spéciale.  Si  l'émail  en  effet  représente  v.n  revêtement  inerte 
dont  le  rôle  exclusif  est  celui  de  transmission  simple  des  impressions  reçues,  il 
n'eu  est  pas  de  même  de  l'ivoire  dont  l'organisation,  ainsi  qu'on  Ta  vu,  est  d'une 
richesse  extrême  de  filaments  ou  fibrilles  sensibles  répandues  à  profusion  dans 
toute  sa  substance.  Ces  filaments  émanent  d'ailleurs  d'un  organe  central,  la 
pulpe  dentaire,  qui  représente  chez  l'adulte  le  bulbe  de  l'embryon  et  qui  pré- 
sente la  structure  particulière  et  la  richesse  en  rameaux  nerveux  de  sensibilité 
d'une  papille  véritable. 

Le  bulbe  est  une  papille.  Celte  assimilation  est  en  tous  points  exacte.  Dans 
sa  célèbre  théorie  du  phanère,  de  Blain ville  avait  envisagé  la  question  sous  cet 
aspect.  Étudiant  le  système  légumentaire  dans  la  série  animale,  il  détermina 
par  un  ensemble  d'observations  ingénieuses  et  de  déductions  philosophiques 
élevées  le  rôle  exact  qu'il  convient  d'assigner  aux  productions  diverses  qui  sont 
sous  la  dépendance  de  ce  système. 

Les  cornes,  les  poils,  le  sabot,  l'organe  dentaire,  furent  ainsi  considérés 
comme  des  produits  se  rattachant  invariablement  aux  téguments.  La  science 
moderne  n'a  rien  changé  à  ces  vues  systématiques;  elle  en  a  au  contraire  fixé 
les  caractères  et  démontré  l'exactitude,  et  lorsque  dans  ces  derniers  temps  nous 
avons  été  conduit,  avec  Charles  Legros,  à  étudier  les  analogies  de  formation  et 
de  constitution  anatomique  des  deux  systèmes  pileux  et  dentaire,  nous  n'avons 
fait  qu'apporter  des  preuves  analytiques  à  l'admirable  synthèse  organique  du 
grand  naturaliste. 

La  papille  dermique  est  un  organe  du  tact;  revêtue  d'épithélium,  elle  reste 
spécialement  dévolue  à  la  fonction  de  la  sensibilité  et  aux  relations  avec  le  monde 
extérieur,  et  lorsque,  par  la  diversité  des  rôles  multiples  qu'elle  affecte  dans  la 
série  des  êtres,  elle  change  de  nature  et  de  forme,  ces  changements  ne  sont 
qu'apparents  :  le  revêtement  papillaire  se  modifie  seul  ;  épidermique  ou  épi- 
thélial  dans  la  peau  et  les  muqueuses,  il  reste  tel  dans  le  poil,  le  sabot  et 
l'ongle,  qui  sont,  comme  on  sait,  constitués  par  l'épitliélium  modifié.  La  dent 
n'échappe  pas  à  la  règle,  et  l'on  sait,  depuis  les  belles  recherches  de  Kôlliker 


DENT   (physiologie).  137 

et  Waldeyer,  que  l'organe  de  l'émail  est  une  émanation  de  la  couche  prisma- 
tique de  Malpighi,  et  l'émail  un  tissu  épiihélial  ;  le  bulbe  central  reste  un 
organe  papillaire  ;  il  en  conserve  exactement  la  composition  analomiijue,  la 
constitution  nerveuse  exclusivement  sensitive  et  jusqu'à  la  forme  typique.  La 
/}rtpi7/e dentaire  est  conique  comme  la  dent  qui  la  surmonte  ou  l'enveloppe,  le 
cône  est  unique  dans  les  dents  simples,  multiple  dans  les  dents  composées,  et 
l'unité  morphologique  qui  a  été  fixée  pour  l'organe  total  se  poursuit  dans  la 
papille  elle  même  qui  est  le  hulhe,  contre  et  foyer  de  l'évolution  organique.  La 
présence  de  l'ivoire  ou  dentine,  tissu  spécial  interposé  entre  le  bnlhe  et  le  revê- 
tement d'émail,  ne  saurait  modifier  cette  manière  de  voir,  car  nos  recherches 
avecLegros  nousonl  amenés  à  envisager  l'ivoire  comme  une  transformation  sur 
place  d'une  des  portions  du  tissu  du  bulhe  lui-même.  Ainsi  se  trouve  établie, 
avec  l'unité  de  composition  organique,  l'unilé  de  fonction,  la  dent  restant 
pourvue  du  rôle  d'organe  du  tact.  Telles  les  dents  cutanées  et  branchiales  des 
poissons;  telles  aussi  les  dents  des  mammifères  auxquelles  on  ne  saurait  refusçr 
la  sensibilité  tactile  à  peine  émoussée  par  la  couche  compacte  et  résistante  qui 
revêt  le  corps  papillaire  fondamental. 

C'est  par  les  considérations  qui  précèdent  que  se  trouve  démontrée  l'existence 
chez  tous  les  vertébrés  pourvus  d'apparence  dentaire  quelconque  du  sens  den- 
taire. 

Déjà  ces  vues  physiologiques  avaient  frappé  quelques  observateurs.  Ainsi 
Gubler  [voy.  article  AciDui.Edece  Dictionnaire,  t.  1,  p.  545),  cherchant  à  expli- 
quer la  sensibilité  particulière  des  dents,  avait  cru  en  donner  la  raison  en  sup- 
posant un  sens  électro-chimique  à  ces  organes.  Mais  un  autre  auteur,  Robert 
Graves,  de  Dublin  {Dublin,  Med.  Journal,  1846,  et  Ârch.  de  méd.,  2=  série,  t.  \, 
p.  400,  1846),  avait  plus  nettement  affirmé  l'exislence  de  la  sensibilité  tactile 
des  dents.  Toutes  les  observations  modernes  soit  physiologiques,  soit  historiques, 
établissent  ce  fait  comme  une  vérité  incontestable. 

Résimé  du  rôle  physiologiqce.  i"  Les  dents  constituent  par  leur  ensemble 
aussi  bien  chez  l'homme  que  chez  tous  les  animaux  un  appareil  de  tact,  sus- 
ceptible de  percevoir  d'un  manière  complète  les  qualités  physiques  des  corps 
telles  que  température,  résistance,  etc.  ; 

2"  Cette  sensibilité  est  due  à  ce  que  chaque  dent  est  représentée  par  une 
véritable  papille  en  tous  points  comparable  anatomiquement  à  la  papille  der- 
mique du  corps  papillaire  de  la  peau; 

5»  Les  perceptions  sont  transmises  au  travers  de  la  couche  d'émail  au  tissu 
de  l'ivoire,  lequel  est  parcouru  par  des  émanations  fibrillaires  du  corps  papil- 
laire central  représenté  par  la  pulpe.  E.  Magitot. 

Bibliographie.  —  Anafomie  et  physiologie.  —  Outre  les  traités  généraux  d'analomie  et  de 
physiologie  qui  traitent   de  ces  questions  aux  ctiapitres  spéciaux,  on  pourra  consulter  : 
Leeuvvenhœck.  Philosoph.  Tram.,   1078,   Opéra   omnia.  Lugduni  Balavorum,  1722,  t.   I.   — 
Malpighi.   Analome  Plantarum.  Lugduni  Batavorum,  1687.  —  lUu.  Dispulatio  inauguralis 
de  ortu   et  regeneraiione  dentium.  Leyde,   1694.  —   Malpighi.   In  Opéra  posthuma,  p.  52 
1697.  —  De  la  Hire.  Sur  le  développement  de  l'émail.  In  Mcm.  de  l'Acad.  roij.  des  sciences 
1699.  —  Hebissant.  Nouvelles  recherches  sur  la  formation  de  l'email  des  dents  et  sur  celle 
des  gencives.  In  Mém.  de  l'Acad.  des  sciences  de  Paris,  1754.  —  Humer.  Nititral  Histonj  of 
the  Teeth.  (ondon,  1770.  —  De  même.  On  the  Annlomy  of  Ihe  Human  Teeth.  l.ondon,  1771.— 
Blaee.   De  dentium  formatione  et  structura  in    homme  et  variis  animalibus.   Edinburo- 
1780.  —  Tenon.  Mémoires  de  l'Institut  ?iational,  1795.  —  Blake.  De  dentium  formatione  et 
structura.  Edinburg,   1798.  —  ^cerecer.  Isenflamm's  und  Rosenmiiller's  Deitrâge,  iSOO. — 
Badme.  Traité  de  la  première  dentition.  Paris,  1806.  —  Serres.  Essai  sur  Vanatômie  et  la 


138  DENT   (physiologie). 

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sur  les  rapports  des  deux  dentitions,  l'aris  (sans  date).  — ■  Geoffrov  Saint-Hilaire.  Système 
dentaire  des  jnammifères  et  des  oiseaux,  1821.  — G.  Cuvier.  In  Ossements  fossiles,  4°  édit., 
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physiologiques   et    microscopiques   sur  les    dents.    Paris,  1862.  —   Czermak.    Beilràge  zur 
mikroscop.  Anal,  der  menxchlich.  Zâhne.   In  Zeitschrifl  f.    wiss.  Zool.,  1850.  —  Hcxley. 
On  the  Development  ofthe  Teeth.  In  Quart.  Journ.  of  Micr.  Se,  1855,   1854,  1855,  1856.  — 
Neomann.  Zur  Kenntniss  des  normalen  Zahngewebes,  1853.  —  Leydig.  Ueber  die  Verknôche' 
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Zool.,  1874.  —  Lent.   Beilràge  zur  Enlwickelung  des  Schmehes  und  Zahnbeines.   In  Zeil- 
schrift  f.   wiss.   Zool.,  1854,   VI.   —    Giedel.    Odontographie.  Leipzig,    1855.  —  H.  Godet. 
Thèse  de  Paris,  1850.  Anatomie  descriptive  des  dents.  —  Uannover.  Die  Enlwickelung  und 
der  Bau  des  Sâugethienahns.  In  Nova  acta  Cas.   Leop.  natur.  curios.    Breslau  et  Bonn, 
1856.  —  Catlin.  Transaction  ofthe  odontological  Society,  1857.  —  Lankesteb  et  Ray.  On  the 
Teeth   of  Micropleron.  In   Quart-  Journ.  of  Micr.   Se,    1857.  —  'SVelcher.  Spiral witulung 
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Recherches  sur  la  genèse  et  l'évolution  des  dents  et  des  mâchoires .  In  Ann.  des  se.  nal.,  4"  sé- 
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der  Knochen fische.  In    Wiirzburger  Verklg.,   1859,  IX.   —  Du  mèije.   Die  Enlwickelung  der 
Zahnsâcken  der  Wiederkâuer.  In  Zeitschr.  f.  wiss.  Zool.,  1865,  Gewebelehre,  4te  Aufl. — 
Webb.  Teeth  in  Manand  the  Anthropoids  Apes.  London,  1760.  —  Lent.  Beitrâçe  zur  Enlwicke- 
lung des  Zahnbeines  und  Sehmelzes.  In  Zeitschr.  f.  iviss.  Zool.  1862.  —  Humphbey.  In  Trans. 
Camb.  Phil.    Soc..  1865.  —  Neumann.  Beitrag   zur   Kenntniss  des  normalen  Zâhne-  und 
Knochengewebes.   Leipzig,    1865.  —  Bourneville.   De   la   condition    de  la  bouche  chez  les 
idiots.  In  Journ.  des  conn.  méd.,  1862-1865.  — Waldeyer.  Untersuchung  iiber  die  Enlwicke- 
lung der  Zàhne.  I.  Ablh.  Konigsberg,  und  Jahrbiicher,   IV.  Bd.,  1864;  II.  Ablh.  Zeitschrifl 


DENT   (physiologie).  ''S^ 

fiir  rat  med  ;  III  24-  Cd.,  1865;  IV.  Bau  und  Entwickelungder  Zàhne.  in Slricker  s  Hand- 
buch  dèr  Lehre  von  dm  Geweben.  Leip/.i-,  1871,  p.  333.  —  Rf.im.aut.  Nalur  hisl.  Yetemk 
meddelser  180i.  —  C.  Dlake.  Traiis.  of  Ellmological  Soc.  o/'/.oik/ow,  1804.  — Hoppe-Seileb. 
Zahnsehmelz.  In  Virchows  Arcli.,  1864,  V,  '21,  Dand.  —  Beigel.  Ueber  eine  neue  Unter- 
suchungsmeth.  der  anal.  Zahnverhaltnisse.  In  Berl.  ktin.  Wochenschrifl,  1865,  n"  47.  — 
P.  Gervais.  Histoire  naturelle  des  mammifères,  1865,  p.  11.— Beale.  On  tlie  Structure  ofthe 


Simple  Tissues.  In  Arch.  ofDentistry,  1865.  —  Salter.  In  Arc/i.  of  Dejilistry,  1865.  —Robin 
et  Magitot.  Note  sur  quelques  parlicularilrs  anatomiques  de  la  muqueuse  gingivale  chez  le 


quelqii^^  ..." , .. ,  .  ^     ,-      ,  i 

Mémoires  de  la  Société  de  biologie.  Paris,  1859,  p.  '212.  —  Oes  m.;mes.  Eevherches  sur  les 
gouttières  dentaires  et  sur  la  constitution  des  mâchoires  chez  le  fœtus.  In  Comptes  rendus 
et  Mémoires  de  la  Société  de  biologie.  Paris,  1859,  in-8°,  p.  217.  —  Des  mkmes.  Note  sur  le 
tissu  sous-7nuqueuz  gingival  du  fœtus,  ou  contenu  de  la  gouttière  dentaire  des  os  maxil- 
laires.InComptes  rendus  et  Mémoires  de  la  Société  de  biologie.  Paris.  1859,  in-8°,  p.  265.  — 
Des  mêmes.  Recherches  sur  l'ordre  et  le  mode  d'apparition  des  follicules  dentaires  dans  la 
gouttière  de  chaque  mâchoire.  In  Comptes  rendus  et  Mémoires  de  la  Société  de  biologie. 
Paris,  1859,  in-8°,  p.  245.  —  Des  mêmes.  Mémoire  sur  la  genèse  et  le  développement  des 
follicules  dentaires  jusqu'à  l'époque  de  l'éruption  des  dents.  In  Journal  de  physiologie. 
Paris,  1860,  t.  III,  p.  1  et  suiv.,  avec  6  planches  gravées.—  Des  mêmes.  Note  sur  le  tissu 
propre  du  bulbe  dentaire.  In  Comptes  rendus  et  Mémoires  de  la  Société  de  biologie,  1860, 

p.  161.  Des  mêmes.  Observations   sur  la  production   du   cortical  osseux  ou  cément.    In 

Comptes  rendus  et  Mémoirefi  de  la  Société  de  biologie,  1861,  p.  51.  —  Magitot.  Etude  sur  le 
développement  et  la  structure  des  dents  humaines.  Thèse  inaugurale.  Paris,  1857,  et  in  Arch. 
générales  de  médecine,  1858.  —  Du  même.  Note  sur  ta  morphologie  du  follicule  dentaire  chez 
l'homme  et  les  mammifères.  In  Comptes  rendus  et  Mémoires  de  l'Académie  des  sciences, 
1860,  t.  L,  p.  42  i.  —  Du  même.  Note  sur  le  système  dentaire  des  rongeurs.  In  Comptes  rendus 
et  Mémoires  de  la  Société  de  biologie,  1862,  p.  21.  —  Du  même.  L'homme  et  le.\  singes  anthro- 
pomorphes. Discours  sur  l'anatomie  comparée  de  l'homme  et  des  pi-imates.  In  [hillelin  de  la 
Société  d'anthropologie,  1869,  p.  115.  —  Du  même.  Voyez  art.  B&uciie,  in  Dictionnaire  ency- 
clopédique des  sciences  médicales,  1869,  t.  X,  p.  196.  —  Du  même.  Détermination  de  l'âge  de 
l'embryon  par  l'examen  de  l'évolution  dentaire.  In  Comptes  rendus  e\  Mém.  de  l'Acad.  des 
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série  animale.  In  Comptes  rendus  et  Mémoires  de  l'Académie  des  sciences,  1880,  31  mai.  — 
Hep.tz.   Ein  Eall  von  geheiller  Zahnfractur  mit  nachfolgender  Schmclzbildung.  In  Yirch. 
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MÊME.  On  the  Development  of  the  Teeth  ofthe  Nent,  the  Frog  and  Certain  Lizards.  In  Proceed. 
of  the  Roy.  Soc.,  1875.  —  l)o  même.  On  the  Development  of  the  Teeth  of  Fishes.  In  Philos. 
Trans.  London,  1875.  —  Du  même.  On  the  Development  and  Succession  of  the  Poison- fangs  o; 
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1876.  —  Dd  MÊME.  On  the  Structure  and  Development  of  VascularDentine.  In  Philos.  Transact. 
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t.  LXXVII,  p.  1000  (Mémoire,  in-8°,  avec  6  planches.  Journal  d'anatomie  de  Cii.  Robi.v,  1873, 
p.  449).  —  Des  mêmes.  Morphologie  du  follicule  dentaire  chez  les  mammifères  (avec  6  planches. 
Journal  d'anatomie  de  Cir.  Robi.\,  1879).  —  Des  mêmes.  Développement  de  l'organe  dentaire 
chez  les  ?nammifères  (in-S"  avec  2  planches,  Journal  d'anatomie  de  Ch.  Robix,  1881,  p.  60).  — 
HoHL.   Knochenkôrperchen  mit    eigentliilmlichen  Kapseln  in  der   Zahnpulpa.  In  Arch.  f. 
mikrosk.  Anat.,  1860.  —  Darwix.  In  Origine  des  espèces,  2«  édition  française,  1866,  p.  549.  — 
Du  même.  In  De  la  variation  des  animaux  et  des  plantes,  trad.  franc.,  1868,  t.  Il,  p.  343.  — 
Pflûger.  Entwickelungsgesch.  d.  Zcihne.  In  Deutsch.    Vierteljahrschrift  f.  Zahnheilkunde. 
1867.  —  Leydig.  Entwickelung  der  Zâhne  der  Salamandrinen.  In  Troschel's  Arch.  fiir  Natur- 
geschichtc,  1867.  —  Cutler.  In  Dental  Cosmos,  1867,    septembre,  S.  Feiner.  In  Deutsch. 
Vierteljahrschrift  f.  Zahnheilkunde.  —  Hohl.  Die  Befestigung  des  Zahnes  in  der  Alvéole. 


140  DENT  (pathologie). 

In  Deutsch.  Vierteljahrschrift  f.  Zahnheilkunde,  1867.  —  Hannover.  Sur  la  stmclure  et  le 
développement  des  écailles  et  des  rj)ines  des  poissons  corlilaginaix.  Copenhague,  1867.  — 
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Flower.  Homologij  a}id  Notation  of  theJeelh  of  llic  Mammalia.  In  Journ.  of  Anal,  and 
Phys..  III,  1868.  l,ondon.  —  Muiilreiter.  Deilrag  zur  Kenntniss  der  Anordnung  der  Dentiii- 
zellen.  In  Deutsch.  Vicrteljahrschr.  f.  Zahnheilkunde,  1868.  —  Mivart.  Dents  des  insecti- 
vores. In  Journ.  d'anat.  et  de  phys..  180S.  —  Boll.  Untersuchungen  ïiber  die  Zahn- 
pulpa.  In  Arch.  f.  mikr.  Anal.,  1868.—  Uursy.  Entwickclungsgeschichte  des  Kopfes,  1869.  — 
Goujon.  Sur  un  appareil  de  corpuscules  tactiles  situé  dans  le  bec  des  perroquets.  In  Journ. 
d'anat.  et  de  phys.  de  Ch.  Robin.  1809,  p.  449.  —  Wedi-.  Pathologie  der  Zahne.  Leipzig, 
1869.  —  Uensengre.  ISullelin  de  la  Société  des  naturalistes  de  Moscou,  1870,  tableau.— 
llDJiPHREY.  Brilish  Journal  of  Dental  Science,  l.  VI,  p.  548,  développement  des  mâchoires.  — 
KoLLMAXN.  Entwickelung  der  Milch-  und  Ersalîzâhne  beini  Menschen.  In  Zeilschr.  f.  wm. 
ZooL,  1870.  —  Van  Beneuen.  In  BuUet.  de  lAcad.  roy.  de  méd.  de  Belgique,  1871,  t.  XXXI.  — 
Bruck.  Zur  Histologie  und  Pathologie  der  Zahnpulpa.  Breslau,  1871.  —  Flower.  Lectures 
onOdontologij.  In  British  Med.  Journ.  London,  1871.  —  Du  même.  IJamalodontherium.  In 
]'hil.  7V«ns.  London,  1874.  —  Du  même,  liunterian  Lecture.  In  Nature,  Jlaich2,  1876.  — 
IIasting.  Quarterly  Journ.  of  Micr.  Se,  1872.  —  Miciialski.  Élude  sur  la  première  dentition. 
Thèse  de  Paris,  187'2.  —  Topinard.  Elude  sur  le  prognathisme.  In  Bev.  d'antlirop.  de  Broca, 
t.  I,  1872,  et  t.  II,  1875.  —  Salter.  Dental  Phgsiology  andSurgery.  London,  1874.  —  Heri- 
wiG.  Veber  die  Entwichelung  der  l'iacoidschaflen  und  Zâhne.  In  Jenaische  Zeitschrifl, 
1874.  —  Du  MKME.  Das  Zahnsysletn  der  Amphibien.  In  Arch.  f.  mikr.  anat.,  1874.  —  Delau- 
NAY.  Biologie  comparée  du  côté  droit  et  du  côlr  gauche  du  corps.  Thèse  de  Paris,  1874.  — 
Renard.  Des  variations  ethniques  du  maxillaire  inférieur.  Tlièse  de  doctorat.  Paris,  1880. 

E.  M. 

g  YI.  Pa(liolo;;ie  Oi:  HISTOir.E  DES  MALADIES  DES  DENTS  ET  DES  OPÉRATIONS  QDI  SE 
rRATIQl'ENT   SUR  CES  ORGANES. 

Cette  partie  de  notre  travail  comprendra  :  A.  Histoire  des  maladies  des  dents.  — 
B.  Médecine  opératoire. 

A.  Maladies  des  dents.  Nous  adopterons  daiis  cette  description  la  division 
suivante  : 

I.  Vices  de  cnnforynation  de  l'appareil  dentaire  consistant  en  1°  accidents  de 
l'évolution  ou  anomalies;  2"  accidents  de  rrriiplion. 

II.  Affections  de  V organe  en  totalité  :  \°  lésions  Iraumaliques  :  luxations, 
fractures,  usure  :  1"  lésions  organiques  :  carie  dentaire,  déjà  étudiée  (t>Oî/.  Carie 
dentaire). 

m.  Affections  des  tissus  dentaires  en  particulier  :  1"  maladies  de  la  pulpe; 
2"  maladies  du  périoste  ;  5"  maladies  du  cément. 

I.  VICES  DE  CONFORMATION  DE  L'APPAREIL  DENTAIRE.  1°  Accidents  de 
l'évolution  ou  ANOMALIES  DE  l'appareil  DENTAIRE.  Les  anouialies  du  système  den- 
taire sont  extrêmement  fréquentes;  les  considérations  auxquelles  peut  donner  lieu 
l'étude  de  leur  mode  de  production  ou  leur  tératogénie,  les  applications  plus  oa 
moins  importantes  qu'on  peut  en  déduire  à  l'égard  de  la  pathogénie  de  certaines 
affections  chirurgicales  et  au  point  de  vue  même  de  leur  thérapeutique  spéciale, 
c'est-à-dire  de  leur  curabilité  dans  certains  cas,  sont  aussi  intéressantes  qu'utiles. 

Les  points  de  vue  sous  lesquels  peut  être  tracée  l'histoire  des  anomalies  de 
l'appareil  dentaire  sont  multiples,  et  nous  avons  été  ainsi  conduits  à  traiter 
notre  sujet  sous  les  chefs  suivants  : 

1°  Sous  le  rapport  de  la  définition,  de  la  classification  et  de  la  statistique; 

2°  Dans  la  série  des  mammifères; 

3"  Dans  la  succession  des  races  humaines  ; 

4"  A  l'égard  du  mode  de  production  des  anomalies  dentaires  on  de  la  téra- 
togénie ; 


DENT  (pathologie).  141 

5"  Au  point  de  vue  pathologique  et  chirurgical. 

1"  Définition  des  anomalies  dentaires^  classification  et  statistique.  Avec 
Geoffroy  Saint-IIihiire,  nous  donnons  le  nom  d'anomalies  du  système  dentaire  à 
toute  déviation  du  type  primitif. 

Ce  type  primitif  que  nous  déterminerons  se  dégage  d'un  ensemble  de  carac- 
tères variables  suivant  les  diverses  espèces  animales,  mais  fixes  dans  une  espèce 
en  particulier.  Ils  se  déduisent  de  la  forme,  du  volume,  du  nombre,  du  siège 
absolu  ou  relatif,  de  toutes  les  conditions,  enfin,  qui  sont,  dans  l'état  pliysiolo- 
gique,  immuables  et  transmissibles  à  la  descendance. 

Les  perturbations  tératologiques  de  ces  conditions  constituent  les  anomalies. 
Les  dents  peuvent  en  présenter  une  ou  plusieurs  à  la  lois,  constituant  ainsi  les 
anomalies  simples  ou  complexes. 

Le  caractère  général  de  ces  anomalies,  c'est  qu'elles  représentent  toujours  des 
accidents  de  l'évolution,  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  ceux  de  l'éruption. 

La  dent  ne  quitte  le  follicule,  qui  est  en  quelque  sorte  son  sac  fœtal,  que 
pourvue  d'une  manière  définitive  de  ses  caractères  normaux  ou  anormaux  ; 
ceux-ci  sont  dès  lors  permanents  et  indélébiles  ;  l'organe  régulier  ou  difforme 
est  parvenu  pour  ainsi  dire  à  l'âge  adulte,  et  toute  lésion  ultérieure  qui  vient 
l'atteindre  sera  désormais  du  domaine  de  la  pathologie  et  non  plus  de  la  téra- 
tologie. 

Ne  pouvant  citer  toutes  les  tentatives  de  classification  des  anomalies  faites 
jusqu'à  ce  jour,  nous  rappellerons  celles  de  Ilunter  {Œuvres  compi,  tvad.  franc., 
t.  II,  p.  78  et  120,  1839),  Meckel  {Man.  d'anat.  patli.,  trad.  franc.,  1823, 
t.  m,  p.  559),  Is.  Geoffroy  Saint-IIilaire  {Des  anomalies  de  l'organisation,  t.  1, 
p.  409,  546,  641,  et  atlas,  p.  H),  Blandin  [Anatornie  du  système  dentaire  chez 
ihomme  et  les  animaux,  thèse  de  concours.  Paris  1836),  Tomes  {Manuel  de 
chir.  dent.,  2^  édit.  trad.  franc.  Paris.  1872),  Wedl  {Pathologie  der  Zàhne. 
Leipzig,  1870),  Forget  (Des  anomalies  dentaires,  etc.  Paris.  1859),  Davaine 
{Dict.  encyl.  des  sciences  méd.,  art.  Mo.xstkes,  2"=  série,  t.  I\,  p.. 26),  qui  ont 
rapporté  en  outre  un  certain  nombre  de  cas  d'anomalies.  En  nous  basant  sur 
les  particularités  de  celles-ci,  nous  avons  dressé  des  anomalies  le  tableau  suivant  : 

TABLEAU    SYNOPTIQUE    DES    ANOMALIES    DU    SYSTÈME    DENTAIRE    CHEZ    LES    JUMMIFÈRES. 

r  Anomalies  totales. 

l"  Anomalies  de  forme j  Anomalies  coronaires. 

(  Anomalies  radiculaires. 

î  Diminulion  ou  nanisme !  n°  ?^', 

■1'  Anomalies  de  volume j  Toîalc 

'  Augmentation  ou  géantisme.  ..in    .•  n 
°  "  (  Partielle. 

[  Absence  congénitale. 

.'î''  Anomalies  de  nombre J  Diminution  numérique. 

(  Augmentation  numérique. 

/  Transposition. 

4'  Anomaliei  de  siège Hétérolopie  ...     "«^f  ^«'«P-e  par  migration  folliculaire. 

neterolopic     Inirorsion  blastodermique. 
[         par  'Hétéroplastie. 

r        Absolues         i  Prognathisme  accidcniel. 
.,   ..,       ,.      .     ..      ,.  \ou  totales.   .   .   •  i  Opisthognathisme  accidentel, 

o-  Anomalies  de  direction j  ,  Antévertion. 

(Relatives  .   .   .   .    |''''''°^"='°"-  .    , 
I  Inclinaison  latérale. 

\  Rotation  sur  l'axe. 


142  DENT  (pathologie). 

i  Éruption  précoce. 
Éruption  tardive. 
Chute  précoce. 
Chute  tardive. 
iEmbryoplastiques. 
l  Avec  ou  sans  grains  phospha- 
Fibreux.    .    .  <      tiques. 
Atrophie.  .1  '  Avec  ou  sans  grains  dentaires. 

'  Cémenlaircs. 

Hypertrophie  I  ^  „      .     ■  j  Circonscrits. 

,  Odontoplastiques.  ^Dentinaires.  .  \  ^-^^^^ 

V  .'iHomfliîM  rfc  ««-jl'ÏPergcnèse.  /  \,inmnnlins     ^J"""eurs     hétérotopiqucs     do 

trition.  \  Odoutoiiics.  \  .  Adanianuus  .  ^      l'émail. 

(  Cémeutaires. 
Radiculaires.   .    ■  |  peutinaires. 

1  Prédcntinaires. 
Transformation  kystique,  kystes  folliculaires.    .  ,  Odonloplasliques. 

f  Coronaires. 

Défectuosités  de  1  ,     . ,     ,  „ 

,      ,.,•,.  ,    f  Accidentelles 

la    totalité  de  ,.  ^.     ... 

/      i'„  „   ,„  l  Dialnesiques. 

lotalcs (      1  organe.  .  .    .  )                ' 

1  I  hrosion. 

f,'  .{iiomnlics  (le      J  l  Colorations  anormales  des  dents. 

structure.  J  r  snious  et  défectuosités  de  lémail. 

!  Partielles \  Vices  de  structure  de  l'ivoire. 

(  \  ices  de  structure  du  cément. 

i  Anomalies  par  coulinuilé,  réunions  anormales. 
Anomalies  par  di.-jonction,  divisions  anormales. 
1  Atrésic  de  l'arcade  dentaire. 
Anomalies  par  asymétrie  des  arcades  dentaires.  ^  Aujmenialion    des    diamètres 
(      de  l'arcade. 
Rapports  anormaux  des  arcades  dentaires. 

Les  anomalies  dentaires  sont,  ainsi  que  nous  l'avons  déjà  dit,  tantôt  simples, 
tantôt  multiples.  Dans  le  premier  cas,  elles  portent  sur  une  seule  des  conditions 
du  type  fondamental  et  elles  i-entrent  rigoureusement  dans  l'un  des  cadres  que 
nous  avons  tracés;  mais,  si  elles  sont  complexes,  c'est-à-dire  lorsqu'elles  repré- 
sentent plusieurs  perturbations  simultanées  de  divers  caractères  fondamentaux, 
elles  se  prêtent  difficilement  à  une  classification  régulière.  Cependant  nous  avons 
cru  devoir  procéder  dans  ce  cas  en  faisant  figurer  l'anomalie  complexe  dans  la 
catégorie  propre  à  l'anomalie  principale,  à  celle,  par  exemple,  qui  a  entraîné  la 
seconde.  Ainsi,  un  follicule  hétérotopique  est-il  devenu  le  siège  d'un  otioutome 
ou  d'un  kyste,  c'est-à-dire  d'une  anomalie  secondaire  de  nutrition,  la  seconde 
déviation  é(ant  manifestement  le  résultat  de  la  première,  c'est  dans  la  classe  de 
celle-ci  que  devra  être  rangé  un  pareil  exemple. 

La  fréquence  des  anomalies  du  système  dentaire  n'a  pas  été  étudiée  jusqu'alors 
avec  toute  la  précision  désirable;  on  les  croit  relativement  rares  en  général  el 
même  certains  auteurs,  M.  Puech  en  particulier,  dans  un  récent  travail  {Des 
anomalies  de  l'homme  et  de  leur  fréquence  relative.  Paris,  1871),  n'en  font 
aucune  mention. 

Réunissant  toutes  les  pièces  recueillies  dans  divers  musées  et  collections 
particulières,  nous  avons  pu  examiner  2000  anomalies  qui,  classées  d'après  le 
précédent  tableau,  nous  ont  donné  les  chiffres  suivants  pour  chaque  espèce: 

Anomalies  de  forme 92 

—  de  volume 120 

—  de  nombre 440 

—  desiégp, 193 

—  de  direction  • 581 

—  de  développement. lr>4 

—  de  nutrition 208 

—  de  structure 168 

—  de  disposition 244 

Total 2000 


PEXT  (pathologie).  Ii5 

?{ous  n'insisterons  pas  dans  cet  article  sur  les  anomalies  dentaires  chez  les 
mammifères  et  dans  les  diverses  races  humaines;  celte  étude  a  été  i'a^  d'une 
manière  "énérale  dans  notre  Traité  des  anomalies  du  système  dentaire  chez 
les  mammifères  (in-i»  avec  un  allas  de  20  planches,  Paris,  1877),  auquel  nous 
renvoyons  le  lecteur.  Nous  nous  contenterons  de  résumer  ici  les  considérations 
que  nous  y  avons  développées  dans  les  propositions  siùvantes  : 

Les  dents  chez  les  mammifères  procèdent  toutes  d'un  même  type  primitif,  le 
cône,  qui  est  la  forme  élémentaire,  V unité  morpholo(/i(jue  du  système  dentaire. 

Le  type  conique  est  celui  vers  lequel  s'ohservent  les  tendances  de  retour  de  la 
part  des  termes  supérieures  lorsqu'elles  sont  frappées  d'aherrations  téralologiques. 
Le  caractère  régressif  des  dents  esl  un  signe  d'intériorilc  de  race. 

Chez  les  mammifères,  les  dénis  perdent  le  caractère  exclusivement  conoïde 
pour  alfecter  des  formes  plus  complexes  et  plus  variées  ;  la  perfection  relative 
du  type  se  rencontre  chez  les  espèces  supérieures  et  chez  l'homme,  mais  elle 
se  dégrade  à  mesure  qu'on  descend  l'échelle  des  êtres. 

La  complexité  des  formes  est  toutefois  plus  apparente  que  réelle,  et,  si  l'on 
vient  à  envisager  dans  leur  constitution  les  différentes  pièces  du  système  den- 
taire, on  est  conduit  à  considérer  toutes  les  formes  diverses  comme  une  dérivation 
<lu  type  primitif,  dont  nous  avons  cru  retrouver  l'élément  fondamental  dans  le 
système  dentaire  des  derniers  vertébrés,  les  poissons.  C'est  ce  que  nous  avons 
appelé  le  type  conique,  Varchétype. 

La  canine  seule,  et  cela  dans  toute  la  série,  conserve  sa  forme  primordiale  et 
constante.  Formée  d'un  bulbe  à  une  seule  saillie,  elle  se  retrouve  toujours  unicus- 
pidée.  Les  incisives  et  les  molaires  au  contraire  subissent  dans  leur  forme  des 
modifications  nombreuses  dont  l'origine  se  retrouve  dans  la  forme  de  leur  bulbe. 

La  raison  physiologique  déterminante  qui  entrauie  la  formation  des  cônes  ou 
tubercules  simples  ou  multiples  suivant  la  forme  des  dents  est  donc  le  bulbe. 

Le  type  dentaire  est  aussi  une  réalité  incontestable  et  les  dents  les  plus 
complexes  comme  les  plus  simples  peuvent  être  rattachées  à  celte  loi  de 
l'unité. 

Toutes  les  classes  de  mammifères  peuvent  présenter  des  perturbations  acci- 
dentelles, lesquelles  s'observent  dès  lors  isolément  chez  un  individu  ;  elles 
peuvent  ne  pas  être  nécessairement  transmissibles  à  la  descendance  et  constituent 
rmmédialement  unfaittératologique.  Ainsi  toute  déviation  dans  laformule  dentaire 
d'une  espèce  représentera  une  anomalie;  toute  modification  dans  la  forme  ou  le 
volume  sera  dans  le  même  cas;  toute  aberration  de  siège  constitue  l'hétérotopie; 
toute  perturbation  dans  l'époque  de  l'éruption,  les  troubles  dans  la  nutrition, 
dans  la  structure,  dans  le  mode  réciproque  de  classement  et  de  rencontre  des 
arcades  dentaires,  seront  des  faits  téralologiques.  Toutes  ces  données  trouvent 
leur  application  dans  la  suite  de  cette  étude  relative  à  l'homme. 

Les  caractères  des  dents  des  races  anciennes  paraissent  indiquer  que  les  ano- 
malies n'étaient  pas  plus  fréqiientes  chez  elles  que  dans  les  races  actuelles;  ces 
considérations  ne  peuvent  permettre  de  conclure  en  faveur  de  l'hypothèse  d'une 
infériorité  physique  chez  nos  ancêtres. 

Les  caractères  des  anomalies  ne  paraissent  pas  avoir  changé,  mais  la  loi  de 
dégradation  du  système  dentaire  que  nous  avons  observée  dans  la  série  des 
vertébrés  se  retrouve  dans  la  succession  des  races  humaines  avec  l'ensemble  des 
autres  caractères  physiques. 

Considérés  sous  le  rapport  purement  physiologique,  les  caractères  du  système 


114  DENT   (pathologie). 

dentaire  éprouvent  en  effet  certaines  moiUtîcations  par  le  fait  seul  de  la  race; 
mais  ces  modifications  portent  seulement  sur  le  volume  et  la  direction,  c'est- 
à-dire  qu'elles  sont  liées  presque  exclusivement  au  degré  plus  ou  moins  prononcé 
du  prognathisme.  Nous  avons  étudié  déjà  ces  variations  dans  vn  autre  travail 
(Uhomme  et  les  singes  anthropomorphes.  [Bull,  de  la  Soc.  (V anthropologie. 
Paris,  1860,  p.  Ho]). 

Envisagées  sous  le  rapport  numérique,  les  anomalies  du  système  dentaire  sont 
peut-être  celles  qui  s'accusent  le  plus  nettement  au  point  de  vue  ethnologique. 
L'hérédité  joue  un  grand  rôle  dans  la  production  des  anomalies,  chaque  iorme 
particulière  pouvant  en  subir  l'influence. 

Nous  verrons  dans  la  suite  de  cette  étude  quelles  sont  les  applications  chirur- 
o^icales  particulières  qui  conviennent  à  chaque  espèce  d'anomalies. 

A.  Anomalies  de  forme.  Nous  avons  indiqué  dans  l'anatomie  descriptive  des 
dents  les  traits  caractéristiques  de  chacune  d'elles  ;  les  anomalies  peuvent  frapper 
la  forme  de  la  dent  soit  en  totalité,  soit  dans  sa  couronne,  soit  dans  ses  racines; 
la  comparaison  de  ces  formes  anomales  avec  les  formes  normales  pourra  s'élabiir 
avec  ce  que  nous  en  avons  dit  précédemment. 

Suivant  une  division  toute  naturelle,  nous  tiécrirons  successivement  les  ano- 
malies de  forme  totales,  ies  anomalies  île  la  forme  de  la  couronne,  les  anomalies 
de  forme  de  la  racine. 

I.  Anomalies  de  forme  totales.  Ce  genre  d'anomalies,  plus  fréquent  chez 
les  dents  définitives  que  chez  les  temporaires,  frappe  souvent  une  dent  isolée, 
d'autres  fois  deux  dents  homologues  d'une  même  mâchoire  et  plus  rarement 
les  quatre  dents  des  deux  mâchoires.  Pour  les  dents  temporaires,  on  invoque 
l'inlluence  des  troubles  survenus  au  sein  des  mâchoires  pendant  la  vie  intra- 
utérine  ou  dans  les  premiers  temps  de  la  vie  ;  parfois  ces  troubles  passent 
inaperçus,  mais  des  traumatismes  portant  sur  les  mâchoires  ont  le  même  résultat, 
surtout  pour  les  anomalies  des  dents  permanentes;  les  chutes  sur  la  face,  les 
extractions  intempestives,  sont  les  causes  les  plus  efficaces  des  anomalies  de 
forme.  Nous  l'avons  constaté  nous-même  un  certain  nombre  de  fois. 

La  forme  de  la  dent  est  parfois  tellement  altérée  qu'on  ne  reconnaît  plus  le 
type  primitif.  Toutefois  les  éléments  constituants  sont  reconnaissables,  et  leurs 
rapports  ne  varient  point. 

L'anomalie  de  forme  qui  frappe  ainsi  une  dent  dans  une  série,  en  nombre 
d'ailieurs  normal,  se  retrouve  en  outre  dans  le  dents  surnuméraires,  qui  repré- 
sentent ainsi  deux  anomalies  à  la  fois. 

La  dent  frappée  d'une  anomalie  de  forme  peut  avoir  son  siège  normal,  mais 
cette  anomalie  coïncide  souvent  avec  l'anomalie  de  volume.  En  pareil  cas  l'ano- 
malie est  incurable;  si  elle  est  trop  gênante,  on  peut  extraire  la  dent,  surtout 
chez  les  sujets  jeunes  où  l'on  peut  espérer  que  le  rapprochement  des  dents  voi- 
sines comblera  le  vide,  en  partie  du  moins. 

11.  Anomalies  de  forme  de  la  couronne.  Cette  anomalie  peut  aflecler 
indifféremment  toutes  les  dents  et,  sauf  le  cas  de  traumatisme,  c'est  à  la  mâchoire 
supérieure  qu'elle  se  présente  le  plus  souvent.  Chez  les  incisives  elle  prend 
surtout  la  forme  conoïde  ou  bien  il  se  forme  des  saillies  secondaires  ;  la  diffor- 
mité est  le  plus  souvent  isolée  pour  les  incisives  centrales  et  symétrique  pom' 
les  latérales. 

Si  cette  anomalie  se  complique  d'un  excès  de  volume,  la  dent  ne  peut  occuper 
sa  place  normale  et  mie  anomalie  de  siège  prend  naissance. 


DENT   (pathologie).  145 

Pour  les  prémolaires,  la  cause  de  l'anomalie  est  souvent  la  production  d'acci- 
dents inllammatoires  ayant  pour  point  de  départ  la  carie  de  la  dent  temporaire. 
Lorsque  l'anomalie  est  spontanée,  elle  consiste  souvent  dans  la  production  d'un 
tubercule  supplémentaire. 

On  trouve  aussi  l'augmentation  des  tubercules  cliez  les  autres  molaires; 
d'autres  fois  on  observe  un  aplatissement  delà  couronne,  soit  transversalement, 
soit  dans  le  sens  anléro-postérieur. 

L'augmentation  du  nombre  des  tubercules  prédispose  davantage  à  la  carie 
dentaire,  en  raison  de  l'étendue  et  de  la  profondeur  des  interstices  qu'ils  inter- 
ceptent entre  eux. 

Ul.  Anomalies  de  forme  des  racines,  La  racine  des  incisives  et  des  canines 
peut  affecter  une  courbure  plus  ou  moins  prononcée  soit  en  avant,  soit  en 
arrière;  plus  rarement  elle  est  bifide.  D'après  les  rechercbes  de  M.  llamy,  cette 
bifidité,  pour  la  canine  inférieure,  serait  un  caractère  propre  aux  races  préhis- 
toriques {Bull,  de  la  Soc.  d'nnthropolocjie,  187-i,  p.  54).  Nous  ne  l'avons 
rencontrée  que  dans  la  proportion  de  1  pour  100  [Bidl.  de  la  Soc.  d'anthro- 
pologie, 1874,  p.  127).  Povir  les  prémolaires  on  trouve  les  mêmes  dispo- 
sitions de  courbure,  et  le  nombre  des  racines  peut  également  augmenter  :  la 
division  en  deux  racines  est  plus  accentuée,  et  on  a  même  trouvé  jusqu'à  trois 
racines. 

Les  molaires  sont  de  toutes  les  dents  celles  dont  les  racines  présentent  le  plus 
d'anomalies  dans  leur  forme  et  leur  nombre.  Celui-ci  dépasse  cependant  rarement 
le  nombre  de  quatre;  on  trouve  surtout  cette  disposition  à  la  mâchoire  supé- 
rieure, où  les  molaires  ne  présentent  normalement  que  trois  racines. 

Les  anomalies  de  forme  des  racines  sont  plus  importantes  surtout  au  point 
de  vue  chirurgical.  Outre  les  courbures  que  l'on  peut  rencontrer,  les  racines 
sont  parfois  divergentes  ou  convergentes.  S'il  y  a  divergence  des  racines,  l'écar- 
tenieiit  de  celles-ci  ne  s'oppose  pas  à  la  luxation  de  la  dent  au  moment  de  l'avul- 
sion, mais  leur  extraction  est  à  peu  près  impossible,  et  il  faut  en  fracturer  une 
ou  plusieurs  qui  restent  dans  l'alvéole.  S'il  y  a  convergence,  les  racines  com- 
prennent dans  leur  concavité  une  portion  osseuse  de  l'alvéole,  dite  barre,  qu'il 
faut  briser  dans  l'avulsion. 

B.  Anomalies  de  volume.  Nous  connaissons  déjà  les  variations  de  volume  d'une 
même  séiie  de  dents  normales;  nous  savons  aussi  que  ces  variations  sont  héré- 
ditaires; que  les  variations  de  certaines  dents,  surtout  les  canines  et  les  molaires, 
ont  une  grande  importance  au  point  de  vue  ethnique;  mais  nous  devons  surtout 
nous  occuper  ici  des  anomalies  au  point  de  vue  de  la  médecine  et  de  la  chi- 
rurgie dentaires. 

L'anomalie  de  volume  peut  être  simple,  ou  porter  sur  deux  dents  homologues, 
ou  encore  sur  toutes  les  dents  d'une  même  série. 

Dans  tous  les  cas,  cette  anomalie  consiste  dans  une  augmentation  ou  une 
diminution  du  volume  des  dents  sans  altération  dans  la  forme  de  l'ort^ane; 
cependant  chez  les  molaires  on  constate,  dans  le  cas  d'accroissement  de  volume, 
une  augmentation  du  nombre  des  tubercules  de  la  couronne. 

Les  causes  tératologiques  de  ces  anomalies  sont  les  mêmes  que  pour  les 
autres.  Elles  affectent  plus  spécialement  les  dents  permanentes. 

Les  dents  qui  présentent  des  anomalies  de  volume  sont  par  ordre  de  fréquence 
les  molaires,  puis  les  incisives  ;  enfin  les  bicuspides  et  les  canines.  Nous  divise- 
rons naturellement  ces  déviations  en  deux  groupes  :  l"  l'anomalie  par  dirainii- 

DICT.   ESC.    XXVII.  JQ 


146  DENT   (pathologie). 

lion  de  volume  ou  nanisme;  2"  l'anomalie  par  augmentation  de  volume  ou 
géantisrne. 

I.  Anomalies  par  diminution  ou  nanisme.  La  diminutiou  de  volume 
des  dents  peut  être  générale  ou  partielle.  Si  elle  affecte  la  totalité  du  système 
dentaire,  on  peut  lui  attribuer  comme  causes  des  conditions  inhérentes  à  la 
constitution  générale  ou  à  la  sypliilis  héréditaire  :  la  syphilis  (llutchinsou),  les 
troubles  généraux  de  la  nutrition  chez  les  enfants.  Bourneville  a  signalé  le  même 
fait  chez  les  idiots  [Journal  des  connaissances  médicales,  1862  et  1865).  Dans 
tous  les  cas,  les  dents  ne  présentent  dans  ces  circonstances  qu'une  diminution 
pure  et  simple  de  leur  volume  général,  laquelle  s'accompagne  toujours  d'une 
modification  plus  ou  moins  profonde  dans  la  structure  et  la  composition  ana- 
tomiques  des  organes. 

Si  la  réduction  de  volume  est  isolée  à  certaines  dents  en  particulier,  elle  peut 
porter  tantôt  sur  la  totalité,  tantôt  sur  une  seule  des  parties,  la  couronne  ou  la 
racine.  Lorsque  la  diminution  de  volume  porte  sur  une  partie  seulement  de  la 
dent,  c'est  toujours  sur  la  racine;  lorsque  la  couronne  est  affectée,  la  racine 
l'est  également  ;  mais  la  racine  peut  l'être  alors  que  la  couronne  reste  nor- 
male. 

II.  Anomalies  par  augmentation  de  volume  ou  géantisrne.  L'augmentation 
de  volume  d'une  dent  peut  également  affecter  la  totalité  de  l'orgajie  ou  l'une 
seulement  de  ses  parties,  couronne  ou  racine. 

L'augmentation  totale  est  de  beaucoup  la  plus  fréquente:  toutes  les  espècesde 
dents  peuvent  la  présenter,  mais  ce  sont  surtout  les  incisives  et  les  molaires 
qui  en  sont  atteintes.  Parmi  les  incisives,  les  supérieures  seules  paraissent  en 
être  affectées,  car  on  n'en  connaît  pas  d'exemple  aux  inférieures. 

Dans  les  molaires,  le  nombre  des  tubercules  et  des  racines  est  augmenté; 
dans  d'autres  cas,  le  volume  des  molaires  offre  une  gradation  ascendante  de  la 
première  à  la  troisième,  disposition  inverse  de  l'état  normal  chez  les  races 
élevées,  et  qui  constitue  un  fait  reversif  vers  l'organisation  dentaire  des  races 
inférieures  et  vers  celles  des  singes. 

Lorsque  l'anomalie  atteint  la  couronne  seule,  il  y  a  multiplication  du  nombre 
des  tubercules,  qui  peut  s'élever  à  5,  6,  et  même  8  ;  c'est  le  plus  souvent  la 
dent  de  sagesse  qui  la  présente  ;  elle  a  alors  environ  le  double  de  son  volume 
normal. 

L'intervention  chirurgicale  n'est  réclamée  que  lorsque  le  volume  trop  consi- 
dérable d'une  dent  entraîne  des  désordres  de  voisinage  qui  en  nécessitent 
l'avulsion. 

C.  Des  anomalies  de  nombre.  L'anomalie  de  nombre  des  dents  consiste  dans 
toute  modification  accidentelle  quelconi|ue  de  la  formule  dentaire  spéciale  à 
chaque  espèce  de  mammifères.  Ce  sont,  avec  les  anomalies  de  direction,  les  plus 
fréquentes  de  toutes. 

En  règle  générale,  les  dents  qui  présentent  les  plus  fréquentes  anomabes 
numériques  sont  celles  qui  sont  constituées  en  séries  plus  nombreuses  ;  les  canines 
n'en  présentent  pas;  les  prémolaires  en  sont  quelquefois  frappées;  c'est  surtout 
aux  incisives  et  aux  molaires  que  cette  anomalie  s'observe  le  plus  fréquemment. 

L'anomalie  numérique  peut  se  traduire  de  deux  façons  :  i^ar  diminution  ou  par 
augmentation. 

Dans  le  premier  cas,  l'anomalie  a  pour  cause  soit  l'atrophie  d'un  germe 
ou  l'absence  de  genèse  primitive  de  ce  même  germe,  soit,  ce  qui  nous  paraît 


DENT   (pathologie).  147 

plus  fondé,  un  retard  dans  son  développement.  Cette   disposition  est  souvent 
héréditaire. 

Lorsque  l'on  constate  l'absence  congénitale  d'une  dent  permanente,  on  trouve 
presque  toujours  à  sa  place  la  dent  temporaire  correspondante;  ce  qui  donne  la 
preuve  de  l'atrophie  ou  de  la  suppression  originaire  de  la  seconde.  On  devra 
donc  bien  se  garder  de  suivre  une  pratique  complètement  erronée  qui  consiste, 
dans  le  but  de  provoquer  l'apparition  d'une  dent  permanente  manquante,  à 
extraire  la  dent  temporaire  qui  en  occupe  la  place. 

Les  causes  et  le  mécanisme  de  production  d'une  augmentation  numérique  des 
dents  sont  bien  difficiles  à  établir  ;  il  y  a  à  cet  égard  plusieurs  tliéories.  Nous 
n'en  mentionnerons  que  deux  qui  méritent  d'être  discutées. 

La  première  consiste  à  admettre  que  dans  le  sein  du  follicule  il  se  produit, 
par  suite  de  certains  troubles  d'évolution,  une  division  d'un  bulbe  dentaire 
précédée  d'une  division  analogue  dans  l'organe  de  l'émail,  et  qu'à  la  suite  de 
cette  scission,  les  deux  fragments  ayant  évolué  isolément,  il  en  est  résulté  deux 
dents  au  lieu  d'une.  Cette  explication,  à  laquelle  paraît  s'être  rattaché  Is.  Geof- 
froy Saint-Ililaire,  ne  nous  paraît  pas  soutenable. 

L'autre  admet  une  augmentation  accidentelle  du  nombre  des  cordons  épi- 
théliaux  partis  de  la  lame  épithéiiale  de  Kolliker,  lesquels  sont  en  nombre 
égal  des  dents  futures. 

Kollmann  pense  de  plus  que,  lorsque  le  col  de  l'organe  de  l'émail  se  détache 
du  follicule,  le  cordou  qui  le  constituait  végète,  prolifère  et  envoie  dans  diffé- 
rentes directions  des  prolongements  qui  auraient  la  propriété  de  se  constituer  en 
organes  de  l'émail  et  de  devenir  centres  de  production  d'un  follicule  nouveau  sur- 
numéraire. Suivant  la  direction  qu'il  prend,  ce  follicule  ira  se  placer  soit  dans 
l'arcade  dentaire  correspondante,  soit  dans  un  point  plus  ou  moins  éloigné,  con- 
stituant ainsi  une  dent  surnuméraire  hétérotopique.  C'est  ainsi  que  se  produisent 
celles  que  l'on  rencontre  dans  la  fosse  canine,  le  rebord  orbilaire,  la  voiite  pala- 
tine, la  branche  montante  du  maxillaire  intérieur,  etc. 

Cette  théorie,  reposant  sur  des  laits  prouvés,  nous  paraît  la  plus  admissible. 

Au  point  de  vue  de  la  description  nosographique,  les  anomalies  de  nombre 
des  dents  se  distinguent  en  :  1°  l'absence  congénitale  de  la  totalité  des  dents; 
2»  la  diminution  numérique  ;  Z°  l'augmentation  numérique. 

I.  Absence  congénitale  de  la  totalité  des  dents.  On  trouve  dans  des  auteurs 
anciens,  et  môme  relativement  modernes  {voy.  Borrel,  Hist.  et  obs.  rar.  cent., 
obs.  41.  -  Dautz,  Arch.  deStark,  t.  IV,  p.  694.  —  Fox,  Hist.  nat.  et  mal.  des 
dents,  1821.  —  Sabatier,  Anatomie,  t.  I,  p.  78.  — Fauchard,  Le  chirurgien  den- 
tiste, t.  I,  p.  340),  des  exemples  d'absence  totale  des  dents;  mais  nous  considérons 
comme  apocryphes  ces  observations,  abstraction  faite,  bien  entendu,  des  faits  de 
lésions  pathologiques  graves  des  maxillaires  pouvant  entraîner  la  perte  totale  des 
dents  ou  même  des  follicules  chez  un  sujet  jeune. 

II.  Diminution  numérique.     Nous  avons  rapporté,  d'après  les  auteurs,  un 
certain  nombre  de  faits  de  ce  genre  dans  notre  Traité  des  anomalies  dentaires 
p.  74.  ' 

La  diminution  numérique,  d'après  ce  que  nous  avons  observé,  est  très-variable 
quelquefois,  mais  rarement,  une  seule  dent  manque;  le  plus  souvent  l'anomalie 
frappe  deux  dents  homologues  d'une  même  mâchoire.  On  la  rencontre  rarement 
dans  la  dentition  temporaire;  lorsqu'elle  existe,  elle  entraîne  forcément  la  sup- 
pression des  dents  permanentes  correspondantes;  en  effet,  le  follicule  des  dents 


148  DENT  (pathologie), 

permanentes  provenant  d'un  bourgeonnement  du  cordon  épithélial  du  follicule 
de  la  dent  temporaire  qui  lui  correspond,  si  celle-ci  manque,  la  dent  perma- 
nente sera  nécessairement  supprimée. 

Comme  beaucoup  d'autres  anomalies  dentaires,  celles  de  nombre  subissent 
les  lois  de  l'hérédité. 

Les  dents  permanentes  présentent  fréquemment  l'anomalie  de  nombre  ;  à  la 
mâchoire  supérieure,  on  observe  souvent  l'absence  des  incisives  latérales,  par- 
fois d'une  seule  ;  les  dents  de  sagesse  manquent  très-souvent  aussi.  L'absence  des 
incisives  centrales  est  très-rare,  celle  des  canines  n'a  jamais  été  signalée  et  nous 
n'en  avons  jamais  vu  d'exemple,  pas  plus  que  celle  des  premières  molaires  per- 
manentes. 

A  la  mâchoire  inférieure,  l'absence  la  plus  fréquente  est  celle  de  la  dent  de 
sagesse,  dont  le  germe,  comprimé  entre  la  branche  montante  et  la  deuxième 
molaire,  s'atrophie  et  disparaît  par  résorption.  Celles  qui  manquent  ensuite  le 
|)lus  souvent  sont  la  preniièie  et  la  seconde  prémolaires,  puis  les  incisives,  et 
particulièrement  les  centrales.  Quant  aux  autres,  premières  et  secondes  molaires, 
canines  et  incisives  latérales,  nous  ne  connaissons  pas  d'exemple  bien  constaté 
de  leur  absence. 

La  conduite  du  praticien,  dans  un  cas  de  diminution  numérique  par  absence 
congénitale,  devra  être  nécessairement  l'abstention,  aucune  opération  ne  pou- 
vant provoquer  le  développement  d'un  follicule  atrophié  ou  absent.  Peut-être 
dans  ces  cas  pourrait-on  avoir  recours  soit  à  la  greffe  dentaire,  soit  à  la  greffe 
des  follicules,  si  de  nouvelles  études  venaient  établir  dans  quelles  circonstances 
et  suivant  tjuels  procédés  opératoires  des  greffes  de  follicules  deviendront  pra- 
ti((uement  réalisables  (w?/.  les  résultats  que  nous  avons  obtenus  avec  Ch.  Legros 
in  Comptes  rendus  de  VAcad.  des  sciences,  2  février  1873). 

On  a  signalé,  chez  certains  animaux,  une  coïncidence  entre  la  rareté  des  poils 
et  la  diminution  du  nombre  normal  des  dents  ;  chez  l'homme,  au  contraire,  on 
a  recueilli  plusieurs  faits  dans  lesquels,  à  un  système  pileux  exagéré,  corres- 
pondait une  diminution  numérique  plus  ou  moins  marquée  du  système  dentaire. 
Nous  renvoyons  au  travail  que  nous  avons  publié  à  ce  sujet  {Les  hommes  velus, 
in  Gaz.  méd.  de  Paris,  1873,  p.  609). 

IlL  Augmentation  numérique.  Cette  variété  d'anomalies  est  de  beaucoup 
la  plus  fréquente  et  la  plus  importante  des  déviations  de  cette  classe.  Elle  a  été 
signalée  de  tout  temps,  désignée  sous  le  nom  de  dents  surnuméraires,  avec 
toutes  les  exagérations  et  les  invraisemblances  que  nous  remarquons  de  la  part 
de  beaucoup  d'auteurs  à  propos  d'autres  anomalies.  Les  dents  surnuméraires 
prennent  quelquefois  la  forme  de  celles  de  la  région  qu'elles  occupent,  mais 
le  plus  souvent  elles  ont  la  forme  conoïdale. 

Nous  étudierons  ces  anomalies  successivement  dans  la  dentition  temporaire 
et  ensuite  dans  la  dentition  permanente. 

Les  anomalies  numériques  des  dents  chez  l'homme  sont  beaucoup  plus  fré- 
quentes à  la  mâcboire  supérieure  qu'à  l'inférieure;  elles  portent  aussi  bien  sur 
la  première  que  sur  la  seconde  dentition. 

Pour  la  première,  sur  six  cas  que  nous  avons  recueillis  cinq  appartiennent  à 
la  mâchoire  supérieure  et  un  seul  à  l'inférieure.  De  plus,  ils  siègent  tous  au 
voisinage  des  incisives,  c'est-à-dire  qu'ils  dépendent  de  l'espèce  de  dents 
([ui  est  l'une  des  plus  nombreuses  dans  la  série.  Ils  ont  en  outre  ce  caractère 
que  les  dents  surnuméraires  ont  pris  la  forme  identique  ou  analogue  à  celles 


DEIST  (pathologie).  1^9 

voisina'Te  desquelles  elles  ont  pris  naissance,  ce  qui  est  conforme  à  la  loi 


au 


de  Vogel. 


Fig.  15.  —  Denis  sunuiinéraircs  ayant  fait  retour 
,  à  la  forme  conoïde. 


Fig.  11.  —  Dent  surnuméraire  ajant  pris  la  forme 
d'une  incisive. 


Dans  plusieurs  cas,  des  dents  surnuméraires  siégeant,  en  arrière  de  la  série 
normale  affectent  la  forme  conoide. 

Dans  d'autres  exemples  enfm,  il  y  a  en  réalité  production  de  deux  incisives 
latérales  très-régulièrement  conformées.  Chez  un  enfant  affecté  d'un  bec-de-lièvrc 
double  avec  saillie  antérieure  du  tubercule  incisif,  ces  deux  dents  occupaient 
la  partie  la  plus  avancée  des  os  maxillaires  et  au  devant  des  canines,  tandis 
que  le  tubercule  médian  portait  régulièrement  quatre  incisives  tout  à  fait  nor- 
males. Le  point  curieux  de  ce  fait,  c'est  que  des  incisives  ont  pu  se  développer 
sur  les  maxillaires,  c'est-à-dire  en  dehors  de  la  région  incisive  de  la  mâchoire, 
région  anatomiquement  réservée  à  leur  genèse. 

En  résumant  par  des  chiffres  les  considérations  précédentes,  nous  voyons  que 
de  la  formule  20,  qui  est  normale 
pour  les  dents  temporaires  chez 
l'homme,  on  arrive  aux  formules 
21  et  22,  mais  rarement  au 
delà. 

Dans  la  dentition  permanente, 
les  exemples  d'augmentation  nu- 
mérique sont  beaucoup  plus  Iré- 
quents  et  se  présentent  plus  sou- 
vent à  la  mâchoire  supérieure  qu'à 
l'inCérieure.  La  dent  surnumé- 
raire se  place  soit  entre  les  au- 
tres, soit  en  avant,  soit  en  arrière  ; 
dans  d'autres  cas,  surtout  pour 
les  incisives,  les  dents  surnumé- 
raires forment  dans  la  région  un 
groupe  plus  ou  moins  nombreux  {voy.  fig.  15). 

Tomes  {Trans.  ofthe  odontological  Soc.  of  Great  Britain,  i"^  série,  vol.  III, 
p.  365)  et  Tellander  (cité  par  Tomes,  eod.  loco,  p.  282)  ont  signalé  des  groupes 
de  14  et  24  dents  de  formes  variées  réunies  en  masse  et  occupant  un  point 
voisin  de  la  région  incisive  où  elles  avaient  provoqué  la  formation  de  kystes  à 
contenu  multiple. 

Pour  les  molaires,  les  dents  supplémentaires  se  placent  soit  en  arrière  de  la 
série  normale,  et  dans  l'axe  même  de  celle-ci,  soit  en  dehors  de  l'arcade  den- 
taire, jamais  en  dedans.  Dans  le  cas  où  la  molaire  surnuméraire  est  double  et 


Fig.  13.  —  Groupe  de  cinq  dents  surnuméraires  situées 
dans  la  région  incisive  d'un  liomrae  adulte. 


150  DENT  (pathologie). 

symétrique,  elle  se  place  à  la  fin  de  la  série  dont  elle  augmente  la  longueur. 

Les  dents  surnuméraires  peuvent  occuper  une  autre  place  que  la  région  maxil- 
laire, constituant  ainsi  à  la  fois  une  anomalie  de  nombre  et  une  anomalie  de 
siège.  Le  plus  souvent  elles  ont  la  forme  des  dents  voisines  de  la  région  qu'elles 
occupent,  mais  parfois  elles  paraissent  atrophiées  et  se  rapprochent  plus  ou 
moins  de  la  forme  conique  soit  simple  ou  multiple,  et  alors  plus  ou  moins  irré- 
gulière. Le  type  conique  se  produit  lorsqu'il  n'y  a  qu'une  seule  dent  surnu- 
méraire, s'il  en  existe  un  plus  grand  nombre,  il  peut  s'en  rencontrer  parmi  elles 
quelques-unes  de  cette  forme  et  plusieurs  autres  se  rapprochant  du  type  normal 
des  dents  voisines. 

La  conslilution  anatomique  intime  des  dents  surnuméraires  ne  diffère  pas 
ordinairement  de  celle  des  dents  normales;  si  la  dent  supplémentaire  est  de 
forme  pareille  à  celles  de  la  région  à  laquelle  elle  répond,  sa  structure  est 
identique  à  la  leur.  Si  au  contraire  elle  affecte  la  forme  conoïde,  bien  qu'on 
y  retrouve  encore  les  mêmes  tissus  avec  leurs  caractères  ordinaiies,  on  remarque 
cependant  certaines  différences  dans  leur  densité  et  leur  résistance  :  ainsi  l'émail 
paraît  plus  friable,  souvent  irrégulier  et  mamelonné  ;  l'ivoire  est  poreux,  spon- 
gieux et  creusé  de  nombreux  espaces  interglobulaires,  circonstances  qui  sont  de 
nature  à  prédisposer  gravement  à  la  carie,  affection  qui  se  rencontre  assez  sou- 
vent chez  ces  dents  anormales.  La  cavité  de  la  pulpe  continue  d'ailleurs  à  pré- 
senter une  étendue  et  une  forme  régulièrement  proportionnelle  au  contour  exté- 
rieur de  l'organe.  Quant  au  périoste  et  au  cément,  ils  ne  présentent  rien  de 
particulier. 

INDICATIONS    THÉRAPEDTIQrES    RELATIVES    A   l'aIGMENTATION    MMÉRIQIE    DES    DENTS 

CHEZ  l'homme.  Certaines  indications  thérapeutiques  peuvent  se  présenter  à  l'égard 
de  quelques  cas  de  dents  surnuméraires.  En  effet,  la  présence  d'une  dent  supplé- 
mentaire entraîne  ordinairement  des  déviations  d'un  autre  ordre  dans  la  région 
qu'elle  occupe  ou  même  dans  une  étendue  plus  grande  de  l'arcade  dentaire.  C'est 
ainsi  que  des  anomalies  de  direction  et  de  disposition  reconnaissent  pour  cause 
cette  seule  circonstance.  Le  praticien,  dans  ce  cas,  devra  s'inspirer  des  condi- 
tions mêmes  qui  se  sont  produites  sous  cette  influence  ;  une  dent  surnuméraire 
conoïde  ayant  paru  au  centre  de  l'arcade  dentaire,  sur  la  ligne  médiane,  dans 
l'interstice  de  deux  incisives  centrales  supérieures,  par  exemple,  on  devra,  chez 
un  sujet  jeune,  en  faire  la  suppression  pure  et  simple,  laissant  au  temps  le  soin 
de  provoquer  le  rapprochement  des  dents  ainsi  séparées,  ou  cherchant  à  le  réaliser 
par  l'emploi  de  divers  moyens.  La  conduite  sera  la  même,  si  la  dent  supplémen- 
taire, de  forme  conoïde  ou  normale,  avoisine  les  incisives  latérales  dont  elle 
détermine  la  déviation.  Si  elle  se  développe  en  dehors  d'un  bord  alvéolaire,  soit 
dans  la  voûte  palatine,  soit  à  l'intérieur  de  l'arcade,  on  devra  encore  en  effectuer 
la  suppression. 

S'il  s'agit  d'une  molaire,  on  agira  de  même,  lorsqu'elle  siège  hors  de  l'arcade 
normale  ;  mais  on  la  conservera,  si  elle  occupe  une  place  dans  la  série  régulière. 
Enfin,  dans  le  cas  d'augmentation  numérique  multiple,  on  devra  tenir  compte 
des  particularités  et  des  dispositions  spéciales  et,  suivant  les  circonstances, 
conserver  certaines  dents,  enlever  certaines  autres,  de  manière  à  rétablir,  s'il  est 
possible,  l'harmonie  du  système  dentaire. 

D.  Anomalies  de  siiîge  ou  hétérotopie.  L'anomalie  de  siège  ou  hétérotopie 
sert  à  désigner  toute  production  d'une  dent  hors  du  lieu  où  elle  est  placée  norma- 
lement. Nous  en  étudierons  trois  espèces  principales  : 


DENT   (pathologie).  15* 

1°  La  dent  n'a  point  perdu  sa  connexion  avec  l'arcade  dentaire,  mais  elle  a 
pris  la  place  d'une  autre  et  vice  versa  :  il  y  a  donc  simple  transpodtion ; 

2°  La  dent  occupe  un  point  plus  ou  moins  éloigné  du  bord  alvéolaire,  tandis 
que  sa  place  normale  reste  vacante;  l'héte'rotopie  peut  être  ainsi  dans  les  maxil- 
laires ou  hors  des  maxillaires,  etc.; 

3»  Les  arcades  dentaires  étant  au  complet,  une  dent  apparaît  dans  un  point 
quelconque  du  corps  :  elle  est  donc  à  la  fois  surnuméraire  et  hétérotopique  par 
génération  de  toutes  pièces. 

I.  Du  mécanisme  de  production  des  anomalies  de  siège.  Théories  qui  s'y 
rapportent.  L'explication  tératogéniquc  des  anomalies  de  siège  diflëre  sensible- 
ment, suivant  qu'il  y  a  simple  transposition  ou  déplacement  au  dedans  ou  au 
dehors  de  l'arcade,  ou  bien  qu'il  y  a  production  d'une  dent  surnuméraire. 

Ce  que  nous  avons  dit  précédemment  de  la  naissance  et  de  la  migration  des 
cordons  épithéliaux,  origine  des  loUicules,  nous  permettra  de  comprendre  la 
formation  des  deux  premières  espèces  d'anomalies  de  siège.  Au  lieu  de  venir 
prendre  sa  place  normale,  le  follicule,  par  suite  d'une  aberration  de  direction  du 
cordon,  peut  prendre  la  place  d'une  dent  voisine,  qui  prendra  alors  la  sienne. 
Si  Taberration  est  plus  étendue,  le  cordon  s'allonge,  se  déroule,  et  la  dent  fera 
éruption  dans  un  point  plus  éloigné,  en  dehors  de  l'arcade,  à  la  voûte  palatine, 
dans  la  fosse  canine,  dans  la  fosse  temporale,  etc.  Cette  migration  pure  et  simple 
peut  se  faire  d'ailleurs  spontanément,  si  le  siège  de  la  dent  est  pris  par  une 
autre,  par  exemple,  daus  les  cas  de  brièveté  des  arcades  dentaires,  d'alrésie  des  mâ- 
choires ou  de  séjour  trop  prolongé  des  dents  temporaii'es.  Dansées  cas,  le  nombre 
total  des  dents  ne  varie  pas  généralement  et  la  présence  d'une  dent  sur  un  point 
rapproché  des  mâchoires  coïncide  avec  son  absence  sur  l'arcade  dentaire. 

11  n'en  est  point  de  même  pour  la  tératogénie  des  anomalies  consistant  dans 
l'apparition  d'une  dent  sur  une  partie  quelconque  du  corps,  mais  dépourvue  de 
toute  connexion  possible  avec  les  màchoiies  qui  sont  d'ailleurs  pourvues  de  leur 
système  dentaire  normal.  La  dent  ainsi  hétérotopiquement  développée  est  surnu- 
méraire, ce  qui  entraîne  dès  lors  une  double  anomalie  de  nombre  et  de  siège. 

Plusieurs  théories  ont  été  émises  pour  expliquer  ces  faits  de  production  hèlé- 
rotopiques  des  dents.  La  plus  généralement  adoptée  jusque  dans  ces  derniers 
temps  est  celle  de  l'inclusion;  actuellement  elle  est  reconnue  comme  absolument 
erronée.  Elle  reposait  sur  ce  fait  que  les  dents  ainsi  développées  étaient  renfer- 
mées dans  une  poche  kystique,  dans  l'ovaire,  le  scrotum,  le  testicule,  la  paroi 
abdominale,  la  région  cervicale,  le  sourcil,  etc.  Nous  avons  démontré  dans  un 
travail  antérieur  {Traité  des  anomalies  du  sijstème  dentaire,^.  113  et  suivantes) 
que  cette  théorie  n'était  pas  admissible,  en  ajoutant  que  les  théories  plus  récentes 
de  MM.  Balbiani  et  Dareste  sur  la  diplogénèse  n'étaient  pas  fondées  sur  des 
preuves  suffisantes. 

Nous  pensons  que  ces  dents  renfermées  dans  des  kystes  s'y  sont  formées  par 
suite  de  l'emprisonnement  dans  la  profondeur  des  tissus  d'une  portion  du  feuillet 
blastodermique  externe,  par  un  mécanisme  analogue  à  celui  qui  a  été  admis  pour 
la  formation  des  kystes  dermoïdes  de  la  queue  du  sourcil,  de  l'organe  de 
Wolff,  etc.  (Follin,  Recherches  sur  le  corps  de  Wolff,  thèse  inaugurale. 
Paris,  iSoO.  —  Verneuil,  Recherches  sur  les  kystes  de  T organe  de  Wolff  dans 
les  deux  sexes  [Mém.  de  la  Soc.  de  chir.,  1852,  t.  III,  p.  218]  et  de  l'inclusion 
scrotale  et  testiculaire,  in  Arch.  de  méd.,  1855,  2«  série,  t.  XI,  p.  303.  —  Broca, 
Traité  des  tumeurs,  §  I,  p.  13).  Mais,  pour  que  cette  introrsion  tègumeutaire 


152  DENT   (pathologie). 

puisse  produire  une  hétérotopie  dentaire,  il  faut  admettre,  en  raison  des  analo- 
gies des  deux  téguments  cutané  et  muqueux,  que  la  première  anomalie  par  dépla- 
cement de  l'élément  cutané  entraîne  des  modifications  de  structure  qui  le 
rapprochent  de  la  constitution  et  du  rôle  d'une  muqueuse  et  préparent  ainsi  les 
conditions  histogéniques  d'un  cordon  épithélial. 

La  possibilité  de  la  production  d'une  dent  se  trouve  ainsi  établie  dans  la 
patliogénie  d'un  kyste  dermoide  et,  tandis  que  la  génération  de  cet  organe 
implique  l'assimilation  organique  de  la  poche  avec  une  muqueuse,  la  présence 
des  poils  et  des  matières  grasses  et  sébacées  qui  coexistent  souvent  avec  des  dents 
rappelle  la  constitution  cutanée.  Quant  aux  fragments  osseux  qui  figurent  parfois 
dans  ces  cavités  accidentelles,  et  dont  la  présence  n'a  pas  peu  contribué  à  établir 
les  hypothèses  de  l'inclusion  fœtale  et  de  la  parthénogenèse,  nous  inclinons  à 
penser  qu'ils  se  forment  consécutivement  à  la  production  des  follicules  dentaires 
et  comme  une  sorte  de  conséquence  physiologique  de  la  présence  même  de 
ceux-ci. 

Ajoutons  enfin  que  toutes  ces  parties,  fragments  osseux,  dents,  poils,  etc., 
sont  toujours  altérées  morphologiquement,  de  sorte  que  les  dents  difformes, 
irrégulières  et  atrophiées,  paraissent  avoir  une  tendance  manifeste  à  revenir  au 
type  conoïde. 

L'hétérotopic  simple,  c'est-à-dire  la  génération  isolée  d'une  dent  sur  un  point 
([uelconquc  du  corps,  se  produit  d'une  autre  manière.  Il  faut  faire  appel  ici  à  la 
loi  indiquée  pour  la  première  fois  par  Lebert  sous  le  nom  dliéléroplastie,  et 
qui  est  ainsi  formulée  : 

«  Beaucoup  de  tissus  simples  ou  composés  et  des  organes  plus  complexes 
même  peuvent  se  former  de  toutes  pièces  dans  des  endroits  du  corps  où  à  l'état 
normal  on  ne  les  rencontre  pas  »  (Des  kystes  dermoïdes,  etc.  [Comptes  rendus  et 
mém.  delaSoc.  debioL,  1852,  t.  IV,  p.  205]). 

Cette  loi  a  son  corollaire  dans  le  domaine  pathologique  où  elle  porte  le  nom 
d'hétéradénie,  suivant  l'expi-ession  de  Ch.  Robin  [Ga:i.  hebd.,  1856,  t.  III,  p.  35). 
Nous  admettons  donc  d'une  manière  positive  que  la  présence  hétérotopique  d'une 
dent  sur  un  point  quelconque  du  corps  sans  connexion  aucune  avec  les  bords 
alvéolaires  est  due  à  l'hétéroplastie  simple.  Toutefois  nous  ne  pensons  pas  avec 
Lebert  que  ce  phénomène  de  génération  puisse  se  produire  indifféremment  à  toute 
époque  de  la  vie,  et  nous  inclinons  à  penser  avec  Broca  [Traite  des  tumeurs, 
1869,  t.  II,  p.  159)  qu'il  s'elfectue  toujours  pendant  la  période  embryonnaire 
et  reste  sous  la  dépendance  exclusive  des  phénomènes  histogéniques  primitifs, 
La  dent  ain^i  formée  peut  être  unique,  mais  le  nombre  total  peut  s'élever  à 
20,  50,  80,  et  même  atteindre  500  (l'ioncquet,  Memorabile  physconiœ  necnon 
osteogeniœ  anomalœ  exemplum.  Tubenga;,  1798.  —  Autenrietb,  in  Arch.  fur 
die  Physiologie,  Bd.  VU,  p.  257,  259.  Halle,  1807).  Dans  ces  conditions,  la  dent 
peut  rester  incluse  dans  les  tissus  sans  causer  d'accident,  mais  d'autres  fois  elle 
peut  provoquer  la  formation  d'un  kyste,  d'un  abcès,  d'un  odontome  (Broca, 
Ourlt),  d'ostéites  et  de  nécroses  osseuses,  etc. 

II.  Faits  d' hétérotopie  dentaire  chez  l'homme.     Dans  l'expoié  des  exemples 
d'anomalies  de  siège  des  dents,  nous  allons  présenter  successivement  : 

A.  Les  faits  de  transposition,  ou  migration  double  ; 

B.  Les  cas  à.' hétérotopie  par  migration  simple  ; 

C.  Ceux  qui  résultent  de  la  genèse  d'emblée. 

A.  Transposition  ou  migration  double.     Toutes  les  dents  n'y  sont  point  égale- 


155 
DENT  (pathologie). 

mentsuielles;  nous  n'en  connaissons  pas  d'exemples  dans  la  dentition  tempo- 
raire et  pour  la  permanente,  les  dents  inférieures  paraissent  y  échapper  abso- 
lument. C'est  donc  à  la  mâchoire  supérieure  et  dans  la  seconde  dentition  que 
celte  anomalie  serait  limitée.  De  plus,  la  région  antérieure  jusqu'à  la  première 
prémolaire  inclusivement  semble  en  être  seule"  affectée. 

Les  iaits  de  transposition  simple  des  dents  sont  assez  rares;  "«f"^^"  *=«""!;.'■ 
sons  qV  quatre,  rapportés  l'un  par  Miel  {Journal  de  médecuie   mi,  t.  XX\A 
p    08  ),  lautre  par  Tomes  {Chirurgie  dentaire,  trad.  Darin,  187.),  p    \lù)  ei 
le's  deux  autres  par  nous-même  {Traité  des  anomalies  du  système  dentaire, 

^'"  B^  Hélérotopieparmigralion  simple.     Les  faits  de  ce  genre  sont  extrêmement 
nombreux.  Ils  présentent  des  variations  intinies  aux  deux  màchon-cs.  mais  sont 
plus    fré(|uents   à  la    supérieure 
qu'à  l'inférieure,  et  la  dentition 
permanente  semble  seule  en  être 
affectée.  Les  limites  de  ces  dépla- 
cements   de    dents    sont    celles 
mêmes  de  la  région  faciale.   Les 
faits  qui  ont  été  observés  au  delà, 
soit  dans  le   crâne,    soit  sur  la 
peau  dans    la   région    cervicale, 
appartiennent  le  plus  souvent  à 
)a  troisième  catégorie,   que  nous 
étudierons  tout  à  l'heure. 

Tous  les  follicules  peuvent  ap- 
paraître  sur    un   point  plus    ou 
moins  distant  de  l'arcade,  mais  ce 
sont  surtout  les  canines  supérieu- 
res qui  présentent  le  plus  souvent 
cette  disposition.  Cela  tient  à  ce 
que  cette  dent  effectue  son  évolu- 
tion à  la  fin  de  la  série,  alors  que  l'arcade  dentaire  est  déjà  en  partie  garnie, 
parfois  même  complètement.   Ce   follicule  pouvant  rencontrer  ainsi  toutes  les 
places  occupées  est  nécessairement  rejeté  hors  des  maxillaires.  Les  prémolaires 
sont  moins  souvent  affectées  que  les  canines,  mais  l'hétérotopie  y  est  presque 
aussi  fréquente  chez  les  molaires. 

Indépendamment  des  accidents  que  nous  avons  signalés  comme  pouvant  être 
provoqués  par  les  dents  incluses  dans  les  tissus,  il  en  survient  d'autres  lorsque 
ces  dents  siègent  sous  la  langue  ou  sont  en  rapport  avec  la  face  interne  des  joues, 
où  elles  produisent  des  excoriations  et  même  des  ulcérations  rebelles. 

C.  Hétéroiopie  par  genèse.  Les  faits  dus  à  l'iwvagination  blastodermique  ont 
une  physionomie  un  peu  différente  de  ceux  qui  proviennent  de  l'hétéroplastie 
simple.  Les  exemples  siègent  sur  des  points  du  corps  où  les  phénomènes  du 
développement  embryonnaire  permettent  d'établir  la  production  tératologiquede 
l'introrsion  elle-même.  Ils  occupent  le  plus  ordinairement  une  cavité  kystique 
dans  laquelle  une  ou  plusieurs  dents  se  trouvent  réunies  à  d'autres  productions 
de  nature  dermique  ou  épidermique,  des  poils,  des  cheveux,  par  exemple.  Les 
faits  de  genèse  proprement  dite  sont  représentés,  au  contraire,  par  l'apparition 
d'une  dent  sans  autres  parties  accessoires. 


Fig.  16.  —  Héliirotopic  par  migration  d'une  dent  do  sa- 
gesse inférieure  ayant  fait  son  apparition  sur  la  peau 
de  la  région  cervicale  (Cartwrighl). 


154  DENT  (pathologie). 

Les  kystes  dermoïdes  contenant  des  dents  ont  été  le  plus  souvent  observés  dans 
l'ovaire  ;  plus  rarement  on  en  a  trouvé  dans  le  testicule,  dans  l'estomac,  dans 
l'intestin,  la  clavicule,  le  cou,  le  vagin,  etc.  Le  nombre  et  la  forme  des  dents 
ainsi  enkystées  sont  très-variables  ;  le  plus  souvent  la  forme  est  conoïde,  consti- 
tuant ainsi  une  reversion  au  type  primitif.  Très-rarement  la  forme  est  assez  régu- 
lière pour  être  reconnaissable,  et  le  plus  souvent  l'altération  morphologique  est 
telle  que  les  dents  ne  peuvent  être  rattachées  à  aucun  type  normal  ;  elles  sont 
petites,  avortées,  difformes.  Elles  présentent  fréquemment  en  outre  d'autres  alté- 
rations comme  des  traces  d'usure  et  de  résorption  qui  ont  été  confondues  avec  la 
carie,  lésion  inadmissible  cependant  dans  de  telles  circonstances  (voy.  Traité  de 
la  carie  dentaire,  1872,  p.  159). 

Le  nombre  des  faits  de  ce  genre  est  très-considérable,  et  Lebert  en  a  réuni 
une  très-grande  quantité  [Comptes  rendus  et  Mém.  de  la  Soc.  de  biologie,  1852, 
t.  IV,  p.  t>2l). 

Les  faits  de  formation  simple  et  isolée  d'une  dent  sans  complication  d'une 
cavité  kystique  ni  d'autres  produits  dermoïdes  quelconques  demandent  une  autre 
interprétation  :  tels  sont,  par  exem|ile,  les  faits  de  dents  fixées  à  la  paroi  interne 


Fig.  17.  —  Hétérotnpie  d'une  molaire  dans  la  cavilé  crânienne  chez  le  cheval  (M.  Gouhaux). 

Musée  de  l'Ecole  d'Alfort. 

du  crâne  et  comprimant  la  masse  cérébrale  (Goubaux),  de  dent  implantée  dans 
la  paroi  vésicale  (Leudet),  etc. 

Les  conséquences  pratiques  et  les  applications  thérapeutiques  relatives  aux 
anomalies  de  siège  des  dents  sont  très-bornées.  Il  ne  faut  en  effet  songer  à 
aucune  intervention  à  l'égard  des  faits  de  transposition  simple.  Dans  le  casd'hété- 
rotopie  au  voisinage  des  mâchoires,  on  devra  extraire  la  dent  lorsqu'elle  sera 
gênante  et  susceptible  d'être  saisie.  Quant  aux  faits  d'hétérotopie  sur  un  point 
quelconque  du  corps,  qu'il  y  ait  ou  non  production  de  lésion  concomitante, 
abcès,  kyste,  etc.,  la  conduite  à  tenir  en  pareil  cas  est  celle  qui  concerne  ces 
diverses  altérations  dans  lesquelles  la  présence  d'une  dent  n'est  en  définitive,  au 
point  de  vue  clinique,  qu'un  élément  accessoire. 

E.  AisoMALiES  DE  DIRECTION.  Lc  Système  dentaire,  considéré  au  point  de  vue  de 
sa  direction  dans  l'état  physiologique,  doit  être  envisagé  sous  deux  rapports  qui 


DENT  (pathologie).  *^5 

sont  :  iMa  direction  de  l'ensemble  des  dents  et  des  doux  arcades  dentaires  simul- 
tanément, c'est  la  direction  absolue;  2°  la  direction  relative  des  deux  arcades 
réciproquement. 

Cette  première  distinction  nous  conduit  à  localiser  nettement  notre  sujet.  En 
effet,  les  déviations  dans  la  direction 
absolue  des  arcades  dentaires  consti- 
tuent ce  qui  a  reçu  le  nom  générique 
de  prognathisme  ou  obliquité  des 
mâchoires,  c'est-à-dire  la  projection 
antérieure  des  deux  arcades  dentaires, 
et  à'opisthognathisme,  ou  projection 
des  arcades  en  arrière,  par  opposition 
avec  Vorthognatisme  qui  représente 
l'état  normal,  dans  nos  races  euro- 
péennes du  moins. 

Nous  n'avons  point  à  étudier  ici  le 
jrrogîiathisme  ethnique  :  il  a  été  l'objet 
de  nombreuses  et  importantes  recher- 
ches {voy .  G.  Vogt,  Leçons  stir  l'homme, 
trad.  franc.  Paris,  18(35,  p.  67,  et  Mé- 
moire sur  les  Microcéphales.  Genève, 
1867.  —  Topinard,  Des  différentes 
espèces  de  prognathisme,  in  Revue 
d'anthrop.  de  P.  Broca,  1872,  t.  I, 
p.  628,  et  1873,  t.  11,  p.  71  et  251. 
—  Bull,  de  la  Soc.  d'anthrop.,  1873, 
p.  19,  et  1874,  p.  328).  Nous  dirons 
toutefois  que  la  forme  prognathe  des 
arcades  dentaires  peut  se  produire 
accidentellement,    en    dehors    de    la 

relation  ethnique,  par  la  microcéphalie,  les  déformations  artificielles  du 
crâne,  la  compression  du  front.  D'autre  part,  la  forme  opisthognathe  peut  être  le 
résultat  de  dispositions  crâniennes  ou  faciales  opposées  aux  précédentes  :  l'hydro- 
céphalie, la  compression  postéro-antérieure  du  crâne,  etc. 

Le  prognathisme  artilîciel,  comme  d'ailleurs  le  prognatisme  ethnique,  est 
beaucovip  plus  fréquent  chez  la  femme  que  chez  l'homme. 

Ces  déviations  de  la  totalité  des  arcades  ne  portent  pas  néanmoins  sur  toutes 
les  dents;  elles  n'affectent  que  la  région  antérieure,  soit  les  incisives  seules,  soit 
celles-ci  et  les  canines  simultanément;  la  région  des  molaires  conserve  sa  recti- 
tude ordinaire  et  normale.  Toute  tentative  de  réduction  doit  être  rejetée,  puisque 
la  difformité  est  le  fait  d'une  déviation  primordiale  des  os  de  la  face,  à  laquelle 
on  ne  peut  remédier. 

Anomalies  de  direction  kelatives.  Celte  catégorie  de  déviations  est  beau- 
coup plus  intéressante  au  point  de  vue  pratique  :  aussi  nous  y  arrêterons-nous 
davantage.  Elle  se  subdivise  dans  les  variétés  suivantes  :  antéversion,  rétro- 
version, inclinaison  latérale,  rotation  sur  l'axe,  qui  constitueront  autant  de 
paragraphes  particuliers. 

I.  De  Vantéversion.  L'antéversion  consiste  dans  la  projection  en  avant  de 
l'une  des  arcades  dentaires  sur  l'autre.  Elle  est  infiniment  plus  fréquente  à  la 


Fi<r.  18.  _  Hélérotopie  |)ar  inlroision  ljla»loiler- 
mique  ou  yenèsc  d'une  incisive  incluse  dans  la 
vessie  et  fixée  à  la  paroi  (Musée  de  l'Ecole  de 
niéd.  de  Rouen). 


156  DENT  (pathologie). 

mâchoire  supérieure  qu'à  l'iiilérieure;  elle  peut  porter  sur  toutes  les  dents 
antérieures,  incisives  et  canines,  mais  le  plus  souvent  elle  occupe  les  incisives 
seules.  Dans  les  cas  les  plus  simples  elle  n'affecte  qu'une  ou  deux  incisives,  les 
autres  étant  normales. 

L'inclinaison  des  dents  déviées  occupe  tous  les  intermédiaires  depuis  la  direc- 
tion normale  jusqu'à  l'horizontalité  ;  nous  ne  connaissons  toutefois  que  fort  peu 
d'exemples  de  cette  dernière  disposition. 

Les  maxillaires  peuvent  garder  leur  direction  primitive,  mais  dans  certains 
cas  la  région  incisive  du  maxillaire  supérieur  a  subi  également  une  projection  en 
avant,  et  c'est  ce  phénomène  qui  peut  aller  jusqu'au  bec-de-lièvre  double  avec 
saillie  du  tubercule  médian  et  projection  des  dents. 

C'est  à  l'époque  de  la  seconde  dentition  que  se  produit  cette  déviation.  Celle-ci 
étant  constituée  définitivement,  elle  imprime  aux  lèvres  une  forme  particulière 
et  aux  arcades  dentaires  des  rapports  nouveaux  qui  nuisent  singulièrement  à 
l'accomplissement  régulier  des  fonctions  de  la  bouche. 

Ce  phénomène  donne  ordinairement  lieu  à  une  irritation  plus  ou  moins  grande 
de  la  gencive,  qui  devient  le  point  de  départ  d'altérations  plus  sérieuses,  stoma- 
tites, ulcérations  rebelles,  etc.  j^bandonnée  à  elle-même,  une  telle  difformité  est 
absolument  définitive  et  nullement  curable  spontanément;  elle  est  toutefois  par- 
faitement réductible  par  les  moyens  orlhopédi(j[ues  :  le  bâillon,  les  appareils  à 
traction  postérieure,  les  appareils  à  pression  antérieure. 

Le  bâillon  est  un  moyen  incommode  que  l'on  n'a  que  rarement  roccasioii 
d'employer;  il  nous  a  cependant  été  utile  dans  un  cas  (Traité  des  anomalies 
dentaires,  p.  145). 

Les  appareils  à  traction  postérieure  consistent  en  une  lame  métallique,  de 
platine  ou  d'or,  fixée  aux  molaires,  et  du  bord  antérieur  de  laquelle  partent  des 
anses  de  fil  de  soie  ou  de  caoutchouc  adaptées  autour  des  dents  qu'elles  sont 
destinées  à  tirer  en  arrière. 

Ce  procédé,  que  nous  avons  employé  trois  fois  avec  succès,  a  cependant  plu- 
sieurs inconvénients  sérieux  qui  nous  ont  amené  à  lui  préférer  le  suivant. 

Appareils  à  pression  antérieure.  Ces  appareils  se  composent  d'un  double 
bandeau,  soit  de  métal,  soit  mieux  de  caoutchouc  vulcanisé.  L'un  de  ces  ban- 
deaux, placé  en  arrière  de  l'arcade  dentaire,  est  appliqué  sur  le  palais  et  à  la 
face  interne  des  dents  latérales  ;  l'autre  est  antérieur  et  circonscrit  exactement 
l'arcade.  Les  deux  parties  de  l'appareil  sont  reliées  l'une  à  l'autre  par  des  liens 
transversaux,  composés  soit  de  lils  métalliques  dans  le  cas  oii  il  n'y  a  aucun  vide 
dans  la  série  des  dents,  soit  de  caoutchouc  lorsqu'il  existe  une  lacune  entre  deux 
dents.  Le  bandeau  antérieur  porte  des  clievilles  de  bois  incluses  dans  des  trous 
ménagés  à  cet  effet,  et  en  nombre  égal  à  celui  des  dents  difformes.  Les  chevilles 
sont  placées  de  telle  sorte  qu'elles  exercent  une  pression  d'avant  en  arrière  sur 
la  couronne  de  celles-ci,  et  c'est  ainsi  que,  renouvelées  de  temps  en  temps,  elles 
produisent  une  action  à  peu  près  continue. 

Cet  appareil  ne  présente  pas  d'inconvénients  sérieux;  les  sujets  le  placent 
eux-mêmes  et  ne  le  retirent  qu'au  moment  des  repas.  11  n'apporte  dans  la  bouche 
aucune  gêne  notable,  si  ce  n'est  un  certain  soulèvement  de  la  lèvre  supérieure 
correspondant  à  l'épaisseur  du  bandeau  antérieur.  11  peut  être  maintenu  d'une 
manière  constante  pendant  la  nuit  aussi  bien  que  pendant  le  jour. 

La  durée  du  traitement  est  variable,  suivant  le  degré  de  la  déviation,  la  fré- 
quence du  renouvellement  des  chevilles  de  bois,  et  la  régularité  avec  laquelle 


DENT  (pathologie).  157 

les  sujets  portent  l'appareil.  Lorsque  la  réfliiction  de  la  difformité  est  réalisée 

par  le  retour  des  derts  à  la  position  a 

normale,  il  importe  de  conserver 

à  celles-ci  leur  situation  nouvelle 

et  régulière  par  l'applicalion  d'un 

dernier  appareil  dit  de  maintien, 

porté  soit  un  jour  sur  deux,  soit 

seulement  pendant  la  nuit. 

Nous  avons  employé  encore  un 
appareil  plus  simple  que  les  pré- 
cédents, et  dont  le  caractère  es- 
sentiel est  d'a«ir  sur  la  dent 
déviée  à  la  façon  d'un  ressort. 
Il  se  compose  d"un  anneau  d'or 
embrassant  une  ou  plusieurs  dents 
auxquelles  il  est  solidement  fixé. 
De  cette  armature  part  un  ressort 
de  même  métal  ou  même  d'acier, 
recouvert  d'une  couche  de  nickel 
et  qui,  exerçant  une  pression  con- 
tinue sur  la  dent  déviée ,  en 
amène  rapidement  la  réduction. 

Les  appareils  précédents  sont 
surtout  applicables  à  la  réduction 
(les  déviations  en  avant  des  inci- 
sives supérieures.  Les  canines  sont 
quelquefois  seules  déviées  par 
suite  d'un  certain  degré  d'atrésie 
du  maxillaire  supérieur,  de  sorte 
qu'à  la  fin  de  la  période  de  la 
seconde  dentition  il  ne  reste, 
entre  la  première  prémolaire  et 
l'incisive  latérale,  qu'un  espace 
insuffisant  pour  recevoir  la  ca- 
nine. 

Si  l'on  peut  intervenir  au  moment  de  l'éruption  de  celte  dent,  il  faut  enlever 


Fig.  19. —  Moulages  représentant  -.  A,  l'élat  des  deu\ 
imlclioires  d'un  sujet  de  douze  ans  affecté  d'anléver- 
fion  des  dents  antéro-supérieures.  —  B,  l'appareil  à 
pression  antéro-postérieuie  en  place.  —  C,  l'état  du 
sujet  guéri  après  un  mois  de  traitement. 


Fig.  20.  -Autre  exemple  d'anléversion  borné  aux  incisives  centrales  supérieures;  les  appareils 
sont  indiques  en  place  do  façon  à  montrer  les  distances  parcourues  pendant  le  traitement. 


Î58  DENT  (pathologie). 

la  première  prémolaire,  dont  la  canine  prend  la  place;  si  au  contraire  on  ne 
constate  la  difformité  qu'au  moment  où  la  canine  a  effectué  son  évolution,  il 
laut  recourir  à  l'extraction  de  celte  dent  elle-même.  Nous  devons  mentionner 
cependant  encore  une  tentative  qui  paraît  avoir  été  faite  parfois  dans  le  but  de 
donner  à  l'arcade  supérieure  une  étendue  suffisante  pour  loger  toutes  les  dents 
sans  en  extraire  aucune.  11  s'agit  des  appareils  dits  extenseurs  à  l'efficacité  des- 
quels nous  ne  croyons  pas. 

A  la  mâchoire  inférieure,  les  déviations  sont  rares;  les  appareils  redresseurs 
sont  généralement  inapplicables,  et  lorsque  la  difformité  est  trop  gênante,  il  vaut 
mieux  alors  recourir  à  l'extraction  des  dents  déviées. 

II.  De  la  rétroversion.  Cette  anomalie  consiste  dans  la  projection  en  arrière 
■de  l'arcade  dentaire,  c'est-à-dire  au  dedans  de  la  courbe  normale,  d'une  ou  de 
plusieurs  dents  antérieures,  incisives  ou  canines.  Le  caractère  essentiel  de  cette 
-déviation  est  que  la  couronne  seule  semble  avoir  éprouvé  le  mouvement  de 
recul,  tandis  que  la  racine  conserve  son  point  d'implantation. 

Les  dents  antérieures  des  deux  mâchoires  peuvent  subir  également  ce  phéno- 
mène, qui  présente  toutefois  beaucoup  moins  d'importance  à  l'inférieure  qu'à  la 
supérieure. 

A  la  mâchoire  inférieure,  la  déviation  des  incisives  reconnaît  la  même  cause 
qu'à  la  supérieure,  c'est-à-dire  un  défaut  déplace.  Le  traitement  est  également 
Je  même. 

A  la  mâchoire  supérieure  la  dent  déviée  occupe  une  position  vicieuse  non- 
seulement  en  dedans  de  ses  voisines,  mais  encore  en  arrière  des  dents  inférieures 
correspondantes,  et  la  présence  de  ces  dents  inférieures  au  devant  des  supérieures 
déviées  est  précisément  la  raison  qui  rend  la  déviation  définitive  en  s'opposant  à 
foute  réduction  spontanée. 

Les  causes  les  plus  ordinaires  de  la  rétroversion  des  dents  antéro-supérieures 
«ont  : 

J°  La  saillie  anormale  du  menton  entraînant  l'arcade  dentaire  inférieure  et 
constituant  la  disposition  connue  sous  le  nom  de  menton  de  galoche; 

2°  Le  retrait  également  congénital  de  l'os  incisif  entraînant  à  son  tour  la 
|)ortion  correspondante  de  l'arcade  dentaire  et  donnant  lieu  à  l'aplatissement  de 
la  région  labiale  supérieure,  ce  qui,  pour  la  physionomie,  amène  le  même 
résultat  que  dans  le  cas  précédent. 

Lorsque  la  déviation  ne  porte  que  sur  une  ou  deux  incisives  ou  sur  une  canine 
seule,  il  faut  l'attribuer  à  une  anomalie  primitive  de  direction  du  follicule  cor- 
respondant à  la  dent  déviée  ou  à  un  retard  dans  l'époque  de  son  éruption, 
laquelle  ne  peut  se  faire  normalement  parce  que  la  place  est  occupée  par  une 
autre  dent. 

Les  variétés  de  cette  espèce  de  déviation  réclament  les  mêmes  moyens  de 
réduction,  qui  répondent  à  deux  indications  fondamentales  : 

1°  Exercer  sur  la  dent  déviée  une  action  d'arrière  en  avant  destinée  à  ramener 
progressivement  la  dent  supérieuie  au  devant  des  inférieures  et  à  sa  place 
normale  ; 

2"  De  supprimer  temporairement,  c'est-à-dire  pendant  la  durée  du  traitement, 
l'influence  des  dents  inférieures  qui  sont  la  cause  de  la  persistance  de  la 
<léviation. 

Les  appareils  répondant  à  ce  double  but  sont  les  suivants  : 

A.  Le  jilan  incliné.     Ce  moyen,  dià  à  Catalan  {Mémoire,  rapport  et  observa' 


DENT  (pathologie),  159 

lions  sur  Vappareil  propre  à  corriger  la  difformité  vulgairement  nommée 
menton  de  galoche.  Paris,  1826),  consiste  en  une  sorte  de  boîte  recouvrant  une 
partie  plus  ou  moins  étendue  de  l'arcade  inférieure,  et  surmontée  du  plan 
incliné  dirigé  en  arrière  et  en  haut,  et  dans  une  obliquité  telle  que  la  dent  déviée 
le  rencontre  inévitablement  dans  l'occlusion  delà  bouche.  Cet  appareil,  qui  doit 
toujours  rester  en  place,  sauf  pendant  les  repas,  suftit  à  produire  la  réduction 
d'une  déviation  simple  d'une  ou  de  ^ 

deux  incisives,  et  il  est  préféiable  à 
tout  autre  dans  ces  cas.  Nous  pou- 
vons même  ajouter  que  dans  certains 
faits  de  rétroversion  totale  de  la  ré- 
gion incisive  il  a  pu  procurer  la 
guérison  complète  chez  des  sujets 
jeunes.  Nous  en  avons  observé  plu- 
sieurs exemples. 

B.  Appareils  à  pression  constante. 
Ces  appareils  consistent,  comme  ceux 
que  nous  avons  décrits  plus  haut  à 
propos  de  l'antéversion,  en  deux  ban- 
deaux de  caoutchouc  appliqués  l'un 
en  avant,  l'autre  en  arrière  de  l'ar- 
cade supérieure,  et  reliés  entre  eux 
par  des  traverses  en  caoutchouc  ou  en 
métal.  Seulement,  les  chevilles  de  bois 
destinées  à  exercer  la  pression  sont 
placées   sur   le   bandeau   postérieur 
pour  comprimer  la  dent  d'arrière  en 
avant.  Ils  sont  en  outre  construits  de 
façon  à  s'opposer  à  la  rencontre  ré- 
ciproque des  deux  arcades  dentaires. 
Les  appareils  à  bandeaux  sont  préfé- 
rables à  tous  les  autres  dans  les  cas 
de  déviation  de  plusieurs  mcisives, 
et  conviennent  également  lorsqu'il  y 
a  coïncidence  d'une  antéversion  avec 
une  rétroversion;  il  suffit  pour  cela 
d'appliquer  deux  chevilles,  l'une  sur 
le  bandeau  postérieur,  l'autre  sur  le 
bandeau  antérieur. 

Dans  les  cas  où  les  dents  sont  par- 
faitement contiguës  sans  interstice 
pouvant  laisser  passer  même  un  fil 
métallique,  l'appareil  devra  enchâsser 

la  région  dentaire  à  la  façon  d'un  capuchon  recouvrant  les  molaires  et  dégagé 
au  niveau  des  incisives  de  manière  à  n'exercer  son  action  que  sur  celles-ci. 
C'est  encore  aux  chevilles  de  bois  qu'on  a  recours  pour  produire  la  pression 
continue. 

Ces  appareils  à  capuchon,  s'opposant  à  la  rencontre  des  arcades  dentaires, 
neutralisent  l'influence  des  dents  inférieures  et  laissent  ainsi  plus  de  liberté 


Fig.  21.  —  Représeiitaut  un  cas  de  rétroversion 
de  la  région  antéio-supérieure  traitée  par  le  plan 
incliné. 

A,  moulage  de  la  déviation  vue  de  profil.  —  B,  ap- 
pareil en  place.  —  C,  résultat  au  bout  d'un  mois 
et  demi  de  iraitement. 


160  DENT    (pathologie). 

aux  dents  déviées  pour  reprendre  leur  place  normale.   Leur  application  devra 

donc  être  préférée  lorsqu'il  s'agira  de 
réduire  la  rétroversion  simultanée  de 
plusieurs  dents  ou  celle  des  incisives 
centrales  en  particulier,  dont  la  ré- 
sistance est  toujours  plus  sérieuse 
que  celle  des  latérales. 

Il  résulte  essentiellement  de  ces 
diverses  considérations  thérapeuti- 
ques que,  soit  qu'il  s'agisse  d'une 
antéversion  ou  d'une  rétroversion 
simple,  soit  qu'on  se  trouve  en  pré- 
sence d'une  combinaison  de  ces  di- 
verses déviations  occupant  la  même 
mâchoire,  un  appareil  basé  sur  les 
principes  que  nous  venons  de  for- 
muler convient  aussi  bien  à  l'un  qu'à  l'autre  cas  et  même  aux  deux  simulta- 
nément. 

A  B 


Ki».  22.  —  Apparoîl  à  pression  poslérieure  destiné 
à  remédier  à  la  rélrovoiiioii  de  la  iéf;ion  antéro- 
supérieure.  La  pression  s'exerce  au  moyen  de 
chevilles. 


Fig.  23.  —  Quatre  types  d'appareils  à  double  bandeau  présentant  en  différents  points  les  pas  de  vis 
armés  de  chevilles  destinées  à  redresser  soit  des  antévcrsions  (A  et  Dj,  soit  une  rétroversion  (B),  soit 
à  la  fois  des  antéversions  et  une  réiroversion  (C).  On  voit  en  E  la  vis  de  pi'ession  terminée  par  la 
cheville  de  bois. 


Le  principe  sur  lequel  doivent  être  établis  ces  appareils  est  donc  celui  du  double 
bandeau,  l'un  antérieur  à  l'arcade  anormale,  l'autre  postérieur,  et  tous  deux  reUés 


DENT  (pathologie).  16i 

sur  les  côlés  par  un  système  embrassant  les  molaires  et  prenant  sur  celles-ci 
deux  poiuts  fixes.  Le  système  de  points  fixes  aux  molaires  se  composera  d'anneaux 
faits  de  même  substance  que  l'ensemble  de  l'appareil,  c'est-à-dire  de  caoutchouc 
vulcanisé.  Les  bandeaux  seront  également  en  caoutchouc,  sauf  les  cas  particu- 
liers où,  en  raison  de  l'extrême  épaisseur  qu'on  est  contraint  de  leur  donner, 
on  devra  leur  préférer  les  lames  métalliques  qui  recevront  d'ailleurs  tout  aussi 
facilement  des  tubes  ou  pas-de-vis  armés  de  la  cheville  de  bois  ordinaire. 
Mais,  si  nous  acceptons  dans  certains  cas  le  bandeau  métallique,  nous  le  repoussons 
absolument  pour  les  parties  en  contact  avec  les  molaires.  Cette  réprobation 
s'adresse  surtout  à  certains  appareils  à  capuchons  métalliques  recouvrant  entiè- 
rement de  chaque  côté  la  région  des  molaires  et  qui  ont  été  préconisés  dans  ces 
derniers  temps.  De  tels  appareils  ont  en  premier  lieu  l'inconvénient,  par  la 
matière  rigide  et  dure  qui  les  composent,  de  blesser  les  dents  ou  les  gencives,  et 
en  second  lieu  ils  présentent  le  danger  conunun  à  tous  les  capuchons  quelconques, 
danger  qui  consiste  à  former  un  réceptacle  de  matières  diverses,  alimentaires  ou 
autres,  qui  deviennent  fatalement  des  foyers  de  fermentation  et  des  sources  de 
tarie. 

m.  Inclinaison  latérale  ou  latéroversion.  Cette  anomalie  de  direction 
consiste  dans  une  disposition  telle  qu'une  dent  dont  l'implantation  est  en  appa- 
rence régulière  a  sa  couronne  inclinée  latéralement,  mais  toujours  dans  le 
sens  de  l'arcade  dentaire.  L'inclinaison  latérale  peut  ainsi  comporter  tous  les 
degrés,  depuis  l'angle  le  plus  faible  jusqu'à  l'horizontale,  et  même  jusqu'au 
renversement  complet.  Dans  certaines  circonstances  l'inclinaison  se  complique 
de  la  rétention  complète  de  la  dent  et  la  déviation  reste  ainsi  entièrement  mé- 
connue pendant  la  vie. 

Le  mécanisme  des  déviations  latérales  des  dents  repose  sur  deux  circonstances 
principales  :  tantôt  l'arcade  dentaire  est  continue,  au  moment  de  l'éruption  de 
la  dent,  qui  est  forcément  projetée  au  dehors  de  la  série,  tantôt  au  contraire  la 
présence  d'un  vide  congénital  ou  accidentel  au  voisinage  immédiat  d'une  dent 
amène  celle-ci  à  s'y  incliner. 

L'anomalie  peut  affecter  indifféremment  toutes  les  dents  lorsqu'elles  se 
trouvent  dans  ces  conditions;  mais  elle  est  particulièrement  intéressante  à 
étudier  pour  les  dents  antérieures  et  pour  la  dernière  molaire.  Les  premières  et 
secondes  molaires  présentent  très-rarement  cette- direction;  les  petites  molaires 
s'inclinent  souvent  en  avant  ou  en  arrière  par  suite  de  la  perte  des  dents 
contiguës,  et  en  dedans  ou  en  dehors  lorsque  leur  place  est  occupée  par  les 
dents  voisines. 

Il  peut  être  quelquefois  nécessaire  de  remédier  à  ces  difformités  lorsqu'elles 
affectent  les  dents  antérieures.  Si  des  incisives  centrales  sont  divert^enles,  on 
pourra  nouer  sur  les  deux  dents  un  fil  de  soie  ou  de  caoutchouc  qu'on  réunira 
en  8  de  chiffre  par  un  nœud  sur  le  côté ,  ou  bien  encore  mettre  les  deux  dents 
dans  un  anneau  en  caoutchouc  qui  agira  d'une  manière  plus  continue.  Lorsqu'une 
des  dents  antérieures  est  déviée  latéralement,  on  peut  appliquer  sur  plusieurs 
dents  régulières  de  l'arcade  un  petit  appareil  de  traction  muni  d'une  anse  de  fil 
qui  représente  la  partie  active  de  l'appareil. 

Dans  d'autres  cas,  surtout  lorsque  la  déviation  latérale  a  pour  cause  la 
persistance  d'une  dent  temporaire,  on  peut  supprimer  les  dents  qui  sont 
le  plus  en  saillie,  de  manière  à  provoquer  le  rappi  ochement  complet  des 
autres. 

DICT.  ENC.  XXVIL  -H 


1C2  DENT  (pathologie). 

Mais  la  plus  importante  de  ces  déviations  par  inclinaison  latérale  est  celle 
qui  affecte  la  dent  de  sagesse,  supérieure  ou  inférieure. 

L'inclinaison  de  la  dent  de  sagesse  supérieure  du  côté  du  pilier  du  voile 
du  palais,  de  la  joue  ou  de  la  cavité  buccale,  est  fréquente,  mais  peu  grave; 
les  deux  premières  peuvent  occasionner  des  érosions,  des  ulcérations  de  la 
muqueuse  aux  points  de  contact  de  la  couronne,  mais  elles  cèdent  à  quelques 
cautérisations,  si  l'on  ne  veut  pas  sacrifier  la  dent  déviée.  Les  autres  déviations 
passent  le  plus  souvent  inaperçues. 

Les  déviations  de  la  dent  de  sagesse  inférieure  sont  plus  graves;  nous  étu- 
dierons ailleurs  les  accidents  qui  en  résultent;  nous  indiquerons  seulement  ici 
les  diverses  variétés  de  déviation  de  cette  dent  en  restant  sur  le  terrain  de  la 
tératologie  proprement  dite. 

Nous  avons  déjà  dit  que  la  cause  constante  des  anomalies  de  direction  de  la 
dernière  molaire  inférieure  est  l'insuffisance  de  place  laissée  à  cette  dent  au 
moment  de  sa  sortie  entre  la  seconde  molaire  et  la  branche  montante.  La 
compression  exercée  sur  la  dent  lorsqu'elle  est  encore  à  l'état  de  follicule  a 
parfois  pour  résultat  d'en  amener  l'atrophie,  soit  incomplète,  et  alois  la  dent 
est  petite  et  comme  avortée,  soit  complète,  et  alors  la  dent  ne  paraît  pas. 

La  dent  de  sagesse  inférieure  peut  s'incliner  1"  en  arrière,  et  soulever  alors  la 
muqueuse  qui,  heurtée  par  la  dent  supérieure  correspondante,  ne  tarde  pas  à 
s'enllanimer;  la  dent  elle-même  est  souvent  cariée;  2"  en  dehors,  vers  la  joue. 
dans  laquelle  elle  pénètre  ou  qu'elle  ulcère;  3"  en  avant,  dans  le  sens  antéro- 
postérieur,  soit  obliquement,  soit  tout  à  fait  transversalement.  Cette  déviation 
est  la  plus  grave  de  toutes,  à  cause  des  accidents  qu'elle  détermine  du  côté  de 
la  mâchoire  inférieure. 

IV.  De  la  rotation  sur  Taxe.  Dans  cette  déviation,  la  dent  atteinte  a 
pour  ainsi  dire  pivoté  sur  elle-même,  de  façon  à  faire  décrire  à  ses  bords  un 
arc  de  cercle  plus  ou  moins  étendu. 

Très-fréquente  aux  incisives  et  aux  canines,  on  l'observe  souvent  aussi  aux 
prémolaires,  mais  jamais  aux  molaires.  La  thérapeutique  ne  doit  d'ailleurs  se 
préoccuper  de  cette  déviation  qu'aux  incisives  et  aux  canines.  Lorsqu'elle  existe 
aux  prémolaires,  la  déviation  passe  le  plus  souvent  inaperçue,  n'apportant  aucun 
trouble  sensible  dans  la  physionomie  du  système  dentaire  et  dans  ses  fonctions. 
Les  causes  de  ces  anomalies  de  direction  sont  les  mêmes  que  celles  des 
autres  :  défaut  de  place  par  atrésie  de  la  mâchoire,  persistance  d'une  dent 
caduque  au  moment  de  l'éruption,  traumatismes,  etc. 

L'anomalie  par  rotation  peut  présenter  des  variations  assez  grandes  :  tantôt 
une  seule  dent  a  subi  la  déviation,  d'autres  fois  elle  affecte  les  deux  dents 
homologues.  Tantôt  encore  ce  sont  les  deux  incisives  du  même  côté.  Dans 
quelques  cas  la  déviation  porte  sur  les  quatre  incisives  simultanément.  Une 
dent  peut  être  déviée  dans  un  sens,  une  autre  dans  le  sens  opposé.  Tantôt  c'est 
le  bord  externe  qui  est  en  avant,  tantôt  le  bord  interne.  Cependant  la  déviation 
s'effectue  le  plus  souvent  de  dedans  en  dehors  {Bull,  de  thér.,  1876,  t.  ClV, 
p.  19). 

Dans  tous  les  cas,  1  intervention  chirurgicale  dans  cette  variété  de  déviation 
devra  être  subordonnée  à  l'intensité  de  la  difformité  même.  Ainsi,  quand 
celle-ci  est  légère,  c'est-à-dire  lorsqu'une  ou  plusieurs  dents  n'ont  subi  qu'une 
faible  inclinaison  produisant  un  chevauchement  peu  prononcé,  on  pourra  l'aban- 
donner à  elle-même.  Cette  conduite   sera  surtout   applicable   à   la  mâchoire 


DENT  (pathologie).  165 

inférieure,  car  le  plus  souvent  la  déviation  est  due  à  une  simple  insuffisance 
de  place,  et  dès  lors  la  suppression  d'une  des  dents  amènera  la  régularisation 
spontanée  de  l'arcade. 

Toutefois  il  n'en  saurait  être  de  même  à  la  mâchoire  supérieure,  où  la  diffor- 
mité est  bien  plus  apparente,  et  c'est  là  surtout  que  la  thérapeutique  doit  in- 
tervenir. 

Or  deux  procédés  s'offrent  au  choix  du  chirurgien.  Ce  sont  : 

1°  La  luxation  lente  et  progressive  à  l'aide 'd'appareils  à  pression  continue  et 
graduée  ; 

2°  La  luxation  brusque  ou  immédiate. 

1"  De  la  luxation  lente  ou  progressive.  De  nombreux  appareils  orthopé- 
diques ont  été  inventés  pour  déterminer  la  réduction  lente;  nous  parlerons  seu- 
lement et  en  quelques  mots  des  plus  fréquemment  employés. 

Le  plus  souvent,  c'est  une  plaque  de  métal  ou  de  caoutchouc  vulcanisé  exacte- 
ment moulée  sur  la  voûte  palatine  et 
la  face  postérieure  des  dents  et  portant 
en  avant  une  bande  métallique  ou  de 
vulcanite  qui  repose  sur  la  face  anté- 
rieure de  l'arcade  dentaire.  Au  niveau 
de  la  dent  déviée,  des  chevilles  ou  de 
petits  coins  de  bois  sont  logés  dans  des 
cavités  ménagées  dans  la  plaque.  Ces 
petits  coins  de  bois,  fréquemment  re- 
nouvelés ou  mis  en  mouvement  par 
une  vis,  exercent  en  avant  ou  en  ar- 
rière, quelquefois  simultanément  en 
avant  et  en  arrière,  une  pression 
constante  qui  détermine  le  pivotement 
de  la  dent.  Pend?\nt  la  marche  du  trai- 
tement, il  est  nécessaire  de  modifier 
plus  ou  moins  fréquemment  l'appareil 

ou  au  moins  les  cavités  contenant  les  chevilles,  de  façon  à  augmenter  le  dia- 
mètre et  la  longueur  de  celles-ci  et  à  entretenir  la  permanence  et  l'énergie 
de  leur  action. 

A  la  place  de  chevilles  d'autres  appareils  portent  des  ressorts  qui  agissent 
sur  la  dent  dans  le  sens  de  lu  réduction.  Langsdorff  avait  imaginé  d'entourer 
la  dent  déviée  d'un  anneau  métallique  portant  une  tige  fixée  à  la  plaque  palatine 
au  moyen  de  crans  disposés  en  séries,  de  telle  sorte  que  la  guérison  devait 
être  effectuée  lorsque  la  série  des  crans  aurait  été  parcourue. 

Quel  que  soit  l'appareil  employé,  une  fois  la  réduction  obtenue,  il  faut  la 
maintenir,  et  cela  pendant  très-longtemps,  à  l'aide  d'un  appareil  qui  fi.xela  dent 
dans  ses  nouveaux  rapports. 

Ces  appareils  présentent  tous  les  inconvénients  de  ceux  destinés  à  la  réduction 
lente  des  déviations,  et  sur  lesquels  nous  reviendrons  plus  loin. 

Nous  ne  connaissons  que  deux  exemples  dans  lesquels  la  réduction  ait  été 
obtenue  ;  l'un  appartient  à  Tomes,  l'autre  à  nous-même. 

Dans  le  cas  de  Tomes,  le  maintien  définitif  de  la  guérison  n'est  pas  établi 
et  les  circonstances  défavorables  du  traitement  nous  laissent  réellement  des 
doutes  sur  la  persistance  de  la  guérison. 


Fig.  '21.  —  Appareil  à  pression  coiislaulo  ilestiné 
à  réiiuire  la  rotation  sur  l'axe  d'une  incive 
centrale  bupérieure.  Un  cran  établi  dans  le 
bandeau  antérieur  fixe  le  bord  interne  devenu 
antérieur  et  une  cheville  presse  sur  le  bord 
opposé  dans  le  sens  du  mouvement  à  obtenir. 


164  DENT   (pathologie). 

Dans  le  nôtre,  qui  était  en  principe  bien  plus  favorable,  les  difficulte's  sur- 
vinrent à  propos  du  maintien  de  lu  réduction,  et  la  durée  totale  du  Irailement 
dépassa  deux  années,  sans  parvenir  à  la  guérison  définitive  {Bidl.dethér.,  1876, 
t.  IVG,  p.  66). 

On  a  signalé  un  autre  procédé  de  rotation  lente  qui  s'applique  dans  le  cas 
particulier  oij  deux  incisives  centrales,  par  exemple,  sont  inclinées  sur  leur  axe 
d'une  quantité  égale,  de  sorte  que  les  deux  bords  internes  forment  un  angle  anté- 
rieur plus  ou  moins  prononcé.  Le  pioccdé  consisterait  dans  l'application  sur 
l'angle  saillant  formé  par  les  deux  dents  d'un  petit  disque  de  bois  qu'on  lie 
fortement  par  un  cordonnet  de  soie  en  comprenant  avec  lui  dans  la  ligature  les 
deux  dents.  La  pression  avait  pour  effet  de  faire  rentrer  cet  angle  et  de  redres- 
ser ainsi  la  double  rotation.  Nous  ne  nous  portons  point  garant  de  refficacilé  de 
cette  méthode  dont  nous  ne  connaissons  qu'une  observation  due  à  un  prati- 
cien de  Plymouth,  M.  Balkwill   {British  Journal  of  dent.   Se.  London,  1881, 
p.  1125),  et  nous  lui  opposerons  les  mêmes  objections  formulées  déjà  sur  la 
pratique  de  la  rotation  lente  en  général. 

2°  De  la  luxation  brusque  ou  hnmédiate.     La  luxation  brusque  a  pour 
effet  de  rétablir  immédiatement  la  régularité  de  l'arcade  dentaire,  et  c'est  de 
la  sorte,  ainsi  qu'on  le  verra,  qu'au  prix  d'une  douleur  très-supportable,  d'une 
gêne  légère  de  quelques  jours,  on  obtient  la  guérison  définitive  de  la  difformité. 
Cette  opération  assez  délicate,  bien  que  facile,  donne  à  peine  lieu  à  un  lé"er 
écoulement  de  sang;  jamais  de  récidives,  jamais  d'accidents  consécutifs,  au 
moins  n'en  connaissons-nous  pas.  D'une  innocuité  presque  absolue,  elle  offre 
de  tels  avantages  sur  l'emploi  des  appareils  orthopédiques,  que  nous  n'hésitons 
pas  à  conseiller  l'abandon  de  ces  derniers.    Les  seuls  cas  dans  lesquels  nous 
nous  résignerions  à  recourir  à  leur  emploi  seraient  ceux  dans  lesquels  on  aurait 
à  lutter  contre  une  anomalie  complexe,  soit,  par  exemple,  ime  déviation  d'incisive 
par  antéversion  ou  rétroversion  compliquant  une  rotation  sur  l'axe.  Dans  ces 
circonstances,  l'appareil  à  double  bandeau,  nécessité  par  la  première  déviation, 
serait  utilisé  pour  agir  simultanément  sur  la  seconde,  et  encore  pourrait-on 
se  borner  à  réduire  l'antévcrsion  ou  la  rétroversion  par  l'emploi  d'un  appareil, 
tout  en  réservant  la  luxation  immédiate  pour  les  dents  en  rotation.  C'est  celte 
conduite  que  nous  avons  adoptée  dans  un  cas  récent. 

Dans  un  autre  cas  (obs.  12  du  tableau  p.  168),  la  dent  réduite  se  trouvant 
en  arrière  de  l'arcade  à  cause  de  la  présence  d'une  canine  située  au-dessous 
d'elle,  nous  fîmes  l'extraction  de  la  canine,  et  eu  quinze  jours  un  appareil 
à  plan  incliné  ramena  la  dent  en  avant. 

Dans  un  troisième  cas  (n»  13  du  tableau)  la  rotation  fut  précédée  de  l'extrac- 
tion d'une  dent  surnuméraire  et  de  l'application  d'un  appareil  destiné  à  rappro- 
cher la  dent  tournée  de  sa  voisine  et  d'en  permettre  la  rotation. 

Au  point  de  vue  de  la  médecine  opératoire,  la  luxation  brusque  se  fait  à 
l'aide  d'un  davier  droit  dont  il  faut  soigneusement  garnir  les  mors  pour  ne  pas 
léser  les  tissus.  Quelques  praticiens  emploient  pour  cet  usage  le  papier  ordinaire 
ou  le  papier  de  verre  ;  Tomes  se  sert  de  feuilles  de  plomb.  Nous  préférons  la 
soie,  dont  on  enroule  soigneusement  l'instrument.  On  pourrait  aussi  utiliser 
dans  ce  cas  le  caoutchouc  sous  forme  de  deux  petits  tubes  entourant  les  deux 
mors  du  davier. 

La  dent  est  alors  solidement  saisie  au  niveau  de  la  gencive  et  on  lui  imprime 
leutement,  mais  avec  fermeté,  un  mouvement  dans  le  sens  le  la  réduction.  U 


DENT   (pathologie).  "165 

faut  bien  se  garder  de  faire  stibir  à  la  dent  des  mouvements  de  latéralité  ou  de 
torsion  dans  les  deux  sens,  qui,  facilitant,  il  est  vrai,  l'opération,  déchiraient, 
plus  qu'il  n'est  besoin,  les  adhérences  périostalcs,  et  exposeraient  à  la  rupture 
du  fiiisceau  vasculo-nerveux,  qui  doit  seulement  être  tordu.  L'application  des 
mors  du  davier  se  fait  soit  sur  les  faces,  soit  sur  les  bords  de  la  dent  déviée, 
suivant  le  cas  et  le  degré  de  rotation.  Quelquefois,  avant  d'opérer  la  réduction 
complète,  il  faut  changer  le  point  d'application  et  saisir  la  dent  par  ses  bords 
après  avoir  au  début  appliqué  l'instrument  sur  les  faces.  Dans  d'autres  circon- 
stances enfin,  il  faudra,  pendant  lo  mouvement  de  torsion,  faire  nolablemenl 
dépasser  à  la  dent  la  limite  où  ou  doit  la  fixer  et  la  ramener  ensuite  au  point 
normal.  Ce  petit  détail  de  médecine  opératoire  u  pour  résultat  de  rompre  plus 
complètement  les  adhérences  périostales  et  de  mettre  en  garde  contre  toute 
récidive. 

Lorsque  le  sujet  est  assez  âgé  et  que  la  rotation  sur  l'axe  est  très-piononcée, 
on  éprouve  quelquefois  une  grande  résistance  à  la  réduction.  Tomes  conseille 
dans  ces  cas  d'opérer  en  deux  fois  plutôt  que  d'exagérer  les  efforts.  Ainsi,  la 
luxation  étant  effectuée  à  moitié,  on  abandonne  le  malade  pendant  huit  ou 
quinze  jours,  et  l'on  ne  continue  (jue  lorsque  la  dent  s'est  consolidée  et  que 
tous  les  phénomènes  inflammatoires  ont  disparu.  La  seconde  partie  de  l'opéra- 
tion se  fait  alors  très-facilement  et  presque  sans  effort.  Nous  conseillons  aussi 
nous-raêrae  d'exagérer  le  mouvement  de  torsion  un  peu  au  àc\h  de  la  réduc- 
tion. Lorsqu'on  enlève  le  davier,  la  dent  pivotée  revient,  en  effet,  un  peu  sur 
elle-même,  ramenée  en  ce  sens  par  les  fibres  du  périoste  allongées  plutôt  que 
rompues  en  certains  points. 

La  douleur  n'est  pas  frès-intense,  bien  qu'elle  rappelle  les  premiers  temps 
de  l'extraction  ordinaire;  toutefois,  il  n'y  a  pas  rupture  du  faisceau  vasculo- 
nerveux,  qui  représente  le  temps  le  plus  douloureux  de  l'avulsion.  On  peut 
d'ailleurs  appliquer  à  celte  opération  tous  les  procédés  connus  d'anesthésie.  La 
perte  de  sang  est  le  plus  souvent  insignifiante;  la  dent  est  d'abord  extrême- 
ment mobile,  et  l'on  a  conseillé  de  la  maintenir  soit  à  l'aide  d'un  bandage  de 
soie  poissée  en  8  de  chiffre,  soit,  suivant  le  conseil  de  Tomes,  à  l'aide  d'un 
petit  morceau  de  gutla-percha  ramolli  et  moulé  sur  l'arcade  dentaire.  Dans  les 
cas  favorables,  on  peut  se  dispenser  de  tout  appareil  de  contention.  Les  tirail- 
lements occasionnés  par  l'application  des  bandages  ou  leurs  déplacements  pos- 
sibles sont  plutôt  dangereux,  et  il  suffit  ordinairement  de  quelques  précautions 
pendnnt  les  premiers  jours  pour  voir  le  périoste  contracter  de  nouvelles  adhé- 
rences et  la  dent  reprendre  sa  fixité. 

Il  va  sans  dire  qu'avant  d'opérer  la  luxation  brusque  d'une  dent  il  faut 
s'assurer  s'il  y  a  une  place  suffisante  pour  sa  couronne  entre  les  dents  voisines. 
Il  faut  aussi  s'enquérir  de  la  forme  probable  de  la  racine.  Il  n'est  point  rare,  en 
effet,  dans  les  cas  d'anomalies,  de  voir  les  racines  subir  des  déformations  qui 
peuvent  amener  un  obstacle  sérieux  à  la  réduction.  C'est  ce  qui  nous  est  ariivé 
en  particulier  dans  les  observations  10  et  17  du  tableau.  Dans  le  premier  cas 
même  nous  n'obtînmes  qu'un  résultat  incomplet,  à  cause  de  l'aplatissement 
transversal  de  la  racine.  Pour  les  dents  uniradiculaires,  il  est  assez  souvent 
possible  de  constater  la  forme  des  racines  par  le  palper  des  gencives. 

Il  y  a  tout  avantage  à  pratiquer  cette  opération  chez  de  jeunes  sujets,  avant 
que  les  alvéoles  aient  atteint  leur  hauteur  et  leur  densité  définitives.  L'acte  le 
plus  convenable  paraît  être  de  huit  à  dix  ans,  et  il  n'y  a  pas  lieu  de  se  préoc- 


166  DENT  (pathologie). 

cuper  de  l'état  plus  ou  moins  complet  de  l'éruption.  Nos  opérations,  faites  avant 
que  les  dents  aient  acquis  leur  longueur  totale,  n'ont  pas  empêché  celles-ci 
d'achever  leur  croissance.  Tomes  cependant  l'a  pratiquée  chez  des  sujets  de 
treize  et  de  quinze  ans,  et  nous  verrons  dans  une  de  nos  observations  une  réduc- 
tion opérée  avec  succès  chez  une  jeune  fille  de  dix-sept  ans. 

Quelques  précautions  sont  encore  nécessaires  pour  assurer  le  résultat  de 
l'opération.  Il  faut  avant  tout  modérer  la  réaction  inflammatoire  par  des  lotions 
glacées  en  permanence,  l'usage  des  aliments  liquides  et  froids,  le  repos  aussi 
complet  que  possible  de  l'organe  opéré.  L'emploi  des  dérivatifs,  des  purgatifs, 
doit  être  réservé  aux  cas  où  il  se  produirait  quelques  phénomènes  généraux. 

Les  suites  de  l'opération  sont  ordinairement  des  plus  simples,  et  au  bout  de 
huit  à  dix  jours  la  dent  est  consolidée  et  aple  à  reproduire  ses  usages. 

Nous  avons  opéré  la  réduction  brusque  dans  17  cas  dont  5  ont  été  publiés 
dans  le  Bulletin  de  thérapeutique  (1876). 

Dans  le  premier  cas,  la  dent  déviée  était  une  incisive  centrale  supérieure 
droite;  les  deux  incisives  latérales  étaient  en  outre  rétroversées ;  l'arcade  den- 
taire avait  un  développement  insuffisant.  Huit  jours  après  l'extraction  des  deux 
incisives  latérales,  nous  pratiquons  la  rotation  d'un  quart  de  cercle  de  l'incisive 
centrale.  La  gnérison  parfaite  fut  constatée  dix-luiit  mois  après. 


Fig.  25.  —  L'un  des  exemples  de  rotation  sur  l'axe  d'une  incisive  centrale  supérieure  déviée  d'un 
quart  de  cercle  :  la  rotation  brusque  a  été  précédé  de  l'extraction  des  incisives  latérales  cariées  elle 
résultat  est  figuré  eu  B. 


Dans  le  second  cas  les  quatre  incisives  présentaient  une  imbrication  comme 
les  tuiles  d'un  toit.  Dans  une  première  séance,  nous  fîmes  la  rotation  des  deux 
incisives  médianes,  et  trois  semaines  après  celle  des  deux  latérales.  La  guéri- 
son  fut  parfaite  et  durable,  comme  nous  l'avons  observé  quatre  ans  après. 

Dans  le  troisième  cas,  l'incisive  latérale  droite  était  seule  déviée,  mais  les 
canines  étaient  en  outre  absentes.  Aussi,  tout  en  redressant  la  dent,  l'avons- 
nous  attirée  légèrement  du  côté  de  la  prémolaire  voisine.  Deux  années  après,  la 
gnérison  ne  s'était  pas  démentie. 

De  nos  17  cas  16  ont  été  guéris  complètement.  Dans  un  seul  cas  (n"  10  du 
tableau)  la  rotation  ne  s'effectue  qu'incomplètement,  à  cause  de  la  forme  aplatie 
transversalement  de  la  racine. 

Nous  n'eûmes  d'accident  opératoire  que  dans  un  seul  cas  (n°  14  du  tableau). 
La  rotation  fut  très-difficile  à  obtenir,  et  il  y  eut  une  fracture  verticale  d'une 
lamelle  d'émail  pendant  les  efforts  de  rotation,  malgré  les  manchons  de  soie 
qui  garnissaient  le  davier. 

Les  17  observations  se  répartissent  de  la  manière  suivante 


DENT  (pathologie).  167 


Nombre 
Nature  des  dents.  d'opérations. 

Incisives  latérales 8 

Incisives  centrales 8 

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Rotation  d'un  quart  de  cercle 9 

Rotation  de  moins  d'un  quart  de  cercle.  .      8 


Ces  observations  ont  été  résumées  dans  le  tableau  ci-joint  (p.  1G8). 

V.  Des  inconvénients  et  des  accidents  des  appareils  de  réduction.  Les 
appareils  ont  des  inconvénients  qui  leur  sont  communs  et  d'autres  qui  sont 
particuliers  à  quelques-uns  d'entre  eux. 

Considérés  d'une  manière  générale,  tous  les  appareils  orthopédiques  appliqués 
dans  la  bouclie  entraînent  comme  conséquence  immédiate  un  certain  trouble 
dans  les  fonctions,  résultat  qui  est  en  proportion  avec  le  volume  ou  l'étendue  de 
l'appareil  employé,  mais  au  bout  de  peu  de  jours  cette  gêne  disparaît.  Dans  certains 
cas  on  voit  survenir  une  irritation  de  la  muqueuse  buccale  ou  gingivale  dans  fies 
points  en  contact  avec  les  appareils;  rarement  on  a  affaire  à  une  stomatite  géné- 
ralisée. En  n'employant  que  le  caoutchouc  vulcanisé  pour  ces  appareils,  en  ne  les 
faisant  porter  que  pendant  la  nuit,  en  les  supprimant  pendant  les  repas,  eu 
pratiquant  des  lotions  buccales  fréquentes  avec  une  solution  de  chlorate  de 
potasse,  on  peut  réduire  ces  inconvénients  à  leur  minimum. 

Des  douleurs  déterminées  par  la  pression  constante  des  appareils  sur  les 
dents  indiquent  un  certain  degré  de  périostite  alvéolo-dentaire ,  sans  gravité 
d'ailleurs,  et  qu'on  peut  modérer  en  faisant  varier,  suivant  les  besoins,  l'intensité 
d'action  des  appareils. 

L'un  des  accidents  les  plus  sérieux  de  l'application  des  appareils  de  redres- 
sement est  celui  qui  consiste  dans  la  perturbation  des  rapports  réciproques 
des  arcades  dentaires.  Ceci  a  lieu  toutes  les  fois  qu'une  cause  quelconque 
s'oppose  à  la  rencontre  régulière  des  arcades  dentaires  soit  dune  manière 
permanente,  soit  pendant  un  temps  assez  long,  et  les  dents  éprouvent  alors 
une  déviation  qui  a  pour  résultat  leur  allongement  ou  soulèvement  hors  des  al- 
véoles. 

L'importance  et  l'intensité  de  cet  accident  varient  donc  suivant  la  hauteur 
du  corps  étranger  et  la  durée  de  son  application  dans  la  cavité  buccale,  de  telle 
sorte  que,  si  un  appareil  n'est  appliqué  que  pendant  quelques  jours,  les  dents 
reprendront  très-vite  leur  position  et  leurs  rapports,  dès  qu'on  abandonnera  le 
traitement.  Si;  au  contraire,  le  traitement  s'est  prolongé  pendant  quelques 
mois  ou  même  plusieurs  années,  la  perturbation  dans  les  rapports  pourra  de- 
venu^ définitive  et  telle  déviation,  simple  au  début,  se  transformera  parfois  en 
anomalie  de  disposition  plus  difforme  encore  que  la  première  et  aussi  plus  in- 
curable. 

Cet  accident  est  la  conséquence  fréquente  de  l'application  de  l'appareil  dit 
plan  incliné,  mais  il  appartient  d'ailleurs  à  tous  ceux  qui  forment  obstacle,  à 
un  degré  quelconque,  aux  rapports  réciproques  des  arcades  dentaires.  C'est 
pourquoi  il  faut  préférer  les  appareils  qu'on  puisse  enlever  pendant  une  partie 
de  la  journée. 

Signalons  enfin  la  tendance  extrême  des  difformités  à  se  reproduire  dès  qu'or 
a  enlevé  les  appareils  après  la  correction  complète  de  cette  difformité,  et  alors 
que  l'on  croit  la  guérison  définitive. 

C'est  pourquoi,  tout  en  faisant  nos  réserves  pour  certains  cas,  en  ce  qui 
regarde  les  anomalies  par  rotation  sur  l'axe,  préférons-nous  la  luxation  brusque 
a  la  réduction  lente  des  déviations  au  moyen  des  appareils  orthopédiques. 


168 


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470  DENT  (pathologie). 

F.  Anomalies  de  l'éruption.  Sous  le  nom  d'anomalies  de  Ve'ruption,  nous 
décrirons  les  troubles  qui  surviennent  dans  1  époque  de  la  sortie  des  dents  et 
qui  sont  de  deux  ordres:  1"  Y  éruption  précoce  ou  anticipée;  2°  Y  éruption 
tardive. 

Nous  avons  étudié  dans  un  chapitre  précédent  l'éruption  normale  des  dents, 
à  l'état  physiologique.  Nous  savons  donc  déjà  à  quelle  époque  se  fait  cette 
apparition  normale. 

I.  Éruption  précoce.  A  la  première  dentition  le  phénomène  a  été  de  tout  temps 
signale.  Pline  cite  les  deux  Romains  nés  avec  des  dents,  Curius  Dentatus  et  Papi- 
rius  Corbon  (Pline,  Hist.  naturelle,  livre  VII,  chap.  xv)  ;  plus  près  de  nous 
on  apiétendu  que  Louis  XIV  et  Mirabeau  présentaient  des  dents  à  leur  naissance. 

Bien  que  M.  Blot  n'ait  observé  aucun  cas  d'éruption  précoce  sur  plus  de 
20000  naissances  {Bull,  de  la  Soc.  de  cliir.,  6  mai  1868,  p.  186),  on  ne  peut 
révoquer  en  doute  les  faits  de  ce  genre  rapportés  par  MM.  Tarnier,  Guéniot,  Masse, 
Giraldès,  Sappey  et  Thore,  Mattei,  etc.  Néanmoins  ils  sont  rares  (Guéniot,  Bull, 
de  thérap.,  1875,  p.  50.  —  Masse,  ib.,  1874,  p.  500.  — Giraldès,  Comptes 
rendus  et  Mém.  delà  Soc.  de  biologie,  1860,  p.  9.  — Sappey  et  Thore,  même 
recueil,  1859,  p,  M  et  55.  —  Matlei,  Union  médicale,  12  juin  1875, 
p.  870),  et  le  phénomène  ne  porte  jamais  que  sur  une  ou  deux  dents,  les 
incisives. 

Ces  dents  ne  sont  pas  supplémentaires  ;  leur  éruption  est  précoce,  elle 
précède  de  quelques  mois  celle  des  autres,  mais  elles  font  partie  de  la  même 
série  dentaire. 

Les  causes  de  l'éruption  anticipée  nous  échappent  entièrement. 

Il  est  généralement  admis  que  l'éruption  prématurée  à  la  naissance  peut 
devenir  la  cause  des  accidents  dits  de  dentition  à  cette  période. 

La  précocité  dans  l'éruption  des  dents  temporaires  n'exerce  pas  nécesaire- 
ment  une  influence  soit  sur  la  chute  normale,  soit  sur  l'apparition  de  la  seconde 
dentition.  Cependant  nous  avons  observé  deux  cas  de  ce  genre. 

La  dent  prématurément  sortie  peut  avoir  sa  forme  normale,  mais  dans  un 
certain  nombre  de  cas  elle  est  atrophiée,  conoïde,  etc. 

Pour  la  dentition  permanente,  l'éruption  anticipée  s'observe  de  la  même 
manière  à  un  intervalle  de  temps  plus  ou  moins  grand  avant  l'époque  normale. 
Mais  celte  anomalie  présente  alors  une  bien  plus  grande  importance  et  des 
inconvénients  beaucoup  plus  sérieux  que  dans  la  première  dentition,  attendu 
que  l'éruption  d'une  dent  permanente,  survenant  au  milieu  de  dents  tempo- 
raires, rencontre  de  la  part  de  celles-ci  des  obstacles  qui  entraînent  la  production 
de  désordres  variés.  C'est  même  dans  ces  circonstances  que  se  produisent  les 
anomalies  de  direction  comme  celles  que  nous  avons  décrites  plus  haut. 

La  première  grosse  molaire  peut  devancer  son  époque  d'apparition  (sixième 
année)  d'un  an  ou  deux  ;  puis  viennent  les  incisives  supérieures  ou  inférieures 
qui,  se  plaçant  en  dedans  de  l'arcade,  simulent  une  double  rangée  de  dents. 

Les  prémolaires  et  les  canines  présentent  rarement  une  avance  notable  dans 
la  sortie. 

La  conduite  à  tenir  en  pareille  circonstance  varie  suivant  les  indications  des 
cas  particuliers.  Pour  la  dentition  temporaire  aucune  intervention  ne  nous 
paraît  autorisée. 

Pour  la  seconde  dentition,  au  contraire,  l'intervention  est  souvent  indiquée  : 
ainsi,  lorsqu'une  dent  permanente,  apparaissant  avant  la  chute  d'aucune  des 


DENT   (pathologie).  1^* 

temporaires,  éprouve  une  déviation  marquée,  il  est  nécessaire  de  sacrifier  une 
ou  plusieurs  de  ces  dernières  pour  provoquer  le  redressement  de  la  dent  déviée. 
Dans  d'autres  cas,  il  y  a  lieu  d'appliquer  des  appareils  destinés  à  réduire  les 
mêmes  déviations.  Ces  faits  appartiennent  d'ailleurs  à  l'étude  des  anomalies  de 
direction. 

II.  Éruption  tardive.  Cette  anomalie  est  beaucoup  plus  commune  que 
la  précédente.  Nous  avons  signalé  plus  haut  l'influence  d'un  mauvais  état  général 
sur  les  retards  de  l'évolution  dentaire.  Ces  retards  varient  de  plusieurs  mois  à 
un  ou  deux  ans  et  peuvent  atteindre  non-seulement  les  incisives,  mais  encore 
toute  la  série.  Toutefois  l'éruption  tardive  d'une  ou  de  plusieurs  dents  tempo- 
raires ne  réclame  aucune  intervention  directe.  La  seule  inlluence  qui  puisse 
s'exercer  appartient  aux  traitements  généraux  dirigés  vers  un  état  général  ou 
une  diathèse. 

Les  retards  de  Téruption  ont  été  cause  que  les  auteurs  anciens  ont  cru  avoir 
observé  des  troisièmes  et  même  des  quatrièmes  dentitions.  Nous  n'en  con- 
naissons pour  notre  part  aucun  exemple  authentique,  c'est-à-dire  scientifique- 
ment observé,  et  ce  que  nous  savons  des  phénomènes  intimes  Je  l'évolution  du 
follicule  nous  fait  soutenir  qu'au  point  de  vue  physiologique  une  telle  repro- 
duction de  dents  est  inadmissible  chez  le  vieillard.  Par  contre,  nous  connais- 
sons des  exemples  d'éruption  très-retardée  et  authentique.  MM.  Legendre,  Casse, 
Trélat,  et  nous-même,  en  avons  rapporté  plusieurs  cas  (Legendre,  Comptes  ren- 
dus et  Mém.  de  la  Soc.  de  biologie,  1859,  p.  165.  —  Casse,  ib.,  1869,  p.  84. 
—  Tréhd,  Bidl.  de  la  Soc.  d'anthropologie.  Paris,  4  juillet  1867.  — Magitot, 
Traité  des  anomalies,  etc.,  p.  218). 

L'éruption  tardive  d'une  ou  de  plusieurs  dents,  lorsqu'elle  ne  représente 
qu'un  accident  local,  s'accompagne  ordinairement  de  quelques  troubles  pré- 
curseurs ou  concomitants.  Ainsi  dans  les  cas  de  Legendre,  Casse,  et  dans  un 
des  nôtres,  le  phénomène  avait  été  précédé  de  phlegmon  et  d'abcès,  au  milieu 
desquels  la  dent  avait  effectué  son  apparition. 

L'intervention  de  l'art  dans  les  cas  d'éruption  tardive  dépend  absolument  des 
circonstances  qui  la  précèdent  ou  l'accompagnent.  Lorsqu'il  n'y  a  aucun  désordre, 
il  n'y  a  évidemment  rien  à  faire;  dans  d'autres  faits,  au  contraire,  il  peut  être 
formellement  indiqué,  à  cause  de  la  violence  des  accidents  iiiilammatoires, 
d'effectuer  l'extraction  des  dents  anormales. 

III.  Chute  prématurée  et  chute  tardive.  Ces  phénomènes,  dans  la  denti- 
tion temporaire,  sont  presque  toujours  en  relation  intime  avec  l'éruption  tar- 
dive ou  anticipée  des  permanentes.  Certaines  dents  temporaires  persistent  à  leur 
place  régulière  pendant  une  partie  ou  pendant  toute  la  durée  de  la  vie  :  telles 
sont  les  incisives  centrales,  les  grosses  molaires,  etc.  Dans  ce  cas,  les  dents  de 
lait  conservent  leur  physionomie  et  leur  solidité,  mais,  comme  elles  sont  d'un 
volume  et  d'une  hauteur  moindres  que  les  dents  permanentes  voisines,  elles 
apportent  à  la  courbe  et  à  la  symétrie  de  l'arcade  dentaire  des  irrégularités, 
des  dépressions  qui  peuvent  devenir  la  cause  d'une  certaine  gêne  dans  les 
fonctions.  En  outre  elles  paraissent  plus  facilement  atteintes  de  certaines 
maladies  et  en  particulier  de  la  carie. 

Dans  certains  cas,  on  a  vu  une  région  de  l'arcade  dentaire  privée  chez  l'adulte 
de  dents  définitives,  bien  que  les  dents  temporaires  correspondantes  manquassent 
absolument. 

Dans  tous  ces  cas,  soit  de  dents  temporaires  persistantes,  soit  d'absence  con- 


172  DENT  (pathologie). 

génitale,  aucune  intervention  chirurgicale  n'est  admissible,  et  il  faudrait  bien 
se  garder  de  conseiller  dans  ces  conditions  l'extraction  d'une  dent  de  lait  dans 
le  but  de  provoquer  l'apparition  de  la  permanente  correspondante. 

En  ce  qui  concerne  la  chute  prématurée  des  dents  permanentes,  elle  ne 
représente  jamais,  selon  nous,  un  fait  de  tératologie,  mais  répond  à  des  phéno- 
mènes morbides  qui  sont  du  domaine  de  la  pathologie  spéciale.  D'autre  part, 
leur  persistance  au  delà  de  l'époque  moyenne,  loin  d'être  un  fait  anormal,  serait, 
au  contraire,  l'indice  d'une  santé  vigoureuse  et  d'une  constitution  robuste. 

G.  Anomalies  de  nutrition.  Parmi  les  troubles  de  l'évolution  qui  donnent  nais- 
sance aux  anomalies  si  diverses  du  système  dentaire,  il  est  une  classe  com- 
prenant les  perturbations  qui  surviennent  soit  dans  le  fonctionnement  des 
organes  formateurs  de  la  dent,  soit  dans  la  constitution  des  éléments  anato- 
miques  des  tissus  dentaires  en  voie  de  genèse. 

Ce  sont  ces  perturbations  portant  invariablement  sur  le  processus  physio- 
logique de  l'une  ou  de  l'ensemble  des  parties  constituantes  du  follicule  que 
nous  désignons  sous  le  nom  d'anomalies  de  nnlrition. 

Ces  anomalies  se  traduisent  sous  différents  aspects  qui  varient  essentiellement 
suivant  l'organe  intra-folliculaire  qui  est  frappé  ensuivant  l'époque  de  l'évolution 
correspondante  à  l'apparition  des  causes  perturbatrices. 

Les  conséquences  de  celte  espèce  d'anomalie  se  présentent  ainsi  sous  trois 
formes  : 

1°  L'atrophie  folliculaire  ; 

2°  L'odontome; 

3°  La  transformation  kystique 

Ces  trois  états  appartiennent  aux  périodes  de  formation  folliculaire;  ce  sont 
des  troubles  congénitaux  ;  il  est  bon  cependant  de  faire  remarquer  que  ces  trois 
formes,  atrophie,  odontome  et  transformation  kystique,  peuvent  apparaître  cli- 
niquement  à  un  âge  avancé,  aussi  bien  que  pendant  la  période  embrvonnaire 
de  la  dent  ;  mais  ces  variations  dans  l'époque  de  constatation  de  la  lésion  ne 
résultent  que  de  la  lenteur  plus  ou  moins  grande  dans  le  processus  des  phé- 
nomènes ;  s'ils  sont  rapides,  l'anomalie  se  reconnaît  dès  les  premiers  âges,  dans 
l'enfance  ou  dans  l'adolescence;  s'ils  sont  lents,  la  production  ne  se  constate 
que  beaucoup  plus  tard.  Rien  dans  les  altérations  pathologiques  delà  dent  adulte 
ne  saurait  être  assimilé  à  des  troubles  nutritifs  de  l'évolution  proprement  dite. 

\.  De  l'atrophie  folliculaire.  Le  phénomène  de  l'atrophie,  considéré  au 
point  de  vue  tératologique,  c'est-à-dire  comme  fait  de  disparition  d'un  follicule, 
consiste  essentiellement  en  une  résorption  pure  et  simple  du  sac  folliculaire  et 
de  son  contenu. 

La  résorption  est  tantôt  complète,  et  l'on  ne  retrouve  à  l'ouverture  du  maxil- 
laire, au  point  correspondant  à  une  dent  manquante,  aucune  trace  de  follicule, 
ou  bien  on  constate  que  celui-ci  a  éprouvé  une  réduction  de  volume  et  une 
sorte  de  transformation  fibreuse  de  ses  parties. 

Dans  le  premier  cas,  la  disparition  complète  d'un  follicule  peut  être  con- 
fondue avec  l'absence  congénitale  de  la  dent  con-espondante  ;  dans  le  second, 
lorsqu'on  retrouve  un  débris  plus  ou  moins  réduit  de  follicule,  on  peut  affirmer 
soit  un  phénomène  d'atrophie  complet,  soit  un  simple  arrêt  de  développement. 

La  résorption  d'un  follicule  peut  en  outre  survenir  à  toutes  les  époques  de 
l'évolution,  tantôt  pendant  les  phases  embryoplastiques,  tantôt  pendant  la  for- 
mation de  la  couronne;  nous  en  avons  eu  la  preuve  dans  les  expériences  que 


DENT   (pathologie).  *'?5 

nous  avons  entreprises  avec  Ch.  Legros  sur  les  greffes  des  follicules  denlaires 
{Comptes  rendus  de  TAcad.  des  sciences,  1874,  séance  du  2  février). 

Les  circonstances  qui  paraissent  le  plus  prédisposer  les  follicules  dentaires  à 
la  résorption  et  à  l'atrophie  sont  Y  hérédité  et  la  compression;  cette  dernière 
cause  doit  être  invoquée  surtout  pour  la  dent  de  sagesse  inférieure. 

Le  phénomène  intime  de  l'atrophie  est  donc  analogue  à  celui  qui  se  passe 
en  d'autres  parties  du  corps  dans  les  mêmes  circonstances. 

II.  De  Vodontome.  L'odontome  consiste  dans  une  tumeur  développée  aux 
dépens  tantôt  d'un  ou  de  plusieurs  des  organes  constituants  du  follicule,  tantôt 
des  tissus  dentaires  eux-mêmes  an  moment  de  leur  genèse.  Les  deux  phéno- 
mènes principaux  auxquels  sont  dus  les  odontomes  sont  l'Iiypergcnèse  et  l'hy- 
pertrophie des  éléments  du  follicule  restés  en  place.  Il  en  est  encore  un  autre 
qui  joue  un  rôle  important  dans  la  production  de  beaucoup  de  tumeurs,  c'est 
Yhétéradénie,  ou  développement  avec  erreur  de  lieu  :  c'est  ainsi  que  certains 
odontomes  adamantins,  par  exemple,  se  développent  à  la  surface  du  cément 
radiculaire. 

Nous  n'admettons  pas,  pour  des  raisons  que  nous  avons  développées  dans  un 
travail  antérieur  {Traité  des  anomalies  du  système  dentaire,  p.  252),  la  divi- 
sion des  odontomes  de  Broca  {Traité  des  tumeurs.  Paris,  1869,  t.  11,  p.  .'îOO). 
Pour  nous,  les  diverses  espèces  d'odontomes  admises  par  Broca  peuvent,  au  point 
(le    vue  anatomo-pathologique,  se  résumer  en  trois  variétés  : 

1»  Les  odontomes  bulbaires; 

2"  Les  odontomes  odontoplastiques; 

5°  Les  odontomes  radiculaires. 

1»  Des  odontomes  bulbaires.  Cette  espèce  de  tumeur  est  depuis  longtemps 
désignée  cliniquement  sous  des  noms  divers  :  tumeurs  fibreuses,  fibromes  des 
mâchoires,  tumeurs  fibro-plasliques,  corps  fibro-cellulaires,  etc. 

L'examen  microscopique  a  pu  établir  la  composition  intime  des  odontomes 
bulbaires,  qui  sont  le  plus  souvent  constitués  par  les  éléments  du  bulbe  lui- 
même  :  corps  fibro-plastiques  nucléaires  ou  fusiformes,  libres  lamiucuses  plus 
ou  moins  serrées,  comme  dans  les  fibromes  des  autres  régions  de  l'économie. 

La  paroi  folliculaire  forme  une  enveloppe  à  la  tumeur;  certaines  tumeurs 
renferment  même  un  liquide  séreux  ou  séro-sanguinolent,  quelquefois  formé 
d'une  sorte  de  mucus  filant,  contenant  de  la  cholestérine,  des  cellules  épillié- 
liales  et  des  matières  grasses. 

Dans  une  autre  variété,  les  odontomes  bulbaires  sont  constitués  par  l'hyper- 
genèse  ou  l'hypertrophie  du  bulbe  dentaire,  ou  par  les  deux  ensemble.  11  résulte 
de  là  que  tantôt  le  bulbe  est  augmenté  de  volume  dans  des  proportions  considé- 
rables ;  tantôt,  quand  il  y  a  simplement  hypergeuèse,  la  tumeur  se  compose 
d'une  multitude  de  bulbes  agglomérés.  On  trouve  en  outre  au  sein  de  la  masse 
fibroïde  des  grains  phosphatiques  (Broca,  Traité  des  tumeurs,  t.  Il,  p.  520), 
ou  des  chapeaux  de  dentine,  ou  encore  des  grains  dentinaires  (Panas,  Bull,  et 
mém.  delà  Soc.  de  chirurgie,  4876,  p.  547). 

Le  siège  presque  exclusif  des  odontomes  bulbaires  chez  l'homme  est  le  folli- 
cule de  la  dent  de  sagesse,  plus  particulièrement  de  l'inférieure  :  ils  partent 
donc  directement  de  l'angle  maxillaire,  d'oii  ils  envahissent  les  parties  voisines. 

2"  Odontomes  odontoplastiques.  Les  odontomes  odontoplastiques  comuren- 
nent  les  altérations  de  nutrition  qui  surviennent  au  sein  du  follicule  après  le 
début  de  formation  des  éléments  constitutifs  de  la  dent  :  ivoire,  émail  ou 


174  DENT   (pathologie). 

cément  ;  c'est  ce  qu'on  appelle  précisément  la  période  odontoplastique  du  folli- 
cule. Le  chapeau  de  dentine  est  commencé  et  en  voie  de  développement,  les 
organes  formateurs  sont  en  pleine  activité  physiologique,  et  c'est  par  la  pertur- 
bation même  de  leur  fonction  que  se  traduisent  ces  odontomes. 

Ils  se  subdivisent  en  quatre  catégories  :  cémentaires,  dentinaires,  cémento- 
(lentinaires,  adamantins  ;  ils  peuvent  être  aussi  mixtes  lorsque  les  troubles,  au 
lieu  de  porter  sur  un  des  oi'ganes  isolément,  étendent  leur  iniluence  à  deux 
organes  à  la  fois,  comme  dans  certaines  tumeurs  composées  d'ivoire  et  de 
cément. 

Les  odontomes  odontoplastiques  cémentaires  appartiennent  aux  herbivores, 
les  seules  espèces  animales  dont  les  dents  présentent  une  couche  de  cément 
coronaire. 

Les  odontomes  odontoplastiques  dentinaires  sont  ceux  dans  lesquels  un 
chapeau  de  dentine  a  subi  non  une  division  ou  une  dispersion  de  fragments  de 
sa  substance,  mais  une  altération  de  nutrition  sur  place  (odontomes  pulpaires 
de  Broca).  Ils  se  divisent  en  deux  sous-variétés  :  les  odontomes  coronaires  diffus 
et  les  odontomes  coronaires  circonscrits. 

a.  Dans  les  odontomes  coronaires  diffus,  le  mécanisme  de  production  a  eu 
pour  point  de  départ  simultanément  une  hypertrophie  avec  altération  de  sub- 
stance de  la  pulpe,  et  des  irrégularités  dans  la  formation  de  l'ivoire  ;  de  son 
côté,  l'organe  de  l'émail  peut  être  frappé  de  troubles  concomitants  qui  entraî- 
nent des  perturbations  dans  la  formation  des  prismes.  Il  peut  l'ésulter  de  là  que, 
si  une  portion  de  la  couronne,  développée  antérieurement  à  l'apparition  des 
troubles  fonctionnels,  a  pu  conserver  la  physionomie  normale,  toute  l'étendue 

correspondante  à  ces  troubles  constitue  une  tumeur 
plus  ou  moins  volumineuse  (Broca,  Traité  des  tu- 
meurs, t.  II,  p.  558,  et  fig.  19). 

b.  Les  odontomes  coronaires  circonscrits  con- 
sistent dans  la  production,  sur  un  point  isolé  de  la 
couronne,  d'une  tumeur  dure,   formée  d'ivoire  et 
d'émail,  tantôt  globuleuse  et  assez  lisse,  tantôt  cou- 
Fig.  26.  —  odoniomc  coronaire    ""^^^^  ^6  végétations  [Dents  verruqueuses  de  Salter, 

circonscrit  d'une  incisive.  {Gui/s    Hosp.    Reports,  3^   sect.,     VOl.    IV,  p.    276, 

1858)]. 

Les  odontomes  coronaires  de  la  variété  ce'mento-dentaire  appartiennent 
exclusivement  aux  herbivores. 

Les  odontomes  odontoplastiques  adamantins  consistent  dans  des  perturba- 
tions de  nutrition  de  l'organe  de  l'émail  isolément.  Ils  se  présentent  ordinai- 
rement sous  l'aspect  de  petites  tumeurs  d'émail  du  volume  d'une  tête  d'épingle 
ou  d'un  petit  pois,  ovoïdes  ou  sphériques,  parfois  mamelonnées,  et  fixées  soit 
au  collet,  soit  au-dessous  de  ce  point.  Ces  productions  sont  donc  ordinairement 
he'térotopiques,  c'est-à-dire  situées  en  un  point  de  la  dent  dépourvue  d'émail, 
sur  le  collet,  ou  dans  l'angle  d'intersection  des  racines  d'une  molaire  (Tomes, 
System  of  Dental  Surgery,  1859,  p.  255,  fig.  102  et  103.  — Wedl,  Atlas  zur 
Pathologie  derZïthne.  Leipzig,  1869,  pi.  Il,  fig.  25  et  24). 

Nous  n'insisterons  pas  davantage  sur  les  considérations  relatives  aux  odon- 
tomes adamantins,  qui  représentent  en  réalité  bien  plus  une  curiosité  tératolo- 
gique  qu'une  lésion  susceptible  d'intervention  chirurgicale. 

3"  Odontomes  radiculaires.     Ces  odontomes  se  forment  au  sein  du  follicule 


DENT  (pathologie).  175 

àl'époqne  où,  la  couronne  dentaire  ayant  achevé  son  développement,  les  racines 
commencent  à  effectuer  leur  formation.  Ils  participent  des  deux  tissus  radicu- 
laires,  l'ivoire  et  le  cément,  et  sont  tantôt  purement  cémentaires,  tantôt 
cémento-denlinaires.  On  ne  connaît  pas  encore  d'exemple  d'odontome  purement 
dentinaire. 

Les  odontomes  raïUculaires  cémentaires  ont  l'aspect  d'une  tumeur  de  volume 
variable,  mamelonnée  et  inégale,  dans  laquelle  l'examen  histologique  ne  permet 
de  reconnaître  que  les  éléments  du  tissu  osseux  irrégulièrement  groupés,  comme 
cela  se  produit,  par  exemple,  dans  l'exostose  soit  osseuse,  soit  cémentaire  pro- 
prement dite.  Cette  analogie  de  composition  entre  les  odontomes  et  les  exostoses 
ne  permet  pas  cependant  d'assimiler  les  premiers  aux  secondes. 


Fig,  27.  —  OJoutome  radiculaire  (Tomes).  Fig.  SS.  —  Odonlomc  radiculaire  (Maisonneuve), 

Cette  variété  est  extrêmement  rare;  nous  n'en  connaissons  qu'un  exemple, 
observé  et  bien  décrit  par  Tomes  {Tmsact.  of  the  Odontological  Society  of  Great 
Britain,  1872,  p.  81). 

Les  odontomes  cémento-dentinaires  sont  plus  communs,  et  nous  en  connais- 
sons plusieurs  exemples  (Forget,  Anomalies  dentaires,  pi.  II,  fîg.  1  et  2.  — 
Wedl,  Atlas  zur  Pathologie  der  Zàhne,  tabl.  XI,  fig.  28  et  29). 

Signalons  encore  les  odontomes  composés  de  Broca,  dans  lesquels  plusieurs 
follicules  dentaires  ont  été  em'ahis  par  le  même  processus  tératologique  {von. 
Forget,  Étude  histologique  d'une  tumeur  fibreuse  non  décrite  de  la  mâchoire 
inférieure.  Paris,  1861,  avec  1  planche,  et  Bull,  de  la  Soc.  de  chir.,  2^  série, 
t.  X,  p.  60.  —  Robin,  Bull,  de  l'Acad.  de  méd.,  t.  XXIV,  p.  1205,  et  Mém. 
de  la  Soc.  de  Biologie,  1862,  o"  série,  p.  216.  —  Broca,  Traité  des  tumeurs^ 
t.  II,  p.  565),  et  les  odontomes  hétérotopiques  du  même  auteur,  développés  au 
sein  d'un  follicule  frappé  d'hétéropie  (Salter,  GuijsHosp.  Rep.,  5"  série,  vol.  lY, 
p.  229,  1858). 

III.  Du  kyste  folliculaire.  Ce  sujet  ayant  été  décrit  dans  une  autre  partie 
de  ce  Dictionnaire,  nous  ne  pouvons  qu'y  renvoyer  le  lecteur  [voy.  Maxillaires 
[Kystes  des]). 

H.  Anomalies  de  structure.  La  constitution  intime  ou  structure  des  tissus 
dentaires  offre  un  certain  nombre  de  variations  soit  chez  les  individus,  soit 
d'une  race  à  l'autre,  mais  qui  sont  jusqu'à  présent  fort  peu  connues.  A  peine 
possédons-nous  quelques  documents  relatifs  aux  différences  d'aspect  extérieur 
que  présentent  certains  tissus  suivant  les  races  et  certains  rapports  des  dents 


176  DENT  (pATHotociE). 

comparées  entre  elles  (Coudereau,  Bidl.  de  la  Soc.  d'anthropologie,  1875,  p.  86). 
D'ailleurs  ces  variations  ne  nous  intéressent  qu'autant  qu'elles  causent  des  trou- 
bles plus  ou  moins  profonds  dans  la  constitution  des  tissus,  apportant  comme 
conséquence  des  prédispositions  à  diverses  maladies. 

Nous  étudierons  ces  déviations  soit  dans  l'organe  dentaire  en  totalité,  c'est-à- 
dire  lorsqu'elles  intéressent  à  la  fois  l'émail  et  l'ivoire,  soit  si  elles  affectent 
isolément  un  tissu  en  particulier.  Celles  du  cément  sont  trop  peu  importantes 
chez  l'homme  pour  que  nous  nous  en  occupions  ici. 

I.  Anomalies  de  structure  dans  la  totalité  de  l'organe.  Ces  anomalies  sont 
sous  la  dépendance  tantôt  de  conditions  particulières  et  isolées  chez  un  sujet 
déterminé,  tantôt  de  l'hérédité,  c'est-à-dire  des  dispositions  ou  des  diathèses 
congénitales.  Nous  avons  indiqué  déjà  les  rapports  existant  entre  l'aspect  des 
dents  et  l'état  général  du  sujet.  Mais  le  plus  souvent  les  altérations  de  la 
structure  de  l'organe  ne  sont  appréciables  qu'à  l'investigation  microscopique. 

Si  l'on  examine  dans  ce  cas  la  coupe  d'une  dent  ainsi  altérée  à  un  grossisse- 
ment de  200  diamètres  environ,  on  reconnaît  que  l'émail  et  l'ivoire  ont  subi 
simultanément  des  troubles  plus  ou  moins  marqués  dans  l'homogénéité  et  la 
disposition  réciproque  de  leurs  éléments.  Pu  côté  de  l'émail  :  opacité,  état  gra- 
nuleux, flexuosités  très-accusées  des  prismes  ;  du  côté  de  l'ivoire,  dilatations 
et  même  varicosité  des  canalicules,  lignes  de  contour  très-marquées,  formation 
de  globules  dentinaires  que,  contrairement  à  Czermak  (  Zeitschr.  fur  ivissen- 
schaftl.  Zoologie,  von  Siebold  und  Kôlliker,  1850)  et  quelques  autres,  nous 
considérons  comme  anormale  (voy.  nos  Études  sur  le  développement  et  la 
structure  des  dents  humaines.  Thèse  de  Paris,  1857,  p.  55). 

Dans  les  imperfections  de  structure  d'un  ordre  plus  général  encore,  comme 
celles  qui  dépendent  de  la  race,  l'examen  microscopique  révèle  des  particularités 
analogues,  mais  moins  nettes  que  dans  le  cas  de  diathèse. 

La  lésion  de  beaucoup  la  plus  importante  de  cette  espèce  est  V érosion. 

L'érosion  est  caractérisée  par  une  altération  de  la  couronne  des  dents  qui, 
au  moment  de  l'éruption,  apparaissent  comme  usées  ou  rongées  sur  un  certain 
point  de  leur  hauteur.  Cette  usure  atfecte  une  forme  si  spéciale,  qu'il  n'est  pas 
possible  de  la  confondre  avec  aucune  autre  lésion.  Ce  sont  tantôt  des  échancrures 
toujours  courbes  qui  occupent  le  bord  libre  des  dents,  tantôt  des  sillons  horizon- 
taux qui  partagent  en  plusieurs  divisions  la  hauteur  de  la  couronne.  Un  premier 
caractèi'e  fondamental  de  cette  altération  consiste  en  ce  qu'elle  n'est  jamais 
isolée  à  une  seule  dent,  mais  qu'elle  affecte  constamment  sur  le  même  point,  à 
un  égal  degré  et  sous  une  forme  identique,  les  dents  homologues  d'une  même 
mâchoire  ou  des  deux  mâchoires. 

Les  deux  dentitions  n'y  sont  pas  également  sujettes,  et,  bien  que  certaines 
lésions  des  dents  temporaires  puissent  se  rattacher  à  l'érosion  (Fournier,  Dict. 
en  60  vol.,  art.  Dent,  p.  541,  1814.  —  Rattier,  Contribution  à  l'étude  de 
r érosion  dentaire.  Thèse  de  Paris,  1879),  on  peut  dire  toutefois  que  cette  lésion 
est  particulière  aux  dents  permanentes. 

Sur  12  cas  pris  au  hasard,  de  un  à  neuf  mois,  M.  Parrot  a  constaté  que  l'éro- 
sion atteignait,  par  ordre  de  fréquence  et  d'intensité,  les  canines,  les  secondes 
prémolaires,  les  premières  prémolaires,  les  incisives  latérales,  la  première 
incisive  médiane  (Parrot,  La  syphilis  dentaire,  communication  au  Congrès  de 
Reims,  1880). 

Toutes  les  dents  permanentes  peuvent  être  exposées  à  l'érosion   mais  il  est 


DENT  (pathologie).  177 

rare  qu  elles  soient  toutes  frappées  à  un  degré  égal.  La  première  molaire  est  la 
plus  fréquemment  atteinte.  Viennent  ensuite  les  incisives  inférieures  et  supé- 
rieures, la  canine,  puis  les  prémolaires.  La  seconde  molaire  et  la  dent  de  sagesse 
sont  rarement  affectées. 

Les  caractères  de  l'érosion  revêtent  plusieurs  formes.  C'est  d'abord  une 
échancrure  arrondie  ou  ellipsoïde ,  pour  les  incisives  ;  aux  molaires ,  la 
surface  triturante  est  transformée  en  une  série  de  petits  mamelons  plus  ou 
moins  irréguliers,  séparés  par  des  anfracluosités  traversant  la  couche  d'émail 
tout  entière.  Le  bord  de  l'écliancrure  des  incisives  et  celui  de  la  région  érodée 
des  molaires  sont  occupés  par  un  bourrelet  irrégulier,  composé  démail  normal, 
mais  plus  épais  que  dans  les  autres  points,  et  recouvrant  un  ivoire  également 
normal. 

Dans  une  seconde  forme,  la  couronne  apparaît  comme  rongée  par  un  acide 
dans  une  certaine  étendue  de  sa  hauteur,  laquelle  est  presque  complètement  ou 
complètement  privée  de  sa  couche  d'émail  :  cest  l'érosion  en  nappe.  Dans  ce  cas, 
comme  dans  l'érosion  en  écliancrure,  la  lésion  est  encore  limitée  par  un  bour- 
relet d'émail. 

Dans  des  circonstances  plus  simples,  l'érosion  apparaît  sous  forme  d'un  trait 
ou  sillon  léger,  granuleux  et  pointillé,  mais  n'atteignant  jamais  en  profondeur  la 
totalité  de  l'épaisseur  de  l'émail.  Il  n'y  a  pas  alors  de  changement  sérieux  de 
coloration  ni  d'aspect;  une  ligne  transversale  la  représente  essentiellement. 

Plusieurs  de  ces  lésions  peuvent  d'ailleurs  exister  ensemble  sur  la  même  dent. 
Ainsi  la  présence  d'une  échancrure  n'exclut  pas  l'existence,  au-dessous  d'elle, 
soit  d'une  zone  étroite  ou  large,  soit  d'un  ou  de  plusieurs  sillons  parallèles:  ce 
sont  les  dents  dites  en  étages  ou  en  escaliers. 

11  peut  même  arriver  qu'une  dent,  présentant  simultanément  plusieurs  formes 
d'érosion,  devienne  méconnaissable  et  ne  constitue  plus  qu'un  tronçon  difforme 
à  la  place  de  la  couronne.  C'est  cette  lésion  que  Tomes  a  désignée  sous  le  nom  de 
dents  en  gâteau  de  miel. 

L'altération,  avec  ses  formes  multiples,  peut  encore  se  montrer  simultanément 
sur  une  partie  ou  la  totalité  des  dents  indiquées  plus  haut,  et  toujours  d'une 
manière  homologue.  Elle  est  d'ailleurs  toujours  de  forme  circulaire,  c'est-à-dire 
qu'elle  représente  un  anneau  tracé  autour  de  la  dent. 

Au  microscope  on  reconnaît  que,  tandis  que  la  couche  d'émail  paraît  seule 
atteinte,  la  denline  présente  simultanément  une  lésion  sur  laquelle  il  est  inté- 
ressant d'insister.  C'est  Yérosion  de  Vivoire.  A  un  grossissement  de  200  diamè- 
tres environ,  on  trouve  à  ce  niveau  une  ou  plusieurs  couclies  composées  de  ces 
globules  et  de  ces  espaces  interglobidaires  (dentine  globulaire  de  Czermak  et 
Owen)  dont  nous  avons  déjà  signalé  l'existence  dans  un  grand  nombre  de  troubles 
de  structure  même  légers.  Mais  ici  la  lésion,  au  lieu  de  se  présenter  par  petits 
groupes  espacés  et  peu  prononcés,  affecte  dans  l'érosion  le  caractère  d'une  bande 
altérée,  dans  laquelle  les   globules  sont  abondants  et  pressés,  tandis   que  les 
espaces  qu'ils  interceptent  sont  larges,  prolongés  dans  divers  sens,  et  remplis 
d'une  matière  noirâtre  granuleuse.  Ce  sont  ces  espaces  interglobulaires  auxquels 
KôUiker  attribue  à  tort  une  ressemblance  avec  les  cavités  osseuses  {Éléments 
d'histologie,  2"  édit.  française,  Paris,  1856,  in-8s  P-  424),  erreur  que  Czermak 
et  Wedl  se  sont  efforcés  de  relever  (Wedl,  Histol.  patholog.,  trad.  an^-laise. 
Londres,  1855,  p.  51i).  Au-dessus  et  au-dessous  de  la  lésion,  le  reste  du  tissu 
a  conservé  sa  composition  normale. 

DICT.  ENC  XXVIL  ']2 


178  DENT   (pathologie). 

A  une  érosion  de  l'émail  correspond  une  couche  de  dentine  globulaire  ;  c'est 
ainsi  que  nous  avons  pu  observer  jusqu'à  trois  couches  superposées  dans  une 
dent  molaire  qui  présentait  manifestement  jusqu'à  trois  étages  d'érosion.  Ces 
couches  sont  alors  régulièrement  concentriques,  séparées  par  des  zones  plus  ou 
moins  étendues  de  dentine  normale  et  d'autant  plus  marquées  qu'elles  sont  plus 
près  de  la  limite  extérieure  de  l'ivoire.  Nous  sommes  porté  à  croire  que  le 
voisinage  de  la  pulpe,  fournissant  à  l'ivoire  des  matériaux  de  réparation,  est 
la  cause  du  caractère  peu  marqué  des  couches  profondes  de  dentine  globulaire, 
et  que  la  lésion  de  l'ivoire  finit  par  disparaître  alors  que  celle  de  l'émail  sié- 
geant dans  un  tissu  sans  rénovation  possible  reste  fixe  et  indélébile. 

On  observe  souvent  dans  les  couches  d'ivoire  de  la  racine  des  zones  globu- 
laires, mais  elles  sont  moins  nettes,  les  globules  sont  moins  volumineux,  leurs 
espaces  plus  petits.  Dans  le  cément,  nous  n'avons  jusqu'à  présent  reconnu  aucun 
phénomène  analogue. 

Examinons  maintenant  la  cause  et  le  mécanisme  de  production  de  celte 
lésion. 

Les  anciens  auteurs,  Fauchard,  Bunon,  Mahon,  Fournier,  el  quelques  modernes, 
Tomes  {Traité  de  chir-ur g  te  dentaire,  trad.  Darin,  1872,  p.  \^S),  Broca,  ont  admis 
que  l'érosion  se  traduisait  sous  l'influence  des  pyrexies  de  l'enfance,  du  scorbut, 
(le  la  coqueluche,  etc. — Castanié  a  invoqué  la  scrofule  dans  un  cas  {De  l'érosion 
des  dents  permanentes.  Thèse  de  Paris,  1874);  d'autres,  le  rachitisme  (Mahon, 
Castanié,  Horner,  Becker  (de  Leipzig),  Nicati  {Revue  mens,  de  méd.  etdechir., 
1879,  p.  7). 

Dans  sa  très-intéressante  communication  faite  au  Congrès  de  Reims,  M.  Parrol, 
discutant  toutes  ces  opinions,  ainsi  que  la  nôtre,  les  a  toutes  rejetées,  sauf  le 
rachitisme,  pour  se  prononcer  en  faveur  de  la  syphilis  héréditaire.  Il  n'a  d'ail- 
leurs admis  l'influence  du  rachitisme  que  parce  qu'il  fait  de  cette  affection  une 
forme  de  la  syphilis  héréditaire. 

Hutchinson  avait  fait  de  l'échancrure  des  incisives  un  signe  pathognomonique 
de  syphilis  héréditaire  {Trans.  of  the  Path.  Soc,  vol.  IX,  p.  449,  et  vol.  X, 
p.  287).  Plus  récemment,  Berkeley  Hill  s'est  efforcé  de  confirmer  les  vues  d'Hut- 
chinson  {Monthly  Review  of  Dental  Science,  juin  1872). 

Nous  ne  croyons  pas  que  les  maladies  fébriles  de  l'enfance  aient  une  grande 
influence  sur  la  production  de  l'érosion,  non  plus  que  le  scorbut  et  la  coque- 
luche; elles  sont  trop  passagères  et  de  trop  courte  durée.  Quant  aux  diathèses, 
la  syphilis,  comme  nous  l'avons  déjà  dit  en  1875  {Bull,  et  mém.  de  la  Soc.  de 
chir.,  1875,  p.  139),  le  rachitisme,  etc.,  ont  pour  effet  de  produire  soit  des 
retards  dans  l'évolution  ou  des  atrophies  de  certains  follicules,  soit  des  pertur- 
bations fonctionnelles,  permanentes,  uniformes,  dans  l'organisation  des  tissus 
dentaires,  mais  non  les  lésions  de  l'érosion.  Celle-ci,  au  contraire,  a  un  caractère 
brusque,  et  il  est  évident  que  la  cause  qui  l'a  produite  a  eu  une  durée  limitée 
et  proportionnelle  à  l'étendue  et  à  la  profondeur  de  l'érosion  elle-même.  La 
formation  des  tissus  de  l'émail  et  de  l'ivoire  a  été  momentanément  suspendue, 
et  comme  les  dents  apparaissent  toujours  ainsi  frappées,  au  moment  de  l'érup- 
tion hors  des  mâchoires,  il  est  clair  que  le  trouble  qui  en  a  été  la  cause  a 
exercé  son  influence  sur  l'organisation  de  l'organe  pendant  sa  vie  intra-folliculaire, 
c'est-à-dire  pendant  la  période  pour  ainsi  dire  fœtale  de  la  dent.  C'est  donc  dans 
les  troubles  qui  atteignent  un  sujet  pendant  cette  période  même  qu'il  faut 
chercher  l'explication  de  l'érosion.  Or,  d'après  un  grand  nombre  d'observations 


DENT  (pathologie).  179 

auxquelles  nous  nous  sommes  livré  en  remontant  d'un  lUit  d'crosion  à  letude 
des  antécédents,  nous  croyons  être  parvenu  à  fixer  le  véritable  mécanisme  du 
phénomène,  et  pouvoir  attribuer  à  l'éclampsie  infantile  la  production  de  l'érosion. 

C'est  en  effet  dans  cet  ordre  de  phénomènes  qu'on  rencontre  le  caractère 
d'invasion  brusque,  avec  durée  courte,  suivie  ou  non  de  plusieurs  accès  ultérieui'S 
et  qui,  prenant  leur  origine  dans  le  système  nerveux  central,  sont  éminemment 
susceptibles  de  produire  des  perturbations  assez  profondes  pour  arrêter  la  nutri- 
tion et  suspendre  les  phénomènes  de  formation  au  sein  d'organes  en  voie  d'évo- 
lution. Lorsque  l'affection  est  de  courte  durée,  elle  se  traduit  par  un  sillon 
unique  plus  ou  moins  marqué,  et  dont  le  siège  est  invariablement  la  base  du 
chapeau  de  dentine  des  deuls  en  voie  d'évolution.  Si  l'affection  consiste  en 
plusieurs  accès  consécutifs,  le  nombre  des  sillons  de  l'érosion  est  égal  à  celui 
des  crises;  si  enfin  l'affection  susceptible  de  produire  une  telle  altération  survient 
après  l'achèvement  de  la  dentification,  elle  ne  fait  éprouver  au  système  dentaire 
aucune  lésion  appréciable  de  structure. 

On  peut  donc  conclure  que  l'érosion  dentaire  est  la  trace  mdescriptible  et 
permanente  d'une  affection  inf  tntlle  à  invasion  brusque,  de  forme  conviddve,  et 
tout  spécialement  de  Yéclampsie. 

Tout  récemment,  MM.  Quinet  et  Ratier,  reprenant  la  question,  l'ont  résolue 
comme  nous.  «  Il  n'y  a  pas,  dit  M.  Quinet,  de  dents  syphilitiques  proprement 
dites,  mais  bien  plutôt  des  dents  éclamptiques,  si  l'on  peut  s'exprimer  ainsi  » 
(Bull,  de  VAcad.  de  Belgique,  janvier  1879). 

Nous  pourrions  rapprocher  de  l'érosion  dentaire  le  sillon  unguéal  sur  lequel 
Beau  a  particulièrement  insisté  et  qui  se  montre  à  la  base  de  l'ongle  à  la  suite 
de  certaines  affections.  Mais  ce  sillon  disparaît  par  suite  du  renouvellement 
continu  de  l'ongle,  tandis  que  celui  de  la  couronne  dentaire  est  indélébile  ;  en 
outre  le  premier  apparaît  sous  la  moindre  influence,  tandis  que  le  second  a 
pour  cause  une  affection  ordinairement  subite. 

L'étude  des  trépanations  préhistoriques  faites  par  Broca  a  conduit  ce  regretté 
maître  à  admettre  que  cette  opération  était  pratiquée  sur  des  enfants  atteints  de 
convulsions,  soit  de  l'éclampsie,  soit  de  l'épilepsie;  plus  tard  on  a  trouvé  dans 
des  gisements  de  crânes  trépanés  des  dents  frappées  de  sillons  ou  d'échancrures 
évidemment  congénitales  {Bull,  de  la  Soc.  d'anthropologie,  1876,  p.  426),  et 
nous  en  avons  conclu  à  la  coïncidence  de  l'éclampsie  et  de  l'érosion  dentaire 
chez  les  sujets  trépanés.  M.  Parrot,  de  son  côté,  a  pensé  que  les  dents  érodées 
prouvaient  en  faveur  de  l'existence  de  la  syphilis  dans  les  temps  préhis- 
toriques. 

Quant  au  mécanisme  de  la  production  de  la  lésion,  nous  pensons  qu'il  consiste 
essentiellement  dans  une  simple  interruption  ou  une  suspension  du  travail 
physiologique  de  formation  des  tissus  de  l'émail  et  de  l'ivoire,  interruption 
qui  est  toujours  contemporaine  de  la  lésion  anatomique. 

Dans  l'émail  une  ou  plusieurs  rangées  de  prismes  étant  ainsi  frappées  d'une 
sorte  d'inaction  laissent  à  la  surface  du  chapeau  de  dentine  une  raie  ou  un  sillon 
plus  ou  moins  large  et  entièrement  dépourvu  de  revêtement  d'émail. 

Dans  l'ivoire,  à  un  moment  donné,  la  production  d'abord  régulière  des  couches 
dentinaire  se  trouve  suspendue,  non  d'une  manière  complète,  car  le  fonction- 
nement des  cellules  de  l'ivoire  ne  saurait  être  absolument  anéanti,  mais  les 
matériaux  calcaires,  au  lieu  de  se  déposer  molécule  à  molécule,  se  produisent 
par  une  série  d'intermittences  séparées  par  des  temps  de  repos.  C'est  ainsi  que 


180  DENT   (pathologie). 

les  poussées  de  production  dentinairc  amènent  la  formation  de  globules,  et  les 
temps  de  repos  celle  des  espaces  iiiterglobulaires. 

II.  Anomalies  de  structure  particulières  à  rémail.  Les  plus  simples  de 
ces  imperfections  de  structure  de  l'émail  consistent  dans  certaines  taches  opaques 
blanchâtres  ou  diversement  colorées,  tranchant  sur  la  physionomie  générale  du 
tissu:  ces  taches  sont  simples  ou  multiples  pour  chaque  dent  ;  elles  peuvent  être 
soit  isolées,  soit  paires  et  symétriques  aux  dents  homologues.  Leur  forme  est  en 
général  circulaire  et  parfois  irrégulière;  on  pourrait  plus  justement  les  consi- 
dérer comme  des  troubles  de  composition  chimique,  car  la  disposition  prisma- 
tique se  retrouve  à  leur  niveau  et  sans  trouble  sensible  à  l'examen  microscopique. 
Tout  au  plus  reconnaît-on  que  le  tissu  présente  une  moindre  transparence  et  un 
état  parfois  un  peu  granuleux. 

Dans  d'autres  circonstances,  on  trouve,  surtout  entre  les  tubercules  des  mul- 
ticuspidés,  des  sillons,  des  anfractuosités,  des  pertes  de  substance  en  trous  ou 
en  plaques,  comprenant  toute  l'épaisseur  de  la  couche  d'émail  ;  ces  anomalies  de 
structure  reconnaissent,  sauf  les  cas  observés  de  lésion  traumalique  du  follicule, 
un  même  mécanisme  de  production,  un  trouble  tératologique  spontané  ou  pro- 
voqué, dans  le  développement  des  prismes  de  ce  tissu  et  dans  le  fonctionnement 
de  l'organe  de  l'émail. 

Nous  avons  d'ailleurs  insisté  sur  ces  lésions  à  propos  de  la  carie  dentaire, 
dans  la  production  de  laquelle  elles  jouent  un  rôle  important. 

I.  Anomaliks  de  disposition.  Par  le  terme  d'anomalies  de  disposition,  nous 
désignons  tous  les  troubles  de  l'évolution  qui  amènent  des  modifications  dans  les 
rapports  soit  des  dents  entre  elles,  soit  des  arcades  dentaires  réciproquement. 

C'est  ainsi  que  nous  étudierons  successivement  : 

1"  Les  anomalies  par  continuité  ou  réunions  anomales; 

2°  Les  anomalies  par  disjonction  ou  divisions  anomales; 

5°  Les  anomalies  par  alrésie  de  l'un  ou  des  deux  maxillaires  ; 

4"  Les  anomalies  par  augmentation  du  diamètre  transversal  des  mâchoires; 

5°  Les  rapports  anormaux  des  arcades  dentaires  réciproquement. 

Les  deux  premiers  groupes  de  ces  anomalies  comprennent  des  déviations 
essentiellement  isolées  et  locales,  car  elles  n'atteignent  qu'un  ou  deux  follicules 
au  plus  de  la  série  en  voie  d'évolution.  Les  trois  derniers  sont  au  contraire  la 
conséquence  d'une  disposition  tératologique  primitive  et  préalable,  et  qu'on 
pourrait  justement  désigner  par  le  terme  d'asymétrie  du  système  dentaire. 
Toutefois  les  faits  qui  s'y  rapportent  ne  sont  pas  nécessairement  liés,  comme  on 
•  pourrait  le  croire,  à  l'un  de  ces  états  particuliers  connus  sous  le  nom  d'asymé- 
trie de  la  face  ou  du  crâne.  Ils  peuvent  y  être  complètement  étrangers,  caries 
troubles  qui  frappent  le  système  dentaire  restent  le  plus  souvent  isolés  et 
spéciaux,  de  même  que  les  phénomènes  d'évolution  physiologique  de  cet  appareil 
qui  obéissent  à  un  ensemble  de  lois  particulières.  Notons  cependant  que  certaines 
lésions  générales,  comme  la  microcéphalie  et  l'idiotie,  en  amenant  des  altérations 
morphologiques  profondes  de  la  tête,  produisent  des  troub'es  corrélatifs  du 
système  dentaire  qui  appartiennent  dès  lors  à  cette  catégorie  d'altérations. 

L  Anomalies  par  continuité.  Réunions  anomales.  Les  soudures  par 
continuité,  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  les  réunions  en  une  masse  plus  ou 
moins  informe  de  plusieurs  dents  entre  elles,  comprenuent  tous  les  faits  de 
réunion  avec  conservation  toujours  reconnaissable  de  la  forme  des  dents. 

Ces  soudures  n'affectent  que  des  dents  normalement  voisines  et  conti<^uës, 


DENT  (pathologie).  181 

comme,  par  exemple,  des  incisives  ou  des  molaires,  ainsi  que  cela  s'observe  le 
j.lus  ordinairement.  Le  mécanisme  de  formation  de  celte  anomalie  consiste  dans 
la  pénétration  d'un  follicule  par  son  voisin  avec  disparition  de  la  paroi  loUicu- 
laire  intermédiaire  et  envahissement  l'une  par  l'autre  des  couches  décernent  ou 
simultanément  de  l'ivoire,  de  l'émail  ou  du  cément.  Il  faut  donc  aussi  que  leur 
évolution  soit  à  peu  près  contemporaine. 

Celte  anomalie  est  très-anciennement  connue,  et  nous  ne  pourrions  rapporter 
ici  tous  les  exemples  qui  figurent  dans  les  auteurs  ou  qu'on  peut  rencontrer 
dans  les  musées  [voy.,  par  exemple  :  Schenck,  Obs.  med.  rar.  de  dentelure.  — 
Bartholin,  Hist.  anat.  rar.  cent.  \,  obs.  XXXV.  —  B.  Genga,  Istor.  anat.  dell 
ossa  del  corpo  umano.  Roma,  1672  (extrait  dans  le  Journal  des  Sarants,  ann. 
1675).  _  Yan  den  Lindeu,  Med.  physiologica,  chap.  xiu.  —  Sabalier,   Traité 
d'anatomie,  t.  I,  p.  74.  —Berlin,   Traité  d'ostéologie,  art.  Dents.  —  Serres, 
Nouv.  théorie  delà  dentition,  p.  160.— E.  Geolfroy  Saint-llilaire,  Syst.  den- 
taire des  mammif.  et  des  oiseaux,  ç. '50.  —  Is.  Geoffroy  Sainl-IIilaire,  Anoma- 
lies de  l'organisation,  t.  1,  p.  547.  — Fauchard,  Le  chirurgien  dentiste,   t.   1, 
p.    342.  —   Lindcrer,  Handbuch   der   Zahnheilbmde,   pi.  VllI.  —  Davaine, 
Comptes  rendais  et  mém.  de  la  Soc.  de  biologie,  1850,  p.  16). 

La  première  dentition  paraît  moins  sujette  que  la  seconde  à  cette  anomalie. 
Celle-ci,  en  raison  de  Li  contemporanéité  de  l'évolution  folliculaire,  se  rencontre 
particulièrement  pour  les  incisives  et  pour  les  molaires.  Ou  ne  connaît  que  fort 
peu  d'exemples  de  soudure  entre  canines  et  molaires,  ainsi  qu'entre  incisives  et 
canines,  et,  dans  tous  les  cas,  le  point  de  réunion,  ou  plus  exactement  le  niveau 
de  la  soudure,  est  précisément  subordonné  aux  variations  mêmes  dans  l'état 
réciproque  des  formations  folliculaires;  c'est  de  la  sorte  que  s'explique  l'adhé- 
rence d'une  couronne  de  seconde  molaire  avec  les  racines  d'une  première,  dont 
l'évolution  a  notablement  précédé  la  sienne. 

Wedl  {lac.  cit.,  taf.  XI,  fig.  22)  et  Broca  [Laboratoire  d'anthropologie  des 
Hautes  Études)  ont  toutefois  signalé  des  exemples  de  soudure  entre  canine  et 
incisive,  mais  à  la  dentition  temporaire.  Tomes  a  vu  un  cas  analogue. 

Davaine  a  rapporté  un  fait  de  soudure  d'un  follicule  surnuméraire  à  une  dent 


en  sene  régulière. 


La  soudure  peut  s'effectuer  soit  dans  toute  l'étendue  verticale  des  parties 
contiguës,  soit  seulement  dans  la  couronne  ou  dans  la  racine. 

Le  plus  souvent  les  tissus  dentaires  fusionnés  restent  normaux  et  sans  aucune 
lésion  secondaire  de  leur  substance,  mais  certaines  perturbations  organiques 
peuvent  frapper  l'ivoire  ou  le  cément.  C'est  surtout  ce  dernier  qui  offre  des 
altérations. 

D'autres  fois  la  soudure  se  fait  d'une  manière  plus  ou  moins  régulière  :  une 
molaire  se  fixe  aux  racines  d'une  autre  molaire,  ou  entre  ses  racines,  ou 
même  dans  la  cavité  de  la  pulpe  d'une  autre  dent,  ainsi  que  Tomes  en  a  rap- 
porté un  exemple  [System  of  Dental  Surgery,  édition  anglaise,  London,  1859, 
p.  206). 

Les  réunions  anomales  de  dents  entre  elles  par  soudure  plus  ou  moins  profonde 
sont  considérées  par  Is.  Geoffroy  Sainl-Hilaire  comme  étant  sous  la  dépendance 
de  cette  loi  d'affinité  des  parties  semblables,  laquelle  comprend  toutes  les  réu- 
nions des  parties  homologues,  les  doigts,  les  reins,  les  yeux,  etc.  Elles  repré- 
sentent en  outre,  pour  le  système  dentaire,  un  fait  de  reversion,  en  ce  sens 
qu'elles  rapprochent  la  dentition  humaine  de  celle  des  espèces  mammifères,  dont 


182  DENT   (pathologie). 

les  dents  sont  normalement  soudées  entre  elles,  les  herbivores,  par  exemple, 
dont  les  dents  sont  plus  ou  moins  composées. 

Lorsque  deux  dents  éloignées  l'une  de  l'autre  se  sont  réunies,  ce  phénomène 
a  été  précédé  soit  d'une  anomalie  ou  d'une  lésion  plus  ou  moins  profonde  des 
mâchoires,  soit  d'un  fait  d'hétérotopie,  qui  a  rendu  préalablement  contigus  des 
follicules  normalement  éloignés  et  qui  se  sont  ensuite  confondus. 

Au  point  de  vue  pratique,  les  réunions  anomales  de  deux  dents  entre  elles 
sont  quelquefois  visibles  à  l'œil  nu,  lorsque  la  fusion  a  porté  soit  sur  deux  dents 
en  totalité,  soit  seulement  sur  leurs  couronnes;  mais,  lorsque  la  soudure  porte 
sur  la  seconde  molaire  et  la  dent  de  sagesse,  ne  s'en  apei'çoit-on  le  plus  souvent 
que  par  les  difficultés  d'extraction  apportées  par  la  présence  d'une  dent  profon- 
dément fixée  aux  racines  de  la  première.  Dans  ces  cas,  les  désordres  sont  sou- 
vent très-grands,  et  l'extraction  a  même  été  impossible,  comme  Fauchard,  Tomes, 
Oudet  et  nous-mème  en  avons  rencontré  des  exemples. 

Les  déductions  pratiques  qui  découlent  de  ce  fait  sont  ou  nulles,  ou  très-bor- 
nées. Lorsque  la  disposition  est  reconnaissable  à  l'inspection  directe,  il  faut 
l'abandonner  à  elle-même  et  traiter  les  affections  qui  peuvent  la  compliquer,  la 
carie,  par  exemple,  parles  moyens  ordinaires.  Si,  en  pratiquant  l'avulsion  d'une 
molaire,  on  arrive  à  rencontier  une  résistance  inusitée  qui  puisse  faire  soup- 
çonner une  anomalie  de  ce  genre,  il  faut  procéder  avec  de  grands  méiiagemeuts 
et,  après  avoir  cherché  à  reconnaître  la  nature  et  la  situation  de  l'obstacle, 
pratiquer  des  débridements  et  des  tractions  ménagées,  de  manière  à  entraîner  la 
niasse  totale  sans  faire  éprouver  aux  parties  voisines  de  trop  grands  dés- 
ordres. 

IL  Anomalies  par  disjonction.  Divisions  anomales.  Ce  genre  d'anomalies 
n'est  que  l'exagération  du  phénomène  normal  qui  donne  lieu,  d'une  part,  aux 
divisions  du  bord  libre  des  incisives  et  aux  tubercules  des  molaires,  d'autre 
part  à  la  séparation  des  racines  ;  mais  jamais  on  n'observe  la  séparation  com- 
plète d'une  des  portions  de  l'organe  dentaire. 

Au  point  de  vue  pratique,  la  division  anomale  des  racines  des  molaires  doit 
seule  nous  intéresser  ;  la  dent  peut  présenter  alors,  soit  divergentes,  soit  conver- 
gentes, quatre  racines  distinctes,  et  la  disposition  qui  en  résulte  présente  immé- 
diatement comme  conséquence  des  troubles  et  des  obstacles  sérieux  dans  l'extraction 
comme  dans  les  anomalies  de  forme  correspondantes. 

Toutes  ces  dispositions,  telles  que  division  plus  marquée  des  tubercules  des 
molaires  ou  des  saillies  du  bord  libre  des  incisives,  séparation  exagérée  des 
racines,  bifidité  de  certaines  racines  normalement  simples,  pourraient  figurer 
dans  la  classe  des  anomalies  par  reversion  du  système  dentaire.  Car,  considérées 
chez  l'homme,  elles  le  rapprocheraient  soit  des  simiens  qui  ont,  comme  carac- 
tère constant,  des  molaires  à  tubercules  plus  accentués  et  plus  nombreux,  des 
racines  bifides  aux  canines,  etc.,  soit  même  des  lémuriens,  dont  les  incisives 
présentent  des  divisions  profondes  qui  leur  ont  mérité  le  nom  de  pectinées. 

Nous  ajouterons  toutefois,  comme  dernière  remarque,  qu'il  faut  bien  se  garder 
de  confondre  les  anomalies  par  division  avec  les  altérations  de  la  couronne  en 
sillons  ou  échancrures,  et  qui  ont  été  étudiées  à  propos  des  anomalies  de 
structure. 

IIL  Anomalies  par  atrésie  de  Vun  des  maxillaires  ou  des  deux.  L'atrésie 
consiste  dans  une  diminution  du  diamètre  transversal  d'une  des  mâchoires  ou 
des  deux  mâchoires  simultanément.  Si  cette  disposition  est  double,  les  arcades 


Fis 


29.  —  Alrésie  d'un   maxillaire 
supciieur  (Wedl). 


DENT  (pathologie).  183 

dentaires  sont  maintenues  en  rapport  réciproque  ;  si  une  seule  mâchoire  subit 
cette  déviation,  et  c'est  alors  constamment  la  supérieure,  les  rapports  sont 
complètement  troublés  et  la  courbe  parabolique  de  l'arcade  dentaire  supérieure 
se  trouve  inscrite  dans  l'inférieure  :  il  y  a 
alors  asymétrie  des  mâchoires.  Les  dents,  au 
lieu  de  se  rencontrer  par  leur  face  triturante, 
ne  se  touchent  plus  que  par  un  point  beau- 
coup plus  limité,  le  bord  externe  des  supé- 
rieures arrivant  au  contact  du  bord  interne 
des  inférieures.  Il  se  produit  de  la  sorte  une 
rétroversion  totale  d'une.mâchoire  sur  l'autre. 

Dès  lors  les  fonctions  de  la  bouche  s'exé- 
cutent difficilement,  d'autant  plus  que  la 
voûte  palatine  acquiert  en  même  temps  une 
hauteur  considérable. 

Lefoulon  a  essayé  de  remédier  à  cette  dif- 
formité par  deux  moyens  (  Déviation  des 
dents.  Paris,  1859). 

Le  premier  consiste  dans  des  pressions  ex- 
centriques exercées  matin  et  soir  au  moyen 

des  doigts  et  pendant  quelques  minutes.  Cette  pratique  n'est  indiquée  quo 
pour  les  cas  les  plus  simples  et  chez  les  sujets  très-jeunes.  Nous  l'avons 
essayée  sans  succès  dans  deux  cas  d'atrésie  du  maxillaire  supérieur,  chez  des 
enfants  de  neuf  et  dix  ans. 

Le  second  moyen  paraît  être  autrement  efficace,  au  moins  au  premier  abord  ; 
il  consiste  dans  l'application  d'un  ressort  extenseur,  fabriqué  en  or  ou  en  aciei', 
suivant  la  courbe  de  la  voûte  palatine.  On  le  place  en  arrière  de  l'arcade  den- 
taire, et  il  sert  à  relier  entre  elles  deux  armatures  embrassant  la  face  interne 
d'un  certain  nombre  de  dents,  depuis  la  canine  jusqu'aux  molaires.  Cet  appareil 
extenseur,  dont  on  accroît  l'intensité  d'action  en  augmentant  la  force  du  ressort 
central,  est  maintenu  constamment  en  place  pendant  un  temps  variable,  suivant 
le  degré  de  la  déviation  et  l'âge  plus  ou  moins  avancé  du  sujet.  Ordinairement  il 
faut  l'employer  pendant  plusieurs  mois,  parfois  une  année  ou  deux.  11  a  pour 
effet  l'accroissement  progressif  du  diamètre  transversal  de  la  mâchoire  et 
simultanément  l'abaissement  proportionnel  de  la  voûte  palatine.  Lefoulon  paraît 
avoir  retiré  de  bons  effets  de  cet  appareil  chez  des  sujets  d'un  âge  même  avancé, 
vingt  et  vingt-cinq  ans. 

Pour  la  mâchoire  inférieure  les  mêmes  moyens  sont  applicables,  avec  des 
modifications  dans  la  disposition  de  l'appareil  extenseur. 

Malgré  les  bons  résultats  annoncés  par  Lefoulon,  son  exemple  a  été  peu  suivi. 
Nous  avons  appliqué  deux  fois  son  appareil,  mais  sans  succès. 

IV.  Anomalies  par  augmentation  du  diamètre  transversal  des  mâchoires. 
•Cette  anomalie,  inverse  de  la  précédente,  consiste  dans  une  augmentation  du 
diamètre  de  la  parabole  que  décrit  l'arcade  dentaire.  Si  cette  disposition  est 
double,  il  en  résulte  une  proéminence  des  mâchoires  qui  ne  saurait  réclamer 
aucun  traitement. 

Si  la  déviation  est  localisée  à  l'une  des  mâchoires,  elle  représente  l'exaoération 
de  Vantéversion  ou  projection  en  avant  ;  seulement,  tandis  que  les  incisives  et 
les  canines  ont  éprouvé  l'inclinaison  antérieure,  les  molaires  sont  rejetées  en 


184  DENT  (pathologie). 

dehors  sur  les  côtés.  Dans  ce  cas,  chez  un  sujet  jeune,  on  pourrait  tenter  la 
réduction  au  moyen  d'un  ressort  qui  serait  disposé  inversement  à  celui  de 
l'atrésie,  c'est-à-dire  à  pression  concentrique.  Nous  avons  essayé  ce  procédé  chez 
un  enfant  de  treize  ans,  mais  le  traitement  n'a  pu  être  prolongé  que  pendant 
trois  mois  et  n'a  produit  qu'un  résultat  très-incomplet. 

A  cette  anomahe  se  rattache  l'existence  du  diastema  simple  ou  douhle  con- 
stitué par  un  intervalle  situé  en  haut  entre  la  canine  et  l'incisive  latérale,  de 
manière  à  loger  la  canine  inférieure  dans  l'occlusion  de  la  houche,  tandis  qu'en 
bas  ce  même  intervalle  est  placé  entre  la  canine  et  la  prémolaire,  de  façon  à 
recevoir  la  canine  supérieure.  On  a  signalé  à  plusieurs  reprises  ce  diasléma,  qui 
cxisie  à  l'i'tat  normal  chez  le  singe,  dans  certaines  races  humaines  inférieures, 
les  races  océaniques  (voy.  Bullet.  de  la  Soc.  d'anthropologie,  1877,  p.  loO).  11 
a  été  aussi  reconnu  plus  fréquent  dans  les  races  préhistoriques,  et  enfin  nous  en 
avons  observé  récemment  un  exemple  chez  un  individu  vivant,  de  race  blanche. 

V.  Dispositions  vicieuses  des  arcades  dentaires  réciproquement.  Cette 
anomalie,  désignée  par  certains  auteurs  sous  le  nom  d'engrènement,  est  assez 
rare;  elle  consiste  dans  une  sorte  d'enchevêtrement  des  couronnes  dentaires 
pendant  le  rapprochement  des  mâchoires.  Essentiellement  complexe,  elle  pour- 
rait être  regardée  comme  une  réunion  de  plusieurs  déviations,  plutôt  que 
comme  une  disposition  essentielle.  D'autres  fois  la  rencontre  des  mâchoires  est 
telle,  que  l'une  des  moitiés  de  l'arcade  supérieure  se  trouve  en  avant  de  la 
moitié  inférieure  correspondante,  et  l'autre  moitié  en  arrière,  de  sorte  qu'il  y  a 
en  avant,  sur  la  ligne  médiane,  croisement  en  X. 

La  cause  de  celte  anomalie  est  le  plus  souvent  un  vice  de  forme  des  maxil- 
lau^es  eux-mêmes;  elle  est  assez  difficile  à  réduire.  On  doit  s'adresser  dans  ce 
traitement  aux  diverses  déviations  simples  qu'on  aborde  tantôt  successivement, 
tantôt  simultanément,  en  appliquant  les  principes  et  les  procédés  que  nous 
avons  décrits  plus  haut.  Toutefois,  dans  les  cas  trop  compliqués,  soit  que  les 
sujets  aient  passé  l'âge  moyen,  qui  autorise  ces  tentatives  de  réduction,  soit  qu'on 
ait  affaire  au  croisement  en  X,  comme  dans  l'exemple  cité  tout  à  l'heure,  on 
devra  renoncer  à  tout  traitement  et  abandonner  l'anomalie  à  elle-même.  Ce  cas 
nous  semble  d'ailleurs  le  plus  souvent  incurable,  tant  à  cause  de  sa  complexité 
et  de  son  intensité,  qu'en  raison  des  difficultés  d'application  des  moyens  ortho- 
pédiques dont  dispose  jusqu'à  présent  la  pratique  chirurgicale. 

2°  Accidents  de  l'ércption  des  dents.  Dans  une  précédente  partie  de  ce  travail 
{roy.  p.  115),  nous  avons  proposé  une  nouvelle  division  de  la  dentition  hu- 
maine en  cinq  phases  ou  périodes  correspondant  exactement  aux  cinq  éruptions 
successives  absolument  distinctes  au  point  de  vue  physiologique  et  essentiel- 
lement séparable  à  l'égard  des  accidents  qu'elles  peuvent  produire. 

C'est  suivant  cette  méthode  que  sera  tracée  la  description  qui  va  suivre  : 

I.  Accidents  de  la  première  période  {accidents  de  dentition  des  auteurs). 
Tracer  ici  l'historique  de  celte  question  des  accidents  de  première  dentition  est 
chose  impossible,  car  il  faudrait  passer  en  revue  toute  la  littératuie  médicale, 
depuis  les  livres  hippocratiques  jusqu'aux  derniers  traités  de  pathologie  infan- 
tile. Nous  nous  bornerons  donc  à  résumer  les  principales  théories  émises  sur  ce 
sujet. 

Or,  il  est  de  toute  évidence  que  le  premier  âge  chez  l'homme,  comme  chez 
beaucoup  d'autres  animaux  d'ailleurs,  est  fréquemment  troublé  par  des  mani- 


DENT   (pathologie).  185 

fostations  morbides  de  divers  ordres.  Tantôt  ce  sont  des  affections  inllammatoires 
localisées  à  la  bouche,  ce  qui  est  fort  rare,  ou  apparaissant  sur  des  points  plus 
ou  moins  distants  ;  tantôt  ce  sont  des  troubles  du  tube  digestif,  des  affections 
catarrhales  des  voies  respiratoires,  enfin  des  accidents  nerveux.. 

La  plupart  des  auteurs  de  nos  ouvrages  de  patbologie  interne  et  surtout  de 
patbologie  infantile  considèrent  la  dentition  chez  le  nouveau-né  comme  une 
phase  critique  entièrement  responsable  de  presque  tous,  sinon  de  tous  les  acci- 
dents les  plus  variés,  les  plus  simples,  comme  les  plus  graves,  qui  peuvent 
frapper  le^a-emier  âge. 

Hunter  est  certainement  parmi  les  auteurs  celui  qui,  par  l'autorité  de  son  nom 
et  de  ses  éludes  spéciales,  a  donné  le  plus  de  poids  à  cette  croyance,  et  sa  con- 
viction s'appuie  sur  cette  première  remarque  que  ces  accidents  ne  sauraient  être 
imputables  à  aucune  autre  cause,  puisqu'ils  cessent  d'ordinaire,  dit-il,  après  l'é- 
ruption. Les  troubles  locaux  de  la  bouche  ou  des  régions  voisines,  les  manifes- 
tations lointaines  de  certains  appareils,  n'auraient  pour  lui  aucune  autre  origine. 
Il  n'est  pas  jusqu'à  certains  faits  de  blennorrhée  chez  les  petites  fdles  ou  les 
petits  garçons  qui  seraient  liés,  d'après  lui,  à  la  dentition.,  lluntcr  ne  donne 
du  reste  de  ces  accidents  aucune  pathogénic,  aucun  mécanisme,  et  la  simple 
coïncidence  des  faits  tient  pour  lui  lieu  d'explication. 

Tous  les  auteurs  qui,  à  sa  suite  et  à  son  exemple,  ont  adopté  cette  doctrine, 
ont  émis  l'idée  que  la  dentition,  sans  être  par  elle-même  un  fait  pathologique, 
devait  être  assimilée  à  certains  états,  comme  la  grossesse,  par  exemple,  et 
considérée  comme  capable  d'entrauier,  ainsi  qu'elle,  une  série  indéiiuie  de 
manifestations  morbides.  Ainsi  professent  Joseph  Franck,  qui  a  inventé  le  mot 
de  dysodontiasis  (dentition  difficile),  Rillet  et  Barlhez,  Dugès,  Billard,  Guer- 
sant,  Valleix,  les  auteurs  du  Compendium,  Baumes  (de  Montpellier),  Bou- 
chut,  etc. 

Partis  d'une  opinion  préconçue,  les  auteurs  ont  alors  tracé  un  véritable  cadre 
morbide  comprenant  ce  qu'ils  appellent  les  maladies  de  la  première  dentition. 
Ces  maladies  se  diviseraient  de  la  manière  suivante:  1"  troubles  locaux: 
ptyalisme,  gonflement  du  bord  alvéolaire,  rougeur  des  joues,  stomatite,  aphthes 
et  plaques  couenneuses  delà  muqueuse,  adénite,  etc.;  2"  troubles  sympathiques  : 
convulsions,  fluxions  vers  les  muqueuses,  conjonctivite,  entérite,  colite; 
5"  troubles  sans  lésions  apparentes  :  vomissements,  flux  séreux  ou  diar- 
rhéiques,  etc.  C'est,  comme  on  le  voit,  toute  la  pathologie  infantile  qui  recon- 
naîtrait cette  cause  unique  :  l'éruption  des  vingt  dents  temporaires. 

Nous  acceptons  tout  d'abord  la  fréquente  contemporanéilé  entre  cette  période 
de  la  première  éruption  qui  s'étend  aux  trois  premières  années  et  les  pertur- 
bations morbides  qui  ont  été  signalées;  mais  contemporanéilé  n'implique  pas 
causalité,  et  il  ne  faut  pas  perdre  de  vue  qu'à  cette  même  période  de  la  première 
enfance  il  est  bien  d'autres  organes  que  les  dents  qui  poursuivent  ou  achèvent 
leur  évolution.  Pourquoi  ne  les  a-t-on  pas  incriminés  au  même  litre  que  les 
dents?  C'est  que  l'éruption  dentaire  est  un  phénomène  extérieur  et  visible  et  que, 
à  quelque  moment  qu'on  observe  un  enfant,  il  y  a  toujours  une  dent  qui  va 
sortir  ou  qui  vient  d'apparaître  au  dehors  ;  le  médecin,  aussi  bien  que  les 
parents  eux-mêmes,  trouvent  là  une  explication  toute  prête  et  qui  n'oblige  à 
aucune  autre  recherche,  à  aucun  autre  examen. 

Les  objections  les  plus  sérieuses  ne  se  présentent  même  pas  à  l'esprit,  ainsi: 
1°  Pourquoi  ces  accidents  seraient-ils  exclusifs  à  celte  première  phase,  alors 


186  DENT  (pathologie). 

qu'au  point  de  vue  physiologique  elle  est  évidemment  bien  moins  susceptible  de 
produire  des  désordres  locaux,  puisque   les  premières  dents  apparaissent  sans 
traumatisme  d'aucune  sorte  sur  des  gencives  vierges  et  entièrement  libres  de 
tout  obstacle  ?  2°  Comment  établira-t-on  celte  intervention  lorsque  des  accidents 
ordinairement  attribues  à  la  première  dentition  se  produisent  soit  avant  l'appa- 
rition, soit  après  l'achèvement  complet  de  celle-ci? 3°  Comment  expliquer  que 
des  lésions,  très-souvent  observées  et  plus  ou  moins  graves,  des  follicules  en  voie 
d'éruption  (abcès,  hématocèle,  ectopie,  etc.),  n'ont  jamais  été  cause  d'accidents 
■dits  de  dentition  [voij.  à  ce  sujet  les  observations  relatées  par  M.  Lévêque,  thèse 
<le  Paris,  1881 ,  p.  42  et  suiv.)  ?  4»  Comment  expliquer  que  des  expériences  faites 
sur  les  animaux,  blessures  des  follicules,  lésions  de  la  gencive,  etc.,  n'ont  pas 
produit  les  mêmes  accidents  ?  5»  Comment  rattachera-t-on  à  la  dentition   les 
troubles  morbides  qu'on  observe  dans  le  premier  âge  chez  beaucoup  d'animaux 
domestiques,  accidents  qui  sont  en  tous  points  analogues  à  ceux  de  l'homme, 
alors  que  l'éruption  des  premières  dents  est  achevée  et  y  est  conséquemment 
tout  à  fait  étrangère  ? 

Ces  remarques  avaient  déjà  frappe  du  reste  plusieurs  auteurs  qui  ont  élevé 
des  doutes  sur  la  réalité  des  accidents  de  la  première  dentition.  Parmi  eux,  il 
convient  de  citer  Rosen,  Andral  et  trousseau  lui-même,  qui  formulent  à  cet  égard 
de  sages  réserves  {voy.  llosen,  Trailédes  maladiesdes  enfants, MIS. — Trousseau, 
Gazette  des  hôpitaux,  1848,  n"  276).  Tomes,  dont  l'opinion  a  grand  poids  dans 
cette  question,  conclut  aux  mêmes  incertitudes  (Tomes,  System  of  Dental  Sur- 
gery.  Londres,  1859,  p.  48).  Mais  déjà  longtemps  auparavant  Serres  {Nouvelle 
théorie  de  la  dentition.  Paris,  1817),  avec  son  esprit  si  judicieux,  protestait 
contre  les  assertions  de  Sydenham  qui,  attribuant  à  la  dentition  l'apparition  de 
la  fièvre  et  de  divers  autres  accidents  chez  les  jeunes  enfants,  déclarait  en  même 
temps  pouvoir  les  guérir  avec  quelques  gouttes  d'esprit  de  corne-de-cerf.  11  s'élève 
aussi  contre  l'opinion  de  Boerhaave  qui,  décrivant  les  convulsions  de  la  dentition, 
prétendait  aussi  les  guérir  avec  l'esprit  volatil.  11  faut  donc  admettre,  ajoute 
Serres,  que  les  accidents  ont  une   tout  autre  cause  que  l'éruption  dentaire. 
Quant  aux  auteurs  qui  acceptent  cette  causalité,  il  faut  voir  à  quels  expédients 
ils  ont  recours  pour  expliquer  la  pathogénie  de  ces  accidents.  Les  uns,  comme 
€uersant  et  Monneret,  invoquent  les  phénomènes  de  congestion  cépiialique  sous 
l'inlluence  de  l'éruption  ;  d'autres  accusent  l'inflammation  des  gencives  comme 
point  de  départ,  bien  qu'aucune  observation  ne  puisse  permettre  de  vérifier  le 
fait;  d'autres  enfin  le  simple  prurit  de  dentition,  qui  serait  l'occasion  de  phé- 
nomènes réflexes. 

Quelle  que  soit  la  facilité  avec  laquelle  les  actions  réflexes  apparaissent  chez 
l'enfant,  nous  sommes  cependant  en  droit  de  réclamer,  pour  leur  production, 
une  lésion  initiale,  si  légère  qu'elle  soit. 

Or,  nous  rappellerons  d'abord  que  le  plus  grand  nombre  des  observations 
publiées  par  les  auteurs,  même  les  plus  convaincus,  sont  impuissantes  à  étabhr 
rigoureusement  la  relation  de  cause  à  effet  entre  l'éruption  d'une  dent  et  les 
accidents  qu'on  lui  attribue.  Nous  dirons  ensuite  que  des  observations  d'accidents 
rattachés  tout  d'abord  à  la  dentition  ont  montré  qu'elle  y  était  absolument 
étrangère.  M.  Lévêque  en  cite  deux  qui  sont  tout  à  fait  concluantes.  Enfin  nous 
rappelons  les  exemples  déjà  fort  nombreux  de  troubles  sérieux  survenus  au 
niveau  des  gencives  ou  sur  des  follicules  en  voie  d'évolution,  exemples  dans 
lesquels  on  n'a  signalé  aucun  accident,  alors  que  tout  devait  faire  prévoir  leur 


DENT  (pathologie).  187 

production  prochaine  :  tels  sont  les  faits  cités  par  MM.  Masse  {Bulletin  de  théra- 
peutique, 1874,  p.  50),Guéniot  [Bulletin  de  thérapeutique,  [S1A,t^.Z0),  et  }^ar 
nous-mcme  (m  thèse  de  Lévêque,  loc.  cit.,  p.  45). 

A  ces  observations  se  rattachent  les  expériences  que  nous  avons  instituées  avec 
Ch.  Legros  sur  de  jeunes  animaux.  C'est  ainsi  qu'en  piquant  des  follicules,  eu 
lésant  de  diverses  nianières  le  bord  gingival  au  moment  de  l'éruption,  nous 
n'avons  réussi  qu'à  produire  certains  traumatismes  locaux  et  des  troubles  de 
nutrition  ultérieure  intra-folliculaires,  aboutissant  à  la  production  artificielle  de 
monstruosités  (odoutomes),  mais  sans  provoquer  des  phénomènes  généraux. 

"Voici  un  résumé  de  ces  expériences  entreprises  en  1872  au  laboratoire  d'his- 
tologie de  la  Faculté  de  médecine  : 

ExpÉRiEiNCE  1".  Sur  un  chien  de  deux  mois,  allaité  par  sa  mère,  nous 
pratiquons  sur  le  bord  alvéolaire  inférieur  gauche  diverses  piqûres  avec  une 
aiguille  à  microscope.  Ces  pipùres  pénètrent  dans  plusieurs  follicules  de  molaires, 
mais  sans  laisser  couler  au  dehors  plus  de  quelques  gouttelettes  de  sang. 
L'animal  est  remis  à  sa  niche  et  devient  l'objet  d'une  observation  continue. 
Aucun  accident  apparent  ne  se  manifeste  dans  l'état  général.  Les  jours  suivants, 
on  observe  une  certaine  injection  de  la  muqueuse  correspondante.  Plus  tard,  au 
moment  de  l'éruption  des  dents  du  côté  opposé,  celles  qui  ont  été  blessées  ne 
paraissent  pas. 

Expérience  2^  Sur  un  autre  chien  de  la  même  portée  que  le  précédent,  nous 
pratiquons  avec  des  ciseaux  courbes  l'excision  d'un  lambeau  de  muqueuse  au 
niveau  de  la  région  molaire,  sur  la  partie  saillante  du  bourrelet  gingival.  Cette 
excision  pénètre  jusqu'au  niveau  des  follicules  oîz  l'instrument  rencontre  les 
pointes  des  chapeaux  de  dentine  déjà  engagés  dans  la  muqueuse.  L'animal, 
observé  avec  la  plus  grande  rigueur,  ne  présente  à  la  suite  de  cette  mutilation 
aucun  accident  de  la  santé. 

ExpÉRiErscE  0".  Sur  un  troisième  chien  également  de  la  même  portée,  nous 
pratiquons,  au  moyen  du  galvano-cautère,  une  cautérisation  portant  sur  toute 
l'épaisseur  de  la  muqueuse  dans  la  région  molaire.  La  même  surveillance  exercée 
avec  la  même  attention  ne  permet  de  reconnaître  aucune  apparition  d'accidents 
quelconques. 

C'est  en  raison  de  l'ensemble  des  considérations  qui  précèdent  que  nous 
sommes  parvenu,  sur  cette  question  des  accidents  de  la  première  dentition,  à 
une  incrédulité  que  nous  formulons  par  les  conclusions  suivantes  que  nous 
empruntons  à  la  thèse  de  M.  Lévêque  et  auxquelles  nous  nous  associons  complè- 
tement : 

1°  Il  n'a  jamais  été  établi  d'une  manière  incontestable  aucune  relation  de 
cause  à  effet  entre  la  dentition  et  les  accidents  qu'on  lui  attribue  ;  2"  on  ren- 
contre dans  la  science  un  grand  nombre  de  faits  pathologiques  de  l'enfance 
auxquels  la  dentition,  d'abord  incriminée,  a  été  reconnue  parfaitement  étran- 
gère ;  3°  des  expériences  directes  ayant  pour  objet  des  blessures  du  follicule  ou 
du  bord  gingival  chez  des  chiens  nouveau-nés  n'ont  produit  aucun  accident  dit  de 
dentition  ;  4"  il  est  reconnu  que  les  phénomènes  morbides  observés  dans  le  pre- 
mier âge  chez  les  animaux  domestiques,  et  tout  à  fait  comparables  aux  accidents 
de  l'enlimce  chez  l'homme,  sont  absolument  indépendants  de  la  dentition  ;  5°  la 
théorie  des  accidents  dits  de  dentition  ne  nous  paraît  basée  jusqu'à  présent  sur 
aucune  preuve  absolue  ;  6"  les  accidents  considérés  chez  le  nouveau-né  comme 
étant  sous  la  dépendance  de  la  dentition  doivent,  selon  nous,  être  rattachés  à 


188  DENT   (pathologie). 

un  ensemble  de  phénomènes  mal  connus  encore,  et  que  l'on  pourrait  désigner 
par  un  terme  général  ne  préjugeant  rien  :  accidents  ou  maladies  de  l'évolution 
ou  du  premier  âge. 

Que  dirons-nous  maintenant  de  toutes  les  tentatives  thérapeutiques  conseillées 
ou  appliquées  pour  remédier  à  tel  ou  tel  accident?  Arrêtons-nous  seulement  à 
une  piatique  recommandée  par  un  grand  nombre  d'auteurs.  Nous  voulons  parler 
de  Vincision  ou  de  l'excision  des  gencives. 

.  On  sait  que  Vésale,  Ambroise  Paré,  Hunter  et  B.  Bell,  les  conseillent  formel- 
lement, on  sait  aussi  qu'en  Angleterre  cette  pratique  a  fait  école,  et  les  travaux 
ele  Harris,  de  Cooper,  de  Brownlicld,  de  Copland,  en  proclament  l'utilité.  Il  est 
bon  d'ajouter  aussi  que  Van  Swieten,  dans  ses  commentaires  sur  les  Aphorismes 
de  Boerhaave,  exprimait  déjà  sur  l'efficacité  de  ces  moyens  des  doutes  qui  ont  été 
partagés  depuis  par  quelques  auteurs,  par  Guersant  entre  autres.  L'opération 
n'en  est  pas  moins  recommandée  partout.  En  tout  cas,  elle  semble  basée  sur 
un  prétendu  état  congestif  de  la  muqueuse  gingivale,  que  nous  n'avons  jamais 
réussi  à  constater  et  contre  lequel  proteste  d'ailleurs,  ainsi  que  nous  l'avons  dit, 
le  processus  pliysiologi(pie  de  l'éruption. 

Un  mot  de  celte  opération  en  elle-même.  Une  incision  ou  excision  des  gencives 
est-elle  donc  une  opération  iusiguillanle? 

Sans  parler  ici  de  la  lésion  de  la  gencive,  qui  n'a  certes  pas  d'importance,  il 
y  a  lieu  d'examiner  quel  inconvénient  peut  avoir  sur  une  couronne  en  voie  de 
formation  le  contact  du  bistouri  ou  des  ciseaux.  Cette  circonstance  n'est  pas 
indifiérente  et  l'on  sait  quelle  est  la  fragilité  extrême  du  revêtement  d'émail, 
crayeux  et  friable,  qui  recouvre  une  couronne  encore  incluse  dans  son  follicule, 
et  l'incision  de  la  paroi  de  celui-ci  ne  peut-elle  avoir  pour  conséquence  l'inllam- 
mation  de  la  poche  et  la  destruction  de  son  contenu?  On  a  proposé,  il  est  vrai, 
de  substituer  à  l'emploi  de  l'instrument  tranchant  la  simple  déchirure  avec 
l'ongle  ;  cette  pratique,  qui  serait,  dit-on,  familière  aux  nourrices,  est,  il  est 
vrai,  relativement  moins  grave,  bien  qu'elle  puisse  encore  amener  des  compli- 
cations sérieuses  intra-folliculaires.  Mais,  en  présence  des  inconvénients  possibles 
d'une  telle  pratique,  nous  attendrons  encore  pour  la  conseiller  que  son  indi- 
cation soit  formulée  d'une  façon  plus  précise  et  son  efficacité  plus  rigoureu- 
sement établie. 

II.  Accidents  de  la  deuxième  période  de  la  dentition  {éruption  des 
quatre  premières  molaires  permanentes).  Un  double  processus  physiologique 
marque  la  deuxième  phase  de  la  dentition  :  l'apparition  d'une  dent  volumineuse 
et  l'accroissement  proportionnel  des  mâchoires.  Cependant,  malgré  la  com- 
plexité des  phénomènes,  les  auteurs  ne  mentionnent  aucun  accident  local  ou 
lointain  dû  à  cette  éruption,  non  point  que  la  série  des  manifestations  morbides 
des  premières  années  soit  épuisée,  car  les  mêmes  accidents  des  temps  anté- 
rieurs se  montrent  encore,  bien  qu'avec  moins  d'intensité,  mais  l'attention  se 
déplace  alors  de  ce  côté  de  la  dentition  et  l'on  ne  songe  pas  à  incriminer  cette 
nouvelle  phase  dont  on  serait  cependant  à  priori  tout  aussi  fondé  à  invoquer 
l'influence. 

Il  est  cependant  quelques  accidents  de  dentition  appartenant  à  cette  seconde 
période,  et  que  nous  devons  signaler;  mais  hàtons-nous  de  dire  qu'ils  sont  exclu- 
sivement locaux  et  sans  retentissement  quelconque  sur  le  reste  de  l'économie. 
Ces  accidents  sont  en  effet  purement  muqueux,  c'est-à-dire  qu'ils  consistent  dans 
certains  troubles  gingivaux,  dont  nous  établissons  la  pathogénie  de  la  manière 


DENT   (pathologie).  189 

suivante  :  Au  moment  où  cette  dent  exécute  son  passage  au  travers  de  la 
muqueuse,  qui  à  cet  endroit  est  encore  représentée  par  le  bourrelet  volumineux 
du  premier  âge,  quelques  lambeaux  en  voie  de  résorption  peuvent  rester  appli- 
qués sur  la  face  triturante  de  la  molaire  et  éprouver  dans  les  manœuvres  de  la 
mastication  des  contusions  répétées,  une  sorte  de  trituration  de  la  dent  opposée 
Ce  mécanisme,  qui  n'est  admissible  d'ailleurs  qu'à  la  condition  que  les  deux 
molaires  arrivent  ainsi  à  la  rencontre  l'une  de  l'autre,  implique  deux  circon- 
stances :  la  sortie  simultanée  des  deux  dents  et  la  présence  entre  elles  d'un 
lambeau  gingival.  C'est  alors  qu'on  assiste  à  une  véritable  gingivite  locale, 
tantôt  simple,  tantôt  phlegmoneuse,  tantôt  eufm  ulcéreuse  chez  certains  sujets 
débilités  et  cachectiques. 

La  gingivite  simple  se  manifeste  par  l'injection  avec  rougeur  des  lambeaux 
dont  l'inflammation  se  propage  souvent  à  la  région  voisine  et  envahit  parfois 
toute  l'étendue  d'un  bord  alvéolaire.  L'inaction  dans  laquelle  se  trouve  immé- 
diatement plongé  le  côté  correspondant  a  pour  autre  conséquence  la  production 
de  ces  amas  de  mucosités,  de  croûtes  blanchâtres  et  de  masses  de  tartre,  (jui 
entretiennent  à  leur  tour  la  congestion  gingivale. 

Le  traitement  est  bien  simple  et  consisté  essentiellement  dans  l'excision  des 
lambeaux,  l'ablation  des  corps  étrangers,  et  l'administration  de  quelques  col- 
lutoires, le  chlorate  de  potasse,  par  exemple.  Nous  n'insisterons  pas,  n'ayant  pas 
à  tracer  l'histoire  de  la  gingivite  qui  a  été  faile  ailleurs. 

Si  la  forme  inflammatoire  aboutit  à  une  collection  purulente,  à  un  abcès,  on 
traite  d'abord  par  les  moyens  appropriés  l'état  local,  pour  arriver  ensuite,  après 
cessation  de  la  période  aiguë,  à  la  même  excision  indispensable. 

Enfin,  la  gingivite  prend  parfois  la  forme  ulcéreuse  et  bon  nombre  de  stoma- 
tites dites  ulcéro-membraneuses  des  jeunes  enfants  n'ont  pas  d'autre  ori'rine.  L'état 
préalable  des  sujets  est  certainement  la  cause  particulière  de  ce  nouveau  pro- 
cessus. Mais  il  est  très-important  de  ne  pas  perdre  de  vue  le  point  local,  sous 
peine  d'échouer  dans  les  tentatives  thérapeutiques,  qui  s'adresseraient  uniquement 
aux  complications  ulcéreuses. 

Ici  les  moyens  seront  d'abord  dirigés  vers  les  ulcérations  elles-mêmes  qui 
devront  être  attaquées  par  l'emploi  des  caustiques,  soit  le  nitrate  d'arn^ent,  soit 
l'acide  chromique,  mais  nous  proscrivons  complètement,  comme  néfastes  aux 
dents  si  friables  des  jeunes  sujets,  les  applications  des  acides  minéraux,  et  plus 
spécialement  celles  d'acide  chlorhydrique,  si  fréquemment  conseillées.  Puis 
aussitôt  que  les  ulcérations  seront  en  voie  de  réparation,  on  aura  recours  à  la 
même  pratique  conseillée  plus  haut  :  l'excision  des  lambeaux. 

Telle  est,  en  quelques  mots,  la  physionomie  ordinaire  des  accidents  de 
l'éruption  des  quatre  premières  molaires  permanentes.  Nous  n'en  avons,  dans 
une  pratiqvie  déjà  longue,  jamais  observé  d'autres. 

Il  est  pourtant  quelques  phénomènes  dont  on  serait  en  droit  d'attendre  la 
production  dans  de  telles  circonstances:  c'est  d'abord  la  compression  possible 
au  moment  de  la  sortie  de  cette  molaire,  de  la  série  des  dents  temporaires' 
Nous  ne  l'avons  pas  observée,  et  la  raison  nous  paraît  fort  simple  :  l'évolution 
lente  des  nouvelles  dents  entraînant  l'allongement  équivalent  du  maxillaire 
elles  trouvent  tout  naturellement  leur  place  suffisante  quelles  ont  en  quelque 
sorte  préparée  elles-mêmes,  car  on  sait  qu'en  vertu  de  la  loi  à' appropriation 
physiologique  l'évolution  folliculaire  chez  l'enfant,  aussi  bien  que  chez  l'em- 
bryon, commande  le  développement  proportionnel  des  mâchoires. 


190  DENT   (pathologie). 

Si  donc  aucune  compression  ne  s'exerce  sur  les  dents  temporaires,  il  en  sera 
de  même  du  côté  postérieur,  c'est-à-dire  dans  la  direction  de  la  branche  montante 
ou  de  la  tubcrosité  maxillaire.  Ici  d'ailleurs  l'emplacement  reste  encore  libre, 
bien  que,  relativement  toutefois,  car  déjà,  à  la  cinquième  année,  le  follicule  de 
la  deuxième  molaire  a  commencé  son  évolution  ;  mais  la  première  molaire  pré- 
sente en  quelque  sorte  une  force  éruptive  trop  grande  pour  être  troublée  en 
aucune  façon  par  la  présence  d'un  nouveau  follicule  si  peu  développé  encore. 
L'influence  perturbatrice  pourrait  porter  bien  plus  facilement  sur  ce  dernier, 
s'il  n'était  doué  à  son  tour  du  même  rôle  que  son  prédécesseur,  c'est-à-dire  de 
provoquer  l'accroissement  du  maxillaire  dans  une  étendue  correspondant  à  son 
volume  même. 

Quant  aux  accidents  sympathiques  ou  réflexes,  les  auteurs,  nous  le  répétons, 
n'en  mentionnent  pas  d'exemple,  et  nous  n'en  avons  nous-même  jamais  été 
témoin. 

111.  Accidents  de  la  troisième  période  delà  dentition  [chute  de  20  dents 
temporaires  et  leur  remplacement  par  un  nombre  égal  de  permanentes).  Ici 
encore  les  accidents  seront  purement  et  exclusivement  locaux  ;  mais  hàtons-nous 
d'ajouter  qu'ils  sont  à  la  fois  très-variés  et  très-importants  à  connaître. 

Et,  d'abord,  si  le  nombre  des  dents  nouvelles  qui  se  substituent  aux  dents 
antérieures  est  identique,  il  n'en  est  pas  de  même  de  leur  volume,  qui  est  bien 
plus  considérable,  car  les  dimensions  comparées  d'une  incisive,  par  exemple, 
sont,  d'une  dentition  à  l'auti-e,  dans  le  rapport  approximatif  de  1  à  o.  11  ressort 
immédiatement  de  là  que  le  remplacement  d'une  incisive  caduque  par  la  sui- 
vante implique,  si  elle  se  fait  normalement,  un  accroissement  correspondant  de 
l'arcade  alvéolaire;  et  c'est,  en  effet,  à  ce  moment  que  les  régions  antérieures  et 
latérales  des  mâchoires,  jusqu'alors  fixes  et  invariables,  éprouvent  à  leur  tour 
un  allongement  nécessaire.  11  n'y  a  point  toutefois  corrélation  constante  entre 
les  deux  phénomènes,  et  c'est  ici  que  se  place  la  pathogénie  des  diverses 
déviations  de  direction  et  de  disposition  des  dents  permanentes.  Si  le  maxillaire 
se  développe  d'une  manière  insuffisante,  les  dents  nouvelles  éprouvent  certaines 
anomalies  de  situation  ;  c'est  le  cas  le  plus  fréquent.  Si  le  développement  osseux 
est,  au  contraire,  plus  marqué,  les  dents  nouvelles  restent  espacées  notable- 
ment, ce  qui  est  un  inconvénient  encore,  mais  bien  moins  sérieux  que  le 
précédent. 

Ces  diverses  considérations,  relatives  aux  rapports  réciproques  entre  l'évo- 
lution des  dents  et  le  développement  des  maxillaires,  ont,  à  une  certaine 
époque,  préoccupé  singulièrement  les  auteurs,  et  il  s'est  même  produit,  au 
commencement  de  ce  siècle,  une  assez  vive  polémique  à  ce  sujet.  Ainsi,  d'une 
part,  Miel,  Fox  et  Duval  [voy.  Miel,  Recherches  sur  ta  seconde  dentition.  Paris, 
1826.  —  Fox,  Maladiesdes  doits,  trad.  franc.,  1821.  —  Duval,  De  rarrangement 
des  secondes  dents.  Paris,  1826),  s'efforçaient,  à  l'exemple  de  Hunter,  de 
démontrer  que  la  seule  région  du  maxillaire  qui  s'agrandit  au  moment  de 
l'éruption  des  secondes  dents  est  la  portion  postérieure  située  au  delà  des  dents 
temporaires,  de  telle  sorte  que  l'espace  occupé  par  ces  dernières  était  toujours 
suffisant  à  loger  celles  qui  les  remplacent.  Ces  auteurs,  et  surtout  Miel,  se 
livrent  alors  à  des  calculs  mathématiques  destinés  à  démontrer  que  la  longueur 
du  segment  alvéolaire  occupé  par  les  dents  de  lait  reste  identique  après  l'achè- 
vement de  leur  remplacement.  La  disproportion  de  volume  entre  les  premières 
et  les  secondes  ne  serait  qu'apparente,  car,  si  les  incisives  et  les  canines  per- 


DENT  (pathologie).  19^ 

manentes  sont  plus  fortes  que  les  ante'iieures,  les  dents  prémolaires  sont  infi- 
niment plus  petites  que  les  molaires  de  l'enfant. 

Serres  {loc  cit.  Paris,  1817,  p.  53),  de  son  côté,  avait  émis,  quelques 
années  auparavant,  une  doctrine  tout  opposée  à  celle  de  llunter  et  de  ses  suc- 
cesseurs, dont  il  déclare  l'opinion  absolument  contraire  aux  lois  de  la  pliysio- 
lo'fieet  aux  faits  de  l'observation.  Ses  recherches,  très-exactes  et  très-minutieuses, 
sont  basées  sur  l'examenM'un  grand  nombre  de  pièces  recueillies  aux  différentes 
périodes  de  l'évolution.  Il  fixe  ainsi  plusieurs  points  de  repère:  la  position  inva- 
riable du  trou  mentonnier,  l'ouverture  du  canal  dentaire,  l'apparition  tardive  de 
la  tubérosité  du  maxillaire  supérieur,  l'ouverture  de  l'angle  de  la  mâchoire 
inférieure  et  ses  variations  suivant  les  âges,  le  développement  du  sinus  maxil- 
laire. Il  arrive  à  démontrer  que  l'accroissement  de  la  mâchoire  est  dans  l'étal 
physiologique  tout  à  fait  corollaire  de  l'évolution  dentaire.  Les  recherches 
modernes  n'ont  fait  que  confirmer  pleinement  ces  premières  observations 
{voy.  Robin  et  Magitot,  Genèse  et  évolution  des  follicules  dentaires.  —  Journal 
de  physiologie  de  Broivn-Se'quard,  janvier  1860,  p.  A),  et  c'est  ainsi  que,  pour 
résumer  ces  remarques,  nous  pouvons  considérer  au  développement  des 
mâchoires  cinq  périodes  successives  tout  à  fait  connexes  des  pliases  correspon- 
dantes de  l'éruption  de  l'appareil  dentaire  : 

1°  Dans  une  première  phase,  la  pliase  embryonnaire,  le  maxillaire,  dont 
la  première  apparition  a  lieu  après  celle  des  follicules  dentaires,  est  rigoureu- 
sement subordonné,  dans  sa  genèse  et  ses  dispositions,  à  la  première  série  fol- 
liculaire. 

2°  Dans  la  seconde  phase,  phase  infantile,  la  dimension  de  l'arcade  alvéolaire, 
fixe  au  niveau  des  dents  temporaires,  s'accroît  en  arrière,  en  vertu  du  dévelop- 
pement folliculaire  des  premières  molaires  permanentes. 

5"  Dans  sa  troisième  phase,  le  maxillaire  éprouve  un  développement  corres- 
pondant au  volume  total  des  vingt  dents  permanentes  qui  succèdent  à  la  chute 
des  vingt  dents  de  lait,  et  aussitôt  que  le  remplacement  est  réalisé  il  reprend 
sa  fixité  première. 

4°  Dans  ses  quatrième  et  cinquième  phases,  il  s'accroît  enfin  de  nouveau 
dans  ses  parties  postérieures,  pour  subvenir  à  l'emplacement  des  deuxième  et 
troisième  molaires. 

Cette  appropriation  des  mâchoires  aux  dispositions  diverses  du  système 
dentaire  est  donc  constante;  c'est  la  loi  physiologique. 

On  prévoit  déjà  quels  pourraient  être,  d'une  manière  générale,  les  accidents 
de  cette  troisième  période  de  l'éruption  ;  ils  consisteraient,  suivant  les  auteurs  : 

1°  En  perturbations  diverses  résultant  de  troubles  accidentels  dans  les  rapports 
réciproques  des  mâchoires  et  des  pièces  de  l'appareil  dentaire  :  déviations  dans 
le  siège  et  la  direction.  Ces  perturbations  comprennent  une  grande  classe  de 
lésions  qui  appartiennent  à  la  tératologie  et  ont  été  étudiées  plus  haut; 

2"  En  accidents  purement  locaux  et  résultant  de  la  sortie  même  des  dents 
permanentes  aux  lieu  et  place  des  temporaires  persistantes  ; 

3°  En  accidents  lointains,  sympathiques,  ou  réflexes. 

Nous  n'avons  à  parler  ici  que  des  deux  dernières  catégories. 

Les  accidents  locaux  consistent  essentiellement  dans  des  troubles  inflamma- 
toires, c'est-à-dire  dans  la  production  d'une  gingivite,  variable  d'ailleurs  d'in- 
tensité et  de  caractère. 

Dans  la  plupart  des  cas,  il  faut  le  dire,  ce  double  phénomène  de  la  chute  des 


192  DENT  (pathologie). 

dents  de  lait  et  de  leur  remplacement  ne  s'accompagne  d'aucun  désordre  ni  de 
la  bouche  ni  de  la  santé  générale.  Mais  il  arrive  parfois  chez  des  enfants  débilités 
ou  cachectiques  qu'il  devient  l'occasion  d'un  état  congestifde  la  muqueuse.  Pour 
peu  qu'il  se  produise  une  déviation  même  légère  dans  les  axes  des  deux  dents, 
l'apparition  de  la  seconde  s'ajoutant  à  la  résistance  de  la  première,  on  voit  ?c 
produire  une  gingivite  locale  le  plus  souvent  sans  gravité  et  qui  cesse  aussitôt 
que  la  ciiute  de  la  dent  temporaire  s'est  accomplie.  Dans  l'éruption  normale,  les 
dents  apparaissant  par  paires  symétriques,  cet  accident,  s'il  se  produit,  reste 
insignifiant  et  passe  même   inaperçu  ;  mais,  si   plusieurs    groupes  de  dents 
évoluent  simultanément,  il  y  a  véritable  gêne  dans  les  fonctions  de  la  bouche, 
inaction  assez  marquée  dans  la  région  correspondante  et,  immédiatement,  amas 
de  mucosités  et  de  larlre  dont  la  présence  devient  cause  nouvelle  de  gingivite. 
C'est  dans  ces  circonstances  que  l'affection  prend  parfois  la  forme  ulcéreuse  dont 
nous  avons  déjà  parle  dans  le  paragraphe  précédent  et  se  confond  avec  cet  état 
que  les  médecins  ont  décrit  sous  le  nom   de  stomatite  ulcéreuse  des  enfants. 
Nous  trouvons  ici  une  cause  nouvelle  à  cette  forme  dont  l'éliologie  restait,  de 
l'aveu  même  des  auteurs,  assez  obscure.  Elle  se  complique  alors,  chez  les  indi- 
vidus d'ailleurs  prédisposés,   de  phénomènes   de   voisinage,  fluxion,   adénite, 
quelquefois  assez  intenses  et  assez  durables  pour  aggraver  ces  quelques  mani- 
festations ulcéreuses. 

Nous  n'avons  point  à  décrire  ici  le  traitement  de  la  gingivite,  mais  il  nous 
faut  mentionner  une  pratique  spéciale  destinée  dans  les  cas  de  ce  genre  à  com- 
battre rapidement  les  accidents.  Cette  pratique  consiste  dans  l'ablation  pure  et 
simple  de  la  dent  temporaire  afin  de  laisser  l'emplacement  libre  à  la  perma- 
nente. Celte  petite  opération  qui  s'adresse  souvent  à  une  dent  ordinairement  déjà 
ébranlée  est  formellement  indiquée,  fort  simple,  et,  outre  qu'elle  a  pour  avantage 
de  délivrer  la  dent  permanente  de  l'obstacle  qu'elle  rencontre,  elle  a  encore 
pour  effet  de  causer  une  légère  hémorrhagie  favorable  à  la  décongestion  de  la 
muqueuse  et  des  parties  voisines. 

Quant  aux  accidents  lointains  qu'on  pourrait  rattacher  à  cette  période. de 
l'éruption,  nous  ferons  l'aveu  que  nous  n'en  avons  jamais  observé  qui  recon- 
nussent incontestablement  ce  mécanisme,  si  ce  n'est  toutefois  quelques  accès 
fébriles  ou  quelques  troubles  généraux  ayant  pour  justification  l'intensité  même 
de  l'état  local. 

IV.  Accidents  de  la  quatrième  période  de  la  dentition  {éruption  des  quatre 
secondes  molaires  permanentes,  de  onze  à  douze  ans).  Les  accidents  possibles 
de  cette  nouvelle  phase  sont  de  tous  points  identiques  à  ceux  de  la  seconde 
période  relative  à  l'éruption  des  quatre  premières  molaires  qui  apparaissent 
dans  le  cours  de  la  cinquième  année.  Ils  sont  encore  moins  fréquents  et  surtout 
moins  intenses,  ce  qui  résulte  d'abord  du  volume  plus  faible  de  celte  dent, 
surtout  dans  nos  races  blanches  où  la  série  des  molaires  présente,  comme  on 
sait,  un  volume  décroissant  de  la  première  à  la  troisième. 

Nous  n'avons  donc  à  signaler  ici  que  des  troubles  locaux:  gingivite,  soit 
simple  pendant  le  soulèvement  de  la  muqueuse,  soit  phlegmoneuse,  s'il  y  a 
rencontre  et  traumatisme  de  la  part  de  la  dent  opposée',  soit  ulcéreuse  chez 
certains  sujets  déterminés.    , 

V.  Accidents  de  la  cinquième  période  de  la  dentition  {éruption  des  quatre 
dernières  molaires,  de  dix-huit  à  vingt-cinq  ans).  Accidents  de  la  dent  de 
sagesse.     Nous  abordons  maintenant  une  histoire  pathologique  des  plus  sérieuses 


DENT   (pathoi.oi.ie).  ''QS 

et  des  plus  complexes,  hisloire  qui  a  donné  lieu  à  un   nombre  considérable 
d'études  et  de  travaux. 

C'est  qu'en  effet,  si  la  désignation  d'époque  critique,  attribuée  d'une  façon 
«Générale  à  la  dentition,  ne  convient  guère  aux  périodes  que  nous  venons  de 
passer  en  revue,  elle  est  entièrement  légitimée  par  le  cortège  considérable  de 
désordres  de  toutes  sortes,  dus  fort  souvent  à  celte  dernière  éruption,  et  par  la 
(Tiavité  de  ces  accidents  qui  est  parfois  telle,  qu'ils  mettent  en  question  la  vie 

des  malades. 

Il  convient  donc  d'en  faire  ici  une  description  complète. 
Â.  Historique  et  généralités.  Au  point  de  vue  historique,  les  accidents  de 
l'éruption  de  la  dent  de  sagesse  ont  été  signalés  depuis  très-longtemps.  Dès 
le  seizième  siècle,  Urbain  Hemard  {De  la  Vraye  Anatomie  des  dents,  nature  et 
propriétés  d'icelles.  Lyon,  1581,  p.  48),  commentant  certains  récits  de  Pline  et 
d'Avicenne,  rapporte  des  faits  de  douleurs  vives  causées  pendant  l'éruption  de 
cette  dent  par  la  tension  et  l'inflammation  de  la  gencive,  et  il  cite  l'exemple 
personnel  de  son  contemporain  Vésale,  qui  avait  éprouvé  et  décrit  sur  lui  même 
des  accidents  de  cet  ordre. 

Ambroise  Paré,  si  bon  observateur  en  ce  qui  concerne  bien  des  questions 
relatives  aux  dents,  est  cependant  muet  sur  ce  point  particulier.  Il  en  est  de 
même  de  Fauchard,  qui  écrivait  vers  le  milieu  du  dix-lmitième  siècle. 

Hunter  se  borne  à  signaler  quelques  lésions  de  la  muqueuse  à  l'époque  de 
cette  éruption.  Mais  c'est  Jourdain,  en  1778  {Traité  des  maladies  et  des  opéra- 
tions réellemejit  chirurgicales  de  la  bouche,  t.  H,  cliap.  xvii,  p.  616),  qui 
ilistingua  le  premier  les  accidents  de  cette  période  en  lésions  de  la  muqueuse  et 
en  lésions  osseuses  proprement  dites. 

H  faut  cependant  arriver  à  Toirac  {Mémoire  sur  les  diverses  espèces  de  dévia- 
tions de  la  dent  de  sagesse,  et  des  accidents  qui  accompagnent  sa  sortie  [Revue 
médicale,  18'28,  t.  I,  p.  596])  pour  trouver  une  première  description  vraiment 
précise  et  des  indications  thérapeutiques  rationnelles. 

Depuis  ce  moment,  le  nombre  des  publications  sur  cette  question  devient 
considérable.  La  plupart  des  auteurs  qui  écrivent  sur  les  maladies  de  la  bouche 
en  tracent  une  description  particulière,  tels  sont  :  Lisfranc,  Velpeau,  Robert, 
Nélaton,  les  auteurs  du  Compendium  de  chirurgie,  etc.  (Lisfranc,  Médecine 
opératoire,  t.  1,  p.  487.  —  Velpeau,  Cliniques,  t.  III,  p.  380.  —  Robert,  Cli- 
niques,  1880,  p.  127.  —  Nélaton,  Gaz.  des  hop.,  1860,  p.  454),  et,  à  l'étran- 
ger, Lœwcnhardt,  Albrecht,  Weber,  Wedl,  pour  l'Allemagne  (Lœwenbanlt,  in 
Arch.  gén.  de  med.  [anal.,  1840],  p.  119.  —  Albrecht,  Klinik  der  Mundkrank- 
heiten.  Berlin,  1862.  —Weber,  Deutsch.  Viertelj.  f.  Zahnheilk.  Berlin,  1867. 
—  Wedl,  Pathologie  der  Zàhne.  Leipzig,  1870);  Salter,  Holmes,  Tomes,  en 
Angleterre  (Salter,  Gm/s  Hospit.  Rep.,  1867,  t.  XllI,  p.  80.  —  Holmes,  Syst. 
of  Surgery,  t.  IV.  —  Tomes,  Traité  de  chirurgie  dentaire,  trad.  Inmç.  Paris, 
1873).  Et  enfin,  plus  récemment,  nous  trouvons  un  nombre  considérable  de 
thèses  soutenues  à  la  Faculté  de  Paris.  Citons,  parmi  elles,  celles  de  Ghevassu 
(1873),  de  Reynaud  (même  année),  de  Comoy  (1876),  d'Anuilphy  (1876),  de 
Pietkiewicz  (1876),  de  Real  et  Guyet  (1870-78).  Les  deux  dernières  étudient 
spécialement  un  accident  particulier  de  l'éruption  de  la  dent  de  sagesse,  c'est- 
à-dire  la  constriction  des  mâchoires,  complication  que  d'autres  auteurs  trai- 
tent, à  leur  tour,  au  point  de  vue  chirurgical.  Tels  sont  MM.  Sarasin  (thèse 
1855),  Boisson  (thè;e  1878),  Duplay,  Richet,  etc.  (Duplay,  Progrès  médical, 

DICT.    ENC.    XXVII.  J5 


jt)4  DENT   (patholooik). 

15  avril  1878.  —  Richet,  Clinique  de  l'Hùtel-Dieu  [Gaz.  des  hôpit.,   1877, 
p.  772]). 

Enfin,  signalons,  pour  terminer  cette  nomenclature,  la  remarquable  Ihèse 
(l'agrégation  de  M.  lleydenreicli,  dans  laquelle  l'histoire  de  cette  éruption  est 
tracée  d'une  façon  magistrale  [Des  accidents  provoqués  par  l'éruption  de  lu  dent 
de  sagesse.  Paris,  1878). 

Les  accidents  dus  à  l'éruption  de  la  dent  de  sagesse  sont  donc  aujourd'hui 
classés  dans  le  cadre  nosologique,  et  forment  un  groupe  de  lésions  diverses 
reconnaissant  une  cause  unique.  Mais,  avant  d'envisager  le  mécanisme  et  la 
pathogénie  de  ces  accidents,  il  nous  faut  dire  un  mot  des  conditions  auatoniiques 
et  physiologiques  qui  sont  de  nature  à  en  préparer  l'apparition. 

Or,  nous  avons  vu  que  la  précédente  période  d'éruption,  celle  de  la  sortie  des 
quatre  secondes  molaires  permanentes  (douzième  année),  s'effectue  le  plus  ordi- 
nairement sans  aucun  désordre,  l'emplacement  réservé  à  leur  évolution  étant 
largement  sullisant.  Aussitôt  cette  éruption  achevée,  la  formule  dentaire, 
entièrement  composée  de  dents  permanentes,  s'élève  au  chiffre  28,  ainsi  réparti: 

2-2  1-1       ,       2-2        ,    2  -  2 

^"'-  T=^i  "°-  T^l  P'""'-  â^r-2  ™o'-  2^r7  =  "^• 

Cette  formule  28  se  maintient  même  chez  un  certain  nombre  de  sujets, 
environ  10  pour  100,  pendant  toute  la  vie,  dans  nos  populations  de  race  blanche, 
ce  qui  impliijue  dès  lors  l'atrophie  des  quatre  germes  des  dents  de  sagesse.  11 
n'en  est  pas  de  même  quand  on  descend  l'échelle  des  races  humaines,  où  cette 
absence  congénitale  de  la  dent  de  sagesse  est  un  fait  relativement  rare. 

Ce  phénomène  est  ici  corollaire  d'un  autre  fait  ethnique  qui  est  \e. prognathisme, 
lequel  éprouve  dans  la  gradation  descendante  des  races  une  progression  corres- 
pondante. Or,  comme  nous  avons  maintes  fois  cherché  à  mettre  en  lumière  cette 
loi  qui  assigne  à  l'évolution  dentaire  le  rôle  essentiel  dans  le  développement  des 
mâchoires,  il  résulte  nécessairement  de  là  que  si  le  maxillaire,  à  partir  de  la 
douzième  année,  cesse  de  s'accroître  en  longueur,  c'est  que  la  dernière  molaire, 
par  son  atrophie  ou  par  l'extrême  lenteur  de  son  développement,  cesse  d'im- 
])rimer  au  tissu  osseux  l'impulsion  physiologique  nécessaire  à  son  allongement. 

11  est,  en  effet,  très-facile  de  reconnaître,  lorsque  l'éruption  des  secondes 
molaires  est  achevée,  que  celles-ci  rencontrent  souvent  par  leur  face  postérieure 
la  base  de  l'apophyse  coronoïde,  et  qu'il  ne  subsiste  conséqnemment,  à  ce 
moment,  aucune  place  pour  une  évolution  ultérieui'e.  Que  cette  situa' ion  se 
maintienne  pendant  quelques  années,  l'état  aiUille  se  fixe  dès  lors  vers  la  sei- 
zième ou  dix-huitième  année,  suivant  les  sujets,  et  l'apparition  d'une  nouvelle 
dent  rencontre  des  obstacles  sérieux. 

A  celle  observation,  si  facile  à  vérifier  dans  notre  race,  il  faut  ajouter  immé- 
diatement ce  fait  que,  dans  les  races  inférieures,  le  développement  considérable 
du  diamètre  antéro-postérieur  des  mâchoires,  qui  amène  le  prognathisme,  laisse 
à  la  partie  postérieure  des  arcades  dentaires  un  espace  considérable  qui  permet 
non-seulement  l'évolution  facile  delà  dent  de  sagesse,  mais  devient  même  la 
cause  de  ces  anomalies  par  accroissement  numérique  des  molaires,  qui  transfor- 
ment parfois  la  formule  52  en  formule  54  ou  56.  Nous  avons  ailleurs  insisté  sur 
ces  faits  en  traitant  des  anomalies  de  nombre  de  l'appareil  dentaire,  et  en  signa- 
lant la  fréquence  si  grande  de  cette  variété  chez  le  Nègre,  l'Australien,  le  Néo- 


DENT     (PATHOLOGIEI.  195 

Calédonien,  etc.  (voy.  Traité  des  anomalies  du  système  dentaire.  Paris,  1877, 
p.  98). 

Ces  observations  avaient  vivement  frappé  Darwin  quand  il  émit  cette  idée  que 
la  troisième  molaire  était  chez  l'homme  un  organe  en  décadence  et  tendant  à 
disparaître  [System  of  meti.,  I,  p.  25).  Mantegazza  et  Broca  se  sont,  comme 
on  l'a  vu,  ralliés  complètement  à  cette  manière  de  voir  {Bulletin  de  la  Soc. 
d'anthropologie,  1878,  p.  2S.'5). 

A  l'époque  de  cette  discussion  à  la  Société  d'anthropologie  de  Paris,  nous 
n'étions  pas  disposé  à  nous  ranger  à  celte  opinion,  car  nous  avions  remarque 
que  cette  atrophie  de  la  dent  de  sagesse  se  retrouvait  assez  fréquemment  aussi 
<lans  les  crânes  de  certaines  époques  préhistoriques,  dans  ceux  de  la  race  des 
Dolmens,  par  exemple,  que  l'on  considère  comme  une  race  inférieure;  mais  les 
faits  recueillis  par  M.  Mantegazza  et  l'opinion  si  considérable  de  Broca  étaient 
de  nature  à  nous  rallier. 

Une  autre  observation  donnait  d'ailleurs  une  valeur  nouvelle  à  la  conjecture 
de  Darwin  :  c'est  que,  de  même  que  l'existence  de  la  dent  do  sagesse  serait  plus 
fréquente  dans  les  races  inférieures,  on  reconnaîtrait  en  outre,  chez  celles-ci, 
le  volume  soit  égal,  soit  ascendant,  de  la  série  des  molaires  de  la  première  à  la 
troisième,  tandis  que  l'ordre  inverse  se  rencontre  dans  les  races  élevées,  où  les 
molaires  ont  un  volume  décroissant. 

Quoiqu'il  en  soit,  ces  diverses  considérations,  sur  lesquelles  nous  avons  déjà 
insisté  plus  haut,  n'ont  trouvé  place  ici  que  parce  qu'elles  vont  nous  fournil- 
l'explication  de  Ja  fréquence  si  grande  des  accidents  de  la  dent  de  sagesse  dans 
notre  race. 

B.  Pathogénie.  Le  mécanisme  de  production  des  accidents  de  l'éruption  de 
la  dent  de  sagesse  repose  essentiellement  sur  le  défaut  de  concordance  entre  lo 
volume  ou  la  direction  de  cette  dent  et  l'emplacement  dévolu  à  sa  sortie. 

Celte  première  remarque  donne  immédiatement  la  raison  de  la  rareté  extrême 
à  la  mâchoire  supérieure  des  accidents  si  fréquents  à  l'inférieure.  Pour  la  pre- 
mière, en  effet,  la  disposition  particulière  de  la  tubérosité  maxillaire,  libre  en 
arrière  et  sur  les  côtés,  n'apporte  aucun  obstacle  à  l'éruption;  non  pus  toutefois 
que  la  dent  de  sagesse  supérieiire  évolue  ici  toujours  normalement;  il  n'en  est 
rien,  et  il  laut  déjà  en  signaler  ici  l'absence  fréquente,  ce  qui  est  conforme  à 
l'hypothèse  de  Darwin. 

En  outre,  il  arrive  fort  souvent  que  cette  dent  se  dirige  soit  en  arrière,  soit 
en  dehors,  et  va  heurter  ainsi  la  muqueuse,  à  laquelle  elle  cause  certaines  lésions 
sans  gravité  d'ailleurs,  et  sur  lesquelles  nous  reviendrons  plus  loin.  Ces  compli- 
cations sont  assez  rares,  toutefois,  pour  que  la  plupart  des  auteurs  se  soient 
bornés  à  décrire  les  accidents  de  la  dent  de  sagesse  considérés  exclusivement  à 
la  mâchoire  inférieure. 

C'est  qu'en  effet,  pour  cette  dernière,  les  conditions  sont  tout  autres,  et  se 
présentent  en  outre  sous  les  aspects  les  plus  variés. 

i"  En  premier  lieu,  une  dent  de  sagesse  de  volume  normal,  ou  même  relati- 
vement petite,  rencontre  une  place  insuffisante  à  sa  sortie. 

2°  En  second  heu,  elle  peut  éprouver  une  anomalie  préalable  dans  sa  direction 
et  se  porter  soit  en  arrière,  vers  la  base  de  l'apophyse  coronoïde,  soit  en  dehors' 
vers  la  muqueuse  de  la  joue,  soit  enfin  en  avant,  oblique  ou  même  horizontale' 
et  venant  heurter  par  sa  face  triturante  la  lace  postérieure  de  la  deuxième  molaire 
Cette  disposition,  que  nous  avons  fréquemment  rencontrée,  et  dont  nous  avons 


196  DENT  (pathologie). 

mentionné  divers  exemples  {Traité  des  anomalies,  loc.  cit.,  pi.  XIll,  fig.  7,  8, 
10,  12,  et  pi.  XIV,  fig.  1,  2,  3,  A),  a  été  signalée  par  beaucoup  d'auteurs. 
M.  Gaillard,  dans  un  ouvrage  récent,  en  cite  plusieurs  [Des  déviations  des 
arcades  dentaires.  Paris,  1881,  p.  97  et  101),  et  MM.  de  Quatrefages  et  Hamy 
en  ont  figuré  un  cas  dans  une  mâchoire  de  Mélanésien  {Crania  ethnica,  p.  43, 
lig.  47).  Le  musée  Vrolik,  d'Amsterdam,  renferme  une  pièce  semblable. 

Meckel  et  Tomes  (Meckel,  Ânat.  génér.,  1825,  t.  III,  g  2,  126.  —  Tomes, 
loc.  cit.,  p.  195)  citent  encore  chacun  un  cas  dans  lequel  il  y  avait  renverse- 
ment complet  de  la  dent  de  sagesse  inférieure,  dont  les  racines  étaient  dirigées 
en  haut,  et  la  couronne  inférieurement. 

5°  Elle  peut,  par  suite  d'une  anomalie  ])lus  rare,  présenter  un  accroissement 
de  volume  tel  que  l'emplacement,  qui  eût  sulfi  à  loger  une  dent  normale,  devient 
insuffisant  à  recevoir  un  organe  devenu  monstrueux.  Tomes  et  Forget  en  ont 
cité  des  exemples  (Forget,  Des  anomalies  dentaires.  Paris,  1859),  et  nous  en 
avons  rencontré  nous-même  {Traité  des  anomalies,  p.  64  et  pi.  H,  fig.  M,  14, 
15ctl6). 

4"  Enliii,  des  obstacles  d'une  autre  nature  peuvent  se  produire  de  la  part  du 
maxillaire  lui-même  ou  de  l'apophyse  coronoïde. 

Dans  le  premier  cas,  signalé  déjà  par  Jourdain,  l'alvéole  est  fermé  parle 
rapprochement  complet  des  deux  lames  osseuses  de  l'arcade  dentaire. 

Dans  le  second,  une  disposition  particulière  de  l'apophyse  coronoïde  représente 
la  résistance."  Cette  explication  a  été  invoquée  surtout  par  Lœwenhardt(irc/i.(/eH. 
de  méd.y  loc.  cit.,  p.  119),  qui  a  constaté  que  cette  éminence  forme  parfois  avec 
le  maxillaire  un  angle  aigu,  tandis  que  son  bord  antérieur  devient  convexe  en 
avant.  C'est  à  cette  anomalie  spéciale  que  sont  dus  les  faits  de  développement 
d'une  dent  de  sagesse  dans  l'épaisseur  même  de  l'os,  oîi  elle  peut  former  un 
kyste  ou  un  odontome  {voij.  notre  Mémoire  sur  les  kystes  des  mâchoires  [Arch. 
gén.  de  méd.,  1872,  5,  p.  685]).  C'est  encore  à  elle  qu'il  faut  rattacher  les  faits 
si  curieux  d'évolution  de  la  dent  de  sagesse  apparaissant  jusque  dans  1  échan- 
erure  sygmoïde.  Saunilers  en  a  recueilli  un  exemple  qui  figure  au  musée  de  la 
Société  otlontologique  de  Londres,  et  dont  nous  avons  reproduit  le  dessin. 

Tels  sont  les  aspects  divers  qu'affectent,  dans  leur  pathogénie,  les  déviations 
de  la  dent  de  sagesse  devenant  cause  de  désordres  varies.  Mais,  avant  d'étudier 
ceux-ci  dans  leurs  manifestations  morbides,  nous  allons  dire  un  mot  de  leur 
fréquence  générale  et  des  âges  auxquels  ils  apparaissent. 

A  l'égard  de  la  fréquence,  une  statistique,  dressée  sous  nos  yeux  en  1876 
par  le  docteur  David,  alors  notre  chef  de  clinique,  a  donné  les  résultats  suivants  : 

Sur  100  observations  prises  parmi  les  étudiants  en  médecine  qui  fréquentaient 
la  Clinique,  et  qui  ont  été  interi'ogés  avec  le  plus  grand  soin,  il  s'en  est  trouvé 
75  qui  présentaient  ou  avaient  présenté  antérieurement  des  accidents  au 
moment  de  la  sortie  de  la  dent  de  sagesse,  abstraction  faite  d'ailleurs  de  la  nature 
et  de  la  gravité  de  ces  accidents  mêmes.  Cette  proportion  si  considérable  permet 
de  dire  que  les  manifestations  morbides  de  cette  période  sont  presque  de  règle 
dans  notre  population,  nouveau  fait  conforme  à  la  théorie  darwinienne. 

Mais,  si  nous  cherchons  à  établir  la  proportion  relative  de  ces  accidents  aux 
deux  mâchoires,  nous  reconnaissons  qu'ils  sont  très-rares  à  la  supérieure,  où 
2  cas  seulement  sur  75  ont  été  constatés. 

En  ce  qui  concerne  l'âge  des  sujets  atteints  d'accidents  c'était  le  plus  souvent 
de  div-neuf  à  vingt-cinq  ans  que  nous  les  avons  rencontrés.  Cependant,  Toirac  en 


DENT    (pATUOLOGlli).  19'^ 

a  si^^nalé  chez  un  homme  de  quarante-cinq  ans,  Jourdain  chez  une  femme  de 
cinquante  ans  et  chez  un  homme  de  soixante  ans,  M.  Richet  chez  un  sujet  de 
soixante-six  ans,  et  nous-mêmenous  avons  naguère  rencontré,  dans  le  service  de 
Velpeau,  des  accidents  survenus  chez  une  femme  de  S(iixan(e-cinq  ans,  par  la 
sortie  des  deux  dents  de  sagesse  supérieures  {Traité des  anomalies,  pi.  VIII,  tig.  !2). 
Mais  ce  sont  là,  il  faut  le  dire,  bien  plus  des  accidents  de  dentition  tardive  i]w 
des  troubles  proprement  dits  de  l'éruption  {Ib.,  loc.  cil.,  Anomalie>^  de  V éruption, 

p.  218).  •     .  ,      , 

L'influence  du  sexe  a  été  invoquée  par  M.  Ileydenreich,  qui  trouve  chez  la 
femme  une  plus  grande  fréquence  que  chez  l'homme,  ce  qu'il  attribue  du  reste, 
suivant  une  idée  tout  à  fait  rationnelle,  à  une  certaine  i)réilominance  du  progna- 
thisme chez  la  première  (thèse  citée,  p.  28). 

C.  Forme  et  nature  des  accidents.  Considérés  d'une  manière  générale,  lr> 
accidents  provoqués  par  l'éruption  de  la  dent  de  sagesse  sont  très-nombreux. 
Une  division  méihodique  de  ces  phénomènes  n'est  pas  chose  facile,  et  bien  sou- 
vent un  accident  d'une  certaine  nature  au  début  se  modifie  pour  passer  par 
d'autres  formes  successives.  Toutefois,  comme  une  classification  est  nécessau-e  à 
la  description,  nous  avons  adopté  la  suivante  : 

i"  Accidents  inflammatoires,  lesquels  se  subdivisent  en  accidents  mwpieux 
et  en  accidents  osseux; 

2"  Accidents  nerveux:  névralgies,  troubles  des  organes  des  sens,  phénomènes 

réflexes  ; 

3»  Accidents  organiques,  qui  comprennent  les  kystes  folliculaires  de  la  dent 
de  sagesse,  les  odontomes,  les  néoplasmes. 

1»  Accidents  inflammatoires,  a.  Accidents  muc{ueux.  Les  accidents  mu- 
queux  de  l'éruption  de  la  dent  de  sagesse  sont  extrêmement  fréquents  ;  ils  com- 
mencent à  la  simple  irritation  de  la  muqueuse  gingivale,  pour  finir  au  phlegmon, 
à  l'ulcération  et  à  la  gangrène.  Tantôt  encore  l'accident  local  est  isolé,  tantôt  il 
se  complique,  à  son  tour,  de  troubles  de  voisinage  plus  ou  moins  intenses.  Dans 
tous  les  cas,  cette  forme  muqueuse  des  accidents  est  de  beaucoup  la  plus  com- 
mune, car  dans  la  statistique  citée  plus  h;mt  du  docteur  David  elle  représen- 
tait dans  les  75  pour  100  d'accidents  quelconques  dus  à  cette  éruption  une 
proportion  de  70  observations,  ce  qui  lui  donne  dans  la  somme  des  accidents 
divers  la  proportion  d'environ  93  pour  100. 

Dans  les  circonstances  les  plus  simples,  la  muqueuse  de  la  région  de  la  dent 
de  sagesse  est  simplement  soulevée,  modérément  tuméfiée  et  douloureuse.  C'est 
une  gingivite  légère  ou  subaiguë.  L'accident,  sans  passer  inaperçu,  ne  cause 
qu'une  faible  gêne,  et  la  dent,  triomphant  bientôt  de  cet  obstacle,  apparaît  au 
dehors  au  milieu  de  quelques  lambeaux  ayant  à  peu  près  l'aspect  de  bourgeons 
charnus.  La  présence  de  ces  lambeaux,  qui  restent  pendant  un  temps  plus  ou 
moins  long  appliqués  sur  la  surface  triturante  d'une  dent,  a  pour  conséquence 
habituelle  de  former  certains  cloaques  qui  se  remplissent  de  corps  étrangers,  do 
détritus  alimentaires,  et  deviennent  ainsi  de  véritables  foyers  de  production  de 
caries.  C'est  par  ce  mécanisme  que  se  produisent  les  lésions  si  prématurées  aux 
dents  de  sagesse,  à  ce  point  qu'elles  ont  donné  lieu,  de  la  part  d'observateurs 
peu  attentifs ,  à  cette  affirmation  que  les  dents  de  sagesse  sortaient  souvent 
cariées. 

  un  degré  plus  marqué  de  l'inflammation  gingivale,  toute  la  portion  de 
muqueuse  sus-jacente  à  la  dent  est  le  siège  d'un  véritable  phlegmon,  au  foyer 


198  DENT  (pathologie). 

duquel  se  trouve  la  dent  elle-même,  qui  reste  ainsi  emprisonnée  sans  communi- 
cation avec  l'extérieur.  C'est  à  cette  forme  d'accident  que  Cliassaignac  a  donne' 
le  nom  d'enkystement  de  la  dent  de  sagesse,  pour  la  distinguer  de  la  forme 
précédente,  qu'il  nomme  enchatonnement  (Chassaignac,  Traité  pratique  de  la 
suppuration  et  du  drainage  chirurgical.  Paris,  1859,  t.  II,  p.  151).  Cette 
distinction,  un  peu  subtile,  est  d'ailleurs  tout  artificielle,  car  la  première  forme 
aboutit  ordinairement  à  l'autre  lorsque,  après  l'ouverture  spontanée  ou  provoquée 
de  l'abcès,  la  dent  incluse  se  trouve  en  communication  avec  le  deliors. 

La  forme  phlegmoneuse  consiste,  en  définitive,  en  un  véritable  abcès  du  fol- 
licule, et  c'est  dans  ce  cas  que  l'accident  local  se  propage  le  plus  ordinairement 
aux  parties  voisines.  Tantôt  c'est  une  gingivite  qui  s'étend  en  avant  le  long  de 
l'arcade,  et  parfois  jusqu'à  la  ligne  médiane;  tantôt  c'est  une  amygdalite  dont 
le  caractère  particulier  est  une  ténacité  extrême,  tant  que  la  cause  reste  méconnue. 
Toirac  en  cite  une  observation  très-remarquable  due  au  docteur  Fiard  {loc.  cit., 
obs.  YI).  De  l'amygdale,  le  processus  inflammatoire  s'étend  aux  piliers  du  voile 
et  au  pbarynx,  donnant  lieu  à  une  angine  également  rebelle.  Robert  en  rapporte 
un  cas  {Cliniques,  1800,  p.  127). 

Quoi  qu'il  en  soit,  cette  forme  d'accidents  est  propre  à  la  fois  à  la  dent  de 
sagesse  inférieure  et  à  la  supérieure.  Pour  l'inférieure  la  sortie  simple  d'une 
dent,  d'ailleurs  normale  comme  volume  et  comme  direction,  peut  en  être  la  cause, 
tandis  qu'à  la  supérieure  elle  ne  se  produit  qu'à  la  condition  que  la  dent  de 
sagesse  se  dirige  anormalement  soit  en  dehors  vers  la  joue,  soit  en  arrière  vers 
le  pilier  antérieur.  C'est,  du  reste,  presque  généralement  à  cette  forme  que  se 
bornent,  ainsi  que  nous  l'avons  fait  remarquer,  les  troubles  de  l'éruption  de 
cette  dernière. 

A  la  forme  phlegmoneuse  que  nous  venons  d'indiquer  et  parfois  aussi  à  b 
gingivite  simple  succède  souvent  l'état  ulcéreux.  On  voit  alors  au  niveau  des 
lambeaux  déchirés  de  la  muqueuse  ou  à  la  suite  de  l'ouverture  de  l'abcès  folli- 
culaire se  produire  des  ulcérations  à  fond  grisâtre,  irrégulières,  couvertes  de 
lambeaux  d'éidtliélium  qui  lui  donnent  l'aspect  décrit  sous  le  nom  de  stomatite 
ulcéro-memhraneuse.  Le  siège  de  ces  ulcérations  est  la  région  même  de  la  dent 
de  sagesse  ou  le  bord  gingival  qui  lui  fait  suite;  assez  souvent  c'est  la  muqueuse 
de  la  joue;  plus  rarement  enfin  l'ulcération  siège  sur  la  langue,  ce  qui  se  pro- 
duit quand  la  dent  de  sagesse  a  une  direction  interne. 

En  tout  cas,  cette  variété  ulcéreuse  est  celle  que  nous  avons  indiquée  ailleurs 
en  traitant  des  gingivites  proprement  dites  (voy.  les  Leçons  sur  la  gingivite 
[Gaz.  des  hôp.,  1876-79,  et  art.  Gencives  du  Dictonnaire  encijclopédique,  4' série, 
t.  VII,  p.  280]),  comme  représentant,  pour  un  certain  nombre  d'auteurs  et  pour 
aous-même,  la  véritable  nature  de  la  stomatite  ulcéro-membraneuse,  décrite 
chez  les  soldats,  en  général  chez  tous  les  jeunes  sujets  à  l'âge  de  l'évolution  de 
la  dent  de  sagesse. 

Les  accidents  muqueux  de  la  dent  de  sagesse  comprennent  donc,  comme  on 
voit,  trois  variétés  :  la  gingivite  simple,  la  gingivite  phlegmoneuse  et  la  variété 
ulcéreuse. 

Mais  ce  n'est  pas  tout,  et  dans  les  trois  variétés,  mais  surtout  dans  les  deux 
dernières,  il  se  produit  ordinairement  des  complications  de  voisinage  sur  les- 
quelles il  convient  de  s'arrêter  :  la  plus  fréquente  est  Y  adénite  sous-maxillaire. 
Elle  apparaît  presque  infailliblement  dès  que  les  phénomènes  inflammatoires 
locaux  prennent  une  notable  intensité  ou  une  certaine  durée.  C'est  cette  adénite, 


DENT   (pathologie).  i9i) 

particulièrement  constante  dans  la  forme  ulce'ro-membraneuse,  qui  a  e'tc  décrite 
chez  les  jeunes  soldats  comme  conséquence  de  la  pression  du  col  militaire  ou 
d'autre  cause  spéciale,  alors  qu'elle  appartient,  selon  nous,  à  la  série  des  acci- 
dents de  la  dent  de  sagesse. 

Cette  adénite,  considérée  comme  complication  d'un  accident  purement 
muqueux,  aura  toutefois  pour  siège  exclusif  les  ganglions  sous-maxillaii'os  pour 
lu  mâchoire  inférieure  et  les  ganglions  parotidiens  pour  la  supérieure.  Les  gan- 
glions cervicaux  ne  s'engorgent  que  lorsque  les  phénomènes  morbides  ont 
envahi  le  tissu  osseux  des  mâchoires. 

De  l'adénite  à  la  fluxion  proprement  dite  il  n'y  a  qu'un  pas,  et  celle  nouvelle 
complication  est  également  très-fréquente.  Ici  la  fluxion  revêt  les  dilfércnles 
formes  que  nous  lui  avons  assignées  ailleurs  {dictionnaire  encyclopédique, 
article  Fldxion,  t.  11,  4^  série,  p.  456),  œdème  simple,  jddegmon  circonscrit, 
phlegmon  diffus,  suivant  la  gravité  même  de  la  lésion  initiale.  Disons  cependant 
que,  dans  un  accident  muqueux,  la  fluxion  œdémateuse  est  la  complication  la 
plus  ordinaire.  La  forme  phlegraoneuse  appartient  au  cas  d'inflammation  grave 
de  la  muqueuse  ou  à  ces  cas  particuliers  dans  lesquels  une  dent  de  sagesse  infé- 
rieure se  trouve  incluse  dans  les  parties  molles  de  la  joue  oii  elle  détermine  des 
ulcérations,  des  indurations  et  des  fongosités  au  milieu  desquelles  la  dent  est, 
comme  on  l'a  dit,  enchatonnée. 

Ces  diverses  particularités  pathologiques  ne  sont  pas  d'un  diagnostic  facile 
dans  la  plupart  des  cas,  puisqu'un  grand  nombre  d'observations  ont  été  absolu- 
ment méconnues  dans  leur  véritable  nature  et  dans  leur  origine  Ce|)endant,  si 
l'on  veut  bien  tenir  compte  de  l'âge  des  sujets,  qui  répond  toujours  à  la  période 
de  la  vie  où  s'effectue  cette  éruption  de  la  dent  de  sagesse;  si  l'on  prati(iue 
d'autre  part  l'examen  attentif  de  la  région  sou|içonnée,  on  arrivera  à  une  déter- 
mination exacte.  Le  point  essentiel  est  d'avoir  l'attention  éveillée  vers  l'inter- 
vention possible  de  celte  époque  critique  qu'on  appelle  l'éruption  de  la  dent  de 
sagesse, 

b.  Accidents  osseux.  Les  accidents  osseux  se  produisent  tantùt  comme  con- 
séquence d'accidents  muqueux  préalables  et  tantùt  apparaissent  d'endjiée.  Dans 
le  premier  cas,  ils  résultent  de  la  propagation  au  tissu  osseux  de  phénomènes 
inflammatoires  longtemps  fixés  à  la  muqueuse.  Les  ulcérations  anciennes;  les 
indurations  persistantes,  toujours  très-rares  à  la  mâchoire  supérieure,  sont  fort 
communes  à  l'inférieure,  qui  en  est  essentiellement  le  lieu  d'élection. 

Quand  ils  succèdent  à  des  accidents  muqueux,  ils  apparaissent  tout  d'abord 
sous  la  forme  d'une  ostéo-périostite  des  maxillaires  dans  une  région  où,  le  ves- 
tibule de  la  bouche  étant  presque  entièrement  effacé,  le  point  central  de  l'in- 
tlammalion  se  trouve  en  rapport  anatomique  direct  avec  les  pa-ties  molles  de 
la  joue  {voy.  notre  travail  de  la  Pathogénie  des  kystes  et  des  abcès  des  mâchoires 
[Gaz.  des  hop.,  1869,  p.  245  et  250]);  le  processus  est  alors  simple,  et  passe, 
par  continuité  de  tissu  de  la  muqueuse  gingivale  tuméfiée,  au  uérioste  dû 
maxillaire. 

Si  les  accidents  osseux  se  produisent  d'emblée,  ils  ont  pour  début  une  ostéite 
par  compression  du  tissu  alvéolaire  et  consécutivement  un  phlegmon  de  la  joue. 
Toutefois  cette  ostéite  se  complique  ordinairement  d'une  inflammation  simul- 
tanée du  périoste  dentaire,  et  la  périostite  de  la  dent  de  sagesse  devient  alors  le 
centre  véritable  des  accidents  inflammatoires.  Le  docteur  Pielkiewicz,  dans  sa 
thèse,  rapporte  plusieurs  cas  de  ce  genre  [De  la  périostite  alvéolo-dentaire. 


200  DENT   (pathologie). 

Pai'is,  1876,  p.  85).  Mais  cette  patliogénie  spéciale,  avec  le  point  de  départ 
intra-alve'olaire,  est  bien  plus  fréquente  encore  lorsque  la  dent  de  sagesse  est 
frappée  de  périoslite  consécutive  à  une  carie  préalable,  ce  qui  est,  comme  on 
sait,  très- fréquent.  Ce  dernier  mécanisme  appartient  toutefois  réellement  à  l'his- 
toire delà  périostite  et  non  à  celle  des  accidents  de  la  dent  de  sagesse  proprement 
dite. 

Quoi  qu'il  en  soit,  l'ostéo-périostite  du  maxillaire  est  la  forme  initiale  con- 
stante qu'affectent  les  accidents  osseux  de  la  dent  de  sagesse.  Tantôt  le  processus 
est  lent,  en  quelque  sorte  chronique,  et  aboutit  à  ces  indurations  sous-périos- 
tiques  de  la  mâchoire  inférieure  qu'on  observe  ordinairement  à  la  face  extérieure 
et  qui  déforment  aussitôt  la  joue.  Cette  forme  lente  est  en  général  soumise  à  des 
alternatives  de  décroissance  et  de  poussées  aiguës.  11  ne  se  produit  point  d'abcès 
ni  de  suppuration  du  côté  de  l'alvéole,  les  douleurs  sont  faibles  ou  nulles,  sur- 
tout dans  l'intervalle  des  crises  aiguës. 

Une  telle  marche  est  l'indice  des  efforts  de  pression  accomplis  par  la  dent  en 
voie  d'évolution.  Les  périodes  de  poussées  correspondent  aux  crises  aiguës,  et 
celles  d'arrêt  à  l'état  slationnaire.  11  arrive  même,  dans  un  bon  nombre  de  cas, 
qu'après  une  succession  plus  ou  moins  longue  d'intermittences  de  ce  genre  les 
accidents  se  dissipent  entièrement,  ce  qui  coïncide  avec  la  sortie  délinitive  do 
la  dent  de  sagesse. 

Dans  d'autres  circonstances,  on  voit  l'ostéo-périostite  revêtir  une  forme  aiguë, 
et  sa  terminaison  inévitable  et  rapide  est  alors  la  su|ipuralion.  Vn  véritable 
phlegmon  apparaît  dans  la  région  de  l'angle  de  la  mâchoire.  Un  loyer  purulent 
se  forme,  et  le  pus  cherche  à  se  frayer  un  passage  au  dehors.  Dans  cette  marche, 
la  collection  peut  affecter  l'un  des  trois  trajets  suivants  : 

1"  Elle  prend  une  direction  ascendante  en  suivant  le  bord  même  de  la  dent  et 
s'ouvre  dans  la  Louche,  au  niveau  de  l'alvéole.  Cet  écoulement,  une  fois  installe 
par  cette  voie,  s'y  prolonge  souvent  indéfiniment,  et  dès  lors  une  grande  quan- 
tité de  pus,  s'écoulant  incessamment  dans  la  bouche,  pénèlre  dans  les  voies 
digestives  et  arrive  à  produire  cet  état  que  Chassaignac  a  appelé  cachexie  buccale; 
2"  Elle  aboutit  au  vestibule  et  s'ouvre  également  dans  la  bouche  par  une 
ouverture  qui  est  tantôt  voisine  du  foyer  primitif,  tantôt  plus  ou  moins  distante 
en  avant.  La  collection  purulente,  ayant  fusé  au-dessous  du  périoste  osseux 
décollé,  vieul  s'ouvrir  parfois  au  niveau  de  la  première  grosse  molaire  et  même 
plus  en  avant  jusqu'à  la  région  mentonnière  {voij.  Robert,  loc.  cit.,  obs.  Y). 
Cette  circonstance  est  très-importante  à  noter  au  point  de  vue  du  diagnostic; 
3"  Enfin  elle  se  porte  au  dehors  et  s'ouvre  sur  la  peau,  en  un  point  plus  ou 
moins  éloigné,  tantôt  par  une  seule  ouverture,  tantôt,  ce  qui  est  le  plus  ordi- 
naire, après  une  marche  lente  et  intermittente,  par  plusieurs  orifices  qui  restent 
fistuleux.  C'est  dans  certains  cas  invétérés  de  cette  dernière  forme  que  la  joue 
est  si  souvent  criblée  d'ouvertures  livrant  passage  à  une  suppuration  iiilans- 
sable. 

Cet  ensemble  de  phénomènes  apparus,  comme  nous  venons  de  le  voir,  à  l'exté- 
rieur, y  restent  le  plus  souvent  localisés.  Ils  y  produisent,  par  leur  persistance 
et  par  le  retour  de  périodes  aiguës  successives,  des  désordres  qui  aboutissent 
invariablement  à  la  nécrose  partielle  de  l'os.  Mais  il  se  présente  certains  cas 
dans  lesquels  l'osléite  et  la  nécrose  s'étendent  à  une  portion  plus  considérable 
du  maxillaire.  La  situation  s'aggrave  alors;  le  phlegmon  de  la  face  prend  la 
l'orme  diffuse,  s'étendant  à  la  région  cervicale  et  parfois  jusqu'au  sternum  et  a 


DEiNT  (pathologie).  201 

l'épaule;  des  décollements  considérables,  la  gangrène,  surviennent,  et  souvent, 
malgré  l'intervention  la  plus  énergique,  la  mort  arrive,  soit  par  infection  puru- 
lente ou  putride,  soit  par  ulcération  de  la  carotide  interne  nu  de  l'artère  den- 
taire, soit  par  une  complication  cérébrale.  MM.  Chassaignac,  Gaujot,  Richet, 
Pietkiewicz,  ont  rapporté  des  faits  de  ce  genre  {voy.  Chassaignac,  loc.  cit.  — 
Richet,  thèse  de  Heydenreich,  p.  61.  —  Tueflert,  Union  médicale,  iSTi, 
vol.  Il,  p.  810.  —  Gaujot,  thèse  de  Chevassu,  obs.  XVII.  —  Pietkievicz,  thèse. 
obs.  XXI,  XXXIV,  XXXV).  , 

Le  tableau  pathologique,  que  nous  venons  de  tracer  sommairement,  del  osleo- 
périostite  du  maxillaire,  s'accompagne  encore  de  (pielipics  phénomènes  secon- 
daires sur  lesquels  il  convient  de  nous  arrêter. 

Le  plus  important  de  ces  phénomènes  est  la  constriction  des  mâchoires.  C'est 
là  une  complication  des  accidents  muqueux,  mais  plus  fré(iuemmeiit  des  acci- 
dents osseux. 

Les  auteurs  qui  la  décrivent  ont  presque  tous  adopté  une  opinion  exclusive 
qui  rattache  cet  état  tantôt  à  une  contraction  spasmodique  et  réflexe,  tantôt  a 
un  état  inflammatoire  des  muscles  élévateurs.  La  première  interprétation  ne 
saurait  en  aucun  cas  être  admise,  et  malgré  l'autorité  des  observateurs  qui  en 
rapportent  des  exemples,  Salter,  Diiplay,  etc.,  nous  ne  connaissons  aucun  l'ail 
rigoureusement  observé  de  contracture  réflexe  el  spasmodique.  L'erreur  vient 
ici  de  ce  que,  dans  certaines  circonstances,  le  processus  inflammatoire,  sourd  et 
latent  au  centre  de  l'os,  gagneplus  rapidement  que  dans  d'autres  cas  les  gaines 
musculaires  des  ptérygoïdiens  ou  du  masséter,  qui  se  trouvent  ainsi  plus  direc- 
tement liappées.  C'est  de  la  sorte  ijue  la  contracture,  qui  représente  ordinai- 
rement un  phénomène  secondaire  et  tardif,  peut,  dans  ([uel([ues  cas,  apparaître 
d'emblée  comme  signe  de  début. 

En  ce  qui  concerne  les  muscles  atteints  de  contracture,  il  faut  éliminer  tout 
d'abord  le  temporal,  qui  ne  saurait  être  influencé  que  par  une  ostéite  ayant 
envahi  la  plus  grande  partie  de  la  branche  montante,  ce  (|ui  est  très-rare.  Les 
ptérygoïdiens  ne  sont  frappés  que  dans  les  cas  d'ostéo-périostite  de  l'angle  même 
delà  mâchoire  inférieure.  Mais  le  muscle  qui  est  le  plus  ordinairement  atteint, 
c'est  le  masséter.  Ce  cas  est  môme  si  fréquent,  qu'on  peut  le  considérer  comme 
étant  la  règle.  Il  suffit,  en  effet,  pour  amener  la  contracture  de  ce  muscle,  d'une 
simple  propagation  de  l'inllammalion  au  périoste  qui  revêt  la  face  cxtéiieuni 
du  maxillaire  inférieur.  La  plilegmasie,  rencontrant  aussitôt  les  gaines  muscu- 
laires, s'y  propage,  et  immédiatement  une  m.i/osite  véritable  envahit  la  totalité 
du  muscle.  Cet  accident  est,  à  coup  sur,  l'un  des  plus  rapides  auxquels  il  soit 
donné  d'assister,  car  quelques  heures  suffisent,  chez  un  sujet  dont  les  mouve- 
ments de  la  bouche  sont  normaux,  pour  produire  rimmobilisation  de  la  mâchoire 
inférieure. 

La  nature  analomique  de  la  rétraction  massélérine,  rattochée  essentiellement 
à  l'inflammaliou  du  tissu  musculaire,  a  été  confirmée  par  les  deux  autopsies 
des  malades  cités  plus  haut  de  MM.  Gaujot  et  Richet.  Chez  le  premier,  le  muscle 
était  transformé  en  une  masse  noire  dissociée  et  n'adhérant  plus  à  l'os.  Chez  le 
second,  M.  Richet  trouva  le  muscle  changé  en  tissu  fibreux  par  suite  de  l'an- 
cienneté de  la  rétraction.  Cette  dernière  circonstance  est  dénature  à  justifier  au 
premier  abord  l'opération  plusieurs  fois  faite  par  ce  chirurgien  de  la  section  os- 
seuse par  la  méthode  d'Esmarch  ou  celle  de  Rizzoli. 

Il  nous  reste  à  signaler  encore  un  autre  accident  qui  se  rattache  aux  lésions 


502  DENT   (pathologie). 

osseuses.  C'est  la  compression  générale  que  peut  éprouver  dans  certains  cas  la 
totalité  de  l'arcade  alvéolaire,  c'est-à-dire  la  série  des  dents,  au  moment  de  ces 
tentatives  d'éruption  de  la  dent  de  sagesse. 

Ce  fait  de  compression  est  réel  ;  on  en  rencontre  souvent  la  preuve  chez  des 
individus  dont  les  dents,  mal  disposées  dans  la  mâchoire  inférieure,  éprouvent, 
au  moment  de  la  sortie  de  la  dent  de  sagesse,  une  recruduscencc  de  déviation. 
Mais  cet  état  n'a  pas  ordinairement  d'autre  conséquence,  du  moment  que  la  dent 
de  sagesse  évolue  normalement.  Nous  ne  pensons  donc  pas,  avec  M.  Després 
{Chirurgie  journalière,  d877,  p.  656),  que  cette  compression  puisse  devenir  la 
cause  de  l'éhraiilement  et  de  la  chute  des  dents,  et  nous  ne  saurions  nous  asso- 
cier au  précepte  qu'il  formule  de  sacrifier,  de  chaque  côté  de  la  mâchoire,  une 
dent,  pour  permettre  le  classement  régulier  des  autres.  Une  telle  pratique,  bonne 
en  soi  dans  les  cas  ordinaires  de  compression  bien  démontrée,  avec  déviation 
consécutive,  ne  saurait  avoir  d'effet  sur  une  gingivite  ou  sur  une  ostéo-périostite 
alvéolaire  à  forme  chronique.  Or,  c'est  dans  l'une  ou  l'autre  de  ces  dernières 
affections  qu'il  faut  ranger  les  phénomènes,  assez  mal  déiinis  d'ailleurs,  dont 
parle  M.  Després. 

2"  Accidents  nerveux.  Les  accidents  nerveux  attribuables  aux  anomalies  de 
l'éruption  de  la  dent  de  sagesse  peuvent  se  distinguer  en  deux  variétés  :  les 
accidents  névralgiques  et  les  troubles  des  organes  des  sens.  Kous  ne  mention- 
nons donc  pas  ici  les  contractures  musculaires  de  nature  spasmodique,  décrites 
par  divers  auteurs  et  acceptées  par  Heydenreich  [loc.  cit.,  p.  84),  par  la  raison 
exprimée  tout  à  l'heure  que  cette  complication  a,  pour  nous,  une  origine  exclu- 
sivement inflammatoire. 

Les  accidents  névralgiques  ont  pour  siège  tantôt  les  nerfs  dentaires  eux- 
mêmes,  tantôt  des  ramifications  diverses  de  la  face,  du  crâne,  du  cou,  de 
l'épaule  ou  du  tronc,  en  rapport  anatomique  avec  les  rameaux  émergents,  pro- 
fonds ou  cutanés,  des  nerfs  dentaires  de  l'une  ou  de  l'autre  mâchoire. 

La  cause  essentielle  de  ces  névralgies  est  de  toute  évidence  la  compression  des 
filets  nerveux  alvéolaires  par  la  dent  emprisonnée  dans  sa  loge  osseuse  inexten- 
sible. Cette  compression  s'exerce  tout  d'abord  sur  les  rameaux  qui  pénètrent  au 
centre  de  la  dent  par  les  extrémités  radiculaires,  mais  elle  peut  aussi  porter  sur 
des  lîlets  du  périoste  alvéolaire,  qui  ont  d'ailleurs  la  même  origine  anatomique. 

Il  se  produit  donc  une  névralgie  qui  revêt  toutes  les  formes  qu'on  remarque 
aux  névralgies  d'origine  identique  :  douleurs  dans  le  trajet  même  des  nerfs 
dentaires;  douleurs  orbitaires  par  les  anastomoses  cutanées  avec  les  rameaux 
correspondants  de  la  cinquième  paire;  douleurs  crâniennes  ayant  la  même  pro- 
venance ;  douleurs  auriculaires  par  les  anastomoses  ou  les  rameaux  auriculo- 
temporaux  du  plexus  cervical;  douleurs  cervicales  et  brachiales  par  les  ramifi- 
cations anastomotiques  avec  les  branches  cutanées  du  plexus  brachial. 

Comme  on  le  voit,  nous  n'admettons  guère  ici  que  des  névralgies  par  voie  de 
continuité  des  filets  nerveux,  et  non  par  action  réilexe.  En  effet,  il  est  d'obser- 
vation que  les  névralgies  les  plus  intenses  et  les  plus  rebelles  parmi  celles  qui 
sont  dues  à  celte  origine  ne  dépassent  guère,  dans  leur  propagation  la  plus  loin- 
taine, la  région  supérieure  du  tronc  ou  celle  du  bras  ;  rarement  elles  s'étendent 
à  l'avant-bras.  En  outre,  elles  ne  franchissent  pas  la  ligne  médiane,  ce  qui  est 
d'ailleurs  la  loi  ordinaire  en  matière  de  névralgies. 

Il  faut  dire  aussi  que  les  névralgies  préexistent  souvent  en  dehors  de  tout 
accident  inflammatoire,  et  même  de  tout  soupçon  préalable  du  côté  de  la  dent  de 


DENT  (pathologie).  205 

sagesse.  Elles  peuvent  même  représenter  le  seul  symptôme  de  celte  éruption^ 
caractère  très-important  au  point  de  vue  des  recherches  diagnostiques,  qui 
devront,  surtout  dans  ce  cas  particulier,  avoir  pour  ohjectifs  spéciaux  l'âge 
d'élection  des  sujets  atteints  et  l'état  local  de  la  dent  de  sagesse.  L'exploration 
directe  permettra  alors  d'ohserver  soit  des  phénomènes  de  compression,  soit  un 
certain  degré  d'inflammation  des  gencives  ou  du  tissu  osseux;  mais,  dans  ces 
derniers,  l'élément  névralgique  présente,  en  général,  une  intensité  et  une  impor- 
tance disproportionnées  avec  l'état  phlegmasique. 

Les  douleurs  ont  tantôt  le  caractère  continu,  tantôt  le  ly]>e  intermittent.  Con- 
tinues, elles  peuvent  acquérir  une  intensité  telle  qu'elles  deviennent  intolé- 
rables; tel  était  le  cas  d'un  malade  observé  par  Malagou-Désirabode,  et  qui  fut 
conduit  au  suicide  (thèse  de  Paris,  4858). 

La  forme  périodique  est  toujours  quotidienne,  comme  dans  les  exemples  de 
Hunter,  et  les  accidents  cessèrent  à  la  simple  incision  du  bourrelet  gingival. 

Quant  aux  névralgies  orbitaires,  auriculaires,  faciales,  crâniennes,  etc.,  tous 
les  auteurs,  ainsi  que  nous-mcme,  en  ont  ra|)porté  tant  d'exemples,  que  le  lait 
devient  banal  et  n'a  besoin  d'aucun  autre  développement  {voy.  Weber,  Deutsch. 
Viertelj.  f.  Zahnheilk.,  1867.  — Tomes,  Cliir.  dent.,  trad.  franc.,  1875.  —  Glie- 
vassu,  thèse,  obs.  V.  —  Bourdin,  Gaz.  viéd.,  1875,  p.  48). 

Les  accidents  des  organes  des  sens  et  les  accidents  réjlexes  complètent  le  eadie 
des  phénomènes  nerveux.  Les  descriptions  des  auteurs  en  renferment  un  grand 
nombre  d'exemples,  dont  tous  n'ont  peut-être  pas  les  garanties  désirables  d'au- 
thenticité. Aussi  sommes-nous  autorisé  à  considérer  les  faits  comme  tout  à  fait 
exceptionnels. 

Quoi  qu'il  en  soit,  on  a  signalé,  du  côté  de  la  vision,  des  faits  d'amblyopie 
compliquée  de  douleurs  intra-oculaires.  Tels  sont  les  faits  de  Salter  et  de  llyde 
Salter,  rapportés  par  Heydenreich  [loc.  cit.,  p.  89);  un  exemple  de  kératite 
mterstitielie  de  l'œil  gauche,  dîi  au  docteur  l'arinaud,  et  rapporté  par  le  même; 
mais  le  fait  le  plus  démonstratif  est  assurément  celui  qui  est  dû  à  Duplay,  et 
dans  lequel  des  désordres  de  la  vision  et  de  l'ouïe  ont  eu  pour  cause  incontes- 
table l'éruption  difficile  d'une  dent  de  sagesse  (ircA.  qén.  de  médecine,  6«  série, 
t.  XXm,1873,  p.217). 

Nous  aurions  voulu  rencontrer  les  mêmes  caractères  démonstratifs  dans  les 
faits  de  Monro,  qui  attribua  à  cette  cause  la  chorée  d'une  jeune  bile  ;  de  Portai, 
qui  décrit  des  convulsions  épileptilormes  et  hystériques,  et  d'Esquirol,  qui 
guérit,  suivant  Toirac,  un  cas  de  folie  par  une  incision  cruciale  de  la  muqueuse. 
0° Accidents  organiques.  Les  accidents  organiques  comprennent  trois  ordres 
de  lésions  : 

1"  Les  kystes  folliculaires  de  la  dent  de  sagesse  ;  2»  les  odontomes  ;  3°  les  néo- 
plasmes divers. 

A  l'égard  de  cette  dernière  catégorie  de  phénomènes  pathologiques,  nous 
ferons  une  première  remarque  :  c'est  qu'ils  sont  dus,  en  réalité,  non  à  l'érup- 
tion plus  ou  moins  troublée  de  la  dent  de  sagesse,  mais  à  l'absence  même  de 
cette  sortie,  ou,  si  l'on  veut,  à  sa  non-éruption.  C'est  que,  en  effet,  les  troubles 
de  nature  organique  représentent  des  accidents  de  révolution,  bien  plus  que 
des  phénomènes  d'éruption.  Aussi  ne  sont-ils  mentionnés  ici  que  pour  mémoire, 
car  leur  description  a  été  tracée  ailleurs  [voy.  plus  \im\  Anomalies  de  nutri- 
tion. 

Ce  que  nous  devons  dire  ici,  c'est  que  la  dent  de  sagesse  figure,  pour  une  part 


20-4  DENT  (i'Aïiiologie). 

considérable,  dans  le  nombre  des  faits  d'altérations  organiques  reconnaissant 
une  origine  dentaire.  Les  kystes  des  follicules  de  cette  dent  sont  fréquents  ;  ils 
occupent  tantôt  le  corps  du  maxillaire  inférieur,  comme  dans  les  cas  cités  par 
MM.  Richet  et  Ilerbet  (voy.  Bulletin  de  la  Soc.  de  chirurgie,  1878,  p.  410), 
tantôt  l'épaisseur  même  de  l'apophyse  coronoïde,  comme  les  faits  rapportés  par 
Forget  {Anomalies  dentaires,  1859,  obs.  IX),  Guibout  [Union  médicale,  1847), 
et  par  nous  [Mémoire  sur  les  kystes  des  mâchoires  [Arch.  de  méd.,  1872,  t.  Il, 
p.  685]. 

Ne  pouvant  décrire  de  nouveau  ici  les  kystes  de  la  mâchoire,  nous  n'insiste- 
rons pas,  et  nous  ferons  de  même  pour  la  question  des  odonlomes,  qui  ont 
très-fréquemment  pour  origine  le  Collicule  de  la  dent  de  sagesse,  sous  l'in- 
fluence d'une  compression  prématurée,  et  conséquemment  inverse  de  l'éruption 
même.  Telles  sont  les  observations  de  Broca,  de  Forget,  de  Panas,  et  de  bien 
d'autres  auteurs  (Broca,  Traité  des  tumeurs,  (869,  t.  II.  —  Forget,  loc. 
cit.,  pi.  H,  lig.  5  et  6.  —  Panas,  Bulletin  de  la  Soc.  de  chir.,  1876, 
p.  547). 

Quant  aux  néoplasmes  de  la  màclioire,  il  est  incontestable  qu'un  grand  nombre 
d'entre  eux  ont  encore  pour  point  d'origine  la  région  occupée  par  le  follicule  de 
la  dent  de  sagesse.  Tantôt  ce  sont  des  chondromes  ou  des  fibro-chondromes,  au 
sein  desquels  en  constate  la  présence  de  la  dent  de  sagesse,  ce  qui  confirme  ce 
point  de  pathogénie. 

Watermann  et  Mac  Cormac  en  citent  chacun  un  fait  (Watermann,  Boston 
Med.  and  Surç/icalJourn. ,  8  avril  1869.  — Mac  Cormac,  Dublin,  Quart.  Journ., 
mai  1869).  Tantôt  ce  sont  des  osléomes,  ainsi  cpi'en  décrivent  les  auteurs  du 
Compendium  ;  tantôt,  enfin,  ce  sont  des  épitliéliomas  qui  reconnaissent  sans 
doute  ici  la  pathogénie  si  judicieusement  invoquée  par  Verneuil  et  Reclus, 
aux  dépens  des  débris  épithéliaux  du  cordon  folliculaire. 

D.  Traitement  des  accidents  de  la  dent  de  sagesse.  La  description  des  dif- 
férents modes  de  traitement  des  accitlenls  de  la  dent  de  sagesse  devra  présenter 
la  même  subdivision  que  les  formes  elles-mêmes  de  ces  accidents. 

Cependant,  l'intervention  thérapeutique,  pour  être  vraiment  efficace,  devra 
s'adresser,  une  fois  le  diagnostic  nettement  posé,  au  lieu  même  d'origine  des 
accidents,  et,  mieux  encore,  à  l'organe  qui  en  est  le  point  de  départ.  Celte 
première  pre>cription  est  de  la  plus  haute  importance,  afin  d'éviter  au  patient 
de  s'égarer  dans  un  traitement  symptomatique  qui  devra,  dans  tous  les  cas, 
rester  absolument  secondaire. 

Or,  nous  supposerons  le  premier  cas,  c'est-à-dire  celui  oii  les  accidents 
sont  absolument  localisés  à  la  muqueuse  enflammée,  soit  par  la  compression 
venue  de  la  dent  en  éruption,  soit  par  la  rencontre  et  la  contusion  d'une  dent 
opposée,  soit  par  les  deux  circonstances  à  la  fois.  Nous  admettrons  encore  que 
le  cas  est  simple,  c'est-à-dire  qu'il  n'y  a  encore  aucune  complication  profonde 
ni  du  périoste  du  maxillaire,  ni  du  tissu  osseux,  ni  contracture  musculaire. 
C'est,  comme  on  sait,  la  forme  la  plus  commune. 

Ici  l'indication  est  très-nette  :  débrider  la  dent  de  sagesse  par  Vincision  et 
Vexcision  de  la  muqueuse. 

L'incision  suffit  rarement  :  aussi  beaucoup  d'auteurs,  qui  la  conseillent,  lui 
reprochent  justement  d'être  rapidement  suivie  de  la  réunion  des  lambeaux  et 
du  retour  complet  de  l'accident.  C'est  pour  éviter  cet  inconvénient  que  Toirac 
interposait  aux  lèvres  de  la  plaie  un  bourdonnet  de  charpie  renouvelé  pendant 


DENT   (pathologie).  205 

quelques  jours,  jusqu'à  ce  que  les  bords,  cicatrisés  isolément,  n'aient  plus  ten- 
dance à  se  souder. 

C'est  par  suite  de  l'inefficacité  reconnue  à  la  simple  incision  que  I  on  a 
recommandé  l'incision  en  V  à  sommet  antérieur  ou  l'incision  cruciale,  suivie 
des  mêmes  applications  isolantes. 

Ces  variétés  d'incisions  ne  valent  guère  mieux  l'une  que  l'autre.  Aussi  plu- 
sieurs auteurs  ont-ils  conseillé  d'y  ajouter  quelques  applications  astringentes  ou 
caustiques  :  Chassaignac  préconise  le  nitrate  d'argent,  moyen  insuffisant;  Toirac 
le  cautère  actuel,  auquel  Lisfranc  reprochait  si  justement  de  désorganiser  le 
tissu  de  l'émail,  et  de  préparer  ainsi  des  altérations  ultérieures  de  la  dent.  Le 
même  reproche  s'adresserait  aussi  au  procédé  de  Tomes,  qui  indique  de  loucher 
les  lambeaux  avec  l'acide  nitrique,  dont  on  cherche  à  neutrahscr  les  eflcts  sur 
la  dent  avec  le  pliénate  de  soude. 

Quant  au  procédé  même  de  l'incision,  on  a  proposé  le  bistouri,  (jui  est  loin 
d'être  commode,  et  il  vaudrait  mieux,  en  ce  cas,  se  servir  d'un  petit  scalpel  à 
lame  courte  et  à  dos  résistant. 

L'incision  sera  faite  d'avant  en  arrière,  et  devra  comprendre  toute  l'épaisseur 
des  tissus  jusqu'à  la  surface  même  de  la  couronne.  Il  n'est  pas  indispensable 
que  la  lame  soit  très-lranchante,  une  plaie  déchirée  ayant  moins  de  tendance  à 
se  guérir  qu'une  incision  nette;  puis,  si  l'on  veut  recourir  aux  procédés  isolants, 
on  suivra  la  pratique  de  Toirac.  Si  l'on  a  recours  aux  caustiques,  nous  conseil- 
ions  l'acide  chromique  employé  pur,  qui  est  sans  action  sur  l'émail  et  cautérise 
cnergiquement  les  muqueuses. 

Quoi  qu'il  en  soit,  l'incision  de  la  gencive  est  un  procédé  en  général  iiisuflisanl, 
et  qu'il  faudra  rejeter.  Nous  ne  nous  arrêterons  doue  pas  aux  attaques  violentes 
que  lui  ont  adressées  certains  auteurs,  lesquels  lui  ont  attribué  les  accidents  les 
plus  graves  et  même  la  mort,  comme  dans  une  observation  de  Tulpius  (d'Amster- 
dam) (/«  thèse  dTleydenreich,  p.  97). 

Dans  tous  les  cas,  en  effet,  où  l'incisjon  de  la  muqueuse  paraîtra  indiquée,  il 
Aiudralui  préférer  Vexcision. 

Cette  opération,  pratiquée  soit  avec  le  bistouri,  soit  avec  les  ciseaux,  tandis 
que  d'autre  part  le  lambeau  est  fixé  avec  des  pinces  à  griffes,  est  de  tous  points 
excellente  dans  les  cas,    bien   entendu,  où  les    accidents    sont  exclusifs  à  la 


gencive. 


On  devra  faire  ainsi  l'ablation  d'un  lambeau  demi-circulaire  ou  circulaire,  et 
découvrir  entièrement  la  couronne. 

Les  bords  de  la  plaie  seront  ensuite  touchés  par  des  applications  de  chlorate 
de  potasse,  soit  sec  et  en  poudre,  soit  en  pastilles  ou  en  solution  aqueuse  saturée. 
Si  la  cicatrisation  s'accompagne  de  fongosités  ou  de  ([uelque  tuméfaction,  on 
devra  recourir  à  l'acide  chromique,  qui  s'adressera  plus  particulièrement  encore 
aux  ulcérations  pouvant  compliquer  la  gingivite  locale. 

A  ce  débridement,  tout  à  fait  efficace  dans  la  plupart  des  cas,  devra  s'adjoindre 
une  autre  pratique  qui  consistera  à  exciser  aussi  les  nodosités  ou  indurations 
qui  pourraient  survenir  du  côté  de  la  joue  ou  de  la  muqueuse  du  pilier  antérieur. 
11  faut,  en  un  mot,  dégager  entièrement  la  couronne  en  voie  d'ascension. 

Mais,  si  la  pratique  que  nous  venons  d'indiquer  suffit  dans  tous  les  cas  d'acci- 
dents muqueux,  elle  ne  saurait  être  applicable  à  ceux  qui  se  compliquent  de 
phénomènes  de  compression  bien  reconnus  ou  d'accidents  osseux,  avec  ou  sans 
rétraction  musculaire  et  phlegmon  de  la  joue.  Ici  le  débridement  doit  porter 


206  DENT   (pathologie). 

non  sur  la  muqueuse,  mais  sur  l'alvéole  lui-même,  centre  de  la  compres- 
sion. Ce  débridement  peut  s'obtenir  par  deux  moyens  :  le  premier,  recom- 
mandé par  Toirac,  consiste  à  supprimer  l'obstacle,  c'est-à-dire  la  deuxième 
molaire;  le  second  consiste  à  enlever  l'agent  même  de  la  compression,  soit  la 
dent  de  sagesse  elle-même. 

Le  procédé  de  Toirac  a  toutes  les  apparences  de  logique,  car  il  est  d'observation 
que,  dans  une  bouche  oii  la  seconde  molaire  manque,  les  accidents  de  la  dent 
de  sagesse  ne  se  produisent  pas.  11  a  été  maintes  fois  appliqué  par  son  auteur  et 
par  beaucoup  de  cliirurgiens. 

Nous  déclarons  toutefois  le  rejeter  entièrement,  pour  les  raisons  que  voici  : 

1°  Nous  connaissons  un  grand  nombre  de  cas  dans  lesquels,  pour  des  troubles 
profonds,  l'opération  n'a  point  empêché  les  accidents  de  Ja  dent  de  sagesse  de 
continuer  leur  évolution  morbide,  et  de  conduire  à  la  propre  extraction  de 
celle-ci  ; 

2"  Nous  trouvons  irrationnel  que,  pour  parer  aux  accidents  d'une  dent  à  peu 
près  inutile  aux  fonctions  de  la  bouche,  k  dent  de  sagesse,  on  prive  le  sujet 
d'un  organe  essentiel,  la  seconde  molaire  ; 

3"  A  ces  deux  raisons  s'ajoute  cette  autre,  que,  dans  tous  les  cas  où  l'on  peut 
songer  à  enlever  la  deuxième  molaire,  il  est  presque  aussi  aisé  d'extraire  la 
troisième,  et  que,  si  cette  dernière  opération  est  reconnue  difficile,  on  pourra, 
pour  arriver  à  la  dent  de  sagesse  et  en  pratiquer  l'ablation,  supprimer  tempo- 
rairement la  seconde  molaire  qu'on  réimplante  ensuite. 

Dans  la  pratique  que  nous  recommandons,  on  devra  donc  s'adresser  exclusi- 
vement à  la  dent  qui  est  cause  essentielle  des  accidents,  et  non  à  aucune  autre. 

Un  très  grand  nombre  de  cas  ont  été  ainsi  traités  par  nous,  m;ilgré  les  diffi- 
cultés de  toutes  sortes  que  nous  ayons  rencontrées  :  rétraction  musculaire 
complète,  gonflement  extrême  des  parties,  état  inclus  de  la  dent  à  extraire,  etc. 

Ces  diverses  circonstances  s'opposent,  comme  on  le  pense  bien,  à  l'introduction 
des  instruments  ordinaires,  le  davier,  par  exemple.  Mais  il  en  est  un,  emprunté 
au  vieil  arsenal  chirurgical,  et  qui  porte  le  nom  de  langue  de  carpe  :  c'est  un 
simple  levier  coudé,  à  extrémité  tranchante,  qu'on  introduit,  après  quelques 
tâtonnements,  dans  l'interstice  qui  sépare  la  dent  de  sagesse  de  la  dent  précé- 
dente. Puis,  par  un  mouvement  de  bascule  dans  le  sens  postérieur,  on  arrive, 
dans  l'immense  majorité  des  cas,  à  luxer  la  dent  de  sagesse. 

L'emploi  de  cet  instrument  a  cela  de  particulier,  qu'il  est  possible  même  dans 
le  cas  d'occlusion  complète  de  la  bouche,  car  il  s'introduit  au  lieu  de  son  action, 
par  le  dehors  de  l'arcade  dentaire,  et  sans  nécessiter  l'éLartement  des  mâchoires. 

Ainsi  qu'on  le  voit,  l'extraction  de  la  dent  de  sagesse,  tout  à  faitcontre-indiquée 
en  présence  de  simples  accidents  nmtjueux,  est  de  règle  dans  les  accidents 
osseux. 

Mais  cette  indication,  si  impérieuse  qu'elle  puisse  être,  rencontre  dans  quelques 
cas  particuliei's  de  telles  difficultés  qu'elle  devient  la  source  des  plus  grands 
embarras  de  la  part  des  chirurgiens.  Sans  rappeler  ici  la  rétraction  musculaire 
qui  peut  être  vaincue  dans  une  certaine  mesure  par  l'écartement  iorcé  des 
mâchoires,  le  malade  étant  plongé  dans  le  sommeil  anesthésique,  il  est  bien 
d'autres  complications  :  tantôt  la  dont  de  sagesse  est  tout  à  fait  incluse  sous  une 
couche  épaisse  de  muqueuse  transformée  en  tissu  cicatriciel  ;  tantôt  la  déviation 
qu'elle  a  éprouvée  dans  sa  direction  a  porté  la  couronne  soit  d'arrière  en  avant, 
sa  surface  triturante  venant  heurter  la  face  postérieure  de  la  deuxième  molaire; 


DENT  (pathologie).  207 

tantôt  sa  direction  est  tout  à  fait  extéiieuie,  absolument  liorizontale,  et  la  cou- 
ronne pénètre  dans  une  masse  indurée  formée  par  le  tissu  de  la  joue. 

L'ouverture  artificielle  de  la  bouche,  tout  en  ]iermettant  l'exploration  des 
parties,  ne  rend  pas  pour  cela  l'opération  plus  facile,  et  toute  application  d'un 
instrument  demeure  irréalisable. 

C'est  dans  les  cas  de  ce  genre  que  plusieurs  chirurgiens  ont  eu  l'idée  de 
pratiquer,  comme  opération  prélimiuaire,  la  section  transversale  complète  de  la 
joue  au  niveau  de  la  commissure,  afin  d'aborder  directement  le  foyer  des  acci- 
dents et  de  pratiquer  l'extraction  par  cette  voie.  Hàtons-nous  d'ajouter  que  nous 
n'avons  jamais  eu,  en  ce  qui  nous  concerne,  recours  à  cette  opération;  disons 
même  que  nous  avons  réussi  plusieurs  fois  à  la  conjurer,  en  réussissant  à 
délivrer  les  malades  par  la  voie  ordinaire  de  la  bouche. 

Dans  un  fait  entre  autres,  il  s'agissait  d'un  jeune  homme  de  vingt  ans,  qui 
était  en  1865  à  l'hôpital  Saint-Antoine  dans  le  service  de  Broca.  Il  présentait 
depuis  plus  de  six  mois  les  accidents  les  plus  graves  du  côté  de  la  face  :  fistules 
multiples,  induration  de  la  joue,  rétraction  complète  des  mâchoires,  accidents 
généraux,  etc.  Plusieurs  tentatives  d'extraction  d'une  dent  de  sagesse  inférieure 
gauche,  cause  reconnue  des  accidents,  avaient  été  faites  infructueusement,  et  le 
chirurgien  se  proposait  de  pratiquer  la  section  de  la  joue  afin  de  découvrir  la 
région  de  la  dent  en  question.  Nous  demandâmes  à  faire  une  dernièie  tentative  : 
le  malade  étant  endormi  par  le  chloroforme,  nous  écartâmes  les  m;ichoires  par 
la  vis  conique  et,  ayant  reconnu  que  la  dent  de  sagesse  incluse  dans  des  bour- 
relets de  muqueuse  indurée  était  toutefois  di'oite,  nous  réussîmes  à  l'extraire  par 
l'emploi  de  la  langue  de  carpe. 

Quelque  temps  auparavant  un  cas  de  même  genre  s'était  présenté,  à  l'hôpital 
Saint-Louis,  dans  le  service  de  M.  Lallier,  chez  un  jeune  homme  souffi'anl 
depuis  un  an  d'abcès  multiples,  de  fistules  siégeant  à  la  joue  gauche  et  ayant 
fait  supposer  une  affection  scrofulcuse  ancienne.  Le  chef  de  service,  ayant  très- 
judicieusement  soupçonné  l'intervention  d'une  dent  de  sagesse,  nous  fit  appeler, 
et  la  même  opération  que  dans  le  cas  précédent  amena  le  même  résultat. 

Mais  ce  sont  là  encore  des  cas  relativement  simples,  et  il  en  est  où,  malgré 
l'écartement  suffisant  des  mâchoires,  des  anomalies  de  direction  de  la  dent  de 
sagesse  ne  permettent  l'application  d'aucun  instrument.  C'est  dans  un  exemple 
de  ce  genre,  dont  nous  avons  longuement  relaté  l'histoire  {Contribution  à 
l'étude  des  accidents  de  la  dent  de  sagesse  inférieure,  observation  recueillie  par 
le  docteur  Aguilhon.  Gazette  hebdomadaire  de  méd.  et  de  chir.,  1879,  p.  3), 
que  nous  avons  songé  à  utiliser,  à  tili^e  d'opération  préliminaire  [voy.  sur 
cette  question  des  opérations  préliminaires  en  général,  préconisées  par  le  profes- 
seur Verneuil,  l'intéressante  thèse  de  M.  Kirmisson.  Paris,  1879),  l'ablation 
temporaire  de  la  deuxième  molaire.  Chez  le  sujet,  gravement  malade  et  épuisé 
par  une  longue  suppuration  et  des  tentatives  infructueuses,  la  dent  de  sagesse 
était  tout  à  fait  incluse  dans  la  joue,  el  M.  Verneuil,  dans  le  service  duquel  le 
malade  était  externe,  songeait,  afin  de  le  délivrer,  à  pratiquer  la  section  de  la 
joue.  L'ablation  de  la  deuxième  molaire,  qui  fut  maintenue  pendant  deux 
heures  hors  de  la  bouche  dans  un  milieu  humide,  nous  permit  l'accès  des  instru- 
ments jusqu'à  la  dent  de  sagesse  qui,  après  maintes  tentatives,  parvint  à  être 
luxée  au  dehors.  La  greffe  de  la  deuxième  molaire,  pratiquée  deux  heures  après, 
fut  suivie  de  consolidation,  et  tous  les  accidents  disparurent. 

Ces  cas  heureusement  sont  rares,  mais  nous  tenons  ici  à  signaler  l'intervention 


208  DENT  (pathologie). 

possible  de  la  pratique  de  la  greffe  par  restitution  applicable  à  l'extraction  d'une 
dent,  dans  le  but  de  créer  une  voie  de  passage  auprès  d'une  dent  de  sagesse 
inaccessible  dans  les  cas  ordinaires. 

Disons  un  mot  maintenant  du  traitement  spécial  d'un  des  accidents  les  plus 
sérieux  de  cette  série  de  phénomènes.  11  s'agit  de  la  rétraction  musculaire.  Or,  on 
sait  que  plusieurs  chirurgiens,  MM.  Sarasin,  Richet,  Gaujot,  conseillent  formel- 
lement, lorsque  la  rétraction  se  maintient  depuis  longtemps,  de  pratiquer  soit  la 
section  des  fibres  du  masséler,  soit  l'opération  d'Esmarch  ou  celle  de  Rizzoli.  Mais 
nous  avons  suffisamment  établi  que  le  fait  de  la  rétraction  musculaire  est  ici  une 
conséquence,  un  phénomène  secondaire  dans  la  série  des  accidents  de  la  dent 
de  sagesse,  et  que  dès  lors  il  doit  cesser,  et  cesse  constamment  de  lui-même, 
aussitôt  que  la  cause  première,  c'est-à-dire  la  dent  do  sagesse,  a  été  extraite. 

JjOrs  donc  ([u'on  se  trouve  en  présence  d'un  fait  de  ce  genre  avec  occlusioi; 
même  complète  de  la  bouche  et  en  l'absence  bien  constatée  de  toute  ankylose 
de  l'articulation  temporo-maxillaire,  il  faudra  repousser  l'idée  préalable  de  la 
section  musculaire  ou  de  la  section  de  la  branche  montante.  Les  efforts  du 
chirurgien  devront  porter  exclusivement  sur  la  dent  de  sagesse  à  laquelle  on 
pourra  toujours  accéder,  ainsi  que  nous  l'avons  dit,  snit  par  le  bord  externe  de 
l'arcade  alvéolaire,  soit  en  provoquant  récartement  dos  mâchoires  s^ous  le  chloro- 
forme, ou  en  pratiquant  encore  l'extraction  temporaire  de  la  deuxième  molaire. 

Dans  quelques  observations  publiées  par  les  auteurs  cités  plus  haut,  et  oii  la 
section  osseuse  a  été  faite,  on  trouve  en  effet  que  l'ab'ation  de  la  dent  de  sagesse 
a  été  jugée  nécessaire  et  a  été  effectuée  en  second  lieu.  Cette  pratique  est 
blâmable,  et  nous  restons  convaincu  que,  si  l'on  avait  commencé  par  celle 
dernière  opération,  on  eut  évité  la  première,  qui  ne  tiouve  d'indication  formelle 
(|ue  dans  un  état  d'immobilisation  reconnu  incurable  de  l'articulation  du  maxil- 
laire inférieur,  et  nullement  dans  aucune  des  circonstances  qui  peuvent  accom- 
pagner ou  compliquer  l'éruption  de  la  dent  de  sagesse. 

II.  AFFECTIONS  DE  L'ORGANE  DENTAIRE  EN  TOTALITÉ.  Cette  division 
comprend:  A.  Les  lésions  trauma  tiques,  fractures,  luxations,  usure.  — B.  Les 
affections  organiques  coyisistant  en  une  seule  affection,  la  carie  dentaire, 
déjà  étudiée  dans  une  autre  partie  de  ce  Dictionnaire  {voy.  Carie  DE^TAIRE).Nous 
n'avons  doijc  à  nous  occuper  que  des  lésions  traumatiques. 

A.  Lésions  traumatiques  des  dents.  Les  lésions  traumatiques  des  dents  se 
distinguent  en  : 

1»  Fractures.  Les  fractures  des  dénis,  malgré  leur  extrême  fréquence,  n'ont  été 
étudiées  que  par  fort  peu  d'auteurs.  En  dehors  de  quelques  observalions  isolées, 
nous  ne  pouvons  citer  qu'un  seul  travail  d'ensemble  dû  au  docteur  Maurel, 
médecin  de  1"^  classe  de  la  marine  {Archives  demédecine  navale,  janvier  1875). 

Avant  de  décrire  les  fractures  proprement  dites  des  dents,  nous  devons  une 
courte  mention  à  certaines  lésions  Iraumutiqnes  superficielles,  telles  que  les 
fissures,  craquelures  de  l'émail,  qui  ont  pour  cause  une  violence  exercée  sur  l'or- 
gane ou  plus  simplement  des  transitions  de  température  auxquelles  la  dent  est 
si  communément  exposée  dans  la  bouche.  Ici,  l'émail  se  comporte  comme  une 
véritable  substance  vitreuse,  et  il  est  certain  cas  dans  lesquels,  sous  des  actions  de 
cet  ordre,  les  sujets  ont  même  pu  avoir  conscience  de  l'accident  lui-même  au 
petit  bruit  sec  qi>i  a  accompagné  la  fissure  accidentelle. 

Cette  lésion  est  d'ailleurs  extrêmement  commune,  et  il  n'est  guère  de  sujets 


DEiNT  (pathologie).  209 

arrivés  à  un  âge  avancé  chez  lesquels  on  ne  puisse  reconnaître  l'existence  de  ces 
fentes  de  l'émail  tantôt  verticales,  tantôt  horizontales  et  plus  rarement  ohliiiues, 
faciles  à  voir  à  un  examen  attentif.  Elles  n'ont  d'ailleurs  aucun  inconvénient 
sérieux  et  ne  deviennent  le  lieu  d'élection  d'altérations  ultérieures,  comme  la 
carie,  que  chez  les  individus  particulièrement  prédisposés  d'autre  paz't.  Elles 
n'ont  donc  pas  la  gravité  des  autres  fissures  de  l'émail  de  nature  congénitale, 
lesquelles  ont  été  étudiées  à  propos  des  anomalies  de  structure  et  qui  sont 
essentiellement  des  causes  prédisposantes  de  carie.  Un  auteur  anglais,  M.  Ilepburn, 
adu  reste  insisté  sur  ces  faits  auxquels  il  attribue  précisément  pour  cause  constante 
les  transitions  de  température  qui  peuvent  alternativement  porter  le  milieu  do 
la  bouche  de  50  degrés  centigrades  environ,  sous  l'influence  d'une  boisson 
chaude,  à  0  m  au-dessous  par  le  contact  d'une  glace  ou  d'un  sorbet  (voy. 
Brithh  Médical  Journal,  July  1879,  p.  154). 

Les  fractures  proprement  dites  des  dents  résultent  soit  du  choc  d'un  corps 
étranger  ou  d'une  chute  sur  la  face,  soit  de  la  rencontre  d'un  corps  dur  pendant 
la  mastication.  On  doit  les  distinguer  en  trois  variétés:  les  fractures  simples  ou 
partielles,  c'est-à-dire  celles  qui  produisent  une  perte  de  substance  en  dehors  de 
la  cavité  de  la  pulpe;  les  fractures  complètes,  qui  partagent  la  dent  en  deux 
fragments  en  passant  par  la  cavité  centrale;  les  fractures  comminutives,  dans 
lesquelles  il  y  a  multiplicité  de  fragments.  Mais  dans  tous  les  cas  il  ne  saurait 
ctre  question  ici  que  de  lésions  portant  sur  des  dents  préalablement  saines, 
c'est-à-dire  sans  complication  de  carie  ou  de  toute  autre  affection  quelconque. 
Les  fractures  simples  sont  caractérisées  par  la  perle  de  substance  d'un 
fragment  de  la  couronne  mettant  subitement  à  nu  une  couche  plus  ou  moins  pro- 
fonde du  tissu  de  l'ivoire  et  avec  chute  complète  du  fragment.  Les  dents  qui  y 
sont  le  plus  exposées  sont  les  incisives  et  particulièrement  les  supérieures,  puis 
les  dents  latérales,  les  biscupides,  enfin  les  molaires.  Elles  sont  particulièrement 
fréquentes  cbez  les  enfants  et  les  vieillards,  en  raison  de  la  fragilité  particulière 
des  dents  aux  deux  époques  extrêmes  de  la  vie.  Ces  fractures  affectent  diverses 
directions  :  si  elles  résultent  du  choc  violent  ou  d'une  chute,  elles  peuvent 
entamer  une  dent  dans  sa  largeur  et  enlever  une  bande  régulière  paral- 
lèle au  bord  libre.  D'autre  fois  elles  enlèvent  un  angle  de  la  couronne,  quelquefois 
une  simple  lame  oblique,  comme  cela  se  présente  si  souvent  au  bord  libre  des 
incisives  chez  les  femmes  qui  tirent  violemment  avec  leurs  dents  sur  des  fils 
de  soie  ou  de  lin. 

D'une  manière  générale,  les  accidents,  au  point  de  vue  de  leur  gravité,  sont 
toujours  proportionnels  à  l'étendue  en  surface  et  au  degré  en  profondeur  de  la 
couche  de  denline  mise  à  nu.  Ils  sont  également  en  rapport  avec  la  jeunesse  des 
sujets.  Ces  deux  circonstances  trouvent  leur  commune  explication  dans  le  niveau 
même  de  la  fracture,  qui  est  plus  ou  moins  rapprochée  de  la  cavité  pulpaire, 
laquelle,  comme  on  sait,  est  beaucoup  plus  grande  chez  l'enfant  que  chez 
l'adulte  et  le  vieillard. 

Si  la  surface  de  section  est  superficielle,  les  accidents  se  bornent  à  une  légère 
sensibilité  de  contact  sous  l'influence  d'un  corps  froid  ou  du  passage  d'un  objet 
dur,  ou  d'un  instrument.  11  en  résulte  alors  une  sensation  analogue  à  celle  qui 
s'observe  dans  certaines  caries  superficielles,  et  en  raison  même  de  la  couche 
dentinaire  intéressée,  qui  répond  à  cette  ligne  grisâtre  sous-jacente  à  l'émail, 
et  qui  renferme  les  épanouissements  des  fibrilles  (réseau  anastomolique). 
La  sensation,  toutefois,  n'est  que  bien  rarement  spontanée,  et  d'ordinaire  elle 
DICÏ.  ENC.  X.XY1I.  14 


iîiO  DENT  (pathologie). 

cesse  rapidement  en  vertu  de  celle  réparation  moléculaire  par  la  dentine  secon- 
daire qui  vient  donner  au  tissu  l'racturé  une  résistance  et  une  compacité  qui 
s'opposent  bientôt  à  toute  transmission  des  impressions  extérieures.  Dans  quel- 
ques circonstances  toutefois,  ce  phénomène  ne  se  produit  qu'avec  une  grande  len- 
teur, et  il  est  dès  lors  indiqué  de  le  favoriser  ou  de  ie  provoquer  par  quelques 
applications.  Le  meilleur  moyen  est,  dans  ce  cas,  la  cautérisation  avec  le  galvano- 
cautère  qu'on  passe  légèrement  sur  la  surface  sensible.  Le  résultat  cherché  est 
souvent  immédiat,  parce  que  le  feu  transforme  en  eschares  les  extrémités  cou- 
pées des  fibrilles,  mais  il  se  continue  ensuite  par  la  surexcitation  provoquée  dans 
les  fonctions  réparatrices  de  la  pulpe.  On  pourra,  du  reste,  revenir  plusieurs  fois 
sur  cette  pratique,  mais  toujours  avec  les  plus  grandes  précautions,  afin  d'éviter 
un  accident  dont  nous  parlerons  plus  loin,  l'inflammation  de  la  pulpe.  11  sera 
aussi  de  toute  nécessité  de   préférer  le  galvano-cautère  ou  (hormo-cautère,  en 
raison  du  plus  grand  rayonnement  calorifique  de  ce  dernier. 

Dans  les  cas  de  fracture  passant  dans  une  couche  d'ivoire  plus  rapprochée  de 
la  pulpe,  les  accidents  qui  surviennent  sont  d'une  autre  nature:  souvent  la  sur- 
face de  section  présente  une  sensibilité  moindre  ou  même  nulle,  la  fracture 
ayant  dépassé  la  couche  anastomotique.  Mais  la  pulpe  centrale,  impressionnée 
plus  vivement  par  les  influences  extérieures,  n'entre  pas  en  fonctionnement  sup- 
plémentaire pour  réparer  la  couche  mise  à  nu;  elle  s  enflamme  alors  ou  même 
elle  est  frappée  de  gangrène.  Si  cet  organe  s'enflamme,  on  assiste  à  une  véri- 
table explosion  des  accidents  de  pidpite  que  nous  n'avons  pas  à  décrire  ici  et 
qui  nécessitent  une  intervention  rapide  par  débridement,  c'est-à-dire  trépa- 
nation directe  de  la  cavité  et  soins  consécutifs.  Si  c'est  la  gangrène  de  la  pulpe 
()ui  se  produit,  le  signe  presque  immédiat  est  la  coloration  grisâtre  plus  ou  moins 
Ibncée  de  la  totalité  de  la  couronne  restante  ou  même  une  coloration  noire.  Cet 
accident  résulte  de  l'imbibitiou  de  la  dentine  par  les  éléments  mortifiés  de 
la  pulpe  et  des  fibrilles.  Parfois  les  phénomènes  ne  s'arrêtent  pas  là  et  le  périoste 
d'une  dent  ainsi  privé  de  sa  pulpe  s'enflamme  à  son  tour,  ce  qui  entraîne  la 
production  soit  d'une  simple  périostite  aiguë  avec  abcès,  ou  d'une  périostile  à 
marche  lente  et  chronique,  aboutissant  à  une  fistule  ou  à  un  kyste  qui  corn- 
jiromettent  gravement  la  vitalité  des  fragments  restant  et  nécessitent  leur  ex- 
traction. 

Cette  issue  présentera  une  gravité  exceptionnelle,  s'il  s'agit  d'une  incisive,  et 
ou  devra  tout  tenter  pour  l'éviter,  ne  fût-ce  que  pour  conserver  dans  la  suite  le 
moignon  sur  lequel  s'appliquerait  un  appareil  prothétique  comme  une  dent  à 
pivot,  par  exemple. 

Sans  insister  ici  sur  ie  traitement  particulier  de  la  pulpite,  ni  sur  celui  de  la 
périostite,  nous  rappellerons,  toutefois,  qu'en  présence  d'une  menace  de  gangrène 
de  la  pulpe  on  devra  rapidement  pénétrer  dans  la  cavité  centrale,  détruire 
l'organe  par  les  caustiques  et  panser  les  canaux  radiculaires  par  la  méthode 
antiseptique,  afin  d'éviter  la  complication  de  la  périostite. 

Ce  deiniier  accident  n'est  pas,  toutefois,  une  contre-indication  absolue  à  la 
réparation  de  l'accident  par  la  prothèse,  et  dans  un  cas  récent  de  fracture  d'une 
incisive  centrale  supérieure  chez  un  enfant  de  treize  ans,  avec  complication  de 
périostite  chronique  du  sommet,  nous  avons  tenté  avec  un  succès  complet  la 
greffe  :  le  moignon  ayant  été  extrait  pour  réséquer  son  sommet  radiculaire, 
un  appareil  à  pivot  tuhulé  a  été  appliqué  hors  de  la  bouche  et  le  tout  réim- 
planté. Un  bandage  de  maintien  a  assuré  la  greffe  qui  fut  complète  au  bout  de 


DENT  (pathologie).  2H 

quelques  jours.  Ce  résultat  fut  réalisé   chez   un   jeune   malade   du  docteur 
Th.  Anger,  qui  a  bien  voulu  nous  assister  dans  cette  opération. 

Les  fractures  complètes  des  dents  sont  celles  qui,  passant  par  la  cavité  cen- 
trale, sont  tantôt  verticales,  tantôt  transversales,  tantôt  obliques.  Elles  diffèrent 
essentiellement  de  îa  variété  précédente  en  ce  que  les  fragments  peuvent  se 
maintenir  sans  déplacement  sensible.  Elles  partagent  ainsi  une  dent  en  deux 
parties  qui  sont  à  peu  près  égales. 

Si  la  fracture  est  transversale,  elle  peut  se  produire  soit  en  deçà,  soit  au 
delà  du  collet.  Dans  le  premier  cas  son  niveau  sera  pcrceptililo  à  l'œil  et  la 
mobilité  du  fragment  externe  sera  plus  marquée.  Dans  le  second  cas,  le  maintien 
en  contact  des  deux  fragments  sera  bien  plus  favorable  au  pronostic  et  au 
traitement. 

D'une  manière  générale,  la  fracture  complète  d'une  dent  s'accompagne  ordi- 
nairement d'une  douleur  assez  vive  par  suite  de  la  commotion  même  de  la  pulpe 
et  parfois  de  sa  déchirure.  En  outre,  on  observe  une  hémorrhagie  légère  dont  il 
conviendra  tout  d'abord  d'apprécier  exactement  l'origine.  En  effet,  l'écoulement 
sanguin  peut  provenir  de  la  gencive  ou  du  périoste,  et  non  de  la  pulpe.  S'il  a 
celte  dernière  pour  origine,  il  y  a  bien  des  chances  pour  que  toute  tentative 
de  consolidation  soit  sérieusement  compromise.  Ce  sera  le  cas  contraire,  s'il  est 
dû  au  périoste  ou  à  la  gencive. 

Si  nous  insistons  sur  cette  distinction,  c'est  que  la  conduite  invariable  du 
chirurgien  en  présence  d'une  fracture  complète  d'une  dent,  soit  transversale, 
soit  verticale  ou  oblique,  doit  être  de  tenter  la  consolidation  par  la  formation 
d'un  véritable  cal. 

11  faudra  donc,  suivant  le  cas,  maintenir  rigoureusement  en  contact  les  deux 
fragments  tantôt  au  moyen  du  bandage  qui  suffira  dans  les  fractures  verticales, 
tantôt  par  une  gouttière  de  gutta-percha  pour  les  fractures  transversales. 

L'immobilisation  ainsi  réalisée  devra  être  maintenue  pendant  un  temps  assez 
long,  plusieurs  semaines,  par  exemple  :  car  la  consolidation,  lorsiju'elle  se  pro- 
duit, est  fort  lente  et  s'effectue  par  un  processus  particulier  :  si  la  pulpe  n'a 
éprouvé  aucune  lésion  de  sa  substance  ou  si  une  lésion  a  'pu  se  réparer  rapide- 
ment, elle  entre  aussitôt  en  fonctionnement  régulier,  produisant  une  quantité 
sufùètxnle  de  dentine  secondaire  qui  vient  ainsi  souder  l'un  à  l'autre  les  fra^mens 
affrontés.  A  ce  phénomène  vient  s'ajouter  un  autre,  surtout  dans  les  cas  de  frac- 
tures verùeales:  c'est  la  réparation  osseuse  du  cément  qui  produit  alors  un  véri- 
table cal  à  la  manière  des  os  ordinaires  (c'est  même  tout  spécialement  à  la  répa- 
ration osseuse  par  le  cément  coronaire  qu'est  due  la  consolidation  assez  commune 
de  certaines  dents  de  grands  pachydermes,  comme  les  défenses  de  l'éléphant. 
Ces  dents  sont,  comme  on  sait,  fréquemment  fracturées  à  la  chasse  par  des  coups 
de  feu,  et  leur  réparation  s'effectue  par  la  production  d'un  véritable  lien  osseux 
qui  arrive  à  immobiliser  et  à  envelopper  les  fragments  divisés). 

Quoi  qu'il  en  soit,  un  certain  nombre  de  cas  de  consolidation   de  fractures 
complète  de  dent  chez  l'homme  ont  été  signalés.  Duval  en  avait  déjà  indiqué 
le  mécanisme  et  en  rapporte  plusieurs  observations  (Journal  de  Sédillot    dSiS 
t.  Xlll,  p.  275).  '  ' 

J.  Tomes  de  son  côté  en  a  observé  un  exemple  [A  Course  on  dental  Phmioloqi 
andSurgery.  London,  1848,  p.  192).  D'autres  observateurs, Wedl,  Delestre,  elc."^ 
en  citent  également.  '      '' 

Ces  cas  sont  rares  toutefois  et  pour  notre  compte,   bien  que  nous  ayons 


212  DENT   (pathologie). 

plusieurs  fois  tenté  cette  réparation,  nous  n'avons  point  réussi  à  l'obtenir.  C'est 
qu'en  effet  le  maintien  de  la  pulpe  dans  son  état  d'intégrité  fonctionnelle  est 
difficile  à  réaliser.  Cet  organe  est  d'une  grande  friabilité  de  tissu,  et  la  moindre 
déchirure,  sa  commotion  simple  même,  devient  ordinairement  le  point  de  départ 
d'inflammation,  de  suppuration  ou  de  gangrène.  Le  résultat  est  immédiatement 
compromis  et  l'on  se  voit  forcé  de  pratiquer  soit  l'ablation  du  fragment  le  plus 
mobile,  soit  même  la  suppression  de  la  totalité  de  l'organe. 

Les  fractures  comminuiives  des  dents  consistent  dans  une  sorte  d'écrasement 
et  de  dilacération  qui  ne  saurait  avoir  pour  cause  qu'un  traumatisme  violent  : 
chute  sur  la  face,  percussion  d'un  corps  étranger,  coup  de  feu,  etc.  Dans  ces 
circonstances,  il  y  a  production  d'un  nombre  plus  ou  moins  considérable  de 
fragments  détachés  en  partie  ou  maintenus  en  contact  par  la  pulpe  et  les  parties 
molles  voisines. 

Cet  accident  particulièrement  fréquent  aux  dents  antérieures  est  ordinairement 
très-douloLireux,  en  raison  de  la  lésion  inévitable  de  la  pulpe  de  la  gencive  et  du 
périoste. 

La  conduite  du  chirurgien  dans  un  cas  de  ce  genre  ne  saurait  être  déterminée 
d'une  manière  précise  et  devra  nécessairement  être  subordonnée  aux  diverses 
circonstances  de  l'accident.  Dans  tous  les  cas  on  devra  d'abord  faire  l'ablation 
de  toutes  les  portions  libres  et  détachées  de  façon  à  ne  laisser  dans  la  mâchoire 
que  le  fragment  principal  dont  la  consolidation,  si  elle  est  réalisable,  permet- 
trait ultérieurement  une  application  prothétique.  Puis,  si  la  pulpe  n'a  pas  été 
entraînée  dans  la  dilacération,  on  devra  procéder  à  sa  destruclion  soit  par  ablation 
directe,  soit  par  l'emploi  des  caustiques  ou  du  cautère.  Enfin,  dans  les  cas  oiî 
aucune  conservation  partielle  ne  pourra  être  tentée,  on  pratiquera  l'extraction 
pure  et  simple  de  la  totalité  des  fragments. 

2"  Luxation.  Les  •  luxations  des  dents  également  étudiées  par  le  docteur 
Maurel  {Archives  de  méd.  nav.,  avril  1875)  se  produisent  dans  les  mêmes  cir- 
constances qui  ont  amené  les  fractures  ;  de  sorte  que  le  même  traumatisme  peut 
entraîner  tantôt  l'un,  tantôt  l'autre  de  ces  accidents,  tantôt  même  les  deux  à  la 
fois.  Si  la  dent  présente  une  suffisante  résistance  de  tissu,  c'est  la  luxation  qui 
pourra  se  produire.  C'est  ce  qui  a  lieu  surtout  chez  les  adolescents  ou  chez  les 
adultes,  tandis  que  la  fracture  est  plus  commune,  ainsi  que  nous  l'avons  dit, 
dans  l'enfance  et  la  vieillesse. 

La  luxation  d'une  dent  sera  incomplète,  si  l'organe  a  subi  un  simple  ébran- 
lement avec  ou  sans  déplacement,  ou  complète  s'il  a  été  complètement  détaché 
et  projeté  hors  de  l'alvéole. 

La  luxation  incomplète  consistera  donc  dans  une  perte  partielle  des  adhérences 
d'une  dent  avec  projection  soit  en  avant  ou  en  arrière  de  l'arcade,  soit  sur 
les  côtés  :  s'il  n'y  a  aucune  complication  de  fracture,  la  conduite  du  praticien 
est  toute  tracée  et  il  faut  immédiatement  rétablir  dans  sa  place  l'organe  luxé 
et  procéder  dans  l'immobilisation  par  les  mêmes  moyens  que  pour  les  fractures. 
Si  une  seule  dent  a  été  frappée,  on  devra  la  réunir  aux  voisines  restées  fixées  au 
moyen  d'un  bandage  en  8  de  chiffre  ;  ces  bandages  devront  être  faits  soit  en 
cordonnet  de  soie  préalablement  ciré,  avec  la  précaution  de  laver  avec  l'alcool 
pur  les  dents  sur  lesquelles  il  devra  s'appliquer,  soit  encore  avec  ces  fds 
très-résistants  appelés  racine  des  pêcheurs  (intestin  du  ver  à  soie)  et  qui 
donnent  d'excellents  résultats.  Si  une  certaine  étendue  de  l'arcade  a  éprouvé 
cet  accident,  il  conviendra  d'établir  une  gouttière  de  gutta-percha  ou  d'étain 


DE.NT  (pathologie).  9Aô 

en  lame  mince  pour  maintenir  simultanément  plusieurs  dents  luxées.  La 
consolidation  s'obtiendra  ainsi  très-rapidement.  Quelques  circonstances  peuvent 
toutefois  se  présenter  dans  le  cours  ou  à  la  suite  d'une  semblable  réduction. 
En  premier  lieu  il  faut  noter  les  déchirures  de  la  gencive,  lesquelles  présentent 
quelquefois  assez  d'étendue  pour  faire  obstacle  à  l'installation  d'une  gouttière, 
en  raison  du  gonflement  des  parties  qui  peut  se  produire  les  jours  suivants. 
Dans  ce  cas  on  devra  placer  temporairement  une  première  gouttière,  c'est-à-dire  la 
retirer  au  bout  des  premières  vingt-quatre  heures  qui  suffisent  d'ordinaire  à 
permettre  quelques  adhérences;  puis  on  les  renouvelle  une  seconde  ou  une 
troisième  fois,  afin  de  tenir  compte  de  l'engorgement  des  parties  molles  et  de 
leur  dégorgement  consécutif. 

Une  autre  particularité  qui  peut  survenir  est  l'inflammation  plus  ou  moins 
vive  de  la  pulpe  centrale  sous  l'influence  même  du  traumatisme  cl  comme 
conséquence  de  la  commotion,  ou  bien  sa  destruction  par  le  fait  de  la  rupture 
du  faisceau  vasculo-nerveux  à  son  entrée  dans  le  canal  dentaire. 

Dans  ce  dernier  cas,  la  pulpe  est  frappée  de  gangrène  avec  ses  conséquences 
sur  la  coloration  grisâtre  ou  noire  de  la  totalité  de  la  dent  et  les  chances  plus 
grandes  de  périostite  consécutive.  Cet  accident,  qui  dépend  de  l'intensité  même 
du  traumatisme  ou  de  certaines  conditions  particulières,  n'est  pas  dans  tous  les 
cas  une  contre-indication  à  la  réduction  de  la  luxation,  car,  en  dehors  des 
conséquences  de  coloration,  la  dent  peut  reprendre  toutes  ses  connexions  et  le 
retour  complet  de  ses  usages. 

Si  même  après  une  consolidation  complète  avec  perte  spontanée  de  la  pulpe 
une  périostite  venait  à  se  fixer  au  sommet,  le  cas  ne  serait  pas  encore  au-dessus 
des  ressources  de  la  thérapeutique  et  relèverait  de  la  (jreffe  proprement  dite. 

La  luxation  complète  d'une  dent  est  l'arrachement  de  l'organe  qui  est  entiè- 
rement séparé  de  l'alvéole  et  projeté  hors  de  la  bouche.  Un  tel  accident  est 
rarement  borné  à  une  seule  dent,  et  le  plus  ordinairement  il  porte  sur  une 
région  de  deux  ou  d'un  plus  grand  nombre  d'entre  elles. 

La  conduite  du  chirurgien  sera  en  tous  cas  la  même,  qu'il  s'agisse  d'ime  ou 
de  plusieurs  dents  ainsi  luxées  à  des  degrés  divers.  11  faut  les  rétablir  toutes  en 
place,  aussi  bien  celles  qui  n'ont  pas  subi  de  déplacement  que  celles  qui  sont 
entièrement  détachées. 

Après  avoir  reconnu  exactement  le  caractère  et  l'étendue  de  la  lésion,  on 
rétablira  donc  eu  place  toutes  les  parties  qu'on  fixera  ensuite  soit  au  moyen 
des  bandages,  soit  par  la  gouttière. 

Des  soins  consécutifs  seront  en  outre  indiqués,  surlout  s'il  existe  des  délabre, 
mentsde  parties  molles.  Des  précautions  particulières  concernant  l'alimentation 
sont  aussi  nécessaires;  dans  ce  but  nous  conseillons  les  gargarismes  de  chlorate 
de  potasse  en  solution  saturée  à  chaud  ou  encore  les  compresses  de  ouate  imbibées 
de  la  même  solution  et  appliquées  en  avant  du  bord  gingival  dans  la  gouttière 
du  vestibule;  quant  à  l'alimentation,  elle  devra  être  liquide  et  iVoide,  afin 
d'éviter  les  mouvements  de  l'arcade  dentaire  et  de  modérer  la  réaction  inflam- 
matoire. 

Les  limites  de  temps  dans  lesquelles  une  consolidation  de  dent  entièrement 
luxée  reste  possible  sont  assez  considérables,  à  la  condition  toutefois  que  l'organe 
projeté  au  dehors  aura  été  recueilli  et  conservé  dans  un  milieu  humide. °Ces 
diverses  questions  seront  traitées  plus  longuement  dans  un  chapitre  ultérieur 
consacré  à  la  greffe  dentaire  en  général.  Mais  nous  pouvons  toutefois  dire  ici 


214  DENT   (pathologie). 

que  la  réparation  reste  possible  pendant  plusieurs  heures.  C'est  ainsi  que  nous 
avons  publié  naguère  des  faits  de  réduction  de  luxation  complète  datant  de 
deux  heures,  de  quatre  heures  même,  avec  réparation  complète  et  définitive  [voy. 
thèse  de  PaulBert,  De  la  greffe  animale.  Paris,  1865,  n°  118,  et  notre  mémoire 
sur  Deux  cas  de  réimplantations  des  dents  [Archives  générales  de  médecine,  1 865, 
t.  I,  p.  544]). 

Dans  l'un  de  ces  cas  toutefois  l'accident  signalé  plus  haut  de  la  gangrène 
delà  pulpe  n'a  pu  être  évité,  en  raison  de  l'époque  tardive  de  la  réimplantalion 
d'une  incisive  supérieure  (quatre  heures)  et  aussi  de  la  fracture  assez  étendue 
d'un  angle  de  celte  dent. 

La  pratique  opératoire  que  nous  recommandons  dans  ce  cas  de  luxation  com- 
plète des  dents  est  d'ailleurs  celle  des  auteurs  anciens  qui  en  ont  rappelé  des 
exemples,  tels  que  Fauchard,  Ilunter,  Bourdet,  Benjamin,  Bell,  etc.,  et  plus 
récemment  Mitscherlisch,  qui  en  a  cité  quatre  observations  suivies  de  succès 
(voy.  Archives  générales  de  médecine,  1864,  t.  I,  p.  678. 

Mais,  nous  le  répétons,  ces  cas  particuliers  rentrent  dans  la  catégorie  des  greffes 
proprement  dites  et  seront  rappelés  plus  loin,  quand  nous  tracerons  cette  étude 
dans  son  ensemble. 

5"  Usure  des  dents.  Les  dents  humaines,  en  raison  même  de  la  disposi- 
tion et  du  mode  de  rencontre  des  arcades  dentaires,  éprouvent  fatalement  avec 
les  progrès  de  l'âge  un  certain  degré  d'usure  du  aux  frottements  réciproques 
pendant  les  mouvements  de  la  bouche  et  les  actes  masticateurs.  C'est  donc  là  un 
phénomène  physiologique  depuis  longtemps  observé  et  étudié  au  point  de  vue 
de  la  détermination  de  l'âge,  chez  les  animaux  domestiques,  le  chien  et  le  cheval, 
par  exemple,  et  qui  pourrait  tout  aussi  bien  chez  l'homme  être  apphqué  au 
même  problème.  Une  telle  étude  n'a  pas  cependant  été  encore  tentée,  ce  qui  est 
très-regrettable,  car  on  en  comprend  tout  l'intérêt  aussi  bien  sous  le  rapport 
physiologique  qu'au  point  de  vue  médico-légal.  C'est  qu'en  effet,  envisagée  dans 
l'état  normal,  l'usure  des  dents  présente  une  moyenne  d'intensité  assez  uniforme 
chez  la  plupart  des  sujets  pour  permettre  d'en  apprécier  les  divers  degrés  corres- 
pondant aux  divers  âges. 

Les  modifications  morphologiques  que  ce  phénomène  fait  éprouver  aux  dents 
consistent  pour  les  incisives  dans  la  suppression  des  festons  que  présente  le  bord 
de  la  couronne  au  moment  de  l'éruption,  tandis  que  pour  les  molaires  elles  ont 
comme  résultat  l'effacement  des  tubercules.  Ce  premier  phénomène  est  bientôt 
suivi  de  la  disparition  plus  ou  moins  complète  de  la  couche  d'émail  et  de  la  mise 
à  nu  de  l'ivoire  sous-jacent;  toutefois,  comme  ce  second  degré  ne  se  produit  que 
dans  un  âge  assez  avancé,  il  est  ordinairement  contrebalancé  dans  ses  effets  par 
le  passage  progressif  de  la  dentine  à  l'état  compacte  et  résistant,  de  telle  sorte  que 
les  dents  ainsi  frappées  d'usure  n'en  continuent  pas  moins  de  vivre  et  de  fonc- 
tionner régulièrement.  • 

Tel  est  le  cas  physiologique  ;  mais  un  certain  nombre  de  circonstances  peuvent 
modifier  soit  l'intensité,  soit  la  forme  de  l'usure,  et  produire  divers  accidents 
dont  nous  devons  parler  ici. 

Les  conditions  qui  peuvent  exagérer  l'usure  des  dents  sont  de  divers  ordres  : 
ainsi,  l'on  a  invoqué  le  mode  d'alimentation,  certains  rapports  anormaux 
des  arcades  dentaires,  les  contractures  involontaires  des  mâchoires,  les  tics 
de  la  face,  les  grincements  de  dents  surtout  pendant  la  nuit,  etc. 

L'alimentation  végétale  et  l'usage  de  viandes  crues  ont  été  accusées  de  provo- 


DENT  (pathologie).  215 

quer  l'usure  rapide  des  dents,  c'est  dans  ce  sens  qu'on  a  cherché  à  expliquer  la 
lésion  si  avancée  de  cet  ordre  sur  les  crânes  des  races  inférieures  et  des  races 
préhistoriques. 

Owen  professe  depuis  longtemps  cette  opinion  et  un  certain  nombre  d'explora- 
teurs frappés  de  trouver  les  dents  profondément  usées  dans  les  gisements  paléo- 
lithiques ou  néolithiques  se  sont  ralliés  à  cette  idée.  Nous  citerons,  par  exemple, 
M.  Garrigou,  quia  fait  celte  remarque  sur  les  crânes  de  la  caverne  des  Lombrives 
[Bull,  de  la  Soc.  d'anthrop.,  vol.  V,  p.  921);  M.  Pruner-Rey,  qui  croit  avoir 
trouvé  une  forme  spéciale  d'usure  sur  les  dents  préhistoriques  {Bull,  de  la  Soc. 
d'anthrop.,  vol.  VI,  p.  535).  Cette  croyance  paraît  avoir  rallié  d'ailleurs  la 
plupart  des  anthropologistes,  car  même  pour  cei'tains  peuples  contemporains  qui 
vivent  d'aliments  crus  la  même  remarque  aurait  été  faite.  M.  liordier,  par  exem- 
ple, l'a  signalée  chez  les  Esquimaux  et  les  Groéalandais,  dont  l'usure  spéciale 
des  incisives  serait  due  à  l'habitude  qu'ont  ces  peuples  de  déchirer  avec  les 
dents  antérieures  des  aliments  durs  et  résistants. 

Nous  partageons  entièreraeiU  cette  manière  de  voir  et  dans  une  étude  spéciale 
à  laquelle  nous  nous  sommes  livré  à  ce  sujet  {Bull,  de  la  Soc.  d'anthrop.,  1880, 
p.  312)  nous  sommes  arrivé  aux  mêmes  conclusions. 

On  peut  même  distinguer,  au  point  de  vue  ethnique,  plusieurs  variétés 
d'usure.  Ainsi  tantôt  la  rencontre  des  dents  se  fait  de  telle  sorte  que  l'usure  est 
transversale  et  régulière,  c'est  le  cas  le  plus  ordinaire  ;  tantôt  la  perte  de  sub- 
stance est  oblique;  mais  dans  celte  dernière  forme  l'une  est  à  la  fois  oblique 
interne  pour  la  mâchoire  inférieure  cl  oblique  externe  à  la  supérieure  ou  vi.e 
versa.  Celle  qui  s'observe  le  plus  ordinairement  dans  les  crânes  préhistoriques, 
c'esiV oblique  externe  comnmn&  aux  deux  mâchoires.  Broca  l'a  retrouvée  fréquem- 
ment sur  des  crânes  de  l'époque  des  cavernes  et  aussi  sur  un  crâne  de  fellah 
moderne  (Bm//.  de  la  Soc.  d'anthrop.,  1879,  p.  342).Mantegazza  a  fait  la  même 
remarque  sur  des  crânes  d'Égyptiens  modernes  {Bull,  de  la  Soc.  d'anthrop., 
1879,  p.  544).  On  retrouverait  ainsi  la  même  usure  constatée  déjà  sur  des 
mâchoires  de  momies  {Revue  des  Deux  Mondes,  t.  LXVlll,  p.  6G1). 

Ces  diverses  variétés  relèvent  d'ailleurs  de  circonstances  purement  individuelles 
€t  peut-être  aussi  de  certaines  conditions  anatomiques  de  l'articulation  temporo- 
raaxillaire  qui  peut  varier  suivant  les  races.  Elles  sont  toujours  dues  à  cette 
sorte  de  rumination  volontaire  ou  instinctive  nécessitée  par  les  procédés  d'ali- 
mentation au  moyen  de  graines  ou  de  fruits  broyés  directement  ou  après  une 
préparation  insulfisant'^.  Dans  un  cas  que  nous  avons  personnellement  rapporté 
d'après  le  docteur  Laveran,  il  s'agissait  d'un  Arabe  mendiant  qui  ne  se  nourrissait 
que  de  graines  crues  et  qui  mourut  à  l'âge  de  quarante  ans,  à  l'hôpital  deBiskra, 
d'une  djsenterie  consécutive  à  ce  régime.  A  l'autopsie,  les  dents  furent  trouvées 
frappées  d'une  usure  telle  que  les  couronnes  étaient  entièrement  dis[)arues  et 
remplacées  par  une  sorte  de  moignon  arrondi,  lisse,  poli  et  d'une  extrême  dureté. 

Les  diverses  variétés  d'usure,  qui  dans  certains  cas  ont  une  signification 
ethnique  véi'itable,  se  retrouvent  d'ailleurs  avec  moins  d'intensité  et  moins  de 
fréquence  sur  les  individus  contemporains  et  à  titre  de  phénomène  purement 
accidentel.  Certains  tics  nerveux,  des  contractures  nocturnes,  en  sont,  comme  nous 
l'avons  dit,  les  causes  ordinaires,  et  nous  connaissons  plusieurs  cas  dont  nous 
avons  recueilli  les  moulages  dans  lesquels  l'usure  avait  envahi  la  totalité  de  la 
couronne. 

Les  accidents  auxquels  peut  donner  lieu  cette  lésion  sont  divers.   Si  l'usure 


216  DENT  (patiiolooie). 

survient  dans  l'ùge  avancé  ou  dans  la  vieillesse,  la  réparation  moléculaire  de 
l'ivoire  et  l'oblitération  de  la  cavité  de  la  pulpe  protègent  les  couches  sensibles, 
de  sorte  que  le  seul  inconvénient  réside  dans  la  suppression  de  la  couronne 
et  certains  troubles  fonctionnels  de  la  bouche  qui  en  résultent.  Mais,  si  le 
phénomène  se  produit  avec  une  grande  rapidité  chez  un  sujet  encore  jeune, 
l'usure  entraîne  la  mise  à  nu  des  couches  profondes  de  dentine,  dont  la  sensi- 
bilité devient  cause  d'accidents  :  hyperesthésie  de  surface  ou  même  pulpite  spon- 
tanée. Parfois  même  la  pulpe  est  tout  à  fait  dénudée  et  la  lésion  représente  exac- 
tement une  carie  du  troisième  degré  nécessitant  le  même  traitement. 

Sur  une  surface  d'ivoire  ainsi  frappée  de  sensibilité  on  devra  procéder  par  les 
applications  caustiques  et  particulièrement  par  l'emploi  du  galvano-cautère.  Dans 
quelques  circonstances  on  sera  même  forcé,  pour  faire  cesser  des  douleurs  vives, 
de  pratiquer  la  trépanation  même  de  la  cavité  centrale  et  la  destruction  de  la 
pulpe  pour  arriver  à  une  vérilable  obturation  au  même  titre  que  dans  un  cas  de 
carie  ordinaire. 

Toutefois  ces  procédés,  qui  sont  applicables  pour  des  cas  d'usure  isolés  à  une 
ou  deux  dents,  ne  sauraient  suffire,  si  l'usure  est  généralisée  à  une  arcade 
dentaire  ou  aux  deux  arcades  simultanément  :  dans  ce  cas  on  devra  procéder  tout 
autrement  et  nous  conseillons  alors  deux  moyens  qui  nous  ont  donné  d'excellents 
résultats  :  le  premier  de  ces  moyens  consiste  dans  l'installation  sur  une  arcade  den- 
taire, l'inférieure,  parexemjjle,  d'un  capuchon  métallique  en  or  exactement  moulé 
sur  les  surfaces  usées  et  qui  s'applique  soit  constamment,  soit  pendant  les  repas  ou 
pendant  la  nuit.  De  la  sorte,  l'une  des  arcades  dentaires  vient  rencontrer  l'arma- 
ture métallique  et  y  exerce  la  mastication  d'une  manière  très-satisfaisante  d'ail- 
leurs. Le  second  procédé,  fort  analogue  au  précédent,  s'applique  lorsque  dans 
l'une  des  mâchoires  l'absence  de  quelques  dents  permet  l'installation  d'un  appa- 
reil de  prothèse.  On  fait  alors  établir  cet  appareil  en  lui  donnant  une  hauteur  qur 
dépasse  notablement  le  niveau  des  dents  restantes,  la  mastication  s'effectue  sur 
la  pièce  artificielle  et  épargne  d'autant  les  surfaces  déjà  frappées  d'usure.  On 
peut  même  combiner  l'un  avec  l'autre  les  deux  procédés  et  établir  un  appa- 
reil mixte  à  capuchon  sur  les  dents  restantes  et  à  pièces  prothétiques  dans  les 
vides.  On  devra  du  reste  s'inspirer,  dans  le  choix  de  ces  divers  appareils,  des  con- 
ditions de  chaque  cas  particulier. 

De  ces  diverses  considérations  touchant  l'usure  accidentelle  ou  ethnique  des 
dents  par  rencontre  réciproque  des  deux  arcades  nous  devons  encore  rapprocher 
certaines  lésions  de  même  ordre,  lésions  volontaires  et  ^ui  consistent  dans  ces 
mutilations  que  s'imposent  certains  peuples  qui  se  fracturent  les  angles  des 
incisives,  ou  les  liment  sur  la  face  antérieure  ou  les  côtés,  et  cela  assez  profon- 
dément pour  découvriras  couches  profondes  de  l'ivoire  ou  la  pulpe  elle-même. 
Nous  avons  ailleurs  étudié  les  diverses  mutilations  au  point  de  vue  ethnique 
{Études  sur  les  mutilations  ethniques  [Compte  rendu  du  Congrès  de  Lisbonne, 
1880]),  mais  nous  pouvons  utilement  rappeler  parmi  ces  faits  l'exemple  d'un 
crâne  des  plus  curieux  qui  figure  dans  les  collections  du  Muséum  (crâne  de 
Feloupe  de  la  côte  de  Gambie)  et  qui  permet  d'envisager  d'un  seul  coup  d'œil  les^ 
conséquences  variées  que  l'usure  des  dents  peut  entiaîner  pour  les  maxillaires. 

Dans  ce  crâne,  seules  les  incisives  et  les  canines  aux  deux  mâchoires  avaient 
été  profondement  limées,  et  l'individu  avait  survécu  longtemps  à  cette 
mutilation,  car  une  série  de  lésions  des  plus  curieuses  s'était  produite  :  les  bords 
alvéoiaiz-es  étaient,  dans  toute  la  région  mutilée,  le  siège  d'ostéite  à  divers  degrés. 


DENT   (patiiolooie).  217 

En  outre,  plusieurs  perforations  osseuses  plus  larges  traversant  la  paroi  alvéo- 
laire antérieure  pour  pénétrer  dans  l'alvéole  indiquaient  d'anciens  abcès  restés 
fistuleux  pendant  un  certain  te.iips.  Enfin,  d'autres  altérations  se  rencontraient 
encore  à  la  mâclioire  supérieure.  C'étaient  deux  cavités  vastes  et  profondes 
creusées  dans  l'épaisseur  de  l'os  dans  la  région  incisive  du  côté  droit  et  dans  la 
fosse  canine  du  côté  gauche.  Ces  deux  excavations  représentaient  de  véritables 
kystes  périostiques,  soit  produits  d'emblée,  soit  ayant  succédé  à  des  abcès,  mais 
ayant  en  tout  cas  pour  point  de  dépail  invariable  le  sommet  des  racines  des 
dents  mutilées,  car  les  deux  cavités  communiquaient  directement  avec  le  fond 
des  alvéoles. 

En  somme,  cette  pièce  curieuse  montrait,  de  la  manière  la  plus  évidente,  l;t 
série  des  complications  pathologiques  que  peut  amener  l'usure  des  dents  portée 
au  voisinage  de  la  pulpe  ou  jusqu'à  la  paroi  même  de  la  cavité  centrale. 

L'usure  des  dents  affecte  aussi  bien  les  dents  temporaires  que  les  perma- 
nentes, mais  elle  n'a  pas,  chez  les  premières,  la  gravité  qu'elle  présente  chez 
les  secondes.  Les  deux  phénomènes  sont  cependant  tout  à  fait  comparables, 
et  parfois  on  l'encontre  des  enfants  de  huit  à  douze  ans  chez  lescpiels  les 
couronnes  des  incisives  ont  entièrem_ent  disparu  par  usure  prolongée.  Des  com- 
plications de  voisinage  en  deviennent  les  conséquences  habituelleN  :  ce  sont  des 
inflammations,  des  abcès,  des  fistules  si  fréquentes  pendant  la  première  enfance 
et  qui,  là  encore,  résullent  de  la  pénétration  de  la  cavité  centrale. 

Dans  ces  dernières  circonstances,  toutefois,  nous  ne  saurions  conseiller  l'em- 
ploi des  moyens  proposés  pour  les  cas  d'usure  des  dents  permanentes.  Cet  acci- 
dent ne  survenant  en  effet,  le  plus  ordinairement,  qu'à  la  fin  de  la  première 
enfance  et  à  une  époque  voisine  de  la  chute  spontanée  des  dents  de  lait,  il  con- 
viendra le  plus  ordmairement,  comme  tout  traitement,  de  pratiquer  l'avulsion 
pure  et  simple  des  dents  ainsi  usées  et  devenues  cause  d'accidents  de  voisinage. 

Tout  ce  que  nous  désirons  conclure  de  cette  étude,  c'est  que  dans  tous  les  cas. 
d'usure  accidentelle  dans  la  pratique  courante  le  chirurgien  n'est  jamais  désarmé 
et  que,  soit  par  les  procédés  thérapeutiques  appropriés,  soit  par  les  moyens 
prothétiques,  on  peut  arriver  à  arrêter  les  progrès  de  cette  lésion  et  remédier  aux 
accidents  qui  en  résultent. 

B.  11  est  toutefois  une  altération  des  dents  qui  par  ses  caractères  se  rapproche 
smgulièrement  de  l'usure,  bien  qu'elle  appartienne  à  l'ordre  des  lésions  patho- 
logiques :  c'est  une  certaine  forme  de  carie  dentaire  dcgà  mentionnée  ailleurs. 
Cette  carie  occupe  presque  exclusivement  le  collet  des  dents  et  se  présente 
sous  l'aspect  d'une  entaille  transversale  plus  ou  moins  profonde  à  surface 
lisse,  polie  et  d'une  grande  dureté.  Nous  lui  avons  donné,  avec  Delestre 
{Du  ramollissement  des  gencives,  thèse  inaugurale,  1861,  p.  14),  le  nom  de 
carie  serpigineuse,  et  dc^à  Duval  l'avait  signalée  sous  le  terme  bien  significatif 
de  carie  simulant  l'usure  (Duval,  article  Dent  du  Dictionnaire  en  60  volumes 
1814,  t.  Vm,  p.  348). 

Rien  ne  ressemble  plus  en  effet  à  l'usure  véritable  que  cette  singulière  affec- 
tion, et  son  mécanisme  particulier  ajoute  encore  à  ces  caractères  d'analogie. 
Elle  résulte  en  effet  de  deux  phénomènes  qui  sont  :  1°  la  production  d'une 
carie  simple  du  collet  en  forme  de  sillon  ou  de  gouttière  et  survenue  soit  sous 
l'influence  d'une  gingivite,  soit  plus  ordinairement  pendant  le  cours  d'une 
aflection  chronique  de  l'estomac  ou  du  tube  digestif;  2«  le  passage  ultérieur  à 
l'état  de  carie  sèche  de  la  gouttière  primitive  par  suite  de  la  suppression  de  la 


218  DENT   (pathologie). 

cause  productrice  et  aussi  par  l'action  plus  ou  moins  énergique  de  la  brosse,  dont 
les  frictions  répétées  égalisent  et  polissent  la  surface  cariée  au  point  de  lui  donner 
l'aspect  en  question. 

Nous  n'insisterons  pas  d'ailleurs  sur  ces  faits  et  nous  renverrons  pour  les 
détails  relatifs  à  cette  lésion  à  l'article  Carie  dentaire,  son  traitement  n'étant 
pas  différent  de  celui  de  cette  dernière. 

m.  AFFECTION  DES  TISSUS  DENTAIRES  ISOLÉMENT.  Cette  division  de 
notre  travail  comprend  :  1"  les  maladies  de  la  pulpe  dentaire  ;  2''  les  maladies 
du  périoste  dentaire  ;  3°  l'ostéo-périostite  alvéolo-dentaire  ;  4"  les  maladies  du 
cément. 

i"  Maladies  de  la  pulpe  dentaire.  Les  maladies  de  la  pulpe  dentaire  se 
distinguent  en  :  a.  vices  de  conformation  ;  b.  lésions  traumatiques  ;  c.  lésions 
inflammatoires  ;  d.  lésions  organiques. 

a.  Vices  de  conformation.  Les  vices  de  conformation  de  la  pulpe  n'ont 
qu'une  très-faible  importance  :  ils  sont  d'ailleurs  la  conséquence  des  anomalies 
de  forme  ou  de  volume  des  dents  elles-mêmes,  et  conséquemment  de  la  cavité 
pulpairc.  Nous  pourrions  donc  nous  borner  sur  ce  sujet  à  renvoyer  le  lecteur  à 
nos  études  antérieures  sur  les  Anomalies  de  forme  et  de  volume  des  dents 
(voy.  Anomalies). 

11  en  est  cependant  qui  peuvent  se  produire  en  deliois  de  cette  relation  mor- 
phologique extérieure  avec  la  couronne.  Elles  consistent  dans  certaines  disposi- 
tions de  l'organe  ou  seulement  des  saillies  ou  cornes  qui  le  surmontent  dans 
les  dents  multicuspidées.  On  observe  ainsi  des  diverticulums  se  prolongeant  par- 
fois assez  loin  dans  l'épaisseur  de  l'ivoire  où  la  pulpe  présente  des  prolonge- 
ments cylindroïdes  qui  rappellent  la  physionomie  de  la  vaso-dentine  de 
quelques  vertébrés  inférieurs,  les  poissons,  par  exemple.  Ce  serait  là  pour  cer- 
tains anatomistes  de  l'école  de  Darwin  un  fait  d'anomalie  reversive.  Dans  ces 
cas  la  structure  de  la  pulpe  ainsi  que  son  mode  de  fonctionnement  n'en  sont  du 
reste  nullement  troublés.  C'est  une  simple  modification  toute  secondaire  de  la 
forme  de  l'organe. 

Nous  n'insisterons  pas  et  nous  dirons  seulement  qu'en  vertu  des  lois  physio- 
logiques établies  surabondamment  ailleurs  toute  perturbation  de  forme  de  la 
pulpe  est  corollaire  d'un  trouble  morphologique  quelconque  de  la  cavité  qui  la 
reçoit  et  en  même  temps  de  la  couronne  elle-même,  celle-ci  étant  exactement 
moulée  sur  la  pulpe  centrale. 

b.  Lésions  traumatiques.  Les  lésions  traumatiques  de  la  pulpe  sont  :  la 
commotion,  les  contusions  et  les  plaies. 

La  commotion  de  la  pulpe  est  un  état  particulier  de  cet  organe,  succédant  à 
un  ébranlement  mécanique  de  ses  éléments  anatomiques  et  caractérisé  par  une 
exagération  temporaire  de  ses  propriétés  et  de  ses  fonctions  sans  modifications 
anatomiques  appréciables. 

Sous  l'action  de  certains  traumatismes,  une  dent  qui  aurait  pu  être  chassée 
de  son  alvéole  et  luxée  plus  ou  moins  complètement  a  conservé  sa  posi- 
tion et  sa  fixité  normales.  Mais  à  l'instant  même,  ou  seulement  au  bout  de 
quelques  heures,  ordinairement  quelques  jours  ou  une  semaine  au  maximum, 
l'organe  est  le  siège  de  divers  phénomènes  qui  consistent  principalement  en 
une  hyperesthésie  considérable  soit  au  contact  des  doigts,  de  la  langue  ou  d'un 
corps  étranger  quelconque,  soit  aux  changements  de  température  ;  en  outre  les 


DENT  (pATnoLor.iE).  219 

sujets  accusent  une  douleur  spontane'e  sourde,  profonde,  et  comme  la  sensation 
d'une  augmentation  de  volume  de  l'organe. 

Ces  perturbations  répondent,  croyons-nous,  à  un  certain  état  congestif  de  la 
pulpe  elle-même,  de  sorte  que  la  commotion  ne  serait  en  re'alité  qu'un  degré 
inférieur  de  l'inllammation  dont  nous  étudierons  tout  à  l'heure  l'état 
confirmé. 

Aucun  signe  extérieur,  aucune  modification  de  la  couleur  de  la  dent  malade, 
aucun  changement  dans  son  apparence  ordinaire,  n'accompagnent  celte  lésion, 
elle  n'a  d'autres  caractères  que  les  symptômes  que  nous  venons  de  signaler. 

La  commotion  simple  de  la  pulpe  guérit  ordinairement  sans  traitement;  les 
accidents  se  dissipent  spontanément  au  bout  de  quelques  jours,  la  légère  dou- 
leur sourde  s'éteint  peu  à  peu;  l'hypcresthésie  diminue  et  disparaît  et  bientôt 
tout  rentre  dans  l'ordre.  On  pourrait  toutefois  favoriser  cette  issue,  surtout  s'il 
y  avait  menace  d'inflammation,  par  des  émissions  sanguines  locales  :  scarifica- 
tions ou  sangsues  sur  la  gencive,  lotions  froides  permanentes  dans  la  bouche,  etc. 

Toutefois,  il  convient  d'ajouter  que  cette  issue  n'est  pas  constante  ;  dans  un 
certain  nombre  de  cas  la  lésion  de  l'organe  prend  un  autre  caractère  :  il  se 
produit  alors  une  véritable  pulpite  qui  s'accompagne  immédiatement  d'étrangle- 
ment et  de  gangrène  ;  les  accidents  revêtent  alors  la  physionomie  propre  à 
cette  maladie  que  nous  décrirons  ci-après.  Mais  le  signe  extérieur  qui  dénote  cette 
terminaison  de  la  commotion,  c'est  la  coloration  brune  ou  gris  noirâtre  que 
prend  la  dent  affectée.  Cette  coloration  est  le  résultat  de  la  gangrène  de 
l'organe  cevtral  et  de  la  pénétrétation  dans  l'intérieur  de  l'ivoire  des  parti- 
cules colorantes  du  tissu  réduit  en  pulrilage. 

Cet  accident,  qui  ne  se  produit  que  dans  le  cas  d'un  traumatisme  violent,  sur- 
vient encore  dans  d'autres  circonstances  parmi  lesquelles  il  faut  noter  les 
manœuvres  d'écartement  brusque  qu'on  est  parfois  conduit  à  imprimer  à  des 
dents  pour  la  cure  d'une  carie  d'un  insterstice.  L'emploi  des  coins  de  bois 
introduits  violemment  dansées  intervalles  a  produit  souvent  cette  comphcation  : 
aussi  devra-t-on  dans  cette  pratique  recourir  à  l'écartement  lent  et  progressif  au 
moyen  des  pansements  ouatés  ou  des  lames  de  caoutchouc. 

La  contusion  et  les  plaies  de  la  pulpe  sont  produites  fréquemment  dans  les 
manœuvres  d'exploration  d'une  dent  cariée  au  troisième  degré;  mais  en  dehors 
de  cette  circonstance  elles  peuvent  être  le  résultat  d'une  fracture  pénétrante. 

Dans  ces  conditions,  la  pulpe  peut  être  simplement  mise  à  nu  ou  déchirée. 
Dans  le  premier  cas,  il  n'y  a  point  d'hémorrhagic,  la  surlace  de  l'organe  n'étant 
point  pourvue  de  vaisseaux  et  la  légère  couche  de  matière  amorphe  qui  la  revêl 
l'isolant  en  quelque  sorte  du  réseau  sous-jacent.  Dans  le  second  cas,  il  se 
produit  aussitôt  un  écoulement  sanguin  plus  ou  moins  abondant,  mais  qui 
s'arrête  d'ordinaire  spontanément. 

L'organe  ainsi  exposé  aux  influences  extérieures  ne  tarde  pas  à  s'enflammer, 
de  sorte  qu'au  bout  d'un  jour  ou  deux,  parfois  même  après  quelques  heures,  il 
augmente  notablement  de  volume  et  de  pâle  et  rose  qu'il  est  normalement 
devient  rouge  et  violacé.  En  même  temps  sa  sensibilité  s'accroît  notablement,  de 
sorte  que  d'emblée  ou  sous  l'influence  du  moindre  contact  il  devient  le 
point  de  départ  de  douleurs  extrêmement  vives. 

Lorsque  la  pulpe  est  abandonnée  à  elle-même  dans  cet  état,  il  peut  y  avoir 
deux  modes  de  terminaison  :  le  plus  favorable  est  la  suppuration  et  la  fonte  de 
l'organe,  fait  exceptionnel  dans  le  cas  de  dénudation  simple,  plus  fréquent  dans 


220  DENT  (pathologie). 

le  cas  de  de'chirure;  l'autre  issue  est  l'innammalion  chronique  de  l'organe  avec 
hypertrophie  consécutive. 

Les  symptômes  qui  accompagnent  ces  lésions  sont  d'abord  locaux,  mais  ils 
s'étendent  quelquefois  aux  diverses  ramifications  du  système  nerveux  sensitifde 
la  face  à  la  manière  des  irradiations  douloureuses  qui  ont  été  signalées  à  propos 
de  la  carie  dentaire.  Le  caractère  habituel  de  ces  douleurs  est  d'être  non  pas 
spontanées,  mais  provoquées  par  le  contact  accidentel  et  le  passage  des  ali- 
ments. 

Le  seul  traitement  à  opposer  à  la  dénudation  traumatique  de  la  pulpe  est  la 
destruction  de  l'organe  par  l'un  des  procédés  que  nous  avons  indiques  :  cauté- 
risation avec  le  cautère  actuel,  par  les  caustiques,  ou  bien  l'extirpation. 

Celte  destruction  doit  d'ailleurs  être  suivie  de  l'obturation  de  la  cavité  et  des 
canaux  dentaires  eux-mêmes,  de  manière  à  éviter  que  le  reste  de  l'organe  den- 
taire subisse  d'autres  altérations  et  en  particulier  la  carie ,  qui  trouverait 
dans  ces  circonstances  les  conditions  les  plus  favorables  à  son  développement. 

c.  Lésions  inflammatoires.  Inflammation  de  la  pulpe.  L'inlïammation  de 
la  pulpe  a  été  étudiée  par  divers  auteurs  tels  que  Albrecht  [Die  Krankheiten  der 
Zahnpulpa.  Berlin,  1850),  Maurel  (De  l'inlïammation  aiguë  et  chronique 
delà  pulpe  dentaire.  Thèse  de  Paris,  1873),  et  Bruck  {Deitrag  ziir  Histologie 
nnd  Pathologie  der  Zahnpidpa.  Breslau,  1871). 

Étiologie.  Celte  aflection  revêt  deux  formes  :  elle  est  primitive  ou  consécu- 
tive. L'inflammation  primitive  ou  essentielle  est  assez  rare.  Nous  en  avons 
néanmoins  observé  quelques  exemples  ;  dans  ces  cas  l'affection  n'acquiert 
pas  une  grande  intensité  et  se  termine  presque  toujours  par  résolution.  Consécu- 
tive, elle  est  beaucoup  plus  fréquente.  Ses  causes  les  plus  ordinaires  sont: 
l'exposition  brusque  et  répétée  aux  températures  extrêmes,  les  lésions  trauma- 
tiques  des  dents,  surtout  les  fractures  et  les  luxations,  la  carie  et  les  obtura- 
lions  intempestives. 

L'exposition  aux  températures  extrêmes  s'observe  particulièrement  à  la  suite 
de  l'ingestion  des  glaces  ou  des  boissons  très-chaudes.  Dans  ces  circonstances, 
surtout  si  la  dent  est  intacte,  sans  fracture  ni  carie,  l'inflammation  reste  subai- 
guë comme  dans  la  périoslite  essentielle  et  les  pliénomènes  qu  elle  détermine  ne 
représentent  en  réalité  qu'un  degré  plus  avancé  de  la  commotion. 

L'inflammation  consécutive  à  la  dénudation  de  l'organe  par  une  carie  ou  une 
fracture  est  11 ès-fréquente  ,  ainsi  que  nous  l'avons  déjà  signalé  eu  étudiant  ces 
lésions.  Elle  peut  d'ailleurs  se  développer  sous  l'influence  des  mêmes  causes, 
alors  que  la  |)ulpe  n'est  pas  mise  à  nu,  comme  on  le  constate  assez  fréquem- 
ment dans  certaines  caries  avancées  du  deuxième  degré  ou  à  la  suite  de  frac- 
tures non  pénétrantes,  mais  voisines  de  la  cavité  centrale.  Elle  résulte  alors  de 
l'irritation  des  fibrilles  nerveuses  contenues  dans  l'épaisseur  de  l'ivoire  par 
les  liquides  de  la  bouche  ou  les  substances  alimentaires  et  par  les  transitions  de 
température,  irritation  transmise  par  ces  fibrilles  à  la  pulpe  centrale  d'où  elles 
émanent.  C'est  de  la  même  manière  que  peuvent  agir  certaines  obturations 
pratiquées  sans  traitement  préalable  ou  après  un  traitement  insuffisant  dans  les 
caries  du  deuxième  ou  du  troisième  degré.  Tantôt  alors  la  pulpe  dénudée  et 
incomplètement  détruite  est  mise  en  contact  direct  avec  la  substance  obturatrice, 
qui  joue  ici  le  rôle  de  corps  étranger  ;  tantôt,  dans  les  caries  non  pénétrantes, 
les  canalicules  de  l'ivoire  n'étant  qu'incomplètement  oblitérés  par  une  produc- 
tion insuffisante  de  denline  secondaire,  les  fibres  nerveuses  qu'ils  contiennent 


DENT  (pATiioLOGiii).  221 

sont  mises  directement  en  rapport  avec  la  masse  métallique  qui  agit  à  la  fois 
par  son  contact  et  par  sa  grande  conductibilité. 

L'une  des  causes  les  plus  communes  de  pulpite  consiste  dans  une  pratique 
qui  a  pour  effet  d'opérer  d'une  manière  brusque  l'écarteraent  des  deux  dénis 
conti'^uës  dans  le  but  soit  de  réduire  une  déviation,  soit  de  préparer  un  em- 
placement pour  le  traitement  d'une  carie  de  l'interstice.  L'emploi  souvent 
conseillé  des  [coins  de  bois  appliqués  avec  force  amène  souvent,  ainsi  que 
nous  l'avons  dit,  cet  accident.  Si  nous  insistons  ici  sur  celte  cause  particulière, 
c'est  que  nous  avons  souvent  observé  des  cas  dans  lesquels  un  écartement  violent 
réalisé  en  quelques  heures  a  eu  pour  conséquence  inévitable  une  pulpite  gan- 
greneuse et  la  transformation  noirâtre  indélébile  d'une  dent. 

Ces  remarques  nous  conduisent  à  parler  des  luxations  des  dents.  Or,  bien 
qu'en  général  elles  enlrauient  plutôt  l'inflammation  du  périoste  alvéolo-dentaire, 
il  n'est  pas  rare  d'observer  à  leur  suite  l'inflammation  de  la  pulpe.  C'est  là  un 
des  arguments  qui  ont  été  invoqués  contre  l'opération  du  redressement  brusque 
dans  le  cas  d'anomalie  de  direction  par  rotation  sur  l'axe  ;  ajoutons  toutefois 
que  nous  ne  l'avons  jamais  observée  dans  ces  conditions  et  (pi'il  semble  d'ail- 
leurs facile  de  l'éviter,  ainsi  que  nous  l'avons  dit,  eu  opérant  avec  toutes  les 
précautions  requises  et  en  ne  négligeant  aucun  des  soins  consécutifs  que  nous 
avons  indiqués. 

Anatoniie pathologique.  Les  dents  frappées  de  pulpite  ont  conservé  en  général 
leur  apparence  normale,  à  l'exception  peut-être  du  collet,  qui  présente  un  liséré 
bleuâtre  ;  le  périoste  est  sain  ou  offre  les  altérations  de  la  périostite  lorsque 
cette  affection  est  venue  compliquer  la  pulpite.  Si  on  pénètre  dans  la  cavité 
centrale,  on  trouve  la  pulpe  dans  un  état  variable  suivant  le  degré  de  la 
maladie. 

1"  Degré  (État  rouge).  Si  l'inflammation  est  légère,  partielle  ou  générale, 
le  tissu  de  l'organe  offre  une  simple  injection  avec  coloration  rose  ou  rougeàtrc 
se  distinguant  nettement  de  la  teinte  grise  de  la  pulpe  noi^male. 

L'examen  plus  attentif  montre  en  même  temps  dans  la  profondeur  du  tissu 
de  petits  noyaux  hémorrhagiques  et  des  masses  pliosphatiques  arrondies  et 
mamelonnées  qui  dénotent  une  surexcitation  fonctionnelle  de  l'organe  et  une 
production  plus  abondante  de  matériaux  dentinaires. 

S*"  /)e^re  (État  violacé).  A  un  degré  plus  avancé,  la  coloration  de  la  pulpe 
est  rouge  lie  de  vin,  les  foyers  hémorrhagiques  envahissent  toute  la  masse,  la 
suppuration  s'établit  et  l'organe  est  menacé  d'une  entière  désorganisation. 

3f  Degré  (Gangrène).  La  pulpe  en  pleine  destruction  devient  absolument 
méconnaissable;  ce  n'est  bientôt  plus  qu'un  putrilage  noirâtre  dans  lequel  on 
ne  retrouve  plus  aucune  trace  de  la  texture  primitive. 

C'est  à  la  présence  de  ce  putrilage  qu'est  due  la  coloration  noire  ou  bleuâtre 
des  dents  ainsi  frappées  de  pulpite  gangreneuse,  alors  que  la  matière  désorija- 
nisée  a  pénétré  dans  l'intérieur  de  l'ivoire  à  la  faveur  des  canalicules  vidés 
de  leur  contenu  fibrillaire. 

Symptômes.  Les  symptômes  de  l'inflammation  de  la  pulpe  sont  très-tran- 
chés et  facilement  reconnaissablcs. 

Un  liséré  bleuâtre  apparaît  constamment  au  niveau  du  collet  de  la  dent;  il 
résulte  de  la  coloration  rouge  ou  violacée  de  la  pulpe  dentaire  enflammée,  vue 
par  transparence  à  travers  Tivoire  dont  l'épaisseur  est  faible  en  ce  point. 

Mais  le  signe  caractéristique  est  la  douleur.  Variable  dans   son  intensité 


222  DENT  (pathologie). 

intermittenle  ou  continue,  elle  naît  spontanément;   c'est   à  la  douleur  de  la 
pulpile  que  s'applique  l'expression  vulgaire  de  rage  de  dents. 

Elle  est  toujours  beaucoup  plus  intense  lorsque  la  pulpe  n'est  pas  à  décou- 
vert, l'organe  enfermé  dans  sa  cavité  inextensible  devenant  alors  le  siège  d'un 
véritable  étranglement. 

Le  caractère  principal  de  cette  douleur  est  d'être  calmée  par  le  froid,  tan- 
dis qu'elle  est  exaspérée  par  les  températures  élevées.  C'est  là  le  signe  vraiment 
pathognomonique. 

La  douleur  présente  au  point  de  vue  de  son  siège  des  variations  remar- 
quables :  tantôt  localisée  nettement  au  niveau  de  la  dent  malade,  elle  apparaît 
d'autres  fois  et  se  fixe  sur  un  point  plus  ou  moins  éloigné,  sur  une  dent  voisine, 
parfois  même  sur  une  dent  de  la  mâcboire  opposée,  mais  du  côté  correspon- 
dant. On  observe  en  outre  fréquemment  des  irradiations  douloureuses  dans  le 
voisinage  de  la  tempe,  dans  l'œil  ou  dans  l'oreille;  quelquefois  même  l'ir- 
rilation  détermine  du  côté  des  organes  des  sens  des  pbénomènes  réflexes  va- 
riés. 

diagnostic.  L'inflammalion  de  la  pulpe  caractérisée  par  le  phénomène 
douleur  est  en  général  facile  à  reconnaître,  surtout  lorsque  l'organe  est  mis  à 
nu  à  la  suite  d'une  carie  ou  d'une  fracture.  Dans  quelques  circonstances  cepen- 
dant, lorsque  l'affeclion  est  encore  à  son  début  ou  lorsqu''elle  est  compliquée  ou 
accompagnée  d'autres  lésions  de  la  même  dent  ou  d'une  dent  voisine,  il  peut 
y  avoir  quelque  obscurité.  C'est  surtout  sur  l'appréciation  de  la  cause  réelle 
de  l'odontalgie  que  doit  porter  le  diagnostic  [cog.  Odomalgie).  De  toutes  les 
affections  qui  y  donnent  lieu,  c'est  la  périostite  qui  pourrait  le  plus  facilement 
induire  en  erreur. 

On  trouve  en  effet  dans  la  périostite  une  douleur  continue,  assez  souvent 
calmée  par  le  froid  et  exaspérée  par  la  cbaleur;  mais  la  douleur  de  la  périos- 
tite s'accompagne  de  battements  et  d'élancements;  elle  est  surtout  exagérée 
)  ;i  les  manœuvres  et  les  chocs  sur  la  dent  malade,  alors  que  ceux-ci  sont  sans 
effet  sur  la  douleur  de  la  pulpite  ;  enfin,  dans  la  périostite,  la  dent  est  plus  ou 
moins  ébranlée  et  comme  allongée,  phénomène  qui  rend  la  mastication  très- 
difficile. 

Les  névralgies  faciales  essentielles  peuvent  aussi  en  imposer  pour  une  pulpite, 
c'est  l'étude  attentive  des  phénomènes  et  l'examen  minutieux  de  la  cavité  buc- 
cale qui  permettront  dans  ces  circonstances  d'éviter  l'erreur. 

Marche.  Terminaison.  L'inflammation  de  la  pulpe,  lorsqu'elle  est  essentielle 
ou  consécutive  à  une  commotion  violente  de  la  dent,  n'acquiert- pas  en  général, 
ainsi  que  nous  l'avons  dit,  une  grande  intensité  ;  elle  se  termine  le  plus  souvent 
par  résolution  au  bout  do  quelques  jours,  soit  spontanément,  soit  à  la  suite  d'un 
traitement  approprié. 

Mais  c'est  là  la  terminaison  la  plus  rare  de  la  pulpite. 

Dès  que  rinilammation  est  violente,  la  suppuration  devient  inévitable;  le 
pus  fuse  dans  le  canal  des  racines,  le  périoste  alvéolo-dentaire  s'enflamme  à 
son  tour  et  la  dent  est  définitivement  compromise,  si  le  pus  ne  trouve  pas  promp- 
tement  une  issue  au  dehors,  soit  par  un  pertuis  préexistant  comme  dans  la 
carie  pénétrante,  soit  par  un  orifice  pratiqué  artificiellement,  c'est-à-dire  j:ar 
la  trépanation. 

Dans  ces  conditions  et  quel  que  soit  le  mode  de  communication  de  la  cavité 
centrale  avec   l'extérieur,  l'inflammation  de  générale  qu'elle  était  primitive- 


DENT  (pathologie).  223 

ment  peut  devenir  locale  et  se  circonscrire  au  point  qui  correspond  aupertuis; 
c'est  dans  ces  circonstances  que  la  pulpite  devient  chronique,  et  alors 
deux  terminaisons  se  présentent  :  tantôt  il  y  a  végétation  de  la  surface  même  de 
l'organe,  hypertrophie  et  production  d'une  véritable  tumeur,  ainsi  que  nous 
l'étudierons  tout  à  l'heure;  tantôt  la  pulpite  chronique  entraîne  un  suintement 
purulent  ou  séro-purulent  indéfini  tel  qu'on  pourrait  l'appeler  catarrhe  de 
la  pulpe.  Dans  le  premier  cas  la  lésion  est  curable  par  l'ablation  des  fongosités 
ou  de  la  masse  hypertrophique,  dans  le  second  par  la  destruction  de  l'organe 
au  moyen  des  caustiques,  ainsi  qu'on  va  le  voir. 

Traitement.  Dans  le  cas  de  pulpite  spontanée  ou  traumatiquc  et  en  l'ab- 
sence d'aucune  fracture  ou  carie  qui  donne  accès  à  l'organe,  le  traitement  doit 
être  nécessairement  borné  aux  moyens  indirects.  Ces  moyens  sont  :  les  applications 
de  sant^sues  sur  la  gencive,  les  scarifications  suivies  ou  non  de  l'application 
de  petites  ventouses  spéciales  (sangsues  artificielles).  Ces  moyens  ont  parfois 
un  effet  très-prompt  et  amènent  en  vingt- quatre  heures  la  disparition  d'une 
pulpite  même  assez  intense.  11  ne  faudra  donc  pas  hésiter  à  y  recourir  en 
faisant  appliquer,  par  exemple,  au  moyen  de  petits  tubes  de  verre  appropriés, 
des  sangsues  sur  le  bord  gingival  au  voisinage  du  collet  de  la  dent  affectée. 

Un  autre  moyen  auquel  on  pourra  recourir  dans  le  cas  de  pulpite  subaiguë 
ou  persistant  à  l'état  chronique,  c'est  l'emploi  des  cautérisations  ponctuées 
au  moyen  du  galvano-cautère. 

Mais  les  agents  qui  pourront  être  efficaces  dans  les  formes  simples  ou  subaiguës 
ne  sauraient  suffire  dans  le  cas  de  pulpite  suppuréc.  Ici  il  faut  de  toute  néces- 
sité et  sans  tarder  pratiquer  le  débridement  de  l'organe  enflammé  et  étranglé. 
Ce  débridement  s'opère  par  la  trépanation,  opération  qui,  en  l'absence  de 
carie  ou  d'obturation  antérieure,  se  pratique  sur  le  point  de  la  dent  qui  est  le 
plus  rapproché  de  la  cavité  de  la  pulpe,  c'est-à-dire  au  collet.  C'est  ce  point  que 
nous  avons  coutume  d'appeler  le  lieu  d'élection  de  la  trépanation  directe. 

Cette  ouverture  qui  se  pratique  par  un  petit  perforateur  mù  là  la  main  ou  au 
moyen  du  tour  permet  d'apprécier  tout  d'abord  l'état  du  tissu  enllammé  et 
l'existence  des  produits.  Si  la  pulpite  est  suppurée,  on  voit  s'écouler  au  dehors 
une  notable  quantité  de  pus  qui  indique  un  état  inflammatoire  déjà  très- 
avancé  de  l'organe.  Si  la  période  inflammatoire  est  moins  prononcée,  c'est 
une  légère  hémorrhagie  qui  s'écoule  par  l'ouverture.  Enfin,  si  la  destruction  de 
l'organe  est  complète,  on  ne  retire  de  la  cavité  que  des  masses  noirâtres  et 
désorganisées. 

Nous  n'avons  pas  à  insister  du  reste  sur  le  traitement  des  lésions  inflam- 
matoires de  la  pulpe  ainsi  dénudée,  ce  traitement  étant  exactement  celui  qui 
a  été  décrit  à  propos  du  traitement  de  la  carie  dentaire  parvenue  à  sa  troisième 
période. 

11  doit  nécessairement  en  être  de  même  à  propos  du  traitement  de  la  pulpite 
à  la  suite  d'une  fracture  ou  d'une  carie  pénétrante.  Ce  sont  les  mêmes  règles 
que  nous  avons  déjà  indiquées  :  emploi  des  caustiques  et  spécialement  de  l'acide 
arsénieux,  ablation  des  débris,  lavages  et  finalement  obturation  définitive 
après  cessation  de  tout  accident  et  destruction  complète  de  l'organe. 

Nous  disons  ici  que  le  traitement  de  la  carie  doit  s'appliquer  au  cas  de 
fracture.  C'est  qu'en  effet  la  mise  à  nu  de  la  pulpe,  même  sur  une  incisive 
centrale,  ne  saurait  constituer  une  indication  d'extraction,  à  moins  de  certaines 
anomalies  de  siège  ou  de  nombre  qui  permettent  la  réparation  possible  de  la 


224  DEIST   (pathologie). 

brèche  que  causerait  la  suppression  de  la  dent  fracturée.  Il  faut  donc  procéder 
comme  dans  une  carie  pénétrante  et  obturer  la  cavité  de  la  pulpe  ou  le  canal 
radiculaire  découvert  par  la  fracture.  De  la  sorte,  on  conserve  le  fragment 
restant  de  la  dent  qui  peut  ultérieurement  être  utilisé  pour  l'application  d'un 
appareil  de  prothèse  à  la  pose  duquel  l'existence  d'une  racine  indolente  apporte, 
comme  on  sait,  une  condition  favorable. 

(1.  Affections  organiques.     Les    affections  organiques  de  la  pulpe  dentaire 
sont;  l'atrophie  et  l'hypertrophie. 

Atrophie  de  la  pulpe.  A  l'état  normal,  la  pulpe  subit  pendant  le  cours  de 
la  vie  un  retrait  continu.  Cette  atrophie,  qui  entraîne  nécessairement  une 
diminution  proportionnelle  de  la  cavité  centrale,  peut  être  complète,  et  c'est 
ainsi  que  chez  certains  vieillards  on  trouve  des  dents  dont  la  pulpe  tout  entière 
et  la  cavité  centrale  elle-même  ont  entièrement  disparu.  Mais  en  dehors  de  cette 
réduction,  qu'on  pourrait  appeler  normale  et  physiologique,  la  pulpe  peut 
encore  subir  une  véritable  atrophie  à  la  suite  de  divers  états  pathologiques  de 
l'organe  dentaire,  particulièrement  à  la  suite  de  la  carie,  des  fractures,  des 
luxations  ou  de  l'usure. 

Considérée  ainsi  comme  conséquence  de  ces  désordres  préalables,  l'atrophie 
peut  affecter  différentes  formes  :  elle  est  lente  et  régulière  ou  brusque  et  irré- 
gulière. 

Dans  le  premier  cas ,  l'organe  surexcité  faiblement  par  une  fracture  non 
pénétrante,  un  traumatisme  modéré,  ou  une  carie  du  premier  ou  du  second 
degré,  acquiert  une  suractivité  fonctionnelle  qui  aboutit  à  une  hyperproduction 
de  dentiue;  celle-ci  se  substitue  peu  à  peu  à  la  pulpe  et  finit  dans  certains  cas 
par  remplir  progressivement  la  totalité  de  la  cavité  centrale.  Nous  avons  d'ail- 
leurs décrit  ce  phénomène  avec  détails  à  propos  des  diverses  affections  dentaires 
qui  le  provoquent  et  particulièrement  à  propos  de  la  carie,  et  il  nous  semble 
inutile  d'insister  davantage. 

Dans  la  seconde  forme  d'atrophie ,  l'organe  est  vivement  et  brusquement 
surexcité  par  une  fracture  se  rapprochant  beaucoup  de  la  cavité  centrale,  ou  par 
une  carie  pénétrante;  il  se  fait  alors  des  noyaux  hémorrhagiques  alternant  avec 
des  productions  accidentelles  et  saccadées  de  dentine  sans  forme  déterminée. 
C'est  dans  ces  cas  qu'on  rencontre  ces  masses  irrégulières  formant  des  cloison- 
nements complets  ou  incomplets  que  nous  avons  décrits  en  étudiant  l'anatomie 
pathologique  de  la  carie  dentaire,  et  qui  rendent  parfois  si  difficile  la  destruc- 
tion de  tous  les  débris  de  la  pulpe  par  les  applications  du  caustique  arsenical. 

Ce  même  accident  se  produit  dans  le  cas  d'usure,  et  ici  encore  il  y  a  lieu  de 
faire  une  distinction  :  dans  l'usure  sénile,  il  y  a  corrélation  habituelle,  équi- 
libre en  quelque  sorte  entre  l'usure  qui  s'approche  de  l'extérieur  à  l'intérieur  et 
la  production  de  dentine  secondaire  qui  lutte  de  l'intérieur  à  l'extérieur.  Mais 
il  n'en  est  pas  de  même  dans  l'usure  précoce  oii  l'atrophie  de  la  pulpe  peut 
être  plus  rapide  et  s'accompagner  aussi  de  cloisonnements. 

Hypertrophie  et  néoplasmes  de  la  pulpe.  Les  tumeurs  de  la  pulpe  den- 
taire ont  été  étudiées  avec  soin  par  Tomes  {Course  of  Lectures  on  dental 
Physiology  and  Surgery.  London,  1848,  p.  275)  sous  le  nom  de  Polypes  ou 
Granulations,  et  par  le  docteur  Albrecht  {Die  Krankheiten  der  Zahnpulpa. 
Berlin,  1858)  sous  celui  d'hypertrophies.  Ce  dernier  auteur  a  surtout 
déterminé  la  nature  anatomique  de  ces  tumeurs,  et  le  terme  d'hypertro- 
phie qu'il    leur    applique    résume   en  effet    assez    bien  la  structure  de  ces 


lie 


DENT  (pathologie).  225 

productions  ordinairement  composées  des  éléments  mêmes  de  la  pulpe.  Nous 
préférons  cependant  le  terme  moins  absolu  de  tumeurs  en  ce  qu'il  ne  préjuge 
pas  la  nature  du  tissu  morbide,  et  il  faut  noter  que  des  éléments  anatomiqnes 
étrangers  à  l'organe  sain  peuvent  quelquefois  se  rencontrer  dans  les  productions 
pathologiques  dont  il  est  le  siège. 

Les  tumeurs  de    la   pulpe    dentaire    sont   des   masses    molles,   charnues, 
développées  aux  dépens  du  tissu  propre  de  l'organe  et  faisant  saillie  à  l'extérieur. 
Elles  ne  peuvent  évidemment  se  produire  que  si  la  pulpe  a  été  préalablement 
mise  à  nu  par  une  perte  de  substance  de  la 
dent  intéressant  toute  l'épaisseur  de  la  cou- 
ronne :  aussi  les  rencontre-t-on  presque  exclu- 
sivement dans  l'intérieur  d'une  carie  profonde 
ayant  envahi  la  cavité  de  la  pulpe  et  mis  cet 
organe  à   découvert.  Les    dents  molaires,  en 
raison  du  volume  relativement  considérable  de     ^.^  _^  _  .^^^^^^^.  hype.tropi.ique 

leur  pulpe,  en  sont    le   plus    souvent  le    siège.  U   pulpe   développée  au    fond   d'une 

^  ,  r  1   u    i^,.o„    ,,..,i;  carie  Lénétrante  de  molaire. 

Ces  tumeurs   ont  une  forme  globuleuse,  ordi-  ^ 

nairement  réunie  au  reste  de  l'organe  par  une 

portion  rétrécie  ou  pédicule,  située  au  niveau  de  l'orifice  étroit  qui  fait  com- 
muniquer la  cavité  de  la  carie  avec  celle  de  la  pulpe  (fig.  30). 

Il  résulte  de  cette  particularité  que  la  production  morbide   présente  dans  sa 
totalité  la  forme  générale  d'une  masse  charnue  composée  de  deux  lobes  :  un 
profond,  la  pulpe  elle-même,   l'autre  superficiel,  composé  par  la  tumeur  pro- 
prement dite,  et  entre  ces  deux  lobes  la  portion  rétrécie  ou  col  qui  les  réunit. 
Leur  volume  varie  depuis  celui  d'un  pois  jusqu'à  celui  d'une  amande.  La  cou- 
leur est  blanchâtre  à  l'extérieur,  rouge   ou  rosée  à  l'intérieur;  leur  lace  libre 
n'est  pas  mamelonnée,  mais  nettement  limitée  et  lisse.  On  trouve  à  leur  surface 
extérieure  et  surtout  dans  l'intervalle  qui  les  sépare  de  la  paroi  de  la  carie  des 
débris  de  matières  alimentaires,   des   vibrions  et  des  algues  filiformes   de  la 
bouche,  des  filaments  de  lepthothrix.  Quant  à  leur  structure  microscopique,  elle 
se  compose  d'une  agglomération  de  noyaux  analogues  aux  éléments  embryo- 
plastiques,  qui  constituent  en  grande  partie  la  pulpe  normale,  et  mêlés  à  une 
matière  amorphe  granuleuse  parcourue  par  des  vaisseaux  et  des  nerfs.  Les  noyaux 
sont  seulement  plus  volumineux;   la  fine  couche  de  matière  amorphe  formant 
comme  une  membrane  propre  à  l'organe  sain  se  conserve  et  s'épaissit  même 
à  la  surface  des  tumeurs,  de  sorte  qu'on  peut  considérer  ces  productions  de  la 
pulpe  dentaire  comme  constituées  presque  constamment  par  une  hypertrophie 
simple  avec  hypergenèse  des  éléments  normaux  de  l'organe.  C'est  du  moins  ce 
que  nous  avons  constaté  dans  tous  les  cas  que  nous  avons  obseivés. 

Les  accidents  produits  par  cette  afft-ction  sont  en  général  légers,  les  malades 
ne  se  plaignent  le  plus  souvent  que  d'une  très-grande  gêne  de  la  mastication 
du  côté  malade,  de  sorte  qu'il  y  a  souvent  inaction  absolue  du  côté  correspon- 
dant de  la  bouche.  Il  résulte  de  cette  circonstance  que  les  dents  se  recouvrent 
de  tartre,  non-seulement  à  la  face  extérieure  de  la  couronne,  mais  encore  ;< 
leur  Tace  triturante  et  dans  la  cavité  même  de  la  carie  qui  contient  la  tumeur. 
Celle-ci  est  douloureuse  au  contact  des  corps  étrangers;  elle  ne  paraît  pas 
subir  sensiblement  l'influence  des  liquides  chauds  ou  froids  ;  mais  sa  surface 
molle  est  très-fréquemment  le  siège  d'hémorrhagies,  soit  spontanées,  soit  le  plus 
souvent  provoquées  par  un  choc. 

DICT.  ENC.  XXVII.  15 


226  DENT  (pathologie). 

Contrairement  à  l'opinion  de  Tomes,  qui  regarde  l'avulsion  de  la  dent  comme 
le  seul  moyen  à  opposer  à  cette  affection,  nous  croyons  qu'on  peut  obtenir  la 
gucrison  complète  de  la  maladie  en  conservant  la  dent. 

L'opération  consiste  dans  l'excision  de  la  tumeur,  suivie  de  la  destruction  des 
parties  restantes  de  la  pulpe.  L'excision  est  suivie  d'une  hémorrhagie  assez 
considérable  qu'on  arrête  aisément  avec  le  perchlorure  de  fer;  la  destruction 
s'obtient  ordinairement  par  la  cautérisation,  soit  avec  le  cautère  actuel,  soit,  ce 
que  nous  préférons,  à  laide  des  caustiques  et  particulièrement  avec  l'acide arsé- 
nieux,  dont  les  applications  doivent  être  faites  ici  suivant  les  mômes  préceptes 
que  nous  avons  formules  au  sujet  du  traitement  de  la  carie  dentaire;  puis, 
lorsque  la  masse  est  entièrement  détruite,  on  procède  à  l'obturation  de  la  cavité 
d'après  les  règles  ordinaires. 

2°  Maladies  du  périoste  dentaire.  Les  maladies  du  périoste  dentaire  étu- 
diées suivant  l'ordre  didactique  se  divisent  en  trois  catégories  :  a.  les  lésions 
traumatiqucs;  h.  les  lésions  inflammatoires;  c.  les  lésions  organiques. 

a.  Lésions  traumatiques.  Nous  n'aurons  q'.ie  peu  de  mots  à  dire  sur  les 
lésions  traumatiqucs  du  périoste,  qui  n'est  guère  susceptible  de  présenter 
que  de  simples  denudations  accidentelles  ou  des  déchirures  }^\iis  oumolns 
étendues. 

L'un  ou  l'autre  de  ces  accidents  ou  les  deux  à  la  fois  se  produisent  tantôt 
dans  les  fractures  ou  les  luxations  des  dents,  tantôt  dans  l'arrachement  d'un 
lambeau  de  gencive  qui  peut  comprendre  avec  lui  une  certaine  étendue  du 
périoste. 

Ce  que  nous  avons  établi  plus  haut  à  l'égard  des  conditions  anatomiques  et 
physiologiques  du  périoste  nous  a  montré  que  cette  membrane  est  composée 
d'un  simple  feuillet  fibreux  qui,  bien  qu'interposé  entre  deux  couches  osseuses, 
le  cément  et  la  paroi  alvéolaire,  appartient  réellement  à  la  dent  avec  laquelle  il 
est  entraîné  pendant  l'extraction. 

Or,  si  dans  un  traumatisme  il  y  a  mise  à  nu  de  ce  feuillet,  la  conséquence 
inévitable  est  son  inflammation,  c'est-à-dire  la  périostite.  Si  en  même  temps 
la  paroi  osseuse  alvéolaire  a  été  entraînée  sans  réparation  possible,  l'inflam- 
mation périostique  est  rapidement  suivie  de  la  destruction  pure  et  simple  de 
la  membrane.  C'est  par  un  semblable  mécanisme  qu'on  observe  fréquemment 
les  denudations  de  racines  de  plusieurs  dents  contiguës  à  la  suite  d'arrachement 
de  gencive  et  de  fractures  de  la  lame  externe  de  l'alvéole  ;  des  extractions  labo- 
rieuses ou  compliquées  en  sont  la  cause  la  plus  ordinaire.  Les  racines  ainsi 
mises  à  découvert  sont  donc  dépourvues  de  toute  protection  fibreuse  et  mu- 
queuse, et,  si  on  les  examine  de  plus  près,  on  reconnaît  en  outre  que  la 
couche  de  cément  qui  est,  comme  on  sait,  très-mince  à  l'état  normal,  a  éga- 
lement disparu  par  nécrose  ou  exfoliation  insensible,  de  telle  sorte  que  l'ivoire 
est  mis  à  nu  à  son  tour. 

La  gravité  de  cet  accident  est  dans  tous  les  cas  proportionnée  à  l'étendue 
même  de  ladénudation.  Si  une  face  de  la  racine,  la  face  antérieure,  a  perdu  son 
périoste,  la  dent  peut  n'être  pas  sérieusement  compromise  et  subsiste  dans  la 
bouche  avec  des  adhérences  suffisantes.  Les  circonstances  diverses  des  gteffes 
prouvent  surabondamment  '^ju'une  dent  même  dépourvue  d'une  étendue  consi- 
dérable de  périoste  peut  se  maintenir  dans  l'alvéole  grâce  à  une  portion  même 
restreinte  de  membrane  periostale.  C'est  en  vertu  de  ces  conditions  qu'on  voit 
fréquemment  des  incisives  ou  des  molaires  dont  les  racines  sont  entièrement 


DENT   (i>ATJioLor,iE).  227 

mises  à  jour  sur  toute  l'étendue  de  leur  hauteur,  sans  entraîner  pour  cela  m 
déplacement  ni  ébranlement. 

Ce  que  nous  venons  de  dire  de  la  dénudation  simple  du  périoste  par  cause 
traumatique,  laquelle  est  suivie  de  destruction,  s'applique  «  fortiori  à  la  déchi- 
rure de  cette  membrane,  car,  si  la  mise  à  nu  aboutit  à  la  destruction,  la  séparation 
complète  d'un  lambeau  de  ses  adhérences  normales  est  encore  moins  susceptible 
de  réparation  ;  le  résultat  final  du  premier  cas  est  donc  en  réalité  le  début 
dans  le  second,  mais  il  est  toutefois  une  complication  qui  peut  survenir  à  la 
suite  de  l'un  ou  l'autre  de  ces  accidents,  c'est  l'inllammation  de  la  portion 
restante  du  périoste  ou  pérmtite  simple.  Nous  n'avons  point  à  décrire  la 
périostite,  qui  sera  étudiée  tout  à  l'heure,  mais  nous  pouvons  dire  que  l'issue 
de  cette  maladie  dépendra  tout  à  la  fois  de  la  violence  des  traumatisraes,  de 
l'étendue  en  surface  du  périoste  qui  a  échappé  à  l'accident  et  de  certaines  dispo- 
sitions individuelles  plus  ou  moins  propres  suivant  les  sujets  à  favoriser  le  déve- 
loppement de  cette  phlegmasie. 

h.  Lésions  inflammatoires.  Les  lésions  inflammatoires  du  périoste  dentaire 
comprennent  l'histoire  de  la  périostite. 

La  PÉRIOSTITE  ou  inflammation  du  feuillet  fibreux  unissant  dans  l'intérieur  de 
l'alvéole  la  racine  des  dents  à  la  paroi  osseuse  est  une  affection  qui  n'est  connue 
que  depuis  un  petit  nombre  d'années.  La  première  description  vraiment 
scientifique  qui  en  ait  été  tracée  appartient  à  Albrecht  [die  Kranklieiten  an  der 
Wurzelhaut  der  Zdhne.  Berlin,  1860).  Mais  la  monographie  la  plus  complète  est 
due  à  M.  Pietkievicz,  qui  lui  a  consacré  sa  thèse  inaugurale  {De  la  périostite 
alvéolodentaire,  thèse  de  Paris,  1876).  En  dehors  de  ces  deux  publications,  les 
auteurs  qui  ont  écrit  sur  les  maladies  de  la  bouche  ou  des  dents  se  taisent  sur 
ce  point  ou  ne  parlent  de  cette  maladie  qu'à  propos  de  certaines  complications 
dont  elle  est  l'origine. 

La  périostite  alvéolaire,  qui  est  tantôt  spontanée  ou  traumatique,  tantôt  consé- 
cutive à  une  lésion  grave  de  l'organe  dentaire  comme  la  carie,  doit  être  divisée, 
au  point  de  vue  de  ses  lésions  anatomiques,  de  ses  symptômes,  de  sa  marche  et 
de  l'ensemble  de  ses  caractères,  en  quatre  périodes  : 
1°  La  périostite  subaiguë; 
2°  La  périostite  aiguë  simple  ; 
5"  La  périostite  phlegmoneuse  ; 
4°  La  périostite  chronique. 

C'est  suivant  cet  ordre  que  nous  en  tracerons  la  description. 
A.  Lésions  akatomiq0es.  Lorsqu'on  examine  une  dent  extraite  du  début 
d'une  périostite,  alors  que  celle-ci  est  faible  et  subaiguë,  on  n'observe  qu'une 
simple  injection  de  la  membrane  avec  arborisation  vasculaire  et  léger  cpaissis- 
sement.  Quant  au  siège  de  ces  phénomènes,  il  occupe  soit  la  totalité  de  la 
membrane,  soit  la  région  voisine  du  collet,  ou  celle  du  sommet.  Si  elle  est  géné- 
ralisée, l'état  congestif  et  la  vascularisation  s'observent  dans  toute  la  surface 
radiculaire,  et  l'examen  d'un  lambeau  détaché  par  le  scalpel  permet  de  recon- 
naître que  la  membrane  a  acquis  environ  le  double  de  son  épaisseur  normale  ; 
que  ses  adhérences  à  la  couche  de  cément  sont  amoindries  et  que  les  vaisseaux, 
sans  avoir  augmenté  de  nombre,  sont  seulement  en  état  de  réplétion.  En  effet, 
cette  période  subaiguë  est  ordinairement  fugace  ;  c'est  elle  qui  survient  d'or- 
dinaire après  un  traumatisme  léger  ou  dans  le  cours  du  traitement  dune 
carie  pénétrante.  A  cet  état  la  congestion  périostique  ne  retentit  d'ordinaire  sur 


228  DENT   (pathoiogie). 

aucun  point  du  voisinage,  elle  ne  se  propage  pas,  et  ni  le  faisceau  vasculaiie 
aerveux  du  sommet  radiculaire,  ni  la  gencive  elle-même,  ne  participent  à  la 
phlegmasie.  C'est  la  phase  inflammatoire  la  plus  simple  et  la  plus  prompte  à  se 
dissiper. 

Dans  la  forme  aiguë  franche,  il  y  a  exagération  de  1  état  précédent  :  injection 
très-vive,  épaississement  considéiable  qui  se  mesure  d'ordinaire  par  le  degré 
d'allongement  extérieur  et  visible  que  subit  l'organe  affecté.  Cet  épaississement 
est  dû  à  la  fois  à  l'injection  extrême  des  vaisseaux,  à  la  multiplication  des  capil- 
laires, à  l'hypergenèse  des  fibres  de  tissu  conjonctif  et  à  l'interposition  entre 
celles-ci  de  matière  amorphe  et  de  sérosité,  ainsi  que  cela  s'observe  dans  toute 
inlluramation  des  tissus  fibreux  en  général.  Dans  cette  période  on  observe  alors 
quelques  lésions  au  voisinage;  la  gencive  offre  une  injection  manifeste  sous 
forme  d'une  bande  rouge  qui  suit  la  direction  de  la  racine  malade;  le  faisceau 
vasculû-nerveux  de  la  pulpe,  distendu  par  le  soulèvement  de  l'organe,  est  à  son 
tour  injecté  et  la  pulpe  elle-même,  lorsqu'elle  subsiste,  éprouve  un  certain  degré 
d'intlammalion  qui  se  traduit  par  une  injection  plus  ou  moins  marquée. 

Le  lissu  osseux  alvéolaire  et  la  couche  de  cément  radiculaire  n'éprouvent  pas 
toutefois  de  lésion  manifeste  lorsque  celte  forme  aiguë  n'a  pas  une  trop  longue 
durée,  si  ce  n'est  un  certain  degré  d'ostéite  sans  gravité. 

Dans  la  forme  plilegmoaeuse  la  surface  radiculaire  se  présente  sous  une  phy- 
sionomie (oute  nouvelle  :  le  périoste  est  en  pleine  suppuration,  sa  trame  fibreuse 
est  désorganisée,  ramollie,  inliltrée  de  pus.  Une  tentative  d'extraction  dans  ce 
cas  a  toujours  pour  résultat  la  déchirure  de  la  membrane  qui  a  perdu  ses  adhé- 
rences normales;  l'alvéole  est  rempli  d'un  liquide  blanc  épais  qui  renferme  au 
milieu  des  leucocytes  du  pus  des  lambeaux  désorganisés  de  fibres  cellulaires  de 
la  membrane  et  des  vaisseaux.  Dans  celte  période  les  tissus  voisins  sont  frappés 
de  lésions  concomitantes  :  la  couche  de  cément  dénudé  devient  le  siège  d'ostéite 
et  sexfolie;  les  vaisseaux  de  la  pulpe  sont  détruits  à  leur  entrée  dans  le  canal 
dentaire  et  la  pulpe,  si  elle  subsiste,  est  aussitôt  frappée  de  mortification,  ce  qui 
se  traduit  par  un  changement  rapide  de  coloration  de  la  couronne,  laquelle 
prend  les  teintes  grise  ou  noirâtre.  La  gencive,  de  son  côté,  est  prise  d'inflam- 
mation localisée;  ses  connexions  avec  le  périoste  au  niveau  du  collet  sont  rom- 
pues, et,  lorsque  la  dent  est  finalement  chassée  au  dehors  par  la  suppuration, 
on  ne  retrouve  plus  à  la  surface  de  la  racine  ni  périoste,  ni  cément,  l'ivoire 
étant  libre  à  l'extérieur. 

La  physionomie  que  nous  venons  de  reconnaître  aux  lésions  de  la  périostite 
phlegmoneuse  est  d'ailleurs  celle  qui  s'observe  encore,  par  exemple,  à  la  suite 
d'une  greffe  par'  restitution  lorsque  celle-ci  est  suivie  d'insuccès  par  élimination. 
On  trouvera  là  un  cas  tout  à  fait  propre  à  permettre  l'examen  des  altérations 
anatorao-pathologiques  de  cette  forme. 

C'est  qu'en  effet  l'issue  malheureuse  d'une  greffe  est  due  à  la  suppuration  et 
à  la  destruction  du  tissu  fibreux  destiné  à  la  soudure  de  l'organe  et  à  la 
reprise  des  connexions  vasculaires  et  nerveuses.  Si  l'élimination  est  rapide,  on 
n'observera  à  la  surface  radiculaire  que  la  destruction  pure  et  simple  du  périoste; 
si  elle  se  fait  avec  lenteur,  ce  qui  signifie  que  plusieurs  points  de  la  surface 
out  repris  temporairement  quelque  vitalité,  il  se  produit  d'autres  lésions  qui  se 
caractérisent  par  des  résorptions  plus  ou  moins  étendues,  soit  au  niveau  de  la 
surface  de  section,  soit  sur  d'autres  parties  de  la  racine.  Celle-ci  peut  même 
arriver  à  représenter  un  tronçon  irrégulier  et  couvert  d'aspérités  résultant  de  la 


DEiNT  (pathologie).  229 

disparition  par  place  non-seulement  du  cément,  mais  aussi  de  l'ivoire  lui- 
même. 

Ce  sont  les  mêmes  lésions  des  parties  dures  qui  se  rencontrent  dans  le  cas  de 
périostite  généralisée  lorsqu'elle  succède  à  certains  traumatismes.  Nous  l'avons 
observé,  par  exemple,  plusieurs  fois  sur  des  inci;;ives  frappées  d'un  coup  violent 
et  qui  ont  été  prises  de  périostite  avec  résorption  consécutive;  dans  l'un  de  ces 
cas,  la  racine  avait  entièrement  disparu,  de  la  même  manière  que  cela  se  passe 
pour  une  dent  temporaire  à  la  veille  de  sa  chute  spontanée.  Tomes,  qui  déciit 
ces  altérations  d'origine  traumatique,  considère  la  lésion  comme  une  maladie 
particulière  des  dents  dont  il  n'indique  d'ailleurs  nullement  la  pathogénie  ni  les 
causes  {Chirurgie  dentaire.  Traduction  Darin,  p.  402).  11  n'est  pas  douteux 
pour  nous  qu'elle  appartienne  au  processus  de  la  périostite.  Il  convient  toutefois 
de  distinguer  ces  faits  das  cas  de  compression  de  dents  permanentes  entre  elles, 
ce  qui  produit  alors  des  résorptions  d'une  nature  tout  autre  et  sans  partici|»ation 
de  périostite;  mais  ce  que  nous  voulons  bien  établir  ici,  c'est  que  la  périostite 
entraîne  quelquefois  comme  lésion  secondaire  le  phénomène  de  destruction  dont 
nous  parlons. 

Dans  l'état  chronique  de  la  périostite  il  est  un  premier  point  à  remarquer,  c'est 
qu'elle  n'est  jamais  généralisée,  si  ce  n'est  dans  une  certaine  forme  de  périostite 
à  laquelle  nous  avons  consacré  une  description  spéciale  et  un  nom  particulier  : 
celui  à'ostéo-périostite  alvéolaire  [voy.  plus  loin).  Pour  la  périostite  proprement 
dite,  l'état  chronique  a  pour  lieu  d'élection  presque  constant  le  sommet,  et 
l'état  local  est  alors  tout  à  fait  caractéristique. 

En  premier  lieu  le  périoste,  dans  une  étendue  de  plusieurs  millimètres,  est 
soulevé  par  une  collection  de  liquide  variable  de  quantité  et  de  caractère  ;  la 
partie  correspondante  de  la  racine  est  donc  entièrement  dénudée,  rugueuse,  cou- 
verte de  pointes  et  d'aspérités  ;  la  distension  du  feuillet  membraneux  constitue 
alors  parfois  un  abcès  assez  limité  comme  volume  pour  que  les  hasards  d'une 
extraction  aient  pu  l'amener  entièrement  au  dehors.  D'aulres  fois  l'opération  le 
déchire  et  on  n'en  retrouve  que  des  lambeaux.  Dans  quelques  cas,  ce  n'est  plus 
un  abcès,  mais  un  kyste  périostique,  ce  qui  signitie  que  le  processus  inflamma- 
toire a  été  beaucoup  plus  lent.  Dans  les  deux  cas  l'origine  est  donc  unique,  la 
marche  seule  a  été  différente.  Nous  établirons  du  reste  plus  loin  les  diveis  modes 
de  terminaisons  de  cette  même  lésion.  Mais  dans  l'un  et  dans  l'autre  il  y  a 
épaississement  considérable  du  périoste,  ce  qui  prouve  l'hypergenèse  des  élé- 
ments fibreux  qui  le  composent.  La  trame  de  tissu  est  en  outre  infdtrée  de  pus 
et  de  divers  produits  inflammatoires.  Le  sommet  radiculaire  est  mis  à  nu  et 
l'orifice  de  la  racine  est  ordinairement  libre  et  béant,  laissant  parfois  passer  le 
liquide  de  la  collection  qui  peut  s'écouler  au  dehors  à  la  faveur  d'une  carie 
pénétrante  de  la  forme  dite  à  suintement.  Ce  liquide  est  d'ailleurs  variable  : 
tantôt  il  est  franchement  purulent,  plus  ou  moins  épais  ;  tantôt  il  est  séreux, 
limpide  ou  visqueux,  ainsi  que  cela  se  produit  dans  les  kystes  des  mâchoires. 

Dans  cette  forme,  les  lésions  anatomiques  ne  sont  donc  plus  bornées  au 
périoste,  aux  parties  sous-jacentes  et  aux  produits  inflammatoires  qui  s'accu- 
mulent à  sa  face  profonde,  car  le  tissu  osseux  de  l'alvéole  participe  bientôt  aux 
altérations  de  voisinage.  La  paroi  alvéolaire  distendue  en  effet  par  les  productions 
nouvelles  forme  une  véritable  poche  qui  devient  le  siège  d'ostéite  et  de  nécrose. 
Une  perforation  de  la  lame  externe  ou  de  la  lame  interne  ou  des  deux  à  la  fois 
donne  alors  passage  aux  produits  inflammatoires  et  une  fistule  en  est  la  consé- 


230  DENT  (pathologie). 

quence  inévitable.  Celte  fistule,  qui  a  pour  orifice  le  plus  souvent  le  bord  gin- 
gival ou  la  région  palatine,  s'ouvre  aussi  parfois  à  la  peau  suivant  les  disposi- 
tions mêmes  de  la  région  et  le  niveau  de  la  racine  affectée. 

Ces  fistules  sont  en  outre  tantôt  permanentes,  tantôt  intermittentes,  et  peuvent 
se  compliquer  à  leur  tour  d'indurations  dont  le  siège  est  le  périoste  osseux  du 
maxillaire,  le  revêtement  gingival  ou  le  tissu  cellulaire  de  la  face.  Ces  altérations 
sont  de  règle  dans  la  forme  chronique  de  la  périostite  du  sommet,  et  nous  ne 
devons  pas  ici  y  insister  devant  y  revenir  à  propos  de  la  marche  et  des  compli- 
cations de  cette  maladie. 

Les  lésions  anatomiques  de  la  périostite  peuvent  donc  se  résumer  de  la 
manière  suivante  : 

Périostite  subaiguë  :  injection  simple  plus  ou  moins  étendue  ou  générale  du 
périoste  sans  lésion  de  voisinage,  sauf  congestion  légère  de  la  gencive. 

Périostite  aiguë  :  exaspération  de  l'état  précédent  avec  complication  fréquente 
de  voisinage,  phlegmon  œdémateux  de  la  face  (forme  simple). 

Périostite  j)hlegmoneuse  :  destruction  du  périoste,  exfoliation  du  cément,  phleg- 
mon circonscrit  ou  diffus  de  la  face. 

Périostite  chronique  du  sommet  :  dénudation  complète  de  la  partie  corres- 
pondante de  la  racine  ;  abcès  sous-périostique  ou  kyste,  ostéite  et  perforation 
de  la  paroi  alvéolaire,  fistules  simples  ou  multiples;  induration  des  parties 
molles;  clapier  fibro-osseux  du  maxillaire,  état  purulent  ou  séro-purulent  du 
conteiui,  présence  de  la  cholestérine  dans  le  liquide. 

B.  Ëtioloyie  et  mécanisme.  Dans  la  recherche  des  causes  multiples  de  la 
périostite  nous  ne  croyons  pas  devoir  nous  arrêter  à  la  série  de  causes  banales 
comme  l'influence  du  sexe,  de  l'âge,  des  professions,  des  diathèses  auxquelles 
M.  Pietkiewicz  dans  sa  remarquable  monographie  croit  devoir  accorder  une 
certaine  valeur.  Ce  sont  là  des  conditions  que  nous  regardons  comme  impuis- 
santes à  elles  seules  à  produire  une  maladie  si  nettement  définie  et  toujours 
essentiellement  locale,  au  moins  au  début. 

Au  point  de  vue  étiologique,  la  périostite  est  :  1°  spontanée;  2"  trauma- 
tique;  3°  consécutive  à  des  lésions  antérieures  de  l'organe  dentaire;  4"  résul- 
tant de  la  propagation  d'une  phlegmasic  de  voisinage. 

1°  La  périostite  peut  donc  être  tout  à  fait,  spontanée,  c'est-à-dire  qu'elle  appa- 
raît sans  aucune  cause  appréciable  sur  une  dent  absolument  dépourvue  de  toute 
lésion  antérieure.  Ces  cas  ne  sont  pas  très-rares;  nous  en  avons  rencontrés 
plusieurs  et  M.  Pietkiewicz  en  cite  également  de  son  côté.  La  maladie  reste 
bornée  dans  ce  cas  à  la  forme  simple  subaiguë  ou  franchement  aiguë  ;  elle  sur- 
vient au  même  titre  que  toute  inflammation  spontanée  quelconque  du  tissu 
cellulaire  ou  fibreux  de  l'économie  et  sa  terminaison  assez  fréquente  est  la  réso» 
lution.  Le  siège  le  plus  habituel  de  la  périostite  spontanée  est  la  région  des 
incisives  et  particulièrement  des  inférieures. 

2"  La  périostite  traumatique  est  le  résultat  d'un  choc  venu  du  dehors  ou  de 
la  rencontre  d'un  corps  étranger  pendant  les  manoeuvres  de  la  mastication. 
Nous  ne  parlons  pas,  bien  entendu,  des  cas  où  il  se  produit  une  fracture  ou 
une  luxation  dont  la  complication  inévitable  est  la  périostite.  Nous  avons  men- 
tionné ces  faits  à  propos  des  lésions  traumatiques  des  dents  elles-mêmes.  A 
côté  des  violences  extérieures,  il  faut  noter  les  tentatives  d'extraction  ou  la 
pression  de  certains  instruments  pendant  une  opération  de  voisinage  ;  les 
manœuvres  plus  ou  moins  violentes  pour  remédier  à  une  déviation  des  dents, 


DENT  (pATHOi.or.iE).  ^^^ 

dans  le  traitement  des  anomalies  par  les  appareils  à  pression  brusque  ou  pro- 
lonnée.  Nous  en  avons  parlé  d'ailleurs  à  propos  des  complications  des  dévia- 
tions dentaires  en  général. 

Mentionnons  encore  la  pratique  qui  consiste  à  éloigner  l'une  de  I  autre  deux 
dents  contiguës  dans  le  but  de  découvrir  une  carie  d'un  interstice.  L'emploi  de 
coins  de  bois  qui  produisent  rapidement  ce  résultat  est  une  cause  fréquente  de 
périostite  :  aussi  faut-il  procéder  constamment  [lar  l'emploi  ménagé  et  répété  de 
pansements  de  ouate  ou  de  lames  de  caoutcliouc  d'épaisseurs  graduées  ;  le  but  est 
aussi  plus  lent  à  atteindre,  mais  dépourvu  de  danger.  Nous  avons  bien  souvent 
reconnu  pour  cause  unique  de  l'apparition  d'une  périostite  grave  avec  gan- 
grène de  la  pulpe,  coloration  noire  rapide  de  la  couronne  et  perle  ultérieure  de 
l'organe,  de  simples  tentatives  d'écartement  brusque  des  dents. 

La  résection  d'une  portion  plus  ou  moins  étendue  d'une  dent  au  moyen  de  la 
lime  ou  des  gouges  est  encore  une  cause  de  périostite,  bien  que  d'une  façon  un 
peu  indirecte,  puisque  l'accident  immédiat  après  ces  sortes  d'opérations  est 
d'abord  la  pulpite  qui  se  propage  ensuite  au  périoste  alvéolaire. 

A  cette  cause  se  rattachent  certaines  obturations  de  carie  superficielle  pralniuées 
avec  violence.  C'est  le  cas,  en  particulier  pour  l'auriflcation,  qui  exige  toujours 
une  pression  intense  et  prolongée  ou  des  chocs  répétés,  si  l'opération  est  laite  avec 
le  marteau,  suivant  nn  procédé  assez  usité  aujourd'hui.  Ici  le  mécanisme  n'est 
pas  le  même  que  pour  la  résection,  car  la  périostite  peut  survenir  d'emblée, 
sans  pulpite  préalable,  et  comme  résultat  du  traumatisme  cliirurgicai  portau 
sur  la  totalité  de  l'organe. 

Une  autre  série  de  corps  étrangers,  pouvant  devenir  cause  de  périostite,  com- 
prend certaines  parcelles  alimentaires,  fragments  d'os,  arêtes  de  poissons,  qui 
peuvent  pénétrer  violemment  et  se  maintenir  dans  l'alvéole  au  sein  même  du 
tissu  du  périoste.  C'est  ainsi  que  l^ielkiewicz  reproduit  d'après  (lalezowski  une 
observatiou  de  périostite  avec  abcès  du  sinus,  amaurose  consécutive  ayant  reconnu 
pour  cause  un  petit  fragment  de  bois  implanté  dans  le  canal  radiculaire  d'une 
dent  {loc.  cit.,  observ.  XLll).  De  ces  faits  se  rapprochent  essentiellement  les 
exemples  de  périostite  survenue  à  la  suite  d'applications  d'appareils  protlié- 
tiques  avec  pivots  métalliques  ou  autres.  Cet  accident  est  si  fréquent  dans  ce 
cas  que  toute  installation  d'appareils  de  ce  genre  réclamera  du  "praticien  les 
plus  grandes  précautions. 

Enfin  signalons,  parmi  les  agents  traumatiques  capables  de  produire  la  périos- 
tite, les  liquides  ou  substances  irritantes  :  on  connaît  le  fait  rapporté  par  Paget 
d'un  matelot  qui  fut  pris  d'une  périostite  violente  avec  phlegmon  et  nécrose 
consécutive  du  maxillaire  à  la  suite  de  l'introduction  d'une  chique  de  tabac 
dans  une  carie  pénétrante  {the  Lancet,  1864,  t.  I,  p.  684).  L'acide  arsénieux 
employé  intempestivement  dans  une  carie  de  môme  nature  amène  encore  rapi- 
dement une  périostite  qui  peut  ainsi  entraîner  des  complications  fort  graves. 
Le  docteur  Combe  en  cite  dans  sa  thèse  plusieurs  cas  et  rapporte  d'autre  part 
des  faits  de  périostites  survenues  par  l'emploi  des  mêmes  agents  caustiques  ap- 
pliqués par  erreur  ou  maladresse  dans  un  interstice  dentaire  au  contact  direct 
du  périoste  (De  l'acide  arsénieux  dans  les  applications  à  la  thérapeutique  de 
la  carie  dentaire.  Thèse  ds  Paris,  1879). 

11  est  enfin  une  forme  spéciale  de  périostite  représentant  le  début  de  la 
nécrose  pliosphorée  et  qui  a  de  même  pour  mécanisme  la  pénétration  au  contact 
du  périoste,  au  travers  du  canal  dentaire,  des  vapeurs  phosphorées. 


252  DENT   (pathologie). 

Arrivons  maintenant  à  l'nne  des  causes  les  plus  fréquentes  de  la  périostite, 
la  carie.  Ici  une  distinction  est  nécessaire,  car  la  périostite  peut  survenir  à  l'une 
des  deux  dernières  périodes  de  la  maladie,   la  seconde  ou  la  troisième. 

Si  la  périostite  survient  dans  le  cours  d'une  carie  de  la  seconde  période,  c'est- 
à-dire  celle  qui  n'a  pas  pénétré  dans  la  cavité  de  la  pulpe,  elle  a  pour  origine 
immédiate  l'inflammation  même  de  cet  organe  ou  pulpite.  L'affection  prend  alors 
le  caractère  de  la  pulpo-périostite.  Voici  le  processus  :  la  pulpe,  impressionnée 
par  voie  indirecte  et  au  travers  de  la  couche  de  dentine  qui  la  sépare  de  l'exté- 
rieur, s'enflamme,  devient  turgide  et  se  gangrène;  les  ramifications  pulpaires 
des  racines  se  congestionnent,  puis,  par  simple  contiguïté,  le  périoste  au  som- 
met de  la  racine.  Là  la  périostite  prend  l'une  des  deux  formes  soit  locale  au 
sommet,  soit  générale. 

Le  second  mode  de  production  de  la  périostite  est  celui  qui  succèile  à  une  carie 
pénétrante  avec  disparition  complète  de  la  pulpe  et  de  ses  ramifications.  Les 
causes  ici  sont  fort  simples  à  saisir,  bien  que  multiples.  La  dent  ainsi  vidée  de 
son  contenu  représente  une  cavité  dans  laquelle  entrent  librement  tous  les  agents 
arrivant  ainsi  sans  obstacle  jusqu'au  con'act  même  du  périoste  au  sommet  des 
racines.  L'influence  est  donc  direcle.  Or,  dans  l'alimentation  ordinaire  il  est 
déjà  bon  nombre  d'agents  susceptibles  de  causer  une  irritation  suffisante  pour 
amener  une  périostite  :  les  substances  salines,  alcoolique>,  etc. 

Mais  il  est  un  autre  mode  de  production  de  la  périostite  à  cette  période  ultime 
de  la  carie,  c'est  lorsque,  la  cavité  pulpaire  étant  entièrement  libre,  il  subsiste  à 
la  portion  la  plus  éloignée  des  canaux  radiculaires  quelques  débris  de  pulpe 
frappés  d'inflammation  chronique,  laquelle  a  déjà  gagné  d'ailleurs  la  partie  du 
périoste  revêtant  ce  sommet  même.  Dans  cet  état,  les  parties  inflammées  sont 
très-souvent  le  siège  d'une  légère  suppuration  ou  plus  ordinairement  d'un 
faible  suintement  séreux  ou  séro-purulent  dont  l'écoulement  s'effectue  par  la 
carie  et  au  dehors  dans  la  bouche.  Ces  cas,  qui  ont  été  déjà  décrits  plus  haut 
dans  l'histoire  de  la  carie  sous  le  nom  de  caries  pénétrantes  avec  suintement, 
sont  d'un  diagnostic  facile  et  leur  signe  essentiel  est  l'odeur  fétide  qui  s'en 
échappe,  odeur  que  le  malade  accuse  lui-même  et  que  le  chirurgien  peut  recon- 
naître à  son  tour. 

C'est  dans  les  cas  de  ce  genre  que  nous  avons  préconisé  la  méthode  du  drai- 
nage, la  seule  qui  puisse  permettre  l'occlusion  de  la  carie  avec  persistance  d'uu 
orifice  capillaire  d'écoulement.  Un  autre  signe  non  moins  démonstratif  de  cette 
forme  est  précisément  rintoléraiice  de  l'obturation,  ce  qui  se  démontre  par  la 
pratique  de  V occlusion  temporaire,  laquelle  est  plus  ou  moins  rapidement 
suivie  d'accidents.  Cette  occlusion  lorsqu'on  l'enlève,  se  trouve  ainsi  baignée 
de  liquide  en  telle  quantité  parfois  qu'il  forme  un  véritable  flot  s'écoulant  dans 
(a  bouche  et  soulageant  immédiatement  le  malade. 

Or,  que  dans  de  telles  conditions  on  pratique  interapestivement  et  sans  pré- 
caution préalable  une  obturation  complète,  lu  périostite  aiguë  par  rétention 
éclate  aussitôt  et,  si  l'on  n'intervient  pas  immédiatement  par  une  désobturaliou 
ou  une  trépanation  de  la  cavité  de  la  pulpe,  les  complications  peuvent  revêtir 
la  plus  haute  gravité.  C'est  dans  les  circonstances  de  ce  genre  qu'une  périostite 
devient  l'origine  d'un  phlegmon  de  la  face  avec  nécrose  du  maxillaire,  ou  d'un 
phlegmon  diffus  aboutissant  aux  désordres  les  plus  étendus,  à  la  phlébite  des 
jugulaires  avec  envahissement  aux  sinus  de  la  dure-mère,  à  l'infection  puru- 
lente et  à  la  mort.  Ces  faits  sont  nombreux,  et  nous  ne  saurions  trop  insister 


DENT  (pathologie).  25o 

sur  leur  mécanisme,  afin  de  mettre  en  garde  les  praticiens  contre  les  dangers 
de  celte  opératioir  si  simple  en  apparence,  si  banale  même,  l'obturation,  laquelle 
dans  ces  conditions  devient  véritablement  néfaste.  Nous  y  reviendrons  d'ailleurs 
à  propos  des  complications  de  la  périostite  et  nous  rapporterons  quelques 
exemples  fréquents  mentionnes  dans  les  auteurs. 

Ici  se  placent  encore  à  titre  d'irritants  directs  les  agents  dont  nous  avons 
déjà  parlé  tout  à  l'heure;  l'arsenic  et  les  vapeurs  pliosphorées.  C'est  ainsi  que 
rien  n'est  plus  propre  à  produire  une  périostite  qu'un  pansement  arsenical 
appliqué  intempeslivement  dans  une  carie  pénétrante  privée  entièrement  de  sa 
pulpe.  Le  caustique,  portant  directement  son  action  sur  le  périoste,  y  développe 
aussitôt  une  plilegmasie  dont  on  a  grand'peine  à  se  rendre  maître  et  qui  peut 
en  outre  devenir  l'origine  des  plus  graves  complications.  Le  même  résultat 
se  produit  par  l'intervention  des  vapeurs  du  pliospliore,  et  nous  avons  cherché 
à  établir,  dans  nos  études  sur  la  patliogénie  de  la  nécrose  pliosphorée,  que 
cette  terrible  maladie,  si  souvent  mortelle,  débute  invariablement  par  une 
périostite  alvéolaire.  Ces  divers  agents,  arsenic,  phosphore,  auxquels  on  jiour- 
lait  joindre  d'autres  causes  professionnelles  (l'abrication  des  chromâtes,  vapeurs 
de  cldorc,  acide  nitreux  divers,  etc.),  juslilient  ainsi  pleinement  la  désigna- 
lion  d'une  grande  division  des  nécroses  des  mâchoires  sous  le  nom  de  nécroses 
toxiques. 

Une  dernière  série  de  causes  de  périostite  comprend  les  influences  de  voisi- 
nage, c'est-à-dire  les  faits  de  propagation  par  continuité  :  un  traumatisme  de  la 
gencive,  une  dénudation  du  bord  alvéolaire,  ont  très-souvent  causé  la  périostite. 
Mais  l'une  des  plus  communes  dans  cette  catégorie,  c'est  la  gingivite.  Nous  avons 
vu  en  effet,  en  traçant  l'histoire  de  cette  maladie  (voy.  art.  Gkncivks),  que  l'une 
de  ses  complications  fréquentes  est  précisément  la  périostite  alvéolaire.  Nous 
insisterons  en  même  temps  sur  ce  f^it  que  cette  dernière  survient  seulement 
dans  certaines  formes  de  gingivites,  les  gingivites  mercurielles,  pliospho- 
riques,  etc.  Cette  complication  toutefois  n'est  point  fatale  et,  lorsqu'elle  appa- 
raît dans  le  cours  d'une  gingivite  intense,  elle  se  manifeste  par  les  phénomènes 
d'ébranlement  et  de  douleur  des  dents,  phénomènes  qui  n'appartiennent  nulle- 


ment en  réalité  à  lu  gingivite  elle-même. 


Tel  est  le  cadre  éliologi([ue  de  la  périostite  dans  lequel  ne  rentrent  pas, 
comme  on  voit,  l'influence  des  maladies  générales,  des  diathèses,  lesquelles  sont 
l'origine  d'une  autre  lésion  que  nous  avons  éliminée  de  la  description  actuelle 
pour  en  faire  une  espèce  nosologique  distincte  ;  nous  voulons  parler  de  Vosléo- 
périostite  décrite  plus  loin. 

C.  Symptomatologie.  11  convient  de  diviser  les  phénomènes,  tant  objectifs 
que  subjectil's  de  la  périostite,  suivant  l'ordre  didactique  ordinaire,  en  trois  or- 
dres :  les  syniptùmes  locaux;  les  symptômes  de  voisinage;  les  symptômes 
généraux. 

Les  symptômes  locaux  sont  ceux  qui  ont  pour  siège  le  niveau  même  de  la 
dent  malade  et  le  point  correspondant  de  la  mâchoire.  Ils  marquent  toujours  le 
début  de  la  maladie  et  parfois  même  subsistent  seuls  pendant  toute  sa  durée. 
Nous  devons  les  étudier  dans  leur  gradation  croissante,  correspondant  aux 
degrés  divers  d'intensité  de  la  phlegmasie. 

Le  phénomène  de  début  d'une  périostite  est  un  simple  sentiment  de  o^êne 
une  sorte  de  tension  au  niveau  de  la  dent  affectée.  Les  malades  accusent  la 
sensation  d'un  corps  étranger,  d'une  pesanteur  dont  l'explication  réside  dans 


254  DENT  (pathologie). 

l'état  d'hyperén)ie  et  de  gonflement  du  périoste.  A  celte  première  sensation, 
correspond  une  sorte  de  besoin  instinctif  d'exercer  certaines  pressions  sur  l'organe 
atfecté  en  rapprochant  les  mâchoires,  et  cette  manœuvre  a  pour  résultat  immé- 
diat un  soulagement  notable  par  le  simple  fait  de  dégorgement  mécanique.  Ce  sou- 
lagement est  d'ailleurs  de  faible  durée,  car,  l'inflammation  continuant  son  déve- 
loppement, la  douleur  s'accuse  bien  plus  nettement,  devient  continue,  lancinante, 
avec  battements  isochrones  aux  pulsations  artérielles,  ainsi  que  cela  se  montre 
à  tout  début  d'inflammation. 

En  même  temps  un  signe  extérieur  apparaît,  c'est  un  degré  très-faible  d'allon- 
gement quelquefois  difficile  à  constater  à  cette  période,  mais  tout  à  fait  percep- 
tible pour  le  malade,  qui  déclare  que  dans  le  rapprochement  des  deux  mâchoires 
la  dent  affectée  est  rencontrée  la  première  et  quelquefois?  même  s'oppose  au 
rapprochement  normal.  En  outre,  ces  contacts  qui,  dans  le  degré  précédent, 
étaient  un  moyen  de  soulagement,  deviennent  des  occasions  de  douleur  vive. 
Le  sujet  les  évite  soigneusement  et  la  mastication  devient  dès  lors  très-dif- 
ficile, parfois  même  impossible.  La  douleur  devient  ainsi  peu  à  peu  continue, 
ne  subissant  dans  son  caractère  ou  son  intensité  aucune  modification  sous  l'in- 
fluence des  transitions  de  température,  si  ce  n'est  une  certaine  recrudescence 
par  les  li(iuidcs  chauds,  au  voisinage  d'un  foyer  ou  pendant  la  nuit  sous 
l'action  d'une  certaine  élévation  de  la  chaleur  du  lit.  De  la  sorte  s'expliquent 
les  recrudescences  nocturnes  des  symptômes  de  la  périostite,  qui  s'accom- 
pagnent du  reste  bientôt  d'un  certain  degré  d'allongement  et  d'ébranlement.  Il 
résulte  de  là  que  le  malin  au  réveil  la  dent  affectée,  ayant  échappé  pendant 
plusieurs  heures  au  contact  involontaire  ou  conscient  des  dents  opposées,  est 
soulevée,  comme  luxée  en  quelque  sorte,  tandis  que  pendant  la  journée  ces 
phénomènes  diminuent  d'intensité. 

Tel  est  le  tableau  symptomatique  local  d'une  périostite  simple  soit  de  nature 
spontanée,  soit  survenant  à  titre  de  complication  d'un  traumatisme  ou  dans 
le  cours  d'un  traitement  de  carie. 

Des  symj)tômes  ayant  pour  siège  l'intérieur  même  de  l'alvéole  nous  devons 
rapprocher  d'autres  phénomènes  locaux  occupant  la  gencive.  Celle-ci  pré- 
sente une  rougeur  plus  ou  moins  vive  suivant  exactement  comme  direction 
et  comme  siège  l'étendue  même  du  périoste  enflammé.  C'est  une  bande  de 
muqueuse  injectée  qui  indique  nettement  la  surface  du  périoste  affecté.  Ce 
signe,  surtout  évident  aux  incisives  et  aux  canines,  mais  manquant  aux  mo- 
laires, est  donc  le  second  phénomène  qui  apparaisse  dans  le  début  d'une  périos- 
tite, et,  si  la  phlegmasie  prend  une  certaine  intensité,  la  gingivite  locale  s'ac- 
compagne bientôt  d'un  commencement  de  décollement  au  collet  et  d'une 
véritable  desquamation  épithéliale  qui  substitue  une  teinte  grisâtre  à  la  bande 
rouge  primitive. 

Dans  la  périostite  phlegmoneuse  ou  suppurée,  les  symptômes  se  modifient;  la 
durée  est  notablement  moindre,  car  la  compression  et  l'étranglement  du  début 
ont  disparu  ;  l'alvéole  baigne  dans  le  pus  ;  la  dent  soulevée  s'incline  dans  un  sens 
ou  dans  l'autre;  son  ébranlement  est  considérable,  et  la  gencive  devient  le  siège 
d'un  phlegmon  véritable  qui  s'ouvre  d'ordinaire  spontanément  et  donne  issue 
par  un  ou  plusieurs  trajets  à  une  notable  quantité  de  pus. 

A  partir  de  ce  moment,  les  symptômes  locaux  prennent  des  physionomies 
inverses  :  ou  la  période  de  destruction  continue,  pour  aboutir  à  l'élimination  de 
la  dent  après  de  nouvelles  exacerbations  aiguës  et  des  recrudescences  de  dou- 


DENT  (pathologie).  235 

leurs,  ou  bien  la  périosfite  passe  à  l'état  chronique,  ce  qui  correspond  à  sa  locali- 
sation au  sommet. 

Dans  ce  dernier  cas,  les  pliénomènes  s'atténuent  progressivement  et,  sans  que 
la  dent  ait  repris  sa  place  et  sa  hauteur  primitives,  la  sensibilité  au  contact 
diminue;  il  ne  reste  qu'une  sensation  légère  analogue  à  celle  du  début  et  par- 
fois même  qu'une  simple  douleur  à  la  pression  du  doigt  sur  la  partie  corres- 
pondante du  bord  alvéolaire. 

La  périostite  chronique  est  ainsi  caractérisée  par  un  état  presque  indolent 
et  par  l'apparition  de  périodes  aiguës  greffées  sur  le  précédent.  Ce  sont  alors 
des  crises  qui  reproduisent  les  phénomènes  aigus  du  début  ;  mais  chacune  de 
ces  crises  laisse  d'ordinaire  après  elle  une  situation  de  moins  en  moins  indo- 
lente et  amène  en  même  temps  la  formation  de  noyaux  d'induration  suscep- 
tibles de  retentir  plus  on  moins  sérieusement  sur  les  parties  environnantes. 

C'est  qu'en  effet,  si  l'état  do  la  dent  est  relativement  indolent,  il  n'en  est 
pas  tout  à  fait  de  même  des  régions  voisines  et  particulièrement  du  maxillaire. 
Le  périoste  de  celui-ci  et  les  parties  molles  avoisinanles  sont  le  siège  d'un  état 
congestif  permanent  qui  éprouve  comme  le  périoste  alvéolaire  les  altei  natives  de 
crises  aiguës  et  de  calme  apparent.  Souvent  aussi  pendant  les  crises  il  se  pro- 
duit de  petits  abcès  gingivaux  suivis  de  fistules,  qui  s'ouvrent  et  se  ferment 
alternativement  ;  la  production  de  ces  petits  abcès  correspond  au  retour  des  acci- 
dents aigus  et  des  douleurs,  et  ceux-ci  cessent  dès  que  l'ouverlure  spontanée 
ou  provoquée  de  la  collection  a  donné  issue  aux  produits  inflammatoires.  Ces  petits 
abcès  peuvent  aussi  fuser  loin  des  mâchoires  et  aboutir  sur  un  point  plus  ou 
moins  distant  de  leur  origine  réelle.  C'est  le  cas  le  plus  ordinaire  lorsque  la  pé- 
riostite a  frappé  une  dent  de  sagesse  en  voie  d'évolution.  Parlois  encore  l'abcès 
et  la  fistule  siègent  à  la  peau  où.  ils  prennent  du  reste  le  même  caractère  d'in- 
termittence, et  nous  avons  vu  plus  haut  en  étudiant  les  lésions  anatomiques  de 
la  périostite,  que  la  persistance  de  ces  phénomènes  soit  sur  la  gencive,  soit  sur 
la  peau,  coïncide  avec  des  désordres  plus  profonds  qui  ont  pour  siège  le  maxil- 
laire, lequel  se  creuse  de  cavités  purulentes  ou  de  kystes  suppures,  avec  forma- 
tion de  séquestres  plus  ou  moins  étendus. 

Les  symptômes  de  voisinage  sont  divers,  et  nous  allons  les  énumérer  briè- 
vement. 

Tout  d'abord  ils  ont  pour  siège  le  tissu  alvéolaire  des  mâchoires,  et  ces  phé- 
nomènes sont  si  intimement  liés  à  l'état  local  que  nous  avons  dû  les  confondre 
tout  à  l'heure  avec  les  accidents  locaux  proprement  dits.  Nous  n'y  reviendrons 
pas.  Mais  il  en  est  d'autres  moins  immédiats  dans  leur  siège  et  leur  forme  :  il  faut 
citer  immédiatement  la  fluxion. 

La  fluxion  a  en  effet  pour  origine  constante  la  périostite,  non  pas  que  toute 
périostite  entraîne  cet  accident;  cette  proposition  ne  serait  pas  exacte,  mais  on 
peut  dire  que  toute  fluxion  — sauf  peut-être  les  cas  de  traumatisme  des  mâchoires 
ou  quelque  forme  d'accident  de  la  dent  de  sagesse  —  reconnaît  invariablement 
pour  cause  cette  lésion.  11  est  donc  erroné  de  dire,  comme  persistent  à  le  faire 
la  plupart  des  médecins,  que  la  périostite  est  le  résultat  d'une  carie  :  cette  der- 
nière est  absolument  incapable  à  elle  seule  de  la  produire. 

Or  la  fluxion,  dont  l'histoire  a  été  tracée  plus  haut  (voy.  Fluxion)  et  qui  a  du 
reste  donné  lieu  de  notre  part  à  une  étude  complète,  appartient  essentiellement 
à  la  symptomatologie  de  voisinage  de  la  périostite  alvéolaire. 
Toutefois,  il  faut  déclarer  tout  d'abord  qu'elle  n'apparaît  que  dans  certaines 


25G  DENï  (pathologie). 

formes  de  la  maladie.  La  périostite  subaiguë,  la  périostite  aiguë  franche  spon- 
tanée ou  traumatifjue,  n'y  donnent  pas  lieu.  La  lésion  qui  la  détermine  est 
tantôt  la  foi'me  phlegmoneuse  ou  suppnrée,  tantôt  le  retour  à  l'état  aigu  de 
la  forme  chronique.  Il  faut  en  effet,  dans  sa  production,  un  processus  particulier 
que  nous  allons  rappeler  en  quelques  mots  :  une  phlegmasie  purulente  de  la 
membrane  donne  lieu  immédiatement  à  une  ostéite  alvéolaire  et  par  contiguïté 
de  tissus  à  l'infdtration  séreuse  ou  purulente  de  la  trame  du  tissu  conjonctif  de  la 
gencive  ou  de  la  face  suivant  le  niveau  de  l'inflammation  et  les  rapports  anato- 
miques  de  la  région.  A  l'infdtration  séreuse  correspond  la  fluxion  œdémateuse 
simple,  à  l'infdtration  purulente  le  phlegmon  circonscrit  ou  diffus.  Cette  dernière 
forme  amène  en  outre  la  production  d'ouvertures  fistuleuses  permanentes  ou 
intermittentes  qui  établissent  une  communication  entre  le  foyer  central  alvéolaire 
et  l'extérieur.  Il  convient  encore  de  mentionner  à  titre  de  complications  secon- 
daires de  la  périostite  ou,  si  l'on  veut,  de  la  fluxion  même,  l'ostéite  de  l'alvéole, 
l'ostéo-périostite  phlegmoneuse  du  maxillaire,  la  nécrose  plus  ou  moins  étendue, 
1  adénite  simple  ou  suppurée  des  gan^ilions  en  rapports  anatomiques  avec  le 
point  affecté,  la  formation  de  clapiers  purulents  à  foyers  multiples,  traversant 
parfois  de  part  en  pari  la  mâchoire  et  versant  dans  la  bouche  ou  à  l'extérieur  une 
grande  quantité  de  pus.  Nous  ne  pouvons  nous  arrêter  davantage  sur  ces  àet- 
nières  complications  dont  la  description  a  trouvé  sa  place  ailleurs  (voy.  Maxil- 
LAiiiES  [Maladies  des]  et  qui  ne  doivent  être  mentionnées  ici  qu'à  titre  symptoma- 
lologique. 

Les  accidents  nerveux  qui  rentrent  encore  dans  les  symptômes  de  voisinage 
consistent  en  névralgies  sur  divers  rameaux  et  en  troubles  des  organea  des 
sens. 

Les  névralgies  ont  généralement  pour  siège,  au  début  surtout,  une  ou  plu- 
sieurs ramilications  de  la  b"  paire.  Elles  offrent  aussi  certains  lieux  d'élec- 
tion. Ainsi  une  périostite  de  la  mâchoire  inférieure  donne  lieu  à  des  points 
névralgiques  à  l'émergence  du  nerf  mentonnier,  ce  qui,  en  l'absence  de  signes 
objectifs  assez  marqués,  laissera  supposer  au  malade  et  au  chirurgien  que  la 
région  affectée  est  celle  de  la  canine  ou  des  incisives;  cette  névralgie  se  locali- 
sera assez  souvent  à  l'un  des  rameaux  cutanés  émergents,  mais  parfois  la  dou- 
leur occupe  un  ensemble  de  filets  et  prend  alors  une  extension  très-grande  sur 
le  trajet  des  anastomoses  avec  les  ramilications  cutanées  des  branches  du  plexus 
cervical  et  du  plexus  brachial.  Ainsi  s'expliquent,  sous  l'influence  d'une  lésion 
dentaire,  ces  névralgies  qui  s'étendent  au  cou,  à  l'épaule,  à  la  partie  supérieure 
du  Ironc  et  jusqu'à  la  totalité  du  membre  supérieur. 

L'un  des  symptômes  de  cet  ordre  qui  est  le  plus  souvent  accusé  par  les  malades 
est  une  douleur  auriculaire,  et  l'on  en  trouve  ordinairement  l'explication  dans 
une  névralgie  ayant  envahi  le  rameau  auriculo-temporal  du  maxillaire  inférieur 
dans  son  trajet  ascendant  au  voisinage  de  la  conque  :  la  douleur  est  donc  ici 
superficielle,  sous-cutanée,  appréciable  au  doigt,  et  exclut  au  moins  dans  ce 
cas  une  atteinte  aux  nerfs  profonds  de  l'oreille  ou  aux  nerfs  de  sensibilité  spé- 
ciale. 

Les  névralgies  dépendant  d'une  périostite  de  la  mâchoire  supérieure  auront 
une  tout  autre  localisation.  Ce  seront  les  filets  émergents  des  nerfs  sus  ou 
sous-orbitaires,  les  filets  anastomotiques  de  la  tempe,  du  crâne,  de  sorte  que 
parfois  la  douleur  prend  le  caractère  d'une  névralgie  hémi-crânienne  simulant 
une  migraine. 


DENT  (pathologie).  237 

Ces  diverses  névralgies  sont  assez  souvent,  il  faut  le  noter,  des  symptômes 
de  début,  et  précèdent  de  quelques  jours  les  phénomènes  locaux  caractéristiques 
de  la  périostite.  Us  attirent  ainsi  seuls  l'attention  des  malades  et  des  médecins, 
et  provoquent  souvent  l'application  de  moyens  thérapeutiques  qui  restent  inva- 
riablement sans  efl'et. 

Les  troubles  des  organes  des  sens  qu'il  nous  faut  mentionner  à  la  suite  des 
accidents  névralgiques  sont  de  deux  ordres  :  oculaires  ou  auriculaires. 

Les  troubles  oculaires  ont  été  observés  et  décrits  par  beaucoup  d'auteurs  : 
Galezowski,  Mangin,  Pielkiewicz,  Terrier,  etc.  Ils  portent,  soit  par  voie  d'ana- 
stomose, soit  par  voie  réflexe,  sur  tous  les  éléments  nerveux  de  l'orbile;  la  pau- 
pière est  parfois  affectée  de  blépharospasme  (Pielkiewicz),  le  globe  oculaire  d'am- 
blyopie  (Mangin),  de  paralysie  de  certains  muscles  ;  enfin  de  lésions  profondes  de 
l'œil,  amaurose,  cécilé,  etc.  (Pietkiewicz).  Les  troubles  de  l'ouïe  sont  :  les  bour- 
donnements, la  surdité  complète,  des  névralgies  profondes,  très-souvent  men- 
tionnées aussi  par  les  mêmes  observateurs  et  fréquemment  rencontrées  par  nou>- 
même. 

La  relation  symplomatologique  ne  fait  d'ailleurs  dans  toutes  ces  observations 
l'objet  d'aucun  doute,  car  les  accidents  ont  le  plus  souvent  cessé  iiiunédiafe- 
ment  avec  la  périostite  elle-même  traitée  par  les  moyens  rationnels  ou  après 
l'extraction  de  l'organe  affecté. 

Signalerons-nous  encore  parmi  les  symptômes  nerveux  :  l'épilepsie,  le  tétanos, 
tantôt  terminé  par  la  guérison  après  cessation  de  l'état  local,  parfois  aussi  ayant 
amené  la  mort? Pielkiewicz  en  cite  plusieurs  cas  tout  à  fait. concluants  {voij.  Thèse 
citée,  obs.  L,  LI,  Llf). 

Quant  au  mécanisme  de  ces  manifestations,  nous  le  trouvons  tout  entier 
démontré  par  les  lésions  mêmes  des  filets  nerveux  qui  parcourent  le  périoste  : 
ce  sont  des  névrites  des  filets  périostiques  du  nerf  dentaire  se  propao-eant 
sans  doute  au  tronc  principal  intra-osscux  qui  est  dès  lors  siège  d'étrano^le- 
raent.  La  traction  opérée  ainsi  sur  le  nerf  dentaire  à  son  entrée  dans  la  cavité 
de  la  pulpe  amène  sans  doute  l'inflammation  du  tissu  nerveux  :  aussi  pou- 
vons-nous dire  que,  toutes  conditions  égales  d'ailleurs,  la  périostite  sera  moins 
susceptible  de  produire  ces  accidents  lointains,  réflexes  ou  directs,  lorsque  la 
perte  préalable  de  la  pulpe  a  anéanti  les  ramifications  nerveuses  (jui  o'y  ren- 
dent. Les  filets  périostiques  seuls,  envahis  par  la  suppuration  et  distendus  o;i 
comprimés  par  le  gonflement  du  périoste,  sont,  sinon  moins  nombreux,  du 
moins  d'un  plus  faible  volume  et  moins  susceptibles,  croyons-nous,  d'entraîner 
de  telles  conséquence:.. 

Les  symptômes  généraux  de  la  périostite  n'appartiennent  pas  aux  formes 
simples  ;  tout  au  plus  la  forme  aiguë  franche  amène-t-elle  un  léger  mou- 
vement fébrile.  Mais  la  marche  phlegmoneuse  de  la  maladie  avec  phle-^mon 
circonscrit  ou  diffus  entraîne  avec  elle  tout  un  processus  de  phénomènes 
généraux  tels  que  inappétence,  insomnie,  délire  :  ce  sont  des  accidents  immé- 
diats. 

D'autres,  plus  tardifs,  sont  le  résultat  de  l'étendue  des  désordres  de  voisinac^e 
de  l'importance  de  la  suppuration  et  aussi  de  la  nature  des  produits  inflamnn-^ 
toires.  Un  grand  nombre  de  malades  arrivent  à  un  degré  marqué  d'épuisement 
et  de  cachexie  par  l'intensité  de  la  suppuration  ;  d'autres,  absorbant  par  l'esto- 
mac une  grande  quantité  de  pus,  tombent  dans  l'état  décrit  par  Chassai-nicsous 
le  nom  de  cachexie  buccale^  C'est  ainsi  que  se  produisent  les  complications  les 


■238  DENT  (pathologie). 

plus  graves  et  les  terminaisons  fatales  par  l'infection  purulente  ou  putride  et 
la  phlébite  des  veines  du  cou  et  des  sinus. 

D.  Marche,  terminaisons,  complications.  La  marche  de  la  périostite  est 
essentiellement  subordonnée  à  l'intensité  même  des  phénomènes  inflammatoires  : 
l'état  subaigu  simple,  soit  spontané,  soit  consécutif  à  une  carie  ou  compliquant 
un  traitement  de  cette  maladie,  aboutit  le  plus  ordinairement  à  la  résolution, 
'les  accidents  disparaissant  sans  retour. 

L'état  aigu,  au  contraire,  obéit  à  un  autre  processus  :  outre  les  phénomènes 
locaux  résultant  de  l'inflammation  totale  de  la  membrane,  il  y  a  immédiatement 
retentissement  dans  le  voisinage;  la  gencive  ou  le  tissu  cellulaire  de  la  face  devien- 
nent le  siège  d'un  phlegmon  qui  peut  rester  œdémateux  et  sans  gravité,  si  la  pé- 
riostite reste  elle-même  simplement  inflammatoire  sans  passer  à  l'étnt  purulent. 

Mais  la  périostite  suppurée  produit  constamment  des  désordres  beaucoup 
plus  sérieux  :  le  phlegmon  gingival  ou  facial  se  circonscrit  en  un  véritable 
abcès,  et  la  collection  purulente,  qui  survient  soit  au  bord  alvéolaire,  soit  à  la 
peau,  se  guérit  spontanément  ou  donne  lieu  à  un  orifice  fistuleux  intermittent 
ou  permanent.  Dans  le  premier  cas,  on  peut  inférer  que  le  tissu  périostique 
frappé  d'inflammation  n'a  pas  encore  subi  de  désorganisation  sensible  de  sa 
substance,  et  la  réparation  s'est  ainsi  effectuée  sans  lésion  définitive;  mais  dans 
le  second  cas,  celui  de  fistule,  il  y  a  constamment  destruction  du  tissu  avec  ou 
sans  résorption  partielle  du  cément  sous-jacent  et  même  résorption  d'une  por- 
tion d'ivoire.  C'est  à  cette  lésion  que  plusieurs  auteurs  ont  donné  le  nom  de 
nécrose  partielle  de  la  racine.  Ce  terme  n'est  pas  tout  à  fait  impropre,  car  il  y 
a  en  effet  destruction  complète  d'une  partie  des  tissus  durs  de  l'organe. 

Cette  lésion  est  irréparable  et  elle  se  fixe  définitivement  sur  une  surface  plus 
ou  moins  étendue  du  périoste,  assez  ordinairement  au  sommet,  de  manière 
à  entretenir  ou  à  reproduire  sous  formes  d'intermittences  les  accidents  de  voi- 
sinage que  nous  venons  d'indiquer.  C'est  ainsi  que  l'état  chronique  succède  à 
la  période  aiguë.  Mais  cet  état  chronique  apparaît  quelquefois  d'emblée,  et  dans 
ce  cas  sa  marche  est  toute  spéciale. 

La  périostite  chronique  n'occupe  en  effet  presque  jamais  la  totalité  de  la 
membrane  :  elle  est  localisée  au  sommet.  En  ce  point,  elle  donne  lieu  à  deux 
processus  distincts. 

Le  premier  de  ces  processus  est  celui  de  l'abcès  sous-périostique  appelé  aussi 
abcès  alvéolaire.  Le  périoste  du  sommet  de  la  racine  se  distend  lentement 
sous  la  production  purulente  et  forme  une  véritoile  poche  bien  connue  des 
cliniciens  qui,  dans  les  manœuvres  de  l'extraction,  amènent  souvent  au  dehors 
les  collections  purulentes  du  volume  d'une  lentille  ou  d'une  petite  amande,  les- 
quelles ne  se  déchirent  pas  toujours  pendant  l'opération.  Les  collections  puru- 
lentes ainsi  limitées  donnent  lieu  à  certains  symptômes  qui  en  permettent 
d'ordinaire  le  diagnostic.  C'est  une  sensation  douloureuse,  sourde  et  permanente, 
que  les  malades  rapportent  très-exactement  au  sommet  d'une  racine,  c'est-à-dire 
au  centre  du  maxillaire,  sensation  qu'exagère  toujours  la  pression  du  doigt. 
Un  léger  gonflement  s'observe  aussi  parfois  soit  à  la  gencive  au  point  correspon- 
dant, soit  à  la  face,  ce  qui  est  plus  rare. 

L'autre  processus  de  la  forme  chronique  du  sommet  nous  conduit  à  la  for- 
mation du  kyste  de  la  variété  désignée  aujourd'hui  sous  le  nom  de  kyste  pe'rios- 
tique.  Sans  développer  ici  cette  pathogénie  qui  a  été  suffisamment  mise  en 
lumière  à  propos  des  kystes  des  mâchoires  en  général,  nous  rappellerons  seu- 


DENT   (pathologie).  239 

lement  que  le  soulèvement  du  périoste  est  dû  à  une  accumulation  de  sérosité 
particulière,  rarement  purulente,  tantôt  limpide,  tantôt  épaisse  et  visqueuse 
avec  quelques  produits  secondaires,  cholestérine,  hématoïdine,  etc.  Cette 
marche  est  toutefois  entièrement  indolente,  et  c'est  de  la  sorte  qu'un  kyste 
volumineux  apparaît  et  grossit  lentement  sans  causer  aucun  accident  autre  que 
la  tuméfaction  du  bord  alvéolaire  ou  de  Ja  face.  C'est  surtout  à  la  mâchoire  supé- 
rieure que  ce  processus  passe  le  plus"  souvent  inaperçu,  caria  plupart  de  ces 
productions  rencontrent  dans  le  sinus  un  pomt  favorable  à  leur  développe- 
ment, soit  qu'ayant  franchi  le  plancher  de  celui-ci  le  kyste  s'étale  tout  à  l'aise 
dans  l'intérieur,  soit  qu'il  en  soulève  la  double  paroi  osseuse  et  muqueuse,  et 
que  dans  son  développement  il  efface  entièrement  cette  cavité  et  se  substitue 
simplement  à  elle. 

Cette  marclie  est  fréquemment  observée,  et  tout  récemment  M.  Berger  en 
a  présenté  un  exemple  à  la  Société  de  chirurgie  {Bnllet.,  1881,  p.  422). 

Ainsi  qu'on  le  voit,  la  périostile  est,le  point  du  départ  commun,  le  lieu  initial 
unique  de  divers  processus  ou  courbes  pathologiques  qui  peuvent  se  résumer 
par  le  tableau  suivant  : 

!  Subaiguë  simple  .    .    .     Résolution. 
4iguë.       Plilegmoii  simple,  œdémateux,  gingival  ou  facial, 
l  Plileemon  circonscrit,  abcès. 
Siinnurct! !  m  i  i  n- 

suppuict, )  Plilcgmou  iliflus. 
1  Purulente.   .   .     Abcès  sus-périostique. 
Chronique j  Séreuse  ....     Kyste  périoslique  des  mâchoires. 

Cette  étude  de  la  marche  de  la  périostite  indique  déjà  une  partie  des  compli- 
cations de  la  maladie  qu'il  nous  reste  à  mentionner. 

Les  complications  sont  de  trois  ordres  :  tantôt  elles  sont  locales,  tantôt  elles 
occupent  le  voisinage,  tantôt  enfin  elles  sont  lointaines  et  revêtent  le  caractère 
d'accidents  nerveux. 

A.  Accidents  i>flammatoires.  Ces  complications  locales  comprennent  la  for- 
mation de  ces  productions  du  périoste  connues  sous  le  nom  de  fongosités  ou 
de  tumeurs.  Les  fongosités  ont  ici  les  mêmes  caractères  que  toutes  les  pro- 
ductions du  même  genre  qui  se  développent  sur  les  tissus  fibreux  analogues. 
Ce  sont  des  altérations  organiques  par  hypertrophie  et  hypergenèse  de  certains 
éléments  fibreux  de  tissu  conjonctif,  vaisseaux,  éléments  embryonnaires,  leuco- 
cytes, etc.-,  tantôt  il  se  produit  une  véritable  tumeur,  ainsi  que.  nous  les 
décrirons  plus  loin.  Pietkievvicz  insiste  tout  particulièrement  sur  cette  termi- 
naison de  la  périostite  par  la  production  d'une  tumeur  (Thèse  citée,  p.  32). 
Dans  nos  recherches  personnelles  nous  avons  parfois  reconnu  cette  origine,  mais 
nous  pensons  toutefois  que  ces  néoplasmes  obéissent  dans  leur  développement 
à  un  autre  processus  qui  n'a  rien  d'inflammatoire.  C'est  une  lésion  organique 
des  éléments  de  la  membrane. 

Les  complications  de  voisinage  sont  fort  nombreuses,  très-variées,  et  leur 
histoire  a  été  si  bien  tracée  par  Pietkievvicz,  que  nous  n'hésitons  pas  à  lui 
emprunter   presque  sans  modifications   cette  partie  de   sa  Thèse   [loc    cit 
p.  54). 

Les  premières  complications  de  voisinage  de  la  périostite  sont  les  phénomènes 
inflammatoires  qui,  s'étendant  de  proche  en  proche,  gagnent  les  parties  les  plus 
voisines  d'abord  et  ensuite  des  parties  de  plus  en  plus  éloignées. 

Le  mécanisme  de  cette  propagation  inflammatoire  diffère  suivant  le  cas,  mais 


240  DENT  (pathologie). 

nous  croyons  un  peu  subtil  et  surtout  d'une  utilité  pratique  contestable  de 
chercher  à  l'expliquer  en  fixant  le  début  de  l'inflammation  à  la  face  interne  ou 
à  la  face  externe  du  périoste  dentaire  (Foucher,  Gazette  des  hôpitaux,  29  juil- 
let 1856).  Tandis  que  l'inflammation  de  la  face  interne  déterminerait  le  décol- 
lement du  périoste  à  sa  facecémentaire  et  la  formation  d'un  petit  kyste  purulent 
à  ce  niveau,  l'inflammation  de  la  face  externe  pourrait  ainsi  s'étendre  au  maxil- 
laire et  provoquer  des  abcès  sous-périostiques,  puis  des  accidents  plus  étendus, 
et  ensuite  la  formation,  par  exemple,  de  fistules  à  ouvertures  diverses.  Celte 
division  nous  paraît  absolument  théorique,  car,  dans  tous  les  cas  d'ostéite  ou  de 
nécrose  partielle  du  maxillaire  consécutives  à  une  périostite  alvéolo-dentaire, 
aussi  bien  que  dans  tous  les  cas  de  fistules  odontopathiqucs  muqueuses  ou 
cutanées,  récentes  ou  anciennes,  nous  avons  toujours  observé  le  décollement 
plus  ou  moins  étendu  du  périoste  dentaire  et  la  mise  a  nu  du  cément.  Jamais 
on  n'observe  ces  accidents  de  voisinage  avec  l'intégrité  du  périoste  à  sa  face 
interne  au  niveau  de  l'altération  primitive.  En  nous  tenant  donc  aux  données 
positives  de  l'observation  et  sans  chercher  si  l'inflammation,  qui  envahit  rapi- 
dement toute  l'épaisseur  de  la  membrane,  a  eu  pour  point  de  départ  la  face 
interne  ou  la  face  externe  du  périoste,  nous  dirons  que  cette  inflammation  à 
ses  divers  degrés  peut  très-bien  ne  pas  rester  confinée  dans  ses  limites  alvéo- 
laires et  s'étendre  aux  parties  voisines  par  des  voies  diverses  que  nous  indiquerons 
brièvement. 

L'inflammation  de  la  pulpe  consécutive  à  une  périostite  alvéolo-dentaire 
est  fréquente  et  s'explique  facilement  par  les  rapports  de  cet  organe  avec  le 
périoste  dentaire  confondu  au  niveau  du  sommet  de  la  dent  avec  la  gaîne  du 
faisceau  vasculo-nerveux  destiné  à  la  pulpe.  Nous  croyons  inutile  d'insister  sur 
cette  complication  dont  les  symptômes  viennent  fréquemment  s'ajouter  à  ceux 
de  la  périostite,  symptômes  que  nous  étudierons  au  chapitre  du  diagnostic  dif- 
férentiel. 

Souvent  limitée  d'abord  à  un  seul  point  du  périoste,  la  périostite  peut 
devenir  totale,  envahir  toute  l'étendue  de  la  membrane  sur  toute  sa  circonfé- 
rence et  du  sommet  de  la  dent  au  collet.  A  ce  niveau,  la  continuité  du  périoste 
avec  le  tissu  de  la  gencive  explique  facilement  la  possibilité  de  stomatites  par- 
tielles ou  totales,  d'amygdalites,  de  périostites  alvéolo-dentaires  développées  sur 
les  dents  voisines,  etc.  On  comprend  aussi  que,  du  collet,  l'inflammation  gagne 
la  face  externe  du  périoste  maxillaii'e  lui-même  et  détermine  la  formation  d'abcès 
sous-,  ériostiques. 

ÏNous  avons  vu  aussi,  à  propos  de  l'anatomie  pathologique,  qu'à  lu  période 
de  suppuration  le  pus,  formé  ordinairement  vers  le  sommet  de  la  dent,  s'écoulait 
par  le  canal  dentaire,  lorsque  celui-ci  était  perméable,  ou  bien  s'accumulait 
entre  le  cément  et  le  périoste,  et,  décollant  peu  à  peu  celui-ci,  pouvait  se  faire 
jour  à  la  gencive,  au  niveau  du  collet;  mais  souvent  aussi  il  arrive  que  ce 
décollement  reste  limité,  et  il  se  forme  ainsi  une  petite  poche  purulente  à  l'extré- 
mité de  la  racine.  L'affection  a-t-clle  une  marche  lente,  subaiguë,  nous  assiste- 
rons à  la  formation  d'un  kyste  périostique  de  la  mâchoire;  prend-t-elle,  au 
contraire,  une  marche  aigué,  la  formation  rapide  du  pus  déterminera  la  rupture 
de  cette  petite  poche  et  consécutivement  une  ostéite,  puis  une  nécrose  du  maxil- 
laire et  la  formation  d'abcès  sous-périostiques  pouvant  déterminer  des  accidents 
graves  tels  que  phlegmon  péri-maxillaire,  phlegmon  du  cou,  etc.  Si  l'in- 
flammation du  maxillaire  est  plus  considérable,  nous  pourrons  voir  se  déclarer 


DENT  (pathologie).  241 

une  véritable  ostéo-périostite  du  maxillaire.  Les  abcès  des  gencives,  le  phleg- 
mon périmaxillairc,  aboutiront  à  la  foimation  de  fistules  muqueuses  ou  cuta- 
nées ;  des  nécroses  plus  ou  moins  étendues  embrassant  quelquefois  toute  la  mâ- 
choire; des  accidents  inflammatoires  qui  s'étendront  par  propagation  aux  veines 
faciales,  et  de  là  au  sinus  du  crâne,  et  amèneront  des  complications  de  la  der- 
nière gravité,  méningo-encéphalite,  phlébite  des  sinus.  Nous  allons  passer  succes- 
sivement en  revue  quelques-uns  de  ces  accidents. 

Gingivite,  Stomatite,  Amygdalite.  Au  niveau  d'une  dent  atteinte  de 
périostite  on  constate  de  la  rougeur  et  une  inflammation  le  plus  souvent  légère 
de  la  gencive,  mais  il  n'est  pas  rare  non  pins  de  voir  cette  inflammation  s'élcndre 
à  tout  le  boid  gingival  au  niveau  de  la  dent  malade,  et  cela  souvent  aux  deux 
mâchoires.  Au  bout  de  quelque  temps  les  gencives  se  couvrent  alors  d'un  enduit 
blanchâtre  se  détachant  facilement  en  minces  pellicules  et  formé  tout  simple- 
ment par  une  desquamation  épithcliale  de  la  muqueuse,  ainsi  que  nous  nous 
en  sommes  assuré  à  plusieurs  reprises  par  l'examen  direct.  Celte  inflamma- 
tion dépasse  quelquefois  même  la  ligne  médiane  à  laquelle  elle  reste  pourtant 
le  plus  souvent  limitée  et  gagne  alors  toute  la  bouche,  mais  ce  n'est  plus 
alors  une  gingivite,  c'est  une  véritable  stomatite  avec  fétidité  de  l'haleine  et 
une  gêne  considérable  pour  le  malade.  Cette  affection  amène  fréquemment  une 
amygdalite  plus  ou  moins  intense,  mais  cela  ne  s'observe  que  si  rinllan)matiou 
n'a  point  atteint  toute  la  muqueuse  buccale,  alors  que  la  périostite  occuj)e  une 
des  dernières  molaires  et  surtout  une  molaire  inférieure.  Un  ptyalisme  considé- 
rable dû  à  la  fois  à  l'hyperséci'étion  salivaire  et  à  la  difficulté  de  la  déglutition 
s'observe  en  même  temps.  Ces  complications,  sans  gravité  aucune  ordinaire- 
ment, cèdent  facilement  aux  moyens  habituels  et  dès  que  la  périostite  alvéolo- 
denlaire  s'amende  un  peu. 

Périostite  du  voisinage  par  propagation  directe.  Le  plus  souvent,  la 
périostite  n'occupe  qu'une  seule  dent,  mais  on  peut  aussi  l'observer,  chez  le 
même  individu,  sur  plusieurs  dents  voisines  ou  éloignées,  lorsque  celles-ci  sont 
soumises  aux  mêmes  influences  étiologiques,  carie,  refroidissement,  trauma- 
tisme, etc.  Une  cause  unique  ou  différente  pour  chaque  dent  aura  porté  son 
action  sur  chacune  d'elles  en  particulier.  Il  est  plus  rare  d'observer  la  pro- 
pagation de  l'inflammation  au  périoste  d'une  dent  voisine.  Le  périoste  dentaire 
est  en  effet  assez  bien  isolé  dans  son  alvéole,  et  le  plus  souvent  la  périostite  ne 
franchit  pas  celte  limite  ;  quelquefois  cependant,  au  lieu  de  rester  une  affection 
locale,  isolée,  l'inflammation  s'étend  au  périoste  d'une  dent  voisine,  quelquefois 
même  à  celui  des  deux  dents  qui  avoisinent  l'organe  primitivement  atteint.  Les 
rapports  anatomiques  entre  le  périoste  des  dents  contiguës  au  niveau  de  la 
base  des  cloisons  alvéolaires  expliqueraient  facilement  ce  processus  et  semble- 
raient même  faire  craindre  une  plus  giande  fréquence  de  celte  propao-ation. 
Ce  fait  est  assez  rare  cependant,  avons-nous  dit,  au  moins  en  tant  que  périostite 
aiguë  et  bien  caractérisée,  car  il  arrive  souvent  de  provoquer  de  la  douleur  par 
la  percussion  sur  des  dents  immédiatement  contiguës  à  celle  atteinte  de  pé- 
riostite, mais  celte  douleur  est  le  plus  souvent  assez  légère;  elle  ne  s'observe 
que  lorsque  la  périostite  de  la  dent  primitivement  atteinte  est  très-ai'^^uë,  et 
peut-être  alors  y  a-l-il  plutôt  un  peu  d'ostéite  du  maxillaire  dans  une  certaine 
étendue:  il  faut  aussi  distinguer  le  cas  où,  les  dents  étant  assez  serrées,  les 
vibrations  produites  sur  une  dent  voisine  sont  alors  transmises  par  la  dent  ma- 
lade. 

MCT.    ENC.  XX VU.  ]g 


2i2  DENT   (pathologie). 

Lorsqu'elle  a  lieu,  cette  propagation  peut  même  s'étendre  davantage  et  gagner 
de  proche  en  proche  le  périoste  d'un  plus  ou  moins  grand  nom))rc  de  dents. 
Tout  un  côté  de  la  bouche  pourra  ainsi  se  prendre.  N'y  a-t-il  pas,  dans  ce  cas, 
quelque  prédisposition  individuelle?  Nous  sommes  porté  à  le  croire.  Les  symp- 
tômes delà  périostite  peuvent  même  diminuer,  disparaître  complètement  sur  la 
dent  primitivement  atteinte,  tandis  que  l'alfeclion  continue  sa  marche  sur  les 
dents  consécutivement  affectées. 

Kystes  périostiques  des  mâchoires.     Au  lieu  d'embrasser  toute  l'étendue  du 
périoste  alvéolo-dentaire  et  gagner  ainsi  les  parties  voisines  par  l'intermédiaire 
de  la  gencive,  l'inflammation,  avons-nous  dit,  peut  très-bien  rester  renfermée 
dans  l'alvéole,  n'occuper  même  qu'une  portion  du  périoste  dentaire  ou  au  moins 
ne  poursuivre  ses  phases  successives  que  sur  un  seul  point,  les  phénomènes 
inflammatoires  disparaissant  sur  le  reste  de  la  membrane.  A  un  moment  donné 
une  ])etite  quantité  de  pus  ou  de  sérosité  purulente  s'accumule  entre  le  cément 
et  le  périoste  décollé.  Cette  petite  poche,  située  le  plus  souvent  au  sommet  de  la 
racine,  mais  qui  peut  fort  bien  aussi  avoir  son  siège  sur  un  des  côtés,  augmente 
peu  à  peu  de  volume,  au  fur  et  à  mesure  de  la  production  du  liquide.  Cette  aug- 
mentation est  due  non-seulement  à  la  distension  continue,  mais  aussi  à  l'hyper- 
genèse  des  éléments  du  périoste   dont  l'épaisseur  peut   aussi  s'augmenter  en 
même  temps.  Cette  distension  se  fait  d'une  façon  lente,  sans  phénomènes  inflam- 
matoires bien  marqués,  et  nous  assistons  ainsi,  le  malade  souffrant  à  peine,  à 
la  formation  d'un  kyste  périostique  de  la  mâchoire,  dont    le  développement 
pourra  atteindre  des  limites  considérables  et  dont  le  contenu,  d'abord  purulent, 
pourra  se  transformer  à  un  moment  donné,  ainsi  que  l'a  indiqué  Broca  (Broca, 
Traité  des  tumeurs,  t.  II,  p.  121). 

Parmi  les  causes  qui  favorisent  ou  déterminent  la  formation  des  kystes,  nous 
ne  devons  pas  omettre  de  mentionner  le  fait  intéressant  d'une  obturation  mal 
raisonnée,  venant  mettre  obstacle  à  l'écoulement  d'un  liquide  purulent  ou  séro- 
purulent,  dans  les  cas  de  périostite  chronique,  avec  perméabilité  du  canal  den- 
taire. Supprimé  ainsi  mécaniquement,  cet  éoulement,  s'il  est  abondant,  déter- 
minera une  périostite  aiguë  avec  toutes  ses  conséquences.  S'il  est  peu  abondant, 
au  contraire,  de  façon  à  passer  inaperçu  et  à  fournir  à  peine  une  gouttelette 
de  pus  dans  les  vingt-quatre  heures,  sa  rétention  va  déterminer  peu  à  peu  le  dé- 
collement du  périoste  sur  la  racine  malade,  et  la  distension  progressive  de  cette 
membrane.  Là  encore,  c'est  à  une  périostite,  mais  alors  à  une  périostite  chro- 
nique et  déjà  ancienne,  qu'il  faudra  attribuer  le  développement  de  la  maladie. 

Dans  tous  les  cas,  sur  un  point  de  la  cavité  on  trouve  toujours  l'extrémité  de 
la  racine  primitivement  atteinte,  ordinairement  résorbée  en  grande  partie.  Plu- 
sieurs racines  peuvent  aussi  faire  saillie  dans  la  poche,  soit  que  celle-ci  les  ait 
successivement  envahies,  soit  que  plusieurs  dents  aient  donné  lieu  à  la  même 
affection. 

Adékite.  Phlegmon.  Abcès  périmaxillaire.  Sous  le  nom  de  suppurations 
maxillaires,  Chassaignac  comprend  «  une  foule  de  collections  purulentes,  va- 
riables dans  leur  origine,  mais  ayant  toutes  ceci  de  commun  qu'elles  offrent  un 
rapport  de  voisinage  avec  les  os  de  la  mâchoire  et  qu'elles  exercent  une  influence 
plus  ou  moins  marquée  sur  les  fondions  de  l'appareil  maxillaire.  »  (Chassai- 
gnac, Traité  pratique  de  la  suppuration,  t.  II,  p.  177). 

Si  nous  empruntons  ici  cette  dénomination  de  périmaxillaire  pour  l'appli- 
quer à  tous  les  accidents  inflammatoires  de  voisinage,  adénites,  phlegmons. 


DENT  (pathologie).  245 

abcès  consécutifs  à  la  pcriostite  alvt'olo-dentaire,  c'est  que  nous  distinguerons 
ces  complications  suivant  leui-  siège  au-dessus  ou  au-dessous  du  rebord  saillant 
qui  constitue  la  base  de  la  mâclioire  inférieure.  Cette  distinction  topograpliique 
est,  en  effet,  des  plus  importantes. 

Parmi  les  phlegmons  et  abcès  périmaxillaires,  nous  ne  décrirons,  bien 
entendu,  que  ceux  dont  l'origine  est  une  périostite  alvéolo-dentaire,  mais  il 
faut  dire  que  c'est  là  la  cause  la  plus  fréquente,  presque  constante,  de  ces 
accidents.  Chassaignac,  en  eftet,  a  divisé  chacune  do  ses  deux  grandes  classes 
d'abcès  en  cinq  espèces  différentes  : 
1»  Abcès  phlegmoneux  simple  ; 
2"  Abcès  angioleucitiques; 

3°  Abcès  odonlopathiques;  ^ 

4°  Abcès  ostéopathiques  ; 
5°  Abcès  salivaires. 

Il  est  facile  de  se  convaincre  par  la  lecture  de  ses  observations  que  sa  troi- 
sième espèce,  celle  des  abcès  odontopathiques,  est  loin  d'être  complète,  et  (lUc 
la  plupart  des  abcès  qu'il  désigne  sous  les  noms  d'abcès  angioleucitiques  et 
d'abcès  ostéopathiques  sont  sous  la  dépendance  de  lésions  du  système  dentaire 
et  en  particulier  de  l'inflammation  du  périoste.  L'exemple  d'abcès  sus-maxillaire 
osthéopalhique  dont  il  donne  l'observation  {Traité  de  la  suppuration,  t.  Il, 
p.  184,  obs.  CCCL)  est  justement  un  cas  d'abcès  odontopalhique.  II  en  est  de 
même  pour  la  plupart  des  abcès  sous-maxillaires  dits  ostéopathiques,  le  titre 
même  de  l'observation  l'indique  :  ainsi,  l'observation  587  porte:  Phlegmon 
sous-maxillaire  ostéopalhique  consécutif  h  une  carie  dentaire,  etc.  {lococitato, 
t.  II,  p.  217,  obs.  CCCfAXXVIl)  ;  les  accidents  rapportés  dans  les  observa- 
tions 388  et  389  reconnaissent  encore  la  môme  cause. 

Parmi  ces  abcès  périmaxillaires,  nous  décrirons  le  phlegmon  et  les  abcès 
des  gencives,  désignés  sous  le  nom  de  parulie  et  consécutifs  à  la  périostite  :  il 
nous  semble,  en  effet,  que  c'est  bien  là  leur  place,  d'autant  que  souvent  ils  ne 
sont  que  le  début  des  phlegmons  sus  et  sous-maxillaires,  et  qu'en  s'éten- 
dant  ils  peuvent  devenir  l'origine  de  toutes  les  complications  habituelles 
à  ces  accidents.  C'est  là  aussi  que  nous  signalerons  les  abcès  de  la  voûte  pala- 
tine qui  empruntent  à  leur  siège  certains  caractères  particuliers. 

Adénite.  On  observe  très-souvent  l'adénite  dans  le  cours  de  la  périostite 
alvéolo-dentaire,  au  moins  à  l'état  d'engorgement  ganglionnaire,  non  pas 
que  dans  ce  cas  l'adénite  ne  puisse  arriver  à  la  suppuration,  mais  il  est  rare 
que  les  malades  attendent  ce  moment  pour  réclamer  l'inlervention  chirur- 
gicale qui  les  met  ordinairement  à  l'abri  de  cette  terminaison.  Une  fois  la 
périostite  guérie  ou  la  dent  enlevée,  les  accidents  disparaissent  en  effet,  et  rapi- 
dement. 

Cet  engorgement  est  le  plus  souvent  peu  douloureux,  il  peut  occuper  un  ou 
plusieurs  ganglions.  Pietkiewicz  cite  l'observation  d'une  jeune  femme  chez  laquelle 
une  dizaine  de  ganglions  du  volume  d'une  noix  formaient  un  chapelet  complet 
autour  du  maxillaire  inférieur.  C'est  presque  toujours  une  adénite  sous-maxil- 
laire que  provoque  la  périostite,  qu'elle  occupe  une  dent  de  mâchoire  supérieure 
ou  de  la  mâchoire  inférieure.  On  observe  cependant  quelquefois  l'adénite  sus- 
maxillaire,  elle  siège  alors  à  la  région  parotidienne,  ainsi  que  nous  l'avons  vue 
plusieurs  fois,  mais  c'est  là  un  fait  très-rare  comparativement  à  la  fréquence  de 
l'adénite  sous-maxillaire,  ce  qui  se  conçoit  facilement,  celte  dernière  réo-ion  étant 


24i  DENT   (pathologie). 

lecentre  de  tout  le  système  lymphatique  de  la  face.  C'est  bien  ordinairement  là, 
2n  effet,  une  adénite  par  transmission  inflammatoire  suivant  le  trajet  des  lym- 
phatiques, mais  il  est  à  peu  près  impossible  de  constattr  par  quel  trajet  s'est 
faite  cette  transmission,  l'inflammation  des  vaisseaux  n'ayant  été  que  très-légère 
et  ayant  déjà  disparu  au  moment  où  l'on  observe  l'adénite. 

Nous  avons  dit  que  cette  adénite  cédait  ordinairement  très-vite  après  la  dis- 
parition de  la  périostite  qui  l'avait  occasionnée,  quelquefois  cependant  cette 
résorption  demande  un  temps  assez  long,  plusieurs  mois,  par  exemple,  et 
il  arrive  aussi  que  chez  certains  individus  prédisposés  cet  engorgement  gan- 
glionn.iire  persiste  après  la  guérison  de  la  périostite  et  même  après  l'extrac- 
tion de  la  dent  primitivement  affectée. 

Phlegmon,  abcès  des  gencives  (parulie).  Le  phlegmon  des  gencives,  connu 
sous  le  nom  de  parulie,  complication  fréquente  de  la  périostite,  peut  être 
produit  de  deux  fliçons  différentes,  ce  qui  nous  en  expliquera  la  bénignité. 
la  guérison  rapide  dans  un  cas,  la  persistance  des  fistules  ou  le  retour 
périodique  des  accidents  dans  l'autre.  Nous  croyons  utile  d'indiquer  en 
quelques  mots  le  mécanisme  de  ces  deux  variétés.  C'est,  en  effet,  pour  avoir 
méconnu  cette  petite  question  de  pathogénie  indiquée  déjà  par  Foucher 
(Gazette  (les  hôpitaux,  29  juillet  1856),  que  les  auteurs,  en  réunissant  dans 
la  môme  description  ces  deux  variétés  du  phlegmon  des  gencives,  nous  ont 
tracé  une  histoire  un  peu  confuse  de  la  maladie. 

L'inflammation  du  périoste  alvéolo-dentaire  peut  se  transmettre  au  tissu 
gingival,  soit  directement,  soit  par  l'intermédiaire  du  péiioste  maxillaire.  La 
continuité  de  ces  tissus  au  niveau  du  collet  de  la  dent  nous  a  déjà  expliqué  lu 
facilité  de  cette  transmission.  Une  fois  produite,  il  est  rare  que  celte  inflam- 
mation se  termine  par  résolution  ;  la  périostite  qui  lui  a  donné  naissance  peut 
même  disjiaraître  sans  que  cela  l'empêche  de  continuer  sa  marche.  Ce  phlegmoa 
des  gencives  se  traduit  par  un  gonflement  douloureux,  d'abord  rouge,  vermeil, 
puis  livide,  le  centre  de  la  petite  tumeur  devient  saillant,  blanchit  et  finit  bien 
souvent  par  se  rompre  spontanément,  donnant  issue  à  une  petite  quantité  de  pus. 
Cette  ouverture  se  cicatrise  bientôt  et  tous  les  accidents  disparaissent.  La  termi- 
naison cependant  n'est  pas  toujours  aussi  favorable,  et  l'inflammation,  qui  reste 
ordinairement  limitée  et  dont  le  siège  habituel  est  très-proche  du  bord  libre  de 
la  gencive,  peut  s'étendre  au  cul-de-sac  alvéolo-labial  et  aux  jnues  :  il  est  donc 
prudent  d'intervenir  et  d'ouvrir  ces  abcès  de  bonne  heure.  Si  l'on  introduit  un 
stylet  par  l'ouverture,  on  ne  constate  pas  de  dénudation  du  côté  du  maxillaire, 
car  il  ne  s'agit  dans  ce  cas  que  d'un  abcès  sus-périostique. 

Le  phlegmon  des  gencives  peut  encore  se  produire  d'une  façon  toute  différente  : 
cette  fois  l'inflammation  du  périoste  confinée  dans  l'alvéole  va  se  terminer 
par  suppuration;  après  avoir  détruit  le  périoste  alvéolaire  sur  un  point,  le  pus 
s'infiltre  dans  l'os  maxillaire  à  ce  niveau,  produisant  une  ostéite  et  consécuti- 
vement une  nécrose  très-limitée,  arrive  sous  la  face  interne  du  périoste  maxil- 
laire qui  se  soulève,  s'enflamme  à  son  contact  et  transmet  l'inflammation  au 
tissu  gingival,  créant  ainsi  ce  que  Velpeau  appelait  un  abcès  en  bouton  de  che- 
mise. C'est  encore  là  un  abcès  de  la  gencive,  mais  son  mode  de  production  a 
été  tout  autre  cette  fois,  et  l'abcès  est  sous-périostique.  Alors  surtout  il  est 
utile  d  intervenir  de  bonne  heure  pour  donner  issue  au  pus,  empêcher  l'in- 
flammation de  s'étendre  an  périoste  maxillaire  et  d'amener  consécutivement 
une  nécrose.  Il  ne  faut  pas  craindre  non  plus  d'enfoncer  profondément  le  bis- 


DENT   (pathologie).  245 

touri;  la  poiiile  doit  arriver  au  contact  de  l'os  et  débrider  le  périoste.  Les 
caractères  extérieurs  de  la  maladie  diffèrent  peu;  cependant  la  douleur  est 
plus  intense,  profonde,  la  marche  moins  rapide,  le  pus  est  ordinairement  plus 
abondant,  il  est  mal  lié,  séreux;  un  st\let  introduit  jiar  l'ouverture  arrive  sur 
l'os  dénudé  et  rugueux;  le  gonflement  des  parties  molles  diminue  moins  rapi- 
dement; l'ouverture  ne  se  cicatrise  pas,  elle  reste  fistuleuse.  Quelquefois  cepen- 
dant, au  bout  d'un  certain  temps,  il  arrive  que  l'ouverture  se  ferme,  mais 
presque  aussitôt  le  malade  est  repris  d'un  petit  phlegmon  de  la  gencive  dont 
l'ouverture  spontanée  reste  fistuleuse  à  sou  tour;  cette  lislule  peut  très- 
bien  changer  de  place.  Ce  petit  accident  se  répète  fréquemment  chez  certains 
malades,  et  l'affection  évolue  avec  une  rapidité  extrême,  du  jour  au  lendemain. 
Chez  d'autres,  au  contraire,  la  cicatrisation  s'est  maintenue  assez  longtemps, 
pour  faire  croire  à  une  guérison  complète  lorsque  des  accidents  aigus  se  dé- 
clarent de  nouveau.  11  n'est  pas  rare  alors  de  voir  une  ou  plusieurs  parcelles 
osseuses  éliminées  par  la  suppuration. 

Cette  seconde  variété  ne  peut  être  désignée  sous  le  nom  de  parulic  que 
lorsque  les  accidents  inflammatoires  sont  tiès-localisés  et  ne  s'étendent  pas 
au  delà  de  la  gencive,  autrement  ils  rentrent  dans  les  abcès  pciimaxillaires, 
à  l'étude  desquels  nous  allons  passer  maintenant. 

Phlegmon,  abcès  sus-maxillaires.  L'inflammation  du  périoste  alvéolo- 
dentaire  peut  provoquer  ces  phlegmons,  de  même  que  ceux  de  la  région  sous- 
maxillaire,  suivant  les  deux  modes  de  transmission  que  nous  venons  d'indiquer 
pour  les  abcès  des  gencives  :  nous  n'y  reviendrons  donc  pas.  Disons  toutefois 
que  le  deuxième  mode  de  production,  c'est-à-dire  celui  qui  s'effectue  par  la 
migration  du  pus  au  travers  de  l'alvéole  après  la  suppuration  du  |)ériosle 
dentaire,  est  le  plus  ordinaire.  Bien  que  ce  soit  le  plus  souvent  une  périostite 
alvéolo-deutaire  de  la  mâchoire  supérieure  qui  détermine  ces  abcès,  il  n'est 
pas  absolument  rare  de  les  observer  consécutivement  à  une  périostite  siégeant 
en  un  point  du  maxillaire  inférieur. 

Le  phlegmon  sus-maxillaire  est  bien  moins  fréquent  que  les  abcès  sous- 
maxillaires  ;  sa  gravité  est  Lien  moindre  aussi.  Il  est  rare  de  le  voir  s'étendre 
et  gagner  la  face.  Le  plus  souvent  il  peut  être  complètement  abandonné  à 
sa  marche  naturelle,  et,  lorsqu'il  ne  se  termine  pas  par  résolution,  il  s'ouvre 
de  lui-même  sans  produire  de  grands  désordres.  11  reste  presque  toujours 
sous-muqueux,  et  son  ouverture  spontanée  s'effectue  dans  la  bouche.  C'est 
aussi  par  la  bouche  que  le  chirurgien  l'incise,  lorsqu'il  est  obligé  d'intervenir; 
la  plaie  destinée  à  l'évacuation  du  foyer  occupe  ainsi  la  partie  la  moins  élevée 
et  ne  donne  lieu  à  aucune  cicatrice  apparente.  Quelquefois  cependant  il  devient 
sous-cutané,'  mais,  nous  le  répétons,  celte  terminaison  est  ici  assez  rare; 
lorsqu'elle  se  produit,  elle  entraîne  alors  d'assez  sérieuses  conséquences, 
l'ouverture  spontanée  ou  provoquée  ayant  lieu  à  la  joue  et  étant  suivie  de 
tous  les  inconvénients  physiques  inhérents  à  une  fistule  ou  à  une  cicatrice  dans 
cette  région. 

Au  lieu  de  se  porter  vers  la  face  externe  de  l'os  et  de  venir  provoquer  une 
tumeur  inflammatoire  saillante  dans  le  vestibule  de  la  bouche,  le  pus  peut 
très-bien  perforer  l'alvéole  en  dedans,  décoller  le  périoste  de  la  voûte  palatine 
sur  une  plus  ou  moins  grande  étendue  et  produire  une  collection  purulente 
sur  ce  pomt.  Toutes  les  dents  de  la  mâchoire  supérieure  peuvent  ainsi  produire 
ces  abcès  de  la  voûte  palatine  :  Pielkievvicz  cite  le  fait  d'une  fistule  de  la  voûte 


246  DENT  (patuologie). 

consécutive  à  une  périostite  de  la  première  grosse  molaire  supérieure  gauche 
qui  avait  amené  la  formation  d'un  abcès  dans  cette  région.  Ce  sont  les  dents 
antérieures  cependant,  canines  et  incisives,  qui  amènent  le  plus  souvent  cette 
complication,  et  les  incisives  latérales  en  particulier.  La  muqueuse  palatine, 
très-dense,  comme  on  sait,  offre  une  grande  résistance  au  développement  de  ces 
abcès,  et,  la  suppuration  ne  trouvant  point  à  s'étendre  facilement  de  ce  côté,  il 
est  fréquent  de  voir  un  abcès  du  vestibule  suivre  de  près  la  formation  d'une 
collection  de  la  voûte  palatine,  donnant  ainsi  au  pus  une  issue  plus  facile  par 
l'établissement  d'une  fistule  gingivale.  L'ouverture  spontanée  de  l'abcès  de  la 
voûte  palatine  s'observe  cependant  qi'.elquefois  el,  lorsqu'elle  se  produit  après  la 
formation  d'une  fistule  gingivale,  le  malade  porte  ainsi  une  fistule  à  double 
ouverture  traversant  le  bord  alvéolaire  et  dont  la  partie  moyenne  répond  au 
sommet  de  la  dent  altérée.  11  en  est  de  même  lorsqu'on  incise  ces  abcès;  mais, 
dans  les  deux  cas,  il  est  habituel  de  voir  une  des  ouvertures  se  fermer  rapide- 
ment après  l'évacuation  du  pus,  c'est  ordinairement  la  fistule  palatine  qui 
persiste,  en  raison  sans  doute  du  décollement  de  la  muqueuse  et  de  sa 
situation  défavorable  à  son  rapprochement  des  parties  osseuses. 

Phlegmon,  abcès  sous-maxillaires.  Ces  complications  sont  beaucoup  plus 
fréquentes  que  les  précédentes  et  beaucoup  plus  graves  aussi. 

Tandis  qu'à  la  mâchoire  supérieure  les  abcès  odontopathiques  sont  prin- 
cipalement sous-muqueux,  à  la  mâchoire  inférieure  ils  sont  surtout  sous- 
cutanés  ;  l'intervention  chirurgicale,  inutile  le  plus  souvent  pour  les  premiers, 
est  ici  impérieuse,  mais  les  incisions  ne  poufi'ont  ê^re  faites  par  la  bouche, 
la  plaie  se  trouverait  ainsi  à  la  partie  supérieure  du  foyer,  c'est-à-dire  dans  la 
situation  la  plus  défavorable  à  l'évacuation  du  pus.  L'inflammation  menace  tou- 
jours de  se  propager  vers  la  partie  inférieure  du  cou  et  même  vers  la  poitrine, 
et  cette  propagation  est  quelquefois  si  rapide  ou  elle  entraîne  de  tels  désordres 
qu'elle  rend  inutile  toute  intervention. 

Ces  accidents  sont  graves,  surtout  quand  ils  atteignent  un  sujet  cachectique 
ou  débilité  par  les  privations  ou  les  excès.  Ainsi,  dans  une  observation  de 
Pietkiewicz,  nous  voyons  un  phlegmon  gangreneux  consécutif  à  une  périostiie 
alvéolo-dentaire  envahir  en  deux  jours  la  face  et  le  cou  d'un  sujet  alcoolique 
et  amener  sa  mort  malgré  le  traitement  le  plus  énergique.  L'obset;,vation  XIX 
nous  montre  une  périostiie  de  la  canine  inférieure  gauche  déterminant  un 
phlegmon  de  la  région  sus-hyoïdienne  chez  une  rachitique  dont  l'alimentation 
était  insuffisante. 

C'est  dans  les  abcès  sous-maxillaires  aussi  que  l'on  observe  le  plus  souvent 
des  propagations  inflammatoires  du  côté  des  centres  nerveux,  des  méninges  et 
du  cerveau,  consécutivement  à  l'inflammation  des  veines  faciales,  propagations 
inflammatoires  dont  l'issue  fatale  est  la  règle.  Les  malades  succombent  à  une 
méningo-céphalite  consécutive  à  une  phlébite  étendue  aux  sinus  mêmes  de  la 
dure-mère.  C'est  dans  un  cas  analogue  que  M.  Guyon  a  aussi  observé  la  propa- 
gation de  l'inflammation  aux  veines  faciales  et  aux  sinus  crâniens  [Dictionn. 
encijcl.  des  se.  méd.,  2'^  série,  t.  V,  p.  555).  Ajoutons  que  dans  un  travail 
d'ensemble  entrepris  par  M.  Démons  (de  Bordeaux)  sur  cette  question  l'auteur 
rapporte  une  douzaine  de  cas  de  mort  par  ce  processus  [Bidleiin  de  la  Société 
de  chirurgie,  1880).  Bien  d'autres  chirurgiens  et  nous-même  pouvons  en  citer 
de  semblables.  Une  observation  analogue  est  due  à  Th.  Anger  {Progrès  médi- 
cal, 1879,  p.  479). 


DENT  (pathologie).  247 

Même  en  restant  limités,  les  abcès  sous-maxillaires  sont  encore  d'un  pro- 
nostic sérieux;  souvent  en  effet  ils  entraînent  des  pertes  de  substance  plus  ou 
moins  considérables  de  la  part  du  maxillaire  inférieur.  Il  arrive  aussi,  et  c'est 
heureusement  le  cas  le  plus  fréquent  encore,  que,  malgré  l'étendue  de  l'in- 
flammation,  on  voit  le  phlegmon  se  terminer  par  résolution  ;  les  phénomènes 
généraux  diminuent  d'intensité  et  les  accidents  locaux  disparaissent  peu  à 
peu.  Enfin  quelquefois,  l'inflammation  restant  plus  locale,  l'abcès  s'ouvre 
de  lui-même  à  l'intérieur  de  la  bouche  dans  le  vestibule;  cette  terminaison, 
moins  fréquente  ici,  avons-nous  dit,  que  pour  les  abcès  sus-maxillaires,  s'ob- 
serve surtout  aux  dents  antérieures,  mais  il  est  fréquent  aussi  de  voir  une 
périostite  des  canines  ou  incisives  inférieures  donner  naissance  à  un  abcès  dont 
l'ouverture  se  fera  dans  la  région  mentonnière. 

Il  arrive  aussi,  dans  les  phlegmons  périmaxillaires,  que  l'extraction  même 
de  la  dent  atteinte  de  périostite,  pratiquée  dès  le  début,  ne  suffit  pas  à  enrayer 
la  marche  ultérieure  de  la  maladie,  les  phénomènes  inflammatoires  continuent 
et  aboutissent  à  la  formation  d'un  abcès. 

Souvent  la  marche  de  ces  abcès  est  beaucoup  moins  rapide;  on  observe 
cette  lenteur  d'évolution  aussi  bien  pour  les  abcès  sous-maxillaires  que  pour 
les  abcès  sus-maxillaires,  mais  nous  l'avons  vue  beaucoup  plus  fréquente  cliez 
ceux  de  la  voûte  palatine  que  chez  tout  autre.  Là,  en  effet,  les  abcès  ont  une 
tendance  à  prendre  une  marche  chronique  dès  le  début  même,   et  on  les  voit 
rester  ignorés  du  malade  pendant  fort  longtemps.  Il  arrive  alors  que  la  pression 
prolongée  et  continue,  occasionnée  par  l'abcès,  peut  déterminer  la  résorption 
d'une  partie  de  l'apophyse  palatine  du  maxillaire    supérieur.  C'est   presque 
toujours  aussi  à  une  périostite  chronique  suppuréc  qu'il  faut  attribuer  la  for- 
mation de  ces  abcès  à  marche  si  lente.   On  les  voit  survenir  à  la  suite  d'un 
obstacle  à  l'écoulement  du  pus  après  une  obturation  ou  après  la  fermeture  d'une 
fistule.  Nous  avons  déjà  dit  que  dans  ce  cas,   lorsqu'on  ne  voyait  pas  se  déve- 
lopper d'accidents  aigus,   il  pouvait  se  former  un  kyste  périostique   de   la 
mâchoire,  mais,  au  lieu  de  rester  ainsi  enfermé  dans  l'alvéole,  le  pus  se  fraye 
lentement  un  chemin  à  travers  sa  paroi,  puis  à  travers  les  parties  molles,  et  va 
se  collecter  plus  ou  moins  loin  sous  la  forme  d'un  kyste  purulent  dont  le  déve- 
loppement se  fera    tout  doucement,   sans  douleur,  mais  qui  pourra  un  jour 
aussi    s'enflammer  et  s'ouvrir  sur  la  peau.  Le  doigt   promené  dans  le  ves- 
tibule sent  alors  un  cordon  fibreux  qui  s'étend  de  la  tumeur  au  maxillaire,  au 
niveau  de  la  dent  malade. 

Nous  devons  noter  aussi  que  le  pus  contenu  dans  les  abcès  périmaxillaires 
est,  dans  certains  cas,  d'une  fétidité  extrême  due  sans  doute  au  voisinage  de 
la  cavité  buccale. 

L'fnstoire  des  abcès  périmaxillaires  nous  a  montré  qu'ils  s'ouvraient  tantôt 
dans  la  bouche,  tantôt  à  l'extérieur.  Lorsque  ces  abcès  s'ouvrent  ainsi  à  la 
peau,  on  constate  généralement  que  l'extrémité  des  racines  dépasse  le  niveau 
où  la  membrane  muqueuse  se  réfléchit  de  la  joue  sur  les  gencives.  Ce  fait  anato- 
mique  nous  donne  l'explication  des  différentes  issues  du  pus  'suivant  le  sié^e 
exact  de  l'afYection  primitive.  Que  cette  ouverture  se  fasse  dans  la  bouche  ou 
vers  la  peau,  qu'elle  soit  spontanée  ou  artificielle,  elle  ne  se  cicatrise  pas 
l  orifice  reste  permanent,  constituant  ainsi  une  fistule  dentaire,  affection  dont 
nous  devons  parler. 

Fistules  odontopathiques.     Ainsi  que  nous  venons  de  le  dire,  ces  fistules 


2i8  DEM   (i'atiiologie). 

succèdent  à  l'ouverture  des  abcès  périmaxilléires,  que  ces  abcès  soient  limités 
à  la  gencive  ou  qu'ils  s'étendent  aux  parties  voisines.  Cependant  les  abcès  des 
gencives  consécutifs  à  une  propagation  directe  de  1  inflammation  périostale 
au  tissu  gingival  sans  altération  consécutive  du  cément  ou  de  l'avéole  ne 
donnent  pas  lieu  à  ces  accidents.  Ces  fistules  cutanées  ou  muqueuses  sont 
bien  souvent  la  terminaison  des  plilograons  étendus,  à  marche  douloureuse  et 
rapide,  que  nous  avons  étudiés,  mais  plus  souvent  encore  elles  succèdent  aux 
abcès  à  marche  lente  et  indolore.  Cela  s'observe  surtout  pour  les  fistules 
cutanées,  les  fistules  faciales  en  particulier,  celles  pour  lesquelles  on  est  le 
plus  souvent  consulté,  les  fistules  muqueuses  n'entraînant  pour  la  plupart 
aucun  inconvénient  apparent  et  restant  fréquemment  ignorées  des  malades 
eux-mêmes.  Ainsi,  par  exemple,  une  périoslite  chronique  avec  suintement  entre- 
tient depuis  longtemps  une  fistule  gingivale  et  occasionne  ces  petits  abcès  à 
répétition.  Sous  l'inlluence  d'une  cause  quelconque,  la  fistule  gingivale  s'oblitère 
complètement  ;  cela  détermine  une  petite  poussée  de  périostite  aiguë  et  une 
fluxion  qui  disparaît  plus  ou  moins  rapidement,  mais  en  laissant  un  noyau 
induré  dans  la  profondeur  de  la  joue.  L'apparition  de  ce  noyau  induré  n'est 
même  souvent  précédée  d'aucun  phénomène  concomitant,  fluxion  ou  autre. 
Cette  petite  tumeur  augmente  de  volume  en  avançant  peu  à  peu  vers  l'exté- 
rieur, enfin  la  peau  finit  par  lougir,  s'amincit,  se  perfore;  l'abcès  est  main- 
tenant ouvert  et  donne  lieu  à  une  fistule  permanente.  Quelquefois  aussi  c'est 
le  chirurgien  qui,  méconnaissant  l'origine  de  la  maladie,  hâte  cette  terminaison 
on  intervenant  d'une  façon  intempestive  pour  amener  la  résolution  de  ce  noyau 
d'induration.  Pendant  tout  ce  temps,  lu  dent  qui  est  le  point  de  départ  de  tous 
les  accidents  reste  presque  toujours  complètement  indolente.  Les  quelques  dou- 
leurs éprouvées  de  ce  côté  par  le  malade  dans  le  cours  des  abcès  à  répétition 
ont  disparu  avec  les  accidents  gingivaux.  La  dent  est  saine  ou  cariée,  obturée 
ou  non,  mais  en  général  la  pulpe  a  lot;dement  disparu;  la  pression,  la  percus- 
sion, ne  provoquent  aucune  douleur.  On  conçoit  alors,  la  répugnance  des  ma- 
lades à  en  faire  le  sacrifice,  et  le  chirurgien  doit  êlre  bien  sûr  de  son  diagnostic 
avant  d'essayer  de  les  convaincre,  alors  surtout  qu'il  s'agit  d'une  dent  dont 
la  couronne  est  intacte. 

Nous  ne  pouvons  faire  ici  l'histoire  complète  de  ces  fistules,  nous  avons  dû 
nous  borner  à  indiquer  en  quelques  mots  les  particularités  les  plus  intéressantes 
à  étudier  sur  leur  point  de  départ,  leur  trajet  et  leur  orifice. 

11  n'y  a  pas  lieu  d'insister  sur  les  lésions  des  racines.  Nous  avons  déjà 
étudié  ces  altérations  du  périoste,  du  cément  et  de  l'ivoire,  à  propos  de 
l'anatomie  pathologique.  Du  côlé  du  maxillaire,  les  désordres  sont  souvent 
des  plus  limités,  l'alvéole  seul  est  atteint,  et  encore  partiellement.  En  gé- 
néral, sa  paroi  est  amincie  et  perforée,  en  un  point,  d'un  orifice  régulier, 
percé  comme  à  l'emporte-pièce.  Plus  souvent  encore  elle  prend  l'apparence 
d'une  lame  criblée  ;  une  infinité  de  petits  trous  livrent  passage  à  la  suppura- 
tion; à  ce  niveau,  l'os  est  dénudé  de  son  périoste  et  rugueux.  L'altération, 
cependant,  peut  être  beaucoup  plus  étendue  et  constituer  de  véritables  séques- 
tres quelquefois  considérables,  qui  deviennent  eux-mêmes  la  cause  de  compli- 
cations et  provoquent  ou  entretiennent  de  nouvelles  fistules.  Nous  reviendrons 
sur  ce  sujet  en  pariant  des  nécroses  du  maxillaire  consécutives  à  la  périostite 
alvéolo-dentaire. 

Le  plus  souvent  le  trajet  fistuleux  est  unique,  mais  il  peut  être  double. 


DEiM  (pathologie).  '249 

multiple;  il  n'est  pas  rare,  non  plus,  d'en  constater  plusieurs  se  rendant 
séparément  à  des  dents  atteintes  chacune  de  périostite  chronicjue.  Quand 
l'abcès  s'est  ouvert  dans  la  bouche,  directement  au  niveau  de  la  racine 
atteinte,  son  trajet  est  si  peu  étendu  qu'il  n'olïre  rien  de  particulier;  mais 
U  trajet  peut  avoir  une  certaine  longueur.  Souvent,  en  effet,  l'orifice  est  assez 
éloigné  de  la  dent  malade  :  dans  ce  cas  encore,  le  trajet  n'offre  rien  de  bien 
remarquable;  c'est  plutôt  un  décollement  de  la  muqueuse,  et,  lorsqu'on  a  en- 
levé la  dent  ou  guéri  la  périostite,  il  ne  reste  ordinairement  aucune  trace 
de  son  existence.  11  n'eu  est  malheureusement  pas  de  même  alors  que  la  fistule 
s'est  ouverte  à  lu  peau  :  daus  ce  cas,  ainsi  que  nous  le  verrous  tout  à  l'heure 
en  parlant  du  siège  des  orifices  fistuleux,  le  trajet  peut  être  très-élendu  et 
s'accompagne  bientôt,  sur  tout  son  parcours,  d'une  induration  des  tissus  envi- 
ronnants, induration  qui  ne  tarde  pas  à  convertir  le  trajet  fistuleux  en  une  bride, 
parfois  fort  épaisse,  donnant  au  doigt  la  sensation  d'un  cordon  dur  qui,  du 
maxillaire,  se  rend  à  la  peau.  Cette  bride,  qu'il  est  souvent  facile  de  sentir  au 
fond  du  vestibule,  fournit  ainsi  d'utiles  renseignements  pour  le  diagnostic  de  la 
dent  atteinte,  mais,  par  sa  tendance  à  se  rétracter  et  à  se  raccourcir  sans  ce^se, 
elle  attire  fortement  la  peau  vers  l'os  et  imprime  à  l'orilice  un  aspect  en  infun- 
dibulum  tout  particulier. 

L'orifice  des  fistules  odontopatliiques  présente  des  caractères  différents,  suivant 
son  siège,  dans  la  bouche  ou  à  l'extérieur.  A  la  muqueuse,  l'ouverture  se 
présente  quelquefois  sous  la  forme  d'une  sorte  de  papille  allongée,  flexible 
et  flasque,  au  travers  de  laquelle  le  pus  a  l'air  de  sourdre;  mais,  en  la  dé- 
primant avec  un  stylet,  on  constate  à  son  centre  la  présence  d'un  perluis  uni- 
que, masqué  par  le  développement  fongueux  de  son  pourtour.  D'autres  fois, 
c'est  une  petite  saillie,  dure,  granuleuse,  analogue  au  tissu  cicatriciel.  A  la 
peau,  l'orifice  présente  des  aspects  plus  variables  encore.  Lorsque  la  fistule 
existe  depuis  un  certain  temps,  la  rétraction  des  parois  du  trajet  imprime 
à  l'orifice  une  dépression  en  cul-de-poule,  fréquente  surtout  à  la  face,  et  de 
laquelle  s'échappe  un  liquide  purulent  et  séreux.  Lorsqu'il  est  peu  abondant, 
cet  écoulement  forme,  en  séchant,  sur  les  bords,  des  petites  croûtes  jaunes, 
plus  ou  moins  épaisses,  qui  comblent  momentanément  l'orifice  et  peuvent 
faire  croire  à  sa  cicatrisation  au-dessous;  mais  bientôt  cette  croûte  se  dé- 
tache en  un  point,  se  soulève,  laisse  couler  le  pus  et  finit  par  tomber;  puis 
la  même  série  de  phénomènes  recommence  et  se  répète  ainsi  indéfiniment. 
D'autres  fois,  il  y  a  comme  une  sorte  de  boursouflure  de  la  peau,  qui  est  vio- 
lacée, rougeàtre  et  amincie  sur  une  certaine  étendue.  Ici,  l'orifice  prend  tout 
à  fait  l'aspect  des  fistules  urinaires;  là,  on  croirait  plutôt  à  des  ulcérations  scro- 
fuleuses. 

Parfois  il  n'y  a  qu'un  orifice,  souvent  aussi  il  y  en  a  plusieurs.  Il  est  fréquent 
d'en  voir  deux,  mais  on  peut  eu  observer  un  très-grand  nombre  :  ainsi, 
dans  une  observation  de  Pielkiewicz  (obs.  XXVIll),  on  voyait  douze  orifices 
fistuleux  siégeant  sur  le  côté  droit,  depuis  h  sommet  de  la  tête  jusqu'à  la 
clavicule. 

La  situation  particulière  de  ces  orifices  varie  avec  les  dents  qui  ont  été  le 
point  de  départ  de  la  fistule.  Les  molaires  supérieures  provoquent  ordinaire- 
ment cet  accident  à  la  joue,  vers  la  fosse  canine,  lorbite  ou  la  fosse  temporale. 
Une  périostite  des  canines  et  incisives  supérieures  déterminera  une  fistule  vers 
le  voisinage  de  l'aile  du  nez  ou  dans  les  fosses  nasales  et  pourra  faire  croire 


^50  DENT   (p.vtiiologie). 

^lors  à  un  ozène,  comme  clans  le  cas  rapporté  par  M.  le  professeur  Dolbeau 
{Gazette  des  hôpitaux  [Des  fistules  dentaires'^,  leçon  recueillie  par  M.  V.  Piet- 
kiewicz,  1874,  n°  153).  L'abcès  s'ouvrira  au  menton  ou  à  la  région  sous- 
hyoïdienn.o,  lorsque  les  incisives  ou  les  canines  inférieures  sont  en  cause,  vers 
le  bord  inférieur  du  maxillaire  inférieur  ;  vers  son  angle  ou  la  région  cervicale, 
si  ce  sont  les  molaires  inférieures,  et,  pour  la  dent  de  sagesse  supérieure,  vers 
la  fosse  temporale.  Le  siège  de  ces  orifices  n'a  rien  de  bien  fixe  cependant,  et 
peut  exister  loin  de  la  dent  malade.  Nous  avons  cité  l'exemple  de  douze  fis- 
tules occupant  tout  le  côté  de  la  tête,  depuis  le  sommet  jusqu'à  la  clavicule. 
Peu  de  temps  avant  de  faire  sa  leçon  sur  les  fistules  dentaires,  M.  Dolbeau 
venait  d'observer  à  Tours,  en  consultation  avec  M.  le  docteur  Duclos,  une  fistule 
produite  par  une  dent  de  la  mâchoire  inférieure  et  dont  l'orifice  se  trouvait  au 
«ou,  vers  l'insertion  sternale  du  sterno-mastoïdien  [Gazette  des  hôpitaux,  1874, 
n"  133.  Leçon  recueillie  par  M.  V.  Pietkiewicz).  Salter  {System  of  Surgery, 
p.  330)  a  vu  l'abcès  d'une  prémolaire  s'ouvrir  au-dessous  de  la  clavicule.  Un 
phlegmon,  provoqué  par  une  première  molaire,  commença  par  s'ouvrir  une 
issue  au-dessous  de  la  mâchoire;  le  pus,  obéissant  aux  lois  de  la  pesanteur, 
descendit  entre  les  muscles  du  cou  et  détermina  une  seconde  ouverture;  enfin, 
plus  tard,  deux  trajets  fistuleux  s'ouvraient  au-dessous  de  la  clavicule  (Tomes. 
Traduction  Darin,  p.  437). 

Lorsque  ces  orifices  arrivent  à  se  fermer,  leur  guérison  amène  toujours  la 
formation  de  cicatrices  adhérentes,  indélébiles.  La  même  fistule,  en  se  fermant 
et  en  s'ouvrant  ensuite,  peut  ainsi  produire  un  grand  nombre  de  cicatrices 
plus  ou  moins  voisines  les  unes  des  autres,  l'orifice  s'étant  un  peu  déplacé  à 
chaque  crise. 

Le  plus  souvent,  les  parties  voisines  de  l'orifice  ne  présentent  rien  de  remar- 
quable, mais  elles  peuvent  aussi  éprouver  différentes  altérations.  La  rétraction 
du  trajet,  dans  certaines  fistules,  déprime  les  parties  molles  et  produit  une 
véritable  difformité.  L'écoulement  constant  du  liquide  purulent  et  séreux  sur 
les  téguments  les  enflamme,  les  excorie  et  produit  des  affections  cutanées  chez 
des  individus  à  peau  fine  et  délicate.  Enfin,  dans  certains  cas,  alors  surtout 
que  les  orifices  sont  multiples,  les  parties  voisines  peuvent  devenir  le  siège  de 
lésions  plus  profondes  et  plus  étendues  qui  pourront  en  imposer  pour  des  affec- 
tions organiques  cancéreuses  ou  scrofuleuses. 

Ostéite.  Nécrose  des  os  maxillaires.  Nous  n'avons  pas  à  faire  ici  la 
description  de  l'ostéite  et  de  la  nécrose  des  os  de  la  mâchoire,  nous  n'avons 
à  nous  en  occuper  que  comme  conséquences  possibles  et  même  assez  fréquentes 
de  la  périostite  al véolo -dentaire.  Nous  nous  contenterons  donc  d'indiquer  les 
caractères  particuliers  qu'elles  doivent  à  leur  cause  spéciale. 

De  toutes  les  lésions  qui  peuvent  affecter  l'organe  dentaire,  c'est  la  périostite, 
et  la  périostite  seule,  qui  peut  provoquer  l'inflammation  et  consécutivement  la 
nécrose  des  maxillaires,  elle  est  l'intermédiaire  obligé  et  constant  de  la  propa- 
gation inflammatoire.  La  pulpite  ne  peut  jamais  donner  lieu  directement  à 
CQ&  complications,  il  lui  faut  d'abord  envahir  le  périoste  alvéolo-dentaire. 

Toutes  les  fois  qu'il  se  forme  un  abcès  périmaxillaire  consécutivement  à  la 
migration  du  pus  à  travers  l'alvéole  et  qu'il  s'établit  une  fistule  cutanée  ou 
muqueuse,  la  suppuration  ne  peut  se  créer  ainsi  un  trajet  au  travers  de  l'os 
qu'en  y  déterminant  une  ostéite  et  une  nécrose  à  ce  niveau.  Mais  ces  lésions 
sont  ordinairement  si  limitées  qu'elles  ne  donnent  lieu  à  aucun  symptôme 


DENT    (pathologie).  251 

bien  tranché  et  passent  parfois  inaperçues  au  milieu  des  phénomènes 
concomitants.  Il  peut  se  faire  cependant  que  l'inflammation  de  l'os,  au  lieu 
de  se  limiter  ainsi,  s'étende  davantage  ;  les  symptômes  généraux  acquièrent  alors 
d3  suite  une  inlensilé  inaccoutumée;  les  douleurs  prol'ondes,  très-aiguës, 
s'étendent  à  toute  la  mâchoire;  la  pression  sur  les  dents  voisines  devient  dou- 
loureuse. Le  plus  souvent  cependant  cette  inflammation  est  légère  et,  si  elle 
paraît  menaçante,  l'extraction  de  la  dent  suffit  ordimiremcnt  pour  arrêter  ses 
progrès.  Malheureusement  aussi  il  arrive  qu'elle  ne  peut  être  enrayée  et  le 
pronostic  devient  des  plus  graves  :  l'évolution  de  la  maladie  est  en  effet 
très-rapide  ;  elle  prend  tous  les  caractères  d'une  véritable  ostéo-périostite  du 
maxillaire  et  amène  rapidement  la  mort  du  sujet.  Nous  avons  emprunté 
à  M.  Daga  une  observation  de  ce  genre  (Pietkiewicz,  obs.  WXVII).  Après  avoir 
présenté  de  l'agitation  et  du  délire,  un  jeune  homme  de  vingt-trois  ans  succomba 
dans  la  prostration  au  bout  de  six  jours.  Une  périostite  de  la  deuxième  grosse 
molaire  inférieure  droite  avait  été  le  point  de  départ  de  tous  les  accidents. 

La  nécrose,  au  moins  la  nécrose  très-limitée,  insensible,  est  des  plus  fréquentes  ; 
nous  avons  déjà  dit  et  l'on  comprend  qu'il  n'y  a  pas  de  fistule  sans  nécrose  préa- 
lable. 11  est  très-rare,  dans  ce  cas,  de  pouvoir  constater  l'élimination  d'un 
séquestre,  si  petit  soit-il.  Ce  n'est  guère  que  dans  les  abcès  à  répétition  que 
l'on  peut  quelquefois  trouver  dans  le  pus  de  petites  parcelles  osseuses  au 
moment  de  l'ouverture  spontanée  ou  artilicielle  de  l'abcès.  Assez  souvent  ce- 
pendant l'altération  de  l'os  est  un  peu  plus  étendue,  et  l'alvéole  de  la  dent 
malade  est  atteint  dans  toute  sa  hauteur.  Cette  mortification  peut  s'étendre  à 
une  notable  portion  du  bord  alvéolaire,  la  moitié  de  la  mâchoire  ;  d'autres 
fois  enfin  la  nécrose  occupe  l'os  dans  toute  son  épaisseur  et  parfois  toute  son 
étendue.  Ces  formes  s'observent  surtout  dans  la  nécrose  phosphorée,  dont  le 
début  est  toujours  une  périostite  alvéolo-denlaire. 

Les  nécroses  partielles  limitées  à  la  paroi  alvéolaire  se  rencontrent  aussi  fré- 
quemment à  l'une  qu'à  l'autre  mâchoire,  mais  les  nécroses  étendues  comprenant 
toute  une  portion  du  maxillaire  ou  la  mâchoire  en  entier  s'observent  surtout  à 
la  mâchoire  inférieure.  Des  nécroses  partielles  de  l'apophyse  palatine  du  maxil- 
laire supérieur  succèdent  cependant  presque  toujours  aux  abcès  de  la  voùle 
palatine. 

L'élimination  de  toute  une  paroi  de  la  cavité  alvéolaire  n'entraîne  pas  toujours 
la  perte  de  la  dent  enfermée  dans  cet  alvéole  ;  il  arrive  qu'elle  reprend  peu  à 
peu  une  fixité  compatible  avec  ses  fonctions,  surtout  à  la  mâchoire  inférieure, 
où  les  réparations  osseuses  sont  la  règle,  tandis  qu'elles  sont  rares  à  la  su- 
périeure, où  il  ne  se  fait  guère  qu'une  réparation  fibreuse.  Pietkiewicz  cite 
cependant  un  cas  dans  lequel  une  nécrose  de  toute  la  partie  du  maxillaire 
située  au  devant  de  l'incisive  et  de  la  canine  gauche  fut  suivie  d'une  réparation 
assez  solide  pour  que  les  dents,  très-mobiles  d'abord,  aient  fini  par  recouvrer 
leur  solidité  normale.  S'il  est  donc  urgent  quelquefois  d'enlever  une  dent  com- 
prise dans  un  séquestre  et  qui  n'est  plus  qu'un  corps  étranger  dans  la  mâchoire, 
il  faut  bien  se  garder  d'enlever  les  dents  ébranlées  par  l'extension  du  mal, 
alors  même  qu'elles  sont  devenues  vacillantes  au  point  de  paraître  devoir 
tomber  spontanément;  il  est  fréquent  de  les  voir  reprendre  ensuite  leur  solidité 
et  conserver  leurs  fonctions  comme  si  elles  n'avaient  jamais  été  atteintes.  Dans 
un  cas  de  nécrose  de  la  branche  horizontale  du  maxillaire  étendue  depuis  l'angle 
jusqu'aux  incisives,  nous  avons  vu  les  prémolaires  et  la  canine  reprendre  leur 


252  DE.NT   (patuolûgie). 

solidité,  et  chez  celte  malade  cependant  il  avait  fallu  faire  à  travers  un  trajet 
fistuleux  la  résection  du  sommet  de  la  canine  pour  permettre  la  sortie  d'un 
séquestre  situé  en  arrière  de  cette  dent. 

Souvent  l'élimination  se  fait  toute  seule,  mais  la  plupart  du  temps  il  est 
utile  d'intervenir  et  de  faciliter  cette  mise  en  liberté  par  des  opérations,  des 
incisions  presque  toujours.  Dès  que  les  séquestres  sont  mobiles,  cette  inter- 
vention est  urgente  ;  on  s'expose  sans  cela  à  des  accidents  consécutifs  :  ainsi 
Cattlin  rapporte  une  observation  dans  laquelle  une  portion  mortifiée  de  la 
mâchoire  inférieure,  après  être  descendue  dans  des  cavités  abcédées,  fut  enfin 
enlevée  au-dessous  de  la  clavicule. 

Nous  croyons  cependant  qu'il  est  d'une  bonne  pratique  d'attendre  que  les 
parties  mortifiées  soient  mobiles  avant  de  rien  tenter.  Cette  expectation  est  surtout 
indiquée  chez  les  jeunes  sujets  dont  la  dentition  permanente  est  en  voie  d'évo- 
lution. D'après  Tomes  {Traité  de  chirurgie  dentaire,  p.  457),  on  doit  à 
M.  Olivier  Chalk  plusieurs  observations  dans  lesquelles  des  portions  de  la  mâchoire 
renfermant  les  dents  temporaires  et  les  follicules  des  permanentes  furent 
nécrosées.  Cependant  des  dents  permanentes  apparurent  et  se  développèrent 
sur  l'os  nouveau  et  la  mâchoire  redevint  aussi  parfaite  que  si  elle  n'avait  pas 
été  malade.  Au  premier  abord,  ces  observations  ne  paraissent  pas  s'accorder 
avec  ce  que  nous  savons  sur  la  genèse  et  le  mode  de  développement  du  système 
dentaire.  Les  recherches  enibryogéniques  cependant  ne  nous  autorisent  pas  à 
contester  des  faits  à  1  égard  desquels  il  est  permis  sans  doute  de  faire  quelques 
réserves,  mais  que  l'on  peut  expliquer  aus^i  sans  admettre  l'apparition  dune 
seconde  série  de  dents  permanentes.  A  l'état  normal,  en  eftet,  les  follicules  des 
dents  définitives  ne  sont  que  faiblement  adhérents  aux  cavités  osseuses  qui  les 
renferment  ;  il  est  probable  que  les  phénomènes  de  résorption  habituels  à  la 
nécrose  exagèrent  encore  cet  état,  et  l'on  conçoit  que  ces  organes  puissent  alors 
rester  adhérents  aux  parties  molles  lorsque  la  partie  mortifiée  se  détache  de 
l'os  nouveau  après  la  résorption  d'une  portion  de  son  tissu.  Dans  le  cours  de 
son  développement,  l'os  nouveau  viendra  alors  embrasser  ces  follicules  et  leur 
constituer  de  nouveaux  réceptacles. 

Les  nécroses  étendues  ne  s'observent  pas  sans  de  graves  lésions  de  voisinage, 
suppurations  plus  ou  moins  vastes,  fistules,  etc.  :  aussi,  lorsqu'elles  guérissent, 
sont-elles  suivies  de  véritables  difformités,  mais  l'on  conçoit  que  ces  complications 
exposent  aussi  le  malade  à  de  nombreux  accidents,  à  l'infection  purulente,  à 
l'asphyxie,  à  des  hémorrhagies  parfois  mortelles.  i\ous  connaissons  des  obser- 
vations où  la  mort  survint  ainsi  par  hémorrhagie  :  une  fois  la  nécrose  déter- 
mina l'ulcération  de  l'artère  dentaire  ;  une  autre  fois,  ce  fut  la  carotide  interne 
qui  se  trouva  ulcérée. 

Abcès  du  si>us  maxu.laire.  Si  nous  employons  le  terme  d'abcès  du  sinus 
maxilLiire,  c'est  pour  nous  conformer  aux  habitudes  acquises,  mais  avec 
M.  Guyon  nous  croyons  cette  dénomination  d'abcès,  qui  a  une  signification  bien 
précise  en  chirurgie,  impropre  à  désigner  ici  l'inflammation  ou  le  catarrhe  d'une 
cavité  ouverte,  d'une  cavité  muqueuse,  comme  le  sinus  maxillaire.  C'est  aussi 
sous  l'empire  de  ces  considérations  que  M.  Bousquet  [Étude  sur  les  abcès  déve- 
loppés dans  le  sinus  maxillaire.  Thèse  de  Paris,  1876)  a  donné  dernièrement 
aux  collections  purulentes  développées  sous  la  muqueuse  ou  dans  son  épaisseur 
le  nom  d'abcès  développés  dans  le  sinus,  pour  les  distinguer  de  l'inflammation 
de  la  muqueuse  elle-même.  Peut-être  l'auteur  voit-il  entre  ces  deux    termes 


DENT   (pathologie).  255 

abcès  du  simoi  et  abcès  développés  dans  le  sinus  une  différence  plus  grande 
qu'entre  ces  deux  autres,  par  exemple  :  abcès  du  creux  axillaire  et  abcès  déve- 
loppés dans  le  creux  axillaire.  Pour  nous  celte  différence  n'est  point  aussi 
évidente;  nous  pensons  que  les  xleux  termes  se  valent,  qu'ils  peuvent  l'un  ou 
l'autre  et  tout  aussi  bien  s'appliquer  aux  abiès  étudiés  par  M.  Bousquet,  mais 
qu'il  faut  les  réserver  aux  abcès  stiulemont  et  qu'il  suffirait  de  désigner  l'in- 
flammation, le  catarrhe  de  la  muqueuse,  |)ar  le  nom  d'empyème  du  sinus  maxil- 
laire, ainsi  qu'on  Ta  proposé  récemment,  pour  voir  cesser  toute  confusion  ((juyon, 
Dictionn.  encyclopédique  des  sciences  médicales,  2«  série,  t.  V,  p.  338). 

Depuis  longtemps  déjà,  les  auteurs  ont  accusé  les  dents  cariées  d'être  une  des 
causes  et  même  la  plus  fréquente  des  causes  des  abcès  du  sinus  maxillaire.  Nous 
ferons  remarquer  que  ce  n'est  point  ici  encore  la  carie  qui  est  en  jeu,  mais  bien 
lapériostite  alvéolo-dcnlaire  qui  la  complique  souvent,  il  est  vrai,  mais  (pie  l'on 
observe  si  fréq\iemment  aussi  en  dehoi  s  de  toute  altération  de  la  couronne. 

L'extrémité  des  racines  des  prémolaires  et  des  deux  premières  grosses  mo- 
laires est,  comme  on  sait,  à  peine  S('parée  delà  cavité  du  sinus  par  une  mince 
lamelle  osseuse.  Chez  beaucoup  d'individus  même,  les  racines  de  la  première 
grosse  molaire  pénètrent  dans  l'antre  d'Hyghmore,  et  chez  tous,  quand   même 
cette  pénétration  n'existe  pas,  la  cavité  du  sinus  descend  dans  l'espace  circonscrit 
par  le  sommet  des  racines  de  celle  dent,  de  sorte  qu'il  y  a  une  dépression  de  la 
paroi  du  sinus  à  ce  niveau.  Ces  données  anatomiques  nous  expliquent  chiiremciit 
le  rôle  de  la  pérostite  dans  la  production  des  abcès  du  siiuis  maxiUaiie.  Un 
voit,  en  effet,  quelle  est  la  facilité  de  transmission  de  l'inflammation  du  périoste 
dentaire  à  la   muqueuse   de  l'antre  d'Hyghmore,  et  l'on  voit  aussi  que  celle 
transmission  pourra  se  fîiire  de  deux  façons  fort  différentes  suivant   les  dit- 
positions  anatomiques  du  sujet  ou  la  dont  atteinte.  Les  dents  qui  donneront  lieu 
à   cette  af!ection    seront  donc  surtout  les  prémolaires  et  les  deux  premièics 
grosses  molaires;   la  canine  et  la  dent  de  sagesse  pourront  bien  aussi  la  pro- 
duire, mais  exceptionnellement  et  d'une  façon  beaucoup  plus  indirecte.  Lors- 
que la  périostile  atteint  une  dei\t  dont   les  racines  sont  en  rapport  immédiat 
avec  la    muqueuse  du  sinus,  on  conçoit  combien  celle-ci  est  exposée  à  s'en- 
flammer consécutivement,  dès  le  début  même  de  la  maladie  ;  il  n'y  a  pas  besoin 
pour  cela  que  la  périostile  alvéolo-denlaire  parcoure   toutes   ses  phases,  le  ca- 
tarrhe du  sinus  pourra  fort  bien  exister  sans  que  le  périoste  dentaire  ait  sup- 
puré. D'autres  t'ois,  l'abcès  du  sinus  succède  à  l'ouverlure  d'un  abcès  odonto- 
pathique  dans  sa  cavité  :  c'est  ce  qui  arrive  lorsque  les  racines  sont  recouvertes 
d'une  lamelle  osseuse  plus   ou  moins  épaisse  suivant  la  dent  malade.  Il  se  pro- 
duit dans  ce  cas  une  fistule  muqueuse,  mais  une  fistule  dont  l'ouverture  s'est 
faite  dans  le  sinus,   et    pour  certaines  dents  celte  terminaison  sera  plus  fré- 
quente que  l'ouverture  dans    la  bouche  ou  à  l'extérieur  :  c'est  qu'en  effet,  du 
côté  du  sinus,  l'alvéole  oflrira  le  moins  d'épaisseur  et  par  conséquent  le  moins 
de  résistance. 

Toutes  les  causes  des  fistules  dentaires  pourront  ainsi  devenir  des  causes 
d'abcès  du  sinus  :  il  est  donc  inutile  de  répéter  ce  que  nous  avons  déjà  dit,  à 
propos  de  ces  affections.  Souvent  c'est  une  périostile  chronique  ancienne  qui 
donne  lieu  à  cette  complication  ;  depuis  longtemps  elle  entretenait  une  listule 
gingivale  ou  occasionnait  des  abcès  à  répétition.  Un  jour  tous  ces  petits  acci- 
dents disparaissent,  le  pus  a  pris  une  autre  voie  et,  au  lieu  de  venir  aux  té'^u- 
ments,   il  est  allé  chercher  une  issue  dans  le  sinus  maxillaire.   L'erapyème 


254  DEM  (p-atiiulogie). 

succède  aussi  à  la  périostite  aiguë,  et  dans  ce  cas  sa  marche  peut  être  très-rapide. 

Nous  venons  de  dire  que  la  fermeture  d'une  fistule  gingivale  peut  devenir  la 
cause  déterminante  d'un  abcès  du  sinus  maxillaire;  la  réciproque  est  vraie  aussi, 
et  il  est  fréquent  de  voir  une  listule  s'établir  à  la  muqueuse  buccale  dans  le 
cours  del'empyème  de  l'azilre  dHyghmore.  L'inflammation,  le  gonflement  delà 
muqueuse,  peuvent  en  effet  déterminer  l'occlusion  de  l'orifice  de  communication 
avec  les  fosses  nasales,  et,  quand  même  cet  orifice  resterait  libre,  sa  situation 
éminemment  défavorable  à  l'évacuation  du  pus  explique  la  tendance  de  la  suppu- 
ration à  chercher  une  autre  issue. 

Toutes  les  causes  de  [lériostite  sont  donc  indirectement  des  causes  d'abcès 
du  sinus  quand  elles  portent  sur  les  dents  indiquées,  et  nous  pouvons  tout 
aussi  bien  observer  l'abcès  du  sinus  à  la  suite  d'une  périostite  spontanée  qu'à 
la  suite  d'une  périostite  traumatique  ou  consécutive. 

Quand  l'abcès  du  sinus  est  consécutif  à  une  périostite  alvéolo-denfaire, 
l'extraction  de  la  dent  primitivement  atteinte  suffit  en  général  à  amener  la 
guérison.  Les  racines  enlevées  présentent  les  lésions  habituelles  de  la  périostite, 
nous  n'avons  donc  rien  à  en  dire  ici.  Cette  opération  détermine  par  cela  même 
presque  toujours  l'ouverture  du  sinus  au  niveau  de  la  racine  extraite,  et  il  est 
facile  de  faire  pénétrer  par  l'ouverture  un  stylet  dans  la  cavité  du  sinus.  Cette 
ouverture  peut  cependant  n'avoir  pas  lieu  ,  peut-être  aussi  échappe-t-elle  à 
l'examen,  et  l'extraction  de  la  racine  altérée  est  néanmoins  suivie  de  la  guérison 
du  catarrhe. 

COi\TRACTCRE  DES  MACHOIRES.  La  contracfure  des  mâchoires  fait  également 
partie  des  complications  de  la  périostite,  mais  elle  est  bien  moins  fréquente  que 
la  fluxion.  On  ne  l'observe  pas  dans  la  périostite  aiguë,  quelle  que  soit  son 
intensité,  alors  que  celle-ci  se  termine  par  résolution  ;  elle  est  fréquente,  au 
contraire,  lorsque  l'inflammation  du  périoste  dentaire  détermine  un  phlegmon 
périmaxillaire.  Le  siège  de  la  périostite  a  donc  une  influence  très-évidente  sur 
la  production  de  cet  accident  ;  les  abcès  périmaxillaires  consécutifs  à  une 
périostite  d'une  dent  antérieure  la  déterminent  rarement  ;  à  la  mâchoire  supé- 
rieure, on  voit  même  quelquefois  des  abcès  développés  autour  des  dernières 
molaires,  sans  qu'il  y  ait  de  contracture,  tandis  que  les  mêmes  accidents  produits 
par  les  molaires  inférieures  et  la  dent  de  sagesse  surtout  amènent  toujours  le 
resserrement  des  mâchoires. 

Diverses  théories  ont  été  émises  pour  expliquer  ce  phénomène;  nous  croyons 
que  la  plus  simple  est  encore  la  pins  satisfaisante:  celle  qui  attribue  ce  resser- 
rement à  la  propagation  de  l'inflammation  au  tissu  lamineux  interposé  aux 
faisceaux  secondaires  du  masséter,  en  un  mot,  au  périmysium  de  ce  muscle. 
Nous  comprenons  aussi  que  les  modifications  inflammatoires  de  ce  périmysium 
peuvent,  même  après  la  disparition  des  accidents  primitifs,  s'opposer  à  l'écar- 
tement  normal  des  mâchoires,  de  même  que  nous  voyons  cette  inflammation 
maintenir  la  rétraction  de  certains  autres  muscles,  du  psoas,  par  exemple. 

B.  Accidents  jserveux.  Les  développements  auxquels  nous  nous  sommes 
laissé  entraîner  malgré  nous,  à  propos  des  complications  inflammatoires,  nous 
forcent  à  abréger  beaucoup  ce  qui  reste  à  dire  sur  les  accidents  nerveux. 

Nous  nous  bornerons  donc  ici  à  citer  des  observations,  sans  discuter  la 
question  de  savoir  si  on  doit  rattacher  ces  accidents  à  des  phénomènes  réflexes, 
à  manifestations  diverses,  ou  bien  les  expliquer  par  une  propagation  de  l'inflam- 
mation ou  la  compression  de  nerfs  spéciaux  par  des  tumeurs,  des  abcès  odon- 


DEM  (pathologie).  ^^^ 

topathiques.   La  plupart  de  ces  observations    nous    sont    étrangères  ;   depuis 
lonf^temps  déjà,  en  effet,  on  a  signalé   ces    rapports  entre  les  altérations  du 
système  dentaire  et  d'autres  maladies,  celles  des  organes  des  sens  en  particulier, 
mais  ou  bien  les  auteurs  ont  complètement  négligé  le  diagnostic  de  l'affection 
dentaire  incriminée,  se  contentant  de  celte  mention  absolument  insuflisanle, 
une  dent  gâtée  (Hancock,  Arch.   (jen.  de  med.,   1859,  août,  !2''  vol.,  p.  224; 
Tripier,  Arch.  gén.   de  méd.,  1869,  p.  47),  ou  bien  ils  ont  exagéré  de  beau- 
coup le  rôle  delà  dénudationct  de  l'inflammation  de  la  puljie  (Xavier  Galezowski. 
Étude  sur  les  affections  oculo-dentaircs  [Recueil  d'ophtluilmolor/ie,  avril  1874^ 
p.  245,  et  juillet  1874,  p.o()3]K  En  deliors  de  toute  complication  du  côté  de  la 
pulpe  cependant,  après  même  sa  disparition  complète,   des   lésions  éloignées, 
des  accidents  du  coté  des  organes  des  sens  peuvent  être  déterminés  parTinllam- 
mation  aiguë  ou  cbronique  du  périoste  alvéolo-denlaire.  Personne,  néanmoins, 
n'a  reconnu  l'intluence  de  la  périostite  sur  ces  complications;  cette  influence  a 
échappé  aux  auteurs  mêmes  auxquels  nous  empruntons  leurs   observations,  et 
si  nous  donnons  ces  faits  comme  des  preuves  à  l'appui  de  notre  manière  de 
voir,  c'est  que  les  symptômes  de  l'affection  dentaire,  les  lésions  observées,  ne 
nous  permettent  aucun  doute  à  cet  égard.  Nous  avons   trouvé  ainsi  un  grand 
nombre  d'observations   dans  lcs(pielles  le  rôle  de  la  péricstite  était  des  plus 
évidents  pour  nous,  mais   dans  le  choix   qu'il   nous  a  fallu  faire  nous  avons 
éliminé  toutes  celles   qui  n'auraient  pas  semblé   absolument   démonstratives 
pour  tout  autre. 

Ce  que  nous  avons  dit  des  névralgies  dentaires  nous  dispense  d'y  revenir  ici; 
disons  seulement  que,  si  toutes  les  lésions  de  la  périostite  peuvent  donner 
naissance  à  ces  phénomènes  douloureux,  les  névralgies  persistantes  s'observent 
en  particulier  dans  les  cas  d'exostoses  du  cément  et  elles  sont  dues  sans 
doute  alors  à  la  compression  des  filets  nerveux  par  le  développement  de  la 
tumeur  osseuse.  Dans  deux  cas  de  névralgies  dentaires  présentés  à  la  Société 
odontologique  de  Londres,  M.  Caltlin  avait  observé  une  fois  la  résorption  par- 
tielle de  l'extrémité  de  la  racine,  une  autre  fois  une  exostose  siihéroïdale  du 
sommet  de  la  dent  {Transact.  of  the  Odontol.  Society,  vol.  111).  Pour  notre 
compte  personnel  nous  avons  observé  à  deux  reprises  différentes  l'existence 
d'exostoses  du  cément  dans  des  cas  de  névralgies  rebelles  à  tout  traitement  et 
dont  l'extraction  des  racines  altérées  amena  la  guérison. 

La  périostite  aiguë  n'est  pas  sans  influence  sur  les  troubles  des  organes  de& 
sens,  mais  c'est  presque  toujours  la  périostite  chronique,  ainsi  que  nous  l'avons 
observé  nous-même  et  que  nous  avons  pu  le  constater  par  la  lecture  des  obser- 
vations étrangères,  c'est  presque  toujours,  disons-nous,  la  périostite  chronique 
qui  est  la  cause  de  ces  accidents,  soit  que  le  périoste  ait  suppuré  ou  que  ses  élé- 
ments se  soient  hypertrophiés.  Dans  l'observation  XLI  de  Pietkiewicz,  c'est  un 
abcès  au  sommet  de  la  racine  d'une  incisive.  L'observation  XLII  rapporte  la  gué- 
rison d'une  amaurose  datant  de  douze  ans,  à  la  suite  de  l'enlèvement  d'une 
obturation  au-dessous  de  laquelle  se  trouvait  du  pus.  Dans  deux  exemples 
d'amblyopie,  le  périoste  dentaire  avait  éprouvé  l'hypertrophie  et  l'hypergenèse 
de  ses  éléments;  dans  la  première,  le  sommet  de  la  racine  était  surmonté  d'une 
production  molle,  volumineuse;  dans  la  deuxième,  le  chicot  extrait  était 
devenu  tout  vacillant.  C'est  encore  une  périostite  chronique  de  la  première 
grosse  molaire  supérieure  droite  avec  fistule  à  la  voûte  palatine  et  à  la  gencive 
qui  peut  déterminer  du  blépharospasme  et  de  la  photophobie,  mais  dans  ce  cas 


256  DENT   (i'atholocie). 

l'extraction  permet  de  constater  à  la  fois  la  résorption  d'une  racine  et  la  pro- 
duction de  fongosités  du  périoste. 

La  périostite  peut  aussi  produire  des  troubles  de  l'auditien  variant  depuis  de 
simples  phénomènes  douloureux  jusqu'à  la  surdité  complèîe.  L'otalgic  est  cer- 
tainement moins  fréquente  alors  que  dans  l'inflammation  de  la  pulpe,  mais  ou 
l'observe  assez  souvent  encore.  Dans  ce  cas,  comme  pour  la  pulpite,  ce  sont  ordi- 
nairement les  dents  de  la  mâchoire  inférieure,  les  molaires  surtout,  qui  sont 
atteintes  ;  pourtant  dans  un  cas  Totalgie  de  l'oreille  droite  était  consécutive  à 
une  périostite  de  la  première  grosse  molaire,  supérieure  droite.  On  a  observé  aussi 
le  développement  d'une  tumeur  fibreuse  sur  les  racines  d'une  deuxième  molaire 
inférieure  gauche  s'accompagner  de  bourdonnement  d'oreille  d'abord  et  de 
surdité  plus  tard.  Un  cas  de  surdité  de  l'oreille  droite  observée  par  Rubio  recon- 
naissait pour  cause  la  périostite  d'une  molaire  inférieure  et  disparut  peu  de 
temps  après  l'extraction  de  celte  dent. 

Des  troubles  de  l'olfaction  sont  fréquemment  aussi  la  conséquence  d'une 
périostite  occupant  presque  toujours  alors  une  dent  canine  ou  petite  molaire  de 
la  mâchoire  supérieure.  Nous  avons  souvent  observé,  dans  ce  cas,  un  coryza  de 
la  narine  correspondante,  mais  la  périostite  d'une  dent  plus  éloignée  de  l'appareil 
olfactif  peut  cependant  produire  cette  complication. 

Enfin,  dans  un  chapitre  consacré  par  Tomes  aux  affections  secondaires  dues 
à  Virritation  résultant  des  maladies  des  dents  {Traité  de  chirurgie  dentaire, 
p.  551),  nous  avons  relevé  trois  observations  d'accidents  généraux  que  les  lésions 
anatomiques  ou  les  symptômes  observés  nous  permettent  de  regarder  comme  des 
complications  de  la  périostite.  Dans  les  deux  observations  L  et  Ll  de  Pietkiewicz, 
l'épilepsie  était  consécutive  à  des  périostites  chroniques  avecexostose  des  racines. 
Le  tétanos,  au  contraire  (obs.  LU),  avait  été  la  conséquence  d'une  périostite 
aiguë  déterminée  par  la  pose  d'une  dent  à  pivot, 

E.  Diagnostic.  Nous  n'avons  pas  à  faire  ici  le  diagnostic  des  complications 
de  la  périostite,  notre  étude  doit  se  borner  au  diagnostic  de  cette  affection. 

L'allongement,  l'ébranlement  de  la  dent  et  ce  caractère  particulier  de  la 
douleur  à  la  pression  et  à  la  percussion  la  feront  facilement  reconnaître.  Mais 
ce  qu'il  faut  établir  en  plus,  c'es.t  la  période  de  la  maladie,  son  siège,  sa  cause, 
sa  terminaison,  toutes  choses  fort  importantes  au  point  de  vue  du  traitement. 

L'état  d'inflammation  subaiguë,  c'est-à-dire  la  période  d'hyperémie,  se  carac- 
térise par  un  sentiment  de  gène  et  de  tension  au  niveau  de  la  dent  malade 
plutôt  que  par  de  la  douleur.  La  pression  exercée  sur  la  dent  avec  celle  de  la 
mâchoire  opposée  n'est  pas  douleureuse,  elle  amène  plutôt  un  sentiment  de 
bien-être  passager,  la  percussion  avec  un  corps  dur  éveille  un  peu  de  douleur, 
l'allongement  de  la  dent,  à  peine  visible  pour  l'observateur,  est  déjà  sensible 
[lour  le  malade  ;  on  n'observe  qu'un  léger  ébranlement.  Sur  la  gencive  on  re- 
n  arque  un  petit  liséré  rouge  qui  entoure  le  collet.  Le  séjour  des  liquides 
tièdes  dans  la  bouche  et  leur  maintien  au  contact  de  la  dent  produisent  un  peu 
de  soulagement,  l'impression  des  liquides  froids  est  douloureuse. 

L'état  aigu  ou  d'inflammation  confirmée  se  distingue  par  des  douleurs  spon- 
tanées plus  ou  moins  violentes;  la  pression  avec  les  dents  opposées  provoque  de 
vives  douleurs  que  le  contact  même  de  la  langue  suffit  à  éveiller,  l'allongement 
de  la  dent  est  manifeste,  l'ébranlement  quelquefois  considérable,  non-seulement 
la  gencive  est  rouge  ou  livide  dans  toute  sa  hauteur  au  niveau  de  la  dent 
malade,  mais  elle  est  le  siège  d'un  gonflement  douloureux  à  la  pression  et  sa 


DENT  (i-ATiKaoï.iE).  257 

routeur  s'étend  aux  parties  voisines.  Loin  de  calmei'  la  douleur,  les  liquides 
tièdes  l'exagèient,  tandis  que  les  liquides  froids  amènent  un  peu  de  calme, 
comme  dans  toutes  les  inflammations,  du  leste. 

Ces  deux  états,  avons- nous  dit,  peuvent  se  terminer  par  résolution,  ce  qui 
est  indiqué  par  la  diminution  graduelle  et  la  disparition  des  symptômes,  dispa- 
rition qui  peut  s'effectuer  en  quelques  iieures  ou  moins  pour  la  périostite 
subaiguë,  mais  ils  peuvent  aussi  passer  à  l'état  chronique  ouaboulir  à  la  sup- 
puration, qui  peut  elle-même  prendre  des  caractères  de  chronicité. 

Le  passage  à  l'état  chronique  de  celle  période  de  la  maladie,  caractérisée  par 
le  développement  et  l'hypergenèse  des  éléments  du  périoste,  est  marqué  par  la 
diminution  de  certainssymptômes  et  par  la  persistance  de  certains  autres  :  ainsi 
l'allongement  et  l'ébranlement  de  la  dent,  bien  qu'éprouvant  une  légère  dimi- 
nution, se  maintiennent  et  peuvent  même  augmenter  avec  le  temps  ;  les  dou- 
leurs spontanées  et  les  douleurs  provoquées  perdent  ensuite  de  leur  intensité, 
et  arrivent,  dans  certains  cas  à  disparaître  complètement. 

L'inilammalion,   au  contraire,   est-elle  très-vive,  l'exagération  de  tous    les 
symptômes,  le  caractère  lancinant  des  douleurs,  suivis  bientôt  d'un  calme  relatif, 
annoncent  le  moment  de  la  formation  du  pus.  Lorsque  celui-ci  a  trouvé  son 
issue  au  dehors  par  une  des  voies  que  nous  avons  indiquées,  sa  production  et 
sou  écoulement  peuvent  persister  indéfiniment,  mais  l'état  du  malade  s'amé- 
liore de  plus  en  plus,  les  douleurs  disparaissent,  la  dent  reprend  sa  fixité  et 
ses  fonctions,  et,  lorsqu'au  bout  d'un  certain  temps  le  malade  vient  consulter 
pour  quelqu'une  des  complications   qu'on  peut  alors  rencontrer,   il   se   peut 
très-bien  que  le   médecin  méconnaisse    la    cause    de    la    maladie.    Cet  em- 
barras a   lieu  surtout  alors   que  la  lésion,  ce  qui  s'observe  quelqm  fois,  chez 
les  individus  affaiblis  en  particulier,  a  suivi  dès  son  début   une  marche  très- 
lente,  passive,  pour   ainsi  dire,  arrivant  à  la  suppuration  sans  éveiller  l'at- 
tention du  malade.  On  conçoit  toute  la   gravité  d'une  erreur  de  diagnostic 
dans  ce  cas,  l'extraction  pratiquée   le  plus  souvent  n'amenant  d'autre  résultat 
que  la  privation  pour  le  malade  d'un  organe  sain  sans  améliorer  en  rien  sa 
position.  Certains  signes  cependant  doivent  déterminer  le  choix  du  chirurgien. 
Ainsi,  assez  souvent  la  dent  atteinte  présente  une  diflérence  de  coloration,  les 
produits  de  la  décomposition  de  la  pulpe,  après  sa  gangrène,   ont  pénétré   la 
denline  et  lui  ont  donné  une  teinte  grisâtre  qui  tranche  un  peu  sur  les  voisines. 
La  percussion  olfre  aussi  une  petite  différence  de  sonorité  sur  cette  dent,  le 
timbre  est  un  peu  plus  mat  que  sur  les  autres.  Lorsqu'il  y  a  un  abcès  déve- 
loppé ou  en  voie  de  formation,  un  petit  kysle  purulent  situé  à  quelque  distance 
dans  l'épaisseur  de  la  joue,  par  exemple,  on  peut  sentir  avec   le  doigt   pro- 
mené dans  la  gouttière  du  vestibule  un  cordon  fibreux  qui  relie  la  dent  avec 
la  nouvelle  formation  pathologique.  Lorsqu'une  fistule  s'est  établie,  soit  à  la 
gencive,  soit  à  la  peau,  il  est  très-nnporlanl  d'explorer  le  trajet  avec  le  stylet, 
sa  direction  mettra  presque  toujours  sur  la  voie  et  conduira  sur  la  racine 
altérée.  11  est  cependant  permis   d'hésiter   même   après  l'exploration  par  le 
stylit  :   ainsi,  lorsqu'on  introduit  le  stjlet  dans  une   fistule   cutanée   de   la 
région  mentonnière  déterminée  par  la  périostite  chronique  d'une  incisive  infé- 
rieure, il  est  parfois  difficile,  après  avoir  traversé  les  parties  molles  et  le  maxil- 
laire, de  reconnaître  sur  quelle  dent  porte  l'inslrument;  on  peut  hésiter  entre 
deux  dents  contiguës.  La  percussion  pratiquée  alors  d'une  façon  toule  spéciale 
apporte  un  précieux  élément  de  diagnostic.  Si  l'on  percute  avec  un  corps  dur 
mcT.  ERc.  XXVII.  17 


258  DENT   (pathologie). 

l'extrémilé  du  stylet  maintenu  d'une  main  en  même  temps  que  l'on  applique 
un  doigt  de  l'autre  main  alternativement  sur  l'une  ou  l'autre  des  dents  soup- 
çonnées, la  transmission  du  choc  est  perçue  d'une  façon  beaucoup  plus  évi- 
dente quand  on  applique  le  doigt  sur  la  dent  dont  la  racine  est  en  contact 
avec  le  stylet.  En  même  temps,  le  malade  interrogé  accuse  ordinairement  une 
sensation  particulière  à  peine  douloureuse  dont  il  fixe  invariablement  le  siège 
dans  la  même  dent.  La  percussion  pratiquée  sur  la  couronne  sans  changer  le 
stylet  de  place  est  transmise  aus^i  d'une  façon  plus  distincte  par  l'instrument 
alors  que  l'on  frappe  sur  la  dent  malade. 

Si  l'inflammation  du  périoste  alvéolo-dentaire  a  envahi  cette  membrane  dans 
toute  son  étendue,  tous  les  symptômes,  l'allongement  et  l'ébranlement  en  par- 
ticulier, se  présentent  alors  à  leur  plus  haut  degré  de  développement.  Lorsqu'elle 
est  partielle,  il  importe  pour  le  traitement  de  savoir  si  elle  occupe  l'une  des 
faces  ou  le  sommet.  Dans  la  périostite  du  sommet,  la  plus  fréquente,  la  per- 
cussion pratiquée  perpendiculairement  à  l'axe  transversal  de  la  dent  est  mani- 
festement plus  douloureuse  que  lorsqu'on  vient  à  frapper  sur  l'une  des  faces. 
Dans  la  périostite  du  pourtour  de  la  racine,  c'est  le  contraire  :  la  douleur  provo- 
quée par  la  percussion  latérale  est  plus  vive  que  par  la  percussion  verticale. 

Diagnostic  différentiel.  La  périostite  alvéolo-dentaire,  au  moins  à  l'état 
aigu,  se  présente  avec  des  caractères  tellement  tranchés,  qu'il  est  à  peu  près 
impossible  de  la  méconnaître  ou  de  la  confondre  avec  une  autre  maladie.  i\ous 
dirons  cependant  un  mot  de  quelques  affections  qui  pourraient  peut-être  donner 
lieu  à  une  erreur  de  diagnostic  :  l'ostéo-périostile  alvéolo-dentaire,  l'évolu- 
tion pathologique  de  la  dent  de  sagesse,  la  carie,  la  pulpite,  les  stoma- 
tites, la  gingivite,  les  névralgies  dentaires,  les  tumeurs  du  périoste  et  du 
cément. 

Ostéo-periostite  alvéolaire.  Bien  que  nous  donnions  plus  loin,  à  propos  de  la 
description  de  cette  maladie,  un  diagnostic  détaillé,  nous  dirons  ici  quelques 
mots  touchant  cette  distinction,  car  plusieurs  auteurs,  et  M.  Pietkiewicz  entre 
autres  (thèse  citée,  p.  82),  persistent  à  considérer  cette  dernière  comme  une 
forme  de  périostite  proprement  dite.  On  verra  cependant  combien  l'ostéo-périos- 
titc  alvéolaire,  telle  que  nous  en  avons  tracé  l'histoire,  diffère  de  la  périostite  vraie. 
Son  étiologie  est  toute  spéciale  et  repose  sur  des  influences  diathésiques  ou 
générales,  sur  l'hérédité,  toutes  conditions  qui  seraient  seules  impuissantes  à 
produire  la  périostite.  Elle  occupe  non  une  dent  isolée,  mais  une  région  plus  ou 
moins  étendue,  et  elle  se  propage  par  envahissement.  Sa  marche  est  chronique, 
continue  ou  intermittente.  Son  point  de  départ  est  au  collet,  et  cela  invariable- 
ment, pour  s'étendre  ensuite  à  toute  la  surface  de  la  membrane.  L'altération  ou 
la  chute  de  la  dent  affectée  n'arrête  pas  la  maladie  et  semble  au  contraire  en 
provoquer  la  marche  plus  rapide. 

De  tels  caractères  suffisent  déjà  à  différencier  la  périostite  de  l'ostéo-périos- 
tite.  Nous  n'insisterons  donc  pas,  devant  d'ailleurs  y  revenir  à  propos  de  la 
seconde. 

Évolution  pathologique  de  la  dent  de  sagesse.  Les  difficultés  que  rencontre 
dans  sa  sortie  la  dent  de  sagesse  et  sa  rétention  dans  la  mâchoire  donnent  fré- 
quemment lieu  aux  mêmes  accidents  consécutifs  que  la  périostite  développée 
sur  cette  dent  ;  les  auteurs  confondent  le  tout  ensemble  sous  le  nom  d'accidents 
de  la  dent  de  sagesse.  Cette  confusion  est  regrettable  cependant,  en  dehors 
même  de  toute  question  de  paihogénie,  car  elle  influe  sur  le  traitement  et  il 


DENT  (pathologie).  259 

■suffit  d'être  prévenu  pour  l'éviter.   Disons  tout  de  suite  que  les  accidents  en 
■question  ne  s'observent  guère  qu'à  la  mâchoire  infe'ricure,  la  troisième  molaire 
trouvant  toujours  une  place  suffisante  à  la  mâchoire  supérieure.  A  I  inférieure, 
au  contraire,  une  fois  l'arcade  dentaire  complète,  il  arrive  souvent  que  la  troi- 
sième molaire  ne  trouve  plus  entre  l'apophyse  montante  et  la  face  postérieure 
de  la  deuxième  molaire  la  place  nécessaire  à  son  éruption.  De  là  des  phéno- 
mènes  variables  et  plus    ou  moins    graves,    soulèvement,   ulcération  de    la 
muqueuse,  phlegmon  de  la  joue,  ostéite  lente  ou  rapide  du  maxillaire,  phlegmon 
du  cou,  etc.  La  dent  de  sagesse  atteinte  de  périoslite  peut  devenir  aussi  l'ori- 
gine de  la  plupart  de  ces  accidents  en  raison  de  son  siège  au  fond  de  la  mâchoire. 
Ces  accidents  sont  d'autant  plus  fréquents  que  la  périostite  de  la  dent  de  sagesse 
s'observe  très-souvent,  consécutivement  à  la  carie  qui  l'atteint  très-fréquemment, 
la  lenteur  de  son  évolution  dans  l;i  mâchoire  pendant  plusieurs  années  exposant, 
en  effet,  ses  tissus  au  retentissement  de  toutes  les  affections  qui  ont  pu  atteindre 
le  sujet  pendant  cette  longue  période  de  formation.  L'examen  de  la  bouche 
permet  de  remonter  tout  de  suite  à  la  cause  première  des  accidents.  Dans  le  cas 
de  périoslite,  la  troisième  molaire  est  visible  au  fond  delà  bouche,  faisant  saillie 
à  sa  place  normale  au  travers  de  la  muqueuse  plus  ou  moins  enflammée.  Elle 
est  souvent  attaquée  de  carie,  ce  qui  est  déjà  une  présomption,  puis,  en  même 
temps  qu'elle  est  sensible  à  la  pression,  elle  est  ébranlée  et  mobile  sous  les 
instruments.  A-t-on  affaire  à  des  accidents  de  l'éruption,  d'abord  la  dent  peut 
faire  défaut,  être  restée  incluse,  ou  bien  l'on  n'en  aperçoit  qu'un  petit  coin  sous 
une  ulcération  de  la  muqueuse;  si  elle  est  un  peu  plus  découverte,  la  pression 
exercée  sur  la   couronne  est  très-douloureuse,  mais   la  dent  comprimée  de 
toute  part   est  absolument  immobile. 

Carie.  Nous  dirons  peu  de  chose  du  diagnostic  différentiel  de  la  périostite 
et  de  la  carie  dont  les  caractères  sont  si  particuliers.  Les  deux  affections  coexis- 
tent fréquemment  sur  la  même  dent,  l'une  n'étant  qu'une  complication  de  l'autre, 
mais  très-souvent  il  y  a  des  caries  sans  périostite  consécutive  et  des  périostites 
sans  carie  préalable.  Les  douleurs  qui  pourraient  alors  induire  en  erreur 
quelqu'un  de  peu  exercé  sont  dues  le  plus  souvent  à  une  inflammation  de  la 
pulpe  :  nous  n'en  dirons  donc  rien  pour  le  moment,  ayant  traité  celte  question 
à  propos  de  la  pulpite. 

Los  dents  affectées  de  caries  très-légères,  ou  chez  lesquelles  la  pulpe  a  com- 
plètement disparu,  sont  insensibles  en  dehors  de  toute  complication  périostale  : 
nous  les  laissons  donc  de  côté.  Mais  les  dents  cariées  et  dont  la  pulpe  n'est  pas 
détruite  peuvent,  sans  qu'il  y  ait  inflammation  de  cet  organe,  présenter  des 
phénomènes  douloureux  dans  des  circonstances  diverses.  Le  caractère  de  ces 
douleurs  permet  facilement  de  les  distinguer  de  celle  de  la  périostite.  L'ira- 
presion  des  liquides  froids  est  douloureuse  dans  les  caries  du  deuxième  de<^ré 
un  peu  profondes  et  bien  davantage  encore  dans  les  caries  du  troisième  où"  la 
pulpe  est  à  découvert.  Mais  c'est  une  douleur  vive,  instantanée,  avec  irridiations 
névralgiques  multiples,  disparaissant  rapidement  dès  que  la  cause  qui  l'a  pro- 
duite cesse  d'agir,  tandis  que  la  douleur  de  la  périostite  est  sourde,  continue- 
à  la  première  période,  les  liquides  froids  l'exagèrent,  il  est  vrai,  mais  ce  n'est 
point  d'une  façon  aussi  vive  et  surtout  aussi  instantanée;  elle  n'éclate  pas  tout 
d'un  coup  avec  une  violence  extrême.  Et  lorsque  dans  le  cours  d'une  périostite 
bien  caractérisée,  arrivée  à  cette  période  aiguë,  on  voit  les  liquides  froids  exac^é- 
rer  instantanément  les  phénomènes  douloureux,  on  peut  affirmer  qu'il  reste^au 


260  DENT   (pathologie). 

moins  dans  une  racine  des  débris  de  pulpe.  La  succion  pratiquée  avec  la  langue 
dans  ces  caries  du  troisième  degré  provoque  la  même  douleur  avec  les  mêmes 
caractères  d'instantanéité,  tandis  que  dans  les  cas  de  périostite  la  succion  no 
produit  absolument  rien.  Enfin  on  n'observe  dans  la  carie  ni  l'ébranlement  de 
la  dent  ni  la  douleur  à  la  percussion. 

L'exploration  du  fond  de  la  cavité  avec  les  instruments  est  douloureuse  dans 
les  caries  avancées  du  deuxième  degré  et  provoque  de  vives  douleurs  dans  celles 
du  troisième  lorsque  l'instrument  arrive  sur  la  pulpe;  dans  la  périostite,  pour 
provoquer  de  la  douleur,  il  faut  que  l'exploration  soit  faite  avec  assez  peu  de 
ménagements  pour  amener  l'ébranlement  de  la  dent. 

Pulpite.  Nous  avons  vu,  à  propos  de  l'étiologie,  que  la  pulpite  était  souvent 
l'origine  de  la  périostite,  les  symptômes  de  cette  dernière  affection  viennent 
alors  s'ajouter  à  ceux  de  la  première.  Endeborsde  cette  simultanéité,  il  importe 
de  bien  établir  les  caractères  différentiels  de  ces  deux  affections,  le  traitement 
indiqué  pour  l'une  pouvant  fort  bien,  en  cas  d'erreur,  exagérer  les  symptômes 
et  aggraver  les  douleurs  du  malade,  au   lieu  de  lui  apporter  quelque  soula- 


gement. 


L'analogie  de  symptômes  est  surtout  accusée  à  la  première  période,  au  moins 
quant  à  la  sensation  de  tension,  de  corps  étranger  au  niveau  de  la  dent  atteinte. 
Dès  le  début  cependant  le  sentiment  d'étranglement  est  déjà  plus  marqué  et  il 
y  a  de  petites  crises  douloureuses  dans  l'inflammation  de  la  pulpe  ;  le  malade 
n'éprouve  pas  ce  besoin  constant  de  pression  exercée  avec  les  dents  oppo.-ées  ;  les 
liquides  chauds  et  les  liquides  froids  exagèrent  la  douleur,  les  tièdes  plus  que  les 
froids  ;  on  n'observe  pas  de  liséré  sur  la  gencive  au  niveau  de  la  dent  atfectée. 
Dans  la  péi'iostite,  au  contraire,  outre  les  caractères  de  la  douleur,  plus  sourde 
et  continue  avec  besoin  de  pression  sur  l'organe  malade,  rimpre>sion  produile 
par  les  liquides  tièdes  est  bienfaisante,  tendis  que  le  froid  est  douloureux  et  le 
collet  de  la  dent  est  entouré  d'un  petit  cercle  livide. 

A  uue  période  plus  avancée,  alors  que  l'inflammation  est  confirmée,  les 
caractères  différentiels  sont  encore  bien  plus  marqués.  Des  crises  douloureuses 
d'une  violence  extrême  caractérisent  la  pulpite,  la  pression  et  la  |  ercussion  ne 
sont  I  as  douloureuses,  au  moins  la  percussion  verticale,  car,  en  frappant  un 
peu  vigoureusement  sur  une  des  faces  de  la  dent,  on  peut  de  cette  façon  pro- 
voquer un  ébranlement  douloureux  de  la  pulpe;  la  dent  n'est  pas  allongée,  ni 
ébranlée.  Pour  la  périostite  :  la  rougeur  limitée  du  début  a  envabi  dans  toute 
sa  bauteur  la  gencive,  qui  est  en  même  temps  gonflée  et  douloureuse  à  la  pres- 
sion; la  dent  est  allongée,  mobile,  douloureuse  à  la  percussion. 

Dans  les  deux  cas  les  liquitles  chauds  exagèrent  la  douleur,  tandis  que  les 
liquides  froids  la  calment,  mais  ce  qui  différencie  la  pulpite  d'une  façon  bien 
nette,  c'est  l'instantanéité  de  l'impression. 

L'inflammation  de  la  pulpe  peut  aboutir  à  la  suppuration  tout  aussi  bien 
que  la  périostite,  et  dans  une  carie  pénétrante  cet  écoulement  de  pus  par  le 
canal  denlaire  peut  en  imposer  momentanément  pour  une  périostite  suppurée.  La 
distinction  est  facile  cependant,  la  cessation  absolue  de  tous  les  symptômes 
accompagne  cette  terminaison  dans  la  pulpite  ;  un  calme  complet  succède  aux 
crises  douloureuses  qui  l'ont  précédé;  le  pus  est  épais,  verdàtre,  il  ne  s'en  écoule 
qu'une  petite  quantité  et  il  se  tarit  rapidement  par  la  disparition  de  la  pulpe. 
Dans  la  pério>tite,  cette  terminaison,  même  quand  la  sup|iuration  va  passera 
l'état  clii'onique,  n'est  pas  suivie  par  la  disparition  de  tous  les  symptômes.  Tout 


DENT  (pathologie).  261 

en  s'amendant,  les  douleurs  spontanées  persistent  encore  quelque  temps,  il  en 
est  de  même  des  douleui's  provoquées  par  la  pression  et  la  percussion.  La  dent 
reste  aussi  allongée  et  ébranlée  un  certain  temps,  enfin  les  caractères  du  pus 
sont  très-diflVrenls,  c'est  un  pus  clair,  un  peu  séreux,  dont  l'écoulement  est 
très-peu  abondant,  il  est  vrai,  surtout  au  bout  de  quelques  Jours,  mais  constant. 
Il  serait  facile  aussi  de  reconnaître  une  périostile  chronique  suppurant  depuis 
longtemps  el  chez  laquelle  l'introduction  d'un  corps  étranger  dans  sa  cavité  ou 
une  obturation  seraient  venues  mettre  obstacle  à  l'écoulement  du  liquide.  Dans  ce 
cas,  le  passage  à  l'état  aigu  s'annonce  par  tous  les  symptômes  de  la  périostile 
aiguë  dont  nous  avons  établi  les  caractères  diflérentiels. 

Stomatiles,  gingivites.  Les  stomatites  simples  ou  spécifiques,  diplithéri- 
liques  ou  autres,  ne  peuvent  induire  en  erreur.  Elles  occupent  toute  la  muqueuse 
buccale  débutant  par  un  point  quelconque,  les  joues,  la  langue,  les  amygJales, 
et  présentant  des  caractères  spéciaux. 

La  gingivite  ne  commence  pas  par  un  point  isolé,  elle  occupe  toute  l'étendue 
ou  au  moins  une  notable  étendue  de  la  gencive  et,  quand  elle  amène  rébranlcmenl 
des  dents,  c'est  là  le  plus  souvent  un  phénomène  consécutif  el  ijui  porte  à  la 
fois  sur  plusieurs  dents. 

Névralgie  dentaire.  La  névralgie  dentaire  essentielle,  assez  rare  du  reste, 
se  distingue  facilement  des  douleurs  de  la  périostile.  Elle  occupe  tout  un  cùlé 
des  mâchoires  en  haut  ou  en  bas,  quelquefois  en  haut  et  en  bas  à  la  fois,  elle 
subit  des  paroxysmes  revenant  surtout  à  intervalles  réguliers.  Toutes  les  dents 
innervées  par  une  même  branche  sont  douloureuses,  mais  ne  présentent  pas 
d'ébranlement.  Les  douleurs  irradiées  le  long  des  trajets  nerveux  sont  particu- 
lièrement aiguës  au  niveau  des  points  d'émergence  des  filets  superficiels  men- 
tonniers,  sus  et  sous-orbitaires.  Le  traitement  habituel  de  la  névralgie  fait 
disparaître  tous  ces  accidents  et  reste  sans  effet  sur  la  périostile.  l'ielkiewicz, 
il  est  vrai,  a  cité  le  fait  d'une  périostile  intermittente  qu'il  a  cru  pouvoir 
attribuer  à  des  influences  paludéennes,  et  nous  savons  que  la  périostile  peut 
déterminer  des  névralgies  faciales.  Il  est  donc  probable  que  dans  le  cas 
d'une  telle  coïncidence  le  traitement  amènerait  à  la  fois  la  disparition  de  la 
névralgie  et  de  la  périostile,  mais  encore  la  névralgie  n'aurall-elle  été  que 
consécutive. 

Tumeurs  du  périoste,  exosloses  du  cément.  Nous  ne  croyons  pas  devoir 
insister  sur  la  question  de  diagnostic  différentiel  à  propos  des  tumeurs  du 
périoste  aussi  bien  que  pour  les  exosloses  du  cément.  Nous  verrons  eu  effet 
que  le  plus  souvent  ces  tumeurs  avec  leurs  variétés  ne  montrent  que  l'exagéra- 
tion des  phénomènes  ordinaires  de  la  périostile. 

Abcès  alvéolaire,  résorption  spontanée  des  racines.  Nous  ne  ferons  pas  non 
plus  le  diagnostic  des  abcès  alvéolaires  et  des  abcès  sous-périostau.v,  qui  ne  sont 
que  la  terminaison  de  la  périostile  par  suppuration  avec  une  marche  rapide, 
aiguë,  et  tous  les  phénomènes  consécutifs  pour  les  premiers,  tandis  que  les 
seconds,  avec  leur  marche  lente  et  progressive,  président  ordinairement  à  la 
formation  des  kystes  de  la  mâchoire. 

Ce  que  l'on  a  encore  décrit  sous  le  nom  de  résorption  spontanée  des  racines 
des  dents  permanentes  n'est  qu'une  conséquence  des  phénomènes  de  résorption 
dans  le  cas  de  périostile  chronique  ou  de  poussées  successives  de  périostile. 

F.  Pronostic.  La  périostile  alvéolo-dentaire  peut,  il  est  vrai,  causer  de  Lien 
vives  douleurs  et  donner  lieu,  dans  certains  cas,  à  quelques  phénomènes  gêné- 


962  DENT  (pathologie). 

raux,  mais,  par  elle-même,  elle  n'offre  jamais  de  gravité,  elle  ne  devient  véri- 
tablement sérieuse  que  par  les  complications  qu'elle  peut  amener.  C'est  donc  sur 
rimmiueuce  plus  ou  moins  grande  de  ses  complications  que  repose  le  pronostic 
de  la  périostite.  Or,  ces  complications  variant  dans  leur  nature  et  dans  leur 
fréquence  suivant  le  siège  de  la  dent  affectée,  c'est  donc  le  siège  même  de  la 
périostite,  à  l'une  ou  à  l'autre  mâchoire,  et  le  rang  occupé  par  la  dent  malade, 
dans  l'une  des  deux  arcades  dentaires,  qui  deviendront  les  principaux  éléments 
du  pronostic. 

Ainsi,  toutes  choses  égales  d'ailleurs,  une  périostite  de  la  mâchoire  inférieure 
sera  toujours  plus  grave  que  celle  de  l'arcade  dentaire  opposée.  Le  phlegmon, 
les  abcès  périmaxillaires,  sont  plus  fréquents  dans  ce  cas  ;  les  altérations  consé- 
cutives des  mâchoires  plus  graves  ;  l'extension  des  accidents  inflammatoires  du 
côté  du  cou,  de  la  poitrine,  sont  plus  à  craindre.  Alors  même  que  les  compli- 
cations ne  prennent  pas  une  gravité  extrême,  la  terminaison  des  abcès  péri- 
maxillaires  par  une  fistule  interne  est  la  règle  à  la  mâchoire  supérieure,  tandis 
qu'en  bas  les  accidents  du  côté  de  la  peau  sont  plus  fréquents. 

A  la  mâchoire  inférieure  même,  le  pronostic  variera  suivant  la  dent  atteinte. 
Les  dents  antérieures  canines  et  incisives,  dont  le  sommet  ne  dépasse  pas  le  cul- 
de-sac  alvéolo-labial,  exposent  à  moins  de  désordres  consécutifs  que  les  molaires 
et  surtout  que  la  troisième,  en  raison  de  leurs  rapports  anatomiques.  A  la 
.  mâchoire  supérieure,  si  une  périostite  des  canines  ou  des  incisives  peut  faire 
craindre  quelques  complications  du  côté  des  fosses  nasales,  on  pourra  redouter 
l'extension  de  l'inflammation  du  périoste  des  prémolaires  et  de  la  première 
molaire  surtout  à  la  muqueuse  du  sinus  maxillaire. 

Selon  que  l'inflammation  occupe  une  plus  ou  moins  grande  portion  du  périoste 
dentaire,  l'affection  sera  aussi  plus  ou  moins  bénigne,  une  périostite  partielle 
étant  toujours  moins  grave  qu'une  périostite  totale. 

La  cause  de  la  périostite  n'est  point  sans  importance,  non  plus  que  la  violence 
qui  l'a  déterminée.  Si  celle-ci  n'a  pas  été  extrême  et  n'a  pas  amené  de  lésions  de 
voisinage,  la  périostite  traumatique  a  le  plus  souvent  une  terminaison  heureuse 
et  rapide.  La  périostite  spontanée  ou  de  cause  générale  offre  ceci  de  particulier 
qu'elle  expose  le  malade  à  des  rechutes  fréquentes  ;  de  plus,  elle  nous  a  paru, 
plus  que  toute  autre,  avoir  une  tendance  au  passage  à  l'état  chronique.  C'est  la 
marche  même  de  la  périostite  qui  lui  donne,  en  effet,  plus  ou  moins  de  gravité. 
La  périostite  subaiguë  est  le  plus  souvent  une  affection  si  légère  qu'elle  mérite 
à  peine  l'attention  ;  à  l'état   aigu,  outre  les  douleurs  qu'elle  occasionne,  elle 
expose  à  toutes  les  complications  inflammatoires  du  voisinage  dont  nous  avons 
fait  l'étude  et  elle  peut,  en  outre,  se  terminer  par  le  passage  à  l'état  chronique, 
c'est-à-dire  en  donnant  lieu  à  une  affection  d'une  durée  indéfinie,  à  moins  d'une 
intervention  chirurgicale  :  c'est  ainsi  qu'une  périostite  chronique  du  sommet, 
curable  par  la  résection  de  celte  partie  de  la  racine,  offrira  plus  de  chance 
de  guérison  qu'une  périostite  limitée  à  une  des  faces. 

Le  tempérament,  l'état  de  santé  général  du  malade,  influent  beaucoup  sur  la 
marche  et  la  terminaison  de  l'affection.  Les  lymphatiques,  les  scrofuleux,  les 
individus  débilités,  seront  plus  que  personne  exposés  aux  engorgements  ganglion- 
naires, aux  suppurations,  etc. 

Une  périostite  qui,  chez  toute  autre,  pourrait  paraître  une  affection  sans 
conséquence,  revêt,  au  contraire,  un  caractère  d'une  gravité  extrême,  quand  elle 
aiteiiTt  des  individus  exerçant  certaines  professions,  les  ouvriers,  par  exemple. 


DENT   (patiioi,0(;ie).  263 

qui  travaillent  dans  les  ateliers  de  trempage  et  de  mise  en  boîtes  des  allumetleà 
chimiques.  C'est  en  effet  une  menace,  le  premier  indice  delà  nécrose  phosphorée 
ou  plutôt  de  la  périostite  et  de  l'ostéite  phosphorées. 

G.   Traitement.     Le  traitement  de  la  périostite  compreni  deux  problèmes 

qui  sont  : 

4»  La  thérapeutique  de  la  périostite  et  de  ses  accidents  immédiats; 
2°  Les  pratiques  opératoires  destinées  à  conserver  l'organe  et  lui  permettre 
de  recouvrer  ses  usages. 

Nous  ne  dirons  rien  de  la  prophylaxie  de  la  périostite  alvéolo-dentaire,  car, 
s'il  est  difficile  de  se  mettre  à  l'abri  des  causes  générales  ou  traumaliques  sous 
l'influence  desquelles  elle  peut  se  développer,  nous  ne  pourrions  que  faire  des 
recommandations  banales  sur  l'hygiène  de  la  bouche,  sur  la  nécessité  de  ne  pas 
laisser  le  tartre  s'accumuler  au  collet  des  dents,  sur  le  danger  des  obturations 
mal  faites  ou  intempestives.  Inutile,  croyons-nous.de  faire  ressortir  rimporlancc 
du  traitement  rationnel  de  la  carie  dentaire,  comme  moyen  préventif  de   la 
périostite.  En  effet,  si  la  carie  peut  déjà  par  elle-même  produire  des  phénomènes 
douloureux,  intenses,  et  amener  une  grande  gène  des  fonctions  de  la  digestion 
après  la  disparition  d'un  certain  nombre  de  dents,  c'est  surtout  par  la  périostite 
consécutivement  développée  qu'elle  devient  grave  ;  c'est  par  son  intermédiaire 
qu'elle  peut  produire  les  complications  les  plus  étendues  et  les  plus  désas- 
treuses. 

Avant  d'aborder  le  traitement  curatif  de  la  périostite  alvéolo-dentaire,  disons 
tout  de  suite  aussi  qu'un  des  éléments  importants  du  traitement  est  la  recherche 
de  la  cause  qui  a  donné  lieu  à  la  maladie  et  que  souvent  il  suffit  de  supprimer 
cette  cause  pour  amener  la  guérison  de  la  périostite.  Ainsi  rinflammation  du 
périoste  dentaire  occasionnée  par  un  appareil  de  prothèse  défectueux  disparaîtra 
par  la  suppression  de  cet  appareil  et  son  remplacement  p>r  un  aulrc  mieux 
approprié.  11  suflîra  de  donner  un  coup  de  lime  sur  une  obturation  qui  débordait 
la  cavité  d'une  carie  pour  voir  céder  une  périostite  consécutive  à  l'irritation  du 
périoste  produite  par  ce  contact.  L'enlèvement  d'une  obtiu'ation  ou  sa  perfo- 
ration amènera  la  fin  de  tous  les  accidents  aigus  produits  par  la  rétention  des 
liquides  sécrétés  dans  une  dent  atteinte  de  périostite  chronique.  Le  traitement  de 
la  pulpite  par  les  opiacés  et  les  anestliésiques  ou  la  destruction  de  la  pulpe  par 
les  caustiques  dans  une  carie  pénétrante  amènera  de  même  la  guérison  d'une 
périostite  consécutive  à  l'inflammation  de  la  pulpe. 

Le  traitement  curatif  de  la  périostite  varie  suivant  la  forme,  le  degré  de  la 
maladie.  Nous  aurons  donc  à  étudier  : 

i''Le  traitement  delà  périostite  subaiguë; 
2°  Le  traitement  de  la  périostite  aiguë  ; 

3°  Le  traitement  de  la  périostite  chronique.  Mais  nous  verrons  que  pour  cette 
dernière  il  y  a  lieu  d'étudier  en  plus  un  traitement  palliatif  auquel  le  chirur- 
gien doit  avoir  fréquemment  recours. 

1"  Traitement  de  la  périostite  suhaiguë.  Le  traitement  est  ordinairement 
des  plus  simples,  toujours  local,  et  le  plus  souvent  même  la  périostite  dis- 
paraît spontanément.  II  est  rare  du  reste  d'être  consulté  à  ce  moment  par  les 
malades  :  ils  supportent  patiemment  cette  gêne  assez  légère  dans  l'espoir  sou- 
vent justifié  qu'elle  disparaîtra  toute  seule,  et  ce  n'est  que  lorsque  l'affection 
plus  intense  a  pris  déjà  des  caractères  aigus  qu'ils  viennent  demander  conseil. 
Elle  ne  se  présente  guère  à  l'observation  du  praticien  que  lorsqu'elle  lui  débute 


264  DEi>JT  (pathologie). 

sous  les  yeux,  pour  ainsi  dire,  dans  le  cours,  par  exemple,  du  traitement  de  la 
carie  dentaire, 

A  cette  période  l'usage  de  décoctions  tièdes,  émollienteset  narcotiques,  comme 
la  décoction  de  guimauve  et  de  pavot,  donne  de  bons  résultats  et  suffit  souvent. 
Le  malade  conserve  chaque  fois  ce  liquide  dans  la  bouche  et  le  maintient  un 
certain  temps  au  contact  de  la  dent  affectée,  de  façon  à  l'y  faire  baigner. 

Quelques  applications  irritantes  sur  la  gencive,  telles  que  la  teinture  d'iode, 
le  collodion  cantharidé,  peuvent  aussi  rendre  service.  L'action  de  l'acide  chro- 
mique  pur  légèrement  appliqué  sur  la  gencive  à  l'aide  d'une  mince  baguette 
de  bois  est  particulièrement  eflicace  et  nous  a  souvent  suffi  sans  avoir  recours  à 
d'autres  moyens. 

Lorsque  la  périostite  est  consécutive  à  une  carie,  ce  qui  réussit  le  mieux, alors 
même  qu'on  néglige  tout  autre  chose,  est  l'emploi  des  opiacés,  une  petite 
boulette  de  coton  soigneusement  imbibée  de  teinture  d'opium  ou  de  laudanum 
de  Rousseau  est  placée  dans  la  cavité.  La  façon  de  procéder  au  pansement  est 
très-importante  dans  le  traitement  de  la  périostite  à  tous  les  degrés,  et  nous  l'in- 
diquerons tout  de  suite  pour  n'avoir  pas  à  y  revenir,  mais  c'est  surtout  dans  les 
caries  pénétrantes  ([u'il  faut  suivre  ce  précepte.  Au  lieu  de  calmer  les  accidents 
et  d'amener  le  résullat  qu'on  est  en  droit  d"atlendrc  des  opiacés,  un  pansement 
mal  appliqué  ne  peut  en  elfet  qu'aggraver  l'affection  et  augmenter  les  souffrances 
du  malade.  Le  coton  bien  mouillé,  mais  peu  serré,  doit  être  placé  très-légère- 
ment d.ins  la  cavité,  sans  aucune  compression.  Souvent,  en  effet,  il  se  fait 
un  petit  suintement  par  le  canal  dentaire,  et  si  le  pansement,  quel  qu'il  soit, 
metobstacle  à  son  écoulement,  les  symptômes  n'en  deviennent  que  plus  aigus  et 
plus  douloureux.  L'emploi  des  opiacés  n'est  pas  aussi  efficace  dans  les  périostites 
spontanées,  il  y  est  moins  commode  d'abord,  car  il  n'y  a  pas  de  cavité  pour  le 
recevoir.  Cependant,  quand  il  existe  un  intervalle  suffisant  dû  à  l'écarfement  nor- 
mal des  dents  ou  à  une  extraction  antécédente,  ou  peut  appliquer  un  pansement 
opiacé  au  collet  de  la  dent,  mais  il  faut  bien  veiller  à  ce  qu'il  ne  détermine 
pas  de  compression  sur  la  gencive  ou  sur  la  dent  elle-même. 

2"  Traitement  de  la  périostite  aiguë.  A  cette  période  le  traitement  de  la 
périostite  est  le  plus  souvent  encore  purement  local,  mais  il  peut  se  produire  des 
phénomènes  généraux  dus  à  la  violence  des  accidents  locaux  et  nécessitant  l'em- 
ploi d'un  traitement  approprié.  Nous  ne  parlons  pas  ici,  bien  entendu,  de  tous 
les  phénomènes  généraux  qui  pourraient  se  trouver  sous  la  dépendance  des  com- 
plications. Nous  croyons  inutile  d'insister  sur  cette  partie  du  traitement,  qui 
ne  diffère  en  rien  de  la  thérapeutique  habituelle  des  accidents  fébriles,  mais 
nous  croyons  devoir  nous  élever  contre  l'emploi  de  moyens  tels  que  la  saignée, 
lorsque  les  accidents  de  la  périostite  sont  purement  locaux  et  quelle  que  soit 
leur  intensité.  D'une  utilité  contestable  sur  la  marche  de  la  périostite,  elle  n'a 
d'autre  résultat  que  d'affaiblir  inutilement  le  malade.  Sans  proscrire  les  pur- 
gatifs d'une  façon  aussi  absolue,  nous  devons  dire  que  leur  emploi  est  le  plus 
souvent  inutile  et  n'a  d'indication  que  dans  l'acuité  des  symptômes. 

Aux  moyens  locaux  indiqués  pour  la  période  précédente,  mais  parmi  lesquels 
il  nous  faudra  supprimer  les  lotions  tièdes  dans  la  bouche,  devenues  intolérables, 
nous  ajouterons  les  cataplasmes  en  permanence  sur  la  joue,  l'emploi  du  cautère 
actuel  à  titre  de  révulsif,  les  applications  de  sangsues,  les  scarifications  de  la 
gencive. 

Les  cautérisations,  pratiquées  dans  ce  cas  avec  le  fer  rouge  ou  le  galvano- 


DË.\T    (pATIIOLOr.lE).  265 

cautère,  doivent  être  légères,  multiples,  et  occuper  toute  la  hauteur  de  l'alvéole 
affecté;  ce  sont  des  pointes  de  feu. 

Les  émissions  sanguiniïs  locales  obtenues  à  l'aide  d'une  sangsue  donnent  les 
meilleurs  résultats,  c'est  le  remède  par  excellence  pour  la  périostite  aiguë 
franche,  et  il  est  absolument  exceptionnel  de  uc  pas  le  voir  amener  la  guérison. 
Le  calme  ne  succède  pas  toujours  à  l'application,  mais  il  larde  peu  et  annonce  la 
disparition  graduelle  de  tous  les  accidents.  Lorsque  ce  moyen  échoue,  il  faut  le 
plus  souvent  attribuer  l'insuccès  à  la  façon  dont  l'appliciilion  a  clé  faite.  Le  point 
d'application  sur  la  gencive  est,  en  eifet,  la  chose  importante  avant  tout,  et  il 
suffit  de  peu  de  chose  pour  rendre  inutile  cette  saignée  locale  ou  pour  qu'elle  ne 
donne  qu'un  résultat  incomplet.  La  sangsue  doit  être  appli((uée  sur  la  gencive, 
bien  exactement  au  niveau  de  la  dent  malade,  à  égale  distance  à  peu  près  de 
son  bord  li))re  et  du  cul-de-sac  muqueux  du  vestibule.  De  petits  tubes  spéciaux 
facilitent  cette  opération  en  permettant  de  porter  l'animal  à  la  place  indiquée 
et  en  l'obligeant  à  se  fixer  juste  où  l'on  veut.  Une  fois  prise,  on  abandonne  la 
sangsue  jusqu'à  ce  qu'elle  se  détache  d'elle-même;  immédiatement  après,  on 
peut  encore  prescrire  l'usage  de  lotions  tièdes,  de  laçon  à  favoriser  un  pou 
l'écoulement  du  sang,  auquel  on  ne  doit  mettre  obstacle,  par  les  moyens  habi- 
tuels, que  s'il  menaçait  de  devenir  trop  abondant,  ce  qui  est  fort  rare  dans  ces 
conditions, 

La  répugnance  qu'inspirent  à  beaucoup  de  personnes  l'inlioduclion  et  le 
séjour  d'une  sangsue  dans  la  bouche  a  l'ait  naître  le  désir  de  la  remplacer  par 
d'autres  moyens,  mais  jusqu'ici  les  essais  tentés  à  cet  égard  sont  restés  infruc- 
tueux ou  peu  s'en  faut.  Les  scarifications  de  la  g^•ncive  sullisent  lorsque  la  pério- 
stite  n'est  pas  aiguë,  mais  restent  sans  effet  dès  que  l'affection  est  un  peu  plus 
intense.  Cette  petite  opération  peut  se  faire  avec  le  bistouri  ordmiiire  ou  même 
avec  la  lancette,  quand  il  s'agit  d'une  dent  antérieure,  mais  on  emploie  de  préfé- 
rence, pour  cet  usage,  un  petit  bistouri  spécial  dont  la  lame,  qui  n'a  pas  plus 
de  \  centimètre  et  demi  de  longueur,  se  trouve  montée  sur  un  manche  d  acier 
mince  et  cylindrique  de  12  à  15  centimètres;  il  est  ainsi  facile  de  porter  le 
tranchant  jusqu'au  fond  de  la  bouche  sans  se  masquer  la  lumière.  On  entretient 
ensuite  l'écoulement  sanguin  à  l'aide  de  liquides  chauds. 

Des  ventouses  spéciales  portant  des  scarificateurs,  des  sangsues  artificielles, 
puisqu'on  les  a  ainsi  nommées,  ont  été  inventées  pour  remplacer  la  sangsue, 
mais  ces  appareils  nombreux  et  variés  ne  témoignent  guère  que  de  l'imagination 
de  leurs  auteurs  sans  rendre  aucun  service.  En  attendant  de  nouveaux  perfec- 
tionnements, nous  croyons  donc  inutile  de  décrire  des  instruments  dont  l'emploi, 
plus  ou  moins  facile  dans  la  bouche,  n'a  pas  donné  jusqu'ici  de  résultat  satis- 
faisant. 

Quand  la  périostite  est  très-aiguë,  il  est  avantageux  de  prescrire  le  chlorate 
de  potasse  concurremment  aux  moyens  indiqués.  L'action  du  chlorate  de  potasse, 
si  remarquable  déjà  dans  toutes  les  stomatites,  est,  en  effet,  des  plus  évidentes 
aussi  dans  la  périostite.  A  haute  dose  peut-être  agit-il,  dans  ce  cas,  d'une  façon 
générale,  mais  son  action  utile  est  surtout  une  action  locale  ;  nous  savons,  en 
effet,  que  son  élimination  est  des  plus  ra|)ides  et  qu'elle  se  fait  principalement  par 
les  glandes  de  la  bouche,  par  la  salive  qui  forme  ainsi  dans  la  cavité  buccale  une 
solution  de  chlorate  de  potasse.  Aussi,  dans  le  but  de  concourir  encore  à  cette 
action,  avons-nous  l'habitude  de  prescrire  ce  sel  en  pastilles  que  le  malade  laisse 
fondre  entre  la  gencive  et  la  joue,  le  plus  près  possible  de  la  dent  atteinte. 


266  DENT  (pathologie). 

Nous  recommandons  encore,  dans  ce  cas,  l'emploi  des  pastilles  contenant  une 
plus  forte  dose  de  chlorate  de  potasse  que  celles  que  l'on  trouve  dans  le  com- 
merce, des  pastilles  de  30  à  35  centigrammes,  par  exemple,  de  sorte  que  le 
malade  ne  soit  pas  obligé  d'en  prendre  un  trop  grand  nombre  pour  obtenir  une 
dose  suffisante.  Quoique  plus  riches  en  substance  active,  ces  pastilles  peuvent 
être  très-petites  et  très-minces.  On  peut  aussi  prescrire  le  chlorate  en  potion, 
mais  son  action  est  moins  efficace;  il  en  est  de  même  des  gargarismes,  qui 
sont  cependant  utiles;  néanmoins,  lorsque  les  malades  répugnent  à  l'emploi 
des  pastilles,  nous  croyons  préférable,  en  imitant  la  pratique  de  M.  Gosselin,  de 
faire  appliquer  sur  la  gencive  une  bande  d'ouate  imbibée  dans  une  solution 
saturée,  c'est  là  un  véritable  cataplasme  de  chlorate  de  potasse. 

3"  Traitement  de  la  périoslite  chronique.  Nous  savons  que  la  périostite 
chronique  se  présente  sous  deux  aspects  diflerents.  Dans  une  variété,  les  éléments 
du  périoste  ont  pris  un  développement  exagéré  ;  dans  l'autre,  l'inllammatioii 
s'est  terminée  par  suppuration  et  il  est  survenu  consécutivement  une  ostéite  et 
une  nécrose  partielle  du  cément  qui  perpétuent  maintenant  l'écoulement.  Le 
traitement  variera  suivant  qu'il  s'adressera  à  l'une  ou  à  l'autre  de  ces 
variétés. 

Lorsqu'une  périostite  aiguë  menace  de  passer  à  l'état  chronique  par  le  déve- 
loppement des  éléments  du  périoste  alvéolo-dentaire,  on  retire  souvent  de 
grands  avantages  d'une  saignée  locale.  Une  application  de  sangsues,  dans  ce 
cas,  peut  faire  revenir  l'affection  à  l'état  aigu,  et  les  moyens  usités  à  cette 
période  peuvent  souvent  conduire  alors  à  la  guérison  d'une  affection  qui,  sans 
cela,  se  serait  indéfiniment  prolongée  jusqu'à  la  chute  de  l'organe  atteint.  Lors- 
qu'on n'a  pu  s'opposer  ainsi  au  passage  de  l'affection  à  l'état  chronique  ou 
lorsqu'on  n'est  pas  consulté  à  temps,  des  cautérisations  sur  la  gencive  avec  le 
cautère  actuel  peuvent  enrayer  la  marche  lentement  progressive  de  l'affection, 
quelquefois  même  amener  sa  guérison.  Dans  ce  cas,  les  cautérisations  doivent 
être  nombreuses,  profondes,  pratiquées  à  l'aide  d'un  cautère  en  boule  sur- 
montée d'une  pointe  amincie;  on  doit  faire  là,  en  un  mot,  de  l'ignipuncture 
sur  toute  la  hauteur  de  l'alvéole.  En  même  temps  aussi  on  peut  faire  au  niveau 
du  bord  des  applications  énergiques  d'acide  chromique. 

Le  traitement  doit  être  tout  autre  lorsque  la  périostite  chronique  entretient  un 
suintement  de  sérosité  purulente.  Le  chirurgien  trouvera,  dans  ce  cas,  des  indi- 
cations particulières  suivant  l'issue  choisie  par  le  pus,  les  complications  consé- 
cutives, le  siège  de  la  dent  malade,  etc.,  et  le  traitement  sera  ou  palliatif  ou 
curatif. 

Traitement  palliatif.  Sans  prétendre  à  la  guérison  de  la  périostite  chronique, 
le  traitement  palliatif  se  propose  de  mettre  la  maladie  dans  des  conditions  telles 
que  son  existence  soit  compatible  avec  la  conservation  de  la  dent  et  l'usage  de 
ses  fonctions.  Pour  cela,  le  chirurgien  s'efforcera  de  copier  ce  qui  se  produit 
souvent  spontanément  sous  ses  yeux.  Il  est  fréquent,  en  effet,  de  voir  une  périos- 
tite chronique  ne  plus  entraîner  aucune  gêne  pour  le  malade,  alors  que  le  pus 
trouve  une  issue  facile  au  collet  de  la  dent  après  avoir  décollé  le  périoste,  ou 
bien  à  la  gencive  par  la  formation  d'une  fistule  muqueuse.  Les  fistules  cutanées 
arrivent  bien  au  même  résultat,  mais  nous  ne  pouvons  regarder  comme  une 
terminaison  heureuse  la  production  d'une  difformité  pour  laquelle  on  réclame 
si  souvent  l'intervention  chirurgicale.  Les  accidents  douloureux  disparaissent, 
l'écoulement  se  régularise,  diminue  d'une  façon   notable,  au  point  de  passer 


DENT  (pathologie).  267 

inaperçu  ;  le  plus  souvent,  le  malade  croit  à  sa  guérison  complète,  ne  soupçon- 
nant pas  parfois  l'existence  d'une  fistule  en  un  point  de  sa  gencive. 

La  position  est  tout  autre,  au  contraire,  alors  que  l'écoulement  se  fait  par  le 
canal  dentaire  :  La  cavité  de  la  pulpe  étant  confondue  avec  celle  de  la  carie,  l'in- 
troduction de  parcelles  alimentaires  jusque  dans  l'inférieur  des  canaux  den- 
taires est  une  cause  d'irritation  constante  pour  le  périoste  alvéolo-dcntaire.  Elles 
entretiennent  ainsi  une  suppuration  abondante  et  fétide  et  perpétuent  un  état 
peu  douloureux,  il  est  vrai,  mais  assez  cependant  pour  condamner  à  l'inaction 
tout  un  côté  de  la  bouche.  De  temps  à  autre,  du  reste,  se  déclarent  des  crises 
tout  à  fait  aiguës  lorsqu'un  corps  étranger  accidentellement  introduit  est  venu 
mettre  un  obstacle  à  l'écoulement  des  produits  inflammatoires  en  oblitérant 
complètement  le  canal  dentaire.  C'est  quelquefois  aussi  par  un  procédé  analogue 
([ue  le  chirurgien  provoque  une  de  ces  crises.  Lorsiiue  le  siège  de  la  carie  ou  sa 
forme  ne  se  prête  pas  à  l'introduction  facile  de  corps  étrangers,  il  peut  très- 
bien  arriver  qu'une  périostite  chronique  tout  à  fait  indolente  soit  méconnue; 
une  obturaticn  pratiquée  dans  ces  conditions,  en  retenant  le  pus   dans  les 
canaux  dentaires  en  le  refoulant  vers  la  racine,  déterminera  une  intlannuation 
aiguë.   Dans  un  cas  de  ce  genre,  le  praticien  peut  profiter  d'une  de  ces  crises 
aiguës  pour  essayer  de  détourner  le  cours  de  la  suppuration,  lorsqu'il  croit  re- 
marquer quelque  tendance  à  la  l'ormation  d'un  petit  abcès  de  la  gencive  consé- 
cutivement au  décollement  du  périoste,  sur  toute  la  hauteur  de  la  racine,  ou  à 
la  migration  du  pus  à  travers  l'alvéole.  11  doit  espérer  déterminer  ainsi  la  for- 
mation d'une  fistule  mu([ueuse  dont  le  maintien  permettra  à  la  dent  de  re- 
prendre ses  fonctions.  L'introduction  dans  la  cavité  de  la  dent  cariée  de  panse- 
ments de  plus  en  plus  serrés  qui  empêcheront  complètement  la  sortie  du  pus 
par  le  canal  dentaire  favorisera  cette  terminaison,  si  la  périostite  aiguë  n'a 
pas  été  déterminée  déjà  par  une  obturation.  11  va  de  soi  que  le  médecin  doit 
veiller  à  ce  que  l'inflammation  qu'il  provoque  ainsi  ne  dépasse  pas  certaines 
limites  au  delà  desquelles  elle  pourrait  produire  des  complications  fâcheuses» 
11  est  quelquefois  utile,  pour  faciliter  la  sortie  du  pus  au  collet  de  la  dent, 
d'enfoncer  à  ce  niveau,  entre  la  racine  et  la  dent,  une  petite  tige  d'acier  fine 
et  aiguë.  L'instrument  le  plus  commode  pour  celte  petite  opération  est  tout 
simplement  la  sonde  exploratrice  dont  on  se  sert  pour  l'examen  des   dents 
cariées.  L'écoulement  du  pus  une  fois  assuré  par  cette  voie  nouvelle  et  les  petits 
accidents  aigus  disparus,  on  peut  alors  pratiquer  sans  crainte  l'obturation  de  la 
cavité. 

A  part  ces  conditions  spéciales,  lorsque  l'existence  d'une  périostite  chronique 
suppurée  a  été  bien  démontrée  par  la  sortie  du  pus  à  travers  les  canaux  dentaires, 
il  est  préférable  de  recourir  à  un  autre  moyen  qui  assure  les  mêmes  avantages 
sans  créer  aucune  complication  de  voisinage.  Nous  voulons  parler  de  l'applica- 
tion du  drainage  à  la  thérapeuti(jue  de  cette  forme  de  périostite  chronique,  dans 
le  but  d'assurer  un  libre  écoulement  au  pus,  tout  en  obturant  les  cavités  cariées, 
de  façon  à  permettre  l'usage  de  la  dent  malade. 

Les  indications  de  cette  opération  ont,  du  reste,  été  nettement  formulées  par 
nous  il  y  a  quelques  années  déjà  (6m//.  de  thérap.,  50  août  1867).  Pour  obtenir 
la  permanence  d'un  perluis  allant  du  centre  de  la  cavité  de  la  pulpe  au  dehors 
et  éviter  ainsi  tout  accident  aigu,  il  suffit  de  modifier  un  peu  le  procédé  habituel 
d'obturation  et  d'une  façon  différente  suivant  le  siège  de  la  carie.  Nous  avions  eu 
l'idée  de  faire  fabriquer  de  petits  tubes  de  platine  qui,  placés  à  la  partie  la  plus 


268  DEM   (pathologie). 

déclive  de  la  cavité  et  maintenus  par  la  substance  obturatrice  même,  établis- 
saient ainsi  un  drainage  permanent.  Depuis  longtemps  déjà  nous  avons  renoncé 
à  l'emploi  de  ces  tubes  qui  créait  un  embarras  de  plus,  sans  aucun  avantage.  Il 
est  plus  simple,  en  effet,  de  creuser  un   canal  dans  la  substance  obturatrice 
même  :  il  suffit  pour  cela  de  placer  la  sonde  dans  la  cavité  de  la  dent  cariée,  de 
telle  sorte  que  son  extrémité  engagée  dans  le  canal  dentaire  l'obture  complète- 
ment et  empêche  ainsi  la  pénétration  de  la  matière  employée  pendant  l'obtura- 
tion qui,  à  part  celte  petite  manœuvre,  se  fait  comme  d'habitude.  Une  fois  l'opé- 
ration achevée,  on  retire  doucement  la  sonde  et  à  sa  place  se  trouve  un  conduit 
dont  la  substance  obturatrice  même  forme  les  pai'ois.  Oadoit  avoir  la  précaution 
de  donner  à  la  sonde  une  courbure  telle  (lue  le  pertuis  se  trouve  à  la  partie  la 
plus  déclive  de  la  cavité,  aussi  rapproché  quo  possible  de  la  gencive  et  vers  sa 
portion  vestibulaire  pour  éviter  autant  que  faire  se  pourra  son  oblitération  par 
quelques  débris  alimentaires.  C'est  le  procédé  le  plus  commode  et  le  plus  rapide, 
mais  il  n'est  applicable  (|ue  dans  les  caries  de  la  face  vestibulaire  des  dents  et 
dans  celles  de  l'interstice  antérieur  des  molaires.  Lorsque  l'altération  n'a  porté 
que  sur  la  face  triturante,  un  drainage  fait  au  moyen  de  la  sonde  comme  nous 
venons  de  l'indiipier  placerait  le  pertuis  à  la  partie  la  plus  élevée  de  la  couronne, 
c'est-à-dire  dans  la  position  la  plus  défavorable  à  l'évacuation  du  pus  et  de  telle 
sorte  qu'il  serait  infailliblement  oblitéré  à  chaque  repas.  Ce  procédé  est  inappli- 
cable encore  lorsque  la  carie  a  son  siège  à  l'interstice  postérieur  d'une  molaire. 
Dans  ces  conditions  il  faut  avoir  recours  à  la  trépanation  de  la  dent  à  son  lieu 
d'élection,  c'est-à-dire    au   collet,    à    l'endroit  précis  où    finit  l'émail  et   où 
commence  le  cément,  c'est  là  aussi  que  la  cavité  de  Ja  pulpe  est  la  plus  large  et 
qu'elle  est  séparée  de  l'extérieur  par  la  moindre  épaisseur  de  dentine.  Cette 
opération  se  fait  facilement  soit  par  l'emploi  du  tour  que  nous  décrirons  plus 
loin,  soit  plus  simplement  à  l'aide  d'un  porte-foret  dont  la  tige  en  forme  de  vis 
d'Archimède  porte  à  une  de  ses  extrémités  un  petit  trépan,  tandis  qu'un  anneau 
mobile  permet  de  la  maintenir  fixe  à  l'autre  bout  enire  les  doigts.  Les  mou- 
vements de  rotation  sont  déterminés  à  l'aide  d'un  petit  manche  en  forme  de 
curseur  aucpael  la  main  droite  imprime  des  mouvements  de  va-et-vient.  Pour 
éviter  le  glissement  de  l'instrument  au  début,  il  est  prudent  de  commencer  à 
attaquer  la  dent  avec  un  équarrissoir,  petite  tige  d'acier  bien  trempé  et  terminée 
par  une  pointe  aiguë  à  trois  facettes.  La  cessation  brusque  de  toute  résistance 
indique  très-bien  le  moment   précis  de  la  pénétration  de  l'instrument  dans  la 
cavité  de  la  pulpe.  Une  fois  ce  résultat  atteint,  on  pratique  l'obturation  comme 
d'habitude  après  avoir  eu  soin   d'introduire  une  sonde  ou  une  petite  mèche 
de  coton  par  le  petit  canal  de  façon  à  maintenir   sa  communication  avec  le 
canal  dentaire.   C'est  toujours  à  la  face  vestibulaire  de  la  dent  que  doit  être 
placé  ce  petit  pertuis.   On  l'établira  donc  à  sa  partie  la  plus  antérieure,  au 
niveau  du  collet,  ainsi  que  nous  venons  de  le  recommander,   de  telle  sorte 
que  le  bord  libre  de  la  gencive  le  recouvre  pour  ainsi  dire  et  soit  un  obstacle 
de  plus  à  l'introduction  des  corps  étrangers.   C'est  à  ce  procédé  encore  qu'il 
faut  avoir  recours  alors  que  la  périostite  chronique  siège  sur  une  dent  dont  la 
couronne  est  intacte. 

Alors  même  qu'il  existe  déjà  une  petite  fistule  à  la  gencive,  le  drainage  est 
quelquefois  indiqué  encore  lorsqu'au  lieu  de  rester  permanente  l'ouverture 
gingivale  se  cicatrise  de  temps  à  autre  et  détermine  ainsi  des  abcès  à  répétition 
qui  sont  un  ennui  continuel  pour  le  malade.   Tout   en  restant  ouverte,  une 


DENT  (pathologie).  269 

fistule  muqueuse  n'offre  quelquefois  pas  un  écoulement  assez  facile  au  pus  et  la 
dent  reste  ainsi  toujours  un  peu  douloureuse  et  incapable  de  reprendre  ses  fonc- 
tions ;  il  est  alors  avantageux  de  pratiquer  dans  la  dent  un  petit  canal  artificiel, 
le  plus  souvent  même,  dans  ce  cas,  cette  nouvelle  issue  suffit  au  bout  de  quelque 
temps,  et  la  gencive  se  cicatrise  d'une  façon  définitive. 

On  peut  encore  perforer  la  substance  obturatrice  alors  qu'elle  est  suffisam- 
ment durcie,  mais  nous  conseillons  d'employer  ce  moyen  seulement  quand  la 
périostite  chronique  atteint  une  dent  déji  obturée  depuis  longtemps,  ou  lors- 
qu'elle n'a  été  reconnue  qu'après  l'obturation.  Il  n'est  pas  toujours  facile,  en 
effet,  d'arriver  à  travers  la  substance  obturatrice  juste  dans  le  canal  dentaire, 
([ui  peut  avoir  été  pénétré  lui-même  par  cette  substance  à  une  plus  ou  moins 
grande  profondeur,  et  puis  il  faut  attendre  le  durcissement  préalable  de  la 
matière  employée,  et  la  rétention  des  produits  inflammatoires  pendant  ce  temps 
expose  à  des  accidents  aigus. 

Quel  que  soit  le  procédé  choisi,  il  est  toujours  bon  de  faire  précéder  le  drai- 
nage de  pansements  narcotiques  qui  dissipent  toute  douleur  lorsque  la  dent 
n'est  pas  complètement  insensible  et  diminuent  de  beaucoup  la  formation  du 
pus.  On  ne  doit  jamais  non  plus  négliger  de  recommander  au  malade  de  pra- 
tiquer quelques  mouvements  de  succion  après  le  repas  et  au  moment  de  la 
toilette  de  la  bouche,  afin  d'entretenir  toujours  la  liberté  de  son  diain.  Il  suffit, 
en  effet,  de  l'introduction  dans  ce  canal  d'un  corps  étranger  qui  l'oblitère  complè- 
tement pour  voir  réapparaître  tons  les  accidents  inflammatoires  ;  le  passage  d'un 
stylet  ou  d'un  ciin  un  peu  résistant,  d'un  poil  de  sanglier,  par  exemple,  en 
rétablissant  la  perméabilité  du  drain,  amène  rapidement  la  disparition  de  cette 


crise  aigue. 


Le  drainage  est  insuffisant  dans  le  cas  de  fistules  cutanées,  mais  nous  n'avons 
pas  évidemment  à  faire  ici  le  traitement  des  fist\iles  dentaires  et  nous  sortirions 
de  notre  sujet  en  parlant  de  l'ingénieux  procédé  de  M.  Chassaignac  pour  le  traite- 
ment des  fistules  cutanées  par  la  transposition  inléro-buccale  de  leur  oiifice 
fistuleux  {Traité  pratique  de  la  suppuration,  t.  I,  p.  555);  ce  procédé,  en 
effet,  ne  s'adresse  nullement  à  la  périostite  chronii|ue,  origine  de  tous  les 
accidents,  il  la  laisse  telle  que  et  déplace  seulement  le  point  de  sortie  des  pro- 
duits sécrétés. 

Traitement  curatif.  Si  la  formation  d'une  fistule  à  la  gencive  ou  l'établisse- 
ment du  drainage  permanent  n'amènent  point  la  guérison  delà  périostite,  cette 
guérison  s'observe  quelquefois  cependant,  mais  ce  n'est  jamais  qu'au  bout  d'un 
temps  fort  long  que  l'on  voit  se  cicatriser  définitivement  les  fistules  muqueuses 
ou  que  l'on  peut  oblitérer  complètement  une  dent  qui  a  été  drainée.  Dans  ce 
cas  les  symptômes  douloureux  disparaissent,  l'écoulement  se  régularise,  devient 
inappréciable,  les  fonctions  de  la  bouche  se  rétablissent,  mais  la  périostite 
subsiste  et,  avec  elle,  des  menaces  de  retour  à  l'état  aigu  et  de  conqjlications 
plus  ou  moins  graves.  Il  arrive  aussi  que  le  drainage  améliore  fort  peu  l'état  du 
malade,  la  dent  reste  douloureuse  ou  la  gencive  est  le  siège  fréquent  de  petits 
abcès;  enfin  la  périostite  chronique  peut  avoir  déterminé  une  ou  plusieurs 
fistules  cutanées,  et  le  drainage  est  impuissant  à  faire  disparaître  cette  diffor- 
mité. 

Dans  ces  conditions,  il  est  donc  indiqué  d'avoir  recours  à  une  opération  qui 
amène  la  cure  définitive  de  la  périostite  et  par  suite  la  guéridon  de  toutes  ses 
complications.  Celte  opération  consiste  dans  l'avulsion  de  la  dent  et  sa  réim- 


^70  DENT   (pathologie). 

plantation  immédiate  après  la  résection  de  la  portion  nécrosée  du  cément. 
Cette  opération  spéciale,  qui  trouve  ici  son  indication  formelle  dans  la 
périostite  chronique  du  sommet,  rentre  dans  l'histoire  générale  de  la  greffe 
dentaire.  Or,  comme  cette  méthode  opératoire  est  décrite  plus  loin  dans  tous  ses 
détails  [voy.  Greffe  dentaire),  nous  ne  nous  y  arrêterons  pas  ici;  disons  seule- 
ment que  le  but  particulier  ou  l'objectif  de  cette  pratique  est  la  suppression  pure 
«t  simple  de  la  portion  de  racine  frappée  de  cette  lésion  incurable,  nécrosée  en 
quelque  sorte  et  constituant  par  sa  présence  la  véritable  épine  inflammatoire 
dont  la  suppression  est  la  condition  absolue  de  la  guérison. 

Mais,  si  nous  ajournons  ici  la  description  de  la  greffe,  il  nous  reste  encore  pour 
achever  l'étude  du  traitement  de  la  périostite  à  dire  quelques  mots  de  la  résec- 
tion de  la  couronne  qui  peut,  selon  les  cas,  être  considérée  comme  un  traitement 
palliatif  ou  comme  un  traitement  curatif  de  cette  maladie  et  peut  aussi  bien 
s'adresser  à  sa  forme  aiguë  qu'à  sa  forme  chronique.  Cette  opération,  qui  a  pour 
résultat  de  soustraire  la  racine  malade  aux  pressions  et  aux  chocs  inévitables, 
surtout  pendant  la  mastication,  et  qui  l'entretiennent  dans  un  état  constant 
d'inflammation,  amène,  en  effet,  le  plus  souvent  la  disparition  de  tous  les 
symptômes  de  la  périostite.  Elle  se  fait  à  l'aide  de  pinces  coupantes,  de  scies  ou 
de  limes  de  formes  varices  suivant  les  cas,  et  quelquefois  par  l'emploi  successif 
de  ces  divers  instruments.  On  lait  disparaître  ainsi  tout  ce  qui  dépasse  le  niveau 
de  la  gencive,  mais  ou  doit  comprendre  qu'il  faut  réserver  cette  opération  pour 
les  circonstances  où  tous  les  autres  moyens  ont  échoué,  et  en  particulier  pour  ces 
cas  extrêmes  oii  la  carie  a  détruit  la  couronne  presque  en  totalité,  de  sorte  qu'il  en 
reste  à  pcme  quelques  débris.  Au  point  de  vue  des  fonctions,  cette  opération 
entraîne,  en  effet,  la  perte  de  l'organe  malade;  elle  est  cependant  préférable 
encore  à  l'extraction,  car  le  maintien  et  le  séjour  des  racines  dans  la  mâchoire 
empêchent  la  résorption  du  bord  alvéolaire,  le  déchaussement  des  dents  voisi- 
nes, et,  si  plus  lard  le  malade  est  obligé  d'avoir  recours  à  l'usage  des  appareils 
de  prothèse,  il  trouvera  dans  la  présence  de  moignons  radiculaires  indolents 
des  moyens  d'adaptation  beaucoup  plus  sérieux. 

Quels  que  soient  donc  sa  forme,  sa  cause,  son  siège,  il  est  donc  très-rare 
que  la  périostite  alvéolo-dentaire  se  trouve  au-dessus  des  ressources  d'une  thé- 
rapeutique bien  conduite. 

c.  Affections  ORGANIQUES  do  périoste  dentaire.  Les  affections  organiques  du 
périoste  dentaire  comprennent  les  néoplasmes  ou  tumeurs. 

Or  par  tumeurs  du  périoste  dentaire  nous  désignerons  toute  production  molle, 
persistante,  formant  une  masse  circonscrite  et  ayant  son  siège  sur  un  point 
quelconque  de  l'étendue  de  la  membrane. 

Ces  tumeurs  se  divisent  en  deux  variétés  :  1°  ou  bien  elles  sont  extra- 
alvéolaires, c'est-à-dire  qu'ayant  leur  point  d'origine  sur  le  bord  terminal  du 
périoste  elles  font  saillie  dans  la  bouche,  ce  sont  les  polypes  du  périoste  ;  2°  ou 
bien  elles  sont  intra-alvéolaires,  développées  sur  un  point  plus  profond  de 
l'alvéole  et  ne  faisant  pas  saillie  à  l'extérieur. 

1°  Des  polypes  du  périoste.  Les  polypes  du  périoste  sont  des  tumeurs 
molles,  pédiculées,  ayant  leur  point  d'origine  et  leur  implantation  sur  le  périoste 
dentaire  et  effectuant  leur  développement  dans  la  bouche.  Ces  productions  sont 
de  celles  qui  appartiennent  à  la  série  des  complications  ou  conséquences  de  la 
carie  dentaire.  Nous  les  avons  en  effet  constamment  rencontrées  ayant  pour  siège 
des  dents  dont  la  carie,  après  avoir  envahi  une  portion  de  la  couronne,  s'avançait 


laire. 


DENT  (pathologie).  271 

jusqu'au  collet,  déterminant  en  ce  point  une  sorte  d'irritation  du  bord  terminal 
du  périoste,  et  devenant  ainsi  la  cause  probable  de  la  maladie. 

Ces  polypes  ont  pour  siège  presque  exclusif  les  dents  molaires,  soit  les  petites, 
soit  les  grosses.  Ils  se  pre'sentent  sous  l'aspect  d'une  masse  rougeàlre,  spliéroïde, 
ayant  en  moyenne  le  volume  d'un  gros  pois,  à  surface  mamelonnée,  et  occupant 
presque  constamment  la  cavité  de  la  carie  de  la  dent  qui  en  est  le  siège,  tandis 
que  leur  pédicule  très-mince,  arrondi 
ou  aplati,  s'insère  au  niveau  du  collet. 
11  résulte  de  cette  particularité  qu'au 
premier  aspect  ces  polypes  peuvent 
être  facilement  confondus  avec  les 
tumeurs  de  la  pulpe,  et  disons  tout  de 

suite  que  le  meilleur  signe  dislinclif  des  ,  /   /  \  "■* 

deux  maladies  consiste  dans  l'explo-  "  -^     — 

ration  directe  de  la  carie  avec  un  stjlet.  f'g-  5i.  -  Polype  du  périoste  doma 

Celte    exploration  apprendra   Irès-faci-       „_  la  tumeur  en  place.  —  h,  la  même  pcnJanle 
lement    si    la   tumeur  est   une  expan-         'h^i-s  de  U  carie  et  montrant  nnseniou  (le  son 

sion  de  la  pulpe  ou  une  dépendance  du 
périoste. 

Les  symptômes  de  cette  affection  sont  très-analogues  à  ceux  dos  tumeurs  de 
la  pulpe,  c'est-à-dire  qu'ils  consistent  simplement  dans  une  gène  très-grande  de 
Ja  mastication  du  côté  malade,  et  parfois  des  douleur.s  assez  vives  provoquées 
par  le  choc  d'un  corps  étranger  sur  la  tumeur,  qui  devient  alors  souvent  le 
siège  d'hémorrhagies  plus  ou  moins  abondantes. 

Considérés  histologiquement,  les  polypes  du  périoste  dentaire  sont  composés 
soit  du  tissu  même  du  périoste  normal  liyperlrophié,  soit  d'éléments  libro- 
plastiques,  noyaux  ou  corps  fusiformes,  et  d'éléments  fibreux  simples;  mais  nous 
n'avons  pas  jusqu'à  présent  constaté  dansées  productions  la  présence  d'éléments 
d'ordre  différent,  tels  que  :  épithélium,  myéloplaxes,  etc.,  que  nous  avons 
rencontrés  dans  les  tumeurs  proprement  dites  du  périoste. 

Cette  affection  est  assez  commune  ;  nous  en  avons  observé  un  grand  nombre 
d'exemples  :  aussi  avons-nous  éprouvé  quelque  surprise  de  ne  rencontrer  dans 
aucun  auteur  la  description  de  celte  maladie. 

Ces  polypes,  de  même  que  les  tumeurs  de  la  pulpe,  nous  paraissent  suscep- 
tibles d'une  guérison  radicale.  La  méthode  qui  doit  être  appliquée  à  ce  Irailement 
consiste  dans  l'excision  de  la  tumeur  par  la  section  de  son  pédicule.  Le  polype 
tombe  alors  dans  la  bouche,  et  l'on  doit,  pour  éviter  toute  récidive,  détruire 
par  la  cautérisation  les  dernières  traces  du  pédicule;  puis,  afin  d'arrêter  les 
progrès  de  la  carie,  on  procède  à  \ obturation  soit  immédiate,  soil  précédée  du 
traitement  approprié. 

2"  Tumeurs  proprement  dites.  Les  tumeurs  du  périoste  dentaire  non  plus 
que  les  polypes  n'ont  été  l'objet  d'aucune  description  nosographique  depuis 
notre  mémoire  personnel  de  1860  [Mémoires  sur  les  tumeurs  du  périoste  den- 
taire lu  à  la  Société  de  chirurgie,  13  avril  1860).  Ce  n'est  point  cependant  une 
affection  rare  et  il  est  invraisemblable  qu'elle  ait  échappé  à  un  observateur 
attentif.  Aussi  pensons-nous  qu'elle  a  été  confondue  avec  les  productions  végé- 
tantes, fongosités  diverses  qui  compliquent  la  périostite.  Nous  ne  saurions 
trop  nous  élever  contre  celte  confusion. 

La  plupart  de  ces  tumeurs  paraissent  en  effet  étrangères  à  un  processus 


272  DENT  (pathologie). 

inflammatoire  antérieur  neltement  défini;  elles  apparaissent  lentement,  sour- 
dement, sans  aucune  lésion  dentaire  apparente,  déplaçant  et  allongeant  la 
dent  qu'elles  soulèvent  et  ne  produisant  que  secondairement  des  phénomènes 
phlegmasiqucs.  La  carie,  d'autre  part,  y  semble  absolument  étrangère,  et  leur 
composition  anatomique,  leur  marche  et  leurs  symptômes,  les  rattachent  entière- 
ment au  processus  commun  à  tout  néoplasme  en  g('néral  avec  des  particularités 
inhérentes  à  leur  siège  particulier. 

A.  Anatomie  pathologique  des  tumeurs  du  périoste.  Les  tumeurs  du 
périoste  dentaire  observées  immédiatement  après  l'extraction  de  la  dent  qui  les 
supportent  se  présentent  sous  l'aspect  d'une  production  molle,  fongueuse,  dont 
la  surface  inégale  et  mal  limitée  est  ordinairement  couverte  de  lambeaux  ilottants 
et  dont  la  face  profonde  adhère  plus  ou  moins  intimement  au  cément  qui  revêt 
les  racines.  Leur  volume,  assez  difficile  à  déterminer  en  raison  de  l'irrégularité 
de  leur  forme  et  de  leur  siège,  peut  varier  depuis  celui  d'un  gros  pois  jusqu'à 
celui  d'une  petite  noix.  Leur  forme  est  extrêmement  variable  ;  tantôt  la  tumeur  est 
aplatie  entre  la  paroi  alvéolaire  et  la  surface  dentaire,  à  laquelle  elle  est  fixée 
par  une  portion  plus  ou  moins  régulière,  produisant  l'écartement  des  deux 
surfaces  entre  lesquelles  elle  se  développe  et  causant  ainsi  un  degré  plus  ou 
moins  avancé  de  luxation  de  la  dent  malade.  Dans  un  certain  nombre  de  circon- 
stances, la  tumeur  prend  naissance  dans  l'intervalle  des  racines,  envahit  la 
cloison  osseuse  qui  les  sépare,  et  trouve  ainsi  une  rlisposition  favorable  à  son 
développement.  Dans  d'autres  cas,  après  avoir  débuté  sur  un  point  limité  du 
tissu,  elle  envahit  de  proche  en  proche  une  grande  partie  ou  la  totalité  de  la 
membrane  périostale,  et  se  développe  ainsi  plutôt  en  surface  qu'en  épaisseur, 
paraissant  alors  constituer  une  simple  liypertrophie  générale  plutôt  qu'une  véri- 
table tumeur.  Lnfin,  mais  plus  rarement,  le  périoste  ollVe  la  production  de 
plusieurs  tumeurs  indépendantes  l'une  de  l'autre,  et  développées  sur  divers 
points  des  racines  de  la  même  dent. 

La  couleur,  de  même  que  le  volume,  est  extrêmement  variable.  Lorsque  le 
périoste  est  le  siège  d'une  simple  hypertrophie,  ou  que  la  nature  de  la  produc- 
tion est  épithéliale  ou  fibro-plastique,  la  coloration  est  généralement  blanchâtre, 
parsemée  de  quelques  [ilaques  rouges  indiquant  un  certain  degré  de  vascularité 
et  pouvant  déceler  l'existence  d'un  foyer  inflammatoire  localisé.  C'est  ce  qui 
arrive  surtout  lorsque  l'extraction  de  la  dent  malade  a  été  pratiquée  pendant  le 
cours  d'une  crise  douloureuse.  La  tumeur  est  alors  le  siège  d'un  étal  congeslif  plus 
ou  moins  considérable;  elle  présente,  soit  partiellement,  soit  dans  sa  totalité,  une 
teinte  ronge  violacée.  Lorsque  les  éléments  constituants  de  la  tumeur  sont  doués 
de  caractères  physiques  spéciaux,  ils  impriment  à  la  masse  une  coloration 
particulière,  il  en  est  ainsi  des  uiyéloplaxes,  éléments  qui  donnent  à  la  tumeur 
une  couleur  rouge  ou  brune,  et  des  éléments  graisseux,  cellules  ou  granulations 
qui  lui  communiquent  une  couleur  jaunâtre. 

La  consistance  des  tumeurs  varie  suivant  que  la  trame  fibreuse  qui  en  forme 
la  base  est  plus  ou  moins  serrée  et  contient  une  quantité  plus  ou  moins 
grande  de  matière  amorphe  ou  d'éléments  anatomiques  divers  interposés. 
Rarement  les  tumeurs  sont  dures;  en  général,  elles  sont  molles,  faciles 
à  déchirer,  et  se  détai  hent  quelquefois  pendant  l'extraction  de  la  surface 
qui  les  supporte  :  dans  plusieurs  circonstances,  le  tissu  présente  des  points 
considérablement  ramollis,  indiquant  un  travail  inflammatoiie  ancien,  ayant 
donné    lieu  à   une  fonte  purulente  partielle   du  tissu. 


DENT  (pathologie).  275 

Au  point  de  vue  histologique,  la  constitution  des  tumeurs  du  périoste  présente 
un  certain  inte'rêt.  En  général,  plusieurs  éléments  anatomiques  d'ordre  différent 
concourent  à  leur  formation,  mais,  presque  toujours,  une  certaine  classe  de  ces 
éléments  prédomine  sur  les  autres  et  constitue  la  partie  fondamentale  on  les 
éléments  fondamentaux  de  la  masse,  tandis  que  les  autres  gardent  le  rôle  d'ac- 
cessoires. Ce  sont  ces  éléments  fondamentaux  qui  dans  nos  observations  ont 
servi  à  déterminer  le  nom  de  la  tumeur  sans  que,  par  conséquent,  les  désigna- 
tions dont  nous  nous  sommes  servi  impliquent  en  aucune  façon  la  présence  de 
certains  éléments  à  l'exclusion  absolue  des  autres. 

Quoi  qu'il  en  soit,  la  substance  même  du  périoste  plus  ou  moins  modifiée 
forme  constamment  la  trame  et  h  base  principale  de  l'altération.  C'est  donc 
toujours  dans  son  tissu  que  se  trouvent  inclus  les  éléments  de  la  production 
morbide.  Nous  devons  donc  nous  attacher  dans  notre  étude  histologicpie  à  déter- 
miner la  nature  des  éléments  qui  s'ajoutent  à  la  trame  fibreuse  primordiale  du 
périoste.  Nous  distinguerons,  à  ce  point  de  vue,  nos  tumeurs  sous  les  cinq 
divisions  suivantes  : 

Premier  croui'e.     Tumeurs  fibreuses  ou  hypertrophiques.     Dans  celte  pre- 
mière division,  nous   observons  que  l'altération  anatomique   consiste  en  une 
simple  hypertrophie  avec  multiplication  ou  hypergenèse  des  éléments  primitifs 
norn)aux  de  la  membrane  alvéolo-dentaire.  Les  parties  qu'on  y  rencontre  sont 
donc  principalement  du  tissu  fibreux  dont  nous  ne  tracerons  pas  ici  les  caractères 
bien  connus,  tissu  que  parcourent  un  nombre  considérable  de  vaisseaux  anorma- 
lement développés,  et  qui  contient  en  outre  de  la  matière  amorphe  granuleuse 
ou  non,  interposée  aux  mailles  fibreuses;  des  éléments  Cbro-plastiques,  noyaux 
eu  corps  fusiformes,  puis  quelques  cytoblastions,  quelques  myéloplaxes,  rares 
éléments  accessoires  préexistant  d'ailleurs  pour  la  plupart  dans  le  tissu  normal, 
mais  qui,  sous  une  même  influence  pathogéniquc,  subissent  un  commencement 
d'hypertrophie  qui  permet  de  les  observer  plus  facilement.  Enfin  ces  tumeurs, 
de  même  que  certaines  autres  que  nous  signalerons  chemin  faisant,  peuvent 
leufermer  encore   des   leucocytes    qui    ne    résultent  pas  pour  tous   les  cas, 
comme  on   pourrait  le  croire,  d'un  travail  inflammatoire.  Ou  sait  en  effet-, 
d'après  les  recherches  déjà  anciennes  de  M.  Ch.   Robin,  que  des  leucocytes 
se  trouvent  comme  éléments  accessoires  interposés  çà  et  là  à  d'autres  éléments 
dans  un  grand  nombre  de  tumeurs  n'ayant  jamais  subi  d'inflammation.  Tels 
sont  l'épithélioma  du  gland,  de  la  màclioire,  de  la  langue,  les  tumeurs  glan- 
dulaires des  fosses  nasales,  du  rectum,  du  col  utérin,  etc.  Nous  signalons  ce  fait 
avec  d'autant  plus  d'attention  que  dans    d'autres  circonstances  quelques-unes 
de  nos  tumeurs  ont  offert  l'accumulation  dans  un  point  limité  des  mêmes  leu- 
cocytes, correspondant  alors  à  un  foyer  inflammatoire  véritable. 

Les  hypertrophies  simples  du  périoste  ou  tumeurs  fibreuses  figurant  dans  nos 
18  observations  pour  le  nombre  3. 

IP  GROUPE.  Tumeurs  fibro-plastiques.  Une  seconde  division  histologique 
de  nos  tumeurs  comprend  un  certain  nombre  de  productions  voisines  des  précé- 
dentes et  constituées  par  des  éléments  fibro-plastiques,  soit  simplement  nucléaires, 
soit  devenus  déjà  corps  fusiformes.  Ces  divers  états  ne  sont,  comme  on  sait, 
autre  chose  que  deux  phases  successives  du  développement  de  la  fibre  lamineuse, 
élément  fondamental  du  tissu  fibreux,  et  qui  peuvent  être  pathologiquement  le 
siège  d'une  aberration  organique  en  vertu  de  laquelle  ils  deviennent  éléments 
tondamentaux  de  certaines  tumeurs.  Parmi  nos  18  exemples,  5  ont  revêtu  celte 

DICT.  ENC.  XXVII.  18 


274  DENT  (pathologie). 

constitution  anatomique  avec  addition,  à  titre  d'accessoires,  des  éléments  qui, 
dans  d'autres  tumeurs,  peuvent  figurer  à  leur  tour  comme  fondamentaux, 
myéloplaxes,  épithéliura,  etc. 

IIP  GROLTE.     Tumeurs  épilhéliales,  épiihehomas,  cancer  de  certains  auteurs. 
Dans  une  troisième  division,  les  tumeurs  ont  présenté  une  constitution  toute 
spéciale,  et  les  parties  qu'on  y  trouvait  n'étaient  autres  que  des  éléments  épithé- 
liaux.  Ces  éléments  se  sont  présentés  à  nous  sous  les  diverses  formes  qu'ils 
peuvent  affecter,  soit  dans  l'économie  normale,  soit  dans  les  diverses  tumeurs 
de  l'économie  qui  en  sant  composées  ;  tantôt  la  tumeur  ne  renfermait  que  des 
noyaux  simples,   sphériques  ou  ovoïdes,  plus   ou  moins  réguliers,    ayant  de 
Qmm^Ol  à  O^^iOOSde  diamètre,  et  contenant  un  nombre  variable  de  nucléoles; 
tantôt  elles   se  composaient   de  cellules  soit  pavimenteuses,  soit  spbériques,  à 
contours  plus  ou  moins  réguliers,  pouvant  atteindre  jusqu'à  0'"'",1  de  diamètre, 
quelquefois  parsemées  de  granulations  graisseuses,  contenant  des  noyaux  plus 
ou  moins  nombreux,  et  pouvant  se  rapprocher  ainsi,  dans  ceitaines  circonstances, 
des  caractères  assignés  à  la  cellule  dite  cancéreuse.  Disons  cependant  que,  dans 
la  plupart  des  cas,  les  cellules  épilhéliales  de  nos  tumeurs  n'ont  pas  présenté 
tout  à  fait  le  même  degré  d'hypertrophie  de  leur  noyau  que  celui  qui  est  offert 
par  les  cellules  épilhéliales  pathologiquement  modifiées,  dites  cancéreuses. 


m 


Fig.  32.  —  Tumeur  fibro-plasfique  développée  sur 
la  face  latérale  du  périoste  d'une  prémolaire  dé- 
pourvue de  toute  autre  lésion  apparente. 

a,  la  tumeur  in  situ.  —  b,  sa  composition  histo- 
logique. 


Fig.  5ô.  —  Tumeur  épithéliale  volumineuse  déve- 
loppée sur  le  périoste  d'une  grosse  molaire  dé- 
pourvue de  carie  et  de  toute  autre  lésion. 

a,  la  tumeur  in  situ.  —  b,  les  éléments  histolo- 
giqnes  qui  la  composent. 


Quoi  qu'il  en  soit,  et  sans  vouloir  soulever  aucune  question  de  doctrine, 
nous  avons  rencontré  5  tumeurs  offrant  la  constitution  dont  nous  venons  de 
parler.  Parmi  elles,  nous  en  avons  observé  une  dans  laquelle  les  éléments  épilhé- 
liaux  nucléaires  affectaient  une  disposition  particulière  :  ils  étaient  groupés 
régulièren-ent  autour  d'un  faisceau  lîbro-vasculaire,  et  représentaient  exactement 
par  leur  disposition  une  véritable  papille.  Xous  avons  rangé  celte  curieuse 
production  parmi  celles  connues  sous  le  nom  de  tumeurs  épilhéliales 
papilliformes. 

Enfin,  une  autre  observation  parmi  ces  dernières  porte  sur  une  tumeur  volu- 
mineuse formée  d'éléments  épithéliaux  pavimenteux  et  sphériques  ayant  subi 
tine  altération  assez  commune  aux  tumeurs  dites  cancéreuses  etfibro-plastiques; 
nous  voulons  parler  du  dépôt  de  granulations  graisseuses  dans  leur  épaisseur. 
La  tumeur  dont  nous  parlons  présentait,  sur  une  grande  partie  de  son 
étendue,  une  coloration  jaune  très-prononcée  due  à  l'accumulation  de  granu- 


DENT  (pathologie). 


275 


lations  graisseuses  au  seia  du  tissu  morbide.  Celte  coloration  n'était  pos 
générale,  et  la  tumeur,  dans  certains  points,  offrait  un  degré  d'altération  moins 
avancé,  de  sorte  qu'on  pouvait,  par  un  examen  comparatif,  se  rendre  com|ite 
des  phases  successives  de  son  évolution.  Ainsi  le  périoste  dentaire  avait  subi  une 
hypertropliie  simple  qu'on  retrouvait  isolément  sur  certains  points,  puis  au 
sein  des  mailles  s'étaient  développés  des  éléments  épitbéliaux  qui  de  nucléaires 
qu'ils  étaient  primitivement  sans  doute,  s'étaient  transformés  en  cellules  par 
suite  de  la  segmentation  de  la  matière  amorphe  ambiante;  enhn  ces  cellules 
avaient  éprouvé  linalemeut  l'altération  dile  dégénérescence  graisseuse,  consistant 
en  un  dépôt  de  granulations  jaunâtres  dans  leur  épaisseur.  On  trouvait  aussi 
entre  ces  éléments  des  granulations  analogues  ayant  environ  0™'", (101  de  dia- 
mètre, douées  du  mouvement  brownien,  et  pouvant  devenir  tellement  nom- 
breuses qu'elles  masquaient  la  nature  du  tissu  primitif  et  lai  donnaient  la 
couleur  du  tissu  graisseux,  lui-même. 

Nous  avons  rencontré  encore  la  présence  de  granulations  graisseuses  ou  de 
gouttes  d'huile  au  sein  de  5  autres  tumeurs  de  nature  lîbro-plaslique,  celte 
particularité  indiquant  sans  doute,  dans  ces  dernières  circonstances,  le  début 
de  la  même  superfétation  morbide  graisseuse  dont   le  tissu  allait  devenir   le 


siège. 


1V«  GROUPE.  Tumeurs  à  myéloplaxes.  Une  quatrième  forme  de  tumeurs, 
à  laquelle  se  rattache  une  seule  observation,  a  présenté  comme  parties  consti- 
tuantes une  réunion  d'éléments  connus  sous  le  nom  de  myéloplaxes.  Ces  éléments. 


^/- 


ù 


Fig.  51.  —  Tumeur  à  myéloplaxes  développée  dans 
l'interstice  des  racines  d'une  molaire  supé- 
rieure. 

a,  la  tumeur  in  situ.  —  b,  les  éléments  qui  la 
composent. 


Fig.  3o.  —  Tumeur  du  périoste  développée  dans 
l'interstice  des  racines  d'une  molaire  supérieure 
non  cariée. 

a,  la  tumeur  in  situ.  —  6,  les  éléments  {cytoblas- 
tions]  qui  la  composent. 


appelés  aussi  plaques  ou  lamelles  à  noyaux  multiples,  sont,  ainsi  que  les  décrit 
M.  Robin,  des  masses  de  granulations  fines,  aplaties,  polvédriques,  régulières 
ou  dentelées,  d'un  volume  variant  de  0'^-,020  à  Û'^'^,001,  parsemées  de^novaux 
ovoïdes  dont  le  nombre  varie  de  i  à  50,  et  dont  les  dimensions  sont  de  O'"'^  00^ 
à  0-,006  sur  0-,009  à  0-,Oil  de  longueur.  Les  myéloplaxes  qu'on  retrouve 
dans  la  composition  d'un  certain  nombre  de  tumeurs  de  l'économie,  et  particu- 
lièrement des  épulies,  se  rencontraient  comme  éléments  fondamentaux  dans 
l'observation,  au  sein  d'une  trame  fibreuse  très-lâche,  et  communiquaient 
au  tissu  la  couleur  brune  habituelle  aux  tumeurs  principalement  composée^  d,^ 
myéloplaxes.  ^         ^ 


27'»  DEM  (pathologie). 

V^  GROUPE.      Tumeurs   à  cytoblastions.     Cette    cinquième    division    ne   se 
compose,  comme  la  précédente,  que  d'une  seule  observation,    dans  laquelle 
la    tumeur  s'était  développée   sur   la    racine   interne  d'une  première   grosse 
molaire  supérieure  droite,  chez  un  sujet  âgé  de  quatorze  ans.  Cette  tumeur, 
qui  s'était  rapidement  développée,  se  composait  d'une  trame  fibreuse  renfer- 
mant, comme  partie  fondamentale,  des  éléments  anatomiques  connus  sous  le 
nom  de  cytoblastions  de  la  variété  nucléaire.  Ces  éléments  étaient  caractérisés 
par  la  forme  de  noyaux  libres  sphériques  ou  un  peu  ovoïdes  de  0""",004  à 
0""",006,  à  fines  granulations  de  teinte  obscure  dans  l'intérieur,   mais  sans 
nucléole  proprement  dit.   Ils  se  rencontrent  normalement,  mais  en  très-petite 
quantité,   dans  le  tissu  du  derme  cutané,  dans  celui  des  muqueuses  et  des 
séreuses,  dans  le  parenchyme  pulmonaire,  etc.  A  1  état  pathologique,  ils  consti- 
tuent les  fongosités  des  plaques  muqueuses  syphilitiques,   les  condylomes,  les 
chancres  indurés  ou  non,  les  tumeurs  gommeuses,  les  chalazions,  etc.  On  les 
rencontre   souvent,    comme    dans    notre    observation,  joints  à  des   éléments 
fibreux  ou  fibro-plastiques,  et  ils  impriment  aux  tissus  qu'ils  composent  un 
caractère  particulier  de  développement  très-rapide.  C'est  ainsi  que  la  tumeur 
que  nous   avons  observée  avait  acquis  en  un  mois    un   volume  relativement 
considérable. 

L'existence,  dans  les  productions  pathologiques  du  périoste  dentaire,  de  tissus 
à  cytoblastions,  complète,  avec  les  4  groupes  précédents,  le  cadre  des  tumeurs 
dont  cette  membrane  semble  pouvoir  devenir  le  siège.  Nous  retrouvons  en 
eflet,  dans  l'ordre  pathologique,  la  série  complète  des  éléments  constitutifs 
normaux  du  périoste  dentaire,  avec  cette  particularité  que  l'état  morbide  a 
imprimé  à  ces  éléments  des  modifications  variées  de  nombi'e,  de  forme  et  de 
volume,  modifications  qui,  pour  l'observateur  exercé,  permettent  de  recon- 
naître sous  la  forme  pathologique  les  éléments  du  tissu  primitif.  Ainsi  nous 
avons  vu,  dans  la  constitution  normale  du  périoste,  les  éléments  fibreux,  fibro- 
plastiques,  myéloplaxes  et  cytoblastions  joints  aux  vaisseaux,  au  tissu  grais- 
seux, etc.,  et  nous  retrouvons,  soit  simultanément,  soit  isolément,  les  mêmes 
parties  dans  les  tumeurs.  Une  seule  exception  s'est  offerte  relativement  aux 
éléments  épilhéliaux,  qui,  n'existant  pas  dans  le  périoste  sain,  se  sont  rencontrés 
dans  certaines  tumeurs.  Pour  ce  dernier  cas,  l'existence  de  ces  éléments  ne 
saurait  donc  s'expliquer  que  par  la  genèse,  avec  erreur  de  lieu,  de  l'épithélium 
au  sein  du  tissu  périostal,  particularité  dont  la  physiologie  pathologique  des 
tumeurs  offre  d'ailleurs  dans  l'économie  de  nombreux  exemples  {tumeurs 
h  étéra  dén  iques,  etc .  ) . 

Au  point  de  vue  clinique,  il  résulte  des  considérations  p-écédentcs  que  la 
palhogénie  des  tumeurs  du  périoste  dentaire  ne  paraît  pas  liée,  comme  celle 
d'un  certain  nombre  de  tumeurs  de  l'économie,  à  l'état  de  diathèse  qui  domine 
d'ordinaire  les  manifestations  morbides  de  ce  genre.  Toutes  nos  observations 
portent,  comme  on  le  verra,  sur  des  sujets  jouissant  d'une  bonne  santé,  et 
n'ayant  présenté  sur  aucun  autre  point  du  corps  des  productions  pathologiques 
de  composition  analogue  ou  différente.  Nous  remarquerons  seulement  que  le 
périoste  dentaire,  étant  un  organe  assimilable  au  périoste  proprement  dit,  en 
raison  de  sa  structure  et  de  ses  usages,  est  susceptible  de  devenir  individuel- 
lement le  siège  exclusif  de  tumeurs,  de  même  que,  dans  d'autres  circonstances, 
on  trouve  chez  un  sujet  en  particulier  une  série  d'altérations  organiques 
affectant  exclusivement  un  même  ordre  de  tissus  (tumeurs  des  glandes,  des 


DE.NT    (pathologie).  ^'' 

tissus  musculaire,  adipeux,  etc.).  C'est  ce  q\ii  explique  pourquoi  ordinairement 
les  tissus  voisins  du  périoste  dentaire,  l'alve'ole,  la  muqueuse  gingivale,  elc, 
doués  d'une  constitution  différente,  ne  sont  pas  envahis  par  les  tumeurs  du 
périoste.  Nous  ne  voudrions  pas  affirmer,  cependant,  que  certaines  affections 
ort^aniques  de  la  mâchoire  n'ont  pas  débuté  par  des  altérations  de  même  ordre 
du  périoste  dentaire;  les  observations  manquent  à  ce  sujet,  et  peut-être 
les  accidents  qui  accompagnent  ces  dernières  sont-ils  cause  que  les  malades 
demandent  souvent  l'extraction  de  la  dent  avant  que  ctl  envahissement  ait  eu  le 
temps  de  se  produire. 

Ainsi  donc,  pour  nous  résumer,  l'examen  microscopique  de  nos  tumeurs,  que 
nous  devons,  pour  tous  les  cas,  à  l'extrême  obligeance  de  notre  maître  et  ami 
M.  le  professeur  Ch.  Robin,  a  donné  les  résultats  suivants  : 

10  tumeurs  sont  constituées  par  dos  éléments  (ibro-plasliques. 

5  sont  formées  d'éléments  épithéliaux. 

3  sont  formées  de  tissus  iibreux  et  représentent  une  simple  hypertrophie  du 
périoste. 

\  se  compose  d'éléments  mijéloplaxes. 

\  d'éléments  cytoblastions. 

B.  Étiologie.  Les  productions  des  tumeurs  du  périoste  sont  entourées 
d'autant  d'obscurité  que  la  production  des  tumeurs  en  général  :  nous  nous 
bornerons  donc  à  signaler  les  conditions  diverses  au  milieu  desquelles  celte 
afiection  s'est  développée  dans  les  observations  que  nous  avons  recueillies. 

Une  première  particularité  digne  d'être  signalée,  c'est  que  toutes  les  tumeurs 
que  nous  avons  observées  appartenaient  à  des  sujets  doués  d'une  bonne  consti- 
tution et  qui,  dans  leurs  antécédents,  n'avaient  jamais  été  attcinls  de  tumeurs 
développées  sur  d'autres  points  du  corps.  Dans  plusieurs  circonstances,  toute- 
fois, des  malades  qui  sont  venus  nous  consulter  pour  une  dent  alfectée  de 
tumeur  nous  ont  affirmé  avoir  déjà  éprouvé  antérieurement  des  accidents 
identiques  à  ceux  que  nous  observions,  et  avoir  été  contraints  de  faire  extraire 
la  dent  qui  les  occasionnait,  sans  que  cet  organe  présentât  la  moindre  atteinte. 
Plusieurs  de  nos  observations  tendent  à  établir  cette  circonstance  :  ainsi  l'une 
d'elles  est  relative  à  une  tumeur  fibro-plastique  développée  sur  une  dent  de 
sagesse  inférieure  droite,  chez  un  homme  de  cinquante-cinq  ans,  ayant  perdu 
déjà  plusieurs  dents,  parmi  lesquelles  quelques-unes  avaient  paru  causer  les 
symptômes  propres  aux  tumeurs.  Enfin  d'autres  portent  sur  des  tumeurs  égale- 
ment fihro-plastiques  et  appartenant  à  des  sujets  qui  ont  déclaré,  bien  pins  net- 
tement que  les  précédents,  avoir  déjà  éprouvé  pour  d'autres  dents  des  douleurs 
et  des  accidents  identiques;  l'un  d'eux  même  aurait  très-distinctement  observé 
qu'une  dent  antérieurement  enlevée  présentait  sur  ses  racines  une  proluc- 
tion  molle  du  genre  de  celle  qu'on  lui  faisait  remarquer  sur  la  dent  qu'on 
venait  d'extraire.  Ces  faits  tendent  à  établir  la  possibilité  du  développement 
de  plusieurs  tumeurs  sur  le  même  sujet  par  récidive,  non  point  sur  place,  il  est 
vrai,  et  par  envahissement  des  tissus  conliaus,  mais  dans  le  voisinac^e  sur  le 
périoste  des  autres  dents.  Ajoutons  aussi  que  la  circonstance  de  deux  tumeurs 
développées  sur  des  dents  contiguës  ne  s'est  pas  observée,  et  que  la  récidive  a 
paru  pouvoir  s'effectuer  à  de  certaines  distances,  pour  des  dents  soit  de  mâchoires 
différentes,  soit  des  côtés  opposés  de  la  même  mcàclioire.  La  disposition  anato- 
mique  des  dents,  couvertes  de  leur  périoste  respectif  et  renfermées  chacune  dans 


278  DENT   (pathologie). 

un  alvéole  séparé,  ne  favorise  pas  d'ailleurs  la  progression  de  la  tumeur  du 
périoste  de  l'une  au  périoste  des  dents  voisines. 

Les  diverses  affections  dont  l'organe  dentaire  peut  devenir  le  siège  n'ont  pas 
paru  exercer  une  notable  influence  sur  le  développement  des  tumeurs  du 
périoste.  Ainsi  la  carie,  par  exemple,  la  plus  commune  des  altérations  des  dents, 
nous  a  semblé  y  rester  complètement  étrangère.  Les  observations  que  nous 
avons  recueillies  portent  principalement  sur  des  dents  dépourvues  de  carie,  et, 
dans  les  autres  cas,  moins  nombreux,  où  cette  affection  accompagnait  les 
tumeurs,  nous  n'avons  pu  saisir  aucune  relation  manifeste  entre  les  deux  lé- 
sions. Sur  nos  18  cas  de  tumeurs  du  périoste,  8  dents  seulement  étaient  cariées, 
et  parmi  elles  3  portaient  des  cavités  très-superficielles,  n'offrant  pas  de  commu- 
nication avec  la  pulpe  et  ne  pouvant  par  conséquent  causer  aucun  accident 
sérieux.  Les  o  autres  dents  étaient  au  contraire  altérées  dans  une  grande  profon- 
deur, mais,  la  pulpe  ayant  entièrement  disparu  par  suite  de  gangrène  ou  de  fonte 
purulente,  aucun  accident  périoslique  n'était  également  possible.  Ces  dernières 
cependant  auraient  pu  devenir  le  siège  de  périoslite  chronique,  affection  qui 
succède  le  plus  souvent  à  une  carie  extrêmement  avancée,  et  qui  serait  peut-être 
de  nature  à  déterminer  la  production  d'une  tumeur.  Or,  5  dents  seulement 
sur  18  se  seraient  trouvées  dans  ces  conditions,  et  ce  nombre  est  relativement 
trop  faible  pour  permettre  d'établir  sur  ce  point  d'étiologie  une  détermination 
définitive.  Aucune  affection  dentaire  ne  paraît  donc  influencer  le  dévelop- 
pement   des  tumeurs  du  périoste. 

D'autres  circonstances  également  dignes  d'intérêt  accompagnent  encore  le 
développement  des  tumeurs  :  ainsi  les  dents  molaires  paraissent  être  exclusive- 
ment le  siège  de  ces  productions.  Les  18  exemples  que  nous  avons  observés  sont 
dans  ce  cas.  Sur  ce  nombre,  Iti  tumeurs  occupaient  les  gi'osses,  2  seulement  les 
];etites  molaires.  Sur  les  16  grosses  molaires,  il  y  avait  10  premières,  4  secondes 
et  une  troisième  molaire.  Quant  aux  petites,  elles  étaient  toutes  deux  de  la 
mâchoire  supérieure.  Les  dents  permanentes  n'y  sont  pas  exclusivement  dispo- 
sées, car  nous  en  avons  observé  un  exemple  sur  une  grosse  molaire  temporaire 
chez  un  enfant  de  quatre  ans. 

Ainsi,  dans  nos  18  observations,  les  dents  affectées  par  ordre  de  fréquence 
sont  : 

TABLEAU    DES    TUMEURS    DU    PERIOSTE    d'ai'RÈS    l'oRDRE    DE    FRÉQUENCE    DES    DENTS    AFfEClÉES 


i8  supérieures .   .  j 


gauches, 
droites  . 


,  .   ,,  .  (  fiauches.   .    .  o 

4  inférieures..  .  \  ^^.^^^^  ...  i 

.  ,       .,                           ,  .                                                 13  inférieures..  .  [  f^^j'e'^;'  ;   '  î 

4  deuxièmes  grosses  molaires  permanentes <  ,     „     u  « 

"                          '                                         )           ,  .  \  gauche  ...  0 

r  1  supérieure.  .  .  j  ^^^-^^  ^ 

,  .  (  gauche  ...  1 

2  secondes  pctiies  molaires  permanentes )  "                   ~  '  '  1  droite.  ...  1 


0  inférieure I 

1  première  grosse  molaire  temporaire  inférieure  droite 1 

1  troisième  grosse  molaire  permanente  inférieure  droit» 1 


Total 18 


En  ce  qui  concerne  l'âge  des  sujets  atteints,  voici  ce  que  nous  avons  remarqué  : 
tous  les  âges  nous  ont  paru  susceptibles  de   présenter  cette  affection.  Le  sujet 


DENT   (pathologie).  279 

ie  moins  âgé  avait  quatre  ans;  le  plus  âgé  en  avait  soixante.  Trois  enfants 
«n  étaient  atteints,  l'un  de  quatre  ans,  le  second  de  douze,  le  troisième  de  treize 
ans;  cinq  sujets  étaient  d'un  âge  variant  de  vingt  à  quarante  ans;  enlin  dix  avaient 
<le  cinquante  à  soixante  ans.  Il  semble,  d'après  ces  quelques  chilïres,  que  les 
sujets  âgés  paraissent  être  plus  disposés  à  l'alfection  qui  nous  occupe  que  les 
adultes  et  les  enfants.  Quoi  qu'il  soit,  ces  considérations  reposent  sur  un  trop 
petit  nombre  de  faits  pour  présenter  une  valeur  réelle;  nous  ne  nous  y  arrêterons 
pas  plus  longtemps. 

C.  Symptomatologie.  Les  symptômes  produits  par  la  présence  d'une  tumeur 
du  périoste  sont  de  trois  ordres  :  i"  ils  peuvent  être  locaux,  c'est-à-dire  siégeant 
dans  la  mâchoire,  au  niveau  de  l'organe  affecté;  5°  ils  peuvent  être  des  symp- 
tômes de  voisinage,  c'est-à-dire  revêtir  le  caractère  d'accidents  névralgiques  sur 
une  ou  plusieurs  ramifications  de  la  cinquième  paire  ;  enlin  ils  peuvent  être 
généraux  et  provoqués  alors  ordinairement  par  la  violence  des  accidents  locaux. 
Ces  trois  ordres  de  symptômes  se  présentent  soit  isolément,  soit  simulta- 
nément. Les  symptômes  locaux  peuvent  exister  seuls  et  indépendants;  ils  mar- 
quent le  plus  souvent  le  début  de  l'affection;  les  accidents  névralgiques  ne  sur- 
viennent ordinairement  qu'après  le»  précédents  et  paraissent  être  sous  leur 
dépendance;  quelquefois,  cependant,  ils  apparaissent  les  premiers,  se  main- 
tiennent isolément  pendant  quelque  temps  et  peuvent  ainsi  tromper  sur  la  nature 
de  la  maladie;  enfin,  les  accidents  généraux  ne  surviennent  que  plus  tard, 
j-estent  sous  la  dépendance  des  autres  et  ne  se  développent  d'ailleurs  que  peu- 
plant certaines  périodes  de  la  maladie  que  nous  décrirons  sous  le  nom  d'accès 
douloureux  ou  crhes. 

Au  début  de  l'affection,  lorsque  la  tumeur  n'occupe  encore  dans  l'alvéole 
qu'un  espace  très-limité,  les  malades  accusent  le  plus  souvent  un  sentiment  de 
gène  ou  de  douleur  sourde  dans  la  mâchoire.  Quelquefois  la  sensation  est  vague 
■et  indéfinie,  comparable  dans  certains  cas  à  une  sorte  de  prurit  ou  chatouil- 
lement qui  engage  les  malades  à  porter  fréquemment  le  doigt  ou  la  langue  sur 
les  dents  du  côté  affecté  ;  d'autres  fois  elle  est  localisée  au  niveau  de  l'organe 
înalade  :  c'est  alors  une  douleur  ordinairement  profonde,  faible,  mais  continue 
■et  pouvant  devenir  très-fatigante,  plutôt  par  sa  persistance  que  par  son  inten- 
sité. Les  manœuvres  de  la  mastication  l'exaspèrent  ordinairement,  de  sorte  que 
les  malades  se  plaignent  particulièrement  après  les  repas.  En  même  temps,  les 
ganglions  sous-maxillaires  deviennent  parfois  le  siège  d'un  engorgement  qui 
reste  indolent  et  stationnaire  ou  s'accroît,  suivant  l'état  correspondant  de  la 
lésion  locale  qui  le  détermine-  Un  peu  de  roideur  et  de  gonflement  peuvent 
survenir  aussi  sur  la  joue  du  même  côté,  quelquefois  même  un  peu  de  douleur 
à  la  pression.  Puis  la  dent  commence  à  se  dévier  de  sa  direction  primitive  pour 
se  porter  généralement  en  dehors,  en  raison  de  l'impulsion  permanente  de  la 
langue.  La  gencive  du  côté  malade  s'altère,,  devient  le  siège  d'une  inflammation 
lente,  se  décolle  de  la  surface  de  la  dent,  et  celle-ci,  abandonnée  d'un  de  ses 
éléments  de  soutien,  flotte  dans  son  alvéole  au  sein  d'un  liquide  purulent  que 
fournit  quelquefois  la  tumeur,  mais  plus  souvent  le  bord  gingival.  L'inflam- 
mation de  la  gencive  ne  reste  pas  ordinairement  limitée  au  point  correspondant 
à  la  dent  malade  et  s'étend  souvent  aux  dents  voisines,  de  sorte  que  celles-ci 
peuvent  être  le  siège  d'une  certaine  douleur  à  la  pression  et  d'un  ébranlement 
plus  ou  moins  prononcé,  suivant  qu'elles  sont  plus  ou  moins  éloignées  du  siège 
primitif  de  la  maladie. 


280  DENT   (pathologie). 

Dans  un  certain  nombre  de  cas,  rares,  à  la  vérité,  le  début  de  l'affection  est 
marqué  par  l'apparition  de  douleurs  dans  le  voisinage  de  la  mâchoire.  Les 
malades  accusent  alors  des  points  douloureux  ordinairement  cutanés,  siégeant 
sur  divers  endroits  de  la  face  et  affectant  le  caractère  névralgique.  Les  douleurs 
sont  ordinairement  assez  vagues  et  fugaces,  se  portant  sur  diverses  régions,  soit 
simultanément,  soit  isolément  :  ainsi  la  tempe,  le  pourtour  de  l'orbite,  la  partie 
supérieure  de  la  joue,  peuvent  devenir  le  siège  de  douleurs  dépendantes  d'une 
tumeur  d'une  dent  supérieure  et  localisées  sur  le  trajet  des  filets  émergeants  ou 
les  anastomoses  superficielles  des  nerfs  sus  et  sous-orbitaires,  tandis  que,  dans 
le  cas  de  tumeur  d'une  dent  inférieure,  la  douleur  occupe  ordinairement  soit 
l'oreille  par  le  rame.m  auriculo-temporal  du  maxillaire  inférieur,  soit  le  trajet 
intra-maxillaire  de  ce  dernier,  ou  les  rameaux  cutanés  du  nerf  mentonnier. 

Quoi  qu'il  en  soit,  ces  derniers  accidents,  lorsqu'ils  se  développent  les  pre- 
miers, et  bien  qu'ils  restent  ordinairement  faibles,  sont  cependant  de  nature  à 
causer,  dans  certains  cas,  une  erreur  de  diagnostic  en  raison  de  leur  appa- 
rition antérieure  à  tout  symptôme  local  du  côté  des  dents,  de  sorte  que  les 
malades  se  croient  affectés  d'une  névralgie  faciale  simple,  et  le  médecin,  parta- 
geant quelquefois  cette  erreur,  a  pu  diriger  en  vain  contre  une  névralgie  sup- 
posée un  traitement  spécial.  Nous  avons  été  témoin  de  plusieurs  faits  de  ce  genre. 
Ajoutons  toutefois  que,  dans  les  circonstances  dont  nous  parlons,  les  accidents 
névralgiques  ne  icstent  pas  longtemps  isolés,  et  que  les  phénomènes  locaux,  se 
manifestant  peu  de  temps  après,  ne  laissent  bientôt  plus  de  doute  sur  la  cause 
réelle  de  la  maladie. 

Dans  tous  les  cas,  que  les  premiers  symptômes  prennent  pour  siège  la  dent 
malade  ou  qu'ils  occupent  les  ramifications  nerveuses  de  la  face,  ils  ont  toujours 
pour  caractère  général  de  se  maintenir  à  un  degré  faible,  s'exaspeVant  parfois 
sous  certaines  infiuences,  mais  conservant  un  caractère  de  bénignité  constante. 
C'est  ce  que  nous  appellerons  Vétat  stationnaire  de  la  maladie,  état  dont  la 
durée  peut  varier  depuis  quelques  semaines  jusqu'à  un  et  même  plusieurs  mois, 
et  qui  fait  suite  à  une  nouvelle  apparition  de  symptômes  que  nous  allons  décrire. 
En  effet,  au  milieu  de  l'état  douloureux  habituel  se  développent  subitement 
de  nouveaux  phénomènes  qui  ne  sont  que  l'exagération  des  accidents  primitifs 
et  dont  l'ensemble  constitue  une  crise  d'une  durée  variable  de  cinq  à  quinze 
jours. 

Sous  l'intlaence  d'une  cause  provocatrice  quelconque,  soit  choc  sur  la  deot 
malade,  soit  changement  brusque  de  température,  ou  bien  sans  cause  appré- 
ciable, la  crise  se  déclare. 

La  douleur  locale  s'accroît  rapidement  et  devient  le  plus  souvent  lancinante; 
la  dent  est  douloureuse  au  moindre  ébranlement  ;  le  contact  même  de  la  langue 
n'est  quelquefois  pas  tok'rable;  l'impression  des  liquides  chauds  inti'oduits  dans 
la  bouche  développe  de  vives  douleurs,  qui  sont  au  contraire  calmées  le  plus 
souvent  par  le  contact  des  liquides  froids,  et  la  mastication  devient  totalement 
impossible.  Les  douleurs  névralgiques  de  voisinage,  naguère  faibles  et  passagères, 
s'établissent  en  permanence  et  acquièrent  une  grande  intensité;  elles  occupent 
alors  soit  una  ou  plusieurs  des  branches  nerveuses  que  nous  avons  signalées, 
soit  la  totalité  de  ces  branches  et  leurs  anastomoses  superficielles,  de  sorte  que 
la  névralgie  peut  devenir  hémi-crânienne.  La  douleur  localisée  au  niveau  d'un 
des  organes  des  sens  peut  aussi  s'accompagner  de  troubles  spéciaux;  c'est  ainsi 
que  nous  a -ons  observé  quelquefois  une  certaine  gène  de  la  vision  dans   le  cas 


DENT   (pathologie).  281 

de  névralgie  orbitaire,  et  des  bourdonnements  accompagnés  même  d'un  peu  do 
surdité  dans  un  cas  de  jiévralgic  auriculaire. 

Des  symptômes  inflammatoires  se  développent  également  :  la  joue  se  tuméfie, 
devient  douloureuse  à  la  pression,  et  le  gonllement,  s'ctendant  quelquefois  plus 
loin,  peut  envahir  les  paupières  et  devenir  une  nouvelle  cause  de  trouble  de  la 
vue;  les  ganglions  sous-maxillaires  se  tuméfient  davantage  et  deviennent  dou- 
loureux ;  la  gencive  au  niveau  de  la  dent  malade  se  gonfle,  se  renverse  en  dehors 
de  la  surface  dentaire  et  prend  une  teinte  violacée;  quelquefois  elle  devient  le 
siège  de  petits  abcès  fnronculaires  du  volume  d'un  gros  pois  qui  se  succèdent 
pendant  toute  la  durée  de  la  crise  sans  produire  cependant  de  fistule.  L'inflam- 
mation se  propage  le  long  de  la  mâchoire,  et  nous  l'avons  vue  une  fois  envahir, 
dans  un  cas  de  tumeur  d'une  molaire  inférieure,  les  piliers  du  voile  du  palais, 
l'amygdale  correspondante,  et  causer  par  suite  une  dysphagie  assez  prononcée. 
La  dent  altérée  s'ébranle  fortement  ;  elle  fait  saillie  plus  ou  moins  hors  de  l'al- 
véole, et  sa  couronne  dépasse  souvent  alors  de  plusieurs  millimètres  le  niveau 
des  dents  voisines  ;  le  moindre  mouvement  qu'on  lui  imprime  est  Ircs-doulou- 
reux,  et  la  percussion  v»iatiquée  au  moyen  d'un  maiiclie  d'instrument,  au  lieu 
de  produire  un  son  clair,  comme  il  arrive  pour  les  dénis  saines,  rend  le   son 
mat  habituel  aux  dents  ébranlées. 

Enfin,  à  cet  ensemble  de  phénomènes  peuvent  se  joindre  des  accidents  géné- 
raux. La  crise  s'accompagne  alors  de  fièvre,  d'inappétence,  d'insomnie,  de  céphal- 
algie générale,  elc.  Quelquefois  même,  lorsque  les  accès  se  reproduisent  à  des 
intervalles  rapprochés  et  que  l'aflection  se  prolonge,  les  sujets  ^leuvent  pré- 
senter un  certain  degré  d'éraaciation,  particularité  que  nous  avons  observée,  par 
exemple,  chez  une  petite  fille  de  quatre  ans,  affectée  depuis  plusieurs  mois  d'une 
tumeur  occupant  les  racines  d'une  grosse  molaire  temporaire. 

Les  symptômes  que  nous  venons  de  passer  en  revue  sont  loin,  comme  on  le 
pense  bien,  de  se  présenter  suivant  un  ordre  et  une  régularité  constants.  Ainsi 
que  l'attestent  les  observations  que  nous  avons  recueillies,  les  accidt-nts  ont 
offert  tous  les  degrés  d'intensité.  Les  premières  crises,  en  général  faibles,  étaient 
suivies  de  plus  fortes  qui,  toutefois,  n'arrivaient  que  rarement  à  présenter  des 
phénomènes  bien  sérieux,  les  malades  venant  le  plus  souvent  réclamer  de 
bonne  heure  les  secours  de  l'art.  C'est  ainsi  qu'ordinairement  les  accès  ne  se 
présentent  qu'avec  une  intensité  moyenne.  Dans  une  circonstance,  cependant, 
les  symptômes  inflammatoires  acquirent  assez  de  violence  pour  que  la  joue 
devînt  le  siège  d'un  abcès.  Cet  abcès,  qui  fut  ouvert  à  l'extérieur,  donna  lieu  à 
une  fistule  faciale  qui  ne  céda  qu'à  l'extraction  de  la  dent  malade.  Cette  termi- 
naison est  la  seule  que  nous  ayons  à  signaler  dans  nos  dix-huit  observations.  En 
général,  au  contraire,  les  accidents  constituant  une  crise,  après  une  durée 
variable  que  nous  avons  déterminée  plus  haut,  s'apaisent  progressivement  pour 
faire  place  à  un  calme  plus  ou  moins  complet  qui  n'est  plus  troublé  que  par  la 
sensation  douloureuse  habituelle  de  Vétat  stationnaire  et  la  gêne  de  la  mastica- 
tion. Les  accidents  se  terminent  donc  ordinairement  par  résolution  ;  la  tuméfac- 
tion de  la  joue  (hsparaît  peu  à  peu,  les  douleurs  névralgiques  s'apaisent,  la  dent 
semble  rentrer  dans  son  alvéole,  reprend  un  peu  de  solidité,  et  peut  même, 
dans  quelques  circonstances  rares,  recouvrer  ses  usages.  La  gencive,  cepen- 
dant, reste  généralement  décollée  de  la  surface  dentaire,  et  le  pus  produit 
par  l'inflammation  gingivale  continue  à  baigner  le  pourtour  de  la  dent,  puis  le 
calme  fait  bientôt  suite  ii  un  nouvel  accès,  en  général  plus  violent  que  le  pré- 


282  DENT   (pathologie). 

cèdent,  jusqu'à  ce  qu'enfin  le  malade,  las  de  souffrir,  réclame  l'extraction  de  la 
dent  cause  de  tous  ces  désordres. 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  alternatives  de  calme  et  de  crise  douloureuse,  consti- 
tuant le  caractère  dominant  de  la  maladie,  correspondent  à  des  modifications 
inhérentes  à  la  tumeur  elle-même. 

Au  début  de  l'affection,  la  tumeur  conservant  un  volume  invariable  ou 
prenant  un  accroissement  progressif  très-lent,  la  douleur  reste  faible,  soit  vague, 
«oit  localisée  dans  le  point  affecté;  c'est  Vétat  stationnaire.  Après  un  certain 
temps,  la  production  devient  tout  à  coup  le  siège  d'une  congestion  qui  a  pour 
«ffet  immédiat  d'en  augmenter  rapidement  le  volume  et  de  développer  une  crise. 
Alors  s'expliquent  l'exagération  des  accidents  locaux,  la  production  des  phéno- 
mènes inflammatoires  dans  les  parties  voisines,  l'allongement  et  la  déviation  de 
la  dent  malade  ;  alors  aussi  surviennent  les  vives  douleurs  névralgiques.  Ces 
dernières,  qui  accompagnent  toute  altération  dentaire  dans  laquelle  les  parties 
molles  de  l'organe  sont  intéressées,  sont  la  conséquence  naturelle  d'une  modi- 
fication apportée  dans  l'état  de  la  dent  malade.  En  effet,  le  développement  d'une 
tumeur  dans  l'alvéole  ayant  pour  effet  d'éloigner  la  suriace  dentaire  de  la  paroi 
osseuse,  il  en  résulte  un  tiraillement  et  une  distension  plus  ou  moins  grands, 
qui,  s' exerçant  sur  la  pulpe  et  les  filets  nerveux  de  la  dent,  déterminent  ainsi 
les  névralgies  qui  occupent  soit  le  trajet  des  nerfs  dentaires,  soit  celui  des 
ramifications  anastomotiques  si  multipliées  de  la  5'  paire.  Enfin  cette  con- 
gestion, phénomène  passager  de  la  maladie,  après  avoir  parcouru  ses  diverses 
phases,  se  termine  ordinairement,  soit  par  résolution,  ce  qui  arrive  le  plus  sou- 
vent, soit  par  une  hémorrhagie  spontanée  qui  apaise  rapidement  l'inflammation, 
ramène  la  tumeur  à  son  volume  primitif,  et  fait  dès  lors  cesser  les  accidents. 

Ainsi,  étal  de  gêne  ou  de  douleur  faible  permanent,  production  accidentelle 
€t  passagère  d'accidents  plus  sérieux  inflammatoires  et  névralgiques,  parfois 
d'accidents  généraux,  telles  sont  en  quelques  mots  les  expressions  morbides  qui 
caractérisent  la  présence  d'une  tumeur  du  périoste  dentaire. 

C.  Diagnostic.  Les  caractères  des  tumeurs  du  périoste  dentaire  se  présen- 
tent en  général  avec  une  assez  grande  netteté  pour  que  le  diagnostic  soit  facile 
à  établir.  L'état  ordinairement  sain  de  la  couronne,  l'ébranlement  et  la  dévia- 
tion de  la  dent,  l'altération  de  la  gencive,  la  suppuration  du  bord  gingival,  les 
douleurs  provoquées  par  la  pression  ou  la  percussion  sur  l'organe  affecté,  sont 
des  signes  qui  permettent  de  soupçonner  l'existence  de  la  maladie,  et,  si  le  sujet 
a  éprouvé  eu  même  temps  les  symptômes  spéciaux  avec  alternatives  de  calme 
et  de  crises,  on  pourra  songer  sérieusement  à  la  présence  d'une  tumeur.  Néan- 
moins, comme  plusieurs  affections  peuvent  offrir  dans  certaines  circonstances 
<]uelques  points  de  contact  avec  ce  processus,  et  que  d'ailleurs  presque  toutes 
les  questions  de  pathologie  dentaire  sont  fort  peu  étudiées  et  fort  peu  connues, 
nous  allons  jeter  un  coup  d'oeil  sur  les  maladies  qui  pourraient  être  confondues 
avec  les  tumeurs  :  c'est  ainsi  que  nous  passerons  en  revue  la  carie  dentaire,  la 
névralgie  faciale,  la  périostite,  les  abcès  sous-périostaux,  les  tumeurs  du  cément. 
1"  Carie  dentaire.  Les  symptômes  propres  à  la  carie  dentaire  ne  sauraient 
eu  imposer  pour  ceux  des  tumeurs  que  lorsque  ces  dernières  ont  pris  naissance 
sur  les  racines  d'une  dent  cariée,  et  que  ces  deux  affections  occupent  ainsi 
simultanément  le  même  organe.  Dans  ces  circonstances,  il  faudra  s'enquérir  si 
la  carie  communique  ou  non  avec  la  cavité  de  la  pulpe.  Si  la  communication 
existe,  il  importe  alors  de  savoir  si  la  pulpe  dentaire  est  conservée  ou  si  elle  a 


DENT  (pathologie).  285 

disparu.  Les  symptômes  qui  accompagnent  la  carie  étant  constamment  le  résultat 
de  l'irritation  ou  de  l'inûammation  de  cet  organe  exposé  à  l'extérieur,  nous 
mettrons  d'abord  hors  de  cause  les  dents  qui  sont  affectées  de  tumeur  et  atteintes 
en  même  temps  de  carie  soit  légère  et  ne  communiquant  pas  avec  la  pulpe, 
soit  très-avancée  et  accompagnée  de  disparition  complète  de  cet  organe.  Disons 
en  passant  que  les  dix-huit  observations  que  nous  avons  recueillies  rentrent 
dans  ces  deuv  catégories.  Restent  donc  comme  pouvant  causer  un  doute  les  dents 
qui  sont  affectées  simultanément  de  tumeur  et  de  carie  communiquant  avecla 
pulpe  denlaire  conservée.  Les  symptômes  peuvent  offrir  alors  de  grandes  ana- 
logies :  ainsi,  dans  les  deux  cas,  douleurs  pendant  les  repas,  accidents  névral- 
giques de  voisinage  reparaissant  à  des  intervalles  variés  se  produisant  avec  une 
intensité  parfois  très-forte,  puis  cessant  pendant  quelque  temps  pour  reparaître 
sous  l'influence  d'une  nouvelle  cause  provocatrice.  Hàtons-nous  d'ajouter  cepen- 
dant que  les  signes  tirés  de  l'observation  directe  font  bientôt  disparaître  le  doute. 
Ainsi,  dans  la  carie  simple,  point  d'inflammation  de  voisinage,  point  d'altération 
de  la  gencive,  point  de  douleur  à  la  pression,  point  de  déviation  ni  d'ébran- 
lement de  la  dent,  point  de  suppuration  gingivale.  La  distinction,  comme  on 
voit,  sera  donc  possible. 

1°  Névralgie  faciale.  La  névralgie  faciale  essentielle  se  distinguera  aisément 
des  accidents  produits  parles  tumeurs,  en  ce  qu'aucune  dent  ne  présentera  les 
symptômes  et  les  signes  qui  décèlent  l'existence  de  cette  affection.  Cependant, 
lorsque  les  douleurs  névralgiques  forment  le  début  des  symptômes  d'une  tumeur, 
quelque  embarras  pourrait  sui'gir  :  alors  on  devia  recourir  à  un  moyen  qui  nous 
a  réussi  dans  un  cas,  à  savoir  au  traitement  delà  névralgie  faciale.  Ce  traitement 
sera,  comme  on  le  pense  bien,  sans  effet  sur  des  accidents  provoqués  par  la 
présence  d'une  tumeur,  tandis  qu'il  triomphera  ordinairement  d'une  névralgie 
faciale  simple. 

3°  Périostile  dentaire.  L'affection  dont  les  symptômes  présentent  certai- 
nement le  plus  d'analogie  avec  les  accidents  produits  par  la  présence  d'une 
tumeur  du  périoste  est  l'inflammation  elle-même  de  cette  membrane,  ou  périos- 
tite  dentaire,  surtout  lorsque  cette  affection  est  passée  à  l'état  chronique.  Nous 
allons  nous  arrêter  un  instant  à  cette  détermination  importante. 

La  périostite  aiguë  peut  affecter  soit  une  dent  cariée,  soit  une  dent  saine. 
Lorsqu'elle  naît  sur  une  dent  saine,  elle  occupe  le  plus  souvent  les  dents  anté- 
rieures et  supérieures,  et  résulte  alors  d'un  traumatisme,  d'une  transition 
brusque  dans  la  température  de  la  bouche,  etc.  Lorsqu'idle  occupe  une  dent 
cariée,  celle-ci  peut  être  en  même  temps  le  siège  d'une  inllammation  générale 
de  la  pulpe,  et  la  périostite  est  alors  le  résultat  de  l'extension  de  la  phlegmasie; 
dans  le  cas  au  contraire  où  la  dent  est  absolument  privée  de  sa  pulpe,  la 
maladie  doit  être  considérée  comme  une  tentative  produite  par  l'économie  pour 
expulser  un  organe  devenu  corps  étranger. 

Quoi  qu'il  en  soit  des  conditions  de  développement  de  la  périostite  aiguë, 
cette  affection  se  distinguera  sans  trop  de  difficulté  d'une  tumeur  du  périoste! 
Les  symptômes  cependant  offrent  parfois  certaines  ressemblances  :  ainsi,  à  part 
l'invasion  des  douleurs,  qui  est  lente  et  progressive  dans  les  tumeurs,  brusque 
et  inattendue  dans  la  périostite  aiguë,  ils  se  présentent  avec  les  mêmes  carac- 
tères, de  même  que  dans  les  tumeurs  les  douleurs  de  la  périostite  sont  conti- 
nues, lancinantes,  accompagnées  souvent  de  phénomènes  inflammatoires  de  voi- 
sinage, d'accidents  névralgiques,  parfois  d'accidents  généraux.  Leur  marche  est 


28-4  DENT   (pathologie). 

lente  et  graduelle  dans  ces  deux  cas,  et  leur  terminaison  peut  s'effectuer  par 
résolution  des  accidents  inflamnialoires.  U  est  utile  de  remarquer  toutefois  que 
les  phénomènes  sérieux  qui  résultent  de  la  présence  d'une  tumeur  et  qui  con- 
stituent ce  que  nous  avons  appelé  les  crises  surviennent  toujours  au  milieu 
d'un  état  douloureux  habituel,  circonstance  qui  ne  se  rencontre  pas  pour  la 
périostite  aiguë,  dont  l'apparition  est  subite.  Cette  particularité  servirait  au 
besoin  de  caractère  distinctif,  mais  les  signes  tirés  de  l'examen  de  la  bouche 
suffiront  à  cette  détermination.  En  effet,  dans  la  périostite  aiguë  la  dent  ne  pré- 
sente ni  l'ébranlement  considérable,  ni  la  déviation  plus  ou  moins  prononcée 
de  l'organe,  ni  l'état  fongueux  de  la  gencive,  ni  la  suppuration  gingivale  dos 
tumeurs.  Ainsi  donc,  il  sera  facile  dans  la  plupart  des  cas  de  distinguer  la 
périostite  aiguë  de  l'affection  qui  nous  occupe.  U  n'en  sera  pas  de  même  de  la 
périostite  chronique,  ainsi  que  nous  allons  le  voir. 

La  périostite  chronique,  suite  ordinaire  de  la  périostite  aiguë,  est  caractérisi'e 
anatomiquement  par  les  lésions  ordinaires  de  l'inflammation  qu'il  nous  paraît 
inutile  de  rappeler  ici  ;  elle  occupe  presque  exclusivement  les  dents  profondément 
cariées  et  dans  lesquelles  la  pulpe  dentaire  a  complètement  disparu.  Cette  pre- 
mière circonstance  permet  une  distinction  facile  pour  les  cas  très-fréquents  de 
dents  soupçonnées  de  tumeurs  et  exemptes  de  carie.  Quant  à  celles  qui  sont 
simultanément  le  siège  d'une  carie  profonde  et  d'une  périostite  chronique,  elles 
offrent  avec  les  tumeurs  de  grandes  analogies  de  symptômes.  Ainsi,  les  dou- 
leurs sont  continues,  accompagnées  d'élancements,  de  phénomènes  nerveux, 
d'accidents  inflammatoires  de  voisinage,  de  tuméfaction  et  décollement  de  la 
gencive,  d'ébranlement  et  parfois  de  déviation  de  la  dent,  d'abcès  du  bord  gin- 
gival souvent  suivi  de  fistule  permanente,  etc.  De  plus,  la  périostite  chronique 
est  sujette  à  présenter  certaines  périodes  de  retour  à  l'état  aigu,  périodes  qui 
simulent  parfaitement  les  crises  que  provoquent  les  tumeurs  du  périoste.  Lors 
donc  qu'une  dent  affectée  de  carie  avec  disparition  de  la  pulpe  présentera  les 
phénomènes  que  nous  venons  de  signaler,  le  diagnostic  pourra  rester  très-diffi- 
cile. Ajoutons  cependant  que  dans  de  telles  circonstances  la  conduite  du  chirur- 
gien ne  sera  nullement  influencée,  le  traitemeut  consistant  invariablement,  pour 
les  deux  cas,  dans  l'extraction  de  l'organe  malade,  sauf  dans  la  périostite  chro- 
nique à  pratiquer  la  greffe.  Disons  enfin  que  l'anatomie  pathologique  de  la  pé- 
riostite chronique  est  très-différente  des  altérations  des  tumeurs  :  dans  le  pre- 
mier cas,  le  périoste  est  ramolli,  offrant  quelquefois  un  certain  épaississement, 
mais  plus  ou  moins  généralisé  dans  toute  la  membrane,  qui  est  injectée  ou 
imprégnée  de  pus,  quelquefois  décollée.  Dans  les  tumeurs,  au  contraire,  l'alté- 
ration est  limitée  à  un  point  du  péiiosle,  et  les  caractères  histologiques,  d'ail- 
leurs, sont  très-différents,  dans  les  modifications  organiques  des  tumeurs,  de 
ceux  qu'on  observe  dans  les  productions  inflammatoires  de  la  périostite. 

Il  est  encore  une  affection  très-voisine,  par  ses  caractères,  de  la  périostite 
chronique,  et  qui  a  reçu  le  nom  d'ostéo-périosfite  alvéolaire  ;  nous  la  décrirons 
tout  à  l'heure.  Elle  affecte  de  préférence  les  dents  antéro- inférieures,  et  paraît 
caractérisée  anatomiquement  par  une  disparition  complète  de  la  paroi  osseuse 
alvéolaire,  accompagnée  d'une  fonte  purulente  du  périoste  dentaire.  Quant  à  ses 
symptômes,  ils  consistent  en  des  douleurs  continues,  faibles,  sans  accidents 
inflammatoires  de  voisinage,  sans  phénomènes  névralgiques,  et  leur  marche 
uniforme  et  progressive  ne  présente  pas  les  alternatives  de  crise  et  de  calme  que 
nous  avons  reconnues  aux  tumeurs. 


DENT  (pathologie).  '-^^S 

4"  Abcès  sous-périostaux.  Ces  abcès  sous-périostaux  des  racines,  plus  connus 
sous  le  nom  de  kystes  des  racines,  ont  été  peu  étudiés.  Nous  en  avons  observé 
un  certain  nombre  d'exemples.  Les  dents  antéro-supérieures  paraissent  en 
être  plus  souvent  le  siège  que  les  autres.  Ces  productions,  qui  reconnaissent 
une  origine  essentiellement  inflammatoire,  succèdent  ordinairement  à  une 
périostite  partielle  limitée  au  sommet  de  la  racine.  L'étude  de  leur  struc- 
ture, faite  dans  trois  cas  par  M.  Robin,  a  fourni  les  indications  suivantes  :  La 
masse  est  globuleuse,  molle,  s'écrasant  facilement  et  laissant  sourdre  un  liquide 
purulent.  Elle  est  formée  d'une  enveloppe  fibreuse  représentée  par  le  périoste 
lui-même,  un  peu  épaissi  et  soulevé  de  la  surface  du  cément  par  le  pus  accu- 
mulé au-dessous  de  lui.  Quant  aux  symptômes,  ils  présentent,  il  est  vrai,  quel- 
ques analogies  avec  ceux  des  tumeurs,  mais  les  signes  suffiront  ordinairement  à 
établir  la  distinction.  Ainsi,  dans  le  cas  d'abcès  sous-périostal  des  racines,  on 
n'observe  ni  altération  de  la  gencive,  ni  suppuration  du  bord  alvéolaire,  et 
l'ébranlement  de  la  dent,  lorsqu'il  existe,  est  très-faible  et  ne  s'accompagne  pas 
de  déviation  de  l'organe. 

0»  Tumeurs  dures  des  racines.  Ces  tumeurs,  qui  sont  assez  rares,  sont  ordi- 
nairement formées  par  des  exostoses  du  cément  qui  revêt  la  surface  des  racines. 
Elles  ont  pour  caractère  particulier  de  se  développer  avec  une  extrême  lenteur, 
et,  comme  leur  marcbe  est  régulièrement  progressive,  leurs  symptômes,  au  lieu 
de  présenter  les  alternatives  de  calme  et  d'aggravation  qui  sont  le  propre  des 
tumeurs  molles,  sont  remarquables  au  contraire  par  leur  persistance  au  même 
degré.  De  plus,  la  dent,  loin  de  présenter  de  l'ébranlement,  reste  fixée  très- 
solidement  à  la  mâchoire.  Enfin,  aucun  signe  ne  se  produit  du  côté  de  la  gen- 
cive, de  sorte  que  presque  toujours  le  diagnostic  nous  parait  facile. 

D.  Traitement.  Nous  introduirons  dans  les  courtes  considérations  relatives 
au  traitement  une  division  nécessaire;  en  effet,  le  traitement  pourra  être  pal- 
liatif ou  curatif.  L'affection  étant  par  nature  incurable  radicalement  par  les 
ressources  thérapeutiques  ordinaires,  les  malades  seront  presque  invariablement 
conduits  par  les  progrès  de  la  maladie  à  réclamer  l'extraction  de  la  dent 
affectée.  Mais,  si  cependant  une  circonstance  spéciale  ou  la  volonté  du  sujet 
s'opposent  à  l'extraction,  on  devra  entreprendre  le  traitement  des  symptômes 

Le  traitement  palliatif,  s'adressant  presque  toujours  aux  accidents  constituant 
une  crise,  devra  consister  dans  l'emploi,  selon  les  cas,  des  émollients,  des 
saignées  locales,  scarifications  ou  sangsues,  des  révulsifs,  divers  moyens  pouvant 
produire  la  cessation  plus  rapide  de  la  crise,  et  ramener  l'état  stationnaire, 
ordinairement  très- supportable. 

Le  traitement  curatif  consiste,  comme  on  le  pense  bien,  dans  l'extraction  de 
la  dent,  seul  moyen  qui  permette  une  gucrison  radicale.  Cette  extraction  est 
ordinairement  très-facile,  car  la  dent  est  toujours  plus  ou  moins  ébranlée  ;  mais, 
comme  l'opération  s'effectue  en  général  pendant  une  période  de  crise  qui  amène 
le  malade  chez  le  chirurgien,  elle  s'accompagne  d'une  douleur  généralement 
assez  vive  et  pouvant  même  devenir  très-intense  dans  le  cas,  par  exemple,  de 
dent  dépourvue  de  carie  et  ayant  conservé  sa  pulpe  et  ses  filets  nerveux.  L'opé- 
ration donne  lieu  également,  dans  la  plupart  des  cas,  à  une  liémorrhagie  beau- 
coup plus  considérable  que  dans  les  avulsions  ordinaires.  Cette  particularité 
tient  à  l'état  de  congestion  plus  ou  moins  prononcée  de  la  tumeur  et  des  parties 
ambiantes  coïncidant  avec  la  crise. 

Il  est  donc  du  devoir  du  chirurgien  consulté,  après  constatation  des  symptômes 


286  DENT  (pathologie). 

et  détermination  précise  du  diagnostic,  d'engager  les  malades  à  faire  cesser,  par 
l'extraction  de  la  dent,  la  série  des  phénomènes  morbides  qu'occasionne  une 
tumeur  du  périoste,  dont  la  présence  peut  entraîner  par  la  suite  des  accidents 
sérieux,  tels  que  ceux  que  nous  avons  signalés  dans  le  cours  de  cette  de- 
scription. 

3"  De  l'ostéo-périostite  alvéolo-dentaire.  Les  médecins  qui  ont  apporté 
quelque  attention  aux  affections  diverses  de  la  bouche  ont  pu  être  frappés  de 
certaines  circonstances  dans  lesquelles  des  individus  éprouvent  prén^turéraent 
un  ébranlement  progressif  et  continu  d'une  ou  de  plusieurs  dents,  accompagné 
de  suppuration  abondante  de  l'alvéole,  de  phénomènes  inflammatoires  de  la 
gencive,  fongosités,  abcès,  et  de  certains  autres  phénomènes  particuliers,  sans 
que  cependant  les  dents  elles-mêmes  présentent  aucune  altération  apparente 
de  leur  substance.  On  a  pu  remarquer,  en  outre,  que  cette  affection,  abandonnée 
à  elle-même,  aboutissait  fatalement  à  la  chute  de  ces  organes. 

Cette  maladie,  dont  nous  avons  l'intention  d'indiquer  le  siège  anatomique 
précis  et  de  déterminer  la  véritable  nature,  a  été  signalée  déjà  depuis  longtemps 
par  divers  auteurs. 

En  effet,  Jourdain  {Maladies  de  la  bouche,  t.  II,  p.  596),  qui  a  laissé  de 
cette  affection  un  certain  nombre  d'observations,  lui  donne  le  nom  de  suppu- 
ration conjointe  des  alvéoles  et  des  gencives,  admettant  que  la  lésion  a  pour 
siège  simultané  le  tissu  gingival  et  l'alvéole  proprement  dit,  puis,  regardant  cet 
état  comme  de  nature  scorbutique,  il  conseille  l'ablation  des  dents  comme  seul 
moyen  de  guérison. 

Quelques  années  avant  Jourdain,  en  1746,  Fauchard  {le  Chirurgien  dentiste. 
Paris,  1746,  t.  I,  p.  275)  avait  déjà  remarqué  cette  étrange  maladie,  mais,  sans 
lui  assigner  de  nom  spécial,  il  reconnaissait  l'impuissance  de  tout  moyen 
thérapeutique  et  sa  terminaison  inévilable  par  la  perte  des  dents. 

Toirac  enfin  l'a  signalée  de  nouveau  et,  frappé  d'un  des  signes  les  plus  carac- 
téristiques de  la  maladie,  lui  donna  le  nom  de  pyorrhée-inter-alvéolo-dentaire. 
11  est  regrettable  que  cet  auteur  n'en  ait  tracé  aucune  description  et  se  soit 
borné  à  faire  sur  ce  sujet  une  simple  communication  orale  dans  une  société 
médicale  de  Paris. 

Oudet  {Dictionnaire  de  médecine  en  30  vol.,  t.  X,  p.  195)  la  mentionne 
également  dans  ses  excellents  articles  d'odontologie  publiés  dès  1855.  Il  lui 
conserve  le  nom  assigné  par  Jourdain  et  suppose  le  premier  que  l'affection 
paraît  siéger  dans  la  membrane  externe  des  racines. 

C'est  encore  à  cette  maladie  qu'on  doit  rapporter  sans  doute  une  certaine 
communication  de  Marchai  (de  Caivi)  faite  à  l'Académie  des  sciences  sous  le 
nom  de  gingivite  expulsive  {Comptes  rendus  de  V Académie  des  sciences,  1861, 
séance  du  10  septembre).  On  voit  qu'il  s'agit  ici  pour  1  auteur  d'une  affection 
spéciale  du  tissu  gingival  :  or  nous  pensons  montrer,  par  la  suite  de  cette  étude, 
que  la  gencive,  n'étant  jamais  atteinte  que  consécutivement,  n'est  point  le  siège 
réel  de  la  lésion. 

Quoiqu'il  en  soit,  il  n'existe  aucune  étude  complète  de  cette  affection  signalée 
et  reconnue  depuis  longtemps,  mais  nullement  décrite  dans  ses  caractères 
particuliers,  son  siège  exact,  sa  symptomatologie  et  enfin  la  thérapeutique 
rationnelle  qui  peut  en  amener  la  guérison. 

La  maladie  dont  nous  nous  occupons  paraît  essentiellement  caractérisée  au 
point  de  vue  anatomique  par  une  destruction  lente  et  progressive  de  la  mem- 


DEM   (pathologie).  287 

brane  pc'riostnle  et  de  la  couclie  de  cément  qui  lui  est  sous-jacente  (on  sait 
que  le  cément  (cortical  osseux  de  Tenon)  est  représenté  par  une  couche  de 
tissu  osseux  proprement  dit,  étendue  à  toute  la  surface  de  la  racine;  son  épais- 
seur varie  de  1  à  5  millimètres  dans  le  voisinage  du  sommet  et  il  va  ens'amin- 
cissant  vers  le  collet.  11  sert  en  quelque  sorte  d'intermédiaire  organique  entre 
l'ivoire  et  le  périoste  dentaire,  lequel  présente  à  peu  près  la  texture  du  périoste 
osseux  lui-même),  dcstrucùon  de  n;iture  inllammatoire,  à  marche  chronique, 
procédant  constamment  du  collet  au  sommet  de  la  racine  et  entraînant  fatalement 
la  chute  des  dents. 

Cette  physionomie  spéciale,  ce  mode  de  début  et  le  siéi^e  précis  de  la  lésion, 
nous  semblent  donc  justifier  pleinement  le  nom  que  nous  proposons  à'ostéu- 
périostite  ulvéolo-dentaire. 

Toutefois  cette  affection,  malgré  sa  spécialisation  primitive  au  périoste  et  au 
cément  dentaires,  se  complique  peu  de  temps  après  son  apparition  de  certains 
désordres  du  côté  de  la  gencive  et  de  la  paroi  osseuse  alvéolaire  elle-même; 
mais  l'étude  de  la  succession  des  phénomènes  morbides  ne  nous  permet  pas- 
d'admettre,  ainsi  que  l'ont  prétendu  divers  auteurs,  que  ces  parties  soient  pri- 
mitivement le  siège  du  mal.  Nous  n'en  voudrions  pour  preuve  que  la  localisation 
isolée  de  l'affection  à  une  ou  plusieurs  dents  sans  se  propager  nécessairement 
aux  voisines,  les  circonstances  du  siège  anatomiqnc,  les  signes  spéciaux  de  la 
lésion  et  enfin  le  fait  de  la  guérison  constante  qui  succède  à  l'abhitioii  de  Ja 
dent  affectée. 

Ces  raisons  nous  paraissent  devoir  prouver  surabondamment  que  c'est  bien 
la  dent  et  non  point  le  tissu  gingival  ou  toute  autre  partie  qui  doit  ètra  regardée 
comme  le  siège  de  l'altération. 

Anatomie  pathologique.  Si  l'on  observe  une  dent  enlevée  de  l'alvéole  au 
début  de  l'affection,  on  constate  sur  le  périoste  dentaiie,  dans  le  voisinage  du 
collet,  point  de  début  constant  de  la  maladie,  une  légère  injection  disposée 
ordinairement  par  plaques  irrégulières,  quelquefois  étendue  en  forme  d'anneau 
horizontal  incomplet  au  pourtour  de  la  dent.  La  membrane  est  en  même  temps 
notablement  épaissie,  plus  molle  et  inégale  d'aspect.  Un  peu  plus  tard,  le 
périoste  présente  un  décollement  manifeste  dans  la  partie  primitivement  atteinte, 
tandis  que  la  congestion  a  gagné  vers  le  sommet  de  la  racine.  C'est  au  moment 
où  commence  ce  décollement  que  la  couche  sous-jacente  de  cément,  se  trouvant 
ainsi  découverte,  se  prend  d'ostéite,  puis  de  nécrose  consécutive,  et,  si  l'on 
examine  la  surface  de  la  racine  en  grattant  le  périoste  avec  un  instrument 
mousse,  on  la  trouve  inégal-e,  rugueuse,  finement  mamelonnée  et  offrant  au 
doigt  la  sensation  d'une  râpe.  Cette  sensation  est  due  à  la  disparition  par  places 
de  la  substance  du  cément  et  à  sa  persistance  sur  d'autres  à  l'état  de  petits  frag- 
ments en  voie  de  résorption. 

L'altération  que  nous  venons  d'indiquer,  se  propageant  à  partir  du  collet  vers 
le  sommet  de  la  racine,  arrive  bientôt  à  occuper,  soit  toute  la  hauteur  d'un  des 
côtés  de  cette  racine,  soit  la  surface  totale  de  celle-ci.  Pour  les  dents  à  une  seule 
racine,  la  maladie  en  occupe  rapidement  toute  l'étendue,  tandis  que  pour  celles 
qui  en  ont  plusieurs  distinctes  la  lésion  peut  se  limiter  à  l'une  d'elles  et  v  rester 
fixée  sans  s'étendre  aux  voisines. 

Dans  le  cours  de  la  maladie,  les  parties  du  périoste  et  du  cément  primitive- 
ment atteintes  disparaissant  par  voie  de  résorption,  l'ivoire  reste  en  définitive 
complètement  à  découvert,  tandis  que  l'envahissement  continue  vers  les  points 


288  DENT   (pathologie). 

de  la  racine  où  le  cément  présente  une  plus  grande  épaisseur.  lien  résulte  que, 
si  on  vient  à  examiner  avec  une  foVte  loupe  la  surface  dentaire  ainsi  mise  à  nu, 
on  y  retrouve  la  disposition  irrégulière  et  un  peu  ondulée  de  la  dentine.  Ce 
tissu,  toutefois,  ne  paraît  éprouver  ni  ramollissement  ni  aucune  lésion  quel- 
conque. 

Lorsque,  par  suite  delà  progression  non  interrompue  de  la  maladie,  l'injection 
a  gagné  de  proche  en  proche,  accompagnée  du  décollement  et  de  la  nécrose 
osseuse  sous-jacente,  le  sommet  de  la  racine  est  enGn  entouré  lui-même  de 
tissus  ainsi  modifiés. 

A  ce  moment,  la  gencive  et  les  bords  alvéolaires,  frappés  dans  leur  vitalité  et 
leurs  fonctions,  éprouvent  des  altérations  de  voisinage,  caractérisées  par  des 
phénomènes  inflammatoires  à  marche  lente  et  chronique,  avec  des  fongosités 
ou  ulcérations  marginales  que  nous  étudierons  plus  loin  dans  la  symptoma- 
tologie. 

En  même  temps  on  trouve  l'alvéole  tout  entier  rempli  d'un  pus  crémeux, 
épais  et  jaunâtre,  baignant  toutes  les  parties  altérées,  et  dont  la  production 
active  et  incessante  entraine  les  lambeaux  mortitiés  du  périoste  et  du  cément. 

Les  caractères  anatomiques  de  l'altération  ainsi  observés  à  la  période  habituelle 
ou  période  d'état  se  modifient  notablement,  si  on  les  étudie  pendant  une  des 
crises  ou  périodes  aiguës  qui  surviennent,  comme  on  le  verra,  à  des  intervalles 
variés.  Les  parties  sont  alors  le  siège  d'inflammation  vive  avec  rougeur  et 
injection  intense  du  périoste,  état  congestif  considérable  du  bord  gingival  devenu 
épais  et  sanguinolent.  La  quantité  de  pus  fournie  par  l'alvéole  est  bien  plus 
considérable,  et  la  dent  soulevée  et  allongée  présente  une  mobilité  extrême. 

Si  maintenant  on  soumet  à  l'examen  microscopique  les  diverses  parties 
altérées,  on  constate  les  éléments  ordinaires  de  l'inflammation  des  tissus  de 
l'ordre  de  ceux  qui  sont  affectés  dans  cette  maladie.  Ainsi,  en  déposant  sur  une 
lame  de  verre  les  débris  obtenus  par  le  grattage  de  la  racine,  on  reconnaît,  au 
milieu  d'un  nombre  considérable  de  leucocytes  du  pus,  des  lambeaux  de  périoste 
à  l'état  de  trame  fibreuse,  épaissie,  lâche,  pénétrée  de  pus;  des  petits  débris 
de  cément,  reconnaissables  à  leur  constitution  spéciale,  si  voisine  de  l'os  : 
ostéoplastes  irréguliers,  disposés  sans  ordre  au  sein  d'une  substance  fondamentale 
devenue  opaque  et  granuleuse  par  suite  de  l'altération  qu'elle  a  subie. 

Au  milieu  de  ces  éléments  on  rencontre  encore  des  lambeaux  d'épithélium 
pavimenteux  provenant  de  la  gencive  ;  des  bouquets  d'oïdium  et  de  leptolhrix 
[lepiliothrix  buccalis,  Robin)  {Végétaux parasites  qui  croissent  sur  l'homme  et 
sur  les  animaux  vivants.  Paiis,  1853),  des  vibrions  [vibrio  lineola  Ehrenberg) 
et  un  certain  nombre  de  petites  masses  irrégulières  composées  de  phosphates  et 
de  carbonates  de  chaux  et  constituant  sans  doute  des  dépôts  de  tartre. 

A  la  période  la  plus  avancée  de  la  maladie,  alors  que  presque  toute  la  hauteur 
du  périoste  et  du  cément  a  été  envahie  et  détruite,  les  lambeaux  du  périoste  au 
voisinage  du  sommet  et  au  pourtour  de  l'orifice  d'entrée  du  faisceau  vasculo- 
nerveux  dans  le  canal  dentaire  offrent  souvent  des  végétations  fongueuses  plus 
ou  moins  abondantes  et  qui  fournissent  précisément  la  quantité  de  pus  ordinai- 
rement si  considérable  qui  suinte  à  ce  moment  de  l'alvéole.  Ce  sont  ces  végétations, 
sujettes  à  des  congestions  passagères  et  subissant  ainsi  une  augmentation  de 
volume  pour  revenir  ensuite  à  leur  état  habituel,  qui  donnent  lieu  au  phénomène 
d'allongement  des  dents  vers  la  fin  de  la  maladie. 

L'organe  dentaire,  considéré  dans  sa  totalité,  ne  change  pas  ordinairement 


DEiS'T  (pathologie).  289 

d'aspect.  Toutefois,  lorsque  l'affection  est  ancienne  et  qu'elle  a  envahi,  par 
exemple,  une  ou  deux  des  racines  d'une  grosse  molaire,  la  pulpe  se  tiouve 
parfois  frappée  de  gangrène,  et  la  dent  prend  la  coloration  grise  ou  noirâtre 
caractéristique  de  cette  lésion.  Ce  pliénomène  s'observe  aussi  pour  les  dents  à 
une  seule  racine,  comme  les  incisives,  lorsque  la  maladie,  ayant  occupé  lou(e  la 
hauteur  d'une  des  faces  de  la  racine,  a  déterminé  la  doslruclion  du  faisceau  des 
vaisseaux  et  nerfs  dentaires  et  privé  la  pulpe  de  ses  éléments  de  nutrition.  Si 
donc  on  pratique  une  coupe  verticale  dans  une  dent  ainsi  parvenue  vers  la  lin 
de  la  maladie,  on  reconnaît  que  la  pulpe,  complètement  disparue,  est  rcmpkicée 
par  un  putrilage  noirâtre.  On  constate  en  outre  que  la  matière  colorante  noire 
résultant  de  cette  gangrène  a  pénétré  par  les  canalicules  dans  toutes  les  parties 
de  l'ivoire,  et  que  l'artère  et  la  veine  dentaires  sont  dans  un  état  de  vacuité 

complète. 

Si  enfin  l'on  examine  une  dent  après  qu'elle  a  été  chassée  spontanément  par 
le  seul  fait  de  la  maladie,  on  reconnaît  que  la  couche  de  cément  a  comidélemenl 
disparu,  ainsi  que  le  périoste  sus-jacent,  et  que  la  racine  a  subi  de  la  sorte  une 
espèce  de  desquamation  de  ses  deux  moyens  de  protection,  liens  intermédiaires 
entre  l'organe  dentaire  et  le  corps  des  maxillaires.  L'ivoire  est  donc  complétemi  nt 
mis  à  nu  dans  toute  l'étendue  de  la  racine,  et  il  baigne  dans  le  pus  au  milieu 
des  fongosités  qui  remplissent  la  cavité  alvéolaire.  Cette  résorption,  parvenue 
au  sommet  de  la  dent  oii  l'épaisseur  du  cément  est  parfois  considérable,  laisse 
après  elle  des  inégalités  et  une  sorte  d'amincissement  aigu  qui  le  font  paraître 
pointu  et  piquant  au  doigt.  H  nous  a  même  semblé  évident  que  l'ivoire  lui-même 
éprouvait  quelquefois  à  cette  période  extrême  un  commencement  de  destruction 
qui  rapprocherait  cette  affection  d'une  autre  maladie  des  dents  que  nous  n'avons 
pas  à  décrire  ici  et  qui  est  caractérisée  par  une  résorption  spontanée  de  la 
totalité  de  la  racine. 

Telles  sont  les  lésions  anatomiques  qu'offre  la  maladie  observée  cà  ses  diffé- 
rentes phases  :  injection,  épaississemeut  et  fonte  du  périoste,  puis  nécrose  et 
élimination  du  cément,  de  sorte  que  la  dent,  au  moment  où  elle  tombe  sponta- 
nément, est  complètement  privée  de  ces  deux  tissus.  Nous  devons  toutefois 
mentionner  une  petite  particularité  dans  les  lésions  anatomiques  que  nous 
venons  d'indiquer  :  elle  consiste  en  ce  que,  dans  certains  cas,  au  lieu  d'une 
disparition  complète  du  cément,  ce  tissu  oifre,  vers  le  sommet  seulement,  un 
épaississement  avec  végétations  festonnées,  comme  cela  s'observe  dans  les 
hypertrophies  cémentaires  ordinaires.  Cette  modification  dans  la  nature  des 
altérations  ne  change  en  rien  d'ailleurs  la  marche  et  la  terminaison  de  la 
maladie. 

Étiologie.  Les  causes  de  cette  affection  sont  assez  complexes  et  doivent  être 
recherchées  souvent,  non  dans  un  étal  local  de  la  bouche  ou  des  gencives,  mais 
dans  certaines  conditions  de  la  santé  générale. 

La  maladie  Irappe  ordinairement  soit  l'une  des  dents  isolément,  soit  plusieurs 
d'entre  elles;  mais  dans  ce  dernier  cas  les  dents  affectées  ne  sont  pas 
nécessairement  contiguës;  elles  peuvent  occuper  divers  points  de  la  bouche 
éloignés  les  uns  des  autres,  Toirac  et  Oudet  croient  avoir  remarqué  cependant 
que  les  incisives  inférieures  en  étaient  plus  particulièrement  et  simultanément 
le  siège.  Nous  n'avons  pas  reconnu  cette  particularité,  qui  nous  paraît  plus 
spéciale  à  la  gingivite  avec  laquelle  peut,  dans  certains  cas,  se  confondre  l'osléo- 
périostite. 

DICT.  ENC,  XXVII.  19 


2'JO  DENT   (pathologie). 

Les  dents  atteintes  sont,  par  ordre  de  fréfiuence  :  en  première  ligne,  les 
grosses  molaires,  puis  l'incisive  inférieure,  les  petites  molaires,  les  incisives 
supérieures,  et  enfin  les  canines.  Nous  n'avons  jamais  observé  cette  maladie 
occupant  simultanément  la  totalité  des  dents.  Tantôt  elle  siège  sur  une  ou  deux 
incisives  inférieures,  ou  bien  sur  les  supérieures;  tantôt  les  incisives  sont 
épargnées  et  l'altération  occupe  une  ou  plusieurs  molaires,  ordinairement  deux 
ou  trois  des  côtés  différents  de  la  bouche.  Parfois  même  la  maladie  n'atteint 
qu'une  seule  des  racines  de  ces  dernières  ou  même  qu'un  seul  côté  d'une  racine, 
circonstance  qui  conserve  à  la  dent  pendant  assez  longtemps  une  certaine 
solidité. 

Les  dents  affectées  d'ostéo-périostite  ne  présentent  en  général  aucune  autre 
altération  antérieure  ou  concomitante.  La  carie,  par  exemple,  n'offre  avec  cette 
maladie  aucune  relation,  et,  si  cette  complication  se  présente,  elle  est  purement 
accidei)telle.  11  est  même  utile  de  remarquer  que  les  conditions  locales  qui 
accompagnent  le  développement  de  l'ostéo-périostite  parnissent  inverses  de  celles 
de  la  production  de  la  carie  :  le  milieu  buccal  est  en  effet  plutôt  alcalin  qu'acide, 
et  une  production  plus  ou  moins  abondante  de  tartre  s'observe  sur  les  lieux 
d'élection.  Qi\  pourrait  même  être  tenté  au  premier  abord  d'attribuer  à  ce 
dépôt  une  part  plus  ou  moins  active  dans  l'étiologie  de  la  maladie;  il  n'en  est 
rien.  Le  dépôt  de  tartre  représente  un  accident  secondaire,  et  dans  tous 
les  cas  sa  formation,  élant  en  général  uniforme  et  continue  dans  une  même 
région,  ne  saurait  être  invoquée  dans  la  production  d'une  affection  isolée  et 
locale.  Cette  petite  complication  a  toutefois  une  certaine  importance,  et  nous 
verrons,  à  propos  du  traitement,  combien  son  ablation  est  indispensable  à  la 


guenson. 


Les  remarques  relatives  aux  conditions  diverses  que  présentent  les  sujets 
atteints  d'ostéo-périostite  sont  très-importantes  à  noter. 

Uàge  auquel  s'observe  cette  affection  ne  répond  en  général  ni  à  l'adolescence 
ni  à  l'âge  avancé  ;  l'époque  moyenne  est  de  trente  à  cinquante  ans.  Elle  paraît 
également  fréquente  chez  l'homme  et  chez  la  femme,  et,  pour  cette  dernière, 
elle  apparaît  souvent  au  milieu  des  phénomènes  si  complexes  de  la  ménopause. 
Dans  un  certain  nombre  de  cas,  l'ostéo-périostite  survient  dans  l'état  de  santé 
parfaite,  et,  quelque  soin  qu'on  mette  à  en  rechercher  la  cause,  on  ne  la  ren- 
contre ni  dans  les  conditions  locales  de  la  bouche,  ni  dans  aucun  désordre 
appréciable  de  l'économie.  Toutefois,  les  tempéraments  qui  y  paraissent  disposés 
sont  presque  exclusivement  les  tempéraments  sanguin  et  bilieux.  Les  constitu- 
tions d'ailleurs  vigoureuses  en  apparence,  mais  sujettes  aux  congestions  cépha- 
liques,  les  personnes  à  professions  sédentaires,  les  hommes  de  bureau,  y  sont 
particulièrement  disposés.  Nous  avons  également  constaté  plusieurs  fois  la  relation 
qui  se  produit  dans  l'apparition  des  crises  avec  la  cessation  de  l'écoulement 
menstruel  ou  des  flux  hémorrhoïdaux. 

Cette  influence  des  tempéraments  se  rattache  encore  à  l'hérédité  qui  nous  a 
paru  déterminer,  dans  certaines  familles,  l'apparition  de  la  maladie.  Ainsi  des 
individus  l'ont  présentée  pendant  deux  ou  trois  générations  et  dans  des  conditions 
analogues  d'âge  et  de  constitution. 

Certains  phénomènes  intestinaux  s'observent  soit  en  coïncidence,  soit  en 
rapport  étiologique  :  la  constipation  habituelle  se  remarque  en  effet  chez  les 
sujets  atteints.  Un  médecin  des  hôpitaux  de  Paris,  M.  Yidal,  a  constaté  que 
ces  mêmes  sujets  présentaient  souvent  des  phénomènes  dyspeptiques.   Peut-être 


DENT  (pathologie).  291 

ceux-ci  étaient-ils  dus  aux  difficultés  de  la  mastication.  Dans  tous  les  cas,  nous 
avons  eu  personnellement  l'occasion  de  vérifier  cette  assertion. 

Quelques  étals  généraux  ou  diathésiques  exercent  sur  la  production  de  l'ostéo- 
périostite  une  action  considérable.  Ainsi  le  scorbut,  les  fièvres  éruptives,  ont, 
comme  on  sait,  parfois  pour  conséquence  la  chute  des  dents.  Nous  serions 
disposé  à  croire  que,  dans  ces  circonstances,  le  résultat  est  dû  à  la  production 
de  lostéo-périostitc  [voij.  Saller,  Giii/'s  Hospital  Reports,  5"  série,  t.  IV, 
p.  269).  Les  goutteux,  les  arthritiques,  les  rhumatisants,  la  présentent  souvent; 
les  individus  frappés  d'anémie  consécutive  à  des  affections  longues  sont  dans  le 
même  cas,  mais  il  n'est  point  de  lésions  générales  qui  exercent  sur  la  pro- 
duction de  la  maladie  d'influence  plus  grave  que  l'albuminurie  et  surtout  ht 
diabète.  Pour  la  première,  il  s'agit  ici,  bien  entendu,  non  de  l'albuminurie 
symptomatique,  mais  de  la  maladie  de  Briglit  proprement  dite. 

Dans  la  glycosurie,  ce  phénomène  est  absolument  constant,  et  il  constitue 
même  un  des  signes  primordiaux  do  l'état  morbide.  On  trouve,  en  effet,  dans 
la  description  de  la  plupart  des  auteurs,  qu'au  début  du  diabète  les  dents 
s'ébranlent  et  se  carient.  Cette  assertion,  relative  à  la  carie,  n'est  point  exacte, 
mais  la  première  l'est  parfaitement  et  répond  à  l'ostéo-périostite  qui  suit  dans 
son  développement  la  même  marche  et  la  même  progression  que  la  maladie 
générale,  pour  arriver  au  moment  de  la  terminaison  de  celle-ci  à  la  perte  d'un 
nombre  considérable  ou  delà  totalité  des  dents  (voy.  De  la  valeur  diagnostique, 
dans  le  diabète  sncré,  de  la  pe'riostite  alvéolaire  des  mâchoires  [Académie  de 
médecine,  janvier,  1882]). 

Nous  n'avons  point  reconnu  que  d'autres  conditions  de  la  santé  fussent  en 
relation  avec  l'ostéo-périostite  :  ainsi  certaines  diathèses,  comme  la  syphilis, 
dont  les  accidents  tertiaires  affectent  les  os  et  les  tissus  fibreux  du  ]tério;te,  ne 
paraissent  pas  la  produire;  les  accidents  mercuriels  sont  dans  le  même  cas,  et 
la  gingivite,  quelle  qu'en  soit  la  gravité,  ne  paraît  en  devenir  ni  le  principe,  ni 
la  cause  occasionnelle. 

Marche  et  symptomatologie.  L'ostéo-périostite,  pendant  toutes  les  phases 
de  son  évolution,  suit  constamment  une  marche  essentiellement  lente  et  cbro- 
nique,  présentant,  depuis  le  moment  de  son  début  jusqu'à  la  chute  de  l'organe, 
une  durée  qui  n'est  jamais  moindre  de  quelques  mois,  et  qui,  le  plus  souvent, 
s'étend  à  plusieurs  années. 

Le  phénomène  initial,  presque  constant,  consiste  dans  une  déviation  de  la 
dent  malade,  soit  qu'elle  s'incline  vers  le  vide  laissé  à  son  voisinage  par  la 
perte  d'une  autre  dent,  soit  qu'elle  se  dirige  en  avant  ou  en  arrière  du  bord 
alvéolaire,  soit  encore  qu'elle  subisse  un  certain  mouvement  de  rotation  sur 
son  axe.  Ce  fait  de  la  déviation  est  quelquefois  le  seul  qui,  au  début,  frappe 
les  malades,  en  raison  du  changement  qu'il  apporte  dans  les  rapports  des  arcades 
dentaires  et  de  la  gêne  plus  ou  moins  grande  qui  en  résulte  dans  les  fonctions 
de  la  bouche.  Cette  déviation  s'accompagne  bientôt  après  d'un  léger  allongement, 
de  sorte  que  la  dent  affectée  dépasse  toujours  sensiblement  par  son  bord  libre 
le  niveau  des  voisines. 

A  ces  premiers  phénomènes  succède  immédiatement  un  état  local  du  collet 
de  la  dent  et  du  bord  libre  de  la  gencive.  Celle-ci  offre  à  l'observateur  attentif 
un  petit  liséré  rougeàtre,  d'abord  extrêmement  étroit,  dépassant  rarement  en 
largeur  1  à  2  millimètres.  La  dent  ne  présente  encore  aucune  mobilité,  mais, 
lorsqu'on  cherche  à  pénétrer  avec  un  stylet  fin  dans  l'intérieur  même  de  Talvéole. 


292  ■     DENT  (pathologie). 

on  sent  qu'il  s'est  produit  déjà  un  certain  décollement,  et,  si  l'on  presse  légère- 
ment sur  la  gencive  au  niveau  du  collet,  on  fait  sourdre  une  petite  quantité 
d'un  pus  blanc  jaunâtre,  épais,  qui  forme  aussitôt  comme  un  anneau  autour 
de  la  dent  affectée,  et  que  les  malades  o'Dservent  eux-mêmes,  surtout  le  matin 
au  réveil. 

A  une  période  plus  avancée,  la  rougeur  de  la  gencive  s'est  propagée,  mais 
dans  le  sens  vertical,  suivant  ainsi  rigoureusement  la  direction  de  l'altération 
dentaire  elle-même.  On  constate  alors  devant  la  racine  affectée  une  petite  bande 
injectée  verticale,  et,  si  plusieurs  dents  sont  simultanément  atteintes,  on  les 
reconnaît  à  la  présence  d'autant  de  petites  bandes  qu'il  y  a  de  racines  malades. 
Le  bord  libre  de  la  gencive  subit  à  ce  moment  un  peu  d'épaississement,  ou 
devient  le  siège  de  petites  protubérances  ou  de  fongosités  qui  se  logent  dans  les 
interstices  dentaires.  Ces  altérations  gingivales  donnent  lieu  à  des  hémorrhagies 
spontanées  ordinairement  faibles,  mnis  assez  fréquentes,  et  les  malades  se 
réveillent  souvent  le  matin  avec  la  bouche  pleine  de  sang.  Quelquefois,  au  lieu 
de  fongosités  saignantes,  on  observe  des  ulcérations  marginales  grisâtres,  ordi- 
nairement stationnaires  et  non  douloureuses,  reposant  sur  un  tissu  violacé, 
tumélié  et  ramolli,  mais  étalées  irrégulièrement,  sans  présenter  les  bords  taillés 
à  pic  et  les  taches  ecchymotiques  que  M.  Bergeron  a  signalées  dans  les  ulcérations 
de  la  stomatite  ulcéreuse  {De  la  Stomatite  ulcéreuse  des  soldats,  1859,  p.  96), 
puis,  le  décollement  continuant  son  cours  et  se  proportionnant  à  l'étendue 
même  de  la  plaque  rouge,  la  suppuration,  signe  pathognomonique  et  constant 
de  la  lésion,  y  trouve  un  reluge  facile,  devient  plus  abondante,  plus  active  et 
toujours  aisément  appréciable  à  la  pression  du  doigt. 

La  maladie,  au  début  parfaitement  indolente,  prend,  à  un  certain  moment, 
un  caractère  légèrement  douloureux  en  même  temps  qu'un  faible  ébranlement 
de  l'organe  devient  perceptible.  La  sensation  qu'accusent  les  malades  est  une 
sorte  de  chaleur  de  la  bouche,  jointe  à  une  saveur  acre.  Cette  sensation  de 
chaleur,  lorsqu'elle  se  constate  chez  les  sujets  qui  présentent  sur  plusieurs  points 
simultanés  des  atteintes  d'osléo-périostite,  répond  à  une  élévation  réelle  de  la 
température.  Nous  avons  fait  à  cet  égard  une  série  de  six  observations,  dans 
lesquelles  la  température  de  la  bouche,  prise  au  niveau  des  points  affectés  entre 
la  joue  et  la  gencive,  était  de  un  à  deux  degrés  supérieure  à  celle  du  creux 
axillaire.  Or,  on  sait,  par  les  recherches  de  M.  Roger  [Archives  générales  de 
médecine,  1844,  t.  LXV,  p.  301),  que  la  température  de  la  bouche  est  norma- 
lement toujours  inférieure  à  celle  de  l'aisselle.  Nos  résultats  appartiennent 
d'ailleurs  à  toutes  les  lésions  inflammatoires  de  la  gencive,  aux  différentes  formes 
de  gingivite,  etc. 

Dans  le  cours  de  l'ostéo-périostite,  l'haleine  est  chaude  et  devient  rapidement 
fétide,  si  plusieurs  dents  sont  affectées  simultanément.  Le  caractère  de  l'haleine 
est  ici  un  peu  différent  de  celui  qu'elle  présente  dans  la  carie  dentaire  et  les 
diverses  affections  du  pharynx  et  des  voies  aériennes  ;  elle  est  en  même  temps 
fade  et  fétide.  Les  sujets  éprouvent  une  sensation  de  plénitude  et  de  chatouil- 
lement de  la  gencive,  et  comme  un  besoin  impérieux  de  passer  le  cure- dent  ou 
d'autres  corps  étrangers  dans  les  interstices  dentaires  voisins  du  point  malade, 
de  manière  à  provoquer  un  léger  écoulement  de  sang,  qui  amène  en  général  un 
soulagement  momentané.  D'auti'es  fois  la  douleur  est  sourde,  pongitive,  ressem- 
blant assez  à  une  sorte  de  tension  ou  de  pesanteur  profonde  au  niveau  de  la 
dent  affectée,  La  pression  des  dents  opposées  peut  même  produire  un  certain 


DEi\T  (pATHOLor.iE).  293 

soulagement,  en  raison  sans  doute  du  dégorgement  vasculairc  qu'elle  provoque. 
C'est  ainsi  que  certains  malades  éprouvent  le  matin,  après  le  repos  de  la  nuit, 
une  espèce  d'agacement  des  dents  malades  qui  disparait  après  quelques  pressions 
des  arcades  dentaires. 

Dans  la  phase  qui  suit  la  série  des  phénomènes  précédents,  et  qu'on  peut 
appeler  la  période  d'état  de  la  maladie,  l'alvéole  est  eu  pleine  suppuration;  la 
dent  offre  un  ébranlement  plus  ou  moins  considérable,  et  le  décollement  est 
assez  avancé  pour  permettre  à  un  stylet  de  pénétrer  fort  avant  et  de  percevoir  au 
contact  les  lésions  qu'ont  subies  le  périoste  et  le  cément.  Les  accidents  prennent 
alors  une  physionomie  nouvelle.  L'état  habituel,  pénil)!e  ou  faiblement  doulou- 
reux, est  interrompu  par  de  courtes  périodes  inflammatoires  aiguës,  avec  douleurs 
permanentes,  s'exaspérant  encore  au  contact  des  dents  opposées  ou  à  la  pression 
du  doigt.  La  dent  est  en  même  temps  plus  allongée,  la  suppuration  plus 
abondante,  de  sorte  qu'elle  s'écoule  spontanément  au  dehors,  et  l'éljranlemcnt 
devient  considérable.  Ce  dernier  signe  est  toutefois  assez  variable  suivant  cer- 
taines circonstances.  Eu  effet,  si  la  dent  affectée  n'a  qu'une  seule  racine,  il  sera 
très-prononcé;  mais,  si  l'une  des  racines  d'une  molaire  est  seule  atteinte,  la 
dent  peut  rester  relativement  solide. 

Pendant  les  périodes  aiguës  de  la  maladie  nu  à  leur  suite,  la  gencive  devient 
presque  constamment  le  siège  de  petites  pustules  ou  abcès  furonculaires  du 
volume  d'une  gi'osse  tête  d'épingle  ou  d'un  petit  pois,  simples  ou  multiples, 
sans  fluxion  de  la  joue  ou  des  lèvres,  ordinairement  sans  accidents  généraux  et 
aboutissant  à  une  petite  perforation  fistuleuse  qui  persiste  jusqu'à  la  fin  de  la 
crise,  et  souvent  même  longtemps  au  delà.  Ces  petites  perforations  livrent 
directement  passage  jusqu'à  la  racine  altérée  et  constituent  un  nouveau  trajet 
à  la  suppuration  qui  s'écoule  alors  également  par  le  bord  alvéolaire  et  par  la 
fistule.  La  muqueuse,  au  pourtour  de  l'orifice  de  celle-ci,  devient  molle  et 
saignante  comme  au  bord  libre  de  la  gencive.  L'haleine  augmente  de  fétidité, 
une  salivation  s'ajoute  et  fatigue  beaucoup  les  malades,  puis  la  période  aiguë 
s'apaise  et  disparait,  faisant  place  à  l'état  indolent  antérieur,  mais  pour  revenir 
après  un  intervalle  qui  varie  de  quelques  semaines  à  plusieurs  mois. 

Dans  la  période  extrême  de  la  maladie,  la  dent,  dénudée  dans  toute  l'étendue 
de  sa  racine,  ne  tient  plus  à  la  mâchoire  que  par  quelques  faibles  adhérences 
fibreuses  du  sommet;  la  gencive  décollée  toaibe  et  flotte  dans  la  bouche;  la 
paroi  alvéolaire  elle-même  s'est  affaissée  par  résorption,  et  la  dent,  très-mobile, 
change  ordinaii'ement  de  couleur.  De  blanche  ou  jaunâtre  qu'elle  était  norma- 
lement, elle  devient  grise,  bleuâtre  ou  noire,  phénomène  qui  résulte,  ainsi  que 
nous  l'avons  dit,  de  troubles  profonds  apportés  dans  sa  vitalité  par  des  lésions 
spéciales  de  la  pulpe.  En  effet,  l'inflammation  ayant  gagné  de  proche  en  proche 
jusqu'au  sommet  de  la  racine,  point  d'émergence  des  vaisseaux  et  nerfs  nourri- 
ciers de  la  dent,  ceux-ci  éprouvent  eux-mêmes  par  continuité  les  effets  de  la 
maladie,  et  subissent  une  destruction  dont  la  conséquence  immédiate  est  la 
gangrène  de  la  pulpe. 

A  ce  moment,  la  maladie  marche  avec  une  grande  rapidité  vers  sa  terminai- 
son, la  chute  de  la  dent  :  l'ébranlement  devient  une  cause  de  gêne  considérable  ; 
les  crises  aiguës  se  rapprochent  ;  l'état  indolent  habituel  des  périodes  précé- 
dentes disparaît  pour  faire  place  à  une  sensation  permanente  de  pesanteur, 
accompagnée  d'élancements,  et  une  quantité  considérable  de  pus  s'échappe  de 
l'alvéole  à   la  moindre  pression.   Alors,   les   dernières  adhérences   fibreuses 


204  DENT   (pathologie). 

qui  rattachent  encore  l'organe  au  fond  de  la  cavité  alvéolaire  s'hypertrophient 
sous  forme  de  fongosités  rougeàtres,  et  ajoutent  leurs  produits  inflammatoires 
au  pus  qui  baigne  l'alvéole.  Ces  fongosités  soulèvent  nécessairement  la  dent, 
qui  se  balance  alors  dans  la  bouche,  provoquant  au  moindre  contact  une  douleur 
intolérable.  Enfin,  pendant  une  des  crises  aiguës  l'organe,  incessamment  repoussé 
hors  de  la  mâchoire,  fiait,  à  la  suite  d'un  choc,  ou  même  spontanément,  par 
se  détacher,  et  tombe  dans  la  bouche. 

Ainsi  s'achève  la  maladie  par  l'expulsion  véritable  de  l'organe  malade,  et 
ensuite  la  gencive,  siège  des  diverses  lésions  consécutives  que  nous  venons  de 
décrire,  revient  sur  elle-même,  entre  en  cicatrisation  rapide,  sans  conserver 
désormais  aucune  trace  de  la  lésion  dentaire. 

Avant  de  terminer  l'exposé  symptomatologique  de  l'ostéo-périostife,  nous 
devons  noter  quelques  complications  qui  peuvent  survenir  dans  le  cours  de  la 
maladie. 

Nous  signalerons  en  première  ligne  la  salivation,  qui  peut  se  produire  à 
toutes  les  périodes  de  l'affection,  dont  elle  suit  les  phases  successives,  s'exas- 
pcrant  dans  les  crises  aiguës  et  devenant  plus  faible  dans  leurs  intervalles. 

Un  autre  accident,  également  très-fréquent,  est  Vadénite  sous-maxillaire, 
dans  le  cas  d'ostéo-périostite  d'une  ou  de  plusieurs  dents  de  la  mâchoire  infé- 
rieure. Elle  survient  ordinairement  non  au  début  de  l'affection,  mais  à  une 
période  assez  avancée,  principalement  aux  époques  des  crises  inflammatoires. 

La  stomatite  ^^énévàXxsée  s'observe  également,  mais  plus  rarement,  par  propa- 
gation de  l'inflammation  locale,  soit  à  un  côté  de  la  bouche,  soit  plus  rarement 
à  toute  l'étendue  de  la  muqueuse  gingivale.  Elle  peut  même,  dans  ce  dernier 
cas,  s'étendre  jusqu'au  pharynx,  et  donner  lieu  à  de  l'amygdalile,  ou  à  une 
angine  pharyngée  simple. 

Pendant  le  cours  des  crises,  il  peut  se  produire  encore  certains  phénomènes 
de  voisinage,  phlegmon  de  la  joue  ou  fluxion  ordinairement  simple  et  se  termi- 
nant le  plus  souvent  par  résolution,  mais  pouvant,  si  cet  accident  se  produit  à 
plusieurs  reprises,  entraîner  la  production,  dans  le  tissu  cellulaire  de  la  joue, 
d'un  loyer  purulent  qui  s'ouvre  au  dehors  et  laisse  à  sa  suite  une  fistule  faciale. 

Ces  divers  phénomènes  inflammatoires  s'accompagnent  quelquefois  d'accidents 
généraux,  fièvre,  céphalalgie,  etc.,  et  nécessitent  alors  une  intervention  rapide, 
même  par  la  suppression  de  la  dent  affectée,  si  le  cas  est  au-dessus  des  moyens 
palliatifs. 

Diagnostic.  L'ostéo-périostite  dentaire  est  une  affection  caractérisée  d'or- 
dinaire assez  nettement  par  ses  phénomènes  locaux,  et  pouvant  être  reconnue 
sans  difficulté  :  déviation  du  début,  puis  ébranlement  et  allongement  suivis 
de  la  période  de  décollement  gingival  et  de  suppuration  alvéolaire.  Ce  dernier 
signe,  véritablement  pathognomonique  de  la  maladie,  s'observe  pendant  toute  sa 
durée,  depuis  la  période  initiale  jusqu'à  l'époque  la  plus  avancée.  D'autre 
part,  la  maladie  présente,  comme  physionomie  particulière,  sa  relation  fré- 
quente avec  état  général  de  l'économie,  état  quelquefois  bien  déterminé,  comme 
le  diabète  ou  l'albuminurie,  goutte,  arthritisme  et  généralement  toute  pertur- 
bation durable  de  la  nutrition  générale. 

Cet  ensemble  de  faits  ne  permet  guère  de  confondre  celte  afiection  avec 
d'autres.  Nous  allons  toutefois  esquisser  quelques  indications  diagnostiques. 

La  gingivite  otfre  quelques  points  de  ressemblance  avec  l'ostéo-périostite. 
C'est  cette  confusion  qu'a  commise  Marchai  (de  Calvi).  Nous  ferons  remarquer 


DEiNT  (pathologie).  295 

à  cet  é"-ard  que  la  gingivite  n'occupe  jamais  un  point  isolé  de  la  bouche,  ou 
plusieurs  points  localisés  simultanément  comme  des  dents  éloignées  l'une  de 
l'autre,  mais  bien  une  région  plus  ou  moins  étendue,  ou  la  totalité  des  arcades 
dentaires;  l'ébranlement  de  la  dent,  au  lieu  d'être  primitif,  est  secondaire  et 
n'apparaît  le  plus  souvent  qu'à  la  suite  d'une  gingivite  longue  et  rebelle.  En 
outre  la  suppuration,  lorsqu'elle  se  produit,  n'occupe  que  le  bord  libre  ou  le 
collet  des  dents,  mais  non  point  l'intérieur  même  de  l'alvéole,  de  sorte  que  la 
pression  du  doigt  sur  la  gencive  n'exagère  pas  l'écoulement  purulent.  De  plus, 
le  bord  gingival  épaissi  et  hypertropliié  dans  la  gingivite  est  souvent  réduit  de 
volume,  atrophié  avec  ou  sans  ulcération  dans  l'ostéo-périostile.  Enlin,  la 
marche  et  la  terminaison  de  la  gingivite  sont  différentes,  et  si  cette  dernière 
amène  parfois  dans  les  cas  graves  la  chute  de  quelques  dents,  cette  issue  n'est 
pas  fatide,  comme  le  croit  Marchai  (de  Calvi),  quand  il  décrit  la  gingivite 
expulsive. 

La  gingivite  seule  ne  saurait  produire  ce  résultat  sans  une  lésion  du  périoste 
ou  de  l'organe  dentaire  liii-mème.  Nous  n'insisterons  pas  sur  cette  distinction 
bien  établie  par  un  excellent  observateur,  le  docteur  G.  Delestre,  dans  une  mono- 
graphie sur  la  gingivite  {Du  Ramollissement  des  gencives.  Thèse  inaugurale, 
1861,  p.  17. 

D'autres  formes  de  stomatite,  soit  simple  ou  mercurielle,  soit  ulcéro-mem- 
braneuse  ou  diphthéritique,  ne  sauraient  être  non  plus  l'objet  d'aucune  con- 
fusion. Leurs  causes  spéciales,  leur  caractère  souvent  épidémique,  leur  siège, 
sur  une  étendue  quelconque  de  la  muqueuse  des  joues,  des  lèvres  ou  de  la 
langue,  sans  participation  nécessaire  de  la  gencive,  sont  des  signes  particuliers. 
Ces  remarques  n'ont  d'ailleurs  nullement  échappé  aux  divers  auteurs  qui  ont 
décrit  des  affections  (2;oî/.Bergeron,  ouvr.  cité,  p.  72  et  152.  —  Blache,  Bulle- 
tin de  thérapeutique,  t.  XLVlll.  — Isambert,  Études  sur  le  chlorate  de  -potasse, 
1856,  p.  36). 

Une  autre  altération  dentaire  qui  présente  avec  l'ostéo-périostite  quelque 
analogie,  c'est  la  résorption  spontanée  des  racines  des  dents  permanentes, 
l'affectiou  locale  lente  et  progressive  aboutissant,  lorsque  la  résorption  est  très- 
avancée,  à  la  chute  spontanée  de  l'organe.  Nous  décrirons  plus  loin  cette  maladie 
fort  peu  connue,  bien  qu'assez  fréquente,  mais  nous  dirons  ici  que,  pour  la 
différencier  de  l'ostéo-périostite,  il  suffit  de  remarquer  qu'elle  n'occupe 
jamais,  comme  cette  dernière,  plusieurs  dents  simultanément  ou  consécuti- 
vement, mais  une  seule,  toujours  isolée,  et  qu'elle  résulte  constamment  d'un 
traumatisme  antérieur  ou  d'une  gangrène  de  la  pulpe,  particularités  appré- 
ciables soit  à  l'examen  direct,  soit  à  l'étude  des  antécédents. 

La  périostite  alvéolo-denlaire,  avec  ses  formes  variées,  présente  avec  la 
maladie  qui  nous  occupe  quelques  points  de  ressemblance  :  nous  voulons 
parler  surtout  de  la  périostite  cbronique  avec  ses  exacerbalions  aiguës  et  ses 
périodes  de  calme  intermédiaires,  l'ébranlement  et  quelquefois  la  suppuration 
abondante.  Nous  objecterons  à  cette  assimilation  les  mêmes  remarques  que  pour 
la  résorption  des  racines  :  la  périostite  est  locale  et  bornée  à  une  seule  dent;  elle 
succède  le  plus  ordinairement  à  une  lésion  grave  antérieure  de  l'organe  dentaire, 
carie  pénétrante,  traumalismes,  et,  de  plus,  elle  est  constamment  douloureuse, 
ce  qui  n'est  qu'accidentel  ou  exceptionnel  pour  l'ostéo-périostite. 

D'autres  alfections  du  périoste  devront  encore  être  prises  en  considération: 
les  kystes  purulents  sous-périoslaux,  les  fongosités  et  les  tumeurs  diverses.  Les 


296  DENT  (pathologie). 

kystes  ont  une  marche  indolente  avec  crises  aiguës,  phe'nomènes  de  voisinage, 
plilegmon  de  la  joue,  etc.  ;  seulement,  il  ne  se  produit  ni  allongement  ni  dévia- 
tion de  la  dent,  qui  reste  relativement  fixe  et  immobile,  et  il  faut  noter  en  outre 
que  ces  productions  attestent  bientôt  leur  présence  par  leur  volume  même 
appréciable  à  l'examen  direct. 

Les  fongosités  ou  les  tumeurs  du  périoste  dentaire  sont  des  productions  dont 
les  phénomènes  morbides  se  rapprochent  beaucoup  plus  que  les  précédents  de 
ceux  de  l'ostéo-périostite  ;  la  marche  est  analogue,  ainsi  que  le  décollement  de 
la  gencive,  l'ébranlement  et  l'allongement  de  la  dent  et  la  suppuration  alvéo- 
laire. Nous  devons  rappeler  d'ailleurs  que  parfois  des  hypertrophies  périostales 
surviennent  dans  les  dernières  phases  de  l'ostéo-périostite,  mais,  dans  le  cas  où 
ces  lésions  sont  esentielles,  elles  offrent  cependant  des  caractères  assez  Iranchés. 
D'autre  part,  le  développement  de  fongosités  ou  d'une  tumeur  n'affecte  jamais 
qu'une  seule  dent  à  la  fois  {voy.  plus  haut  Les  tumeurs  du  périoste  dentaire). 
Nous  n'étendrons  pas  plus  loin  ces  considéi'ations  diagnostiques,  les  autres 
affections  dentaires  ne  pouvant  présenter  avec  l'ostéo-périostite  aucune  analogie 
sérieuse;  telles  sont  :  la  carie  dentaire,  dont  la  physionomie  est  toute  spéciale, 
les  névralgies  faciales,  etc. 

Traitement.  Les  auteurs  qui  ont  reconnu  ou  signalé  cette  maladie  sont  loin 
d'avoir  tous  désigné  une  méthode  de  traitement.  Le  plus  grand  nombre  décla- 
raient simplement  que  l'intervention  de  l'art  était  tout  à  fait  impuissante  et  se 
bornaient  à  indiquer  l'extraction  des  dents  affectées  comme  seul  moyen  théra- 
peutique. Telles  étaient,  comme  nous  l'avons  vu,  les  idées  de  Fauchard,  Jour- 
dain, etc.  Ce  moyen  est,  en  effet,  radical,  et  entraîne  immédiatement  la  cessation 
de  tout  accident,  ce  qui  constitue  une  preuve  de  plus  que  la  maladie  est  bien 
de  nature  dentaire  et  non  gingivale. 

Bourdet,  et  après  lui  Toirac,  songèrent,  les  premiers,  à  opposer  à  la  maladie 
une  thérapeutique  moins  absolue  et  proposèrent  l'application  de  certains  moyens  : 
en  premier  lieu,  ils  pratiquaient  une  incision  en  V  à  soiumet  dirigé  vers  l'extré- 
mité de  la  racine  et  circonscrivant  un  lambeau  triangulaire  à  base  répondant 
au  collet  de  la  dent.  Le  lambeau  détaché,  ils  passaient  un  petit  cautère  sphérique 
ou  olivaire  sur  toute  la  surface  de  la  racine  ainsi  dénudée  et  laissaient  ensuite 
les  parties  abandonnées  à  elles-mêmes. 

Cette  méthode  qui,  de  l'aveu  même  de  Toirac,  ne  lui  a  pas  fourni  de  résultats 
heureux,  a  produit  entre  nos  mains  des  effets  tels  que  nous  avons  dû  aussitôt 
y  renoncer.  11  a  pour  inconvénients  principaux  d'abord  de  priver  la  gencive  d'un 
lambeau  étendu  que  les  ressources  des  tissus  ne  sont  pas  aptes  à  réparer  et  ne 
réparent  jamais  complètement.  En  outre,  le  cautère  actuel  promené  sur  la  racine 
anéantit  absolument  le  périoste  et  le  cément,  qui  sont  également  incapables  de 
se  reproduire,  en  même  temps  qu'il  peut  développer  au  centre  de  la  dent  une 
réaction  inflammatoire  ou  des  désordres  plus  ou  moins  graves  de  la  pulpe  et 
amener  même  sa  mortification  complète. 

Oudet  {Dictionnaire  en  30  vol.,  1855,  2"  édit.,  t.  X,  p.  199),  convaincu 
avant  nous  de  l'impuissance  et  des  dangers  de  ce  procédé,  avait  conseillé  l'emploi 
de  moyens  généraux  dérivatifs  :  l'application  d'un  séton,  des  purgatifs  répétés. 
11  aftirme  avoir  obtenu  un  certain  nombre  de  résultats  favorables. 

Plus  récemment,  Velpeau  et  Bauchet  [l'Union  médicale,  1853,  p.  312), 
considérant  la  maladie  comme  une  forme  particulière  d'ulcération  des  gencives, 
conseillèrent  les  applications  répétées  d'alun  et  des  cautérisations  avec  le  nitrate 


DEi\T  (pathologie).  297 

d'argent.  .\ous  reprocherons  au  premier  de  ces  moyens  d'exposer  les  dents  aux 
altérations  si  graves  et  si  spéciales  de  l'alun  sur  le  tissu  de  l'émail,  ainsi  qu'il 
résulte  de  nos  expériences  (voy.  De  In  salive  considérée  comme  agent  de  la 
carie  dentaire,  2^  édition,  1867,  p.  57),  et  au  second  l'inconvénient  de  produire 
à  la  surtace  des  dents  des  colorations  noires  presque  indélébiles. 

Dans  ces  derniers  temps  enfin  divers  auteurs  ont  propose'  d'autres  applications 
topiques:  Marchai  (de  Calvi)  [loc.  cit.,  p.  11),  hien  qu'il  ait,  selon  nous, 
méconiui  la  nature  réelle  de  la  lésion,  préconisa  la  teinture  d'iode,  moyen 
appliqué  déjà  depuis  longtemps  par  Delestre  dans  la  gingivite  (ouvr.  cili';  thèse 
inaugurale,  1861,  p.  20).  A'ous  avons  essayé  nous-mème  cet  agent  à  plusieurs 
reprises  et  il  ne  nous  a  donné  dans  aucun  cas  des  résultats  satisfaisants.  L'iode, 
employé  même  à  une  dose  supérieure  à  la  leintnre  au  douzième,  c'est-à-dire  en 
solution  concentrée  ou  à  l'état  solide,  n'a  produit  sur  les  parties  qu'une  irri- 
tation sans  résultat  favorable. 

Dans  ces  derniers  temps  enfui,  un  médecin  des  hôpitaux,  M.  Vidal  (commu- 
nication orale),  avait  songé  à  opposer  à  cette  maladie  des  applications  fréquentes 
de  perchlorure  de  fer  neutre.  Nous  croyons  que  ce  liquide  n'est  pas  pourvu 
d'une  causticité  suffisante,  et  il  a  de  plus  l'inconvénient  de  noircir  les  dénis 
au  même  titre  que  toutes  les  préparations  ferrugineufes  sohibles. 

Pénétré  de  l'insuffisatice  de  ces  moyens,  nous  nous  sommes  efforcé  d'instituer 
une  lliérapeutique  réellement  eflicace  d'une  affection  aussi  rebelle.  Ce  problème 
nous  paraissait  devoir  remplir  deux  indications  solidaires  :  {"  modiliei'  l'état 
local;  2"  traiter  les  états  généraux  qui  dominent  toujours,  dans  une  certaine 
mesure,  l'affection  buccale. 

Afin  d'amener  une  modification  salutaire  et  suffisante  de  l'état  local,  étant 
démontré  l'inefficacité  complète  ou  l'impuissance  des  divers  procédés  jusqu'ici 
employés,  nous  avons  songé  à  nous  adresser  à  un  agent  caustique  d'une  grande 
énergie,  en  même  temps  que  d'un  maniement  facile  et  d'une  innocuité  relative 
assez  grande,  soit  pour  la  bouche  elle-même,  soit  pour  l'économie,  en  cas  d'in- 
gestion, V acide  chromique. 

Cet  agent,  appliqué  depuis  un  certain  temps  dans  la  thérapeutique  chirur- 
gicale à  titre  de  caustique  sur  certaines  fongosités,  végétations,  etc.,  n'avait 
pas  encore  été  employé  dans  la  bouche.  11  se  présente,  comme  on  sait,  à  l'élat 
pur,  sous  l'aspect  de  petits  grains  amorpiies  d'une  couleur  brune,  entrant  à  l'air 
très-rapidement  en  déliquescence  et  se  transformant  en. un  liquide  brun  foncé 
presque  noir. 

Pour  pratiquer  la  cautérisation  de  la  cavité  alvéolaire  elle-même,  au  moyen 
de  Pacide  chromique,  nous  procédons  de  la  manière  suivante  {voy.  notre  mé- 
moire sur  Y  Acide  chromique  [Bulletin  de  thérapeutique'],  1869)  :  au  moyen 
d'une  baguette  de  bois  taillée  à  plat,  et  chargée  d'une  faible  quantité  à'eau  de 
déliquescence,  ou  d'une  parcelle  solide,  on  promène  doucement  la  substance 
à  la  partie  antérieure  du  collet  de  la  dent  affectée,  en  ayant  soin  de  soulever 
légèrement  la  gencive,  et  après  avoir  pris  la  précaution  indispensable  d'enlever 
soigneusement  les  dépôts  de  tartre,  s'il  s'en  est  formé.  Ainsi  déposé  à  l'entrée 
de  l'alvéole,  l'acide  chromique  s'écoule  aussitôt  le  long  de  la  racine  et  baigne 
ainsi  toutes  les  parties  affectées;  on  applique  alors,  pendant  quelques  minutes, 
entre  la  lèvre  ou  la  joue  et  le  point  touché,  une  bande  de  charpie  ou  d'ouate, 
afin  de  protéger  les  muqueuses  voisines. 

La  première  application  d'acide  chromique  doit  être  faite  très-légèrement, 


298  DEM   (patiioi.ocie). 

afin  d'apprécier  la  susceptibilité  du  sujet  :  aussi  pourra-t-on,  d;uis  certains  cas, 
chez  les  femmes,  par  exemple,  commencer  par  une  solution  aqueuse  ou  alcoolique 
assez  faible  (parties  égales)  pour  arriver,  après  plusieurs  séances,  à  l'acide 
chromique  pur. 

L'effet  immédiat  de  la  cautérisation  est  une  sensation  d'ailleurs  très-légère, 
sourde  et  profonde,  s'irradiant  parfois,  mais  faiblement,  aux  parties  voisines, 
quelquefois  complètement  nulle,  surtout  après  plusieurs  applications  antérieures. 
Au  bout  de  quelques  heures  commence  alors  une  réaction  inllammatoire  très- 
variable,  suivant  les  individus  ou  la  dose  employée,  et  les  phénomènes  dou- 
loureux s'accompagnent  d'une  augmentation  notable  dans  rébranlement  de 
la  dent  affectée  ;  le  bord  gingival  se  recouvre  d'une  eschare  superficielle  dont 
la  chute  entrahie  dans  les  limites  exactes  de  la  surfiice  touchée  une  véritabb 
desquamation  épithéliale;  la  suppuration  alvéolaire  augmente  notablement,  puis 
survient  une  sédation,  toujours  suivie  d'une  amélioration  sensible  sur  l'état 
primitif. 

Dans  la  plupart  des  cas,  sauf  ceux  qui  répondent  au  premier  début  de  la 
maladie,  une  seule  application  n'est  jamnis  sutfisante,  et,  si  l'on  bornait  là  le 
traitement,  la  maladie  reprendrait  sa  gravité.  Il  faut  donc  renouveler,  à  certains 
intervalles,  l'application  d'acide  cliromique,  et  nous  avons  à  cet  égard  l'habitude, 
dans  notre  pratique,  de  les  répéter  tous  les  six  ou  huit  jours  en  moyenne,  en 
augmentant  en  même  temps  la  dose  de  substance,  de  manière  à  provoquer  des 
effets  caustiques  progressivement  croissants.  Les  cautérisations  à  l'acide  chro- 
mique ne  doivent  pas,  dans  tous  les  cas,  être  bornées  au  collet  même  de  la  dent, 
et  on  peut  les  appliquer  avec  une  grande  efllcacité  aux  fongosités  gingivales  du 
bord  libre,  ou  à  celles  qui  répondent  à  l'orifice  des  perforations  tistulaires  que 
nous  avons  signalées.  Ainsi  employées,  elles  les  répriment  rapidement  et  provo- 
quent souvent  l'oblitération  du  pertuis. 

L'application  dans  la  cavité  buccale  d'une  substance  de  la  nature  de  l'acide 
chromique  peut  soulever  à  priori  des  objections  auxquelles  nous  devons  répondre. 
Au  point  de  vue  local,  on  peut  craindre  en  effet  une  action  caustique  trop  vive 
de  la  muqueuse,  dans  le  cas  surtout  d'application  un  peu  irréfléchie.  Cet  accident 
peut  se  produire,  mais  hàtons-nous  de  dire  qu'il  est  promptement  modéré  par 
le  passage  rapide  de  l'acide  cbromique  à  l'état  de  chromate,  au  contact  des  sels 
alcalins  de  la  salive.  Au  point  de  vue  de  la  santé  générale,  en  cas  de  pénétration 
de  la  substance  dans  l'estomac,  en  supposant  qu'il  s'en  introduise  par  hasard 
une  faible  quantité,  cet  accident  serait  sans  danger.  iSous  savons,  en  effet, 
depuis  le  remarquable  travail  de  M.  Delpech  sur  l'hygiène  des  ouvriers  employés 
aux  préparations  chromiques  [Bulletin  de  V Académie  impériale  de  médecine, 
1805-64,  p.  289),  que  ces  agents  sont  à  peu  près  inoffensifs,  quand  ils  sont 
ingérés  à  faible  dose,  et  que  les  phénomènes  morbides  qu'offre  cette  industrie 
sont  surtout  des  effets  locaux  caustiques  sur"  certaines  muqueuses  exposées 
aux  poussières. 

Toutefois,  l'acide  chromique  et  les  chromâtes  introduits  dans  l'estomac  agi- 
raient, suivant  M.  Delpech,  comme  vomitifs  énergiques,  mais  nous  n'avons 
observé  jusqu'à  ce  jour  aucun  fait  de  ce  genre. 

Les  applications  d'acide  chromique  ainsi  faites  au  collet  et  dans  l'alvéole 
même,  à  intervalles  réguliers,  ne  constituent  pas  notre  seul  traitement  local, 
et  nous  y  ajoutons  constamment  l'emploi  du  chlorate  dépotasse,  à  la  dose  quoti- 
dienne de  1  à  3  grammes.  Le  mode  d'administration  auquel  nous  nous  sommes 


DENT   (pathologie).  209' 

définitivement  arrêté  est  la  forme  des  pastilles.  Nous  formulons      cet  égard  la 
préparation  de  la  manière  suivante  : 

Chlorate  de  potasse 20  grammes. 

Comme  ou  réglisse q-  s. 

Pour  faire  80  pastilles  à  '^5  centigrammes  chafiuo  de  chlorate.  —  Aromatisez 
avec  essence  de  menthe. 

Nous  faisons  prendre  au  malade  six  à  huit  pastilles  par  jour,  c'est-à-dire 
1  gramme  et  demi  à  2  grammes  de  chlorate  de  potasse,  et  sous  cette  forme 
commode,  facile,  ne  dérangeant  ni  les  habitudes  ni  les  occupations  des  malades, 
nous  obtenons  un  effet  double  :  1°  l'effet  local,  en  recommandant  de  laisser 
fondre  les  pastilles  au  contact  des  parties  affectées  ;  2°  l'effet  ordinaire  par 
l'élimination  salivaire. 

Le  chlorate  de  potasse,  employé  de  cette  manière  et  à  la  dose  que  nous  venons 
d'indiquer,  est  en  général  d'une  innocuité  complète  pour  la  santé.  Toutefois, 
dans  certaines  circonstances,  il  amène  un  peu  de  fatigue  et  d'intolérance  de 
l'estomac.  Alors  nous  substituons,  à  l'emploi  des  pastilles,  l'application  topique 
extérieure  du  chlorate  pur  et  porphyrisé,  ou  bien  le  mélange  suivant  : 

Chlorsle  de  pota.se j  .^,  ^    ^^.^ 

Borate  de  soude ' 

L'administration  du  chlorate  de  potasse  ne  figure  d'ailleurs  dans  notre  trai- 
tement qu'à  titre  d'adjuvant,  et  dans  le  but  surtout  de  modifier  simultanément 
les  comphcations  gingivales.  Nous  sommes  en  effet  bien  convaincu,  avec  MM.  Ber- 
geron  et  Isambert,  que  son  rôle  serait  absolument  insuffisant  ou  inefficace 
contre  l'ostéo-périostite  (voy.  Isambert,  ouvr.  cité,  p.  36). 

Dans  le  cas,  fort  rare  d'ailleurs,  où  par  suite  de  susceptibilités  des  dents  ou 
en  raison  de  carie  concomitante  l'application  du  chlorate  de  potasse  produit 
des  douleurs  ou  des  accidents,  nous  lui  substituons  certaines  teintures  ou 
macérations  astringentes  de  crucifères,  celles  de  cochléaria  ou  de  cresson  de 
Para  employées  pures  en  badigeonnages  avec  un  pinceau. 

Dans  ces  derniers  temps,  M.  A.  Després,  a  fait  quelques  essais  d'application  du 
chlorure  de  zinc  contre  cette  affection,  et  paraît  en  avoir  obtenu  d'assez  bons 
effets.  En  attendant  que  les  observations  de  M.  Després  soient  plus  nombreuses 
et  plus  concluantes,  nous  ferons  toutefois  remarquer  que  l'emploi  de  cet  agent 
peut,  ce  nous  semble,  pi'ésenter  quelques  inconvénients  sérieux  dans  le  cas, 
par  exemple,  de  défectuosités  anatomiques  des  dents  ou  de  caries  commençantes 
ou  confirmées. 

Pour  terminer  l'indication  des  moyens  locaux  contre  l'ostéo-périostite,  nous 
devons  mentionner  certaines  applications  adjuvantes  auxquelles  nous  attachons 
une  notable  importance.  Ainsi,  dans  le  cas  où  plusieurs  points  sont  simultané- 
ment atteints  avec  atonie  générale  des  gencives  et  absence  de  carie  dentaire, 
nous  conseillons  des  frictions  fréquentes  avec  des  quartiers  d'oranges  ou  de 
citrons  aussi  mûrs  que  possible,  ou  bien  encore  avec  des  feuilles  de  cresson  de 
Para,  fraîches,  ou  macérées  dans  l'alcool. 

Les  émissions  sanguines  locales,  scarifications,  sangsues,  ont  été  conseillées 
par  divers  auteurs.  Sans  les  recommander  d'une  manière  générale,  nous  croyons 
leur  intervention  utile  dans  les  périodes  de  crises  inflammatoires  de  la  maladie 
avec  douleur  et  allongement  considérable  de  la  dent  affectée.  Elles  sont  alors 


300  DENT    (pathologie). 

susceptibles  de  ramener  plus  rapidement  l'état  habituel  et  de  permettre  le  retour 
au  traitement  spécial  énergique. 

Le  traitement  général  institué  concuremment  aux  applications  locales  doit 
s'adresser  aux  indications  particulières  que  peut  présenter  chaque  sujet  déter- 
miné. Ainsi,  chez  les  gens  à  profession  sédentaire  et  sujets  aux  congestions 
céphaliques  ;  chez  ceux  où  domine  le  tempérament  sanguin,  on  devra  employer 
les  dérivatifs  intestinaux,  purgatifs  doux  répétés  à  intervalles  rapprochés,  la 
magnésie  calcinée,  ou  mieux  les  eaux  minérales  purgatives,  les  eaux  de  Pullna, 
d'Unyadi,  etc.  Nous  avons  retiré  un  excellent  effet,  soit  du  traitement  hydrothéra- 
pique  simple,  soit  des  bains  de  vapeur  et  des  douches  sulfureuses  ;  l'un  de  nos 
malades,  qui  passait  une  saison  à  l'établissement  thermal  de  Luchon  pour 
une  affection  rhumatismale,  est  revenu  complètement  guéri  d'une  ostéo- 
périostite   assez  avancée. 

Si  l'affection  est  liée  à  la  suppression  des  flux  hémorrhoïdaux  ou  menstruels, 
on  devra  se  préoccuper  de  les  ramener  par  la  série  des  moyens  appropriés  aux 
différents  cas. 

On  a  vu  plus  haut,  dans  nos  remarques  sur  l'étiologie  de  l'ostéo-périostite, 
que  cette  affection  accompagnait  presque  constamment  le  début  du  diabète  et  de 
l'albuminurie,  et  que  les  progrès  de  la  lésion  dentaire  suivaient  la  même  marche 
que  l'affection  générale.  Nous  devons  dire  ici  que,  dans  ces  circonstances,  le 
traitement  rationnel  n'est  autre  que  celui  de  la  maladie  générale  et  que  les 
applications  topiques,  ainsi  que  les  divers  moyens  que  nous  venons  d'indiquer, 
ne  doivent  occuper  qu'un  rôle  secondaire.  Suivant  M.  le  professeur  Piorry 
{y Événement  médical,  13  avril  1867),  la  perte  des  dents  chez  les  diabétiques 
pourrait  être  attribuée  à  des  phénomènes  de  résorption  des  éléments  calcaires 
de  l'organe  par  l'urine,  et  l'administration  du  phosphate  de  chaux  aurait  eu, 
dans  certains  cas,  une  notable  influence.  Il  sera  utile,  dans  les  circonstances 
de  ce  genre,  de  recourir  avant  tout  traitement  à  l'examen  des  urines. 

En  résumé,  le  traitement  de  l'ostéo-périostite  devra,  suivant  nous,  consister 
dans  les  moyens  suivants  : 

a.  Applications  périodiques  répétées  tous  les  six  ou  huit  jours  d'acide  chro- 
mique  solide  ou  déliquescent  ; 

h.  Emploi  habituel  du  chlorate  de  potasse  à  la  dose  de  1  à  4  grammes  par 
jour,  sous  forme  de  pastilles,  ou,  en  cas  de  contre-indications,  application  de 
cette  substance  en  gargarismes  ou  eu  compresses  ; 

c.  Antiphlogistiques  locaux,  -sangsues  ou  scarifications  des  gencives,  dans 
les  cas  d'hyperémie  ou  de  congestion  plus  ou  moins  vive  des  parties  ; 

d.  Emploi  de  divers  moyens  généraux,  dérivatifs  cutanés  ou  intestinaux; 

e.  Prescription  de  certaines  règles  d'hygiène  ou  de  régime  appropriées. 

5°  Maladies  du  cément.  Le  cément,  qui  est,  comme  on  sait,  une  substance 
osseuse,  ne  forme  dans  l'organisation  des  dents  humaines  qu'une  couche  mince 
que  revêt  la  surface  extérieure  des  racines.  Les  maladies  n'ont  donc  qu'une 
faible  importance  et  sont  en  tous  cas  entièrement  assimilables  à  celle  du  tissu 
osseux  en  général.  C'est  ainsi  que  nous  décrirons  en  quelques  mots  :  a  l'ostéite 
et  la  nécrose  du  cément  ;  b  l'exostose  ou  les  tumeurs;  c  la  résorption. 

a.  h' ostéite  et  la  nécrose  du  cément  ne  sont  jamais  primitives  et  essentielles; 
elles  accompagnent  constamment  l'une  des  formes  de  la  périostite,  tantôt  la 
périostite  chronique  du  sommet,  tantôt  l'ostéo-périostite  proprement  dite. 

Dans  les  deux  cas  le  cément,  mis  à  nu  par  le  soulèvement  ou  la  destruction 


DE>T   (pathologie).  301 

du  périoste,  se  détruit  alors  en  passant  par  les  périodes  d'ostéite  et  de  nécrose 
par  exfoliation  insensible.  Ce  mécanisme  est  rendu  évident  par  l'aspect  même 
de  la  racine  frappée  d'inflammation  de  son  périoste.  Lorsqu'on  examine  en 
effet  la  surface  ainsi  altérée  d'une  racine,  on  constate  qu'elle  est  rugueuse, 
couverte  d'aspérités  et  d'inégalités,  et  si  l'on  pousse  plus  loin  l'investigation  par 
une  coupe  microscopique,  on  ne  retrouve  plus  aucune  trace  du  cément  non 
plus  que  du  périoste,  si  bien  que  l'ivoire  est  à  nu  au  sein  du  foyer  purulent  de 
la  périostite  et  dans  toute  l'étendue  de  la  dénudalion  au  delà  de  laquelle  on 
retrouve   dans   leur  superposition  normale  l'ivoire,  le  cément  et  le  périoste. 

Mais  ce  n'est  pas  tout,  et  dans  cette  même  étendue  d'ivoire  dénudé  ou  trouve  à 
ce  tissu  une  surface  ondulée  et  comme  rayée  en  quelque  sorte.  C'est  que  la  de- 
struction qui  a  fait  disparaître  périoste  et  cément  a  également  envalii  l'ivoii-e,  et 
c'est  de  la  sorte  que  s'explique  la  résorption  parfois  très-étendue  et  même  totale 
de  certaines  dents  permanentes,  ainsi  que  nous  le  verrons  plus  loin. 

L'ostéite  et  la  nécrose  du  cément  cbez  l'homme  ne  se  constatent  donc,  comme 
on  voit,  que  par  la  dernière  période,  la  destruction,  et  l'on  n'assiste  pas  par  con- 
séquent aux  phénomènes  inflammatoires  qui  s'observent  sur  toutes  les  autres 
parties  du  squelette  frappées  de  la  même  lésion.  Mais,  si  un  tel  examen  est 
impossible  chez  l'homme,  en  raison  de  la  très-faible  épaisseur  du  tissu,  il  n'en 
est  pas  de  même  chez  certains  animaux  oiî  la  couche  du  cément  est  très- 
épaisse,  le  cheval,  par  exemple,  de  telle  sorte  que  c'est  surtout  chez  ce  dernier 
qu'on  peut  étudier  les  affections  du  cément  et  en  déduire  l'histoire  pour  les 
dents  humaines.  Chez  le  cheval  en  effet  l'ostéite  et  la  nécrose  du  cément  ne  sont 
pas  rares.  Elles  siègent  souvent  aux  molaires,  qui  sont  revêtues,  comme  on  sait, 
dans  leur  couronne,  par  une  épaisse  couche  osseuse.  Qu'il  survienne  une  fracture 
par  un  corps  étranger,  un  caillou  égaré  dans  l'avoine,  et  l'on  constate  alors  la 
série  des  lésions  propres  à  l'ostéite  :  piqueté  du  tissu  osseux,  élimination  insen- 
sible ou  production  d'un  séquestre,  végétations  d'ossification  secondaire,  dénu- 
dation  des  cornets  et  surtout  propagation  des  accidents  au  tissu  osseux  des 
maxillaires.  Si  la  lésion  occupe  le  maxillaire  supérieur,  un  phénomène  bien 
connu  indique  cette  complication  :  c'est  \ej étage  purulent  et  fétide  qui  prouve 
un  envahissement  de  la  maladie  au  sinus  maxillaire.  C'est  à  une  telle  lésion 
que  les  vétérinaires  ont  donné  improprement  le  nom  de  carie  dentaire,  affection 
que  nous  n'avons  point  encore  observée  chez  les  herbivores  avec  les  caractères 
qu'elle  affecte  chez  l'homme.  Il  faut  donc  la  classer  selon  nous  dans  les 
maladies  du  cément,  et  nous  n'avons  rappelé  ici  ces  faits  que  dans  le  but  d'aider 
à  leur  intelligence  chez  l'homme. 

b.  Hypertrophie  du  cément,  tumeurs.  L'hypertrophie  du  cément  est  une 
affection  très-commune  aux  dents  de  l'homme  et,  à  l'inverse  de  l'ostéite  et 
de  la  nécrose,  très-facile  à  observer  dans  ses  diverses  formes  et  ses  caractères 
variés. 

On  sait  déjà  que  dans  l'état  normal  et  par  les  progrès  de  l'âge  la  couche  cémen- 
taire  des  racines,  à  peine  visible  à  l'œil  nu  chez  l'adulte,  s'épaissit  notablement 
chez  le  vieillard,  et  que  cet  épaississement  peut  s'accompagner  de  la  formation 
de  couches  concentriques,  disposition  tout  à  fait  exceptionnelle  normalement  et 
qui  rappelle  immédiatement  la  constitution  osseuse  ordinaire.  Ce  phénomène 
physiologique  est  ici  un  acte  de  compensation  destiné  à  suppléer,  au  point  de  vue 
de  la  conservation  et  de  la  vitalité  de  l'organe,  à  la  disparition  de  la  pulpe  qui 
s'atrophie  chez  le  vieillard  et  disparaît. 


o02  DE.^T   (pathologie). 

Or  cette  suractivité  fonctionnelle  entraîne  parfois  la  formation  d'une  véri- 
table exostose.  Telle  est  déjà  l'une  des  causes  de  cette  hypertrophie.  Une  autre 
condition  favorable  à  ce  développement  est  une  certaine  forme  assez  rare  de 
périostite  à  forme  chronique  sans  suppuration  ni  production  d'aucune  sorte, 
processus  inflammatoire  très-lent  qui  amène  simultanément  l'épaississement  du 
périoste  et  du  cément.  C'est  à  la  fois  une  périostose  et  une  exostose.  Des  trauma- 
tismes  anciens  et  relativement  faibles  amènent  cette  complication. 

Enfin  il  est  encore  une  cause  particulièrement  favorable  à  la  production  de 
l'hypertrophie  cémentaire,  ce  sont  certaines  anomalies  :  soit  l'anomalie  de  siège 
ou  hétérotopie,  soit  les  anomalies  de  disposition  par  réunions  anomales  de  deux 
ou  de  plusieurs  dents  entre  elles,  soit  enfin  les  anomalies  de  nutrition  ou 
odontomes. 

Dans  le  cas  d'hétérotopie,  on  observe  fréquemment  qu'une  dent  frappée  dans 
son  lieu  anormal  des  diverses  perturbations  de  nutrition  présente  une  hyper- 
trophie cémentaire  parfois  considérable.  Uue  pièce  fort  curieuse  du  Musée 
de  Hunter  à  Londres  fn"  1022  du  catalogue)  présente  une  dent  prémolaire  restée 
incluse  dans  le  maxillaire  et  portant  sur  le  côté  de  la  racine  uue  tumeur 
osseuse  cémentaire  ayant  acquis  un  volume  double  delà  dentelle-même.  Wedl 
et  Tomes  en  ont  cité  d'analogues. 

Dans  le  cas  d'anomalie  par  réunion  anomale  de  deux  dents,  lorsque  la  fusion 
s'est  produite  dans  les  racines,  c'est  toujours  à  la  faveur  d'une  masse  hypertro- 
phique  du  cément  que  s'effectue  la  soudure.  La  pièce  la  plus  remarquable  en 
ce  genre  est  celle  qu'on  doit  à  M.  Maisonneuve  et  qui  figure  au  Musée  Diipuy- 
tren.  Nous  l'avons  d'ailleurs  figurée  plus  haut  [voy.  p.  175,  fig.  28). 

Enfin  dans  les  odontomes,  qui  sont,  comme  on  sait,  des  anomalie»  de  nutrition 
de  la  totalité  de  la  dent,  l'hypertrophie  cémentaire  est  ici  un  fait  secondau'e 
compliquant  la  lésion  première.  C'est  à  ce  sujet  que  les  auteurs  et  surtout 

Broca  ont  soigneusement  insisté  sur  la 
distinction  nécessaire  entre  les  odon- 
tomes proprement  dits  et  les  tumeurs 
du  cément  qui  dans  certains  cas  les 
simulent  parfaitement.  La  pièce  de 
Maisonneuve  est  eu  effet  non  un  odon- 
tome  proprement  dit,  mais  un  fait  de 
réunion  anomale  des  deux  molaires,  la 
seconde  étant  incluse  dans  une  niasse 
considérable  de  tissu  osseux  réunie  par 
un  pédicule  à  la  couche  de  cément  de 
la  première. 

Si  de  ces  diverses  considérations 
relatives  aux  causes  de  l'hypertrophie 
cémentaire  nous  passons  aux  formes  qu'elles  affectent,  nous  en  distinguerons 
trois  principales  :  1«  V exostose  en  sphère,  ce  sont  des  masses  sphériques  qui 
occupent  le  sommet  des  racines  ;  2»  Vexostose  en  nappe,  celle  qui  s'observe 
dans  les  réunions  anomales;  5»  enfin  Vexostose  en  masse,  celle  qui  réper- 
cute soit  une  tumeur  hypertrophique  simple,  soit  une  tumeur  englobant  une 
dent  normale  ou  non,  adhérente  tératologiquement  à  une  autre. 

Au  point  de  vue  histologique,  les  productions  cémentaires  sont  invariablement 
composées  des  éléments  normaux  du  cément  frappé  d'hypergenèse  et  présentant 


Fig.  56.  —  Deux  types   d'exostoses    cémentaires 
chez  l'homme. 

a,  exostose  en  nappe  feslonnée.  —  6,  exostose 
en  sphères  occupant  les  trois  sommités  l'aJicu- 
laires  d'une  molaire  supérieure. 


DEMI   (pathologie).  505 

quelques  variations  dans  la  disposition.  Ainsi  le  cément  normal,  qui  est  compose' 
de  substance  fondamentale  granuleuse  et  d'ostéoplastes  de  forme  et  de  dispo- 
sition irrégulières,  a  fait  place  à  un  tissu  qui  se  rapproche  tout  à  fliit  du  tissu 
osseux  ordinaire  :  les  ostéoplastes  sont  rangés  par  couches  concentriques  autour 
du  point  occupé  par  un  canal  vasculaire.  Ils  sont  d'un  volume  et  d'une  couli- 
(îuraliou  plus  uniformes.  C'est,  en  un  mot,  un  retour  aux  caractères  du  tissu 
osseux  de  la  variété  compacte. 

Ces  dispositions  sont  la  règle  dans  les  hypertrophies  cémentaircs  en  boules  ou 
en  plaques  ;  mais  il  n'en  est  pas  de  même  dans  les  odontonies  où  le  tissu  cémen- 
taire  se  trouve  mélangé  avec  les  autres  tissus  composant  une  production  tératolo- 
gique.  On  rencontre  alors  des  masses  diverses  interposées  aux  parties  osseuses,  par- 
fois même  des  tissus  mous  fibroides  ou  fibreux  provenant  des  éléments  celluleux 
du  follicule.  Les  parties  osseuses  sont  aussi  dans  ce  c;is  fort  anormales  de 
composition  ;  tantôt  il  y  a  afQience  d'ostéoplastes,  tantôt  prédominance  de 
matière  foudamentale  granuleuse.  Il  est  évident  que  le  cément  a  en  même  temps 
subi  une  hypertrophie  et  une  aberration  de  forme  et  de  disposition  de  ses 
éléments. 

Les  symptômes  de  cette  affection  sont  ordinairement  nuls,  et  c'est  le  plus 
souvent  dans  une  autopsie  accidentelle  ou  dans  les  hasards  d'une  opération  chi- 
rurgicale qu'on  en  a  rencontré  les  exemples  les  plus  reman|uables.  l'iusicurs  fois 
les  chirurgiens  appelés  pour  pratiquer  l'ablation  d'une  dent  malade  ont  ren- 
contré des  obstacles  tels  qu'après  des  débridements  ou  des  excisions  considérables 
ils  ont  amené  au  dehors  une  masse  osseuse  dont  rien  ne  faisait  prévoir  l'existence. 

Toutefois,  il  faut  dire  qu'il  est  une  certaine  forme  d'hypertrophie  cémentaire 
qui  se  manifeste  par  certains  signes  et  qui  peut  être  soupçonnée,  c'est  la  forme 
en  sphères  occupant  le  sommet  radiculaire.  Les  accidents  ont,  dans  ce  cas,  une 
forme  spéciale:  c'est  une  douleur  sourde,  profonde,  assez  analogue  à  celle  de  la 
périostite  chionique,  mais  ne  s'accompa^nant  presque  jamais  d'aucun  ébran- 
lement. La  dent  est  tout  au  contraire  ''"une  solidité  extrême:  la  pression  du 
doigt  sur  la  région  du  sommet  ne  donne  lieu  à  aucune  sensation  douloureuse  ; 
on  n'observe  que  des  phénomènes  subjectifs  que  le  malade  rattache  toutefois  à 
un  point  fixe  radiculaire.  La  dent,  du  reste,  dans  sa  totalité,  par  l'aspect  de  sa 
couronne,  par  l'absence  de  déviation  ou  du  changement  de  couleur,  n'aide  en 
rien  au  diagnostic. 

Eu  ce  qui  concerne  le  traitement,  nous  n'avons  aucune  indication  à  formuler. 
Pour  les  cas  de  volumineuses  tumeurs  intra-maxillaires  nous  ne  saurions  con- 
seiller que  l'ablation,  si  des  accidents  venaient  à  en  révéler  la  présence.  Mais 
nous  rejetons  absolument  cette  pratique  pour  les  cas  qui  seraient  soupçonnés  de 
tumeurs  globuleuses  des  racines.  L'opération  rencontrerait  ici  de  tels  obstacles 
matériels  par  le  volume  et  la  situation  de  la  tumeur  qu'il  ne  faut  pas  la  tenter. 
C'est  pour  l'avoir  essayée  quelquefois  au  début  de  notre  pratique,  et  pour  y  avoir 
échoué  entièrement,  que  nous  conseillons  formellement  l'abstention.  Les  accidents 
d'ailleurs,  nous  le  répétons,  ne  justifieraient  pas  une  intervention  chirurgicale 
dont  les  conséquences  pourraient  devenir  sérieuses. 

c.  Résorption  des  racines  des  dents  permanentes.  Nous  croyons  devoir 
donner  place  ici  à  cette  affection,  assez  rare  d'ailleurs,  dans  laquelle  une 
partie  ou  la  totalité  de  la  racine  d'une  dent  éprouve  une  disparition  lente  et 
progressive  de  sa  substance,  au  point  d'entraîner  sa  chute. 

Cetti  maladie  a  déjà  attiré  l'attention  de  quelques  auteurs,  de  Duval  entre 


304  DENT   (pathologie). 

autres,  qui  la  décrit  sous  le  nom  de  consomption  de  V extrémité  de  la  racine 
des  dents. 

Il  donne  d'ailleurs  ce  nom  à  deux  formes  d'altérations  :  la  première  carac- 
térisée par  le.  présence  de  petites  aspérilés  à  l'extrémité  de  la  racine  des  dents. 
C'est,  comme  on  voit,  la  nécrose  du  cément  et  la  résorption  partielle  de  la  racine; 
la  seconde  est  représentée  par  une  perte  de  substance  considérable  de  la  même 
racine.  Dans  l'idée  de  Duval,  il  s'agit,  comme  on  voit,  de  deux  degrés  de  la 
même  lésion.  Nous  venons  de  décrire  le  premier,  il  nous  reste  à  parler  du 
second,  c'est-à-dire  de  la  résorption  ou  consomption  totale  de  la  racine. 

Cette  affection  reconnaît  plusieurs  causes  :  l'une  des  plus  fréquentes  consiste 
dans  les  traumalismes  qui  ont  amené  à  la  suite  et  d'une  manière  lente  la  série  des 
lésions  bien  connues,  et  dont  voici  le  processus  :  commotion  de  la  pulpe,  gangrène 
de  cet  organe,  coloration  grise  ou  noire  de  la  couronne  ;  périostite  du  sommet  à 
formé  chronique,  et  alors  résorption  lente  du  cément  et  de  l'ivoire  dans  la  tota- 
lité de  la  racine;  enfin,  chute  de  la  dent  à  la  façon  d'une  dent  temporaire. 

Il  est  à  remarquer,  toutefois,  que  celte  résorption  est  particulièrement  tar- 
dive, de  sorte  que  le  traumatisme  est  ordinairement  oublié  depuis  longtemps 
lorsque  commence  le  travail  de  destruction;  tel  est,  par  exemple,  le  cas  suivant  : 

Obseevatiox.  —  M.  X.,  trenle-cinq  ans,  fit  à  l'âge  de  dix  ans  une  chute  sur  une  marche 
d'escalier  et  s'ébranla  très-violcmmenl  l'incisive  médiane  gauche  supérieure.  Toutefois 
celle-ci  se  consolida,  conservant  cependant  une  légère  déviation  qui  la  portait  vers  sa  congé- 
nère sur  la  ligne  médiane.  Quelques  mois  après  l'accident,  elle  avait  entièrement  repris 
sa  solidité  et  ses  usages. 

Il  y  a  deux  ans,  c'est-à-dire  vingt-trois  ans  après  l'accident  et  sans  aucune  cause 
appréciable,  cette  dent,  qui  avait  depuis  quelques  années  changé  de  couleur  et  était  devenue 
bleuâtre,  s'ébranla  peu  à  peu  sans  causer  ni  douleur,  ni  accident  quelconque  de  voisinage, 
et  elle  tomba  spontanément. 

Son  examen  permit  de  reconnaître  que  la  totalité  de  la  racine  avait  disparu  par  résorp- 
tion. La  couronne  élait  ainsi  surmontée  d'un  court  tronçon  rugueux  et  déchiqueté  sans 
suppuration  ni  écoulement  quelconque  par  l'alvéole.  La  plaie  se  ferma  d'ailleurs  au  bout  de 
quelques  jours. 

Une  autre  cause  qu'il  faut  mentionner,  c'est  la  sortie  anomale  et  tardive  d'une 
dent  permanente  au  voisinage  d'autres  dents  qui  ne  laissent  à  celle-ci  aucun 
emplacement.  Le  fait  est  particulièrement  fréquent  pour  les  canines  qui,  ainsi 
qu'on  sait,  font  parfois  leur  apparition  dans  l'âge  mûr  ou  dans  la  vieillesse. 

Nous  avons  observé  plusieurs  faits  de  ce  genre  dans  lesquels  la  sortie  d'une 
canine  à  cinquante,  soixante  ou  même  soixante-quatorze  ans,  a  occasionné  la 
chute  de  deux  incisives  dont  les  racines  se  sont  trouvées  résorbées  et  ont  été 
ainsi  chassées  des  alvéoles.  C'est  dans  ce  cas  à  un  phénomène  de  compression 
simple  qu'est  due  cette  résorption  en  tous  points  comparable,  nous  le  répétons, 
au  même  fait  des  dents  temporaires. 

Voici,  par  exemple,  une  observation  qui  établit  parfaitement  ce  mécanisme  : 

Observatiox.  —  Résorption  de  la  racine  d'une  incisive  latérale  supérieure  droite  permanente 
par  l'évolution  anormale  et  tardive  de  la  canine.  —  Mademoiselle  L.,  âgée  de  dix-neuf  ans,  a 
toutes  les  dents  frappées  d'érosion  par  suite  d'une  affection  grave  survenue  dans  knfance- 
Toutefois  la  dentition  était  complète,  sauf  la  canine  supérieure  droite  qui  manquait,  lorsqu'il 
y  a  un  an  celle-ci  commença  son  éruption  ;  seulement,  au  lieu  de  sortir  à  sa  place  accou- 
tumée, très-réduite  d'ailleurs  par  le  rapprochement  de  l'incisive  et  de  la  petite  molaire 
limitantes,  elle  fit  son  éruption  en  arrière  de  la  petite  incisive.  Au  bout  d'une  année,  sa 
longueur  ne  dépasse  pas  de  2  à  3  millimètres;  sa  pointe  regarde  le  fond  de  la  bouche,  de 
sorte  qu'elle  se  dirige  par  conséquent  d'avant  en  arrière  et  de  dehors  en  dedans. 

Depuis  une  année  aussi,  époque  de  l'apparition  du  sommet  de  la  canine,  la  petite  incisive 


DEIS'T  (pathologie).  305 

s'est  noiablement  allongée,  de  sorte  qu'elle  dépasse  aujourd'hui  de  plusieurs  millimètres 
le  niveau  des  dents  voisines;  de  plus,  cette  dent  s'est  considérablement  ébranlée  et  avancée, 
de  manière  qu'elle  se  place  souvent  au  devant  de  la  lèvre  inférieure  lorsque  la  bouche  est 
fermée. 

Cette  dent  causant  par  sa  déviation  et  son  ébranlement  une  gêne  assez  grande,  made- 
moiselle L.  en  demande  l'extraction.  L'opération  faite,  on  constate,  que  la  racine  de  cette  dent 
est  entièrement  résorbée  à  l'instar  d'une  dent  de  lait.  La  surface  d'usure  est  oblique  et  répond 
exactement  à  la  place  et  à  la  direction  même  de  la  canine. 

Certaines  affections  du  périoste  avec  abcès  ou  kyste  périostique  se  compli- 
quent encore  de  cette  forme  de  résorption.  Il  en  est  de  même  de  l'ostéite  et  du 
cément  du  bord  alvéolaire  dans  l'épaisseur  duquel  se  trouvent  souvent  des  dents 
incluses  et  baignant  dans  le  pus,  qui  sont  privées  d'une  partie  plus  ou  moins 
grande  de  leur  lacine.  Le  fait  s'observe  en  particulier  dans  la  marche  envahis- 
sanle  de  certaines  nécroses,  la  nécrose  pliosphorée,  par  exemple. 

La  lésion  est  caractérisée  par  un  étal  proprement  dit  d'usure  de  la  racine, 
qui  apparaît  comme  rongée  avec  des  surfaces  inégales,  déchiquetées,  couvertes 
d'aspérités,  baignant  en  général  dans  un  li(|uide  séro-punilent  ou  purulent. 
Dans  les  cas  d'usure  par  l'action  d'un  corps  étranger,  comme  une  dent  évo- 
luant tardivement,  la  résorption  occupe  le  point  directement  en  rapport  avec 
cette  dernière,  et  elle  s'effectue  alors  sans  purulence,  sans  liquide,  sans  pro- 
cessus inflammatoire  quelconque. 

Dans  ce  dei  aier  cas,  l'analogie  est,  on  le  voit,  complète  avec  lu  résorption  des 
racines  des  dénis  de  lait  à  l'époque  de  leur  remplacement.  Ce  n'est  pas  là  un 
moindre  argument  en  faveur  de  la  théorie  que  nous  avons  émise,  et  par  laquelle 
la  chute  des  dents  de  lait  serait  due  à  un  simple  fait  de  compression  de  la  part 
de  la  dent  permanente  correspondante. 

La  marche  de  cette  lésion  est  ordinairement  extrêmement  lente,  et,  si  l'on 
n'intervient  pas  pour  enlever  une  dent  ainsi  frappée,  il  peut  s'écouler  bien  des 
années  avant  sa  chute. 

Quant  aux  symptômes,  ce  sont  en  général  ceux  de  la  périostite  à  forme  lente 
et  chronique  :  parfois  c'est  l'indolence  absolue  et,  sans  les  signes  objectifs,  l'af- 
fection passerait  inaperçue.  Ceux-ci  toutefois  sont  caractéristiques  :  la  dent,  après 
avoir  subi  la  transformation  grise  ou  noire  de  sa  couleur,  se  soulève  d'une  façon 
progressive,  si  bien  qu'en  la  prenant  entre  les  doigts,  on  perçoit  très-neltement  la 
sensation  de  la  destruction  de  la  racine.  Les  adhérences  avec  le  tissu  alvéolaire  sont 
entièrement  perdues;  la  dent  flolle  dans  une  cavité  où  elle  n'adhère  plus  que 
par  quelques  liens  fibreux  gingivaux,  et  encore  ceux-ci  se  rompent-ils  à  leur  tour, 
laissant  passage  en  ce  moment  à  quelque  liquide  suintant  au  dehors  et  achevant 
d'isoler  l'organe.  C'est  ainsi  que  celui-ci  effectue  alors  sa  chute. 

Le  traitement  d'une  telle  affection  est  fort  difficile,  surtout  par  les  moyens 
directs  qu'on,  viendrait  porter  au  foyer  même  de  la  résorption.  Dans  quelques 
cas  cependant  le  drainage  de  ce  foyer  même  par  une  contre-ouverture  pratiquée 
sur  le  bord  alvéolaire  et  la  pose  d'un  drain  sont  susceptibles  de  retarder  sinoii- 
lièrement  le  travail  pathologique. 

Les  moyens  indirects  sont  plus  efficaces.  Tels  sont,  par  exemple,  ceux  qu'on 
dirigerait  sur  un  corps  étranger,  cause  première  de  la  lésion.  Ceci  s'adresse  par- 
ticulièrement aux  dents  dont  l'éruption  vicieuse  ou  tardive  menacerait  des  dents 
essentielles  comme  des  incisives.  Si  le  diagnostic  peut  être  fixé,  on  ne  devra  pas 
hésiter,  même  au  prix  d'incisions  ou  de  débridements  osseux  suffisants,  à  aller 
à  la  recherche  de  la  dent  qui  cause  ces  désordres  et  en  effectuer  l'ablation. 

DICT.   EJiC.  XXVII.  20 


506  DENT  (médecine  opératoire). 

Il  résulte  de  là  qu'en  dehors  du  drainage  comme  moyen  palliatif  et  de  la 
suppression  des  agents  de  résorption  l'intervention  est  nulle.  L'affection 
échappe  d'ordinaire  à  une  thérapeutique  efficace,  et  la  terminaison  inévitable  est 
la  chute  de  la  dent  malade. 

B.  Opérations  qui  se  pratiquent  sur  les  dents.     Cette  partie    de  uotre  travail 
comprend  dans  toute  son  étendue  la  médecine  opératoire  spéciale. 
Nous  la  diviserons  de  la  manière  suivante  : 

I.  De  l'exploration  de  la  bouche. 

II.  De  l'abrasion  des  dents. 

III.  De  la  résection. 

IV.  De  l'obturation. 

V.  De  l'extraction. 

VI.  De  la  greffe  dentaire. 

Vil.  De  l'anesthésie  chirurgicale  dans  les  opérations  qui  se  pratiquent  sur  la 
bouche. 

I.  Exploration  de  la  bouche.  L'exploration  de  la  bouche  se  pratique  sui- 
vant certaines  règles  que  nous  devons  indiquer. 

Le  sujet  doit  être  placé  en  face  de  la  lumière,  assis  sur  un  fauteuil  élevé  et 
la  tète  solidement  fixée  au  dossier  du  siège.  Un  fauteuil  ordinaire  solide  et 
pesant,  dont  le  dossier  peut  s'élever  d'une  part  et  se  renverser  d'autre  part 
au  moyen  de  deux  crémaillères,  suffit  à  tous  les  cas;  le  siège  peut  toujours  être 
élevé  ou  abaissé  par  l'addition  ou  la  suppression  d'un  simple  coussin.  Les 
fauteuils  spéciaux,  à  mécanismes  plus  ou  moins  compliqués  et  dont  les  diverses 
parties  deviennent  mobiles  par  l'emploi  de  ressorts  et  de  manivelles,  sont  en 
général  trop  volumineux.  Ils  représentent  de  véritables  machines  dont  le  moindre 
inconvénient  est  d'effrayer  les  malades  et  ne  présentent  d'ailleurs  aucun  avan- 
tage particulier.  Nous  les  rejetons  donc  absolument. 

L'opérateur  se  place  à  la  droite  du  malade  et,  après  lui  avoir  prescrit  d'ouvrir 
la  bouche,  il  écarte  doucement  la  commissure  des  lèvres  avec  l'index  de  la  main 
gauche,  l'autre  main  restant  libre  soit  pour  écarter  en  même  temps  la  commis- 
sure opposée  ou  les  lèvres,  soit  pour  saisir  les  instruments  d'exploration. 

Dans  certains  cas  l'abaisse-langue  de  l'un  ou  l'autre  des  modèles  bien  connus 
favorise  l'exploration  par  le  regard  lorsqu'il  s'agit,  par  exemple,  d'un  état  mor- 
bide du  fond  de  la  bouche  ou  de  la  région  de  la  dent  de  sagesse.  On  emploiera 
aussi  dans  le  même  but  des  écarteurs  des  lèvres  ou  des  mâchoires. 

Cela  fait,  le  praticien  dirige  son  regard  sur  toutes  les  parties  de  la  bouche  et 
il  peut  ainsi  apprécier  dans  leur  ensemble  les  conditions  d'aspect  et  de  colo- 
ration de  la  muqueuse,  la  conformation  générale  du  système  dentaire,  la  dis- 
position des  mâchoires  et  leurs  rapports  réciproques.  Ce  premier  examen  suffit 
souvent  à  un  œil  exercé  pour  établir  sinon  un  diagnostic  précis,  du  moins  des 
présomptions  sérieuses  sur  l'état  pathologique  des  parties  ;  il  permet  d'apprécier 
d'emblée  s'il  s'agit  d'une  stomatite  ou  d'une  gengivite  locale  ou  généralisée  ;  si 
un  suj  t,  à  la  suite  d'une  affection  grave,  a  contracté  des  caries  dentaires  nom- 
breuses. Il  pourra  encore  se  rendre  compte  approximativement  de  la  nature  du 
mal. 

Toutefois,  si  l'intervention  directe  de  la  vue  est  suffisante  pour  apprécier  un 
état  morbide  des  gencives  ou  une  altération  avancée  du  système  dentaire,  elle 
ne  l'est  plus  lorsqu'il  s'agit  du  diagnostic  d'une  altération  commençante  ou  dis- 


DENT  (médecine  opératoire).  ^"' 

simulée  dans  un  interstice;  mais  là  encore  elle  peut  fournir  des  indications 
précieuses  :  lorsque,  par  exemple,  un  sujet  accuse  sur  un  côté  de  la  bouche  une 
douleur  Tive,  on  peut  reconnaître  l'altération  dentaire  à  une  tache  noire  ou 
bleuâtre;  ou  bien  c'est  une  teinte  blanchâtre  et  crayeuse  qui  décèle  à  l'œil 
exercé  une  cavité  sous-jacente  avec  ramollissement  primitif  de  la  couche  d'émail 
dont  l'opacité  tranche  nettement  avec  la  transparence  des  parties  voisines.  On 


fîg.  37.  —  Deux  modèles  d'abaisse-langue  pour  l'exploration  de  la  bouche  ;  l'un  des  deux  est  muni 

d'une  lampe  avec  réflecteur. 


peut  encore  au  moyen  de  la  vue  constater  le  degré  d'allongement  qu'a  éprouvé 
une  dent  par  suite  d'une  altération  aiguë  ou  chronique  de  son  périoste  ou  de 
l'alvéole,  et  dans  certains  cas  les  déviations  plus  ou  moins  prononcées  avec  ou 
sans  ébranlement  telles  qu'on  les  observe  dans  le  coiu's  de  certaines  formes  de 
périostite  chronique,  Tostéo-périostite  diabétique,  par  exemple. 

En  même  temps  que  la  vue,  il  est  un  autre  sens  qui  s'exerce  aussitôt  :  c'est 
l'odorat.  Or  les  odeurs  de  la  bouche  sont  très-diverses  et  en  même  temps  assez 
caractérisées  pour  devenir  d'ordinaire  un  élément  important  de  diagnostic.  D'une 
manière  générale  la  carie  dentaire  n'a  pas  d'odeur  par  elle-même,  mais  par  les 
matières  alimentaires  en  putréfaction  qu'elle  peut  renfermer.  Cependant  des 
caries  multiples  dues  à  une  cause  morbide  générale  s'accompagnent  d'une  odeur 
fade  et  aigrelette  qui  rappelle  les  milieux  en  fermentation;  dans  d'autres  cas 
une  carie  profonde,  pénétrante  et  s'accompagnant  de  suintement  dû  à  un  état 
inflammatoire  chronique  du  périoste,  devient  le  siège  d'une  odeur  putride 
très-gênante  d'ordinaire  pour  les  malades  et  facilement  appréciable  pour  l'explo- 
rateur. 

A  ces  diverses  odeurs  s'ajoute  encore  celle  qui  provient  des  lésions  des 
gencives.  Elle  est.  à  la  fois  chaude  et  fétide.  On  l'observe  dans  les  accidents 


308  DENT  (médecine  opératoire), 

muqueux  de  la  dent  de  sagesse,  dans  la  gingivite  simple  ou  ulcéreuse,  dans 
l'ostéo-périoslite  des  diathèses,  etc.  On  sait,  par  exemple,  quelle  est  l'odeur 
habituelle  de  l'haleine  des  diabétiques  :  elle  est  due  à  l'étal  des  alvéoles  qui 
sont  toujours,  comme  on  sait,  dans  un  état  de  suppuration  plus  ou  moins  pro- 
noncé. 

A  ce  mode  d'exploration  directe  de  l'état  de  la  bouche  vient  s'adjoindre  l'explo- 
ration au  moyen  des  doigts.  Cet  examen  comprend  : 

Le  toucher,  qui  fera  reconnaître  si  une  dent  a  conservé  sa  solidité  normale  ou 
si  elle  a  subi  un  degré  plus  ou  moins  prononcé  d'ébranlement;  si  une  dent 
cariée  ou  fracturée  présente  des  aspérités  ou  des  bords  tranchants.  Il  permettra 
d'expliquer  la  présence,  sur  les  points  correspondants  de  la  langue  ou  des 
joues,  d'écorchures  ou  d'ulcérations  dont  le  traitement  serait  alors  clairement 
indiqué. 

L'emploi  des  doigts  comprend  encore  la  palpation  ou  le  palper  :  c'est  ainsi 
qu'en  passant  l'index  le  long  du  bord  alvéolaire  en  dehors  ou  en  dedans  de  l'ar- 
cade on  constate  l'état  des  parties  profondes,  des  alvéoles  et  des  racines;  la  pré- 
sence d'un  noyau  inflammatoire  périostique,  d'une  petite  collection  purulente, 
d'un  kyste,  se  perçoit  de  la  sorte.  Il  en  est  de  même  du  diagnostic  différentiel 
de  ces  divers  états  comparés  aux  autres  lésions  du  bord  alvéolaire,  néoplasmes, 
altérations  osseuses,  etc.  Le  palper  sert  encore  à  déterminer  pendant  la  période 
de  la  dentition  la  situation  exacte  d'une  dent  en  voie  d'évolution,  sa  direction 
probable  et  conséquemment  les  conditions  diverses  qui  peuvent  favoriser  ou 
entraver  sa  sortie.  De  même,  lorsqu'une  dent  aura  été  frappée  de  déplacement 
plus  ou  moins  grand,  le  palper,  en  ne  constatant  point  sa  présence  dans  le  voi- 
sinage du  bord  alvéolaire,  permettra  de  lui  attribuer  certains  accidents  plus 
ou  moins  graves  dont  ces  déplacements  sont  ordinairement  l'origine. 

La  percussion  est  un  mode  spécial  de  toucher.  On  peut  la  pratiquer  au  moyen 
d'un  doigt,  pour  déceler  la  sensibilité  d'une  dent  ;  mais  il  vaut  mieux  se  servir 
du  manche  d'un  instrument  ou  d'un  petit  percutein-  consistant  simplement  en 
un  petit  marteau  de  métal  ou  d'ivoire  monté  sur  une  tige  flexible  de  baleine 
ou  d'acier. 

La  percussion,  pratiquée  sur  la  couronne  d'une  dent,  soit  dans  le  sens  hori- 
zontal, soit  dans  le  sens  vertical,  indique  l'existence  des  altérations  périostiques 
et  alvéolaires.  Si  la  douleur  est  ressentie  à  la  fois  dans  les  deux  sens,  on  peut 
en  conclure  à  l'existence  d'une  périostite  généralisée;  si  la  percussion  horizen- 
tale  seule  est  douloureuse,  l'altération  occupe  un  point  du  périoste  sur  les  côtés 
del'ahéole;  si  au  contraire  c'est  la  percussion  verticale  qui  est  surtout  doulou- 
reuse, l'altération  siège  au  sommet  et  peut  être  ou  non  compliquée  d'un  kyste 
ou  d'un  abcès. 

Dans  certains  cas  l'épaisseur  anormale  des  lèvres  ou  des  joues  ou  le  volume 
de  la  langue  font  obstacle  à  l'examen  de  la  cavité  buccale;  on  a  recours  alors  à 
l'emploi  d'une  spatule  ou  d'un  abaisse-langue  qu'on  peut  au  besoin  faire  tenir 
par  un  aide  :  ces  précautions  sont  surtout  indiquées  dans  l'examen  des  faces 
interne  et  externe  des  arcades  dentaires,  dans  les  cas  de  caries  du  collet  ou  de 
ésions  du  bord  gingival. 

L'application  des  sens  à  l'exploration  de  la  bouche  peut  rencontrer,  dans  cer- 
taines dispositions  accidentelles  ou  morbides,  de  sérieuses  complications  :  ainsi, 
dans  les  cas  d'altérations  inflammatoires  dues  à  des  lésions  profondes  du  système 
dentaire  ou  à  1  évolution  anormale  d'une  dent  de  sagesse,  les  mâchoires  sont 


DENT   (médecine  opératoire).  309 

rapprochées  par  la  contraction  des  muscles  ou  maintenues  serre'es  par  l'engor- 
gement des  gaînes  musculaires.  La  bouche  n'étant  plus  susceptible  que  d'une 
ouverture  très-limitée  ou  même  restant  complètement  fermée,  l'exploiation 
immédiate  devient  impossible.  Il  faut  alors  avoir  recours  à  des  soins  prélimi- 
naires pour  calmer  l'inflammation,  cause  du  rapprochement  des  mâchoires,  ou 
provoquer  arliûciellement  leur  écartement.  On  peut  employer  à  cet  effet  soit  la 
vis  conique,  soit  l'un  des  écarteuis  bien  connus  des  chirurgiens  et  que  l'on 
introduit  entre  les  petites  molaires  en  le  faisant  manœuvrer  lentement,  de 
taçon  à  obtenir  graduellement  une  ouverture  plus  grande.  L'appareil  doit  être 
laissé  en  place  quelques  instants,  jusqu'à  ce  que  sa  présence  devienne  insup- 
portable au  malade,  et  les  manœuvres  doivent  être  renouvelées  tous  les  jours 
une  ou  deux  fois  jusqu'à  ce  qu'on  ait  obtenu  un  écartement  suffisant  pour  rendre 
possible  l'exploration  de  la  cavité  et  la  pratique  des  opérations. 

Dans  quelques  circonstances,  lorsqu'il  sera  nécessaire  d'intervenir  rapidement, 
l'ouverture  brusque  et  immédiate  de  la  bouche  remplacera  la  dilatation  progres- 
sive ;  on  est  autorisé  dans  ces  cas  à  recourir  à  l'anesthésie,  qui  abrège  et  facilite 
l'opératiou  et  évite  au  patient  les  douleurs  parfois  excessives  de  l'ouverture 
forcée. 

A  ces  moyens  d'exploration  par  l'application  directe  des  sens  vient  s'ajouter 
l'intervention  de  certains  instruments  ou  appareils.  Ce  sont  :  la  sonde,  le  miroir, 
les  fraises  et  les  perforateurs,  la  poire  à  injection  et  les  divers  stomatoscopes. 

1°  La  sonde  est  une  tige  métallique  renflée  à  sa  partie  moyenne  de  façon  à 
être  facilement  saisie  et  maintenue  par  la  main  et  effilée  à  ses  deux  extrémités. 
Elle  doit  être  en  acier  non  trempé  ou  en  fer  doux,  afin  de  pouvoir  se  fléchir 
dans  tous  les  sens  et  se  prêter  à  toutes  les  courbures.  Cet  instrument  sert  par- 
ticulièrement à  déterminer  le  siège,  l'étendue  et  la  sensibilité  des  caries.  Dans  le 
cas  où  la  maladie  est  récente  et  la  cavité  superficielle,  n'ayant  encore  causé  que 
peu  où  pas  de  douleurs,  cet  examen  au  moyen  de  la  sonde  se  fait  très-simplement. 
Si  au  contraire  l'altération  est  ancienne  et  a  déjà  causé  des  douleurs  plus  ou 
moins  vives,  la  recherche  et  l'exploration  de  la  carie  doivent  se  faire  avec  les 
plus  grandes  précautions.  En  effet,  l'opérateur,  après  avoir  introduit  doucement 
l'instrument  dans  la  cavité  et  l'avoir  débarrassée  des  matières  alimentaires  et  des 
corps  étrangers  qu'elle  peut  contenir,  rencontre  vers  les  parties  les  plus  pro- 
fondes un  point  très-douloureux  qui  répond  au  pertuis  faisant  communiquer  la 
cavité  de  la  carie  avec  celle  de  la  pulpe,  et  par  lequel  cet  organe  se  trouve  mis  à 
nu.  C'est  sur  ce  point  que  doivent  être  dirigés  souvent  avec  le  même  instrument 
les  divers  moyens,  pansements,  cautérisations,  etc.,  soit  pour  modifier  l'état  de 
cette  pulpe,  soit  pour  la  détruire. 

2"  Le  miroir,  de  forme  ronde  ou  ovalaire,  doit  avoir  3  à  4  centimètres  de 
diamètre  ;  il  est  articulé  en  boule  de  façon  à  pouvoir  se  prêter  à  tous  les  mou- 
vements ;  il  doit  être  concave,  pour  grossir  les  objets  qu'il  réfléchit  et  éclairer 
plus  vivement  les  points  sur  lesquels  il  projette  les  rayons  lumineux;  enfin,  si  la 
surface  de  réflexion  est»  en  verre,  elle  doit  être  entourée  d'une  garniture  métal- 
lique. La  raison  de  cette  particularité  est  que  le  plus  ordinairement  le  miroir  se 
ternit  dès  qu'on  l'introduit  dans  la  bouche,  et  qu'il  est  nécessaire,  pour  éviter 
cet  inconvénient,  de  le  tremper  dans  l'eau  chaude  ou  de  le  passer  vivement  dans 
la  flamme  d'une  lampe  à  alcool,  ce  qui  serait  impossible  avec  une  oamiture  de 
bois,  d'os  ou  d'ivoire.  Le  miroir  sert,  soil;  à  éclairer  les  parties  obscures,  en  pro- 
jetant à  leur  surface  un  faisceau  de  rayons  convergents,  soit  à  observer  les  points 


310  DENT    (médecine  opératoire]). 

qui  ne  sont  pas  directement  accessibles  à  la  vue,  comme  la  face  postérieure  des 
incisives  et  la  couronne  des  molaires  dans  leurs  faces  postérieures  ou  externes, 
ainsi  que  dans  leurs  interstices. 

3°  Les  fi'aises  et  les  perforateurs,  que  nous  retrouverons  surtout  dans  la  pratique 
de  l'obturation,  sont  souvent  indispensables  pour  le  diagnostic  de  certaines 
caries,  par  exemple,  lorsqu'il  s'agit  de  découvrir  une  altération  de  ce  genre  sié- 
geant dans  un  interstice  et  dont  l'existence  n'est  révélée  que  par  des  signes 
indirects  comme  une  coloralion  anormale,  la  douleur,  etc.  Le  petit  perforateur, 
auquel  on  imprime  quelques  mouvements  de  rotation,  pénètre  alors  aisément  au 
travers  de  l'émail  désorganisé  dans  l'inléiieur  de  la  cavité;  les  fraises,  qui  sont 
en  général  d'un  volume  plus  considérable  et  à  tête  arrondie  ou  ovoïde,  serviront 
ensuite  à  agrandir  l'orifice  jusqu'à  ce  que  l'on  puisse  facilement  pénétrer  avec  la 
sonde  dans  la  cavité  pour  pratiquer  l'exploration  complète. 


Fig.  38.  —  Miroir  à  exploration  (modèle  White).  Fig.  39.  —  Poire  en  caoutchouc  pour  injections 


4"  Les  poires  ou  seringues  à  injection  servent,  soit  à  laver  les  parties  et  à 
débarrasser  la  cavité  d'une  carie  des  détritus  qui  y  sont  accumulés,  soit  et  plus 
ordinairement  à  explorer  la  sensibilité  des  dents  aux  températures  extrêmes. 

Ce  sont  de  petites  seringues  métalliques,  ou  mieux  de  petites  poires  en  caout- 
chouc terminées  par  un  ajutage  de  petit  calibre  et  dont  l'extrémité  est  droite  ou 
légèrement  recourbée. 

5°  Stomatoscopes.  Les  divers  moyens  d'exploration  que  nous  venons  de  passer 
en  revue  sont,  dans  la  majorité  des  cas,  parfaitement  suffisants  pour  assurer  le 
diagnostic  d'une  affection  buccale  ou  dentaire.  Toutefois,  un  praticien  de  Breslau, 
le  docteur  Bruck,  a  imaginé,  il  y  quelques  années,  un  appareil  plus  compliqué 
destiné  à  l'exploration  de  la  cavité  buccale  au  moyen  de  la  lumière  électrique 
dirigée  soit  directement  devant  la  bouche,  soit  portée  en  arrière  des  arcades  den- 
taires. Ce  stomatoscope  (voy.  Gazette  des  hôpitaux,  1866,  p.  47)  se  compose 
d'une  pile  galvano-caustique  de  Middeldorff,  aux  fils  conducteurs  de  laquelle 
se  visse  le  manche  de  l'armature  ou  bougie  électrique;  celle-ci  consiste  en  un 


DEM   (médecine  opératoire).  311 

miroir  concave  en  maillechort  ou  en  argent,  d'un  demi-pouce  de  diamètre, 
représentant  assez  bien  la  forme  d'un  dé  à  coudre  et  au  foyer  duquel  se  trouve 
adapté  le  fil  de  platine  en  spirale  mis  en  communication  avec  les  fils  conduc- 
teurs renfermés  dans  le  manche. 

Le  miroir  est  enveloppé  d'une  capsule  en  buis  poli  qui  dépasse  son  rebord, 
afin  (l'empêcher  que  la  chaleur  rayonnante  brûle  les  parties  de  la  bouche  avec 
lesquelles  il  doit  être  mis  en  contact.  Une  plaque  fermant  la  bouche  fait  de 
celte  cavité  une  chambre  obscure.  Certaines  modifications  permettent  d'adapter 
l'acilement  la  partie  éclairante  de  cet  appareil  aux  diverses  parties  delà  bouche, 
aux  gencives,  à  la  face  interne  des  joues,  au  voile  du  palais  et  à  l'isthme  du 


gosier 


Toutes  les  parties  des  dents  et  même  leurs  rncines  sont  vues  par  transparence 
avec  une  netteté  telle  que  la  plus  légère  altération  ne  saurait  échapper  à  cet 
examen.  M.  G.  Trouvé  a  simplifié  l'appareil  de  Bruck. 


s 


fig.  iO.  —  Stomatoscope  de  Trouvé. 

Les  stomatoscopes,  dont  nous  reconnaissons  d'ailleurs  l'ingénieuse  disposition, 
ont  néanmoins  le  grave  inconvénient  de  n'être  pas  pratiques;  ils  exigent  le 
maniement  d'un  appareil  électrique  d'une  grande  puissance  it  dégagent  une 
trop  grande  chaleur  rayonnante  qui  peut  devenir  insupportable  dans  la  bouche; 
nous  croyons  en  outre  que  les  cas  oîi  ils  pourraient  rendre  de  réels  services  sont 
excessivement  rares,  les  moyens  d'exploration  ordinaire  pouvant,  selon  nous, 
suffire  à  tous  Ks  cas  de  la  prati(jue  courante. 

II.  Abrasion  des  dents.  Nous  désignons  sous  ce  nom  la  petite  opération 
qui  consiste  à  enlever  les  dépôts  de  tartre  et  d'autres  substances  recouvrant 
fréquemment  les  dents,  et  qui  sont,  soit  de  provenance  accidentelle,  soit  la 
conséquence  de  diverses  maladies.  C'est,  en  un  mot,  ce  qu'on  a  appelé  vulgai- 
rement le  nettoyage  des  dents. 

Or,  les  divers  corps  étrangers  qui  peuvent  se  rencontrer  au  conta^'t  des  dents 
sont  : 

1°  Le  tartre,  dépôt  calcaire  dont  nous  avons  étudié  ailleurs  le  mode  de  pro- 
duction, la  composition  et  les  lieux  d'élection  ; 

2°  Les  amas  de  matières,  analogues  au  mucus,  qui  se  déposent  particulière- 
ment au  niveau  du  collet  dans  le  cours  des  affections  générales  aiguës  ou 
chroniques  ; 

0°  Les  taches  de  diverses  sortes,  soit  verdàtres  et  résultant  des  mêmes  causes, 
soit  brunes  ou  noirâtres  et  de  provenance  alimentaire. 

Les  dépôts  de  tartre  de  consistance  et  de  volumes  variables  dont  l'influence 
est  si  souvent  pernicieuse  pour  le  bord  gingival  doivent  être  enlevés  avec  une 
certaine  attention.  Lorsqu'ils  siègent  à  la  face  antérieure  des  dents,  on  se  sert 
pour  les  détacher  de  petits  instruments  appelés  burins.  Pendant  que  l'on  sou- 
tient la  dent  avec  un  des  doigts  de  la  main  gauche,  la  main  droite,  armée  de 


312  DENT  (médecike  opératoire). 

l'instrument,  en  insinue  doucement  l'extrémité  tranchante  sous  le  bord  gm- 
gival  jusqu'à  la  limite  du  dépôt,  puis,  par  un  mouvement  brusque,  on  fait 
sauter  quelquefois,  eu  un  seul  temps,  toute  la  masse.  Si  le  dépôt  siège  à  la  face 
postérieure  dos  dents,  comme  cela  se  présente  surtout  aux  incisives  inférieures, 
on  emploie  des  burins  coudés  en  différents  sens;  si  le  tartre  occupe  les  inter- 
stices dentaires,  on  le  détache  au  moyen  de  petites  lames  rigides  et  minces,  à 
l'aide  desquelles  on  travers  les  interstices. 

Cette  petite  opération,  lorsqu'elle  est  faite  avec  tout  le  soin  convenable,  ne 


Fifi.  Al. 


lùvcrjcs  lormes  de 


iuiins  destinés  à    enlever  les    cor(is    clunpers  du    contact  des  dents 
(mod(Mcs  Wliilc). 


peut  léser  la  surface  des  dents,  ni  le  bord  gingival;  on  recommande  au  sujet 
d'en  compléter  les  résultats  en  pratiquant  de  fortes  frictions  sur  toutes  les  sur- 
faces dentaires  avec  une  brosse  assez  dure,  et  de  les  renouveler  assez  fréquem- 
ment pour  éviter  le  retour  des  mêmes  inconvénients. 

Les  dépôts  de  mucosités,  parfois  très-épais,  qui  recouvrent  les  dent?,  jouent 
un  rôle  important  dans  la  production  des  diverses  altérations  de  ces  orgunes, 
de  la  carie  en  particulier  :  c'est  au-dessous  d'eux  que  l'on  constate,  à  la  hn  des 
fièvres  graves,  ces  destructions  de  l'émail  par  points  isolés  ou  par  plaques  qui 
deviennent  cause  d'accidents  douloureux,  de  gène  considérable  dans  l'es  fonc- 
tions buccales,  et  sont  le  point  de  départ  presque  constant  de  caries  dentaires. 

L'ablation  de  ces  dépôts  exige  les  plus  grandes  précautions  :  On  ne  doit  pas 
employer  les  instruments  d'acier,  dont  le  contact  serait  douloureux  et  pour- 
rait aggraver  encore  les  altérations,  mais  bien  de  petites  baguettes  de  bois  tail- 
lées qu'on  promène  doucement  autour  du  collet  et  dans  les  interstices.  Celle 
manœuvre,  que  l'on  peut  confier  aux  soins  des  personnes  qui  entourent  et  gar- 
dent les  malades,  doit  être  suivie  de  rapi)lication  de  collutoires  alcalins  com- 
posés de  bouillies  de  magnésie  ou  de  bicarbonate  de  soude,  et  destinés  à  com- 
battre l'influence  altérante  de  ces  amas,  véritables  foyers  de  fermentations 
acides. 

Les  taches  diverses  qui  recouvrent  les  dents  ont  une  composition  bien  diffé- 
rente :  ce  sont  des  dépôts  de  matière  colorante  de  provenance  alimentaire  ou 
résultant  de  l'usage  du  tabac.  Leur  résistance  est  quelquefois  telle  que  les 
soins  de  propreté  ordinaires  et  l'usage  de  la  brosse  ne  suffisent  pas  à  les  enlever  : 
le  praticien  doit  alors  intervenir  et  procéder  avec  les  plus  grandes  précautions 
pour  ne  pas  atteindre  la  substance  de  l'émail  ;  les  instruments  d'acier  ne  doivent 
être  employés  qu'avec  beaucoup  de  modération;  on  leur  substituera,  autant  que 
possible,  les  baguettes  de  bois  ou  d'ivoire. 


DEM   (.MÉDECINE  opératoire).  51o 

L'adhérence  de  ces  dépôts  à  la  surface  de  l'émail,  dans  les  interstices  ou  les 
dépressions  de  la  couronne,  est  quelquefois  si  grande,  qu'on  a  proposé  l'emploi 
des  agents  chimiques  susceptibles  de  les  dissoudre.  C'est  ainsi  qu'on  a  conseillé 
le  citron,  les  dentifrices  alumines  et  même  l'acide  chlorhydrique.  Malgré  notre 
iTrande  répugnance  pour  l'emploi  de  tels  moyens  chimiques,  nous  sommes  con- 
traint d'avouer  qu'ils  sont  parfois  seuls  capables  d'enlever  certaines  taches  très- 
difformes  et  qui  défigurent  la  pbysionomie.il  faut  toutefois,  dans  une  telle  pra- 
tique, procéder  avec  la  plus  extrême  prudence  et,  de  tous  les  agents,  préférer 
encore  l'acide  chlorhydrique  étendu  de  deu\  tiers  d'eau,  dont  l'action  est  à  la 
fois  rapide  et  sûre. 

C'est  ainsi  qu'une  petite  baguette  de  buis,  entourée  d'une  légère  couche  de 
ouate  et  imbibée  de  cette  solution,  enlève  en  quelques  instants  lez  taches  les 
plus  rebelles.  Celles-ci  étant  enlevées  de  la  sorte,  on  neutralise  aussitôt  l'excès 
d'acide  par  le  passage,  sur  les  surfaces  touchées,  d'un  tampon  d'ouate  imbibé 
d'une  solution  alcaline.  Cette  petite  opération,  pratiquée  avec  ces  précautions, 
peut  être  regardée  comme  parfaitement  inoffensive. 

111.  De  la  résection.  La  résection  appliquée  à  la  thérapeutique  des  lésions 
dentaires  est  une  opération  qui  consiste  dans  la  suppression  d'une  portion  de  la 
substance  dure  d'une  dent,  soit  de  la  couronne,  soit  des  racines.  C'est  une  abla- 
tion partielle  de  l'organe. 

rs'ous  distinguerons  ici  les  deux  applications  de  cette  opération  ;  résection 
de  la  couronue,  résection  des  racines. 

A.  Résection  de  la  couronne.  Les  indications  de  la  résection  de  la  couronne 
sont  diverses.  En  premier  lieu  nous  devons  signaler  la  résection  comme  mé- 
thode à  peu  près  constante  dans  la  préparation  de  la  cavité  des  caries  pour 
recevoir  l'obturation.  Nous  dirons  plus  loin  à  propos  de  cette  dernière  opération 
le  rôle  de  la  résection.  Rappelons  seulement  que  l'une  des  conditions  essen- 
tielles du  maintien  d'une  substance  étrangère  dans  une  carie  dentaire,  c'est 
l'état  régulier  des  orifices,  la  résistance  des  parois,  la  suppression  des  lambeaux 
d'émail  dépourvus  du  soutien  d'une  lame  d'ivoire  sous-jacente.  Or,  c'est  à 
l'emploi  des  instruments  divers  de  résection  qu'il  faut  recourir  pour  réaliser 
ces  indications  particulières. 

Une  autre  indication  de  réseclion  repose  sur  tous  les  cas  dans  lesquels  une 
portion  de  couronne  est  devenue,  par  suite  d'accident  ou  de  maladie,  le  siège  de 
bords  tranchants  sur  des  points  dont  la  rencontre  avec  la  langue  ou  les  joues 
donne  lieu  à  des  lésions  plus  ou  moins  sérieuses. 

Ces  cas  sont  extrêmement  communs  :  le  plus  ordinairement  ils  sont  faciles  à 
reconnaître  et  les  malades  eux-mêmes  n'hésitent  pas  à  rapporter  telle  écorchure 
ou  telle  ulcération  de  la  muqueuse  à  l'arête  ou  la  pointe  qui  l'a  provoquée.  Mais 
il  est  toutefois  des  circonstances  dans  lesquelles  cette  cause  exacte  a  été  inéconnne 
et  où  une  ulcération  de  la  langue  ou  du  plancher  de  la  bouche  a  pu  s'accom- 
pagner d'induration,  de  phlegmon  du  voisinage,  d'adénite  grave.  Ces  lésions, 
surtout  lorsqu'elles  siègent  sur  la  langue,  ont  même  été  confondues  soit  avec  des 
accidents  de  syphilis  tertiaire,  soit  avec  l'épilhélioma,  et  certaines  de  ces  ulcé- 
rations sont  devenues  l'occasion  d'amputation  partielle  de  la  langue  suivie 
parfois  de  récidive  par  la  persistance  de  la  cause  méconnue.  Nous  connaissons 
plusieurs  observations  de  ce  genre  basées  sur  cette  erreur  de  diagnostic. 

Une  autre  indication  de  la  résection  se  présente  sur  un  cas  du  genre  de  ceux-ci  : 
une  carie  est  déclarée  incurable  par  suite  de  l'extrême  étendue  de  la  cavité 


314  DENT   (médecine  opératoire). 

et  de  l'impossibilité  de  l'obturation,  ou  bien  cette  obturation  est  reconnue  im- 
praticable par  intolérance  de  l'organe  qui  devient  douloureux  aussitôt  qu'on 
l'applique  et  redevient  indolent  dès  qu'on  la  supprime.  Dans  ce  même  cas,  on 
note  d'autre  part  que  l'état  ordinaire  ne  cause  aucune  douleur,  aucun  accident, 
et  que  l'état  physique  de  la  couronne  est  simplement  une  cause  de  gène,  de 
réceptacle  d'aliments,  etc. 

Dans  un  cas  semblable  on  ne  saurait  raisonnablement  songer  à  l'extraction; 
la  résection  est  ici  une  ressource  excellente  en  ce  qu'elle  permet  la  disparition 
des  débris  saillants  de  la  couronne  et  la  conservation  du  moignon  des  racines 
qui  maintient  les  bords  alvéolaires,  évite  les  rétractions  et  reste  encore  comme 
utile  moyen  de  mastication.  Ajoutons  que  la  résection. ainsi  effectuée  fait  partie 
des  manœuvres  diverses  de  préparation  des  bords  alvéolaires  pour  la  réception 
des  appareils  prothéliques,  ceux-ci  s'appliquaut  souvent,  comme  on  sait,  sur 
des  moignons  ainsi  conservés. 

Pratiquée  dans  ces  cas  la  résection  porterait  plus  justement  le  nom  d'am/)M- 
tation  de  la  couronne,  car  c'est  en  eifet  la  suppression  totale  de  celle-ci  qu'il 
convient  d'effectuer.  C'est  d'ailleurs  sous  ce  terme  que  nous  avons  désigné  le 
moyen  curatif  de  certaines  formes  de  caries  {Des  limites  de  curabilité de  la  carie 
dentaire,  transaction  du  Congrès  de  Londres  de  1881,  t.  III,  p.  516). 

Enfin  il  est  une  dernière  indication  de  la  résection,  peut  être  la  plus  impor- 
tante et  en  tous  cas  la  plus  employée  au  moins  il  y  a  quelques  années.  Cette 
indication  est  la  guérison  extemporanée  de  certaines  caries  superficielles. 

En  effet,  dans  une  pratique  sinon  abandonnée,  du  moins  très-restreinte,  on 
avait  l'habitude  de  traiter  un  grand  nombre  de  caries,  notamment  celles  des 
bords  latéraux  des  incisives,  par  l'emploi  de  la  lime.  On  effaçait  ainsi  d'une 
manière  complète  une  cavité  que  l'on  transformait  en  une  surface  plane.  Il 
s'ensuivait  nécessairement  une  perte  de  substance  assez  sérieuse  et  surtout 
une  déformation  véritable  de  la  dent.  La  guérison  était,  il  faut  le  dire,  très- 
souvent  obtenue  par  ce  moyen,  et  la  carie  ainsi  effacée  n'avait  aucune  ten- 
dance à  se  reproduire.  Ce  procédé  était  en  réalité  tout  à  fait  rationnel,  la  sur- 
face lisse  et  polie  substituée  à  la  carie  ne  permettant  plus  le  séjour  d'aucun 
agent  altérant.  Le  principe  essentiel  de  la  guérison,  Visolement,  était  ainsi  réa- 
lisé. 

11  est  bon  d'ajouter  que  cette  pratique,  malgré  sa  logique  apparente,  n'était 
pas  dénuée  d'inconvénients  et  de  dangers.  Au  lieu  d'un  point  limité  où  la  couche 
d'ivoire  était  ;i  nu  au  niveau  d'une  carie,  la  lime  produisait  une  surface  étendue 
exposée  à  l'air  extérieur,  impressionnable  aux  transitions  de  la  température, 
aux  agents  acides,  aux  liquides  siicrés,  etc.  Les  fibrilles  si  sensibles  de  la  den- 
tine,  sectionnées  par  l'instrument,  étaient  le  siège  de  sensations  très-doulou- 
reuses qui  parfois  retentissaient  jusqu'à  la  pulpe  centrale  devenue  le  siège 
d'inflammations  plus  ou  moins  vives.  11  est  vrai  d'ajouter  que  l'on  conseillait 
comme  correctif  de  cette  opération  la  cautérisation  avec  le  feu  de  la  surface 
ainsi  limée.  Dans  les  cas  simples  la  résection  était  efticace  et  les  sensations  causées 
par  les  agents  externes  étaient  arrêtées  ainsi  ;  mais  quelquefois  aussi  le  passage 
du  feu  avait  un  résultat  inverse  ;  il  provoquait  une  réaction  de  la  part  de  la  pulpe 
et  celle-ci  enflammée  et  étranglée  se  gangrenait.  C'est  ainsi  que  certaines  dents 
limées  arrivaient  après  bien  des  douleurs  et  des  accidents  à  présenter  ces  colo- 
rations bleuâtres  ou  grisâtres,  éaractérisliques  de  la  gangrène  pulpaire. 

Nous  faisons  donc,  comme  on  le  voit,  le  procès  à  l'emploi  de  la  lime  pour  la 


DE>"T  (médecine  opératoire).  515 

cure  radicale  de  la  carie  et,  en  effet,  la  resection  considérée  à  ce  point  de  vue 
d'une  façon  générale  doit  selon  nous  être  absolument  rejetée. 

Nous  la  réservpns  cependant,  mais  pour  un  nombre  extrêmement  restreint 
de  cas  que  nous  déterminerons  en  quelques  mots. 

11  est  en  effet  des  caries  tout  à  fait  au  début,  apparaissant  sous  l'aspect  d'une 
petite  tache  crayeuse  ou  noirâtre  occupant,  comme  lieu  d'élection,  le  bord  laté- 
ral d'une  incisive  et  dont  l'étendue  en  profondeur  n'atteint  pas  la  limite  de 
la  couche  d'émail. 

Dans  un  cas  de  ce  genre,  lorsqu'il  est  bien  nettement  reconnu  par  un  obser- 
vateur attentif,  deux  procédés  sont  en  présence  :  le  premier  consiste  à  tempo- 
riser jusqu'au  moment  où  la  carie  plus  profonde,  mieux  conformée,  se  prêtera  à 
l'obturation;  l'autre,  immédiat,  est  la  résection.  Certains  opérateurs  très- 
hostiles,  non  sans  une  grande  apparence  de  raison,  à  l'emploi  des  limes,  préfèrent 
le  premier  procédé.  Pour  nous,"  nous  considérons  le  cas  ainsi  défini  comme  rele- 
vant essentiellement  de  la  résection. 

On  voit  par  là  combien  devraient  être  rares  les  cas  dans  lesquels  nous  em- 
ploierions ce  procédé,  et  nous  en  formulons  l'indication  précise  en  disant  qu'il 
n'est  applicable  qu'aux  caries  des  bords  latéraux  des  incisives  lorsqu'elles  ne 
dépassent  point  la  couche  d'émail.  Ce  sont  donc  les  caries  du  premier  degré,  les 
lésions  tout  à  fait  superficielles  et  dont  l'obturation  est  reconnue  impraticable. 

Par  cette  opinion  ainsi  formulée  nous  déclarons  implicitement  que  nous  ne 
mettons  nullement  en  parallèle  la  résection  et  l'obluralion,  pui.^que  en  présence 
d'un  cas  dans  lequel  il  y  a  hésitalion  entre  les  deux  moyens  nous  préférerons 
toujours  le  second  au  premier. 

B.  Résection  des  racines.  La  résection  des  racines  des  dents  est  ici  consi- 
dérée comme  une  section  directe  pratiquée  sur  place,  soit  dans  le  cas  où  une 
racine  fait  saillie  eu  dehors  et  occasionne  des  accidents,  soit  lorsqu'elle  est  le 
centre  de  développement  d'un  abcès  ou  d'un  kyste  dont  la  cavité  est  accessible 
aux  instruments  de  résection,  soit  enfin  qu'on  découvre  chirurgicalement  cette 
partie  de  la  dent  par  une  trépanation  préalable  de  la  paroi  alvéolaire. 

Examinons  biièvement  ces  différents  cas  :  on  observe  assez  fréquemment,  dans 
la  pratique  courante,  des  circonstances  dans  lesquelles  une  racine  de  molaire, 
par  exemple,  par  suite  d'une  résorption  lente  de  la  paroi  alvéolaire  et  de  la 
gencive,  se  trouve  dénudée  et  exposée  aux  agents  extérieurs;  cette  dénudation 
parvient  ainsi  jusqu'au  sommet  même  de  la  racine ,  c'est-à-dire  au  point  où 
les  vaisseaux  et  nerfs  de  la  pulpe  pénètrent  dans  l'organe.  Un  état  très-douloureux 
en  est  la  conséquence.  La  névrite  du  filet  nourricier  provoque  une  douleur 
constante  et  des  crises  aiguës  fréquentes.  La  pulpe  elle-même  s'enflamme  par 
continuité  et  l'organe  tout  entier  devient  le  siège  de  sensations  extrêmement 
pénibles  qu'un  auteur,  le  docteur  Moreau,  caractérise  par  le  terme  d'//î/;jems//îrâ<> 
de  la  pulpe  dentaire.  Or,  dans  le  cas  dont  il  a  déjà  été  question  plus  haut  nous 
avons  conseillé  une  petite  opération  qui  consiste  à  pratiquer  au  sommet  radicu- 
laire  la  section  du  faisceau  vasculo-nerveux  au  moyen  du  petit  bistouri  courbé 
sur  le  plat.  Cette  section,  lorsqu'elle  est  praticable,  procure  un  calme  immédiat; 
mais  elle  n'est  pas  toujours  possible  et  c'est  pourquoi  nous  sommes  amené  à 
proposer  dans  ce  cas  la  résection  même  de  la  racine  dans  une  certaine 
étendue  :  c'est  donc  ici  la  résection  du  sommet  substituée  à  la  section  simple. 
Les  résultats  favorables  sont  également  immédiats  et  complets. 

La  résection  des  extrémités  radiculaires  des  dents  dans  un  abcès  ou  un  kyste 


516  DENT  (médecine  opératoire). 

est  une  opération  qui  prendra  sa  place  dans  l'iiistoire  de  la  greffe,  car  elle  est 
la  partie  essentielle  de  la  variété  dite  greffe  par  restitution  dans  laquelle  oa 
sectionne  la  portion  malade  avant  de  rétablir  l'organe  dans  sa  place  primitive. 
Elle  doit  être  toutefois  mentionnée  ici,  car  elle  a  suffi,  dans  un  certain  nombre 
de  cas,  à  la  guérison,  et  sans  qu'il  y  ait  eu  à  recourir  à  l'extraction  et  à  la  greffe. 
Des  faits  de  ce  genre  ont  été  rapportés  par  divers  auteurs  :  MM.  Péaa  et 
Th.  Anger  ont  guéri  ainsi  des  abcès  entretenus  par  un  sommet  radiculaire  malade 
et  qui  put  être  atteint  et  sectionné  par  la  pince  de  Liston  introduite  dans  le 
clapier  {voij.  notre  mémoire  sur  la  greffe  par  restitution,  Bull,  de  la  Soc.  de 
chirurgie,  1879,  p.  75).  Plus  récemment  M.  Terrillou  a  communiqué  à  la  Société 
de  chirurgie  un  cas  des  plus  intéressants  de  kyste  du  maxillaire  supérieur  qui, 
ayant  été  ouvert  largement,  permit  l'introduction  d'une  pince  coupante  et  la 
section  de  deux  racines  des  dents  point  de  départ  du  kyste. 

Le  troisième  cas  oii  la  résection  se  présente  comme  moyen  thérapeutique  est 
celui  qui  a  été  spécifié  par  un  praticien  de  Lyon,  M.  Martin  {Lyon  médical, 
1881,  p.  75),  et  qu'il  propose  en  vue  d'éviter  l'extraction  et  la  greffe  dans  le 
cas  de  périostite  chroni(]ue  du  sommet.  11  consiste  à  pratiquer  la  trépanation  de 
la  paroi  alvéolaire  et  la  résection  radiculaire  par  cette  voie  artificielle.  Nous  nous 
sommes  expliqué  au  sujet  de  cette  pratique  dans  plusieurs  circonstances  et  en 
particulier  devant  la  Société  de  chirurgie  à  l'occasion  du  travail  de  M.  Ter- 
rillon.  Nous  y  reviendrons  à  propos  de  la  greffe  et  nous  dirons  de  nouveau 
pour  quel  ensemble  de  raisons  nous  croyons  devoir  la  rejeter  pour  lui  préférer 
la  grelfe  proprement  dite. 

Les  instruments  propres  à  la  résection  sont  tantôt  des  limes,  tantôt  des  gouges 
ou  bien  encore  des  scies  à  amputation. 

Les  limes  peuvent  revêtir  toutes  les  foniies  afin  de  se  prêter  à  tous  les  cas  et 
de  manière  à  être  portées  sur  un  point  quelconque  de  la  bouche.  C'est  ainsi 
qu'il  y  a  des  limes  plates  d'une  minceur  extrême  agissant  tantôt  sur  le  bord 
exclusivement,  tantôt  sur  l'une  des  faces  ou  les  deux  faces  à  la  fois.  D'autres 
sont  rondes  et  s'appliquent  à  l'amputation  des  couronnes  en  égalisant  le  moigaon 
des  racines  avec  les  bords  alvéolaires,  d'autres  enfin  présentent  diverses  cour- 
bures et  quelques-unes  ont  la  forme  de  baïonnette,  afin  daller  porter  leur 
action  dans  l'inteistice  de  deux  molaires,  par  exemple. 

Les  gouges  sont  des  instruments  trop  connus  en  chirurgie  générale  pour  être 
décrits  de  nouveau.  Ce  sont  à  proprement  parler  des  lames  tranchantes  tantôt 
droites,  tantôt  courbes  et  pouvant  agir  sur  les  portions  isolées  d'ivoire  et  d'émail 
soit  [)ar  pression  simple  de  la  masse,  soit  par  choc  avec  un  marteau.  Leur 
mode  d'emploi  est  en  définitive  le  même  que  pour  la  rugination  des  os. 

Une  autre  série  d'instruments  de  résection  sont  les  pinces  coupantes.  Elles 
sont  très-utiles  lorsqu'un  lambeau  assez  étendu  d'émail  ou  d'ivoire  doit  être 
supprimé  et  alors  que  l'emploi  de  la  lime  nécessiterait  un  temps  fort  long. 

La  pince  de  Liston,  bien  connue  des  chirurgiens,  est  le  premier  instrument  .i 
utiliser  dans  ce  cas.  Viennent  ensuite  plusieurs  pinces  construites  suivant  la 
même  idée  et  tantôt  droites,  tantôt  courbes,  mais  toutes  à  bords  tranchants  comme 
les  pinces  coupantes  des  industries  métalliques. 

Terminons  cette  série  d'instruments  à  résection  en  signalant  les  limes  et  les 
meules  d'émei'i  dont  l'action  plus  douce  est  parfois  plus  utile,  s'il  s'agit  d'adoucir 
une  arête  vive  sans  enlever  une  étendue  assez  grande  delà  substance  d'une  dent. 
Ces  meules  sont  composées  de  poudre  d'émeri  plus  ou  moins  fine  incorporée  à 


DENT   (jiKDECiNE  opératoire).  517 

chaud  dans  une  masse  de  résine  à  laquelle  on  donne  des  formes  diverses:  tantôt 
c'est  une  plaque  mince  qu'on  emploie  comme  une  ve'ritable  lime,  tantôt  un 
cvlindreou  un  bâton  demi-cylindrique,  tantôt  enfin  c'est  une  véritable  meule  qui 
s'ajuste  sur  un  appareil  dont  nous  aurons  à  parler  plus  loin,  le  tour. 

C'est  ainsi  que  des  débris  de  couronne  peuvent  être  réséqués  sans  violence, 
doucement  et  par  usure  progressive,  au  moyen  d'une  véritable  meule  fine  ma- 
niée à  la  main  dans  tous  les  coins  de  la  cavité  buccale  ou  mise  en  mouvement 
rapide  par  un  appareil  à  pédales  d'une  grande  précision  et  d'une  grande  puis- 


sance. 


Ainsi  qu'on  le  voit,  toute  résection  simple  ou  compliquée,  limitée  à  quelques 
lambeaux  de  couronne  ou  étendue  à  la  totalité  de  celle-ci,  s'effectuera  par  l'un  ou 


Fig.  -i^,  —  Divers  modèles  d'instruments  à  résection. 

a,  limes  plates.  —  b,  lime  en  forme  de  baïonnette.  —  c,  porte-lime  auquel  peuvent  s'adapter  le& 
limes  figurées  en  a  et  pouvant  être  porté  dans  les  parties  profondes  de  la  bouche.  —  d,  scie  à 
amputation  (modèles  Wliite,  de  Philadelphie,  et  Ash.  de  Londres). 

l'autre  des  instruments  que  nous  venons  de  décrire  et  le  plus  souvent  par 
plusieurs  d'entre  eux  successivement.  De  la  sorte,  l'amputation  complète  de  la 
couronne  d'une  dent  devra  se  pratiquer  tout  d'abord  avec  une  pince  coupante, 
puis  les  aspérités  et  angles  divers  seront  adoucis  par  les  limes  de  métal  et  les 
dernières  surfaces  polies  à  leur  tour  au  moyen  des  limes  ou  meules  d'émeri. 
U  est  pourtant  des  cas  dans  lesquels  l'emploi  des  pinces  coupantes  et  les  efforts 
brusques  qu'elles  nécessitent  peuvent  être  évités.  Lorsque,  par  exemple,  on  de\Ta 
procéder  à  l'ablation  de  la  couronna  d'une  dent  antérieure,  incisive  ou  canine. 


318  DENT  (médecine  opératoire). 

en  vue  d'un  appareil  de  prothèse,  on  pourra,  si  cette  dent  est  suffisamment 
isolée,  pratiquer  sa  section  avec  les  scies  spéciales. 

L'une  de  ces  scies  peut  même,  par  l'addition  de  deux  genouillières,  per- 
mettre à  la  lame  de  prendre  les  directions  les  plus  variées,  de  sorte  que  l'em- 
ploi de  cet  instrument  est  souvent  possible  du  moment  que  l'interstice  de  deux 
dents  contiguës  permet  le  passage  de  la  lame  fine  dont  il  est  armé. 

Accidents  de  la  résection.  Les  accidents  de  la  résection  sont  de  divers 
ordres  et  déjà,  en  faisant  le  procès  de  cette  opération  ainsi  qu'elle  se  pratiquait 
autrefois  contre  la  carie  dentaire,  nous  en  avons  signalé  un  certain  nombre  : 
l'hypéreslliésie  de  la  pulpe,  son  inflamraaiion,  sa  gangrène. 

Malgré  les  réserves  que  nous  avons  formulées  touchant  l'emploi  de  la  résec- 
tion aux  caries  du  premier  degré,  il  arrive  parfois  dans  la  pratique  ordinaire 

qu'on  se  trouve  en  présence  d'une  sur- 
face d'ivoire  dénudée  soit  par  la  lime, 
soit  par  un  accident  provenant  d'une 
fracture.  Pour  ce  dernier  cas  nous  avons 
plus  haut  indiqué,  comme  moyeu  de  re- 
médier à  la  sensibilité  extrême  de  ces 
surfaces,  l'application  du  cautère  ou 
mieux  du  galvano-cautère. 

Le  même  cas  se  rencontre  souvent  ici 
au  sujet  de  la  résection  :  lors  donc  qu'on 
se  trouvera  en  présence  d'une  de  ces  sur- 
faces de  dentine  impressionnables  dou- 
loureusement  par     les    transitions    de 
température,  le  contact  des  acides  ou  des 
liquides    sucrés,    la    cautérisation    sera 
formellement  indiquée.  Quant  au  mode 
d'application,  on  devra  recourir  selon 
nous  exclusivement  au  galvano-cautère 
et  faire  choix  de  l'un  des  deux  appareils 
figurés  ici  et  dont  l'extrémité  de  platine 
tantôt  droite,  tantôt  coudée,  sera  passée 
très-légèrement,  chauffée  à  blanc,  sur  la 
surface  sensible.  Ce  procédé  donne  des 
résultats  excellents. 
En  dehors  des  cas  de  carie,  la  résection  appliquée  aux  débris  de  couronnes  à 
détruire  présente  un  autre  inconvénient  particulier,  Celui  de  produire  sur  le 
moignon  des  racines  une  périoslite  ou  de  rappeler  une  périostite  antérieure. 
Tels  sont   les    inconvénients  principaux   qui   seront   à   craindre  à  la  suite 
de  la  résection  :  pulpite  dans  un  cas,  périostite  dans    l'autre.    Les    moyens 
propres  à  éviter  ces  complications  peuvent  se  résumer  ainsi  :  Pour  conjurer  la 
pulpite,  il  faut  limiter  l'emploi  de  la  résection,  en  cas  de  carie,  aux  lésions 
delà  première  période  exclusivement;  pour  éviter   la  périostite  il  suffira  de 
procéder,  dans  les  manœuvres  de  résection,  avec  une  extrême  douceur,  rejeter 
l'emploi  de  la  pince  de  Liston  pour  les  dents  déjà  affectées  autrefois  de  périoslite 
et  chez  lesquelles  un  ébranlement  ramènerait  l'inflammation.  Il  faudra  donc 
se  borner  aux  limes  douces,  aux  meules  qui  agissent  plus   lentement,  mais 
sans  risque  de  provoquer  aucune  réaction. 


iiil 


Fi".  45.  —  Deux  modèles  de  galvano-caulèrc. 


DENT  (médecine  opératoire).  319 

Quant  au  traitement  de  ces  diverses  complications,  si  elles  viennent  à  se 
produire  dans  l'opération  en  question,  nous  renvoyons  à  la  thérapeutique  de  la 
pulpite  ou  de  la  périostite. 

IV.  Obturation  de  la  carie.  On  désigne  sous  le  nom  d'obturation  l'opéra- 
tion qui  consiste  à  combler  avec  une  substance  solide,  inaltérable  et  indestructible, 
la  cavité  d'une  carie  placée,  par  un  traitement  approprié,  dans  les  conditions 
propres  à  recevoir  cette  substance. 

C'est  donc  le  dernier  terme  de  la  thérapeutique  de  la  carie,  et  l'opération  a 
de  la  sorte  le  double  but  de  soustraire  d'une  façon  définitive  une  dent  aux 
causes  extérieures  d'altération    et  de  réparer    artificiellement   une   perte   de 

substance. 

Envisac'ée  de  la  sorte,  la  guérison  par  l'obturation  est  la  confirmation  de  la 
nature  purement  chimique  de  la  carie  dentaire,  puisqu'elle  a  pour  résultat 
essentiel  l'isolement  d'une  dent  contre  les  agents  destructeurs.  L'organe  dentaire 
est  d'ailleurs,  de  tous  les  tissus  de  l'économie,  le  seul  qui  supporte  la  présence 
d'un  corps  étranger  sans  devenir  le  siège  de  réaction.  Nous  ne  voulons  point 
dire  par  là  qu'une  dent  accepte  invariablement  la  présence  d'une  matière 
étrant'èie  et  nous  verrons  plus  loin  quels  sont  les  accidents  divers  de  l'obturation 
proprement  dite.  Mais  ce  qu'il  faut  bien  préciser,  c'est  que  ces  réactions 
ne  viennent  point  de  l'ivoire  ni  de  l'émail,  mais  d'autres  tissus  d'une  vitalité 
toute  différente,  lu  pulpe  et  le  périoste. 

Nous  aurons  à  étudier  successivement  : 

1»  Les  indications  de  l'obturation; 

2»  La  préparation  de  la  cavité  ; 

3»  L'obturation  proprement  dite; 

4°  Les  accidents  de  l'obturation. 

1°  Indications  de  r obturation.  D'une  manière  générale  l'obturation  est  in- 
diquée toutes  les  fois  qu'une  dent  cariée  est  exempte  de  toute  complication  dou- 
loureuse ou  inflammatoire  aiguë  ou  chronique,  et  lorsqu'en  même  temps,  en 
raison  de  la  forme  ou  de  la  profondeur  de  la  cavité,  la  résection  est  reconnue 
inapplicable. 

Nous  avons  exposé  plus  haut  dans  quels  cas  exceptionnels  il  convient  d'em- 
ployer la  résection  :  or,  ces  circonstances  étant  de  beaucoup  les  plus  rares,  la 
pratique  de  l'obturation  est  bien  plus  répandue  que  celle  de  la  résection.  11 
n'en  était  pas  de  même  autrefois,  alors  que  le  manuel  opératoire  et  les  matières 
applicables  étaient  très-défectueux  :  aussi  préférait-on  souvent  emplover  la 
lime,  au  risque  même  de  produire  certaines  déformations  dont  nous  avons 
parlé. 

Une  première  distinction  se  présente  toutefois  dès  maintenant  suivant  que  la 
carie  n'aura  réclamé  aucun  moyen  thérapeutique  ou  qu'elle  aura  subi  un  traite- 
ment complet.  L'obturation  sera  donc  immédiate  ou  consécutive  :  immédiate, 
lorsqu'elle  s'applique  à  une  carie  qui,  n'ayant  causé  aucun  accident  antérieur 
et  n'étant  le  siège  d'aucune  douleur  provoquée,  ne  nécessite  aucun  traitement  • 
consécutive,  lorsqu'on  a  dij  la  faire  précéder  d'un  traitement  plus  ou  moins 
long,  variable  d'ailleurs  suivant  les  formes  et  la  période  de  l'altération. 

L'obturation  immédiate  peut  donc  quelquefois  constituer  à  elle  seule  toute 
la  thérapeutique  de  la  maladie,  et  dans  ces  cas,  si  les  règles  d'a[iplication  sont 
rigoureusement  observées,  elle  procure  la  guérison  définitive  et  radicale. 
L'obturation  consécutive  se  trouve  en  général  dans  des  conditions  moins  avanta- 


20  DENT   (médecine  opératoire). 

geuses.  En  effet,  d'une  part,  le  traitement  par  les  pansements  divers,  astringents 
ou  caustiques,  peut  rencontrer  certaines  complications  et  échouer  même  dans 
quelques  cas;  d'autre  part,  la  c^wité  cariée  offre  d'ordinaire  des  dimensions 
plus  considérables;  ses  parois  sont  quelquefois  peu  résistantes,  friables  et 
susceptibles  de  s'affaisser  soit  pendant  l'opération,  soit  consécutivement;  enfin 
les  substances  obturatrices  appliquées  sur  une  surface  plus  étendue  peuvent 
y  adhérer  moins  solidement,  ce  qui  peut  entraîner  ultérieurement  leur  destruc- 
lion  ou  leur  chute  précoce. 

11  résulte  de  ces  diverses  considérations  que  l'obturation  est  d'autant  plus 
efficace  et  durable  que  la  carie  est  moins  développée  en  dimension  et  qu'elle 
donne  lieu  à  moins  d'accidents. 

Mais  la  forme  et  les  dimensions  de  la  cavité,  en  dehors  des  cas  où  la  résection 
est  applicable,  ne  constituent  jamais  une  contre-indication  à  l'obturation,  car 
on  peut  toujours,  ainsi  que  nous  le  verrons,  donner  artificiellement  à  cette  cavité 
une  forme  telle  qu'elle  puisse  garder  la  substance  obturatrice. 

Quant  aux  accidents,  il  importe  de  bien  préciser  quels  sont  ceux  qui  doivent 
être  regardés  comme  une  contre-indication;  il  arrive  quelquefois  en  effet  que 
l'obturation  n'est  pas  tolérée  par  la  dent  malade:  par  tolérance,  nous  ne  compre- 
nons pas  ici  la  résistance  qu'opposerait  l'ivoire  au  contact  d'un  corps  élranger; 
l'ivoire  ne  réagit  point  personnellement.  L'intolérance  provient,  ainsi  que  nous 
l'avons  dit,  soit  de  la  pulpe,  tiop  voisine  de  la  matière  étrangère,  ou  recouverte 
et  comprimée  directement  par  elle,  soit  du  périoste  dentaire,  qui  se  congestionne 
ou  s'enflamme  sur  une  partie  plus  ou  moins  grande  de  son  étendue,  soitdesdeux 
tissus  à  la  fois. 

Les  accidents  imputables  à  la  pulpe  ne  sauraient  être  regardés  comme  des 
conlre-iudications,  car  en  conduisant  rationnellement  le  traitement,  approprié 
aux  différents  cas,  en  variant  au  besoin  le  choix  de  la  substance  obturatrice,  en 
apportant  à  l'opération  elle-même  certaines  précautions,  ou  même  détruisant  la 
pulpe  par  les  moyens  que  nous  avons  indiqués  ailleurs  {voy.  Carie  dentaire),  on 
peut  toujours  réaliser  une  obturation  tolérée  et  durable. 

Mais  il  n'en  est  pas  de  même  pour  les  complications  qui  viennent  du  périoste; 
quelques-unes  contre-indiquent  formellement  l'obturation,  car,  lorsque  le  périoste 
dentaiie  est  affecté  d'inflammation  chronique  avecfongosités,  abcès  ou  productions 
organiques  diverses,  il  entretient  dans  la  mâchoire  un  état  permanent  de  souffrance 
avec  des  crises  aiguës  à  retour  plus  ou  moins  fréquent. 

C'est  là  que  semble  se  rencontrer  la  limite  de  l'application  de  l'obturation; 
mais  ce  n'est  qu'une  apparence  que  les  progrès  de  la  thérapeutique  moderne 
tendent  à  faire  disparaître.  Nous  verrons  en  effet  que,  dans  ces  cas,  le  chirurgien 
n'est  pas  désarmé.  11  lui  reste  en  effet  des  ressources;  la  première  consiste  dans 
une  modification  dans  l'aménagement  même  de  l'obturation  au  sein  de  laquelle 
on  applique  un  tube  de  drainage  destiné  à  permettre  l'écoulement  au  dehors  de 
certains  produits  inflammatoires  dont  lissue  épargne  les  régions  voisines;  la 
seconde  consiste  dans  cette  opération  déjà  mentionnée  et  que  nous  décrirons 
en  son  lieu  :  nous  voulons  parler  de  la  greffe. 

2"  Préparation  de  la  cavité.  Étant  donné  un  cas  de  carie  pour  lequel 
l'obturation  est  indiquée,  il  faut  mettre  la  cavité  dans  des  conditions  telles 
qu'elle  puisse  recevoir  et  conserver  la  substance  obturatrice.  Deux  conditions 
sont  indispensables  :  tout  d'abord,  la  substance  employée  doit  être  appliquée 
directement  sur  des  couches  d'ivoire  et  d'émail  entièrement  dépourvues  d'alté- 


DEM     (.MÉDECINE     OPERATOIRE).  521 

ration,  c'est-à-dire  sur  les  couches  saines  sous-jacentes  à  la  zone  ramollie;  en 
second  lieu,  la  forme  de  la  cavité  doit  être  telle  que  la  matière  une  fois  introduite 
ne  puisse  plus  se  détacher,  c'est-à-dire  que  l'orilicc  doit  être  plus  étroit  que 
le  fond  de  la  cavité,  ou  que  celle-ci  présente  des  anfractuosités  ou  des  saillies 
capables  de  retenir  la  substance. 

Si  la  cavité  offre  par  elle-même  la  forme  convenable,  sa  préparation  consiste 
simplement  dans  l'ablation  des  couches  ramollies  et  dans  la  régularisation  de 
l'ouverture,  sans  préjudice,  bien  entendu,  des  soins  préalables  ou  de  la  thérapeu- 
tique proprement  dite,  dont  nous  n'avons  pas  à  nous  occuper  ici. 

Mais  très-souvent  il  est  nécessaire  d'excnver  la  cavité  ou  de  pratiquer  dans  ses 
parois  des  anfractuosités  plus  on  moins  profondes;  cette  préparation  varie  suivant 
le  mode  d'obturation  choisi  dans  chaque  cas  particulier.  Ainsi,  toutes  conditions 
égales  d'ailleurs,  elle  exige  plus  d'attention  et  de  soins  lorsqu'on  veut  employer 
l'or  que  lorsque  l'obturation  doit  être  faite  avec  les  pâtes  ou  mastics  durcissants. 
L'aurification, en  effet,  pour  être  solide  et  durable,  exige  des  conditions  de  résis- 
tance plus  parfaites,  sa  contention  résultant  simplement  de  la  pression  exercée 
sur  des  parois  résistantes  et  le  lingot  qu'on  produit  ainsi  n'adhérant  que  d'une 
manière  purement  mécanique.  Les  matières  pâteuses  au  contraire,  tout  en  n'exi- 
geant qu'une  moindre  pression,  adhèrent  beaucoup  mieux,  à  la  seule  condition, 
toutefois,  qu'il  n'y  ait  interposition  d'aucune  particule  d'air  ou  de  liquide. 

Kous  ne  pouvons  entrer  ici  dans  de  gi'ands  détails  sur  la  forme  et  le  siège 
varié  des  caries  au  point  do  vue  de  l'obturation  et  de  la  préparation  de  la  cavité. 
Ces  détails  ne  nous  paraissent  pas  avoir  une  bien  grande  importance,  et  nous 
devons  laisser  au  praticien  l'appréciation  des  conditions  qui  conviennent  à 
chaque  cas  particulier. 


h  h  '1 


.1\ 


à 


Fig.  4i.  —  Divers  types  d'excavateurs  (Asie). 

Les  instruments  aiiplicables  à  la  préparation  des  cavités  sont  :  les  rugines, 
les  perforateurs  ou  trépans,  les  limes  et  les  fraises. 

A.  Les  rugines  ou  excavateurs  sont  de  petits  instruments  de  forme  spéciale 
et  de  dimensions  très-variées,  destinés  à  couper  ou  à  creuser  les  couches  d'ivoire 
ramollies  d'une  carie,  et  même  les  couches  saines  sous-jacentes.  Elles  doivent 
être  faites  d'acier  très-fin  et  trempées  soigneusement,  afin  de  pouvoir  vamcre  la 
résistance  parfois  très-forte  de  certaines  parties  d'ivoire.  Quelques-unes  sont 
droites,  mais  le  plus  souvent  on  donne  à  leur  extrémité  une  courbure  tantôt 
sur  le  plat,  tantôt  sur  le  dos  de  l'instrument;  cette  courbure  est  à  an^le  droit, 
à  angle  aigu  ou  plus  ordinairement  à  angles  obtus.  Le  manche  doit  être  léo^er 
et  assez  long  pour  pouvoir  atteindre  les  cavités  placées  au  fond  de  la  bouche. 

Le  mode  d'emploi  de  ces  instruments  est  facile  à  comprendre,  mais  il  faut 
prendre  grand  soin,  lorsqu'il  s'agit  d'une  carie  non  pénétrante,  de  ménaf^er  le 
fond  même  de  la  cavité,  afin  d'éviter  la  pénétration  de  la  pulpe.  Cette  rccom- 

DICT.  ENC.  XXYII.  21 


322  DENT   (médecine   orÉaATOiRE). 

mandalion  s'applifjue  siirlout  aux  incisives,  dont  la  cavité  centrale'  est  très- 
rapproctiée  de  la  surface. 

S'il  s'agit  au  contraire  d'une  carie  pénétrante,  on  devra,  au  moyen  des 
nigines  et  des  perforateurs,  réunir  la  cavité  de  la  carie  avec  celle  de  la  pulpe,  après 
destruction  de  celle-ci,  et  pratiquer  une  seule  excavation  qu'on  remplira  de  la 
substance  obturatrice. 

B.  Les  fraises  sont  de  petits  instruments  composés  d'un  manche  et  d'une  tige 
d'acier  comme  les  rugines,  mais  leur  extrémité  a  une  forme  spéciale,  elle  pré- 
sente un  renflement  sphérique,  cylindrique  ou  conique,  trempé  dur  et  taillé  en 
lime.  Ce  sont  en  effet  de  véritables  petites  limes  qu'on  manœuvre  en  leur  impri- 


1 


Fig.  4S. 


Fraises  de  formes  diverses. 


mant  avec  les  doigts  un  mouvement  de  rotation  et  qui  sont  destinées  à  régu- 
lariser les  cavités  ;  elles  s'appliquent  surtout  aux  cavités  à  orifice  étroit,  là  où 

la  rugine  manœuvrerait  difficilement,  et 
permettent  de  les  débarrasser  rapidement 
des  corps  étrangers  et  des  couches  de 
dentine  ramollie  qui  en  tapissent  les 
parois. 

Il  est  inutile  d'msister  davantage  sur 
le  mode  d'application  de  ces  instru- 
ments que  le  praticien  appréciera  aisé- 
ment dans  les  cas  particuliers  où  ils 
peuvent  convenir. 

Il  va  sans  dire  qu'on  doit  avoir  à  sa 
disposition    un   assortiment   de   fraises 
de    dimensions  graduées  dans    chaque 
forme,  les   plus   grosses  ayant  jusqu'à 
cinq  ou  six  millimètres  de   diamètre  et 
les  plus  petites  un  millimètre  et  même 
moins. 
On  peut  même  procéder  dans  la  manœuvre  de  ces  fraises  à  l'aide  de  quel- 
ques petits  appareils  favorisant  leur  rotation  et  en  épargnant  en  même  temps 
la  main  de  l'opérateur;  tel  est,  par  exemple,  celui  figure  46. 

On  a  imaginé  encore  divers  moyens  pour  substituer  à  la  manœuvre  des  doigts, 
dans  l'emploi  des  fraises,  un  mécanisme  qui  permette  d'obtenir  un  mouvement 
à  la  fois  plus  l'apide  et  plus  régulier. 


Fig.  46. 


Bague  à  cupule  s'adaptant  à  la 
main  (Aste). 


DENT  (médecine  opératoire).  525 

Tel  est  en  particulier  le  petit  appareil  fort  ingénieux  qui  est  représente 
figure  47,  dans  lequel  le  mouvement  de  rotation  est  produit  au  moyen  d'un  écrou 
auquel  on  fait  exécuter  des  mouvements  de  va-et-vient  sur  la  tige  en  liélice  qui 
supporte  la  fraise.  Cet  instrument,  désigné  sous  le  nom  de  drill,  peut  être  arme 
également  d'un  foret  ou  trépan  et  peut  ainsi  rendre  de  réels  services  dans  bien 
des  circonstances. 


Fig.  47.  —  Drill  ou  porle-foret. 

Les  praticiens  anglais  et  les  Américains  emploient  aussi  depuis  quelques 
années,  toujours  dans  le  même  but,  un  appareil  beaucoup  plus  couipliqué  et  iiui 
est  en  réalité  une  véritable  petite  macliiiie  ((ig.  48).  Le  mouvement  imprimé  à 
uue  pédale  est  communiqué  à  une  tige  mobile  eu  tous  sens  et  disposée  de  façou 
à  recevoir  à  son  extrémité  des  fraises  ou  forets,  des  perforateurs  et  autres 
instruments  spéciaux. 

Il  est  certain  que  ce  moteur  facilite  et  simplilîc  singulièrement  le  manuel 
opératoire,  et,  malgré  notre  répugnance  instinctive  à  substituer  toute  espèce  de 
machine  à  l'action  modérée  et  régulatrice  de  la  main,  nous  ne  pouvons  nous 
défendre  d'en  conseiller  l'emploi  dans  les  cas  où  l'opérateur  veut  procéder  rapi- 
dement dans  une  carie  d'ailleurs  indolente. 

C.  Les  perforateurs  ou  trépans  sont  de  petits  prismes  d'acier  à  cinq  pans 
terminés  par  une  pyramide  à  trois  pans,  à  bords  tranchants  et  à  pointe  aiguë  ;  ils 
sont  montés  sur  un  manche  arrondi  qu'on  manœuvre  aisément  dans  la  main  par 
des  mouvements  de  rotation  vifs  ;  leurs  dimensions  doivent  être  très-variées, 
depuis  le  diamètre  de  deux  dixièmes  de  millimètre  jusqu'à  deux  millimètres  et 
plus. 

On  emploie  les  perforateurs  ou  trépans  dans  le  but  d'élargir  ou  de  réséquer 
l'orifice  trop  étroit  d'une  carie,  de  manière  à  briser  les  bords  plus  ou  moins 
altérés  de  l'émail  et  à  pratiquer  ainsi  une  ouverture  régulière. 

Ou  les  emploie  encore  à  la  trépanation  directe  de  la  cavité  de  la  pulpe,  soit 
dans  le  cas  d'inflammation  ou  d'étranglement  de  cet  organes,  soit  lorsqu'on  veut 
pratiquer  le  drainage  préventif  ou  consécutif.  Nous  n'avons  pas  à  décrire  longue- 
ment le  manuel  opératoire  de  ces  instruments  :  on  les  applique  sur  les  points 
qu'on  veut  perforer  ou  régulariser  et  on  leur  imprime  un  mouvement  de 
rotation;  dans  quelques  cas  de  caries  ta  parois  fragiles,  il  est  utile  de  procéder 
avec  mén.igements,  car  par  des  mouvements  brusques  on  pourrait  dépasser 
de  beaucoup  l'effet  recherché  et  produire  des  éclats  de  la  paroi  qui  aug- 
menteraient singulièrement  les  dimensions  qu'on  voulait  donner  à  l'ouverture. 
On  évitera  ce  petit  inconvénient  en  appliquant  successivement  plusieurs  trépans 
de  dimensions  graduées  de  façon  à  produire,  par  degrés  successifs,  l'effet  que 
l'on  cherche. 

Ajoutons  enfin  que  ces  mêmes  perforateurs  font  partie  de  l'arsenal  instrumental 
du  tour  décrii  tout  à  l'heure  et  que,  maniés  de  ia  sorte,  ils  peuvent  faciliter  sin- 


524  DENT   (médecine  opératoire). 

gulièrement  la  besogne,  surtout  lorsqu'il  s'agit  de  la  trépanation  de  la  cavité  de 

la  pulpe. 


Fig.  '18.  —  Tour  dentaire  de  Whiie. 

D.  Les  limes  ont  déjà  été  décrites  à  propos  de  la  résection.  Leur  emploi  est 


DENT   (médecine  opératoire).  325 

fréquemment  utile  dans  la  préparation  d'une  cavité,  lorsque,  par  exemple,  les 
bords  de  l'orifice  doivent  être  régularise's  et  aplanis  de  manière  à  laisser  toujours 
une  couche  d'émail  protégée  par  une  couche  de  dentine  sous-jacente,  condition 
essentielle  d'une  bonne  obturation.  C'est  qu'en  effet  les  lames  d'émail  isolées 
seraient  insuffisantes  pour  supporter  l'application  de  la  substance  obturatrice  et 
risqueraient  de  se  rompre,  soit  spontanément  après  l'obturation,  soit  par  les 
effets  de  la  pression  exercée  pendant  l'opération,  ou  bien  encore  par  les  mouve- 
ments de  dilatation  que  peuvent  éprouver  certaines  matières,  les  amalgames 
métalliques  en  particulier,  sous  l'intluence  de  l'élévation  de  la  température  de  la 
bouche. 

Outre  cet  emploi  de  la  lime,  nous  signalerons  encore  son  application  à  la  régu- 
larisation de  la  surface  même  d'une  obturation,  dans  l'aurification,  par  exemple. 

Obturation  proprement  dite.  L'obturation  proprement  dite  consiste  dans 
l'application  de  la  matière  obturatrice  destinée  à  remplir  l'excavation  delà  carie. 

Mais  avant  d'y  procéder,  lorsque  l'indication  a  été  posée,  lorsque  la  cavité  a 
été  convenablement  préparée,  il  reste  encore  à  dessécher  ses  parois  et  à  les 
garantir  pendant  toute  la  durée  de  l'opération  du  contact  de  la  salive.  Enfin, 
comme  il  existe  plusieurs  substances  qui  peuvent  servir  à  l'obturation,  il  faut 
entre  toutes  choisir  celle  qui  convient  le  mieux  dans  chaque  cas  particulier. 

Nous  allons  donc,  avant  de  décrire  le  manuel  opératoire,  dire  quelques  mots 
du  dessèchement  de  la  cavité  et  donner  les  indications  qui  doivent  guider  le 
chirurgien  dans  le  choix  de  la  matière  obturatrice. 

Le  dessèchement  de  la  cavité  est  nécessaire  pour  assurer  l'adhérence  de  la 
masse  obturatrice  aux  parois  de  la  carie;  nous  verrons,  en  outre,  plus  loin  que 
le  contact  de  la  salive  ou  même  simplement  l'humidité  font  perdre  à  quelques- 
unes  des  substances  employées  les  qualités  pour  lesquelles  on  les  recherchait. 
C'est  ainsi  que  l'or  dit  adhésif  perd  cette  propriété  adhésive  et  que  les  ciments 
minéraux  restent  mous  et  friables,  si  l'on  n'observe  pas  avec  soin  les  règles  que 
nous  allons  indiquer. 

Pour  dessécher  la  cavité,  on  y  introduit  de  petites  boulettes  de  ouate  au 
moyen  de  la  sonde.  Quelques  praticiens  préfèrent  employer  l'amadou  ou  même 
le  papier  buvard  ;  mais  ces  substances  sont  d'un  maniement  assez  incommode  : 
elles  sont  difficiles  à  fixer  à  l'extrémité  de  la  sonde  et  ne  paraissent  pas  agir 
mieux  que  la  ouate. 

Lorsque  la  cavité  est  bien  desséchée,  il  suffit  ordinairement,  pour  empêcher 
la  salive  d'y  arriver  pendant  l'opération,  d'appliquer  les  doigts  autour  de  la  dent, 
d'inclmer  la  tète  du  patient  du  côté  opposé  et  de  l'inviter  en  même  temps  à  ne 
pas  porter  sa  langue  du  côté  opéré.  Mais  dans  quelques  cas,  lorsque  l'opération 
ne  peut  être  rapidement  faite,  lorsque  la  cavité  arrive  au  contact  ou  même  au- 
dessous  du  bord  gingival,  lorsqu'elle  est  en  regard  de  l'orifice  d'un  des  canaux 
salivaires,  comme  il  arrive  pour  les  caries  de  la  face  externe  des  molaires,  ces 
moyens  peuvent  être  insuffisants.  On  peut  alors,  suivant  les  circonstances,  isoler 
la  dent  au  moyen  d'une  compresse,  ou  appliquer  le  doigt  garni  ou  non  d'un  petit 
tampon  de  ouate  sur  l'orifice  du  canal  de  Stenon,  ou,  si  la  gencive  tuméfiée  ou  sai- 
gnante atteint  le  niveau  de  la  cavité,  la  déprimer  par  l'application  de  boulettes 
de  ouate  renouvelées  pendant  deux  ou  trois  jours  avant  l'opération. 

Quelques  praticiens  se  servent,  pour  assurer  plus  complètement  l'isolement  de 
la  dent  et  empêcher  d'une  manière  absolue  l'arrivée  de  la  salive,  d'artifices  plus  . 
mgénieux  que  pratiques  et  dont  l'usage  nous  paraît  complètement  inutile  :  c'est 


526  DENT  (médecine  opératoire). 

d'abord  une  feuille  mince  de  caoutchouc  appelée  di^iie,  percée  de  petits  trous  dans 
lesquels  on  passe  la  couronne  de  la  dent  à  obturer  et  celle  des  deux  ou  trois 
dents  voisines  ot  ensuite  certains  appareils  destinés  à  absorber  ou  à  rejeter  la 
salive.  On  les  appelle  des  pompes  salivaires.  Il  n'est  pas  douteux  que  ces 
moyens  procurent  un  isolement  complet,  mais  leur  application  est  souvent  dif- 
ficile, nécessite  presque  toujours  le  concours  d'un  aide  et  est  au  moins  très- 
désagréable  pour  le  patient. 

Nous  avons  toujours  réussi  avec  les  petits  moyens  que  nous  avons  indiqués  et 
nous  rejetons  complètement  cette  tendance  à  compliquer  les  opérations  et  à  mul- 
tiplier les  appareils  sans  avantage  pour  le  malade  et  souvent  à  son  détriment. 

Choix  de  la  matière  obturatrice.  Toute  substance  employée  pour  l'obtu- 
ration des  dents  doit,  pour  répondre  à  toutes  les  indications,  réunir  les  condi- 
tions suivantes: 

i"  Être  susceptible  de  recevoir  sans  effort  ni  pression  considérable  et  de 
conserver  après  son  installation  l'empreinte  exacte  de  toute  cavité  de  forme 
appropriée,  quels  que  soient  sa  situation  et  son  volume  ; 

2°  Être  un  mauvais  conducteur  de  la  chaleur  ; 

3»  Ne  subir  aucune  modification  de  volume,  soit  par  le  fait  de  son  durcis- 
sement, soit  sous  l'influence  des  variations  de  température  ; 

A"  Offrir  une  résistance  suffisante  à  l'action  mécanique  de  la  mastication; 

5°  Être  absolument  inaltérable  par  tous  les  agents  chimiques  qui  peuvent  se 
rencontrer  dans  la  bouche  ; 

6"  Avoir  une  coloration  qui  se  rapproche  autant  que  possible  de  celle  des  dents. 

Une  matière  obturatrice  qui  réunisse  toutes  ces  qualités  est  encore  à  trouver. 
Mais  un  certain  nombre  de  substances  se  rapprochent  plus  ou  moins  de  ce  type 
parfait  ;  et,  comme  toutes  les  conditions  requises  n'ont  pas  la  même  importance 
dans  tous  les  cas,  on  choisit,  parmi  ces  substances,  celle  qui  répond  le  mieux 
aux  indications  de  chaque  cas  particulier. 

On  peut,  à  cet  égard,  les  diviser  en  quatre  catégories: 

Les  métaux  purs. 

Les  amalgames. 

Les  ciments  minéraux. 

Les  pâtes  de  nature  organique. 

Les  substances  qui  composent  chacune  de  ces  catégories  ont  des  avantages  et 
des  inconvénients  communs,  et  c'est  de  leur  connaissance  que  se  déduit  ration- 
nellement l'indication  de  leur  emploi.  Ce  que  nous  allons  dire  maintenant  sera 
donc  la  réponse  à  cette  question  qui  se  pose  naturellement  ici  :  Quelle  est  dans 
un  cas  donné  la  matière  obturatrice  qui  convient  le  mieux? 

1"  Métaux  purs.  —  L'étain,  l'argent  et  l'or,  sont  à  peu  près  les  seuls  qui  aient 
été  proposés.  Les  deux  premiers  ont  été  successivement  abandonnés  et  l'or  reste 
aujouid'hui  à  peu  près  le  seul  métal  pur  qui  serve  à  la  pratique  des  obturations. 

Lorsqu'il  est  bien  tassé  dans  la  cavité,  il  résiste  aux  actions  mécaniques  ;  il 
est  de  plus  inattaquable  parles  agents  chimiques  qui  peuvent  se  rencontrer  dans 
la  bouche  ;  mais  son  application  exige  une  grande  habitude,  elle  est  souvent 
impossible  pour  certaines  caries  Ties  dents  postérieures  d'un  accès  dilTicile,  elle 
exige  une  pression  considérable,  incompatible  avec  la  fragilité  des  parois  de 
certaines  caries  ;  enfin  la  couleur  du  métal  fait  avec  celle  des  dents  un  contraste 
fâcheux,  et  son  prix  élevé  peut  devenir  un  obstacle  pour  les  cavités  de  grande 
dimension. 


DEM  (médecine   opératoire).  527 

L'aurification  doit  être  réservée  pour  les  caries  du  premier  ou  du  second 
degré,  à  parois  solides,  à  cavité  régulière  de  petite  ou  moyenne  dimension, 
facilement  accessibles  et  situées  de  façon  que  la  surface  de  l'obturation  ne  sera 
pas  trop  apparente  extérieurement.  Enfin  la  dent  doit  être  dans  des  conditions 
telles  que  l'on  soit  en  droit  d'espérer  qu'elle  pourra  être  conservée  encore  pendant 
de  longues  années.  Par  conséquent  l'emploi  de  l'or  est  contre-indiqué  :  1"  pour  les 
dents  de  lait  dans  tous  les  cas  et  pour  les  dents  permanentes  lorsque  le  sujet  a 
atteint  un  âge  avancé;  2°  dans  tous  les  cas  de  carie  pénétrante,  surtout  lorsque 
la  dent  malade  a  déjà  été  atteinte  de  quelques  manifestations  inflanimatoiies  de 
son  périoste  ;  5°  pour  toutes  les  caries  à  parois  fragiles. 

2°  Amalgames.  Exclusivement  employés  par  certains  praticiens,  rejetés  au 
contraire  systématiquement  par  d'autres  qui  attribuent  injustement  à  tous  les 
imperfections  de  quelques-uns,  les  amalgames  peuvent  rendre  de  très-grands 
services,  lorsque  leur  cboix  est  judicieusement  fait  et  leur  emploi  réservé  aux 
cas  où  ils  conviennent. 

Nous  discuterons  plus  loin  la  composition  des  principaux  amalgames  qui  ont 
été  successivement  proposés  et  nous  verrons  que,  si  un  grand  nombre  doivent 
être  rejetés,  quelques-uns  d'entre  eux  possèdent  au  contraire  des  ([ualités 
précieuses.  L'amalgame  d'argent  et  d'étiiin  dont  nous  nous  servons  -depuis 
quelques  années  se  modèle  très-bien,  il  est  très -facile  à  manier  et  forme  après 
son  durcissement  une  masse  très-résistante  et  à  peu  près  inaltérable  chimique- 
ment dans  la  bouche.  Sa  couleur  contraste  certainement  moins  que  1  or  avec  celle 
des  dents;  il  subit  néanmoins  par  le  durcissement  un  certain  retrait;  mais  ce 
retirait  est  réellement  très-faible  et  même  tout  à  fait  inappréciable  lorsque  la 
masse  employée  n'est  pas  trop  volumineuse.  Nous  ferons  plus  loin  justice  des 
prétendus  inconvénients  qui  résulteraient  de  la  présence  du  mercure  des  amal- 
games dans  la  bouche. 

Les  amalgames  dé  bonne  qualité  présentent  donc  sur  l'or  l'avantage  d'être  plus 
faciles  à  manier  et  de  n'exiger  pour  leur  installation  qu'une  faible  pression  ;  ils 
offrent  une  résistance  au  moins  égale  aux  actions  mécaniques  ;  par  contre,  ils 
résistent  moins  bien  aux  actions  chimiques  et  subissent  un  léger  retrait  ;  enfin 
ils  ont  avec  l'or  certains  défauts  communs  ;  la  coloration  et  la  conductibilité. 

L'indication  de  leur  emploi  devient  dès  lors  facile  à  préciser  :  Les  amalgames 
conviennent  dans  tous  les  cas  oii  l'aurification  est  contre-indiquée  et  lorsqu'en 
même  temps  il  n'existe  pas  de  raison  particulière  pour  éviter  le  contraste  de  la 
couleur  ou  les  inconvénients  de  la  conductibilité. 

3°  Ciments  minéraux.  Les  ciments  minéraux  qui  servent  à  la  pratique  des 
obturations  sont  des  oxychlorures  de  zinc,  des pyrophosphates  du  même  métal  et 
des  combinaisons  diverses  de  même  ordre  qui,  appliqués  à  l'état  pâteux,  acquiè- 
rent très-rapidement  une  solidité  suffisante. 

Ils  sont  d'un  maniement  très-facile  et  leur  coloration  blanchâtre  les  rend  très- 
précieux  pour  l'obturation  des  caines  des  dents  antérieures;  mais  leur  résistance 
est  très-inférieure  à  celle  de  l'or  on  des  amalgames  et  les  obturations  les  mieux 
faites  s'usent  bientôt  par  les  frottements  delà  mastication  ;  de  plus  leur  inaltéra- 
bilité chimique  n'est  pas  absolue  et,  lorsqu'ils  sont  en  contact  avec  la  gencive,  ils 
se  décomposent  et  se  désagrègent  très-facilement. 

Les  ciments  minéraux  ne  sont  donc  guère  applicables  qu'à  ces  caries  latérales 
des  dents  antérieures,  à  cavités  profondes  et  à  parois  très-fragiles;  ils  rendent 
dans  ces  cas  de  réels  services,  car  ils  permettent  de  conserver  quelquefois  peu- 


Z28  DENT  (médecine  opératoire). 

dant  longtemps  des  organes  qui  seraient  condamnés  sans  eux  à  une  destruction 
prochaine,  les  amalgames  étant  inapplicables  en  raison  de  leur  couleur  et  de 
plus  les  variations  de  volume  qu'ils  subissent  aux  changements  de  température 
devant  nécessairement  amener  à  bref  délai  la  fracture  de  ces  parois  minces  et 
souvent  fragiles  comme  du  verre. 

¥  Pâte&  dénature  organique.  Quant  aux  pâtes  de  nature  organique,  elles 
servent  d'intermédiaire  entre  l'obturation  définitive  et  l'obturation  provisoire. 
Leur  qualité  dominante  est  la  facilité  avec  laquelle  on  peut  les  enlever  en  cas 
d'accidents-,  à  ce  point  de  vue  elles  sont  très-utiles;  de  plus,  la  gufta-percha,  qui 
est  la  base  de  toutes  ces  compositions,  étant  un  très-mauvais  conducteur  de  la 
chaleur,  ces  pâtes  deviennent  précieuses  pour  l'obturation  des  caries  dont  le  fond 
est  resté  sensible  aux  variations  de  température.  C'est  ainsi  que,  dans  certains 
cas,  on  pratique  des  obturations  en  garnissant  le  fond  de  la  cavité  d'une  certaine 
épaisseur  de  gulta-perclia  et  en  comblant  le  reste  avec  de  l'or  ou  un  amalgame,  de 
façon  à  laisser  entre  la  masse  métallique  très-conductrice  et  la  couche  d'ivoire 
sensible  un  corps  isolant  à  l'abri  duquel  la  réparation  des  canalicules  de  l'ivoire 
pourra  se  faire  peu  à  peu  et  l'insensibilité  deviendra  définitive. 

Si  maintenant,  avant  de  passer  à  la  description  des  divers  modes  d'obturation, 
nous  avions  à  résumer  au  point  de  vue  de  la  forme  et  du  siège  de  la  carie  le 
choix  du  procédé  et  de  la  substance  à  employer,  nous  pourrions  présenter  le 
tableau  suivant  : 

Irês-superliciellc  ne  dépassant  pas  la  couche  d'émail  et 
siégeant  aux  bords  latéraux  des  incisives Résection. 

nettement  limitée,  à  bords  résistants,  à  orifice  étroit 
ayant  sr>n  siège  aui  incisives  et  à  la  face  triturante 
des  molaires Aurlfication. 


Car:e  . 


/  siégeant  sur  des  points  diflicilemeut  accessibles  des  mo- 
\      la ires, 


mais  à  parois  résistantes Obturation    avec    les  amal- 
games. 

très-friable  des  dents  antérieures Obturation  avec  les  céments 

minéraux. 
profonde,  friable  et  avec  des  doutes  sur  la  guérison  ou 

des  menaces  de  périostites Obturation  avec  les  matières 

organiques  (gutta-perclia  si- 
lice e). 


A.  Aurification.  De  toutes  les  méthodes  d'obturation,  l'aurification  est  la 
plus  ancienne.  L'or  réduit  en  feuilles  minces  et  chimiquement  pur  se  modèle 
avecla  plus  grande  facilité  sur  les  surfaces  contre  lesquelles  on  l'applique  et 
est  absolument  inattaquable  par  les  liquides  buccaux  ;  ces  deux  propriétés  le 
désignèrent  tout  d'abord  à  l'attention  des  praticiens. 

Pendant  longtemps,  l'aurification  consista  simplement  à  remplir  la  cavité  delà 
carie  au  moyen  de  feuilles  minces  froissées  eu  boulettes  et  successivement 
comprimées  dans  la  cavité,  mais  bientôt  on  s'aperçut  que  l'obturation  faite  ainsi 
ne  présentait  qu'une  durée  très-limitée  :  les  fragments  d'or,  simplement  appli- 
qués les  uns  contre  les  autres  sans  méthode  et  au  hasard,  se  détachaient  peu  à 
peu  et,  quelque  soin  que  l'on  eût  mis  à  les  tasser,  s'e/feuillaient  en  quelque 
sorte. 

On  fut  ainsi  amené  à  rechercher  une  disposition  qui  assurât  à  ce  mode  d'ob- 
turation une  durée  illimitée  ;  un  grand  nombre  de  procédés  ont  été  indiqués, 
mais  tous  peuvent  se  résumer  de  la  manière  suivante  :  Faire  avec  des  feuilles 
d'or  de  petits  cylindres  que  l'on  juxtapose  dans  la  cavité  de  la  carie,  de  façon 


DENT  (médecine  opératoire).  529 

qu'ils  reposent  par  une  de  leurs  extrémités  sur  le  fond  même  de  la  cavité, 
l'autre  extrémité  étant  libre  au  dehors.  Tomes  a  très-heureusement  com|.  are  cette 
disposition  à  celle  que  présenteraient  des  cigares  juxtaposés  dans  un  verre  ;  il 
est  évident  que,  si  les  cylindres  sont  suflisamment  pressés  les  uns  contre  les 
autres,  la  masse  obturatrice  sera  impénéirable,  et  l'on  n'aura  plus  à  ciaindre 
refreuillement,  puisque  chaque  fragment  d'or  occupe  en  réalité  toute  la  hauteur 
de  la  cavité. 

Plus  tard,  on  découvrit  que  les  feuilles  d'or  possèdent  dans  certaines  condi- 
tions la  propriété  de  se  souder  entre  elles  à  la  température  ordinaire.  Celle 
découverte,  due  au  hasard,  fut  aussitôt  mise  à  profit  et  l'on  pensa  (|u'on  pouvait 
substituer  au  simple  tassement  des  feuilles  une  nouvelle  méthode  dans  laquelle 
toutes  les  parties  de  la  masse  obturatrice,  adhérentes  et  réellement  soudées 
entre  elles,  doivent  constituer  un  véritable  lingot. 

Deux  méthodes  d'aurificalion  sont  donc  en  présence  :  celle  par  tassement, 
celle  par  soudure.  On  nomme  or  mou,  malléable,  non  adhésif,  celui  qui  sert 
dans  la  première,  or  dur,  adhéi^if  ou  cohésif,  celui  qui  sert  dans  la  seconde. 
Chacune  des  deux  méthodes  a  ses  partisans  exclusifs;  d'autres  praticiens  combi- 
nent les  deux,  employant  l'or  mou  pour  commencer  l'aurification,  l'or  adhésif  ])Our 
terminer.  Nous  croyons  que,  suivant  les  cas,  il  faut  savoir  adopter  celle  des  deux 
méthodes  qui  ])résente  le  plus  de  chance  de  succès,  et  que  le  plus  souvent  c'est 
la  combinaison  des  deux  qui  assure  les  meilleurs  résullats.  iXoiis  reviendrons 
d'ailleurs  sur  ce  point  tout  à  l'heure;  mais  auparavant  nous  étudierons  succes- 
sivement les  conditions  que  doit  remplir  l'or  employé  pour  les  obturations  ; 
les  instruments  qui  servent  à  pratiquer  l'aurification  et  le  procédé  opératoire 
applicable  à  chaque  méthode. 

I.  De  V or  employé  pour  les  aurifications.  A.  Or  mou,  non  adhésif .  Il  est 
employé  sous  forme  de  feuilles  très-minces  que  l'on  trouve  dans  le  commerce  en 
petits  cahiers  d'une  demi-once  et  sous  des  numéros  qui  indiquent  le  poids  eu 
grains  de  chaque  feuille  d'un  décimètre  carré.  Les  numéros  6  à  8  suffisent  à 
tous  les  cas  de  la  pratique.  Les  feuilles  minces  s'obtiennent  par  le  battage  ;  elles 
doivent  être  faites  d'or  chimiquement  pur,  très-souples  et  dépourvues  de  toute 
propriété  adhésive. 

B.  L'or  adhésif  peut  être  employé  sous  forme  de  feuillet  ou  sous  une  forme 
particulière  qu'on  désigne  improprement  sous  le  nom  d'or  cristallisé. 

Or  adhésif  en  feuilles.  Les  feuilles  d'or  non  adhésif,  lorsqu'elles  sont  de 
bonne  qualité,  peuvent  dans  certaines  conditions  devenir  adhésives;  il  suffit  pour 
leur  donner  cette  propriété  de  les  recuire  en  les  portant  dans  la  llamme  d'une 
lampe  à  alcool  jusqu'au  rouge  brun  ;  on  peut  d'ailleurs  sans  inconvénient 
dépasser  cette  température.  Après  le  refroidissement,  on  constate  que  les  feuilles, 
qui  étaient  molles  et  absolument  dépourvues  de  la  propriété  adhésive,  sont  deve- 
nues moins  souples,  plus  rigides,  et  ont  acquis  la  propriété  de  se  souder  entre 
elles  sous  une  pression  même  très-modérée. 

11  est  probable  que  sous  l'influence  de  l'élévation  de  la  température  il  se 
produit  un  changement  d'état  moléculaire  ;  mais  la  chaleur  agit  certainement 
beaucoup  plus  en  débarrassant  la  surface  delà  feuille  d'or  de  toute  impureté  et 
en  chassant  complètement  toute  trace  d'humidité. 

Toutefois,  cette  propriété  de  l'adhésivité  se  perd  aussi  facilement  qu'elle  s'ac- 
quiert, et  il  suffit  pour  la  faire  disparaître  complètement  de  la  plus  petite  trace 
d'humidité  :  aussi,  lorsqu'on  pratique  des  obturations  avec  l'or  adhésif,  doit-on 


330  DENT  (médecine  opératoire). 

recuire  les  feuilles  d'or  au  moment  même  de  les  employer  et  seulement  au  fur 

et  à  mesure  des  besoins. 

Ou  trouve  cependant  dans  le  commerce  des  feuilles 
d'or  dites  adhésives,  prépare'es  à  l'avance,  numérotées 
suivant  leur  épaisseur  et  disposées  en  petit  cahier 
comme  les  feuilles  d'or  ordinaire.  Ces  feuilles  per- 
dent à  la  longue  et  même  quelquefois  très-rapide- 
ment leur  propriété  spéciale;  on  peut,  il  est  vrai,  la 
leur  rendre  par  le  recuit,  mais  on  comprendra  alors 
qu'il  devient  inutile  d'avoir  des  feuilles  particulières, 
puisqu'on  peut  à  son  gré  rendre  adhésives  les  feuilles 
d'or  ordinaires. 

Or  cristallisé  ou  en  éponge.  On  désigne  ainsi  l'or 
précipité  de  sa  solution  dans  l'eau  régale;  il  se  pré- 
sente sous  la  forme  de  petites  masses  spongieuses  qui, 
examinées  au  microscope ,  présentent  l'apparence 
cristalline  ;  il  possède  au  plus  haut  degré  la  propriété 
adhésive,  mais  il  suffit  aussi  de  la  plus  petite  trace 
d'humidilé  pour  la  lui  faire  perdre;  en  outre  il  n'est 
pas  susceptible  de  se  recuire  aussi  commodément  que 
l'or  en  fouilles  et  il  est  difficile  lorsqu'on  le  porte 
dans  la  flamme  de  la  lampe  à  alcool  d'éviter  la  fusion 
de  quelques  parcelles  d'or  qui  grillent,  suivant  l'ex- 
pression employée  en  métallurgie. 

Cet  état  spongieux  du  métal  n'est  d'ailleurs  pas 
spécial  à  l'or  ;  l'éponge  de  platine  connue  de  tout  le 
monde,  s'obtient  par  les  mêmes  procédés  et  jouit 
comme  l'or  de  la  propriété  adhésive.  Ce  n'est  pas  ici 
le  lieu  d'examiner  le  mode  de  préparation  chimique 
et  les  propriétés  physiques  de  l'or  spongieux;  nous 
dirons  seulement  que  la  découverte  de  celte  propriété 
du  métal  précipité,  alors  qu'on  ne  connaissait  pas 
encore  la  propriété  adhésive  des  feuilles,  sembla  devoir 
faire  abandonner  les  anciennes  méthodes  ;  mais  la 
plupart  des  praticiens  y  revinrent  bientôt  à  cause  de 
la  grande  variabilité  de  l'or  spongieux  et  de  la  diffi- 
culté du  manuel  opératoire. 

En  somme,  des  trois  variétés  d'or  qu'on  peut  em- 
ployer pour  l'obturation,  les  feuilles  spéciales  dites 
adhésives  et  l'or  spongieux  doivent  être  rejetées;  les 
ieuilles  d'or  ordinaire,  bien  pur,  des  numéros  6  ou  8, 
suffisent  toujours  ;  employées  telles  quelles,  elles  ser- 
vent à  pratiquer  les  aurifications  par  tassement;  re- 
cuites au  moment  de  l'opération,  elles  deviennent  adhésives  et  sont  employées 
pour  l'aurification  par  soudure. 

II.  Instruments  de  Vaurification.     Les  instruments  qui  servent  à  pratiquer 
les  aurifications  sont  :  la  pince,  les  fouloirs,  les  limes  et  les  brunissoirs. 

A.  La  pince  en  forme  de  brucelle  sert  à  manier  les  fragments  d'or,  elle  est 
utile  dans  l'emploi  de  l'or  adhésif;  l'une  de  ces  pinces,  celle  de  Tomes,  présente 


a 


Fig.  49.  —  Pince  pour  manier  les 
feuilles  d'or  (modèle  >Yliite). 


DEÎS'T    (médecine    CPKRATOir.E).  û31 

à  rexlrémité  de  chaque  mors  de  petites  dentelures  qui  peimeltent  d'utiliser  la 
pince  comme  fouloir  léger  (fig.  49), 

B.  Les  fouloirs,  comme  leur  nom  l'indique,  sont  des  instruments  qui  servent 
à  tasser  les  fragments  d'or  dans  la  cavité  de  la  carie;  leur  manche  doit  être  assez 
volumineux,  l'instrument  devant  être  manié  à  pleine  main.  L'extrémité  de  la 
tif^e  est  droite  ou  recourbée  à  angle  et  présente  des  formes  très-variées.  On  peut 
les  rattacher  à  l'un  des  quatre  types  suivants  : 

1°  Fouloirs  en  pieds  ; 

2°  Fouloirs  cylindriques; 

3°  Fouloirs  en  coins  ; 

4°  Fouloirs  en  olives. 

Le  mode  d'emploi  de  chacun  de  ces  instruments  sera  plus  utilement  décrit 


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Fig.  oO.  —  Divers  modèles  de  fouloirs  (modèle  AVhite). 


avec  les  différentes  méthodes  d'aurification  ;  nous  nous  bornerons  pour  le  moment 
à  décrire  les  plus  usuels. 

l"^  Fouloirs  en  pieds.  Il  suffit  d'avoir  à  sa  disposition  deux  fouloirs  en  pieds, 
Fun  de  dimension  moyenne,  l'autre  plus  petit; 

2"  Les  fouloirs  en  cylindres  sont  droits  ou  presque  droits  ou  coudés  en  baïon- 
nettes pour  les  dents  supérieures,  coudés  à  angle  droit  pour  les  dents  infé- 
rieures, et  enfin  contournés  en  spirales  pour  les  faces  latérales  des  dents  anté- 
rieures. Les  derniers,  au  lieu  d'être  cylindriques,  sont  quelquefois  aplatis  à  leur 
extrémité  afin  de  pénétrer  plus  facilement  dans  les  interstices;  on  est  obligé,  à 
cause  de  leur  courbure,  de  les  avoir  par  paires,  l'un  servant  pour  le  côté 
droit,  l'autre  pour  le  côté  gauche  ; 

5"  Les  fouloirs  en  coin  sont  terminés  par  une  extrémité  conique  ou  taillés  en 
trocart,  et  forment  avec  la  tige  un  angle  presque  droit; 

4°  Les  fouloirs  en  olive  ou  en  sphère  sont  terminés  par  une  surface  arrondie 
qui  forme  avec  la  tige  un  angle  variable. 

Tous  ces  instruments  doivent  être  faits  en  bon  acier  et  trempés  durs,  tous, 
à  l'exception  des  fouloirs  en  coin,  présentant  sur  leur  partie  active,  au  lieu 
d'une  surface  lisse  et  polie,  de  petites  saillies  régulièrement  taillées. 

G.  Les  limes  servent  à  régulariser  la  surface  de  l'obturation  et  à  la  ramener 
au  niveau  convenable;  les  limes  plates  et  certaines  autres  dites  rifloirs,  qui 
ont  été  décrites  à  propos  de  la  résection,  sont  les  plus  employées  ;  on  peut  aussi 
se  servir  de  fraises  spéciales  taillées  finement  et  qu'on  manœuvre  soit  à  la 


332  DENT   (^médecine   opératoire). 

main,  soit  à  l'aide  de  l'un  des  appareils  décrits  précédemment  (Drill  ou  tour  de 
White). 

D.  Les  brunissoirs  servent  à  polir  la  surface  de  l'aurification.  Ils  sont  montés 
sur  des  manches  volumineux  qui  permettent  de  les  tenir  à  pleine  main  et 
terminés  par  une  extrémité  de  forme  variée  dont  la  surface  doit  être  soigneu- 
sement polie  :  les  modèles  représentés  ci-joint  sont  ceux  qui  répondent  au  plus 
grand  nombre  de  cas;  ils  peuvent  à  la  rigueur  remplacer  tous  les  autres. 


Fig.  5J.  —  Diverses  formes  de  brunissoirs  (modèle  Wiiite). 


On  construit  aussi  des  brunissoirs  spéciaux  à  rotation  qui  s'adaptent  à  l'ap- 
pareil dit  tour  de  White. 

III.  Procédés  opératoires.  Le  mode  d'introduction  des  feuilles  et  leur  amé- 
nagement dans  la  cavité  étant  essentiellement  dilférent  suivant  qu'on  emploie 
la  feuille  molle  ou  la  feuille  adhésive,  nous  décrirons  successivement  ces  deux 
méthodes,  puis  la  méthode  mixte  dans  laquelle  on  combine  l'emploi  des  deux 
variétés  d'or. 

A.  Méthode  par  tassement.  Or  non  adhésif.  La  feuille  d'or  est  coupée 
ou  déchirée  suivant  toute  sa  longueur  en  deux,  trois  ou  même  quatre  fragments, 
selon  que  les  dimensions  de  la  cavité  sont  plus  ou  moins  considérables,  puis 
chaque  fragment  est  plié  en  ruban  ou  simplement  roulé  entre  les  doigts  de 
manière  à  former  un  boudin  peu  serré  d'un  diamètre  à  peu  près  égal  à  celui 
de  la  cavité. 

Les  rubans  ou  boudins  sont  ensuite  divisés  en  petits  fragments  dont  la  lon- 
gueur doit  être  environ  triple  de  la  profondeur  de  la  cavité.  Ainsi  préparé,  l'or 
est  prêt  à  être  introduit. 

.  A  cet  effet  on  saisit  successivement  chacun  des  fragments  avec  la  pince  et 
on  les  place  un  à  un  dans  la  cavité  de  façon  qu'ils  reposent  par  leur  milieu  sur 
le  fond  de  celle-ci,  les  deux  extrémités  étant  libres  au  dehors  et  dépassant 
même  les  rebords  de  la  cavité  à  cause  de  l'excès  de  longueur  qu'on  leur  a 
donné.  Au  lieu  de  la  pince,  on  peut  employer  pour  l'introduction  de  l'or  l'un 
des  fouloirs  en  pieds  dont  on  applique  la  pointe  sur  la  partie  moyenne  des  petits 
cylindres  qui  adhèrent  très-facilement  aux  saillies  de  l'instrument. 

Chaque  fois  que  l'on  a  introduit  deux  ou  trois  cylindres,  on  presse  la  petite 
masse  contre  l'une  des  parois  au  moyen  des  fouloirs  en  pied  et  l'on  dispose 
ensuite  de  nouveaux  cylindres  que  l'on  foule  de  la  même  manière  jusqu'à  ce 
qu'enfin  la  cavité  paraisse  comblée. 


DENT   (médecine  opératoire).  355 

On  fait  alors  pénétrer  la  pointe  d'un  fouloir  en  coin  au  centre  de  la  masse 
d'or,  de  manière  à  la  refouler  contre  les  parois  de  la  cavité,  et  l'on  remplit  la 
petite  cavité  produite  par  l'instrument  avec  de  nouveaux  cylindres.  On  pratique 
ainsi  au  moyen  de  fouloirs  à  pointe  de  plus  en  plus  fine  une  série  de  nouvelles 
perforations  que  l'on  remplit  successivement  jusqu'à  ce  que  l'instrument  refuse 
de  pénétrer. 

A  ce  moment,  l'obturation  est  composée  d'une  masse  compacte  faisant  au 
dehors  une  légère  saillie.  Avant  de  terminer,  on  cherche  encore  à  faire  pénétrer 
dans  la  masse  en  les  repliant  les  extrémités  des  petits  cylindres  qui  dépassent 
le  niveau  des  bords  de  la  cavité;  les  fouloirs  cylindriques  de  petite  dimension 
appliqués  avec  force  sur  tous  les  points  de  la  surface  servent  à  exécuter  cette 
partie  de  l'opération  ;  on  les  remplace  ensuite  par  des  fouloirs  de  même  modèle, 
mais  plus  volumineux,  ou  par  des  fouloirs  en  olive,  de  m:uiière  à  com|'rimer 
plus  régulièrement  et  dans  son  ensemble  toute  la  surface  ;  par  ces  dernières 
manœuvres  on  voit  en  même  temps  se  détacher  la  plus  grande  partie  des 
fragments  qui  sont  en  excès,  et  il  ne  reste  pour  terminer  qu'à  ramener  la 
surface  au  niveau  convenable  au  moyen  de  la  lime  et  à  la  polir. 

Le  limage  sert  en  même  temps  d'épreuve;  si  l'obluralion  résiste  aux  secousses 
de  la  lime;  si  l'or,  au  lieu  de  s'effeuiller,  se  laisse  difficilement  entamer,  il  est 
à  peu  près  certain  que  l'opération  est  bonne  et  que  l'obturation  résistera.  On 
pratique  le  limage  avec  les  limes  plaies,  les  rifloirs  ou  les  fraises  que  nous 
avons  décrits;  tous  ces  instruir,ents  doivent  être  taillés  assez  finement,  afin  de 
laisser  après  leur  passage  une  surface  déjà  presque  polie. 

Le  polissage  est  lui-même  très-important  et  s'exécute  en  promenant  un 
brunissoir  de  forme  et  de  courbure  appropriées,  avec  force  et  dans  tous  les 
sens  sur  la  surface  de  l'obturation.  En  même  temps,  le  brunissoir  achève  et 
rend  plus  partait  encore,  au  moins  à  la  surface,  le  tassement  des  fragments 
d'or.  Aussi,  lorsque  toutes  les  parties  de  l'opération  ont  été  exécutées  avec  soin, 
la  masse  obturative  est  tellement  dure  et  compacte  qu'elle  rend  sous  l'instru- 
ment qui  la  frappe  un  son  métallique  très-pur. 

B.  Méthode  par  soudure.  Or  adhésif.  Le  procédé  opératoire  diffère  ici 
complètement  du  précédent.  Le  succès  de  l'opération  dépend  des  conditions 
suivantes  : 

1"  N'employer  que  de  l'or  bien  pur  et  qui  possède  au  plus  haut  dc^ré  la 
propriété  adhésive,  ce  qu'on  obtient  toujours  en  recuisant  les  feuilles  au  mo- 
ment même  de  les  utiliser  ; 

2°  Eviter  avec  le  plus  grand  soin  le  contact  de  la  salive,  la  plus  petite  trace 
d'humidité  suffisant  pour  faire  perdre  aux  feuilles  d'or  leur  propriété  adhésive  : 
condition  souvent  difficile  sans  l'emploi  de  la  digue,  parfois  même  impossible  à 
remplir  rigoureusement,  surtout  lorsque  l'opération  doit  être  un  peu  longue  • 

0"  N'introduire  dans  la  cavité  que  de  très-petites  quantités  d'or  à  la  fois  et 
les  fouler  complètement  et  définitivement  avant  d'en  introduire  de  nouvelles. 

Cette  dernière  condition  est  d'autant  plus  importante  que,  lorsqu'on  lané<7lio-e 
l'aurification  n'en  présente  pas  moins  toutes  les  apparences  extérieures  d'une 
bonne  obturation;  ce  n'est  qu'au  bout  de  quelque  temps  que  la  faute  se  mani- 
feste par  la  désagrégation  de  la  masse  et  par  sa  chute  prématurée.  Voici 
comment  les  choses  se  passent  :  Les  feuilles  adhésives  se  soudent  entre  elles 
avec  la  plus  grande  facilité  sous  une  pression  même  modérée  de  l'instrument- 
il  en  résulte  que,  si  l'on  applique  successivement  de  petits  fragments  d'or,  il 


534  DENT  (médecine  opératoire). 

suffira  d'un  effort  Irès-faible  pour  assurer  leur  adhérence.  Si  au  contraire  on 
introduit  d'emblée  une  quantité  d'or  assez  considérable,  la  partie  superficielle 
de  la  masse  directement  foulée  par  l'instrument  acquerra  immédiatement 
une  certaine  dureté  par  la  soudure  des  premières  feuilles  sous-jacentes  et 
formera  une  sorte  de  croûte  rés,istante  sou?  laquelle  les  parties  profondes  échap- 
pent à  la  compression.  On  pourra,  il  est  vrai,  triompher  de  la  résistance  en 
développant  une  pression  plus  considérable;  mais,  outre  qu'il  serait  imprudent 
de  dépasser  certaines  limites,  l'expérience  montre  qu'on  ne  réussirait  encore 
qu'incomplètement  à  condenser  la  masse. 

Cela  posé,  voici  comment  on  procède  :  Les  feuilles  sont  roulées  en  boudin 
comme  pour  la  méthode  par  tassement,  puis  chaque  boudin,  tenu  avec  la 
pince,  est  porté  dans  la  flamme  de  la  lampe  à  l'alcool  jusqu'à  ce  qu'elle  rou- 
gisse, en  ay.uit  soin  d'éviter  toutefois  la  fusion  ou  le  grillage  de  l'or  ;  à  partir 
de  ce  moment  il  est  bon  de  ne  plus  manier  les  feuilles  qu'avec  la  pince,  les  doigts 
pouvant  y  déposer  quelques  impuretés  qui  pourraient  empêcher  la  soudure. 
Puis  les  boudins  sont  coupés  avec  des  ciseaux  en  petits  fragments  de  dimension 
sensiblement  égale  au  fond  de  la  cavité.  Quelques  praticiens  partagent  d'abord 
les  boudins  en  petits  fragments  et  préfèrent  recuire  chacun  d'eux  au  moment 
de  l'introduire. 

Quoi  qu'il  en  soit,  un  premier  fragment  est  porté  avec  la  pince  au  fond  de  la 
cavité,  puis  tassé  avec  le  fouloir  en  pieds  ou  le  fouloir  cylindrique  suivant  les 
commodités  du  cas  particulier.  Ici  se  présente  souvent  une  petite  difficulté  : 
la  petite  masse  bien  tassée  n'adhère  pas  aux  parois  et,  lorsqu'on  veut  fouler  sur 
^ïlleun  second  fragment,  elle  roule  sous  l'instrument  et  s'échappe  même  souvent 
de  la  cavité.  On  peut,  dans  ces  cas,  les  fixer  momentanément  au  moyen  d'un 
instrument  à  pointe  fine  tenu  de  la  main  gauche,  comme  une  sonde  ou  une 
rugine,  jusqu'à  ce  que  la  masse  acquière,  par  l'addition  de  nouveaux  fragments, 
un  volume  suffisant  pour  être  retenue  en  place.  On  peut  aussi  pratiquer  sur  le 
fond  de  la  cavité  ce  qu'on  appelle  des  points  de  rétention;  ce  sont  deux  ou  trois 
petites  cavités  divergentes  creusées  au  moyen  d'un  petit  foret  et  dans  lesquelles 
il  est  fiicile  de  fixer  les  premiers  fragments  d'or.  Nous  vendons  que  la  métliode 
mixte  fournit  un  moyen  plus  rationnel  et  plus  simple  de  tourne."  la  difûctdté. 

En  tous  CHS,  une  fois  les  premiers  fragments  d'or  bien  tassés  et  fixés,  le 
reste  de  l'opération  est  relativement  simple  :  on  foule  successivement  de  nou- 
veaux fragments,  jusqu'à  ce  que  l'obturation  remplisse  bien  la  cavité  et  la 
dépasse  même  un  peu  ;  mais  il  est  très-important,  chaque  fois  que  l'on  applique 
un  nouveau  fragment,  de  le  tasser  en  appliquant  bien  exactement  l'instrument 
sur  tous  les  points  de  la  surface  et  particulièrement  près  des  parois  de  la 
cavité,  afin  d'assurer  le  contact  parfait  non-seulement  des  feuilles  entre  elles, 
mais  du  lingot  sur  toute  la  surface  de  la  cavité.  Le  meilleur  moyen  de  réussir  est 
de  disposer  les  fragments  de  façon  à  obtenir  toujours  une  surface  régulière  : 
le  tassement  est  ainsi  plus  facile,  moins  long  à  exécuter,  et  en  même  temps 
on  se  rend  mieux  compte  des  fissures  ou  anfractuosités  qui  auraient  pu  se 
produire  dans  la  masse.  Les  fouloirs  cylindriques  de  dimension  moyenne  sont 
les  plus  commodes  pour  ce  temps  de  l'opération. 

Le  tassement  des  feuilles  de  métal  suivant  les  méthodes  de  l"or  adhésif  a 
€té  encore  l'objet,  de  la  part  des  praticiens  anglais  et  américains,  de  procédés 
particuliers  longuement  et  minutieusement  décrits.  On  peut  les  résumer  sous  trois 
désignations  : 


DENT  (médecine  opératoire).  335 

1°  Procédé  par  pression  manuelle.  C'est  celui  par  lequel  l'or  est  introduit, 
fixé  aux  parois  de  la  cavité,  comprimé  et  durci  par  la  seule  pression  de  la  main 
sans  le  secours  d'aucune  force  étrangère.  C'est  le  procédé  ancien,  suffisant  à 
tous  les  cas,  et  nous  lui  conservons  notre  préférence. 

2°  Procédé  par  le  marteau  automatique.  Ce  procédé  consiste  à  appliquer 
les  fragments  dor  au  fond  d'une  carie  au  moyen  d'un  fouloir  en  forme  de  pied 
ou  autre,  lequel  est  monté  sur  un  manche  particulier  qui,  par  un  système  de 
déclanchemeut,  imprime  au  fragment  d'or,  aussitôt  qu'il  est  en  place,  une 
secousse  brusque  analogue  à  un  véritable  coup  de  marteau.  Cette  méthode,  ainsi 
d'ailleurs  que  la  précédente,  n'exige  pas  pour  l'opération  l'intorvenlion  indis- 
pensable d'un  aide  :  c'est  la  combinaison  de  la  pression  simple  et  du  coup  de 
marteau  opérée  par  le  même  instrument  et  la  même  main. 

3"  Procédé  du  marteau  manié  par  un  aide.  Ce  procédé,  qui  est  assurément 
le  plus  compliqué  des  trois,  consiste  à  placer  successivement  dans  une  carie  des 
fragments  d'or,  tandis  qu'un  aide  donne  un  coup  sec  avec  un  petit  maillet  sur 
le  manche  de  l'instrument.  On  établit  ainsi  par  couches  successives  et  fortement 
comprimées  une  masse  d'or  dont  la  partie  libre  doit  toujours,  quel  que  soit  le 
procédé  employé,  dépasser  la  limite  de  l'ouverture. 

On  termine,  comme  dans  la  méthode  précédente,  par  la  régularisation  de  la 
surface  au  moyen  de  la  lime  et  par  le  polissage.  Mais  tandis  que,  dans  l'aurifi- 
cation  par  tassement,  le  brunissoir  contribue  à  rendre  la  niasse  plus  compacte, 
en  même  temps  qu'il  en  polit  la  surface,  dans  la  méthode  de  l'or  adhésif  son 
•action  se  borne  à  polir,  le  tassement  opéré  par  le  fouloir  étant  définitif  et  le 
lingot  obturateur  devant  être  absolument  incompressible,  si  l'obtuinlion  a  été 
bien  exécutée. 

C  Méthode  mixte.  Dans  la  méthode  mixte  on  utilise  à  la  fois  les  avantages 
des  deux  autres  et  on  évite  une  partie  des  inconvénients  que  chacune  d'elles 
présente  en  particulier.  On  commence  par  garnir  le  fond  delà  cavité  d'une  feuille 
d'or  non  adhésif  roulée  en  boulette  entre  les  doigts  et  on  la  foule  complètement, 
puis  on  remplit  toute  la  cavité  de  petits  cylindres  comme  dans  la  méthode  par 
tassement;  seulement,  après  avoir  pratiqué  la  première  application  avec  le  fouloir 
en  cône,  on  remplit  la  cavité  secondaire  ainsi  produite  avec  des  fragments  d'or 
adhésif  que  l'on  foule  successivement  comme  il  a  été  dit  plus  haut.  On  obtient 
de  cette  manière  une  obturation  dont  le  fond  et  les  bords  sont  constitués  par  les 
feuilles  non  adhésives  et  dont  le  milieu  et  la  surface  sont  faits  d'or  adhésif; 
condition  éminemment  favorable,  puisqu'on  a  en  réalité  une  surface,  qui  ne 
peut  se  désagréger  en  même  temps  qu'on  est  sur  de  l'adhérence  de  la  masse 
obturatrice  aux  parois,  les  feuilles  molles  se  moulant  et  s'adaptant  toujours 
plus  exactement  que  les  adhésives. 

Il  est  inutile  d'insister  plus  longuement  sur  le  procédé  opératoire  de  cette 
troisième  méthode  qui  tient  des  deux  autres,  et  dont  l'exécution   est  facile 
quand  on  connaît  bien  celles-ci.  Mais  il  nous  paraît  indispensable  d'entrer  dans 
quelques  détails  sur  les  conditions  qui  doivent  fixer  le  choix  de  l'opérateur 
dans  un  cas  donné,  sur  l'une  ou  l'autre  des  trois  méthodes. 

L  or  mou  est  d'un  maniement  facile.  Son  aménagement  dans  la  cavité  n'exi^^e 
aucune  des  conditions  spéciales  que  réclame  l'emploi  de  l'or  adhésif,  le  contact 
de  la  salive  n'enlève  aux  feuilles  du  métal  aucune  de  leurs  qualités  ;  on  pourrait 
en  quelque  sorte  opérer  sous  l'eau,  sans  que  l'obturation  fût  pour  cela  moins 
parfaite.  Mais  en  revanche  la  masse  est  toujours  moins  compacte  et  doit  par 


336  DEKT   (médecine  opératoire). 

conséqvient  résister  moins  longtemps.  Ce  genre  d'obturation  exige  aussi,  comme 
nous  l'avons  dit,  une  cavité  plus  régulière,  à  parois  solides  et  se  rapprocliant 
le  plus  possible  de  la  forme  cylindrique. 

Le  maniement  de  l'or  adbésif  est  beaucoup  plus  délicat  :  l'écbec  vient  le 
plus  souvent  de  la  salive  qui,  mouillant  le  métal,  empêche  l'adhérence  des 
feuilles  entre  elles.  L'emploi  de  la  digue  de  cioutchouc  peut,  il  est  vrai,  mettre 
complètement  à  l'abri  de  cet  inconvénient;  mais  nous  avons  expliqué  pourquoi 
nous  rejetons  cet  appareil  qui,  d'ailleurs,  n'est  pas  toujours  applicable.  La 
méthode  par  soudure  doit,  par  ce  fait,  être  nécessairement  rejetée  dans  un  grand 
nombre  de  cas.  De  plus  l'opération  est  beaucoup  plus  longue,  et  ne  peut,  par 
cette  raison,  convenir  que  pour  de  petites  cavités.  Mais  à  côté  de  ces  incon- 
vénients elle  a  de  grands  avantages,  la  masse  obturatrice  forme  un  lingot  inusable 
et  dont  toutes  les  parties  constitutives  ne  peuvent  être  désagrégées  :  aussi  peut-on, 
dans  certains  cas,  pratiquer  l'obturation  de  cavités  irrégulières  et  dont  la 
paroi  présenterait  un  point  faible  ou  même  une  solution  de  continuité.  Il  n'est 
pas  ici  question  des  tours  de  force  que  prétendent  i  éaliser  ces  aurificateurs  à 
outrance  qui  mettent  toute  leur  gloire  à  refaire  la  couronne  d'un  dent  usée  par 
une  carie  avancée  de  la  troisième  période  ;  ce  sont  là  des  prodiges  d'adresse  sans 
valeur  thérapeutique  sérieuse  ;  mais  dans  certains  cas  de  carie  des  faces  latérales 
des  dents  anlérienres,  il  peut  être  utile  de  restituer  à  la  couronne,  partielle- 
ment du  moins,  sa  forme  primitive.  La  méthode  de  l'or  adhésif  offre  ici  de 
précieuses  ressources. 

Nous  réservons  donc  la  méthode  par  tassement  pour  les  cavités  de  grande- 
dimension  et  pour  lesquelles  il  est  impossible  ou  très-difficile  d'empêcher 
l'arrivée  de  la  salive,  tandis  que  la  méthode  de  l'or  adhésif  sera  applicable  aux 
petites  cavités,  lorsque  siutout  il  manque  une  partie  plus  ou  moins  étendue 
de  la  paroi,  enfin  la  méthode  mixte  pour  tous  les  autres  cas.  Celle-ci  est  donc 
d'usage  beaucoup  plus  fréquent  que  les  autres,  et  c'est  elle  que  nous  conseil- 
lons toutes  les  lois  que  son  emploi  sera  possible. 

n.  Obturation  par  les  amalgames  métalliques.  L'obturation  au  moyen  des 
pâles  métalliques  date  de  la  découverte  des  alliages  fusibles  et  des  propriétés  de 
certains  amalgames. 

L'alliage  de  Darcet,  d'abord  employé,  fut  bientôt  perfectionné  par  un  prati- 
cien distingué  du  commencement  de  ce  siècle,  Regnard,  qui  le  rendit  plus 
fusible  encore  par  l'addition  d'une  notable  quantité  de  mercure. 

L'idée  de  Regnard  fut  ensuite  appliquée  à  d'autres  mélanges  métalliques,  tt 
l'on  imagina  une  série  d'amalgames  dont  la  plupart,  d'abord  vantés,  tombèrent 
bientôt  dans  une  juste  oubli,  mais  dont  quelques-uns  sont  restés  aujourd'hui 
encore  dans  la  pratique  courante. 

Le  plus  ancien  de  ces  amalgames  est  celui  qui  se  préparait  avec  une  combi- 
naison pulvérulente  de  chaux  et  d'oxyde  d'argent  (chaux-argent)  additionné 
d'une  quantité  suffisante  de  mercure  pour  faire  une  pâte  assez  ferme.  Cette 
pâte  introduite  dans  la  cavité  de  la  carie  acquérait  assez  rapidement  une  dureté 
considérable,  mais  elle  présentait,  outre  les  inconvénients  communs  à  toutes 
les  matières  métalliques  qui  subissent  des  modifications  de  volume  parfois  très- 
sensibles  sous  l'influence  des  changements  de  température,  le  grand  désavantage 
de  se  colorer  rapidement  en  noir  par  sulfuration  de  la  surface  ;  cette  coloration 
s'étendait  même  au  tissu  de  la  dent  qui  se  pénétrait  de  fines  particules  de  sul- 
fure d'argent  véhiculées  à    travers   l'ivoire.   On  dut.   alors  chercher  d'autres 


UENT  (médecine  opératoire).  337 

combinaisons  ne  donnant  pas  lieu  à  une  sulfuration  aussi  rapide,  ou  des 
composés  métalliques  dont  les  sulfures  ne  présentassent  pas  cette  coloration 
foncée. 

On  essaya  successivement  la  monnaie  d'argent  re'duite  en  limaille  et  associée 
au  mercure,  puis  les  amalgames  connus  sous  le  nom  de  ciments  de  Sullivan, 
qui  contenaient  une  notable  proportion  de  cuivre.  Un  cbimiste  distingué , 
Malaguti,  proposa  un  alliage  de  cuivre  et  de  mercure  dont  le  mode  de  prépa- 
ration est  le  suivant  : 

On  dissout  du  mercure  dans  l'acide  sulfurique  et  on  triture  ensuite  le  sulfate 
obtenu  avec  du  cuivre  en  poudre  et  de  l'eau  à  60  ou  70  degrés.  Par  le  broyage, 
le  cuivre  fait  précipiter  le  mercure  et  il  se  forme  du  sulfate  de  cuivre,  mais 
l'excès  de  ce  métal  se  combine  avec  le  mercure  à  l'état  naissant  et  forme  un 
amalgame  qu'on  lave  et  qu'on  exprime  fortement  dans  un  nouct.  Quoique 
d'abord  mou,  cet  alliage  finit  par  durcir  au  bout  de  quelques  heures.  Chaufté 
à  une  température  de  530  à  5  iO  degrés,  il  se  gonfle  et  se  recouvre  de  niercure, 
mais,  si  on  le  broie  dans  un  mortier  pour  le  rendre  homogène,  il  se  ramollit  et 
peut  être  pétri  entre  les  doigts.  Plus  tard  il  durcira  de  nouveau  et  possédera 
une  texture  cristalline  très-serrée. 

Toutes  ces  tentatives  ne  donnèrent  que  des  résultats  insuffisants  ;  les  amal- 
games qui  contiennent  du  cuivre  présentent  rapidement  une  surface  noire  et 
communiquent  à  la  longue  à  la  dent  elle-même  une  teinte  générale  foncée. 

Après  ces  composés,  les  amalgames  de  cadmium  et  d'étain  jouirent  rapide- 
ment d'une  grande  vogue;  les  deux  métaux  s'unissent  en  effet  très-facilement 
au  mercure  et  la  masse  acquiert  assez  promptement  une  dureté  suffisante,  mais 
l'altération  est  encore  très-rapide;  toutefois,  la  sulfuration  portant  surtout  sur 
le  cadmium,  il  s'ensuit  bientôt  la  production  de  sulfure  jaune  de  ce  métal  qui 
s'interpose  entre  la  masse  obturatrice  et  la  paroi,  pénètre  la  substance  de  l'ivoire 
et  amène  plus  ou  moins  vite  l'ébranlement  et  la  chute  de  l'obturation. 

Ces  sortes  d'amalgames  doivent  donc  être  complètement  rejetéés.- 

Dans  une  étude  très-consciencieuse,  entreprise  par  un  des  praticiens  les  plus 
recommandables  de  Londres,  M.  J.  Tomes,  un  certain  nombre  d'amalgames  ont 
été  essayés  comparativement  (Physical  and  chemical  Properties  of  Amalgams 
[Transact.  of  odontolog.  Soc,  march  1872]).  L'auteur  arrive  à  cette  conclu- 
sion que  tous  subissent  par  le  durcissement  un  certain  retrait,  mais  ce  retrait 
est  très-variable  suivant  les  métaux  employés  et, d'une  manière  générale,  il  paraît 
d'autant  moins  prononcé  que  la  solidification  est  plus  rapide. 

Nous  avons  entrepris  à  notre  tour  une  série  d'observations  et  d'expériences 
portant  d'une  part  sur  des  alliages  métalliques  composés  par  nous-mème,  et 
d'autre  part  sur  un  certain  nombre  de  substances  qui  figurent  dans  le  com- 
merce. 

■  Or,  les  dernières  substances  sont  le  plus  souvent  des  compositions  restées 
secrètes  et  qui  ne  sont  désignées  que  par  le  nom  de  leur  auteur  ou  par  celui 
de  l'industriel  qui  les  met  en  vente. 

Quelques  praticiens,  cependant,  ont  publié  la  composition  de  certains 
mélanges.  Tel  est  M.  Arnold  Rogers  {Pharmaceuticaî  Journal,  vol.  IX,  p.  402, 
i850),  qui  a  fait  connaître  un  alliage  ainsi  composé: 

Or 1 

Argent  vierge 1 

Mercure 7 

DICT.  ESC.  XXYII.  2â 


338  DENT  (médecine  opératoire). 

Tel  encore  M.  Bolestson  (même  journal,  1852,  n°  12),  dont  la  formule  est  la 

suivante  : 

Or 1 

Argent 3 

Élain 2 

Enfui,  citons  le  docteur  Henri  Chase  (Missouri  dental  Journal,  1877),  qui  a 
publié  les  trois  formules  suivantes  : 

1°    Or I 

Argent ?  de  chaque  33  gr.  I/o. 

Étain ) 

2«     Or 25 

Argent 39 

Étain 56 

3°     Or 20 

Argent 40 

Étain 40 

Ces  alliages  amalgamés  avec  une  quantité  suffisante  de  mercure  donnent 
d'assez  bons  résultats,  mais  nous  leur  ferons  un  reproche  immédiat  :  c'est  de 
contenir  une  trop  grande  quantité  d'or,  ce  qui  en  élève  d'abord  le  prix  et  ce 
qui,  dons  cette  proportion  et  d'après  nos  expériences,  en  amoindrit  notablement 
la  dureté. 

D'autres  formules  contiendraient,  dit-on,  du  palladium  dont  le  prix,  plus  élevé 
que  celui  de  l'or,  en  rend  l'emploi  difficile.  D'autres  encore  renfermeraient  du 
platine,  mais  nous  ne  croyons  guère  à  la  possibilité  d'aliier  ce  métal  avec  le 
mercure.  Nos  propres  essais  sur  ce  point  ont  complètement  échoué. 

Nous  n'insisterons  pas  sur  ces  diverses  formules,  qui  n'ont  guère  qu'un 
intérêt  historique,  et  nous  allons  arriver  à  étudier  les  substances  les  plus 
couramment  usitées  dans  la  pratique.  Plusieurs  d'entre  elles  ont  été  composées 
par  nous,  et  nous  en  donnons  les  formules;  d'autres  ont  acquis  quelque 
réputation  et  sont  employées  par  beaucoup  de  praticiens. 

C'est  sur  un  choix  de  ces  matières  qu'a  été  instituée  une  enquête  dont 
notre  chef  de  clinique,  le  docteur  Chauveau,  a  bien  voulu  se  charger.  Nous 
donnerons  ci-après  les  résultats  tels  qu'ils  sont  consignés  sur  les  registres 
d'expériences. 

«  Expériences  faites  au  laboratoire  sur  divers  amalgames  dans  le  but  d'éprou- 
ver leur  résistance  aux  actions  mécaniques,  physiques  et  chimiques,  qui  peu- 
vent les  influencer  dans  la  cavité  buccale. 

Alliages  mis  en  expérience  : 

N»   1.    Étain 1   ^ 

Argent i  ^a 

Formule  publiée  depuis  longtemps. 

N«  2.    Étain 60 

Argent 58 

Or 2 

Formule  personnelle  récente. 
jN"   3.     Ciment  métallique  dit  de  Lemile. 
N°  4.     Amalgame  dit  de  Fletclier.  —  Or  et  platine  (?) 
K*  5.    Extra-plastic  amalgame  (Fletcher). 
1N°   6.     Flings  for  metallic  paste  stopping  (Asb). 

Dureté.    Pour  nous  rendre  compte  du  degré  de  dureté  que  peuvent  acquérir 


DENT  (médecine  opératoire).  530 

ces  amalgames,  nous  en  avons  forme  des  boulettes  de  même  volume  que  nous 
avons  laissées  durcir  pendait  vingt-quatre  heures,  puis  nous  avons  recherche  la 
résistance  qu'offrait  chacune  d'elles  à  ja  pression  et  à  la  percussion;  nous  avons 
essaye'  à  l'aide  d'un  instrument  d'acier  de  les  rayer,  de  les  entamer.  D'après  la 
re'sistance  qu'ils  ont  offerte  à  ces  actions  me'caniques,  nous  les  avons  classe's 
ainsi  qu'il  suit  : 

Le  plus  dur  est  le  n°  4,  annoncé  comme  contenant  de  l'or  et  du  platine; 
vient  ensuite  le  n°  5,  puis  les  n"*  5  et  6  sur  la  même  ligne;  le  n°  2  et  eufin  le 
n''  1 ,  qui  ne  contient  pas  d'or. 

La  dureté  des  n°'  4  et  3  est  extrême  ;  elle  dépasse  de  beaucoup  le  degré  qu'il 
soit  nécessaire  d'atteiudre  pour  résister  aux  plus  grands  efforts  de  mastication. 
Le  n°  1,  le  moins  résistant  de  tous,  est  encore  bien  assez  dur.  Enfin,  nous 
trouvons  dans  le  n°  2  l'amalgame  dont  la  résistance  est  parfaitement  suffi- 
sante. 

Tous  ces  amalgames,  quel  que  soit  le  degré  de  dureté  qu'ils  aient  acquis,  se 
ramollissent  promptement  lorsqu'ils  sont  exposés  à  la  vapeur  d'eau  bouillante. 
Ils  repremient  ensuite,  mais  lentement,  leur  dureté  première. 

Dilatation  sous  Vinfluence  de  Ja  chaleur.  Nous  avons  bourré  d'amal- 
game des  tubes  de  verre  de  1  millimètre  de  diamètre,  et  nous  avons  formé 
ainsi  des  colonnes  hautes  de  40  millimètres.  Nous  les  avons  plongés  dans  la 
vapeur  d'eau  bouillante  pendant  quinze  minutes,  sans  observer  une  dilatation 
appréciable. 

Exposés  ensuite  à  une  température  de  0°,  nous  n'avons  pu  noter  aucun  retrait. 
Si  l'on  considère  la  hauteur  (40  millimètres)  de  la  colonne  métallique  éprou- 
vée, on  verra  combien  doit  être  faible  la  dilatation  d'une  obturation  dentaire 
qui  ne  mesure  guère,  dans  la  grande  majorité  des  cas,  qu'une  hauteur  de  5  ù 
4  millimètres,  c'est-à-dire  dix  fois  moindre,  surtout  si  l'on  tient  compte  des 
températures  extrêmes  de  100  degrés  et  de  zéro,  auxquelles  cous  les  avons 
exposés,  températures  que  l'on  ne  franchit  jamais  dans  la  bouche. 

SidfiiraUon.  Nous  avons  pris  de  petites  masses  de  ces  divers  amalgames, 
toutes  de  même  volume  et  chacune  présentant  une  surface  polie,  les  autres 
grenues.  Nous  les  avons  placées  sur  un  vase  contenant  un  morceau  de  foie  de 
soufre  dissous  dans  l'eau  bouillante,  le  tout  recouvert  d'une  cloche. 

Au  bout  de  vingt-quatre  heures  nous  avons  obtenu  les  résultats  suivants  : 

1°  Les  surfaces  polies  ou  ncyi  étaient  indistinctement  et  également  teintées. 
Le  brunissage  ne  protège  donc  pas  les  amalgames  contre  la  sulfuration; 

2»  Les  amalgames  ont  été  placés  dans  l'ordre  ci-dessous  d'après  le  degré  de 
coloration  auquel  ils  étaient  arrivés  : 

N"  5  teinte  de  noir  de  fumée  ; 

N°'  6  et  4  teinte  un  peu'  moins  foncée  ; 

N°  1  gris  foncé  ; 

N°  3  gris  clair; 

N"  2  traces  légères  de  sulfuration. 

Conclusions.  Nous  rejetons  l'emploi  des  amalgames  4,  5  et  6,  pour  deux 
raisons  : 

1°  Ils  se  sulfurent  plus  que  tous  les  autres; 

2°  Leur  dureté  extrême,  qui  au  premier  abord  semble  une  qualité,  non- 
seulement  n'est  qu'une  qualité  négative,  puisqu'elle  est  inutile,  mais  encore 
devient  un  obstacle  réel  quand  l'obturation  doit  être  détruite. 


340  DENT   (médecine  opératoire). 

Le  II"  3  se  sulfure  légèrement,  mais  nous  lui  ferons  le  même  reproche  qu'aux 
précédents  :  il  est  trop  dur. 

En  outre,  ces  amalyames  ayant  une  formule  que  les  fabricants  ne  font  pas 
connaître,  ne  se  prêtent  pas  aux  modifications  que  chacun  peut  désirer  apporter 
aux  substances  qu'il  emploie. 

Nous  accorderons  donc  toutes  nos  préférences  aux  n°'  1  et  2,  en  faisant  cetie 
réserve  toutefois  que  le  n°  I,  qui  est  moins  dur  et  qui  se  sulfure  plus  fortement 
que  l'autre,  devra  être  réservé  pour  les  cavités  latérales  et  postérieures  des 
molaires,  dont  l'accès  difficile  rend  Ja  désobturation  toujours  laborieuse. 
Notre  n°  2  réunit  toutes  les  qualités  d'un  bon  amalgame,  c'est-à-dire  : 

1°  Sulfuration  très-faible,  moindre  que  celle  de  tous  les  autres; 

2°  Dureté  largement  suflisante  pour  permettre  à  l'obturation  de  résister  à 
toutes  les  actions  mécaniques  pouvant  s'exercer  dans  la  bouche,  sans  atteindre 
cependant  le  degré  extrême  que  les  fabricants  semblent  avoir  poursuivi  comme 
la  qualité  maîtresse  de  toute  substance  employée  à  l'obturation.  » 

On  a  élevé  à  différentes  époques  certaines  objections  sur  l'emploi  général  des 
amalgames  métalliques  pour  les  obturations  dentaires.  Ces  objections  portaient 
sur  la  présence  du  mercure  dans  le  mélange  et  sur  les  dangers  de  son  absorption. 
Entraînés  par  un  zèle  irréfléchi,  certains  auteurs  ont  eu  l'idée  de  mettre  sur  le 
compte  de  ce  métal  une  foule  d'accidents  purement  imaginaires.  Nous  n'aurons 
pas  de  peine  à  dissiper  ces  craintes  chimériques  en  faisant  remarquer  simple- 
ment :  1°  que,  dans  les  amalgames,  le  mercure  n'est  pas  à  l'état  libre,  mais 
combiné  à  d'autres  substances,  ce  qui  modifie  singulièrement  les  conditions  de 
son  absorption  ;  2°  qu'en  supposant  celle-ci  possible,  le  mercure  ne  serait  absorbe 
qu'à  l'état  métallique,  état  sous  lequel  il  est,  comme  on  sait,  inoffensif:  les 
liquides  de  la  bouche  ne  paraissent  pas  susceptibles  de  former  avec  cet  agent 
des  sels  solubles  et  d'ailleurs  en  quelles  minimes  quantités  se  produiraient-ils! 
En  outre,  nous  affirmons  que  jamais  l'observation  si  fréquemment  renouvelée, 
si  universelle  aujourd'hui,  de  ces  obturations,  ne  nous  a  révélé  la  production 
d'aucun  accident.  Quo  de  fois  n'arrive-t-il  pas  que  des  obturations  détachées 
sont  avalées!  Même  dans  ces  cas,  nous  n'avons  jamais  constaté  d'accidents;  la 
masse  est  simplement  véhiculée  dans  le  tube  digestif  sans  subir  de  moditica- 
tions  manifestes. 

Procédé  opératoire.  Les  instruments  qui  servent  à  introduire  et  à  fixer  les 
amalgames  sont  les  fouloirs  et  les  spatules. 

Les  fouloirs  sont  formés  d'une  tige  métallique  terminée  par  une  extrémité 
mousse,  renflée  en  bouton  ou  en  olive  à  la  manière  des  cautères  ;  la  forme,  la 
courbure  et  les  dimensions  de  cette  extrémité  sont  très-variées. 

Ces  instruments  servent  à  faire  pénétrer  dans  la  cavité  de  la  carie,  préalable- 
ment préparée,  comme  nous  l'avons  dit  plus  haut,  pour  l'obturation  en  général, 
les  divers  amalgames  à  l'état  mou,  en  les  foulant  doucement  dans  tous  les  sens, 
afin  de  les  établir  en  contact  immédiat  avec  les  parois. 

Quant  aux  spatules,  leur  conformation  est  extrêmement  simple;  elles  doivent 
être  minces,  flexibles  et  susceptibles  d'être  facilement  recourbées  de  façon  que 
l'on  puisse  atteindre  les  différents  sièges  des  caries  et  pénétrer,  s'il  est  besoin, 
dans  les  interstices  dentaires  où  se  rencontrent  fréquemment  les  cavités. 

Les  spatules  servent  au  même  titre  que  les  fouloirs  pour  l'aménagement  de 
la  matière  obturatrice,  mais  leur  principal  rôle  est  d'égaliser  la  surface  et  de  la 
ramener  au  niveau  des  bords  de  la  cavité,  de  donner  enfin  à  l'obturation  la 


DENT  (médecine  opératoire).  541 

forme  et  la  disposition  extérieure  les  plus  conformes  à  chaque  cas  particulier. 
Il  est  bon  d'avoir  à  sa  disposition  une  spatule  terminée  d'un  côté  par  une 
petite  cuillère  dont  on  se  sert  pour  porter  l'amalgame  dans  les  cavités  qui 
siègent  sur  les  dernières  molaires,  là  où  les  doigts  n'arriveraient  que  diffici- 
lement. 


Fig.  S-2.  —  Divers  moilèlcs  de  fouloirs  pour  les  amalgames  (modèle  While). 


Il  est  maintenant  bien  facile  de  comprendre  comment  on  pratique  les  obtu- 
rations au  moyen  des  amalgames  :  on  met  dans  un  petit  mortier  de  verre,  de 
porcelaine  ou  de  marbre,  la  quantité  nécessaire  de  limaille,  et  on  y  ajoute  du 
mercure  en  quantité  suffisante,  ce  que  l'on  apprécie  très-facilement  avec  un  peu 
d'habitude.  L'exactitude  de  la  proportion  n'a  d'ailleurs  pas  grande  importance, 
car  on  peut  toujours  ajouter  du  mercure,  si  l'on  trouve  la  pâte  trop  sèche,  ou 
supprimer  celui  qui  serait  en  excès,  par  une  simple  pression,  si  elle  éiait  trop 
molle.  On  triture  ensemble  les  deux  substances  jusqu'à  ce  qu'elles  s'unissent  en 
une  masse  bien  homogène,  puis  l'on  verse  dans  le  mortier  une  petite  quantité 
d'éther  sulfurique  i)our  laver  la  pâte  et  la  débarrasser  complètement  de  toutes 
les  matières  grasses  qu'elle  pourrait  contenir.  Après  avoir  trituré  pendant 
quelques  instants  le  mélange  au  milieu  de  l'éther,  on  rejette  celui-ci,  et  on 
recueille  l'amalgame  sur  une  peau  de  chamois,  sur  un  petit  linge  ou  simple- 
ment entre  les  doigts,  on  l'exprime  modérément  de  façon  à  chasser  l'excès  du 
mercure  et,  si  l'amalgame  a  été  bien  fait,  on  obtient  une  petite  masse  bien 
homogène,  brillante,  plutôt  cassante  que  pâteuse  et  se  modelant  si  facilement 
qu'elle  conserve  l'empreinte  très-exacte  du  linge  ou  des  doigts  qui  l'ont  com- 
primée. 

La  cavité  de  la  carie  ayant  été  préalablement  préparée,  on  en  dessèche  les 
parois  avec  soin,  puis  on  y  introduit  l'amalgame  avec  les  doigts  ou  la  spatule  en 
cuillère;  on  foule  bien  exactement  avec  l'un  des  instruments  appropriés  ou  avec 
la  spatule  et  on  termine  en  égalisant  la  surface  de  l'obturation. 

Quelques  heures  après,  l'amalgame  devient  complètement  solide  et  dur;  alors 
on  peut,  si  on  le  juge  nécessaire,  en  polir  la  surface,  mais  nous  croyons  cette 
précaution  absolument  inutile  et  superflue.  11  est  très-important,  lorsque  l'opé- 
ration est  terminée,  de  bien  s'assurer  qu'il  n'y  a  pas  un  excès  de  matière  ;  que, 
s'il  s'agit  d'une  carie  située  sur  une  des  faces  contiguës  des  dents,  l'interstice 
n'est  pas  comblé,  et  qu'enfin  aucune  parcelle  libre  ou  attenant  à  l'obturation 
ne  s'est  insinuée  sous  la  gencive,  où  elle  pourrait  provoquer  des  phénomènes 
inflammatoires  de  la  muqueuse  ou  divers  accidents  du  côté  des  alvéoles. 


342  DEiS'T  (médecine  opératoire). 

C.  Obturation  par  les  pâtes  ou  ciments  minéraux.  Il  existe  un  certain 
nombre  de  cas  dans  lesquels  l'aurification  ou  l'obturation  au  moyen  des  amal- 
games ne  pourraient  être  laites  sans  inconve'nients  :  telles  sont  ces  caries  des 
dents  antérieures  à  cavités  déjà  profondes  et  à  parois  extrêmement  fragiles  ;  la 
pression  nécessaire  pour  pratiquer  l'aurification,  les  cbangements  de  volume 
que  subissent  les  amalgames  aux  variations  de  température,  risqueraient  de 
briser  les  parois  de  la  cavité,  sans  oublier  que  la  couleur  de  ces  obturations 
forme  avec  celle  des  tissus  dentaires  un  contraste  désagréable  et  que  l'on  doit 
éviter  autant  que  possible.  On  a  cherché  pour  ces  circonstances  une  substance 
dont  la  coloration  se  rapprochât  de  celle  des  dents  et  qui,  réduite  en  pâte  molle, 
pût  se  solidifier  sur  place  sans  éprouver  de  modification  sensible  de  couleur  ou 
de  volume. 

Le  premier  essai  de  ce  genre  est  dû  à  un  ingénieur  français,  M.  Sorel 
{Comptes  rendus  de  l' Académie  des  sciences,  1855,  t.  XLI,  p.  784),  qui  décou- 
vrit la  combinaison  qui  s'effectue  entre  l'oxyde  de  zinc  et  le  chlorure  du  même 
métal  (oxycblorure).  La  pâte  produite  par  le  mélange  de  ces  deux  corps  en 
proportion  convenable  est  d'une  grande  dureté;  mais  ce  résultat  complet  à  l'air 
libre  n'est  pas  aussi  satisfaisant  dans  la  bouche  où  la  salive  lui  fait  subir  une 
destruction  assez  rapide. 

Des  recherches  furent  entreprises  dans  différentes  directions,  pour  perfec- 
tionner ce  mélange.  C'est  ainsi  qu'on  a  songé  à  ajouter  à  l'oxyde  de  zinc  de  la 
silice  ou  du  verre  pilé  en  poudre  impalpable  (voy.  Répertoire  de  pharmacie 
de  Bouchardat,  1859-1 8G0,  p.  65).  On  a  aussi  additionné  le  chlorure  de  zinc 
de  borax  afin  de  retarder  le  durcissement  de  la  pâte  et  de  faciliter  aussi  son 
emploi. 

M.  Reene  {Transactions  of  odontological  Society  ofLondon,  vol.  II)  a  proposé 
le  mélange  suivant  : 

Oxyde  de  zinc 8 

Oiyde  de  cadmium i l 

Silice  pulvérisée  et  tamisée 1 

Faites  avec  l'acide  chlorhydrique  une  pâte  molle. 

Toutes  ces  modifications  n'ont  pas  apporté  d'améliorations  sensibles. 

Dans  une  série  d'essais  que  nous  avons  entrepris  personnellement,  nous 
avons  constaté  que  l'oxyde  de  zinc  sublimé  ou  précipité  donne  des  résultats 
moins  favorables  que  l'oxyde  calciné  en  vase  clos,  ce  qui  augmente  sa  densité. 
Mais  c'est  certainement  un  chimiste  américain,  M.  Rostaing,  qui  a  réalisé  dans 
la  préparation  de  ces  mélanges  le  progrès  le  plus  sensible. 

Unissant  l'oxyde  de  zinc  à  divers  autres  oxydes  de  métaux  de  la  même  classe, 
tels  que  l'oxyde  de  chrome,  il  arriva'à  obtenir  la  vitrification  de  leurs  mélanges. 
La  masse  vitrifiée  est  ensuite  traitée  par  une  dissolution  aqueuse  toujours 
saturée  de  chlorure  de  zinc. 

Ce  procédé  est  de  beaucoup  celui  qui  donne  les  meilleurs  résultats.  Dans  une 
série  d'expériences  comparatives  sur  la  résistance  et  l'inaltérabilité  de  certaines 
matières  obturatrices  du  même  genre,  la  Société  odontologique  de  Londres 
constata  que  le  mélange  de  M.  Rostaing  est  préférable  à  tous  les  autres  {Trans- 
actions of  odontological  Society  of  Great  Britain,  vol.  lY,  p.  229  et  suiv.). 

Cette  composition,  maniée  avec  les  précautions  et  l'habileté  convenables,  est 
en  effet  presque  inaltérable  dans  la  bouche,  si  l'on  a  pris  soin  d'éviter,  pendant 
les  premières  minutes  qui  suivent  l'application,  le  contact  de  la  salive.  G.  Tomes 


DE.XT  (médecine  opératoire).  3^3 

{British  Journal  of  odental  Science,  vol.  XIII,  p.  552)  a  cependant  observé 
qu'elle  s'altère  et  se  désagrège  rapidement  lorsqu'elle  touche  en  quelque 
point  la  gencive,  fait  qu'il  attribue  à  la  décomposition  de  l'oxychlorure  sous 
l'influence  de  l'action  des  acides  ou  des  alcalis,  qui  sont  toujours  retenus  en 
ces  points  en  rapport  avec  l'obturation. 

Quoi  qu'il  en  soit,  la  composition  de  M.  Rostaing  a  été  longtemps  préfé- 
rée à  toute  autre  pour  l'obturation  des  cavités  qui  ne  peuvent  être  comblées  par 
raurification  ou  par  les  amalgames. 

A  la  suite  des  préparations  qui  précèdent,  nous  devons  mentionner  un  certain 
nombre  de  tentatives  faites  dans  une  autre  direction.  On  sait  que  le  silicate  de 
potasse  est  susceptible  de  former  avec  les  sels  de  chaux  un  silicate  double  qui 
présente  une  certaine  dureté.  Si  l'on  fait  le  mélange  de  chaux  avec  du  silicate 
à  l'état  pâteux  tel  que  les  boues  de  silicate  que  l'on  trouve  dans  l'industrie, 
avec  le  plâtre  fin,  le  produit  obtenu  est  encore  beaucoup  plus  dur;  malheureu- 
sement il  ne  résiste  que  très-imparfailement  à  l'action  de  l'eau  et  de  la  salive, 
et  c'est  en  vain  que  nous  avons  essayé  d'augmenter  sa  résistance  en  l'additionnant 
de  silice  ou  de  verre  porpbyrisé. 

Peut-être  arrivera-t-on  par  de  nouvelles  rechei'ches  à  perfectionner  ces  pâtes 
au  silicate,  mais  actuellement  elles  doivent  être  rejetées,  et  les  ciments  à 
l'oxychlorure  seraient  restés  les  seuls  produits  de  cette  classe  qui  puissent  être 
utilement  employés,  si  l'on  n'avait  dans  ces  derniers  temps  utilisé  une  autre 
combinaison  dont  la  formule,  bien  que  restée  secrète,  nous  paraît  consister  es- 
sentiellement en  un  mélange  d'acide  pyrophosphorique  et  de  chlorure  de  zinc 
unis  à  l'oxyde  de  zinc  comme  dans  les  ciments  précédents.  Il  se  produit 
dans  ce  cas  un  oxychloro-pyrophosphate  de  zinc  dont  les  qualités  de  résistance 
sont  déjà  infiniment  supérieures  à  celles  de  l'oxychlorure  de  zinc  seul.  Les 
diverses  substances  livrées  par  le  commerce  aux  praticiens  échappent,  il  faut 
le  dire,  à  une  analyse  scrupuleuse,  de  sorte  que  nous  ne  pouvons  qu'en  soup- 
çonner la  composition  sans  en  fournir  la  formule  précise. 

Quoi  qu'il  en  soit,  ce  dernier  mélange  donne  d'excellents  résultats  et  doit  être 
absolument  prétéré  aux  précédents.  Il  s'adresse  d'ailleurs  aux  cas  analogues  et 
possède  en  particulier  cet  avantage  d'être  maniable  même  sous  l'eau  ou  dans  la 
salive  sans  danger  de  désagrégation.  Il  est  aussi,  de  même  que  les  sels  de 
zinc,  susceptible  d'être  coloré  de  diverses  teintes  suivant  la  couleur  même  des 
dents. 

Procédé  opératoire.     Le  mode  d'emploi  des  ciments  est  des  plus  simples. 

La  poudre  d'oxyde  est  pétrie  au  moyen  d'une  petite  spatule,  sur  une  plaque 
de  verre  dépoli,  avec  une  quantité  suffisante  de  la  solution;  les  deux  substances 
doivent  être  unies  dans  une  proportion  telle,  que  l'on  obtienne  une  pâte  à 
consistance  de  mastic. 

11  est  bon  de  n'employer  pour  ce  maniement  que  des  spatules  en  platine  :  le 
fer  ou  l'acier  se  rouillent  très-rapidement  au  contact  de  ces  substances. 

La  cavité  de  la  carie  ayant  été  préalablement  nettoyée  et  séchée  avec  le  plus 
grand  soin,  on  y  introduit  la  pâte  au  moyen  de  la  spatule.  On  laisse  déborder 
de  la  cavité  un  excès  de  la  substance,  puis  on  applique  sur  elle  et  sur  les  dents 
voisines  un  linge  fin  que  l'on  soutient  avec  les  doigts  de  façon  à  éviter  le  contact 
de  la  salive. 

Après  une  ou  deux  minutes,  le  durcissement  est  acquis  et  il  ne  reste  pour 
terminer  qu'à  enlever  par  le  grattage  l'excédant  de  la  substance. 


544  DENT  (médecine  opératoire). 

Le  durcissement  des  pâtes  d'oxycholrure  ou  de  pyrophosphate  est  suffisant 
au  bout  de  quelques  minutes,  mais  il  augmente  encore  un  peu  pendant  les 
vingt-quatre  heures  qui  suivent.  On  peut  le  rendre  beaucoup  plus  rapide  en 
promenant  sur  la  surface  de  l'obturation  un  instrument  préalablement  chauffé, 
comme  une  spatule.  Enfin  quelques  praticiens  ont  encore  l'habitude  de  recouvrir 
cette  irurface  d'une  dissolution  de  gutta-percha  dans  le  chloroforme  ou  d'une 
petite  couche  de  collodion,  de  façon  à  l'isoler  complètement  pendant  quelques 
heures  et  la  préserver  ainsi  du  contact  de  la  salive. 

D.  Obturation  avec  les  substances  de  nature  organique.  Il  est  des  circon- 
stances où  aucun  des  trois  modes  d'obturation  que  nous  venons  d'indiquer  ne 
saurait  convenir.  On  a  recours  alors  à  des  substances  de  nature  organique 
qui,  en  général,  sont  de  mauvais  conducteurs  de  la  chaleur,  très-faciles  à  appli- 
quer, sans  grande  préparation  préalable,  et  faciles  à  enlever  aussi  en  cas  d'ac- 
cident. 

Ce  genre  d'obturation  forme  l'intermédiaire  entre  l'obturation  provisoire  qui 
figure  à  titre  d'épreuve  dans  le  traitement  de  la  carie  et  l'obturation  définitive. 

On  emploie  dans  ce  cas  la  gutta-percha,  soit  pure,  soit  mélangée  avec  de  la 
silice  ou  du  verre  porphyrisé.  On  trouve  dans  le  commerce  plusieurs  mélanges 
de  ce  genre  :  le  meilleur  est  celui  qui  esl  connu  sous  le  nom  de  yâte  de  Hill. 
Bien  que  nous  regrettions  de  ne  pouvoir  en  donner  exactement  la  formule,  nous 
le  croyons  composé  de  gutla-percha,  blanchie  par  le  chlore  et  mélangée  à  la 
silice. 

On  a  proposé  dans  le  même  but  des  composés  divers  de  matières  résineuses, 
mais  ces  substances,  bien  que  susceptibles  de  décoloration  par  le  chlore,  n'ont 
ni  la  dureté,  ni  l'aspect  blanc  de  la  pâte  de  Hill  à  laquelle  nous  donnons 
absolument  la  préférence  sur  toutes  les  autres. 

Voici  comment  on  l'emploie  :  la  cavité  étant  préparée  et  séchée,  on  installe 
au  bout  d'une  sonde  ou  d'une  rugine  une  petite  boulette  de  la  composition, 
de  volume  suffisant;  on  peut  aussi  la  passer  dans  la  flamme  d'une  lampe  à 
alcool  de  façon  à  la  ramollir  et  en  évitant  toutefois  qu'elle  brûle,  ce  qui  la 
rendrait  soluble  dans  les  liquides  de  la  bouche.  On  reconnaît  que  la  substance 
est  convenablement  chauffée  lorsqu'elle  devient  gluante  à  la  surface.  A  ce 
moment,  on  la  porte  dans  la  cavité  et  on  l'y  installe  au  moyen  de  spatules  ou 
de  fouloirs  appropriés;  le  durcissement  se  fait  rapidement  à  mesure  que  la 
température  s'abaisse,  et  il  ne  reste  pour  terminer  qu'à  enlever  l'excès  de 
matière  et  à  régulariser  la  surface  au  moyen  d'une  spatule  préalablement 
chauffée. 

Quelques  praticiens,  pour  assurer  plus  complètement  l'adhérence  de  la  masse 
obturatrice  aux  parois  de  la  cavité,  ont  l'habitude  d'humecter  celle-ci,  avant 
l'introduction  de  la  pâte  de  Hill,  avec  un  petit  tampon  de  ouate  imbibé  de  chlo- 
roforme. Le  chloroforme  dissout  en  effet,  comme  on  sait,  la  gutta-percha  et  par 
suite  la  pâle  de  Hill,  et  cette  petite  précaution  est  très-utile.  On  peut  aussi, 
et  pour  la  même  raison,  en  terminant  l'obturation,  promener  sur  sa  surface  un 
petit  tampon  semblable  ;  l'obturation  se  polit  mieux  ainsi  et  présente  une  sur- 
face plus  régulière. 

Accidents  de  l'obturation.  On  peut  diviser  les  accidents  de  l'obturation  en 
immédiats  ou  consécutifs. 

Les  accidents  immédiats  les  plus  ordinaires  sont  :  la  saillie  trop  grande  de 
l'obturation,   les  lésions  par  contact  de    la  gencive  ou  du  périoste  dentaire, 


DENT  (médecine  opératoire).  545 

a  production  de  phénomènes  galvaniques  et  la  sensibilité  exagérée  de  l'organe 
aux  transitions  de  température. 

La  saillie  trop  grande  de  la  matière  obturatrice  a  pour  inconvénient,  soit 
d'empêcher  la  rencontre  normale  des  arcades  dentaires  lorsque  l'opération  a 
été  pratiquée  sur  les  faces  triturantes,  soit  de  s'opposer  au  rapprochement  de 
deux  dents  contiguës,  si  l'obturation  siège  sur  la  face  latérale  de  l'une  d'elles 
et  si  elle  a  été  appliquée  après  un  écartement  artificiel  préalable. 

Dans  le  premier  cas,  si  la  matière  obturatrice  est  une  pâte  métallique  ou 
minérale,  elle  pourra  être  déplacée  ou  brisée  avant  son  complet  durcissement 
par  le  choc  de  la  dent  opposée;  s'il  s'agit  d'une  :iurification,  la  ])etite  masse 
d'or  pourra  dans  certains  cas  être  comprimée  utilement  par  la  rencontre  des 
mâchoires  et  devenir  ainsi  de  plus  en  plus  dure  et  compacte.  Quelquefois  cepen- 
dant il  se  produit  une  gène  suffisante  pour  nécessiter  l'ablation  partielle  de 
l'obturation.  On  procède  alors  à  l'usure  du  point  saillant  au  moyen  de  rugines 
ou  de  petites  limes  ;  on  agirait  de  la  même  manière  pour  les  caries  interstitielles. 
Cet  accident  est  en  tous  cas  sans  aucune  gravité,  et  il  est  toujours  facile  d'y 
remédier. 

Les  lésions  par  contact  de  la  gencive  ou  du  périoste  dentaire  se  produisent 
ordinairement  à  la  suite  de  l'obturation  des  caries  des  interstices,  lesquelles 
siègent  au  voisinage  du  collet,  il  se  produit  ainsi  une  irritation,  soit  par  la 
saillie  de  la  matière  obturatrice,  soit  par  quelques  fragments  isolés  qui,  par  leur 
contact  avec  la  gencive  ou  le  périoste,  provoquent  des  accidents  inflammatoires 
de  ces  parties. 

On  évitera  facilement  ces  petites  complications  en  apportant  dans  l'application 
des  substances  obturatrices  toutes  les  précautions  que  nous  avons  recommandées. 
Si  elles  se  produisaient  dans  les  jours  consécutifs,  on  y  remédierait  aisément  en 
recherchant  pour  les  enlever  les  fragments  en  question  ou  en  passant  un  trait 
de  lime  dans  l'interstice  jusqu'à  la  gencive,  de  manière  à  maintenir  une  fente 
qui  permette  les  lavages  et  le  passage  du  cure-dents.  Souvent  des  gingivites  ou 
des  périostites  locales  n'ont  pas  d'autre  cause;  il  suffit  de  signaler  le  fait  pour 
en  indiquer  le  remède. 

Les  phénomènes  galvaniques  sont  exclusifs  aux  obturations  avec  les  pâtes 
métalliques;  on  ne  les  observe  ni  avec  l'aurification,  ni  avec  les  autres  mélanges 
minéraux  ou  organiques.  Ils  ont  été  signalés  pour  la  première  fois  par  Duval  et 
se  produisent  de  la  manière  suivante  :  lorsqu'au  moyen  d'une  spatule  ou  d'un 
fouloir  d'acier  on  applique  un  amalgame  d'argent  et  d'étain,  par  exemple,  dans 
une  carie  de  la  seconde  période,  c'est-à-dire  avec  conservation  intégrale  de  la 
pulpe,  on  remarque  que  le  contact  de  l'instrument  avec  la  substance,  s'il  y  a 
interposition  d'un  peu  de  salive,  donne  lieu  subitement  à  une  douleur  vive  et 
fugace.  Si  on  répète  la  même  manœuvre  avec  un  instrument  d'ivoire,  ou  même 
avec  un  instrument  d'acier  après  ablation  complète  de  la  salive,  le  phénomène 
ne  se  produit  plus.  C'est  qu'en  effet,  dans  le  premier  cas,  la  rencontre  de  l'acier 
de  la  salive  et  de  la  pâte  métallique  constitue  un  petit  élément  de  Volta  dont 
la  pulpe  perçoit  le  courant.  Que  l'on  vienne  à  supprimer  l'une  des  trois  parties 
dont  la  réunion  est  nécessaire  pour  donner  naissance  au  courant,  le  phénomène 
n'a  pas  lieu,  c'est  ce  qui  arrive  dans  la  seconde  expérience  lorsqu'on  remplace 
la  spatule  d'acier  par  une  d'ivoire  ou  lorsqu'on  empêche  complètement  la  présence 
de  la  salive. 

Ce  petit  phénomène,  que  nous  devions  signaler  à  cause  de  sa  fréquence,  n'a 


546  DENT  (mkdecine  opératoire). 

d'ailleurs  aucun  inconvénient  ;  il  ne  se  produit  que  pendant  l'opéralion  elle-même 
et  il  démontre  la  persistance  de  la  pulpe  dentaire  qui  perçoit  l'impression 
galvanique  à  travers  l'obturation  et  la  couche  d'ivoire  qui  l'en  sépare. 

La  sensibilité  plus  ou  moins  grande  qu'éprouve  une  dent  obturée  métallique- 
ment  aux  impressions  de  températures  extrêmes  est  un  accident  qui  peut,  dans 
certains  cas,  avoir  plus  d'importance. 

Il  arrive  souvent  en  effet  qu'une  carie  de  la  seconde  période  avec  conserva- 
tion de  la  pulpe  qui,  avant  l'obturation,  supportait  sans  en  être  impressionnée 
le  passage  d'un  liquide  froid  ou  chaud  projeté  dans  sa  cavité,  donne  lieu  au 
contraire  à  des  sensations  très-pénibles  lorsqu'elle  est  soumise  à  la  même 
influence  dès  que  l'application  métallique  est  achevée. 

Ce  phénomène  s'exp]i(|ue  parfaitement  par  la  présence  même  de  l'obturation, 
qui  par  sa  nature  métallique  favorise  essentiellement  la  transmission  des  tempé- 
ratures alors  que  les  détritus  et  matières  diverses  que  contenait  la  cavité,  étant 
moins  conductrices,  ne  permettaient  que  peu  ou  pas  cette  impression. 

Si  cet  accident  essentiellement  immédiat  est  faible,  si  la  sensation  produite 
par  les  liquides  chauds  ou  froids  ou  même  par  le  passage  de  l'air  inspiré  est 
encore  supportable,  ou  pourra  passer  outre  en  ayant  soin  toutefois  de  prévenir 
le  sujet  de  la  nature  du  phénomène  et  de  son  peu  d'importance  :  il  cesse  en 
effet  ordinairement  après  un  temps  très-court  par  suite  de  la  réparation  molé- 
culaire de  l'ivoire  dans  la  couche  interposée  entre  la  pulpe  et  la  masse  métal- 
lique. 

Quelquefois  cependant  la  douleur  devient  assez  vive  pour  être  une  cause  de 
gêne  permanente;  il  suffit  alors  d'enlever  l'obturation  et  de  faire  au  fond  de  la 
carie  une  série  d'applications  astringentes  dans  le  but  de  provoquer  la  réparation 
de  la  couche  d'ivoire  ;  on  peut  ensuite  et  dans  ces  nouvelles  conditions  pratiquer 
une  nouvelle  obturation  sans  crainte  de  voir  reparaître  les  accidents. 

Dans  certains  cas  enfin,  beaucoup  plus  rares,  il  est  vrai,  la  pulpe  incessam- 
ment impressionnée  de  la  sorte  finit  par  s'enflammer  au-dessous  de  sa  double 
protection  d'ivoire  et  de  métal,  et  on  constate  alors  tous  les  phénomènes  de  la 
pulpite,  tels  que  nous  les  avons  décrits. 

L'ouverture  de  la  cavité  de  la  pulpe  })ar  le  fond  même  de  la  carie  ou  par  la 
trépanation  directe  devient  dès  lors  indispensable;  mais  on  transforme  parce 
fait  une  carie  de  la  deuxième  période  en  carie  de  la  troisième,  et,  si  l'on  n'a 
plus  à  craindre  ultérieurement  aucun  accident  du  même  ordre,  il  est  certain 
que  la  dent  reste  dans  des  conditions  de  vitalité  inférieure.  Ici  d'ailleurs  on  se 
trouve  en  présence  d'un  accident  qui  ne  peut  plus  être  considéré  comme 
immédiat,  et  nous  aurons  à  y  revenir  en  parlant  des  accidents  consécutifs. 

Accidents  consécutifs.  L'obturation,  considérée  communément  comme  une 
petite  opération  vulgaire  et  sans  conséquences  fâcheuses,  peut  être  suivie  dans 
certaines  circonstances  d'accidents  qui  peuvent  entraîner  des  désordres  graves 
de  la  bouche  et  des  parties  voisines  et  même  la  mort. 

Les  deux  principales  lésions  qui  par  leur  développement  et  leurs  complications 
peuvent  amener  ces  conséquences  graves  sont  :  l'inflammation  de  la  pulpe  den- 
taire ou  pulpite  et  l'inflammation  du  périoste  alvéolo-denlaire  ou  pe'riostite. 

L'inflammation  de  la  pulpe  peut  survenir  dans  deux  conditions  :  dans  le 
premier  cas  déjà  mentionné  tout  à  l'heure,  l'obturation  ayant  été  faite  dans  une 
carie  non  pénétrante,  l'organe  central  impressionné  par  transmission  à  travers  la 
matière  obturatrice  s'enflamme  plus  ou  moins  vivement;  dans  le  second  cas,  la 


DENT   (médecine  opératoire).  347 

•dénuilalion  de  l'organe  ayant  été  méconnue,  l'inflammation  résulte  du  contact 
direct  de  la  matière  obturatrice. 

Quelle  qu'en  soit  la  cause,  cet  accident  se  manifeste  quelques  heures  ou 
quelque-;  jours  après  l'obturation;  la  dent  devient  le  siège  de  douleurs,  d'abord 
provoquées  par  les  transitions  de  température,  puis  spontanées,  continues  et 
sans  cause  provocatrice.  Cet  état,  qui  devient  bientôt  absolument  intolérable,  se 
distingue  facilement  de  la  périoslite,  en  ce  qu'il  ne  s'accompagne  ni  d'ébran- 
lement de  la  dent,  ni  de  douleurs  à  la  pression,  ni  d'inflammation  de  la  gen- 
cive, ni  de  phlegmon  delà  joue  ou  de  la  face.  Abandonnée  à  elle-même,  l'inilam- 
mationde  la  pulpe  aboutit  le  plus  souvent  à  la  mortification  de  l'organe,  dont  le 
signe  pathognomonique  est  la  coloration  gris  foncé  ou  noirâtre  de  la  couronne. 

La  thérapeutique  de  cet  accident  consiste  dans  l'ablation  de  la  matière  obtu- 
ratrice et  dans  l'application  de  pansements  appropriés.  Quelquefois  même  on 
est  obligé,  par  suite  de  l'intensité  de  la  persistance  de  la  douleur,  de  débrider 
l'organe  étranglé  dans  son  enveloppe  inextensible;  il  faut  alors  trépaner  le  fond 
même  de  la  cavité  pour  mettre  à  nu  la  pulpe  et  procéder  ensuite  à  sa  destruction. 

Lorsque  toutefois  l'ablation  de  l'obturation  est  difficile  ou  impossible,  en" raison 
de  son  siège  ou  de  sa  résistance,  on  peut  arriver  au  même  résultat  par  la  trépa- 
nation directe  de  la  cavité  de  la  pulpe,  au  lieu  d'élection,  c'est-à-dire  au  collet. 

Aussitôt  que  le  débridement  est  opéré,  les  accidents  cessent.  On  entreprend 
alors  le  traitement  approprié  au  cas  particulier,  et  soit  qu'on  arrive  à  pratiquer 
une  nouvelle  obturation,  soit  qu'on  laisse  le  canal  de  perforation  à  titre  de 
drainage,  la  guérison  définitive  peut  être  réalisée  et  maintenue. 

La  périostite  alvéolo-dentaire  consécutive  à  l'obturation  est  la  complication  la 
plus  sérieuse.  Elle  peut  succéder  à  l'inflammation  de  la,  pulpe,  ou  se  produire 
d'emblée  après  l'obturation,  et  cela  de  la  manière  suivante  :  Lorsque  l'obturation 
d'une  carie  pénétrante,  compliquée  de  suppuration  de  la  pulpe  ou  du  périoste, 
a  été  pratiquée  sans  examen  ou  sans  traitement  préalable,  elle  détermine  aussitôt 
la  rétention  du  liquide  purulent. 

Les  accidents  inflammatoires  apparaissent  alors  après  un  temps  plus  ou  moins 
long,  ordinairement  quelques  jours,  et  avec  une  intensité  en  rapport  avec  l'abon- 
dance de  la  sécrétion.  Tous  les  accidents  de  la  périostite  aiguë  se  manifestent 
bientôt  :  le  phlegmon  de  la  gencive  ou  de  la  joue  dans  ces  circonstances  ne  se 
termine  que  bien  rarement  par  résolution  ;  la  suppuration  s'établit,  et  une  fistule 
s'ouvre  à  la  gencive  ;  ou  bien  le  pus  contenu  un  certain  temps  au  sommet  de  la 
racine  ou  au  sein  même  du  maxillaire  y  provoque  l'ostéite  et  la  nécrose,  puis 
des  fusées  purulentes  en  divers  sens  et  la  mortification  consécutive  d'une  étendue 
plus  ou  moins  grande  de  tissu  osseux. 

Dans  des  circonstances  plus  graves  encore,  c'est  un  point  de  la  face  ou  du  cou, 
suivant  la  dent  affectée,  qui  devient  le  siège  du  phlegmon;  il  peut  s'ensuivre  des 
décollements  plus  ou  moins  étendus,  et  des  complications  locales  ou  générales 
parfois  si  graves  que  les  malades  succombent. 

Nous  ne  pouvons  insister  ici  sur  ces  deux  complications  les  plus  redoutables 
de  l'obturation,  la  pî</piïe et  Xd. périostite,  cç.  serait  reproduire  la  description  que 
nous  avons  faite  plus  haut  de  ces  deux  maladies.  Qu'il  nous  suffise  de  rappeler 
seulement  que  c'est  dans  ces  deux  lésions  et  surtout  dans  la  seconde  que  réside  le 
vrai  danger  et  les  graves  conséquences  possibles  d'une  obturation.  Que  cette 
opération  soit  pratiquée  dans  les  conditions  de  thérapeutique  rationnelle  et  avec 
les  précautions  préalables,  elle  donne  les  meilleurs  résultats  ;  qu'elle  soit  appli- 


348  DEM   (médecine  opératoire). 

quée  empiriquement  et  sans  examen,  sans  diagnostic,  sur  une  carie  complique'e 
antérieurement  de  périostite  légère,  elle  peut  être  suivie  des  accidents  les  plus 
graves  et  même  de  la  mort. 

Ces  cas  sont  plus  nombreux  qu'on  ne  saurait  croire,  et  nous  renverrons 
pour  le  mécanisme  de  leur  production  à  nos  considérations  sur  la  pathogénie,  la 
marche  et  les  terminaisons  de  la  périostite  proprement  dite  {voy.  plus  haut  la 
Périostite  alvéolo-dentaire). 

V.  ExTRACTio:v  DES  DENTS.  Histovique.  L'opération  connue  sous  le  nom 
d'fi^fraci/on -ou  d'ai'»/sion  est  celle  qui  consiste  à  enlever  une  dent  à  ses  con- 
nexions normales.  Cette  opération  a  été  connue  de  tout  temps  ;  les  auteurs  les 
plus  anciens  en  font  mention,  mais  ils  regardaient  cette  opération  comme  fort 
sérieuse  et  hésitaient  singulièrement  à  l'entreprendre. 

L'instrument  suspendu  dans  le  temple  d'Apollon  à  Delphes  et  destiné  à  prati- 
quer l'avulsion  était  en  plomb,  d'oiî  la  règle  ainsi  caractéiisée  emblématique- 
ment,  qu'on  ne  devait  l'appliquer  qu'aux  dents  ébranlées,  sans  doute  aux  dents 
des  vieillards  (Cœlius  Aurelianus,  in  lib.  H  Morh.  chronic,  cap.  iv,  De  dolore 
dentunn).  Les  Hébreux  attachaient  tant  de  prix  à  la  possession  de  leurs  dents, 
que  celui  qui,  par  quelques  sévices,  en  détruisait  une  à  son  prochain,  encou- 
rait la  peine  du  talion  (Fournier,  art.  Dent  du  Dictionn.  des  sciences  méd., 
t.  Vlll,  p.  372.  Paris,  1814). 

A  une  époque  plus  rapprochée,  il  était  défendu  aux  musulmans  de  se  faire  ôter 
une  dent  sans  la  permission  du  souverain  (Fournier,  art.  Dent  du  Dict.  des 
sciences  méd.,  t.  Vlll,  p.  572.  Paris,  1814). 

Si  l'on  en  croit  Duval,  si  compétent  en  matière  historique,  Hippocrate  con- 
seillait et  pratiquait  l'extraction  des  dents  vacillantes  et  même  des  dents  cariées, 
et  les  instruments  dont  il  se  servait  étaient  de  véritables  pinces  (Duval,  Recher- 
ches historiq.  sur  Fart  du  dentiste  chez  les  anciens,  1808,  p.  8). 

Celî-e,  tout  en  proscrivant  l'extraction,  et  indiquant  une  série  de  formules 
destinées  à  calmer  les  douleurs  de  la  carie,  conseille,  si  l'on  est  contraint  d'y 
recourir,  des  précautions  préliminaires  consistant  dans  l'ébranlement  progressif 
de  la  dent  avant  d'en  opérer  l'ablation.  C'est  aussi  Celse  qui,  suivant  Duval,  con- 
seilla le  premier  l'obturation  des  dents  avant  d'en  pratiquer  l'extraction  et  dans 
le  but  de  favoriser  l'opération  (Duval,  loco  citato,  p.  18). 

D'après  Cicéron,  l'extraction  des  dents  aurait  été  inventée  par  Esculape,  troi- 
&ième  du  nom  (Cicéron,  De  natura  Deorum,  lib.  III,  n'^  22). 

A  partir  des  temps  anciens  jusqu'à  la  Renaissance  on  ne  trouve  mentionné 
dans  les  auteurs  aucun  moyen  nouveau  propre  à  cette  opération.  C'est  Ambroise 
Paré  qui,  le  premier,  a  fait  connaître  un  instrument  qui  paraît  être  de  son 
invention  et  qu'il  nomma  le  pélican. 

Le  pélican  est  l'instrument  qui  avec  la  pince  servit  jusqu'à  la  fin  du  dix- 
huitième  siècle  à  l'extraction  des  dents. 

C'est  frère  Côme  qui  a  inventé  la  clef.  Garengeot,  avant  la  découverte  de  la  clef 
qui  porte  son  nom,  perfectionna  d'abord  assez  ingénieusement  le  pélican  d'Am- 
broise  Paré  (Garengeot,  Traité  des  instruments  de  chirurgie,  1. 11,  p.  54, 1727); 
mais  il  y  renonça  bientôt  et  vers  1740  il  employa  et  préconisa  la  clef,  qui  réalisa 
un  progrès  considérable  dans  cette  pratique  opératoire. 

Depuis  Garengeot,  la  ciel  a  subi  une  série  de  modifications  qui  n'en  ont  pas 
altéré  le  principe.  Ces  modifications  sont  innombrables,  et  tous  les  chirurgiens- 


DENT   (médecine  opératoire).  540 

depuis  les  contemporains  deGarengeot,  les  frères  Côme,  entre  autres,  jusqu'à  nos 
iours,  se  sont  évertués  à  améliorer  quelquefois  et  souvent  à  compliquer  l'in- 
strument primitif. 

Enfin  depuis  une  vingtaine  d'années  cet  instrument  est  lui-même  à  peu  près 
abandonné,  et  c'est  aux  daviers  ou  forceps  que  l'on  a  presque  exclusivement  re- 
cours. Les  daviers  n'ont  rien  de  commun  avec  les  pinces  qui  servirent  de  tous 
temps  à  l'extraction  ;  ces  pinces  en  effet  ne  variaient  tout  au  plus  que  dans 
leurs  dimensions  générales,  mais  nullement  dans  la  forme  de  leur  extrémité  es- 
sentielle ou  mon.  C'est  sur  cette  dernière  partie  qu'ont  porté  les  modifications 
radicales  qui  ont  amené  à  la  constitution  des  daviers  actuels. 

Si  après  avoir  donné  ce  court  aperçu  historique  de  l'arsenal  chirurgical 
de  l'extraction  nous  voulions  parler  des  desciiptions  qui  ont  été  faites  de  cette 
opération,  il  nous  faudrait  passer  en  revue  tous  les  ouvrages  de  médecine  opé- 
ratoire, les  manuels  de  petite  chirurgie  et  les  livres  spéciaux  de  chirurgie 
dentaire. 

Cette  étude  serait  sans  intérêt  et  nous  nous  garderons  bien  de  nous  y  arrêter, 
pour  les  deux  raisons  déjà  entrevues  :  la  première,  c'est  que  l'extraction  est  deve- 
nue, par  suite  du  progrès  de  la  thérapeutique,  une  opération  d'exception  ;  la  se- 
conde, parce  que  la  transformation  toute  récente  des  instruments  relègue,  sans 
autre  valeur  qu'un  simple  intérêt  historique,  les  descriptions  des  anciens  pro- 
cédés opératoires. 

Mentionnons  toutefois  un  excellent  travail  du  docteur  Redier,  qui  a  publié  des 
considérations  et  des  faits  sur  les  indications  de  l'extraction  et  sur  ses  accidents, 
travail  auquel  nous  avons  cru  devoir  faire  de  fréquents  emprunts  {Journal  des 
sciences  médicales  de  Lille,  1880). 

Indications  et  contre-indications  de  Y  extraction.  D'une  manière  générale 
l'extraction  d'une  dent,  dit  fort  justement  M.  Redier,  est  indiquée  lorsque  sa 
conservation  est  reconnue  impossible  :  mais  quelles  sont  les  limites  de  la  con- 
servation, c'est-à-dire  de  la  curabilité?  Nous  croyons  avoir  suffisamment  établi  la 
valeur  de  ces  deux  termes  dans  les  développements  relatifs  à  la  pathologie  et  à 
propos  de  chaque  cas  particulier  pour  n'avoir  pas  à  y  revenir;  nous  dirons  seulement 
d'une  façon  générale  qu'une  dent  est  nuisible  toutes  les  fois  qu'elle  apporte  un 
trouble  notable,  soit  dans  la  régularité  des  arcades  dentaires,  soit  dans  l'accom- 
plissement des  diverses  fonctions  qui  ont  leur  siège  dans  la  bouche  ou  lorsqu'elle 
détermine  autour  d'elle  des  troubles  pathologiques  sérieux.  Quant  à  la  limite  de 
la  curabilité,  elle  n'a  rien  d'absolu,  puisqu'elle  est  entièrement  subordonnée 
aux  progrès  de  la  thérapeutique. 

Il  ne  faut  pas  oublier  d'ailleurs  que  la  suppression  d'un  organe  n'est  pas  un 
mode  de  traitement,  c'est  un  aveu  d'impuissance,  et,  pour  nous  servir  de  l'expres- 
sion d'un  chirurgien  distingué,  le  docteur  Sarazin,  c'est  la  défaite  de  Vart. 

Mais  les  inconvénients  de  l'extraction  ne  se  bornent  pas  à  la  perte  de  l'organe. 
Après  l'opération,  l'alvéole  laissé  vide  subit  une  résorption  complète  ;  les  dents 
voisines  perdent  ainsi  une  partie  de  leur  appui  et  subissent  bientôt  des  dévia- 
tions à  la  suite  desquelles  on  les  voit  s'incliner  tantôt  vers  l'espace  libre,  et 
tantôt  en  dedans  vers  l'intérieur  de  la  bouche.  A  la  mâchoire  opposée,  la  dent 
correspondante,  ne  trouvant  plus  de  point  de  rencontre  dans  l'occlusion  des 
mâchoires,  éprouve  elle-même  une  déviation  qui  a  pour  résultat  un  allongement 
ou  soulèvement  hors  de  l'arcade,  en  vertu  de  la  loi  générale  que  nous  avons 
formulée  ailleurs  {voy.  Anomalies   de  direction).  Enfin,  si  la  mastication  est 


550  DENT   (médecine  opératoire). 

devenue  laborieuse  de  ce  côlé  par  suite  de  la  suppression  de  l'organe,  le 
sujet  prendra  l'h  ibltude  de  se  servir  exclusivement  du  côté  opposé  et  l'on  verra 
bientôt  toutes  les  dents  inactives  se  recouvrir  de  dépôts  de  tartre  dont  on  connaît 
les  inconvénients.  11  semblerait  à  priori  que  ces  résultats  fâcheux  soient 
aujourd'hui  faciles  à  éviter  par  l'application  d'une  dent  artificielle;  il  n'en 
est  rien,  car  cette  application  n'est  pas  toujours  pratiquement  réalisable,  et  le 
fùt-elle,  un  appareil  prothétique,  si  bien  fait  qu'il  soit,  est  nécessairement  tou- 
jours inférieur,  comme  usage,  à  une  dent  naturelle  même  imparfaite. 

Avant  de  se  résoudre  à  l'extraction  d'une  dent,  il  est  nécessaire  de  tenir 
compte  d'un  certain  nombre  de  faits  qui  peuvent  dans  certains  cas  modifier  la 
conduite  du  chirurgien  dans  un  sens  ou  dans  l'autre.  Ce  sont:  en  première 
ligne,  l'état  de  la  dent  et  des  parties  voisines,  puis  l'âge  du  sujet  et  le  siège  de 
la  dent;  enfin  les  dispositions  individuelles.  Ce  n'est  qu'après  l'examen  attentif 
de  ces  différents  points  qu'on  peut  formuler  dans  un  cas  donné  l'indication  ou 
la  contre-indication. 

[°  État  de  la  dent  et  des  parties  voisines.  L'extraction  de  la  dent  sera  for- 
mellement indiquée  : 

A.  Lorsqu'une  dent  surnuméraire,  déviée  ou  îinormale,  détermine  par  sa  pré- 
sence une  irrégularité  de  l'arcade  dentaire,  et  que  cette  irrégularité  échappe 
aux  moyens  thérapeutiques. 

F».  Lorsqu'une  dent  frappée  d'altérations  avancées  cause  des  désordres  de 
voisinage,  phlegmons  périodiques  graves,  abcès  de  la  gencive  ou  de  la  joue, 
fistules,  etc. 

Il  convient  de  remarquer  ici  que  la  dent  doit  être  frappée  d'altérations 
avancées,  car,  si  la  couronne  est  dans  un  état  de  conservation  suffisant  pour 
qu'elle  puisse  remplir  ses  usages,  si  la  racine  n'est  dénudée  que  partiellement 
de  son  périoste,  ce  n'est  pas  à  l'extraction  définitive  qu'il  faut  avoir  recours, 
mais  à  la  greffe  {voy.  plus  loin). 

La  fluxion,  soit  qu'elle  résulte  d'une  périostite  aiguë,  soit  des  complications 
inflammatoires  ou  organiques  de  cette  lésion,  n'est  pas,  comme  on  le  prétend 
vulgairement,  une  contre-indication  de  l'extraction.  Une  seule  considération 
peut  avoir  une  certaine  valeur  en  faveur  de  ce  préjugé  :  c'est  la  douleur  plus 
vive  que  cause  l'extraction  pendant  la  fluxion  à  cause  de  l'état  congestif  du 
périoste  et  des  parties  voisines.  Mais  il  est  un  fait  bien  avéré,  c'est  que  l'extraction 
faite  au  début  de  la  fluxion  peut  la  faire  avorter,  et  à  une  époque  plus  avancée 
évite  les  complications  plus  ou  moins  graves,  abcès  des  joues,  de  la  face  ou  des 
gencives,  et  complications  osseuses  du  maxillaire. 

G.  Lorsque  par  suite  d'affection  aiguë  ou  chronique  de  l'alvéole,  des  gencives 
ou  des  maxillaires,  une  dent  sera  ébranlée  à  un  point  qui  ne  permette  plus 
d'espérer  sa  consolidation  et  sa  conservation.  A  l'égard  de  la  première  condi- 
tion bien  des  exceptions  peuvent  encore  être  signalées,  car  fort  souvent  des 
dents  qui,  au  premier  abord,  paraissaient  devoir  être  sacrifiées,  ont  guéri  et  sont 
revenues  complètement  à  l'état  normal  par  l'emploi  de  moyens  appropriés,  par 
les  applications  d'acide  chromique  en  particulier. 

2»  Age  du  sujet.  Les  indications  qui  dépendent  de  l'âge  du  sujet  doivent 
être  étudiées  pour  les  dents  temporaires  et  pour  les  permanentes. 

A.  Pour  les  dents  temporaires  nous  ne  partageons  nullement  l'opinion  géné- 
rale qui  admet  l'extraction  dans  tous  les  cas  de  carie  simple  ou  compliquée  ; 
nous  croyons  au  contraire  que  l'on  doit  se  comporter  à  l'égard  de  ces  dents  de 


DENT   (médecine  ori-RAioiRE).  oM 

la  même  manière  que  pour  les  permanentes,  et  entreprendre  leur  traitement 
régulier,  laissant  ainsi  s'effectuer  la  chute  spontanée  aux  époques  ordinaires. 
Ajoutons  toutefois  que,  si  les  lésions  graves  surviennent  à  ces  dents  à  un  âge 
voisin  de  celui  de  leur  chute,  ou  si  elles  ont  déjà  éprouve  un  ébranlement  plus 
ou  moins  marqué,  l'extraction  sera  en  définitive  le  traitement  le  plus  sim- 
ple, le  plus  rapide  et  le  plus  rationnel.  Mais  dès  lors  qu'on  se  trouve  en  pré- 
sence d'un  sujet  très-jeune,  de  trois,  quatre  ou  cinq  ans,  on  devra  tenter  la  con- 
servation d'organes  dont  la  chute,  comme  on  sait,  ne  s'effectue  normalement 
que  de  sept  à  douze  ans.  On  évitera  de  la  sorte  les  troubles  fonctionnels  plus  ou 
moins  sérieux  qui  peuvent  résulter  pour  un  enfant  de  la  privation  de  ses  dents, 
en  même  temps  que  les  désordres  que  l'on  peut  apporter  dans  les  follicules 
sous-jacents  des  dents  permanentes  par  l'ablation  d'une  dent  temporaire,  anti- 
cipée ou  faite  sans  toutes  les  précautions  et  suivant  toutes  les  règles  voulues. 

L'extraction  d'une  dent  temporaire  serait  néanmoins  indiquée  en  dehors  de 
toute  lésion  apparente  de  celle-ci,  si  par  sa  persistance  anormale  elle  favorisait 
ou  provoquait  la  déviation  des  dents  permanentes  en  voie  d'éru[ition. 

B.  Pour  les  dents  permanentes  on  ne  doit  jamais  perdre  de  vue  que  la  facilité 
de  l'avulsion  est  en  raison  inverse  de  l'âge  du  sujet,  ce  qui  ne  veut  pas  dire 
qu'il  faille  se  hàler  d'enlever  les  dents  avant  la  vieillesse,  mais  que  chez  le 
vieillard  l'extraction  d'une  dent  qui  a  conservé  toute  sa  solidité  doit  être  le  plus 
souvent  évitée  ;  elle  n'aboutirait  qu'à  la  fracture  de  l'organe  ou  du  bord  alvéolaire. 

Une  double  raison  donne  l'explication  de  ce  fait:  d'une  part,  la  dent  acquiert 
avec  l'âge  une  densité  et  une  h'agilité  progressives  ;  d'autre  part,  le  tissu  osseux 
du  vieillard  devient  sec  et  friable,  de  sorte  que  chez  un  individu  de  soixante- 
cinq  à  soixante-quinze  ans  l'extraction  doit  être  presque  absolument-  proscrite, 
sauf  naturellement  dans  le  cas  de  dents  ébranlées. 

0"  Siège.  Indépendamment  de  son  état  d'altération,  les  conditions  d'extrac- 
tion d'une  dent  peuvent  varier  suivant  le  lieu  qu'elle  occupe.  Toutes  conditions 
égales  d'ailleurs,  une  extraction  à  la  mâchoire  inférieure  rencontrera  plus  de 
difficultés  qu'à  la  supérieure,  celle-ci  étant  d'un  tissu  plus  aréolaire  et  spon- 
gieux et  offrant  par  conséquent  une  moindre  résistance.  De  plus,  c'est  ordi- 
nairement à  la  mâchoire  inférieure  qu'on  rencontre  les  obstacles  sérieux,  parfois 
même  insurmontables,  qui  s'opposent  à  l'extraction  :  telles  sont  les  dispositions 
anormales  connues  sous  le  nom  de  dents  barrées  et  que  présentent  assez  souvent 
la  première  et  la  deuxième  molaire  inférieures. 

Les  règles  générales  qui  ont  été  formulées  plus  haut  s'appliquent  aux  dents 
antérieures  aussi  bien  qu'aux  autres.  Ce  serait  commettre  une  faute  grave  que 
d'extraire  une  incisive  ou  une  canine  dont  la  coloration  ou  la  forme  aurait  été 
altérée  par  une  carie  avancée,  sous  prétexte  qu'elles  sont  d'un  aspect  désa- 
gréable et  qu'elles  seraient  avantageusement  remplacées  par  une  dent  artificielle. 
La  résection  de  la  couronne  serait  seule  autorisée  dans  ces  cas,  la  racine,  surtout 
si  elle  est  saine,  devant  être  un  puissant  auxiliaire  pour  le  maintien  d'une  pièce 
artificielle,  ainsi  que  nous  le  dirons  ailleurs. 

Les  seules  deuts  pour  lesquelles  on  soit  quelquefois  autorisé  à  s'écarter  de  ces 
préceptes  rigoureux  sont  les  premières  dents  molaires  permanentes  ou  dents  de 
cmq  ans,  les  inférieures  particulièrement.  Il  arrive,  en  effet,  très-fréquemment 
que,  venues  longtemps  avant  les  autres  dents  permanentes,  souvent  imparfaites 
dans  leur  structure,  exposées  avant  toutes  les  autres  aux  causes  diverses  d'alté- 
rations que  peut  offrir  la  cavité  buccale,  il  arrive  souvent,  disons-nous,  que  ces 


552  DENT   (médecine  opératoire). 

dents,  dès  la  septième  ou  huitième  année,  plus  ordinairement  vers  l'âge  de  dix 
à  douze  ans,  sont  déjà  profondément  cariées  et  ne  présentent  plus  qu'une  cou- 
ronne très-incomplète. 

Les  efforts  que  l'on  ferait  dans  ces  conditions  pour  conserver  une  dent  ainsi 
altérée  n'aboutiraient  la  plupart  du  temps  à  prolonger  son  existence  que  de 
quelques  années  ou  même  de  quelques  mois  seulement.  En  pratiquant  l'extrac- 
tion à  cet  âge  on  a  la  certitude  de  voir  bientôt  l'espace  qu'occupait  la  dent 
comblé  au  moins  en  partie  par  le  rapprochement  des  voisines,  et  l'on  se  met  du 
même  coup  en  garde  contre  les  accidents  de  l'éruption  de  la  dent  de  sagesse  si 
fréquents  et  parfois  si  graves,  en  lui  ménageant  par  cette  mesure  un  espace  suffi- 
sant. Mais  ces  raisons  s'appliquent  presque  exclusivement  à  la  mâchoire  infé- 
rieure :  aussi  les  tentatives  de  conservation  doivent-elles  toujours  être  poussées 
plus  loin  pour  les  pi'emières  molaires  inférieures  que  pour  les  supérieures. 

Quant  à  la  dent  de  sagesse  inférieure,  nous  avons  dit  qu'on  est  souvent  obligé 
de  la  sacrifier,  alors  même  qu'elle  ne  présente  aucune  altération,  mais  à  cause 
des  accidents  de  voisinage  qu'elle  provoque  ;  nous  ne  reviendrons  sur  ces  faits 
que  pour  rappeler  que  l'extraction  de  cette  dent  est  indiquée  dès  qu'il  se  produit 
de  la  constriction  des  mâchoires  ou  d'autres  accidents  d'une  gravité  particulière. 
¥  Dispositions  individuelles.  Diverses  considérations  dépendant  des  dispo- 
sitions individuelles  doivent  encore  être  signalées  :  ainsi  les  sujets  éminemment 
nerveux  et  impressionnables  supporteront  plus  difficilement  l'extraction  et  en 
éprouveront  une  douleur  plus  vive  que  ceux  qui  sont  doués  d'un  tempérament 
différent  et  d'une  sensibilité  relativement  moindre.  Chez  ces  derniers  une  extrac- 
tion peut  être  pratiquée  sans  provoquer  aucune  douleur,  ainsi  que  nous  en 
connaissons  divers  exemples. 

Chez  les  épileptiques,  l'extraction  d'une  dent  provoque  ordinairement  un  accès: 
aussi  devra-t-on,  autant  que  possible,  proscrire  chez  eux  cette  opération  et  faire 
toutes  les  tentatives  possibles  pour  réaliser  la  guérison.  Si  le  résultat  n'est  pas 
obtenu,  on  sera  autorisé  à  recourir  à  l'anesthésie  pour  l'avulsion  de  l'organe  malade. 
La  grossesse  a  été  souvent  signalée  comme  contre-indication.  Il  est  dilTiciie  de 
donner  à  ce  propos  une  règle  absolue  ;  en  général,  nous  croyons  qu'on  doit 
éviter  de  pratiquer  l'avulsion  d'une  dent  pendant  la  grossesse  ;  c'était  l'opinion 
professée  par  P.  Dubois  dans  ses  cliniques  et  il  conseillait  de  recourir  dans  ces 
cas  aux  anesthétiques,  pour  éviter  à  la  femme  la  commotion  douloureuse  et  son 
retentissement  sur  l'économie.  Nous  laissons  d'ailleurs  cette  appréciation  au 
praticien,  qui  devra  tenir  compte  de  la  susceptibilité  de  la  femme,  de  l'époque 
de  sa  grossesse,  de  l'existence  ou  non  des  fausses  couches  antérieures,  de  l'état 
d'altération  de  la  dent  à  extraire,  de  l'intensité  probable  de  la  douleur,  etc. 

Enfin,    il  est  évident  que  chez  les  hémophiles  l'extraction  sera  formellement 

contre-indiquée  au  même  titre  que  toute  autre  opération  sanglante  quelconque. 

Opération  de  l'extraction.     Règles  générales.     Les  instruments  actuellement 

employés  pour  l'extraction  des  dents  sont  :   les  daviers,  les  divers  leviers  et 

les  clefs. 

Ces  instruments,  par  leur  mode  de  construction  et  leurs  procédés  d'applica- 
tion, peuvent  répondre  à  tous  les  cas  de  la  pratique.  Aucun  d'eux  ne  doit  être 
préféré  à  l'exclusion  des  autres,  malgré  les  tendances  de  plusieurs  auteurs  qui 
affectent  de  n'employer  qu'une  seule  espèce  d'entre  eux,  les  daviers,  par 
exemple.  11  est  aussi  une  remarque  sur  laquelle  nous  ne  saurions  trop  insister, 
c'est  que  dans  les  appréciations   fuites   généralement   des  instruments    d'ex- 


DENT  (mkdecine  opératoire).  553 

traction  on  est  frappé  de  ce  fait  que,  dans  le  choix  de  tel  ou  tel  moyeu,  il 
n'est  fait  aucune  mention  de  l'état  d'altération  de  la  dent  à  extraire.  Il  semble 
qu'il  s'agit  toujours  de  dents  saines  et  intactes,  ce  qui  est  le  cas  tout  à  fait 
exceptionnel.  Or,  il  est  de  la  plus  élémentaire  logique  de  subordonner  le  choix 
et  l'application  d'un  instrument  au  cas  particulier  qui  se  présente,  de  sorte 
que  là  où  le  davier  remplit  toutes  les  indications  la  clef  fdoit  être  rejetée, 
tandis  que  le  davier  peut  être  inapplicable  là  oij  la  clef  rendra  de  très-grands 
ser\ices.  Il  résulte  de  là  que,  dans  l'extraction  d'une  dent,  deux  points  doivent 
être  préalablement  fixés  : 

1»  La  forme  de  la  dent,  appréciable  à  l'œil,  du  moins  pour  la  couronne,  et 
supposable  pour  la  racine  incluse,  en  tenant  compte  des  anomalies  possibles  de 
cette  dernière  ; 

2"  L'état  d'altération  de  l'organe,  c'est-à-dire  la  détermination  par  un  examen 
préalable  des  points  fyibles  et  des  points  résistants. 

Tomes  dit,  avec  raison,  que  l'extraction  d'une  dent  exige  l'accomplissement 
de  trois  conditions  [Trailé  de  chirurgie  dentaire,  trad.  Darin.  Paris, 
1873,  p.  604): 

1°  Enlever  en  totalité  l'organe  nuisible; 

2°  Blesser  aussi  peu  que  possible  les  tissus  dans  lesquels  il  est  implanté; 
0"  Éviter  au  paljent  toute  douleur  inutile. 

Pour  réaliser  ces  trois  conditions,  il  est  des  règles  dont  on  ne  doit  jamais  se 
départir.  Ce  sont  ces  règles  générales,  applicables  à  tous  les  cas,  et  quel  que 
soit  l'instrument  employé,  que  nous  allons  décrire  maintenant. 

Avant  tout,  le  sujet  doit  être  informé  de  l'opération  qu'il  doit  subir;  le  chirur- 
gien a  besoin  non-seulement  de  son  consentement,  mais  de  son  concours.  11 
vaut  mieux  renoncer  à  l'opération  que  de  la  pratiquer  au  hasard,  comme  il 
arrive  nécessairement  lorsque  le  malade  se  débat,  ferme  la  bouche  ou  fait 
obstacle  aux  mouvements  du  chirurgien.  Les  accidents  de  fractures  de  la  dent, 
d'avulsion  de  dents  saines,  de  lésions  des  parties  molles  et  même  les  fractures  du 
maxillaire,  arrivent  trop  souvent  parce  qu'on  néglige  ces  précautions.  Un  des 
reproches  que  nous  aurons  à  adresser  à  l'anesthésie]  est  précisément  l'inertie 
qu'elle  entraîne,  privant  ainsi  le  chirurgien  d'un  concours  d'autant  plus  utile 
que  l'opération  est  pliis  compliquée;  à  plus  forte  raison  doit-on  redouter 
d'opérer  malgré  le  malade,  que  les  obstacles  qu'il  apporte  à  l'opération  soient 
volontaires  ou  qu'ils  soient  indépendants  de  sa  volonté. 

Cette  recommandation  est  surtout  applicable  aux  extractions  faites  chez  les 
enfants,  pour  lesquelles  on  sollicite  trop  souvent  le  praticien  d'opérer  par 
surprise. 

Le  patient  est  assis  dans  un  fauteuil  bien  en  face  du  jour,  la  tête  droite  pour 
les  dents  inféiieures,  renversée  en  arrière  pour  les  supérieures. 

Le  chirurgien,  après  avoir  attentivement  examiné  et  exploré  l'organe,  choisit 
l'instrument  qui  convient  au  cas  particulier  et  détermine  ses  points  d'appli- 
cation. 

Ici  se  pose  la  question  du  déchaussement  préalable  des  gencives.  En  général, 
nous  n'en  sommes  point  partisan;  c'est  une  première  opération  qui,  bien  que 
peu  douloureuse  par  elle-même,  prolonge  inutilement  l'opération  principale, 
effraie  et  impatiente  l'opéré,  ne  facilite  que  rarement  l'extraction  et  gêne  sou- 
vent par  la  petite  hémorrhagie  qui  l'accompagne,  laquelle,  en  masquant  les 
parties,  peut  rendre  plus  difficile  l'application  de  l'instrument.  Mais,  si  nous 
Din.  E>c.  XXVII.  25 


354  DENT   (médecine  opératoire). 

proscrivons  le  déchaussement  en  général,  nous  le  i-ecomraandons  toutes  les 
fois  que  des  débris  plus  ou  moins  cachés  par  la  gencive  saine  ou  hypertrophiée 
ne  sont  que  dif  cilement  accessibles;  sans  cette  précaution,  l'on  irait  au  hasard 
et  l'instrument  appliqué  directement  sur  les  parties  molles  produirait  des 
désordres  inutiles  et  parfois  très-douloureux. 

L'instrument  qui  convient  le  mieux  dans  ces  cas  est  un  bistouri  étroit,  bien 
pointu  et  à  lame  mince;  on  l'insinue  avec  précaution  entre  la  gencive  et  le 
collet  de  la  dent,  et  on  le  promène  tout  autour  de  celle-ci,  en  débridant  large- 
ment, s'il  en  est  besoin. 

Ce  n'est  qu'après  toutes  ces  précautions  qu'on  doit  procéder  à  l'extraction. 
Avant  d'appliquer  l'instrument,  il  est  bon  de  l'approcher  de  la  flamme  d'une 
lampe  à  alcool,  afin  d'éviter  au  patient  le  contact  douloureux  du  métal  froid. 
Quel  que  soit  l'instrument  employé,  l'extraction  doit  être  faite  lentement,  sans 
tour  de  force;  la  dent,  luxée  d'abord  par  des  mouvements  modérés,  est  ensuite 
extraite  dans  le  sens  qui  offre  le  moins  de  résistance,  et  bien  qu'il  n'y  ait  pas 
de  règle  absolue  à  cet  égard,  on  peut  dire  en  général  que  les  dents  supérieures 
s'enlèvent  plus  facilement  de  dedans  eu  dehors,  les  inférieures  de  dehors  en 
dedans. 

Si  après  ces  efforts  bien  dirigés  et  dont  la  puissance  ne  doit  jamais  être 
exagérée,  on  ne  parvient  pas  à  luxer  la  dent,  il  faut  retirer  l'instrument  et  recher- 
cher si  quelque  défaut  dans  son  point  d'application,  quelque  anomalie  dans  la 
disposition  des  racines  n'explique  pas  la  difficulté;  la  luxation  quand  même 
pourrait  entraîner  des  accidents  dont  le  moindre  et  le  plus  fréquent  serait  la 
fracture  de  la  dent.  Il  vaut  mieux  renoncer  momentanément  à  une  extraction 
que  de  la  pratiquer  au  prix  d'accidents  graves  ;  souvent,  d'ailleurs,  ces  tentatives 
infructueuses  sont  suivies  d'un  certain  calme  qui  permet  au  patient  de  garder 
la  dent  quelque  temps  encore;  et  on  choisit  alors  une  époque  ultérieure  plus 
favorable,  comme  le  moment  où  se  produirait  de  la  périostite,  une  fluxion  ou 
un  abcès,  alors  que  la  dent,  soulevée  et  ébranlée,  sera  toujours  plus  facile  à 
extraire. 

Après  l'opération,  il  se  produit  une  hémorrhagie  ordinairement  très-courte; 
des  gargarismes  avec  de  l'eau  légèrement  tiède  ou  mieux  froide  suffisent  pour 
l'arrêter  dans  la  plupart  des  cas.  Enfin,  les  doigts  introduits  dans  la  bouche 
pressent  la  gencive  et  rapprochent  les  parois  alvéolaires  parfois  écartées  et 
distendues  par  le  passage  de  racines  divergentes. 

Ordinairement  la  cicatrisation  de  la  plaie  a  lieu  très-rapidement;  pendant 
quelques  jours  on  voit  à  son  niveau  de  petits  lambeaux  de  muqueuse  sphacélés 
superficiels  qui  sont  bientôt  éliminés  et,  au  bout  d'une  semaine,  tout  est  rentré 
dans  l'ordi'e.  On  peut  d'ailleurs  favoriser  la  guérison  à  l'aide  de  divers  moyens, 
les  gargarismes  au  chlorate  de  potasse,  par  exemple. 

Daviers.  Les  daviers  ou  forceps  sont  des  instruments  qui  ont  la  forme 
générale  d'une  pince  dont  les  mors  ont  reçu  une  forme  appropriée,  comme 
disposition,  comme  volume  et  comme  courbure,  à  la  forme  même  de  la  dent 
à  extraire. 

Leur  emploi  repose  sur  ce  jirincipe  vrai,  en  général,  qu'une  même  dent  pré- 
sente chez  la  plupart  des  individus  une  forme  et  un  volume  à  peu  près  iden- 
tiques au  moins  en  ce  qui  concerne  le  collet.  Ce  principe  fondamental  entraîne, 
comme  on  le  pense,  la  nécessité  d'avoir  à  sa  disposition  autant  de  daviers  qu'il 
y  a  de  variétés  de  dents  :  en  effet,  on  a  tellement  multiplié  successivement  la 


DENT  (médecine   opératoire).  355 

forme  de  ces  instruments  suivant  les  différents  cas  de  la  pratique  que  leur 
nombre  est  considérable;  nous  nous  abstiendrons  toutefois  de  décrire  toutes 
ces  modifications,  car  nous  croyons  qu'on  peut,  avec  un  nombre  relativement 
restreint,  répondre  à  toutes  les  indications. 

L'idée  première  des  daviers  actuellement  en  usage  remonte  à  la  pince,  qui 
dès  l'antiquité  était  à  peu  près  le  seul  moyen  d'extraction  :  c'est  cet  instru- 
ment primitif  qui  a  subi  des  modifications  considérables  d'abord  par  les  prali- 
ticiens  anglais,  puis  par  les  américains.  Tels  (|u'ils  sont  fabriqués  aujourd'hui, 
les  daviers  sont  de  tous  les  instruments  pour  l'extraction  ceux  qui  remplissent 
le  mieux  toutes  les  conditions  :  aussi  leur  emploi  doit  être  préféré  toutes  les 
fois  qu'il  est  possible,  et  il  est  vrai  de  dire  qu'ils  répondent  à  presque  tous  les 
besoins. 

Les  daviers  se  composent  essentiellement  de  trois  parties  : 

Les  mors,  l'articulation  et  la  poignée.  Les  mors  sont  droits  ou  plus  ou  moins 
courbes  suivant  le  siège  de  la  dent  à  extraire;  leur  longueur  doit  être  telle 
qu'ils  permettent  d'embrasser  librement  la  couronne;  trop  courts,  ils  ne  pour- 
raient atteindre  le  collet  par  leur  extrémité;  trop  longs,  ils  diminueraient  la 
puissance  du  levier.  L'extrémité  terminale  doit  s'adapter  exactement  au  contour 
du  collet  de  la  dent  dans  la  plus  grande  étendue  possible;  on  conçoit  que 
plus  ce  contact  sera  parfait,  plus  les  points  d'applications  seront  multipliés, 
moins  il  y  aura  de  chances  de  briser  la  dent;  cette  extrémité  ne  doit  pas  être 
coupante,  mais  taillée  en  biseau,  de  façon  à  circonscrire  le  collet  non-seulement 
par  une  ligne,  mais  par  une  petite  surface;  la  face  interne  des  mors  doit  être 
profondément  excavée  en  gouttière  et  dépourvue  de  ces  cannelures  transversales 
qu'on  trouve  sur  les  anciens  daviers,  de  façon  à  ne  toucher  par  aucun  point 
la  couronne  de  la  dent.  Enfin,  lorsque  l'instrument  est  fermé,  les  mors  ne 
doivent  pas  arriver  au  contact,  mais  laisser  entre  eux  le  plus  grand  espace 
possible;  de  cette  façon,  lors  de  l'application  sur  le  collet  de  la  dent,  il  n'est 
besoin  que  d'un  faible  écarlement  des  branches  de  la  poignée  et  l'instrument, 
mieux  en  main,  peut  être  manœuvré  avec  plus  de  dextérité. 

L'articulation  doit  être  libre,  mais  sans  jeu  ;  les  daviers  anglais  diffèrent 
par  leur  articulation  des  daviers  américains;  mais  ces  différences  ne  sont  que 
des  détails  de  fabrication  et  ne  modifient  en  rien  le  principe  et  les  applications 
de  l'instrument. 

La  poignée,  composée  de  deux  branches,  est  droite  ou  courbe  :  droite  quand 
les  mors  sont  droits,  ordinairement  courbe,  mais  eu  sens  inverse,  quand  les 
mors  sont  courbes.  Aux  courbures  simples  des  daviers  anglais  les  Américains 
préfèrent  des  courbures  plus  complexes  et  terminent  une  des  branches  par  un 
crochet  destiné  à  recevoir  le  petit  doigt,  de  façon  à  éviter  le  glissement  de  la 
main.  La  face  extérieure  des  branches  est  taillée  en  lime  et  non  polie,  et  cette 
disposition  suffit  pour  assurer  la  position  de  l'instrument.  Enfin  les  manches 
ne  doivent  pas  être  trop  longs,  et  il  semble  qu'il  y  ait  plutôt  une  tendance  à 
exagérer  leurs  dimensions. 

L'avulsion  d'une  dent  au  moyen  du  davier  se  compose  de  trois  temps  :  l'appli- 
cation de  l'instrument,  la  luxation  de  l'organe  et  l'extraction  proprement  dite. 
Ces  trois  moments  de  l'opération  sont  parfaitement  distincts  et  c'est  trop  sou- 
vent parce  qu'on  veut  les  réunir  et  faire  tout  d'un  coup  qu'on  échoue  et  qu'il 
arrive  des  accidents. 

Premier  temps.     L'instrument  porté  doucement  au  niveau  du  collet  doit 


556  DENT   (médecine  opératoire). 

être  ensuite  enfoncé  avec  une  certaine  pression  sous  la  gencive  de  façon  à 
détruire  les  adhérences  de  celle-ci  et  à  saisir  la  dent  aussi  profondément  que 
possible.  C'est  de  l'accomplissement  régulier  de  ce  premier  temps  que  dépend 
en  grande  partie  le  succès  de  l'opération  ;  tout  l'effort  doit  venir  de  la  main  et 
non  du  bras  'ou  de  l'avant-bras,  qui  doivent  agir,  en  quelque  sorte,  en  sens 
inverse,  de  façen  à  empêcher  les  échappées  ou  une  pénétration  immodérée.  Les 
mors  de  l'instrument  ne  doivent  pas  être  serrés,  mais  juste  assez  rapprochés 
pour  pénétrer  sous  la  gencive  jusqu'au  moment  oià  l'on  sent  qu'ils  embrassent 
bien  exactement  la  racine,  ce  que  l'habitude  permet  de  très-bien  apprécier. 

Deuxième  temps.  Far  des  mouvements  latéraux  modérés  d'abord,  et  de 
plus  en  plus  étendus,  on  parvient  à  luxer  la  dent  et  à  détruire  peu  à  peu  toutes 
ses  adhérences.  Les  mouvements  de  rotation  ne  doivent  être  employés  que  pour 
les  débris  de  racine,  pour  les  dents  branlantes  ou  pour  les  dents  uniradi- 
culaires. 

Si  on  les  appliquait  à  la  luxation  de  dents  solidement  implantées,  ils  néces- 
siteraient pour  empêcher  le  glissement  des  mors  une  pression  trop  énergique 
qui  n'aboutirait  le  plus  souvent  qu'à  la  fracture  de  la  dent. 

Cette  partie  de  l'opération,  parfois  très-couitc,  exige  au  contraire  dans  quel- 
ques cas  une  certaine  durée  ;  il  est  essentiel  de  n'y  apporter  aucune  brusquerie 
et  aucune  impatience,  d'autant  plus  qu'il  est  d'observation  que  cette  partie  de 
l'opération  est  relativement  peu  douloureuse. 

Pendant  que  la  m;iin  droite  agit  sur  la  dent  par  l'intermédiaire  du  davier, 
la  main  gauche  doit  soutenir  la  mâchoire  et  l'immobiliser;  à  cet  effet,  pour 
les  dents  supérieures,  le  bras  gauche  est  passé  autour  de  la  tête  du  patient,  et 
la  main  vient  s'appliquer  sur  le  front.  Pour  les  dents  inférieures,  c'est  le  maxil- 
laire inférieur  qui  doit  être  soutenu  par  la  main  de  l'opérateur  appuyée  sous 
le  menton.  Cette  précaution  est  tout  particulièrement  utile  ici  à  cause  de  la 
mobilité  excessive  de  l'articulation  et  de  la  facilité  avec  laquelle  se  produisent 
les  luxations  temporo-maxillaires. 

Le  troisième  temps  n'est  que  la  fin  du  précédent  :  lorsque  la  dent  est  bien 
luxée,  on  apprécie  par  les  derniers  mouvements  de  latéralité  dans  quel  sens 
l'extraction  définitive  seia  le  plus  favorable,  et  il  suffit  alors  d'un  mouvement 
pins  étendu  pour  retirer  l'organe.  Il  est  important  ici  encore  d'agir  sans  brus- 
querie pour  éviter  que  le  davier,  cédant  tout  à  coup,  aille  heurter  les  dents 
opposées  sur  lesquelles  il  produirait  un  choc  douloureux  ou  même  de  petites 
fractures. 

Extraction  des  dents  temporaires.  11  suffit  d'un  très-petit  nombre  d'instru- 
ments pour  les  dents  temporaires  dont  l'avulsion  n'est  le  plus  souvent  indiquée 
que  pendant  l'évolution  de  la  seconde  dentition,  alors  qu'elles  sont  plus  ou 
moins  ébranlées. 

Nous  avons  insisté  plus  haut  sur  ce  point  et  l'on  conçoit  que  cette  méthode 
simplifie  singulièrement  l'avulsion  dentaire  chez  les  enfants.  Aussi  peut-il  sut- 
fire  pour  cette  pratique  de  quatre  daviers  : 

Les  quatre  daviers  suivants  répondent  à  tous  les  cas  : 

1°  Un  davier  droit  pour  les  incisives  et  canines  supérieures  ; 

2"  Un  davier  dont  les  mors  sont  légèrement  recourbés  en  bec  d'oiseau  pour 
les  incisives  et  canines  inférieures  ; 

3"  Un  davier  très-légèrement  courbe  et  à  mors  plus  larges  pour  les  molaires 
supérieures  ; 


DENT   (médecine  opératoire).  357 

4°  Un  davier  dont  les  mors  sont  inclinés  presque  à  angle  droit  pour  les  mo- 
laires inférieures. 

Le  bord  inférieur  de  chacun  des  mors  est  divisé  en  deux  parties  inégales  par 
une  petite  crête  destinée  à  s'introduire  dans  l'intervalle  des  racines. 

Tous  ces  instruments  sont  de  petites  dimensions;  dans  le  premier  temps  de 
l'opération,  on  doit  agir  avec  beaucoup  de  ménagement;  les  mors  doivent  à 
peine  dépasser  le  collet,  afin  d'éviter  de  léser  le  follicule  ou  la  dent  permanente 
sous-jacents. 

Extraction  des  dents  permanentes.     i°  Incisives  et  canines  supérieures. 
Le  même  davier  peut  servir  à  l'extraction  des  incisives  centrales,  des  latérales 
et  des  canines  supérieures;  la  poignée  et  les  mors  sont  droits;  ceux-ci  doivent 
être  enfoncés  aussi  haut  que  possible  sous  la  gencive,  particulièrement  pour 
les  canines  dont  les  racines  ordinairement  très-longues  sont  très-adhérentes. 


Fig.  33.  —  Davieri  droits  pour  les  incisives  et  canines  supérieures  (modèle  Ash). 

2°  Incisives  et  canines  inférieures.  Les  mors  de  l'instrument  sont  recourbés 
en  bec  d'oiseau  ou  dans  le  sens  opposé,  comme  ceux  du  davier  des  petites  molaires 
inférieures;  nous  préférons  la  forme  en  bec  d'oiseau,  quoique  moins  favorable 


Fig.  51.  —  Davier  dont  les  mors   sont  à  angle  droit  avec  la  tige.  Extraction  des  incisives  et  canine; 

inférieures. 

au  développement  de  la  puissance,  parce  qu'elle  masque  moins  les  dents  voi- 
sines et  permet  d'agir  avec  plus  de  siareté. 

5°  Petites  molaires  supérieures.  Les  mors  sont  légèrement  recourbés  comme 
le  précédent  et  la  poignée  présente  utilement  une  courbure  en  sens  inverse. 

4"  Petites  molaires  inférieures.  Davier  à  mors  coudés  presque  à  an^la  dioit. 
Il  est  essentiel  de  bien  se  rappeler  que  les  petites  molaires  sont  très-adhérentes 
et  souvent  très-difficiles  à  extraire.  L'instrument  doit  pénétrer  le  plus  profon- 
dément qu'il  est  possible,  et  les  mouvements  de  latéralité  doivent  être  faits 
avec  ménagement  au  début. 

5"  Premières  et  deuxièmes  molaires  supérieures.  Ces  dents  ont,  comme  on 
sait,  trois  racines  :  une  interne  ou  palatine,  et  deux  autres  externes  ;  des  deux 
racines  externes,  l'antérieura  est  notablement  plus  volumineuse. 


558  DENT   (.médecine  opératoire). 

Celte  disposition  exige  un  davier  distinct  pour  chaque  côté;  les  mors  sont 
un  peu  recourbés,  et  la  poignée  peut  présenter  elle-même  une  courbure  en  sens 
inverse.  Le  mors  externe  (en  supposant  l'instrument  en  place  dans  la  bouche) 
présente  sur  son  bord  supérieur  une  crête  qui  le  divise  en  deux  parties  inégales. 
S'adaptant  chacune  à  la  racine  correspondante,  la  crête  pénètre  entre  les  deux 
vacines;  le  mors  interne  s'applique  sur  la  racine  palatine. 


Fig.  55.  —  Davier  pour  l'extraction  des  première  et  deuxième  molaires  supérieures  gauches. 


Fig.  56.  —  Davier  pour  l'extraction  des  première  et  deuxième  molaires  supérieures  droites. 

Pour  extraire  la  première  ou  la  deuxième  grosse  molaire  supérieure,  après 
l'application  du  davier,  on  porte  la  main  d'abord  en  dehors  de  façon  à  luxer  la 
racine  palatine,  puis  en  dedans  pour  les  deux  racines  externes  ;  on  recommence 
la  même  manœuvre  jusqu'à  ce  que  l'on  ait  rompu  toutes  les  adhérences  et  on 
termine  par  un  mouvement  en  dehors  et  en  bas  dans  le  sens  de  la  racine 
palatine.  Lorsqu'on  exécute  avec  soin  cette  manœuvre,  on  n'échoue  presque 
jamais  et,  malgré  la  divergence  parfois  très-prononcée  des  trois  racines,  il  est 
rare  qu'on  produise  quelque  fracture.  Si  néanmoins  la  forme  de  l'organe  rendait 
cet  accident  inévitable,  ce  serait  la  paroi  alvéolaire  externe  qui  céderait,  à  cause 
de  sa  minceur  et  en  raison  du  sens  de  la  traction,  circonstance  bien  moins  défa- 
vorable que  si  le  fragment  brisé  appartenait  à  la  voùle  palatine. 


Fig.  57. 


6°  Premières  et  deuxièmes  molaires  inférieures.  Ces  dents  présentent  au 
point  de  vue  chirurgical  chacune  deux  racines,  l'une  antérieure,  l'autre  posté- 
rieure. Un  seul  davier  suffit  pour  les  deux  côtés  :  il  est  recourbé  presque  à 
angle  droit,  et  rextrémilé  de  chaque  mors  est  divisée  en  deux  parties  par  une 
crête  qui  vient  s'appliquer  dans  l'intervalle  des  racines. 

Après  avoir  luxé  la  dent,  on  éprouve  quelquefois  de  grandes  difficultés  pour 
la  sortir  entièrement  de  son  alvéole;  après  avoir  essayé  alternativement  l'avul- 
sion en  dehors  et  en  dedans,  il  est  bon,  si  l'on  échoue,  de  relever  la  poignée 
de  l'instrument  de  façon  à  faire  décrire  à  la  dent  un  mouvement  circulaire 
vers  la  partie  postérieure  de  l'arcade  ;  c'est  qu'en  effet  la  difficulté  tient  quel- 


DENT   (médecine  opératoire).  359 

quefois  à  ce  que  les  racines  sont  incline'es  en  arrière;  par  cette  petite  manœuvre 
on  agit  dans  le  sens  de  la  courbure  et  l'on  réussit  presque  toujours. 

7°  Troisièmes  molaires  ou  dents  de  sagesse.  Il  n'est  peut-être  pas  utile 
d'avoir  des  daviers  spéciaux  pour  l'extraction  des  dents  de  sagesse.  Lorsqu'elles 
sont  normalement  disposées,  et  lorsque  l'ouverture  de  la  bouche  est  suffisante, 
les  daviers  qui  servent  pour  les  autres  molaires  peuvent  encore  dans  bien  des 
cas  permettre  de  pratiquer  l'opération.  Cependant  il  faut  pour  cela  qu'elles 
soient  faciles  à  extraire  et  n'exigent  que  très-peu  d'efforts. 

Mais,  lorsqu'elles  sont  anormales,  comme  cela  est  si  commun  pour  les  infé- 
rieures, lorsqu'on  est  obligé  de  pratiquer  l'avclsion  alors  que  la  couronne  est 
incomplètement  sortie  ;  lorsque,  circonstance  très-fréquente,  les  accidents 
s'accompagnent  de  conslriction  des  mâchoires,  il  est  facile  de  comprendre 
qu'aucun  davier  n'est  applicable  ;  c'est  aux  leviers  qu'il  faut  recourir  dans  ces 
cas  et  particulièrement  à  la  langue  de  carpe,  ainsi  que  nous  le  verrons  un  peu 
plus  loin. 

8°  Extraction  des  racines  ou  débris  de  dents.  Lorsqu'une  dent  à  racine 
unique  a  été  brisée  au  niveau  du  collet,  il  peut  être  encore  facile  de  saisir  la 
racine  avec  le  davier  correspondant,  il  en  est  de  même  pour  les  dents  à  racines 
multiples,  lorsque  toutefois  celles-ci  sont  encore  réunies  entre  elles.  Mais, 
lorsqu'il  ne  reste  dans  les  alvéoles  que  des  débris  profondément  cachés,  friables 
ou  ramollis  dans  une  plus  ou  moins  grande  étendue,  lorsque  des  racines  primi- 
tivement unies  en  un  seul  faisceau  sont  séparées  et  inégalement  détruites,  il  ne 
faut  plus  songer  à  employer  les  daviers  ordinaires. 


Fig.  58.  —  Davier  à  racines  supérieures. 

On  a  construit  pour  ces  cas  un  grand  nombre  de  daviers  spéciaux,  mais  ils 
ne  rendent  pas  tous  de  grands  services  et  ne  permettent  souvent  que  l'extraction 
de  débris  vacillants  ou  peu  adhérents.  Ceux  que  nous  employons  de  préférence 
sont  les  suivants  : 


Fig.  59.  —  Davier  pour  l'exlraction  des  racines  inférieures. 

L'un  est  droit  ou  mieux  en  baïonnette  et  sert  à  la  mâchoire  supérieure;, 
l'autre  est  recourbé  à  angle  droit  et  s'applique  aux  racines  inférieures  ;  tous 
deux  ont  des  mors  fins  et  effilés  pour  pénétrer  sous  les  gencives  et  jusque  dans 
les  alvéoles. 

La  manière  de  les  employer  varie  avec  chaque  cas  particulier  et  il  est  impos- 
sible de  donner  des  règles  précises  à  cet  égard  ;  mais  il  est  très-important  avant 
de  les  appliquer  de  bien  se  rendre  compte  du  nombre,  de  la  position,  de  la 


300  DENT  (médecine  opér.vtoire). 

forme' et  de  la  re'sistance  des  débris  à  extraire.  Si  après  quelques  tentatives 
bien  dirigées  on  ne  parvient  pas  à  extraire  la  racine  ou  le  débris,  on  a  recours 
aux  divers  leviers  dont  nous  allons  donner  la  description. 

Leviers  simples.  On  a  imaginé  un  très-grand  nombre  de  leviers  qui  ne 
diffèrent  les  uns  des  autres  que  par  des  détails  déforme  et  agissent  toujours  de 
la  même  manière.  Les  seuls  qui  soient  nécessaires  sont  :  la  langue  de  carpe  et 
les  trois  élévateurs,  représentés  fig.  60. 


Fig.  60. 

Ces  instruments  sont  applicables  à  un  nombre  considérable  de  cas  dans 
lesquels  un  débris  de  dent  ou  une  racine  encore  solidement  fixés,  ou  ébranlés 
et  notablement  déviés  de  leur  direction  primitive,  sont  trop  ramollis  pour  être 
saisis  par  le  davier. 

La  langue  de  carpe  est  un  levier  simple  droit  ou  courbé  dont  le  mode  d'em- 
ploi réclame  absolument  un  point  d'appui  sur  une  dent  ou  mieux  une  série  de 
dents  saines,  tandis  que  son  point  d'application  porte  sur  la  dent  ou  les  débris 
à  extraire. 

Pour  mieux  préciser,  supposons  qu'on  veuille  enlever  une  dent  dont  l'état 
d'altération  ne  permette  pas  l'emploi  du  forceps  ou  de  la  clef,  celte  dent  étant 
d'ailleurs  isolée  soit  en  avant,  soit  en  arrière,  et  placée  d'autre  part  contre  une 
dent  saine  ou  mieux  encore  en  avant  ou  en  arrière  d'une  série  de  dents  saines 
et  solides.  Dans  ce  cas,  l'instrument,  droit  ou  coudé  suivant  la  position  de  la 
dent  à  extraire,  est  introduit  aussi  profondément  que  possible  dans  l'avéole  de 
celle-ci  et  du  côté  de  la  dent  saine  voisine  ;  puis  par  un  mouvement  de  renver- 
sement modéré  la  racine  est  soulevée  hors  de  son  alvéole  ;  si  l'avulsion  n'est 
pas  complète,  on  l'achève  avec  le  davier  simple.  Dans  cette  manœuve  c'est  à  la 
fois  le  rebord  alvéolaire  et  la  dent  voisine  qui  servent  de  point  d'appui  :  il  est 
donc  de  toute  importance  que  celle-ci  soit  en  bon  état  et  solidement  implantée; 
s'il  en  était  autrement,  elle  ne  pourrait  fournir  qu'un  point  d'appui  insuffisant 
et  on  risquerait  de  la  luxer  elle-même. 

Mais  il  est  une  dent  pour  l'avulsion  de  laquelle  la  Umgue  de  carpe  est  parti- 


DENT  (médecine  opératoire).  561 

culièrement  utile  :  c'est  la  dent  de  sagesse,  dont  la  situation  à  l'extrémité  de 
l'arcade  dentaire  et  libre  au  delà  se  prête  tout  spécialement  à  la  manœuvre  de 
l'instrument. 

Souvent  même  pour  les  dents  de  sagesse  inférieures  la  langue  de  carpe  est 
le  seul  instrument  qui  puisse  être  employé,  lorsque  ces  dents  sont  à  peine 
sorties  de  leurs  alvéoles  ou  que  les  mâchoires  resserrées  rendent  impossible 
l'introduction  du  davier.  Dans  ces  cas  l'instrument  dont  l'application  reste  seul 
possible  dans  l'état  d'occlusion  complète  de  la  bouche  prend  son  point  d'appui 
sur  la  face  postérieure  de  la  deuxième  molaire.  Ainsi  placé  il  soulève  très- 
facilement  la  dent  de  sagesse,  qui  est  chassée  de  son  alvéole  par  une  sorte  d'énu- 
cléalion. 

Le  maniement  de  la  langue  de  carpe  exige  une  grande  attention  et  une  certaine 
habitude  ;  l'instrument,  tranchant  par  son  extrémité,  doit  être,  en  même  temps 
qu'introduit  avec  force,  retenu  par  l'opérateur,  qui  doit  être  maître  de  ses  mou- 
vements. S'il  n'en  est  pas  ainsi,  on  risque  de  produire  ce  ([ue  nous  avons 
observé  plusieurs  fois,  une  échappée  qui  pousse  violemment  l'arête  tranchante 
de  l'instrument  vers  les  parties  voisines  ;  des  déchirures  et  même  des  perfora- 
tions du  voile  du  palais  ou  de  la  joue  en  ont  été  la  conséquence. 

On  a  imaginé  depuis  quelque  temps  pour  l'extraction  des  dents  de  sagesse  un 
instrument  qui  agit  en  réalité  de  la  même  faron  ipic  la  langue  de  carpe;  c'est 
une  sorte  de  davier  dont  ks  mors  légèrement  inclinés  ont  la  forme  de  deux 
coms.  L'instrument  est  porté  au  fond  de  la  bouche  de  façon  que  les  mors  écartés 
viennent  s'appuyer  dans  l'interstice  de  la  deuxième  molaire  et  de  la  dent  de 
sagesse  ;  lorsqu'on  les  rappi'ochc,  les  mors  pénètrent  comme  deux  coins  entre 
les  deux  dents  et  déterminent  la  luxation  de  la  dent  de  sagesse  toujours  moins 
adhérente  et  libre  d'un  côté;  après  que  la  luxation  a  été  produite, on  abaisse  la 
poignée  de  l'instrument  qui  agit  alors  à  la  façon  d'un  levier  simple  et  produit 
ordinairement  l'extraction  déUnitive  de  l'organe;  si  celle-ci  est  incomplète,  la 
dent  est  tellement  ébranlée  qu'on  peut  la  saisir  sans  efl'ort  avec  un  davier 
simple  ou  même  avec  les  doigts.  Un  petit  ressort  mobile  est  placé  contre  la 
face  interne  de  l'un  des  manches,  de  façon  à  permettre  de  régler  le  degré  de  rap- 
prochemeut  des  mors. 

Ce  davier  n'expose  pas,  comme  la  langue  de  carpe,  aux  échappées,  mais  il 
ne  peut  être  employé  ([ue  lorsqu'il  y  a  un  degré  moyen  de  constriction  des 
mâchoires  et  lorsque  la  couronne  est  encore  partiellement  incluse  ;  mais  il 
faut  prendre  garde  de  l'enfoncer  trop  profondément,  dans  la  crainte  de  pro- 
voquer une  fracture  du  maxillaire. 

Les  élévateurs  (fig.  60)  sont  des  instruments  très-utiles  et  qui  réussissent 
souvent  là  où  tous  les  autres  échouent. 

Il  en  faut  trois  :  un  droit  et  deux  autres  courbés  en  sens  inverse,  de  façon  à 
pouvoir  agir  à  droite  et  à  gauche  ;  leur  extrémité  est  tranchante  et  excavée  en 
forme  de  cuiller,  le  manche  doit  être  solide  et  assez  gros,  de  façon  à  être  bien 
en  main. 

Pour  bien  faire  comprendre  le  mode  d'emploi  des  élévateurs,  supposons  qu'on 
veuille  extraire  la  racine  de  la  deuxième  prémolaire  inférieure  gauche.  Le  chi- 
rurgien placé  en  face  du  malade  soutient  le  maxillaire  avec  la  main  gauche  ; 
avec  la  droite,  il  enfonce  l'élévateur  aussi  profondément  que  possible  et  par  de 
petits  mouvements  de  bascule,  entre  la  paroi  alvéolaire  et  la  racine  au  niveau 
du  point  correspondant  à  la  première  molaire.  L'instrument  prend  ainsi  peu  à 


362  DENT   (médecine  opératoire). 

peu  la  place  de  la  racine  qui  est  d'abord  ébranlée,  puis  soulevée  et  enfin  cbassée 
de  l'alvéole. 

11  est  impossible  de  tracer  des  règles  précises  pour  l'emploi  des  leviers  en 
général.  Devant  un  cas  donné,  le  chirurgien,  tenant  compte  du  siège  de  la 
racine,  de  sa  résistance,  de  sa  forme  et  de  l'état  des  parties  voisines,  adoptera 
l'instrument  dont  la  forme  et  la  puissance  lui  paraîtront  le  plus  convenables, 
et  le  fera  agir  suivant  les  circonstances. 

Clefs.  La  clef  dite  de  Garengeot  a  subi  des  modifications  plus  nombreuses 
peut-être  que  n'importe  quel  autre  instrument  de  chirurgie.  L'instrument  est 
trop  connu  pour  que  nous  ayons  cru  devoir  le  figurer  ici.  Ses  incessantes  modi- 
fications indiquent  à  la  fois  son  utilité  et  son  imperfection.  C'est  qu'en  effet,  avant 
rinvention  des  daviers,  elle  était  à  peu  près  le  seul  instrument  qui  servît  à  l'avul- 
sion des  dents  ;  c'est  même  encore  le  seul  employé  par  les  médecins,  et  nous 
dirons  même  le  seul  classique  en  France. 

Elle  se  compose  essentiellement  d'une  poignée,  fixée  à  angle  droit  et  en  T  à 
l'extrémité  d'une  tige  d'acier  ;  l'extrémité  opposée  de  cette  tige  est  aplatie 
et  porte  le  nom  de  panneton  ;  l'un  des  côtés  du  panneton  est  échancré  de  façon 
à  recevoir  la  base  d'un  crochel  qui  se  meut  librement  autour  d'un  axe  et  peut 
occuper  dilTérentes  positions  par  rapport  au  panneton. 

Les  diverses  modifications  qu'on  a  proposées  ont  porté  tantôt  sur  une  seule 
partie,  tantôt  sur  l'ensemble  de  l'instrument. 

A.  Poignée.  Nous  conseillons  de  fixer  le  manche  sur  la  tige  à  l'union  du 
tiers  externe  avec  le  tiers  moyen,  de  façon  à  augmenter  la  longueur  du  bras  de 
levier  et  à  avoir  à  sa  disposition  le  moyen  de  développer  une  plus  grande  force. 

B.  Tige.  La  tige  est  tantôt  droite,  tantôt  coudée  en  un  point  plus  ou  moins 
rapproché  du  panneton.  Lorsqu'on  est  obligé  d'appliquer  le  panneton  en  dedans, 
la  tige  coudée  ne  vient  pas  heurter  les  dents  antérieures,  ce  qui  arrive  avec  les 
tiges  droites,  lesquelles  obligent  nécessairement  à  incliner  l'instrument.  Il 
résulte  de  là  une  action  moins  directe  de  la  puissance  et  par  conséquent  une 
déperdition  de  force.  Aussi  préférons-nous  les  tiges  coudées. 

Le  panneton  est  plus  ou  moins  large;  il  est  poli  ou  au  contraiie  finement 
taillé  en  lime.  Dans  la  clef  de  Delestre  le  panneton  est  recouvert  de  caout- 
chouc et  mobile  au  moyen  d'une  charnière.  Il  y  a  une,  deux  et  même  trois  échan- 
crures  pour  loger  le  crochet  qui  peut  occuper  ainsi  différentes  positions. 

Les  crochets,  au  nombre  de  deux  ou  trois  pour  chaque  clef,  ont  des  formes 
variées;  ils  sont  terminés  en  pointes,  ou  bifides  ou  même  trifides  ;  on  leur 
donne  quelquefois  des  courbures  complexes  pour  leur  permettre  d'atteindre  plus 
facilement  certaines  dents  et  même  la  dent  de  sagesse. 

L'axe  des  crochets  est  la  partie  qu'on  a  le  plus  variée.  C'est  une  simple  vis 
ou  une  tige  à  pompe  ;  dans  la  clef  de  Ritouret,  le  crochet  se  meut  autour 
d'un  axe  qui  se  déplace  au  moyen  d'un  écrou  ;  dans  la  clef  anglaise,  il  tourne 
sur  un  point  qu'on  immobilise  à  volonté  au  moyen  d'un  ressort. 

Quelle  que  soit  la  variété  qu'on  adopte,  le  mode  d'emploi  est  toujours  le  même. 
Généralement  on  garnit  le  panneton  d'une  petite  bande  d'étoffe  pour  atténuer 
les  effets  de  la  pression  sur  les  gencives;  puis  on  introduit  l'instrument  dans  la 
bouche  et  l'on  applique  le  panneton  sur  l'un  des  bords  alvéolaires  au  point 
correspondant  aux  racines  de  la  dent  à  extraire  ;  d'autre  part  le  crochet  embras- 
sant la  dent  dans  sa  demi-circonférence  va  s'appliquer  par  son  extrémité  libre 
sur  le  point  de  la  dent  directement  opposé.  Enfin  un  mouvement  lent  de 


DENT   (médecine  opératoire).  3&5 

rotation  autour  du  point  d'appui  du  panneton  comme  centre  est  imprimé  à 
l'iiistrumeat,  mais  sans  brusquerie,  et  de  façon  à  ne  produire  que  la  luxation 
de  l'organe. 

Il  est  bon  pendant  ce  mouvement  de  soutenir  le  crochet  avec  l'un  des  doigts 
de  la  main  gauche,  pour  éviter  son  déplacement.  Lorsqu'on  opère  comme  il 
vient  d'être  dit,  il  est  rare  que  la  dent  soit  extraite  d'emblée  ;  la  luxation  seule 
est  obtenue  dans  ce  premier  temps  et  l'opération  s'achève  ensuite  facilement  au 
moyen  du  davier  ou  de  la  pince. 

On  a  beaucoup  discuté  pour  savoir  de  quel  côté  il  vaut  mieux  appliquer  le 
panneton  de  la  clef;  les  uns,  et  c'est  le  plus  grand  nombre,  le  placent  toujours 
en  dehors,  sur  le  bord  labial  des  gencives  ;  d'autres  toujours  en  dedans,  d'autres 
enfin,  tantôt  en  dedans  et  tantôt  en  dehors.  Il  ne  faut  pas  adopter  de  règle  absolue. 
D'une  manière  générale,  on  peut  dire  que  toutes  les  fois  qu'il  est  possible  le 
panneton  doit  être  appliqué  en  dehors,  la  position  est  ainsi  plus  commode  pour 
l'opérateur,  et  expose  moins  l'opéré  aux  accidents  qui  peuvent  résulter  de 
l'écrasement  de  la  table  interne  du  maxillaire,  mais,  si  la  carie  a  détruit  toute 
la  partie  interne  de  la  couronne  et  empiété  même  de  ce  côté  sur  la  racine,  il 
est  certain  que,  le  crochet  ne  pouvant  plus  trouver  un  point  d'appui  suffisant, 
l'opération  échouera  avec  le  panneton  en  dehors,  tandis  qu'elle  pourra  réussir, 
si  on  l'applique  en  dedans. 

Nous  ne  voulons  pas  faire  le  procès  à  la  clef,  mais  il  est  évident  que  c'est 
un  instrument  brutal,  inconscient  et  par  conséquent  dangereux  par  la 
force  qu'il  permet  de  développer.  ?séanmoins,  malgré  tous  ses  défauts,  la  clef 
peut  rendre  service  dans  certains  cas,  mais  elle  ne  doit  jamais  être  employée 
que  pour  les  molaires  et  leurs  débris,  el  seulement  dans  le  cas  où  les  autres 
instruments  sont  reconnus  inapplicables. 

La  contre-indication  est  formelle  pour  les  incisives,  les  canines  et  les  prémo- 
laires, dont  l'avulsion  est  toujours  plus  facile  avec  les  daviers  et  qui,  à  cause  de 
la  longueur  de  leurs  racines,  ne  pourraient  supporter  sans  se  briser  la  luxation 
brusque  que  produit  toujours  la  clef. 

Quant  aux  dents  de  sagesse,  cet  instrument  ne  leur  convient  pas  davantage  ; 
leur  situation  à  l'extrémité  du  rebord  alvéolaire,  là  où  ce  bord  est  à  peine 
saillant,  la  forme  des  racines  et  la  courbure  presque  constante  qu'elles  pré- 
sentent dans  le  sens  postérieur,  rendent  presque  impossible  l'application  du 
panneton;  nous  avons  vu  d'ailleurs  que  leur  avulsion  réclame  une  pratique 
toute  spéciale. 

AcciDE.Ms  DE  l'extraction.  L'histoirc  des  accidents  de  l'extraction  des  dents 
a  été  tracée  par  beaucoup  d'auteurs,  mais  sans  remonter  au  delà  de  ce  siècle 
nous  citerons  l'excellente  étude  de  Duval  {Des  accidents  de  Vextraction  des 
dents,  1825),  puis  celle  de  Delestre  sur  le  même  sujet  (1870),  après  quelques- 
travaux  plus  spéciaux,  comme  celui  du  docteur  Moreau  sur  Thémorrhagie 
consécutive  à  l'extraction,  et  quelques  autres  {ioy.  Moreau,  Arch.  gén.  deméd., 
1879).  Tout  récemment  une  autre  publication  de  Redier  sur  le  même  sujet 
a  paru  dans  le  Journal  des  sciences  médicales  de  Lille  (1880);  nous  l'avons 
déjà  citée  plus  haut  et  la  description  des  accidents  de  l'extraction  est  exposée 
d'une  manière  si  magistrale  que  nous  ne  croyons  mieux  faire  que  d'y  pratiquer 
de  larges  emprunts. 

Lorsqu'on  parcourt  la  liste  innombrable  des  observations  d'accidents  consécutifs 
à  l'extraction  dentaire,  on  est  étonné  de  voir  avec  quelle  légèreté  les  malades 


56i  DENT  (médecine  opératoire). 

se  livrent  aux  mains  des  praticiens  improvisés.  C'est  qu'en  effet  le  plus  grand 
nombre  de  ces  observations  se  rapporte  à  des  faits  où  l'ignorance  et  la  témérité 
ont  joué  le  plus  grand  rôle.  Nous  ne  pouvons  considérer  ces  exemples  que  comme 
des  fautes  et  non  comme  des  accidents,  pas  plus  qu'en  chirurgie  on  ne  range 
parmi  les  accidents  des  opérations  les  erreurs  grossières  qui  ne  sont  appli- 
cables qu'à  l'incapacité.  Pour  nous,  les  accidents  de  l'extractiwj  ne  comprenneat 
que  les  événements  imprévus  qui  accompagnent  ou  suivent  l'opération. 

Ils  se  divisent  ainsi  naturellement  en  deux  groupes  suivant  qu'ils  sont  immé- 
diats ou  consécutifs. 

Les  accidents  immédiats  comprennent  les  lésions  mécaniques  des  dents,  des 
maxillaires  ou  des  parties  molles,  certains  accidents  nerveux  et  l'hémorrhagie. 
Les  exemples  qu'on  a  rapportés  de  dents  extraites  tombées  dans  les  voies 
aériennes  ou  digestives  rentrent  aussi  dans  ce  pi^emier  groupe. 

Les  accidents  consécutifs  sont  les  complications  inflammatoires,  les  troubles 
nerveux  ou  l'hémorrhagie  secondaire. 

Sans  avoir  la  prétention  de  donner  une  classification  parfaite  de  tous  ces 
accidents,  nous  croyons  qu'on  peut  les  grouper  de  la  manière  suivante  : 


luUÉOlATS  . 


Lésions 
mécaniques 


ACCIDENTS    DE    L  EXTR.iCTION    DES    DEXTS 

i  Fracture  de  la  dent. 

des  dents '  Luxation  ou  fracture  des  dents  voisines. 

Extraction  d'une  dent  voisine. 
Fractures  incomplètes. 
Pénétration  liu  sinus  maxillaire. 
Fracture  complète  du  maxillaire  inférieur. 
Luxation  du  maxillaire  inférieur. 
/  des  gencives. 
Déchirure 
ou  contusion. . 


des  maxillaires.  , 


des  parties  molles. .  j 


Introduction  des  dents  dans  les  voies 


.\ccidents  nerveux 


Hémorrhagie  primitive. 


Accidents  inilammalcires . 


COSSÉCOTIFS. 


,  Accidents  nerveux 


I  des  lèvres  ou  des  joues. 

I  de  la  langue. 

l  de  la  muqueuse  palatine. 

\  aériennes. 

I  digestives. 
Douleur. 

CoUap^us  par  excès  de  douleur. 
Spasme  ou  tremblement  convulsif. 
Accès  épileptiformes  ou  hystériformes. 


!  Stomatite  et  gangrène  de  la  b  juche. 
Phlegmon  de  la  joue  ou  de  la  face. 
Abcès. 
Ostéite  et  nécrose  des  maxillaires. 
f  Névralgie  traumatique. 
.  <  Paralysies  réDexes. 
(  Tétanos. 


Ces  accidents  n'ont  pas  tous  la  même  importance;  le  plus  grand  nombre 
n'entraîne  pas  ordinairement  de  conséquences  fâcheuses,  mais  quelques-uns 
peuvent  acquérir,  dans  certaines  circonstances,  une  gravité  exceptionnelle  et 
même  entraîner  la  mort. 

Nous  ne  pourrions  faire  ici  leur  histoire  complète  sans  répéter  ce  que  nous 
avons  dit  ailleurs  :  nous  nous  bornerons  donc  à  montrer  comment  ils  se 
produisent,  comment  on  peut  les  éviter  le  plus  souvent  et  comment  on  peut  y 
remédier  ou  en  atténuer  les  effets  lorsqu'on  se  trouve  en  présence  d'un  fait 
accompli. 

Pour  la  commodité  de  la  description  nous  étudierons  successivement  : 

A.  Les  lésions  mécaniques  ; 

B.  Les  accidents  inflammatoires; 


DENT   (médecine  opératoire).  565 

C.  Les  troubles  nerveux  ; 

D.  L'hémorrhagie. 

A.  Lésions  mécaniques.  La  fracture  de  la  dent  pendant  les  tentatives 
d'extraction  dépend  soit  de  l'imperfection  de  l'instrument  ou  de  son  application 
vicieuse,  soit  de  la  friabilité  de  l'organe  ou  de  la  disposition  anormale  des  racines 
(dents  à  racines  convergentes  (barrées),  dents  à  racines  divergentes).  La  fracture 
sié'^e  tantôt  sur  la  couronne,  tantôt  sur  les  racines,  plus  ou  moins  près  du  collet. 

Doit-on  dans  ces  conditions  abandonner  l'opération,  ou  au  contraire  aller  à  la 
recherche  des  portions  incluses  dans  les  alvéoles  ? 

Nous  croyons  qu'en  général  on  doit  continuer  l'opération,  qui,  bien  que  plus 
laborieuse,  n'en  reste  pas  moins  presque  toujours  possible.  11  est  bien  évident 
que,  si  on  réserve  l'extraction  pour  les  seuls  cas  où  elle  est  formellement  indiquée, 
on  ne  saurait  espérer  qu'après  la  fracture  les  désordres  qui  justifiaient  l'opé- 
ration cesseront  de  se  présenter. 

Dans  quelques  circonstances  cependant,  il  arrive  qu'à  la  suite  des  tentatives 
d'extraction  il  se  produit  un  état  intlammafoire  du  périoste  qui  amène  le 
soulèvement  de  la  racine  et  rend  ainsi  l'avulsion  plus  facile;  mais,  outre  qu'à 
ce  moment  l'opération  sera  infiniment  plus  douloureuse,  on  n'est  guère  en 
droit  de  compter  sur  ce  résultat,  qui  est  en  réalité  exceptionnel. 

Il  arrive  quelquefois  qu'une  dent,  après  des  efforts  plus  ou  moins  considérables, 
cède  brusquement,  et  que  le  davier  vient  heurter  les  dents  de  la  mâchoire 
opposée  :  le  choc  peut  alors  faire  éclater  des  fragments  de  la  couronne  des  dents 
atteintes  ou  même  4éterminer  une  fracture  transversale  au  niveau  du  collet. 

La  luxation  des  dents  voisines  est  un  accident  plus  fréquent  :  c'est  surtout 
lorsqu'on  emploie  les  divers  leviers  et  particulièrement  la  langue  de  carpe  et 
lorsqu'on  prend  le  point  d'appui  sur  une  dent  isolée  ou  déjà  peu  solide,  que  la 
luxation  se  produit  :  elle  peut  être  complète  ou  incomplète.  Dans  ce  dernier 
cas,  si  la  dent  n'est  qu'ébranlée,  il  est  à  peu  près  certain  qu'elle  contractera  de 
nouvelles  adhérences  et  retrouvera  au  bout  de  ([uelques  jours  toutes  ses  qualités, 
surtout  si  le  faisceau  vasculo-nerveux  n'a  pas  été  rompu.  Si  la  luxation  est 
complète,  il  ne  faut  pas  hésiter  à  faire  la  réiraplantaliou  immédiate  suivant  les 
indications  que  nous  donnons  {voy.  Greffe  dentaire),  après  s'être  assure 
toutefois  que  l'alvéole  et  la  racine  sont  en  bon  état.  On  agirait  de  même,  si  par 
une  méprise  bien  difficile  à  expliquer  ou  par  le  fait  de  mouvements  brusques 
du  malade  une  dent  saine  était  enlevée,  soit  au  lieu  de  la  dent  malade,  soit 
en  même  temps  qu'elle. 

La  lésion  des  follicules  des  dents  permanentes  pendant  l'extraction  des  tempo- 
raires peut  avoir  pour  conséquence  l'élimination  de  ceux-ci,  par  suppuration  ou 
la  production  de  diverses  anomalies. 

Dans  une  série  d'expériences  que  nous  avons  entreprises  sur  déjeunes  chiens, 
dans  un  but  tout  différent,  nous  avons  observé  que  les  traumatisraes  des 
follicules  aboutissaient  fréquemment  à  la  formation  d'odontomes  :  il  est  bien 
probable  que  les  choses  se  passent  de  la  môme  manière  chez  les  enfants. 

On  a  encore  signalé  l'extraction  complète  du  follicule.  Oudet,  à  propos  d'un 
cas  qu'il  avait  observé,  fit  à  ce  sujet  une  communication  à  l'Académie  de 
médecine  (Séance  du  14  aoiit  1828).  Tomes  {Traité  de  chirurgie  dentaire. 
Trad.  Darin,  p.  369)  en  rapporte  deux  exemples.  Dans  ces  trois  observations, 
il  s'agit  de  molaires  temporaires  de  la  mâchoire  inférieure;  lorsqu'elles  furent 
extraites,  on  constata   que  la  permanente    correspondante  ou  son  follicule, 


5C6  DE.M   (médecine  opératoire). 

embrassé  par  les  racines  de  la  temporaire  était  venue  avec  elle.  Cet  accident  est 
rare  et  en  tous  cas  impossible  à  prévoir  :  il  faut  pour  qu'il  se  produise  que 
les  racines  de  la  dent  temporaire  correspondante  et  extraite  avec  l'autre 
n'aient  pas  encore  subi  la  résorption  qui  détermine  le  moment  de  la  chute 
spontanée  de  l'organe;  ces  faits  viennent  d'ailleurs  à  l'appui  du  précepte 
que  nous  avons  posé,  qu'on  ne  doit  en  général  pratiquer  l'avulsion  des  dents 
temporaires  que  lorsqu'elles  sont  déjà  ébranlées  et  alors  que  les  racines  ont 
presque  totalement  disparu. 

Les  lésions  mécaniques  des  parties  molles  siègent  aux  gencives,  aux  joues, 
aux  lèvres,  à  la  langue  ou  au  voile  du  palais  :  Ce  sont  des  contusions,  des  plaies 
contuses  ou  des  pluies  par  arrachement.  C'est  tantôt  le  panneton  de  la  clef  qui 
comprime  la  gencive,  tantôt  le  crochet  de  cet  instrument  ou  les  mors  du 
davier  qui,  appliqués  directement  sur  la  muqueuse,  la  déchirent  ou  l'arrachent 
dans  une  étendue  plus  ou  moins  considérable,  tantôt  c'est  le  pied  de  biche  ou  la 
langue  de  carpe  qui  par  une  échappée  viennent  lacérer  la  langue,  la  joue  ou  la 
muqueuse  palatine.  Dans  ce  dernier  cas,  la  lésion  peut  être  très-étendue,  et  les 
exemples  de  perforation  des  joues  ou  du  voile  du  palais  ne  sont  pas  rares. 

Lorsqu'elles  sont  peu  étendues  et  peu  profondes,  les  plaies  de  la  muqueuse 
buccale  n'ont  aucune  importance  ;  il  est  rare  qu'on  enlève  une  dent  sans  eutrauier 
avec  elle  quelques  petites  portions  de  gencive  adhérentes  au  collet;  mais, 
lorsipie  celle-ci  est  arrachée  et  décollée  dans  une  grande  étendue,  l'excision  du 
lambeau  flottant  doit  être  faite  séance  tenante,  s'il  ne  peut  être  réappliqué 
avec  quelques  chances  de  succès;  le  rebord  alvéolaire  mis  à  nu  peut  alors  se 
nécroser  partiellement  et  les  dents,  mal  soutenues  dans  leurs  alvéoles  incomplets, 
peuvent  s'ébranler  consécutivement.  Le  plus  souvent  cependant  l'os  bourgeonne 
et  se  recouvre  d'un  tissu  cicatriciel  qui  répare  la  perte  de  substance  et  rétablit 
les  choses  en  ordre. 

Les  lésions  des  maxillaires  sont  peut-être  les  plus  fréquents  de  tous  les  acci- 
dents de  l'extraction. 

La  fracture,  lorsqu'elle  est  limitée  au  bord  alvéolaire  et  qu'elle  a  peu  d'é- 
tendue, n'a  aucune  importance,  les  parois  alvéolaires  devant,  à  la  suite  de 
l'extraction,  subir  une  résorption  graduelle  qui  les  fera  disparaître  peu  à  peu. 
C'est  ordinaii'ement  le  bord  externe  qui  est  brisé  en  raison  de  sa  faible  épais- 
seur, et  l'accident  se  produit  d'autant  plus  facilement,  que  le  sujet  est  moins 
jeune,  le  tissu  osseux  devenant  avec  l'âge  plus  dense,  moins  élastique  et  par 
conséquent  plus  fragile.  L'extraction  des  dents  à  racines  divergentes  entraîne 
presque  nécessairement  de  semblables  fractures. 

Mais  les  fractures  partielles  des  maxillaires  peuvent  dans  quelques  circon- 
stances acquérir  une  gravité  exceptionnelle,  soit  que,  le  fragment  s'étendant 
jusqu'aux  alvéoles  des  dents  voisines,  celles-ci  soient  compromises  dans  leur 
solidité  ou  même  entraînées  du  même  coup,  soit  que  l'ouverture  du  sinus 
maxillaire  ou  la  compression  et  la  déchirure  du  nerf  dentaire  dans  un  canal 
osseux  en  soient  la  conséquence. 

Les  exemples  de  ces  fractures  compliquées  ne  sont  malheureusement  pas 
très-rares.  Dans  un  cas  rapporté  par  Desirabode,  une  fracture  [Gazette  des 
hôpitaux,  1857,  p.  545)  du  bord  alvéolaire  inférieur  s'était  produite  pendant 
les  tentatives  d'extraclion  de  la  première  prémolaire  gauche  à  l'aide  de  la  clef 
de  Garengeot;  le  fragment  supportait  sept  dents;  le  canal  dentaire  avait  été 
compris  dans   la  fracture  et  la  lèvre  inférieure  était  paralysée;  le  fragment 


DE>'T  (médecine  orÉR.VTOiRE).  '^67 

osseux  avec  les  sept  dents  qu'il  supportait  dut  être  enlevé  à  la  suile  d'eflorts 
infructueux  pour  le  conserver. 

On  trouve  dans  Tomes  (Trad.  Darin,  p.  638)  une  observation  due  à  M.  Cattlin 
où  les  désordres  ont  été  plus  graves  encore.  Dans  une  tentative  d'extraction  au 
moyen  d'un  levier  simple,  l'instrument  s'échappa  des  mains  de  l'opérateur  et 
alla  détacher  la  tubérosité  du  maxillaire  avec  une  portion  du  plancher  du 
sinus  et  un  fragment  du  sphénoïde.  Des  accidents  graves  furent  la  conséquence 
immédiate  de  cette  lésion  et  le  malade  conserva,  outre  une  fistule  du  sinus  et 
des  troubles  des  mouvements  de  la  mâchoire,  une  surdité  complète  du  côté 
lésé. 

Nous-même.  parmi  de  nombreux  faits  d'accidents  divers  consécutifs  à  des 
extractions,  nous  avons  recueilli  une  observation  dans  laquelle  l'extraction  d'une 
dent  de  sagesse  inférieure  avait  été  pratiquée  au  moyen  de  la  clef  appliquée  de 
dehors  en  dedans  et  maniée  avec  une  grande  violence.  Il  s'ensuivit  une  fracture 
de  l'alvéole  au  niveau  de  l'entrée  des  vaisseaux  et  nerfs  dentaires  et  la  compression 
de  ceux-ci  entraîna  une  paralysie  de  la  sensibilité  dans  l'arcade  correspondante  et 
la  région  mentonnière,  et  en  outre  une  paralysie  réflexe  delà  langue.  Ces  accidents 
furent  suivis  d'une  nécrose  partielle  de  l'os  dont  l'élimination  permit  le  rétablis- 
sement de  la  sensibilité. 

L'ouverture  du  sinus  maxillaire  peut  être  le  résultat  de  l'extraction  des 
prémolaires  ou  des  molaires  supérieures  dont  les  racines  sont  en  rapport  avec  le 
plancher  de  cette  cavité  ;  cela  a  lieu  lorsque  la  racine  pénètre  jusque  dans  la  cavité 
du  sinus,  circonstance  anormale,  il  est  vrai,  mais  qui  se  rencontre  néanmoins 
quelquefois.  Le  même  fait  se  produit  beaucoup  plus  souvent  dans  le  cas  où, 
une  altération  organique  ou  un  abcès  du  périoste  s'étant  développé  au  sommet 
d'une  de  ces  racines,  la  production  pathologique  vient  faire  saillie  ou  s'ouvrir 
dans  le  sinus;  alors  en  faisant  l'extraction  de  la  dent  on  constate  non- seulement 
une  épistaxis  par  passage  direct  du  sang  dans  les  fosses  nasales,  mais  encore 
l'écoulement  par  la  même  voie  de  l'eau  qui  est  introduite  dans  la  bouche. 

Tomes  signale  un  autre  accident  qui  peut  arriver  dans  les  mêmes  conditions 
{Transact.  of  the  odontolog.  Society.  New  Séries,  vol.  III,  p.  581,  cité  par 
Tomes,  Traité  de  chirurgie  dentaire,  Trad.  Darin)  :  c'est  l'enfoncement  d'une 
racine  dans  la  cavité  du  sinus  dans  les  tentatives  d'extraction  avec  le  pied  de 
biche  ou  la  langue  de  carpe  ;  il  en  résulte  nécessairement  une  perforation  à 
travers  laquelle  on  doit  aller  rechercher  la  racine  refoulée. 

L'ouverture  du  sinus  à  la  suite  d'une  extraction  simple,  lorsque  l'orifice  est 
de  petite  dimension,  se  referme  spontanément  au  bout  de  quelques  jours  dans 
la  plupart  des  cas;  mais  il  n'en  est  pas  de  même  lorsque  l'accident  est  le 
résultat  d'une  fracture,  surtout  lorsque  celle-ci  a  déterminé  la  séparation  d'un 
fragment  d'une  certaine  étendue  ;  la  communication  reste  établie  pour  toujours 
et  .l'installation  d'un  appareil  prothétique  devient  nécessaire  pour  empêcher  le 
passage  des  aliments  et  des  boissons  dans  l'antre  d'Hygmore.  Les  faits  de  ce 
genre  qui  ont  été  rapportés  par  les  auteurs  sont  très-nombreux. 

Duval  a  cité  dans  son  Mémoire  sur  les   accidents  de  Vextraction  (p.    52) 
plusieurs  cas  de  perforation  plus  au  moins  large  du  sinus  par  enfoncement  ou 
par  arrachement  delà  paroi  inférieure.  L'un  des  faitsqu'il  rapporte  a  cela  de  cu- 
rieux qu'il  fut  suivi  d'un  procès  et  que  l'opérateur,  qui  était  un  rebouteur 
fut  condamné  à  de  gros  dommages  et  intérêts. 

Delestre  en  cite  plusieurs  observations  analogues,  et  enfin  le  docteur  Moreau 


568  DENT   (médecine  opératoire). 

en  a  plus  récemment  publié  {Union  médicale,  25  septembre  1878)  un  cas  qui 
se  termina  également  par  une  fistule  définitive  du  sinus  et  donna  lieu  aussi  à 
un  procès  qui  eut  la  même  issue  que  dans  le  cas  de  Duval. 

C'est  dans  les  mêmes  conditions  que  se  produisent  les  fractures  complètes 
du  maxillaire  inférieur  et  même  la  luxation  de  cet  os.  Mais  sont-ce  bien  là  des 
accidents  imputables  à  l'opération?  Nous  comprendrions  à  la  rigueur  la  luxation 
chez  un  sujet  dont  l'articulation  serait  très-làche,  comme  on  en  rencontre 
fréquemment  des  exemples;  mais  dans  ces  cas  le  maxillaire  inférieur  reprend 
d'ordinaire  sa  position  normale  aussi  facilement  qu'il  la  quitte,  et  les  malades 
habitués  à  ces  déplacements  n'en  prennent  aucun  souci.  D'ailleurs  la  mâchoire 
doit  toujours  être  soutenue  pendant  l'opération,  et  lorsqu'on  ne  néglige  pas 
cette  précaution  le  déplacement  est  presque  impossible. 

Nous  ne  nous  arrêterons  pas  davantage  sur  les  accidents  dont  nous  venons  de 
parler,  lesquels  ne  tirent  de  leur  mode  de  production  aucune  indication  spéciale, 
et  qui  devraient  en  tous  cas  être  traités  par  les  procédés  ordinaires  de  la 
chirurgie  générale. 

Un  dernier  accident  que  nous  signalerons  ici  à  la  suite  des  lésions  méca- 
niques est  V introduction  de  la  dent  extraite  dans  les  voies  aériennes  ou  dans  les 
voies  digestives.  Delestre  en  a  réuni  un  certain  nombre  d'observations  (G.  Delestre, 
Des  accidents  causés  par  Vextraction  des  dents,  l'aris,  1870,  p.  92  à  103)  ;  le 
Dental  Cosmos  en  rapporte  aussi  plusieurs  exemples  [Dental  Cosmos,  février  1867, 
p.  384)  ;  néanmoins  ces  faits  sont  rares. 

Dans  l'extraction  au  moyen  de  la  clef  ou  de  divers  leviers,  l'organe  luxé 
s'échappe  quelquefois  brusquement  et  peut  être  projeté  dans  le  pharynx  au 
moment  d'une  forte  inspiration  ou  pendant  un  mouvement  de  déglutition;  il  ne 
peut  en  être  ainsi  avec  les  daviers,  la  dent  extraite  restant  nécessairement 
maintenue  entre  les  mors.  L'anesthésie  générale  favorise  encore  la  production 
de  cet  accident,  la  tête  du  sujet  étant  nécessairement  plus  ou  moins  renversée 
en  arrière,  l'écoulement  du  sang  donnant  lieu  à  des  mouvements  de  dégluti- 
tion, et  le  réveil  subit  provoqué  par  la  douleur  s'accompagnant  toujours  d'inspi- 
rations brusques  et  irrégulières. 

Lorsqu'une  dent  s'est  introduite  dans  les  voies  digestives,  elle  est  rejelée 
ordinairement  dans  les  selles  au  bout  de  quelques  jours;  il  n'y  aurait  en  tout 
cas  aucun  avantage  à  provoquer  son  expulsion  immédiate  par  l'administration 
d'un  vomitif  ou  d'un  purgatif,  car  les  contractions  intestinales  violentes  déter- 
minées par  ces  agents  thérapeutiques  pourraient  occasionner  des  déchirures  de 
la  muqueuse  contre  les  aspérités  de  la  dent  ingérée. 

Mais,  si  la  dent  extraite  est  tombée  dans  les  voies  aériennes,  l'accident  peut 
avoir  des  conséquences  beaucoup  plus  graves  et  même  entraîner  la  mort.  La 
conduite  du  chirurgien  dépendra  ici  des  circonstances  de  l'accident;  s'il  ne 
s'agit  que  d'un  fragment  de  racine  de  petite  dimension,  on  peut  espérer  qu'il 
sera  rejeté  dans  un  effort  de  toux.  Si  le  corps  étranger  produit  des  accidents  de 
suffocation  qui  menacent  la  vie  du  sujet,  on  pourrait  être  conduit  à  pratiquer 
d'urgence  la  trachéotomie  à  la  fois  pour  rétablir  le  libre  passage  de  l'air  et 
pour  enlever  la  dent  égarée.  En  dehors  de  ces  circonstances  oiî  une  intervention 
irnmédiate  est  nécessaire,  le  mieux  serait  peut-être  d'attendre,  tout  en  soumettant 
le  sujet  à  une  rigoureuse  observation.  C'est  qu'en  effet  le  diagnostic  n'est  pas 
toujours  facile  à  établir  d'une  manière  absolue  au  moment  même  de  l'accident  ; 
il  pourrait  arriver,  par  exemple,  qu'une  dent  eût   été  simplement  avalée  et 


DENT  (médecine  opératoire).  569 

que  quelques  gouttes  de  sang  tombées  dans  le  larynx  provoquassent  de  violents 
accès  de  toux  et  un  commencement  de  suffocation. 

Une  intervention  hâtive  n'aurait  pas  d'objet  dans  ces  conditions,  et  souvent 
même  elle  pourrait  avoir  plus  d'inconvénients  que  le  mal  auquel  elle  prétendait 
remédier. 

En  tout  cas,  l'intervention  du  chirurgien  dans  le  fait  démontré  de  rentrée 
d'une  dent  dans  les  voies  aériennes  devra  suivre  les  règles  ordinaires  du  trai- 
tement des  corps  étrangers  de  ces  conduils,  renversement  brusque  du  sujet, 
recherche  immédiate  au  moyen  de  pinces  spéciales,  etc.;  cet  accident,  nous 
le  répétons,  est  toutefois  fort  grave  et  plusieurs  fois  déjà  il  s'est  terminé  par  la 
mort.  Nous  devons  en  rnpprocher  encore  quelques  cas  de  corps  étrangers  qui 
ont  été  pendant  l'extraction  projetés  dans  les  voies  aériennes  :  tels  sont,  par 
exemple,  des  bouchons  ou  des  coins  de  bois  introduits  entre  les  arcades  den- 
taires pour  faciliter  ou  fixer  l'écartement  des  mâchoires,  et  qui  par  suite  de 
mouvements  brusques  d'aspiration  pendant  le  sommeil  anesthésique  ont  déter- 
miné l'asphyxie  mortelle. 

B.  Accidents  injlammaloires.  L'extraction  des  dents  détermine  nécessaiie- 
menlune  plaie  qui,  toulesimple  et  si  peu  étendue  qu'elle  soit,  peut  dans  certaines 
circonstances  ne  pas  suivre  la  marche  régulière  qui  aboutit  à  une  prompte  cica- 
trisation. C'est  tantôt  l'état  général  du  sujet,  tantôt  les  altérations  du  voisinage 
dont  riuiluence  se  fait  sentir.  Qu'il  y  ait  dans  la  bouche  des  pla(iues  de  sto- 
matite ulcéreuse,  des  plaques  syphilitiques  ou  des  ulcérations  scorbutiques,  et  la 
plaie  résultant  de  l'extraction,  au  lieu  de  se  cicatriser,  revêtira  tous  les  carac- 
tères des  lésions  qui  l'avoisineut. 

Quelquefois  aussi  il  semble  que  l'extraction  devienne  la  cause  déterminante 
d'accidents  auxquels  le  sujet  devait  d'ailleurs  être  prédisposé:  c'est  ainsi  que  des 
stomatites  partielles  ou  généralisées  se  déclarent  quelquefois  à  la  suite  d'extrac- 
tions faites  très-régulièiement  et  sans  qu'on  puisse  invoquer  aucune  autre  cause. 
Ces  stomatites  se  compliquent  souvent  d'altérations  profondes  et  étendues  ;  on 
observe  même  quelquefois  de  véritables  plaques  gangreneuses  et  Jourdain  a  vu 
un  cas  de  mort  par  gangrène  de  la  bouche,  survenue  à  la  suite  d'une  extraction 
(Jourdain,  Maladies  de  la  bouche,  t.  1,  p.  488). 

Nous  ajouterons  toutefois  que  ces  accidents  ne  sont  pas  très-fréquents;  si 
d'ailleurs  on  observait  chez  un  sujet  quelque  prédisposition  qui  put  en  faire 
craindre  la  production,  on  devrait  retarder  l'extraction  et  k  remettre  autant  que 
possible  à  un  moment  plus  favorable. 

Les  complications  inflammatoires  sont  bien  plus  souvent  le  résultat  des 
désordres  immédiats  produits  pendant  l'extraction  :  ce  sont  les  déchirures  delà 
muqueuse  ou  les  lésions  des  maxillaires  qui  deviennent  le  point  de  départ  des 
phlegmons  de  la  face  et  du  cou,  ou  de  périostite,  d'ostéite  ou  de  nécrose  des 
maxillaires. 

La  fluxion  simple  avec  induration  des  tissus  et  se  terminant  par  résolution  est 
de  toutes  ces  complications  la  plus  bénigne.  Bien  qu'essentiellement  différent 
par  sa  nature  et  son  mode  de  production,  on  peut  en  rapprocher  l'emphy- 
sème, qui  à  priori  pourrait  en  imposer  pour  un  phlegmon  à  sa  première 
période. 

L'emphysème  est  d'ailleurs  un  accident  tout  à  fait  exceptionnel,  et  nous  n'en 
connaissons  pas  d'autres  exemples  que  l'observation  du  docteur  Dupuy  {Gaz, 
des  hop.,  1870,  5  juillet)  et  celle  de  Delestre  {op.  cit.,  p.  44). 

DICT.  E.Nfi.  XXYII.  24 


370  DENT   (MKDEci?iE   opératoire). 

Dans  le  premier  cas,  il  s'agissait  d'une  dernière  molaire  inférieure  gauche  qui 
fut  extraite  à  une  personne  âgée  de  trente-sept  ans.  Le  lendemain  une  petite 
hémorrhagie  se  déclara  ;  bientôt  arrêtée,  elle  fut  suivie  de  douleurs,  de  constric- 
tion  des  mâchoires  et  de  gonflement  de  la  région  sous-maxillaire,  la  partie 
tuméfiée  donnant  à  la  main  la  sensation  de  crépitation  caractéristique  ;  après 
deux  jours  d'application  de  glace,  les  accidents  disparurent. 

Dans  l'observation  de  Delestre,  le  développement  de  l'emphysème  fut  presque 
instantané  et  se  produisit  quelques  minutes  après  l'extraction  d'une  première 
petite  molaire  inférieure  gauche  ;  la  résorption  fut  complète  au  bout  de  quelques 
jours. 

Nous  no  pouvons  donner  à  ces  faits  une  interprétation  précise  ;  les  auteurs  de 
ces  deux  observations  ne  signalent  aucun  désordre  particulier,  aucune  fracture 
qui  puisse  rendre  compte  du  phénomène.  11  est  cependant  probable  que  l'air 
expiré  pendant  les  cris  ou  pendant  un  effort  violent  des  malades  pénètre  par  un 
des  points  de  la  surface  de  la  plaie  et  vient  s'accumuler  dans  le  tissu  cellulaire 
lâche  des  joues  ou  de  la  région  sous-maxillaire.  Peut-être  d'ailleurs  l'em- 
physème se  produit-il  plus  fréquemment  qu'il  ne  semble  et  n'échappe-t-il 
à  l'observation  qu'en  raison  même  de  son  peu  d'importance,  les  malades  ne 
s'inquiétunt  point  de  ce  qu'ils  regardent  comme  une  fluxion  indolente  et  sans 
gravité. 

Mais  revenons  à  la  fluxion,  premier  degré  du  phlegmon,  et  qui,  nous  l'avons  dit, 
guérit  souvent  spontanément.  D'autres  fois  la  suppuration  s'établit  et  il 
se  forme  un  abcès  qui  vient  proéminer  ordinairement  dans  le  sillon  labio- 
gingival.  Si  l'abcès  est  ouvert  à  temps,  ou  s'il  s'ouvre  spontanément  et  si  l'in- 
flammation est  circonscrite,  la  guérison  ne  tarde  pas  à  se  réaliser:  mais,  si  le 
périoste  des  maxillaires  est  envahi,  l'accident  devient  beaucoup  plus  sérieux,  les 
fusées  purulentes,  les  décollements  bientôt  suivis  d'ouvertures,  de  fistules  multi- 
ples, sont  à  craindre,  et  le  maxillaire  lui-même  peut  s'enflammer  et  se  nécroser 
partiellement.  Arrivées  à  ce  degré,  les  complications  n'ont  plus  de  limites,  et  les 
désordres  les  plus  graves  peuvent  en  résulter. 

Tel  est  le  cas  de  cet  enfant  de  dix  ans  (observation  communiquée  par 
M.  Després),  auquel  une  grosse  molaire  delà  mâchoire  inférieure  avait  été  enlevée. 
Dès  le  lendemain  les  accidents  inflammatoires  se  manifestèrent  ;  la  périostite  du 
maxillaire  se  compliqua  bientôt  d'adénite,  puis  de  phlegmon  du  cou  et  de  la 
poitrine.  Un  mois  après  l'avulsion  de  la  dent,  la  mâchoire  inférieure  se  mouvait 
encore  difficilement,  la  périostite  persistait  et  la  peau  du  cou  était  sphacélée 
dans  une  grande  étendue.  De  larges  incisions  furent  pratiquées,  et  ce  n'est 
qu'au  bout  de  six  mois  que  l'enfant  guérit  avec  une  cicatrice  vicieuse,  consé- 
quence de  la  perte  de  substance  qu'avait  éprouvée  la  région  cervicale. 

Dans  quelques  circonstances  l'inflammation  s'est  propagée  jusqu'au  tissu 
cellulaire  de  l'orbite  et  a  donné  lieu  à  toutes  les  conséquences  du  phlegmon 
orbitaire. 

Fischer  {Kîinischer  Unterricht  in  der  Augenheilkunde,  p.  9.  Prague,  1832, 
cité  par  Mackensie,  Traité  des  maladies  de  l'œil,  traduction  de  Warlomont  et 
Testelin,  1. 1,  p.  440)  rapporte  un  exemple  dans  lequel  on  voit  l'inflammation 
phlegmoneuse  du  tissu  cellulaire  de  l'orbite,  consécutive  à  l'extraction  d'une 
dent,  déterminer  une  méningite  mortelle. 

Tierlinck  a  publié  plusieurs  observations  analogues  {Essai  sur  les  rapports 
pathologiques  du  système  dentaire  et  de  l'appareil  visuel.  Annales  de  la  Société 


DENT  (médecine  opératoire).  371 

de  médecine  de  Gand,  1848)  ;  ces  faits  ne  sont  malheureusement  pas  très-rares, 
mais  nous  ne  pourrions  les  reproduire  ici  sans  nous  e'iendre  démesure'ment  sur 
ces  considérations  {voy.  Soret,  Annales  d'oculistique,  t.  XVIII,  p.  159.  Gazette 
médicale  de  Paris,  26"  année,  Z"  série,  t.  XI,  n"  35,  50  aovit  1856.  —  Meynicr, 
Abeille  médicale,  t.  XIV,  1857,  p.  6.  — Decaisne,  Sur  lea  dents  œillères,  Mém. 
de  l'Acad.  de  méd.  de  Belgique,  t.  XIII,  1855,  etc.,  etc.). 

Troubles  nerveux.  Les  accidents  nerveux  de  l'extraction  des  dents  sont 
immédiats  ou  consécutifs;  la  douleur  avec  le  collapsus  et  les  spasmes  qu'elle 
détermine  quelquefois,  les  attaques  épileptiformes  provoquées  par  l'extraction, 
sont  des  accidents  nerveux  immédiats  ;  les  névralgies  traumatiques,  les  para- 
lysies réflexes  et  le  tétanos,  sont  des  accidents  nerveux  consécutifs. 

La  douleur  qui  accompagne  ordinairement  l'avulsion  des  dents  ne  doit  pas 
èlre  considérée  comme  un  accident;  mais  qu'elle  vienne  à  manquer,  ou  qu'elle 
atteigne  un  degré  inusité,  le  fait  est  insolite  ;  il  y  a  accident  à  proprement 
parler. 

Les  causes  de  la  douleur  produite  par  l'extraction  sont  très-nombreuses;  le 
contact  de  l'instrument,  la  contusion  de  la  gencive,  la  déchirure  du  périoste 
alvéolo-dcntaire,  la  rupture  du  faisceau  vasculo-nerveux,  le  tiraillement  do 
la  pulpe,  la  nature  et  le  volume  de  la  dent  à  extraire,  la  durée  et  les  difficultés 
de  l'opération,  enfin  la  susceptibilité  et  le  tempérament  du  sujet,  constituent 
les  éléments  divers  de  la  production  du  phénomène  douleur. 

Supposons,  par  exemple,  une  dent  à  une  seule  racine,  dont  la  pulpe  est 
détruite  et  dont  le  périoste  ne  serait  pas  enflammé;  si  le  sujet  est  d'une  nature 
peu  sensible  —  expression  vulgaire,  mais  qui  rend  très-bien  la  pensée  —  il  est 
évident  que  la  douleur  sera  très-faible  ;  elle  pourra  même  être  absolument 
7mlle,  comme  nous  en  avons  recueilli  maints  exemples.  Supposons  au  con- 
traire un  sujet  impressionnable,  à  tempérament  nerveux,  auquel  il  s'agit  d'en- 
lever une  molaire  à  racines  divergentes,  avec  complications  inflammatoires  du 
périoste  et  de  la  pulpe,  la  douleur  atteindra  son  maximum.  Entre  ces  deux 
extrêmes,  tous  les  degrés  se  rencontrent  et,  sans  prétendre  qu'on  puisse  rigou- 
reusement déterminer  l'intensité  de  la  souffrance  qui  sera  ressentie  dans  un 
cas  particulier,  on  conçoit  qu'il  soit  possible  de  prédire  avec  quelque  certitude 
si  une  extraction  sera  peu  douloureuse,  ou  si  elle  le  sera  beaucoup. 

Ldinévralyie  traumatique  n'est  pas  excessivement  rare  à  la  suite  de  l'extrac- 
tion, et  cependant  c'est  à  peine  si  on  en  trouve  deux  ou  trois  exemples  dans  les 
auteurs.  Delestre  dit  l'avoir  observée  plusieurs  fois  {loc.  cit.,  p.  104)  et  nous 
avons  eu  nous-même  l'occasion  d'en  voir  tout  récemment  deux  exemples  très- 
nets  tous  deux,  à  la  suite  de  l'extraction  d'une  petite  molaire  supérieure.  L'opé- 
ration avait  été  faite  très-régulièrement  et  sans  délabrements;  quelques  heures 
après  il  se  produisit  une  véritable  névralgie  des  nerfs  sus  et  souscrbitaires; 
les  douleurs  bien  distinctes  de  celles  qui  avaient  déterminé  l'extraction  se  pro- 
longèrent pendant  une  huitaine  de  jours  et  cessèrent  à  la  suite  d'applications  de 
boulettes  de  ouate  imbibées  de  teintures  opiacées  et  introduites  dans  l'alvéole 
de  la  dent  extraite. 

Les  paralysies  réflexes  paraissent  plus  fréquentes;  nous  avons  vu  qu'un 
certain  nombre  de  troubles  nerveux  des  organes  des  sens  ou  des  branches 
nerveuses  de  la  face,  du  cou  et  même  de  l'épaule,  pouvaient  avoir  leur  origine 
dans  différentes  affections  du  système  dentaire;  les  paralysies  réflexes  rentrent 
dans  le  même  ordre  de  faits.  Citons  encore,  en  opposition  aux  faits  de  paralysie. 


572  DENT  (médecine   opératoire). 

les  cas  assez  fréi]uents  de  contractures  spasmodiques  soit  de  l'orbiculaire,  soit 
des  muscles  propres  du  globe. 

Ajoutons  toutefois  qu'en  général  ces  accidents  sont  passagers  et  disparaissent 
spontanément  au  bout  de  quelques  jours,  à  moins  qu'ils  ne  soient  le  résultat  de 
quelque  désordre  grave  ayant  entraîné  la  destruction  de  brancbes  nerveuses  impor- 
tantes. 

Nous  ne  ferons  ([ue  mentionner  le  tétanos  qui  peut  se  déclarer  à  la  suite  de 
l'extraction  des  dents  comme  à  la  suite  de  tout  autre  traumatisme. 

D.  llémorrhacjies.  L'extraction  d'une  dent  est  toujours  suivie  d'un  petit 
écoulement  de  sang.  Celui-ci  vient  des  vaisseaux  qui  se  rendent  à  la  pulpe,  si  cet 
organe  n'a  pas  été  détruit,  de  la  paroi  alvéolaire  et  de  la  petite  plaie  gingivale. 

L'écoulement,  dont  la  quantité  est  variable  suivant  l'état  de  congestion  et 
d'inllammalion  des  parties,  s'arrête  ordinairement  de  lui-même  au  bout  de 
l'uelques  minutes,  d'un  quart  d'heureou  d'une  demi-beure  au  plus.  Mais  parfois 
il  continue  pluslongtem[)s,  quelquefois  même  pendant  plusieurs  jours  ou  après 
s'être  arrêté  un  certain  temps,  il  reparait  et  peut  même  devenir  plus  intense 
qu'au  moment  de  l'opération. 

Dans  ces  cas,  l'Iiéniorrliagie  devient  un  accident  qui,  si  l'on  n'y  porte  un 
prompt  remède,  peut  devenir  très-grave  et  même  mortel. 

Lorsqu'on  parcourt  les  nombreuses  observations  d'bémorrbagies  consécutives  à 
l'extraction  des  dents,  on  est  frappé  de  ce  fait  que  presque  toujours  l'opération 
avait  été  pratiquée  très-régulièrement  :  l'accident  ne  peut  donc  être  imputé  à 
des  décbirures  étendues  des  parties  molles  ou  ù  des  lésions  des  maxillaires  : 
on  coincevrait  en  effet  que  si,  par  exemple,  l'artère  dentaire  avait  été  dila- 
cérée  dans  son  canal  osseux  par  un  fragment  du  maxillaire,  il  y  ait  eu  hénior- 
rliagie  grave  ;  mais  ce  n'est  pas  ainsi  que  les  choses  se  sont  passées,  et  l'on  est 
obligé  le  plus  souvent,  pour  expliquer  la  persistance  de  l'écoulement,  d'in- 
voquer l'état  général  du  sujet  ou  une  prédisposition  spéciale. 

Les  auteurs  signalent  volontiers  comme  causes  de  ces  hémoribagies  les  affec- 
tions scorbutiques,  le  purpura,  l'anémie  et  certains  états  typhoïdes  dans  lesquels 
il  y  a  une  tendance  générale  aux  héniorrhagies  ;  c'est  le  cas  des  hémophiles  en 
particulier.  Mais  beaucoup  d'observations  publiées  ne  montrent  rien  de  sem- 
blable, et  elles  concernent  au  contraire  des  sujets  pleins  de  santé  et  chez  les- 
quels rien  ne  pouvait  faire  prévoir  l'accident. 

On  est  donc  obligé  d'admettre  dans  la  plupart  des  cas  qu'il  existait  une  prédis- 
position spéciale.  Graiididier,  dans  un  mémoire  sur  l'hémophilie  [Arch.  deméd., 
1865,  p.  591),  cite  des  cas  de  mort  occasionnés  par  l'avulsion  de  dents  suivie 
d'hémorrhagie  chez  des  sujets  reconnus  hémophiliques  ;  l'observalion  de  Scbu- 
aeman  [Wirchoivs  Ârchiv.,  t.  XLI,  p.  287,  1867,  cité  par  G.  Delestre,  Méra. 
cit.,  p.  52)  concerne  aussi  un  héraophilique.  Harris  rapporte  le  fait  d'une  jeune 
fille  qui  eut  une  héniorrhagie  à  la  suite  de  l'extraction  d'une  seconde  molaire 
supérieure  gauche  ;  ayant  eu  plus  tard  l'occasion  d'enlever  une  dent  à  la 
sœur  et  deux  à  la  mère  de  la  jeune  fille,  l'accident  se  reproduisit  chaque  fois; 
il  est  impossible  dans  ces  cas  de  nier  les  prédispositions  héréditaires. 

Le  siège  de  l'organe  extrait  ne  parait  jouer  aucun  rôle,  pas  plus  que  l'âge  du 
sujet;  nous  avons  même  publié  récemment  l'observation  d'un  cas  de  mort  à  la 
suite  d'une  héniorrhagie  consécutive  à  l'ablation  des  deux  incisives  supérieures 
chez  un  nouveau-né  {Gazette  des  hôpitaux,  1876,  n°^  des  4  et  9  mai). 

Enfin  l'accident  peut  être  immédiat  ou  consécutif,  c'est-à-dire  que  l'écoulé- 


DENT  (médecine  opératoire).  375 

ment  de  sang  peut  continuer  sans  inlerruption  depuis  le  moment  de  l'opérntion 
ou  se  reproduire  plus  ou  moins  longtemps  après.  Jourdain  (Maladies  de  la 
bouche,  t.  II,  p.  605)  a  vu  l'hémorrhagie  n'apparaître  que  le  troisième  jour  et 
même  le  cinquième  jour  après  Topéralion. 

Les  moyens  à  opposer  à  une  liémorrhagie  sont  très- nombreux  :  c'est  d'abord 
le  tamponnement  et  la  compression,  puis  l'application  des  diverses  substances 
astringentes  ou  coagulantes  désignées  sous  le  nom  générique  d'hémostatiques  ; 
enfm  la  cautérisation  par  le  fer  rouge. 

Le  tamponnement  est  de  tous  les  moyens  celui  sur  lequel  on  doit  le  plus 
compter,  pourvu  qu'il  soit  établi  dans  de  bonnes  conditions;  mallieureiisement, 
tel  qu'il  est  pratiqué  habituellement,  il  est  difficile  à  maintenir  et  c'est  pour 
cela  qu'il  échoue  assez  souvent.  On  conseille  en  effet  de  remplir  la  cavité  de 
l'alvéole  de  boulettes  de  coton  ou  de  fragments  d'amadou  suffisamment  tassés 
ou  de  faire  un  tampon  de  cire  rendue  fibreuse  par  l'addi'.ion  de  colon  caidé  ; 
on  a  conseillé  d'introduire  dans  l'alvéole  un  morceau  de  licge  taillé  suivant  la 
forme  de  la  l'aoine  de  la  dent  extraite,  ou  même  simplement  de  rcappliquer 
celle-ci  dans  sa  cavité.  Tous  ces  moyens  sont  bons  dans  les  ciiconstances 
ordinaires,  mais  il  en  est  un  autre  sur  lequel  nous  avons  spécialement  attiré 
déjà  l'attention  lors  d'une  discussion  récente  à  la  Société  de  chirurgie  sur  les 
hémorrhagies  alvéolaires  {Bulletin,  1879,  p.  396)  :  c'est  le  tamponnement  à  la 
gutta-percha.  Voici  comment  l'on  procède  :  une  petite  masse  de  gutla-percha 
étant  ramolfie  dans  l'eau  chaude,  on  y  mêle  une  quantité  à  peu  près  égile  de 
charpie  ou  de  ouate  qu'on  pétrit  ensemble  de  manière  à  faire  une  matière  à  la 
fois  malléable  et  fibreuse.  On  dispose  alors,  toujours  à  l'état  mou,  une  sorte  de 
cône  qu'on  introduit  dans  l'alvéole  après  avoir  épongé  le  sang  et  les  caillots,  on 
le  maintient  en  place  pendant  quelques  instants,  puis  on  le  retire  et  on  le  plonge 
dans  l'eau  froide.  On  a  réalisé  de  la  sorte  un  tampon  dur  qui  présente  exacte- 
ment la  forme  des  racines  de  la  dent  extraite,  on  l'introduit  alors  définitivement 
dans  l'alvéole  et,  si  elle  ne  se  maintient  pas  en  place  par  sa  forme  même,  on 
complète  la  compression  par  une  autre  masse  de  la  même  matière  superposée  à 
la  première  et  sur  laquelle  on  fait  rapprocher  les  mâchoires  qu'on  maintient 
serrées  par  une  mentonnière.  Nous  donnons  le  procédé  comme  à  peu  près  infail- 
lible. 

Quant  à  l'emploi  des  hémostatiques,  il  peut  être  très-utilement  associé  au 
tamponnement  :  Talun,  le  nitrate  d'argent,  le  tannin,  le  matico,  l'eau  de  Pagliari 
et  surtout  le  perchlorure  de  fer  ont  donné  de  bons  résultats. 

Mais  de  ces  diverses  substances  si  communément  employées  dans  le  cas 
d'hémorrhagie,  nous  ne  saurions  trop  recommander  celle  que  nous  considérons 
comme  le  meilleur  des  hémostatiques,  l'acide  chromiqiie.  On  peut  toutefois  lui 
adresser  un  reproche  sérieux,  c'est  qu'il  est  caustique  et  peut  par  suite  causer 
dans  une  plaie  récente  des  désordres  très-graves. 

En  ce  qui  concerne  la  cautérisation  au  fer  rouge,  nous  devons  dire  qu'elle  ne 
réussit  presque  jamais,  et  si  pour  un  moment  l'hémorrhagie  semble  s'arrêter, 
elle  reparaît  bientôt  après  et  souvent  avec  plus  d'intensité.  Nous  en  dirons  autant 
des  escharofiques,  dont  l'action  est  toujours  difficile  à  limiter  et  qui,  lorsqu'ils 
ne  réussissent  pas,  ont  l'inconvénient  d'augmenter  l'étendue  de  la  surface 
saignante,  ainsi  que  le  fait  très-judicieusement  observer  Tomes. 

11  va  sans  dire  qu'aux  moyens  locaux  employés  contre  l'hémorrhagie  on  doit 
joindre  les  précautions  d'usage  :  repos,  boissons  froides  et  acidulées,  diète,  etc. 


374  DENT  (médecine  opératoire). 

Quelquefois  cependant  tous  les  efforts  sont  infructueux  et  le  malade  épuisé 
par  la  perte  du  sang  meurt  d'anémie.  C'est  dans  les  cas  de  ce  genre  que  s'est 
trouvée  indiquée  la  ligature  de  la  carotide  primitive  tantôt  suivie  do  guérison 
comme  dans  une  observation  de  M.  Hémard  {Bull,  de  la  Soc.  de  chir.,  1879, 
p.  593),  tantôt  impuissante  à  conjurer  la  terminaison  fatale  comme  dans  les 
faits  signalés  par  Blagden  [Medico-chir .  Trans.,  1817,  t.  VIII,  p.  224). 

VI.  De  la  greffe  dentaire.  La  greffe  chirurgicale,  considérée  dans  toutes 
ses  applications  possibles  à  la  restauration  des  arcades  dentaires,  comporte  une 
histoire  à  la  ibis  étendue  et  complexe,  car  elle  comprend  diverses  variétés  qui 
dilfèrent  essentiellement  par  leurs  caractères  et  leurs  indications. 

C'est  ainsi  que  nous  diviserons  la  greffe  dentaire  en  trois  groupes,  qui  sont: 

1"  La  greffe  par  restitution,  c'est-à-dire  la  réimplantation  d'une  dent  après 
ablalion  accidentelle  ou  intentionnelle.  Cette  première  variété  se  subdivise  en 
ré  implantation  immédiate  ou  en  ré  implantation  tardive,  et  l'une  et  l'autre 
doivent  se  différencier  encore,  suivant  que  la  dent  greffée  est  réintégrée  entière 
ou  qu'elle  a  subi  une  perte  de  substance.  Cette  perle  de  substance  sera  à  son 
tour  ou  traumalique  ou  chirurgicale. 

2°  La  greffe  par  transposition.     Elle  comprend  trois  cas  : 

Dans  le  premier,  une  dent  est  prise  sur  un  point  de  la  mâchoire  et  greffée 
dans  un  autre  alvéole  chez  le  même  sujet.  Une  subdivision  se  présente,  suivant 
que  la  greffe  est  faite  entre  dents  semblables  ou  entre  dents  dissemblables. 

Dans  le  second  cas,  la  transposition  est  pratiquée  d'un  individu  à  l'autre,  de 
la  même  espèce  animale. 

Dans  le  troisième  enfin,  la  greffe  est  effectuée  entre  animaux  d'espèces  diffé- 
rentes, comme  une  dent  d'un  animal  à  l'homme. 

5°  La  greffe  hétérotopiqiie,  c'est-à-dire  celle  qui  consiste  à  emprunter  une 
dent  à  son  al  viole  normal,  pour  la  fixer  sur  un  point  du  corps  autre  que  les 
mâchoires.  Elle  se  compose  de  greffes  de  follicules  ou  de  greffes  de  dents 
adultes.  Les  greffes  de  follicules  ont  été  tentées  par  nous,  il  y  a  quelques  années, 
avec  un  physiologiste  regretté,  notre  ami  CIi.  Legros.  Les  greffes  de  dents 
adultes  sont  fort  anciennes;  on  connaît  les  expériences  de  Ilunter,  d'A.  Cooper, 
de  Piiilipeaux.  L'une  et  l'autre  de  ces  variétés  ne  sont  point,  d'ailleurs,  jusqu'à 
ce  jour,  serties  du  domaine  de  la  physiologie  expérimentale. 

Voici  du  reste  un  tableau  de  la  répartition  des  greffes  en  question  : 

I  sans  perte  de  substance. 

I  .  .31  l  accidenlelle. 

'  avec  perte  de  substance.  {  •  .     .•        n 
^  {  intentionnelle. 

!sans  perle  de  substance, 
avec  perte  de  substance. 
I  j.       •    j-  -j    .  1   •      .  l  Dents  semblables. 

Greffe  dentaire    {  (  '^  "°  ""«l'^du  a  lu.-meme |  ^^^^^.  dissemblables. 

par  transplanlation.  '  j-y^  individu  à  un  autre  de  même  espèce. 

(  d'un  individu  à  un  autre  d'espèce  différente. 

,,.,    ,     .  l  Greffes  de  follicules, 

l  heterotop.que  .  .   .  J  ^^^^j.^^  ^^  ^^^^^  ^j^,j^^_ 

C'est  suivant  cette  classification  que  nous  tracerons  notre  description. 

§  1".  Des  greffes  par  restitutio".  A.  Greffes  par  restitution  iinmédiate 
{Replantation  des  auteurs  anglais).  C'est  l'opération  qui  consiste  à  replacer 
tout  de  suite  dans  son  alvéole  une  dent  qui  en  a  été  complètement  séparée. 


'  par  restitution. 


DENT   (médecine   opératoire).  575 

La  greffe  par  resiitulion  immédiate  sans  perte  de  substance  a  été  pratiquée 
dans  tous  les  temps.  C'est  à  elle  qu'ont  eu  recours  les  opérateurs  malheureux 
qui  ont  enlevé  une  dent  à  la  place  ou  en  même  temps  qu'une  autre  et  ont 
eu  l'idée  de  la  réimplanter  immédiatement.  C'est  aussi  à  cette  opération  qu'on 
a  recours  lorsqu'un  traumatisme  a  luxé  complètement  une  ou  plusieurs  dents 
et  qu'on  est  appelé  au  même  moment  pour  y  remédier. 

Dans  ces  deux  cas  nous  n'avons  point  à  décrire  la  pratique  qu'il  convient 
d'employer.  Aussitôt  l'erreur  ou  l'accident  reconnu,  on  réapplique  la  dent  luxée 
dans  son  alvéole  et  l'on  procède  pour  les  soins  consécutifs  comme  pour  le  cas 
de  luxation  simple  [voy.  Lésions  traumatiques  des  deîjts).  Mais  il  est  un  troi- 
sième cas  dans  lequel  la  luxation  est  intentionnelle,  c'est-à-dire  que  l'opérateur 
a  produit  chirurgicalement  la  luxation  pour  pratiquer  immédiatement  après  la 
réimplantation  sans  faire  subir  à  1  organe  aucune  mutilation. 

C'est  là  une  opération  spéciale  tiès-vantée  par  Frank  {voy.  Thèse  de  Bert  Sur 
la  greffe  animale,  loc.  cit.,  p.  67),  conseillée  plus  récemment  par  le  doc- 
teur Gervais  {Union  médicale,  1"  juillet  1879),  qui  a  été  conseillée  et  appliquée 
pour  faire  cesser  certaines  douleurs  intenses  ayant  pour  origine  la  pulpe  den- 
taire. Soit  qu'il  y  ait  carie  préalable,  soit  en  l'absence  de  toute  déniidation  de 
ce  tissu,  il  est  certains  cas  de  névralgie  qu'on  a  eu  l'idée  de  traiter  par  la  rupture 
du  faisceau  vasculo-nerveux  de  la  pulpe,  et  la  luxation  est  un  procédé  pour 
parvenir  à  ce  résultat. 

Ce  n'est  pas  toutefois  que  nous  ayons  l'idée  de  la  conseiller,  loin  de  là;  dans 
un  cas  ainsi  défini  de  névralgies  violentes  ayant  pour  origine  la  pulpe,  il 
faudra  avant  toute  autre  opération  atteindre  l'organe  par  les  procédés  appro- 
priés, soit  à  la  laveur  d'une  carie  préalable,  si  elle  existe,  soit  par  une  trépa- 
nation directe  en  l'absence  de  carie. 

^"ous  ne  connaissons  guère  de  cas  dans  la  pratique  courante  qui  puisse  jus- 
tifier une  semblable  pratique,  et  ce  ne  doit  être  là,  suivant  nous,  qu'une  opéra- 
tion d'exception.  Quelles  que  soient  nos  prédilections  pour  la  greffe,  nous  ne 
saurions  conseiller  l'avulsion  toujours  douloureuse  d'une  dent  dans  le  but  de 
frapper  de  mort  la  pulpe  dentaire  alors  que  nous  possédons  tant  de  moyens 
d'obtenir  le  même  résultat  par  les  voies  les  plus  directes.  11  est  cependant  un 
cas  particulier  dans  lequel  une  racine  de  molaire,  par  exemple,  dénudée  et 
déchaussée  à  ce  point  qu'elle  est  impressionnable  à  toutes  les  influences  exté- 
rieures, est  frappée  d'une  véritable  hyperesthésie  générale  extrêmement  pé- 
nible. 

Le  docteur  Moreau,  qui  a  particulièrement  insisté  sur  cet  état,  en  décrit  les 
divers  accidents  dont  nous  avons  déjà  parlé  {De  l' hyperesthésie  de  la  pulpe  den- 
taire). La  luxation  appliquée  à  ces  cas  serait  à  la  rigueur  fondée  après  l'in- 
succès des  autres  moyens  ;  or  ces  moyens  sont  de  deux  sortes  :  le  premier,  qui 
est  précisément  celui  que  préconise  le  docteur  Moi'eau,  est  la  trépanation  directe 
de  la  cavité  de  la  pulpe  et  la  destruction  de  celle-ci;  le  second,  que  nous  avons 
pratiqué  plusieurs  fois  avec  un  plein  succès,  consiste  dans  la  section  directe  du 
faisceau  vasculo-nerveux  de  la  pulpe  au  sommet  même  de  la  racine  dénudée  à 
l'aide  d'un  petit  bistouri  spécial.  C'est  là,  comme  on  voit,  une  véritable  névro- 
tomie  sous-muqueuse  du  nerf  dentaire  que  nous  recommandons  tout  particuliè- 
rement dans  les  cas  dont  il  s'agit. 

Quoi  qu'il  en  soit,  cette  pratique  de  la  luxation  d'une  dent  suivie  de  réim- 
plantation immédiate   a  été   dernièrement  interprétée   d'une    façon  un  peu 


576  DENT   (médecine  opératoire). 

nouvelle,  et  à  titre  de  procédé  d'élongation  du  nerf  dentaire,  dans  les  cas  de 
névralgie.  On  sait  quelle  faveur  a  acquise  dans  ces  derniers  temps  cette  pratique 
particulière,  et  M.  Bernard  (de  Cannes)  {Gazette  des  hôpitaux,  1881,  p.  467), 
ayant  remarqué  que  la  luxation  d'une  dent  cariée  ou  non  correspondant  au  siège 
de  la  névralgie  entraînait  la  cessation  immédiate  de  la  douleur,  a  supposé  qu'on 
piatiquait  dans  ce  cas  Vélongation  du  nerf  dentaire.  Celte  interprétation  est  tout 
à  fait  erronée,  et  le  résultat  produit  ici  est  la  rupture  et  non  l'élongation. 

La  greffe  par  restitution  immédiate  avec  perte  de  substance  com]>Tenà  de\n 
cas:  le  premier,  sans  importance,  qui  consiste  dans  la  réimplantation  d'une 
dent  qui  aurait  subi  une  perte  de  substance  accidentelle  comme  dans  un  cas  de 
luxation  compliquée  de  fracture.  Ce  traitement  est  ici  celui  des  luxations  en 
général,  nous  n'avons  pas  à  y  revenir. 

Le  second,  au  contraire,  représente  une  des  applications  les  plus  répandues  de 
la  greffe  dentaire,  celle  à  laquelle  on  a  quelquefois  donné  le  nom  de  réimplan- 
tation. 

11  nous  faut  donc  la  décrire  avec  quelques  détails,  car  elle  représente  aujour- 
d'hui une  véritable  méthode  opératoire  qui  a  pour  objet  d'enlever  un  organe  à 
ses  connexions  normales  afin  d'en  supprimer  aussitôt  la  partie  malade,  et  de 
réintégrer  l'autre  partie  restée  saine  en  son  lieu  primitif.  C'est  une  combinaison 
de  la  greffe  et  de  la  résection. 

11  faut  remonter  à  Ilunter  pour  trouver  la  première  mention  d'une  semblable 
opération.  Il  en  indique  les  termes  exacts  et  en  formule  même  très-nettement 
les  indications  (Traité  des  dents,  traduction  Richelot,  18ô9,  t.  II  des  Œuvres 
complètes,  p.  109).  Seulement  il  ne  paraît  pas  y  ajouter  une  foi  bien  \ive;  il 
dit  même  l'avoir  vue  ordinairement  suivie  d'insuccès,  et  il  ne  semble  pas  qu'il 
l'ait  personnellement  essayée. 

La  première  tentative  appartient  réellement  à  Delabarre,  qui,  en  1820,  ayant 
pratiqué  l'ablation  d'une  dent,  cause  d'abcès  et  de  fistule,  flt  la  résection  d'une 
partie  de  sa  racine  et  la  réimplanta  avec  un  plein  succès  (Annales  du  Cercle 
médical,  1820,  l"'''  partie,  p.  525). 

La  seconde  est  due  à  un  chirurgien,  le  professeur  Alquié,  de  Montpellier. 
Ayant  en  1855  reçu,  .à  plusieurs  reprises,  dans  son  service  d'hôpital,  un  soldat 
atteint  d'une  fistule  de  la  fossette  mentonnière  rebelle  à  tout  traitement,  il 
eut  l'idée  d'enlever  une  incisive  inférieure  que  le  stylet  venait  heurter  au  fond 
de  la  fistule;  il  fit  la  section  du  sommet  reconnu  malade  et  la  réimplanta.  Le 
malade  sortit  guéri  huit  jours  après  (Clinique  du  professeur  Alquié,  de  Montpellier. 
Observation  recueillie  par  le  docteur  Planchon  [Bulletin  de  thérapeutique, 
50  mai  1858]). 

En  1870,  deux  chirurgiens  de  l'hôpital  Saint-Barthélémy  de  Londres, 
MM.  Coleman  et  Lyons,  répétèrent  cette  opération.  Leurs  observations,  très- 
courtes  et  assez  peu  démonstratives,  comprennent  14  cas,  dans  lesquels  il  y 
aurait  eu  9  succès.  Les  autres  se  terminèrent  par  suppuration  et  élimination  de 
la  greffe  [Tranmct.  ofthe  odontological  Society  ofGreatBritain.  London,  ISTOji. 
Nos  expériences  personnelles  remontent  à  1875.  Les  trois  premières  ont  ét« 
publiées  à  cette  époque  (Gazette  des  hôpitaux,  1876,  p.  55  etsuiv.);  d'autres 
figurent  dans  la  thèse  de  deux  de  nos  élèves,  MM.  Pietkiewicz  et  David  (Thèses 
de  Paris,  1876  et  1877).  Elles  comprennent  dans  leur  ensemble  une  durée 
d'environ  sept  années,  et  reposent  sur  un  nombre  déjà  considérable.  Mais  pen- 
dant cette  période  d'autres  observateurs  en  ont  signalé  des  exemples. 


DENT   (mkdecine  opkrmoire).  3// 

Ainsi,  M.  Théophile  Anger  l'a  pratiquée  chez  une  jeune  fille  de  vingt  ans, 
et  guérit  ainsi  en  quelques  jours  une  fistule  du  mentoa  datant  de  deux  anne'es. 
Deux  autres  opérations  entreprises  pour  des  cas  analogues  ont  été  suivies  de 
succès  à  l'hôpital  Saint-Louis,  dans  le  service  de  M.  Péan.  Plus  récemment, 
M.  Terrillon  a  également  tenté  l'application  de  cette  méthode  sur  une  jeune 
fille  atteinte  de  fistule  cutanée  ancienne  du  menton,  l'ne  incisive  grisâtre, 
mais  sans  carie,  fut  extraite  par  lui,  réséquée  dans  une  étendue  de  o  milli- 
mètres, puis  réimplantée.  La  dent  se  consolida  très-vite,  et  la  fistule  était  en 
voie  de  guérison  lorsque  la  malade  fut  perdue  de  vue.  Le  docteur  David,  pour- 
suivant les  études  consignées  dans  sa  thèse  inaugurale,  en  a  recueilli  vingt 
nouveaux  exemples  avec  un  seul  insuccès  {Comptes  rendus  et  Méin.  de  la 
Soc.  de  biologie,  1878,  9  novembre.  —  Bulletin  de  l'Académie  de  médecine, 
19  novembre  1878.  —  Comptes  rendus  des  séances  de  V Académie  des  sciences, 
6  janvier  1879). 

D'autre  part,  il  nous  faut  citer  encore  des  faits  récemment  observes  par 
M.  Redier  {Journal  de  médecine  de  Lille,  1880)  et  dans  lesquels  la  propor- 
tion de  succès  est  également  considérable;  puis  une  observation  du  docteur 
Notta  de  Lisieu.v,  qui  dans  un  cas  de  fistule  cutanée  réussit  par  le  même 
moyen  à  guérir  une  jeune  fille  souffrant  depuis  six  mois  {Union  médicale, 
1880). 

Enfin,  pour  compléter  cet  liis!orique,  nous  rapporterons  une  greffe  encore 
suivie  de  succès,  pratiquée  par  Broca  sur  son  ami  personnel,  M.  A.  Joly,  député 
de  Seine-et-Oise.  Il  s'agissait  dans  ce  cas  d'une  molaire  inférieure  qui  donnait 
lieu  à  des  accidents  inflammatoires  graves  avec  menace  d'abcès  de  la  face.  Ce 
qui  nous  engage  à  rappeler  ce  fait,  c'est  que  c'est  la  dernière  opération  chirur- 
gicale faite  par  notre  regretté  maître,  qui  avait  dans  le  début  de  nos  recherches 
apporté  un  grand  inléiêt  à  la  méthode  naissante.  Aujourd'hui  l'opérateur  et 
l'opéré  sont  morts,  et  les  détails  de  cette  tentative  nous  ont  été  communiqués 
par  un  honorable  médecin,  le  docteur  Brucy  (de  Gien),  qui  les  tenait  du  frère 
de  M.  A.  Joly. 

L'indication  chirurgicale  de  la  greffe,  combinée  à  la  résection,  repose  essen- 
tiellement sur  Je  diagnostic  d'une  lésion  spéciale  de  l'extiémilé  radiculaire  des 
dents  et  caractérisée  par  la  périostite  chronique  du  sommet  :  inflammation  du 
feuillet  périostique,  déiiudation  et  nécrose  du  cément  sous-jacent,  résorption  de 
l'ivoire,  etc.  C'est  une  sorte  de  mortification  partielle  de  la  racine. 

Ce  diagnostic  est  d'ailleurs  ordinairement  très-facile,  en  considérant  le  pro- 
cessus morbide,  qui  consiste  dans  une  série  d'accidents  particuliers  bien  connus 
des  chirurgiens;  ce  sont  des  phlegmons  du  bord  alvéolaire  ou  de  la  face,  la 
dénudation  et  la  nécrose  partielle  du  maxillaire,  des  fistules  muqueuses  ou 
cutanées.  Nous  n'avons  pas  à  insister  ici  sur  ces  phénomènes,  car  il  faudrait 
refaire  ici  l'histoire  de  la  périostite,  affection  souvent  sérieuse,  quelquefois 
grave,  puisque,  par  son  intensité  ou  ses  complications,  elle  peut  mettre  en 
question  la  vie  des  malades. 

Le  but  thérapeutique,  en  présence  d'une  lésion  ainsi  définie,  est  la  suppres- 
sion du  sommet  radiculaire  mortifié,  qui  joue  le  rôle  d'épine  inflammatoire. 

Or,  cette  suppression  n'est  que  bien  rarement  réalisable  directement.  Nous 
l'avons  faite,  toutefois,  dans  deux  cas  :  pour  l'un  il  s'agissait  d'un  vaste  clapier 
alvéolaire,  dans  lequel  une  pince  de  Liston  a  pu  être  introduite  et  permettre  de 
réséquer  en  un  seul  temps  le  tiers  environ  de  la  racine  malade;  l'autre  était  un 


578  DENT  (médecine  opératoire). 

kyste  périostique  qui  permit  aussi  l'accès  du  même  iustruraent  et  la  section 
du  sommet  d'une  canine.  C'est  un  fait  du  même  genre  que  M.  Terrillon  com- 
muniqua récemment  à  la  Société  de  chirurgie  et  dans  lequel,  grâce  à  l'existence 
d'un  kyste  de  la  même  variété,  les  racines  de  deux  dents  antérieures  furent  sec- 
tionnées sur  place  sans  qu'il  ait  été  nécessaire  de  recourir  à  la  greffe  {Bull,  de 
la  Société  de  chirurgie,  1881,  p.  769). 

Dans  un  cas  analogue,  M.  Péan,  en  1872,  avait  pratiqué  de  même  directe- 
ment la  section  d'un  sommet  de  racine  dentaire  qui  entretenait  une  fistule 
(Clinique  de  l'iiôpital  Saint-Louis,  communication  orale). 

Dans  ces  derniers  temps,  un  praticien  de  Lyon,  M.  Martin,  proposa  même 
d'appliquer  ce  procédé  à  titre  de  mélliode  générale  et  pratiqua  la  résection  du 
sommet  à  la  faveur  d'une  trépanation  préalable  de  l'alvéole  donnant  accès 
dans  le  foyer  à  une  pince  de  Liston.  L'auteur  cite  six  observations  de  guérison 
[De  la  trépanation  des  extrémités  radiculaires  des  dents  appliqvée  au  traite- 
ment de  la  périostite  chronique  [Lyon  médical,  1881,  t.  XXXYll,  p.  55]).  Nous 
ne  sauiions  nous  refuser  à  considérer  cette  opération  comme  applicable  dans 
certains  cas,  mais  non  d'une  manière  générale,  car  bien  souvent  les  délabre- 
ments nécessaires  pour  atteindre  la  racine  malade  seraient  plus  graves  que 
l'extraction  et,  quant  à  la  greffe  elle-même,  qui  représente  ici  le  moyen  et  non 
le  but  de  l'opération,  elle  est  en  réalité  d'une  simplicité  et  d'une  innocuité  qui 
défie  selon  nous  toute  critique  sérieuse. 

Le  plus  ordinairement,  d'ailleurs,  une  telle  pratique  est  impossible.  Une 
nécessité  s'impose  alors  :  l'ablation  préalable  et  temporaire  de  la  totalité  de 
l'organe,  permettant  d'elfectuer  en  dehors  de  l'économie  la  résection  de  la  partie 
altérée.  Telle  est  l'opération  de  la  greffe,  qui  permet  la  restitution.de  la  partie 
restée  saine  en  son  lieu  primitif. 

Le  manuel  opératoire  comprend  trois  temps  : 

1°  Exti'actioii  de  la  dent,  dont  on  a  diagnostiqué  une  périostite  chronique 
du  sommet  et  qui  présente  un  état  susceptible  de  conservation  ou  de  restau- 
ration ; 

2°  Résection  de  la  partie  altérée; 

3"  Réimplantation  immédiate. 

Incidemment,  entre  le  deuxième  et  le  troisième  temps,  le  chirurgien  devra 
pratiquer,  avant  la  greffe,  diverses  autres  opérations  :  lavage  du  foyer  puru- 
lent, ablation  de  séquestres  et,  sur  la  dent  même,  en  dehors  de  la  bouche, 
résection  de  certaines  portions  malades  de  la  couronne,  obturation  dans  le  cas 
de  carie,  etc. 

L'extraction  de  la  dent,  qui  comprend  le  premier  temps,  doit  être  pratiquée 
avec  des  précautions  particulières.  11  faut,  en  effet,  éviter  toute  lésion,  aussi  bien 
de  la  gencive  que  de  la  dent  elle-même.  L'emploi  du  davier  devra  être  exclusi- 
vement adopté.  L'opération  se  fera  lentement,  progressivement  et  par  de  faibles 
mouvements  de  latéralité,  pour  éviter  de  compromettre  l'intégrité  du  bord  alvéo- 
laire. 11  faut  dire,  du  reste,  que  l'opération  est  ordinairement  facilitée  par 
l'existence  même  de  la  périostite  qui  a  gonflé  notablement  le  périoste  et  conges- 
tionné les  parties  voisines.  Cependant,  dans  quelques  cas  de  fistule  ancienne, 
il  arrive  au  contraire  que  les  adhérences  avec  le  périoste  resté  sain  sont  d'autant 
plus  serrées  et  solides,  que  les  produits  inflammatoires  ont  une  issue  facile  par 
la  fistule,  et  ne  tendent  plus  à  se  propager  sur  les  autres  points. 

Aussitôt  l'extraction   effectuée,  et  pendant  que  le  malade  prend  quelques 


DENT  (médecine  opératoire).  «^'^ 

minutes  de  repos,  on  procède  à  l'examen  de  la  dent  pour  apprécier  la  nature  et 
l'étendue  de  la  lésion  radiculaire,  puis,  au  moyen  de  la  pince  de  Liston,  on 
pratique  la  section  de  toute  la  partie  dénudée  et  rugueuse.  On  adoucit  ensuite 
avec  une  lime  neuve  ou  très-soigneusement  lavée  les  angles  de  section,  afin 
de  ne  laisser  aucune  arête  tranchante  ou  piquante,  et  ou  place  aussitôt  après 
la  dent  dans  un  linge  mouillé  d'eau  tiède.  On  fait  alors  l'examen  de  la  cou- 
ronne. 

Si  la  dent  est  dépourvue  de  toute  autre  lésion  que  celle  du  sommet  déjà 
réséqué,  on  la  réimplante  aussitôt  que  l'hémorrhagie  alvéolaire  est  arrêtée.  Si 
elle  est  frappée  de  carie,  on  devra  rapidement  pratiquer  les  opérations  néces- 
saires, c'est-à-dire  la  préparation  de  la  cavité  et  une  obturation  métallique 
qui  donnera  parfois  des  résultats  irréalisables  dans  la  bouche.  Ces  indications 
particulières  ne  sont  toutefois  pas  constantes,  car  la  périoslite  du  sommet  n'est 
pas  nécessairement  liée  à  une  carie  antérieure.  Un  bon  nombre  de  dents  résé- 
quées et  greffées  étaient  dépourvues  de  toute  altération  de  la  couronne,  la 
lésion  radiculaire  ayant  sa  pathogénie  individuelle  en  dehors  de  toute  autre 
intervention  morbide. 

Le  troisième  temps,  qui  comprend  la  greffe  proprement  dite,  ne  présente  pas 
ordinairement  de  difficultés  sérieuses.  Pour  les  dents  uniradiculaires,  la  réim- 
plantation est  toujours  facile.  Elle  est  plus  laborieuse  parfois  pour  les  molaires, 
dont  les  racines  peuvent  être  divergentes,  et  la  remise  en  place  s'accompngne 
d'un  petit  bruit  sec  qui  indique  qu'elle  a  repris  sa  position  première.  Cette 
manœuvre  ne  cause  que  peu  ou  pas  de  douleur.  Dans  quelques  cas,  cependant, 
elle  a  été  accompagnée  d'une  douleur  très-aiguë,  mais  sans  durée. 

Les  soins  consécutifs  consistent  d'abord  dans  l'application  quelquefois  néces- 
saire de  moyens  contentifs  :  bandage  en  8  de  chiffre,  gouttière  en  gutla-percha,  etc. 
Ces  procédés  sont  surtout  indiqués  pour  les  dents  uniradiculaires,  lorsqu'une 
résection  assez  étendue  les  a  privées  d'une  grande  partie  de  leur  surface 
d'affleurement.  Il  n'en  est  pas  de  même  pour  les  molaires,  que  la  perte  d'une 
racine  réséquée  n'empêche  pas  de  conserver,  par  les  autres  restées  saines,  une 
surfac-e  de  greffe  suffisante. 

Les  moyens  contentifs  ne  sont  d'ailleurs  nécessaires  que  pendant  un  ou 
deux  jours  au  plus,  la  réunion,  lorsqu'elle  s'effectue,  étant  très-prompte. 
Ensuite,  nous  avons  l'habitude  d'appliquer  en  permanence  dans  le  vestibule 
des  compresses  de  ouate  imbibées  d'une  solution  saturée  de  chlorate  de  po- 
tasse, fréquemment  renouvelées,  pendant  toute  la  durée  des  phénomènes  de 
réaction. 

S'il  existe  une  fistule,  ce  qui  est  le  cas  le  plus  fréquent,  on  devra  en  main- 
tenir le  trajet  béant  soit  par  un  tube  de  drainage,  soit  par  un  cathétérisme 
fréquemment  répété.  Le  maintien  d'une  fistule  pendant  les  premiers  jours  qui 
suivent  la  greffe  est  même  une  condilion  essentiellement  favorable  au  succès, 
en  ce  sens  qu'elle  favorise  l'élimination  des  produits  divers  dont  le  foyer  est  le 
réceptacle  :  débris  de  périoste  mortifié ,  productions  fongueuses ,  fragments 
osseux  détachés,  etc. 

L'utilité  bien  démontrée  d'une  fistule  nous  a  même  engagé,  lorsqu'il  n'en 
existe  pas  de  naturelle,  à  perforer  directement  la  paroi  alvéolaire  pour  pénétrer 
dans  le  foyer  et  y  maintenir  pendant  quelques  jours  un  séton. 

Le  drainage  est  particulièrement  indiqué  lorsqu'il  existe  des  fistules  multiples 
communicantes,  comme,  par  exemple,  un  trajet  traversant  de  part  en  part  le 


580  DENT  (siÉDiiciNE  otératoire). 

maxillaire  supérieur  et  réunissant  deux  orifices,  l'un  situé  dans  le  vestibule, 
l'autre  à  la  voûte  palatine. 

Un  mode  de  drainage  spécial  qui  nous  a  donné  les  meilleurs  résultats  est 
l'installation  au  travers  de  l'os  d'un  fil  métallique  en  or  ou  en  platine,  conduit 
au  moyen  d'une  aiguille  de  Dcscliaraps  détrempée,  afin  de  suivre  sans  se  briser 
les  contours  les  plus  sinueux.  Cette  application,  maintenue  pendant  plusieurs 
semaines,  nous  a  permis,  dans  quelqiies  cas,  d'assurer  non-seulement  le  maintien 
de  la  greffe  et  sa  consolidation  régulière,  mais  encore  l'éliminalion  complète  de 
tous  les  produiis  inflammatoires  accumulés  dans  un  trajet  osseux. 

Les  suites  de  l'opération  sont  le  plus  souvent  fort  simples.  Si  la  consolidation 
s'effectue,  les  adhérences  nouvelles  sont  établies  dès  les  premières  heures;  la 
réaction  locale  est  légère,  surtout  s'il  existe  par  une  fistule,  drainée  ou  non, 
une  communication  libre  du  pus  avec  l'extérieur.  Peu  ou  pas  de  phénomènes 
généraux.  Los  fistules  se  tarissent  et  se  ferment;  le  foyer  s'oblitère,  sans  doute 
par  des  productions  cicatricielles  à  la  fois  fibreuses  et  osseuses  (nous  n'avons  pas 
vérifié  exactement  ce  mécanisme,  l'occasion  nous  ayant  manqué  jusqu'à  présent 
de  pratiquer  l'ablalion  d'une  dent  un  certain  temps  après  la  reprise  de  la  greffe), 
et  la  consolidation  complète,  ainsi  que  la  guérison  de  tous  les  accidents,  survient 
après  un  temps  moyen  de  dix  à  douze  jours. 

Cette  période,  toutefois,  se  prolonge  davantage  dans  les  cas  de  fistules 
doubles  ou  triples,  nécessitant  un  drainage  prolongé,  en  raison  de  la  présence 
de  clapiers  multiples  et  de  fragments  nécrosés  dont  l'élimination  est  néces- 
sairement lente. 

Le  mécanisme  de  la  consolidation  consiste  d'abord  dans  le  rétablissement  des 
adhérences  vasculaires  entre  l'anneau  du  périoste  resté  sain  autour  du  tronçon 
de  la  racine  et  la  muqueuse  gingivale.  Ces  premières  connexions  sont  bientôt 
suivies  du  retour  des  liens  vasculaires  avec  la  paroi  osseuse  alvéolaire  elle-même. 
Elles  sont  amplement  suffisimles  pour  rétablir,  au  sein  des  tissus  de  la  dent 
greiïée,  le  mouvement  nutritif  interrompu. 

On  sait,  en  effet,  par  les  travaux  les  plus  récents  des  anatomistes,  que  la 
couche  de  tissu  appelée  cément,  qui  revêt  l'extérieur  de  la  racine,  est  reliée  par 
les  ramifications  des  ostéoplastes  aux  canalicules  de  l'ivoire ,  de  sorte  que  ce 
dernier  tissu  peut  continuer  de  vivre  et  de  fonctionner  par  cette  voie.  Elle  est 
désormais  la  seule  d'ailleurs,  car  la  pulpe  centrale  est  toujours  frappée  de  mort 
lorsqu'une  périostite  a  envahi  le  sommet  de  la  racine  et  détruit  le  faisceau 
vasculo-nerveux  qui  représente,  on  le  sait,  la  source  vitale  la  plus  importante 
pour  l'organe. 

Cette  perte  préalable  de  la  pulpe  donne  précisément  la  raison  de  la  coloration 
grise  ou  bleuâtre  que  présentent  constamment  les  dents  frappées  de  périostite 
chronique  du  sommet.  Cette  coloration  est  même  un  signe  important  de  dia- 


gnostic. 


Le  succès  de  la  greffe  par  restitution  réside  donc  entièrement  dans  l'existence 
d'une  surface  de  périoste  suffisante,  et  formant,  ainsi  que  nous  l'avons  dit, 
une  bande  circulaire  complète  autour  de  la  racine.  La  présence  de  cet  anneau 
membraneux  est  une  condition  si  absolue,  que  tous  les  cas  d'élimination  sont 
dus  à  l'interruption  dans  sa  continuité  de  cette  surface  vasculaire.  Il  arrive 
parfois,  en  effet,  que  les  phénomènes  de  la  périostite  ont  amené  la  production 
de  quelques  fusées  purulentes  qui  se  sont  fait  jour  au  bord  même  de  l'alvéole 
autour  du  collet.  Le  périoste  a  ainsi  subi,  dans  le  sens  vertical,  une  mortification 


DENT  (médecine  opératoire). 


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582  DENT   (médecine  opératoire). 

ou  suppuration  de  son  tissu,  et  la  coulée  purulente  qui  en  résulte  devient  la 
cause  presque  absolue  d'un  insuccès. 

L'échec  de  la  greffe  se  manifeste  ainsi  dès  les  premiers  jours  par  une  élimi- 
nation pure  et  simple  de  la  dent  entraînée  par  la  suppuration  de  ralvcole  et  du 
foyer. 

Les  résultats  que  nous  a  fournis  cette  méthode  opéialoire  sont  extrême- 
ment précieux  et,  dans  une  circonstance  récente,  nous  avons  pu  les  établir  par 
un  ensemble  de  documents  des  plus  précis  {De  l'état  actuel  de  la  greffe  par 
restitution,  appliquée  à  la  cure  de  la  périostite  alvéolaire  chronique.  Congrès 
des  sciences  médicales  de  Londres,  1881),  et  qui  repose  sur  un  total  de  ce«^ obser- 
vations. Ne  pouvant  reproduire  ici  ces  observations,  nous  renverrons  le  lecteur  à  un 
premier  travail  qui  contient  dans  tous  leurs  détails  les  cinquante  premiers  cas 
(Bulletins  et  Mémoires  de  la  Société  de  Chirurgie  de  Paris,  2  janvier  1879), 
et  nous  nous  bornerons  à  reproduire  le  tableau  qui  résume  les  particularités 
principales  des  cent  observations  (p.  581).  Le  bilan  de  notre  pratique  se  com- 
posait au  commencement  de  1882  de  cent  dix-sept  greffes  par  restitution, 
chiffre  dans  lequel  les  insuccès  sont  au  nombre  de  huit. 

Les  cent  premières  observations  ont  été  présentées  dans  leurs  principaux 
détails  au  Congrès  des  sciences  médicales  de  Londres  en  1881,  et  leur  relation 
analyti(jue  est  insérée  en  totalité  dans  les  comptes  rendus  du  congrès 
(voy.  Transactions  of  tlie  international  médical  Congres,  t.  Ill,  p.  445). 

B.  Greffe  par  restitution  tardive.  Elle  ne  diffère  des  cas  précédents  que 
par  l'espace  de  temps  plus  ou  moins  considérable  qui  s'est  écoulé  entre  le 
moment  de  la  séparation  complète  d'une  dent  et  celui  de  sa  réintégration  dans 
l'alvéole.  Mais  cette  différence,  comme  on  le  pense  bien,  joue  nécessairement 
un  très-grand  rôle  dans  le  résultat,  et  c'est  ainsi  que  se  trouve  justifiée  cette 
division  de  noire  sujet. 

La  greffe  par  substitution  tardive  sans  perte  de  substance  est  encore  une 
opération  qui  a  été  pratiquée  tout  d'abord  à  l'occasion  de  certains  traumatismes, 
lorsque,  par  exemple,  une  dent  a  été  luxée  et  projetée  au  dehors  de  la  bouche 
pendant  plus  ou  moins  de  temps,  et  ici  se  pose  immédiatement  ce  problème 
capital  :. combien  de  temps  une  dent  peut-elle  rester  séparée  de  son  alvéole 
sans  perdre  ses  chances  de  soudure  ? 

Nous  répondrons  à  cette  question  en  citant  quelques  faits  observés  par  nous, 
et  qui  fixeront  d'eux-mêmes  les  limites  connues  de  la  greffe. 

En  premier  lieu,  nous  rappellerons  d'abord  les  faits  recueillis  parles  auteurs 
anciens,  et  plus  récemment  par  Mitscherlich  et  par  nous-mème  (voy.  Les 
lésions  traumatiques  des  dents),  faits  dans  lesqnels  des  dents,  séparées 
de  la  bouche  pendant  deux  heures,  quatre  heures,  ont  pu  être  réimplantées 
avec  succès.  Quatre  heures,  c'est  déjà  un  temps  fort  long,  et  nous  ne  croyons 
dans  ce  délai  à  la  possibilité  de  la  greffe  qu'à  la  condition  que  l'organe 
soit  maintenu  dans  un  milieu  humide,  et  c'est  à  celte  précaution  que  nous 
avons  dû  une  consolidation  complète  dans  un  cas  d'extraction  temporaire  d'une 
deuxième  molaire  inférieure  dont  la  présence  gênait  les  manœuvres  d'extraction 
de  la  dent  de  sagesse,  cause  d'accidents  graves.  La  dent,  maintenue  pendant 
quatre  heures  dans  un  milieu  humide  et  tiède,  se  greffa  parfaitement  (voy.  Gaz. 
hebdomadaire  de  médecine  et  de  chirurgie,  1879,  p.  3). 

Nous  connaissons  toutefois  un  cas  de  greffe  suivi  de  succès  après  six  heures  ; 
le  fait  est  assez  curieux  pour  mériter  d'être  relaté  brièvement  ici  : 


DENT  (médecike   opératoire).  385 

((  Une  jeune  fiUe  de  \ingt-deux  ans  portait  à  la  joue,  au  voisinage  de  l'aile  du 
nez,  une  fistule  cutanée,  due  certainement  à  la  périostite  chronique  d'une  inci- 
sive latérale  supérieure.  Ou  eut  l'idée  de  tenter,  pour  la  guérir,  la  greffe,  dont  les 
heureux  résultats  avaient  été  déjà  préconisés,  et  dans  ce  hut  on  enleva  cette 
dent.  L'opérateur,  un  peu  troublé  après  ce  premier  acte  et  ne  voyant  pas  claire- 
ment la  lésion  qu'il  s'agissait  d'alteintlre  par  la  résection,  conseilla,  une  fois  la 
dent  enlevée,  d'aller  consulter  un  médecin.  La  dent  devait,  pendant  ce  temps, 
être  maintenue  dans  un  mouchoir  mouillé.  Par  suite  de  circonstances  diverses, 
l'opérée  ne  revint  que  six  heures  après  l'extraction,  apportant  le  conseil  for- 
mel de  réimplanter  la  dent  extraite.  Cela  fut  fait  immédiatement  et  sans 
aucune  résection  ni  manœuvre  quelconque  sur  la  dent  elle-même.  Or,  la  dent 
reprit  si  bien  que,  six  mois  plus  tard,  appelé  nous-mème  à  traiter  celte  jeune 
fdle  par  l'extraction  suivie  de  la  résection  et  de  la  greffe,  nous  dûmes  pour 
l'extraire  faire  autant  d'efforts  que  s'il  se  fut  agi  d'une  dent  dans  les  conditions 
ordinaires  ». 

Tels  sont  les  faits  que  nous  avons  pei'sonnellement  observés,  et  en  con- 
séquence nous  ne  sommes  en  mesure  de  donner  que  le  chiffre  de  six  heures 
comme  limite  de  la  grelfe  par  restitution  tardive  sans  perte  de  substance. 

Quant  à  cette  même  opération  avec  perte  de  substance  soit  accidentelle,  soit 
intentionnelle,  nous  ne  pensons  pas  que  les  limites  de  temps  soient  sensiblement 
différentes  :  l'un  des  cas  de  réimplantalion  tardive  que  nous  avons  traités  avec 
succès  était  compliqué  d'une  fracture  et  la  réimplantation  faite  après  quatre 
heures  réussit  toutefois  :  mais  quant  aux  opérations  de  greffe  après  résection 
du  sommet,  nous  n'avons  jamais  dépassé  quelques  minutes,  désirant  avant 
tout  réunir,  au  point  de  vue  de  la  réparation,  le  plus  de  chances  possible, 
et  nous  estimons  certainement  que  l'une  des  principales  conditions  de  succès  de 
la  greffe  après  résection,  c'est  la  rapidité  d'exécution. 

§  2.  Des  greffes  par  transplantation.  —  Les  greffes  par  transplantation 
comprennent,  suivant  la  classification  adoptée  plus  haut  :  A.  Celles  qui  s'o- 
pèrent d"ua  individu  à  lui-même  soit  entre  dents  semblables,  soit  entre  dents 
dissemblables.  B.  Celles  qui  ont  lieu  d'un  individu  à  un  autre  de  même  es- 
pèce. C.  Enfin  celles  qui  se  font  d'un  individu  à  un  autre  d'espèce  dif- 
férente. 

A.  Les  greffes  par  transplantation  d'un  individu  à  lui-même  sont  aujour- 
d'hui assez  nombreuses.  La  première  observation  vraiment  authentique  est  due 
au  docteur  Pletkiewicz,  qui  en  a  publié  la  relation  complète  à  la  Société  de  Bio- 
logie (De /a  valeur  et  de  l'emploi  thérapeutiques  de  certaines  anomalies  du  sys- 
tème dentaire.  Compt.  rend,  et  Me'in.  de  la  Société  de  Biologie,  1878,  p.  573). 
Il  s'agissait  d'une  dame  qui,  ayant  une  incisive  latérale  supérieure  atteinte  de 
carie  profonde,  présentait  en  outre  à  la  mâchoire  inférieure  une  anomalie  con- 
sistant dans  une  disposition  vicieuse  des  incisives,  de  sorte  que  l'une  de  celles- 
ci  était  située  profondément  en  arrière  de  l'arcade.  L'idée  vint  à  M.  Pictkiewicz 
de  transplanter  cette  dent  difforme  à  la  place  de  l'incisive  supérieure  :  l'opéra- 
tion eut  un  plein  succès. 

A  la  même  époque,  nous  avons  fait  une  tentative  identique  chez  une  jeune  fille 
de  seize  ans  et  le  résultat  se  maintient  depuis  trois  années  {Bullet.  et  Mém.  de 
la  Soc.  de  Biologie,  1878,  p.  577). 

Une  opération  identique  a  été  pratiquée  également  par  nous  en  1879  avec  le 


584  DEiNT  (MÉDECiiNE  opératoire). 

même  résultat,   et  nous  croyons  savoir  que  les  docteurs  David  et  Redier  ont 
e'galement  tenté  cette  variété  de  greffe  avec  un  égal  succès. 

Il  est  de  fait  qu'une  incisive  inférieure  se  rapproche  notablement  comme 
forme  des  incisives  latérales  supérieures,  ce  qui  justifle  [deinenient  ces  ten- 
tatives; l'opération  présente  toutefois  dans  la  pratique  quelques  diflicultés  :  il 
est  très-rare  en  effet,  malgré  la  similitude  apparente  de  deux,  dents,  qu'elles 
aient  identiquement  les  mêmes  dimensions  dans  toutes  leurs  parties.  Si  la  lar- 
geur de  la  dent  qu'on  veut  transplanter  est  plus  grande,  c'est  là  un  incon- 
vénient sérieux  et  qui  oblige  soit  à  l'introduction  avec  force  et  à  la  distension 
de  l'alvéole,  soit  à  la  résection  d'une  portion  de  la  couronne.  C'est  ainsi  que 
dans  notre  premièi'e  tentative  nous  avons  du  réséquer  un  quart  environ  du 
bord  libre  de  la  couronne  d'une  canine  inférieure  destinée  à  remplacer  une  pré- 
molaire supérieure.  11  est  bien  préférable  que  la  dent  à  transplanter  soit  plus 
petite,  ce  qui  oblige  seulement  à  l'installation  d'un  moyen  contcntif,  bandage 
ou  gouttière. 

La  différence  de  forme  est  un  autre  inconvénient  que  nous  avons  aussi  ren- 
contré et  qui  nous  a  obligé  à  faire  subir  à  la  dent,  au  moment  de  son  intro- 
duction, un  certain  mouvement  de  rotation  sur  son  axe,  afin  d'imiter  autant  que 
possible  la  dent  remplacée. 

Quant  à  la  longueur  plus  grande  de  la  racine,  c'est  là  le  cas  le  plus  ordinaire 
pour  les  incisives  inférieures,  toujours  plus  longues  (jue  les  supérieures.  Cette 
circonstance  exige  une  opération  préalable  à  la  greffe,  c'est  lu  résection  d'une 
portion  de  cette  racine. 

Ces  diverses  particularités,  qui  ont  été  signalées  dans  presque  toutes  les  ten- 
tatives de  ce  genre,  n'ont  pas  toutefois  altéré  le  résultat.  Les  dents  ainsi  réim- 
plantées n'ont  pas  éprouvé  de  changement  de  coloration,  ce  qui  semble  impliquer 
une  persistance  des  fonctions  de  la  pulpe.  Ce  point  du  reste  n'est  pas  encore 
élucide,  car  aucune  dent  ainsi  transplantée  n'a  été  ensuite  enlevée  pour  appré- 
cier la  nature  de  ses  connexions  nouvelles,  mais  le  retour  de  la  sensibilité,  de 
sa  solidité,  joint  au  maintien  de  la  couleur,  sont  des  indices  favorables  à  cette 
interprétation. 

Le  manuel  opératoire  ne  diffère  point  dans  ce  cas  de  celui  qui  a  été  indiqué 
pour  la  greffe  par  restitution,  et,  lorsque  lu  dent  a  été  installée  dans  son  alvéole 
nouveau,  elle  doit  y  être  maintenue  un  temps  assez  long  par  lun  des  appareils 
contentifs  qui  paraîti'a  le  mieux  approprié.  Toutefois  nous  n'estimons  pas  à 
moins  d'un  mois  le  temps  moyen  nécessaire  à  cette  consolidation. 

Le  bilan  opératoire  est  dans  tous  les  cas  fort  restreint,  car,  en  dehors  de 
cinq  ou  six  cas  connus  ou  publiés,  nous  n'enconnaissuns  pas  d'autres  exemples 
authentiques.  Cette  pénurie  est  due  à  la  rareté  des  cas  appropriés  qui  exigent  à 
la  fois  la  perte  d'une  incisive  supérieure  et  la  situation  anomale  d'une  dent 
correspondante  inférieure.  Nous  n'hésitons  pas  toutefois  à  la  recommander 
absolument  dans  de  telles  circonstances  et  nous  restons  convaincu  que  de 
nouvelles  tentatives  ainsi  faites  entre  deux  dents  de  la  même  bouche  pré- 
senteront des  chances  de  succès  bien  plus  grandes  que  dans  les  cas  dont  nous 
allons  parler. 

B.  Greffe  par  transplantation  d'un  individu  à  un  autre  de  même  espèce. 
Cette  opération  ainsi  définie  est  peut-être  celle  qui  a  été  tentée  le  plus  souvent 
dans  tous  les  temps.  Anibroise  Paré,  Fauchard,  Jourdain,  Bunon,  Bourdet,  etc., 
se  livrent  à  des  récits  plus  ou  moins  authentiques  de  grandes  dames  de  la  cour 


DENT  (médecine  opératoire).  5^5 

qui  se  seraient  fait  poser  à  la  place  de  dents  brisées  des  incisives  de  Savoyards. 
Les  quelques  observations  dont  nous  avons  suivi  les  détails  ne  sont  même  pas 
encourageantes,  car  plusieurs  d'entre  elles  se  sont  terminées  plus  ou  moins  tai- 
divement  par  des  accidents  inflammatoires,  abcès,  phlegmons,  suivis  d'élimina- 
tion de  la  greffe. 

Nous  avons  tenté  pour  notre  compte  six  fois  cette  opération  et  n'avons  obtenu 
que  trois  succès. 

L'un  de  ces  cas  est  relatif  à  une  jeune  fille  de  dix-neuf  ans  dont  la  canine  supé- 
rieure gauche  était  profondément  altérée  par  carie  et  périoslite  chronique  consé- 
cutive. Il  nous  fut  proposé  par  la  famille  de  prendre  dans  la  bouche  d'un  jeune 
garçon  de  treize  ans  la  dent  correspondante,  mais  au  moment  de  faire  l'opération 
nous  reconnûmes  que  cette  dent  n'était  pas  encore  sortie.  Nous  songeâmes  alors 
à  utiliser  l'incisive  latérale  supérieure  qui  était  en  place  et  pariailcmcnt  saine. 
La  substitution  fut  ainsi  faite  et  le  résultat  se  maintient  irréprochable  depuis 
plus  de  quatre  années. 

Le  second  fait  est  relatif  à  un  homme  de  trente-cinq  ans  dont  la  canine  supé- 
rieure droite  était  également  détruite  profondément  par  la  carie.  Ici  nous  uti- 
lisâmes une  dent  homologue  prise  chez  un  jeune  étudiant  en  médecine  âgé  de 
vingt  ans  et  chez  lequel  les  dents  supérieures,  très-mal  disposées,  présentaient 
des  chances  de  régularisation  par  la  suppression  de  cette  canine  saillante  en 
avant.  La  transplantation  fut  pratiquée  en  juin  1880  et  la  grelfe  se  maintenait 
irréprochable  un  an  après. 

Dans  le  troisième  cas,  nous  avons  transplanté  chez  une  dame  de  25  ans  la  pre- 
mière prémolaire  d'une  petite  fille  de  9  ans  à  la  place  de  la  même  dent  brisée 
par  suite  de  t;arie  et  ayant  donné  lieu  à  un  kyste.  L'opération  eut  un  plein  succès. 

Tels  sont  nos  trois  cas  favorables  et,  quant  à  nos  trois  insuccès,  ils  ont  été  dus 
à  cet  inconvénient  déjà  signalé  du  plus  grand  volume  de  la  dent  transplantée  et 
à  une  véritable  mutilation  des  racines  que  nous  avons  été  obligé  de  pratiquer; 
l'insuccès  était  d'ailleurs  prévu  et  nous  n'avons  tenté  l'aventure  qu'en  désespoir 
de  cause  et  afin  d'utiliser  encore  des  dents  extraites  de  la  bouche  d'enfants  offrant 
des  dilformités  de  siège  ou  de  direction.  Ces  tentatives  ont  été  faites  d'ailleurs 
par  des  dents  d'enfants  greffées  soit  sur  leur  père,  soit  sur  leur  mère. 

On  voit  quels  sont  les  résultats  actuels  qu'a  fournis  cette  opération  :  nous 
ne  parlons,  bien  entendu,  que  des  faits  entourés  de  toutes  les  garanties  d'authen- 
ticité. Les  succès  se  comptent  aisément.  En  ajoutant  aux  trois  exemples  que 
nous  venons  de  signaler  trois  cas  également  favorables  du  docteur  Rédier  {Greffes 
dentaires  par  transplantation.  Jouimal  des  sciences  médicales  de  Lille,  1879), 
nous  arrivons  à  un  total  de  6  opérations  heureuses.  Enfin  si,  pour  juger  la 
greffe  par  transplantation  d'une  façon  plus  générale,  nous  les  réunissons  aux 
greffes  pratiquées  d'un  individu  sur  lui-même,  le  nombre  total  ne  dépasse  pas 
douze  succès  sur  plus  d'une  vingtaine  de  tentatives. 

Quoi  qu'il  en  soit,  nous  formulerons  les  préceptes  à  suivre,  en  cas  de  trans- 
plantation, de  la  manière  suivante  : 

1°  La  dent  à  transplanter  devra  avoir  des  dimensions  moindres  que  celle  qu'il 
s'agit  de  remplacer,  afin  d'éviter  toute  mutilation  de  la  couronne  ou  de  la  racine; 

2"  Ces  dents  devront  avoir  la  même  forme  et  la  même  direction,  afin  d'éviter 
tout  déplacement  et  toute  rotation  sur  l'axe  ; 

5"  Elles  devront  avoir  autant  que  possible  la  même  coloration  ; 

4"  Il  faudra,  dans  le  cas  de  périostite  chronique  de  la  dent  à  remplacer,  pra- 
DICT.  ENC.  XXVII.  i!5 


386'  DENT   (médecine  opératoire). 

tiquer  soigneusement  le  drainage  du  foyer  soit  par  la  fistule,  s'il  en  existe,  soit 
par  une  ouverture  artificielle  entretenue  longtemps  par  un  tube  de  drainage  ; 

5"  Enfin  il  conviendra  de  fixer  très-soigneusement  la  greffe  au  moyen  d'un 
bandage  et  mieux  encore,  pendant  les  premiers  jours,  à  l'aide  d'une  gouttière 
de  gutta-percha. 

G.  Greffe  par  transposition  (Vun  individu  à  un  autre  d^espèce  différente. 

Les  diverses  tentatives  de  greffe  épidermique  ou  osseuse  faites  des  animaux 
à  l'homme  étaient  bien  de  nature  à  suggérer  l'idée  de  transplanter  aussi  les 
dents.  En  même  temps  la  difliculté  extrême  qu'on  éprouve  à  rencontrer  des 
sujets  disposés  au  sacrifice  volontaire  d'une  dent  devait  faire  songer  à  de  tels 
emprunts.  Mais  des  difficultés  sérieuses,  insurmontables  même,  se  présentent 
tout  d'abord. 

La  première  de  ces  difficultés  réside  dans  l'extrême  dissemblance  de  forme 
entre  les  dents  des  animaux  et  celles  de  l'homme.  Le  fait  ne  saurait  surprendre, 
puisque  c'est  précisément  la  forme  des  dents  qui  constitue  l'un  des  principaux 
éléments  delà  caractéristique  des  espèces.  Si  quelques  animaux,  comme  certains 
singes  ou  le  porc,  offrent  avec  l'homme  une  analogie,  bien  éloignée  encore,  au 
sujet  de  la  forme  de  leurs  dents,  les  conditions  de  volume  et  de  longueur  sont 
incompatibles.  Aussi  toutes  les  tentatives  dans  celte  voie  sont-elles  restées 
infructueuses,  et  nous  ne  les  mentionnons  que  pour  mémoire.  Comment 
d'ailleurs  songer  sérieusement  dans  la  pratique  à  utiliser  pour  les  greffes  de 
dents  humaines  les  dents  de  l'orang  ou  du  chimpanzé,  les  seules  dont  les  analo- 
gies soient  quelque  peu  marquées?  Nous  n'insisterons  donc  pas  sur  cette  question, 
considérant  de  telles  tentatives  comme  tout  à  fait  illusoires. 

3.  Des  greffes  hétérotopiques.  Nous  désignons  sous  ce  nom  les  greffes 
soit  de  follicules  clos  et  complets,  soit  de  dents  adultes  transplantées  sur  des 
régions  du  corps  autres  que  les  alvéoles.  Ce  sont  là,  ainsi  que  nous  l'avons 
dit  en  commençant,  des  faits  purement  physiologiques,  jusqu'à  ce  jour  du 
moins.  Mais,  comme  en  matière  de  greffes  en  général  la  voie  de  la  physiologie 
expérimentale  peut  conduire  dans  un  temps  plus  ou  moins  long  à  des  appli- 
cations thérapeuti(iues,  nous  allons  reproduire  ici  les  résultats  des  expériences 
que  nous  avons  instituées  en  1874,  avec  notre  ami  regretté  Ch.  Legros,  sur  les 
greffes  de  follicules  dentaires  entiers  et  sur  celles  de  certains  organes  folli- 
culaires isolément  (voy.  Comptes  rendus  des  séances  de  l'Académie  des 
sciences,  1874,  'J  février). 

Greffes  de  follicules.  Elles  n'ont  été  tentées  jusqu'à  présent  que  sur  le  chien. 
Elles  comprennent  un  ensemble  de  S8  expériences  qui  se  résument  de  la 
manière  suivante  : 

«  Toutes  les  greffes  ont  été  empruntées  à  des  chiens  soit  nouveau  nés, 
soit  âgés  de  quelques  jours.  Dans  quelques  expériences,  les  chiens  avaient  vingt- 
deux  et  cinquante-huit  heures.  Les  animaux  ont  été  invariablement  sacrifiés  par 
la  piqûre  du  bulbe,  et  les  mâchoires  aussitôt  ouvertes  pour  mettre  les  follicules 
à  nu.  Une  moitié  des  deux  mâchoires  a  ainsi  servi  à  fournir  les  greffes,  taudis 
que  l'autre  moitié  était  conservée  comme  terme  de  comparaison. 

«  Les  animaux  sur  lesquels  ont  été  appliquées  les  greffes  étaient  le  plus 
souvent  adultes  et  quelquefois  de  même  âge  et  de  la  même  portée  que  celui  qui 
les  fournissait.  Les  organes  en  expérience  ont  été  rapidement  isolés  des  gout- 
tières dentaires  et,  le  plus  ordinairement,  introduits  aussitôt  dans  le  point 
désigné  pour  la  greffe.  Dans  quelques  circonstances,  ils  ont  été  pendant  quelques 


DEiS'T  (médecine  opératoire).  587 

minutes  plongés  dans  le  scrum  du  sang  de  l'animal  sacrifié,  sérum  qui  était 
maintenu  par  le  bain-marie  à  une  température  de  50  à  55  degrés  C. 

«  Les  greffes  étaient  introduites  sous  la  peau  de  certaines  régions,  choisies 
parmi  les  mieux  soustraites  aux  manœuvres  de  l'animal  :  la  nuque,  le  sommet 
de  la  tête,  les  régions  cervicale,  dorsale  et  lombaire.  Dans  les  premières  séries, 
le  procédé  d'application  était  la  simple  incision  et  l'introduction  de  la  greffe  à 
2  ou  5  centimètres  de  l'ouverture,  qui  était  réunie  par  deux  points  de  suture  : 
il  en  a  été  ainsi  dans  36  de  nos  expériences.  Dans  les  52  autres,  nous  avons 
employé  un  trocart  spécial,  d'un  diamètre  intérieur  de  7  millimètres  et  qui  per- 
mettait une  tr.insplantation  beaucoup  plus  rapide  et  plus  sûre.  Nous  devons 
dire  toutefois  que  ce  dernier  moyen  ne  nous  a  pas  paru  exercer  d'influence 
appréciable  sur  les  résultais. 

«  Sur  notre  total  de  88  greffes,  10  ont  été  pratiquées  du  chien  nouveau-né 
sur  des  cobayes  adultes;  elles  se  répartissaient  de  la  manière  suivante:  folli- 
cules entiers,  6;  organes  de  l'émail  isolés,  3  ;  bulbe  seul,  1.  Ces  expériences  ont. 
toutes  abouti  à  des  résultats  négatifs  par  résorption  ou  par  suppuration,  ce  qui 
est  conforme  aux  faits  recueillis  par  M.  Bert  et  par  d'autres  physiologistes  sur 
les  greffes  entre  animaux  d'ordres  zoologiques  différents. 

»  Les  78  autres  greffes  ont  été  invariablement  pratiquées  de  chiens  nouveau- 
nés  ou  jeunes  sur  chiens  adultes.  Le  temps  pendant  lequel  ces  greffes  ont  été 
maintenues  a  varié  de  treize  à  cinquante-quatre  jours;  mais  nous  dirons  tout  de 
suite  qu'une  série  de  25  greffes,  qui  sont  ainsi  restées  le  temps  maximum  de 
cinquante-quatre  jours,  se  sont  toutes  résorbées. 

«  Ces  78  greffes  se  divisent  de  la  manière  suivante  : 

Portion  de  maxillaires  avec  follicules  inclus ;; 

Follicules  isolés  et  entiers 2(3 

Bulbes  dentaires  isolés Ig 

Bulbes  restés  recouverts  de  leur  cliapeau  de  dentine  rudimentaire  ...  7 

Organes  de  l'émail  i^^olés  et  grefl'és  avec  un  lambeau  de  muqueuse  buccale.  19 

Organes  de  l'éra;iil  avec  le  chapeau  de  dentine  sous-jaccnt 1 

Chapeaux  de  dentine  isolés 4 

Total 73 

«  Ces  expériences  ont  fourni  les  résultats  suivants  : 

«  Les  5  portions  de  maxillaires  avec  les  follicules  dentaires  inclus  ont  donné 
lieu  à  3  suppurations  et  à  2  résorptions.  M.  Bert,  dans  des  tentatives  analo'^ues, 
avait  réalisé  les  mêmes  résultats  négatifs. 

«  Les  19  greffes  d'organe  de  rémail  seul  et  la  greffe  d'organe  de  l'émail  avec 
conservation  du  chapeau  de  dentine  sous-jacent  se  sont  invariablement  terminées 
par  résorption.  Ce  résultat  ne  doit  pas  surprendre,  quand  on  son<Te  à  l'extrême 
fragilité  de  ce  tissu  et  à  son  absence  de  vascularisation.  Nous  avions  toutefois  eu 
soin  de  greffer  en  même  temps  le  lambeau  correspondant  de  muqueuse  qui 
fournit  à  l'organe  ses  vaisseaux  nourriciers. 

«  Parmi  les  26  follicules  complels  transplantés,  7  ont  continué  de  vivre  ce 
qui  établit  une  proportion  de  près  Je  25  pour  100.  Ces  7  follicules  se  sont  accrus 
régulièrement,  sauf  un  cas  dans  lequel  quelques  troubles  de  nutrition  ont 
amené  la  produ(;tion  de  dentine  globulaire  et  de  faisceaux  irréguliers  de  prismes 
d'émail. 

«  Les  16  greffes  de  bulbes  dentaires  seuls  ont  donné  trois  résultats  positifs, 
soit  environ  20  pour  100.  Un  nouveau  chapeau  de  dentine  s'est  reproduit  tout  à 


388  DENT   (médecine  opératoire). 

fait  régulier  dans  deux  cas  et  dans  le  troisième  un  peu  altéré  dans  sa  structure 
et  globuleux  :  ils  étaient  tous  dépourvus  d'émail. 

«  Les  7  greffes  de  bulbes  dentaires  recouverts  de  leurs  chapeaux  de  dentine 
n'ont  pas  été  retrouvées;  elles  avaient  subi  la  résorption.  Ce  résultat  est  de 
nature  à  surprendre,  sien  le  rapproche  du  précédent,  mais  nous  ferons  remarquer 
que  ces  7  greffes  appartenaient  aux  séries  dans  lesquelles  les  expériences  ont 
été  maintenues  pendant  quarante-trois  et  cinquante-quatre  jours. 

«  Sur  les  4  chapeaux  de  dentine  isolés,  un  seul  a  continué  de  vivre,  mais 
sans  présenter  d'accroissement  ;  il  était  resté,  après  quarante-trois  jours,  à  l'état 
stationnaire. 

«  Un  certain  nombre  d'autres  greffes,  considérées  dans  notre  statistique 
comme  négatives,  ont  été  trouvées  soit  réduites  de  volume  et  manifestement  en 
voie  de  résorption,  soit  ayant  subi  la  transformation  graisseuse,  fait  signalé 
plusieurs  fois  par  M.  Bert;  les  autres  ont  donné  lieu  à  des  abcès  et  ont  été 
éliminées  ;  d'autres  enfui  n'ont  pu  être  retrouvées,  quelle  qu'ait  été  l'attention 
que  nous  ayons  mise  à  leur  recherche. 

«  De  l'ensemble  des  expériences  précédentes  il  nous  a  paru  possible  de  tirer  les 
conclusions  suivantes  : 

«  l*"  Les  greffes  de  follicules  dentaires  ou  d'organes  folliculaires  isolés  n'ont 
donné  de  résultats  dans  nos  expériences  qu'entre  animaux  du  même  ordre 
zoologique  ; 

«  2"  Les  expériences  consistant  à  transplanter  des  portions  plus  ou  moins 
volumineuses  de  mâchoires  avec  des  follicules  inclus  ont  échoué  par  suppuration 
ou  résorption  ; 

«  5"  Les  greffes  d'organe  de  l'émail  isolément  paraissent  vouées  invaria- 
blement à  la  résorption; 

«  4"  Les  follicules  entiers  et  les  bulbes  dentaires  isolés  peuvent  continuer  à 
vivre  et  à  se  développer  ; 

«  5°  Dans  certaines  circonstances,  l'accroissement  s'effectue  régulièrement  et 
sans  autre  diflérence  avec  l'état  normal  qu'une  notable  lenteur  dans  les  phéno- 
mènes d'évolution  ; 

«  6'^  Dans  d'autres  circonstances,  quelques  troubles  dans  la  formation  de 
l'ivoire  et  de  l'émail  se  sont  produits,  et  leur  étude  a  pu  être  utilement  appliquée 
à  la  recherche  des  phénomènes  encore  si  obscurs  du  développement  de  l'organe 
dentaire  ; 

((  1°  Les  résultats  qui  ressortent  de  ces  expériences  peuvent  ainsi  être  réunis 
à  ceux  qui  sont  déjà  acquis  dans  la  voie  de  la  greffe  chirurgicale.  » 

Greffes  de  dents  adultes.  Les  greffes  hétérotopiques  de  dents  adultes  n'ont 
guère  qu'un  intérêt  historique.  11  faut  en  effet  rappeler  la  célèbre  expérience  de 
Ilunter  qui,  ayant  implanté  dans  la  crête  d'un  coq  une  dent  humaine,  constatala 
soudure  des  parties  et  la  production  de  communications  vasculaires.  A.  Cooper 
avait  répété  cette  expérience  avec  le  même  résultat.  De  son  côté  M.  Philipeaux 
avait  implanté  de  la  même  façon  la  dent  d'un  jeune  lapin  qui  avait  continué,  dit- 
il,  de  s'accroitre  {voij.  sur  ces  différents  faits  thèse  de  P.  Bert,  Greffe  animale, 
lac.  cit.,  p.  G6). 

Ces  faits  ont  leur  portée  et  il  nous  paraît  très-important  qu'ils  ne  soient  point 
oubliés.  On  n'a  point  encore  expérimenté  la  greffe  d'une  dent  vivante  dans  la 
mâchoire  d'un  individu  dépourvu  de  dents  depuis  longtemps.  L'expérience,  bien 
qu'elle  n'ofû'*;  pas  à  priori  de  grandes  probabilités  de  succès,  mériterait  d'être 


DENT  (médecine  opératoire).  589 

tentée  et  aurait  bien,  après  tout,  autant  de  chance  de  soudure  qu'une  dent  hu- 
maine dans  la  crête  d'un  coq.  Bornons-nous  donc  à  la  signaler  et  même  à  la  con- 
seiller, ne  fût-ce  qu'à  titre  expérimental. 

VU.  De  l'anesthésie  chirurgicale  dans  ses  applications  aux  opérations  qui 
SE  PRATIQUENT  DANS  LA  BOUCHE.  L'anesthésie  chirurgicalc  a  été  déjà  l'objet  d'uii 
travail  d'ensemble  dû  à  l'un  des  plus  savants  collaborateurs  de  ce  Dictionnaire 
{voy.  Anesthésie  chirurgicale,  l'^'  série,  t.  lY,  p.  454).  Aussi  n'avons-nous 
nullement  la  prétention  de  reproduire  ici  les  considérations  générales  qui  sont 
exposées  dans  cet  article  ;  nous  y  renvoyons  le  lecteur.  Notre  intention  est  seu- 
lement de  développer  certaines  considérations  de  détail  ou  d'application  spéciale, 
et  cela  pour  deux  raisons  :  la  première,  c'est  que  depuis  la  publication  du  tra- 
vail en  question  (1866)  la  littérature  relative  aux  anesthésiques  s'est  enrichie 
d'un  certain  nombre  de  recherches  importantes  ;  la  seconde,  c'est  que  l'histoire 
des  anesthésiques  est  en  quelque  sorte  inséparable  de  la  pratique  des  opérations 
buccales,  car  c'est  presque  toujours  l'extraction  d'une  dent  qui  a  servi  de  pré- 
texte ou  d'occasion  aux  essais  multipliés  des  chirurgiens. 

Cependant,  envisagée  au  point  de  vue  pai'ticulier  qui  nous  occupe,  l'aneslhé- 
sie  chirurgicale  n'a  été  l'objet  que  de  fortjieu  d'études.  Sans  rappeler  les  recher- 
ches entreprises  au  sujet  de  tel  ou  tel  agent  anesthésique,  nous  n'avons  à  men- 
tionner qu'une  seule  publication  due  au  docteur  Redier  (de  Lille)  (Journal  des 
sciences  médicales  de  Lille,  1879).  Cette  monographie  a  d'ailleurs  été  présentée 
par  l'auteur  comme  écrite  d'après  nos  idées  personnelles  et  avec  des  documents 
que  nous  avions  recueillis  ensemble.  C'est  donc  notre  commune  opinion  que 
nous  allons  exposer  ici  et  nous  ferons  au  mémoire  de  M.  Redier  de  fréquents  em- 
prunts. Un  autre  travail  a  toutefois  été  écrit  plus  récemment  sur  le  même 
sujet.  Il  est  de  M.  Rottenstein  [Traité  d" anesthésie  chirurgicale,  1880).  Mais 
le  livre,  fort  diffus,  est  loin  d'avoir  la  valeur  scientifique  de  l'article  précédem- 
ment cité  et  il  est  en  tous  cas  destiné  à  préconiser  exclusivement  les  vertus  et 
l'innocuité  d'un  certain  agent  anestliésique,  le  protoxyde  d'azote,  employé  d'après 
les  procédés  nouveaux  de  Paul  Bert. 

L'anesthésie  chirurgicale  appliquée  à  notre  sujet  comprend  deux  problèmes 
distincts,  ce  qui  nous  conduit  à  diviser  cette  étude  en  deux  parties  :  1»  l'anes- 
thésie générale;  2"  l'anesthésie  locale. 

I.  Anesthésie  générale.  C'est  llumpbry  Davy  qui,  en  1799,  prépara  l'avé- 
nement  de  l'anesthésie  chirurgicale  par  la  découverte  des  propriétés  du  pro- 
toxyde d'azote:  mais  bien  qu'il  eût  annoncé  dans  un  mémoire  la  possibilité 
d'utiliser  le  gaz  hilarant  comme  aneslhésique  pendant  les  opérations,  ses  expé- 
riences furent  bientôt  oubliées  et  restèrent  sans  profit  pendant  un  demi-siècle. 

Cependant,  dès  ce  moment,  des  recherches  furent  faites  sur  divers  points  à 
la  fois;  tout  le  monde  connut  bientôt,  sans  songera  les  utiliser  d'abord,  les 
propriétés  stupéfiantes  de  l'éther  et,  à  quelques  années  d'intervalle,  les  trois 
agents  anesthésiques  qui  se  partagent  aujourd'hui  la  faveur  firent  leur  appa- 
rition dans  la  pratique  chirurgicale  :  l'éther  en  1843,  le  protoxyde  d'azote 
en  1844  et  le  chloroforme  en  1847. 

Les  propriétés  anesthésiques  d'un  certain  nombre  de  produits  plus  ou  moins 
voisins  du  chloroforme  ou  de  l'éther  ont  été  découvertes  depuis  une  vingtaine 
d^'années,  mais  les  tentatives  faites  pour  substituer  ces  nouveaux  agents  à  leurs 
aînés  sont  restées  sans  résultat  ;  nous  nous  contenterons  de  les  mentionner 
sans  nous  y  arrêter. 


590  DENT   (médecine  opéeatouie). 

Anesthésiques  généraux.  Au  point  de  vue  pratique,  on  peut  diviser  les 
anesthésiques  généraux  en  trois  classes  : 

La  première  comprend  toute  une  série  de  composés  ternaires  ou  quaternaires 
formés  d'hydrogène  et  de  carbone  combinés  avec  le  brome,  le  chlore,  l'iode 
ou  l'oxygène  :  les  types  des  produits  de  cet  le  classe  sont  le  chloroforme  et 
l'éther. 

La  deuxième  ne  comprend  que  le  protoxyde  d'azole. 
•  Dans  la  troisième,  on  peut  grouper  des  substances  qui  agissent  plutôt  comme 
narcotiques  que  comme  anesthésiques  :  tel  est  en  particulier  le  chloral,  qui  a 
été  employé  dans  ces  derniers  temps  pour  les  opérations  de  petite  chirurgie. 

Les  produits  de  cliacun  de  ces  trois  groupes  diffèrent  complètement,  ainsi 
qu'on  le  verra  plus  loin,  dans  leur  état  physique,  dans  leur  mode  d'admi- 
nistration, dans  leurs  effets  physiologiques,  et  par  conséquent  dans  leurs  indi- 
cations. A  cliaqiie  groupe  correspond  donc,  en  réalité,  une  méthode  particulière 
d'aneslhésie;  mais  le  chirurgien  peut  encore  recourir  à  une  métlnide  mixte  par 
la  combinaison  des  produits  appartenant  à  des  groupes  différents,  de  façon  à 
obtenir  des  résultats  nouveaux  représentant  une  sorte  de  moyenne  des  effets 
phj  Biologiques  des  agents  employés.  Nous  allons  passer  successivement  en 
revue  ces  quatre  modes  d'anesthésie,  mais  sans  insister  sur  les  points  qui  sont 
généralement  connus. 

1°  Êlher  sulfiirlqne,  chloroforme,  sels  de  méthylène,  de  méthyle,  d'amyle, 
éthers.  Le  plus  grand  nombre  de  ces  produits  n'a  été  essayé  que  sur  les 
animaux,  et  les  résultats  ont  été  tels  qu'on  ne  s'est  pas  cru  autorisé  à  faire  des 
expériences  sur  l'homme;  quelques-uns  cependant,  et  eu  particulier  le  bichlo- 
rure  de  méthylène,  ont  été  queli|ue  temps  employés  dans  la  pratique  chirurgicale, 
mais  ils  ont  tous  été  successivement  abandonnés,  à  l'exception  de  l'éther  et  du 
chloroforme. 

L'histoire,  les  propriétés  physiologiques  et  le  mode  d'administration  de  ces 
deux  derniers  agents,  étant  longuement  traités  dans  tous  les  ouvrages  de  chirur- 
gie générale,  nous  ne  ferons  que  les  rappeler  sommairement. 

Après  quelques  tentatives  isolées  et  qui  n'eurent  aucun  retentissement,  faites 
en  1842  et  J843  par  le  docteur  Vî.  G.  Long  d'Athènes,  c'est  un  dentiste  de 
Boston,  du  nom  de  Morton,  qui,  en  1846,  fit  le  premier  de  l'éther  une  appli- 
cation suivie.  Dès  l'année  suivante,  la  pratique  de  Morton  était  connue  de  toute 
l'Europe  et,  le  12  janvier  1847,  Malgaigne,  après  plusieurs  essais  dans  son 
service  chirurgical,  confirmait  devant  l'Académie  de  médecine  les  merveilleux 
résultats  annoncés  par  les  Américains.  Quelques  accidents  mortels  ne  tardèrent 
pas  cependant  à  calmer  l'enthousiasme  général,  et  l'éthérisation  commençait 
à  rencontrer  une  certaine  opposition  lorsque  la  découverte  des  propriétés  du 
chloroforme  par  Flourens,  en  1847,  vint  encore  lui  enlever  un  grand  nombre 
de  ses  partisans.  Jacob  Bell  et  surtout  Simpson  adoptèrent  immédiatement 
le  nouvel  agent  et  eurent  bientôt  de  nombreux  imitateurs  ;  depuis  cette  époque, 
la  cause  du  chloroforme  a  toujours  gagné  du  terrain,  et  l'éther  est  aujourd'hui 
abandonné  presque  partout. 

Nous  n'avons  aucun  argument  nouveau  à  ajouter,  en  faveur  de  l'un  ou  l'autre 
des  deux  anesthésiques,  à  tous  ceux  qui  ont  été  donnés  par  leurs  partisans 
respectifs  ;  mais,  si  on  pouvait  démontrer  par  des  statistiques  rigoureuses  qu'ils 
sont  identiques  au  point  de  vue  de  leurs  effets  et  aussi  des  dangers  auxquels 
ils  exposent,  c'est  encore  au  chloroforme  que  nous  donnerions  la  préférence  : 


DE?JT   (.MÉDECINE  opérvtoip.e).  591 

sa  vohililité  moins  grande  ne  rend  pas  nécessaire  l'emploi  d'appareils  spéciaux 
toujours  plus  ou  moins  compliqués  ;  il  n'exige  qu'une  simple  compresse,  et  c'est 
là  déjà  une  supériorité  ;  il  permet  en  outre  d'obtenir  une  aneslhésie  plus  com- 
plète, et  cette  considération  a  pour  nous  une  certaine  importance,  la  résolution 
des  muscles  masticateurs  ne  se  produisant  qu'à  une  période  très-avancée  de 
l'anesthésie. 

Rappelons  encore  que  l'éther,  par  son  inflammabilité,  présente  des  dangers 
qui  doivent  le  faire  rejeter  rigoureusement  toutes  les  fois  que  les  nécessités  de 
l'opération  exigent  l'emploi  du  feu  :  il  suffit  d'une  lumière,  d'un  foyer 
allumé,  ou  même  d'un  simple  cautère  dans  la  pièce  oij  l'on  administre  l'ancsllié- 
sique,  pour  amener  l'inflammalion  de  la  vapeur  répandue.  Il  nous  suffira,  entre 
autres,  de  rappeler  l'accident  arrivé  récemment  à  Lyon  à  M.  Poncet,  qui,  malgré 
les  précautions  les  plus  minutieuses  pour  éviter  l'inflammalion  des  vapeurs 
élhcrées,  l'ut  tout  à  coup  enveloppé  de  llammes  au  moment  oîi  il  commençait  à 
appliquer,  sur  le  genou  de  sa  malade,  des  pointes  de  feu  à  l'aide  du  thermo- 
cautère de  Paquelin  (Lyon  médical,  21  septembre  1879,  p.  73). 

C'est  alors  que  diverses  tentatives  furent  faites  à  l'aide  de  quelques  autres  sub- 
stances plus  ou  moins  voisines  chimiquement  des  précédentes.  Parmi  les  re- 
cherches nous  mentionnerons  celles  qui  ont  eu  pour  objet  le  bromure  d'éthyle. 

Cette  substance,  assez  analogue  à  l'éther  ordinaire  par  ses  propriétés  pliysiolo- 
giques,  essayée  pour  la  première  fois  en  Angleterre  en  1849,  a  été  remise  der- 
nièrement en  faveur  par  M.  Terrillon  (Bull,  de  tliérap.,  n"^  du  15  au  50  avril, 
15  mai  1880)  et  par  l'un  de  ses  élèves,  le  docteur  Duval  (Thèse  de  Paris,  1880). 

De  même  que  l'éther  dont  il  partage  la  volatilité  extrême,  sans  être  inflam- 
mable comme  lui,  il  est  susceptible  d'être  employé  à  la  fois  comme  anesthé- 
sique  général  et  comme  anesthésique  local. 

Comme  anesthésique  général  il  semble  avoir  pour  avantages  particuliers  un 
elfet  plus  prompt,  un  réveil  plus  rapide  et  sans  accidents,  et  dès  lors  convien- 
drait particulièrement  aux  opérations  courtes. 

2"  Protoxyde  d'azote.  C'est  Horace  Wells,  dentiste  de  Hartfort,  petite  ville 
du  comté  de  Connecticul,  qui,  quarante  ans  après  les  travaux  de  Humphry 
Davy,  eut  le  premier  l'idée  d'utiliser  les  propriétés  physiologiques  du  protoxyde 
d'azote  pour  l'extraction  des  dents.  Après  plusieurs  succès  sur  lui-même  et 
sur  des  malades  de  sa  clientèle,  il  fit  à  Boston,  en  1844,  une  expérience 
pubhque  qui  échoua  complètement  ;  il  se  rendit  alors  en  Europe  pour  renou- 
veler ses  essais,  mais  il  ne  put  se  faire  entendre  et,  fatigué,  dit-on,  de  ses 
luttes  stériles,  il  se  donna  la  mort. 

Des  tentatives  de  Hora;e  Wells  il  ne  resta  pendant  vingt  ans  que  le  souvenir 
de  sa  mésaventure;  cependant,  vers  1864,  les  Américains  recommencèrent  à 
expérimenter  le  protoxyde  d'azote;  les  dentistes  l'adoptèrent  très-rapidement  à 
partir  de  ce  moment,  et  aujourd'hui  il  est  manié  partout  avec  une  telle  prodi- 
galité qu'on  pourrait  croire  son  administration  exempte  de  tout  danger  et  abso- 
lument inoffensive. 

Déjà,  en  1866,  lorsque  Jules  Cloquet  annonça  à  l'Académie  des  Sciences  les 
résultats  avantageux  obtenus  par  quelques  dentistes  de  Paris,  Dumas  insista 
sur  la  difficulté  d'obtenir  le  protoxyde  d'azote  à  l'état 'de  pureté,  et  sur  les 
dangers  que  présente  son  inhalation  quand  cette  condition  n'est  pas  remplie 
(séance  du  24  décembre  1866).  Fn  1872,  un  premier  cas  de  mort  survint  à 
Brooklin  (New-York)  pendant  l'extraction  d'une  dent  {the  Médical  Press  and 


392  DENT   (mkdecine  opératoire). 

Circular,  30  octobre  1872),  et,  le  25  janvier  1873,  il  s'en  est  produit  un  second 
dans  les  mêmes  conditions  entre  les  mains  d'un  dentiste  d'Exeter  {Ihe  Times, 
24  janvier  1875,  et  Gaz.  hebd.,  1875,  p.  110). 

Cependant  des  avertissements  étaient  venus  déjà  de  plusieurs  cotes;  des 
recherches  expérimentales  avaient  été  faites,  qui  toutes  étaient  arrivées  à  des 
conclusions  identiques  telles  que  l'on  s'étonne  de  voir  encore  le  gaz  hilarant, 
laissé  aux  mains  du  premier  venu,  devenir  l'objet  d'une  véritable  industrie  ou 
d'une  basse  réclame  et  publiquement  employé  par  ceux-là  mêmes  à  qui  la  loi 
l'interdit  formellement  (a  L'inhalation  des  anesthésiques  ne  peut  être  considérée 
comme  une  des  grandes  opérations  interdites  aux  officiers  de  i^anté,  mais  il  ne 
saurait  en  être  ainsi  pour  les  sages-femmes  et  les  dentistes  :  pour  ceux-ci  l'inter- 
diction est  absolue)  »  (Décret  du  8  juillet  1850,  concernant  la  vente  des 
substances  vénéneuses). 

En  1868,  la  Société  médicale  du  VP  arrondissement  de  Paris  mit  à  l'étude 
la  question  du  proloxyde  d'azote,  afin  d'établir  la  nature  de  son  action  physiolo- 
gique, les  caractères  de  l'anesthésie  produite  et  le  degré  de  confiance  que  les 
praticiens  doivent  accorder  à  cet  agent.  La  Commission,  dont  nous  avions  l'hon- 
neur de  faire  partie,  entreprit  une  longue  série  d'expériences  et  d'observations 
dont  nous  allons  brièvement  rendre  compte  {voy.  Léon  Duchesne,  Rapport  de 
la  Commission  du  protoxyde  d'azote,  lu  à  la  Société  médicale  du  VP  arrondisse- 
ment, 1868,  et  Dlct.  des  Se.  méd.,  art.  Protoxvde  d'azote,  emploi  médical). 

Des  expérimentations  de  l'ordre  physiologique  ont  été  instituées  d'abord  sur 
les  animaux  et  ensuite  sur  l'homme  :  des  lapins  furent  soumis  aux  inhala- 
tions du  protoxyde  d'azote  pur  par  la  trachée  découverte  au  cou;  lanesthésie 
complète  fut  obtenue  après  deux  à  quatre  minutes,  et  la  mort  survint  dans  un 
temps  moyen  de  sept  minutes,  après  un  ralentissement  brusque  de  la  circu- 
lation au  début  de  l'inhalation,  puis  une  accélération  marquée  et  enfin  une 
suspension  subite  des  mouvements  du  cœur.  Si  alors  on  essayait  de  ranimer 
l'animal,  au  moyen  de  la  respiration  artificielle  et  de  l'insufflation,  on  n'y 
parvenait  que  très-rarement. 

D'autres  lapins  ont  été  soumis  ensuite  à  l'action  du  protoxvde  mélangé  d'air 
à  volume  égal.  Les  mêmes  phénomènes  se  reproduisirent  avec  une  différence 
notable  dans  l'intensité  et  la  durée. 

Afin  d'étudier  le  mode  exact  de  l'action  du  gaz,  des  animaux  ont  été  sou^ 
mis  à  l'asphyxie  pure  et  simple  par  la  ligature  de  la  trachée,  et  l'on  constata 
que  la  mort  arrivait  plus  lentement  que  par  le  protoxyde.  Ces  expériences 
ont  paru  établir  ce  premier  point  :  que  le  protoxyde  d'azote  est  un  gaz  irres- 
pirable et  qu'il  entraîne  en  même  temps  la  mort  par  intoxication  et  par  as- 
phyxie ;  ce  résultat  s'éloignerait  sensiblement  de  l'opinion  émise  par  Berzelius, 
qui  affirme  que  le  protoxyde  d'azote  est  décomposé  en  petite  quantité  par  la 
respiration  et  que  son  introduction  dans  le  sang  lui  communique  une  couleur 
purpurine  :  aussi  considère-t-il  la  mort  comme  due,  non  à  l'asphyxie,  mais  aui 
effets  prolongés  de  l'ivresse  (Berzelius,  Traité  de  chimie,  trad.  d'Esslinger, 
t.  II,  p.  49). 

Les  expériences  sur  l'homme  ont  donné  les  résultats  suivants  :  des  sujets 
soumis  à  l'action  du  protoxyde  d'azote  pur  ont  éprouvé,  après  cinq  ou  six 
inspirations,  une  sorte  d'ivresse  agréable  avec  sensation  de  déplacement  et  de 
voyage.  Le  pouls,  d'abord  normal,  s'accélère  après  les  premières  inspirations 
pour    baisser  sensiblement   bientôt  après,  et  à  ce  moment  survenaient  des 


DENT   (médecine  opératoire).  59j 

phénomènes  asplipiques  qui  faisaient  suspendre  aussitôt  l'expérience  :  la  face 
■levenait  pâle,  stertoreuse,  et  les  lèvres  livides. 

Quant  aux  phénomènes  d'anesthésie  proprement  dite,  ils  ne  se  sont  pas 
présentés  constamment,  et  même  à  la  période  asphyxique  certains  sujets  ont 
conservé  encore  la  sensation  de  piqûre,  de  pincement;  toutefois,  dans  un  grand 
nombre  de  cas,  l'insensibilité  a  été  complète,  et  diverses  opérations,  des  cauté- 
risations de  la  conjonctive,  des  incisions  de  la  peau,  des  extractions  dentaires, 
ont  pu  être  laites  sans  douleur. 

En  1875,  MM.  Jolyet  et  Blanche,  à  la  suite  de  nouvelles  expériences,  ont 
conclu  que  :  «  le  gaz  protoxyde  d'azote  ne  peut  entretenir  la  respiration  des 
plantes  ni  celle  des  animaux;  que,  si  ce  gaz  respiré  pur  produit  à  un  certain 
moment  l'aneslhésie,  c'est  par  privation  d'oxygène  dans  le  sang,  c'est-à-diie 
par  asphyxie  »  {Comptes  rendus  des  séances  de  l'Académie  des  Sciences, 
t.  LXXVll,  judlet-décembre  1875,  p.  59). 

Comment  concilier  ces  conclusions  formelles  ,  qui  sont  aussi  celles  de 
M.  L.  Hermann  {Archives  de  Reichert  et  du  Bois-Raymond,  1864,  et  Journal  de 
méd.,  de  cliir.  etde  pharm.,  publié  par  la  Société  royale  des  sciences  médicales 
et  naturelles  de  Bruxelles,  18G7),  et  de  la  p!u[)art  des  expérimentateurs,  avec 
l'innocuité  relative  dont  le  protoxyde  d'azote  semble  jouir  dans  la  pratique, 
et  avec  cette  opinion  de  Tomes,  qui  le  considère  comme  préférable  aux  autres 
anesthésiques  pour  les  opérations  légères  et  de  courte  durée  {Traité  de  chirurgie 
dentaire,  trad.  Darin,  p.  647)?  ÎVous  avons  la  conviction  que,  dans  le  plus  grand 
nombre  des  cas,  le  gaz  n'est  pas  donné  jusqu'à  l'aneslliésie  complète,  et  que 
les  inhalations  sont  suspendues  avant  le  début  ou  aux  premiers  signes  de  la 
période  d'asphyxie;  à  ce  moment  la  sensibilité  générale  est  simplement  en- 
gourdie, et  le  patient,  plungé  dans  une  sorte  de  rêverie,  peut  ne  ressentir  que 
confusément  la  douleur  d'une  opération  rapidement  faite;  mais,  si  celle-ci  se 
prolonge  au  delà  de  quelques  instants,  la  douleur  se  manifeste  avec  toute  son 
intensité,  et  les  cris  et  les  mouvements  du  malade  ne  montrent  que  trop  l'im- 
puissance de  l'anesthésique. 

C'est  là  ce  que  nous  avons  vu  toutes  les  fois  que  nous  avons  assisté  à  des 
opérations  pratiquées  à  l'aide  du  protoxyde  d'azote,  en  particulier  au  Dental 
Hospital  de  Londres,  où  ce  gaz  est  administré  journellement  pour  de  nom- 
breuses extractions  par  des  praticiens  dont  l'expérience  et  l'habileté  ne  sau- 
raient être  mises  en  doute.  C'est  là  ce  que  nous  ont  dit  un  grand  nombre  de 
malades  qui  s'étaient  soumis  aux  inhalations  du  gaz  hilarant  et  qui,  pour  la 
plupart,  sont  décidés  à  ne  plus  recommencer,  prétérant  supporter  la  douleur 
complète  de  l'opération  que  de  s'exposer  aux  dangers  de  l'anesthésie  sans  en 
recueillir  les  bénéfices. 

Nous  nous  croyons  donc  fondés  à  rejeter  l'usage  du  protoxyde  d'azote,  du 
moins  jusqu'à  ce  que  l'on  ait  trouvé  les  moyens  de  l'administrer  de  façon  à 
obtenir   sans   danger  une  anesthésie   complète. 

Or  de  récentes  expériences  de  M.  P.  Bert  semblent  indiquer  que  la  solution  de 
ce  problème  n'est  pas  impossible.  On  sait  que  l'action  des  gaz  susceptibles  d'im- 
pressionner l'organisme  dépend  de  leur  tension;  si  cette  loi,  établie  pour  l'acide 
carbonique  et  l'oxygène,  pouvait  s'appliquer  au  protoxyde  d'azote,  on  obtiendrait 
avec  un  mélange  à  parties  égales  d'air  et  de  protoxyde  comprimé  à  deux  atmosphères 
tous  les  effets  physiologiques  du  gaz  pur  et  l'anesthésie  pourrait  alors  être  poussée 
aussi  loin  que  possible  sans  danger  d'asphyxie.  M.  P.  Bert  (Communication 


594  DENT  (médecine  opératoire). 

à  la  Société  de  Biologie,  séance  du  2  février  1878,  a  cherché  à  résoudre  la  question 
par  l'expérimenlalion  :  à  cet  effet  il  soumit  deux  rats  placés  dans  une  cloche  à 
trois  atmosphères  de  protoxyde  d'azote;  l'anesthésie  se  produisit  rapidement  sans 
trace  d'asphyxie  pendant  20  minutes;  dès  que  la  décompression  fut  opérée,  les 
animaux  recouvrèrent  la  sensibilité,  mais,  pendant  48  heures,  ils  restèrent 
sonnolents  et  présentèrent  une  température  au-dessous  de  la  normale. 

Au  moment  où  nous  écrivons,  le  savant  physiologiste  poursuit  ses  expé- 
riences, et  l'on  peut  affirmer,  dès  aujourd'hui,  en  présence  des  faits  récemment 
publiés,  qu'il  est  possible  d'utiliser  le  proloxyde  d'azote  pour  des  opérations 
de  longue  durée. 

La  dernière  communication  de  M.  P.  Bert  à  la  Société  de  Biologie  (juillet 
1879]  est  relative  à  l'ablalioi!  d'une  tumeur  du  sein  pratiquée  par  M.  Péan, 
à  l'hôpital  Saint-Louis,  à  l'aide  du  protoxyde  d'azote  sous  pression  employé 
pour  obtenir  l'anesthésie.  L'opération  dura  \-i  minutes  :  la  malade  était  installée 
dans  une  des  cloches  d'un  établissement  de  bains  d'air  comprimé.  La  pression 
à  l'intérieur  de  la  cloche  fut  portée  entre  17  et  10  centimètres,  et  l'on  fit 
respirer  à  la  malade  le  mélange,  indiqué  par  M.  Bert,  de  85  parties  de  protoxyde 
d'azote  et  de  15  parties  d'oxygène. 

Il  n'y  eut  aucune  espèce  de  réaction;  la  malade  était  profondément  endormie 
au  bout  d'une  minute  et  demie. 

Lorsque  l'opération  fut  terminée,  on  cessa  les  inhalations  de  protoxyde 
d'azote  :  la  malade  s'éveilla  presque  aussitôt  dans  un  état  de  bien-être  parfait, 
et  elle  demanda  à  manger. 

En  14  minutes,  elle  avait  absorbé  150  litres  de  gaz,  soit  un  peu  plus  de 
10  litres  par  minute. 

Il  est  donc  désormais  incontestable  que  le  protoxyde  d'azote  jouit  de  pro- 
priétés spéciales  qui  permettent  de  le  ranger  parmi  les  aneslhésiquss  propre- 
ment dits,  et  que,  par  conséquent,  l'insensibilité  plus  ou  moins  complète  qu'il 
détermine  n'est  pas  simplement  le  fait  de  l'asphyxie,  comme  MM.  Jolyet  et 
Blanche  s'étaient  crus  autorisés  à  l'affirmer  après  leurs  expériences. 

A  ce  point  de  vue,  les  travaux  de  M.  Paul  Bert  présentent  uu  incontestable 
intérêt,  mais  il  faut  reconnaître  aussi  que,  jusqu'ici,  l'emploi  du  gaz  sous 
pression  est  à  peu  près  impossible  dans  la  pratique;  il  exige  des  conditions 
que  l'on  ne  peut  réunir  qu'exceptionnellement,  et  il  est  nécessaire  que  de 
nouvelles  recherches  amènent  la  découverte  d'un  mode  d'emploi  facilement 
réalisable  partout,  pour  qu'il  sorte  du  domaine  de  la  physiologie  expérimentale. 

5°  Hydrate  de  chloral.  L'hydrate  de  cliloral  est  un  hypnotique  et  un  anti- 
spasmodique puissant  qui,  à  la  dose  de  8  à  10  grammes,  peut  même  produire 
l'anesthésie  chez  l'adulte;  mais,  à  cette  dose,  l'estomac  se  révolte  et  refuse 
ou  rejette  le  médicament.  Dans  une  communication  au  Congrès  de  Bruxelles, 
M.  Bouchut  (voy.  Bulletin  général  de  Thérapeutique)  a  montré  que,  chez  l'enfant 
au  contraire,  le  chloral  peut  être  pris  sans  difficulté  à  la  dose  de  5  et  4  grammes, 
être  parfaitement  toléré  et,  dans  ces  conditions,  produire  une  aneslhésie  com- 
plète :  sur  un  grand  nombre  d'observations,  il  n'y  aurait  jamais  eu  aucun  accident. 
Plus  récemment  le  docteur  Choquet  (Thèse  de  Paris,  1880)  a  de  nouveau  pré- 
conisé cet  agent. 

L'hydrate  de  chloral  doit  être  administré  en  une  seule  fois  dans  une  potion 
de  60  à  100  grammes;  un  quart  d'heure  après  l'ingestion  de  la  dose  entière, 
l'anesthésie  commence  à  se  produire;  elle  est  complète  au  bout  d'une  heure  et 


DENT  (médecixe  opératoire).  595 

se  prolonge  environ  quatre  heures.  Pendant  cette  période,  on  peut  pratupier 
l'extraction  d'une  ou  plusieurs  dents  ou  toute  autre  opération,  san'  que  l'enfant 
en  garde  le  souvenir  :  il  pousse  un  petit  gémissement,  remue  sans  se  réveiller, 
et  retombe  aussitôt  dans  l'immobilité. 

Les  expériences  de  Redier  ont  d'ailleurs  pleinement  confirmé  les  résultats 
annoncés  par  M.  Bouchut  {voy.  Mémoire  sur  l'emploi  du  cldoral  comme  anes- 
thésique  chez  les  enfants,  in  Journal  des  Se.  méd.  de  Lille.,  décembre  1878)  : 
nous  croyons  donc  que  l'anesthésie  pale  peut,r  chlor  a. dans  des  cas  particuliers, 
rendre  service,  et  c'est  à  ce  titre  que  nous  la  signalons  ici,  bien  que  l'extraction 
des  dents  chez  les  enfants  ne  puisse  justifier  que  très-exceptionnellement  l'em- 
ploi des  ancsthésiques,  les  dents  temporaires  •  étant  toujours  plus  ou  moms 
ébranlées  et  privées  de  leurs  racines  à  l'époque  de  leur  chute. 

¥  Anesthésie  mixte.  11  était  naturel  qu'après  avoir  expérimenté  les  divers 
anesthésiqucs  isolément  on  cherchât  à  les  associer  dans  le  but  d'ob'.enir  des 
résultats  meilleurs  et  d'atténuer  les  dangers  inhérents  à  l'emploi  exclusif  de 
chacun  d'eux. 

Jusqu'à  présent,  à  notre  connaissance  du  moins,  les  seuls  agents  par  l'action 
combinée  desquels  on  ait  cherché  à  produire  l'anesthésie  sont  : 

L'éther  et  le  chloroforme  ; 

La  morphine  et  le  chloroforme  ; 

Le  protoxyde  d'azote  et  l'éther. 

Le  mélange  d'éther  et  de  chloroforme  (60  parties  d'éther  pour  40  de  chloro- 
forme), après  avoir  joui  d'un  moment  de  vogue,  n'est  guère  usité  maintenant 
qu'en  Angleterre  et  en  Amérique;  encore  n'est-ce  que  très-exceptionnellement 
qu'on  y  a  recours.  La  confiance  qu'il  inspirait  a  été  fortement  ébranlée  par  trois 
cas  de  mort  survenus  à  quelques  années  de  distance  (Jules  Rochard,  Histoire 
de  la  Chirurgie  française  au  XIX'-  siècle.  Paris,  1875,  p.  492).  Nous  ne  nous  y 
arrêterons  pas. 

Pour  la  morphine  et  le  chloroforme,  c'est  Claude  Bernard  qui,  par  des 
expériences  qui  eurent  un  grand  retentissement,  ouvrit  la  voie  des  recherches. 
En  1864,  le  savant  physiologiste,  injectant  cinq  centigrammes  de  morpiiine 
dans  le  tissu  cellulaii'e  d'un  chien  qui,  quelques  instants  auparavant,  avait  été 
soumis  au  sommeil  chloroformique  et  qui  venait  à  peine  de  recouvrer  la  sensi- 
bilité, vit  avec  étonnement  l'anesthésie  se  reproduire  et  se  prolonger  très- 
longtemps;  il  renouvela  plusieurs  fois  l'expérience  et  obtint  constamment  le 
même  résultat.  Plus  tard  il  constata  que,  lorsqu'on  commence  par  l'injection 
de  morphine,  il  suffit  d'une  très-faible  dose  de  chloroforme  pour  déterminer  le 
sommeil  et  de  quelques  courtes  inhalations  pour  l'entretenir  {Revue  des  cours 
scientifiques,  1869,  p.  447). 

Au  moment  même  où  Claude  Bernard  faisait  sa  première  expérience,  Nusbaum, 
de  Munich,  la  réalisait  avec  succès  dans  l'espèce  humaine  :  dans  dix-sept  opé- 
rations, après  avoir  obtenu  par  le  chloroforme  une  anesthésie  complète,  il 
pratiqua  une  injection  hy|)odermique  d  i.iéUte  de  morphine,  et  l'anesthésie  se 
prolongea  pendant  douze  heures  chez  cinq  sujets,  de  deux  à  huit  heures  chez 
les  autres  (J.  Rochard,  loc.  cit.). 

Un  certain  nombre  de  chirurgiens  français  entrèrent  immédiatement  dans  la 
voie  tracée  par  Claude  Bernard  :  Ollier,  de  Lyon,  fit  avec  un  succès  complet  et 
sans  accidents  des  opérations  très-longues  et  très -douloureuses,  en  employant 
les  inhalations  de  chloroforme  suivies  de  l'injection  morphinée;  en  substituant 


396  DENT   (médecine  opératoire). 

l'étlier  au  chloroforme,  le  sommeil  était  prolongé  jusqu'à  vingt-quatre  et 
quarante-huit  heures. 

En  1870,  pendant  la  guerre,  Poncet  entreprit,  à  l'hôpital  militaire  de  Stras- 
bourg, quelques  essais  auxquels  il  renonça  bientôt,  ce  moyeu  lui  ayant  paru 
dangereux  pour  les  grands  traumatismes.  Agir  ainsi,  dit  Poncet,  c'est  accumuler 
toutes  les  chances  de  mort,  et  nous  rejetons  bien  loin  cette  association  dange- 
reuse. Elle  est  acceptable  quand  le  système  nerveux  et  la  calorificalion  générale 
ne  sont  pas  en  danger  ;  mais  à  l'armée,  il  faut  en  donner  le  moins  possible 
[Gazette  liebd.,  1872,  p.  185).  En  1872,  MM.  Labbé  et  Goujon  publièrent  les 
résultats  de  leurs  expériences  (Comptes  rendus  de  ï Académie  des  sciences, 
2G  février  1872),  et  quelques  mois  plus  tard  Grosjean  rendit  compte  de  dix- 
neuf  observations  prises  dans  les  services  de  Rigaud  et  Sarrazin  à  Strasbourg 
(Grofjean,  Thèse  de  Paris,  1872).  La  dose  de  morphine  employée  par  MM.  Labbé 
et  Goujon  était  de  Os%02  ;  dans  les  observations  rapportées  par  Grosjean,  la 
dose  n'a  jamais  dépassé  0,01.  Tous  reconnaissent  que  celte  association  de  la 
morphine  et  du  chloroforme  a  l'avantage  de  produire  plus  rapidement  l'anes- 
thésieetde  la  prolonger  en  n'employant  que  de  très-faibles  doses  de  chloroforme. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  ces  résultats,  et  tout  en  reconnaissant  que  celte  méthode 
peut  trouver  une  indication  précieuse  diins  certaines  alfections  très-douloureuses 
ou  dans  les  opérations  qui,  sans  présenter  de  gravité  réelle,  nécessiteut  une 
intervention  chirurgicale  très-prolongée,  nous  pensons  que  l'emploi  isolé  du 
chloroforme  présente,  dans  la  grande  majorité  des  cas,  plus  d'avantages.  Il 
n'est  pas  démontré,  en  effet,  que  l'anesthésie  mixte  par  le  chloroforme  et  la 
morphine  soit  absolument  exempte  de  dangers,  et  l'on  reconnaîtra  avec  nous 
qu'il  est  au  moins  inutile  de  plonger  un  malade  dans  un  sommeil  de  plusieurs 
heures  quand  une  anesthésie  de  courte  durée  peut  suffire. 

Mais  l'association  de  la  morphine  et  du  chloroforme  peut,  dans  certaines  con- 
ditions, produire  des  effets  physiologiques  tout  différents  de  l'anesthésie.  C'est 
le  docteur  Guibert,  de  Saint-Biieuc,  qui,  dans  un  pli  cacheté  déposé  le  20  juin 
1870  à  l'Académie  des  sciences,  et  ouvert  seulemeilt  deux  années  plus  tard,  le 
12  mars  1872,  fit  connaître  les  résultats  nouveaux  qu'il  avait  observés.  En 
suivant  le  procédé  indiqué  par  Claude  Bernard,  il  avait  réussi  à  déterminer  deux 
états  bien  distincts  :  1"  Vanalge'sie  cixec  conservation  do  l'intelligence,  des  sens 
et  du  mouvement  volontaire  ;  2°  l'anesthésie  mixte,  comme  l'avait  indiqué 
Claude  Bernard.  Si  l'analgésie  pouvait  être  obtenue  à  volonté,  si  les  résultats 
annoncés  par  le  docteur  Guibert  pouvaient  se  généraliser,  ce  serait  une  admirable 
ressource  pour  toutes  les  opérations  oi)i  le  patient  doit  conserver  son  intelligence 
pour  seconder  l'action  de  l'opérateur,  notamment  pour  les  opérations  qui  se 
pratiquent  dans  la  bouche. 

Une  nouvelle  communication  du  docteur  Guibert  fut  faite  à  l'Académie  des 
sciences  par  Claude  Bernard  en  1877;  elle  confirmait  la  première  en  tous  points 
{Comptes  rendus  de  V Académie  des  sciences,  nov.  1877).  L'analgésie  vient,  en 
outre,  d'èlre  l'objet  d'expériences  récentes  faites  au  Collège  de  France  par 
M.  Franck,  dans  le  laboratoire  de  M.  Marey  (Concours  médical,  12  juillet  1879); 
et  M.  Bossis,  dans  sa  thèse  inaugurale,  a,  plus  récemment  encore,  étudié  la 
question  sous  ses  principaux  aspects  (Bossis,  Thèse  de  Paris,  mai  1879).  II 
semble  donc  que  Y  analgésie  chirurgicale  soit  dès  aujourd'hui  acquise;  nous 
n'en  avons  personnellement  aucune  expérience. 

Quant  à  la  manière  de  procéder,  voici  comment  l'auteur  l'indique  lui-même  : 


DEM  (médecine  opératoire).  3o'7 

«  Il  suffit  de  faire  précéder  rinhalatioii  du  chloroforme  d'une  injeclion  de  1  à 
2  centigrammes  de  chlorhydrate  de  morphine.  11  sera  rarement  utile  d'employer 
une  dose  supérieure  à  15  milligrammes,  dose  qui  est  nécessaire  pour  une  anal- 
gésie complète  ;  l'injection  sera  faite  quinze  à  vingt  minutes  avant  l'inhalation. 
Le  chirurgien  aura  soin  de  faire  causer  toujours  le  patient,  et  dès  qu'il  verra 
survenir  le  plus  léger  trouble  intellectuel  :  verbiage,  incohérence  d'idées,  légère 
agitation,  il  pourra  pratiquer  l'opération  la  plus  douloureuse  sans  cris,  sans 
plaintes,  sans  mouvements  difficiles  à  contenir,  et  cet  état  pourra  être  maintenu 
facilement  tout  le  temps  nécessaire  à  l'opération.  Enfin  le  malade  pourra  même 
assister  en  curieux  à  son  opération  sans  ressentir  de  douleur,  et  exécuter  les 
mouvements  commandés  par  le  chirurgien.  » 

V association  du  pwtoxijde  d'azote  et  de  Vélher  constitue  un  troisième  pro- 
cédé d'anestliésie  mixle,  dont  l'emploi  tend  à  se  généraliser  en  Angleterre,  et 
que  nous  avons  eu  l'occasion  de  voir  appliquer  pour  l'extraction  des  dents 
au  Dental  Hospital  de  Londres.  On  commence  par  faire  aspirer  au  malade  (piatre 
ou  cinq  bouffées  de  protoxyde,  jusqu'à  ce  qu'on  obtienne  un  commencement 
d'engourdissement  et  de  stupeur,  mais  sans  aller  jusqu'à  l'apparition  des  pre- 
miers signes  de  l'ajphjxie,  puis  l'on  termine  par  des  inhalations  d'éther  jusqu'à 
ce  que  l'anesthésie  soit  complète.  M.  Clover,  un  des  anesthésieurs  de  Londres 
des  plus  en  renom  (Londres  possède  des  anesthésieurs  de  profession  qui  exercent 
à  côté  du  cliirurgien  et  sous  leur  responsabilité  personnelle),  est  l'inventeur 
d'un  appareil  qui  porte  son  nom  et  qui  a  pour  but  de  régler  les  doses  de  gaz  et 
d'éther  mélangé  à  l'air  atmosphérique  qui  sont  administrées  au  patient.  11 
prétend  supprimer  par  sa  méthode  toute  période  d'excitation,  empêcher  les  vomis- 
sements et  mettre  le  malade,  au  réveil,  à  l'abri  de  l'ivresse.  Les  résultats  que  nous 
avons  observés  ne  nous  ont  pas  convaincu,  et  ils  ne  nous  paraissent  pas  suffi- 
sants pour  justifier  l'emploi  d'un  appareil  aussi  volumineux  et  aussi  compliqué 
que  celui  de  M.  Clover;  il  s'agit  en  effet  d'une  véritable  machine  pour  le 
maniement  de  laquelle  le  concours  d'un  aide  spécial  et  expérimente  est  indis- 
pensable. Or,  ces  conditions  sont  rarement  réalisables  dans  la  pratique  ordinaire, 
en  France  du  moins,  où  l'administration  des  aneslhésiques  reste  tout  entière 
sous  la  responsabilité  du  chirurgien.  Ajoutons  que  la  nouvelle  méthode  ne 
met  pas  plus  que  les  autres  à  l'abri  des  accidents,  ainsi  que  le  prouve  le  cas  de 
mort  survenu  il  y  a  deux  ans  à  University-College  Hospital  (iledic.  Times  and 
Gazette,  1877,  p.  154). 

Les  mêmes  observations  s'appliquent  à  l'administration  successive  du  pro- 
toxyde d'azole  et  du  chloroforme,  que  certains  chirurgiens  semblent  vouloir 
introduire  dans  la  pratique.  Les  expériences  auxquelles  nous  avons  assisté 
à  l'Hôtel-Dieu  de  Paris  nous  ont  laissé  absolument  incrédule. 

Indicatio.ns  DE  l'anesthésie.  Les  opérations  qui  se  pratiquent  dans  la  bouche 
s'accompagnent  d'un  certain  nombre  de  conditions  spéciales  qui  excluent  en 
général  l'emploi  des  aneslhésiques.  La  nécessité  d'avoir  un  éclairage  convenable 
exige  presque  toujours  que  le  malade  soit  assis;  la  difficulté  de  laver  les  parties 
et  d'éponger  le  sang,  au  fur  et  à  mesure  de  son  écoulement,  rendent  nécessaire 
l'intervention  du  malade,  qui,  par  l'emploi  répété  de  gargarismes,  peut  seul 
débarrasser  complètement  la  bouche  du  sang  qui  s'y  accumule,  et  masque  au 
chirurgien  la  région  où  il  opère.  Enfin,  sans  pénétrer  nécessairement  dans  les 
voies  aériennes,  le  sang  qui  remplit  l'arrière-gorge  détermine  constamment 
des  mouvements  réflexes  de  déglutition,  accompagnés  de  toux,  de  spasmes  de 


398  DENT   (médecine  opératoire). 

la  fflotte  el  pai fois  aussi  tle  véritables  accès  de  suffocalion;  il  en  résulte  un 
déplacement  continuel  de  la  langue,  du  voile  du  palais  et  de  la  mâchoire  infé 
rieure,  dont  l'abaissement  ne  peut  être  maintenu  qu'à  l'aide  d'appareils,  lesquels 
ne  remplissent  qu'incomplètement  leur  but,  et  ont  en  tous  cas  l'inconvénient 
de  gêner  plus  ou  moins  les  manœuvres  opératoires. 

Aussi  la  plupart  des  chirurgiens  rejettent-ils  l'emploi  des  ancsthésiques  dans 
ces  opérations,  et  telle  est  aussi  notre  manière  de  faire,  malgré  l'opinion  con- 
traire de  Giraldès  {Dict.de  niécL  et  de  chir.prat.,  art.  A^esthésiques,  p.  251), 
qui  recommande  d'y  recourir  toutes  les  fois  que  les  malades  peuvent  être  opérés 
dans  la  position  horizontale. 

Pour  l'extraction  des  dents  en  particulier,  l'emploi  des  anesthcsiques  doit 
être  formellement  rejeté,  à  moins  d'indications  spéciales  et  bien  précises;  de 
nouvelles  raisons  s'ajoutent  encore  aux  précédentes,  pour  justifier  la  réserve 
du  chirurgien.  C'est  qu'en  effet,  si  l'opération  peut  être  faite  rapidement,  la 
douleur,  quelle  que  soit  son  intensité,  ne  durera  qu'un  instant,  et  il  serait 
inadmissible  dans  ces  conditions  d'exposer  le  malade  aux  accidents  inhérents  à 
l'administration  des  ancsthésiques,  si  rares  qu'ils  soient.  Lorsque,  au  contraire, 
l'opération  se  prolonge  et  ne  peut  être  faite  qu'en  plusieurs  temps;  lorsque  la 
dent  à  extraire  est  située  profondément,  le  concours  du  patient  peut  être  pour 
l'opérattur  un  auxiliaire  précieux  et  même  indispensable,  soit  pour  maintenir 
la  bouche  largement  ouverte,  soit  pour  donner  à  la  région  et  pour  lui  conserver 
pendant  l'opération  la  direction  et  l'attitude  les  plus  favorables,  soit  enfin  pour 
débarrasser  la  bouche  des  divers  liquides,  salive,  sang,  pus,  qui  peuvent  s'y 
accumuler  pendant  l'opération. 

Il  est  cependant  des  circonstances  dans  lesquelles  l'anesthésie  peut  rendre 
service  et  même  simplifier  l'œuvre  du  chirurgien.  C'est,  par  exemple,  lorsqu'il 
s'agit  de  sujets  d'une  impressionnabilité  excessive,  chez  lesquels  la  douleur 
ou  seulement  l'appréhension  peuvent  donner  lieu  à  des  troubles  nerveux  divers  : 
tel  est  en  particulier  le  cas  des  hystériques  et  surtout  des  épileptiques,  chez 
lesquels  les  traumatismes  les  plus  simples  déterminent  parfois  le  retour  des 
accès. 

La  constriction  des  mâchoires  est  encore  une  indication  de  l'anesthésie, 
qu'elle  résulte  de  l'infiltration  séreuse  de  la  gaine  des  muscles  élévateurs,  du 
masseter  en  particulier,  de  la  contracture  de  ces  muscles,  de  la  formation  de 
brides  cicatricielles  ou  d'une  ankylose  partielle  des  articulations.  L'éruption  de 
la  dent  de  sagesse  inférieure  donne  souvent  lieu  à  des  complications  de  celte 
nature  :  à  la  suite  d'un  phlegmon  diffus  des  régions  parotidienne  et  sous-maxil- 
laire, les  mâchoires  restent  plus  ou  moins  resserrées,  et  une  intervention 
immédiate  devient  nécessaire  :  l'anesthésie  permet  dans  ces  conditions  de 
triompher  facilement  de  la  résistance,  tandis  que  l'ouverture  forcée  de  la  bouche 
n'aurait  pu  être  obtenue  sans  son  concours  qu'au  prix  d'efforts  beaucoup  plus 
grands  et  de  douleurs  intolérables. 

Il  est  évidemment  impossible  de  tracer  des  limites  rigoureuses  à  l'emploi  des 
anesthésiques  ;  la  conduite  du  chirurgien  doit  être  subordonnée  aux  indications 
de  chaque  cas  particulier  ;  mais  l'abstention  doit  être  une  règle  dont  on  ne  doit 
se  départir  que  pour  des  motifs  sérieux  et  non  pour  donner  satisfaction  au 
caprice  ou  à  la  pusillanimité  des  malades. 

Administration  des  A^■ESTHÉSIQUES.  C'est  par  centaines  que  l'on  compte 
aujourd'hui  les  accidents  mortels  imputables  aux  anesthésiques.  Ce  n'est  donc 


DENT  (uiÉDECiNE  opératoire).  509 

pas  exagérer  que  de  coiisidérer  l'administration  de  ces  agents  comme  un 
acte  grave  et  qui  doit  toujours  être  accompli  dans  toutes  les  règles  et  avec  toutes 
les  précautions  prescrites  par  l'expérience  et  les  données  scientifiques.  Aussi,  bien 
que  ces  questions  soient  longuement  traitées  dans  tous  les  ouvrages  de  chirurgie, 
nous  ne  croyons  pas  inutile  de  rappeler  ici  ces  indications,  d'autant  plus  que 
les  opérations  qui  se  pratiquent  dans  la  bouche  donnent  lieu  à  l'application  de 
quelques  mesures  spéciales  qu'il  est  important  de  connaître. 

En  dehors  de  l'hôpital  ou  de  la  clinique,  c'est  toujours  à  son  domicile,  et 
jamais  dans  le  cabinet  de  l'opérateur,  que  le  malade  doit  être  anestliésié  :  l'in- 
térêt bien  entendu  du  malade  et  celui  du  médecin,  bien  plus  que  des  motifs 
d'ordre  scientifique,  imposent  cette  manière  de  faire.  Le  malade,  obligé  de 
quitter  partiellement  ses  vêtements,  et  exposé  à  souiller  ceux  qu'il  conserve 
pendant  les  inhalations,  aura  chez  lui,  sous  ce  rapport,  des  facilités  sur  lesquelles 
il  est  inutile  d'insister;  après  l'opération,  il  pourra,  sans  se  déplacer,  trouver 
dans  son  lit  un  repos  souvent  nécessaire  pour  dissiper  le  malaisée  qui  suit  le 
réveil  et  se  prolonge  parfois  assez  longtemps  :  enfin,  placé  dans  un  milieu  qui 
lui  est  familier  et  se  sachant  auprès  des  siens,  il  se  livrera  avec  plus  de  con- 
fiance. Le  chirurgien  qui  anesthésie  dans  son  cabinet,  outre  qu'il  prive  le 
malade  des  avantages  précédents,  s'impose  des  charges  inutiles  ;  les  malades 
vomissent,  ont  parfois  pendant  le  sommeil  des  émissions  involontaires  d'urine 
et  de  matières  fécales,  et  restent  quelquefois  plusieurs  heures  avant  d'être 
en  état  de  retourner  chez  eux  ;  et  ce  ne  sont  là  encore  que  des  inconvénients 
matériels  :  mais  quelles  complications,  si,  par  malheur,  un  accident  mortel 
arrivait  ! 

Un  aide  doit  être  chargé  exclusivement  des  inhalations,  mais  il  doit  i^tre 
suffisamment  expérimenté  pour  que  le  chirurgien,  tout  entier  à  l'opération, 
puisse  s'en  remettre  à  lui  des  soins  de  l'anesthésie.  A  défaut  d'un  aide,  on  exi- 
gera la  présence  d'un  témoin  :  des  procès  scandaleux,  souvent  justifiés,  il  est 
vrai,  par  l'indignité  de  praticiens  dégradés,  mais  quelquefois  aussi  provoqués 
dans  une  intention  criminelle  par  de  prétendues  victimes,  rendent  celte  pré- 
caution nécessaire. 

On  sait  quelles  sont  les  règles  ordinaires  en  matière  d'anesthésie  :  le  malade 
doit  être  à  jeun,  couché  horizontalement  de  façon  à  diminuer  les  chances  de  la 
syncope  et  débarrassé  de  tout  lien  ou  vêtement  qui  pourrait  entraver  la  respi- 
ration ou  la  circulation  cérébrale. 

Avant  de  commencer  les  inhalations,  on  doit  lui  indiquer  comment  il  faut 
respirer,  lui  recommander  surtout  de  le  faire  naturellement  et  sans  eifort,  et 
lui  expliquer  ce  qu'il  va  ressentir;  il  est  bon  de  continuer  à  lui  adresser  la 
parole  et  de  lui  faire  quelques  questions  pendant  les  premières  inhalations,  de 
manière  à  détourner  son  attention  et  à  provoquer  des  réponses  qui  exioent 
nécessairement  le  jeu  de  l'appareil  respiratoire  ;  on  devra  aussi,  surtout  dans 
l'anesthésie  chloroformique,  adopter  la  méthode  des  intermittences,  suivant  les 
préceptes  si  sages  de  M.  Gosselin.  A  partir  du  début  et  jusqu'au  réveil,  une 
surveillance  minutieuse  et  incessante  doit  être  exercée  sur  les  deux  faraudes 
fonctions  de  la  respiration  et  de  la  circulation. 

L'anesthésie  de  la  région  buccale  doit  en  général  être  poussée  très-loin  les 
muscles  masticateurs  étant,  comme  on  sait,  des  derniers  à  entrer  en  résolution  ; 
on  obtient  même  assez  rarement  une  résolution  complète  :  aussi,  pour  assurer 
un  ccartement  suffisant  des  deux  mâchoires,  il  est  nécessaire  de  placer  et  de 


400  DENT  (médecine  opératoire). 

maintenir  entre  les  arcades  dentaires  une  petite  masse  capable  de  résister  à  l'ac 
tion  des  muscles.  Un  bouchon  de  liège,  limé  en  gouttières  sur  les  deux  faces  et 
dans  lesquelles  doivent  s'appliquer  les  dents,  remplira  pariaitement  le  but;  on 
peut  aussi  se  servir  de  petits  appareils  construits  spécialement  pour  cet  usage  ; 
ils  sont  en  buis  ou  en  caoutchouc  durci,  et  sont  nécessairement  moins  volu- 
mineux et  plus  résistants  que  le  liège.  Quel  que  soit  d'ailleurs  l'appareil  adopté, 
il  faut  avoir  soin  d'y  fixer  un  lien  qui  permette  de  le  retenir  et  au  besoin 
de  le  ramener,  s'il  venait  à  s'échapper  en  arrière  des  arcades.  Les  journaux 
anglais  ont  rapporté  l'observation  d'un  cas  de  mort  survenu  dans  ces  circon- 
stances :  le  bouchon  placé  entre  les  dents  pour  maintenir  les  mâchoires  écar- 
tées pendant  l'anesthésie  était  venu  s'engager  dans  la  trachée  et  avait  déterminé 
la.  suiHocixhon  {Bi  itisli  Med.  Journal,  l"'' février  1875,  p.  126). 

Dans  les  cas  de  constriction  des  mâchoires,  lorsqu'on  est  obligé  de  recourir  à 
l'ouverture  forcée  de  la  bouche,  il  est  nécessaire  d'employer  des  instruments 
spéciaux.  Le  plus  simple  est  un  cône  de  buis  ou  d'ivoire  creusé  en  pas  de  vis. 

Le  dilatateur  de  Larrey,  qui  permet  de  développer  graduellement  une  force 
beaucoup  plus  grande,  doit  être  préféré  au  précédent;  tel  est  encore  l'instrument 
de  M.  Cattlin.  Tous  deux  se  composent  essentiellement  de  deux  tiges  glissant 
l'une  sur  l'autre  soit  au  moyen  d'un  pas  de  vis  (Larrey),  soit  au  moyeu  d'une 
crémaillère  et  d'un  pignon  (Cattlin)  ;  les  lames  ou  mors  sont  en  acier  comme  les 
tiges  dont  elles  sont  la  continuation,  et  sont  garnies,  sur  la  face  destinée  à 
s'appliquer  contre  les  dents,  de  corne,  de  buis,  de  plomb  ou  de  toute  autre 
substance  analogue.  Un  cliquet  d'échappement  permet  de  fermer  l'instrument 
et  d'en  rapprocher  les  mors  instantanément  {voy.  pour  la  description  de  ces 
appareils  V Arsenal  de  la  chirurgie  contemporaine,  de  Gaujot  et  Spillmann). 

Pendant  l'opération,  il  est  quelquefois  dii'ticile  de  bien  s'éclairer,  les  appareils 
qui  servent  à  maintenir  les  mâchoires  écartées  diminuant  toujours  plus  ou 
moins  l'ouverture  de  la  bouche.  Ce  sont  souvent  les  doigts  beaucoup  plus  que 
l'inspection  directe  qui  doivent  guider  l'instrument  :  aussi  faut-il  prendre 
grand  soin  de  ne  pas  blesser  les  parties  voisines.  Mais  un  point  qu'il  ne 
faut  jamais  négliger,  c'est  de  sortir  de  la  bouche,  au  iur  et  à  mesure  de  leur 
extraction,  toutes  les  dents,  racines  ou  débris  dentaires,  afin  d'éviter  qu'ils 
soient  entraînés  dans  les  voies  aériennes  ;  des  accidents  mortels  se  sont  produits 
plus  d'une  fois  dans  ces  conditions. 

Enfin  il  est  une  dernière  règle  de  la  plus  haute  importance  que  nous  devons 
rappeler  ici,  parce  qu'elle  est  souvent  trop  négligée  :  c'est  de  ne  jamais  pro- 
céder à  l'anesthésie  sans  avoir  sous  la  main  tous  les  moyens  qui  peuvent  être 
mis  en  jeu  en  cas  d'accident.  Nous  ne  retracerons  pas  ici  le  tableau  détaillé  des 
accidents  de  l'anesthésie  :  c'est  tantôt  une  asphyxie  mécanique  produite  par  la 
langue  qui,  soustraite  à  l'influence  de  la  tonicité  musculaire,  est  entraînée  par 
son  propre  poids  et  vient  obstruer  l'entrée  des  voies  aériennes;  tantôt,  et  plus 
souvent  le  pouls  cesse  de  battre,  le  malade  ne  respire  plus,  et  cela  brusquement, 
sans  prodromes.  C'est  suivant  ce  dernier  processus  qu'un  accident  très-grave, 
qui  faillit  être  mortel,  a  été  observé  récemment  à  Londres  par  M.  Coleman  {Bri- 
tish  Med.  Journ.,  1882,  avril,  p.  582). 

Dans  tous  les  cas,  les  inhalations  doivent  être  immédiatement  suspendues  et 
l'air  de  la  pièce  renouvelé.  Si  le  danger  résulte  de  l'obstruction  du  larynx,  la 
langue  sera  attirée  en  avant  avec  une  pince  ou  une  érigne,  et  une  profonde 
inspiration  viendra  souvent  rassurer  le  chiruigien.  Si  le  malade  présentait  les 


DENT.  401 

signes  de  la  syncope,  il  serait  imprudent  de  compter  sur  les  demi-mesures 
(stimulants  de  la  peau  et  des  muqueuses,  projection  d'eau  fioide,  vinaigre,  etc.) 
et  de  s'y  attarder;  le  malade  doit  être  allongé  liorizoataleraent  ou  même  renversé 
la  tète  en  bas  (Denonvilliers,  Nélalon,  Giraldès)  (voy.  Dict.  de  mécl.  et  de  cliir. 
prat.,  loc.  cit.)  ;  puis  on  cherchera  à  rétablir  la  respiration  par  tous  les  moyens 
possibles. 

Si  les  auteurs  ne  sont  pas  d'accord  sur  les  causes  de  la  mort  par  les  anesthé- 
siques,  tous  sont  unanimes  à  reconnaître  que  la  respiration  artificielle  est  le 
seul  traitement  qui  offre  des  chances  de  succès.  En  se  répandant  dans  l'arbre 
aérien,  le  courant  d'air  exerce  sur  la  muqueuse  pulmonaire  une  stimulation 
dont  l'effet  est  de  ranimer  par  action  rcllexe  les  mouvements  du  cœur  et  de  la 
respiration;  le  gonnemeiit  brusque  et  réitéré  du  parenchyme  pulmonaire,  en 
changeant,  suivant  MM.  Perrin,  les  conditions  hydrostatiques  de  l'organe  et 
modifiant  l'étut  physique  de  la  circulation,  contribue  sans  doute  aussi  pour  sa 
part  au  réveil  de  l'organisme.  Quelle  que  soit  donc  l'opinion  que  l'on  se  forme 
sur  la  nature  du  danger  à  conjurer,  qu'il  s'agisse  d'un  empoisonnement,  d'une 
asphyxie  ou  d'une  syncope,  on  conçoit  que  l'efficacité  de  la  respiration  artificielle 
doit  être  la  même. 

Pour  pratiquer  la  respiration  artificielle,  on  doit  commencer  par  les  manœuvres 
directes  qui  déterminent  les  mouvements  alternatifs  de  la  cage  thoracique  : 
pressions  sur  la  base  du  thorax,  mouvements  d'élévation  et  d'abaissement 
des  membres  supérieurs,  etc.  Après  quelques  tentatives  infructueuses,  il  faut 
sans  tarder  avoir  recours  à  la  faradisation  des  nerfs  phrcniques  :  il  est  donc 
nécessaire  d'avoir  toujours  sous  la  main  un  appareil  prêt  à  fonctionner  :  un 
des  pôles  est  placé  sur  la  région  cervicale,  à  la  partie  moyenne  du  sterno-cléido- 
mastoidien,  l'autre  à  la  base  du  thorax,  au  niveau  des  insertions  du  diaphragme. 
Ce  moyen,  beaucoup  plus  puissant  que  le  précédent,  doit  être  continué  quatre 
ou  cinq  minutes;  mais  si,  après  ce  temps,  le  cœur  reste  immobile,  il  faut 
l'abandonner  pour  recourir  à  la  dernière  ressource,  l'insufflation  pulmonaire. 

L'insufflation  pulmonaire,  pour  être  efficace,  exige  l'emploi  de  la  sonde 
laryngienne;  mais  l'introduction  de  l'instrument  n'est  pas  toujours  f;\cile,  et 
l'on  ne  devrait  pas  hésiter  à  se  créer  une  voie  artificielle  par  la  trachéotomie,  si 
l'on  ne  pouvait  y  arriver  par  la  voie  naturelle. 

Trop  souvent,  malgré  toutes  ces  tentatives,  le  cœur  reste  immobile  et  le 
chirurgien  se  trouve  en  présence  d'un  cadavre.  Que  de  regrets  se  serait  préparés 
celui  qui  aurait  pratiqué  l'anesthésie  sans  motifs  suffisants,  et  sans  avoir  pris 
toutes  les  précautions  nécessaires! 

Conclusions  :  1°  l'anesthésie  générale  ne  doit  être  employée  que  très-excep- 
tionnellement pour  les  opérations  qui  se  pratiquent  dans  la  bouche  et  pour 
l'extraction  des  dents  en  particulier;  2°  loin  de  simplifier  les  opérations,  elle 
les  complique  presque  toujours;  o°  l'éther  et  le  chloioforme,  et  spécialement 
ce  dernier,  sont  actuellement  les  seuls  agents  anesthésiques  dont  l'emploi  offre 
des  garanties  suffisantes;  4°  les  anesthésiques  ne  doivent  être  administrés  que 
par  des  personnes  expérimentées,  et  le  chirurgien  doit  toujours  avoir  sous  la 
main  des  moyens  de  combattre  les  accidents  (pince  linguale,  appareil  électrique, 
sonde  laryngienne,  etc.). 

AsESTHÉsiE  LOCALE.  Lcs  Grecs  et  les  Romains  ont  certainement  connu  et 
pratiqué  l'anesthésie  locale  :  Dioscoride  et  Pline  parlent  d'une  préparation 
composée   d'une  espèce  particulière  de  marbre,  la  pierre  de  Memphis,  qui, 

DICT.    ENC.    XXVU.  '2Q 


492  DENT. 

après  avoir  été  broyée  dans  du  vinaigre,  était  appliquée  sur  les  parties  pour  les 
rendre  insensibles  pendant  les  opérations  :  c'est  évidemment  l'acide  carbonique 
mis  en  liberté  par  le  vinaigre  qui  était  ici  l'agent  anestliésique.  Cette  pra- 
tique nécessairement  très-imparfaite  est  à  peu  près  la  seule  digne  d'être 
rapportée  que  l'on  trouve  dans  les  auteurs  jusqu'à  la  fin  du  siècle  dernier.  A 
cette  époque,  un  chirurgien  anglais,  James  Moore,  tenta  de  constituer  une 
véritable  méthode  d'anestliésie  locale  par  la  compression  des  troncs  nerveux 
(M.  Perrin,  lac.  cit.);  ses  recherches  furent  reprises,  il  y  a  quarante  ans,  par 
M.  Liégeard  (de  Caen),  qui  à  la  compression  limitée  au  trajet  du  nerf  substitua 
la  compression  circulaire  du  membre  sur  une  large  surface  (De  la  compression 
circulaire  très-exacte  des  membres  au-dessus  du  point  malade  avant  et  pendant 
l'opération,  in  Mélanges  de  méd.  et  de  chir.  prat.,  Caen,  1837). 

Malgré  ces  tentatives,  l'anesthésie  locale  ne  commença  réellement  à  entrer 
dans  la  pratique  qu'après  la  découverte  de  Richardson  en  1805.  Depuis,  un 
certain  nombre  de  procédés  nouveaux  ont  été  tour  à  tour  vantés  et  abandonnés; 
parmi  eux  les  uns,  absolument  inapplicables  aux  opérations  de  la  bouche,  ne 
doivent  pas  nous  occuper  :  telles  sont,  en  particulier,  les  pulvérisations  de 
sulfure  de  carbone  ou  d'acide  carbonique,  les  applications  directes  de  mélanges 
réfrigérants,  etc.  ;  d'autres  ont  été  spécialement  recommandés  pour  supprimer 
la  douleur  pendant  l'extraction  des  dents  :  ce  sont  la  compression  nerveuse,  le 
galvanisme,  les  pulvérisations  d'éther  el  les  applications  directes  de  substances 
narcotiques.  Seuls,  ces  deux  derniers  procédés  peuvent  être  utiles  dans  quelques 
cas;  les  deux  autres  sont  à  peu  près  abandonnés;  nous  allons  néanmoins  les 
faire  connaître  sommairement. 

1»  Compression  nerveuse.  La  compression  nerveuse  a  été  appliquée,  soit 
sur  le  facial,  soit  au  niveau  de  l'angle  du  maxillaire  inférieur,  soit  au  voisinage 
du  conduit  auditif.  On  a  même  inventé  un  instrument  spécial  (Moreau.  De 
l'anesthésie  locale  produite,  pendant  l'extraction  des  dents,  au  moyen  de  la 
compression;  in  Gai.  des  Hôp.,  n"  du  22  juillet  1879)  qui  se  compose  d'une 
lame  d'acier  élastique  courbée  en  cercle,  à  la  façon  des  ressorts  anglais  destinés 
à  la  contention  des  hernies  ;  aux  deux  extrémités  de  l'arc  qu'elle  représente 
sont  adaptés  deux  renflements  en  ivoire  ou  en  métal  de  forme  ovalaire  ou  aplatie. 
Ce  compresseur  élastique  est  passé  en  travers  derrière  la  tête,  et  les  deux 
renÛements  sont  introduits  à  l'entrée  des  conduits  auditifs  ou  appliqués  derrière 
les  branches  de  la  mâchoire  au  niveau  des  oreilles.  Nous, ne  nous  arrêterons  pas 
à  discuter  ces  moyens  qui  sont  absolument  sans  effet;  il  est  d'ailleurs  inadmis- 
sible que  la  compression  des  nerfs  du  mouvement  puisse  déterminer  l'anesthésie 
sur  les  nerfs  de  la  sensibilité,  comme  ceux  qui  se  ramifient  aux  organes 
dentaires. 

2°  Galvanisme.  On  a  imaginé  de  faire  traverser  les  tissus  par  un  courant 
électrique,  afin  de  prévenir  la  douleur  que  provoque  l'extraction  des  dents  ou 
l'ouverture  des  abcès.  Les  premières  expériences  faites  en  Amérique  eurent 
rapidement  chez  nous  un  grand  retentissement,  et  des  résultats  magnifiques 
furent  annoncés  de  plusieurs  côtés  à  la  fdis.  Afin  de  vérifier  ce  qu'il  pouvait  y 
avoir  de  réellement  utile  dans  la  nouvelle  méthode  d'anestliésie  locale,  nous 
avons  entrepris  en  1861,  dans  divers  hôpitaux,  une  série  d'expériences  : 
à  la  Charité  dans  le  service  de  Yelpeau;  à  l'Hôtel-Dieu  dans  celui  de  Robert;  à 
Saint-Louis,  à  Necker,  etc. 
L'app  areil  employé  a  été  tantôt  la  pile  électro-dynamique  de  M.  Duchenne 


DENT.  405 

(de  Boulogne),  tantôt  l'appareil  de  MM.  Morin  et  Legendre;  le  courant  a  toujours 
été  gradué  suivant  le  sujet,  de  fliçon  que  le  passage  ait  toujours  été  supportable 
sans  être  pénible;  l'instrument,  clef  de  Garengeot  ou  davier,  a  toujours  été 
garni  d'une  couche  de  soie  isolante,  de  façon  que  l'exlrémité  seule  livrai  passage 
au  courant.  Ces  expériences  ont  conduit  aux  conclusions  suivantes  : 

a.  Les  opérations  chirurgicales,  et  particulièrement  les  extractions  dentaires, 
effectuées  avec  l'intervention  du  courant  électrique,  ont  présenté  les  mêmes 
variations  de  douleurs  que  dans  les  cas  ordinaires; 

h.  Toutefois  le  passage  brusque  d'un  courant  électrique  a  produit,  chez 
certains  sujets,  une  impression  si  imprévue  et  si  spéciale,  qu'elle  a  pu  servir 
de  diversion  à  la  douleur,  d'ailleurs  légère,  d'une  opération  nqjide; 

c.  En  définitive,  le  courant  électrique  ne  saurait  être  considéré  comme  un 
agent  anesthésique  [voy.  le  résumé  de  ces  expériences  dans  Jamain,  Petite 
chirurgie,  5^  édit.). 

3°  Pulvérimtion  d'éther.  L'anesthésie  galvanique  étant  ainsi  jugée  par 
l'expérience,  on  a  proposé  la  réfrigération,  noa  pas  par  les  mélanges  de  glace  et 
de  sels  dont  l'emploi  dans  la  cavité  buccale  est  presque  impossible,  mais  par 
pulvérisation  d'un  jet  d'éther. 

L'expérience  avait  montré  qu'il  est  possible  d'obtenir  ainsi  l'anesthésie 
complète  dans  diverses  opérations  :  ouverture  d'abcès,  ablation  d'ongles  incar- 
nés, etc.  On  proposa  bientôt  d'appliquer  ce  moyen  à  l'avulsion  des  dents.  On 
pourra  juger  de  la  valeur  du  procédé  appliqué  à  ce  but  spécial  d'après  une 
série  d'expériences  que  nous  avons  personnellement  entreprises  et  dont  nous 
allons  reproduire  les  résultats  (voy.  Bull.  gén.  de  thérapeutique,  n"  du 
15  juillet  1866). 

C'est  l'appareil  même  de  Richardson  aux  deux  boules  de  caoutchouc  qui  a 
été  employé;  il  est  armé  d'une  extrémité  droite  de  manière  à  projeter  un  jet  vil 
el  très-fin  sur  la  région  occupée  par  la  dent  à  extraire;  l'ajutage  à  deux  jets 
convergents  doit  être  rejeté  à  cause  de  la  nécessité  de  rapprocher  l'appareil  du 
point  d'application,  et  aussi  à  cause  de  la  pulvérisation  incomplète  et  de  la 
condensation  trop  rapide  de  l'éther  qui  en  résultent. 

Les  résultats  obtenus  ont  été  très-variables  :  tantôt  la  douleur  a  été  nulle, 
tantôt  elle  a  été  simplement  affaiblie,  tantôt  enfin  elle  a  été  absolument  aussi 
vive,  sinon  plus,  que  dans  les  cas  ordinaires.  Ces  différences  dans  les  résultats 
s'expliquent  par  les  différences  dans  les  altérations  dentaires  elles-mêmes  :  si 
la  dent  a  conservé  sa  pulpe  et  les  rameaux  nerveux  qui  s'y  rendent,  la  douleur 
de  l'extraction  sera  ou  peu  modifiée  ou  accrue  ;  si  la  dent  devenue  inerte  par 
la  perte  de  ces  parties  n'est  douloureuse  que  par  péiùostite  ou  phlegmon  des 
gencives,  la  sensation  pourra  être  avantageusement  modifiée,  la  réfrigération 
pouvant  atteindre  la  gencive  et  même  le  périoste.  La  position  antérieure  ou 
isolée  d'une  dent  favorisera  aussi  l'application  du  jet  de  vapeurs  ;  enfin  on  doit 
■encore  tenir  compte  des  susceptibilités  du  sujet,  de  la  durée  et  des  difficultés 
de  l'opération  elle-même. 

A  la  suite  d'un  grand  nombre  d'expériences,  nous  avons  résumé  notre  opinion 
dans  les  conclusions  suivantes  : 

a.  L'emploi  de  la  pulvérisation  d'éther,  comme  agent  anesthésique  réfrinérant, 
n'est  pas  applicable  d'une  manière  régulière  et  constante  dans  la  bouche; 

b.  L'introduction  dans  cette  cavité  de  la  poussière  éthérée  peut  déterminer 
des  suffocations  qui  troublent  ou  interrompent  l'application,  ou  amènent,  pîtr 


404  DENT. 

sa  condensation  rapide,  des  briilures  légères  de  la  muqueuse  buccale  et  des 
lèvres  ; 

c.  Uenfermée  dans  la  bouche,  la  vaporisation  de  l'éther  est  moins  rapide  et 
conséquemment  moins  efficace  qu'à  l'air  libre  et  sur  la  peau; 

d.  L'épaisseur  de  la  couche  dure  d'une  dent  et  sa  faible  conductibilité 
permettent  difficilement  la  réfrigération  totale  de  cet  organe; 

e.  Cette  application  peut  demeurer  impossible  pour  les  parties  profondes  de 
la  bouche,  et  son  emploi  doit  être  réservé  aux  dents  placées  sur  la  partie  anté- 
rieure des  mâchoires,  ou  limitées  et  isolées  nettement; 

f.  Enfin,  les  seules  circonstances  où  son  application  puisse  être  vraiment 
utile  et  complète  sont  celles  où  une  dent,  devenue  inerte  par  la  perte  de  sa 
pulpe,  ne  cause  d'accidents  que  par  son  périoste  et  la  gencive,  deux  parties 
susceptibles  de  subir  l'anesthésie  par  le  froid,  en  raison  de  leur  situation 
relativement  superficielle. 

4"  Applications  de  substances  narcotiques.  Enfin  un  dernier  moyen,  plus 
rationnel  peut-être  que  les  autres,  mais  cependant  rarement  efficace,  c'est 
l'application  directe  de  substances  narcotiques  sur  la  région  qui  doit  être  le 
siège  de  l'opération.  Ou  a  proposé  ainsi  l'introduction,  dans  la  cavité  d'une 
carie,  avant  l'extraction  de  la  dent,  de  pansements  narcotiques  divers; 
il  suffit  d'en  faire  une  fois  l'expérience  pour  en  reconnaître  l'inutilité  com- 
plète. Une  injeclion  hypodermique  de  chlorhydrate  de  morphine,  ou  même 
(l'une  goutte  de  chloroforme,  faite  sous  la  muqueuse  buccale,  au  niveau  de  la 
dent  à  extraire,  peut  quelquefois  donner  de  meilleurs  résultats;  il  en  est  de 
même  des  applications  d'ouate  imbibée  de  chloroforme  et  maintenues  quatre  ou 
cinq  minutes,  surtout  lorsqu'il  ne  s'agit  que  de  débris  dentaires;  mais  ces 
moyens  ont  l'inconvénient  de  déterminer  presque  toujours  des  eschares  plus 
ou  moins  étendues  et  de  compliquer  ainsi  la  guérison. 

Voici  néanmoins  quelques-unes  des  mixtures  qui  ont  été  indiquées  comme 
susceptibles  de  produire  l'anesthésie  locale  par  application  sur  la  gencive  : 

\°     Morphine )   ^    n    -n 

Vêiatrine (  a»  "*''^" 

Teiniure  d'acouit 30  grammes. 

Pyrèlhre IS        — 

Appliquez  un  tampon  de  charpie  imbibé  de  ce  mélange  pendant  une  demi- 
minute  sur  la  gencive. 

2°     Camphre  en  poudre 10  grammes. 

Élher  sulfuriqiic 20       — 

M.  Fournie  recommande  les  vapeurs  d'un  mélange  d'acide  acétique  et  de 
chloroforme. 

Enfin  une  solution  de  camphre  et  de  chloroforme  a  été  employée  avec  succès 
par  le  docteur  Martinot,  chirurgien  militaire  (On  trouve  ces  formules  dans  un 
travail  de  M.  Dop,  publié  dans  la  Pievue  médicale  de  Toulouse,  1878). 

En  somme,  de  tous  les  procédés  d'anesthésie  locale  que  nous  venons  de 
passer  en  revue,  un  seul  mérite  d'être  conservé  pour  la  pratique  des  opérations 
de  la  bouche,  et  particulièrement  pour  l'extraction  des  dents  :  c'est  la  réfrigé- 
ration à  l'aide  du  jet  d'éther;  mais,  pour  être  efficace,  son  emploi  doit  être 
restreint  aux  dents  antérieures  ou  facilement  accessibles,  et  à  celles  qui,  privées 
de  leur  pulpe,  n'ont  plus  avec  les  tissus  d'autres  liens  que  ceux  du  périoste 


DENT  (bibliographie).  405 

alvéolo-dentiiire.  Les  applications  locales  du  cliloroforme  pur  ou  associé  à  divers 
agents  donnent  quelquefois  ainsi  des  résultats  partiels. 

Nous  ne  pouvons  terminer  cet  examen  des  agents  anesthésiques  locaux  sans 
signaler  l'emploi  de  bromure  d'cthyle  que  nous  avons  déjà  mentionné  plus  haut 
comme  anesthésique  général.  Malheureusement,  nous  sommes  contraint  d'oppo- 
ser à  son  emploi  les  mêmes  arguments  qu'à  Téther  sulfuriqiie  lui-même  dont 
il  partage  la  saveur  acre  et  brûlante  et  l'action  irritante  très-manifeste  sur  la 
peau  et  surtout  sur  les  muqueuses.  E.  Magitot. 

BiBuoGivAPHiE  de  la  Pathologie  et  de  la  Médecine  opératoire.  —  Consulter  les  traités 
classiques  de  pathologie  externe  et  de  médecine  opératoire  aux  chapitres  des  Maladies  des 
DENTS  et  des  Opérations  qui  se  pratiquent  sur  ces  organes.  —  Voyez  en  outre  les  ouvrages 
suivants  classés  par  ordre  chronologique  : 

Pline.  Éruption  des  dents  à  la  naissance.  In  Hist.  naturelle,  liv.  VU,  chap.  xv.  —  A.  Paré. 
Œuvrescomplètes,é^\.\..àe,  Lyon,  1664,  chap.  XXY  etsuiv.  —  Garengeot  (René-Jacques-Crois- 
sant de).  Nouveau  traité  des  instruments  de  chirurgie  les  plus  utiles.  Paris,  17'27.  — 
HcNTER.  Traité  des  dents.  In  Œuvres  complètes,  Irad.  Richelot,  n"28,  t.  II.  —  Botot.  Sur 
l'extraction  d'une  dent  à  la  suite  de  laquelle  le  sinus  maxillaire  s'est  trouvé  ouvert.  Paris, 
1772.  —  Bœcker.  Dissertatio  inauguralis  de  insol'Uo  maxillœ  superioris  tumore.  Herbipoli, 
1776.  —  Jourdain.  Traité  des  maladies  et  des  opérations  chirurgicales  delà  bouche.  Paris, 
1778.  —  Fauchard  (P.).  Le  chirurgien  dentiste  ou  Traité  des  dents.  Paris,  1786.  —  Krebel. 
Dissertatio  inauguralis  de  dentiiione  di/ficili.  Leipzig,  1800.  —  Laforgue.  Dix-sept  articles 
relatifs  aux  maladies  des  dents.  Paris,  1800.  —  Lcdwig.  Dissertât,  de  dentitione  difficili, 
Leipzig,  1800.  —  .\r>emanh.  Système  de  chirurgie.  Traité  des  maladies  des  dents.  Gœtlingen, 
1802.  —  Caigné.  Sur  la  dentition  des  enfants  du  premier  âge,  et  les  accidents  qui  l'accom- 
pagnent. Dissert,  inatig.  Paris,  1802.  —  Ddval.  Des  accidents  de  l'extraction  des  dents. 
Paris,  1802.  —  Du  même.  Réflexions  sur  l'odontalgie  considérée  dans  ses  /apports  avec 
d'autres  maladies.  Paris,  1805.  —  Du  même.  Conseils  des  poètes  anciens  .nir  la  conseri'at'ion 
des  dents,  in-8°,  1805.  —  Gariot  (J.-B.).  Traité  des  maladies  de  la  bouche.  Paris,  1805.  — 
Baumes.  Traité  de  la  première  dentition  et  des  maladies  qui  en  dépendent.  Paris,  1806.  — 
Laforgue.  De  la  séméiologie  buccale.  Paris,  1806.  —  Duval.  Expériences  et  observations  sur 
les  dents  plombées  qui  sont  susceptibles  de  l'influence  galvanique.  Paris,  1807.  —  Martel. 
L'odontalgie  et  les  maladies  qui  la  simulent.  Thèse  de  Paris,  1807.  —  Hernandez.  Signes 
diagn.  et  prognos.  que  peut  fournir  dans  les  maladies  aiguës  et  chroniques  l'état  de  la 
langue,  des  lèvres  et  des  dents.  Paris,  1808.  —  Albrecht.  Sichere  Mittel  gegen  das  Zahn- 
weh.  Hamb.,  1809.  —  Duval.  Propositions  sur  les  fistules  dentaires.  Paris,  1810.  —  Du  même. 
Observât,  sur  quelq.  affecl.  doulour.  de  la  face,  considérées  dans  leurs  rapports  avec 
l'organe  dentaire.  Paris,  1814.  —  De  même.  Observations  sur  l'état  des  os  de  la  mâchoire  dans 
les  ulcér.  fistitl.  des  gencives.  In  Bull,  de  la  Fac.  de  méd.  de  Paris,  1814.  —  Fourmer-Pescaï. 
Dent  [pathologie].  In  Dicl.  des  sciences  méd.,  1814.  —  Laforgue.  Séméiologie  buccale.  Paris, 
1814.  —  Blagden.  Hémorrhagies  consécutives  à  l'extraction.  In  Medico-chir.  Transact. 
London,  1817,  t.  VIII,  p.  224.  —  Serres.  Nouvelle  théorie  de  la  dentition.  Paris,  1817.  — 
BoYER.  Maladies  de  la  bouche.  Paris,  1818.  —  Catalan.  Observation  sur  l'appareil  dit  Plan 
incliné.  Paris,  1820.  —  Delabarre.  Extraction  et  réimplantation  d'une  dent.  In  Annal,  du 
cercle  médical,  1820,  p.  523.  —  Mabjolin.  Dent  [pathologie).  In  Dict.  de  médecine,  1823.  — 
Deluond.  Mémoire  sur  un  nouveau  procédé  de  détruire  le  cordon  dentaire  des  six  dents 
antérieures.  Pari«,  1824.  —  Oudet.  Lésion  des  follicules  des  dents  permanentes  par  l'extrac- 
tion des  temporaires.  In  Bull,  de  l'Acad.  de  méd.,  1824,  14  août.  —  Catelau.  Mémoire  sur 
l'appareil  propre  à  corriger  la  difformité  vulgairement  nommée  menton  de  galoche.  Paris, 

1826.  —  Miel.  Recherches  sur  l'art  de  diriger  la  deuxième  dentition.  Paris,  1826.  Oudet. 

Considérations  sur  la  nature  des  dents  et  leurs  maladies.  In  Journ.  des  se.  tnéd.     t.  III 

1826.  —  GoBLiN.  Manuel  du  dentiste  ou  traité  de  chiru/gie  dentaire.  Paris,  1827.  Gut- 

siA-NN.  Behandlung  der  Zâhne  und  des  Zahnfleisches .  Leipzig,  1828.  —  Toirac.  Mémoire  sur 
les  diverses  espèces  de  déviation,  de  la  dent  de  sagesse  et  des  accidents  qui  accompagnent 
sa  sortie.  In  Bévue  médicale,  1828,  t.  I,  p.  596.  —  Bouchard.  Maladies  que  détermine  la 
première  dentition.  Thèse  de  Paris,  1829.  —  Bedeac.  Considérations  sur  les  dents,  leurs 
maladies  et  les  tnoyens  d'y  remédier.  Strasbourg,  1851.  —  Fischer,  hiflammation  de  l'orbite 
consécutive  à  l'extraction  d'une  dent.  In  Klinischer  Vnterrichl  in  der  Augenheilkunde. 
Prague,  1852.  —  DÉsinABODE.  Considérations  anatomiques,  physiologiques  et  pathologiques 
sur  la  dent  de  sagesse.  Paris,  1858.  —  Raspail.  Becherc/ies  s^ir  la  cause  première  et  la 
médication  de  la  carie  dentaire.  In  Gaz.  des  hôp.,  22  janvier  1859.  —  Sciiange.  Précis  sur  le 


406  DENT    (bibliographie). 

redressement  des  dents.  Paris,  4841.  —  Talma.  Mémoire  sur  les  douleurs  dentaires  qu'on  peut 
confondre  avec  certaines  névralgies  faciales.  In  Bull,  de  l'Acad.  dcméd.  de  Bruxelles,  1842. 
—  Didier.  La  médecine  dentaire.  Paris,  1845.  —  Gbandhomme.  Réflexions  sur  les  moyens 
employés  pour  le  redressement  des  dents.  Paris,  1845.  —  Rdliier.  De  la  dentition  et  des 
accidents  qui  l'accompagnent.  Thèse  de  Paris,  1845.  —  Tierlinck.  Essai  sur  les  rapports 
pathologiques  du  système  dentaire  et  de  l'appareil  visuel.  In  Annal,  de  la  Soc.  de  méd.  de 
Gand,  1848.  —  Tomes  (J.).  Course  of  Lectures  on  Dental  Physiology  and  Surgery.  London, 
1848.  —  Trousseau.  Ordre  d'éruption  des  premières  dents  et  accidents.  In  Gaz.  des  kôp., 

1848,  p.  276.  —  BiGEARD.  Étude  pathologique  de  l'éruption  des  dents  provisoires.  Paris, 

1849,  —Kleneke.  Verderbniss  der  Zàhne.  Leipzig,  1850.  —  Rogers  (Arnold).  Composition 
et  propriétés  d'un  amalgame  propre  à  l'obturation.  In  PharmaceuticalJournal.  London, 

1850,  p.  402.  —  Delababre  (fils).  Des  accidents  de  dentition.  Paris,  1851.  —  Holestos.  Com- 
position  d'un  amalgame.  In  Pharmaceut.  Journ.  London,  1852,  n»  12.  —   Bbcck.  Vrsachen 
der  [Zahnverderbniss.  Breslau,  1852.   —  Talma.  Mémoire  sur  quelques  points  fondamentaux 
de  la  médecine  dentaire.  Bruxelles,  1852.  —  Decaisne.  Sur  les  dents  œillères.  In  Mém.  de 
l'Acad.  de  méd.  de  Belgique,  1853,  t.  XIII.  —  Harris.  Dental  Surgery.  Phiiadelphia,  1853.— 
Désirabode.  Fracture  du  bord  alvéolaire  pendant  l'extraction  d'une  dent.  In  Gaz.  des  hôp., 
1854,   p.  543.  —  Delabarbe  (fils).  De  la  mortalité  des  enfants  en  bas-âge  à  l'époque  de  la 
dentition.  Paris,  1855.  —    Giuel.  Odontographie.  Leipzig,  1855.  —  Brick.    Lehrbuch  der 
Zahnheilkunde.  Berlin,  1856.  —  Parisot.  Des  accidents  de  la  première  dentition.  Thèse  de 
Paris,  1856.  —  Albbecht  (Ed.).  Die  Kratikheiten  der  Zahnpulpa.  Breslau,  1858.  —  Allpori. 
Diseuses  of  Ihe  Tee//i.  Chicago,  1858.  —  âlquié  (de  Monlpellier).  Extraction  et  réimplantalion 
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naissance.  In  Cornpt.  rend,  et  Mém.  de  la  Soc.  debiol.,  1859,  p.  41.  —  Taft.  A  Practical 
Treatise  on  Operative  Dentistry.  Phiiadelphia,  1859.  —  Thore.  De  l'éruption  des  dents  à  la 
naissance.  In  Compt.  rend,  et  Mém.  de  la  Soc.Ue  biol.,  1850,  p.  55.  —  Tomes  (J.).  System  of 
Dental  Surgery.  London,  1859.  —  Albbecht.  Die  Krankheiten  an  der  Wurtelhaul  der  Zàhne. 
Berlin,  1860.  —  Faber.  Die  Odontoplastik.   Vienne,   1860.  —  Giraldès.   De  l'éruption  des 
dents  à  la  naissance.  In  Compt.  rend,  et  Mém.  de  la  Soc.  de  biol.,  1860,  p.  9.  —  Magitot. 
Mémoire  sur  les  tumeurs  du  périoste  dentaire,  1860.  —  Brcck.  Diâletik  derZâhne.  Leipzig, 
1861.  —   Delapierre.    Extraction  des  dents   suivant    la  méthode    américaine.    Bruxelles, 
1861.  —  Albbecht  (Ed.).  Klinik  der  Mundkrankheiten.  Berlin,  1862.   —   Bericht  ûber  die 
vierte  Jahresversammlung  des  Centralvereins  deutscher  Zahnârzte.  'Wien,  1862.  —  Jacobi. 
Dentition  and  ils  Dérangements.  New-York,  1862.  —  Mantegazza.  Sulla  azione  dello  zucchero- 
■mi  denti.  Milano,  1802.  —   P.  Bert.  Greffe  animale.   Thèse   inaug.,  1865.   —   Gbaxdidœr. 
Mémoire   sur   l'hémophilie.   In   Arch.  de  méd.,  1865.  —  Madbel.   De    la  pulpite  aiguë  et 
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DENT   (bibliographie).  'iO? 

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nouveau-né.  In  Gaz.  des  hôp.,  1876,  mai.  —  Du  même.  Observation  de  périostite  alvéolo- 
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DEXT-DE  CHIE\'.     Nom  donné  à  YErythroniumDens  Canis  L.         Pl. 

OEXT-DE-LIOX.     Nom  donné  au  Pissenlit  ou  Taraxaciim  Dens  Leonis  L. 

Pl. 

DE\TAIBE  {Dentaria  L.).     Genre  de  plantes  dicotylédones  appartenant  à  la 


DENTAIRE   (hygiène).  409 

famille  des  Crucifères.  Ce  sont  des  plantes  glabres,  à  souche  horizontale,  écail- 
leuse,  à  tige  simple,  portant  à  la  partie  supérieure  2  à  5  feuilles  })almées,  pin- 
natiséquoes,  amples  et  péliolées.  Fleurs  grandes  disposées  en  un  grappe  termi- 
nale, courte  ;  blanches  ou  lilas.  Le  fruit  est  une  silique  dressée,  linéaire, 
lancéolée,  comprimée,  à  valves  planes,  sans  nervures.  Graines  à  cotylédons  ayant 
les  bords  infléchis  longitudinalement. 

On  distingue  trois  espères  principales  de  Dentaria  : 

1"  Le  Deniaria pinnala  L.  [Denlaria  pentaphyllos  L.,  et  D.  heplaphyllosL.), 
dont  les  feuilles  sont  pinnatiséquées,  à  sept  segments  elliptiques,  lancéolés, 
acuminés,  inégalement  dentés  en  scie.  Les  fleurs  sont  blanches,  rarement  lilas  ; 

2"  Le  Dentaria  digitata  L.  {Denlaria  pentaphijllosl).  et  L.),  à  feuilles  palma- 
tiséquées  et  à  cinq  segments  semblables  à  ceux  de  l'espèce  précédente.  La  corolle 
est  lilas,  rarement  blanche  ; 

3"  Le  Dentaria  hulbifera  L.,  à  feuilles  caulinaires,  nombreuses,  les  inférieures 
pinnatiséquées,  les  supérieures  non  divisées,  portant  des  bulbilles  à  leur  aisselle. 
Les  fleurs  sont  lilas  pâle  ou  blanches. 

Les  Dentaria  croissent  dans  les  bois  des  régions  montagneuses.  Elles  sont 
astringentes,  et  partagent  probablement  les  propriétés  antiscorbutiques  des 
Crucifères.  Lemery  donne  toutes  les  espèces  comme  détersives,  dessiccatives, 
c.nminatives  et  vulnéraires.  On  se  sert  des  deux  premières  à  l'intérieur  contre 
les  ulcères  du  poumon,  la  colique  venteuse;  la  dernière  ne  doit  être  employée 
qu'à  l'extérieur. 

De  nos  jours  ces  plantes  sont  tombées  en  désuétude. 

Le  nom  de  Dentaria,  qui  vient  de  ce  que  les  rhizomes  de  ces  plantes  sont 
comme  dentés,  a  été  appliqué  pour  la  même  raison  aux  Orohanches.         1*l. 

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DEXTAIRE  (Hygiène).  L'hygiène  des  dents  ou  plus  exactement  l'hygiène 
de  la  bouche  comprend  en  premier  lieu  l'élude  des  conditions  diverses  qui 
peuvent  amener  des  perturbations  dans  l'état  d'intégrité  des  parties  qui  com- 
posent cette  région.  En  second  lieu,  elle  doit  faire  connaître  les  moyens  propres 
à  éviter  ou  à  neutraliser  ces  influences.  C'est  donc  à  proprement  parler  la  pro- 
phylaxie des  maladies  de  la  bouche. 

Or  les  maladies  de  la  bouche,  qui  sont  multiples  et  diverses,  frappent  tantôt 
l'organe  dentaire  lui-même,  tantôt  la  muqueuse  buccale,  gencive  ou  muqueuse 
proprement  dite.  Nous  ne  parlerons  pas  ici  des  affections  plus  profondes  soit 
du  parenchyme  de  la  langue,  soit  des  bords  alvéolaires.  Ces  derniers,  n'étant 
point  exposés  à  l'extérieur,  échappent  à  toute  influence  prophylactique  directe. 

Le  but  de  l'hygiène  de  la  bouche  est  donc  de  veiller  à  l'mtégrité  de  ces  diffé- 
rents organes  et  de  les  diriger  rationnellement  dans  l'exercice  de  leurs  usages 
physiologiques.  On  comprend  dès  lors  qu'indépendamment  de  ce  résultat  immé- 
diat elle  puisse  contribuer  dans  une  certaine  mesure  au  maintien  de  la  santé 
générale  par  l'influence  qu'exercent  les  fonctions  de  la  bouche  sur  les  phéno- 
mènes digestifs  en  général  et  sur  l'état  de  l'estomac  eu  particulier.  C'est  ainsi 
que  s'établissent  les  relations  si  souvent  observées  entre  les  conditions  de  la 
bouche  et  le  fonctionnement  du  tube  digestif. 


410  DENTAIRE    (hygièke). 

D'autre  part,  il  est  d'observation  vulgaire  que  des  dents  saines  et  bien  con- 
servées indiquent  une  bonne  santé,  et  qu'au  contraire  des  dents  caritjes  ou 
couvertes  d'un  enduit  gluant,  tenace  et  plus  ou  moins  solide,  des  gencives 
rouges,  tuméfiées  et  saignantes,  et  une  haleine  plus  ou  moins  fétide,  sont  l'apa- 
nage des  dyspeptiques  et  des  gens  à  constitution  débile.  Et  cependant,  lorsqu'on 
parcourt  les  auteurs,  on  ne  trouve  nulle  part  d'indications  rationnelles;  les 
traités  d'hygiène  sont  silencieux  ou  se  bornent  à  recommander  les  soins  de  pro- 
preté ;  les  ouvrages  spéciaux  sont  également  muets  ou  n'abordent  ce  sujet  que 
pour  prôner  des  élixirs  ou  des  poudres  dentifrices  dont  la  composition  est  soi- 
gneusement cachée;  et  si  l'on  juge  de  ces  panacées  mystérieuses  par  la  plupart 
de  celles  dont  on  connaît  les  formules,  on  arrive  fatalement  à  cette  conclusion 
que  le  plus  grand  nombre  de  ces  préparations,  loin  d'être  utiles  ou  même  ano- 
dines, sont  dangereuses  et  doivent  être  rigoureusement  proscrites. 

La  banalité  des  règles  tracées  par  quelques  auteurs  et  le  silence  des  autres 
sont  le  corollaire  naturel  de  l'abandon  dans  lequel  a  été  laissé  tout  ce  qui  touche 
à  la  pathologie  du  système  dentaire.  C'est  qu'en  effet  les  règles  d'hygiène  se 
déduisent  naturellement  de  l'étude  des  conditions  dans  lesquelles  un  grand 
nombre  de  personnes  maintiennent  et  améliorent  leur  santé,  de  la  manière  dont 
les  organes  se  comportent  sous  l'atteinte  de  certains  modificateurs,  et  de  la 
limite  des  perturbations  qu'ils  peuvent  subir  sans  dommage  réel.  Or  il  faut  bien 
avouer  que  ce  domaine  n'est  encore  qu'à  peine  ébauché. 

L'hygiène  de  la  bouche  est  une  étude  qui  n'est  donc  nulle  part  scientifique- 
ment tracée,  et  lo  seul  travail  qu'il  nous  soit  permis  de  citer  est  encore  celui 
du  docteur  Redier  {Journal  des  sciences  médicales  de  Lille,  1879),  travail  écrit 
également  suivant  nos  idées  communes. 

Afin  d'apporter  une  certaine  méthode  dans  ce  travail,  nous  le  divisons  de  la 
manière  suivante  : 

1°  Des  modificateurs  généraux  de  la  bouche;  2°  des  conditions  locales  de  la 
cavité  buccale;  5°  règles  et  procédés  d'hygiène  locale. 

i"  Modificateurs  généraux.  En  tête  des  modificateurs  généraux  se  place 
Vhéi-édité,  envisagée  dans  la  famille  et  dans  la  race.  Déjà  dans  un  autre  article  de 
ce  Dictionnaire  nous  avons  exposé  l'influence  de  cet  élément  dans  la  production 
et  la  répartition  de  la  carie  dentaire  {voy.  ce  mot). 

11  est  d'observation  banale  que  certaines  familles  ou  certaines  races  sont  par- 
ticulièrement exposées  à  celte  maladie. 

Le  mécanisme  de  cette  influence  est  fort  simple  et  réside  essentiellement  dans 
l'état  anatomique  des  organes,  lequel  état  est  transmissible  héréditairement  :  tel 
groupe  ethnique  est  remarquable  par  la  perfection  de  son  organisation  dentaire 
et  la  résistance  qu'il  apporte  aux  maladies,  tel  autre  y  est  fatalement  disposé. 
Ces  variations  pour  une  même  population  sont  même  si  tranchées  qu'il  nous  u 
été  possible  de  dresser  des  cartes  de  répartitions  géographiques  qui  ne  s'expli- 
quent qu'en  invoquant  les  groupements  particuliers  des  éléments  ethniques 
composants.  Dans  la  population  Ihmçaise,  par  exemple,  malgré  l'intensité  et 
l'ancienneté  des  croisements,  Broca,  Lagneau,  Boudin  et  d'autres  observateurs 
ont  pu  distinguer  deux  groupes  principaux,  l'un  composé  de  l'élément  blond  de 
grande  l&ille,  dolichocéphale,  particulièrement  prédisposé  à  la  carie;  l'autre  re- 
présenté par  l'élément  brun,  de  petite  taille,  brachijcéphale,  et  à  dentition 
robuste  et  résistante  {voy.  notre  Traité  de  la  carie  dentaire,  1872,  carte,  p.  64). 
Si  de  l'hérédité  élevée  à  la  question  ethnique  nous  descendons  à  la  famille^ 


DENTAIRE   (hygiène).  411 

nous  n'avons  pas  besoin  de  rappeler  combien  sont  fre'quentes  les  pre'dispositions 
à  la  même  maladie  transmise  fatalement  de  génération  en  génération.  Ces  faits 
sont  patents.  Or,  l'hérédité  porte  ici  encore  sm-  la  constitution  des  organes,  les 
défectuosités  accidentelles  de  forme  et  de  structure,  sur  les  anomalies,  en  un 
mot,  qui  se  reproduisent  si  fi'équemment.  Ainsi  s'expliquent  comment  telle  ou 
telle  dent  ou  telle  série  de  dents  se  détruisent  invariablement  chez  les  membres 
de  la  même  famille.  Mais  cette  hérédité  tératologique,  si  l'on  peut  dire,  ne  porte 
pas  seulement  sur  l'organe  frappé  de  maladie,  mais  sur  l'agent  même  de  cette 
destruction,  c'est-à-dire  la  salive.  Sans  revenir  encore  sur  le  rôle  que  nous 
avons  assigné  à  cet  agent  dans  la  production  de  la  carie,  nous  rappellerons  ce 
que  nous  avons  avancé,  à  savoir  que  l'état  de  ce  liquide  et  les  modifications 
accidentelles  qu'il  éprouve  dans  la  bouche  sont  encore  de  nature  héréditaire.  On 
hérite  de  la  salive  de  ses  ancêtres  tout  aussi  bien  que  des  dents  elles-mêmes,  et 
c'est  en  vertu  de  cette  double  Iransmissibililé  que  certaines  familles  perdent 
prématurément  et  fatalement  leurs  dents  par  la  carie. 

Si  de  l'état  des  dents  et  du  liquide  salivaire  nous  passons,  en  suivant  le  même 
point  de  vue,  à  l'état  de  la  muqueuse  buccale  et  particulièrement  de  la  gencive, 
nous  arriverons  à  des  données  analogues.  On  a  souvent  observé  l'état  fongueux 
du  bord  gingival  chez  les  membres  d'une  même  famille  et  indépendamment  de 
questions  d'âge,  la  même  affection  se  rencontrant  chez  le  père  et  l'enfant.  Mais 
ici,  il  faut  le  dire,  un  autre  élément  que  l'hérédité  seule  intervient.  C'est  la  trans- 
mission des  diathèses  souvent  en  puissance  chez  le  père  et  à  l'état  latent  chez 
l'enfant  :  le  rachitisme,  la  scrofule,  sont  dans  ce  cas.  Citons  aussi  l'artluitismc, 
dont  l'influence  est  si  notoire  sur  la  production  d'une  forme  particulière  de 
périostite  alvéolaire.  C'est  de  la  sorte  que  les  médecins  ont  si  souvent  recueilli 
ces  aveux  des  malades  qui  affirment  qu'un  de  leurs  ascendants  avait  ainsi  qu'eux- 
mêmes  perdu  ses  dents  prématurément  et  par  ébranlement  et  chute  spontanée. 
L'une  de  ces  influences,  la  plus  grave  sans  doute,  est  le  diabète,  dont  l'hérédité 
n'est  pas  méconnue  par  les  auteurs  et  dont  l'influence  sur  ce  mode  de  perte  de 
dents  est  si  nettement  établie  [voy.  notre  étude  sur  La  valeur  diagnostique  dans 
le  diabète  sucré  de  la  périostite  alvéolaire  des  mâchoires,  in  Bullet.  de  l'Acad. 
de  médecine,  séance  du  5  janvier  1882). 

Ainsi  donc,  qu'il  s'agisse  de  la  transmission  des  constitutions  organiques  ou 
des  diathèse  prédisposantes,  l'hérédité  en  matière  d'affection  de  la  bouche  se 
trouve  surabondamment  démontrée. 

L'âge  n'exerce  pas  une  influence  très-marquée  sur  la  production  des  maladies 
de  la  bouche.  Pour  ce  qui  concerne  la  carie,  il  est  démontré  tout  d'abord  que 
cette  affection  est  proportionnellement  aussi  fréquente  pendant  l'enfance  sur  les 
dents  temporaires  que  sur  les  dents  permanentes  chez  l'adulte.  Quant  à  cette 
dernière  période,  nous  avons  essayé  de  faire  par  des  tableaux  graphiques  la  pro- 
portion relative  des  caries  suivant  les  âges  et  nous  sommes  parvenu  à  ce  lésultat 
que  cette  maladie  présente  un  maximum  de  fréquence  de  quarante  à  cinquante  ans. 
En  ce  qui  concerne  les  affections  de  la  gencive  ou  de  la  muqueuse  buccale  en 
général,  elles  sont  susceptibles  de  se  produire  aussi  bien  chez  l'enfant  que  chez 
l'adulte;  seules,  les  diverses  variétés  d'ostéo-périostite  alvéolaire  chronique 
appartiennent  presque  exclusivement  à  l'âge  de  cinquante  ans  en  moyenne, 
époque  d'élection  des  états  généraux  ou  diathèses  qui  en  dominent,  comme  on 
sait,  la  production. 
Les  professions  jouent  un  rôle  important  dans  le  développement  des  maladies 


412  DENTAIRE    (hygiène). 

de  la  bouche:  ainsi  pour  ce  qui  regarde  la  carie,  qu'il  faut  toujours  signaler  eu 
premier  lieu,  un  certain  nombre  de  professions  y  prédisposent  particulièrement. 

Sans  reproduire  ici  les  considérations  diverses  qui  établissent  d'une  manière 
péreniptoire  que  la  carie  est  le  résultat  d'une  altération  purement  cliimique  de 
la  substance  des  dents,  il  est  de  toute  évidence  que  les  pratiques  industrielles 
qui  peuvent  mettre  en  contact  avec  les  dents  des  substances  liquides  ou 
gazeuses  susceptibles  d'altérer  ces  tissus  seront  essentiellement  nuisibles  à  l'état 
d'intégrité  de  ces  organes. 

C'est  ainsi  que  se  placent  en  première  ligne  certaines  industries,  celle,  par 
exemple,  de  la  soude  artificielle  qui  développe,  comme  on  sait,  des  vapeurs  d'acide 
chlorbydrique,  et  donne  la  raison  de  la  fré(iuence  ainsi  que  de  l'étendue  des 
caries  qui  affectent  les  ouvriers.  Le  siège  même  de  ces  caries  aux  interstices 
dentaires  et  au  collet  s'explique  par  le  lieu  d'élection  et  de  condensation  de 
vapeurs  à  la  faveur  des  liquides  ou  des  mucosités  qui  occupent  ces  régions. 

D'autre  part,  il  est  d'observation  banale  que  les  individus  qui  manient  les 
sucres,  les  confiseuis,  les  cuisiniers,  les  casseurs  de  sucre,  perdent  très-préma- 
turément leurs  dents  par  suite  de  carie.  Le  mécanisme  est  fort  simple  :  la  salive 
des  ouvriers  dans  ces  industries  est  sans  cesse  impi-égnée  de  particules  sucrées 
qui,  toujours  à  la  faveur  des  interstices  dentaires  et  du  bord  gingival,  entrent 
en  fcDiientation  lactique,  et  les  produits  de  ces  fermentations  ont,  comme  on 
sait,  l'inlluence  la  plus  délétère  sur  la  constitution  chimique  des  dents.  C'est  de 
la  sorte  que  dans  nos  expériences  déjà  anciennes  les  dissolutions  sucrées  livrées 
à  la  fermentation  et  les  solutions  d'acide  lactique  ont  produit  les  destructions  les 
plus  rapides  et  les  plus  considérables. 

Pour  les  affections  gingivales,  il  faut  noter  certaines  professions  qui  ont  pour 
résultat  presque  constant  la  production  de  diverses  variétés  de  gingivites.  Tels 
sont  les  tailleurs  de  verre  de  Baccarat  chez  lesquels  Putegnat  a  décrit  une  stoma- 
tite spéciale  qui  est  due  aux  particules  de  matière  qui  pénètrent  sous  le  bord 
gingival  {voij.  article  Gekcive,  les  Gingivites  iïïdustrieUes).  Les  ouvriers  tour- 
neurs en  cuivre  auraient  une  affection  analogue  et  produite  par  un  mécanisme 
semblable.  De  même  les  ouvriers  du  plomb  ont  le  liséré  avec  étal  inflammatoire 
des  gtmcives.  L'industrie  des  chromâtes  est  dans  le  même  cas.  Enfin  on  connaît 
l'influence  pernicieuse  des  industries  à  émanations  phosphorées  dans  la  produc- 
tion de  cette  forme  particulière  de  nécrose  des  mâchoires,  maladie  grave,  très- 
souvent  mortelle,  et  dont  la  porte  d'entrée  invariable^  et  constante  est,  dans 
notre  opinion,  une  certaine  forme  de  carie  dentaire,  la  carie  pénétrante  (voy. 
Pathogénie  et  proplnjlaxie  de  la  nécrose  phosphorée,  in  Compt.  rend,  de  VAcad. 
des  sciences,  1875,  p.  735). 

Les  conditions  alimentaires  ont  été  constamment  invoquées,  principalement 
dans  la  production  de  la  carie  dentaire.  On  sait,  par  exemple,  quel  rôle  on  attribue 
empiriquement  à  l'eau,  dans  beaucoup  de  maladies  qui  peuvent  prendre  le 
caractère  endémique,  et  la  carie  est  de  ce  nombre.  Nous  avons  fait  naguère 
justice  de  ces  imputations  {voy.  Carie  dentaire). 

L'eau  n'a-t-elle  pas  d'ailleurs  été  accusée  de  tout  temps  d'une  foule  de  maladies, 
le  goitre,  la  scrofule,  le  rachitisme,  etc.  ?  Ce  sont  là  des  assertions  contre  lesquelles 
se  sont  élevés  divers  auteurs  à  propos  d'une  discussion  à  l'Académie  de  méde- 
cine {Bulletin,  janvier  1863).  C'est  ainsi  que  M.  Robinet  a  établi  que  l'eau  pure 
était  en  définitive  la  boisson  la  plus  rerement  usitée,  même  parmi  les  popula- 
tions pauvres  qui  ont,  suivant  les   latitudes,  des  boissons  particulières,  vin, 


DlîNTAIRE    (hygiène).  413 

cidre,  bière,  etc.  Ajoutons  d'ailleurs  que  ce  liquide  est  peut-être  le  plus  inca- 
pable de  produire  des  maladies,  et  en  ce  qui  concerne  la  carie  des  dents,  nous 
avons  cherché  à  prouver  que  la  presque  universalité  des  eaux  potables,  par  leur 
réaction  toujours  alcaline  et  quelle  que  soit  leur  composition  en  matières  fixes, 
étaient  impuissantes  à  la  produire. 

Mais,  si  nous  devons  rejeter  toute  influence  nuisible  de  la  part  des  eaux 
potables,  il  n'en  sera  pas  de  même  de  bien  d'autres  substances  employées  dans 
l'alimentation.  Ainsi  nous  avons  signalé,  à  propos  des  professions,  l'intluence 
désastreuse  du  sucre,  nous  devons  y  revenir  ici,  car  cette  substance  fait  partie  du 
régime  alimentaire  habituel.  C'est  surtout  chez  les  enfants  que  les  effets  sont 
fréquents  et  rapides,  de  sorte  qu'ici  le  préjugé  vulgaire  qui  attribue  au  sucre 
une  action  destructive  sur  les  dents  est  en  accord  complet  avec  l'observation 
scientifique  et  avec  l'expérieuce. 

Ce  n'est  pas  toutefois  qu'il  faille  selon  nous  proscrire  du  régime  alimentaire 
ordinaire  les  aliments  sucrés  en  général.  Mais  nous  estimons  que  rien  n'est  plus 
dangereux  sur  les  dents  que  l'abus  des  bonbons  et  sucreries  de  tout  genre  ;  le 
miel  et  les  bonbons  au  miel  nous  ont  paru  particulièrement  dangereux.  La 
salive,  imprégnée  incessamment  de  substance  sucrée,  entre  en  fermentation,  et 
l'acide  lactique  qui  en  résulte  est,  nous  le  lépétons,  l'un  des  agents  destruc- 
teurs les  plus  actifs  auxquels  les  dents  puissent  être  exposées.  Nous  n'insiste- 
rons point  sur  ce  fait  que  des  expériences  déjà  anciennes  ont  fixé  d'une  manière 
complète  (De  la  salive  considérée  comine  agent  de  la  carie  dentaire,  1866). 

D'autres  conditions  de  l'alimentation  peuvent  iniluer  sur  les  dents  :  ainsi  les 
aliments  ou  les  liquides  trop  chauds  peuvent  produire  des  fissures  de  l'émail. 
Il  en  sera  de  même  des  aliments  trop  froids  ou  glacés  et  surtout  du  pas3agv,  des 
uns  aux  autres.  Ce  mécanisme  a  été  maintes  fois  observé  et  c'est  à  lui  qu'on 
doit  ces  fissures  si  communes  aux  dents  des  adultes  sur  la  couche  d'émail 
et  qui  ont  des  conséquences  bien  faciles  à  prévoir  sur  le  mode  de  production  de 
la  carie. 

Mais,  si  certaines  conditions  alimentaires  ont  une  influence  nuisible  sur  les 
dents,  il  en  est  de  bien  plus  marquées  encore  sur  l'état  des  gencives  :  les  aliments 
irritants,  épicés,  les  piments  et  autres  substances  analogues,  sont  susceptibles  de 
produire  des  gingivites  parfois  rebelles,  sans  préjudice,  bien  entendu,  des  résul- 
tats néfastes  que  certains  régimes  alimentaires  exercent  sur  la  santé  générale  et 
des  conséquences,  indirectes  dans  ce  cas,  de  ces  troubles  sur  l'état  des  organes 
de  la  bouche. 

Certaines  pratiques  se  rapprochent  encore  de  ces  dernières  influences  par  la 
similitude  de  leur  action,  par  exemple,  l'usage  du  biscuit  dans  l'armée  de  terre 
et  de  mer,  et  les  inconvénients  qu'il  provoque  :  usure  des  dents,  fractures,  exco- 
riations de  la  muqueuse.  Tel  est  encore  l'usage  du  tabac,  auquel  on  a  attribué 
aussi  les  fissures  de  l'émail,  à  cause  de  la  température  élevée  des  vapeurs 
introduites  dans  la  bouche,  mais  qui  est  surtout  cause  de  l'usure  des  dents 
(pipe)  et  d'une  certaine  forme  de  gingivite,  dite  gingivite  des  fumeurs. 

Il  nous  reste  à  mentionner  maintenant  un  certain  nombre  d'états  morbides  et 
d'indiquer  leur  influence  sur  la  production  des  affections  des  dents  ou  de  la 
muqueuse  buccale. 

En  dehors  de  l'hérédité,  il  est  certain  que  l'influence  la  plus  énergique  qui 
puisse  s'exercer  sur  les  organes  de  la  bouche  est  celle  des  affections  intercur- 
rentes de  la  première  enfance.  On  sait  en  effet  que  l'évolution  des  dents,  par 


414  DENTAIRE    (hygiène). 

exemple,  dépasse  de  beaucoup  par  sa  période  intra-folliculaire  l'époque  de  la 
naissance,  et  il  est  dès  lors  facile  de  comprendre  que  toute  perturbation  de 
l'état  général  cbez  le  nouveau-né  puisse  retentir  plus  ou  moins  gravement  sur 
l'état  anatomique  des  dents.  Les  affections  héréditaires  s'ajoutent  souvent  encore 
à  cette  action.  Telle  est  la  syphilis,  dont  les  métamorphoses  diverses,  scrofule  ou 
rachitisme,  exercent  une  action  si  nuisible  sur  l'évolution  des  organes  et  des 
appareils  en  général. 

Parmi  les  affections  du  premier  âge  auxquelles  il  faut  attribuer  l'influence 
que  nous  cherchons,  on  doit  en  premier  lieu  signaler  celles  qui  ont  pour  mo- 
dèle de  manifestation  les  formes  convulsives,  c'est-à-dire  l'éclampsie,  dont  nous 
avons  à  plusieurs  reprises  invoqué  l'influence  dans  la  production  des  altérations 
si  profondes  de  l'ivoire  et  de  l'émail  connues  sous  le  nom  d'érosion  {Gazette 
des  hôpitaux,  1881). 

Cette  interprétation  toutefois  n'est  pas  généralement  adoptée,  et  l'on  sait,  par 
exemple,  que  pour  le  professeur  Parrot  l'érosion  dentaire  est  un  signe  de  syphilis 
héréditaire.  Nous  ne  pouvons  reproduire  ici  la  série  d'arguments  que  nous  avons 
opposés  dans  ces  derniers  temps  à  cette  manière  de  voir  (voy.  Congrès  de 
Londres,  4881  [Transactions,  vol.  IV,  p.  128]),  mais  nous  n'avons  pas  la  pensée 
de  nier  l'influence  très-manifeste  des  diathèses,  en  général,  héréditaires  ou 
acquises,  sur  l'état  anatomique  des  organes  de  la  bouche. 

La  syphilis,  la  scrofule,  le  rachitisme,  ont  donc  très-réellement  une  action 
considérable  sur  la  constitution  de  la  dent,  dont  les  éléments  restent  défectueux, 
difformes  et  dépourvus  de  la  cohésion  nécessaire  à  leur  résistance  aux  actions 
morbides.  C'est  de  la  sorte  que  les  dents  des  rachitiques  sont  petites,  atrophiées, 
difformes  et  frappées  de  notables  défectuosités  de  composition  intime. 

Les  idiots  sont  dans  le  même  cas,  ainsi  que  cela  a  été  établi  par  des  recherches 
déjà  anciennes  de  Bourneville.  Or,  l'idiotie  étant  d'ordinaire  le  résultat  d'une 
altération  rachitique  du  crâne,  c'est  encore  au  rachitisme  qu'il  convient  de  rat- 
tacher les  phénomènes. 

Si  des  diathèses  de  la  première  enfance  nous  passons  aux  états  morbides  de 
l'adulte,  nous  arrivons  à  des  considérations  analogues,  et  ici  leur  influence  peut 
encore  se  différencier  suivant  qu'elle  s'exerce  sur  les  dents  ou  sur  les  gencives. 
A  l'égard  des  dents,  il  est  une  classe  d'affections  dont  l'action  est  considérable, 
non  point  directement,  il  est  vrai,  mais  par  suite  des  modifications  qu'elles 
impriment  à  l'un  des  éléments  fondamentaux  du  milieu  buccal,  la  salive.  Nous 
voulons  parler  des  maladies  du  tube  digestif.  Toute  affection  de  l'estomac  ou 
de  l'intestin  a  un  effet  bien  connu  sur  la  production  de  la  carie.  Les  dyspepti- 
ques, les  gastralgiques,  sont  fatalement  prédisposés  à  cette  maladie,  et  nous 
avons  cherché  ailleurs  à  expliquer  le  mécanisme  de  cette  action  par  des  modifi- 
cations de  sécrétion  et  de  réaction  de  la  salive  elle-même  {De  la  salive  considérée 
comme  agent  de  la  carie  dentaire,  loc.  cil.)  ;  les  affections  analogues  du  tube 
intestinal,  les  maladies  des  parenchymes  voisins,  l'hépatite,  par  exemple,  peuvent 
êtie  mentionnées  dans  le  même  ordre  d'influences. 

Mais,  si  nous  envisageons  d'autres  lésions  de  la  bouche  qui  sont  sous  la  dépen- 
dance des  maladies,  nous  trouvons  plusieurs  affections  du  bord  alvéolaire,  la 
gingivite  et  la  périostite,  par  exemple. 

Ainsi  il  a  été  maintes  fois  constaté  que  le  tempérament  sanguin  avec  tendance 
aux  congestions  prédispose  très-fréquemment  à  certaines  formes  de  gingivite, 
soit  phlegmoneuse,  soit  fongueuse.  Par  un  mécanisme  différent,  l'auémie  amène 


DENTAIRE  (hygiène).  415 

souvent  chez  les  femmes  et  les  jeunes  sujets  le  même  résultat.  Parmi  les 
causes  de  stomatite  il  faut  encore  signaler  la  grossesse,  dont  l'influence,  d'après 
M.  Pinard,  serait  si  manifeste  à  cet  égard  {De  la  gingivite  des  femmes  en- 
ceintes). 

Enfin,  il  est  une  grande  classe  d'états  généraux  de  l'adulte  qui  ont  une  action 
toute  particulière  sur  la  production  d'une  affection  alvéolaire  connue  sous  le  nom 
de  pe'riostite  alvéolaire  des  mâchoires. 

En  tête  de  ces  états  se  place  le  diabète,  dont  nous  avons  invoqué  récemment 
encore  l'action  constante  dans  la  production  de  cette  maladie.  Mais  le  diabète 
sucré  n'est  pas  le  seul  état  parmi  les  perturbations  de  la  nutrition  générale  qui 
ait  cette  influence.  L'artliritisme,  l'albuminurie,  sont  dans  le  même  cas,  et  la 
périostite  alvéolaire  chronique  devient  conséquemment  l'indice  de  l'un  ou  de 
l'autre  de  ces  troubles  de  la  santé. 

Nous  devons  ajouter  toutefois  que  dans  certains  cas  on  ne  retrouve  dans  la 
pathogénie  de  la  périostite  alvéolaire  aucune  de  ces  causes  générales,  et  qu'il 
faut  invoquer  d'autres  interventions;  parmi  ces  dernières,  signalons  la  ménopause 
chez  les  femmes,  et  d'autres  fois  une  simple  relation  héréditaire,  ainsi  que  nous 
l'avons  rappelé  plus  haut. 

Tels  sont  les  modificateurs  généraux  qui  peuvent  exercer  une  influence  délé- 
tère sur  l'intégrité  physique  et  fonctionnelle  de  la  bouche.  En  présence  de  plusieurs 
d'entre  eux,  tels  que  les  professions,  le  régime  alimentaire,  etc.,  l'hygiène  peut 
intervenir  efficacement  soit  en  éloignant  de  leur  influence  les  individus  particu- 
lièrement prédisposés,  soit  en  arrivant  à  neutraliser  sur  place  les  actions  nocives 
elles-mêmes.  Mais  quel  rôle  peut  avoir  l'hygiène  sur  l'hérédité,  la  race,  les  con- 
stitutions, les  diathèses?  Ici  elle  est  désarmée  et  son  intervention  ne  peut 
s'exercer  que  sur  les  réactions  du  milieu  buccal  lui-même. 

Or  le  milieu  buccal  réside  essentiellement  dans  la  salive,  liquide  complexe 
et  qui  représente  en  quelque  sorte  l'atmosphère  de  la  muqueuse  et  des  dents. 
Normalement  alcaline,  elle  est  quelquefois  acide  chez  certains  individus.  Mais  sa 
composition  physiologique  peut  être  modifiée  par  une  foule  de  circonstances; 
on  sait  que  telle  ou  telle  réaction  de  la  salive  entraîne  la  prédominance  de  telles 
ou  telles  affections,  et  qu'inversement  les  états  pathologiques  des  dents  et  de  la 
muqueuse  buccale  entraînent  à  leur  tour  des  modifications  dans  la  réaction 
normale.  Rechercher  les  causes  et  les  effets  de  ces  modifications,  déterminer  les 
conditions  les  plus  favorables  à  l'état  de  santé  et  indiquer  les  moyens  de  les 
réaliser,  tel  doit  être  le  programme  de  l'hygiène  de  la  bouche. 

Nous  avons  donc  à  étudier  les  différents  états  du  milieu  buccal,  puis,  sous  le 
nom  générique  de  dentifrices,  nous  ferons  connaître  les  moyens  hygiéniques  qui 
correspondent  à  chaque  état  particulier. 

2°  Conditions  locales  de  la  cavité  buccale,  a.  État  alcalin.  Tartre  et 
concrétions  salivaires.  Normalement,  la  salive  est  alcaline.  Cette  réaction,  qui 
constitue  l'état  le  plus  favorable,  assure  dans  une  certaine  mesure  la  neutrali- 
sation des  produits  acides  qui  peuvent  se  développer  accidentellement  dans  la 
bouche  ou  qui  y  sont  introduits  par  les  usages  alimentaires;  mais  il  exio-e,  en 
revanche,  le  fonctionnement  régulier  des  organes,  les  manœuvres  de  la  masti- 
cation, les  mouvements  de  la  langue  et  des  lèvres,  étant  indispensables  pour 
empêcher  l'accumulation  du  tartre,  dont  le  dépôt  est  la  conséquence  même  de  la 
composition  de  la  salive  alcaline. 

C'est  qu'en  effet  les  salives  pures,  toujours  alcalines  à  leur  sortie  des  canaux 


416  DENTAIRK    (hygiène). 

d'excrétion,  subissent  au  contact  de  l'air  et  de  la  muqueuse  buccale  une  sorte  de 
décomposition  qui  détermine  la  précipitation  des  carbonates  insolubles.  C  est  ce 
fait  qui  entraîne,  suivant  nous,  la  formation  des  dépôts  de  tartre  dont  nous 
allons  expliquer  d'abord  le  mode  exact  de  production. 

Le  tartre  est  une  masse  concrète,  pierreuse,  ordinairement  jaunâtre  ou  diver- 
sement colorée,  susceptible  d'acquérir  parfois  une  très-grande  dureté,^  et  qui  se 
dépose  à  la  surface  des  dents.  Les  points  où  on  l'observe  spécialement  sont,  par 
ordre  de  fréq\)ence  :  la  face  postérieure  des  dents  antéro-inférieures,  situées  ea 
regard  de  l'orifice  des  canaux  excréteurs  f!es  glandes  sous-maxillaires  et  sublin- 
guales, la  face  externe  des  molaires  supérieures  au  voisinage  de  l'orilice  du  canal 
de  Stenon,  puis  les  molaires  inférieures.  Il  se  dépose  très-rarement  à  la  face 
linguale  des  molaires  des  deux  mâchoires,  et  ne  se  rencontre  jamais  à  la  face 
postérieure  des  dents  antéro-supérieures  qui  n'est  pas  baignée  par  la  salive.  Ces 
dépôts  de  tartre  qui,  lorsqu'ils  sont  abondants,  deviennent  l'indice  d'une  réaction 
alcaline  habituelle  delà  salive,  peuvent  se  produire  par  masses  parfois  considé- 
rables surtout  lorsque,  par  une  cause  quelconque,  les  dents  d'un  côté  de  la 
bouche  ne  prennent  plus  part  à  la  mastication  devenue  exclusive  au  côté  opposé. 
Nous  avons  vu  des  dépôts  de  tartre  si  abondants  qu  ils  entouraient  de  toutes 
parts  une  série  de  dents  enfouies  ainsi  au  milieu  de  la  masse.  C'est  à  ce  phéno- 
mène que  l'on  doit  rapporter  les  récits  de  Pline  et  d'autres  auteurs  anciens  sur 
les  cas  de  dents  réunies  et  constituant  alors  en  apparence  une  seule  dent  demi- 
circulaire  pour  chaque  mâchoire. 

Le  tartre  se  compose  principalement  de  matières  minérales,  phosphates  et 
carbonates  terreux,  dont  la  proportioti  relative  est  très-variable  suivant  les 
diverses  analyses  (Berzelius,  Vauquolin,  Bibra).  Ainsi,  tantôt  on  trouve  60  pour  100 
de  phosphates,  tantôt  la  même  quantité  à  peu  près  de  carbonates.  Nous  nous 
expliquons  très-facilement  ces  différences  dans  les  résultats  obtenus:  ainsi,  si  le 
tartre  analysé  a  été  recueilli  sur  les  grosses  molaires  supérieures  qui  se  recouvrent 
particulièrement  das  dépôts  de  la  salive  parotidionne,  il  y  aura  prédominance  de 
carbonates  comme  dans  ce  liquide  lui-même.  S'il  a  été  extrait  de  la  face  posté- 
rieure des  incisives  inférieures,  il  sera  riche  en  phosphates. 

Ces  variations  de  composition  chimique  se  retrouvent  d'ailleurs  dans  la 
constitution  des  calculs  salivaires,  et  y  sont  soumises  à  la  même  explication. 

Les  sels,  carbonates  ou  phosphates,  sont,  dans  le  tartre,  mélangés  et  réunis  à 
une  certaine  proportion  de  matière  organique,  à  des  cellules  épithéliales,  des 
globules  graisseux,  des  leucocytes,  des  algues  filiformes  et  des  infusoires  des 
genres  vibrio  et  monas. 

On  a  émis  sur  la  formation  du  tartre  diverses  hypothèses  :  M.  Serres  a  admis 
l'existence  de  glandes  tartariques  siégeant  dans  l'épaisseur  des  gencives  et  ayant 
la  propriété  de  sécréter  le  tartre  des  dents.  L'observation  anatomique  n'a  point 
démontré  l'existence  de  ces  glandes. 

Cl.  Bernard  {Leçons  de  physiologie,  p.  154)  donne  comme  probable  une 
explication  qui  ferait  dépendre  la  formation  du  tartre  d'une  irritation  du  périoste 
alvéolo-dentaire  à  la  suite  du  déchaussement  des  gencives  ramollies  par  des 
fragments  alimentaires  pendant  les  actes  de  la  mastication.  Il  compare  cette 
sécrétion  anormale  à  celle  qui  accompagne  parfois  la  périostite  des  os.  Cette 
explication  ne  saurait  être  admise,  et,  outre  qu'on  ne  peut  attribuer  au  périoste 
dentaire  aucune  action  sécrétoire,  il  suffirait  pour  la  faire  rejeter  de  remarquer 
que  l'existence  de   dépôts  de  tartre  se  constate  sur  certains  corps  étrangeis 


DENTAIRE  (hygiène).  417 

introduits  dans  la  bouche,  comme  des  appareils  de  prothèse  en  l'absence  com- 
plète des  dents,  et  conséquemment  du  périoste  dentaire. 

Une  troisième  théorie  est  celle  de  M.  Dumas,  qui  admet  dans  la  bouche  deux 
espèces  de  salives  :  l'une  acide,  l'autre  alcaline,  qui  sursature  la  première.  La 
salive  acide  tiendrait  en  dissolution  les  phosphates,  et,  dès  que  l'acide  serait 
saturé  par  la  seconde  salive  alcaline,  ceux-ci  se  précipiteraient. 

Cette  théorie  ne  nous  paraît  pas  tout  à  fait  conforme  à  la  vérité.  Dans  notre 
opinion,  le  tartre  résulte  d'un  simple  dépôt  par  précipitation  des  phosphates  et 
carbonates  terreux  tenus  en  dissolution  dans  la  salive  à  la  faveur  de  la  matière 
or'Tanique  avec  laquelle  ils  sont  combinés.  A  leur  arrivée  dans  l.i  cavité  buccale, 
les  pnncipes  se  dédoublant  au  contact  de  l'air  et  de  la  muqueuse,  les  sels 
insolubles  dans  l'eau  se  précipitent  et  se  déposent  à  la  surface  des  dents. 

La  quantité  de  tartre  qui  se  produit  dans  la  bouche  varie  énormémeut  suivant 
les  sujets,  et  ces  différences  s'expliquent  aisément  dans  notre  théorie.  En  effet, 
d'une  part,  les  salives  simples  peuvent  contenir,  chez  certains  individus,  une 
proportion  moindre  de  sels  terreux  en  dissolution,  et  le  dépôt  tartreux  sera 
relativement  faible;  d'autre  part,  le  dépôt  peut  rencontrer,  à  mesure  de  sa  pré- 
cipitation à  la  surface  des  dents,  une  réaction  accidentelle  acide  qui  le  neutralise 
et  le  fait  rentrer  en  dissolution  dans  la  salive;  et  si  enfin  le  dépôt,  déjà  peu 
abondant,  se  trouve  en  présence  d'un  milieu  acide  fort  énergique,  on  reconnaît 
qu'il  subsiste  encore  au  contact  des  dents,  et  malgré  la  neutralisation  du  tartre 
formé,  une  réaction  acide  qui  entraîne  des  effets  désastreux  sur  ces  organes. 

On  pourrait  objecter  à  cette  théorie  de  la  formation  du  tartre  la  grande  dispro- 
portion souvent  observée  de  phosphates  terreux  peu  abondants  dans  la  salive, 
tandis  que  le  tartre  en  contient  environ  60  pour  100. 

Cette  objection  n'est  pas  fondée,  si  l'on  réfléchit  que  la  quantité  de.  salive 
sécrétée  en  moyenne  en  quarante-huit  heures,  chez  l'homme,  est  de  400  grammes 
environ;  de  sorte  que,  si  peu  que  contiennent  de  phosphates  les  liquides  sali- 
vaires,  la  formation  du  tartre  s'explique  encore,  car  on  sait  que  ce  dépôt  se 
produit  ordinairement  avec  une  extrême  lenteur,  et  qu'il  faut  souvent  plusieurs 
années  pour  en  former  une  couche  d'une  certaine  épaisseur. 

L'existence  ou  l'absence  de  tartre  dans  la  bouche  présente  donc  une  signifi- 
cation très-nette  :  très-abondant,  il  indique  une  réaction  alcaline  franche  de  la 
salive,  ainsi  que  du  milieu  oii  se  trouvent  les  dents,  et  exclut  la  carie  de  celles-ci  ; 
absolument  nul,  il  implique  nécessairement  un  milieu  dentaire  acide,  avec 
toutes  ses  conséquences  sur  l'état  de  ses  organes;  puis,  entre  ces  deux  états 
extrêmes,  se  groupent  des  degrés  avec  prédominance  plus  faible,  alcaline  ou 
acide,  et  les  résultats  variés  qui  en  résultent. 

Les  conséquences  pratiques  qui  découlent  de  ces  faits  sont  maintenant  faciles 
à  établir  :  la  salive  alcaline  constitue  une  garantie  contre  la  carie  dentaire, 
mais  elle  aboutit  fatalement  à  la  formation  des  dépôts  de  tartre.  Ceux-ci, 
lorsqu'ils  sont  peu  abondants,  durs  et  compactes,  n'ont  pas  d'inconvénient  bien 
sérieux,  mais,  sous  l'influence  de  circonstances  favorables,  l'accumulation  des 
sels  terreux  peut  devenir  considérable,  et  il  peut  en  résulter  un  véritable  dan^-er 
pour  les  dents  et  pour  la  muqueuse.  Celle-ci,  irritée  par  la  présence  de  cette 
masse  qui  joue,  vis-à-vis  d'elle,  le  rôle  d'un  corps  étranger,  devient  le  siège  d'une 
inflammation  chronique  ;  les  gencives  fongueuses  et  saignantes  se  détachent,  et 
les  dents,  mal  soutenues  dans  leurs  alvéoles,  paraissent  d'abord  s'alJonn-er  déme- 
surément, puis  s'ébranlent  peu  à  peu  et  finissent  par  tomber.  Lorsque  les  dépôts 

DICT.  KNC.    XXVU.  '21 


418  DENTAIRE   (hygiène). 

de  tartre  sont  riches  en  matériaux  organiques,   ils  donnent  à  l'haleine  une 
odeur  fétide  encore  augmentée  par  la  sécrétion  sanieuse  des  gencives. 

Les  indications  hygiéniques  qui  correspondent  à  cet  état  sont  les  suivantes  : 
enlever  soigneusement  les  dépôts  de  tartre  à  mesure  qu'ils  atteignent  des  pro- 
portions anormales  ;  éloigner  les  causes  qui  peuvent  favoriser  ces  dépôts  en 
certains  points  de  la  houche  (traitement  des  affections  locales  de  la  muqueuse 
ou  des  dents),  application  d'appareils  prothétiques,  etc.,  et  faire  un  usage  jour- 
nalier de  dentifrices  appropriés,  neutres  ou  acidulés,  seuls  ou  associés  aux  pré- 
parations chloratées  ou  antiputrides,  suivant  les  conditions  particulières. 

Le  tartre  ne  constitue  pas  le  seul  dépôt  dont  les  dents  et  le  bord  gingival  puis- 
sent devenir  le  siège,  et  l'on  observe  souvent,  à  la  surface  des  couronnes  des 
dents  ou  au  collet,  des  taches  ou  dépôts,  soit  de  coloration  verdàtre  ou  noire,  soit 
formés  par  accumulation  de  matière  molle,  analogue  au  mucus. 

Les  taches  sont  tantôt  verdàtres  et  résultent  dans  ce  cas  de  la  présence 
de  matières  végétales  provenant  de  l'alimentation,  tantôt  elles  sont  brunes  ou 
noires  et  sont  composées  de  particules  charbonneuses. 

Les  taches  vertes  se  rencontrent  chez  un  grand  nombre  de  sujets  et  elles 
occupent  ordinairement  le  collet  des  dents  en  s'étendant  plus  ou  moins  sur  la 
surface  de  la  couronne.  Si  on  les  étudie  au  point  de  vue  de  leurs  caractères  his- 
tologiques  et  de  leurs  réactions,  on  voit  qu'elles  sont  composées  de  matières 
colorantes  végétales,  insolubles  dans  l'eau,  insolubles  dans  les  liqueurs  alca- 
lines, solubles  dans  les  acides.  Elles  n'indiquent  donc  point  par  conséquent  une 
réaction  acide  de  la  salive,  et  cependant  on  en  constate  parfois  la  coexistence  avec 
les  mucosités  blanchâtres  qui  recouvrent  le  collet  des  dents  et  qui  ont  une 
réaction  le  plus  ordinairement  acide. 

Quoi  qu'il  en  soit,  ces  taches  peuvent  s'enlever  par  les  procédés  mécaniques  du 
grattage  ou  les  dentifrices  inertes.  Lorsqu'elles  résistent  à  ces  moyens,  on  les 
détache  aisément  en  les  touchant  légèrement  et  rapidement  avec  une  baguette  de 
bois  chargée  d'une  solution  acide  faible.  Cette  petite  opération  n'aura  aucune 
conséquence  nuisible  aux  dents,  si  l'on  a  soin  d'essuyer  aussitôt  après  la  sur- 
face touchée. 

Ces  taches  vertes  devront  être  soigneusement  distinguées  de  celles  qui  sont 
communes  chez  les  personnes  qui  font  usage  des  préparations  solubles  de  fer. 
Cet  inconvénient  de  tacher  les  dents  appartient  aux  eaux  ferrugineuses  en 
général,  aux  sirops,  aux  vins  et  en  général  à  tous  les  excipients  liquides  qui 
séjournent  dans  la  bouche  au  moment  de  leur  administration. 

Les  taches  ferrugineuses  diffèrent  toutefois  notablement  des  précédentes;  elles 
sont  plutôt  jaunâtres  que  vertes  et  se  rapprochent  de  la  teinte  des  clilorures  de 
fer  dont  elles  sont  d'ailleurs  formées  à  la  faveur  des  chlorures  de  la  salive  et  de 
l'alimentation.  Elles  sont  en  outre  solubles  dans  les  acides  et  peuvent  s'enlever 
aisément  par  le  même  procédé  que  les  précédentes. 

Les  taches  brunes  ou  noires  sont  composées  de  charbon  et  insolubles  dans  tous 
les  réactifs.  Elles  se  rencontrent  fréquemment  chez  les  fumeurs,  les  ouvriers 
qui  manipulent  du  charbon,  ceux  qui  font  abus  des  dentifrices  contenant  du 
charbon  porphyrisé. 

Ces  dernières  n'indiquent  donc  aucune  réaction  prédominante  de  la  salive  et 

elles  peuvent  se  rencontrer  aussi  bien  dans  un  milieu  acide,  ou  alcalin,  ou  neutre. 

Seules  les  mucosités  blanchâtres,  dont  les  amas  occupent  le  collet  des  dents 

et  les  interstices,  dénotent  presque  certainement  une  réaction  acide  :  aussi  est- 


DENTAIRE  (hygiène).  419 

on  presque  sur,  lorsqu'elles  sont  Irès-abondantes,  de  trouver  en  même  temps  de* 
caries  sur  les  points  d'éleclion  de  ces  dépôts. 

b.  État  acide.  Nous  avons  dit  que,  normalement,  la  réaction  de  la  salive 
est  alcaline;  toutefois,  il  est  d'observation  que,  chez  certains  sujets  exempts  de 
tout  état  anormal  de  la  bouche  ou  de  la  santé  générale,  la  salive  qui  baigne  la 
surface  des  dents  et  des  gencives  présente  constamment  une  réaction  acide.  Ce 
fait,  constaté  déjà  par  M.  Boudct  [Journal  de  Phys.  et  de  Chimie,  mai  1842), 
coïncide  presque  toujours  avec  une  plus  grande  viscosité  de  la  salive  et  avec 
l'existence  de  coucbes  épaisses  de  mucosités  sur  les  dents  ;  il  entraîne  comme 
conséquence  la  pi'oduction  de  caries  nombreuses  et  semble  être,  dans  certaines 
familles,  une  disposition  habituelle,  susceptible  de  se  transmetire  par  hérédité 
au  même  titre  que  d'autres  prédispositions  quelconques. 

Mais  cet  état,  permanent  chez  quelques-uns,  peut  se  produire  accidentellement 
chez  d'autres,  sous  l'influence  de  certaines  circonstances. 

On  sait  que  chez  les  enfants  dans  certaines  conditions  de  santé  générale  la 
salive  peut  devenir  acide,  réaction  qui,  suivant  Gubler,  devient  la  cause  déter- 
minante de  la  production  de  muguet  [Gazette  hebdomadaire,  1857,  p.  561,  et 
1858,  p.  129  et  158).  D'autres  auteurs,  M.Ch.  Bley  entre  autres  {Comptes  ren- 
dus de  la  Société'  de  gynécologie  de  Strasbourg,  1859),  vont  même  jusqu'à 
affirmer  que  la  salive  chez  le  nouveau-né  est  normalement  acide.  C'est  là  une 
erreur  qui  provient  de  ce  que  dans  quelques  circonstances  le  lait  d'un  biberon 
peut  acquérir  une  légère  réaction  acide.  Cette  même  circonstance  se  produit 
aussi  dans  le  cas  si  fréquent  de  régurgitation  du  lait  aigri  dans  l'estomac  et  qui 
a  pu  modifier  la  réaction  de  la  salive. 

Les  causes  qui  peuvent  modifier  dans  le  sens  de  l'acidité  la  réaction  de  la 
salive  sont:  les  fermentations  salivaires,  l'usage  fréquent  et  répété  de  substances 
alimentaires  ou  de  boissons  acides,  l'emploi  comme  agents  thérapeutiques  de 
produits  ayant  la  même  réaction,  les  affections  générales  aiguës  et  certaines 
affections  généiales  chroniques;  la  présence  de  nombreuses  dents  cariées, 
certaines  dispositions  anormales  de  ces  organes,  agissent  encore  dans  le  même 
sens  en  favorisant  le  séjour  des  détritus  alimentaires  et,  par  suite,  les  fermen- 
tations. 

Qu'il  constitue  d'ailleurs  une  disposition  habituelle  ou  accidentelle,  l'état 
acide  de  la  bouche  se  reconnaît  aux  mêmes  signes,  entraîne  les  mêmes  consé- 
quences et  donne  lieu  aux  mêmes  indications.  Ses  signes  objectifs  sont  l'absence 
complète  de  tartre,  l'accumulation  de  mucosités  blanchâtres,  visqueuses  et 
épaisses  le  long  du  bord  libre  des  gencives  et  à  la  surface  des  dents,  et  la  pro- 
duction de  caries  multiples  à  forme  rapide  et  siégeant  de  préférence  au  collet.  A 
ces  caractères  s'ajoutent  parfois  des  sensations  subjectives,  goût  ai^re  de  la  sa- 
live, régurgitations  et  éructations  acides,  phénomènes  dyspeptiques,  oastral- 
gie,  etc.  Ce  sont  évidemment  les  préparai  ions  alcalines  qui  conviennent  ici  et 
nous  verrons  qu'on  peut  les  employer  sous  les  formes  les  plus  variées  ;  mais  il 
est  nécessaire  en  même  temps  d'éloigner  toutes  les  causes  qui  peuvent  contribuer 
à  entretenir  ou  à  développer  cet  état  (abus  des  sucreries  chez  les  enfants  dents 
cariées,  etc.). 

c.  État  neutre..  L'état  neutre  indique  un  équilibre  exact  entre  les  produits 
salivaires  constamment  alcalins  et  les  produits  acides  qui  prennent  naissance  ou 
sont  amenés  dans  la  bouche.  Il  représenterait  l'état  parfait,  si  les  conditions 
mêmes  de  sa  production  ne  le  rendaient  pas  difficilement  réalisable  et  n'expo- 


42.)  DENTAIRE   (hycikne). 

saient  le  milieu  buccal  à  des  oscillations  permanentes.  Or,  si  un  faible  excès  d'al- 
càlinité  ne  peut  avoir  d'inconvénient,  la  prédominance  même  passagère  et  peu 
marquée  de  la  réaction  acide  a  toujours  des  conséquences  plus  ou  moins 
fâcheuses:  aussi  l'hygiène  doit-elle  avoir  pour  but,  ici,  d'en  empêcher  la  pro- 
duction par  l'usage  des  dentrifices  légèrement  alcalins,  qui  assureront  une 
sorte  de  provision  destinée  à  neutraliser  les  produits  acides  qui  pourraient  se 
développer  accidentellement  dans  la  bouche. 

S"  Règles  et  procédés  d  hijçiiène  locale.  Des  considérations  générales  qui 
précèdent  nous  pouvons  maintenant  déduire  les  prescriptions  d'une  hygiène 
rationnelle. 

Ces  règles  sont  les  suivantes  :  éviter  les  manœuvres  ou  les  agents  qui  peuvent 
agir  mécaniquement  sur  les  parties;  restreindre,  autant  que  possible,  l'usage 
des  aliments  et  des  boissons  acides  ou  qui,  par  leur  décomposition,  donnent  lieu 
à  des  produits  acides  (sucre,  vinaigre,  limonade,  etc.)  ;  empêcher  les  fermen- 
tations des  matières  alimentaires  ou  des  produits  de  sécrétion  (lavages,  soins  de 
propreté);  s'opposer  à  l'accumulation  du  tartre  par  l'usage  modéré  de  brosses 
douces  ;  traiter  soigneusement  les  affections  à  mesure  qu'elles  se  développent  ; 
enfin  provoquer  ou  maintenir,  par  des  dentifrices  appropriés,  le  milieu  buccal 
dans  l'état  neutre  avec  légère  prédominance  de  la  réaction  alcaline. 

Procédés  d'applications  dentifrices.  Les  dentifrices  font  le  sujet  d'un  article 
spécial  {voy.  ce  mot),  mais  seulement  sous  le  rapport  de  leur  composition. Nous 
n'en  parlerons  donc  ici  qu'au  point  de  vue  des  indications  diverses  qu'ils  sont 
destinés  à  remplir. 

Les  dentifrices  doivent  en  effet  répondre  à  certaines  indications  dont  le 
premier  venu  ne  peut  être  juge,  et  à  ce  titre  leur  choix  doit  être  subordonné 
aux  conseils  de  l'hygiéniste.  On  comprendra  dès  lors  quel  cas  nous  faisons  de 
la  plupart  des  produits  qu'on  vend  partout  sous  le  nom  de  dentifrices.  Réveil, 
dans  un  mémoire  lu  à  l'Académie  [voy.  aussi  S.  Piesse  et  0.  Réveil,  Des  odeurs, 
des  parfums,  des  cosmétiques,  etc.  Paris,  1865,  p.  456  et  suiv.),  a  montré  par 
le  résultat  de  nombreuses  analyses  chimiques  le  danger  des  cosmétiques  en 
général;  ses  observations  s'appliquent  aussi  aux  dentifrices  dont  la  vente,  par 
une  él range  lacune  de  notre  législation,  est  laissée  libre  et  en  dehors  de  tout 
contrôle.  Nous  ne  saurions  trop  nous  élever  contre  cette  déplorable  interpré- 
tation de  la  loi  qui  refuse  de  reconnaître  comme  remèdes  secrets  les  prépa- 
rations hygiéniques  et  comestiques,  et  nous  nous  associons  aux  appels  faits  déjà 
maintes  fois  à  la  sollicitude  de  l'autorité  sanitaire  pour  réclamer  contre  cet 
iibus. 

Considéré  d'une  manière  générale,  tout  dentifrice  doit  contenir  trois  sub- 
stances susceptibles  de  se  mélanger  en  une  masse  homogène.  Ces  trois  sub- 
stances sont  : 

1°  Une  substance  inerte  servant  de  véhicule  et  pouvant  aussi  parfois  agir  mé- 
caniquement sur  les  matières  étrangères  accumulées  sur  les  dents  ou  les  gen- 
•cives  ; 

2^  Une  substance  active  à  réaction  définie  et  capable  de  neutraliser  la  réaction 
dominante  des  liquides  de  la  bouche  ; 

3°  Une  substance  aromatique  destinée  à  masquer,  s'il  est  besoin,  la  saveur  ou 
l'odeur  des  matières  actives  employées. 

Envisagés  ainsi,  les  dentifrices  sont  ou  pulvérulents,  ou  liquides,  ou  mous 
(opiats). 


DENTAIRE   (hygiène),  âM 

Les  dentifrices  pulvérulents  doivent  toujours  être  impalpables.  Sans  cette 
condition,  ils  peuvent  constituer  un  danger  pour  les  dents  par  l'usure  de  leur 
émail,  et  pour  la  muqueuse  par  l'irritation  que  les  frottements  y  déterminent, 
et  aussi  par  l'accumulation  de  particules  sous  le  bord  libre  des  gencives  où  elles 
jouent  à  la  longue  le  rôle  de  corps  étrangers  :  nous  avons  plusieurs  fois  observé 
des  lisérés  grisâtres  produits  par  l'usage  prolongé  de  la  poudre  de  charbon;  il 
est  probable  que  les  autres  produisent  les  mêmes  résultats,  mais  que  ceux-ci 
passent  inaperçus  lorsqu'ils  ne  donnent  pas  lieu  à  une  coloration  particu- 
lière. 

L'action  des  dentifrices  liquides  s'étend  uniformément  à  tous  les  points  de  la 
cavité  buccale,  à  l'inverse  des  précédents,  dont  l'effet  reste  limité  aux  points 
avec  lesquels  ils  sont  mis  en  contact.  Par  leur  forme,  ils  se  mêlent  l'acilement, 
en  toutes  proportions,  à  l'eau  ou  à  d'autres  liquides  inertes,  ce  qui  permet  d'en 
graduer  les  doses  suivant  les  effets  qu'on  veut  obtenir  ;  enfin  ils  se  prêtent 
mieux  à  une  grande  variété  de  composition,  ce  qui  peut,  dans  certaines  circon- 
stances, être  une  précieuse  ressource. 

Les  dentifrices  mous  ou  opiats  qui  contiennent  du  miel  doivent  être  com- 
plètement rejetés,  le  sucre  étant  un  agent  destructif  des  plus  actifs  pour  les 
tissus  dentaires.  Quant  aux  savons  dentifrices,  ils  ne  peuvent  convenir  que  dans 
les  cas  oiî  la  réaction  alcaline  est  recherchée;  ils  ont  un  goût  désagréable  et 
qu'on  ne  parvient  jamais  à  masquer  complètement. 

Envisagés  au  point  de  vue  de  leur  composition  et  de  leurs  indications,  les 
dentifrices  peuvent  être  divisés  en  :  neutres  ou  inertes,  alcalins,  acides,  astrin- 
gents et  antiputrides. 

1"  Dentifrices  neutres  ou  inertes.  Indications  :  salive  légèrement  alcaline, 
absence  de  dents  cariées  et  de  dépôts  de  tartre,  intégrité  de  la  muqueuse  ; 

2»  Dentifrices  alcalins.  Indications  :  salive  acide  ou  neutre;  caries  nom- 
breuses et  à  marche  rapide  ;  absence  complète  de  tartre;  mucosités  blanchâtres 
le  long  du  bord  libre  des  gencives  et  sur  les  dents;  muqueuse  saine  ou  plus  ou 
moins  enflammée.  Les  savons  conviennent  particulièrement  aux  cas  où  il  importe, 
de  lutter  éneigiquement  contre  la  réaction  acide  très -prononcée  du  milieu  sali- 
vaire.  Nous  devons  les  trois  formules  suivantes  à  l'obligeance  d'un  pharmacien 
distingué  de  Paris,  M.  Faguer;  k  seul  reproche  qu'on  puisse  leur  faire,  comme 
à  tous  les  savons,  est  leur  saveur  désagréable  qu'il  est  impossible  de  masquei 
complètement. 

SAVON    PULVÉRULENT. 

Savon  de  magnésie 10  grammes. 

Carbonate  de  chaux  précipilé 9        — 

Essence  de  roses,  gouttes n°  X 

—  de  menthe  anglaise,  gouttes n"  X 

—  de  lavande 1        — 

Carmin 0,10  — 

SAVON    POLVÉKULENT. 

Savon  de  magnésie 10  grammes. 

Carbonate  de  chaux  précipite 8 

Savon  médicinal  pulvérisé 1        — 

Essence  de  roses,  gouttes n*  X. 

—  de  raentlie  anglaise,  gouttes n*  X. 

—  de  lavande 1        — 

Carmin 0,10  — 


422  DENTAIRE  (prothèse). 

SAVON    MOU. 

Beurre  do  cncao' 12  grammes. 

Carbonate  de  cliaux 20        — 

—        de  magnésie 25        — 

Savon  dépotasse 20        — 

Essences 0,1^  — 

Les  dentifrices  alcalins  sont  très-nombreux,  et  dès  les  temps  les  plus  anciens 
on  en  a  préconisé  l'emploi.  Pline,  par  exemple,  recommande  une  recette  dans 
laquelle  figure  le  sel  ammoniac,  les  cor|uilles  d'œufs,  les  écailles  d'huîtres 
pilées  et  de  la  myrrhe  brûlée.  On  leur  attribue  non-seulement  des  vertus  comme 
cosmétirpie,  mais  même  comme  agent  thérapeutique  :  Utilissima  fiât  ex  lus 
dentifricia,  dit-il.  On  connaît  aussi  les  préparations  auxquelles  certaines  peu- 
plades attribuent  la  beauté  irréprochable  de  leurs  dents  :  tel  est  le  bétel  [voy.  ce 
mot). 

o" Dentifrices  acides.  Indications  :  miheu  salivaire  fortement  alcalin;  dépôts 
abondants  de  tartre,  absence  de  dents  cariées;  muqueuse  normale  ou  plus  ou 
moins  enflammée.  L'usage  de  ces  dentifrices  exige  une  certaine  surveillance,  et 
leur  emploi  ne  doit  pas  être  trop  fréquent. 

4°  Dentifrices  astringents.  Indications  :  état  morbide  des  gencives  ou  de  la 
muqueuse  buccale  ;  gingivite  chronique  ;  granulations  buccales  et  pharyn- 
giennes. La  forme  liquide  est  celle  qui  convient  le  mieux  à  ces  préparations,  la 
muqueuse  irritée  supportant  difficilement  le  contact  des  poudres.  Toulefois  au- 
cune des  préparations  ordinairement  préconisées  ne  vaut  la  solution  de  chlorate 
de  potasse  :  on  l'emploie  à  la  dose  ordinaire  des  gargarismes,  soit  4  grammes 
pour  100,  et  on  aromatise  avec  des  essences  au  moment  de  l'emploi;  le  chlorate 
de  potasse,  outre  son  action  spéciale  siu'  la  muqueuse  buccale,  a  encore  l'avan- 
tage d'être  légèrement  alcalin,  circonstance  qui  doit  le  faire  rechercher  d  autant 
plus  que  les  inflammations  chroniques  de  la  muqueuse  buccale  déterminent 
souvent  l'acidité  de  la  réaction  salivaire.  Le  chlorate  de  potasse  ne  pourrait  être 
remplacé  par  l'alun  qui,  ainsi  qu'il  est  démontré,  agit  directement  comme  dis- 
solvant sur  le  tissu  de  l'émail. 

5°  Dentifrices  antiputrides.  Indications  :  état  fétide  de  la  bouche  avec  ou 
sans  lésion  appréciable.  Ces  préparations  peuvent*  s'employer  isolément  ou  être 
associées  aux  autres  dentifrices,  suivant  les  conditions  particulières;  elles  con- 
tiennent de  la  poudre  de  charbon,  du  permanganate  de  potasse,  des  acides 
phénique,  salicylique,  thymique,  les  salicates,  le  borax,  etc. 

Nous  recommandons  les  deux  préparations  suivantes  : 

Silicate  de  potasse 2 

Eau lOOJ 

Thymol î 

Borax 5 

Eau lOCO 

Thymol 1 

E.  Magitot. 

DEIVTAIRE  (Prothèse).  En  considérant  que,  sans  préjuger  ce  qui  sera 
décidé  sur  l'organisation  de  l'art  dentaire  en  France,  actuellement  à  l'ordre  du 
jour,  la  partie  mécanique  de  cet  art  appartiendrait  toujours  à  l'atelier  plus  qu'à 
l'école,  on  a  pensé  qu'il  n'y  avait  pas  lieu  d'en  traiter  ici  ex  professa.  Cepen- 
dant, le  médecin  lui-même  a   intérêt  à  conisaître   la  nature  des  substances 


DENTAIRE   (prothèse).  ^t25 

employées  comme  dents   artificielles,    et  quelques-uns  des  procédés]  à  l'aide 
desquels  on  les  adapte  ù  la  bouche. 

On  emploie  pour  le  remplacement  des  dents  :  1"  les  denU  numaine^,  cnoisies 
dans  la  classe  de  celles  auxquelles  on  doit  les  substituer.  Elles  sont  plus  exposées 
à  se  "âter  que  des  dents  vivantes,   mais  sont  généralement  d'un  long  usage  ; 
2"  les  dents  de  bestiaux.  On  leur  donne  aisément  par  l'usure  la  forme  de  dents 
incisives,  mais  non  celle  de  canines;  elles  ont  une  blancheur  éclatante,  qui 
contraste  avec  celle  des  dents  humaines;  elles  sont  plus  aisément  que  celles-ci 
attaquées  par  les  acides;    5'^  l'ivoire  d'éléphant  ou  celui  d'hippopotame.  Le 
premier  est  moins  dense  que  le  second.  Les  dents  qu'on  y  a  taillées  manquent 
entièrement  d'émail,  absorbent  avec  une  extrême  facilité  les  liquides  et  s'altèrent 
rapidement.  Le  dur  émail  des  dents  d'hippopotame  les  rend  bien  préférables 
aux  précédentes  ;  cependant,  les  pièces  qu'on  en  a  formées  ne  tardent  pas  non 
plus  à  s'altérer,  en  prenant  la  teinte  jaune  de  dents  trop  négligées  ;  4»  les  dents 
de  porcelaine.   Leur  fabrication  est  arrivée  à  un  haut  degré  de  perfection  ;  on 
est  parvenu  à  donner  à  la  porcelaine  des  teintes  imitant  admirablement  celles 
des  gencives.  Les  dents  minérales,  incorruptibles,sont  presque  exclusivement  em- 
ployées aujourd'hui.  La  pâte  de  ces  dents  est  formée  de:  feldspath,  560  grammes; 
quartz,  60;  kaolin,  27;  titane,  1.  Dans  l'émail  entrent  :  feldspath,  90  gram- 
mes ;  éponge  de  platine,  5  à  20  ;  fondant  (préparé  en  faisant  fondre  120  grammes 
de  quartz  broyé  avec  du  verre  de  borax  et  du  sel  de  tartre),  5  grammes. 

Les  dents  de  remplacement  se  fixent  au  moyen  :  1»  d'un  pivot  ;  2"  de  crochets  ; 
0°  de  ressorts;  4°  delà  pression  atmosphérique. 

1°  Dents  à  pivot.  Cette  méthode,  qui  consiste  à  fixer  les  dents  sur  une  racine 
naturelle,  ne  doit  être  suivie  que  si  la  racine  est  saine  :  elle  est  beaucoup  mieux 
applicable  aux  incisives  et  aux  canines  de  la  mâchoire  supérieure  qu'à  celles 
de  la  mâchoire  inférieure,  qui  sont  généralement  d'un  plus  petit  volume;  en 
outre,  l'opération  faite  sur  ces  dernières  est  plus  souvent  suivie  d'abcès.  On 
commence  par  réséquer,  au  moyen  d'une  lime,  d'une  scie  ou  d'une  pince  cou- 
pante, la  couronne  de  la  dent  à  remplacer;  puis  on  détruit  le  nerf  en  enfonçant 
dans  le  canal  un  instrument  à  extrémité  recourbée  ou  dentelée,  avec  lequel  on 
ramène  la  pulpe  ;  on  lime  la  racine  jusqu'à  ce  qu'elle  soit  arrivée  un  peu  au-dessus 
du  niveau  de  la  gencive;  on  élargit  un  peu  le  canal  avec  un  instrument  ad  hoc. 
€ela  fait,  on  introduit,  soit  dans  la  couronne  préalablement  forée  de  la  dent 
naturelle,  soit  dans  le  trou  tout  préparé  de  la  dent  minérale,  un  pivot,  dont  on 
enfonce  l'autre  extrémité  dans  le  canal.  On  se  sert  presque  toujours  de  pivots 
d'or  ou  de  platine  ;  quelques  dentistes  préfèrent  le  bois  (celui  de  noyer  habi- 
tuellement) comme  exposant  moins  à  user  la  couronne;  même  quand  on  fait  usage 
du  métal,  on  enfonce  quelquefois  un  petit  cylindre  de  bois  dans  la  couronne  et 
l'on  y  fait  pénétrer  le  pivot  métallique,  auquel  on  a  donné  la  forme  de  vis.  Pour 
éviter  plus  sûrement  l'action  des  liquides  buccaux  sur  le  canal  de  la  racine,  on 
a  conseillé  d'y  introduire  une  sorte  de  gaine  d'or,  dans  laquelle  on  enfonce 
ensuite  le  pivot. 

2»  Pièces  à  crochets.  Une  plaque  métallique,  portant  une  ou  plusieurs  dents 
et  s'adaptant  parfaitement  à  l'arcade  dentaire,  est  fixée  à  d'autres  dents  au  moyen 
de  crochets.  Tantôt  la  plaque  et  les  crochets  sont  également  en  or  ou  en  platine, 
tantôt  on  adapte  les  crochets  métalliques  à  une  plaque  ou  cuvette  de  caoutchouc 
vulcanisé.  Ces  pièces  sont  toujours  disposées  de  manière  à  pouvoir  être  enlevées 
ou  replacées  à  volonté  et  facilement. 


AU  DENTAIRE   (prothèse). 

3°  Pièces  à  ressorts.  Lorsque  la  deiUure  du  sujet  n'offre  pas  de  points 
d'appui  pour  des  crochets,  on  pose  deux  dentiers,  un  supérieur  et  l'autre  infé- 
rieur, réunis  par  un  ressort  en  spirales,  qui,  par  une  pression  continue,  main- 
tient les  pièces  en  place  dans  les  mouvements  des  mâchoires.  Cet  appareil,  sujet 
à  se  déranger  par  suite  de  la  déformation  des  spirales,  et  exigeant  d'extrêmes 
soins  de  propreté,  n'est  plus  guère  en  usage,  et  on  y  substitue  le  suivant  : 

4°  Pièces  à  pression  ahnosphérique  ou  à  succion.  La  méthode  consiste  à 
mouler  si  parfaitement  la  forme  de  la  monture  sur  celle  des  gencives  que  l'air 
ne  puisse  pas  pénétrer  entre  les  uns  et  les  autres.  L<i  pièce  est  alors  maintenue 
par  la  pression  atmosphérique  de  la  même  manière  que  dans  un  jeu  d'enfants 
qui  consiste  à  lever  un  pavé  avec  une  ficelle  portant  une  rondelle  de  cuir  mouillée 
et  fortement  appliquée  contre  la  surface  de  ce  pavé.  Le  succès  du  moyen  dépend 
donc  de  sa  précision  ;  il  importe  surtout  que  dans  le  rapprochement  des  mâchoires 
la  pièce  supérieure  et  la  pièce  inférieure,  s'il  y  en  a  deux,  ou,  s'il  n'y  en  a 
qu'une,  celte  pièce  et  les  dents  correspondantes  de  l'autre  mâchoire  se  ren- 
contrent à  droite  et  à  gauche  en  même  temps,  et  avec  la  même  force  de  pression, 
car,  si  elles  se  touchaient  seulement  par  un  côté,  ou  plus  foitement  d'un  côté 
que  de  l'autre,  l'appareil  basculeiait,  l'air  pénétrerait  entre  lui  et  la  gencive  et 
l'adhésion  serait  détruite.  Ou  est  arrivé,  du  reste,  en  cela,  à  une  telle  perfection 
d'exécution,  qu'on  peut  porter,  sans  inconvénient  sensible,  deux  dentiers  com- 
plètement séparés  et  tout  à  fait  dépourvus  de  ressorts. 

On  vient  de  voir  quelle  est  la  composition  des  dents  de  remplacement; 
quelques  mots  maintenant  sur  les  substances  qui  servent  à  les  monter  et  à  les 
souder  aux  plaques. 

L'argent  est  rarement  assez  pur  pour  résister  longtemps  à  l'action  oxydante 
de  la  salive.  L'or  pur  est  trop  ductile  pour  la  prothèse  dentaire;  il  faut  l'alliera 
l'argent  ou  au  cuivre.  Celui-ci  lui  donne  plus  de  fermeté  sans  paraître  le  rendre 
plus  sensible  à  l'action  des  acides,  du  moins  si  l'on  ne  dépasse  pas  le  titre  voulu, 
qui  est  d'environ  835  à  900  millièmes  pour  les  plaques,  de  750  à  800  pour 
les  crochets.  L'alliage  du  platine  à  l'or  donne  aussi  plus  de  consistance  à  ce 
aiiétal  :  la  proportion  de  10  à  15  parties  d'or  pour  \  de  platine  convient  pour  la 
conieclion  des  ressorts  à  spirale;  elle  n'assurerait  pas  la  solidité  nécessaire  pour 
les  plaques.  L'aluminium,  peu  employé  du  reste,  n'a  pas  toujours  résiste  à 
l'action  des  liquides  de  la  bouche  :  c'est  probablement  qu'il  n'était  pas  pur.  11 
n'y  aurait  guère  d'avantage  à  l'allier  au  platine  ou  à  l'or. 

Mais  la  substance  la  plus  usitée  comme  base  dentaire  est  assurément  le 
caoutchouc  durci,  qui  est  très-solide,  inaltérable  par  les  liquides  de  la  bouche, 
et  d'ime  grande  légèreté. 

D'après  Wildmann,  la  vulcanite  dentaire  la  plus  solide  est  celle  qui  est  com- 
posée de  1  partie  de  soufre  pour  iO  de  caoutchouc.  On  y  ajoute  souvent  du 
vermillon,  qui  est  inoffensif,  pour  lui  donner  une  couleur  plus  approchante  de 
celle  des  gencives,  mais  qui  ne  l'imite  qu'imparfaitement  et  qui  a  l'inconvénient 
de  diminuer  la  solidité  de  la  pâte.  Le  caoutchouc  rouge  anglais  foncé  contient 
en  poids  2  parties  de  sulfure  de  caoutchouc  et  1  partie  de  vermillon.  Enfin, 
pour  obtenir  le  caoutchouc  blanc  grisâtre  ou  rose,  on  ajoute  de  l'oxyde  blanc 
de  zinc  ou  de  l'argile  blanche,  dans  la  proportion  de  20  à  50  pour  100,  aux  caout- 
choucs rouge  ou  brun. 

On  fabrique  aussi  des  gencives  artificielles  en  porcelaine  avec  une  base 
mélalhque.  h?i  fritte  pour  gencives  conûeni  :  oxyde  d'or,  50  centigrammes; 


DENTAIRES   (Artères).  425 

l'eldspath,  20  grammes;  fondant  (le  même  que  pom-  les  dents),  12  grammes. 
On  emploie  pour  les  émaiiler  la  préparation  suivante  :  Fritte  pour  genci- 
ves, 50  grammes;  feldspath,  90  grammes.  Diverses  substances  colorées  entrent 
dans  ces  compositions  suivant  les  teintes  qu'on  veut  obtenir.  On  les  applique 
autour  des  attaches  des  dents  préalablement  soudées  sur  une  plaque  de  platine 
pur,  puis  on  les  fait  fondre  à  une  température  très-élevée.  On  obtient  ainsi  des 


gencives  continues. 


Enfin,  sans  vouloir  décrire  les  procédés  par  lesquels  on  soude  la  dent  à  la 
monture,  avec  le  chalumeau  ou  autrement,  disons  qu'on  interpose  souvent  entre 
l'un  et  l'autre  une  substance  adhésive.  Une  soudure  très-recommandée  en  An- 
gleterre, est  celle  du  docteur  Slarr,  contenant  7  parties  d'aluminium  contre  1  d'é- 
tain  pur. 

Telles  sont  les  seules  notions  que  nous  croyions  devoir  consigner  ici  à  l'usage 
des  médecins.  Elles  sont  suffisantes  pour  donner  une  idée  des  pièces  dentaires 
qu'ils  rencontreront  dans  la  bouche  de  leurs  clients  et  permettre  d'apprécier  les 
avantages  et  les  inconvénients  qu'elles  peuvent  présenter,  sous  le  rap|iort  de  leur 
composition,  de  leur  fabrication  ou  de  leur  adaptation  aux  arcades  dentaires. 

A.  Decuambre. 

DEXTAIRES  (Artères).  Au  nombre  de  trois  de  chaque  côté  :  deux  pour  la 
mâchoire  supérieure  et  une  seule  pour  la  mâchoire  inférieure. 

Les  artères  dentaires  supérieures  se  distinguent  en  postérieure  et  antérieure. 

1"  Artère  dentaire  supérieure  et  postérieure,  alvéolaire,  alvéolo-dentaire ; 
elle  constitue  l'une  des  deux  branches  collatérales  de  la  maxillaire  interne  qui 
se  dirigent  en  avant  (Sappey).  Née  de  ce  dernier  vaisseau  avant  sa  pénétration 
dans  la  gouttière  sous-orbitaire  par  la  fente  sphéno-maxillaiie,  l'alvéolaire  se 
porte  en  bas  et  en  avant,  s'applique  sur  la  tubéiosité  du  maxillaire  supérieur  et 
glisse  flexueuse  sur  cette  saillie  osseuse  au  devant  de  laquelle  elle  se  termine 
par  des  ramusculcs  destinés  aux  gencives,  aux  alvéoles  supérieurs  et  au  buccina- 
teur;  mais,  chemin  faisant,  elle  a  fourni  deux  ou  trois  rameaux  qui  s'engagent  dans 
des  conduits  osseux  creusés  dans  la  tubérosité  du  maxillaire  (conduits  dentaires 
postérieurs  et  supérieurs]  et,  après  avoir  cheminé  obliquement  dans  ces  petits 
canaux,  aboutissent,  les  uns  aux  racines  des  molaires,  d'autres  au  tissu  osseux 
et  un  certain  nombre  à  la  muqueuse  du  sinus  maxillaire  ;  assez  souvent  une 
artériole  va  plus  loin  en  avant  s'anastomoser  dans  l'épaisseur  de  la  paroi  du 
sinus  avec  un  ramuscule  émanant  de  la  dentaire  supérieure  et  antérieure. 

2"  Artère  dentaire  supérieure  et  antérieure.  L'arlère  sous-orbitaire,  pendant 
qu'elle  est  encore  contenue  dans  le  canal  du  même  nom,  et  avant  de  sortir  par 
le  trou  sous-orbitaire,  fournit  l'artère  destinée  aux  incisives  et  à  la  canine  ;  c'est 
l'artère  dentaire  supérieure  et  antérieure  ;  elle  se  loge  dans  un  conduit  osseux 
qui  porte  le  même  nom  et  occupe  l'épaisseur  de  la  paroi  antérieure  du  sinus 
maxillaire  ;  l'artère  s'épuise  dans  les  racines  des  incisives  et  de  la  canine,  dans 
le  tissu  osseux  et  la  muqueuse  du  sinus.  Une  branche  anastomotique  la  fait 
souvent  communiquer  avec  la  dentaire  postérieure. 

0°  Artère  dentaire  inférieure.  L'une  des  blanches  descendantes  delà  maxil- 
laire interne  ;  elle  naît  souvent  par  un  tronc  commun  avec  la  temporale  profonde 
postérieure,  la  massétérine  et  la  buccale,  se  dirige  en  bas  et  en  dehors  vers 
l'orifice  supérieur  du  conduit  dentaire  inférieur  :  dans  ce  trajet,  elle  se  glisse 
entre  h  face  interne  de  la  branche  de  la  mâchoire  et  la  face  externe  du  ptéry- 


4i.'6  DENTAIRES   (Nerfs). 

goidien  interne  dont  elle  reste  séparée  par  la  bandelette  aponévrotique  qui,  sous 
le  nom  de  ligament  interne  ou  sphéno-maxillaire,  vient  s'attacher  en  bas,  sur  la 
petite  lamelle  triangulaire  qu'offre  le  côté  interne  de  l'oiifice  du  canal  dentaire 
et  la  protège,  comme  le  nerf  dentaire  inférieur  auquel  elle  s'accole. 

Une  fois  engagée  dans  le  conduit  osseux,  elle  en  parcourt  toute  l'étendue,  en 
formant  une  aixade  à  concavité  supérieure  qui  longe  le  sommet  des  alvéoles  et 
fournit  pour  chacune  des  racines  des  dents  des  ramuscules  parliculiers  qui  ont 
élé  décrits  à  l'article  Dent  du  Dictionnaire  avec  tous  les  détails  que  comporte  le 
sujet.  Mais  la  dentaire  inférieure  ne  s'épuise  pas  dans  les  alvéoles  des  molaires: 
arrivée  au  niveau  du  trou  mentonnier  elle  se  partage  en  deux  artères  distinctes  : 
la  mentonnière,  qui  émerge  du  canal  osseux  pour  se  perdre  dans  les  parties 
molles  du  menton  et  de  la  lèvre  inférieure  en  s'anastomosanl  avec  des  branches 
de  la  faciale,  et  l'autre  qui  continue  son  trajet  intra- osseux  et  se  termine  dans  les 
dents  canine  et  incisives,  et  dans  le  tissu  os<cux. 

Ainsi,  dans  toute  la  longueur  du  corps  de  la  mâchoire  inférievire  et  la  partie 
inférieure  de  la  branche  de  cet  os  règne  un  canal  osseux  qui  protège  et  contient 
les  vaisseaux  dentaires  inférieurs  ainsi  que  le  nerf  du  même  nom.  En  ce  qui 
concerne  l'artère,  il  en  résulte  certaines  apj)lications  à  la  pathologie  externe  et 
à  la  médecine  opératoire;  notons,  en  pailiculier,  deux  phénomènes  constatés 
souvent  dans  les  fractures  de  la  mâchoire  :  savoir,  1"  une  ecchymose  considé- 
rable qui  se  forme  sous  la  muqueuse  du  plancher  de  la  bouche,  sous  la  langue; 
2°  un  suintement  sanguin,  persistant  alors  que  le  tissu  gingival  est  déchiré, 
suintement  qui  peut  venir  des  capillaires  de  la  muqueuse,  mais  qu'il  me  paraît 
rationnel  de  rattacher,  dans  quelques  cas,  à  la  lésion  de  l'artère  dentaire, 
quoique  très-fréquemment,  les  parois  de  celle-ci  ayant  été  déchirées,  arrachées, 
il  y  ait  peu  de  tendance  à  l'hémon'hagie  [voy.  Fracture  du  maxillaire  [Diction- 
naire encyclopédique]). 

Au  point  de  vue  de  la  médecine  opératoire,  il  est  évident  que  toute  section 
du  corps  de  l'os  en  arrière  du  trou  mentonnier  divise  l'artère  dentaire  inférieure 
et  nécessite  souvent  l'application  de  moyens  hémostatiques  particuliers.  L'auteur 
de  cette  note  a  été  témoin  d'un  fait  de  ce  genre  dans  une  opération  qu'il  a  pra- 
tiquée en  1863  pour  remédier  à  l'immobilité  cicatricielle  de  la  mâchoire  :  après 
la  section  du  corps  de  l'os  par  la  méthode  de  Rizzoli,  il  eut  à  combattre  uu 
écoulement  de  sang  provenant  du  bout  postérieur  de  l'artère  et  dont  il  se  rendit 
maître  non  sans  difficulté,  en  écrasant  sur  l'orifice  osseux  du  fragment  posté- 
rieur une  boulette  de  cire  {Bulletin  de  la  Société  de  chirurgie,  année  1864, 
5*  fascicule,  p.  3-48,  et  Thèse  pour  le  Doctorat,  par  M.  Mathé  (Adolphe),  30  juil- 
let 1864). 

Veines  dentaires.  En  nombre  égal  à  celui  des  artères  et  en  suivent  le  trajet; 
elles  ne  comportent  pas  de  descriptions  spéciales. 

LvMrHATiQUEs.  Ceux  des  gencives  sont  les  mieux  connus;  ils  se  rendent  dans 
les  ganglions  parotidiens  et  sous-maxillaires.  J.  Aubry. 

DEiVTAlRES  (Nerfs).  Deux  pour  la  mâchoire  supérieure,  un  seul  pour 
l'inlérieure  :  ces  trois  nerfs  proviennent,  les  deux  premiers  du  nerf  maxillaire 
supérieur,  le  troisième  du  maxillaire  inférieur.  En  somme,  ils  émanent  tous  les 
trois  de  la  portion  sensitive  du  trijumeau. 

1°  Nerf  dentaire  supérieur  et  postérieur.  Quand  le  nerf  maxillaire  supérieur 
a  traversé  d'arrière  en  avant  le  tond  de  la  fosse  zygomatique,  qu'il  a  envoyé  au 


DENTAIRES  (Nerfs).  427 

ganglion  spliéno-palatin  ou  de  Meckel  ses  filets  de  sensibilité,  mais  avant  de  se 
loger  dans  la  gouttière  sous-orbitaire,  il  émet  le  nerf  ou  plutôt  les  nerfs  den- 
taires supérieurs  et  postérieurs,  car  le  plus  souvent,  au  lieu  d'un  troue  unique, 
on  en  tiouve  deux;  ces  filets,  qui  naissent  cependant  quelquefois  par  un  faisceau 
commun,  se  portent  siu*  la  tubérosité  maxillaire,  fournissent  quelques  rameaux 
à  la  partie  postérieure  de  la  gencive  supérieure,  et  après  plusieurs  flexuosités 
s'engagent  dans  les  conduits  dentaires  postérieurs  et  supérieurs  où  ils  s'anasto- 
mosent les  uns  avec  les  autres  dans  l'épaisseur  de  l'os  pour  former  des  arcades 
de  la  convexité  desquelles  se  détaclient  un  grand  nombre  de  filets  dont  les  uns 
se  distribuent  encore  à  la  muqueuse  des  gencives,  dont  les  autres  pénètrent  avec 
les  artères  et  les  veines  dans  les  canalicules  des  racines  des  dents  grosses  et 
petites  molaires.  En  avant  ce  nerf  communique  avec  le  dentaire  supérieur  et 
antérieur  et  fournit  quelques  filets  à  la  muqueuse  du  sinus  maxillaire  et  même 
au  tissu  osseux. 

2"  Nerf  dentaire  supérieur  et  antérieur.  C'est  le  nerf  qui  donne  la  sensibilité 
aux  dents  incisives  et  canines  ;  il  s'isole  du  nerf  sous-orbitaire  dans  le  canal  de 
ce  nom,  s'engage  dans  l'épaisseur  de  la  paroi  antérieure  du  sinus  maxillaire, 
logé  dans  un  conduit  osseux  qui  lui  est  commun  avec  les  vaisseaux  du  même 
nom,  et  après  un  trajet  oblique  en  bas  et  en  avant,  pendant  lequel  il  longe  le  fond 
des  alvéoles  auxquels  il  donne  des  filets  dentaires,  il  se  termine  dans  l'épais- 
seur du  tissu  osseux  au  voisinage  de  l'orifice  des  fosses  nasales:  de  sa  partie 
postérieure  part  une  brancbe  anastomotiquc  qui  l'unit  au  nerf  dentaire  supé- 
rieur et  postérieur;  d'autre  part  la  muqueuse  du  sinus  reçoit  aussi  plusieurs 
filets  qui  en  sortent. 

5»  Nerf  dentaire  inférieur.  On  sait  que  le  nerf  maxillaire  inférieur  est  un  nerf 
mixte  ;  qu'il  est  composé  de  deux  sortes  de  fibres,  les  unes  provenant  du  gan- 
glion de  Casser  et  destinées  à  la  sensibilité,  les  autres  faisant  suite  à  la  racine 
non  ganglionnaire  du  trijumeau  et  conduisant  aux  muscles  masticateurs  le  prin- 
cipe de  leur  contraction.  Or  le  nerf  dentaire  inférieur,  quand  il  se  sépare  du  nerf 
maxillaire,  réunit  sous  la  même  enveloppe  névrilématique  des  tubes  nerveux  des 
deux  ordres;  seulement,  avant  que  le  nerf  pénètre  dans  le  canal  dentaire  dont 
est  creusée  la  mâclioire  inférieure,  les  fibres  motrices  se  séparent  des  autres 
pour  former  un  petit  cordon  qui  sous  le  nom  de  nerf  mylo-byoïdien  va  animer 
le  muscle  de  ce  nom  et  le  ventre  antérieur  du  digastrique.  Ce  fait,  bien  connu 
aujourd'hui  par  les  travaux  des  anatomistes  modernes  et  surtout  de  Longet,  per- 
met de  comprendre  ce  qu'il  pouvait  y  avoir  d'extraordinaire  dans  l'origine 
■apparente  du  nerf  mylo-byoïdien,  nerf  de  mouvement  émanant  d'un  nerf  de  sen- 
timent, le  dentaire  inférieur.  En  réalité,  quand  ce  nerf  s'engage  dans  l'orifice 
supérieur  du  canal  dentaire,  il  ne  renferme  plus  que  des  fibres  qui  ont  traversé 
le  ganglion  semi-lunaire,  des  fibres  de  sentiment. 

Parcourant  avec  les  vaisseaux  le  conduit  dont  est  creusée  la  mâchoire  inférieure, 
le  nerf  dentaire  décrit  une  courbe  à  concavité  supérieure  de  laquelle  se  détachent 
autant  de  filets  qu'il  existe  de  racines  aux  molaires,  et  qui  vont  dans  la  pulpe 
dentaire  se  terminer  suivant  un  mode  décrit  précédemment  à  l'article  Dents  de 
•ce  Dictionnaire. 

Arrivé  au  niveau  du  trou  mentonnier,  le  nerf  émet  par  cet  orifice  une  grosse 
branche  qui,  sous  le  nom  de  nerf  mentonnier,  va  donner  la  sensibilité  à  la  peau 
•du  menton  et  de  la  lèvre  inférieure  ainsi  qu'à  la  muqueuse  de  son  bord  libre  et 
de  sa  face  postérieure,  les  muscles  de  la  même  région  étant  sous  la  dépendance 


428  DENTALE. 

exclusive  du  nerf  lacial,  puis  sous  le  nom  de  nerf  incisif  le  rameau  qui  reste 
dans  l'épaisseur  de  l'os  va  se  terminer  dans  la  pulpe  des  incisives  et  de  la  canine. 

Après  ce  que  nous  avons  dit  des  applications  chirurgicales,  des  connaissances 
anatomiques  de  l'artère  dentaire  inférieure,  on  ne  sera  pas  étonné  de  les  ren- 
contrer de  nouveau  pour  le  nerf  du  même  nom,  et  il  suffira  de  rappeler  que 
dans  les  fractures,  le  nerf  pouvant  être  tiraillé,  pincé  ou  déchiré,  on  pourra 
observer  soit  des  douleurs  violentes,  soit  la  paralysie  du  sentiment,  des  lèvres  et 
du  menton. 

On  comprendra  de  même,  à  plus  forte  raison,  que  les  opérations  dans  lesquelles 
on  a  scié  le  corps  de  l'os  en  arrière  du  trou  mentonnier  doivent  entraîner  la 
peite  de  la  sensibilité  de  la  moitié  correspondante  de  la  lèvre  avec  conservation 
de  l'action  du  muscle  triangulaire  et  carré  du  menton.  J.  Acbiiy. 

DEX'TALE.  Les  animaux  désignés  sous  le  nom  de  Dentales  présentent  dans 
leur  forme  extérieure  et  dans  leur  organisation  des  particularités  remaniuables. 
Par  leur  enveloppe  calcaire  tubuleuse,  par  leurs  appendices  buccaux  et  leurs 
premières  phases  embryonnaires,  ils  ont  quelques  ressemblances  éloignées  avec 
les  Annélides  tubicoles,  et  c'est  parmi  ces  derniers  qu'ils  furent  placés  par  la 
plupart  des  anciens  auteurs,  notamment  par  Cuvier,  dans  l'édition  du  Bègue 
animal  publiée  en  1850.  Cependant,  dès  1825,  Ueshayes  [Anatomie  et  monogra- 
phie du  genre  Dentale,  in  Mém.  de  V/iist.  nat,  de  Paris,  t.  11,  p.  524),  s'ap- 
puyant  sur  des  faits  anatomiques  incontestables,  avait  démontré  la  nécessité 
absolue  de  ranger  ces  animaux  parmi  les  Mollusques,  et  de  Blainville,  adoptant 
cette  manière  de  voir  [voy.  art.  Mollusques  du  Dictionnaire  dliist.  nat.  en 
60  vol.,  t.  XXXII,  p.  286),  avait  ciéé  spécialement  pour  eux,  dans  ses  Mol- 
lusques-Paracéphaloplwres,  l'ordre  des  (jrrhobranches.  Depuis  lors,  l'opinion 
de  Deshayes  a  été  confirmée  par  William  Clark  {On  the  Animal  of  Dentalium 
tarentinum,  in  the  Annals  and  Magazine  of  Natural  History,  2*^  sér.,  vol.  IV, 
1849,  p.  321),  et  plus  récemment  par  M.  Lacaze-Uuthiers  dans  son  remar- 
quable mémoire  intitulé  :  Histoire  de  rorganisation  et  du  développement  du 
Dentale,  publié  dans  \q%  Annales  des  sciences  naturelles.  Zoologie,  t.  VI,  1856, 
p.  225,  de  sorte  qu'aujourd'hui  les  Dentales  constituent,  dans  l'embranchement 
des  Mollusques,  sous  le  nom  de  Solénoconques  que  leur  a  donné  M.  Lacaze- 
Dulhiers,  un  groupe  important  formant  à  lui  seul  la  classe  des  Scaphopodes, 
intermédiaire  entre  les  Lamellibranches  et  les  Gastéropodes. 

La  coquille  des  Dentales  a  la  lormed'un  tube  allongé,  conique,  plus  ou  moins 
arqué,  et  ouvert  aux  deux  bouts.  Sa  surface  extérieure,  tantôt  lisse,  tantôt  marquée 
de  stries  ou  de  côtes  longitudinales,  présente  des  stries  circulaires,  traces  évi- 
dentes des  périodes  d'accroissement;  elle  est  le  plus  ordinairement  de  couleur 
blanche,  grisâtre  ou  jaun.Ure,  souvent  teintée  de  rose  à  l'extrémité. 

Le  corps  de  l'animal,  allongé  et  conique  comme  la  coquille,  est  enfermé  dans 
un  manteau  en  forme  de  sac,  dont  la  portion  inférieure,  membraneuse,  est  très- 
mince  et  tiansparente.  Il  est  pourvu  antérieurement  d'un  pied  trilobé,  charnu, 
essentiellement  musculaire,  qui  fait  saillie  hors  de  la  grande  ouverture  de  la 
coquille.  Il  n'existe  pas  à  proprement  parler  de  région  céphalique  distincte,  mais 
on  observe,  dans  l'angle  formé  par  l'union  du  pied  avec  la  partie  dorsale  du 
manteau,  un  appendice  ovoïde  {niamelon  buccal),  au  sommet  duquel  se  trouve 
située  la  bouche  dont  l'orifice,  presque  toujours  fermé,  est  entourée  de  huit 
appendices  foliacés,  disposés  en  rosette. 


DENTALE.  ^'i'> 

Inféiieurement,  le  mamelon  buccal  se  rétrécit  eu  mi  pédicule  très-court,  pré- 
sentant extérieurement  deux  replis  cutanés  sur  lesquels  sont  insérés,  à  droite  et 
à  "auche,  deux  paquets  de  nombreux  filaments  très- extensibles,  sortes  de  tenta- 
cules couverts  de  cils  vibratiles  et  terminés  cbacun  par  une  petite  cupule.  L'ex- 
trémité postérieure  de  ce  pédicule  débouche  dans  un  pharynx  très-développé, 
qui  est  pourvu  d'un  appareil  masticateur  puissant,  composé  de  cinq  lamelles 
cornées  garnies  de  dents  nombreuses  et  très-fortes.  A  la  suite  du  pharynx  se 
trouve  un  estomac  cordiforme  dans  lequel  aboutissent  les  conduits  excréteurs 
d'un  foie  très-volumineux  ;  puis  vient  le  tube  digestif,  dont  les  parois  épaisses 
sont  tapissées  intérieurement  d'un  épilhélium  de  cils  vibratiles  très-vifs,  et  qui, 
après  avoir  décrit  de  nombreuses  circonvolutions  ramassées  sur  [elles-mêmes, 
débouche,  en  arrière  du  pied,  dans  la  cavité  palléale,  par  l'intermédiaire  d'une 
partie  dilatée  en  une  sorte  de  cloaque.  Les  organes  de  la  sécrétion  urinaire 
{organe  de  Bojanus),  situés  près  de  l'intestin,  débouchent  par  deux  orifices  à 
droite  et  à  gauche  de  l'anus. 

Chez  les  Dentales,  les  yeux,  le  cœur  et  les  branchies  manquent.  La  circulation 
s'effectue  au  moyen  de  deux  vaisseaux  palléaux  prenant  naissance,  par  deux 
rameaux,  dans  un  sinus  qui  occupe  le  milieu  du  corps.  Le  système  capillaire  est 
remplacé  par  un  système  compliqué  de  lacunes.  Il  existe  un  grand  nombre  de 
sinus  s'ouvrant  au  dehors  par  des  fentes  transversales  susceptibles  de  se  fermer. 
Quant  à  la  respiration,  elle  s'opère  par  la  surface  du  manteau  et  par  le  revêtement 
ciliaire  qui  tapisse  intérieurement  la  cavité  palléale. 

Le  système  nerveux,  analogue  à  celui  des  Lamellibranches,  se  compose  de  trois 
paires  de  ganglions  {cére'broïdes,  pédieux  et  viscéraux),  reliées  entre  elles  par 
des  commissures  et  des  connectifs.  A  l'extrémité  postérieure  des  ganglions  pédieux 
sont  accolées  deux  vésicules  sphériques  contenant  chacune  un  grand  nombre 
d^otolilhes. 

Les  sexes  sont  séparés,  mais  il  n'y  a  pas  accouplement.  L'appareil  reproducteur 
consiste,  comme  dans  les  LamelHbranches,  en  deux  glandes  génitales,  dont  les 
produits  sont  déversés  au  dehors  par  une  ouverture  du  manteau  située  à  l'extré- 
mité postérieure  de  la  coquille.  Les  œufs,  une  fois  fécondés,  donnent  naissance 
à  des  embryons  piriformes,  pourvus  d'un  flagellum  et  de  six  ou  huit  rangées  cir- 
culaires de  cils.  Dans  cet  état,  ils  ressemblent  alors  beaucoup  à  des  embryons 
d'Annélides,  mais  ils  ne  tardent  pas  à  acquérir  un  vélum,  un  disque  moteur 
et  une  coquille  presque  bivalve,  dont  les  deux  portions  symétriques  se  réunis- 
sent plus  tard,  après  la  disparition  des  cils  vibratiles,  pour  former  un  tube 
conique. 

Essentiellement  marins,  les  Dentales  vivent  enfoncés  dans  le  sable  ou  la  vase 
en  laissant  toujours  saillir  au  dehors  la  partie  postérieure  de  la  coquille;  ils  se 
nourrissent  de  Foraminifères.  On  les  rencontre  principalement  près  des  côtes, 
mais  à  des  profondeurs  relativement  assez  grandes  ;  quelques-uns  même  n'ont 
encore  été  trouvés  qu'à  5000  et  5000  mètres  {Expéditions  du  Challenger,  du 
Porcupine et  du  Travailleur). 

On  en  connaît  plus  de  150  espèces,  les  unes  vivantes,  les  autre  fossiles.  Ces 
dernières  apparaissent  dans  les  couches  du  terrain  dévonien,  se  continuent  dans 
le  Carbonifère,  le  Jurassique  et  le  Crétacé,  mais  sont  surtout  abondantes  dans  le 
Tertiaire.  Quant  aux  espèces  vivantes,  qui  appartiennent  en  majeure  partie  au 
genre  Dentalium  L.,  elles  ont  des  représentants  dans  presque  toutes  les  mers 
Nous  citerons  comme  principales  :  D.  fihim  Sow.,  répanda  à  la  fois  dans  l'Océan 


450  DENTELAIRE. 

Atlantique,  dans  la  Méditerranée  et  dans  la  Manche,  D.  novemcostatum  Lamk-, 
de  l'Océan  Atlantique;  D.  ruhescens  \)ç^A\. ,  spe'cial  à  la  Méditerranée,  D.  elephan- 
tinum  L.,  du  Grand  Océan  Indien  ;  D.  tarentinum  Lamk,  des  côtes  de  la  Manche; 
D-  enlalis  L.,  espèce  boiéale,  qu'on  retrouve  dans  la  Méditerranée  par  tîO  et 
G5  mèlres  de  fond;  enfin  D.  pietiosiim  Sow.,  des  côtes  occidentales  de  l'Amé- 
rique du  Nord,  qui,  sous  le  nom  de  Hay-aqna,  est  accepté  comme  monnaie  par 
les  peuplades  sauvages  depuis  la  Californie  jusqu'à  l'Alaska.        Ed.  Lefèvre. 

DEXTECULAÎ.  Mollière,  dans  son  Vçrjage  (I,  27),  donne  ce  nom  à  une 
plante  d'Afrique  dont  le  fruit,  ressemblant  à  une  orange,  a  des  graines  disposées 
comme  celles  des  courges.  Ce  fruit  a  une  odeur  agréable  de  vanille,  et  son  écorce 
est  très-dure.  C'est  probablement  une  Cucurbitacée.  Pl. 

Méhat  et  De  Lens.  Dict.  matière  médicale,  t.  Il,  p.  610.  I>l. 

nEKTELAiRE  (Plumbago  L.).  Genre  déplantes  dicotylédones,  appartenant 
à  la  famille  des  Plumbaginées,  à  laquelle  il  donne  son  nom. 

Les  caractères  de  ce  groupe  sont  les  suivants  :  Les  fleurs  sont  hermaphrodites, 
formées  d'un  calice  herbacé,  à  5  lobes,  glanduleux;  d'une  corolle  hypocratéri- 
forme,  également  à  5  divisions,  de  5  étamines,  alternes  avec  les  pièces  de  la 
corolle,  à  filet  élargi  à  la  base  et  d'un  ovaire  surmonté  par  5  styles  soudés  sur 
une  grande  partie  de  leur  longueur  et  libres  au  sommet.  Le  fruit  est  petit,  sec, 
et  s'ouvre  supérieurement  en  5  valves;  il  est  enveloppé  par  le  calice;  la  semence 
est  inverse,  albuminée,  et  renferme  un  embryon  ortliotrope,  à  radicule  supère. 

Les  Plumbago  sont  des  plantes  d'une  àcreté  considérable,  dont  plusieurs  espèces 
ont  été  employées  à  cause  de  ces  propriétés.  Ce  sont  : 

1"  Le  Plumbago  eiiropœa  L.,  appelée  plus  spécialement  Dentelaire  et  aussi 
Malherbe  ou  Mauvaise  herbe. 

Cette  espèce,  qui  croit  dans  toute  la  région  méditerranéenne,  a  une  tige  ronde, 
cannelée,  haute  de  65  centimètres  environ,  portant  des  feuilles  oblongues, 
amplexicaules,  chargées  de  poils  glanduleux  sur  les  bords.  Les  fleurs  sont  ras- 
semblées au  sommet  de  la  tige  et  des  rameaux;  elles  sont  bleues  et  purpurines; 
le  calice  est  tout  couvert  de  poils  glanduleux. 

La  racine  de  cette  Dentelaire  est  longue,  pivotante,  blanche,  quand  elle  est 
récente,  devenant  rougeâtre  par  la  dessiccation;  enfermée  dans  un  bocal,  elle 
donne  au  papier  une  couleur  plombée,  et  les  diverses  parties  de  la  plante,  frois- 
sées entre  les  doigts,  donnent  à  la  peau  la  même  coloration.  De  là  le  nom  de 
Plumbago,  qui  de  cette  espèce  s'est  étendu  au  genre  tout  entier.  D'^iutres  auteurs 
font  venir  cette  appellation  de  la  couleur  plombée  des  feuilles.  Ce  sont  des 
raisons  analogues  qui  l'ont  fait  aussi  appeler  Mohjbdœna.  Quant  à  la  désignation 
de  Dentelaire,  elle  provient  de  l'âcreté  de  cette  racine  qui,  agissant  comme 
révulsif  et  comme  siliagogue,  calme  souvent  la  douleur  des  dents. 

La  racine  de  Dentelaire  a  été  préconisée  comme  vulnéraire,  propre  à  faire 
cicatriser  d'anciens  ulcères,  et  on  l'adonnée  comme  rongeant  de  véritables  cancers; 
c'était  surtout  l'huile  dans  laquelle  avait  bouilli  la  plante  qu'on  employait  à  ces 
usages.  Cette  même  préparation  a  été  vantée  au  siècle  dernier  comme  le  meilleur 
moyen  de  traiter  promptement  et  sûrement  la  gale.  Enfin,  la  Dentelaire  a  été 
donnée  comme  émétique,  d'où  le  nom  de  Ipecacuanlia  nostras,  qu'on  lui  a  donné  ; 
c'est  le  rpinàliQ-j  de  Dioscoride. 


DENTELÉS   (anatomie   et  physiologie).  4'i! 

2»  Le  Phimbago  scandens  L. ,  nommé  parfois  Herbe  du  diable.  Celte 
espèce  a  une  tige  fruliculeuse,  qui  s'enroule  autour  des  autres  plantes  ;  les  feuilles 
sont  oblongues,  lance'oloes,  acuminées,  atténuées  insensiblement  en  un  court 
pétiole  embrassant  et  auriculé;  les  fleurs  sont  en  un  long  épilâche,  terminal;  la 
corolle  est  régulière,  de  couleur  blanche. 

Cette  esjièce  croît  dans  l'Amérique  tropicale,  depuis  le  Mexique  jusqu'au  Chili 
et  au  Brésil.  Elle  a  une  âcreté  considérable  et  produit  sur  la  peau  des  effets 
vésicants.  Descourtilz,  dans  sa  Flore  médicale  des  Antilles,  l'indique  comme 
causant  un  véritable  empoisonnement  et  comme  rongeant  les  chairs;  les  vétéri- 
naires seuls  s'en  servent  pour  guérir  les  ulcères  baveux.  On  lui  attribue  aussi 
une  action  vomitive,  et  Pison  rapporte  qu'elle  est  propre  à  faire  rejeter  les 
poisons,  et  qu'on  en  prépare  des  clystcres  pourchasser  les  viscosités  intestinales. 
La  plante  porte  au  Brésil  le  nom  de  Caajandiivap. 

5°  Le  Plumbago  zeylanica  L.  Cette  espèce,  qui  croît  dans  les  Indes  Orientales, 
est  très-voisine  de  la  précédente,  avec  laquelle  elle  a  été  souvent  confondue.  Elle 
s'en  distingue  par  ses  feuilles  ovales  ou  oblongues,  brusquement  atténuées  eu 
un  pétiole  amplexicaule,  par  son  calice  couvert  de  poils  glanduleux  plus  longs, 
plus  denses  et  plus  inégaaux  entre  eux. 

Les  propriétés  de  cette  espèce  rappellent  tout  à  hil  ccWcs  du  Plumbago  scandens. 
On  l'emploie  en  application  sur  les  tumeurs  ou  sur  les  bubons,  en  la  pilant  et 
la  mélangeant  à  la  pâte  de  riz  pour  modérer  son  action  vésicante. 

4°  Le  Plumbago  coccùiea  Boissier  [Plumbago  rosea  L.).  C'est  une  très-belle 
espèce  herbacée  des  Indes,  de  Java  et  de  la  Chine,  à  tiges  dressées,  à  grandes 
feuilles  oblongues,  obtuses,  à  fleurs  disposées  en  longs  épis  axillaires  et  termi- 
naux, grands  de  1  1/2  à  2  pouces,  d'un  rouge  vermillon.  Elle  est  parfois  cultivée 
en  Europe  dans  les  terres  chaudes. 

Rumphius  appelle  sa  racine  radix  vesicatoria,  ce  qui  indique  ses  propriétés 
analogues  à  celles  des  espèces  précédentes.  On  l'emploie,  d'après  Ilorsficld, 
comme  vésicante  à  Java.  Pilée  et  mélangée  avec  une  huile  douce,  on  l'emploie 
en  topique  sur  les  membres  paralysés  ou  rhumatisants.  On  la  donne  aussi  à 
petites  doses  à  l'intérieur,  additionnée  de  poudres  inertes  ou  douces.  Pl. 

Bibliographie.  —  Dioscoride.  Materia  medica,  t.  IV,  p.  135.  —  Tournefort.  Insliliitioues, 
140,  lab.  58.  —  Linné.  Gênera,  p.  '213;  Species,  t.  I,  p.  215.  —  Esdlicher.  Gênera,  n"  2174.  — 
BoissiER  in  De  CandoUe  Prodromus,  t.  XII,  p.  690.  —  Pisos.  Brasil,  p.  105.  —  Descourtilz. 
Floi-.  medic.  des  Antilles,  t.  III,  p.  94.  —  Rueede.  Malabar,  t.  X,  p.  9.  —  Gabidel.  Histoire 
des  plantes  de  Provence,  p.  5t58.  —  Mérat  et  De  Lens.  Dict.  mat.  média. ,  t.  V,  p.  401.      Pl. 

DEXTELÉS.  §  I.  Anatoniie  et  physiologie.  Ils  sont  au  nombre  de 
trois  :  le  grand  dentelé,  le  petit  dentelé  postéiieur  et  supérieur  et  le  petit  den- 
telé postérieur  et  inférieur. 

Grand  dentelé  {Serratus  magnus  Albinus,  costo-scapidaire  Chaussier). 
Le  grand  dentelé  est  un  muscle  qui  recouvre  la  partie  antéro-latérale  de  la  ca"-e 
thoracique.  Plus  épais  et  plus  étroit  en  arrière,  où  il  est  attaché  au  bord  spinal 
du  scapulum,  plus  mince  et  plus  large  en  avant,  oiî  il  est  fixé  aux  côtes,  il  a 
une  forme  irrégulièrement  quadrilatère.  Il  constitue  la  paroi  interne  du  creux 
de  l'aisselle. 

Insertions  :  d'une  part,  au  scapulum,  à  l'interstice  du  bord  spinal  dans 
toute  sa  longueur,  et  par  deux  faisceaux  aux  surfaces  triangulaires  situées  en 


452  DENTELÉS   (anatomif,  et  physiologie). 

avant  des  angles  supérieur  et  inférieur  de  cet  os  ;  iV autre  part,  aux  neuf  ou 
dix  premières  côtes  par  autant  de  digitations.  Les  digitations  costales  sont 
disposées  suivant  une  ligne  courbe  à  concavité  postérieure. 

La  1'''  digilation,  très-larg*^,  naît  de  la  !''«  et  de  la  2*^^  côte  et  d'une  arcade 
aponévrotique  qui  les  unit.  De  là  ses  fibres  se  dirigent  en  arrière,  en  dehors  et 
en  haut,  pour  aller  se  fixer  à  la  focette  antérieure  de  l'angle  postérieur  et  supé- 
rieur de  l'omoplate.  Elle  constitue  \a  portion  supérieure  du  grand  dentelé. 

Les  2«,  5''  et  ¥  digitations  naissent  de  la  'i^  côte  (qui  donne  naissance  à  deux 
digitations,  1"  et  2"),  des  5* et  4°  côtes.  Ces  digitations,  qui  sont  les  plus  minces 
et  les  plus  larges,  se  perdent  horizontalement  en  arrière,  pour  s'attacher,  par  de 
courtes  fibres  aponévrotiques,  à  tout  l'interstice  du  bord  spinal  de  l'omoplate,  en 
avant  du  rhomboïde.  Ces  digitations  forment  une  lame  mince  continue,  à  laquelle 
on  donne  le  nom  de  portion  moyenne  ou  seconde  portion  du  grand  dentelé. 

Les  5%  6«,  7%  8",  9"  et  10"  digitations,  naissent  de  la  face  externe  des  côtes 
correspondantes  en  formant  des  dentelures  dans  lesquelles  pénètrent  des  digi- 
tations analogues  du  grand  oblique.  Chez  les  sujets  bien  musclés  et  doués  d'un 
faible  embonpoint,  ces  dentelures  se  dessinent  sous  la  peau,  et  les  peintres  et 
les  sculpteurs  les  leproduisent,  en  général,  assez  fidèlement.  A  ces  dernières 
digitations  du  grand  dentelé  font  suite  autant  de  faisceaux  charnus  distincts  qui 
convergent  vers  la  facette  antérieure  de  l'angle  postérieur  et  inférieur  de  l'omo- 
plate, à  laquelle  ils  s'insèrent.  Cette  portion  est  appelée  3"  portion,  portion  infé- 
rieure, portion  rayonnée  du  grand  dentelé. 

Les  trois  portions  sont  séparées  les  unes  des  autres  des  sillons  remplis  de  tissu 
cellulaire.  La  portion  supérieure  est  la  plus  étroite;  la  portion  moyenne,  la  moins 
épaisse;  la  portion  inférieure,  la  plus  longue,  la  plus  large  et  la  moins  mince. 

Rapporta.  La  face  interne  ou  concave  du  grand  dentelé  recouvre  les  huit 
premières  côtes,  les  muscles  intercostaux  externes,  les  attaches  costales  du  petit 
dentelé  supérieur.  Elle  est  séparée  de  toutes  ces  parties  par  un  tissu  cellulaire 
lâche. 

La  face  externe  ou  convexe  est  recouverte  dans  ses  deux  tiers  inférieurs  par  la 
peau  ;  en  haut  et  en  arrière  par  le  sous-scapulaire  ;  en  haut  et  en  avant,  par  le 
grand  pectoral,  le  petit  pectoral,  le  sous-clavier;  en  haut  et  au  milieu,  où  elle 
forme  la  paroi  interne  du  creux  axillaire,  elle  est  recouverte  par  les  nerfs  du  plexus 
brachial  et  les  vaisseaux  axillaires.  Nous  avons  indiqué  ailleurs  les  rapports  du 
grand  dentelé  avec  la  bourse  séreuse  sous-scapulaire  {voy.  Muscle  sous-scapulaire). 

Structure.  Après  avoir  exposé  la  division  du  grand  dentelé  en  trois  portions 
et  noté  le  nombre  de  digitations  que  comprend  chacune  de  ces  trois  portions,  il 
reste  à  étudier  l'aponévrose  d'enveloppe  du  muscle,  les  vaisseaux  et  les  nerfs. 

L'aponévrose  d'enveloppe  est  une  lame  cellulo-fibreuse  comparable  aux  aponé- 
vroses d'enveloppes  qui  recouvrent  les  muscles  larges  de  l'abdomen,  toutefois 
elle  n'est  pas  également  constituée  sur  chacune  des  trois  portions.  Sur  la  portion 
inférieure  ou  rayonnée,  plus  grande  à  elle  seule  que  les  deux  autres  ensemble, 
elle  est  très-épaisse.  Sur  les  deux  portions  moyenne  et  supérieure  elle  n'est  plus 
représentée  que  par  une  lame  celluleuse  très-mince.  Cette  aponévrose  s'attache, 
en  avant,  aux  côtes,  et,  en  arrière,  au  bord  spinal  de  l'omoplate. 

Les  artères  du  grand  dentelé  sont  fournies  par  la  scapuluire  postérieure, 
branche  de  la  sous-clavière,  et  par  la  thoracique  inférieure  et  la  scapulaire  infé- 
rieure, branches  de  l'axillaire.  Les  veines  correspondent  aux  artères.  Les  lym- 
phatiques se  rendent  aux  ganglions  lymphatiques  de  l'aisselle. 


DKNTELÉS   (anatomie   et  puysiologie).  ^oS 

I.c  grand  dentelé  reçoit  un  nerf  spécial,  le  nerf  du  grand  dentelé  ou  grand 
nerf  respiratoire  externe  de  Ch.  Bell,  rameau  de  la  6'=  paire  cervicale  du  plexus 
brachial.  Ce  nerf  se  termine  dans  la  digitation  inférieure  du  muscle  après  avoir 
fourni  des  lilets  à  chacune  des  digitations.  Dans  les  fractures  de  la  colonne  verlé- 
hrale,  lorsque  la  fracture  a  lieu  au  niveau  de  la  région  cervico-dorsale  et  que  la 
moelle  conserve  sa  structure  normale  aussi  bas  que  la  6"  vertèbre  cervicale,  la 
respiration  se  fait  par  le  diaphragme  et  par  le  grand  dentelé.  L'inspiration  a  lieu  par 
la  contraction  de  ces  muscles;  l'expiration  se  produit  par  le  poids  dos  viscères 
abdominaux  et  l'élasticité  des  parois  abdominales.  Cependant,  il  l'aut  le  dire  de 
suite,  dans  ces  sortes  de  lésions,  les  blessés  ont  grande  chance  de  mourir  par  le 
poumon.  En  effet,  la  respiration  est  souvent  troublée  par  le  développement  d'une 
tympanite  causée  par  un  défaut  de  compression  des  muscles  abdominaux  paralysés 
sur  les  intestins.  Le  diaphragme  est  refoulé  en  haut  par  les  gaz,  il  n'a  plus  d'ac- 
tion efficace,  le  grand  dentelé  seul  est  insuffisant  et  la  respiration  devient 
anxieuse.  D'autre  part,  les  bronches  se  remplissent  peu  à  peu  d'une  écume 
muqueuse  qui  les  obstrue,  surtout  si  antérieurement  le  blessé  a  souffert  de 
quelque  bronchite  chronique. 

Anumalies.  Absence  totale  du  grand  dentelé,  de  la  portion  snpé)'ieure,  de  la 
portion  moyenne  ou  de  la  portion  inférieure. 

Isolement  plus  marqué  de  chacune  des  trois  portions.  Au  lieu  d'être  séparées 
par  d'étroits  sillons  remplis  de  tissu  cellulaire,  chacune  des  trois  portions  peut 
être  séparée  par  un  large  espace. 

Variation  dans  l'étendue  du  muscle.  Le  nombre  de  dentelures  et  consé- 
quemment  celui  des  faisceaux  qui  constituent  chacune  des  trois  portions  du 
muscle  peuvent  augmenter  ou  diminuer:  de  là  une  diminution  ou  une  exagération 
dans  la  hauteur  du  muscle.  Ainsi,  dans  la  portion  supérieure,  on  a  constaté  le 
défaut  de  présence  du  faisceau  de  la  l'^'^côte,  et,  dans  la  portion  moyenne,  le 
défaut  de  présence  de  ceux  de  la  ¥  et  de  la  5'^  côtes.  Dans  un  cas,  le  grand 
dentelé  ne  s'étendait  pas  au  delà  de  la  1^  côte.  Inversement  on  a  observé  des 
sujets  chez  lesquels  il  se  prolongeait  jusqu'à  la  11^  côte. 

En  avant,  le  grand  dentelé  dépasse  quelquefois  ses  limites  habituelles. 
Des  fibres  du  grand  dentelé  peuvent  se  continuer  avec  des  fibres  des  siircos- 
taux,  des  intercostaux  externes  ou  de  V oblique  externe. 

Faisceaux  complémentaires.  On  a  trouvé  des  faisceaux  profonds  naissant 
des  premières  côtes  ;  un  faisceau  du  grand  dentelé  à  l'aponévrose  du  bras  et  de 
l'aisselle;  un  faisceau  profond,  né  de  la  2"  cote  et  s'insérant  isolément  à  toute 
la  longueur  du  bord  spinal  de  l'omoplate  depuis  l'épine.  RosenmùUer  a  donné 
la  description  d'un  muscle  angulaire  de  l'omoplate ,  dont  le  faisceau  alloïdien 
complètement  indépendant  allait  se  confondre  avec  la  première  digitation  du 
grand  dentelé  (RosenmùUer,  De  nonnullis  musc,  var.,  Leipzig,  1814,  p.  5). 
Henle  indique  un  fait  analogue.  Kelch  a  vu  l'angulaire  divisé  en  trois  ban- 
delettes dont  la  médiane  allait  se  fixer  sur  l'aponévrose  scapulo-thoracique 
(Kelch,  Beitràge  fur  path.  Anat.,  1815,  p.  53).  Chez  un  sujet  où  l'angulaire  de 
l'omoplate  avait  six  insertions  à  la  colonne  cervicale,  M.  le  professeur  Wood  a  vu 
ce  muscle  être  représenté  par  les  trois  premiers  faisceaux  (dont  un,  le  plus  élevé, 
avait  quelques  attaches  au  transversaire  du  cou)  et  une  partie  du  A"  faisceau, 
tandis  que  les  5*  et  6«  faisceaux  formaient  une  masse  musculaire  unique  insérée 
inférieurement  sur  le  bord  vertébral  du  scapulaire,  entre  l'épine  et  l'antile 
inférieur  de  cet  os,  confondant  leurs  fibres  avec  celles  du  grand  dentelé.  Ce  qui 

DICT.  EXC.   XXVIf.  28 


4?>4  DENTELÉS  (anatdmie  et  physiologie). 

restait  du  4«  faisceau  allait  se  perdre  dans  le  rhomboïde.  M.  Pozzi  a  commu- 
niquéà  la  section  d'anthropologie  du  Congrès  de  Lille  (Association  française,  1874) 
le  dessin  d'une  bandelette  d'union  entre  l'angulaire  et  le  grand  dentelé.  .le 
possède  plusieurs  spécimens  de  cette  anomalie  dont  je  vais  reproduire  ici  un  des 
cas  les  plus  curieux  : 


A,  bord  spinal  de  l'omoplaie  écarté  du  tronc  pour  laisser  voir  le  grand  dentelé.  —  B,  grand  dentelé.  — 
C,  angulaire  de  l'omoplate.  —  D,  D',  D",  faisceaux  de  communication  entre  l'angulaire  de  l'omoplate 
et  le  faisceau  supérieur  du  grand  dentelé. 

Anatomie  comparée.  Chez  les  vertébrés  inférieurs,  il  n'y  a  pas  de  disconti- 
nuité entre  l'angulaire  et  le  grand  dentelé,  et  ces  deux  muscles  ont  pu  être  dé- 
crits comme  une  seule  et  même  lame  charnue  sous  le  nom  de  dentelé  large. 
Déjà,  dans  les  amphibiens  et  les  reptiles,  l'angulaire  et  le  grand  dentelé  ont  pour 
caractère  constant  de  relier  les  apophyses  transverses  du  cou  et  du  dos  à  l'épi- 
scapulum  sans  prendre  d'insertions  sur  le  scapuhim.  Chez  l'axolotl,  l'angulaire 
s'attache  à  la  face  inférieure  de  l'ex-occipital  d'une  part,  d'autre  part  sur  la 
face  superficielle  du  %us-%tdi^\\\nm{ex-occipito-épiscapulaire).  Le  grand  dentelé 
naît,  au  niveau  des  myotomes  4, 5  et  6,  dans  l'intervalle  des  masses  musculaires 
dorsale  et  ventrale,  se  dirige  en  avant  et  en  haut  pour  se  fixer  à  la  face  pro- 
fonde du  sus-scapulum  (transverso-épiscapulaire).  On  peut  donc  considérer  ces 
deux  muscles  comme  formant  un  seul  système  transverso-épiscapulaire  (Lanne- 
grâce,  Myologie  comparée  des  membres.  Th.  de  Montpellier,  1878,  p.  46). 

Ce  système  transverso-épiscapulaire  se  décompose  chez  les  anoures  et  les  rep- 
tiles en  trois  portions  distinctes.  La  portion  inférieure  du  système  se  rencontre 
seule  chez  les  oiseaux.  Chez  l'homme  ces  trois  portions  peuvent  être  retrouvées  : 
la  première  est  représentée  'par  l'angulaire  de  l'omoplate  et  le  faisceau  supé- 
rieur du  grand  dentelé  ;  la  deuxième,  par  le  faisceau  moyen  du  grand  dentelé  ; 
la  troisième,  par  le  faisceau  inférieur  du  même  muscle. 

Le  mouton,  le  castor,  l'hyène,  etc.,  etc.,  ne  possèdent  pas  un  angulaiie  fixé 
à  l'omoplate.  Attaché  à  un  plus  ou  moins  grand  nombre  de  vertèbres  cervicales, 
quelquefois  à  toutes,  ce  muscle  constitue  la  partie  antérieure  du  grand  den- 
telé. 


DENTELÉS   (\xatomie  et  piiysioLOGiEJ.  455 

Chez  les  anthropoïdes,  comme  clicz  l'homme,  il  existe  un  vaste  intervalle 
triangulaire  entre  le  grand  dentelé  et  l'angulaire.  Dès  le  papion  {Cynocephalus 
iiphinx)  pithécien,  encore  bien  éloigné  de  l'extrémité  inférieure  de  l'ordre  des 
primates,  cet  intervalle  disparaît,  il  est  comblé  par  un  musle  supplémentaire 
qui  s'insère  sur  les  apophyses  transverses  des  trois  dernières  vertèbres  cervi- 
cales, et  qui  par  ses  deux  bords  se  confond  si  bien  avec  les  deux  muscles  en 
question,  que  tout  cet  appareil  ne  forme  qu'un  seul  plan,  qu'un  seul  muscle. 
Cette  conformation  différente  est  en  rapport  avec  l'attitude  horizontale  et  la 
marche  quadrupède  des  singes  non  anthropoïdes. 

Comme  pour  démontrer  l'étroite  parenté  de  l'homme  et  des  animaux,  des 
fibres  d'union  entre  le  grand  dentelé  et  l'angulaire  apparaissent  dans  l'espèce 
humaine.  Parfois  elles  sont  troublées  dans  leur  évolution  formatrice  et  alors, 
au  lieu  de  rejoindre  le  grand  dentelé,  elles  se  rendent  aux  parties  molles  ou 
dures  avec  lesquelles  celui-ci  est  en  rapport,  c'est-à-dire,  au  bord  vertébral  du 
scapulum,  au  scalène  postérieur,  au  splénius,  etc. 

Dans  la  série  animale,  le  grand  dentelé  s'étend  plus  ou  moins  en  hauteur 
ot  en  largeur.  Le  nombre  de  ses  digitalions  est  donc  sujet  à  variations. 

Fonctions.  L'action  du  grand  dentelé  a  été  parfaitement  déterminée  par  Du- 
chenne  (de  Boulogne).  Comme  nous  l'avons  déjà  fait  pour  d'autres  nniscles, 
nous  emprunterons  beaucoup  à  cet  habile  expérimentateur  (Duclienne,  de  Bou- 
logne, Physiologie  des  mouvements.  Paris,  1807,  p.  29  et  suiv.). 

Le  grand  dentelé  est  accessible  à  l'action  directe  de  l'électricité  dans  tout 
l'espace  compris  entre  le  grand  pectoral  et  le  grand  dorsal,  espace  dans  lequel 
une  portion  de  ses  sept  dernières  digitations  est  sous-cutanée.  Mais  les  quatre 
dernières  digitations  n'offrent  en  avant  du  grand  dorsal  qu'une  partie  de  leurs 
extrémités  antérieures,  de  telle  sorte  qu'on  n'obtient  en  général  qu'une  action 
tiès-faible  par  leur  excitation.  Les  autres  digitations,  surtout  les  4%  5"  et  6'', 
déterminent,  chez  les  sujets  très-musclés,  des  mouvements  du  scapulum  que 
nous  exposerons  bientôt.  C'est  sur  le  gros  faisceau  radié  qui  s'attache  à  l'angle 
inférieur  de  l'omoplate  et  vers  lequel  convergent  les  5^,  6'',  7*^,  8^,  9^  et  10'^  di- 
gitations, qu'il  faut  concentrer  la  force  électrique  pour  avoir  une  action  réelle 
de  la  portion  inférieure  du  grand  dentelé.  Malheureusement  ce  faisceau  est  re- 
couvert à  l'état  normal  par  le  grand  dorsal,  et  il  est,  par  conséquent,  inacces- 
sible normalement  à  la  faradisation  directe.  L'atrophie  musculaire  progressive, 
qui  souvent  détruit  la  couche  superficielle  dus  muscles  du  tronc,  a  offert  cepen- 
dant bien  des  fois  à  Duclienne  (de  Boulogne),  l'occasion  de  trouver  sous  la  peau 
ce  faisceau  parfaitement  conservé. 

L'excitation  électrique,  à  un  courant  modéré,  du  faisceau  inférieur  du  grand 
dentelé,  imprime  à  l'omoplate  un  mouvement  de  rotation  sur  son  angle  interne 
en  vertu  duquel  l'acromion  s'élève,  tandis  que  l'angle  inférieur  est  porté  en 
avant  et  en  dehors.  Après  son  mouvement  de  rotation  le  scapulum  s'élève  en 
masse,  de  la  même  manière  que  par  la  contraction  de  la  portion  moyenne  du 
trapèze.  Les  3%  ¥  et  S**  digitations  de  la  portion  moyenne  du  grand  dentelé, 
élèvent  aussi  l'acromion,  mais  d'autant  moins  que  chacune  d'elles  est  située 
plus  haut.  Si  l'on  excite  à  la  fois  les  digitations  de  la  partie  moyenne  et 
celles  de  la  partie  inférieure  du  grand  dentelé,  l'omoplate  se  porte  en  masse  en 
avant,  en  dehors  et  en  haut.  Pendant  ce  mouvement,  le  bord  spinal  de  l'omo- 
plate s'éloigne  de  la  ligne  médiane  de  2,  3  et  même  4  centimètres,  en  tournant 
sur  son  angle  interne,  il  s'applique  contre  la  paroi  Ihoracique  en  faisant  à  la 


456  DE.NTELÉS  (an.vtomie   et   imivsioi.ogi  e). 

surface  de  la  peau  une  dépression  qui  indique  la  direction  un  peu  oblique  de 
haut  en  bas,  et  de  dedans  en  dehors,  du  bord  spinal  de  l'omoplate.  La  contrac- 
tion en  niasse  de  tous  les  faisceaux  du  grand  dentelé,  par  l'excitation  directe  de 
son  nerf  propre  au-dessus  de  la  clavicule,  produit  exactement  le  même  mouve- 
ment de  romo|)late. 

Il  découle  de  ces  expériences  électro-physiologiques  un  certain  nombre  de  con- 
sidérations fort  intéressantes. 

On  voit  que  la  portion  inférieure  du  grand  dentelé  fait  tourner  l'omoplate  sur 
l'un  de  ses  angles,  l'angle  interne,  qui  reste  fixe,  en  même  temps  qu'elle  élève 
l'angle  externe.  Les  anatomistes  et  les  physiologistes  ont  professé  pendant  Ions- 
temps  que  les  mouvements  d'élévation,  soit  de  l'angle  externe,  soit  de  l'anyle 
interne  de  l'omoplale,  qui  ont  lieu  sous  l'influence  du  trapèze,  du  rhombuïJe, 
de  l'angulaire  de  l'omoplate  et  du  grand  dentelé,  sont  toujours  le  résultat  d'un 
mouvement  de  bascule  de  cet  os.  Us  ont  supposé  qu'alors  le  scapulum  tourne 
sur  un  axe  fictif  qui  traverserait  sa  partie  uîoycnne,  de  telle  sorle  que  l'angle 
externe  ne  peut  s'élever  sans  que  l'angle  interne  s'abaisse  et  vice  versa.  L'expé- 
rimentation est  contraire  à  cette  proposition.  Ainsi  on  ne  voit  jamais  pendant  la 
contraction  électrique  de  ces  différents  muscles  ou  portions  musculaires  l'angle 
interne  s'abaisser  pendant  que  l'angle  externe  s'élève  et  rice  versa.  En  plaçant 
un  doigt  sur  l'un  ou  l'autre  de  ces  angles,  on  constate  que  le  scapulum  lounie 
sur  chacun  d'eux  comme  sur  un  axe. 

L'expression  de  mouvement  de  bascule  de  l'omoplate,  appliquée  à  celui  qui 
produit  l'élévation  ou  l'abaissement  de  ses  angles  externe  ou  inlerne,  donne  donc 
une  idée  fausse  du  mécanisme  des  mouvements  imprimés  au  scapulum  par  l'ac- 
tion isolée  de  ses  muscles  ou  portions  musculaires.  Aussi  Duchenne  (de  Bou- 
logne) les  appelle-t-il  justement  :  mouvements  de  rotation  sur  l'angle  externe  ou 
inlerne  qui  reste  en  place,  tandis  que  l'angle  opposé  s'élève. 

Le  professeur  Cruveilhier  a  comparé  le  mécanisme  des  mouvements  que 
l'omoplate  exécute  sous  l'influence  de  certaines  portions  du  trapèze  à  celui  d'un 
mouvement  de  sonnette.  Cette  comparaison  est  heureuse  :  dans  le  mouvement 
de  sonnette,  en  effet,  deux  angles  tournent  sur  le  troisième  angle,  qui  reste 
fixe.  C'est  justement  ce  qui  se  passe  dans  les  mouvements  du  scapulum  par  la 
contraction  des  muscles  précités.  1!  convient  d'observer  toutefois  que  la  compa- 
raison n'est  pas  encore  d'une  exactitude  parfaite,  car,  dans  le  mouvement 
de  sonnette,  l'axe  est  toujours  placé  à  l'angle  inférieur,  tandis  que  pour 
l'omoplate  il  est  toujours  situé  en  haut,  soit  à  l'angle  externe,  soit  à  l'angle 
interne. 

II  ressort  aussi  des  expériences  électro-physiologiques  précédentes  que  tous  les 
muscles  qui,  par  leur  contraction  isolée,  impriment  à  l'omoplate  un  mouve- 
ment de  rotation,  produisent  en  même  temps  des  mouvements  d'élévation  en 
masse  de  cet  os.  Cela  tient  à  ce  que  les  muscles  producteurs  du  mouvement  de 
rotation  ont  à  lutter  avec  des  antagonistes  que  AVinslow  nomme  justement  mo- 
dérateurs, qui  leur  opposent  la  résii>tance  de  leur  force  tonique  et  ne  supportent 
qu'un  degré  donné  d'élongation.  Par  exemple,  la  partie  inférieure  du  grand 
dentelé,  comme  la  portion  moyenne  du  trapèze,  élève  puissamment  l'acromion 
en  portant  en  avant  et  en  dehors  l'angle  inférieur  de  l'omoplate.  Ce  dernier 
mouvement  est  bientôt  limité  par  la  moitié  inférieure  du  rhomboïde  et  par  l'an- 
gulaire leurs  modérateurs  quand  ces  muscles  ont  subi  leur  maximum  d'élonga- 
tion. Alors,  la  contraction  de  la  partie  moyenne  du  trapèze  continuant,  le  scapu- 


DENTELÉS   (anatosiie  et  patiiolocie).  457 

luni  se  meut  dans  une  direction  où  il  ne  renconlie  aucune  résistance,  c'est-à- 
dire  en  haut,  selon  la  difcction  de  la  résultante  des  forces  combinées  de  ces 

muscles. 

Les  mouvements  de  rotation  sur  l'angle  interne  et  d'élévation  eu  masse 
de  l'omoplate  par  le  grand  dentelé  se  compliquent,  on  l'a  vu  plus  haut,  d'un 
mouvement  de  totalité  en  avant  et  en  dehors.  C'est  ce  qui  n'a  pas  lieu 
sous  l'inlluence  des  autres  muscles.  — .La  portion  inférieure  du  grand  dentelé 
produisant  énergiquement  l'élévation  du  moignon  de  l'épaule,  plusieurs  phy- 
siologistes lui  ont  attribué  la  plus  grande  part  dans  l'action  de  porter  de 
lourds  fardeaux  sur  l'épaule.  L'inexactitude  de  cette  proposition  est  facile  à 
démontrer. 

Si  on  fait  élever  l'épaule  à  un  sujet,  pendant  qu'on  appuie  iorlenicnt  sur  le 
moignon,  de  manière  à  provoquer  un  grand  effort  musculaire,  on  s'aperçoit  que 
le  trapèze,  le  rhomboïde  et  le  tiers  supérieur  du  grand  pectoral,  sont  seuls  con- 
tractés. Le  grand  dentelé  reste  flasque,  pourvu  que  le  bras  soit  appliqué  contre 
le  tronc.  Dans  cette  situation,  on  sent  la  portion  inférieure  du  grand  dentelé  se 
durcir  seulement  lorsqu'on  porte  rexcilaliun  électrique  sur  les  faisceaux  rayon- 
nés  ou  sur  le  nerf  respiratoire  externe  de  Cli.  Bell.  Un  autre  moyen  de  faire 
contracter  celte  portion  inférieure  consiste  encore  à  faire  lever  le  bras.  Le  grand 
dentelé,  dont  l'action  est  puissante  comme  élévateur  de  l'épaule,  n'intervient 
pas  pour  aider  celle-ci  à  porter  ou  à  soutenir  de  lourds  fardeaux  parce  que  sa 
contraction  gênerait  la  respiration  en  maintenant  soulevées  les  côtes  sur  les- 
quelles il  prend  son  point  d'appui.  S'il  intervenait,  les  côtes  diaphragmatiqucs 
seules  seraient  alors  libres  dans  leur  action  ;  et  encore  cette  liberté  serait-elle 
très-limitée,  car,  les  muscles  de  l'abdomen  se  contractant  énergiquement  lors- 
qu'on soulève  un  lourd  fardeau,  ces  côtes  diaphragmatiqucs  seraient  inévitable- 
ment fixées  par  leurs  extrémités  sternalcs. 

En  somme,  le  grand  dentelé  ne  se  contracte  pas  dans  l'action  de  porter  un 
fardeau  sur  l'épaule,  et  cette  fonction  est  dévolue  à  la  portion  moyenne  du 
trapèze,  au  rhomboïde  et  à  la  portion  supérieure  du  grand  pectoral,  qui  agit 
également  dans  l'élévation  de  l'épaule. 

C'est  dans  l'action  de  pousser  en  avant  avec  le  moignon  de  l'épaule  que  le 
grand  dentelé  se  contracte  puissamment,  concurremment  avec  le  grand  pectoral  ; 
la  pathologie  donnera  l'explication  de  ce  fait. 

Le  grand  dentelé  a  d'autres  usages  plus  importants  :  il  vient  en  aide  au 
deltoïde  dans  beaucoup  de  cas.  Lorsque  nous  avons  étudié  le  deltoïde  nous  avons 
traité  longuement  cette  question,  nous  n'y  reviendrons  pas  {voy.  Deltoïde). 

Le  grand  dentelé  est-il  inspirateur?  La  plupart  des  physiologistes  se  pronon- 
cent pour  l'affirmative. 

Pour  que  ce  muscle  mette  en  mouvement  les  côtes  sur  lesquelles  il  s'insère, 
il  est  nécessaire  que  l'omoplate  soit  préalablement  maintenu  par  la  contraction 
synergique  du  rhomboïde;  dans  le  cas  conti'aire,  le  thorax  deviendrait  le  point 
fixe,  et  l'élévation  de  l'épaule,  par  le  mouvement  de  rotation  de  l'omoplate  sur 
son  angle  externe,  serait  le  seul  résultat  de  la  contraction  du  grand  dentelé. 
Selon  Beau  et  Maissiat  {Recherches  sur  le  mécanisme  des  mouvements  respi- 
ratoires ,  suivies  de  considérations  pathologiques  [Arch.  gén.  de  méd. , 
décembre  1842;  mai-s,  juillet  1847]),  on  a  beau  faire  les  inspirations  les  plus 
violentes,  la  main  appliquée  sur  les  digitations  inférieures  du  grand  dentelé,  on 
ne  peut  parvenir  à  sentir  la  moindre  apparence  de  contraction.  Cela  est  vi-ai. 


458  DENTELÉS   (an.vtomii':   et   physiologie). 

mais  cola  tient  à  ce  qu'il  est  très-difficile  de  palper  de  cette  manière  les  digita- 
tions  du  grand  dentelé,  même  au  moment  où  elles  se  contractent,  et  non  pas  à 
l'absence  de  contraction. 

Duchenne,  par  une  expérience  très-simple  faite  sur  un  sujet  dont  le  grand 
dentelé  et  le  rhomboïde  étaient  placés  superficiellement  sous  la  peau,  par  suite 
de  l'atrophie  du  trapèze  et  du  grand  dorsal,  a  démontré  que  le  grand  dentelé 
agrandit  la  capacité  Ihoracique  en  élevant  les  côtes  auxquelles  il  s'insère  et  en 
les  tirant  en  dehors.  Ayant  réglé  deux  appareils  d'induction  de  telle  sorte  qu& 
l'intensité  de  l'un  fût  trois  ou  quatre  fois  plus  grande  que  celle  de  l'autre^ 
l'habile  physiologiste  a  posé  les  réophorcS  de  celui-ci  sur  le  faisceau  radié  qui 
reçoit  les  digitations  de  la  portion  inférieure  du  grand  dentelé,  tandis  que  les 
réophores  du  premier  étaient  posés  sur  le  rhomboïde  (c'est  à  peu  près  la  dose 
d'excitation  qu'il  faut  donner  à  chacun  de  ces  muscles,  quand  on  vent  égaliser 
la  force  de  leur  contraction,  de  manière  que  l'angle  inférieur  de  l'omoplate  reste 
immobile  pendant  leur  excitation  simultanée).  A  l'inslant  oîi  les  appareils  furent 
mis  en  activité,  l'expérimentateur  constata  :  I"  un  mouvement  d'élévation  directe 
et  en  masse  de  l'omoplate;  2"  un  mouvement  en  dehors  et  en  haut  de  la  portion 
convexe  des  côtes,  dont  la  courbure  parut  augmenter. 

Pendant  l'expérience,  le  sujet  fit  une  inspiration  bruyante  qu'il  ne  pouvait, 
disait-il,  empêcher.  Duchenne  recommença  cette  expérience  en  fermant  la  narine 
et  la  bouche  de  l'individu,  et  celui-ci  éprouva  un  grand  besoin  de  respirer  au 
moment  de  la  contraction  musculaire. 

Le  mouvement  ascensionnel  de  l'omoplate  qui  a  lieu  pendant  le  premier 
temps  de  cette  expéiience  par  la  contraction  simultanée  du  rhomboïde  et  du 
grand  dentelé,  et  qui  va  jusqu'à  5  et  4  centimètres,  est  des  plus  favorables  à 
l'action  inspiratrice  du  grand  dentelé,  car  il  place  les  digitations  supérieures  et 
moyennes  de  ce  muscle  dans  une  direction  oblique  de  bas  en  haut  et  de  dehors 
en  dedans  par  rapport  aux  côtes  auxquelles  il  s'insère,  et  augmente  considéra- 
blement l'obliquité  des  digitations  inférieures.  On  concevra  dès  lors  que.  toutes 
les  digitations  du  grand  dentelé  agissant  ainsi  plus  obliquement  de  bas  en  haut 
et  de  dedans  en  dehors,  la  capacité  thoracique  doit  augmenter  pendant  leur 
contraction.  L'expérimentation  électro-physiologique  ne  saurait  donner  une  idée 
complète  de  ce  fait,  car  la  contraction  musculaire  qui  a  lieu  sous  l'influence 
nerveuse  se  fait  avec  bien  plus  d'ensemble  et  bien  plus  d'énergie  que  par  l'exci- 
tation électrique. 

En  fait,   le  grand  dentelé  et  son   associé  le  rhomboïde  sont  deux  muscles 
nspirateurs  puissants,  dont  le  concours  est  sans  doute  plus  fréquent  qu'on  ne 
l'a  admis  généralement,  pendant  l'inspiration. 

Pathologie.  La  paralysie  du  grand  dentelé  avec  l'atrophie  dont  elle  est  une 
des  conséquences  sera  décrite  au  mot  Paralysies  musculaires.  Nous  en  dirons 
pourtant  ici  un  mot,  au  point  de  vue  physiologique  seulement,  c'est-à-dire  au 
point  de  vue  des  fonctions  du  muscle. 

A.  Troubles  dans  V attitude  de  V épaule,  consécutivement  à  l'atrophie  du 
grand  dentelé.  Bien  qu'il  soit  ressorti  des  expériences  électro-physiologiques 
de  Duchenne  que  la  portion  inférieure  du  grand  dentelé  agit,  comme  élévatrice 
de  l'épaule,  avec  beaucoup  plus  d'énergie  que  la  portion  moyenne  du  trapèze, 
la  pathologie  démontre  cependant  que  cette  portion  du  grand  dentelé  n'est  pas 
destinée,  de  même  que  cette  dernière  portion  du  trapèze,  à  maintenir  par  sa 
force  tonique  le  moignon  de  l'épaule  à  sa  hauteur  normale.  Qu'un  malade  soit 


DEMELES  (anatomie  et  physiologie).  439 

privé  de  son  grand  dentelé,  le  moignon  de  l'épaule  sera  maintenu  dans  son 
attitude  normale,  pourvu  qu'il  ait  conservé  la  portion  moyenne  du  trapèze. 
L'épaule,  au  contraire,  sera  abaissée,  si  la  portion  moyenne  du  trapèze  est 
atrophiée  alors  même  que  le  grand  dentelé  sera  intact. 

Une  paralysie  ou  une  atrophie  parfaitement  limitée  au  grand  dentelé  étant 
excessivement  rare  (sur  une  vingtaine  de  cas  ou  moins  d'atrophies  ou  de  para- 
lysies qu'il  a  vus,  Duchenne  ne  l'a  pas  rencontré  une  seule  l'ois),  il  est  encore 
difficile  de  préciser  exactement  le  trouble  apporté  dans  l'altitude  de  l'omoplate 
par  la  perte  de  la  puissance  tonique  du  grand  dentelé.  11  est  toutefois  présumable 
que  ce  trouble  doit  être  très-grand,  car,  à  l'état  normal,  le  scapulum  est  solli- 
cité par  les  forces  combinées  du  trapèze  et  du  rhomboïde  qui  fendent  à  le  rap- 
procher de  la  ligne  médiane.  On  croirait,  à  priori,  que,  par  suile  de  l'atrophie 
du  grand  dentelé,  le  parallélisme  du  bord  spinal  du  scapulum  et  de  la  colonne 
vcrtébiale  ne  puisse  exister,  et  que  la  prédominance  du  rhomboïde  et  de  l'angu- 
laire doit  élever  l'angle  inférieur  de  l'omoplate  en  le  rapprochant  de  la  ligne 
médiane.  La  pathologie  ne  confirme  pas  ce  raisonnement;  c'est  à  peine  si  alors 
l'angle  inférieur  du  scapulum  est  attiré  on  haut  et  en  dedans  de  1  centimètre, 
et  encore  faut-il  que,  dans  ce  cas,  l'angulaire  et  le  rhomboïde  jouissent  de  toute 
leur  force  tonique. 

Le  poids  du  membre  supérieur  tend  toujours  à  déprimer  l'angle  externe  de 
l'omoplate.  La  nature  y  a  heureusement  pourvu  en  lui  offrant  dos  puissances 
toniques  qui  agissent  dans  un  sens  contraire  au  poids  qui  tend  à  abaisser  cet 
angle  extei^ne.  Ces  forces  toniques  sont  fournies  par  le  faisceau  moyen  du  tra- 
pèze qui  élève  l'acromion,  par  le  tiers  inférieur  de  ce  muscle,  qui  abaisse  son 
angle  interne,  et  enfin  par  le  f^\isceau  radié  du  grand  dentelé  qui  élève  à  la  fois 
son  angle  inférieur  et  son  angle  externe.  Or  l'observation  clinique  fait  connaître 
que  l'angle  externe  de  l'omoplate,  n'étant  plus  suffisamment  soutenu  consécuti- 
vement à  la  perte  du  trapèze,  s'abaisse  pendant  que  son  angle  inférieur  s'élève 
et  se  rapproche  de  la  ligne  médiane.  On  doit  donc  prévoir  que,  si  le  grand  deii- 
telé  vient  à  manquer  à  son  tour,  le  scapulum  a  perdu  la  dernière  des  forces  qui 
neutralisaient  l'action  de  la  pesanteur  du  membre  sur  son  angle  externe,  et  que 
celui-ci,  eu  conséquence,  s'abaissera  davantage,  tandis  que  son  angle  inférieur 
s'élèvera  dans  les  mêmes  proportions.  C'est,  en  effet,  ce  qui  a  lieu,  car  l'angle 
inférieur,  s'écartant  considérablement  des  parois  thoraciques,  s'élève  presque  au 
niveau  de  l'angle  externe  et  le  bord  axillaire  devient  presque  horizontal.  Cette 
difformité  augmente  pendant  l'élévation  du  bras. 

B.  Troubles  dans  les  mouvements  volontaires  de  Vépaide,  consécutivement  à 
la  paralysie  du  grand  dentelé.  L'étude  des  troubles  occasionnés  dans  les 
mouvements  volontaires  par  l'atrophie  du  grand  dentelé  est  inséparable  de  celle 
du  deltoïde.  Il  suffira  donc  de  se  reporter  à  mon  article  sur  le  deltoïde. 

La  paralysie  par  atrophie  du  grand  dentelé  a  été  attribuée  à  un  certain  nombre 
de  causes  fort  discutables  :  violences  exercées  sur  le  muscle,  fonctionnement 
exagéré  de  celui-ci,  etc.  Les  moins  douteuses  de  ces  causes  sont  :  la  diathèse 
rhumatismale  et  l'action  de  l'humidité  et  du  froid. 

Petit  dentelé  postérieur  et  supérieur  [dorso-costal,  Cliaussier;  serratus posticus 
superior).  C'est  un  petit  muscle  très-mince,  à  peu  près  quadrilatère,  situé  à 
la  partie  postérieure  et  supérieure  du  thorax.  Il  complète,  avec  le  petit  dentelé 
postérieur  et  inférieur  la  gahie  des  muscles  des  gouttières  vertébrales. 


DENTELÉS   (anatomie   et  physioldcie). 

Insertions  :  d'une  part,  à  la  partie  inférieure  du  ligament  cervical  médian 
postérieur,  aux  apopliyses  épineuses  de  la  septième  vertèbre  cervicale  et  des 
trois  premières  dorsales  et  aux  ligaments  interépineux;  d'autre  part,  à  la  face 
externe  des  2'',  3'',  4'"  et  5'^  côtes,  en  deliors  de  l'angle  des  côtes. 

Rapports.  11  recouvre  le  splonius,  le  transversaire  du  cou,  le  transversaire 
épineux,  le  long  dorsal,  le  sacro-lombaire  et  les  intercostaux  externes;  il  est 
recouvert  presque  en  totalité  par  le  rhomboïde  ;  en  haut,  où  déborde  ce  muscle, 
il  est  en  contact  avec  l'angulaire  de  l'omoplate  et  le  trapèze;  extérieurement  il 
est  sous-jacent  au  grand  dentelé. 

Structure.  Les  insertions  vertébrales  se  font  par  une  lame  aponévrotique 
très-mince,  à  fibres  parallèles  obliques  de  dedans  en  dehors  et  de  haut  en  bas. 
De  cette  aponévrose,  qui  constitue  presque  la  moilié  du  muscle,  se  détachent 
les  fibres  cliarnucs  (]ui  ont  la  même  direction  que  les  libres  aponévroliques,  et 
se  divisent  presque  immédiatement  eu  quatre  languettes  ou  dentelures ,  les- 
quelles se  terminent  par  de  courtes  fibrilles  conjonctives  qui  constituent  les 
attaches  costales  du  muscle  :  la  première  digitation  se  fixe  à  l'angle  de  la 
2''  côte;  les  suivantes,  d'autant  plus  loin  de  cet  angle  qu'elles  sont  plus  infé- 
rieures. 

Les  artérioles  ]iroviennent  des  branches  dorso-spinales  des  intercostales,  de 
la  cervicale  profonde  de  la  soiis-clavière.  Les  veinules  répondent  aux  artères. 
Les  lymphatiques  se  rendent  aux  ganglions  axillaires.  Le  petit  dentelé  postérieur 
et  supérieur  est  innervé  par  la  branche  du  rhomboïde,  il  reçoit  en  outre  des 
filets  des  nerfs  intercostaux. 

Anomalies.  11  manquait  une  fois  chez  un  bossu  (Isenflamm,  Ahhandlung 
itber  die  Knochen  u.  deren  Krankheiten.  Erlangen,  1752).  Une  fois  il 
envoyait  en  haut  un  faisceau  au  tubercule  posléiieur  de  l'atlas.  Ce  faisceau, 
décrit  par  Ollo,  me  semble  constituer  une  variété  du  muscle  rhombo-atloïdien 
signalé  par  M.  le  professeur  31acalister  (de  Dublin).  Le  nombre  de  ses  digita- 
tions,  qui  peut  se  réduire  à  trois,  peut,  inversement,  augmenter  jusqu'à  six. 
J'ai  constaté  maintes  fois,  avec  mon  prosecteur,  M.  Delailtre,  cette  extrême 
variabilité  dans  le  chiflre  des  dentelures.  Elle  a  été  remarquée  aussi  par 
Henle  et  J.  Cloquet.  M.  Chudzinski  a  insisté  tout  particulièrement  sur  le 
développement  de  la  1"'"  languette  chez  un  nègre  (Chudzinski,  Revue  d'anthro- 
pologie, 1872). 

Fonctions.  Ce  muscle  a,  comme  le  suivant,  pour  fonction  de  brider  les 
muscles  des  gouttières  vertébrales.  Descendant  obliquement  du  rachis  sur  les 
côtes,  et  prenant  constamment  son  point  d'appui  eu  haut  et  en  dedans,  le  petit 
dentelé  postérieur  et  supérieur  aurait  encore,  pour  quelques  auteurs,  pour  usage 
d'élever  les  côtes,  d'être  inspirateur.  Cette  action  est  plus  que  douteuse. 

Petit  dentelé  postérieur  et  inférieur     {lovibo-COStal,  Ghau^sier/,  SerratUS  posli- 

cus  inferior),  mince  et  aplati,  et  de  même  forme  que  le  précédent,  mais  un  peu 
plus  étendu  en  largeur;  il  est  situé  à  la  partie  inférieure  du  dos  et  supérieure 
des  lombes. 

Insertions  :  d'une  part,  aux  apophyses  épineuses  des  deux  dernières  ver- 
tèbres dorsales  et  des  trois  premières  lombaires,  et  aux  ligaments  interépineux 
correspondants;  d'autre  part,  au  bord  inférieur  des  2%  5%  4"  et  5'^  fausses 
cotes. 

Rapports.     Il  recouvre,  en  lui  adhérant  intimement,  le  feuillet  postérieur  du 


DENTELÉS   (anatomie  et  physiologie).  441 

muscle  tiansverse  de  l'abdomen  qui  le  sépare  du  long  dorsal  et  du  sacro-lombaire  ; 
plus  en  dehors,  il  est  immédiatement  eu  rapport  avec  les  trois  dernières  côtes 
et  les  muscles  intercostaux  externes.  Il  est  recouvert  par  le  grand  dorsal  avec 
raponévrose  duquel  sa  portion  fibreuse  est  si  unie  qu'il  est  très-dilTicile  de  l'en 
détacher  entièrement. 

Structure.  Les  insertions  à  la  colonne  vertébrale  ont  lieu  par  l'intermédiaire 
d'une  aponévrose  analogue  à  celle  du  petit  dentelé  postérieur  et  supérieur,  mais 
dont  les  fibres  sont  obliquement  dirigées  de  bas  en  haut  et  de  dedans  en  dehors, 
c'est-à-dire  eu  sens  inverse  de  la  précédente.  A  cette  aponévrose,  qui  constitue 
la  moitié  interne  du  muscle,  font  suite  des  libres  charnues  qui  ont  la  même 
direction  que  les  fibres  aponévrotiques  qui  se  divisent  presque  aussitôt  en  quatre 
dentelures  d'autant  plus  larges  et  plus  longues  qu'elles  sont  plus  élevées.  Ces 
digitations  s'imbriquent  comme  les  tuiles  d'un  toit  et  se  fixent  aux  côtes  par 
autant  de  lamelles  fibreuses.  D'après  M.  Sappey,  la  languette  supérieure  s'at- 
tache au  bord  inférieur  de  la  9'  côte,  sur  une  longueur  de  10  centimètres; 
la  5",  au  bord  inférieur  de  la  11'*,  sur  une  étendue  de  2  centimètres;  la  4'', 
au  sommet  de  la  12%  sur  une  étendue  qui  varie  de  quelques  millimètres  à 
1  centimètre. 

Les  artéiioles  émanent  des  branches  dorso-spinales  des  dernières  intercostales 
et  de  l'iléo-lombaire.  Les  veinules  correspondent  aux  artères.  Les  troncules  lym- 
phatiques vont  aux  ganglions  axillaires.  Ce  muscle  est  animé  et  sensibilisé  par 
le  nerf  du  grand  dorsal  et  par  quelques  filets  des  parois  nerveuses  intercostales 
inférieures. 

Anomalies.  11  était  absent  dans  un  cas  (Isenflamm ,  loc.  cit.).  Passant  au- 
dessus  des  côtes  on  l'a  vu  aller  rejoindre  le  grand  dorsal.  11  peut  seulement, 
en  dedans,  s'attacher  à  une  ou  deux  vertèbres  lombaires,  et  en  dehors,  à  deux 
ou  trois  fausses  côtes.  La  dernière  dentelure  fait  souvent  défaut. 

Fonction.  Quelques  physiologistes  prétendent  que  ce  muscle  est  expiratcur. 
Celte  action  est  très-discutable.  Il  sert  principalement  à  contenir  les  muscles  des 
gouttières  vertébrales. 

Anatomie  comparée  des  petits  dentelés.  La  plupart  des  animaux  supérieurs 
n'ont  qu'un  seul  dentelé,  le  second  muscle  s'étant  atrophié  ou  confondu  avec  le 
premier  qui  a  acquis  des  dimensions  considérables.  Le  plus  souvent  c'est  le 
dentelé  inférieur  qui  semble  disparaître.  C'est  ce  qui  a  lieu  dans  les  genres 
taupe,  hyène,  chien,  chat,  ours,  etc.  L'ai,  au  contraire,  n'a  offert  à  Meckel  que 
le  dentelé  inférieur,  soit  que  le  supérieur  n'existe  pas,  soit  qu'il  se  transforme 
pour  constituer  une  couche  interne  et  profonde  du  grand  dorsal. 

Chez  les  mammifères  qui  ont,  comme  l'homme,  deux  petits  dentelés,  les 
insertions  externes  et  internes  des  deux  muscles  changent  presque  dans  chaque 
espèce. 

Aponévrose  intermédiaire  aux  petits  dentelés.  Transparente,  mince,  rectan- 
gulaire, elle  augmente  d'épaisseur  et  de  résistance  de  haut  en  bas.  Son  bord 
interne  s'attache  aux  apophyses  épineuses  des  vertèbres  dorsales  et  au  lio-ament 
interosseux  correspondant,  son  bord  externe  s'insère  à  l'angle  des  côtes,  de 
façon  que  h  largeur  de  cette  lame  fibreuse  soit  exactement  celle  des  muscles 
spinaux. 

Son  bord  inférieur  se  fixe  au  bord  supérieur  du  petit  dentelé  postérieur  et 
inférieur;  son  bord  supérieur  se  continue  rarement  avec  le  bord  inférieur  du 
petit  dentelé  postérieur  et  supérieur.  Presque  toujours  cette  aponévrose  s'en- 


4i2  DENTELÉS   {pathologie). 

fonce  en  liant  sous  ce  dernier  muscle  pour  recouvrir  le  splénius  sur  lequel  elle 
se  perd. 

La  texture  de  cette  aponévrose  est  celle  des  aponévroses  des  muscles  larges. 
Elle  complète  la  gaîne  ostco-fibreuss  dans  laquelle  sont  renfermés  les  muscles 
spinaux  postérieurs  ou  longs  du  dos;  elle  sert  de  moyen  de  contention  à  ces 
muscles,  et  leur  offre  un  plan  résistant  lorsqu'ils  se  contractent.  La  direction 
en  sens  opposé  des  petits  dentelés  favorise  la  tension  de  cette  aponévrose. 

A.  Le  Double. 

^  H.  Padiologic.  I'ar.vlysie  uv  GRA^D  DE>TELK.  Hldoriquc.  La  paralysie 
du  grand  dentelé  est  la  plus  fréquente  des  paralysies  isolées  des  muscles  du 
tronc.  Son  histoire  cependant  n'est  pas  très-ancienne  :  c'est  seulement  en  1835 
qu'elle  fut  signalée  pour  la  première  fois  par  Velpeau.  Peu  de  temps  après  Gen- 
drin  en  rapportait  une  seconde  observation  et  en  18iO  elle  était  l'objet  d'un 
article  spécial  de  Marcbessaux,  qui  en  avait  observé  un  troisième  cas.  A  partir 
de  ce  moment  la  paralysie  du  grand  dentelé  fut  à  l'ordre  du  jour  et  un  certain 
nombre  d'observations  en  furent  publiées  coup  sur  coup;  Ch.  Desnos  (1846) 
en  faisait  le  sujet  de  sa  thèse  inaugurale.  De  1845  à  1848  il  ne  parut  pas 
moins  de  quinze  observations  de  paralysie,  vraie  ou  apocryphe,  du  grand  den- 
telé, dans  la  Gazette  des  llùpitauc. 

Mais  tous  les  auteurs  que  nous  venons  de  citer  n'avaient  pas  eu  affaire  le  plus 
souvent  à  la  paralysie  isolée  du  grand  dentelé  :  aussi  la  svmptomatologie variait- 
elle  souvent  singulièrement  d'une  observation  à  l'autre.  Dans  celle  de  Marcbes- 
saux, par  exemple,  le  bord  spinal  de  l'omoplate  était  de  plus  en  plus  saillant, 
comme  si  cet  os  tendait  à  prendre  la  direction  antéro-postérieure  au  lieu  de  la 
direction  presque  transversale  qu'il  affecte  ordinairement  ;  l'omoplate  avait 
éprouvé  un  mouvement  de  bascule  ayant  pour  conséquence  la  saillie  de  l'angle 
inférieur,  qui  était  porté  en  arrière,  et  l'abaissement  du  moignon  de  l'épaule 
par  rapport  au  reste  do  la  région.  Chez  le  malade  de  lUiyer  il  y  avait  une  saillie 
considérable  formée  sous  la  peau  par  l'angle  inférieur  de  l'omoplate.  Cet  o^ 
était  déplacé  à  l'état  de  repos  ;  son  bord  spinal  était  dirigé  de  bas  en  haut,  d'ar- 
rière en  avant  et  de  dedans  en  dehors.  Dans  une  des  observations  de  Jobert 
(celle  d'un  cordier  âgé  de  vingt-huit  ans),  la  paralysie  était  double,  les  omo- 
plates étaient  relevées  en  ailes,  les  angles  inférieurs  soulevés  et  rapprochés  de 
la  ligne  médiane,  les  épaules  affiissées.  Dans  l'autre  (celle  d'un  serrurier  âgé  de 
vingt-trois  ans),  l'épaule  droite  affectait  une  saillie  très-prononcée,  qui  n'existait 
pas  à  l'épaule  gauche  à  l'état  de  repos  :  elle  formait  une  surface  large,  convexe, 
triangulaire,  écartée  du  thorax  et  comme  soulevée  en  totalité.  Un  malade  de 
Nélaton  présentait  aussi  une  double  paralysie  des  dentelés,  et  il  y  avait  cela  de 
particulier  chez  lui,  dit  l'auteur,  que  du  côté  droit,  où  la  paralysie  était  entière, 
l'angle  inférieur  n'était  pas  rapproché  des  vertèbres,  mais  plus  éloigné  d'un  centi- 
mètre au  moins. 

Dans  tous  ces  cas,  il  est  facile  de  reconnaître,  comme  nous  l'avons  dit,  que  les 
observateurs  n'ont  pas  eu  affaire  à  des  paralysies  isolées  du  grand  dentelé,  mais 
qu'en  même  temps  qu'elle  avait  plus  ou  moins  frappé  ce  dernier  muscle  la 
paralysie  avait  atteint  aussi  soit  le  deltoïde,  soit  le  rhomboïde,  soit  le  grand 
pectoral,  soit  enfin  et  surtout  le  trapèze. 

Avec  les  reclieixhes  de  Duchenne  de  Boulogne  l'histoire  de  la  paralysie  isolée 
ou  associée  du  grand  dentelé  fut  définitivement  édifiée. 


DENTELÉS    (pathologie).  44J 

Étiolofjie.  La  paralysie  du  grand  deulele  peut  être  d'origine  centrale  ou 
d'origine  périphérique;  dans  ce  dernier  cas,  elle  tient  à  une  altération  du  nerf 
thoracique  postérieur,  branche  du  plexus  brachial  qui,  superficiel  pendant  une 
partie  de  son  trajet,  est  exposé  aux  traumatismes  et  à  l'action  du  l'roid.' 

On  l'observe  assez  souvent  à  la  suite  de  contusions  reçues  sur  l'épaule  ;  dans- 
un  cas  observé  par  moi  au  Yal-dc-Gràce,  dans  le  service  du  professeur  Chauvel, 
la  maladie  paraissait  avoir  pour  origine  une  violente  contusion  de  l'épaule  pai' 
siiile  d'une  chute  sous  un  cheval. 

On  a  aussi  invoqué  la  fatigue  exagérée  du  muscle  par  suite  de  certains  mouve- 
ments trop  souvent  répétés.  Dans  une  observation  rapportée  par  VVoodman,  il 
s'agit  d'un  homme  de  trente-neuf  ans  qui,  après  quinze  ans  de  service  comme 
marin,  fut  employé  comme  lampiste  sur  un  navire;  de  ce  fait  cet  homme  avait 
chaque  jour  à  allumer  et  à  transporter  seize  lampes  munies  de  réflecteurs,  c'est- 
à-dire  assez  lourdes.  Ce  travail  nécessitait  des  efforts  constants  d'élévation  de 
l'épaule.  En  mai  1874,  six  mois  après  ses  débuts  dans  cette  fonction,  il  ressentit 
de  la  faiblesse  dans  l'épaule  droite  et  de  la  dillicultc  dans  l'élévation  du  bras  ; 
trois  mois  plus  tard  il  ht  une  chute  sur  l'épaule  et  n'en  continua  pas  moins  sa 
fatigante  besogne,  mais  en  se  servant  du  bras  gauche.  A  partir  de  ce  moment  et 
pendant  un  an  il  fut  incapable  de  lever  le  bras  droit.  En  mai  1875  il  se  présenta 
à  Woodman.  qui  reconnut  une  paralysie  du  grand  dentelé.  Dans  ce  cas,  il  est 
difficile  de  dire  si  la  paralysie  a  été  consécutive  à  la  chute  sur  l'épaule  que  ht 
le  malade  en  août  1874  ou,  comme  le  veut  l'auteur,  aux  efforts  résultant  des 
fonctions  spéciales  de  cet  homme. 

C'est  à  tort  qu'on  a  invoqué  comme  pouvant  provoquer  cette  paralysie  le  fait 
de  porter  de  trop  lourds  fardeaux  sur  l'épaule  :  c'est  là  une  cause  de  paralysie  du 
trapèze,  mais  non  du  grand  dentelé. 

La  paralysie  rhumatismale  ou  à  frigore  est  aussi  assez  fréquente  :  c'est  ainsi 
qu'on  l'a  signalée  à  la  suite  du  séjour  dans  un  endroit  habituellement  humide, 
du  décubitus  sur  la  terre  mouillée.  Le  malade  de  Marchessaux  avait  couché 
quelque  temps  dans  une  chambre  située  au  premier  étage  sur  une  cour  dans 
laquelle  était  placé  un  réservoir;  un  tuyau  de  conduite  en  mauvais  état  passait 
dans  l'épaisseur  de  la  muraille  contre  laquelle  était  placé  son  lit  et  cette  muraille 
elle-même  était  fort  humide. 

Enfui  dans  la  Irès-grande  majorité  des  cas  observés,  même  très-probablement 
dans  bon  nombre  de  ceux  qui  ont  paru  pouvoir  être  rattachés  à  des  traumatismes, 
l'alfection  que  nous  étudions  est  symptouialique  de  l'atrophie  muaculaire  progres- 
sive. C'est  ce  qui  nous  explique  ce  fait,  sur  lequel  j'ai  déjà  insisté,  à  savoir 
l'extrême  rareté  de  la  paralysie  isolée  du  grand  dentelé,  qui  serait  au  contraire 
celle  qui  serait  observée  le  plus  souvent,  si  l'affection  était  consécutive  à  une  lé-, 
sion  du  nerf  thoracique  postérieur,  puisque  ce  nerf  est  spécial  au  grand  dentelé. 

Symptomatologie.  Lorsque  la  paralysie  est  exclusivement  limitée  au  grand 
dentelé,  ce  que  nous  avons  dit  être  très-rare,  et  que  le  malade  laisse  ses  bras 
tomber  naturellement  le  long  du  corps,  il  n'existe  pas  de  déformation  de  l'épaule 
ni  de  déplacement  de  l'omoplate.  Dans  cette  situation,  il  serait  impossible  de 
soupçonner  la  maladie.  Cependant  un  certain  nombre  d'auteurs,  0.  Berger, 
Lew'insky,  ont  prétendu  qu'on  observait  dans  ce  cas  certaines  déformations  telles 
que  l'abaissement  du  moignon  de  l'épaule  ou  la  saillie  exagérée  de  l'angle  infé- 
rieur de  l'omoplate  ;  mais,  comme  l'a  très-bien  montré  Duchenne,  ces  symptômes 
appartiennent  à  la  paralysie  d'autres  muscles,  tels  que  le  rhomboïde  et  le  trapèze,. 


441  DENTELÉS    (pathologii;). 

tandis  que  ceux  que  l'on  observe  dans  la  paralysie  du  grand  dentelé  n'apparais- 
sent que  lorsque  le  malade  exécute  certains  mouvements  du  bras.  Qu'un  malade 
soit  privé  de  son  grand  dentelé,  si  la  portion  moyenne  de  son  trapèze  est  intacte, 
le  moignon  de  son  épaule  conservera  une  altitude  parfaitement  normale,  car 
c'est  surtout  ce  dernier  muscle  qui  lutte  contre  l'action  de  la  pesanteur  résul- 
tant du  poids  du  membre  supérieur. 

11  semble  aussi  que  la  paralysie  du  grand  dentelé  doive  détruire  le  parallé- 
lisme qui  existe  normalement  entre  le  bord  spinal  de  l'omoplate  et  la  colonne 
vertébrale,  par  la  prédominance  d'actions  de  ses  antagonistes,  le  rhomboïde  et 
l'angulaire.  11  n'en  est  rien  non  plus  cependant  ;  c'est  à  peine  si  dans  cette  affec- 
tion 1  angle  inférieur  de  l'omoplate  est  attiré  en  haut  et  en  dedans  de  1  centi- 
mètre, ce  qui  est  absolument  inappréciable.  Encore  faut-il  pour  que  ce  résultat 
se  produise  que  le  rhomboïde  et  l'angulaire  jouissent  de  toute  leur  intégrité. 

Desnos  propose  de  ranger  en  trois  périodes  les  symptômes  qui  précèdent, 
accompagnent  ou  suivent  cette  paralysie.  La  première  période  serait  caractérisée 
par  des  douleurs  soit  rhumatismales,  soit  névralgiques.  Dans  la  dernière  période 
«  la  dilformité  de  l'omoplate  commence  à  apparaître  et  annonce  que  le  muscle 
se  paralyse.  »  La  troisième  période  enfinest  caractérisée  par  l'atrophie  du  muscle 
paralysé  et  la  contracture  des  antagonistes. 

11  nous  parait  bien  inutile  d'adopter  une  semblable  division  et,  avec  Duchenne, 
nous  étudierons  la   maladie  à  son  début  et  lorsque  la  paralysie  est  complète. 

Dans  ce  dernier  cas,  si  l'on  se  place  derrière  le  malade  et  qu'on  lui  dise  de 
porter  le  bras  en  avant  et  en  haut,  on  voit  l'omoplate  subir  immédiatement  un 
double  dépl.icement  ;  de  son  côté  le  malade  peut  tout  au  plus  élever  la  main 
jusqu'au  niveau  de  l'épaule,  c'est-à-dire  jusqu'à  l'horizontale. 

Les  déplacements  subis  par  l'omoplate  se  font  instantanément  et  en  un  seul 
temps,  mais  l'analyse,  comme  je  l'ai  dit,  permet  de  les  ramener  à  deux  mouve- 
ments :  1°  elle  tourne  sur  son  axe  verticale  de  telle  sorte  que  sou  bord  externe 
se  porte  en  avant  et  devient  antérieur  pendant  que  son  bord  spinal  se  détacbanl 
du  thorax  vient  faire  saillie  sous  la  peau  eu  forme  d'aile  ;  2"  eu  même  temps  l'angle 
inférieur  se  porte  directement  en  haut  en  remontant  de5  à  6  centimètres. 

Si  l'on  dit  au  malade  de  lever  son  bras  davantage  pour  le  rapprocher  de  la 
situation  verticale,  tous  ses  efforts  restent  impuissants  et  il  ne  peut  obéir,  car, 
pour  que  ce  mouvement  soit  exécuté,  il  faut  précisément  que  l'omoplate  reste 
appliquée  sur  la  cage  ihoracique.  Jusqu'à  un  certain  point  cependant  la  portion 
moyenne  du  trapèze  peut  suppléer  le  dentelé  dans  ce  mouvement  d'élévation  du 
bras  au-dessus  de  l'horizontale,  mais  c'est  à  la  condition  qu'il  jouisse  d'une 
grande  énergie;  encore  cette  suppléance  n'est- elle  jamais  parfaite  et  le  bras  ne 
.peut-il  être  élevé  verticalement.  Aussi  les  malades  cherchent-ils  instinctivement 
à  suppléer  à  cette  action  du  dentelé  et  à  augmenter  l'élévation  du  bras  par 
certains  mouvements  tels  que  l'inclinaison  du  tronc  en  arrière  et  du  côté  opposé 
à  la  paralysie.  Erb  rapporte  l'histoire,  citée  par  Grasset,  d'une  femme  qui  renver- 
sait la  partie  supérieure  du  corps  en  arrière  et,  par  un  mouvement  d'oscillation, 
lançait  son  bras  en  haut  en  produisant  une  luxation  de  la  tête  de  l'humérus  en 
bas. 

Pour  s'assurer,  dit  Duchenne,  qu'il  s'agit  bien  dune  paralysie  du  grand  den- 
telé à  l'exclusion  du  deltoïde,  il  suffit  de  maintenir  avec  la  main  l'omoplate 
appliquée  sur  le  thorax  ;  le  bras  peut  alors  exécuter  complètement  son  mouve- 
ment d'élévation.  Mais  il  me  paraît  d'abord   bien  peu  probable  qu'une  seni- 


DENTELÉS  (pathologie).  445 

blable  confusion  puisse  jamais  être  faite,  car,  lorsqu'on  dit  au  malade  d'élever  le 
bras  en  le  portant  en  avant,  de  deux  choses  l'une  :  ou  il  y  a  paralysie  du  deltoïde 
en  même  temps  que  du  grand  dentelé'  et  alors  le  mouvement  ordonné  ne  peut 
même  pas  recevoir  un  commencement  d'exécution;  ou  la  paralysie  du  dentelé 
existe  seule  et  le  malade  alors  ne  pourra  élever  son  bras  jusqu'à  l'horizontale  que 
par  la  contraction  de  son  deltoïde,  contraction  qui  sera  des  plus  énergiques  et 
par  suite  des  plus  faciles  à  constater.  L'expérience  conseillée  par  Duchenne  est 
au  contraire  très-diflicile  ù  réaliser;  j'ai  essayé  pour  ma  part  dans  un  cas  de 
paralysie  du  dentelé  de  chercher  à  maintenir  ainsi  l'omoplate  appliquée  contre 
le  thorax,  mais  sans  pouvoir  y  réussir,  pas  plus  du  reste  que  d'autres  personnes 
qui  assistaient  à  cet  examen  ;  la  main  était  repoussée  par  l'omoplate  avec  une 
force  irrésistible.  Le  malade  chercha  alors  à  obtenir  le  résultat  désiré  en  s'arc- 
i)0utaut  coutre  la  muraille  de  manière  à  comprimer  son  omoplate  entre  son 
liiorax  et  le  mur,  mais  ce  fut  sans  plus  de  succès. 

Les  déplacements  et  les  déformations  de  l'omoplate  et  de  l'épaule  que  nous 
venons  de  décrire  ne  se  produisent  qu'à  l'occasion  des  mouvements  volontaires  ; 
si,  prenant  le  bras  du  malade  avec  la  main,  nous  le  portons  en  avant  sans  que 
celui-ci  fasse  aucun  effort,  on  ne  verra  se  produire  non  plus  aucune  dc'formatiou. 

Dans  la  paralysie  du  dentelé  le  malade,  avons-nous  dit,  ne  peut  élever  son 
bras  au-clessus  d'une  ligne  horizontale,  au-dessus  du  niveau  de  l'épaule;  mais 
il  est  encore,  comme  le  fait  remarquer  Grasset,  un  certain  nombre  de  mouve- 
ments qui  se  font  difdcilement  dans  celte  affection:  ainsi  les  malades  croisent 
diiiicilemeat  les  bras  sur  la  poitrine,  ont  de  la  difficulté  à  porter  l'épaule  en 
avant,  à  pousser  avec  l'épaule.  Cepcndaut  l'impuissance  du  grand  dentelé,  tout 
en  enlevant  au  membre  supérieur  une  partie  de  sa  force,  en  compromet  moins 
les  fonctions  que  la  paralysie  du  deltoïde.  Duchenne  rapporte  l'histoire  d'un 
individu  qui,  quoiqu'il  fût  privé  de  sou  grand  dentelé,  pouvait  pousser  devant 
lui  une  petite  voiture  dont  il  tenait  les  brancards  dans  ses  mains;  il  était  mar- 
chand des  quatre-saisons.  Il  portait  la  main  à  la  bouche,  à  la  tète,  à  l'épaule 
opposée,  faisait,  en  un  mot,  une  foule  de  mouvements  qui  eussent  été  impossibles 
si,  au  lieu  de  son  dentelé,  il  eût  perdu  l'usage  de  son  deltoïde. 

Cette  paralysie,  même  quand  elle  est  double,  n'entraîne  aucune  gêne  de  la 
respiration.  Duchenne  a  prétendu  cependant  qu'elle  pouvait  rendre  les  grandes 
inspirations  plus  difficiles. 

Quels  sont  maintenant  les  signes  qui  nous  permettront  de  reconnaître  la 
paralysie  du  grand  dentelé  à  son  début?  Ils  ressortent  surtout  de  la  compa- 
raison entre  ce  qui  se  passe  dans  l'omoplate  du  coté  sain  et  celle  du  côté  malade 
au  moment  où  les  bras  sont  en  même  temps  portos  en  dehors.  On  verra  alors  que 
du  côté  malade  le  bord  spinal  de  cet  os  fera  une  légère  saillie  sous  la  peau  en 
même  temps  que  son  angle  inférieur  se  portera  un  peu  moins  en  avant  que  du 
côté  opposé. 

Complications.  A  la  paralysie  du  mouvement  peut,  dans  des  cas  très-rares, 
se  joindre  la  disparition  de  la  sensibilité. 

La  complication  la  plus  grave  est  la  paralysie  concomitante  du  deltoïde.  Dans 
ce  cas  tous  les  signes  de  la  paralysie  du  grand  dentelé  font  défaut,  puisque  la 
condition  nécessaire  à  leur  apparition  est  impossible  à  réaliser.  Aussi  beaucoup 
de  ces  paralysies  doivent-elles  passer  inaperçues.  Duchenne  a  cependant  donné 
le  moyen  d'établir  si'ireraent  ce  diagnostic  par  l'exploration  électro-musculaire. 
Voici  ce  passage  que  je  transcris  textuellement  en  raison  de  son  importance  : 


446  DENTELÉS   (pathologie), 

«  Eu  appliquant  les  excitateurs  d'un  appareil  d'induction,  en  avant  du  bord 
inférieur  du  grand  dorsal,  sur  les  points  du  thorax  où  se  trouvent  les  digitations 
<lu  grand  dentelé,  ou  sur  le  nerf  qui  anime  ce  muscle,  on  voit  souvent  le  scapu- 
lum  rester  en  place,  si  le  grand  dentelé  est  paralysé,  tandis  que,  s'il  est  sain, 
cet  os  obéit  à  l'action  de  ce  muscle  à  l'instant  où  il  est  mis  en  contraction  par 
un  courant  d'induction. 

«  Ce  signe  négatif  annonce  d'une  façon  certaine  l'atrophie  ou  la  paralysie  du 
grand  dentelé.  Mais  on  ne  pourrait  pas  affirmer  que  ce  muscle  n'est  pas  lésé, 
alors  même  qu'il  réagit  sous  l'influence  d'un  courant  localisé  dans  son  tissu  ou 
dans  son  nerf.  Il  peut  arriver  en  effet  ou  que  l'atrophie  du  grand  dentelé  soit 
assez  peu  avancée  pour  que  quelques-uns  de  ses  faisceaux  puissent  se  contracter 
•encore  par  la  faradisation  localisée,  ou  que  la  paralysie  de  ce  muscle  soit  de 
l'espèce  de  celles  qui  conservent  leur  contractilité  électro-musculaire. 

i(  J'ai  cherché  alors  quel  était,  parmi  les  mouvements  volonlaires  imprimés  au 
scapulum,  celui  qui  exigeait  l'action  synergique  du  grand  dentelé  et  d'un  ou 
plusieurs  muscles,  et  j'ai  remarqué  que,  dans  le  mouvement  des  épaules  en  avant, 
le  grand  dentelé  entraîne  en  dehors  et  en  avant  le  bord  spinal  du  scapulum, 
pendant  que  le  grand  pectoral  agit  sur  l'angle  externe  de  cet  os  par  l'intermé- 
diaire de  l'humérus  auquel  il  s'attache.  Il  est  évident  que,  si  dans  ce  mouve- 
ment volontaire  le  grand  dentelé  vient  à  ne  plus  prêter  son  concours,  le  bord 
spinal  du  scajtulum  doit  rester  en  place  et  l'angle  externe  de  cet  os  être  entraîné 
■en  avant. 

«  Cette  théorie  de  mécanique  musculaire  n'a  pas  tardé  à  se  trouver  justifiée 
par  l'observation  pathologi([ue.  Chez  un  malade  le  grand  dentelé  droit  était 
paralysé,  mais  son  pectoral  était  parfaitement  sain.  Eh  bien,  lorsque  je  lui  lis 
porter  fortement  les  épaules  en  avant,  je  vis  du  côté  droit  malade  :  1"  le  moignon 
de  l'épaule  droite  entraîné  en  avant  ;  2°  le  bord  spinal  de  l'omoplate  rester  en 
place,  puis  soulever  la  peau  en  se  portant  un  peu  en  arrière  par  un  mouvement 
de  rotation  de  cet  os  sur  son  axe  vertical.  Cette  attitude  du  scapulum  droit 
faisait  alors  un  contraste  frappant  avec  Tallitude  du  scapulum  du  côté  opposé, 
qui  avait  exécuté  son  mouvement  normal.  » 

On  a  donc  ainsi,  même  lorsque  des  mouvements  volontaires  ne  peuvent  être 
imprimés  au  bras,  un  moyen  simple  et  pratique  de  diagnostiquer  la  paralysie 
du  grand  dentelé. 

Pronostic.  Il  dépend  surtout  de  la  cause  de  la  maladie.  La  paralysie  à  frigore 
ou  rhumatismale  est  celle  dont  la  disparition  est  le  plus  facilement  obtenue  ; 
celle  qui  est  consécutive  à  des  traumatismes  est  en  général  d'assez  longue 
durée  et  résiste  souvent  à  tous  nos  moyens  de  traitement.  Enfin  la  paralysie  qui 
est  symptomatique  de  l'atrophie  musculaire  progressive  est  comme  celle-ci  au- 
dessus  des  ressources  de  l'art. 

Traitement.  Nous  n'insisterons  pas  longuement  sur  le  traitement,  qui  est  le 
même  que  dans  toutes  les  paralysies  musculaires.  Il  consiste  dans  l'emploi  local 
de  frictions  excitantes,  dans  l'application  de  révulsifs  plus  ou  moins  énergiques, 
vésicatoires,  pointes  de  feu,  etc.,  dans  l'administration  de  la  noix  vomique  à 
l'intérieur  et  enfin  dans  l'emploi  de  l'électricité,  quia  surtout  pour  but  d'empêcher 
ou  de  retarder  l'atrophie  du  muscle.  L.  du  Cazal. 

Bibliographie.  —  Velpeau.  Anatomie  ckirurgicale,  1"  édit.,  p.  312.  Paris,  1854.  —  Gendrin. 
Journal  des  maladies  de  l'ence'phale  et  de  la  moelle  e'pviière  d'Abercrombie,  1855.  — 
Marciiessaux.  Observation  de  paralysie  du  muscle  grand  dentelé  avec  réflexions  sur  cette 


DENTELLIÈllES.  447 

affection.  In  Arch.  gén.  de  mc'd.,  5°  série,  t.  VII,  p.  513,  1840.  —  Desnos  (Ch.).  De  la 
paralysie  du  grand  dentelé.  Thèse  <ie  Paris,  1845.  —  Beau  et  Maissiat.  Recherches  sur  le 
mécanisme  des  mouvements  respiratoires.  In  Arch.  gén.  de  t7iéd.,  4°  série,  t.  I,  p.  265  et 
t.  II,  p.  257,  1845.  —  Desnos  (Cli.).  Sur  la  paralysie  du  grand  dentelé'.  In  Arch.  gcn.  de 
méd.,  4=  série,  t.  XI,  p.  215,  184G.  —  Du  nti\E.  Observations  de  paralysies  du  grand  dentelé. 
In  Gaz.  des  hôp.,  2"  série,  t.  VII,  1845,  p.  289  et  315  ;  t.  VIII,  1846,  p.  426;  t.  X,  18i8. 
p.  256.  —  D"  Choisy.  Sur  la  paralysie  du  grand  dentelé.  In  Arch.  gén.  de  méd.,  i°  série, 
1849,  t.  XIX,  p.  222.  —  Lewi.nsky.  De  la  paralysie  du  muscle  grand  dentelé.  In  Arch.  fur 
path.  Anat.  iind  PhysioL,  t.  LXXIV,  p.  473.  —  Brticii.  Observation  de  paralysie  du  grand 
dentelé.  In  Arch.  f.  klin.  Chir.,  t.  IX,  p.  39.  —  Berxfiardt.  Même  sujet.  In  Arch.  f.  klin. 
Med-,  t.  XXIY,  p.  580.  —  Senator.  Centralbl.  f.  Nei-venkr.,  t.  III,  p.  54.  —  Bausiler.  Arch. 
f.  klin.  Med.,  t.  XXV,  et  Centralbl.  f.  yervenk.,  t.  II,  p.  221.  —  Dl'ciienne  (de  Boulogne). 
Physiologie  des  mouvements  démontrée  à  l'aide  de  l" expérimentation  électrique  et  de  l'ob- 
servation clinique.  Paris,  1867.  —  Du  même.  De  Vélectrisation  localisée  et  de  son  application 
à  la  pathologie  et  à  la  thérapeutique.  Paris,  1872.  —  0.  Berger.  De  la  paralysie  du  grand 
dentelé.  Breslan,  1873.  —  S.  VYoudman.  Cas  de  paralysie  du  grand  dentelé.  In  the  British 
MedicalJournal,  9  octobre  1875,  et  Gaz.  liebd.  de  méd.  et  de  chir.,  1875,  n»  45,  p.  717.  — 
Grasset.  Traité  pratique  des  maladies  du  système  nerveux,  2=  édit.  Paris,  1881.        L.  C. 

DEXTELLIÉRES  (Hygiè.xe  PROFESSIONNELLE).  Le  tableau  que  les  observa- 
teurs de  tous  temps  ont  trace  de  la  santé  des  dentellières  est  des  plus  tristes. 
Ainsi  Uetz,  dans  son  Précis  sur  les  maladies  qui  sont  les  sources  de  la  mortalité 
parmi  les  artisans,  etc.,  1787,  assure  que  la  plus  grande  partie  des  ouvrières 
en  dentelles  d'Arras  mouraient  delà  poitrine.  Après  lui  Brieude,  dans  sa  Topogra- 
phie médicale  de  la  haute  Auvergne  (Âurillac,  1821),  dit  avoir  remarqué  que 
toutes  les  jeune?  personnes  de  Saint- Flour,  d'AuriJlac,  de  Murât  et  de  Mauriac, 
qui  travaillent  de  la  dentelle,  contractaient  une  mauvaise  santé  et  finissaient 
par  avoir  toutes  les  cacbexies  qu'une  vie  sédentaire,  une  attitude  défectueuse  et 
une  mauvaise  nourriture  produisent. 

L'attitude  courbée  et  assise,  le  mouvement  uniforme  et  continu  des  doigts, 
l'immobilité  presque  absolue  des  extrémités  inférieures,  l'application  continuelle 
des  yeux  qu'exige  un  travail  délicat  et  fatigant,  telles  sont  en  effet  les  causes 
constantes  qui  déterminent  des  accidents  fàclieux'chez  ces  ouvrières.  Mais  lorsque 
à  ces  causes,  qui  agissent  communément  chez  toutes  les  ouvrières  en  couture, 
viennent  s'ajouter  l'influence  d'une  habitation  humide  et  rendue  malsaine  par 
l'encombrement,  le  défaut  d'hygiène  physique,  l'insuffisance  de  l'alimentation  et 
surtout  les  déplorables  effets  d'un  apprentissage  commencé  trop  jeune,  on  ne 
sera  plus  étonné  du  sombre  portrait  que  Thouvenin  a  fait  des  dentellières 
de  Lille. 

«  C'est  principalement  à  Lille,  dit  cet  auteur,  que  la  position  de  dentellière  est 
malheureuse.  On  peut  regarder  comme  un  fait  positif  que  sur  100  jeunes  filles 
de  cinq  à  six  ans  à  qui  l'on  fait  apprendre  la  fabrication  de  la  dentelle  dans  un 
âge  aussi  tendre,  et  pendant  quatre  ans,  comme  l'usage  le  veut,  la  moitié  au 
moins,  à  cinquante  ans,  seront  bossues  ou  atteintes  d'une  des  nombreuses  affec- 
tions des  yeux,  comme  l'engorgement  des  paupières,  l'asthénopie,  la^myopie,  la 
cécité,  dus  à  l'extrême  fatigue  de  ces  organes,  ou  d'un  des  symptômes  de  la 
maladie  scrofuleuse,  et  d'une  taille  beaucoup  au-dessous  de  la  moyenne,  avec 
voussure  du  dos,  pâleur  et  maigreur  de  la  figure;  et  celte  proportion  de 
femmes  infirmes  augmente  encore  avec  l'âge  ». 

La  scrofule  et  la  plithisie  tuberculeuse,  tels  sont  eu  effet  les  deux  grands  vices 
organiques  dont  ces  ouvrières  sont  menacées. 

La  vie  sédentaire  qu'elles  mènent  dans  des  milieux  le  plus  souvent  confinés, 
le  déhmt  d'exercice  général  du  corps,  joints  à  toutes  les  conséquences   d'iuie 


448  DENTELLIÈRES. 

mauvaise  hygiène  prive'e,  diminuent  les  activités  fonctionnelles  et  donnent  lieu  à 
une  réparation  insuffisante  de  l'or-anisme  :  de  là  la  tendance  aux  dégénérescences 
constitutionnelles. 

Pour  prévenir  les  effets  fâcheux  de  l'attitude  vicieuse  que  les  ouvrières 
prennent  en  travaillant,  on  a  proposé  l'emploi  d'un  support  qui  maintiendrait 
leur  ouvrage  à  une  hauteur  convenable;  ce  qui  les  empêcherait  de  se  tenir 
courbées.  Au  lieu  de  poser  leur  carreau  sur  les  genoux,  ce  qui,  dit  Tiiouvenin, 
force  les  dentellières  à  se  pencher  fortement  en  avant,  il  faudrait  leur  conseiller 
l'usage  d'un  pupitre. 

«  Combien  de  femmes  âgées,  ajoute  cet  auteur,  occupées  de  longues  années 
à  la  fabrication  de  la  dentelle,  éprouvent  une  grande  difticulté  à  mouvoir  leurs 
jambes,  quand  après  un  travail  de  quatre  à  cinq  heures  elles  sont  obligées  de 
se  lever  pour  prendre  leur  repas  et  satisfaire  à  leurs  besoins  I  Certainement,  si  dans 
leur  bas  âge,  quand  elles  ont  commencé  à  travailler,  on  leur  avait  fait  contracter 
l'usage  d'un  pupitre,  le  mouvement  de  leurs  jambes  serait  tout  aussi  facile  chez 
elles  que  chez  les  autres  ouvrières,  et  elles  ne  seraient  pas  exposées  comme  on  eu 
voit  beaucoup  à  Lille  à  avon-  leurs  genoux  ankylosés  dans  leur  vieillesse;  enfin  le 
meilleur  conseil  qu'on  puisse  leur  donner,  c'est  de  quitter  l'habitation  des  caves 
et  des  chambres  noires  humides  ». 

Maliierbe  (de  Nantes)  a,  dans  ces  dernières  années,  proposé  à  son  tour 
l'emploi  d'une  pelote  hygiénique  pour  remédier  aux  inconvénients  de  la  position 
vicieuse  que  les  ouvrières  prennent  en  cousant.  Les  jambes  croisées  de  manière 
à  élever  le  genou  droit  sur  lequel  elles  fixent  l'ouvrage,  la  partie  supérieure  du 
corps  fortement  penchée  en  avant  pour  que  l'objet  soit  à  portée  des  yeux,  une 
semblable  position,  dit-il,  apporte  nécessairement  une  gène  considérable  à 
l'accomplissement  des  fonctions  des  poumons,  du  cœur  et  de  l'estomac,  surtout 
quand  le  travail  a  lieu  immédiament  après  les  repas;  chez  les  femmes  enceintes, 
celte  attitude  peut  produire  beaucoup  d'accidents  et  peut-être  favoriser  les 
positions  vicieuses  du  produit  de  la  conception.  Pour  les  apprenties  qui  tra- 
vaillent dans  les  ouvroirs,  à  Tàge  où  le  développement  du  corps  se  produit  ou 
s'achève,  les  prédispositions  aux  déviations  du  rachis,  à  la  phthisie,  à  la  chlore- 
anémie,  à  l'hystérie,  sont  certainement  accrues  par  cette  attitude  vicieuse  et 
fatigante. 

Voici  en  quoi  consiste  le  moyen  préservatif  que  propose  M.  Malherbe  :  «  Au 
bord  d'une  table  ordinaire,  devant  chaque  ouvrière,  se  trouve  solidement  vissée 
une  tige  verticale  de  40  à  60  centimètres,  portant  une  pelote  qu'on  peut  élever, 
abaisser  à  volonté,  afin  que  le  travail  puisse  se  faire  alternativement  dans  la 
position  assise  ou  debout.  Dans  l'un  et  l'autre  cas,  la  colonne  vertébrale  reste  dans 
la  rectitude,  et  le  changement  fréquent  de  position  prévient  à  la  fois  l'excès  de 
fatigue  et  les  attitudes  vicieuses  ». 

M.  Gélineau  a  signalé  chez  les  ouvrières  en  couture,  principalement  chez  les 
ouvrièies  des  campagnes  qui  travaillent  de  longues  journées  entières,  l'existence 
d'une  affection,  véritable  signe  professionnel,  caractérisée  «  par  la  contracture 
et  l'ankylose  de  la  phalangine  et  de  la  phalangette  du  petit  doigt  et  de  l'annu- 
laire de  la  main  qui  manie  l'aiguille  ». 

Dans  le  manœuvrement  de  l'aiguille,  dit  M.  Gélineau,  les  trois  premiers  doigts 
de  la  main  droite  sont  sans  cesse  en  activité,  Vannulaire  et  le  petit  doigt  sont 
au  contraire  condamnés  à  Vimmohilité  la  plus  absolue.  Rephés  sur  eux-mêmes, 
leurs  extrémités  se  cachent  dans  la  paume  de  la  main,  derrière  la  saillie  que 


DENTELLIERES.  441) 

fait  l'éininence  théiiar,  sans  recouvra'  le  fil  qui  s'échappe  au  dehors  entre  le 
médius  et  l'annulaire.  S'il  était  gardé  à  l'intérieur  de  la  main,  ce  fil,  frotlant 
50  fois  par  minute  contre  le  rebord  cubital,  finirait  par  excorier  la  peau  et  y 
creuser  des  sillons  douloureux. 

((  La  flexion  de  ces  doigts  chez  les  personnes  nerveuses  ou  chez  celles  qui  sont 
pressées  d'aller  très-vite  est  si  forte  que  les  ongles  s'impriment  dans  les  chairs, 
tant  est  grand  instinctivement  leur  désir  de  rendre  leur  main  aussi  petite  et  aussi 
peu  gênante  que  possible  pour  faciliter  leur  tâche. 

((  Il  résilie  de  celle  ilexion  forcée  des  doigts  annulaire  et  médius,  conservée 
pendant  de  nombreuses  heures  d'un  travail  de  tout  un  jour  et  souvent  d'une 
partie  de  la  nuit,  une  rétraction  progressive  des  tendons  fléchisseurs,  un 
affaiblissement  de  plus  en  plus  marqué  de  l'action  des  extenseurs,  qui  font  que 
les  daigts  llécliis  ne  peuvent  plus  se  déployer  sans  que  le  mouvement  soit  très- 
douloureux;  la  main  gauche  intervient  alors,  et  quelquefois  le  mal  est  tel  qu'il 
faudrait  faire  un  violent  effort  pour  vaincre  la  rétraction  des  tendons  dont  on 
sent  sous  la  peau  la  saillie  noueuse  et  surtout  pour  détruire  l'ankylose  qui  est 
survenue. 

«  Cette  ankylose  est  plus  ou  moins  complète,  plus  ou  moins  prompic  à  s'établir 
suivant  l'âge  de  la  personne,  son  assiduité  à  la  couture  et  son  tempérament. 
Elle  peut  survenir  aux  deux  articulations  phalango-métacarpiennes.  Elle  se 
rencontre  plus  fréquemment  chez  les  lymphatiques  que  chez  les  gens  sanguins 
et  chez  les  personnes  issues  de  goutteux  ou  de  rhumatisants  que  chez  les  gens 
non  arthritiques  ». 

L'extension  forcée  de  la  main  maintenue  la  nuit,  aussitôt  que  se  manifeste 
une  roideur  articulaire,  le  massage  et  le  soin  de  faire  jouer  les  articulations 
menacées,  tels  sont  les  moyens  de  traitement  qu'indique  M.  Gélineau, 

Il  est  un  travail  particulier  qui  expose  les  dentellières  à  des  accidents  d'intoxi- 
cation saturnine  :  c'est  la  confection  des  volants  à  fleurs  d'application  dites  de 
Bruxelles. 

Les  ouvrières  qui  sont  employées  à  ce  travail  s'appellent  striqueuses  {stri- 
kesseJi).  Blanchel,  puis  Thibault,  ont  attiré,  les  premiers,  l'attention  sur 
l'insalubrité  des  opérations  qui  comprennent  le  blanchiment  des  fleurs  et  leur 
mode  d'application. 

Pour  bien  comprendre  comment  l'absorption  plombique  peut  avoir  lieu,  il 
est  nécessaire  d'entrei-  daas  les  détails  de  ce  travail. 

((  Sur  un  chevalet  bombé  on  étend  des  couvertures  plusieurs  fois  doublées, 
puis  une  toile  cirée  noire  bien  étendue  ;  alors  au  moyen  d'un  parchemin  piqué 
qui  reproduit  le  dessin,  et  du  carbonate  de  plomb  pulvérisé  que  l'on  tamise 
au-dessus,  on  reporte  en  blanc  sur  le  fond  noir  de  la  toile  tous  les  contours  de 
ce  dessin.  On  prend  ensuite  les  fleurs  ou  orneipents  divers  qui  doivent  figurer 
dans  le  volant,  et  on  les  frappe  entre  deux  papiers  gris  dans  lesquels  du  blanc 
de  plomb  est  pulvérisé;  le  blanc  pénètre  dans  l'épaisseur  des  fils  et  donne 
aux  fleurs  une  riofidité  et  un  éclat  extraordinaires.  Une  fois  blanchies,  les 
Heurs  sont  légèrement  bâties  sur  la  toile  cirée  à  la  place  que  le  transport  en 
blanc  du  dessin  leur  a  assignée,  puis  on  étend  sur  elles  le  réseau  du  volant 
auquel  on  les  fixe  très-solidement  par  les  petits  œillets  qui  leur  servent  de 
bordure  ». 

Les  striqueuses  ont,  pendant  ce  travail,  les  mains  couvertes  de  plomb;  elles 
en  sont  pour  ainsi  dire  imprégnées  ;  penchées  sur  leur  ouvrage,  elles  respirent  la 
Diei.  ENc.  XXYU.  29 


450  DENTIFRICES. 

poussière  toxique  el  l'absorbent.  De  là,  chez  presque  toutes,  des  symptômes  plus 
ou  moins  prononcés  d'intoxication  saturnine. 

Blanclict  attribuait  à  cette  intoxication  les  troubles  de  la  vue  et  de  l'ouïe  qu'il 
avait  eu  l'occusion  d'observer  chez  un  certain  nombre  d'ouvrières  employées  au 
blanchiment  des  dentelles. 

En  Belgique,  où  cette  industrie  occupe  un  grand  nombre  d'ouvrières,  les 
accidents  étaient  assez  nombreux  pour  que,  vers  la  fin  de  l'année  1861,  le 
Gouvernement  ait  saisi  le  Conseil  supérieur  d'hygiène  publique  de  la  question  de 
savoir  si  l'usage  de  la  céruse  devait  être  absolument  proscrit  du  blanchiment  des 
dentelles  (Gh.  de  Freycinct). 

De  nombreux  procédés  ont  été  essayés  pour  obvier  aux  inconvénients  observés. 
On  a  cherché  Ti  remplacer  le  carbonate  de  plomb  par  le  sulfate,  lequel,  à  cause 
de  son  insolubilité  plus  grande,  exposerait  moins  au  danger  d'intoxication.  Mais 
comme  bien  d'autres  substances  que  l'on  a  essayé  de  substituer  à  la  céruse,  le 
sulfate  de  plomb  a  le  défaut  de  jaunir  et  de  ne  pas  adhérer  suffisamment;  de 
plus,  il  est  loin  de  mettre  à  l'abri  de  l'empoisonnement  professionnel,  ainsi  qu'il 
résulte  des  recherches  de  Flandrin  (Notes  à  V Académie  des  sciences,  1856). 

Le  moyen  de  préservation  par  excellence  consisterait  à  faire  exécuter  le  battage 
mécanique  dans  un  appareil  clos  recevant  les  fleurs  à  blanchir.  Ce  moyen  a  été 
préconisé  et  exécuté  à  Bruxelles  dans  quelques  ateliers.  La  machine  en  usage 
rappelle,  dit  M.  de  Freycinct,  un  orgue  de  Barbarie.  Elle  consiste  essentiellement 
en  une  caisse  hermétique  dans  laquelle  se  glisse  l'espèce  de  portefeuille  garni  de 
feutre  blanc  qui  reçoit  les  fleurs  à  blanchir.  L'ouvrièie  n"a  qu'à  tourner  extérieu- 
rement une  manivelle;  par  la  rotation  d'un  rouleau  de  bois  muni  de  tenons,  des 
lattes  pourvues  de  ressorts  d'acier  battent  et  frappent  le  portefeuille  qui  contient 
les  fleurs  saupoudrées  de  blanc  de  céruse.  Ce  n'est  pas  cependant  une  solution 
complète  de  la  difficulté,  puisque  l'ouvrière  reste  exposée  au  contact  du  plomb 
avant  et  après  le  battage.  Néanmoins  il  y  a  là  un  progrès  notable  qui  doit  sans 
doute  se  généraliser. 

On  conseillera  en  outre  l'usage  des  moyens  préservateurs  individuels  tels  que 
masques,  voiles,  gants,  soins  de  propreté,  et  administration  d'iodure  de  potas- 
sium à  l'intérieur  à  la  dose  éliminatrice  du  poison  saturnin.     Alexandre  Layet. 

Bibliographie.  —  Thoi venin.  De  V influence  que  l'industrie  exerce  sur  la  santé  des  popula- 
tions dans  les  centres  manufacturiers.  In  Journ.  de  vicd.  dr  Bordeaux,  avril  et  mai  1846.  — 
Blaxciiet.  Note  sur  les  affections  de  la  vue  et  de  l'ouïe  survenues  chez  les  personnes  employées 
au  blanchiment  des  dentelles  connues  sous  le  nom  d'application  de  Bruxelles.  In  Compt. 
rend,  de  l'Acad.  des  se,  4847.  —  A.  Chevallier.  Sur  l'emploi  du  carbonate  de  plomb  dans 
la  fabrication  des  dentelles  dites  de  Bruxelles  et  sur  les  inconvénients  de  ce  jirocédé.  lu 
Ann.  d'hyg.  publ.,  1.S47,  t.  XXXVII,  p.  I  M.  —  V.  Tiiibault.  Note  sur  le  développement  des 
affections  saturnines  chez  les  dessinateurs  en  broderie  sur  étoffes  et  chez  les  ouvrières  en 
dentelles.  In  Ann.  d'hyg.  publ.,  I85b,  t.  YI,  p.  55.  —  De  Freycinet.  Blanchiment  des  dentelles 
à  la  céruse.  In  Traité  d'assainissement  industriel,  p.  89,  1870.  —  A.  Layet.  Art.  Dextellières, 
Bhopeuses.  In  Traité  d'hygiène  des  professions  et  industries,  p.  278,  1875.  —  Malheuee. 
Pelote  hygiénique  pour  les  ateliers  de  couture.  In  Rapport  sur  les  travaux  du  Conseil 
d'hygiène  de  la  Loire-Inférieure.  Nantes,  1877  à  1878.  —  Géhxeau.  De  Vankylose  digitale 
des  tailleurs  el  des  couturières.  In  Journ.  d'hygiène,  n°  iQ,  6  juin  1878.  A.  L. 

DËIMTIERS.     Voy.  Dektaire  (Prothèse). 

nsKTiFRlCES  (de  dens,  dent,  el  fricare,  frotter).  Il  a  été  dit  quelques 
mots  des   cosmétiques  de  la  bouche  au  mot  Gosmétiqles,  et  leur  valeur  est 


DENTIFUICES.  451 

appréciée  dans  l'article  consacré  à  l'hygiène  dentaire  {voy.  Dentaire  [Hygiène]). 
D'après  l'étyraologie,  le  nom  de  dentifrice  ne  convient  rigoureusement  qu'aux 
substances  employées  pour  frictionner  les  dents  ;  mais,  d'une  part,  certaines 
préparations  auxquelles  ce  nom  est  consacré  sont  destinées  à  agir  tout  à  la  fois 
sur  les  dents  et  sur  les  gencives,  quelquefois  même  sur  ces  dernières  seulement; 
d'autre  part,  nombre  de  cosmétiques  des  dents  sont  dirigés,  principalement  ou 
exclusivement,  contre  l'odontalgie,  et  sont  appelés  pour  cela  odontalgiques  ;  de 
ceux-là  il  est  question  aux  cliapitres  concernant,  à  l'article  Deat,  les  diverses 
maladies  dentaires  auxquelles  ils  sont  applicables.  Il  ne  reste  à  donner  ici  que 
quelques  notions  générales  et  quelques  formules. 

Les  dentifrices  sont  ou  solides,  ou  liquide^,  ou  mous. 

Les  premiers  sont  pulvérulents  et  destinés  surtout  au  nettoyage  des  dents. 
Les  poudres  doivent  être  porphyrisées  afin  de  ne  pas  rayer  et  user  l'émail.  Les 
unes  sont  inertes,  comme  le  charbon,  le  corail,  la  pierre  ponce;  d'autres  plus 
ou  moins  alcalines,  comme  le  carbonate  de  magnésie,  le  carbonate  de  chaux, 
le  phosphate  de  chaux,  l'os  de  seiche;  d'autres  plus  ou  moins  acides,  comme  la 
crème  de  tartre;  d'autres  toniques,  artringentes,  hémostatiques,  résolutives, 
comme  la  quinine,  le  ratanhia,  le  sang-dragon,  le  bol  d'arménie,  la  laque,  etc.  ; 
d'autres  désinfectantes,  comme  l'acide  jihéiiique.  On  comprend  dès  lors  que  le 
choix  des  dentifrices  ne  soit  pas  indifférent  {l'oy.  Bouche  et  DENTAinE  [Hygiène]). 

Les  cosmétiques  liquides  de  la  bouche  qui  agissent  non-seulement  comme 
dentifrices  quand  on  les  applique  avec  la  brosse,  mais  aussi  à  la  manière  de  col- 
lutoires, se  composent  d'alcoolats  et  d'essences  aromatiques  de  menthe,  de 
girolle,  de  cannelle,  de  pyrèthre,  d'ambre,  auxquelles  on  mêle,  quand  on  veut 
les  rendre  odontalgiques,  de  l'éther,  du  chloroforme,  du  laudanum  ou  mieux  de 
la  teinture  d'opium.  Ils  tiennent  quelquefois  en  dissolution  des  substances 
minérales,  telles  que  le  chlorate  de  potasse,  l'acétate  de  plomb,  le  sulfate  de 
zinc.  On  les  emploie  soit  mêlés  à  de  l'eau,  soit  en  friclions  douces  sur  les  gen- 
cives, soit  versés  purs  sur  un  peu  de  coton  qu'on  introduit  dans  le  creux  de  la 
dent  malade. 

Beaucoup  de  comestiques  de  la  bouche,  solides  ou  liquides,  sont  colorés  par 
la  cochenille. 

Les  cosmétiques  mous  sont  :  ou  des  opiats,  dont  le  miel  est  presque  toujours 
l'excipient,  ou  des  savons  qui  sont  nécessairement  alcalins. 

Nous  ne  parlons  pas  ici  des  préparations  qui  ont  pour  but  de  combattre 
des  affections  toutes  spéciales  des  gencives  ou  des  dents,  comme  la  gingivite 
mercurielle  ou  l'érosion  de  l'émail  par  les  vapeurs  d'acide  chlorhydrique  chez 
les  ouvriers  employés  à  la  fabrication  de  la  soude  artificielle. 

Voici  les  formules  des  cosmétiques  les  plus  usités  : 

PODDRE    DEMIFRICE   ABSORBANTE    (cODEx). 

?-'  Carbonate  de  chaux iOO  grammes. 

Hydrocarbonale  de  magnésie 100        — 

Poudre  de  quinquina  gris 100        

Huile  essentielle  de  menthe  poivrée 1        — 

POUDRE    DENTIFRICE   ABSORBAKTE    ET    TOXIQUE    (cODEX). 

2C  Charbon  de  bois  léger 200  grammes. 

Poudre  de  quinquina  gris 100        — 

Huile  essentielle  de  menthe  poivrée 1       — 


452  DENTIFRICES. 

rOUDKE    DENTIFRICE    ACIDE. 

Il  Ta)c  (le  Venise 120  giDniraes. 

I  lème  do  lartre 50        — 

Essence  de  menilie -3  gouttes. 

(.'.aniiin 0,5      — 

POUDRE   DENTIFRICE   ACIDE    (cODEx). 

?i:  Bilarlralc  de  potasse  pulvérisé 200  grammes. 

Sucre  de  lait  pulvérisé 200        — 

Laque  carminée 20        — 

Huile  essentielle  de  menllic  poivrée 1        — 

POUDRE    DENTIFRICE   ALCALLNE. 

■2f,  Carbonate  de  chaux 20  grammes. 

Jlaguésie -40        — 

Sucre 20        — 

AUTRE    POUDRE   DENTIFRICE   ALCALINE   (dESCUAMPs), 

2:   Talc  de  Venise ^00  pariies. 

Bicarbonate  de  soude IIJO        — 

Carmin i        — 

Essence  de  mcnllie 2        — 

ItJcll'Z. 

SAVO.NS    DENTIFRICES. 

()ii  en  trouvera  à  l'article  Dektaire  (Hygiène)  trois  formules  recommandées 
parliculièicmont  par  l'auteur  de  l'article. 

POUDRE   DENTIFRICE   ASTRINGENTE   ET    TONIQUE    (mIALHE). 

2C  Sucre  de  lait lOUÛ  grammes. 

Laque  carminée 20       — 

Tannin 1o        — 

Essence  de  mentlie 20        — 

—  d'anis 20        — 

—  de  fleurs  d'oranger 10       — 

ALCOOLÉ  DENTIFRICE    ASTRINGENT    (jE.VNNEL). 

2:  Alcoolé  de  cachou 80  grammes. 

—      de  benjoin £0        — 

Essence  de  menthe 3        — 

POUDRES    DENTIFRICES   ASTRINGENTES. 

Mélange  variable  de  poudres  formées   principalement  de  pyrèlhre,  menthe, 
anis,  cannelle,  girofle,  cochléaria,  gaiac,  quinquina,  ratanbia. 

EAU    PUÉNIQUÉE    DENTIFRICE. 

:^   Acide  phénique 1  partie. 

Essence  de  menthe 1      — 

Eau..    .  „ 1000      — 

Faites  dissoudre  par  agitation.  — A  employer  pure,  en  collutoire. 

DENTIFRICE   ANTIPUTRIDE. 

:^  Permanganate  de  potasse 10  grammes. 

Eau 1000        — 

AUTRES    DENTIFRICES   ANTIPUTRIDES. 

Voy.  Dentairk  [Hygiène). 


DENTIFRICES.  455 

ÉLIXIR    DENTIFRICE,    DITE   EAU    DE   BOTOT. 

2:  Padiane 2  parties. 

Girofle 2      — 

Cannelle 2      — 

Crème  de  tarira 1       — 

Essence  de  menthe 1      — 

Alcool  à  80  degrés 320      — 

On  fait  l'alcoolé  par  déplacement  et  l'on  ajoute  l'essence.  Cette  formule  est 
celle  de  Bordeaux;  il  en  existe  d'autres  dans  lesquelles  n'entre  pas  la  crème 
de  tartre. 

AUTRE    ELIXIR    DENTIFRICE. 

^  Kino 100  grammes. 

Batanhia 100  — 

Teinture  de  baume  de  lolu 2  — 

—  de  benjoin 2  — 

Essence  de  menthe..   . 2  — 

—  de  cannidlle 2  — 

—  d'anis 1 

Alcool  à  90  degrés 1000  — 

Faites  macérer  pendant  15  jours  et  liltrez. 

ELIXIR    DE    PRUDHOMHE. 

Analogue  aux  précédents  ;  il  y  entre  de  l'angélique  et  de  la  muscade. 

Nous  avons  dit  plus  haut  que  certains  cosmétiques  de  la  bouche  sont  surtout 
odontalgiques.  Bien  que  ce  ne  soient  pas  là  de  vrais  dentifrices,  comme  ils  y  sont 
souvent  mêlés  dans  les  livres  de  pharmacologie,  nous  en  donnerons  ici  quelques 
formules. 

TEINTURE    ODONTALGIQUE. 

"if.  Alcoolé  de  pyrèlhre 4  parties. 

Alcoolé  d'opium 1      — 

COLLUTOIRE    ODONTALGIQUE. 

^  Racine  de  pyréthre 4  parties. 

Opium  brut 1       — ■ 

Vinaigre  blanc 2S      — 

Faites  séjourner  pendant  12  heures  ;  passez,  exprimez  et  filtrez. 

ÉTHÉROLÉ    ODONTALGIQUE. 

"21  Éther  sulfurique  camphré 20  grammes. 

Ammoniaque  liquide 1        

GOUTTES   ODONTALGIQUES. 

■if,  Alcool  îi  100  degrés ^  grammes. 

Créosote 40        

Essence  de  menthe 1        

AUTRES  GOUTTES  ODONTALGIQUES. 

■if  Alcool  à  93  degrés 20  gramme». 

Extrait  d'opium 6        

Camphre 6         

Essence  de  «iroÛe ,   .  .  40        

Huile  de  cajeput iO        — 

Faites  dissoudre. 

TOPIQUE   ODONTALGIQUE. 

■if   Acide  phénique  cristallisé 1  partie. 

Chloroforme , 3      

Imbibez  une  boulette  de  coton. 

A.  Dechambre. 


454  DENTISTE. 

DE1VTII\'E.      Voij.  Dent. 

»Ei\TlKOSTRES.     G.   Cuvicr,  dans  la   première   édition   de   son  Règne 
animal,  avait  cru  pouvoir  établir  parmi  les  Passereaux  {voy.  ce  mot)  un  certain 
nombre  de  subdivisions,  en  tenant  compte  seulement  des  caractères  extérieurs 
fournis  par  le  bec  et  les  pattes  de  l'oiseau.  Mais,  comme  nous  avons  eu  déjà 
l'occasion  de  le  dire  en  parlant  des  oiseaux  en  général  {voij.  le  mot  Oiseaux),  la 
conformation  du  bec  et  des  pattes  traduit  plutôt  les  habitudes  de  l'animal  que 
ses  véritables  affinités  zoologiques.  Dans  un  même  groupe  on  voit  le  bec  s'al- 
longer ou  se  raccourcir,  s'effiler  ou  se  dilater,  rester  absolument  droit  ou  se 
recourber  en  crochet,  suivant  que  l'oiseau  se  nourrit  d'insectes,  de  vers,  de  fruits 
succulents  ou  de  graines  coriaces,  suivant  qu'il  saisit  sa  proie  au  vol,  qu'il  la 
cueille  sur  les  branches  ou  qu'il  va  la  chercher  au  fond  d'une  corolle,  dans  le 
tronc  d'un  arbre,  dans  la  fissure  d'un  rocher,  dans  la  vase  d'un  marais.  De  même 
les  pattes,  toujours  fort  réduites   chez  les  oiseaux  qui  passent  la  plus  grande 
partie  de  leur  vie  dans  les  airs,  s'allongent  au  contraire  chez  les  oiseaux  cou- 
reurs. En  étudiant  les  Oiseaux  de  proie,  les  Oiseaux-Mouches,  les  Soui-Mangas 
[voy.  ces  mots),  nous  avons  déjà  constaté  de  ces  modifications  du  bec  ou  des 
patios  correspondant  à  de  légères  différences  dans  le  régime  ou  les  allures.  En 
réunissant  dans  une  première  famille  de  Passereaux,  sous  le  nom  deDentiJVstres, 
toutes  les  espèces  de  petite  et  de  moyenne  taille  dont  le  bec  supérieur  est 
échancré  de  chaque  côté  de  la  pointe,  de  manière  à  présenter  une  dent  latérale, 
G.  Cuvier  a  nécessairement  créé  un  groupe  quelque  peu  hétérogène.  Pour  s'en 
convaincre,  il  suffit  de  parcourir  la  liste  des  genres  que  ce  grand  naturaliste 
com]>rend  dans  la  catégorie  des  Dentirostres.  A  côté  des  Pies-grièclies  et  des 
Langrayens,  on  voit  figurer  les  Merles  et  les  Fauvettes,  les  Cotingas  et  les  Coqs 
de  roche,  les  Fourmiliers  et  les  Tyrans,  tandis  qu'en  revanche  les  Fringilles  sont 
séparées,  à  tilre  de  Conirostres,  des  Tangaras  leurs  proches  parents,  et  que  le 
groupe  des  Flssirostres  se  trouve  intercalé  entre  les  Alouettes  et  les  Farlouses, 
dont  G,  Cuvier  reconnaissait  pourtant  les  affinités.  11  est  juste  de  dire  cependant 
que,  lorsqu'on  a  retiré  des  Passereaux,  tels  que  les  comprenait  G.   Cuvier,  les 
Oiseaux-Mouches,  les  Engoulevents  et  les  Martinets,  qui  doivent  sans  doute  former 
un  groupe  tout  à  fait  à  part,  on  se  trouve  encore  en  présence  d'une  telle  masse 
d'oiseaux,  très-voisins  les  uns  des  autres  par  la  structure  intérieure,  qu'on  se 
voit  dans  la  nécessité  de  les  répartir  en  un  certain  nombre  de  groupes,  plus  ou 
moins  artificiels,  et  c'est  ce  qui  nous  explique  pourquoi  certains  naturahstes 
modernes  et,  par  exemple,  G.-R.  Gray,  ont  souvent  conservé  les  subdivisions 
établies  par  Cuvier,  tout  en  en  reconnaissant  les  inconvénients.  D'autres  au 
contraire,  et  cette  méthode  est  peut-être  préférable,  ont  supprimé  ces  catégories 
de  Dentirostres,  Fissirostres,  Conirostres,  etc.,  pour  partager  simplement  les 
Passereaux  en  groupes  moins  importants,  en  familles  représentant  à  peu  près 
les  anciens  genres  linnéens.  E.  Oostalet. 

Bibliographie.  —  G.  Cuvier.  Règne  animal,  i'"  édit  ,  1817,  t.  I,  p.  356.  —  Ch.-L.  Boxa- 
PAUTE.  Conspectus  systematis  ovnilhologiœ,  1854,  et  Conspectus  generum  avium,  1856.  — 
HuxLEï.  Ontlie  Classification  of  Bircls.  In  Proc.  Zool.  Soc.  Lond.,  1867,  p.  415  et  suiv. — 
G.  R.  Grat.  Handlist  of  Gênera  and  specics  of  Birds,  1869-1871,  t.  I  et  II.  —  Sclater  et 
Salvis.  Nomenclator  avium  neotropicalium,  1873.  E.  0. 

DEI\TISTE.  L'art  du  dentiste,  au  sens  littéral,  consiste  dans  le  nettoyage, 
le  limage,  la  cautérii^ation,  l'obturation,  l'extraction  des  dents,  ainsi  que  dans 


DENTISTE.  455 

la  pose  de  dents  artificielles  ou  d'appareils  destines  à  redresser  les  dents  natu- 
relles. A  considérer  les  opérations  dans  leur  ensemble,  l'art  dentaire  est  une 
branche  de  la  chirurgie,  en  ce  qu'elles  supposent,  pour  une  bonne  exécution, 
—  quelques-unes  d'entre  elles  du  moins  —  non-seulement  la  dextérité,  mais 
un  certain  nombre  de  connaissances  en  anatomie,  en  physiologie  et  en  patho- 
logie. Si  même  on  veut  négliger  les  connaissances  générales  qui,  sous  ce  triple 
rapport,  sont  indispensables  là  comme  ailleurs  à  la  parfaite  intelligence  des  faits 
particuliers,  il  reste  la  nécessité  de  posséder  une  instruction  solide  sur  l'évo- 
lution dentaire,  sur  la  composition  des  dents,  sur  la  nature  de  leur  maladies  : 
érosion,  carie,  indammation  de  la  pulpe,  etc.  Dans  la  pratique  et  par  la  force 
des  choses,  l'art  dentaire  est  amené  à  prendre  un  caractère  médico-chirurgical 
des  plus  manifestes  en  rencontrant  aux  limites  de  son  domaine  les  affections 
des  gencives,  du  périoste,  des  maxillaires  mêmes,  tellement  mêlées  aux  mala- 
dies dentaires  proprement  dites,  que  la  clini([ue  ou  la  thérapeutique  ne  peu- 
vent que  difficilement  les  séparer.  Il  est  possible,  il  n'est  pas  douteux  que,  dans 
ces  cas,  des  dentistes  consciencieux  renvoient  leur  patients  au  médecin  ou  au 
chirurgien  ;  mais  ce  n'est  pas  sur  des  délicatesses  privées  qu'une  loi  prévoyante 
doit  compter  pour  sauvegarder  la  santé  publique. 

Quelle  est  aujourd'hui  devant  la  loi  la  position  des  dentistes? 
Avant  le  décret  des  2-17  mai  1781,  qui  a  déclaré  libre  l'exercice  des  profes- 
sions, arts  et  métiers,  et  celui  du  18  août  1792,  qui  a  supprimé  les  écoles  de 
médecine  et  de  chirurgie,  le  droit  d'exercice  était  conféré  par  deux  ordres  de  juri- 
diction. Les  licenciés  en  médecine  étaient  reçus  par  la  Faculté  de  Paris  et  par 
les  facultés  provinciales  ;  les  chirurgiens  par  le  Collège  des  chirurgiens  de  Paris, 
par  les  collèges  de  provinces  et  par  certaines  communautés  du  geiu-e  de  Saint- 
Côme  et  Damien,  nanties  de  ce  privilège  par  des  édits  royaux.  11  y  avait  alors 
comme  aujourd'hui  des  spécialistes  :  des  herniaires,  des  renoueurs,  des  ocu- 
listes, des  dentistes.  En  ce  qui  concerne  ces  derniers,  l'édit  de  17G8  imposait 
à  ceux  qui  voulaient  s'occuper  de  la  cure  des  dents  l'obligation  d'obtenir  le  di- 
plôme d'expert,  et  il  déterminait  avec  soin  les  conditions  auxquelles  la  récep- 
tion devrait  avoir  lieu.  Les  décrets  de  1791  et  de  1792  emportèrent  l'édit  avec 
le  Collège  et  tous  les  autres  établissements  publics  d'enseignement.  Vint  la  loi 
du  14  frimaire  an  III  (4  décembre  1794),  qui,  en  instituant  à  Paris,  Montpellier 
et  Strasbourg,  des  Écoles  de  santé  (devenues  Écoles  de  médecine  par  la  loi  de 
floréal  an  X  et  Facultés  de  médecine  par  le  décret  de  1808),  créa  pour  le  ser- 
vice des  hôpitaux  militaires  des  ofticiers  de  santé,  dont  quelques-uns  firent 
néanmoins  concurrence  aux  guérisseurs  des  villes  et  des  campagnes;  on  n'y 
trouve  aucune  disposition  concernant  les  spécialistes.  Il  en  est  de  même 
de  la  loi  du  19  ventôse  an  XI,  qui  nous  régit  encore  et  qui  institue  les  deux 
ordres  de  médecins  aujourd'hui  existants.  Sa  disposition  fondamentale  est  la 
suivante  (art.  1")  :  «  A  compter  du  l^'  vendémiaire  de  l'an  XII  (24  sept.  1803), 
nul  ne  pourra  embrasser  la  profession  de  médecin,  de  chirurgien  ou  d'officier 
de  santé,  sans  être  examiné  et  reçu  comme  il  sera  prescrit  par  la  présente  loi  » 
{voy.  Médecine  [Enseignement  et  exercice  de  /a]  et  Officier  de  samé). 

Dans  cet  état  de  choses,  le  dentiste  est-il  légalement  astreint  à  se  munir  d'un 
diplôme  de  docteur  en  médecine  ou  d'oifîcier  de  santé?  Un  arrêt  célèbre  de  la 
Cour  de  cassation  a  résolu  la  question  par  la  négative.  11  a  été  rendu  le 
15  mai  1846.  Des  poursuites  dirigées  contre  MM.  Williams  Rocher,  Aimé  Simon 
et  Rubeck,  sur  la  plainte  de  MM.  Audibran,  Toirac,  Regnard  et  Rossi,  avaient 


450  DENTISTE. 

obtenu  gain  de  cause  devant  le  tribunal  de  police  correctionnelle  de  la  Seine  et 
devant  la  Cour  d'appel.  La  Cour  de  cassation  a  décidé,  au  contraire,  que  l'exer- 
cice de  l'art  dentaire  n'était  soumis  à  aucune  garantie  légale  de  capacité.  Cet 
arrêt  peut  être  discutable  dans  quelques-uns  de  ses  termes,  ainsi  que  dans  son 
application  à  l'espèce  ;  nous  reviendrons  tout  à  l'heure  là-dessus  ;  mais,  envi- 
sagé au  seul  point  de  vue  juridique,  il  nous  paraît  parfaitement  fondé. 

La  Cour  de  cassation  dit  :  La  pensée  de  la  loi  était  de  remédier  au  mal  créé 
par  la  suppression  d'établissements  publics  d'instruction  médicale,  d'où  sortaient 
des  praticiens  présentant  des  garanties  de  capacité;  quant  aux  spécialistes,  aux 
experts,  la  loi  ne  s'en  est  pas  occupée  et  l'on  ne  peut  suppléer  au  silence  de  l;i 
loi  '.  A  cette  interprétation  que  répond-on?  Si  la  loi  n'a  pas  désigné  les  experts 
et  notamment  les  dentistes,  c'est  qu'elle  les  supprimait  en  tant  que  spécialistes 
et  les  soumettait  à  l'obligation  commune  du  diplôme.  Elle  s'occupe  des  sages- 
femmes  :  elle  n'eût  donc  pas  oublié  ou  négligé  les  autres  spécialistes,  si  elle  eût 
entendu  les  laisser  vivre.  D'ailleurs,  si  le  droit  des  dentistes  était  reconnu,  il 
faudrait  reconnaître  également  celui  des  bailleuls,  des  oculistes,  des  lilhoto- 
niistes,  des  herniaires,  etc. 

Examinons,  non  pas,  encore  une  fois,  en  médecin,  mais  en  légiste.  De  fait, 
il  est  absolument  certain  que  la  loi  organi(]ue  sur  l'exercice  médical  ne  parle  pas 
des  dentistes,  n'y  fait  aucune  allusion.  Est-ce  parce  qu'elle  entendait  les  com- 
prendre dans  la  généralité  des  médecins?  On  peut  soutenir  celte  opinion,  mais 
ce  n'est  qu'une  opinion.  D'autres  pourront  soutenir  que  c'est,  au  contraiie, 
parce  qu'elle  se  formait  de  l'art  du  dentiste  la  même  idée  que  s'en  était  tou- 
jours faite  le  législateur,  celle  d'un  art  moitié  scientifique,  moitié  industriel,  et 
non  assimilable  au  grand  art  enseigne  dans  les  écoles.  Toujours  on  avait  fait  de 
la  dentisterie  un  rameau  détaché  de  la  médecine,  dont  la  culture  n'exigeait  pas 
le  même  appareil  de  soins  que  l'arbre  entier.  Le  législateur  a  pu  le  mettre  pro- 
visoirement de  côté,  sauf  à  s'en  occuper  plus  tard.  Notez  que  nous  ne  faisons 
nous-même  qu'une  supposition,  et  l'on  verra  même  plus  loin  que  celte  supposition 
ne  nous  plaît  guère  ;  mais  la  Cour  de  cassation ,  gardiennne  des  lois  même 
insuffisantes,  même  imprévoyantes,  même  mauvaises,  ne  peut  entrer  dans  une 
voie  semblable.  Les  dispositions  légales  qui  régissaient  la  profession  de  dentiste 
ont  été  supprimées;  elles  n'ont  pas  été  remplacées  :  voilà  la  base  de  l'arrêt.  Du 
reste,  la  Cour  a  en  quelque  sorte  pour  complice  la  haute  administration,  qui 
n'applique  pas  plus  aux  dentistes  les  lois  sur  la  phirmacie  que  les  lois  sur  la 
médecine.  Ajoutons  que,  lors  du  projet  de  loi  sur  les  patentes  (iS^ti),  la  com- 
mission de  la  Chambre  des  députés  avait  proposé  de  classer  les  dentistes  parmi 
les  exonérés,  ce  qui  était  les  assimiler  aux  docteurs  en  médecine  et  aux  officiers 
de  santé.  Mais  M.  Bouillaud,  alors  député,  ayant  demandé  et  obtenu  que  la 
l'éJaction  de  l'article  fijt  contorme  aux  termes  de  la  loi  de  l'an  XI,  les  «  doc- 
teurs en  médecine,  officiers  dosante  et  sages-femmes  »,  y  furent  seuls  mentionnés, 
elles  dentistes  restèrent,  vis-à-vis  de  la  loi,  dans  la  même  situation  qu'auparavant. 

Les  sages-femmes  !  Comment  se  f;iit-il  que  la  loi  de  ventôse  s'en  soit  occupée 
spécialement?  Cela  veut-il  dire  qu'elle  a  refusé  de  reconnaître  toute  eLutre  spé- 
cialité. Rien  n'est  moins  certain.  Très -probablement  la  considération   du  sexe 

*  Ueclifions,  puisque  l'occasion  s'en  présenle,  une  erreur  qui  nous  est  écliappée  dons  un 
article  sur  le  mùme  sujet  (Gazette  hebdomadaire,  1871,  p.  ISO),  en  disant  que  les  anciens 
collèges  de  médecine  ne  délivraient  pas  de  diplômes  aux  dentistes.  On  a  vu  tout  à  l'heure  le 
contraire.  A.  D 


DEINTISTF.  457 

est  la  seule  qui  ait  alliré  l'atlention  du  législateur  sur  les  sages-femmes,  et 
la  preuve,  c'est  qu'elle  n'a  pas  créé  d'experts  accoucheurs.  Ce  n'est  donc  pas  au 
fond  une  spécialité  qu'elle  a  organisée,  mais  un  corps  exceptionnel  de  praticien- 
nes. D'un  autre  côté,  en  l'an  XI,  l'anatomie,  la  physiologie  et  la  pathologie  den- 
taires, les  alfinités  de  celles-ci  avec  la  pathologie  générale,  étaient  trop  peu 
avancées  pour  qu'on  puisse  prêter  au  législateur  la  pensée  d'avoir  volontairement 
fait  à  l'art  dentaire  l'honneur  de  le  comprendre  dans  l'exercice  général  de  la 
médecine,  quand  il  en  séparait  un  art  que  la  réunion  de  la  grossesse  et  de 
raccouchement  rendent  à  la  fois,  et  au  premier  chef,  médical  et  chirurgical. 

Mais,  dit-on  encore,  pourquoi  les  oculistes  ne  jouissent-ils  pas  de  la  même 
immunité  que  le  dentiste?  Pourquoi  la  spécialité  de  l'art  oculistique  n'est-elle 
pas  libre  comme  celle  de  l'art  dentaire?  Comment  se  fait-il,  surtout,  que  la 
Cour  de  cassation  elle-même  (20  juillet  1855)  ait  décidé  que  le  diplôme  de  mé- 
decin est  obligatoire  pour  quiconque  s'adonne  au  traitement  des  maladies  des 
yeux  ou  à  celui  des  entorses  et  des  fractures  ? 

Là  précisément  est  le  nœud  de  la  difficulté.  Les  spécialistes,  on  l'a  vu,  ne 
figuraient  aux  édits  que  comme  experts;  c'est  le  nom  qu'on  peut  encore  leur 
donner  aujourd'hui  que  la  profession  est  libre  ;  ce  sont  des  hommes  versés 
dans  un  art  particulier,  ce  sont  des  artistes.  Comme  tels,  ils  restent  en 
dehors  des  prescriptions  de  ia  loi  de  ventôse,  qui  ne  s'applique,  encore  une  lois, 
qu'aux  docteurs  et  aux  officiers  de  santé.  ?s'ous  le  répétons  à  dessein,  cette  loi, 
ne  les  faisant  pas  médecins,  les  a  laissés  experts.  Or,  à  ce  titre,  il  en  existe  aussi 
bien  dans  la  pathologie  herniaire,  dans  la  pathologie  oculaire,  que  dans  la  patho- 
logie dentaire.  On  trouve  partout  des  bandagistes  herniaires  et  des  opticiens 
oculistes.  De  quoi  s'agit-il  donc  pour  les  magistrats?  11  s'agit  de  savoir  s'ils 
sortent  de  leur  rôle.  La  loi  s'est  renfermée  dans  des  ternies  généraux;  aux  tri- 
bunaux d'apprécier  les  cas  particuliers  avec  les  lumières  du  bon  sens  et  de  la 
justice.  Un  bandage  herniaire  mal  appliqué  peut  faire  courir  des  dangers  au 
patient;  les  magistrats  n'en  interdisent  pas  la  pose  au  bandagiste.  L'usage  pro- 
longé de  lunettes  trop  convergentes  ou  trop  divergentes  peut  affectei*  gravement 
la  vue;  les  magistrats  n'interdisent  pas  la  vente  des  lunettes  aux  opticiens.  En 
un  mot,  ils  ne  reconnaissent  plus  de  spécialistes  et  leur  font  la  même  applica- 
tion de  la  loi  qu'à  l'universalité  des  citoyens.  C'est  là,  à  notre  avis,  le  vrai  sens 
de  l'arrêt  de  la  Cour  de  cassation  du  15  mai  1846,  dont  le  seul  tort  est  de 
n'avoir  pas  assez  spécifié  ses  motifs,  et  de  n'avoir  paru  viser  que  des  soins  ma- 
nuels là  011,  dans  l'espèce,  il  y  avait  eu  diverses  opérations  chirurgicales  et 
emploi  des  anesthésiques. 

Nous  sommes  des  premiers  à  le  reconnaître,  et  notre  délinition  même  le  di- 
sait tout  à  l'heure,  l'art  du  dentiste,  tel  qu'il  se  pratique  de  nos  jours,  relève 
partiellement  de  la  chirurgie  ;  il  ne  s'y  rattache  que  de  loin  par  le  nettoyage, 
le  limage  et  la  prothèse;  il  y  entre  pleinement  par  l'extraction  et  la  cautérisa- 
tion. Laisser  les  choses  en  l'état  nous  paraît  impossible.  La  pratique,  même  res- 
treinte, de  la  chirurgie,  doit  être  entourée  de  garanties  sérieuses  de  capacité. 

Quelles  seront  ces  garanties?  Mais  voyons  d'abord  ce  qui  a  été  fait  à  cet  égard 
en  France  et  ailleurs. 

Dans  Ledit  de  1768  que  nous  rappelions  tout  à  l'heure,  le  titre  IX,  relatif  à 
la  réception  des  experts,  portait  :  «  Art.  127.  Ne  pourront  aucuns  aspirans  être 
admis  à  ladite  qualité  d'experts,  s'ils  n'ont  servi  deux  années  entières  et  con- 
sécutives chez  l'un  des  maîtres  en  chirurgie,  ou  chez  l'un  des  experts  établis 


458  DENTISTE. 

dans  la  ville  et  lauxbonrgs  de  Paris,  ou  enfin  sons  plusieurs  maîtres  ou  experts 
des  autres  villes  pendant  trois  années  ;  ce  qu'ils  seront  tenus  de  justifier  par 
des  certificats  en  bonne  iorme,  et  par  des  actes  d'entrée  chez  lesdits  maîtres  ou 
experts,  enregistrés  comme  il  a  été  dit  ci-devant,  article  LXXXIII,  au  greffe  de 
notre  premier  chirurgien,  dans  la  quinzaine  de  leur  entrée,  à  peine  de  nullité'. 
—  Art.  128.  Seront  reçus  lesdits  experts,  en  subissant  deux  examens  en  deux 
jours  différents  dans  la  même  semaine,  après  avoir  présenté  requête  dans  la 
forme  ordinaire,  à  laquelle  seront  joints  leurs  extraits  baptistaires,  certificats  de 
religion  et  ceux  de  service.  Ils  seront  interrogés  le  premier  jour  sur  la  théorie, 
■et  le  second  sur  la  pratique  desdits  exercices  par  le  lieutenant  de  notre  premier 
chirurgien,  les  quatre  prévôts  et  le  receveur  en  charge,  en  présence  du  doyen 
de  la  Faculté  de  Médecine,  des  deux  prévôts  et  du  receveur  qui  en  sortent,  de 
tous  les  membres  du  Conseil  et  deux  maîtres  de  chacune  des  quatre  classes  qui 
seront  successivement  choisis  à  leur  tour.  S'ils  sont  jugés  capables  dans  ces 
examens,  ils  seront  admis  à  ladite  qualité  d'experts,  en  payant  les  droits  porte's 
ci-après  pour  les  experts,  et  en  prêtant  serment  entre  les  mains  de  notre  pre- 
mier chirurgien  ou  de  son  lieutenant.  —  Art.  129.  Défenses  sont  faites  auxdits 
experts,  à  peine  de  trois  cents  livres  d'amende,  d'exercer  aucune  partie  de  la 
chirurgie  que  celle  pour  laquelle  ils  auront  été  reçus,  et  de  prendre  sur  leurs 
-enseignes  ou  placards,  affiolies  ou  billets,  la  qualité  de  chirurgiens,  sous  peine 
(le  cent  livres  d'amende.  Ils  auront  seulement  la  faculté  de  prendre  celle 
d'experts  herniaires  ou  dentistes  ». 

Passons  aux  pays  où  la  profession  de  dentiste  a  été  soumise  à  réglementation  : 
la  Prusse,  l'Angleterre,  les  Etats-Unis. 

En  Prusse,  sous  le  régime  de  l'ordonnance  du  24  août  1825,  les  aspirants  au 
tilre  de  dentiste  ne  pouvaient  se  présenter  aux  examens  exigés  d'eux  que  s'ils 
appartenaient  déjà  à  l'une  des  trois  classes  de  médecins  :  celles  des  médecins 
praticiens,  des  chirurgiens  de  première  classe  et  des  chirurgiens  de  seconde 
classe.  Mais  la  loi  du  1°''  décembre  de  la  même  année,  après  avoir  réglementé 
l'examen  d'état  pour  les  médecins,  chirurgiens,  pharmaciens,  vétérinaires,  ocu- 
listes et  dentistes,  permit,  en  ce  qui  concerne  ces  derniers  (art.  51,  §  5),  de  rem- 
placer le  diplôme  (le  médecin  ou  de  chirurgien  par  un  certificat  d'assiduité  aux 
<;ours  d'anatomie,  de  chirurgie  générale  et  spéciale,  de  médecine  opératoire,  de 
matière  médicale  et  thérapeutique,  de  chiruigie  clinique.  L'aspirant  était  tenu, 
en  outre,  à  un  stage  chez  un  dentiste.  L'expérience  ayant  montré  que  le  titre 
de  chirurgien  de  seconde  classe  était  une  trop  faible  garantie  d'instruction,  on  le 
remplaça  par  un  service  militaire  de  trois  ans  comme  chirurgien  ou  par  deux 
années  d'études  dans  une  école  de  médecine  (ordonnance  du  19  avril  1835). 
Enfin,  après  l'unification  du  diplôme,  quand  il  n'y  eut  plus  en  Prusse  qu'un 
seul  ordre  de  médecins  (ordomiance  du  8  octobre  1852),  il  parut  excessif  de 
maintenir  à  l'égard  des  dentistes  l'obligation  d'être  médecins,  et  on  créa  pour 
eux,  par  ordonnance  du  25  septembre  1869,  des  examens  spéciaux.  Nous  abré- 
gerions trop  peu  cette  ordonnance  eu  l'analysant;  nous  préférons  la  reproduire  : 

Art.  l"'.  L'approbation  ne  peut  être  conférée  qu'aux  canciidats  qui  ont  subi  dans 
touies  leurs  parties  les  examens  de  dentiste.  Une  seule  exception  est  faite  pour  ceux  aux- 
quels l'anicle  0  est  applicable. 

Art.  2.  L'examen  de  dentiste  est  passé  devant  la  commission  d'examen  pour  le  titre  de 
médecin  praticien  [Arzl).  Un  dentiste  praticien  est  adjoint  à  cette  commission. 

.\rt.  3.  Le  candidat,  pour  se  présenter  à  l'examen,  doit  produire  :  1°  un  certificat  de 
maturité  pour  la  première  classe  (î'un  gymnase  (Lycée)  ou  d'une  école  professionnelle  [Real- 


DENTISTE.  i^^ 

schulc]  de  première  classe  (École  secondaire  spéciale)  ;  2°  un  certificat  de  deux  aimées  d'études 
dims  une  université;  5°  un  certificat  de  deux  années  de  pratique  de  travaux  odontologiques. 

Anr.  4.     L'examen  se  compose  de  quatre  parties  : 

La  première  épreuve  comprend  l'examen  cliniiiue  d'une  affection  des  dents,  des  gencives, 
du  palais,  etc.  Après  avoir  établi  son  diagnostic,  le  candidat  doit  rédiger,  sans  pouvoir 
s'aider  de  livres,  de  notes  ou  de  conseils,  une  composition  écrite  sur  la  nature,  l'étiologic 
et  le  traitement  de  la  maladie  qu'il  a  eue  à  examiner. 

La  deuxième  épreuve,  passée  sous  la  surveillence  d'un  membre  de  la  commission  d'exa- 
men, consiste  dans  une  composition  sur  10  questions  tirées  au  sort,  parmi  40  au  moins,  et 
portant  sur  l'anatomie,  In  physiologie,  la  palliologieet  la  thérapeutique  générales,  y  compris 
la  matière  médicale,  la  toxicologie,  la  pathologie  et  la  thérapeutique  chirurgicales  et  odonto- 
logiques. 

Dans  la  troisième  épreuve,  le  candidat  doit  prouver  des  connaissances  pratiques  dans  la 
fabrication  et  l'application  de  dents  ou  de  dentiers  artificiels,  comme  dans  toutes  les  parties 
de  l'art  du  dentiste  et  dans  l'emploi  des  instruments  d'odontologie,  par  des  opérations  sur 
le  cadavre  ou  sur  le  squelette. 

Dans  la  quatrième  épreuve,  passée  devant  trois  examinateurs  au  moins,  le  candidat  est 
interrogé  oralement  sur  l'anatomie,  la  physiologie,  la  pathologie  et  l'hygiène  dentaires,  les 
maladies  des  dents  et  des  gencives,  la  préparation  et  l'emploi  des  médicaments  employés 
dans  l'art  dentaire,  sur  les  indications  et  l'exécution  des  opéiations  pratiquées  sur  les  dents. 

Art.  5.  En  ce  qui  concerne  l'inscription  aux  examens,  l'admission  ou  l'ajournement  à 
chacune  des  épreuves,  la  fixation  des  notes,  la  publication  des  noms  des  candidats  admis, 
les  mesures  sont  les  mêmes  que  pour  ce  qui  concerne  les  examens  au  titre  de  Arzt. 

Art.  6.  Les  médecins  diplômés, qui  désirent  obtenirle  titre  de  dentiste  sontexemplés  des 
formalités  mentionnées  à  l'article  5,  et  doivent  subir  la  première,  la  troisième  et  la  quatrième 
épreuves  des  examens. 

Art.  7.    Les  dL'oits  à  acquitter  pour  cliaque  épreuve  sont  fixés  à  5  Ihalers  (18  fr.  75  c). 

Le,-;  candidats  au  diplôme  de  dentiste  qui,  avant  le  1"  octobre  1871,  s'inscriront  pour  les 
examens,  n'auront  à  présenter  que  les  certificats  qui,  dans  leur  pays,  sulfisent  pour  l'ad- 
mission à  l'examen  d'état  pour  le  titre  de  dentiste. 

En  Angleterre,  la  réglementation  de  la  pratique  dentaire  date  de  la  loi  du 
22  juillet  1878,  connue  sous  le  nom  de  the  Denlists  Acl.  Les  cor[)oralions  et  les 
écoles  officiellement  recoinmes  exigent  de  ceux  qui  veident  se  livrer  à  la 
pratique  dentaire  des  examens  conférant  un  titre  que  nous  spécifierons  tout  à 
l'heure.  Le  candidat  qui  a  conquis  ce  titre  peut  demander  son  inscription  sur 
le  registre  des  dentistes,  laquelle  lui  confère  le  droit  à  l'exercice  légal.  Néanmoins 
le  Conseil  général  d'éducation  médicale  et  d'enregistrement,  qui  dresse  chaque 
année  le  Médical Register ,  c'est-à-dire  la  liste  de  ceux  qui,  munis  des  diplômes 
délivrés  par  les  corps  enseignants  indiqués  plus  haut,  sont  autorisés  à  exercer 
la  médecine,  ce  Conseil  a  le  droit  d'apprécier  les  garanties  offertes  par  les 
examens  passés  devant  tel  ou  tel  corps  enseignant;  il  a  également  à  l'égard  des 
dentistes  le  droit  qu'il  possède  à  l'égard  de  l'ensemble  des  médecins,  celui  de 
rayer  de  la  liste  quiconque  tendrait,  par  sa  conduite,  à  déshonorer  la  profession. 
Il  reste  juge  de  la  validité  des  demandes  d'inscription.  L'usurpation  du  titre  de 
dentiste  peut  être  punie  d'une  amende  de  500  francs,  et  l'inscription  sur  le 
registre  au  moyen  d'une  fausse  déclaration  est  punie  d'une  année  d'emprisonne- 
ment. Il  faut  bien  remarquer  que  ce  droit  légal  de  pratiquer  l'ait  dentaire,  ou 
la  médecine  en  général,  qui  résulte  d'une  inscription  sur  un  registre,  après 
obtention  de  titres  conférés  par  diverses  corporations,  n'est  pas  l'analogue  du 
droit  conféré  chez  nous  ou  en  Allemagne  par  des  titres  d'état  émanant  de  corps 
officiels. 

Le  titre  exigé  pour  avoir  droit  à  l'inscription  est  celui  de  licencié  en  chirurgie 
dentaire.  Il  est  délivré  parle  Collège  royal  de  chirurgie  d'Angleterre,  le  Collège  royal 
de  chirurgie  d'Edimbourg,  la  Faculté  de  médecine  et  de  chirurgie  de  Glasgow  et 
le  Collège  royal  de  chirurgie  d'Irlande.  Son  obtention  est  soumise  à  des  condi- 


460  DENTISTE. 

lions  assez  dures.  Il  faut  avoir  suivi  un  cours  d'études  auquel  déjà  on  n'est 
admis  qu'après  avoir  subi  avec  succès  un  examen  es  arts,  analogue  à  notre 
baccalauréat.  Ce  cours  dure  quatre  années.  Les  deux  premières  sont  consacrées: 
l'une  à  l'étude  de  l'anatomie,  de  la  physiologie  et  de  la  chimie  générale;  l'autre 
à  l'étude  de  l'anatomie  de  la  tète  et  du  cou,  de  la  médecine,  de  la  chirurgie  et 
de  la  chimie  pratiques.  Pendant  ces  dcuv  années,  l'élève  est  astreint  à  un  stage 
d'au  moins  douze  mois  dans  un  hôpital  général  pour  y  suivre  l'enseignement 
clinique.  Les  deux  années  suivantes  sont  consacrées  à  l'étude  de  la  dentisterie  : 
auatomie  et  physiologie  dentaires,  humaines  et  comparées  ;  chirurgie,  mét;d- 
hirgie  et  mécani(pie  dentaires.  Dans  le  cours  de  cette  seconde  période,  l'élève 
doit  faire  un  stage  dans  un  hôpital  dentaire  spécial  ou  dans  un  service  dentaire 
d'un  hôpital  général.  Après  les  deux  premières  années  d'études,  l'élève  subit  un 
examen  sur  l'anatomie  et  la  pathologie  générales;  après  les  deux  autres,  un 
examen  dit  de  réception.  Ce  second  examen  comprend  une  épreuve  écrite  et  une 
épreuve  orale  sur  l'anatomie  chirurgicale,  la  théorie  et  la  pratique  de  la  méde- 
cine, de  la  chirurgie  et  de  la  mécanique  dentaires.  11  ne  peut,  du  reste,  clie 
pa>sé  que  sur  la  présentation  d'un  certificat  de  trois  ans  d'apprentissage  chez  un 
praticien  enregistré.  Le  candidat  ayant  subi  l'examen  avec  succès  doit  pro- 
mettre de  ne  recourir,  dans  l'exercice  de  cet  art,  qu'à  des  moyens  honorables. 
Les  Etats-Unis  ont  de  nombreux  collèges  de  dentistes,  que  les  uns  disent 
libres,  les  autres  officiels.  Cette  contradiction  n'est  qu'apparente  et  résulte  d'un 
malentendu.  Ces  Collèges  ne  sont  pas  créés  par  l'IUat,  ni  payés  ])ar  l'État,  mais 
seulement  créés  avec  l'autorisation  de  l'Etat,  par  une  charte  de  l'État,  qui  jouit 
à  leur  égard  du  droit  de  contrôle.  Nous  en  donnerons  ici  la  liste  d'après  le 
rapport  officiel  de  1880,  relatif  à  l'année  1878,  en  indiquant  la  date  de  la  fondation 
delà  plupart  d'entre  eux:  New- ïork dental  Collège  (18(37);  —  Ballimore  Collège 
of  dental  Surqenj  (1859;  ; — Boston  dental  Collège  (1868)  ;  — Dental  School  of 
Harvard  University  Boston;  — Dental  Collège  of  the  Vniversity  ofMichigan; 

—  Missouri  dental  Collège  (1805)  ;  — New-York  Collège  of  dentistry  (1865); 

—  Ohio  Collège  of  dental  Surgery  (1844)  ;  —  Départ,  of  dentistry,  Universitij 
of  Pennsylvania  ;  —  Pennsylvania  Collège  of  dental  Surgery  (1850)  ;  — Phila- 
delphia  dental  Collège  (1805);  —  Dental  départ.  Nashville  médical  Collège 
(1876).  Chacun  de  ces  Collèges  a  un  président  doyen  à  sa  tète,  avec  des  profes- 
seurs, les  uns  résidents,  les  autres  non  résidents.  On  compte  dans  Pennsylvania 
Collège,  président  M.  Peissc,  157  élèves;  dans  Philadelptiia  Collège,  président 
M.  D.-D.  Smith,  118;  dans  New-York  Collège,  président  M.  Abbott,  86;  dans 
Ballimore  Collège,  président  M.  Gorgas,  82;  dans  Dental  Collège  of  Michigan, 
président  M.  Taft,  62,  etc.  Relativement  aux  études,  prenons  l'exemple  de 
Philadelphie  :  elles  durent  deux  années  et  comprennent  la  chimie  générale  et 
pratique,  l'anatomie,  la  physiologie,  la  matière  médicale  et  la  thérapeutique, 
la  chirurgie,  la  mécanique  et  la  métallurgie  dentaires,  les  opérations  dentaires. 
Les  cours  de  chimie  ne  sont  suivis  que  la  première  année.  Les  élèves  doivent 
suivre  les  cliniques  de  l'hôpital.  Deux  examens  sont  passés:  l'un,  à  la  fin  de  la 
première  année,  sur  la  chimie  et  la  matière  médicale;  l'autre,  à  la  fin  de  la 
seconde  année,  sur  l'anatomie,  la  physiologie,  les  opérations  dentaires,  la  méca- 
nique dentaire  et  la  métallurgie'. 

*  11  a  été  récemment  créé  une  École  dentaire  à  Genève.  La  direction  scientifique  de  l'école 
est  coniiée  à  une  Commission  de  cinq  membres,  nommée  tous  les  deux  ans  par  le  dépar- 
tement de  l'Instruction  publique. 


DEiNTlSTE.  4oI 

En  présence  de  semblables  institutions,  il  y  a  longtemps  qu'on  s'étonnait  en 
France  de  ne  pas  voir  la  législation  mettre  fin  à  l'équivoque  qui  divise  les  tribu- 
naux et  supprimer  la  liberté  de  la  profession  de  dentiste,  quand  le  18  mai  1850, 
M.  Gréard,  vice-recteur  de  l'Académie  de  Paris,  adressa  à  M.  le  doyen  de  la 
Faculté  de  médecine  les  deux  questions  suivantes,  ressortant  de  nombreuses 
plaintes  parvenues  au  ministère  de  l'instruction  publique  :  i"  Faut-il  exiger  de 
tout  dentiste  qu'il  ait  acquis  par  des  examens,  au  moins  par  ceux  d'officier  de 
santé,  le  droit  d'exercer  la  médecine  ?  2°  Y  a-t-il  lieu,  en  deliors  de  cette  exigence, 
d'imposer  aux  futurs  dentistes  un  stage  professionnel,  qui  aurait  poiu-  consé- 
quence un  examen  de  validation  de  stage?  A  la  lettre  de  M.  le  vice-recteur  était 
joint  un  projet  de  loi  ainsi  conçu  : 

Aut.  ruEMiEn.  A  partir  du  1''  janvier  188...,  nul  ne  pourra  exercer  l'art  denlaire,  ni 
porterie  titre  de  chirurgien-dentiste,  s'il  n'est  pourvu  du  diplôme  spécial  de  chirurgien-dentiste. 

Anr.  2.  l'our  obtenir  le  diplôme  de  chirurgien-dentiste,  le  candidat  doit  :  1°  produire  le 
diplôme  dolTicier  de  santé;  '2°  justifier  de  trois  ans  de  stage,  soit  chez  un  dentiste,  soil 
dans  une  école  d'odontologie;  ô°  passer  un  examen  de  validation  de  stage. 

Art.  5.  Le  jury  pour  cet  examen  est  composé  d'un  professeur  de  l'acuité,  président,  et  do 
deux  dentistes  pourvus  du  grade  de  docteur  en  médecine  ou  pourvus  du  droit  d'exercice  de 
la  médecine. 

Aut.  4.     L'examen  comporte  des  épreuves  pratiques  et  une  épreuve  orale. 

Epreuves  pratiques.  Les  épreuves  pratiques  consislcnt  en  opérations  faites  sur  un  sujet 
vivant  ou  mort  :  extraction,  obturation,  exécution  ch  loge  iï un  appareil  de  prothèse  entier 
ou  partiel,  et  application  de  cet  appareil. 

Epreuves  orales.  L'épreuve  orale  comprend  :  l'anatomie,  l'histologie,  la  physiologie, 
principalement  en  ce  qui  concerne  la  tête  ;  la  patliolo:fie  interne  et  externe,  la  matière 
médicale  et  la  thérapeutique  au  point  de  vue  des  maladies  de  la  bouche;  la  physique,  la 
chimie,  la  métallurgie,  la  mécanique,  appliquées  à  l'art  du  dentiste. 

La  Faculté  renvoya  ce  projet  à  une  commission  composée  de  MM.  les  profes- 
seurs Gavarret,  Duplay  et  Léon  Le  Fort.  Ce  dernier,  connu  par  de  beaux  travaux 
sur  l'organisation  de  la  médecine  en  France  et  à  l'étranger  et  sur  celle  des  ser- 
vices bospitaliers,  rédigea  un  rapport  étendu  auquel  nous|avons  déjà  fait  des  em- 
prunts et  dont  nous  aurons  à  tenir  grand  compte  dans  l'appréciation  qui  va  suivre. 

Et  d'abord,  sur  la  question  de  M.  le  vice-recteur,  s'il  convient  d'imposer  au 
dentiste  la  production  d'un  diplôme  d'officier  de  santé,  nous  partageons  plei- 
nement le  sentiment  de  la  commission. 

L'officiat  en  lui-même  est,  à  nos  yeux,  un  mal  présentement  nécessaire,  mais 
qui  diminue  de  jour  en  jour  et  dont  le  train  des  clioses  amènera  tôt  ou  tard  la 
disparition  [voij.  Officier  de  santé).  Ce  n'est  donc  pas  nous  qui  pouvons  approu- 
ver une  mesure  où  il  trouverait  l'appât  nouveau  d'une  profession  devenue  tout 
ensemble  plus  lucrative  par  la  réduction  de  son  personnel,  et  plus  relevée  dans 
la  considération  publique.  Eu  l'état  actuel  des  choses,  les  dentistes  ne  trou- 
vent pas  d'avantage  sensible  à  acquérir  le  diplôme  d'officier  de  santé,  parce  que  ce 
signe  exceptionnel  n'est  pas  visible  chez  ceux  qui  le  porlent,  et  parce  qu'il  con- 
stitue une  force  médiocre  contre  la  concurrence  dans  une  profession  ouverte  à  tous 
et  où  le  savoir-faire  est  si  puissant.  On  ne  s'impose  pas  d'<iilleurs  volontiers  une 
charge  dont  la  loi  vous  dispense.  Que  ces  conditions  cliangent,  que  l'art  du  den- 
tiste soit  classé  parmi  les  professions  savantes,  comme  celle  du  médecin,  au  prix 
d'un  diplôme  facile  à  acquérir,  et  il  n'est  pas  douteux  que  la  classe  des  offi- 
ciers de  santé  trouve  là  une  abondante  source  de  recrutement,  d'autant 
plus  que  le  titre  vaudrait  toujours  à  tout  hasard  pour  l'exercice  général  de  la 
médecine. 


V 


4G2  DENTISTE. 

Esl-ce  donc  le  doctorat  qu'il  convient  d'iini)Oser  aux  dentistes?  A  plu- 
sieurs reprises,  des  praticiens  distingués,  M.  Âuilibran  en  1844,  M.  Anàrieu 
en  18G4,  1868  et  1877,  adressèrent  des  pétitions  au  ministre  de  rinstruclioii 
publique,  au  ministre  de  l'Agriculture  et  du  Commerce,  au  Corps  législatif,  au 
Sénat,  pour  deniauder  que  la  loi  qui  régit  la  médecine  fût  observée  à  l'égard  des 
dentistes;  et  M.  Andrieu,  président  de  la  chambre  syndicale,  dans  sa  pétition 
de  1877,  allait  jusqu'à  réclamer  l'obligation  du  doctorat.  La  pétition  fut  ren- 
voyée aux  minisires  de  l'Instruction  publique  et  de  l'Intérieur,  snr  un  rapport 
l'avorable  de  M.  le  sénateur  Gayot.  Contre  cette  opinion,  on  fait  valoir  un  ar- 
gument sérieux.  En  raison  même  de  sa  spécialité  si  marquée,  et  si  bien  éta- 
blie qu'elle  échappe  à  noire  enseignement  officiel,  la  technique  dentaire  exige 
un  stage  qui  ne  peut  être  de  moins  de  deux  ou  trois  ans  chez  un  praticien  ou, 
(|uand  cela  est  possible,  dans  un  hôpital  dentaire.  Cette  obligation  dusta^e,  avec 
l'examen  de  validation  qu'il  entraîne,  jointe  à  l'obligation  du  doctorat,  impose 
à  un  art  très-limité  une  plus  lourde  charge  qu'à  l'art  médical  tout  entier,  et  du 
même  coup  on  confère  aux  dentistes  une  sorte  de  supériorité  sur  les  médecins 
ordinaires,  puis(iu'ils  doivent  plus  apprendre  et  subir  plus  d'épreuves.  C'est 
même  un  avantage  qu'ils  se  procurent  quelquefois  sans  y  être  astreints  par  la 
loi,  dans  les  pays  oîi  la  scolarité  du  doctorat  n'est  pas  de  longue  durée.  En  Penn- 
sylvanie, par  exem[)le,  il  paraît  que  nombre  d'étudiants  du  collège  dentaire,  au 
lieu  de  se  contenter  du  diplôme  de  doclenr-dentiste  qu'ils  peuvent,  comme  ou 
l'a  vu,  obtenir  au  bout  de  deux  ans,  préfèrent  pousser  leurs  études  jusqu'à  la  lin 
delà  troisième  année,  pour  conquérir  celui  de  docteur-médecin. 

Ces  objections  que  nous  rencontrons  en  partie  dans  le  rapport  de  la  commis- 
sion de  la  Faculté  ne  suffiraient  pourtant  pas  à  nous  convaincre,  si  nous  n'étions 
en  présence  que  d'un  seul  ordre  de  médecins.  Il  flmt  bien  reconnaître  que  la 
seule  demande  étiuitable  à  adresser  aux  pouvoirs  publics,  dès  qu'on  veut  appli- 
quer aux  dentistes  la  loi  de  l'an  XI,  est  de  l'appliquer  tout  entière.  Aucun 
moyen  conséquemment  de  forcer  les  aspirants  dentistes  à  prendre  le  diplôme 
de  docteur  à  l'exclusion  de  celui  d'officier  de  santé.  Ce  serait  déclarer  la  pra- 
tique de  l'art  dentaire  plus  difticile,  plus  relevée  que  la  pratique  delà  médecine 
rurale  pour  laquelle  on  sait  que  le  second  ordre  de  médecins  a  été  inventé.  Mais, 
si  cette  difficulté  n'existait  pas  ou  était  écartée,  si  l'on  venait  à  supprimer  légale- 
ment l'officiatou  à  unifier  d'une  manière  quelconque  le  diplôme  de  médecin  pra- 
ticien ^  nous  n'hésiterions  pas  à  demander  l'assujettissement  des  dentistes  à  la 
loi  commune  après  avoir  strictement  délimité  le  champ  de  la  pratique  dentaire. 
11  faut,  pour  bien  juger  cette  question,  ne  pas  tenir  les  yeux  fixés  sur  une  seule 
spécialité,  mais  bien  les  envisager  toutes  dans  leur  ensemble.  Chacune,  nous 
l'avons  déjà  dit,  en  dehors  des  connaissances  médicales  dont  elle  ne  peut  ou  ne 
doit  point  se  passer,  a  une  technique  qui  tient  plus  de  l'industrie,  de  l'art,  si 
l'on  veut,  que  de  la  science.  A  quel  titre  une  loi  organique  sur  la  médecine 
s'occuperait-elle  plus  de  la  technique  dentaire  que  de  la  technique  oculistique 
ou  de  la  technique  herniaire,  ou  de  la  technique  orthopédique?  Il  n'est  pas 
besoin  de  lois  spéciales  pour  la  pratique  de  l'ophthalmiatrie,  de  la  chirurgie 
herniaire,  de  l'orthopédie,  et  le  diplôme  est  exigible  pour  le  traitement  d'une  seule 
maladie  des  yeux  et  d'un  seul  malade,  pour  une  seule  kélotomie,  pour  une  seule 

*  On  sait  qu'il  a  été  souvent  proposé  et  naguère  encore  (Bapport  de  M.  Paul  Bert  à 
l'Assemblée  nalionale,  1874)  de  créer  au-dessous  du  doctorat  le  grade  de  licencié,  donnant 
seul  droit  de  pratique,  en  faisant  du  doctorat  relevé  un  titre  purement  honorifique. 


DENTISTli.  46* 

opération  de  pied-bot.  Supposez  qu'on  veuille  rattacher  à  ces  spécialités  diverses, 
comme  dépendance  inséparable,  leur  partie  technique,  manuelle,  instrumentale, 
(|ue  s'en  suivra-t-il?  Qu'il  faudra  interdire  aux  opticiens  la  vente  sans  ordon- 
nance de  verres  concaves,  ou  convexes,  ou  périscopiques,  et  exiger  des  médecins 
qu'ils  c!loisi^sent  ces  verres  et  même  les  l'abriquent  de  leurs  propres  mains  ;  il  laiidra 
interdire  encore  aux  bandagistes,  pour  en  charger  les  médecins ,  la  confection  et 
lapose  despelotes  herniaires;  aux  orthopédistes,  la  fabrication  d'appareils  de  redres- 
sement ou  de  soutènement,  tout  comme  on  s'apprête  à  refuser  au  premier  venu 
le  droit  de  nettoyer,  de  limer  les  dents  ou  de  iabriquer  et  poser  des  appareils 
prothétiques.  Or,  certainement  la  santé  publique  n'est  pas  plus  compromise  par 
ces  dernières  pratiques  que  par  les  précédentes  ;  nous  croyons  même  qu'elle 
l'est  moins  en  raison  du  stage,  du  véritable  apprentissage,  auquel  s'astreignent 
toujours  d'eux-mêmes  ceux  qui  se  préparent  à  la  profession  de  dentiste,  et  par 
lequel  Us  n'ont  pas  de  peine  à  devenir  aussi  habiles  dans  cette  partie  mécanique 
de  leur  art  que,  dans  d'autres,  les  ébénistes,  les  couteliers,  les  bijoutiers,  qui, 
eux  aussi,  doivent  tour  à  tour  fabriquer  et  ajuster  des  pièces   délicates. 

Que  l'Etat,  en  tant  que  dispensateur  de  titres  de  capacité,  ne  s'occupe  donc 
pas  des  dentistes;  qu'il  les  ignore,  comme  il  ignore  les  oculistes,  les  auristes, 
les  orthopédistes,  les  aliénistes,  les  syphilographes,  les  dermato^raphes,  les  uro- 
palhes,  les  laryngopalhes.  etc.  1  Qu'il  se  dise  :  «  Celui  qui  extrait  une  dent,  qui 
introduit  dans  sa  cavité  de  l'arsenic  ou  toute  autre  substance  active,  qui  ouvre  ou 
cautérise  un  kyste  dentaire,  celui-là  pratique  la  chirurgie;  celui  qui  se  borne  à 
nettoyer  les  dents,  à  les  limer  peut  à  la  rigueur,  sans  doute,  nuire  à  son  client; 
mais  il  est  l'analogue  du  pédicure  (jui  lime  ou  extrait  les  cors.  El  le  dentiste  qui 
fabri([ue  et  pose  des  pièces  de  prothèse  est  tout  semblable  au  bandagiste  qui 
fabrique  et  pose  des  bandages.  »  Que  le  gouvernement  les  soumette  donc  tous 
à  la  même  règle  ;  qu'il  renvoie  leurs  infractions  aux  disposilions  pénales  de  la 
loi  sur  la  médecine  et  au  code  pénal.  C'e^t  le  moyen  régulier,  pratique,  d'en  finir 
avec  cette  question  embrouillée  de  la  limitation  du  champ  d'exercice  profession- 
nel, qui  déjà,  sur  un  autre  terrain,  celui  des  deux  classes  de  praticiens,  est  une 
source  de  perpétuels  conflits.  Un  ne  demandera  plus  oij  commence  et  où  finit  la 
bouche,  jusqu'à  quel  point  les  dents  tiennent  aux  gencives,  si  l'alvéole  va  avec 
la  dent  ou  avec  le  maxillaire,  ou  celui-ci  avec  le  périoste.  Le  patient  ne  sera  plus 
obligé  de  courir  du  médecin  ordinaire  au  dentiste,  du  dentiste  au  chirurgien, 
pour  une  névralgie  de  la  face,  pour  un  abcès  du  sinus  maxillaire,  pour  un  kyste 
périostique  dentaire,  etc.  Tout  cela  n'empêcherait  pas,  mais  au  contraire  appel- 
lerait un  enseignement  spécial  au  sein  du  grand  enseignement,  des  cliniques 
dentaires  parmi  les  cliniques  médico-chirurgicales,  analogues  à  l'enseignement 
actuel  et  aux  cliniques  actuelles  des  maladies  de  la  peau,  des  maladies  des  yeux, 
de  la  médecine  mentale.  Bien  plus,  si  l'on  tenait  absolument  à  surveiller  la  pro- 
thèse, rien  ne  serait  plus  simple  que  de  munir  ces  cliniques  d'un  laboratoire 
approprié.  Conséquemment  pas  d'écoles  odontologiques  d'Etat,  c'est-à-dire  d'é- 
coles séparées   de  la   Faculté,   avec  un  personnel  professoral   distinct.   Aucun 
besoin  non  plus  d'écoles  odontologiques  libres  et  délivrant  des  brevets  de  chi- 
rurgien-dentiste, telles  qu'il  s'en  est  fondé  une  à  Paris  (elle  exige  deux  ans  d'é- 
tudes et  trois  examens;  il  ne  faut  pas  la  confondre  avec  la  Chambre  sijndicale 
odontologique  de  France)  ;  ces  diplômes  deviendraient  même  une  sorte  d'anomalie 
en  ce  qu'ils  constitueraient  un  titre  privé  à  côté  d'un  titre  officiel.  Aujourd'hui, 
en  l'absence  d'une  loi  qui  fixe  la  position  légale  des  dentistes,  un  brevet  de  ce 


404  DENTISTE. 

genre,  outre  qu'il  rencontre  la  protection  de  la  loi  sur  l'enseignement  libre, 
peut  avoir  l'avantage  de  témoigner,  sans  garantie  de  l'État,  d'un  certain  savoir, 
d'une  certaine  expérience;  il  est  l'analogue  de  ce  droit  de  maUrise  conféré,  dans 
ks  anciennes  corporations,  à  ceux  qui  avaient  rempli  certaines  conditions  et 
fait,  comme  on  disait,  leur  chef-d'œuvre;  il  n'aurait  plus  de  raison  d'être,  si 
l'art  dentaire  était  placé  sous  l'autorité  de  la  loi  de  ventôse. 

Pour  résumer  toute  notre  pensée,  que  la /of  divorce  avec  toutes  les  spécialités 
et  que  V enseignement  les  épouse  toutes  !  On  sait  déjà  que  nous  exceptons  du 
divorce  la  spécialité  des  accouchements. 

Mais  nous  oublions  que  nous  nous  sommes  placé  volontairement  en  face 
d'une  hypothèse,  et  d'une  hypothèse  qui  peut  larder  à  se  réaliser  :  celle  de  la 
suppression  des  officiers  de  santé.  Or,  en  matière  d'organisation  comme  en 
beaucoup  d'autres,  c'est  souvent  pour  les  principes  une  nécessité  de  s'accom- 
moder aux  circonstances.  Le  dentiste  obligatoirement  oflîcier  de  santé  est  un 
danger;  le  dentiste  obligatoirement  docteur  quand  il  ne  voudrait  être  qu'un 
officier  de  santé  est  presque  une  illégalité.  Dès  lors,  il  n'y  a  pour  nous  de  bonne 
solution  que  celle-ci  :  demander  aux  Chambres  la  révision  de  la  loi  de  l'an  XI, 
l'unification  du  diplôme,  c'est-à-dire  la  suppression  du  second  ordre  de  méde- 
cins dans  un  délai  suffisant  pour  donner  toute  satisftiction  aux  besoins  de  h 
santé  publique.  Si  l'on  faisait  cela,  plus  de  difficultés  pour  nous.  Nous  deman- 
derions formellement  que  la  nouvelle  loi  fût  applicable  à  Tart  dentaire.  Autre- 
ment,  nous  admettrions  (à  titre  provisoire,  nous  le  répétons,  et  pour  un  temps 
égal  à  la  durée  de  l'ofticiat)  (pi'on  préférât  au  statu  quo  la  création  d'un  di- 
plôme spécial  qui  fût  le  prix  d'études  et  d'examens  sérieux. 

En  tous  cas,  un  projet  dans  ce  sens  existe,  et  nous  avons  à  l'examiner. 

Une  école  d'odontologie  distincte  des  facultés  et  écoles  actuelles  ne  semble  pas 
encore  indispensable,  bien  qu'il  soit  possible,  comme  ledit  M.  Le  Fort,  que  l'uti- 
lité s'en  fasse  sentir.  En  attendant,  la  Commission  de  la  Faculté  a  fait  suLir  au 
projet  de  l'Administration  certaines  additions  et  certains  changements.  N'ayant  pas 
en  vue  un  autre  dentiste  que  le  dentiste  actuel,  limité  aux  petits  soins  et  aux  pe- 
tites opérations  indiqués  au  commencement  de  ce  livre,  ne  considérant  pas  le 
dentiste-médecin,  elle  se  montre  modérée  dans  l'ensemble  de  ses  exigences. 
Rejetlant  l'obligation  du  diplôme  d'officier  de  santé,  elle  le  remplace  par  un 
diplôme  de  dentiste,  et  écarte  à  dessin  le  titre  de  chirurgien-dentiste,  afin  de 
bien  marquer  l'interdiction  de  pratiquer  des  opérations  chirurgicales.  Elle 
demande  au  candidat  la  preuve  d'une  certaine  instruction  littéraire,  en  exi- 
geant de  lui  le  certificat  de  grammaire  (mesure  excellente,  qui  a  produit  de 
très-bons  effets  sur  un  autre  terrain  [voy.  Officier  he  santé]),  un  diplôme 
d'études  de  l'enseignement  secondaire  spécial.  Elle  réduit  à  deux  ans  la  durée 
des  études,  avec  un  stage  d'un  an  dans  un  service  de  chirurgie.  Quant  au  stage 
chez  un  dentiste  (ou  dans  une  école  d'olontologie),  elle  le  prescrit  formellement, 
«e  tiui  peut  se  comprendre  dans  un  projet  destiné  à  donner  à  une  profession 
médicale  une  organisation  entièrement  séparée  de  l'organisation  générale  de  la 
médecine.  Enfin  les  examens  se  composent  de  trois  épreuves  très-bien  comprises 
pour  permettre  de  juger  de  l'aptitude  des  candidats.  Voici  d'ailleurs  tout  entier 
le  projet  sorti  des  délibérations  de  la  Commission  : 

Art.  pbemier.    A  partir  du  1"  janvier  188...,  nul  ne  pourra  exercer  l'art  dentaii'e,  ni  porter 
le  litre  de  dentiste,  s'il  n'est  pourvu  du  diplôme  spécial  de  dentiste. 


DENTISTE.  A65 

Art.  2.    Pour  obtenir  le  diplôme  de  dentiste  le  candidat  doit  : 
1°  Être  âgé  de  20  ans  au  moins; 

2°  Produire  un  certificat  de  grammaire  ou  un  diplôme  d'études  de  l'enseignement  secon- 
daire spécial; 

ô"  Suivre  pendant  deux  années,  auprès  d'une  faculté  ou  d'une  école  de  médecine,  les 
cours  d'anatomie,  de  physiologie,  de  pathologie  interne  et  externe  ; 

Remplir  pendant  les  deux  derniers  semestres  les  fonctions  de  stagiaire  dans  un  service  de 
chirurgie; 

4°  Justifier  de  deux  années  de  stage,  soit  chez  un  dentiste,  soit  dans  une  école  d'odonto- 
logie. Le  début  du  stage,  qui  ne  peut  commencer  qu'à  l'expiration  des  deux  années  d'éludés 
prescrites  par  le  paragraphe  5,  est  établi  par  l'inscription  du  candidat  sur  un  registre 
spécial,  soit  dans  une  faculté,  soit  dans  une  école  de  médecine. 

Tout  changement  dans  le  lieu  où  l'élève  fait  le  stage  devra  être  précédé  d'une  déclaration 
auprès  de  la  faculté  ou  de  l'école,  et  consigné  sur  le  registre  d'inscription; 
o*  Satisfaire  aux  examens  établis  par  la  pi'ésente  loi. 

Art.  3.     Chaque  jury  d'examen  est  composé  d'un  professeur  de  faculté,  président,  d'un 
agrégé  et  d'un  dentiste,  nommés  chaque  année  par  le  ministre  de  l'instruction  publique. 
Art.  4.    Les  épreuves  sont  au  nombre  de  trois  : 

1°  Une  épreuve  orale  suv  l'anatomie,  l'histologie,  la  physiologie  de  la  bouche  et  de  ses 
dépendances  ;  sur  la  pathologie  interne  et  externe,  la  matière  médicale  et  la  thérapeutique, 
au  point  de  vue  spécial  des  maladies  de  la  bouche  ; 

2°  Une  épreuve  clinique  sur  un  malade  atteint  d'une  affection  de  la  bouche  et  de  ses 
dépendances.  Le  candidat,  après  avoir  établi  de  vive  voix  son  diagnostic,  devra  rédiger,  sans 
pouvoir  s'aider  de  livres,  de  notes  ou  lie  conseils,  une  composition  écrite  sur  la  nature, 
l'étiologie  et  le  traitement  de  la  maladie  qu'il  a  eue  à  examiner; 

3°  Une  épreuve  pratique  consistant  en  opérations  faites  sur  le  vivant,  sur  le  cadavTe  ou 
sur  le  squelette;  extraction,  obturation  des  dents,  etc.,  et,  de  plus,  exécution  en  loge  d'un 
appareil  de  prothèse  entier  ou  partiel,  avec  application  de  cet  appareil.  A  la  suite  de  cette 
épreuve,  le  candidat  sera  interrogé  sur  les  opérations  odontologiques,  sur  la  physique,  la 
chimie,  la  mécanique  et  la  métallurgie,  dans  leurs  applications  à  l'art  du  dentiste. 

Art.  5.  Les  docteurs  en  médecine  et  les  officiers  de  santé  qui  désireront  pouvoir  joindre 
à  leur  titre  celui  de  dentiste  ne  seront  astreints  qu'aux  deux  années  de  stage  spécial,  et 
n'auront  à  subir  d'autre  examen  que  l'épreuve  pratique  établie  par  l'article  4. 

Art.  6.  Les  étrangers,  quels  que  soient  leurs  titres,  qui  désireront  pratiquer  en  France 
la  profession  de  dentiste,  seront  soumis  aux  examens  exigés  des  nationaux.  Toutefois  le 
ministre,  sur  l'examen  de  leurs  titres,  et  après  avis  du  comité  consultatif,  pourra  les  dis- 
penser des  formalités  de  stage  et  d'inscription  établies  par  l'article  2. 

Art.  7.  La  liste  officielle  des  dentistes  ayant  droit  'de  pratique  légale  en  France  sera 
publiée  chaque  année  par  les  soins  du  ministre  de  l'instruction  publique.  Cette  liste,  di-essce 
par  ordre  alphabétique,  comprendra  la  mention  de  résidence,  la  nature  et  la  date  des  titres 
donnant  droit  à  la  pratique. 

Dispositions  transitoires.  Les  dentistes  français  pouvant  par  pièces  officielles,  telles  que 
la  patente,  établir  qu'ils  exercent  leur  profession  en  France  depuis  dix  ans  au  moins,  sont 
admis  de  droit  à  la  pratique  légale. 

Ce  droit  pourra  être  conféré  par  le  ministre  aux  dentistes  ".étrangers  exerçant  en  France 
depuis  dix  ans  au  moins,  après  avis  du  comité  consultatif. 

Un  délai  de  trois  années  est  accordé  aux  dentistes  français  et  étrangers  exerçant  en  France 
depuis  moins  de  dix  ans  pour  se  soumettre  aux  examens 'établis  par  la  présente  loi.  Sur  le 
vu  des  pièces  établissant  la  nature  de  leurs  études  antérieures  et  la  date  de  leur  établisse- 
ment, ils  pourront  être  exemptés  des  formalités  imposées  par  l'article  2.  Passé  ce  délai,  le 
droit  d'exercice  leur  sera  retiré,  à  moins  qu'ils  n'aient  satisfait  aux  examens  établis  à 
l'article  4. 

Le  programme  de  la  Commission,  en  ce  qui  concerne  les  études,  est,  comme 
on  le  voit,  plus  simple,  moins  onéreux  que  le  programme  allemand.  Il  modifie 
le  projet  de  l'administration  principalement  en  ce  qu'il  ajoute  une  épreuve  cli- 
nique, en  partie  écrite,  à  l'épreuve  orale;  en  ce  que  l'élève  devra  s'initier 
aux  notions  générales  de  la  médecine  en  suivant  des  cours  d'anatomie,  de 
physiologie  et  de  pathologie,  dans  une  école  préparatoire  ou  une  faculté  ;  enfin 
en  ce  que  le  stage  chez  un  dentiste  ou  dans  une  école  d'odontologie  ne  sera  que 

DICT.   EXC.  XXVII.  5J 


466  DENTITION. 

de  deux  ans  au  lieu  de  trois  ;  toutefois  il  ne  commencera  qu'à  l'expiration  des 
deux  années  d'études. 

On  aura  remarqué  l'article  5  suivant  lequel  le  stage  de  deux  ans  et  l'épreuve 
pratique  (n°  4)  seront  seuls  imposés  aux  docteurs  ou  officiers  de  santé  qui  vou- 
dront acquérir  le  diplôme  de  dentiste.  Cet  article  répond  à  cette  pensée  exprimée 
dans  le  corps  du  rapport  :  que  les  hommes  de  l'art,  malgré  le  caractère  général 
de  leur  droit  d'exercice,  ne  doivent  pas  pouvoir  pratiquer  l'art  dentaire  sans  avoir 
subi  des  épreuves  spéciales.  Il  en  est  ainsi,  comme  on  l'a  vu,  dans  le  système 
allemand.  Cette  pensée,  que  rend  naturelle  la  préoccupation   de  la  partie  tech- 
nique de  l'art  dentaire,  nous  ne  saurions  la  partager.  On  s'étonnera  d'une  res- 
triction apportée  aux  droits  du  doctorat.  Le  rapport  en    donne  pour  raison 
que  la  technique  de  l'art  dentaire  n'est  pas  enseignée  dans  les  facultés  et  dans 
les  écoles  médicales  ;  mais,  de  ce  fait,  on  pourrait  tout  aussi  bien  inférer  qu'elle 
n'est  pas  liée  à  la  médecine  proprement  dite  plus  étroitement  que  la  techn'que 
des  autres  spécialités,  qui  n'est  pas  enseignée  davantage;  car  donner  aux  élèves 
des  notions  sur  les  bandages  ou  sur  les  corsets  n'est  pas  la  même  chose  qu'exi- 
ger la  fabrication  et  la  pose  de    pièces  dentaires.  Il  nous  semble  d'ailleurs 
que  cette  disposition  jetterait  quelque  confusion  dans  la  matière  même  qu'il 
s'agit  de  régler.  Il  n'est  pas  un  praticien  de  campagne  ou  de  petite  ville  qui  ne 
soit  appelé  fréquemment  à  extraire,  à  cautériser  des  dents,  même  à  les  limer, 
pour  guérir  certaines  érosions  de  la  langue,  ou  à  les  nettoyer  pour  enlever 
les  dépôts  de  tartre  qui   produisent  l'inflammation  des    gencives.  Si  c'était  là 
faire  acte  de  dentiste,  il  faudrait  imposer  le  stage  et  l'épreuve  pratique  à  l'im- 
mense majorité  des   docteurs.  Restent  les  pièces  artificielles,   les  appareils  de 
redressement  :  est-ce  donc   toute    la  dentisterie?  Alors,  pourquoi  soumettre 
l'aspirant  à  des  épreuves  d'anatomie,    de  physiologie  et  de  pathologie?  Dans 
cette  difficulté  nous  ne  pouvons  voir,  pour  notre  part,  qu'un  motif  de  plus  de 
faire  entrer  à  un  titre  quelconque  l'odontologie  dans  la  clinique  des  hôpitaux, 
en  laissant  les  futurs  docteurs  ou  officiers  de  santé,  si  l'on  institue  des  exer- 
cices de  prothèse,  libres  de  les  suivre  ou  de  les  délaisser.  Il  n'est  pas  à  craindre 
que  des  praticiens  qui  auraient  voulu  ignorer  la  prothèse   se  mettent   à  vendre 
des  râteliers  artificiels  ;   et  l'enseignement  du   reste  de  la  pratique  dentaire  à 
l'ensemble  des  praticiens  aurait  des  avantages  incontestables  pour  les  patients 
habitant  loin  des  grands  centres  de  population,  en  dehors  desquels,  on  le  sait, 
ne  se  trouvent  guère  de  dentistes  dignes  de  ce  nom. 

Si  nous  regrettons  vivement  en  terminant  cet  article  de  n'être  pas  entièrement 
d'accord  avec  un  confrère  aussi  versé  que  M.  Le  Fort  dans  les  questions  d'organi- 
sation médicale,  et  auquel  nous  unissent  les  liens  d'une  sympathie  profonde,  en 
revanche  nous  voyons  avec  grande  satisfaction  que  les  principes  défendus  par  nous 
l'ont  été,  avec  une  compétence  spéciale,  par  M.  le  docteur  Magitot  dans  une  série 
de  Lettres  adressée  à  la  Gazette  hebdomadaire  (1881,  n"*  56-45*).  Dechambre. 

DEi\TlTlOX.  Il  convenait,  dans  une  œuvre  comme  celle-ci,  que  M.  Magitot, 
avec  l'autorité  spéciale  qui  lui  appartient,  exposât  ses  idées  personnelles  touchant 
la  question  de  l'influence,  si  généralement  affirmée,  de  la  dentition,  sur  la 
production   d'un   certain  nombre  de  maladies  autres  que  celles  de  l'appareil 

*  Postérieurement  à  la  rédaction  de  cet  article,  la  commission  de  la  faculté  a  spontané- 
ment renoncé  à  la  disposition  (art.  5)  que  nous  venons  de  critiquer.  Le  reste  du  projet  de 
M.  Le  Fort  a  été  voté  par  l'assemblée  des  professeurs. 


DENTITION.  •467 

dentaire  ou  des  parties  qui  y  confinent.  M.  Magitot  conteste  absolument  cette 
influence.  On  a  pensé  que  l'opinion  contraire,  l'opinion  commune ,  doit  être 
également  représentée.  C'est  le  motif  des  quelques  lignes  qui  vont  suivre. 

La  dentition  par  elle-même  n'est  pas  une  maladie.  Il  est  cependant  assez  rare 
de  la  voir  parcourir  toutes  ses  périodes  sans  provoquer  chez  l'enfant  quelque 
symptôme  morbide.  C'est  la  première  époque  critique  de  la  vie. 

Les  accidents  auxquels  elle  peut  donner  lieu  sont  locaux  ou  généraux.  Les 
premiers  n'ont  jamais  été  l'objet  de  controverse  sérieuse.  Leur  évidence  est  telle 
dans  certains  cas  qu'on  ne  saurait  les  mettre  en  doute  et  en  discuter  raisonna- 
blement la  nature  et  l'origine.  11  n'en  est  pas  de  même  des  accidents  généraux, 
qui  ont  été  vivement  contestés.  Ces  divergences  d'opinions  doivent  être  expliquées. 
Il  est  certain  qu'on  ne  saurait,  sans  abus,  attribuer  à  la  dentition  toutes  les 
maladies  dont  un  enfant  peut  être  atteint  pendant  l'évolution  dentaire.  Sous  ce 
rapport  il  y  a  eu  beaucoup  d'exagération.  Il  n'y  en  a  pas  moins  à  méconnaître 
des  accidents,  observés  par  tous  les  médecins,  accompagnant  le  travail  d'une 
dentition  difficile,  apparaissant  au  moment  de  l'évolution  d'un  groupe  dentaire, 
diminuant  ou  cessant  dès  qu'une  dent  a  percé  poiir  reprendre  quelque  temps 
après  dans  les  mêmes  conditions  et  sans  qu'où  puisse  faire  intervenir  une  autre 
cause.  On  ne  peut  nier  l'accident,  mais  on  nie  la  cause  et  on  refuse  à  la  denti- 
tion toute  influence  sur  l'état  pathologique.  On  a  même  prétendu  (Rosen)  que 
les  enfants  bien  nés,  indemnes  de  toute  disposition  morbide,  n'étaient  pas  sujets 
aux  accidents  de  dentition. 

11  est  remarquable  d'ailleurs  que  nul  médecin  d'enfant  n'a  sérieusement 
contesté  ces  accidents.  Depuis  Guersant  père,  tous  ceux  qui  ont  écrit  sur  la 
pathologie  infantile  se  sont  attachés  à  combattre  sur  ce  point  les  exagérations 
commises  et  à  donner  les  caractères  des  véritables  accidents  de  dentition. 

Nous  venons  de  voir  que  les  accidents  locaux  n'ont  jamais  été  sérieusement 
contestés  et  ne  pouvaient  pas  l'être.  Ces  accidents  ne  sont  d'ailleurs  que 
l'exagération  des  symptômes  physiologiques.  La  gencive  normalement  turgescente 
peut  devenir  très-douloureuse,  des  aphthes  peuvent  se  développer  sur  la  mu- 
queuse voisine,  donner  lieu  à  une  stomatite  plus  ou  moins  étendue.  Or,  quand 
on  connaît  l'extrême  sensibilité  des  enfants,  ou  s'expliquerait  difficilement  à 
priori  que  ces  désordres,  d'abord  localisés,  n'eussent  pas  un  retentissement 
sur  le  reste  de  l'appareil  en  y  provoquant  mie  irritation  plus  ou  moins 
vive  qui  se  traduira  par  des  troubles  digestifs  variés.  Ce  qui  est  applicable  à 
l'appareil  digestif  est  vrai  également  pour  les  organes  respiratoires,  la  peau,  le 
système  nerveux.  De  là  un  ensemble  de  troubles  fonctionnels  ayant  pour 
caractère  commun  de  dépendre  de  la  dentition  et  de  ses  différentes  phases,  de 
commencer  et  de  cesser  avec  elles,  sans  qu'on  puisse  faire  intervenir,  à  moins 
de  forcer  les  faits,  aucune  autre  cause  plausible. 

La  meilleure  méthode  pour  exposer  la  question  serait  donc  de  partir  des 
accidents  locaux  indiscutables,  de  montrer  leurs  effets  immédiats  sur  les  diverses 
fonctions  de  l'enfant  et  d'en  rapprocher  les  accidents  généraux  qui  peuvent 
survenir  alors  même  que  les  douleurs  locales  de  la  dentition  sont  moins 
accusées. 

Nous  supposons  les  accidents  locaux  bien  connus  et  nous  ne  nous  occuperons 
que  des  accidents  généraux. 

Nous  répétons  que  le  caractère  commun  de  ces  accidents  est  de  survenir  au 
moment  de  la  dentition,  sans  autre  cause  appréciable;  de  suivre  l'évolutiou  des 


468  DENTITION. 

dents,  et  de  cesser  au  moment  où  celles-ci  percent  la  gencive,  à  moins  qu'on 
n'ait  affaire  à  des  lésions  organiques  dont  la  marche  ultérieure  ne  peut  être 
brusquement  suspendue. 

La  fièvre  est  la  complication  qu'on  observe  le  plus  généralement.  Elle  peut 
exister  seule  ou  accompagner  d'autres  manifestations  morbides.  D'après  Rilliet 
et  Barthez,  cette  fièvre  de  dentition  se  caractérise  par  son  irrégularité.  On  la 
voit  survenir,  surtout  chez  les  enfants  délicats  et  nerveux,  aussitôt  que  l'éruption 
dentaire  provoque  des  douleurs  continues.  Elle  tombe  au  moment  des  accalmies, 
se  réveille  a\ec  les  souftrances.  L'augmentation  de  la  température,  l'accéléiation 
du  pouls,  s'accompagnent  d'une  colomlion  marquée  des  joues,  où  la  rongeur  a 
été  plus  souvent  disposée  par  plaques.  L'enfant  est  irascible,  crie,  pleure  à  la 
moindre  excitation.  S'il  est  déjà  en  âge  de  marcher,  il  devient  paresseux, 
demande  sans  cesse  à  être  porté,  criant  jusqu'à  ce  que  son  désir  soit  satisfait. 
Il  est  triste,  grognon.  Si  la  fièvre  persiste,  l'appétit  devient  nul  et  la  nutrition  e&t 
atteinte.  L'enfant  maigrit  rapidement. 

En  dehors  de  la  fièvre  d'autres  accidents  peuvent  se  développer  sous  l'influence 
de  la  dentition.  Nous  étudierons  sous  ce  rapport  ceux  qui  surviennent  du  côté 
des  voies  digeslives,  de  l'appareil  respiratoire,  du  système  nerveux,  et  nous  termi- 
nerons par  Tétude  des  maladies  cutanées. 

Les  troubles  des  fonctions  digestives  sont  peut-être  ceux  qu'on  observe  le  plus 
fréquenmient  pendant  la  dentition.  L'irritation  de  la  muqueuse  buccale  retentit 
naturellement  sur  les  autres  parties  de  la  muqueuse  digestive,  d'où  la  diarrhée 
et  quelquefois  les  vomissements  qu'on  observe  communément,  [ci  les  rapports 
de  sympathie  et  de  contiguïté  peuvent  être  également  invoqués.  Sur  158  enfants 
en  dentition,  Bouchut  a  constaté  112  fois  la  diarrhée. 

Ch.  West,  relevant  2129  cas  de  diarrhée,  montre  que  la  moitié  des  cas  a  été 
observée  chez  les  enfants  âgés  de  six  mois  à  deux  ans,  et  correspond  par  consé- 
quent à  l'époque  où  ce  travail  de  la  dentition  est  le  plus  pénible.  JNous  devons 
aussi  noter  que  cette  période  compreud  l'époque  de  sevrage  si  périlleuse  pour 
l'enfant.  Le  même  auteur  remarque  combien  il  est  fréquent  d'observer  une 
concordance  parfaite  entre  une  attaque  de  diarrhée  et  la  sortie  de  chaque  dent, 
la  diarrliée  cessant  au  moment  où  la  dent  parait  à  l'extérieur.  J'observe  en  ce 
moment  un  enfant  chez  lequel  l'apparition  d'une  dent  est  invariablement 
annoncée  par  une  diarrhée  qui  n'est  motivée  par  aucun  changement  dans  le 
régime,  aucune  modification  appréciable  dans  les  habitudes.  Au  début  de  sa 
dentition  cet  enfant  a  été  atteint  d'une  entérite  grave,  presque  cholériformc.  que 
les  traitements  les  plus  rationnels  n'ont  fait  qu'atténuer  jusqu'au  moment  où 
les  premières  incisives  se  sont  montrées.  Alors  la  diarrhée  qui  durait  depuis  dix 
jours  a  cessé  en  quarante-huit  heures  sans  qu'on  puisse  raisonnablement  faire 
honneur  de  la  cure  au  traitement  jusque-là  impuissant.  Ch.  y\'est  fait  remarquer 
que  cette  sensibilité  symj  athique  du  tube  digestif  s'explique  à  ce  moment  par 
l'évolution  active  de  toutes  les  parties  de  l'appareil.  En  même  temps  que  les 
glandes  salivaires  sont  surexcitées,  toutes  les  glandes  du  tube  digestif  s'associent 
à  cette  hypersécrétion.  Le  moindre  écart  de  régime  produira  alors  les  plus 
fâcheux  elléts.  Souvent  même  l'alimentation  que  l'enfant  avait  bien  supportée 
jusqu'alors  cessera  d'être  tolérée  et  une  sécrétion  profuse  s'établira,  sécrétion 
que  l'on  conseillait  même  autrefois  de  respecter  comme  une  sorte  de  soupape 
de  sûreté  modérant  l'excitation  générale  provoquée  par  la  dentition. 

Ces  diarrhées  peuvent  être  légères.  Elles  ne  réclament  alors  qu'une  surveil- 


DENTITION.  469 

lance  attentive  du  régime,  une  diète  relative,  un  clioix  éclairé  des  aliments. 
Mais  il  n'en  est  pas  toujours  ainsi.  La  diarrhée  acquiert  souvent  une  intensité 
menaçante;  son  abondance,  le  caractère  glaireux  et  quelquefois  sanguinolent  des 
selles,  montrent  assez  que  les  sécrétions  de  la  muqueuse  intestinale  sont  profon- 
dément modifiées.  Les  évacuations,  d'abord  jaunes,  tournent  rapidement  au  vert 
et  deviennent  bientôt  séreuses.  Elles  ont  lieu  plusieurs  fois  par  heure.  Dans  ces 
conditions  l'enfant  je  refroidit,  s'affaiblit  rapidement  et  peut  succomber  en 
plusieurs  jours.  Mais  ces  diarrhées  de  dentition  ont  habituellement  une  marche 
lente.  Elles  traînent  tant  que  la  dent  en  évolution  n'a  point  paru.  A  ce  moment 
elles  cessent  pour  reprendre  à  l'occasion  d'une  nouvelle  pousse'e  dentaire.  Ch. 
West  insiste  sur  l'absence  ou  tout  au  moins  sur  le  peu  d'importance  des  lésions 
constatées  dans  les  autopsies.  Une  saillie  un  peu  exagérée  des  follicules  de 
l'intestin  grêle  et  des  glandes  salivaires  du  côlon  et  du  rectum  est  (juelquefois 
la  seule  lésion  que  laissent  après  elles  ces  diarrhées  de  dentition. 

Un  de  leurs  caractères  cliniques,  qui  permet  d'en  bien  reconnaître  la  nature 
et  la  cause,  est  précisément  leur  résist;mce  à  toute  espèce  de  traitement.  Les 
aliments  les  plus  légers,  ceux  auxquels  l'enfant  était  le  mieux  habitué,  sont 
indistinctement  nuisibles.  Les  médications  les  mieux  indiquées  n'agissent  que 
momentanément  et  ne  font  que  suspendre  les  accidents.  Elles  sont  néanmoins 
utiles  en  rendant  les  évacuations  moins  abondantes,  mais,  la  Ciause  persistant,  le 
mal  se  reproduit  invinciblement  jusqu'au  moment  où  la  sortie  de  la  dent  change 
la  scène  en  quelques  heures. 

Yogel  (de  Dorpat)  émet  l'opinion  assez  singulière  que  ces  diarrhées  sont  liées 
à  la  salivation  abondante  qui  accompagne  la  dentition.  La  déglutition  de  cette 
salive  toujours  chargée  de  sels  ferait  l'effet  d'un  véritable  purgatif.  Mais  cette 
déglutition  a-t-elle  vraiment  lieu,  et  ne  voit-on  pas  en  pareils  cas  la  salive 
couler  abondamment  au  dehors,  tandis  que  l'enfant  n'en  avale  qu'une  bien 
petite  quantité? 

Le  retentissement  de  la  dentition  est  surtout  accentué  sur  la  membrane 
muqueuse  de  l'intestin,  et  il  n'est  pas  rare  de  voir  des  enfants  atteints  de  diarrhées 
graves  et  chez  lesquels  l'estomac  ne  cesse  pas  d'accepter  les  aliments.  Il  n'en 
est  pas  toujours  ainsi.  L'estomac  peut  être  irrité  en  même  temps  que  la  muqueuse 
intestinale,  et  alors  au  flux  diarrhéique  se  joignent  des  vomissements  qui 
aggravent  singulièrement  la  situation.  En  pareil  cas,  le  dépérissement  est  beau- 
coup plus  rapide;  la  température  s'abaisse  notablement  et  la  mort  peut  survenir 
en  quelques  jours.  Entons  cas,  le  vomissement  constitue  donc  une  complication 
des  plus  dangereuses.  Guersant  a  fait  depuis  longtemps  la  remarque  que 
cette  association  des  vomissements  à  la  diarrhée  s'observe  plus  souvent  au 
moment  de  la  sortie  des  canines  ou  des  molaires.  C'est  en  effet  le  moment 
dangereux  des  dentitions  laborieuses. 

Les  voies  respiratoires  paient  à  la  di  ntition  un  tribut  bien  moins  lourd  que 
l'appareil  digestif.  Ici  la  sympathie  est  moins  évidente  et  nous  comprendrions 
qu'on  admît  plutôt  des  coïncidences  que  de  véritables  relations.  Guersant  note 
cependant  la  fréquence  des  affections  du  larynx,  liilliet  et  Barthez  parlent  assez 
vaguement  de  la  toux  (?).  Ch.  West  est  beaucoup  plus  affirmatif  et  signale  à  ce 
point  de  vue  le  spasme  glottique,  la  laryngite  striduleuse,  comme  une  maladie 
coïncidant  fréquemment  avec  la  dentition,  au  point  que  sur  37  cas  il  en  a  observé 
31  chez  des  enfants  âgés  de  six  mois  à  deux  ans.  Conformément  h  l'opinion  de 
Marshall-Hall,  il  attribue  à  l'irritation  du  tiijumeau  pendant  la  dentition  cette 


470  DENTITION. 

coïncidence  remarquable  ;  mais  il  pense  qu'il  y  aurait  erreur  à  se  préoccuper 
exclusivement  de  cette  cause  locale  et  à  n'envisager  l'influence  de  la  dentition 
qu'à  ce  point  de  vue  restreint  et  en  quelque  sorte  mécanique.  En  effet, 
pendant  cette  période  dentaire  des  changements  importants  se  produisent  dans 
l'organisme  affecté  d'une  suractivité  morbide.  De  nouvelles  maladies  appa- 
raissent, parmi  lesquelles  les  affections  catarrhales  des  muqueuses,  les  congestions 
des  centres  nerveux,  occupent  la  place  la  plus  importante.  Dans  ces  conditions, 
différentes  affections  spasmodiques,  et  le  spasme  de  la  glotte  en  particulier 
surviendraient  comme  un  résultat  plutôt  secondaire  que  primitif  de  la  dentition. 
Les  gencives  peuvent  être  à  peine  gonflées;  aucune  douleur  locale  n'existe  au 
moment  même  où  survient  ce  trouble  nerveux;  mais  la  connexion  de  ce  dernier 
avec  le  travail  de  la  dentition  n'en  est  pas  moins  indéniable. 

West  pense  que  «  le  temps  de  la  dentition  est  eu  réalité  pour  l'enfant  une 
occasion  particulière  de  danger,  bien  qu'on  ne  comprenne  pas  toujours  très-bien 
pourquoi  il  en  est  ainsi.  C'est  l'époque  d'un  développement  rapide  de  l'orga- 
nisme, de  la  transition  d'une  manière  d'être  à  une  autre,  sous  le  rapport  de 
toutes  les  importantes  fonctions  dont  l'accomplissement  régulier  préside  à  la 
nutrition  et  au  développement  du  corps.  Les  statistiques  portant  sar  les  nombres 
les  plus  considérables  dénotent  les  dangers  de  cette  période  et  montrent  qu'il 
y  a  lieu  de  se  féliciter  quand  on  voit  le  travail  de  la  dentition  terminé.   » 

En  citant  presque  textuellement  les  paroles  del'éminent  médecin  anglais  nous 
voudrions  bien  faire  saisir  comment  on  doit  comprendre  et  interpréter  l'in- 
fluence de  la  dentition,  non-seulement  sur  le  spasme  de  la  glotte  en  particulier, 
mais  sur  toutes  les  affections  que  nous  avons  étudiées  et  sur  celles  dont  nous 
avons  encore  à  parler.  Cette  manière  de  voir  est  celle  de  tous  les  médecins 
d'enfants  les  plus  autorisés.  Guersant  père,  Trousseau,  Rilliet  et  Barthez, 
expriment  tous  les  mêmes  idées  dont  la  justesse  ne  nous  paraît  pas  discutable. 

West  reconnaît  d'ailleurs  que  toutes  les  circonstances  pouvant  surexciter  la 
sensibilité  de  l'enfant  sont  aptes  à  déterminer  chez  lui  le  spasme  de  la  glotte.  La 
dentition  a  donc  sur  cette  affection  une  influence  remarquable.  Certaines  toux 
quinteuses  qu'on  pourrait  appeler  coquelucboides  peuvent  survenir  dans  les 
mêmes  conditions.  Ces  toux  de  dentition  s'accompagnent  rarement  des  symp- 
tômes de  la  bronchite  véritable.  L'auscultation  ne  révèle  que  quelques  légers  râles 
dans  la  poitrine.  La  toux  apparaît  tout  à  coup,  généralement  au  réveil,  et  quelque- 
fois procède  par  accès  nocturnes  déterminant  dans  certains  cas  des  accès  d'op- 
pression inquiétants.  La  déglutition  des  aliments,  l'action  de  téter,  sont  une  oc- 
casion fréquente  de  crises. 

Quant  aux  bronchites  \Taies  ou  pneumonies,  elles  ne  subissent  l'irifluence  de 
la  dentition  que  d'une  façon  toute  secondaire,  la  dentition  créant,  comme  nous 
venons  de  le  voir,  des  conditions  toutes  particulières,  une  sorte  d'opportunité 
morbide  pour  l'enfant. 

Convulsions.  C'est  la  complication  la  plus  fréquente  de  la  dentition,  celle 
qui  a  de  tout  temps  attiré  le  plus  vivement  l'attention  des  médecins  et  qu'on 
redoute  particulièrement.  Si  on  considère  que  chez  l'enfant  la  convulsion  peut 
être  le  résultat  de  toute  irritation,  qu'elle  peut  être  provoquée  par  tout  ce  qui 
trouble  plus  ou  moins  violemment  les  fonctions  de  l'organisme  :  douleurs,  fièvre, 
phlegmasies  diverses,  etc.,  on  s'expliquerait  dilûcilement  que  la  dentition  eiit 
1  heureux  privilège  de  ne  pas  figurer  dans  son  étiologie.  On  observe  des  enfants, 
bien   portants  d'ailleurs,    chez  lesquels  l'apparition  de   toutes  les  dents  est 


DENTITION.  471 

accompagnée  de  convulsions,  au  point  que  les  parents,  après  avoir  été  fort 
effrayés,  n'y  attachaient  plus  qu'une  médiocre  importance.  Doit-on  attribuer 
cette  fréquence  des  convulsions  chez  l'enfant  à  une  sorte  de  prédominance  du 
système  spinal  sur  le  système  cérébral  au  début  de  la  vie  (West)?  Elle  serait  alors 
en  rapport  avec  le  peu  de  développement  du  cerveau  pendant  les  premiers  mois. 
Dans  cette  théorie  l'action  modératrice  de  l'encéphale  sur  les  mouvements  réflexes 
suscités  par  l'excitation  de  la  moelle  fait  défaut  chez  l'enfant,  et,  par  contre,  la 
moelle  est  chez  lui  particulièrement  irritable.  West  fait  remarquer  que  les  convul- 
sions, qui  ont  chez  l'adulte  une  gravité  exceptionnelle,  disparaissent  fréquemment 
chez  l'enfant  sans  laisser  aucune  trace  sérieuse.  Elles  remplacent  souvent  chez  lui  le 
frisson  initial  de  la  fièvre  et  peuvent  être  provoquées  par  bien  des  causes  tout  à 
fait  incapables  de  les  déterminer  chez  l'adulte  :  vers,  constipation,  calculs  des 
voies  urinaires  et  surtout  dentition,  début  d'une  fièvre  éruptive,  simple  indi- 
gestion. 

Les  convulsions  qui  surviennent  pendant  la  dentition  n'ont  rien  de  particulier 
dans  leur  forme.  Elles  peuvent  chez  les  enfants  commencer  dès  le  cinquième 
mois,  accompagner,  comme  nous  l'avons  dit,  toutes  les  phases  de  l'évolution 
dentaire,  et  cesser  définitivement  avec  la  période  de  la  première  dentition.  On 
remarque  qu'elles  se  montrent  bien  plus  fréquemment  à  l'occasion  do  la  percée 
des  molaires  et  surtout  des  canines  [dentés  matribus  detestatœ)  qu'au  moment 
de  l'apparition  des  incisives.  Ces  convulsions  peuvent  être  limitées  ou  généralisées. 
Quand  elles  sont  limitées,  elles  occupent  différents  groupes  musculaires,  particu- 
lièrement à  la  face,  d'où  certains  tics,  une  sorte  de  rictus  particulier  qu'on 
observe  souvent  pendant  le  sommeil.  Ailleurs  les  convulsions  sont  générales. 
C'est  la  grande  attaque  d'éclampsie  avec  sa  période  congestive  initiale  suivie  de 
secousses  musculaires,  de  contractures,  terminée  par  un  état  d'accablement,  de 
sommeil  comateux  dont  l'enfant  sort  épuisé,  le  teint  pâle,  la  figure  abattue.  Si 
la  mort  a  été  la  suite  d'une  de  ces  grandes  attaques,  ce  qui  est  exceptionnel,  il 
est  remarquable  qu'on  ne  trouve  à  l'autopsie  aucune  lésion  constante  qui  puisse 
rendre  compte  des  phénomènes  observés.  C'est  le  caractère  anatomique,  en  quelque 
sorte  négatif,  de  ces  convulsions  ^qu'on  désignait  autrefois  sous  le  nom  d'idio- 
pathiques. 

Affections  cutanées.  Elles  se  rangent  par  leur  fréquence  à  côté  des  convul- 
sions et  se  rattachent  peut-être  à  la  dentition  d'une  façon  encore  plus  évidente. 
C'est  dans  ces  cas  qu'on  voit  l'éruption  suivre  pour  ainsi  dire  pas  à  pas  l'évolu- 
tion dentaire,  apparaître  et  disparaître  avec  la  poussée  d'un  groupe  de  dents,  pour 
revenir  quelque  temps  après,  annonçant  l'apparition  d'un  autre  groupe.  Les 
formes  anatomiques  de  ces  affections  cutanées  sont  habituellement  l'érythème, 
l'eczéma  et  l'impétigo.  Le  plus  souvent  ces  trois  affections,  les  deux- dernières 
surtout,  sont  associées.  Chez  certains  enfants  les  points  envahis  par  l'éruption 
sont  limités;  chez  d'autres  la  peau  est  atteinte  dans  une  étendue  considérable 
et  l'éruption  peut  même  se  généraliser.  Il  est  remarquable  d'observer  combien 
la  santé  générale  de  l'enfant  se  maintient  en  quelque  sorte  indifférente  aux 
lésions  les  plus  étendues.  A  part  les  démangeaisons  qui  provoquent  plusieurs 
fois  par  jour  de  véritables  crises,  on  voitl'enlant  rester  gai  et  plein  d'appétit  sous 
les  éruptions  les  plus  abondantes.  La  peau,  et  surtout  celle  de  la  face,  est  alors 
couverte  de  croûtes  jaunâtres  formées  par  la  dessiccation  d'un  ichore  qui  suinte 
continuellement;  la  figure  est  boursouflée,  les  oreilles  épaissies  et  gonflées  ;  les 
cheveux  agglutinés,  tous  les  ganglions  voisins  hypertrophiés,  quelques-uns  même 


472  DENTITION. 

s'enflamment  et  suppurent.  Les  souffrances  augmentent  ordinairement  pendant 
la  nuit  et  l'enfant  paraît  plus  fatigué  de  ces  insomnies  prolongées  que  de  l'érup- 
tion elle-même  qui  les^détermine.  Ces  éruptions  sont  tenaces,  rebelles  aux  traite- 
ments les  plus  rationnels,  se  réveillant  tout  à  coup  après  avoir  paru  disposées  à 
s'éteindre.  Au  bout  d'un  temps  variable,  oscillant  assez  habituellement  entre 
trois  et  six  semaines,  l'éruption  diminue  rapidement  et  disparaît  laissant  la  peau 
écailleuse  ou  lisse  et  comme  veinée.  Bien  souvent  alors,  si  on  regarde  les 
gencives,  on  voitjqu'un  groupe  dentaire  a  fait  son  apparition. 

S'il  nous  paraU  difficile  de  nier  le  lien  qui  existe  entre  ces  éruptions  et  la 
dentition,  nous  sommes  tout  disposé  à  admettre  qu'elles  se  manifestent  de 
préférence  chez  les  enfants  de  souche  arthritique  ou  herpétique.  On  a  égale- 
ment observé  que  l'influence  de  la  nourrice  avait  une  certaine  importance.  Le 
changement  de  lait>  fait  chez  certains  enfants  disparaître  en  quelques  jours  une 
éruption  ancienne  ou  qui  s'était  reproduite  plusieurs  fois  déjà.  Tout  en  faisant  la 
part  de  la  dentition,  il  faut,  autant  que  possible,  remonter  dans  les  antécédents, 
où  l'on  trouvera  quelquefois^une  disposition  morbide  qui  ne  sera  pas  sans  valeur 
pour  le  choix  d'un  traitement.  Notons  encore  les  otites  ou  otorrhées,  les  engor- 
gements lymphatiques  cervicaux,  etc. 

Après  avoir  passé  en  revue  les  principaux  accidents  qui  peuvent  survenir 
pendant  la  dentition,  il  convient  de  rechercher  quels  sont  les  caractères  géné- 
raux, communs,  de  ces  accidents,  caractères  qui  permettent  de  les  rapporter  à 
leur  véritable  cause. 

Rilliet  et  Barthez  font  remarquer  avec  beaucoup  de  justesse  qu'ici  le  sym- 
ptôme constitue  souvent  toute  la  maladie  et  que  les  lésions  font  habituellement 
défaut. 

Dans  la  grande  majorité  des  cas  les  accidents  généraux  se  montrent  dans  les 
dentitions  laborieuses,  alors  que  la  souffrance  locale  a  augmenté  l'irritabilité 
excessive  des  enfants.  Les  affections  qui  surviennent  dans  ces  conditions  attei- 
gnent rapidement  leur  summum  d'acuité  et  se  compliquent  facilement  de  phéno- 
mènes nerveux.  Rebelles]^à!^tous  les  traitements  tant  que  persiste  l'irritation  qui 
leur  a  donné  naissance,  elles^  cèdent  avec  la  plus  grande  facilité  aussitôt  que  les 
symptômes  locaux  se  sont  amendés.  Les  symptômes  généraux  qu'elles  provoquent 
ne  s'expliquent  pas  par  les  lésions  légères  que  l'on  peut  constater  pendant  la 
vie,  et  les  autopsies  ont  démontré  que  les  altérations  organiques  faisaient  le  plus 
souvent  défaut  et  n'étaient  pas,  tout  au  moins,  en  rapport  avec  la  gravité  de  ces 
symptômes. 

11  ne  faut  cependant  pas  méconnaître  les  difficultés  extrêmes  que  peut  présenter 
le  diagnostic.  Ces  difficultés  se  rapportent  surtout  aux  affections  cérébrales  et 
intestinales  ;  d'autant^plus  qu'une  méningite,  une  congestion  cérébrale  ou  une 
entérite  grave,  peuvent  fort  bien  survenir  pendant  la  période  dentaire.  Ces  mala- 
dies gardent  alors  leurs  caractères  propres  et  rien  n'est  changé  dans  leur  évolu- 
tion. C'est  précisément  l'absence  de  ces  principaux  caractères  qui  distingue  les 
accidents  de  dentition.  Tout  se  passe  en  quelque  sorte  à  la  surface,  et  des  traits 
nombreux  manquent  au  tableau.  Dans  certains  cas,  on  croit  avoir  affaire  à  une 
méningite.  Les  convulsions,  la  céphalalgie,  les  vomissementa,  sont  réunis  dans  un 
ensemble  des  plus  alarmants  ;  mais  les  caractères  du  pouls  font  défaut  ;  la 
température  n'a  pas  ces  grands  écarts  qu'elle  affecte  dans  la  vraie  méningite  et 
que  M.  Roger  a  particulièrement  signalés.  Un  jour,  l'enfant  paraît  au  plus  mal; 
le  lendemain  une  détente  définitive  a  lieu.  Ces  faits  se  rapportent  à  ce  qu'on  a  nommé 


DENTITION.  -475 

la  pseudo-méningite  dentaire.  S'agit-il  d'une  affection  bronchique,  même  irré- 
gularité. L'enfant  tousse  incessamment;  la  toux  a  un  caractère  presque  convulsif. 
L'auscultation  ne  laisse  percevoir  aucun  râle  ou  seulement  quelques  râles  dissé- 
minés cfui  n'expliquent  rien.  On  soupçonne  souvent  une  coqueluche  au  début. 
Ces  phénomènes  persistent  quelques  jours  sans  amélioration  sensible  et  dispa- 
raissent en  quelques  heures.  J'observe  en  ce  moment  un  enfant  de  vingt- 
cinq  mois  qui  sans  cause  appréciable  est  pris  de  cohques  et  de  toux.  On  ne 
trouve  rien  dans  la  poitrine  ;  les  selles  glaireuses  sont  accompagnées  de  ténesme. 
L'enfant  était  en  bonne  santé  la  veille  et  rien  n'a  été  changé  à  son  régime  d'ail- 
leurs très-surveillé.  L'examen  des  gencives  me  montre  une  des  secondes  molaires 
soulevant  fortement  la  muqueuse.  La  gencive  est  douloureuse,  l'enfant  crie  à  la 
moindre  pression.  La  dent  paraît  et  dès  le  lendemain  l'enfant  a  repris  sa  bonne 
humeur  et  sa  santé.  Chez  un  autre  âgé  de  sept  mois,  nourri  par  sa  mère,  et 
suivi  de  très-près,  à  la  suite  d'une  journée  passée  dans  rajipartement,  en 
raison  des  mauvaises  conditions  atmospl)ériques,  la  fièvre  s'allume  tout  à  coup 
dans  la  soirée.  L'enfant  s'agite  et  crie  toute  la  nuit.  Une  toux  incessante  se 
déclare;  la  poitrine  paraît  assez  embarrassée  pour  qu'on  administre  d'urgence 
un  vomitif.  Dès  le  matin,  tout  cet  orage  se  calme;  l'enfant,  un  peu  affaibli,  a 
repris  de  la  gaîté,  bien  qu'il  soit  encore  un  peu  irritable.  La  gencive  est  examinée 
et  on  voit  poindre  la  première  incisive  inférieure.  Les  accidents  ne  se  sont  pas 
renouvelés.  Chez  un  troisième,  également  noui-ri  par  sa  mère,  jeune  leznme  dont 
la  santé  ne  laisse  rien  àdésirer,  la  peau,  jusque-là  parfaitement  nette,  commence 
vers  six  mois  à  présenter  quelques  plaques  d'eczéma.  La  poussée  dentaire  exas- 
père l'éruption  qui  couvre  toute  la  face  et  une  partie  du  tronc.  Les  huit  incisives 
sortent  successivement  et  l'eczéma  se  modifie  en  quelques  jours  après  avoir 
résisté  pendant  six  semaines  à  divers  traitements. 

Tous  ces  faits  peuvent  être  discutés,  surtout  quand  on  ne  les  a  pas  constatés 
de  visu  ;  mais  le  médecin  qui  assiste  à  la  scène  pathologique,  qui  obsirve  les 
rapports  des  choses,  échappe  difficilement  à  cette  conclusion  :  qu'il  y  a  un  lien 
intime  entre  ces  accidents  et  le  trouble  général  suscité  dans  l'organisme  par  le 
retentissement  de  la  période  dentaire.  L'évidence  de  la  conclusion  s'impose  quand 
une  nouvelle  période  dentaire  ramène  les  mêmes  accidents-,  et  le  scepticisme  le 
plus  enraciné  tient  difficilement  contre  ces  arguments  cliniques. 

C'est  ce  qui  explique  le  consensus  pi'esque  généi'al  des  médecins  sur  ces  acci- 
dents suscités  par  la  dentition,  accidents  que  le  père  de  la  médecine  avait  le 
premier  signalés.  Sans  vouloir  faire  ici  l'hiïtorique  de  la  question,  nous  voyons 
que  Haller,  Hunter,  Baumes,  ont  décrit  ces  accidents.  De  nos  jours,  les  auteurs  du 
Compendium,  Rilliet  et  Barthez,  Trousseau,  Bouchut,  Ch.  West,  Vogel,  Fonssa- 
grives,  les  ont  étudiés.  Mais,  sans  en  contester  l'existence,  la  plupart  de  ces 
auteurs  réagissent  contre  l'opinion  trop  exclusive  de  ceux  qui  rendent  la  den- 
tition responsable  de  toutes  les  maladies  qui  atteignent  un  enfant  entre  cinq 
mois  et  deux  ans.  Par  contre,  et  de  nos  jours,  des  médecins  distingués  consi- 
dèrent ces  accidents  de  la  dentition  comme  tout  à  fait  exceptionnels  ou  même 
les  nient  formellement.  C'est  ainsi  que  l'auteur  fort  estimé  d'un  Traité  de  mala- 
dies d'enfants  Johann  Stein  (  de  Prague  )  (  Compendium  des  maladies  des 
enfants,  1880),  repousse  formellement  toute  connexion  entre  la  dentition  et  les 
maladies  locales  ou  générales  qui  lui  sont  attribuées.  Il  considère  ces  maladies 
comme  dues  au  manque  de  propreté,  à  un  traitement  malheureux  (?)  des  maxil- 
laires des  enfants. 


474  DENTITION. 

Ce  n'est  donc  pas  sans  quelque  surprise  que  nous  lisons  à  la  fin  de  son 
article  les  lignes  suivantes  :  «  11  est  non  moins  établi  que  dans  la  dernière  phase 
de  l'e'ruption  des  dents,  notamment  à  l'égard  des  molaires,  les  enfants  sont  en 
proie  à  une  certaine  mauvaise  humeur,  à  de  1  agitation.  Leur  caractère  est 
chagrin;  ils  souffrent  de  symptômes  fébriles.  Ajoutons  que  ces  troubles  généraux 
disparaissent  avec  la  cessation  des  perturbations  locales  ». 

Nous  ne  soutenons  pas  autre  chose  et  l'aveu  méritait  d'être  enregistré.  En 
somme,  la  vérité  est  entre  les  deux  extrêmes,  et  dans  bien  des  cas  le  retentisse- 
ment de  la  dentition  sur  l'organisme  fournira  l'explication  de  symptômes  variés 
dont  on  chercherait  vainement  l'origine  ailleurs. 

Ici,  comme  partout,  les  auteurs  ont  donné  des  théories  diverses  sur  la  nature 
de  ces  accidents.  11  serait  peu  intéressant  d'en  faire  un  examen  critique,  d'autant 
plus  qu'elles  se  réduisent  toutes  à  ce  fait  d'une  influence  sympathique  ou  réflexe 
de  l'irritation  gingivale  sur  les  principaux  appareils.  Considérée  dans  son 
ensemble,  cette  explication  nous  paraît  très -admissible  et  aussi  justement  appli- 
cable à  la  dentition  qu'elle  l'est  en  principe  aux  symptômes  morbides  qui 
signalent  la  puberté,  l'âge  de  retour  ou  tout  autre  état  physiologique  pouvant  à 
un  moment  donné  susciter  des  troubles  divers.  Il  faut  avant  toutes  choses  et, 
comme  nous  l'avons  maintes  fois  indiqué,  tenir  compte  de  la  sensibilité  extrême 
de  l'enfant  à  un  moment  oîi  tous  les  organes  sont  dans  une  période  en  quelque 
sorte  aiguë  de  développement. 

La  question  de  thérapeutique  est  ici  très-limitée;  elle  doit  se  restreindre 
aux  indications  spéciales  créées  par  la  dentition,  le  traitement  ordinaire  des 
accidents  restant  le  même.  On  aura  soin  chez  un  enfant  irritable,  nerveux,  que 
les  dents  travaillent  particulièrement,  d'éviter  toutes  les  occasions  morbides. 
Le  régime  devra  être  attentivement  surveillé.  Tout  écart,  ailleurs  inoffensif,  serait 
dangereux  à  ce  moment.  La  sensibilité  de  l'enfant  doit  être  ménagée,  toute 
répression  un  peu  énergique  de  ses  petites  fautes  sera  évitée.  C'est  le  moment 
des  précautions  et  des  attentions  de  toute  nature.  Si  quelque  accident  apparaît  : 
toux,  diarrhée,  convulsions,  etc.,  les  moyens  usités  seront  applicables  comme 
en  toute  autre  circonstance. 

Dans  les  cas  où  ces  accidents  revêtent  un  caractère  de  gravité  exceptionnelle, 
convient-il  de  s'attaquer  à  la  cause  et  de  chercher  par  une  médication  locale  à 
conjurer  Je  danger?  Nous  voulons  parler  ici  de  l'incision  des  gencives,  qui  est 
encore  le  remède  favori  de  beaucoup  de  médecins. 

Sans  lui  accorder  une  efficacité  héroïque,  nous  croyons  que  cette  petite  opéra- 
tion peut  rendre  de  grands  services.  Il  y  a  là  des  conditions  d'opportunité  qu'il 
faut  connaître.  Si  la  gencive  est  gonflée  et  douloureuse,  si  le  tissu  est  assez 
mince  pour  qu'on  puisse  arriver  sur  la  couronne  de  la  dent,  l'incision  est  indi- 
quée. Nous  conseillons  de  faire  préalablement  avec  une  aiguille  très-fme  une 
sorte  de  ponction  exploratrice  qui  permet  de  reconnaître  à  quelle  distance  se 
trouve  la  couronne  dentaire.  Si  la  couche  qui  la  sépare  de  l'extérieur  n'est  pas 
très-mince,  l'incision  serait  inutile.  Les  lèvres  se  cicatriseraient  au-dessus  delà 
couronne  et  le  tissu  cicatriciel  serait  plus  résistant  que  le  tissu  gingival  normal. 
Mais,  si  l'incision  doit  mettre  à  nu  la  couronne  dentaire,  il  n'y  a  aucun  inconvénient 
à  la  pratiquer.  Elle  doit  être  assez  profonde  pour  diviser  tout  le  tissu  superposé 
à  la  couronne.  On  préfère  habituellement  une  petite  incision  cruciale.  Son  effet 
immédiat  est  d'ailleurs  de  décongestionner  Li  gencive,  d'où  un  soulagement  très- 
rapide.  Dans    certains    cas,  le  calme  déterminé  par  celte  légère  opération  est 


DENYAU.  475 

vraiment  remarquable;  au  bout  de  quelques  minutes  un  sommeil  tranquille  suc- 
cède à  une  agitation  inquiétante. 

En  tdus  cas  l'opération  est  suns  aucun  danger. 

Si  l'incision  n'est  pas  indiquée,  on  peut  essayer  de  modérer  les  douleurs  en 
frictionnant  doucement  les  gencives  avec  un  sirop  calmant.  Le  sirop  de  belladone 
convient  parfaitement  et  peut  remplacer  diverses  mixtures  de  composition  plus 
ou  moins  mystérieuse  et  dont  l'efficacité  supérieure  est  tout  au  moins  fort 
douteuse  ;  on  prescrira  des  bains  un  peu  prolongés,  d'un  quart  d'heure  à  vingt 
minutes  de  durée,  après  lesquels  on  couchera  l'enfant  pendant  quelques  heures. 
Nous  demandons  la  permission  de  ne  pas  revenir  sur  celte  question  un  peu  ridi- 
cule de  l'utilité  ou  du  danger  des  différents  hochets  qui  nous  paraissent  absolu- 
ment indifférents,  pourvu  que  par  leur  nature  ils  ne  puissent  pas  blesser  les 
tissus  délicats  de  la  bouche. 

Nous  ne  nous  sommes  occupé  dans  cet  article  que  des  accidents  liés  à  la 
première  dentition.  Ce  n'est  pas  qu'on  ne  puisse,  chez  des  enfants  prédisposés 
ou  particulièrement  nerveux,  observer  au  moment  de  la  seconde  dentition  des 
symptômes  analogues  à  ceux  que  nous  avons  décrits,  mais  ces  accidents  sont 
beaucoup  plus  rares  et  ne  présentent  en  tous  cas  rien  de  particulier.  Quant  à 
ceux  qui  accompagnent  assez  souvent  l'éruption  des  dernières  molaires,  des  dents 
de  sagesse,  ils  sont  exclusivement  locaux  et  relèvent  du  traitement  chirurgical. 

11  est  à  remarquer  qu'en  ce  cas  les  accidents  locaux  les  plus  sérieux  ne  provoquent 
pas  ces  réactions  multiples  et  polymorphes,  que  nous  avons  cru  devoir  rapporter 
à  la  première  dentition.  On  pourrait  y  voir  un  argument  contraire  à  la  nature 
véritable  de  ces  réactions.  Nous  pensons  au  contraire  que  cette  sorte  de  silence 
de  l'organisme  démontre  combien  les  conditions  sont  encore  diflérentes  et  com- 
bien on  aurait  toi't  de  conclure  de  ce  qui  se  passe  chez  l'adulte  à  ce  qu'on 
observera  chez  l'enfant  où  tous  les  symptômes  s'exaltent  si  facilement  sous  la 
double  influence  d'une  sensibilité  exagérée  et  de  l'état  particulier  créé  par 
l'évolution  organique.  Blachez. 

de:vtau  (Les  deux). 

Le  père  se  nommait  Mathurin,  le  fils  Alexandre-Michel,  Ils  ont  joui  tous  deux 
d'une  grande  réputation  comme  praticiens  à  Paris. 

Oenyau  (M.vthurin).  Était  de  Vendôme  (Loir-et-Cher)  ;  il  fut  f;\it  docteur  le 
24  janvier  1635  et  mourut  à  Senlis  le  7  mars  1680,  laissant  de  sa  femme, 
Claude  Poitou,  plusieurs  enfants,  parmi  lesquels  : 

Denyau  (Alexandre-Michel).  Né  à  Paris  le  6  mai  1657,  il  fut  reçu  docteur 
le  20  octobre  1658,  et  mourut  à  Paris  sur  la  Paroisse  de  Saint-Sulpice,    le 

12  mars  1712.  Il  avait  épousé  Françoise  Guignard  de  la  Solaye,  fille  de  Michel 
Guigziard  de  la  Solaye,  chirurgien  du  roi.  Voici,  du  reste,  son  acte  d'inhuma- 
tion : 

Paroisse  Saint-Sulpice. 

Le  quatorze  mars  1712  a  été  fait  le  convoy,  service  et  enterrement,  de  Alexandre-Michel 
DEÎS'YAU,  doyen  de  la  Faculté  de  médecine  de  Paris,  et  ancien  professeur  royal,  âgé  de 
soixante  et  quinze  ans,  décédé  le  12'  du  présent  mois,  rue  et  liôlel  de  Bussy  ;  et  y  ont  assisté 
M'=  Augustin-Guillaume  Denyau,  avocat  au  Parlement,  son  fils,  et  M^=  Urbain  Garbe,  prieur 
de  Saint-Vincent,  son  neveu,  qui  ont  signé. 

U.  Garbe,  Denïau. 


47t3  DÉODACTYLES. 

Que  l'on  ne  s'y  trompe  pas  :  Alexandre-Michel  Denyau  ne  fut  jamais  doyen  de 
la  Faculté  de  médecine,  comme  le  ferait  croire  l'acte  précédent.  Il  ne  fut  que 
doyen  par  date  de  réception  doctorale,  Decanus  ad  honorem,  Antiquior,  mais  non 
doyen  en  charge,  Decanus  ad  omis. 

Les  deux  Denyau  n'ont  laissé  que  leurs  thèses  qu'ils  ont  soutenues  comme 
bacheliers  ou  comme  présidents  d'actes. 

Mathurin  Donyau  a  signé  les  suivantes  : 

An  à  titillatu  risiis  ?  oui,  1633.  —  An  ulceraio  utero  non  dolente  rà  oÙ7ra9>)  doleanl  ?  oui, 
1634.  —  An  humorales  febres  ab humoruni  putreditie  ?oui,  1635.  —  Ah  heroum  filii  noxœ? 
oui,  1656. 

A  Alexandre-Michel  Denyau  appartiennent  : 

An  ingeniosi  ad  risum  et  fletùm  proclives  ?  oui,  1657.  —  An  arthritidi  conveniant  pyro- 
tica?  oui,  1658.  —  Est-ne  solus  sanguis  purus  corporis  alimentum?  oui,  1658.        A.  C. 

DENYS  (Jacobus).  Chirurgien  et  accoucheur  du  dix-huitième  siècle,  né 
Leyde.  Il  servit  pendant  sept  ans  dans  les  Indes  en  qualité  de  médecin,  puis 
vint  se  fixer  dans  sa  ville  natale  où  il  jouit  de  la  faveur  de  Boerhaave  et  de  celle 
d'Oosterdyk  Schacht;  c'est  là  aussi  qu'il  fit  la  connaissance  de  Rau,  dont  il  adopta 
les  procédés  de  lithotomie.  En  1719  fut  fondé  à  Leyde  un  collège  médical  ad 
negotia  artis  obstetricice  :  Benys  y  fut  aussitôt  nommé  accoucheur  et  en  1725 
fut  officiellement  chargé  d'un  cours  pour  les  sages-femmes.  C'est  en  1750  qu'il 
publia  son  ouvrage  sur  la  lithotomie  où  il  attaquait  \ivement  Titsing  etSermes: 
Heelkundige  aanmerkingen  over  den  steen  een  het  snijden  von  denzelven 
(Leyden,  1730).  Titsing  lui  répondit  en  1831  par  un  autre  ouvrage.  Les  avis 
sont  du  reste  assez  partagés  sur  la  valeur  de  Denys  ;  Ulhoorn  le  traite  d'ignorant 
et  de  rapace;  van  Swieten,  au  contraire,  dit  de  lui,  dans  ses  Commentaires  : 
«  Aliquoties  ad  fui  dum  calculosos  secaret  Denys  »;  et  ailleurs  :  «  Crebris  et  feli- 
cissimis  scctionibus  calculi  secundum  methodum  Ravianamcelebris  ».  Titsing 
lui-même,  son  adversaire  le  plus  sérieux,  lui  rend  justice,  surtout  au  point  de 
vue  de  l'art  obstétrical  ;  il  le  considère  comme  un  excellent  accoucheur  et  vante 
surtout  sa  connaissance  des  difformités  du  bassin.  Denys  a  publié  un  ouvrage 
sur  les  accouchements  :  Verhandelingen  over  het  ampt  der  vroedmesters  en 
vroedvroiiwen  (Leyden,  1733).  Dans  ce  livre,  il  suit  Portai  et  surtout  Deventer; 
il  a  passé  longtemps  pour  un  bon  guide  à  l'usage  des  commençants. 

L.  Ih. 

DÉODACTYLES.  Comme  nous  avons  déjà  eu  l'occasion  de  le  faire  observer, 
l'ordre  des  Passereaux  {voy.  ce  mot),  tel  que  le  comprenaient  G.  Cuvier  et  les 
naturalistes  de  son  époque,  était  un  groupe  hétérogène,  dont  la  classification 
intérieure  présentait  nécessairement  de  grandes  difficultés.  Ce  groupe,  G.  Cuvier, 
dans  la  première  édition  de  son  Règne  animal,  le  partageait  en  deux  catégories 
comprenant,  l'une  les  espèces  «  oiî  le  doigt  externe,  presque  aussi  long  que  celui 
du  milieu,  lui  est  uni  jusqu'à  l 'avant-dernière  articulation  »;  l'autre  les  espèces, 
infiniment  plus  nombreuses,  «  où  le  doigt  externe  est  réuni  à  l'interne  seulement 
par  une  ou  par  deux  phalanges  ».  La  première  catégorie  était  constituée  par 
une  seule  famille,  celle  des  Syndactyles  (de  o-uv,  avec,  préposition  marquant  la 
reunion,  etddy.zvloç,  doigt),  tandis  que  la  seconde  se  composait  de  quatre  familles 
dont  les  noms  faisaient  allusion  à  des  formes  différentes  des  mandibules,  ou 
plutôt  de  l'étui  corné  qui  revêt  les  mandibules.  Ces  quatre  familles  étaient 


DÉODACTYLES.  477 

appelées  par  G.  Cuvier  Dentirostres,  Fissirostres,  Conirostres  et  Ténuirostres, 
mais  la  grande  division  qui  renfermait  ces  groupes  secondaires  et  qui  avait  la 
même  importance  zooiogique  que  la  division  des  Syndactyles  ne  portait  pas, 
dans  la  première  édition  du  Règne  animal,  de  désignation  particulière,  et  c'est 
plus  tard,  et  dans  d'autres  ouvrages,  qu'elle  a  reçu  le  nom  de  Déodactijles 
(de  Ô2ÎW,  je  divise,  et  5â-/Tu)oç,  doigt).  Mais  il  importe  de  remarquer  :  l"^  que 
cette  dénomination,  qui  signifie  litléralemcnt  Oiseaux  à  doigts  indépendants, 
ne  convient  pas  rigoureusement  à  tous  les  Passereaux  de  cette  catégorie,  puisque, 
comme  Cuvier  le  reconnaissait  lui-même,  beaucoup  d'entre  eux  ont  encore  les 
doigts  en  partie  réunis  à  la  base  par  une  petite  membrane  ;  2°  qu'elle  semble 
consacrer  l'importance  d'un  caractère  purement  extérieur,  celui  de  l'extension 
plus  ou  moins  grande  d'une  membrane  interdigitale.  Or,  chez  les  Oiseaux,  comme 
chez  les  Mammifères,  les  caractères  empruntés  au  système  tégumentuire  et 
notamment  aux  parties  cornées  ou  membraneuses  de  la  tête  ou  des  pattes  sont 
loin  d'avoir  la  valeur  des  caractères  fournis  par  le  squelette  et  l'organisation 
intérieure;  souvent  même  les  premiers  conduisent  le  naturaliste  à  des  rappro- 
chements inexacts,  ainsi  que  nous  aurons  l'occasion  de  le  montrer  en  parlant 
de  l'ordre  des  Passereaux  {vog.  ce  mot). 

Des  critiques  analogues  peuvent  être  fornmlées  pour  les  subdivisions  de  la 
catégorie  des  Déodactyles,  c'est-à-dire  pour  les  Dentirostres,  Fissirostres,  Coni- 
rostres et  Ténuirostres  [voy.  ces  mots),  et  l'on  est  forcé  de  reconnaître  qu'en 
s'attachant  à  la  forme  du  bec  pour  l'établissement  de  ces  différents  groupes 
Cuvier  a  souvent  rompu  les  liens  de  parenté  qui  existent  entre  certains  oiseaux, 
tandis  que  d'autre  part  il  a  associé  des  genres  essentiellement  différents. 

Dans  la  famille  des  Dentirostres,  comprenant  les  Passereaux  dont  le  bec  est 

muni  d'une  dent  de  chaque  côté  de  la  pointe,  G.  Cuvier  énumérait  un  assez 

grand  nombre  de  genres,  pour  la  plupart  mal  délimités.  Ainsi,  après  les  Pies- 

grièches  {voy.  ce  mot)  et  les  Pies-grièches  hirondelles  ou  Langrayens,  oiseaux  à 

plumage  gris  ou  brunâtre,  plus  ou  moins  varié  de  blanc,  à  bec  bleuâtre,  à  ailes 

très-allongées,   qui  vivent  en  Australie,  en  Papouasie  et  en  Malaisie,  et  qui 

constituent  pour  les  naturalistes  modernes  le  genre  Artamus,  venaient  les  Cassi- 

cans  ou  Barila,  dans  lesquels  Cuvier  faisait  rentrer  non-seulement  des  oiseaux 

au  plumage  varié  de  noir  et  de  blanc  et  au  bec  crochu  qui  ressemblent  à  la  fois 

à  des  Corbeaux  et  à  des  Pies-grièches  de  grande  taille,  mais  encore  une  espèce 

de  Paradisiers,  le  Manucode  vert  delà  Nouvelle  Guinée;  puis  les  Bécardes  [Psaris) 

de  l'Amérique  tropicale,  que  l'on  range  maintenant  parmi  les  Cotingas,  les 

Choucaris  {Graucalus)  qui  portent  une  livrée  grise  ou  noirâtre,  avec  des  bandes 

blanches  dans  le  jeune  âge,  et  qui  sont  répandus  depuis   l'Inde  méridionale 

jusqu'en  Australie  et  à  la  Nouvelle-Guinée,  les  Bélhyles  ou  Cissopis,  les  Tan- 

garas,  les  Gobe-Mouches,  les  Tyrans  [voy.  les  mots  Tangara  et  Gobe-Mouche), 

les  Cotingas,  magnifiques  passereaux  américains,  au  plumage  vert,  bleu,  pourpre, 

noir  ou  blanc,  à  la  tète  souvent  ornée  de  pendeloques   et  de  caroncules,  les 

Échenilleurs,  voisins  des  Choucaris,  les  Jaseurs  [Ampelis),  dont  une  espèce  se 

montre  parfois  dans  notre  pays  et  qui  sont  si  remarquables  par  la  présence  à 

l'extrémité  de  quelques  plumes  de  leurs  ailes  de  petites  productions  cornées, 

de  couleur  écarlate,  les  Gymnodères,  alliés  aux  Cotingas,  les  Drongos  asiatiques 

et  africains  {Edolius),  au  plumage  noir,  à  la  queue  souvent  ornée  de  brins 

démesurément  allongés,  les  Merles  (voy.  ce  mot),  les  Chocards,  que  l'on  réunit 

maintenant  aux  Corbeaux  (voy.  ce  mot),  les  Loriots,  les  Fourmiliers,  les  Gincles, 


478  DÉODACTYLES. 

les  Philédons,  les  Martins,  les  Lyres,  les  Manakins  et  les  Becs-fins ,  dont  nous 
dirons  quelques  mots. 

Les  Loriots  [Oriohis),  à  une  ou  deux  exceptions  près,  se  reconnaissent  tous 
à  leur  plumage  d'un  jaune  d'or,  rehaussé  de  noir  chez  le  mâle  ou  nuancé  de 
verdàtre  chez  la  femelle;  ils  sont  à  peu  près  de  la  taille  d'un  Merle  et  se  ren- 
contrent dans  tout  l'Ancien-Moade,  en  Europe,  en  Asie  et  en  Afrique.  Les  Four- 
miliers, au  contraire,  sont  des  passereaux  américains  aux  couleurs  ternes,  qui  se 
nourrissent  de  fourmis  et  de  menus  insectes.  Les  Ciiicles,  les  uns  d'un  brun 
fuligineux  uniforme ,  les  autres  bruns  avec  le  ventre  blanc,  sont  connus  vulgai- 
rement sous  le  nom  de  Merles  d'eau.  Ils  ont  en  effet  les  formes  générales  d'un 
Merle,  avec  la  queue  plus  courte,  et  se  plaisent  dans  le  voisinage  des  torrents; 
ils  plongent  avec  facilité  et  peuvent  même  courir  pendant  un  certain  temps  sous 
l'eau,  soit  pour  chercher  leur  nourriture,  soit  pour  gagner  leur  nid.  placé 
ordinairement  entre  des  pierres  moussues,  sous  une  chute  d'eau.  Les  Philédons 
de  Cuvier  ne  contribuent  en  aucune  façon  au  genre  naturel  ;  on  y  trouve  côte  à 
côte  des  Méliphages  comme  le  Tropidorhynque  corniculé  de  l'Australie,  et  des 
Étourneaux  comme  le  Goulin  {Sarcops  calvus)  des  Philippines.  C'est  encore  au 
groupe  des  Étourneaux  qu'appartiennent  les  Martins  [Gracula)  de  G.  Cuvier, 
qui  auraient  dû  par  conséquent  être  rangés,  non  dans  les  Dentirostres,  mais  dans 
les  Conirostres  du  même  auteur.  Les  Lyres  (Menura)  sont  de  magnifiques  passe- 
reaux australiens  que  leur  grande  taille  et  leurs  allures  ont  souvent  fait  prendre 
pour  des  Gallinacés.  Dans  ce  genre  d'oiseaux,  en  effet,  les  mâles  font  la  roue 
comme  des  Paons,  en  étalant  leur  queue,  dont  les  pennes  latérales  se  recourbent 
en  S,  tandis  que  les  pennes  médianes,  à  barbes  très-espacées,  figurent  assez  bien 
les  cordes  d'une  lyre.  Les  Manakins  et  les  Coqs  de  roche,  ceux-là  de  dimensions 
très-réduites,  ceux-ci  gros  comme  des  Pigeons,  sont  originaires  de  l'Amérique 
tropicale  et  se  font  remarquer  par  l'éclat  de  leurs  couleurs.  Quelques-uns  sont 
d'un  brun  cramoisi,  avec  les  plumes  du  sommet  de  la  tête  redressées  en  une 
sorte  de  cimier  et  couvrant  en  partie  la  base  du  bec,  qui  rappelle  un  peu  un  bec 
de  Mésange.  Quant  aux  Becs-fins,  ce  sont  des  oiseaux  que  tout  le  monde  connaît  ; 
en  effet,  c'est  parmi  ces  passereaux  insectivores  que  se  placent,  suivant  G.  Cuvier, 
les  Traquets  [voy.  ce  mot),  que  l'on  voit  souvent,  pendant  la  belle  saison,  per- 
chés au  sommet  d'un  buisson  ou  accrochés  à  une  tige  de  graminée  et  faisant 
entendre  un  petit  cri  saccadé ,  qu'on  a  comparé  au  tic-tac  d'un  moulin,  les 
Bergeronnettes  et  les  Hochequeues  ou  Lavandières,  qui  courent  à  pas  pressés  dans 
les  pâturages  ou  au  bord  des  ruisseaux  en  agitant  en  cadence  leur  longue  queue 
comme  le  battoir  d'une  lavandière,  les  Rubiettes,  les  Rossignols,  les  Fauvettes 
ordinaires,  les  Roitelels,  les  Farlouses  ou  Pitpits,  qui  ont  certains  liens  de  parenté 
avec  les  Alouettes,  sans  parler  d'une  foule  d'espèces  étrangères  à  la  faune  de  nos 
pavs.  L'énuinération  des  Becs-fins  que  l'on  rencontre  en  France  nous  entraînerait 
déjà  beaucoup  trop  loin:  aussi  nous  nous  contenterons  de  citer  parmi  les  Rubiettes 
le  Rouge-gorge,  qui  est  d'un  gris  brun  tirant  à  l'olivâtre,  avec  la  gorge  et  la  poi- 
trine d'un  roux  ardent  et  le  ventre  blanc,  et  qui,  surtout  à  l'arrière-saison,  se 
montre  singulièrement  familier,  s'approchant  des  endroits  habités  et  pénétrant 
même  dans  les  fermes  isolées  ;  le  Rouge-queue  et  le  Rossiguol  de  murailles,  oiseaux 
plus  farouches,  qui  font  leurs  nids  dans  les  vieux  murs,  et  la  Gorge-bleue, 
répandue  dans  toute  l'Europe  orientale,  en  Asie  et  en  Afrique.  Le  Rossignol  est 
l'objet  d'un  article  spécial  {voy.  le  mot  Rossig.nol),  de  même  que  le  Troglodyte 
{voy.  ce  mot),  mignonne  petite  créature  que  l'on  confond  souvent  avec  le  Roi- 


DÉODACTYLES.  470 

telet,  mais  qui  porte  une  livrée  beaucoup  plus  terne  que  ce  dernier,  et  n'a  pas 
comme  lui  une  huppe  de  plumes  dorées  sur  le  sommet  de  la  tête;  nous  laisserons 
donc  de  côté  ces  passereaux,  et  nous  passerons  rapidement  aussi  sur  les  Fau- 
vettes, petits  oiseaux  au  plumage  gris  ou  verdâtre,  qui  sont  pour  la  plupart 
doués  d'une  voix  harmonieuse  et  qui,  au  printemps,  se  montrent  fréquemment 
dans  nos  jardins,  à  la  lisière  des  bois  ou  dans  les  roseaux,  au  bord  des  rivières. 
Ces  Fauvettes  sont  des  oiseaux  éminemment  utiles,  car  elles  se  nourrissent 
presque  exclusivement  de  vers  et  de  petits  insectes  et  débarrassent  les  forêts  et 
les  arbres  fruitiers  d'une  foule  d'animaux  nuisibles. 

Il  n'est  peut-être  plus  un  seul  ornithologiste  qui  admette,  à  l'heure  actuelle, 
la  famille  des  Fissirostres  telle  que  la  concevait  G.  Cuvier;  tout  le  monde,  en 
effet,  reconnaît  la  nécessité  de  séparer  nettement  les  Hirondelles  des  Martinets, 
car,  si  ces  oiseaux  ont  certaines  analogies  extérieures  et  se  ressemblent  par  leurs 
ailes  très-longues,  leur  queue  souvent  fourchue  et  leur  bec  largement  fendu,  ils 
diffèrent  beaucoup  les  uns  des  autres  par  le  squelette  :  les  Hirondelles  sont 
construites  sur  le  même  type  que  les  Moineaux,  les  Mésanges  et  les  Gobe-Mouches, 
tandis  que  les  Martinets  se  rapprochent  beaucoup  par  leur  charpente  intérieure 
des  Engoulevents  et  des  Oiseaux -Mouches  {voy.  ce  mot)  et  doivent  constituer  avec 
eux  un  groupe  particulier  dans  l'ordre  des  Passereaux. 

Les  Alouettes,  ces  petits  passereaux  que  l'on  voit  pendant  l'été'  s'élever  en  sif- 
flant gaiement  au-dessus  des  sillons  dans  lesquels  se  cachent  leurs  nids,  les 
Mésanges  {voy.  ce  mot),  les  Bruants,  au  bec  conique,  au  plumage  strié  et  souvent 
varié  de  jaune,  qui  comptent  dans  leurs  rangs  l'Ortolan  {voy.  ce  mot)  si  prisé 
des  gourmets,  et  les  Moineaux,  qu'il  est  superflu  de  décrire,  constituaient,  pour 
G.  Cuvier,  les  premiers  genres  de  la  famille  des  Conirostres. 

Tout  à  côté  des  Moineaux  se  plaçaient  les  Pinsons  {voy.  ce  mot),  les  Linottes, 
dont  la  livrée  est  souvent  rehaussée  par  une  calotte  ou  un  plastron  d'un  rose  vif 
et  qui  se  montrent  en  troupes,  à  certaines  saisons,  dans  nos  champs  et  dans  nos 
vignes;  les  Chardonnerets  {voy.  ce  mot,  en  addenda  à  la  lettre  C)  ;  les  Serins 
{voy.  ce  mot)  ;  les  Veuves,  qui  vivent  en  Afrique  et  dont  la  queue  est  souvent 
munie  de  longues  plumes  recourbées  en  familles;  les  Gros-becs  {voy.  ce  mot), 
parmi  lesquels  on  plaçait  autrefois  les  Bouvreuils  et  les  Becs-croisés;  les  Colious, 
passereaux  singuliers  que  l'on  rencontre  dans  les  parties  les  plus  chaudes  de 
l'Afrique  et  qui  grimpent  et  se  suspendent  aux  branches  à  la  manière  des  Perro- 
quets; les  Glaucopes,  oiseaux  de  la  Nouvelle-Zélande,  au  plumage  cendré,  au 
bec  garni  à  sa  base  de  caroncules  charnues;  les  Pique-bœufs  [Buphaga),  qui 
vivent  en  Afrique  et  vont  sur  le  dos  des  bestiaux  chercher  les  larves  de  diptères 
cachées  sous  le  poil  ou  enfoncées  dans  la  peau  ;  les  Cassiques  américains  et  leurs 
proches  parents,  les  Etourneaux  européens;  les  Sitlelles,  dont  une  espèce,  fran- 
çaise {Sita  europœa),  a  reçu  le  nom  vulgaire  de  Torchepot  à  cause  de  l'habi- 
tude qu'elle  a  de  rétrécir,  avec  de  la  boue  ou  des  matières  fécales,  l'entrée  de 
son  nid  ;  les  Corbeaux  {voy.  ce  mot)  et  leurs  proches  parents,  les  Pies  et  les 
Geais  {voy.  ces  mots)  ;  les  BoUiers,  qui  auraient  été  mieux  placés  à  la  suite  des 
Guêpiers  et  des  Calaos,  et  qui  ont  le  plumage  vert,  bleu  ou  rougeâtre,  mais 
toujours  de  couleurs  vives;  les  Mainates  {Eulabes),  de  l'Inde  et  des  Moluques,  à 
la  tête  souvent  dénudée  et  ornée  de  pendeloques  charnues,  et  enfln  les  Oiseaux  de 
Paradis  ou  Paradisiers  {voy.  ce  mot),  qui  comptent  parmi  les  plus  beaux  oiseaux 
de  la  faune  papouane. 

Les  Ténuirostres,  c'est-à-dire  les  passereaux  «  au  bec  grêle,  allongé  et  plus  ou 


480  DEONTOLOGIE. 

moins  arqué  dans  sa  totalité,  sans  échancrure  >;,  étaient  partagés,  dans  la  clas- 
sification de  G.  Cuvier,  en  trois  genres  seulement;  les  Huppes,  les  Grimpereaux 
et  les  Colibris  ;  mais  ces  trois  genres  étaient  extrêmement  vastes ,  on  peut 
dire  beaucoup  trop   vastes,  ou  composés   d'éléments   hétérogènes.    Ainsi  aux 
Huppes  proprement  dites  [voy.  ce  mot),  qui  avec  les  Irrisor  méritent  sans  doute 
de  constituer  un  groupe  particulier,  G.  Cuvier  a.ssociait  les  Graves  [Fregilus], 
qui  sont  de  vrais  Corbeaux,  et  les  Épimaques  (Epimachus),  qui  sont  des  Para- 
disiers {voy.  ce  mot)  ;  de  même  aux  Grimpereaux  ordinaires  {voy.  ce  mot)  il 
réunissait  non-seulement  les  Soui-Mangas  {voy.  ce  mot),  les  Sucriers,  les  Dicées 
et  autres  passereaux  mcUiphages  {voy.  le  mot  Sucrier),  mais  encore  lesFourniers 
{Furnarius) ,  oiseaux  américains,  qui  construisent  leurs   nids  avec  de  la  terre 
gâchée  et  qui  doivent  plutôt  être  placés  dans  une  famille  voisine  de  celle  des 
Fourmiliers  (FormicarùWs).  Seuls  les  Colibris  ou  Oiseaux-Mouches  (î;oî/.  ce  mot) 
constituaient  un  groupe  naturel,  mais  un  groupe  beaucoup  trop  nombreux  et 
qu'il  était  nécessaire,  pour  la  commodité  de  l'étude,  de  subdiviser  en  groupes 
secondaires. 

Le  genre  Colibri  {Trochilus)  terminait,  dans  le  système  que  nous  analysons, 
non-seulement  la  famille  des  Ténuirostres,  mais  le  groupe  de  Passereaux  qu'on 
a  nommé  plus  tard  les  Déodactyles;  immédiatement  après  venaient  les  Syn- 
dactyles,  dont  il  sera  traité  dans  une  autre  partie  de  ce  recueil  {voy.  le  mot  SïiN- 
DACTYLEs)  et  qui  établissaient  la  transition  des  Passereaux  aux  Grimpeurs. 

E.    OUSTALET. 

Bibliographie.  —  G.  Cuvieb.  Le  règne  animal,  !'•  édit.,  1817,  t.  I,  p.  334.  —  Ch.  Bonaparte. 
Conspectus  avium,  1850,  t.  I.  —  Blanchard.  Recherches  sur  les  caractères  osléologiques  des 
oiseaux  appliqués  à  la  classification  de  ces  animaux.  la  A?in.  des  se.  nat.,  Zool.,  i'  série, 
1859,  t.  XI,  p.  11.  —  Degland  et  Gebbe.  Ornithologie  européenne,  2°  éd.,  1867,  t.  I  et  II.  — 
A.  Milke-Edwards.  Recherches  sur  les  oiseaux  fossiles  des  terrains  tertiaires  de  la  France, 
1869-1871,  t.  II,  chap.  xxix,  p.  196.  —  G.-R.  Gbay.  Handlist  of  Gênera  and  Species  of  Birds, 
1869-1871,  1. 1  et  II.  —  Sclateh  et  Salvin.  Nomenclator  avium  neotropicalium,  1873. 

E.  0. 

DÉOD.iR.  Ce  nom,  qui,  suivant  le  docteur  T.  Thomson,  signifie  don  de 
Dieu,  est  donné  dans  l'Inde  à  une  espèce  de  pin,  appelé  aussi  Kelon,  dont  la 
térébenthine,  très  fluide,  est  employée  par  les  indigènes  contre  les  ulcères  et 
les  maladies  de  la  peau,  j)^ 

DÉO\^TOLO€ilE  (de  oio'i ,  devoir)  et  dicéolosie  (de^waiov,  devoir). 
Des  deux  mots  placés  en  tête  de  cet  article,  le  premier,  quoique  créé  depuis 
peu  de  temps  (par  Max  Simon),  est  entré  dans  l'usage  des  médecins;  l'autre  est 
d'aujourd'hui  et,  quoique  j'y  tienne  médiocrement,  il  est  né  d'une  sorte  de 
nécessité  :  je  veux  dire  la  réciprocité  nécessaire  des  devoirs  et  des  droits.  Deux 
néologismes  parallèles,  concernant  deux  choses  qui  le  sont  également,  devenaient 
d'ailleurs  une  commodité  de  langage. 

Une  autre  observation  à  faire,  c'est  que  le  mot  déontologie  ne  répond  pas 
avec  la  même  exactitude  à  toutes  les  qualités  qui  sont  à  souhaiter  chez  un 
médecin  et  même  n'embrasse  pas  toutes  celles  dont  il  est  habituellement  traité 
dans  ,les  recueils  de  conseils  professionnels.  Cela  vient  de  ce  que  les  auteurs, 
à  commencer  par  Hippocrate,  ne  considérant  pas  le  médecin  seulement  en  lui- 
même,  mais  aussi  dans  ses  rapports  avec  le  public,  sont  conduits  par  là  à 
s'occuper  de  toutes  les  qualités  que  le  public  doit  rechercher  en  lui  et  dont 


DÉONTOLOGIE.  481 

quelques-unes  sont  tout  à  fiiit  étrangères  au  domaine  moral.  Aussi,  obligé  d'en- 
visager tous  les  côtés  du  sujet,  donnerai-je  pour  base  à  cette  étude  les  qua- 
lités, plutôt  que  les  devoirs  proprement  dits,  du  médecin  praticien. 

De  toutes  les  professions,  la  profession  médicale  est  certainement  celle  qui 
est  mêlée  au  plus  grand  nombre  d'intérêts  moraux.  Cette  remarque,  cent  fois 
reproduite,  et  échappée  même  à  des  détracteurs  de  la  médecine  tels  que 
J.-J.  Rousseau,  a  atteint  aujourd'hui  un  degré  de  lianalité  qui  est  tout  à 
l'honneur  des  médecins,  mais  qui  m'aurait  engagea  i'écarler,  si  elle  ne  servait 
de  préambule  naturel  à  l'exposé  qui  va  suivre  de  toutes  les  conditions  dans  les- 
quelles l'homme  de  l'art  a  été  de  tout  temps  appelé  à  rendre  service  à  la 
société. 

Coup  d'œil  msTORiQiiE.  L'art  de  guérir  a  sans  doute  commencé  partout 
comme  nous  le  voyons  commencer  chez  les  peuples  barbares  de  notre  temps. 
Les  maladies,  effet  de  la  colère  des  démous  ou  de  divinités  supérieures,  ont 
surtout  pour  remède  des  formules  conjuratoires,  des  sacrifices  et  cent  autres 
pratiques  superstitieuses.  Mais  des  croyances  de  cette  nature,  qui  ne  se  sont 
jamais  effacées,  qui  ont  traversé  les  civilisations  les  plus  brillanlcs  et  qui  durent 
encore,  n'ont  jamais  annulé,  comme  ellesn'annulentpas  aujourd'hui,  lesentiment 
naturel  qui  porte  l'homme  à  se  secourir  lui-même.  Il  paraît  impossible  que 
l'individu  souffrant  n'ait  pas,  dès  l'origine  des  temps,  trouvé  dans  son  instinct 
quelques  moyens  de  soulager  ses  maux. 

Déjà,  chez  les  Indous,  même  aux  époques  les  plus  anciennes  auxquelles  nous 
reporte  leur  littérature  médicale,  les  nombreuses  allusions  qu'on  rencontre  dans 
le  Rig-Véda  touchant  l'influence  bienfaisante,  la  générosité,  le  dévouement  des 
médecins,  attestent  chez  ceux-ci  un  fonds  sérieux  d'honneur  professionnel.  Plus 
tard,  sous  la  civilisation  brahmanique,  pendant  la  période  classique  de  la  litté- 
rature médicale  et  celle  des  systèmes  philosophiques,  des  Codes  de  Manou,  la 
caste  des  médecins,  dont  les  devoirs  se  précisèrent  davantage,  ne  fit  que 
gagner  en  considération.  La  science  qu'ils  enseignaient  était  toujours  une 
science  révélée;  et  c'est  le  caractère  qu'on  attribue  à  l'Ayurveda  [Science  delà 
vie)  et  à  quelques  ouvrages  dont  les  autres  ne  sont  que  les  commentaires.  Aussi, 
et  cela  est  dit  par  Suçruta,  l'auteur  de  l'Ayurveda,  les  textes  de  ces  ouvrages 
principaux  devaient-ils  être  appris  mot  à  mot,  comme  un  catéchisme,  et  obéis  à 
la  lettre^  Il  en  fut  de  même,  du  reste,  en  Egypte,  où,  suivant  Diodore  de  Sicile 
(L.  I,  c  Lxxxii,  Bibl.  gréco-latine  de  Didot),  la  peine  de  mort  était  prononcée 
contre  ceux  qui  violaient  les  drescriptions  du  Code  sacré  de  la  médecine. 

En  Grèce,  en  Italie,  le  respect  de  l'art  médical  a  eu  des  interprètes  nombreux 
chez  les  philosophes  et  les  lettrés.  Pythagore  l'appelle  un  art  divin  (Apollonius 
de  Tyane,  Let.  XXIII)  ;  Cicéron,  le  sceptique  Lucien,  vantent  sa  noblesse,  etc.,  etc. 
Chez  les  barbares  comme  chez  les  nations  civilisées,  les  chefs  de  peuple,  les 
grands,  ont  leurs  médecins.  Mithridate  a  ses  Scythes  comme  Alexandre  a  son 
Philippe,  comme  nos  empereurs  et  nos  rois  auront  leurs  premiers  médecins. 

Bref,  quand  la  médecine  est  devenue  laïque,  et  même  avant  de  l'être  tout 
à  fait,  si  l'on  a  pu  se  moquer  d'elle  quelquefois;  si  Lucien  lui-même,  qui  la  vantait 
si  fort,  la  taquine  dans  ses  épigrammes  [n°  38)  et  dans  son  poème  sur  la  goutte, 
les  médecins  n'en  ont  pas  moins  toujours  conservé  le  genre  d'autorité  attaché 

*  L'absence  de  chronologie  dans  t'histoire  de  l'Inde  antique  ne  permet  pas  d'indiquer 
l'époque  à  laquelle  remonte  cet  ouvrag-e.  De  savants  linguistes  croient  que  l'écriture  dans 
l'Inde  ne  remonte  pas  beaucoup  au  delà  du  temps  d'Alexandre. 

DICT.    ENC.    XXVII.  31 


482  DÉONTOLOGIE. 

à  la  nature  (les  services  qu'ils  rendaient  ou  qu'on  attendait  d'eux.  C'était  déjà 

dans  ce  temps- là  comme  du  temps  de  Molière. 

Le  médecin  a,  sans  doute,  toujours  eu  deux  rôles  à  remplir:  un  rôle  public 
et  un  rôle  privé  :  celui-ci  ressortant  de  la  profession,  celui-là  ne  se  détermi- 
nant et  ne  se  développant  qu'avec  les  progrès  de  la  civilisation.  Disons,  le  plus 
brièvement  possible,  comment  ce  rôle  nous  apparaît  dans  la  suite  des  temps. 

I.  Rôle  publîo  du  médecm.  A  part  la  grande  situation  à  laquelle  le  médecin 
était  élevé  dans  l'Inde  et  dans  l'Egypte  antique  par  sa  qualité  de  prêtre  et  de 
dépositaire  d'une  science  révélée,  il  serait  difficile,  je  crois,  de  lui  assigner 
quelques  fonctions  publiques  dans  le  genre  de  celles  auxquelles  furent  appelés 
plus  tard  les  médecins  grecs  et  romains.  Au  temps  des  Rajas,  les  devoirs  publics 
des  médecins  indous  consistaient  essentiellement  à  se  dévouer  en  toute  circon- 
stance à  ces  chefs  féodaux,  protecteurs  de  tout  mouvement  scientifique  et  litté- 
raire, patrons  des  prêtres,  des  astronomes,  des  médecins,  etc.,  dont  ils  faisaient 
publier  les  œuvres.  Il  devait  refuser  le  secours  de  son  art  à  tout  ennemi  du  roi, 
à  ceux  que  le  roi  avait  condamnés  comme  traîtres. 

Avec  la  loi  mosaïque,  la  médecine  prend  un  corps,  et  le  rôle  du  thérapeute  se 
dessine.  Cette  loi  est  en  grande  partie  une  institution  de  prophylaxie  sanitaire, 
et  c'est  précisément  sur  ce  terrain  et  sur  celui  de  l'assistance  médicale,  qui  lui 
est  connexe,  qu'il  convient  de  suivre  d'abord  les  progrès  de  la  médecine  publique. 

Hygiène  et  assistance  médicale.  La  prophylaxie  sanitaire  instituée  par 
Moïse  porte  nécessairement  l'empreinte  de  la  théogonie  du  temps  et  du  lieu; 
c'est  aux  mains  du  prêtre  qu'elle  est  confiée  :  c'est  lui  qui  inspecte  les  lépreux, 
qui  les  sépare  les  uns  des  autres  et  qui  veille  à  l'exécution  de  ces  deux  remar- 
quables prescriptions  :  purifier  les  vêtements,  racler  et  recrépir  les  murailles 
des  maisons  infestées  de  lèpre;  c'est  lui  aussi  qui  écarte  du  sacrifice  les  animaux 
malades.  Dans  Homère,  s'accuse  déjà  le  rôle  que  jouaient  dans  les  pratiques 
salutaires  des  Grecs  les  exercices  corporels  et  la  balnéation.  Ce  n'est  encore 
qu'un  usage,  très-répandu,  il  est  vrai  ;  plus  tard  sont  fondés  dans  les  grandes 
cités  grecques  des  bains  publics,  tantôt  exploités  par  l'administration,  tantôt 
affermés.  Ils  sont  bientôt  réunis  aux  gymnases;  les  stades  marchent  de  pair. 
La  culture  de  l'être  physique  par  l'exercice  corporel,  par  le  genre  d'alimenta- 
tion et  par  des  mesures  d'État  d'un  caractère  parfois  sauvage,  est  le  but  suprême 
des  lois  de  Lycurgue.  Y  avait-il  dans  ces  établissements  d'hygiène  un  rôle  pour  le 
médecin?  C'est  ce  qui  ne  ressort  d'aucun  texte;  tout  au  plus  pourrait-on  le 
conjecturer  d'après  d'autres  rapports  officiels  des  médecins  avec  les  cités.  Des 
médecins  municipaux  en  effet  (dont  on  peut  suivre  l'origine  jusqu'à  plus  de 
cinq  siècles  avant  J.-C),  nommés  à  l'élection  par  les  citoyens,  salariés  par  les 
villes  sur  le  produit  d'un  impôt  particulier  {Impv/.ov),  avaient  le  devoir  de  dis- 
tribuer les  secours  de  l'art  à  tous  ceux  qui  les  réclamaient,  disent  ceux-ci;  aux 
indigents  seulement,  affirment  ceux-là.  Platon  avait  à  cet  égard,  une  idée  assez 
originale  ou  plutôt  conforme  au  principe  qui  prévalait  dans  la  civilisation  de 
ce  temps  :  le  principe  des  inégalités  sociales,  peu  favorable]  à  l'idée  générale 
d'humanité.  Il  voulait  qu'on  refusât  le  bienfait  de  la  médecine  aux  gens  mal 
constitués  de  corps  et  d'esprit.  Je  dirai  plus  loin  la  conduite  des  médecins 
indous  envers  les  incurables. 

La  médecine  à  Athènes  était  uniquement  pratiquée  par  les  hommes  libres, 
dont  les  aides  [ministri  medicorum)  soignaient  les  esclaves.  Cum  œgrotantes 


DÊOiNTOLOGIE.  ^^^5 

in  civitatibus  servi  sunt  et  liberi,  nonne  vides  ut  servis  fere  servi  pler unique 
medicentur  circumcursantes  et  in  medicinis   e.rpectantes    (Platon,    les   Lois, 
p.  529  du  t.  Il  de  la  Bibl.  gre'co-Iat.  de  Didot)?  Les  médecins  municipaux 
n'agissaient  certainement  pas  autrement  que  les  autres.  Le  nombre  variait,  à 
mon  avis,  contre  l'opinion  de  M.  le  docteur  Vercoulre  [La  méd.  publique  de 
Vantiquité  grecque),  suivant  le  chiffre  de  la  population.  Leurs  services  deve- 
naient pre'cieux  en   temps  d'épidémie.   Leur  position  officielle,  à  laquelle  un 
traitement  était  attaché  (bien  qu'il  leur  fût  permis  de  recevoir   en  dehors  du 
traitement  municipal  des  dons  des  citoyens  aisés],  rendait  leur  zèle  oMi^atoire 
et  prévenait  la  désertion.  Les  villes  récompensaient  d'ailleurs  quelquefois,  par 
des  honneurs  publics  ou  des  privilèges,  ceux  qui  s'étaient  distingués  par  leur 
dévouement  et  leur  désintéressement.  Une  officine  publique  était  mise  à  la  dis- 
position de  ces  médecins  :  c'était  là  que  se  rendaient  les  malades  pour  y  subir 
certaines  opérations  et  y  recevoir  des  médicaments;  peut-être  ceux  qui  y  étaient 
transportés  pour  des  blessures  graves  y  restaient-ils  quelque  temps  à  demeure. 
Hippocrate,  qui  donne  de  précieux  détails  sur  la  destination  et  l'aménagement  des 
officines,  ne  dit  rien  de  bien  précis  sur  les  devoirs  spéciaux  des  médecins  publics; 
ses  conseils  sur  l'hygiène  sont  de  ceux  qui  peuvent  s'adresser  à  tous  les  praticiens. 
N'oublions  pas  de   rappeler  les  secours  médicaux  que   les   médecins   grecs 
allaient  quelquefois  porter  au  loin  en  temps  d'épidémie.  On  sait  qu'Hippocrate, 
mandé  en  Macédoine,  y  envoya  son  fils  Thessalus  avec  des  instructions  médicales, 
tandis  que  son  autre  fils  Dracon  et  son  gendre  Polybe   étaient  dépêchés  dans 
d'autres  directions. 

Si  du  monde  grec  nous  passons  au  monde  romain,  l'intervention  du  médecin 
dans  toutes  les  grandes  institutions  sanitaires  devient  plus  directe  et  plus 
étendue.  On  le  sait,  à  Rome,  la  médecine  fut  pendant  plusieurs  siècles  toute 
domestique  ;  quand  elle  eut  des  représentants  spéciaux,  ce  furent  des  esclaves, 
des  affranchis,  presque  tous  Grecs,  et  ce  sont  ceux-là  surtout  que  Caton  désignait 
au  mépris  public.  Rome  avait  fait  de  leur  mérite  une  expérience  particulière 
dans  la  personne  d'Archagatus,  venu  ou  appelé  du  Péloponèse  (vers  219  av.  J.-C.). 
Elle  ne  l'avait  pas  créé  médecin  municipal  ;  rien  n'indique  qu'elle  lui  ait  attribué 
un  salaire  quelconque  ;  mais  elle  lui  avait  acheté  une  boutique  (tabernam)  des 
deniers  publics  et  lui  avait  décerné  le  droit  quiritaire.  L'expérience  avait  mal 
tourné,  et  ce  médecin  ou  plutôt  ce  chirurgien  (vulnerarius)  avait  été  obligé  de 
quitter  le  pays.  A  partir  de  Jules  César,  qui  accorde  le  droit  de  cité  à  tous  les 
médecins,  la  profession  gagne  rapidement  en  dignité  et  en  influence,  et  est 
appelée  à  d'honorables  fonctions  dans  toutes  les  institutions  impliquant  un  in- 
térêt sanitaire,  depuis  les  associations  d'artisans  jusqu'à  la  maison  de  l'Em- 
pereur. Laissons  de  côté,  faute  de  documents  suffisants,  le  rôle  de  l'art  médical 
dans  les  nombreuses  applications  de  l'hygiène  aux  travaux  publics  ou  privés  : 
à  la  construction  des  égouls,  à  l'écoulement  des  eaux,  à  l'assainissement  des  ter- 
rains marécageux  (il  fut  plusieurs  fois  question,  vers  la  fin  de  la  république  et 
sous  les  premiers  Césars,  d'assainir  la  campagne  romaine),  à  la  distribution  des 
eaux  potables,  à  l'orientation  et  à  la  police  des  cimetières,  etc.  Ne  nous  atta- 
chons qu'aux  fonctions  spéciales  auxquelles  les  médecins  ont  été  successivement 
portés  par  le  progrès  de  la  civilisation  et  de  la  science  médicale  en  particulier. 
Je  suivrai  en  cela  un  bon  guide,  31.  le  docteur  Briau,  sauf  les  réserves  que  j'ai 
déjà  eu  occasion  de  faire  ailleurs  sur  quelques-unes  de  ses  affirmations. 
Des  médecins  étaient  attachés  aux  jeux  du  cirque,  pour  y  veiller  au  maintien 


484  DEONTOLOGIE. 

de  bonnes  dispositions  hygiéniques,  pour  en  soigner  le  personnel  dans  toutes  leurs 
maladies,  enfin,  très-probablement,  pour  porter  des  secours  immédiats  en  cas 
d'accidents  survenus  pendant  les  courses.  Ces  médecins  étaient  choisis  par  les 
associations  ou  factions  concourant  aux  jeux  :  chaque  faction  avait  le  sien  pour 
ses  employés  particuliers.  Il  est  certain  également  que  les  liidi  gJadialorii  et  les 
ludi  nmtutini  (réservés  aux  combats  d'animaux)  étaient  également  pourvus  de 
médecins  ;  mais  il  est  douteux  s'il  y  en  avait  d'autres  que  ces  unclores  préposés 
aux  frictions  huileuses  et  aux  massages  et  dirigeant  les  exercices  des  gladiateurs 
et  des  lutteurs.  Y  avait-il  des  médecins  du  xyste  (portique  couvert  où  l'on  s'exer- 
çait à  la  palestre)  ?  Aucun  texte  ne  l'établit  et  l'on  peut  en  dire  autant  quant  au 
collège  des  Vestales;  je  ne  puis  partager  sur  ces  deux  points  l'opinion  si  arrêtée 
de  M.  Briau,  sans  néanmoins  la  contredire  absolument.  Mais  il  y  en  avait  dans 
les  collèges  d'artisans;  du  moins  rencontre-t-on  dans  les  inscrifitions  des  noms 
de  médecins  parmi  les  membres  de  ces  collèges,  et  il  n'est  guère  douteux  qu'ils 
y  soient  entrés  pour  y  exercer  leur  profession  et  qu'ils  y  aient  eu  conséquemment 
une  situation  distincte  de  celle  des  autres  membres  de  l'association.  On  en  peut 
rapprocher,  bien  qu'il  ne  s'agisse  plus  là  d'un  service  public,  ceux  que  les 
maîtres  chargeaient  de  donner  des  soins  aux  familles  esclaves  et  qni  étaient  eux- 
mêmes  de  condition  servile.  Los  empereurs  avaient  leurs  médecins;  c'étaient  les 
archiàtres,  dont  Andromaque  (sous  Néron)  fut  le  premier;  on  peut  assurer  même 
que  quelques-uns  d'entre  eux  avaient  plusieurs  médecins,  constituant  une  véri- 
table maison  médicale.  Dans  celle  qu'avait  formée  Septime  Sévère,  il  y  avait 
un  premier  médecin,  qui  seul  recevait  un  traitement  fixe.  Constantin,  à  By- 
zance,  avait  près  de  lui,  au  contraire,  plusieurs  médecins  décorés  tous  du  titre 
d'archiâtres,  mais  avec  un  comte  à  leur  tête,  un  président  [cornes  archiatrorum) . 
Ce  titre  s'est  étendu  à  des  médecins  fonctionnaires  d'un  autre  ordre,  et  à  côté  de 
l'archiâtrie  palatine  se  place  l'archiâlrie  municipale,  réserve  faite  du  temps  où 
celte  désignation  entra  dans  la  langue  officielle.  11  s'agit  de  l'organisation,  dans 
l'empire  romain,  de  cette  médecine  publique  que  nous  signalions  tout  à  l'heure 
en  Grèce.  De  proche  en  proche,  elle  passe  des  cités  helléniques,  où  la  con- 
quête  la  trouve  tout  instituée,  jusqu'au  centre  des  provinces  romaines;  elle 
est  favorisée  par  l'émancipation  des  médecins  sous  Jules  César,  et  enfin  spécia- 
lement réglée  par  Antonin  le  Pieux.  Aux  termes  du  décret,  les  petites  villes  pou- 
vaient avoir  cinq  médecins  publics;  celles  de  moyenne  importance,  sept;  les 
grandes,  dix.  Les  médecins  étaient  nommés  directement  par  les  conseils  des 
cités,  assistés  des  propriétaires  ;  ils  pouvaient  être  révoqués  pour  cause  de 
négligence  ou  de  mauvaise  conduite.  Des  immunités  particulières  leur  furent 
attribuées.  Antonin  le  Pieux  les  exonéra  des  charges  personnelles  et  civiles, 
et  Julien  des  charges  sénatoriales  [senatoriis  muneribus).  L'institution  fut  con- 
firmée et  réorganisée  en  568  par  Yalentinien. 

Cette  forme  d'assistance  médicale  envers  les  indigents,  qui  en  certaines  cir- 
constances avait  eu  pour  occasion  les  misères  que  la  guerre  laissait  après  elle, 
n'était  probablement  pas  la  seule.  11  ne  serait  pas  déraisonnable  de  conjecturer 
que  le  concours  des  médecins  était  requis  pour  le  service  de  certaines  institutions 
de  bienfaisance,  et  que,  par  exemple,  ils  aient  eu  quelque  devoir  à  remplir  spé- 
cialement envers  ces  enfants  pauvres  des  deux  sexes  auxquels  Trajan  assura,  par 
un  statut  célèbre,  des  secours  perpétuels.  Mais  aucun  texte,  que  je  sache,  ne  vient 
à  l'appui  de  cette  supposition. 

L'assistance  médicale  prend  une  forme  nouvelle  à  peu  près  à  la  date  de  l'édit 


DÉONTOLOGIE.  i85 

de  Valentinien.  Dans  une  haute  antiquité,  bien  difficile  à  déterminer,  les  malades 
étaient  exposés  sur  les  places  publiques,  afm,  dit  l'iutarquc,  que  chacun  put 
leur  conseiller  le  remède  qui  l'avait  guéri  dans  un  cas  semblable  (Plutarque, 
3/o/-.,p.  1520,  Bibl.  Didot).  Cet  usage  durait  encore  en  Orient,  entretenu  moins 
par  une  pensée  d'utilité  publique  que  parla  misère,  quand  saint  Jérôme  et  saint 
Basile  fondèrent  à  Jérusalem  et  à  Gésarée  des  hospices,  des  hôtelleries  {ÎvjoSo'/jîot), 
de  Itjo;,  étranger)  pour  les  pèlerins,  auxquels  des  soins  médicaux  étaient  assurés 
dans  leurs  maladies.  11  n'est  pas  sur  que  ces  hospices  aient  recueilli  les  ma- 
lades des  places  publiques.  Enfin  une  grande  dame  romaine,  Fabiola,  l'amie  de 
saint  Jérôme,  fonda  à  Rome  même  un  véritable  hôpital  (fin  du  quatrième  siècle). 
A  partir  de  cette  époque,  un  long  temps  s'écoule  avant  que  l'hygiène  publi- 
que crée  de  nouveaux  devoirs  à  la  protession  médicale.  Bientôt  même  cette 
partie  de  la  science  décline  comme  les  autres  et  finit  [lar  tomber.  Presque 
rien  des  capitulaires  de  Charlemagne  et  de  ses  successeurs  ne  concerne  1  hygiène 
ou  l'assistance  publique.  On  remarque  cependant  des  dispositions  relatives  au 
prix  des  grains  et  du  pain  (après  la  famine  de  79'2),  à  la  défense  de  l'expor- 
tation et  de  l'accaparement  des  denrées  (après  la  disette  de  805).  Un  des  capitu- 
laires, celui  de  79Ô,  règle  l'administration  laïque  de  certains  hôpitaux.  Les 
léproseries  sont  des  habitacles  de  réprouvés.  Pourtant,  contre  le  fléau  terrible 
de  la  peste,  bien  fait  pour  réveiller  l'apathie  des  populations  et  des  autorités, 
quelques  mesures  sanitaires  sont  prises  à  partir  du  quatorzième  siècle  ;  mais  il 
faut  de  longs  âges  encore  pour  qu'elles  deviennent  réellement  intelligentes  et 
efficaces,  pour  qu'elles  arrivent  à  revêtir  le  caractère  international,  pour  qu'elles 
reçoivent  partout,  plus  ou  moins  suffisamment,  les  seules  lumières  qui  puissent 
les  guider  sûrement  :  les  lumières  de  la  science  médicale.  Les  quarantaines 
s'étendent  à  la  fièvre  jaune,  au  choléra,  aux  épizooties  ;  on  place  des  médecins 
sanitaires  en  sentinelles  aux  diverses  portes  d'entrée  de  ces  fléaux.  Les  devoirs 
publics  des  hommes  de  l'art  se  multiplient  en  se  diversifiant  avec  les  institu- 
tions :  grâce  à  leur  concours  on  réglemente  le  commerce  et  la  vente  des  sub- 
stances alimentaires  ;  on  renouvelle  même  l'institution  ancienne  des  langayeurs 
de  porcs;  on  surveille  ou  l'on  soumet  à  la  formalité  de  l'autorisation  les  profes- 
sions et  les  industries  susceptibles  de  nuire  à  la  santé,  y  compris  la  prostitu- 
tion ;  on  s'occupe  davantage  de  l'assainissement  des  villes,  des  hôpitaux  ;  on 
fonde  un  service  de  secours  aux  noyés  et  aux  asphyxiés  ;  on  organise  l'emploi 
des  eaux  minérales  naturelles,  qui  deviennent  une  grande  richesse  publique  en 
même  temps  qu'une  importante  ressource  de  thérapeutique.  Les  aliénés,  que  la 
loi  romaine  confiait  aux  familles  sous  leur  responsabilité  et  que  notre  société  a 
longtemps  laissés  sans  secours,  même  quand  ils  étaient  judiciairement  protégés, 
ainsi  que  je  le  dirai,  vivant  quelquefois  dans  une  sorte  de  liberté  sauvage 
comme  des  fauves,  plus  tard  recueillis  dans  les  hôpitaux  communs  mais  en- 
chaîné comme  des  malfaiteurs,  sont  enfin,  grâce  à  la  généreuse  initiative  des 
Pinel,  traités  comme  des  malades  ordinaires  ;  on  leur  ouvre  des  refuges  salubrcs, 
où  ils  jouissent  de  toutelalibertcqueleur  état  comporte;  on  en  ouvre  également 
et  l'on  prodigue  les  soins  médicaux  les  plus  attentifs  aux  enfants,  aux  vieillards, 
aux  incurables.  La  découverte  de  Jeûner  provoque  des  mesures  préventives 
contre  la  variole  ;  on  a  comme  un  reflet  des  antiques  médecins  des  villes  dans 
les  médecins  des  bureaux  de  bienfaisance,  dans  ceux  qu'enrégimente  l'assistance 
médicale  dans  les  campagnes.  On  institue  des  médecins  de  l'état  civil  pour  l'en- 
registrement des  naissances  et  pour  la  constatation  des  (Jécès.  L'hygiène  et 


486  DÉOiMOLOGlE. 

l'assistance  médicale  étaient  devenues  dès  le  commencement  de  ce  siècle  une 
affaire  d'État  assez  importante  pour  qu'elle  ait  été  comprise  dans  l'enquête 
ouverte  par  le  Premier  Consul  sur  les  grandes  institutions  de  la  France.  Aujour- 
d'hui, le  médecin  remplit  dans  les  institutions  charitables  un  rôle^  qui,  pour 
ne  pas  répondre  encore  à  tous  les  besoins,  n'en  est  pas  moins  d'une  importance 
considérable  et  d'une  grande  efticacité. 

2"  Sur  la  médecine  d'armée,  qui  astreint  l'jiomme  de  l'art  à  des  devoirs  si 
spéciaux,  l'antiquité  nous  offre  de  précieux  renseignements.  Suçruta  consacre  un 
cliapitre  aux  devoirs  des  médecins  indous  pendant  la  guerre;  un  d'eux  accom- 
pagne le  roi  au  même  titre  que  l'astrologue  et  le  prêtre.  Son  premier  devoir  est  de 
veiller  à  la  préservation  du  roi,  comme  parle  le  texte  :  le  salut  de  celui-ci,  c'est 
le  salut  de  lanation  tout  entière.  11  doit  déjouer  les  ruses  de  l'ennemi,  qui  essaiera 
d'empoisonner  les  provisions  de  bouche,  l'ombre  des  arbres,  le  soldes  chemins; 
i]  doit  se  munir  des  instruments  et  des  remèdes  utiles,  et  en  campagne  comme 
ailleurs  :  «  apporter  dans  l'exercice  de  ses  fonctions  la  sagesse,  l'amour  de  la 
vérité  et  le  sentiment  de  la  justice.  »  Du  temps  d'Homère  les  médecins  présents 
à  l'armée  comptaient,  comme  chefs  ou  soldats,  parmi  les  combattants;  on  les 
détachait  pour  les  besoins  du  service.  Dans  les  armées  lacédémoniennes,  il  y  en 
avait,  au  dire  de  Xénopbon  (Gouv.  de  Lac,  ch.  xiv,  éd.  Haase),  qui  se  tenaient 
près  du  roi  avec  les  joueurs  de  flûte  et  les  devins.  Le  ser\  ice  médical  des  armées  ne 
paraît  pas  se  modifier  sensiblement  sous  Xénopbon  (Corlieu,  Gaz.  hebd.,  1879, 
p.  589),  non  plus  que  sous  Alexandre;  mais  il  fut  plus  fortement  organisé  dans 
l'empire  romain  par  Auguste.  C'est  à  cette  époque  qu'apparaît,  dans  les  armées 
devenues  permanentes,  \emedicus  militaris.  Des  infirmeries  [valetudinarid]  sont 
installées  dans  les  campements;  des  médecins  y  sont  spécialement  attachés,  ainsi 
qu'à  la  cohorte,  à  la  légion,  au  corps  des  vigiles,  au  corps  des  auxiliaires  ;  il  y 
en  a  aussi  dans  la  marine.  Cette  organisation  peu  à  peu  relâchée,  puis  brisée 
par  les  invasions  barbares,  reste  détruite  pendant  tout  le  moyen  âge,  où  les  éru- 
dits  ne  signalent  pas  trace  de  médecin  d'armée.  Celui-ci   reparaît   avec   Charles 
le  Téméraire,  qui  attache  des  médecins  et  des  chirurgiens  à  ses  compagnies  ; 
une  pléiade  de  médecins  d'armée  se  distingue  dans  les  siècles  suivants  :  parmi 
eux,  l'illustre  Ambroise  Paré,   qui  fut  chirurgien  de  Charles  EX  et  de  Henri  111. 
Enfin  Sully  fonde  les  hôpitaux  militaires  et  organise  un  service  de  santé  dont  le 
service  actuel  peut  être  considéré  comme  une  suite  et  un  perfectionnement. 

0°  Si  l'on  considère  maintenant  ce  qu'on  appelle  aujourd'hui  la  médecine 
légale  et  \si  jurisprudence  médicale,  on  en  trouve  des  rudiments  dans  une  très- 
haute  antiquité. 

Nous  avons  vu  les  médecins  égyptiens  punis  de'  mort  pour  s'être  écartés 
des  préceptes  de  l'art.  La  loi  mosaïque  ne  les  atteint,  que  je  sache,  nulle  part; 
si  elle  s'occupe  de  l'avortement  accidentel,  elle  ne  dit  rien  de  i'avortement 
volontaire.  Les  Asclépiades,  on  le  verra  mieux  plus  loin,  l'interdisaient  à  leurs 
disciples,  mais  le  serment  qu'ils  exigeaient  d'eux  à  cet  égard  est  un  témoignage 
de  plu=  du  silence  gardé  par  la  loi.  Dans  l'antiquité  grecque  et  même  romaine, 
l'avortement  volontaire  était  pratiqué  librement,  dans  un  intérêt  de  famille, 
pour  diminuer  le  nombre  des  héritiers,  ou  dans  l'intérêt  de  l'État,  pour  dimi- 
nuer la  population.  On  sait  que  de  nos  jours  le  médecin  est  quelquefois  appelé 
à  éclairer  la  justice  dans  l'application  de  l'article  27  du  code  pénal  ainsi  conçu 
(avec  une  incorrection  de  langage  qui  a  été  respectée)  :  «  Si  une  femme  con- 
damnée à  mort  se  déclare  et  s'î"/  est  vérifié  qu'elle  est  enceinte,  elle  ne  subira 


DÉONTOLOGIE.  487 

sa  peine  qu'après  sa  délivrance.  »  Or,  on  lit  dans  jEIien  que,  l'Aréopage  ayant 
condamné  à  mort  pour  crime  d'empoisonnement  une  femme  enceinte,  il  fut 
sursis  à  l'exécution  jusqu'à  ce  que  l'enfant  fût  venu  au  monde.  On  peut,  à  bon 
droit,  présumer  que  le  cas  avait  été  soumis  à  l'examen  des  hommes  de  l'art.  En 
termes  généraux,  Hippocrate  regrette  que  la  société  ne  soit  pas  mieux  protégée 
contre  les  écarts  de  la  pratique  médicale  ;  il  se  plaint  qu'aucune  pénalité  n'at- 
teigne ceux  qui  compromettent  la  sûreté  publique  par  leur  ignorance  {la  Loi). 
Bien  que  la  capacité  professionnelle  ne  fût  alors  garantie  par  aucun  titre  légal, 
la  qualité  de  médecin  couvrait  bien  des  méfaits.  Cependant  Platon  établit  entre 
les  fautes  des  médecins  une  distinction  formelle  :  Quicumque  curans  aliquem 
«  invitus  »  leto  dat,  piirus  esto  ex  lege  [les  Lois,  t.  II,  p.  427,  Bibl.  Didot). 
C'est  la  même  immunité  que  confère  aujourd'hui  notre  diplôme,  en  ne  livrant 
à  la  répression  légale  que  les  fautes  commises  par  ignorance  ou  par  négligence, 
avec  cette  différence  pourtant  que  la  condition  exigée  du  fait  de  la  mort  d'être 
involontaire  n "équivaut  pas  précisément  à  celle  de  résulter  d'une  impéritie. 

Un  plus  grand  souci  de  la  vie  humaine  sous  les  derniers  empereurs  païens  et 
sous  les  premiers  chrétiens  amena  des  dispositions  législatives  concernant  l'exer- 
cice de  la  médecine.  Et  d'abord  l'avorlement,  qui  est  une  des  expressions  les  plus 
manifestes  du  mépris  de  la  vie,  devint  passible  des  peines  les  plus  sévères,  et 
même  bientôt  de  la  peine  capitale,  qui  fut  maintenue  plus  tard  par  les  Con- 
ciles. La  responsabilité  du  médecin  est  étendue  et  mieux  précisée.  Le  principe 
de  Platon  passe  dans  les  lois  :  le  médecin  n'est  pas  poursuivi  pour  les  accidents 
involontaires  de  sa  pratique,  mais  l'incapacité  et  la  négligence  sont  punies  sur  la 
poursuite  des  intéressés.  La  justice  appelle  l'homme  de  l'art  à  l'assister  pour  la 
découverte  des  crimes  et  pour  la  détermination  des  responsabilités  :  Meclici proprie 
non  s^mt  testes,  sed  magis  judiciiim  quam  testimonium  (Digeste).  Quant  aux 
aliénés,  s'il  n'est  pas  certain  que  la  justice  au  moyen  âge  ait  eu  recours  à 
l'homme  de  l'art  pour  examiner  leur  état  mental,  il  l'est  qu'elle  les  a  entourés 
de  protection,  et  qu'elle  n'a  pas  méconnu  leur  irresponsabilité  légale. 

Avec  le  droit  canon,  le  principe  de  la  responsabilité  des  médecins  est  main- 
tenu ;  il  traverse  les  siècles,  quelquefois  exagéré,  mais  en  général  maintenu 
dans  les  limites  où  nous  le  voyons  aujourd'hui  [voy.  Responsabilité).  Et  en 
même  temps  que  les  progrès  parallèles  de  la  civilisation  et  de  la  science  donnent 
une  connaissance  plus  claire  et  permettent  une  protection  plus  efficace  des  in- 
térêts matériels  et  moraux  de  la  société,  à  mesure  que  s'établit  e*:  se  consolide 
le  principe  de  l'égalité  de  tous  devant  la  loi,  on  voit  se  dégager,  avec  l'assistance 
médicale,  un  code  de  protection  des  citoyen*  contre  le  crime,  du  criminel  lui- 
même  contre  les  erreurs  ou  les  empiétements  de  la  justice,  du  foyer  contre 
certaines  suites  de  la  débauche,  de  l'ouvrier  contre  les  périls  de  sa  profes- 
sion, etc.  C'est  le  souffle  du  progrès  qui  à  la  place  des  épreuves  judiciaires 
du  serment,  du  feu,  de  l'eau  bouillante,  de  l'eau  froide,  de  la  croix,  du  champ 
clos,  mettant  l'innocence  ou  la  culpabilité  de  l'accusé  à  la  merci  d'une  inter- 
vention surnaturelle,  à  la  place  de  toutes  ces  coutumes  aveugles  et  barbares 
dont  on  retrouve  encore  aujourd'hui  l'analogue  chez  des  peuples  sauvages,  mit 
cette  haute  et  on  peut  dire  cette  sainte  garantie  de  l'expertise  médicale,  qui 
n'a  cessé,  depuis  saint  Louis  et  Philippe-le-Bel,  de  devenir  plus  humaine. 

Les  progrès  de  la  médecine  légale  furent  lents  en  Europe.  Leurs  initiateurs 
les  plus  célèbres  sont  :  en;  France,  Ambroise  Paré  (mort  à  la  fin  du  seizième 
siècle);  en  Italie,  Paul  Zacchias  (milieu  du  dix- septième  siècle). 


488  DÉUMULOGIE. 

4°  Dès  le  seizième  siècle,  on  pressent  de  divers  côtés  une  inÛuence  plus  générale 
et  plus  profonde  de  la  médecine  sur  l'ordre  social  ;  l'économie  politique  tout 
entière  la  subira.  Après  Bacon,  notre  Bordeu  est  un  de  ceux  qui  signalent  le 
mouvement  ;  un  des  nôtres  encore,  Quesnay  (au  dix-huitième  siècle),  le  détermine, 
non  précisément  par  des  applications  directes  de  connaissances  médicales  au 
gouvernement  de  l'État,  mais  en  établissant  le  principe  de  la  suprématie  des  lois 
de  la  nature.  Il  crée  cette  science  qui  a  reçu  —  pour  le  perdre,  il  est  vrai,  bien- 
tôt —  le  nom  de  physiocratie  {y^xriç,  nature),  et  devint  le  précurseur  des  écoles 
diverses  d'économie  sociale  qui  se  sont  succédé  depuis,  jusqu'à  la  sociologie 
de  nos  jours,  dont  les  apôtres  les  plus  fervents  sont  ou  ont  été  des  médecins. 

5"  11  est  enlîn,  dans  le  cercle  d'action  de  la  médecine,  un  point  à  signaler. 
Tout  le  monde  connaît  les  antiques  rapports  de  cette  science  avec  la  philoso- 
phie grecque.  De  nos  jours,  cette  fusion  est  devenue  encore  plus  complète,  du 
moins  en  certains  points,  et  sous  une  autre  forme.  La  [ihysiologie  et  la  psychologie 
ne  marchent  plus  de  front,  comme  deux  sciences  distinctes,  du  consentement 
unanime  des  opinions.  C'est  la  tendance  de  la  physiologie  actuelle  de  se  subor- 
donner entièrement  la  psychologie.  Jusqu'ici,  il  faut  bien  le  reconnaître,  elle  y 
réussit  médiocrement,  et  longtemps  encore  la  profonde,  peut-être  l'irrémédiable 
obscurité  du  problème  protégera  l'autonomie  de  la  psychologie,  comme  de  la 
logique  et  de  la  morale;  mais  ce  qui  n'est  pas  contestable,  c'est  le  grand  purti 
que  le  médecin  peut  tirer  de  l'observation  de  l'homme  malade  pour  l'étude  des 
facultés  psychiques.  C'a  été  une  de  ses  supériorités  au  temps  de  la  sorcellerie 
et  de  la  démouomanie  ;  c'en  est  un  encore  aujourd'hui  en  médecine  jadiciaire 
et  dans  nombre  de  problèmes  sociaux  que  les  gouvernements  sont  appelés  à 
résoudre.  Et  cette  pleine  connaissance  de  l'homme  intellectuel  et  moral,  qui 
appartient  au  médecin  observateur  plus  qu'à  tout  autre,  qui  le  prémunit  plus 
sûrement  contre  l'erreur  et  le'  préjugé,  qui  répand  pour  lui  une  lumière 
paiticulière  sur  les  actions  des  hommes,  a  été  de  tout  temps,  dans  la  pratique, 
un  guide  et  une  force  pour  lui-même  et  pour  ceux  qui  demandent  ses  conseils. 
Ainsi  s'est  constitué  et  lentement  agrandi  le  domaine  dans  lequel  le  médecin, 
appelé  à  mettre  son  art  au  service  de  la  communauté,  a  contracté  des  devoirs 
publics.  On  comprend  que  le  code  des  devoirs  privés,  qui  incombent  à  tout 
homme  de  l'art,  se  soit  établi  plus  vite. 

11.  Rôle  privé  du  médecin.  Le  devoir  que  dicte  la  conscience  n'a  pas  besoin 
d'être  défini,  u  Le  devoir,  disait  Cruveilhier,  dans  un  discours  prononcé  à  la 
rentrée  de  la  Faculté  de  médecine  (1856),  c'est  l'honneur,  c'est  la  vie  morale  de 
l'homme,  c'est  la  vie  morale  des  sociétés,  qui  languissent  lorsqu'il  se  relâche,  qui 
périssent  lorsqu'il  s'éteint.  »  Il  n'y  a  pas  de  morale  particulière  pour  le  méde- 
cin :  qu'il  soit  honnête  homme  dans  l'exercice  de  sa  profession  comme  dans 
toutes  les  autres  circonstances  de  sa  vie,  voilà  tout.  Néanmoins,  cette  profes- 
sion a  un  caractère  si  spécial,  elle  confie  à  celui  qui  l'exerce  de  si  grands  inté- 
rêts, elle  l'appelle  à  des  fonctions  si  délicates,  elle  le  charge  de  responsabilités 
si  lourdes,  elle  l'initie  à  tant  de  secrets,  qu'elle  soumet  i'accompUssement  du 
devoir  à  des  conditions  plus  hautes  et  plus  rigoureuses  pour  lui  que  pour  tout 
autre.  L'objet  exclusif  de  la  profession  médicale  est,  en  un  seul  mot,  de  faire  le 
bien  ;  aucune  autre  n'a  ce  grand  privilège.  Dans  toutes  on  doit  exiger  l'honnê- 
teté; celle  du  médecin,  avec  celle  du  prêtre,  est  la  seule  dans  laquelle  ce  soit 
une  forme  obligatoire  de  l'honnêteté  de  se  mettre  au  service  de  tous,  délever 


DÉONTOLOGIE.  489 

l'intérêt  d'autrui  au-dessus  du  sien  propre,  de  braver  les  dégoûts  et  les  fatigues, 
de  risquer  sa  vie  pour  le  salut  de  ses  semblables  ;  et  c'est  en  réalité  un  hom- 
mage que  lui  rend  la  loi  quand  elle  crée  pour  lui  des  obligations  et  des  respon- 
sabilités exceptionnelles,  parce  que  c'est  lui  reconnaître  par  là  une  certaine 
prééminence  dans  l'échelle  des  professions. 

La  dignité  de  l'art  médical  et  les  devoirs  du  médecin  sont  corrélatifs.  Xa 
première  condition  pour  que  la  dignité  médicale  soit  respectée,  c'est  que  le 
médecin  lui-même  en  soit  pénétré  plus  que  personne.  Quand  il  se  sera  dit  que 
son  importance  dans  la  société,  découlant  du  bien  qu'il  est  appelé  à  faire,  ne 
doit  être  employée  qu'à  faire  le  bien  en  réalité,  et  ne  doit  pas  dégénérer  en  une 
force  abusive  dont  les  malades  aient  à  souffrir,  il  aura  posé  la  grande  règle  de 
toute  sa  conduite.  «  Là  où  est  l'amour  des  hommes  est  aussi  l'amour  de  l'art  », 
est-il  écrit  excellemment  dans  les  Préceptes  (llipp.),  [•ist-ce  à  dire  que  le  médecin 
doive  être  le  serviteur,  soumis  et  obéissant,  de  tous  ceux  qui  réclament  ses 
offices,  de  l'administration  comme  des  individus?  Non,  certes.  S'il  a  des  devoirs 
à  remplir,  il  a  des  droits  à  revendiquer.  Les  droits  du  médecin,  c'a  même  été  le 
sujet  spécial  de  quelques  dissertations,  et  il  en  est  une  qui  traite  résolument  du 
devoir  des  malades  (Woltfgand).  On  reconnaîtra  par  plus  d'un  exemple  que  la 
médecine^,  par  cela  même  qu'elle  est  respectable,  a  le  droit  de  se  faire  respecter; 
par  cela  même  qu'elle  rend  des  services,  a  le  droit  de  demander  qu'on  veuille 
bien  compter  avec  elle.  Le  dévouement  du  médecin,  l'abnégation  même  absolue 
qu'il  doit  s'imposer  en  beaucoup  de  circonstances,  n'empêchent  pas  que  son  art 
s'exerce,  comme  les  autres,  sur  la  base  d'un  contrat  entre  lui  et  la  société, 
et,  s'il  se  sent  élevé  au-dessus  des  termes  vulgaires  de  ce  contrat,  ce  n'est  pas 
une  raison  pour  qu'il  laisse  à  la  société  toute  liberté  d'y  manquer. 

Le  sentiment  des  devoirs  privés  du  médecin,  quoiqu'il  doive  remonter  à 
l'origine  même  de  l'art  de  guérir,  ne  serait  pas  aisé  à  dégager  du  peu  qu'on  sait 
de  ces  temps  reculés.  Dans  l'Inde  antique,  en  Chaldée,  en  Egypte  oii  tout 
est  d'abord  hiératique  et  mugique,  les  devoirs  du  médecin  comuienceut 
par  se  confondre  avec  ceux  du  prêtre  et  du  magicien  ;  mais  avec  le  temps 
quelques-uns  s'en  dégagent  avec  une  certaine  netteté.  Les  qualités  exigées  du 
médecin  indou,  par  exemple,  ne  bont  pas  sans  analogie  avec  celles  que  recom- 
mandait Hippocrale,  et  cette  analogie  va  même  jusqu'aux  qualités  physiques. 
D'après  Suçruta,  le  médecin  doit  être  de  bonne  famille,  beau,  fort,  vigoureux, 
discret,  aimable,  sérieux  sans  prétention,  et  gai.  Il  doit  avoir  le  plus  grand 
soin  de  sa  personne,  se  présenter  partout  en  ami,  absolument  sobre  en  toutes 
choses  et  esclave  de  la  vérité.  Son  empressement  auprès  des  malades  doit  être 
pour  ainsi  dire  sans  bornes.  Seulement,  dans  l'intérêt  de  sa  réputation  et  pour 
sauvegarder  la  dignité  de  l'art,  il  doit  refuser  ses  soins  à  ceux  qu'il  aura 
reconnus  pour  incurables.  Voilà  ce  qui  n'est  pas  dans  Hippocrale  ;  mais  ce 
qu'on  y  trouvera  tout  à  l'heure,  c'est  le  respect  de  l'élève  pour  le  maître,  et 
la  tradition  déontologique  qui  était  un  des  traits  les  plus  marqués  de  la  pratique 
indoue.  L'étudiant,  solennellement  initié  à  son  art,  après  une  sorte  de  stage, 
faisait  acte  de  soumission  à  son  maître  le  brahmane  et  recevait  de  lui  une 
instruction  spéciale  sur  les  devoirs  du  médecin.  Le  premier  devoir  est  toujours 
d'avoir  la  plus  grande  considération  pour  les  brahmanes  ;  le  second  d'être  plein  de 
commisération  pour  les  malheureux  :  «  Tu  éviteras,  dit  le  maître,  toute  mau- 
vaise compagnie;  tu  ne  donneras  jamais  de  remède  à  un  homme  condamné  pour 
crime  contre  le  roi  ;  tu  n'iras  pas  soigner  une  femme  en  l'absence  de  son  mari 


490  DÉONTOLOGIE. 

et  sans  le  consentement  de  celui-ci;  tu  ne  recevras  d'elle  rien  autre  chose  que 
la  nourriture  qui  te  serait  nécessaire.  Le  médecin  ne  se  rendra  pas  près  d'un 
malade  sans  y  être  appelé,  etc.  » 

Des  renseignements  de  cette  nature  ne  pourraient  être  fournis  sur  l'Egypte, 
Celle-ci,  du  temps  d'Hérodote  (cinquième  siècle  avant  J.-C),  était  déjà  cou- 
verte de  spécialités  de  tout  genre,  remontant  peut-être  à  l'origine  de  l'art, 
et  au  milieu  desquelles  il  serait  difficile  de  dire  ce  qu'était  la  déontologie 
médicale.  Avec  les  Hébreux,  une  lueur  apparaît.  Les  magiciens  entre  autres 
devoirs,  ont  celui,  dont  ils  usent,  de  donner  la  peste  et  autres  maladies  aux 
Égyptiens;  des  prêtres,  on  l'a  vu,  sont  charges  d'exécuter  les  mesures  prescrites 
contre  les  maladies  impures;  ils  sont  chargés  des  embaumements.  Quand  Jacob 
meurt,  Joseph  commayide  à  ses  médecins  d'embaumer  le  corps  de  son  père, 
et  ils  exécutent  l'ordre  qui  leur  est  donné.  Le  médecin  est  honoré  :  «  Honora 
medicum  propter  neces^itatem ;  da  Jociim  medico  et  non  discedat  a  te  »,  dit  le 
Livre  Saint.  Ce  sont  là  de  faibles  indications. 

La  médecine  grecque  du  temps  d'Homère  et  d'Homère  à  Hippocrate  (environ 
quatre  siècles)  n'a  pas  été,  comme  l'a  établi  Daremberg,  absorbée  par  la  théurgie 
le  devoir  médical  privé,  qu'on  pourrait  appeler  libre,  celui  qui  ne  procède  pas 
d'un  rituel,  a  dû  y  avoir  sa  place.  Un  fait  permettrait,  ce  nous  semble,  de  l'af- 
firmer, c'est  que  l'obscurité  se  dissipe  soudainement  avec  Hippocrate.  Or,  l'œuvre 
portant  le  nom  de  celui  qu'on  appelle  le  père  de  la  médecine  n'est  pas  tout  en- 
tièi'c  d'un  homme,  ni  d'un  moment.  Quelque  part  personnelle  qu'on  y  doive 
faire  au  médecin  de  Cos,  deux  choses  sont  absolument  certaines  :  c'est  d'abord 
que  cette  œuvre  est  collective,  ensuite  qu'elle  représente  un  état  de  la  science 
réalisé  en  partie  par  des  progrès  antérieurs.  Ce  qui  est  vrai  de  la  partie  scien- 
tidque  ne  peut  pas  ne  pas  l'être  de  la  partie  professionnelle.  Le  Serment  en 
est  d'ailleurs  un  témoignage  assez  probant,  comme  on  va  le  voir  dans  un  instant. 
Toujours  est-il  que  les  cinq  livres  hippocratiques  qui  ont  pour  titre  :  Do  médecin, 
De  l\  bienséance.  Préceptes,  Serjiem,  et  La  loi,  contiennent  un  vrai  code  de 
déontologie  médicale,  qui  suffirait  à  former  Vhonnête  homme  dont  je  parlais 
tout  à  l'heure.  La  série  des  devoirs  n'y  est  pas  exposée  méthodiquement,  ni 
avec  détails,  mais  en  traits  brefs  et  comme  aphoristiques.  Il  faut  les  reproduire 
tels  qu'ils  sont,  sans  les  scinder.  Ce  sera  un  excellent  préliminaire,  une  sorte 
d'argument  pour  la  suite  de  cet  article.  On  y  verra  comment,  ainsi  que  dans 
la  déontologie  indoue,  les  qualités  morales  du  médecin,  celles  qui  répondent  à 
ses  devoirs  les  plus  essentiels,  y  sont  mêlées  à  des  qualités  purement  intellec- 
tuelles, et  même  à  des  qualités  physiques  dont  quelques-unes  ne  dépendent 
guère  de  la  volonté. 

Yoici  le  passage  par  lequel  s'ouvre  le  livre  Dîi  médecin.  J'ai  la  bonne  fortune 
d'en  devoir  la  traduction  inédite  à  M.  le  professeur  E.  Egger,  dont  le  nom 
suffit  à  en  garantir  l'absolue  fidélité  : 

«  C'est  une  recommandation  pour  le  médecin  d'avoir  bon  visage  et  juste 
embonpoint,  selon  son  tempérament.  Car  d'un  médecin  mal  portant  on  pense 
d'ordinaire  qu'il  ne  saura  pas  non  plus  soigner  bien  les  autres.  Il  faut  ensuite 
qu'il  soit  net  sur  sa  personne,  bien  vêtu,  et  qu'il  use  de  parfums  agréables  et  dont 
l'odeur  n'ait  rien  de  suspect.  Car  tout  cela  dispose  le  malade  en  sa  faveur.  Le 
médecin  sage  doit  aussi,  quant  au  moral,  observer  ce  qui  suit:  d'abord  savoir 
se  taire,  puis  bien  régler  sa  vie,  car  cela  est  très-important  pour  la  réputation. 
Il  faut  qu'il  ait  le  caractère  d'un  parfait  honnête  homme,  et  qu'avec  cela  il  soit 


DÉONTOLOGIE.  491 

à  la  lois  grave  et  bienveillant.  Car  l'excès  d'empressement  même  à  rendre 
service  le  fera  moins  respecter.  Qu'il  observe  ce  qu'il  peut  se  permettre.  Car  les 
mêmes  offices  rendus  rarement  aux  mêmes  personnes  suffisent  à  les  contenter. 
Quant  à  sa  tenue,  elle  sera  celle  d'un  homme  réfléchi,  sans  morgue.  Autrement 
il  paraît  arrogant  et  dur.  Au  contraire,  s'il  s'abandonne  au  rire  et  à  la  gaieté,  il 
devient  fatigant,  et  c'est  de  quoi  il  faut  surtout  se  garder.  Qu'il  soit  honnête  en 
toutes  ses  relations,  car  l'honnêteté  lui  est  souvent  d'un  grand  secours;  les 
malades  ont  mainte  affaire  grave  avec  le  médecin,  se  livrant  à  lui  sans  réserve; 
à  toute  heure,  il  voit  des  femmes,  des  jeunes  filles,  des  objets  du  plus  grand 
prix.  11  lui  faut  donc  partout  rester  maître  de  lui-même.  Voilà  ce  que  doit  être 
le  médecin  au  physique  et  au  moral.  » 

Dans  le  livre  De  la  bienséance  se  rencontrent  des  conseils  analogues,  l'oint 
d'affectation  dans  les  vêtements,  une  tenue  grave,  de  l'urbanité,  une  parole 
sobre  ;  aucune  ostentation.  Certaines  recommandations  concernent  plus  direc- 
tement la  pratique,  comme  de  voir  fréquemment  le  malade  et  de  veiller  aux 
infractions  qu'il  peut  commettre  et  dont  les  effets  pourraient  être  mis  à  la 
charge  du  médecin. 

Dans  les  Pre'ceptes,  certains  passages  sont  encore  relatifs  au  vêtement,  aux 
abus  de  la  parole,  mais  il  est  surtout  recommandé  au  médecin  de  ne  pas  com- 
mencer par  s'occuper  de  ses  honoraires,  d'en  proportionner  le  t.iux  aux  ressources 
des  malades, 'd'appeler  des  consultants  dans  les  cas  graves  et  embarrassants. 
C'est  là  qu'on  rencontre  (ch.  vu)  un  passage  souvent  cité  sur  les  charlatans, 
sur  les  ignoi'ants,  opprobre  du  monde,  qui  arrivent  au  succès  par  toutes  sortes 
de  procédés  déloyaux.  A  propos  d'honoraires,  il  faut  laver  Hippocrate  du  reproche 
qui  lui  a  été  fait  de  ne  pas  dire  un  mot  de  la  médecine  gratuite  en  faveur  des 
indigents.  «  Le  Serment  n'impose  dans  aucun  cas  au  médecin,  si  ce  n'est 
envers  ses  maîtres  et  ses  proches,  d'exercer  gratuitement  sa  profession;  en  un 
mot,  il  n'est  pas  fait  mention  des  pauvres  dans  le  serment  médical  d'Hippo- 
crafe  »,  dit  M.  Briau  [Assistance  publique  chez  les  Romains,  p.  101);  et  il 
ajoute  :  «  Rien  ne  prouve  mieux  que  ce  fait  combien  les  hommes,  même  les 
plus  éclairés  et  les  meilleurs...,  étaient  encore  éloignés  des  sentiments  de  la 
philanthropie  la  plus  élémentaire  ».  Or,  d'une  part,  Hippocrate  ne  saurait  être 
responsable  d'une  lacune  dans  un  document  qu'il  n'a  peut-être  pas  rédigé  et 
qui  serait  en  tout  ou  en  partie  un  héritage  de  la  famille  des  Asclépiades  ;  et 
d'autre  part,  dans  le  \i\Te  des  Préceptes,  dû  vraisemblablement  à  Hippocrate  lui- 
même,  l'auteur,  revenant  une  seconde  fois  sur  l'âpreté  du  médecin,  s'exprime 
ainsi  :  «  Parfois  vous  donnez  des  soins  gratuits  en  souvenir  d'une  obligation 
ou  pour  le  bon  renom  du  malade  (a  Traosoûo-av  eùSoY.lrrj).  S'il  y  a  lieu  de 
secourir  un  homme  étranger  et  pauvre,  c'est  surtout  le  cas  d'intervenir.  » 
Et  c'est  comme  une  sorte  de  justification  de  ce  précepte  qu'il  ajoute  la  maxime 
citée  plus  haut  :  «  L'amour  des  hommes  est  aussi  l'amour  de  l'art  ».  Assuré- 
ment, il  n'y  a  pas  là  une  pleine  conception  de  l'assistance  médicale  gratuite, 
mais  on  voit  aussi  qu'il  n'était  pas  exact  de  présenter  le  père  de  la  médecine 
comme  ne  l'ayant  prescrite  en  aucun  cas. 

Le  livre  de  La  loi  insiste  particulièrement  sur  l'avantage  de  l'instruction 
première.  L'instruction  commencée  dès  l'enfance,  «  c'est  l'ensemencement  fait 
dans  la  saison  convenable  »  ;  c'est  comme  l'air  où  les  plantes  puisent  leur  nour- 
riture. Hippocrate  s'élève  à  la  fois  contre  «  la  timidité  qui  décèle  l'impuissance 
et  la  témérité  qui  décèle  l'inexpérience  ». 


4<j-2  DÉOMOLOGIE. 

Citons  enfin  le  Serment,  ce  serment  auquel  on  accole  généralement  le  nom 
d'Hippocrate.  Tout  le  texte  de  ce  document  porte  la  trace  d'une  tradition  plus 
ou  moins  longue,  et  quelques-uns  de  ses  passages  semblent  bien  prouver  qu'il 
est  sorti  du  temple  pour  se  transmettre,  avec  l'enseignement  scientifique  lui- 
même,  aux  Asclépiades  laïques,  dont  il  ne  parait  plus  douteux,  depuis  les 
travaux  de  D.iremberg,  qu'Hippocrate  ait  fait  partie  (consulter  sur  ce  sujet 
E.  Foumier,  in  Gaz.  hehd.,  1881,  p  216).  J'emprunte  encore  à  M.  E.  Egger 
la  traduction  an  Serment,  (complétée  sur  deux  points)  insérée  dans  ses  Mémoires 
de  littérature  ancienne  (p.  284)  : 

«  Je  jure  par  Apollon  médecin,  par  Asclépios,  Hygie  et  Panacée,  et  je  prends 
à  témoin  tous  les  dieux,  toutes  les  déesses,  d'accomplir,  selon  mon  pouvoir  et 
ma  raison,  le  serment  dont  ceci  est  le  texte  :  d'estimer  à  l'égal  de  mes  parents 
celui  qui  m'a  enseigné  cet  art,  de  faire  vie  commune  et,  s'il  est  besoin,  de 
partager  mes  biens  avec  lui  ;  de  tenir  ses  enfants  pour  mes  propres  frères,  de 
leur  enseigner  cet  art,  s'ils  ont  besoin  de  l'apprendre,  sans  salaire  ni  promesse 
écrite;  de  faire  participer  aux  préceptes,  aux  leçons  et  à  tout  le  reste  de  l'ensei- 
gnement, mes  fils,  ceux  du  maître  qui  m'a  instruit,  les  disciples  inscrits  et 
engagés  selon  les  règlements  de  la  profession,  mais  ceux-là  seulement.  J'appli- 
querai les  régimes,  pour  le  bien  des  malades,  selon  mon  pouvoir  et  mou  juge- 
ment, jamais  pour  faire  tort  ou  mal  à  personne.  Je  ne  donnerai  à  personne,  pour 
lui  complaire,  un  remède  mortel,  ni  un  conseil  qui  l'induise  à  sa  perte.  De 
même,  je  ne  donnerai  pas  à  une  femme  un  pessaire  abortif.  Mais  je  conserverai 
purs  et  ma  vie  et  mon  art.  Je  ne  pratiquerai  pas  la  taille  même  sur  un  cal- 
culeux  (manifeste)  ;  je  laisserai  cette  opération  aux  praticiens.  Dans  toute  mai- 
son où  je  viendrai,  j'y  entrerai  pour  le  bien  des  malades,  me  tenant  loin  de 
tout  tort  volontaire  et  de  toute  séduction,  et  surtout  loin  des  plaisirs  de  l'amour 
avec  les  femmes  ou  avec  les  hommes,  soit  libres,  soit  esclaves  ;  ce  que  dans 
l'exercice  ou  en  dehors  de  l'exercice  et  dans  le  commerce  de  la  vie  j'aurai  vu 
ou  entendu  qu'il  ne  faille  pas  répandre,  je  le  tiendrai  en  tout  pour  un  secret.  Si 
j'accomplis  ce  serment  avec  tidélité,  qu'il  m'arrive  de  jouir  de  ma  vie  et  de  mon 
art  en  bonne  réputation  parmi  les  hommes  et  pour  toujours;  si  je  m'en  écarte 
et  l'enfreins,  qu'il  m'arrive  le  contraire.  » 

Disons  en  passant  que  le  texte  relatif  à  l'opération  de  la  taille  a  donné  lieu  à 
de  nombreux  commentaires  et  que  beaucoup  le  regardent  comme  altéré.  Ceux 
que  cette  question  intéresse  la  trouveront  exposée  et  examinée  avec  une  clarté 
parfaite  et  une  grande  autorité  dans  un  rapport  de  M.  Bailly  (d'Orléans)  sur 
un  mémoire  de  M.  Charpignon  (voy.   Gazette  hebdomadaire,    1881,  p.   152). 

Rapprochons  tout  de  suite,  malgré  la  distance  des  deux  époques,  un  autre 
serment  médical  en  vers  grecs,  très-peu  connu,  de  date  incertaine  mais  qui 
peut  passer  pour  l'œuvre  de  quelque  rhéteur  du  quatrième  ou  du  cinquième 
siècle  après  Jésus-Christ.  11  est  tiré  des  'laTptzwv  noi7]ua-Mii  rà  X£ii]/ava  IFrag- 
mentiim  poematum  rem  naturalem  vel  medicinam  spectantium,  éd.  de  Bus- 
semaker,  Bibl.  de  Didot,  p.  91).  Voici  cette  assez  vulgaire  pièce: 

«  À\i  grand  Dieu  lui-même  je  jure,  en  paroles  sincères,  de  ne  détruire  par 
maladie  aucun  homme,  étranger  ou  de  mon  pays,  à  l'aide  de  pratiques  homicides  ; 
que  nul  ne  m'entraînerait,  par  des  présents,  à  commettre  un  crime  horrible,  en 
donnant  à  quelqu'un  des  remèdes  funestes,  capables  de  lui  causer  un  mal 
mortel  ;  que,  même  par  amitié,  je  ne  me  chargerais  pas  d'en  administrer  à  autrui. 
Mais  je   lève  au   ciel  de  pieuses  mains,    et  en  tout  je  n'ai  que   des   pensées 


DÉONTOLOGIE.  495 

exemptes  des  souillures  du  crime.  Je  m'appliquerai  à  faire  ce  qui  pourra  sauver 
le  malade,  et  à  tous  je  procurerai  la  santé  qui  conserve  la  vie.  »  On  remarquera 
entre  les  deux  serments  cette  diffe'rence  que  le  premier,  en  défendant  le  mal, 
commande  le  bien,  tandis  que  le  second  n'engage  guère  qu'à  s'abstenir  d'actes 
criminels.  11  pourr;iit  être  remplacé  aujourd'hui  par  le  Code  pénal. 

Quelques-uns  des  traits  du  programme  d'IIi|ipocrate  que,  d'ailleurs,  il  agrandit 
encore  dans  plusieurs  parties  de  la  collection,  se  retrouvent  dans  maint  auteur 
do  l'antiquité  :  ceux  surtout  qui  concernent  l'observation  des  malades,  l'expé- 
rience, la  bonne  tenue,  l'honnêteté  des  procédés,  etc.  Aristote  malade  s'assu- 
rait d'abord  des  connaissances  pratiques  de  son  médecin  en  exigeant  de  lui  un 
exposé  du  cas  et  une  justification  des  moyens  de  traitement.  C'est  du  moins  ce 
qu'on  ht  dans  les  histoires  d'^Elien  {Hist.,  1.  IX,  c.  23,  Bibl.  Didot).  La  supé- 
riorité de  l'expérience  sur  l'érudition  chez  le  médecin  est  souvent  affirmée. 
Lucien  notamment  compare  le  médecin  expérimenté  au  musicien  qui  sait  chanter 
et  Je  médecin  érudit  au  musicien  qui  ne  connaît  que  le  nombre  et  l'harmonie 
LUI,  llippias,  1,  Bibl.  Didot).  Encore  est-il  bon  que  le  chanteur  connaisse 'la  mu- 
sique, et,  pour  des  raisons  analogues,  que  le  médecin  ne  reste  pas  étranger 
aux  doctrines.  Hippocrate  proclamait  l'alliance  intime  de  la  philosophie  et  de  la 
médecine;  Galien  reprend  cette  pensée  à  sa  manière,  en  proclamant  l'excellence 
de  la  méthode  rationnelle  et  de  la  science  logique,  et  il  y  reste  lidèle  dans  son 
Exhortation  à  l'étude  des  arts,  où  il  met  la  médecine  au  premier  rang.  Ce  sont 
là  des  qualités  intellectuelles.  Considérons-nous  les  qualités  morales,  de  nom- 
breuses plaintes  contre  le  charlatanisme  montrent  combien  on  les  appréciait  et 
combien  aussi  elles  faisaient  défaut.  Au  deuxième  siècle  avant  Jésus-Christ, 
Polybe,  déclamant  contre  les  médecins  alexandrins,  les  montre  parcourant  le 
pays  avec  pompe  {non  sine  pompa  urbes perambidantes),  amassant  la  foule  autour 
d'eux,  se  parant  du  titre  de  rationalistes  {rationalis  artis  nomem  carpentes) 
et  captant  la  confiance  publique  à  force  de  paroles  (verborum probabilitate sœpe 
vincente  ipsarum  reriim  experientiam,  1  XXII,  25,  d.  2,  Bibl.  Didot).  Environ 
quatre  siècles  plus  tard,  quand  Dion  Cbrysostomc  veut  faire  honte  aux  habitants 
deTarsedeleurgoùttropprononcé  pour  la  faconde,  pour  «  ces  avalanches  de  mots» 
qu'ils  écoutent  et  admirent  sans  en  profiter,  il  ne  trouve  rien  de  mieux  que  de 
comparer  ces  débauches  de  la  parole  «  aux  exhibitions  de  ces  prétendus  méde- 
cins qui,  campés  sur  la  place  publique,  y  étalent  maint  assortiment  de  membres 
et  d'o3  assemblés  et  articulés,  et  autres  objets  de  même  genre,  à  grand  renfort 
de  jets  d'eau,  d'air  comprimé  ou  de  filtrages...  »  «  Tel  n'est  pas,  ajoute-t-il,  le 
médecin  véritable,  et  il  ne  pérore  pas  de  la  sorte  avec  ceux  qui  ont  effectivement 
besoin  de  lui.  Pourquoi?  c'est  qu'il  sait  prescrue  ce  qu'il  faut  faire,  interdire 
d'autorité  au  malade  le  boire  ou  le  manger,  et  l'amputer  par  force  de  quelque 
tumeur.  Si  donc  tous  les  malades  s'ameutaient  ensuite  et  s'avisaient  d'aller  chez 
le  médecin  faire  bombance  et  se  gorger  de  son  vin,  la  chose  ne  tournerait  "uère 
selon  leur  espérance  et  il  lui  en  cuirait  de  son  accueil  ?  {Discours  XXXIIl  p.  455 
de  l'éd.  d'Emperius,  1844,  in-S"). 

A  propos  de  charlatanisme,  si  l'on  fouillait  les  anciens  auteurs  on  y  trouverait 
plus  d'une  mention,  sinon  de  l'exercice  illégal  (l'époque  ne  permettrait  pas 
le  mot),  du  moins  de  l'exercice  intrus.  Il  résulte  assez  clairement  des  textes  ■ 
d'Hippocrate  que  bien  des  gens  exerçaient  la  médecine  sans  s'être  soumis  aux 
«  règlements  de  la  profession.  »  Le  mal  ne  s'est  jamais  arrêté  ni  ralenti,  et  c'est 
pour  cela  qu'il  n'y  a  pas  intérêt  à  en  signaler  des  témoignages  particuliers.  J'en 


49i  DÉO.MOLOGIE. 

citerai  un  pourtant  en  manière  de  distraction  :  c'est  la  XIY''  fable  de  l'hèdre, 
qui  a  pour  titre  :  le  Cordonnier  médecin.  Ce  faux  confrère,  dont  le  métier 
n'allait  pas,  débitait  un  antidote  :  mais  un  jour  il  a  affaire  à  un  roi.  Celui-ci 
feint  de  mêler  du  poison  à  l'antidote  et  ordonne  au  cordonnier  de  tout  avaler. 
Celui-ci  refuse,  et  le  roi  dit  au  peuple  assemblé  ces  sages  paroles  : 

capita  vostra  non  dubitatis  credere 

Cui  calceandos  nenio  commisit  pedes. 

Et  ceci  conduirait  aux  remèdes  secrets.  Dans  la  TjsaYoJ^oTro^ay/ia  de  Lucien, 
qui  a  eu  la  bonté,  comme  on  voit,  de  s'occuper  souvent  de  notre  art,  la  goutte 
menace  de  sa  vengeance  deux  médecins  syriens  qui  prétendent  posséder  un 
remède  contre  ses  atteintes.  «  Ilélas  !  répondent  à  peu  près  les  pauvres  diables, 
nous  mourons  de  faim  et  nous  promenons  sur  terre  et  sur  mer  un  onguent  que 
nous  tenons  de  nos  ancêtres  et  qui  est  bon  contre  les  douleurs  des  pieds.  —  Quel 
est-il?  comment  le  prépare-t-on? —  Nous  avons  juré  de  le  tenir  secret,  et  notre 
père  mourant  nous  en  a  fait  la  recommandation.  »  N'est-ce  pas  le  langage  qu'on 
entend  encore  quelquefois?  y  C'est  un  remède  de  famille!  » 

La  question  des  honoraires  est  une  de  celles  qu'on  peut  reprendre  de  plus 
loin.  Dans  l'espèce  de  code  déontologique  des  Indous,  le  médecin  avait  droit  à 
une  rémunération,  mais  il  devait  la  proportionner  à  la  condition  du  malade 
et  se  contenter  au  besoin  d'un  «  surcroît  de  considération  "  ;  et  l'instruction  du 
maître  lui  commandait  particulièrement  de  fuir  l'avidité  du  gain. 

Au  livre  des  Rois,  un  prêtre,  Elisée,  refuse  de  rien  accepter  de  Naaman  guéri 
par  lui  de  la  lèpre  :  on  en  peut  conclure  à  peu  près  sûrement  que  lui  ou  d'autres 
prêtres  recevaient  quelquefois  des  récompenses  pour  un  service  de  ce  genre  ;  au- 
trffluent  cette  offre  d'un  patient  serait  bien  extraordinaire.  Et  l'on  voit  déjà  appa- 
raître en  cette  circonstance  quelque  chose  de  fort  commun  aujourd'hui,  qui  est  le 
profit  illicite  des  domestiques  :  car  le  serviteur  d'Elisée  qui  avait  tout  observé 
court  après  Niiaman  et,  au  moyen  d'un  conte,  lui  extorque  une  petite  somme 
d'argent.  Ce  coquin  en  fut  puni  par  une  lèpre  qui  lui  couvrit  tout  le  corps.  Mais 
voici  quelque  chose  de  plus  précis  encore  et  qui  est  tiré  de  V Exode  :  «  Si  deux 
hommes  se  querellent  et  que  l'un  frappe  l'autre  avec  une  pierre  ou  avec  le  poing 
et  que  le  blessé  n'en  meure  pas,  mais  qu'il  soit  obligé  de  garder  le  lit  ;  s'il  se 
lève  ensuite  et  qu'il  marche  dehors,  s'appuyant  sur  son  bâton,  celui  qui  l'aura 
blessé sera  obligé  de  le  dédommager  pour  le  temps  où  il  n'aura  pu  s'oc- 
cuper à  son  travail,  et  de  lui  rendre  tout  ce  qu'il  aura  donne'  à  ses  médecins.  » 
Incapacité  de  travail,  dommages-intérêts,  frais  de  maladies,  toute  notre  juris- 
prudence sur  la  matière  est  là.  L'usage  de  payer  les  soins  médicaux  est  d'ailleurs  si 
naturel  et  si  légitime,  qu'd  a  dû  exister  partout  et  de  tout  temps.  Cela  est  trop 
connu  en  ce  qui  concerne  la  Grèce  et  Rome  pour  qu'il  y  ait  lieu  d'y  insister. 
Aristote  prend  le  soin  (dans  sa  Politique,  si  je  ne  me  trompe)  de  montrer  combien 
il  est  juste  que  le  médecin,  après  avoir  soigné  son  malade  par  amitié,  reçoive  de 
lui  une  récompense  pour  l'avoir  guéri  (œgris  saiiatis,  mercedem  accipiunt).  Mal- 
heureusement bien  des  passages  des  auteurs  faisant  allusion  aux  honoraires 
témoignent  en  même  temps  de  cette  plaie  éternelle  et  incurable  de  la  cupidité. 
Ce  même  Aristote  y  fait  allusion  dans  son  Éthique  à  propos  du  mensonge.  On 
connaît  encore  l'histoire  du  médecin  d'Aspasie,  au  rapport  d'.Elien  [Hist.,  1.  XII, 
c.  i).  Toute  jeune  fille,  elle  eut  une  tumeur  au  menton:  le  praticien  auquel  son 


DÉONTOLOGIE.  495 

père  la  montra  promit  de  la  gue'rir  raoyennaiit  trois  statères  (monnaie  des  villes 
grecques  d'Asie)  ;  le  père  ne  les  possédant  pas,  le  médecin  répond  que,  lui, 
manque  de  médicaments.  Celui-là  n'entendait  rien  à  la  médecine  gratuite,  ni  à 
bon  marché.  Mais  la  plus  remarquable  des  citations  qu'on  puisse  faire  est  celle 
d'un  précepte  d'Hippocrate  (non  contenu  dans  le  Serment),  qui  trouvera  plus  loin 
son  application  :  «  Si  vous  commencez,  dit-il,  par  vous  occuper  de  vos  hono- 
raires..., vous  susciterez  chez  le  malade  cette  pensée  que,  n'ayant  pas  de  conve- 
ntion, vous  partirez  et  le  quitterez,  ou  que  vous  le  négligerez  et  ne  prescrirez 
rien  pour  le  moment  présent.  Vous  ne  vous  occuperez  donc  pas  de  fixer  le 
salaire..;  mieux  vaut  faire  des  reproches  à  des  gens  qu'on  a  sauvés  que  d'écor- 
cher  des  gens  qui  sont  en  danger  »  [Précepte  4s  éd.  Littré). 

En  ce  qui  concerne  les  médecins  romains,  on  trouverait  dans  Pline  des  exem- 
ples de  fortunes  qui  n'attestent  pas  un  désintéressement  immodéré.  Il  est  juste 
néanmoins  de  rappeler  qu'il  était  fait  parfois  usage  de  ces  richesses  au  profit  de 
l'indigence  ou  de  quelque  fondation  publique. 

Quant  aux  médecins  officiels,  grecs  ou  romains,  on  a  vu  qu'ils  étaient  rétribués 
par  les  villes.  11  subsiste  des  doutes  sur  la  moyenne  de  ces  traitements,  néces- 
sairement variables  ;  C3pendant  une  utile  indication  est  permise  pour  le  cas  de  ce 
Démocède  qui,  recevant  à  Égine  un  talent  (un  peu  moins  de  6000  francs),  fut 
attiré  à  Athènes  par  l'appât  d'un  traitement  de  100  mines  (environ  1000  francs), 
et  vint  enûn  à  Samos  où  Polycrate  lui  assura  2  talents.  C'est  ce  même  Démocède 
de  Crotone  qui,  fait  prisonnier  par  les  Perses  et  emmené  en  esclavage  à  Suie, 
guérit  Darius  d'une  entorse  et  sa  femme  d'une  tumeur  au  sein,  et  fut  comblé 
d'honneurs  par  ce  roi.  Il  est  problable  que  ces  médecins  des  villes,  qui  avaient 
pour  fonction  spéciale  de  soigner  les  indigents,  ne  refusaient  pas  les  secours  de 
leur  art  aux  personnes  aisées  qui  les  consultaient  et  qu'ils  en  recevaient  le  prix, 
comme  font  aujourd'hui  nos  médecins  de  bienfaisance,  rétribués  par  la  muni- 
cipalité. Ce  que  Diodore  de  Sicile  dit  (1.  I,  c.  lxxxii,  5)  du  salaire  attribué  sur 
les  fonds  publics  à  ces  médecins  égyptiens  dont  nous  avons  vu  plus  haut  la  pra- 
tique enchaînée  à  un  code  thérapeutique  ne  doit  s'appliquer  qu'à  une  classe 
restreinte  de  médecins,  à  des  médecins  officiels,  puisqu'on  voit  en  Egypte  des 
hommes  de  l'art  se  livrer  à  toutes  sortes  de  spéciahtés  étroites,  d'autres  se  déplacer 
librement  et  se  rendre  même  hors  du  pays  à  l'appel  des  malades. 

Les  honoraires  conduisent  aux  récompenses  par  vole  testamentaire.  On  con- 
naît cet  article  de  notre  Code  pénal  qui  déclare  non  valables  les  dispositions 
entre  vifs  ou  testamentaires  faites  par  des  malades  en  faveur  des  médecins  qui  les 
ont  soignés  pendant  la  maladie  dont  ils  sont  morts.  Avec  la  restriction  désagréable 
qui  termine  l'article,  un  médecin  ne  peut  s'assurer  la  reconnaissance  posthume 
de  son  client  qu'en  l'abandonnant  dans  sa  dernière  maladie,  ce  qui  est  parfois 
embarrassant  parce  qu'il  ne  sait  pas  toujours  si  la  maladie  actuelle  sera  h 
dernière,  et  aussi  parce  que,  sous  le  coup  de  cet  abandon,  la  reconnaissance 
même  pourrait  mourir  avant  le  patient.  Il  y  a  là  cependant,  pour  l'homme 
de  l'art  qui  entend  ses  intérêts,  une  ressource  dont  son  habileté  peut  profiter, 
et  qui  lui  manquait  sous  l'empire  de  l'ordonnance  de  1539,  ne  visant  nomi- 
nativement que  les  tuteurs,  curateurs,  gardiens,  baillistes  et  autres  adminis- 
trateurs, mais  étendue  en  fait  aux  médecins,  et  déclarant  nulles,  sans  réserves, 
toutes  dispositions  entre  vifs  ou  testamentaires  faites  en  leur  faveur  par  leurs 
malades.  Était-ce  le  premier  acte  qui  réglementait  la  matière?  Briau  attribue  ce 
caractère  à  un  texte  du  Code  de  Justinien,  dont  voici  les  termes  :  «  Quos  (me- 


496  DÉONTOLOGIE. 

dicos)  etiam  expatimur  accipere  qua?  sa7îi  offerunt  pro  ohsequiis,  non  ea  quœ 
périclitantes  pro  salute  promittunt.  »  J'ai  essayé  ailleurs  [Gaz.  hehd.,  1879, 
p.  665  et  suiv.)  d'établir  que  ce  texte  n'a  pas  le  sens  compris  par  M.  Briau 
et  signifie  simplement  :  «  Nous  permettons  aux  médecins  d'accepter  ce  que  leur 
offrent  pour  leurs  soins  {obsequiis)  les  malades  guéris  (sani),  mais  non  ce  que 
leur  promettent,  pour  prix  de  leur  salut,  les  malades  en  danger.  »  En  d'au- 
tres termes  :  que  les  médecins  reçoivent  un  salaire  des  malades  après  guérison, 
rion  de  plus  juste,  mais  il  est  malhonnête  de  profiter  du  trouble  d'esprit  des 
malades  en  danger  pour  obtenir  d'eux  une  récompense  exceptionnelle.  Il  n'y  a 
là,  ce  me  semble,  aucune  allusion  à  des  dispositions  testamentaires,  et,  si  le 
texte  les  avait  visées,  ne  les  aurait-on  pas  spécifiées  en  termes  formels? 

Quoi  qu'il  en  soit,  un  document  dont  la  date  ne  peut  être  précisée,  mais  qui 
émane  d'un  bistorien  des  dernières  années  du  règne  de  Justinien  (de  553  à  559), 
témoigne  d'un  abus  persistant  de  la  captation  testamentaire  par  les  médecins.  11 
s'agit  d'une  épigramme  d'Agatbias  le  Scholastique.  Alcimène  est  tourmenté  par 
la  fièvre;  son  poumon  est  comme  décbiré  par  des  épées  ;  un  asthme  gêne  sa 
respiration.  Arrive  Callignotbe,  de  Cos,  médecin  sententieux,  médecin  de  la 
tète  aux  pieds,  comme  aurait  dit  Molière.  Il  examine  le  visage  du  malade,  fâte  le 
pouls,  consulte  le  Traité  sur  les  jours  de  crise,  et  prononce  enfin  sa  sentence. 
«  Si  la  gorge  cesse  d'être  bruyante,  si  les  poumons  ne  souffrent  plus,  si  la 
fièvre  ne  gêne  plus  ta  respiration,  tu  ne  mourras  pas  encore  de  la  pleurésie; 
car  tout  cela  nous  présage  une  guérison  prochaine.  Prends  courage;  toutefois 
fais  venir  un  notaire,  dispose  sagement  de  tes  biens,  cesse  de  mener  désormais 
une  vie  inquiète;  et  moi,  ton  médecin,  pour  prix  de  cette  bonne  ordonnance, 
mets-moi  pour  un  tiers  sur  ton  testament  »  [Anthologie  palatine,  ch.  xi. 
n"  382,  p.  445  du  t.  1'^''  de  la  traduction  de  Dehèque). 

Jusqu'aux  temps  modernes,  si  des  mœurs  différentes  et  la  complication  plus 
grande  des  éléments  de  civilisation  ont  tantôt  excité,  tantôt  affaibli,  ou  incliné 
en  d'autres  sens,  le  sentiment  public  sur  les  qualités  privées  du  médecin, 
le  fond  est  resté  le  même;  il  ne  pouvait  pas  plus  changer  que  la  conscience 
humaine.  Il  suffira,  pour  s'en  convaincre,  de  se  transporter  tout  de  suite  au 
dix  huitième  siècle  et  d'ouvrir  Hufeland  et  J.  Frank,  qui  ont  fait,  le  second 
surtout,  une  étude  détaillée  du  sujet.  Ce  n'est  guère  qu'un  commentaire  des 
antiques  préceptes,  rajeunis  et  adaptés  au  temps  et  aux  circonstances  :  le  méde- 
cin doit  avoir  une  tenue  convenable,  la  finesse  des  sens;  il  doit  être  tempérant, 
de  bonne  vie,  ami  de  ses  semblables,  circonspect,  patient,  modeste,  d'esprit 
droit,  de  mémoire  sûre,  instruit  sans  donner  trop  de  temps  aux  lettres,  érudit 
sans  trop  accorder  aux  systèmes,  etc.  Et  voici  presque  textuellement  le  résumé 
par  lequel  J.  Frank  termine  son  opuscule  :  Les  qualités  qui  doivent  déter- 
miner dans  le  choix  d'un  médecin  sont  :  la  probité,  la  discrétion,  l'amour  de 
l'humanité,  l'indulgence  pour  les  autres,  la  sévérité  pour  lui,  un  entier  dévoue- 
ment à  son  art,  un  zèle  ardent  pour  ses  progrès,  des  mœurs  simples  et  droites, 
un  caractère  désintéressé.  Indépendant  sans  fierté,  le  médecin  alliera  la  patience 
au  courage,  la  fermeté  à  un  jugement  solide  ;  il  aura  le  raisonnement  sur  et 
priuipt  et  l'imagination  modérée. 

Voilà  donc  le  résumé  des  devoirs  publics  et  privés  des  médecins,  et  accessoire- 
ment de  certaines  qualités  physiques  ou  intellectuelles  qui  ont  été  de  tout 
temps  prêchées  à  l'homme  de  l'art.  Il  est  traité  des  devoirs  publics,  c'est-à- 
dire  de  ceux  qui  se  rapportent  aux  institutions  civiles,  à  l'administration,  à  la 


déontologie;  497 

justice,  dans  nombre  d'articles  spe'ciaux  de  ce  Dictionnaire.  Le  lecteur  voudra 
bien  se  rapporter  particulièrement  aux  mots  Aliénation,  Aliénés,  Assistance, 
Camp,  Crèches,  Choléra,  Éléphantiasi^,  Hôpitaux,  Hygiène,  Médecine  légale, 
Médecins  cantonaux  civils,  sanitaires,  etc..  Militaire  (Hygiène),  Militaire 
(Service  de  santé).  Navale  (Hygiène),  Pénitentiaire  (Système),  Professions  (les 
noms  divers  des).  Quarantaines,  Responsabilité,  Rurale  (Hygiène),  etc.  Quel- 
ques-unes des  questions  traitées  à  ces  mots  devront  néanmoins  reparaître  dans 
le  présent  article  au  point  de  vue  de  certaines  règles  morales  qui  en  découlent. 
Dans  la  catégorie  des  questions  impliquant  celle  des  qualités  et  devoirs  privés 
du  médecin,  il  en  est  qui,  comportant  d'autres  points  de  vue  que  celui  de  la 
déontologie,  doivent  être  également  traitées  à  part  :  telles  sont,  par  exemple, 
celle  du  secret  médical,  qui  soulève  des  questions  d'application  juridique,  et 
celle  des  honoraires,  qui,  louchant  d'un  côté  à  la  moralité  du  médecin,  affecte 
aussi  ses  droits  et  fait  partie  du  problème  de  l'organisation  professionnelle  [voy. 
Honoraires,  Secret  professionnel). 

I.  Devoirs  publics  du  médecin.  Ceux  de  ces  devoirs  qu'on  pourrait  appeler 
fonctionnels,  parce  qu'ils  ont  rapport  à  des  fonctions  exercées  par  le  médecin, 
ayant  été,  comme  je  viens  de  le  dire,  étudiés  ailleurs,  il  me  reste  seulement  à 
présenter  quelques  considérations  générales  sur  la  part  que  le  médecin  peut 
ot  doit  prendre  à  l'œuvre  progressive  de  l'humanité.  Il  ne  peut  s'agir  ici  de  la 
sociologie  proprement  dite.  Que  l'homme  ait  passé  par  de  nombreuses  trans- 
formations pour  devenir  ce  qu'il  est,  et  que  les  perfectionnements  indéfiniment 
produits  par  la  lutte  pour  l'existence  et  par  la  sélection  naturelle  constituent 
un  enseignement  pour  les  générations  ultérieures,  c'est  un  problème  encore  plein 
d'obscurités,  digne  toutefois  des  méditations  du  médecin.  Que  la  physiologie 
humaine  doive  fournir  à  elle  seule  les  bases  d'une  physiologie  sociale  ;  que 
l'humanité  puisse  être  corrigée,"  élevée,  uniformisée  par  l'application  universelle 
d'une  bonne  hygiène  et  par  une  satisfaction  plus  complète  et  plus  égalitaire 
des  besoins  instinctifs  de  l'homme,  c'est  un  ordre  d'idées  qui,  ne  pouvant  être 
faux  absolument,  se  recommande  encore  au  médecin  plus  qu'à  tout  autre.  Que. 
sans  aller  tout  à  fait  aussi  loin  et  restant  à  peu  près  dans  l'orbite  un  peu  vague 
de  Quesnay,  on  établisse  un  parallèle  entre  les  lois  de  l'économie  humaine  et 
celles  de  l'économie  sociale;  qu'on  crée  une  physiologie,  une  pathologie,  une 
hygiène  et  une  thérapeutique  politiques,  tirées  tout  entières  d'un  ensemble  de 
faits  positifs  et  scientifiquement  établis,  tout  médecin  doit  s'y  prêter  parce  qu'il 
y  a  là  encore  une  part  de  vérité.  Tous  ces  systèmes  que  recommande  parfois,  sui- 
vant la  remarque  de  Max  Simon,  l'esprit  sincèrement  religieux  de  leurs  adeptes, 
ne  pèchent  que  par  l'exagération  du  principe  et  une  appiéciation  inexacte  de 
l'état  moral  d'une  société.  Oui  sans  doute  les  instincts  égoïstes  de  l'homme,  ceux 
qui  lui  assurent  la  vie  matérielle,  la  possession,  la  satisfaction  des  sens,  sont 
légitimes.  Ils  ont  droit  à  toute  la  sollicitude  des  gouvernants,  et  leur  liberté 
doit  être  assurée.  Mais  c'est  un  principe  vulgaire  que  la  liberté  de  chacun  est 
limitée  par  celle  des  autres;  et  si  l'on  veut  que  la  société,  en  étant  satisfaite 
ne  cesse  pas  d'être  honnête,  il  faut  fournir  aussi  à  l'instinct  moral  son  aliment 
celui  qui  convient  à  sa  nature,  qui  la  développera,  qui  la  fortifiera.  C'est  ici 
que  le  médecin  s'exagère  un  peu,  suivant  nous,  son  importance.  Plus  que  per- 
sonne il  a  l'occasion  de  faire  intervenir  l'action  morale;  plus  que  personne  il 
a  les  moyens  de  la  faire  réussir  ;  seulement,  ces  moyens  ne  dilfèrent  guère  de 
ceux  qui  sont  à  la  disposition  de  tout  le  monde,  et  il  se  trompe  quand  il  s'ima- 

DITC.  ESC.  XXVIl.  52 


498  DÉONTOLOGIE. 

gine  que,  parce  qu'il  a  rattaché  un  sentiment  à  un  organe,  il  sera  plus  apte 
qu'un  autre  à  le  perfectionner.  Non,  les  instincts  mêmes,  comme  l'intelligence, 
se  perfectionnent  par  l'éducation,  c'est-à-dire  par  un  procédé  dont  l'action  va 
de  la  fonction  à  l'organe,  non  de  l'organe  à  la  fonction,  et  se  soustrait  ainsi 
en  partie  à  la  spécialité  scientifique,  réserve  faite  du  plus  ou  moins  d'habileté 
et  de  succès  dans  l'application.  A  tout  prendre  d'ailleurs,  il  en  est  de  l'élément 
psychique  comme  de  l'élément  somatique  :  il  y  a  une  éducation  du  système 
musculaire;  il  en  est  une  aussi  du  moral  et  de  l'intellect. 

Quoi  qu'il  en  soit,  l'influence  des  médecins  sur  la  société  n'est  pas  subor- 
donnée à  la  valeur  de  ces  spéculations.  Il  lui  reste  son  initiative  auprès  des  pou- 
voirs publics,  auxquels  il  lui  appartient  de  faire  connaître  les  desiderata  de 
l'hygiène,  qu'il  est  toujours  le  premier  à  apercevoir,  et  qu'il  leur  apprendra 
à  satisfaire;  il  lui  reste  son  action  individuelle  dans  le  cercle  de  ses  relations^ 
et  dans  tous  les  genres  d'intérêt  social  où  les  institutions  font  appel  à  ses 
lumières.  Le  médecin  privé  peut  et  doit  être  le  bras  du  médecin  public.  Ce- 
lui-ci conseille  les   administi^ations,   les  pouvoirs  de  l'État,  et  leur  fournit  les 
éléments  des  lois  ou   des  règlements  sanitaires;  celui-là  conseille  les  parti- 
culiers et  les  éclaire  sur  les  applications  des  prescriptions  légales  et  adminis- 
tratives. Combien  de  détails,  d'ailleurs,  échappent  aux  mesures  officielles,  com- 
bien d'éventualités  auxquelles  ne  peuvent  pourvoir  les  dispositions  réglementaires 
les  plus  précises  et  les  plus  prévoyantes  1  Contre  les  influences  épidémiques, 
contre  les  causes  d'insalubrité  des  habitations,  contre  certaines  influences  nocives 
des  professions,  etc.,  journellement  le  médecin  est  dans  le  cas  de  suppléer  à 
l'insuffisance  inévitable  des  mesures  de  prophylaxie,  des  règlements  d'édilité  ou 
de  police  médicale.  Le  médecin  ici  ne  doit  pas  attendre  qu'on  provoque  son  avis. 
Partout  où  il  rencontre  une  condition  d'hygiène  susceptible  de  nuire  à  la  santé, 
qu'il  la  signale  aux  intéressés  et  même,  en  certains  cas,  à  l'autorité.  Un  déonto- 
logiste,  Thouvenel,   lui  conseille  de   concourir  par  des  études  d'orographie, 
d'hydrographie,  de  météorologie,  à  la  détermination  de  la  topographie  médicale 
de  la  région  où  il  exerce.   C'est  surtout  [dans  les  campagnes  que  ses  services 
trouveront  leur  emploi  :  là  souvent  une  incurie  obstinée  ne  compte  ni  avec  la 
malpropreté,  ni  avec  le  manque  d'air,  ni  avec  les  miasmes,  ni  avec  les  vices 
du  régime  alimentaire.  Que  l'assistance  aux  indigents,  aux  infirmes,  aux  enfants 
orphelins  ou  abandonnés,  ait  dans  le  médecin  un  apôtre  et  un  agent;  qu'il  soit 
l'inspirateur  et  l'exécuteur  des  œuvres  charitables.  Mieux  que  tout  autre,  il  con- 
naîtra les  misères  à  soulager;  il  en  aura  été  souvent  le  premier  confident.  11  n'est 
pas,  jusque  dans  un  ordre  de  choses  tout  opposé,  d'autres  circonstances  lui  per- 
mettant d'être  utile  à  ses  semblables.  Que  d'intentions  criminelles  ne  voit-il  pas 
éclore  sous  ses  yeux!  Combien  même,  s'il  est  un  peu  perspicace,  ne  devine-t-il 
pas,  qu'on  s'efforce  de  lui  cacher  !  Avortement,  infanticide,  suicide,   empoison- 
nehaent,  tout  cela  se  complote  le  plus  souvent,  sinon  devant  le  médecin,  du 
moins  à  côté  de  lui;  des  indices  viennent  parfois  l'en  avertir:  qu'il  se  hâte  d'en 
profiter  pour  entreprendre  une  œuvre  de  salut.  Dans  ces  graves  circonstances,  il 
peut  faire  plus  encore.  Les  confidences  qu'il  aura  reçues,   spontanées  ou  pro- 
voquées, lui    seront  quelquefois  une  occasion,  non-seulement  d'empêcher  une 
mauvaise   action,   mais  encore   d'en  déterminer  une  bonne;    et  ceux-là,  par 
exemple,  devront  se  féliciter,  qui  auront  donné  pour  dénouement  à  une  grossesse 
illégitime,  au  lieu  d'un  acte  criminel,  une  union  qui  sauve  à  la  fois  l'enfant 
de  la  mort  et  la  mère  du  déshonneur. 


DÉONTOLOGIE.  499 

Je  n'insiste  pas  davantage  sur  les  devoirs  du  praticien  dans  les  occurrences 
qui  sont  du  ressort  de  la  médecine  publique,  parce  qu'ils  comporteraient  des  points 
de  vue  très-nombreux,  qu'un  petit  nombre  d'exemples  laissent  d'ailleurs  aisé- 
ment deviner.  Je  passe  donc  à  l'étude  des  qualités  privées  qui  conviennent  au 
médecin. 

II.  Qualités  et  devoirs  privés  du  médecin.  Laissant  de  côté  ce  qu'il  y  a  de 
nécessairement  banal  dans  un  tel  corps  de  préceptes,  je  vais  essayer  d'indiquer 
les  principales  règles  de  la  conduite  du  médecin  :  \°  vis-à-vis  de  lui-même; 
^^  vis-à-vis  des  malades  ; '5'^  vis-à-vis  des  confrères.  D'ailleur.«,  certains  pré- 
ceptes, tout  banals  qu'ils  sont,  peuvent  motiver  encore  quelques  remarques 
utiles  au  jeune  médecin. 

1.    Conduite  du  médecin  vis-à-vis   de  lui-même.      A  Ce  point  de   Vue  il    y  a  à 

considérer  successivement  les  qualités  extrinsèques,  les  qualités  intellectuelles, 
littéraires  et  scientifiques,  enûxi  les  qualités  morales. 

a.  Qualités  extrinsèques.  Nous  réunissons  sons  ce  titre  ce  qui  concerne  le 
physique,  la  condition  sociale  et  le  genre  de  vie.  Nous  n'avons  jamais  été  autant 
d'accord  avec  Hippocrate  que  lorsqu'il  exprime  le  désir  que  le  médecin  soit 
bien  portant  et  d'un  embonpoint  modéré.  Ce  désir,  nous  le  transmettons  scru- 
puleusement à  nos  confrères,  en  nous  permettant  d'ajouter  que  la  bonne  santé 
et  le  défaut  d'obésité  sont  les  fruits  d'une  vie  sobre  et  active.  D'autres  veulent 
que  le  médecin  ait  les  sens  intacts.  J.  Franck  insistait  sur  l'utilité  d'une  bonne 
vue;  on  appuierait  davantage  aujourd'hui  sur  celle  d'une  bonne  oreille,  en 
l'honneur  de  l'auscultation.  Un  bon  odorat  ne  paraît  pas  non  plus  à  dédaigner 
quand  on  songe  à  l'odeur  de  souris  des  typhoïdes.  D'autres  écrivains  exigent 
du  médecin  une  voix  agréable.  Ne  soyons  irrévérencieux  envers  personne,  surtout 
envers  le  divin  vieillard;  ce  n'est  pas,  encore  une  fois,  à  litre  de  devoirs  qu'on 
recommande  ces  heureuses  dispositions  corporelles,  mais  à  titre  de  qualités 
dont  les  clients  ont  à  tenir  compte  ;  et  c'est  ce  que  dit  formellement  l'opuscule 
de  J.  Franck. 

Même  remarque  pour  l'âge.  On  a  l'âge  qu'on  peut;  mais  ce  qui  est  siir,  c'est 
que,  sauf  de  rares  exceptions,  on  en  porte  la  marque  dans  les  tendances  de 
son  esprit  et  dans  ses  habitudes.  «  Un  ami,  écrivait  Réveillé-Parise  dans  un 
feuilleton  sur  les  jeunes  et  les  vieux  médecins  [Gazette  médicale  de  Paris, 
1854,  p.  594),  me  faisait  remarquer  dans  une  assemblée  un  peu  nombreuse  la 
série  des  cheveux  naturels  et  de  leurs  nuances  jusques  et  y  compris  les  cheveux 
blancs;  puis  la  série  des  faux  toupets,  la  série  des  têtes  chauves,  la  série  des 
ailes  de  pigeon,  la  série  des  perruques,  et  il  soutenait,  non  sans  raison,  que  la 
série  des  idées  était  relative  à  ces  différences.  »  Si  l'âge,  suivant  une  expression 
pittoresque  du  même  auteur,  dont  Munaret  se  pare  dans  un  livre  que  j'aurai 
à  citer,  si  l'âge  blanchit  les  opinions  avec  les  cheveux,  cela,  appliqué  à  notre 
profession,  est  beaucoup  plus  vrai  aujourd'hui  qu'il  y  a  cinquante  ans,  parce 
qu'il  faut  plus  d'activité  et  de  vigueur  intellectuelle  pour  suivre  les  évolutions 
si  prononcées,  si  rapides,  si  inattendues  de  la  science  contemporaine.  Zimmer- 
mann  faisait  remar^juer  que  le  nombre  des  années  n'est  pas  une  bonne  mesure 
de  l'expérience  acquise,  tandis  que  J.  Franck  conseillait  aux  familles  de  ne  se 
fier  qu'aux  praticiens  d'âge  un  peu  avancé  ;  ce  qui  n'était  guère  encourageant 
pour  les  jeunes.  Au  fond  cependant,  c'est  à  l'opinion  de  Franck  que  conduirait 
de  nos  jours  le  raisonnement.  11  reste,  en  médecine  pratique,  sous  les  végéta- 


ÔOO  DÉONTOLOGIE. 

tions  luxuriantes  de  la  science  nioderne,  un  vieux  londs  non  entamé,  solide, 
toujours  fécond,  dont  la  jeunesse  s'écarte  volontiers,  mais  auquel  ramène  l'âge 
mijr.  D'un  autre  côte,  ce  n'est  pas  de  la  lassitude  et  de  la  somnolence  des  vieux 
praticiens  ffu'on  peut  attendre  une  connaissance  approfondie  et  une  application 
résolue  des  grandes  découvertes  qui  se  succèdent  en  physiologie,  en  patho- 
lo<^ie,  en  thérapeutique.  D"où  la  conséquence  que  ce  serait  à  l'âge  moyen  que  le 
praticien  offrirait  le  plus  de  garanties,  s'il  n'y  avait  pas  en  même  temps  à  tenir 
un  si  grand  compte  de  la  capacité  individuelle,  et  s'il  n'y  avait  pas  des  vieillards 
aventureux  ou  des  jeunes  gens  routiniers. 

Le  maintien,  la  tenue,  qui  ne  sont  déjà  plus  entièrement  des  qualités  de 
nature,  et  sur  lesquelles  la  volonté  a  prise,  sont  dignes  d'une  assez  sérieuse 
attention.  Les  habitudes  de  vie  que  contractent  les  étudiants  les  entraînent 
souvent  à  des  hardiesses  de  ton,  à  des  excentricités  ou  à  des  négligences  de 
vêtement,  à  une  loquacité,  à  des  crudités  de  langage  dont  tous  ne  parviennent 
pas  à  se  défaire  à  leur  entrée  dans  la  carrière.  D'autres  passent  à  un  excès 
contraire  et  cherchent  l'importance  dans  un  grand  soin  de  leur  personne,  rem- 
plaçant la  robe,  le  bonnet  ou  la  perruque  d'autrefois,  par  l'habit  à  la  mode  et 
la  cravate  blanche.  Je  ne  conn;iis  que  le  titre  d'un  ouvrage  de  Triller  (dix-hui- 
tième siècle,  Sur  les  odeurs  du  médecin);  je  n'ose  doncm'aventurer  sur  le  sens 
qu'il  donne  au  mot  odeurs.  Mais  j'aimerais  à  apprendre  qu'il  bafoue  les  médecins 
trop  pommadés  et  trop  parfumés.  En  attendant,  je  retiens  ces  paroles  d'ilippocrate 
dans  son  précepte  10  (éd.  Littré)  :  «  Vous  fuirez  le  luxe  des  mouchoirs  de  tète 
en  vue  de  gagner  des  maladies  et  les  parfums  recherchés.  »  Aujourd'hui,  toute 
façon  de  se  moderniser  est  en  réalité  de  l'archaïsme.  Dans  notre  société  fermée 
aux  prestiges  de  tout  genre,  le  vrai  bon  ton  est  celui  de  la  simplicité  sans  aban- 
don, de  l'urbanité  sans  affectation  et  de  la  gravité  sans  refro^nement  :  la  bien- 
séance enfin,  le  decens  habitus.  On  a  lu  plus  haut  le  commentaire  d'ilippo- 
crate sur  la  bienséance.  Cicéron  en  donne  une  définition  admirable.  C'est,  dit-il, 
«  comme  une  certaine  fleur  de  la  vertu  »  {Des  devoirs,  XXVII,  coll.  Nisard).  Et 
un  peu  plus  loin:  «  La  décence  qui  a  sa  place  dans  les  actions  et  les  paroles  se 
remarque  aussi  dans  les  mouvements  et  les  attitudes  du  corps,  et  ici  elle  con- 
siste en  trois  choses  :  la  grâce,  la  bienséance  des  gestes  et  la  tenue  (XXXV). 

Au  moyen  de  succès  qui  vient  d'être  indiqué  s'en  rattache  un  autre,  plus 
efficace  peut-être,  qui  dérive  des  mœurs  contemporaines.  L'amour  du  bien-être 
a  singulièrement  augmenté  dans  le  cours  de  ce  siècle;  l'aisance  est  descendue 
dans  les  classes  inférieures  et  le  luxe  dans  les  classes  moyennes.  Le  médecin  vise 
donc  au  luxe  :  en  outre,  il  a  une  tendance  de  plus  en  plus  marquée  à  subir  une 
exigence  qui  pèse  surlemonde  des  affaires  :  celle  de  provoquer  la  confiance  publique 
par  tout  cet  ensemble  de  démonstrations  et  de  décorations  extérieures  qu'on 
appelle  l'apparat.  J'ai  connu  les  appartements  de  Dupuytren,  de  Marjoliu,  de 
Lisfranc,  de  Fouquier,  de  Chomel,  d'Andral,  de  Louis.  Ils  étaient  larges  suffi- 
samment, décorés  convenablement,  aménagés  pratiquement,  en  rapport  de  tout 
point  avec  l'usage  professionnel  et  le  rang.  C'était  des  appartements  judicieux. 
Aujourd'hui  à  peine  satisferaient-ils  des  praticiens  de  la  classe  moyenne.  Du  bas 
en  haut  de  l'échelle,  les  habitations  s'agrandissent  et  s'embellissent  —  qu'on 
me  passe  un  rapprochement  trivial  —  en  même  temps  et  par  la  même  raison  gé- 
nérale que  les  magasins  de  nouveauté,  les  boucheries  et  les  boulangeries.  C'est 
presque  une  nécessité  du  temps.  Du  reste,  si  j'en  parle  ici,  ce  n'est  pas,  ai-je 
besoin  de  le  dire?  pour  blâmer  le  luxe  des  médecins  riches,  qui  est  pour  eux  un 


DÉONTOLOGIE.  5C1 

droit,  presque  un  devoir;  je  les  loue  au  contraire  de  déverser  le  trop-plein  de 
leur  fortune  sur  la  communauté.  Je  veux  seulement  mettre  en  garde  les  débutants 
contre  un  entraînement  qui  peut  engager  en  un  seul  jour  tout  l'avenir,  parce 
que,  une  fois  entré  dans  cette  voie,  on  n'en  peut  plus  sortir  sans  déchoir. 
Combien  d'exemples  en  ai-je  vus  !  Que  les  jeunes  confrères  me  permettent  à  celte 
occasion  un  conseil  dont  la  valeur  pratique  relèvera  la  vulgarité.  Que  le  méde- 
cin pauvre  qui  débute  se  tire  d'affaire  comme  les  circonstances  le  lui  per- 
mettront, mais,  dès  qu'il  a  vaincu  les  premières  difficultés,  il  doit  s'occuper 
sérieusement  de  l'économie  de  son  budget  ;  régler  d'abord  ses  dépenses  perma- 
nentes de  telle  façon  que  les  exercices  se  soldent  en  excédants,  si  minimes 
qu'ils  puissent  être;  ensuite  n'imputer  les  dépenses  snperilues  que  sur  ces 
excédants  mêmes,  en  les  y  proportionnant  avec  mesure,  jusqu'au  temps  où 
ceux-ci,  en  s'accumulant  et  en  fructifiant,  auront  constitué  un  capital  capable 
d'assurer  l'avenir.  Celui  qui  ne  s'écartera  pas  de  ce  plan  de  conduite  sera  un  jour 
surpris  de  l'avantage  qu'il  en  aura  retiré. 

Ici  se  place  une  question  touchée  par  quelques  auteurs  :  celle  du  mariage. 
En  général,  il  n'est  pas  douteux  que  l'état  de  mariage  convienne  tout  particu- 
lièrement à  la  profession  médicale.  Et  cela  pour  deux  motifs  principaux.  Le  pre- 
mier est  que  cet  état  est  de  nature  à  le  préserver  de  certains  entraînements,  de 
certaines  embiîches,  auxquelles  il  est  plus  que  tout  autre  exposé;  le  second 
que  ce  préseivatif,  utile  pour  lui-même,  est  aussi  une  garantie  pour  les  familles 
où  il  deviendra  le  confident  de  tous  les  secrets  du  sexe.  Et,  à  ce  point  de  vue, 
le  mariage  devra  être  précoce,  parce  que  l'inconvénient  attaché  au  célibat  paraîtra 
d'autant  plus  grave  que  le  praticien  sera  plus  jeune.  Il  faut  néanmoins  savoir 
que  certaines  femmes  ont  tellement  peur  des  indiscrétions  du  médecin  dans 
l'intimité  de  leur  ménage,  qu'elles  le  préfèrent  célibataire  quand  il  offre  les 
garanties  de  l'âge  et  de  l'éducation  morale. 

Il  sera  parlé  plus  loin  de  la  discrétion  du  médecin,  mais  on  peut  dire  tout  de 
suite  qu'elle  est  obligatoire  même  au  sein  du  foyer  domestique;  que  les  confi- 
dences qu'on  s'y  |:ermettrait  pourraient  d'ailleurs  en  sortir  et,  revenant  jusqu'aux 
intéressés,  devenir  des  sujets  de  [jlainte  et  de  rupture.  En  général,  je  ne  conseille 
pas  à  un  jeune  médecin  marié  de  provoquer  en  trop  giand  nombre  et  sans  précau- 
tions des  intimités  entre  son  ménage  et  ceux  de  sa  clientèle.  Plus  elles  seraient 
fréquentes,  et  plus  la  profession  subirait  les  vicissitudes  des  relations  sociales. 

Je  laisse  à  dessein  de  côté  l'argument  ad  hominem  par  lequel  Treyling  cherche 
à  montrer  le  danger  que  courent  en  se  mariant  les  médecins  très-occupés,  surtout 
s'ils  épousent  une  belle  femme  {thèse  d'Ingolstadt).  C'est  une  pensée  peu  sérieuse 
et  peu  digne,  ne  venant  guère  à  l'esprit  de  ceux  qui  contractent  des  liens  conjugaux. 
L'immense  majorité  des  médecins  se  marient,  la  plupart  encore  jeunes.  D'autres 
se  conforment  à  l'opinion  d'Hoffmann,  attendant  qu'une  position  officielle,  un 
commencement  de  renommée,  aient  ajouté  à  leur  valeur  personnelle.  L'essentiel 
pour  tous  est  qu'ils  n'importent  pas  dans  la  société  l'antique  coutume  romaine 
du  mariage  usu  et,  par  là  même,  à  ternie. 

Le  médecin  marié  qu'accablent  les  occupations,  celui  si'.rtout  qui  se  livre  à 
la  lois  à  la  pratique  et  aux  travaux  de  cabinet,  court  un  autre  danger  que  celui 
dont  paile  Treyling,  et  dont  généralement  il  ne  se  préoccupe  pas  assez  dans  le 
règlement  de  sa  vie.  Les  obligations  intérieures,  les  joies  et  les  peines,  les  dis- 
tractions du  monde,  se  disputent  son  temps,  et,  s'il  le  livre  sans  compter,  ce 
qui  lui  en  reste  ne  sufEt  plus  à  ses  occupations  professionnelles  et  scientifiques 


502  DÉONTOLOGIE. 

qu'au  détriment  de  sa  santé  et  de  son  avenir.  Tout  dépend  de  la  sagesse  de 
l'épouse  :  car,  en  présence  des  plaisirs  du  théâtre,  des  concerts,  des  bals,  des 
réceptions,  l'époux  ne  peut  résister  sans  apparence  de  tyrannie. 

b.  Qualités  intellectuelles,  littéraires  et  scientifiques.  Ne  nous  arrêtons  pas 
à  démontrer  qu'une  bonne  mémoire,  un  jugement  sain,  et  autres  qualités  pré- 
cieuses de  l'esprit,  sont  très-utiles  au  médecin.  On  ne  le  sait  que  trop.  Disons 
seulement  que,  chez  un  lycéen  destiné  à  la  médecine,  on  ferait  bien  de  cultiver 
tout  spécialement  la  mémoire,  qu'attend  une  rude  tâche,  et  le  jugement,  fort 
exposé  à  vaciller  dans  l'instabilité  d'une  science  aujourd'hui  si  profondément 
remuée.  Mais  il  est  une  qualité  sur  le  mérite  de  laquelle  les  auteurs  ont 
disputé  :  c'est  Vimagination.  Généralement  on  l'a  condamnée  :  le  médecin  ne 
peut  qu'errer,  conduit  par  la  folle  du  logis.  Jean  Huarte  {Examen  des  esprits 
pour  les  sciences)  la  préconisait  comme  un  moyen  de  deviner  les  maladies  qui 
sont  habituellement  si  cachées  et  ont  des  périodes  et  des  mouvements  si  secrets. 
Réveillé-Parise,  pour  des  motifs  plus  clairs,  l'a  défendue  dans  deux  lettres  élé- 
gantes, insérées  dans  le  tome  II  de  ses  Études  sur  Vhoynme  (1845).  Qu'est-ce 
donc  que  l'imagination?  Au  sens  où  on  l'entend  ici,  c'est  la  faculté  d'inventer 
des  explications,  de  supposer  des  phénomènes  encore  inobservés,  soit  par  une 
déduction  tirée  de  phénomènes  déj\  connus,  soit  par  une  sorte  d'inspiration  ou 
de  divination.  Or  rien  n'est  plus  légitime,  et  rien  n'est  plus  commun.  Ce  serait 
étrangement  méconnaître  l'esprit  de  la  science  ou  calomnier  l'esprit  humain  lui- 
même  que  de  vouloir  interdire  l'emploi  d'une  faculté  qui  est  un  instrument  de 
découvertes.  Dans  les  sciences  aussi  bien  que  dans  les  lettres  et  les  arts,  les 
hommes  dont  on  admire  le  génie  doivent  beaucoup  à  l'imagination,  et  chacun 
de  nous  l'appelle  journellement  à  son  aide.  Quelques-uns  de  ceux  qui  consen- 
tent à  l'accepter  chez  le  médecin,  de  Kerkaradec,  par  exemple,  la  veulent  mo- 
dérée. Cela  ne  peut  avoir  qu'une  signification  :  c'est  que  les  hypothèses  soient 
provisoires,  conditionnelles  ;  qu'on  n'en  use  pas  comme  de  vérités  positives 
avant  de  les  avoir  vérifiées  par  l'observation  et  l'expérience.  C'est  une  exigence 
fort  naturelle.  Encore  ne  faut-il  pas  oublier  que  les  vues  de  l'imagination  ne 
sont  pas  toujours  aussi  primesautières.  aussi  fortuites  qu'on  pourrait  le  penser, 
et  que  bien  souvent  elles  sont  comme  l'éclair  d'une  vérité  encore  inconsciente, 
mais  déjà  entrée  dans  l'esprit  par  la  porte  commune  des  faits  ;  elles  sont  alors 
le  produit  d'une  rapide  induction,  dans  laquelle  l'esprit,  comme  un  courant  élec- 
trique, a  parcouru  une  chaîne  d'idées  sans  en  compter  les  anneaux. 

Ceci  conduit  à  la  circonspection,  qui  figurerait  mieux  peut-être  parmi  les 
qualités  morales,  mais  dont  l'emploi  s'applique  ici  aux  choses  de  l'intelligence. 
C'est  dans  ce  sens  que  les  déontologistes  l'ont  à  l'envi  recommandée.  Le  médecin 
rencontre  deuxécueils  :  une  foi  aveugle  en  son  art,  ou  une  défiance  trop  grande. 
La  première  est  le  lot  ordinaire  du  jeune  médecin.  Celui-ci  entre  dans  la  carrière 
avec  des  armes  toutes  prêtes  ;  il  a  lu  dans  les  livres  des  descriptions  classiques 
de  maladies,  avec  des  chapitres  sur  le  diagnostic  et  le  pronostic;  il  a  vu  dans  les 
hôpitaux  des  types  de  la  plupart  de  ces  maladies;  le  voilà  sûr  d'abord  de  recon- 
naître l'ennemi  dès  qu'il  se  présentera.  Il  amis  aussi  dans  sa  tête  les  moyens  divers 
de  le  combattre;  si  un  moyen  échoue,  il  en  emploiera  un  autre;  la  liste  n'en 
est  pas  petite;  son  maître,  s'il  en  a  un,  avait  à  cet  égard  ses  habitudes,  il  les 
suivra.  Actuellement  le  vent  est  aux  remèdes  nouveaux,  excitateurs  ou  modéra- 
teurs de  certaines  propriétés  physiologiques  ;  il  ne  manquera  pas  d'y  recourir. 
Ainsi,  tout  se  présente  à  lui  avec  les  apparences  de  la  fixité  et  de  la  clarté.  De 


DÉONTOLOGIE.  503 

là  aune  thérapeutique  brutale,  à  coups  de  bâton,  comme  disait,  si  nous  ne  nous 
trompons,  le  regrelté  Pidoux,  il  n'y  a  pas  loin.  11  lui  faut  beaucoup  de  temps  et 
beaucoup  de  clients  (ce  qui  n'est  pas  la  même  chose)  pour  s'apercevoir  qu'il  opère 
^ur  un  terrain  mal  connu  et  même  en  partie  nouveau;  que  les  maladies  de  la 
ville  ne  sont  pas,  pour  la  plupart,  celles  des  hôpitaux,  parce  qu'on  n'entre  pas 
à  l'hôpital  pour  une  céphalalgie,  une  dyspepsie  simple,  de  l'insomnie,  d-^s  palpi- 
tations, quelques  vertiges,  etc.  ;  que  ces  affections  ont  leur  source  latente  dans 
quelque  coin  de  l'économie  qu'il  s'agit  de  découvrir;  qu'un  état  diathésique 
gouverne  souvent  les  troubles  les  plus  variés  de  la  santé;  que  les  médicaments 
■spéciaux  ne  s'adressent  qu'à  des  symptômes  spéciaux;  que  les  meilleures  inspi- 
rations du  praticien  doivent  être  souvent  tirées  de  l'évolution  naturelle  de  la 
maladie;  enfin  qu'il  y  a  des  maladies,  et  dans  une  maladie,  des  incidents  salu- 
taires, qu'il  importe  de  favoriser  au  lieu  de  les  combattre. 

La  circonspection  est  plus  nécessaire  au  chirurgien  qu'au  médecin.  Les  opé- 
rations nouvelles  sont  autant  à  la  mode  que  les  médicaments  nouveaux,  et  cette 
seconde  mode-là  a  plus  de  conséquences  que  l'autre.  La  inanie  opératoire  est  une 
•des  plus  dangereuses  infirmités  dont  puisse  être  affligé  un  jeune  chirurgien  ; 
«t  il  y  est  naturellement  porté  par  l'ignorance  oiî  il  est  encore  de  toutes  les 
ressources  que  peut  fournir,  contre  nombre  d'affections  dites  chirurgicales,  une 
thérapeutique  médicale,  guidée  par  une  étude  approfondie  de  l'étiologie.  Nous  les 
engageons,  sur  ce  point,  à  méditer  un  passage  d'un  de  leurs  maîtres  qui  a  pris 
la  direction  d'un  mouvement  de  résistance  contre  les  entraînements  du  jour. 
«  Avec  cette  vue  (celle  que  nous  venons  d'exprimer),  l'espérance  pourra  renaître. 
On  se  demandera  s'il  est  possible  de  prévenir,  de  combattre,  de  détruire  la  néo- 
plasie  d'origine  arthritique,  comme  on  prévient,  combat  et  détruit  la  néoplasie 
syphilitique,  jadis  supprimée,  souvent  et  sans  façon,  par  le  bistouri;  comme  on 
guérit  aussi  sans  opération  la  néoplasie  inflammatoire  simple,  et  comme  on 
guérira  prochainement  certaines  néoplasies  parasitaires  superficielles  et  résis- 
tantes ;  comme  on  guérit  enfin  chez  certains  la  néoplasie  strumeuse,  en  favori- 
sant la  métamoplasie  caséeuse  ou  fibreuse  du  tubercule.  »  «  En  condamnant  sans 
hésitation,  ajoute-t-il,  l'abus  que  l'on  fait  aujourd'hui  de  la  thérapeutique  in- 
strumentale, en  exhortant  les  jeunes  à  lutter  contre  l'entraînement  et  à  pour- 
suivre plutôt  l'œuvre  de  la  chirurgie  conservatrice,  j'ai  la  ferme  conviction  de 
combattre  le  bon  combat  »  (Verneuil,  Mémoires  de  c/iî'rar^ie,  t. Ill,  Introduction). 
Une  considération  surtout  doit  être  présente  à  l'esprit  du  chirurgien.  Quel  sera  le 
profit  probable  de  l'opération?  Quelles  chances  de  mort  immédiate  va-t-on  sub- 
stituer aux  chances  de  vie  que  laisse  encore  le  mal  ?  Quelles  chances  de  récidive 
vont  rendre  vaine  à  courte  échéance  la  réussite  de  l'opération?  C'est  ce  que,  trop 
souvent,  on  est  peu  porté  à  se  demander  dans  l'ardeur  des  premières  armes. 

A  l'opposé  de  la  foi  aveugle  et  remuante,  se  présente  le  scepticisme.  Je 
parlerai  plus  tard  du  septicisme  du  public;  chez  le  médecin,  c'est  un  état  d'es- 
prit dont  les  inconvénients  sont  moins  manifestes  peut-être  que  ceux  du  précé- 
dent, mais  ont  plus  qu'eux  le  double  effet  de  nuire  à  la  fois  au  malade  et  au 
médecin.  Le  médecin  sceptique  n'accorde  aux  jiialadies  pour  lesquelles  il  est 
appelé  qu'une  attention  distraite.  Ne  croyant  guère  aux  indications,  il  ne  se  donne 
pas  la  peine  de  les  rechercher  ;  les  remèdes  ne  produisant  que  des  perturbations 
superficielles  dont  la  maladie  se  joue,  les  moins  actifs  seront  les  meilleurs.  Si 
encore  il  s'en  tenait  à  ce  rôle  neutre!  Mais  en  l'absence  de  tout  principe, 
quand  il  se  mêle  d'agir,  il  le  fait  au  hasard,  au  petit  bonheur,  et  administre 


504  DÉONTOLOGIE. 

des  remèdes  qui  ne  peuvent  être  qu'inutiles  ou  nuisibles.  C'est  même  pour  moi 
un  fait  d'observation  qu'il  n'est  que  les  médecins  entachés  de  scepticisme  pour 
donner  dans  les  nouveautés  thérapeutiques,  même  dans  les  pratiques  charlala- 
nesques.  Rien  de  plus  naturel  d'ailleurs,  puisque  le  scepticisme  est  un  empi- 
risme renforcé.  Ce  défaut  de  foi,  cet  énervement  ou  ce  décousu  de  la  pratique 
finissent  par  être  compris  du  client,  et  celui-ci  à  son  tour  devient  sceptique  à 
l'égard  de  son  médecin;  il  consulte  ailleurs  et  se  jette  aisément  entre  les  mains 
de  celui  qui  fait  de  son  mal  une  étude  attentive  et  en  déduit  ou  paraît  en  déduire 
une  thérapeutique  convaincue. 

Une  bonne  éducation  littéraire  est-elle  indispensable  au  médecin?  On  se 
rappelle  que  celte  question  se  trouvait  impliquée  dans  le  plan  d'études  imaginé 
par  le  ministre  de  l'Instruction  publique  au  commencement  du  second  Empire, 
quelque  temps  suivi,  puis  abandonné  à  cause  des  mauvais  résultats  qu'il 
produisait.  Les  études  furent  alors,  comme  on  disait,  bifurquées,  c'est-à-dire 
que  les  études  littéraires  et  les  études  scientifiques  furent  entièrement  séparées. 
Dans  le  conseil  de  Ilnstruction  publique,  P.  Bérard  et  Denonvilliers  plaidèrent 
en  faveur  de  l'éducation  littéraire  des  médecins.  Aujourd'hui,  nul  étudiant  n'est 
admis  à  prendre  sa  première  inscription,  s'il  ne  justifie  du  grade  de  bachelier 
es  lettres  :  une  exception  est  faite  pour  les  officiers  de  santé,  desquels  on  n'exige 
que  le  certificat  de  grammaire,  délivré  à  l'issue  de  la  classe  de  quatrième. 
Mais  ce  qui  importe,  ce  n'est  pas  d'avoir  fréquenté  le  collège  ou  lycée  et  de 
s'être  muni  d'un  diplôme  de  bachelier  :  c'est  de  ne  pas  laisser  dépérir  la  semence 
qui  a  été  alors  déposée  dans  l'esprit.  Bacon  ne  comprenait  pas  qu'on  blâmât 
le  médecin  de  cultiver  la  rhétorique,  la  poésie,  la  critique,  la  théologie  même. 
Rien  de  ce  qui  concerne  l'humanité,  disait-il,  ne  doit  être  étranger  au  mé- 
decin. Bien  avant  l'époque  de  Bacon,  sans  remonter  à  Lucrèce  et  encore  moins 
aux  œuvres  métriques  des  premiers  philosophes  grecs,  la  poésie,  qui  à  elle 
seule  est  un  témoignage  irrécusable  d'une  forte  culture  littéraire,  avait  prêté 
sa  langue  à  bien  des  ouvrages  de  science  et  particulièrement  de  médecine.  Le 
mouvement  de  la  Renaissance  rendit  cet  usage  familier,  et,  depuis  cette  époque, 
on  compte  encore  bien  des  anatoraistes,  physiologistes,  botanistes,  parmi  les  poètes 
et  les  archéologues  {voy.  Médecins  poètes,  2"  série,  t.  V,  addendum).  Je  ne  nom- 
merai que  le  grand  Haller,  pour  montrer  que  le  positivisme  des  sciences  natu- 
relles n'exclut  pas  l'inspiration  poétique,  non  plus  que  la  connaissance  de  l'his- 
toire et  des  antiquités.  Je  n'en  demande  pas  tant  aux  praticiens  de  nos  jours.  Si 
même  on  considère  la  situation  sociale  d'un  grand  nombre  d'entre  eux,  de  ceux 
qui  exercent  dans  la  classe  ouvrière  ou  dans  les  campagnes,  on  admettra  volon- 
tiers que  tous  les  ornements  de  l'esprit  leur  seront  de  peu  d'utilité.  Mais,  s'ils 
n'en  retirent  pas  de  services  professionnels,  ils  en  profiteront  pour  eux-mêmes, 
parce  que  le  refuge  dans  un  monde  idéal  est  la  seule  ressource  de  ceux  que  le 
monde  réel  ne  peut  contenter.  D'ailleurs,  la  destinée  du  lycéen  qui  entre  dans  une 
école  de  médecine  lui  est  encore  inconnue,  et  ce  qu'il  rejetterait  aujourd'hui  comme 
un  bagage  encombrant  aurait  pu  lui  procurer  un  jour  de  précieux  avantages. 

Parmi  ces  avantages  il  y  en  a  de  généraux  et  de  spéciaux. 

Il  est  bon  d'abord  que  l'homme  de  l'art  ne  soit  jamais  sensiblement  inférieur 
en  éducation  à  celui  qu'il  devra  soumettre,  en  somme,  à  ses  prescriptions,  à 
ses  ordonnances,  et  envers  lequel  il  lui  faudra  maintenir  l'atitorilé  de  la 
science.  Ce  n'est  pas  seulement  au  lit  du  malade  qu'il  donne  la  mesure  de  sa 
valeur  personnelle  :  c'est  aussi  dans  les  rapports  journaliers,  dans  la  conversa- 


DÉONTOLOGIE.  505 

tion,  dans  les  jugements  qu'il  porte  sur  Icshonimeset  les  choses,  clans  le  savoir 
dont  il  lait  preuve.  C'est  même  souvent  sur  des  indices  de  ce  genre  que  la 
famille  choisit  son  médecin,  ne  pouvant  juger  de  son  habileté  dans  son  art;  et 
c'est  aussi  et  seulement  à  ce  litre  d'iiomme  instruit  et  judicieux  qu'elle  le 
prend  souvent  pour  confident  et  pour  conseil  dans  ses  affaires  intimes.  Lui-même 
doublera  sa  faculté  d'observation,  agrandira  et  fortifiera  ses  conceptions,  s'il 
a  été  formé  à  celte  gymnastique  intellectuelle  qui  assouplit  l'esprit,  qui 
le  dispose  à  se  rendre  compte  de  ses  impressions,  de  ses  idées,  à  s'orienter 
dans  toutes  les  directions  du  savoir  humain,  et,  même  sur  le  terrain  des  sciences 
phvsiques,  à  discerner  dans  le  mélange  confus  des  phénomènes  le  lien  de  leur 
enchaînement  et  la  valeur  relative  de  chacun  d'eux. 

L'instruction  littéraire  porte  aussi  à  savoir  profiter  de  ce  qu'on  a  appris  et  à 
en  faire  profiter  les  autres.  Le  livre,  qui  parait  n'être  qu'un  simple  dépôt  des 
acquisitions  de  l'esprit,  en  est  souvent  le  promoteur  pour  une  grande  part.  On 
croit  n'avoir  qu'à  consigner  un  certain  nombre  de  faits,  à  tirer  certaines  déduc- 
tions; mais  les  faits  appellent  les  faits;  les  déductions  ont  besoin  d'être  véri- 
fiées. Aussi  peut-on  dire  que  celui  qui  est  en  état  d'écrire  sur  un  sujet  d'après 
ses  propres  observations  en  sait  toujours  plus  que  celui  qui  n'a  fait  qu'y  appli- 
quer son  esprit  spéculativement,  et  j'irai  jusqu'à  prétendre  que  tout  écrivain 
qui  est  parvenu  à  acquérir  un  style  net,  précis,  où  la  suite  des  idées  se  lie 
naturellement  et  logiquement,  sera  sans  aucun  doute  un  bon  observateur. 

Enfin,  sans  humanités,  le  médecin  se  trouve  privé  des  sources  les  plus  utiles 
d'instruction.  On  peut  à  la  rigueur  lui  faire  grâce  du  grec;  les  livres  grecs 
qu'on  peut  consulter  avec  fruit  ne  sont  pas  nombreux  et  sont,  pour  la  plupart, 
vulgarisés  par  des  traductions  fidèles.  Mais  il  en  est  autrement  pour  les  auteurs 
latins,  dont  les  traductions  font  souvent  défaut  ou  sont  plus  difficiles  à  se  procurer 
que  les  originaux,  surtout  pour  certains  auteurs  du  dix-septième  et  du  dix-huitième 
siècle,  où  se  trouvent  déposées  tant  de  doctrines,  tant  de  vues,  tant  de  faits  que  la 
médecine  moderne  n'a  pas  détruits  et  qu'elle  réédite  même  quelquefois  sous  des 
formes  nouvelles.  N'est-il  pas  désirable  qu'un  médecin  puisse  lire  dans  leur  lan- 
gue un  Bordeu,  un  Baglivi,  un  Boerhaave,  un  Stahl,  un  F.  Hoffmann,  un  Mor- 
gagni,  un  Haller,  un  StoU,  un  Sydenham?  Et  nous  ne  parlons  ici  que  du 
médecin  praticien;  car,  s'il  s'agissait  d'un  érudit,  d'un  historien,  il  y  aurait 
bien  d'autres  choses  à  exige;*  de  lui,  à  cause  de  la  solidarité  qui  unit  aujour- 
d'hui toutes  les  sciences  aussi  bien  que  toutes  les  branches  de  l'histoire. 

Tels  sont  les  motifs  généraux  qui  doivent  inspirer  au  médecin  le  goût  d'une 
solide  instruction  littéraire.  Les  autres  dépendent  de  circonstances  particu- 
lières de  sa  vie  de  savant  et  de  praticien.  A  celui  qui  veut  se  tenir  toujours 
au  courant  des  progrès  de  la  science,  qui  se  prépare  à  entrer  dans  la  carrière 
des  concours,  la  connaissance  d'un  certain  nombre  de  langues  vivantes,  princi- 
palement de  l'allemand  et  de  l'anglais,  est  indispensable.  La  multiplicité  et  la 
promptitude  des  communications  établies  entre  les  divers  pays  d'Europe,  entre 
l'Europe  et  le  Nouveau-Monde,  et  en  outre  l'instilulion  des  Congrès  internationaux, 
ont  créé  par-dessus  toutes  les  frontières  une  république  d'idées  dont  tout 
savant  est  citoyen.  Il  est  naturel  et  indispensable  qu'on  se  mette  en  mesure  de 
se  comprendre  réciproquement  dans  cette  Babel.  L'étude  du  dessin  n'est  guère 
moins  utile.  Les  notions  de  mathématique,  de  géométrie,  de  physique,  de 
chimie,  exigées  pour  le  baccalauréat  es  sciences  et  à  certains  examens  de  méde- 
cine, ont  mis  à  même  d'imaginer  les  ingénieux  appareils  qui  rendent  tant  de 


506  DÉONTOLOGIE. 

services  à  la  médecine  et  surtout  à  la  médecine  expérimentale.  La  connaissance 
du  dessin,  déjà  utile  pour  ces  inventions  mécaniques,  donnera  le  moyen  de 
fixer  certaines  observations  dont  la  description  analytique  donne  si  difficilement 
une  idée  exacte  et  dont  l'anatomie  microscopique  est  lamine  principale;  elle 
permettra  aussi  à  l'hygiéniste  de  tracer  des  plans  d'habitations,  d'hôpitaux,  de 
campements,  qui  indiquent  à  un  simple  coup  d'œil  les  dispositions  les  plus 
favorables  à  la  santé  publique.  Le  chant,  la  musique,  n'ont  plus  pour  les 
sciences  et  pour  le  médecin  en  particulier  la  même  importance  que  du  temps  de 
Pythugore  {Medici  miisici)  ;  cependant  certains  auteurs,  notamment  Foissac,  en 
recommandent  l'étude  aux  élèves.  Ces  arts  sont,  du  reste,  directement  utiles  aux 
physiologistes  et  aux  spécialistes  qui  s'occupent  des  maladies  des  voies  respi- 
ratoires et  de  celles  de  l'oreille. 

Les  médecins  feront  bien  encore  de  se  familiariser  avec  quelques  principes 
fondamentaux  de  philosophie.  Un  médecin  instruit,  un  médecin  écrivain  ne 
doit  pas  rester  étranger,  par  exemple,  aux  éléments  de  la  logique;  il  doit  savoir 
ce  que  sont  et  ce  que  valent  les  procédés  de  l'esprit  qui  tiennent  une  si  grande 
place  dnns  les  opérations  scientifiques  :  l'analyse,  la  synthèse,  l'induction,  la 
déduction,  l'hypothèse,  l'expérimentation.  Un  physiologiste  illustre,  Claude 
Bernard,  lui  a  d'ailleurs  donné  cet  enseignement  dans  son  ouvrage  sur  la  science 
expérimentale.  J'ai  dit  plus  haut  quelles  lumières  le  médecin  pourrait  emprun- 
ter à  la  psychologie,  à  l'étude  des  facultés  intellectuelles  et  affectives,  etc.  L'ob- 
servation personnelle  d'individus  chez  lesquels  la  souffrance  rompt  l'équilibre  des 
facultés,  engourdit  les  uns,  excite  les  autres,  et  met  en  relief  les  traits  du  carac- 
tère, est  une  école  ajoutée  à  celle  du  commun  des  psychologues  ;  mais,  pour  être 
en  mesure  d'en  bien  profiter,  il  faut  s'y  être  préparé  de  bonne  heure,  l'éducation 
du  psychologue  n'étant  pas  de  celles  qui  s'improvisent. 

Un  dernier  conseil,  en  ce  qui  touche  les  qualités  littéraires,  à  l'adresse  des 
médecins  qui  désirent  s'en  servir  publiquement  et  devenir  eux-mêmes  écrivains. 
Trois  qualités  essentielles  doivent  caractériser  leur  style  :  la  clarté,  la  simplicité 
et  la  précision.  La  clarté  d'abord.  Elle  est  la  qualité  la  plus  utile  en  tout  genre, 
mais  elle  l'est  surtout  dans  une  science  où  la  théorie,  la  théorie  légitime,  sans 
laquelle  les  faits  n'acquerraient  pas  le  caractère  scientifique,  repose  rarement 
sur  des  bases  aussi  bien  définies,  aussi  palpables,  pour  ainsi  dire,  que  le  sont, 
même  sur  le  terrain  de  l'hypothèse,  les  bases  des  théories  physico-chimiques.  Elle 
est  nécessaire  à  une  physiologie  compliquée,  parfois  versatile;  à  une  pathologie 
engagée  dans  des  voies  nouvelles,  où  elle  n'avance  qu'en  tâtonnant,  jettant  l'é- 
crivain dans  des  difficultés  imprévues  où  les  rapports  des  choses  s'obscurcissent, 
où  le  sens  des  mots  dévie,  et  dont  il  se  tire  par  des  néologismes  plus  ou  moins 
heureux  qui  tranchent  commodément  et  la  difficulté  d'interprétation  et  la  diffi- 
culté d'expression.  Cet  embarras  est  visible  chez  beaucoup  de  jeunes  auteurs.  On 
leur  a  dit  dès  le  lycée,  avec  raison,  que  la  clarté  des  idées  engendre  celle  du 
style;  mais  ils  ne  savent  pas  que  la  recherche  de  celle-ci  amène  celle-là.  C'est  en 
s'appliquant  à  disposer  son  plan  d'écrit,  ses  phrases,  ses  mots,  dans  un  ordre  lo- 
gique, qu'on  s'aperçoit  souvent  de  ce  qui  manque,  sous  le  rapport  de  l'exactitude, 
aux  idées  elles-mêmes.  C'est  ce  qu'on  peut  d'ailleurs  vérifier  immédiatement  en 
essayant  la  définition  grammaticale  des  mots  qu'on  emploie  :  aussi  ne  risquerait- 
on  pas  beaucoup  à  dire  qu'un  écrivain  très-clair  a  presque  toujours  raison. 

La  simplicité  du  style  n'est  pas  moins  importante  ;  elle  est  du  reste  un  des 
éléments  de  la  clarté.  Chaque  genre  de  littérature  a  sa  langue  propre,  depuis 


DÉONTOLOGIE.  507 

la  langue  technique  des  métiers  jusqu'à  la  langue  quintescenciée  de  la  poésie. 
La  médecine  comportant  beaucoup  de  ces  genres,  le  médecin  très-instruit  peut 
avoir  à  parler  toutes  ces  langues  ;  mais,  au  lieu  de  les  employer  tour  à  tour  et  à 
propos,  son  défaut  est  souvent  de  les  mêler.  S'étanl  nourri,  je  suppose,  d'études 
philosophiques,  il  en  transporte  à  chaque  instant  les  formules  dans  l'explication 
d'un  cas  de  pathologie,  déroutant  ses  lecteuz's  et  s'exposant  lui-même  à  être 
dupe  de  ses  abstractions.  Que  dire  de  ceux  qui,  ne  connaissant  de  la  philoso- 
phie que  les  mots,  parlent  couramment  analyse,  synthèse,  généralisation, 
lois,  principe?  et  le  reste?  Tout  cela  a  sa  place  dans  les  sciences,  dans  la 
science  médicale  comme  dans  les  autres,  mais  il  faut  apprendre  à  s'en  servir. 

Le  style  médical  enfin  doit  être  précis.  L'abondance  du  style  est  une  qualité 
rare  et  qui  suffit  à  faire  la  fortune  d'un  écrivain;  elle  est  entraînante  dans 
Saint-Simon;  mais,  appliquée  à  la  science,  elle  amortit  le  relief  des  faits,  elle 
énerve  l'interprétation.  C'est  comme  un  nuage  qui  s'efface  en  s'étalant.  Le  vrai 
mérite  ici  doit  consister  à  dégager  dans  une  forme  brève  et  sévère  le  principal 
de  toutes  les  questions,  en  laissant  l'accessoire  au  second  plan.  On  tient  plus 
attentif  et  l'on  persuade  plus  aisément  un  lecteur  qui  ne  cesse  de  voir  nette- 
ment le  but  auquel  on  veut  le  conduire. 

Arrivons  aux  qualités  scientifiques.  Quelques-unes,  on  l'a  vu,  se  confondent 
presque  avec  les  qualités  intellectuelles  et  littéraires;  d'autres  sont  plus  spé- 
ciales. La  première  de  toutes  est  de  ne  regarder  jamais  son  éducation 
médicale  comme  achevée.  «  Tous  les  moments  du  médecin,  dit  Cruveilliier,  doi- 
vent être  partagés  entre  l'étude  et  la  pratique  :  la  pratique  qui  fournit  les  ma- 
tériaux, l'étude  et  la  réflexion  qui  les  coordonnent  et  les  fécondent.  La  médecine 
n'est  pas  seulement  une  science  d'observation,  mais  tout  ensemble  une  science 
d'observation  et  de  raisonnement.  I/expérience  que  n'éclaire  pas  le  raisonne- 
ment, c'est  la  routine,  c'est  l'empirisme.  On  ne  saurait  donc  assez  inviter  les 
hommes  de  l'art  à  suivre  le  mouvement  de  la  science.  »  Ainsi  deux  préceptes 
en  un  :  réfléchir  sur  ce  qu'on  observe  soi-même,  s'éclairer  des  lumières  d'autiui. 
«  Non,  dit  de  son  côté  M.  Max  Simon,  il  n'a  compris  ni  les  difficultés  de  la 
science,  ni  la  gravité  de  la   responsabilité  morale  qu'il  assume  vis-à-vis  de  la 

société,  le  médecin  qui  ne  réserve  pas  quelque  partie  de  son  temps pour  la 

méditation,  pour  le  travail  solitaire  du  cabinet Si,  dans  tous  les  temps,  ce 

fut  un  devoir  sacré  pour  le  médecin  qui  a  compris  la  sublimité  de  sa  mission, 
ce  devoir  est  bien  plus  rigoureux  encore  aujourd'hui  que  tant  d'intelligences 
concourent  à  l'élaboration  de  la  science,  et  qu'une  immense  publicité  fait  cir- 
culer les  idées  dans  le  monde  avec  la  rapidité  du  courant  électrique  »  (p.  89, 
90).  Voilà  ici  le  précepte  avec  le  moyen  de  le  suivre.  Quelle  difficulté,  en 
effet,  ce  serait  pour  le  praticien  occupé  des  villes  comme  pour  celui  qui  che- 
vauche tout  le  jour  et  souvent  la  nuit  à  travers  plaines  et  montagnes,  de  se 
tenir  toujours  au  pas  de  la  science  contemporaine,  si,  comme  jadis,  celle-ci  ne 
sortait  pas  des  livres!  Quelle  bibliothèque  et  quelle  dépense!  Mais,  grâce  au 
nombre  toujours  croissant  des  journaux,  des  revues,  des  annuaires,  auxquels 
aboutissent  et  les  travaux  individuels  et  ceux  des  académies  et  des  sociétés  les 
plus  importantes,  il  n'est  pas  une  idée  de  quelque  valeur  qui  ne  puisse 
pénétrer  rapidement  et  à  bien  peu  de  frais  jusque  dans  les  hameaux  les  plus 
humbles  et  les  plus  cachés.  C'est  donc  comme  une  obligation  morale  du  pra- 
ticien de  se  munir  de  quelqu'un  de  ces  moyens  d'information.  Certes,  il  n'aura 
pas  trop  de  tout  son  discernement  pour  démêler  dans  ces  matériaux  de  toute 


508  DÉONTOLOGIE. 

provenance  le  vrai  et  le  faux,  le  possible  et  le  chime'rique.  Il  lui  sera  d'autimt 
plus  nécessaire  de  chercher  des  moyens  de  contrôle  dans  son  propre  jugement 
et  sa  propre  expérience,  que  les  publications  dont  le  prix  modique  l'attire,  à 
juste  titre  d'ailleurs,  ne  sont  pas  toujours  en  état  de  joindre  à  leurs  résumés 
une  solide  appréciation  critique  qui  pi  éparerait  et  éclairerait  la  sienne. 

Ce  qu'on  doit  prêcher  notamment  au  médecin  que  sa  situation  retient  com- 
plélement  dans  le  domaine  de  la  pratique,  c'est  de  s'attacher  surtout  aux  faits 
d'application.  L'imagination,  qui  favorise  les  recherches  du  laboratoire,  ou 
même  les  recherches  cliniques  susceptibles  d'être  vérifiées  sur  un  grand  théâtre, 
celte  imagination  dont  je  revendiquais  tout  à  Iheure  les  droits,  serait  le  plus 
souvent  nuisible  à  la  pratique  des  petites  localités.  C'est  ici  le  cas  de  suivre 
les  préceptes  établis  par  llippocrate  dans  l'Ancienne  médecine.  Or,  il  est,  dit 
encore  Cruveilhier  dans  ce  discours  où  il  a  dessiné  d'une  main  si  ferme  les  prin- 
cipaux traits  de  ce  sujet  si  vaste,  «  il  est  des  esprits  qui  ne  se  plaisent  que 
dans  le  monde  des  abstractions  et  qui  se  trouvent  mal  à  l'aise  dans  le  monde  des 
réalités.  La  plume,  un  auditoire  nombreux,  les  inspirent,  mais  la  vue  d'un 
malade  ne  les  inspire  jamais.  Leur  esprit  généralisateur  ne  saurait  se  plier  à  la 
marche  froide,  sérieuse,  patiente,  de  l'observation —  Pour  eux,  un  aperçu, 
c'est  un  fait;  une  idée  à  priori,  un  point  de  départ;  une  induction,  une 
vérité  démontrée.  Ce  sont  les  métaphysiciens  ou  les  poètes  de  la  science;  ils 
ne  seront  jamais  praticiens.  »  Cette  supériorité  du  praticien  sur  le  métaphy- 
sicien se  vérifie  chaque  jour  dans  les  campagnes  où  si  souvent  d'humbles  des- 
servants d'un  Esculape  d'argile  opèrent  au  château  voisin  des  cures  qui  avaient 
été  essayées  en  vain  dans  les  temples  dorés  d'une  grande  cité. 

L'hôpital  est  une  précieuse  source  d'instruction  et  de  vérification,  mais  c'est 
une  Gorinthe  pour  l'immense  majorité  des  médecins.  A  son  défaut,  il  reste 
des  moyens,  pour  chacun  d'eux,  de  profiter  du  savoir  et  de  l'expérience  de  leurs 
confrères.  Dans  les  grands  centres,  ce  sont  les  Sociétés  savantes,  dont  chaque 
membre  apporte  son  tribut  à  l'instruction  commune  et  où  la  discussion  aide 
les  opinions  à  se  former.  Aussi  ne  doit-on  pas  manquer  de  s'y  affilier.  Loin  de 
ces  centres,  il  reste,  pour  la  France  du  moins,  les  sociétés  médicales  des  dépar- 
tements, dont  le  siège  est  au  chef-lieu.  Les  Bulletins  que  publient  un  certain 
nombre  de  ces  sociétés  prouvent  qu'il  y  règne  souvent  une  assez  grande 
activité  scientifique.  Néanmoins  on  comprend  les  obstacles  qui  naissent  des 
difficultés  de  déplacement  et  de  la  rareté  obligée  des  séances.  C'est  pourquoi, 
dans  quelques  départements,  on  a  fondé  des  sociétés  d'arrondissement.  Ce  sont 
celles-là  qu'il  faudrait  multiplier.  J'ai  eu  personnellement  occasion,  au  Comité 
des  Sociétés  savantes  du  Ministère  de  l'Instruction  publique,  de  louer  leur 
zèle  et  de  constater  leur  utilité  ;  et  je  ne  saurais  trop  engager  nos  confrères 
de  province  à  fréquenter  assidûment  celles  qui  existent  dans  leurs  circon- 
scriptions. Enfin,  à  défaut  d'académies,  de  grandes  ou  de  petites  sociétés,  il  y 
a  encore  ïécole  mutuelle  des  praticiens.  Hippocrate  la  recommandait  déjà;  il 
voulait  qu'on  se  fît  part  réciproquement  de  ses  observations.  C'est  principale- 
ment au  sujet  des  variations  de  la  constitution  médicale,  aux  approches  des 
constitutions  saisonnières,  qu'il  y  a  un  réel  avantage  pour  le  praticien  à  être 
averti  par  ceux  de  ses  confrères  qui  en  ont  observé  les  premiers  signes.  Ces 
changements  dans  le  caractère,  dans  le  génie  des  maladies,  sont  très-marqués 
dans  certaines  régions  et  y  peuvent  revêtir  des  traits  en  rapport  avec  la  con- 
stitution physique  et  météorologi(jue  du  pays.   Ils  appellent  des  modifications 


DEONTOLOGIE.  £09 

corrélatives  dans  la  Ihérapeu'ique,   et  celui  qui  les  reconnaît  à  temps  rend  par 
cela  même  un  grand  service  aux  malades. 

Celte  sorte  de  perfectionnement  auquel  je  convie  le  médecin  doit  porter,  cela 
va  sans  dire,  sur  toutes  les  matières  de  l'enseignement  reçu  dans  les  écoles,  et, 
d'une  manière  plus  spéciale,  sur  tout  ce  qui  intéresse  la  pratique.  Or,  dans  cette 
dernière  catégorie  se  trouve  un  moyen  de  traitement  dont  on  ne  voit  guère  les 
applications  dans  le  cours  des  études,  parce  qu'il  est  à  peu  près  inusité  dans  les 
hôpitaux.  Ce  qu'on  en  a  entendu  dire  dans  la  chaire,  quand  d'aventure  on 
en  parle,  ne  peut  guère  rester  dans  la  mémoire,  et  de  plus,  il  s'agit  d'un  moyen 
dont  l'emploi  sera  fait  en  grande  partie  loin  du  médecin  même  qui  l'aura  pre- 
scrit. Je  veux  parler  des  eaux  minérales.  On  peut  emporter  de  l'école,  par 
exemple,  celte  notion:  que  les  eaux  chlorurées  et  arsenicales  et  les  eaux  sulfu- 
reuses conviennent  dans  les  affections  pulmonaires,  mais  ne  sont  pas  des 
succédanées  les  unes  des  autres;  qu'il  y  a  une  différence  d'action  entre  les 
sulfurées  sodiques  et  les  sulfurées  calciques  ;  qu'il  y  en  a  une  autre  entre  celles 
qui  renferment  des  sulfures  et  celles  qui  doivent  leur  sulfuration  à  une  disso- 
lution de  gaz  sulfhydrique  ;  que  la  présence  d'acide  carbonique  dans  les  eaux 
ferrugineuses  a  une  importance  particulière,  etc.  Avec  un  peu  de  mémoire  et  une 
carte  de  géographie,  on  saura  où  diriger  ses  clients.  Mais  on  sera  loin  encore 
d'une  connaissance  suffisante  de  la  pratique  des  eaux  minérales,  dont  le  mode 
ni  le  degré  d'action  ne  sont  pas  entièrement  subordonnés  à  la  composition  chi- 
mique et  n'apparaissent  souvent  aux  yeux  des  médecins  résidents  eux-mêmes 
qu'après  un  long  apprentissage.  On  sera  plus  novice  encore  sur  leur  mode  d'ad- 
ministration. Se  figurer  de  loin  des  baignoires,  des  piscines,  des  douches,  des 
salles  d'inhalation,  des  bouches  de  pulvérisation,  des  étuves,  sans  savoir  com- 
ment tout  cela  est  disposé  ;  si  —  chose  à  considérer  pour  certains  cas  —  l'eau 
entre  par  le  fond  de  la  baignoire  ou  y  tombe  par  un  robinet,  si  l'eau  y  est  ou 
non  courante,  comment  les  piscines  sont  aménagées,  si  la  température  des 
douches  varie  à  volonté,  etc.,  est  chose  assez  difficile.  Il  y  a  peu  d'années 
qu'on  ne  pouvait  guère  obtenir  de  bains  aux  Eaux-Bonnes, 'au  grand  étonne- 
menl  des  malades  et  des  médecins  qui  les  y  avaient  envoyés  ;  et  nous  nous  sou- 
venons qu'un  des  praticiens  les  plus  renommés  de  Paris,  professeur  à  la  Faculté, 
conseilla  un  jour  à  un  de  ses  collègues  d'aller  prendre  les  hains  de  Mauhourat^ 
c'est-à-dire  d'un  ruisseau  sulfureux  à  l'usage  des  dyspeptiques  de  Cauterets. 
C'est  donc  un  conseil  très-utile  à  donner  aux  jeunes  médecins  que  celui  de  con- 
sacrer un  peu  de  temps  et  d'argent  à  aller  visiter  les  établissements  thermaux 
les  plus  renommés.  La  mode,  dans  la  clientèle  riche,  induit  souvent  le  médecin 
à  prescrire  des  eaux  lointaines,  et  à  varier  beaucoup  les  localités.  Une  douzaine 
d'établissements  tant  en  France  qu'en  Suisse  suffisent  à  tous  les  besoins  de  la 
pratique.  Trousseau  se  vantait  presque  de  n'en  pas  connaître  davantage.  Un  ou 
deux  jours  passés  dans  chacun  d'eux,  à  visiter  tout  l'aménagement,  à  causer 
avec  les  médecins  du  lieu,  à  observer  le  genre  de  malades  qui  se  rend  aux 
bains  ou  à  la  buvette  ;  un  coup  d'œil  jeté  sur  le  pays,  sur  son  orientation,  sur  son 
site,  fixentà  jamais  dans  la  mémoire  les  connaissances  nécessaires  pour  un  emploi 
rationnel  des  eaux  et  pour  fournir  aux  familles  tous  les  renseignements  qu'elles 
pourraient  désirer. 

Je  m'arrêterai  encore  à  un  des  aspects  du  devoir  scientifique  du  médecin. 
Personne  n'ignore  la  bruyante  réprobation  dont  les  expériences  sur  les  animaux 
avaient  été  l'objet  après  la  loi  Gramraont,  et  l'on  n'a  pas  oublié  la  discussion  qui 


510  DÉONTOLOGIE. 

eut  lieu  sur  ce  sujet  à  l'Académie  de  médecine  en  1863,  à  propos  de  plaintes 
portées  par  la  Société  protectrice  de  Londres  jusqu'à  notre  ministre  de  l'in- 
struction publique.  On  ne  peut  entrer  ici  dans  toutes  les  considérations  que  ce 
sujet  comporte,  mais  il  en  faut  dire  néanmoins  assez  pour  éclairer  la  conscience 
des  expérimentateurs,  physiologistes,  pathologistes  et  thérapeutistes.  M.  Max 
Simon,  dans  son  livre  si  complet,  ne  manque  pas  d'en  dire  quelques  mots. 

Et  d'abord  cette  sensiblerie  britannique  à  l'égard  des  animaux  ne  venait  pas 
précisément  à  propos.  Pendant  que  l'Académie  consentait  à  répondre  à  cette  dénon- 
ciation, voici  ce  qui  se  passait  à  peu  de  distance  de  Londres.  Deux  hommes, 
Goss  et  Mace,  —  deux  taureaux,  si  l'on  veut,  mais  non  pas  deux  lapins  ou  deux 
cochons  d'Inde  —  se  rendaient  à  Purfleet  :  pourquoi  faire  ?  Pour  s'assommer 
réciproquement,  pour  sacrifier  au  culte  imbécile  de  la  force  physique  et  donner 
pâture  aux  instincts  brutaux  de  la  foule.  La  bataille  dura  plus  de  deux  heures. 
Dix-neuf  fois,  aux  applaudissements  de  milliers  de  spectateurs,  les  deux  masses 
se  choquèrent  avec  violence,  avec  fureur.  Au  dix-neuvième  assaut,  Goss  fut  jeté 
sans  connaissance  sur  le  terrain,  la  face  triturée  et  sanglante.  Le  lendemain, 
une  feuille  anglaise,  le  Sporting  Life,  écrivait  :  «  Il  n'est  pas  dans  notre  patrie 
un  homme,  une  femme,  un  enfant,  qui  n'aime  la  boxe,  cet  art  viril,  et  les  grandes 
leçons  qu'il  donne...  Ce  sont  les  bigots  qui  ont  excité  l'opinion  publique  contre 
cet  exercice  vraiment  noble,  si  éminemment  anglais.  »  Cet  enthousiasme,  Userait 
injuste  de  le  prêter  aux  classes  bien  élevées  du  Royaume-Uni  ;  on  peut  se 
demander  seulement  pourquoi  elles  n'instituent  pas  à  côté  delà  société  protec- 
trice des  bêtes  une  société  protectrice  de  l'homme. 

Au  fond,  la  question  n'est  difficile  que  si  on  l'embrouille.  Yise-t-onles  abus? 
Se  plaint-on  seulement  de  celui  qui  torture  les  animaux  sans  utilité  ?  On  a  raison 
en  principe,  mais  quel  sera  le  caractère  de  l'abus?  L'Académie  n'est  pas  parvenue 
à  le  délînir  nettement;  c'est  l'affaire  du  commissaire  de  police  et  des  juges  cor- 
rectionnels. Une  loi  existe  ;  telle  ou  telle  expérience  y  contrevient-elle?  Voilà  ce 
qu'ils  ont  à  déterminer,  s'ils  le  peuvent.  Certaines  personnes  voudraient  qu'on 
interdit  aux  élèves  des  vivisections  faites  loin  du  maître,  sans  but  de  décou- 
verte et  seulement  pour  voir  :  mais  les  auditeurs  d'un  cours  ne  sont  pas  rivés 
pour  leur  vie  aux  bancs  de  l'école,  et  si  l'on  concède  au  professeur  le  droit  de 
vivisection,  il  est  naturel  que  l'élève  apprenne  à  l'imiter  avant  de  devenir  savant 
ou  même  professeur  à  son  tour.  D'autres  ne  permettent  pas  la  répétition  d'expé- 
riences portant  sur  des  faits  définitivement  acquis.  Yaiiie  flatterie  envers  la 
science  et  assurée  de  démentis  perpétuels.  Exiger  de  l'expérience  qu'elle  ait 
toujours  en  vue  la  recherche  de  faits  nouveaux  ou  un  progrès  à  accomplir, 
illusion  et  impossibilité  !  C'est  en  vérifiant  qu'on  découvre.  La  loi  donc,  puisqu'on 
en  demandait  une  application  aux  vivisecteurs,  n'aurait  eu  à  punir  que  l'intention, 
et  il  faudrait  être,  qu'on  me  passe  cette  trivialité,  dans  la  peau  de  celui  qui 
expérimente  pour  pouvoir  se  flatter  de  saisir  son  intention.  Quant  à  la  légitimité 
de  la  vivisection  en  elle-même,  c'est  une  question  qui  n'est  susceptible  de  con- 
troverse que  dans  les  régions  les  plus  vagues  du  sentiment.  On  peut  vivre  sans 
manger  de  viande  :  certains  religieux  le  prouvent  tous  les  jours  ;  il  est  certain,  de 
plus,  que  nombre  de  gens  en  consommeent  très-peu.  Si  l'on  ne  tuait  plus  d'ani- 
maux ou  si  l'on  en  tuait  moins?  Admettons  l'usage  de  la  chair;  il  n'est  pas  indis- 
pensable qu'elle  ait  telle  ou  telle  qualité  artificielle,  ni  que  ce  soit  telle  chair 
plutôt  que  telle  autre  :  pourquoi  imposer  des  tortures  au  volatile  pour  obtenir  un 
foie  gras,  et  pourquoi  tuer  un  pauvre  crustacé  dans  l'eau  bouillante?  Les  mem- 


DÉONTOLOGIE.  5H 

bres  des  Sociétés  protectrices  mangent  certainement  des  pâtés  de  Strasbourg  et 
des  homards  :  eh  bien,  ils  sont  en  cela  complices  d'une  cruauté  plus  grande  que 
celle  d'infliger  aux  animaux  des  souffrances  qui  sont  le  prix  de  grands  progrès 
scientiflques  et  humanitaires  et  qui  sont  aussi  indispensables  à  la  pliysiologie  qu'à 
la  physique.  Est-ce  donc  à  dire  que,  dans  sa  conscience,  le  médecin  ne  doive 
pas  s'imposer  une  règle  de  douceur  et  de  compassion  envers  ses  victimes  obligées  : 
celle  notamment  de  ne  pas  répéter  inutilement  des  expériences?  Cette  règle 
impossible  à  introduire  efficacement  dans  un  texte  de  loi,  il  peut,  il  doit  l'in- 
scrire en  lui-même.  Qui  ne  sait  d'ailleurs  que  les  physiologistes  d'aujourd'hui 
s'appliquent  à  éviter  le  plus  de  douleur  possible  aux  animaux  en  expérience  et 
qu'ils  ont  recours  dans  ce  but  au  choral,  au  chloroforme,  au  curare,  toutes  les 
fois  que  l'effet  de  ces  substances  ne  doit  pas  avoir  d'influence  sur  le  résultat 
cherché  ? 

c.  Qualités  morales.  Je  ne  considère  ici  que  celles  de  ces  qualités  qui 
regardent  les  devoirs  du  médecin  envers  lui-même,  réservant  les  autres  pour  le 
chapitre  concernant  la  conduite  du  médecin  envers  les  malades.  Or  tout  ce  qu'il 
est  utile  de  dire  sur  les  premières  peut  se  ramener  à  trois  chefs  :  la  dignité^ 
X honnêteté  Qi  \&  courage;  la  dignité,  qui  assurera  au  médecin  le  respect  dont  il 
a  tant  besoin  ;  l'honnêleté,  qui  lui  tracera  la  voie  droite  dans  toutes  les  cir- 
constances de  sa  vie  professionnelle;  le  courage,  qui  le  portera  au-devant  de  tous 
les  périls  où  le  devoir  l'appellera. 

La  dignité  médicale  est  le  corollaire  de  la  noblesse  de  l'art.  La  première  ne  se 
définit  guère  mieux  que  la  seconde  ;  c'est  le  decens  habitus  de  l'âme  ;  c'est  une 
manière  d'être  où  toutes  les  actions  de  la  vie,  toutes  les  relations  sociales,  toute 
la  conduite  privée,  respirent  la  pudeur  morale,  la  hauteur  du  sentiment,  un 
caractère  solide,  un  esprit  réfléchi,  et  décèlent  l'homme  auquel  peut  être  remis 
avec  confiance  le  dépôt  des  misères  humaines.  Ainsi,  point  de  conversations 
légères,  point  de  propos  futiles,  un  emploi  très-circonspect  de  l'esprit  de  saillie 
qu'on  peut  avoir,  de  la  suite  dans  les  idées,  aucun  étalage  d'opinions,  rien 
qui  atteste  l'intolérance,  fille  de  l'orgueil,  un  usage  modéré  des  distractions 
mondaines,  la  tempérance,  une  vie  privée  enfin  qui  ne  puisse  jamais  être 
pour  les  familles  un  sujet  de  scandale.  Il  est  des  cas  où  la  dignité  du  méde- 
cin a  besoin  de  s'alfirmer  contre  les  clients  eux-mêmes,  parfois  enclins  à  lui 
demander  des  services  qu'il  ne  lui  appartienne  pas  de  rendre.  Le  médecin  étant, 
hors  de  la  parenté,  le  confident  habituellement  le  plus  intime  de  la  maison,  c'est 
à  lui  qu'on  songe  à  s'adresser,  surtout  s'il  est  jeune,  pour  certains  services 
délicats,  comme  celui  de  remettre  des  lettres  secrètes,  ou  de  prendre  des  ren- 
seignements en  des  occasions  compromettantes,  ou  de  délivrer  des  ordonnances 
ou  des  certificats  de  complaisance,  ou  de  faire  subir  à  des  notes  d'honoraires 
des  surcharges  au  détriment  d'héritiers,  etc.  Aucun  praticien  n'est  à  l'abri 
de  pareilles  demandes.  Inutile  de  s'arrêter  à  la  manière  dont  on  doit  y  répondre. 

L'honnêteté  embrasse  un  plus  large  horizon  que  la  dignité  ;  si  large  qu'il  n'y  a 
vraiment  pas  possibilité  de  le  circonscrire.  C'est  dans  les  livres  de  morale  générale, 
plus  encore  dans  les  consciences,  et  non  dans  des  articles  comme  celui-ci,  que  les 
lois  de  l'honnête  et  du  juste  peuvent  parler  suffisamment  à  l'àme  du  médecin. 
Une  maxime  stoïcienne  était  celle-ci  :  "On  povov  ày«9ov  tô  xa),ov.  Cicéron  la  com- 
mente dans  son  premier  paradoxe:  Quod  honestum  sit,  id  solum  bonnm  esse; 
et  Sénèque  la  reproduit  dans  sa  71^  épître  (à  Lucile).  On  voit  le  crédit  de  cette 
maxime  qui,  en  effet,  dit  tout  en  quelques  mots.  Et  de  même  que  l'honnête 


512  DÉONTOLOGIE. 

n'a  pas  de  formes  arrêtées,  ni  de  contours  définis,  de  même  le  déshonnête  en 
médecine  peut  être  étudié  sous  le  nom  de  cette  chose  si  ancienne  et  si  vivace, 
d'aspect  si  multiple  et  si  complexe,  qu'on  appelle  le  charlatanisme. 

Dans  une  boutade  spirituelle,  mais  qui  a  peut-être  le  tort  de  ne  pas  être  relevée 
à  la  fin  par  quelque  remarque  réconfortante,  où  il  entreprend  la  défense  du 
charlatanisme  (Le  médecin  et  la  médecine,  t.  II,  175),  Peisse  le  fait  très-bien 
caractériser  par  le  contradicteur  qu'il  se  donne  :  c'est  l'application  de  l'industrie 
à  la  médecine.  Le  charlatanisme,  dit  ce  contradicteur,  ne  peut  être  défini  per^ewws 
et  differentiam  ;  «  mais  chacun  sait  ce  que  c'est  qu'un  charlatan.  Il  en  est  du 
mot  de  charlatan  comme  de  celui  d'intrigant  ;  on  l'applique  dans'des  cas  particuliers 
avec  une  propriété  parfaite,  bien  qu'il  soit  difficile  d'en  déterminer  la  signifi- 
cation par  une  formule  générale.  »  Si  l'impossibilité  de  cette  formule  devait  être 
l'excuse  et  la  sauvegarde  du  charlatanisme,  on  pourrait  prendre  davantage  ses 
aises  et  se  permettre  en  termes  illimités  d'être  malhonnête  ;  car  une  formule  de 
riionnête  et  du  malhonnête  ne  serait  pas  non  plus  fort  commode  à  trouver.  Il  y  a 
donc  vraiment  un  charlatanisme  et  des  charlatans,  qu'il  n'est  pas  mal  de 
stimagtiser.  Y  en  a-t-il  plus,  y  en  a-t-il  moins  que  dans  les  siècles  derniers, 
par  exemple,  du  temps  de  Ilecquet,  qui  écrivait  en  1755  un  livre  contre  le 
Brigandage  des  médecins?  Je  ne  le  crois  pas;  et  puisque  l'occasion  s'en  pré- 
sente, pourquoi  ne  pas  rappeler  que  le  niveau  général  de  la  moralité  dans  la 
gent  médicale  est,  à  notre  époque,  très-élevé?Seoutetten  s'est  donné  la  satisfac- 
tion de  faire  remarquer  que,  dans  une  période  de  dix  années  (de  1829  à  1858), 
et  dans  une  autre  période  de  quinze  années  (de  1859  à  1844),  le  nombre  des 
médecins  traduits  devant  une  cour  criminelle  en  France  avait  été  si  minime 
qu'il  avait  àù  être  négligé  par  la  statistique  officielle,  tandis  que,  la  proportion 
des  accusés  a  varié  de  26  à  81/10,000  pour  les  autres  professions  libérales, 
les  huissiers  tenant  la  tête.  Il  ne  me  déplaît  pas  d'ajouter  que,  si  les  médecins 
ont  été  en  général  de  petits  saints,  ils  en  ont  compté  parmi  eux  bon  nombre 
de  grands,  j'entends  de  béatifiés  ,  à  telle  enseigne  qu'il  a  été  publié  cinq  ou  six 
ouvrages  sur  la  vie  Des  saints  médecins. 

Le  si  regretté  professeur  Schiilzenberger,  dans  son  discours  d'ouverture  du  cours 
de  clinique  médicale  prononcé  à  Strasbourg  en  1862,  montrait  avec  chaleur  aux 
élèves  quel  préservatif  c'est  contre  les  tentations  de  l'industrialisme  médical 
que  l'amour  de  la  science  et  un  sentiment,  de  bonne  heure  cultivé,  de  la  grandeur 
de  l'art.  On  ne  pollue  pas  aisément  un  art  et  une  science  qu'on  respecte.  Les  vraies 
sources  de  succès,  ajoutait  ce  savant  si  distingué  et  cet  honnête  homme,  sont  le 
dévouement  à  la  science  et  à  l'humanité.  Et,  en  effet,  si  à  ces  hautes  qualités  on 
joint  celles  dont  aucune  profession  ne  peut  se  passer,  on  est  assui'é  de  réussir  dans 
la  mesure  que  comportera  d'ailleurs  le  talent.  Je  ne  voudrais  pas  paraître  trop 
optimiste,  mais  je  reste  persuadé  que  chacun  ici-bas  est  traité  par  le  destin  à  peu 
près  selon  son  mérite.  Ceci  demanJe  explication.  La  malhonnêteté  peut  être 
plus  ou  moins  dissimulée,  et  le  faux  honnête  obtiendra  quelquefois  le  même 
succès  que  l'honnête  vrai.  Mais  d'abord  ce  dernier  n'en  aura  pas  moins  obtenu  la 
récompense  de  sa  vertu,  et  ce  sera  une  application  de  la  parabole  des  ouvriers 
de  la  vigne.  Ensuite,  ce  que  j'entends  ici  par  mérite,  c'est  le  bon  exercice  de  ces 
qualités  physiques  et  intellectuelles  qui  viennent  d'être  rappelées  et,  sinon  des  qua- 
lités proprement  morales  ou  éthiques,  du  moins  de  celles  qui  constituent  le  carac- 
tère, l'initiative,  l'activité,  la  vigilance,  la  persévérance,  la  décision.  On  rencontre 
des  médecins  d'une  honnêteté  profonde,  d'une  instruction  étendue,  qui  ne  s'élè- 


DÉOiNTOLOGIE.  515 

"vent  pas  au-dessus  d'une  clientèle  médiocre.  Est-ce  la  faute  du  public,  ou  la 
leur?  Considérez-les  bien,  et  vous  constaterez  presque  toujours  qu'ils  ont  péché 
de  quelque  façon  par  le  caractère  ;  que  ces  qualités  intrinsèques  dont  ils  sont 
doués,  ils  n'ont  pas  su  les  faire  ressortir,  les  mettre  en  œuvre,  et  qu'ils  les  ont 
rendues  vaines  comme  serait  une  mine  précieuse  qu'on  ne  saurait  pas  exploiter. 
Et  receperunt  mercedem  suam,  vani  vanam. 

Il  ne  faut  pas  trop  se  plaindre  de  l'injustice  du  public.  Le  public  a  un  intérêt 
et  ne  se  croit  pas  sans  compétence  dans  le  jugement  de  la  pratique  médicale, 
parce  qu'il  y  voit  une  question  de  faits  faciles  à  observer,  laciles  à  apprécier.  A 
part  l'impression  qu'il  reçoit  de  l'homme,  c'est  à  la  guérison  des  maladies  qu'il 
l'attend.  Toute  guérison  opérée  dans  le  cours  d'un  traitement  est  le  résultat  de 
ce  traitement  et  le  triomphe  du  médecin.  Le  talent  de  celui  qui  est  réputé  guérir 
est  donc  évident  de  soi  et  la  notoriété  qui  s'y  attache  peut  se  passer  de  toute  autre 
consécration.  Si  donc  on  parvient  à  persuader  au  public,  par  quelque  moyen  que 
ce  soit,   par  affiche,  par   réclame,  par  colportage  de  recommandation,   qu'un 
médecin  est  heureux  dans  sa  pratique,  on  l'amène  à  conclure  logiquement  que 
ce  médecin  est  habile.  De  là  sou  ingénuité  à  se  laisser  prendre  à  toutes  lespiperies 
du  charlatanisme.  Le  confrère  honnête  s'en  scandalise,  sans  assez  se  dire  qu'il 
souffre   d'un   mal  en  quelque   sorte  logique,  puisqu'il  est  dans  la   nature   des 
choses;  sans  songer  que  cette  erreur  de  l'ignorance  est  excusable  et  doit  se  perpé- 
tuer indéfiniment,  du  moment  où  elle  ne  rencontre  que  des  contradictions  isolées, 
qu'on  peut  croire  dictées  par  la  jalousie.  Ajoutez  que  les  moyens  de  charlata- 
nisme en  se  diversifiant  vont  toucher  dans  le  public  des  natures  d'esprit  difl'é- 
rentes,  et  provoquent  des  crédulités  d'autant  plus  fortes  que  l'esprit  se  trouve 
plus  satisfait.  Un  auteur,  M.  Verdo,  range  les  dupes  du  charlatanisme  dans  l'ordre 
suivant  :  1"   les  femmes;  2"  les  poëtes  mystiques,  les  rêveurs;  5"  les  joueurs 
(avec  les  militaires  et  les  marins,  qui  aiment  le  jeu  de  la  guerre)  ;  4°  les  paysans. 
Classification  peu  rigoureuse  eu  ce  qu'elle  traite  le  charlatanisme  comme  une 
unité,  tandis  que,  bien  évidemment,   ses  variétés  nombreuses  séduiront  diffé- 
remment chacune    de  ces  quatre  classes,  et   qu'une  médecine    mystique,    par 
exemple,  aura  plus  de  prise  sur  un  rêveur  que  sur  un  dragon  ou  sur  un  loup  de 
mer.  (Juoi  qu'il  en  soit,  on  ne  peut  rien  contre  ces  dispositions  du  public,  et 
c'est  pourquoi  il  importe  tant  au  jeune  médecin  de  ne  pas  se  fier  uniquement  à 
sa  science  comme  à  une  clef  d'or,  mais  de  se  munir  des  quahtés  de  tout  ordre 
que  réclame  sa  profession.  C'est,  en  somme,  le  conseil  auquel  s'arrête  Philo- 
mathèsdans  le  Dialogue  des  deux  médecim,  de  Réveil lé-Parise(£i.  de  l'hom. ,  1. 1). 

Ces  variétés  du  charlatanisme,  je  n'ai  pas  à  les  rappeler  ici  :  elles  ont  été 
énuméi'ées,  classées  et  même  numérotées  à  l'article  Charlatanisme.  Il  y  a 
lieu  néanmoins  de  séparer  ici,  plus  nettement,  le  charlatanisme  proprement  dit 
de  l'exercice  illégal  ;  et,  en  indiquant  ses  traits  principaux,  de  poser  en  quelque 
sorte  le  diagnostic  de  la  maladie  contre  laquelle  on  a  proposé  divers  remèdes 
qui  sont  à  examiner.  A  tout  prendre,  on  peut  ramener  tous  les  charlatans  à 
deux  types  :  le  charlatan  de  cabinet  et  le  charlatan  de  la  rue,  ou,  plus  exactement 
peut-être,  le  charlatan  privé  et  le  charlatan  public. 

Le  charlatanisme  privé  a  ceci  de  particulièrement  détestable:  d'abord  qu'il  n'apas 
le  courage  de  ses  vices;  ensuite  que,  se  pratiquant  dans  l'ombre,  il  esta  l'usage 
principalement  de  médecins  que  les  nécessités  de  la  vie  n'y  obligent  pas. 
Ceux-ci,  au  lieu  de  rompre  bravement  en  visière  avec  les  mœurs  médicales, 
s'insinuent  dans  la  faveur  publique  par  toutes  sortes  d'intrigues  souterraines, 
DicT.  ESC.  XXYIi.  55 


514  DÉONTOLOGIE. 

de  combinaisons  laborieuses  et  de  compromis  ;  par  mille  assiduités  intéressées, 
par  le  jeu  d'influences  mondaines,  par  des  avances  aux  dépositaires  des  places  et 
des  distinctions  honorifiques  ou  aux  distributeurs  de  renommée,  par  des  pro- 
cédés superbes  de  clientèle,  par  la  hauteur  du  verbe,  par  l'agitation  factice  de 
toute  la  personne  et  sous  l'aiguillon  d'occupations  simulées,  etc.,  etc.  De  cette 
variété  on  rapprochera  les  auteurs  qui  enfantent  de  temps  à  antre,  au  sujet  d'une 
maladie  lucrative,  un  ouvrage  dont  la  presque  totalité  des  exemplaires  passe  du 
magasin  de  l'éditeur  dans  leurs  mains  pour  être  distribuées  aux  confrères  de  pro- 
vince, en  manière  d'appel  à  la  consultation.  Toute  cette  catégorie  d'hommes 
remuants  est  souvent  douée  de  qualités  d'esprit  et  de  cœur  très-estimables  ;  et 
c'est  ce  qui  sauve  leur  situation  au  sein  du  corps  médical  ;  mais  au  fond,  leur 
considération  souffre,  et  leurs  écrits,  mêmes  sincères,  perdent  une  partie  de  la 
confiance  qu'ils  auraient  pu  obtenir. 

Je  laisse  pour  le  moment  certaines  atteintes  formelles  à  l'honneur  médical  qui 
sont  moins  des  actes  de  charlatanisme  que  des  actes  de  malhonnêteté  et  qui 
seront  signalés  plus  loin. 

Le  charlatanisme  public  se  produit  par  la  publication  extra-scieulifique  ;par 
l'affiche,  l'annonce,  la  réclame.  Celui-lii  marche  tête  découverte  dans  les  chemins 
les  plus  larges  et  les  plus  fréquentés.  La  divulgation  des  faits  médicaux  par  la 
voie  de  la  presse  non  scientifique,  voilà  le  grand  grief  de  l'époque  ;  grief  trop 
fondé  assurément  et  qui  tend  à  le  devenir  davantage.  Mais  ici  se  présente  une 
question  très-sérieuse  et  que  j'envisagerai  librement.  Il  ne  faut  pas  perdre 
de  vue,  dans  un  sujet  qui  intéresse  l'existence  du  médecin,  le  côté  pratique,  et 
ne  pas  oublier  que  la  déontolgie  médicale  est  doublée  de  dicéologie.  La  publicité 
extra-scientifique  doit-elle  être  toujours  et  absolument  interdite  au  médecin? 
C'est  ce  qu'il  faut  voir. 

La  justice  est  une  :  elle  a  ses  principes  immuable?  ;  mais  autour  de  ces  points 
fixes,  hors  du  cercle  rigoureux  du  juste  et  de  l'injuste,  flottent  et  se  succèdent 
les  formes  changeantes  des  mœurs  et  de  la  coutume.  Cette  mobilité  n'est  pas 
un  pur  effet  du  caprice  des  hommes,  un  reflet  de  la  mobilité  de  notre  nature 
même;  elle  est  le  plus  souvent,  sinon  toujoui-s,  la  conséquence  légitime,  néces- 
saire, de  la  variabilité  des  conditions  sociales,  delà  nature  multiple  des  intérêts, 
du  degré  d'éducation  des  peuples,  de  la  forme  du  gouvernement,  etc.  Prendre 
au  milieu  d'une  époque  un  fait  de  l'ordre  moral  et  le  juger  abstractivement  des 
mœurs  régnantes  ou  sous  le  jour  des  mœurs  d'une  autre  époque  serait  s'exposer 
à  une  très-fausse  appréciation.  S'il  est  vrai,  comme  l'a  dit  un  pliilosophe,  que 
ce  qui  est  hors  les  gonds  de  la  coutume  nest  pas  toujours  hors  les  gonds  de  la 
raison,  il  ne  l'est  pas  moins  que  des  coutumes  en  apparence  vicieuses  ont  sou- 
vent leur  origine  dans  des  nécessités  de  la  vie  sociale  parfaitement  respectables, 
parfaitement  convenables,  aussi  convenables  que  la  nécessité  de  respirer  ou  de 


manger. 


L'immense  développement  delà  presse  Tamise  à  la  portée  de  toutes  les  classes, 
et  toutes  les  classes  en  ont  profité.  Sans  citer  l'exemple  trop  connu  des  commer- 
çants et  industriels,  l'avocat  réserve  dans  un  journal  une  place  pour  sa  plaidoirie  ; 
le  savant,  chimiste,  physicien,  botaniste,  y  annonce  ou  y  laisse  annoncer  son  cours 
et  ses  ouvrages  avec  bonne  mesure  d'éloges  ;  et  il  n'est  pas  jusqu'au  prédicateur  en 
renom  qui  n'implore  les  bonnes  grâces  d'une  feuille  politique  pour  l'annonce  ou 
la  reproduction  d'un  sermon.  Il  s'agit  de  savoir  si  le  bénéfice  d'un  semblable 
état  de  choses  ne  peut  jamais  et  sous  aucune  condition  s'étendre  au  médecin. 


DEONTOLOGIE.  515 

En  principe,  ce  serait  une  sévérité  injustifiable,  une  véritable  proscription. 
Le  plus  naturel  intérêt  du  praticien,  après  celui  de  devenir  réellement  savant, 
€st  de  le  paraître,  et  de  s'offrir  aux  clients  paré  du  lustre  scientifique  acquis 
par  ses  travaux.  Lui  interdire  ahsolumenl  de  donner  satisfaction  à  cet  intérêt, 
serait  commettre  à  la  fois  une  injustice  et  une  inconséquence  ;  ce  serait  priver  le 
travail  et  le  talent  de  sa  plus  juste  récompense  et  refuser  le  moyen  après  avoir 
accordé  le  but.  Mais,  d'un  autre  côté,  comme  gardien  de  la  santé  publique  et 
comme  chargé  d'un  ministère  sans  contrôle,  il  est  astreint  en  ceci  à  des  règles 
particulières.  Dépositaire  du  plus  précieux  des  biens,  son  premier  devoir  est  de 
ne  l'exposer  à  aucun  risque,  partant  de  ne  rien  annoncer  qui  ne  soit  strictement 
vrai.  Le  commerçant  qui  trompe  sur  la  qualité  de  la  marchandise  vendue  est 
un  fripon:  quel  nom  donner  au  médecin  qui,  trompant  sur  la  santé  par  i'appât 
d'annonces  mensongères,  amène  jusqu'à  lui  un  client  dupé?  Chargé  d'un  minis- 
tère occulte,  il  ne  lui  est  pas  permis  de  prendre  le  public  pour  juge  direct  de 
son  mérite.  De  ces  deux  principes,  dont  le  premier  est  déontologique  et  l'autre 
dicéologique,  découlent  toutes  les  règles  de  conduite  du  médecin  en  matière 
de  publicité.  Le  premier  n'a  pas  besoin  de  commentaires  ;  peu  de  mots  suffiront 
à  faire  ressortir  les  conséquences  du  second. 

La  prétention  de  former  l'opinion  publique  sur  son  propre  mérite  est 
souvent  contenue,  non-seulement  dans  le  jugement  porté  sur  l'objet  même  de 
la  divulgation,  mais  encore  dans  le  simple  énoncé  du  fait.  II  en  est  ainsi,  par 
exemple,  quand  il  s'agit  d'un  instrument  nouveau  ou  d'un  nouvel  agent  théra- 
peutique. Qu'on  veuille  bien  y  réfléchir,  car  c'est  ici  un  des  points  les  plus 
délicats  de  la  question;  lorsque  l'intérêt  commercial  ou  industriel  d'un  médecin 
se  trouve  en  cause  dans  un  livre  (je  dirai  de  quel  genre)  à  débiter,  ou  dans  un 
établissement  à  faire  prospérer,  il  est  juste  d'admettre  la  libre  divulgation  du  fait, 
c'est-à-dire  de  l'apparition  du  livre,  de  la  fondation  de  l'établissement,  parce 
que,  dans  ces  cas,  la  divulgation  est  la  condition  nécessaire  et  légitime  du  succès, 
et  que,  dépourvue  de  toute  appréciation  scientifique,  elle  n'exprime  rien  autre 
chose  que  l'offre  de  la  marchandise  mise  en  circulation.  Mais  dans  une  question 
de  science  appliquée,  la  libre  divulgation  du  fait  par  les  soins  de  l'intéressé 
couvre  de  toute  nécessité  un  jugement  et  même  un  éloge.  Celui  qui,  ayant 
inventé  un  instrument  de  lithotritie,  l'annonce  dans  ua  journal  politique  ou 
littéraire,  s'il  ne  se  propose  pas  en  cela  d'en  faciliter  la  vente,  ne  peut  avoir 
d'autre  but  que  d'engager  les  calculeux  à  recourir  à  cet  instrument,  par  conséquent 
d'en  prôner  les  avantages  :  car  ce  n'est  pas  assurément  pour  déprécier  un  moyen 
de  traitement  de  son  invention  qu'on  le  propose  à  la  confiance  des  gens.  Ainsi 
naît  pour  le  médecin,  en  matière  de  pratique,  l'obligation  de  demander  à  une 
autorité  compétente  le  contrôle  de  ses  idées  et  de  ses  découvertes,  et  de  n'arriver 
au  public  qu'à  travers  cette  autorité. 

Or,  où  siège  cette  compétence?  Dans  les  corps  savants,  recrutés  parmi  les 
plus  illustres  et  les  plus  laborieux  serviteurs  de  la  science,  assurés  autant  que 
faire  se  peut  contre  la  décadence  de  leur  autorité  par  le  principe  tutélaire  de 
l'élection  et,  par  le  nombre,  contre  les  suggestions  de  l'intérêt  personnel  et  de  la 
passion.  Les  corps  savants  sont  seuls  en  état  de  contrôler  la  monnaie  scientifique 
avec  laquelle  le  médecin  achètera  plus  tard,  légitimement,  honorablement,  la 
confiance  publique.  Cette  marche  est  tout  à  l'avantage  de  l'équité.  Si  les  titres 
sont  réels,  la  haute  recommandation  qu'ils  auront  reçue  assurera  d'autant  leur 
valeur  et  leur  influence;  s'ils  sont  illusoires,  la  déception  ne  passera  guère  l'en- 


516  DÉONTOLOGIE. 

ceinte  des  académies.  De  toute  manière,  on  aura  satisfait  à  la  conditien  de  pu- 
blicité posée  plus  haut  :  la  vérité  des  faits  divulgués. 

Maintenant,  du  sein  des  corps  savants,  comment  le  médecin  devra-t-il  arriver 
devant  le  public?  L'état  présent  fies  choses  lui  en  offre  un  moyen  licite, 
d'autant  plus  licite  qu'il  n'en  dispose  pas  lui-même.  Je  veux  parler  des  comptes 
rendus  des  académies  dans  les  journaux  politiques.  La  création  de  ces  comptes 
rendus  a  été  la  conséquence  naturelle  de  la  publicité  donnée  aux  séances.  On  n'a 
pas  voulu  refuser  à  la  plume  d'écrire  ce  qu'on  permettait  à  l'oreille  d'entendre, 
et  l'on  a  donné  accès  à  l'Académie  de  médecine  dans  un  journal  non  médical 
parce  qu'on  avait  laissé  au  premier  venu  la  faculté  d'assister  aux  débats. 

Je  sais  bien  en  quoi  la  réalité  des  choses  ne  s'accorde  pas  avec  des  principes 
généraux  d'apparence  si  claire.  Les  académies  se  bornent  souvent  à  enregistrer  ou 
à  résumer  dans  leurs  Bulletins,  sans  les  juger,  les  communications  qui  leur  sont 
adressées,  et  la  réclame  déguisée  y  trouve  son  compte;  cela  est  vrai  :  aussi  ne 
pourrait-on  assez  souhaiter  que  les  bureaux  se  montrent  plus  sévères  dans 
le  choix  des  matières  du  dehors  et  ne  se  croient  pas  autant  tenus  d'ouvrir  leurs 
portes  à  tout  ce  qui  vient  y  frapper.  Mais  les  principes,  quand  ils  sont  bons, 
ne  sont  pas  responsables  des  applications  vicieuses  qui  peuvent  en  être  faites,  et 
les  habitude?  académiques  n'infirment  en  rien  ceux  qui  viennent  d'être  exposés. 
Je  n'ignore  pas  non  plus  que  l'introduction,  sous  n'importe  quelle  forme,  des 
travaux  de  l'Académie  de  médecine  dans  les  journaux  politiques,  est  une  ten- 
tative offerte  aux  esprits  remuants  et  aux  praticiens  ambitieux.  Toutefois,  il  est 
à  penser  que  cet  inconvénient  réel  est  compensé  par  l'avantage  de  détourner  vers 
une  voie  honnête  et  pouvant  être  surveillée  le  besoin  de  plus  en  plus  pressant  et 
général  d'un  autre  genre  de  publicité.  Quant  aux  abus  qu'on  ne  peut  éviter, 
ils  ressemblent  à  tant  d'autres  qui,  dans  toutes  les  sphères  de  l'activité  sociale, 
profitent  de  tout  ce  qui  est  permis  pour  faire  tout  ce  qui  n'est  pas  défendu,  et 
ils  ne  sont  justiciables  que  de  la  conscience  publique. 

Précisément  parce  que  les  conditions  que  nous  venons  de  dire  justifient  la 
divulgation  des  faits  médicaux,  partout  où  elles  manquent  cette  divulgation  doit 
être  interdite.  Du  moment  où,  se  soustrayant  à  tout  contrôle,  elle  s'étale  direc- 
tement dans  un  journal,  fùt-elle  même  strictement  conforme  à  la  vérité,  elle  doit 
être  rejetée  comme  incompatible  avec  la  dignité  de  la  profession  ;  et  ce  serait  une 
pratique  détournée  et  hypocrite  celie  qui  consisterait  à  introduire  soi-même  dans 
la  partie  politique  de  la  feuille  la  mention  d'une  communication  académique, 
l'analyse  du  travail  présenté  ou  le  résumé  d'un  rapport  favorable.  Je  le  répète, 
l'exposé  fût-il  rigoureusement  exact,  il  n'en  mériterait  pas  moins  le  blâme  le 
plus  sévère.  Manifestement,  celui  qui,  pouvant  arriver  au  public  par  une  voie 
ouverte  à  tous  et  acceptée  de  tous,  prend  volontairement  un  chemin  plus 
découvert,  plus  accessible  à  la  vue,  témoigne  d'un  goût  fâcheux  pour  les  réputa- 
tions artificielles  et  d'une  délicatesse  de  sentiment  peu  développée.  A  plus  forte 
raison  doit-on  réprouver,  sous  toutes  ses  formes,  la  réclame,  l'annonce  et 
l'affiche  appliquées  aux  faits  de  l'ordre  scientifique.  Les  convenances  sont  ici 
d'accord  avec  la  raison.  Si  la  réprobation  porte  jusque  sur  la  divulgation  spon- 
tanée de  faits  préalablement  marqués  à  Testampille  des  corps  savants,  à  plus 
forte  raison  atteint-elle  celle  de  faits  dépourvus  de  sanction.  Partout  néan- 
moins les  mœurs  ont  été  plus  fortes  que  la  raison  :  les  annonces  ont  fini  par 
envahir  les  couvertures  des  journaux  de  médecine,  le  praticien  restant  juge 
de  l'importance  à  y  attacher;  mais  au  moins  cette  digue  ouverte  eût-elle  dû 


DÉONTOLOGIE.  517 

emporter  du  corps  même  du  journal  les  autres  annonces  mal  costume'es  en 
articles  de  fond,  qu'on  appelle  des  réclames.  Malheureusement  il  n'en  a  pas  été 
ainsi,  même  dans  des  feuilles  sérieuses,  qui  voient  dans  les  bénéfices  de  ces 
réclames  un  moyeu  de  soutenir  la  presse  et  de  contribuer  à  la  dilfusion  des 
idées.  C'est  l'excuse  toujours  reproduite.  Cependant,  si  l'on  veut  bien  mettre  de 
côté  tout  intérêt  et  toute  complaisance,  il  est  impossible  de  ne  pas  reconnaître 
que  la  réclame  est  entachée  d'un  double  vice  :  elle  peut  tromper  le  médecin 
lui-même,  aux  yeux  de  qui  on  la  déguise  dans  le  corps  du  journal;  elle  trompe 
le  public  plus  sûrement  que  ne  peut  le  faire  l'annonce,  parce  que  le  journal 
politique  ne  l'emprunte  au  journal  médical  qu'en  se  couvrant  de  son  autorité. 

On  peut  préjuger  aussi,  par  ce  qui  précède,  ce  que  nous  pensons  de  la  part 
faite  régulièrement  à  la  médecine  dans  beaucoup  de  journaux  politiques  par  la 
plume  et  sous  la  responsabilité  d'un  rédacteur  médecin.  Les  intentions  les  plus 
pures,  la  loyauté  la  plus  éprouvée,  ne  sauraient  nous  rassurer  contre  les  consé- 
quences inévitables  et,  s'il  faut  le  dire,  cliaque  jour  réalisées,  d'une  semblable 
tentative.  Qu'il  n'y  ait  nul  inconvénient,  qu'il  y  ait  même  une  occasion  de  faire 
ressortir  le  mouvement  scientifique  de  notre  pays  et  d'encourager  les  travail- 
leurs, dans  le  compte  rendu  d'ouvrages  sur  l'histoire  de  la  médecine,  sur  l'ana- 
tomie,  sur  la  physiologie,  nous  l'admettons  volontiers;  mais  dès  qu'il  s'agit  de 
travaux  de  médecine  pratique,  les  abus  naissent  d'eux-mêmes.  A  qui  parle- 
t-on?  A  la  foule,  ignorante  de  la  médecine.  Quelle  est  la  compétence  placée 
entre  elle  et  l'auteur?  Ce  n'est  plus  celle  d'un  corps  savant,  mais  d'un  confrère. 
Or  cette  compétence-là  est  à  peu  près  illusoire,  car  elle  ne  peut  avoir  pour 
mission  de  juger  le  fond  des  idées,  d'en  faire  la  critique,  de  dire  sérieusement 
à  l'abonné,  au  notaire,  à  l'avocat,  à  l'architecte,  au  fruitier,  au  liquoriste,  que 
tel  symptôme  n'a  pas  la  valeur  qu'on  lui  attribue;  que  tel  remède  ne  vaut  rien 
et  qu'il  ilmt  lui  en  subslituer  un  autre.  Ce  serait  un  moyen  trop  sur  d'achever 
le  discrédit  de  la  médecine  et  de  donner  la  parole  aux  savants  de  salon  ou 
de  boutique,  que  nous  avons  déjà  tant  de  peine  à  faire  taire.  Tout  au  plus 
le  rédacteur  pourra-t-il  refuser  la  publicité  à  un  travail  jugé  trop  médiocre, 
non  à  cause  de  telle  ou  telle  doctrine  erronée,  non  dans  l'intérêt  de  la  santé  de 
tous,  mais  dans  l'intérêt  du  journal.  Parfois  encore,  il  barrera  le  passage  à 
certaine  publication  trop  ostensiblement  apprêtée  dans  un  but  de  clientèle.  Mais, 
cette  part  de  surveillance  exercée,  restera  toujours  la  possibilité  de  porter  direc- 
tement devant  le  public  une  question  de  pratique;  restera  la  faculté  laissée  à 
chacun  de  gratifier  le  vulgaire  d'un  exposé  plus  ou  moins  tentant  des  heureux 
résultats  d'une  thérapeutique  personnelle  dans  son  service  d'hôpital,  dans 
son  dispensaire,  dans  sa  clientèle,  ou  de  ses  propres  idées  sur  quelque  affection 
bien  populaire,  comme  la  syphilis  ou  la  hernie.  Et  je  vois  ici  les  choses  sous  leur 
plus  beau  jour;  je  compte  sans  les  capitulations  de  conscience  du  médecin.  Qui 
ne  sait  pourtant  que  nombre  d'articles  médicaux  des  journaux  politiques,  couverts 
par  la  signature  d'un  confrère,  ne  sont  en  réalité  que  d'indignes  réclames  ? 

A  cette  plaie  grandissante  du  charlatanisme  pourrait-on  opposer  un  remède 
efficace,  j'entends  un  remède  topique,  différent  de  celui  qu'on  pourrait  attendre 
du  progrès  des  mœurs?  On  a  souvent  appelé  sur  elle  la  répression  légale. 
MM.  Piogey  et  Tardieu  notamment  ont  consacré  à  cette  thèse  deux  mémoires 
souvent  cités,  et  la  question  a  été  sommairement  traitée  à  l'article 
Charlatajnisme.  La  première  condition  pour  y  voir  clair  est  de  savoir  exacte- 
ment de  quoi  l'on  parle.  Or,  on  parle  ici,  je  l'ai  déjà  dit,  de  deux  choses  qui  ne 


518  DÉONTOLOGIE. 

se  confondent  pas  :  l'illégalité  et  l'indélicatesse.  Il  ne  peut  entrer  dans  Tesprit 
de  personne  que  le  même  remède  leur  convienne  également. 

Contre  l'exercice  illégal,  contre  l'abus  de  confiance,  contre  l'escroquerie  en 
général,  la  loi  est  armée;  il  resterait  seulement  à  rechercher  si  certains  actes 
nuisibles  à  la  société,  aujourd'hui  impunis  et  impunissables,  pourraient  ou  être 
rangés  dans  la  catégorie  de  ces  délits  et  punis  comme  tels,  ou  tomber  sous  le 
coup  des  articles  du  Titre  VI  de  la  Loi  de  ventôse  an  XL  Dès  à  présent  on  peut 
dire  que  tout  cet  arsenal  est  insuffisant  par  cette  double  raison  :  premièrement^ 
que  la  définition  légale  des  délits  dont  il  s'agit  n'embrasse  pas  dans  ses  termes 
les  actes  professionnels  qui,  aux  yeux  du  bon  sens,  constituent  néanmoins  des 
fraudes  ou  des  abus  de  conflance;  secondement,  que  l'article  35  de  la  Loi  de 
ventôse  ne  vise  qu'un  seul  délit,  qui  est  l'exercice  illégal.  L'article  405  du 
Code  pénal,  relatif  à  V escroquerie,  qui  appelle  la  sévérité  de  la  justice  sur  des 
actes  chaque  jour  commis  dans  le  domaine  de  la  médecine,  sur  les  faux  noms 
et  les  fausses  qualités,  sur  les  manœuvres  frauduleuses  pour  persuader 
l'existence  de  fausses  entreprises,  d'wn  pouvoir  ou  d'un  crédit  imaginaire,  ou 
pour  faire  naître  l'espérance  ou  la  crainte  d'un  succès,  d'un  accident  ou  de 
tel  autre  événement  chimérique,  ne  les  rend  punissables  que  si  on  les  a  commis 
«  pour  se  faire  remettre  ou  délivrer...  des  fonds,  des  meubles  ou  des  obligations, 
dispositions,  billets,  promesses,  quittances  ou  décharges...  ».  Or,  ces  conditions 
ou  quelques-unes  d'entre  elles  se  rencontrent  rarement  dans  l'escroquerie  médicale, 
et  seulement  dans  les  plus  bas  étages  de  la  pratique  illicite.  Dans  l'article  406, 
qui  vise  l'abus  de  confiance,  rien  d'applicable  à  l'exercice  de  l'art  médical. 
Celui  qui  a  abusé  des  besoins,  des  faiblesses  ou  des  passions  d'un  mineur,  est 
exemplairement  puni,  mais  non  celui  qui  a  abusé  des  passions,  des  faiblesses 
et  des  besoins  d'un  malade.  C'est  seulement  contre  l'usurpation  de  titres  que 
nous  trouvons  dans  les  termes  mêmes  de  la  loi  une  protection  explicite.  L'ar- 
ticle 56  de  la  Loi  de  ventôse  édicté  une  peine  contre  ceux  qui  se  qualifieraient 
sans  droit  d'officiers  de  santé,  et  l'article  259  du  Code  pénal  contre  quiconque, 
en  vue  de  s'attribuer  une  distinction  honorifique,  aura  publiquement  pris  un  titre. 
Celte  dernière  disposition,  par  sa  généralité,  pourrait  porter  plus  loin  que  l'usur- 
pation du  diplôme  et  atteindre,  par  exemple,  celui  qui  se  qualifierait  membre 
d'une  académie.  Il  est  juste  d'ajouter  que,  comme  l'a  dit  M.  Tardieu,  la 
jurisprudence  supplée  en  plus  d'un  cas  au  silence  de  la  loi  par  l'interprétation 
du  texte  concernant  les  délits  de  droit  commun. 

Des  considérations  analogues  pourraient  se  présenter  au  sujet  des  lois  sur  la 
pharmacie  {voy.  Pharmacie,  Remèdes  secrets). 

Peut  on  aller  plus  loin  et  invoquer  l'assistance  de  la  loi  contre  le  charlata- 
nisme proprement  dit?  Non.  L'erreur  des  confrères  bien  intentionnés  qui  pensent 
autrement  vient  de  ce  que,  au  lieu  de  considérer  la  société  dans  l'ensemble  de 
son  mécanisme,  ils  ne  la  regardent  que  par  un  côté  et  dans  un  seul  point.  Le 
charlatanisme  nuit  fort  à  la  médecine  et  à  la  pluralité  des  médecins,  mais  le 
charlatanisme  est  la  conséquence  naturelle  d'un  état  de  choses  commun  à  toutes 
les  professions.  Chaque  profession  a,  pour  ainsi  dire,  sa  moralité  particuhère.  Le 
médecin  digne  de  ce  nom  ne  se  permet  pas  toutes  les  pratiques  du  commerce  ;  le 
prêtre  ne  se  permet  pas  toutes  les  pratiques  du  médecin;  celui-ci  même  n'entend 
pas  de  la  même  manière  en  tout  pays  la  délicatesse  professionnelle;  en  Angleterre, 
en  Belgique  ou  à  Genève,  il  inscrit  son  nom  sur  la  porte  de  la  rue;  en  France,  il 
se  voile  la  face  devant  une  telle  inconvenance.  Partout,  néanmoins,  la  société 


DÉONTOLOGIE.  519 

laisse  de  plus  en  plus  de  latitude  à  l'activité  sociale  de  l'individu  et  tend  de 
plus  en  plus  à  l'affranchissement  des  professions.  Voilà  un  grand  fait  avec 
lequel  il  est  impossible  de  ne  pas  compter.  De  plus,  la  médecine  porte  en  elle 
une  cause  paiticulière  d'émancipation  professionnelle.  On  s'est  toujours  plaint 
des  spécialistes;  Pline  les  accablait  de  son  mépris,  et  une  secrète  hostilité  contre 
eux  n'a  pas  cessé  de  couver  dans  le  corps  médical.  Pourquoi?  Le  voici  en  deux 
mots  :  La  spécialité  aujourd'hui  est  légitime  et  nécessaire  ;  elle  est  entourée  de 
considération  dans  la  personne  de  nombre  de  ses  représentants  ;  mais  elle  ne 
la  conserve  qu'autant  qu'elle  reste  la  iille  du  spécialisme  scientifique.  Que 
ce  lien  entre  la  science  et  l'art  vienne  à  se  rompre,  que  la  spécialité  s'installe 
sans  cette  marque  d'une  noble  origine,  à  l'instant  même  elle  devient  suspecte. 
C'est  précisément  ce  qui  arrive.  Chaque  spécialité  nait  d'abord  d'études  spéciales 
et  par  là  elle  répond  à  de  vrais  besoins,  elle  est  un  bienfait;  puis,  comme  elle 
profite  d'ordinaire  à  celui  qui  l'a  créée,  elle  devient  un  appât.  Les  ambitions  se 
précipitent  vers  cette  nouvelle  amorce  de  la  fortune;  on  se  fait  spécialiste,  non 
par  penchant,  mais  par  calcul  et,  de  propos  délibéré,  tout  de  suite,  on  se  pose 
en  maître  dans  un  art  qu'un  est  en  train  d'apprendie.  Alors  manquant,  d'une 
part,  de  la  notoriété  qui  fait  fructifier  sans  peine  le  spécialisme  vraiment  autorisé, 
et,  de  l'autre,  exclu  de  la  clientèle  ordinaire  par  la  qualité  même  qu'on  s'attribue, 
on  se  trouve  dans  la  nécessité,  pour  attirer  à  soi  l'attention  publique,  de  se 
livrer  à  des  démonstrations  très-apparentes,  à  hisser  des  signaux  comme  fait  un 
équipage  en  détresse.  Ce  sont  les  nombreux  cas  de  ce  genre  qui  ont  soulevé  des 
défiances  contre  la  spécialité. 

Mais  que  faire  contre  des  licences  couvertes  par  le  droit  individuel  et  qui 
n'atteignent  pas  la  morale  publique?  Un  médecin  annonce  ses  consultations,  un 
pharmacien  son  remède  (je  le  suppose  conforme  au  Codex);  il  s'intitule  pro- 
fesseur particulier  ;  il  se  dit  honoré  de  médailles  ;  il  parle  de  son  habileté, 
de  sou  talent.  Absurdité,  dit  M.  Piogey,  c'est  comme  si  l'on  affichait  :  «  Opéra- 
tion avec  la  dextérité  de  Dupuylren  et  la  sagacité  chirurgicale  de  Boyer; 
diagnostic  des  maladies  de  poitrine  avec  l'habileté  d'auscultation  do  Laennec.  » 
Eh  oui,  absurdité;  mais  depuis  quand  la  loi  permet-elle  l'absurde?  En  1847, 
la  Chambre  des  pairs  a  été  accessoirement  saisie  de  la  question;  qu'a-t-elle  fait? 
Elle  a  fortifié  en  quelques  points  la  législation  et  mis  le  charlatanisme  hors 
de  cause;  elle  a  déclaré  l'incompatibilité  de  la  profession  de  médecin  et 
de  celle  de  pharmacien  ;  elle  a  pris  ses  précautions  contre  les  faux  ortho- 
pédistes; elle  a  prononcé  des  peines  plus  sévères  contre  certaines  infrac- 
tions ;  mais  rien  sur  les  pratiques  les  plus  usuelles  et  les  plus  profitables 
du  charlatanisme;  rien  sur  les  annonces,  les  réclames;  rien  sur  les  spéciahtés 
pharmaceutiques.  On  doit  même  ajouter  que  les  orateurs  les  plus  éminents,  le 
ministre  de  l'Instruction  publique  en  tète  (de  Salvandy),  ont  repoussé  toute 
proposition  tendant  à  la  prohibition  des  annonces  et  des  réclames. 

Du  reste,  la  thèse  soutenue  ici  paraît  avoir  pour  elle,  dans  la  littérature 
déontologique,  le  nombre  et  l'autorité  :  les  uns,  comme  M.  Delasiauve,  s'y  rat- 
tachent surtout  à  cause  des  caractères  changeants  et  insaisissables  du  charlata- 
nisme; les  autres,  comme  Schùtzenberger,  au  nom  d'un  grand  principe.  «  Les 
médecins,  écrit-il,  n'ont  rien  à  gagner,  à  la  campagne  pas  plus  que  dans  les 
villes,  aux  mesures  restrictives  de  la  liberté  professionnelle.  » 

Ainsi  je  crois  fermement,  aujourd'hui  comme  il  y  a  longtemps,  qu'aucune 
disposition  législative,  aucun  règlement  d'administration,  ne  peuvent  protéger 


520  DÉONTOLOGIE. 

la  profession  et  la  société  contre  la  dégradation  du  diplôme.  11  reste  à  voir  si  le 
corps  médical,  juge  compétent  de  la  conduite  de  ses  membres,  n'ayant  à  compter 
qu'avec  un  intérêt  de  dignité  et  non  avec  des  droits  de  citoyen,  n'ayant  pas  à  sa 
disposition  de  peines  communes,  comme  l'amende  ou  la  prison,  ne  pourrait  pas 
faire  lui-même  la  police  sur  ses  terres. 

Ici  se  présente  la  très-délicate  question  des  conseils  de  (UscipUne.  Ou  le  sait, 
une  discipline  particulière  régit  chacune  des  corporations  qui  appartiennent  plus 
ou  moins  étroitement  à  l'ordre  judiciaire,  ou  qui  ont  en  mains  le  marché  de  la 
fortune  publiijue  :  celles  des  avocats,  avoués,  notaires,  huissiers,  commissaires- 
priseurs,  gardes  du  commerce,  agents  de  change,  courtiers  de  com- 
merce. Et  ce  pouvoir  disciplinaire,  institué  pour  veiller  à  la  considération  du 
corps  à  tous  égards,  s'exerce  à  la  fois  sur  la  vie  professionnelle  et  sur  la  vie 
privée.  Dans  cette  dernière  application,  rare  d'ailleurs,  et  qui  tend  à  le  devenir 
davantage,  elle  use  de  beaucoup  de  ménagements,  et  se  fait  sentir  seulement  dans 
les  cas  d'indélicatesse  notoire,  de  préjudice  grave  causé  à  autrui ,  ou  d'acte  immoral 
ayant  donné  lieu  à  un  scandale  public.  Il  n'y  a  jamais  prescription,  et  les  décisions 
sont  souveraines  en  ce  qui  concerne  la  corporation  qui  a  le  plus  d'analogie  avec 
la  nôtre,  celle  des  avocats.  Les  peines  prononcées  par  les  conseils  de  discipline 
(appelés  aussi  conseils  de  l'ordre)  sont  l'avertissement,  la  réprimande,  la  censure, 
la  suspension  temporaire,  la  radiation  du  tableau. 

On  comprend  bien  la  répugnance  ou  l'hîsitation  avec  laquelle  a  toujours  été 
accueillie  par  la  majorité  des  médecins  l'introduction  d'un  pareil  pouvoir  dans 
une  corporation  où  les  faits  de  profession  sont  bien  plus  compliqués,  plus 
délicats,  plus  occultes,  plus  indéterminés,  que  dans  celle  des  avocats,  et  oii  les 
rivalités,  se  choquant  de  trop  près,  peuvent  amener  des  dénonciations  intéressées. 
On  remarquera  néanmoins  que,  aux  nuances  près,  la  situation  est  la  même  dans 
ces  deux  corporations.  Cet  argument  du  protée,  du  caméléon,  contre  la  préten- 
tion d'atteindre  le  charlatanisme,  n'a  pas  arrêté  les  avocats.  Les  actes  qu'ils 
poursuivent  sont,  eux  aussi,  des  actes  en  général  non  définis  et,  avec  de  la  pru- 
dence, ils  ne  frappent  jamais  à  faux.  S'ils  ne  punissent  pas  et  sont  même  loin 
de  poursuivre  toutes  les  fautes,  ils  n'en  punissent  que  de  réelles,  et  chaque 
exemple  est  plus  efficace  par  ce  qu'il  prévient  que  par  ce  qu'il  réprime.  Chose 
remarquable,  leurs  conseils  n'inspirent  aucune  défiance.  Nommés  à  l'élection, 
souvent  renouvelés,  responsables  devant  l'opinion,  ils  offrent  des  garanties 
d'impartialité  que  personne  ne  méconnaît. 

11  viens  de  dire  que  les  manquements  déférés  aux  conseils  de  discipline  ne 
sont  pas  définis.  C'est  en  effet  pour  ceux  de  ce  genre  qu'ils  sont  institués;  mais 
il  en  est  quelques  uns  qui  consistent  en  de  véritables  infractions  à  des  obligations 
positives  et  bien  déterminées.  Ainsi,  les  officiers  ministériels,  notaires,  avoués, 
huissiers,  sont  soumis  à  certaines  interdictions,  comme  de  s'immiscer  dans 
l'administration  des  sociétés  financières,  de  se  livrer  à  des  spéculations  de 
banque,  de  prendre  un  intérêt  personnel  dans  les  affaires  qui  se  traitent  à  leurs 
éludes,  etc.  Les  infractions  à  ces  prescriptions  collectives  sont  du  ressort  des 
conseils  de  discipline  comme  des  tribunaux.  Or,  il  serait  peut-être  malaisé  de 
donner,  dans  le  domaine  médical,  beaucoup  de  bases  fixes  à  l'action  des  conseils; 
mais  on  en  trouverait  quelques-unes  en  sortant  du  charlatanisme  tel  que  nous 
venons  de  l'envisager,  pour  entrer  plus  avant  dans  les  rapports  du  médecin  avec 
le  client.  C'est  ce  qu'on  verra  plus  loin.  En  tout  ca<,  je  le  répète,  le  vrai  rôle  des 
conseils  de  discipline  est  de  réprimer  ces  manquements  à  la  dignité  et  à  l'hono- 


DÉONTOLOGIE.  521 

rabilité  professionnelles  qui  ne  peuvent  être  définis,  et  justement  à  cause  de  cela. 

On  me  demandera  maintenant  si  je  conclus  formellement  à  la  création  de 
conseils  de  discipline  me'dicaux.  J'en  serais  tenté  en  voyant  combien  la  notoriété 
la  mieux  acquise  de  charlatanisme  nuit  peu  à  ceux  qui  s'en  rendent  coupables, 
faute  d'une  voix  qui  s'élève  pour  les  dénoncer;  et  avec  quelle  assurance  il  se 
poursuit,  faute  d'une  menace  de  répres>ion.  J'en  serais,  dis  je,  tenté,  si  je  ne 
voyais  un  moyen  d'y  suppléer,  qui  manque  précisément  aux  autres  corporations. 
Le  corps  des  médecins  est  réuni  en  association  générale  ;  il  se  partage  en  un 
très-grand  nombre  d'associations  locales;  une  association  indépendante  fonc- 
tionne pour  le  département  de  la  Seine  ;  toutes  ont  inscrit  sur  leur  drapeau  : 
la  régénération  morale  de  la  profession  (voy.  Association).  Ce  n'est  pas  tout. 
La  France  est  couverte  de  sociétés  scientifiques  de  médecine,  ordinairement 
pourvues  de  conseils  de  famille.  Que  de  forces  en  dépôt,  qui  suffiraient  à  pro- 
duire un  bien  considérable,  et  qui  s'énervent  dans  l'inaction  I  Que  de  pratiques 
honteuses  ou  compromettantes  ne  pourraient-elles  pas  stigmatiser,  à  Paris 
et  en  province,  ces  sociétés  particulières,  scientifiques  ou  professionnelles, 
qui  ont  une  vue  si  directe  sur  la  conduite  de  leurs  membres  !  Elles  ne  pour- 
raient sans  doute,  telles  qu'elles  sont  constituées,  atteindre  le  délinquant  dans 
sa  profession,  prononcer  contre  lui  la  suspension  ou  la  radiation;  mais  ne 
serait-ce  rien  qu'une  réprimande,  ou  la  censure,  ou  l'éviction  de  la  société  avec 
inscription  aux  archives?  Pour  arriver  ù  cela,  que  faudrait-il?  Le  courage  de 
l'initiative  pour  signaler  le  mal,  et  le  courage  de  l'action  pour  le  punir.  C'est 
beaucoup,  paraît-il;  car  cette  action  salutaire  des  sociétés  ne  s'exerce  presque 
jamais.  11  y  a  plus,  à  en  juger  par  des  faits  caractéristi(jues,  il  semble  que  des 
pratiques  auxquelles  personne  n'épargne  sa  vertueuse  indignation  ne  fassent 
obstacle  à  aucune  ambition.  V  Association  générale  eiV  Association  de  la  Seine, 
qu'elles  me  permettent  de  le  dire,  se  trompent  quand  elles  croient  remplir  leur 
programme  de  raoralisation  en  dénonçant  l'exercice  illégal  ou  en  soutenant  des 
prétentions  d'honoraires.  V immoralité  à  détruire,  celle  quon  se  flattait  de 
poursuivre,  n'eut  pas  l'immoralité  de  ceux  qui  n'appartiennent  pas  à  la  pro- 
fession médicale,  mais  celle  des  médecins  eux-mêmes.  Quand  on  aura  bien 
compris  ce  principe,  on  verra  que  l'intluence  moralisatrice  des  associations  et 
des  sociétés  a  été  à  peu  près  stérile.  Je  vais  même  jusqu'à  cette  conviction 
qu'une  mise  en  demeure  de  frapper  dans  un  de  leurs  membres  le  cas  le  plus 
avéré  de  charlatanisme  resterait  sans  effet  auprès  de  nos  associations. 

Eh  bien,  voilà  l'état  de  la  question.  Le  corps  médical  veut-il  être  moralisé? 
Qui  veut  la  fin  veut  les  moyens.  Qu'il  tache  de  se  moraliser  par  ceux  dont  il 
dispose  actuellement;  s'il  ne  le  peut,  qu'il  en  demande  un  autre  à  des  conseils 
de  discipline,  institués  ad  hoc,  investis  d'une  mission  expresse  et  tenus  de  la 
remplir.  En  attendant,  qu'on  n'oublie  pas  que,  en  Angleterre,  le  ConseU  général, 
chargé  de  dresser  chaque  année  la  liste  des  médecins  qui  ont  le  droit  légal  d'exer- 
cice, est  armé  d'un  droit  de  radiation  contre  les  membres  indignes  de  la  corpo- 
ration [voy.  DEJiTisTE,  p.  459). 

Quant  à  la  proposition  qu'a  faite  M.  Delasiauve  dans  son  important  mémoire 
Sur  l'organisation  de  la  médecine,  d'entretenir,  dans  toute  l'étendue  du  pays, 
des  commissions  de  surveillance  chargées  de  constater  et  de  dénoncer  les  infrac- 
tions, elles  n'auraient  guère  moins  d'inconvénients  que  les  conseils  de  discipline 
eux-mêmes;  et  comme  il  s'agit,  dans  ce  mémoire,  d'infractions  légales,  on  se 
demande  [lourquoi  une  sorte  de  corps  de  rabatteurs  spéciaux  pour  un  genre 


522  DÉONTOLOGIE. 

de  délit  soumis  comme  tous  les  autres  à  la  surveillance  des  agents  judiciaires. 

Ce  grand  sujet  du  charlatanisme  m'a  entraîné  loin.  Je  ne  puis  cependant  clore 
le  chapitre  des  qualités  morales  du  médecin  sans  m'arrèter  un  peu  sur  une  de 
celles  qui  lui  sont  le  plus  nécessaires  en  certaines  occasions  :  c'est  le  courage. 

Il  s'est  rencontré  des  écrivains,  des  médecins,  pour  nier  qu'il  soit  du  devoir 
de  l'homme  de  l'art  de  donner  ses  soins  aux  malades  atteints  d'affections 
contagieuses.  C'est  la  thèse  de  Jean  Besnier  (fin  du  dix-septième  siècle),  l'auteur 
déréglé  des  Essais  de  médecine  et  de  l'Histoire  chronologique  de  la  médecine 
et  des  médecins.  11  ne  fait  exception  que  pour  ceux  qui  seraient  aux  gages  de  la 
République  ou  auraient  passé  une  stipulation  avec  des  particuliers.  C'était 
pourtant  bien  assez  d'avoir  à  enregistrer  dans  l'histoire,  et  de  notre  temps  même, 
certaines  désertions  en  masse  ou  individuelles.  En  revanche,  il  a  été  écrit  de 
belles  pages  sur  le  courage  des  médecins,  et  je  me  plais  à  signaler  celles  d'un 
des  collaborateurs  de  ce  Dictionnaire,  M.  Fonssagrives  (Discours  prononcé  le 
15  février  1866,  devant  la  faculté  de  Montpellier). 

On  doute  encore  si  Galien  s'éloigna  de  Rome  en  168  pour  échapper  à  la  haine 
des  praticiens  grecs  ou  plutôt  pour  fuir  la  peste  qui  y  régnait.  Du  reste,  la  seule 
existence  du  fléau  est  un  motif  suffisant  de  condamner  sa  conduite.  La  même 
incertitude  n'existe  pas  à  l'égard  de  Sydenham,  s'échappant  de  Londres  dès  le 
début  de  l'épidémie  pestilentielle  de  1665.  Quelle  tache  sur  cette  grande 
figure  !  Les  historiens  des  maladies  épidémiques  ont  de  tout  temps  signalé  la 
désertion  d'un  certain  nombre  de  médecins,  et  c'est  de  nos  jours  qu'une  ville 
du  nord  de  l'Italie  donna,  dit-on,  sous  ce  rapport  un  fâcheux  spectacle  dans 
une  épidémie  de  choléra.  Mais  ces  rares  exemples,  qui  peut-être  ne  se  repro- 
duiraient plus  aujourd'hui,  se  perdent  dans  l'abnégation  et  dans  l'ardeur 
charitable  dont  l'ensemble  du  corps  médical  n'a  cessé  et  ne  cesse  de  donner 
des  preuves.  Les  victimes  des  maladies  contagieuses,  de  la  diphthérie,  de  la 
variole,  de  la  fièvre  typhoïde,  s'y  accumulent  chaque  jour,  et  l'on  n'a  pas  oublié 
le  lourd  tribut  que  leur  ont  payé  dans  ces  derniers  temps  les  élèves  des  hôpitaux. 
Comme  le  dit  Max  Simon  à  propos  d'une  excuse  dont  on  a  voulu  couvrir  une 
de  ces  défaillances,  ce  ne  sont  ni  des  avantages  offerts,  ni  des  témoignages  de 
reconnaissance,  ni  même  l'envie  de  se  distinguer,  qui  doivent  exciter  le  zèle  du 
médecin,  mais  seulement  l'amour  profond  et  viril  de  sa  mission.  Le  médecin  est 
un  soldat  en  faction  devant  la  citadelle  de  la  santé  publique;  la  citadelle  est 
attaquée;  il  a  le  devoir  de  la  défendre  au  prix  de  tous  les  périls.  C'est  le  seul 
raisonnement  qu'il  ait  à  se  faire  à  lui-même.  «  A  la  voix  du  devoir,  dit  Cruveil- 
hier... ,  le  soldat  reste  à  son  poste  et  reçoit  la  mort;  Régulus  retourne  à  Carthage 
où  l'attendent  les  plus  cruels  supplices  ».  Cicéron  fait  la  remarque  que  Régulus 
était  lié  par  un  serment,  qui  avait  à  cette  époque  une  vertu  irrésistible,  et  que 
son  mérite  «  était  de  son  temps  plutôt  que  le  sien  »  {Traité  des  devoirs,  XXXI). 
Le  médecin  n'a  pas  besoin  du  serment  pour  sacrifier  sa  vie,  et  ce  lui  est  un 
honneur  de  plus. 

Le  courage  du  médecin  anime  celui  des  malades.  J'entends  surtout  ici 
le  courage  civil,  professionnel,  parce  que  l'admirable  intrépidité  des  médecins 
militaires  sur  le  champ  de  bataille  n'est  au  fond  que  celui  des  soldats.  Larrey  à 
Héliopolis  et  en  tant  d'autres  lieux,  Saint-Hilaire  à  Trafalgar  (Fonssagrives),  ne 
sont  que  des  modèles  mille  fois  imités.  Il  n'est  pas  facile  de  savoir  ce  qui  s'est 
passé  à  l'hôpital  de  Jaffa,  et  si  Desgenettes  s'est  réellement  inoculé  le  pus  d'un 
bubon  de    pestiféré.  J'ai  entendu    dire   par   Réveillé-Parise,   que,    lorsqu'on 


DÉONTOLOGIE.  523 

interrogeait  là-dessus  l'ex-médecin  en  chef  de  l'armée  d'Egypte,  il  répondait  : 
«  Trois  personnes  seulement  ont  su  ce  qui  s'était  passé  :  le  général  Bonaparte, 
moi  et  un  petit  bossu  placé  près  de  nous  ».  Si  le  fait  est  vrai,  il  est  héroïque.  Du 
reste,  Guyon,  à  la  Martinique,  s'est  réellement  inoculé  du  pus  pris  sur  le  vési- 
catoire  d'un  homme  atteint  de  fièvre  jaune;  Chervin,  en  Espagne,  a  couché  dans 
les  draps  et  revêtu  la  chemise  de  victimes  de  la  même  maladie.  Dans  les  épi- 
démies, la  peur  engendre  mille  préjugés,  donne  lieu  aux  accusations  les  plus 
déraisonnables.  On  redoutait  au  seizième  siècle  les  semeurs  de  peste,  répandant 
dans  les  rues,  sur  les  vêtements,  sur  les  meubles,  ou  mêlant  aux  breuvages  une 
poudre  faite  avec  des  bubons  enlevés  aux  cadavres.  Lors  de  notre  première  épidé- 
mie de  choléra,  le  peuple  ne  voulait  plus  boire  l'eau  des  fontaines  publiques, 
qu'il  disait  empoisonnée;  les  malades  des  hôpitaux  refusaient,  pour  la  même 
raison,  de  prendre  les  médicaments.  C'est  surtout  aux  médecins  qu'il  appartient 
de  combattre  de  si  dangereuses  préventions.  Il  y  en  avait,  en  1842,  qui  avalaient 
devant  la  foule  l'eau  des  fontaines,  des  puits.  Louis,  à  la  Pitié,  goûtait  les  potions 
devant  tous  les  malades  qui  manifestaient  des  inquiétudes.  Ce  n'était  pas  lu,  si  l'on 
veut,  des  actes  de  courage;  mais  le  public  les  prenait  pour  tels,  et  cela  suffisait. 

En  dépareilles  circonstances,  le  devoir  du  médecin,  pour  être  absolument  im- 
pératif, doit-il  être  aveugle  ?  Le  médecin  est-il  tenu  d'aller  au-devant  du  danger 
sans  précaution  ou  sans  utilité,  et  de  se  livrer  à  la  mort  comme  un  condamné  du 
cirque  ?  Le  devoir,  s'il  n'a  qu'une  racine,  touche  par  bien  des  côtés  à  des  intérêts 
respectables.  Quand  il  peut  conduire  jusqu'à  l'immolation  de  soi-même,  il  cora~ 
mande  la  réserve.  Non-seulement  il  n'est  prescrit  par  aucune  loi  morale  de 
mourir  dans  des  circonstances  où  l'on  pouvait  se  sauver,  ou  de  mourir  sans 
profit  pour  personne  ;  mais  un  père,  un  fils,  un  époux,  ne  doivent  pas  perdre  de 
vue,  s'ils  le  peuvent  sans  dommage,  la  blessure  que  fera  dans  d'autres  cœurs 
l'arme  qui  l'aura  tué.  De  ce  danger  que  courent  maîtres  et  élèves  devant  des  mala- 
dies contagieuses,  il  y  a  une  conséquence  pratique  à  tirer  et  dont  l'oubli  trans- 
formerait le  courage  en  fanfaronnade  :  c'est  qu'il  y  a  lieu  pour  l'homme  de  l'art 
de  s'entourer  de  toutes  les  précautions  prophylactiques  qui  sont  à  sa  disposition  ; 
d'éviter  autant  qu'il  le  peut  les  contacts  suspects,  de  recourir  aux  moyens 
connus  de  désinfection,  de  ne  séjourner  que  le  moins  possible  dans  les  milieux 
contaminés,  etc.  ;  c'est  aussi  que  l'assistance  publique  ne  saurait  être  trop 
active  à  écarter  des  hôpitaux  toutes  les  causes  d'insalubrité  et  de  contagion, 
qui  ne  menacent  pas  seulement  ceux  qui  y  restent,  mais  aussi  ceux  que  leur 
fonction  appelle  à  y  séjourner  un  certain  temps  chaque  jour. 

Des  confrères  touchés  de  ces  conséquences,  désastreuses  pour  les  familles, 
qu'entraîne  souvent  le  dévouement  professionnel  d'un  des  leurs,  ont  adressé  au 
Sénat,  à  la  fin  de  1868,  une  pétition  tendant  à  assimiler  dans  ces  cas  le  médecin 
au  soldat  tombé  sur  le  champ  de  bataille,  et  à  obtenir  une  pension  d'Etat 
«  pour  toute  veuve  de  médecin  mort  victime  d'une  maladie  contagieuse  con- 
tractée dans  l'exercice  de  sa  profession.  »  J'ai  le  regret  de  ne  pouvoir  m'associer 
à  une  proposition  généreuse,  mais  basée  sur  une  application  inexacte  de  la  pro- 
fession médicale  et  grosse  de  difficultés  comme  d'injustice.  On  a  toujours  mau- 
vaise grâce,  je  le  sais,  à  ne  pas  appuyer  des  efforts  favorables  aux  intérêts  de  la 
famille  médicale,  mais  un  défaut  de  franchise  ne  serait  pas  plus  méritoire. 

La  profession  médicale  est...  une  profession.  Celui  qui  l'embrasse  a  dû,  et 
J.  Frank  notamment  l'y  engage  en  termes  pressants,  en  peser  les  charges.  Dans 
les  moments  de  crise,  il  a  le  droit  strict,  le  droit  naturel  de  se  dérober  :  alors, 


524  DÉONTOLOGIE. 

je  viens  de  le  dire,  il  est  lâche;  mais,  s'il  demeure,  il  remplit  purement  et  sim- 
plement un  devoir  moral.  Gela  ne  regarde  pas  l'État.  L'assimilation  du  médecin 
au  soldat  est  une  image  (et  je  mêla  suis  permise  moi-même  tout  à  l'heure),  mais 
qu'il  ne  faut  pas  transformer  en  réalité.  Le  soldat  fait  un  service  public,  qui  est 
obligatoire  et  qui  l'enlève  à  la  vie  professionnelle;  il  est  le  pupille  de  la  nation, 
pour  laquelle  il  se  bat.  Le  médecin  fait  le  service  qu'il  veut,  comme  il  veut,  à 
l'avantage  des  individus  et  aussi  au  sien  propre.  Je  dis  de  plus  que  le  projet 
est  impraticable,  parce  que  c'est  une  question  trop  souvent  obscure  de  savoir  si 
la  maladie  contagieuse  à  laquelle  un  médecin  succombe  lui  a  été  communiquée 
par  son  client.  Une  épidémie  parcourt  la  France  :  c'est  la  variole,  c'est  l'angine 
diphthéritique.  Tous  les  médecins,  ou  peu  s'en  faut,  en  traitent  un  ou  plusieurs 
cas  :  l'un  d'eux  contracte  le  mal  et  en  meurt.  Où  l'a-t-il  pris?  Dans  les  émanations 
d'un  malade,  ou  dans  l'atmosphère  viciée?  Est-il  victime  d'un  acte  professionnel 
ou  d'une  épidémie?  Une  enquête,  la  plupart  du  temps,  n'arriverait  pas  à  l'éta- 
blir; et  cette  difficulté,  que  la  complaisance  ou  l'indifférence  peuvent  toujours 
résoudre,  dans  un  sens  positif  ou  dans  un  sens  négatif,  deviendrait  certainement 
une  source  de  favoritisme.  On  pourrait  d'ailleurs  se  trouver  en  face  de  maladies 
dont  la  contagiosité  n'est  pas  hors  de  doute  pour  tout  le  monde  :  le  choléra,  par 
exemple;  et  à  la  difficulté  du  jugement  de  fait  se  joindrait  celle  du  jugement 
scientifique.  Il  ne  suit  pas  de  là  que  jamais,  dans  aucune  circonstance,  l'État  ne 
doive  intervenir  pour  assurer  l'avenir  d'un  médecin  mort  réellement  victime  de 
son  devoir.  Je  l'admettrais  au  contraire  dans  les  cas  exceptionnels  où  le  ser- 
vice serait  indéniable,  éclatant,  où  la  situation  de  la  veuve  et  des  orphehns 
serait  réellement  précaire.  Mais  il  n'est  besoin  pour  cela  d'aucune  loi  nouvelle. 
La  Société  centrale  de  Paris,  les  sociétés  locales  des  déparlements,  outre  la  part 
qu'elles  pourraient  prendre  au  soulagement  des  infortunes,  introduiraient  par 
voie  de  pétition  une  demande  de  pension  auprès  des  grands  corps  politiques, 
où  les  médecins  ne  manqueraient  pas  pour  la  tirer  des  cartons.  Cette  pension 
serait  à  titre  de  récompense  nationale.  On  en  a  eu  un  assez  bon  nombre 
d'exemples  dans  les  derniers  temps,  au  profit  de  citoyens  ayant  rendu  des  servi- 
ces au  pays,  de  leurs  veuves,  de  leurs  enfants  et  même  de  leurs  descendants.  Ce 
ne  serait  pas  là  des  secours  humiliants,  des  aumônes,  mais  bien  un  titre 
d'honneur  en  même  temps  qu'un  moyen  de  vivre. 

Du  reste,  le  projet  que  je  repousse,  à  mon  grand  regret,  a  été  accueilli  ou 
par  des  critiques  ou  par  le  silence  dans  presque  toute  la  presse  médicale  fran- 
çaise et  dans  des  organes  importants  de  la  presse  étrangère.  «  A  première  vue, 
écrivait,  par  exemple,  le  Médical  Times  and  Gazette,  la  proposition  peut  paraître 
plausible;  mais  un  court  examen  montre  qu'elle  est  basée  sur  une  fausse 
analogie.  »  Au  moment  où  j'écris,  un  projet  de  loi  est  déposé  à  la  Chambre  des 
députés,  ayant  le  même  but  que  celui  de  nos  confrères  :  celui  de  secourir  les 
veuves  des  victimes  de  leur  dévouement,  mais  ne  visant  pas  particulièrement  les 
sinistres  de  la  profession  médicale.  Peut-être  la  discussion  les  y  fera-t-elle  entrer. 

II.  Conduite  du  médecin  vis-à-vis  des  clients.  Le  jcuue  médecin  qui  entre 
dans  la  carrière  plein  de  foi  comme  d'ardeur,  qui  n'a  vu  encore  de  malades  que  dans 
les  hôpitaux,  où  la  passivité  de  l'être  souffrant  répond  à  la  domination  nécessaire 
du  chef  de  service,  se  trouve  souvent  déconcerté  dans  le  milieu  nouveau  où  il  a 
affaire  à  Thorame  autant  qu'au  malade.  Les  dispositions  d'esprit  qu'il  rencontre 
sont  principalement  le  scepticisme,  les  préjugés  et  certaines  idées  religieuses. 


DÉONTOLOGIE.  525 

Le  scepticisme  à  l'égard  de  l'art  médical  ne  peut  mourir  tant  que  cet  art 
restera,  dans  une  forte  mesure,  conjectural.  Le  public  juge  l'ensemble  des  méde- 
cins comme  on  a  vu  qu'il  juge  un  médecin  en  particulier,  c'est-à-dira  par  leurs 
services.  Certaines  maladies  s'entêtent  à  être  incurables;  nombre  de  maladies 
curables  ne  guérissent  pas;  c'en  est  assez  pour  démontrer  péremptoirement  au 
public  que  la  médecine  n'est  pas  une  science  tout  à  fait  positive.  Il  pourrait  se 
dire  que  l'imperfection  d'une  science  n'est  pas  son  néant  ;  que  celle-ci  témoigne 
cbaque  jour  de  son  progrès;  que,  si  elle  échoue  souvent  dans  ses  applications, 
souvent  aussi  elle  produit  les  preuves  les  plus  évidentes  de  son  efficacité;  que 
l'incertitude  du  succès  dans  un  cas  particulier  n'est  pas  une  raison  suffisante  de 
ne  pas  le  chercher;  que  les  entreprises  humaines  les  mieux  garanties  par  des  prin- 
cipes scientifiques  et  par  des  réussites  innombrables  comptent  néanmoins  avec  la 
fortune;  qu'une  mécanique  faite  de  main  d'homme  peut  éprouver  des  avaries 
incurables;  qu'un  navire  armé  d'une  bonne  boussole,  avec  un  bon  pilote,  un 
capitaine  doué  de  toutes  les  connaissances  de  la  nautique,  un  bon  vent  au  départ, 
peut  sombrer  dans  un  orage  ou  manquer  le  port  dans  une  nuit  noire.  La  patho- 
logie, qui  est  un  orage,  a  aussi  des  obscurités  inattendues.  Ce  sont  là  des 
raisonnements  à  l'usage  des  esprits  cultivés,  mais  dont  eux-mêmes  se  servent 
rarement.  Le  médecin  doit  prendre  à  tâche  de  les  rappeler  à  tous  ceux  qui 
sont  en  état  de  les  comprendre.  En  général,  d'ailleurs,  il  ne  peut  trouver 
qu'avantage  à  ne  pas  surfaire  son  art,  comme  les  jeunes  gens  y  sont  trop  portés; 
à  le  présenter  tel  qu'il  est,  riche  en  ressources,  parfois  dénué,  soulageant 
quand  il  ne  guérit  pas,  et  augmentant  chaque  jour  le  nombre  de  ses  bienfaits. 
La  sincérité  du  médecin  appelle  la  confiance  du  malade,  en  redressant  son  juge- 
ment et  prévenant  ses  récriminations. 

A  côté  des  sceptiques  vrais  sont  les  faux  sceptiques.  Ceux-là  sont  de  la  classe  des 
beaux  esprits.  Ils  ont  lu  Molière;  ils  répètent  le  «  qu'il  mourût!  »,  de  Casimir 
Delavigne.  Par  malheur,  ou  par  bonheur,  on  les  reconnaît  justement,  pour  la 
plupart,  à  leur  peur  affreuse  du  mal,  à  leurs  agitations  et  à  leurs  inquiétudes 
quand  le  mal  les  possède.  C'est  un  cas  de  diplomatie  médicale  ;  il  faut  leur  tenir, 
comme  on  dit  vulgairement,  la  dragée  haute,  traiter  légèrement  leurs  doléances, 
leur  faire  attendre  les  remèdes  qui  ne  sont  pas  nécessaires,  tout  en  faisant  briller 
à  leurs  yeux  la  variété  des  moyens  qu'on  a  vu  réussir,  jusqu'à  ce  qu'ils  soieni; 
amenés  à  les  réclamer  eux-mêmes.  C'est  particulièrement  chez  ce  genre  de  clients 
que  sont  de  mise  les  médications  palliatives  qui,  en  f.ùsant  cesser  un  symptôme 
gênant,  marquent  au  moins  sur  un  point  la  réalité  de  la  thérapeutique.  Cette 
réalité,  d'ailleurs,  le  scepticisme  étudié  ne  l'ignore  pas,  et  voilà  pourquoi  il  est 
assez  facile  à  conduire.  Beaucoup  d'entre  nous  ont  connu  de  ces  do uteurs  obstinés 
qui  ont  perpétuellement,  même  dans  des  écrits,  déversé  la  moquerie  sur  la  méde- 
cine, et  qui  allaient  consultant  tous  les  praticiens  en  renom.  -C'est  que  le  scepti- 
cisme outré,  s'il  n'affirme  jamais  qu'une  chose  soit,  doute  également  qu'elle  ne 
soit  pas.  Mais  la  condition  principale  pour  exercer  sur  le  sceptique  une  action 
salutaire,  c'est  de  ne  pas  l'être  soi-même,  comme  il  lui  en  a  été  fait  plus  haut  une 
véritable  obligation  professionnelle.  J'allais  ajouter  :  ou  de  ne  pas  le  paraître; 
mais  non  ;  un  médecin  qui  ne  croit  pas  à  son  art  se  trahit  inévitablement.  Incré- 
dule ou  inhabile,  telles  sont  les  qualifications  dont  une  au  moins  l'attend  pour 
prix  de  ses  hésitations  ou  de  son  inertie.  On  vient  de  voir  le  médecin  sage 
découvrant,  expliquant  aux  gens  éclairés  les  incertitudes  de  l'art  présent;  mais 
qu'il  n'en  soit  que  plus  fervent  à  prêcher  tout  ce  que  cet  art  a  encore  do  puis- 


526  DEONTOLOGIE. 

sant,  tous  les  services  qu'il  rend  à  l'homme  et  à  la  société.  11  y  a,  quoi  qu'on 
puisse  dire,  très-peu  de  médecins  réellement  sceptiques,  si  par  sceplicisme  on 
entend  la  négation  de  l'art  lui-même;  l'empirisme  et  la  science  réunis  crient 
trop  fortement  contre  eux  ;  mais  celui  qui  se  sent  envahi  tout  entier  par  le  doute 
doit  trouver  dans  sa  conscience  d'honnête  homme  la  force  de  se  retirer. 

Le  client  k préjugés  est  tout  différent  da  sceptique.  Ce  n'est  pas  la  foi  qui 
lui  manque;  il  a  au  contraire  une  confiance  robuste  dans  la  vertu, des  re- 
mèdes; seulement  il  l'applique  sans  discernement.  Des  idées  fausses  et  arrêtées 
sur  la  nature  de  telle  ou  telle  maladie,  sur  l'action  de  telle  ou  telle  plante,  sur 
l'influence  de  telle  ou  telle  saison,  sur  l'utilité  ou  le  danger  de  telle  ou  telle 
pratique  d'hygiène,  le  rendent  sourd  à  tous  les  conseils  qui  ne  s'y  adaptent 
pas.  C'est  lui  qui  professe  qu'on  n'a  jamais  trop  de  sang  et  qu'une  évacuation 
sanguine  est  toujours  nuisible;  que  toutes  les  affections  générales  viennent  de 
la  hï\e  et  indiquent  la  purgation;  que  le  sulfate  de  quinine  est  un  poison  ter- 
rible; que  le  melon  donne  la  fièvre;  que  l'hépatique  des  jardins  guérit  les  ma- 
ladies du  foie;  les  hernioles,  les  hernies;  l'aegopodium,  la  goutte,  etc.,  etc. 
Les  divers  préjugés  de  cette  nature,  vous  les  trouverez  enracinés  avec  bien  d'au- 
tres dans  les  classes  supérieures  tout  autant  pour  le  moins  que  dans  les  classes 
ouvrières  ou  dans  les  campagnes.  Beaucoup  d'entre  eux  ne  peuvent  être  di- 
rectement combattus  que  par  la  persuasion  ou  par  l'autorité  du  ministère; 
d'autres  peuvent  être  tournés,  le  médecin  ne  manquant  pas  de  ressources 
pour  se  soustraire  à  leur  influence  en  ayant  l'air  de  ne  pas  les  contrarier.  Des 
rèo^les  particulières  de  conduite  ne  peuvent  être  tracées  ici  ;  c'est  à  l'adresse  et 
au  savoir  de  chacun  de  les  approprier  aux  circonstances. 

La  religion,  quand  elle  devient  superstitieuse,  confine  au  préjugé;  le  pré- 
jugé religieux  a  bien  plus  de  force  que  le  précédent.  La  superstition  est  née, 
du  reste,  sœur  de  la  médecine,  puisque  toute  la  médecine  antique  attribuait 
les   maladies   à    des  causes   surnaturelles   et  en    cherchait    le  remède   dans 
la  ma^ie    {voy.  Démo>'s  et   Magie).  Cette  parenté  ne    s'est  jamais    rompue,  et 
l'élément  religieux  à  toutes  les  époques  est  intervenu  dans  la  guérison  des  ma- 
ladies. La  vertu  curative  qu'on  attril)ue  aujourd'hui  au  contact  des  reliques  ou 
à  l'ingestion  d'une  eau  sanctifiée  est  du  même  ordre,  par  exemple,  que  celle 
dont  on  disait  doué  Vespasien  le  jour  où,    d'après  une  révélation  de  Sérapis, 
il  guérit  un  aveugle  en  crachant  sur  ses  yeux,  et  un  boiteux  en  lui  donnant 
un  coup  de  pied  (Suélone,  Vespasien,  c.  vu).   C'est   pour  avoir  différé  d'obéir 
à   un   ordre   des    dieux    qu'Atinius     fut    frappé   de  paralysie ,    puis    guéri 
soudainement  après  l'avoir  exécuté  {Tite  Live,  LU,  c.  xxxvii)  ;  et  les  rois  de 
France  et  d'Angleterre  ne  guérissaient  les  écrouelles  par  le  toucher  que  sous  la 
condition  de  certaines  pratiques  religieuses,  comme  d'enduire  leur  doigt  de  saint- 
chrême  ou  d'entendre  préalablement  la  messe.  La  vertu  qui  sortait  d'eux  après 
cette  préparation  était  celle  qui  émanait  spontanément  de  saint  Pierre  et  de  saint 
Paul  quand  ils  guérissaient  les  malades  à  Jérusalem.  Ce  consensus  de  croyances  dans 
tous  les  temps  et  dans  tous  les  lieux  doit  contribuer  à  les  protéger  contre  tout 
mauvais  procédé  de  la  part  du  médecin,  à  quelque  religion  qu'il  appartienne 
lui-même.  Il  est  devant  un  fait  permanent  de  l'histoire  de  l'humanité.  Tout 
homme,  même  catholique,  peut  penser  ce  qu'il  lui  plaira  de  croyances  qui  ne 
sont  pas  articles  de  foi  ;  mais  il  est  obligé  rigoureusement  à  les  respecter.  Quand 
donc  il  lui  arrive  d'apercevoir,  mêlé  aux  potions,  un  flacon  d'eau  de  Lourdes; 
attachée  au  cou  du  patient,  une  médaille  de  Paray-le-Monial  ;  suspendue  au-dessus 


DÉONTOLOGIE.  527 

du  lit,  une  branche  de  buis  béni  à  un  autel  privilégié,  il  ne  doit  rien  laisser 
paraître  qui  puisse  sembler  une  désapprobation  de  ces  secours  apportés  à  la 
médecine.  Il  se  peut  bien  que,  dans  l'heureuse  issue  de  la  maladie,  ces  pratiques 
aient,  aux  yeux  de  la  famille,  le  principal  honneur  de  la  guérison  ;  rien  assuré- 
ment ne  fait  un  devoir  au  médecin  d'adhérer  à  cette  appréciation  ;  il  ne  lui  est 
pas  interdit  même  de  revendiquer  le  droit  de  son  art;  mais  qu'il  le  fosse  douce- 
ment, amicalement,  mettant  toujours  la  joie  du  succès  au-dessus  des  égratignures 
de  l'amour-propre. 

A  plus  forte  raison  respecterez-vous  et,  en  certaines  occasions,  aiderez-vuo«;  à 
mettre  en  pratique  les  dogmes  fondamentaux  d'une  religion  quelconque.  J'en- 
tends par  là  que  ce  ne  serait  pas  assez  de  ne  point  contrarier  les  sentiments  pieux 
du  malade,  mais  que,  si  celui-ci  s'en  rapporte  à  vous  du  soin  de  veiller  à  ce  que 
les  secours  religieux  lui  arrivent  à  temps,  vous  lui  devez  ce  service.  Songez  que 
pour  lui,  comme  pour  Pascal,  c'est  la  plus  grande  affaire  de  la  vie,  plus  impor- 
tante mille  fois  que  la  santé,  et  que  ne  pas  consentir  à  l'y  aider,  ce  serait  bien 
pis  que  de  lui  refuser  un  remède  efficace.  L'homme  de  l'art,  je  le  répèle,  est, 
en  pareille  occurrence,  religieusement  neutre;  mais  médicalement  il  doit  élargir 
son  ministère,  non  à  l'égal  de  celui  du  prêtre,  du  pasteur  ou  du  rabbin,  mais 
dans  la  mesure  où  il  y  sera  expressément  convié  par  le  malade. 

Je  dis  par  le  malade  :  car  il  peut  arriver  que  la  famille,  méconnaissant 
votre  rôle,  vous  invite  à  faire  naître  vous-même  des  suggestions  religieuses 
dans  l'esprit  du  patient;  vous  devez  vous  y  refuser.  Venant  du  médecin,  de  celui 
dont  on  attend  la  guérison,  des  suggestions  de  cette  nature,  avec  quelques 
ménagements  qu'elles  soient  présentée-;,  auraient  presque  nécessairement 
une  signification  sinistre.  Dans  le  cas  de  tout  à  l'heure,  vous  aviez  un 
moyen  facile  de  rendre  un  office  sans  risquer  de  froisser  douloureusement 
les  dernières  attaches  à  la  vie  :  c'était  de  provoquer  secrètement  l'intervention 
d'uu  intermédiaire,  rendant  la  vôtre  inutile  et  donnant  à  croire  nu  patient 
que  l'heure  d'agir  n'était  pas  venue  pour  vous.  Ici,  c'est  vous-même  qui  don- 
neriez le  suprême  avertissement,  sans  savoir  seulement  dans  quel  esprit  il 
serait  reçu.  Ces  choses-là  ne  peuvent  se  faire  par  mandat. 

Il  est  une  autre  situation  créée  au  médecin  par  les  croyances  religieuses  des 
familles  :  c'est  celle  qui  le  place  en  présence  du  baptême,  en  cas  de  danger  de 
mort  du  fœtus.  L'urgence  de  l'ondoiement  peut  se  poser  soit  quand  le  fœtus  est 
encore  dans  le  sein  d'une  mère  décédée,  soit  au  cours  de  l'accouchement,  soit 
quand  l'enfant  venu  au  monde  est  menacé  de  mort  très-prochaine.  La  question 
de  la  dystocie  et  de  l'opération  césarienne  est  donc  ici  engagée  ;  mais  je  n'ai  pas  à 
entrer  dans  les  considérations  scientifiques  qui  peuvent  influencer  la  con- 
duite du  médecin  (viabilité  du  fœtus,  causes  de  la  dystocie,  dangers  de  l'hysté- 
rotomie)  :  on  les  trouvera  aux  articles  Avortemeint  provoqué  et  Hystérotomie  ; 
j'examine  seulement  le  devoir  du  médecin  dans  toutes  les  circonstances  où  le 
baptême  du  fœtus  doit  avoir  lieu  extemporanément. 

Il  faut  d'abord  rejeter  comme  excessif  le  principe  posé  à  l'Académie  de 
médecine  en  1861  par  le  respectable  Kerkaradec.  L'exercice  du  culte  catholique 
est  garanti  par  l'État;  le  baptême  est  nécessaire  au  salut;  l'âme  s'unissant  au 
corps  très-probablement  à  l'instant  de  la  conception,  le  baptême  est  dû  au 
fœtus,  quel  que  soit  son  âge,  et  il  n'est  jamais  trop  tôt  pour  le  lui  administrer  : 
de  là  l'obligation  absolue  de  pratiquer  l'hystérotomie  dans  tous  les  cas  de  mort 
d'une  femme  enceinte,  la  grossesse  fùt-elle  de  la  veille.  Celte  doctrine,  on  le 


528  DÉONTOLOGIE. 

reconnaît  aisément,  est  tirée  de  certains  embryologistes  sacres,  tels  que  Can- 
giamila,  dédaigneux  de  toute  physiologie,  et  qui  ont  surpris  des  signes  de  vie 
chez  des  fœtus  gros  comme  une  abeille.  Ce  qui  en  rend  les  applications  inad- 
missibles (car  la  question  médicale  est  là),  c'est  qu'elle  subordonnne  tout,  lois 
de  l'État,  principes  scientifiques,  liberté  individuelle,  à  une  croyance  religieuse. 
La  loi  qui  assure  le  libre  exercice  du  culte  catholique  garantit  aussi  la  liberté 
des  cultes.  En  proclamant  Yohligatioii  d'ouvrir  les  entrailles  de  toute  femme  pré- 
sumée morte  en  état  de  gestation,  non-seulement  on  ne  respecte  pas  la  liberté 
religieuse,  mais  on  la  détruit  très-formellement  en  imposant  à  son  semblable 
une  règle  qui  parfois  n'est  pas  la  sienne.  De  plus,  en  prescrivant  l'opération 
dans  les  cas  mêmes  oii  la  grossesse  est  toute  récente  parce  que  le  fœtus  est  déjà 
en  possession  d'une  âme,  on  décide  sans  qualité  une  question  de  théologie. 
Que  le  fœtus  jouisse  d'une  âme  dès  sa  formation,  ce  peut  être  une  opinion 
individuelle,  ce  n'est  pas  l'opinion  unanime  de  rÉ,^lise  ;  d'ailleurs  elle  n'engage 
pas  même  un  catholique.  Ou  a  disputé  au  contraire  sur  l'époque  de  la  vie  fœtale 
à  laquelle  l'âme  se  marie  au  corps,  comme  on  s'est  ingénié  en  vaines  hypothèses 
sur  son  origine  :  est-elle  une  partie  d'une  âme  universelle?  est-elle  créée  à 
chaque  naissance  pour  chaque  individu?  ou  encore  se  reproduit-elle  par  géné- 
ration successive  depuis  Adam,  comme  le  corps  lui-même?  Ce  sont  d'étranges 
questions  pour  un  médecin.  Je  dis  en  outre  que,  en  s'attachant  à  celles  qui 
impliquent  la  contemporanéité  de  l'âme  et  du  corps  et  en  y  subordonnant  la 
pratique  médicale,  on  rend  beaucoup  plus  fréquente  la  chance  de  porter  le 
couteau  sur  une  femme  en  état  de  mort  apparente.  On  l'augmente  d'autant 
plus  que,  pour  être  conséquent  avec  son  principe,  on  invite  le  prêtre  ou,  à  son 
défaut,  toute  autre  personne  (Kerkaradec  le  dit  expressément),  à  pratiquer  l'opé- 
ration, si  le  médecin  est  absent  ou  s  y  refuse.  Il  n'y  a  plus,  on  le  voit,  de 
question  scientifique,  d'indication  et  de  contre-indication,  de  compétence  légale, 
d'aptitude  manuelle.  Cette  malheureuse  qui,  tant  qu'elle  n'est  pas  inhumée  ou 
du  moins  tant  qu'elle  n'a  pas  été  exposée  vingt-quatre  heures,  est  réputée  vivante, 
à  l'instar  du  prévenu  réputé  innocent  tant  qu'il  n'a  pas  été  condamné,  la  voilà 
exposée  au  couteau  du  premier  venu,  éventrée  au  nom  de  la  religion!  On  sait  que 
le  précepte  est  de  temps  en  temps  appliqué.  Deux  cas  de  ce  genre  ont  ému  le 
sentiment  public  en  1878.  A  Cliampoly  (Loire),  l'hystérotomie  a  été  exécutée 
une  heure  après  la  mort,  sur  l'invitation  d'un  prêtre,  par  un  aubergiste,  qui 
s'est  servi  pour  cela  d'un  couteau-poignard  :  l'enfant  était  mort.  Dans  le  même 
département,  à  Saint-Etienne,  elle  a  été  pratiquée  par  un  boucher  sur  la 
demande  des  parents  et  amis  de  la  défunte  :  l'enfant,  dont  on  avait  senti  les 
mouvements,  a  été  retiré  vivant,  mais  est  mort  peu  de  temps  après. 

Ce  n'est  pas  tout.  Cette  opération  de  vaine  pâture,  accessible  à  tout  le 
monde,  elle  n'est  pas  strictement  nécessaire  pour  le  baptême.  L'Académie  de 
médecine  de  Belgique,  appelée  à  s'occuper  de  ce  sujet  il  y  a  une  quarantaine 
d'années,  a  rappelé  que  de  leau  pouvait  être,  au  moyen  d'une  sonde,  portée  dans 
la  matrice  jusque  sur  l'œuf.  Mais,  de  plus,  l'Église  a  une  formule  pour  le 
baptême  des  enfants  encore  enfermés  dans  les  membranes  :  Si  tu  es  capax.  11 
est  vrai  que  ce  baptême  conditionnel  doit  être  renouvelé,  si  l'enfant  est  trouvé 
ensuite  vivant  dans  la  poche  amniotique;  en  cas  contraire  il  est  valable.  JN'est-ce 
pas  un  droit  exorbitant  que  celui  que  s'arroge  une  personne  étrangère  à  la 
médecine  d'aller  perfectionner,  par  l'éventration  de  la  mère,  un  ondoiement 
déjà  valable,  et  qui  restera  tel  manifestement,  si  l'opération  n'est  pas  effectuée? 


DÉONTOLOGIE.  529 

Ainsi,  la  considération  du  baptême,  en  apportant  dans  la  question  pratique 
de  riiystérotomie  post  mortem  le  principe  d'absolutisme  qui  convient  naturel- 
lement aux  prescriptions  religieuses,  lui  enlève  les  garanties  de  prudence  don. 
la  clinique  s'efforce  de  l'entourer;  elle  porte  ou  peut  porter  atteinte  à  la  liberté 
de  conscience  des  familles;  elle  multiplie  les  hystérotomies ;  elle  en  produit 
d'inutiles;  elle  amène  la  violation  indirecte  de  la  loi  sur  les  inhumations,  sans 
même  l'assistance  de  l'homme  de  l'art;  elle  écarte  enfin  l'homme  de  l'art  lui- 
même,  s'il  veut  faire  valoir  sa  compétence. 

Ce  sont  là  de  graves  abus  auxquels  il  n'était  pas  possible  de  ne  pas  s'arrêter. 
Mais,  si  la  question  m'était  livrée  tout  entière,  embrassant  avec  le  point  de  vue 
du  baptême  celui  de  la  vie  de  l'enfant,  j'aurais  à  démontrer  que  ce  serait  un 
abus  en  sens  contraire  de  ne  faire  aucune  exception  à  la  pratique  extra-médicale 
de  l'opération,  et  que,  s'il  y  aurait  quelque  danger  à  spécifier  l'exception  dans 
une  loi,  au  moins  serait-il  sage  de  tenir  grand  compte  des  motifs  de  l'infrac- 
tion aux  lois  actuelles  et  d'en  peser  attentivement  toutes  les  circonstances.  En 
thèse  générale,  on  no  peut  méconnaître  quiun  devoir  social  naisse  de  celte  ter- 
rible conjoncture  d'un  enfant  qu'on  sent  palpiter  sous  la  main  et  qui  va  périr 
dans  le  sein  de  la  mère,  si  on  ne  l'en  retire  promptement.  Or,  ce  devoir,  qui 
raccom[ilira,  si  le  médecin  manque?  Je  ne  dis  pas  pour  cela  qu'il  faille  laisser 
les  choses  en  l'état  :  mais  l'hystérotomie  ne  pourrait-elle  être  autorisée  sous  la 
condition  qu'un  représentant  de  l'autorité,  le  procureur  de  la  République,  ou  le 
maire,  ou  le  greffier,  ou  l'adjoint,  ou  le  garde  champêtre,  ou  l'officier  de  gen- 
darmerie (tous  nantis,  on  le  sait,  de  certains  pouvoirs  civils  et  judiciaires),  ou 
un  magistrat  quelconque,  un  membre  du  conseil  municipal,  un  officier  mi- 
nistériel, soit  appelé  auprès  delà  femme  présumée  défunte,  ou  plutôt  mourante? 
Dans  un  personnel  si  nombreux,  ce  serait  grand  hasard  qu'on  ne  mit  pas  en  peu 
d'instants  la  main  sur  un  ou  plusieurs  témoins.  L'important  serait  de  s'y  pren- 
dre à  temps.  L'opération  du  moins  ne  serait  plus  pratiquée  à  huis  clos  ;  on  sau- 
rait bien  dans  quel  but  on  la  pratique,  et  l'on  serait  bien  assuré  de  la  volonté 
des  familles.  Du  reste,  en  l'état  présent  des  choses,  les  tribunaux  ne  se  montrent 
pas  sévères  pour  cette  intrusion  des  bouchers  et  des  aubergistes  dans  la  méde- 
cine opératoire.  Les  deux  praticiens  cités  plus  haut  ont  été  condamnés,  l'un  à 
5  francs,  l'autre  à  15  francs  d'amende,  pour  exercice  illégal  de  la  médecine. 
Je  crois,  en  effet,  que  l'acte  n'avait  pas  d'autre  caractère  juridique. 

Après  ces  remarques,  il  reste  bien  peu  de  chose  à  dire  du  baptême  considéré 
pendant  et  après  l'accouchement.  L'obligation  reste  la  même  pour  le  médecin. 
Quand  le  travail  se  prolongera,  deviendra  difficile,  nécessitera  l'usage  d'instru- 
ments, on  lui  demandera  quelquefois  d'ondoyer  l'enfant.  Le  désir  de  la  mère  se 
manifeste  surtout  au  moment  où  l'on  se  prépare  cà  appliquer  les  fers.  Ici,  aucune 
difficulté  d'exécution.  Suivant  la  position  de  l'enfant,  on  ondoie  la  têle  direc- 
tement ou  au  moyen  d'une  seringue.  Les  membranes  alors  sont  presque  tou- 
jours rompues.  Si  elles  ne  l'étaient  pas,  on  en  opérerait  soi-même  la  rupture  pour 
pouvoir  répandre  l'eau  sur  le  crâne,  et  si  enfin  on  ne  jugeait  pas  à  propos  de  le 
faire,  on  se  trouverait  dans  le  cas  du  baptême  intra-utérin.  Toute  cette  casuis- 
tique est  nécessaire  à  qui  comprend  que,  en  pareille  matière,  il  n'est  pas 
permis  au  médecin,  même  le  plus  incrédule,  de  se  jouer  par  une  simulation 
quelconque  de  la  confiance  des  familles. 

Quant  au  baptême  post-puerpéral,  il  est  requis  principalement  dans  l'asphyxie 
des  nouveau-nés.  L'état  de  mort  apparente  des  enfants  ne  doit  jamais  être  un 
DICT.  ENC.  XXVII,  34 


530  DÉONTOLOGIE. 

motif  d'abstention  ;    on  sait  qu'on  en  a  ramené  à  la  vie  par  la  flagellation  et 

l'insufflation,  qui  étaient  veslés  plusieurs  /iewres  sans  respirer. 

Je  suppose  toujours  que  le  médecin  procédera  lui-même  à  l'ondoiement.  Il 
peut  s'en  trouver  qui  répugnent  à  un  acte  contre  lequel  protesteraient  de  sincères 
convictions.  L'accoucheur  peut  d'ailleurs  être  hérétique.  Dans  ces  cas,  son 
devoir  ne  change  pas  au  fond;  il  consiste  à  donner  les  instructions  nécessaires 
pour  que  le  baptême  puisse  être  administré  par  toute  autre  personne,  comme 
le  mari  ou  la  garde-malade. 

Telle  est  en  quelque  sorte  la  physionomie  générale  du  sujet;  telles  sont  les  dispo- 
sitions  d'esprit  du  public  en  présence  duquel  va  se  trouver  le  jeune  médecin,  et  les 
devoirs  spéciaux  qui  en  ressortiront  pour  lui.  Voyons  maintenant  quelles  sont 
les  qualités  plus  particulières  dont  il  doit  faire  preuve  à  l'égard  des  clients. 
C'est  un  sujet  bien  rebattu,  où  se  pressent  les  banalités,  et  sur  lequel  je 
demande  la  permission  d'être  bref.  J'envisagerai  d'abord  certaines  qualités 
générales,  telles  que  le  dévouement,  l'abnégation,  la  charité,  la  discrétion,  etc., 
puis  la  conduite  à  tenir  dans  certains  cas  particuliers  relatifs  à  Vâge,  au  sexe, 
à  la  nature  ou  à  la  gravité  de  la  maladie,  etc.  11  sera  parlé  à  ce  propos  de 
l'opportunité  des  consultations. 

a.  Dévouement,  activité.  Au  moment  oîi  il  reçoit  son  diplôme,  le  jeune 
docteur  revêt  la  robe  virile  d'une  profession  qui  ne  ressemble  à  aucune  autre, 
ou  mieux  encore  celle  d'un  Ordre  laïque  voué  aux  sacrifices  et  à  la  bienfaisance. 
On  peut  trouver  ces  expressions  bien  solennelles  quand  on  voit,  dans  les  grandes 
villes,  l'existence  dorée  et  mondaine  de  quelques  médecins  ;  mais  elles  paraîtront 
justes  aux  médecins  de  campagne  et  à  tous  ces  modestes  praticiens  qui  ne 
connaissent  ni  repos,  ni  satisfaction  de  fortune.  C'est  dans  cette  humilité  de 
condition  que  le  devoir  parle  avec  le  plus  de  force,  et  le  plus  souvent.  Là  point 
de  ces  clientèles  indécises,  changeantes,  où  le  donnant  donnant  résume  à 
peu  près  toutes  les  relations  du  malade  avec  le  médecin,  mais  au  contraire, 
dans  un  cercle  étroit  et  toDJours  le  même,  une  intimité  de  rapports  qui  provoque 
le  dévouement,  qui  appelle  mille  services,  qui  impose  le  désintéressement.  Je 
l'ai  déjà  dit,  si  le  médecin  exerce  une  profession  libre,  celle-ci  trouve  sa  chaîne 
en  elle-même,  dans  sa  propre  destination,  qui  est  de  faire  le  bien.  Or,  le  bien  ne 
peut  se  vendre  ni  se  mesurer  comme  une  marchandise;  le  bien  n'a  pas  de 
valeur  vénale  qui  lui  permette  de  se  réclamer  de  la  loi  de  l'oifre  et  de  la 
demande.  Il  doit  s'effectuer  à  tout  prix.  Assurément  on  ne  peut  exiger 
raisonnablement  d'un  médecin  qu'il  soit  tout  à  tous  ;  cela  peut  s'écrire  dans 
les  livres,  mais  n'est  jamais  pratiqué,  même  par  ceux  qui  l'ont  écrit.  La  situation 
qu'on  occupe  dans  le  corps  médical,  le  nombre  des  occupations  auxquelles  on 
est  assujetti,  des  considérations  de  société,  sont  à  cet  égard  des  motifs  légitimes 
de  détermination.  Je  laisse  à  d'autres  la  responsabilité  de  l'histoire  d'ihppocrate 
refusant  les  présents  d'Artaxerxès,  ou  celle  de  Dexippe  refusant  de  se  rendre 
auprès  d'ilécatone,  roi  de  Carie,  tous  deux  pour  raison  politique.  Cette  raison-là 
ne  serait  pas  acceptable  ;iujourd'hui  (on  a  vu  tout  à  l'heure  la  conduite  d'ilip- 
pocrate  à  l'égard  des  Macédoniens).  En  toutes  circonstances,  d'ailleurs,  il  y  a 
lieu  de  réserver  les  cas  d'urgence  ou  les  cas  d'absence  de  tout  autre  médecin. 
Mais  dès  qu'un  homme  de  l'art  s'est  chargé  de  traiter  un  malade,  dans  quel- 
ques conditions  que  celui-ci  se  trouve,  il  lui  doit  son  dévouement  tout  entier. 
Ayant  pris  en  main  l'intérêt  de  sa  santé,  dont  un  autre  aurait  pu  se  charger 


DÉONTOLOGIE.  ^51 

il  lui  serait  nuisible,  il  serait  son  ennemi,  s'il  laissait  cet  intérêt  en  souffrance. 
b.  Abnégation.  Ingratitude  des  clients.     Le  dévouement  prodigué  à  rbomme 
souffrant,   la  fatigue  que  vous  vous  serez  imposée    pour  lui,  le  soulagement 
que  vous  lui  aurez  procuré,  les  paroles  sympathiques  par  lesquelles  vous  aurez 
soutenu  son  courage  et  son  esprit,  tout  cela  peut  être  comme  non  avenu.  Voilà 
un  triste  avertissement  à  donner  au  débutant.    11  le  trouverait  dans  Sénèque  : 
«  Vous  vous  plaignez  d"avoir  rencontré  un  ingrat  :  si  c'est  le  premier,  vous  en 
devez  remercier  la  fortune  ou  votre  prudence»  (Ép.  81,  Bibl.  Did.).  Enivré  de 
ses  premiers  succès,  ému  et  ravi  des  premiers  témoignages  de  gratitude  qu'il 
reçoit,  le  débutant  se  plaît  à  considérer  la  famille  connue  obligée  à  tout  jamais 
envers  lui,  el  se  figure  être  ine^;pugaable   dans  une  aussi   triomphante   posi- 
tion. Peut-être  a-t-il  gardé  du  lycée  la  mémoire  de  l'ode   de  Virgile  à  son  mé- 
decin Antonius  Musa.  Eh  bien,  l'eùt-on  couvert  de  caresses,  l'eut-on  sacré  du 
nom  classique  de  sauveur,  lui  eùt-on  juré  une  fidélité  inaltérable,  peut-être 
avant  peu  de  temps  aura-t-il  un  successeur.  Que  faut-il  pour  cela?  Un  simple 
échec.  Et  quelle  nature  d'échec  menacerait  le  plus  sa  situation?  On  pourrait 
croire  que  c'est  la  terminaison  funeste  de  quelque  pyrexie,  d'une  variole,  d'une 
fièvre  typhoïde.  Non;  les  familles  savent   que   les  individus    frappés  de  ces 
maladies  meurent  assez  souvent  entre  les  mains  des  praticiens  les  plus  renom- 
més; un  grand  zèle  aura  pu  sauver  sa  responsabilité.  L'écueil  dangereux,  c'est 
la  maladie  chronique,  une  de  celles  qu'on  n'a  guère  vues  dans  les  hôpitaux,  contre 
laquelle  on  escarmouche  un  peu  au   hasard,  et  dont  la   résistance  accuse  de 
jour  en  jour  l'impuissance  du  traitement:  de  là  à  l'impéritie,  au  moins  partielle, 
du  médecin,  il  n'y  a  qu'un  pas,  et  ce  pas  est  franchi  le  jour  où  un  ami  déclare 
que  lui  ou  quelque  autre  a  été  guéri  de  la  même  maladie  par  ttl  confrère  qu'il 
désigne,  ou  par  tel  ou  tel  empirique.  Le  proverbe  contre  lequel  protestent  trois 
ou  quatre  dissertations  :  nouveau  médecin,  nouveau  cimetière,  n'effraie  qu'un 
petit  nombre  de  familles. 

A  regarder  les  choses  de  près,  l'ingratitude  proverbiale  des  malades  n'est  pas 
toujours  si  noire  qu'on  la  fait.   L'espèce   ingrate  est,  en  effet,  diverse.  11  y  a 
l'ingrat  grossier,  celui  qui  manque  de  la  délicatesse  nécessaire  pour  élever  son 
cœur  à  la  hauteur  de  celui  du  médecin  et  ne  voit  dans  les  soins  reçus  que 
l'équivalent  de  son  argent;  on  peut  le  rencontrer  dans  toutes  les  classes  de  la 
société,  mais  il  appartient  plus  particulièicment  à  celle  qui  manque  d'éducation. 
Il  y  a  l'ingrat  badaud,  souvent   inlidèle,  toujours  reconnaissant  ;   celui-là  est 
commun  dans  la  haute  classe  des  oisifs,  où  l'abondance  des  esprits  légers  et 
des  cœurs  superhciels,  l'abondance  des  préjugés  et  des  superstitions  que  nourrit 
et  propage  une  étroite  mutualité  de  relations  sociales,  subordonne  généralement 
le  choix  du    médecin  aux  conseils    d'un  collègue  de  club,  d'une  voisine   de 
campagne,  ou  seulement  au  caprice  d'une  vogue  fantaisiste.  Quelquefois  l'ingra- 
titude n'est  que  simulée  :  c'est  quand  l'expression  du  sentiment  contraire  aurait 
sur  la  bourse,  ou  sur  quelque  intérêt  d'un  autre  genre,  des  conséquences  aux- 
quelles on  veut  se  soustraire.  Enfin  il  est,  à  l'honneur  du  cœur  humain,  de 
nombieux  cas  où,  contre  des  apparences  que  le  médecin  froissé  interprète  mal. 
une  gratitude  sincère  et  solide  s'allie  à  l'infidélité;  ce  sont  ceux   que  je  rap- 
pelais tout  à  l'heure,  dans  lesquels  le  changement  de  médecin  est  motive  par 
son  insuccès  persistant.  Soyons  juste  envers   les  clients  :  si  un  médecin  vous 
avait  retiré  de  la  rivière  au  moment  où  vous  alliez  vous  noyer,  et  que,  un  peu  plus 
tard,  votre  enfant  tombant  gravement  malade,  ce  médecin  vons  parût,  même  à 


552  DEONTOLOGIE. 

tort,  incapable  de  le  bieu  soigner,  n'en  choisiriez-vous  pas  un  autre  qui  vous 
inspirerait  confiance?  Assurément,  oui;  vous  le  devriez  à  votre  enfant.  Eh  bien, 
c'est  l'image  de  ce  qui  arrive  chaque  jour  dans  les  familles  de  malades.  Un  client 
de  sentiment  noble  tâche  d'accorder  son  devoir  d'obligé  avec  son  légitime  intérêt 
en  adjoignant  un  second  médecin  au  premier;  mais  ce  procédé  n'est  pas  à  la 
portée  de  tous,  et  ne  peut  être  d'ailleurs  suivi  indéfiniment  sans  blesser 
celui-là  même  avec  qui  on  aurait  voulu  conserver  d'affectueuses  relations. 

Comment  se  comportera  le  praticien  en  pareille  circonstance?  Qu'il  envisage 
d'abord  du  même  œil  toutes  les  variétés  d'ingratitude  et  ne  se  chagrine  d'au- 
cune. Sil  a  fait  son  devoir,  s'il  n'a  pas  échoué  par  sa  faute  ou  s'il  a  fait  un 
bien  qu'on  méconnaît,  l'assentiment  de  sa  conscience  lui  suffira.  L'ingratitude 
vraie  est  bien  une  monstruosité,  mais  elle  n'enlaidit  que  celui  qui  en  est  affligé. 
Qu'il  ne  réponde  pas  par  la  haine  à  un  mauvais  procédé.  L'important  est  de 
savoir  quelle  ligne  il  doit  suivre.  11  le  saura  tout  à  l'heure  par  ce  qui  sera  dit 
sur  les  rapports  des  médecins  entre  eux;  en  deux  mots,  il  doit  accepter  l'ad- 
jonction de  tout  confrère  honorable;  se  retirer  devant  celle  d'un  confrère  in- 
dit^ne  d'estime,  et  sa  retraite  ne  doit  être  que  provisoire  si  la  confiance  de  la 
famille,  un  moment  déviée  plutôt  que  disparue,  l'appelle  de  nouveau.  Je  trouve 
excessive  la  susceptibilité  de  celui  qui  rompt  à  tout  jamais  avec  une  famille 
parce  qu'elle  a  cru  devoir  préférer  les  soins  d'un  autre  aux  siens;  il  va  là- 
dessous  un  levain  d'orgueil  ou  de  jalousie.  Un  cas  seulement  peut  justifier  la 
rupture  :  c'est  le  cas  où  le  changement  a  été  dissimulé.  Ce  manque  d'égards . 
place  le  médecin  dans  une  situation  fausse,  où  sa  bonne  foi  trompée  l'expose 
à  jouer  un  rôle  ridicule;  il  porte  atteinte  à  sa  dignité.  Or  la  dignité  de  la 
profession  est  faite  de  celle  de  tous  ses  membres,  et  elle  périrait  si  chacun  fai- 
sait bon  marché  de  la  sienne.  Je  n'oserais  donner  à  cette  règle  de  conduite  un 
caractère  absolu  ;  trop  de  circonstances  étrangères  à  la  médecine  et  en  premier 
lieu  une  ancienne  amitié  la  rendraient  parfois  bien  pénible;  mais  il  importe  au 
moins  que  le  retour,  précédé  d'explications  catégoriques,  paraisse  une  faveur  et 
non  une  rentrée  en  grâce.  On  s'assurera  de  plus  que  les  conditions  de  ce  retour 
ne  sont  pas  de  nature  à  vous  compromettre.  Évincé  au  profit  d'un  confrère  qui 
n'est  pas  plus  heureux  que  vous,  ou  qui  l'est  moins,  vous  êtes  quelquefois  prié 
de  vous  joindre  à  lui  au  cours  d'une  maladie  menacée  dune  terminaison 
funeste.  Prenez  garde  qu'il  y  a  des  confrères  désireux  de  partager  une  responsabi- 
lité pesante  et  qui,  après  vous  avoir  supplanté,  vous  rappellent  eux-mêmes  en  ce 
moment  critique  au  secours  delà  famille.  11  y  a  en  clientèle  des  milieux,  comme 
celui  que  j'ai  assigné  à  ma  seconde  variété  d'ingrats,  où  il  n'est  pas  bon  de 
courir  sans  motif  la  chance  de  bruits  inconsidérés  et  de  fausses  interprétations. 

c.  Douceur,  sensibilité,  charité,  bienfaisance.  Être  doux  et  bon  envers 
les  malades,  devrait-il  être  besoin  de  le  conseiller?  Et  pourtant  la  dureté  de 
cœur  et  la  brusquerie  des  manières  ne  sont  que  trop  communes  parmi  les 
médecins.  Bien  plus,  il  en  est  qui  prennent  à  tâche  de  les  affecter  :  un  travers 
d'esprit  prend  la  place  d'un  défaut  de  caractère.  On  croit  avoir  relevé  son 
importance  quand  on  a  fait  peur  à  de  pauvres  gens  déjà  disposés  à  l'anxiété 
devant  celui  qui  tient  ou  est  censé  tenir  leur  sort  entre  ses  mains.  Les  chirur- 
giens doniiaiont,  ce  me  semble,  dans  ce  travers  autrefois  plus  qu'aujourd'hui, 
en  imitation  de  certains  confières  célèbres  qui  s'étaient  fait  la  réiiutation  de 
Jupiters  tonnants.  La  plupart,  il  est  vrai,  n'étaient  en  réalité  que  des  doublures 
de  Chrysale,  que  sa  servante  met  en  colère  à  force  de  lui  soutenir  qu'il  n'est 


DÉONTOLOGIE.  555 

pas  méchant.  Il  y  a  temps  pour  la  fermeté  et  le  commandement,  on  le  verra 
bientôt;  mais,  hors  ce  cas,  celui  qui  souffre  a  le  droit  de  compter  sur  votre 
pitié.  On  n'est  déjà  que  trop  porté  à  accuser  l'insensibilité  des  hommes  de 
l'art.  Cruveilhier  le  dit  très-bien  :  «  L'exercîce  de  la  médecine  émousse  celte 
sensibilité  des  nerfs  qui  trouble  les  sens,  mais  il  laisse  intact  et  pure  cette 
sensibilité  virile  qui  compatit  à  la  douleur,  qui  l'abrège,  qui  la  console,  qui 
relève  le  courage  abattu....  Cette  sensibilité  de  l'àme,  c'est  l'humanité,  c'est 
la  bienfaisance.  L'humanité  et  la  bienfaisance  sont  par  excellence  les  vertus  du 
médecin,  et  le  bonheur  qui  s'attache  à  l'exercice  de  ces  vertus  est  sa  plus  douce 
récompense.  »  J'ajoute  qu'il  y  gagne  encore  un  heureux  apprentissage  de 
morale.  La  sensibilité  active  et  secourable,  qui  vous  fait  prendre  part  aux 
souffrances  d'autrui,  qui  vous  initie  à  leurs  causes  les  plus  secrètes,  qui  vous 
donne  le  spectacle,  ici  du  plus  noble  courage,  là  des  terreurs  les  plus  pussillanimes; 
qui  vous  montre  chez  le  pauvre,  chez  le  paysan,  la  misère  assise  à  côté  de  la 
maladie,  et  tant  d'autres  tristesses  du  drame  social;  qui  aussi,  par  compensation, 
vous  procure  la  joie  de  sentir  couler  sur  vos  mains,  ne  fût-ce  qu'un  jour,  les 
larmes  de  la  reconnaissance,  tout  cela  élève  l'esprit,  agrandit  le  cœur  et  dispose 
aux  bonnes  actions.  C'est  une  remarque  à  faire  que  la  classe  inférieure  manque 
souvent  de  déférence  pour  le  médecin;  si  l'on  pénètre  au  fond  de  ce  sentiment, 
on  reconnaîtra  qu'il  a  sa  source  dans  la  défiance.  Le  pauvre  commence  par 
douter  de  l'intérêt  qu'on  va  lui  porter;  si  vous  lui  parlez  d'un  peu  haut,  il 
entre  tout  de  suite  tn  révolte,  devient  exigeant.  Parlez-lui  doucement,  amicale- 
ment ;  n'ayez  l'air  de  regarder  ni  son  taudis,  ni  ses  habits  de  travail,  il  s'en 
montrera  profondément  touché.  Ces  deux  états  extrêmes  sont  surtout  mar- 
qués chez  les  femmes  d'ouvriers,  et,  quand  c'est  le  bon  sentiment  qui  parle, 
elles  ont  mille  manières  délicates  de  l'exprimer.  Je  me  souviens  d'avoir  donné 
des  soins,  pendant  le  siège  de  Paris,  à  une  pauvre  famille  de  réfugiés  de  la 
banlieue.  Deux  cas  de  variole  grave  s'y  étaient  heureusement  terminés.  Un  jour 
toute  la  nichée,  homme,  femme,  enfants,  fait  irruption  dans  mon  cabinet;  une 
petite  fille  poussée  par  sa  mère  se  détache  du  groupe  et  vient  m'offrir  un  sac 
noué  avec  des  faveurs  roses.  Intrigué,  j'ouvre  ce  sac  et  qu'y  trouvé-je?  une 
douzaine  bien  comptée  de  pommes  de  terre  !  Songez  qu'on  manquait  de  pain. 
La  bienfaisance  est  à  la  portée  de  tout  le  monde,  mais  le  médecin  a  plus  que 
personne  l'occasion  et  le  moyen  de  la  pratiquer.  11  sait  où  trouver  la  pauvreté; 
il  a  un  rôle  actif  dans  toutes  les  institutions  charitables.  Quand  sa  bourse  est 
incapable  de  largesses,  il  a  toujours  la  ressource  de  son  art.  De  même  que  les 
visites  de  nuit  ne  peuvent  être  imposées  à  tous  les  médecins,  on  ne  peut  exiger 
de  tous  de  soigner  indifféremment  riches  et  pauvres.  Mais  je  voudrais  que,  dans 
les  plus  hautes  positions,  on  ne  repoussât  jamais  un  pauvre  venant  demander 
un  conseil.  Que  ce  supplément  d'occupation  ne  soit  pas  au  détriment  de  la  clien- 
tèle ordinaire;  qu'il  n'ait  pas  lieu,  par  exemple,  à  l'heure  habituelle  des  consul- 
tations, on  le  comprend;  mais  on  peut  toujours  entre  le  matin  et  le  soir  trouver 
quelques  instants  pour  une  bonne  action;  on  saurait  les  trouver  pour  une  mau- 
vaise, ou  pour  un  plaisir.  Le  plus  occupé  des  médecins  de  son  temps,  je  viens 
de  le  nommer,  donnait  des  consultations  gratuites  le  dimanche  et  recevait  des 
pauvres  presque  tous  les  matins  avant  sa  première  sortie.  Ghomel,  qui  n'avait 
pas  à  cet  égard  d'habitude  aussi  régulière,  ne  refusait  jamais  d'aller  visiter  un 
pauvre  à  son  domicile,  pour  peu  qu'il  lui  fut  désigné  par  une  famille  ou  par 
un  confrère.  Dans  une  circonstance  particulière,  appelé  par  le  médecin  ordi- 


554  DÉONTOLOGIE. 

naire  auprès  de  pauvres  gens,  il  se  rendit  une  dizaine  de  fois  avec  une  ponc- 
tualité exemplaire  aux  consiillalions,  restant  longtemps  près  du  malade,  attentif 
à  ses  maux  comme  il  devait  Tèlre  à  ceux  de  son  royal  client;  et,  quand  le 
moment  tut  venu  de  lui  offrir  des  honoraires,  que  la  famille  tenait  tout  prêts, 
il  ne  voulut  pas  les  recevoir.  Sur  ce  chapitre,  on  peut  lire  dans  ce  Dictionnaire 
une  petite  histoire  sur  Récamier. 

d.  Patience.  Si  l'on  voulait  écrire  un  traité  de  la  patience  à  l'usage  du 
praticien,  on  la  considérerait  successivement  par  rapport  à  la  maladie,  par 
rapport  au  malade  et  par  rapport  au  public.  On  aurait  aisément  de  la  sorte  la 
matière  de  trois  gros  clia pitres  pouvant  former  ensemble  un  volume  respectable. 
Mais  le  vague  et  l'extensibilité  indéfinie  du  sujet  sont  justement  une  raison  de 
le  réduire  ici  à  un  petit  nombre  de  considérations  générales  d'où  l'on  puisse 
tirer  une  ligne  de  conduite. 

La  [lationce  du  médecin  à  l'égard  de  la  maladie  est  un  fruit  de  l'expérience. 
Elle  manque  donc  d'ordinaire  au  jeune  médecin  qui,  ne  connaissant  pas  ce 
qu'on  pourrait  appeler  les  mœurs  des  maladies,  leur  évolution  spontanée,  les 
variations  dont  elles  sont  susceptibles  dans  leur  marche  et  leur  terminaison, 
l'inlluence  qu'elles  reçoivent  de  l'âge,  du  sexe,  de  l'hérédité,  de  leur  coexistence 
chez  le  même  malade,  ne  comptent  jamais  avec  le  temps  et  s'épuisent  en  médi- 
cations inutiles  ou  fâcheusement  perturbatrices.  Cet  excès  en  amène  un  autre. 
Plus  le  traitement  a  été  actif,  agité,  et  plus  vite  ils  se  dépitent  en  cas  d'msuccès, 
plus  d'ailleurs  leurs  ressources  ont  diminué  et  plus  leur  impuissance  finale 
éclate  aux  yeux  des  familles.  C'est  la  situation  d'un  commandant  d'armée 
dont  la  fougue  inopportune  gâte  tout,  dont  la  patience  expérimentée  sait  pré- 
venir et  attendre,  pour  porter  au  moment  voulu  le  coup  décisif.  Une  longue 
pratique  et  une  observation  attentive,  voilà  donc  ce  qui  pourra  seul  former  la 
patience  du  clinicien. 

Quant  à  celle  de  l'homme  en  présence  des  malades  et  de  leur  entourage,  elle 
est  si  souvent  mise  à  l'épreuve  qu'on  finit  par  y  être  insensible  :  les  vieux 
médecins  sont  patients,  mais  d'une  patience  particulière  où  l'indifférence  a  une 
grande  part.  Ils  ne  tolèrent  les  tracasseries  que  parce  qu'ils  n'y  prêtent  pas 
attention  :  ce  n'est  plus  une  vertu.  La  patience  méritoire  est  celle  qui  a,  comme 
d'aulres  qualités  du  médecin,  une  racine  morale.  Un  patient  rend  un  compte 
obscur  de  son  état;  il  répond  mal  à  vos  questions;  il  se  perd  en  explications 
verbeuses:  dirigez-le  dans  son  récit,  redressez-le  dans  ses  écarts,  arrètez-le  dans 
ses  divagations,  mais  doucement,  avec  bonne  humeur.  C'est  d'ailleurs  le  moyen 
d'obtenir  de  lui  des  éclaircissements.  La  brusquerie  le  décontenance,  lui  brouille 
les  idées,  et  c'en  est  fait  :  n'attendez  plus  de  lui  aucun  éclaircissement.  Aussi 
est-il  quelquefois  bon  de  ne  pas  insister,  de  paraître  comprendre  et  de  remettre 
l'interrogatoire  à  un  autre  moment,  sous  prétexte  de  réfléchir.  D'autres  fois,  c'est 
le  malade  lui-même  qui  questionne,  objecte,  ergote,  contredit.  Il  n'est  pas 
défendu  alors  de  repousser  l'assaut  avec  une  pointe  de  moquerie.  Ce  moyen 
est  prcfér.ible  à  une  admonestation  superbe  dont  le  malade,  qui  se  croyait 
dans  son  droit,  est  tout  ébahi.  Il  y  a  sans  doute  des  limites  à  la  longani- 
mité :  c'est  au  tact  à  les  reconnaître;  je  veux  seulement  prémunir  le  jeune 
médecin  contre  cette  tendance  trop  générale  à  se  formaliser,  comme  d'une  in- 
jure, de  quelques  innocentes  et  inoffensives  observations  qu'aura  faites  un  pauvre 
homme  dans  une  affaire  où  il  s'agit  de  pelle  suâ. 

On  a  le  droit  de  prendre  davantage  ses  aises  avec  l'entourage  qui,  lui,  se 


DÉO>«TOLOGIE.  h^o 

mêle  de  ce  qui  ne  le  regarde  pas.  L'indignation  est  là  encore  inutile;  mais 
un  moyen  sur  de  faire  bientôt  cesser  les  ingérences  déplacées,  les  obsessions, 
les  bistoires  de  guérison  miraculeuse,  les  propositions  de  remèdes,  c'est  le 
silence  ou  quelques  mots  éloquents  comme  ceux-ci  :  nous  verrons;  très-bien; 
merci.  Ce  qui  fait  réussir  ce  moyen,  c'est  que,  répélé  deux  ou  trois  fois,  il 
devient  pour  les  inconséquents  la  cause  d'une  petite  mortification.  ISélaton, 
qui  avait  la  finesse  normande,  quoiqu'il  fût  né  à  Paris,  excellait  à  ce  jeu.  11 
sortit  un  jour  d'une  maison  sans  avoir  donné  à  une  maladie  le  nom  qu'on  lui 
avait  demandé  à  cinq  ou  six  reprises.  Soa  peut-être  et  son  oui,  oîu' perpétuels, 
avaient  fini  par  lasser  tous  les  curieux. 

e.  Autorité,  fermeté,  intimidation.  La  patience  n'exclut  pas  la  fermeté, 
tout  au  contraire  elle  y  est  une  très-bonne  préparation.  Celui  dont  on  a  longtemps 
toléré  les  écarts  sent  mieux  combien  ils  déplaisent  le  jour  où  l'on  se  décide 
à  y  mettre  fin.  Ce  jour-là  est  celui  où  la  fermeté  est  utile  au  malade,  car  c'est 
toujours  à  cela  qu'il  faut  revenir.  Elle  a  alors  ime  indication,  comme  un 
remède;  elle  entre  dans  la  tbérapeutique.  Consbrucb,  J.  Franck,  en  parlent 
très-bien,  en  ce  sens  qu'ils  n'en  font  pas  une  vertu  revècbe  et  intraitable.  Ils 
veulent  que  la  confiance  du  malade  se  gagne  «  tantôt  par  une  large  condes- 
cendance, tantôt  par  une  inflexible  fermeté  »,  et  que,  en  exigeant  la  soumission 
aux  prescriptions,  on  interdise  seulement  ce  qui  est  nuisible.  «  11  est  des  mé- 
decins, ajoute  Frank,  qui  se  plaisent  à  contrarier  le  malade  sur  ses  goûts:  alors 
le  malade  les  satisfait  en  cachette.  »  Il  est  prudent  néanmoins  de  s'arrêter  dans 
les  concessions  en  deçà  de  la  juste  mesure,  parce  que  le  malade  dépassera 
très-probablement  celle  qui  lui  aura  été  assignée.  Un  ancien  a  dit  très-justement  : 
«  Celui  à  qui  l'on  permet  plus  qu'il  n'est  raisonnable  veut  plus  qu'on  ne 
lui  permet  »  (Publius  Syrus  in  Macrobe,  254,  coll.  ISisard).  11  est  des  malades 
rebelles  envers  lesquels  la  fermeté  doit  aller  jusqu'à  l'intimidation.  Si  vous  êtes 
assuré  de  leur  confiance,  dites  que  des  visites  sans  résultat  sont  superflues, 
que  vous  ne  pouvez  prendre  la  responsabilité  de  l'issue  d'une  affection  que 
vous  ne  dirigez  pas,  et,  en  termes  froids,  mesurés,  mais  résolus,  annoncez  votre 
retraite.  Vous  laissàt-on  partir,  vous  auriez  au  moins  sauvé  l'honneur  de  l'art. 
D'autres  procédés  d'intimidation  sont  suggérés  par  les  circonstances.  C'est  au 
nom  d'une  beauté  périclitante  qu'on  ramène  certaines  insoumises.  D'autres 
femmes  plus  sérieuses  écoutent  le  reproche  de  manquer  à  l'amour  maternel  ou 
à  l'amour  conjugal.  On  menacera  les  hommes  d'infirmités  préjudiciables  à 
leurs  travaux,  à  leurs  amusements  favoris.  Enfin,  il  est  des  cas  où  le  médecin 
est  autorisé  à  rompre  avec  une  de  ses  obligations  habituelles  :  au  lieu  d'écarter 
du  malade  l'image  d'une  fin  funeste,  il  la  lui  présentera  comme  une  consé- 
quence très-probable  de  son  indocilité.  M.  Max  Simon  lui-même,  si  tendre  et  si 
onctueux,  n'hésite  pas  à  donner  ce  conseil.  «  Le  raisonnement,  écrit-il,  jr.d'.iuceur, 
les  témoignages  fréquemment  renouvelés  d'une  sympathie  réelle,  soni  les  moyens 
par  lesquels  le  médecin  doit  tout  d'abord  s'efforcer  de  triompher  des  obstacles 
qu'il  rencontre  à  l'accomplissement  de  sa  mission;  mais,  lorsqu'il  s'est  cou- 
vaincu  par  une  expérience  suffisante que  ces  moyens  sont  impuissants,  c'est 

alors  qu'il  lui  est  permis,  que  dis-je  !  qu'il  est  de  son  devoir  de  faire  comprendre 
aux  malades  indociles  les  dangers  de  leur  position,  en  déchirant  d'une  main 
hardie  le  voile  qui  leur  cache  la  vérité  »  (p.  561).  Patin  raconte  comment  il  a 
décidé  une  femme  à  prendre  de  la  nouniture  en  lui  annonçant  crûment  sa 
mort  prochaine.    Cette  ultima  ratio    de  l'homme  de  l'art  est  pénible  à  em- 


536  DEONTOLOGIE. 

l)loyer  ;  elle  est]  d'ailleurs  sujette  à  des  effets  inattendus,  tels  qu'un  ébranle- 
ment violent  du  syslème[[nerveux,  des  idées  de  suicide,  surtout  quand  il  s'agit 
d'une  maladie  chronique,  etc.  Aussi  exige-t-elle  autant  de  perspicacité  que 
de  prudence.  Elle  a  besoin  d'ailleurs,  pour  réussir,  de  beaucoup  d'autorité 
personnelle  ;  de  la  part  d'un  jeune  médecin,  elle  passerait  aisément,  auprès  de 
la  famille,  pour  une  légèreté. 

Ce  n'est  pas  toujours  l'indocilité  (jui  motive  l'emploi  des  procédés  d'intimi- 
dation. Ils  sont  indiqués  également  dans  les  maladies  simulées,  et  dans  certaines 
affections  nerveuses,  où  l'instinct  d'imitation  joue  un  plus  grand  rôle  que  la 
simulation. 

Les  faux  malades  des  hôpitaux  sont  bien  connus;  c'est  pour  eux  qu'on  a 
inventé^les  ventouses  morales,  qu'on  remplace  tantôt  par  le  fer  rouge,  tantôt 
par  les  applications  électriques.  Celles-ci  ont  l'avantage  de  pouvoir  être 
employées  réellement  avec  possibilité  de  régler  l'intensité  de  la  douleur,  tandis 
que  le  cautère  actuel  ne  peut  guère  être  présenté  qu'en  perspective  et  que,  pour 
beaucoup  d'hommes  du  peuple,  les  douceurs  de  l'iiôpital  balancent  bien  le 
supplice  de  la  ventouse  sèche. 

On  rencontre  assez'^souvent  dans  le  inonde  des  jeunes  personnes  simulant  le 
délire,  les  unes  pour  écarter  la  responsabilité  d'une  faute,  d'autres  pour  se 
rendre  intéressantes  auprès  de  l'homme  aimé  ou  pour  jeter  le  remords  dans  l'àme 
d'un  époux  contrariant.  Celle-ci  se  gratifie  d'une  maladie  de  langueur,  ne 
mange  plus,  maigrit,  pâlit,  rêve  et  se  délecte  de  la  désolation  de  ceux  qui 
l'entourent;  avec  un  peu  plus  d'imagination,  elle  ajoute  à  ce  navrant  tableau 
des  contractures,  des  anesthésies  ou  des  visions.  Celle-là,  moins  ambitieuse, 
se  borne  à  tousser,  à  accuser  un  point  de  côté  ou  des  maux  de  lête,  des  maux 
d'estomac,  pour  se  faire  ordonner  un  voyage,  ou  pour  rester  à  la  maison,  suivant 
l'humeur  ou  l'intérêt.  On  comprend  que  toutes  ces  fantaisies  ne  sont  pas  sans 
de  graves  inconvénients  pour  les  familles.  Le  médecin  doit  à  celles-ci  son 
appui,  mais  dans  un  certaine  mesure;  il  n'ira  pas  porter  le  trouble  dans  un 
ménage  en  dénonçant  au  mari  les  petits  calculs  et  les  inventions  pathologiques 
tramés  contre  lui;  il  parlera  raison  à  la  femme,  lui  expliquera  comment  lui, 
médecin,  est  lié  par  des  devoirs  de  conscience,  profitera  des  moindres  incidents 
de  sa  santé  pour  lui  présenter  comme  périlleux  les  bains  de  mer  ou  le  trai- 
tement thermal  auxquels  elle  aspire.  Dans  les  cas  plus  graves  et  qui  jettent 
l'inquiétude  dans  le  cœur  des  parents,  comme  est  le  cas  de  folie  simulée,  le 
médecin  ne  doit  pas  encore  se  hâter  de  dévoiler  la  supercherie;  mieux  vaut 
que  la  famille  la  reconnaisse  spontanément,  sauf  à  avouer  qu'on  n'en  était 
pas  dupe  soi-même.  A  moins  qu'd  ne  s'agisse  d'un  tout  jeune  enfant,  le  mé- 
decin ne  cesse  pas  d'être  le  confident,  bien  que  trompé,  des  soi-disanls  malades, 
etc'est  justement  parce  que  celle-ci  ne  délire  pas  en  réalité,  parce  qu'elle  n'est 
pas  folle,  qu'il  lui  doit  de  la  discrétion.  Donc,  à  ce  titre  de  confident,  c'est 
à  elle  qu'il  doit  d'abord  s'adresser.  Une  fois  sûr  de  son  fait,  il  la  prendra  en 
particulier  et,  d'un  ton  qui  ne  décèle  aucune  incertitude,  il  lui  déclarera  sa 
conviction,  lui  fera  comprendre  que  le  médecin  a  des  moyens,  à  elle  inconnues, 
de  savoir  la  vérité,  et  pourra  même  lui  promettre  son  aide  et  ses  conseils  pour 
la  transition  parfois  embarrassante  du  mal  simulé.  Que  si  elle  ne  se  rend  pas, 
il  lui  annoncera  l'adjonction  d'autres  médecins,  il  la  menacera  de  la  délais- 
ser, d'avertir  les  siens,  etc.  Que  si  enfin  tout  échoue,  il  a  la  ressource  de  ces 
moyens  terrifiants    dont  il  était    question  tout  à  l'heure     mais ,   pour  qu'il 


DÉONTOLOGIE.  è37 

puisse  s'en  servir  utilement,  il  imporle,  on  le  comprend,  qu'il  paraisse  lui- 
même  vaincu  dans  ses  soupçons  par  la  persistance  des  symptômes  et  entière- 
ment converti  à  l'existence  d'une  maladie  réelle.  Quant  aux  moyens  propres  à 
déceler  la  simulation  des  maladies  et  en  particulier  du  délire,  on  les  trouvera 
indiqué  aux  mots  Maladies  sdiulkes  et  Aliénation   meîstale  (Médecine  légale). 

Les  procédés  moraux  d'intimidation  ne  sont  plus  que  d'un  faible  secours  ; 
les  procédés  physiques  seuls  ont  une  sérieuse  efficacité  dans  les  maladies 
nerveuses  qu'une  imitation  contagieuse  propage  quelquefois  avec  tant  de  rapidité. 
Tout  le  monde  connaît  ce  trait  de  la  vie  de  Boerhaave,  mettant  fin,  dans  l'Iiôpital 
de  Harlem,  à  une  épidémie  de  convulsions  par  la  seule  menace  d'appliquer  un 
fer  rouge  sur  le  bras  de  chaque  malade.  Si  la  menace  ne  suffisait  pas  dans  des 
cas  semblables,  on  n'irait  pas  jusqu'à  l'exécution;  mais  un  moyen  qui  ne 
serait  pas  h  dédaigner  serait  celui  dont  parle  Sydenham,  dans  sa  Nosologie,  et 
qui  paraît  avoir  assez  bien  réussi  :  il  s'agit  du  fouet  religieusement  administré 
après  chaque  accès.  J'ai  déjà  dit  le  parti  qu'on  pourrait  tirer  d'une  bonne  bou- 
teille de  Leyde. 

f.  Discrétion.  Le  médecin  qui  se  bornerait  à  obéir  aux  prescriptions  de 
l'article  578  du  Code  pénal  ne  remplirait  que  bien  imparfaitement  son  devoir. 
Comme  le  dit  justement  M.  Tourdes  en  traitant  du  secret  médical  {vog.  ce  mot), 
l'obligation  morale  est  ici  beaucoup  plus  claire  que  l'obligation  légale,  sujette 
à  exceptions  et  à  restrictions.  Le  Code  pénal  ne  vise  que  les  personnes  déposi- 
taires de  secret  par  état  ou  par  profession;  le  Gode  moral  réprouve  toute 
espèce  d'indiscrétion.  L'accès  du  foyer  domestique  à  toute  heure  de  jour  et 
de  nuit,  l'initiation  à  toutes  les  intimités  de  la  vie  de  famille,  le  droit  impli- 
cite de  rechercher  lui-même  dans  celte  vie  honorable  ou  non  ce  qui  peut  être 
utile  à  son  diagnostic  et  à  son  traitement,  lui  constituent  une  position  de  con- 
fiance dont  aucun  texte  ne  saurait  limiter  les  termes.  C'est  ce  qu'exprime  avec 
une  concision  parfaite  le  serment  des  Asclépiades,  où  le  secret  est  juré  pour 
ce  qu'on  a  vu  ou  entendu  dans  l'exercice  ou  en  dehors  de  l'exercice  et  dans  le 
commerce  de  la  vie.  Le  serment  fait  pourtant  une  réserve,  et  une  réserve  néces- 
saire. II  est  évident  qu'on  peut  voir  ou  entendre  dans  l'intérieur  des  familles 
bien  des  choses  indifférentes,  et  que,  les  visites  purement  médicales  s'y  mêlant 
d'ordinaire  aux  visites  de  société  et  la  même  visite  pouvant  avoir  ce  double  carac- 
tère, le  secret  obligatoire  ne  saurait  s'étendre  à  tout  ce  qui  s'y  passe.  Le  serment 
spécifie  donc  qu'il  s'appliquera  à  ce  qu'il  ne  faut  pas  répandre  ;  et  il  arrive 
ainsi,  parce  que  c'est  dans  la  nature  des  choses,  à  livrer  l'interprétation  du 
serment  au  jugement  et  à  la  délicatesse  du  médecin.  C'est  à  celui-ci  de  peser 
l'importance  de  ce  qu'auront  recueilli  ses  yeux  et  ses  oreilles,  et  de  bien  veiller 
sur  lui-même  dans  toutes  ses  conversations.  De  toutes  les  personnes  qui  peuvent 
se  trouver  réunies  dans  un  salon,  le  médecin  est  celui  qui  rencontre  le  plus 
d'occasions  de  retenue  et  de  silence.  Je  n'en  excepte  pas  même  les  prêtres,  qui 
n'ont  avec  leurs  ouailles  de  relations  intimes  qu'à  l'église  et  ne  savent  rien 
d'elles  que  ce  qu'on  leur  confie  volontairement. 

Ces  préceptes  généraux  suffiront  à  ceux  qui  voudront  les  appliquer  avec 
bonne  foi.  Ils  s'adressent  plus  particulièrement  à  ces  babillards  que  dépeint 
La  Bruyère,  aux  esprits  affligés  de  cette  «  intempérance  de  langue  qui  ne  permet 
pas  à  un  homme  de  se  taire.  »  Caton  avait  déjà,  suivant  Aulu-Gelle  (p.  447, 
coll.  >'isard),  donné  cette  définition  du  grand  parleur.  S'il  est  un  sentiment  qui 
soit  de  nature  à  faire  mentir  ces  moralistes,  à  rendre  capable  de  se  taire  à 


558  DEOMOLOGIE. 

point  le  parleur  le  plus  effréné,  c'est  assurément  le  sentiment  de  ce  devoir  de 
discrétion  qui  parle  si  fort  chez  l'honnête  médecin.  Aussi  n'est-il  pas  rare  de 
rencontrer  des  praticiens  qui,  bien  que  poussant  le  babil  de  salon  jusqu'aux 
apparences  de  la  légèreté,  n'en  sont  pas  moins  de  très-fidèles  gardiens  des 
moindres  secrets  professionnels. 

Du  reste,  si  l'indiscrétion  a  souvent  sa  source  dans  la  loquacité  et  dans  l'in- 
consistance du  caractère,  elle  peut  provenir  aussi  d'une  fausse  appréciation  du 
devoir.  Ce  sujet  a  été  examiné  avec  toute  compétence  à  l'article  Secret  médical, 
sous  les  rubriques  Pratique  médicale  (p.  451)  et  Positions  spéciales  du  médecin 
(p.  454).  On  verra  à  cet  article  quelles  sont  les  positions  susceptibles  de  resserrer 
ou  de  relâcher  les  liens  de  la  discrétion  obligatoire,  et  combien  il  est  difiicile  de 
tracer  en  celte  matière  des  règles  absolues.  La  plus  délicate  de  toutes  est  celle 
qui  place  le  médecin  entre  le  père  et  l'enfant,  et  surtout  entre  le  mari  et  la 
femme.  Assurément  la  loi  du  secret  subsiste,  et  ce  n'est  pas  là  ce  qui  peut 
embarrasser  le  médecin;  mais  où  il  est  exposé  à  se  tromper,  c'est  sur  le  caractère 
des  faits  qui  seraient  l'objet  de  la  révélation.  Des  inconvénients  imprévus  et 
sérieux  peuvent  résulter  de  la  révélation  faite,  à  bonne  intention,  à  un  mari, 
de  particularités  concernant  sa  femme,  mais  ne  touchant  celle-ci  ni  dans  sa 
personne  intellectuelle,  ni  dans  sa  personne  morale.  J'eus  à  me  repentir  dans  les 
commencements  de  ma  carrière  d'une  faute  de  ce  genre,  dans  un  cas  que  je 
cite  parce  qu'il  marque  bien  la  difliculté.  Je  venais  d'ausculter  et  de  percuter 
une  dame  encore  jeune,  et  j'avais  constaté  d'un  côté  de  la  poitrine,  en  arrière, 
un  défaut  de  résonnance  et  uue  faiblesse  du  bruit  respiratoire  dont  je  ne  me 
rendais  pas  bien  compte.  Soupçonnant  une  courbure  de  l'épine,  mais  n'o.-ant 
trahir  cette  pensée  malséante  par  un  doigt  porté  le  long  des  apophyses  épineuses, 
j'eus  l'ingénieuse  pensée  d'interroger  dans  une  pièce  voisine  le  mari,  qui  ne 
manqua  pas  de  le  dire  le  jour  même  à  sa  femme,  laquelle  me  reçut  le  lendemain 
d'autant  plus  mal  que  j'avais  deviné  juste.  A  partir  de  ce  moment,  j'ai  appliqué 
avec  la  dernière  rigueur  les  prescriptions  hippocratiques  aux  imperfections 
physiques  des  femmes. 

A  plus  forte  raison  est-ce  souvent  une  chose  très-délicate  —  et  ici  sans  accep- 
tion de  sexe  —  que  d'avertir  un  des  conjoints  de  préoccupations  d'esprit  qu'on 
a  cru  remarquer  chez  l'autre.  Faire  entrevoir  quelque  cause  cachée  d  agit;ition  ou 
de  chagrin,  c'est  donner  ouverture  à  une  enquête  dont  le  résultat  peut  être  un 
drame  de  famille.  C'est  à  voire  malade  même  et  à  lui  seul  que  vous  devez  vous 
adresser.  L'histoire  de  Stratonice  est  un  beau  sujet  de  peinture,  maison  ne  trou- 
verait pas  plus,  espérons-le,  d'Érasistrate  pour  dénoncer  à  un  mari  l'amour  de 
son  beau-fils  pour  sa  femme,  que  de  mari  pour  livrer,  sur  une  si  bonne  raison, 
sa  femme  à  son  beau-tils.  Passe  pour  la  bucolique  du  jouvenceau  et  de  la  jou- 
vencelle amenés  aux  pieds  des  autels  par  la  perspicacité  d'un  médecin  à  tabatière. 

g.  Prudence.  Il  a  été  question  de  la  prudence  en  thérapeutique,  à  propos 
des  qualités  intellectuelles  du  médecin.  Celle  dont  il  s'agit  ici  concerne  la  con- 
duite à  l'égard  du  malade.  Tous  les  auteurs  en  parlent  ;  quelques-uns  tr.iitent 
même  spécialement  du  mensongs  du  médecin,  et  c'est  le  sujet  principal  d'une 
brochure  du  docteur  Lelient,  de  Nice.  Notre  confrère,  ne  se  préoccupant  pas 
de  ces  conditions  d'opportunité  dont  il  s'agissait  tout  à  l'heure,  n'entend  pas  que 
le  patient  soit  jamais  trompé  sur  la  nature  ni  sur  la  gravité  de  sa  maladie, 
même  «  dans  le  but  de  faire  du  bien  à  sa  santé  ».  Si  cette  maladie  est  in- 
curable, déclarez-le  lui  sans  amb.ige:  il   se   résignera  et  finira  par  ne  pUis  s'ef- 


DÊO^^TOLOGTE.  539 

frayer  même  de  la  mort.  Et  M.  Lelient  finit  par  domier  de  son  précepte  une 
raison  qui  aurait  pu  le  dispenser  de  toutes  les  autres  :  c'est  que  mentir  est 
toujours  laid. 

Cet  honorable  confrère  était  alors,  comme  il  le  dit,  hors  pratique;  peut-être 
a-t-il  écrit  sous  l'inspiration  de  quelques  incidents  de  clientèle.  Pour  moi,  je  ne 
regarde  pas  comme  praticable  une  conduite  aussi  rigoureuse:  ce  serait  ne  vou- 
loir pas  compter  avec  cet  amour   instinctif  de  la  vie,  cette  horreur  du  néant, 

Ce  frisson  de  mort 

Qui  contracte  la  chair  sur  le  cœur  du  plus  fort  ; 

ce  serait  retrancher  à  la  douleur  ce  baume  sans  cesse  renouvelé  de  l'espérance 
qui  aide  à  la  supporter  et  qui  est  comme  l'avant-goùt  d'une  réalité  meilleure.  Il 
est,  au  contraire,  du  devoir  du  médecin  d'appeler  au  chevet  de  1  homme  souf- 
frant la  troupe  de  ces  vaines  images  que  les  Anciens  faisaient  sortir  d'un  palais 
d'ivoire,  la  troupe  des  illusions  et  des  songes,  et  aussi  du  mensonge,  puisque 
cette  si  laide  chose  est,  le  mot  le  dit,  un  songe  de  l'esprit. 

La  vérité  crue  doit-elle  être  cachée  d;ius  tous  les  cas,  sans  réserve  aucune  ?  Je 
l'ai  déjà  présentée  comme  un  moyen  permis  d'intimidation.  Je  le  reconnais  volon- 
tiers encore,  il  se  rencontre  des  malades  qu'un  stoïcisme  extraordinaire  ou  des 
espérances  supérieures  à  celles  dont  nous  disposons  permettent  de  mettre  face  à  face 
avec  l'avenir  qui  les  attend.  Ce  sont  là  des  exceptions  rares.  Encore  y  faut-il  un 
motif,  car,  je  le  répète,  la  mort  est  un  déchirement,  et  celui  qui  paraît  le  plus 
faire  bon  marché  de  la  vie  tombera  peut-être  dans  les  angoisses  du  condamné  dès 
qu'il  sera  assuré  de  la  perdre  bientôt.  On  m'excusera  de  raconter  souvent  des  his- 
toires particulières  ;  c'est  qu'elles  sont  le  meilleur  commentaire  des  préceptes  géné- 
raux. Une  dame  d'un  grand  nom,  mère  de  plusieurs  enfants,  étant  devenue  veuve, 
avait  pris  le  voile.  Atteinte  un  peu  plus  tard  d'une  tumeur  viscérale  dont  elle 
ignorait  la  nature  cancéreuse,  elle  me  demanda  un  jour  un  entretien  pour  chose 
particulière  et  grave;  et  là,  après  m'avoir  rappelé  combien  peu  elle  appartenait 
encore  à  ce  monde  et  tout  ce  qu'elle  espérait  gagner  en  le  quittuit,  elle  m'ex- 
posa une  situation  de  famille  dans   laquelle  le  danger  de  sa  mort  prochaine  la 
déterminerait  à  des  arrangements  d'affaires  très-importants,  qu'elle  evit  souhaité, 
pour  certaines  raisons,  renvoyer  à  une  époque  un  peu  éloignée  et  qui  exigeaient 
toute  sa  force  et  sa  lucidité  d'esprit.  Tout  cela  fut  exprimé  avec  une  fermeté  si 
calme  que,  après  un  moment  de  réflexion,  je  me  décidai  à  lui  répondre  ces  sim- 
ples mots  :  «  Madame,  prenez  vos  dispositions.  »  J'en  fus  remercié  et  loué  dans 
les  termes  les  plus  touchants.  Une  autre  fois,  je  crus  devoir  être  moins  sincère 
avec  une  vieille  dame  mourant  d'une  pneumonie  chronique  et  dont  la  question, 
non  motivée,  était  inspirée  sans  doute  par  des  sentiments  de  grande  piété,  auxquels 
il  était  d'ailleurs  donné  d'amples  satisfactions  par  son  mari  et  tous  ses  parents, 
aussi  pieux  qu'elle.  La  pauvre  dame  eut  un  mouvement  d'impatience,  et  je  crus 
apercevoir  jusqu'à  sa  fin,  qui  fut  très-prochaine,  les  signes  de  son  méconten- 
tement. Voilà  comment,  dans  la  pratique  de  cet  art  si  délicat  de  la  médecine,  les 
règles  de   conduite  sont  sujettes   à  des    nuances,  à   des  contradictions   appa- 
rentes, au  gré  de  circonstances  dont  aucun  traité  de  déontologie  ne  peut  se  flatter 
d'offrir  un  tableau  complet. 

Prudent  vis-à-vis  des  autres,  il  faut  aussi  l'être  vis-à-vis  de  soi-même  et  ne 
pas  trop  se  hâter  de  porter  un  jugement  sur  la  nature  d'une  maladie.  C'est  pour- 
tant ce  qu'on  aime  généralement  à  faire,  ou  par  vanité  ou  pour  éblouir  les 


540  DÉONTOLOGIE. 

familles.  Tout  est  bien  qui  réussit,  mais,  si  l'on  s'est  trompé,  on  a  fait  tort  tout 
ensemble  à  soi  et  au  malade.  Les  jeunes  médecins  agissent  à  la  manière  d'éco- 
liers qui,  appelés  à  réciter  une  leçon,  veulent  toujours  paraître  la  savoir.  Les 
familles  n'en  demandent  pas  tant;  elles  admettent  très-bien  la  difficulté  du  dia- 
gnostic, et  elles  savent  gré  de  sa  prudence  au  médecin  qui  leur  fait  comprendre 
l'impossibilité  de  se  prononcer  quand  la  nature  ne  l'a  pas  fait  elle-même.  Le 
diagnostic,  en  effet,  est  chose  compliquée;  il  se  construit  avec  tous  les  éléments 
réunis  de  la  maladie  :  antécédents,  causes,  symptômes,  lésions,  marche,  etc.  ;  et 
c'est  quelquefois  l'élément  prédominant,  par  exemple,  la  lésion  anatomique,  qui, 
au  lieu  d'éclairer  le  diagnostic,  devient  une  lueur  trompeuse.  De  tous  ces  élé- 
ments, celui  qui  est  le  plus  propre  à  dissiper  l'obscurité,  c'est  l'évolution  de  la 
maladie.  Et  c'est  pour  cela  que,  dans  les  cas  embarrassants,  le  temps  devient  un 
auxiliaire  indispensable  du  clinicien. 

h.  Conscience.  Il  n'est,  pour  ainsi  dire,  pas  de  qualité  du  médecin  dont 
l'exercice  ne  soit  soumis  aux  inspirations  d'une  conscience  honnête.  Ce  dont  il 
s'agit  ici,  c'est  l'honnêteté  appliquée  au  traitement  des  malades  ou,  plus  généra- 
lement, aux  rapports  immédiats  que  ce  traitement  établit  entre  le  malade  et  le 
médecin,  celle  qui  mérite  précisément  à  l'homme  de  l'art  le  nom  de  conscien- 
cieux. De  ce  point  de  vue  découlent  un  certain  nombre  de  préceptes. 

La  loi  est  armée  contre  la  négligence  et  jusqu'à  un  certain  point  contre  l'ignorance 
du  médecin  {voy.  Responsabilité)  ;  mais  que  de  fautes  commises,  que  de  dom- 
mages causés,  iion-seulement  à  l'insu  de  la  justice,  mais  même  ù  l'insu  des 
malades  !  La  responsabilité  légale  n'atteint  pas  la  pratique  consciencieuse  de  l'art 
suivie  de  résultats  fâcheux  :  mais  qui  descendra  dans  la  conscience  du  méde- 
cin? Qui  reconnaîtra,  qui  sera  en  état  de  prouver  que  son  observation  n'a  pas 
été  assez  attentive,  que  ses  remèdes  ont  été  insigniliants,  qu'il  a  été  de  mauvaise 
foi  en  traitant  une  fracture  absente,  etc.  ?  La  plus  vulgaire  habileté  déjouera  à 
coup  sur  des  prescriptions  combinées  du  Code  civil  et  du  Code  pénal,  et  c'est 
ainsi  que  la  profession  médicale  peut  devenir  une  sorte  d'asile  interdit  aux  lois 
protectrices  de  la  vie  humaine. 

Qui  descendra  dans  la  conscience  du  médecin?  Le  médecin  lui-même  !  Ce  pri- 
vilège de  quasi-irresponsabilité,  quel  crime  s'il  en  abusait  !  Et  quelle  lâcheté! 
Pour  un  homme  de  cœur,  une  telle  situation  resserre  le  lien  du  devoir  au  lieu  de 
le  relâcher  ;  le  malade  devient  pour  lui  ce  qu'était  l'hôte  dans  l'antiquité,  ou  ce 
qu'est  aujourd'hui  le  pupille  pour  son  tuteur;  il  le  couvre  d'une  protection 
d'autant  plus  vigilante  qu'il  n'y  a  pas  à  en  attendre  d'autres.  Cette  protection, 
elle  a  bien  des  manières  de  s'exercer.  Et  d'abord  résister  aux  tentatives  de 
négligence  qui  s'emparent  aisément  de  l'homme  trop  occupé  ou  trop  mou.  On 
remet  à  demain  les  affaires,  habitude  fatale  à  tant  de  personnages  dont  Mon- 
taigne donne  la  liste.  C'est  une  coutume  trop  routinière  que  celle  de  ne  faire 
jamais  ses  visites  qu'à  des  heures  déterminées  de  la  journée  et  suivant  l'ordre 
topographique.  On  en  comprend  l'avantage  et  même  l'ordinaire  nécessité,  mais 
elle  ne  répond  pas  toujours  aux  exigences  de  l'indication  thérapeutique.  Une 
maladie,  pour  être  bien  connue,  a  besoin  quelquefois  d'être  observée  à  de  cer- 
taines phases,  conséquemment  à  des  heures  déterminées.  Le  nombre  et  la  durée 
des  visites  ne  sont  pas  non  plus  choses  indifféi"entes  ;  elles  doivent  être  unique- 
ment réglées  par  la  nature  et  la  gravité  du  mal. 

Mediciis  non  accédât  nisi  vocatus.  Je  ne  sais  qui  a  émis  ce  précepte, 
dont   l'humanité  et  l'amitié  ne  s'arrangeraient  pas  toujours.  Les  visites  com- 


DEONTOLOGIE.  541 

mencées,  leur  nombre  devrait  être  en  rapport  avec  les  besoins  de  la  ma- 
ladie ;  mais  il  l'est  plus  souvent  avec  les  besoins  du  malade  ou  avec  les 
tendances  de  son  caractère.  Tel  client  atteint  d'un  mal  insignifiant  se  dira 
négligé,  s'il  n'est  pas  visité  une  ou  plusieurs  fois  par  jour;  un  autre,  sous  le 
coup  d'une  pneumonie  ou  d'une  angine  maligne,  sera  porté  à  mal  interpréter 
la  succession  rapide  des  visites.  C'est  l'étude  morale  du  client  qui  devra  servir 
de  guide;  il  sera  en  cette  circonstance  ce  qu'on  l'aura  vu  être  partout  ailleurs-. 
L'expérience  des  premiers  soins  d'ailleurs  tracera  bientôt  à  qui  saura  obser- 
ver une  règle  pour  l'avenir.  Quand  une  visite  paraît  nécessaire  pour  bien 
connaître  la  marcbe  de  la  maladie,  pour  mettre  de  la  suite  dans  le  traitement, 
il  faut  savoir  l'imposer.  Dans  les  cas  moins  bien  déterminés,  un  jeune  médecin 
fera  bien  de  la  présenter  seulement  comme  probable  et  de  faire  attention  à  la 
manière  dont  celte  ouverture  sera  accueillie;  ou  bien  il  s'annoncera  pour  un 
intervalle  de  temps  un  peu  éloigné,  à  moins  d'être  rappelé.  C'est  une  indication 
que  le  client  comprend  toujours. 

Une  des  obligations  les  plus  pénibles  pour  le  praticien  est  d'aller  visiter  des 
malades  pendant  la  nuit,  mais  cette  obligation  est  absolue.  La  maladie  n'observe 
pas  de  convenances;  elle  ne  prend  l'heure  de  personne.  Le  plus  à  plaindre  est 
encore  celui  qui  souffre.  Il  arrive  que  la  visite  est  à  peu  près  inutile;  on  s'était 
effrayé  à  tort;  une  mère  a  entendu  la  toux  rauque  de  son  enfant  et  elle  a  vu  le 
fantôme  du  croup;  elle  a  pris  le  cauchemar  pour  le  délire,  etc.  Le  praticien 
dérangé  de  son  sommeil  se  plaint,  et  en  cela  il  a  souvent  tort.  Qu'il  se  demande 
ce  qu'aurait  fait  sa  propre  femme,  loin  de  lui,  en  pareille  circonstance. 

Quelquefois  cependant,  il  faut  bien  le  dire,  certains  clients  apportent  dans 
ces  appels  de  nuit  une  sorte  d'égoisme.  A  la  moindre  élévation  du  pouls,  à  la 
moindre  cbaleur  générale,  sans  même  l'apparence  d'accidents  sérieux,  ils  envoient 
tirer  la  sonnette  du  médecin.  Dans  ces  cas,  on  est  autorisé  à  présenter  des 
observations,  moins  pour  récriminer  que  pour  prémunir  le  client  contre  les 
effets  futurs  de  ses  pusillanimités,  et  s'épargner  par  là  d'autres  dérano-ements 
intempestifs.  En  général,  quand  on  sera  aux  prises  avec  une  maladie  grave,  on 
fera  bien  de  faire  une  visite  à  une  heure  très-avancée  de  la  soirée,  afin  de  réo^ler 
le  traitement  pour  la  nuit,  en  donnant  quelques  indications  sur  les  symptômes 
possibles  et  sur  ceux  qui  seraient  seuls  de  nature  à  exiger  un  dérano-ement. 

Un  autre  abus  de  la  part  des  familles  consiste  à  mander  la  nuit  le  médecin 
le  plus  proche,  afin  de  s'éviter  la  peine  d'aller  chercher  le  leur.  Rien  n"ohlio-e 
le  premier  à  se  rendre  à  cette  invitation  :  ni  la  confraternité,  à  moins  d'un 
service  demandé  et  consenti;  ni  le  devoir  professionnel,  à  moins  d'uro-ence 
manifeste.  Le  médecin  qu'on  vient  appeler  la  nuit  pour  une  famille  inconnue  de 
lui  fera  donc  bien  d'interroger  le  messager,  de  lui  demander  le  nom  et  la 
demeure  du  médecin  habituel,  et,  autant  qu'on  pourra  le  rensei'^ner,  la  nature 
des  accidents  ;  la  réponse  à  ces  questions  suffit  souvent  à  vous  éclairer  sur  le  parti 
à  prendre.  Il  est  difficile  de  ne  pas  reconnaître  que,  dans  certaines  situations  excep- 
tionnelles, dans  lesquelles  les  forces  permettent  à  peine  de  porter  le  poids  excessif  du 
labeur  quotidien,  de  fréquentes  courses  nocturnes  altéreraient  rapidement  la 
santé.  Généralement,  pour  être  plus  sûr  de  ne  pas  pousser  le  sacrifice  trop  loin, 
on  s'en  abstient  totalement;  ce  qui  prouve  que  le  sacerdoce  médical  n'est  encore 
qu'une  image,  car  le  prêtre  ne  connaît  pas  de  dispense.  Sans  absolument  délier 
personne  d'une  obligation  à  laquelle  aucun  médecin  n'est  étran"-er,  on  peut 
être  indulgent  envers  ces  grands  affairés.  Mais  combien   pour  qui  l'affranchis- 


542  DEONTOLOGIE. 

sèment  de  celte  obligation  n'est  qu'une  forme  d'aristocratie   professionnelle  et 
qui  la  trouvent  bonne  pour  les  médecins  du  quartier  ! 

Si  enfin  on  tient  compte  des  goûts  de  villégiature  qui  à  Paris  se  sont  emparés 
des  médecins  comme  du  reste  de  la  population,  on  comprend  que  la  privation  des 
soins  médicaux  pendant  la  nuit  soit  devenue  un  mal  assez  répandu  et  assez 
fâcheux  pour  qu'on  ait  songé  à  y  porter  remède.  C'est  dans  ce  but  qu'a  été 
fondée  V As&istance  médicale  de  nuit ^  par  l'initiative  de  M.  ie  docteur  Passant, 
secrétaire  général  de  la  Société  des  bureaux  de  bienfaisance.  11  en  a  été  traité 
à  l'article  Nuit  [Eygiène]  (p.  766). 

Les  malades  n'acceptent  pas  volontiers  les  visites  courtes  :  leur  politesse  les 
tolère  quand  elles  sont  molivées  par  de  grandes  occupations,  mais  le  malade  se 
laisse  aller  aisément  à  la  pensée  qu'il  n'a  pas  sa  part  proportionnelle  du  temps 
du  docteur,  que  d'autres  sont  mieux  paitagés,  et  il  arrive  un  jour,  surtout  si  le 
résultat  du  traitement  n'a  pas  été  heureux,  où  les  méconteatements  accumulés 
font  explosion,  à  la  grande  stupéfaction  du  praticien,  qu'un  visage  aimable 
avait  toujours  accueilli.  Aussi,  quand  il  y  a  nécessité  d'abréj^er  les  visites, 
doit-on  s'appliquer  à  les  rendre,  si  on  peut  le  dire,  substantielles,  à  donner 
au  malade  seul  jusqu'à  sa  dernière  minute,  et  notamment  à  ne  manquer  à  aucun 
des  examens,  palpation,  percussion,  auscultation,  etc.,  que  la  famille  sait  être 
indispensables  à  la  connaissance  de  la  maladie.  Une  personne  est  traitée  pour  une 
pleurésie,  je  suppose  ;  la  résolution  s'opère.  On  entre  rapidement  dans  la 
chambre,  sans  jirendre  la  peine  de  s'asseoir  ;  on  tâte  le  pouls,  on  tàte  la  peau, 
tout  va  bien  ;  et  l'on  dispar-aît  comme  une  ombre  chinoise.  Et  cela  se  répèle  deux 
ou  trois  jours  de  suite.  Cependant  le  malade  avait  un  peu  plus  toussé  qu'à  l'or- 
dinaire; il  avait  éprouvé  du  malaise.  On  l'examine  de  nouveau  ;  l'épanchement  a 
reparu.  Et  la  famille  de  se  dire  et  de  dire  à  tous  les  amis  :  «  Si  l'on  avait 
ausculté  ces  jours  derniers  !  »  Ce  sont  incidents  journaliers  de  clientèle,  qu'on 
ne  saurait  trop  signaler  aux  jeunes  praticiens. 

La  même  conscience  doit  présider  au  choix  et  à  l'application  des  moyens  thé- 
rapeutiques. La  simple  circonspection  conseillait  plus  haut  au  médecin  de  se 
mettre  en  garde  contre  les  médicaments  à  la  mode  et  de  ne  faire  usage  qu'avec 
un  extrême  ménagement  de  ceux  qui  jouissent  de  propriétés  très-actives.  11  s'agit 
maintenant  de  ne  jamais  transformer  le  malade  en  un  sujet  d'expériences.  Je  ne 
veux  pas  contester  le  droit  qu'a  le  médecin  de  tenter  sur  l'être  humain,  dans  uu 
but  curatif,  l'emploi  d'un  médicament  dont  l'action  a  été  bien  déterminée  par 
des  expériences  sur  les  animaux.  Ce  serait  bannir  la  science  de  la  pratique.  Mais 
on  ne  peut  contester  qu'on  est  loin  d'apporter  toujours  à  ces  tentatives  la  réserve 
nécessaire.  La  moindre  communication  à  une  société  savante,  le  moindre  article 
de  journal,  servent  de  prélexte  à  une  médication  nouvelle,  et  le  malade  pâtit 
d'une  foule  d'inventions  chimériques:  «  Une  ignorance  profonde,  dit  Max  Simon, 
est  souvent  cachée  sous  le  masque  de  cette  fière  indépendance.  Dans  une  sphère 
élevée,  c'est  la  vanité,  l'ambition,  qui  poussent  le  médecin  à  sortir  des  sentiers 
battus  ;  on  veut  surprendre  l'attention  publique  par  l'énumération  de  faits  qu 
établissent  l'eflicacité  d'agents  thérapeutiques  nouveaux  et,  dans  cette  vue, 
on  oublie  que  c'est  sur  la  chair  de  l'homme  qu'on  va  se  livrer  à  des  essais  ;  on 
s'abstient  parfois  des  médications  les  plus  rationnelles  pour  courir  la  chance  des 
agents  théi"apeutiques  les  plus  incertains.  »  Là  en  effet  est  un  des  graves  inconvé- 
nients d'une  thérapeutique  par  trop  moderne.  Devant  elle  s'effacent  les  grandes 
indications  qui  ressortissent  à  la  clinique  proprement  dite,  et  les  petites  notions 


DÉONTOLOGIE.  545 

locales  des  médicaments  prennent  la  place  de  celles  qui  auraient  pu  modifier 
le  fond  même  de  la  maladie,  ou  imprimer  à  ses  mouvements  une  direction 
salutaire.  Je  ne  dis  pas  que  la  science  de  nos  jours  ait  nécessairement  cet  effet  ; 
l'eùt-clle,  qu'il  faudrait  encore  l'encourager  parce  qu'elle  apporte  à  la  science 
médicale  des  élcmenls  nouveaux,  redresse  souvent  ses  erreurs  et  donne  un  corps 
à  celles  de  ses  théories  qui  étaient  réellement  nées  de  l'observation.  L'histoire 
scientifique  enfante  dans  la  douleur,  mais  c'est  toujours  le  progrès  qui  en  sort. 
Grâce  à  Dieu  !  on  rencontre  encore  beaucoup  de  praticiens  qui  savent  faire  de 
justes  parts  à  la  découverte  et  à  la  tradition  et  allier  sagement  la  physiologie  à 
la  clinique.  Mais  il  faut  bien  reconnaître  que  le  nombre  est  grand  aussi  de  ces 
chevau-légers  de  la  médecine  qui  aiment  à  courir  la  thérapeutique  d'aventure, 
et  c'est  à  eux  que  s'adressent  les  remarques  précédentes. 

Il  est  un  autre  genre  d'expérimentation  plus  interdit  encore  que  le  précédent  : 
c'est  celui  qui  a  ostensiblement  pour  but  de  vérifier  une  hypothèse  scif^ntifique 
aux  dépens  d'un  malade.  L'histoire  récente  de  la  syphilis  en  offre  des  exemples 
que  je  neveux  pas  reproduire  dans  tous  leurs  détails;  je  rappelle  seulement 
que  c'est  par  des  inoculations  sur  des  malades  d'un  hôpital  qu'on  s'est  assuré  de 
la  contagiosité  des  accidents  secondaires,  dont  la  clinique,  à  mon  sens,  donnait 
déjà  une  preuve  suffisante.  Dépareilles  expériences  ne  sauraient  se  justifier  par 
la  considération  du  bien  général.  Personne  n'a  mandat  pour  sacrifier  un  seul  au 
salut  d'Israël  ;  les  Iphigénies  ne  sont  plus  du  temps  et,  si  les  Gurtius  en  étaient, 
au  moins  devrait-on  attendre  qu'ils  se  dévouassent  volontairement.  C'est,  du  reste, 
ce  qui  a  eu  lieu  plus  d'une  fois  en  médecine  et  en  syphiliographie  même  ;  c'est 
ce  que  font  fréquemment,  sur  un  terrain  moins  périlleux  heureusement,  les 
consciencieux  confrères  qui  expérimentent  sur  eux-mêmes  l'action  des  substances 
médicamenteuses. 

i.  Conduite  du  médecin  dans  des  cas  particuliers.  1"  Opportunité  des  con- 
sultations, llufcland  regardait  comme  très-problématique  en  général  l'avantage 
des  consultations.  Il  craignait  l'indifférence  du  médecin  traitant  pour  la  médi- 
cation nouvelle,  la  suspension  de  son  initiative.  Ces  reproches  ne  sont  pas  sans 
fondement,  et  c'est  souvent  la  manière  d'agir  du  consultant  qui  les  justifie.  Si 
celui-ci  peut  presque  toujours  fournir  quelque  lumière  à  un  débutant,  bien 
souvent  il  n'a  rien  à  apprendre  à  son  confrère  qui  puisse  être  sérieusement  utile 
au  malade,  surtout  dans  les  grandes  pyrexics.  Ce  conhère,  que  je  suppose 
instruit  et  que  l'âge  et  une  pratique  active  ont  rendu  expéiimenté,  s'est  tracé  en 
face  du  patient  un  plan  de  conduite,  tiré  des  habitudes  de  santé,  des  antécé- 
dents du  sujet,  de  l'existence  de  symptômes  actuellement  disparus,  de  leur  ordre 
de  succession,  etc.  C'est  alors  qu'intervient  le  consultant.  S'il  a  la  sagesse  de 
tenir  compte  de  ces  déterminations  antérieures  et,  quand  elles  sont  bonnes,  de 
se  borner  à  les  approuver,  il  excite  le  zèle  du  médecin,  il  l'assure  dans  sa  voie, 
et  tout  le  monde  y  gagne.  Mais  trop  fréquemment  il  tient  à  marquer  la  trace 
de  son  passage  par  des  prescriptions  nouvelles.  La  famille,  qui  y  voit  un  redres- 
sement ou  un  heureux  complément  du  traitement  jusque-là  suivi,  en  presse 
l'exécution  :  de  là  une  dépression  inévitable  du  médecin  habituel,  et  l'affaiblis- 
sement de  son  ressort  intellectuel  et  moral.  D'autres  fois  le  consultant,  dominé 
par  l'état  présent  du  malade,  ignorant  ou  négligeant  trop  le  mode  d'enchaî- 
nement des  phénomènes,  tombe  dans  quelque  erreur  palpable  au  détriment  de 
la  réputation  de  son  confrère.  C'est  alors  qu'un  des  plus  illustres  représentants 
de  la  médecine  contemporaine  prend  un  cancer  du  poumon  pour  un  hydropéri- 


5i4  DÉONTOLOGIE. 

carde  ;  un  autre  une  fièvre  typhoïde  au  début  pour  une  fièvre  typhoïde  au 
dédia  ;  un  troisième  un  embarras  de  la  langue  par  ramollissement  cérébral 
commençant  pour  l'effet  d'un  chicot  dentaire.  Si  je  nommais  mes  auteurs,  on 
verrait  que  ce  p'est  calomnier  personne  que  de  se  méfier  un  peu  des  erreurs 
des  consultants. 

Cependant,  il  n'est  pas  besoin  de  dire  que  les  consultations  sont  souvent  utiles. 
Quand  deviennent-elles  opportunes?  C'est  quand  le  médecin  a  des  doutes  sur 
la  nature  de  la  maladie  ou  sur  le  traitement  à  employer  ;  quand  il  juge  à  propos, 
en  présence  d'un  cas  grave,  de  couvrir  sa  responsabilité  ;  quand  le  patient  ou  sa 
famille  a  besoin  d'être  rassurée  ;  enfin  quand  il  y  a  lieu  de  ranimer  l'espoir  d'un 
malade  en  état  désespéré. 

La  première  proposition  n'a  pas  besoin  d'être  expliquée.  C'est  une  obliga- 
tion pour  un  praticien  de  prendre  l'avis  d'un  confrère  toutes  les  fois  qu'il  ne 
se  sent  pas  suffisamment  éclairé  ;  et  il  le  choisira  parmi  ceux  que  leurs  études 
et  leurs  écrits  désignent  pour  être  plus  aptes  à  juger  le  cas  particulier.  C'est 
le  triomphe  des  consultants  spécialistes,  et  c'est  un  peu  pour  cela  qu'il  s'est  créé 
tant  de  spécialités.  Le  monde  en  suppose  davantage,  et  distribue  journellement 
des  palmes  à  qui  n'y  prétendait  pas  pour  son  habileté  dans  telle  ou  telle  ma- 
ladie. Bon  pour  les  catarrhes,  c'est  l'éloge  qu'on  faisait  d'un  médecin  dans  un 
certain  cercle  d'amis. 

Une  consultation  paraissant  superflue  au  médecin  traitant,  il  a  néanmoins,  en 
certaines  circonstances,  le  droit  de  la  provoquer.  Sans  doute  il  doit  avoir  le 
courage  de  supporter  toutes  les  responsabilités  auxquelles  l'expose  un  devoir 
professionnel;  mais  il  n'est  pas  tenu  d'encourir  celles  qu'il  peut  éviter,  ou  de 
risquer  sans  motif  sa  réputation.  Ce  genre  de  consultation  peut  d'ailleurs  servir 
l'intérêt  des  familles,  qui,  en  cas  de  malheur,  regretteraient  qu'elle  n'eiït  pas 
eu  lieu.  Le  médecin  agira  suivant  le  degré  de  confiance  dont  il  se  sentira  en- 
touré. 

En  général,  bien  que  cette  manière  de  voir  ne  soit  pas  partagée  par  tout  le 
monde,  je  crois  qu'il  vaut  mieux  proposer  une  consultation  que  d'en  recevoir  la 
demande  par  la  famille.  Sans  doute,  si  on  la  proposait  de  l'air  effaré  d'un  homme 
qui  ne  reconnaît  plus  sa  route,  on  compromettrait  son  autorité;  mais  il  en  seia 
autrement  si  on  la  motive  sur  l'inquiétude  bien  naturelle  du  malade  et  des 
parents,  tandis  que  la  proposition  d'une  consultation  par  la  famille  a  toujours, 
plus  ou  moins,  le  caractère  d'un  acte  de  défiance.  Le  jour  où  ce  désir  vous  est 
communiqué,  il  a  quelquefois  couvé  longlemps  à  votre  insu,  et  exprime  alors 
une  disposition  d'esprit  plus  fâcheuse  que  vous  ne  le  pensez.  Inutile  de  dire  que 
les  consultations  provoquées  ne  doivent  jamais  être  refusées. 

Quant  aux  consultations  pour  maladies  désespérées,  comme  une  phthisie 
avancée,  il  importe  de  n'en  user  que  sur  provocation  expresse  et  après  avoir 
prévenu  la  famille  de  leur  inutilité.  Il  y  a  ici  à  tenir  compte  de  la  position  de 
fortune.  Certains  malades  n'hésitent  pas  apporter  la  gêne  dans  leur  ménage 
pour  courir  après  les  avis  les  plus  décevants  ;  le  médecin  fera  bien  de  modérer 
leur  fantaisie,  autant  qu'il  le  pourra  sans  les  désespérer,  surtout  si  le  charla- 
tanisme est  mis  de  la  partie. 

2»  Maladies  chroniques  incurables.  Avec  ou  sans  consultations,  le  médecin 
a  des  devoirs  particuliers  à  remplir  envers  les  malades  incurables.  Ou  ceux-ci 
connaissent  leur  situation  ou  ils  l'ignorent.  Dans  le  premier  cas,  j'ai  tracé  en 
parlant  de  la  prudence  la  ligne  de  conduite  à  suivre,  et  je  viens  d'y  ajouter  un 


DEONTOLOGIE.  545 

trait  à  propos  des  consultations.  Dans  le  second  cas,  l'action  du  médecin  peut 
encore  s'exercer  avec  profit  sur  le  moral.  C'est  au  médecin  en  effet  plus  qu'à  tout 
autre  qu'il  appartient  de  posséder  et  d'inculquer  à  autrui  la  force  de  caractère 
et  la  tranquillité  d'ànie  qui  bravent  tous  les  mauvais  traitements  de  la  fortune. 
11  y  a  place  pour  lui  à  côté  ou  à  défaut  du  prêtre.  Dans  la  diversité  des  croyances 
se  rencontrent  de  communs  principes  et,  en  l'absence  même  de  toute  foi,  de 
communs  sentiments,  que  le  médecin,  plus  libre  en  cela  que  le  pasteur,  peut 
f.iiie  parler  auprès  d'un  malade  de  quelque  valeur  morale.  Le  stoïcisme  qui 
a  fait  les  Caton,  les  Sénèque  et  les  Marc-Aurèle,  qui  soumet  tous  les  asservis- 
sements de  la. nature  à  l'empire  de  la  lorce  libre  que  l'bomme  porte  en  lui,  a 
encore  des  remèdes  efficaces  contre  les  souffrances  irrémédiables.  A  défaut  de 
consolation,  il  a  l'abnégation,  le  sacrifice  de  soi-même.  Ce  sacrifice,  les  stoïciens 
d'autrefois  le  portaient  fréquemment  jusqu'au  suicide,  et  la  pensée  de  ce  der- 
nier refuge  vient  aussi  à  certains  malades.  Quand  il  le  découvre,  quand  seu- 
lement il  le  soupçonne,  le  médecin  a  le  devoir  de  le  combattre.  Le  principe  de 
l'inviolabilité  de  la  vie  humaine  est  une  conquête  d'une  civilisation  que  per- 
sonne ne  peut  renier  :  la  même  qui  a  proclamé  l'égalité  de  tous  les  hommes 
entre  eus  et  aboli  l'esclavage.  Le  suicide,  s'il  est  un  acte  de  liberté  parce 
qu'il  dompte  le  corps,  est  au  fond  une  défaillance  parce  qu'il  est  une  capitu- 
lation devant  la  souffrance.  Ce  sont  des  vérités  dont  tout  médecin  peut  avoir 
l'occasion  de  tirer  parti.  C'est  dire  à  quel  point  manquent  à  leur  mission  ceux 
qui,  abusant  des  facilités  de  leur  profession,  procurent  du  poison  à  leurs  clients. 
Cela  s'est  vu  dans  des  circonstances  mémorables;  qu'on  ne  soit  pas  étonné 
d'apprendre  que  pareil  office  est  encore  sollicité  assez  fréquemment;  et,  quand 
il  l'est,  c'est  avec  une  persistance,  une  obstination  qui  met  à  de  pénibles  épreuves 
le  devoir  du  médecin.  Il  est  même  des  personnes  actuellement  bien  portantes  qui 
veulent  être  munies  de  moyens  de  suicide  pour  le  jour  des  maladies  douloureuses 
ou  sans  remèdes.  Je  ne  serais  pas  embarrassé  d'en  citer  des  exemples. 

S'il  est  des  malades  qu'on  peut  soutenir  en  réveillant  l'énergie  du  caractère, 
il  en  est  d'autres  qu'il  est  mieux  d'attaquer  par  le  sentiment.  Celui  qui  n'a  pas 
la  foi  en  pnrlerait  mal  et  ne  doit  pas  en  parler.  Mais  la  religion  du  malade, 
quelle  qu'elle  soit,  peut  devenir,  sur  l'initiative  du  médecin  et  par  l'inter- 
médiaire de  la  famille,  un  moyen  d'apaisement  :  car,  il  ne  faut  jamais  l'oublier, 
tout  remède  qui  peut  soulager  est  obligatoire  pour  l'homme  de  l'art.  «  Est-ce 
que,  dit  M.  Max  Simon  dans'j  un  écrit  inédit  qu'il  a  bien  voulu  me  communiquer 
et  dont  j'aurai  encore  à  tirer  profit  \  le  médecin  va  essayer  d'apprendre  à  l'incu- 
rable à  se  passer  de  lui?  Non,  non.  .Mais  dans  ces  cas  sa  mission  se  transforme  : 
il  ne  doit  pas  oublier  que  la  science  est  une  charité  savante,  et  que  là  même  où 
elle  n'a  que  des  palliatifs  à  opposer  au  mal,  sa  main,  jusqu'à  la  fin  secourable, 
doit  poser  sur  la  plaie  le  népenthès,  le  dictame  de  la  sympathie  qui  va  plus  loin 
que  la  science  qu'elle  complète,  vis-à-vis  du  malheureux  qu'attend  la  terre  béante. 
Qui  oserait  soutenir  que  le  chloroforme,  le  chloral,  l'éther,  le  bromure  de  potas- 
sium, la  morphine,  épuisent  le  pouvoir  du  médecin  dans  cette  lutte  contre  une 
mort  inévitable?  Tous  les  hommes  qui  ne  sont  point  parvenus  à  faire  taire  en 
eux  le  cri  suprême  de  la  vie  près  de  s'éteindre  répètent  d'instinct  cette  pai'ole 
d'Obermann  :  «  Je  suis  las  des  choses  certaines  et  cherche  partout  des  voies 
d'espérance.  » 

*  Cette  note  a  pour  sujet  :  Le  devoir  imposé  au  médecin  d'apprendre  à  certains  malades  à 
se  passer  de  lui. 

DICT.   ENC.    XXVII.  35 


546  DÉONTOLOGIE. 

«  Écoutez  d'ailleurs,  ajoute  Max  Simon,  ces  paroles  de  M.  Renan  dans  l'intro- 
duction à  sa  traduction  de  VEcclésiaste  :  «  L'homme  n'arrivera  jamais  à  se  per- 
suader que  sa  destinée  soit  senibiable  à  celle  de  l'animal.  Même  quand  cela  sera 
démontré,  on  ne  le  croira  pas.  C'est  ce  qui  doit  nous  assurer  à  penser  librement. 
Les  croyances  nécessaires  sont  au-dessus  de  toute  atteinte.  L'humanité  ne  nous 
écoutera  que  dans  la  mesure  où  nos  systèmes  conviendront  à  ses  devoirs  et 
à  ses  instincts.  Dans  ses  plus  grandes  folies,  Gobelet  (l'auteur  de  VEcclésiaste) 
n'oubliera  pas  le  jugement  de  [)ieu  ;  faisons  comme  lui.  » 

En  dehors  des  systèmes  philosophiques  et  de  la  religion,  la  voix  du  senti- 
ment a  plus  d'une  manière  de  se  faire  entendre.  Une  âme  élevée  comprendra  quel 
petit  incident  c'est  qu'une  misère  particulière  dans  l'immense  et  navi  ant  tableau 
des  misères  humaines;  et  combien  sont  plus  à  plaindre  encore  ceux  dont  la 
maladie  a  pour  cortège  la  faim,  le  froid,  Je  dénuement,  la  solitude.  C'est  le 
moment,  si  l'on  fait  partie  de  quelque  œuvre  de  bienfaisance,  de  faire  appel  à 
la  générosité  du  riche.  S  il  y  répond,  sa  bonne  action  le  réconfortera  lui-même 
en  suggérant  à  ce  condamné  de  la  maladie  l'idée  que  sa  destinée  ici-bas  n'est 
pas  finie  et  qu'il  est  encore  bon  à  quelque  chose.  Mais  pour  la  grande  majorité  des 
patients  le  moyen  le  plus  sur  d'émouvoir  les  bons  sentiments,  c'est  le  désoue- 
ment  affectueux  qu'on  leur  témoigne,  les  soins  dont  on  les  entoure,  l'absence 
visible  de  toute  répugnance  devant  la  hideur  de  leur  mal.  Se  sentir  aimé,  c'est 
vivre  la  meilleure  part  de  la  vie,  et  l'on  s'achemine  moins  douloureusement 
vers  la  mort  par  une  voie  semée  de  bienfaits  et  de  consolations.  Aussi  combien 
est  juste,  doublement  juste,  le  précept-e  de  ceux  qui,  comme  Ilufeland  ou  Max 
Simon,  insistent  sur  le  dsvoir  de  ne  jamais  déserter  le  chevet  d'un  malade,  sous 
prétexte  d'incurabilité  !  Ce  prétexte  et  d'autres  qu'on  sait  inventer  couvrent  le 
plus  souvent  l'indifférence  ou  l'égoïsme;  on  cesse  de  voir  l'ami  derrièi'e  le 
malade,  ou  l'on  veut  s'épargner  des  soins  désagréables.  Or  il  n'est  plus  sïuère 
aujourd'hui  d'affection  incurable  où  l'on  ne  puisse  joindre  à  l'efticiicité  de  l'in- 
fluence morale  celle,  plus  directe  et  plus  sûre,  des  moyens  thérapeutiques.  De 
nombreux  sédatifs  et  la  méthode  hypodermique  offrent,  sous  ce  rapport,  des  res- 
sources pour  ainsi  dire  inépuisables. 

ô"  Imminence  de  la  mort;  mort  confirmée.  En  réalité  tout  le  monde 
meurt  d'une  maladie  incurable  ;  tout  le  monde  arrive,  par  des  chemins  diffé- 
rents, au  terme  où  le  mal  est  devenu  plus  fort  que  toutes  les  ressources  de 
l'art  et  de  la  nature.  Les  préceptes  qui  viennent  d'être  indiqués  trouveront  donc 
ici  leur  application;  il  faut  toujours  fortifier,  consoler  et  soulager;  mais  le  mo- 
ment impose  au  médecin  certains  devoirs  paiticuliers. 

Le  sévère  langage  du  stoïcisme  frapperait  avec  trop  de  rudesse  le  cœur  affaibli 
et  l'esprit  du  mourant.  11  blesserait  presque  toujours  la  famille.  Lisez  dans 
Lucrèce  (liv.  III,  p.  61  et  62  de  l'éd.  Nisard)  l'apostrophe  de  la  Nature  au  misé- 
rable qui  gémit  de  quitter  les  biens  de  ce  monde,  cà  ce  convive  rassasié  de  la 
vie  qui  ne  veut  pas  aller  dormir  tranquille,  à  ce  vieillard  qui  a  épuisé  toutes 
[es  joies  et  qui  sèche  encore  de  désirs!  II  est  clair  que  ce  ne  peut  être  le  lan- 
gage d'un  médecin  ni  de  personne;  mais  surtout  l'heure  n'est  plus  celle  des 
raisonnements  philosophiques.  L'action  morale  doit  être,  pour  ainsi  dire,  topique, 
avoir  pour  objet  unique  de  rendre  plus  fticile  ou  de  masquer  le  terrible  passage. 
Aux  âmes  fortes  et  sans  illusions  on  paide  de  résolution,  d'exemple  à  donner 
aux  siens,  de  déchirements  de  cœur  à  éviter,  de  laprochaine  délivrance,  etc.  Pour 
ceux  qui  se  débattent  violemment,  avec  une  sorte  de  révolte,  conti-e  les  étreintes 


DiiONTOLOGIE.  517 

de  la  mort;  pour  ces  femmes  de  plaisir  qui  appellent  au  secours  d'une  voix  de'ses- 
pérée,  qui  vous  implorent  d'un  œil  hagard,  qui  s'attachent  à  vos  mains,  à  vos 
habits,  comme  pour  éviter  un  précipice,  il  n'est  d'efficace  qu'une  promesse 
hardie  de  salut,  suivie  de  l'emploi  de  quelques  moyens  palliatifs.  Diins  ce 
paroxysme  du  désespoir,  la  seule  douceur,  les  paroles  tendres  ne  sont  plus  de 
mise;  elles  ne  font  souvent  qu'augmenter  l'irritation. 

Il  eit  encore  deux  points  sur  lesquels  je  crois  utile  d'appeler  l'attention  du 
praticien  : 

Aux  approches  de  l'agonie,  beaucoup  demaiades,  immobiles,  les  yeux  fermés 
et  paraissant  étrangers  à  tout  ce  qui  se  passe  autour  d'eux,  entendent  les  conver- 
sations. Il  importe  conséquemment  de  bien  veiller  sur  soi  quand  la  famille 
vous  interroge  près  du  lit,  et  de  lui  l'ecommander  à  elle-même  de  se  tenir  en 
garde  contre  les  réflexions  imprudentes. 

Par  une  même  erreur  d'appréciation,  le  médecin  se  hâte  souvent  trop  de 
mettre  fin  à  tout  traitement.  Il  peut  en  résulter  de  Irès-séiieux  inconvénients, 
même  pour  lui.  Les  terminaisons  funestes  ménagent  souvent  de  grandes  sur- 
prises aux  plus  expérimentés;  un  coma  qui  paraissait  définitif  se  dissipe;  le 
pouls  qui  fuyait  se  ranime;  la  peau  froide  et  visqueuse  se  réchaufl'e,  et  la  vie  se 
prolonge  au  delà  du  terme  prévu.  Alors  le  défaut  de  traitement,  d';ihord  accepté 
par  la  famille,  ne  lui  paraît  plus  supportable,  et  elle  se  prend  à  le  regretter.  Ce 
peut  être  d'ailleurs  avec  raison.  Un  précepte  donc  à  suivre  scrupuleusement  est 
celui  de  ne  jamais  abandonner  un  malade  même  en  état  de  mort  imminente,  et 
de  continuer  à  tout  mettre  en  œuvre  ou  pour  relever  les  forces  ou  pour  apaiser 
les  souffrances.  Quand  celles-ci  sont  très-violentes,  le  praticien  se  trouve  sou- 
vent en  présence  d'un  grave  embarras  :  celui  de  ne  pouvoir  les  soulager  qu'en  ris- 
quant d'abréger  l'existence.  Pour  moi,  je  n'hésite  pas  à  lui  reconnaître  le  droit 
d'adopter  ce  dernier  parti.  Certes,  si  le  remède  devait  tuer  nécessairement,  on  de- 
vrait s'en  abstenir  à  tout  prix;  mais  la  simple  possibilité  de  hâter  de  quelques 
instants  la  fin  d'un  malheureux  ne  doit  pas  être  mise  en  balance  avec  la  cer- 
titude d'adoucir  ses  derniers  moments. 

Le  malade  meurt  :  quelle  doit  être  la  conduite  du  médecin?  D'abord,  il  est 
d'usage  qu'il  n'assiste  pas  aux  obsèques,  de  peur  de  rappeler  par  sa  présence  des 
scènes  douloureuses,  surtout  si  l'on  croyait  avoir  quelque  faute  à  lui  reprocher. 
Mais  cet  usage  est  loin  d'être  rigoureusement  suivi  ;  il  est  en  grande  partie 
subordonné  aux  relations  extra-professionnelles  du  médecin  avec  la  famille,  et 
c'est  même  souvent  une  satisfaction  à  donner  à  celle  ci  que  de  se  mêler  à  elle 
dans  la  cérémonie  funèbre.  Quoi  qu'il  en  soit,  le  médecin  ne  doit  pas  hésiter  à 
visiter  la  famille  les  jours  qui  suivent  le  décès.  Une  longue  disparition  risque, 
sous  l'inlluence  des  causeries  de  l'entourage,  de  devenir  définitive.  Des  commu- 
nications immédiates  permettent  de  redresser,  s'il  en  existait,  les  fausses  appré- 
ciations; elles  permettent  en  tout  cas  au  médecin  de  juger  de  la  situation  qu'il 
a  gardée  dans  la  maison. 

¥  Maladies  imaginaires,  hypochondrie,  névrosisme,  pusillanimité.  Les 
hypochondriaques,  dont  on  peut  dire  avec  un  ancien  :  «  Lacryma;  eis  deerunt 
antequàm  causœ  dolendi  »  (Sénèque,  Consob.  à  Polybe),  sont  un  sujet  de  spé- 
culation pour  certains  méJecins.  Leurs  préoccupations  constantes  de  santé, 
l'espoir  sans  cesse  nourii  de  rencontrer  le  remède  qui  leur  échappe  toujours,  en 
font  les  dupes  habituelles  des  théories  grossières  et  de  la  polypharmacie.  Le  vrai 
médecin  ne  doit  pas  les  livrer  à  celte  exploitation;  il  doit  au  contraire  s'efforcer 


548  DEONTOLOGIE. 

de  les  y  soustraire  en  suivant  les  règles  indiquées  plus  haut,  mais  avec  plus  de 
tolérance  et  d'abnégation.  Les  hypochondriaques  en  efiet  sont  particulièrement 
dignes  de  pitié;  leur  croyance  à  des  maux  qui  n'existent  pas  et  qu'ils  exagèrent 
est  un  tourment  cent  fuis  pire  que  la  souffrance  piiysique.  (juand  l'un  d'eux 
réclame  vos  soins,  gagnez-le  d'abord  par  la  douceur,  par  des  marques  d'intérêt, 
par  l'attention  prêtée  à  ses  prolixes  expositions.  La  confiance  est  la  porte  par 
laquelle  vous  ferez  entrer  plus  tard  les  idées  saines.  Ce  moment  venu,  ne  croyez 
pas  réussir  par  une  guerre  ouverte  et  sans  merci  à  toutes  les  plaintes,  à  toutes 
les  fausses  théories,  à  toutes  les  vaines  médications  :  vous  ne  produiriez  que  la 
révolte;  le  client,  assuré,  lui,  de  souffrir,  n'aurait  l'air  de  se  rendre  que  pour 
aller  porter  ses  doléances  ailleurs.  La  simple  négation  de  sa  théoiie  ne  le  satisfait 
pas;  il  lui  faut  une  démonstration,  du  moins  apparente.  Donnez-la  lui  en  mon- 
trant, en  inventant  même  des  désaccords  entre  cette  théorie  et  les  symptômes 
qu'il  accuse;   son  ignorance  vous  fait  à  cet  égard   un  rôle  facile.  Quant  aux 
souffrances  accusées,  rejetez-en  une  partie  comme  insignifiantes,  comme  acces- 
soires et  devant  disparaître  un  jour  d'elles-mêmes,  et  attachez-vous  à  quelques- 
unes  seulement,  choisies  parmi  celles  qu'on   peut  le  mieux  faire   disparaître 
par  une  action  médicamenteuse  sur  le  système  nerveux  central,  ou  sur  les 
nerfs   de  la  partie  à  laquelle  elles  sont  rapportées.   Exemple  :  les  déchirures 
d'estomac,  les  battements  de  cœur,  qu'on  traite  par  l'ingestion  de  stimulants 
diffusiblcs,  par  une  piqûre  à  l'éther,  à  la  digitaline,  etc.  Quelques  symptômes 
disparus  donnent  espoir  pour  le  reste.  Et  les  rares  remèdes  dont  vous  croyez 
devoir  faire  usage,  ordonnez-les   (suivant  le  précepte  de  Baglivi,  rapporté  par 
Max  Simon)  avec  autorité,  avec  toute  l'apparence  de  la  foi  en  leur  eflicacité. 
Tâchez  aussi  d'amener  le  sujet  à  certains   actes  dont  il  redoute   les   efiets, 
quand  vous  les  savez  inoffensifs.  Un   hypochondriaque  qui  prend  à  peine  de 
nourriture,  qui  n'ose  toucher  au  vin,  sera  tout  étonné  le  lendemain  d'un  grand 
dîner  de  n'avoir  pas  souffert  des  excès  auxquels  on  l'aura  entraîné.  L'hypoChon- 
driaque,  encore  une  fois,   n'est  accessible  qu'aux  démonstrations  de  fait.  On 
connaît  l'histoire  du  prince  de  Weimar  soi-disant  malade  d'une  fièvre  tierce,  et 
qui  fut  enchanté  de  n'avoir  pas   d'accès   le  jour  oîi  Hufeland  avait   eu  soin 
d'avancer  l'heure  de  la  pendule.  C'est  l'analogue  de  l'histoire  de  ces  lypémaniaques 
qui  cessent  d'accuser  des  tortures  intestinales  quand  on  leur  a  montré  dans  le 
vase  de  nuit  la  grenouille  qui  ravageait  leurs  entrailles. 

Des  auteurs  posent  la  question  de  savoir  s'il  est  permis  de  pratiquer  dans  ces 
cas  la  médecine  dite  ésotérique,  dans  laquelle  on  trompe  le  malade  par  des 
remèdes  illusoires.  Tout  est  licite  qui  doit  être  utile  au  patient.  Qu'importe  que 
le  soulagement  procuré  soit  dû  à  une  action  médicamenteuse  réelle  ou  à  une 
action  morale?  L'essentiel  est  qu'il  ait  lieu.  On  assure  mieux  l'effet  de  ce  mode 
de  traitement  en  l'entourant  de  formalités  particulières,  comme  en  fixant  les 
heures  précises,  les  minutes  auxquelles  seront  prises  les  pilules  àemicapanis, 
et  en  attirant  d'avance  l'attention  des  malades  sur  les  symptômes  qu'ils  pourront 
éprouver,  tels  que  borborygmes,  pesanteur  de  tête,  etc.  On  choisit  ces  symptômes 
parmi  ceux  que  toute  personne  constaterait  chez  elle,  si  elle  y  regardait  de  près; 
en  dehors  même  de  ceux-là,  on  peut  être  assuré  que  le  malade  en  signalera 
d'autres  en  les  mettant  sur  le  compte  du  prétendu  médicament. 

Ce  qui  vient  d'être  dit  au  sujet  des  hypochondriaques  indique  assez  comment 
devront  être  traitées  les  personnes  affectées  de  ces  mille  perturbations  des  fonc- 
tions nerveuses,  qu'on  réunit  sous  le  nom  commun  de  névrosisme  ;  une  seule 


DÉONTOLOGIE.  5i9 

remarque  est  nécessaire.  C'est  dans  les  épisodes  de  la  vie  intime  que  se  trouve  le 
plus  souvent  le  point  de  départ  de  toutes  les  altérations  de  la  sensibilité  mo- 
rale et  physique  qui  ont  sur  le  caractère  et  les  actes  une  influence  si  profonde  et 
quelquefois  si  fâcheuse.  Le  médecin  portera  donc,  avec  toute  la  prudence  et  la 
délicatesse  possible,  ses  investigations  de  ce  côté.  Il  dirigera  mieux  son  traite- 
ment quand  il  connaîtra  la  cause  première  des  accidents.  Seulement,  il  doit 
se  défier  des  déclarations  fausses  et  des  exagérations.  Le  monde  féminin  ne 
manque  pas  de  ces  natures  sensibles  que  la  maternité  déçue  a  comme  déclas- 
sées au  sein  du  mariage  et  qu'une  aigreur  secrète  porte  à  l'injustice;  ou  de  ces 
victimes  penchées  et  nonchalantes  qui  ne  se  trouveront  bien  mariées  qu'après 
avoir  épousé  l'idéal.  11  n'est  pas  inutile  d'avertir  le  jeune  médecin  que  cet 
idéal,  on  le  cherchera  quelquefois  en  lui,  peut-être  par  amour  sincère,  pent- 
être  aussi  par  commodité,  étant  le  plus  aisément  accessible  de  ceux  qu'on 
pourrait  avoir  remarqués.  C'est  dans  ces  circonstances  qu'il  fimt  se  rappeler 
ce  passage  du  serment  d'Hippocrale  :  «  Dans  toute  maison  où  je  viendrai,  j'y 
entrerai  pour  le  bien  des  malades,  me  tenant  loin  de  tout  tort  volontaire  et  de 
toute  séduction,  et  surtout  lom  des  plaisirs  de  V amour  avec  les  femmes...  » 

Quant  aux  blasés,  aux  pusillanimes ,  aux  ihanatopliobes,  Max  Simon  les 
stigmatise  dans  la  note  manuscrite  indiquée  plus  haut,  et  dit  en  même  temps 
comment  on  doit  se  conduire  à  leur  égard.  Je  copie  presque  entièrement  ce 
passage  où  respire  une  âme  élevée  avec  une  grande  expérience  du  cœur  humain  : 
«  Ils  ne  sont  pas  rares  les  hommes  qui  ne  savent  pas  encore  que  la  vie  est  un 
travail  continu,  qui  a  ses  règles,  et  que  les  mille  rouages  qu'elle  met  en  œuvre 
pour  se  réaliser  ne  peuvent  le  faire  sans  frottement  ;  les  délicats,  les  ennuyés, 
les  amateurs  de  la  vie  intensive,  y  sentent  le  pli  de  la  rose  qui  les  écorche.  Mais 
ils  sont  légion,  ceux  dont  le  système  nerveux,  l'estomac,  mal  élevés  et  plus 
mal  dirigés,  font  de  la  vie  un  laborieux  apprentissage  qu'il  faut  chaque  jour 
reconimencer,  surtout  quand  on  touche  au  seuil  de  la  vieillesse,  et  que  les 
illusions  évanouies  ne  viennent  plus  murmurer  à  l'oreille  leurs  capiteuses  canti- 
lènes.  Kant  passait  à  Vordre  du  jour  sur  les  accidents,  un  peu  plus  vifs  qu'à 
l'ordinaire,  provoqués  de  temps  en  temps  par  un  catarrhe  chronique  dont  il  était 
atteint  ;  de  la  Rochefoucauld  savait  être  vieux  ;  Montesquieu  savait  être  aveugle  ; 
un  inconnu,  de  noble  race,  aveugle  aussi,  disait  que,  la  nuit  approchant,  il 
était  simple  qu'on  fermât  ses  volets;  Voisenon  se  vantait  d'avoir  passé  trente 
ans  de  sa  vie  à  mourir  d'un  asthme;  Fontenelle  ne  se  plaignit  jamais  que 
d'une  difficulté  d'être,  etc.,  etc.  ;  mais  on  compte  les  hommes  qui  se  sont 
ainsi  bronzés  aux  événements  de  la  vie.  Voilà  les  grands  enfants  qui  viennent  à 
chaque  instant  frapper  à  l'huis  du  cabinet  du  médecin,  aussi  bien  à  la  campagne 
qu'à  la  ville.  Têtes  vides,  cœurs  inoccupés,  leur  horizon  ne  s'étend  pas  au  delà 
de  la  sensation  du  moment;  un  sac  vide,  disait  Francklin,  ne  saurait  se  tenir 
debout.  C'est  à  ces  hommes,  auxquels  nous  nous  heurtons  à  chaque  pas,  que 
le  médecin,  qui  ne  veut  pas  laisser  vilipender  sa  noble  et  secourahle  science, 
doit' apprendre  à  se  passer  de  lui-  a  Voilà  vingt  ans  que  vous  vous  mourez,  ré- 
pondis-je  aux  sempiternelles  plaintes  d'une  vieille  cliente  ;  est-ce  que  vous  ne 
finirez  pas  par  me  laisser  quelque  repos?  —  Osez  vivre,  dis-je  un  jour  à  une 
vieille  fille  qui  me  fatiguait  de  l'odyssée  des  symptômes  inconscients  d'un 
amour  rentré.  — Mourir,  mourir,  vous  ne  me  parlez  que  de  mourir,  disais-je 
à  une  autre,  eh  bien  !  je  vous  défie  de  mourir.  »  Un  jeune  prêtre  est  convaincu 
qu'il  va  devenir  enragé  ;  il  me  poursuit  de  ses  lamentations  :  il  me  dit  qu'il  a 


550  DEONTOLOGIE. 

été  une  ou  deux  fois  forcé  d'interrompre  sa  me?se,  parce  qu'il  craignait  que 
la  rage  éclatât  au  milieu  du  saint  sacrifice.  Un  jour,  las  de  ses  jérémiades,  et 
non  sans  éprouver  une  profonde  pitié  pour  les  angoisses  terribles  de  ce  pauvre 
homme,  je  lui  dis  que  toutes  ces  terreurs  n'étaient  que  vaines  fantasmagories 
d'une  imagination  troublée,  et,  pour  le  lui  prouver,  j'ôtai  ma  robe  de  chambre, 
je  m'armai  d'une  lancette  et  ajoutai  que,  s'il  le  voulait,  j'allais  m'inoculer. 
séance  tenante,  une  goutte  de  son  sang,  me  vacciner  de  sa  prétendue  rage.  A 
ces  mots  prononcés  d'un  air  décidé,  le  malade  m'arrêta,  et  me  dit,  à  son  tour  : 
«  Docteur,  je  suis  guéri.  »  Il  vit  encore,  et  il  est  aujourd'hui  le  doyen  respecté 
d'une  paroisse  de  Rouen.  Il  y  a  ainsi  des  mots  qui  guérissent;  seulement  il  faut 
les  trouver;  c'est  plus  difficile  quelquefois  que  de  chercher  une  formule  dans  le 
Codex  commenté  ou  non;  la  pilocarpine  eùt-elle  mieux  réussi?  j'en  doute. 
Nos  vieux  maîtres,  les  austères  de  la  médecine,  quand  ils  voulaient  amener  à 
se  faire  hommes  d'eux-mêmes,  selfmade  men,  ces  grands  enfcints  qui  cachent 
leurs  cheveux  grisonnants  sous  un  bourrelet  perpétuel,  semblaient  s'être  inspirés 
de  l'exemple  de  Guillaume  III,  qui,  à  son  avènement  au  trône  d'Angleterre, 
quand  les  malades  vinrent,  suivant  une  vieille  tradition,  lui  demander  de 
toucher  leurs  écrouelles  (quand  écrouelles  il  y  avait),  se  contenta  de  leur  donner 
sa  bénédiction....  laïque,  et  les  adjura  d'avoir  plus  de  bon  sens  et  de  raison. 
Cruveilhier,  qui  avait  un  peu  l'air  d'un  quaker,  mais  d'un  quaker  sympa- 
thique, quand  il  se  trouvait  en  présence  d'une  grande  maladie,  se  rassérénait,  s'il 
avait  en  face  de  lui  un  homme  qui  ne  pouvait  plus  manger  parce  qu'il  mangeait 
trop,  et  réconduisait  doucement  en  lui  conseillant  de  lire  l'ouvrage  de  Cornaro, 
et  d'en  suivre  les  conseils,  en  les  mitigeant  un  peu,  pendant  huit  ou  quinze 
jours.  Le  noble  Vénitien,  ajoutait-il  finement,  en  savait  plus  que  lui  sur  ce  genre 
de  maladie.  Ghomel  conseillait  à  ces  malades  volontaires  de  visiter  les  pauvres; 
Rajer  (moins  puritain,  celui-là)  leur  apprenait  à  analyser  leurs  liquides  buc- 
caux par  l'apphcation  sur  la  langue  du  papier  de  tournesol,  ou  d'observer 
leur  urine  matin,  midi  et  soir  (il  prétendait  que  cela  les  amusait);  mais  c'est 
là  une  pratique  mauvaise;  on  fait  ainsi  des  bypochondriaques;  on  ne  guérit 
pas.  Andral,  dans  ses  bons  jours,  les  envoyait  promener,  «  fuge  medicos,  et  sana- 
beris.  » 

5°  Aliénation  mentale.  Une  question  assez  grave  de  déontologie  se  pose  au 
sujet  de  l'aliénation  mentale.  Le  droit  refusé  au  chirurgien  de  soumettre  à  une 
opération  une  personne  saine  d'esprit  qui  n'y  a  pas  consenti  doit-il  lui  être 
accordé  à  l'égard  des  aliénés?  Cette  question  a  été  soumise  en  1876  à  la  Société 
médico-psychologique  par  lé  docteur  Billod.  Une  femme  de  son  service,  âgée  de 
soixante  et  un  ans,  en  état  de  démence  complète,  avec  aphasie  et  hémiplégie  du 
côté  droit,  était  affectée  d'un  cancer  du  sein  et  présentait,  au  dire  du  chirur- 
gien, les  conditions  les  plus  favorables  au  succès  de  l'opération  ;  mais,  chaque  fois 
que  ce  dernier  mot  était  prononcé  près  de  la  malade,  elle  sanglotait.  Fallait-il 
passer  outre  et  opérer?  La  discussion  ne  fut  pas  longue  à  la  Société.  En  effet,  le 
devoir  du  médecin,  dans  les  cas  de  ce  genre,  paraît  assez  clair,  et  il  a  été  ju- 
dicieusement établi  par  M.  Billod  lui-même.  «  Il  est,  a-t-il  dit,  un  cas  où.... 
il  n'y  a  pas  lieu  de  tenir  compte  de  la  résistance  du  malade  à  une  opération 
jugée  nécessaire  ;  c'est  celui  où  le  malade,  n'exprimant  aucune  appréhension 
de  la  douleur,  non  plus  que  du  danger  et  des  suites  de  cette  opération,  base 
son  refus  sur  des  motifs  qui  portent  l'empreinte  évidente  du  délire,  ou,  en 
d'autres  termes,  le  cachet  de  la  déraison.  Le  devoir  du  médecin  serait  encore 


DÉONTOLOGIE.  5^1 

(l'opérer  un  malade  qui,  consécutivement  à  une  tentative  de  suicide,  présen- 
terait des  accidents  rendant  une  opérai  ion  urgente  et  nécessaire,  et  qais'yreluse- 
rait  en  basant  son  refus  sur  ce  motif  :  que  l'opération  a  pour  but  de  lui  sauver 
une  vie  dont  il  veut  se  débarrasser.  »  Ces  principes  n'ont  pas  été  contestés. 
MM.  Blanche  et  Lunier  ont  seulement  rappelé  l'obligation  de  consulter  les 
familles,  au  moins  dans  les  cas  de  placement  nécessaire.  ■.(  Pour  les  placements 
d'office,  a  dit  ce  dernier,  le  médecin  est  le  juge  de  sa  situation  et  décide  confor- 
mément aux  règles  scientifiques.   » 

6°  Passions.  Il  semble,  après  tout  ce  qui  a  été  écrit  touchant  l'influence  des 
passions  sur  la  santé,  que  le  médecin  y  trouvera  toujours  matière  à  des  inspira- 
tions utiles  aux  besoins  de  sa  pratique  :  qu'on  se  détrompe.  Ce  sont  d'intéres- 
sants ouvrages  que  ceux  de  Marc-Antoine  Petit,  Tissot,  Descuret,  Cerise,  Réveillé- 
Parise,  sur  la  médecine  morale;  mais  quand  on  essaie  d'en  tirer  quelques 
préceptes  bien  définis,  autres  que  ces  préceptes  généraux  écrits  dans  le  livre 
même  de  la  conscience,  on  se  trouve  comme  en  présence  du  vide.  De  tous  ces 
auteurs,  Réveillé-Parise  est  celui  qui  a  donné  à  ses  études  la  forme  la  plus 
pratique,  suivant  la  passion  dans  ses  effets  généraux  sur  l'organisme,  puis  ses 
effets  particuliers  sur  les  humeurs  et  sur  les  grands  viscères,  cerveau,  cœur, 
foie,  estomac;  faisant  ressortir  les  analogies  symptomatiques  de  la  douleur 
physique  et  de  la  douleur  morale;  formulant  enfin  un  traitement  approprié 
aux  diversités  qu'il  vient  d'établir.  Hélas!  qu'il  y  a  loin  de  la  coupe  aux  lèvres! 
Et  Réveillé-Pai'ise  ne  le  conteste  guère.  «  Ces  données,  dit-il,  ne  sont,  à  vrai 
dire,  que  générales,  synthétiques,  et  ne  suffisent  pas;  mais  lier  et  systématiser 
en  un  tout  logique  les  faits  et  les  axiomes,  c'est  là  surtout  la  grande  difficulté 
quand  il  s'agit  des  affections  morales.  Et  la  preuve,  c'est  que,  quand  on  vent  pré- 
ciser, induire  avec  quelque  certitude,  le  médecin  est  arrêté  dans  une  foule  de 
cas  ».  Il  existe,  dans  la  voie  anatomique  oii  s'engageait  Réveillé-Parise,  un 
guide  mal  connu  de  son  temps  :  c'est  la  physiologie  du  bulbe  rachidien,  du 
pneumogastrique  et  du  grand  sympathique;  c'est  l'ensemble  de  leurs  influences, 
suivant  des  modes  divers,  sur  les  mouvements  de  l'estomac,  sur  les  sécrétions 
gastriques,  sur  la  fonction  glycogénique  du  foie,  sur  la  respiration,  sur  la  fré- 
quence, la  force,  le  rhythme  des  battements  du  cœur.  Il  sera  possible  quelque- 
fois au  médecin  d'établir,  en  propres  termes,  le  diagnostic  anatomique  et  la 
pathogénie  d'une  affection  passionnelle.  D'autres  signes,  également  anatomiques 
et  trop  négligés,  ce  me  semble,  par  les  auteurs  cités,  sauf  P>éveillé-Parise 
[Études  de  l'homme,  t.  II,  p.  70),  peuvent  être  fournis  par  la  physionomie.  Je 
dis  la  physionomie,  et  non  le  faciès,  pour  mieux  exprimer  qu'il  ne  s'agit  pas  seu- 
lement de  l'expression  physique.  Les  passions  en  effet  marquent  leur  empreinte 
sur  le  visage  humain,  souvent  en  traits  spéciaux  et  propres  à  chacune  d'elles.  La 
passion  vénérienne  est  de  celles-là;  de  même  la  haine  prolongée,  de  même 
l'alcoolisme.  Hors  de  là,  et  sur  le  terrain  psychique,  il  en  sera  réduit  à  de 
vagues  déterminations,  dont  je  suis  loin  pourtant  de  contester  l'importance,  l^ne 
nonchalance  inaccoutumée,  la  négligence  dans  les  affaires  coïncidant  avec  la 
pâleur  des  traits  et  la  diminution  des  forces,  fera  soupçonner  quelque  passion 
énervante,  comme  celle  de  l'amour  ou  du  jeu.  Un  geste,  un  regard  surpris,  sont 
une  lumière;  plus  encore,  le  hasard  des  rencontres,  certains  changements  d'habi- 
tudes; des  heures  de  sortie  toujours  les  mêmes,  avec  de  brusques  revirements  de 
caractère  (gaîté  ou  morosité)  au  départ  ou  au  retour;  un  trouble  involontaire, 
une  irritabilité  mal  dissimulée,  toujours  amenés  par  le  même  sujet  de  conversa- 


55Î  DEONTOLOGIE. 

tion  ou  en  présence  de  la  même  personne.  Les  indices  de  ce  genre  sont 
innombrables;  mais  on  voit  combien  leur  utilité  dépend  de  la  sagacité  du 
médecin. 

Ce  n'est  pas  tout  de  les  reconnaître;  il  s'agit  maintenant  de  s'en  servir. 
Grande  difficulté!  Ici  encore  c'est  remplir  une  lâche  périlleuse,  c'est  engager 
gravement  sa  responsabilité,  que  de  faire  part  de  ses  remarques  aux  intéressés  : 
il  le  faut  cependant,  puisque  la  passion  toujours  déchaînée  produira  toujours  le 
même  ravage;  il  le  faut,  ne  serait-ce  que  pour  faire  comprendre  l'inutilité  des 
moyens  pharmaceutiques.  De  toutes  les  passions,  l'amour  est  celle  dont  la  décou- 
verte discrète  est  le  mieux  supportée,  et  l'on  est  parfois  surpris  d'être  accueilli 
d'un  serrement  de  main  par  une  femme  dont  on  aurait  pu  craindre  d'avoir 
blessé  la  pudeur.  Il  n'est  pas  prudent,  toutefois,  de  procéder  sommairement. 
Ces  sortes  de  confidences  ne  sont  bien  reçues  des  femmes  que  par  le  médecin 
qui  a  lui-même  une  place  dans  leur  affection.  C'est  donc  par  le  cœur  qu'il  faut 
entrer  dans  le  sanctuaire  de  la  passion  secrète,  et,  si  l'on  n'est  pas  encore  assez 
sur  de  cette  porte,  il  faut  l'ouvrir  insensiblement  par  une  action  morale  prépara- 
toire. Dans  ces  moments  de  trouble  intérieur,  les  femmes  sont  plus  accessibles 
que  jamais  aux  sentiments  tendres  ;  des  soins  attentifs,  des  paroles  amicales, 
une  compassion  marquée  pour  leurs  peines,  les  touchent  profondément.  Et 
alors  il  peut  suffire  d'un  conversation  adroitement  amenée  sur  le  sujet  qui  les 
possède  pour  écarter  toute  gêne  et  faire  échapper  la  confidence  attendue. 

L'amour  est  une  passion  noble,  qui  peut  seulement  se  dégrader;  et  c'est  pour- 
quoi on  l'avoue  sans  trop  de  peine.  Mais,  chez  certaines  natures  tiès-sensibles, 
la  honte  d'avoir  toujours  sous  les  yeux  un  témoin  de  sa  faute,  chez  d'autres 
la  crainte  d'une  indiscrétion,  exposent  quelquefois  le  médecin  le  plus  dévoué 
à  être  écarté.  A  plus  forte  raison  en  sera-t-il  ainsi  quand  il  s'agira  de  passions 
viles.  Cette  éventualité  se  réalise  principalement  quand  le  malade,  impuissant 
à  se  corriger,  se  sent  dorénavant  exposé  à  de  continuelles  admonestations,  ou 
quand,  habitant  avec  sa  famille,  il  soupçonne  entre  elle  et  le  médecin  une 
coalition  contre  lui. 

Noble  ou  vile,  quand  une  passion  a  été  reconnue  et  dénoncée,  de  quelle  façon 
la  combattre?  Comme  on  pourra,  c'est  le  précepte  le  plus  sensé.  Réveillé-Parise, 
qui  mérite  d'être  souvent  cité  en  cette  matière,  essaie  de  poser  des  principes 
généraux  de  thérapeutique  morale.  «  Il  faut  se  rappeler,  dit-il  :  1"  que  ces 
moyens  (moraux)  doivent  toujours  se  baser  d'après  le  caractère,  la  sensibi- 
lité, l'.'ge,  l'éducation,  les  préjugés,  le  sexe  du  malade,  et  surtout  d'après  la 
cause  e  «on  degré  d'intensité  ;  2"  d'examiner  avec  soin  les  effets  déjà  produits 
sur  l'économie,  en  prévenir  les  résultats,  connaître  surtout  l'organe  lésé  ou  le 
plus  menacé  ;  5°  de  combiner  les  moyens,  de  les  varier,  d'en  faire  une  méthode 
de  traitement  d'autant  plus  complète  et  efficace  qu'elle  sera  plus  diversifiée; 
4°  de  mettre  dans  son  emploi  autant  que  possible  une  persévérance,  une  reli- 
gieuse ponctualité,  presque  toujours  couronnées  par  le  succès;  5°  enfin  que,  si 
la  guérison  n'est  pas  toujours  complète,  au  moins  obtient-on  avec  certitude  une 
diminution  de  souflrance  morale  capable  de  prévenir  les  altérations  organiques, 
ce  qui  est  un  immense  avantage.  »  Rappelez-vous  tout  cela,  vous  ferez  bien; 
souvenez-vous  de  toutes  les  qualités  de  patience,  de  douceur,  de  fermeté,  rap- 
pelées plus  haut;  pensez  aux  exercices  corporels,  à  l'hydrothérapie,  aux  distrac- 
tions du  monde,  aux  voyages,  aux  stations  maritimes  ou  thermales,  aux  médi- 
caments toniques  ou  sédatifs  ;  mais  n'oubliez  pas  non  plus  que  les  circonstances 


DÉONTOLOGIE.  555 

particulières  seules  vous  dicteront  le  choix  à  faire  dans  ce  fonds  banal  de  res- 
sources. Les  voyages,  par  exemple,  quand  l'objet  de  la  passion  ne  peut  vous 
suivre,  peuvent  être  une  diversion  puissante  pour  un  esprit  cultivé  et  curieux, 
surtout  si  d'intelligents  compagnons  s'appliquent  à  la  tenir  en  éveil;  ils  sont 
quelquefois  le  sujet  d'un  insurmontable  ennui  pour  le  touriste  indolent  et 
solitaire.  Le  théâtre,  qui  concentre  l'attention  sur  un  seul  objet,  serait  de  tou- 
tes les  distractions  mondaines  la  plus  efficace,  si  l'aliment  même  des  pas- 
sions, des  plus  dépravantes  comme  des  plus  nobles,  n'y  jouait  un  si  grand 
rôle.  Mais  aucun  moyen  de  cet  ordre  ne  peut  être  mis  en  balance  avec  le  tra- 
vail. Celui-là  est  toujours  à  notre  disposition;  il  met  à  notre  service  le  spec- 
tacle que  nous  voulons,  l'occupation  qui  nous  plaît;  il  procure  tout  ensemble 
la  solitude  qui  convient  à  la  douleur  farouche  et  une  société  choisie  d'êtres  ima- 
r^inaires  qui  la  charme  et  l'apaise.  Le  travail  en  outre  a  cela  de  supérieur  à  tout 
dérivatif  moral  qu'il  est  à  la  portée  des  plus  pauvres  comme  des  plus  riches, 
des  plus  bornés  comme  des  plus  intelligents. 

7°  Age.  Dans  les  soins  donnés  au  tout  jeune  enfant,  la  bonté,  l'aménité, 
un  visage  riant  et  ouvert,  toutes  les  qualités  extérieures  qui  frappent  la  vue, 
sont  des  auxiliaires  précieux  du  traitement;  son  instinct  le  rend  confiant  envers 
ceux  qui  savent  lui  plaire.  Savoir  plaire  à  un  enfant,  savoir  lui  sourire,  le 
caresser,  lui  parler  le  langage  de  son  âge,  changer  de  ton  ou  d'objet  suivant 
son  caprice  du  moment,  trouver  le  mot  qui  calmera  sa  peur  ou  la  distraction 
instantanée  qui  la  détournera,  ce  n'est  pas  le  talent  de  tous.  Beaucoup  d'entre 
nous  savent  que  Blachc  y  excellait  ;  on  disait  de  lui  qu'il  soignait  les  bébés 
maternellement.  Quand  on  essaye  de  se  rendre  un  compte  psychologique  de 
l'influence  des  procédés  du  médecin  sur  la  docilité  de  ces  petits  êtres,  on  re- 
marque, si  je  m'en  rapporte  à  mon  expérience,  qu'elle  tient  surtout  à  l'art  de 
se  servir  de  l'extrême  mobilité  de  leurs  impressions.  En  détournant  dix  fois, 
vingt  fois  en  quelques  minutes,  sans  leur  donner  le  temps  de  se  reconnaître, 
leurs  dispositions  maussades  par  des  occupations  inattendues  de  l'ouïe,  de  la 
vue,  du  toucher,  par  des  questions  4'épétées,  par  des  mots  plaisants  à  leur 
portée,  par  des  taquineries  amicales,  etc.,  on  obtient  plus  d'eux  que  par  la 
continuité  des  prières  et  des  caresses.  Il  faut,  non  s'attaquer  fout  de  suite  à  leur 
résistance,  mais  faire  en  sorte  qu'ils  ne  songent  plus  à  résister.  Bien  des  en- 
fants, il  est  vrai,  et  presque  toujours  par  la  faute  de  l'éducation,  résistent  à 
tous  les  moyens  de  persuasion  ou  de  surprise  :  c'est  le  tour  de  la  contrainte  ; 
mais  ce  moyen,  dès  qu'on  a  résolu  d'y  recourir,  doit  être  porté  jusqu'à  effet. 
Il  importe  que  l'enfant  comprenne  qu'il  n'est  pas  le  plus  fort;  si  l'on  s'arrêle 
à  mi-chemin,  comme  y  oblige  trop  souvent  l'opposition  des  parents  eux-mêmes, 
on  lui  inspire  une  indocilité  irrémédiable. 

On  comprend  l'importance  de  la  composition  des  préparations  médicamen- 
teuses destinées  à  un  enfant,  tant  sous  le  rapport  des  doses  que  sous  celui 
du  goût.  En  général,  on  emploie  des  doses  trop  élevées  :  la  plupart  des  médecins 
ne  possèdent  à  cet  égard  que  des  notions  vagues  et  procèdent  par  à  peu  près. 
N'étant  pas  toujours  bien  renseignés  sur  les  doses  minima  et  maxima  des  médi- 
caments, ils  ont  d'autant  plus  de  peine  à  formuler  la  dose  moyenne  qui  convient 
à  un  enfant  d'un  âge  déterminé;  et,  de  plus,  ils  sont  trop  peu  familiarisés  avec 
les  recherches  de  détail  qui  ont  servi  à  établir,  pour  beaucoup  de  substances 
pharmaceutiques,  une  posologie  infantile.  D'autres  praticiens  ne  prennent  pas 
assez  de  soin  d'accommoder  leurs  drogues  au  goût  des  enfants.  Deux  indications 


554  DÉONTOLOGIE. 

spéciales  se  présentent  ici  :  rendre  les  médicaments  agréables  et  les  dissimuler. 
En  remplissant  la  première,  on  on  fait  des  friandises,  et  c'est  le  cas  de  se  per- 
mettre l'emploi  de  certains  remèdes  spéciaux  difficiles  à  formuler  en  une  ordon- 
nance :  biscuits,  dragées,  chocolats  médicamenteux,  etc.  La  secontle  indication 
coneistc  presque  entièrement  à  mêler  aux  aliments  et  aux  boissons  des  substances 
à  peu  près  insipides,  telles  (jue  l'infusion  de  séné  dans  le  café  au  lait,  la  poudre 
de  scammonée  dans  la  panade,  l'iodure  de  potassium  dans  l'eau  vineuse. 

Un  conseil  à  donner  aux  mères,  c'est  d'habituer  de  très-bonne  heure  leurs 
enfants  aux  bains  et  aux  lavements.  C'est  un  sérieux  dommage,  dans  certaines 
maladies,  de  ne  pouvoir  recourir  à  ces  deux  moyens  sans  produire  chez  l'enfant 
des  secousses  nerveuses  souvent  préjudiciables.  La  ressource,  si  fréquemment 
employée,  de  faire  baigner  la  mère  avec  l'enfant,  n'est  pas  toujours,  pour  la 
première,  sans  inconvénient,  et  n'est  pas  d'une  réussite  assurée.  L'administra- 
tion d'un  lavement  à  un  enfant  rebelle  est  plus  laborieuse  encore.  La  mère  qui 
se  garde  de  lui  en  jamais  donner  dans  le  cours  ordinaire  de  la  vie,  de  peur  de 
l'y  habituer,  fait  un  mauvais  calcul;  car  rien  n'est  plus  aisé  que  de  ne  pas 
créer  une  véritable  habitude. 

A  mesure  que  l'enfant  grandit,  personne  en  dehors  de  la  famille  n'acquiert 
plus  d'autorité  sur  lui  que  le  médecin  ;  c'est  même  pour  cela  qu'il  lui  cache 
tout  ce  qu'il  peut  de  ses  fautes  :  mais,  si  le  médecin  sait  s'emparer  de  sa  con- 
fiance par  l'affection,  il  peut  lui  être  un  guide  précieux  dans  la  première  éman- 
cipation de  ses  instincts,  dont  il  s'appliiiuera  surtout  à  empêcher  les  déviations 
vicieuses.  Il  lui  sera  aussi  d'un  bon  conseil  dans  le  premier  emploi  de  ses 
aptitudes  intellectuelles;  car  le  médecin  est  communément  consulté  ]>ar  les 
parents  et  devrait  l'être  plus  encore  sur  la  préparation  de  son  avenir.  Mais  je 
n'insiste  pas  sur  ces  points  de  vue  qui  m'entraîneraient  sur  le  terrain  de  la 
pédagogie. 

A  l'autre  extrémité  de  la  vie,  on  rencontre  des  conditions  qui  ne  diffèrent  pas 
en  tout  de  celles  de  la  jeunesse.  Si  trop  d'adolescents  tombent  dans  la  débauche, 
beaucoup  de  vieillards  y  restent  ou  y  reviennent;  et  ils  la  pratiquent  par  des 
procédés  plus  dangereux.  Comme  ils  les  dissimulent  avec  plus  de  soin,  l'homme 
de  l'art,  retenu  d'ailleurs  par  le  respect  de  l'âge,  les  soupçonne  moins  aisé- 
ment. 11  est  bon  d'éveiller  sur  ce  point  la  méOance  des  médecins  à  qui  une 
longue  expérience  n'a  pas  fait  perdre  leur  ingénuité.  Je  ne  dis  pas  la  pratique 
de  la  piété,  mais  la  piété  elle-même,  et  la  plus  sincère,  n'est  point,  sous  ce 
rapport,  une  garantie  de  mœurs  régulières.  Non  pas  assurément  qu'on  ne  doive 
en  tenir  aucun  compte,  mais  des  exemples  de  ce  genre  pris  jusque  dans  l'ex- 
trême vieillesse  montrent  que  rien  ne  doit  arrêter  le  praticien  dans  une  in- 
vestigation de  laquelle  dépend  sa  conduite  et  conséquemment  l'intérêt  même  du 
malade, 

La  vieillesse,  par  elle-même,  n'en  doit  pas  moins  être  pour  le  médecin  le 
sujet  d'attentions  particulières  ;  et  cela  pour  des  raisons  diverses,  car  le  monde 
a  d'étranges  contrastes.  Quelle  mission  attachante  que  celle  de  prolonger,  s'il 
est  possible,  les  jours  d'un  père  de  famille  entouré  d'amour  et  de  vénération! 
Mais  quelle  tâche  ingrate  que  de  proléger  contre  l'indifférence  et  le  défaut  de 
soins,  ou  contre  les  obsessions  d'un  dévouement  affecté,  celui  dont  l'avidité 
guette  les  derniers  moments  !  Alors  on  a  trop  de  confiance  en  vous  pour  deman- 
der une  consultation  ;  on  ne  veut  pas  causer  de  nouvelles  souffrances  par  des 
remèdes  inutiles  ;  on  vous  interroge  sur  le  nombre  de  jours  que  le  mal  peut 


DÉONTOLOGIE.  555 

durer  encore.  Que  le  médecin,  premier  tuteur  du  malade,  mette  toute  son 
attention  et  son  intelligence  à  bien  reconnaître  le  milieu  où  il  est  appelé,  afin 
de  ne  rien  permettre  qui  ne  soit  bon  et  de  ne  rien  négliger  qui  soit  utile. 

Si  l'enfant  a  des  caprices,  le  vieillard  a  des  préjugés.  Il  a  ceux  de  tout  le 
monde  et,  en  outre,  les  siens  propres,  nés  de  longues  observations  sur  sa 
personne.  Il  tient  à  des  pratiques  d'bygiène  ou  de  traitement  dont  il  a,  dit- 
il,  l'expérience,  et  il  a  eu  le  temps  de  se  composer,  sur  leurs  effets,  des 
opinions  aussi  fausses  qu'inébranlables.  La  tbérapeutique  moderne  le  trouve 
en  défiance.  Ici  on  ne  peut  conseiller  à  IMiommc  de  l'art  de  rompre  en  visière 
avec  ce  parti-pris,  comme  il  le  ferait  pour  un  adulte  ;  l'âge  impose,  au  con- 
traire, de  grands  ménagements  à  ses  paroles  comme  à  ses  actes,  et  c'est  par 
la  persuasion  ou  par  des  voies  détournées  qu'il  devra  s'efforcer  de  pourvoir  aux 
indications. 

8"  Sexe.     Quand  on   songe  à  toutes  les   particularités  de  la  constitution 
physique  et  morale  de  la  femme  qui  intéressent  la  pratique  médicale,  on  sent 
l'impossibilité  d'eu   effleurer  seulement  l'étude  dans  un  article  déjà  si  chargé. 
Au  surplus  ce  sujet  est  en  partie  traité  dans  ce   Dictionnaire  même,  à  l'ar- 
ticle Femme.  Ce  n'est  ni  le  volume  de  son  crâne,  ni  la  largeur  de  son  bassin, 
ni  la  direction  ou  la  longueur  de  ses  côtes,  ni  même  sa  destinée  sociale,  qui 
importent  au  médecin  praticien,  mais  bien  certains  modes  spéciaux   de  sa  vie 
physique,  intellectuelle  et  morale.  Que,  après  avoir  lu  Roussel,  Auguste  Comte, 
Prudhon,  Michelet,  Broca,  et  tant  d'autres,  on  soit  ou  non  pour  l'égalité  des 
deux  sexes;    qu'on  trouve  dans  la  crâniologie  la  preuve  d'une  quasi-parité  de 
l'homme  et  de  la  femme  au  point  de  vue  de  la  capacité  crânienne  dans  les 
civilisations  primitives  ou  aux  époques  préhistoriques,  et  de  leur  inégalité  au 
détriment  de  la  femme  dans  les  civilisations  qui  ont  réduit  sa  [lart  du  travail 
commun;  ou  bien  qu'on  regarde  comme  primordiaux  et  indélébiles  les  caractères 
différentiels  des  deux  sexes,  et  en  tout  cas  comme  ne  pouvant  plus  être  rendus 
à  l'égalité  par  les  conditions  actuelles  et  futures  de  la  civilisation,  —  le  médecin 
reste  toujours  en  présence  de  conditions  féminines,  avec  lesquelles  il  lui  faut 
compter.  Les  principales  de  ces  conditions  sont  :  la  faiblesse  physiiiue,  l'excès 
de  sensibilité,   une  sagacité  qui  devine  plus  qu'elle  n'approfondit,  la  vivacité 
de  l'imagination,  la  chaleur  et  la  mobilité  des  facultés  affectives.  Voilà  ce  que, 
dans  la  diversité  des  natures  humaines,  où  l'on  peut  rencontrer  certaines  fem- 
mes en  tout  supérieures  à  certains  hommes,  voilà  ce  qu'on  observe   dans  nos 
sociétés.  Cela  étant,   il  est  manifeste  que  l'état  psychique  de  l'être  féminin, 
moins  bien  assis  que  celui   de  l'être  masculin,  sera  plus  exposé  encore  à  se 
déranger  sous  l'influence  de  toute  cause  perturbatrice  des  fonctions  nerveuses. 
Ajoutez  cette  fonction  propre  à  son  sexe  {Mulier  tota  in  utero),  dont  Michelet 
a  fait  un  commentaire   que  la  richesse    du  style  n'a  pu  rendre  supportable 
à  toutes  ses  lectrices.   Quelqu'un  disait  que  la   femme  est  bonne  seulement 
cinq  ou  six  jours  par  mois,  ne  l'étant  ni  dans  les  huit  jours  qui  précèdent  la 
période   mensuelle,   ni  dans  cette  période,  ni  dans  les  huit  jours  qui  suivent. 
Encore  fallait-il  pour  cela  que  le  mois  de  février  fût  bissextile.  Cette  innof- 
lénsive  plaisanterie  est,  du  reste,  déplacée,  car  il  s'en  faut  que  cette  période 
porte  toujours  la  femme  à  l'humeur  revêche.  Ce  qui  est  le  plus  marqué  en  elle, 
à  tous  les  moments  de  son  existence,  et  qui  se  révèle  dans  tout  son  être,  c'est 
ce  je  ne  sais  quoi  de  ressemblant  à  une  Ibmme  qui  brille  et  vacille,  qui  darde 
et  s'amortit,  qui  se  répand  sur  les  surfaces   sans  pénétrer  beaucoup  les  pro- 


556  DÉONTOLOGIE. 

londeurs;  quelijue  chose  enfin  de  particulier  à  l'espèce  sans  lui  être  exclusif, 
semblable  en  cela  à  la  plupart  des  caractères  qui  servent  à  classer  l'ensemble  des 
espèces  vivantes. 

Les  facultés  morales  delà  femme,  si  elles  sont  plus  mobiles,  ])lus  superficielles 
que  chez  l'homme,  sont,  comme  j'ai  dit,  plus  vives,  plus  agissantes,  surtout 
les  qualités  du  cœur.  La  sensibilité  chez  elle  domine  et  emporte  tout,  répond 
violemment  à  tout  ce  qui  vient  l'exciter.  L'amour,  la  pitié,  sont  ses  vertus 
familières;  d'obscures  infortunes  lui  arrachent  des  larmes;  elle  est  souvent 
l'àme  d'associations  de  bienfaisance;  avec  cela,  elle  est  sujette  à  des  haines 
subites  et  ardentes.  Est-ce  une  contradiction  de  sa  nature?  Au  contraire, 
c'en  est  l'effet  naturel;  sa  sensibilité  a  réagi  contre  une  atteinte  blessante 
avec  la  même  soudaineté  et  la  même  force  qu'elle  se  fût  emparée  d'une  agréable 
impression.  Dans  un  ménage,  il  vaut  mieux,  pour  un  médecin,  avoir  pour  lui  la 
femme  que  le  mari. 

En  présentant  ces  remarques,  on  se  persuade  naturellement  qu'elles  doivent 
trouver  leur  confirmation  dans  la  statistique  de  laliénalion  mentale,  et  que 
l'aliénation  doit  être  plus  fréquente  dans  le  sexe  féminin  que  dans  le  sexe 
masculin.  Ce  fait  est  loin  d'être  prouvé;  et  même,  si  la  comparaison  est  établie 
d'après  les  chiffres  d'admission  dans  les  asiles,  le  contingent  des  hommes  est 
supérieur  à  celui  des  femmes.  Mais  d'abord  la  différence  n'est  pas  très-grande 
(H3  pour  JOO);  ensuite,  si  l'on  tient  compte  à  l'homme  de  la  part  toute  spéciale 
et  considérable  que  lui  font,  dans  l'étiologie  de  la  folie,  le  gouvernement  et  la 
responsabilité  des  affaires  d'intérêt,  on  voit  que  l'ensemble  des  autres  influences, 
qui  sont  en  grande  partie  morales,  donne  plus  de  cas  d'aliénation  chez  la 
femme;  et,  si  l'on  pénètre  plus  avant  dans  le  sujet,  on  constate  que  la  folie 
chez  elle  vient  surtout  des  orages  du  coeur,  et  che?  l'homme  des  orages  des 
sens  et  de  la  fortune. 

Eh  bien,  le  médecin  doit  avoir  ce  tableau  devant  les  yeux,  et  les  occasions 
d'en  profiter  ne  lui  manqueront  pas.  Ce  qui  a  été  dit  au  chapitre  du  névrosmie 
lui  indique  déjà  sa  ligne  de  conduite,  tant  il  est  vrai  que,  chez  la  femme,  en 
matière  de  susceptibilité  nerveuse,  l'état  normal  et  l'état  morbide  se  touchent. 
Les  lignes  précédentes  feront  mieux  connaître  encore  le  terrain  des  névropa- 
thies  vraies  ou  simulées  et  l'éclaireront  mieux  sur  la  conduite  à  tenir.  «  Mal- 
heureusement, dit  avec  quelque  dureté  Max  Simon,  tel  est  l'artifice  d'un  certain 
nombre  de  femmes,  telle  est  leur  habileté  à  mentir  les  accidents  hystériques, 
que  les  médecins  les  plus  sagaces  et  les  plus  probes  tout  à  la  fois,  qui  rougi- 
raient d'exploiter  à  leur  profit  cette  pathologie  curative,  sont  souvent  les  dupes 
de  celte  comédie  morbide.  Tant  qu'ils  doutent,  ils  doivent  combattre  sérieu- 
sement le  mal  dont  ils  ont  au  moins  les  symptômes  sous  les  yeux,  mais,  si  le 
masque  tombe  au  milieu  de  la  pièce,  le  devoir  leur  défend  de  servir  de  com- 
parses à  ces  héroïnes  de  boudoir Ces  accidents,  après  avoir  été  simulés... 

peuvent  finir  par  dominer  la  volonté  elle-même  et  créer  une  sorte  d'habitude 
pathologique.  Le  médecin  qui  se  laisse  prendre  au  jeu  de  ces  spasmes  étudiés 

contribue   par  ses  soins à  convertir  en  une  affection  réelle  cette  mascarade 

nerveuse.  » 

Il  est  une  circonstance  qui  cause  toujours  un  peu  d'embarras  aux  débutants  : 
c'est  celle  où  il  y  a  lieu  de  procéder  à  un  examen  des  parties  sexuelles.  Proposer 
l'examen  d'emblée,  simplement,  comme  une  chose  banale,  est  un  procédé  qui 
convient  pour  une  femme  d'un  certain  âge,  surtout  si  l'on  sait  qu'elle  a   déjà 


DEONTOLOGIE.  557 

subi  l'opération;  les  tergiversations  du  médecin,  celte  sorte  de  délibération 
intime  sur  le  cas  à  faire  de  sa  pudeur,  lui  déplaît,  et  elle  préfère  de  beaucoup 
une  résolution  immédiate.  Mais  il  en  est  autrement  d'une  femme  jeune,  de  timi- 
dité farouche,  que  le  seul  interrogatoire  suffit  à  troubler.  Il  est  alors  convenable 
de  la  faire  avertir  de  la  nécessité  occurrente  par  le  mari  ou  par  la  mère,  qui  la 
chapitrera.  Ou,  si  c'est  vous  qui  deviez  donner  cet  avertissement,  ne  montrez 
d'abord  l'opération  qu'en  perspective,  pour  laisser  à  la  malade  le  temps  d'en 
supporter  l'idée. 

Quelquefois  ce  n'est  pas  une  jeune  femme  mariée,  mais  bien  une  jeune  fille 
qu'il  s'agit  de  soumettre  à  un  examen.  Il  est  des  mères  qui  n'hésitent  pas  à 
l'accepter,  même  à  en  ouvrir  l'avis,  et  des  filles  qui  obéissent  sans  difficulté. 
C'est  presque  toujours  un  hommage  rendu  à  la  probité  de  l'homme  de  l'art; 
mais  ce  peut  être  un  piège.  On  aura  spéculé  sur  vous-même  ;  on  attendra  de 
vous  une  ordonnance  dont  l'usage  ultérieur  vous  impliquera  dans  de  fâcheuses 
aventures;  on  se  proposera  d'expliquer  par  l'introduction  du  doigt  l'avortement 
qui  ne  tardera  pas  à  être  provoqué.  Aussi  un  médecin  prudent  qui  se  trouve 
dans  son  cabinet  en  face  de  personnes  d'un  si  facile  abandon  et  qu'il  ne  connaît 
pas  doit-il  se  tenir  sur  ses  gardes  et  poser  des  questions  tendant  à  savoir  par 
quel  canal  elles  vous  sont  arrivées,  s'il  existe  réellement  une  maladie  et  si  elle 
est  de  nature  à  nécessiter  l'inspection  directe.  Que  si  l'examen  proposé  vous 
paraît  utile  et  s'il  alarme  trop  la  pudeur  de  la  jeune  fille,  n'insistez  pas  et 
adressez-la  à  une  sage-femme  instruite  qui  vous  fera  part  de  ses  constatations.  Il 
est  bon  d'ailleurs  de  savoir  qu'un  certain  nombre  de  femmes,  y  compris  les 
femmes  mariées,  s'adressent  à  des  médecins  inconnus  d'elles  pour  ces  sortes 
d'opérations,  qui  les  mettraient  mal  à  l'aise  devant  celui  qu'elles  voient  chaque 
jour.  Il  n'est  pas  téméraire  d'affirmer  que  la  réserve  de  certaines  femmes  à 
l'égard  du  médecin  ordinaire  n'a  pas  d'autre  motif  qu'une  tendre  affection  pour 
lui  et  la  répugnance  à  étaler  à  ses  yeux  le  spectacle  matériel  d'infirmités,  tan- 
dis qu'il  en  est  d'autres  pour  qui  un  premier  examen  est,  si  j'ose  le  dire,  une 
manière  d'entrer  en  conversation. 

9"  Avortement.  Le  médecin  qui  indique  ou  administre  un  moyen  d'avor- 
tement  est  puni  par  l'article  517  du  Code  pénaL  Si  c'était  la  seule  règle  de 
déontologie  qui  lui  tut  imposée,  il  n'en  serait  pas  question  ici  {voïj.  Avorte- 
ment); mais  il  en  trouve  en  lui-même  une  autre  que  les  clientes  l'amè- 
nent assez  souvent  à  consulter.  En  présence  d'une  demande  d'assistance  crimi- 
nelle, le  médecin  se  trouve  à  peu  près  dans  la  même  situation  qu'en  présence 
du  secret  professionnel.  Celui  qui  remplit  son  devoir  en  ne  révélant  pas  à 
un  des  futurs  la  maladie  incurable  ou  transmissible  de  l'autre,  fait  tort  au 
moins  au  premier;  celui  qui  repousse  brutalement  une  femme  le  suppliant  de 
sauver  son  honneur  peut  la  dévouer  malgré  lui  aux  dangereuses  entreprises 
de  matrones  ignorantes.  Inutile  de  dire  qu'il  doit  pourtant  refuser  ce  service. 
Que  fera-t-il  donc?  11  a  une  première  ressource.  Rarement  les  femmes,  s'adres- 
sant  à  un  médecin  qu'elles  savent  honnête,  commencent  par  une  proposi- 
tion claire  et  explicite;  elles  confient  leur  inquiétude,  déplorent  la  situation  dont 
elles  sont  menacées,  essaient  enfm  de  vous  mettre  sur  la  voie  d'une  réponse.  Si 
vous  feignez  de  ne  pas  comprendre,  elles  s'en  vont  avec  l'intention  de  renouveler 
leur  tentative.  Restez  fermé  tant  que  vous  le  pourrez;  ce  n'est  pas  encore  le 
genre  de  refus  qui  désespère.  A  chaque  visite,  si  la  grossesse  est  très-récente 
émettez  des  doutes  sur  sa  réalité  ;  déclarez  le  toucher  impuissant  encore  à  vous 


558  DÉONTOLOGIE. 

éclairer,  et  donnez  quelques  conseils  insignifiants.  Un  certain  nombre  de  femmes 
se  rassurent  et  prennent  patience  jusqu'au  jour  où,  la  grossesse  se  trouvant  plus 
avancée ,  vous  déclarerez  l'avortement  dangereux.  Vous  vous  serez  en  outre 
réservé  la  chance  de  voir  se  produire  avec  le  temps  une  révolution  dans  les 
idées  de  la  malade,  devant  laquelle  se  sera  ouverte  quelque  porte  de  salut. 

Mais  la  résolution  persiste;  la  cliente  vous  a  pris  directement  à  partie;  elle  a 
résisté  à  tous  vos  conseils,  à  toutes  vos  intimidations;  vous  comprenez  que,  sur 
votre  refus  obstiné,  elle  va  se  livrer  à  d'autres  mains.  Alors,  votre  devoir  à 
vous  restant  le  même,  la  ([uestion  est  de  savoir  si  vous  pouvez  la  tromper, 
vous  déclarer  vaincu  et  vous  faire  son  complice  apparent  en  lui  administrant  de 
faux  abortifs.  Ce  parti,  auquel  des  confrères  croient  devoir  se  déterminer  et 
que  Munaret  préconise  dans  son  livre  Du  médecin  des  villes  et  du  médecin  des 
campagnes  (2«  édit.,  p.  427),  n'est  pas  sans  péril  pour  l'homme  del'art  lui-même 
Le  remède  le  plus  insignifiant  réussit  quelquefois,  c'est-à-dire  que  son  admi- 
nistration peut  être  suivie  d'une  fausse  couclie  naturelle.  La  malade  a  eu  vraisem- 
blablemenl  un  ou  plusieurs  confidents  ou  confidentes;  vous  avez  passé  pendant 
un  temps  plus  ou  moins  long  pour  un  entrepreneur  d'avortements,  et  un  entre- 
preneur liabile.  Munaret  lui-même  avoue  avoir  reçu  dans  ces  conditions  une 
lettre  de  remercîment.  Qu'adviendrait-il,  si,  sur  ces  faux  indices,  l'attention  de 
la  police  était  éveillée?  Et  n'est-ce  pas  pousser  bien  loin  l'abnégation  que 
d'exposer  son  nom  à  une  déconsidération  d'abord  restreinte,  mais  qui  peut 
devenir  publiciue,  tout  en  essayant  d'amener  à  son  insu  une  femme  coupable 
jusqu'au  précipice  de  honte  qu'elle  voulait  éviter  à  tout  prix?  Quant  à  moi, 
j'estime  que  le  médecin  a  suffisamment  rempli  son  devoir  quand  il  a  fait  tous 
ses  efforts  pour  prévenir  l'accomplissement  de  l'acte  criminel. 

10"  Médecin  des  campagnes.  On  a  beaucoup  loué  ce  livre  de  Munaret 
que  je  citais  tout  à  l'Iieure  et  que  l'auteur,  comme  la  critique  du  temps,  ont 
eu  le  tort  de  regarder  comme  unique  eu  son  genre.  11  est  d'une  lecture  agréable, 
très-chargé  de  citations,  d'anecdotes  qui  amusent  l'esprit;  mais  on  arrive  au 
bout  de  cinq  cents  pages  sans  avoir  rencontré  beaucoup  d'observations  nou- 
velles ni  de  remarques  originales.  C'est  plus  souvent  un  tableau  de  ce  que 
tout  le  monde  peut  voir  qu'un  recueil  de  conseils.  Je  parle  surtout  de  la  partie 
qui  touche  à  la  déontologie,  car  il  y  a  une  autre  partie  concernant  la  patho- 
logie et  la  thérapeutique,  dont  on  peut  tirer  plus  de  profit.  J'ouvre  la  Lettre 
consacrée  aux  erreurs  et  préjugés  médicaux  des  paysans  et  aux  moyens  de  les 
combattre.  J'y  vois  bien  que  la  campagne  est  infestée  de  rhabillenrs,  de  inéde- 
cins  des  urines,  de  marchands  d'orviétans;  que  le  paysan  consulte  tous  les  pra- 
ticiens de  la  localité  et  des  environs,  sans  s'attacher  à  aucun;  qu'il  aime  les 
fortes  purges,  les  fortes  suées;  qu'il  déteste  les  saignées  et  les  sangsues;  qu'il 
a  moins  de  répugnance  pour  les  premières  parce  qu'elles  coûtent  moins  cher; 
qu'il  a  horreur  de  la  diète,  etc.;  mais  aucune  indication  sur  la  conduite  à 
tenir  et  sur  les  moyens  de  lutter  contre  tant  d'obstacles,  si  ce  n'est  le  conseil, 
donné  plus  haut,  de  ne  pas  repousser  h  brebis  malade  qui  s'est  égarée  chez  un 
confrère,  ou  celui  de  dissimuler  dans  les  préparations  certaines  subst.mces  dont  le 
paysan  a  particulièrement  horreur,  le  mercure,  par  exemple.  Quant  aux  moyens 
de  diminuer  les  préjugés  médicaux,  proposés  à  la  fin  du  chapitre,  ce  sont  des 
lois  nouvelles  contre  le  charlatanisme,  qui  ne  feraient  pas  grand  mal  aux  préjugés, 
dont  la  plupart  relèvent  de  la  liberté  personnc'.'e  et  de  la  vie  privée;  qui  n'en  fe- 
raient pas  non  plus  au  charlatanisme,  confondu  encore  ici  avec  l'exercice  illégal. 


DÉONTOLOGIE.  559 

De  même,  dans  la  Lettre  concernant  la  médecine  légale  appliquée àla  moralité' 
des  campagnes,  on  cherche  l'action  moralisatrice  du  médecin  et  l'on  trouve 
seulement  un  expose  des  conditions  particulières  que  rencontre  devant  lui 
le  médecin  de  campagne  requis  par  la  justice,  avec  de  sages  conseils  de  pru- 
dence imposée  par  les  ruses  et  les  calculs  des  paysans. 

Je  ne  sais  s'il  y  aurait  plus  à  faire  sur  ce  sujet  ;  je  le  présume,  mais,  étranger 
toute  ma  vie  au  milieu  rural,  je  ne  crois  pas  devoir  essayer  d'en  tirer  un 
nouveau  chapitre  de  déontologie  et  je  m'en  tiens  à  ce  que  j'ai  eu  occasion  d'en 
dire  au  cours  de  cet  article. 

J.  Honoraires.  L'homme  de  l'art  a  rempli  son  devoir  envers  le  malade; 
un  droitenesl  sorti  pour  lui  :  celui  d'être  rémunéré  de  ses  soins.  Zimmermann 
a  écrit  :  «  On  console,  on  rend  la  justice,  on  traite  des  malades,  non  pour 
obéir  à  un  penchant  du  cœur,  mais  parce  qu'il  le  faut,  parce  qu'on  est  appelé, 
parce  qu'on  porte  une  robe  noire,  parce  qu'on  est  attaché  à  un  tribunal,  parce 
qu'on  a  mis  à  sa  porte  telle  o;i  telle  enseigne  «  (Traité  de  Ihabilude,  p.  486, 
éd.  Jourd.).  Max  Simon  reprend  le  médecin  de  Brugg  de  cette  sèche  maxime,  el 
comme  elle  se  termine  par  une  moquerie  sur  les  témoignages  de  reconnaissance 
dont  les  clients  sont  prodigues,  notre  respectable  confrère  s'efforce  tout  à  la  fois 
de  relever  la  notion  du  devoir  et  la  réputation  des  clients.  Pour  moi,  je 
l'avoue,  quelque  chose  me  plaît  dans  la  maxime  du  misanthrope  :  c'est  que  le 
sacerdoce  ne  lui  fait  pas  perdre  de  vue  la  profession  et  les  droits  qui  s'y  atta- 
chent. Certainement,  et  je  l'ai  assez  dit,  une  mission  d'humanité  s'impose  à 
l'homme  de  l'art;  elle  découle  de  la  nature  de  sa  profession,  mais  n'absorbe 
pas  la  profession  elle-même.  Celui  qui  embrasse  la  médecine  a,  comme  le 
notaire  ou  l'avoué,  l'intention  formelle  de  mettre  un  prix  aux  services  qu'il 
rendra,  et  la  légitime  conviction  que  ce  prix  lui  sera  dû  au  même  titre  que 
celui  des  contrats  de  vente  ou  de  l'introduction  d'une  action  civile.  Tout  ce  que 
l'humanité  lui  inspire  ou  lui  dicte  comme  un  devoir  moral  eu  opposition  avec  ce 
principe  est  louable;  mais  le  principe  demeure,  et  il  est  bon,  au  nom  de  la 
justice,  qu'il  ne  périsse  pas. 

La  rémunération  affecte  plusieurs  modes.  Le  chirurgien,  faisant  un  tout  de 
son  opération  et  des  visites  qui  s'y  sont  rattachées,  évalue  ses  honoraires  à 
une  somme  fixe.  Certains  médecins  dans  les  grandes  villes  prennent  aussi  pour 
base  de  leurs  exigences  l'ensemble  des  soins  donnés  dans  le  cours  d'une  mala- 
die ou  quelquefois  dans  le  cours  d'une  année.  Mais,  pour  l'immense  majorité 
des  praticiens,  les  honoraires  sont  réglés  à  tant  par  visite.  A  ceux-là  surtout  il 
n'est  pas  inutile  de  recommander,  quelque  mode  de  comptabilité  qu'ils  adoptent, 
d'être  toujours  en  mesure  de  justifier  du  nombre  de  leurs  visites  et  des  dates 
auxquelles  elles  ont  été  faites.  Cela  pourra  paraître  bien  vulgaire  ]iour  un 
ministre  de  la  santé,  mais  est  absolument  imposé  par  les  conditions  ordinaires 
de  l'exercice.  Une  substitution  d'adresse  peut  faire  parvenir  à  un  client  un 
relevé  de  visites  qui  ne  le  concerne  pas  ;  des  erreurs  peuvent  se  glisser  dans 
la  confection  des  notes.  De  plus,  dans  les  contestations  judiciaires,  soit 
contre  un  client,  soit  dans  une  succession,  la  production  du  regisîre  ou  de 
la  feuille  afférente  du  registre  peut  être  ordonnée  par  le  tribunal.  Dans 
tous  les  cas,  l'mipossibilité  matérielle  d'une  vérification  tournerait  contre  le 
médecin. 

Certains  praticiens  envoient  leurs  notes  tous  les  trois  mois;  les  familles  s'y 
accoutument  malaisément.  A  peine  acceple-t-on   volontiers  la  période  de  six 


560  DEONTOLOGIE. 

mois;  presque  toujours  c'est  celle  d'une  année  qui  est  adoptée.  On  verra  à  l'ar- 
ticle PIoîiORAiRE  l'inconvénient  qui  peut  en  résulter  par  suite  de  la  prescription 
légale;  mais  cet  inconvénient,  il  faut  le  reconnaître,  se  produit  rarement,  et 
bien  des  médecins  laissent  dormir  plusieurs  années  une  partie  au  moins  ce 
leurs  créances.  Il  en  est  même,  mais  ils  sont  peu  nombreux,  qui  n'envoient 
jamais  de  notes,  comme  on  dit  que  faisait  Bouvard.  Un  des  représentants  les 
plus  purs  de  la  médecine  humanitaire,  l'auteur  de  la  Médecine  du  cœur, 
n'approuvait  pas  ces  lenteurs  :  «  Ne  souffrez  jamais,  écrivait-il,  que  la  reconnais- 
sance s'accumule  en  longues  dettes  ;  ainsi  que  la  mémoire,  elle  s'use  par  les 
années.  »  M.  A.  Petit  n'avait  pas  tort;  seulement  il  exagérait  un  peu  la  suscep- 
tibilité des  clients  en  ajoutant  qu'une  note  tardive  les  faisait  rougir  et  ne 
pouvait  pas  leur  être  présentée  sans  offense. 

La  méthode  anglaise  prévient  toute  difficulté.  Le  médecin  reçoit  à  sa  pre- 
mière visite  le  prix  de  deux,  et  le  prix  d'une  à  toutes  les  autres;  il  est  ainsi 
toujours  payé  d'avance  d'une  visite.  Le  jour  où  il  ne  reçoit  rien,  il  sait  qu'il  ne 
doit  plus  revenir.  Au  Congrès  médical  de  Lyon  en  1873,  M.  le  docteur  Caron  (de 
Paris),  dans  un  mémoire  concernant  les  moyens  pratiques  d' améliorer  la  situa- 
tion du  médecin,  a  proposé  d'adopter  eu  France  cette  méthode,  modifiée  en  ce 
sens  que  les  honoraires  ne  seraient  reçus  que  pour  la  visite  en  cours.  De  cette 
manière,  il  n'y  aurait  plus  lieu  à  contestation  et  le  praticien  pauvre,  obhgé 
quelquelbis  de  vivre  au  jour  le  jour,  pour  qui  un  retard  de  payement  équivaut 
à  une  avance  de  fonds,  rentrerait  dans  les  conditions  habituelles  des  autres 
pi^ofessions.  On  doit  seulement  se  demander  si,  en  France  du  moins  (car  chaque 
pays  a  ses  mœurs),  un  pareil  usage  n'aurait  pas  pour  résultat  de  diminuer  sen- 
siblement le  nombre  des  visites.  On  est  toujours  mieux  disposé  à  une  dépense 
future  qu'à  une  dépense  actuelle,  dont  les  moyens  d'ailleurs  peuvent  faire 
défaut. 

Létaux  des  honoraires  est  nécessairement  très-variable.  Dans  les  petites  villes, 
quelquefois  dans  les  cantons,  les  médecins  peuvent  se  concerter  à  l'amiable 
pour  ne  le  pas  abaisser  au-dessous  d'un  certain  chiffre.  Il  y  en  a  de  nombreux 
exemples.  On  peut  toutefois  douter  que  la  convention  soit  toujours  obéie,  parce 
que,  entre  la  richesse  ou  l'aisance  qui  permettent  des  prix  convenables  et  la 
misère  qui  mérite  la  gratuité,  il  y  a  des  degrés  pour  lesquels  le  chiffre  minimum 
est  encore  trop  élevé.  Le  médecin  se  trouverait  ainsi  obligé,  pour  observer  la 
règle,  d'agrandir  la  sphère  de  ses  soins  "gratuits  et  de  les  étendre  à  des  clients 
qui  ne  les  réclament  pas.  La  charité  offre  alors  ce  double  inconvénient  d'être 
tyiannique  pour  ceux  qui  la  font  et  humiliante  pour  ceux  qui  la  reçoivent.  Ce 
n'est  même  plus  la  charité,  dont  la  source  ne  peut  être  ailleurs  que  dans  l'amour 
de  ses  semblables.  Quant  aux  grandes  villes,  ce  qui  vient  d'être  dit  suffit  à 
montrer  combien  elles  seraient  réfractaires  à  une  paieille  méthoda. 

Mais  ce  qui  est,  à  mon  sens,  tout  à  fait  déraisonnable,  c'est  la  prétention 
non-seulement  de  taxer  la  visite  en  elle-même,  mais  encore  de  faire  varier  la 
taxe  suivant  certaines  particularités  de  la  visite,  telles  que  la  durée  ou  l'heure  à 
laquelle  elle  est  faite;  c'est  de  fixer  le  prix  de  chacune  des  opérations  de  petite 
chirurgie,  comme  saignée,  application  de  ventouses,  et  même  les  grandes  opéra- 
tions. La  meilleure  manière  de  former  sur  ce  sujet  l'opinion  du  lecteur,  c'est 
de  mettre  sous  ses  yeux  deux  projets  de  tarif  dont  l'un  appartient  aux  médecins 
de  Rennes,  et  dont  l'autre  a  été  imaginé  en  Allemagne,  il  y  a  déjà  longtemps, 
par  le  docteur  Klein. 


DÉONTOLOGIE.  561 

Tarif  des  honoraires  des  médecins  de  Rennes,  délibère'  et  arrêté  par  le  Conseil 
de  l'Association,  le  19  avril  iSbS.  Ce  projet,  reconnaissant  que  les  malades  ne 
peuvent  pas  tous  accorder  aux  médecins  la  même  rétribution,  les  a  partagés  en 
quatre  classes  :  1°  celle  des  gens  riches,  oîi  se  trouvent  les  hauts  fonctionnaires, 
les  grands  industriels,  les  banquiers,  les  chefs  d'administration  et  les  sous-chefs, 
les  propriétaires  riches,  etc.;  2"  celle  des  gens  aisés,  tels  que  les  commerçants, 
les  petits  propriétaires,  les  employés,  etc.  ;  5°  celle  des  gens  peu  aisés  compre- 
nant les  mêmes  individus  que  la  seconde,  mais  placés  dans  des  conditions  de 
fortune  moins  avantageuses;  4"  celle  des  ouvriers. 

Ces  distinctions  faites,  le  tarif  a  été  arrêté  comme  il  suit  : 

Visites  de  jour  :  1°  ponr  les  malades  de  la  ['"  classe,  5  francs;  2°  pour  ceux  de  la  2', 
2  francs;  3°  pour  ceux  de  la  5%  1"",50;  4°  pour  ceux  de  la  4»,  l  franc.  —  Visites  de  nuit. 
Sont  appelées  visites  de  nuit  celles  qui  sont  faites  entre  dix  heures  du  soir  et  six  heures  du 
matin,  été  comme  hiver  :  1°  pour  les  malades  des  deux  premières  classes,  10  francs;  2°  pour 
ceux  des  deux  dernières,  G  francs. 

Consultations  entre  confrères,  quel  que  soit  le  nombre  des  médecins  :  1"  pour  les  malades 
des  deux  premières  classes,  10  francs;  2°  pour  ceux  des  deux  dernières,  6  francs. 

Conférences  ou  visites  à  heure  fixe  :  le  double  du  prix  de  la  visite  de  jour,  en  égard  aux 
diverses  classes  de  malades  établies  ci-dessus. 

Consultations  de  nuit  entre  confrères  :  le  double  du  prix  de  la  visite  de  nuit.  —  ISuit 
passée  près  du  malade,  15  francs.  —  Consultations  données  dans  le  cabinet  du  médecin  : 
le  même  que  celui  des  visites  de  jour.  —  Consultations  écrites,  détaillées  :  1»  pour  les 
malades  de  la  1''°  et  de  la  2=  classe,  10  francs;  2°  pour  ceux  de  la  5°  et  de  la  4=,  5  francs. 

Certificats  de  3  à  6  francs. 

Opérations  qui  sont  du  ressort  de  la  petite  chirurgie,  telles  que  toucher,  application  de 
selon,  ventouse,  moxa,  cautère,  saignée,  extraction  de  dents;  se  payeront  en  sus  de  la  visite 
de  jour  ou  de  la  consultation.  Le  prix  minimum,  pour  chacune  d'elles,  sera  le  prix  de  la 
visite  de  jour. 

Visites  de  jour  à  la  campagne.  —  Sont  appelées  visites  à  la  campagne  toutes  celles  que 
l'on  fait  en  dehors  des  limites  de  l'octroi.  —  Prix  par  kilomèli'e,  1  franc.  —  Visites  de  nuit 
à  la  campagne  :  le  double  du  prix  de  la  visite  de  jour,  si  la  distance  n'excède  pas  20  kilo- 
mètres; au  delà,  la  moitié  en  sus  seulement. 

Accouchements  naturels  :  1°  pour  les  malades  de  la  1"'°  classe,  100  francs;  2°  pour  ceux 
de  la  2%  60  francs  ;  3°  pour  ceux  de  la  3%  30  francs  ;  4°  pour  ceux  de  la  4«,  15  francs.  Dans 
le  prix  de  l'accouchement  se  trouvent  compris  les  soins  de  la  couche,  dont  la  durée  est  fixée 
à  huit  jours  inclusivement. 

Vaccination.  Elle  se  payera  en  outre  du  prix  de  l'accouchement.  Prix  minimum,  o  francs. 

Le  dernier  article  a  pour  but  de  régler  la  conduite  des  médecins  vis-à-vis  des  corpora- 
tions d'ouvriers.  Il  a  été  convenu  que  ceux-là  ne  consentiront  à  devenir  médecins  d'une  cor- 
poration qu'à  la  condition  que  toutes  leurs  visites  soient  comptées  au  prix  de  1  franc  cha- 
cune, et  que  les  accouchements  leur  soient  payés  en  sus,  conformément  au  tarif  ci-dessus, 
qui  en  fixe  à  15  francs  le  prix  minimum.  Sont  exceptés  les  médecins  des  sociétés  de  bien- 
faisance proprement  dites. 

Projet  de  tarif  de  M.  Klein.  L'auteur  établit  que  la  taxe  doit  varier  suivant 
la  position  de  fortune  du  malade  et  suivant  les  circonstances  qui  ont  rendu  l'ac- 
tion médicale  facile  ou  difficile,  ou  qui  ont  été  plus  ou  moins  onéreuses  pour 
le  médecin.  Il  demande  une  élévation  de  la  taxe  pour  le  cas  où  il  y  a  danger 
d'infection,  le  payement  des  instruments  qui  ne  peuvent  plus  servir  à  une  seconde 
opération,  elc,  11  montre  que  la  taxe  de  1815  était  mal  cojiçue  et  que,  par 
exemple,  le  médecin  qui  opérait  un  malade  la  nuit  gagnait  moins  que  s'il  eût 
fait  une  seule  visite  nocturne.  Il  arrive  enfin  à  fixer  le  taux  des  honoraires  dans 
une  foule  de  circonstances,  dont  je  mentionne  les  principales  : 

Pour  une  Consultation  de  plusieurs  médecins,  à  chacun,  le  jour,  4  à  12  francs-  la  nuit 
8  à  24  francs  (payement  spécial,  si  l'habitation  du  malade  est  à  plus  d'un  quart  de  lieue)' 
Visite  ;e;our,  !'■■, 25  à  4  francs;  la  nuit,  4  à  12  francs.  Pour  répéter  une  ordonnance,  75 cent'. 
DICT.    E.NC.   XXVII.  55 


562  DÉONTOLOGIE. 

à  1  franc.  Certificat  de  décès,  4  à  8  francs  ;  si  l'on  essaie  de  rappeler  le  malade  à  la  vie, 
8  à  16  francs  {^'.  B.  On  paye  les  médicaments  à  part).  Certificat  de  maladie,  12  à  24  francs. 
Opérations.  Extirpation  d'un  polype  de  l'œil,  12  à  30  francs.  —  Désobstruction  de  l'oritice 
extérieur  de  l'oreille,  20  à  60  francs.  —  Opération  du  cancer  des  lèvres,  16  à  48  francs.  — 
Opération  du  bec-de-lièvre,  16  à  48  francs.  —  Ouverture  de  la  bouche  oblitérée,  16  à 
48  francs.  —  Elargissement  de  la  bouche  rétrécie,  8  à  24  francs.  —  Ablation  d'une  parlie 
de  la  mâchoire  supérieure,  40  à  120  francs.  —  Ablation  d'une  partie  de  la  màchoii'e  inférieure, 
40  à  120  francs.  —  La  même  opération  avec  désarticulation  de  la  pièce,  60  à  180  francs.  — 
Examen  des  parties  génitales  internes  de  la  femme  à  l'aide  du  spéculum,  4  à  12  francs.  — 

Opération  de  l'incision  du  ventre,  00  à  180  francs. —  Opération  de  lithotritie,  80  à  240  francs 

Opération  de  l'uréthrotomie,  16  à  48  francs.  —  Désarticulation  coxo-fémorale,  120  à 
300  francs.  —  Réduction  de  la  luxation  des  bras,  20  à  60  francs.  —  Réduction  de  la  luxation 
de  la  main,  20  à  60  francs.  —  Réduction  de  la  luxation  d'un  doig-t,  8  à  24  francs.  —  Réduction 
des  luxations  ou  fractures  vieilles  de  plus  de  vingt-quatre  heures,  le  double  de  la  taxe.  — 
Ligature  d'une  grosse  artèi-e  dans  sa  continuité,  32  à  96  francs.  iV.  B.  Les  ligatures  des 
vaisseaux  dans  l'amputation  d'un  membre  ou  comme  préliminaire  d'un  pansement  ne  sont 
pas  payées  séparément.  —  Rhinoplastie,  80  à  240  francs.  —  Section  des  petits  tendons, 
muscles  ou  nerfs,  4  à  12  francs.  —  Lavement  liquide,  60  cent,  à  2  francs.  —  Lavement 
sous  forme  de  vapeur,  2  à  6  francs. 

Entre  les  nombreuses  observations  auxquelles  pourraient  donner  lieu  ces  tarifs, 
il  en  est  une  générale  qui  suffit  à  les  condamner  :  ils  ne  tiennent  compte  ni  de  la 
valeur  de  l'ouvrier,  ni  de  la  valeur  et  de  la  somme  de  travail  accompli.  Et  c'est  bien 
ainsi  que  la  question  doit  être  pese'e  sur  un  terrain  tout  industriel  ou,  si  l'on 
veut,  artistique.  Entre  la  visite  de  A  et  la  visite  de  B,  il  y  a,  quant  à  la  valeur, 
autant  de  différence  qu'entre  l'œuvre  d'un  grand  architecte  et  celle  d'un  petit 
entrepreneur,  ou  entre  le  tableau  d'un  maître  et  celui  d'un  rapin.  Moi,  pa- 
tient, je  veux  bien  payer  20  francs  la  visite  d'un  médecin  habile  ou  réputé  tel, 
mais,  en  mon  àme  et  conscience,  celle  de  son  voisin  ne  vaut  que  5  francs.  De 
même  une  opération  mal  exécutée  n'équivaut  pas  à  une  opération  bien  exécutée; 
une  bouche  close  ou  trop  étroite  peut  être  bien  ou  mal  ouverte  ou  élargie.  De 
plus  le  mérite  des  opérations  ne  se  mesure  pas  ainsi  à  la  grandeur  du  trauma- 
tism-^;  il  y  a  telle  section  sous-cutanée  de  tendon  (ci  :  12  francs  au  maximum) 
qui  exige  plus  d'habileté  et  d'expérience  qu'une  amputation  de  cuisse.  Enfin, 
pour  la  même  opération  et  pour  le  même  chirurgien,  ni  le  temps  ni  les  difficultés 
ne  sont  toujours  les  mêmes.  Je  sais  bien  que  M.  Klein  tient  compte  des  diffi- 
cultés rencontrées  dans  une  opération  déterminée.  Mais  qui  les  appréciera?  Le 
chirurgien  apparemment.  Qui  donc  le  contrôlera  lui-même?  Et  si  vous  lui  lais- 
sez, dans  la  fixation  des  honoraires,  une  latitude  de  moitié  ou  des  deux  tiers,  espé- 
rez-vous qu'il  aura  beaucoup  de  goût  pour  le  minimum?  240  francs  pour  une  opé- 
ration de  lithotritie  vaudront  toujours  mieux  que  80  francs. 

Des  remarques  analogues  seraient  applicables  au  tarif  des  consultations  entre 
confrères,  on,  dans  une  ville  comme  Rennes,  qui  possède  une  École  de  médecine, 
le  consultant,  appelé  en  raison  de  sa  supériorité,  est  mis  à  la  portion  congrue 
du  médecin  ordinaire.  Je  ne  vois  guère  que  le  doublement  du  prix  des  visites 
de  nuit  qui  soit  ici  acceptable  sans  réserve;  il  est  d'ailleurs  assez  généralement 
en  usage,  et  le  jeune  médecin  peut  s'en  faire  une  règle. 

Du  reste,  le  temps  est  de  moins  en  moins  à  l'égalité  professionnelle  en  matière 
d'honoraires.  Par  une  exagération  inverse  de  celle  qu'on  vient  de  voir,  c'est-à- 
dire  par  une  application  abusive  du  principe  de  la  liberté  professionnelle,  mais 
retenant  avec  soin,  pour  l'accommoder  à  leur  profit,  le  principe  du  seri;ice  rend!/, 
certains  médecins  ou  chirurgiens  des  grandes  villes  mettent  leurs  soins  à  un 
prix  excessif,  «  faisant  naître,  par  leur  cupidité,  un  fâcheux  préjugé  contre  le 


DEONTOLOGIE.  565 

corps  médical  tout  entier.  »  Celte  dernière  réflexion  est  de  J.  Frank,  mort  au 
commencement  de  ce  siècle.   Que  dirait -il  donc  aujourd'hui?  M.  Delasiauve  a 
également  signalé  cette  tendance,  en  insistant  sur  le  peu  de  dignité  d'un  calcul 
familier  à  plusieurs,  très-répandu  dans  les  boutiques  de  certains  quartiers,  et 
qui  consiste  à  surélever  les  prix  en  prévision  d'un  rabais.   Ces  confrères  se 
couvrent  de  tous  les  motifs  que  pourraient  alléguer  les  plus  délicats  et  les  plus 
soucieux  de  la  considération  professionnelle,  comme  le  prestige  de  l'art,  la  gran- 
deur des  bienfaits  qu'il  procure,  la  cherté  croissante  de  la  vie,  etc.  Ils  n'oublient 
que  deux  choses  :  la  première,  que  la  vraie  question  ici  est  une  question  de  me- 
sure et  que  c'est  d'outrepasser  la  mesure  qu'on  les  accuse;  la  seconde,  c'est  que 
la  nature  de  ces  bienfaits  qu'ils  se  flattent  de  rendre  ne  peut  se  prêter  qu'à  des 
évaluations  arbitraires,  qui,  faites  par  eux,  peuvent  aisément  devenir  exagérées. 
Je  comprends  le  haut  prix  d'une  œuvre  d'art  signée  d'un  nom  célèbre,  même 
quand  elle  n'est  pas  digne  de  l'auteur.  Ce  que  j'achète  a  un  corps,  une  valeur 
appréciable,  et  c'est  à  mes  risques  et  périls  que  je  conclus  le  marché.  Mais,  si  je 
commandais  à  ce  grand  artiste  un  tableau  à  de  dures  conditions  et  qu'il  m'ap- 
portât un  barbouillage,  je  me  croirais  parfaitement  autorisé  à  ne  pas  lui  verser  la 
somme  convenue,  et  le  tribunal  éclairé  par  des  experts  me  donnerait  raison. 
Vous,  chirurgien,  vous  pratiquez  mal  une  opération,  vous  obtenez  de  mauvais 
résultats,  et  vous  dites  à  l'opéré  :  «  Je  m'appelle  un  tel  ;  ego  nominor  leo;  vous 
me  devez  deux,  quatre,  six,  dix  mille  francs.  Ou  (ce  qui  est  pis),  vous  médecin, 
votre  célébrité  a  conduit  dans  votre  cabinet  un  incurable,  ou  un  individu  atteint 
d'un  mal  curable,  mais  que,  par  hypothèse,  vous  n'avez  pas  guéri;  et  vous  lui 
réclamez  les  mêmes  honoraires  que  si  vous  lui  aviez  sauvé  la  vie.  Qui,  parmi 
les  personnes  initiées  au  monde  médical  des   grandes  villes,  ne  pourrait  citer 
de  pareils  exemples?  Et  qui  ne  sent  se  poser  ici  une  question  de  bonne  foi, 
d'équité,  de  probité;  qui  n'aperçoit  une  limite  en  deçà  de  laquelle  la  rémunéra- 
tion sera  convenable,  au  delà  de  laquelle  elle  deviendra  exorbitante  et  partici- 
pera de  l'exploitation  .''C'est  justement  le  mot  qu'emploie  Schûtzenberger  dans 
son  discours  sur  le  médecin  :  <(  Plus  la  position  d'un  praticien  est  élevée,  plus 
elle  est  en  vue,  et  plus  elle  oblige...  Si  la  pratique  prend  le  caractère  d'une 
exploitation  de  clientèle,  la  déchéance  approche  et  la  désertion  (des  clients)  ne 
se  fera  pas  attendre.  » 

Un  autre  abus,  qu'on  associe  souvent  au  premier,  consiste  à  exiger  le  payement 
anticipé  des  honoraires.  On  a  de  la  sorte  le  malade  à  sa  merci,  et  Ton  est  fort 
à  l'aise  pour  ne  pas  tenir  les  promesses  dont  on  l'a  bercé  avant  le  marché.  Et  en 
fait,  si  cette  exigence  du  médecin  se  colore  habituellement  du  simple  désir 
d'éviter  les  contestations  et  les  déboires,  elle  couvre  souvent  de  mauvais  des- 
seins. Sachant  d'avance  que  les  malades  seront  déçus  dans  leur  espoir  de  gué- 
rison,  on  se  réserve  de  les  tromper  de  manière  ou  d'autre,  et  de  se  retirer  quand 
on  le  trouvera  bon.  Ce  sont  là,  croira-t-on,  des  suspicions  bien  hardies  envers  des 
confrères.  Non,  c'est  la  morale  de  faits  positifs  et  connus,  et  qui  ne  sont  pas 
tous  fournis  par  la  tourbe  vulgaire  des  charlatans.  J'ai  été  mis,  il  n'y  a  pas  bien 
longtemps,  par  les  intéressés  eux-mêmes,  au  courant  d'une  négociation  dans 
laquelle  un  praticien  fort  connu  et  même  fort  habile  demandait,  pour  un  traite- 
ment dont  les  résultats  eussent  été  nécessairement  imparfaits,  une  so  nme 
énorme,  dont  partie  payable  immédiatement,  le  reste  en  diverses  échéances 
pendant  une  durée  de  plusieurs  années.  J'ai  entendu  les  plaintes  d'un  de  nos 
plus  honorables  et  plus  distingués  confrères   au  sujet  d'un  client  atteint  d'une 


5ji  DEONTOLOGIE. 

maladie  interne,  qui,  atliré  par  la  renommée  d'un  praticien,  dut  lui  verser  tout 
d'abord  une  forte  somme  et  fut  abandonné  de  lui  après  quelcpies  consultations. 

A  celte  question  d'honoraires  se  rattache  celle  des  gains  illicites. 

Je  ne  dis  qu'un  mot  de  la  surcharge  du  ciiiftVe  des  visites;  c'est  une  vente  à 
faux  poids,  dont  le  caractère  dolosif  ressort  de  lui-même.  Les  praticiens  ne  sau- 
raient poiter  trop  d'attention  à  ce  que  le  soupçon  d'un  tel  méfait  ne  puisse, 
même  injustement,  les  atteindre.  Cela,  malheureusement,  serait  presque  impos- 
sible, si  l'on  n'était  garanti  par  une  probité  reconnue;  on  l'a  déjà  compris 
par  ce  qui  a  été  dit  plus  haut.  En  effet,  beaucoup  de  clients  inscrivent  les  vi- 
sites reçues;  il  ne  dépend  pas  de  vous  qu'ils  ne  commettent  aucune  erreur,  et 
que  leur  chiffre  de  fin  d'année  ne  soit  inférieur  au  chiffre  vrai  que  vous  aurez 
trouvé.  Il  y  a  d'autres  causes  de  désaccord  :  une  erreur  d'addition,  une  visite 
notée  sur  l'agenda  comme  à  faire  et  inscrite  par  mégarde  comme  faite,  la  mau- 
vaise habitude  de  s'en  rapporter  à  ses  souvenirs.  Ce  qui  contribue  à  sauver  de 
tout  soupçon  le  praticien  consciencieux,  c'est  que,  presque  toujours,  il  oublie 
])lus  souvent  que  le  malade  de  noter  les  visites,  et  c'est  chose  commupe  que  de 
voir  entrer  dans  son  cabinet,  un  papier  à  la  main,  un  client  qui  vous  dit,  de 
l'air  satisfait  d'un  homme  méditant  une  bonne  action  :  «  Docteur,  vous  vous 
êtes  trompé  »,  et,  après  une  pause:  «  à  votre  désavantage!  ».  Ce  certificat  de 
bonnes  mœurs  vous  sert  pour  les  cas  d'erreur  possible  au  désavantage  du  client. 

Certains  médecins,  qui  rougiraient  peut-être  de  commettre  une  tromperie 
directe,  cherchent  une  source  de  bénéfice  dans  des  générosités  périodiques  d'un 
pharmacien  préféré  ou  même  dans  une  association  formelle  avec  lui.  Ce  que 
J.  Frank  écrit  sur  ce  sujet  mérite  d'être  reproduit  in  extenso  : 

«  Qui  ne  sait,  dit-il,  que  certains  médecins  n'adressent  leurs  malades  qu'à 
certains  pharmaciens  qui  savent  reconnaître  leur  patronage  par  de  riches  cadeaux? 
Peut-on  douter  que  les  médecins  qui  se  laissent  ainsi  corrompre  ne  seront 
pas  des  juges  impartiaux  de  la  bonté  des  médicaments  que  dispense  le  pharma- 
cien si  reconnaissant?  N'est-il  pas  à  craindre  qu'ils  prescrivent  les  remèdes  les 
plus  coûteux  dans  la  persuasion  qu'il  doit  leur  revenir  une  partie  du  gain  qu'ils 
procurent?  Cette  coutume  pourrait  être  tolérée,  si  ces  cadeaux  consistaient  seule- 
ment en  quelques  bagatelles;  mais,  dans  les  grandes  villes,  elle  est  arrivée  au 
point  qu'on  en  porte  la  valeur  à  des  sommes  considérables,  dont  l'avidité  de 
quelques-uns  ne  se  contente  pas  encore.  Cependant,  le  pharmacien  n'est  jamais 
dupe  de  ce  luxe  des  étrennes  :  si  parfois  il  lui  cause  quelque  embarras,  il  sait 
fort  bien  s'en  dédommager  par  la  surcharge  du  prix  des  médicaments.  Mais  le 
pauvre  malade,  le  père  de  famille,  qui  s'impose  les  plus  dures  privations  pour 
procurer  à  sa  femme  et  à  son  fils  les  médicaments  nécessaires,  devient  la  mal- 
heureuse victime  de  cette  infâme  usure.  C'est  en  vain  qu'il  se  plaint  à  son 
médecin  du  prix  excessif  des  médicaments  ;  il  ne  trouve  en  lui  aucun  secours 
contre  l'oppression  et  la  cupidité  d'un  pharmacien  avec  lequel  ce  médecin  a 
conlraclé  une  alliance  offensive  et  défensive. 

«  11  est  certains  médecins  à  conscience  élastique  qui  ne  croient  pas  faillir 
en  exigeant  un  droit  de  commission  sur  le  produit  des  médicaments  qu'ils  font 
débiter,  ravalant  ainsi  la  dignité  de  leur  art  à  une  spéculation  commerciale. 
Comment  ne  seraient-ils  pas  déconsidérés,  puisqu'ils  s'abaissent  à  ce  point  de 
c  ntracter  un  accord  qui  les  rend  trop  faciles  envers  les  pharmaciens,  lesquels 
e:i  abusent  au  profit  des  malades  ?  Bien  plus  coupable  encore  est  celui  qui  tient 
boutique  ouverte  de  médicaments  ou  s'entend  avec  un  pharmacien  pour  ran- 


DÉONTOLOGIE.  565 

çoiiner  les  malheureux   malades  qui   ont  U  malheur   de  tomber  entre  leurs 

mains.  » 

Depuis  J.  Frank,  ce  genre  de  spéculation  s'est  beaucoup  perfectionne;  on  a 
passé  des  traités  en  règle;  on  a  imaginé  de  glisser  les  ordonnances  dans  des 
enveloppes  portant  l'adresse  de  l'officine,  mieux  encore  de  les  écrire  sur  des 
papiers  ornés  du  nom  du  pharmacien  (j'ai  possédé  une  collection  de  ces  pièces); 
on  a  forcé  le  client,  par  la  substitution  de  numéros  convenus  à  des  formules 
détaillées,  à  aller  chercher  les  médicaments  au  bon  endroit.  Inutile  d'ajouterque 
les  malades  n'ont  jamais  à  se  plaindre  du  trop  petit  nombre  ni  de  la  trop  grande 
simplicité  des  médicaments. 

J.  Frank  ajoute  :  «  Je  suis  certain  que  plusieurs  propriétaires  d'eaux  thermales 
payent  un  tribut  annuel  aux  médecins  des  villes  voisines  et,  par  ce  moyen,  par- 
viennent à  donner  de  la  réputation  et  de  la  célébrité  aux  prétendues  vertus 
salutaires  de  leurs  sources.  »  Cette  branche  de  commerce  aussi  a  fait  des  progrès. 
Les  propriétaires  ou  fermiers  d'établissements  thermaux  portent  leur  tribut  bien 
plus  loin  que  les  villes  voisines.  Ils  ont  leurs  salariés  à  Paris,  dans  des  livres 
d'hydrologie  et  dans  la  presse  médicale.  Des  sociétés  d'exploitation  se  sont 
instituées,  qui  ont  eu  le  bon  esprit  de  mettre  à  leur  tète  des  médecins  influents 
et  de  se  ménager  des  plumes  complaisantes.  J'ai  même  reçu  un  jour  une  offre 
très-avantageuse,  et  je  sais  qui  l'a  acceptée. 

On  n'en  finirait  plus,  si  l'on  entreprenait  les  dénombrements  des  gains  illicites. 
La  directrice  d'une  maison  de  nourrices  bien  connue  pourrait  nous  dire  ce  que 
lui  coûtent  les  remises  faites  aux  médecins  ;  de  même,  certains  petits  fabricants 
d'instruments  de  chirurgie  et  d'appareils  orthopédiques,  si  toutefois  l'antique 
usage  ne  s'est  pas  perdu.  Il  est  tel  remède  spécial,  très-lucratif,  qui,  en 
récompense  d'un  appui  prêté  dans  les  livres,  dans  les  sociétés  savantes,  pro- 
cure annuellement  de  beaux  bénéfices  à  des  confrères  qui  ne  s'en  vantent  pas. 
Oui  ne  connaît  encore  des  médecins  à  la  fois  compères  intéressés  de  charla- 
tans et  complices  d'exercice  illégal?  J.  Frank,  contre  toutes  les  pratiques  de 
ce  genre,  invoquait,  lui  aussi,  le  secours  de  la  justice.  J'ai  dit  plus  haut  ce 
qu'il  était  raisonnable  d'attendre  d'une  législation  spéciale. 

Un  point  qui  mérite  une  attention  particulière,  parce  qu'il  préoccupe  beaucoup 
le  public  médical  depuis  quelque  temps,  c'est  le  partage  d'honoraires  entre  pra- 
ticiens ayant  donné  leurs  soins  au  même  malade.  Presque  toujours  c'est  un 
chirurgien  qui,  plus  largement  payé  que  le  médecin  de  la  famille,  lui  donne  une 
paît  de  ses  honoraires;  mais  ce  cas  n'est  pas  tout  à  fait  étranger  aux  médecins 
consultants  qui  sont  restés  longtemps  adjoints  au  médecin  traitant.  Cette  habi- 
tude a  suscité  de  si  violentes  réciminations,  que  c'est  vraiment  un  mérite  de 
l'aborder  en  toute  liberté. 

J'ose  dire  tout  d'abord  que  le  principe  n'en  est  aucunement  répréhensible. 
Deux  confrères  sont  réunis  auprès  d'un  malade;  ils  sont  souvent  de  valeurs  peu 
différentes,  mais  l'un,  s'il  est  chirurgien,  gagne  5  à  6000  francs  en  vingt  minutes, 
ou,  s'il  est  médecin,  1200  francs  en  vingt  visites,  là  où  le  médecin  ordinaire 
qui  l'aura  appelé  gagnera  une  soixantaine,  mettons  une  centaine  de  francs. 
N'allons  pas,  pour  le  moment,  plus  loin  que  le  point  de  vue  moral,  et  demandons- 
nous  s'il  y  a  forfaiture  au  chirurgien  ou  au  consultant  d'offrir  à  un  confrère  si 
mal  partagé,  mais  à  celui-là  seulement,  un  certain  dédommagement.  On  pourrait, 
à  meilleur  droit,  y  voir  un  acte  de  bonne  confraternité;  et,  s'il  en  est  ainsi,  le 
médecin  traitant  peut  aussi  bien  accepter  que  le  consultant  offrir  ;  c'est  affaire 


566  DÉOMTOLOCtIE. 

de  délicatesse  personnelle ,  où  la  morale  n'est  nullement  engagée.  Aussi  les 
hommes  de  ma  génération  ont-ils  connu  une  époque  où  les  médecins  les  plus 
justement  honorés,  dont  l'état  actuel  de  l'opinion  ne  permet  plus  de  divulguer 
les  noms,  voulaient  diminuer  en  quelque  mesure  cette  inégalité  de  traite- 
ment quand  elle  devenait  trop  considérable.  Je  déclare,  —  car  il  n'y  a  pas  de 
meilleure  preuve  de  loyauté  que  la  publicité  des  actes,  —  je  déclare  avoir  moi- 
même  accepté  de  pareilles  offres.  Ce  sera,  si  l'on  veut,  une  confession.  A 
mon  avis,  l'acte  n'est  blâmable  devant  la  conscience  que  si  le  client  en  fait  les 
frais,  c'est-à-dire  si  le  chirurgien  ajoute  à  la  somme  qu'il  croit  lui  être  due  une 
autre  somme  que  le  client  se  trouve  ainsi  payer,  malgré  lui  et  à  son  insu,  au 
médecin  habituel;  mais  les  vieux  praticiens  dont  je  parle  ne  songeaient  pas  à 
pareil  calcul  et  prélevaient  une  part  sur  des  honoraires  parfaitement  normaux, 
comme  ceux  qui  résultent  d'un  nombre  déterminé  de  consultations  au  prix 
habituel.  J'ajoute  que  cette  part  était  d'ordinaire  assez  faible  pour  ne  pas  valoir 
d'être  prise  en  considération  dans  leur  note  d'honoraires.  C'était,  malgré  les 
doléances  des  déontologistes ,  un  temps  relativement  primitif:  celui  où  l'accou- 
cheur de  l'impératrice  Joséphine  avait  une  maison  de  santé,  et  où  l'ancien  chirur- 
gien de  l'empereur  vendait  lui-même,  à  son  domicile,  sur  une  grande  table 
en  manière  de  comptoir,  son  grand  Traité  des  maladies  chirurgicales.  Il  n'est 
que  de  ne  pas  entendre  malice  aux  choses. 

Malheureusement  la  malice  s'en  est  mêlée.  On  s'est  dit  que,  en  augmentant 
ses  largesses,  on  pourrait  se  faire  une  clientèle  de  confrères,  devenant  des  pour- 
voyeurs de  malades,  et  qu'il  convenait  d'être  généreux  envers  eux  en  proportion 
de  ses  propres  prétentions  :  de  là  des  remises  considérables,  et  la  transformation 
d'un  simple  acte  d'équité  en  véritables  commissions.  On  a  parlé  de  sommes 
remises,  non  plus,  comme  autrefois,  aux  assistants  des  opérations  ou  des  consul- 
tations trop  mal  rétribués  par  les  malades,  mais  à  [ceux-mêmes  qui,  de  leur 
côte,  avaient  reçu  largement  le  prix  de  leurs  soins  ;  non  plus  même  unique- 
ment à  ces  assistants,  mais  encore  aux  confrères  de  province  envoyant  leurs 
malades  à  Paris.  Une  guerre  de  commissions  s'est  engagée  et  la  confiance  des 
pourvoyeurs  ou  rabatteurs  a  été  mise  aux  enchères.  Naturellement,  c'est  le  client 
qui  fait  tous  les  frais  de  l'entreprise. 

Tel  est,  du  moins,  le  bruit  répandu.  Pour  ma  part,  je  n'ai  été  témoin  d'aucun 
fait  qui  l'appuie;  et  l'indignation  très-générale  que  soulève  ce  genre  de  spécu- 
lation me  donne  à  penser  qu'il  est  assez  restreint.  Mais  la  femme  de  César  et 
le  médecin  ne  doivent  pas  être  soupçonnés  :  il  n'est  pas  permis  d'ailleurs  de 
prêter  des  armes,  même  involontaires,  aux  détracteurs  de  la  profession  médicale; 
et  quiconque  est  jaloux  de  l'estime  publique  et  de  la  dignité  de  l'art  doit 
aujourd'hui  refuser,  à  quelque  titre,  sous  quelque  prétexte  et  dans  quelque 
mesure  que  ce  soit,  toute  participation  aux  honoraires  des  chirurgiens  ou  des 
médecins  consultants. 

Un  usage  ne  s'est  pas  perdu,  et  je  me  suis  assuré  bien  des  fois  dans  des 
conversations  qu'il  était  accepté  et  pratiqué-  par  des  confrères  de  la  plus  indis- 
cutable moralité,  que  révolte  fortement  le  système  des  remises.  Cet  usage  con- 
siste à  présenter  en  commun,  chirurgien  et  médecin,  une  note  unique  faisant 
masse  des  honoraires  de  l'un  et  de  l'autre,  sauf  à  s'entendre  entre  eux  pour  le 
partage.  Ici  le  médecin  est  rétribué  convenablement,  et  il  l'est  au  su  du  client, 
qui,  libéré  envers  lui,  n'étant  pas  exposé  à  le  payer  deux  fois,  n'a  pas  à  s'occuper 
de  ce  qui  pourra  lui  revenir.  Certes,  cet  autre  système  n'est  pas  absolument 


DÉONTOLOGIE.  567 

réfraclaire  à  l'exploitation  des  familles  :  aucun  principe  n'est  bon  là  où  il  est 
entre  les  mains  de  rimprobité  ;  mais  celui-ci  a  la  double  qualité'  d'être  sincère 
et  de  parer  à  une  injustice. 

Reste  la  question  de  demande  en  payement  d'bonoraires  devant  les  tribunaux, 
Je  n'ai  qu'un  mot  à  en  dire  :  qu'on  use  le  moins  possible  de  ce  droit;  mais  c'est 
une  fausse  délicatesse  que  celle  qui  l'interdit  au  nom  de  la  dignité.  11  est 
■d'odieuses  spéculations  auxquelles  le  médecin  fait  bien,  au  contraire,  de  résis- 
ter. La  dignité  sans  argent  est  vraiment  «  un  meuble  inutile  »  à  ceux  que  pres- 
sent les  nécessités  de  la  vie, 

K.  Cessation  d'exercice.  Un  praticien  non  caduc,  s'il  a  su  gagner  la  con- 
fiance et  l'affection  de  ses  clients,  éprouve  les  plus  grandes  difficultés  à  prendre 
sa  retraite.  On  lui  dit  qu'un  médecin  se  doit  à  l'humanité,  qu'il  va  livrer  aux 
incertitudes  d'un  apprentissage  des  santés  dont  il  avait  la  longue  expérience  ; 
que  c'est  mal  reconnaître  un  attachement  indissoluble.  Tout  cela  ne  doit  rien 
changer  à  unerésolution  bien  prise.  Lecaractère  professionnel  de  la  médecine  pratique 
reprend  ici  toute  sa  valeur;  on  jure  d'être  humain,  dévoué,  consciencieux  et  le 
reste  tant  qu'on  exercera;  on  ne  jure  pas  d'exercer  jusqu'à  la  mort.  Ceux  qui 
le  font  font  bien;  les  autres  ne  font  pas  mal.  Seulement,  comme  l'homme  de 
l'art  qui  rompt  avec  la  pratique  ne  rompt  pas  avec  les  sentiments  qui  doivent 
l'animer,  il  agira  suivant  ces  sentiments  en  restant  à  la  disposition  de  ses 
clients  pour  des  visites  exceptionnelles,  de  concert  avec  le  nouveau  médecin  de 
leur  choix.  Cet  arrangement  apaise  et  rassure  la  clientèle,  tandis  qu'elle  voit 
ordinairement  de  l'insouciance,  un  manque  d'affection,  chez  ceux  qui  rompent 
avec  elle  tout  d'un  coup  et  pour  toujours. 

Si  vous  êtes  appelé  à  désigner  un  successeur,  choisissez-le  doué  des  qualités 
d'esprit  et  de  cœur  qui  conviennent  à  la  profession,  sans  faire  trop  de  sacrifice 
à  la  protection.  11  y  va  de  la  santé  de  vos  semblables,  et  là,  comme  ailleurs, 
c'est  surtout  leur  intérêt  que  vous  avez  à  consulter.  Quant  à  la  question  de 
savoir  si  la  clientèle  du  médecin  est  chose  vendable,  elle  n'appartient  pas  à  la 
déontologie,  mais  à  la  jurisprudence];  elle  a  été  examinée  au  mot  Clientèle. 

IV.  Conduite  du  médecin  vis-à-vis  de  ses  confrères.  La  confraternité  des  mé- 
decins doit  avoir  le  même  principe  que  leur  honnêteté;  elle  doit  reposer  sur 
un  sentiment  profond  de  la  noblesse  de  lari  qu'ils  exercent  en  commn.  Bien 
pénétré  de  ce  principe  salutau'e,  on  respectera  la  dignité  de  son  confrère 
comme  la  sienne  propre;  on  ne  le  desservira  pas,  on  ne  le  dépréciera  pas  en 
secret;  on  fera  pour  lui,  dit  le  docteur  Laroche,  comme  on  voudrait  qu'il  fît  pour 
vous.  On  l'aimera.  Mais  en  cela,  comme  en  tout,  il  faut  être  conséquent;  en 
aimant  les  confrères  honnêtes,  on  détestera  et  on  écartera  autant  que  possible 
ceux  qui  ne  le  sont  pas.  Qu'on  ne  s'étonne  pas  de  voir  faire  une  place  à  la 
haine  dans  un  pacte  de  confraternité  ;  la  haine  du  vice  est  une  vertu;  la  sépara- 
lion  du  bon  grain  d'avec  le  mauvais  est  un  précepte  de  l'Évangile.  L'mdifférence 
à  l'égard  des  choses  déshonnêtes  est  bien  près  d'être  une  complicité.  Le 
monde  est  plein  de  ces  gens  aimables,  serviables,  souriants,  doucereux  amis  de 
tout  le  monde,  enveloppant  bons  et  mauvais  dans  la  même  caresse  superficielle 
et  banale,  et  n'aimant  pas  qu'on  leur  signale  un  méfait,  de  peur  d'avoir  à  en 
donner  leur  avis.  C'est  avec  cet  esprit  de  mansuétude  inaltéi'able  qu'on  encou- 
rage, par  des  relations  professionnelles,  par  des  rencontres  compromettantes  en 
consultation,  par    des  paroles  complaisantes  ou  par  le  silence,  tantôt  la  foule 


568  DEONTOLOGIE. 

bigarrée  des  charlalans,  tantôt  cette  troupe  de  guérisseurs  tarés  qui  s'insinuent 
dans  les  clientèles,  attachés  à  la  basque  d'un  duc,  d'un  marquis,  d'un  litté- 
rateur en  renom,  d'un  liomme  politique;  calomniant  les  conlrères  et  affichant 
des  prétentions  de  clinicien  inspiré.  Non,  ce  n'est  pas  là  comprendre  et  pra- 
tiquer pleinement  la  confraternité,  parce  que  ce  n'est  pas  défendre  les  intérêts 
du  corps.  Avec  le  bon  cœur,  il  y  faut  aussi  du  caractère. 

Mettons-nous  donc  en  présence  de  médecins  honorables  et,  ne  nous  laissant 
pas  plus  aller  à  la  sentimentalité  qu'au  rigorisme,  voyons  pratiquement  ce  que 
doit  être  le  devoir  réciproque  des  médecins  en  matière  de  clientèle. 

a.  Détournement  de  malades.  Joseph  Frank  déverse  le  mépris  sur  les  mé- 
decins qui  traitent  sous  main  les  malades  de  leurs  confrères.  C'est  en  effet 
une  sorte  de  sournoiserie,  moralement  inférieure  à  l'assaut  direct  et  à  la  prise 
d'un  client.  On  ne  pourrait  néanmoins,  sans  violenter  la  nature  des  choses, 
interdire  absolument  la  simple  visite  d'un  malade  traité  par  un  confrère.  Des 
proches,  des  amis,  des  patrons,  des  maîtres,  désirent  quelquefois,  par  affection 
ou  par  intérêt,  connaître  l'état  exact  d'un  patient,  et  ils  s'adressent  pour  cela 
à  leur  médecin  ordinaire.  Celui-ci  est-il  tenu  en  toute  circonstance  de  refuser? 
Je  ne  le  pense  pas.  L'acte  ne  deviendra  blâmable  que  s'il  est  mal  accompli. 
Or,  on  lui  ôtera  ce  caractère,  premièrement  en  donnant  avis  de  sa  visite  au 
confrère  traitant,  secondement  en  se  bornant  avec  une  entière  rigueur  à  l'exa- 
men du  sujet,  sans  contrôler  la  médication.  Le  médecin  du  malade  remplira 
un   devoir  de  confraternité  en  permettant  une  visite  par  un  homme  honorable. 

Le  fait  du  détournement  de  clients  n'est  pas  toujours  aisé  à  déterminer.  S'il 
y  a  des  détournements  directs,  patents,  il  y  en  a  d'indirects  qu'on  accepte  plus 
qu'on  ne  les  opère.  Les  mutations  dans  les  clientèles  sont  fréquemment  l'œuvre 
de  bonnes  âmes  désireuses  de  produire  dans  leur  cercle  de  connaissances  le 
médecin  de  leur  goût,  ou  le  médecin  de  leur  opinion  politique  ou  religieuse. 
La  dernière  surtout  joue  un  grand  rôle,  et  la  Bruyère  la  signale.  Parlant  du 
directeur  :  a  un   seul,    dit-il,  en  gouverne  plusieurs   (plusieurs  femmes);  il 

cultive  leur  esprit  et  leur  mémoire,  fixe  et  détermine  leur  religion ,  il  leur 

donne  son  médecin,  son  marchand,  ses  ouvriers,  etc.  [Les  femmes,  p.  45, 
éd.  Servois  :  coll.  Hachette).  Il  n'est  pas  besoin  de  dire  que  des  manœuvres 
faites  en  vue  expresse  de  supplanter  un  confrère  sont  toujours  répréhcnsibles  ; 
mais  on  comprend  aussi  qu'il  soit  bien  malaisé  d'apprécier  à  cet  égard  les  res- 
ponsabilités. Bornons-nous  à  nous  mettre  en  face  du  fait  et  voyons  quelles 
règles  déontologiques  doivent  présider  à  ce  changement  de  médecin. 

«  Tout  médecin  qui  se  respecte  ne  se  permet  en  aucun  cas  et  sous  aucun 
prétexte  que  ce  puisse  être  à'enlever  des  clients  à  ses  confrères....  Une  délica- 
tesse scrupuleuse  lui  fait  une  loi  de  refuser  ses  soins  à  un  malade  qui  a  déjà 
reçu  ceux  d'un  autre  homme  de  l'art.  »  Cette  déclaration  de  Monfalcon,  dans  le 
Dictionnaire  en  60  volumes,  pose  la  règle  générale  ;  d'autres  y  ajoutent  l'obli- 
gation de  la  part  d'un  praticien  à  qui  échoit  un  nouveau  client  d'avertir  par 
lettre  le  médecin  auquel  il  succède.  Le  professeur  Forget  (de  Strasbourg),  qui 
avait  bien  le  droit  de  se  montrer  exigeant  en  fait  de  délicatesse,  a  soutenu  cette 
thèse.  D'autres  vont  plus  loin  encore,  et  veulent  que  le  praticien  n'en  sup- 
plante un  autre  qu'après  s'être  assuré  que  celui-ci  a  reçu  ses  honoraires. 
Gomme  ces  prescriptions  s'appliquent  à  une  situation  de  tous  les  jours  et  que 
les  scrupules  qui  les  ont  dictées  sont  d'une  nature  fort  sérieuse,  il  importe 
beaucoup  d'avoir  à  leur  égard  une  opinion  réfléchie  et  bien  arrêtée. 


DÉONTOLOGIE.  569 

N'oubliez  pas  qu'il  y  a  ici  deux  intérêts  en  cause  :  l'intérêt  du  corps  médical 
et  celui  du  malade.  Tous  deux  sont  fort  respectables,  mais  le  second  l'est  plus 
que  le  premier,  parce  que  c'est  lui  qui  a  mis  en  contact  un  médecin  et  un 
patient,  et  que  la  guérison  de  celui-ci  a  été  le  but  direct  de  celte  entente.  Le 
patient,  en  demandant  au  médecin  de  le  guérir,  s'est  réservé  implicitement  le 
droit  d'en  prendre  un  autre,  s'il  le  jugeait,  à  tort  ou  à  raison,  utile  pour  sa 
santé.  Or,  toute  ibrmalité  introduite  par  les  conventions  confraternelles  dans 
la  substitution  d'un  médecin  à  un  autre  est  une  entrave  à  ce  droit  du  malade. 
L'esprit  de  corps  ne  peut  aller  jusqu'à  l'oppression  du  client,  et  il  ne  faut  pas 
que,  pour  être  plus  confrères,  nous  soyons  moins  médecins. 

La  conciliation  de  ces  deux  intérêts,  avec  prédominance  de  la  liberté  du 
client,  voilà  la  vraie  question.  Pour  obtenir  cette  conciliation,  il  faut  commencer 
par  écarter  la  charge  imposée  au  nouveau  venu  d'avertir  l'autre  de  sa  disgrâce, 
et  encore  plus  celle  de  veiller  au  payement  de  ses  honoraires.  Ce  sont  là,  qu'on 
excuse  le  mot,  d'honnêtes  enfantillages.  On  en  parle,  puis,  vienne  l'occasion, 
on  trouve  d'ordinaire  quelque  motif  plausible  de  ne  pas  s'y  livrer.  Gicéron  distin- 
guait le  devoir  strict,  conforme  au  bien,  et  le  devoir  moj/en,  àoni  on  peut  seule- 
ment donner  une  raison  plausible;  on  se  range,  dans  cette  circonstance,  du  côté 
du  droit  moyen.  Ces  choses-là  regardent  la  famille.  En  se  mettant  à  sa  place, 
malgré  elle,  dans  de  semblables  démarches,  on  commet  un  acte  d'ingérence 
abusive.  Qui  nous  a  donné  le  droit  d'intervenir  d'autorité  dans  des  relations 
nouées  sans  nous  et  sans  nous  dénouées?  A  quel  titre  viendrons-nous  exposer 
une  famille  qui  ne  veut  plus  d'un  médecin,  qui  a  peut-être  à  s'en  plaindre  gra- 
vement, à  quel  titre  l'exposerons-nous  à  des  visites  importunes,  à  des  obses- 
sions, à  des  récriminations?  La  conduite  du  remplaçant  à  cet  égard  est  très- 
simple  :  défendre  un  confrère  honorable,  engager  le  client  à  lui  continuer  sa 
confiance,  et,  s'il  n'y  réussit  pas,  l'accepter  pour  lui-même.  Une  telle  conduite 
ouvrira  la  porte  aux  abus  :  soit;  trouvez-en  un  autre  qui  la  leur  ferme.  Est-ce 
que  cet  empressement  même  à  signifier  son  congé  à  un  confrère  et  à  lui  couper 
tout  retour  par  un  règlement  immédiat  de  ses  honoraires  ne  pourrait  pas  éga- 
lement couvrir  une  déloyauté? 

Telle  est  la  règle  :  on  peut  être  appelé  à  l'appliquer  dans  deux  cas  distincts  : 
1°  le  malade,  traité  ou  non  antérieurement,  ne  reçoit  pas  actuellement  de  soins 
réguliers;  2"  le  malade  est  en  cours  de  traitement. 

Le  premier  cas  n'est  pas  toujours  aisé  à  déterminer,  et  il  est  bon  d'être  en 
garde  contre  la  tromperie  du  client.  Si  l'on  a  quelque  motif  sérieux  de  la  soup- 
çonner, alors  exceptionnellement,  non  pour  obéir  à  un  commandement  de 
déontologie,  mais  pour  se  mettre  en  règle  avec  soi-même,  il  sera  bien  de  s'in- 
former auprès  du  confrère  ou  ailleurs.  Mais,  en  thèse  générale,  on  a  satisfait  à 
un  devoir  quand  on  a  provoqué  et  reçu  l'affirmation  du  malade.  Quand  donc  le 
début  tout  récent  de  l'affection,  des  présomptions  particulières,  la  déclaration 
de  la  personne  intéressée,  vous  donnent  le  droit  de  croire  que  celle-ci  ne  reçoit 
pas  en  ce  moment  les  soins  d'un  confrère,  tout  est  dit  pour  vous.  Rien  ne  vous 
oblige  à  demander,  comme  on  voudrait  en  faire  une  loi,  à  ce  malade  non  traité 
encore,  s'il  a  un  médecin  habituel  ou  s'il  n'en  a  pas.  La  question  est  au  moins 
inutile;  ou  il  nen  a  pas,  et  tout  est  pour  le  mieux;  ou  il  en  a  un,  et  il  y 
renonce,  puisqu'il  ne  l'a  pas  fait  appeler.  C'est  son  affaire.  Votre  conscience  à 
vous  est  sauve  dès  que  vous  ne  supplantez  personne  dans  la  cure  de  l'affection 
présente.  Qu'on  y  réiléchisse  bien  :  voilà  un  client  résolu,  dès  la  première  in- 


570  DEONTOLOGIE. 

disposition,  à  quitter  un  médecin  qu'il  n'agrée  pas  et  à  en  mander  un  autre 
qui  lui  inspire  confiance.  Celui-ci  est  appelé,  et  l'on  veut  que,  au  lieu  de  pro- 
céder aux  soins  impatiemment  attendus  de  son  ministère,  il  se  livre  à  je  ne  sais 
quelle  enquête  rétrospective!  Mais  cela  constitue  une  inquisition  véritable  et  ou- 
trepasse toute  permission.  C'est  comme  si  un  prêtre  refusait  l'absolution  à  un 
pécheur  qui  aurait  antérieurement  confessé  ses  fautes  à  un  confrère. 

La  maladie  est-elle  en  voie  de  traitement,  le  nouveau  venu  doit  commencer 
par  offrir  de  se  réunir  au  médecin  traitant.  Mais,  supposons  que  le  malade  s'y 
refuse,  qu'il  déclare  avoir  de  sérieuses  raisons  de  ne  plus  le  recevoir,  je  dis 
sérieuses,  et  c'est  encore  trop.  Je  fus  un  jour  évincé  d'une  riche  maison  pour 
avoir  porté  le  crayon  sur  la  plaie  d'un  enfant  endormi,  me  croyant  bien  habile 
de  me  mettre  ainsi  à  l'abri  de  son  indocilité  habituelle.  L'enfant  bondit,  cria; 
la  mère  fit  comme  lui,  et  le  lendemain  N...  prenait  ma  place  sans  m'en  aviser. 
J'en  fus  quitte  pour  lui  transmettre  spontanément,  dans  l'intérêt  de  l'enfaut, 
une  note  sur  la  cause  présumée  du  mal  qu'il  allait  soigner.  Supposez,  dis-je, 
que  le  malade  rompe  avec  son  médecin  :  lui  refuserez-vous  vos  soins  unique- 
ment parce  qu'tV  a  déjà  reçu  ceux  (Vun  autre  homme  de  l'art,  comme  dit  le 
Dictionnaire  de  médecine  cité  plus  haut?  11  faut  pourtant  bien  que  ce  malade 
soit  traité!  A  votre  défaut,  il  en  appellera  un  autre.  Ce  quelque  autre  refusc-t-ilà 
son  tour?  Mais  quoi!  est-il  permis  de  mettre  un  patient  en  interdit?  Comment 
donc  sortir  d'embarras?  Par  une  seule  voie  :  le  dernier  appelé,  après  s'être  vu 
repoussé  dans  son  olfre  de  consultation,  plaidera  d'abord  la  cause  de  son  con- 
frère, cherchera  à  dissiper  les  préventions  élevées  contre  lui,  essaiera  enfin  de 
lui  reconquérir  son  ancienne  situation.  Mais,  s'il  échoue,  c'est  lui-même  qui 
doit  mettre  à  ses  soins  la  condition  que  son  prédécesseur  sera  définitivement 
écarté.  La  conséquence  est  tout  à  fait  forcée.  De  même  que  a'ous  n'avez  pas 
voulu  vous  immiscer  à  son  traitement,  vous  devez  vouloir  rester  maître  absolu 
du  vôtre. 

Un  mode  de  détournement  de  malades  qui  mérite  une  mention  à  part  est 
celui  qui  se  pratique  de  temps  à  autre  aux  Établissements  d'eaux  minérales, 
d'autant  plus  tentant,  phis  facile  et  plus  prompt,  que  la  clientèle  est  là  plus  for- 
tuite et  plus  transitoire.  Il  est  avéré  que  les  agents  qui  se  rendent  aux  environs 
des  gares  afin  d'y  recruter  des  pratiques  pour  les  hôteliers  y  racolent  quelque- 
fois des  clients  pour  les  médecins.  On  répugne  à  croire  qu'ils  y  soient  autorisés 
par  les  médecins  eux-mêmes  ;  mais  ils  le  sont  au  moins  par  les  hôteliers  auxquels 
ceux-ci  adressent  de  préférence  leurs  malades.  On  sait,  en  outre,  que  nombre 
de  baigneurs,  après  avoir  soigneusement  pris  note,  en  quittant  leurs  résidence, 
du  nom  du  confrère  auquel  les  adresse  leur  médecin  habituel,  n'ont  rien  de  plus 
pressé,  en  arrivant  aux  eaux,  que  d'en  aller  trouver  un  autre,  recommandé 
par  des  amis.  Quand  la  note  à  consulter  ne  contient  pas  à  cet  égard  d'indi- 
cation, il  n'y  a  lieu  à  aucune  remarque  ;  mais  deux  conjonctures  peuvent  se 
présenter. 

Premièrement,  le  malade  va  trouver  un  médecin  avec  une  lettre  ou  une  carte 
adressée  à  un  de  ses  confrères,  mais  en  même  temps  il  lui  déclare  agir  inten- 
tionnellement et  lui  demande  de  se  substituer  à  celui  qui  n'a  pas  sa  confiance. 
Ce  cas  rentre  dans  celui  qui  vient  d'être  examiné.  L'offre  peut  être  acceptée,  si 
elle  est  réellement  pressante  ;  on  ne  peut  obliger  personne  à  un  voyage  circulaire 
chez  tous  les  praticiens  de  la  localité  pour  revenir  de  force  à  celui  qu'on  n'agrée 
point.  Seulement,  dans  un  milieu  aussi  restreint,   et  pour  ne  pas  donner  un 


DÉONTOLOGIE.  571 

aliment  de  plus  à  un  foyer  toujours  actif  d'animosités,  on  fera  bien,  cette  fois 
encore  et  quoique  le  devoir  strict  n'y  oblige  pas,  de  témoigner  de  sa  loyauté 
auprès  du  confrère  écarté  en  lui  donnant  avis  de  ce  qui  se  passe. 

Secondement,  un  malade,  muni  également  d'une  lettre  ou  d'une  carte  avec 
adresse  d'un  médecin,  tombe  au  domicile  d'un  autre  par  erreur,  ou  traîtreuse- 
ment égaré  par  un  voiturier  ou  un  agent  quelconque.  Le  médecin  qui  voit  la 
suscription  lit  néanmoins  la  lettre  et,  par  une  véritaljle  substitution  de  personne, 
entreprend  la  cure  du  malade.  On  ne  saurait  trop  blùmer  une  telle  conduite. 
Précisément  un  procès  pour  un  fait  de  ce  genre  vient  de  se  dérouler  devant  un 
tribunal  de  première  instance  et  devant  une  cour  d'appel.  Un  individu  illettré  est 
envoyé  à  une  station  thermale,  muni  d'une  carte  de  visite  sur  laquelle  son  méde- 
cin le  recommande  aux  soins  du  docteur  A.  Un  conducteur  d'omnibus  le  con- 
duit chez  le  docteur  B,  qui  garde  la  carte  et  le  client.  Une  discussion  violente 
s'élève  à  ce  sujet  sur  la  voie  publique  entre  les  deux  confrères.  B.  traduit  A.  devant 
le  tribunal  pour  injures  graves,  en  réclamant  10  000  francs  de  dommages-inté- 
rêts; mais  le  tribunal,  sur  les  conclusions  conformes  du  ministère  public,  l'a 
débouté  de  sa  demande  et  condamné  aux  frais.  En  appel,  le  jugement  a  été  con- 
firmé de  tous  points  par  la  Cour. 

b.  Consultations  entre  confrères.  J'arrive  aux  rapports  des  médecins  entre 
eux  dans  les  consultations.  J'ai  dit  plus  haut  dans  quelles  circonstances  elles 
devaient  être  provoquées  ou  acceptées  par  le  médecin  traitant;  voyons  main- 
tenant comment  elles  doivent  se  passer. 

Le  caractère  de  la  science  moderne,  en  se  reflétant  dans  les  consultations,  en 
a  changé  la  physionomie.  Sans  remonter  aux  Des  Fonandrès  et  aux  Macrolon, 
elles  avaient  autrefois  une  sorte  de  solennité  due  en  partie  à  ce  que  l'autorité 
de  l'âge  y  jouait  un  grand  rôle.  Quand  la  médecine  était  en  grande  partie  systé- 
matique, et  que  la  pratique  consistait  surtout  dans  l'application  de  quebjue 
doctrine  générale  aux  cas  particuliers,  l'âge  avancé  était  à  peu  près  synonyme 
d'expérience,  et  constituait  une  présomption  de  supériorité  clinique.  Non  pas 
qu'on  ne  tînt  aucun  compte  de  la  notoriété,  mais  le  nombre  des  années  ajoutait 
beaucoup  à  son  importance.  Aussi  l'usage  établi  par  les  anciens  statuts  de  la 
Faculté,  et  longtemps  suivi  avec  ponctualité,  était-il  de  laisser  au  plus  ancien 
des  consultants  le  soin  de  faire  connaître  à  la  famille  le  résultat  des  délibérations, 
sauf  le  cas  où  il  jugeait  à  propos  de  déléguer  son  droit  au  plus  considérable. 
Au  commencement  de  ce  siècle,  je  l'ai  dit  plus  haut,  Hufeland  s'efforçait  encore 
d'inculquer  aux  jeunes  le  respect  pour  l'expérience  des  anciens;  mais  déjà  Joseph 
Frank  revendiquait  contre  l'expérience  les  droits  du  savoir.  A  l'époque  oii 
nous  sommes,  le  morcellement  de  la  science  et  de  la  pratique,  qui  multiplie  les 
spécialités,  qui  en  enfante  non-seulement  pour  les  yeux,  les  oreilles,  la  vessie, 
mais  pour  le  cou,  pour  le  poumon,  pour  l'estomac,  pour  le  cerveau,  pour  la 
moelle;  non-seulement  pour  l'ensemble  des  maladies  propres  à  chaque  viscère, 
mais  pour  l'une  d'elles  en  particulier,  comme  la  phthisie,  l'asthme,  la  gas- 
tralgie, l'hystérie,  etc.,  ce  morcellement  a  accru  et,  plus  encore,  diversifié  la 
classe  des  médecins  consultants  et  détruit  à  peu  près  le  prestige  des  ans.  Que  le 
consultant  soit  plus  jeune  ou  plus  âgé  que  tous  les  autres  membres  de  la  réu- 
nion, c'est  lui  qui  est  en  réalité  le  plus  considérable,  puisque  c'est  à  lui  qu'un 
supplément  de  lumières  a  été  personnellement  demandé. 

Comment  s'exerce  l'action  commune  des  hommes  de  l'art,  avant,  pendant  et 
après  la  consultation? 


57-2  DÉOÎs'TOLOGIE. 

Pour  la  mettre  en  mouvement,  les  familles  tantôt  désignent  celui  ou  ceux 
qu'elles  désirent  appeler,  tantôt  s'en  rapportent  au  choix  de  leur  médecm  habi- 
tuel. En  général,  celui-ci  doit  accepter  quiconque  lui  est  proposé,  sans  considé- 
ration de  rang  ou  de  réputation.  Certaines  notabilités  croiraient  s'abaisser  en 
consentant  à  s'adjoindre  un  modeste  praticien  que  le  bruit  de  quelques  succès 
dans  des  cas  analogues  au  cas  actuel,  ou  une  confiance  née  de  relations  fréquentes, 
ont  désigné  à  l'attention  de  la  famille.  «  Moi,  disait  dans  une  telle  circonstance 
un  médecin  des  hôpitaux,  je  puis  donner  des  conseils  à  un  confrère,  mais  non 
en  recevoir.  »  C'est  un  lier  langage,  mais  doublement  déplacé;  il  est  la  néga- 
tion brutale  du  droit  le  plus  indéniable  du  malade  ou  des  parents,  et  il  est  une 
insulte  à  la  confraternité.  Le  refus  de  consultation  ne  doit  être  exercé  qu'à 
l'égard  de  confrères  indignes  d'estime;  on  n'est  pas  tenu  de  comprometire  son 
nom  pour  être  agréable  à  autrui  ;  mais,  dans  ce  cas  même,  il  n'appartient  pas  au 
médecin  de  mettre  un  empêchement  absolu  à  la  satisfaction  d'un  désir  formel- 
lement exprimé.  Ses  observations  présentées,  soit  que  le  malade  se  rende  chez 
le  confrère,  soit  qu'il  le  reçoive  chez  lui,  le  médecin  habituel  doit  encore  garder 
à  un  client  qui  l'avait  loyalement  averti  de  son  intention  assez  d'intérêt  pour 
jeter  un  coup  d'œil  sur  l'ordonnance  rapportée  et  s'assurer  qu'elle  ne  renfeime 
rien  de  nuisible  à  son  état.  Après  quoi  il  doit  se  retirer  jusqu'à  expérience  faite 
du  nouveau  traitement.  Il  en  est  qui  voient,  en  de  semblables  occurrences,  des 
causes  de  rupture.  C'est  toujours,  sous  couleur  de  dignité,  l'opposition  de  l'in- 
térêt du  médecin  à  l'intérêt  du  malade.  Celui-ci  agit  comme  vous  agiriez  vous- 
même,  si  vos  rôles  étaient  intervertis.  Et  la  preuve,  c'est  que  des  médecins  atteints 
d'une  de  ces  affections  pour  lesquelles  sont  renommés  certains  remèdes  secrets 
ont  souvent,  en  désespoir  de  cause,  recours  à  ces  remèdes  et  quelquefois  à  la 
personne  même  de  ceux  qui  les  ont  exploités.  Un  ancien  agrégé  de  la  Faculté  de 
Paris,  qui  avait  promené  sa  goutte  dans  les  établissements  thermaux,  s'était  mis 
à  la  fin  entre  les  mains  d'un  de  ces  inventeurs.  Il  est  même  deux  cas  oii  le  méde- 
cin fait  bien  d'aller  au-devant  d'un  désir  latent  et  de  prévenir  ainsi  des  regrets, 
dont  il  subirait  un  jour  les  conséquences.  J'avais  appris  que  la  famille  d'un  client 
arrivé  au  dernier  terme  d'une  maladie  organique  du  cœur,  —  famille  animée 
pour  moi  d'une  grande  affection,  que  je  lui  rendais, —  était  pressée  par  son  en- 
tourage de  remettre  le  malade  entre  les  mains  d'un  homœopalhe  qu'on  désignait. 
Je  provoquai  amicalement  une  explication;  on  me  proposa  en  elfet  de  me  rencon- 
trer avec  cet  homœopathe,  je  refusai  ;  de  continuer  mes  visites  hors  de  sa  pré- 
sence, je  refusai;  mais  je  promis  deux  choses  :  premièrement,  de  faire  prendre 
des  nouvelles  du  malade  en  garantie  de  mon  amitié  persistante;  secondement, 
de  rentrer  dans  la  maison,  si  l'homœopathie  en  sortait.  Ce  dernier  cas  s'est  réa- 
lisé avant  la  mort  du  pauvre  patient,  et  les  vieilles  relations  se  sont  renouées 
aussi  fidèles  que  jamais. 

Le  projet  de  consultation  arrêté,  les  familles  ont  une  propension  marquée  à 
charger  leur  médecin  habituel  de  se  concerter  directement  avec  le  ou  les  confrères 
désignés.  C'est  un  service  qu'on  peut  convenablement  rendre,  mais  qui  expose 
à  des  déplacements,  à  des  pertes  de  temps,  surtout  quand  le  nombre  des  consul- 
tants rend  la  négociation  compliquée.  11  est  plus  simple  de  faire  par  écrit  des 
propositions  de  jour  et  d'heure,  qu'un  parent  se  chargera  d'aller  présenter  à 
qui  de  droit. 

Entîn,  on  s'est  entendu,  et  les  consultants  se  réunissent.  Ils  n'entrent  pas  direc- 
tement dans  la  chambre  du  malade,  mais  dans  une  pièce  séparée,  où  le  mé- 


DÉONTOLOGIE.  573 

decin  habituel  expose  l'histoire  du  cas,  son  début,  sa  marche,  la  médication 
employée,  ses  effets,  etc.  Cette  conférence  préliminaire  a  une  grande  importance 
en  ce  que,  loin  du  sujet,  il  est  permis  de  s'exprimer  librement  sur  la  nature 
et  la  gravité  du  cas,  et  aussi  en  ce  que  les  consultants  peuvent  poser  des  ques- 
tions de  fait,  dont  la  solution  prépare  l'interrogatoire  en  éclairant  déjà  l'examen 
auquel  il  est  ensuite  procédé. 

L'interrogatoire  du  malade  dans  ces  conditions  exige,  au  point  de  vue  confra- 
ternel, du  tact  et  de  la  mesure.  La  situation  du  médecin  ordinaire  est  peut-être 
déjà  plus  ou  moins  fausse,  la  demande  de  consultation  ayant  pu  être  l'expres- 
sion d'une  confiance  ébranlée.  Il  n'est  pas  rare  alors  que  les  familles  donnent 
cours  à  leur  prévention  en  mêlant  leurs  réponses  à  celles  du  m-dade,  ou  en 
posant  au  consultant  des  questions  explicatives.  Celui-ci,  s'il  a  de  la  tinesse, 
pourra  déjouer  la  tactiiiue  sans  avoir  l'air  de  la  comprendre.  S'il  n'y  parvient 
pas,  il  la  combattra  directement  en  écartant  ou  en  contre-carrant  les  observa- 
tions. L'examen  physique  donne  lieu  aux  mêmes  remarques.  Des  parents  intelli- 
gents sont  attentifs  aux  signes  de  la  percussion;  ne  pouvant  suivre  l'oreille  ou 
la  main  du  consultant  dans  l'auscultation  ou  la  palpalion,  ils  guettent  son 
visage  et  recueillent  ses  moindres  mois.  Le  consultant  doit  faire  en  sorte  que  les 
résultats  de  l'examen  ne  paraissent  pas,  aux  yeux  des  assistants,  contraires 
à  ceux  qu'avait  déclarés  le  médecin  habituel.  Ou,  si  la  différence  est  mani- 
feste et  doit  d'ailleurs  ressortir  du  traitement  à  prescrire  (comme  l'application 
d'un  vésicatoire  sur  telle  ou  telle  partie  de  la  poitrine),  il  doit  le  présenter 
comme  un  effet  naturel  de  la  marche  de  la  maladie.  Enfin,  dans  les  cas  où 
plusieurs  consultants  ont  été  appelés,  on  ne  saurait  trop  leur  recommander 
d'apporter  tous  une  égale  attention  à  l'interrogatoire  et  à  l'examen.  11  n'est  pas 
rare  d'en  voir  qui,  laissant  toute  initiative  à  l'un  d'eux,  paraissent  étrangers  à 
la  scène,  et  regardent  le  plafond  ou  les  tableaux.  Quoique  cette  manière  de  pra- 
tiquer la  consultation  doive  toucher  surtout  le  patient,  elle  ne  laisse  pas  de  jeter 
la  défaveur  sur  le  corps  médical  et  particulièrement  sur  le  groupe  de  ceux 
en  qui  les  familles  ont  coutume  de  mettre  leur  refuge. 

Après  l'examen,  les  médecins  se  retirent  de  nouveau  dans  une  pièce  séparée. 
Dans  cette  pièce,  qui  leur  est  ordinairement  désignée,  les  portes  ont  souvent  des 
oreilles,  et  c'est  une  précaution  utile  de  s'assurer  matériellement  de  leur  discré- 
tion. Cela  même  ne  suffit  pas  toujours;  je  connais  des  délibérations  qui  ont 
eu  des  témoins  secrets  derrière  un  piano  ou  sous  le  tapis  d'une  table.  Dans  cette 
seconde  réunion,  chacun  présente  les  observations  que  le  cas  lui  suggère,  et 
l'on  convient  du  traitement  et  de  ce  qui  devra  être  dit  au  malade  ou  à  la  famille. 
C'est  la  coutume  de  régler  les  tours  de  parole  par  rang  d'âge,  en  commençant 
par  le  plus  jeune.  L'ordonnance  est  écrite  par  le  médecin  habituel,  signée  par 
lui  d'abord  et  ensuite  par  le  ou  les  consultants.  Inutile  de  rappeler  aux  médecins 
la  bonne  harmonie,  la  tolérance  mutuelle  qui  doit  régner  dans  ces  petites 
assises,  sans  faire  tort  à  la  liberté  des  opinions,  et  aussi  la  nécessité  de  ne  pas 
s'égarer  en  de  vaines  discussions  théoriques,  mais  de  rester  attachés  au  fait,  et 
de  rechercher  seulement  ce  qui  est  attendu  du  malade,  à  savoir  un  moyen  de 
guérison  ou  de  soulagement. 

Les  médecins  rentrent  dans  la  chambre  du  malade  ou,  s'il  est  trop  fatigué, 
dans  le  salon  de  famille.  C'est  là  surtout  que  le  porte-parole  doit  s'efforcer 
de  concilier  l'intérêt  du  patient  avec  les  scrupules  de  la  confraternité.  L'igno- 
rance du  public  en  médecine  rend  d'ailleurs  la  tâche  aisée.  Ce  n'est  pas  que  je 


574  DÉONTOLOGIE. 

recommande  l'exorda  banal  :  «  Je  partage  entièrement  l'avis  de »  Je  le  trouve 

un  peu  maladroit  et  de  nature  à  faire  soupçonner  une  divergence.  On  attend 
le  seulement  d'une  pièce  connue.  Au  lieu  de  proclamer  lui-même  l'accord,  il  vaut 
mieux  amener  la  famille  à  le  constater  comme  une  conséquence  de  l'exposé 
fait  devant  elle.  Dans  cet  exposé,  on  s'appliquera  notamment  à  ne  pas  laisser 
soupçonner  une  critique  du  diagnostic  antérieurement  porté  et  du  traitement 
qui  s'en  est  suivi. 

Toutefois  cette  protection  du  médecin  habituel  ne  doit  aller  que  jusqu'où  il 
lui  convient.  Certains  auteurs  n'hésitent  pas  à  soutenir  que,  pour  lui,  la  consul- 
tation est  impérative  (Hufeland,  je  crois,  dit  inviolable),  et  qu'il  doit  l'exécuter 
strictement.  C'est  le  plus  inacceptable  des  principes.  11  viole  la  conscience  de 
l'homme  de  l'art  et  sent  un  peu  son  code  médical  de  l'Egypte  antique.  Un  mé- 
decin honorable  peut  bien  consentir  à  prendre  un  conseil,  mais  s'obliger  à 
le  suivre,  non.  Sa  responsabilité  personnelle  domine  tout.  Il  est  des  cas  où 
son  savoir,  son  expérience,  l'habitude  de  son  client,  lui  crient  que  le  consultant 
se  trompe  ;  il  doit  déclarer  à  la  famille  ouvertement,  franchement,  l'impossi- 
bilité où  il  se  trouve  de  partager  l'opinion  de  son  confrère,  et  provoquer  une 
seconde  consultation.  Si  celle-là  et  d'autres  encore  lui  donnaient  tort  itérati- 
vement  et  qu'il  persistât  dans  sa  conviction,  son  devoir  rigoureux  ser;iit  de  se 
retirer  provisoirement;  mais,  comme  la  pratique  des  consultations  deviendrait 
à  ce  prix  bien  périlleuse,  il  peut  croire  sa  responsabilité  dégagée  et  consentir 
à  surveiller  l'emploi  de  moyens  qu'il  n'aurait  pas  approuvés.  Je  connais  une 
circonstance  dans  laquelle  le  médecin  résista  à  deux  consultants  successifs  de 
haute  renommée  ;  le  troisième  (c'était  Andral)  lui  donna  raison,  et  encore  plus 
la  marche  de  la  maladie,  qui  finit  par  devenir  caractéristique.  Un  confrère 
aussi  distingué  qu'honorable,  le  docteur  Riembault,  va  jusqu'à  faire  aux  droits 
du  médecin  traitant  une  part  bien  plus  grande  encore.  Pour  lui  «  le  médecin 
traitant  est  l'arbitre  unique  qui  dirige  et  décide  tout  »  ;  étant  le  mandataire  du 
malade,  il  doit  présider  les  réunions  de  médecins,  surveiller  l'examen  clinique, 
recueillir  les  avis  et  conseils,  décider  seul  le  traitement  qui  convient.  C'est 
même  lai  qui  doit  faire  part  à  la  famille  du  résultat  de  la  consultation.  Il  est 
bien  à  craindre  que  notre  confrère  ne  gâte  la  part  de  ce  médecin  en  la  rendaut 
si  large.  Il  est  vrai  qu'il  s'agit  seulement  de  Saint-Étienne,  ainsi  que  l'indique 
le  titre  de  l'opuscule. 

L'usage  veut  que  le  médecin  habituel  s'occupe  des  honoraires  du  consultant. 
Si  l'on  voulait  lui  en  faire  une  règle,  il  sei'ait  juste  de  lui  laisser  quelque 
action  sur  la  fixation  de  la  somme,  car,  d'une  part,  ce  n'est  pas  lui  toujours 
qui  a  fait  appeler  le  consultant  et  il  n'a  contracté  envers  lui  aucune  ob'igation  ; 
et  d'autre  part,  il  est  avant  tout,  suivant  une  expression  juste  de  M.  Riembault, 
le  mandataire  de  son  client,  dont  il  a  à  sauvegarder  les  intérêts  autant  et 
plus  que  ceux  d'un  confrère.  C'est  môme  son  devoir,  dans  les  cas  de  prétentions 
excessives,  de  se  placer  entre  le  malade  et  le  consultant  pour  protéger  le  pre- 
mier contre  1  âpre  té  du  second. 

Enfin,  c'est  une  loi  pour  le  médecin  de  refuser  la  continuation  de  ses  soins  à 
un  malade  qu'il  a  vu  en  consultation  avec  un  confrère.  Beaucoup  d'auteurs 
rappellent  cette  loi  ;  mais  M.  Foissac  s'exprime  avec  une  justesse  particulière, 
en  spécifiant  que  l'indélicatesse  est  grande  surtout  quand  ce  confrère  a 
ft  honoré  le  consultant  de  sa  confiance.  »  Des  cas,  en  effet,  peuvent  se  présenter 
où  la  rencontre  de  deux  médecins  auprès  d'un  client  a  été  toute  fortuite  et 


DÉONTOLOGIE.  575 

où,  l'un  d'eux  ayant  cessé  d'être  appelé  parla  famille,  l'autre  pourrait  prendre 
sa  place  en  toute  se'curité  de  conscience.  11  ne  s'agit  plus  là  que  d'un  chan- 
gement de  médecin. 

On  voit  par  ce  qui  précède  que  la  position  de  médecin  ordinaire  en  face  du 
consultant  n'est  pas  aussi  inférieure  et  subordonnée  qu'on  pourrait  le  croire. 
En  fait  pourtant,  il  faut  bien  le  reconnaître,  le  public  en  juge  autrement.  Je  ne 
fais  que  constater  une  vérité  incontestable,  et  dont  la  bonne  confraternité  des 
consultants  s'afflige  quelquefois  elle-même,  en  disant  que  tout,  dans  ces  réunions 
de  médecins,  depuis  l'inégalité  d'influence  jusqu'à  celle  des  bonoraires,  tend  à 
amener  une  dépression  profonde  et  souvent  imméritée  du  médecin  traitant.  A 
cet  inconvénient  y  a-t-il  un  remède?  En  1870,  il  s'organisa  à  Paris  des  con- 
férences médicales  dont  le  but  général  était  évidemment  de  pousser  à  l'é- 
mancipation de  la  masse  des  médecins  en  lui  communiquant  une  vie,  profes- 
sionnelle et  scientifique,  indépendante  des  sociétés  officielles.  Ces  conférences 
eurent  quelque  succès,  mais  ne  furent  pas  contimiées,  pour  plus  d'une  raison. 
Je  me  permis  alors  d'émettre  cet  avis  que,  si  les  espérances  des  organisateurs 
de  l'institution  semblaient  exagérées,  elles  étaient  du  moins  dans  la  nature  des 
choses.  «  Les  grandes  réunions,  disais-je,  mettent  en  présence  les  bons  et  les 
mauvais  éléments,  l'or  et  le  plomb  vil  que  renferme  le  corps  médical....  Sans 
doute  on  ne  redressera  pas  le  faux  jugement  du  monde  ;  mais  ce  sera  déjà  quelque 
chose  que  de  le  mettre  en  présence  du  sentiment  public  des  médecins....  D'un 
autre  côté,  avec  de  grandes  discussions  scientifiques,  avec  la  publicité  de  la 
presse,  les  valeurs  du  corps  médical  seraient  cotées  plus  justement,  au  dehors 
comme  au  dedans,  qu'elles  ne  le  sont  aujourd'hui.  En  mettant  en  lumière  leurs 
connaissances  spéciales,  leurs  aptitudes  diverses,  les  membres  de  la  conférence 
constitueraient  un  fonds  commun  de  ressources  au  service  tout  à  la  fois  de  la 
science  et  de  la  pratique,  qui,  en  les  associant  à  l'œuvre  du  progrès,  les  rendrait 
aussi  plus  utiles  les  uns  aux  autres,  plus  indépendants  des  idoles  du  public. 
En  un  mot,  les  conférences  pourraient  créer,  pour  une  masse  actuellement  obscure 
de  confrères,  une  école  de  notoriétés;  notoriétés  au  petit  pied,  si  l'on  veut,  noto- 
riétés de  quartier  comme  la  force  des  choses  en  a  créé,  qui,  sans  prétendre 
faire  échec  aux  célébrités  d'un  autre  origine,  s'y  substitueraient  souvent  avec 
moins  de  péril  pour  l'égalité  confraternelle  »  {Gaz.  hebdomadaire,  1870,  p.  449). 

Pour  achever  ce  qui  concerne  les  rapports  des  médecins  entre  eux,  il  resterait 
à  parler  de  l'Association  de  secours  mutuels  et  des  cercles  confraternels.  La  pre- 
mière question  a  été  traitée  au  mot  Association  ;  la  seconde  donnera  lieu  à 
quelques  remarques. 

La  fondation  de  cercles  médicaux  dans  le  but  de  faciliter  les  rehitions  entre  con- 
frères, de  leur  apprendre  à  se  mieux  connaître,  de  se  renseigner  et  de  se  concerter 
pour  leurs  affaires  communes,  de  se  procurer  les  uns  aux  auti'es  des  moyens 
d'instruction,  a  été  souvent  proposée  et  plusieurs  fois  tentée.  A  Paris,  elle  a 
toujours  échoué.  Pourquoi?  C'est  qu'une  idée,  excellente  en  soi,  est  une  graine 
qui  ne  peut  fructifier  que  dans  certains  milieux  et  avec  des  moyens  particuliers 
de  culture.  On  a  été  séduit  par  l'existence  de  nombreux  cercles,  dont  beaucoup 
sont  florissants.  Mais,  si  l'on  y  regarde  de  près,  on  s'apercevra  qu'ils  ne  déposent 
guère  en  faveur  d'un  projet  de  cercle  médical.  En  effet,  un  très-petit  nombre 
d'entre  eux  sont  professionnels.  Les  professions  qui  veulent  se  créer  des  centres 
de  réunion  et  d'action  fondent  des  Sociétés  où  l'on  discute,  dans  des  assemblées 


570  DEONTOLOGIE. 

plus  ou  moins  fréquentes,  les  intérêts  communs,  et  où  l'on  organise  l'assistance 
mutuelle.  Cela  n'a  rien  de  commun  avec  le  cercle,  qui  est  une  réunion  cos- 
mopolite de  personnes  se  recrutant  elles-mêmes  par  élection  et  se  cotisant  pour 
se  procurer  en  commun  un  lieu  de  lecture  et  de  délassements.  On  est  à  la  fois 
membre  d'une  société  et  membre  de  tel  ou  tel  cercle  ou  club,  dont  le  nom 
seul  indique  le  caractère  extra-professionnel  :  Cercle  des  pommes  de  terre. 
Cercle  Montmartre,  Cercle  du  jeu  de  paume,  Cercle  des  arts,  Club  de  l'uni- 
vers, Jocke^j-Club,  etc.  Même  le  Cercle  du  commerce,  le  Cercle  agricole,  le 
Cercle  des  chemins  de  fer,  ne  peuvent  passer  pour  représenter  une  profession; 
chacun  d'eux  est  né  du  besoin  de  défendre  des  intérêts  communs  à  des  protes- 
sions  multiples.  Pourquoi  les  cercles  professionnels  vraiment  cercles  et  vrai- 
ment professionnels  sont-ils  si  rares?  C'est  qu'ils  seraient,  dans  la  majorité 
des  cas,  plus  gênants  qu'utiles.  Dans  toutes  les  professions  qui  ne  laissent  pas 
une  certaine  liberté  de  temps,  surtout  la  liberté  des  soirées,  on  a  son  journal 
ou  sa  revue  et,  si  l'on  sent  le  besoin  de  quelque  distraction,  on  aime  mieux  la 
prendre  au  café  voisin,  ou  chez  des  amis,  que  d'aller  la  chercher  plus  ou  moins 
loin,  avec  la  charge  d'une  cotisation  annuelle.  Or,  de  toutes  les  professions,  la 
moins  libre,  la  plus  tyrannique  et  la  plus  capricieuse,  est  assurément  celle  de 
médecin.  Le  commerçant  le  plus  en  vogue  dispose  de  sa  soirée  aussi  bien  que 
le  moins  occupé  dès  qu'il  a  fermé  sa  porte.  11  n'y  a  pas  d'heure  réglée  de  repos 
pour  le  médecin,  en  sorte  que  les  praticiens  les  plus  éminents  seraient  ceux 
surtout  qui  feraient  défaut  au  cercle.  Parmi  les  humbles  même,  il  en  est  qu'ac- 
cable une  clientèle  improductive  et  qui  ne  soupirent  le  soir  qu  a  regagner  le 
foyer. 

Ce  n'est  pas  toute  la  difficulté.  Dans  cette  immense  ville  de  Paris,  oii  sera  ce 
cercle?  Quelles  séductions  offrira-t-il  aux  confrères  venus  de  Belleville,  des 
Batignolles  ou  de  la  barrière  d'Enfer?  On  comptait  sur  l'attrait  d'une  bibliothèque. 
Les  quatre  cinquièmes  des  médecins  de  Paris  ont  assez  ou  trop  de  la  leur;  le 
reste  dispose  de  la  bibliothèque  de  la  Faculté,  de  la  bibliothèque  nationale,  de 
celle  de  Sainte-Geneviève;  tous  ceux  qui  travaillent  font,  en  outre,  partie  de 
([uelqu'une  de  ces  sociétés  de  médecine  aujourd'hui  si  nombreuses  et  si  variées. 
Quelle  sera  aussi  la  capacité  des  salons  du  cercle  pour  le  jour  où,  d'aventure,  la 
foule  des  docteurs  de  Paris  viendrait  à  s'y  précipiter?  Il  est  évident  que,  si 
l'on  voulait  tenter  de  nouveau  l'expérience,  il  faudrait  multiplier  les  cercles, 
en  établir  un,  je  suppose,  par  arrondissement.  Mais  les  médecins  de  la  circon- 
scription se  contenteront  toujours  vraisemblablement  de  leur  Société  d'arron- 
dissement, où  l'on  ne  lit  pas  de-journaux  politiques,  où  l'on  ne  joue  pas  aux 
échecs,  où  l'on  ne  prend  pas  de  rafraîchissements,  mais  où  l'on  échange  des 
vues  et  des  observations  sur  toutes  les  questions  scientifiques  et  professionnelles. 

On  ne  se  méprendra  pas  sur  le  sens  de  ces  observations.  Personne  n'apprécie 
[dus  haut  que  moi  les  bienfaits  d'une  confraternité  serrée  et  agissante;  personne 
non  plus  n'est  mieux  disposé  à  la  servir;  mais  l'agitation  n'est  pas  le  progrès; 
les  intentions  les  plus  généreuses  ne  sont  que  ■vent  et  fumée,  si  elles  ne  sont 
pas  réglées  par  le  bon  sens  et  la  raison,  et  ce  n'est  pas  trahir  les  intérêts  du 
corps  que  de  l'empêcher  de  se  fourvoyer.  Je  n'ai  jamais  adhéré  aux  divers 
projets  de  cercle  médical  par  les  raisons  que  je  viens  de  rappeler,  et  aussi, 
puisque  je  suis  amené  à  le  dire,  par  la  crainte  d'une  épuration  insuffisante.  Les 
faits  ne  m'ont  pas  démenti  jusqu'ici;  puissent-ils  me  donner  tort  dans  l'avenir! 


DÉONTOLOGIE.  577 

Parvenu  à  la  fin  de  cet  article,  le  souvenir  me  revient  naturellement  des 
plaintes  qu'on  a  tant  de':  ois  élevées  contre  l'absence  de  tout  enseignement 
déontologique  dans  les  écoles.  L'élève,  dit-on,  quitte  les  bancs  sans  une  idée 
suffisante  de  la  carrière  qu'il  va  parcourir,  sans  un  guide  pour  s'y  diriger.  Gtla 
est  vrai  :  mais  un  enseignement  officiel  de  ce  genre  est-il  possible?  Est-il  même 
souhaitable?  On  ne  peut  songer  à  créer  une  chaire  pour  un  cours  qui,  devant 
être  pratique,  ne  devrait  pas  occuper  plus  de  quatre  on  cinq  leçons.  Le  confier 
à  quelqu'un  des  professeurs  actuels?  Qui  voudrait  s'en  charger?  Et  puis  un  pro- 
fesseur, si  habile  qu'il  soil,  n'a  fourni,  quand  les  portes  de  l'école  lui  ont  été 
ouvertes,  que  des  garanties  de  capacité  scientifique,  et  non  celles,  toutes  spé- 
ciales et  multiples,  qu'exigerait  ce  genre  d'enseignement.  Tout  ce  qu'on  peut 
faire,  c'est  d'engager  ceux  des  maîtres  qui  s'y  sentent  du  goût  et  de  l'aptitude  à 
donner  bénévolement  leurs  conseils,  en  particulier  ou  en  public,  aux  élèves 
qui  sont  prêts  à  commencer  l'exercice  professionnel.  C'est,  du  reste,  ce  qu'avait 
compris  un  maître  éminent  dont  les  qualités  intellectuelles  et  morales  se  prê- 
taient si  bien  à  ce  rôle.  M.  le  professeur  Jules  Cloquet  terminait  autrefois  son 
cours  de  clinique  chirurgicale  par  trois  ou  quatre  leçons  oîi  il  posait  avec  esprit, 
finesse  et  sûreté  dejugement,  les  règles  de  la  conduite  du  médecin  dans  toutes 
les  circonstances  embarrassantes  oii  il  peut  se  trouver. 

Enfin,  puisque  j'ai  risqué  ailleurs  la  publication  d'une  pièce  de  vers  résumant 
sous  une  forme  simple  et  brève  les  principaux  devoirs  du  médecin  envers  lui- 
même  et  envers  ses  semblables,  je  serai  assez  brave  pour  demander  au  lecteur 
la  permission  de  la  reproduire  ici  : 

LES  COMMANDEMENTS  DU   MÉDECIN 

De  la  Douleur  fais  une  épouse, 
Une  maîtresse  de  ton  cœur  ; 
Éiouffe  toute  voix  jalouse 
Qui  la  dispute  à  ton  ardeur; 

Va  la  chercher  dans  la  chaumine, 
Ya  la  chercher  dans  les  salons; 
Car  elle  est  belle  sous  l'hermine, 
Plus  belle  encor  sous  les  haillons. 

j  Qu'elle  attaque  le  corps  ou  l'âme, 

Qu'elle  dise  ou  taise  son  nom, 
Qu'elle  soit  pure  ou  soit  infâme. 
Dès  qu'elle  frappe  à  ta  maison, 

Ou  dès  qu'au  loin  sa  voix  t'appelle, 
Dans  ta  veille  ou  dans  ton  sommeil, 
Ouvre  vite  et  \ole  près  d'elle. 
Sous  l'étoile  ou  sous  le  soleil. 

Que  tout  soit  doux  dans  ta  personne, 
L'œil,  le  geste,  ainsi  que  la  voix; 
Que  ta  bonté  partout  rayonne, 
Et  tu  soulageras  deux  fois. 

■¥*¥ 

Dans  la  bataille  des  épées 
Et  des  fusils  et  des  canon?, 
A  travers  les  plaines  trempées 
Du  sang  tiède  des  légions, 

BICT.   ENC.   XXYII.  37 


578  DÉONTOLOGIE. 

Ou  sous  les  flèches  invisibles 
Qui  sillonnent  l'air  empesté, 
Creusant  des  blessures  horribles 
Aux  enlrailles  de  la  cité, 

Toi,  soldat  de  la  bienfaisance. 
Dans  tous  les  périls  lais-toi  voir 
Avec  l'arme  de  la  science 
Et  sous  le  drapeau  du  devoir. 

Que  la  conscience  soit  l'urne 

Où  l'on  met  la  cendre  des  morts; 

Dépositaire  taciturne 

Des  maux,  des  fautes,  des  remords, 

Des  chagrins  que  la  maison  cèle 
Sous  le  Taux  voile  de  la  paix, 
D'un  sceau  sacré  qu'elle  les  scelle. 
Pour  les  garder  à  tout  jamais. 

Dans  toute  famille  qui  livre 
Ses  jours  intimes  à  ta  foi. 
Où  va  désormais  le  saint  livre 
Du  foyer  s'ouvrir  devant  toi, 

Qu'aucun  acte,  en  nulle  rencontre. 
Ne  déshonore  ton  crédit; 
Ne  vois  rien  que  ce  qu'on  te  montre, 
N'entends  rien  que  ce  qu'on  te  dit. 

Lorsque  ton  pied  des  gynécées 
Franchit  le  seuil  mystérieux, 
Arme  de  pudeur  tes  pensées 
Comme  tes  lèvres  et  tes  yeux. 

¥*■¥■ 

Que  tu  sois  juif  ou  catholique, 
Même  athée,  écoute  le  vœu 
De  qui  réclame  un  viatique 
Des  mains  du  prêtre  de  son  Dieu. 

Des  deux  parts  qui  forment  le  monde, 
La  richesse  et  la  pauvreté, 
-C'est  bien  souvent  dans  la  seconde 
Que  la  fortune  t'a  jeté; 

Mais,  riche  ou  pauvre,  à  l'indigence 
De  tes  soins  réserve  une  part  ; 
Et  quand  de  ta  noble  science 
■On  te  paira  —  fût-ce  un  peu  tard. 

Mesure  le  poids  à  l'épaule  ; 
Hier  bon,  sois  juste  aujourd'hui  ; 
Tu  trahirais  ce  double  rôle 
Si  tu  permettais  que  celui 

Dont  le  mal  a  fait  la  misère, 
En  payant  un  trop  lourd  tribut 


DÉOMOLOGIE.  [,70 

Retrouvât,  par  un  sort  contraire, 
La  misère  dans  son  salut. 

Lors,  en  ta  vieillesse  sereine, 
Nul  trésor  ne  vaudra  le  tien, 
Si  ton  nom  sur  la  bouche  amène 
Ces  simples  mots  :  Homme  de  bien! 

A.  Dechambre. 

Bibliographie.  —  Il  faudrait  bien  des  pages  de  ce  Dictionnaire  pour  contenir  la  men- 
tion de  tout  ce  qui  a  été  écrit  sur  les  qualités  et  sur  les  devoirs  et  droits  du  médecin. 
La  liste  suivante,  avec  les  indications  données  au  cours  de  l'article,  suffira  pour  mettre  tous 
ies  éléments    de    la    question  sous  les  yeux  du  lecteur  qui  voudra    recourir  aux  textes. 

Albertus  (M.).  De  medici  officio  circa  animam  in  causa  sanitatis,  ilib.  —  Dp  mèhe.  De 
voto  castilatis  niedico,  1750.  —  .^matus  Lusitancs.  De  iiilroitu  medici  ad  œgrotantem.  In 
■Curai,  medic.  centunn'  septem.  Florence,  1551.  —  Argenterio.  De  officiis  medici.  In  Oper. 
omn.  — Du  même.  De  consultai ionibus  medicis.  Florent.,  l.")51.  —  Bienvenc.  Qualite's  morales 
du  médecin.  Thèses  de  Paris,  n"  7,  1819.  —  Bohmerls  (J.-L.).  De  mcdicorum  animœ  et 
corporis  in  sanandis  œgris  conjunctione,  in-4°.  Hall.  Magd.,  1756.  —  Bohn.  De  officia 
7nedici.  Lips.,  1797.  —  Beïer.  De  dicterio  :  novo  medico  novo  opus  est  sepulcreto.  Hal. 
1742.  —  Boyer  (de  Montpellier).  Eist.  de  la  médecine  et  des  médecins  dans  la  société  et 
leur  influence  sur  le  progrès  et  la  civilisation,  discours  prononce  au  Congrès  scientifique 

rfe  F;anc<;.  Montpellier,  1868.  — Urasswolx.  De  of/icis  medicis.  Ferrare,  1590.  Bulletins 

de  la  Soc.  de  médecine  légale  :  discussion  sur  le  secret  médical,  18t)9.  —  Browx  (Thomas) 
De  religione  medici,  in-12,  Lugd.  Batav.,  1644.  —  Carrarios.  De  medico  et  ejus  erga  œqrum 
officio.   Ravennœ,   1581.  —  Castellus    (Petr.).    De  visitatione  œgrotantium,   in-12,   RomîG 
1650.  —  Giiardo-x.  Des  devoirs  du  médecin,  brocli.  in-8°.  Paris,  1852.  —  Ci.addixi  (J  -C  )    De 
ingressu  ùd  infirmas  libri    duo,    etc.  Basileae,  in-8°,    1612,  —    Coquelet.   Critique  de  la 
charlatanerie,  in-8°.   Paris,  1726.  —  Corte  (Ilyer.) .    Summa  medendi  met/iodus,   in  quû 

certa  visendi œgrotos  ratio,   in-4°.  Vetiet.,  1658.   —   Crome.    De  conscientiâ  medicâ. 

Hal.,  1872.  —  Cruveilhier.  Sur  le  devoir  du  médecin,  discours  prononcé  à  la  Faculté  de 
médecine  de  Paris.  In  Gaz.  méd.  de  Paris,  1856.  —  Dol^us.  De  juvcnis  medici  ideâ  errante 
pliilosopkico-medicâ,  1697.   —  Descdret.   Médecine  des  jJassions,  5»   édit.,  2   vol.  in-8° 
1860.  —  Dethardtxg.  De  medico  temcrario.  Rostoch.,  1752.  —  Deusing.  De  boni  medici  officio' 
Groning.,  1C48.  —  Devay  (Francis).  Sur  la  confraternité  médicale,  discours  à  la  Soc.   de 

méd.  de  Lyon,  1854.  —  Douté.  Ergo  metu  quam  audaciâ  medicus  felicior.  Paris    168'^  

Dubois  (d'Amiens).  Traité  des  études  médicales,  in-8<'.  Paris,  1840.  —  Ely.  Clironique  m'e'dic 
de  l'année  1865,  contenant  un  ctiapitre  sur  le  secret  professionnel,  1  vol.  in-12.  Paris  1804  — 
Ett.mulleb  (M.).  De  medico  weHdace,  in-4°.  Lipsiœ,  1709.  —  Ewaldt.  De  taciturnitate  medici. 
Erlord.,  1705.  — Y,s\)?.\..  De  prudentiâ  medici  in  indagandis  morborum  causis.  Erf.  1704  — 
Falcoburgo  Neomarchicus.  De  prudcntiâ  medicomim,  in-4°.  Altorf.,  1724.  —  Fischer  ^J  -A  1 
De  medici  circa  moralia  et  physica  in  curandis  morbis  prudentiâ,  in^".  Erford  1727  — 
Dd  même.  Pr.  de  prudentiâ  medicâ .  Erf.,  1727.  —  Foissac.  Devoirs  professionnels',  discours 
prononcé  à  la  Soc.  médic.  du  1"  arrondiss.  de  Paris,  1855.  —  Foxssagrives.  Le  couraqe 
médical  ;  discours  prononcé  à  la  Fac.  de  méd.  de  Montjjellier  le  15  février  1866  broch 
in-12.  Montpellier,  1S06.  —  Gagliardi.  Idea  del  vero  medico  fisico  e  morale.  Rorna  1718  — 
Gisrorne  (Thomas).  On  tlie  Dulies  of  Pliysicians  resuliing  from  tlieir  Profession    ~  Gœli'cke 

De  officio  medici   circa  superstilionem  œgroforum.   Helmst.,   1755.   Gouvet     5;/)-    /  è 

qualités  les  plus  nécessaires  au  médecin.  Thèses  de  Paris,  an  XIII.  Hebenstreit   De  offi  ' 

medici  forensis.  Lips.,  1748.  — Heister.  De  medico  nimis  timido,  in-4°.  Helmstadt    175^   

Hexnrger.  De  officio  medici  erga  animam  œgroti.  Helmst.,  1740.  —  Hilscherics  (S   Fin 


Suntne  fiabiliores  ad  artem  medicam  qui  imaginatione prœpollent?  Paris,  1756   f 

De  patientia  medicorum.  Altdorf.,  1724.  —  Joire.  Dignité  de  la  profession  médic  ■  discours 
prononcé  à  l'École  de  méd.  de  Lille  le  7  déc.  1865.  —  Kerkaradec  (Le  Jumeau  de).  Sur  la  néces- 
sité et  la  dignité  de  la  médecine,  et  sur  les  qualités  nécessaires  au  tnédecin.  Th.  de  Paris' 
1809.  —  LaMettrie(de).  Caractères  des  médecins,  d'après  Pénélope,  in-12°.  Paris  1760  — 
Lamasa  (de).  De  officio  medici.  . Franc, ^1 695.   —  Laxzexus.   De   medici  Ifficio  et  m,,,,].,.. 


officio  et  munere. 
■  1^/  -  i- .  Jnoncé  à  la  séance 

de  rentrée  de  l'Ecole  d'Angers,  Ibo^.  —  Lasse  (de).  De  officio  medici.  Toulouse    1656    — 


Ferrarte,  1729.  —  Laroche.  Devoirs  et  qualités  du  médecin;  discours  prononcé  à  la  séance 


580  DÉPILATOIRES. 

Lfxient.  Mol  de  prudence  en  matière  de  médechie  par  un  me'decin  hors  de  2)^'atique.  Nice, 

.jj^QO. hnscwml.  Qualités  morales  dumédecin.  Thèses  de  Paris,  n°  116,  1821.  — Letourneur. 

Bar  ports  du  médecin  avec  la  société.  Ihèses  de  Paris,  n"  155,  1821.  —  I.ic.eus.  De  optimo 
medico,  in-12.  Harlem,  1748.  —  Linker.  De  officio  medici.  Prag.,  1G84.  —  Littletox.  De 
juramcnto  me.dicoruin.  Lond.,  1003.  —  Littré.  Médecine  et  médecins,  1  vol.  in-12.  Formé 
d'articles  extraits  de  divers  recueils.  Paris,  1875.  —  Louve.  De  dignitate  el  officio  veri 
medici.  Dresd.,  1085.  —  Ludolpii.  De  requisilis  medici  conscienliosi.  Erf.,  1724.  —  Lutheu 
(L.-I;.).  De  sale  medico,  in-4°.  Erford.,  1752.  —  Lutueu  (C.-F.-D.).  Prœcipuis  caulelis 
vraxin  adeunti  juxta  clinicos  probe  attendendis,  in-4°,  1733  —  Max  Simon.  Déontolofjie 
médicale,  1  vol.  iii-8°.  Paris,  1845.  —  Miuakda  (de).  Dialogus  de  perfectione  el  pcntibiis  boni 
medici.  —  MoNFALEON  (J.-U.).  Art.  Médecin,  in  Dlct.  des  se.  médic.  en  60  vol.,  1819.  — 
BIuNARET.  Du  médecin  des  villes  et  du  médecin  de  campagne,  1  vol.  in-12.  Paris,  1840.  — 
Wusoco  (de).  Dissertatio  de  medico.  Patav.,  1005.  —  Naudé.  An  Uceat  medico  fallere  œgrotos. 
Rouen,  1035.  —  ISeucranz.  Idea  perfect.  medici.  Lubeck,  1655.  —  Papius.  De  arte  meclica.... 
el  veri  medici  virlulibus.  IVesiomoini,  1012.  —  Patin.  Quod  oplimus  medicus  debeat  esse^ 
polytnathes.  Patav.,  1784.  —  Patix  (E.).  Quelques-uns  des  principaux  devoirs  et  des  princi- 
paux droits  du  médecin.  Thèses  de  Strasbourg,  19  janv.  1859.  —  Peisse  (Louis).  La  méde- 
cine et  les  médecins,  2  vol.  in-12.  contenant  plusieurs  articles  extraits  de  divers  recueils 
sur  la  profession  médic,  Paris,  1857.  —  Perron.  De  Vhonnélelé  professionnelle;  travail 
joint  au  Compt.  rend,  de  l'assemblée  générale  de  la  Société  des  médecins  du  Doubs,  du 
14  wîars  1882.  —  Petit  (Marc-Antoine).  Essai  sur  la  médecine  du  cœur,  comprenant  quatre 
épîtres  en  vers,  un  discours  sur  la  bienfaisance,  un  autre  sur  la  douleur,  in-8°.  Lyon, 
4800,  —  PioGEY.  Du  charlatanisme  médical,  broch.  in-S".  Paris,  1853.  —  Plaz.  De  medico 
audace,  in-4''.  Lipsiœ,  1760.  —  Du  »iè.»ie.  De  cœlibatu  medicis  fugiendo.  Lips.,  1767.  — 
Du  MÊME.  De  fwminarum  in  medicos  iiiiperio.  Lips.,  1768.  —  Pœiixer.  De  officiis  medici. 
Lips.,  1753.  —  Raynal  (D.).  Essai  sur  la  pliilosopliie  du  médecin.  Thèses  de  Paris,  1809.  — 
Réveillé-Parise.  Éludes  de  l'homme,  2  vol.  in-S",  contenant  un  essai  de  médecine  morale. 
Paris,  1845.  —  Rhetius.  Diss.  de  medicis.  Francof.,  1664.  —  Richter.  De  silenlio  ?nedico. 
Gœtting'.,  1752.  —  Roberg.  De  ideâ  boni  medici.  Upsal.  (Collect.  AValler),  1768.  —  Rodericus  a 
Castro.  Medicus politicus,  in-4°.  Ilamhurgi,  1614.  —  Romani.  Diss.  de  medico,  Lips.,  1670.  — 
RosEiNBLAD.  Dc  audocitt  et  timiditate  medica.  Lond.,  1783.  —  Sachs.  De  officio  et  jure  medi- 
corum.  Argent.,  1706.  — Sciiarand.eus  (J.-J.).  Modus  el  ratio  visendi  œgros,  in-12.  Solodori, 
1070.  —  Scheffelius.  De  usu  silentii  medico.  Gryphisw.,  1748.  —  Scherbius.  Politica  medica. 
AUdorl.,  1595.  —  Schneider  (Félix).  Préparation  à  l'exercice  de  la  7nédccine,  1  vol.  )n-12. 
Paris,  1800.  —  Scholze  (J.-L.).  De  medico  veliementer  laudari  digno,  in-4°.  Hal.-Magd, 
4755.  —  SciiuTZENBEiiGER.  PliHosopMe médicalc,  comprenant  plusieurs  discours  d'introduction 
aux  études  médicales  et  divers  écrits  sur  l'enseignement  et  la  profession,  1  vol.  in-8°.  Paris, 
4879.  —  ScouTETTEN.  Dcs  devoirs  et  des  droits  des  médecins.  Discours  lu  à  la  Soc.  des  se. 
méd.  du  départ,  de  la  Moselle  le  10  juin  18i7,  broch.  in-8°.'  Metz,  1847.  —  Siedun  (J.-J.). 
Manuduclio  ad  medicinam  brevis.  .\ug.  Vindelic,  1706. — Simpson  (James-Young).  Physician 
and  P/iysic,  1  vol.,  1857,  contenant  deux  discours  sur  les  devoirs  des  médecins,  prononcés  à 
Edimbourg ,  1842  et  1855.  —  Sode.  De  obligationc  medicorum.  Erf.,  1092.  —  Solinus.  De 
dignitate  et  officio  veri  medici.  Delph.,  1685.  —  Sonnet  (Thomas).  Satire  contre  les  charla- 
tans et  les  faux  médecins  empiriques,  1610.  —  Spies.  De  jjroverbio  :  novus  medicus,  novuni 
cœmeterium.  Rasil.,  1695.  —  Steixmetzius.  Dejusta  medici  timiditate,  in-4°.  Lipsiaî,  1783.  — 
Stenzel  (Ch.-S.).  Medicus  ab  iniquis  judiciis  vindicaturus,  in-4°.  'Vittenb.,  1758.  —  Do 
MÊME.  Garrulitatem  a  genuino  officio  medici  alienissimum  esse.  Witeb.,  1743.  —  Stock 
(C.-L.).  De  temperenlia  medicorum,  in-4°.  Altorf.,  1725.  —  Thiaudière.  De  l'exercice  de  la 
médecine  enprovinceet  à  la  campagne,  in-8°.  Paris,  1839.  — Tiiouvenel  de  Medonville.  Devoirs 
jniblics  et  particuliers  du  médeciri.  Thèse  de  Paris,  1800.  —  Tourbes  (G.).  Secret  médical, 
art.  du  Dict.  encyclop.,  1880.  —  Treïlixg  (J.).  An  et  qualem  medicus  débet  uxorem  ducere. 
Oral,  inaug.  Ingolstadt,  1739.  —  Triller.  De  officio  medici.  len.,  1701.  —  Vicq  d'Azyr. 
Éloges  historiques.  —  Van  der  Linden.  Manuductio  ad  ^nedicinam,  in-12.  Lo\anii,  1639.  — 
Verdo.  Le  charlatanisme  elles  charlatans  médecins,  1  vol.  in-12.  Paris,  1807.  —  Yoigt. 
Triniim  medicum,  id  est,  de  medico,  œgroto  et  adstantibus.  Prag.,  1708.  —  Westphal. 
Fama  isla  calamitosa  :  «  fsovi  medici,  tiova  cœmeteria  »,  à  medicis  junioribus  depellilur. 
Gryphisw.,  1743.  —  Woeffel.  De  obligatione  medicorum.  Erf.,  1692.  —  "Wolffgang-Wedelius. 
De  officio  œgrotantium,  in-4"'.  lenœ,  1719.  A.  D. 


DÉpiLiVTioiv.     Voy.  Épilation. 

UÉPILATOIRES.       VoiJ.   Épilatoires. 


LΠ (M.  A  CE  ME. NT  s.  581 

«ÉPLACEMEXT.  (PiuKMACii:).  MM.  Boullay,  pharmaciens,  ont  donné  le 
nom  àQ  Méthode  par  déplacement  à  un  mode  particulier  de  dissolution  qui  a  été 
<lccrit  à  l'article  Solution  (p.  256).  ^' 

DÉPLACEME\T  DES  ORGAMES.       Voy.  EcTOPIES. 

DÉPliACEMEXTS  (Chirurgie).  La  connaissance  et  l'ctude  de  laplupartdes 
déplacements  remontent  aux  époques  les  plus  reculées  de  la  chirurgie.  Aussi 
leur  histoire  compte-t-elle  un  nombre  de  travaux  considérable,  mais  seulement 
en  ce  qui  concerne  chacun  d'eux  en  particulier.  Jusqu'ici,  en  effet,  ou  n'a  guère 
cherché  à  réunir  dans  le  même  tableau  les  caractères  communs  qu'ils  présentent, 
les  grandes  indications  thérapeutiques  qu'ils  réclament  ;  seul,  Maisonneuve  les 
a  envisagés  à  ce  point  de  vue  dans  une  de  ses  leçons  cliniques. 

Il  est  difficile  de  faire  autre  chose  que  de  tracer  le  cadre  d'un  groupe  patho- 
logique si  vaste  et  formé  d'éléments  si  divers,  sous  peine  de  s'encombrer  de 
détails  réservés  aux  articles  spéciaux.  Cependant,  parmi  les  différents  chapitres 
que  comprend  l'hisloiie  générale  des  déplacements,  il  eu  est  un,  celui  du  trai- 
tement, qui  se  prête  mieux  à  une  étude  d'ensemble.  Ce  traitement  appartient 
à  la  variété  de  la  méthode  anaplastique  que  M.  Verneuil  a  nommée  anataxie.  En 
exposant  les  procédés  et  les  indications  de  l'anaplastie,  il  a  dû  toucher  aux 
déplacements,  et  il  a  ainsi  accompli  une  partie  de  notre  tâche  et  facilité  celle  qui 
nous  reste  à  remplir.  Mais  nous  aurons  à  dégager  des  principes  qu'il  a  formulés 
tout  ce  qui  s'applique  spécialement  à  notre  sujet,  en  y  ajoutant  les  particularités 
qui  auraient  inutilement  chargé  la  description  de  l'anaplastie  en  général. 

Limites  on  sujet.  Définition.  1.  Les  déplacements  constituent  un  genre 
àliéléwtaxie.  Ce  mot  avait  été  exclusivement  employé  par  les  tératologistes  pour 
désigner  certains  changements  congénitaux  de  rapports  et  de  situation  des 
organes  (transpositions,  anomalies  de  siège),  jusqu'au  jour  oii  M.  Verneuil  lui  a 
donné  une  plus  large  acception,  conforme  d'ailleurs  à  l'étymologie,  et  justifiée 
par  les  besoins  du  langage  chirurgical. 

Sous  ce  nom,  il  comprend  non-seulement  les  anomalies  congénitales  de  posi- 
tion, transpositions  et  ectopies,  mais  encore  des  lésions  accidentelles,  caractéri- 
sées par  un  changemeat  dans  la  direction,  la  situation,  les  rapports  des  organes 
(luxations,  hernies,  prolapsus,  déviations  proprement  dites). 

L'hétérotaxie,  en  effet,  représente  toute  une  classe  d'étals  anormaux  ou  patho- 
logiques auxquels  la  même  méthode  thérapeutique,  l'anaplastie  par  anataxie, 
-est  applicable,  en  vertu  de  celte  loi  qui  veut  que,  d'une  manière  générale,  l'art 
oppose  à  une  difformité  donnée  une  anaplastie  de  nom  contraire:  à  une  diérèse, 
la  synthèse;  à  une  exérèse,  la  prothèse;  à  une  hétérotaxie,  l'anataxie. 

Mais  l'hétérotaxie  comprend  plusieurs  genres.  11  est  donc  indispensable,  avant 
d'étudier  les  déplacements,  d'établir  nettement  leurs  limites  et  de  les  définir 
d'une  manière  exacte. 

1'^  Le  mot  déplacement  signifie,  à  proprement  parler,  action  de  quitter  une 
place  pour  en  occuper  une  autre.  Celte  signification  implique  l'idée  d'un 
transport  des  organes,  c'est-à-dire  de  leur  passage  d'une  position  préexistante  à 
une  position  accidentelle  ; 

2"  L'idée  de  lieu,  de  position,  fait  naître  immédiatement  l'idée  corrélative  de 
contiguïté,  de  rapports  des  organes  entre  eux.  Tout  changement  de  position 
sera  donc  en  même  temps  un  changement  de  rapports. 


582  DÉPLACEMENTS. 

A  l'aide  de  ces  deux  propositions,  on  distinguera  facilement  les  attributs 
respectifs  des  déplacements  et  des  autres  genres  d'hétérotaxie. 

a.  Les  transpositions  viscérales  et  les  ectopies  sont  des  hétérotaxies,  mais  non 
des  déplacements,  puisque  cette  dénomination  ne  peut  s'appliquer  à  la  position 
anormale  d'un  organe  qu'autant  qu'elle  est  secondaire,  qu'elle  a  succédé  à  une 
autre.  Le  cœur,  développé  d'emblée  à  droite,  et  n'ayant  jamais  eu  d'autre  situa- 
tion, est  un  viscère  transposé,  mal  placé  pour  ainsi  dire,  mais  non  déplacé. 
Quand  le  testicule,  qui  parcourt  successivement  dans  sa  migration  différents 
points  de  l'abdomen,  se  fixe  dans  une  de  ces  régions  de  passage,  y  a-t-il  dépla- 
cement? Non,  puisqu'il  demeure  dans  un  lieu  qu'il  occupe  pour  la  première 
fois.  Il  n'y  a  que  cette  variété  d'hétérotaxie  congénitale  connue  sous  le  nom 
d'ectopie. 

Les  anomalies  de  position  congénitales  diffèrent  donc  essentiellement  des  dépla- 
cements. Ces  vices  de  conformation  constituent  un  premier  genre  qu'il  serait 
rationnel  d'appeler,  pour  éviter  toute  confusion  avec  les  déplacements  vrais 
congénitaux,  hétérotaxies  d'emblée  ou  de  développement.  En  tout  cas,  ils  ne 
sauraient  conserverie  nom  à' anomalies  par  déplacement,  trop  souvent  employé 
jusqu'ici,  car  il  a  l'inconvénient  de  se  prêter  à  une  extension  peu  conforme  aa 
sens  qu'on  lui  attribue. 

Le  caractère  fondamental  des  déplacements,  celui  qui  seul  permet  de  catégo- 
riser des  lésions  si  nombreuses  et  si  variées,  c'est  leur  origine  purement  et 
constamment  accidentelle,  c'est,  en  d'autres  termes,  leur  qualité  d'états  mor- 
bides. Aussi  bien  pendant  la  vie  intra-utérine  qu'à  n'importe  quelle  époque  de 
l'existence  ce  caractère  reste  le  même,  le  fœtus  étant  justiciable  de  maladies 
proprement  dites,  tout  comme  de  vices  ou  d'arrêts  de  développement. 

De  ce  que  différentes  affections  sont  contemporaines,  ce  n'est  pas  une  raison 
pour  qu'elles  aient  la  même  oi'igine,  et  dire  d'une  lésion  qu'elle  est  congénitale, 
c'est  indiquer  seulement  son  âge,  et  non  pas  sa  nature  ;  sans  compter  que  cette 
épithète  est  souvent  appliquée  d'une  manière  qui  s'accorde  mal  avec  sa  véritable 
signification.  C'est  ainsi  que  la  hernie  vaginale  dite  congénitale  est  toujours 
postérieure  à  la  naissance,  quelquefois  même  tardive  dans  son  apparition,  lien 
est  de  même  des  luxations  congénitales  qui,  dans  certains  cas,  se  développent  chez 
le  nouveau-né,  jusque-là  absolument  indemne  de  tout  déplacement  articulaire. 
Mais,  pour  en  revenir  aux  changements  de  situation  véritablement  congénitaux, 
c'est-à-dire  antérieurs  à  la  naissance,  ils  peuvent  être  ou  ne  pas  être  des  dépla- 
cements, selon  qu'ils  succèdent  à  une  malformation  primitive  ou  bien  à  une 
maladie,  à  un  traumatisme,  affectant  des  organes  déjà  en  possession  de  leurs 
rapports  normaux.  La  méningocèlc  congénitale  est  un  déplacement,  car  rien 
dans  ses  causes  ne  se  rattache  à  un  vice  de  développement  des  membranes  du 
cerveau  ou  des  os  du  crâne;  c'est  une  hydropisie  arachnoïdienne,  une  accumu- 
lation de  sérosité  circonscrite  à  un  point  limité  de  la  cavité  crânienne,  qui 
produit  par  pression  une  trouée  osseuse  à  travers  laquelle  la  dure-mère,  excen- 
triquement  réfoulée,  vient  faire  saillie  au  dehors.  Par  contre,  une  hernie  ombili- 
cale congénitale  est  une  hétérotaxie  d'emblée,  mais  non  un  déplacement, 
puisque  elle  est  constituée  par  des  viscères  développés  hors  de  l'abdomen,  et 
simplement  restés  à  demeure  dans  le  lieu  où  ils  se  sont  primitivement  formés. 
De  telles  distinctions,  si  subtiles  qu'elles  puissent  paraître,  ne  laissent  pas  que 
d'avoir  leur  importance  lorsqu'on  cherche  à  définir,  en  pathologie  générale,  un 
groupe  de  lésions   similaires  indépendamment  des  organes  qu'elles  affectent. 


DÉPLACEMENTS.  585 

Les  déplacements,  tels  que  nous  les  entendons,  c'est-à-dire  les  changements 
accidentels  de  situation  et  de  rapports  des  organes,  peuvent  exister  seuls  ou 
s'accompagner  d'un  changement  concomitant  de  direction,  d'une  déviation. 
Quand  la  tête  de  l'humérus  abandonne  la  cavité  glénoïde  de  l'omoplate,  il  y  a 
déplacement  de  cette  extrémité  osseuse,  et  en  même  temps  déviation  du  membre 
supérieur  dans  un  sens  ou  dans  l'autre.  Ici,  c'est  le  déplacement  qui  est  le  fait 
capital  et  qui  régit  la  déviation,  fait  secondaire  et  accessoire.  Mais,  de  leur  côté, 
les  déviations  ont  souvent  leur  indépendance,  et  constituent  à  elles  seules  un 
état  pathologique.  Dans  la  scoliose,  il  n'y  a  aucun  changement  de  rapports; 
comme  à  l'état  normal,  les  vertèbres  se  correspondent  entre  elles,  chacune 
conserve  ses  relations  de  contiguïté  avec  ses  voisines,  avec  les  côtes,  les  muscles, 
les  viscères;  seul,  l'axe  de  la  colonne  est  modifié.  Au  lieu  d'être  rectiligne,  la 
tige  osseuse  est  infléchie,  elle  est  déviée;  rien  n'est  déplacé.  Un  autre  exemple 
fera  mieux  ressortir  encore  les  limites  respectives  des  deux  genres  d'hétérotaxie 
que  nous  cherchons  à  différencier  :  un  doigt  luxé  est  déplacé,  en  ce  sens  que  la 
cupule  de  la  première  phalange  a  perdu  ses  rapports  avec  la  tête  du  métacar- 
pien; le  même  doigt,  à  la  suite  d'un  rhumatisme,  n'est  plus  parallèle  à  l'axe 
du  métacarpien  qui  le  supporte,  mais  plus  ou  moins  écarté  de  cet  axe  et  fixé 
dans  cette  nouvelle  direction;  ce  doigt  est  dévié. 

En  résumé,  si  les  déviations  appartiennent  aux  hétérotaxies,  elles  occupent 
dans  cette  classe  une  place  à  part,  à  côté  des  déplacements,  mais  sans  confusion 
possible  avec  eux. 

I.  Ces  considérations  général esétaient  nécessaires  pour  nous  permettre  de  donner 
une  définition  précise  des  déplacements.  Nous  savons  mahitenant  ce  que  cette 
définition  doit  comprendre;  encore  faut-il  s'exprimer  d'une  manière  telle  que  la 
formule  s'adapte  à  tous  les  cas  indistinctement,  même  les  plus  dissemblables 
en  apparence.  Dire  que  les  déplacements  sont  des  difformités  par  hétérotaxie 
accidentelle.,  c'eût  été  rappeler  en  trois  mots  l'aspect,  la  nature  et  la  cause  de 
la  plupart  de  ces  états  morbides.  Mais,  si  cette  définition,  séduisante  en  raison 
de  sa  brièveté,  peut  être  appliquée  à  un  grand  nombre  de  cas,  elle  ne  saurait 
l'être  à  tous  :  aussi  devons-nous  y  renoncer.  Sans  doute,  un  organe  ne  peut 
guère  changer  de  place  sans  qu'il  survienne  quelque  modification,  soit  dans 
sa  forme,  soit  dans  celle  des  parties  qu'il  envahit  ou  qu'il  abandonne;  et  cepen- 
dant il  est  impossible  de  regarder  tous  les  déplacements  comme  des  difformités. 
Devons-nous,  par  exemple,  considérer  comme  tels  les  déplacements  des  organes 
profonds,  dont  l'existence  n'est  révélée  par  aucun  signe  extérieur?  Une  hernie 
diaphragmatique  est-elle  une  difformité?  L'utérus  abaissé,  mais  encore  renfermé 
dans  le  vagin,  ne  représente-t-il  pas  un  déplacement  pur  et  simple?  La  difformité 
existe-t-elle  avant  qu'il  ait  franchi  l'orifice  vulvaire?  Je  sais  bien  que  M.  Ver- 
neuil  n'admet  pas  cette  distinction,  ou  plutôt  n'en  tient  pas  compte  dans  la 
description  générale  de  l'anaplastie,  et  qu'à  l'opération,  restauration  de  la 
forme,  il  oppose  la  difformité,  c'est-à-dire  le  vice  de  forme,  que  celui-ci  soit 
caché  ou  apparent.  Mais  c'est  forcer  un  peu  le  langage  classique,  et,  si  cette 
liberté  est  légitime  dans  le  vaste  exposé  d'une  méthode  qui  comprend  presque 
la  moitié  de  la  chirurgie,  ce  serait  prêter  à  la  confusion  dans  une  étude  plus 
restreinte,  comme  la  nôtre,  que  de  ne  pas  conserver  à  chaque  mot  le  sens  que 
l'usage  a  consacré.  D'autre  part  encore,  la  forme  extérieure  est  bien  souvent 
altérée  sans  qu'il  y  ait  réellement  difformité.  Ce  terme  implique  en  effet 
quelque  chose  d'ancien,  d'établi,  d'immuable.  Un  bec-de-lièvre  est  une  diffor- 


58i  DEPLACEMENTS. 

mité;  une  plaie  récente  delà  lèvre  n'en  est  pas  une;  au  lendemain  d'une 
luxation,  une  articulation  est  déformée,  mais  non  difforme,  ce  qui  est  tout  autre 
chose.  La  difformité  viendra  plus  tard,  quand,  en  l'absence  de  réduction,  un 
travail  plastique,  fixant  les  parties  dans  leur  position  nouvelle,  donnera  à  la 
région  un  vice  de  forme  définitif  et  permanent.  Il  y  a  entre  ces  deux  espèces 
d'états  morbides  une  différence  capitale,  et  celle-là  ne  saurait  être  discutée. 
M.  Verneuil,  tout  le  premier,  l'a  netlement  établie,  et  il  l'a  si  bien  observée 
qu'il  a  décrit  sous  le  nom  spécial  iïanaplastie  préventive  celle  qui  s'applique 
aux  lésions  qui  ne  sont  pas  encore  des  difioimités,  mais  qui  sont  susceptibles 
d'en  engendrer  dans  un  avenir  plus  ou  moins  éloigné. 

Pour  ces  raisons,  et  dans  la  nécessité  où  nous  sommes  de  préférer  l'exactitude 
à  la  concision,  nous  définirons  les  déplacements  de  la  manière  suivante  :  genre 
d'hétcrotaxie  dans  lequel  un  organe  abandonne  la  position  qu'il  occupait  primi- 
tivement. 

jNoMEiN'CLATDRE  ET  VARIÉTÉS  DES  DÉPLACEMENTS.  I,  Lc  champ  dcs  déplacements 
est  extrêmement  étendu.  Ils  peuvent  affev^ter  les  organes  passifs  et  actifs  de  la 
locomotion,  les  viscères,  les  organes  des  sens. 

a.  Déplacements  des  organes  passifs  de  la  locomotion.  Les  déplacements 
des  os  dans  la  contiguïté,  ou  articulaires,  constituent  la  grande  classe  des  luxa- 
tions. On  les  distingue,  en  général,  d'après  le  sens  dans  lequel  se  porte  l'os  luxé 
par  rapport  a  celui  qui  reste  en  place  :  luxations  eu  haut  ou  en  bas,  en  avant  ou 
en  arrière,  en  dehors  ou  en  dedans.  Les  déplacements  dans  la  continuité  appar- 
tiennent aux  fractures;  ici  encore  les  variétés  anatomiques  sont  nombreuses; 
les  fragments  peuvent  se  déplacer  suivant  la  direction,  la  circonférence,  l'épais- 
seur, la  longueur,  la  distance. 

A  cette  catégorie  il  faut  joindre  les  déplacements  des  cartilages,  soit  adhé- 
rents de  toutes  pièces,  comme  les  cartilages  costaux,  soit  plus  ou  moins  libres, 
comme  les  fibro-cartilages  interarticulaires. 

b.  Déplacements  des  organes  actifs  de  la  locomotion.  Beaucoup  moins  fré- 
quents que  les  précédents,  ils  ne  sont  représentés  que  par  les  hernies  musculaires 
et  les  hixalions  des  tendons. 

c.  Déplacements  viscéraux.  Cette  classe  comprend  des  déplacements  aussi 
nombreux  que  variés.  On  y  trouve  en  effet  : 

Dans  ïappareil  digestif,  les  déplacements  des  gros  viscères  (foie,  rate, 
estomac)  ;  ceux  de  l'intestin  grêle  et  du  gros  intestin,  de  l'épiploon  (hernies, 
rectocèle,  prolapsus  du  rectum). 

Dans  ïappareil  respiratoire,  les  hernies  du  poumon. 

Dans  V appareil  génito-ur inaire,  les  déplacements  du  rein  ;  les  hernies  de  la 
vessie,  de  l'ovaire;  la  chute  et  l'inversion  de  l'utérus. 

Dans  le  système  nerveux  central,  les  hernies  des  méninges  et  du  cerveau. 

d.  Déplacements  des  organes  des  sens.  Ils  ont  pour  siège  l'appareil  de  la 
vision.  Ce  sont  les  hernies  de  l'iris,  les  luxations  du  cristallin,  les  déplacements 
du  globe  de  l'œil  dans  sa  totalité. 

JMaisonneuve  ajoute  à  cette  nomenclature  les  déplacements  des  lèvres  et  des 
paupières.  Nous  croyons  préférable  de  les  ranger  dans  la  classe  des  déviations, 
car  ces  replis  membraneux,  qui  n'ont  de  rapports  fixes  que  par  leur  bord  adhé- 
rent, changent  plus  souvent  de  direction  que  de  place.  Le  même  auteur  énumère 
encore  les  déplacements  de  certains  organes,  dont  nous  n'avons  pas  parlé,  tels 
que  le  cœur,  les  artères  et  les  veines,  les  ganglions  lymphatiques,  les  neifs,  le 


DÉPLACEMENTS.  585 

larynx  et  la  trachée.  Sans  doute,  chacun  d'eux  est  susceptible  de  se  déplacer; 
lorsqu'une  tumeur  se  développe  dans  leur  voisinage,  elle  peut  les  repousser  au 
fur  et  à  mesure  de  sou  accroissement  et  leur  faire  abandonner  leurs  rapports 
normaux  ;  mais  ces  différents  organes  ne  se  déplacent  jamais  sous  une  autre 
influence.  Or,  dans  ces  cas,  la  cause  seule  domine,  l'effet  n'est  qu'accessoire. 
Ces  déplacements  n'ont   donc  pas   d'existence  individuelle,  ils  ne  constituent 
pas  à  eux  seuls  un  état  morbide,  eu  un  mot,  ils  sont  exclusivement  symptoma- 
tiques.  Voilà  pourquoi  nous  ne  les  avons  pas  admis  dans  notre  classification,  pas 
plus  que  nous  ne  nous  occuperons,  dans  le  cours  de  cette  étude,  d'aucune  autre 
espèce  de  déplacements  de  cette  nature,   quelque  organe  qu'ils  affectent.  Les 
déplacements  symptomatiques,  en  effet,   ne  se   prêtent  pas  à  une  description 
générale,  et  leur  liistoire  est  inséparable  de  celle  des  affections  dont  ils  relèvent. 
Sans  caractère  personnel,  engendrés  par  les  lésions  les  plus  disparates,  illimités 
dans  leur  degré,  quelquefois  graves  par  eux-mêmes,  souvent  insignifiants  à  côté 
de  la  maladie  qui  les   produit,  ils  n'offrent  entre  eux  ni  point  de  repère,  ni 
terme  de  comparaison.  Subordonnés  à  une  cause  de  voisinage,  ils  naissent  et 
disparaissent  avec  elle  ;  ils  ne  réclament  aucun  traitement  qui  leur  soit  propre. 
Extirper  un  néoplasme  qui  luxe,  une  articulation  ou  un  goitre  qui  déjette  le 
larynx,  ponctionner  un  épanchement  pleurétique  qui  refoule  le  cœur,  ce  n'est 
pas  traiter  un  déplacement,  ce  n'est  pas  faire  de  l'anataxie,  pas  plus  que  ce  n'est 
opérer  un  rétrécissement  du  rectum  que  d'enlever  une  tumeur  qui  comprime  ce 
conduit. 

II.  On  peut  observer,  sur  le  même  sujet,  un  ou  plusieurs  déplacements,  analo- 
gues ou  dissemblables  dans  leur  siège  et  dans  leur  nature.  En  d'autres  termes, 
les  déplacements  sont  mono  ou  poly-régionnaiies.  Ceux-ci  n'ont  d'intérêt  que 
lorsc[u'ils  sont  similaires  et  relèvent  d'une  même  cause,  comme  les  hetnies  bila- 
térales, les  luxations  congénitales  doubles;  autrement,  la  pluralité  des  lésions 
n'est  qu'un  effet  du  hasard,  une  simple  coïncidence  qui  ne  mérite  pas  de  fixer 
l'attention. 

On  dislingue  encore  les  déplacements  en  mono  au  pobj-organiques,  selon 
qu'un  ou  plusieurs  organes  changent  de  situation  dans  le  même  temps,  dans  le 
même  lieu  et  sous  l'influence  d'une  même  cause.  Les  déplacements  poly-organi- 
ques  sont  de  beaucoup  les  moins  fréquents.  Ils  ne  sont  guère  représentés  que 
par  les  eutéro-épiplocèles,  la  chute  de  l'utérus  accompagnée  de  cystocèle  et  de 
rectocèle,  le  prolapsus  du  rectum  compliqué  d'une  hernie  intestinale  dans  le 
cul-de-sac  péritonéal. 

La  division  des  déplacements  en  complets  et  incomplets  sert  à  exprimer  la 
distance  qui  sépare  la  situation  accidentelle  d'un  organe  de  sa  situation  primi- 
tive; elle  mesure  l'étendue,  le  degré  du  déplacement,  selon  que  les  rapports 
des  parties  contiguës  sont  simplement  modifiés  ou  totalement  abolis,  que  ces 
parties  correspondent  mal,  sans  s'être  absolument  abandonnées,  ou  qu'il  n'existe 
plus  entre  elles  aucun  point  de  contact.  Cette  distinction  est  d'une  application 
pratique  journalière  dans  le  diagnoslic  des  luxations. 

En  dehors  des  déplacements  osseux,  elle  est  plus  difficile  ou  même  impossible 
à  établir  d'une  manière  précise,  car  elle  n'est  appréciable  qu'autant  que  les 
organes  déplacés  et  ceux  dont  ils  s'écartent  présentent  des  points  de  repère  fixes, 
invariables,  et  une  consistance  telle  que  leur  forme  ne  change  pas  en  même 
temps  que  leurs  rapports.  Cependant,  en  l'absence  même  de  ces  conditions,  on 
peut  quelquefois  définir  assez  exactement  le  degré  d'un  déplacement  en  prenant 


586  DEPLACEMENTS. 

pour  jalons  les  différents  points  du  trajet  que  l'organe  déplacé  est  susceptible 
de  parcourir.  C'est  ainsi  que  la  pointe  de  hernie,  la  hernie  interstitielle,  le 
bubonocèle  et  l'oschéocèle  représentent  différents  degrés  de  la  liernie  inguinale, 
selon  que  l'anse  intestinale  a  seulement  franchi  l'orifice  interne  du  canal 
inguinal,  occupe  l'épaisseur  des  parois  de  l'abdomen,  fait  saillie  au  pli  de  l'aine,. 
ou,  enfin,  est  descendue  dans  le  scrotum. 

11  faut  se  garder  de  confondre  les  déplacements  incomplets  avec  ceux  qu'on 
peut  appeler  joor^ze/s.  Ce  dernier  terme,  en  effet,  ne  caractérise  pas  l'étendue 
d'un  déplacement,  mais  bien  la  quantité  déplacée  d'un  organe  par  rapport  à  sa 
masse  totale. 

Les  déplacements  partiels,  auxquels  appartiennent  les  espèces  les  plus  com- 
munes et  les  plus  importantes  de  la  grande  classe  des  hernies,  sont  ceux  des 
viscères  dépourvus  de  consistance,  doués  de  souplesse,  d'élasticité,  d'extensibi- 
lité, susceptibles  de  pousser  en  quelque  sorte  des  prolongements  en  dehors  des 
cavités  qui  les  renferment,  sans  que  le  reste  de  leur  masse  subisse  aucun  chan- 
gement de  situation.  11  va  sans  dire,  au  contraire,  que  les  organes  rigides, 
comme  les  os,  formés  d'un  tissu  résistant  et  nettement  limités,  comme  le  rein 
ou  l'utérus,  ne  peuvent  se  mouvoir  que  d'une  seule  pièce,  dans  la  totalité  de 
leur  substance.  Lors  même  que  l'on  ne  rencontre  dans  le  foyer  d'un  déplace- 
ment, si  l'on  peut  s'exprimer  ainsi,  ([u'un  point  limité  de  leur  surface,  comme 
on  l'observe  dans  les  luxations  des  os  longs,  l'extrémité  opposée  n'en  subit 
pas  moins  un  mouvement  de  locomotion  proportionnel  à  l'étendue  du  déplace- 
ment. De  là  résultent,  à  côté  des  signes  physiques  locaux,  d'autres  signes  plus 
ou  moins  éloignés  du  siège  du  déplacement,  dont  la  constatation  a  quelquefois 
une  grande  importance,  et  qui,  naturellement,  font  absolument  défaut  dans  les 
déplacements  partiels. 

Que  faut-il  entendre  par  les  expressions  si  communément  employées  de  dépla- 
cements siiHples  et  de  déplacements  compliqués?  Il  est  assez  difficile  d'établir 
des  limites  précises  entre  ces  deux  variétés.  D'une  manière  générale,  cependant, 
on  peut  dire  que  les  premiers  sont  uniquement  caractérisés  par  les  lésions  indis- 
pensables à  leur  production,  quelle  que  soit  d'ailleurs  l'importance  de  celles-ci, 
depuis  le  simple  relâchement  des  tissus  jusqu'aux  solutions  de  continuité  des 
parties  molles  ou  des  os.  Compliqués,  au  contraire,  les  déplacements  s'accompa- 
gnent de  lésions  plus  ou  moins  graves  portant  sur  les  organes  du  voisinage  : 
telles  sont  les  plaies,  les  fractures,  la  déchirure  ou  la  compression  des  vaisseaux 
et  des  nerfs,  en  un  mot,  tous  les  désordres  occasionnés  par  une  violence  supé- 
rieure en  force  ou  en  étendue  à  celle  qui  était  nécessaire  pour  engendrer  le 
déplacement,  ou  bien  encore  par  l'organe  déplacé  lui-même,  agissant  comme 
corps  vulnérant  sur  les  parties  qui  l'entourent.  3Iais,  outre  ces  complications 
immédiates,  qui  sont  presque  toujours  le  fait  du  traumatisme,  on  peut  en 
observer  d'autres,  plus  ou  moins  éloignées  et  dues  à  un  processus  pathologique, 
le  plus  souvent  inflammatoire,  développé  dans  l'organe  déplacé  ou  dans  les  tissus 
environnants;  de  telle  sorte  que  le  déplacement  en  apparence  le  plus  simple  peut 
devenir  dans  la  suite,  quelquefois  à  une  époque  tardive,  un  déplacement  com- 
pliqué. Les  complications,  quelles  qu'elles  soient,  aggravent  toujours  le  pro- 
nostic et  apportent  souvent  de  sérieux  obstacles  à  l'anataxie.  Il  nous  suffira 
cependant  de  les  signaler  ici,  car  elles  sont  si  variables  et  souvent  si  imprévues 
qu'elles  ne  peuvent  guère  trouver  place  dans  l'histoire  générale  des  déplace- 
ments. 


DÉPLACEMENTS. 


587 


Devons-nous,  en  terminant  cet  exposé  des  principales  variétés  des  déplace- 
ments, les  distinguer  encore  en  réductibles  et  irréductibles,  comme  on  le  fait 
dans  la  description  particulière  de  quelques-uns  d'entre  eux? 

Nous  ne  le  croyons  pas,  car  ces  termes  ont  une  valeur  purement  convention- 
nelle. Pour  être  appliqués  aux  déplacements  en  général,  ils  devraient  posséder 
un  sens  absolu  ;  il  faudrait  qu'irréductibilité  signifiât  impossibilité  de  la  réduc- 
tion. Or,  il  en  est  tout  autrement.  Une  hernie  dite  irréductible,  par  inflammation, 
engouement  ou  étranglement,  n'est  nullement  une  hernie  impossible  à  réduire. 
Sans  doute  elle  exige  plus  d'efforts,  des  moyens  spéciaux,  mais  elle  n'est  pas  au- 
dessus  des  ressources  de  l'anataxie.  A  proprement  parler,  un  déplacement  ne 
peut  être  qualifié  d'irréductible  que  lorsque  l'organe  déplacé  a  perdu  droit  de 
domicile  dans  son  ancienne  situation,  lorsque  la  place  qu'il  a  abandoimée  est 
déformée,  rétrécie,  oblitérée,  de  telle  sorte  que  la  reconstitution  de  ses  rapports 
normaux  soit  matériellement  impraticable. 

Étiologie  et  Pathogénie.  I.  Les  causes  des  déplacements  sontpm//s;josan<<?s 
ou  efficientes.  Leur  recherche  et  l'appréciation  exacte  de  l'ordre  auquel  elles 
appartiennent  ne  doivent  jamais  être  négligées.  Nous  verrons,  en  effet,  que 
la  prépondérance  relative  des  premières  ou  des  secondes  n'est  pas  indifférente 
au  point  de  vue  de  la  facilité  et  du  succès  définitif  de  l'anatiuie. 

a.  Au  nombre  des  causes  prédisposantes  se  placent  tout  d'abord  certaines 
conditions  anatomiques  ou  physiologiques,  (elles  que  la  situation  des  organes, 
leur /orme,  leur  consistance,  leur  mobilité.  Les  os  superficiels  sont  particulière- 
ment exposés  aux  fractures  directes  ;  la  souplesse  de  l'intestin  favorise  son 
issue  à  travers  les  oi'ifices  même  les  plus  étroits  de  l'abdomen;  une  articulation 
se  luxe  d'autant  plus  aisément  qu'elle  jouit  de  mouvements  plus  étendus. 

A  côté  de  ces  causes  prédisposantes  naturelles,  il  en  est  d'autres  qui  consis- 
tent dans  des  états  morbides  antérieurs;  ce  sont  de  beaucoup  les  plus  nom- 
breuses et  les  plus  importantes.  On  peut  les  diviser  en  deux  groupes  :  celles  qui 
'dépendent  de  l'organe  déplacé  lui-même;  celles  qui  dépendent  des  parties  voi- 
sines. 

Du  côté  de  l'organe  déplacé,  nous  trouvons  toutes  les  modifications  qu'il 
peut  subir  dans  sa  forme,  son  volume,  son  poids,  sa  consistance.  Par  exemple, 
la  malformation  primitive  des  surfaces  articulaires,  leur  destruction  dans  les 
tumeurs  blanches,  favorisent  l'abandon  réciproque  des  extrémités  osseuses,  les 
luxations  congénitales  ou  pathologiques;  la  dilatation  de  l'estomac  ou  de  la 
vessie  précède  souvent  la  hernie  de  ces  viscères;  l'utérus  hypertrophié,  le 
rectum  atteint  d'hémorrhoïdes,  ont  une  tendance  naturelle  au  prolapsus  ;  la 
friabilité  du  tissu  osseux  chez  le  vieillard  est  une  cause  de  fracture  pour 
certains  os. 

Du  côté  des  parties  voisines,  les  causes  prédisposantes  des  déplacements  con- 
sistent dans  l'altération  des  liens  qui  maintiennent  les  organes  en  place,  ou  dans 
l'altération  de  leurs  enveloppes.  Les  muscles  paralysés,  les  ligaments  articu- 
laires ou  viscéraux  affaiblis,  allongés,  maintiennent  moins  étroitement  les  con- 
nexions des  organes  auxquels  ils  s'insèrent,  et  ceux-ci  jouiront  d'une  mobilité 
anormale  d'autant  plus  grande  que  le  relâchement  de  leurs  moyens  de  fixité  sera 
plus  considérable.  Que  les  parois  d'une  cavité  splanchnique  perdent  leur  résis- 
tance physiologique,  qu'elles  soient  intéressées  par  une  solution  de  continuité 
accidentelle  ou  que  leui"s  orifices  naturels  se  relâchent  et  s'agrandissent,  autant 
de  portes  de  sortie  ouvertes  aux  organes  qu'elles  renferment. 


588  DÉPLACEMENTS. 

Telles  sont  les  principales  causes  ])ié<lisposanles  des  iléplacements.  Leur 
existence  n'est  pas  indispensable,  car  les  causes  efficiente?  peuvent  agir  à  elles 
seules;  mais  ces  dernières,  dans  bien  des  cas,  demeureraient  sans  effet,  ou  du 
moins  s'exerceraient  plus  difficilement,  si  l'organisme  n'était  déjà  préparé  à 
leur  influence,  soit  par  une  disposition  naturelle,  soit  par  un  travail  patholo- 
gique antérieur. 

b.  Les  causes  efficientes  sont  de  deux  ordres  :  elles  résident  soit  dans  la 
mise  en  jeu  des  propriétés  physiologiques  des  tissus  et  des  appareils  organiques, 
soit  dans  l'action  d'une  violence  extérieure.  Les  unes  sont  donc  inhérentes  à 
l'organisme,  les  autres  lui  sont  étrangères. 

Parmi  les  premières,  la  tonicité  et  la  contraction  musculaires  occupent  le 
premier  rang.  La  peau  et  le  tissu  cellulaire  peuvent  bien  quelquefois  prendre 
part  à  la  production  des  déplacements,  mais  seulement  à  la  suite  de  lésions 
préalables  qui  les  transforment  eu  tism  inoilulaire.  Encore  la  rétractilité  des 
cicatrices  détermine-t-elle  bien  plus. souvent  des  déviations  que  des  déplace- 
ments. L'influence  des  muscles  a  une  tout  autre  importance.  Deux  surfaces 
articulaires  sont-elles  déformées,  leur  engrenage  est-il  détruit?  Le  corps  d'un 
os  est-il  divisé  par  le  trait  d'une  fracture?  La  tonicité  musculaire,  dans  sa  ten- 
dance incessante  à  rapprocher  les  deux  extrémités  des  muscles,  luxera  l'articu- 
lation, fera  basculer  ou  chevaucher  les  fragments  osseux. 

La  tonicité  agit  avec  lenteur,  progressivement,  jusqu'à  ce  qu'ellesoit  épuisée; 
la  contraction  est  brusque,  instantanée,  elle  donne  d'emblée  toute  sa  puissance. 
La  tonicité,  à  elle  seule,  ne  suffit  pas  à  produire  un  déplacement;  elle  a  besoin 
<lu  concours  de  causes  prédisposantes;  la  contraction  peut  se  passer  de  tout 
auxiliaire.  Que  la  force  déployée  soit  supérieure  à  l'effet  demandé,  elle  détruit 
les  rapports  les  plus  étroits,  rompt  les  liens  les  plus  solides;  elle  fracture  un 
os,  elle  luxe  une  articulation.  Les  fractures  de  la  rotule,  de  l'olécrane,  du  calca- 
•néum,  n'ont  souvent  pas  d'autre  cause  ;  quelquefois  même  des  os  plus  volumi- 
neux se  brisent  par  un  mécanisme  analogue.  Un  mouvement  violent  peut  déter- 
miner la  luxation  de  l'épaule,  le  bâillement  celle  de  la  mâchoire. 

Dans  tous  ces  cas,  l'action  musculaire  s'exerce  directement  sur  les  organes 
■qu'elle  déplace  ;  elle  peut  aussi  agir  indirectement,  comme  dans  l'effort.  Ce  phé- 
nomène physiologique,  en  effet,  resserre  les  cavités  thoracique  et  abdominale; 
leurs  parois  contractées  compriment  les  viscères,  tendent,  pour  ainsi  dire,  à  les 
exprimer  au  dehors.  Appliqué  au  déploiement  du  travail  des  membres  ou  à  des 
actes  physiologiques  tels  que  la  miction,  la  défécation,  raccouchement,  l'effort 
intervient  dans  la  production  des  déplacements  avec  une  fréquence  et  une  énergie 
<lont  l'histoire  des  hernies  et  des  prolapsus  nous  donne  journellement  la 
mesure. 

Ajoutons  enfin  que  les  muscles,  comme  l'a  justement  fait  observer  Maison- 
neuve,  sont,  en  vertu  de  leur  locomotilité  spontanée,  les  seuls  organes  capables 
d'être  les  agents  effectifs  de  leurs  propres  déplacements.  C'est  ce  que  l'on 
observe  dans  les  hernies  musculaires,  surtout  lorsqu'elles  n'ont  été  précédées  ni 
d'une  déchirure,  ni  d'un  amincissement  des  aponévroses. 

Les  causes  efficientes  des  déplacements  extérieures  à  l'organisme,  c'est-à-dire 
les  cames  traumatiques,  sont  d'une  extrême  fréquence.  Elles  peuvent  produire 
toute  espèce  de  déplacements;  elles  déterminent,  en  particulier,  le  plus  grand 
nombre  des  fractures  et  des  luxations.  Ces  causes  varient  à  l'infini  dans  leur 
nature  et  dans  leur  intensité;  leur  effet  est  subordonné  à  la  forme,  au  volume, 


DÉPLACEMliMS.  58» 

au  poids  de  l'agent  vulncrant,  à  la  violence  du  traumatisme.  De  ces  conditions 
dépendent  la  présence  ou  l'absence  des  complications  immédiates  dont  nous 
avons  déjà  parlé.  Au  point  de  vue  de  leur  mécanisme,  les  causes  traumatiques 
agissent  du-ectement  ou  par  contre-coup.  Dans  ce  dernier  cas,  le  choc  imprimé 
à  l'extrémité  d'un  organe  se  transmet,  par  continuité  de  tissu,  à  l'extrémité 
opposée,  qui  seule  se  déplace.  11  peut  même  se  transmettre  d'un  organe  à  un 
autre,  par  contiguïté  :  c'est  ainsi  qu'une  chute  sur  la  main  occasiqnnera  aussi 
bien  une  luxation  de  l'épaule  ou  une  fracture  du  col  de  l'humérus  qu'une 
luxation  du  coude  ou  une  fracture  de  l'avant-bras. 

Les  différentes  causes  que  nous  venons  de  passer  en  revue  ont  permis  de 
diviser  les  déplacements,  d'après  leur  étiologie,  en  deux;  grandes  classes  :  le& 
déplacements  traumatiques  elles  déplacements  spontanés,  ou,  pour  mieux  dire, 
pathologiques.  Ces  derniers  sont  encore  appelés  déplacements  graduels,  par 
opposition  à  ceux  qui  succèdent  au  traumatisme,  généralement  brusques  dans 
leur  apparition.  Cette  division  classique  s'accorde  à  la  majorité  des  cas.  Elle 
peut  donc  être  conservée  dans  le  langage  usuel,  à  la  condition  toutefois  de  ne 
pas  lui  attribuer  une  valeur  trop  absolue;  bien  des  déplacements,  en  effet,  sont 
dus  à  l'association  de  plusieurs  causes  différentes,  contemporaines  ou  successives. 
Tel  organe,  préparé  en  quelque  sorte  par  des  lésions  antérieures,  conser- 
vera néanmoins  ses  rapports  jusqu'au  moment  où  il  sera  déplacé  brusquement 
par  un  traumatisme,  traumatisme  qui,  de  son  côté,  eût  peut-être  été  impuis- 
sant à  déplacer  le  même  organe  en  l'absence  d'altérations  préalables.  On  pour- 
rait encore  faire  observer  que  les  déplacements  brusques  occasionnés  par  un 
effort  ne  sont,  à  proprement  parler,  ni  pathologiques,  ni  traumatiques  ;  nous 
croyons  cependant  qu'on  peut  les  assimiler  à  ces  derniers,  bien  qu'aucune  vio- 
lence extérieure  n'intervienne  dans  leur  production,  et  qu'il  est  permis  de 
considérer  un  effort  violent,  une  contraction  musculaire  exagérée,  comme  de 
véritables  traumatismes  physiologiques. 

11.  Si  variées  que  soient  les  causes  des  déplacements,  il  est  aisé  de  se  rendre 
compte  que  la  condition  pathogénique  essentielle  de  ces  états  morbides  est 
toujours  une  et  identique.  En  effet,  la  stabilité  des  organes  est  subordonnée  à 
l'intégrité  des  divers  agents  de  contention  (tissu  cellulaire,  replis  séreux, 
aponévroses,  ligaments,  muscles)  qui- les  unissent  à  leurs  voisins  et  limitent 
l'étendue  de  leurs  mouvements.  Pour  (|u'un  déplacement  se  produise,  il  est  donc 
indispensable  que  ces  agents  perdent  leurs  propriétés  physiologiques,  qu'ils 
deviennent  insuffisants.  Quel  que  soit  ledegié  de  cette  insuffisance,  sous  quelque- 
influence  qu'elle  se  développe,  son  existence  est  constante,  nécessaire;  c'est  à  elle 
qu'aboutissent  fatalement  les  procédés  étiologiqucs  les  plus  dissemblables. 
Aussi  la  pathogénie  des  déplacements,  extrêmement  simple,  peut-elle  se  résumer 
en  quelques  mots,  d'une  manière  applicable  à  tous  les  cas  sans  exception  i 
affaiblissement  temporaire  ou  permanent,  destruction  lente  ou  rapide  des  moyens 
de  fixité  des  organes. 

Physiologie  pathologique.  Les  déplacements,  quels  que  soient  leur  sié^e 
ou  leurs  causes,  n'ont  aucune  tendance  à  se  réduire  spontanément.  Les  organes 
déplacés  demeurent  dans  leur  situation  nouvelle  ;  ils  y  contractent  des  rapports 
de  jour  en  jour  plus  étroits  ;  ils  peuvent  même  s'y  fixer  d'une  manière  telle  que 
les  efforts  de  l'anataxie  soient  impuissants  à  les  déloger. 

Ce  maintien  des  déplacements  peut  être  dû  à  la  persistance  de  leurs  causes 
dans  tous  les  cas  où  ils  sont  le  résultat  d'un  processus  pathologique  dont  l'action 


590  DÉPLACEMENTS. 

est  lente  et  durable.  Mais  alors  même  qu'ils  se  forment  brusquement,  et  que 
la  cause  cesse  aussitôt  l'effet  produit,  on  voit  apparaître  successivement  divers 
phénomènes  qui  contribuent  à  assurer  leur  permanence. 

Tout  d'abord,  ce  sont  les  tissus  voisins  du  siège  du  déplacement  qui,  après 
avoir  été  distendus,  reviennent  sur  eux-mêmes  en  vertu  de  leur  élasticité,  et 
fixent  l'organe  déplacé  dans  sa  position  accidentelle.  Les  ligaments  allongés, 
les  orifices  élargis,  reprennent  leurs  dimensions  primitives;  les  muscles  se 
contractent  spasmodiquement,  et  concourent  non-seulement  à  maintenir  le 
déplacement,  mais  souvent  même  à  l'augmenter. 

Plus  tard,  un  travail  de  cicatrisation  s'empare  des  parties  molles  contuses  ou 
déchirées;  à  la  rétraction  physiologique  succède  une  véritable  rétraction  inodu- 
laire.  L'irritation,  l'inflammation,  qui  peuvent  se  développer  dans  les  tissus  en 
l'absence  de  toute  solution  de  continuité,  aboutissent  au  même  résultat,  qui  se 
traduit  toujours  par  une  constriction  de  plus  en  plus  étroite,  par  le  resserrement 
du  trajet  intermédiaire  à  l'organe  déplacé  et  à  la  région  qu'il  a  abandonnée.  En 
môme  temps,  la  place  demeurée  vide,  se  rétrécit  peu  à  peu,  se  comble,  finit  par 
disparaître.  Dès  lors  la  voie  de  retour  est  devenue  trop  étroite,  ou  bien  la  posi- 
tion à  reprendre  n'existe  plus.  De  son  côté,  l'organe  déplacé  peut  subir  des 
altérations  qui  le  mettent  lui-même  dans  l'impossibilité  de  regagner  son  ancien 
domicile.  Tantôt  son  volume  augmente,  soit  par  une  congestion  due  à  la  gêne 
circulatoire,  soit  par  l'accumulation  et  la  rétention  de  son  contenu,  comme  dans 
les  hernies  distendues  par  des  gaz  ou  par  des  matières;  tantôt  il  devient  le 
siège  d'une  inflammation  dont  la  conséquence  la  plus  ordinaire  est  la  formation 
d'adhérences  qui  augmentent  l'intimité  et  la  solidité  de  ses  nouveaux  rapports. 
A  un  degré  plus  élevé,  l'inflainmalion  ou  les  troubles  circulatoires  altèrent  grave- 
ment la  nutrition  de  l'organe  déplacé,  l'entravent  même  complètement,  au  point 
qu'il  se  mortifie  et  tend  à  s'éliminer. 

L'histoire  particulière  de  chaque  espèce  de  déplacements  comporte  seule  une 
étude  moins  sommaire  des  différentes  causes  qui  déterminent  leur  permanence. 
Remarquons  seulement  que  ces  causes  sont  de  deux  ordres,  physiologiques  ou 
pathologiques.  Les  premières  existent  seules  au  début,  dans  les  déplacements 
récents.  Les  secondes,  plus  tardives,  produisent  aussi  des  effets  plus  durables, 
des  obstacles  plus  rebelles.  Sans  doute,  la  difficulté  de  la  réduction  n'est  pas 
constamment  subordonnée  à  l'ancienneté  des  déplacements.  Une  hernie,  par 
exemple,  peut  être  d'emblée  irréductible.  Mais  l'exception  n'infirme  pas  la  règle, 
et  nous  pouvons  dire  que,  dans  l'immense  majorité  des  cas,  l'anataxie  est  d'au- 
tant plus  difficile  que  le  déplacement  est  plus  âgé. 

Signes  et  diagnostic.  I.  L'intégrité  des  rapports  normaux  des  organes  est  la 
condition  indispensable  de  l'harmonie  des  formes  et  du  libre  exercice  des  fonc- 
tions. Altération  de  la  forme,  altération  de  la  fonction,  telle  sera  donc  d'une 
manière  générale  l'expression  symptomatique  des  déplacements.  Ces  deux  ordres 
de  phénomènes  morbides,  qui  constituent  les  signes  pfujsiqiies  et  les  signes 
ralionneU,  sont  ordinairement  associés  ;  quelquefois  ils  se  manifestent  isolément. 
Ils  ont  pour  siège  l'organe  déplacé  lui-même,  la  région  qu'il  a  abandonnée  ou 
celle  qu'il  occupe  accidentellement, 

a.  Les  signes  physiques  se  traduisent  par  deux  grands  caractères  généraux  : 
saillie  au  niveau  de  l'organe  déplacé,  dépression  dans  le  lieu  qu'il  a  évacué. 
Le  premier  de  ces  caractères  est  à  peu  près  constant  ;  le  second  fait  défaut  dans 
ia    plupart    des    déplacements   viscéraux,    non-seulement   quand    une    cavité 


DÉPLACEMENTS.  591 

splanchnique  est  invariable  dans  sa  forme,  comme  le  crâne  ou  le  thorax,  mais 
encore  lorsque  ses  parois  sont  souples  comme  celles  de  l'abdomen.  Dans  une 
luxation  de  l'e'paule,  le  moignon  est  déprime',  en  même  temps  que  la  tête 
humérale  fait  saillie  dans  l'aisselle  ou  sous  la  clavicule;  dans  une  hernie 
intestinale,  dans  la  chute  du  rectum,  on  constate  bien  une  tumeur  formée  par 
l'oro-ane  de'place',  mais  non  un  affaissement  de  la  paroi  abdominale.  A  l'encontre 
des  cas  précédents,  une  dépression  peut  être  quelquefois  la  seule  marque  d'un 
déplacement;  mais  le  fait  est  rare,  et  on  ne  l'observe  guère  que  dans  les 
fractures  avec  enfoncement  des  os  larges,  celles  du  crâne,  par  exemple.  Encore 
existe-t-il  en  réalité  une  saillie  du  fragment  enfoncé,  mais  une  saillie  en  dedans, 
pour  ainsi  dire,  qui  se  dérobe  à  nos  moyens  d'investigation  et  ne  trahit  sa  pré- 
sence que  par  des  troubles  fonctionnels. 

S'il  est  peu  de  déplacements  qui  ne  se  manifestent  par  l'un  ou  l'autre  des 
signes  dont  nous  venons  de  parler,  leur  association,  on  le  voit,  n'est  guère  de 
rè"\e  que  dans  les  solutions  de  continuité  ou  de  contiguïté  des  os.  Remarquons, 
à  ce  propos,  que  dans  les  luxations  la  saillie  anormale  la  plus  accentuée  ne 
correspond  pas  toujours  à  l'extrémité  osseuse  déplacée,  mais  qu'elle  peut  être 
constituée  par  l'os  contigu  demeuré  fixe,  dont  le  relief,  inappréciable  à  l'état 
physiologique,  se  trouve  démasqué  par  l'écartement  des  surfaces  articulaires. 
Parmi  tous  les  déplacements,  ceux  des  os  tiennent  le  premier  rang  par  leur  fré- 
quence: aussi  nous  sera-t-il  permis,  même  dans  une  élude  générale,  de  signaler 
encore  un  caractère  qui  leur  est  propre,  et  qui  offre  une  grande  importance  au 
point  de  vue  du  diagnostic;  nous  voulons  parler  de  l'attitude  que  prennent,  dans 
les  fractures  et  les  luxations  des  membres,  les  parties  situées  en  aval  du  siège 
du  déplacement.  Tantôt  c'est  un  mouvement  de  rotation,  tantôt  un  allongement 
ou  un  raccourcissement,  d'autres  fois  une  déviation.  Ces  différents  cliangements 
dans  l'axe,  la  longueur  et  la  direction  d'un  membre,  se  combinent  souvent  entre 
€ux;  ils  peuvent  atteindre  d'emblée  leur  maximum  d'étendue,  ou  augmenter 
progressivement  sous  l'influence  d'une  foz'ce  constante  comme  la  pesanteur, 
l'élasticité,  la  tonicité  musculaire.  L'allongement  et  le  raccourcissement  expri- 
ment exactement  l'abaissement  ou  l'élévation  du  point  déplacé  par  rapport  au 
point  fixe  ;  la  déviation  se  produit  toujours  dans  un  sens  opposé  à  celui  dans 
lequel  le  déplacement  s'est  effectué.  Son  degré  varie  non-seulement  suivant 
l'étendue  du  déplacement,  mais  encore  selon  que  celui-ci  siège  plus  ou  moins 
près  du  tronc.  Un  membre,  en  effet,  ou  un  segment  de  membre  dévié,  représente 
un  rayon  dont  l'extrémité  périphérique  décrira  un  arc  de  cercle  d'autant  plus 
étendu  que  sa  longueur  sera  pi  us  considérable. 

Les  signes  physiques  fournis  par  les  parties  voisines  des  organes  déplacés  n'ont 
en  général  rien  de  caractéristique;  seules,  les  ecchymoses  que  l'on  observe  dans 
les  déplacements  traumatiques  méritent  d'être  signalées.  De  cause  externe,  et 
limitées  au  point  sur  lequel  a  porté  la  violence  extérieure,  elles  offrent  peu 
d'intérêt.  Il  n'en  est  pas  de  même  lorsqu'elles  sont  le  résultat  d'un  épanchement 
de  sang  profond  qui  vient  peu  à  peu  se  faire  jour  à  l'extérieur.  Dans  ce  cas, 
leur  siège,  leur  étendue,  la  date  de  leur  apparition,  constituent  souvent  d'utiles 
éléments  de  diagnostic. 

b.  Les  signes  rationnels  ne  se  manifestent  presque  jamais  isolément,  si  ce 
n'est  dans  quelques  déplacements  rares  d'organes  profondément  situés.  Dans 
l'immense  majorité  des  cas  ils  sont  associés  aux  signes  physiques.  Ils  se  révèlent 
par  des  troubles  fonctionnels  dont  il  est  bien  difficile  de  donner  une  vue  d'en- 


592  DEPLACEMENTS. 

semble,  car,  loin  de  présenter  quelques  caractères  communs,  ils  varient  forcé- 
ment dans  leur  nature  d'un  organe  à  un  autre.  Remarquons  seulement  que  leur 
existence  est  à  peu  près  constante  dans  les  déplacements  des  organes  de  la 
locomotion;  sans  parler  de  l'impotence  des  membres  due  aux  solutions  de 
continuité  des  os,  il  n'est  guère  de  luxation  qui  ne  s'accompagne  d'une  gêne 
plus  ou  moins  considérable  des  mouvements.  Les  déplacements  viscéraux,  au 
contraire,  ne  sont  pas  nécessairement  incompatibles  avec  l'exercice  des  fonctions 
organiques;  souvent  ils  les  rendent  pénibles,  douloureuses,  irrégulières;  parfois 
même  ils  les  entravent  complètement,  surtout  lorsque  des  complications  se 
manifestent,  mais,  enfin,  bien  souvent  ils  les  respectent.  Nous  voyons  tous  les 
jours  des  bernies,  même  anciennes  et  non  contenues,  dont  l'existence  n'est  pa& 
un  obstacle  à  la  digestion. 

Nous  savons  que,  dans  les  déplacements ,  les  lésions  ne  sont  pas  toujours 
limitées  aux  organes  déplacés,  mais  qu'elles  peuvent  être  plus  étendues,  soit  que 
la  cause  primitive  agisse  en  même  temps  sur  les  parties  adjacentes,  soit  que 
l'organe  déplacé  lui-même  joue  à  l'égard  de  celles-ci  le  rôle  de  corps  vulnérant. 
De  cette  extension  des  lésions  résultent  parfois  des  troubles  fonctionnels  de 
voisinage  dont  l'appréciation  n'est  pas  à  négliger.  Parmi  les  plus  importants  et 
les  plus  communément  observés,  nous  signalerons  les  troubles  de  la  circulation 
et  de  l'innervation  consécutifs  à  la  contusion,  à  la  compression  ou  à  la  décbirure 
des  vaisseaux  et  des  nerfs. 

Quant  à  la  douleur,  qu'on  peut  compter  au  nombre  des  signes  rationnels,  elle 
n'a  aucune  valeur  séniéiologique  générale.  Dans  les  cas  particuliers  même,  elle 
n'offre  qu'un  intérêt  très-médiocre.  D'ailleurs,  elle  n'est  pas  en  réalité  le  fait 
des  déplacements,  mais  bien  celui  de  la  maladie  ou  du  traumatisme  qui  les 
causent,  ou  des  complications  qui  les  accompagnent.  Dans  les  déplacements 
anciens  elle  est  presque  toujours  nulle  ou  insignifiante. 

II.  Les  signes  rationnels  n'ont  qu'uneimportancesecondaireau  point  de  vue  du 
diagnostic,  qui  repose  presque  entièrement  sur  la  constatation  des  signes  phy- 
siques. Il  va  sans  dire  que  cette  constatation  est  d'autant  plus  aisée  que  l'organe 
déplacé  est  plus  superficiel,  plus  accessible,  par  conséquent,  à  la  vue  ou  au 
toucher.  Us  sont  quelquefois  si  saillants  et  en  même  temps  si  caractéristiques 
qu'il  suffit  presque  d'un  coup  d'œil  pour  se  rendre  compte  de  la  lésion.  Sans 
compter  les  cas  où  un  organe  se  montre  à  nu,  comme  l'utérus  ou  le  rectum 
abaissés,  ne  reconnaîtra- t-on  pas  au  premier  abord  une  luxation  de  la  mâchoire, 
une  fracture  du  radius  en  dos  de  fourchette?  La  déformation  peut  donc,  à  elle 
seule,  être  pmthognomonique;  malheureusement  le  fait  est  rare.  Tantôt,  en  effet, 
un  déplacement  se  manifeste  par  des  caractères  extérieurs  facilement  appré- 
ciables, mais  qui  peuvent  être  confondus  avec  ceux  d'une  lésion  offrant  le  même 
aspect,  présentant  le  même  siège,  et  pourtant  d'une  nature  toute  différente  : 
c'est  ainsi  qu'on  a  pu  prendre  une  hernie  pour  un  bubon,  une  hypertrophie  du 
col  ou  une  tumeur  fibreuse  pour  une  chute  de  l'utérus.  Tantôt  la  défor- 
mation, quelque  accentuée  qu'elle  soit  réellement,  est  masquée  par  l'épaisseur 
des  parties  molles,  par  un  gonflement  plus  ou  moins  intense,  œdémateux  ou 
inflammatoire.  Que  l'on  songe,  par  exemple,  à  ces  traumatismes  du  coude  qui 
s'accompagnent  si  rapidement  d'une  tuméfaction  considérable  :  n'est-ce  pas  une 
exploration  profonde  qui  révélera  seule  la  nature  de  la  lésion?  Pourrait-on 
affirmer,  à  l'inspection  seule,  qu'il  s'agit  d'une  luxation  plutôt  que  d'une  fracture, 
ou  même  que  d'une  simple  contusion? 


DÉPLACEMENTS.  595 

En  somme,  dans  le  plus  grand  nombre  des  déplacements,  les  apparences  sont 
insigniliantes  ou  trompeuses,  et  le  diagnostic  exige  l'attention  la  plus  sérieuse, 
le  concours  de  tous  nos  moyens  d'investigation,  palpation,  toucher  des  orifices 
naturels,  mensuration,  percussion,  auscultation.  Les  déplacements  des  organes 
pairs  nous  offrent  encore  une  ressource  précieuse,  à  savoir  la  comparaison  du 
côté  malade  avec  le  côté  sain.  Bien  souvent,  enfin,  le  chirurgien  trouvera  dans 
l'anesthésie  un  auxiliaire  utile  ou  même  inriispensable. 

Le  diagnostic  des  déplacements  ne  consiste  pas  seulement  à  reconnaître  leur 
existence.  II  serait  incomplet,  si  l'on  ne  déterminait  encore,  d'une  manière 
exacte,  la  nature  de  l'organe  déplacé,  ses  rapports  avec  les  parties  voisin-^s,  les 
lésions  concomitantes,  enfin  les  causes  qui  ont  produit  ou  qui  maintiennent  le 
déplacement.  Une  tumeur  existe  au  pli  de  l'aine  :  on  s'est  assuré  qu'il 
ne  s'agit  pas  d'une  adénite,  d'un  abcès,  mais  d'une  hernie.  Encore  faut-il 
savoir  si  elle  renferme  de  l'intestin  ou  de  l'épiploon,  si  elle  est  crurale  ou 
inguinale,  directe  ou  oblique;  il  faut  constater  la  largeur  ou  l'étroitesse  de 
l'anneau  abdominal,  établir  la  prépondérance  relative  des  causes  prédisposantes 
ou  efficientes,  reconnaître  enfin,  lorsqu'elle  est  irréductible,  si  c'est  l'inflamma- 
tion ou  l'étranglement  qui  s'oppose  à  la  réduction.  Suffit-il  de  diagnostiquer 
une  luxition,  de  ne  pas  la  confondre  avec  une  fracture  ou  avec  une  simple 
contusion?  Non;  on  examinera  encore  le  sens  dans  lequel  s'est  portée  l'extrémité 
osseuse,  l'étendue  du  changement  de  ses  rapports,  c'est-à-dire  le  degré  du  dépla- 
cement, l'état  des  parties  voisines. 

Il  en  est  de  même  pour  toute  espèce  de  déplacements.  Un  diagnostic  pricis 
comprend  donc  des  questions  multiples,  qui  toutes  doivent  être  résolues,  si  l'on 
ne  veut  s'exposer  à  porter  un  pronostic  hasardé,  ou  à  mal  diriger  les  efforts  de 
l'anataxie. 

Pronostic.  Les  déplacements  envisagés  en  eux-mêmes,  indépendamment 
de  toute  complication  immédiate  ou  tardive,  ne  compromettent  généralement 
pas  la  vie. 

Qu'une  plaie  communique  avec  le  foyer  d'une  fracture  ou  d'une  luxation, 
qu'une  hernie  s'étrangle,  on  pourra  voir  se  développer  une  ostéomyélite,  une 
ï'rthrite,  des  accidents  d'obstruction  intestinale  qui  emporteront  le  malade.  Mais 
ou  ne  meurt  pas  jiarce  que  deux  fragments  osseux  se  sont  séparés,  ni  parce 
qu'une  surfuce  articulaire  s'est  disjointe  de  sa  voisine;  la  présence  d'une  anse 
intestinale  hors  de  la  cavité  abdominale  n'a  rien  d'incompatible  avec  l'existence. 

Au  point  de  vue  de  la  mortalité,  le  pronostic  des  déplacements  est  donc 
subordonné  à  leurs  complications;  mais,  lors  même  que  celles-ci  n'entrahient 
])as  une  terminaison  funeste,  elles  peuvent  toujours  être  la  source  d'accidents 
plus  ou  moins  graves  qui  exigeront  un  traitement  plus  long,  plus  difficile  ou 
plus  dangereux. 

En  dehors  de  ces  cas,  les  déplacements,  même  les  plus  simples,  constituent 
des  lésions  contre  lesquelles  on  ne  saurait  intervenir  avec  trop  de  promptitude 
et  d'énergie.  Sans  doute,  leur  gravité  varie  avec  leur  nature,  leur  degré,  leur  âo-e, 
avec  l'importance  fonctionnelle  de  l'organe  déplacé.  Mais,  quelles  que  soient  ces 
conditions,  leur  pronostic  est  toujours  sérieux. 

Réduits  en  temps  opportun,  les  déplacements  peuvent  être  suivis  d'une  gué- 

rison  durable.  Mais  combien  de  fois  n'a-t-on  pas  à  craindre  une  ou  plusieurs 

récidives,  surtout  lorsqu'ils  sont  dus  à  certaines  dispositions  organiques  vicieuses 

qui  persistent  après  la  réduction?  Et  même  dans  les  cas  où  il  ne  reconnaît  d'autres 

lier.  ENc.  XXVII  58 


594  DÉPLACEMENTS. 

causes  que  le  traumatisme,  un  premier  déplacement  ne  prédispose-t-il  pas  les 
organes  qu'il  atteint  à  abandonner  de  nouveau  leurs  rapports?  N'observe-t-on  pas, 
chez  certains  sujets,  des  luxations  répétées  de  la  même  articulation,  qui  Unissent 
par  se  reproduire  sous  l'influence  de  la  cause  la  plus  légère? 

Non  réduits,  les  déplacements  sont  toujours  graves,  car  nous  savons  qu'ils  ont 
une  tendance  fatale  à  devenir  permanents,  à  produire  par  conséquent  dans  un 
avenir  plus  ou  moins  éloigné  des  difformités  et  des  infirmités.  A  ce  degré,  ils 
acquièrent  une  importance  toute  spéciale,  en  raison  des  altérations  physiques  et 
fonctionnelles  qu'ils  entretiennent,  et  de  Ja  difficulté,  quelquefois  même  de 
l'impossibilité  qu'on  éprouve  à  y  porter  remède. 

Traitement.  Le  traitement  des  déplacements  appartient,  nous  le  savons,  à 
l'anataxie,  qui  constitue  elle-même  avec  la  diérèse,  l'exérèse,  la  [irolhèse  et  la 
synthèse,  un  des  procédés  de  la  grande  méthode  connue  et  décrite  sous  le  nom 
d'anaplastie. 

I.  L'anataxie  peut  être  spontanée,  c'est-à-dire  que  l'on  voit  quelquefois  des 
organes  déplacés  reprendre  d'eux-mêmes  leurs  rapports  normaux  sans  l'inter- 
vention de  l'art.  Tantôt  c'est  la  nature  elle-même  qui  opère  par  la  mise  en 
jeu  de  propriétés  physiques  ou  physiologiques,  telles  que  la  pesanteur,  l'élasticité, 
la  coutraction  musculaire;  tantôt  c'est  une  cause  accidentelle,  souvent  analogue 
à  celle  qui  a  produit  le  déplacement.  C'est  ainsi  qu'un  mouvement,  un  effort  invo- 
lontaire, un  choc  imprévu,  peuvent  ramener  une  extrémité  osseuse  luxée  à  sa 
position  primitive,  même  dans  les  cas  où  les  parties  ne  sont  pas  conformées  de 
manière  à  se  remettre  aisément  en  contact,  et  où  l'action  des  muscles,  loin  de 
favoriser  la  réduction,  la  rend  ordinairement  plus  pénible.  Mais  les  faits  de  ce 
genre,  aussi  bien  dans  l'histoire  des  luxations  que  dans  celle  des  autres  déplace- 
ments, sont  extrêmement  rares.  Naturelle  ou  accidentelle,  l'anataxie  spontanée 
est  une  exception  que  la  science  doit  connaître,  mais  à  laquelle  la  pratique  ne 
saurait  attacher  d'importance. 

Si  la  nature  n'est  pas  une  ressource  pour  le  malade,  elle  favorise  encore  moins 
l'œuvre  du  chirurgien;  presque  toujours  il  doit  lutter  contre  elle.  Mais  il  ne 
suffit  pas  de  vaincre  ses  efforts;  il  faut,  dans  bien  des  cas,  savoir  les  diriger,  les 
rendre  d'avance  impuissants.  N'oublions  pas,  en  effet,  que,  s'il  y  a  des  déplace- 
ments à  réduire,  il  y  a  aussi  des  déplacements  à  prévenir.  Tel  est  le  cas  des 
déplacements  pathologiques  dont  une  cause  préétablie  permet  de  redouter  la 
formation,  dont  on  peut  saisir  le  début,  suivre  la  marche  et,  par  conséquent, 
enrayer  les  progrès.  Il  est  souvent  possible  de  les  éviter;  c'est  dire  qu'il  est 
toujour^  indiqué  de  les  combattre.  Quelquefois  il  est  d'une  urgence  absolue  de 
s'opposer  à  labandon  réciproque  de  deux  organes  contigus,  comme  dans  le  mal 
de  Pott  cervical,  où  la  mort  subite  peut  être  déterminée  par  le  chevauchement 
des  vertèbres  et  la  compression  de  la  moelle.  Mais  aussi  bien,  dans  les  cas  d'une 
gravité  moindre,  cette  règle  de  conduite  doit  être  observée.  Abandonnée  à  elle- 
même,  la  nature  agit  à  l'aveugle,  elle  concourt  presque  fatalement  à  la  production 
des  déplacements;  maîtrisée,  elle  cède;  elle  peut  même,  d'ennemie  qu'elle  était, 
devenir  un  auxiliaire  utile. 

Ce  traitement  préventif  des  déplacements  graduels  a  d'autant  plus  d'impor- 
tance que  ceux-ci,  en  vertu  même  de  leurs  causes,  présentent  n'emblée  une 
tendance  à  la  permanence  qui  n'appariient  pas  aux  déplacements  l»rusijues.  Ces 
derniers  ne  deviennent  définitifs  qu'à  la  longue;  les  premiers  s'organisi'iit,  pour 
ainsi  dire,  au  fur  et  à  mesure  de  leur  développement.  Aussi,  en  leur  présence, 


DÉPLACEMENTS.  595 

l'anataxie  réduite  à  ses  propres  forces  est-elle  le  plus  souvent  impuissante;  elle 
doit  appeler  à  son  aide  d'autres  moyens,  tels  que  la  diérèse  ou  l'exérèse,  ce  qui 
rend  la  reconstitution  des  rapports  normaux  des  organes  à  la  fois  plus  difficile  et 
plus  dangereuse. 

II.  Certains  déplacements  sont  au-dessus  des  ressources  de  l'art.  Tels  sontceux 
des  organes  profondément  situés  qui  se  dérobent  à  nos  moyens  d'action.  Mais, 
à  part  ces  cas  spéciaux,  l'anataxie  est  presque  toujours  praticable.  Est-ce  à  dire 
qu'elle  doive  toujours  être  pratiquée?  Étant  donné  un  déplacement  quelconque, 
faut-il  constamment  chercher  à  le  réduire?  iNon;  agir  ainsi,  ce  serait  marcher  au 
hasard  vers  un  résultat  incertain  et  s'exposer  à  de  graves  mécomptes. 

L'anataxie,  en  effet,  comme  tout  procédé  thérapeutique,  a  ses  indications  et 
ses  contre-indications.  S'il  est  plus  facile  de  les  établir  nettement  en  face  de 
chaque  déplacement  en  particulier  que  de  formuler  des  principes  s'adaptant  à 
l'ensemble  des  hétérolaxies  accidentelles,  il  est  cependant  des  règles  applicables 
à  la  majorité  des  cas,  et  qu'il  est  bon  de  ne  pas  oublier. 

D'une  manière  générale,  on  peut  dire  que  l'anataxie  est  indiquée  dans  tous  les 
déplacements  récents.  Nous  savons,  en  effet,  qu'il  ne  faut  pas  compter  sur  la 
réduction  spontanée,  et  que  tout  déplacement  tend  à  devenir  permanent,  à 
constituer  pour  l'avenir  une  difformité  ou  une  infirmité,  le  plus  souvent  même 
l'une  et  l'autre  à  la  fois.  En  outre,  l'anataxie  a  d'autant  plus  de  chances  de 
succès  qu'elle  est  pratiquée  de  meilleure  heure;  plus  elle  est  hâtive  aussi, 
plus  ses  manœuvres  sont  simples,  et  partant  inoffensives. 

L'indication  est  encore  plus  urgente  toutes  les  fois  qu'un  déplacement  menace 
la  vie,  soit  immédiatement,  soit  dans  un  avenir  plus  ou  moins  éloigné.  Ni  l'hé- 
sitation ni  la  temporisation  ne  sont  permises  ;  il  faut  agir,  quels  que  puissent 
être  les  dangers  inhérents  à  l'opération,  et  agir  sans  retard.  On  peut  poser  en 
principe  qu'on  ne  doit  jamais  quitter  le  malade  avant  que  le  déplacement  soit 
réduit. 

Un  seul  cas  fait  exception  à  cette  règle  :  c'est  celui  oiî  l'organe  déplacé  pré- 
sente des  altérations  capables  de  se  propager  dans  son  ancien  milieu  ou  d'y 
occasionner  des  lésions  nouvelles.  Par  exemple,  l'épiploon  enflammé,  une  anse 
intestinale  gangrenée  ou  perforée,  ne  seront  jamais  réintégrés  dans  la  cavité 
abdominale.  Ici  l'anataxie  serait  plus  grave  que  le  déplacement  lui-même.  Elle 
est  formellement  interdite. 

Quelquefois,  enfin,  elle  échoue  malgré  tous  les  efforts.  Mieux  vaut  alors  no 
pas  les  prolonger  outre  mesure,  ni  surtout  les  exagérer,  mais  faire  un  peu  plus 
lard  de  nouvelles  tentatives,  ou  bien  renoncer  à  l'anataxie  et  avoir  recours  à  un 
autre  procédé.  C'est  ainsi  qu'on  extirpe  l'astragale,  dans  la  luxation  double  de 
cet  os,  lorsqu'on  n'a  pu  parvenir  à  le  remettre  en  place. 

Si  nous  examinons  maintenant  la  conduite  à  tenir  en  présence  des  déplace- 
ments anciens,  permanents,  des  diflbrmités  définitives,  mais  qui  ne  compro- 
mettent pas  l'existence,  les  indications  et  contre-indications  sont  beaucoup  plus 
difficiles  et  plus  délicates  à  établir.  D'une  part,  en  effet,  les  moyens-  simples 
qui  donnent  en  général  de  si  bons  résultats  dans  les  déplacements  récents  sont 
bien  souvent  inefficaces,  et  l'on  est  obligé  de  pratiquer  des  opérations  infiniment 
plus  sérieuses;  d'autre  part,  l'urgence  n'existe  pas,  puisque  la  vie  n'est  pas 
menacée.  Seules,  la  forme  et  la  fonction  sont  plus  ou  moins  altérées. 

La  restauration  de  la  forme  n'est  que  secondaire;  à  elle  seule,  elle  ne  justifie 
presque  jamais  les  risques  d'une  intervention  tant  soit  peu  périlleuse.  Il  n'eu 


596  DÉPLACEMENTS. 

est  pas  de  même  de  la  fonction.  Lorsqu'elle  est  compromise,  à  plus  forte  raison 
lorsqu'elle  est  abolie,  le  chirurgien  est  autorisé  à  agir.  Mais  dans  quelle  mesure? 
Voilà  ce  qu'il  est  impossible  de  fixer  d'une  manière  précise.  La  question  est 
.complexe,  et  ne  peut  être  résolue  par  la  science  seule,  car  elle  met  en  jeu  la 
responsabilité  personnelle  du  chirurgien,  dont  on  ne  saurait  préjuger.  Ici,  en 
effet,  il  y  a  plus  que  des  indications  locales;  il  faut  encore  tenir  compte  de  con- 
ditions éloignées,  non  moins  importantes,  telles  que  l'état  général  du  malade, 
son  désir  ou  son  refus  d'être  opéré,  sa  position  sociale.  Ces  conditions  varient 
d'un  individu  à  l'autre,  et  il  est  indispensable  de  les  peser  scrupuleusement  pour 
faire  la  part  respective  des  bénéfices  et  des  dangers  éventuels  de  l'intervention 
chirurgicale.  Pour  ne  parler  que  de  la  dernière  d'entre  elles,  quelle  n'est  pas 
sa  valeur,  si  l'on  réfléchit  que  l'utilité  du  rétablissement  d'une  fonction  est  en 
raison  directe  des  besoins  auxquels  elle  répond;  que  la  même  lésion,  qui  n'est 
chez  tel  sujet  qu'une  difformité  plus  ou  moins  disgracieuse,  prive  tel  autre  de  ses 
moyens  d'existence;  quela  même  opération,  par  conséquent,  peut  être  chez  le  pre- 
mier une  opération  de  complaisance,  et,  chez  le  second,  une  opération  de  nécessité? 
Nous  pourrions  développer  et  appuyer  par  des  exemples  ces  grands  principes  qui 
doivent  toujours  guider  le  chirurgien,  mais  ce  serait  refaire  une  tâche  déjà 
accomplie  :  W.  Verneuil  les  a  si  magistralement  exposés,  à  propos  des  indications 
et  des  contre-indications  générales  de  l'anaplastie,  que  nous  n'avons  rien  à 
ajouter,  même  en  ce  qui  concerne  les  déplacements  en  particulier. 

Rappelons-nous  seulement  que,  dans  les  déplacements  anciens,  on  ne  doit 
tenter  l'anataxie  qu'après  s'être  assuré  que  les  organes  déplacés  peuvent  reprendre 
leur  position  primitive;  en  d'autres  termes,  que  leur  ancien  domicile  est  encore 
vacant.  Emploi  d'une  force  souvent  considérable,  rupture  d'adhérences,  inci- 
sions, débridements,  résections,  autant  de  manœuvres  que  l'anataxie  réclame  et 
que  la  nécessité  justifie,  mais  seulement  durant  une  certaine  période  qu'il  serait 
à  la  fois  dangereux  et  inutile  de  franchir.  A  cet  égard  l'expérience  nous  a  appris, 
pour  un  bon  nombre  de  déplacements,  jusqu'à  quelle  époque  l'anataxie  pouvait 
être  essayée,  et  le  moment  où  il  faut  l'abandonner,  s'abstenir,  ou  employer  un 
autre  procédé.  Passé  un  certain  temps,  par  exemple,  on  ne  cherchera  plus  à 
réduire  une  luxation;  non  que  l'on  ne  puisse  détruire  les  nouveaux  rapports, 
mais  parce  qu'on  ne  pourra  rétablir  les  anciens  ;  parce  que  les  surfaces  articu- 
laires éloignées  l'une  de  l'autre  auront  subi  des  modifications  telles  que  tout 
rapprochement,  toute  coaptation  sera  matériellement  impraticable. 

On  ne  sera  pas  désarmé,  puisqu'on  aura  encore  des  ressources  telles  que  la 
résection,  l'établissement  d'une  pseudarlhrose  ;  mais  elles  n'appartiennent  plus 
à  l'anataxie  à  laquelle  on  aura  dû  renoncer.  Cette  perte  du  droit  de  domicile, 
pour  employer  l'expression  consacrée,  est  donc  une  contre-indication  formelle  de 
l'anataxie;  souvent  même  elle  repousse  tout  autre  mode  d'intervention.  Tel  est 
le  cas  de  certains  déplacements  viscéraux,  par  exemple,  des  vieilles  hernies  très- 
volumineuses.  Il  ne  reste  alors  qu'à  appliquer  un  appareil  protecteur,  qui  jouera 
vis-à-vis  des  organes  déplacés  le  rôle  des  parois  dans  lesquelles  ils  étaient  primi- 
tivement contenus,  et  les  soustraira  autant  que  possible  à  l'action  des  violences 
extérieures. 

En  terminant  ce  court  aperçu  des  indications  générales  de  l'anataxie,  n'ou- 
blions pas  un  précepte  de  la  plus  haute  importance,  à  savoir  qu'il  faut  être 
extrêmement  réservé  vis-à-tis  des  déplacements  d'origine  pathologique,  de  ceux 
qui  sont  l'effet,  le  reliquat  d'une  lésion  antérieure  actuellement  guérie,  toutes 


DÉPLACEMENTS.  597 

les  l'ois  que  celte  lésion  elle-même  a  été  l'expression  d'une  diathèse.  C'est  dans 
les  cas  de  ce  genre  que  l'état  général  du  malade  doit  être  considéré  avant  tout, 
et  que  les  indications  tirées  de  l'état  des  parties  ou  de  la  fonction  ne  viennent 
qu'en  seconde  ligne.  C'est  alors  qu'il  faut  savoir  temporiser,  s'abstenir  même, 
et  envisager  comme  un  heureux  résultat  une  guérison  obtenue  au  prix  d'une 
difformité,  plutôt  que  de  s'exposer  à  réveiller  la  diathèse  par  une  intervention 
prématurée  ou  inopportune. 

III.  Les  considérations  générales  qui  précèdent  nous  ont  appris  que  l'anataxie 
était  parfois  impraticable,  parfois  coiitre-indiquce;  que,  lorsqu'elle  échouait, 
enfin,  le  chirurgien  pouvait  s'adresser  à  un  autre  procédé  opératoire.  Ces  restric- 
tions faites,  elle  n'en  reste  pas  moins  la  grande  méthode  curative  des  déplace- 
ments :  aussi  devons-nous  maintenant  étudier  les  moyens  dont  elle  dispose  et  la 
manière  de  les  mettre  en  œuvre. 

L'agent  principal  de  l'anataxie,  le  plus  usuel,  qu'on  l'emploie  seul  ou  qu'on 
lui  adjoigne  des  auxiliaires  dont  nous  parlerons  tout  à  l'heure,  c'est  la  force. 

Envisagée  dans  son  mécanisme,  la  force  est  directe  ou  indirecte,  suivant 
qu'elle  agit  par  pression  immédiate,  par  refoulement,  ou  bien  par  une  traction, 
par  im  mouvement  de  bascule  s'exerçant  sur  un  point  de  l'organe  déplacé  plus 
ou  moins  éloigné  du  siège  du  déplacement. 

Envisagée  dans  sa  nature,  elle  est  physiologique,  manuelle  ou  mécanique. 

La  force  physiologique  est  celle  qui  réside  dans  les  propriétés  mêmes  des 
tissus  organiques.  Malheureusement,  il  est  bien  rare  qu'on  ait  l'occasion  de 
l'utiliser.  Solliciter  la  contractilité  de  l'intestin,  dans  les  hernies  et  les  invagi- 
nations, par  des  lavements  purgatifs  ou  irritants,  dilater  l'irisa  l'aide  de  l'atropine 
pour  prévenir  ou  combattre  la  hernie  de  cette  membrane,  telles  sont  à  peu  près 
ses  seules  applications. 

La  force  manuelle  a  une  tout  autre  importance.  Bien  souvent  elle  suffit  aux 
besoins  de  l'anataxie  :  aussi  doit-on  presque  toujours  l'employer  la  première,  et, 
tant  qu'elle  est  assez  puissante,  il  n'est  rien  qu'on  puisse  lui  préférer.  La  main, 
en  effet,  est  plus  qu'une  force,  c'est  une  force  intelligente,  susceptible  de  décroître 
ou  d'augmenter,  à  chaque  instant,  lentement  ou  brusquement,  suivant  la  néces- 
sité; non-seulement  la  main  agit,  elle  sent.  Sous  ses  doigts,  le  chirurgien  juge 
des  progrès  de  la  réduction  en  même  temps  qu'il  l'opère;  il  la  conduit,  il  la 
dirige;  il  a  conscience  de  ses  efforts,  et,  ce  qui  est  particulièrement  important, 
des  limites  dans  lesquelles  il  doit  les  contenir. 

Mais  la  force  manuelle  ne  peut  dépasser  un  certain  degré,  et  elle  est  sujette  à 
s'épuiser.  Son  intensité  diminue  en  raison  de  la  durée  de  son  application.  Aussi, 
lorsqu'on  a  besoin  d'une  force  considérable  et  soutenue,  il  est  nécessaire  d'em- 
ployer les  moyens  mécaniques.  Bandages  ou  appareils  compressifs,  poids,  bandes 
élastiques,  poulies,  mouifles  ou  machines  spéciales,  telles  sont  les  principales 
ressources  que  l'anataxie  met  en  usage  pour  exercer  des  pressions  ou  des  tractions 
que  la  main  ne  saui-ait  réaliser.  Nous  ne  pouvons  entrer  dans  le  détail  de  ces 
procédés,  aussi  nombreux  que  variés;  ce  serait  sortir  du  cadre  de  cet  article. 
Mais,  quel  que  soit  celui  auquel  on  s'adresse,  il  ne  faut  pas  oublier  que  leur  force 
est  aveugle,  et  redoubler  d'attention  pour  ne  pas  dépasser  le  degré  qu'on  se 
propose  d'atteindre.  La  plupart  du  temps,  heureusement,  ce  degré  peut  être 
mesuré  exactement  à  l'aide  du  dynamomètre.  C'est  en  l'ayant  constamment  sous 
les  yeux,  et  en  se  rappelant  en  même  temps  les  règles  fournies  par  l'expérience 
pour  chaque  cas  particulier,  que  le  chirurgien  développera  une  force  utile,  sans 


598  DÉPLACEMENTS. 

aller  au  delà  du  but  et  sans  rester  en  deçà,  sans  pe'cher  par  timidité  ou  par 
imprudence. 

Ce  n'est  pas  dans  une  étude  de  l'ensemble  des  déplacements  qu'il  est  permis 
d'indiquer,  même  d'une  manière  approximative,  la  quantité  de  force  que  l'on  peut 
déployer.  Ici,  les  applications  particulières  ne  peuvent  être  généralisées.  Autant 
de  variétés  dans  l'espèce,  la  nature,  le  siège,  l'âge  des  déplacements,  autant  de 
degrés  dans  l'intensité  de  la  force,  depuis  la  simple  pression  des  doigts,  suf- 
fisante pour  réduire  une  hernie  ou  refouler  l'utérus  abaissé,  jusqu'aux  tractions 
de  100  kilogrammes  et  même  davantage,  nécessaires  à  la  réduction  de  certaines 
luxations  anciennes.  Mais,  s'il  est  impossible  de  déterminer  les  limites  de  la  force 
réclamée  par  l'anataxie,  en  revanche  on  peut  établir  d'une  manière  générale  les 
règles  qui  doivent  en  diriger  l'emploi.  Jamais  de  violence,  tel  est  le  principe 
qui  dans  aucun  cas  ne  souffre  d'exception.  Quelque  grands  que  soient  les 
efforts  exigés  par  un  déplacement,  récent  ou  ancien,  qu'ils  soient  perçus  par  la 
main  ou  enregistrés  par  le  dyuanomètre,  ni  la  main  ni  la  machine  ne  doivent 
donner  d'en)blée  leur  maximum  de  puissance,  mais  y  arriver  lentement,  progres- 
sivement, par  degrés  successifs;  mieux  vaut  soutenir  l'effort  que  le  doubler.  Et 
quand  ce  maximum  est  atteint,  il  faut  savoir  s'arrêter.  Si  l'on  n'a  obtenu  aucun 
résultat,  on  fera  une  nouvelle  tentative,  ou  l'on  s'aidera  d'un  des  moyens  auxi- 
liaires dont  nous  parlerons  plus  loin.  Mais  qu'on  n'insiste  pas,  qu'on  ne  cherche 
pas  à  réduire  quand  même.  Ce  serait  une  déplorable  pratique.  Le  taxis  forcé  u 
sans  doute  l'ait  reutrer  bien  des  hernies  irréductibles,  mais  à  quel  prix?  Quelles 
sont  les  conséquences  de  pareilles  manœuvres?  La  violence  est  à  la  fois  inutile 
pour  l'anataxie  et  dangereuse  pour  les  organes  déplacés  ou  pour  ceux  qui  les 
entourent.  N'oublions  pas,  en  effet,  que  la  réduction  d"un  déplacement  ne  peut 
être  obtenue  qu'au  prix  d'un  déplacement  nouveau  produit  par  le  chirurgien,  et 
qu'on  ne  rend  à  un  organe  ses  rapports  primitifs  qu'en  détruisant  ses  rap- 
ports accidentels.  Or  ces  derniers  sont  quelquefois  si  étroits,  ils  ont  acquis,  par 
un  travail  pathologique  ou  par  le  temps,  une  fixité  telle  qu'en  cherchant  à 
les  rompre  coule  que  coûte,  à  l'aide  d'une  force  brutale,  on  s'expose  à  des 
désordres  graves,  souvent  même  d'une  gravité  supérieure  à  celle  de  la  lésion 
primitive. 

J'ai  dit  que  l'emploi  delà  force  dans  l'anataxie  réclamait  souvent  des  moyens 
auxiliaires  sans  lesquels  elle  demeurerait  inelficace,  quelle  que  fût  d'ailleurs 
son  intensité.  Qu'un  organe  déplacé  ait  augmenté  de  volume,  qu'il  ait  contracté 
des  adhérences  résistantes  dans  sa  nouvelle  situation,  ou  que  la  voie  qu'il  a 
suivie  soit  devenue  trop  étroite  pour  qu'il  puisse  la  parcourir  en  sens  inverse, 
tous  les  efforts  du  chirurgien  demeureront  stériles,  s'il  ne  s'applique  tout  d'abord 
à  détruire  ces  obstacles,  d'autant  plus  insurmontables,  en  général,  que  le  dépla- 
cement est  plus  ancien. 

Par  une  position  convenable,  destinée  à  favoriser  ou  à  combattre  l'action  de 
la  pesanteur  ;  par  la  compression  ou  les  massages,  par  le  froid  ou  les  astringents, 
par  les  antiphlogistiques  locaux  ou  généraux,  par  des  ponctions  ou  des  scarifica- 
tions, on  diminuera  la  tension,  la  congestion,  l'inflammation  de  l'organe  déplacé. 
Si  ce  traitement  préparatoire  facilite  souvent  la  réduction,  il  estrare  qu'elle  s'opère 
sous  son  influence  seule.  11  faut  savoir  cependant  qu'il  en  est  ainsi  dans  quel- 
ques cas  ;  on  voit,  par  exemple,  de  grosses  hernies  enflammées  rentrer  d'elles- 
mêmes  grâce  au  décubitus  dorsal,  à  l'élévation  des  bourses,  aux  onctions  mer- 
curielles  et  aux  cataplasmes,  alors  qu'une  intervention  active,  à  main  nue  ou 


DÉPLACEMENTS.  599 

armée,  eût  été  une  faute  capable  d'entraîner   les  plus  graves  conséquences. 

Quand  les  moyens  précédents  sont  contre-indiquésou  inapplicables,  quand  ils 
ont  éclioué  ou  qu'on  les  juge  d'emblée  insuftisants,  c'est  à  l'instrument  tranchant 
qu'il  faut  avoir  recours.  C'est  le  bistouri  qui  agrandira  un  orifice  inextensible, 
qui  disséquera  des  adhérences,  qui  sectionnera  des  brides  cicatricielles,  des  liga- 
ments, des  tendons,  en  un  mot, qui  détruira  les  obstacles  qu'on  n'aura  pu  tour- 
ner. Dans  certains  cas,  on  a  l'aviintage  de  pouvoir  employer  la  méthode  sous- 
cutanée  ;  d'autres  fois  il  faut  opérer  à  ciel  ouvert  ;  on  ne  manquera  pas  alors  de 
s'entourer  de  toutes  les  précautions  de  !a  méthode  antiseptique. 

A  côté  de  ces  auxiliaires  purement  locaux  et  dont  l'indication  est  variable, 
l'anataxie  possède  encore  un  auxiliaire  général,  commun  à  tous  les  cas, 
et  de  la  plus  haute  efticacité  :  je  veux  parler  de  l'anesthésie.  Aussitôt  que  des 
tentatives  modérées  de  réduction  sont  demeurées  sans  effet,  elle  devient  indispen- 
sable. Elle  paralyse  la  résistance  physiologique  des  tissus,  elle  met  le  malade 
dans  l'impossibihté  de  se  défendre,  de  lutter  même  malgré  lui,  quels  que  soient 
sa  volonté  et  son  courage.  On  employait  autrefois  la  saignée,  les  narcotiques  ; 
aujourd'hui  nous  avons  le  ch'oroforme,  qui  procure  un  relâchement  plus  complet, 
en  même  temps  qu'il  supprime  la  douleur.  Le  premier  de  ces  bénéfices  est  de 
beaucoup  le  plus  important  dans  tous  les  cas  où  il  y  a  une  grande  résistance  à 
vaincre,  où  une  force  considérable  et  soutenue  est  nécessaire  ;  le  second  l'em- 
porte, au  contraire,  dans  les  opérations  souglantes  préliminaires  qui  préviennent 
les  efforts  du  chirurgien,  mais  augmentent  les  souffrances  du  patient.  L'emploi 
du  chloroforme  dans  l'anataxie  doit  êtie  entouré  des  plus  grandes  précautions  ; 
son  administration  réclame  plus  que  dans  toute  autre  circonstance  la  surveil- 
lance la  plus  attentive,  car  pour  obtenir  un  résultat  utile  il  faut  aller  jusqu'à 
la  période  de  résolution  absolue.  Il  suffit  de  jeter  un  coup  d'oeil  sur  la  liste  des 
accidents  causés  par  l'anesthésie  pour  constater  que  c'est  dans  la  réduction  des 
déplacements  qu'on  a  eu  lé  plus  de  morts  à  déplorer. 

IV.  Lorsqu'un  organe  déplacé  a  été  ramené  à  sa  position  primitive,  lorsqu'il  a 
repris  ses  rapports  normaux,  le  chirurgien  ne  doit  pas  considérer  son  œuvre 
comme  terminée;  loin  de  là,  il  n'a  accompli  qu'une  partie  de  sa  tâche  :  il  ne 
suffit  pas,  en  effet,  de  réduire,  il  faut  maintenir  la  réduction. 

D'une  manière  générale,  comme  l'a  très-bien  fait  observer  Maisonneuve,  «  la 
difficulté  de  la  contention  dans  les  déplacements  est  en  raison  directe  de  l'énergie 
des  causes  prédisposantes,  et  inverse  de  celle  des  causes  efficientes.  »  Quand  le 
relâchement  des  tissus,  l'agrandissement  d'un  orifice,  sont  tels  qu'un  organe 
puisse  au  moindre  effort  abandonner  sa  position  primitive,  il  peut  la  reprendre 
aisément,  mais  il  peut  tout  aussi  bien  la  quitter  de  nouveau.  Lorsque,  au  contraire, 
un  déplacement  ne  s'opère  qu'au  prix  d'une  violence  plus  ou  moins  considérable, 
il  faut  sans  doute  plus  d'efforts  pour  le  réduire,  mais,  en  revanche,  il  n'a  plus 
aucune  tendance  à  récidiver.  Aussi  peut-on  ajouter  à  la  proposition  si  juste  de 
Maisonneuve  ce  corollaire  :  Anataxie  facile,  contention  difficile,  et  réciproque- 
ment. 

Dans  les  luxations,  par  exemple,  une  fois  la  réduction  obtenue,  la  guérison 
peut  être  considérée  comme  définitive.  Il  suffit  d'immobiliser  l'articulation  pen- 
dant le  temps  nécessaire  à  la  cicatrisation  des  liens  déchirés  et  à  la  prophylaxie 
des  complications  inûammatoires,  puis  de  pratiquer  peu  à  peu  un  exercice 
rationnel  en  vue  du  rétablissement  delà  fonction.  Et  le  résultat  est  d'autant  plus 
certain  que  les  surfaces  articulaires  présentent  une  disposition  plus  compliquée, 


600  DÉPORTATION. 

qu'elles  s'engrènent  plus  étroitement  entr  elles,  telles  sont  les  trochlées  com- 
parées aux  éiiarthroses. 

Le  rôle  du  chirurgien  n'est  plus  aussi  simple  en  face  des  déplacements  qui, 
en  vertu  même  de  leurs  causes,  sont  fatalement  sujets  à  récidive.  Dans  ces  cas 
où  la  nature  est  impuissante,  son  devoir  est  d'intervenir,  mais  comment?  Ici, 
deux  indications  se  présentent:  ou  bien  instituer  un  traitement  palliatif,  c'est- 
à-dire  maintenir  la  réduction  à  l'aide  d'un  appai'eil,  dont  l'application  perma- 
nente répondra  seule  de  la  contention  du  déplacement;  ou  bien  chercher  à 
obtenir  un  résultat  durable  et  faire  appel  à  la  médecine  opératoire  pour  créer  à 
l'organe  déplacé  une  barrière  artificielle  qu'il  ne  puisse  franchir.  C'est  ainsi  que, 
dans  les  hernies,  on  se  bornera  à  appliquer  un  bandage  ou  qu'on  tentera  la  cure 
radicale  ;  que,  dans  la  chute  de  l'utérus,  on  soutiendra  ce  viscère  à  l'aide  d'un 
pessaire,  ou  que  l'on  en  préviendra  l'abaissement  en  accolant  les  parois  du  vagin. 

Lequel  de  ces  deux  modes  de  traitement  mérite  la  préférence?  A  cela  il  est 
bien  difficile  de  répondre  d'une  manière  précise,  et  nous  ne  pourrions  que 
répéter  ici  ce  que  nous  avons  dit  à  propos  des  indications  générales  de  l'anataxie. 
Qu'il  s'agisse  de  réduire  un  déplacement  ou  de  maintenir  la  réduction,  les  consi- 
dérations dont  il  faut  tenir  compte  pour  admettre  ou  rejeter  une  intervention 
armée  sont  identiques.  C'est  la  même  question  d'opportunité,  de  jugement,  de 
comparaison  entre  les  bénéfices  et  les  dangers  de  l'opération.  Si  l'opinion  est 
faite  sur  certains  points,  sur  d'autres  elle  ne  saurait  être  fixée  d'avance.  Pour 
nous  en  tenir  aux  exemples  que  nous  citions  tout  à  l'heure,  il  est  bien  certain 
que  la  cure  radicale  des  hernies  ne  doit  être  tentée  que  tout  à  fait  exceptionnel- 
lement, et  que,  dans  l'immense  majorité  des  cas,  on  doit  préférer  l'application 
d'un  bandage  bien  fait  aux  risques  d'une  opération  périlleuse.  Mais,  dans  la  chute 
de  l'utérus,  faut-il  aussi  s'en  tenir  constamment  aux  pessaires  ?  Non,  car  ils  sont 
souvent  une  cause  de  gêne  ou  de  douleurs,  ils  sont  incommodes  on  répugnants. 
Que  faut-il  donc  faire?  Pratiquer  l'épisiorrhaphie  ou  l'élytrorrhaphie,  rétrécir  la 
vulve  ou  le  vagin?  Soit;  mais  alors  la  question  se  complique  d'un  nouvel  élé- 
ment, car  le  maintien  de  la  réduction  ne  peut  être  obtenu  qu'au  prix  de  l'abo- 
lition d'une  fonction,  celle  du  conduit  vulvo-utérin,  et  telle  opération  qui 
sera  justifiée  chez  une  femme  âgée  ne  le  sera  pas  chez  celle  qui  n'a  pas  dépassé 
la  I  ériode  de  la  menstruation  et  des  rapports  sexuels. 

Nous  pourrions  poursuivre  cette  discussion,  la  soutenir  par  de  nouveaux  faits, 
mais  ce  serait  sortir  de  notre  catire  pour  arriver  à  la  même  conclusion,  à  savoir 
qu'il  est  impossible  d'établir  un  parallèle  général  entre  le  traitement  curatif  et 
le  traitement  palliatif  des  déplacements,  et  d'en  fixer  la  valeur  relative.  Les 
indications,  en  effet,  varient  non-seulement  suivant  l'espèce  de  ces  états  morbides, 
miiis  encore,  dans  la  même  espèce,  d'un  malade  à  un  autre.  Aussi  ne  sauraient- 
elles  être  établies  utilement,  et  avec  tout  le  développement  qu'elles  comportent, 
si  ce  n'est  dans  les  articles  consacrés  à  chaque  déplacement  en  particulier. 

G.    HUMBERX. 

Bibliographie.  —  Maisonseove.  Des  déplacements,   clinique  chirurgicale,  t.  I.  Paris,  1865 
voy.  Anaplastie,  Anataxie,  Déviations).  G.  H. 

DE  POIS,  ou  LE  POIS,  en  latin  ?iso.     Voy.  l'article  Le  Pois  (Les). 
DÉPORTATiox.     Voy.  PÉNITENTIAIRE  [Système). 


DE  PRÉ.  601 

DÉPOSITIOIV.  Ce  qui  concerne  la  déposition  du  médecin  expert  devant  ia 
justice  se  trouve  à  l'article  Médecine  légale,  p.  708.  D. 

DÉPOTOIRS.     Voy.  Fosses  d'aisances  et  Vidanges. 

DEPPiîMG  (Georges-Bernard).  Né  à  Munster,  le  13  mai  ilSi,  fit  ses  études 
au  Gymnase  de  cette  ville,  puis  se  rendit  à  Paris  en  1803,  accompagnant  un 
émigré  français  et  dans  le  seul  but  de  visiter  la  capitale,  mais  il  s'y  fixa  tout  à 
fait  et  se  fit  naturaliser  en  1 827.  Érudit  laborieux,  il  avait  étudié  la  linguistique, 
l'archéologie,  la  médecine,  et  a  publié  de  nombreux  travaux  littéraires.  11 
mourut  à  Paris,  le  5  septembre  1855.  Nous  devons  citer  de  lui  les  ouvrages 
ci-après  : 

I.  La  vaccine  combattue  dans  les  pays  où  elle  a  pris  naissance;  traduction  de  trois 
ouvrages  anglais  :  1.  De  l'inefficacité  et  des  dangers  de  la  vaccine,  par  W.  Rowlf.y  ;  2.  Dis- 
ciissioiï  historique  et  critique  sur  la  vaccine,  par  Moseley  ;  3.  Observations  sur  V inoculation 
variolique,  par  U.  Squirrel.  Paris,  1807,  in-8°.  —  II.  Description  de  l'hôpital  à  Londres, 
d'après  Fbank.  In  Ann.  de  l'architecture  et  des  arts.  Paris,  1808,  n°  1.  —  III.  Der  Arzt 
und  Missionar  Van  der  Kemp.  In  Morgenblatt,  1814,  n"  207.  A.  D. 

DEPRÉ  (Johann-Friederich).  Médecin  allemand,  né  à  Mayence,  dans  la  se- 
conde moitié  du  dix-septième  siècle,  entra  dans  l'ordre  des  Jésuites.  Son  noviciat 
terminé,  il  enseigna  pendant  cinq  ans  à  Erfiirt  et  à  Wurtzbourg,  puis  pas!^a  dans 
l'ordre  des  Augustins,  qu'il  ne  tarda  pas  à  quitter  pour  se  livrer  à  l'étude  de  la 
médecine.  Il  passa  à  Erfurt  tn  1701  et  y  fut  reçu  docteur  l'année  suivante. 
Après  avoir  exercé  l'art  de  guérir  à  Erfurt  avec  succès  pendant  plusieurs  années, 
il  se  rendit  à  Neustadt,  dans  le  Palatinat,  où  il  fut  nommé  médecin  pensionné, 
puis  en  1717  revint  à  Erfurt  occuper  la  chaire  d'anatomie,  de  botanique  et  de 
chimie,  devenue  vacante  par  la  mort  d'Eysel.  L'électeur  de  Mayence  lui  conféra, 
en  1822,  le  titre  de  conseiller,  et  deux  ans  après  l'appela  auprès  de  lui,  en  lui 
laissant  la  jouissance  de  toutes  ses  places.  Depré  mourut  à  Mayence  le  22  oc- 
tobre 1727,  laissant  : 

I.  Diss.  de  morbis  archealibus  seu  haeredilariis  infausto  sub  sidère  natis.  Erford.,  1702, 
in-4°.  — II.  Diss.  de  mutalione  medica  aeris  alieni.  Erl'ord.,  1717,  in-4''.  —  III.  Diss.  de 
régna  vegetabili  morborum  curandorum  principe .  Erford.,  1717,  in-4°.  —  lY.  Diss  de  noxio 
nutricum  minislerio.  Erford.,  1717,  in-4°.  —  V.  Diss.  de  sententia  pei-vulgala,  quod  omnium 
morborum  origo  sit  in  ventriculo.  Erford.,  1718,  in-4°.  —  VI.  Theoria  morborum  congruorum 
cum  annexa  Iherapia  generali  fondamentis  phfisico-mechanicis  superstructa.  Erford.,  1718, 
in-4°.  —  VII.  Diss.  de  primis  secundarum  curarum  principiis  et  sanioris  longiorisque  vitae 
fundamentis,  fundatis  in  diaeta.  Erford.,  171^,  in-4°.  —  VIII.  Diss.  de  aegro  ulcère  auris 
laborante.  Erford.,  1718,  in-4°.  —  IX.  Diss.  de  perpeluo  mobili  moris  rubrimicrocosmici, 
seu  de  sanguine  purpurato,  fluidorum  principe,  trford.,  1718,  in-4°.  —  X.  Diss.  de  diaeta 
nonnumquam  salulariter  neglecta  et  negligenda.  Erford. ,  1718,  in-4''.  —  XI.  Diss.  dechlorosi. 
Erford.,  1719,  in-4'>.  —  XII.  Diss.  de  machina  micracosmica  per  motum  animata.  Ertbrd., 
1719,  in-4°.  —  XIII.  Diss.  de  arthritico  doloribus  vagis  gravissimis  liberalo.  Erford.,  1719, 
in-4°.  —  XIV.  Uiss.  de  vomitoriorum  usu  et  abusu.  Erford.,  1719,  in-4°.  —  XV.  Diss.  de 
phlhisi  pulmonari  sauciatorum.  Erford.,  1719,  in-4°.  —  XVI.  Diss.  de  arundine  saccharica, 
vom  Zucker-Rohr.  Erford,  1719,  in  4°.  —  XVII.  Diss.  de  hœmoptysi.  Erford.,  1719,  in-4°.  — 
XVIII.  —  Diss.  de  inelaphoi-a  medica,  seu  Iranslalione  morborum,  von  Ueberlragung  und 
Ueberpflanzung  der  Krankheitcn.  Erford.,  1720,  in-4°.  —  XIX.  — Dis",  de  quinta  essentia 
regni  vegetabilis,  seu  de  melle,  vom  Honig.  Erford,  1720,  in-4"'.  —  XX.  Diss.  de  analogia 
inter  primam  et  uUimam  aetatem  in  statu  sano.  Erford.,  1720,  in-4°.  — XXI.  Diss.  de  confi- 
dentia  in  medicum.  Erford,  1720,  in-4°.  —XXII.  Diss.  deerysipelate.  Erford.,  1720,in-4°.  — 
XXIII.  Diss.  de  usu  et  abusu  amulelarum.  Erford.,  1720,  10-4°.  —  XXIV.  Diss.  de  lienteria. 
Erford.,  1720,  in-4"'.  —  XXV.  Diss.  de  denfitione  difftcili,  varia  lis  et  rubeolis,  tanquam  tribus 
morborum  classibus  superandis  infantibus.  Erford.,  1720,   in-4'.  —  XXVI.   Diss.  de  usu  et 


602  DÉPRESSOIR. 

abusu  spirifus  vini.  Erford.,  1720,  in-4°.  —  XXVII.  Diss.  de  acrimonia  acutamagis  acciden- 
tali  universaliler  resoluta.  Erford.,  1721,  in-4°.  —  XXVIII.  Z>«s.  de  iclero.  Erford.,  1721, 
in-4<>.  —  XXIX.  Diss.  de  lahoratorin  nalurae  et  artis.  Erford,  1721,  in-4».  —  XXX.  Dm.  de 
hœmorrhagiis  in  génère.  Erford.,  1721,  in-4°.  —XXXI.  Diss.  de  calaleplico  afieclu.  Erford., 
1721,  in-4°.  —  XXXII.  Diss.  de  cephalalgia.  là'ford.,  1722,  in-4°.  —  XXXIU.  Diss.  de  erroti- 
bus  formularum.  Erford.,  1722,  in-4».  —  XXXIV.  Diss.  de  hyperemesi.  Erford.,  1722,  in-4°.  - 
XXXY.  Diss.  de  phlhisi.  Erford.,  172 ',  m-^".  —  XXXYI.  Diss.  de  millepedibus,  (ormicis  et 
lumbricis  lerrestribus,  gualemusum  haecinseclahabeantinmedicina  Erford.,  1722,  iii-4°. — 
XXXVII.  Diss.  debahamo  Euangelico  Samaritano.  Eiford.,  1725,  in-4°.  —  XXXVUI.  Diss.  de 
diabète.  Erford.,  1723,  in-4».  —  XXXIX.  Diss.  de  sali  bus  acidis.  Erford.,  1723,  \n-i\  ~ 
XL.  Diss.  de  hemlcrania  periodica .  Erlord.,  1723,  in  4°.  —  XLI.  Diss.  de  o/ficw  lactantium. 
Erford.,  1723,  in-4''.  —  XLII.  Diss.  de  purpura  puerperarum.  Erfoid.,  1724,  in-4°.  — 
XLHI.  Diss.  de  purgantibus  in  diebus  canicularibus  caute  daiidis.  Erford.,  1724,  in-4°.  — 
XLIV.  Diss.  de  eo  quod  citiiis  moriantiir  obesi  g uam  graciles.  Erford.,  1724,  iii-4°.  — 
XLV.  Diss.  desaitu  nalurae.  Erford.,  I'î2i,  in-4°.  — XLVI.  Diss.  de  lempore,  quando  et  quare 
movendum  in  jnorbis.  Erlord.,  1725,  iu-4°.  —  XLVII.  Diss.  de  valeludine  senum.  Erford., 
1725.  in-4''.  —  XLVIII.  Diss.  de  nephrilidis  palhologia  et  llierapia.  Erford.,  1725,  in-4".  — 
XLIX.  Diss.  de  haemorrhagiis  naluralibus  juxla  intentionem  nalurae  prudentia  médita 
dirigendis.  Erford.,  1725,  in-4°.  —  L.  Diss.  de  genuina  vcrminationis  indole  el  llierapia. 
Erlord.,  1725,  111-4".  —  LI.  Diss.  delaclis progenie,  caseoalque  bulyro.  Evford.,  1725,in-4°.— 
LU.  Diss.  de  calcula  microcosmico  in  génère  et  in  specie  spectalo.  Erford.,  1726,  in-4°.  — 
LUI.  Diss.  de  vulneribus.  Erford.,  1720,  in-4'.  —  LIV.  Diss.  de  vulneribus  in  génère  per  se 
el  per  accidens  centingentibus.  Erford.,  1726,  in-4°.  —  LV.  Diss.  de  magno  remédia  fliixus 
haemorrhoidales  ad  vilam  sanam  et  longam.  Erford.,  1726,  in-4">.  — LVI.  Diss.  de  erroribm 
circa  salivationem  mercurialem.  Erford.,  1720,  in-i°.  —  LVII.  Diss.  de  febri  tertiana  inter- 
milteiite.  Erford.,  1727,  in-4°.  —  LVllI.  Diss.  de  chlorosi.  Erford.,  1727,  in-4°.  —  LIX.  Disk 
deapktilis.  Erford.,  1727,  in-4''.  —  LX.  Diss.  de  febre  epheinera  ejusdemque  exislentia, 
essentia  el  Uurapia.  Erford.,  1727,  in-4°.  —  LXI.  Diss.  de  angina.  Erford,  1727,  iii-4°.  — 
LXll.  Diss.  de  melaticholia  /(?/.s<er/ca.  Erford.,  1727,  in-4°.— LXIII.  Diss.  de  inflammalionum 
theoriaet  llierapia.  Erfort,  1727,  in-4°.  L.  Hs. 

DÈPRESSEL'BS.     1.  Anatoniie.     Nerfs  dépresseur S,  modérateurs, de  relâ- 
chement, d'arrêt  {voy.  PiNEUMOGASiRiQUE  et  Vaso-moteurs). 

II.  Chirurgie.  On  a  donné  le  nom  de  dépresseurs  à  certains  instrumenta 
destinés  à  exercer  une  pression  sur  les  tissus  de  manière  à  les  refouler,  à 
agrandir  un  canal  ou  l'entrée  d'une  cavité.  Les  sondes  mêmes  laissées  quelque 
temps  à  demeure  sont  des  instruments  de  dépression.  On  peut  augmenter  et 
localiser  leur  effet  par  l'introduction  de  mandrins  rigides  et  étroits  dans  des 
sondes  flexibles  préalablement  engagées  dans  la  vessie  :  on  déprime  ainsi  la 
paroi  postérieure  du  canal  et  du  col  vésical.  On  a  imaginé  pour  cela  des  man- 
drins courbes,  mais  susceptibles  de  se  redresser  une  fois  introduits  dans  la 
vessie.  Jlercier  a  inventé  un  instrument  spécial,  appelé  dépresseur  prostatique, 
formé  de  deux  tiges  d'acier  dont  l'une  peut  être  écartée  de  l'autre  et  tixée  dans 
cette  position  par  un  mécanisme  particulier.  Si  alors  on  tire  l'instrument  à  soi, 
cette  branche  déprime  fortement  el  agrandit  le  col  de  la  vessie  {voy.  Prostate, 
Vessie).  û. 

DÉPRES$iOi\.     Diminution  des  forces  physiques,  intellectuelles  ou  morales 
{voy.  Folie,  Forces). 

DÉPRESi^OiR.     Cet  instrument,  appelé  aussi  méningo-phylax  (de  pjvty?, 
membrane,  et  cpu>«?,  gardien,  prolecteur),  est  aujourd'hui  inusité.  Il  se  compose 
d'une  tige  arrondie,  montée  sur  un  manche  de  bois.  On  s'en  servait  pour  intro- 
duire,  après  l'opération  du  trépan,  entre  le  crâne  et   la  dure-mère,  le  petit 
disque  de  linge  appelé  siudon,  et  quelquefois  pour  presser  sur  la  dure-mère  elle- 


DÉPURATION.  fi03 

même,  pendant  l'expiration,  afin  de  faciliter  l'écoulement  du  pus  ou  du   sang 
épanché.  '^• 

DÉPUKATIOJV.  Quand  on  parcourt  les  livres  de  médecine  des  siècles 
derniers,  et  qu'on  s'y  retrouve  en  plein  galénisme,  au  milieu  des  acrimonies, 
des  cacochvmies  et  des  putridités,  on  éprouve  une  sorte  de  dégoût  et  l'on  est 
tenté  de  rompre  absolument  avec  cette  soi  te  de  cuisine  nosologique.  On  n'est 
Tuère  plus  satisfait  parles  Ihéories  plus  savantes,  plus  expérimentales  de  la  chi- 
miâti-ie  proprement  dite.  On  ne  réiléchit  pas  assez  que  la  plupart  des  idées 
mères  sur  lesquelles  a  vécu  la  médecine  de  l'antiquité  avaient  leur  source  dans 
une  observation  exacte  de  la  nature  et  reposaient  sur  un  fond  où  il  n'y  avait 
d'imaginaire  que  l'explication  théorique,  il  en  est  ainsi  en  particulier  de  la 
dépuration,  dont  la  destinée  a  subi  bien  des  chances  diverses  depuis  Ili|)pocrate, 
mais  ne  s'est  jamais  perdue.  Or,  à  l'époque  même  ovi  son  crédit  est  plus  déprécié 
que  jamais,  nous  croyons  que  la  même  science  qui  l'a  ruinée  est  appelée  à  la 
relever  de  ses  propres  mains.  Le  mot  Dépuration  ne  désignera  plus  les  mêmes 
choses,  il  aura  une  autre  signification  pratique  et  théorique,  mais  il  exprimera 
avec  quelque  justesse  un  ordre  de  faits  et  de  principes  conformes  celte  fois  aux 
données  les  mieux  établies  de  la  physiologie  conune  aux  tendances  les  plus 
légitimes  de  la  thérapeutique. 

Prenons  d'abord  la  chimiàtrie  et  voyons-la  chez  son  représentant  le  plus  complet, 
chez  Sylvius.  Pour  lui,  l'acte  digestif  est  une  fermentation  ;  les  ferments  sont  la 
salive,  le  suc  pancréatique  et  la  bile  L'acidité  ou  l'alcalescence  des  humeurs,  du 
sang  surtout,  sont  la  raison  chimique  de  leur  àcreté,  et  un  sang  acre,  une  bile 
acre  mêlée  au  sang,  portent  le  trouble  dans  la  santé.  Nous  écartons  à  dessein  les 
applications  fausses  et  bizarres  d'un  s\stème  exclusif,  où  les  solides  ne  jouent 
plus  de  rôle  sérieux.  Mais  l'idée  même  de  ce  système  est-elle  en  soi  si  déraison- 
nable? Il  n'est  rien  qui  soit  plus  à  l'ordre  du  jour  que  les  ferments  digestifs, 
rien  qui  soit  mieux  démontré  que  les  états  cachectiques  produits  par  une  mau- 
vaise élaboration  des  aliments.  Que  la  science  moderne  ne  soit  pas  encore  assez 
avancée  pour  mettre  en  évidence,  dans  les  liquides  ou  les  solides,  les  caractères 
chimiques  spéciaux  de  ces  cacolrophies  par  vice  de  digestion,  ce  n'est  pas  contes- 
table, mais  le  praticien  les  constate  par  un  grand  nombre  de  symptômes  et  de 
lésions,  que  font  disparaître  de  simjdes  moyens  de  diète  générale  et  de  régime 
alimentaire,  dont  l'effet  peut  être  facilité  d'ailleurs  par  l'emploi  des  remèdes 
amers,  laxatifs  ou  sudorifiques. 

Le  sang  peut-il  être  acide,  ou  trop  alcalin?  Ici  encore  la  chimie  de  nos  jours 
est  insuffisante.  Elle  peut  déterminer  la  proportion  des  principes  alcalins  con- 
tenus dans  une  quantité  donnée  de  liquide  sanguin;  elle  peut  également  y 
reconnaître  des  proportions  diverses  d'acide  phosphorique,  d'acide  sulfurique, 
d'acide  carbonique.  Voilà  déjà,  bien  que  le  sang  total  donne  toujours  une  réac- 
tion alcaline,  une  première  constalation  matéiielle  favorable  à  la  chimiàtrie.  La 
physiologie  de  la  nutrition,  c'est-à-dire  la  notion  des  états  successifs  par  lesquels 
passe  la  matière  alimentaire  avant  de  s'incorporer  à  l'organisme  et  le  mécanisme 
de  cette  incorporation,  la  pathologie  dans  ses  rapports  avec  le  trouble  des 
actes  nutritifs  lui  apportent  de  remarquables  confirmations.  Le  sang  reçoit  des 
acides  résultant  des  réactions  chimiques  de  la  nutrition;  des  acides  se  forment 
dans  hîs  tissus  mêmes;  les  uns  et  les  antres  doivent  être  éliminés  ou  subir  un 
degré  supérieur  d'oxydation  ;  que  cette  élimination  n'ait  pas  lieu  par  les  émonc- 


604  DÉPURATION. 

toires  ordinnires,  par  la  peau,  par  les  voies  urinaires,  par  l'intestin;  que  cette 
oxydation  reste  insuffisante,  et  il  s'établit  une  dyscrasie  acide  que  la  pathologie 
accuse  de  la  façon  la  plus  claire.  La  chaux  ou  ne  se  forme  plus ,  ou  est  reprise 
par  les  acides  dans  le  tissu  osseux  :  de  là  l'ostéomalacie  qui  donne  une  réaction 
acide  ;  ou  bien  c'est  l'acide  phosphorique  qui  ne  se  forme  pas  ou  ne  se  fixe  pas 
eu  quantité  normale  sur  les  os.  L'oxalurie  est  une  maladie  connue;  il  y  a 
de  l'acide  oxalique  dans  le  sang  des  goutteux.  On  sait  que  dans  certaines 
maladies  la  quantité  des  acides  éliminés  augmente  notablement,  comme  on 
peut  s'en  assurer  par  l'examen  des  urines,  de  la  sueur,  des  produits  de  l'ex- 
piration. Ils  peuvent  y  être  en  assez  grande  quantité  pour  que  l'odeur  seule 
des  sécrétions  suffise  à  en  accuser  la  présence.  Toutes  ces  conditions  morbides 
donnent  lieu  à  des  indications  formelles,  et  ce  sont,  pour  la  plupart,  de  véri- 
tables indications  de  chimiàtrie,  tendant  à  prévenir  la  formation  des  acides 
en  excès,  ou  à  les  neutraliser  avec  des  bases  alcalines,  ou  à  les  éliminer  de 
l'économie,  ou  enfin  à  fournir  à  l'économie  en  grande  quantité  les  principes 
qui  détruisent  en  elle  une  acidification  exagérée.  Le  tout,  bien  entendu,  sous 
réserve  du  traitement  approprié  aux  causes  premières  de  tout  le  désordre,  si 
elles  peuvent  être  discernées. 

La  glycosurie  est  dans  le  même  cas.  Elle  est  en  réalité,  quelle  que  soit  sou 
origine,  le  résultat  direct  d'un  vice  d'action  chimique.  Le  sucre  s'est  formé  en 
trop  grande  quantité  pour  être  consommé  dans  l'organisme;  ou, formé  en  quan- 
tité normale,  il  n'a  pas  subi,  de  la  part  d'un  organisme  malade  ,  les  métamor- 
phoses nécessaires  et  ne  s'est  pas  assimilé;  ou  encore,  suivant  une  autre  théorie, 
il  provient  d'une  désassimilation  de  tissus  renfermant  de  la  matière  glycogène. 
Dans  tous  les  cas,  outre  l'indication  d'en  arrêter  la  production  ou  d'en  faciliter 
l'assimilation,  il  y  a  celle  de  l'éliminer;  c'est  ce  qu'on  essaie  d'obtenir  à  l'aide 
surtout  des  diurétiques. 

On  pourra  demander  si  tout  cela  rentre  légitimement  dans  la  doctrine  et  dans 
la  pratique  de  la  dépuration.  Oui,  suivant  nous,  et  complètement.  La  dépu- 
ration traditionnelle  ne  consiste  pas  seulement  dans  l'expulsion,  spontanée  ou 
provoquée,  des  principes  nuisibles,  des  matières  peccantes,  des  impuretés;  elle 
se  réalise  aussi  par  des  actions  internes,  dites  dépuratives,  accomplies  à  l'aide 
de  moyens  appelés  dépuratifs  et  dont  l'effet  est  de  détruire  sur  place  la  cause 
des  cachexies,  comme,  en  pharmacie,  on  épure  un  liquide  en  le  débarrassant  de 
matières  hétérogènes  et  on  le  maintient  pur  en  empêchant  ces  matières  de  se 
reformer.  Il  est  d'ailleurs  constant  que  les  maladies  cachectiques  où  nous  pou- 
vons aujourd'hui  assigner  un  rôle  à  la  chimie  vivante  étaient  jadis,  sous  d'autres 
dénominations,  de  celles  qui  relevaient  de  la  médication  dépurative. 

Chiiniâlrie  à  part,  il  est  beaucoup  d'autres  conditions  pathologiques  dans  les- 
quelles l'éviction  de  matières  nocives,  qu'on  peut  bien  appeler  impures,  puis- 
qu'elles n'ont  pas  subi  dans  l'organisme  les  mutations  voulues  par  leur  destina- 
~tion  physiologique,  est  une  des  indications  du  traitement.  Plus  on  étudie  la 
goutte  et  plus  on  se  persuade  qu'elle  est  le  résultat  d'un  vice  de  nutrition  par 
insuffisance  des  métamorphoses  nutritives.  L'excès  d'acide  urique  dans  le  sang 
en  est  l'expression  la  plus  frappante  :  mais  qui  peut  apprécier  le  coup  porté  aux 
éléments  anatomiques,  à  ceux  du  sang  surtout,  aux  fonctions  sécrétoires  ou 
excrétoires?  N'est-il  pas  vraisemblable  que  nombre  d'éléments  perdent,  à  la 
suite  des  accès  principalement  (car  les  accès  ne  mesurent  pas  leur  violence  à  la 
constitution  de  l'individu),  assez  de  leur  vitalité  pour  ne  plus  être  en  état  de 


DÉPURATION.  60j 

prendre  part  à  la  vie  générale  et  passent  à  l'état  de  déchets,  de  corps  étrangers? 
N'est-on  pas  autorisé  à  supposer  que  l'économie  se  charge  des  principes  retenus 
dans  le  sang  par  le  défaut  de  sécrétion,  ou  des  principes  sécrétés  retenus  par 
le  défaut  d'élimination?  Toujours  est-il  que  le  praticien  qui  se  met  en  pré- 
sence de  cette  hypothèse,  si  vague  qu'elle  puisse  être,  en  tire  un  parti  avan- 
l^ageux,  au  moins  transitoire.  Rien  ne  nous  paraît  mieux  établi,  en  effet,  que 
l'efficacité,  au  début  d'un  accès  de  goutte,  de  purgatifs  drastiques,  dans  les- 
quels on  se  sent  porté  à  voir  des  agents  d'élimination.  Nous  n'oublions  pas  que 
cette  sorte  de  vicariat  des  quatre  grands  émonctoires  de  l'économie  (poumon, 
reins,  intestin,  peau),  par  lequel  ils  se  substitueraient  fonctionnellcment  les 
uns  aux  autres,  est  chose  contestable.  Mais,  si  l'intestin  n'élimine  pas  ce  que 
devrait  éliminer  le  rein,  par  exemple,  qui  sait  s'il  ne  donne  pas  issue  à  des  prin- 
cipes nocifs  autres  que  ceux  qui  font  naturellement  partie  des  matières  d'excré- 
tion? Ce  bien-être  qui  suit  d'ordinaire  les  accès  eux-mêmes,  ce  silence  de 
toutes  les  manifestations  habituelles  de  la  maladie,  souvent  d'autant  plus  long 
que  l'accès  a  été  plus  fort,  ne  ressemble-l-il  pas  à  l'effet  d'un  acte  dépuratif 
accompli  par  l'économie,  mais  à  la  violence  duquel  aurait  résisté  l'énergie  vitale 
des  éléments  organiques.  Il  faut  compter  aussi  avec  l'hypothèse  défendue  par 
M.  le  professeur  Bouchard  dans  ses  remarquables  leçons  sur  Les  maladies  par 
ralentissement  de  la  nutrition  :  à  savoir  que,  si  l'accès  de  goutte  rend  pour 
un  temps  au  malade  l'intégrité  de  sa  santé,  «  ce  résultat  est  dû  à  l'activité  inac- 
coutumée que  l'état  fébrile  imprime  à  des  mutations  nutritives  habituellement 
ralenties  ».  Cette  hypothèse  n'est  pas  en  contradiction  formelle  avec  la  précé- 
dente. On  peut  très-bien  admettre  tout  à  la  fois  que  des  matières  devenues  nui- 
sibles dans  l'économie  provoquent  un  accès  fébrile  dont  la  conséquence  soit  de 
les  éliminer  au  dehors,  et  que  ce  même  accès  ait  pour  elfet  d'activer  les  méta- 
morphoses nutritives.  C'est  bien  même  ce  qui  parait  arriver  d'après  les  recherches 
directes  de  cet  auteur,  puisque,  dans  la  fièvre  goutteuse,  les  urines  éliminent 
au  commencement  une  quantité  exagérée  d'acide  urique  et  n'en  contiennent  plus 
après  l'attaque. 

Ainsi  se  confirmerait  dans  ce  cas  particulier  la  thèse  ancienne  de  la  fièvre 
dépiiratoire,  toute  fièvre  d'ailleurs  ayant  pour  effet,  suivant  les  auteurs  anciens 
et  surtout  suivent  Sydenham,  d'expulser  en  dehors  de  l'économie  les  matières 
nuisibles  ou  de  corriger  un  état  vicieux  de  l'acidilé  sanguine.  Fred.  Hoffmann 
avait  écrit,  à  son  point  de  vue  solidiste  :  «  Salutaris —  elïectus  sequitur,  si 
«  spasmi  ejus  sunt  naturge  nt  causam  a  qua  proveniunt,  nempe  sanguinem 
«  stagnantem,  évacuent  »  {Verœ  pathol.  natura,  c.  m,  §37). 

Les  paiHisans  des  causes  finales  voient  dans  l'acte  dépuratoire  un  but  au  lieu 
d'un  effet:  le  mouvement  fébrile  serait  en  quelque  sorte  intentionnel;  il  aurait 
sa  raison  dans  l'acte  qu'il  va  réaliser.  Il  est  au  moins  inutile  de  pousser  l'inter- 
prétation jusque-là  [voy.  Science). 

Les  exemples  que  nous  venons  de  citer  prêtent  à  la  doctrine  un  appui 
physiologique  qui  dispose  l'esprit  à  la  considérer  comme  fondée.  Les  fièvres, 
l'accès  de  goutte,  sont  les  expressions  d'une  vie  en  état  d'excitation  et  do 
tumulte,  où  nous  venons  de  voir  qu'on  peut  trouver  l'explication  d'une  purifi- 
cation des  humeurs.  Cette  ressource  fait  défaut  dans  les  diathèses  apyrétiques. 
Jusqu'ici,  la  physiologie  n'est  guère  en  mesure,  et  n'a  pas  essayé,  croyons-nous, 
d'interpréter  dar  s  le  même  sens  ces  suppurations  multiples  et  prolongées  qui 
••^'effectuent  par  des  furoncles,  ces  poussées  d'eczéma  qui  rendent,  dit-on,  la 


606  DÉPURATION. 

santé,  ni  ces  ulcères  chroniques  qui  passent  pour  l'entretenir.  La  composition 
du  pus  ne  dit  rien  à  cet  égard,  car  les  matières  non  comburées  qu'il  contient 
appartiennent  sans  doute  aux  parties  malades  au  lieu  d'être  en  circulation  avec 
le  sang.  Cette  disparition  plus  ou  moins  durable  des  accidents,  cette  éclaircie 
dans  la  santé,  qu'on  dit  suivre  les  sécrétions  pathologiques  et  la  suppuration, 
est-elle  trompeuse?  La  santé  s'améliore-t-elle  simplement  parce  qu'une  scène 
patliolo-iqne,  qui  s'exprimait  en  même  temps  par  des  symptômes  généraux  et 
par  des  symptômes  locaux,  \ient  de  se  terranier,  ou  bien  parce  que  le  travail 
local  a  éliminé  la  cause  matérielle  de  la  maladie?  Les  opinions  diffèrent  à  cet 
égard,  mais  aucune  d'elles  ne  peut  se  prévaloir  d'une  démonstration  véritable. 
Théoriquement  il  n'est  guère  douteux  que  les  troubles  permanents  de  la  nutrition 
engendrent  d'une  façon  permanente  des  substances  anormales  ou  augmentent 
d'une  façon  habituelle  la  proportion  de  substances  anormales  :  d'où  résulte  la 
mise  en  jeu  irrégulière  de  quelque  fonction  d'excrétion  et  souvent  un  état  patho- 
logique de  l'émonctoire  correspondant.  Que  si  l'on  s'en  rapporte  uniquement  à 
l'observation,  on  est  forcé  de  convenir  que,  tout  au  moins,  elle  n'est  pas  en 
désaccord  avec  la  doctrine  de  la  dépuration.  Le  fait  de  périodes  de  sanlé  excep- 
tionnellement longues,  ou  de  santé  exceptionnellement  bonne,  après  des  explo- 
sions intenses  d'une  dialhèse  apyrétrique,  nous  semble  parfaitement  réel.  Il  y  a 
des  maladies  salutaires,  sujettes  à  répercussion,  et  elles  affectent  de  préférence 
les  émonctoires  sur  tout  l'intestin  et  la  peau. 

Autrefois,  quand  la  doctrine  régnait  sans  conteste,  elle  trouvait  une  appU- 
cation  dans  la  pratique  quotidienne.  On  ouvrait  à  l'élimination  des  matières  im- 
pures une  voie  artificielle,  en  établissant  un  vésicatoireouun  cautère  à  demeure. 
Il  n'y  a  pas  plus  de  quarante  ans  que  l'exutoire  au  bras  ou  à  la  cuisse  était  pour 
les  dîmes  les  mieux  portantes  un  moyen  de  coquetterie;  il  avait  pour  objet 
d'éclaircir  le  teint.  Aujourd'hui  les  praticiens  sont  rares  qui  le  prescrivent 
dans  les  cachexies  ou  les  dyscrasies  les  plus  prononcées.  Etait-ce  cependant 
une  entière  illusion  de  nos  pères  que  cette  confiance  dans  l'action  dépurative 
des  exutoires?  Nous  n'oserions  pour  notre  part  l'affirmer;  ou  plutôt,  laissant 
l'explication  pour  nous  en  tenir  au  fait,  nous  n'oserions  déclarer  qu'un  cautère 
n'exerce  jamais  une  influence  avantageuse  sur  un  catarrhe  chronique,  un  eczéma, 
une  tendance  aux  furoncles,  etc.  Nous  ne  parlons  pas  ici  de  cautères  appliqués 
sur  la  région  du  mal,  à  l'hypochondre  dans  les  maladies  du  foie,  au  creux  épigas- 
trique  dans  les  maladies  de  l'estomac,  sous  la  clavicule  dans  la  pbthisie;  leur 
effet,  quel  qu'il  en  soit,  appartient  dans  ces  cas  à  l'ordre  des  révulsions;  il 
s'agit  de  cautères  appliqués  loin  du  lieu  malade,  sur  un  point  quelconque  du 
corps,  et  ne  pouvant  guère  être  efficace  que  par  action  indirecte. 

Nous  le  répétons,  cette  pratique  était  suivie  encore  il  y  a  quelques  lustres,  et 
suivie  avec  une  foi  entière,  par  les  praticiens  les  plus  expérimentés;  nous  l'avons 
pu  croire  nous  même  à  son  déclin;  mais  nous  l'avons  imitée  depuis  assez  sou- 
vent, quelquefois  sur  la  demande  expresse  des  malades,  et  les  résultats  que  nous 
en  avons  obtenus,  sans  être  manifestes  comme  ceux  qui  suivent  l'emploi  d'un 
remède  spécifique,  ne  nous  ont  pas  paru  moins  clairs  que  les  effets  de  nombre 
de  médications  dépuratives  aujourd'hui  en  honneur,  tels  que  ceux  de  l'emploi 
du  daphné  mézéréum,  de  la  fumetene,  de  l'Iiydrocotyle,  etc. 

Ces  considérations  générales  suffisent  peut-être  à  montrer  que  la  doctrine  de 
la  déiiuration,  avecap|dication  à  la  thérapeutique,  peut  s'adapter  en  partie,  avec 
un  changement  de  forme,  aux  progrès  de  la  médecine  moderne,  et  pour  établir 


DE   RAET.  607 

en  même  temps  qu'elle  est  loin  de  trouver  dans  ces  progrès  réponse  à  tous  les 
problèmes  qu'elle  a  posés.  En  tant  qu'elle  vise,  non  plus  les  réactions  chimiques, 
non  plus  les  combuslioiis,  mais  les  conditions  vitales  «jui  introduisent  le  trouble 
dans  les  opérations  motritives,  la  vitalité  diminuée  ou  éteinte  de  l'organisme; 
en  tant  qu'elle  s'occupe,  non  du  produit  des  réactions  imparfaites,  mais  des 
éléments  constitutifs  du  mixte  organique  devenus  impropres  à  la  vie  ou  de  la 
composition  vicieuse  des  humeurs;  en  face  surtout  de  certaines  diathèses,  comme 
la  scrofule,  les  dartres,  la  doctrine  appelle  toujours  les  lumières  d'une  science 
plus  positive.  En  attendant,  les  médecins,  consciemment  ou  non,  continuent  à 
la  faire  entrer  dans  leur  pratique. 

11  convient,  du  reste,  de  dire  en  terminant  que  le  domaine  de  la  dépuration, 
circonscrit  plus  haut  à  ce  qu'il  a  de  plus  spécial  et  de  mieux  caractéiisé,  est 
plus  étendu  qu'on  ne  le  croit  d'ordinaire.  Il  suffit,  pour  s'en  convaincre,  de 
passer  en  revue,  avec  Barbier  (d'Amiens),  la  liste  même  incomplète  des  sub- 
stances dépuratives.  On  y  trouve  des  plantes  émollienles  et  mucilagineuses, 
comme  la  scorsonère,  la  Ijourrache,  la  buglosse,  etc.,  des  substances  mucoso- 
sucrées,  comme  le  raisin,  les  fraises,  les  pêches,  etc.;  des  composés  gélatineux, 
comme  le  bouillon  de  grenouille,  de  tortue,  de  poulet,  de  veau,  le  lait  de  vache, 
d'âne.<!se,  de  clièvre,  le  petit-lait;  des  substances  amères,  comme  la  patience,  le 
pissenlit,  le  houblon,  la  fumeterre;  des  substances  acres,  comme  le  raifort, 
le  pissenlit,  le  cresson;  des  substances  stimulantes,  comme  la  cannelle,  la 
menthe,  etc.  C'est  que  la  pratique  de  la  dépuration  avait  ses  règles.  Ces  di- 
verses substances  médicamenteuses  ne  se  substituaient  pas  les  unes  aux  autres 
indifféremment;  elles  répondaient  à  des  indications  multiples.  Les  médicaments 
adoucissants,  tempérants,  préparaient  la  dépuration;  les  amers  et  les  stimulants 
l'opéraient,  les  premiers  en  rendant  aux  tissus  le  ton  qui  leur  manquait,  les 
seconds  en  provoquant,  par  une  activité  plus  grande  des  fonctions  circulatoires, 
l'acte  vital  à  l'aide  duquel  s'accomplirait  l'élimination  des  matières  impures.  On 
peut  voir  par  quelques-unes  des  considérations  précédentes  que  cette  dernière 
indication  ne  saurait  être  désavouée  par  la  thérapeutique  de  nos  jours. 

A.  Dechambre. 

DÉRADELPHES  (de  §eîpn,  COU,  et  à^zlçoç,  frère).  Nom  donné  à  divers 
monstres  doubles,  du  groupe  des  monocéplialiens,  dont  les  troncs,  séparés  au- 
dessous  de  rombilic,  sont  réunis  en  dessus  [voy.  Anencéphales  et  Diplogenèse 
ou  Monstres  Doubles),  0.  L. 

DE  RAET  (Jean).  Médecin  hollandais,  né  à  Anvers  vers  la  fin  du  seizième 
siècle.  «  11  voyagea  en  Allemagne  où  il  s'adonna  à  l'étude  de  la  chirurgie.  Ayant 
eu  occasion  de  traiter  la  peste  à  Francfort  en  1605  et  1606,  il  revint  dans  sa 
ville  natale  pour  faire  profiter  ses  concitoyens,  surtout  les  pauvres  et  les  habi- 
tants delà  campagne,  des  connaissances  pratiques  qu'il  avait  acquises.  L'occa- 
sion d'être  utile  à  ses  concitoyens  ne  se  fit  pas  attendre.  On  sait  que  la  pre 
mière  moitié  du  dix-septième  siècle  fut  marquée,  pour  ainsi  dire,  par  des 
épidémies  annuelles.  Après  avoir  expérimenté  sa  méthode,  il  résolut  de  la  faire 
connaître  au  public  sous  le  titre  :  Cort  verhael  oft  tractast  van  de  Laestighe 
sierkte  (1er  peste  met  etteJycke  onde  geerperiuventeerde  remedien  ende  preser- 

vatien  door  JoAN^ES  de  Raet T'Antwerpeii,  1625,  in-12.  »  Ce  livre  est  de 

peu  de  valeur.  C'est  l'œuvre  d'un  chirurgien  de  bonne  foi,  mais  accordant  trop 


608  DÉRIVATION. 

d'importance,  dans  l'étiologie  de  la  peste,  au  courroux   céleste,  et  trahissant 
une  confiance  aveugle  dans  l'astrologie. 

Jean  de  Raet  fut  doyen  de  la  corporation  des  barbiers  d'Anvers.  Il  occupa 
longtemps  le  poste  de  chirurgien  de  l'hôpital  Sainle-Élisabeth  et  de  chirurgien 
des  pauvres  et  mourut  le  14  mars  1660.  Pour  plus  de  détails  sur  l'homme  et 
sur  le  livre,  vorj.  Broeckx.  Galerie  médicale  anversoise,  in  Annal,  de  la  Soc.  de 
méd.  d'Anvers,  1865,  p.  174.  L.  Hn. 

DERjiniM.  Naturaliste  arabe,  vivait  en  Espagne  au  quatorzième  siècle.  De 
son  nom  véritable  il  s'appelait  Â.bou-Fatab-Ali,  mais  son  grand-père  se  nommait 
Derahim  ou  Al-Derihim.  On  a  de  lui  un  Traité  sur  l'utilité  des  animaux,  où 
il  parle  séparément  des  quadrupèdes,  des  oiseaux,  des  poissons  et  des  insectes. 
La  bibliothèque  de  l'Escurial  possède  un  manuscrit  de  cet  ouvrage  orné  de  pein- 
tures. Enfin  Derahim  a  en  outre  publiée  un  livre  Sur  la  supériorité  de  l'âme 
sur  les  agitations  des  sens  (Biogr.  Didot).  L.  Hn. 

DËRE!>icÉPHALES  (de  ^dpt,  COU,  et  £cpxÉ(})«>.ov,  encéphale).  Ce  nom, 
donné  d'abord  par  Et.  Geoffroy  Saint-Hilaire  à  des  monstres  (Thlipsencéphales 
d'Is.  Geoffroy  Saint-Hilaire)  dont  le  cerveau  imparfait  est  placé  sur  le  cou,  a  été 
réservé  depuis,  par  Is.  Geoffroy  Saint-Hilaire,  aux  monstres  caractéiisés  par 
l'absence  totale  d'encéphale  et  de  moelle  épinière  dans  la  région  cervicale 
{voy.  Anencéphales).  0.  L. 

DE  RE\'OU  (Jean),  en  latin  Renodœus.  Un  des  plus  célèbres  médecins  de 
l'ancienne  Faculté  de  Paris,  né  à  Goutances  en  1560,  mort  au  mois  d'août  1616. 
Son  doctorat  porte  la  date  du  5  octobre  1588. 11  s'appliqua  d'une  manière  parti- 
culière à  la  matière  médicale,  et  fut  un  des  premiers  qui  rejetèrent  une  foule 
d'erreurs  populaires  touchant  les  vertus  des  plantes  et  des  minéraux.  Ses  écrits 
ont  joui  d'une  grande  faveur  et  présentent  ces  titres  : 

I.  Esf-ne  homo  omnium  animalium  morbosissimus?  oui.  Thèse  quodlibétaire;  président  : 
Simon  Piètre,  1587.  —  II.  An  famcn  solvat  meri  potiis?  oui.  Thèse  quodlib.  ;  président  : 
Nicolas  Jabot,  1588.  —  III.  An  paralysi  vcnœ  seclio?  oui.  Thèse  quodlib,;  président: 
Guillaume  Lusson.  —  IV.  An  cor  princeps  unicuin?  oui.  Thèse  quodlib.;  bachelier  :  h^y 
Perreau,  1598. — ^ .  An  calor  febrilis  pro  ratione  nalivi?  oui.  Thèse  quodlib.;  bachelier: 
Michel  Toctain,  1598.  —  \l.  AiUidotarium  dogmalicorum  vêtus,  renovatum,  aucium,  illustra- 
tum.  Parisiis,  1608,  in  4°.  —  VII.  Liispensatorium  tnedicum.  Francofurti,  1615,  in-i"; 
Genevœ,  1645,  in-8°;  trad.  du  latin  par  I.ouys  de  Serres.  Lyon,  1624,  in-4"'.  — VIII.  Insti- 
tutionum  pharmaceulicarum  libri  quinque.  Parisiis  (S.  d.),  in-4°.  —  IX.  Œuvres  pharma- 
ceutiques. Lyon,  1626,  in-fol.  ;  1657,  in-fol.  A.  C. 

DERDA:»  (Samuel).  Médecin  anglais,  né  en  1655,  dans  le  comté  de  Glo- 
cester,  mort  le  26  aoijt  1689,  fit  ses  études  à  Oxford,  où  il  fut  reçu  successi- 
vement maître  es  arts  en  1679  et  docteur  en  médecine  en  1G87.  O.i  cite  de  lui  : 

Ihjdrologia  philosophica  or  an  Account  of  llmington  Waters  in  Warwickshire.  Oxford, 
1685,  in-8".  L.  Un. 

DËRIVATIOIV.  C'est  dans  Galien,  au  chapitre  iv  du  livre  II  de  la  Méthode 
THÉiupEUTiijUE,  qu'il  faut  aller  chercher  le  sens  traditionnel  du  mot  Dérivatiok. 
Ce  mot  emprunté  à  Hippocrate  (nocpoyJnvTn)  implique  l'idée  dun  liquide 
détourné  de  son  cours  ou  du  lieu  où  il  séjourne,  à-^m-ÔM  signifiant  la  dérivation 


DÉRIVÉS  CHIMIQUES.  609 

(le  l'eau  d'un  ruisseau.  Le  mot  grec  répondant  à  Révulsion  fàvTîc-Trao'i;)  veut 
dire  simplement  l'action  de  tirer,  d'attirer  d'un  autre  côté.  Mais  Galien  appli- 
quait ce  mot  également  au  détournement  des  humeurs,  en  particulier  à  celles 
qui  sont  encore  en  mouvement,  tandis  que  la  dérivation  était  le  détourne- 
ment des  humeurs  qui  ont  déjà  envahi  la  parlic.  Ainsi  la  révulsion  diminue  la 
quantité  du  sang  qui  afflue  vers  un  organe  en  détournant  le  courant  qui  le  lui 
amène,  ou  en  produisant  une  forte  fluxion  dans  un  endroit  éloigné  :  par  exemple, 
s'il  y  a  afflux  vers  l'utérus,  en  ouvrant  la  veine  du  bras,  en  appliquant  des 
ligatures  sur  les  membres  inférieurs  ou  des  ventouses  sur  les  mamelles.  La 
dérivation  attire  directement  le  sang  de  la  partie  où  il  séjourne,  par  l'ouverture 
des  veines  qui  sont  en  communication  avec  cette  partie  :  les  veines  ranines  en 
cas  d'angine,  les  veines  externes  dtuées  dans  un  rapport  direct  (trad.  de 
Daremberg).  Cette  distinction  a  été  adoptée  par  certains  auteurs,  rejetée  par 
d'autres;  nous  n'avons  pas  à  l'apprécier  ici;  elle  l'a  été  à  l'article  Révulsion. 

DeCH AMBRE. 

DÉRivÉJi»  ciiiMBiJjrES.  Prenant  cette  dénomination  dans  un  sens  très- 
rêstreint,  nous  n'envisagerons  ici  que  les  composés  résultant  d'une  combinaison 
organique  par  substitution  (ou  pouvant  être  assimilés  à  un  dérivé  de  substi- 
tution) d'un  élément  ou  d'un  radical  simple  à  im  ou  à  plusieurs  atomes  d'hydro- 
gène. C'est  ainsi  que  s'engendrent,  directement  ou  indirectement,  les  dérivés 
chlorés,  hromés,  iodés;  les  dérivés  nitrés,  amidés,  nilrosés,  azoïques ;  les 
dérivés  sulfonés  ou  sulfoconjugués,  etc.,  etc.  A  côté  de  ces  déi'ivés  de  si;bsti- 
tution,  il  faut  signaler  les  dérivés  d addition  dont  la  production  n'a  lieu  qu'avec 
des  composés  non  saturés  et  qui  sont  identiques  ou  isomériques  avec  les  pro- 
duits de  substitution  dérivés  d'un  produit  salure.  Nous  allons  passer  successi- 
vement en  revue,  en  ne  tenant  compte  que  des  cas  les  plus  simples,  le  mode 
de  formation  de  ces  diverses  classes  de  corps,  leurs  propriétés  générales  et  leurs 
métamorphoses  fondamentales. 

Dérivés  chlorés,  bromes  et  iodés.  Un  grand  nombre  de  matières  organiques 
sont  attaquées  par  le  chlore  en  cédant  à  cet  élément  un  ou  plusieurs  atomes 
d'iiydrogène  en  même  temps  que  cet  hydrogène  est  remplacé  atome  par  atome 
par  du  chlore  : 

RH    -H     Cl*  =  RCl    +  HCl 

aiP  -f-  2  Cl*  =  RGP  +  2 HCl,       etc. 

C'est  ainsi  qu'on  obtient  successivement  par  l'action,  d'abord  très-ména"ée, 
du  chlore  sur  le  gaz  des  marais  Cil',  les  dérivés 

CtPCl  Méthane  monochloré  ou  chlorure  de  méthyle. 

CH^GP  Méthane  bichioré  ou  chlorure  de  méthyle  monochloré. 

CHCl^  Méthane  trichloré  (chloroforme). 

CCU  Perchlorométhane  ou  perchlorure  de  carbone. 

L'acide  acétique  donne  naissance  à  une  série  analogue,  et  ce  sont  précisément 
ces  composés  qui  ont  donné  lieu  à  la  découverte  des  substitutions  par  M.  Dumas. 
L'acide  acétique  ou  méthylcarbonique  CIPCO^H  donne  successivement 

L'acide  monochloracétique  GlPCl.COML 

L'acide  bichloracétique  CllCP.GO^H. 

L'acide  trichloracétique  CCP.CO^H. 
»icT.  ENC.  XXYII.  j;(ji 


610  DÉRIVÉS  CHIMIQUES. 

Dans  un  grand  nombre  de  cas,  la  substitution  du  premier  atome  de  chlore 
s'effectue  avec  facilité  à  la  température  ordinaire.  D'autre  fois,  l'action  du  chlore 
doit  être  aidée  par  la  chaleur |  ou  par  la  lumière.  A  mesure  qu'on  avance  dans  le 
degré  de  substitution,  l'intervention  de  ces  agents  physiques  devient  plus  néces- 
saire. Souvent  leur  emploi  ne  suffit  pas  et  l'on  est  alors  obligé  d'avoir  recours 
à  des  agents  chimiques  pouvant  fournir  du  chlore  naissant  :  acide  chlorhydrique 
et  chlorate  de  potassium;  perchlorure  d'antimoine  ou  de  molybdène,  chlorure 
d'iode.  Ce  dernier  agent  est  le  plus  usité,  seulement  il  est  inutile  de  l'employer 
tout  formé  et  l'on  fait  agir  généralement  le  chlore  en  présence  d'une  petite 
quantité  d'iode  :  il  se  forme  une  quantité  correspondante  de  chlorure  d'iode  qui 
agit  sur  la  matière  organique  en  lui  cédant  son  chlore,  tandis  que  l'iode,  remis^ 
en  liberté,  fixe  une  nouvelle  quantité  de  chlore.  Ces  deux  réations  se  produisent 
en  quelque  sorte  simultanément. 

Certains  dérivés  chlorés  s'obtiennent  par  fixation  de  HCl  sur  des  composés 
non  saturés.  C'est  ainsi  qu'on  obtient  un  acide  chloropropionique  en  partant  de 
l'acide  acrylique  C'H'O^  H-  HCl  =  C''1PC10^ 

Les  composés  chlorés  sont  toujours  plus  denses  que  le  produit  primitif  et  leur 
densité  augmente  avec  le  nombre  d'atomes  de  chlore  substitués.  Leur  point  de 
fusion  est  aussi  plus  élevé,  ainsi  que  le  point  d'ébullition,  qui  augmente  ea 
général  de  20  à  40  degrés,  suivant  les  cas,  pour  chaque  atome  de  chlore  substitué. 
La  distillation  d'un  grand  nombre  de  dérivés  chlorés  a  lieu  sans  décompo- 
sition. Pour  d'autres  il  y  a  une  décomposition  plus  ou  moins  profonde  qui  se 
manifeste  par  des  fumées  d'acide  chlorhydrique  et  par  la  carbonisation  du 
résidu. 

Les  dérivés  bromes  s'obtiennent  par  l'action  directe  du  brome,  liquide,  gazeux 
ou  en  dissolution,  sur  les  matières  organiques,  à  froid  ou  à  chaud.  Selon  le 
degré  de  bromuration  à  atteindre  on  emploie  une  ou  plusieurs  molécules  de 
brome.  Ces  déx-ivés  sont  encore  plus  denses  que  les  dérivés  chlorés  et  ils  distil- 
lent à  une  température  supérieure.  Ils  sont  moins  stables  et  leur  décomposition 
par  la  distillation  est  plus  fréquente.  Ils  se  prêtent  mieux,  par  suite  de  leur 
instabilité  relative,  aux  métamorphoses  que  nous  signalons  plus  bas. 

Les  dérivés  iodés  donnent  lieu  à  des  remarques  semblables  et  il  présentent 
encore  plus  d'instabilité  que  les  dérivés  bromes,  lis  s'obtiennent  beaucoup  plus 
difficilement  par  substitution  directe,  et  il  faut  pour  cela  faire  agir  l'iode  en 
présence  d'im  composé  oxygéné  susceptible  de  détruire  ou  de  fixer  l'acide  iodhy- 
drique  résultant  de  la  substitution,  acide  iodhydrique  qui  peut  réagir  par 
hydrogénation,  c'est-à-dire  par  substitution  inverse.  On  emploie  pour  cela  ou 
l'acide  iodique  ou  un  oxyde  métallique,  notamment  celui  de  mercure.  C'est 
ainsi,  par  exemple,  qu'on  obtient  l'iodophénol  et  le  biiodophénol  : 

SC'H^OH  +  2P  +     HgO  :==  2C«Hn.01I    +     IlgP  -^     IPO 
SC'IP.OH  4-  4P  +  2HgO  =  2C«H-^P.0H  +  2HgP  +  2W0 

Certains  dérivés  iodés  résultent  de  l'action  de  l'acide  iodhydrique  sur  les  dérivés 
chlorés  :  ainsi  le  chloroforme  est  transformé  en  iodoforme. 

Les  dérivés  chlorés,  bromes,  iodés,  ainsi  que  ceux  qu'on  obtient  par  leurs 
métamorphoses,  présentent  des  cas  très-importants  d'isomérie,  suivant  les 
circonstances  qui  président  à  leur  formation.  Dans  la  série  dite  grasse,  ces 
isoméries  sont  généralement  distingués  pour  les  lettres  a,  p...  Elles  tiennent 


DÉRIVÉS  CHIMIQUES.  6H 

à  la  position  que  vient  occuper  dans  la  molécule  l'élément  substitué.  Nous 
cilerons  comme  exemple  les  acides  a  et  (3  bromopropionique.  Dans  l'acide  a, 
qui  résulte  de  la  substitution  directe  du  brome  dans  l'acide  propionique 
GH^.GH'.COOH,  le  brome  se  fixe  sur  le  carbone  central.  11  se  produit  aussi  par 
l'action  de  l'acide  bromhydrique  sur  l'acide  lactique  : 

GH^GH(0H).C0M1  +  HBr  =  GH'.GHBr.GO^H 

L'acide  S  bromopropionique  GH-Br.GlP.GO'H  est  celui  qui  résulte  de  la  fixation 
de  HBr  sur  l'acide  acrylique  GH-:GH.GO-H.  Ges  deux  acides  sont  très-différents 
l'un  de  l'autre  :  l'acide  a  ne  se  solidifie  qu'à  17  degrés;  l'acide  a  fond  à  61»,5. 
Dans  la  série  aromatique,  ces  isoméries   sont  encore  plus  nombreuses  et 
elles  sont  de  deux  ordres,  suivant  que  la  substitution  porte  sur  le  noyau  aroma- 
tique (benzine)  ou  sur  une  chaîne  dite  lalérale  (méthyle  ou  homologues) .  Dans 
ce  dernier  cas  les  dérivés  participent  des  propriétés  génériques  des  composés 
de  la  série  grasse.  Des  isoméries  produites  dans  le  noyau  benzique  sont  désignées 
par  les  préfixes  ortho,  meta,  jiara,  suivant  la  position  occupée  par  l'élément 
substitué  par  rapport  à  une  première  substitution  ou  à  une  chaîne  latérale. 
Pour  préciser,  nous  prendrons  exemple  dans  les  dérivés  du  toluène  ou  méthyl- 
benzine,  G^H^  ou  G^H^GIP.  La  substitution  dans  le  noyau  G'^II''  par  un  atome 
de   chlore  donnera    le    monochlorotoluène  ortho,   meta  ou  para,    G'^H'Gl.GIP, 
suivant  la  position  du  chlore  à  l'égard  de  GH^.  Si  au  contraire  la  substitution 
a  lieu  dans  le  groupe  GH%  ce  qui  arrive  lorsque  l'on  opère  à  l'ébuUition,  on 
obtient  le  composé  C^H^.GH^Gl,  qui  porte  le  nom  de  chlorure  de  benzyle.  La 
fonction  chimique  de  ce  dérivé  est  toute  différente  de  celle  des  chlorotoluènes  : 
il  correspond  aux  alcools,  tandis  que  ceux-ci  conduisent  à  des  phénols. 

Les  dérivés  chlorés,  bromes  et  iodés,  régénèrent  le  composé  primitif  par  sub- 
stitution inverse  (de  H  à  Gl).  On  effectue  de  semblables  substitutions  par  l'action 
de  l'acide  iodhydrique,  de  l'amalgame  de  sodium  en  présence  de  l'eau,  etc. 

Les  alcalis  agissent  sur  les  dérivés  chlorés,  etc.,  de  deux  manières  diffé- 
rentes, soit  en  enlevant  HGl  et  en  donnant  ainsi  naissance  à  un  composé  non 
saturé,  soit  en  donnant  un  oxydérivé  {voy.  ci-dessous). 

OxYDÉRivÉs.  Ges  dérivés,  qu'on  n'obtient  que  rarement  par  oxydation  directe, 
résultent  de  la  substitution  d'un  groupe  011  {hydroxyle)  à  un  atome  de  chlore,  etc. 
Une  telle  substitution  est  obtenue  par  l'action  de  l'oxyde  d'argent  humide  sur 
les  dérivés  halogènes,  par  l'action  de  la  potasse  en  solution  concentrée  ou  de  la 
potasse  en  fusion,  dans  un  creuset  d'argent. 

Les  oxydérivés  dans  la  série  grasse  offrent  un  caractère  alcoolique.  Les  alcools 
eux-mêmes  peuvent  être  obtenus  par  ces  réactions.  En  dehors  de  ceux-ci  nous 
citerons  comme  exemples  la  production  des  acides  lactique  [oxypropionique) 
et  tartrique  ou  dioxysiiccinique  à  l'aide  de  l'acide  bromopropionique  et  de 
l'acide  dibromosucciaique  : 

GIP.GHBr.GO^H  -f-  KHO  =.  GIP.GII(011).G0-'H  +  KBr 

Acide  bromopropionique.  Acide  lactique. 

G^'HBr^  )  G^OH  +  ^  ^^^^  =  C^H^(Oll)^  j  ^J^,||  +  2  KBr 

Acide  dibromosucciuique.  Acide  tartrique. 

Dans  la  série  aromatique,  les  oxydérivés  constituent  des  phénols,  du  moins 


6!2  DÉRIVÉS  CHIMIQUES. 

lorsque  l'introduclion  du  groupe  011  a  lieu  dans  le  noyau  aromatique.  Les 
phénols  proprement  dits  et  les  phénols  à  fonction  mixte,  tels  que  l'acide  salicy- 
lique,  l'acide  gallique,  peuvent  être  obtenus  ainsi  : 

CIP-Cl  +  KHO  =  cm'. Oïl  +  KCl 

Chlorobenzine,  Phénol. 

C^H'CLCO^II  -+-  KHO  =  CH^Cl.CO^H  +  KCl 

Acide  clilofobenzoïquc.  Acide  salicylique. 

CTPP(OH),CO^H  +  2  KHO  =  G«1P(0H)^C0^H  +  2KI 

Acide  diiodo-salirj'lique.  Acide  gallique. 

Ce  groupe  OH  est  caractérisé  notamment  par  la  possibilité  où  l'on  est  de 
substituer  à  son  hydrogène  soit  un  radical  d'alcool,  soit  un  radical  d'acide  tel 
que  l'acétyle  C^H^O,  pour  donner  des  dérivés  acétylés. 

Dérivés  cyanés  et  dérivés  acides.  En  traitant  les  dérivés  halogènes  par  un 
cyanure,  ou  y  remplace  l'élément  haloïde  par  le  cyanogène  CAz 

CWGP  +  2CAzK  =  2  KCl  -h  G-'lP(CAz)2 

Ce  qui  donne  de  l'intérêt  à  ces  dérivés,  c'est  la  facilité  avec  laquelle  on  peut 
les  convertir  en  dérivés  acides,  par  substitution  du  groupe  carhoxyle  COOH  au 
cyanogène,  par  l'action  des  alcalis  ou  de  l'acide  chlorhydrique  : 

C'-H*(CAz)2  _^  2  KHO  -f-  2  H^O  =  C-H*(CO^K)^  +  2  AzH^' 

Dicyanure  Succinale 

d'éthyle.  de  potassium. 

Ci«H°.CÂz  +  HCl  +  2  11-0  =  C'«IP.C02H  H-  AzH*Cl 

Cyauonaplualine.  Acide  naplitoique. 

Dérivés  sclfoconjcgués  ou  sulfo:siques.  En  agissant  sur  les  composés  orga- 
niques, surtout  de  la  série  aromatique,  l'acide  sulfurique  donne  naissance  à 
des  dérivés  dans  lesquels  1  atome  ou  plusieurs  atomes  d'hydrogène  sont  rem- 
placés par  un  ou  plusieurs  grouges  SO'H  : 

C6fP  +  SO*H^  =  H'O  4-  ClPSO^-Il 

Denzine.  Acide  pliénylsuifureux. 

ou 
phaiiysulfonique. 

Ces  dérivés  représentent  le  composé  primitif  plus  SO-,  d'où  le  nom  d'acide 
phénylsulfureux.  Et,  en  réalité,  ils  fonctionnent  comme  des  dérivés  sulfureux. 
Ainsi  on  les  obtient  par  l'action  du  bisulfite  de  potassium  ou  d'ammonium  sur 
les  dérivés  chlorés  : 

C'Wa  +  SO^KH  =  CH'SO^H  +  KCl 

Inversement,  lorsqu'on  les  fond  avec  la  potasse,  ils  se  dédoublent  en  produisant 
un  oxydérivé  et  du  sulfite  : 

C«H^SO"'H  +  2KH0  =  SO^K^  +  H^O  -+-  C'W{OYi) 

C'est  même  là  un  mode  de  production  des  phénols. 

Pour  obtenir  les  dérivés  sulfoniques,  on  emploie  l'acide  sulfurique  concentré 
ou  l'acide  fumant,  à  froid  ou  à  chaud. 


DÉRIVÉS  CHIMIQUES.  613 

Dérivés  nitrés.  Ces  déi-ivés  résultent  de  l'nction  de  l'acide  azotique,  une 
e'iimination  d'eau,  et  substitution  du  reste  AzO-  ù  II 

CfP  +  AzO^II  =  Cm'iAzO'-)  H-  H^O 

Benzine.  ^'itrobcnzille. 

C^H"  +  2  AzO'^H  =  C''H*(AzU^)^  +  2 IPO 

Dinitro-benzine. 

On  emploie  le  plus  souvent  l'acide  azotique  fumant;  dans  quelques  cas 
pourtant  on  peut  faire  usage  d'un  acide  plus  faible.  Dans  d'autres  cas  enfin, 
surtout  lorsqu'il  s'agit  d'obtenir  des  dérivés  polysubstilués,  il  faut  employer 
un  mélange  d'acides  azotique  et  sulfurique  fumants.  Ces  dérivés  s'obtiennent 
très-aisément  dans  la  série  aromatique  et  n'ont  que  peu  de  représentants  dans 
la  série  grasse.  Ils  constituent  dans  ce  cas  des  isomères  des  éthers  nitreux.  Tel 
est  le  nitréthane  C-H'(AzO^)  qui  s'obtient,  en  même  temps  que  son  isomère 
le  nitrite  d'éthyle  AzO.OC^tP,  lorsqu'on  décompose  l'iodure  d'étbyle  par  le  nitrite 
d'argent.  Les  dérivés  nHrés  de  la  cellulose  et  de  ses  congénères  (fulmicoton, 
xyloïdine)  se  comportent  comme  des  éthers,  en  ce  sens  que  les  agents  réduc- 
teurs régénèrent  la  cellulose,  etc.  Les  dérivés  nitrés  proprement  dits,  au  con- 
traire, fournissent  par  la  réduction  des  dérives  amidés,  c'est-à-dire  des  composés 
dans  lesquels  AzO-  est  remplacé  par  AzH^ 

Ainsi,  le  nitréthane  C-IP(ArO-)  fournit  l'élhylamine  C-lP(AzIP)  ;  la  nitroben- 
zine  C''IP(AzO-')  fournit  l'aniline  CH^AzIP;  l'acide  nitrobenzoïque  CH'lAzO^ICOMI 
fournit  l'acide  amidobenzoïque  ^/^(AzH-jCO-n. 

Dérivés  amidés.  Le  résidu  AzIP  peut,  indirectement,  remplacer  l'atome 
d'hydrogène.  La  réduction  des  dérivés  nitrés  est  le  mode  le  plus  fréquent  pour 
obtenir  ces  dérivés.  Mais  on  pi^ut  encore  les  préparer  par  d'autres  procédés, 
notamment  par  l'action  de  l'an)moniaque  sur  les  dérivés  halogènes 

C^H^CH^Cl  -I-  2AzH^  =  C«^lI.CIP(AzIP)  -4-  2AzIPCl 

Chlorure  llenzylamjne. 

(le  ben^yle. 

L'acide  chloracétique  fournit  de  même  l'acide  amido-acétique,  c'est-à-dire  le 
glycocolle 

CH-^Cl.GO^H  -f-  2AzH-'  =  CIP(AzIP)CO-^H  +  AzH*Cl 

Les  composés  amidés  de  cet  ordre  ont  à  la  fois  une  fonction  acide  par  le  groupe 
CO-II  qu'ils  contiennent  et  une  fonction  basique  résidant  dans  le  groupe  AzIP. 
Les  amidés  sont  des  dérivés  amidés  des  acides,  par  substitution  du  groupe 
AzfP  à  OU  dans  le  groupement  CO-II.  ils  se  forment  par  élimination  d'eau  des 
sels  ammoniacaux 

G^'0^(OAzH*)-'  =  2  H^'O  -+-  C^'0^(AzlP)2 

Osalate  ammon.  Oxamide. 

par  l'action  du  gaz  ammoniac  sec  sur  les  éthers  ou  sur  les  chlorures  d'acides 
CtP.GO.GG^H*  +  ÂzH'  =  CH^COAzH^  -h  C^H^OH 

Éther  acétique.  Acétamide.  Alco(^. 

COCP  +  4AzH-^  =  CO(AzH*)^  +  2ifeH'*Cl 

Chlorure  Carbamide 

Carbonique  OU  xtrée^ 

(phosgène). 


614  DERMALGIE. 

Wp.ivés  nitrosés.  Par  substitution  de  AzO  à  H.  S'obtiennent  en  ge'néral  par 
l'action  de  l'acide  nitreux  (ou  un  nilrite  et  un  acide).  On  obtient  ainsi  lenitroso- 
phénol  C''fP(AzO)Ori,  la  nitroso-éthylaniline,  CHl\iv.{kzO}Cni\  etc.  Ces  com- 
posés sont  très-instables,  explosifs.  Ils  donnent  lieu  à  des  réactions  variées 
parlaitement  définies. 

Dérivés  azoïques.  Ils  sont  de  divers  ordres,  mais  renferment  toujours  2  atomes 
d'azote.  Voici  les  deux  principaux  représentants  de  ces  dérivés,  choisis  dans  la 
série  de  la  benzine  : 

Azobenzol  CTF.Âz:Az.C*^IP.  S'obtient  par  réduction  de  la  nitrobenzine  par 
l'amalgame  de  sodium,  ou  par  oxydation  de  l'aniline  à  l'aide  du  permanganate 
de  potassium 

2C°FMzH^  4-02  =  c«lP.Az^G«ff  -h  2  IPO 

Diazobenzol  CH'^Az-.  Corps  très-instable  obtenu  sous  forme  de  nitrate  par 
l'action  de  l'acide  nitreux  sur  le  nitrate  d'aniline.  Il  se  combine  aussi  à  la 
potasse.  Ses  sels  font  explosion  par  la  chaleur  et  par  le  choc.  —  Chauffés  avec 
de  l'alcool,  ses  sels  fournissent  de  la  benzine,  du  gaz  azote  et  de  l'aldéhyde, 
produit  d'oxydation  de  l'alcool.  L'eau  bouillante  les  décompose  avec  production 
de  phénol  ;  les  hydracides  avec  production  de  benzine  chlorée,  bromée  ou  iodée. 
Ces  actions  sont  fréquemment  utilisées.  Ed.  Willm. 

BERMALCJaE  OU  I>ERMATALGQE.  Anglais  Dermcitalgy  ;  allemand /iai^^ 
nervenschmerz  ;  italien  Dermalalgia. 

Des  études  peu  nombreuses  qui  ont  été  publiées  sur  la  dermalgie  on  peut 
dégager  les  deux  faits  suivants  :  le  premier,  c'est  que  les  auteurs  désignent  sous 
ce  nom  les  douleurs  névralgiques  de  la  peau,  lorsqu'elles  ne  dépendent  d'aucune 
lésion  anatomique  ;  le  second,  c'est  qu'ils  confondent  volontiers  dans  leurs 
descriptions  la  dermalgie  et  l'hyperesthésie  cutanée,  c'est-à-dire  les  douleurs 
spontanées  avec  celles  que  réveille  une  excitation  légère  ou  insignifiante  du 
tégument. 

Peut-on  donner  aujourd'hui  de  la  dermalgie  une  définition  qui  consacre  ces 
opinions?  nous  ne  le  croyons  pas.  Persister  à  faire  de  l'absence  de  lésions  une 
condition  essentielle  de  la  dermalgie,  c'est  vouloir  rayer  de  la  pathologie  le 
nom  de  ce  symptôme.  L'étude  plus  précise  des  centres  nerveux  dans  les  névroses, 
les  notions  acquises  sur  la  névrite  des  gros  troncs  nerveux  ou  de  leurs  ramifi- 
cations sous-dermiques  et  même  dermiques  (Déjerine,  Leloir),  ont  montré 
l'existence  de  lésions  précises  dans  des  affections  où  l'on  n'aurait  pas  songé 
autrefois  à  les  soupçonner.  Le  cercle  des  symptômes  sine  materia  tend  à  se 
restreindre  chaque  jour.  Mais,  pour  être  autrement  interprétées,  les  douleurs 
cutanées  n'en  restent  pas  moins  des  symptômes  importants,  dont  l'étude  mérite 
autant  que  jamais  d'être  poiu-suivie;  et  dans  ces  conditions  le  meilleur  parti 
nous  paraît  être  de  modifier  la  définition  de  la  dermalgie,  d'accord  avec  les 
progrès  de  l'anatomie  pathologique,  et  d'en  retrancher  ce  caractère  presque 
irréalisable  de  l'absence  de  lésion  anatomique. 

Quant  à  l'hyperesthésie,  elle  nous  paraît  devoir  être  distinguée  au  moins 
théoriquement  de  la  dermalgie.  Ressentir  spontanément  de  la  douleur,  en 
éprouver  sous  l'influence  d'une  impression  légère  qui,  à  l'état  normal,  ne  saurait 
en  déterminer  aucune,  ce  sont  là  deux  actes  pathologiques  différents.  L'un  sera 
toujours  dénoncé  par  le  malade  lui-même,  l'autre  ne  sera  quelquefois  découvert 


DEIIMALGIE. 


615 


que  grâce  à  une  exploration  méthodique.  Souvent,  sans  doute,  ils  se  rencontre- 
ront sur  les  mêmes  points,  souvent  aussi  il  pourra  être  difficile  de  discerner  si 
une  douleur  est  vraiment  spontanée  ou  bien  n'est  pas  sous  la  dépendance  d  une 
excitation  très-faible  (contact  de  l'air,  température  extérieure,  etc.).  Mais  plus 
souvent  encore  la  distinction  pourra  être  faite.  La  nécessité  d'établir  dans  les 
descriptions  des  limites  tranchées  là  où  les  phénomènes  naturels  n'en  présentent 
que  de  douteuses  ne  s'impose-t-elle  pas  d'ailleurs  à  chaque  instant?  et  dans  le 
cas  actuel  n'est-il  pas  rationnel  de  séparer  les  douleurs  spontanées  des  douleurs 
provoquées?  Dans  le  premier  cas,  le  malade  porte  dans  ses  tissus  ou  ses  organes 
des  désordres  suffisants  pour  exciter  son  système  nerveux  au  point  d'en  ressentir 
de  la  douleur;  dans  le  second,  l'intervention  d'une  cause  extérieure  est  néces- 
saire. C'est  là  une  différence  pathogénique  importante,  qui  légitime  la  séparation 
de  la  dcrmalgie  et  de  l'hyperestliésie. 

En  conséquence  des  considérations  précédentes,  on  peut  donc  dire  :  Le  nom 
de  dermalcjie  s'applique  aux  doideurs  spontanément  ressenties  dans  la  peau. 

Ces  douleurs  peuvent  affecter  des  formes  très-variées,  qu'il  y  aurait  peut-être 
.intérêt  à  étudier  isolément.  Mais,  comme  le  dit  judicieusement  M.  Rendu  : 
<(  Picotements,  fourmillements,  élancements,  sensations  de  froid,  de  chaleur, 
de  cuisson,  de  brûlure,  sont  évidemment  des  manifestations  qui  ont  chacune 
leur  valeur,  mais  qui  échappent  complètement  à  l'analyse,  car  elles  reposent 
exclusivement  sur  le  dire  des  malades.  Or  la  plupart  de  ceux-ci  les  apprécient 
mai,  les  exagèrent  souvent  et  ne  savent  point  en  faire  la  différence.  »  La  der- 
malgie  comprendra  donc  pour  nous  ces  diverses  sensations.  On  remarquera  que 
-dans  cette  énumération  il  n'est  pas  question  du  prurit.  Le  prurit  en  effet  est 
une  sensation  tout  à  fait  spéciale,  qui  dans  aucun  cas  ne  saurait  être  assimilée 
aux  douleurs  véritables  auxquelles  s'applique  le  terme  de  dermalgie.  Par  ses 
caractères  spéciaux,  par  la  nature  des  réflexes  qu'il  détermine,  par  l'importance 
qu'il  a  dans  la  dermatologie,  le  prurit  mérite  donc  une  place  à  part  ;  il  ne  sau- 
rait en  être  question  dans  cet  article,  sinon  d'une  façon  tout  à  fait  passagère  et 
pour  l'opposer  à  la  dermalgie  proprement  dite. 

Nous  ne  ferons  pas  de  ce  dernier  symptôme  une  étude  générale.  Les  douleurs 
■cutanées  se  prêtent  à  trop  de  variétés  de  forme,  de  siège,  d'intensité,  de  durée  ; 
et  ces  variétés  sont  en  rapport  trop  intime  avec  les  affections  qui  amènent  la  der- 
malgie, pour  qu'il  y  ait  intérêt  à  les  rapprocher  dans  un  chapitre  d'ensemble  qui 
serait  forcément  artificiel.  C'est  à  propos  de  chacune  des  affections  dont  la  der- 
malgie est  un  symptôme  que  nous  étudierons  les  diverses  modifications  de  celle-ci. 

PHYSIOLOGIE  PATHOLOGIQUE.  La  douleur,  au  même  titre  que  toute  sensa- 
tion, est  un  acte  cérébral.  L'accomplissement  de  cet  acte  est  déterminé  par 
•des  excitations  diverses  qu'il  importe  de  rappeler  en  quelques  mots. 

La  douleur  peut  se  produire  dans  trois  conditions  différentes.  Dans  un 
premier  cas,  elle  apparaît  comme  conséquence  de  l'action  exagérée  du  monde 
extérieur  :  chocs  violents,  fortes  pressions,  plaies,  brûlures,  etc.  Elle  est  alors 
un  phénomène  normal.  C'est  la  sensation  régulière  que  doit  produire  à  l'état 
sain  une  impression  exagérée. 

Dans  un  second  cas,  les  simples  impressions  de  contact  sont  ressenties  comme 
des  douleurs.  Les  mouvements,  les  frottements  qu'exige  l'accomplissement 
régulier  des  fonctions,  provoquent  de  vives  souffrances,  et  les  douleurs  qu'une 
excitation  trop  forte  détermine  à  l'état  normal  sont  dans  ces  cas  intolérables 


OiO  DERMALGIE. 

C'est  l'hypereslhésie  vraie  et,  comme  le  remarque  très-justement  Cli.  Richet,  au 
moment  où  l'hypereslbésie  survient,  la  sensibilité  tactile  commence  à  s'émousser. 
La  vivacité  plus  grantle  de  la  sensation  porte  sur  la  douleur  et  non  sur  les 
impressions  du  toucher,  qui  au  contraire  sont  moins  bien  perçues.  De  même  la 
vision  est  moins  nette  quand  il  y  a  de  la  photophobie. 

Enfui,  dans  un  dernier  cas,  la  douleur  est  spontanée.  Le  monde  extérieur 
n'intervient  en  rien  pour  la  provoquer;  c'est  de  celle-là  seule  que  nous  avens  à 
nous  occuper.  Si  nous  avons  rappelé  les  deux  autres  modes  de  production,  c'est 
pour  démontrer  avec  Gh.  Richet  qu'il  y  a  des  rapports  intimes  entre  la  sensibilité 
normale  et  la  douleur,  et  que  si,  dans  des  circonstances  déterminées,  la  seconde 
se  substitue  à  la  première,  toutes  deux  n'en  suivent  pas  moins  probablement 
les  mêmes  lois  et  n'en  sont  pas  moins  à  des  degx-és  divers  les  fonctions  des 
mêmes  organes. 

Ces  organes  dont  il  s'agit  actuellement  d'apprécier  le  rôle  sont  les  terminaisons 
des  nerfs  dans  la  peau,  les  nerfs  sensibles  et  certaines  parties  des  centres 
nerveux. 

La  part  que  prennent  les  terminaisons  nerveuses  aux  fonctions  sensitives  est 
difficile  à  apprécier.  D'après  F.  Franck  {voy.  article  Nekveux  [Système]),  toutes 
les  impressions  tactiles  dépendraient  d'une  condition  commune,  la  pression 
subie  par  la  peau  ;  mais  des  appareils  nerveux  différents  recevraient  chaque 
variété  d'impression.  Les  corpuscules  de  Krausc  seraient  réservés  au  touclicr 
actif;  ceux  de  Pacini,  aux  sensations  de  pression  plus  énergique.  Ces  appareils 
de  perfectionnement  destinés  aux  plus  délicates  fonctions  interviennent-ils  dans 
la  douleur?  On  peut  en  douter,  si  l'on  se  rappelle  surtout  que  le  tact  perd  sa 
linessc  à  mesure  que  se  développent  les  sensations  pénibles.  Peut-être  jouent-ils 
vm  rôle  dans  le  prurit,  dans  les  sensations  de  chatouillement  ;  peut-être  aussi 
dans  les  cas  où  la  douleur  n'est  pas  absolument  pure,  mais  se  complique  de 
fourmillements,  de  picotements,  de  sentiments  de  brûlure  ou  de  froid,  toutes 
les  fois,  en  un  mot,  qu'une  impression  extérieure  semble  se  mélanger  à  elle. 
Quant  à  la  douleur  vraie,  isolée,  elle  paraît  beaucoup  plutôt  dépendre  d'une 
excitation  anormale  des  lilels  nerveux. 

Les  effets  de  cette  excitation  ont  pu  être  expérimentalement  étudiés  chez 
l'homme  par  la  compression  ou  par  la  réfrigération  du  nerf  cubital  dans  la 
gouttière  épitrochléenne  (Weir  Mitcliell,  Ch.  Richet).  Dans  les  deux  cas,  il  se 
produit  une  douleur  lancinante,  bientôt  suivie  d'engourdissement  dans  tout  le 
territoire  cutané  du  nerf.  Cette  douleur  est  plus  ou  moins  vive,  mais  ne  s'accom- 
pagne pas,  du  moins  au  début,  de  sensations  anormales  :  ainsi  la  congélation 
d'un  nerf  ne  provoque  pas  de  sentiment  de  froid  dans  les  parties  auxquelles  il  se 
distribue.  En  un  mot,  l'excitation  d'un  filet  nerveux  ne  détermine  que  de  la 
douleur.  C'est  pour  cette  raison  que  les  amputés  pourront  souffrir  du  membre 
qu'ils  n'ont  plus,  y  ressentir  de  la  dcrmalgie  aussi  bien  que  des  crampes 
musculaires.  .Mais  ils  ne  se  plaindront  ni  d'un  contact  pénible  ni  d'une  compres- 
sion fatigante  :  ces  douleurs  compliquées  de  sensations  tactiles  ne  sont  pas  le 
fait  du  l'excilaLion  du  nerf;  elles  appartiennent  plutôt,  comme  nous  le  disions 
plus  haut,  à  l'irritation  des  terminaisons  nerveuses  (Ch.  Richet).  Ces  faits 
permettent  de  soupçonner  quelle  importance  les  névralgies  et  les  névrites 
doivent  avoir  dans  certaines  dermalgies,  et  de  comprendre  comment  on  pourra 
rencontrer  sur  les  mêmes  points  la  dermalgie  unie  à  l'anesthésie.  Lorsqu'un 
nerf  est  enflammé,  irrité   ou  coupé,  l'excitation  qui  résulte  de  son  allération 


DERMALGIE.  617 

détermine  une  douleur  que  nous  localisons,  comme  toute  autre  sensation,  à 
l'extrémité  de  ses  filets  (dermalgie)  ;  mais  il  est  devenu  impropre  à  transmettre 
aux  centres  les  impressions  de  la  périphérie  (anesthésie).  Cette  explication 
très-simple  nous  paraît  préférable  à  l'opinion  récemment  exposée  par  Mox  Brucb, 
qui  reconnaît  des  conducteurs  différents  aux  impressions  tactiles  et  aux  impres- 
sions douloureuses,  sous  prétexte  que  la  même  excitation  augmente  celles-ci  et 
diminue  celles-là,  et  que  l'on  ne  saurait  admettre  qu'un  seul  agent  puisse  à  la 
fois  augmenter  et  diminuer  l'excitabilité  du  même  nerf. 

La  physiologie  nous  apprend  peu  de  chose  au  sujet  du  rôle  des  centres 
nerveux  dans  la  dermalgie.  L'expérimentation  fait  ici  complètement  défaut,  car 
elle  est  impossible  chez  l'homme,  et  stérile  chez  les  animaux,  où  l'on  ne  peut 
déterminer  en  quel  point  est  ressentie  une  douleur  provoquée  par  une  lésion 
(les  centres  nerveux.  Bornons-nous  donc  à  dire  que  la  transmission  des  impres- 
sions douloureuses  suit  dans  la  moelle  et  dans  l'isthme  de  l'encéphale  les  mêmes 
voies  que  les  impressions  tactiles  et  aboutit  à  l'écorce  cérébrale,  probablement 
dans  cette  vaste  région  que  M.  Ballet  a  récemment  limitée  sous  le  nom  de  zone 
sensitive,  et  qui  comprend  toutes  les  circonvolutions  situées  en  arrière  du  p:ed 
des  frontales.  Quels  éléments  nerveux  sont  spécialement  affectés  à  la  sensibilité 
cutanée?  Quel  ordre  de  lésions  peut  y  déterminer  la  dermalgie?  Ce  sont  là  tout 
autant  de  points  obscurs. 

Tant  que  la  lumière  n'aura  pas  été  faite  sur  ces  questions,  la  pathogénie  des 
dermalgies  dites  réflexes  restera  extrêmement  obscure.  Il  arrive  en  effet  (ju'un 
point  de  la  peau  peut  devenir  douloureux  à  l'occasion  d'une  lésion  siégeant 
dans  un  point  éloigné.  L'intervention  des  centres  nerveux  dans  ces  phénomènes 
n'est  pas  douteuse.  S'agit-il  d'une  sorte  d'erreur  de  localisation,  comme  dans 
les  cas  où  un  amputé  souffre  de  son  membre  absent?  S'agit-il  d'une  propagation 
de  l'excilalion  venue  de  l'organe  malade  aux  centres  sensilifs  en  rapport  avec 
les  points  douloureux  de  la  peau?  Ces  hypothèses  n'expliquent  rien,  et  il  est 
plus  sage  d'attendre  que  des  faits  nouveaux  viennent  nous  éclairer. 

En  appliquant  aux  faits  cliniques  ces  notions  de  physiologie  pathologique, 
nous  verrons  que  les  dermalgies  peuvent  reconnaître  des  causes  diverses.  Tantôt 
il  s'agira  de  douleurs  cutanées  en  rapport  avec  des  lésions  de  la  ])eau,  agissant 
soit  sur  les  terminaisons  nerveuses,  soit  sur  les  ramifications  dermiques  des 
nerfs.  Tantôt  il  s'agira  d'affections  des  cordons  nerveux  (névrite,  névralgie)  ou 
des  centres  nerveux  (myélites,  névroses).  Dans  d'autres  cas  la  dermalgie  survien- 
dra comme  conséquence  d'altérations  générales  de  l'organisme,  d'intoxications, 
d'anémies,  états  divers  dans  lesquels  le  système  nerveux  est  en  souffrance  et  le 
manifeste  soit  par  des  névroses,  soit  par  des  névralgies.  La  dermalgie  ainsi 
produite  rentre  dans  le  cadre  des  précédentes  et  ne  saurait  être  l'objet  d'une 
étude  isolée.  Enfin  elle  peut  apparaître  sous  l'influence  de  lésions  éloignées  ou 
profondes  (douleurs  réflexes).  Nous  aurons  donc  à  décrire  :  1"  les  dermalgies 
dans  les  diverses  lésions  de  la  peau  ;  2»  les  dermalgies  dans  les  lésions  des 
nerfs  ;  3°  les  dermalgies  dans  les  maladies  des  centres  nerveux;  4°  les  dermalgies 
réflexes. 

DERMALGIES  DANS  LES  LÉSIONS  CUTANÉES.  1«  Dermalgie  dans  les 
AFFECTIONS  GÉNÉRIQUES  DE  LA  PEAU.  La  doulcur  n'cst  pas  uu  Symptôme  fréquent 
dans  les  affections  cutanées.  Parmi  les  sensations  que  déterminent  les  lésions 
tégumentaires,  le  prurit  tient  sans  contredit  la  première  place  ;  et  nous  avons 


618  DERMALGIE. 

vu  plus  haut  que  ce  symptôme  était  tout  à  fait  étranger  à  la  dermalgie.  D'autres 
sensations  pénibles  peuvent  aussi  être  signalées  :  picotements,  fourmillements, 
cuissons.  Il  s'agit  là  de  phénomènes  particuliers,  spéciaux  au  sens  tactile,  à 
peu  près  comme  les  bourdonnements  appartiennent  au  sens  auditif.  L'usage 
n'attribue  pas  en  général  à  ces  sensations  le  nom  de  dermalgie.  Elles  ne  sont 
pourtant  pas  bien  loin  de  le  mériter,  car  elles  se  compliquent  toujours  d'un 
sentiment  douloureux,  qui  parfois  devient  prédominant  et  finit  par  effacer  la 
sensation  anormale  de  cuisson  ou  de  picotement,  pour  ne  laisser  au  malade  que 
le  sentiment  de  la  souffrance.  Enfin  dans  certains  cas  la  dermalgie  vraie  coexiste 
avec  des  lésions  cutanées.  Ces  réserves  ainsi  établies,  il  nous  a  paru  utile  de 
passer  rapidement  en  revue  les  principales  dei'matoses,  de  façon  à  mettre  celles 
où  la  dermalgie  intervient  en  opposition  avec  celles  où  la  douleur  vraie  ne  joue 
aucun  rôle. 

Parmi  les  affections  génériques  de  la  peau,  les  unes  sont  indolentes,  d'autres 
simplement  prurigineuses,  d'autres  enfin  douloureuses.  Il  est  difficile  d'établir 
à  ce  sujet  des  catégories  bien  tranchées.  Cependant  la  considération  du  siège 
anatomique  de  la  lésion  élémentaire  peut  servir  de  point  de  repère.  Quand  la 
lésion  est  très-superficielle  (épiderme,  corps  muqueux  de  Malpighi),  c'est  le 
prurit  qui  domine.  Quand  les  éléments  primitivement  affectés  sont  les  glandes 
cutanées,  sébacées  ou  sudoripares,  le  prurit  fait  déflmt  et  la  douleur  vraie  est 
souvent  absente.  Mais  quand  le  derme  même  est  intéi^essé,  quand  il  s'y  produit 
nés  exsudats  interstitiels,  surtout  quand  la  rétraction  des  faisceaux  conjonctifs 
ou  la  contraction  des  fibres  lisses  entrent  enjeu,  alors  la  dermalgie  peut  exister. 
Ces  assertions  doivent  être  prouvées  par  des  faits. 

L'affection  peut  être  la  plus  superficielle,  c'est  le  psoriasis.  (Nous  ne  parlerons 
pas  du  pityriasis,  que  tant  de  recherches  nouvelles  ont  démembré  et  qui  semble 
arriver  à  la  fin  de  son  histoire).  Dans  cette  affection,  pas  d'autre  sensation 
subjective  que  la  démangeaison;  et  lorsque  après  avoir  enlevé  les  squames  on 
arrive  jusqu'à  excorier  le  corps  papillaire,  on  fait  peu  souffrir  le  malade, 
preuve  évidente  que  le  terrain  n'est  pas  préparé  pour  la  douleur.  Car  la  peau, 
comme  tous  les  autres  organes,  supporte  beaucoup  plus  péniblement  une 
douleur  provoquée,  lorsqu'elle  est  déjà  antéi-ieurement  douloureuse. 

Après  le  psoriasis,  on  peut  citer  Veczéma.  Ici  la  lésion  est  déjà  un  peu  plus 
profonde.  Le  réseau  muqueux  est  plus  complètement  intéressé.  Aussi,  à  côté  du 
prurit,  qui  reste  encore  le  symptôme  subjectif  le  plus  important,  voyons-nous 
apparaître  de  la  cuisson,  des  picotements,  quelquefois  un  sentiment  exagéré  de 
chaleur  à  la  peau.  On  sait  que  M.  Rendu  a  excellemment  distingué,  au  point  de 
vue  des  modifications  de  la  sensibilité  tactile,  trois  catégories  d'eczéma  :  les 
artificiels,  les  pseudo-exanthématiques  et  les  diathésiques.  Dans  les  premiers,  le 
sens  du  toucher  est  peu  altéré;  il  l'est  notablement  dans  les  troisièmes,  d'une 
façon  irrégulière  dans  les  seconds.  Peut-être  pourrait-on,  au  point  de  vue  de  la 
dermalgie,  conserver  encore  ces  divisions.  La  deuxième  y  serait  toujours  celle 
des  phénomènes  inconstants  ;  la  troisième,  comprenant  les  eczémas  secs  des 
-scrofuleux,  posséderait  la  plupart  des  cas  indolores.  La  première  enfin,  relative 
aux  eczéma  de  cause  externe,  à  ceux  où  l'inflammation  épidermique  joue  un 
rôle  véritable,  verrait  se  ranger  avec  elle  bien  des  cas  où  il  existe  une  douleur 
■cuisante  et  lancinante  delà  peau.  Mais  cette  catégorisation,  que  nous  ne  saurions 
encore  appuyer  sur  des  faits  nombreux,  pourrait  paraître  un  peu  artificielle.  Il 
faut  seulement  remarquer  que  l'eczéma  devient  douloureux  lorsque,  sous  son 


DERMALGIE.  619 

influence  directe  ou  par  celle  du  grattage  qu'il  provoque,  il  se  produit  des 
excoriations  ou  des  fissures  de  la  couclie  papillaire.  De  là  les  douleurs  parfois  si 
vives  de  l'eczéma  des  plis  interdigitaux,  des  paupières,  des  lèvres,  du  mamelon, 
de  toutes  les  régions,  en  un  mot,  où  la  disposition  anatomique  favorise  la  produc- 
tion et  la  permanence  de  ces  fissures.  Mais,  si  la  douleur  survient  alors,  c'est 
que  de  nouvelles  lésions  se  sont  en  réalité  surajoutées  à  l'eczéma  primitif,  c'est 
qu'elles  ont  dépassé  le  réseau  muqueux  :  aussi  présente-t-elle  les  caractères  des 
dermalgies  dermiques,  si  l'on  peut  ainsi  parler,  que  nous  étudierons  tout  à 
l'heure. 

Les  affections  protopathiques  des  glandes  sudoripares  sont  encore  peu  connues. 
Il  est  inutile  d'y  insister.  Quant  aux  glandes  sébacées,  leur  étude  plus  approfon- 
die, la  multiplicité  et  la  fréquence  de  leurs  altérations,  permettent  de  s'y  arrêter. 
Le  prurit  fait  défaut,  absence  naturelle,  puisque  la  lésion  anatomique  évolue 
loin  des  corpuscules  sensilifs  et  ne  peut  les  exciter.  Cette  absence  de  déman- 
geaison dans  une  affection  cutanée  a  même  impressionné  les  Anciens  au  point 
qu'ils  ont,  paraît-il,  tiré  de  ce  caractère  le  nom  d'Acné  (a  privatif;  «:<»,  je 
démange).  Mais,  en  outre,  le  plus  souvent  la  douleur  fait  aussi  défaut.  L'acné 
comédon,  l'acné  sébacée  flucnte,  l'acné  sébacée  concrète,  sont  toujours  indolentes  ; 
les  bouffées  de  chaleur  dont  se  plaignent  parfois  les  malades  atteints  d'acné 
rosacée  ne  méritent  pas  le  nom  de  douleur.  L'acné  éléphantiasique,  l'acné 
lupeuse  (herpès  crétacé,  lupus  acnéique),  arrivent  à  bouleverser  le  sol  cutané 
sans  déterminer  de  souffrances  aiguës.  C'est  seulement  dans  les  cas  de  suppura- 
lion  et  de  gangrène,  dans  les  furoncles,  dans  les  anthrax,  que  l'on  voit  éclater 
de  vraies  douleurs  :  sentiment  de  tension  et  d'étranglement,  douleur  lancinante, 
pulsative,  rayonnant  autour  du  point  enflammé.  Mais  alors  que  d'éléments 
compromis  autres  que  les  glandes  !  Le  derme  est  enflammé  dans  toute  son 
épaisseur,  l'hypoderme  même  est  souvent  atteint;  et  certainement  les  douleurs 
du  malade  traduisent  plutôt  les  lésions  dermiques  que  les  lésions  glandulaires. 

Dans  les  affections  où  le  dei'me  même  est  intéressé,  la  multiplicité  des 
lésions,  leur  évolution  plus  ou  moins  rapide,  entraînent  des  différences  notables 
dans  les  phénomènes  douloureux.  Ces  lésions  peuvent  se  ramener  d'une  façon 
élémentaire  au  nombre  de  trois  :  l'hyperémie,  l'exsudation,  la  prolifération.  11 
est  bien  évident  que  jamais  aucune  d'entre  elles  ne  se  présente  à  l'état  absolu- 
ment isolé;  mais  une  des  trois  peut  prédominer  sur  les  deux  autres  et  imprimer 
à  la  marche  générale  de  l'affection  des  caractères  spéciaux.  Dans  les  cas  où 
l'hyperémie  est  le  fait  capital,  la  douleur  vraie  fait  presque  défaut.  On  la  cher- 
cherait en  vain  dans  les  exanthèmes  comme  la  rougeole,  la  scarlatine,  la  variole 
au  début  de  son  éruption,  dans  les  roséoles  de  quelque  nature  qu'elles  soient. 
Tout  se  borne  à  quelques  cuissons  ou  à  du  prurit. 

Si  à  la  congestion  s'ajoute  un  certain  degré  d'exsudation,  alors  la  douleur 
survient,  peut-être  sous  l'influence  de  la  compression  des  filets  nerveux  intra- 
cutanés.  Dans  la  peau,  comme  dans  tout  autre  organe,  l'inflammation  se  traduit 
par  delà  douleur  :  aussi  les  dermites,  quelles  qu'elles  soient,  de  cause  externe 
(brûlures),  de  cause  interne  (érysipèles),  s'accompagnent-elles  de  souffrances 
plus  ou  moins  vives,  et  en  particulier  de  cette  sensation  de  chaleur  mordicante 
presque  spéciale  aux  phlegmasies  cutanées. 

Entre  les  dermatoses  congestives  et  les  dermatoses  exsudatives  prennent  place 
plusieurs  affections  intermédiaires  :  d'abord  les  érythèmes,  puis  les  affections 
vésiculeuses  ou  huileuses,  dans  lesquelles  l'apparition  des  phlyctènes,  quelles 


620  DERMALGIE. 

que  soient  leurs  dimensions,  traduit  toujours  l'exhalation  de  sérosité  et  la  diapé- 
dèse  de  leucocytes  dans  des  proportions  variables.  En  général  l'intensité  de  la 
douleur  correspond  ici  à  l'abondance  et  à  la  rapidité  de  l'exsudat.  Les  nodosités 
de  Vérythème  noueux  seront  très-douloureuses;  il  en  sera  de  même  de  la 
formation  d'une  bulle  après  une  briilure  ou  l'application  d'un  vésicaloire.  Au 
contraire,  Vérythème  solaire  sera  simplement  accompagné  de  cuisson;  il  en  est 
df  même  des  vésicules  de  l'herpès  lahialis. 

Comme  pour  l'eczéma,  il  importe,  au  point  de  vue  de  la  douleur,  de  faire  la 
part  de  la  lésion  primitive  de  la  peau  et  des  complications  qui  peuvent  succéder. 
Si,  par  suite  de  l'évolution  d'un  érythème,  il  se  forme  des  crevasses,  des  fissures 
du  derme,  il  surviendra  de  la  douleur,  quelle  qu'ail  été  l'intensité  de  l'affection 
première.  De  même,  si  l'on  enlève  la  calotte  épidermique  d'une  vésicule  d'herpès 
ou  d'une  bulle  de  pemphigus,  la  mise  à  nu  du  réseau  muqueux  éveillera  de 
vives  souffrances.  Mais  ces  douleurs  secondaires  ont  une  pathogénie  spéciale,  et 
leur  apparition  dans  les  cas  les  plus  simples  d'érythèmes  ou  d'herpès  ne  nous 
paraît  pas  devoir  infirmer  ce  qui  a  été  dit  plus  haut  sur  les  rapports  de  la 
dermalgie  symptomatique  avec  l'abondance  et  la  rapidité  de  l'exsudation. 

Si  Tune  de  ces  conditions  vient  à  faire  défaut,  la  douleur  manque  à  son  tour  : 
c'est  ainsi  que  dans  ïéléphantiasis  on  voit  des  infiltrations  énormes  de  la  peau 
et  de  rhypoderine  demeurer  indolentes,  grâce  sans  doute  à  la  lenteur  de  leur 
formatiou,  qui  demande  souvent  des  années,  et  qui  ne  sont  jamais  assez  abon- 
dantes sur  un  point  donné  pour  déterminer  le  décollement  de  l'épiderme  et  la 
formation  d'une  phlyctène. 

Lorsqu'il  s'agit  de  ces  affections  cutanées  où  la  prolifération  d'éléments 
analomiques  joue  le  rôle  le  plus  important,  l'étude  des  dermalgies  symptoma- 
tiques  devient  plus  compliquée.  Le  plus  souvent  ces  productions  néoplasiques, 
qu'on  erit  appelées  autrefois  dégénératives  ou  régressives,  sont  peu  douloureuses. 
C'est  ainsi  que  le  lupus  dans  ses  diverses  formes,  les  syphilides  tuberculeuses 
et  même  plusieurs  formes  de  cancer  cutané,  sont  indolentes  ou  à  peu  près  indo- 
lentes. Si  la  prolifération  porte  sur  des  éléments  pour  ainsi  dire  mieux  organisés, 
sur  le  tissu  fibreux  du  derme,  par  exemple,  on  observe  que  la  sensibilité  à  la 
douleur  est  plus  vive,  qu'il  y  a  un  degré  plus  ou  moins  élevé  d'hyperesthésie, 
mais  il  n'y  aura  pas  encore  de  douleurs  spontanées:  exemples,  le  cas  de  dermato- 
fibrome,  récemment  publié  par  M.  Ernest  Besnier  [Annales  de  dermatologie, 
1881),  et  la  plupart  des  cas  de  sclérodermie  en  plaques.  Enfin,  quand  l'hyper- 
plasie  atteint  les  fibres  lisses  du  derme,  on  observe,  après  une  assez  longue 
période  d'indolence  ou  de  simple  hyperesthésie,  de  véritables  crises  névralgiques, 
longues,  atroces,  à  répétitions  fréquentes,  survenant  spontanément  ou  comme 
conséquences  d'une  impression  très-légère,  et  qui  finissent  par  rendre  la  vie 
insupportable  [Dermatomyomes^  obs.  de  M.  Ernest  Besnier,  obs.  de  MM.  Solles, 
Arnozan,  Vaillard,  Annales  de  dermatologie,  1880-1881).  La  compression  des 
filets  nerveux  serait  dans  ces  cas  la  cause  des  douleurs;  c'est  du  moins  ime 
supposition  fort  raisonnable,  mais  non  démontrée. 

Hàlons-nous  d'ajouter  qu'il  serait  dangereux  de  prendre  à  la  lettre  la  catégo- 
risation que  nous  venons  d'établir  dans  les  lignes  qui  précèdent.  Trop  d'éléments 
nous  échappent  encore  pour  qu'il  soit  possible  d'établir  des  distinctions  absolues. 
Pourquoi,  par  exemple,  la  sclérose  de  la  peau,  si  peu  douloureuse  quand  elle  se 
montre  par  plaques  isolées,  s'accompagne-t-elle  fréquemment,  quand  elle  revêt 
l'aspect  de  la  sclérodactylie,  des  phénomènes  si  pénibles  de  l'asphyxie  des 


DERMALGIE.  t)21 

extrémités?  Est-ce  à  des  lésions  vasculaires,  est-ce  à  une  prolifération  des  fibres 
lisses,  comme  Neumann  et  Rossbach  en  ont  quelquefois  signalé  la  présence, 
qu'il  faut  attribuer  ces  dermalgies?  On  ne  peut  que  rester  sur  la  réserve.  Quand 
l'anatomie  pathologique  fait  défaut,  la  pathogénie  ne  peut  être  interprétée.  Or, 
en  matière  de  sclérodermie  et  de  tumeurs  de  la  peau,  nous  sommes  au  début 
de  nos  connaissances.  En  attendant  que  les  études  dont  mon  savant  maîtie 
M.  E.  Besnier  a  si  heureusement  pris  l'initiative,  aient  pu  être  terminées,  on 
ne  saurait  se  prononcer. 

En  énuroérant,  comme  on  vient  de  le  voir,  la  plupart  des  dermatoses,  nous 
n'avons  pas  eu  la  prétention  de  les  classer.  En  cherchant  à  les  grouper  au  point 
de  vue  d'un  symptôme  unique,  la  douleur  spontanée,  nous  avons  montré  quels 
rapports  semblent  exister  habituellement  entie  ce  symptôme  d'une  part,  le 
siège  et  la  forme  générale  des  lésions  cutanées  de  l'autre.  Peut-être  trouvera-t-on 
dans  celte  méthode  quelque  chose  de  trop  artificiel;  à  coup  siir,  elle  n'a  pu 
embrasser  tous  les  cas,  et  nous  a  forcé  à  laisser  de  côté,  entre  autres  affections, 
toute  une  série  de  cas  sur  lesquels  il  faut  maintenant  appeler  l'attention  :  nous 
voulons  parler  des  dermatoses  que  l'on  peut  considérer  comme  des  lésions 
tropliiques  consécutives  aux  maladies  du  système  nerveux.  Ici  le  problème 
devient  singulièrement  complexe,  et  l'on  conçoit  très-bien  que  la  dermalgie,  si 
elle  se  rencontre  dans  ces  cas,  puisse  dépendre  tout  à  la  fois  et  de  la  lésion 
nerveuse  primitive  et  de  la  lésion  cutanée  secondaire,  devienne  très-difficile  à 
interpi'éter  au  point  de  vue  pathogénique  et  présente  par  suite  une  valeur  séméio- 
logique  d'une  évaluation  des  plus  délicates.  Ces  remarques  peuvent  s'appliquer 
à  un  nombre  considérable  d'atfections  :  le  zona,  certaines  éruptions  pemphi- 
goïdes,  quelquefois  même  des  ichthyoses  partielles,  des  vitiligo.  L'étude  de  ces 
laits  exige  quelques  détails,  mais  nous  pensons  qu'elle  ne  peut  être  faite  avec 
fruit  que  lorsque  la  connaissance  des  dermalgies  dans  les  cas  de  maladies  du 
système  nerveux,  et  en  particulier  de  névralgies  et  de  névrites,  nous  aura  mis 
en  main  tous  les  éléments  de  la  question. 

2°  De  la  dermalgie  dans  ses  rapports  avec  le  rhumatisme.  En  dehors  des 
dermatoses  proprement  dites,  la  peau  peut  être  affectée  à  titre  secondaire  dans 
les  affections  des  organes  qu'elle  recouvre  (arthrites,  phlegmons,  etc.),  et  devenir 
ainsi  le  siège  de  douleurs  parfois  très-pénibles.  Ces  dermalgies,  accessoires  en 
quelque  sorte  dans  le  tableau  clinique,  ne  nous  arrêteront  pas.  Mous  nous  occu- 
perons seulement  d'un  point  :  les  douleurs  cutanées  dans  leurs  rapports  avec  le 
rhumatisme.  La  plupart  des  détails  qui  suivent  sont  empruntés  à  l'article  de 
M.  E.  Besnier. 

Le  rhumatisme  peut  intéresser  la  peau  dans  différentes  conditions.  Dans  son 
mode  aigu,  les  lésions  articulaires  peuvent  compromettre  la  peau  circonvoisine, 
et  il  est  fréquent  de  constater,  «  outre  les  douleurs  articulaires,  des  douleurs  le 
long  des  gaines  tendineuses,  des  névralgies,  des  points  dermalgiques  plus  ou 
moins  étendus  »  (E.  Besnier,  loc.  cit.).  Dans  le  même  mode,  les  déterminations 
tégumentaires  peuvent  encore  provoquer  de  la  douleur.  «  Souvent  indolentes 
en  elles-mêmes,  les  éruptions  du  rhumatisme  articulaire  aigu  sont  parfois 
douloureuses  spontanément  (élancements),  fréquemment  douloureuses  à  la 
pression,  dans  les  cas  surtout  où  l'érythème  forme  des  nodosités  ou  des  plaques  » 
(E.  Besnier, /oc.  ciï,).Ces  dermalgies,  liées  aux  éruptions  avec  exsudations  et  op- 
posées à  l'indolence  des  simples  érythèmes  marginésdnntla  congestion  fait  presque 
tous  les  frais,  montrent  que  les  manifestations  cutanées  du  rhumatisme  n'échappent 


622  DEUMALGIE. 

pas  à  la  loi  que  nous  avons  cherché  à  établir  à  propos  des  dermatoses.  De  même, 
dans  sa  thèse  inaugurale,  Davaine  nous  montre  que  l'œdème  rhumatismal  peut 
être  indolore,  douloureux  à  la  pression  ou  spontanément  douloureux,  suivant  le 
degré  de  dureté  des  parties  tuméfiées,  c'est-à-dire  en  réalité  suivant  l'abondance 
de  l'exsudat  qui  infiltre  les  mailles  du  tissu  conjonctif  sous-cutané  et  le  derme 
lui-même. 

A  côté  de  ces  douleurs  manifestement  dépendantes  de  lésions  cutanées,  le 
rhumatisme  peut  provoquer  de  la  dermalgie  sans  qu'aucun  autre  symptôme  que 
la  douleur  vienne  révéler  sa  localisation  dans  la  peau.  C'est  surtout  dans  les  cas 
de  rhumatisme  vague  qu'on  observe  ces  faits.  «  Chez  ces  malades,  dit  M.  £.  Besnier, 
il  y  a  très-fréquemment  des  perversions  de  la  sensibilité  cutanée;  au  premier 
rang,  l'impressionnabilité  au  froid,  aux  courants  d'air...  Puis  sous  des  influences 
diverses,  émotion,  fatigue,  course  rapide,  quelques  sujets  éprouvent  des  sensa- 
tions douloureuses  ou  plutôt  pénibles  d'élancements  et  surtout  de  picotements 
multipliés,  qui  envahissent  tout  ou  partie  du  tégument  à  la  manière  d'étincelles 
traversant  la  peau.  Chez  d'autres,  c'est  une  véritable  dermalgie,  transitoire  ou 
permanente,  localisée  le  plus  ordinairement  au  crâne,  sur  le  tronc,  sur  les 
membres  inférieurs  *  [loc.  cit.,  p.  772).  Ces  douleurs  rhumatismales  de  la 
peau  ont  été  pendant  longtemps  presque  seules,  étudiées  sous  le  nom  de  dermalgie. 
Beau,  le  premier,  en  a  donné  une  description  détaillée,  et  jusqu'à  la  publica- 
tion de  l'article  de  M.  Martineau  dans  le  Dictionnaire  de  médecine  et  de  chirurgie 
■pratiques,  son  mémoire  a  constitué  à  lui  seul  toute  la  bibliographie  du  sujet, 
car  les  auteurs  du  Co»*;;enr//«m,  Grisolle,  Axenfeld,  etc.,  se  sont  bornés  à  le 
reproduire  ou  à  le  résumer. 

Les  caractères  de  la  dermalgie   rhumatismale  seraient,    d'après  Beau,  les 
suivants  :  à  la  suite  d'un  refroidissement,  surtout  à  la  suite  de  l'action  du  froid 
humide,  le  malade,  qui  le  plus  souvent  est  un  homme  adulte,  sent  se  développer 
une  douleur,  dans  une  région  limitée   du  tégument,    située  quelquefois  aux 
membres  inférieurs  et  plus  fréquemment  à  la  tête.  La  région  malade  peut  être 
très-étendue,  quelquefois  elle  n'occupe  que  1  à  2  décimètres  carrés.  La  douleur 
est  d'intensité  et  de  nature  très-variables;  chez  l'un,  ce  sont  de  simples  pico- 
tements ;  chez  l'autre,  des  souffrances  aiguës  intolérables.  Presque  toujours  elle 
est  continue  à  redoublements  intermittents,  plus  insupportable  encore  la  nuit 
que  le  jour.  Le  moindre  frottement  réveille  la  douleur,  et  l'hyperesthésie  s'ajoute 
à  un  tel  point  à  la  dermalgie  que  le  simple  frôlement  des  cheveux  peut  provoquer 
un  accès.  La  durée  de  cette  affection  ne  dépasse  guère  deux  septénaires;  elle 
peut  être  beaucoup  plus  courte  et  la  douleur  s'éteint  quelquefois  le  jour  même 
qui  l'a  vue  naître.  Dans  quelques  cas  assez  rares,  la  dermalgie  rhumatismale  a 
pris  les  allui'es  d'une  maladie  aiguë  féluilc.  Une  grande  étendue  de  la  peau  est 
alors  rapidement  envahie  par  la  douleur;  toute  la  surface  du  corps  peut  être 
même  atteinte.   La  fièvre  s'allume,  grandit   avec   la  douleur,    puis   les   deux 
phénomènes  décroissent  et  disparaissent  simultanément  après  une  courte  durée. 
11  était  nécessaire  de  reproduire  les  traits  principaux  du  mémoire  de  Beau, 
mais  il  ne  l'est  pas  moins  d'y  ajouter  certaines  réserves.  S'il  est  incontestable, 
en  effet,  que  cette  description  s'applique  à  une  forme  particulière  de  dermalgie, 
il  n'est  pas  démontré  qu'il  s'agisse  d'une  dermalgie  rhumatismale.    Beau  se 
préoccupe  avant  tout  de  l'action  étiologique  du  froid,  mais  on  ne  saurait  accepter 
comme  rhumatismales  toutes  les  affections  à  frigore.  C'est  par  la  coïncidence 
d'affections  articulaires,  par  la  constatation,  chez  le  sujet  observé,  d'atteintes 


DERMALGIE.  025 

antérieures  ou  actuelles  du  rhumatisme,  que  l'on  pourrait  démontrer  l'identité 
de  nature  de  cette  dermalgie.  Pareille  étude  ne  paraît  pas  avoir  été  faite  par  Beau. 
Ses  observations  indiquent  à  peine  les  antécédents  des  sujets,  elles  ne  contien- 
nent aucun  renseignement  sur  les  phénomènes  nerveux  qu'ils  pouvaient  présenter 
par  ailleurs.  Cette  omission,  légitime  à  une  époque  où  l'on  n'avait  que  de  vagues 
notions  sur  les  maladies  spinales,  doit  inspirer  une  sage  défiance  aujourd'hui 
que  l'on  sait  rapporter  à  des  lésions  centrales  du  système  nerveux  un  grand 
nombre  de  douleurs  ressenties  à  la  périphérie.  Pour  toutes  ces  raisons  on  doit, 
en  acceptant  la  description  clinique  de  Beau,  rester  dans  l'indécision  au  sujet 
de  la  pathogénie  qu'il  affirme,  en  attendant  que  des  faits  du  même  genre,  plus 
complètement  observés,  puissent  nous  éclairer  sur  le  bien-fondé  ou  le  mal-fondé 
.de  ses  assertions. 

3*  De  la  douleur  traumatique.  Avant  d'arriver  à  l'étude  des  névralgies,  il 
est  un  dernier  mode  de  douleurs  cutanées  dont  nous  voulons  dire  un  mot  :  c'est 
celle  qui  succède  aux  traumatismes  de  la  peau.  Lorsque  le  tégument  subit  une 
violence  extérieure,  celte  action  détermine  une  douleur  immédiate,  dont  les 
caractères  peuvent  varier  suivant  la  nature  et  la  force  de  l'agent  vulnérant. 
Cette  douleur  s'épuise  peu  à  peu,  de  même  que  l'écoulement  de  sang  finit  par 
s'arrêter.  C'est  ce  que  M.  Yerneuil  appelle  Valyostase,  phénomène  qu'il  oppose 
et  compare  à  Vhémostase.  Mais  en  même  temps  se  développe  une  hyperesthésie 
qui  survit  à  cette  douleur,  et  dont  nous  rappellerons  ici  les  caractères,  non  parce 
qu'ils  se  rattachent  directement  à  la  dermalgie,  mais  au  contraire  pour  montrer 
combien  il  est  important  de  distinguer  l'hyperesthésie  des  douleurs  spontanées. 
«  Elle  (l'hyperesthésie)  n'en  constitue  pas  moins  un  phénomène  à  part  d'une 
indépendance  manifeste.  En  effet,  on  la  voit  souvent  manquer  dans  les  premiers 
moments  qui  suivent  la  blessure,  se  développer,  en  revanche,  après  douze,  vingt- 
quatre  heures  ou  plus  tardivement  encore,  alors  que  la  douleur  primitive  a  déjà 
complètement  disparu,  s'accroître  encore  les  jours  suivants,  sans  que  les  souf- 
frances proprement  dites  se  réveillent,  manquer  enfin  quand  le  sensorium  rap- 
porte encore  au  point  blessé  ou  à  ses  environs  des  sensations  plus  ou  moins 
pénibles  »  {loc.  cit.,  p.  536).  Ces  réflexions  peuvent  s'appliquer  aux  simples 
contusions. 

Plus  tard,  des  douleurs  spontanées  peuvent  apparaître  autour  du  point  blessé. 
Elles  dépendent  alors  de  névralgies  ou  de  névrites,  soit  précoces,  soit  tardives  ; 
malgré  l'intérêt  clinique  qu'elles  présentent,  elles  ne  doivent  pas  actuellement 
nous  arrêter,  car  elles  n'ont  pas  d'autres  caractères  que  les  dermalgies  qui  vont 
faire  le  sujet  du  chapitre  suivant. 

DERMALGIES  DANS  LES  AFFECTIONS  DES  NERFS.  La  question  des  lésions 
propres  aux  névralgies,  de  leui's  rapports  avec  la  névrite,  est  loin  d'être  résolue; 
on  se  convaincra  de  l'incertitude  qui  règne  encore  sur  elle  en  lisant  les  publica- 
tions récentes  oii  elle  est  traitée,  entre  autres  les  articles  de  M.  Haliopeau  dans 
le  Dictionnaire  de  médecine  et  de  chirurgie  pratiques,  et  de  M.  Lereboullet  dans 
ce. Dictionnaire.  Bien  que,  pour  la  parfaite  clarté  du  sujet  actuel,  il  soit  de  la  plus 
haute  importance  qu'elle  soit  tranchée,  ce  n'est  point  ici  le  lieu  delà  reprendre. 
Il  vaut  mieux  se  contenter  actuellement  d'une  solution  provisoire,  qui  ne 
préjuge  rien  ;  comme  névralgies  proprement  dites,  nous  ne  considérerons  que 
les  cas  où  la  douleur  est  le  symptôme  prédominant,  et  où  l'on  ne  constate  en 
outre  que  de  simples  troubles  fonctionnels  sensitifs  ou  moteurs;  si  à  ces  signes 


624  DERMâLGIE. 

s'ajoutent  des  lésions  tropliiques  (amyotrophies,  éruptions,  etc.),  ce  n'est  plus  seu- 
lement de  la  névralgie,  c'est  de  la  névrite.  Réduite  à  ces  termes,  la  question  n  en 
reste  pas  moins  fort  délicate,  et  en  clinique  l'interprétation  des  faits  observés 
set  parfois  si  difficile  que  ^Yeir  Mitchell,  laissant  de  côté  les  noms  trop  compro- 
mettants de  névralgie  et  de  névrite,  parle  souvent  de  l'irritation  des  nerfs  en 
ayant  bien  soin  de  dire  que  cette  irritation  ne  répond  à  rien  de  précis  dans  sa 
pensée. 

1°  Névralgie.  Lorsque  la  névralgie  est  pure,  si  l'on  peut  ainsi  dire,  lorsque 
la  douleur  en  est  l'unique  ou,  du  moins,  le  principal  signe,  il  est  difficile  de 
savoir  quel  rôle  y  joue  la  dermalgie,  car  cette  question  semble  avoir  laissé 
indifférents  malades  et  médecins.  Le  malade,  en  effet,  s'inquiète  peu  de  savoir 
quel  tissu,  quelle  membrane,  quel  organe,  souffrent;  il  souffre  en  un  point  . 
déterminé  qu'il  désigne,  en  un  point  où  la  pression  augmente  la  douleur,  où  le 
mouvement  l'augmente  aussi  quelquefois,  et  peu  lui  importe  qu'elle  soit  cutanée 
ou  musculaire,  pourvu  qu'il  sacbe  qu'elle  est  nerveuse.  Pour  faire  cette  locali- 
sation, il  faut  détacber  la  peau  des  parties  sous-jacentes  et  en  faire  un  pli  dont 
on  explore  la  sensibilité,  ou  bien  faire  glisser  les  téguments  et  comprimer  à 
travers  la  peau  saine  les  parties  sous-jacentes  au  niveau  du  point  douloureux. 
Si  la  douleur  se  reproduit  encore  dans  ce  cas,  c'est  qu'elle  est  profonde.  Mais 
cette  exploration,  pourtant  bien  simple,  est  rarement  faite  ou  du  moins  men- 
tionnée par  les  auteurs.  Valleix,  uniquement  préoccupé  de  la  détermination 
géograpbique  de  ses  points  névralgiques,  ne  rechercbe  pas  si  la  douleur  est 
superficielle  ou  profonde.  Les  auteurs  qui,  après  lui,  ont  étudié  les  névralgies, 
ont  discuté  l'existence,  la  fréquence,  la  situation  de  ces  points  douloureux,  ils 
ont  fait  connaître  la  coexistence  de  troubles  de  la  sensibilité  tactile,  anesthésie 
ou  hyperesthésie  avec  les  douleurs.  Mais  la  recherche  même  de  la  dermalgie  a 
encore  été  négligée.  Elle  exige  donc  de  nouveaux  faits  cliniques;  en  les  atten- 
dant, voici  ce  qui  résulte  des  observations  antérieures.  La  douleur  essentielle  de 
la  névralgie  a  pour  siège  le  tronc  nerveux  lui-même;  mais  les  picotements,  les 
fourmillements,  les  engourdissements  si  fréquents  dans  cette  affection,  dénotent 
que  la  peau  souffre  aussi.  Les  points  névralgiques,  oià  la  douleur  est  permanente 
et  d'où  partent  les  élancements  douloureux  intermittents,  paraissent  aussi  être 
lies  points  dermalgiques,  car  souvent  une  légère  excitation  de  la  peau  à  leur 
niveau,  incapable  d'agir  directement  sur  le  nerf,  suffit  à  provoquer  les  paroxysmes. 
Enfin,  quelques  observations,  mais  elles  sont  rares,  mentionnent  que  les  élan- 
cements douloureux  sont  très-supertîciels  et  ne  suivent  le  trajet  anatomique 
d'aucun  filet  nerveux,  ce  qui  ne  peut  s'expliquer  que  par  la  localisation  de  la 
douleur  dans  les  ramuscules  intra-ciitanés.  Sans  préjudice  des  douleurs  plus 
profondes,  la  dermalgie  est  donc  un  élément  de  toute  névralgie  bien  caractérisée, 
mais  un  élément  d'une  valeur  beaucoup  moindre  que  Ihyperesthésie. 

2°  Névhite.  Cacsalgie.  Les  douleurs  de  la  névrite  ont  été  remarquablement 
étudiées  par  Weir  Mitchell.  On  ne  saurait  mieux  faire  que  de  reproduire  sa 
description  :  «  Les  désordres  consécutifs  à  l'irritation  des  nerfs  blessés,  lorsqu'ils 
commencent  à  se  produire,  constituent  une  nouvelle  source  de  douleurs;  les 
actions  réflexes  prennent  un  développement  nouveau;  la  peau  elle-même,  parti- 
cipant à  ces  déviations  Irophiques,  ne  protège  plus  les  extrémités  nerveuses  que 
d'une  façon  insuffisante,  et  on  voit  alors  surgir  des  douleurs  d'une  nature  par- 
ticulière. Nous  avons  rencontré  fréquemment  dans  notre  pratique  médicale  des 
hommes  qui  se  plaignaient  de  douleurs  très-vives,  qu'ils  comparaient  eux-mêmes 


DERMALGIE.  025 

à  une  brûlure,  à  l'action  d'un  sinapisme  très-chaud,  ou  à  l'effet  d'une  lime 
rougie  au  feu  qui  éroderait  la  peau.  Chez  ces  malades  et  chez  beaucoup  d'autres 
que  j'ai  vus  plus  récemment,  la  douleur  dont  nous  parlons  s'accorapagaait  de 
cette  disposition  particulière  que  nous  avons  appele'e  aspect  luisant  de  la  peau. 
Jamais  nous  n'avons  rencontré  cette  affection  des  téguments  sans  la  sensation  de 
cuisson;  celle-ci,  d'ailleurs,  peut  se  montrer  sans  altération  de  la  peau,  ou  alors 
que  cette  altération  ne  fait  que  commencer.  La  sensation  de  cuisson  est  donc  le 
phénomène  primitif  ;  les  modifications  cutanées,  le  symptôme  secondaire.  Jamais 
cette  espèce  de  souffrance  n'a  fait  défaut  dans  les  cas  oiî  la  nutrition  de  la  peau 
était  gravement  compromise.  » 

Weir  Mitchell  établit  ensuite  que  cette  douleur  apparaît  pendant  la  guérison 
de  la  plaie,  soit  dans  le  territoire  du  nerf  blessé,  soit  dans  celui  des  nerfs  voi- 
sins; qu'elle  siège  de  préférence  à  la  paume  des  mains  et  sur  la  face  dorsale  du 
pied,  jamais  au  tronc. 

«  Le  plus  grand  nombre  des  patients  décrit  la  douleur  comme  localisée  à  la 
superficie,  mais  d'autres  prétendent  la  ressentir  dans  la  profondeur  et  presque 
dans  les  jointures.  Quoi  qu'il  en  soit,  lorsqu'elle  a  duré  longtemps,  elle  paraît 
se  réfugier  dans  la  peau.  Son  intensité  varie  depuis  une  simple  cuisson  jusqu'à 
un  état  de  toiture  à  peine  croyable,  capable  de  réagir  sur  toute  l'économie  et  de 
compromettre  la  santé  générale.  Non-seulement  la  partie  affectée  souffre  de  cette 
sensation  de  brùliu'e,  mais  l'hyperesthésie  exalte  sa  susceptibilité  nerveuse  au 
point  qu'un  simple  choc,  un  léger  attouchement  avec  le  doigt,  provoquent  une 
exacerbation  de  la  souffrance.  Les  malades  évitent  l'exposition  à  l'air  avec  des 
précautions  qui  semblent  ridicules  ;  quelques-uns  passent  leur  temps  à  mouiller 
continuellement  leur  main,  trouvant  un  soulagement  dans  l'humidité  elle-même 
plutôt  que  dans  la  fraîcheur  de  l'eau  qu'ils  emploient.  Deux  de  ces  malheureux 
transportaient  partout  avec  eux  une  bouteille  d'eau  et  une  éponge,  afin  de  ne  pas 
permettre  que  la  peau  se  desséchât  jamais.  A  mesure  que  la  douleur  augmente, 
le  retentissement  sur  tout  l'organisme  s'accroit,  le  caractère  s'aigrit,  le  visage 
exprime  l'anxiété,  le  regard  laisse  lire  la  fatigue  et  la  souffrance.  Les  nuits  sont 
sans  repos.  L'état  général,  réagissant  à  son  tour  sur  la  blessure,  exalte  encore 
l'hyperesthésie,  et  alois  le  froissement  d'un  journal,  le  souffle  du  vent,  le  pas 
d'un  homme,  les  vibrations  produites  par  une  marche  militaire,  le  choc  du  pied 
contre  le  sol,  exaspèrent  la  douleur.  En  un  mot,  pour  employer  le  seul  terme 
qui  convienne  à  cet  état,  le  patient  devient  hystérique.  Sa  démarche  est  caute- 
leuse; il  soutient  le  membre  blessé  avec  le  membre  sain;  il  est  tremblant, 
nerveux,  il  recourt  à  toutes  sortes  de  moyens  pour  atténuer  ses  souffrances. 
Dans  deux  circonstances  j'ai  vu  les  téguments  s'hyperesthésier  dans  toute  leur 
étendue,  lorsque  la  peau  devenait  sèche  ;  ces  malades  n'éprouvaient  de  soulage- 
ment qu'en  remplissant  d'eau  leurs  bottes.  Lorsqu'on  leur  en  demandait  la 
raison ,  ils  prétendaient  en  agissant  ainsi  diminuer  les  chocs  que  provoque  la 
marche.  Nous  ne  pouvons  nous  expliquer  comment  et  pourquoi  il  en  était  ainsi. 
Un  de  ces  hommes  poussait  les  choses  jusqu'à  mouiller  la  main  saine  lorsqu'il 
devait  toucher  l'autre,  et  lorsqu'un  observateur  voulait  l'examiner,  il  insistait 
pour  qu'il  prît  la  même  précaution.  La  saison  froide  était  ordinairement  plus 
favorable;  la  chaleur  ou  la  déclivité  du  membre  étaient  mal  supportées.  Dans 
les  cas  les  plus  intenses,  les  mouvements  étaient  intolérables,  mais  dans  les  cas 
de  gravité  moyenne  ils  n'amenaient  aucune  incommodité,  à  moins  d'être  répétés 
au  point  d'échauffer  le  membre  »  {loc.  cit.,  p.  233  et  suiv.). 

DICT.  ESC.  XXVII.  40 


626  DERMALGIE. 

De  pareils  phénomènes  me'ritent  bien  un  nom  spc'cial,  et  celui  de  causalgie, 
que  leur  ont  donné,  les  auteurs  américains,  est  admirablement  approprié.  Il  ne 
laut  pas  croire  que  la  causalgie  soit  spéciale  aux  névrites  trauniatiques.  Dans  la 
remarquable  thèse  de  mon  ami  Tédenat  sur  les  gelures  on  trouve  plusieurs 
exemples  de  causalgie  consécutive  à  de  très-anciennes  gelures.  Les  douleurs 
cutanées,  le  glossij-skin ,  cet  état  luisant  de  la  peau,  qui  est  en  même  temps 
atrophiée,  mince  et  congestionnée  d'une  façon  permanente,  en  un  mot,  tous  les 
symptômes  indiqués  par  Weir  Mitchell,  se  trouvent  réunis.  J'ai  pu  récemment 
observer  moi-même  un  vieillard  atteint  de  causalgie  et  de  glossy-shm  aux  deux 
pieds  et  qui  présentait  en  outre  un  mal  perforant.  Gomme  dans  les  faits  de 
Tédenat,  il  s'agissait  de  gelures  anciennes. 

Parfois  des  malades  accusent  non  pas  une  sensation  de  chaleur  ardente,  mais 
de  froid  glacial  ;  d'autres  voient  s'ajouter  à  leurs  douleurs  locales  de  véritables 
douleurs  fulgurantes.  Toujours  des  troubles  de  la  sensibilité  tactile  s'ajoutent 
aux  douleurs  spontanées.  L'hyperesthésie  est  la  règle;  quelquefois  même,  fait 
exceptionnel,  elje  coïncide  avec  l'intégrité  du  tact.  Souvent,  au  contraire,  les 
contacts  sont  mal  perçus,  mal  analysés.  Enfin,  les  sensations  thermiques  sont 
presque  toujours  exagérées,  amoindries  ou  perverties,  sans  qu'il  ait  été  jusqu'à 
présent  possible  de  saisir  la  loi  qui  préside  à  leurs  altérations. 

La  névrite,  qui  donne  naissance  à  cet  ensemble  de  désordres  anatomiques  et 
fonctionnels,  a  pu  être  constatée  par  des  nécropsies  (Tédenat).  Weir  Mitchell 
avait  cru  d'abord  devoir  les  attribuer  à  un  acte  réflexe,  l'irritation  traumatique 
d'un  point  du  trajet  nerveux  étant  simplement  rapportée  à  la  périphérie  confor- 
mément à  une  loi  bien  connue.  Mais  il  observa  plus  tard  que  la  sensation  de 
cuisson  ne  se  rencontrait  jamais  dans  les  cas  de  division  complète  des  nerfs, 
que  les  irritations  locales  au  niveau  des  points  causalgiques  y  exaspéraient  les 
douleurs,  alors  que  les  mêmes  excitations  restaient  sans  action  au  niveau  de  la 
cicati^ice;  qu'au  contraire  les  injections  hypodermiques  de  morphine,  qui  géné- 
ralement peuvent  être  faites  en  un  point  quelconque,  sont  toujours  beaucoup 
plus  efficaces  dans  la  causalgie  lorsqu'on  les  fait  «  dans  l'épaisseur  des  tissus 
affectés  ». 

Il  conclut  que  les  désordres  trophiques  et  circulatoires  produits  à  la  périphérie, 
comme  conséquences  de  l'irritation  et  de  l'inflammation  du  nerf,  deviennent 
à  leur  tour  la  véritable  cause  des  phénomènes  douloureux.  Cette  interprétation 
pathogénique  nous  amène  naturellement  à  parler  des  autres  lésions  trophiques  de 
la  peau  consécutives  aux  lésions  des  nerfs  et  des  douleurs  qui  les  accompagnent. 
Car  le  glossy-skin  n'est  pas  la  seule  altération  anatomique  du  tégument  externe 
qui  puisse  survenir  dans  des  conditions  analogues. 

5*^  Lésions  trophiques  de  la  peau  consécutives  aux  affections  des  nerfs. 
L'affection  la  plus  importante  dans  cet  ordre  de  faits  est  le  zona,  que  les 
documents  connus  jusqu'à  présent  font  considérer  comme  la  conséquence  d'un 
état  morbide  dans  la  région  du  nerf,  soit  à  son  origine,  soit  dans  son  ganglion 
spinal,  soit  dans  son  trajet  ultérieur  (M.  Kaposi,  loc.  cit.,  p.  413).  Les  caractères 
généraux  de  cet  herpès  sont  trop  connus  pour  qu'il  soit  utile  de  les  rappeler. 
Si  la  névralgie  et  l'éruption,  qui  en  forment  les  traits  les  plus  essentiels,  évo- 
luaient exactement  dans  le  même  temps,  il  serait  difficile  de  faire  la  part  de  la 
douleur  qui  doit  être  attribuée  à  l'état  du  nerf  et  de  celle  qui  revient  à  la  lésion 
cutanée.  Heureusement,  la  marche  du  zona  présente  souvent  des  irrégularités 
qui  peuvent  nous  éclairer.  La  névralgie  peut  précéder  le  zona  de  plusieurs  jours 


DERMALGIE.  627 

on  de  plusieurs  semaines  ;  et  dans  ce  cas,  il  est  bien  e'vident  que  la  douleur, 
quelle  qu'elle  soit,  superficielle  ou  profonde,  n'a  rien  à  voir  avec  les  lésions 
cutanées  :  c'est  une  névralgie  dont  les  caractères,  au  point  de  vue  de  la  dermalgie, 
sont  ceux  qui  ont  été  indiqués  plus  haut.  Mais  l'éruption  survient.  Sur  une 
base  primitivement  rouge  s'élèvent  des  groupes  de  papules  d'uii  rouge  vif, 
bientôt  transformées  en  vésicules  ;  et  sur  les  points  de  la  peau  ainsi  atteints 
le  malade  éprouve  une  sensation  de  brûlure,  parfois  très-vive,  qui  se  sura- 
joute aux  douleurs  antérieures.  Enfin,  les  complications  qui  sont  le  fait  de  la 
maladie  même  Ihémorrhagies,  gangrène),  ou  quelquefois  des  pansements  in- 
tempestifs (rupture  des  vésicules,  application  de  collodion  imparfaitement 
élastique),  peuvent,  en  augmentant  les  désordres  locaux,  entretenir  et  accroître 
les  douleurs. 

Cependant,  après  une  durée  très-variable,  les  lésions  cutanées  finissent  par 
guérir,  et  avec  elles  disparaissent  ce  sentiment  de  brûlure,  celte  hyperesthésie, 
qui  ne  peut  supporter  le  plus  léger  contact;  mais,  dans  quelques  cas  anormale- 
ment graves,  il  peut  rester,  outre  des  troubles  trophiques  très-divers,  une 
névralgie  rebelle. 

A  ce  complexusde  symptômes  douloureux  s'ajoutent  fréquemment  des  troubles 
de  la  sensibilité  tactile,  qui  rendent  plus  confus  encore  le  tableau  clinique. 
L'inégalité  des  lésions  dans  les  différents  filets  cutanés  du  nerf  enflammé 
amènera,  outre  des  élancements  douloureux,  ici  de  l'anesthésie,  là  de  l'iiyperes- 
thésie;  et  ces  troubles  seront  répartis  dans  le  territoire  du  nerf  sans  affecter  de 
rapport  constant  avec  les  placards  éruptifs,  de  telle  sorte  qu'un  groupe  de 
papulo-vésicules,  très-douloureux  au  dire  du  malade,  pourra  être,  aux  yeux  du 
médecin  qui  explore  la  sensibilité,  soit  réellement  byperesthésique,  soit  au 
contraire  anesthésique  (voy.  Rendu,  loc.  cit.,  p.  111).  En  dépit  de  ces  difficultés, 
nous  croyons  que  d'une  façon  générale  on  peut  admettre  que  dans  le  zona  la 
sensation  de  cuisson,  de  chaleur,  de  brûlure,  est  le  fait  de  la  lésion  cutanée; 
que  les  douleurs  .paroxystiques,  suivant  le  trajet  du  nerf,  n'affectant  avec  l'ef- 
florescence  cutanée  aucun  rapport  chronologique  ni  topographique  absolu,  sont 
au  contraire  le  résultat  de  la  lésion  nerveuse.  Les  mêmes  réflexions  s'appliquent 
aux  herpès  de  nature  trophique,  dont  la  description  prend  chaque  jour  plus 
d'importance. 

Les  éruptions  pemphigoides  (nous  ne  disons  pas  le  pemphigus) ,  qui  suc- 
cèdent à  des  lésions  des  nerfs  traumatiques  ou  spontanées,  donnent  lieu  à  des- 
considérations  analogues. 

Dans  le  pemphigus  vulgaire  on  note  une  sensation  modérée  de  brûlure  et 
de  démangeaison  au  niveau  des  bulles,  de  la  douleur  et  de  la  tension  sur  les 
parties  couvertes  de  phlyctènes  et  de  croûtes  nombreuses  et  cohérentes  ou  exco- 
riées à  la  suite  de  l'arrachement  de  ces  dernières  (Kaposi,  loc.  cit.,  t.  Il,  p.  52). 
Le  pemphigvis  zoster,  qui  succède  à  des  lésions  centrales,  peut  même  être  totale- 
ment indolent,  ainsi  qu'en  fait  foi  une  observation  de  Brissaud  {Bull.  Soc.  cli- 
nique, t.  m,  p.  221). 

Si,  au  contraire,  l'éruption  pemphigoïde  succède  à  une  névralgie,  alors  la 
lésion  du  nerf  ajoute  à  l'éruption  une  série  de  douleurs  lancinantes,  cuisantes 
dans  la  peau,  au  point  où  apparaîtront  les  bulles,  mais,  avant  leur  apparition,  de 
sensations  anormales  et  pénibles  telles  que  fourmillements,  engourdissements, 
tiraillements  des  ongles.  Les  exemples  abondent  dans  le  traité  de  Weir  Mitchell, 
le  mémoire  de  Rendu,  la  thèse  de  Leloir.  Il  n'y  a  point  de  doute  :  la  dermalgie 


628  DERMALGIE. 

qui  accompagne  ces  éruptions  est  attribuable  à  l'état  des  nerfs,  non  à  l'éruption 
même. 

De  même,  si  l'on  étudie,  au  point  de  vue  de  la  douleur,  les  dermatoses  tro- 
phiques,  que  Leloir  a  si  remarquablement  exposées,  on  reconnaît  que  les 
affections  naturellement  indolentes,  telles  que  le  vitlligo  et  Vichthyose,  peuvent 
s'accompagner  de  douleurs  très-vives,  apparaître  sur  des  plaques  dermalgiques, 
lorsqu'elles  reconnaissent  pour  origine  une  lésion  des  nerfs  péripliériijues.  Nous 
pourrions  étendre  cette  affirmation  jusqu'à  l'érythème  de  Vacrodynie,  si  nous 
avions  la  preuve  qu'il  n'est  lui  aussi  qu'une  lésion  trophique;  mais,  si  probable 
que  soit  cette  supposition,  elle  manque  de  démonstration,  et  il  vaut  mieux  ne 
rien  préjuger. 

En  résumé,  les  affections  tropbiques  de  la  peau  s'accompagnent  souvent  de 
douleurs  en  disproportion  avec  leur  lésion  anatomique,  et  ce  fait  pourrait  au 
premier  abord  sembler  en  contradiction  flagrante  avec  la  loi  qui,  dans  des  affec- 
tions génériques,  nous  a  paru  régler  les  rapports  de  la  dermalgie  et  de  l'état 
anatomique  de  la  peau.  Mais  cette  contradiction  n'est  qu'apparente;  la  lésion 
cutanée  détermine  toujours  son  contingent  régulier  de  douleur;  l'excès  de  sout- 
france,  ainsi  qu'on  peut  en  juger  par  les  rapports  chronologiques  des  douleurs 
et  des  éruptions,  par  la  comparaison  des  divers  cas  entre  eux,  appartient  à  la 
névralgie  ou  à  la  névrite.  C'est  même  là  un  fait  si  évident  que  la  disproportion 
de  la  douleur  avec  l'étendue  ou  la  profondeur  d'une  lésion  de  la  peau  doit 
toujours  engager  le  clinicien  à  rechercher  dans  l'état  des  nerfs  l'origine  de  cette 
dermatose. 

4°  Migraine.  Points  de  côté.  Il  eût  été  intéressant  d'étudier  si  la  dermalgie 
intervient  à  un  titre  quelconque  dans  certaines  douleurs,  telles  que  la  migraine, 
les  points  de  côté,  etc.  Mais  l'analyse  symptomatique  est  sur  ce  point-là  si  peu 
avancée,  qu'il  vaut  mieux  réserver  à  des  observations  ultérieures  le  soin  d'élu- 
cider ces  questions  et  ne  pas  s'engager  prématurément  dans  une  discussion 
stérile. 

DERMALGIE  DANS  LES  MALADIES  DES  CENTRES  NERVEUX.  1°  Moelle 
ÉpiNiÈRE.  Un  assez  grand  nombre  d'affections  spinales  s'accompagnent  de 
violentes  douleurs  dans  les  membres.  Au  premier  rang  se  trouve  placé  le  tabès 
dorsalis;  c'est  par  lui  qu'il  importe  de  commencer  l'étude  des  dermalgies  d'o- 
rigine centrale. 

Les  douleurs  des  membres  dans  l'ataxie  affectent  deux  types  principaux  :  le 
type  fixe,  dans  lequel  elles  ont  le  caractère  de  rongement,  de  martèlement, 
de  tenaillement;  le  type  intermittent,  auquel  appartient  la  fulguration.  Malgré 
leur  instantanéité,  les  douleurs  fulgurantes  se  présentent  avec  des  caractères 
si  nets,  sont  décrites  par  les  malades  en  termes  si  précis,  qu'on  ne  saurait 
en  méconnaître  la  localisation.  La  plupart  des  ataxiques  que  nous  avons  inter- 
rogés à  ce  point  de  vue  nous  ont  répondu  que  ces  douleurs  sont  profondes, 
dans  les  os  ou  près  des  os. 

Paifois  elles  sont  plus  superficielles.  Pierret  rapporte  que  les  malades  se  plai- 
gnent d'élancements,  de  coups  de  canif  dans  les  rameaux  cutanés  du  tri- 
jumeau. 

Charcot  signale  aussi  la  fulguration  douloureuse  le  long  des  nerfs  cutanés  ; 
alors  il  n'est  pas  rare  de  voir  des  lésions  trophiques  succéder  à  une  crise  de 
douleurs  fulgurantes.  Mais,  dans  ces  cas,  on  le  voit,  la  souffrance  est  par  son 


DERMALGIE.  629 

siège  plutôt  névralgique  que  dermalgique.  Elle  peut  cependant  avoir  dans  cer- 
tains cas  ce  dernier  caractère.  Sans  parler  des  démangeaisons  très-cuisantes 
dont  se  plaignent  certains  ataxiques,  il  en  est  qui  mentionnent  des  sensations 
multiples  de  coups  d'épingle  dans  la  peau,  analogues,  nous  disait  un  malade 
fort  intelligent,  aux  piqûres  profondes  qu'on  lui  avait  faites  pour  explorer  sa 
sensibilité. 

Les  douleurs  fixes  le  plus  souvent  aussi  sont  profondes  :  «  Ce  sont  les  os 
qui  sont  rongés,  les  chairs  déchirées  par  des  tenailles,  ce  n'est  presque  jamais 
la  peau  qui  souffre.  »  Cependant  le  cas  se  rencontre.  Une  femme  de  quarante- 
quatre  ans,  que  nous  observons  en  ce  moment  et  chez  qui  l'at.ixie  se  caractérise 
par  des  douleurs  fulgurantes,  des  crises  gastriques,  des  symptômes  oculaires, 
présente  chaque  jour,  après  ses  repas,  des  plaques  rouges  nettement  circon- 
scrites sur  les  joues,  plaques  au  niveau  desquelles  elle  gouffre  pendant  plusieurs 
heures  d'une  sensation  atroce  de  rongement.  Chez  un  malade  du  service  de 
M.  le  professeur  Pitres,  il  existe,  presque  symétriquement  sur  le  bord  externe 
des  pieds  et  la  partie  postérieure  des  talons,  deux  zones  oii  le  malade  ressent 
un  rongement  perpétuel  à  la  surface  de  la  peau.  Cette  douleur  redouble 
au  moment  des  changements  atmosphériques.  Les  zones  qu'elle  occupe  sont 
peu  sensibles  à  la  douleur  (piqûres),  assez  sensibles  au  froid.  Les  contacts 
comme  les  excitations  douloureuses  y  sont  perçus  avec  un  retard  de  deux  à  trois 
secondes. 

Cette  anesthésie  au  niveau  des  régions  douloureuses  dans  l'ataxie  est  fré- 
quente, mais  est  loin  d'être  la  règle.  Chez  une  de  nos  malades,  il  existait  au 
contraire  dans  un  cas  analogue  de  l'hyperesthésie.  De  même,  après  les  douleurs 
fulgurantes,  on  trouve  les  régions  qui  en  ont  été  le  siège  soit  pourvues  de  leur 
sensibilité  normale,  soit  anesthésiées,  soit  hyperesthésiées. 

Telle  est  la  dermalgie  dans  l'ataxie.  A  quelle  lésion  faut-il  la  rapporter?  Peut- 
elle  servir  au  diagnostic  de  localisation  de  la  sclérose  dans  les  divers  territoires 
de  l'axe  médullaire?  Nous  nous  garderons  de  répondre  à  ces  questions;  nous 
ferons  même  à  cet  égard  une  réserve  :  c'est  que  peut-être  certaines  lésions  des 
nerfs  périphériques  ont  une  part  importante  dans  la  production  de  ces  douleurs. 
Des  observations  récentes  de  Déjerine  et  de  Pitres  ont  montré  qu'il  pouvait  y 
avoir  des  lésions  dans  les  nerfs  des  ataxiques. 

Ces  faits,  bien  qu'isolés  encore,  sont  de  nature  à  laisser  en  suspens  toute  ten 
talive  d'interprétation  pathogénique  de  la  dermalgie,  ausfi  bien  que  des  douleurs 
plus  profondes  dans  le  tabès. 

D'autres  affections  spinales  peuvent  s'accompagner  de  douleurs  périphé- 
riques, par  exemple,  la  sclérose  en  plaques,  la  compression  lente  et  les  plaies  de 
la  moelle,  les  méningites  racbidieiines,  etc.  Ces  douleurs  sont  le  plus  souvent 
profondes.  Dans  tous  les  cas,  d'ailleurs,  on  retrouve  soit  une  lésion  plus  ou 
moins  étendue  des  coi-dons  postérieurs,  soit  une  altération  des  racines,  des 
ganglions  ou  des  nerfs  rachidiens,  c'est-à-dire  les  désordres  anatomiques  du 
tabès  dorsal  ou  de  la  névrite. 

Dans  ces  conditions,  la  dermalgie,  si  elle  existe,  prend  des  caractères  qui 
nous  sont  déjà  connus  et  sur  lesquels  il  est  inutile  de  revenir.  On  peut  men- 
tionner seulement  la  sensation  excessive  de  chaleur  qui  tourmente  les  sujets 
atteints  de  paralysie  agitante  et  qui  a  son  siège  habituel  au  creux  épigastrique, 
au  dos,  à  la  face,  aux  membres.  Cette  sensation,  avec  laquelle  coïncide  une 
abondante  sécrétion  de  sueur  et  que  ne  justifie  aucune  élévation  de  la  terapé- 


630  DERMALGIE. 

rature  centrale,  est  une  cause  de  plaintes  incessantes  de  la  part  des  malades 
et  mérite  peut-être  d'être  rapprochée  de  la  dermalgie. 

2°  Encéphale.  Nous  ne  dirons  rien  de  la  dermalgie  dans  ses  rapports  avec 
les  maladies  de  l'encéphale.  Nons  serions  même  embarrassé  de  dire  si  elle 
existe  ou  si  elle  n'existe  pas.  L'iiyperesthésîe  a  été  rencontrée  trois  fois,  d'après 
Ballet,  consécutivement  à  des  lésions  de  l'écorce  cérébrale  ou  du  centre  ovale, 
au  niveau  du  lobe  frontal,  c'est-à-dire  en  dehors  de  la  zone  sensitive  qui  dans 
ces  cas  aurait  été  excitée  par  action  de  voisinage.  Quant  aux  douleurs  spon- 
tanées de  la  peau,  nous  n'avons  pas  trouvé  à  leur  égard  de  documents  utilisables. 

5°  Névroses.  La  dermalgie  n'est  pas  un  symptôme  de  l'épilepsie;  on  ne 
saurait  en  effet  donner  ce  nom  à  la  sensation  d'air  frais  qui  constitue  l'aura. 
Quelquefois  cette  aura  est  douloureuse.  Mais  la  douleur,  dans  ces  cas,  paraît 
être  plutôt  limitée  au  trajet  d'un  nerf  qu'étendue  à  une  portion  de  la  surface 
de  la  peau. 

Dans  l'hystérie,  au  contraire,  les  douleurs  cutanées  sont  fréquemment  obser- 
vées. Malheureusement  les  auteurs  ne  distinguent  pas  assez  nettement  entre 
l'hyperesthésie  et  la  dermalgie.  Ainsi,  d'après  Briquet,  qui  fait  de  celle-ci  le 
degré  le  plus  élevé  de  celle-là,  ce  symptôme  pourrait  passer  inaperçu,  s'il  ne 
s'applique  qu'à  de  petites  surfaces,  affirmation  qui  vise  évidemment  les  douleurs 
provoquées,  mais  qui  dans  aucun  cas  ne  peut  concerier  les  douleurs  spontanées. 
Axenfeld,  qui  reprend  la  description  de  Briquet,  ajoute  cependant  que  «  quel- 
ques malades  accusent  spontanément  à  la  peau  un  froid  glacial  ou  une  ardente 
chaleur,  des  fourmillements,  des  picotements,  des  élancements,  de  vives  déman- 
geaisons »  {loc.  cit.,  p.  622).  Nous  ne  saurions  utiliser  ici  les  divisions,  les 
statistiques  que  donnent  ces  auteurs;  la  confusion  que  nous  avons  signalée 
exige  que  ces  études  soient  reprises. 

On  trouve  à  ce  sujet  de  remarquables  observations  dans  les  leçons  de  Brodie. 
C'est  ainsi  qu'à  propos  de  la  coxalgie  hystérique,  après  avoir  montré  par 
combien  de  signes  elle  se  rapproche  en  apparence  de  la  vraie  coxalgie  :  douleur 
spontanée,  douleur  à  la  pre<^sion  exercée  sur  les  os,  immobilité,  il  ajoute  : 
«  Partout  la  sensibilité  siège  dans  l'enveloppe  cutanée  ;  si  vous  pincez  la  peau 
jusqu'à  la  soulever  des  parties  sous-jacenles,  la  malade  se  plaint  plus  que  si 
vous  poussez  fortement  le  fémur  dans  la  cavité  cotyloïde;  »  signe  important 
qui  peut  mettre  sur  la  voie  du  diagnostic.  Puis,  avec  une  grande  finesse  d'ob- 
servation, il  remarque  qu'il  n'y  a  pas  d'amaigrissement  malgré  la  longue  durée 
des  douleurs,  pas  d'élancements  douloureux  pendant  la  nuit,  et  que,  si  la 
douleur  empêche  la  malade  de  s'endormir,  le  sommeil  une  fois  venu  persiste 
plusieurs  heures  sans  interruption. 

Au  sujet  de  certaines  paraplégies  hystériques,  Brodie  fournit  encore  des 
observations  de  graufle  valeur.  La  malade  se  plaint  d'une  douleur  dans  le  dos. 
Mais  celle-ci,  plus  vive  d'ailleurs  que  dans  la  carie  vertébrale,  siège  dans  la 
peau,  dont  le  pincement  est  plus  douloureux  que  la  percussion  des  apophyses 
épineuses.  De  plus,  elle  est  mobile  et  se  déplace  fréquemment;  enfin  elle  n'est 
pas  limitée  à  un  point,  mais  s'étend  dans  les  diverses  régions  du  rachis. 

Le  clou  hystérique  est-il  formé  par  une  région  dermalgique  du  cuir  chevelu? 
Pour  Briquet  la  question  n'est  pas  douteuse;  c'est  simplement  une  myalgie. 
Valieix,  en  le  rattachant  à  la  névralgie  de  la  cinquième  paire,  ne  tranche  pas  la 
question,  car  il  ne  se  préoccupe  pas  de  sa  localisation  superficielle  ou  pro- 
fonde. 


DERMALGIE.  631 

Sans  nier  que  les  parties  profondes,  nerfs  ou  muscles,  participent  à  cette  dou- 
leur continue,  térébrante,  qui  constitue  le  clou  hystérique,  il  nous  semble 
<jue  la  sensibilité  à  des  pressions  très-légères,  telles  que  le  passage  du  peigne, 
^st  de  nature  à  faire  admettre  que  la  peau  joue  aussi  un  rôle  important. 

Dans  la  faiiase  péritonite  des  hystériques,  les  douleurs  cutanées  ont  égale- 
ment leur  grande  part.  «  C'est  une  douleur  vive,  très-vive  même;  les  malades 
ne  peuvent  supporter  le  moindre  attouchement,  le  poids  des  couvertures;  elles 
s'éloignent  par  un  mouvement  instinctif  du  doigt  investigateur.  Joignez  à  cela 
un  certain  degré  de  gonflement,  et  vous  aurez  l'ensemble  de  la  fausse  péritonite, 
apurions  peritonitis  des  auteurs  anglais.  11  est  évident  qu'ici  les  muscles  et 
la  peau  elle-même  sont  de  la  partie.  La  douleur  occupe  alors  une  assez  grande 
surface.  »  Cette  citation,  empruntée  à  M.  Charcot,  s'applique  aux  douleurs  de 
la  région  ovarienne.  Mais  ce  n'est  pas  la  seule  qui  puisse  être  atteinte.  Dans 
une  observation  de  la  thèse  de  Marcé,  où  des  vomissements  verdtitres  complé- 
taient le  tableau  de  la  fausse  péritonite,  c'est  dans  le  flanc  droit  que  la  malade 
soulfrait.  «  Dans  toute  cette  zone  qui  répond  au  muscle  grand  oblique,  la  dou- 
leur est  violente,  à  peu  près  uniforme;  elle  s'accroît  par  la  pression,  mais 
plus  encore  lorsqu'on  pince  la  peau  pour   la  détacher  des  couches  profondes.  » 

La  dermalgie  h  yslérique  peut,  on  le  voit,  affecter  les  sièges  les  plus  vai'ia- 
bles  :  cuir  chevelu,  tronc,  membres  ;  elle  occupe  en  général  des  surfaces  dont 
l'étendue  est  loin  d'être  la  même  chez  les  divers  sujets,  mais  qui  ont  des 
limites  assez  tranchées;  elle  ne  suit  la  direction  d'aucun  trajet  nerveux  connu, 
mais  s'associe  au  contraire  à  des  douleurs  des  muscles  et  des  viscères  sous- 
jacenls  à  la  peau  qu'elle  frappe;  elle  est  toujours  accompagnée  d'hyperesthésie; 
ajoutons  enhn  qu'elle  est  très-mobile,  ou  plutôt  très-irrégulière  dans  son  allure, 
et  qu'après  avoir  habité  de  longues  semaines  la  même  région  de  la  peau,  elle 
peut  se  déplacer  brusquement  ou  même  disparaître,  sous  l'influence  d'une  vive 
émotion,  en  attendant  qu'une  autre  secousse  physique  ou  morale  vienne  déter- 
miner son  retour. 

Ces  caractères  font  de  la  dei'malgie  hystérique  une  espèce  bien  distincte,  au 
milieu  des  autres  dermalgies  que  nous  avons  étudiées  soit  dans  les  dermatoses, 
soit  dans  les  névralgies,  soit  dans  l'ataxie. 

La  dermalgie  hystérique  n'est  pas  fréquemment  associée  aux  douleurs  qui 
pi'écèdent  et  annoncent  les  grandes  attaques;  elle  ne  se  lie  pas  volontiers  aux 
zones  hijstérogènes.  Ce  n'est  pas  là  un  fait  absolu;  c'est  ainsi  qu'à  travers  la 
peau  endolorie  par  la  fausse  péritonite  on  i-elrouve  parfois  la  douleur  ovarienne. 
Mais  en  général,  aussi  bien  au  niveau  de  l'ovaire  qu'au  niveau  des  zones  mam- 
maires, brachiales,  poplilées,  etc.,  la  peau  ne  présente  que  sa  sensibilité  nor- 
male ou  même  est  absolument  insensible,  s'il  s'agit  d'une  zone  du  côté  hémi- 
anesthésié. 

Ce  fait,  déjà  indiqué  dans  la  thèse  de  Buet,  m'a  été  confirmé  par  MM.  Pitres 
et  Gaube,  qui  préparent  en  ce  moment  une  étude  complète  des  zones  hystérogènes 
et  m'ont  communiqué  leurs  documents  avec  une  complaisance  dont  je  suis 
heureux  de  les  remercier. 

4**  iMoxiCATioiNs.  Les  intoxications  chroniques  par  le  plomb  et  l'alcool  déter- 
minent des  troubles  de  la  sensibilité  au  nombre  desquels  la  dermaliiie  a  été 
signalée.  On  a  même  décrit  une  forme  hyperesthésique  de  l'alcoolisme  (Racle), 
dans  hiquelle  le  moindre  attouchement  provoque  des  cris  et  où  des  douleurs 
atroces  peuvent  survenir  spontanément  dans  la  peau.  Mais,  dans  ces  intoxica- 


632  DERMALGIE. 

lions,  la  diminution,  les  perversions  de  la  sensibilité,  sont  beaucoup  plus  fre'- 
quentes  que  les  modifications  en  excès.  La  dermalgie  y  est  trop  rare  et  trop  peu 
décrite  pour  que  nous  nous  y  attardions  plus  longtemps. 

5°  Aliénation  mentale.  La  sensibilité  cutanée  est  fortement  troublée  dans 
les  diverses  formes  de  l'aliénation  mentale.  L'hyperesthésie,  d'après  Fèvre,  rare 
dans  la  démence  et  l'idiotie,  serait  plus  fréquente  cbez  Ifs  maniaques  et  les 
mélancoliques  hallucinés.  «  Tel  malade,  par  exemple,  sent  à  chaque  instant  des 
courants  électriques  très-intenses  que  des  ennemis  lui  appliquent  sur  maintes 
parties  de  l'enveloppe  cutanée;  tel  autre  se  plaint  constamment  de  piqiàres 
d'aiguilles  sur  la  peau,  qui  le  font  horriblement  souflrir.  On  s'aperçoit  que  ces 
hyperesthésiés  éprouvent  réellement  les  douleurs  qu'ils  vous  dépeignent,  par 
les  contractions  des  muscles  de  leur  visage,  le  jeu  et  l'expression  de  leur  physio- 
nomie, et  par  la  vérité  et  la  vivacité  qu'ils  mettent  dans  la  description  de  leurs 
tourments.  » 

Les  hypochondriaques,  les  délirants  par  persécution,  accusent  fréquemment 
de  l'engourdissement,  des  picotements,  fréquemment  aussi  des  fourmillements 
qui,  d'après  Semai,  seraient  d'un  fâcheux  augure,  car  ils  dénoteraient  l'ap- 
proche de  paralysies.  Un  aliéné  cité  par  Morel  (Racle,  loc.  cit.,  p.  75)  se  plaignait 
amèrement  qu'un  chat  lui  grimpât  le  long  des  jambes  en  enfonçant  ses  griffes 
dans  les  chairs.  Un  hypochondriaque,  observé  par  Beau,  présentait  une  analgésie 
de  toute  la  surface  du  corps  et  cependant  éprouvait  une  sensation  fort  pénible, 
dont  il  ne  parlait  qu'avec  agacement  et  qu'il  appelait  une  attaque  de  nerfs  dans 
la  peau.  Cette  sensation  le  forçait  à  se  lever  la  nuit  et  à  se  promener  dans  la 
salle. 

Ces  faits  se  rapportent  évidemment  à  la  dermalgie  :  mais  la  douleur  prend 
dans  tous  ces  cas  des  cai-actères  particuliers.  Il  ne  s'agit  pas  de  sensations  fixes, 
permanentes,  mais  au  contraire  des  phénomènes  rapides,  instantanés,  imprévus. 
Tantôt  la  sensation  est  générale  et  se  répand  sur  toute  la  surface  du  corps, 
tantôt  elle  est  localisée  à  un  membre  ou  à  une  surface  limitée  du  tronc.  Dans 
les  deux  cas,  elle  se  complique  presque  toujours  d'hallucinations.  L'aliéné  ne  se 
contente  pas  de  ressentir  une  impression  pénible  ;  il  en  découvre  aussitôt  la 
cause  :  c'est  un  ennemi  qui  le  frappe,  c'est  un  animal  qui  le  pique  ou  le  mord. 
On  conçoit  combien  ces  hallucinations  peuvent  devenir  dangereuses,  soit  pour 
l'aliéné  même,  soit  pour  ceux  qui  l'entourent.  Elles  poussent  parfois  le  malade 
à  tuer  son  persécuteur,  à  écraser  l'animal  qui  le  tourmente;  ces  hallucinations 
douloureuses  de  la  peau  ont  certainement  une  part  dans  les  déterminations  de 
certains  aliénés  et  méritent  d'être  attentivement  étudiées.  îl  serait  intéressant 
de  rechercher  si  elles  provoquent  des  actes  de  violence  plus  facilement  que  les 
hallucinations  du  toucher  sans  douleur,  qui  ne  rentrent  pas  dans  notre  cadre. 

DERMALGIES  RÉFLEXES.  Les  dermalgies  réfiexes  ont  été  plutôt  men- 
tionnées que  décrites;  en  réalité  on  trouve  peu  d'observations  qui  les  re- 
présentent d'une  façon  précise.  On  admet  généralement  que  les  diverses 
régions  de  la  peau  sont  en  sympathie  avec  les  viscères  immédiatement  sous- 
jacents;  quelques  auteurs  même,  frappés  de  la  coïncidence  des  douleurs  super- 
ficielles avec  les  lésions  des  organes  profonds,  ont  supposé  que  les  filets  sym- 
pathiques qui  vont  à  ces  derniers  tirent  leur  origine  de  la  moelle  aux  mêmes 
points  où  naissent  les  nerfs  des  parties  correspondantes  de  la  peau.  C'est  ainsi 
qu'on  a  indiqué  des  dermalgies  du  thorax  dans  les  affections  pulmonaires;  de 


DERMALGIE.  635 

l'épigastre  dans  les  maladies  de  l'estomac  et  du  foie;  du  dos  et  du  cuir  chevelu 
dans  les  le'sions  de  la  moelle  ou  de  l'encéphale.  Quelquefois  aussi  c'est  loin  du 
point  de  départ  que  se  fait  sentir  la  douleur,  à  la  peau  du  nez,  par  exemple, 
dans  les  cas  de  vers  intestinaux  (Beau)  ou  dans  les  régions  symétriques  du 
membre  opposé  à  celui  qui  a  été  atteint  de  gelures  (Tédenat).  Mais,  nous  le 
répétons,  on  ne  trouve  à  cet  égard  que  des  affirmations  sans  descriptions. 
L'étude  des  dermalgies  réflexes  est  tout  entière  à  reprendre,  ou  plutôt  à  faire. 

RÉSUMÉ.  INDICATIONS  THÉRAPEUTIQUES.  En  résumant  les  notions  actuel- 
lement acquises  sur  la  dermalgie,  on  voit  que  ce  symptôme  peut  se  rencontrer 
dans  un  grand  nombre  d'affections,  souvent  avec  des  caractères  variés  qui  lui 
donnent  une  certaine  importance  séméiologique.  Dans  les  lésions  de  la  peau, 
associé  le  plus  souvent  à  un  degré  plus  ou  moins  élevé  d'hyperesthésie,  il 
présente  une  intensité  en  rapport  avec  le  siège  des  lésions,  la  rapidité  de  leur 
évolution,  avec  leur  nature.  Chez  les  rhumatisants,  la  dermalgie  se  fait  surtout 
remarquer  par  sa  marche  et  la  coïncidence  d'autres  déterminations  rhuma- 
tismales. Un  peu  effacée  dans  la  névralgie  simple,  elle  se  place  au  premier 
rang  dans  la  névrite,  liée  à  la  fois  à  l'état  des  nerfs  et  aux  lésions  trophiques, 
et  accompagnée  de  troubles  de  la  sensibilité  tactile  qui  lui  donnent  dans  ces  cas 
une  physionomie  toute  spéciale.  Assez  peu  fréquente  dans  le  tahes  dorsal,  peu 
marquée  dans  les  autres  affections  spinales,  absente  ou  méconnue  dans  les 
lésions  encéphaliques,  elle  tient  une  large  place  dans  la  symptomatologie  de 
l'hystérie,  où  sa  topographie  spéciale,  son  nssocialion  à  l'hypéresthésie  et  aux 
myalgies,  en  font  un  symptôme  des  mieux  caractérisés,  et  dans  certaines  formes 
d'aliénation  mentale  où  elle  exerce  une  influence  incontestable  sur  les  troubles 
psychiques  et  les  actes  du  malade. 

Il  n'existe  pas  de  traitement  vrai  de  la  dermalgie.  Dans  certains  cas,  en  effet, 
elle  peut  passer  inaperçue  au  milieu  d'autres  douleurs.  Quand  elle  est  reconnue, 
c'est  en  s'adressant  à  la  cause  même  qui  la  produit  qu'on  peut  le  plus  sûrement 
la  combattre.  Rappelons  seulement  que  dans  le  rhumatisme  et  l'hystérie  l'ap- 
plication de  vésicatoires  loco  dolenti  a  paru  exercer  une  action  favorable;  que 
dans  les  autres  cas  où  elle  mérite  d'être  directement  attaquée,  les  injections 
hypodermiques  de  morphine  mieux  que  toute  autre  application  narcotique  ont 
paru  soulager  le  malade  ;  que  dans  la  causalgie  elles  doivent  de  préférence  être 
faites  au  niveau  des  régions  douloureuses  (Weir  Mitchell).  Aiunozan. 

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IIe.xrot.  Thèse  doct.,1847.  Anesthésie  et  hyperesthésie  hystériques.  —  Kaposi.  Leçons  sur  les 
maladies  de  la  peau.  Traduction  E.  Besnier  et  Doyon.  —  Leloir.  Affections  cutanées  d'ori- 
gine nerveuse.  Th.,  1882.  —  Lerebolllet.  .4rt.  Névualgie,  in  Dict.  encyclop.  —  Marcé.  Des 
altérations  de  la  sensibilité.  Thèse  d'agrég.,  1860.  —  MARTiNEAU.Art.  Dermalgie,  in  Dict.  niéd. 
et  chirur.  pratiques. —  Weir  Mitchell.  Lésions  des  nerfs,  18G4,  Irad.  Dastre.  —  Monneret  et 
Fleurt.  Compendium  de  médecine  pratique,  1846.  —  Peter.  Clinique  médicale,  t.  I,  1880.  — 
Pierret.  Essai  sur  les  sympf.  céph.  du  labes  dorsalis.  Thèse  de  Paris,  1876.  —  Racle.  Thèse 
d'agrég.,1860.  De  l'alcoolisme.  —  Rendu.  Recherches  sur  les  altérations  de  la  sensibilité  dans 


634  DERMÂTOBIE. 

les  affections  de  la  peau,  Wi:  In  Ann.  de  dermatologie.  —  C.  Riciiet.  De  la  sensibilité. 
Th.  Paris,  1877.—  Seual.  Ann.  med.-psijchol.,  1875.  —  Spring,  Masius  et  Vanlair.  Sympto- 
inalologie.  —  Tédenat.  Gelures.  Thèse  d'agrég.,  1880.  —  Valleix.  Traité  des  névralgies, 
1841.  —  Verxedil.  Arch.  de  me'd.,  1874,  t.  II.  —  E.  Vidal.  Acrodijnie.  In  Dict.  encydop.  — 
WoiLLEz.  Dict.  de  diagn.  inédical,  1870. 

DERMA^ISSE  (.îsppa,  peau,  et  vO(7(Tâj,  piquer,  qui  pique  la  peau).  Nom 
d'un  genre  d'Arachnides  du  groupe  des  Acariens  et  de  la  famille  des  Gama- 
sidés.  Ces  animaux  attaquent  les  oiseaux  et  même  accidentellement  l'homme. 
J'ai  donné  les  caractères  du  genre,  la  description  des  principales  espèces, 
ainsi  que  des  détails  sur  leurs  mœurs  et  leur  nocuité,  à  l'article  Gamases  (yoij. 
Acariens,  Gamases,  Dermanyssus,  ¥  série,  t.  VI,  p.  620-622).     A.  Laboulbène. 

«ERMAPTÈRES.  Nom  donné  par  Kirby  à  un  ordre  d'insectes  que  Bur- 
meisler  et  Huxley  ont  nommé  depuis  Dermatoptères  {voy.  ce  mot).       Ed.  L. 

DERMATALGIE.      Voy.    DermALGIE. 
DER.^ATITE.       Voy.    Peau. 

DERMATOBIE  (oépua,  peau,  et  p/o;,  vie,  qui  vit  dans  la  peau).  Genre 
d'insectes  Diptères,  établi  par  Brauer  dans  les  mémoires  de  la  Société  zoologique 
et  botanique  de  Yieiuie  {Verhandhingen  der  K.  K.  Zool.-botanisch.  Gesellschaft 
in  Wien,  t.  X,  1860),  et  renfermant  des  espèces  rapportées  aux  Gutérèbres 
{voy.  CnrÉRÈBRE)  par  Macquart,  Joly,  Goudot,  etc. 

Les  principaux  caractères  taxonomiques  qui  différencient  les  Dermatobies  des 
Gutérèbres  sont  les  suivants  :  le  troisième  article  des  antennes  est  plus  long 
que  les  deux  premiers  pris  ensemble,  allongé  au  lieu  d'être  oviforme  ou  ellip- 
tique comme  dans  les  Gutérèbres.  Le  front  est  relativement  plus  large,  plus 
avancé.  L'abdomen  est  aplati,  triangulaire,  au  lieu  d'être  voûté  et  cordiforme. 

Ges  insectes  sont  extrêmement  intéressants  en  ce  qu'ils  ont  été  regardés  comme 
parasites  de  l'homme  sous  le  nom  à'Œstrus  hominis.  Leurs  larves  ont  été  primi- 
tivement connues  et  décrites.  Ge  n'est  que  bien  plus  tard  et  presque  récemment 
que  les  insectes  parfaits  ont  été  obtenus  d'éclosion. 

L'existence  de  larves  de  mouches  vivant  sous  la  peau  de  l'homme  dans  le  sud 
de  l'Amérique  a  dû  être  constatée  par  les  premiers  voyageurs  et  naturalistes  de 
cette  contrée.  Mais  le  médecin  français  Artnre  est  le  premier  qui  ait  fait 
connaître  le  Ve7'  macaque  de  Cayenne  [Observations  su7'  Vespèce  de  ver  nommé 
Macaque  [in  Mémoires  de  V Académie  royale  des  sciences  de  Paris,  Hist.,p.  72, 
1753]).  Linné,  dans  ses  lettres  à  Pallas,  avait  mentionné  des  larves  d'Œstre 
parasites  de  l'homme.  Gmelin,  dans  le  Systema  naturœ  de  Linné  (édit.  XIII,  I, 
V,  1788),  admet,  d'après  Linné  et  Pallas,  un  OEstrus  hominis,  dont  la  larve 
vivrait  six  mois  sous  la  peau  avant  de  se  transformer.  Humboldt  et  Bonpland 
parlent  de  Mouches  déposant  leur  œuf  dans  la  peau  de  l'homme  et  produisant 
une  tumeur  dans  laquelle  elles  vivent  [Essai  sur  la  géographie  des  plantes, 
p.  156,  1805). 

Roulin,  Guérin-Méneville  et  Vallot,  en  1835,  communiquent  à  l'Académie  des 
sciences  des  documents  sur  V OEstrus  hominis.  Geoffroy  Saint-Hilaire  et  Duraéril 
font  un  rapport,  le  15  juillet  1835,  sur  trois  notices  relatives  à  l'existence  de 
l'Œstre  de  l'homme  (voy.  aussi  Annales  de  la  Société  entomologique  de  France, 
t.  III,  p.  518,  et  Bulletin,  p.  85,  1855).  La  question  de  VŒstrus  hominis  était 


DERMATOBIE.  635 

très-discutée  ;  Latreille  avait  dit  formellement  :  «  Sans  révoquer  en  doute  la 
véracité  de  ces  témoignages,  il  n'en  est  pas  moins  certain  que  toutes  ces  obser- 
vations... sont  incomplètes.  Je  présume  qu'elles  appartiennent  plutôt  à  la 
Musca  carnaria  de  Linut-eus  ou  à  quelque  autie  espèce  analogue,  car  toutes  les 
larves  d'Œstres  que  nous  connaissons  ne  vivent  que  sur  des  quadrupèdes  her- 
bivores et  rongeurs  [Nouveau  Dictionnaire  d'histoire  naturelle,  etc.,  t.  XXlï, 
p.  270.  Paris,  1818).  Et  cependant,  depuis  les  faits  d'Arture,  ceux  de  Howship, 
de  Say,  de  La  Condamine,  du  Père  Simon  et  de  Barrère,  tous  ceux  relatés  par 
Hope  dans  son  mémoire  célèbre  {Transactions  of  the  Enlomological  Society  of 
London,  vol.  Il,  p.  256-271,  pi.  XXll,  1840),  ne  se  rapportaient  pas  à  des  larves 
de  Muscides  créopbages  ordinaires. 

Justin  Goudot  fixa  la  science  à  cet  égard  en  décrivant  dans  les  Annales  des 
sciences  naturelles  {Zoologie,  5"  série,  t.  III,  p.  221, 1845)  le  fait  d'une  Œstride 
ayant  vécu  sous  la  peau  humaine  à  l'état  de  larve  à  la  Nouvelle-Grenade,  et  en 
même  temps  nuisible  aux  bœufs.  11  la  décrivit  sous  le  nom  de  Cnterebra 
noxialis. 

Depuis  cette  époque,  l'idée  d'un  Œstrus  hominis,  exclusivement  propre  à 
l'espèce  humaine,  adoptée  par  lUidolphi,  Raspall,  Guérin-Méneville,  etc.,  est 
abandonnée,  et  tontes  les  observations  qui  ont  suivi,  propres  à  Coquerel  et  Salle, 
Friedrich  MûUer,  à  Frantzius,  etc.,  montrent  que  les  Dermatobies  attaquent  à 
Ja  fois  les  animaux  domestiques  et  sauvages,  ainsi  que  l'homme. 

La  synonymie  des  larves  du  genre  Dermatobie  est  la  suivante  :  à  Cayenne, 
Ver  macaque;  au  Brésil,  Ura;  à  Costa  Rica,  Torcel;  parmi  les  Indiens-Maynas, 
Suglacuru;  à  la  Nouvelle-Grenade,  Gusano-peludo  ou  Niiche;  au  Mexique, 
Ver  moyacuil. 

Les  larves  de  Dermatobies  sont  allongées,  terminées  en  pointe,  pourvues 
d'épines  à  leur  moitié  antérieure  et  seulement  au  bord  supérieur  et  inférieur 
de  leurs  anneaux  {voy.  pour  les  figures  :  Brauer,  Monographie  der  Œstriden 
[in  Verhandl.  der  K.  K.  Zool.-botan.  Gesellschaft  in  Wien,  tab.  X,  fig.  1  à  5, 
1863];  A.  LABonLBÈNE,  Rapport  sur  une  larve  d' Œstride  extraite  de  la  peau 
d'un  homme  à  Cayenne  [in  Mémoires  de  la  Société  de  Biologie,  5-  série,  t.  11, 
p.  161,  1860];  Description  et  figure  d'une  larve  d'Œstride  de  Cayenne  [in 
Annales  de  la  Société  entomologique  de  France,  4*  série,  t.  I,  p.  249,  pi.  7, 
1861]).  Ces  larves  sont  très-différentes  de  celles  des  Cutérèbres,  qui  sont  épaisses, 
ramassées,  non  atténuées  en  arrière,  et  simplement  grenues,  sans  fortes  épines 
lamelliformes  ou  unciformes  {voy.  Brauer,  loc.  cit.,  tab.  X,  hg.  4). 

Les  deux  espèces  principales  de  Dermatobies  connues  à  l'état  parfait,  de  per- 
fectose  ou  d'imago,  sont  la  Dermatobia  cyaniventris  de  Macquart,  décrite  par 
lui  en  1843  dans  ses  Diptères  exotiques  (t.  11,  p.  19.  Paris,  l'ioret)  sous  le  nom 
de  Cuterebra  cyaniventris  {Extrait  des  Mémoires  de  la  Société  royale  des  sciences, 
de  l'agriculture  et  des  arts  de  Lille,  1840).  Cette  espèce  du  Brésil  ne  diffère  de 
la  Dermatobia  noxialis  de  Goudot  que  par  l'abdomen  entièrement  bleu. 

La  célèbre  Dermatobia  noxialis  de  Goudot,  longue  de  17  millimètres  environ 
(7  à  8  lignes),  a  la  face  et  la  cavité  frontale  d'un  jaune  fauve,  avec  des  poils 
courts  d'un  blanc  soyeux;  yeux  bruns, rayés  au  milieu  par  une  bande  noirâtre; 
antennes  jaunes,  style  brun;  thorax  brun,  nuancé  de  bleuâtre,  tacheté  de  gris 
et  de  noir,  formant  des  zones  longitudinales,  couvert  de  poils  très-courts  et  noirs; 
écusson  comme  le  thorax;  abdomen  chagriné,  d'un  beau  bleu,  couvert  de  très- 
petits  poils  noirs;   le  premier  segment  et  le  bord  antérieur  du  second  sont 


636  DERMâTOBIE. 

d'un  blanc  terne,  avec  des  poils  de  cette  couleur;  ailes  brunes;  pattes  fauves, 
avec  des  poils  fauves  (mâle). 

Goudot  a  donné  sur  les  mœurs  des  larves  et  des  insectes  parfaits  les  détails 
suivants,  d'un  haut  intérêt  :  La  Dermatohia  {Cuterebra)  notialis  se  trouve  en 
très-grand  nombre  sur  la  lisière  des  grands  bois  et  dans  les  prairies  à  taillis.  Ce 
Diptère  inspire  beaucoup  d'effroi  aux  bœuls  à  demi  sauvages,  qui  préfèrent  passer 
la  journée  dans  des  endroits  stériles  et  sablonneux  plutôt  que  de  s'exposer  en 
paissant  à  l'ombre  aux  attaques  multipliées  de  nombreux  ennemis. 

Il  est  probable  que  les  Dermatobies  dé|tosent  leurs  œufs  à  la  manière  des 
Hypodermes  {voij.  Hypoderme  et  Œstre)  ;  elles  choisissent  de  préférence  les  points 
les  moins  accessibles  au  museau  ou  bien  à  la  queue  de  l'animal.  Toutefois,  les 
Dermatobies  femelles  paraissent  extrêmement  fécondes,  puisque  sur  un  seul 
bœuf  on  peut  compter  souvent,  au  dire  de  Goudot,  plusieurs  centaines  de  larves. 
Ces  larves  couvrent  une  grande  partie  des  épaules  des  bêtes  à  cornes  formant 
sous  la  peau,  par  leur  réunion,  une  agglomération  de  nombreuses  tumeurs,  d'oii 
découlent  continuellement,  par  une  multitude  d'orifices,  des  matières  purulentes. 
Ces  trous  servent  souvent  à  d'autres  insectes  diptères,  qui  viennent  y  déposer 
leurs  œufs,  produisant  ainsi  des  plaies  parfois  dangereuses  et  toujours  difficiles 
à  guérir.  On  trouve  aussi  des  larves  de  Dermatobies  sur  la  tête,  les  flancs,  la 
queue,  le  long  de  l'épine  dorsale,  mais  c'est  toujours  sur  les  épaules  qu'est  le 
principal  foyer  d'habitation. 

Une  larve  recueillie  vers  le  milieu  de  juin,  au  district  des  mines  de  Marmafo, 
s'est  métamorphosée  en  insecte  parfait  le  4  août  suivant. 

Justin  Goudot  a  démontré  que  non-seulement  les  bœufs,  mais  encore  les  chiens 
transportés  dans  le  Nouveau  Monde,  sont  atteints,  et  que  l'homme  n'est  pas 
épargné  :  il  n'y  a  donc  point  de  parasitisme  exclusif  pour  l'homme,  et  YŒstrus 
hominis  n'existe  point  comme  espèce  tout  à  fait  à  part.  Lui-même  a  été  atteint 
par  les  Dermatobies.  «  J'ai  eu,  dit-il,  sur  différentes  parties  du  corps,  et  indis- 
tinctement sur  toutes  celles  qui  se  trouvaient  fortuitement  découvertes,  des 
larves  qui  ne  différaient  pas  de  celles  du  bœuf  et  du  chien.  J'en  ai  même  conservé 
une  pendant  une  quinzaine  de  jours  sur  une  cuisse,  et  j'ai  pu  ainsi  remar- 
quer que  l'espèce  de  succion  qu'exécute  la  larve  a  lieu  particulièrement  de 
très-grand  matin  (de  5  à  6  heures)  et  sur  le  soir,  produisant  un  effet  analogue 
à  celui  d'une  aiguille  qu'on  enfoncerait  vivement  dans  la  peau.  » 

J.  Goudot  nous  a  appris  qu'en  Amérique  on  emploie,  pour  débarrasser  les 
bœufs  des  Dermatobies  logées  dans  leur  peau,  des  procédés  analogues  à  ceux 
employés  en  Europe  contre  les  Hypodermes.  Après  avoir  fait  sortir  les  larves  des 
tumeurs,  on  lave  celles-ci  avec  de  l'eau  salée,  on  cherche  à  entraîner  les  œufs 
que  les  Diptères  ne  cessent  d'y  déposer. 

Souvent  l'animal,  nettoyé  le  matin,  offre  déjà  le  soir,  dans  les  trous  vides  des 
Dermatobies,  une  fourmilière  de  petits  vers  qu'on  ne  parvient  à  faire  mourir 
qu'en  remplissant  ces  trous  d'extrait  de  tabac,  ou  mieux  encore  en  les  saupou- 
drant avec  les  fruits  réduits  en  poudre  de  ÏAsagrea  officinalis  Lindley. 

11  convient  de  laisser  croître  pendant  quelques  jours  les  larves  des  Dermato- 
bies qui  ont  été  constatées  chez  un  homme,  afin  que  la  pression  que  l'on  exer- 
cera sur  elles  soit  plus  directe  et  plus  efficace,  et  par  là  leur  extraction 
plus  facile.  C'est  ce  que  les  indigènes  savent  faire  lorsqu'ils  nourrissent  des 
larves  de  Dermatobies  [voy.  Diptères,  Cotérèbre,  Œstridks,  Macaque). 

A.  Laboulbène. 


DERMATOLYSIE.  €37 

DERMATOBRA!¥cnES.  Groupe  de  MoJlusques-Opislhobranches  compre- 
nant tous  ceux  de  ces  animaux  chez  lesquels  la  respiration  s'opère  soit  par  la 
surface  des  téguments,    soit  au  moyen  de  brancliies  externes  {voy.  Opistho- 

BRANCHES).  Ed.   LEFiîVRE, 

DEBMATOCHELYS.  Le  nom  de  Dermatochelys  (ou  Dermochelys)  a  e'té 
proposé  par  de  Blainville  pour  un  genre  de  Tortues  marines  dont  l'espèce  la 
plus  remarquable  est  la  Tortue  Luth  {Testudo  coriacea  L.).  Il  est  donc  absolu- 
ment synonyme  de  Sphargis  {voy.  ce  mot) .  E.  0. 

DERMATODECTE  {Sipij-ix,  peau,  et  ^/jxTi/.ôç,  piquant,  mordant,  qui  pique 
ou  mord  la  peau).  Dès  l'année  1841,  Paul  Gervais,  ayant  reconnu  que  VAcarus 
de  la  gale  en  plaques  et  en  croûtes  écailleuses  du  cheval  diffère  du  Sarcopte  de 
la  gale  humaine,  avait  établi  pour  cet  Acarien  un  genre  particulier  qu'il  caracté- 
risa nettement  et  appela  Psoroptes^  par  opposition  à  Sarcoptes  {Ayinales  des 
sciences  naturelles,  Zoologie,  2^  série,  t.  XV,  p.  9,  pi.  2,  fig.  6,  1841). 

Ce  n'est  que  plus  tard  que  Gerlach  désigna  le  même  Acarien  sous  le  nom 
générique  de  Dermatodecte,  nom  qui  fut  adopté  à  tort  par  0.  Delafond,  malgré 
la  priorité  du  terme  Psoroptes.  Enfin,  Furstenberg  a  publié  sans  plus  de  néces- 
sité un  troisième  nom  géuérique  synonyme,  celui  de  Dermatocopte  {oépp.a,peau, 
et  xôTTTsiv,  couper).  Le  professeur  Charles  Robin  (voy.  Mémoires  de  la  Société' 
des  Naturalistes  de  Moscou,  1860)  a  rétabli  les  choses  en  leur  lieu  et  place  ;  il 
a  rendu  la  priorité  au  nom  de  Psoroptes  et  rejeté  en  synonymie  les  Derma- 
todectes  et  Dermatocoptes  [voij.  Acariens,  Sarcoptes  et  Psoroptes). 

A.  Laboulbène. 

DER:matoltsie  (de  Sépi/.x,  peau,  et  >ûsiv,  relâcher).  Ce  mot  a  été  créé 
par  Alibert  pour  désigner  une  «  affection  caractérisée,  selon  lui,  par  une  exten- 
sion anormale  de  la  peau,  provenant  d'une  altération  particulière  de  la  faculté 
contractile  de  cette  enveloppe.  » 

Cette  définition  est  au  moins  incomplète.  Elle  ne  tient  aucun  compte  d'une 
modification  très-importante,  et  peut-être  la  seule  importante,  éprouvée  par  le 
tissu  du  derme  :  je  veux  parler  de  l'accroissement  en  nombre  de  quelques-uns 
des  éléments  anatomiques  qui  entrent  dans  sa  composition.  Or,  la  dermatolysie 
ou  relâchement  de  la  peau,  cutis  pendula,  cutis  lapsus,  chcdazodermie,  etc., 
ne  va  pas  sans  un  certain  degré  d'hypertrophie. 

Enfin,  il  est  nécessaire  d'ajouter  que  la  dermatolysie,  affection  le  plus  sou- 
vent congénitale  et  quelquefois  acquise,  appartient  à  la  classe  des  difformité  dse 
la  peau  ou  affections  cutanées  arrêtées  dans  leur  évolution. 

Nosographie.  La  dermatolysie  consiste  essentiellement,  comme  nous  venons 
de  le  dire,  en  une  extension  insolite  avec  épaississement  et  relâchement  de  la 
peau.  Devenue  trop  large  pour  les  parties  qu'elle  recouvre,  cette  membrane 
s'en  détache,  se  [die  en  double  en  s'adossant  à  elle-même  par  sa  face  profonde, 
et  retombe  entraînée  par  son  propre  poids  vers  les  régions  déchirées  [cutis  pen- 
dula). De  là  la  formation  de  plis  ou  prolongements  cutanés  variables  en  nombre 
et  en  étendue  selon  le  degré  de  l'altération,  et  dont  la  forme  et  la  direc- 
tion sont  en  rapport  avec  la  configuration  des  parties.  Tout  se  borne,  dans  cer- 
tain cas,  à  un  ou  deux  de  ces  plis,  comme  il  arrive  plus  particulièrement  aux 
paupières;  mais  dans  une  forme  compliquée  de  la  maladie  les  prolongements 
cutanés  sont  multiples   et  donnent  lieu  par   leur  ensemble  à  des  apparences 


658  DERMATOLYSIE. 

très -diverses.  On  les  a  vus  simuler,  par  leur  disposition,  les  plis  flollants  d'une 
draperie,  ou  s'enrouler  autour  du  cou  ou  d'un  membre  à  la  manière  d'une  pala- 
tine. On  les  a  comparés  encore  assez  justement  aux  claies  du  dindon  et  a-iix  plis 
qui  existent  naturellement  au  cou  du  taureau.  M.  Furneaux-Jordan  a  décrit  une 
affection  qui  formait  comme  une  sorte  de  collier  autour  de  la  cheville,  et  un  cas 
analogue  s'est  également  présenté  à  l'observation  de  M.  Adams  :  l'hypertrophie 
de  la  peau  s'étendait  à  toute  la  jambe  et  s'accompagnait  de  prolongements 
pendants  sur  différentes  parties  du  corps. 

La  peau  atteinte  de  dermatolysie  n'a  rien  perdu  de  son  activité  fonctionnelle; 
sa  coloration,  sa  température,  sont  restées  normales,  au  moins  dans  la  généralité 
des  cas;  les  poils  continuent  à  végéter  à  sa  surface;  ses  diverses  sécrétions  n'ont 
5ubi  aucune  modification  appréciable.  Quelquefois  pourtant  on  remarque 
une  certaine  vascularisation  du  tissu  cutané  qui  entre  dans  la  formation  des 
plis,  et  si  l'on  interroge  sa  sensibilité,  on  la  trouve  généralement  un  peu 
diminuée. 

La  dermatolysie  est  une  affection  absolument  indolente  ;  mais  elle  peut  donner 
lieu,  par  le  seul  fait  de  sa  présence,  à  d<  s  désordres  fonctionnels  d'une  véritable 
gravité.  C'est  ce  qui  arrive  notamment  à  la  face,  où  toute  déviation  du  type 
normal  devient  si  facilement  une  cause  de  trouble  et  de  gêne  pour  les  organes  si 
importants  qui  s'y  trouvent  concentrés. 

La  dermatolysie  est  toujours  partielle.  Alibert  en  a  mentionné  cinq  variétés 
selon  le  siège  : 

1°  Une  dermatolysie  palpébrale  (dermatolysis  palpehrariwi) ,  variété  très- 
commune.  Il  cite  le  fait  d'une  jeune  fille  de  la  campagne  dont  les  paupières 
supérieures  s'étaient  allongées  d'une  manière  si  prodigieuse  qu'elles  couvraient 
les  yeux  et  la  partie  supérieure  des  joues; 

2"  Une  dermatolysie  faciale  {dermatolysis  faciei).  Assez  commune.  Alibert 
en  rapporte  un  exemple  des  plus  extraordinaires,  observé  chez  un  nommé 
Lemoine,  âgé  de  quarante-cinq  ans.  La  presque  totalité  de  la  face  et  du  crâne 
était  occupée  par  une  suite  de  plis,  les  uns  longitudinaux,  les  autres  transver- 
saux ou  obliques,  la  plupart  d'une  étendue  considérable,  et  qui  formaient  des 
masses  de  peau  pendantes,  entraînées  par  leur  propre  poids  vers  les  parties 
déchirées,  et  au  milieu  desquelles  disparaissaient  à  peu  près  complètement  les 
traits  du  visage  ; 

5"  Une  dermatolysie  cervicale  {dermatolysis  collaris).  Il  s'agit  ici  d'un 
homme  âgé  de  soixante-deux  ans,  chez  lequel  le  mal  se  serait  manifesté  vers 
l'âge  de  quatorze  ans.  La  tumeur  avait  la  forme  suivante  :  la  peau  singulière- 
ment relâchée  et  sillonnée  formait  une  sorte  de  triangle  qui,  de  l'oreille  droite, 
se  propageait  jusqu'au  devant  de  la  poitrine  ;  cet  amas  de  peau  ressemblait 
assez  bien  à  celle  que  l'on  voit  pendre  sous  le  cou  des  vaches  ou  au  cou  des  gros 
chiens  de  basse-cour; 

4"  Dermatolysie  ventrale  {dermatolysis  abdominalis) .  Variété  assez  fréquente  ; 
le  relâchement  de  la  peau  de  l'abdomen  peut  atteindre  des  proportions  assez 
considérables  pour  nécessiter  l'emploi  de  moyens  spéciaux  de  contention; 

5»  Dermatolysie  génitale  {dermatolysis  genitalium).  Alibert  cite  un  cas  fort 
curieux,  observé  par  lui  chez  une  jeune  fille  de  vingt  ans.  Cette  affection,  qui 
consistait  en  un  relâchement  de  la  peau  située  entre  les  grandes  et  les  petites 
lèvres,  lui  parut  avoir  un  rapport  singulier  avec  l'appendice  décrit  par  les 
voyageurs  che2  les  femmes  des  Boschimans. 


DERMATOPHILE.  659 

Les  cinq  localisations  mentionnées  par  Alibert  ne  sont  pas  évidemment  les 
seules  que  puisse  affecter  la  dermatolysie.  J'ai  dit  que  M.  Furneaux-Jordan  avait 
observé  cette  affection  sur  la  région  du  cou-de-pied,  et  M.  Adams  sur  la  totalité 
de  la  jambe;  l'hypertrophie  des  orteils,  maladie  particulière  aux  Africains,  est 
aussi  vraisemblablement  une  lésion  du  même  ordre.  Enfin  Turner,  dans  son 
T raité  des  maladies  de  la  peau  (Introduction,  page  xxi),  cite  un  cas  bien  remar- 
quable de  dermatolysie  (?)  ayant  pour  siège  l'épaule  droite  et  la  mamelle;  ce 
fait  mérite  d'être  consigné  ici  ;  je  laisse  la  parole  à  Turner  :  «  Je  n'ai  rien  vu, 
dit  il,  quant  à  la  dilatabilité  surprenante  de  la  peau,  qui  approche  de  ce  que 
Mekrin  rapporte  d'un  jeune  Espagnol  qui,  avec  la  main  gauche,  portait  à  sa 
bouche  la  peau  de  son  épaule  droite  et  de  sa  mamelle,  comme  il  le  fit  voir  dans 
l'hôpital  d'Amsterdam  à  Van  Horn,  à  Sylvius,  à  Pison,  et  à  quelques  autres 
savants  médecins.  Il  étendait  aussi  la  peau  de  son  menton  sur  la  poitrine,  en 
forme  de  longue  barbe,  et  la  portait  après  sur  le  sommet  de  la  tête, 
par  où  il  se  cachait  les  deux  yeux  ;  après  quoi,  se  remettant  avec  régularité  dans 
sa  situation  naturelle,  elle  y  paraissait  aussi  unie  que  celle  d'aucune  autre 
personne.  Cet  Espagnol  pouvait  étendre  aussi  en  haut  et  en  bas  la  peau  du 
genou  et  de  la  jambe  droite,  de  la  longueur  d'une  demi -verge;  mais,  ce  qui 
paraît  encore  plus  remarquable,  la  peau  du  côté  gauche  du  corps  ne  souffrait 
aucune  extension  pareille.  » 

La  dermatolysie  est  presque  toujours  congénitale;  quelquefois  pourtant  elle 
s'est  manifestée  à  une  époque  variable  après  la  naissance,  mais  peut-être  ne 
faut-il  voir  dms  ces  faits  que  le  résultat  d'une  conformation  organique  jusque-là 
restée  latente  et  par  conséquent  méconnue  :  en  effet,  lai  ésion  qui  nous  occupe 
paraît  susceptible  d'un  certain  développement,  mais  tout  se  borne  à  des  modifi- 
cations de  forme  et  de  volume. 

Comme  je  l'ai  dit  en  commençant,  la  dermatolysie  ne  va  point  sans  un  certain 
degré  d'hypertrophie  ;  le  derme  est  épaissi,  le  tissu  lamineux  est  plus  dense 
qu'à  l'état  normal,  les  filets  nerveux  plus  volumineux  et  parfois  renflés  de 
distance  en  distance  de  manière  à  constater  des  névromes.  Ces  caractères  distin- 
guent suffisamment  la  chalazodermie  de  tous  les  relâchements  de  la  peau  dus 
à  des  causes  purement  mécaniques,  comme  l'ascite,  la  grossesse,  etc. 

En  résumé,  la  dermatolysie  est  une  difformité  de  la  peau  due  à  une  aberra- 
tion de  nutrition  dont  le  point  de  départ  remonte  généralement  à  la  vie  intra- 
utérine.  Cette  affection,  absolument  locale,  n'aura  aucune  influence  fâcheuse 
sur  la  santé  générale,  mais  elle  peut  être  grave  en  raison  des  déformations 
qu'elle  produit  et  des  troubles  fonctionnels  qu'elle  occasionne,  lorsqu'elle  se 
trouve  à  proximité  d'organes  plus  ou  moins  importants,  comme  il  arrive  à  la 
face.  Quant  au  traitement,  il  n'y  en  a  qu'un,  faire  l'ablation  des  plis  avec  le 
bistouri,  et  réunir  ensuite  par  la  suture  :  mais  on  conçoit  que  ce  moyen  ne 
s'applique  qu'aux  cas  où  l'affection  est  parfaitement  circonscrite  et  de  peu 
d'étendue.  Bazin. 

DERMATOiiES.     Tumeurs  de  la  peau.     Voij.  Peau. 

DERMATOPniLE  {Sipixoc,  peau,  et  tpi>oî,  qui  aime).  Nom  d'un  genre  d'in- 
sectes, créé  par  Guérin-Méneville  pour  désigner  la  Chique  ou  Puce  pénétrante, 
si  nuisible  dans  les  pays  chauds  [voy.  Chique).  Les  caractères  de  ce  genre,  dont 
la  priorité  appartient  bien  réellement  à  Guérin-Méneville,  ont  été  exposés  avec 


640  DERMATOSES. 

ceux  de  l'espèce  typique  (Chique,  t,.  XVI,  p.  229).  J'ai  discuté  la  valeur  des 
termes  RJujnchoprion  et  Sarcopxj/Ua  que  Oken,  Karsten  et  Westwood,ont  voulu 
appliquer  à  la  Puce  pénétrante.  J'ai  enlin  démontré  que  la  désignation  de  Der- 
matophilus penetmns  devait  prévaloir  (Chique,  loco  citato,  p.  259)  {voij.  Lnsectes, 
Puce,  Suceurs).  A.  Laboulbène. 

DERM.4TOPTÈRES  {Dermcitoptera  Burra.),  de  Sîpua,  peau,  et  -^TÉpov,  aile. 
Groupe  d'insectes  que  leur  aspect  caractéristique,  rappelant  un  pou  celui  des 
Coléoptères  de  la  famille  des  Staphylinidés,  et  certaines  particularités  de  leur 
organisation,  ont  fait  considérer  pendant  longtemps  comme  devant  l'ormer  un 
ordre  distinct,  mais  qui  ne  constituent  plus  aujourd'hui  qu'une  simple  division 
de  l'ordre  des  Orthoptères. 

Ce  "^roupe  correspond  aux  Labidoiires  de  Duméril  et  de  Léon  Dufour,  aux 
Dermaptères  de  Leacli,  de  Kirby  et  de  Stephens,  aux  Euplexoptères  de  West- 
wood  et  d'Emile  Blanchard,  enfin  aux  Harmoptères  de  Fieber.  Il  renferme  la 
seule  famille  des  Forficulidés,  dont  les  représentants,  bien  connus  sous  les 
noms  vulgaires  de  Forficitles,  Pevce-oreilles,  sont  remarquables  autant  par  les 
deux  organes  en  forme  de  pince  qui  terminent  leur  abdomen  que  par  la  ma- 
nière compliquée  dont  s'opère  le  plissement  de  leurs  secondes  ailes  sous  les 
élytres  {voy.  Orthoptères).  Ed.  Lefèvre. 

DERMATOSES  (de  Sipaa,peau),  mot  par  lequel  Alibert  désignait  indistincte- 
ment toutes  les  affections  ou  maladies  de  la  peau. 

Avant  de  tracer,  de  notre  point  de  vue,  l'histoire  générale  des  dermatoses,  il 
convient  de  faire  connaître  de  quelle  façon  ce  vaste  sujet  a  été  envisagé  par 
les  auteurs  tant  anciens  que  modernes.  C'est  donc  par  des  considérations  histo- 
riques que  nous  commencerons  cet  article. 

HISTOBIQUE  DES  DERMATOSES.  Afin  de  créer  quelques  points  fixes  qui  per- 
mettent à  la  mémoire  de  se  reconnaître  au  milieu  des  documents  sans  nombre 
que  comprend  cette  étude,  nous  établirons  trois  époques  correspondant  aux 
grandes  divisions  de  l'histoire  universelle  :  la  première  s'étendra  depuis  les 
temps  les  plus  reculés  jusqu'à  la  fin  du  quatrième  siècle  de  notre  ère;  la 
deuxième  depuis  le  commencement  du  cinquième  siècle  jusqu'au  milieu  du 
quinzième;  la  troisième  depuis  le  milieu  du  quinzième  jusqu'à  nos  jours.  Je 
tracerai,  s'il  y  a  lieu,  des  divisions  secondaires. 

Première  époque.  Elle  se  réduit  à  peu  près  complètement  pour  nous  à  l'an- 
tiquité grecque  et  latine,  en  dehors  de  laquelle  nous  ne  savons  rien  ou  presque 
rien  des  différentes  races  qui  ont  peuplé  le  monde  en  ces  temps  reculés.  On 
ne  saurait  douter  pourtant  que  les  dermatoses,  exposées  qu'elles  sont  à  tous  les 
regards,  s'offrant  sous  mille  aspects  divers,  atteignant  tous  les  âges  et  les  deux 
sexes,  se  montrant  sous  toutes  les  latitudes,  aient  dû,  nécessairement,  frapper 
l'attention  des  observateurs  de  tous  les  lemps.  Une  preuve  de  ce  fait  nous  est 
fournie  par  le  peuple  Juif,  dont  les  annales  nous  ont  été  transmises  dans  la 
Bible,  oiî  l'on  trouve  les  affections  de  la  peau  pour  la  première  fois  mentionnées 
sous  le  nom  de  tsavath,  traduit  en  grec  dans  la  version  des  Septante  par  celui 
de  liivpx.  Or,  ce  mot  tsavath  s'appliquait,  selon  toute  vraisemblance ,  à  un 
certain  nombre  d'affections  cutanées  fort  différentes,  mais  dont  l'une  présentait 
évidemment  de  grands  rapports  avec  la  lèpre  tuberculeuse  ou  éléphantiasis  des 


DERMATOSES.  C4I 

Grecs;  et  ces  affections  étaient  sans  doute  bien  fréquentes  chez  le  peuple  Juil, 
et  quelques-unes  bien  redoutables,  si  l'on  en  juge  du  moins  par  la  frayeur 
qu'elles  inspiraient  et  par  les  mesures  sanitaires  dont  elles  ont  été  l'objet  de 
la  part  du  législateur  hébreu.  Remarquons  du  reste  que  le  penple  Juif,  tel  que 
la  Bible  nous  le  représente,  toujours  errant,  misérable,  dénué  des  choses  les 
plus  nécessaires  à  la  vie,  se  trouvait  précisément  dans  les  conditions  qui  favo- 
risent au  plus  haut  degré  le  développement  des  affections  de  la  peau. 

Autre  fait  qui  prouve  l'intérêt  qui  s'est  attaché  de  tout  temps  à  cet  ordre 
d'états  morbides  :  nous  avons  eu  entre  les  mains  un  Traité  des  alfections  de  la 
peau,  écrit  en  chinois  2000  ans  avant  notre  ère.  Ce  traité,  que  nous  avons  fait 
voir  à  nos  élèves  en  1857,  était  illustré;  mais,  malgré  les  planches  intercalées 
dans  le  texte,  il  nous  a  été  impossible  d'y  trouver  un  seul  dessin  qui  ressemblait 
à  l'une  quelconque  de  nos  maladies  cutanées  :  ce  qu'on  ne  peut  évidemment 
attribuer  qu'à  l'état  d'enfance  où  se  trouvait  l'art  de  la  peinture  à  l'époque 
où  cet  ouvrage  a  été  écrit. 

Si  l'Egypte  et  la  Chine  peuvent  disputer  à  la  Grèce  l'origine  de  la  médecine, 
elles  ne  sauraient  lui  ravir  la  gloire  de  l'avoir  amenée,  par  des  révolutions  suc- 
cessives, au  degré  de  développement  où  nous  la  trouvons  dans  les  œuvres  d'IIip- 
pocrate  et  de  Galien. 

C'est  par  Hippocrate  que  nous  allons  commencer  la  revue  des  évolutions 
<[u'a  subies  la  pathologie  cutanée  depuis  les  temps  antiques  jusqu'à  nos  jours. 
Et  cette  première  partie  de  notre  tâche  n'en  est  certes  pas  la  plus  facile.  En 
effet,  Hippocrate  ne  nous  a  laissé  généralement  sur  les  affections  de  la  peau 
que  des  indications  tellernent  vagues,  concises  et  aphoristiques,  qu'il  semble 
n'en  aA^ir  eu  qu'une  connaissance  forte  imparfaite.  Telle  est  du  moins  l'im- 
pression que  l'on  éprouve  lorsque  l'on  relit,  au  point  de  vue  spécial  qui  nous 
occupe,  les  œuvres  de  ce  grand  homme.  Frappé  de  l'existence  de  celte  lacune 
dans  la  médecine  antique,  Lorry  a  cru  pouvoir  en  inférer  que  les  maladies  de 
la  peau  étaient  sans  doute  beaucoup  moins  fréquentes  autrefois  qu'elles  ne  sont 
aujourd'hui,  ce  qui  s'expliquerait,  dit-il,  soit  par  la  sévérité  des  mœurs  en  ces 
temps  primitifs,  soit  par  la  salubrité  des  lieux  où  fleurit  d'abord  l'art  de  la 
médecine.  Lorry  invoque  en  outre  à  l'appui  de  sa  thèse  le  silence  d'Hésiode  et 
d'Homère,  qui  ne  font  mention  des  maladies  cutanées  dans  aucun  endroit  de 
leurs  ouvrages,  et  certains  passages  d'Hérodote  et  de  Thucydide  où  ces  maladies 
sont  présentées  comme  très-rares  et  à  peu  près  inconnues  en  Grèce.  Mais  toutes 
ces  raisons  ne  nous  semblent  pas  démontrer  suffisamment  que  l'assertion  de  Lorry 
soit  conforme  à  la  réalité  des  faits. 

Assez  généralement  les  termes  employésjpar  Hippocrate  semblent  s'appliquer 
bien  plutôt  à  des  groupes  ou  catégories  d'éruptions  qu'à  une  forme  éruptive  bien 
déterminée  :  ainsi  en  était-il  des  mots  lîizpxi,  jiMpcf.i,  ^sux.at,  hr/jn-js;,  è^avS/;- 
para,  etc.,  que  l'on  voit  reparaître  si  fréquemment  dans  ses  œuvres.  Quant  au 
sens  qu'il  convient  d'attribuer  à  ces  dénominations  collectives,  c'est  ce  qu'il  est 
le  plus  ordinairement  fort  difficile  de  préciser  d'une  manière  rigoureuse.  Lorry 
lui-même,  le  savant  Lorry,  dont  l'autorité  est  si  grande  en  pareille  matière,  n'a 
pas  toujours  à  beaucoup  près  réussi  à  débrouiller  ce  chaos,  et  c'est  en  vain  que 
nous  avons  cherché  dans  plus  d'un  cas  des  éclaircissements  dans  son  livre. 

Essayons  néanmoins  de  nous  faire  une  idée  telle  quelle  des  principaux  termes 
de  nomenclature  employés  par  Hippocrate  pour  désigner  les  affections  de  la 
peau. 

DIOT.  ENC.  XX VIL  41 


6i2  DERMATOSES. 

Les  )s7rpat,  comme  l'indique  le  sens  e'tymologique  (de  Ic-t;,  too;,  écaille), 
étaient  avnnt  tout  des  affections  écailleuses  ou  squameuses,  et  comprenaient 
sans  doute  les  formes  aujourd'hui  connues  sous  les  noms  de  lèpre  des  Grecs, 
psoriasis,  pityriasis.  Lorry  fait  remarquer  que  ce  terme  est  employé  par  Hippo- 
crate  au  nombre  pluriel  «  Quasi  siib  hoc  nomine  gênera  morhi  potius  quant 
morhum  deprehenderet  ».  Du  reste,  pour  le  médecin  de  Cos,  les ^sTrpai pouvaient 
également  se  développer  sur  le  tégument  interne,  ainsi  qu'on  en  trouve  un 
exemple  au  livre  Y  des  Épidémies,  §  17,  où  il  est  question  d'une  /cTroa  de  la 
vessie  qui  aurait  déterminé  la  mort.  Le  mot  Is-rroai  a  été  généralement  rendu 
dans  les  traductions  latines  par  celui  de  leprœ^  et  dans  les  traductions  fran- 
çaises par  celui  de  dartres.  Ajoutons  qu'au  moyen  âge  le  mot  ^sTrpa  fut  détourné 
de  son  sens  primitif  par  les  Arabes,  qui  s'en  servirent  pour  désigner  l'éiéphan- 
tiasis  des  Grecs. 

Les  -^wpat  (de  -^w,  je  gratte)  s'appliquaient  vraisemblablement  à  des  éruptions 
surtout  accompagnées  de  prurit  (lichen,  pruritus,  prurigo,  etc.),  mais  rien  ne 
prouve  que,  sous  ce  litre,  Ilippocrate  ait  particulièrement  désigné  la  gale.  Telle 
était  aussi  l'opinion  de  Lorry  :  «  Hippocrates  enim  videtur  nomine  ■Lùpy.i;  non 
eam  tantum  quam  nos  ohservare  aggredinmr  affectionem  intellexisse  {scilicet 
scabiem),  sed  cœtera  omnia  malorum  prurientium  gênera.  »  Le  terme  -^/w.oa  a 
été  rendu  en  latin  par  celui  de  scabies,  et  en  français,  fort  improprement,  est-il 
besoin  de  le  dire?  par  celui  de  gale. 

Sous  le  nom  de  Izi/r/js;  (de  ïsv/u,  je  lèche),  Ilippocrate  fait  mention,  sans 
autrement  les  décrire,  d'efflorescences  cutanées  survenant  surtout  sous  l'in- 
fluence des  saifons  et  affectant  parfois  un  caractère  épidémique  (Aphor.,  sect.  111, 
20).  Mais  quelle  était  la  forme  de  ces  efflorescences  ?  Galien,  et  après  lui  Aetius 
et  Oribase,  en  ont  fait  des  tumeurs  de  la  peau  :  opinion  contre  Inquelle  Lorry 
proteste,  tout  en  y  conformant  son  classement  des  lichenes,  affections,  dit-il, 
qui  de  leur  nature  ne  s'élèvent  pas  sensiblement  au-dessus  du  niveau  de  la 
peau,  et  qu'il  semble  par  conséquent  bien  difficile  de  rapporter  aux  tumeurs. 
En  effet,  pour  donner  une  idée  des  lichenes  tels  qu'il  les  comprend,  Lorry  cite 
en  exemple  les  éruptions  «  qua?  Gallis  dicuntur  dartres  farineuses  ».  Mais  est-ce 
bien  là  ce  qu'Hippocrate  entendait  par  le  terme  Iziyjryzçl  Tel  n'était  pas  l'avis 
de  Manardus,  qui  veut  que  sous  ce  titre  Hippocrate  et  Galien  aient  désigné  parti- 
culièrement l'impétigo.  La  question,  comme  on  voit,  ne  laisse  pas  que  d'être 
obscure.  Aussi  le  mot  Iziyrnz^  a-t-il  été  traduit  tour  à  tour  par  celui  d'impétigo 
et  celui  de  dartres. 

C'est  à  ces  trois  termes,  XsTrpat,  -^wpat,  l-iyj,-jiz,  que  pourraient  être  ramenées, 
dit  Lorry,  toutes  les  affections  cutanées  mentionnées  par  Hippocrate  :  Cujus  si 
voces  ad  accuratani  loquendi  distinctionem  ponderare  velis,  tria  tantiim  mor- 
borum  cutaneorum  gênera  agnoret,  psoras,  lepras,  lichenes.  Toutefois,  on 
trouve  en  outre  dans  la  collection  qui  porte  son  nom  un  certain  nombre  d'ex- 
pressions que  nous  devons  au  moins  indiquer  ici,  bien  que  le  sens  n'en  ait  pas 
été  précisé  avec  exactitude.  Tel  est  le  terme  èÇavQïjpiaTa,  traduit  en  latin  par  le 
mot  pustidœ  et  qui  semblait  s'appliquer  à  des  formes  éruptives  aiguës,  plus  ou 
moins  généralisées,  et  offrant  ordinairement  les  caractères  des  crises;  celui 
d'ÉpTTïîç  [herpès),  dont  le  sens  le  moins  contestable  nous  est  fourni  nar  la  raison 
étymologique  (de  soTrav,  ramper);  celui  d'èpv^'.rzzlocç,  qui  servait' selon  toute 
apparence  à  dénommer  notre  érysipèle,  bien  qu'Hippocrate  l'étende  à  l'inflamma- 
tion d'organes  internes,  du  poumon,  par  exemple  ;  tels  encore  les  termes  èzôu- 


DERMATOSES.  645 

para,  ©W.raivai,  iiSoMx,  Ti-oayoi,  àsôat,  àvQpazsç,  qui  s'appliquaient  à  diverses 
formes  de  boulons  séreux  ou  purulents,  pustules  psydraciées  ou  phlyzaciées, 
bulles  et  phlyctènes  ;  celui  de  ray/ai,  donné  à  des  espèces  de  tumeurs  scrofu- 
leuses,  celui  de  ).otcoi,  qui  implique  l'idée  de  desquamation,  celui  de  H/;o«(jta, 
qui  signifie  aridité  de  la  peau,  etc.  Mentionnons  enfin  les  mots  à)/i)o;,  [/.âlx;  et 
>£uz/3,  qui  servaient  à  désigner  certaines  altérations  mal  déterminées  de  la  peau  : 
akfoç,  lorsque  cette  membrane  était  parsemée  de  taches , blanches  ;  iJ.slxç,  lorsque 
les  taches  étaient  noires  ;  Izwrj,  lorsqu'à  la  blancheur  de  la  peau  se  joignaient 
l'état  de  dépression  de  sa  surface  et  la  décoloration  des  poils. 

Au  point  de  vue  doctrinal,  la  pensée  d'Ilippoci'ate  sur  les  maladies  de  la  peau 
se  tire  de  sa  doctrine  générale  en  pathologie  et  en  étiologie. 

On  sait  que  pour  lui  les  maladies  étaient  dues  aux  altérations  des  humeurs, 
soit  dans  leurs  qualités,  soit  dans  leurs  proportions  relatives.  Dans  cette  théorie, 
toute  humeur  viciée  ou  surabondante  devait  être  expulsée  de  l'économie,  et  dans 
ce  but  la  nature  lui  faisait  subir  une  élaboration  préparatoire  désignée  sous  le 
nom  de  coction.  Sous  l'influence  de  ce  travail,  la  matière  morbifique,  jusque-là 
éparse  et  comme  flottante  au  sein  de  l'organisme,  se  modifiait  peu  à  peu,  se 
dépouillait  de  ses  propriétés  nuisibles,  prenait  de  la  consistance,  de  la  fixité,  et 
c'est  alors,  mais  alors  seulement,  que  devenait  possible  son  élimiiialion.  Cette 
expulsion,  qui  caractérisait  la  crise,  avait  lieu  le  plus  souvent  par  les  voies 
ordinaires  d'évacuations,  par  les  sueurs,  les  urines,  les  excrétions  alvines,  les 
vomissements,  l'expectoration  ;  d'autres  fois,  c'était  une  hémorrhagie  nasale  ou 
autre  qui  servait  de  solution  ;  dans  d'autres  cas,  enfin,  toutes  ces  issues  restant 
fermées,  la  matière  morbifique  se  portait  avec  plus  ou  moins  de  violence  sur 
un  point  particulier  du  corps,  où  elle  constituait  un  dépôt,  àno^rxiri;.  Le  dépôt 
pouvait  se  présenter  lui-même  sous  une  multitude  de  formes  selon  l'organe  ou 
le  tissu  qui  en  était  le  siège;  mais  ce  qu'il  nuus  importe  de  savoir,  c'est  que  la 
peau  était  précisément  l'un  des  organes  oii  ce  genre  de  crise  se  trouve  plus 
particulièrement  signalé  dans  les  œuvres  du  Père  de  la  médecine. 

L'état  de  santé  n'étant,  selon  la  doctrine,  qu'un  résultat  du  mélange  régulier 
des  humeurs,  il  suftisait  évidemment  que  cette  condition  vînt  à  manquer  pour 
que  la  maladie  apparût.  Or,  le  corps  de  l'homme  se  trouve  incessamment  soumis 
à  des  influences  nombreuses  qui  peuvent  à  tout  instant  détruire  ou  troubler 
cette  harmonie  nécessaire,  influences  venues  du  milieu,  c'est-à-dire  des  saisons, 
des  climats,  de  l'habitation,  des  variations  de  l'atmosphère,  du  chaud,  du  froid, 
du  sec,  de  l'humide,  etc.,  influences  venues  de  l'alimentation,  du  genre  de 
vie,  de  l'exercice,  de  l'âge.  De  là  toutes  les  maladies,  quels  qu'en  soient  le  siège 
et  la  forme,  et  les  affections  de  la  peau  ne  faisaient  point  exception  à  la  règle. 
Ainsi,  et  c'est  là  un  point  qu'il  ne  faut  pas  oublier,  on  peut  dire  qu'à  part  l'in- 
fluence des  âges  cette  étiologie  était  tout  entière  placée  dans  l'action  des  causes 
extérieures. 

Cela  dit,  un  premier  point  à  noter,  c'est  que  les  mêmes  affections  de  la  peau 
n'avaient  pas  toujours  aux  yeux  d'Hippocrate  une  même  signification  :  tantôt, 
en  effet,  il  semble  leur  reconnaître  une  existence  propre,  indépendante,  et  tantôt 
il  les  subordonne  à  d'autres  états  morbides  en  leur  attribuant  une  influence 
heureuse  ou  défavorable  sur  l'issue  de  la  maladie  principale  :  de  là,  pour  lui, 
deux  oz'dres  bien  distincts  d'affections  cutanées,  les  unes  essentielles  ou  idio- 
pathiques,  les  autres  symptomatiques  et  présentant  le  plus  souvent  les  caractères 
des  crises.  Cette  distinction  est  surtout  parfaitement  marquée  dans  le  passage 


644  DERMATOSES. 

suivant  :  «  Ces  affections  {lBi)(^-nvsi,  Isirpxi  xai  >îuzai),  lorsqu'elles  surviennent 
dans  la  jeunesse  ou  dans  l'enfance,  et  que,  d'abord  légères,  elles  augmentent  peu 
à  peu  et  s'aggravent  avec  le  temps,  ne  sauraient  être  conside'rées  comme  des 
dépôts  :  ce  sont  des  maladies.  Mais,  lorsqu'au  contraire  elles  apparaissent  subite- 
ment et  avec  une  grande  intensité,  alors  on  peut  prononcer  avec  certitude  qu'il 
s'agit  bien  d'une  crise  ou  dépôt  [ànoa-TocTi;)  »  {Prédictions,  liv.  II). 

Je  me  suis  plus  d'une  fois  demandé  sur  quel  passage  des  œuvres  hippocra- 
tiques  Gibert  avait  pu  se  fonder  lorsqu'il  a  prétendu  faire  remonter  au  Père  de 
la  médecine  la  distinction,  si  importante,  comme  il  le  reconnaît  lui-même,  que 
j'ai  établie  entre  les  maladies  de  la  peau  locales  de  cause  externe,  et  celles  qui 
dépendent  d'une  cause  interne.  Le  passage  que  je  viens  de  citer  ne  saurait 
évidemment  se  prêter  à  une  semblable  interprétation.  On  rencontre,  il  est  vrai, 
dans  plusieurs  endroits  des  œuvres  d'IIippocrate,  quelque  chose  qui  ressemble 
plus  ou  moins  à  la  distinction  précitée,  notamment  au  liv.  I"""  Des  maladies^  §  1, 
où  l'on  peut  lire  :  «  Toutes  les  maladies,  si  elles  sont  internes,  proviennent  de 
la  pituite  ou  de  la  bile  ;  si  elles  sont  externes,  des  accidents  et  des  plaies.  » 
Mais  qui  ne  voit  qu'il  s'agit  là  d'une  proposition  générale  tendant  à  séparer 
les  maladies  internes  des  maladies  chirurgicales,  ou,  comme  nous  disons  au- 
jourd'hui, la  pathologie  interne  de  la  pathologie  externe,  et  que  par  conséquent 
cette  proposition  n'offre  absolument  rien  de  commun  avec  une  classification 
méihodique  des  affections  de  la  peau.  Il  y  a  d'ailleurs,  contre  l'assertion  que  je 
combats,  cette  autre  raison  décisive,  qu'il  n'existait  pas,  en  réalité,  pour  Hippo- 
crate,  de  maladies  véritablement  de  cause  interne,  du  moins  dans  le  sens  que 
nous  attachons  à  ce  mot,  puisqu'il  faisait  dépendre,  comme  nous  l'avons  dit  plus 
haut,  toute  sa  pathologie  de  l'action  des  causes  extérieures  sur  le  corps  de 
l'homme  :  aussi  n'y  avait-il  point  de  place,  dans  cette  doctrine,  pour  les  mala- 
dies spontanées,  diathésiques  ou  constitutionnelles,  et  les  affections  de  la  peau  se 
divisaient  en  deux  ordres  :  !<>  les  unes  idiopathiques  ;  2°  les  autres  syrapto- 
matiques  et  critiques.  C'est  aux  affections  cutanées  idiopathiques  à  forme  chro- 
nique que  s'applique  plus  particulièrement,  si  je  ne  me  trompe,  le  passage  sui- 
vant du  Traité  des  affections  :  «  Isrzpxi,  prurigo,  icjpat,  l^xc-^cç,  à^o;,  etalopeciae, 
ex  pituita  oriuntur  :  sunt  «  autemista  fœditas  potins  qiiam  morhi  »  [De  effect., 
§  26).  Des  difformités  plutôt  que  des  maladies  !  Voilà  donc  le  jugement  que 
l'on  portait  alors  sur  le  plus  grand  nombre  des  maladies  de  la  peau.  Et,  en 
effet,  les  éruptions  chroniques,  celles  qui  devaient  être  plus  tard  confondues 
sous  le  nom  de  dartres,  et  qui  composent  aujourd'hui  plus  des  deux  tiers  de 
la  pathologie  de  la  peau,  ces  éruptions  si  nombreuses  ne  tiennent  dans  les 
écrits  d'IIippocrate  qu'une  place  infiniment  restreinte,  mais  on  le  voit  se  préoc- 
cuper continuellement  des  éruptions  aiguës  symptomatiques  ou  critiques,  soit 
qu'il  les  considère  dans  leurs  rapports  avec  les  saisons,  les  âges,  les  variations 
de  l'atmosphère, .soit  qu'il  s'étudie  à  rechercher  leur  valeur  séméiotique  et  les 
données  qu'elles  peuvent  fournir  au  pronostic  et  au  traitement  des  maladies 
dans  le  cours  desquelles  on  les  rencontre. 

Le  transport  et  le  dépôt  de  la  matière  morbifique  qui,  selon  Hippocrate, 
produisait  les  éruptions  symptomatiques  et  critiques,  pouvait  se  manifester 
sous  les  formes  les  plus  diverses,  telles  que  tumeurs  scrofuleuses,  suppurations, 
ulcère,    éruptions,    desquamations,  chute    de  cheveux,   l'alphos,   la  lèpre  et 

autres  choses  analogues  (oiov  Tayyat,  v.ai  t«  èy.nvo^jvrx,    OQOV  àlxoç,  y.oct  TOC  zoiomx 
£?av9v2p.aT«,  r)  Wot,  n  p.a5-fl(7i;  Tpi;/wv,  à>,yoi,  >S7rp«t.  Épid.,  liv.  II,  7,  p.  77,  t.  V, 


DERMATOSES.  645 

édit.  Littré),  et  le  résultat  était  plus  ou  moins  favorable  selon  le  siège  du  dépôt, 
son  abondance,  la  rapidité  de  son  apparition,  etc.  Le  dépôt,  pour  être  avan- 
tageux, devait  se  produire  loin  de  la  maladie  et  sur  une  partie  plus  déclive  ;  il 
fallait  surtout  que,  par  son  abondance,  sou  intensité,  sa  durée,  il  répondit  à  la 
grandeur  du  mal  :  «  11  y  avait  de  petites  éruptions  qui  n'étaient  d'aucune  utilité, 
qui  ne  répondaient  pas  à  la  grandeur  du  mal,  et  qui  disparaissaient  promptc- 
ment,  des  parotides  qui  ne  délivraient  de  rien,  etc.  »  {Epid.,  liv.  1,  §  20). 
Lorsque  le  dépôt  remplissait  les  conditions  voulues,  il  servait  de  solution  à  la 
maladie  principale  :  «  Après  le  coucher  des  Pléiades,  les  vents  du  midi  régnaient. 
Les  crises  se  faisaient  le  cinquième  ou  quatrième  jour;  elles  amenaient  des 
taches  avec  des  phlyclènes  flasques  »  {Epid.,  liv.  IV,  §  27).  Le  fait  suivant, 
que  je  trouve  au  liv.  VU  des  Epid.,  §  181,  se  rapporte  évidemment  à  notre  herpès 
critique  :  «  Les  lièvres  dans  lesquelles  il  vient  du  mal  aux  lèvres  se  terminent 
peut-être  avec  cette  éruption.  » 

Si  la  matière  morbiiîque  peut  se  déposer  à  la  périphérie,  elle  peut  aussi,  sous 
l'influence  de  causes  spéciales,  être  reprise  par  un  mouvement  inverse  et 
transportée  sur  les  organes  internes,  ou  tout  au  moins  dans  un  lieu  différent  de 
celui  qu'elle  occupait  d'abord  :  de  là  les  phénomènes  dits  de  métastase,  de 
rétrocession  ou  de  répercussion.  Or,  il  est  fort  souvent  question,  dans  Hippocrate, 
d'éruptions  rétrocédées,  répercutées,  et  il  attache  généralement  à  ce  fait  une 
signification  grave.  Tel  est  le  cas  d'un  malade  dont  il  rapporte  l'histoire  au 
livre  Y  des  Epidémies,  §  59  :  «  Des  démangeaisons  vives  existaient  sur  toute  la 
surface  du  corps,  principalement  au  front  et  aux  bourses,  et  la  peau  était  si 
épaisse  qu'il  était  impossible  de  la  pincer  ;  cette  éruption  ayant  disparu  sous 
l'influence  de  bains  chauds,  le  malade  tomba  hydropique  et  mourut.  »  Tel  est 
encore  le  cas  d'un  enfant  de  deux  mois,  atteint  de  boutons  fort  rouges,  avec  des 
enflures  aux  jambes,  aux  cuisses  et  aux  lombes;  l'éruption  étant  rentrée,  l'enfant 
fut  pris  de  convulsions  et  d'attaques  d'épilepsie  (Épid.,\i\.  Yll,  §  H8).  Ailleurs, 
il  parle  de  la  rétrocession  de  l'érysipèle,  favorable,  si  elle  a  lieu  de  dedans  en 
dehors,  funeste  dans  le  cas  contraire  [Aphor.,  sect.  VI,  aph.  25);  ailleurs 
enfin,  ce  sont  des  humeurs  pituiteuses,  même  rongeantes,  qui  se  déplacent, 
quittent  la  tête  pour  se  porter  sur  les  oreilles,  sur  les  pieds,  la  poitrine  [Épid., 
liv.4,  §  1). 

Dans  certains  cas,  Hippocrate  paraît  se  préoccuper  surtout  de  la  signification 
pronostique  d'une  éruption  :  Qiiibus  per  fehres  assiduas  vfk-S'ioLv.ia.  toto  corpore 
enascuntur,  lethale  est,  nisi  quid  purulentum  ahscedat.  In  his  vero  prœcipUe 
adnasci  ad  aures  tuhercula  soient  {Coacœ  prœnot.,  lib.  I,  §  120).  Remarquons 
ici  l'influence  funeste  d'une  éruption  contre-balancée  par  l'apparition  d'un  dépôt 
purulent.  Certaines  éruptions  {veliit  summa  cute  leviter  lace  rata  aut  vellicata) 
étaient  pour  lui  le  signe  d'une  atteinte  grave  portée  à  l'économie  tout  entière 
(Coacœ  prœnot.,  §  12).  On  lit  également  dans  le  même  Traité,  liv.  11,  ch.  xxvi, 
sentence  i  :  Quibiis  ad  arliculos  prcerubrœ  pustuke  superficiales  enatœ  siint, 
ac  subindè  régent  iis,  velut  ex  acceptis,  plagis  cum  dolore  venter  et  inguina 
rubescunt  et  pereunt.  Et  ailleurs  (liv.  11,  §  68)  :  «  Des  taches  rouges  aux 
pieds  et  aux  mains,  funeste  ». 

Hippocrate  regardait  les  hémorrhoïdes  comme  un  flux  le  plus  souvent  salu- 
taire, et  pouvant  préserver  d'un  grand  nombre  de  maladies,  parmi  lesquelles 
des  affections  cutanées,  telles  que  :  furoncles,  ulcères  rongeants,  lèpre,  etc. 
Aussi  la  suppression  intempestive  de  ce  flux  était-elle  considérée  par  lui  comme 


6i6  DERMATOSES. 

une  cause  très-efficace  de  ces  mêmes  maladies  [Des  humeurs,  §  57.  —  Épid., 
liv.  VI,  §  61). 

Enfin,  et  c'est  par  là  que  je  termine  cette  étude  déjà  longue,  Hippocrate  a 
signalé  l'urticaire  (Des  maiad.,  liv.  Il,  §  68),  le  lichen  [Épid.,  liv.  V,  §  39), 
les  engelures  {Épid.,  liv.  V,  §57),  l'orgeolet,  dont  il  fait  une  éruption  critique 
[Épid.,  liv.  II,  §  19),  les  éruptions  roséoliques  d'été  [Épid.,  liv.  V,  §  43),  les 
excoriations  prurigineuses  du  pudendum  [De  naturâ  muliebrï),  les  éphélides 
{De  morh.  mnlierum,  lib.  11),  des  affections  gangreneuses  graves  {Prœdict, 
lib.  II.  —  iVJ.,  liv.  I). 

Tel  était,  autant  qu'il  est  permis  d'en  juger,  l'état  de  la  pathologie  de  la 
peau  vers  le  cinquième  siècle  qui  précède  notre  ère.  Il  serait  puéril  d'en  faire 
ressortir  les  imperfections  et  les  lacunes.  Ce  qu'il  faut  chercher,  je  le  répète, 
dans  la  collection  hippocratique,  ce  n'est  point  la  description  plus  ou  moins 
exacte  de  telle  ou  telle  affection  cutanée  :  à  ce  point  de  vue,  tout  est  vague, 
indéterminé.  Pour  Hippocrate,  comme  le  fait  remarquer  Littré,  ce  que  les 
maladies  ont  de  commun  est  plus  important  à  considérer  que  ce  qu'elles  ont 
de  particulier;  ce  qui  l'intéresse  avant  tout,  ce  n'est  point  ce  qui  peut  servir 
à  les  caractériser,  à  les  distinguer  les  unes  des  autres,  mais  ce  qu'elles  ont  de 
commun,  de  général,  les  relations  qu'elles  présentent,  les  présages  qu'on  en  peut 
tirer,  eu  un  mot,  le  rôle  qu'elles  jouent  dans  la  scène  morbide  dont  tout  malade 
est  le  théâtre  nécessaire,  et  dont  les  différents  actes  se  résumaient  en  ces  trois 
termes  :  la  crudité,  la  coction  et  la  crise. 

Après  Hippocrate,  l'auteur  le  plus  considérable  qui  se  présente  à  nous  dans 
l'ordre  chronologique  est  Celse,  qui  vivait  probablement  dans  le  premier  siècle  de 
notre  ère.  Son  livre,  écrit  d'un  style  élégant  et  concis,  est  l'un  des  plus  précieux 
que  nous  ait  légués  l'antiquité  {De  re  medicà  ucto  libvï).  Les  affections  delà 
peau  y  sont  décrites  avec  des  développements  qui  attestent  que  cette  partie  de 
l'art  de  guérir  avait  été  chez  les  Romains  l'objet  d'études  sérieuses  et  d'observa- 
tions multipliées.  La  langue  dermatologique,  si  pauvre  dans  Hippocrate,  s'est 
enrichie  de  termes  nouveaux  dont  la  plupart  ont  été  adoptés  par  la  science 
moderne. 

Celse  ti'aitc  des  affections  cutanées  dans  plusieurs  parties  de  son  ouvrage, 
mais  plus  particulièrement  à  la  fin  du  cinquième  livre  et  au  commencement  du 
sixième,  oîi  leur  place  se  trouvait  naturellement  marquée  dans  le  plan  général 
de  classification  que  l'auteur  s'était  tracé  en  commençant  son  travail  et  que  nous 
n'avons  pas  à  reproduire  ici.  Disons  seulement  que  dans  cette  classification  les 
affections  cutanées   appartiennent  au  groupe  des  maladies  externes.  Celles-ci 
peuvent  être  le  résultat  d'une  cause  extérieure  ou  bien  d'une  cause  interne.  De 
là  deux  sections.  Celse  décrit  dans  la  première  les  blessures,  aussi  bien  celles 
des  organes  profondément  situés  que  celles  dont  l'action  se  limite  à  la  périphérie  : 
distinction  que  semblait  réclamer  son  mode  de  classement;  la  deuxième  section 
comprend  les  maladies  d'origine  interne,  et  comme  il  ne  s'agit  plus  ici  que 
d'affections  extérieures  ou  périphériques,  c'est  la  pathologie  de  la  peau  que 
Celse  expose  dans  ce  chapiti-e.  De  plus,  il  distingue  dans  les  maladies  de  la 
peau,  comme  dans  les  autres  maladies  externes,  celles  qui  sont  communes  à 
toute  la  surface  du  corps  et  celles  qui  sont  propres  à  certaines  parties.  C'est 
donc  à  Celse,  et  non  point  à  Galien,  comme  on  l'a  prétendu,  que  remonte  la 
division  tant  de  fois  reproduite  des  maladies  cutanées  en  celles  qui  se  montrent 
sur  tout  le  corps,  et  celles  qui  se  bornent  à  la  tète  ou  à  quelque  autre  région. 


DERMATOSES.  647 

Celse  subdivise  les  affections  de  la  peau,  au  point  de  vue  étiologique,  en  celles 
({ui  dépendent  d'une  cause  extérieure,  et  celles  qui  résultent  d'une  cause 
interne.  Est-ce  donc  à  Geise,  si  ce  n'est  point  à  Hippocrate,  que  doit  être 
attribué  l'honneur  de  cette  distinction  fondamentale  en  pathologie  cutanée?  Oui, 
sans  doute,  si  l'on  s'en  tient  à  la  lettre.  Mais  alors  je  demanderai  pourquoi  cette 
distinction,  aujourd'hui  proclamée  si  importante,  est  demeurée  ensevelie 
pendant  des  siècles  dans  le  livre  de  Celse;  comment  il  ne  s'est  trouvé  personne 
pour  en  faire  sentir  toute  la  valeur,  pour  en  tirer  les  conséquences  qui  s'y 
trouvaient  enfermées.  C'est  que  l'auteur  lui-même,  dans  l'application  qu'il  en 
a  faite  aux  maladies  externes  ou  périphériques,  n'y  a  vu  qu'un  simple  mode 
de  classement,  un  moyen  commode  de  séparer  les  affections  traumatiques  de 
celles  qui  ne  présentent  pas  cette  origine;  et  ce  qui  le  prouve,  c'est  que  ce 
principe  est  resté  complélement  stérile  entre  ses  mains  :  «  Ceux  qui  ont  l'esprit 
de  discernement,  dit  Pascal,  savent  combien  il  y  a  de  différence  entre  deux  mots 
semblables,  selon  les  lieux  et  les  circonstances  qui  les  accompagnent...  Tel  dira 
une  chose  de  soi-même,  sans  en  comprendre  l'excellence,  où  un  autre  comprendra 
une  suite  merveilleuse  de  conséquences  qui  nous  fait  dire  hardiment  que  ce 
n'est  plus  le  même  mot,  et  qu'il  ne  le  doit  plus  à  celui  d'où  il  l'a  appris  ».  La 
vérité  est  que  Celse,  après  avoir  tracé  la  division  précitée,  prend  comme  au 
hasard  chaque  maladie  cutanée,  et  la  décrit  sans  se  préoccuper  le  plus  souvent 
de  sa  nature,  de  ses  causes,  des  conditions  au  milieu  desquelles  elle  se  développe, 
des  rapports  qu'elle  peut  affecter  avec  d'autres  états  morbides,  soit  de  la  peau,, 
soit  des  organes  internes.  Il  en  résulte  une  succession  de  tableaux  sans  doute 
tracés  de  main  de  maître,  mais  disposés  comme  au  hasard,  et  dont  l'ensemble 
ne  saurait  satisfaire  un  esprit  véritablement  médical.  De  là  aussi  parfois  une 
certaine  obscurité  dans  ces  descriptions  dont  les  grandes  lignes  ne  sont  mises  en 
relief  par  aucun  détail  accessoire.  Remarquons  en  outre  que  Celse  range  au 
nombre  des  affections  de  cause  interne  la  pustule  maligne,  les  engelures,  les 
verrues  et  les  cors. 

Ces  réserves  faites,  et  si  l'on  tient  compte  du  temps  où  il  fut  écrit,  il  faut 
reconnaître  que  le  livre  de  Celse  n'a  pas  été  sazis  influence  sur  les  progrès  de  la 
dermatologie. 

Il  nous  reste,  en  ce  qui  concerne  cet  auteur,  à  rappeler,  comme  [nous  l'avons 
fait  pour  Hippocrate,  les  maladies  qu'il  décrit,  la  manière  dont  il  les  envisage, 
enfin  les  dénominations  qu'il  leur  applique,  et  qu'il  est  utile  aux  dermatologues 
de  connaître. 

Dans  les  affections  de  cause  interne  (qiice  interiùs,  corruptâ  aliquâ  corporum 
parte,  nascuntiir),  Celse  décrit  successivement  :  la  pustule  maligne  [carhun- 
culus),  dont  il  ne  semble  pas  soupçonner  l'origine;  le  carcinome  (x.apztv&jpia), 
qu'il  fait  dépendre  d'une  mauvaise  disposition  du  foie  ou  de  la  rate,  différentes 
espèces  d'ulcères,  à  savoir  :  le  ihériome,  qui  peut  revêtir  la  forme  phagédénique  ; 
Vignis  sacer,  qui  offre  les  plus  grands  rapports  avec  le  zona  de  Pline;  Vulcus 
chironium,  dont  le  siège  est  aux  jambes,  et  qui  répond  exactement  à  nos  ulcères 
calleux.  Puis  il  fait  passer  sous  les  yeux  du  lecteur  un  certain  nombre  d'affections 
qui  diffèrent  des  précédentes  par  leur  moindre  gravité  :  {'engelure,  qu'il  attribue 
au  froid  de  l'hiver,  malgré  le  classement  qu'il  lui  donne;  les éc rouelles  (struma), 
dont  il  signale  la  ténacité  et  la  durée  longue  ;  le  furoncle,  que  quelques  lignes 
lui  suffisent  à  caractériser;  le  phyma,  qui  n'est  autre  chose  que  notre  abcès 
dermique;  le  phijgethlon,  sorte  de  furoncle;  les  abcès  sous-cutanés  ou  profonds 


048  DERMATOSES. 

qui  succèdent  fréquemment  aux  fièvres,  les  fistules  qui  peuvent  en  être  la 
conséquence.  Viennent  ensuite  :  le  ■/.r,pio-j,  qui  répond,  soit  à  nos  acnés  pilaris, 
ombiliquée  et  varioliforme,  soit  à  des  kystes  sébacés;  différentes  espèces  de 
verrues,  qu'il  désigne  par  leurs  dénominations  grecques  ;  le  cor,  qu'on  ue 
s'attendait  guère  à  rencontrer  parmi  les  affections  de  cause  interne. 

Sous  le  nom  de  pustulœ,  l'auteur  latin  comprend  des  lésions  cutanées  qui  se 
distinguent  des  taches  par  la  saillie  qu'elles  forment  sur  la  peau,  et  des  papules 
en  ce  qu'elles  contiennent  un  liquide.  Il  en  admet  plusieurs  espèces  :  les  unes, 
appelées  i;av6/;f;taTa  par  les  Grecs,  tantôt^  rouges,  tantôt  de  la  couleur  de  la  peau, 
comparables  à  celles  qui  surviennent  après  les  piqûres  d'orties  ou  après  les 
sueurs;  d'autres,  dites  flvy.rxuxt,  produites  par  le  froid,  par  le  feu  ou  par  les 
médicaments;  c'est  sans  doute  quelque  chose  comme  notre  pemphigus  ;  d'autres 
plus  dures,  blanchâtres,  pointues,  flv^ocy.iov,  renfermant  un  liquide;  d'autres 
enfin,  désignées  sous  le  nom  d'ÈTi-tvu/.Ti,-,  de  beaucoup  les  plus  graves,  mais  qui 
ne  se  rapportent  à  aucune  affection  actuellement  connue.  Le  paragraphe  suivant 
est  consacré  à  la  scabies  dont  les  caractères,   d'ailleurs  assez  obscurs,  nous 
semblent  s'appliquer  plus  spécialement,  non  point  à  la  gale  considérée  dans  son 
ensemble,  mais  à  l'une  seulement   de  ses  manifestations,   l'eczéma  psorique 
[voy.  art.  Gale  et  Dartres).  Viwpétigo,  dont  la  description  suit,  nous  paraît 
également  se  rattacher  à  la  gale  par  ses  trois  premières  espèces,  qui  rappellent 
assez  exactement  les    variétés  pustuleuse,  ectbymatique  et  huileuse  de  cette 
maladie  parasitaire;  la  quatrième  espèce  d'impétigo,  caiactérisée  par  des  taches 
squameuses,  n'est  pas  sans  quelque  rapport  avec   le  psoriasis.  3Ientionnons 
encore,  en  suivant  toujours  l'ordre  adopté  par  Celse,  les  papules  (papulœ),  dont 
il  admet  deux  espèces  :  l'une  simple,  qui  répond  au  lichen  simplex,  ou  bien 
encore  à  notre  eczéma  arthritique  ;  l'autre  dite  «ypia  par  les  Grecs,  et  fera  par 
les  Latins,  qui  peut  dégénérer  et  se  transformer  en  impétigo,  c'est  Veczema 
ruhrum.  Celse  termine  enfin  par  le  vitiligo,  qu'il  divise  en  trois  espèces  :  àlfo;, 
lj.ùa.ç  et  Ivjy.Ti.   Mais  que  faut-il  entendre  au  juste  par  ces  trois  termes,   déjà 
rencontrés  par  nous  dans  Hippocrate  ?  C'est  un  point  assez  difficile  à  éclaircir, 
d'après  le  texte  de  l'écrivain  latin,  qui  pourrait  bien  s'en  être  rapporté  sur  ce 
sujet  à  ce  qu'en  avaient  dit  les  Grecs,  et  nous  craignons  fort  que  le  savant  Lorry 
n'ait  tout  simplement  composé,  sur  le  thème  que  lui  livrait  Celse,  un  véritable 
roman  (Tract,  de  morh.  eut.,  p.  551,  de  Vitiligine).  Nous  pensons,  quanta 
nous,  que  sous  les  termes  à)/^oç,  [lù.o.^,  hv/.r,,  les  anciens  auteurs  ont  désigné 
tour  à  tour,   et  sans   les   distinguer  suffisamment,  soit   de  simples  affections 
dyschromateuses,  soit  des  affections  parasitaires,  soit  des  manifestations  cutanées 
de  la  lèpre  tuberculeuse  ou  éléphantiasis  des  Grecs.  Toutefois,  cette  interpré- 
tation ne  saurait  être  appliquée  à  Celse,  du  moins  pour  ce  qui  a  trait  à  la  lèpre, 
qu'il  a  placée  fort  judicieusement  dans  sa  classe  des  maladies  générales  :  or  dans 
la  courte  description  qu'il  en  donne  au  troisième  livre,  les  fermes  oùfoç,  i^ûaç 
et  ).cjx./3,  ne  sont  pas  même  une  seule  fois  prononcés. 

Dans  Tétude  des  affections  cutanées  particulières  à  certaines  régions,  la 
distinction  tirée  de  l'origine  interne  ou  externe  disparaît  devant  l'ordre  topogra- 
phique, et  c'est  par  la  tête  qu'il  commence  sans  autre  préambule,  orsus  à  capite. 
Après  quelques  mots  sur  la  chute  des  cheveux,  qu'il  ne  confond  pas  avec  l'alopécie, 
comme  nous  le  verrons  dans  un  instant,  il  s'occupe  en  premier  lieu  du  porrigo 
(en  grec  -irvpic/.<Tti),  qni  correspond  évidemment  à  plusieurs  affections,  les  unes 
sèches,  les  autres  humides,  et  plus  particulièrement  au  pityriasis  et  à  l'eczéma 


DERMATOSES.  649 

impétigineux  du  cuir  chevelu.  Ceîse  en  fait  une  maladie  dépuraloire,  et  pense 
qu'il  est  dangereux  de  le  guérir  radicalement.  Puis  vient  le  sycosis,  o-vx.coo-i?, 
qu'il  qualifie  d'ulcère,  et  dont  il  admet  deux  espèces.  La  description  qu'il  en 
donne  laisse  beaucoup  à  désirer,  mais  il  est  néanmoins  impossible  de  n'y  pas 
reconnaître  la  mentagre  de  Pline,  dont  nous  avons  donné  l'histoire  à  l'article 
MeiMagre  de  ce  Dictionnaire.  Une  autre  maladie  du  cuir  chevelu  est  décrite  par 
le  médecin  latin  sous  le  nom  d'area,  laquelle  consisterait  essentiellement  en 
une  altération  de  l'épiderme  accompagnée  de  la  dessiccation  et  de  la  chute  des 
poils.  Mais  l'absence  de  détails  caractéristiques  ne  permet  pas  de  se  prononcer 
sur  la  nature  des  affections  comprises  sous  le  titre  collectif  d'area.  On  peut 
supposer  pourtant  que  l'alopécie  était  due  dans  certains  cas  à  l'acné  sébacée  du 
cuir  chevelu,  et  dans  d'autres  à  des  affections  parasitaires.  Pêne  ineptiœ  sunt 
curare  varos,  et  lenticulas  et  ephelidas,  sed  eripi  tamen  feminis  cura  cultus 
sui  non  potest.  C'est  en  ces  termes  que  Celse  s'exprime  au  sujet  des  boutons 
et  des  taches  qui  peuvent  affecter  le  visage.  Mais  l'humanité  ne  change  guère, 
et  les  femmes  de  nos  jours  ne  supportent  pas  avec  moins  d'impatience  que  les 
dames  romaines  du  temps  d'Auguste  tout  ce  qui  peut  altérer  leur  beauté  ou  en 
diminuer  l'éclat. 

Tel  est  le  livre  de  Celse,  envisagé  au  point  de  vue  spécial  de  la  pathologie  de 
la  peau. 

Pline  le  Naturaliste  était  contemporain  de  Celse.  Dans  la  partie  de  son  ouvrage 
consacrée  à  la  médecine,  ou  plutôt  à  l'histoire  des  médicaments,  il  a  ramassé  de 
toutes  parts,  et  le  plus  souvent  sans  choix,  un  très-grand  nombre  de  remèdts 
employas  de  son  temps  pour  combattre  les  affections  de  la  peau  ;  mais  on  y  trouve 
aussi  de  précieux  renseignements  sur  quelques  affections  cutanées  alors  peu 
connues  ou  même  entièrement  nouvelles.  C'est  à  Pline  que  l'on  doit  notamment 
la  première  mention  qui  ait  été  faite  de  la  mentagre  contagieuse,  maladie 
jusqu'alors  inconnue  en  Italie,  selon  son  propre  témoignage,  et  dont  le  germe 
aurait  été  apporté  d'Asie  par  un  certain  Pérusinus,  chevalier  romain,  sous  le  règne 
de  Tibère  Claude  César.  Dans  l'article  (actuellement  paru  dans  ce  Dictionnaire, 
"5"  série)  que  j'ai  écrit  sur  la  mentagre  {voy.  ce  mot),  j'ai  fait  voir  et  démontré 
jusqu'à  l'évidence  que  l'affection  si  éminemment  contagieuse  désignée  sous  ce 
nom  dans  le  texte  de  l'auteur  latin  n'était  et  ne  pouvait  être  que  notre  sycosis 
parasitaire.  C'est  une  question  résolue  sur  laquelle  il  n'y  a  pas  lieu  de  revenir. 
Parmi  les  maladies  qui  ont  attiré  plus  particulièrement  l'attention  de  Pline,  il 
faut  citer  l'éléphantiasis  des  Grecs,  dont  il  retrace  les  principaux  caractères,  les 
taches  du  début,  les  tubercules  bientôt  recouverts  de  croûtes  sèches  et  raboteuses, 
puis  suivis  d'ulcérations  rongeant  les  chairs  jusqu'aux  os,  etc.  Il  nous  apprend 
que  cette  terrible  maladie,  importée  d'Egypte  en  Italie  au  temps  du  grand 
Pompée,  s'y  est  éteinte  presque  aussitùl  sous  l'influence  heureusement  défavo- 
rable des  conditions  climatologiques.  Pline  a  signalé  en  outre  quelques  éruptions 
omises  par  Celse,  le  prurigo  des  vieillards,  le  prurigo  pudendi,  le  pityriasis 
faciei,  etc.  Il  a  parfaitement  indiqué  le  zona,  ainsi  nommé,  dit-il,  parce  qu'il 
entoure  le  corps  comme  d'un  cercle,  et  dont  il  compare  justement  les  effets  à 
ceux  de  la  brûlure  ;  il  ajoute  qu'une  pareille  affection,  si  elle  s'étendait  à  toute 
la  surface  du  corps,  entraînei'ait  certainement  la  mort  de  l'homme.  Enfin,  pour 
ce  qui  a  trait  aux  remèdes  qu'il  recommande  contre  les  maladies  cutanées,  la 
liste  en  est  trop  longue,  et  surtout  trop  étrangement  composée,  pour  qu'il  soit 
utile  de  s'y  arrêter  ici.  En  résumé,  si  Pline  semble  en  effet  mériter  parfois  le 


650  DERMATOSES. 

jugement  sévère  que  Lorry  lui  applique,  «  qvi  [Plinius)  circa  res  medicas  prœ- 
cipiiè  freqiientissime  cœcutit  »,  il  faut  avouer  pourtant  qu'il  est  des  cas,  même 
en  médecine,  oii  il  a  rencontré  juste,  et  qu'à  propos  de  la  mentagre,  par 
exemple,  le  reproche  pourrait  être  fort  légitimement  retourné  contre  son  auteur. 
Scribonius  Largus,  qui  vivait  également  dans  le  premier  siècle  de  notre  ère, 
a  ajouté  quelques  traits  à  la  description  du  zona  déjà  mentionné  par  Phne, 
comme  nous  venons  de  le  dire.  C'est  d'ailleurs  le  seul  titre  qui  recommande 
cet  auteur  à  l'attention  du  dermatologiste. 

Arétée  (de  Cappadoce)  (81  après  J.-C)  est  le  premier  qui  ait  donné  une 
description  complète  et  précise  de  l'éléphantiasis  des  Grecs,  que  Celse  et  Pline 
n'avaient  probablement  jamais  observé  eux-mêmes.  Cette  description,  dans 
laquelle  l'auteur  semble  s'être  proposé  d'égaler  l'énergie  de  l'expression  à 
l'horreur  de  la  maladie,  est  restée  un  modèle  qui  n'a  pas  été  dépassé.  Un  fait 
à  noter  ici,  c'est  que  l'on  doit  à  Arétée  l'emploi  des  mouches  cantharides  comme 
moven  vésicant  ;  avant  lui,  cette  substance  n'avait  été  mise  en  usage  qu'inté- 
]ieurement. 

De  même  que  Celse,  mais  moins  nettement  que  lui,  Galien  a  divisé  les 
maladies  de  la  peau  en  celles  qui  attaquent  toute  la  surface  du  corps  et  celles 
qui  sont  particulières  à  certaines  régions,  au  cuir  chevelu,  par  exemple.  Un  pas- 
sage del'Isagogé,  cité  par  Rayer,  ne  saurait  permettre  aucun  doute  à  cet  égard: 
((  Cutem  totiusque  corporis  partes  exagitant  lepra,  psora,  alphos  albus,  alphos 
«  niger,  leuce,  impétigo  simplex,  impétigo  agrestis,  di-acontiasis,  achrocordones 
«  thymi,    myrmeciic,   clavi,    calli.  Qua^dam  horum  ex  podagra  et  articulari 

«  morbo,  quc-edamex  sese  oriuntur Achores,  pityriasis,  meliceres,  atheroma 

«  et  favus.  Porroeampartem,  qu;o  capillo  tegitur,  etmentum  occupant  alopecia, 
«  ophiasis,  calvities  et  madarotes.  Pili  omnes  fluunt,  extenuantur,  quassantur, 
«  scinduntur,  squalescunt,  in  pulverem  rediguntur,  subflavescunt,  canescunt  « 
(De  exterioribus  capitis  affectibus.  —  Introductio  seu  medicus,  117).  Celte  cita- 
tion nous  apprend  en  outre  que  Galien  avait  remarqué  la  relation  que  présentent 
quelquefois  les  affections  de  la  peau  avec  la  goutte  et  le  rhumatisme.  Quant  aux 
causes,  il  en  admettait  de  deux  espèces  :  1"  les  unes  externes,  qu'il  désigne  sous 
le  nom  de  choses  non  naturelles,  et  qui  ne  sont  autres  que  l'air,  les  aliments, 
le  mouvement,  etc.  ;  2°  les  autres  internes,  consistant  dans  le  vice  des  humeurs. 
Les  premières  ne  deviennent  nuisibles  qu'autant  qu'elles  rencontrent  dans  l'or- 
ganisjne  une  cause  interne  préparée  à  recevoir  leur  action. 

Les  maladies  de  la  peau  sont  dues  à  la  bile  jaune,  ou  à  la  bile  noire,  ou  à  la 
pituite.  La  bile  jaune  en  excès  produit  l'érysipèle  et  les  herpetes;  la  bile  noire, 
les  cancros  et  phagœdenas,  aut  elephantos,  aut  aliquem  ex  his  adeo  incura- 
hilibus  7norbis.  Enfin,  lorsque  c'est  la  pituite  qui  domine,  on  voit  s'élever  des 
tumeurs  œdémateuses. 

Galien  a  particulièrement  insisté  sur  l'herpès,  dont  il  admettait  trois  espèces  : 
1°  êpTr-fl-r  y.Bf,)(_pivi  [herpès  miliaris)  ;  2»  ipiztiz  ètrôiouevoç  {herpès  erodens,  serpigo)  ; 
5"  spn-cq  (olxiy-oivMr,!;  [herpes  phcigedenicus) .  Il  le  définit  un  ulcère,  mais  l'ulcé- 
ration n'existe  pas  toujours  au  début,  «  velut  ni  herpete  miliari,  qui  non 
«  protinijs  ulcus  facit,  quemadmodum  alter;  sed  admodum  exiguas  pustulas  ad 
«  speciem  milii,  qu8e,interposito  spatio,  in  ulcus  etiam  dégénérant.  »  Uherpes 
miliaris  de  Galien  répond,  comme  on  voit,  à  l'herpès  de  Willan,  et  notamment 
au  zona  ;  V  herpes  erodens  réunit  toutes  les  formes  et  variétés  de  l'eczéma;  enfm, 
Vherpes  phagedeniciis  nous  semble  se  rapporter,  non  pas  au  véritable  lupus, 


DERMATOSES.  651 

mais  à  l'affection  complexe  désignée  par  moi  sous  le  nom  de  scrofulide  maligne 
crustacée  ulcéreuse  {votj.  l'article  Dartres  de  ce  Dictionnaire), 

Parmi  les  tumeurs  du  cuir  chevelu,  dit  Galien,  il  fimt  signaler  Vày^vp,  affec- 
tion dans  laquelle  la  peau  est  toute  criblée  d'ouvertures  par  où  s'échappe  une 
humeur  ténue  et  légèrement  visqueuse,  et  le  xvpiov  des  Grecs  ou  favus  des 
Latins,  affection  très-voisine  de  la  précédente,  mais  qui  en  diffère  par  les 
dimensions  plus  grandes  des  pertuis  cutanés  qui  distillent  une  humeur  semblable 
au  miel  de  l'Hymette.  Il  était  diflîcile  d'indiquer  plus  clairement  l'eczéma  Huent 
et  l'impétigo  du  cuir  chevelu. 

Galien  croyait  à  la  génération  spontanée  des  ;9efZzcu/i  sur  le  corps  de  l'homme. 
On  voii  que  cette  opinion  ne  date  pas  de  nos  jours.  Le  médecin  de  Pergame  les 
faisait  naître  d'une  surabondance  d'humeurs  chaudes  (calidis),  mais  n'ayant 
point  acquis  pourtant  le  degré  de  température  qui  appartient  aux  humeurs 
acres  et  séreuses.  D'où  il  conclut  que  la  maladie  pédiculaire  se  produit  dans 
la  profondeur  de  la  peau,  seul  point  oià  les  animalcules  peuvent  s'engendrer,  et 
non  point  à  la  superficie,  où  se  rencontrent  les  furfure-. 

Bien  d'autres  affections  de  la  peau  se  trouvent  mentionnées  dans  les  œuvres 
de  Galien,  mais  elles  y  sont  principalement  envisagées  au  point  de  vue  de  leur 
étiologie  humorale  et  des  moyens  thérapeutiques  employés  pour  les  com- 
battre. 

Je  dois  enfin  citer  le  nom  de  Cœlius  Aurelianus,  médecin  à  peu  près  contem- 
porain de  Galien,  mais  originaire  d'Afrique,  et  qui  écrivit  en  langue  latine.  Il 
a  porté  plus  spécialement  son  attention  sur  les  phthiriasis,  dont  il  expose  le 
traitement,  et  sur  l'éléphantiasis  des  Grecs,  maladie  alors  endémique  sur  le 
littoral  africain. 

Ici  se  termine  la  première  époque  de  l'histoire  des  dermatoses.  Elle  com- 
mence à  Hippocrate  et  finit  à  Galien,  les  deux  plus  illustres  représentants  de  la 
médecine  antique.  Les  affections  de  la  peau,  d'abord  confondues  et  comme 
englobées  sous  des  dénominations  collectives,  tendent  à  se  particulariser,  à 
former  des  individualités  de  plus  en  plus  distinctes,  et  leurs  caractères  mieux 
définis  permettent  enfin  de  les  rapprocher  des  formes  willaniques  qui  leur 
correspondent. 

Deuxième  époque.  Elle  commence  avec  les  Grecs  du  second  ordre,  Grœci 
receiitiores,  comme  Lorry  les  appelle.  Nous  sommes  au  moment  du  partage  de 
l'empire  romain,  vers  la  fin  du  quatrième  siècle  (395).  Quatre  ou  cinq  noms 
résument  pour  nous  cette  phase  historique:  Oribase,  Aétius  d'Amide,  Alexandre 
de  Tralles  et  Paul  d'Égine. 

Ce  n'est  point  ici  le  lieu  de  porter  un  jugement  d'ensemble  sur  les  œuvres  de 
ces  médecins  justement  célèbres,  mais  avant  de  rechercher  dans  quelle  mesure 
chacun  d'eux  a  pu  contribuer  aux  progrès  de  la  pathologie  cutanée,  nous  croyons 
devoir  signaler  un  défaut  que  nous  retrouverons  d'ailleurs  chez  les  médecins 
arabes,  c'est  que  leurs  descriptions  des  maladies  sont  généralement  fort  courtes 
et  parfois  à  peine  ébauchées,  tandis  qu'ils  sent  d'une  étonnante  prolixité  dans 
l'énumération  des  remèdes.  Cette  remarque  a  été  faite  par  Lorry  :  «  Idem  et 
«  Paulus  jEgineta...,  aliique  medici  plures  ex  infimâ  grsecitate,  qui  plus  in 
«  praescribendis  medicamentis  quam  in  describendis  morbis  insudavere  » 
[Tract,  de  morbis  ciitan.,  ]).  i^b).  Un  autre  fait  à  noter  sur  les  auteurs  en 
question,  c'est  que  la  plus  grande  partie  de  leurs  ouvrages  n'est  généralement 


652  DERMATOSES. 

qu'une  sorte  de  compilation  ou  de  commentaire  des  écrits  des  médecins  qui  les 
ont  précédés. 

Les  réflexions  qui  précèdent  s'appliquent  de  tout  point  à  Oribase,  qui  naquit 
à  Pergame,  patrie  de  Galien,  vers  la  fin  du  quatrième  siècle  de  notre  ère.  Ce 
médecin  a  mentionné  un  certain  nombre  d'affections  cutanées,  notamment  le 
pruritus,  qui  correspond  plus  spécialement  à  nos  genres  lichen  et  prurigo; 
l'impétigo,  la  scabies  et  la  psora,  qu'il  confond  ou  du  moins  prétend  rapporler 
à  une  commune  origine  (Lorry,  p.  225)  ;  les  huxr.^s;,  qu'il  place,  à  l'exemple 
de  Galien,  parmi  les  tumeurs  {liL/ji-j(.^S(ûv  oj/mv  not.6oz)  ;  le  T£ppiv9oî,  1  ÈTrtvux.Ttç, 
les  herpetes,  etc.  Oribase  est  le  premier  des  Grecs,  selon  Lorry,  qui  ait  signalé 
les  dangers  de  l'emploi  intempestif  des  médicaments  externes  dans  la  cure  des 
herpeles,  et  qui  ait  insisté  sur  la  nécessité  de  débarrasser  d'abord  l'économie  des 
principes  impurs  qu'elle  renferme  par  une  médication  interne.  Oribase  a  géné- 
ralement suivi  Galien,  dont  il  a  été  appelé  lejinge;  on  trouve  en  outre  dans 
ses  œuvres  des  fragments  d'Archigène,  qui  sans  lui  ne  seraient  pas  arrivés 
jusqu'à  nous.  C'était  avant  tout  un  compilateur,  mais  un  compilateur  qui  avait 
beaucoup  vu  et  observé  lui-même,  et  qui  savait  au  besoin  parler  d'après  sou 
expérience  personnelle. 

De  même  qu'Oribase,  Aétius  d'Amide,  qui  vint  un  siècle  plus  tard,  n'a  guère 
fait  que  reproduire,  et  sur  certains  points  compléter  et  développer  ce  que  l'on 
savait  avant  lui  sur  les  affections  de  la  peau.  Il  a  beaucoup  emprunté  à  Galien, 
à  Arcbigène,  àDioscoride,  et  quelquefois  aussi,  pour  ce  qui  a  trait  aux  médica- 
ments, à  Oribase.  C'est  à  lui  surtout  que  l'on  doit  la  conservation  de  ce  qui 
nous  reste  des  écrits  du  célèbre  Arcbigène,  qui  sut  donner  après  Arétée,  dont 
il  fut  presque  contemporain,  une  description  remarquée  de  l'éléphantiasis.  Dans 
un  fragment  transmis  par  Aétius  et  cité  par  Lorry  (p.  565),  Arcbigène  s'efforce 
de  distinguer  la  lèpre  des  Grecs  (il  s'agit  ici  de  l'affection  squameuse)  de  la 
leuce  et  de  l'alphos,  d'une  part,  de  la  scabies  et  de  l'impétigo,  d'autre  part; 
mais  ce  passage  ne  nous  paraît  pas  de  nature  à  dissiper  l'obscurité  qui  règne 
dans  cette  partie  de  la  nomenclature  ancienne,  du  moins  pour  ce  qui  concerne 
l'alphos  et  la  leuce,  car  on  ne  saurait  douter  que  la  lèpre  des  Grecs  représentât 
notre  psoriasis.  Nous  ne  voyons  pas  non  plus,  quoi  qu'en  dise  Lorry,  le  progrès 
réalisé  par  Aétius  et  Arcbigène,  qui,  en  présence  de  la  confusion  des  termes, 
prirent  le  parti  de  désigner  par  un  même  nom  toutes  les  affections  prurigineuses 
de  la  peau,  en  ayant  soin  toutefois  de  les  distinguer  selon  qu'elles  s'accompa- 
gnent de  tumeurs,  de  squames  ou  de  furfures,  encore  que  ces  particularités 
soient  à  leurs  yeux  sans  importance  au  point  de  vue  delà  thérapeutique  (Lorry, 
p.  225).  Du  reste,  Aétius  a  généralement  adopté  les  dénominations  grecques  et 
latines  qui  existaient  alors  dans  la  science,  et  entre  autres  celles  de  phthi- 
riasis,  de  pityriasis,  d'achores,  de  psora  ou  scabies,  d'impétigo,  de  pruritus, 
d'herpès,  de  lichenes,  etc.  Il  admet  les  trois  espèces  d'herpès  de  Galien,  et 
pour  lui  comme  pour  le  médecin  de  Pergame  le  lichen  est  une  tumeur  {oyy.o; 
>n;^flvw(?ïjç).  Enfin,  on  trouve  dans  son  ouvrage  l'énumération  d'une  foule  de 
moyens  thérapeutiques  ramassés  de  toutes  parts,  mais  dont  quelques-uns  ne 
sont  pas  sans  utihté.  II  s'est  particulièrement  étendu  sur  les  remèdes  externes, 
auxquels  il  attribuait  une  grande  efficacité.  Il  donne  de  bons  préceptes  sur  la 
diète  lactée,  sur  l'emploi  des  bains,  sur  celui  de  l'eau  froide  en  lotions,  etc.,  etc. 

Alexandre  de  Tralles  se  fait  remarquer  entre  tous  les  Grecs  de  second  ordre 
par  la  pureté  de  sa  diction  et  par  l'ordre  et  la  clarté  qui  brillent  dans  ses 


DERMATOSES.  653 

ouvrages.  Mais  on  cherclierait  vainement  quelque  vue  originale  ou  nouvelle  dans 
ce  qu'il  a  écrit  sur  la  pathologie  de  la  peau.  Il  s'est  occupé  surtout  des  affections 
cutanées  qui  atteignent  la  tête,  des  achores,  à;^wp-ç,  ainsi  appelés,  dit-il, 
«  quod  ichori  similem  Ç'-yypi  izocox-nl-nyio-j)  Immorem  fundant  ;  »  du  favus, 
qu'il  distingue  de  l'achore,  comme  avait  fait  Galien,  par  les  dimensions  plus 
considérables  des  ouvertures  de  la  peau;  du  Trirvotao-iç,  caractérisé,  selon  lui, 
par  la  production  de  corpuscules  ténus  et  furfuracés  à  la  surface  de  la  tète,  ou 
sur  toute  autre  partie  du  corps,  etc.  Alexandre  de  Tralles  a  parlé  fort  judicieu- 
sement de  l'emploi  des  purgatifs  dans  la  cure  des  maladies  chroniques,  où  il  les 
veut  doux  et  répétés,  jamais  violents  et  drastiques.  Du  reste,  ce  médecin  n'a  pas 
échappé  au  travers  de  son  temps  en  ce  qui  concerne  la  matière  médicale  et  la 
polvpharmacie,  et  on  le  voit  multiplier  à  l'excès  les  recettes  et  les  compositions 
les  plus  bizarres. 

Paul  d'Égine,  au  septième  siècle,  est  court  et  succinct,  mais  généralement  fort 
exact  dans  ses  descriptions.  Il  a  bien  décrit  'a  lèpre  des  Grecs,  ou  lèpre  vulgaire, 
qu'il  confond  pourtant  avec  la  scabies;  il  se  sépare  de  Galien  sur  la  question 
de  l'herpès,  dont  il  admet  deux  espèces  seulement,  comme  feront  plus  tard 
Rhazès  et  Avicenne  ;  il  désigne  les  papules  par  les  termes  ÈxÇs^ara,  iy.'C,BouaTx, 
-zûiCsi/.oL-ca.,  mais  sans  les  distinguer  suffisamment  des  pustules,  ce  que  Lorry  lui 
reproche  [Tract.,  p.  252).  Il  parle  du  vitiligo  et  de  l'épinyctide,  qu'il  considère 
comme  des  affections  identiques,  de  l'éléphantiasis  des  Grecs,  qu'il  traite  par  la 
saignée  et  les  purgatifs,  l'usage  de  la  thériaque,  la  diète  végétale,  etc.  On  lui 
doit,  dit  Rayer,  une  très-bonne  description  de  l'onychia  maligna,  sous  le  nom  de 
pterygion.  Enfin,  comme  ses  devanciers,  il  a  entassé  dans  son  livre  recettes  sur 
recettes  et  formules  sur  formules,  mais  non  pas  toujours  sans  un  certain 
tact,  et  tout  n'est  pas  à  dédaigner  dans  cet  arsenal  thérapeutique  ;  ce  qui  explique 
cet  éloge  du  savant  Lorry:  Pauhis  JEgineta...,  auctor  alioquin  in  re  medica 
non  levis  auctoritatis. 

Comme  nous  l'avons  dit  plus  haut,  les  médecins  arabes  ont  suivi  la  voie  tracée 
]jar  les  Grecs  du  second  ordre,  qui  n'étaient  eux-mêmes  que  des  imitateurs  de 
Galien,  et  nous  devons  nous  attendre  à  voir  dans  leurs  ouvrages  la  description 
des  symptômes  et  des  lésions  plus  ou  moins  complètement  sacrifiée  au  point  de 
vue  étiologiquc  et  thérapeutique.  On  sait  l'influence  considérable  exercée  par 
les  Arabes  sur  les  études  médicales  au  moyen  âge;  mais  lapins  grande  partie  de 
leur  science  était  faite  des  débris  du  passé  grec  et  romain,  débris  trop  souvent 
altérés  et  défigurés  par  l'erreur  des  copistes  ou  l'interprétation  des  scoliastes. 
Deux  hommes  surtout  dominent  cette  période,  Rhazès  et  Avicenne,  tous  deux 
nés  en  Perse,  le  premier  vers  860  et  le  second  vers  980,  tous  deux  compilateurs 
infatigables  des  travaux  de  la  Grèce.  L'enthousiasme  dont  on  s'éprit  pour  leurs 
productions  fut  tel  et  dura  si  longtemps,  que  l'on  perdit  de  vue  les  sources  où 
elles  avaient  été'  puisées,  et  le  silence  se  fit  peu  à  peu  autour  des  noms 
d'Hippocrate,  de  Celse,  de  Galien,  d'Oribase,  d'Aétius,  etc.,  qui  devinrent  presque 
inconnus  dans  les  écoles.  Cette  situation,  qui  devait  se  prolonger  jusqu'à  la 
Renaissance  des  lettres,  était  d'ailleurs  le  résultat  de  causes  multiples  que  je 
n'ai  point  à  examiner  ici.  Ce  qu'il  nous  importe  de  savoir,  c'est  que  les  Arabes 
se  sont  trouvés,  à  un  moment  donné,  à  la  tête  du  mouvement  scientifique,  aussi 
bien  en  Europe  qu'en  Asie  et  en  Afrique,  et  que  c'est  grâce  à  eux  qu'il  a^été 
donné  au  moyen  âge  d'être  initié  dans  une  certaine  mesure  aux  traditions  de  la 
médecine  grecque.  Mais  là  ne  devait  pas  se  borner  leur  rôle,  car  ils  ont'décrit 


654  DERMATOSES. 

plusieurs   maladies   inconnues  à  l'antiquité,  et  fourni   sur   quelques  autres, 
jusque-là  restées  obscures.,  les  seules  indications  positives  que  la  science  ait  pu 
découvrir  en  remontant  le  cours  des  temps  (gale,  favus,  etc.).  C'est  dans  les 
écrits  de  Rliazès  que  la  rougeole  a  été  clairement  désignée  pour  la  première 
fois.  C'est  également  ce  médecin  qui  a  publié  le  premier  travail  important  sur 
la  petite  vérole,  "maladie  déjà  signalée  au  septième  siècle  par  Ahron,  originaire 
d'Alexandrie;  dans  son  traité  dit  de  Pestilentia  (petite  vérole) ,  Rhazès  passe 
rapidement  sur  les  symptômes,  ne  fait  aucune  mention  du  mode  de  développe- 
ment des   pustules  varioliques,  mais    il    insiste  longuement  sur    les  moyens 
prophylactiques,   hygiéniques   et  thérapeutiques,   qu'il  conseille  de  mettre  en 
œuvre,  soit  pour  se  préserver  de  la  contagion,  soit  pour  en  atténuer  les  effets, 
soit  enfin  pour  obtenir  la  disparition  du  mal.  Une  troisième  maladie  dont  on 
chercherait  vainement  la  trace  dans  les  auteurs  grecs  et  latins  est  l'éléphantiasis 
dit  des  Arabes,  décrit  par  Rhazès  et  Avicenne  sous  le  nom  de  dlia  el  fil,  c'est-à- 
dire  mal  de  l'éléphant.  Cette  affection,  que  j'ai  rangée  parmi  les  difformités,  et 
qui  existe  encore  à  l'état  endémique  dans  certaines  localités  (jambe  desBarbades), 
était  considérée  par  Avicenne  comme  une  altération  de  nature  essentiellement 
variqueuse,  el  il  faut  avouer  que  le  nom  d'éléphantiasis  lui  convenait  à  mer- 
veille. Mais  ce  terme,  qui  avait  été  employé  par  les  Grecs  pour  désigner  une 
maladie  bien  autrement  grave  et  d'ailleurs  absolument  différente,  fut  pour  les 
traducteurs  des  Arabes  une  cause  d'embarras  et  de  confusion,  et  c'est  ainsi  que 
l'éléphantiasis    d'Arétce,  d'Archigène,    d'Aétius,    de  Paul  d'Égine,  devint   la 
>E7rpa  d'Avicenne,  d'Haly-Abbas,  d'Avenzoar,  etc.  Du  reste,  aucun  doute  possible 
sur  l'identité  des  états  morbides  compris  sous  ces  deux  expressions  différentes, 
mais  devenues  synonymes:  le  nom  seul  a  change.  Or,  l'habitude  se  conserva  de 
désigner  également  sous  le  nom  de  lèpre  l'éléphantiasis  des  Grecs,  et  comme  ce 
nom  avait  été  lui-même  appliqué  à  d'autres  affections,  on  lui  adjoignit  l'épithète 
de  tuberculeuse  pour  en  déterminer  la  valeur. 

Parmi  les  affections  cutanées  que  l'on  peut  considérer  comme  datant  histori- 
quement de  la  période  arabique,  je  dois  citer  le  favus  et  la  gale.  Quelques-uns 
des  caractères  cliniques  du  favus  ont  été  certainement  indiqués  par  Rhazès  et 
Avicenne;  ils  l'appelaient  sahafats,  safati,  albathin,  et  n'ignoraient  pas  qu'il 
entraîne  la  perte  de  la  chevelure  ;  mais  ils  ne  l'ont  pas  suffisamment  distingué 
des  autres  affections  du  cuir  chevelu,  et  en  particulier  de  l'eczéma  impétigineux. 
Quant  à  la  gale,  je  dirai   ailleurs  {voy.  art.  Gale)  toute  ma  pensée  sur  la  part 
qu'il  convient  d'attribuer  aux  Arabes  dans  l'histoire  de  cette  maladie  ;  après  avoir 
constaté  le  peu  de  valeur  des  documents  que  l'on  a  cru  découvrir  sur  ce  point 
dans  l'antiquité  giecque  et  latine,  je  montrerai,  par  des  citations  tirées  des 
œuvres  d'Avicenne,  d'IIaly-Abbas,  etc.,  que  les  principaux  caractères  de  l'érup- 
tion psorique  ont  été  parfaitement  connus  de  ces  médecins  ;  que  l'existence  de 
l'animalcule  a  été  signalée  au  douzième  siècle  par  Avenzoar;  qu'à  partir  de  ce 
moment  la  notion  delà  gale,  jusque-là  si  confuse,  se  précise,  devient  en  quelque 
sorte  familière  à  tous  ceux  qui  en  parlaient.  Il  est  vrai  que  les  Arabes  n'ont  pas 
soupçonné  un  seul  instant  qu'il  put  exister  un  rapport  entre  les  éruptions  psori- 
ques  et  l'animalcule  découvert  par  Avenzoar,  mais  comment  s'en  étonner  quand 
on  songe  que  cette  vérité,  si  simple  en  apparence,  ne  devait  être  définitivement 
établie  qu'en  1834? 

Sous  les  noms  de  prima  et  ignis  persicus,  Avicenne  a  décrit  deux  affections 
qui  rappellent  à  certains  égards  la  pustule  maligne  et  le  charbon  pestilentiel  ; 


DEHMÂTOSES.  655 

mais  il  ne  parle  ni  de  la  cause  extérieure  de  la  première,  ni  du  danger  presque 
immédiat  qu'elle  entraîne,  et  le  feu  persique  n'offre  vraiment  que  de  lointaines 
analogies  avec  la  maladie  si  redoutable  et  presque  fatalement  mortelle  qui  a 
reçu  le  nom  de  charbon  malin  ou  pestilentiel. 

Notons  encore,  mais  seulement  pour  mémoire,  la  maladie  dite  planta  nocturna 
arabum,  que  Lorry  rapproche  de  l'épinyctide  des  Grecs,  dont  elle  diffère 
pourtant,  dit-il,  en  ce  qu'elle  consiste  en  une  pustule  unique  et  solitaire,  tandis 
que  l'épinyctide  envahit  souvent  plusieurs  parties  à  la  fois  {op.  citato,  p.  424). 
Mais,  comme  nous  serions  fort  embarrassés  de  dire  ce  que  les  Grecs  entendaient 
au  juste  soiis  le  nom  d'épinyctide,  le  rapprochement  imaginé  par  Lorry  ne 
semble  guère  de  nature  à  éclairer  la  question  de  planta  nocturna  Arabum,  et 
vice  versa. 

Je  serai  également  très-bref  sur  l'affection  de  la  peau  produite  par  le  ver  de 
Médine,  affection  signalée  sous  le  nom  de  lîpa/.ovTiov  par  Galien,  qui  avoue  ne 
l'avoir  jamais  observée  lui-même,  puis  par  Âétius,  Soranus,  Paul  d'Égine,  qui 
ne  s'accordent  pas  sur  sa  nature,  et  enfin  décrite  par  Rhazès  et  Avicenne,  qui  la 
regardent  comme  le  résultat  de  l'altération  d'une  veine  ou  d'un  nerf  {vena 
medinends,  nervus  medinensis).  Cependant  Rhazès  émet  l'opinion  qu'un  para- 
site animal  pourrait  bien  être  pour  quelque  chose  dans  la  veine  de  Médine  : 
aliquid  animalis  in  vena  medinensi  latere  (Lorry,  op.  cit.,  587). 

Je  viens  d'examiner  l'œuvre  des  Arabes  dans  ce  qu'elle  peut  avoir  de  vraiment 
personnel  et  original  aux  yeux  du  dermatologiste.  Il  me  resterait  maintenant  à 
l'envisager  dans  ses  rapports  avec  la  médecine  traditionnelle,  c'est-à-dire  à 
rechercher  les  emprunts  qu'elle  lui  a  faits,  les  modifications  bonnes  ou  mauvaises 
qu'elle  lui  a  fait  subir,  et  par  conséquent  l'influence  qu'elle  a  pu  exercer,  à  ce 
point  de  vue,  sur  les  progrès  de  la  pathologie  de  la  peau  ;  mais  un  tel  travail 
dépasserait  évidemment  les  limites  d'un  article  de  dictionnaire,  et  n'aurait 
d'ailleurs  qu'une  utilité  fort  contestable,  l'œuvre  des  Arabes  n'étant,  après  tout, 
le  plus  souvent  qu'un  écho  plus  ou  moins  affaibli  des  grandes  voix  de  la  Grèce 
et  de  Rome.  Qu'importe,  par  exemple,  que  Rhazès  et  Avicenne  n'aient  admis, 
des  trois  herpès  de  Galien,  que  deux  espèces  seulement,  et  qu'ils  aient  décrit 
cette  affection  sous  le  nom  de  y.vpu.rr/.iw,  formicœ  scilicet  nomine;  que  pour  les 
Arabes  le  vitiligo  des  Latins  soit  devenu  la  morphée  (morphcea),  et  que  Rhazès 
ait  appelé  hothor,  la  morphée  blanclie,  Avicenne  la  désignant  tantôt  sous  le  nom 
à'albaras,  et  tantôt  sous  celui  d'alyuada;  que  Vessere  d' Avicenne  ait  plus  de 
rapports  avec  l'hydroa  qu'avec  le  vitiligo,  ou  se  rattache,  comme  on  l'a  dit,  à 
l'urticaire  ;  que  sa  description  de  vesicis  et  inflatiombas  s'applique  plus  spé- 
cialement au  pemphigus  et  au  rupia,etc.?  Entrer  dans  tous  ces  détails,  ce  serait, 
je  le  répète,  recommencer  l'étude  de  la  médecine  antique,  mais  vue  celte  fois  au 
travers  des  écrits  des  Arabes,  ce  serait  surtout  nous  engager  dans  un  dédale  oii 
il  nous  faudrait  lutter  presque  à  chaque  pas  contre  la  confusion  des  termes, 
l'obscurité  des  textes,  l'infidélité  des  traductions,  sans  aucun  profit  pour  la 
science.  Je  ne  puis  cependant  terminer  ces  quelques  considérations  sur  les  Arabes 
sans  dire  un  mot  de  leur  thérapeutique  :  en  effet,  ce  qui  domine  dans  leurs 
ouvrages,  c'est  la  préoccupation  du  remède,  et  rien  n'égale  la  prodigieuse  fécon- 
dité dont  ils  ont  fait  preuve  dans  l'exposition  de  leurs  méthodes  curatives;  il  est 
vrai  que  les  Grecs  leur  avaient  transmis  sur  le  sujet  d'innombrables  matériaux 
dont  ils  n'ont  pas  manqué  de  profiter;  mais  ils  ont  en  outre  enrichi  cet  arsenal 
thérapeutique  déjà  si  bien  fourni  d'un  certain  nombre  de  médicaments,  et  trouvé 


656  DERMATOSES. 

des  applications  nouvelles  pour  quelques-uns  de  ceux  qui  étaient  connus  avant 


eux. 


L'influence  des  Arabes,  c'est-à-dire  de  Rhazès  et  d'Avicenne,  car  c'est  de  ces 
deux  maîtres  que  tous  les  autres  procèdent,  s'était  étendue,  comme  je  l'ai  dit,  à 
presque  toutes  les  universités  de  l'Europe,  et  il  ne  fallut  rien  moins  que  le  grand 
mouvement  intellectuel  provoqué  par  la  Renaissance  des  lettres  pour  que  l'on 
en  vînt  à  secouer  un  joug  qui  menaçait  de  devenir  fatal  aux  véritables  intérêts 
de  la  science.  C'est  dans  cet  intervalle  que  l'éléphantiasis  des  Grecs,  alors  désigné 
communément  sous  le  nom  de  lèpre,  se  répandit  en  Europe  avec  une  fureur 
qu'on  ne  lui  avait  pas  connue  jusque-là.  Or,  cette  épidémie  a  laissé  sa  trace  dans 
les  écrits  d'un  grand  nombre  de  médecins  du  moyen  âge,  parmi  lesquels  je 
citerai  :  Constantin  l'Africain,  auteur  du  onzième  siècle,  qui  a  décrit  plusieurs 
espèces  de  lèpre  et  indiqué  les  méthodes  curatives  qu'on  peut  leur  opposer; 
Ro'^er  et  Roland,  qui  conseillent  la  castration  comme  le  principal  moyen  de 
"ucrison,  durum  herclè  remedium,  s'écrie  Lorry  ;  Gilbert  l'Anglais,  qui  a  donné 
de  la  maladie  une  description  fort  exacte  ;  Guillaume  de  Salicet,  qui  a  indiqué 
les  signes  précurseurs  du  mal;  enfln,  Rernard  Gordon,  Lanfranc,  Théodoric 
Gaddesden,  qui  n'ont  rien  ajouté  d'ailleurs  à  ce  que  leurs  devanciers  avaient 
dit.  Et  certes  ce  n'étaient  pas  les  faits  qui  manquaient  aux  observateurs,  s'd 
est  vrai,  comme  on  l'a  dit,  que  le  nombre  des  ladreries  s'éleva  à  dix-neuf  mille 
dans  toute  la  chrétienté,  et  que  sous  le  règne  de  Louis  Vlll  la  France  seule  ne 
compta  pas  moins  de  deux  mille  établissements  de  ce  genre.  Mais  on  peut  croire 
aussi,  avec  quelques  auteurs,  que  des  affections  cutanées  toutes  différentes 
furent  souvent  confondues  sous  le  nom  de  lèpre,  et  qu'on  en  arriva  à  entasser 
dans  les  maladreries,  à  peu  près  indistinctement,  tous  les  malades  atteints  de 
dermatoses  graves  et  rebelles. 

J'ai  dit  plus  haut  que  la  connaissance  de  la  gale  ne  remontait  pas  vraisembla- 
blement au  delà  des  Arabes,  mais  qu'à  partir  de  ce  moment  tous  les  auteurs  en 
parlent  dans  les  termes  les  moins  équivoques.  En  effet,  cette  affection  a  été 
signalée  et  décrite  par  la  plupart  des  médecins  dont  le  nom  a  surnagé  dans  la 
période  historique  que  nous  traversons.  C'est  donc  bien  à  tort  que  Rayer  a 
prétendu  que  l'apparition  de  la  gale  dans  la  pathologie  ne  datait  que  du 
quatorzième  siècle,  et  je  partage  complètement  l'opinion  de  Dezeimeris  lorsiju'il 
déclare  qu'il  n'y  a  dans  Guy  de  Chauliac  aucun  fait,  aucune  idée,  aucun  mot 
peut-être,  relativement  à  la  gale,  qui  ne  se  trouve  dans  des  auteurs  beaucoup 
plus  anciens  que  lui  {voy.  ait.  Gale). 

Et  puisque  le  nom  de  Guy  de  Chauliac  se  rencontre  sous  notre  plume,  c'est 
par  lui  que  nous  fermerons  cette  seconde  époque  de  l'histoire  des  dermatoses, 
bien  qu'il  puisse  être  considéré  comme  appartenant  à  la  troisième.  Laissant  à 
d'autres  le  soin  de  faire  ressortir  tous  les  services  que  cet  homme  éminent  rendit 
à  la  chirurgie  française,  je  m'occuperai  seulement  de  la  partie  de  son  œuvre 
qui  a  trait  à  la  pathologie  de  la  peau.  Nous  savons  déjà  qu'il  a  si  bien  résumé 
et  mis  en  lumière  ce  que  l'on  avait  dit  avant  lui  sur  la  question  de  la  gale,  que 
quelques  auteurs.  Rayer  entre  autres,  ont  pensé  qu'il  avait  été  le  premier  à 
décrire  cette  maladie,  ou  du  moins  à  en  signaler  le  caractère  contagieux.  C'est 
lui  qui  nous  a  laissé  la  descinption  de  cette  terrible  peste  qui  s'étendit  sur  le 
monde  en  1348,  et  qui,  d'abord  caractérisée  par  une  fièvre  violente  avec  crache- 
ment de  sang,  s'accompagna  ensuite  de  la  production  de  tumeurs  charbonneuses 
et  d'abcès,  principalement  aux  aines  et  sous  les  aisselles.  Enfin,  Guy  de  Chauliac 


DERMATOSES.  057 

a  traité  de  la  teigne,  mais,  moins  heureux,  que  sur  la  question  de  la  gale,  il  en 
a  admis  cinq  espèces  :  1"  tinea  favosa  ;  2"  tinea  ficosa;  5"  tinea  amedesa 
{similis  carni  humiditas)  ;  4°  tinea  tuherosa  [similis,  iiheribus  mamillarum)  ; 
5°  tinea  lupinosa.  Or,  ces  cinq  espèces  correspondent  à  autant  d'affections  diffé- 
rentes, une  seule,  la  dernière,  se  rattachant  manifestement  au  favus.  Du  reste, 
Chauliac  n'avait  fait  que  suivre  à  cet  égard  les  errements  de  ses  devanciers 
pour  lesquels  le  mot  tinea,  dénomination  alors  nouvelle  dans  la  science,  com- 
prenait dans  son  acception  la  plupart  des  affections  du  cuir  chevelu. 

Troisième  éi-oque  on  époque  moderne.  Nous  la  subdiviserons  en  deux,  époques 
secondaires  :  l'une  commençant  à  la  Renaissance  des  lettres  et  finissant  à  Lorry, 
l'autre  s'étendant  de  Lorry  jusqu'à  nos  jours. 

i°  Époque  de  la  Renaissance  des  lettres.  Le  quinzième  siècle  vit  se  pro- 
duire deux  faits  pathologiques  très-importants  :  1°  d'une  part,  la  décroissance 
rapide  et  l'extinction  presque  complète  de  l'épidémie  de  lèpre  qui  s'était  éten- 
due sur  l'Europe  pendant  toute  la  durée  du  moyen  âge  ;  2"  et  d'autre  part, 
l'apparition  d'un  mal  dont  l'existence,  ignorée  jusqu'alors,  semble  se  révéler 
tout  à  coup  à  l'attention  du  monde  médical,  je  veux  parler  de  la  syphilis. 
C'est  cette  coïncidence  qui  donne  lieu  de  croire  à  quelques  écrivains  du  quin- 
zième siècle  que  la  syphilis  n'était  qu'une  dégénération  ou  une  transformation 
de  la  lèpre. 

La  nouvelle  épidémie  devint  aussitôt  l'objet  de  recherches  et  d'observations 
multipliées  de  la  part  d'un  très-grand  nombre  de  médecins  contemporaine.  On 
s'efforça  d'en  fixer  les  caractères,  d'en  pénétrer  l'origine  et  la  nature.  Parmi  les 
auteurs  dont  les  noms  se  rattachent  plus  spécialement  à  ces  premières  recher- 
ches, nous  citerons  :  X.  Leouiceno,  célèbre  médecin  de  Vicence,  qui  démontra 
que  le  mal  français,  comme  on  l'appelait  alors,  n'avait  absolument  rien  de  com- 
mun avec  la  maladie  décrite  par  les  Grecs  sous  le  nom  d'éléphantiasis,  et  dési- 
gnée pai*  les  traducteurs  des  Arabes  sous  le  nom  de  lèpre  ;  Manardi  (de  Ferrari), 
élève  de  Leoniceno;  AlexanderBenedictus,  qui  put  assister  aux  premiers  progrès 
du  mal  en  Italie,  tandis  que  J.  Grunsbeck  l'étudiait  en  Allemagne  comme  une 
maladie  jusqu'alors  inconnue;  J.  Cataneo,  qui  crut  découvrir  un  rapport  entre 
l'aspect  de  la  lésion  primitive  et  le  degré  de  gravité  des  phénomènes  consécutifs  ; 
G.  Torella  (de  Valence),  qui  publia  un  Traité  sur  la  vérole  où  il  est  fait  mention 
d'éruptions  syphilitiques  papuleuses  et  squameuses  ;  Seb.  Aquilauus,  dont  ou  a 
une  lettre  intitulée  de  morbo  (jallico,  et  qui  doit  être  compté  parmi  ceux  qui  ont 
accrédité  l'usage  du  mercure  dans  le  traitement  de  la  syphilis  ;  M.  Montesaurus  (de 
Vérone),  qui  soutint  contre  Leoniceno,  et  nous  pourrions  dire  contre  la  plupart 
des  médecins  de  son  temps,  que  la  vérole  n'était  rien  moins  que  nouvelle,  mais 
qu'elle  avait  été  anciennement  connue  et  décrite  sous  diverses  dénominations  ; 
J.  Fracastor,  auteur  d"un  poème  élégant  et  facile  dans  lequel  on  trouve  une 
foule  de  renseignements  précieux  sur  le  début  et  les  symptômes  de  la  maladie 
jusque-là  connue  sous  les  noms  de  mal  français,  mal  de  Naples,  et  qu'il  a  le 
premier  désignée  sous  celui  de  syphilis  ;  on  possède  en  outre  de  Fracastor  uu 
Traité  des  maladies  contagieuses,  «  de contagionibus  »,  écrit  en  prose,  où  les  af- 
fections de  la  peau  sont  envisagées  à  ce  point  de  vue  spécial.  Bien  d'autres  noms 
pourraient  être  ajoutés  à  ceux  qui  précèdent,  Dell'Âquila,  Scanaroli,  Brassavola, 
G.  Fallopio,  A.  Matthioli,  J.  Fernel,  J.  de  Vigo,  Pinctor,  Fuchs,  B.  Tomita- 
nus,  etc.,  etc.,  mais  je  m'arrête,  car  les  auteurs  qui  ont  écrit  sur  la  svphilis 

DICT.   ESC.  XXVII.  4i 


658  DERMATOSES. 

dans  les  premiers  temps  de  son  apparition  s'appellent  légion,  et  ce  n'est  point 
ici  le  lieu  d'en  faire  le  dénombrement. 

Toutefois,  parmi  les  noms  précités,  je  dois  revenir  sur  celui  de  Fernel,  à  qui 
l'on  doit  une  bonne  description  de  quelques  formes  de  syphilides,  mais  qui  s'est 
occupé  en  outre  d'un  certain  nombre  d'atlections  cutanées  non  spécifiques, 
telles  que  le  lentigo,  les  rougeurs,  les  pustules  et  les  tubercules  de  la  couperose. 
Fernel  considérait  l'impétigo,  le  pruritus,  la  psore  et  la  lèpre,  comme  autant  de 
signes  d'une  même  maladie,  opinion  à  la  rigueur  qui  pouvait  être  soutenue  de 
son' temps,  étant  donné  la  confusion  qui  régnait  sur  le  sujet;  mais  ce  qui  se 
comprend  plus  difficilement,  c'est  qu'il  entend  ici  parler,  sous  le  nom  de  lèpre, 
non  point  de  l'affection  squameuse  des  Grecs,  la  seule  évidemment  dont  il  puisse 
être  question,  mais  de  la  lèpre  des  Arabes,  de  l'élépliantiasis  lui-même  :  erreur 
qui  s'accorde  assez  mal  avec  les  éloges  que  lui  décerne  Lorry  sur  sa  connaissance 
des  auteurs  grecs. 

Ambroise  Paré  (1509-1590)  n'a  rien  ajouté  à  ce  que  l'on  savait  avant  lui  sur 
les  affections  de  la  peau.  Il  suit  généralement  Galien.  L'érysipèle  est  à  ses  yeux 
engendré  par  la  cholère,  et,  selon  que  cette  humeur  est  pure  ou  mêlée  avec 
d'autres  humeurs,  telles  que  sang,  pituite,  mélancholie,  l'érysipèle  est  vray^ 
phlegmonodes ,  œdematodes,  scirrliodes.  C'est  également  de  la  cholère  qu'il  fait 
naître  l'herpès,  dont  il  admet  les  trois  espèces  galéniques  :  simplex,  si  cette 
humeur  est  pure  ;  miliaris,  «  si  l'humeur  est  accompagnée  de  quelque  portion 
de  pituite,  et  fait  de  petites  vessies  au  cuir  en  forme  de  millet  »  ;  exedens, 
c'est-à-dire  rongeant,  corrodant  et  ulcérant  le  cuir  et  la  chair  de  dessus,  «  si  avec 
la  cholère  quelque  portion  de  l'humeur  melancholique  y  est  meslée.  »  Il  décrit 
sous  les  noms  d'athérome,  stéatome  et  mélicéride,  des  tumeurs  «  dont  la  matière 
est  contenue  dans  un  kyste,  c'est-à-dire  dedans  une  membrane  ou  petite  bourse», 
matière  semblable  dans  l'athérome  à  de  la  bouillie,  dans  le  stéatome  à  du  suif, 
et  dans  le  mélicéride  à  du  miel  commun.  Parlant  ensuite  des  scrophules  ou 
escrouelles  qui  viennent  aux  parties  glanduleuses,  comme  aux  mamelles,  ais- 
selles, aines,  et  le  plus  souvent  à  celles  du  cou,  il  les  montre  «  engendrées  de 
pituite  grasse,  visqueuse,  et  s'eschauffant  lorsqu'il  s'y  mêle  de  l'humeur  me- 
lancholique, d'où  ulcères  corrosifs  et  chancreux  qui  rongent  la  substance  des 
glandes  et  des  parties  voisines,  et  adonc  sont  incurables.  »  Enfin,  dans  le  même 
VII*  livre,  il  est  question  des  verrues  ou  poireaux,  dont  il  admet  cinq  sortes,  et 
du  scirrhe  ou  chancre,  qui  est  pour  lui  l'objet  d'une  élude  spéciale.  C'est  au 
commencement  du  XVII''  livre  que  se  trouvent,  on  ne  sait  trop  pourquoi,  les 
chapitres  consacrés  à  l'alopécie  et  à  la  teigne.  Paré  énumère  les  différentes 
espèces  d'alopécie,  syphilitique,  lépreuse,  teigneuse,  celle  qui  vient  de  la  vieil- 
lesse ou  par  fièvre  hectique,  ou  par  brûlure,  ou  par  quelque  vice  du  cuir,  etc. 
Quant  à  la  teigne,  il  en  admet  trois  espèces,  une  seule,  l'espèce  ficosa,  étant  de 
nature  parasitaire.  Notons  encore  le  X1X'=  livre  où  il  est  question  de  la  grosse 
vérole  ou  maladie  vénérienne,  et  le  XX%  oii  Paré  traite  succinctement  de  la 
petite  vérole,  de  la  rougeole  et  de  la  lèpre  ou  ladrerie.  C'est  dans  ce  W"  livre 
que,  parlant  de  quelques  animaux  parasites,  l'auteur  signale  sous  le  nom  de 
cirons  «  de  petits  animaux  toujours  cachés  sous  le  cuir,  etc.,  »  et  qui  ne  sont 
autre  chose  évidemment  que  le  sarcopte  delà  gale  {voy.  article  Gale).  Enfin, 
dans  le  XXII*  livre,  Paré  s'occupe  de  la  peste,  des  éruptions  qu'elle  occasionne, 
et  des  maladies  charbonneuses. 

De  même  que  Gelse  et  Galien,  Jérôme  Mercuriali  divise  les  maladies  de  la 


DER3IAT0SES.  659 

peau  en  celles  qui  sont  particulières  à  la  tête  et  celles  qui  peuvent  se  développer 
sur  toutes  les  parties  du  corps  :  distinction  justifiée,  selon  lui,  par  ce  fait  que 
le  cuir  chevelu  doit  être  nécessairement  exposé  à  des  maladies  spéciales  en 
raison  de  la  proximité  du  cerveau,  organe  très-humide  et  l'un  des  plus  considé- 
rables qui  soient  dans  l'économie.  Le  traité  comprend  donc  deux  chapitres  : 
l'un  pour  les  maladies  du  cuir  chevelu,  l'autre  pour  celles  du  tégument  en 
général.  Nous  commencerons,  dit  Mercuriali,  par  les  vices  du  cuir  chevelu,  toute 
étude  des  maladies  du  corps  humain  devant  débuter  par  celles  de  la  tête,  qui 
en  est  la  partie  la  plus  noble,  et  l'auteur  passe  successivement  en  revue,  dans 
une  série  d'articles  empreints  du  plus  pur  galénisme  :  1"  la  chute  des  cheveux; 
2°  l'alopécie  ou  ophiasis;  3"  la  calvitie;  ¥  lacanilie;  5"  la  maladie  pédiculaire; 
6°  le  porrigo;  7°  les  achores  et  les  favi;  8°  la  tinea;  9°  la  psydracia  ;  10"  l'hil- 
cydria;  11°  le  sycosis  ;  12"  les  exanthemata.  Une  seule  parmi  ces  affections 
mérite  de  nous  arrêter  un  instant  pour  la  façon  nette  et  précise  dont  elle  a  été 
caractérisée  par  Mercuriali,  je  veux  parler  de  la  tinta,  qui  représente  évidem- 
ment notre  teigne  favcuse.  11  indique  la  contagion  comme  une  des  causes  les 
plus  ordinaires  :  El  si  quis  est  morhus  quiper  contagium  recipiatur,  proculdu- 
bio  hic  iinus  est.  11  décrit  parfaitement  ses  croûtes  jaunes  et  sèches  :  Signa  horum 
tdcenim...  hcec  sunt  quod  apparent  crustce quœdam  aridœ,  interdum  crocece, 
interdum  cinereœ,  nonnunquam  virides  aut  etiam  nigricantes,  quœ  nihil  aut 
pariim  humoris  emittunt.  Il  note  la  chute  des  cheveux  :  Propterea  corrupti pili 
décidant.  Enfin  il  montre  la  tinea,  lorsqu'elle  a  longtemps  persisté,  s'accompa- 
gnant  d'une  calvitie  définitive  :  Prognostica  hcec  sunt,  quod  omnia  hcec  idcera 
prava  sunt;  sed  détériora  hahentur  illa  cjiice  sunt  anticjua  quce  fere  omnia  in 
alopeciam  et  ophiasim  consummata  terminantur.  Mercuriali  combat  la  tinea 
par  des  moyens  internes  et  par  des  moyens  externes.  Parmi  les  moyens  externes, 
il  recommande  l'épilation  :  Primum  est,  ut  pili,  si  qui  sint,  auferantur.  Aufe- 
runtur  auteni  vel  volcellis  (petites  pinces),  vel  etiam  aliquo  psylolhro  (agents 
dépilatoires).  Quant  aux  maladies  qui  peuvent  se  développer  sur  toutes  les  par- 
ties des  téguments,  Mercuriali  les  divise  en  plusieurs  ordres  suivant  qu'elles 
altèrent  la  couleur  de  cette  membrane  (leuce,  alphos,  etc.),  ou  qu'elles  en  ren- 
dent la  surface  rude  et  inégale  [impétigo  seu  lichen,  priiritus,  scabies  ou  psora, 
lepra,  etc.),  ou  entîn  qu'elles  y  déterminent  la  formation  de  véritables  tumeurs. 

Riolan  fils  divisa  les  maladies  de  la  peau,  d'après  leurs  apparences  :  1"  en 
pustules  (prurigo,  scabies,  psora,  lepra,  impétigo,  psydracia,  brûlure)  ;  2°  en 
difformités  (taches,  colorations  morbides,  chute  des  poils,  phthiriasis)  ;  5"^  en 
tubercules  (verrues,  clous,  condylomes). 

En  1650,  Samuel  Ilafenrefter  faisait  paraître  un  traité  spécial  des  mala- 
dies de  la  peau  sous  ce  titre  singulier  :  TzitvSoyjio-j  cx.loloS-piJLo-j  in  quo  cutis  eique 
adherentium partium,  affectus  omnes,  singulari  méthode,  etc..  traduntur.  Les 
maladies  de  la  peau  y  sont  réparties  un  peu  au  hasard  en  quatre  livres.  L'auteur 
semble  pourtant  s'être  proposé  de  décrire  plus  particulièrement  dans  le 
P"'  livre  les  altérations  qui  s'arrêtent  à  la  superficie  du  tégument,  et  dans  !■» 
IP  celles  qui  l'attaquent  plus  ou  moins  profondément  dans  sa  substance 
le  11^  livre  est  consacré  aux  lésions  traumatiques  ou  de  cause  extérieure, 
et  le  IV'=  enfin  aux  tumeurs  de  la  peau.  En  somme,  aucun  plan,  aucune  vue 
générale.  Quant  aux  descriptions  particulières,  elles  répondent  généralement 
assez  mal  à  la  prétention  affichée  par  l'auteur  de  joindre,  selon  le  précepte 
d'Horace,  l'utile  à  l'agréable  :  Opus  tam  medicis  quant  cheirurgis  jucundum  et 


6C0  DERMATOSES. 

utile.  C'est  ainsi  qu'à  propos  de  la  scabies  et  de  ses  espèces  Hafenreft'er  trouva 
moyen  de  pr.rler  tout  à  la  fois  du  porrigo,  de  la  psore,  de  la  lèpre  des  Arabes 
et  de  l'éléphantiasis  des  Grecs,  des  rhagades  et  fissures,  du  lei^^veç,  de  la  raeu- 
tagre,  de  l'ipTrvj;  et  de  ses  trois  variétés  galéniques,  le  tout  à  grand  renfort 
d'érudition.  11  faut  reconnaître  pomiant  qn'Ilafenreffer  ne  nian([ue  ni  de  sens 
pratique,  ni  d'un  certain  talent  d'exposition.  La  description  qu'il  a  donnée  de 
l'antln'ax,  sous  le  nom  de  carbuncultis,  n'est  point  tracée  d'une  main  vulgaire; 
les  abcès  dermiques  (x/ùf^aTa)  sont  distingués  par  lui  de  la  manière  la  plus  nette  du 
furoncle;  entin,  dans  le  chapitre  X,  de  pediciiUs,  page  73,  il  indique  manifes- 
tement l'existence  de  l'acarus  scabiei  :  «  Generantur  inter  digitos,  in  manu  et  in 
«  pedibus,  inter  cuticulani  et  cutem ,  forma  imitantur  ora  papiliorum,  sunt 
«  enim  rotundi,  albi  et  tam  parvi,  ut  videri  ferè  effugiunt  ;  serpunt  enim  per 
«  cutem  et  ipsam  corrodendo  intolerabileni  pruritum  concitant,  et  nunquam 
«  erumpunt,  sed  semper  intra  cutem  et  cuticiilam  lalitant.  Quibusdam  acari, 
«  aliis  cyrones,  quibusdam  pedicelli  germanis...  appellantur.  »  Du  reste,  pour 
Ilafenrelfer,  tous  ces  parasites  naissent  d'une  altération  des  humeurs,  et  leur 
couleur,  leur  forme,  leur  aspect,  indiquent  quel  est  le  genre  et  le  siège  de  cette 
altération  :  «  rubros  et  crassiores  ex  humore  sanguineo  corrupto  generari  volunt  ; 
«  molles  et  albos,  ex  piluiloso  sanguine  corrupto  ;  citrinos,  longos  et  acutos,  ex 
«  bilioso  ;  subnigros,  macilenlos,  tardioiis  motus,  ex  melancbolico.  )>  J'ai  cru 
devoir  citer  ce  passage,  qui  montre  oii  en  était  la  question  du  parasitisme  vers  le 
milieu  du  dix-septième  siècle.  Le  livre  d'IIafenreffer  se  termine  par  un  glossaire 
en  quatre  langues,  l'arabe,  le  grec,  le  latin  et  l'allemand. 

^Yillis  (1682)  ne  semble  s'être  occupé  des  maladies  de  la  peau  qu'incidem- 
ment, après  avoir  traité  des  cautères  et  des  vésicatoires.  Il  donne  d'abord  quel- 
ques détails  sur  la  structure  de  la  peau,  qu'il  montre  composée  de  deux  parties, 
la  cuticule  et  la  peau  proprement  dite.  11  divise  les  affections  cutanées  en  deux 
sections,  selon  qu'elles  sont  avec  ou  sans  tumeur.  Les  affections  cutanées  avec 
tumeur  sont  universelles  ou  particulières.  Parmi  les  premières,  les  unes  s'ac- 
compagnent de  fièvre,  comme  il  arrive  dans  la  variole,  la  rougeole  et  d'autres 
exanthèmes  auxquels  il  faut  joindre  les  efflorescences  qui  surviennent  chez  les 
enfants  ;  ou  bien  la  fièvre  fait  défaut,  comme  on  le  voit  dans  le  prurigo,  l'im- 
pétigo et  les  alfections  lépreuses.  Les  affections  cutanées  sans  tumeur  compren- 
nent toutes  les  taches,  éphéUdes,  taches  hépatiques,  etc. 

Le  Traité  des  maladies  de  la  peau  de  Turner  (Londres,  1714)  est  divisé  en 
deux  parties  :  Li  première  est  destinée  plus  particulièrement  aux  affections  qui 
peuvent  se  rencontrer  sur  tout  le  corps,  et  la  deuxième  à  celles  qui  s'attaquent 
de  préférence  à  certaines  régions.  Cependant,  l'auteur  semble  tenir  assez  mé- 
diocrement à  cette  division  dont  il  ne  prévient  même  pas  le  lecteur,  et  qu'il 
abandonne  dans  les  quatre  derniers  chapitres,  consacrés  par  lui  aux  lésions 
traumatiques  de  la  peau,  sans  aucune  distinction  de  siège.  Turner  commence 
par  une  dissertation  assez  embarrassée  sur  les  différentes  espèces  de  lèpre,  qu'il 
ne  sépare  pas  d'une  manière  assez  nette;  parlant  ensuite  de  la  gale,  qu'il  attri- 
bue à  une  humeur  séreuse  saline  des  glandes  cutanées,  il  en  indique  le  caractère 
contagieux  et  le  siège  pathognoraonique  entre  les  doigts  sous  la  forme  de  pus- 
tules ;  il  donne  une  assez  bonne  description  de  l'herpès,  qu'il  tend  à  séparer  de 
la  dartre  rongeante  {herpès  ex edens);  à  propos  de  la  maladie  pédiculaire,  il 
révoque  en  doute  la  génération  spontanée  des  insectes,  ne  pouvant  croire  que 
<(  la  strujcture  la  plus  curieuse  et  la  mieux  imaginée  sorte  de  l'ordure  et  de  la 


DERMATOSES.  661 

corruption  «  ;  du  reste,  pour  la  description  des  pecUculi,  il  reproduit  exactement 
ce  qu'en  a  dit  Hafenreffer,  sans  oublier  «  l'espèce  qui  s'engendre  sous  la  cuti- 
cule des  mains  et  des  pieds  »,  c'est-à-dire  Vacants  scabiei.  Il  consacre  un  long 
chapitre  aux  transpirations  sensible  et  insensible,  et  à  leurs  vices,  expliquant  et 
commentant  ces  phénomènes  au  moyeu  des  notions  anatomiques  et  physiolo- 
giques alors  fort  incomplètes  que  l'on  possédait  sur  ces  matières,  et  il  cite  à  ce 
propos  un  certain  nombre  de  faits  empruntés  à  divers  auteurs,  et  dont  quelques- 
uns  présentent  un  véritable  intérêt  :  tel  est  le  cas  d'une  femme  dont  les  sueurs 
étaient  si  prodigieuses  qu'on  était  obligé  de  mettre  des  bassins  entre  ses  cuisses 
pour  recevoir  l'humeur  qui  s'écoulait  de  son  corps.  Turner  parle  ensuite  des 
sueurs  fétides  et  en  particulier  de  celles  des  pieds  et  des  mains  «  qu'on  ne  doit 
arrêter,  dit-il,  qu'avec  beaucoup  de  circonspection,  et  les  mêmes  précautions 
dont  on  use  dans  le  dessèchement  des  cautères,  des  ulcères  anciens,  des  humeurs 
de  la  teigne,  etc.,  car  l'évacuation  qui  se  fait  dans  tous  ces  cas  n'est  qu'une 
dépuration  du  sang,  etc.  »  Mentionnons  enfin  les  nœvi,  que  l'auteur  regarde 
«  comme  des  marques  imprimées  sur  la  peau  du  fœtus  par  l'imagination  de  la 
mère  »,  et  qu'il  étudie  principalement  au  point  de  vue  de  leur  traitement  chi- 
rurgical (ligature,  excision  et  cautérisation).  En  résumé,  le  livre  de  Turner  n'a 
rien  qui  le  tire  de  ligne,  mais  il  a  le  mérite  d'être  venu  l'un  des  premiers  dans 
la  série  des  Traités  spéciaux  de  dermatologie  ;  il  est,  du  reste,  d'une  leclui'e 
facile  et  qui  n'est  pas  sans  attrait,  ce  qui  tient  à  la  multitude  de  faits,  et  j'allais 
dire  d'anecdotes  dont  l'auteur  a  entremêlé  ses  courtes  descriptions.  Quant  à  la 
partie  thérapeutique,  elle  abonde  en  recettes  de  tous  genres,  puisées  à  toutes 
les  sources,  mais  qui  n'offrent  pour  la  plupart  qu'un  intérêt  de  curiosité. 

2°  L'époque  moderne,  dans  l'histoire  de  la  dermatologie,  ne  commence  véri- 
tablement qu'à  Lorry,  qui  a  publié  sur  la  matière  un  livre  également  remar- 
quable par  l'élégance  de  la  forme,  la  connaissance  approfondie  du  sujet  et 
l'étendue  de  l'érudition  :  c'est  le  Tractatus  de  morbis  ciitaneis,  paru  en  1777. 
Nul  mieux  que  Lorry  n'a  connu  la  science  antique,  dont  il  peut  être  considéré 
comme  l'un  des  derniers  représentants,  et  non  pas  le  moins  illustre  ;  nul  n'a 
su  tirer  de  ces  ruines  fécondes  du  passé  un  plus  grand  nombre  de  matériaux 
précieux.  C'est  dans  le  commerce  des  Anciens,  et  plus  particulièrement  d'Ilip- 
pocrate  et  de  Gaheu,  que  Lorry  a  puisé  la  plupart  des  principes  sur  lesquels 
repose  la  conception  de  sou  œuvre  ;  il  insiste,  avec  le  premier,  sur  les  rapports 
que  peuvent  affecter  les  éruptions  de  la  peau  avec  les  auties  états  morbides  ; 
sur  les  signes  qu'elles  peuvent  fournir  au  pronostic  et  au  traitement,  sur  les 
effets  de  leur  répercussion,  etc.  Mais  on  le  voit  trop  souvent  s'égarer,  à  la  suite 
du  deuxième,  dans  de  vaines  explications  théoriques  sur  la  nature  et  la  cause 
prochaine  des  maladies,  sur  les  altérations  humorales  qui  les  engendrent,  etc. 
11  est  vrai  que  ce  défaut,  qui  était  celui  de  son  époque,  se  trouve  atténué  dans 
Lorry  par  la  rectitude  de  son  jugement  et  le  sens  médical  qu'il  possédait  à  un 
haut  degré,  mais  on  peut  regretter  néanmoins  qu'un  esprit  aussi  distingué  n'ait 
point  su  s'y  soustraire. 

Après  un  long  chapitre  consacré  à  l'anatcimie  et  à  la  physiologie  de  la  peau 
envisagée  dans  l'état  de  santé,  Lorry  entre  dans  des  considérations  générales 
sur  sa  pathologie.  11  s'occupe  en  premier  lieu  des  causes,  qu'il  divise  en  trois 
classes  :  d°  la  première  classe  comprend  ce  qu'il  appelle  assez  improprement, 
d'après  Galien,  res  non  naLiirales,  les  choses  non  naturelles;  2"  la  deuxième, 
les  causes  dont  l'origine  se  trouve  dans  le  corps  lui-même,  et  qu'on  pourrait 


662  DERMATOSES. 

appeler  naturelles  ou  organiques,  par  opposition  avec  les  précédentes;  3"  enfui, 
dans  la  troisième  classe  se  placent  les  causes  venues  du  monde  extérieur. 

Les  choses  non  naturelles  (res  non  iiaturales)  sont  au  nombre  de  six,  à  savoir: 
1°  l'air,  qui  agit  par  sa  température,  ses  variations,  son  état  de  sécheresse  ou 
d'humidité,  les  émanations  dont  il  est  chargé,  etc.  ;  2°  lesalimentset  les  boissons,, 
dont  l'influence  varie  suivant  leur  quantité  et  leurs  qualités  ;  5"  le  mouvement 
et  le  repos  ;  4"  le  sommeil  et  la  veille  ;  5  •  les  émotions  de  l'àme  ;  6"  la  rétention 
des  humeurs  et  leur  excrétion. 

Lorry  attribue  à  chacune  de  ces  causes  un  rôle  en  rapport  avei;  ses  idées  doc- 
trinales sur  les  humeurs,  sur  la  manière  dont  elles  s'engendrent,  les  altérations 
qu'elles  peuvent  subir,  leur  mode  d'action  sur  la  peau,  etc.  Mais  il  faut  recon- 
naître que,  les  prémisses  étant  admises,  tout  se  suit  et  s'enchaîne  dans  un 
ordre  rigoureux  et  logique.  Et  puis,  le  théoricien  chez  Lorry  se  trouvait  doublé 
d'un  observateur  sagace,  d'un  praticien  expérimenté,  et  les  réflexions  les  plus 
judicieuses  se  rencontrent  à  tout  instant  sous  sa  plume.  C'est  ainsi  qu'à  propos 
des  aliments  et  des  boissons  il  ne  manque  pas  de  citer  en  exemple  les  effets 
produits  sur  la  peau  par  le  seigle  ergoté  et  Tingestion  des  moules  ;  que,  parlant 
des  excès  de  régime,  il  indique  la  part  qu'une  telle  cause  peut  avoir  dans  l'éveil 
ou  l'explosion  d'un  mal  jusque-là  resté  latent,  et  qu'enfin  il  compare  avec 
raison  ces  effets  à  l'action  exercée  sur  la  peau  par  l'usage  interne  de  certaines 
substances  médicamenteuses. 

Passant  ensuite  à  l'élude  des  causes  dont  l'origine  est  interne  {causée  intra 
corpus  conceptœ),  Lorry  examine  successivement  à  ce  point  de  vue  :  l^la  bile 
et  Vatrabile,  auxquelles  il  attribue  un  certain  nombre  d'éruptions  rebelles  et 
graves,  depuis  la  tache  hépatique  jusqu'à  l'anthrax  et  la  gangrène  ;  '1°  la  lymphe 
{lympha,  sive  sanguis  materie  rubra  seclusus),  humeur  complexe  et  infiniment 
variable  selon  les  cas,  qui  peut-être  altérée,  soit  dans  sa  partie   séreuse  [sérum 
acre),  soit  dans  sa  partie  muqueuse  [mucus  acer),  soit  dans  tous  ses  éléments 
à  la  fois  [scrofulosum  acre).  Les  altérations  de  la  partie  séreuse  de   la  lymphe 
donnent  lieu,  dans  leur  moindre  degré,   à  des  phlyctènes,  à  des  engelures,  sans 
l'intervention  d'une  cause  extérieure,  à  des   efflorescences  herpétiformes,  etc., 
et,  lorsqu'elles  sont  très-prononcées,  à  des  pustules  accompagnées  de  douleurs 
atroces,  à  la  chute  des  dents,  à  la  désorganisation  du  poumon,  etc.  La  partie 
muqueuse  delà  lymphe,  humeur  éminemment  nutritive  et  instable  de  sa  nature, 
produit  notamment,  loi'squ'elle  devient  acre  [mucus  acer),  ces  affections  cuta- 
nées si  communes  chez  les  enfants  et  les  jeunes  gens,  et  que  les  Grecs  désignaient 
sous  le  nom  à'oL^hipîg  (scrofulides  eczémateuses  et  impétigineuses),    affections 
qu'il  faut  respecter,  dit-il,  de  peur  que  le  principe  morbide,  après  avoir  aban- 
donné la  peau,  ne  se  porte  sur  les  organes  internes,  le  mésentère,  le  foie,  les 
poumons,  etc.  Cette  àcreté  de  la  partie  muqueuse  de  la  lymphe  pourrait  encore 
dépendre,    selon  Lorry,  d'une  élaboration  vicieuse  et  incomplète  du  chyle  au 
lieu  même  où  il  se  forme,  d'où  altération  de  toutes  les  sécrétions,  et  en  particu- 
lier de  la  sécrétion  de  transpiration,  qui  est  appelée  à  suppléer  toutes  les  autres  : 
c'est  ce  que  Lorry  appelle,  un  peu  ambitieusement,  acre  humanum,  cause   et 
source  féconde,  selon  lui,  de  maladies  très-diverses  de  siège  et  de  forme,  criti- 
ques, dépuratoires,  etc.  :  Numerosa  herclè  morbonan  cohors,  quœ  huic  acredini 
mucosœ  débet  originem.    Enfin  un  dernier  mode    d'altération   de  la  lymphe 
aurait  pour  effet  d'accumuler  cette  humeur  sur  certains  points  et  d'en  déterminer 
la  coagulation  [scrofulosum  acre),  d'où  les  scrofules,  les  tumeurs  froides  et. 


DERMATOSES.  663 

sur  la  peau,  des  dégéne'rescences  et  des  destructions  telles  que  la  réparation 
n'est  plus  possible;  5"  le  liquide  laiteux  altéré  {lacteum  acre),  dont  les  éléments 
donnent  lieu,  eu  se  répandant  dans  les  tissus,  à  du  prurit,  à  des  ulcères  rebelles, 
au  ramollissement  des  os,  etc.  ;  4°  il  y  a  encore  ce  qu'il  appelle  le  pingue  acre, 
qui  consiste  dans  une  altération  des  éléments  graisseux  du  mucus,  et  dont  l'action 
se  traduirait  sur  la  peau  par  une  pustule  rougeàtre  suivie  d'ulcères  fétides,  et 
dont  le  pus  se  fait  jour  par  plusieurs  ouvertures  ;  5"  le  virus  vénérien  {venereum 
acre),  qu'il  range  parmi  les  venins  acres  et  rongeants;  il  signale  les  engorge- 
ments ganglionnaires  qu'il  détermine,  et  le  compare,  à  ce  point  de  vue,  à  d'autres 
ferments  acres,  et  notamment  au  vice  scrofuleux  qui  souvent  se  porte  tout  à 
coup  vers  la  peau  après  être  resté  longtemps  confiné  dans  les  ganglions  ;  6"  le 
virus  varioleux  [variolosum  acre),  auquel  il  attribue  une  vertu  dépurative  par 
son  action  sur  la  matière  muqueuse  de  la  lymphe,  et  c'est  pourquoi  la  variole 
entraîne  souvent  à  sa  suite  des  affections  cutanées,  herpétiques  ou  autres;  7"  le 
virus  morbilleux  {morbillosum  acre)^  qui  détermine  des  éruptions  dont  le  caractère 
est  de  disparaître  rapidement  et  sans  laisser  aucune  trace  de  leur  passage^ 
8*  enfin,  les  causes  sympathiques  {causœ  sympathicœ),  et  il  rappelle  à  ce  propos 
les  relations  morbides  qui  lui  paraissent  exister  entre  la  peau  et  l'estomac,  les 
reins,  les  poumons,  etc. 

Dans  un  troisième  chapitre,  Lorry  s'occupe  des  causes  extérieures  agissant 
directement  sur  la  peau  {De  applicatis  externis),  et  il  en  reconnaît  deux  espèces  : 
1"  les  unes  qui  tirent  leur  origine  de  la  peau  elle-même;  2°  les  autres  qui 
viennent  du  dehors. 

Les  causes  qui  tirent  leur  origine  de  la  peau  elle-même  sont  comprises  sous 
la  dénomination  générique  de  sorties,  mot  qui  exprime  la  souillure  de  cette 
membrane  par  ses  propres  excrétions  mêlées  aux  particules  atmosphériques,  aux 
débris  d'épiderme,  etc.  La  nature  de  ces  produits  varie  nécessairement  selon  les 
qualités  du  mucus,  de  la  sueur,  et  par  conséquent  selon  l'état  de  santé  ou  de 
maladie,  l'âge,  le  sexe,  les  diverses  régions  du  corps,  etc.  ;  de  là  des  formes 
multiples  d'affections  cutanées,  mais  que  Lorry  résume  de  la  manière  suivante  : 
Sordium  proprium  est  epidermidem  furfuraceam  facere  et  Uchenes  procreare. 

Les  causes  qui  viennent  du  dehors  agissent  sur  la  peau  de  trois  manières  : 
1°  par  voie  d'irritation  (irritantia) ,  et  l'on  a,  selon  l'énergie  de  l'agent,  soit  une 
désorganisation  complète  du  tissu  cutané  (caustiques),  soit  un  épanchement  de 
sérosité  sous  l'épiderme  soulevé  (vésicants),  soit  une  simple  rubéfaction  (rubé- 
fiants) ;  2°  par  voie  de  constriction  [astringentia),  et  la  peau  se  couvre  d'abord 
d'aspérités  sèches,  de  saillies  produites  par  l'érection  des  follicules  ;  puis  une 
sorte  de  réaction  a  lieu,  et  l'on  voit  paraître  une  rougeur  érysipélateuse  ;  médica- 
ments dangereux,  dit  Lorry,  car  ils  peuvent  avoir  pour  résultat  de  retenir  à 
l'intérieur  les  liquides  viciés  de  l'organisme  ;  5"  enfin,  il  y  a  des  agents  qui  ont 
la  propriété  de  refouler  au  dedans  les  humeurs  [obstipantia),  et  de  mettre  obstacle 
à  leur  élimination;  les  acides  styptiques,  les  sels  neutres  alumineux,  les  huiles 
qui  bouchent  les  pores,  les  emplâtres  qui  empêchent  la  perspiration,  etc.,  etc. 

C'est  parmi  les  causes  venues  du  dehors  qu'il  faut  placer  les  ligatures  trop 
serrées,  les  liens  tels  que  ceintures,  jarretières,  etc.  Les  callosités  qui  se  pro- 
duisent aux  mains  des  ouvriers,  aux  pieds,  aux  coudes,  aux  genoux,  les  cors,  etc., 
sont  autant  d'effets  de  la  pression  continue  exercée  sur  la  peau  de  ces  parties. 

D'autres  affections  sont  dues  à  des  insectes  dont  les  uns  viennent  du  dehors, 
tandis  que  d'autres  peuvent  naître  dans  le  tissu  même  de  la  peau.  Les  cousins, 


664  DERMATOSES. 

les  abeilles,  les  guêpes,  les  mouches,  etc.,  sont  dans  le  premier  cas;  mais  Lorry 
croit  à  la  génération  spontanée  des  pediculi  sous  la  seule  influence  d'une  altéra- 
tion du  sang  ou  de  la  lymphe. 

Telles  étaient,  pour  Lorry,  les  causes  des  affections  de  la  peau.  Toutes  peuvent 
se  résumer  en  une  seule,  l'altération  des  humeurs,  qui  constitue  pour  ainsi 
dire  le  pi^emier  et  le  dernier  terme  de  cette  pathogénie.  C'est  à  ce  résultat  que 
conduisent,  en  définitive,  les  différents  modificateurs  désignés  sous  le  nom  de  res 
non  naturales,  l'air,  le  froid,  le  chaud,  les  aliments,  le  mouvement,  le  repos, 
les  émotions  de  l'àme,  etc.  Quant  aux  causes  internes,  elles  ne  sont  en  réalité, 
dans  la  doctrine,  que  ces  altérations  elles-mêmes  envisagées  dans  chacun  des 
liquides  où  elles  prennent  naissance.  Enfin,  il  n'est  pas  jusqu'aux  causes  dites 
extérieures  que  ne  revendique,  au  moins  dans  bien  des  cas,  la  théorie  humorale  : 
témoin  les  pediculi,  qu'elle  fait  naître  parfois  dans  la  peau  elle-même  et  sous  la 
seule  influence  d'un  état  particulier  du  sang  ou  de  la  lymphe. 

La  classification  donnée  par  Lorry  des  maladies  de  la  peau  est  un  chef-d'œuvre 
d'ordre  et  de  simplicité,  si  l'on  tient  compte  de  l'état  des  connaissances  en 
dermatologie  au  moment  où  elle  a  été  conçue.  En  voici  les  principales  divisions  : 

Lorry  partage  d'abord  toutes  les  affections  cutanées  :  1°  en  celles  qui  sont  la 
manifestation  sur  la  peau  d'un  vice  intérieur  [De  affectibus  qui  in  cutem  pro- 
pellantur  a  vitio  intus  latente)  ;  2°  et  celles  qui  naissent  dans  la  peau  elle-même 
{De  morhis  in  ipsa  cute  nascentibus).  Ces  deux  grandes  classes  se  subdivisent  à 
leur  tour  suivant  que  les  maladies  sont  communes  à  toute  la  peau,  ou  se  limitent 
à  une  partie  seulement  de  cette  membrane. 

Première  classe.  Section  première.  Les  éruptions  qui  procèdent  d'un  vicp 
intérieur,  et  peuvent  s'étendre  à  toute  la  peau,  sont  : 

1°  Des  maladies  aiguës  non  critiques; 

2°  Des  maladies  aiguës  critiques; 

Z°  Des  affections  non  aiguës  et  dépuratoires,  celles-ci  de  beaucoup  les  plus 
nombreuses,  et  qu'il  divise  :  a.  en  affections  se  produisant  sous  forme  de  tumé- 
faction extérieure,  telles  que  l'érysipèle  ou  le  feu  sacré  ;  —  b.  en  affections  carac- 
térisées par  des  tumeurs  séparées  et  distinctes,  comme  les  papulce^  les  maculœ, 
depuratoriœ,  lespsoi'a  et  scabies,  les  lichenes; — c.  en  affections  dont  les  tumeurs 
se  résolvent  en  un  liquide  purulent  ou  auti'e,  comme  les  pustules,  les  phlyctènes, 
les  pustules  inflammatoires,  les  terminthes,  les  épinyctides  ;  —  d.  en  affections 
ulcéreuses  comprenant  les  affections  croùteuses  généralisées  déterminées  par  le 
lait  chez  les  jeunes  enfants  et  les  nouvelles  accouchées  ;  puis  viennent  :  e.  les 
herpetes  ;  —  /'.  l'impétigo;  —  g.  le  vitiligo;  —  h.  la  lèpre  et  les  maladies 
lépreuses,  etc. 

Section  2®.  Les  éruptions  de  cause  interne,  dépuratoires,  qui  envahissent 
une  partie  seulement  de  la  peau,  sont  : 

1"  Les  tumeurs  érysipélateuses,  et  Lorry  traite  sous  ce  titre  :  a.  De  roseolis 
saltantibus  ;  —  b.  De  sacro  igné  et  zona  ;  —  c.  De  igné  sylvestri  seu  volatili 
infantiim;  —  d.  Deprunael  ignepersico  Avicennœ; 

2°  Les  tumeurs  phlegmoneuses,  qui  sont  :  a.  Le  phygethlon,  le  phyma  et  le 
furoncle;  —  b.  Planta  nocturna  Arabum,  fici  Galeni,  lupus  Manardiet  rosa 
Severini ; 

ù"  Les  tumeurs  lymphatiques  suppurantes,  à  savoir  :  a.  Meliceris  cerium  et 
melitagra  Galeni  ;  —  b.  Achores  etfavi  infantuni  ;  —  c.  Laclumen  Manardi  ; 


DERMATOSES.  0G5 

4°  Les  tumeurs  croùteuses  et  l'arineuses  :  a.  Crusta  lactea  infantinn;  — 
b.  Intertrlgines  ;  — c.  Aures  suppurantes  ;  —  d.  Forrigo;  — e.  Tinea. 

2*  CLASSE.  Les  maladies  qui  naissent  dans  la  peau  elle-même  peuvent  égale- 
ment l'atteindre  dans  toutes  ses  parties  ou  seulement  dans  des  régions  déter- 
minées. De  là  deux  sections  : 

Dans  la  première  section  se  trouvent  :  1"  les  maladies  qui  résultent  d'une 
modification  dans  les  propriétés  physiques  de  la  peau,  dont  la  substance  peut 
s'indurer  [de  crassitie  auctâ),  se  creuserde  rides  anticipées  (de  rugis  morbosis), 
devenir  aride  et  se  couvrir  de  ïnriares  [de  cutis  ariditate  et  fur furibus),  etc.  etc.  ; 
—  2°  les  maladies  qui  ont  pour  effet  d'altérer  la  (orme  de  la  peau  sans  l'at- 
taquer dans  sa  substance  intime,  telles  que  les  stigmates,  les  macules  indolentes, 
le  ïentigo,  l'acné,  les  verrues,  les  excroissances  charnues,  le  sarcome,  les  njevi;  — 
5°  les  maladies  cutanées  produites  par  l'action  des  venins  limitée  à  cette  mem- 
brane seulement,  et  Lorry  comprend  sous  ce  titre  les  éruptions  provoquées  par 
toutes  SOI  tes  d'agents,  tant  du  règne  végétal  que  du  règne  animal.  C'est  là  que 
figurent  principalement  les  affections  cutanées  de  cause  externe. 

La  seconde  section,  ou  section  des  maladies  cutanées  propres  à  certaines  parties 
de  la  surface  tégumentaire,  comprend  :  1°  les  maladies  des  cheveux  et  des 
parties  velues  :  calvitie  et  canilie,  alopécie,  area,  ophiasis,  plique  polonaise, 
tumeurs  kystiques,  etc.  ;  —  2"  les  affections  propres  à  la  peau  de  la  face,  parmi 
lesquelles  la  couperose  ou  gutta  rosea;  —  5°  les  affections  propres  à  certaines 
parties  de  la  peau,  région  de  l'abdomen,  aisselles,  aines,  parties  génitales;  — 
4"  les  affections  propres  à  la  peau  qui  recouvre  les  membres,  telles  que  les 
engelures,  l'éléphantiasis  des  Arabes,  les  cors,  les  callosités. 

Bien  des  reproches,  assurément,  pourraient  être  adressés  à  cette  classification, 
qui  se  recommande  à  première  vue  par  son  ingénieuse  simplicité.  Remarquons 
d'abord  que  sa  division  fondamentale,  je  veux  parler  de  la  distinction  des 
maladies  cutanées  en  celles  qui  ont  leur  origine  dans  l'intérieur  du  corps,  et 
celles  qui  naissent  dans  la  peau  elle-même,  repose  avant  tout  sur  une  conception 
pathogénique  pour  le  moins  fort  contestable.  Mais  il  ne  faut  pas  oublier  que 
Lorry  était  un  partisan  convaincu  des  doctrines  humorales,  dont  cette  division 
n'est  qu'une  application  plus  ou  moins  heureuse,  mais  à  ce  point  de  vue  fort 
rationnelle  :  k  Dans  la  première  classe,  dit-il,  viennent  se  ranger  toutes  les  affec- 
tions qui,  ayant  pris  naissance  dans  l'économie  tout  entière,  sont  ensuite  portées 
vers  la  peau  ;  et  plusieurs  cas  peuvent  alors  se  présenter  :  tantôt  la  peau  par- 
ticipe simplement,  comme  tout  autre  organe,  à  la  maladie  du  système  tout 
entier,  et  il  serait  en  vérité  bien  étrange  qu'une  membrane  aussi  étendue,  enve- 
loppant tout  le  corps,  ouverte  en  quelque  sorte  et  béante  de  toutes  parts,  con- 
tinuellement traversée  par  les  liquides  perspiratoires,  échappât  complètement 
aux  atteintes  du  mal  [veneni  lœdentis),  et  n'en  fît  rien  paraître  au  dehors; 
tantôt  la  peau  intervient  d'une  manière  plus  active,  soit  pour  modifier,  en  vertu 
de  sa  force  propre,  les  atomes  morbiliques  quelle  a  reçus,  soit  pour  en  opérer 
l'élimination,  et  elle  joue  alors  un  rôle  considérable  dans  l'histoire  des 
maladies  aiguës  et  chroniques.  Mais  nous  aurons  à  étudier  dans  la  seconde  classe, 
continue  l'auteur,  les  affections  qui  sont  engendrées  dans  la  peau,  tanquàm  in 
nido  paterno,  et  dans  ce  cas  cette  membrane  ne  devra  plus  être  considérée 
comme  un  simple  instrument  d'élaboration  ou  d'excrétion  entre  les  mains  de  la 
nature,  mais  comme  un  organe  spécial,  et  comme  telle  assujettie  à  des  maladies 
spéciales  en  rapport  avec  sa  structure  et  ses  propriétés.  »  C'est  donc  une  erreur 


066  DERMATOSES. 

de  croire  que  Lorry  a  divisé  les  maladies  de  la  peau  en  celles  qui  sont  de  cause 
externe  et  celles  qui  sont  de  cause  interne.  Tout  autre  est  le  point  de  vue  auquel 
il  s'est  placé.  Il  suffit,  pour  s'en  convaincre,  de  jeter  un  coup  d'oeil  sur  la 
classe  «  des  maladies  qu'il  fait  naître  dans  la  peau  »,  car  on  y  trouve  les  vnri, 
les  verrues,  le  sarcome,  lencevus,  la  calvitie,  la  canitie,  les  loupes,  la  couperose, 
l'éléphantiasis  des  Arabes,  etc.,  etc.,  toutes  affections  qui,  évidemment, 
n'étaient  pas  considéi'ées  par  Lorry  comme  le  résultat  d'une  cause  extérieure. 
La  chose  capitale  à  ses  yeux,  ce  n'est  donc  pas  la  cause  externe,  c'est  le  vice 
de  la  peau,  le  vice  qu'elle  a  conçu,  mûri,  développé  dans  sa  propre  substance 
{hic  ipsius  cutis  substantia  vitium  suscipit,  susceplum  alit  et  enutrit),  quel- 
quefois même  le  vice  qu'elle  a  reçu  d'un  autre  organe,  mais  à  la  condition  qu'il 
se  soit  tout  entier  concentré  en  elle,  sans  participation  morbide  du  reste  de 
l'économie. 

Lorry  a  adopté,  mais  en  la  rejetant  sur  un  plan  secondaire,  la  division  tradi-^ 
tionnelle  des  affections  de  la  peau  en  celles  qui  sont  communes  à  toute  la  surface 
du  corps,  et  celles  qui  sont  particulières  à  certaines  régions  seulement.  Quant 
aux  subdivisions,  elles  lui  sont  lournies,  soit  par  la  forme  aiguë  ou  chronique 
des  affections,  soit  par  leur  mode  pathogénique,  soit  par  leurs  caractères  objectifs 
prédominants,  etc., etc. 

Bien  d'autres  observations  pourraient  être  faites  au  sujet  de  la  classification 
de  Lorry,  mais  nous  en  avons  dit  suffisamment  pour  en  faire  connaître  l'esprit  et 
la  valeur. 

Parmi  les  ouvrages  qui  parurent  vers  la  même  époque  que  le  Tractatus  de 
morbis  ciitajieis,  et  que  l'on  peut  considérer  comme  appartenant  aux  mêmes 
idées  doctrinales,  nous  signalerons  d'abord  le  mémoire  de  Roussel,  couronné  par 
le  Collège  de  médecine  de  Lyon  {Dissertatio  de  variis  herpetum  speciebus,  1779), 
et  le  petit  Traité  des  dartres  de  Poupart  (1784).  Mais  ces  deux  ouvrages  ont 
été  de  notre  part  l'objet  d'un  examen  approfondi  dans  notre  article  Dartre  de  ce 
Dictionnaire,  et  nous  devons  nous  contenter  ici  d'y  renvoyer  le  lecteur. 

Un  autre  Traité  du  même  genre,  mais  dépourvu  de  toute  valeur  scientifique, 
est  celui  de  Pietz,  publié  en  1785,  et  portant  ce  titre  :  Des  maladies  de  la  peau, 
de  leurs  causes,  de  leurs  symptômes,  etc.  Pour  cet  auteur,  il  n'existe  peut-être 
pas  une  seule  maladie  de  la  peau  dont  on  ne  trouve  la  cause  dans  la  constitution 
du  foie  et  dans  la  nature  des  humeurs  qui  affiuent  à  ce  viscère,  et  c'est  à  la 
démonstration  de  cette  thèse  au  moins  singulière  qu'il  consacre  les  72  pages  de 
son  travail.  Il  existe  encore  du  même  auteur  un  ouvrage  publié  en  1790  sous  ce 
titre  bizarre  :  Traité  des  maladies  de  la  peau  et  de  celles  de  Vesprit.  C'est, 
comme  l'a  dit  Rayer,  un  simple  recueil  de  notes  et  d'observations  concises,  ayant 
la  plupart  un  but  pratique.  11  y  est  question  de  la  chéloide,  que  Retz  appelle 
dartre  dégraisse,  d'éruptions  aux  parties  génitales  de  l'homme  et  de  la  femme, 
de  l'influence  que  les  maladies  de  la  peau  peuvent  exercer  sur  le  moral,  etc.,  etc. 

Cependant,  vers  l'année  1776,  un  peu  avant  la  publication  du  Tractatus  de 
morbis  cutaneis,  un  médecin  allemand,  Jean-Jacques  Plenck,  professeur  à  l'Uni- 
versité de  Vienne,  faisait  paraître  un  ouvrage  dans  lequel  les  maladies  de  la  peau 
étaient  envisagées  et  classées  d'une  manière  toute  nouvelle  {Doctrina  de  morbis 
cutaneis,  quâ  hi  in  suas  classes,  gênera  et  species,  rediguntur.  Vienne,  1776). 
Laissant  de  côté  les  questions  de  cause  et  de  nature,  qu'il  n'avait  pas  sans  doute 
la  prétention  de  résoudre,  Plenck  s'efforça  de  reconnaître,  au  milieu  de  la 
diversité  des  formes  morbides  qui  se  produisent  à  la  peau,  un  certain  nombre 


DERMATOSES.  607 

de  caractères  propres  à  les  distinguer  les  unes  des  autres,  et  il  fut  ainsi  conduit 
à  admettre  quatorze  groupes  de  ces  affections. 

Première  classe.  Maculée,  a.  Maculœ  fuscœ  :  lentigo,  ephelis,  fuscedo  cutis, 
flavedo  cutis  ;  —  b.  Maculœ  rubrce  :  gutta  rosacea,  stigraa,  erythema,  morbilli, 
scarlatina,  urticata  ;  —  c.  Maculœ  venereœ  :  essene,  psydraciiE,  rubedo  cutis, 
zona,  ignissacer; —  d.  Maculœ  lividœ  :  eccliymosa,  livor  cutis,  vibex,  maculfe 
scorbutica;,  gangrenosae,  petechiae  ;  —  e.  Maculœ  nigrœ  :  mêlas,  melasma, 
noma,  nigredo  cutis  ;  —  f.  Maculœ  albœ  :  alphos,  albor  cutis,  pallor  cutis;  — 
g.  Maculœ  incerti  coloris  :  maculse  maternœ,  maculae  artificiales,  cutis  varie- 
gata,  cutis  fucata,  cutis  unctuosa. 

2^  CLASSE.     Pustulœ  :  pustulae,  scabies,  variolae,  varicellae. 

5"  CLASSE.  Vesiculœ  :  sudamen,  miliaiii,  bydates,  vesiculse  cristallinae  geni- 
talium,  uritis. 

4^  CLASSE.     Bullœ  :  phyma,  bullse,  pemphigus. 

5^  CLASSE.  Papulœ  :  vari,  gratum,  berpes  seu  serpigo,  cutis  anserina, 
tuberculum,  pbygetblon,  lepra,  elepbantiasis. 

6*=  CLASSE.  Crustœ  :  crusta,  escbara,  scabies  capitis,  crusta  capitis  neona- 
torum,  crusta  lactea,  tinea,  mentagra,  malum  mortuum,  exantbema  labiale, 
exanthema  subaxillare. 

7*^  CLASSE.  Squamœ  :  furfuratio,  desquamatio,  exuvia  epidermidis,  por- 
rigo,  lichen,  impétigo,  ichthyosis,  tyriasis,  asperitas  cutis,  rugositas  cutis. 

8"  CLASSE.     Callositates  :  callus,  cicatrix,  clavus. 

9"  CLASSE.  Excrescentiœ  cutaneœ  :  verruca,  cornua,  hystrieismus,  condy- 
loma,  frambœsia. 

10* CLASSE.  Ulcéra  cutanea  .-excoriatio  purulenta,  intertrigo,  aphtboî,  fissurte, 
rhagades. 

11'^  CLASSE.  FMZnera CM^anea ;  excoriatio  cruenta,  scissura,  pressura,  morsus, 
Bunctura,  ictus  ab  insecto. 

12<=  CLASSE.     Insecta  cutanea  :  phthiriasis,  helmintliiasis,  molis,   crinones. 

13*^  CLASSE.  Morbi  unguium  :  seline,  eccbymoma,  gryphosis,  fissura  unguium, 
tinea  unguium,  mollities  unguium,  scabrities  unguium,  pterygium  unguis, 
arctura  unguis,  deformitas  unguis,  lapsus  unguis. 

lA"  CLASSE.  Mo7'bi  pilorum  :  calvities,  hirsuties,  xerasia,  triclioma,  fissurœ 
capillorum,  canities. 

Cette  classification,  même  au  point  de  vue  restreint  où  s'était  placé  son 
auteur,  était  fort  imparfaite.  N'ayant  pas  de  règle  fixe  pour  se  guider  dans  la 
recherche  des  formes  caractéristiques  des  affections,  Plenck  se  laissa  déterminer 
surtout  par  les  apparences,  par  le  symptôme  actuel  prédominant,  et  ce  symptôme 
fut,  selon  les  cas,  soit  une  lésion  primitive,  soit  une  lésion  consécutive  :  d'oi!i  il 
advint  que  la  même  affection  se  trouve  faire  partie,  selon  sa  période,  de  plu- 
sieurs classes  différentes  ;  de  là  aussi  la  diversité  des  éléments  qui  composent 
chaque  classe  en  particulier. 

Quelques  années  après,  Robert  Willan,  de  la  Faculté  d'Edimbourg,  s'empa- 
rait de  l'idée  émise  par  Plenck,  en  lui  faisant  subir  une  modiûcation  essentielle. 
Une  étude  plus  approfondie  des  formes  morbides  qui  se  manifestent  à  la  peau 
lui  démontra  qu'il  existe  pour  chacune  de  ces  formes,  à  un  moment  donné,  une 
lésion  constante,  toujours  la  même,  et  que  cette  lésion  caractéristique  corres- 
pond précisément  à  leur  période  d'état,  de  maturité  ou  de  plus  grand  dévelop- 
pement. Une  fois  en  possession  de  ce  critérium,  le  pathologiste  anglais  supprima 


668  DERMATOSES. 

la  croûte  et   l'ulcération,  états  évidemment  consécutifs,  et  réduisit  à  huit  les 
quatorze  classes  admises  par  Plenck.  Voici  la  classification  de  Willan  (1798)  : 

Ordre  premier.     Papula  :  i°  strophulus;  2"  lichen;  5'*  prurigo. 

OuDRE  II.     Squamœ  :  i°  lepra  ;  2"  psoriasis;   3"  pityriasis  ;    4"  ichthyosis. 

Ordre  III.  Exanthema  :  l^rubeola  ;  2"  scarlatina  ;  3°  urticaria;  4°  roseola; 
5°  purpura  ;  6°  erythema. 

Ordre  IV.     Bullœ  :  1"  erysipelas  ;  2°  pemphigus;  3°  pompholix. 

Ordre  V.  Pustulœ  :  i"  impétigo  ;  2»  porrigo  ;  3"  ecthyma  ;  A°  variola  ;  5"  sca- 
bies. 

Ordre  VI.  Vesiculce  :  i°  varicella  ;  2°  vacciaia  ;  "5°  herpès  ;  4"  rupia  ;  5°  mi- 
liaria;  6^ eczéma;  1°  aphtha. 

Ordre  VIL  Tiibercula  :  1»  pliyma;  2°  verruca;  3"  moUuscum;  4"  vitiligo; 
5°  acné;  6°  sycosis;  7»  lupus  ;  8"  elepliantiasis;  9"  frambœsia. 

Ordre  VIll.     Maculœ  :  i°  ephelis  ;  2°  naevus;  5°  spiius. 

Il  est  facile  de  mesurer  le  progrès  accompli  de  Plenck  à  Willan.  Les  groupes 
établis  par  le  pathologisle  anglais  sont  plus  naturels,  plus  homogènes,  basés 
sur  une  connaissance  plus  exacte  des  éruptions.  Celles-ci  reçoivent  des  dénomi- 
nations mieux  choisies,  mieux  définies,  empruntées  pour  la  plupart  à  la  nomen- 
clature ancienne.  Enfin,  chaque  éruption  est  déci'ite  avec  une  précision  inconnue 
jusque-là,  suivie  aux  diflerentes  périodes  de  son  évolution,  c'est-à-dire  sous  les 
apparences  diverses  qu'elle  peut  successivement  revêtir.  Ainsi  se  trouvait  con- 
stituée l'afleclion  générique,  tandis  que  Plenck  s'était  arrêté  au  symptôme  orga- 
nique. Malheureusement,  on  peut  croire  que  Willan  a  prétendu  donner  pour 
une  classification  nosologique  ce  qui  n'était  en  réalité  qu'une  classification  de 
lésions,  une  méthode  excellente  sans  doute,  mais  purement  artificielle,  pour 
arriver  à  la  détermination  des  formes  graphiques  des  éruptions  :  aussi  la  patho- 
logie de  la  peau  est-elle  devenue,  entre  ses  mains,  une  science  à  part,  distincte 
et  isolée  du  reste  de  la  pathologie,  et  obéissant  en  quelque  sorte  à  des  règles 
spéciales  :  et  cette  tendance  n'a  fait  que  s'accuser  de  plus  en  plus  chez  ceux  qui 
ont  depuis  adopté  ses  idées  et  sa  doctrine. 

Quoiqu'il  en  soit,  la  classification  de  Willan  opéra  une  véritable  révolution  dans 
l'étude  des  affections  de  la  peau.  Popularisée  en  Angleterre  par  Thomas  Batemau, 
son  élève  et  son  émule,  qui  reproduisit  et  compléta  les  idées  du  maître  dans  un 
ouvrage  longtemps  classique,  elle  fut  introduite  presque  simultanément  en  Alle- 
magne par  A.  Ilahnemann  et  Sprengel  (1815),  et  en  France  par  Bertrand,  qui 
publia  en  1820  une  traduction  du  livre  de  Bateman.  C'est  alors  que  Biett, 
séduit,  selon  l'expression  de  Cazenave,  par  la  simplicité  et  la  netteté  de  la 
méthode  anglaise,  l'adopta  comme  base  de  son  enseignement  à  l'hôpital  Saint- 
Louis. 

Cependant  un  certain  nombre  de  médecins  restaient  surtout  frappés  des 
inconvénients  de  la  nouvelle  méthode,  et  résistaient  dans  une  certaine  mesure 
à  l'entraînement  général.  Tels  furent  John  Wilson  et  Samuel  Plumbe  en  Angle- 
terre, Pierre  Frank  et  Joseph  Frank  en  Allemagne,  et  en  France  Alibert. 

La  classification  de  John  Wilson  (1814)  n'est  qu'un  assemblage  informe  de 
groupes  et  d'affections  hétérogènes.  Elle  repose  tout  à  la  fois  sur  des  considéra- 
tions tirées  de  la  nature  des  affections,  de  leurs  causes,  de  leurs  rapports  avec 
la  constitution,  de  leurs  formes  extérieures,  de  l'âge  des  sujets  :  1"  éruptions 
fébriles  (urticaire,  miliaire,  varicelle,  variole,  etc.);  2"  inflammations  simples 
(excoriations,  brûlures,  engelures)  ;  5°  inflammations  constitutionnelles  (éry- 


DERMATOSES.  669 

sipèle,  effloresceiices,  rougeur  de  la  face,  etc.)  ;  ¥  éruptions  papuleuses  ;  5°  érup- 
tions vésiculeuses  (gale,  eczéma,  zona,  herpès,  aphthes)  ;  6"  éruptions  pustu- 
leuses (gale  pustuleuse,  impétigo,  porrigo,  croûte  laiteuse)  ;  7"  éruptions  infan- 
tiles (strophulus)  ;  8»  éruptions  squameuses  (lèpre,  psoriasis,  pityriasis,  taches 
syphilitiques,  éléphanliasis;  9°  en  tumeurs  (acné,  (umeurs  folliculeuses,  fui  on- 
cles) ;  10"  en  excroissances  (cors,  verrues);  11»  en  taches  (lentigo,  éphélides, 
purpura,  nsevi);  12"  blessures;  15°  ulcères  (ulcère  simple,  ulcère  déprimé, 
ulcère  calleux,  ulcère  fongueux,  ulcère  syphilitique,  ulcère  scorbutique,  ulcère 
scrofuleux)  (Wilson  John,  i  Fami/iar  Treatise  on  Cutaneous  Diseuses,  iti-S°. 
London,  1814). 

De  même  que  Wilson,  Samuel  Plumbe  (1824)  ne  put  se  résoudre  à  donner 
pour  seule  base  à  sa  classification  les  caractères  graphiques  des  affections 
cutanées,  et  tenta  une  sorte  de  compromis  dont  le  résultat  laisse  également 
beaucoup  à  désirer.  H  divise  les  maladies  de  la  peau  en  cinq  sections,  compre- 
nant -A"  la  première,  les  maladies  qui  tirent  leurs  caractères  distinctil's  des  parti- 
cularités locales  de  la  peau  (acné,  sycosis,  porrigo);  2"  la  deuxième,  les  maladies 
qui  dépendent  d'un  état  de  débilité  de  la  constitution  (purpura,  pemphigus, 
rupia)  ;  5°  la  troisième,  des  maladies  ordinairement  salutaires,  symptomatiques 
d'un  dérangement  des  organes  digestifs,  et  caractérisées  par  une  inflammation 
active  (porrigo  favosa,  porrigo  larvalis,  lichen,  urticaire,  herpès,  furoncle)  ;  A°  la 
quatrième,  des  maladies  caractérisées  par  une  inflanimation  chronique  des  vais- 
seaux qui  produisent  l'épiderme  (lèpre,  psoriasis,  pityriasis,  pellagre,  ichlhyose, 
verrues)  ;  5°  la  cinquième,  enfin  des  maladies  entre  lesquelles  il  est  impossible 
d'apercevoir  aucun  rapport  (gale,  eczéma,  éléphantiasis,  érythème,  etc.). 
Toutefois,  comme  le  fait  remarquer  Rayer,  l'ouvrage  de  Samuel  Plumbe  se 
recommande,  sous  d'autres  rapports,  par  des  qualités  sérieuses,  et  en  particulier 
par  des  vues  pratiques  qui  attestent,  chez  son  auteur,  un  talent  peu  commun 
d'observation.  Je  rappellerai  seulement  que  Samuel  Plumbe  avait  pressenti  toute 
l'importance  de  l'épilation  dans  le  traitement  du  sycosis,  opération  qu'il  prati- 
quait et  recommandait  comme  le  meilleur  moyen  de  calmer  l'inflammation  du 
follicule  pileux. 

Commencée  en  1792,  la  publication  du  Traité  de  médecine  pratique  de  Pierre 
Frank  ne  fut  terminée  qu'en  1820.  On  pouvait  donc  espérer  d'y  rencontrer 
quelques  traces  des  travaux  de  Willan.  Il  n'en  est  rien.  Les  maladies  de  la  peau 
y  sont  divisées  en  deux  grandes  classes,  les  exanthèmes  et  les  impétigines  : 
1"  les  Exanthèmes,  maladies  essentielles  ou  affections  symptomatiques,  ont  leur 
siège  à  la  superficie  de  la  peau,  et  se  subdivisent  en  deux  ordres,  selon  qu'ils 
sont  niis,  c'est-à-dire  dépourvus  de  saillie  appréciable,  comme  l'érysipèle,  le 
zona,  espèce  d'érysipèle,  la  scarlatine,  l'urticaire,  les  pétéchies,  ou,  selon  qu'ils 
sont  scabieux,  c'est-à-dire  avec  saillie,  comme  la  miliaire,  la  variole,  la  rou- 
geole, le  pemphigus,  les  aphthes;  2*^  les  Impétigines,  maladies  qui  s'accom- 
pagnent souvent  d'un  état  cachectique,  sans  en  être  pourtant  inséparables,  com- 
prennent :  a.  des  taches  (éphélides,  chloasma,  ecchymose,  érythème,  vitiligo 
alopécie;  b.  des  maladies  rongeantes  (porrigo,  dartres,  hydroa,  gale,  psydracia, 
teigne,  lèpre).  Il  suffit  d'exposer  ce  mode  de  classement  pour  en  faire  ressortir 
toutes  les  imperfections.  Relativement  aux  causes  des  maladies  cutanées,  Pierre 
Frank  les  trouve,  tantôt  dans  l'influence  sympathique  des  premières  voies, 
tantôt  dans  l'altération  des  humeurs  et  leur  action  sur  la  peau,  d'autres  fois 
dans  le  vice  de  l'organe  cutané  lui-même,  etc.  Il  insiste  particulièrement  et 


670  DERMATOSES. 

revient  à  plusieurs  reprises  sur  ce  dernier  ordre  de  causes,  c'est-à-dire  sur  la 
o^énération  possible  du  principe  morbifique  dans  la  substance  de  la  peau,  sans 
qu'on  ait  besoin  de  supposer  aucun  vice  du  sang.  Voici  notamment  comment  il 
s'exprime  au  sujet  de  l'étiologie  des  dartres  :  «  Peut-être  serions-nous  fondé  à 
dire  que  le  virus  berpétique,  comme  tous  les  virus  spécifiques,  se  forme  dans 
la  peau,  sans  aucune  altération  primitive  du  sang  ;  que  les  vaisseaux  de  l'organe 
cutané,  impressionnés  par  certaines  causes,  sécrètent  à  son  piéjudice  celte 
liqueur  acre  et  caustique,  de  même  que  les  vaisseaux  des  cantharides  élaborent 
naturellement  un  principe  irritant,  mais  qui  n'est  pas  dangereux  pour  elles.  » 
Nous  ne  chercberons  pas  à  réfuter  cette  théorie  qui,  du  reste,  nous  paraît  des- 
cendre en  droite  ligne  de  la  fameuse  division  de  Lorry  :  De  morbis  in  ente  ipsâ 
nascentihus.  Enfin,  puisqu'il  est  question  des  dartres,  ajoutons  que  P.  Frank 
entend  sous  ce  titre  Vïpnrr,  de  Galien,  et  qu'il  en  décrit  également  trois  espèces  : 
miliaire,  rongeante  et  phagédénique.  Nous  voici  bien  loin,  comme  on  voit,  de 
la  doctrine  de  AYillan. 

S'il  est  permis  de  supposer  que  Pierre  Frank  n'a  pas  connu  en  temps  utile  la 
classification  anglaise,  il  n'en  saurait  être  de  même  de  Joseph  Frank,  dont  le 
Traitéde  pathologie  médicale  parut  en  1821  ;  néanmoins,  les  descriptions  des 
formes  morbides  ou  génériques  des  affections  cutanées  ne  laissent  pas  moins  à 
désirer  dans  son  livre,  et  il  semble  vraiment  que  cet  auteur  se  soit  appliqué  à 
en  exclure  tout  ce  qui  tenait  à  la  nouvelle  méthode.  A  l'exemple  de  Pierre 
Frank,  il  partage  les  maladies  de  la  peau,  d'après  leur  marche,  en  aiguës  ou 
exanihématiques,  et  en  chroniques  ou  impétigineuses,  les  unes  et  les  autres 
pouvant  être  idiopathiques  ou  symptomatiques.  La  classe  des  exanthèmes  com- 
piend,  indépendamment  des  fièvres  cruptives  proprement  dites,  les  pétéchies, 
la  miliaire,  les  bulles,  l'urticaire,  l'érysipèle,  le  furoncle,  l'anthrax,  le  charbon, 
la  roséole,  l'exanthème  mercuriel  et  enfin  le  zoster,  considéré  par  P.  Frank 
comme  une  espèce  d'érysipèle.  Les  impétigines  primitives  ou  idiopathiques  sont 
celles  qui  se  produisent  sous  l'influence  de  causes  locales,  vices  de  conformation, 
malpropreté,  insectes,  etc.,  ou  de  causes  inconnues.  Les  impétigines  sympto- 
matiques sont  dues  à  des  maladies  générales,  telles  que  diathèses  inflammatoire, 
gastrique,  arthritique,  carcinomatcuse,  scrofuleuse,  scorbutique,  vénérienne, 
spasmodique.  Telle  est  la  classification  de  Joseph  Frank,  si  l'on  peut  donner  ce 
nom  à  une  tentative  aussi  incomplète  ;  mais  il  faut  convenir  qu'elle  porte  dans 
quelques-unes  de  ses  parties,  et  notamment  dans  la  division  des  impétigines,  la 
marque  d'un  esprit  véritablement  médical.  Joseph  Frank  a  parfaitement  saisi  la 
relation  de  causalité  qui  existe  entre  la  maladie  arthritique  et  un  certain  nombre 
de  dermatoses,  et  les  signes  qu'il  indique  pour  reconnaître  ces  affections  sont 
bien  ceux  qui  leur  appartiennent:  retour  périodique,  siège  inconstant,  influence 
des  saisons,  sensation  de  prurit,  d'ardeur,  soulagement  simultané  des  douleurs 
internes,  données  tirées  des  maladies  antérieures  et  de  l'étiologie.  La  division 
des  impétigines  scrofuleuses  n'est  pas  moins  fortement  tracée  :  «  Elles  attaquent 
surtout,  dit-il,  la  jeunesse  et  l'adolescence  ;  elles  chargent  la  peau  d'espèces  de 
tubercules,  de  pustules,  de  croûtes,  et  ne  la  défigurent  pas  seulement,  mais 
même  la  rongent  sans  beaucoup  de  prurit  ni  de  douleur  ;  les  abcès  qui  en  sont 
la  suite  laissent  après  eux  des  cicatrices  indélébiles  » .  Nous  devons  ajouter  que 
l'histoire  de  chaque  maladie,  dans  le  livre  de  Joseph  Frank,  est  accompagnée 
d'un  riche  bulletin  bibliographique. 

Pendant  que  Bateman,  au  commencement  de  ce  siècle,  travaillait  à  faire  pré- 


DERMATOSES.  671 

valoir  en  Angleterre  la  conception  de  Willan,  Alibert  créait  une  clinique  sur  les 
maladies  de  la  peau  à  l'hôpital  Saint-Louis.  Doué  des  qualités  les  plus  brillantes, 
d'une  imagination  vive,  d'une  parole  facile  et  entraînante,  le  nouveau  professeur 
avait  vu  sa  réputation  s'accroître  de  jour  en  jour,  et  était  devenu  en  quelques 
années  une  sorte  de  puissance  en  dermatologie.  Dans  un  premier  essai  de  clas- 
sification, il  avait  admis  la  division  traditionnelle  des  maladies  cutanées  en  celles 
qui  sont  spéciales  au  cuir  chevelu,  qu'il  appelle  teignes,  et  celles  qui  peuvent 
se  rencontrer  sur  toutes  les  autres  parties  du  corps,  et  qu'il  désigne  sous  le 
nom  de  dartres.  Ces  deux  graïides  classes  se  subdivisaient  en  espèces  et  variétés 
dont  les  caractères  distinctifs  étaient  pris,  soit  dans  les  produits  de  l'inflamma- 
tion, soit  dans  l'état  de  sécheresse  ou  d'humidité  des  surfaces,  soit  dans  des 
nuances  de  forme,  dans  un  symptôme  prédominant.  Enfin,  comme  un  certain 
nombre  d'états  morbides  restaient  en  dehors  de  cette  division  fondamentale,  il 
en  fit  autant  de  sections  différentes  sous  les  noms  de  pliques,  éphélides,  can- 
croïdes,  lèpres,  pians,  ichthyoses,  syphilides,  scrofules,  psorides. 

Mais  la  pensée  d' Alibert  ne  devait  trouver  son  expression  complète  et  défini- 
tive que  quelques  années  plus  tard,  en  1852,  dans  sa  Mo7iographie  des  derma- 
toses. Voici  comment  il  s'explique  lui-même  à  cet  égard  dans  le  discours  qui  sert 
d'introduction  à  cet  ouvrage  :  «  J'ai  donc  adopté,  pour  la  classification  des 
dermatoses,  la  méthode  des  botanistes,  et  en  cela  je  n'ai  fait  que  me  conformer 
au  vœu  exprimé  par  Sydenham  dans  la  préface  de  son  admirable  ouvrage.  Il  en 
est  des  maladies  comme  des  plantes;  il  importe  de  les  rapprocher  et  de  les  com- 
parer, car  elles  ne  forment  pas  une  série  continue  dans  le  système  de  la  nature  ; 
elles  se  touchent  par  différents  points,  et  sont  plutôt  disposées  entre  elles  comme 
les  feuilles  sur  les  arbres,  ou  comme  les  différents  pays  sur  une  carte  géogra- 
phique. »  Rien  de  mieux  assurément,  mais  la  question  était  de  savoir  si  la 
méthode  naturelle  des  botanistes,  excellente  pour  la  classification  des  végétaux, 
pouvait  également  s'appliquer  à  une  classification  des  dermatoses.  Alibert  le  crut 
et,  comparant  le  système  de  Willan  aux  classifications  botaniques  basées  sur  un 
seul  caractère,  il  eut  la  prétention  d'établir  ses  divisions  sur  un  ensemble  de 
caractères  tirés  de  la  nature  même  des  affections,  c'est-à-dire  de  leurs  causes, 
âe  leurs  symptômes,  de  leur  marche,  de  leur  terminaison  et  de  leur  traitement. 
Avant  d'examiner  la  valeur  de  cette  tentative,  voyons  quels  en  ont  été  les  résultats. 

Classification  d' Alibert.  Première  famille.  Dermatoses  eczémateuses. 
Genres  :  érythème,  érysipèle,  pemphyx,  zoster,  phlyzacia,  cnidosis,  épinyctide, 
olophlyctide,  ophlyctide,  pyrophlyctide,  charbon,  furoncle. 

2*^  Famille.  Dermatoses  exanthématedses.  Genres  :  variole,  vaccine,  cla- 
velée,  varicelle,  nirle,  roséole,  rougeole,  scarlatine,  miliaire. 

3^  Famille.  Dermatoses  teigneuses.  Genres  :  achore,  porrigine,  favus, 
trichoma. 

4^  Famille.  Dermatoses  dartreuses.  Genres  :  herpès,  varus,  mélitagre, 
esthiomène. 

5^  Famille.     Dermatoses  cancéreuses.     Genres  :  carcine,  kéloïde. 

6^  Famille.  Dermatoses  lépreuses.  Genres:  leucé,  spiloplaxie,  éléphan- 
tiasis,  radezyge. 

7*^  Famille.     Dermatoses  véroleuses.     Genres;  syphilis,  mycosis. 

8*^  Famille.     Dermatoses  strumeuses.     Genres  :  scrofule,  farcin. 

9"  Famille.     Dermatoses  scabiedses.     Genres  :  gale,  prurigo. 

10^  Famille.     Dermatoses  hémateuses.     Genres:  péliose,  pétéchies. 


672  DERMA.TOSES. 

11^  Famille.     Dermatoses  dyschrom.vteuses.     Genres  ;  panne,  achrome. 
12*  Famille.     Dermatoses  hétéromorphes.     Genres  :  ichthyose,  tylosis,  ver- 
rues, onygose,  dermatolysie,  naeve. 

Chaque  genre  comprend  un  certain  nombre  d'espèces  et  de  variéte's. 
Il  suffit  de  jeter  les  yeux  sur  cette  classification  pour  reconnaître  combien  peu 
elle  répond  aux  espérances  que  l'auteur  avait  fait  concevoir  de  l'emploi  de  sa 
méthode.  C'est  qu'en  effet  les  dermatoses  ne  sont  pas,  comme  le  croyait  Alibert, 
de  véritables  maladies,  mais  seulement  des  parties  de  maladies,  des  symptômes, 
des  affections  n'ayant  pas  en  elles-mêmes  leur  raison  d'être,  et  que  la  mélhode 
naturelle  se  trouvait  ainsi  faussée  dans  son  application,  car  elle  ne  pouvait  con- 
venir qu'aux  maladies  mêmes  dont  ces  affections  dépendent.  Aussi  la  classifica- 
tion du  célèbre  dermatologiste  n'est-elle  rien  moins  qu'une  classification  d'affec- 
tions de  la  peau  :  c'est  un  rapprochement  arbitraire  de  maladies  dans  le  cours 
desquelles  on  observe  des  lésions  très-variées  du  tégument  externe.  Les  disso- 
nances éclatent  de  toutes  parts,  soit  que  l'on  compare  les  familles  entre  elles, 
soit  que  l'on  considère  les  genres  et  les  espèces  qui  composent  chaque  famille 
en  particulier.  Ou  y  voit  figurer  d'une  part,  sous  la  dénomination  commune  de 
dermatoses,  les  éruptions  les  plus  simples  et  les  états  pathologiques  les  plus 
complexes,  les  genres  furoncle  et  acné,  par  exemple,  sur  le  même  plan  que  les 
genres  syphilis  et  scrofule  ;  et  l'examen  des   familles,  d'autre    part,  nous  les 
montre  composées  de  lésions  anatomiques  variées,  essentiellement  différentes. 
Enfin  il  faut  remarquer  que,  contre  tous  les  principes  de  la  méthode  naturelle, 
certaines  dermatoses  ont  été  établies  sur  un  seul  caractère,  la  considération  du 
siège  topographique  ;  exemple  :  les  dermatoses  teigneuses  ;  erreur  d'autant  plus 
grave  que  ce  caractère  est  absolument  inexact,  car  on  sait  que  les  teignes  peuvent 
se  rencontrer  sur  toutes  les  pnrties  du  corps  oii  existent  des  poils. 

En  définitive,  la  classification  d'Alibert  ne  remplissait  aucun  but,  ne  pouvait 
être  d'aucun  secours  pour  le  diagnostic  des  lésions  ou  des  symptômes,  ni  même 
pour  le  diagnostic  des  maladies.  Elle  était  donc  incapable  de  soutenir  le  parallèle 
avec  celle  de  Willan,  qui  du  moins  présente,  comme  nous  l'avons  dit  plus  haut, 
des  avantages  incontestables.  C'est  ce  c[ue  sentit  parfaitement  Biett,  qui  n'hésita 
pas  à  se  séparer  de  son  maître  pour  se  rallier  sans  réserve  à  la  méthode  an- 
glaise. On  vit  alors,  au  grand  scandale  des  partisans  de  la  méthode  naturelle, 
s'élever  peu  à  peu,  à  côté  de  l'enseignement  quasi-officiel  d'Alibert,  un  autre 
enseignement  rival  basé  sur  la  doctrine  des  lésions  élémentaires.  Et  les  adhérents 
ne  manquèrent  pas  à  la  nouvelle  école,  car  tout  le  talent  du  célèbre  professeur 
ne  put  empêcher  que  l'idée  willanique,  si  simple,  si  facile  à  saisir,  et  d'une 
application  si  immédiate,  fît  rapidement  son  chemin  dans  les  esprits.  Biett 
avait  du  reste  fait  subir  à  la  classification  anglaise  quelques  modifications  dans 
les  détails  qui  n'ont  pas  été  sans  doute  sans  influence  sur  son  succès.  Voici  cette 
classification  modifiée  telle  qu'on  la  trouve  dans  l'ouvrage  de  ses  élèves  Schedel 
et  Cazenave  : 

Ordre  premier.  Exanthèmes.  l°Erythème;  2"  érysipèle;  3"*  roséole;  4° rou- 
geole; 5°  scarlatine;  6"  urticaire. 

Ordre  II.  Vésicules.  1°  Miliaire;  2°  varicelle;  5"  eczéma;  4"  herpès; 
^''  gale. 

Ordre  III.     Bulles.     1°  Pemphigus;  2°  rupia. 

Ordre  IV.  Pustules,  l"  Variole;  2"  vaccine;  5"  ecthyma;  4"  impétigo; 
5°  acné;  G"  mentagre;  7"  porrigo. 


DERMATOSES.  675 

Ordre  V.       Papules.     1"  Lichen;  2°  prurigo. 

Ordre  VI.      Squames.     1°  Lepra;  2»  psoriasis;  5°  pityriasis;  4°  ichthyose. 

Ordre  VII.  Tubercules.  1'^  Élépliantiasis  des  Grecs  ;  2°  moUuscum  ;  3°  fram- 
bœsia. 

Ordre  VIII.  Macules,  a.  Coloration  :  teinte  bronzée,  épliélides.  naevi  ;  — 
b.  décoloration  :  vitiligo,  albinisme. 

Maladies  qui,  par  leur  nature,  .ne  peuvent  se  rapporter  a  aucun  des  ordres 

Cl-DESSUS  : 

Ordre  IX.        Lupus. 

Ordre  X.        Pellagre. 

Ordre  XI.       Bouton  d'Alep. 

Ordre  XII.       Syphilides. 

Ordre  XIII.     Purpura. 

Ordre  XIV.     Éléphantiasis  des  Arabes. 

Ordre  XV.      Kéloïde. 

Comme  classification  de  lésions  cutanées,  car  elle  n'est  pas  autre  chose,  cette 
classification  est  incomplète,  car  elle  laisse  en  dehors  d'elle  :  1°  l'hypertrophie 
crypteuse,  la  glande  sébacée  hypertrophiée,  distendue  par  la  matière  sébacée  : 
ainsi,  le  bouton  de  l'acné  variolitorme,  qui  n'est, évidemment  ni  une  pustule  ni 
un  tubercule  ;  2»  les  tumeurs  de  la  peau  grosses  comme  des  tomates,  décrites 
sous  les  noms  de  pians,  de  mycosis  fongoïde  ;  5°  le  furoncle,  qui  est  une  infl;im- 
mation  de  l'aréole  dermique  ;  4"  le  godet  l'avique.  A  quoi  il  faudrait  ajouter  les 
affections  qui  font  suite  aux  huit  premiers  ordres,  sous  ce  titre  singulier  : 
Maladies  qui,  par  leur  nature  (traduisez  par  leur  lésion  élémentaire),  ne  peuvent 
se  rapporter  à  aucun  des  ordres  ci-dessus.  Procédé  commode  sans  doute,  mais 
qui  porte  avec  lui  la  condamnation  du  système  qui  en  a  nécessité  l'emploi. 

Les  réflexions  qui  précèdent  s'appliquent  naturellement  à  l'ouvrage  de  Schedel 
et  Cazenave,  paru  d'abord  en  1828  (2"  édition  en  1835,  i°  édit.  en  1847),  et 
dont  la  plupart  des  matériaux  ont  été  puisés  dans  la  clinique  de  Biett.  Quant  à 
la  doctrine,  elle  se  réduit,  pour  les  auteurs  dont  je  parle,  à  la  connaissance  du 
siège  anatomique  des  lésions  cutanées  :  c'est  là  que  doit  tendre  toute  recherche, 
s'il  faut  les  en  croire;  c'est  cette  notion  qui  seule  peut  conduire  à  une  classifi- 
cation précise  et  durable;  c'est  d'elle  aussi  qu'ils  font  découler  toutes  les  indi- 
gnations pronostiques  et  thérapeutiques. 

l'armi  les  ouvrages  qui  ont  surtout  contribué  à  populariser  en  France  la 
méthode  de  Willan,  il  faut  placer  le  livre  de  Gibert,  dont  la  première  édition 
fut  publiée  en  1834.  L'auteur  l'intitula  d'abord  modestement  Manuel  des  mala- 
dies spéciales  de  la  peau,  et  il  nous  avoue  lui-même  qu'il  en  a  pris  les  éléments 
essentiels  dans  une  mauvaise  traduction  française  du  Précis  de  Bateman,  la 
traduction  de  Bertrand  dont  il  a  été  question  plus  haut.  Cependant,  en  1840,  le 
Manuel,  corrigé  et  considérablement  augmenté,  devenait  un  Traité  pratique 
des  maladies  spéciales  de  la  peau,  lequel  se  transformait  à  son  tour,  en  1860, 
en  un  Traité  des  maladies  de  la  peau  et  de  la  syphilis.  Dans  cette  dernière  édi- 
tion, qui  peut  être  considérée  comme  le  couronnement  de  son  œuvre,  Gibert 
est  resté  un  partisan  déclaré  de  la  classification  anglaise,  mais  on  constate  que 
ses  idées  ont  subi  sur  un  certain  nombre  de  points  d'importantes  modifications. 
C'est  là  que  notre  ancien  collègue  parle  pour  la  première  fois  de  la  distinction 
entre  les  maladies  constitutionnelles  de  la  peau  ou  de  cause  interne,  et  les  affec- 
tions accidentelles  ou  de  cause  externe  ;  distinction  qu'il  fait  remonter  à  l'anti- 
DICT.  EXC.  XXVJI.  43 


674  DERMATOSES. 

quité,  mais  que  notre  enseignement  n'avait  pas  peu  contribué  sans  doute  à  lui 
remettre  en  mémoire.  C'est  là  aussi  que,  rendant  justice  à  nos  travaux  sur  les 
affections  cutanées  parasitaires,  il  déclare  que  la  dermatologie  nous  est  redevable 
du  seul  progrès  important  que  puisse  revendiquer  notre  époque.  11  est  vrai  que 
Gibert,  après  avoir  admis  en  principe  ces  divisions  fondamentales,  préfère  les 
rejeter  en  pratique  au  second  plan,  et  baser  sa  classification  sur  la  considération 
des  formes  cliniques  qui,  dit-il,  frappent  les  sens,  sont  faciles  à  saisir  et  mènent 
à  un  diagnostic  assuré.  Mais  c'était  détruire  d'une  main  ce  qu'il  avait  établi 
de  l'autre,  et  il  s'est  ainsi  jeté  dans  des  difficultés  inextricables.  Un  exemple 
frappant  nous  est  fourni  par  le  groupe  des  affections  parasitaires,  qu'il  s'est  vu 
dans  l'obligation  de  disséminer  dans  des  ordres  très-divers  et  au  milieu  d'affec- 
tions essentiellement  différentes,  et  cela,  dans  le  seul  but  de  ne  pas  rompre 
l'uniformité  de  sa  classification.  Et  c'est  pour  la  même  raison  sans  doute  qu'après 
avoir  reconnu  avec  nous  la  nature  végétale  des  incrustations  faviques,  il  a  main- 
tenu néanmoins  cette  affection  parasitaire  dans  l'ordre  des  pustules. 

Élèves  et  continuateurs  de  Biett,  Cazenave  et  Gibert  n'avaient  apporté,  somme 
toute,  que  des  moditications  à  peu  près  insignifiantes  à  la  classification  anglaise. 
Dans  d'autres  publications  qui  parurent  vers  la  même  époque,  on  trouve  les 
affections  de  la  peau  groupées  d'une  manière  différente,  soit  que  les  auteurs 
aient  eu  égard  surtout  au  point  de  vue  éliologique,  comme  l'a  fait  Dendy  qui 
admet:  1°  des  maladies  symptomatiques  des  désordres  du  canal  alimentaire; 
2"  des  maladies  symptomatiques  des  lésions  des  fonctions  d'assimilation  ;  5°  des 
maladies  symptomatiques  d'excitations  externes  et  d'une  idiosyncrasie  particu- 
lière ;  4"  des  maladies  produites  par  des  infections  spécifiques  ;  5"  des  maladies 
locales  sans  dérangement  constitutionnel  ;  soit  qu'ils  aient  établi  leurs  princi- 
pales divisions  sur  des  considérations  tirées  du  siège  anatoraique,  comme  on 
peut  le  voir  dans  le  travail  de  Grimaud  qui  a  partagé  les  maladies  cutanées  en 
quatre  ordres  selon  qu'elles  occupent:  1°  le  corps  réticulaire  ;  2"  les  papilles; 
3°  les  cavités  infundibuliformes  ;  4"  les  follicules,  ou  dans  le  travail  de  Baker 
qui  a  admis  :  l"  des  maladies  épidémiqiies  comprenant  les  squames,  les  vésicules 
et  les  bulles,  2°  et  des  maladies  du  derme  embrassant  les  papules,  les  tuber- 
cules et  les  pustules.  Tel  est  encore  le  Traité  théorique  et  pratique  des  mala- 
dies de  la  peau  de  P.  Rayer,  dont  la  première  édition  parut  en  1832,  et  la 
dernière  en  1835.  Mais  nous  devons  nous  arrêter  sur  cet  ouvrage,  l'un  des  plus 
considérables  et  des  plus  complets  qui  aient  été  produits  sur  la  matière. 

La  doctrine  de  Willan  tendait  à  faire  des  maladies  de  la  peau  une  classe  à 
part,  détachée  du  reste  de  la  pathologie.  Rayer  s'efforça  de  réagir  contre  cette 
tendance,  dont  il  fit  ressortir  les  graves  inconvénients.  11  monti-a  que  certaines 
affections  cutanées  ne  constituent  que  des  symptômes  absolument  secondaires 
dans  l'évolution  morbide  dont  elles  font  partie,  comme  il  arrive  dans  les  fièvres 
éruptives  ;  que  d'autres,  bien  qu'en  apparence  plus  spéciales  à  la  peau,  se  relient 
cependant  à  un  état  particulier  de  la  constitution,  les  dartres,  par  exemple; 
qu'il  faut  en  outre  tenir  compte,  dans  un  très-grand  nombre  de  cas,  des  rapports 
de  causalité  qui  peuvent  unir  telle  ou  telle  éruption  avec  d'autres  affections  de 
forme  et  de  siège  très-différents  ;  qu'en  un  mot,  l'étude  des  maladies  de  la 
peau  ne  saurait  être  séparée  de  la  pathologie  générale,  dont  les  principes  lui  sont 
de  tout  point  applicables.  Rien  de  plus  juste  que  ces  idées,  mais  la  difficulté 
était  précisément  de  les  faire  passer  de  la  théorie  à  l'application,  et  nous  verrons 
qu'à  cet  égard  Rayer  n'a  pas  été  plus  heureux  que  ses  devanciers. 


DERMATOSES.  675 

L'historique  des  dermatoses  n'a  été  présenté  nulle  part  avec  autant  de  soin  et 
d'une  manière  plus  complète  que  dans  le  livre  de  Rayer.  C'est  une  l'evue  rapide, 
mais  consciencieuse  et  bien  faite,  de  tous  les  ouvrages  qui  ont  pu  contribuer 
dans  une  certaine  mesure  'au  progrès  de  la  pathologie  cutanée.  Un  très-grand 
nombre  de  notes  et  d'extraits,  avec  indications  bibliographiques,  permettent  de 
vérifier  immédiatement  les  assertions  de  l'auteur,  ou  mieux  encore  de  remonter 
aux  sources  où  lui-même  a  puisé. 

Rayer  a  distribué  les  maladies  de  la  peau  en  quatre  sections,  selon  leur  siège 
anatomique  : 

1°  Maladies  de  la  peau  proprement  dites  ;  2°  altérations  des  dépendances  de  la 
peau;  3°  corps  étrangers,  inanimés  ou  animés;  4°  maladie  d'abord  étrangère 
à  la  peau,  mais  qui  lui  imprime  quelquefois  des  altérations  particulières  :  c'est 
l'éléphantiasis  arabe. 

Section  1.  Les  maladies  de  la  peau  proprement  dites  sont  :  A.  Des  inflamma- 
tions, qui  peuvent  être  à  une  ou  plusieurs  formes  élémentaires.  Dans  le  premier 
cas  se  trouvent  les  inflammations  exanthémateuses,  huileuses,  vésiculeuses, 
pustuleuses,  furonculeuses,  gangreneuses,  papuleuses,  squnmeuses,  tubercu- 
leuses, et  dans  le  deuxième  les  brûlures,  les  engelures  et  les  syphilides; 

B.  Des  sécrétions  morbides  :  épidroses,  tannes,  concrétions  crétacées,  enduit 
cérumineux,  tumeurs  foUiculeuses  ; 

C.  Des  congestions  et  des  hémorrhagies  cutanées  [et  sous-cutanées  :  cyanose, 
vibices,  ecchymoses,  pétéchies,  purpura,  dermatoi'rhagie  ; 

D.  De  ï anémie; 

E.  Des  névroses  :  exaltation,  diminution,  abolition  de  la  sensibilité  cutanée, 
sans  autre  altération  appréciable  ; 

F.  Des  vices  de  conformation  congénitaux  ou  acquis,  lesquels  peuvent 
atteindre  toute  la  peau  (appendices,  fanons,  cicatrices),  ou  seulement  l'un  de 
ses  éléments,  c'est-à-dire  1"  le  derme:  hypertrophie,  atrophie,  naevus  et  tumeurs 
vasculaires,  chéloïde;  1"  le  pigment:  décolorations,  colorations  accidentelles; 
5°  Yépiderme,  la  couche  cornée  et  les  papilles  :  absence,  épaississement,  ramol- 
lissement, ichthyose,  appendices  cornés,  cors,  desquamation  des  nouveau-nés. 

Section  IL  Les  altérations  des  dépendances  de  la  peau  sont  :  \°  celles  des 
ongles  et  de  la  peau  qui  les  fournit  :  onyxis,  absence,  défaut  de  développement, 
accroissement  démesuré,  changements  de  couleurs,  taches,  chute,  etc.,  et 
2°  celles  des  poils  et  des  follicules  qui  les  produisent  :  inflammations  des  bulbes 
des  poils,  plique,  coloration  accidentelle,  canitie,  alopécie,  feutrage  des  cheveux, 
tissu  pileux  accidentel,  etc. 

Section  III.  Corps  étrangers  observés  à  la  surface  de  la  peau,  dans  l'épais- 
seur ou  au-dessous  de  cette  membrane  :  1"  inanimés  :  crasses,  matières  inorga- 
niques, colorations  artificielles  ;  2'^  animés  :  pediculi,  pulex  irritans,  pulex 
penetrans,  acarus,  filiaria  medinensis. 

Section  IV.  Maladie  primitivement  étrangère  à  la  peau,  mais  qui  lui  imprime 
quelquefois  des  altérations  particulières  :  éléphantiasis  des  Arabes. 

Dans  ce  lableau  ne  sont  pas  comprises  un  certain  nombre  de  maladies  peu 
connues  (bouton  d'Alep,  radesyge,  pian,  etc.),  dont  l'auteur  a  relégué  la  de- 
scription dans  le  Vocabulaire. 

Faire  rentrer  les  maladies  de  la  peau  dans  les  cadres  de  la  patliologie  géné- 
rale, telle  est  l'idée-mère  de  cette  classification.  C'est  dans  ce  but  que  Rayer  les 
a  groupées  d'après  ce  qu'il  appelle  leur  caractère  pathologique  général,  et  qui 


676  DERMATOSES. 

n'est  autre  chose  que  le  mode  pathogénique,  caractère  sans  doute  fort  utile  à 
connaître,  mais  dont  il  s'est  exagéré  singulièrement  l'importance.  On  saura  ainsi 
que  telle  éruption  doit  être  rattachée  à  la  classe  des  inflammations,  telle  autre 
à  celle  des  congestions,  telle  autre  aux  sécrétions  morbides,  etc.,  mais  on  cherche 
vainement  quel  intérêt  considérable  peut  présenter,  au  point  de  vue  nosologique, 
une  semblable  détermination  ;  quelles  conséquences  peuvent  en  découler  au  point 
de  vue  du  diagnostic,  du  pronostic  et  du  traitement.  Ajoutons  que  ce  caractère 
pathologique  général  n'est  rien  moins  qu':issuré,  et  je  dirai  même  fort  contes- 
table dans  un  grand  nombre  de  cas.  U  est  permis  de  douter,  par  exemple,  que 
les  efflorescences  de  la  rougeole,  de  la  scarlatine,  de  la  roséole,  soient  de  véri- 
tables inflammations  de  la  peau;  que  le  même  titre  puisse  être  donné  à  l'urti- 
caiie,  aux  papules  du  lichen,  aux  tubercules  fibro-plastiques  du  lupus  ou  de  la 
syphilis,  etc. 

La  classe  des  maladies  cutanées  inflammatoires,  telle  que  l'a  établie  Rayer, 
embrasse  la  plus  grande  partie  des  maladies  de  la  peau  ;  les  sous-divisions  sont 
tirées  de  la  considération  de  la  forme  élémentaire,  conformément  à  la  méthode 
de  Willan.  Mais  le  dermatologiste  français  a  cru  devoir  introduire  ici  une  dis- 
tinction nouvelle  selon  que  ces  maladies  présentent  une  ou  plusieurs  formes 
élémentaires,  et  les  alfections  qui  lui  ont  paru  remplir  cette  dernière  consi- 
dération sont  :  1"  les  brûlures;  2'  les  engelures;  5°  les  syphilides.  Or,  sans 
parler  de  la  singularité  d'un  tel  rapprochement,  on  ne  voit  pas  bien  pourquoi 
Rayer  s'eii  est  tenu  à  un  si  petit  nombre  d'affections  polymorphes,  pourquoi  il 
ne  leur  a  pas  adjoint  l'érysipèle,  par  exemple,  qui  se  complique  si  fréquemment 
de  bulles,  la  roséole  qui  peut  s'accompagner  de  vésicules  railiaires,  la  gale,  type 
de  la  polymorphie,  etc.,  etc.  Remarquons  du  reste  que,  pour  la  création  du 
petit  groupe  des  maladies  inflammatoires  à  formes  élémentaires  multiples.  Rayer 
a  fait  intervenir  la  question  jusque-là  réservée  de  cause  ou  nature,  et  que  cet 
artifice  l'a  dispensé  de  la  nécessité  de  disperser  les  syphilides  dans  les  différents 
ordres  willaniques. 

En  résumé,  la  classification  de  Rayer  présente  plus  d'inconvénients  que 
d'avantages  ;  elle  ne  nous  fait  pas  sortir  de  la  lésion  de  la  peau,  et  ne  saurait 
assurément  soutenir  la  comparaison  avec  celle  de  Willan,  qui  l'emporte  à  la 
fois  par  l'unité  de  son  plan  et  la  simplicité  de  sa  méthode.  Toutefois,  je  le 
répète,  le  livre  de  Rayer  se  recommande  par  des  qualités  sérieuses  :  ses  descrip- 
tions sont  exactes,  claires,  et  généralement  suivies,  en  forme  d'appezidice,  de  ren- 
seignements historiques  et  d'observations  particulières.  On  y  trouve  de  plus  i|uel- 
ques  aperçus  fort  justes  sur  les  causes  et  les  relations  morbides  d'un  certain  nom- 
bre d'affections  cutanées.  Enfin,  c'est  là  que  les  eiïïeciions  artificielles  ont  été 
pour  la  première  fois  l'objet  d'une  étude  spéciale,  bien  qu'encore  fort  incomplète. 

En  1842,  Baumes  (de  Lyon),  dans  sa  nouvelle  Dermato/o^i'e,  essaya  de  fonder 
sa  classification  sur  une  base  purement  étiologique.  Donnant  le  nom  de  fluxion 
à  la  cause  première  inconnue  des  affections  de  la  peau,  il  s'efforça  de  déterminer 
les  conditions  morbifiques  qui  développent  ou  entretiennent  cette  fluxion,  con- 
ditions qu'il  caractérise  de  la  manière  suivante  : 

1"  Fluxion  par  cause  externe; 

2°  Fluxion  réfléchie;  ou  répétition  au  dehors  d'un  travail  morbide  qui  existe 
déjà  sur  un  organe  interne  ; 

b^  Fluxion  déplacée  :  ou  transport  à  la  peau  d'une  maladie  d'un  organe 
interne,  ou  fluxion  critique  ; 


DERMATOSES.  677 

4°  Fluxion  excentrique  :  ou  succédant  à  une  cause  ou  à  une  série  de  causes 
qui  portent  leur  influence  sur  l'économie  en  général,  et  qui  introduisent  par  les 
voies  respiratoires  et  digestives  des  principes  qui  amènent  une  perturbation  dans 
les  fonctions  de  tous  les  organes  ; 

5°  Fluxion  par  diathèse  :  ou  consécutive  aux  diathèses  scrofuleuse,  cancéreuse, 
syphilitique,  scorbutique; 

6°  Fluxion  idiopatbique  :  ou  développée  dans  le  tissu  de  la  peau  sans  cause 
connue  et  par  suite  d'un  principe  né  de  l'hérédité,  et  par  cela  même  de  la  condi- 
tion organique  de  la  peau  ; 

7"  Fluxion  complexe  :  ou  résultant  de  la  combinaison  de  plusieurs  causes 
réunies. 

Baumes  suit  du  reste,  à  peu  de  chose  près,  pour  la  division  des  groupes  ainsi 
formés,  la  méthode  anatomique  de  Willan,  et  décrit  des  éruptions  érythémateuses, 
vésiculeuses,  pustuleuses,  etc.  On  ne  saurait  disconvenir  que  ce  mode  de  clas- 
sement repose  sur  une  conception  profondément  médicale,  et,  à  ce  point  de 
vue,  il  doit  être  compté  parmi  les  meilleures  tentatives  qui  aient  été  faites  en  ce 
sens. 

En  décembre  1843,  un  médecin  allemand,  le  docteur  Hébra,  communiquait 
à  l'Académie  de  Vienne  une  division  des  dermatoses  entièrement  basée  sur  les 
caractères  anatomo-pathologiques.  Il  en  admettait  neuf  classes  :  1°  hypertro- 
phies ;  —  2°  atrophies  ;  —  5°  anomalies  de  sécrétions  ;  —  4°  processus  :  a.  séreux  ; 
h.  puriforme  ;  c.  coagulable  ;  d.  hémorrhagique  ;  —  5°  hémorrhagies  ;  —  6°  stases  ; 
—  7'^  nouvelles  formations;  —  8°  formations  végétales;  —  9°  formations 
animales. 

Dix-huit  ans  plus  tard,  dans  le  Traité  des  maladies  de  la  peau  du  même 
auteur,  nous  retrouvons  cette  classification  modifiée  de  la  manière  suivante  : 
Première  CLASSE.     Hyperémie  cutanée.     Affections  hypérémiques  de  la  peau; 
2^  CLASSE.     Anémie  cutanée .     Affections  anémiques  de  la  peau; 
5"  CLASSE.     Anomaliœ    secretionis  glandularum  cutanearum.     Conditions 
morbides  des  sécrétions  des  glandes  cutanées  ; 

4*^  CLASSE.     Evsudationes.     Exsudations  et  affections  exsudatives  ; 
5®  CLASSE.     Hœmorrhagiœ  cutanece.     Hémorrhagies; 
Eijpertrophiœ.     Hypertrophies  ; 
Atrophiœ.     Atrophies  ; 

Neoplasmata  {Homœoplasiœ).     Tumeurs  bénignes  ; 
Pseudoplasmata  {Heteroplasiœ).     Tumeurs  malignes; 
Ulcerationes.     Ulcérations; 
Névroses.     Névroses  ; 
Parasitée.     Parasites. 
Cette  classification  repose,  en  définitive,  comme  celle  de  Rayer,  sur  la  consi- 
dération du  processus  pathologique  ou,  si  l'on  préfère  l'expression  de  l'auteur 
français,  sur  le  caractère  pathologique  général  des  affections  de  la  peau.  Il  suffit 
de  l'exposer  pour  en  faire  ressortir  toutes  les  lacunes  et  tous  les  inconvénients, 
au  double  point  de  vue  de  la  doctrine  et  de  la  méthode. 

En  1845,  dans  le  tome  Yl  du  Compendium  de  médecine  pratique,  paraissait 
sur  les  maladies  de  la  peau  un  long  article  de  pathologie  générale,  dans  lequel 
les  auteurs  nous  semblent  avoir  apporté  plus  de  soin  et  de  travail  que  de  véri- 
table compétence  dans  la  matière.  C'est  une  sorte  de  compilation,  dont  la  plupart 
des  éléments  ont  été  empruntés  aux  Traités  spéciaux  les  plus  récents,  et  qui 


6= 

CLASSE. 

7e 

CLASSE. 

8^ 

CLASSE. 

9^ 

CLASSE. 

10« 

CLASSE. 

lie 

CLASSE. 

12« 

CLASSE. 

678  DERMATOSES. 

ne  présente  aucune  vue  originale  et  nouvelle,  à  moins  cependant  qu'on  ne  veuille 
donner  ce  nom  à  un  essai  de  classification  des  dermatoses  basé  sur  la  considé- 
ration de  leur  siège  anatomique,  c'est-à  dire  sur  la  notion  encore  aujourd'hui  la 
plus  obscure  et  la  plus  controversée  qui  soit  en  dermatologie. 

Une  tentative  analogue  était  faite  quelques  années  plus  lard  par  un  médecin 
distingué  de  Paris,  M.  Baron.  L'auteur  s'est  efforcé  de  rapporter  à  chacun  des 
éléments  anatomiques  de  la  peau  les  diverses  altérations  qui  constituent  les 
espèces  de  la  pathologie  cutanée,  et  voici  le  tableau  qu'il  a  dressé  dans  ce  but  : 

1°  Maladies  de  F  appareil  vasculaire.  Roséole,  rougeole,  scarlatine,  éry- 
thème,  érysipèle,  vésicatoire,  pemphigus,  naevus,  purpura; 

2"  Maladies  des  papilles.  Urticaire,  prurigo,  hyperesthésie,  anesthésie,  élé- 
phantiasis  grec  ; 

3"  Maladies  de  Vappareil  sudoripare.  Sueurs  abondantes,  éruption  de  la 
suette,  sudamina,  éruption  de  la  fièvre  miliaire,  éruption  accompagnant  les 
sueurs  copieuses,  éruptions  vésiculeuses  par  topiques  irritants,  herpès; 

A°  Maladies  de  Vappareil  sécréteur  de  Vépiderme.  Pityriasis,  eczéma,  pso- 
riasis, ichthyose,  durillon,  cor,  verrue; 

5°  Maladies  de  Vappareil  chromatogène.  Naevus,  lentigo,  éphélide  hépatique, 
éphélide  mélanée,  vitiligo,  albinisme; 

6°  Maladies  des  follicules  sébacés.  Acné  disseminata,a.  punctata,  a.  rosacea, 
mélitagre,  raentagre,  impétigo  sparsa,  lupus; 

7°  Maladies  des  bulbes  pilifères.     Lichen,  favus,  trichoma,  alopécie,  canitie; 

8"  Maladies  de  la  matière  des  ongles.     Onygose,  exagération  de  sécrétion; 

9°  Maladies  de  la  trame  cellulo- fibreuse.  Ecthyma,  rupia,  varicelle,  vario- 
Joïde,  variole,  vaccine,  furoncle; 

10°  Maladie  affectant  simtdtanément  plusieurs  éléments  de  la  peau.     Gale; 

11°  Maladies  de  classe  encore  incertaine.  Frambœsia,  moUuscum, 
chéloïde. 

Gibert,  à  qui  j'emprunte  ces  détails,  a  parfaitement  montré  tout  ce  qu'il  y 
avait  de  vain  et  d'illusoire,  non-seulement  dans  ces  classifications  anatomiques 
considérées  en  elles-mêmes,  mais  encore  et  surtout  dans  les  prétentions  affichées 
par  leurs  auteurs  d'en  tirer  des  indications  relatives  à  la  nature  et  au  traitement 
des  maladies. 

L'année  1850  a  été  marquée  par  un  progrès  thérapeutique  important:  le 
traitement  de  la  gale,  jusque-là  incertain  et  trop  souvent  inefficace,  est  soumis 
par  nous  à  des  règles  fixes,  précises,  déduites  du  raisonnement  et  de  l'observa- 
tion [Union  médicale,  9  juillet  1850,  t.  IV,  n"  82,  p.  355). 

Deux  ans  plus  tard,  nous  livrions  au  public  médical  nos  Recherches  sur 
la  nature  et  le  traitement  des  teignes,  recherches  dont  les  principaux  résultats 
sont  aujourd'hui  sanctionnés  par  le  temps  et  acquis  à  la  science  [voy.  Teigne  et 
Favus). 

Nous  devons  maintenant  parler,  selon  Tordre  chronologique,  du  Traité  pra- 
tique des  maladies  de  la  peau  de  M.  Devergie  (1854)  :  œuvre  difficile  à  classer, 
car  on  y  trouve  un  peu  de  tous  les  systèmes  accommodés,  il  est  vrai,  aux  idées 
personnelles  de  l'auteur.  A  l'exemple  de  Rayer,  M.  Devergie  a  pour  but  de  faire 
rentrer  les  maladies  de  la  peau  dans  le  domaine  de  la  pathologie  ordinaire,  et 
s'efforce  comme  lui  d'étabhr  que  la  généralité  de  ces  maladies  a  pour  forme 
morbide  habituelle  l'élément  inflammatoire,  d'où  il  conclut  à  l'identité  des  causes, 
de  la  marche,  des  terminaisons.  Telle  est  la  doctrine  qu'il  expose  longuement 


DERMATOSES.  679 

dans  la  première  partie  de  son  livre,  consacrée  à  la  pathologie  générale.  Quant  à 
la  méthode,  M.  Devergie  est  tantôt  willaniste  et  tantôt  alibertiste,  selon  les  cas 
ou  les  besoins  du  moment.  Il  a  composé  trois  tableaux  de  classification.  L'un, 
qu'il  destine  à  l'indication  de  l'ordre  des  matières,  renferme  douze  groupes  : 
1°  affections  exanthémateuses ;  2°  vésiculeuses  et  huileuses;  3°  pustuleuses; 
4°  cachectiques  ;  5"  papuleuses;  6°  squameuses;  7°  exotiques;  8°  scrofuleuses; 
9°  maladies  du  cuir  chevelu;  10"  maladies  des  ongles;  11°  productions  acciden- 
telles; 12"  syphilides.  Ainsi,  la  forme  élémentaire,  la  cause  diathésiqne,  le 
cars-ctère  exotique,  le  siège  anatomique,  le  siège  topographique,  et  j'en  passe, 
telles  sont  les  considérations  diverses  qui  ont  servi  à  la  formation  de  ces  groupes. 
Le  second  tableau  de  classification  n'est  qu'une  méthode  de  diagnostic  basée  sur 
les  produits  secondaires;  les  maladies  y  sont  divisées  en  deux  grandes  classes, 
selon  qu'elles  sont  sécrétantes  ou  non  sécrétantes.  Enfin,  le  troisième  tableau 
n'est  que  la  classification  de  Willan  que  M.  Devergie  a  modifiée,  étendue,  com- 
plétée par  l'addition  de  maladies  et  de  groupes  de  maladies  :  1"  exanthémateuses; 
2"  vésiculeuses  ;  5°  huileuses;  A°  pustuleuses;  5"  papuleuses;  6"  tuberculeuses; 
7°  squameuses;  8"  hémateuses;  9°  chromateuses;  10°  cancéreuses;  11°  végé- 
tantes; 12°  corps  étrangers  animés;  15°  corps  étrangers  inanimés;  14°  maladies 
de  la  peau  et  du  tissu  cellulaire  ;  1 5"  maladies  des  poils  ;  16"  maladies  des  ongles. 

Tel  est,  envisagé  au  point  de  vue  de  la  doctrine  et  de  la  méthode,  l'ouvrage 
de  M.  Devergie;  et  c'est  là  tout  ce  qu'il  nous  importe  ici  d'en  connaître.  Je  ne 
parlerai  donc,  ni  des  formes  composées,  créées  par  ce  dermatologiste,  ni  des 
cinq  médications  qui  forment  la  base  de  sa  thérapeutique,  questions  intéressantes 
sans  doute,  mais  qui  ont  perdu  l'attrait  de  l'actualité,  et  dont  la  discussion  nous 
entraînerait  bien  au  delà  des  limites  de  cet  article. 

En  1855,  dans  une  série  d'articles  insérés  d'abord  dans  la  Gazette  des  Hôpi- 
taux, et  plus  tard  réunis  en  brochure  sous  le  titre  de  Cours  de  séméiotique 
cutanée,  suivi  de  leçons  théoriques  et  pratiques  sur  la  scrofule  et  les  teignes, 
je  jetais  les  premiers  fondements  de  la  doctrine  qui,  depuis  cette  époque,  m'a 
constamment  guidé  dans  l'étude  de  la  dermatologie.  Cette  doctrine  est  aujourd'hui 
trop  connue  pour  qu'il  soit  nécessaire  d'en  faire  ici  l'exposition.  Elle  repose 
essentiellement,  comme  on  sait,  sur  le  principe  de  la  distinction  absolue  entre 
la  maladie,  état  de  l'être  qui  souffre,  et  Vaffection,  état  ou  modification  mor- 
bide de  l'organe  ou  de  la  fonction  :  d'où  cette  conséquence  qu'il  n'y  a  point  de 
maladie  de  la  peau,  qu'il  ne  saurait  y  avoir  de  nosographie  cutanée.  Toute 
dermatose  est  pour  nous  le  produit  ou  le  symptôme  d'une  maladie  :  or,  la 
maladie,  cause  efficiente  des  affections,  peut  être  de  cause  externe  ou  de  cause 
interne  :  de  là  deux  divisions  parallèles  pour  les  affections  cutanées  correspon- 
dantes. Mais  la  même  forme  morbide  élémentaire  sert  le  plus  souvent  de  tra- 
duction à  plusieurs  maladies  différentes  :  de  là  des  affections  communes,  ou 
génériques,  qui  ressortissent  à  la  séméiotique,  et  des  affections  spéciales  ou 
espèces,  qui  font  partie  du  domaine  de  la  nosographie.  La  brochure  se  termine, 
comme  son  titre  l'indique,  par  des  considérations  sur  la  scrofule  et  les  teignes. 

L'année  suivante  je  reprenais  l'étude  de  la  scrofule  considérée  en  elle-même 
et  dans  ses  rapports  avec  la  syphilis,  la  dartre  et  l'arthritis.  Publiées  d'abord 
dans  la  Revue  médicale,  puis  colligées  en  brochure,  ces  leçons  avaient  nour 
objet  spécial  la  détermination  des  dartres  scrofuleuses,  que  je  désignai  sous  le 
nom  de  scrofulides,  et  dont  je  décrivis  deux  espèces  :  les  scrofulides  bénignes  et 
les  scrofulides  malignes. 


680  DERMATOSES. 

Mais  mon  dessein  ne  saurait  être  de  donner  ici  une  ide'e,  même  sommaire, 
des  diverses  publications  qui  sont  sorties  de  mon  Enseignement  de  1855  à  1870  : 
Leçons  sur  les  affections  cutanées  parasitaires  (l''^  édition  1858,  2^  édit.  1862); 
Leçons  sur  les  sijphilides  (1'^  édit.  1859);  Leçons  sur  les  affections  cutanées 
de  nature  arthritique  et  dartreuse  (1"  édit,  1860,  2^  édit.  \^ù%)\  Leçons  sur 
la  scrofule  (2*  édit.,  considérablement  augmentée,  1861)  ;  Leçons  sur  les  affec- 
tions cutanées  artificielles,  la  lèpre,  les  diathèses,  les  difformités  (1862); 
Leçons  sur  les  affections  génériques  de  la  peau  (2  volumes,  le  1'"''  paru  en  1862, 
le  2'^  en  1867)  ;  Leçons  sur  la  syphilis  et  les  syphilides  {2"  édit.  1866)  ;  Examen 
critique  de  la  divergence  des  opinions  actuelles  en  pathologie  cutanée 
(1  vol.  1866);  Leçons  sur  le  traitement  des  maladies  chroniques  en  général  et 
des  affections  de  la  peau  en  particulier,  par  remploi  comparé  des  eaux  miné- 
rales (1  vol.  1870).  Ces  publications  représentent  vingt  années  de  recberches 
et  de  méditations  sur  toutes  les  questions  qui  se  rattachent  à  la  pathologie  de  la 
peau,  questions  de  fait,  questions  de  doctrine,  questions  de  nature,  questions  de 
classification,  questions  de  séméiotique  et  de  thérapeutique,  et  il  me  sera  permis 
de  dire  que  quelques-unes  au  moins  de  ces  questions  y  ont  été  résolues  d'une 
manière  détinilive. 

On  trouvera  plus  loin,  dans  la  suite  de  cet  article,  l'exposition  complète 
de  mes  idées  sur  les  dermatoses  envisagées  aux  différents  points  de  vue 
que  comporte  leur  étude  :  tout  développement  à  cet  égard  serait  donc  ici 
superflu. 

Comme  on  en  peut  juger  par  ce  qui  précède,  nos  idées  doctrinales  nous  avaient 
placé  dès  le  début  de  notre  enseignement  en  dehors  des  deux  écoles  qui  s'étaient 
jusque-là  disputé  la  prééminence  sur  le  terrain  de  la  dermatologie.  La  méthode 
de  Willan  avait  fini  par  l'emporter,  et  lorsqu'en  1857  Alibert  disparut  de  la 
scène,  personne  ne  se  présenta  d'abord  pour  prendre  sa  succession.  Ce  rôle  était 
réservé  à  l'un  de  ses  plus  distingués  élèves,  M.  Hardy,  qui  devint  en  1851 
médecin  de  l'hôpital  Saint-Louis.  Convaincu  que  le  grand  tort  d'Alibert  avait 
été  de  présenter  sa  classification  sous  une  forme  bizarre,  l'arbre  des  dermatoses, 
et  de  substituer  aux  noms  généralement  adoptés  une  terminologie  nouvelle, 
prétentieuse  et  ditticile  à  prononcer,  M.  Hardy  pensa  que  la  première  chose  à 
faire  était  d'éviter  cet  écueil,  et,  craignant  sans  doute  que  le  mot  dermatose  ne 
semblât  un  retour  vers  le  passé,  il  le  raya  de  son  vocabulaire.  Sa  classification, 
qui  offre  beaucoup  d'analogie  avec  celle  d'Alibert,  comprend  dix  classes  de  mala- 
dies cutanées  : 

Première  classe.  Macules, diffoi^mités.  Éphélides,vitiiigo,lentigo,ichthyose, 
chéloïde  ; 

1^  CLASSE.  Inflammations  locales.  Erythème,  urticaire,  herpès,  ecthyma, 
pemphigus; 

5'' CLASSE.     Maladies  parasitaires.     Gale,  sycosis,  herpès  circiné,  favus  ; 

4'^  CLASSE.  Fièvres  éruptives.  Scarlatine,  rougeole,  variole,  varioloïde, 
vaccine  ; 

5"  CLASSE.  Éruptions  symptomatiques.  Herpès  labialis,  taches  rosées  de  la 
fièvre  typhoïde,  sudamina,  purpura; 

ô*"  CLASSE.     Dartres.     Eczéma,  psoriasis,  lichen,  pityriasis; 

T**  CLASSE.  Scrnfulides.  1"  érythémateuse,  2"  pustuleuse,  5"  verruqueuse, 
4°  tuberculeuse,  .^°  phlegmoneuse,  6"  cornée; 

S**  CLASSE.     SifpnUides.     1"  pigmentaires ,    2"  exanthématiques ,  5°  vésicu- 


DERMATOSES.  681 

leuses,  ¥  pustuleuses,  5"  papuleuses,  6°  huileuses,  1"  squameuses,  8''  végé- 
tantes, 9"  tuberculeuses  ; 

9^  CLASSE.     Cancers.     Cancer  de  la  peau,  cancroïde; 

10"  CLASSE.     Maladies  exotiques.     Lèpre  tuberculeuse,  pian. 

Basée  sur  le  même  principe  que  celle  d'Alibert,  c'est-à-dire  sur  les  analogies 
et  les  dissemblances  que  présentent  les  maladies  de  la  peau  considérées  aux 
points  de  vue  les  plus  divers,  cette  classification  tombe  sous  le  coup  des  mêmes 
reproches.  On  remarquera,  par  exemple,  tout  ce  qu'il  y  a  d'arbitraire  et  d'arti- 
ficiel dans  cette  succession  de  classes  qu'aucune  idée  commune  ne  relie  les  unes 
aux  autres,  et  que  l'on  trouve  composées,  celle-ci  de  maladies  entières,  telles 
que  la  rougeole,  la  scarlatine,  la  gale,  etc.  ;  celle-là  de  fractions  de  maladies,  de 
lésions  symptomatiques,  telles  que  taches  rosées,  sudamina,  etc.  ;  cette  autre 
d'affections  génériques,  comme  l'eczéma,  le  psoriasis,  le  lichen,  le  pityriasis; 
cette  autre  entin  d'affections  spéciales,  comme  les  syphilides  ou  les  scrofulides. 
11  est  vrai  que  M.  Hardy  n'admet  pas  les  genres  en  pathologie  cutanée  ;  que  pour 
lui  l'eczéma  est  toujours  une  dartre,  l'acné  une  maladie  accidentelle,  l'herpès 
une  inflammation  locale,  et  ainsi  du  reste;  et  en  cela,  il  faut  le  reconnaître,  il 
s'est  montré  conséquent  avec  la  doctrine  qu'il  s'était  donné  pour  mission  de 
défendre.  Mais  son  tort  est  de  n'avoir  pas  compris  que  c'est  en  cela  précisément 
que  consistait  le  vice  radical  de  la  méthode  naturelle  ou  synthétique,  et  que  c'est 
pour  l'avoir  faussement  appliquée  à  l'étude  et  au  classement  des  lésions  de  la 
peau  qu'Alibert,  malgré  tout  son  talent,  n'a  point  fait  œuvre  qui  dure.  Et  il 
est  fort  à  craindre  que  M.  Hardy  ne  soit  pas  plus  heureux  que  son  illustre  maître. 
La  séiuéiotique  de  la  peau  n'existe  pas  dans  ses  livres.  Il  ne  voit  rien  entre  la 
maladie  et  la  lésion.  11  a  même  rejeté  en  grande  partie  le  progrès  réalisé  par 
Willan,  car  il  définit  l'eczéma  :  «  Une  affection  de  l'enveloppe  cutanée  ou  mu- 
queuse qui  se  caractérise  à  son  début,  soit  par  des  taches  exanthématiques,  soit 
par  des  vésicules,  soit  par  des  fissures,  soit  par  des  pustules,  soit  par  des  squames, 
soit  par  des  papules;  qui,  plus  tard,  provoque  habituellement  le  suintement 
d'une  sécrétion  séreuse  ou  séro-purulente  de  quantité  fort  variable,  et  qui  se 
termine  enfin  par  desquamation  ».  Comme  je  l'ai  dit  ailleurs,  c'est  une  sup- 
pression complète  des  genres,  même  au  sens  oii  l'entendait  Willan;  plus  d'im-, 
pétigo,  plus  de  pityriasis,  plus  de  lichen!  Tout  cela,  c'est  de  l'eczéma. 

Du  reste,  des  dix  classes  de  maladies  cutanées  établies  par  M.  Hardy,  les  seules 
que  l'on  puisse  admettre  sont  celles  des  maladies  parasitaires,  des  fièvres 
éruptives,  des  dartres,  des  scrofulides  et  des  syphilides.  Encore  faudrait-il 
s'entendie  sur  le  mot  dartres.,  qui  désigne  pour  notre  ancien  collègue,  non  pas 
une  maladie  à  manifestations  multiples,  mais  un  certain  nombre  de  maladies 
similaires  {voy.  article  Dartre,  où  ce  point  a  été  traité  et  discuté  avec  tous  les 
développements  qu'il  comporte).  Mais  que  dire  des  inflammations  locales  ou 
maladies  cutanées  accidentelles  !  Quel  est  le  lien  qui  rassemble  l'érythème, 
l'urticaire,  le  zona,  le  pemphigus,  l'acné,  l'erysipèle?  La  classe  des  éruptions 
symptomatiques  nous  paraît  défectueuse  par  la  raison  que  cette  épithète  convient 
également  à  toutes  les  dei"matoses.  Enfin,  à  l'exemple  de  M.  Devergie,  M.  Hardy 
a  formé  une  classe  de  maladies  exotiques,  et  cette  classe  s'est  .adaptée  ni  mieux 
ni  plus  mal  qu'une  autre  à  sa  classification. 

En  187-4,  M.  Gailleton,  ex-chirurgien  en  chef  de  l'Antiquaille  à  Lyon,  faisait 
paraître  un  Traité  élémentaire  des  maladies  de  la  peau.  Ce  traité  se  divise  en 
trois  parties.  La  première  contient  les  principes  de  la  dermatologie,  anatomie  et 


682  DERMATOSES. 

physiologie  normale  et  pathologique,  séméiologie,  étiologie,  thérapeutique,  consi- 
dérées en  général.  La  seconde  partie  est  un  résumé  succinct  des  maladies  qui 
donnent  le  plus  habituellement  naissance  aux  éruptions  cutanées  :  scrofules, 
goutte,  rhumatisme,  syphihs,  dartres,  maladies  du  système  nerveux,  etc.  Enfin, 
la  troisième  partie  est  consacrée  à  la  description  des  affections  cutanées.  Les 
maladies  du  derme,  de  l'épiderme  et  des  ongles,  des  glandes  annexes  (sébacées, 
sudoripares,  follicules  pileux),  sont  successivement  étudiées.  Les  sous-divisions 
de  ces  trois  groupes  principaux  ont  pour  base  les  différents  processus  inflamma- 
toire, hémorrhagique,  etc.  Enfin,  un  dernier  chapitre  traite  des  maladies  para- 
sitaires. Tel  est  le  plan  que  l'auteur  a  pris  soin  de  tracer  lui-même  dans  la 
préface  de  son  ouvrage.  Ces  divisions  sont,  comme  on  voit,  logiques  et  ration- 
nelles. Quant  à  la  manière  dont  les  questions  y  sont  envisagées  et  traitées,  je  ne 
puis  que  reconnaître  la  parfaite  compétence  et  le  talent  d'observation  du 
médecin  de  Lyon,  encore  qu'il  se  sépare  de  nous  sur  un  grand  nombre  de  points, 
■notamment  sur  les  dartres,  sur  les  difformités  et  sur  les  questions  de  classifica- 
tions. J'ai  discuté  ailleurs  {voy.  Dartres)  sa  manière  de  comprendre  les  dartres, 
et  l'occasion  se  présentera  naturellement,  dans  le  cours  de  cet  article,  de  revenir 
sur  quelques-unes  des  principales  questions  qui  nous  divisent.  Je  veux  seule- 
ment ici  constater  qu'entre  les  idées  de  M.  Gailleton  et  les  nôtres  il  existe  déjà 
de  nombreux  points  de  contact,  et  j'ai  l'espérance  que  ces  points  de  contact  iront 
en  se  multipliant. 

Enfin,  en  1878,  M.  le  docteur  Guibout,  médecin  de  l'hôpital  Saint-Louis,  a 
publié  un  volume  de  Leçons  cliniques  sur  les  maladies  de  la  peau.  L'auteur 
débute  par  quelques  généralités  sur  le  diagnostic  et  le  classement  des  dermatoses; 
ce  diagnostic,  dit-il,  doit  s'attacher  à  la  détermination  de  trois  points  essentiels  : 
1"  l'espèce;  2°  le  genre;  3°  la  nature  de  la  lésion.  C'est  bien  là,  sous  une  forme 
un  peu  différente,  le  problème  tel  que  nous  l'avons  posé  nous-même  il  y  a 
plus  de  vingt  ans  :  mais  je  me  demande  pourquoi  M.  Guibout  a  cru  devoir 
changer  la  signification  que  l'on  donne  généralement  au  mot  espèce  en  l'appli- 
quant à  la  lésion  anatomique,  et  ainsi  lui  subordonner  le  genre.  Simple  question 
de  mots,  du  reste,  sur  laquelle  il  suffit  de  s'entendre,  et  qui  disparaît  à  mes 
yeux  devant  ce  fait  bien  autrement  important,  l'admission  par  notre  confrère  des 
genres  en  pathologie  cutanée.  Quant  au  classement,  M.  Guibout  l'envisage  à  un 
double  point  de  vue  :  1"  au  point  de  vue  des  lésions  élémentaires,  dont  il  recon- 
naît 8  espèces  ;  2"  au  point  de  vue  de  l'état  de  sécrétion  ou  de  non-sécrétion  des 
maladies  cutanées.  Je  ne  m'étendrai  pas  davantage  sur  cet  ouvrage,  dont  l'esprit 
général  m'a  paru  excellent,  mais  que  je  ne  veux  pas  considérer  comme  l'expres- 
sion définitive  de  la  pensée  de  M.  Guibout. 

Ici  se  terminent  les  considérations  que  j'avais  à  présenter  sur  l'historique  des 
dermatoses. 

Je  me  suis  abstenu  jusqu'ici,  autant  que  possible,  de  parler  de  mes  opinions 
doctrinales,  et  le  lecteur  s'étonnera  peut-être,  après  avoir  vu  tant  de  modes  de 
classement  passer  sous  ses  yeux,  de  ne  pas  voir  figurer  ici  ma  classification 
dermatologique.  Mais  la  chose  m'a  paru  au  moins  inutile,  tout  le  reste  de  cet 
article  devant  être  consacré  uniquement  à  l'exposition  et  au  développement  de 
mes  idées,  théoriques  et  pratiques,  sur  la  pathologie  de  la  peau. 

DivisiOxXs  DE  LA  PATHOLOGIE  coTANÉE.  La  plupart  dcs  autcurs  qui  ont  écrit  des 
traités  de  pathologie  cutanée  ont  tout  d'abord  exposé  des  considérations  générales 
sur  le  sujet,  et  suivi,  dans  l'étude  de  ces  généralités,  l'ordre  indiqué  par  Chomel 


DERMATOSES.  683 

dans  ses  éléments  de  pathologie  générale.  Cet  ordre  consiste  à  ti^aiter  de  la 
maladie  en  général  comme  s'il  s'agissait  d'une  maladie  en  particulier;  méthode 
défectueuse  qui  ne  pouvait  donner  qu'une  simple  récapitulation  de  tout  ce  qui 
doit  être  dit  à  propos  de  chaque  affection  en  particulier.  Aussi  est-il  arrivé  que 
la  plupart  du  temps  on  néglige  de  lire  ces  considérations  générales,  qui  seraient 
mieux  placées  à  la  fin  de  l'ouvrage  qu'au  commencement,  et  qui  n'offrent  d'ail- 
leurs aucun  but  d'utilité  pratique.  Quant  à  nous,  qui  ne  voyons  sur  la  peau, 
comme  sur  tout  autre  organe,  que  des  lésions  et  des  symptômes  ou  des  symp- 
tèmes-affections,  nous  devons  ennsager  d'une  tout  autre  façon  l'histoire  géné- 
rale des  dermatoses. 

Dans  mes  leçons  de  l'hôpital  Saint-Louis,  j'ai  partagé  l'étude  générale  de  la 
dermatose  en  deux  parties  :  la  première  traite  de  la  lésion;  la. seconde  du  symp- 
tôme. C'est  faire  l'histoire  analytique  de  l'affection  cutanée  qui,  dans  la  plupart 
des  cas,  se  compose  en  effet  de  deux  facteurs,  lésion  et  symptôme,  indissoluble- 
ment unis.  Nous  devons  donc  commencer  l'étude  des  dermatoses  par  l'histoire 
des  lésions  ou  l'anatoraie  pathologique  de  la  peau,  puis  étudier  ensuite  les 
symptômes  élémentaires  et  les  symptômes  composés  ou  symptômes-affections 
(symptomatologie  cutanée),  et  enfin  terminer  cette  étude  par  les  indications 
que  ces  symptômes  fournissent  pour  le  diagnostic,  le  pronostic  et  le  traitement 
des  maladies  (séméiotique  cutanée  générale  et  spéciale). 

Mais,  dira-t-on,  avec  ce  plan  d'étude,  vous  passez  sous  silence  l'étiologie 
cutanée  :  où  placez-vous  les  causes  des  maladies  de  la  peau?  —  A  cela,  nous 
répondons  que  les  dermatoses  ne  sont  pas  des  maladies,  que  ce  sont  des  symptômes 
ou  des  parties  de  maladies,  et  que,  à  la  rigueur,  nous  pourrions  renvoyer  le 
lecteur,  pour  la  connaissance  des  causes,  aux  articles  qui  traitent  des  différentes 
classes  de  maladies  et  de  chaque  maladie  en  particulier. 

Cependant,  pour  ne  pas  trop  froisser  les  idées  généralement  reçues,  et  éviter 
les  reproches  de  ceux  qui  n'adoptent  pas  nos  doctrines  en  dermatologie,  nous 
ferons  précéder  l'histoire  des  lésions  et  des  symptômes  cutanés  d'une  courte 
énumération  des  maladies  qui  se  traduisent  par  des  manifestations  à  la  peau, 
puisque,  d'après  nous,  les  maladies  sont  les  causes  efficientes  des  dermatoses. 

Mais,  outre  les  causes  efficientes,  nous  avons  encore  les  causes  prédisposantes 
et  déterminantes,  et  ces  dernières  peuvent  agir  directement  sur  la  peau,  sans 
l'intermédiaire  de  la  maladie  ;  c'est  d'elles  surtout  qu'il  doit  être  question  dans 
cet  article.  Enfin,  nous  devons  aussi  parler  de  ce  que  les  auteurs  entendent  par 
causes  pathologiques. 

PREMIÈRE  PARTIE.  Étiologie  des  dermatoses.  Les  causes  des  dermatoses 
sont  efficientes,  prédisposantes  et  déterminantes. 

Chapitre  premier.  Causes  efficientes.  Les  causes  efficientes  sont  les 
maladies  ou  les  difformités  :  les  premières  donnent  lien  aux  dermatoses  en  voie 
d'évolution,  les  secondes  aux  dermatoses  arrêtées  dans  leur  évolution. 

§  L  Maladies.  Nous  les  divisons  en  maladies  de  cause  externe  et  en  maladies 
de  cause  interne.  Nous  aurons  donc  aussi  des  dermatoses  de  cause  externe  et 
des  dermatoses  de  cause  interne. 

1°  Causes  externes  des  dermatoses  en  voie  d'évolution.  Elles  se  rapportent 
à  trois  principes  ou  maladies,  qui  sont:  a.  le  traumatisme;  —  Z>.  le  parasitisme; 
—  c.  le  pathogénétisme. 

a.   Traumatisme.    Nous  comprenons  sous  ce  titre  toutes  les  causes  d'ordre 


684  DERMATOSES. 

physique,  mécanique  ou  chimique,  agissant  directement  sur  la  peau,  soit  qu'elles 
y  produisent  une  véritable  blessure,  dans  le  sens  chirurgical  du  mot  (plaies, 
contusions,  ecchymoses,  etc.,  etc.),  soit  qu'elles  y  provoquent  le  développement 
de  formes  morbides  particulières,  en  rapport  avec  la  structure  spéciale  et  les 
propriétés  de  l'organe  tégumentaire  [éruptions  "provoquées). 

Exposée  par  sa  situation  superficielle  à  toutes  les  injures  des  corps  extérieurs, 
la  peau  peut  être  divisée,  lacérée,  meurtrie,  désorganisée  de  mille  façons  diffé- 
rentes. C'est  elle  qui  reçoit  le  premier  choc  de  tous  les  instruments  vulnérants, 
de  tous  les  animaux,  grands  ou  petits,  venimeux  ou  non  venimeux,  qui  peuvent 
attaquer  le  corps  de  l'homme.  La  chaleur,  le  froid,  exercent  sur  elle  une  action 
rapide  et  puissante,  soit  que,  frappée  directement  des  rayons  du  soleil,  elle  se 
couvre  d'érythème,  soit  que,  soumise  au  contraire  à  un  froid  excessif,  le  sang 
s'embarrasse  ou  s'arrête  dans  ses  vaisseaux,  et  y  détermine  les  phénomènes  de 
l'engelure  ou  de  la  congélation.  Dans  d'autres  cas,  l'altération  de  la  peau  résulte 
de  son  contact  plus  ou  moins  intime  et  piolongé  avec  une  source  artifi- 
cielle de  calorique,  flamme,  li(]uide  bouillant,  corps  solides  incandescents, 
et  cette  altération  varie  de  la  simple  rubéfaction  jusqu'à  l'eschare.  Il  n'est  pas 
jusqu'aux  objets  destinés  à  la  protection  de  cette  membrane  qui  ne  deviennent 
parfois  pour  elle  une  cause  d'irritation  :  tels  les  vêtements  d'une  étoffe  grossière 
et  rude,  les  jarretières  trop  serrées,  les  corsets,  les  bandages,  les  chaussures 
trop  étroites  ou  mal  faites,  etc. 

Des  produits  de  sécrétion  physiologique  ou  morbide,  déposés  à  la  surface  du 
corps,  y  provoquent  fréquemment  des  irritations  congestives  ou  inflammatoires 
plus  ou  moins  intenses  :  ainsi  le  liquide  de  la  transpiration  dans  les  parties  où. 
la  peau  s'adosse  à  elle-même  (intertrigo),  le  mucus  nasal  sur  la  lèvre  supérieure 
(sycosis  artificiel),  le  flux  leucorrhéique  sur  la  région  génito-crurale,  etc.,  etc. 
Ces  causes  offrent  évidemment  le  plus  grand  rapport  avec  celles  que  Lorry  a 
comprises  sous  la  dénomination  générique  de  sardes  [de  applicatis  externis),  et 
dont  il  plaçait  le  point  de  départ  dans  la  peau  elle-même.  Je  me  suis  expliqué, 
dans  l'historique,  sur  cette  expression  latine  qui  n'a  point,  que  je  sache,  de 
terme  équivalent  dans  notre  langue,  au  moins  dans  le  sens  exact  oii  l'entendait 
Lorry.  Cependant,  le  mot  qui  semble  s'en  rapprocher  le  plus  est  celui  de 
malpropreté.  Or,  on  sait  toute  l'importance  du  fait  que  ce  mot  représente  dans 
l'étiologie  des  affections  de  la  peau  :  la  malpropreté  est  la  cause,  soit  directe, 
soit  indirecte,  d'une  multitude  de  dermatoses,  cause  efficiente  pour  quelques- 
unes,  prédisposante  ou  occasionnelle  pour  le  plus  grand  nombre. 

Les  différentes  causes  que  je  viens  de  passer  en  revue  sont  d'ordre  purement 
mécanique,  physique  ou  chimique;  rnais  il  en  est  d'autres  dont  l'action  sur  la 
peau  offre  quoique  chose  de  tout  à  fait  spécial,  et  ne  saurait  s'expliquer  par  des 
considérations  de  mêrne  ordre.  Tel  est  le  cas  de  Vurtica  dioica,  dont  le  simple 
contact  avec  la  peau  provoque  l'éruption  si  caractéristique  que  tout  le  monde 
connaît  ;  et  je  pourrais  citer  ici  une  foule  de  substances  jouissant  de  propriétés 
analogues,  mais  avec  cette  différence  que  les  unes  agissent  plus  particulièrement 
sur  le  réseau  vasculaire  et  les  papilles,  d'autres  sur  les  follicules  sébacés, 
d'autres  sur  les  glandes  sudoripares,  d'autres  sur  les  follicules  pileux,  d'autres 
enfin  sur  les  aréoles  dermiques  :  de  là  des  érylhèmes,  des  papules,  des  vési- 
cules, des  pustules,  en  un  mot,  toutes  les  formes  de  la  dermite.  Un  certain  nombre 
de  ces  agents  ont  été  et  sont  encore  journellement  utilisés  en  médecine  comme 
révulsifs  ;  exemples  :  la  farine  de  moutarde  et  l'ortie  déjà  nommée,  la  poix  de 


DERMATOSES.  685 

Bourgogne,  le  thapsia  garganica,  l'huile  de  croton  tiglium,  la  poudre  de  can- 
tharides,  le  tartre  stibié  (pommade  d'Autenrieth),  l'huile  de  cade,  l'huile  de 
noix  d'acajou,  etc.,  etc.  D'autres  ont  été  surtout  employés  dans  un  but  expé- 
rimental; l'ipécacuanha,  les  composés  arsenicaux,  l'acide  azotique  étendu,  etc. 
F^nfin,  c'est  également  à  ce  groupe  qu'appartiennent  la  plupart  des  substances 
qui  donnent  lieu  aux  éruptions  professionnelles. 

Enfin  il  est  un  troisième  ordre  de  causes  traumatiques  qui  se  distinguent  des 
précédentes  par  leur  caractère  éminemment  spécifique,  car  elles  se  compliquent  de 
la  pénétration  dans  l'organisme  d'un  principe  morbifique  particulier,  insaisis- 
sable en  lui-même,  et  dont  la  nature  ne  nous  est  révélée  que  par  les  effets  qu'il 
détermine  :  je  veux  parler  des  venins,  virus  et  matières  septiques  ou  putrides 
(piqiàres  de  cousins,  d'abeilles,  de  guêpes,  morsure  de  vipère,  du  crotale,  etc., 
pustule  maligne,  cowpox,  affections  syphilitiques  inoculées,  etc.). 

b.  Parasitisme.  11  y  a  deux  classes  de  parasites  :  les  parasites  végétaux  et 
les  parasites  animaux. 

1"  Parmi  les  paraszfes  végétaux,  les  uns  attaquent  de  préférence  les  poils  et 
les  ongles  (teignes)  ;  d'autres  vivent  plus  volontiers  aux  dépens  de  l'épiderme 
(crasses  parasitaires)  ;  d'autres  enfin  occupent  principalement  les  surfaces 
épilhéliales  (muguet). 

Les  parasites  des  teignes  sont  au  nombre  de  trois  : 
1°  Vachorio7î  Schœnleinii,  qui  produit  la  teigne  faveuse; 
2°  Le  trichophyton  tonsurans,  qui  engendre  la  teigne  tonsurante; 
5"  Le  microsporon  Audouini,  qui  donne  lieu  à  la  teigne  pelade. 
Le  cryptogame  des  crasses  parasitaires  est  le  microsporon  fur  fur,  et  celui  du 
muguet  Voïdiu7n  albicans. 

Les  affections  cutanées  produites  par  ces  différents  parasites  ont  pour  caractère 
commun  d'être  éminemment  contagieuses. 

2"  Les  animaux  parasites  (épizoaires)  vivent  à  la  surface  de  la  peau  ou  dans 
son  intérieur. 

Parmi  les  premiers  se  trouvent  les  pediculi  et  la  puce  commiine,  et  parmi  les 
seconds  \di  puce  pénétrante  et  ïacarus  scabiei  on  sarcopte. 

Ce  n'est  point  ici  le  lieu  d'entrer  dans  des  détails  sur  ces  parasites,  non  plus 

que  sur  les  affections  cutanées  qu'ils  déterminent  {voy.  Gale,  Phthiriase,  etc.). 

c.  Pathogénétisme.     11  est  des  substances   qui,   introduites   dans  le  sang, 

possèdent  la  propriété  de  déterminer  des  éruptions  à  la  peau  :  ce  sont  les  agents 

pathogéuétiques. 

Nous  trouvons,  parmi  ces  agents,  des  substances  alimentaires,  des  médica- 
ments et  des  poisons.  Les  aliments  peuvent  être  liquides,  comme  les  boissons 
fermentées  (couperose  alcoolique),  ou  solides,  comme  les  moules,  le  homard, 
les  écrevisses,  les  crevettes,  etc.  [urticaria  ah  ingestis).  On  sait  que  la  pellagre 
n'est,  selon  toutes  probabilités,  qu'une  sorte  d'empoisonnement  chronique 
produit  par  une  altération  des  céréales,  et  plus  spécialement  du  maïs.  Comme 
médicaments  et  poisons,  nous  avons  le  cubèbe  et  le  copahu  (roséole  des  résineux), 
la  belladone  (érythème  belladone),  l'arsenic  (éruptions diverses),  les  mercuriaux 
(eczéma  hydrargyrique),  l'iodure  de  potassium  (acné  iodique),  etc.,  etc. 

2°  Causes  i.mernes  des  dermatoses  en  voie  d'évolution.     Nous  les  ratta- 
cherons toutes  à  dix  classes  de  maladies,  ce  qui  fait  dix  classes  de  dermatoses  : 
1"  Pestes.     Éruptions    pestilentielles    (pétéchies,   bubon,    anthrax,    char- 
bon, _  etc.)  ; 


686  DERMA.TOSES. 

2"  Fièvres.     Éruptions  fébriles  (sudamina,  taches  rosées,  bleues,  etc.); 

0°  Exanthèmes.  Éruptions  exanthématiques  (morbilleuse,  scarlatineuse, 
varioleuse,  etc.); 

4°  Pseudo-exanthèmes.  Éruptions  pseudo -exanthématiques  (roséole,  urti- 
caire, herpès,  zona,  pityriasis  rubra  aigu); 

5°  Phlegmasies.     Éruptions  phlegraasiques  (érysipèle,  lymphite); 

6°  Hémorrhagies.     Éruptions  hémorrhagiques  (purpura,  dermorrhagie); 

7°  Maladies  constitutionnelles.  Scrofulides,  syphilides,  arthritides,  herpé- 
tides  ; 

8°  Diathèses.     Éruptions  diathésiques  ; 

9"  Cachexies.     Éruptions  cachectiques; 

10"  Névroses.     Éruptions  névrosiques. 

Parmi  les  classes  de  maladies  qui  figurent  dans  ce  tableau,  il  en  est  une  qui 
présente  une  importance  exceptionnelle  au  point  de  vue  qui  nous  occupe,  c'est 
celle  des  maladies  constitutionnelles.  En  effet,  cette  classe  l'empoi'te  sur  toutes 
les  autres  ensemble  par  l'abondance  et  la  variété  des  formes  éruptives  qui  s'y 
rattachent.  Quatre  unités  morbides  la  constituent,  à  savoir  :  1°  la  scrofule,  qui 
donne  les  scrofulides;  2°  la  syphilis,  qui  donne  les  syphilides;  5°  l'arthritis,  qui 
donne  les  arthritides;  4°  l'herpétisme,  qui  donne  les  herpétides. 

§  II.  Difformités.  Les  difformités  sont  congénitales  ou  acquises;  elles  sont, 
comme  les  maladies,  de  cause  externe  ou  de  cause  interne. 

1°  Les  difformités  de  cause  externe  peuvent  être  le  résultat  d'une  action 
directe,  locale,  ou  de  l'introduction  d'une  substance  dans  le  système  circula- 
toire ;  l'éphélide  ignéale,  le  tatouage,  sont  dans  le  premier  cas,  et  la  teinte 
bronzée  produite  par  l'absorption  du  nitrate  d'argent  nous  offre  un  exemple  du 
deuxième, 

2'^  Les  difformités  spontanées  ou  de  cause  interne  se  distinguent, 
suivant  leur  forme,  en  maculeuses,  boutonneuses,  exfoliatrices,  ulcéreuses  et 
atrophiques. 

Il  y  a  aussi  les  cicatrices  permanentes,  lésions  consécutives  qui  peuvent  avoir 
pour  origine  première  une  cause  externe  ou  une  cause  interne. 

Chapitre  II.  Causes  prédisposantes  des  dermatoses.  Les  auteurs  ont 
généralement  étudié  sous  ce  titre  l'influence  de  l'hérédité,  de  l'âge  et  des 
révolutions  physiologiques  qu'il  amène,  de  la  constitution,  du  tempérament,  de 
l'alimentation,  des  climats,  des  saisons,  de  l'habitation,  des  professions,  etc. 

1"  Hérédité.  Les  dermatoses  n'étant  que  des  symptômes,  il  ne  saurait  être 
question  pour  elles  de  transmission  héréditaire  directe  :  ce  serait  détacher 
l'effet  de  sa  cause.  Or  la  cause,  c'est  la  maladie.  Toute  affection  cutanée  transmise 
par  hérédité  est  donc  le  signe  irrécusable  de  la  présence,  chez  le  sujet  qui  en 
est  atteint,  de  la  maladie  dont  cette  affection  est  la  traduction  sur  la  peau. 
Constater  une  syphilide  sur  un  enfant  nouveau-né,  c'est  affirmer  du  même  coup 
l'existence  d'une  syphilis  transmise,  et  le  même  raisonnement  s'applique  à 
toute  affection  que  les  antécédents  de  famille  autorisent  à  considérer  comme  le 
résultat  plus  ou  moins  éloigné  d'une  prédisposition  héréditaire. 

Mais  toutes  les  causes  efficientes  des  dermatoses  ne  sont  pas  susceptibles 
d'être  transmises  par  voie  d'hérédité.  Parmi  celles  qui  échappent  plus  ou  moins 
complètement  à  cette  influence,  il  faut  d'abord  citer  toutes  les  maladies  de 
cause  externe,  qu'elles  soient  d'origine  traumatique,  parasitaire  ou  pathogé- 
nétique. Je  n'insiste  pas  sur  des  vérités  aussi  évidentes. 


DERMATOSES.  687 

Quant  aux  maladies  de  cause  interne  à  déterminations  morbides  vers  la  peau, 
toutes  ou  presque  toutes  peuvent  être  regardées  comme  possédant  à  des  degrés 
variables  la  faculté  de  se  transmettre  par  voie  d'bérédité.  Cette  faculté  est 
surtout  remarquable  dans  les  maladies  constitutionnelles;  elle  peut  s'exercer 
directement  des  parents  aux  enfants,  ou  bien  sauter  une  génération.  Lorsque  la 
transmission  a  lieu,  il  peut  arriver  que  la  même  affection  cutanée  déjà  observée 
chez  le  père  se  reproduise  également  chez  l'enfant  :  la  dermatose  réalise  alors 
dans  sa  forme  la  plus  apparente  le  caractère  héréditaire.  11  peut  arriver  aussi 
que  le  principe  morbifique,  après  son  passage  sur  un  .'tutre  organisme,  se 
traduise  sur  la  peau  sous  une  forme  différente,  et  qu'un  père  dartreux  psoria- 
sique,  par  exemple,  se  trouve  avoir  légué  à  ses  enfants  un  eczéma  ou  un  lichen 
herpétique.  Enfin,  dans  un  troisième  cas  de  transmission,  rien  ne  paraît  du 
côté  de  la  peau,  et  c'est  sur  d'autres  systèmes  organiques  que  se  fait  sentir  et 
s'épuise  l'influence  héréditaire. 

C'est  à  une  époque  antérieure  à  la  naissance  que  remonte  nécessairement  la 
cause  des  difformités  cutanées,  sans  contredit  les  plus  nombreuses,  que  l'enfant 
apporte  en  naissant  :  or,  si  le  rôle  de  l'hérédité  ne  saurait  être  contesté  pour 
le  plus  grand  nombre  d'entre  elles,  il  en  est  d'autres  que  l'on  a  cru  pouvoir 
rapporter  à  des  influences  accidentelles,  étrangères  et  postérieures  à  l'acte  de 
la  génération,  influences  qui  auraient  agi  sur  le  fœtus  pendant  le  temps  de  la 
gestation  :  tel  serait  plus  particulièrement  le  cas  de  ces  taches  de  la  peau 
communément  désignées  sous  le  nom  d'envies  (nœvi  materni),  et  qui  ont  été 
rattachées  à  des  troubles  de  l'imagination  de  la  mère.  Mais,  quelque  légitime 
qu'elle  paraisse  en  principe,  la  distinction  établie  entre  les  états  morbides  congé- 
nitaux selon  qu'ils  procèdent  d'une  disposition  ti'ansmise  par  voie  d'hérédité, 
ou  qu'ils  se  sont  simplement  développés  chez  l'enfant  pendant  le  cours  de  la 
vie  intra-utérine  {jiialadies  cannées),  cette  distinction,  dis-je,  ne  fournit  aucune 
donnée  utile  et  véritablement  pratique  sur  l'étiologie  des  difformités  de 
la  peau. 

2"  Age.  Chaque  âge  semble  avoir  un  certain  nombre  d'affections  cutanées 
qui  lui  sont  propres,  ou  qui  du  moins  se  montrent  plus  fréquemment  pendant  sa 
durée.  Ce  fait  a  été  noté  avec  soin  par  tous  les  observateurs.  11  est  des  dermatoses 
qui  peuvent  être  congénitales  :  la  variole,  le  pemphigus,  l'ichthyose,  les  syphi- 
lides  secondaires,  nous  en  offrent  des  exemples.  D'autres  se  manifestent  surtout 
pendant  le  cours  de  la  première  enfance,  telles  sont  ;  les  gourmes  eczémateuses 
et  impétigineuses  de  la  face  et  du  cuir  chevelu.  Puis  viennent  les  éruptions  des 
exanthèmes  et  des  pseudo-exanthèmes,  variole,  rougeole,  scarlatine,  roséole 
infantile,  qui  appartiennent  plus  particulièrement  à  la  seconde  enfance.  Le 
lupus,  l'acné,  sont  des  affections  de  l'adolescence;  c'est  également  à  cette  période 
de  la  vie  que  se  montrent  de  préférence  les  premières  manifestations  de  l'herpétis 
sur  la  peau.  Le  psoriasis,  l'intertrigo,  la  couperose,  l'eczéma  nummulaire,  le 
sycosis  arthritique  et,  d'une  manière  générale,  les  arthritides  et  les  herpétides 
vulgaires,  s'observent  principalement  dans  l'âge  adulte,  tandis  que  la  vieillesse 
semble  prédisposée  surtout  aux  formes  malignes  et  essentiellement  chroni- 
ques, au  prurigo,  au  rupia,  au  pemphigus  diutinus,  à  l'herpétide  exfolia- 
trice,  etc. 

Les  révolutions  physiologiques  exercent  une  influence  évidente  et  souvent 
remarquée  sur  le  développement  de  quelques  dermatoses.  Tout  le  monde  connaît 
la  fréquence  de  l'acné  vulgaire  au  moment  de  la  puberté,  de  la  couperose  à 


688  DERMATOSES. 

l'âge  critique.  La  grossesse,  la  parturilion,  prédisposent  aussi  à  certaines 
affections  cutanées.  L'eczéma  du  mamelon,  l'intertrigo  des  seins,  le  prurigo  de 
la  vulve  chez  la  femme,  l'eczéma  des  bourses  et  le  prurigo  de  l'anus  chez 
l'homme,  surviennent  dans  des  conditions  analogues. 

11  n'est  pas  jusqu'aux  dermatoses  de  cause  externe  qui  ne  soient  jusqu'à  un 
certain  point  justiciables,  du  moins  en  apparence,  de  l'influence  des  âges.  C'est 
pendant  la  première  partie  de  la  vie,  et  en  particulier  dans  l'enfance  et  la 
jeunesse,  que  se  produisent  généralement  le  favus  et  la  teigne  tonsurante. 
L'impétigo  gramdata  produit  par  les  pédiculi  est  une  affection  du  même  âge.  Le 
sycosis  parasitaire  ne  rencontre  que  chez  l'homme  adulte  les  conditions  néces- 
saires à  son  développement.  La  pelade  elle-même,  qui  se  montre  indifféremment 
chez  l'enfant,  le  jeune  homme  et  l'adulte,  est  très-rare  dans  la  vieillesse.  Enfin, 
il  est  un  certain  ordre  de  dermatoses  que  la  nature  de  leur  cause  limite  néces- 
sairement à  une  période  déterminée  de  la  vie  humaine  :  je  veux  parler  des 
éruptions  qui  dépendent  des  professions. 

Il  existe  donc  une  relation  incontestable  entre  le  moment  où  se  montrent  un 
certain  nombre  de  dermatoses  et  l'âge  des  sujets  qui  en  sont  atteints.  Mais  quelle 
est  la  nature  de  cette  relation  ?  La  question  ne  saurait  être  douteuse  pour  les 
éruptions  de  cause  externe,  dont  l'apparition  plus  ou  moins  fréquente  à  certains 
âges  s'explique  naturellement  par  des  conditions  tout  extérieures  de  milieu, 
d'hygiène,  de  manière  de  vivre,  d'habitudes  professionnelles.  Mais  on  ne  voit  pas 
aussi  bien  pourquoi  les  dermatoses  de  cause  interne  peuvent  également  se 
trouver  assujetties,  dans  leur  développement,  à  l'ordre  de  succession  des  âges. 
Une  des  principales  raisons  de  ce  fait  me  paraît  devoir  être  recherchée,  non  pas, 
comme  on  l'a  dit,  dans  l'état  du  système  cutané,  dont  les  aptitudes  morbides 
seraient  sujettes  à  varier  aux  différents  âges  de  la  vie  (ce  qui  du  reste  n'explique 
rien),  mais  dans  la  nature  même  de  la  cause  pathologique  évoluant  au  sein  de 
l'économie.  En  effet,  cette  cause,  qu'elle  s'appelle  scrofule,  syphilis,  arthritis 
ou  herpétis,  est  soumise,  comme  le  corps  humain  qui  lui  sert  de  théâtre,  à  des 
lois  d'évolution  en  vertu  desquelles  on  voit  ses  manifestations  se  succéder  dans 
un  ordre  déterminé  et  constant  :  de  là  des  coïncidences  nombreuses  et  presque 
forcées  entre  quelques-unes  de  ces  manifestations  et  les  différents  âges  de  la  vie, 
coïncidences  favorisées  d'ailleurs,  dans  uu  grand  nombre  de  cas,  parles  troubles 
fonctionnels  suscités  dans  l'organisme,  soit  par  le  travail  de  la  dentition  chez 
l'enfani  (gourme),  soit  par  l'établissement  de  la  puberté  chez  les  jeunes  gens 
(acné),  soit  enlin  par  le  temps  critique  chez  la  femme  (couperose,  eczéma  des 
seins,  prurit  vulvaire,  etc.). 

Les  réflexions  qui  précèdent  s'appliquent  à  peu  près  exclusivement  aux 
maladies  constitutionnelles;  encore  faut-il  en  excepter  la  syphilis  acquise,  dont 
les  manifestations  ne  sauraient  présenter  aucune  corrélation  habituelle  avec  les 
âges,  puisque  son  début  peut  avoir  lieu  à  toutes  les  époques  de  la  vie.  Mais  nous 
ignorons  absolument  comment  l'âge  peut  déterminer  l'époque  d'apparition  des 
affections  diathésiques.  On  sait  seulement  que  la  plupart  de  ces  affections, 
qu'elles  soient  héréditaires  ou  acquises,  ne  se  montrent  guère  avant  vingt  ans  ; 
qu'elles  sévissent  d'ordinaire  sur  les  personnes  qui  ont  dépassé  le  terme  moyen 
de  la  vie;  que  l'âge  critique,  chez  la  femme,  semble  fournir  un  prétexte  à  leur 
développement  ;  tels  sont  :  le  cancer  de  la  peau,  l'épithélioma,  le  mycosis  du 
lymphadénome  cutané.  La  sclérodermie  et  la  chéloïde  sont  au  contraire  des 
affections  de  tous  les  âges.  Aucune  proposition  générale  ne  saurait  davantage  être 


DERMATOSES.  689 

émise  à  ce  point  de  vue  sur  les  dermatoses  cachectiques.  Enfin,  pour  ce  qui  a 
trait  aux  éruptions  qui  dépendent  des^exanthèmes,  leur  apparition  dans  la  pre- 
mière partie  de  la  vie  s'explique  par  ce  fait  que  ces  maladies,  dont  chacun 
apporte  le  germe  en  naissant,  confèrent  à  ceux  qu'elles  ont  atteints  une  immu- 
nité le  plus  souvent  définitive. 

5°  Sexe.  L'intluence  du  sexe  est  peu  marquée.  Rien  ne  prouve  suffisamment 
que  les  affections  de  la  peau  soient  plus  fréquentes  chez  les  hommes  que  chez 
les  femmes,  ou  vice  versa,  car  l'une  et  l'autre  opinion  ont  trouvé  des  partisans. 
Toutefois,  une  ré.^erve  nous  semble  devoir  être  laite  à  l'égard  des  dermatoses  de 
cause  externe,  dont  la  fréquence  relative  chez  l'homme  s'explique  par  les 
habitudes  professionnelles. 

Il  est  des  affections  où  le  sexe  joue  un  rôle  évident  :  tel  est,  chez  l'homme, 
le  sycosis  de  la  barbe,  et,  chez  la  femme,  l'eczéma  du  mamelon,  l'intertrigo  du 
sein  et  l'affection  parasitaire  désignée  sous  le  nom  de  chloasma.  11  parait  égale- 
ment démontré  par  les  stalitisques  que  les  garçons  sont  plus  sujets  que  les  filles 
au  favus  et  à  l'herpès  tonsurant,  ce  qui  tient  vraisemblablement  aux  occasions 
plus  fréquentes  de  contagion  chez  les  uns  que  chez  les  autres. 

Quant  à  la  forme  des  éruptions,  j'ai  cru  remarquer  qu'elle  était,  toutes  choses 
égales,  plutôt  sèche  chez  l'homme,  humide  et  suintante  chez  la  femme. 

4°  Tempérament.  Constitution.  Quelques  auteurs  ont  accordé  à  ces  condi- 
tions physiologiques  une  importance  tout  à  fait  exagérée.  Pour  Cazenave,  par 
exemple,  du  tempérament  à  la  maladie,  à  la  diaîhèse,  il  n'y  a  qu'une  différence 
de  degré.  «  La  prédisposition,  dit-il,  c'est  le  tempérament  exagéré,  mais  maintenu 
dans  les  limites  compatibles  avec  la  santé.  Au  delà  de  ces  limites,  c'est  la 
maladie,  plus  ou  moins  accidentelle,  plus  ou  moins  localisée.  Que  si  cette 
exagération,  au  lieu  de  produire  un  accident  morbide  passager,  a  envahi  plus 
ou  moins  les  organes  qui  sont  l'apanage  de  ce  tempérament...,  c'est  la  diathèse  ». 
Et  plus  loin  :  «  Les  vraies  diaUièses,  les  seules,  peut-être,  sont  les  diathèses  na- 
turelles, organiques.  Il  y  a  autant  de  diathèses  que  de  tempéraments  :  diathèses 
lymphatique,  nerveuse,  bilieuse,  etc.  »  [Pathologie  générale  des  maladies  de 
la  peau,  par  Alphée  Cazenave.  Paris,  1868). 

Les  idées  de  M.  Devergie  sur  la  question  se  rapprochent  à  beaucoup  d'égards 
de  celles  de  Cazenave.  Pour  lui,  certaines  formes  morbides  sont  liées  à  certains 
tempéraments,  à  certaines  constitutions,  de  telle  sorte  qu'en  employant  des 
agents  thérapeutiques  connus  pour  être  des  modificateurs  de  ces  tempéraments 
on  guérit  l'affection  cutanée  qui  n'en  est  qu'un  reflet. 

Je  ne  m'arrêterai  pas  à  combattre  ces  opinions,  aujourd'hui  à  peu  près  com- 
plètement abandonnées,  bien  qu'on  en  retrouve  cependant  la  trace  dans  les 
écrits  d'un  dermatologisle  que  ses  tendances  et  la  supériorité  de  son  jugement 
auraient  du  préserver  d'une  erreur  aussi  manifeste.  On  sait,  en  effet,  que 
M.  Hardy,  sans  aller  aussi  loin  que  les  auteurs  précités,  attribue  un  tel  rôle  au 
tempérament  dans  sa  diathèse  dartreuse,  que  cette  condition  physiologique 
devient  pour  lui  la  source  des  principales  indications  thérapeutiques. 

Est-ce  à  dire  que  je  refuse  au  tempérament  et  à  la  constitution  toute  espèce 
d'influence  sur  les  dermatoses?  Assurément  non,  mais  cette  influence  se  borne, 
soit  à  localiser  plus  spécialement  l'aflection  sur  un  des  éléments  anatomiques  de 
la  peau,  soit  à  déterminer  la  prédominance  de  telle  ou  telle  forme  morbide.  Il 
est  bien  certain,  par  exemple,  que  les  éruptions  sécrétantes,  pustuleuses  et 
vésiculeuses,  se  montrent  de  préférence  avec  le    tempérament   lymphatique, 

DICT.  ENC.  XXVII.  44 


690  DERMATOSES. 

quelles  que  soient  d'ailleurs  leur  cause  et  leur  nature;  que  le  tempérament 
sanguin  pre'dispose  aux  affections  érythémateuses  et  tuberculeuses,  le  tempe'ra- 
ment  bilieux  aux  productions  huileuses,  et  qu'enfin  les  individus  qui  présentent 
les  attributs  du  tempérament  nerveux  sont  plus  exposés  que  d'autres  aux 
éruptions  sèches  du  lichen  et  du  prurigo. 

Ces  faits  n'avaient  point  échappé  à  l'attention  de  Cazenave  et  de  M.  Devergie, 
mais,  n'apercevant  rien  au  delà  de  l'éruption  cutanée,  qui  pour  eux  constituait 
toute  la  maladie,  et  voyant  cette  éruption  se  modifier  dans  sa  forme  et  dans  son 
siège  sous  l'influence  du  tempérament,  ils  se  trouvèrent  conduits  à  considérer 
cette  condition  physiologique  comme  l'élément  fondamental,  comme  la  cause 
prédisposante  essentielle  de  toute  maladie  de  la  peau. 

5"  Alime7îtation.  Lorry  a  étudié  avec  le  plus  grand  soin  l'action  des  modi- 
ficateurs bromatologiques  dans  la  production  des  affections  de  la  peau,  et  nous 
ne  voyons  pas  que  les  auteurs  contemporains  aient  rien  ajouté  d'essentiel  aux 
quelques  pages  qu'il  nous  a  laissées  sur  ce  sujet. 

Quand  on  voit,  dit  Lorry,  chez  un  homme  qui  vient  de  manger  des  moules, 
la  peau  se  couvrir  instantanément  de  larges  papules  blanches  et  cerclées  de 
rouge,  et  devenir  le  siège  d'atroces  démangeaisons,  on  comprend  facilement 
l'inlliience  que  les  aliments  peuvent  exercer  sur  cette  membrane.  Cette  influence 
se  produirait,  selon  lui,  dans  deux  circonstances  principales  :  1"  lorsque  l'ali- 
ment {cibiis  aut  poiiis)  est  pris  avec  excès;  2°  lorsqu'il  est  doué  de  propriétés 
nuisibles. 

Rien  de  plus  commun  surtout  chez  les  jeunes  gens  (c'est  toujours  Lorry  qui 
parle)  que  de  voir,  à  la  suite  d'excès  de  table  et  de  copieuses  libations,  se 
développer  tout  à  coup  sur  le  front,  le  nez,  les  paupières,  des  élevures  rou- 
ges, et  même  de  véritables  pustules.  Ces  phénomènes  disparaissent  généra- 
lement assez  vite  par  le  retour  à  des  habitudes  meilleures,  à  moins  pourtant 
qu'ils  n'aient  éveillé  par  leur  présence  quelque  vice  jusque-là  resté  latent 
dans  l'économie.  Mais,  s'il  y  a  persistance  dans  les  mêmes  errements,  si  les 
écarts  de  régime  se  répètent  et  surtout  deviennent  habituels,  l'éruption  change 
alors  de  caractère  et  d'allure,  et  tend  à  se  perpétuer  sous  des  formes  de  plus 
en  plus  graves,  non-seulement  sur  la  fiice,  mais  encore  sur  d'autres  régions 
du  corps. 

Il  faut  avouer  que  les  excès  de  table  {ingluvies)  n'entraînent  pas  généralement 
d'aussi  graves  conséquences,  du  moins  pour  ce  qui  a  trait  aux  affections  de  la 
peau.  Mais  le  tableau  tracé  par  Lorry  ne  laisse  pas  d'être  exact  dans  ses  parties 
essentielles.  J'appellerai  particulièrement  l'attention  sur  le  passage  où  ce  judi- 
cieux observateur  nous  montre  l'influence  nuisible  exercée  par  l'aliment  deve- 
nant la  cause  occasionnelle  de  l'éveil  d'une  diathèse  :  Sed  sœpe  ab  iis  (commes  sa- 
tionibus)  latens  malum  accenditur  et  evolvitur,  sicque  cibi  acres  cedunt  in 
occasionaleni  causam. 

J'arrive  au  cas  oîi  l'aliment  agit  principalement  sur  la  peau  par  ses  pro- 
priétés nuisibles. 

Lorry  fait  d'abord  remarquer  que  certains  médicaments  exercent  sur  la  peau 
une  influence  manifestement  nuisible  :  Que  de  fois,  dit-il,  nous  trouvant  dans 
la  pénible  nécessité  d'administrer  à  des  malades  des  substances  contenant  des 
esprits  acres  ou  volatils,  n'avons-nous  pas  vu  se  produire  à  la  peau  une  multi- 
tude de  petites  élevures  prurigineuses,  au  niveau  desquelles  l'œil  armé  de  la 
loupe  distinguait  une  gouttelette  de  sérosité  presque  aussitôt  convertie  en  croûte! 


DERMATOSES.  691 

Or,  pourquoi  l'ingestion  de  certains  aliments  ne  serait-elle  pas  suivie  parfois 
d'accidents  analogues  ? 

Et  l'auteur  passe  alors  en  revue  tous  les  aliments  et  condiments,  soit  solides, 
soit  liquides,  qu'il  considère  comme  susceptibles  de  produire  des  éruptions 
cutanées.  Tels  seraient  d'abord  les  vins  trop  généreux,  riches  à  la  fois  en  alcool 
et  en  huiles  essentielles  :  et  Lorry  cite  à  l'appui  l'exemple  d'un  homme  vigou- 
reux chez  lequel  l'usage  habituel  d'un  vin  fort  avait  amené  le  développement 
de  dartres  accompagnées  de  démangeaisons  insupportables  au  visage  et  aux 
membres.  La  substilulion  d'un  vin  faible  et  mêlé  d'eau  au  vin  fort  dont  se  ser- 
vait le  malade  suffit  pour  amener  la  guérison.  Il  incrimine  pour  la  même  raison 
les  aromates  chargés  d'huiles  essentielles,  tels  que  le  poivre,  la  cannelle,  le 
gingembre,  et  autre  produits  importés  de  l'Inde,  dont  l'action  serait  encore  plus 
redoutable  et  les  effets  plus  difficiles  à  conjurer.  Certains  condiments,  d'ailleurs 
très-utiles  et  même  indispensables  à  l'homme,  deviendi'aient  nuisibles  par 
l'abus  qu'on  en  peut  faire  :  tel  serait  le  sel  commun,  dont  la  présence  en  excès 
dans  le  liquide  de  la  transpiration  suffirait  parfois,  selon  Lorry,  pour  irriter  la 
peau  et  y  provoquer  des  éruptions.  Mais  l'action  pernicieuse  de  cet  agent  se  ma- 
nifesterait surtout  lorsque,  sous  la  forme  de  saumure,  on  l'emploie  à  la  prépara- 
tion et  à  la  conservation  de  certaines  substances  alimentaires  :  résultat  que  l'au- 
teur attribue  à  une  sorte  de  combinaison  du  sel,  soit  avec  des  huiles  essentielles 
de  provenance  animale,  soit  avec  tout  autre  principe  acre  volatil.  Aussi  proscrit- 
il  l'usage  des  viandes  salées  et  fumées,  et  surtout  celui  des  poissons  conservés 
par  les  mêmes  procédés,  comme  pouvant  donner  lieu  aux  dermatoses  les  plus 
graves,  et  entre  autres  à  l'éléphantiasis  des  Grecs. 

Telles  étaient,  en  substance,  vers  la  fin  du  siècle  dernier,  les  idées  du  savant 
Lorry  sur  la  question  de  l'aliment  envisagé  dans  ses  rapports  avec  la  pathologie 
de  la  peau.  J'ai  laissé  de  côté,  bien  entendu,  nombre  de  détails,  et  surtout  les 
exrjlications  théoriques,  pour  m'en  tenir  aux  faits  principaux,  aux  divisions  fon- 
damentales. Il  me  reste  à  présenter  quelques  remarques  et  observations  critiques 
dont  le  lecteur  appréciera  l'importance. 

Dans  le  paragraphe  consacré  à  l'étude,  ou  plutôt  à  l'énumération  des  causes 
efficientes  des  dermatoses,  nous  avons  dit  que  l'ingestion  de  certains  aliments 
pouvait  être  suivie  d'une  éruption  aiguë,  pseudo-exanthématique,  disparaissant 
en  quelques  heures  ou  en  quelques  jours  sans  laisser  aucune  trace  de  son  pas- 
sage. Quelques  médicaments,  le  copahu,  le  cubèbe,  l'iodure  de  potassium,  etc., 
déterminent  assez  fréquemment  des  effets  analogues.  Dans  ces  cas,  le  rapport 
qui  relie  l'effet  à  sa  cause  est  simple,  immédiat,  facile  à  saisir,  quelle  que  soit 
d'ailleurs  la  nature  de  ce  rapport,  aucun  doute  i)ossible.  Mais  il  n'en  est  plus 
de  même  lorsqu'il  s'agit  d'apprécier  le  rôle  de  l'aliment  comme  cause  prédispo- 
sante. Le  problème  se  complique  alors  d'éléments  nombreux,  très-divers,  dont 
il  faut  tenir  compte,  et  dont  la  part  est  souvent  fort  difficile  à  préciser.  Ici, 
comme  tout  à  l'heure,  la  relation  de  causalité  n'est  rien  moins  qu'évidente, 
dans  un  grand  nombre  de  cas  ;  la  modification  imprimée  à  l'organisme  est  géné- 
ralement très-lente  à  se  produire,  et  se  traduit  par  des  phénomènes  qui  varient 
nécessairement  selon  les  individus,  les  âges,  les  tempéraments,  les  prédisposi- 
tions morbides,  les  maladies,  etc.  Or,  nous  croyons  que  Lorry,  entraîné  sans 
doute  par  ses  idées  théoriques,  n'a  point  suffisamment  établi  ces  distinctions 
nécessaires,  et  qu'il  s'est  exagéré  sur  plus  d'un  point  l'influence  morbifîque  de 
l'aliment.  La  vérité  est  qu'il  n'y  a  pas,  d'une  manière  absolue,  d'aiiments  nui- 


692  DERMATOSES. 

sibles  :  ils  ne  deviennent  lels  que  par  l'usage  exclusif,  immodéré  ou  intempestif, 
qui  en  est  fait.  Qui  voudrait  soutenir,  par  exemple,  que  le  régime  azoté,  les  vins 
généreux,  soient  de  mauvaises  choses  en  soi!  Mais  il  est  pourtant  des  cas  où 
l'usage  exclusif  ou  même  seulement  prédominant  de  ce  genre  d'alimentation 
peut  devenir  une  cause  très-efficace  d'affections  cutanées  :  c'est  ce  qui  arrive 
notamment  chez  les  individus  prédisposés  aux  manifestations  de  l'arthritis.  J'en 
dirai  autant  des  viandes  salées  et  fumées,  dont  l'action  prédisposante  sur  le 
développement  des  dermatoses  a  été  généralement  admise  par  les  auteurs  ;  mais 
encore  cette  action,  que  je  suis  tout  le  premier  à  reconnaître,  ne  se  produit-elle 
que  dans  des  conditions  déterminées.  La  première  de  ces  conditions  réside  dans 
le  sujet  lui  même,  dans  ses  prédispositions  morbides,  héréditaires  ou  acquises. 
Une  certaine  part  d'influence  doit  être  attribuée  aussi  à  des  circonstances  pure- 
ment extérieures  :  il  n'est  pas  douteux  que  le  même  régime  ne  saurait  égale- 
ment convenir  sous  tous  les  climats,  et  c'est  ainsi  que  s'explique  l'interdiction 
faite  aux  anciens  Juifs  de  l'usage  de  la  viande  de  porc,  interdiction  renouvelée 
vingt  siècles  plus  tard  par  le  fondateur  de  l'Islamisme,  qui  y  joignit  l'abstinence 
du  vin  et  des  liqueurs  fermentées. 

Il  ne  faudrait  pourtant  pas  se  méprendre  fur  la  portée  du  reproche  que  je 
viens  d'adresser  à  Lorry.  Personne,  je  le  répète,  n'a  fait  une  étude  plus  complète 
et  plus  approfondie  de  l'aliment  considéré  comme  cause  des  affections  de  la 
peau,  et  s'il  attribue  quelquefois  à  cette  ciuse  une  importance  qui  nous  semble 
exagérée,  cela  tient  uniquement  à  la  nature  de  ses  opinions  doctrinales.  Com- 
ment, en  effet,  ne  pas  accorder  à  l'aliment,  source  oij  nous  puisons  incessam- 
ment les  éléments  de  nos  tissus  et  de  nos  humeurs,  une  part  prépondérante  dans 
la  production  des  maladies,  alors  que  l'on  est  convaincu  que  toute  maladie  con- 
siste essentiellement  en  une  altération  humorale? 

6"  Climats.  Saisons.  Localités.  Lorry  a  dit,  et  la  plupart  des  dermatologistes 
ont  répété  après  lui,  que  les  maladies  de  la  peau  étaient  plus  fréquentes  et 
plus  graves  dans  les  pays  chauds  et  humides.  Mais  cette  proposition  doit-elle 
s'entendre  de  toutes  les  dermatoses  sans  exception,  ou  seulement  de  quelques- 
unes  d'entre  elles?  telle  est  la  question  qui  se  présente  naturellement  à  l'esprit. 
Or,  il  n'existe  pas,  que  je  sache,  de  faits  ou  de  documents  qui  autorisent  à  sup- 
poser que  les  affections  vulgaires  de  la  peau,  envisagées  dans  leur  généralité, 
soient  en  effet  plus  fréquentes  et  plus  intenses  sous  les  climats  du  Midi.  Ce 
qui  est  certain,  et  ce  qui  sans  doute  a  plus  particulièrement  frappé  les  auteurs, 
c'est  qu'un  certain  nombre  de  maladies  généralement  graves,  et  presque  toutes 
caractérisées  par  des  altérations  profondes  de  la  peau,  semblent  se  développer  de 
préférence,  ou  même  d'une  manière  exclusive,  dans  les  régions  qui  avoisinent 
les  tropiques  :  tel  est  d'abord  l'élépliantiasis  tuberculeux,  dont  Lorry  place  le 
berceau  sur  les  bords  du  Nil;  tel  le  frambœsia  sous  ses  trois  formes,  pian,  yaws  et 
verruga,  la  première  endémique  à  la  Jamaïque  et  à  Saint-Domingue,  la  seconde 
chez  les  nègres  de  Guinée  et  aux  Indes  Occidentales,  la  troisième  dans  les  vallées 
des  Andes  péruviennes j  tel  aussi  l'éléphantiasis  arabe,  difformité  plutôt  que 
maladie,  observé  depuis  les  temps  les  plus  reculés  en  Egypte,  en  Nubie  et  sur 
les  côtes  de  Malabar  ;  tels  encore  le  pemphigus  des  Indes  et  celui  du  Brésil, 
au  sujet  desquels  les  renseignements  nous  manquent,  le  lichen  tropicus,  affec- 
tion légère,  etc.,  etc. 

Parmi  les  élats  morbides  que  je  viens  d'énumérer  comme  appartenant  aux 
pays  chauds  figure  la  lèpre  tuberculeuse  :  or,  on  sait  que  cette  terrible  maladie 


DERMATOSES.  695 

peut  également  se  de'velopper  sous  des  latitudes  toutes  différentes  :  témoin  la 
spedalsked  de  Norvège  décrite  par  Boeck  et  Danielisen,  et  qu'il  fut  un  temps 
oii  elle  s'est  parfaitement  accommodée  de  nos  climats  tempérés. 

Quelques  dermatoses  peuvent  être  considérées  comme  endémiques  dans  cer- 
taines localités.  J'ai  déjà  cité  le  pian,  l'yavvs  et  la  verruga;  l'élépUantiasis  arabe 
a  été  appelé  jambe  des  Barbades  en  raison  de  sa  fréquence  dans  l'île  qui  porte 
ce  nom  ;  il  faut  y  joindre  le  bouton  d'Alep  endémique  en  Syrie,  la  pellagre  dans 
le  Milanais,  la  suette  en  Picardie,  la  pustule  maligne  en  Bourgogne,  la  plique 
en  Pologne,  etc.,  etc. 

Les  climats  exercent  une  influence  bien  constatée  sur  la  forme  des  manifes- 
tations cutanées  de  la  syphilis  :  la  radesyge  de  Norvège,  le  mal  de  Fiume,  de 
Scherlievo,  nous  en  offrent  des  exemples.  Un  second  fait  non  moins  solidement 
établi,  c'est  que,  dans  les  pays  dont  la  température  est  extrême,  les  syphilides 
tendent  à  revêtir  un  caractère  de  malignité  plus  ou  moins  prononcé. 

Les  saisons  agissent  surtout  en  déterminant  l'apparition  ou  en  provoquant  le 
retour  de  certaines  affections  de  la  peau.  Cette  action  se  fait  surtout  sentir  sur 
les  manifestations  cutanées  de  l'arthritis  et  de  l'herpétis.  A  chaque  retour  du 
printemps,  les  arthritides  et  les  herpétidi'S  tendent  à  se  montrer  de  nouveau, 
les  premières  revenant  ordinairement  sur  les  points  qu'elles  occupaient  d'abord, 
en  s'y  localisant,  les  secondes  envahissant  des  surfaces  déplus  en  plus  étendues. 
L'automne  agit  de  la  même  manière,  mais  avec  une  intensité  moindre. 

C'est  également  au  printemps,  en  été  et  en  automne,  que  se  développent  de 
préférence  les  fièvres  éruptives,  ainsi  que  les  pseudo-exanthèmes,  désignés  pour 
cette  raison  sous  les  noms  de  roséole  d'été,  roséole  d'automne. 

7°  Professions.  Un  assez  grand  nombre  de  professions  exposent,  comme  nous 
l'avons  dit  plus  haut,  ceux  qui  les  exercent  à  des  affections  cutanées;  ces  affec- 
tions, en  se  perpétuant  sur  la  peau  counne  une  sorte  d'habituJe  morbide,  pré- 
disposent à  leur  tour  cette  membrane  à  subir  l'influence  des  causes  morbifiques 
internes.  Ces  faits  se  présentent  journellement  à  l'observation.  Ou  voit  alors 
l'affection  de  ia  peau,  primitivement  de  cause  externe,  se  modifier  peu  à  peu, 
changer  d'aspect  et  d'allure,  et  prendre  enfin  des  caractères  en  rapport  avec  la 
nature  de  la  maladie  dont  elle  devient  la  traduction  sur  le  système  tégumenlaire. 
D'autres  professions  agissent  en  exposant  les  sujets  à  l'humidité,  aux  vicissi- 
tudes atmosphériques,  en  les  obligeant  à  vivre  dans  un  état  de  malpropreté 
habituel,  etc.  Enfin,  on  a  accusé  les  professions  sédentaires  de  prédisposer  par- 
ticulièrement aux  dartres  pustuleuses  et  squameuses,  aux  affections  pruri- 
gineuses du  siège,  des  parties  génitales. 

8°  Gesta.  Les  exercices  musculaires  violents  ont-ils  sur  la  production  des 
dermatoses  l'influence  que  leur  a  attribuée  Lorry  :  «  Si  l'on  se  livre,  dit-il,  à 
des  mouvements  exagérés,  surtout  à  l'âge  où  la  poitinne  encore  étroite  n'a  pas 
reçu  son  développement  complet,  le  retour  du  sang  par  les  poumons  ne  se  fai- 
sant qu'avec  difficulté,  la  peau  de  la  face  devient  turgescente  par  le  gonflement 
des  vaisseaux  capillaires  qui  la  parcourent,  et  comme  ces  vaisseaux  n'oflient 
qu'une  faible  résistance  à  la  rupture,  il  en  résulte  soit  des  pustules,  soit  des 
dilatations  en  forme  de  varices.  »  Bien  que  le  nom  de  la  couperose  ne  soit  pas 
prononcé  dans  ce  passage,  on  ne  saurait  douter  qu'elle  y  soit  spécialement 
désignée,  car  nous  savons  que,  pour  Lorry,  cette  affection  était  de  nature 
essentiellement  variqueuse  et  anévrysmale,  et  qu'il  attribuait  aux  causes  mé- 
caniques un  rôle  considérable  dans  son  développement.  On  peut  admettre,  en 


694  DERMATOSES. 

effet,  que  les  mouvements  musculaires  trop  répétés,  en  portant  habituellement 
le  sang  vers  la  face,  aient  pour  effet  de  favoriser  l'état  congestif  d<J  la  peau  ou 
d'augmenter  la  phlébectasie  des  capillaires,  et  qu'à  ce  titre  ils  puissent  prédis- 
poser dans  une  certaine  mesure  à  la  couperose.  Mais,  comme  je  l'ai  démontré  à 
l'article  Couperose  de  ce  Dictionnaire,  l'acné  rosée  consiste  avant  tout  en  une 
lésion  des  glandes  sébacées,  et  la  vascularisation  dont  elle  s'accompagne  ne  sur- 
vient que  plus  tard  et  comme  phénomène  consécutif.  De  plus,  et  c'est  par  là 
surtout  que  je  me  sépare  de  Lorry,  tandis  que  la  gutta  rosacea  n'est  à  ses  yeux 
qu'un  état  morbide  local,  une  maladie  naissant  dans  la  peau  elle-même,  et 
spécialement  dans  la  peau  de  la  face,  elle  constitue  pour  moi,  dans  le  plus 
grand  nombre  des  cas,  la  manifestation  cutanée  d'un  état  morbide  constitu- 
tionnel, l'arthritis  ou  la  scrofule.  Quant  à  la  couperose  alcoolique,  il  faut  avouer 
que,  par  la  nature  de  sa  cause,  elle  se  prête  assez  volontiers  à  la  théorie  méca- 
nique invoquée  par  Lorry;  mais  l'objection  tirée  du  siège  primitif  subsiste,  et 
l'influence  des  mouvements  musculaires  exagérés  ne  saurait  évidemment  reven- 
diquer qu'une  place  secondaire  dans  l'étiologie  de  cette  affection  spéciale. 

C'est  surtout  après  les  repas,  dit  Lorry,  que  les  exercices  violents  exercent 
une  fâcheuse  influence  sur  la  peau  :  ce  qu'il  explique  par  la  diffusion  alors  trop 
rapide  de  la  matière  alimentaire  non  suffisamment  élaborée  dont  les  éléments 
sont  portés  en  grand  nombre  vers  la  peau,  où  ils  se  corrompent  et  donnent  lieu 
à  des  éruptions.  Le  fait  et  l'explication  nous  paraissent  également  contestables. 

Le  repos,  au  contraire,  ou  l'absence  de  mouvement,  bien  que  nuisible  à  la 
santé  générale,  sei^ait  éminemment  favorable  aux  fonctions  de  la  peau,  que  les 
matières  acres  ne  pourraient  atteindre,  diluées  qu'elles  sont  dans  une  lymphe 
abondante  qui  leur  permet  de  traverser  sans  obstacle  les  plus  petits  vaisseaux. 
De  là,  dit  Lorry,  l'état  brillant  de  la  peau  chez  les  femmes  oisives  et  dont  la 
vie  n'est  qu'un  long  repos.  C'est  encore  là  une  assertion  que  je  laisse  sous  la 
responsabilité  du  savant  auteur  du  Tractatus  de  morhis  cutaneis  (Introd.,  p.  43, 
De  motu  et  quiète). 

9°  Percepta.  Les  passions  tristes,  les  chagrins  de  toute  espèce,  ont  été  consi- 
dérés comme  une  cause  très-efficace  d'affections  de  la  peau.  En  effet,  dit  Lorry, 
ce  que  l'on  observe  d'abord  chez  l'iiomme  en  proie  au  chagrin,  ce  sont  des  modi- 
fications du  côté  de  la  peau,  qui  perd  son  éclat,  sa  fraîcheur,  qui  devient  terne,, 
comme  flétrie,  d'une  teinte  blafarde  et  jaunâtre  ;  plus  tard  se  développent  des 
éruptions  herpétiques,  des  macules,  des  pustules.  Et  l'auteur  rappelle  à  ce 
sujet  qu'un  accès  de  colèi'e,  un  désespoir  subit,  peuvent  enrayer  tout  à  coup  le 
cours  de  la  bile  et  déterminer  un  ictère.  D'où  cette  conséquence  facile  à  prévoir, 
que  les  passions  tristes  agissent  en  entravant  la  perspiration  cutanée  et  la  sécré- 
tion biliaire. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  l'explication,  on  ne  saurait  douter  que  les  passions 
dépressives  prédisposent  à  la  longue  à  certaines  affections  de  la  peau,  notam- 
ment au  pemphigus  diutinus,  aurupia,  àl'ecthymacacheotique,  au  purpura,  aux 
éruptions  furonculaires  ;  mais  on  peut  en  dire  autant  de  toutes  les  causes  qui 
ont  pour  effet  de  débiliter  l'organisme,  telles  que  la  misère,  les  privations,  les 
veilles  trop  prolongées,  etc.,  etc. 

Chapitre  III.  Causes  déterminantes  ou  occasionnelles.  Nous  allons  étudier 
sous  ce  nom  toutes  les  causes  dont  l'action,  ordinairement  passagère,  a  pour 
effet  de  provoquer  le  développement  d'une  dermatose  à  laquelle  le  sujet  se  trou- 
vait prédisposé.  Cette  dernière  condition  est  de  toute  nécessité  :  là  où  la  prédis- 


DERMATOSES.  695 

position  manque,  la  cause  occasionnelle,  quelles  qu'en  soient  la  forme  et  l'in- 
tensité, ne  produit  que  la  modification,  transitoire  comme  elle-même,  qui  eu 
est  l'effet  immédiat  et  ordinaire. 

Les  causes  occasionnelles  des  dermatoses  pourraient  être  multipliées  presque 
à  l'infini;  il  n'est  point  de  sujet  dont  les  limites  soient  plus  vagues,  et  qui 
glisse  plus  facilement  dans  la  banalité.  De  plus,  comme  la  plupart  de  ces  causes 
sont  communes  à  un  certain  nombre  de  dermatoses,  on  se  trouverait  ainsi  conduit 
à  passer  en  revue  presque  toute  la  pathologie  de  la  peau.  Telle  n'est  point  assu- 
rément notre  intention,  et,  pour  éviter  ce  double  écueil,  nous  nous  arrêterons 
seulement  à  celles  de  ces  causes  qui  nous  paraîtront  présenter  un  intérêt  spécial 
et  bien  déterminé  :  or,  le  nombre  en  est  peu  considérable. 

Les  causes  occasionnelles  des  dermatoses  sont  extérieures  à  l'individu,  ou 
dépendent  au  contraire  d'un  état  accidentel  de  l'organisme,  émotion  morale, 
troubles  fonctionnels,  états  pathologiques,  etc. 

1°  Applicata.  Toute  modification  locale  imprimée  à  la  peau  peut  devenir 
le  point  de  départ  d'une  dermatose  constitutionnelle.  Rien  de  plus  commun  que 
de  voir  ce  fait  se  produire  à  la  suite  de  l'application  d'un  vésicatoire,  d'un 
cautère,  d'un  sinapisme,  d'un  topique  irritant  quelconque,  huile  de  croton, 
tartre  stibié,  etc.;  nous  pourrions  citer  ici  tous  les  agents  de  la  médication 
révulsive.  Une  plaie ,  un  simple  traumatisme  est  parfois  suivi  du  même 
résultat.  Les  éruptions  professionnelles  et  parasitaires  ont  également  pour  effet 
d'éveiller  sur  la  peau  les  prédispositions  morbides  ;  m;iis  cette  proposition  est 
vraie  surtout  à  l'égard  des  aifections  parasitaires,  dont  les  complications  les 
plus  habituelles  sont  des  éruptions  de  cause  interne  :  éruptions  scrofuleuses 
dans  le  favus,  arthritiques  dans  la  mentagre,  herpétiques  dans  la  gale,  etc.  La 
syphilis  elle-même  est  soumise,  comme  les  autres  maladies,  à  l'influence  des 
causes  artificielles,  et  tout  le  monde  sait  qu'il  suffit  parfois  d'un  bain  de  vapeur, 
d'un  bain  sulfureux,  pour  déterminer  aussitôt  l'apparition  d'une  syphilide  sur 
la  surface  tégumentaire. 

Parmi  les  agents  employés  en  frictions  sur  la  peau  dans  un  but  thérapeutique, 
il  en  est  dont  l'action  s'étend  parfois  sur  des  parties  du  corps  plus  ou  moins 
éloignées  du  lieu  d'application  :  ces  éruptions,  dites  secondaires  ou  à  distance, 
ne  seront  pas  confondues  avec  des  dermatoses  constitutionnelles;  produites  par 
le  transport  mécanique  de  la  substance  médicamenteuse,  elles  ne  diffèrent  en 
aucune  façon  de  la  lésion  développée  au  point  où  cette  substance  a  été  directe- 
ment appliquée,  et  ne  tardent  pas  à  s'éteindre  et  à  disparaître  avec  la  cause  qui 
les  a  fait  naître. 

2°  Circwnfusa.  Les  influences  atmosphériques,  le  froid,  le  chaud,  ont  une 
action  très-remarquable  sur  le  développement  de  certaines  dermatoses.  Une 
température  très-élevée,  l'exposition  à  un  foyer  de  chaleur  artificielle,  peuvent 
produire  immédiatement  une  éruption  cutanée  chez  un  sujet  prédisposé.  Le 
refroidissement  est  une  cause  occasionnelle  fréquemment  observée  dans  les  ma- 
nifestations de  l'arthritis.  Enfin,  l'apparition  des  syphilides  semble  favorisée  par 
les  extrêmes  de  température,  et  plus  spécialement  encore,  si  j'en  crois  mon 
expérience,  par  le  passage  brusque  du  chaud  au  froid. 

5"  Ingesta.  Cette  question  a  été  traitée  dans  tous  ses  détails  à  propos  des 
causes  prédisposantes,  mais  je  devrais  revenir  ici  sur  les  ingesta  pour  les  envi- 
sager à  cet  autre  point  de  vue  :  comme  causes  occasionnelles.  Peu  de  mots  du 
reste  y  suffiront. 


696  DERMATOSES. 

Si  les  excès  de  table  ont  quelquefois  pour  effet  de  produire  à  la  longue  des 
éruptions  à  la  peau,  on  comprend  que  la  même  cause,  agissant  sur  un  sujet 
prédisposé,  puisse  avoir  pour  conséquence  immédiate  l'apparition  d'une  der- 
matose constitutionnelle.  Ce  fait  est  surtout  fréquent  dans  l'herpétis,  mais  on 
l'observe  également  dans  l'arthritis,  et  tel  qui  s'était  levé  le  matin  sans  une 
tache  à  la  peau  s'est  trouvé  le  soir  ou  le  lendemain  couvert  de  macules,  de 
papules,  de  vésicules  ou  de  pustules. 

Les  éruptions  pathogénéliques  (moules,  copahu,  cubèbe,  etc.)  peuvent  éga- 
lement servir  de  prétexte  au  développement  d'une  éruption  de  cause  interne; 
ou  bien,  comme  le  fait  remarquer  Lorry,  si  la  peau  était  antérieurement  ma- 
lade, leur  action  consiste  à  exaspérer  la  dermatose  préexistante,  à  augmenter  le 
prurit  dans  des  proportions  terribles,  etc. 

4,0  Percepta.  Nous  avons  dit  ce  que  peuvent  les  passions  tristes,  les  chagrins 
prolongés,  comme  causes  prédisposantes  de  certaines  affections  de  la  peau;  c'est 
surtout  comme  causes  occasionnelles  qu'agissent  les  passions  vives,  le>  impres- 
sions morales  subites,  les  mouvements  violents  de  l'àme,  les  contrariétés,  le 
dépit,  le  chagrin,  la  colère.  Parmi  les  maladies  que  ce  genre  d'influence  atteint 
plus  particulièrement,  il  faut  citer  en  première  ligne  l'herpétis  :  c'est  là  un  fait 
démontré  par  l'observation  de  chaque  jour.  Les  éruptions  qui  se  produisent 
dans  ces  circonstances  affectent  le  plus  souvent  la  forme  aiguë  et  généralisée 
des  pseudo- exanthèmes  :  roséole,  urticaire,  eczéma  rubrum,  pityriasis  rubra 
aigu,  etc. 

5°  Contagion.  Un  certain  nombre  de  dermatoses  sont  susceptibles  de  se 
transmettre  par  voie  de  contagion.  Cette  cii-constance,  malgré  son  importance 
capitale  et  le  caractère  spécifique  qui  la  distingue,  n'est  après  tout  qu'une  cause 
déterminante  d'un  genre  particulier,  et  dont  l'aclion  reste  entièrement  subor- 
donnée, comme  celle  de  toutes  les  causes  du  même  ordre,  à  l'état  de  prédisposition 
ou  d'immunité  qu'elle  rencontre  chez  le  sujet  contaminé.  En  effet,  la  transmission 
contagieuse  ne  présente  rien  de  fatal,  d'obligé,  dans  la  grande  majorité  des  cas; 
il  peut  arriver  qu'elle  n'ait  pas  lieu,  bien  que  toutes  les  conditions  extérieures 
qui  la  produisent  habituellement  se  soient  trouvées  réunies,  et  l'on  dit  alors 
que  le  sujet  n'est  pas  apte  à  contracter  la  maladie,  qu'il  possède  l'immunité. 
C'est  ainsi  que  l'on  voit  des  enfants  sur  lesquels  on  tente  vainement,  à  plusieurs 
reprises,  l'inoculation  du  vaccin,  sans  qu'il  soit  possible  d'attribuer  ces  insuccès 
réitérés  soit  à  la  qualité  du  virus,  soit  au  défaut  (!e  la  méthode.  C'est  par  le 
même  fait  d'immunité  naturelle  ou  acquise,  temporaire  ou  définitive,  que  l'on 
s'explique  comment,  parmi  un  certain  nombre  de  personnes  également  soumises 
à  une  même  influence  contagieuse,  les  unes  résistent  complètement  à  cette 
influence,  tandis  que  les  autres  y  succombent.  11  semble  même  qu'il  y  ait  en 
quelque  sorte  des  degrés  dans  cette  immunité,  ou  du  moins  chez  ceux  qui  en 
sont  dépourvus  dans  l'aptitude  à  ressentir  l'impression  morbifique  de  tel  ou  tel 
agent  contagieux  :  de  là  les  différences  si  considérables  que  présente  le  plus 
souvent,  selon  les  sujets,  une  même  maladie  transmise,  fût-elle  puisée  à  la  même 
source,  différences  qui  portent  quelquefois  sur  ses  caractères  les  plus  essentiels, 
et  plus  parliculièrement  sur  sa  forme  et  sur  son  intensité.  Ainsi,  c'est  bien  le 
même  virus  qui  déterminera  dans  un  cas  une  petite  vérole  discrète  et  bénigne, 
et  dans  un  autre  une  variole  confluente  et  grave,  comme  c'est  aussi  le  même  virus 
qui  fera  naître  chez  celui-ci  une  syphilis  légère,  effleurant  à  peine  l'organisme 
de  quelques  manifestations  cutanées  et  muqueuses  sans   importance,  et  chez 


DERMATOSES.  697 

celui-là  une  syphilis  maligne,  à  marche  rapide,  et  qui,  après  avoir  couvert  l'un 
et  l'autre  tégument  de  pustules,  de  tubercules  et  d'ulcères,  ira  porter  la  désor- 
ganisation dans  les  organes  les  plus  nécessaires  à  la  vie.  Or,  qui  ne  voit  que  les 
mêmes  réflexions  pourraient  être  faites  à  l'égard  de  la  rougeole,  de  la  scarlatine, 
de  la  fièvre  typhoïde,  et  je  pourrais  dire  de  presque  toutes  les  maladies  conta- 
gieuses, sans  en  excepter  les  maladies  parasitaires,  telles  que  la  gale,  la  phthi- 
riase  et  les  teignes?  11  faut  donc  avouer,  et  c'est  là  que  je  voulais  en  venir,  que 
la  contagion  n'est  pas  tout,  que  tout  ne  consiste  pas  dans  le  fait  de  son  transport 
mécaniiiue  d'un  individu  sur  uu  autre,  qu'il  y  a  autre  chose  encore,  une  cause 
interne,  un  état  particulier  de  l'organisme,  la  prédisposition,  en  un  mot. 

Le  nombre  des  dermatoses  contagieuses  n'est  pas  très-considérable,  mais 
encore  est-il  bon  d'en  faire  le  compte  exact,  s'il  est  possible,  et  la  chose  n'est 
pas  aussi  simple  qu'il  semblerait  tout  d'abord. 

Un  fait  bien  remarquable,  et  du  reste  depuis  longtemps  signalé,  c'est  l'exis- 
tence à  peu  près  constante  de  lésions  tégumeutaires  dans  les  maladies  contagieuses, 
quelles  qu'en  soient  la  forme  et  la  nature.  Cette  règle  souffre  pourtant  quelques 
exceptions  sérieuses,  parmi  lesquelles  il  faut  citer  la  rage,  encore  que  l'on  ait 
constaté  comme  un  de  ses  caractères  anatomo-pathologiques  les  plus  habituels 
une  rougeur  inflammatoire  du  pharynx,  de  la  trachée  et  des  bronches;  mais 
rien  ne  prouve  que  ces  lésions  ne  soient  pas  consécutives.  La  dysenterie,  la 
coqueluche,  le  choléra  (en  admettant  leurs  propriétés  contagieuses),  seraient  dans 
le  même  cas,  à  moins  que,  prenant  le  mot  tégument  dans  son  acception  la  plus 
large,  on  ne  fît  entrer  en  ligne  de  compte  les  altérations  des  muqueuses  viscérales. 
Quant  aux  névroses  susceptibles  de  se  propager  par  voie  d'imitation,  je  ne  saurais 
voir  dans  la  qualification  de  contagieuses  qui  leur  a  été  donnée  ipi'uiie  expres- 
sion figurée  répondant  à  une  analogie  bien  plus  apparente  que  réelle,  et  je  me 
demande,  par  exemple,  ce  qu'il  peut  y  avoir  de  commun  entre  le  mode  de 
transmission  de  la  gale  et  l'influence  toute  morale  qui  fait  éclater  chez  une 
personne  prédisposée  une  crise  d'hystérie  ou  d'épilepsie.  Evidemment,  ce  sont 
là  deux  faits  absolument  distincts,  mais  que  tend  à  confondre  dans  l'esprit  des 
pathologistes  l'emploi  d'une  commune  dénomination. 

Mais  ce  n'est  point  ici  le  lieu  de  nous  engager  dans  une  étude  approfondie  des 
maladies  contagieuses  en  général,  (jucls  que  soient  d'ailleurs  les  rapports  intimes 
qui  les  unissent  à  la  pathologie  de  la  peau.  C'est  à  ce  dernier  point  de  vue 
seulement  qu'il  nous  importe  de  les  considérer  dans  cet  article. 

Une  première  distinction  à  établir  est  la  suivante  :  les  dermatoses  d'origine 
contagieuse  sont  de  cause  interne  ou  de  cause  externe. 

1''  Les  dermatoses  qui  procèdent  de  maladies  contagieuses  de  cause  interne 
sont  : 

a.  Les  éruptions  symptomatiques  des  pestes,  du  charbon  malin,  de  la  suette 
miliaire  épidémique  ; 

b.  Les  éruptions  symptomatiques  de  la  fièvre  typhoïde,  du  typhus  ; 

c.  Les  éruptions  symptomatiques  des  exanthèmes,  rougeole,  scarlatine,  variole, 
varioloïde,  varicelle  ; 

d.  Les  manifestations  cutanées  et  muqueuses  de  la  syphilis; 

e.  Les  éruptions  cutanées  et  muqueuses  des  diathèses  raorve'&se,  farcineuse, 
diphthéritique,  et  peut-être  aussi  de  la  diathèse  gangreneuse. 

La  transmission  de  ces  maladies  peut  avoir  lieu  :  par  inoculation,  c'est-à-dire 
par  l'introduction  directe  dans  les  voies  de  la  circulation  d'un  principe  que  l'on 


698  DERMATOSES. 

peut  saisir  sur  la  dermatose  elle-même  à  une  certaine  période  de  son  évolution  ; 
2°  par  contact  immédiat;  5°  par  contact  médiat;  4"  par  contagion  miasmatique, 
c'est-à-dire  par  l'intermédiaire  de  miasmes  infecto-contagieux,  poussières  ani- 
males, émanations  putrides,  etc. 

La  syphilis,  la  vaccine,  et  j'ajouterai  la  pustule  maligne,  bien  qu'elle  soit  de 
cause  externe,  ne  se  propagent  qu'à  la  faveur  d'une  solution  de  continuité 
préalable,  ou  en  d'autres  termes  par  inoculation.  Je  laisse  de  côté,  bien  entendu, 
les  cas  de  syphilis  héréditaire,  qui  n'ont  rien  à  voir  avec  la  question  de  la 
contagion. 

La  fièvre  typhoïde,  le  typhus,  la  suette  épidémique,  la  diathèse  gangreneuse, 
la  rougeole,  la  scarlatine,  la  varicelle,  se  transmettent  principalement  par  l'inter- 
médiaire de  miasmes  infectieux  transportés  par  l'air  et  absorbés  par  la  muqueuse 
des  voies  respiratoires.  La  contagion  par  contact  immédiat  et  même  médiat  a  été 
également  admise  pour  la  plupart  de  ces  maladies.  C'est  p;ir  ces  deux  derniers 
modes  que  se  communiquent  probablement  les  maladies  exotiques  connues  sous 
les  noms  de  pian,  yaws  et  verruga. 

La  variole  est  contagieuse  par  tous  les  modes  à  la  fois.  Il  en  est  peut-être  de 
même  du  charbon  malin,  des  pestes  à  bubons,  des  diathèses  morveuse,  farcineuse 
et  diphlhéritique. 

Comme  on  le  voit,  les  maladies  constitutionnelles  ne  sont  représentées  dans 
rénumération  précédente  que  par  la  syphilis,  qui  possède  en  effet  deux  manifes- 
tations directement  et  immédiatement  contagieuses,  le  chancre  initial  et  la  plaque 
muqueuse.  Toutefois  ce  caractère  a  été  également  attribué  à  deux  affections  de 
nature  scrofuleuse,  l'acné  varioliforme  désignée  primitivement  par  Bateman  sous 
le  nom  de  molluscum  contagiosum,  et  la  scrofulide  bénigne  impétigineuse. 
Assurément,  nous  ne  croyons  guère  aux  propriétés  contagieuses  de  l'acné  vario- 
liforme, ni  au  rôle  que  l'on  a  fait  jouer  pour  la  circonstance  à  Vacarus  folUcu- 
lorum,  mais  nous  ne  croyons  pas  du  tout  à  celles  de  l'impétigo  scrofuleux,  qui 
pourrait  se  gagner  «  de  bouche  à  bouche,  et  notamment  d'enfant  à  enfant,  ou 
d'enfant  à  adulte  »,  malgré  les  faits  les  plus  authentiques  que  M.  Devergie déclare 
posséder  à  cet  égard.  C'est  du  reste  un  point  qui  ne  fait  question  pour  personne 
aujourd'hui. 

2'^  A  part  quelques  exceptions  rares,  parmi  lesquelles  il  faut  citer  la  pustule 
maligne,  la  classe  des  dermatoses  contagieuses  de  cause  externe  appartient  presque 
tout  entière  au  parasitisme.  Ces  dermatoses  ont  pour  caractère  essentiel  de  se 
propager  par  la  transmission  d'un  organisme  parasitaire,  animal  ou  végétal. 

Les  dermatoses  produites  par  des  parasites  animaux  sont,  comme  nous  l'avons 
dit,  la  gale  et  la  phthiriase. 

Les  parasites  végétaux,  selon  leur  siège  anatomique,  donnent  lieu  :  aux  teignes, 
qui  sont  au  nombre  de  trois  ;  aux  crasses,  qui  sont  au  nombre  de  deux.  11  faut 
y  joindre  le  muguet,  affection  des  surfaces  épithéliales. 

La  contagion  de  ces  dermatoses  peut  s'opérer  de  quatre  manières  différentes  : 

i°  Par  l'air;  2°  par  le  contact  immédiat;  5°  par  le  contact  médiat;  A°  par  ino- 
culation. 

De  ces  quatre  modes  de  contagion,  deux  seulement  appartiennent  aux  parasites 
animaux  :  c'est  le  contact  médiat  et  le  contact  immédiat.  Les  parasites  végétaux 
peuvent  se  transmettre  des  quatre  manières  [voy.  Gale,  Favus,  Mentagre). 

Chapitre  IV.  Cadses  pathologiques.  Les  seules  causes  pathologiques  que 
nous  admettions  pour  les  dermatoses  sont  les  maladies  que  ces  affections  traduisent 


DERMATOSES.  699 

sur  la  peau.  Nous  les  avons  énuméi'ées  toutes  dans  le  chapitre  des  causes  effi- 
cientes. Mais  ce  n'est  point  ainsi  que  les  auteurs  l'ont  généralement  entendu, 
et  il  n'est  guère  de  maladie,  ou  plutôt  de  lésion  d'organe,  de  trouble  de  fonction, 
qui  n'ait  été  considéré  comme  pouvant  donner  lieu  à  des  éruptions  cutanées. 
On  s'en  est  pris  tour  à  tour  aux  '  affections  de  l'estomac  et  de  l'intestin,  à 
celles  du  foie,  de  la  rate  et  du  rein,  aux  affections  de  l'appareil  respiratoire  et 
des  organes  génito-urinaires,  aux  altérations  du  sang,  de  la  bile,  de  la  lymphe 
et  du  chyle,  etc.  Enfin,  en  ce  moment  même,  nous  voyons  s'élever  une  théorie 
qui  ne  tendrait  à  rien  moins  qu'à  subordonner  la  pathologie  cutaaée  tout  en- 
tière aux  affections  du  système  nerveux. 

Qu'y  a-t-il  de  vrai  au  fond  de  ces  idées  étiologiques?  C'est  ce  qu'il  importe 
d'examiner. 

C'est  un  fait  depuis  longtemps  connu  et  signalé  que  celui  de  la  coexistence 
fréquente  de  certaines  dermatoses  avec  des  affections  de  l'estomac  et  de  l'intestin. 
Rien  de  plus  commun  que  de  voir  la  couperose,  l'urticaire  chronique  ou  cnidosis, 
le  sycosis,  l'hydroa,  etc.,  se  rencontrer  avec  la  dyspepsie  ou  la  gastralgie,  et  je 
n'apprendrai  rien  au  lecteur  en  ajoutant  que  certaines  formes  localisées  et 
circonscrites  de  l'eczéma,  du  lichen,  de  l'herpès,  du  psoriasis,  se  trouvent 
exactement  dans  le  même  cas.  Voilà  ce  que  montre  l'observation.  Mais  ce  fait, 
comment  l'expliquer?  Quelle  est  la  nature  du  raj)port  qu'il  implique?  Les  auteurs 
nous  répondent  que  l'état  morbide  de  la  peau  n'est  en  pareil  cas  que  le  reflet 
sympathique  de  l'état  de  souffrance  du  tube  gastro-intestinal.  Pour  eux,  c'est  la 
dyspepsie  qui  produit  la  coupeiose,  l'urticaire,  le  sycosis,  l'hydroa,  l'eczéma 
anal,  etc.  Quant  aux  i-aisons  sur  lesquelles  se  fonde  cette  manière  de  voir,  elles 
peuvent  toutes  être  résumées  dans  cette  formule  dont  on  a  tant  abusé  :  Post 
hoc,  ergo  propter  hoc.  Sans  entrer  ici  dans  une  discussion  qui  reviendz'a  plus 
loin,  à  propos  des  rapports  des  affections  de  la  peau  avec  celles  des  autres 
systèmes,  nous  ferons  seulement  remarquer  :  1"  que  les  dermatoses  en  question 
(couperose,  urticaire,  sycosis,  etc.)  peuvent  exister  sans  que  rien  se  produise 
du  côté  de  l'estomac,  comme  il  arrive  avec  la  couperose  scrofuleuse,  qui  serait 
alors  dans  l'hypothèse  un  effet  sans  cause  ;  2"  que  l'affection  de  la  peau,  lorsqu'elle 
est  accompagnée  de  troubles  gastriques,  peut  avoir  précédé  ces  troubles,  et  qu'on 
serait  alors  parfaitement  en  droit  de  soutenir,  en  renversant  les  rôles,  que  l'affec- 
tion de  l'estomac  n'est  à  son  tour  qu'une  conséquence,  un  reflet  de  la  lésion 
cutanée.  Or,  toutes  ces  difficultés,  toutes  ces  contradictions  disparaissent  lorsque, 
envisageant  la  question  à  notre  point  de  vue  doctrinal,  on  s'élève  à  la  conception 
de  l'unité  morbide,  source  commune  de  ces  manifestations. 

Sous  le  règne  des  théories  humorales,  les  affections  du  foie  ont  été  regardées 
comme  en  possession  d'engendrer  presque  toutes  les  dermatoses,  et  sans  remonter 
bien  haut,  Pujol,  au  commencement  de  ce  siècle,  ne  craignait  pas  d'avancer 
que  toute  maladie  de  la  peau  née  sans  cause  manifeste  chez  un  individu  bilieux 
dépendait  d'une  altération  de  la  bile.  Le  docteur  Retz,  dans  une  brochure 
datée  de  1785,  était  allé  plus  loin  encore;  mais  ici  il  faut  citer  :  «  Les  rapports, 
dit-il,  qui  existent  entre  les  maladies  de  la  peau  et  l'état  du  foie,  sont  universels  ; 
il  n'y  en  a  peut-être  pas  une,  parmi  celles  qui  proviennent  de  cause  interne,  dont 
on  ne  trouve  la  cause,  lorsqu'on  la  cherchera  avec  soin,  dans  la  constitution  du 
foie  et  dans  la  nature  des  humeurs  qui  affluent  à  ce  viscère  »  [Des  maladies  de 
la  peau,  de  leurs  causes,  elc,  par  M.  Retz,  1785.  Avant-propos,  p.  IX).  On  reste 
véritablement  confondu  en  pi'ésence  de  semblables  affirmations  quand  on  songe 


700  DERMATOSES. 

que  les  altérations  du  foie  et  de  la  bile  n'ont  en  réalité  qu'une  influence  fort 
contestable  sur  le  développement  des  dermatoses.  Un  assez  grand  nombre  d'af- 
fections de  la  peau  peuvent,  il  est  vrai,  se  rencontrer  et  se  rencontrent  assez 
fréquemment  avec  des  affections  de  l'organe  sécréteur  de  la  bile,  mais  aucune 
relation  de  causalité  ne  saurait  être  établie  entre  les  unes  et  les  autres.  Que  la 
couperose,  que  l'urticaire  ou  le  sycosis,  coexistent  avec  l'engorgement  simple  ou 
la  congestion  partielle  du  foie,  nous  ne  voyons  là  qu'un  rapport  de  nature  de 
commune  origine  :  ce  sont  des  effets  simultanés  ou  successifs  d'une  même  cause 
morbifique,  l'artbritis.  Il  en  est  de  même  du  pemphigus  cacbectique  envisagé 
dans  ses  rapports  avec  la  stéatose  du  foie  :  nous  remontons  aussitôt  à  l'influence 
diatbésique  qui  les  domine.  Dans  d'autres  circonstances,  il  s'agit  d'un  simple 
rapport  de  coïncidence  :  tel  e^t  le  cas  de  ces  plaques  jaunes  des  paupières  dési- 
gne'es  récemment  sous  le  nom  de  vitiligoidea,  et  àoni  on  a  voulu  expliquer  la  for- 
mation par  l'action  de  la  bile  sur  la  peau.  La  seule  affection  cutanée  çfui  semble 
se  rattacher  à  certains  états  morbides  du  foie  par  un  véritable  rapport  de  cause  à 
effet  est  le  prurigo  ictérique  ;  mais  encore  faut-il  remarquer  que  ce  rapport  n'est 
que  médiat,  indirect,  car  papales  et  prurit  sont  dus,  dans  ce  cas,  non  point  à 
la  modification  morbide  produite  dans  l'organe  hépatique,  mais  seulement  et 
exclusivement  au  contact  des  éléments  plus  ou  moins  altérés  de  la  bile  sur  les 
nerfs  de  la  peau  :  aussi  le  prurigo  ictérique  n'est-il  pour  nous  qu'une  dermatose 
de  cause  externe. 

Les  considérations  que  nous  venons  de  présenter  à  propos  des  affections  de 
l'estomac  et  du  foie  considérées  dans  leurs  rapports  avec  les  dermatoses  s'appli- 
quent de  point  en  point  aux  affections  des  autres  organes  et  systèmes  de  l'économie. 
Nous  aurons  du  reste  l'occasion  de  revenir,  dans  une  autre  partie  de  ce  travail, 
sur  les  relations  morbides  qui  existent  entre  la  peau  et  les  différents  systèmes 
organiques,  et  il  nous  sera  facile  de  démontrer  par  le  détail  que  les  relations 
sont  totalement  dépourvues  du  caractère  de  causalité  que  nous  recherchons  en 
ce  moment.  C'est  alors  que  nous  apprécierons  avec  tous  les  développements 
nécessaires  le  rôle  qu'il  convient  d'attribuer  aux  lésions  du  système  nerveux  dans 
la  production  des  dermatoses. 

Quant  aux  altérations  des  liquides,  on  sait  toute  l'importance  qui  leur  a  été 
accordée  dans  la  pathogénie  des  affections  de  la  peau  par  les  médecins  de  l'école 
galénique,  et  notre  dessein  ne  saurait  être  ici  de  passer  en  revue,  pour  les 
discuter  sérieusement,  toutes  les  rêveries  théoriques  que  cette  doctrine  a  succes- 
sivement enfantées.  Pour  en  avoir  une  idée,  il  suffira  de  relire  dans  nos  consi- 
dérations historiques  le  résumé  succinct  que  nous  avons  donné  des  opinions  de 
Lorry  sur  le  sujet,  ou  mieux  encore,  dans  le  Tractatus  de  morbis  cutaneis,  les 
quelques  pages  que  cet  éminent  esprit  a  consacrées  à  l'exfiosition  des  causes  des 
affections  de  la  peau.  Certes,  personne  ne  croit  plus  aujourd'hui  aux  àcretés  de 
la  bile,  du  mucus,  de  la  lymphe  ou  du  sang,  et  il  ne  reste  rien  ou  presque  rien 
de  tout  l'échafaudage  étiologique  construit  sur  ces  hypothèses  ;  mais  de  nouvelles 
altérations  humorales,  mieux  définies  celle  fois  et  démontrées,  la  balance  en  main, 
par  la  chimie  moderne,  sont  venues  se  substituer  aux  anciennes,  et  alors  s'est 
posée  la  question  de  savoir  si  ces  altérations  ne  seraient  pas,  dans  certains  cas, 
le  point  de  départ  d'affections  cutanées.  Tel  est  le  rôle  que  l'on  a  tenté  de  faire 
jouer  au  sang  altéré  par  un  excès  d'acide  urique  ou  par  la  présence  de  la  glycose 
dans  le  diabète.  Mais  il  est  trop  évident  que  ces  prétendues  causes  ne  sont 
elles-mêmes  que  des  effets  au  même  titre  que  les  éruptions  qui  parfois  les 


DERMATOSES.  701 

accompagnent,  et  le  plus  souvent  se  produisent  indépendamment  de  toute  alté- 
ration appréciable  du  liquide  sanguin.  On  sait  en  effet  que  la  diathèse  urique  et  le 
diabète,  bien  que  n'appartenant  pas  directement  à  la  symptomatologie  de  Tarthritis, 
se  montrent  assez  fréquemment  pendant  son  cours,  et  c'est  ainsi  que  s'explique 
leur  coexistence  avec  certaines  manifestations  cutanées  de  cette  maladie  constitu- 
tionnelle. 

En  résumé,  toute  cette  étiolngie,  dont  la  trace  se  retrouve  encore  dans  un 
certain  nombre  d'ouvrages  contemporains,  ne  soutient  pas  un  seul  instant  l'examen. 
Elle  repose  sur  une  perpétuelle  confusion  des  rapports  qui  relient  les  affections 
de  la  peau  à  celle  des  autres  systèmes,  et  sur  l'ignorance  absolue  des  véritables 
causes  morbifiques  qui  président  au  développement  des  unes  et  des  autres.  Nous 
rejetons  donc  les  causes  dites  pathologiques  :  1°  parce  qu'il  n'existe  pas  de  der- 
matose qui  puisse  leur  être  légitimement  attribuée;  2"  parce  qu'elles  ne  sont 
elles-mêmes  que  des  effets,  des  symptômes  appartenant  le  plus  oi'dinairement 
au  même  cycle  morbide  que  l'affection  cutanée  concomitante  ;  3°  parce  qu'enfin 
nous  ne  connaissons  pas  de  dermatose  qui  ne  puisse  être  revendiquée  par  l'une 
des  causes,  soit  externes,  soit  internes,  que  nous  avons  énumérées  plus  haut  sous 
le  titre  de  causes  efficientes. 

Est-ce  à  dire  pourtant  que  toute  influence  pathologique  soit  par  nous  supprimée 
de  Téliologie  des  dermatoses?  Telle  n'est  pas  notre  pensée.  Mais  nous  soutenons 
que  cette  sorte  d'influence  n'est  jamais  que  secondaire,  accessoire,  et  dans  tous 
les  cas  insuffisante  pour  nous  donner  la  raison  d'être  d'une  affection  cutanée 
quelconque.  C'est  ainsi  que  les  affections  parasitaires,  que  certaines  maladies 
spontanées  à  déterminations  morbides  vers  le  système  tégumentaire,  comme  les 
fièvres  éruptives,  peuvent  jouer  le  l'ôle  de  causes  occasionnelles  dans  la  productiori 
des  dermatoses  constitutionnelles,  mais  la  connaissance  de  ce  fait  ne  dispense 
en  aucune  façon  de  remonter  à  la  véritable  source  des  phénomènes  ainsi  provo- 
qués du  côté  de  la  peau.  Dans  d'autres  cas,  comme  je  l'ai  dit  plus  haut,  l'aflec- 
tion  cutanée  semble  en  effet  se  trouver  sous  la  dépendance  plus  ou  moins 
immédiate  de  lésions  d'un  autre  système  ;  telles  sont  les  affections  provoquées 
par  le  contact  de  produits  morbides  répandus  à  la  surface  de  la  peau  ou  déposés 
dans  l'intimité  de  son  tissu  :  érythèmes  du  nez  et  de  la  lèvre  supérieure  dans  le 
coryza,  du  gland,  de  la  vulve,  dans  la  blennorihagie,  le  diabète,  des  paupières 
et  des  joues  dans  la  conjonctivite,  érythèmes  autour  des  ulcères,  des  fistules, 
des  anus  contre  nature,  eczéma  variqueux,  prurigo  ictérique,  etc.,  etc.  Mais  ce 
sont  là  autant  de  dermatoses  de  cause  externe,  évidemment  produites  par  une 
irritation  toute  locale,  et  qui  par  conséquent  n'infirment  en  aucune  façon  ce 
que  nous  venons  de  dire  sur  le  rôle  qu'il  convient  d'attribuer  aux  causes  patho- 
logiques. 

DEUXIÈME  PARTIE.  Anatomie  pathologique.  L'étude  de  l'anatomie  patho- 
logique de  la  peau  suppose  nécessairement  la  connaissance  préalable  de  cet  organe 
à  l'état  de  santé.  Aussi  voyons-nous  la  plupart  des  auteurs,  Mercuriali,  llafen- 
reffer.  Lorry,  etc.,  faire  précéder  leurs  travaux  en  dermatologie  par  une  descrip- 
tion de  la  peau  à  l'état  normal  {voij.  Peau). 

La  peau  offre  cela  d'avantageux  pour  l'étude  des  lésions  que  cette  étude  peut 
être  faite  pendant  la  vie.  Toutefois,  les  ouvertures  de  corps  ne  doivent  pas  être 
négligées  :  les  nécropsies,  il  est  vrai,  ne  nous  permettent  pas  toujours  d'étudier 
les  lésions  congestives  qui  disparaissent  à  la  mort,  mais  elles  nous  font  connaître 


702  DERMATOSES. 

les  lésions  du  tégument  interne,  de  même  nature  que  celles  du  tégument  externe 
ou  de  même  genre,  ce  qu'explique  la  similitude  d'organisation  de  la  peau  et  des 
membranes  muqueuses;  telles  sont  les  lésions  congestives  et  pustuleuses  de  la 
muqueuse  laryngo-bronchique,  dans  les  fièvres  éruptives,  les  vésicules  et  les 
bulles  que  l'on  rencontre  sur  la  muqueuse  bucco-pharyngienne,  et  même,  dit-on, 
sur  la  muqueuse  intestinale,  dans  l'herpès  et  le  pemphigus.  En  outre,  les 
nécropsies  nous  font  connaître  les  lésions  viscérales  qui  coexistent  avec  les  affec- 
tions de  la  peau  ou  qui  leur  succèdent. 

L'histoire  des  lésions  doit  être  faite  dans  un  ordre  conforme  aux  divisions  de 
l'anatomie  normale.  Par  conséquent,  nous  aurons  quatre  classes  de  lésions  corres- 
pondant aux  quatre  divisions  principales  de  l'anatomie  : 

i"  Les  lésions  fœtales  ou  congénitales,  qui  correspondent  à  l'anatomie  em- 
bryonnaire (difformités  congénitales); 

2°  Les  lésions  des  caractères  7^/i?/s/^7<es,  extérieurs,  des  organes,  de  la  couleur, 
du  volume,  de  la  connexion,  des  rapports,  etc.,  qui  correspondent  à  l'anatomie 
descriptive  (variétés  de  couleur  et  d'épaisseur,  ramollissement,  induration,  plis 
anormaux,  etc.)  ; 

3°  Les  lésions  de  texture,  qui  correspondent  à  l'anatomie  générale  et  de 
structure  (congestion,  inflammation,  néoplasme)  ; 

4°  Enfin,  les  modifications  des  lésions,  selon  leur  siège  topograpliique  (ana- 
tomie  des  régions). 

Comme  on  le  voit,  ces  divisions  principales  sont,  de  tout  point,  applicables  à 
l'anatomie  pathologique  de  la  peau,  et  comme  la  peau  est  un  système  anatomique 
complexe,  il  est  nécessaire  d'étudier  successivement  les  lésions  de  chacune  des 
parties  qui  entrent  dans  sa  conslitution  :  derme,  épiderme,  pigment,  glandes 
sébacées  et  sudoripares,  follicules  pileux  et  cheveux  ou  poils,  matrices  unguéales 
et  ongles.  Quant  aux  vaisseaux  et  nerfs  de  la  peau,  aux  follicules  pileux  et  aux 
parties  nutritives  des  ongles,  leurs  lésions  ne  sauraient,  dans  la  plupart  des  cas, 
être  séparées  de  celles  des  organes  auxquels  ils  appartiennent. 

Les  divisions  secondaires  seront  établies  d'après  le  mode  pathogénique  ou  le 
processus  de  la  lésion.  C'est  en  nous  fondant  sur  ces  principes  que  nous  avons 
proposé  la  classification,  dont  le  tableau  est  à  la  page  suivante,  pour  l'étude  des 
altérations  anatomiques  du  tégument  externe. 

L'étude  anatomique  des  dermatoses  se  trouve  pour  nous  fort  abrégée.  Elle  doit 
être  faite  plus  loin,  dans  un  chapitre  spécial,  par  M.  Renaut,  qui  a,  on  le  sait, 
enrichi  de  ses  recherches  sur  ce  sujet  le  traité  de  MM.  Cornil  et  Ranvier,  et 
auquel  nous  aurions  fait  sans  cela  de  nombreux  emprunts.  Nous  ne  pouvons 
toutefois  nous  empêcher  de  toucher  dans  ce  qui  va  suivre  à  quelques-unes  des 
opinions  qu'il  a  formulées,  tout  en  nous  i-enfermant  autant  que  possible  dans  le 
domaine  de  la  clinique. 

Lésions  du  derme.  Nous  ne  nous  arrêterons  pas  à  décrire  les  lésions  congé- 
nitales qui  se  rattachent  à  l'anatomie  fœtale,  ni  celles  qui  intéressent  plus  parti- 
culièrement l'anatomie  descriptive,  comme  les  difformités  acquises,  les  solutions 
de  continuité,  les  distensions  et  déchirures  du  derme  produites  par  la  grossesse, 
l'obésité,  l'anasarque,  etc.  II  est  d'ailleurs  certaines  lésions  qui  ressortissant 
aussi  bien  à  l'anatomie  de  texture  qu'à  l'anatomie  descriptive,  et  que  l'on  trou- 
vera signalées  plus  loin  (hypei'trophie,  atrophie).  Ce  qui  nous  intéresse  le  plus 
pour  l'histoire  générale  des  dermatoses,  c'est  la  connaissance  des  altérations  de 
structure. 


DERMATOSES. 


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704  DERMATOSES. 

Toutes  les  lésions  cutanées  qui  se  rattachent  à  des  affections  génériques  ont 
été  ou  seront  décrites  aux  articles  Eczém\,  Psoriasis,  Pityriasis,  Lichen,  etc.; 
toutes  celles  qui  se  rattachent  à  des  affections  spéciales  le  sont  ou  l'ont  été  aux 
articles  Arthritis,  Scrofule,  Syphilis,  etc.  :  nous  n'avons  donc  à  exposer  ici  que 
des  considérations  générales  sur  les  lésions  dites  élémentaires  au  point  de  vue 
de  l'anatomie  et  de  l'histologie. 

Cela  posé,  nous  rapportons  à  sept  processus  difiérenls  les  lésions  cutanées  élé- 
mentaires, à  savoir  : 

1*^  La  congestion,  simple  afflux  de  saag  dans  les  capillaires  cutanés.  C'est 
une  hypcrémie  active  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  l'hyperémie  passive  ou 
congestion  hypostatique; 

2"  WJiémorrhagie,  accumulation  de  sang  dans  les  capillaires  avec  extravasation 
du  même  liquide  dans  le  tissu  ambiant; 

5°  L'œdème^  exsudation  de  la  partie  séreuse  du  sang  ou  de  la  lymphe  hors 
des  vaisseaux,  dans  le  tissu  cellulaire  environnant.  L'œdème  de  la  peau  est  rare- 
ment primitif;  le  plus  souvent  il  est  consécutif  à  une  autre  lésion; 

4"  L' inflammation,  afllux  du  sang  dans  les  capillaires,  exsudation  séreuse 
mêlée  de  ylobules  sanguins  et  de  fibrine  :  tels  seraient  les  caractères  histolo- 
giques  de  tout  travail  inflammatoire,  ce  qui  veut  dire  qu'avec  les  seules  données 
histologiques  il  est  impossible  de  poser  les  limites  qui  séparent  la  congestion 
de  l'inflammation.  L'augmentation  proportionnelle  de  la  fibrine  du  sang  ne 
saurait  être  donnée  comme  un  caractère  dislinctif  de  ces  deux  processus  mor- 
bides, car  tout  le  monde  sait  que  l'on  rencontre  cette  augmentation  de  la  fibrine 
dans  les  érythèmes  arthritiques  aigus,  tels  que  l'érythème  noueux  et  l'éi  ythèrae 
papulo-tuberculeux.  Rayer  dit  avoir  observé  souvent  une  couenne  épaisse  sur 
les  saignées  pratiquées  aux  malades  atteints  de  psoriasis.  Quoi  qu'il  en  soit,  je 
maintiens  la  distinction  des  deux  processus  congestif  et  inflammatoire,  m'en  tenant 
aux  caractères  classiques  de  l'inflammation,  la  rougeur,  la  chaleur,  la  tuméfac- 
tion, la  douleur,  la  fièvre,  la  formation  de  produits  nouveaux,  qui  distinguent 
sulfisamment  ces  deux  processus. 

Tous  les  modes  inflammatoires  peuvent  s'observer  sur  la  peau  :  1°  l'inflam- 
mation simple;  2°  l'inflammation  diphthéritique;  3°  l'inflammation  gangre- 
neuse ; 

5°  Hypertrophie.  Cette  lésion  peut  n'être  que  la  conséquence  d'une  dermite 
longtemps  prolongée,  mais  elle  peut  aussi  se  produire  spontanément.  Les  phé- 
nomènes congeslifs  sont  de  toute  évidence  dans  la  chéloïde  rouge;  ils  font  abso- 
lument défaut  dans  la  chéloïde  blanche  ou  morphée  anglaise.  Les  caractères 
anatomiques  de  l'hypertrophie  dermique  sont  l'épaississeraent  du  derme,  l'aug- 
mentation de  volume  des  papilles,  la  formation  nouvelle  de  fibres  conjonctives 
et  de  réseaux  élastiques  au-dessous  de  l'éminence  papillaire.  L'hypertrophie 
peut  n'atteindre  que  le  corps  papillaire  ou  envahir  le  derme  tout  entier;  elle 
peut  s'étendre  aux  parties  sous-jacentes.  D'autres  fois,  il  y  a  atrophie  du  derme 
et  hypertrophie  du  tissu  sous-jacent. 

L'hypertropliie  dermique  s'offre  à  notre  observation  sous  la  forme  de  boutons, 
de  plaques  plus  ou  moins  étendues,  de  bandes  saillantes.  Nous  rattachons  à 
l'hypertrophie  cutanée  :  l'hypertrophie  congénitale,  la  dermatolysie,  le  fibrome 
moUuscoïde,  le  lipome  cutané,  le  papillome,  lerliinoscléromedu  professeur  llébra, 
l'hypertrophie  du  nez  et  de  la  lèvre  supérieure  que  l'on  observe  chez  les  sujets 
scroluleux,  l'éléphantiasis  arabe  qui  succède  à  des  lymphites  répétées,  l'hyper- 


DERMATOSES.  705 

Irophie  papillaire  qui  se  voit  dans  quelques  cas  rares  d'ichthyose  chez  les  sujets 
désignés  sous  le  nom  d'hommes  porc-épic. 

Dans  la  papule  ancienne  aussi  bien  que  dans  la  papule  syphilitique  on  trouve 
les  éléments  de  l'hypertrophie  dermique,  mais  dans  la  plaque  seulement  on 
constate  une  hypertrophie  des  glandes  sudoripares  ;  ce  que  l'observation  seule 
nous  avait  depuis  longtemps  appris.  Aussi  avons-nous  établi  une  distinction 
clinique  importante  entre  la  papule  syphilitique  et  la  plaque  muqueuse; 

6°  h'atrophie.  De  même  que  l'hypertrophie,  l'atrophie  peut  être  la  suite  de 
la  dermite  ou  survenir  spontanément.  Selon  M.  Renaut,  la  sclérodermie  serait 
une  atrophie  du  derme,  avec  induration  hypertrophique  du  tissu  sons-cutané. 

Le  caractère  le  plus  important  de  la  pellagre  consiste  dans  une  atrophie  des 
papilles  de  la  langue,  qui  devient  lisse  et  unie  comme  le  marbre  ; 

7°  Le  néoplasme.  Sous  cette  moderne  désignation  nous  comprenons  toutes 
les  lésions  qui  s'offrent  sous  forme  de  tubercules  ou  de  tumeurs  à  la  surface  de 
la  peau,  et  sont  constituées  par  des  processus  autres  que  ceux  ci -dessus  indiqués. 
Parmi  ces  diflérentes  modalités  pathogéniques  il  en  est  deux  qui  méritent  surtout 
de  fixer  notre  attention,  à  cause  de  leur  fréquence  et  des  nombreuses  variétés 
qu'elles  offrent  à  notre  observation  :  ce  sont  le  mode  congcstif  et  le  mode  néo- 
plasmatique. 

Au  mode  congestif  et  inflammatoire  nous  rattachons  :  i"  les  exanthèmes  de 
Willan  (macules  sanguines  congestives);  2"  les  squames;  D'îles  vésicules;  4°  les 
bulles  et  pustulo-hulles ;  5°  les  pustules;  6°  les  papules:  1°  les  tubercules.  Ces 
divers  modes  de  l'inflammation  cutanée  sont  tellement  différents  qu'ils  consti- 
tuent comme  autant  d'espèces  différentes  du  processus  inflammatoire. 

1°  Exanthèmes  Willaniques  (macules  sanguines  congestives).  L'exanthème 
Willanique  est  une  tache  congestive  de  la  peau  due  à  l'injection  des  capillaires 
sanguins.  Le  processus  exanthématique  ne  doit  être  confondu  ni  avec  l'hyperémie 
passive,  ni  avec  le  process-us  inflammatoire.  Il  y  a  non-seulement  engorgement 
sanguin  des  vaisseaux,  mais  encore  exsudation  séreuse,  mêlée  de  globules  sanguins 
et  parfois  de  fibrine.  Quelquefois  même  la  congestion  exanthématique  est  accom- 
pagnée d'une  véritable  hémorrhagie  ou  de  petites  bosses  sanguines,  comme  on 
l'observe  dans  l'urticaire  hémorrhagiqiic.  Une  autre  lésion  se  remarque  encore 
parfois  dans  l'exanthème  :  je  veux  parler  de  l'exfoliation  épidermique,  qui  est 
constante,  régulière,  accentuée  dans  la  rougeole  et  la  scarlatine,  mais  irrégulière, 
incomplète,  accidentelle  dans  les  affections  génériques,  urticaire,  érythème, 
roséole. 

Dans  les  lésions  des  affections  génériques  maculeuses,  aussi  bien  que  dans  les 
lésions  spéciales  de  la  rougeole  et  de  la  scarlatine,  il  n'y  a  que  simple  congestion, 
mais  dans  l'érysipèle,  qui  a  été  aussi  placé  parmi  les  affections  exanthématiques, 
il  y  a  inflammation,  véritable  dermite.  Aussi  l'érysipèle  peut-il  être  suivi  de  tous 
les  modes  de  la  terminaison  inflammatoire  :  résolution,  suppuration,  gangrène, 
induration  hypertrophique. 

2"  Squames.  Dans  l'exanthème,  la  desquamation  est  accidentelle  ou  n'existe 
que  vers  le  décours  et  la  terminaison  de  l'affection  cutanée;  dans  l'inflamma- 
tion squameuse,  la  squame  apparaît  dès  le  début  et  persiste  pendant  toutes  les 
périodes  de  l'affection.  C'est  un  caractère  constant  désaffections  génériques  squa- 
meuses; ce  n'est  qu'un  caractère  accidentel  des  affections  génériques  exanthé- 
mateuses. 

Des  taches  rouges,  sans  élévation,  surmontées  d'épiderme  en  desquamation, 
DICT.  ENC.  XXVII.  45 


706  DERMATOSES. 

caractérisent  le  pityriasis;  ces  taches  sont  dues  à  la  congestion  des  capillaires 
cutanés.  La  rougeur  est  plus  ou  moins  prononcée,  de  là  les  variétés  de  pityriasis 
simplex,  rosen,  rubra,  admises  par  les  auteurs.  Des  taches  rouges  arrondies, 
surélevées,  surmontées  d'une  squame  adhérente  plus  ou  moins  épaisse,  caracté- 
risent le  psoriasis. 

Dans  richthyose  la  desquamation  se  fait  également,  mais  les  processus 
congestifs  font  défaut. 

Dans  richthyose  pilaris,  improprement  appelée  pityriasis  pilaris,  des  couches 
d'épiderme  corné  sont  incessamment  produites  par  la  gaîne  interne  du  poil,  et 
s'accumulent  autour  de  sa  tige,  ou  s'emboîtent  les  unes  dans  les  autres  comme 
des  cornets  de  papier  qu'on  aurait  superposés  (Renaut). 

Les  détails  anatomiques  donnés  par  cet  auteur  sont  de  la  plus  parfaite  exacti- 
tude ;  mais  il  y  a  plus  de  vingt  ans  que,  dans  les  Leçons  de  VBùpital  Saint-Louis^ 
nous  donnions  le  nom  d'ichthyose  pilaris  à  ce  que  d'autres  décrivaient  sous  le 
nom  de  pityriasis  pilaris.  Nous  en  faisions  connaître  à  nos  élèves  les  principaux 
caractères  cliniques  et  la  rangions  parmi  les  difformités  cutanées. 

0°  Vésicules.  Dans  les  inflammations  vésiculeuses,  l'épiderme  soulevé  forme 
ime  petite  poche  contenant  un  liquide  séreux  transparent.  Selon  M.  Renaut,  le 
mécanisme  de  la  production  des  vésicules  serait  différent  de  celui  de  la  forma- 
tion des  bulles  et  des  phlyctènes  {voy.  plus  loin). 

Dans  les  sudamina,  petites  élevures  transparentes  produites  par  la  sueur, 
tout  le  monde  sait  que  le  fluide  contenu  est  acide,  bien  que  Neumann  prétende 
qu'il  est  alcalin.  M.  Renaut  explique  ainsi  cette  divergence  d'opinion  par  i'àge 
des  sudamina  :  «  Au  bout  de  vingt-quatre  ou  quarante-huit  heures,  les  sudamina 
qui  ne  se  sont  pas  vidés  par  rupture  spontanée  sont  devenus  opalescents  ou 
jaunes.  Leur  contenu  est  alcalin,  comme  tout  liquide  purulent  ». 

4"  Bulles.  Phlyctènes.  Les  bulles  et  les  phlyctènes,  qui  ne  sont  que  des 
bulles  irrégulières  sous  le  rapport  de  la  forme  et  du  volume,  ne  semblent  au 
premier  abord  différer  des  vésicules  que  par  un  volume  plus  considérable. 
Cependant,  au  point  de  vue  pathologique  aussi  bien  qu'au  point  de  vue  histolo- 
gique,  les  bulles  et  phlyctènes  sont  bien  différentes  des  vésicules.  M.  Renaut 
traite  plus  loin  ce  sujet  au  point  de  vue  histologique.  Rappelons  seulement  la 
manière  dont  Tilbury  Fox  résume  les  données  histologiques  relatives  au  siège 
primitif  des  affections  vésiculeuses  et  huileuses  : 

Vésicules  solitaires  :  siège  primitif  entre  les  couches  de  la  lame  cornée  de 
l'épiderme,  sudamina  ;  vésicules  solitaires  :  siège  du  fluide  entre  la  lame  cornée 
et  le  corps  muqueux,  pemphigus  ;  vésicules  ou  bulles  composées,  cavités  for- 
mées par  les  cellules  distendues  du  corps  muqueux,  variole,  herpès,  éi'ysipèle, 
vésicatoire,  eczéma. 

Malgré  les  divergences  des  histologistes  français  et  étrangers  sur  le  siège  pri- 
mitif des  vésicules  et  des  bulles,  nous  n'en  rattachons  pas  moins  ces  lésions 
élémentaires  à  l'anatomie  pathologique  du  derme,  parce  qu'elles  sont  toujours 
consécutives  à  l'irritation  et  à  l'injection  des  vaisseaux  dermiques. 

5°  Piixtules.  La  pustule  est  un  bouton  purulent  qu'il  ne  faut  pas  confondre 
avec  la  vésicule  ou  la  bulle  contenant  du  pus.  Dans  ces  trois  lésions  élémentaires, 
l'enveloppe  du  bouton  est  formée  par  l'épiderme,  le  contenu  par  un  liquide 
purulent;  mais  les  caractères  tirés  de  la  forme  extérieure,  du  volume,  de  la 
dureté  de  la  base,  de  l'évolution  de  la  pustule,  sont  loin  d'être  les  mêmes,  et 
aident  au  diagnostic  différentiel.  Quant  aux  caractères  histologiques  qui  séparent 


DERMATOSES.  707 

les  trois  éléments,  je  dois  dire  que  sur  ce  point  de  leur  description  anatomiqiie 
il  y  a  encore  une  lacune  à  remplir.  Selon  nous,  M.  Renaut  a  eu  tort  de  prendre 
pour  type  de  la  pustule,  dans  les  recherches  microscopiques,  la  pustule  vario- 
lique,  qui  n'est  que  le  type  de  la  variole,  affection  spéciale  différant  sous  beau- 
coup de  rapports,  aussi  bien  au  point  de  vue  anatomo-pathologique  qu'au  point 
de  vue  séméiotique,  des  pustules  génériques  de  l'impétigo,  de  l'acné,  du  sycosis, 
de  l'ecthyma,  de  l'hidrosadénite  et  du  furoncle. 

La  pustule  de  l'impétigo  doit  être  distinguée  de  la  vésicule  séro-purulente  de 
l'eczéma,  du  scabies,  de  la  varicelle  et  de  la  vaccine.  Il  en  est  de  même  de  la 
miliaire  blanche  ou  miliaire  pustuleuse,  qui  ne  doit  pas  être  confondue  avec  la 
miliaire  rouge,  miliaire  vésiculeuse,  dans  laquelle  les  vésicules  peuvent  être 
remplies  d'une  humeur  laiteuse  ou  séro-purulente. 

J'admettrais  volontiers  que  l'impétigo,  la  miliaire  pustuleuse  et  l'acné,  ont  le 
même  siège  anatomique  ;  quelques  raisons  militent  en  faveur  de  cette  opinion  : 
le  pus  de  l'impétigo  semble  souvent  participer  des  caractères  de  l'humeur  sébacée  ; 
l'inflammation  impétigineuse  s'observe  surtout  sur  les  régions  où  abondent  les 
glandes  sébacées,  mais  l'impétigo  ne  laisse  jamais  de  cicatrices  après  lui,  tandis 
que  la  miliaire  blanche  et  l'acné  laissent  presque  toujours  des  cicatrices,  quelque 
petites  qu'elles  soient,  après  leur  guérison. 

Tilbury  Fox,  confondant  ensemble  les  deux  genres,  eczéma  et  impétigo,  place 
le  siège  de  l'impétigo,  qu'il  appelle  l'eczéma  pustuleux,  dans  la  couche  papillaire. 
Pour  ce  dermatologiste,  les  pustules  ne  diffèrent  entre  elles  que  par  le  siège  de 
la  formation  du  pus.  On  peut,  dit-il,  les  diviser  en  larges  et  petites,  en  superfi- 
cielles et  profondes.  Dans  la  variole,  le  siège  primitif  du  pus  est  dans  le  corps 
muqueux,  tandis  que  dans  l'eczéma  pustuleux  et  l'ecthyma,  il  est  dans  la  couche 
papillaire.  Pour  ce  qui  est  de  l'extension  de  la  pustulatiou,  elle  se  fait  superfi- 
ciellement dans  l'eczéma,  et  profondément  dans  la  variole  intense,  dans  l'ecthyma 
et  le  furoncle. 

L'histologie  n'a  fait  que  confirmer,  comme  chacun  devait  s'y  attendre,  l'opi- 
nion générale  sur  le  siège  anatomique  de  la  miliaire  pustuleuse,  de  l'acné  et  de 
la  mentagre,  qui  est  la  glande  sébacée  pour  les  deux  premières  et  le  canal  pilitère 
pour  la  troisième. 

Il  est  une  forme  intéressante  d'acné  pilaris  sur  laquelle  nous  avons  particu- 
lièrement insisté  dans  nos  leçons,  et  que  nous  avons  décrite  sous  le  nom  d'acné 
pUaris  ombiliquée.  Le  bouton  commence  par  les  glandes  annexes  du  poil,  qui. 
par  suite  de  l'oblitération  de  leurs  canaux  excréteurs,  se  tuméfient  et  s'élèvent 
sous  forme  de  couronne  autour  de  la  base  du  poil.  Plus  tard,  l'inflammation  se 
propage  au  conduit  folliculaire;  il  se  produit  une  pustule  que  traverse  le  poil, 
puis  une  croûte  qui  se  détache  emportant  le  poil  avec  elle  et  laissant  à  sa  suite 
une  cicatrice  déprimée  assez  analogue  à  celle  de  la  variole. 

Après  les  pustules  étroites  ou  psydraciées  viennent  les  pustules  phlyzaciées  de 
l'ecthyma  et  du  rupia  ;  puis  les  pustules  profondes  du  sycosis  tuberculeux,  de 
l'hidrosadénite  et  du  furoncle,  que  nous  devons  également  étudier  au  point  de 
vue  histologique  pour  arriver  à  la  connaissance  du  siège  élémentaire. 

Ecthyma.  Nous  laissons  à  M.  Pienaut  le  soin  de  dire  ce  qu'on  sait  du  siège 
anatomique  de  l'ecthyma.  De  son  côté  M.  ^»và^  {Dictionn.  deméd.  et  de  chir. 
prat.,  article  Ecthyma.)  placerait  volontiers  le  siège  anatomique  de  l'ecthyma 
dans  les  follicules  pileux  parce  qu'il  a  vu,  d'une  autre  part,  dans  un  cas,  un 
poil  se  dressera  travers  la  pustule  d'ecthyma.  Nous  en  avions  hypolhétiquement 


708  DERMATOSES. 

place  le  siège  dans  les  glandes  annexes  des  poils,  manière  de  voir  qui  conciliait 
les  deux  hypothèses,  celle  du  siège  dans  les  glandes  sébacées  à  poils  rudiinen- 
taires,  et  celle  du  siège  dans  les  follicules  pileux;  mais  la  science  aujourd'hui 
ne  se  contente  plus  d'hypothèses  ;  elle  veut  des  faits  précis. 

Rupin.  Dans  le  rupia,  qui  est  une  affection  pustulo-bulleuse,  on  trouve  réiniis 
les  caractères  anatomiques  de  la  pustule  phlyzaciée  de  l'ecthyma  et  de  la  bulle  du 
pemphigus.  L'inflammation  pustuleuse  ecthymatique  s'étend  du  centre  à  la  cir-' 
conférence,  et  donne  lieu  à  des  bulles  de  plus  en  plus  larges,  qui  se  soulèvent 
en  formant  des  croûtes,  de  telle  sorte  que  la  croûte  ecthymatique  la  première 
formée  est  aussi  la  plus  superficielle.  A  la  chute  des  croûtes,  il  existe  une  ulcé- 
ration plus  profonde  au  centre  qu'à  la  circonférence.  Cette  excavation  centrale 
répond  à  la  pseudo-membrane  ou  à  Teschare  de  l'ecthyma. 

Furoncle.  Le  tissu  cellulo-adipeux  qui  x-emplil  les  aréoles  de  la  face  profonde 
du  derme  me  paraît  être  le  siège  primitif  des  inflammations  furonculaires  et 
anthracoïdes.  C'était  l'opinion  de  Dupuytren,  qui  professait  aussi  que  l'inflam- 
mation furonculaire  était  de  nature  gangreneuse.  Les  chirurgiens  contemporains 
n'ont  pas  tous  adopté  l'opinion  du  célèbre  chirurgien  de  l'Hôtel-Dieu,  tant  sous 
le  rapport  du  siège  que  sous  celui  de  la  nature  du  furoncle.  Quelques-uns  pen- 
sent que  le  furoncle  a  pour  siège  l'appareil  glandulaire  de  la  peau,  soit  les 
glandes  sébacées  (Richet),  soit  les  glandes  sébacées  et  sudoripares  (Dénucé)  : 
Nélaton,  Gûsseliu  et  d'autres  ne  voient  dans  le  bourbillon  qu'un  produit  pseudo- 
membraneux,  tandis  que  d'autres,  fidèles  à  la  tradition  ancienne,  continuent  à  y 
voir  un  produit  gangreneux. 

Ceux  qui  admettent  l'ideutité  du  siège  du  furoncle  et  des  inflammations  glan- 
dulaires de  la  peau  s'appuient  sur  la  ressemblance  de  cette  tumeur  inflanmiatoire 
avec  les  inflammations  acnéiques  et  raentagreuses,  et  sur  la  conversion  de  l'acné 
en  furoncle  ;  mais  cette  ressemblance  n'est  pas  aussi  évidente  qu'on  a  bien  voulu 
le  dire.  Quant  aux  transformations  de  l'acné  eu  furoncle,  je  n'ai  jamais  été 
assez  heureux  pour  en  constater  un  seul  cas.  Je  puis  en  dire  autant  de  la  pré- 
tendue conversion  du  zona  en  furoncle  dont  on  a  tout  récemment  rapporté  une 
observation  dans  le  service  de  M.  Proust  à  l'hôpital  Lariboisière  {voy.  Frakce 
MÉDICALE,  24  avril,  78).  Ces  affections  se  succèdent,  se  compliquent,  si  l'on  veut, 
mais  ne  se  transforment  pas  l'une  dans  l'autre.  L'acné,  le  furoncle,  le  zona,  sont 
souvent  des  affections  d'origine  arthritique,  bien  qu'essentiellement  différentes 
par  la  forme  ou  par  le  genre.  On  a  aussi  rapproché  le  furoncle  de  l'orgeolet  et 
des  abcès  tubéreux  de  l'aisselle,  mais,  dans  ces  dernières  affections,  le  siège 
dan?  les  glandes  de  la  peau  est  de  toute  évidence.  Il  en  est  tout  autrement  du 
furoncle.  Rayer,  il  est  vrai,  a  placé  l'orgeolet  et  le  furoncle  dans  les  inflamma- 
tions furonculaires,  mais  il  en  fait  deux  genres  différents. 

Hidrosadénite.  L'hidrosadénite  ou  inflammation  de  la  glande  sudoripare  peut 
être  vésico-pustuîeuse  ou  tuberculo-pustuleuse,  de  même  que  l'inflammation  du 
follicule  pileux  qui,  quand  elle  siège  dans  la  profondeur  du  follicule,  porte  plus 
spécialement  le  nom  de  sycosis,  et  celui  de  meutagre  quand  l'extrémité  seule  du 
conduit  est  affectée.  Nous  avons  plusieurs  fois  observé  Ihidrosadènite  vésico- 
pustuleuse  à  la  face  palmaire  des  mains.  La  rupture  de  la  vésicule  donne  lieu  à 
l'issue  d'un  liquide  séreux  ou  séro-purulent  ;  après  cette  rupture,  il  reste  un 
conduit  fistuleux  qui  n'est  autre  que  le  canal  excréteur  de  la  glande  considéra- 
blement dilaté. 

6"  Papules.     Les  éruptions  papuleuses  sont  caractérisées  par  de  petites  émi- 


DERMATOSES.  709 

ueiices  arrondies,  rosées  ou  rouges,  ou  de  même  couleur  que  la  peau  environ- 
nante. Elles  sont  constituées,  à  l'état  aigu,  par  une  simple  congestion,  à  l'état 
chronique  par  une  hypertrophie  du  corps  papillaire.  Suivant  Tilhury  Fox,  non- 
seulement  Ja  papille  pileuse  est  hypertrophiée,  mais  il  y  a  encore  production  de 
nouvelles  papilles. 

7"  Tubercules.  En  pathologie  cutanée  on  a  donné  le  nom  de  tuhercules  à  des 
boutons  solides  qui,  pour  le  volume,  tiennent  le  milieu  entre  les  papules  et  les 
tumeurs.  Ces  tubercules  sont  constitués  par  des  produits  inflammatoires  et  des 
produits  hyperplasiques,  sans  néoformation  de  tissus  étrangers  à  l'organe  sur 
lequel  ils  se  développent.  Le  tubercule  essentiellement  inflammatoire  n'est  ordi- 
nairement que  la  première  période  de  la  pustule  profonde,  comme  dans  l'hidros- 
adénite  et  le  sycosis,  placé  à  tort  dans  l'ordre  des  tubercules  par  Bateman.  Le 
moUusciim  contagiosum  n'est  qu'une  hypertrophie  de  la  glande  sébacée,  ainsi 
que  je  l'ai  démontré  {voy.  Acné).  A  côté  du  molluscum  contagiosum,  on  peut 
placer  le  molluscum  pendulum  et  les  kystes  sébacés. 

Le  lupus  est  un  tubercule  constitué  par  une  hyperplasie  cellulaire  et  une 
hypertrophie  dermique  en  voie  d'évolution  et  de  dégénérescence.  Le  lupus  érythé- 
mateux,  dii  au  même  processus,  ne  saurait  être  appelé  tubercule,  puisqu'il  se 
présente  sous  forme  de  taches.  Cela  prouse  que  les  aftections  maculeuses  et  les 
affections  tuberculeuses  peuvent  êtrehistologiquement  identiques.  La  forme  et  la 
nature  sont  deux  choses  absolument  différentes.  11  en  est  de  même  pour  l;i 
stéatose  cutanée,  qui  n'est  qu'une  simple  difformité.  Le  xanthélasma  se  présente 
sous  forme  de  taches  jaunes  aux  paupières  et  sous  forme  de  boutons  ou  tuber- 
cules sur  le  tronc  et  les  membres  (molluscum  fibro-lipomateux). 

Néoplasmes.  Ce  mot,  de  création  moderne,  apparaît  à  la  naissance  de  l'his- 
tologie. Burdach  l'emploie  pour  désigner  la  masse  organique  qui  constitue  le 
tissu  fondamental  de  toutes  les  formations  nouvelles  (Robin).  Avec  les  progrès 
de  l'histologie,  cette  expression  reçoit  des  auteurs  des  acceptions  très-différentes. 
C'est  ainsi  que  les  uns  l'appliquent  à  toutes  les  tumeurs  indifféremment,  tandis 
que  les  autres  séparent  les  néoplasmes  des  tumeurs  formées  par  des  poches  con- 
tenant des  liquides  ou  des  gaz. 

Cornil  et  Ranvier  partagent  les  lésions  organiques  en  deux  catégories  :  les 
lésions  inflammatoires  et  les  tumeurs.  Par  ce  mot  tumeur,  ils  entendent  toute 
masse  constituée  par  un  tissu  de  nouvelle  formation  (néoplasme),  ayant  de  la 
tendance  à  persister  et  à  s'accroître.  Woh  il  résulte  que,  ponr  ces  histolo- 
gistes,  les  processus  hypertrophique  et  atropliique  se  rattachent  toujours  au 
processus  inflammatoire,  tandis  que  nous  admettons,  nous,  qu'ils  peuvent  être 
spontanés,  se  montrer  sans  avoir  été  précédés  d'un  travail  congestif  ou  inflam- 
matoire. 

Quand  les  néoplasmes,  ajoutent-ils,  se  forment  dans  les  inflammations,  ils 
s'organisent  ou  reproduisent  le  tissu  même  où  ils  sont  nés,  ou  bien  ils  disparais- 
sent peu  à  peu,  par  suppuration,  état  caséeux,  etc.  Pour  Cornil  et  Ranvier,  les 
tubercules  de  la  scrofule,  de  la  syphilis,  de  la  lèpre,  ne  sont  pas  des  tumeurs, 
mais  sont  de  simples  dermites  formatives  ou  dégénératives,  tandis  que  les 
gommes,  les  tubercules  et  les  granulations  morveuses,  seraient  des  tumeurs 
(tîbromes  avec  atrophiedeséléments  cellulaires).  Dire  pourquoi  le  tubercule  lépreux 
serait  un  produit  de  la  dermite,  tandis  que  la  gomme  serait  une  tumeur  néoplas- 
matique,  et  s'appuyer  pour  le  prouver  sur  l'existence  de  macules  rosges  au 
début  de  la  lèpre  de  Gayenne,  me  paraît  une  difficulté  que  ne  peut  trancher  un 


710  DERMATOSES. 

fait  particulier  et  tout  à  fait  accidentel.  Tout  le  monde  sait  que  les  macules 
lépreuses  sont  le  plus  souvent  achroniiques  et  absolument  dépourvues  de  con- 
gestions sanguines  de  la  peau. 

Le  caractère  distinctif  des  lésions  inflammatoires  et  des  tumeurs  donné  par 
Cornil  et  Ranvier  n'existe  pas  toujours,  et  quand  il  existe,  il  n'est  pas  toujours 
facile  à  saisir.  Les  papillomes  et  les  lipomes  ne  tendent  pas  toujours  à  s'accroître 
et  disparaissent  parfois  spontanément  ;  il  en  est  de  même  du  moUuscum  fibroïde. 
Le  tylosis,  qui  est  un  papillome,  c'est-à-dire  une  tumeur  pour  Cornil  et  Ranvier, 
guérit  seul  par  l'emploi  de  chaussures  bien  adaptées  à  la  forme  du  pied  ;  en  quoi 
diffère-t-il  du  papillome  diffus?  Ce  dernier,  dira-t-on,  vient  à  la  suite  d'une 
dermite,  et  est  un  produit  de  l'inflammation  :  mais  le  cor  qui  vient  à  la  suite 
d'une  pression  extérieure  n'esl-il  pas  aussi  le  produit  d'une  dermite  locale  de 
cause  externe? 

Disons  en  passant  que  ce  papillome  diffus  n'est  autre  chose  que  ce  que  nous 
avons  appelé,  il  y  a  certainement  plus  de  vingt  ans,  la  dégénérescence  papillaire 
de  l'eczéma  chronique,  et  le  plus  souvent  variqueux,  des  membres  inférieurs. 
C'est  l'eczéma  hypertrophique  du  docteur  Arnaud  qui,  dans  sa  Thèse  inaugurale 
soutenue  récemment  devant  la  Faculté  de  médecine  de  Montpellier,  semble 
croire  que  nous  avons  confondu  cette  affection  avec  les  éruptions  qui  précèdent 
l'apparition  des  tumeurs  de  la  lymphadénie  cutanée.  Le  premier,  au  contraire, 
nous  avons  nettement  séparé  l'eczéma  papilliforme  du  mycosis  fongoïde  ou  lym- 
phadénique.  Pour  s'en  convaincre,  M.  Arnaud  n'a  qu'à  consulter  son  maître 
M.  Tillot,  l'ancien  inspecteur  de  Saint-Christau,  sous  la  direction  duquel  il  a 
étudié  les  faits  qui  se  sont  présentés  à  son  observation  pendant  le  séjour  qu'il  a 
fait  à  cette  station  thermale,  et  à  lire  le  Mémoire  deM.  Guérard  sur  le  mycosis  fon- 
goïde, paru  longtemps  avant  les  recherches  de  MM.  Ranvier  et  Gillot  :  il  y  trou- 
vera la  symptomatologie  du  mycosis  telle  qu'il  l'a  décrite  d'après  la  thèse  de 
M.  Gillot.  Enfin,  pour  l'édifier  complètement,  nous  lui  recommandons  de  lire 
aussi  notre  article  Mycosis  du  Dictionnaire  encyclopédique,  où  il  pourra  s'expli- 
quer la  confusion  introduite  après  coup  par  Hardy  dans  la  description  de  l'eczéma 
papilliforme  et  du  mycosis  fongoïde  par  la  création  du  mot  lichen  hypertro- 
phique. 

Après  cette  digression,  revenons  à  l'étude  des  néoplasmes  :  nous  appelons 
néoplasmes  cutanés  des  tubercules  ou  des  tumeurs  constitués  par  des  tissus 
morbides  analogues  aux  tissus  normaux,  mais  rarement  simples,  le  plus  souvent 
composés  d'éléments  anatomiques  appartenant  à  divers  tissus.  Cornil  et  Ranvier 
admettent  implicitement  cette  composition  multiple  des  néoplasmes,  lorsqu'ils 
disent  que  dans  presque  toutes  les  tumeurs  il  y  a  un  stroma  fibreux. 

Ces  tubrcules  et  ces  tumeurs  doivent  être  étudiés  dans  l'ordre  qu'indique 
leur  composition  anatomique,  selon  qu'ils  se  rapprochent  plus  ou  moins  par  leur 
structure  de  l'hypertrophie  d'un  des  éléments  constitutifs  de  la  peau  ou  des 
muqueuses  avoisinantes. 

En  admettant  ce  principe  de  classement,  nous  aurions  à  étudier  successive- 
ment :  1"  le  librome  ;  2°  le  papillome  ;  5"  l'adénome  ;  ¥  l'épithéliome  ;  5°  l'an- 
giome, puis  les  sarcomes,  les  carcinomes,  les  lymphadénomes  et  les  myxomes. 
Les  fibromes  purs,  les  papillomes  et  les  lipomes  rentrent  dans  les  processus  hyper- 
trophiques.  Nous  n'établissons,  en  effet,  aucune  différence  entre  l'hypertrophie 
et  l'hyperplasie.  Le  myxome  est  un  néoplasme,  parce  que  le  tissu  muqueux  qui 
en  constitue  la  base  n'existe  pas,  comme  élément  histologique  de  la  peau,  à  l'état 


DERMATOSES.  711 

normal.  La  description  de  ces  néoplasmes  sera  faite  aux  mots  qui  les  désignent 
{voy.  Fibromes,  Sarcomes,  Adénomes,  etc.). 

Lésions  de  l'épiderme.  Les  lésions  de  répidernie  qui  se  rattachent  à  l'ana- 
tomie  embryonnaire,  telles  que  l'ichthyose  et  l'hypertrophie  congéniale,  celles 
qui  ressortissent  à  l'anatomie  descriptive,  comme  les  solutions  de  continuité  de 
l'épiderme,  les  gerçures,  le  tortillement  et  Tépaississement  de  l'épiderme,  la 
<:liair  de  poule,  l'ichthyose  pilaris,  les  altérations  de  l'épiderme  par  de§  corps 
étrangers,  des  parasites  animaux  et  végétaux,  les  altérations  hypertrophiques 
de  l'épiderme  dans  la  lèpre,  l'éléphantiasis  arabe,  toutes  ces  lésions,  dis-je, 
étaient  parfaitement  connues  il  y  a  vingt-cinq  ans  ;  mais  c'est  l'histologie  qui 
nous  a  révélé  les  diverses  métamorphoses  que  subissent  les  cellules  de  l'épi- 
derme dans  les  affections  de  la  peau,  c'est-à-dire  qui  nous  a  fait  connaître  les 
infiltrations  de  graisse,  d'hématoïdine,  de  mélanose,  etc.,  dans  les  cellules  du 
corps  muqueux  de  Malpighi. 

Lésions  du  pigment.  Le  pigment  est  un  produit  spécial,  physiologique  ou 
morbide,  de  couleur  brune  ou  noire,  qui  doit  sa  coloration  à  une  substance 
granuleuse  particulière  appelée  mélanine. 

Parmi  les  nsevi  congénitaux,  il  en  est  qui  sont  formés  par  un  excès  de  pigment, 
d'autres  plus  rares  par  l'absence  de  pigment  :  de  là  deux  sortes  de  naîvi  :  les 
naevi  hyperchromiques  et  les  nsevi  achromiques.  Les  taches  qui  résultent  d'un 
excès,  d'un  défaut  ou  d'une  répartition  inégale  de  pigment  cutané,  peuvent 
aussi  se  produire  dans  un  âge  plus  ou  moins  avancé.  Ces  taches  varient  depuis  la 
couleur  jaune  brunâtre  jusqu'au  noir  le  plus  foncé.  On  trouve  la  matière  pigmen- 
taire  dans  l'intérieur  des  cellules  du  corps  muqueux,  le  plus  souvent  en  dehors 
des  noyaux,  dans  le  protoplasma  des  cellules,  quelquefois  dans  l'intérieur  des 
noyaux. 

Les  granulations  pigmentaires  provenant,  soit  d'une  élaboration  des  cellules, 
soit  d'une  infiltration,  sont-ils  deux  substances  identiques?  Cela  ne  fait  aucun 
doute  pour  Cornil  et  Ranvier.  Si  le  pigment  noir,  disent-ils,  existe  dans  les 
cellules  préexistantes  des  tissus,  on  a  affaire  à  de  la  mélanose  simple;  s'il  existe 
dans  les  éléments  cellulaires  de  formation  nouvelle,  on  a  affaire  à  des  tumeurs 
mélaniques  sarcomateuses  ou  carcinomateuses. 

Lésions  des  glandes  sébacées.  Les  lésions  des  glandes  sébacées  ont  été 
mieux  étudiées  que  celles  des  glandes  sudoripares.  Chez  l'enfant  naissant,  on 
peut  observer  certaines  lésions  foetales  qui  dépendent  d'une  altération  des 
glandes  sébacées,  mais  les  lésions  des  glandes  sébacées  nous  intéressent  surtout 
sous  le  rapport  de  l'anatomie  de  structure  et  de  l'anatomie  topographique.  En 
effet,  c'est  particulièrement  à  la  face  et  sur  les  régions  velues  qu'elles  sont  plus 
fréquentes  et  acquièrent  leur  plus  haut  développement.  Sur  ces  petits  organes, 
nous  retrouvons  tous  les  modes  de  processus  morbides  que  nous  avons  admis, 
soit  isolés,  soit  réunis  : 

CoNGESTiF Acné  rosée. 

\  aiguë Acné  pustuleuse. 

iNFLAMMAioiiiE.  •(  chronique Vcné  indurée. 

,  ,   .       ,     .  ,         (  Acné  varioliforme. 

r avec  rétention  des  produits  secrètes    .  j  j^^^.  éléphantiasique. 

HvPERiBOrHiQ..  .,,ec  rejet  des  produits  excrétés.   .   .   .  |  î^né  sétacée  3^" 

(  avec  Iiypertrophie  dermique Acné  chéloïdienne. 

AiRorniQUE Acné  aCropliique  (lupus  acnéiquo). 


712  DERMATOSES. 

„,  (  Carcinome  acnéique. 
(  Epitheliome  acnejque. 

LÉsioJVs  DES  glajndes  sudoripakes.  Malgré  les  travaux  de  Verneuil  et  des 
histologistes  français  et  étrangers,  on  peut  dire,  en  toute  certitude,  que  Tana- 
tomie  morbide  des  glandes  sudoripares  est  encore  à  faire. 

L'iiidrosadénite  ou  inflammation  de  la  glande  sudoripare  se  présente  sous 
deux  modes  différents  :  les  modes  vésiculo-pustuleux  et  tubercule-pustuleux. 
Les  abcès  tubéreux  de  l'aisselle,  les  abcès  circonscrits  de  la  peau,  les  gommes 
cutanées,  se  rattachent  à  l'hidrosadénite  pustuleuse.  Quant  à  l'hidrosadénite 
vé5icuieuse,  nous  ne  l'avons  observée  qu'à  la  paume  des  maius  et  à  la  plante 
des  pieds  où  très-probablement  elle  aura  été  confondue  par  les  auteurs  avec 
l'eczéma  ou  le  pemphigus  à  petites  bulles.  Cornil  et  Ranvier  rapportent  à  l'épi- 
théliome  ce  que  Verneuil  a  décrit  sous  le  nom  d'adénome  sudoripare,  ce  qui 
s'explique  facilement  par  la  défmilion  que  ces  histologistes  donnent  de  l'adé- 
nome. L'adénome  est,  pour  eux,  une  tumeur  constituée  par  des  culs-de-sac 
glandulaires  tout  à  fait  analogues  au  tissu  de  la  glande  affectée.  Suivant  les 
mêmes  auteurs,  l'adénome  vrai  serait  une  affection  des  plus  rares. 

Lésio.ns  des  poils  et  de  leors  phanères.  Nous  avons  distingué  les  lésions 
des  poils  des  lésions  des  follicules  pileux  (voy.  art.  Cheveux  [Pathologie]). 

Lésions  des  ongles.  Ici,  comme  pour  les  poils,  il  importe  de  distinguer  les 
altérations  de  la  lame  cornée  de  celles  qui  sont  particulièi'es  à  la  matrice  de 
l'ongle  et  aux  papilles  sous-unguéales.  Les  lésions  de  l'ongle  sont,  comme  les 
lésions  des  autres  organes,  du  ressort  de  l'anatomie  morbide  embryonnaire, 
descriptive  et  de  structure.  Le  lecteur  trouvera  à  l'article  Ongles  tout  ce  qui 
est  relatif  aux  altérations  communes  de  cet  organe.  Je  ne  veux  m'occuper  pour 
le  moment  que  de  certaines  lésions  qui  intéressent  plus  particulièrement  le 
dermatologiste. 

Toutes  les  maladies  constitutionnelles  et  les  cachexies  se  traduisent  sur  les 
ongles  par  des  lésions  spéciales,  nous  devons  donc  aussi  retrouver  ces  lésions 
spéciales  dans  l'arthritis  et  la  dartre.  Il  importe  d'autant  plus  de  les  bien  con- 
naître qu'elles  sont  habituellement  confondues  avec  celles  de  la  syphilis  et  de  la 
scrofule,  ou  du  diabète,  complication  si  ordinaire  de  l'arthritis. 

Dans  mes  leçons  cliniques  de  l'hôpital  Saint-Louis,  dès  l'année  1864,  je  me 
suis  attaché  à  bien  établir  le  diagnostic  différentiel  de  l'eczéma  et  du  psoriasis 
unguium.  Le  premier  est  pour  moi  une  manifestation  de  l'arthritis,  le  second 
une  traduction  de  l'herpétis  :  d'où  le  vif  intérêt  que  j'ai  pris  à  étudier  ces  deux 
affections  spéciales  et  à  en  lliire  connaître  les  caractères  différentiels.  Mes  idées 
sur  ce  point  ont  été  reproduites  dans  la  thèse  du  docteur  Ancel,  qui  suivait  mes 
cliniques,  et  à  qui  j'ai  moi-même  conseillé  de  prendre  celte  question  pour  sujet 
de  sa  dissertation  inaugurale.  Dans  l'eczéma  unguium,  il  y  a  rougeur  et  gonfle- 
ment de  la  peau  qui  circonscrit  l'ongle,  et  particulièrement  de  celle  qui  répond 
à  la  racine  de  l'ongle,  La  lame  unguéale  change  de  couleur;  elle  perd  sa  trans- 
parence, devient  grisâtre,  jaunâtre,  ou  même  tout  à  fait  noire  ;  mais  le  caractère 
principal  qui  le  distingue  du  psoriasis  unguium  est  son  amincissement  de 
dedans  en  dehors,  son  soulèvement  par  suite  de  l'accumulation  des  produits 
sécrétés  à  la  surface  du  derme  sous-unguéal  et  dans  les  cellules  de  la  couche 
muqueuse  de  l'ongle.  La  lame  cornée  fait,  avec  la  face  dorsale  du  doigt,  un 
angle  qui  de  jour  en  jour  devient  plus  prononcé  jusqu'à  production  de  son  déta- 
chement ou  de  sa  destruction  complète. 


DERMATOSES.  715 

Dans  le  psoriasis,  les  lésions  ont  un  tout  autre  aspect.  L'ongle  se  poinçonne, 
offre  des  scissures  transversales  et  se  fendille  longitudinalement,  se  dissocie, 
puis  se  recouvre  de  squames  plus  ou  moins  épaisses.  J'ai  adressé  au  docteur 
Vérité,  à  la  Bourboule,  un  sujet  atteint  d'un  psoriasis  inveterata  qui  avait  le 
bout  du  doigt  renfermé  dans  une  gaine  épidermique,  comme  s'il  se  fût  agi  d'un 
doigt  de  gant.  Vérité  a  montré  ce  gant  épidermique  au  professeur  Hébra  en  lui 
faisant  remarquer  que  ce  fait  intéressant  venait  corroborer  l'opinion  de  Hérard 
qui  admet  la  réflexion  de  l'épiderme  sur  l'ongle,  contrairement  à  l'opinion  de 
Sappey,  qui  fait  cesser  l'épiderme  cutané  au  niveau  de  la  racine  de  l'ongle.  Ce 
qui  est  certain,  c'est  que  nous  avons  vu  plusieurs  fois  des  écailles  partielles  se 
développer  sur  la  lame  unguéale  des  sujets  atteints  de  psoriasis  invétéré.  11  est 
bon  de  remarquer  que,  si  l'eczéma  unguium  existe  souvent  seul,  il  est  rare 
d'observer  un  psoriasis  unguium  sans  manifestations  psoriasiques  sur  d'autres 
parties  du  corps. 

Lésions  des  vaisseaux  et  des  nerfs.  A  l'anatomie  embryonnaire  se  ratta- 
cbent  les  nsevi  formés  par  la  dilatation  des  capillaires  cutanés  et  des  tumeurs 
érectiles  ;  à  l'anatomie  descriptive  les  vergetures,  les  phlébectasics  capillaires 
ou  varices  de  la  peau  qui  sont  si  multipliées  chez  certains  sujets  ;  à  l'ana- 
tomie de  structure,  les  angiomes,  Rn  général,  les  lésions  des  capillaires  cutanés 
se  rattachent  à  des  inflammations  circonscrites  de  la  peau,  comme  l'acné  rosée, 
ou  à  des  tumeurs  néoplasmatiques. 

Les  lésions  des  nerfs  ont  été  peu  étudiées.  Verneuil  a  trouvé  les  papilles  tac- 
tiles hypertrophiées  chez  un  sujet  qui  avait  souffert  longtemps  d'un  prurigo. 
Quant  aux  lésions  des  nerfs  trophiques,  dont  on  a  fait  un  si  grand  abus  de  nos 
jours,  pour  remplacer  l'inconnu  par  quelque  chose  de  tangible,  nous  dirons  que 
leur  existence  et  même  celle  des  nerfs  qui  en  seraient  le  siège  est  encore  à 
l'état  d'hypothèse. 

TROISIÈME  PARTIE.  Symptomatologie.  Le  symptôme  est  une  modification 
morbide  de  l'action  organique,  de  la  fonction,  ou  un  changement  perceptible  aux 
sens  dans  les  qualités  physiques  de  l'organe  ou  des  matières  excrétées. 

L'école  allemande  a  reconnu  deux  ordres  de  symptômes  :  des  symptômes 
objectifs,  c'est-à-dire  qui  tombent  directement  sous  nos  sens,  et  des  symptômes 
subjectifs,  qui  ne  peuvent  être  perçus  que  par  une  opération  de  l'intelligence. 
Cette  distinction  nous  paraît  fausse  et  sans  valeur,  car  elle  repose  tout  entière 
sur  une  considération  prise  en  dehors  du  sujet  lui-même.  Combien  plus  naturelle 
et  plus  vraie  est  la  division  suivante,  que  l'on  doit  à  Galien  : 

!•>  Actiones  lœsœ.  Troubles  de  la  fonction;  2"  Excretorum  vitia.  Modifications 
et  perversion  des  produits  de  sécrétion  et  d'excrétion  ;  3°  Qualitatum  externarum 
corrupiiones.  Modifications  des  qualités  extérieures  de  l'organe. 

Cette  division  des  symptômes  est  certainement  la  plus  philosophique  de  toutes 
celles  qui  ont  été  proposées  par  les  auteurs  de  pathologie  générale.  Elle  va  nous 
guider  dans  l'étude  de  la  pathologie  cutanée. 

Chapitre  premier.  Actiones  l.ï:s.e  [Troubles  de  la  fonction).  Les  fonc- 
tions de  la  peau  sont  multiples.  Organe  du  tact  et  du  toucher,  la  peau  est  aussi 
une  enveloppe  prolectrice  du  corps.  Elle  est  le  siège  d'une  exhalation  et  d'une 
absorption  continuelles  ;  c'est  par  la  peau  qu'est  rejetée  au  dehors  une  partie 
des  matériaux  qui  ont  servi  à  la  nutrition;  elle  a  sa  part  dans  l'acte  respiratoire, 
et  peut  être  considérée  dans  l'état  physiologique  comme  un  auxihaire  de  l'arbre 


714  DERMATOSES. 

bronchique,  puisqu'elle  contribue  comme  le  poumon  à  la  combustion  de  l'hydro- 
gène et  du  carbone  du  sang  par  l'exhalation  qui  se  fait  à  sa  surface  d'eau  et 
d'acide  carbonique.  Il  résulte  de  là  que  la  sensibilité  cutanée  générale  et  spéciale, 
que  la  transpiration  et  l'exhalation  insensible,  que  la  protection  du  corps,  doivent 
être  plus  ou  moins  troublées  dans  les  divers  états  morbides  de  la  peau. 

Nous  exprimons  tout  d'abord  le  regi^et  que  ces  troubles  n'aient  pas  attiré 
autant  qu'ils  le  méritent  l'attention  des  dermatologistes.  Peu  de  recherches  ont 
été  entreprises  sur  cet  intéressant  sujet.  Nous  en  dirons  autant  de  l'étude  chi- 
mique des  produits  de  sécrétion  et  d'excrétion  cutanées.  II  y  a  évidemment  là 
une  lacune  à  combler  dans  les  études  dermatologiques.  Sur  les  muqueuses  qui 
avoisinent  la  peau,  on  constate  aussi  dans  les  dermatoses  des  troubles  de  la 
sensibilité  générale  et  spéciale.  Le  goût  est  altéré  dans  le  psoriasis  lingual.  Si 
cette  affection  s'étend  sur  les  joues,  la  sensiljilité  tactile  est  moindre,  bien  que 
la  sensibilité  à  la  douleur  soit  parfois  beaucoup  plus  grande.  La  vue,  l'odorat  et 
l'ouïe  subissent  également  des  modifications  plus  ou  moins  remarquables  dans 
les  dermatoses  de  la  conjonctive,  des  muqueuses  pituitaire  et  auriculaire.  Il 
n'est  pas  rare  de  constater  chez  des  sujets  atteints  de  dermatoses,  soit  une 
diminution,  soit  une  abclition  plus  ou  moins  complète  de  chacun  de  ces  sens. 
Au  point  de  vue  du  diagnostic,  il  importe  de  bien  apprécier  le  degré  d'affaiblis- 
sement qu'a  subi  la  sensibilité  spéciale. 

Les  séméiologistes  admettent,  depuis  Galien,  trois  modes  d'altérations  fonc- 
tionnelles dans  les  maladies  :  1"  augmentation  de  la  fonction  ;  1°  sa  diminution; 
5°  sa  perversion. 

On  peut  objecter  que  ces  expressions  sont  impropres  et  fausses,  car  l'hyper- 
esthésie  et  l'aneslliésie  sont  des  phénomènes  morbides,  et  non  des  phénomènes 
normaux  augmentés  ou  diminués.  Quoi  qu'il  en  soit,  nous  devons  étudier  ces 
trois  modes  de  la  sensibilité  morbide  sur  le  tégument  externe. 

A.  Troubles  de  la  sensibilité.  L'augmentation  ou  l'exaltation  de  la  sensibilité 
cutanée  s'appelle  hyper esthésie  cutanée  ;  sa  diminution  l'anesi/jes/e;  sa  perversion 
comprend  tous  les  modes  de  souffrance  de  la  peau  connus  sous  les  noms  de  pru- 
rit ou  démangeaison,  élancements,  douleurs  pongitives,  piqûres,  coups  d'épingles, 
de  canif,  cuisson,  sentiment  de  brûlure,  douleurs  térébrantes,  de  pression,  de 
déchirure,  etc.,  etc.  Cette  souffj'auce  est  vague,  diffuse,  mobile,  quitte  un  point 
pour  se  porter  sur  un  autre,  n'a  pas  de  limites  bien  arrêtées;  ou  bien  elle  est 
exactement  circonscrite,  fixe,  persistante,  ne  change  pas  de  caractère,  etc.  La 
souffrance  de  la  peau  peut  exister  seule,  sans  altération  appréciable  des  parties 
qui  en  sont  le  siège,  comme  dans  le  prurit  et  la  dermalgie;  d'autres  fois,  et  le 
plus  souvent,  il  existe  une  lésion  de  la  peau;  mais  rarement  la  souflrance  est  en 
rapport  avec  l'étendue  et  l'intensité  de  la  lésion.  Nous  verrons  plus  loin  quels 
signes  on  peut  tirer  de  ces  divers  modes  de  la  souffrance  cutanée  dans  le  diagnostic 
des  dermatoses. 

Les  modifications  que  subit  la  sensibilité  cutanée  dans  les  dermatoses,  sous 
le  rapport  de  l'augmentation  et  de  la  diminution,  ont  été  étudiées  expérimenta- 
lement d'une  manière  toute  spéciale  par  le  docteur  Rendu  {Recherches  sur  les  al- 
térations de  sensibilité  dans  les  affections  de  la  peau,  par  Rendu,  t.  Y  et  YI  des 
Annales  delà  dermatologie  et  de  la  syphilis,  publiées  par  Doyon).  Dans  ce  remai'- 
quable  travail,  M.  Rendu  étudie  séparément  les  trois  modes  de  la  sensibilité  cuta- 
née, sensibilité  tactile,  sensibilité  thermique  et  sensibilité  à  la  douleur  ou  sensi- 
bilité algésique.  Je  ne  puis  donner  ici  que  le  résumé  de  cet  intéressant  travail  : 


DERMATOSES.  715 

«  Les  divers  modes  de  la  sensibilité  dans  les  affections  cutanées  se  groupent 
de  la  façon  suivante  : 

«  Premier  groupe.  Diminution  de  la  sensibilité  tactile  et  thermique  ;  sensibilité 
à  la  douleur  conservée;  c'est  le  cas  le  plus  commun  (eczéma,  psoriasis,  lichen). 

«  2'^  groupe.  Exaltation  de  la  sensibilité  au  contact  et  à  la  douleur,  sensi- 
bilité thermique  émoussée;  c'est  le  type  de  la  dermite  franche  auquel  se 
rattachent  l'érysipèle,  l'herpès,  quelques  érythèmes,  une  bonne  partie  des  éruptions 
artificielles. 

«  S*"  groupe.  Intégrité  du  sens  du  tact  et  de  la  température,  coïncidant  avec 
une  analgésie  plus  ou  moins  prononcée  (quelques  formes  de  psoriasis  et  de 
prurigo,  lèpre). 

«  4'=  groupe.  Enfin,  dans  certains  cas,  l'hyperesthésie  se  joint  à  l'aneslliésie 
et  à  l'analgésie,  la  sensibilité  à  la  température  étant  intacte  ou  diminuée;  c'est 
ce  qu'on  remarque  dans  le  zona,  qui  forme  ainsi  une  catégorie  spéciale.  » 

Les  faits  exposés  dans  l'intéressant  mémoire  de  M.  Rendu  ont  besoin  d'être 
confirmés  par  de  nouvelles  recherches.  Il  nous  est  souvent  arrivé  de  constater, 
chez  les  lépreux,  l'abolition  la  plus  complète  de  la  sensibilité  tactile,  coïncidant 
avec  une  analgésie  profonde.  Cette  même  insensibilité,  nous  l'avons  retrouvée 
aussi  dans  quelques  cas  de  chéloïde  blanche  ou  morphée  anglaise. 

B.  La  peau  est  aussi  Vorgane  du  toucher.  Or,  le  toucher  est  très-souvent 
altéré  dans  les  dermatoses.  Les  doigts  exécutent  mal  leui^s  fonctions  quand  ils 
sont  le  siège  de  vives  démangeaisons,  et  surtout  de  squames  et  de  croûtes  qui 
empêchent  de  reconnaître  les  inégalités  et  la  forme,  l'étendue  et  la  consistance 
des  objets  extérieurs.  C'est  suitout  dans  l'eczéma  et  le  psoriasis  palmaire  et 
plantaire,  dans  l'eczéma  et  le  psoriasis  unguium,  que  se  remarque  cette  imperfection 
du  toucher 

C.  La  peau,  avons-nous  dit,  est  un  organe  de  protection.  Elle  protège  les 
parties  sous-jacentes  contre  l'action  des  milieux  dans  lesquels  nous  vivons  et 
contre  les  injures  que  peuvent  exercer  sur  eux  les  agents  extérieurs.  Or,  il  est 
évident  que,  quand  la  peau  est  couverte  d'excoriations  et  d'ulcères,  elle  ne  peut 
convenablement  remplir  ses  fonctions  préservatrices. 

D.  h^peau  contribue  pour  une  large  part  à  la  beauté  physique.  La  finesse 
de  la  peau,  sa  fraîcheur,  son  éclat,  sa  couleur,  Tabsence  de  rides,  d'écaillés, 
d'inégalités  plus  ou  moins  choquantes,  sont  des  qualités  bien  souvent  compromises 
par  la  présence  des  dermatoses. 

E.  La  peau  est  encore  un  organe  d" absorption  et  d'exhalation  ou  de  sécrétion. 
Malgré  la  couche  épidermique  dont  elle  est  revêtue,  la  peau  absorbe  une  partie 
plus  ou  moins  minime  des  liquides  et  des  gaz  avec  lesquels  elle  est  en  contact. 
L'absorption  cutanée  est  admise  aujourd'hui  par  le  plus  grand  nombre  des 
physiologistes.  On  doit  en  conclure  que,  quand  la  peau  est  couverte  de  croûtes 
de  la  tête  aux  pieds,  cette  faculté  absorbante,  si  elle  n'est  pas  tout  à  fait  supprimée, 
doit  être  au  moins  considérablement  diminuée,  et  qu'il  doit  en  résulter  un  trouble 
dans  l'économie  tout  entière.  L'application  sur  le  corps  des  enduits  imperméables 
a  rais  expérimentalement  ce  fait  hors  de  toute  contestation.  Ce  trouble  consiste 
surtout  dans  une  gène  plus  ou  moins  grande  des  fonctions  respiratoires.  Et 
cependant  nous  savons  par  l'expérience  que  les  psoriasiques  ne  se  portent  jamais 
mieux  que  quand  ils  sont  recouverts  de  leur  carapace  épidermique.  A  quoi  cela 
peut-il  tenir  ?  Évidemment  à  ce  que  le  psoriasis  met  du  temps  à  couvrir  toute  la 
surface  du  corps,  et  que  d'ailleurs  l'excrétion  abondante  d'épiderme,  qui  agit 


m  DERMATOSES. 

comme  moyen  épuratoire,  l'empoi  te  en  action  salutaire  sur  les  (juelques  maté- 
riaux que  la  peau  pourrait  fournir  à  l'économie  par  su  faculté  absorbante. 

r.  La  peau  est  un  organe  de  sécrétion  et  d'excrétion.  Les  sécrétions  sont  ie 
produit  des  glandes  sébacées  et  sudoripares.  Les  premières  donnent  lieu  à  une 
production  plus  ou  moins  abondante  d'humeur  sébacée  et  cérumineuse  ;  les  secondes 
à  la  matière  de  la  transpiration  insensible  et  à  la  sueur. 

Chapitre  II.  Excrementoruji  vitia  {Modification  des  produits  de  sécrétion 
et  d'excrétion  de  la  peau).  Nous  devons  comprendre  dans  la  même  étude  les 
divers  états  morbides  du  tégument  externe  et  ceux  des  membranes  muqueuses 
accessibles  à  nos  moyens  d'investigation.  Nous  aurions  ainsi  à  passer  rapidement 
en  revue  les  altérations  des  produits  de  sécrétion  et  d'excrétion,  non-seulement 
de  la  peau,  mais  encore  des  membranes  muqueuses  avoisinantes;  mais  cette 
étude  nous  entraînerait  bien  au  delà  des  limites  de  cet  article.  Nous  nous 
bornerons  donc  à  faire  connaître  les  principales  modifications  de  la  sueur,  de 
l'humeur  sébacée  et  de  l'excrétion  épidermique,  notions  indispensables  pour 
l'étude  complète  de  la  symptomatologie  cutanée. 

Les  produits  de  la  sécrétion  cutanée  sont  la  matière  de  la  transpiration  insen- 
sible et  la  sueur  fournies  par  les  glandes  sudoripares,  et  les  humeurs  sébacée 
et  cérumineuse  fournies  par  la  sécrétion  des  glandes  sébifères. 

La  matière  de  la  transpiration  insensible  est  un  lluide  ténu,  incolore,  inodore, 
qui  s'échappe  de  la  peau  dans  l'état  de  santé.  11  serait  difficile  d'indicjuer  quelles 
particularités  il  peut  offrir  dans  les  dermatoses.  Il  en  est  tout  autrement  de  la 
sueur,  qui  appartient  tout  à  la  fois  à  l'état  de  santé  et  à  l'état  de  maladie. 

Dans  l'état  physiologique,  la  sueur  varie  beaucoup  sous  le  rapport  de  la 
quantité,  selon  l'état  de  veille  ou  de  sommeil,  avant  ou  après  les  repas,  pendant 
l'état  de  repos  ou  à  la  suite  d'exercices  musculaires,  de  la  marche,  de  la  danse,  etc.; 
mais  elle  varie  aussi  selon  les  tempéraments  et  selon  les  prédispositions  à  telles 
ou  telles  dermatoses.  Chez  les  individus  d'un  tempérament  lymphatique  ou 
lymphatico-sanguin,  les  sueurs  sont  plus  faciles,  plus  abondantes  que  chez  ceux 
qui  ont  un  tempérament  bilieux  ou  nerveux.  Les  arthritiques  ont  généralement 
la  peau  moite,  plus  disposée  à  la  sueur  que  la  peau  des  dartreux,  qui  est  géné- 
ralement sèche,  aride  et  souvent  rugueuse  et  écailleuse. 

Dans  l'état  morbide  les  sueurs  sont  générales  ou  locales,  spontanées,  sympto- 
matiques  ou  critiques  ;  elles  varient  beaucoup  sous  le  rapport  de  la  quantité  et 
des  qualités. 

Des  sueurs  abondantes  précèdent  et  accompagnent  quelquefois  les  dermatoses. 
C'est  ce  que  l'on  observe  dans  la  miliaire,  et  particulièrement  dans  la  suette 
miliaire  ou  miliaire  épidémique. 

Les  sueurs  coexistant  avec  certaines  dermatoses  à  marche  aiguë  peuvent  être 
considérées  comme  critiques.  C'est  ce  qui  arrive  dans  le  cours  des  phlegmasies 
qui  se  jugent  par  des  sueurs  abondantes,  souvent  accompagnées  d'herpès  fébrile. 

Dans  les  dermatoses  plus  ou  moins  généralisées  avec  foyers  purulents,  les 
sueurs  sont  symptomatiques. 

Les  sueurs  colliquatives  des  cachexies  alternent  souvent  avec  la  diarrhée. 
Dans  la  cachexie  darlreuse,  elles  sont  souvent  remplacées  par  l'abondance  de  la 
prolifération  épidermique. 

Les  sueurs  sont  parfois  d'une  abondance  extrême,  dans  la  suette  miliaire,  par 
exemple.  Elles  sont  rares  ou  nulles  dans  le  diabète,  dans  l'anasarque.  Il  y  a 
entre  la  sécrétion  de  la  sueur  et  celle  de  l'urine  un  équilibre  qui  fait  augmenter 


DERMATOSES.  717 

l'une  quand  l'autre  diminue;  c'est  ainsi  que  la  sueur  est  rare  dans  la  polyurie, 
que  la  sécre'tion  urinaire  est  activée  chez  le  dartreux  qui  a  la  peau  revêtue  d'une 
enveloppe  écailleuse  ou  croùteuse,  de  même  qu'en  état  de  santé  on  voit  la  sueur 
diminuer  l'hiver,  inversement  à  l'urine,  qui  est  plus  abondante  l'hiver  que 
l'été. 

Les  sueurs  locales  habituelles  se  concilient  parfois  avec  l'état  de  santé  Les 
parties  qui  en  sont  le  siège  le  plus  ordinaire  sont,  les  mains,  les  pieds,  puis  les 
aisselles,  les  aines  et  la  nuque.  L'exagération  de  ces  sueurs  partielles  constitue 
plutôt  une  infirmité  qu'une  maladie. 

La  température  et  la  consistance  des  sueurs  intéressent  plus  particulièrement 
la  séraéiotique  générale. 

La  sueur  peut-être  colorée  en  jaune,  en  bleu,  en  noir  ou  en  rouge.  La  couleur 
jaune  a  été  vue  dans  l'ictère;  la  couleur  bleue  dans  certaines  névroses.  C'est  à  la 
couleur  noire  ou  bleu  foncé  de  la  sueur  qu'on  attribue  la  chromidrose,  affection 
si  souvent  simulée  qu'il  importe  de  se  mettre  en  garde  et  de  prendre  toutes  les 
mesures  nécessaires  pour  éviter  de  tomber  dans  le  piège  et  de  commettre  une 
erreur  toujours  préjudiciable  à  la  réputation  du  médecin. 

La  sueur  de  sang  constitue  la  derraorrhagie,  affection  rare  dont  on  ne  connaît 
pas  encore  la  signification  précise. 

L'odeur  que  donne  la  sueur  dans  l'état  de  santé  est  très-variable  :  l'âge  des 
sujets,  le  sexe,  le  tempérament,  les  régions  qui  sont  le  siège  de  la  sueur,  etc., 
sont  autant  de  conditions  qui  font  varier  cette  odeur.  Les  maladies  impriment 
aussi  à  la  sueur  des  odeurs  particulières,  mais,  en  général,  les  odeurs  chez  les 
sujets  atteints  de  dermatoses  tiennent  bien  plutôt  aux  écailles,  aux  croiîtes,  aux 
produits  de  sécrétion  morbide,  qu'à  la  sueur  elle-même. 

Pas  plus  que  les  odeurs,  les  saveurs  acide,  amère  ou  sucrée,  ne  se  lient  direc- 
tement aux  affections  cutanées. 

L'humeur  fournie  par  les  glandes  sébacées  est  destinée  à  enduire  les  cheveux 
et  les  poils,  et  à  leur  donner  un  vernis  qui  disparaît  quand  la  sécrétion  est 
empêchée  par  une  cause  quelconque.  Les  cheveux  sont  secs  dans  le  pityriasis 
pilaris,  parce  que  les  orifices  folliculaires  sont  hermétiquement  bouchés  par  des 
amas  d'épiderme.  Ils  sont  gras  par  suite  de  l'exagération  de  la  sécrétion  sébacée. 
L'humeur  sébacée  abondamment  sécrétée  sur  le  cuir  chevelu  s'y  concrète  sous 
forme  d'un  enduit  jaunâtre  ou  rougeâtre,  comparé  à  du  mastic,  qui  colle, 
agglutine  les  cheveux  et  occupe  leurs  intervalles.  Sur  les  régions  oii  les  poils 
n'acquièrent  pas  un  grand  développement,  cet  enduit  devient  brun  ou  noirâtre 
par  suite  de  son  exposition  à  l'air  et  des  corpuscules  pulvérulents  qui  viennent 
se  déposer  et  adhérer  à  sa  surface.  Mais,  si  l'exagération  de  la  sécrétion  sébacée 
est  portée  à  ses  dernières  limites,  l'humeur  sébacée  s'échappe  sous  forme  de  flux 
et  répand  dans  ces  cas  une  odeur  siii  generis  qui  rappelle  parfois  l'odeur  qui  se 
répand  dans  le  voisinage  des  fabriques  de  chandelles. 

C'est  à  l'absence  de  la  sécrétion  huileuse  qu'il  faut  attribuer  la  sécheresse  des 
cheveux  et  des  poils  et  les  gerçures  de  la  peau.  Si  l'on  en  croit  Double,  les  vête- 
ments de  laine  augmentent  cette  sécrétion  et  contribuent  à  la  conservation  de  la 
santé.  Elle  occasionnerait  quelquefois  l'amaigrissement,  qui  cesserait  dès  que 
l'on  cesserait  de  porter  des  vêtements  de  laine. 

Le  cérumen  est  une  humeur  sébacée  jaunâtre,  d'une  odeur  sui  generis,  fournie 
par  les  glandes  sébacées  du  conduit  auditif.  Son  exagération  produit  une  forme 
particulière  d'otorrhée.  La  sécrétion  cérumineuse  est  favorisée  par  les  tampons 


718  DERMATOSES. 

de  coton  ou  d'ouate  que  beaucoup  de  personnes  portent  habituellement  dans  les 
conduits  auditifs.  Le  coton  s'imprègne  de  cérumen  qui  s'y  dessèche  et  forme  un 
corps  étranger  qui  provoque  parfois  des  névralgies  ou  des  phlegraasies  auricu- 
laires, des  éruptions  eczémateuses  ou  furonculaires,  chez  les  personnes  prédis- 
posées. 

Excrétions  épidermiqiies.  L'épiderme  et  ses  dépendances,  cheveux,  poils  et 
ongles,  subissent  pendant  toute  la  vie  une  rénovation  continuelle.  Mais  ce 
renouvellement  non  interrompu  des  productions  épidermiques  subit  dans  certaines 
circonstances,  soit  des  arrêts  momentanés,  soit  des  variations  nombreuses  dans 
les  degrés  de  son  activité.  Dans  l'état  de  santé,  les  productions  épidermiques 
sont  subordonnées  à  l'âge  et  au  sexe,  aux  tempéraments,  aux  influences  climalolo- 
giques.  Quelquefois,  au  lieu  de  constater  de  simples  augmentations  ou  diminutions, 
c'est  une  véritable  perversion  de  productions  épidermi(jues  que  l'on  observe, 
comme  dans  l'ichtliyose.  Dans  les  dermatoses,  l'abondance  de  la  production 
épidermique  varie  beaucoup  selon  la  nature  des  alfections.  L'abondance  des 
squames  dans  les  syphilides  et  les  herpétides  explique  les  difficultés  que  l'on 
éprouve  parfois  à  les  distinguer.  A  la  diminution  de  l'acte  producteur  de  l'épiderme 
se  rapportent  la  chute  des  cheveux,  des  poils,  des  ongles  {voy.  Alopécie).  A 
l'augmentation  des  poils  et  des  ongles  nous  devons  rapporter  les  poils  surnumé- 
raires, l'exagération  de  la  production  pileuse  sur  certaines  régions  où  d'habitude 
ils  se  trouvent  à  l'état  rudimentaire,  la  déformation  par  l'allongement  excessif 
des  ongles,  les  cornes,  etc. 

Les  cheveux  offrent  de  nombreuses  variétés  tant  dans  l'état  de  santé  que  dans 
l'état  de  maladie  {voy.  l'art.  Cheveux  de  ce  Dictionnaire). 

Les  poils  se  montrent  parfois  très-développés  sur  des  lieux  insolites,  sur  le 
pavillon  de  l'oreille,  sur  le  nez,  etc.  Chez  l'homme,  ces  anomalies  n'ont  pas  le 
même  inconvénient  que  chez  la  femme  pour  qui  une  pareille  déviation  de  la  règle 
physiologique  constitue  une  difformité  qui,  parfois,  la  jette  dans  une  extrême 
désolation.  Les  poils  surnuméraires  ou  nœvi  piUferes  peuvent  se  montrer  sur 
toutes  les  parties  découvertes  et  même  sur  toutes  les  régions  du  corps. 

Les  poils  qui  peuvent  acquérir  chez  la  femme  un  développement  insolite,  et 
l'engager  à  consulter  l'homme  de  l'art  pour  en  obtenir  au  plus  vite  d'en  être 
débarrassée,  sont  ceux  des  lèvres,  du  menton,  des  parties  latérales  de  la  face 
(favoris),  des  bras  et  des  avant-bras.  Nous  verrons  plus  loin  combien  il  est 
difficile  d'obtenir  la  cure  radicale  de  cette  difformité. 

A  la  perversion  de  la  formation  des  poils  il  faut  rattacher  les  i-étrécissements, 
les  divisions  de  la  tige  des  poils,  qui  paraissent  bifides  {voy.  Cheveux  [patho- 
logie"'). 

Dans  certaines  dermatoses  très-rares,  les  poils  sont  remplacés  par  de  petites 
élevures  jaunâtres  que  j'ai  comparées  pour  la  couleur  à  une  croûte  de  pain  râpée 
à  la  surface.  On  constate,  dans  ce  cas,  que  le  conduit  pilifère  ne  renferme  qu'une 
substance  molle,  blanchâtre,  en  grande  partie  constituée  par  des  cellules  polyé- 
driques. C'est  une  variété  particulière  d'alopécie  due  à  un  trouble  de  sécrétion 
de  la  papille  pileuse. 

La  configuration,  la  couleur,  la  substance  propre  des  ongles,  peuvent  être 
altérées  dans  les  dermatoses.  La  déformation  des  ongles  s'observe  dans  bon 
nombre  d'affections  cutanées.  On  a  généralement  désigné  sous  le  nom  d'onyxis 
toutes  les  affections  cutanées  génériques  qui  peuvent  siéger  sur  la  matrice  de 
l'ongle  ou  sur  le  derme  sous-unguéal,  et  amener  ces  déformations.  J'ai  déjà  parlé 


DERMATOSES,  719 

plus  haut  des  caractères  qui  distinguent  l'eczéma  et  le  psoriasis  des  ongles.  11 
n'est  pas  exact  de  dire  avec  M.  Lailler  que  le  diagnostic  de  l'eczéma  et  du  psoriasis 
unguéal  est  difficile  en  l'absence  d'autres  manifestations  de  même  ordre  sur  le 
tégument  externe.  Il  suffit  des  signes  tirés  de  la  déformation  et  des  altérations 
de  la  lame  unguéale  pour  arriver  à  ce  diagnostic. 

Le  dermatologiste  doit  aussi  étudier  la  couleur  des  ongles,  qui  peut  devenir 
jaunâtre,  d'un  jaune  soufre,  livide  ou  noire  ;  les  altérations  de  la  substance 
propre  de  l'ongle  qui  s'amincit,  s'hypertrophie,  se  ramollit,  se  perfore  dans  les 
dermatoses  unguéales  {voy.  Oingles). 

Chapitre  III.  Qualitatum  externarum  corruptioiNes.  Les  modifications  des 
qualités  physiques  de  la  peau  et  des  muqueuses  accessibles  à  nos  moyens  d'inves- 
tigation constituent  deux  ordres  de  symptômes.  Les  uns  sont  communs  au 
système  cutané  et  aux  autres  systèmes,  comme  la  teinte  ictérique,  la  teinte  chlo- 
rotique,  la  cyanose  ;  les  autres  lui  appartiennent  en  propre  :  telles  sont  les  alté- 
rations pigmentaires  et  les  éruptions  cutanées.  Nous  n'avons  pas  à  nous  occuper 
ici  des  symptômes  communs  à  la  peau  et  aux  autres  systèmes;  leur  étude  appar- 
tient à  la  séméiotique  générale,  et  fait  partie  des  symptômes  et  des  signes  fournis 
par  l'habitude  extérieure  du  corps;  les  autres  sont  les  symptômes  simples  de  la 
peau,  et  les  symptômes  composés  ou  affections  cutanées  qu'on  désigne  d'une 
manière  générale  sous  le  nom  de  dermatoses.  Nous  les  partagerons  en  trois 
sections  : 

1°  Dermatoses  simples,  élémentaires;  2"  dermatoses  composées  (affections 
génériques  et  difformités)  ;  3°  dermatoses  propres  et  spéciales. 

A.  Symptômes  organiques  ou  DERMATOSES  élémentaires.  Le  phénomène  éruptif 
ou  l'affection  élémentaire  est  un  travail  morbide  qui  se  produit  sur  un  point 
circonscrit  de  la  peau  ou  des  muqueuses  avoisinantes,  quel  que  soit  le  mode 
pathogénique  ou  le  processus  de  ce  travail  morbide.  Ainsi  défini,  le  mot  éruption 
comprend  pour  nous  toutes  les  altérations  pigmentaires,  aussi  bien  que  les 
congestions  et  inflammations  circonscrites  de  la  peau. 

L'évolution  de  l'affection  élémentaire  ne  peut  donner  lieu,  sur  la  peau,  à  plus 
de  cinq  aspects  différents.  Prenons  pour  exemple  la  pustule  de  l'ecthyma  :  au 
début  c'est  une  tache,  plus  tard  un  bouton,  auquel  succède  une  croûte;  la  croûte 
tombe,  et  se  trouve  remplacée  par  un  ulcère,  qui  donne  lieu  à  une  cicatrice.  Ces 
cinq  périodes  du  travail  éruptif  le  plus  complet  réunies  constituent  la  lésion, 
vues  séparément  constituent  nos  quatre  ordres  de  symptômes  organiques  élémen- 
taires, et  un  cinquième  ordre  accessoire  pour  les  cicatrices.  Tout  symptôme 
organique  de  la  peau  a  nécessairement  sa  place  marquée  dans  l'un  quelconque 
de  ces  ordres.  L'étude  analytique  des  symptômes  fournis  par  la  peau  nous  obhge 
à  décomposer  ainsi  l'affection  élémentaire.  Nous  avons  donc  cinq  ordres  de  sym- 
ptômes à  étudier  successivement  : 

1°  Les  taches  ;  2"  les  boutons;  3°  les  exfoliations;  4°  les  ulcères;  5°  les  cica- 
trices. 

Les  symptômes  organiques  les  plus  simples  de  la  peau  offrent  des  caractères 
communs  aux  divers  ordres,  tels  que  le  siège  topographique,  la  forme,  la  couleur, 
le  nombre,  l'étendue,  l'évolution,  la  marche,  la  durée,  le  mode  de  terminaison, 
la  transformation  des  éléments  éruptifs,  leur  distribution,  leur  mode  de  groupe- 
ment, et  des  caractères  particuliers  que  leur  impriment  le  siège  anatomique  et  la 
modalité  pathogénique.  Ce  sont  ces  derniers  caractères  qui  constituent  la  derma- 
tose élémentaire  à  la  période  d'état  ou  l'ordre  de  Willan.  L'étude  des  variétés  de 


720  DERMATOSES. 

cette  dermatose  élémentaire  nous  mène  à  la  connaissance  des  genres  ou  des 
dermatoses  génériques.  A  la  séméiotique  cutanée  générale  appartient  cette  double 
étude  des  caractères  communs  à  tous  les  symptômes  simples  et  des  affections 
génériques  ;  à  la  séméiotique  cutanée  spéciale  celle  des  affections  propres  et  des 
affections  spéciales.  La  connaissance  des  symptômes  élémentaires  est  le  premier 
pas  fait  pour  arriver  au  diagnostic  de  la  maladie  ;  vient  ensuite  celle  des  affec- 
tions génériques,  et  entîn  celle  des  affections  spéciales,  qui  termine  et  complète 
le  diagnostic. 

Caractères  communs  aux  divers  ordres  de  symptômes  organiques,  a.  Siège. 
Les  éruptions  cutanées  peuvent  se  montrer  sur  toutes  les  régions  du  corps  et 
des  muqueuses  avoisinantes,  bien  que,  le  plus  communément,  elles  affectent 
chacune  un  siège  particulier.  Les  différences  qu'elles  présentent  sous  ce  rapport 
s'expliquent  généralement  par  les  diversités  anatomiques  des  régions  sur 
lesquelles  on  les  observe.  C'est  ainsi  que  la  pustule  d'acné  ne  se  voit  jamais  ni 
à  la  paume  des  mains,  ni  à  la  plante  des  pieds.  Mais  ces  différences  sont  surtout 
bien  remarquables  quand  on  compare  les  éruptions  des  muqueuses  à  celles  de  la 
peau.  La  strucluie  différente  des  deux  téguments  rend  compte  de  la  diversité 
des  éruptions  qui  se  produisent  à  leur  surface. 

b.  Caractères  physiques.  Ces  caractères  varient  selon  l'ordre  auquel  appar- 
tiennent les  éruptions.  Nos  quatre  ordres  d'éruptions  existent  seuls  ou  réunis  par 
deux,  par  trois  ou  même  tous  les  quatre  ensemble  sur  le  même  sujet.  Ces  érup- 
tions sont  parfois  toutes  semblables  de  couleur,  de  forme  et  d'étendue,  mais  le 
plus  souvent  elles  offrent,  sous  ce  rapport,  des  différences  extrêmement 
nombreuses. 

c.  Nombre  et  disposition.  Le  nombre  et  la  disposition  des  éléments  éruptifs 
ne  présentent  pas  moins  de  variations.  Le  nombre  est  quelquefois  si  multiplié 
qu'il  est  impossible  de  les  compter.  Dans  d'autres  circonstances,  il  existe  un 
élément  unique,  une  seule  bulle,  par  exemple  [pempJiigiis  solitariiis). 

Les  éléments  éruptifs  sont  symétriques  ou  insymétriques,  groupés  sur  un  seul 
point,  disposés  au  hasard  ou  dans  un  ordre  dét.erminé,  d'où  les  désignations  de 
formes  discoïde,  circinée,  en  fer  à  cheval,  marginée,  annulaire,  rubanée,  etc. 

Les  groupes  d'éléments  éruptifs  sont  irrégulièrement  distribués  sur  le  corps  ou 
bien  ils  occupent  la  ligne  médiane  symétriquement  disposés  de  chaque  côté,  ou 
des  points  symétriques  sur  le  tronc  et  les  membres,  les  deux  mains,  les  deux 
saignées,  les  deux  jarrets,  les  deux  oreilles.  Cette  symétrie  a  été  diversement 
expliquée  par  l'action  des  causes,  par  la  sympathie  des  parties  similaires,  par 
l'intervention  du  système  nerveux  agissant  directement  ou  par  action  réflexe  sur 
le  système  vaso-moteur.  Quelle  que  soit  la  cause  immédiate  de  cette  symétrie, 
quelque  explication  physiologique  que  l'on  veuille  en  donner,  sa  valeur  séméio- 
tique reste  toujours  la  même  ;  mais  on  a  voulu  à  l'occasion  de  celte  symétrie 
sortir  de  la  physiologie  pour  entrer  sur  le  domaine  de  la  pathologie,  et  dès  lors 
on  a  fait  fausse  route.  C'est  ce  qui  est  arrivé  à  M.  Léo  Testut  {De  la  sy^nétrie 
dans  les  affections  de  la  peau,  par  Léo  Testut,  ex-premier  interne  de  l'hôpital 
Saint-André,  de  Bordeaux).  Voy.  la  critique  qui  a  été  faite  de  ce  livre  par 
M.  Baudot  {Gaz.  hebd.,  n«  8,  juin  1877).     ' 

d.  Étendue.  Volume.  L'étendue  des  éruptions  tégumentaires  n'a  rien  de  fixe. 
Que  de  variétés  n'observe-t-on,  pas  depuis  le  point  imperceptible  que  représente 
la  pétéchie  jusqu'aux  larges  surfaces  occupées  par  l'exanthème  inflammatoire  de 
l'érysipcle  !  Que  de   différences  aussi  dans  le  volume   des   saillies  éruptivos, 


DERMATOSES.  '  7-21 

depuis  la  papule  du  lichen  et  l'éminence  acarienne  jusqu'à  la  tumeur  du  mycosis, 
justement  comparée  pour  le  volume  et  la  foi^rae  au  fruit  du  lycopersicum  connu 
sous  le  nom  de  tomate  ! 

e.  Développement.  L'éruption  tégumentaire  est  simultanée  ou  successive. 
Elle  naît  sur  un  point  pour  de  là  se  répandre  sur  toute  la  surface  du  corps  ; 
procède  de  bas  en  haut,  ou  commence  par  la  face  et  envahit  successivement  le 
cou,  le  tronc  et  les  membres.  D'autres  fois  elle  se  montre  sur  les  membres  supé- 
rieurs ou  inférieurs. 

f.  Évolution.  L'évolution  des  éruptions  est  subordonnée  à  la  maladie  dont 
elles  ne  sont  que  la  traduction  sur  la  peau,  et  nullement  à  la  nature  ou  au 
caractère  de  l'éruption  elle-même.  C'est  la  maladie  qui  explique  les  métamor- 
phoses de  l'éruption,  les  phases  successives  par  lesquelles  elle  passe.  Ainsi, 
suivant  les  cas,  la  tache  restera  tache  pendant  tout  le  cours  de  son  existence,  ou 
deviendra  successivement  bouton,  exfoliation  et  ulcère.  11  en  sera  de  même  du 
bouton,  qui  pourra  se  résoudre,  s'exfolier  ou  s'ulcérer,  de  l'exfoliation,  qui  restera 
toujours  et  constamment  exfoliation,  ou  passera,  suivant  les  cas,  à  l'état  d'ul- 
cère plus  ou  moins  rebelle. 

g.  Marche.  La  marche  de  l'éruption  cutanée  n'est  pas  toujours  celle  de  la 
maladie;  quelquefois,  l'éruption  débute  avecla  maladie  et  l'accompagne  jusqu'à 
sa  terminaison.  D'autres  fois,  elle  apparaît  au  début  de  la  maladie  et  ne  reparaît 
plus,  ou  bien  elle  se  montre  de  nouveau  et  à  diverses  reprises,  dans  le  cours  de 
la  même  maladie.  L'éruption  peut  être  périodique  et  même  intermittente.  Elle 
a  une  marche  aiguë  ou  chronique,  débute  par  l'état  aigu  ou  par  l'état  chronique. 
Dans  les  maladies  constitutionnelles,  on  voit  l'éruption  souvent  débuter  par  l'état 
aigu  et  passer  à  l'état  chronique,  aggravée  de  temps  à  autre  par  de  nouvelles 
poussées  aiguës. 

h.  Durée.  La  durée  est  indéterminée  et  varie  de  quelques  instants  à  une 
période  de  plusieurs  mois  et  même  de  plusieurs  années.  11  importe  de  distin- 
guer ici  la  durée  individuelle  des  éléments  éruptifset  la  durée  totale  de  l'érup- 
tion. Toutes  ces  variations  s'expliquent  à  la  fois  par  la  nature  de  la  maladie  et  le 
mode  pathogénique  ou  la  nature  particulière  de  la  lésion. 

i.  Terminaison.  Dans  les  maladies  aiguës,  les  éruptions  tégumentaires 
disparaissent  en  général  avec  la  maladie  dont  elles  ne  sont  qu'un  symptôme. 
Cette  disparition  a  lieu  sans  laisser  de  traces,  ou  bien  elle  laisse  des  traces  qui 
tantôt  ne  sont  que  temporaires,  et  d'autres  fois  sont  indélébiles.  Les  premières 
sont  des  maculatures,  et  les  secondes  de  véritables  cicatrices  qui  offrent  une 
étude  des  plus  intéressantes  pour  la  sémiotique  rétrospective. 

Dans  les  maladies  chroniques,  les  éruptions  peuvent  disparaître  pendant  le 
cours  de  la  maladie  qui  n'en  subsiste  pas  moins  après  leur  disparition,  et  souvent 
les  reproduit,  soit  avec  les  mêmes  caractères,  soit  sous  des  formes  différentes. 
Les  affections  qui  persistent  après  la  maladie,  arrêtées  dans  leur  développement, 
ne  sont  plus  que  des  difformités. 

j.  Transformation  des  éléments  éruptifs  ;  modes  de  distribution.  La  trans- 
formation des  éléments  éruptifs  dépend  de  la  nature  de  la  maladie;  il  en  est  de 
même  du  mode  de  distribution  des  dermatoses  élémentaires  dans  les  maladies 
aiguës  et  chroniques. 

Toutes  ces  modifications  des  éruptions  ont  été,  selon  nous,  rattachées  à  tort  à 
des  lois  qu'expliquerait  la  physiologie  sans  qu'il  fut  nécessaire  de  faire  inter- 
venir l'état  morbide. 

DicT.  FNC.  XXVIL  46 


722  DERMATOSES. 

Caractères  particuliers  a  chaque  section  de  symptômes  organiques  élémen- 
taires. Premier  ordre.  Taches  ou  macules.  La  tache  ou  macule  est  une 
simple  modification  de  la  couleur  de  la  peau  ou  des  muqueuses  avoisinantes, 
accompagnée  ou  non  d'une  légère  saillie  du  tégument. 

Ce  symptôme  comprend  deux  ordres  de  la  classification  de  Willan  :  les  exan- 
thèmes et  les  macules.  En  outre,  la  tache  est  souvent  le  premier  phénomène  de 
l'évolution  commençante  des  boutons,  des  exfoliations  et  même  des  ulcères;  puis 
on  la  voit  reparaître  après  la  guérison  de  ces  derniers  symptômes,  et  porter  alors 
le  nom  de  maculature  cicatricielle.  Il  y  a  donc  lieu  d'admettre  des  taches  initiales, 
des  taches  d'état  et  des  taches  terminales.  C'est  sur  la  tache  d'état  que  sont 
fondés  les  deux  ordres  exanthèmes  et  macules  de  Willan. 

Division.  Siège  anatomique.  Modalité  des  taches.  Nous  divisons  les 
taches  en  communes  ou  simples,  et  en  particulières  ou  composées.  Les  premières 
sont  formées  par  un  excès,  un  défaut  ou  une  répartition  inégale  du  sang  ou  du 
pigment;  les  secondes,  par  des  matières  étrangères  ou  par  des  causes  qu'il  est 
souvent  difficile  d'apprécier. 

Suivant  que  le  sang  est  contenu  dans  les  capillaires  de  la  peau  ou  extravasé 
dans  le  tissu  dermique,  nous  distinguons  les  taches  hématiques  ou  sanguines  en 
taches  inlra-vasculaires  et  en  taches  extra-vasculaires.  Les  premières  sont 
congeslives  ou  inflammatoires;  les  secondes  comprennent  le  purpura  et  les 
pétéchies. 

Le  sang  peut  donner  lieu  à  des  taches  blanches  par  son  absence  (taches  ortiées 
Whils),  ou  à  des  taches  blanches  sur  certains  points,  roses  ou  rouges  sur 
d'autres. 

L'injection  sanguine  congestive  qui  constitue  les  taches  intravasculaires  offre 
des  différences  selon  qu'elle  a  son  siège  sur  la  peau  ou  sur  les  muqueuses  ;  sur  la 
peau,  elle  se  présente  ordinairement  sous  forme  de  taches  pleines,  d'un  rouge  à 
peu  près  uniforme  sur  toute  l'étendue  de  la  tache,  tandis  que  sur  les  muqueuses 
l'injection  est  souvent  ramiforme.  Exceptionnellement,  j'ai  observé  cette  injection 
ramiforme  sur  la  peau,  dans  certains  cas  de  pityriasis  rubra  chronique,  dans 
certains  érythèmes  et  purpura  variqueux,  dans  la  couperose  et  dans  quelques  naevi 
vasculaires. 

On  a  cherché  à  déterminer  les  conditions  qui  régissent  la  couleur  et  la  forme 
des  macules.  Pour  ce  qui  est  de  la  couleur,  on  en  trouve  très-naturellement 
l'explication  dans  un  grand  nombre  de  cas.  Ainsi,  il  est  évident  que  c'est  le  sang 
contenu  dans  les  capillaires  qui  donne  la  coloration  rouge  aux  taches  exanthéma- 
tiques  ;  que  c'est  le  sang  extravasé  qui  donne  la  couleur  brune,  violacée  ou 
noirâtre  aux  taches  de  purpura;  que  c'est  l'excès  du  pigment  qui  donne  lieu  aux 
taches  jaunâtres,  brunâtres,  noirâtres  des  éphélides,  lentigo,  mélasma,  taches 
hépatiques,  etc.;  que  la  décoloration,  la  tache  blanche,  est  parfois  due  à  l'ab- 
sence du  sang  par  suite  de  la  compression  exercée  par  l'œdème  sur  les  capillaires 
cutanés,  dans  l'urticaire  blanche,  et  d'autres  fois  à  l'absence  du  pigment,  comme 
dans  la  pelade  achromateuse  et  l'achromie  lépreuse. 

Mais  il  est  plus  difficile  d'expliquer  la  cause  des  taches  composées.  Ainsi  en 
est-il  des  taches  cuivrées  que  Cazenave  et  Baumes  rattachent  à  une  altération  du 
pigment,  tandis  que  d'autres  la  font  dépendre  d'une  altération  du  sang  ou  l'attri- 
buent môme  à  la  présence  d'une  matière  étrangère. 

Parmi  les  taches  que  nous  appelons  particulières  ou  spéciales,  il  en  est  dont 
on  s'explique  plu'j  ii<"iK'ment  la  couleur  :  telles  sont  les  taches  noires  dues  à  une 


DERMATOSES.  725 

infiltration  cellulaire  de  mélanose,  les  taches  ardoisées  et  café  au  lait  dues  à  un 
mélange  de  pigment  et  de  parasites,  les  taches  multicolores  produites  par  le 
tatouage,  les  taches  jaunâtres  des  plaques  jaunes  des  paupières  produites  par  la 
stéatose  cutanée,  l'infiltration  de  graisse  dans  les  cellules  du  corps  muqueux. 

On  a  aussi  essayé  de  se  rendre  compte  de  la  forme  de  certaines  éruptions 
cutanées,  de  l'érythème  circiné,  par  exemple,  par  la  disposition  en  anses,  en 
réseaux,  en  grappes,  des  vaisseaux  capillaires  de  la  peau.  Assurément,  cette 
explication  mérite  d'être  prise  en  sérieuse  considération  ;  mais,  dans  les  affections 
parasitaires,  le  mode  de  germination  des  cryptogames  fournit  une  explication  plus 
simple  et  plus  naturelle  de  la  forme  arrondie  et  circinée.  En  effet,  lorsque 
un  champignon,  le  tricliophyton,  par  exemple,  est  déposé  sur  l'épiderme,  il 
provoque  une  rougeur  suivie  ou  non  de  vésiculation.  Tout  autour  des  spores 
primitivement  déposées,  il  s'en  développe  d'autres  qui  provoquent  à  leur  tour  le 
même  travail  inflammatoire.  La  rougeur  centrale  disparaît,  et  l'on  n'a  plus  que 
le  cercle  rouge  circonfércntiei  qui  répond  à  la  description  classique  de  l'herpès 
circiné.  Les  cercles  peuvent  être  incomplets.  Lorsque  le  centre  est  en  pleine 
végétation,  le  disque  est  plein,  on  a  une  tache  rouge,  parfaitement  circulaire  : 
c'est  la  forme  nummulaire. 

2*  ORDRE.  Boutons.  Nous  désignons  sous  le  nom  de  bouton  toute  saillie 
circonscrite  se  montrant  sur  la  peau  ou  sur  les  muqueuses  avoisinantes,  quels 
que  soient  d'ailleurs  son  volume,  sa  forme  et  sa  nature.  Donnant  à  ce  mot  une 
plus  grande  extension,  Sauvages  comprenait,  dans  la  classe  des  boutons,  toutes 
les  saillies  qui  peuvent  apparaître  sur  le  corps,  quel  qu'en  soit  d'ailleurs  le  siège. 
Pour  nous,  le  bouton  provient  toujours  de  la  peau  ou  du  tissu  sous-jacent. 

Siège  anatomiqiie.  Modalité  des  hoiitons.  Nous  admettons  deux  sortes  de 
boulons  :  des  boutons  liquides,  petites  poches  constituées  par  l'épiderme  et 
remplies  de  sérosité  ou  de  pus,  d'où  la  division  des  boutons  liquides  en  vésicules 
et  bulles,  pustules  et  pustulo-bulles,  et  des  boutons  solides  comprenant  les 
papules  et  les  tubercules. 

Les  boutons  liquides  sont  des  inflammations  exsudatives,  accompagnées  d'une 
sécrétion  séreuse  ou  purulente;  les  boutons  solides  sont-  des  inflammations 
hypertrophiques  ou  des  néoplasmes. 

Les  boutons  inflammatoires  et  hypertrophiques  constituent  des  affections 
communes  à  plusieurs  maladies,  c'est-à-dire  des  affections  génériques;  la  plupart 
des  boutons  néoplasmatiques  sont  au  contraire  des  affections  propres,  c'est-à- 
dire  des  affections  qui  ne  traduisent  qu'une  seule  maladie  sur  le  tégument 
externe.  Il  y  a  cependant  quelques  exceptions  à  cette  règle  :  c'est  ainsi  que  le 
sarcome  cutané  peut  appartenir  à  des  maladies  fort  différentes. 

Au  groupe  des  boutons  vésiculeux  nous  rapportons  le  sudamen,  la  miliaire, 
l'eczéma,  l'herpès  et  la  varicelle.  Ces  divers  éléments  vésiculeux  n'ont  pas  tous  le 
même  siège.  Gazenave  avait  hypothétiquement  placé  la  vésicule  à  l'extrémité  du 
conduit  sudoripare;  mais  ce  siège  n'appartient  en  réalité  qu'au  sudamen  et  à 
l'hidrosadénite  vésiculeuse,  affection  rare  dont  nous  avons  dernièrement  encore 
vu  un  remarquable  exemple  sur  la  paume  de  la  main  ;  après  la  rupture  de  la 
vésicule,  le  conduit  sudoripare  dilaté  s'était  transformé  en  véritable  trajet  fistu- 
leux,  et  l'on  voyait  sortir  un  liquide  sudoral,  plus  ou  moins  altéré,  par  l'orifice 
élargi  de  ce  conduit. 

D'après  les  analyses  microscopiques  les  plus  récentes,  le  mécanisme  de  la 
formation  des  vésicules  ne  serait  pas  le  même  que  celui  des  bulles  et  des  phlyc- 


7^4  DERMATOSES. 

^ènes.  Nous  avons  vu  précédemment  que,  suivant  M.  Renaut,  l'eczéma,  la 
miliaire  et  la  varicelle,  auraient  primitivement  leur  siège  dans  le  corps  muqueux 
de  Malpighi,  taudis  que  les  bulles  et  les  plilyctènes,  l'herpès  et  le  zona,  débute- 
raient par  une  lésion  du  derme  lui-même. 

Les  pustules  sont  distinguées  eu  superficielles  et  profondes  ;  les  premières  sont 
phlyzaciées  ou  psydraciées. 

Aux  pustules  phlyzaciées  se  rapportent  l'ecthyma,  qui  est  une  pustule  simple, 
et  le  rupia,  qui  est  une  pustulo-bulle.  Sur  le  siège  anatomique  de  l'ecthyma  et  du 
rupia  nous  ne  possédons  encore  que  des  hypothèses,  ainsi  que  nous  l'avons  déjà 
dit. 

Les  pustules  psydraciées  sont  au  nombre  de  quatre,  à  savoir  :  V impétigo,  la 
metitagre  superficielle,  la  miliaire  blanche,  qui  n'est  autre  que  l'acné  miliaire, 
et  V acné  pustuleuse.  Nous  ne  pouvons  encore  préciser  d'une  manière  exacte  le 
siège  de  l'impétigo;  ses  rapports  avec  la  mentagre  superficielle  et  la  miliaire 
blanche  nous  avaient  porté  à  croire  que  ces  trois  affections  pourraient  bien  avoir 
le  même  siège,  c'esL-à-dire  la  glande  sébacée,  mais  l'étude  histologique  qui  a  été 
l'aile  de  ce  dernier  élément  pustuleux  ne  nous  permet  plus  d'adopter  cette 
manière  de  voir,  qui  séparait  si  nettement  la  pustule  psydraciée  de  la  vésico- 
pustule  de  l'eczéma. 

Les  boutons  liquides,  vésicules,  bulles,  pustules,  s'observent  aussi  bien  sur  les 
muqueuses  rapprochées  de  la  peau.  Tantôt  on  les  voit  à  cheval,  en  quelque 
sorte,  sur  les  deux  téguments,  en  partie  sur  la  peau,  en  partie  sur  la  muqueuse. 
Ils  peuvent  se  produire  sur  toutes  les  muqueuses,  mais,  en  raison  de  la  minceur 
de  l'épithélium,  le  liquide  contenu  dans  la  poche  filtre  à  travers  cette  membrane, 
et  la  distension  de  la  poche  ne  se  fait  pas  comme  cela  a  lieu  quand  le  liquide 
s'accumule  sous  l'épiderme;  plus  souvent  encore,  les  poches  vésiculeuses  et 
huileuses  n'ont  qu'une  durée  éphémère;  l'épithélium  épaissi  et  blanchi  s'applique 
sur  le  chorion,  et  la  surface  malade  se  présente  sous  l'aspect  d'une  ou  de  plusieurs 
excoriations  rouges,  entourées  d'un  cercle  blanchâtre  formé  par  l'épithélium. 

Sur  toutes  les  muqueuses,  mais  plus  particulièrement  à  la  face  postérieure  de 
ia  lèvTB  inférieure,  et  sur  le  col  uté;in,  on  constate  souvent  la  présence  de  petites 
saillies  piriformes,  constituées  par  de  petites  poches  épithéliales  remplies  d'un 
liquide  clair.  Ces  petites  saillies  subglobulaires,  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec 
des  vésicules  d'herpès,  ne  sont  que  de  petits  kystes  succédant  à  l'oblitération  des 
orifices  des  conduits  glandulaires  ou  folliculaires. 

Les  pustules  profondes  sont  distinguées  par  leur  siège  :  le  sycosis  débute  par 
l'inflammation  du  bulbe  pileux  ;  l'hidrosadénite  suppurative  par  l'inflammation 
phlegmoneuse  de  la  glande  sudoripare  ;  le  furoncle  a  pour  siège  primitif  les 
aréoles  du  derme. 

Passons  aux  boutons  solides. 

Siège  anatomique  des  papules.  Les  auteurs  sont  loin  d'être  d'accord  sur  le 
siège  anatomique  de  la  papule.  Tandis  que  les  uns  ne  voient  dans  la  papule  qu'un 
état  morbide  de  la  papille,  les  autres  en  placent  le  siège  dans  les  follicules 
pileux  et  perspiratoires.  D'autres,  et  en  plus  grand  nombre  peut-être,  admettent 
que  la  papule  peut  siéger  primitivement,  soit  sur  les  papilles,  soit  sur  les  folli- 
cules. Selon  le  professeur  Hébra,  la  papule  et  la  vésicule  ne  sont  que  deux  degrés 
du  même  processus  morbide,  c'est-à-dire  d'une  exsudation  séreuse  dans  les  folli- 
cules pileux.  La  gouttelette  de  liquide  s'infiltre  dans  le  tissu  épidermique  de  la 
gaine  folliculaire,  soulève  l'épiderme  et  vient  faire  une  saillie  qui,  si  l'infiltration 


DERMATOSES.  725 

s'arrête,  est  une  papule,  et  une  vésicule,  si  elle  continue  et  finit  par  soulever  le 
feuillet  superficiel  de  l'épidémie.  Dans  cette  hypothèse,  la  papule  et  la  vésicule 
auraient  le  même  siège  auatomique.  Érasmus  Wilson  et  Tilbury  Fox  admettent 
pour  la  papule  deux  sièges  différents:  la  couche  papillaire  et  les  follicules;  mais, 
dit  Wilson,  la  papule  vraie  a  toujours  primitivement  son  siège  dans  le  follicule 
cutané.  Tilbury  Fox  est  du  même  avis,  et  ajoute  :  il  serait  important  de  distin- 
guer la  papule  vraie,  celle  qui  reste  papule  pendant  toute  la  durée  de  l'éruption, 
de  la  papule  qui  se  transforme  en  vésicule  ou  pustule,  et  que  l'on  pourrait 
appeler  période  (stage)  papuleuse  de  l'éruption. 

Pour  nous,  la  papulation  est  un  état  morbide  congestif  de  la  papille  qui  s'étend 
à  la  longue  aux  autres  éléments  du  tissu  cutané  ;  la  papille  que-  nous  appelons 
épidermique  en  est  plus  souvent  le  siège  que  la  papille  tactile  et  plus  souvent 
aussi  que  la  papille  pileuse.  On  objecte  à  la  localisation  papillaire  de  la  pa- 
pule :  la  plus  grande  fréquence  des  éruptions  papuleuses  sur  le  côté  externe 
des  membres,  l'absence  des  éruptions  papuleuses  sur  la  face  palmaire  des  doigts 
où,  cependant,  les  papilles  du  tact  présentent  leur  plus  grand  développement; 
le  groupement  des  papules  qui  ne  correspond  en  aucune  façon  à  la  disposition 
linéaire  des  papilles  ;  l'état  iiypertrophique  du  tissu  cutané  dans  tous  ses  élé- 
ments constitutifs,  et  non  exclusivement  dans  son  élément  papillaire  ;  mais  cette 
argumentation  n'est  nullement  convaincante  ;  si  les  papules  delà  partie  interne 
des  membres  et  de  la  face  palmaire  des  doigts,  où  les  papilles  du  tact  sont  plus 
développées,  sont  rares,  cela  tient  à  ce  que  l'affection  papuleuse  attaque  de  pré- 
férence les  papilles  épidermiques,  moins  protégées  que  les  papilles  du  tact  par 
les  produits  de  la  transpiration  cutanée.  Quant  à  l'hypertrophie  du  tissu  culané 
et  à  l'exagération  des  plis  naturels  de  la  peau,  ce  sont  là  des  effets  consécutifs 
qui  ne  s'observent  que  quand  l'affection  papuleuse  dure  depuis  longtemps. 

Les  papules  s'observent  aussi  sur  les  membranes  muqueuses  ;  c'est  surtout  sur 
la  langue,  sur  le  gland,  la  vulve  et  le  col  utérin,  qu'on  les  rencontre  avec  leurs 
caractères  les  plus  accentués  ;  mais  elles  diffèrent  de  celles  de  la  peau  en  ce 
qu'elles  ne  sauraient,  comme  ces  dernières,  constituer  un  ordre.  Les  papules  du 
prurigo  et  du  lichen,  dans  le  prurigo  pudendi  muUebris,  dans  le  prurigo 
podicis,  dans  le  lichen  des  organes  sexuels,  ont  leur  siège  sur  la  peau  et  non  sur 
les  muqueuses. 

Nous  divisons  les  boutons  solides  en  parasitaires,  hypertrophiques  et  néoplas- 
matiques.  Nous  appelons  boutons  parasitaires  l'éminence  acarienne,  qui  n'est 
autre  que  le  sarcopte  lui-même  recouvert  du  feuillet  le  plus  superficiel  de  l'épi- 
derrae,  et  le  godet  favique,  qui  n'est  que  Vachorion  à  son  début,  avant  la  rupture 
de  l'épiderme. 

Les  boutons  hypertrophiques  siègent  :  i  °  dans  les  papilles  ;  2"  dans  les  glandes  ; 
5"  dans  le  derme  lui-même  ;  A"  dans  le  tissu  sous-dermique. 

Les  boutons  papillaires  sont  les  papules  et  les  papillomes  :  aux  papules  :^t, 
rapportent  le  prurigo  et  le  lichen;  aux  papillomes  le  tylosis,  les  végétations  tt 
le  lichen  hypertrophique  de  Hardy,  que  nous  appelons  dégénérescence  papillaire 
de  l'eczéma.  Les  boutons  glandulaires  sont  l'acné  hypertrophique  et  l'acné  vario- 
liformo,  qui  n'est  qu'une  hypertrophie  de  la  glande  sébacée,  avec  l'étention  du 
produit  de  sécrétion.  Les  boutons  dermiques  sont  rarement  dus  à  une  simple 
hypertrophie  du  derme.  Ce  sont  les  boutons  qui  ont  été  appelés  tubercules  par 
les  dermatologistes,  et  auxquels  on  rapporte  généralement  le  lupus,  la  ciiéloïde 
d'Alibert,  le  molluscum,  etc.  Tous  ces  tubercules  peuvent  aussi  bien  être  rangt^ 


726  DERMATOSES. 

parmi  les  néoplasmes  que  parmi  les  hypertrophies.  Quant  aux  houlons  ou 
tumeurs  ni'oplasmatiques,  il  nous  a  paru  juste  de  prendre  pour  principe  de  leur 
classificalion  le  degré  de  ressemblance  que  présentent  leurs  éléments  constituants 
avec  ceux  de  la  peau  à  l'état  normal.  Les  tubercules  se  présentent  très-souvent 
sur  les  membranes  muqueuses.  Comme  à  la  peau,  ils  se  développent  ou  dans  le 
chorion  de  la  membrane  muqueuse,  ou  dans  le  tissu  cellulaire  sous-muqueux. 
Comme  sur  la  peau  également,  les  tubercules  des  muqueuses  sont  en  général  des 
affections  propres,  épithélioma,  adénome,  squirrhe,  carcine,  etc.  Seul,  le  tuber- 
cule du  lupus  est  une  lésion  commune  à  la  scrofule  et  à  la  syphilis. 

5"  ORDRE.  ExFOLiATiON's.  Nous  eutcndons  par  cette  expression  générique, 
exfoliations  cutanées^  des  produits  d'excrétion  et  de  sécrétion  qui  s'échappent 
de  la  peau  et  restent  appliqués  à  sa  surface  sous  forme  desquames  ou  de  croûtes; 
des  produits  mortifiés  qui  se  détachent  de  la  peau,  ou  enfin  des  parasites  plus 
ou  moins  adhérents  et  végétant  à  sa  surface.  Ce  n'est  pas  seulement  l'acte  de  la 
séparation  des  matières  étrangères  ou  des  parties  mortifiées  que  nous  appelons 
exfoliation  :  pour  nous,  ce  mot  désigne  aussi  le  corps  étranger  lui-même. 

Toute  matière  exfoliée  renferme  de  l'épiderme  en  plus  ou  moins  grande  quan- 
tité et  des  produits  étrangers  qui  en  différencient  la  nature.  Les  exfoliations 
cutanées  oui  toutes  ce  caractère  commun  qu'elles  sont  des  matières  étrangères  au 
corps  et  doivent  être  expulsées  et  séparées  de  la  peau. 

L'exfoliation  est  rarement  primitive  ;  elle  est  le  plus  souvent  consécutive  aux 
taches  et  aux  boutons. 

Siège  et  modalité  des  exfoliations.  Sous  le  rapport  de  la  composition,  on  peut 
rapporter  à  six  ou  sept  groupes  les  exfoliations  cutanées. 

1»  Les  exfoliations  gangreneuses  formées  par  des  gangrènes  spontanées  delà 
peau,  par  celles  que  l'on  observe  assez  souvent  dans  le  cours  des  fièvres  graves 
ou  sur  la  fin  des  maladies  chroniques;  par  les  gangrènes  accidentelles  du 
pemphigus  et  du  zona,  les  gangrènes  syphilitiques,  les  gangrènes  séniles,  les 
gangrènes  par  asphyxie  locale  ou  même  celles  qui  succèdent  à  l'usage  intérieur 
de  certains  poisons  (ergot  de  seigle)  ; 

2°  Les  exfoliations  parasitiques  produites  par  les  parasites  de  l'ordre  animal 
et  végétal.  Les  exfoliations  psoriques  sont  le  sillon  pour  l'acare  femelle  et  ses 
œufs,  et  l'éminence  acarienne  pour  l'acare  mâle. 

Les  exfoliations  dermophy tiques  sont  en  grande  partie  constituées  par  les 
champignons  parasites,  l'achorion,  le  trichophyton  et  le  microsporon,  et  sur  les 
muqueuses  par  l'oïdium  albicans.  Les  exfoliations  sont  tantôt  jaunes  ou  jaune- 
paille  (favus),  d'un  blanc  déneige  (trichophyton),  ou  couleur  café  au  lait  (micro- 
sporon furfur)  ; 

3°  Les  exfoliations  squameuses  ;  essentiellement  constituées  par  l'épiderme, 
elles  sont  farineuses,  lamelleuses  ou  cornées,  de  couleur  blanchâtre,  grisâtre  ou 
brunâtre,  parfois  tout  à  fait  noires,  comme  dans  Tichthyose  cyprine.  Pendant 
plusieurs  années  nous  avons  montré  à  nos  élèves  une  jeune  Irlandaise  qui  avait 
le  corps  couvert  de  cette  variété  rare  d'ichthyose.  Les  papilles  hypertrophiées 
étaient  chacune  couverte  d'une  squame  épaisse,  dure,  tout  à  fait  noire.  L'en- 
semble de  cette  singulière  affection  rappelait  la  cotte  de  mailles  des  anciens  che- 
valiers. Les  exfoliations  squameuses  se  produisent  aussi  sur  les  membranes 
muqueuses.  Nous  en  avons  un  remarquable  exemple  dans  certaine  variété  de 
psoriasis  lingual  (langue  d'argent).  Généralement,  sur  les  muqueuses,  l'exfolia- 
tion épilhéliale  ne  ressemble  nullement  à  l'exfoliation  épidermique  :  elle  est 


DERMATOSES.  727 

humide,  sous  forme  de  pseudo-membrane  ou  de  produits  excrétés  offrant  un 
aspect  particulier  (rougeole,  scarlatine)  ; 

4°  Les  exfoUatious  écailleuses,  formées  d'épiderme  et  de  matière  séro-albu- 
mineuse  ;  ce  sont  des  écailles  humides,  blanchâtres,  d'un  blanc  sale  ou  d'un 
blanc  verdàtre,  membraneuses,  assez  molles,  peu  épaisses,  quoique  plus  épaisses 
que  les  lamelles  simplement  épidermiques  ; 

5"  Les  exfoliations  sébacées  forment  de  petites  croûtes  minces,  quelquefois 
vermiformes,  blanchâtres  ou  grisâtres  et  plus  tard  de  couleur  brune  ou  noirâtre, 
surmontant  le  bouton  folliculaire;  d'autres  fois,  ce  sont  des  enduits  jaunâtres, 
très-adhérents,  comme  du  mastic,  sur  les  régions  velues,  ou  encore  des  lames 
adhérentes,  noirâtres  ou  grisâtres,  recouvrant  le  nez,  les  joues,  une  partie  ou 
même  la  totalité  de  la  figure.  Nous  les  avons  vues  formant  des  couches  granu- 
leuses, exhalant  une  odeur  sui  generis,  et  répandues  sur  toute  la  surface  du 
corps.  Quelquefois  la  matière  sébacée  s'amoncelle  sur  l'orifice  de  la  glande  et 
donne  lieu  à  l'affection  que  l'on  désigne  sous  le  nom  de  corne  sébacée.  Nous 
avons  vu  un  jeune  homme  qui  avait  la  figure  couverte  de  ces  cornes  sébacées 
noirâtres,  coniques,  de  2  à  3  centimètres  de  longueur  ; 

6°  Les  exfoliations  croùteuses,  dues  à  la  dessiccation  du  pus,  formant  des 
croûtes  de  diverses  couleurs,  florescentes,  brunes  ou  noires,  par  suite  de  leur 
mélange  avec  un  peu  de  sang  ; 

7*^  Les  exfoliations  pseudo-membraneuses.  On  les  rencontre  dans  les  scar- 
latines graves,  dans  la  diphlhérite  épidémique,  mais  ce  groupe  est  en  quelque 
sorte  exceptionnel  sur  la  peau. 

Quatrième  ordre.  Ulcères.  Nous  désignons  sous  le  nom  d'ulcère  toute 
solution  de  continuité  de  la  peau  ou  des  membranes  muqueuses  survenue  sponta- 
nément sous  l'influence  d'une  cause  interne  ou  entretenue  par  un  vice  intérieur. 

Siège  anatomique.  Mode  pathogénique.  Les  ulcères  sont  superficiels  ou 
profonds;  s'ils  n'intéressent  que  l'épiderme  et  sont  produits  par  la  rupture  des 
vésicules  ou  des  bulles,  s'ils  sont  le  résultat  d'une  déchirure  produite  par  les 
ongles,  on  les  nomme  excoriations;  étroits,  sans  grand  écartement  des  bords, 
plus  ou  moins  allongés,  siégeant  sur  le  pourtour  des  orifices  naturels,  ils  portent 
le  nom  de  fissures  ou  de  gerçures.  Lorsqu'ils  intéressent  toutes  les  couches  de 
l'épiderme  et  plus  ou  moins  la  superficie  du  derme,  le  plus  souvent  avec  fond 
granuleux,  ce  sont  les  idcérations.  Si  l'ulcère  est  étroit  sous  forme  d'un  pertuis 
qui  n'est  que  l'orifice  d'un  conduit  pénétrant  profondément  dans  la  peau,  ou 
même  au  delà  de  la  peau,  c'est  un  orifice  fistuleux.  Enfin  l'on  désigne  sous  le 
simple  nom  d'ulcères  les  solutions  de  continuité  plus  ou  moins  étendues  qui 
intéressent  les  couches  moyenne  et  profonde  du  derme  et  des  parties  molles 
sous-jacentes  jusqu'aux  os. 

Les  ulcères  sont  communs  aux  deux  téguments  ;  les  mêmes  divisions  sont  appli- 
cables à  ceux  des  membranes  muqueuses  aussi  bien  qu'à  ceux  de  la  peau.  Les  ul- 
cérations, les  ulcères  et  les  perforations  s'observent  plus  fréquemment  sur  les  mu- 
queuses que  sur  la  peau,  ce  qui  tient  à  la  minceur  de  l'épithélium,  qui  se  rompt 
plus  vite  que  l'épiderme,  et  à  la  résistance  moins  grande  du  chorion  des  muqueuses. 

Quel  est  le  processus  de  l'ulcère?  Hunter  a  admis  l'inflammation  ulcéreuse. 
C'est  en  effet  un  mode  particulier  de  l'inflammation.  Mais  il  n'en  est  pas  toujours 
ainsi,  et  très-souvent  l'ulcère  survient  sans  être  précédé  de  symptômes  inflam- 
matoires; un  ramollissement  simple,  un  ramollissement  tuberculeux  ou  cancé- 
reux, une  hémorrhagie  intra-cutanée,  sont  parfois  les  seules  lésions  qui  pré- 


728  DERMATOSES. 

existent  à  l'ulcère.  D'autres  auteurs  ont  considéré  le  travail  ulcératif  comme  une 
forme  particulière  de  la  gangrène,  à  laquelle  ils  ont  donné  le  nom  de  gangrène 
parcellaire  ou  moléculaire. 

Ordre  accessoire.  Cicatrices.  Nous  comprenons  parmi  les  cicatrices  les 
simples  maculatures  qui  succèdent  à  l'évolution  d'une  tache  ou  d'un  bouton,  et 
la  production  du  tissu  nouveau  qui  est  consécutive  à  la  solution  de  continuité 
des  téguments.  Le  classement  de  nos  symptômes  organiques  est  représenté  par 
le  tableau  ci-dessous  : 

CLASSIFICATION  DES  SYMPTOMES  ORGANIQUES  ÉLÉMENTAIRES  DE  LA  TEAU 


i"  Or.DRE.  —  TACHES. 


1°  Taches 

communes. 


2°  Taches 
spéciales. 


Taches 
sigmenlaires 


Acliromiques.  .  . 
llyperchi'ofniques. 
Dyschroiniques  .   . 


Défaut  de  pigment.  , 
Excès  de  pigment  .  . 
Répartition  inégale. 


Taches 
liématiques. 


Excès  de  sang 

inlra- 
vasculaires. 

Excèsdesang 

extra- 

vaseulaircs. 

Défaut  de  sang 


Congestives. 


Exanlhènaes 
[maculx 
ruhrx). 


■  Inflammatoires. 


Hémori'hagiques 


liépartition  inégale 

Taches  rouges  par  infiltration  cellulaire  d'hémaloïdine. 

Taches  noires  par  infiltration  de  mélanose. 
)  Taches  jaunes  par  stéatose  cutanée. 
I  Taches  bleues,  chromhidrose.  • 

'  Taches  multicolores,  tatouage. 

Taches  cuivrées,  syphilis. 

2^  Ordre.  —  BOUTONS. 

Sudamina. 
Miliaire. 

■  Vésicules {  Eczéma. 

Herpès. 


Lèpre,  pelade. 
Ephélides,  mélasma,  etc. 
Vililigo. 

Érythème. 
I  Urticaire. 

Roséole. 
I  Piougeole. 

Scarlatine. 

Erysipèle. 
\  Lymphite  cutanée. 

j  Purpura. 
I  Pétéchjes. 

Urticaire  hianche. 
(  Cnidosis  avec  taches  rouges 
(      et  blanches. 


Se  l' eux 


1°   BOUTOXS 
LIQUIDES . 


Varicelle. 

n  11  \  Penaphigus. 

•1^"'"=^ Iphlvctènes. 


'Psydraciées 


1  Purulents 


'  Parasitiques. 


Pustules  su- 
perficielles. 


Pustules 
profondes. 


I  Miliaire  blanche. 
I  Menlagre. 
j  Acné. 
Umpétigo. 


(       Pustule      1  „  ,, 
Phlyzaciées.  .         simple.       }  E'^U'Y™'». 
I  Pustulo-bulle.  Rupia. 

(  Follicule  pileux Sycosis. 

\  Follicule  sudoripare  ....     Hidrosadénite. 
(  Aréoles  dermiques Furoncle. 

Eminence  acarienne. 


2°   BOL'TOA'S 
SOLIDES. 


Congestifs  et  hypertrophiques, 


1  Papules 


j 

(  Godet  favique. 

Prurigo. 

Lichen. 


'  Néoplasmatiques. 


(Tubercules Lupus. 

Mycosis. 

Squirrhe. 
I  Carcine. 
I  Frambœsia. 


'  Granulation 
,  Gomme. 


tuberculeuse. 

morveuse. 

lépreuse. 


DERMATOSES.  729 

5"  Ordre.  —  EXFOLIATIO^'S. 

I  Exfoliations  psoriques.  .   .   .    Éminenceacarienne,  sillons. 

1"  ExFOLiATiONS  PARASiTAinES j  Exfoliutions  \  Favus  el  teigne  tousurante. 

'  dermopliyliques.  I  Êpidermojihyton. 

(  Pityriasis. 

2°  Exfoliations  squameuses )  Psoriasis. 

(  Ichthyose. 

,  Eczéma  squameux. 

ô"  Exfoliations  choutellelses )  Pemphigus   en   desquama- 

I      tien. 

i  Impétigo,  j      .  ,  . 

•i"  Exfoliations  crooteuses <  Eclhvma    '      *      perioae 

iRupia  .  ;  ^  de  dessiccation. 


l  Acné  sébacée  concrète. 


0°  Exfoliations  sébacées !  Acné  sébacée  cornée   (cor- 

'     nés  sébacées).. 

;  Terminaison-accidentelle.   .]  j„         '° 

6°  Exfoliations  GANonÉNEUSES ;  t.  """i         i- 

i  T    „■     ■        u  1  ■.     Il  1  Pustule  maligne. 

(  Terminaison  habituelle.  ••{(■11, 

4''  Ordre.  —  ULCÈRES. 

S  Ulcère  épilhélinl.  Cancroïde. 
Chancre  syphilitique. 
Chancre  arsenical. 

Excoriations  ou  érosions  sèclies  ou  humides lu 

(  Herpès. 

1  Bulles,  .    .   .  1  de   la   peau 
Pustules    .  .  >       et  des 
Phlyclènes.  .  muqueuses. 
coNSECDriFS.  )  '  (  superlicielies  ou  exlra-cuta- 

1  Fistules (      nées FoUiculitfe. 

'  profondes  ou  inlra-cutanées.     Hidrosadénite. 

T,.  .  .  1-.  l  Affections  propres Tuberculeux,  lépreux,  pian. 

I  Ulcères  proprement  dits  .   .  .  ?  .«    .■  ,    .  ■  r.  .,         ,      ,  .,?  K ,  , 

*^    '^  1  Affections  génériques.  .   .   .     Ecthyma  (syphilis,  scrofule). 

5°  Ordre.  —  CICATRICES. 

-MACOLATunES provenant  d'affections l'^ .  \  ■  ' 

'  \  I  génériques. 

/  Lésions  apparentes Gomme,  lupus,  etc. 

Cicatrices  propbeuext  dites  .  l  i  Lupus  érythémateux,  cica- 

I  „        , ,  .                   .                             .1      trices  sous-épidermiques 
[Sans  lésion  apparente  .   .   . provenant   d'obésité,    de 

\     grossesse,  d'anasarque. 

Réfutation  des  objections  faites  a  notre  classification  des  symptômes  orga- 
niques ÉLÉMENTAIRES  DE  LA  PEAU.  On  a  Critiqué  les  expressions  dont  nous  nous 
sommes  servi  pour  désigner  les  classes  des  symptômes  organiques.  Seul,  le  mot 
tache,  par  lequel  nous  désignons  la  première  classe,  a  trouvé  grâce  auprès  de 
nos  détracteurs. 

Le  mot  bouton  est,  dit-on,  trivial.  Est-ce  bien  à  ceux  qui  ont  réhabilité  le  mot 
dartre  à  nous  faire  un  pareil  reproche?  Le  mot  bouton  (bothor)  a  été  employé 
comme  terme  générique  par  Sauvages.  C'est  une  expression  traditionnelle  et 
qui  n'a  pas,  comme  le  mot  dartre,  perdu  son  véritable  sens  eu  passant  du  glos- 
saire médical  dans  la  langue  populaire. 

Malgré  son  imperfection,  que  nous  sommes  le  premier  à  reconnaître,  le 
mot  exfoliation  nous  a  paru  plus  propre  à  désigner  toutes  les  excrétions  cuta- 
nées, les  portions  de  peau  mortifiée,  les  parasites  enveloppés  d'épiderme,  que  le 
mot  corps  étranger,  auquel  la  chirurgie  a  donné  un  sens  restreint. 

Les  ulcères  et  les  cicatrices  sont  toujours  des  lésions  consécutives,  dit-on; 
d'accord,  mais  elles  n'en  sont  pas  moins  des  symptômes  organiques  qui  méritent 


750  DERMATOSES. 

une  descriplion  à  part;  et  qui  ont  une  valeur  dans  le  diagnostic,  le  pronostic  et 
le  traitement  des  maladies. 

Notre  classe  des  symptômes  élémentaires  est  destinée  à  combler  une  lacune 
qui  existe  dans  tous  les  traités  de  pathologie  cutanée.  Elle  dissipe  la  confusion 
qui  existe,  chez  les  auteurs,  entre  la  lésion  et  le  symptôme,  entre  la  lésion  pri- 
mitive et  la  lésion  consécutive.  La  tache  congestivc  peut  être  primitive  ou 
consécutive  ;  il  en  est  de  même  de  la  squame.  La  lésion  élémentaire  a  été,  à  tort, 
confondue  avec  la  lésion  primitive ,  c'est  la  lésion  arrivée  à  la  période  d'état  sur 
laquelle  Willan  a  fondé  ses  ordres.  La  lésion  élémentaire  d'une  affection  cutanée 
jie  se  présente  pas  toujours  à  l'œil  de  l'observateur  qui  ne  constate  que  des 
symptômes  actuels,  et  c'est  par  l'étude  approfondie  des  symptômes  organiques 
actuels  qu'il  parvient  à  établir  la  lésion  élémentaire  de  l'affection,  autrement 
dit  la  période  d'état  de  l'aflection  cutanée.  Ainsi  la  lésion  élémentaire  de  l'eczéma 
est  la  vésiculation.  Or,  quand  le  malade  atteint  d'eczéma  consulte  l'homme  de 
l'art,  la  vésiculation  peut  très-bien  ne  pas  exister;  il  y  a  mieux,  c'est  que  dans 
le  plus  grand  nombre  de  cas  elle  n'existe  pas,  et  qu'on  n'arrive  à  la  reconnaître 
que  par  la  rougeur  piquetée,  les  excoriations  et  ulcérations,  la  nature  des 
squames,  le  prurit  constant,  le  suintement  d'un  liquide  visqueux  qui  empèse  le 
linge  et  le  colore  en  gris. 

B.  Symptômes  composks  ou  dermatoses  génériques  et  difformités  cutanées.  Le 
court  exposé  analytique  que  nous  venons  de  faire  des  symptômes  élémentaires 
nous  conduit  à  l'élude  des  symptômes  composés,  autrement  dit  des  dermatoses 
génériques  ou  affections  génériques  de  la  peau  et  des  difformités  cutanées. 

i"  Dermatoses  gém':riques.  Nous  entendons  par  affection  générique,  en 
pathologie  cutanée,  un  état  morbide  de  la  peau  caractérisé  par  un  ensemble  de 
phénomènes  éruptifs  élémentaires,  simultanés  ou  successifs,  ayant  chacun  son 
évolution  particulière,  et  dont  l'ensemble  constitue  une  seule  et  même  affection 
commune  à  plusieurs  maladies. 

Quels  sont  les  symptômes  organiques  qui,  pris  à  la  période  d'état  de  la  lésion 
élémentaire,  vont  nous  servir  à  constituer  les  genres?  Cherchons-les  seulement 
dans  nos  trois  premières  sections  de  symptômes  organiques,  car  il  est  évident 
que  l'ulcère  et  la  cicatrice,  étant  toujours  des  lésions  consécutives,  terminales, 
ne  sauraient  représenter  la  période  d'état  d'une  affection  quelconque. 

Dans  ces  recherches  nous  aurons  soin  d'élaguer  les  difformités  qui  sont  des 
affections  arrêtées  dans  leur  évolution,  et  les  affections  propres  qui  ne  se  ratta- 
chent qu'à  une  seule  maladie. 

Commençons  par  les  taches.  Les  taches  communes,  avons-nous  dit,  sont 
pigmentaires  ou  hématiques.  L'altération  pigmentaire  n'est  pour  nous  qu'une 
difformité  (nœvus)  ou  une  affection  propre  (achromie  lépreuse);  elle  peut,  il  est 
vrai,  se  montrer  dans  plusieurs  maladies,  et  même  dans  chacune  offrir  des 
caractères  particuliers,  mais  la  lésion  est  toujours  la  même  et  ne  varie  que  sous 
le  rapport  du  nombre  et  de  l'étendue;  elle  ne  subit  aucune  évolution.  Pai 
conséquent,  c'est  uniquement  parmi  les  taches  sanguines  que  nous  aurons  à 
choisir  nos  affections  génériques. 

Les  taches  sanguines  sont  intra  ou  extrà-vasculaires.  La  tache  extra-vasculaire 
nous  conduit  au  diagnostic  du  purpura,  qui  est  une  affection  propre.  Les  taches 
intra-vasculaires  sont  congestives  ou  inflammatoires;  la  tache  inflammatoire 
caractérise  une  pblegmasie  qui  est  Férysipèle.  C'est  donc  aussi  une  affection 
propre.    Les    taches   congestives    sont  initiales,   terminales  ou  d'état.    Cette 


DERMATOSES.  731 

tlernière  seule  a  son  autonomie,  ses  évolutions;  les  autres  ne  sont  que  des 
périodes,  des  stades  d'évolution  de  la  dermatose  élémentaire.  Aux  taches  d'état 
se  rapportent  celles  de  l'érythème,  de  l'urticaire,  de  la  roséole  et  de  la  scarlatine. 
Ces  deux  dernières  caractérisent  deux  maladies,  et  sont  des  affections  propres; 
les  trois  premières  sont  communes  à  diverses  maladies  et  constituent  par  consé- 
quent trois  aiïeclions  génériques. 

Je  passe  à  l'ordre  des  boutons.  Dans  cet  ordre  les  affections  génériques  se 
trouvent  encore  presque  exclusivement  renfermées  dans  le  groupe  des  boutons 
inflammatoires,  qui  sont  liquides  ou  solides. 

Aux  boutons  liquides  se  rattachent  les  vésicules,  les  bulles  et  les  pustules. 

Nous  comprenons,  parmi  les  vésicules,  les  sudamina,  la  miliaire,  l'eczéma, 
l'herpès  et  la  varicelle.  Les  sudamina  sont  des  lésions  tout  à  fait  accidentelles, 
qui  ne  subissent  aucune  évolution,  et  ne  sauraient  constituer  autre  chose  qu'une 
simple  dermatose  élémentaire.  Les  quatre  autres  variétés  de  vésicules  se  ren- 
contrent chacune  dans  des  maladies  différentes  :  elles  constituent  donc  quatre 
affections  génériques  qui  se  distinguent  par  la  diversité  des  vésicules  qui  les 
composent. 

Les  bulles  se  rencontrent  comme  accidents  dans  diverses  affections  de  cause 
externe  et  de  cause  interne,  comme  dans  la  brûlure  et  l'érysipèle,  et  sont  dans 
ces  cas  appelées  phlyctènes;  ou  bien  leur  ensemble  est  régulier,  leur  développe- 
ment successif;  l'éruption  offre  des  caractères  qui  lui  sont  particuliers,  subit 
des  évolutions,  et  l'affection  porte  alors  le  nom  de  pemphigus.  On  le  rencontre 
dans  des  maladies  fort  différentes  :  le  pemphigus  est  donc  aussi  une  affection 
générique. 

Les  pustules  sont  superficielles  ou  profondes.  Les  pustules  superficielles  se 
distinguent  en  pustules  phlyzaciées  et  pustules  psydraciées.  Parmi  les  premières 
nous  comptons  la  pustule  simple  ou  l'ecthyma,  el  la  pustule  composée  oupustulo- 
buUe,  le  rupia. 

L'eclhyma  et  le  rupia  sont  deux  affections  génériques  que  l'on  rencontre  dans 
les  maladies  de  cause  externe  et  dans  les  maladie  de  cause  interne.  Les  secondes 
sont  l'impétigo,  la  miliaire  blanche,  l'acné  pustuleuse  et  la  mentagre  pustuleuse, 
qui  sont  quatre  affections  génériques.  Peut-être  n'en  devrions-nous  reconnaître 
que  trois,  car  la  miliaire  blanche  ne  nous  paraît  différer  de  l'acné  pustuleuse 
que  par  son  siège  topographique,  et  non  par  son  siège  anatomique  qui  est,  dans 
le  premier  cas,  les  glandes  sébacées  annexées  aux  poils,  et,  dans  le  second,  les 
glandes  sébacées  à  poils  rudimentaires. 

Les  pustules  profondes  sont  celles  du  sycosis,  de  l'hidrosadénite  pustuleuse 
et  du  furoncle,  trois  affections  que  nous  comptons  aussi  parmi  les  affections 
génériques. 

Les  boutons  solides  se  divisent  en  boutons  parasitaires,  qui  sont  des  affections 
propres,  en  boutons  congestifs  et  hypertrophiques,  et  en  boutons  néoplasma- 
tiques. 

Les  boutons  congestifs  et  hypertrophiques  ont  été  partagés  en  papules  et  en 
tubercules,  mais  cette  ancienne  division  est  aujourd'hui  quelque  peu  contestée. 
Nous  venons  de  voir,  en  effet,  que  les  divisions  des  taches  et  des  boutons  liquides 
sont  fondées,  non-seulement  sur  les  apparences  extérieures,  mais  encore  sur  la 
constitution  analomico-histologique  de  la  lésion.  Or,  s'il  est  possible  de  ne  voir 
dans  la  papule  qu'une  simple  congestion  ou  une  hyperti'ophie,  cela  n'est  plus 
possible  pour  les  lésions  décrites  sous  le  nom  de  tubercules.   Sous  cette  dési- 


732  DERMATOSES. 

gnalion,  Baleman,  Gibert,  etc.,  comprennent  le  lupus,  la  chéloïde  d'Alibert,  le 
pian,  le  mycosis,  etc.,  toutes  affections  de  structure  fort  diiïérente.  Peut-être 
pourrait-on,  à  l'exemple  de  Tilbury  Fox,  conserver  le  molluscum  fibroïde,  le 
lupus,  dans  l'ordre  des  tubercules,  mais  il  faut  une  autre  division  pour  le  pian, 
le  frambœsia,  le  mycosis,  etc.  Plus  le  bouton  s'éloigne  de  la  constitution  nor- 
male de  la  peau,  et  plus  il  a  de  tendance  à  devenir  une  affection  propre. 

Nous  divisons  les  boutons  hyper  trop  hiques  en  boutons  papilbires,  glandulaires 
et  dermiques. 

Dans  les  boutons  papillaires  nous  trouvons  le  prurigo  et  le  lichen,  deux  genres 
cutanés;  et  dans  les  boutons  dermiques,  le  lupus  seulement,  qui  pourrait  aussi 
bien  faire  partie  des  néoplasmes  que  des  boutons  liypertrophiques. 

Les  boutons  glandulaires  sont  tous  des  affections  propres. 

L'ordre  des  exfoliations  nous  donne  enfin  deux  affections  génériques,  le  pity- 
riasis et  le  psoriasis.  Quant  à  l'ichthyose,  ce  n'est  qu'une  difformité  qui  ne  varie 
que  du  plus  au  moins,  et  ne  saurait  être  considérée  ni  comme  une  affection 
propre,  ni  comme  une  affection  générique. 

En  résumé,  voici  le  tableau  de  nos  affections  génériques  de  la  peau  : 


CLASSIFICATION   DES   DERMATOSES   GENERIQUES. 

I  Roséole. 

ORDRE      (  Taches  sariguiiies  consestives )  Érvihème. 

i'^^  ^*"'^5-    '  (  Urlicâire. 

/  Miliaire. 
,, .  .     ,  \  Eczéma, 

^•^'1^"'*=* Herpès. 

'  Varicelle. 

Bulles.  . Pemphigus 

\  Ecthyma. 


(  Rupia. 


2»  Ordre  \  pustulo-buUcs 

DES     ROUTONS. 


Pustules       \  \  P^ydl■aciées 

et  ' 


Boutons  j  /  Phlyzaciées.  . 

liquides.^  (  SuperHciels .  |  ^Impétigo. 

Miliaire  blanche. 

Mentagre. 
\  Acné  pustuleuse. 

SSycosis. 
Hidro;adénite. 
Furoncle. 

„                r.       I  ^  Prurigo. 

Boutons  (  Papules. |  Lichen. 

.solides.  \  Tubercules Lupus. 

,-    /i  i,  Pityriasis, 

o"  Ordre  DES  SQLAMEs |  Psoriasis. 

RÉFDTATION  des  OBJECTIONS  FAITES  A  l'adMISSION  DES  AFFECTIONS  GENERIQUES  DE  LA 

PEAU.  A  ceux  qui  se  refusent  à  admettre  des  genres  en  pathologie  cutanée  nous 
ne  ferons  qu'une  seule  question  :  Pourquoi,  leur  dirons-nous,  si  vous  n'admettez 
pas  des  genres,  vous  servez-vous  à  chaque  instant  d'expressions  qui  en  indiquent 
forcément  l'existence,  sans  vous  douter  que  la  langue  a  une  logique  plus  forte 
que  tous  les  raisonnements?  Ne  dites-vous  pas  :  psoriasis  dartreux,  psoriasis 
syphilitique,  ecthyma  psorique,  ecthyma  syphilitique,  pityriasis  parasitaire  et 
pityriasis  dartreux. 

Le  genre  n'est  autre  chose  que  l'ensemble  des  phénomènes  communs  aux 
espèces.  On  dit,  il  est  vrai,  c'est  une  abstraction;  mais,  sans  vouloir  renouveler 
les  disputes  des  nominaux  et  des  réalistes,  nous  dirons  que,  en  pathologie 
cutanée,  l'affection  de  cause  externe  peut,  à  la  rigueur,  être  considérée  comme 
le  genre  ou  tout  au  moins  comme  l'espèce  qui  se  rapproche  le  plus  de  l'abstrac- 
tion générique. 

Les  affections  génériques  do  la  peau  ne  sont  pas  admises  seulement  par  les 


DERMATOSES.  733 

médecins  sortis  de  notre  école,  elles  sont  reconnues  encore  par  des  médecins 
peu  dispose's  à  adopter  nos  doctrines  en  'pathologie  cutanée.  Le  professeur  Gail- 
leton  admet  les  genres;  il  eu  est  de  même  du  docteur  Guibout  qui,  tout  en 
donnant  un  autre  sens  que  nous  aux  mots  genre  et  espèce,  n'en  admet  pas  moins 
deux  psoriasis,  l'un  dai-treux,  l'autre  syphilitique,  un  eczéma  dartreux,  un 
eczéma  artificiel.  J'en  pourrais  dire  autant  de  mon  ancien  collègue  et  ami  le 
docteur  Lailler  qui  reconnaît,  comme  moi,  quatre  ou  cinq  espèces  de  lichen. 
Toute  différente  est  la  manière  "de  voir  de  Hardy  qui,  dans  chacune  de  nos 
affections  génériques,  ne  voit  (ju'une  seule  entité  morbide,  une  seule  espèce 
pathologique.  Aussi  ne  sait-il  où  placer  certaines  variétés  de  genres  cutanés. 
C'est  ainsi  qu'il  confond  avec  l'eczéma  l'herpès  préputialis,  avec  l'érylhème 
riiydroa  vésiculeux,  etc.  Les  dermatologistes  étrangers,  Hébra,  Erasmus  Wilson, 
Tilbury  Fox,  Ânderson,  que  Hardy  invoque  souvent  pour  appuyer  sa  manière  de 
voir,  se  préoccupent  peu  de  la  question  des  genres  et  des  espèces;  la  nature 
d'une  affection  ét;uit  pour  eux  toujours  la  même,  les  modifications  que  cette 
affection  peut  otfrir  ne  constituent  que  des  variétés  qui  n'en  changent  pas  la 
nature.  Les  rapports  des  affections  de  la  peau  avec  celles  des  autres  systèmes 
sont  méconnus.  Ce  sont  des  effets  du  hasard,  des  complications  ou  des  états 
morbides  qui,  comme  ceux  de  la  peau ,  dépendent  d'une  lésion  du  système 
nerveux  central.  En  un  mot,  le  lien  commun  des  affections  que  nous  appelons 
maladie  n'est  pour  eux  qu'un  être  imaginaire. 

Caractères  généraux  des  affections  génériques.  Comme  on  peut  le  voir  en 
jetant  un  simple  coup  d'œil  sur  le  tableau  ci-dessus,  nos  dermatoses  génériques 
appartiennent  aux  ti'ois  premiers  ordres  de  nos  symptômes  organiques  élémen- 
taires, et  s'offrent  à  l'observation  sous  forme  de  taches,  de  boutons  ou  d'exfolia- 
tions,  dans  leur  période  d'état;  mais  au  début  les  boutons  se  montrent  sous 
forme  de  taches,  et  vers  le  déclin  les  taches  se  couvrent  parfois  d'exfoliations 
épidermiques.  Les  boutons  peuvent  s'ulcérer  et  laisser  des  cicatrices  ;  citons,  pour 
exemple,  l'acné  pustuleuse,  l'ecthyma,  le  lupus. 

Au  début,  toutes  les  affections  génériques  sont  sèches,  et  les  dermatoses 
comprises  dans  l'ordre  des  taches  et  des  exfoliations  restent  taches  ou  exfoliations 
jusqu'à  la  fin.  Il  n'en  est  pas  de  même  des  dermatoses  boutonneuses  ;  les  unes 
se  comportent  comme  les  taches;  elles  se  recouvrent  d'exfoliations  épidermiques, 
ne  s'humectent  pas  et  restent  sèches  jusqu'à  la  fin  (prurigo,  lichen).  Les  autres 
deviennent  humides  par  suite  de  la  rupture  des  boutons  et  d'une  sécrétion  mor- 
bide qui  s'établit  à  la  surface  de  la  peau  (eczéma,  pemphix,  impétigo).  Les 
liquides  sécrétés  se  concrètent  et  forment  des  écailles  et  des  croûtes  de  diverses 
couleurs,  qui  couvrent  une  étendue  plus  ou  moins  grande  du  tégument  externe. 
La  sécrétion  morbide  n'accompagne  pas  l'affection  générique  pendant  toute  sa 
durée;  elle  se  tarit,  se  suspend,  pendant  un  certain  temps,  pour  se  reproduire, 
quelquefois,  à  diverses  reprises  pendant  le  cours  de  la  dermatose.  Parfois  la 
prolifération  épidermique  est  des  plus  abondantes,  comme  dans  l'eczéma,  par 
exemple. 

Les  affections  génériques  caractérisées  dans  leur  période  d'état  par  des  boutons 
liquides  deviennent  assez  souvent  vers  leur  déclin  des  exfoliations  épidermiques 
qui  remplacent  les  sécrétions  morbides ,  ce  qui  fait  que  beaucoup  d'auteurs,  et 
même  des  dermatologistes  distingués,  ont  confondu  et  même  identifié  l'eczéma 
avec  le  pityriasis.  Après  la  rupture  des  boutons  vésiculeux,  la  peau  se  couvre 
d'exulcérations  qui,   lorsqu'elles    n'intéressent  que   l'épiderme,   comme   dans 


75i  DERMATOSES. 

l'eczéma,  l'impéligo,  le  pempliix,  ne  laissent  pas  de  véritables  cicatrices  après 
elles,  mais  laissent  souvent  des  maculatures  qui  disparaissent  avec  le  temps. 
Dans  les  dermatoses  pustuleuses  profondes,  et  même  superficielles,  comme  l'acné 
pustuleuse,  l'ecthyma,  le  rupia,  il  y  a  des  cicatrices  presque  toujours  indélébiles  ; 
mais  les  ulcères  les  plus  profonds,  les  cicatrices  les  plus  difformes,  se  montrent 
surtout  vers  la  fin  des  dermatoses  tuberculeuses. 

Les  dermatoses  papuleuses  ne  s'ulcèrent  pas ,  mais  laissent  souvent  après 
elles  des  taches  brunes  ou  noirâtres  produites  par  l'exagération  de  la  sécrétion 
pigmentaire. 

Caractères  rARiicuLiERs  de  chaque  ordre  d'affections  gé^ériqdes.  1"  Ge^jres 
EXAîNTHÉMATiQOES  {Roséole,  Éry thème.  Urticaire) .  Taches  plus  ou  moins  étendues, 
plus  ou  moins  nombreuses,  ne  couvrant  qu'une  partie  ou  la  totalité  de  l'enveloppe 
cutanée,  tout  à  fait  planes  ou  plus  ou  moins  saillantes,  comme  papuleuses  ou 
tuberculeuses  dans  les  genres  erylhème  et  urticaire,  de  couleur  variable  du  rose 
au  rouge  framboise,  parl'ois  alternativement  blanches  et  rouges  dans  le  geiu'e 
urticaire,  peu  prurigineuses  dans  la  roséole  et  l'érythème,  offrant  au  contraire 
un  prurit  spécial  tout  à  fait  caractéristique  dans  le  genre  urticaire,  indolores  ou 
sensibles  à  la  pression,  ^es  affections  ont  une  marche  aiguë  ou  chronique,  par- 
fois intermittente.  Elles  se  terminent  par  résolution  ou  délitescence,  avec  ou 
sans  exfoliation  épidermique,  et  ne  laissent  aucune  cicatrice  après  elles. 

Les  affections  génériques  exanlhématiques  existent  sans  réaction  fébrile,  ou 
sont  accompagnées  de  fièvre  et  de  troubles  généraux  plus  ou  moins  graves.  On 
peut  aussi  les  observer  sur  les  membranes  muqueuses. 

2°  Affections  génériques  vésiculedses  {miliaire,  eczéma,  herpès,  varicelle). 
De  toutes  les  affections  génériques,  les  plus  communes  sont  les  vésiculeuses. 
Elles  ont  une  marche  aiguë,  subaiguë  ou  chronique.  Très-rarement  accompa- 
gnées d'un  mouvement  fébrile,  elles  sont  le  plus  souvent  apyrétiques.  Les 
évolutions  qu'elles  subissent  dans  leur  cours  comprennent  les  quatre  ordres  de 
nos  symptômes  élémentaires;  elles  sont  successivement  taches,  boutons  liquides 
(vésicules),  exulcérations  à  la  troisième  étape  et  exfoliations  (squame)  à  la  qua- 
trième. Aucune  de  ces  affections  ne  laisse  après  elle  de  véritable  cicatrice;  on 
ne  voit  après  leur  guérison  qu'une  maculature  rougeàtre  qui  disparaît  avec  le 
temps.  Remarquons  de  suite  que  l'ordre  d'évolution  est  parfois  interverti,  ce  qui 
arrive  quand  la  vésicule  ne  se  rompt  pas,  et  que  le  liquide  se  résorbe  ou  se 
concrète. 

Toutes  les  affections  vésiculeuses  commencent  par  une  rougeur  congestive, 
sur  laquelle  se  produisent  une  ou  plusieurs  vésicules.  La  vésiculation  paraît 
souvent  presque  en  même  temps  que  la  rougeur;  d'autres  fois  ce  n'est  qu'au 
bout  de  vingt-quatre  ou  trente-six  heures  qu'on  la  voit  apparaître  ;  parfois  même 
la  rougeur  subsiste  longtemps  sans  qu'il  survienne  de  vésicules;  elle  disparaît, 
et  ce  n'est  qu'au  bout  d'un  temps  plus  ou  moins  long,  de  quelques  mois  ou 
d'une  année,  que  survient  la  vésiculation.  Ceci  se  passe  dans  l'eczéma;  nous 
appelons  quelquefois  eczéma  avorte'  cet  érythème  précurseur  de  l'affection  eczé- 
mateuse. 

La  forme  de  la  vésicule  est  variable  et  spéciale  pour  chaque  genre.  Quelquefois 
plusieurs  vésicules  se  réunissent  pour  n'en  former  qu'une  seule  qui  ressemble 
alors  à  une  bulle  de  pemphix,  et  cependant  qui  en  diffère  non-seulement  par  le 
volume,  mais  encore  par  les  caractères  histologiques. 

Le  liquide  contenu  dans  les  poches  vésiculeuses  est  alcalin,  et  diffère  par 


DERMATOSES.  735 

conséquent  du  liquide  renfermé  dans  les  sudaniina,  qui  est  acide.  Ses  qualités 
sont  loin  d'être  les  mêmes  dans  nos  quatre  genres  vésiculeux.  La  sécrétion  qui 
succède  à  la  rupture  des  vésicules  offre  tout  autant  de  variétés  ;  elle  n'est  même 
abondante  et  vraiment  caractéristique  que  dans  une  seule  de  cc-s  affections 
génériques. 

Les  exulcérations  vésiculeuses  sont  toujours  superficielles.  Parfois  cependant 
elles  offrent  assez  de  profondeur  dans  l'herpès  ponr  qu'on  ait  pu  les  confondi'e 
avec  les  chancres  simples  et  avec  les  syphilides  ulcéreuses. 

Les  exfoliations  qui  résultent  de  la  concrétion  du  liquide  exhalé  de  la  surface 
des  ulcérations  et  d'une  production  plus  ou  moins  abondante  de  cellules  épider- 
miques  ont  un  aspect  et  une  épaisseur  qui  varient  beaucoup  pour  chaque  genre  ; 
elles  se  détachent  d'elles-mêmes  après  la  guérison  des  exulcérations  sous-jacentes, 
ou  tombent  pour  se  reproduire  quand  elles  sont  soulevées  par  la  sécrétion  séreuse 
ou  séro-purulente. 

Le  prurit  est  un  symptôme  d'une  haute  valeur  dans  les  affections  vésiculeuses. 
S'il  est  nul  ou  presque  nul  dans  la  miliaire,  la  varicelle  et  l'herpès,  on  peut 
dire  qu'il  est  constant,  et  fait  souvent  le  désespoir  des  malades  dans  le  genre 
eczéma.  Cependant,  dans  le  genre  eczéma  lui-même,  le  prurit  offre  des  variations 
innombrables  qui  dépendent  de  la  phase  d'évolution,  du  siège  topographique  de 
l'affection  et  surtout  de  la  nature. 

La  durée  de  l'affection  générique  vésiculeuse  varie  pour  tel  ou  tel  genre.  La 
miliaire,  l'herpès  et  la  varicelle,  ont  habituellement  une  marche  aiguë,  régulière, 
une  durée  de  un  à  deux  ou  trois  septénaires.  L'herpès  peut  aussi  être  successif 
et  chronique.  Tout  le  monde  sait  que  la  durée  de  l'eczéma  n'a  rien  de  fixe,  que, 
bien  souvent,  les  traitements  les  plus  énergiques  ne  l'empêchent  pas  de  récidiver 
au  bout  d'un  temps  qui  varie  de  ((uelques  mois  à  plusieurs  années  et  que,  dans 
quelques  cas  même,  ils  n'en  arrêtent  ni  la  marche  envahissante,  ni  la  durée  qui 
est  indéfinie. 

Sur  les  muqueuses,  l'eczéma  a  une  marche  bien  plus  rapide  que  sur  la  peau. 
L'affection  générique  se  présente  presque  toujours  à  la  période  d'exulcération  ; 
les  surfaces  sont  rouges,  lisses  ou  granulées,  entourées  d'épithélium  déchiré  et 
soulevé,  parfois  épaissi  et  blanchâtre  ;  la  douleur  est  piquante  ou  brûlante  ;  les 
fonctions  de  l'organe  sont  essentiellement  troublées.  Les  mêmes  différences  de 
marche  et  d'aspect  des  lésions  se  présentent  dans  l'herpès  et  dans  le  pemphigus 
des  muqueuses. 

3°  Affections  génériques  bolleuses  [Pemphigus).  11  n'est  pas  d'affection 
cutanée  qui  mérite  plus  de  fixer  l'attention  que  le  pemphigus.  La  forme  géné- 
rique sous  des  aspects  divers  est  toujours  la  même,  mais  que  de  différences  dans 
la  f^ravité  de  l'affection  spéciale  !  On  peut  s'en  faire  une  idée  en  mettant  en  regard 
de  la  bulle  due  à  l'action  des  cantharides  la  bulle  du  pemphigus  que  nous 
appelons  cachectique. 

Comme  affection  générique,  nous  définissons  le  pemphigus  :  affection  caracté- 
risée par  des  bulles,  petites  poches  épidermiques  variables  pour  le  volume  d'une 
aveline  à  un  œuf  de  poule,  contenant  un  liquide  clair  dans  le  principe,  se  trou- 
blant ensuite  et  passant  à  l'état  séro-purulent  ou  même  purulent,  et  se  conver- 
tissant en  écailles  lamelleuses  ou  en  croûtes  de  forme  arrondie  ou  ovalaire.  Les 
bulles  sont  rarement  isolées,  ordinairement  groupées  en  nombre  variable  ;  quel- 
quefois, cependant,  il  n'y  a  qu'une  seule  bulle  {pemphigus  solitarius)  ;  d'autres 
fois  il  en  existe  5  ou  6  ou  un  plus  grand  nombre.  Les  évolutions  sont  successives 


736  DERMATOSES. 

et  peuvent  se  produire  sur  toutes  les  régions  du  corps.  Le  prurit  est  remplace' 
par  un  sentiment  de  chaleur  et  de  brûlure.  La  marche  de  l'affection  huileuse 
peut  être  continue  ou  périodique.  La  durée  varie  de  quelques  septénaires  à 
plusieurs  années. 

4°  Affections  génériqdes  pustuleuses.     Trois  groupes  : 

iMiliaire  blanche. 
Impéti'o-o. 
Acné 
Jlentagre. 

TN        ■       .  ,        ..  (  Ecthyma. 

2°  GROUPE Pustules  phlyzaciees ;  Hupia 

iSycosis 
Hidrosadénite. 
Furoncle. 

Nous  appelons  affections  génériques  pustuleuses  des  affections  caractérisées 
par  un  foyer  purulent  circonscrit  ayant  pour  siège  les  parties  superficielle  ou 
profonde  de  la  peau.  Toutes  ces  affections  génériques  ont  pour  caractère  com- 
mun une  collection  purulente  qui  s'ouvre  par  rupture  de  l'enveloppe  épider- 
mique,  rupture  à  laquelle  succèdent  une  ulcération  superficielle  ou  profonde,  et 
la  formation  d'une  croiite  plus  ou  moins  épaisse,  jaunâtre,  brunâtre  ou  noire, 
composée  de  pus  desséché,  de  cellules  épidermiques  et  parfois  aussi  d'une  quan- 
tité plus  ou  moins  grande  de  globules  sanguins Au  bout  d'un  temps  variable, 

la  croûte  se  détache  et  laisse  à  nu  soit  une  maculature  cicatricielle,  soit  un 
ulcère  plus  ou  moins  profond,  ou  bien  une  fistule  qui  communique  avec  la 
glande  sudoripare  ou  le  follicule  pileux,  ou  enfin  une  ulcération  plus  ou 
moins  sinueuse  et  anfractueuse. 

Le  début  de  ces  affections  est  annoncé  par  une  rougeur  assez  vive,  avec  ou 
sans  élevure,  douloureuse,  sensible  à  la  pression.  La  guérison  laisse  après  elle 
soit  de  simples  maculatures  (impétigo),  soit  des  cicatrices  plus  ou  moins 
enfoncées,  inégales,  bridées,  plissées,  ou  bien  planes  et  lisses  (acné  pustuleuse, 
ecthyma,  rupia,  hidrosadénite  suppurative,  furoncle). 

Dans  les  affections  pustuleuses,  le  prurit  existe  à  peine  ;  il  est  remplacé  par 
un  sentiment  de  chaleur,  d'élancement,  par  des  douleurs  qui  augmentent  par 
la  pression.  Ces  affections  sont  souvent  compliquées  de  lymphites.  Elles  ont  une 
marche  aiguë,  subaiguë  ou  chronique.  Elles  sont  sujettes  à  récidives.  Les  unes 
sont  groupées  ;  les  autres  sont  isolées,  discrètes. 

Sur  les  muqueuses  bucco-pharyngienne,  la  pituitaire,  la  conjonctive,  on 
observe  aussi  des  affections  pustuleuses  superficielles  et  profondes,  mais  les 
genres  acné  et  mentagre  ne  peuvent  exister  qu'à  l'entrée  des  ouvertures  natu- 
relles :  cela  se  conçoit,  puisqu'il  n'y  a  de  poils  et  de  glandes  sébacées  que  sur  la 
peau.  C'est  donc  à  tort  que  le  professeur  Lasègue  a  donné  le  nom  d'angine 
acnéique  à  une  angine  simplement  folliculaire. 

a.  Affections  pustuleuses  psydraciées  (impétigo,  acné  pustuleuse,  miliaire 
blanche,  mentagre).  Les  pustules  psydraciées  pourraient  bien  avoir  toutes 
pour  siège  la  glande  sébacée.  Ce  siège  est  évident  dans  l'acné,  la  miliaire 
blanche  et  la  mentagre,  qui  ne  semblent  différer  que  par  le  volume  et  le  déve- 
loppement plus  ou  moins  grand  de  la  glande  sébacée  affectée.  Quant  à  l'impé- 
tigo, l'inflammation  des  glandes  sébacées  n'est  peut-être  pas  étranger  à  sa 
production.  On  l'observe  surtout  dans  les  régions  où  abondent  les  glandes 
sébacées  ;  il  n'y  en  a  pas  là  où  il  n'y  a  pas  de  glandes  sébacées  ;  la  matière  de 


DERMATOSES.  737 

l'impétigo  est  jaunâtre,  tenace,  et  ne  semble  être  que  du  pus  mélangé  à 
l'humeur  sébacée  (Rayer). 

Les  affections  pustuleuses  psydraciées  sont  discrètes  ou  confluentes  ;  plus 
souvent  confluentes  dans  l'impétigo,  elles  sont  généralement  discrètes  dans  les 
autres  formes  génériques.  La  première  période  de  l'éruption  est  marquée  par 
une  rougeur  vive,  inflammatoire,  une  véritable  dermite  et  non  une  simple  tache 
congestive.  Les  sensations  de  chaleur  et  de  brûlure  s'observent  particulièrement 
au  début  de  l'impétigo.  Les  croûtes  sont  jaunâtres,  épaisses,  comparées  à  du 
miel  ou  mieux  encore  à  de  la  marmelade  d'abricots,  —  tantôt  isolées,  tantôt 
réunies  sous  forme  de  larges  placards;  —  d'autres  fois  brunâtres,  isolées, 
distinctes  pour  chaque  élément  éruptif.  A  la  chute  des  croûtes,  il  existe  une 
maculature  qui  ne  laisse  pas  de  cicatrice  (impétigo,  mentagre),  et  d'autres  fois 
une  petite  cicatrice  blanchâtre,  plissée,  ou  un  point  blanc  cicatriciel  légèrement 
déprimé  (acné  pustuleuse  simple  et  pustuleuse  miliaire). 

Les  affections  génériques  psydraciées  sont  apyrétiques.  Leur  marche  est 
continue  ;  les  éruptions  sont  successives  et  par  poussées  ;  elles  sont  parfois 
périodiques,  récidivent  souvent.  Elles  répondent  à  ce  que  l'on  appelait  autrefois 
dartres  crustacées  et  dartres  pustuleuses. 

L'impétigo  est  la  seule  affection  pustuleuse  psydraciée  que  l'on  observe  sur 
les  membranes  muqueuses,  d'après  Rayer.  Mais  cet  impétigo  des  muqueuses 
siège  toujours  sur  les  régions  où  elles  se  confondent  avec  la  pean,  c'est-à-dire  là 
où  il  existe  des  glandes  sébacées  annexées  aux  poils.  Le  professeur  Courty 
admet  sur  le  col  utérin  des  pustules  d'acné  différentes  des  granulations  inflam- 
matoires ;  je  ne  saurais  admettre  cette  manière  de  voir,  car  je  ne  conçois  pas 
l'acné  là  où  il  n'y  a  pas  de  glande  sébacée  (  Traité  des  maladies  de  i utérus, 
par  Courty,  1866). 

b.  Affections  pustuleuses  phlyzaciées.  Pustules  larges,  aplaties,  bien  que 
parfois  le  centre  de  la  pustule  soit  formé  par  un  petit  prolongement  conoïde, 
jaunâtre,  r(!mpli  de  pus,  autour  duquel  s'aperçoit  une  zone  circonférentiellc 
surélevée,  d'un  rouge  plus  ou  moins  foncé,  sensible  à  la  pression.  C'est  quand 
la  pustule  phlyzaciée  se  montre  sur  une  région  pileuse  que  l'on  observe  cette 
forme  ;  on  voit  souvent  alors  le  poil  traverser  le  centre  de  la  pustule. 

L'évolution  de  la  pustule  phlyzaciée  a  été  parfaitement  décrite  par  Rayer: 

«  L'éruption  débute  par  une  élevure  rouge  et  limitée  ;  dès  le  lendemain,  on 
aperçoit  au  centre  de  la  tache  rouge  une  vésicule  large  et  remplie  de  sérosité 
transparente.  Cette  sérosité  se  trouble  vers  le  troisième  jour;  elle  devient 
lactescente,  en  même  temps  que  le  centre  de  la  vésicule  se  déprime  et  se 
marque  d'un  point  noir.  Si  l'on  enlève  l'épiderme,  il  s'en  écoule  une  petite 
quantité  de  pus,  et  l'on  trouve  une  fausse  membrane  arrondie,  déprimée  au 
centre  et  appliquée  sur  le  derme  qui  présente  une  légère  ulcération.  Lorsqu'on 
suit  l'évolution  de  la  pustule,  à  partir  du  troisième  jour,  on  voit  l'épiderme  se 
rompre  et  former  avec  la  fausse  membrane  que  nous  venons  de  signaler  une 
croûte  brunâtre  qui  se  détache  vers  le  huitième  jour.  Cette  croûte  laisse  à  sa 
chute  une  cicatrice  violacée  et  déprimée  au  centre.  » 

Le  rupia  doit  être  rapproché  de  l'ecthyma.  C'est  une  affection  générique 
composée  d'une  pustule  centrale  et  de  bulles  circonférentielles  d'autant  plus 
larges  qu'elles  sont  plus  éloignées  du  centre.  La  croûte  du  rupia  est  brunâtre, 
humide  à  la  circonférence  par  suite  de  la  sécrétion  séro-purulente  sous-jacente. 
Quelquefois  la  croûte  est  formée  par  la  dessiccation  de  plusieurs  bulles  circon- 

DICT.    EN'C.    XXVH.  i'i 


758  DERMATOSES. 

lerentielles    qui   donnent    lieu   à    une   croûte  e'iagée,  conique,  comparable    à 
l'écailIe  d'huître  (rupia  proeminens). 

L'ecthyma  et  le  rupia  ne  s'observent  pas  sur  les  membranes  muqueui^es,  ou  au 
moins  diffèrent  totalement  de  ce  qu'ils  sont  sur  la  peau.  En  un  mot,  les  genres 
pustuleux  sont  généralement  difficiles  à  déterminer  sur  les  muqueuses,  et  il  ne 
faut  pas  demander  à  y  voir  autre  chose  que  des  pustules  varioliques,  morveuses, 
syphilitiques,  etc.,  c'est-à-dire  des  affections  spéciales,  et  non  des  affections 
génériques. 

c  Affections  pustuleuses  profondes  (sycosis,  hidrosadénite  suppurative, 
furoncle).  Le  caractère  le  plus  général  de  ces  affections  est  l'induration 
inflammatoire  de  la  base.  Cette  induration  s'offre  parfois  sous  forme  de  noyaux 
que  le  doigt  peut  sentir  sous  la  peau  et  attenant  à  la  peau  par  une  sorte  de 
pédicule  (sycosis  parasitaire  du  menton).  Dans  rhidrosadénite,onpeut  également 
sentir  l'induration  inflammatoire  au  début,  sous  forme  de  tumeurs  plus  ou 
moins  grosses  (abcès  tubéreux  de  l'aisselle,  gommes  de  la  peau,  etc.).  Dans  les 
furoncles,  la  tumeur  est  plus  considérable,  d'un  rouge  violacé,  douloureuse  à 
la  pression.  A  la  seconde  période,  le  pus  est  formé  :  dans  le  sycosis,  le  poil 
tombe  et  le  pus  se  fait  jour  à  l'extérieur  ;  dans  l'hidrosadénite  suppurative, 
c'est  une  petite  tumeur  arrondie,  fluctuante,  une  petite  poche  purulente  qui  se 
crève  et  laisse  échapper  l'humeur  contenue  par  une  seule  ouverture,  tandis  que 
dans  le  furoncle  et  l'anthrax  la  tumeur  est  violacée  ou  bleuâtre  et  se  perfore 
en  divers  endroits  :  de  ces  perforations  s'échappe  le  bourbillon  ou  matière  séro- 
purulente  contenant  des  fausses  membranes  ou  même  des  eschares  gangre- 
neuses. 

Sur  les  muqueuses  on  voit  se  développer  des  pustules  profondes  perforant 
souvent  les  membranes  de  part  en  part,  mais  ces  pustules  ne  sauraient  être  com- 
parées au  sycosis,  à  l'hidrosadénite  ou  au  furoncle. 

5°  Affections  géinériques  papuleuses.  Les  anciens  auteurs  appelaient  pru- 
7^itus  ou  prurit  indistinctement  le  prurit  et  le  prurigo,  et  confondaient  ainsi  le 
svmplôme  et  la  lésion.  Mercuriali,  le  premier,  a  distingue  nettement  le  trouble 
fonctionnel  ou  l'altération  de  la  sensibilité  de  la  lésion  anatomique.  Parmi  les 
auteurs  modernes,  il  en  est  comme  Cazenave,  Erasmus  Wilson  et  beaucoup 
d'autres,  qui,  en  faisant  de  l'affection  papuleuse  une  névrose,  n'ont  fait  que 
reproduire  l'erreur  des  anciens.  A  quoi  cela  peut-il  tenir?  Évidemment  à  l'idée 
qu'ils  se  sont  faite  du  rapport  entre  le  symptôme  et  la  lésion.  En  effet,  qu'est-ce 
qu'une  névrose?  un  trouble  fonctionnel  sans  lésion  apparente  de  l'organe  lésé,  ou 
bien  un  trouble  fonctionnel  dont  l'intensité  n'est  nullement  en  rapport  avec  la 
lésion  matérielle,  et  comme  cette  disproportion  du  prurit  et  de  la  lésion  cutanée 
existe  fréquemment  dans  les  affections  papuleuses,  on  a  fait  intervenir,  pour  en 
donner  l'explication,  une  affection  primitive  du  système  nerveux.  Mais  l'hy- 
pothèse d'une  névrose,  dans  ce  cas,  n'explique  absolument  rien;  névrose,  con- 
gestion, ou  hypertrophie,  qu'importe  le  processus  ou  la  modalité  pathogénique? 
il  s'agit  toujours  d'une  affection  qui  varie  d'intensité  selon  qu'elle  se  rattache  à 
telle  ou  telle  maladie.  L'aifection  générique  papuleuse  est  un  symptôme  de 
syphilis,  de  scrofule,  d'arthritis  et  d'herpétis  :  qu'à  la  place  du  mot  affection 
générique  vous  disiez  névrose,  cette  névrose  variera  toujours  de  la  même  façon 
selon  qu'elle  sera  une  manifestation  de  l'une  ou  de  l'autre  de  ces  quatre 
maladies  constitutionnelles.  A  quoi  bon  dès  lors  changer  des  mots  qui  expriment 
des  faits  pour  d'autres  qui  n'ont  qu'une  signification  théorique  et  hypothétique? 


DERMATOSES.  759 

Mais,  comme  la  doctrine  organopathiqueconfondraffection  avec  la  maladie,  dès 
que  la  lésion  n'est  plus  proportionnelle  au  trouble  fonctionnel,  il  faut  trouver 
l'explication  du  fait  dans  un  état  local,  et  c'est  à  une  modification  particulière 
du  système  nerveux,  dite  névrose  ou  trophonévrose,  que  l'on  attribue  cette 
prédominance  du  trouble  fonctionnel  sur  la  lésion  anatomique  au  lieu  de  la 
rapporter,  tout  simplement,  à  la  maladie  qui  en  est  la  véritable  cause.  On  a 
cherché,  il  est  vrai,  à  expliquer  le  désaccord  entre  le  prurit  et  la  lésion  papu- 
leuse  par  la  diversité  du  siège  anatomique  de  la  papule,  qui  serait  tantôt  le 
follicule,  tantôt  la  papille  ou  le  tissu  intermédiaire  ;  mais,  si  cette  explication  est 
admissible  quelquefois,  elle  est  loin  de  nous  satisfaire  dans  le  plus  grand  nombre 
des  cas. 

Les  affections  papuleuses  sont  des  affections  de  la  peau,  et  non  des  affections 
du  système  nerveux  ;  il  n'existe  entre  ces  deux  ordres  d'affections  aucune  rela- 
tion de  cause  à  effet.  Le  prurit  est  un  symptôme  qui  a  naturellement  sa  place 
dans  les  actiones  lœsœ  ;  l'affection  papuleuse  trouve  la  sienne  dans  les  Quali- 
tatum  externarum  cori'uptiones. 

Les  affections  génériques  papuleuses  ont  un  caractère  invariable  qui  les 
distingue  des  autres  genres  cutanés  et  en  fait  un  ordre  à  part  en  dermatolo- 
gie ;  ce  caractère  constant  commun  à  toutes  les  espèces  n'est  autre  que  l'état 
papuleux  de  l'éruption,  à  la  période  de  son  plus  grand  développement,  état 
constitué  par  les  papules  qui  sont  de  petites  élévations  solides,  dures,  ne  ren- 
fermant aucun  liquide,  formées  par  un  soulèvement  du  corps  papillaire,  consti- 
tuées par  une  simple  congestion  ou  une  hypertrophie  de  la  papille,  se  terminant 
par  résolution  avec  ou  sans  desquamation,  et  ne  laissant  d'habitude  aucune 
trace  de  leur  passage.  Pour  ces  raisons  nous  ne  pouvons  admettre  un  prurigo 
sans  papules,  ou  encore  un  lichen  avec  simple  production  épidermique.  Le  lichei: 
pilaris  des  auteurs  n'est  qu'un  pityriasis  ou  une  ichthyose  pilaris. 

L'éruption  qui  est  papuleuse  à  la  période  d'état  ne  saurait  être  confondue  avec 
l'eczéma,  qui  est  une  affection  essentiellement  vésiculeuse  à  la  même  période; 
que  l'eczéma  débute  par  des  pseudo-papules  ou  des  squames,  peu  importe,  ce 
qui  le  caractérise  essentiellement,  c'est  la  vésiculation  à  la  période  d'état. 

Les  médecins  anglais  et  allemands  ont  donné  au  mot  papule  un  sens  trop 
étendu,  en  le  faisant,  pour  ainsi  dire,  synonyme  du  mot  bouton.  La  papule  n»: 
représente  qu'une  seule  modalité  pathogénique  :  la  congestion  à  l'état  aigu, 
l'hyperthrophie  à  l'état  chronique.  C'est  donc  à  tort  que  Hébra  indique  comme 
sources  de  la  papule  les  divers  processus  qui  suivent  : 

1»  Production  anormale  et  accumulation  d'épiderme  sur  l'orifice  des  folli- 
cules pileux  (pour  nous  pityriasis  et  ichthyose  pilaris)  ; 
2»  Sécrétion  excessive  de  sébum  (acné)  ; 
3*  Dégénérescence  de  la  glande  sébacée  (molluscum  sébacé)  ; 
A"  Hémorrhagies  dans  les  réseaux  muqueux.  Hébra  cite  ici,  pour  exemple, 
le  lichen  lividus  ;  msiïs  l'hémorrhagie  dans  ce  cas  n'est  qu'un  caractère  acces- 
soire :  le  lichen  lividus  est  un  composé  de  purpura  et  de  lichen  ; 

5°  Exsudation,  soit  à  la  surface  du  corps  papillaire,  soit  dans  les  follicules. 
Ce  n'est  là  qu'un  mode  ou  qu'un  effet  de  la  congestion  ; 
6"  Hypertrophie  des  papilles  du  tact  ; 
7»  Production   de   nouvelles  papules.    Ici    on    confond  la   papule   avec   le 

papillome  ; 

8"  Contraction  spasmodiqiie  du  tissu  cutané  {chair  de  poule,  cutis  anserina]  ; 


740  DERMATOSES. 

mais  cet  état  est  dû  à  une  action  immédiate  et  transitoire  des  agents  physiques 
ou  physiologiques  que  l'on  confond  avec  un  [état  pathologique. 

Les  mêmes  erreurs  se  retrouvent  chez  les  Anglais,  comme  on  peut  s'en  con- 
vaincre en  lisant  ce  qu'Erasmus  Wilson  et  Tilbury  Fox  ont  écrit  sur  la  papule. 

Caractères  communs  aux  genres  papuleus  (prurigo,  lichen  et  strophulus). 
Eruptions  papuleuses,  précédées  ou  non  de  phénomènes  fébriles,  pouvant  se 
montrer  à  l'état  aigu  ou  à  l'état  chronique,  n'occupant  qu'une  seule  région  ou 
dispersées  sur  toutes  la  surface  tégumentaire,  se  limitant  le  plus  souvent  à  la 
peau,  gagnant  quelquefois  les  muqueuses  accessibles  à  nos  moyens  d'investi- 
gation. 

Les  papules  qui  caractérisent  ces  affections  sont  isolées  ou  rapprochées  par 
groupes.  Elles  sont  quelquefois  si  nombreuses  et  tellement  pressées  les  unes  sur 
les  autres  qu'elles  forment  une  couche  continue  sur  la  presque  totalité  de 
l'enveloppe  du  corps.  La  forme,  la  couleur  et  le  volume  de  ces  boutons  ne 
varient 'pas  moins  que  leur  nombre.  Sous  le  rapport  de  la  forme,  on  les  a  com- 
parés à  des  grains  de  mil  ou  de  chènevis,  à  des  pois,  à  des  lentilles;  ils  sont 
acuminés  ou  hémisphériques,  j)arfois  longs  et  aplatis,  déprimés  au  centre.  Leur 
coloration  est  tantôt  celle  de  la  peau,  tantôt  elle  est  rosée  ou  rouge,  et  parfois 
livide  ou  violacée.  Leur  volume  est  extrêmement  variable  et  constitue  l'un  des 
signes  distinctifs  des  genres  et  des  espèces.  Quoi  qu'en  dise  Erasmus  Wilson,  la 
comparaison  des  papules  avec  les  objets  naturels  tels  que  des  fruits  ou  des 
graines  en  donne  une  idée  plus  nette  et  surtout  plus  facile  à  graver  dans  la 
mémoire  qvie  la  mensuration  de  ces  boutons  exprimée  en  lignes  ou  en  milli- 
mètres. C'est  dans  le  lichen  syphilitique  seulement  que  l'on  voit  les  papules 
acquérir  un  volume  d'un  centimètre  et  plus  d'épaisseur  ;  aussi  est-ce  surtout 
dans  les  livres  des  syphiliographes  qu'on  trouve  de  la  confusion  dans  la  descrip- 
tion comparée  des  papules  et  des  tubercules. 

Après  la  papule,  le  symptôme  le  plus  ordinaire  de  ces  affections  est  le  prurit, 
qui  n'existe  pas  cependant  au  même  degré  dans  toutes  les  espèces.  Le  prurit  le 
plus  violent  se  rencontre  dans  les  affections  herpétiques  ;  le  plus  faible  degré  du 
prurit  ou  même  son  absence  se  voient  journellement  dans  les  affectious  papu- 
leuses  d'origine  syphilitique.  Le  prurit  est  peu  prononcé  dans  le  lichen  ù 
papules  déprimées  que  longtemps  après  nous  Erasmus  Wilson  a  décrit  sous  le 
nom  de  lichen  planus.  Ce  lichen  planus  n'est  pas,  quoi  qu'en  puissant  dire 
Wilson  et  Tilbury  Fox,  le  lichen  ruber  d'Hébra,  et  ne  ressemble  en  rien  à  liJ 
variété,  admise  par  nous,  de  lichen  pilaris,  ou  à  l'altération  fonctionnelle  de  la 
papille  pileuse,  comme  le  pense  le  docteur  Vidal,  qui  certainement  n'a  pas  lu  ce 
que  nous  avons  écrit  sur  le  lichen  à  papules  déprimées,  sans  quoi  il  aurait 
reconnu,  dans  la  description  qu'il  donne  d'après  W^ilson  et  Tilbury  Fox  du  lichen 
planus,  notre  lichen  à  papules  déprimées  {Voy.  numéro  de  mai  1878,  Annales 
de  dermatologie,  publiées  par  Dovon). 

Lts  modilications  que  peuvent  présenter  les  altérations  de  la  sensibilité  dans 
les  affections  papuleuses  contribuent  à  établir  la  différence  des  espèces.  Le 
pi'urit  n'est  pas  le  même  sur  toutes  les  régions  du  corps.  C'est  surtout  près  des 
ouvertures  naturelles,  là  où  la  peau  se  confond  insensiblement  avec  la  muqueuse, 
qu'existent  les  plus  grandes  souffrances,  les  plus  terribles  démangeaisons.  La 
production  d'épiderme  qui  se  fait  souvent  avec  tant  d'abondance  dans  certaines 
affections  papuleuses  est  en  grande  partie  le  résultat  des  grattages,  car  on 
l'observe  d'autant  plus  que  le  prurit  est  plus  accentué. 


DERMATOSES.  741 

Les  fonctions  de  la  peau  sont  sensiblement  troublées  dans  les  affections  papu- 
leuses.  La  sueur  se  supprime  sur  les  régions  affectées,  le  sébum  n'est  pas  sécrété 
sur  les  régions  pileuses  :  de  là  la  sécheresse  de  la  peau,  la  rigidité  et  le  dépoli 
des  poils. 

L'affection  papuleuse  se  présente  à  l'état  aigu  et  plus  souvent  encore  à 
l'état  chronique.  Elle  offre  une  marche  continue,  paroxystique  ou  périodique. 
L'éruption  a  souvent  une  longue  durée  et  n'arrive  à  disparaître  complètement 
qu'après  une  série  de  rémissions  et  d'exacerbations  alternatives. 

La  terminaison  ordinaire  de  l'affection  papuleuse  est  la  résolution  qui  se  fait 
avec  ou  sans  desquamation. 

L'éruption  papuleuse  peut-elle  se  convertir  m  sihi  en  une  autre  affection? 
Assurément  oui.  Toutefois  il  faut  prendre  garde  de  ne  pas  confondre  la  conver- 
sion spontanée  des  papules  en  vésicules  ou  pustules  avec  la  production  d'érup- 
tions artificielles,  eczéma,  impétigo,  ecthyma,  qui  sont  la  conséquence  des 
grattages  auxquels  se  livrent  les  malades,  souvent  d'une  manière  effrénée. 

La  conversion  spontanée  de  l'éruption  papuleuse  en  une  autre  affection  géné- 
rique se  produit  sous  l'influence  de  la  maladie  constitutionnelle:  bien  que 
l'éruption  change  de  genre,  elle  ne  change  pas  de  nature.  Le  lichen  qui  «le  con- 
vertit en  eczéma,  s'il  est  arthritique,  donne  lieu  à  un  eczéma  arthritique;  s'il 
est  herpétique,  il  donnera  lieu  à  un  eczéma  herpétique;  s'il  est  syphilitique,  c'est 
en  une  autre  syphilide  qu'il  se  convertira. 

Les  aifections  génériques  papuleuses  ne  s'observent  pas,  ainsi  que  nous 
l'avons  dit  plus  haut,  sur  les  membranes  muqueuses. 

6°  Affections  génériques  tuberculeuses.  Comme  pour  les  affections  hui- 
leuses, nous  n'avons  ici  qu'un  seul  genre,  le  lupus  tuberculeux.  Cette  affection 
générique  se  présente  au  début  sous  la  forme  de  petits  noyaux  durs,  faisant 
corps  avec  le  derme  cutané,  d'une  couleur  variable,  jaunâtre  ou  sucre  d'orge  et 
d'autres  fois  d'un  rouge  cuivré.  Quelquefois  il  n'existe  qu'un  seul  élément 
éruptif  ;  d'autres  fois  on  en  compte  un  plus  grand  nombre  ;  ils  sont  isolés  ou 
groupés  ;  leur  siège  de  prédilection  est  la  face,  mais  on  peut  aussi  les  observer 
sur  le  cuir  chevelu,  sur  le  tronc  et  les  membres.  Le  lupus  est  une  affection 
générique  commune  à  la  peau  et  aux  membranes  muqueuses.  Sa  marche  peut 
être  partagée  en  deux  périodes  qui  en  font  comme  deux  variétés  différentes  : 
dans  la  première,  l'affection  n'est  pas  ulcérée  ;  elle  l'est  dans  la  seconde. 

1°  Affections  génériques  squameuses.  Les  affections  génériques  squameuses 
ont  pour  caractère  distinctif  l'exfoliation  épidermique  à  la  période  d'état. 

h'ichthyose  est  une  difformité  de  la  peau  ;  elle  ne  peut  pas  faire  partie  de 
cette  section,  parce  qu'elle  n'est  point  une  affection  générique,  c'est-à-dire  une 
affection  commune  à  plusieurs  maladies. 

L'herpétide  exfoliatrice  est  une  affection  propre  de  la  dartre  ou  de  l'herpétis, 
et  non  une  affection  générique.  J'en  dirai  autant  de  la  syphilide  squameuse,  des 
érythèmes  pellagreux  et  acrodynique  ,mis  au  nombre  des  affections  squameuses 
par  Rayer  :  ce  sont  des  affections  propres,  et  non  des  affections  génériques. 

La  lèpre  des  Grecs  [lepra  vulgaris)  a  éié  décrite  à  part  dans  la  section  des 
affections  squameuses  par  Bateman,  Cazenave,  Rayer,  et  comme  simple  variété 
de  forme  avec  le  psoriasis  par  Samuel  Plumbe,  Emery,  Fleury,  et  par  nous- 
même  dans  nos  leçons  sur  les  affections  génériques  de  la  peau.  Cette  affection 
doit  être  identifiée  avec  le  psoriasis. 

Caractères  communs  au  pityriasis  et  au  psoriasis.     Ces  affections  débutent 


7i2  DERMATOSES. 

le  plus  souvent  par  de  petites  taches  rosées  ou  rouges,  congestives,  dont  la  cou- 
leur disparaît  momentanément  sous  la  pression  du  doigt.  Ces  taches  sont  ar- 
rondies ou  annulaires,  restent  isolées  ou  se  réunissent  et  forment  des  plaques 
plus  ou  moins  étendues.  Elles  sont  de  niveau  avec  la  peau  saine  environnante 
ou  surélevées  et  comme  papuleuses,  parfois  prurigineuses,  et  d'autres  fois 
exemptes  de  démangeaisons.  Elles  peuvent  siéger  sur  toutes  les  parties  du  corps, 
rester  bornées  à  une  seule  région  ou  s'étendre  sur  toute  la  surface  tégumentaire, 
et  même  sur  le  pourtour  des  orifices  naturels,  là  où  la  peau  se  confond  avec  les 
membranes  muqueuses. 

Dans  un  temps  très-court,  qu'il  est  souvent  difficile  d'apprécier,  ces  taches  se 
recouvrent,  en  partie  ou  en  totalité,  d'écaillés  épidermiques  quelquefois  minces  et 
laissant  voir  au  travers  d'elles  la  coloration  rosée  sous-jacente  de  la  peau,  par- 
fois au  contraire  très-épaisses  et  complètement  opaques.  Ces  écailles  sont  petites, 
comparées  à  des  écailles  de  son  (furfures),  ou  plus  larges,  lamelleuses,  et  formées 
de  plusieurs  couches  épidermiques;  leur  adhérence  à  la  peau  est  plus  ou  moins 
grande;  elles  se  détachent  et  tombent  en  plus  ou  moins  grande  quantité.  La 
couleur  des  squames  est  très-variable  et  dépend  surtout  de  leur  épaisseur  et  de 
leur  ancienneté;  d'un  gris  cendré,  blanchâtre  ou  brunâtre,  elles  ont  parfois  un 
reflet  argentin  très-prononcé.  Planes  et  lisses,  elles  sont  quelquefois  rugueuses 
et  inégales,  pour  s'accommoder  à  la  disposition  des  papilles  sous-jacentes  et  des 
sillons  plus  ou  moins  profonds  qui  les  séparent.  Quand  les  squames  sont  déta- 
chées, elles  offrent  également,  à  leur  surface  interne,  cet  aspect  uniforme  ou 
inégal,  formé  par  des  creux  et  des  arêtes  alternatifs. 

Après  la  squame,  le  symptôme  le  plus  important  de  ces  affections  est  la  rou- 
geur. Cette  rougeur  existe  au  début,  dans  l'immense  majorité  des  cas,  elle  se 
trouve  ensuite  masquée  par  la  squame,  mais  presque  toujours  la  rougeur  déborde 
la  squame  et  se  montre  autour  d'elle  sous  la  forme  d'un  anneau  érythémateux. 

Le  prurit  est  le  plus  impoi^tant  des  symptômes  subjectifs  ;  il  est  en  général 
d'autant  plus  prononcé  que  la  squame  est  moins  épaisse.  Le  prurit  est  souvent 
accompagné  d'autres  modifications  de  la  sensibilité  qui  dépendent  surtout  de  la 
nature  de  l'affection. 

Les  troubles  fonctionnels  qui  s'observent  dans  les  affections  squameuses,  tels 
que  la  suppression  de  la  transpiration  cutanée  sur  les  régions  envahies,  l'in- 
somnie causée  par  les  démangeaisons,  la  gène  des  exercices  musculaires,  etc., 
varient  beaucoup  suivant  l'étendue  du  mal,  l'épaisseur  des  squames  et  l'origine 
de  la  lésion  cutanée. 

Les  affections  squameuses  ont  une  marche  aiguë  ou  chronique.  C'est  souvent 
la  même  affection  qui  se  présente  au  début  à  l'état  aigu,  se  reproduit  au  bout 
d'un  temps  plus  ou  moins  long  et  devient  chronique  avec  le  type  continu.  Par- 
fois l'affection  squameuse  affecte  le  type  intermittent  ou  périodique.  La  durée 
varie  surtout  suivant  la  nature  du  mal.  On  peut  dire  qu'en  général  les  affections 
squameuses  ont  une  durée  longue,  et  se  montrent  souvent  rebelles  à  tous  les 
agents  de  la  thérapeutique. 

L'analyse  microscopique  nous  apprend  que  la  squame  est  un  composé  de  cel- 
lules pavimenteuses,  de  pigment  et  souvent  de  parasites.  Les  parasites  n'en 
changent  pas  toujours  la  nature.  On  en  a  trouvé  dans  le  pityriasis  aussi  bien  que 
dans  le  psoriasis,  mais,  ainsi  que  je  l'ai  dit  ailleurs,  l'affection  ne  doit  être 
regardée  comme  parasitaire  que  quand  le  parasite  joue  tout  à  la  fois  le  rôle  de 
cause,  de  symptôme  et  de  lésion. 


DERMATOSES.  743 

La  production  des  squames  épidermiques  dénote  un  trouble  dans  les  forma- 
tions des  cellules  qui  les  composent,  et  ce  trouble,  dans  les  affections  géné- 
riques, survient  habituellement  sous  l'influence  d'une  congestion  sanguine  du 
réseau  superficiel  du  derjîie  ;  mais  cette  congestion  n'est  pas  absolument  indis- 
pensable pour  la  production  des  écailles  épidermiques,  ainsi  qu'on  peut  le  con- 
stater dans  quelques  cas  de  pityriasis  et  de  psoriasis,  et  dans  l'ichtliyose. 

Les  affections  squameuses  se  montrent  aussi  parfois  sur  les  parties  des  mem- 
branes muqueuses  rapprochées  de  la  peau.  L'exemple  le  plus  remarquable  que 
l'on  puisse  en  citer  est  le  psoriasis  lingual  que,  le  premier,  j'ai  fait  connaître 
dans  mes  leçons  sur  l'artbritis  et  la  dartre.  Depuis  cette  époque,  divers  auteurs 
s'en  sont  occupés  et  ont  confirmé  mes  recherches.  Malheureusement,  leurs  travaux 
ont  été  à  peu  près  stériles  au  point  de  vue  pratique,  c'est-à-dire  du  diagnostic  et 
de  la  thérapeutique.  Les  études  histologiques  de  mon  ancien  interne,  le  docteur 
Debove,  aujourd'hui  médecin  des  hôpitaux,  tendraient  à  faire  croire  que  le 
psoriasis  lingual  n'est  point  une  affection  dartreuse  proprement  dite,  que  sa 
constitution  histologi([ue  diffère  complètement  de  celle  du  psoriasis  herpétique, 
et  qu'il  n'est  psoriasis  que  de  nom.  M.  Debove  a  toujours  trouvé  dans  les  faits 
de  psoriasis  lingual  qu'il  a  pu  étudier  sous  le  rapport  micrographique  une  sclérose 
du  derme  sous-jacente  à  la  couche  squameuse  de  la  superficie.  Je  suis  porté  à 
croire  que  M.  Debove  a  conclu  trop  vite  de  quelques  faits  particuliers  à  la  règle 
générale.  Quant  au  travail  de  M.  Mauriac  sur  le  même  sujet,  il  suffit  de  le  lire 
pour  voir  qu'il  n'a  jeté  aucune  lumière  nouvelle  ni  sur  le  diagnostic  différentiel 
ni  sur  la  thérapeutique  du  psoriasis  lingual. 

Le  psoriasis  lingual  est  souvent  le  début  de  l'épithélioma.  Ce  fait  admis  par 
tout  le  monde  aujourd'hui,  je  l'avais  signalé  depuis  longtemps  dans  mes 
recherches  sur  cette  intéressante  affection.  Mais  comment  reconnaître  au  début 
le  psoriasis  qui  doit  être  suivi  d'épithélioma  et  celui  qui  peut  guérir  sans  dégé- 
nérescence? Ce  qui  est  certain,  c'est  qu'une  langue  couverte  entièrement  dès  le 
début  de  squames  argentées  comparables  à  celles  du  psoriasis  herpétique  le 
mieux  caractérisé  peut,  au  bout  de  dix-huit  mois,  deux  ans,  devenir  le  siège 
d'un  psoriasis  mamelonné  en  voie  de  transformation  épithéliomatique. 

Le  pityriasis  existe-t-il  sur  la  langue?  Ne  s'y  confond-il  pas  toujours  avec 
l'eczéma?  Isambert,  de  si  regrettable  mémoire,  a  étudié  cette  question  avec  tout 
l'intérêt  qu'elle  mérite.  11  admet  un  pityriasis  lingual  caractérisé  surtout  par 
l'élongation  des  papilles  qui  sont  enveloppées  d'une  squamule  épiderniique  à 
leur  extrémité  libre.  Je  dois  dire  que  je  suis  très-disposé  à  adopter  cette  manière 
de  voir. 

Souvent  l'exfoliation  épidermique  est  remplacée  sur  les  muqueuses  par  une 
excrétion  spéciale,  ainsi  qu'on  le  remarque  dans  la  rougeole.  Il  se  pourrait  que 
dans  le  psoriasis  et  les  eczémas  qui  alternent  avec  des  bronchites  opiniâtres  la 
matière  de  l'exfoliation  fût  un  mélange  de  pus  et  de  mucus  altéré  contenant 
une  énorme  quantité  de  cellules  épithéliales. 

2"  Dermatoses  statiox.xaires  ou  difformités  cutanées.  Les  états  morbides  sta- 
tionnaires  sont  les  difformités  et  les  infirmités  ;  les  premières  ne  sauraient  être 
confondues  avec  les  secondes.  La  difformité  consiste  dans  une  altération  de  la 
forme,  des  caractères  physiques  :  c'est  une  atteinte  à  la  beauté,  à  la  régularité 
des  traits.  L'infirmité  est  un  mal  habituel,  un  obstacle  à  l'accomplissement 
d'une  fonction  plus  ou  moins  importante,  par  privation  d'un  organe  ou  par 
impuissance  de  la  fonction.  Sur  la  peau,  il  n'y  a  guère  que  des  difformités. 


744  DERMATOSES. 

Cependant  il  en  est  quelques-unes  qui  peuvent,  à  bon  droit,  passer  tout  à  la  fois 
pour  difformités  et  pour  infirmités,  par  exemple,  la  chalazodermie  et  l'éléphan- 
tiasis  arabe. 

Il  n'y  a  pas  de  distinction  radicale,  absolue,  entre  la  difformité  et  l'affection 
patliologique,  parce  que  la  première  peut  se  transformer  dans  la  seconde,  et 
que,  tous  les  jours,  nous  voyons  des  affections  pathologiques  qui  deviennent 
difformités  dès  qu'elles  cessent^de  marcher,  qu'elles  s'arrêtent  dans  leur  évolu- 
tion, ou  qu'elles  ne  subissent  que  des  transformations  lentes  et  à  peine  sensibles. 
11  importe  de  ne  pas  prendre  pour  des  difformités  les  affections  pathologiques 
qui  subissent  un  temps  d'arrêt,  comme  le  psoriasis.  En  effet,  le  psoriasis  peut 
cesser  de  faire  des  progrès,  rester  quelque  temps  stationnaire,  et  pour  cela  ne 
doit  pas  être  confondu  avec  l'ichthyose.  L'ichthyose  n'entraîne  jamais  après  elle 
la  cachexie  dartreuse  comme  le  fait  le  psoriasis. 

Les  auteurs  n'ont  pas  précisé,  comme  nous,  la  ligne  de  démarcation  qui 
sépare  les  difformités  des  affections  pathologiques  :  c'est  pour  cela  qu'ils  ont  pu 
compter  parmi  les  affections  pathologiques  des  lésions  que  nous  regardons  comme 
de  simples  difformités  cutanées;  telles  sont  :  les  verrues  rapportées  à  une 
diathèse  épithéliale;  l'ichthyose  comptée  au  nombre  des  dartres  par  le  profes- 
seur Gailleton. 

Les  difformités,  aussi  bien  que  les  affections  pathologiques,  sont  de  cause 
externe  ou  de  cause  interne.  Les  difformités  de  cause  externe  sont  traumatiques, 
comme  le  tatouage  et  l'éphélide  ignéale,  ou  pathogénétiques,  comme  les  colora- 
tions bronzée  et  bleue  produites  par  l'usage  interne  du  nitrate  d'argent  et  de 
l'indigo. 

La  division  des  affections  pathologiques  en  deux  ordres,  exanthèmes  et  impé- 
tiginés,  n'est  point  applicable  aux  difformités,  parce  qu'elles  ne  sont  point  sur 
la  peau  des  manifestations  de  maladies  aiguës  ou  de  maladies  chroniques.  La 
division  des  genres  ne  leur  est  point  applicable,  car  elles  ne  sont  pas  des  affec- 
tions génériques  ;  là  où  il  n'y  a  pas  d'espèces,  il  ne  saurait  y  avoir  de  genres. 
La  seule  division  qui  puisse  leur  convenir  est  celle  des  dermatoses  élémentaires. 
Comme  pour  ces  dernières,  nous  admettons  des  difformités  maculeuses,  bouton- 
neuses, exfoliatrices,  ulcéreuses  et  cicatricielles. 

Les  difformités  sont  congénitales  ou  acquises.  Dans  le  premier  cas  elles  ont 
été  rapportées  à  des  troubles  de  l'imagination  de  la  mère,  à  des  envies  pendant 
le  cours  de  la  grossesse,  mais,  en  admettant  la  réalité  de  cette  hypothèse,  cela 
n'expliquerait  en  rien  le  mécanisme  de  leur  production. 

Les  difformités  acquises  succèdent  à  des  affections  pathologiques  et  doivent 
dès  lors  être  attribuées  aux  maladies  dont  ces  affections  ne  sont  que  la  traduc- 
tion sur  la  peau.  Dans  certains  cas,  les  difformités  acquises  n'ont  point  été 
précédées  d'affections  pathologiques,  et  la  cause  première  de  leur  production 
nous  échappe. 

Certains  états  constitutionnels  prédisposent  aux  difformités  :  citons,  comme 
exemples,  l'arthritis,  la  syphilis  pour  l'achromie,  qui  n'est  qu'un  accident  dans 
ces  maladies,  tandis  qu'elle  est  un  symptôme  du  début  dans  l'éléphantiasis. 
La  difformité  peut  n'occuper  qu'un  point,  qu'une  seule  région  du  corps,  ou 
être  répandue  sur  de  larges  surfaces  ou  même  sur  la  totalité  de  l'enveloppe 
cutanée.  Elle  est  représentée,  tantôt  par  un  seul  élément  éruptif,  et  d'autres  fois 
par  un  nombre  d'éléments  si  considérable  qu'il  est  impossible  de  les  compter. 
La  couleur  et  la  forme  sont  très-variables,  selon  que  la  difformité  est  constituée 


DERMATOSES.  745 

par  des  taches,  par  des  boutons  ou  par  des  exfoliations.  Ce  sont  des  taclies  d'un 
rouge  plus  ou  moins  vineux,  des  taches  blanches,  jaunâtres,  ardoisées,  brunes, 
des  saillies  plus  ou  moins  proéminentes,  des  écailles  :  telles  sont  les  trois 
formes  sous  lesquelles  se  présentent  habituellement  les  difformités  cutanées. 

Le  prurit  fait  défaut,  et  c'est  là  souvent  un  bon  caraclère  pour  les  distinguer 
des  affections  pathologiques  avec  lesquelles  on  pourrait  les  confondre. 

La  difformité  cutanée  n'entraîne  le  plus  souvent  aucun  dérangement  dans 
l'exercice  des  fonctions  générales.  11  faut  faire  une  exception  pour  l'éléphantiasis 
arabe,  qui  trouble  la  locomotion  quand  il  siège,  comme  cela  a  lieu  le  plus  sou- 
vent, sur  les  membres  inférieurs,  les  fonctions  génératrices,  quand  il  siège  sur 
les  organes  sexuels,  la  vision,  s'il  a  son  siège  sur  les  paupières. 

Les  fonctions  de  la  peau  sont  souvent  plus  ou  moins  compromises  par  les  dif- 
formités cutanées  occupant  de  larges  surfaces  :  la  sensibilité  générale  et  spéciale 
est  amortie  dans  l'ichthyose  ;  la  transpiration  insensible  et  la  sécrétion  de  la 
sueur  sont  notablement  diminuées;  il  en  est  de  même  de  la  sécrétion  sébacée. 
Si  la  difformité  siège  sur  les  parties  découvertes,  la  face,  les  oreilles,  le  cou,  les 
mains,  elle  nuit  à  la  régularité  des  traits  ;  elle  inspire  parfois  du  dégoût  et 
empêche  les  personnes  qui  en  sont  atteintes  de  paraître  dans  la  société.  Par  le 
volume  qu'elles  peuvent  acquérir,  les  difformités  sont  non-seulement  fort  dis- 
gracieuses, mais  encore  gênent  les  mouvements  et  nuisent  au  libre  exercice  de 
certaines  fonctions. 

La  marche  des  difformités  est  toujours  lente  et  leurs  progrès  insensibles  ;  tou- 
tefois, sous  l'influence  des  modifications  physiologiques  et  hygiéniques,  elle 
peuvent  subir  des  transformations  dans  leurs  caractères  extérieurs  et  dans  leur 
structure  intime,  lesquelles,  pour  être  à  peine  apparentes,  n'en  sont  pas  moins 
réelles. 

Leur  durée  est  indéterminée  :  dans  beaucoup  de  cas,  elles  persistent  jusqu'à 
la  mort  de  celui  qui  les  porte  ;  d'autres  fois,  elles  disparaissent  sans  qu'on 
puisse  expliquer  la  cause  de  cette  disparition,  pas  plus  qu'on  ne  peut  donner 
la  raison  de  leur  apparition.  Ainsi,  le  vitiligo  syphilitique  disparaît  plus  ou 
moins  longtemps  après  la  guèrison  de  la  syphilis;  quelquefois  il  persiste,  sans 
que  l'on  puisse  attribuer  cette  persistance  et  cette  prolongation  à  la  persistance 
de  la  diathèse  syphilitique.  Le  vitiligo  arthritique  est  plus  tenace  encore,  et  pour 
ce  qui  est  du  vitiligo  spontané,  idiopathique,  bien  qu'il  soit  le  plus  tenace  de 
tous,  nous  n'en  avons  pas  moins  observé  que,  dans  quelques  cas,  rares,  il  est 
vrai,  il  pouvait  aussi  disparaître  par  le  seul  fait  du  travail  de  la  nature,  et  par- 
fois après  avoir  résisté  à  tous  les  moyens  employés  pour  le  combattre. 

Après  ces  considérations  générales  sur  la  symptomatologie  des  difformités 
cutanées,  il  faudrait  donner  la  description  des  difformités  en  particulier  ;  mais 
ici  encore  je  ne  dois  qu'effleurer  le  sujet,  renvoyant  aux  articles  N^vus,  Derma- 
TOLYsiE,  IcHTHYosE,  etc,  oià  l'ou  ti'ouvera  une  histoire  complète  et  détaillée  de 
chacune  de  ces  affections  de  la  peau. 

Difformités  de  cause  externe.  Parmi  les  difformités  de  cause  externe,  il  n'en 
estaucunequi  mérite  de  nous  arrêter  :  le  tatouage,  l'éphélide  ignéale  connue  sous 
le  nom  de  vergetures  et  qui  s'observe  surtout  sur  les  femmes  de  la  campagne 
faisant  usage  de  chaufferettes,  ne  nous  offrent  qu'un  très-médiocre  intérêt.  11  en 
est  de  même  des  colorations  assez  rares  produites  par  l'indigo  et  le  nitrate  d'ar- 
gent, mais  plus  fréquentes  alors  (jue  ce  dernier  agent  était  employé  contre 
l'épilepsie  :  médication  aujourd'hui  tout  à  fait   abandonnée  depuis  que,    le 


746  DERMATOSES. 

premier,  j'ai  fait  connaître  le  traitement  par  le  bromure  de  potassium  à  hautes 
closes. 

Difformités  (le  cause  interne.  Pour  leur  étude,  ainsi  que  nous  l'avons  déjà 
dit  dans  le  cours  de  cet  article,  il  faut  suivre  les  divisions  des  dermatoses  élémen- 
taires. 

Nous  aurons  donc  des  difformités  maculeuses,  des  difformités  boutonneuses 
et  hypertrophiques  et  des  difformités  squameuses. 

Nous  ne  dirons  rien  des  difformités  ulcéreuses,  qui  sont  fort  rares,  rien  non 
plus  des  difformités  cicatricielles,  dont  l'histoire  se  confond  avec  celle  des  cica- 
trices considérées  comme  signes  et  fait  partie  de  la  séméiotique  cutanée. . 

A.  Difformités  maculeuses.  Elles  sont  pigmentaires  ou  sanguines,  a.  Les 
difformités  pigmentaires  sont  au  nombre  de  trois  :  Vachromie,  Vhyperchromie 
et  la  dyschromie. 

L'achromie  est  générale  ou  partielle.  L'achromie  générale  porte  plus  particu- 
lièrement le  nom  de  leucopathie,  qui  est  congénitale  ou  accidentelle. 

La  leucopathie  congénitale  n'est  autre  que  l'albinisme.  La  leucopathie  générale 
et  accidentelle  s'observe  sur  les  noirs  qui,  dans  ce  cas,  sont  appelés  nègres-pies. 

Reste  donc  la  leucopathie  partielle  ou  l'achromie.  L'achromie  vraie  est  une 
affection  rare;  le  plus  souvent,  elle  est  accompagnée  d'hjperchromie,  et  c'est 
à  tort  que,  dans  ce  cas,  les  auteurs  lui  donnent  le  nom  d'achromie.  Nous  avons 
observé  l'achromie  vraie  sur  un  ingénieur  de  l'isthme  de  Suez  :  cette  achromie 
avait  son  siège  sur  un  sourcil  et  la  peau  avoisinante  du  côté  sur  lequel  il  rece- 
vait les  rayons  solaires  pendant  son  séjour  dans  le  désert.  Il  n'est  pas  rare  de 
voir  des  individus  porteurs  d'une  touffe  ou  deux  de  cheveux  blancs  sur  une 
belle  chevelure  noire. 

A  la  difformité  hyperchromique  j'ai  rattaché  :  1°  la  nigritie;  2°  le  mélasma; 
0"  le  Icntigo;  4"  les  ntevi  pigmentaires. 

La  nigritie  est  générale  ou  partielle,  congénitale  ou  accidentelle.  On  l'observe, 
pendant  la  grossesse,  comme  simple  difformité,  et  comme  symptôme  dans  cer- 
taines syphilides,  certains  prurigos,  dans  la  maladie  d'Addison. 

L'hyperchromie  syphilitique  est  très-commune,  mais,  pour  moi,  elle  n'existe 
jamais  seule;  toujours  elle  est  liée  à  une  autre  syphilide,  notamment  aux  plaques 
de  la  peau  et  à  la  syphilide  papulo-tuberculeuse.  L'hyperchronde  syphilitique  du 
cou  n'est  pas  une  hyperchroraie  vraie;  c'est  une  véritable  dyschromie  ou  vitiligo  : 
il  y  a  des  taches  décolorées  et  des  taches  hypercolorées. 

Est-il  nécessaire  de  dire  que  j'établis  une  distinction  entre  le  lentigo  (tache 
de  rousseur)  spontané  et  le  plus  souvent  congénital,  et  l'éphélide  solaire,  tache 
de  rousseur  purement  accidentelle  ?  Le  lentigo  peut  exister  partout  et  ne  dis- 
paraît jamais,  tandis  que  l'éphélide  solaire  n'existe  que  sur  les  parties  décou- 
vertes, exposées  aux  rayons  solaires,  et  disparait  pendant  l'hiver. 

Les  nrevi  pigmentaires  sont  très-variables  de  couleur  et  d'étendue;  lorsqu'ils 
sont  couverts  de  poils  ayant  un  développement  insolite,  on  les  appelle  spili, 
expression  consacrée  par  Alibcrt. 

b.  Difformités  vasculaires.  Elles  sont,  commes  les  taches,  intra  ou  extra- 
vasculaires.  Nous  admettons  deux  sortes  de  ncevi  :  les  uns  qui  disparaissent  com- 
plètement par  la  pression  du  doigt,  les  autres  qui  ne  disparaissent  qu'en  partie. 
Nous  avons  donné  aux  premiers  le  nom  de  nœvi  aranei,  et  aux  seconds  celui  de 
ncevi  flammei. 

Il  y  a  des  nœvi  mixtes;  c'est  un  de  ces  ncevi  mixtes  qui  a  été  pris  par 


DERMATOSES.  747 

M.  Hillairet  pour  une  affection  pathologique.  Enfin,  dans  quelques  cas,  le  nœvus 
est  en  partie  vasculaire,  en  partie  pigmentaire.  Deux  ou  trois  fois  j'ai  été  consulté 
pour  des  malades  atteints  d'une  éruption  roséoliqac  généralisée  qu'ils  portaient 
depuis  huit  ou  dix  ans  sans  qu'il  fût  survenu  la  moindre  modification  dans 
cette  éruption.  L'un  de  ces  malades  avait  consulté  M.  Ricord,  qui  avait  su  par- 
faitement distinguer  cette  roséole  de  la  roséole  syphilitique.  C'est  encore  une 
affection  à  rapprocher  du  n;rvus  acquis,  qu'on  peut  appeler  naevus  roséolique. 

B.  Difformités  hoiitonneuses.  Les  houtons  liquides,  vésicules,  bulles  et  pus- 
tules, ne  sauraient  traduire  sur  la  peau  des  difformités  ;  par  suite  de  leur  con- 
stitution, ces  boutons  subissent  fatalement  des  modifications  :  l'enveloppe  se 
rompt  et  le  liquide  s'échappe,  puis  se  transforme  en  écailles  ou  en  croûtes. 
Nous  avons  dit  que  la  difformité  ne  subissait  aucun  changement  :  c'est  donc 
dans  les  boulons  solides  et  durs  que  se  trouvent  comprises  les  difformités  bou- 
tonneuses. Toutefois,  nous  ferons  une  exception  pour  l'acné,  qui  peut  dans  cer- 
tains cas  donner  lieu  à  une  affection  qu'à  bon  droit  on  peut  classer  parmi  les 
difformités  boutonneuses  :  je  veux  parler  du  varus  miliaris  d'Alibert.  Voici  ce 
qui  se  passe  :  la  pustule  acnéique  se  durcit  par  la  concrétion  de  la  matière  con- 
tenue dans  le  folhcule,  forme  une  petite  saillie  granuleuse,  blanchâtre,  sur  la 
paupière  ou  sur  d'autres  points  du  visage,  assez  souvent  sur  les  parties  sexuelles, 
dans  l'un  et  l'autre  sexe  ;  elle  est  arrêtée  dans  son  évolution,  ce  n'est  plus  qu'une 
simple  difformité  qu'Alibert  et  ses  élèves  ont  appelée  acné  miliaris,  et  que  nous 
avons  décrite  sous  le  nom  de  m,olIuscum  granulum.  Pour  ne  plus  revenir  sur 
l'acné  à  propos  des  difformités  cutanées,  signalons  encore  ces  petits  mamelons 
jaunâtres,  brunâtres  ou  tout  à  fait  noirs,  que  l'en  observe  assez  fréquemment 
dans  l'âge  adulte  et  dans  la  vieillesse,  sur  le  cou,  le  thorax,  dans  le  dos,  et  qui 
sont  formés  par  l'agglomération  de  glandes  sébacées  hypertrophiées. 

Dans  mes  leçons  sur  les  difformités  cutanées,  j'ai  rattaché  aux  boutons  solides 
un  certain  nombre  de  difformités  cutanées  et  successivement  décrit  comme 
telles  : 

\°  La  verrue  ;  2°  le  iifcvus  boutonneux;  5"  le  molluscum. 

La  verrue  et  le  nœvus  boutonneux  ont  été  ou  seront  décrits  aux  articles  n.evijs 
et  Verrue. 

Quant  au  molluscum,  qui  a  déjà  fait  l'objet  d'un  article  intéressant  dans  ce 
Dictionnaire,  tous  les  auteurs  sont  loin  d'être  d'accord  sur  ce  qu'il  faut  entendre 
par  ce  mot.  En  effet,  sous  cette  dénomination,  on  a  confondu  des  affections  pa- 
thologiques comme  l'acné  varioliforme  (molluscum  contagiosum  de  Bateman) 
et  le  mycosis  ou  lymphadénome  cutané,  et  de  simples  difformités  telles  que  le 
molluscum  stéarique  et  le  fibrome  de  la  peau.  On  s'accorde  généralement 
aujourd'hui  à  ne  comprendre  sous  le  nom  de  molluscum  que  des  difformités 
boutonneuses. 

Déjà,  dans  mes  leçons  de  1866,  j'avais  fait  voir  à  mes  élèves,  sur  un  malade 
qui  m'avait  consulté,  une  éruption  papuleuse  disséminée  sur  la  plus  grande 
partie  de  l'enveloppe  cutanée,  et  ressemblant,  de  manière  à  tromper  l'œil  le  plus 
exercé,  à  l'affection  pathologique  décrite  par  Bateman  sous  le  nom  de  lichen 
Jividus,  et  par  moi  sous  le  nom  de  lichen  à  papules  déprimées.  L'année  sui- 
vante, un  nouveau  fait  de  la  même  affection  papuleuse  s'étant  présenté  à  mon 
observation,  j'en  fis  prendre  le  moule  en  carton  pâte,  qui  doit  se  trouver  aujour- 
d'hui au  musée  de  l'hôpital  Saint-Louis.  On  ne  pouvait  pas  donner  à  cette  affec- 
tion le  nom  de  lichen,  car  le  lichen  est  une  affection  générique,  à  évolutions 


7.48  DERMATOSES. 

successives,  très-démangeante,  tandis  que  ralfeclion  papulcuse  dont  je  parle 
était  restée  statiounaire  et  sans  prurit  depuis  de  longues  années  :  pour  ces  raisons, 
j'ai  pensé  qu'où  la  distinguerait  suffisamment  des  autres  difformités  en  l'appe- 
lant molluscum  lichénoïde. 

J'ai  admis  trois  sortes  de  difformités  hypertropliiques  :  \°  la  simple  hyper- 
trophie de  la  peau;  2°  la  chalazodermie;  3°  l'éléphanliasis  arabe. 

a.  Difformités  squameuses.  Aux  vices  de  la  production  épidermique  se  rat- 
tache l'ichthyose,  que  j'ai  décrite  avec  trois  variétés,  nacrée,  serpentine  et 
cyprhie. 

Dans  mes  leçons  de  1866,  j'ai  décrit,  en  même  temps  que  l'ichthyose  cutanée, 
l'ichtliyose  pilaris,  improprement  appelée  pityriasis  pilaris.  L'ichthyose  pilaris  est 
une  affection  statiounaire,  sans  démangeaison.  Les  squames  amoncelées  sur  l'in- 
sertion du  poil  ne  se  détachent  pas  comme  celles  du  pityriasis.  On  l'a  con- 
fondue avec  la  chair  de  poule;  mais  cette  dernière  n'a  qu'une  durée  éphémère, 
landis  que  la  première  est  permanente.  Momentanément  disparue  par  les  fric- 
lions  d'huile  de  cade,  l'ichthyose  pilaris  ne  tarde  pas  à  reparaître. 

En  résumé,  voici  notre  classement  des  difformités  cutanées  : 

CLASSEMENT  DES  DIFFORMITÉS  CUTANÉES  (CONGÉNITALES  ET  ACQUISES). 

PREMIER  ORDRE.  —  Diffoiuiités  de  cause  externe  (amificieli.es). 

A.  Difformités  de  cau.ec  directe  (artificielles) Éphélide  ignéale,  tatouage. 

(  Teinte  bronzée  par  l'usage  du  nitrate 
li.  Difformité.s  de  cause  indirecte  fpathogénétique.s) |      d'argent. 

!  Teinte  bleue  par  l'emploi  de  l'indigo. 

DEUXIÈME  ORDRE.  —  Difformités  de  cause  interne  (spostanées). 

,,          ,         .  (  Éphélide  lenticulaire,  nigritie,  najvi 

Ilyperchromic |      pigmentaires,  mélasma. 

.         ,  .  ,        .  i  Aliiinisrae,  leucopaihie  générale,  par- 

a.  l'igmenlaires  .  <!  .\cliroinie tiellp 

.     „                       ,                                I  ^      ,         .  \  Vitiligo  congénital,  accidentel,  partiel 

\.  Maculeoses.  ./  [Dyschromie ^     ou  général. 

/,.,,.  (  Naevus    flamnieus,    araneus,     à   per- 

I  b.  Vascula.res ^      „i„„g 

l  Naevus  boutonneux,  molluscum,  ver- 
I  Eoutonneuses !      „  „„ 

tî.      COCTOXNEDSES  I  >        FueS. 

HïPEiiTROPHiQi'Es.     „        .       ■  •  \  Demiatolysie,  hypertrophie   cutanée, 

ITypertroph.ques ^      éléphantiasis  arabe. 

I.'.  ExFOLiATBicEs Ichthyosc  cutanée,  Ichthyose  pilaris. 

,,     ,,     .  ;  Atrophie   congénitale,',  absence  d'une 

D.  LiXEKEUSES  ATROPHiQUES ,      OU  de  plusieufs  couches  de  la  peau. 

E.  Cicatricielles Cicatrices  permanentes. 

Observations  critiques  relatives  à  V admission  d'une  classe  particulière  pour 
les  difformités  cutanées.  La  plupart  des  dermatologistes  n'ont  pas  su  créer 
une  classe  à  part  pour  les  difformités  cutanées,  car  ils  ont  toujours  ignoré  le 
principal  caractère  qui  distingue  les  maladies  des  difformités,  caractère  tiré  de 
la  marche  des  états  morhides.  Les  maladies  sont  représentées  sur  la  peau  par 
les  affections  en  voie  d'évolution,  et  les  difformités  par  les  affections  arrêtées 
dans  leur  évolution. 

Cependant,  à  diverses  époques,  des  tentatives  ont  été  faites  pour  séparer  les 
affections  stationnaires,  qui  sont  les  difformités,  des  affections  en  voie  d'évolu- 
tion, qui  appartiennent  aux  maladies;  mais,  comme  le  même  symptôme  orga- 
nique, la  même  dermatose,  peuvent  traduire  tout  à  la  fois  sur  la  peau  des  ma- 


DERMATOSES.  749 

ladies  ou  des  difformités,  on  conçoit  facilement  pourquoi  ces  tentatives  n'ont 
abouti  qu'à  former  des  groupes  de  difformités  dans  lesquels  se  trouvent  mêlées 
çà  et  là  des  affections  en  voie  d'évolution.  C'est  ainsi  que  Batemnn  a  fait  une 
classe  de  macules  dans  laquelle  figurent l'éphélide  elle  n;evus  :  sous  la  dénomi- 
nation d'éphélide,  il  confond  une  affeclioii  de  cause  externe,  l'éphélide  solaire, 
avec  le  lentigo.  Sous  le  titre  naevus,  il  comprend  non-seulement  des  affections 
maculeuses,  mais  encore  des  affections  boutonneuses  et  hypertrophiques.  D'un 
autre  côté,  l'ichtliyose,  qui  est  une  difformité,  est  décrite  dans  la  classe  des 
squames  à  côté  des  affections  squameuses  pathologiques.  Alibert  a  disséminé 
les  difformités  cutanées  dans  ses  deux  familles  des  dermatoses  liématiques  et 
hétéromorphes  ;  Hardy  a  fait  une  classe  à  'part  des  macules  et  des  difformités, 
mais  il  ne  les  a  pas  nettement  séparées  des  affections  en  voie  d'évolution. 
Comme  Bateman,  il  confond  l'éphélide  solaire,  qui  est  une  affection  de  cause 
externe,  disparaissant  l'hiver,  avec  le  lentigo,  qui  est  nue  difformité.  Il  place,  à 
tort  selon  nous,  la  chéloïde  parmi  les  difformités  du  derme. 

Devergie  seul  a  fait  une  objection  plus  spécieuse  que  solide  à  notre  classe  des 
difformités.  Comparant  les  deux  principales  classes  d'états  morbides  admises 
par  nous,  celle  des  affections  en  voie  d'évolution  et  celle  des  affections  arrêtées 
dans  leur  évolution,  il  trouve  que  le  choix  n'est  pas  heureux,  par  cette  raison 
que  la  première  comprend  toutes  les  affections  que  le  médecin  est  appelé  à 
traiter,  tandis  que  la  seconde  ne  comprend  que  des  macules  et  des  états  hyper- 
trophiques ou  ati'ophiques  presque  toujours  congénitaux,  contre  lesquels  la  mé- 
decine est  presque  toujours  impuissante.  Ce  que  dit  de  ces  deux  classes  M.  De- 
vergie est  très-juste,  et  c'est  l'argument  le  plus  fort  que  l'on  puisse  faire  valoir 
pour  démontrer  l'utilité  pratique  de  cette  grande  et  importante  division.  Mais 
M.  Devergie  a  tort  d'établir  une  comparaison  entre  deux  classes  d'états  morbides 
fort  différents,  les  uns  traduisent  des  maladies,  les  autres  des  difformités. 
Aussi,  pour  ne  plus  nous  exposer  à  pareil  reproche,  avons-nous  séparé  com- 
plètement les  difformités  des  maladies,  pour  traiter  des  affections  qui  les 
représentent  sur  la  peau  dans  deux  chapitres  différents  de  la  symptomatologie 
cutanée  :  le  premier  chapitre  est  consacré  à  l'étude  des  dermatoses  élémen- 
taires; le  deuxième  chapitre  comprend  deux  parties  :  les  affections  génériques. 
qui  sont  des  affections  en  voie  d'évolution,  et  les  affections  stationnaires,  (jui 
sont  les  difformités.  Le  troisième  chapitre  est  exclusivement  réservé  à  l'his- 
toire des  affections  propres  et  spéciales  traduisant  sur  la  peau  les  unités  patho- 
logiques. 

C.  Dermatoses  spéciales  et  dermatoses  propres.  La  dermatose  élémentaire 
et  la  dermatose  générique  empruntent  leurs  caractères  au  siège  anatomique  de 
la  lésion  et  au  mode  pathogénique.  La  pustule  de  l'acné,  prise  isolément,  est 
une  affection  cutanée  élémentaire.  L'affection  acnéique  pustuleuse,  considérée 
dans  l'ensemble  de  tous  ses  éléments  éruptifs,  dans  son  début,  sa  marche  et  sa  ter- 
minaison, est  une  affection  générique.  Jusque-là  toute  la  description  se  borne  à 
l'exposé  des  symptômes  de  l'acné  pustuleuse,  qui  repose  sur  le  siège  anato- 
mique et  la  nature  inflammatoire  de  l'acné  ;  mais  le  siège  topographique  de 
l'éruption  acnéique,  le  volume,  la  coloration  de  la  base  des  pustules,  etc.,  et 
jusqu'aux  cicatrices  que  laisse  après  elle  cette  éruption  pustuleuse,  nous  four- 
nissent des  signes  qui  décèlent  l'origine  de  l'acné  ou  la  maladie  qui  lui  a  donné 
naissance.  Eh  bien,  ces  caractères  particuliers  que  nous  transformons  en  signes 
pour  arriver  à  un  diagnostic  complet,  ce  sont  les  caractères  que  la  maladie 


750  DERMATOSES. 

imprime  elle-même  à  l'affection  générique,  et  qui  en  font  une  affection  spé- 
ciale. 

Nous  appelons  affections  propres  des  affections  qu'on  ne  peut  rattacher  à 
aucun  genre,  et  qui,  pi\r  leur  aspect,  leur  évolution,  leur  constitution  ana- 
tomique,  révèlent  immédiatement  la  maladie  qui  leur  a  donné  naissance.  Ainsi, 
la  plaque  muqueuse  est  une  afi'ection  propre  de  la  syphilis  :  quel  que  soit  sou 
siège  topogra|)hique,  sur  les  muqueuses,  sur  la  commissure  des  lèvres,  sur  la 
peau,  on  ne  doit  pas  la  confondre  avec  une  papule  syphilitique,  et  encore  moins 
avec  une  papule  de  lichen.  11  serait  impossible  de  lui  assigner  une  place  dans 
la  succession  des  accidents  syphilitiques,  et  on  la  voit  survenir  tout  aussi  bien 
au  début  qu'à  la  tin  de  la  maladie  constitutionnelle.  L'hydroa  vésiculeux  est 
une  affection  propre  de  l'arlhritis,  de  même  que  le  mycosis  est  une  affection 
propre  de  la  diathèse  lymphadéniquc. 

Sur  quelles  bases  devons-nous  établir  le  classement  des  affections  spéciales 
et  des  affections  propres?  Puisque  les  dermatoses  sont  la  traduction  des  ma- 
ladies sur  les  membranes  tégumentaires,  il  est  évident  que  ce  classement  doit 
correspondre  à  celui  des  maladies.  Mais  le  classement  des  maladies  est  difficile, 
surtout  avec  la  doctrine  généralement  admise  aujourd'hui,  doctrine  qui  confond 
les  causes,  les  lésions  et  les  symptômes-affections  avec  les  maladies.  Notre  mé- 
thode, à  nous,  est  celle  de  la  distinction  des  états  morbides,  et  nous  divisons 
les  maladies  comme  les  affections  en  celles  de  cause  externe  et  en  celles  de 
cause  interne.  C'est  là,  dit  Gihert  dans  la  dernière  édition  de  son  Traité  des 
maladies  de  la  peau,  une  division  éminemment  pratique;  mais  notre  regretté 
collègue  de  l'hôpital  Saint-Louis,  si  vite  et  si  tristement  enlevé  à  la  science 
quelques  années  après  sa  retraite  de  l'hôpital,  tout  en  constatant  l'exlrême  uti- 
lité de  cette  division  éminemment  pratique,  la  fait  remonter  à  Hippocrate;  ce 
qui  prouve  qu'il  n'en  avait  pas  compris  toute  la  portée.  Cette  division  n'est  pas 
seulement  une  division  étiologique,  elle  est  encore  et  surtout  une  division  par 
Ja  nature,  par  l'origine  morbide  qui  imprime  des  caractères  particuliers  aux 
groupes  de  ces  deux  grandes  classes,  caractères  propres  à  les  faire  reconnaître. 
Or  il  est  évident  que,  quand  on  prend  les  genres  pour  les  espèces,  pour  des 
unités  pathologiques,  on  s'inquiète  peu  de  savoir  si  la  cause  qui  les  a  détermhiés 
est  externe  ou  interne.  Pour  Hardy,  l'eczéma  étant  toujours  une  unité  patholo- 
gique distincte,  l'effet  d'une  diathèse  spéciale,  sans  relation  directe  avec  la  scro- 
fule ou  l'arlhritis,  on  s'explique  pourquoi  ce  distingué  professeur  rejette  l'eczéma 
de  cause  externe,  et  combat  à  outrance  l'eczéma  chronique  par  l'emploi  de  l'ar- 
senic, sans  calculer  les  suites  que  peut  avoir  une  pareille  médication. 

Les  dermatologistes  contemporains  qui  ont  pu  faire  progresser  la  science  en 
taxant  d'erronées  les  limites  que  Plenck  et  Willan  avaient  imposées  aux  préten- 
dues maladies  de  la  peau  pour  les  distinguer  les  unes  des  autres  n'ont  pas  vu, 
en  admettant  que  la  même  maladie  peut  représenter  tous  les  ordres  de  la  classifi- 
cation willanique,  comme  l'eczéma,  par  exemple,  n'ont  pas  vu,  dis-je,  qu'ils  se 
trompaient  seulement  au  point  de  vue  de  la  maladie  :  si  l'affection  n'est  qu'un 
symptôme,  elle  peut  être  tour  à  tour  un  érythème,  un  impétigo,  unlichen,  etc., 
mais,  si  l'affection  est  une  maladie,  elle  ne  saurait  être  tout  à  la  fois  un  érythème, 
un  impétigo,  un  lichen,  un  psoriasis,  à  moins  d'être  un  protée  pathologique,  ce 
que  personne  ne  peut  admettre.  Ces  divers  états  de  la  peau  sonf-ils  des  formes, 
des  variétés  d'une  même  maladie,  l'eczéma?  assurément  non;  c'est  comme  si 
l'on  disait  :  la  roséole,  le  lichen  syphihtique,  l'impétigo  et  le  lupus  syphilitiques. 


DERMATOSES.  751 

la  gomme  cutanée,  sont  des  variétés  d'une  seule  et  même  maladie,  h  papule, 
hypothèse  d'ailleurs  qui  a  été  émise  par  certains  syphiliographes,  et  plus  parti- 
culièrement par  Râteau;  mais  le  plus  simple  bon  sens  suffit  pour  faire  rejeter 
une  pareille  manière  de  voir.  Toutes  ces  affections  cutanées  sont  les  symptômes 
d'une  même  maladie,  la  syphilis.  Or,  il  en  est  de  même  pour  la  scrofule,  l'ar- 
thritis  et  l'herpétis. 

Nous  aurons  donc  deux  grandes  classes  d'affections  spéciales  :  l'une  pour  les 
affections  de  cause  externe,  l'autre  pour  les  affections  de  cause  interne. 

Premœre  classe.  Affectio.ns  de  cause  exterme.  Trois  grands  caractères 
séparent  les  affections  de  cause  externe  des  affections  de  cause  interne. 

Le  premier  est  tiré  de  la  symptomatologie  de  ces  affections,  et  consiste  dans 
la  multiplicité  des  lésions  élémentaires  et  des  affections  génériques;  papules,  vé- 
sicules, pustules,  sont  souvent  entremêlées.  Les  genres  exanlliéraatique,  papu- 
leux,  vésiculeux,  pustuleux  et  huileux,  se  rencontrent  ensemble  ou  se  succèdent 
à  de  courts  intervalles. 

Un  second  caractère  nous  est  fourni  par  la  marche  de  ces  affections,  toujours 
eu  rapport  avec  l'action  plus  ou  moins  durable  de  la  cause  provocante  ou 
déterminante. 

Enfin,  le  troisième  caractère  est  donné  par  la  thérapeutique.  C'est  en  effet  la 
thérapeutique  des  affections  de  cause  externe  qui  justifie  surtout  l'aphorisme  : 
sublata  causa,  toUitur  effectus. 

Je  divise  en  trois  sections  la  classe  des  affections  de  cause  externe  :  la  pre- 
mière section  comprend  les  affections  qui  ont  pour  principe  le  traumatisme  ;  la 
seconde  celles  qui  sont  dues  au  parasitisme  ;  et  la  troisième  celles  qui  sont  l'effet 
du  pathogénétisme. 

Dans  la  première  section,  les  lésions  cutanées  sont  produites  par  des  agents 
mécaniques,  physiques  ou  chimiques.  Selon  le  mode  d'action  de  ces  agents,  nous 
subdivisons  cette  section  en  deux  parties  :  la  première  est  consacrée  à  l'histoire 
des  lésions  produites  immédiatement  par  le  seul  effet  de  la  cause  ;  la  deuxième 
à  l'histoire  de  celles  qui  ne  surviennent  qu'au  bout  d'un  temps  plus  ou  moins 
long,  temps  pendant  lequel  la  nature  prépare  l'affection  cutanée,  et  qui  peut 
être  comparé  à  la  période  d'incubation  des  fièvres  éruptives. 

Première  section.  Affections  traumatiques.  Chapitre  premier.  Affec- 
tions DE  cause  MÉCA^'IQUE  00  PHïsiQCE.  Dans  ces  affections,  l'action  est  immé- 
diate, instantanée,  et  les  tissus  vivants  passent  sans  transition  de  l'état  de  santé 
à  l'état  de  maladie  ;  la  lésion  infligée  à  la  peau  a  lieu  sur  place,  d'une  manière 
entièrement  passive  ;  la  réaction  n'est  pas  obligée,  ou  ne  survient  que  plus  tard 
et  comme  effet  consécutif.  Dans  les  affections  provoquées  (artificielles  de  Rayer), 
l'action  n'est  plus  immédiate,  et  un  intervalle  de  temps  variable  s'écoule  entre 
l'application  de  la  cause  et  l'effet  qui  en  doit  résulter.  Tout  d'abord  on  ne  con- 
state rien  d'appréciable,  puis  la  réaction  arrive  et  l'affection  se  manifeste.  Cette 
période  de  silence  complet  est  assez  comparable  à  la  période  d'incubation  des 
lièvres  éruptives  ;  c'est  une  sorte  de  vibration  imprimée  à  l'organisme  et  qui  ne 
s'arrête  qu'au  phénomène  morbide. 

Mais  y  a-t-il  toujours  entre  les  affections  immédiatement  déterminées  et  les 
affections  provoquées  une  ligne  de  démarcation  tien  nette  et  bien  accusée?  Non, 
car  le  même  agent  qui,  chez  un  sujet,  aura  produit  un  effet  immédiat,  n'agira 
sur  un  autre  qu'en  vertu  de  la  réaction  vitale,  et  sur  un  même  sujet  les  deux 


752  DERMATOSES. 

effets  pourront  se  combiner  de  telle  façon  qu'il  sera  souvent  difilcile  de  pre'ciser 
où  l'un  s'arrête  et  où  l'autre  commence.  Il  ne  faut  donc  accorder  à  ces  divisions 
qu'une  importance  raisonnée,  et  ne  pas  aller  plus  loin  que  la  nature  elle- 
même. 

Énumérons  succinctement  les  différents  groupes  d'affections  de  cause  méca- 
nique que  nous  avons  admis  dans  nos  leçons  sur  les  affections  artificielles 
publiées  et  rédigées  par  le  docteur  Guérard. 

§  I.  Plaies  par  instruments  piquants^  tranchants  et  contondants.  Leur 
histoire  appartient  tout  entière  à  la  chirurgie. 

§  II.  Piqûres  et  morsures  d'animaux  non  venimeux,  non  parasites,  a.  Pi- 
qûres de  punaises.  Douleur  plus  ou  moins  vive  au  moment  de  la  piqûre,  puis 
tache  rouge  et  bouton  papuleux  ; 

b.  Blessures  faites  par  les  animaux  urticants  (processionnaires,  actinies  et 
méduses,  orties  de  mer).  Taches  rouges  érythémateuses  ;  urticaire  artificielle; 
prurit  très-vif; 


c.  Rouget.     Taches  rouges  ;  vésicules,  papules  (lichen  acarique  de  Gibert 


d.  Cousins.  Le  plus  souvent  les  effets  ne  se  font  pas  sentir  immédiatement 
après  la  piqûre  ;  ce  n'est  qu'après  quelques  heures  ou  un  jour  ou  deux  qu'on 
voit  survenir  de  grosses  papules  très-démangeantes.  Quelquefois,  si  les  piqûres 
sont  nombreuses,  il  y  a  fluxion,  œdème,  et  même  quelques  troubles  généraux, 
des  nausées  et  de  la  fièvre; 

e.  Morsure  de  la  sangsue.  Petite  plaie  d'aspect  triangulaire  autour  de 
laquelle  se  produit  quelquefois  un  cercle  livide  ou  trombus  formé  par  le  sang 
infiltré.  Peut  s'enflammer  et  donner  lieu  à  une  inflammation  suppurative  cir- 
conscrite. 

§  III.  Tous  les  degrés  de  la  brûlure,  depuis  Vénjthème  et  le  coup  de  soleil 
jusqu'à  Veschare.  Érythème  solaire,  simple  rubéfaction  de  la  peau  variant  du 
rose  tendre  au  rouge  le  plus  foncé,  avec  sensation  de  chaleur  et  de  cuisson, 
suivi  parfois  d'exfoliation.  Dans  quelques  cas  il  y  a  brûlure  au  second  degré,  et 
l'on  voit  se  produire  des  vésicules  sur  les  surfaces  rubéfiées.  Dans  quelques 
variétés,  troubles  généraux  (céphalalgie,  anxiété,  insomnie,  fièvre,  etc.). 

§  IV.  Tous  les  degrés  de  la  congélation,  depuis  V engelure  jusqu'à  la  mortifi- 
cation complète.  Engelure,  érythème  pernio.  On  distingue  deux  degrés  dans 
l'engelure  :  1"  l'engelure  non  ulcérée;  2"  l'engelure  ulcérée.  Se  complique  par- 
fois d'hydroa  et  d'érythème  papulo-tuberculeux  (affections  de  nature  arthritique 
qui  ne  surviennent  que  dans  les  engelures  permanentes). 

§  V.  Lésions  cutanées  produites  par  l'électricité  et  les  caustiques. 

§  VI.  Lésions  cutanées  produites  par  une  pression  lente,  ou  par  le  contact 
de  fluides  sécrétés  plus  ou  moins  altérés,  a.  Intertrigo.  Rougeur  diffuse  qui 
paraît  d'abord  au  fond  du  pli  cutané,  sous  la  forme  d'une  hgne  ondulée  qui 
s'étend  peu  à  peu  à  la  manière  d'un  liquide  et  finit  par  envahir  toute  l'étendue 
des  surfaces  en  contact  sans  les  dépasser,  à  moins  de  complications.  L'intertrigo 
simple,  de  cause  externe,  devient  souvent  le  point  de  départ  de  l'intertrigo  scro- 
fuleux  {erythenia purifluens) ,  ou  de  l'intertrigo  arthritique  (intertrigo  sycosique); 

b.  Crasses  non  parasitaires  (crasses  laiteuses,  crasses  membraneuses, 
achor  lactumineux,  crusta  lactea)  {voy.  Gourmes)  ; 

c.  Érythème  par  décubitus  prolongé  (érythème  paratrime  d'Alibert)  ; 

d.  Oiiijle  incarné.     Ongle  rentré  dans  les  chairs. 

Chapitre  II.     Affections  provoquées.     II  existe,  avons-nous  dit  [Leçons  sur 


DERMATOSES.  7b5 

les  affections  cutanées  artificielles),  pour  ces  éruptions  comme  pour  les  érup- 
tions constitutionnelles,  un  ensemble  de  cai-actères  dont  la  valeur  ne  saurait 
être  contestée.  Ces  caractères  se  tirent  principalement  : 

1°  De  \q\iv  siège,  qui  est  surtout  aux  parties  découvertes;  elles  ont  en  outre" 
une  sorte  de  prédilection  pour  les  parties  génitales  ;  2°  de  leur  forme,  essentiel- 
lement variable,  le  plus  souvent  diffuse,  mal  arrêtée,  quelquefois  au  contraire 
d'une  régularité  presque  géométrique  (par  suite  d'applications  d'emplâtres  irri- 
tants) ;  5"  de  leur  Jnode  pathogénique  et  de  la  multiplicité  des  éléments  qui  les 
composent;  4"  de  lenv  intensité,  qui  est  proportionnelle  à  la  cause;  5°  de  leur 
marche  :  apparues  brusquement,  elles  décroissent  avec  une  égale  rapidité,  dès 
que  l'agent  provocateur  a  été  écarté  ;  elles  ne  font  en  quelque  sorte  qu'effleurer 
l'organisme  ;  6"  de  leur  durée,  qui  est  fort  courte  et  toujours  en  rapport  avec  la 
durée  d'action  des  causes  ;  7°  de  leur  cause,  généralement  facile  à  saisir  ; 
8°  enfui,  de  leur  guérison,  rapide  et  radicale,  sans  le  secours  d'aucun  traite- 
ment, lorsqu'elles  sont  simples  et  exemptes  de  toute  complication. 

Je  divise  les  affections  provoquées  en  six  groupes,  que  nous  allons  passer  rapi- 
dement en  revue  : 

A.  Éruptions  provoquées  par  les  circumfusa  et  les  applicata.  i"  Circwn- 
fiisa:  a.  Éphélide  solaire.  La  lumière  augmente  la  sécrétion  du  pigment  sur 
les  parties  exposées  à  son  action.  L'éphélide  résulte,  non  pas  d'un  surcroît  d'ac- 
tivité fonctionnelle  de  la  peau,  mais  de  la  perversion  et  du  trouble  de  la  fonc- 
tion ;  c'est  une  véritable  bypercbromie  :  la  matière  colorante  en  excès  se  rassemble 
sous  forme  de  taches  irrégulières,  déchiquetées,  anguleuses,  d'une  colora- 
tion jaunâtre,  safranée,  ne  formant  aucune  saillie,  n'étant  le  siège  d'aucune 
furfuration  ; 

b.  Roséole  estivale.  Taches  rouges,  sans  saillie,  disparaissant  à  la  pression, 
petites  et  isolées  dans  certains  cas,  comme  on  l'observe  dans  la  rougeole,  ou 
prenant  l'aspect  diffus  et  granulé  de  l'éruption  scarlatineuse  ;  accompagnée 
parfois  de  chaleur  cuisanle,  l'éruption  peut  être  précédée  ou  accompagnée  de 
malaise  général  et  d'une  réaction  fébrile  peu  prononcée.  La  résolution  de  ce 
pseudo-exanthème,  qui  survient  sous  l'influence  d'un  éréthisme  cutané  produit 
le  plus  souvent  par  les  fortes  chaleurs  de  l'été,  se  fait  avec  ou  sans  desqua- 
mation ; 

c.  Miliaire  sudorale.  Affection  qui  ne  diffère  de  la  précédente  que  par  son 
caractère  vésiculeux  ; 

d.  Lichen  tropicus.  Papules  rouges  et  rugueuses  qui,  le  plus  souvent,  cou- 
vrent tout  le  corps,  sont  accompagnées  d'un  prurit  très-violent  ;  survient  sons 
l'influence  de  la  température  élevée  des  régions  intertropicales  ; 

e.  Éruptions  provoquées  par  le-  froid.  Chair  de  poule  permanente,  lichen 
pilaris  ; 

f.  Éruptions  provoquées  par  la  viciation  de  l'air.  Rentrent  dans  le  groupe 
des  affections  produites  par  la  substance  qui  corrompt  l'air  (éruptions  arseni- 
cales, éruptions  produites  par  les  papiers  de  tenture). 

2°  Éruptions  provoquées  par  les  applicata  :  a.  Affections  érythémateuses  et 
pustuleuses  produites  sur  le  front  par  la  pression  du  chapeau,  sur  le  cou  (dartre 
en  collier  de  Sauvages),  sur  les  jarrets  (jarretière  de  Sauvages),  sur  la  partie 
interne  des  cuisses  par  les  pantalons  de  laine; 

b.  Tylosis.  Le  tylosis  gompheux  (cor  aux  pieds)  ;  le  tylosis  calleux  (duril- 
lon) ;  tylosis  bulbeux  (œil  de  perdrix);  tylosis  .buUeux  l(bulle),  qui   vient  au 

DICT.  EKC.  XXVII.  48 


754  DERMATOSES. 

talon  ou  sous  les  orteils  à  la  suite  d'une  forte  pression  ou  d'un  choc  portant  sur 
un  point  quelconque  de  la  circonférence  ou  de  la  plante  du  pied. 

B.  Des  affections  cutanées  qui  dépendent  des  professions.  Ces  affections 
sont  nombreuses  et  très-importantes  au  point  de  vue  de  l'intérêt  pratique  qui 
s'y  attache. 

Je  les  ai  divisées  en  trois  sections  (voy.  Leçons  sur  les  affections  cutanées 
artificielles,  rédigées  et  publiées  par  le  docteur  Guérard.  Paris,  1862)  :  1"  Les 
agents  de  la  première  section  agissent  non-seulement  d'une  manière  locale,  mais 
encore  après  absorption  et  en  vertu  de  propriétés  toxiques;  2"  les  agents  de  la 
deuxième  section  ne  possèdent  aucune  propriété  toxique,  mais  ils  répandent 
autour  de  l'ouvrier  une  atmosphère  de  poussière  nuisible  et  irritante,  laquelle 
pénètre  dans  les  voies  respiratoires,  agit  sur  les  muqueuses,  etc.  ;  5°  enfin,  dans 
la  troisième  section  sont  rangés  les  agents  dont  l'action  ne  va  pas  au  delà  de  la 
partie  avec  laquelle  ils  sont  mis  volontairement  en  contact. 

Nous  ne  dirons  qu'un  mot  de  ces  affections  qui  sont  décrites  spccialcuicnt 
dans  les  articles  consacrés  à  l'hygiène  professionnelle. 

1"  A  la  première  section  se  rattachent  : 

a.  Les  éruptions  propres  aux  ouvriers  qui  manient  les  verts  arsenicaux  :  éry- 
thème,  eczéma,  chancres,  plaques  muqueuses  d'origine  arsenicale.  Coloration 
spéciale  ; 

b.  Les  éruptions  propres  aux  ouvriers  qui  travaillent  la  canne  de  Provence  : 
érythème,  vésicules  et  pustules  précédés  et  accompagnés  de  symptômes  géné- 
raux ; 

c.  Affections  propres  aux  ouvriers  employés  à  piler  les  oranges  amères  :  trou- 
bles du  côté  du  système  nerveux,  érythème,  vésiculation,  pustulation,  etc.  ; 

d.  Éruptions  propres  aux  peintres,  teinturiers,  apprèteurs  de  couleurs,  mi- 
nium, chromate  de  plomb  :  éruptions  locales  et  troubles  généraux;  intoxication 
saturnine,  etc.  ; 

e.  Éruptions  propres  aux  ouvriers  en  cuivre  :  coloration  verdâtre  des  che- 
veux; 

/'.  Éruptions  propres  aux  ouvriers  employés  à  l'étamage  des  glaces,  aux  do- 
reurs :  éruptions  cutanées,  eczéma  artificiel.  Le  tremblement,  les  accidents  pro- 
duits par  l'absorption  du  mercure  n'existent  plus  depuis  l'application  des  pro- 
cédés galvano-plastiques  ; 

g.  Éruptions  propres  aux  ouvriers  employés  dans  les  fabriques  de  produits 
chimiques  et  pharmaceutiques.  Ce  sont  surtout  des  affections  cutanées  érythé- 
mateuses,  vésiculeiises,  avec  tuméfaction  des  parties  atteintes. 

2°  Deuxième  section  :  agents  qui  donnent  lieu  à  une  atmosphère  de  pous- 
sière non  toxique  : 

a.  Ouvriers  en  nacre  de  perle  :  gerçures  sur  les  mains  ;  irritation  des  mu- 
queuses oculaire  et  respiratoire  ; 

h.  Fileurs  de  laine  :  furoncles,  érysipèles,  anémie,  ophthalmies  chroniques, 
asthme,  œdème,  phthisie,  etc.  ; 

c.  Meuliers,  caillouteurs  :  lésions  cutanées  diverses,  conjonctivites  douloU' 
reuses,  opiniâtres,  bronchites  et  phthisie. 

3"  Troisième  section.  Éruptions  causées  par  les  professions  dans  lesquelles 
les  agents  employés  n'ont  d'action  que  sur  les  paj-ties  mises  volontairement  en 
contact  avec  eux.  Ces  éruptions  se  partagent  en  deux  groupes  :  1°  les  éruptions 
aiguës;  2°  les  éruptions  chroniques  (altérations  diverses  de  l'épiderme). 


DERMATOSES.  755 

1"  Parmi  les  éruptions  aiguës,  nous  signalerons  : 

a.  Le  mal  de  vers  ou  mal  de  bassine  [voy.  ce  mot)  ; 

h.  Eruptions  des  cuisiniers  et  des  cuisinières,  ébénistes,  graveurs,  ma- 
çons. Toujours  des  érythèraes,  des  eczémas  artificiels,  des  fissures,  des  cre- 
vasses, etc.  ; 

c.  Chez  les  foulons  occupés  à  dégraisser  les  draps,  chez  les  ouvriers  employés 
au  blanchiment  des  tissus  au  moyen  de  la  vapeur  du  soufre,  l'état  des  mains 
est  caractéristique  (Tardieu).  La  peau  est  ramollie  par  le  contact  de  l'acide  sul- 
furique  qui  imprègne  les  étoffes,  l'épiderme  est  blanchi,  ridé,  ratatiné,  soulevé 
et  détruit  par  places,  surtout  aux  faces  correspondantes  du  pouce  et  de  l'index, 
ces  deux  doigts  saisissant  et  tendant  les  pièces,  au  fur  et  à  mesure  qu'elles  se 
déroulent  ; 

d.  Mégissiers,  tanneurs,  criniers,  pelletiers,  marchands  de  peaux  de  la- 
pins, etc.,  sont  sujets  à  des  éruptions  pustuleuses  et  ecthymatiques,  à  la  pus- 
tule maligne  ; 

e.  Mineurs,  houilleurs.  Pustules  et  ampoules  sur  différentes  parties  du 
corps,  notamment  aux  pieds  ; 

/".  Forgerons,  verriers,  pâtissiers.  Ici  c'est  le  calorique  qui  détermine  des 
lésions  à  la  peau,  particulièrement  à  la  face  et  aux  mains  :  érythème,  production 
épidermique  exagérée,  gerçures,  crevasses,  etc.; 

g.  Boidangers.  Psoriasis  artificiel,  notamment  sur  le  dos  des  mains,  par 
le  contact  de  la  pâte  fermentée. 

2"  Parmi  les  professions  qui  donnent  lieu  à  des  altérations  diverses  de  l'épi- 
derme,  nous  citerons  : 

a.  Débardeurs,  déchireurs,  ravageurs.  Sujets  à  des  lésions  diverses,  pem- 
phigus  artificiel  aux  jambes,  œdème,  ulcères,  et  plus  particulièrement  à  l'af- 
fection que  ces  ouvriers  désignent  sous  le  nom  de  grenouille,  altération  du  derme 
caractérisée  par  un  ramollissement,  des  gerçures,  et  souvent  une  usure,  une  de- 
struction des  parties  qui  sont  en  contact  avec  l'eau.  Entre  les  orteils  on  observe 
de  vastes  fentes  ou  crevasses;  parfois  la  peau  s'en  va  comme  en  lambeaux,  lais- 
sant à  vif  un  fond  rouge  pulpeux  et  d'une  sensibilité  extrême  (Parent-Ducha- 
telet)  ; 

b.  Blanchisseurs  et  blanchisseuses.  Mains  rouges,  gonflées,  déformées;  l'é- 
piderme macéré,  ridé,  gonflé  et  ramolli,  devient,  par  !  a  cessation  du  travail, 
dur,  sec,  cassant  :  de  là  des  gerçures  douloureuses,  des  callosités  qui  entravent 
le  libre  exercice  des  doigts  et  parfois  une  véritable  rétraction  qui  les  tient  dans 
une  flexion  permanente  ; 

c.  Mégissiers.     Sujets  à  l'affection  qu'ils  appellent  c/io/eVa  des  doigts; 

d.  Ouvriers  employés  au  peignage.  Durillons  situés  à  la  partie  externe  du 
doigt  indicateur  et  qui  résultent  de  la  forte  pression  qu'ils  exercent  sur  la 
laine  placée  entre  le  doigt  et  le  pouce  correspondant  (Tardieu)  ; 

f.  Tailleurs.  Érythèmes  et  plus  tard  callosités  que  l'on  observe  surtout  sur 
les  malléoles  externes,  au  niveau  de  l'extrémité  tarsienne  du  cinquième  méta- 
tarsien et  sur  le  cinquième  orteil  ; 

g.  Brunisseuses .  La  main  droite,  qui  tient  le  brunissoir,  est  calleuse,  noi- 
râtre à  sa  face  palmaire  ;  la  main  gauche,  qui  sert  à  fixer  l'objet,  présente  aussi 
des  callosités  sur  les  faces  correspondantes  du  pouce  et  de  l'index  ; 

h.  Cordonniers.  A  la  main  droite,  le  pouce  et  l'index  qui  tirent  le  fil  pour 
l'enduire  de  poix  ont  la  pulpe  aplatie  ;  celle  du  pouce  est  un  peu  déjetée  vers 


756  DERMATOSES. 

l'index.  Le  pli  qui  sépare  la  deuxième  de  la  troisième  phalange  de  l'index  est 
coupé  par  le  fil,  et  présente  luie  crevasse  profonde,  à  bords  durs  et  calleux.  A  la 
main  gauche,  la  pulpe  du  pouce,  déjetée  comme  à  droite  vers  l'index,  a  la  forme 
d'une  spatule  très-allongée,  etc.  ; 

i.  Marbriers.  Lésions  épidermiques  à  la  main  gauche,  sur  le  petit  doigt  du 
côté  de  l'espace  interdigital  ;  tumeur  ovalaire,  dure,  saillante,  mobile  et  indo- 
lente ;  à  la  partie  interne  du  pouce,  tumeur  généralement  plus  petite,  offrant 
les  mêmes  caractères  ;  une  série  de  callosités  plus  ou  moins  prononcées  s'étend 
de  l'une  à  l'autre,  le  long  des  têtes  des  métacarpiens. 

C.  Affections  cutanées  ■produites  par  des  applications  ou  frictions  irritantes, 
faites  dans  nn  but  thérapeutique,  expérimental  ou  de  simulation.  Nous 
employons  souvent  en  thérapeutique  les  agents  irritants  sur  la  peau  comme 
révulsifs,  et  nous  obtenons  ainsi  des  éruptions  érythémateuses,  vésiculeuses, 
pustuleuses,  etc.  ;  exemples  :  les  éry thèmes  qui  succèdent  à  l'application  des 
sinapismes,  les  éruptions  vésiculeuses  et  pustuleuses  qui  surviennent  par  suite 
de  frictions  avec  l'huile  de  croton  ou  la  pommade  d'Autenrieth. 

On  peut  aussi  provoquer  des  éruptions  dans  un  but  expérimental,  mais  l'expé- 
rience a  ses  limites  et  n'est  justifiable  qu'autant  qu'elle  se  concilie  avec  l'intérêt 
du  malade. 

Enfin,  un  but  de  simulation  préside  assez  fréquemment  à  la  production  de 
certaines  éruptions  cutanées  ;  le  médecin  ne  saurait  trop  se  tenir  en  garde 
contre  de  semblables  menées. 

Les  agents  provocateurs  étant  ici  multipliés  à  l'intîni,  il  nous  est  impossible 
d'adopter  le  principe  de  division  qui  nous  a  servi  dans  l'étude  des  éruptions 
professionnelles.  Nous  emploierons  la  méthode  deWillan  pour  classer  ce  nouveau 
groupe  d'éruptions  artificielles. 

a.  Dermites  érythémateuses.  Produites  par  les  rubéfiants  (farine  de  mou- 
tarde, poix  de  Bourgogne,  ail  pilé,  clématite,  anémone  des  bois,  renoncule 
scélérate,  etc.)  ;  sensation  de  picotement,  de  cuisson,  de  brûlure  ;  petites  taches, 
puis  teinte  rosée  générale.  Les  effets  ne  vont  pas  plus  loin,  quand  on  enlève  à 
temps  l'agent  irritant  ;  mais,  si  on  prolonge  la  durée  de  son  application,  des 
vésicules,  des  bulles  et  même  des  eschares  peuvent  succéder  à  l'érythème.  A  la 
dermite  érythémateuse  se  rattache  l'urticaire  artificielle,  produite  par  le  contact 
de  l'urtica  urens. 

b.  Dermites  papuleuses.  J'en  ai  admis  deux  variétés  :  1"  la  dermite  à  petites 
papules  produites  par  les  pommades  alcalines  et  lés  bains  alcalins  ;  2"  la  dermite 
à  grosses  papules,  que  l'on  produit  par  des  frictions  répétées  avec  une  pommade 
composée  de  deux  parties  d'axonge  et  d'une  partie  d'ipécacuanha. 

c.  Dermites  vésiculeuses.  Trois  variétés  établies  d'après  le  volume  des  vési- 
cules: \°  à  petites  vésicules  (miliaire  rouge,  dermite  produite  par  la  térében- 
thine, le  soufre,  etc.)  ;  2"  à  vésicules  moyennes  (eczéma  hydrargyrique,  vési- 
cules produites  par  les  emplâtres  de  poix  de  Bourgogne,  de  ciguë)  ;  3"  à  grosses 
vésicules  semblables  aux  éruptions  herpétiques  ou  varicelliformes  (frictions  avec 
l'euphorbe,  l'huile  de  croton  tiglium,  le  thapsia). 

à.  Dermites  huileuses  (l'eau  bouillante,  les  cantharides,  l'ammoniaque,  le 
garou).  L'huile  de  noix  d'acajou  produit  des  bulles  remplies  d'une  sérosité  puru- 
lente, de  véritables  bulles  de  rupia. 

e.  Dermites  pustuleuses.  Les  pustules  artificielles  sont  comme  les  pustules 
spontanées   phlyzaciées  ou  psydraciées.   Aux  premières  se  rattache  l'ecthyma 


DERMATOSES.  757 

produit  par  les  frictions  stibiées;  aux  secondes  les  pustules  cadique,  arsenicale 
et  azotique. 

L'éruption  cadique,  sur  laquelle  j'ai  tant  de  fois  a[)pelé  l'attention  de  mes 
élèves,  est  caractérisée  par  des  papulo-pustules  disséminées  ou  groupées,  mais 
toujours  parfaitement  distinctes  les  unes  des  autres,  quels  que  soient  leur  siège 
et  leur  volume.  On  les  rencontre  surtout  aux  membres  dans  le  sens  de  l'exten- 
sion, et  en  général  sur  les  régions  du  corps  où  le  système  pileux  est  bien  déve- 
loppé. Leur  forme  est  caractéristique  :  elles  s'implantent  dans  la  peau  par  une 
large  base  papuleuse  et  se  terminent  presque  aussitôt  par  un  sommet  acuminé 
et  comme  pointu,  marqué  d'un  point  noir  qui  constamment  donne  issue  à 
un  poil  ;  ce  sommet  offre  en  outre  ceci  de  particulier  qu'il  est  déjeté  sur  le 
côté.  Ces  papulo-pustules  sont  dures,  solides,  d'un  volume  parfois  considérable, 
généralement  assez  rouges,  entourées  d'un  cercle  rougeâtre  ;  quelques-unes 
sont  blanches  à  leur  sommet  ;  d'autres  enfin  sont  entourées  d'un  liséré  épi- 
dermique.  J'ai  depuis  longtemps  désigné  cette  affection  sous  le  nom  de  sycosis 
cadique. 

Les  pustules  arsenicales  et  azotiques  que  nous  avons  obtenues  par  le 
vert  de  Scbeele  et  l'acide  azotique  incorporé  à  l'axonge  se  trouvaient,  comme 
les  pustules  cadiques,  presque  toutes  traversées  par  un  poil  :  ce  qui  tenait 
évidemment  au  contact  prolongé  de  la  parcelle  de  pommade  retenue  à  la  base 
du  poil. 

d.  Dermites  furonculaires.  Elles  sont  produites  par  les  préparations  alca- 
lines et  sulfureuses  employées  en  frictions.  Mais  ici  plus  encore  que  pour  les 
autres  dermites  il  est  nécessaire  d'admettre  une  prédisposition,  car  tel  agent 
qui  les  fait  naître  sur  un  individu  ne  produit  rien  sur  un  autre. 

e.  Dermites  phlegmoneuses .  C'est  par  la  prolongation  d'action  de  l'agent 
irritant  qu'on  peut  voir  survenir  des  érysipèles  phlegmoneux  et  des  phlegmons 
sous-cutanés. 

f.  Dermites  gangreneuses.  Elles  sont  dues  à  un  excès  d'inflammation,  à  une 
interruption  de  la  circulation  ou  à  la  spécificité  de  la  cause  (gangrène  de  la 
pustule  maligne  et  du  charbon). 

D.  Des  affections  provoquées  par  le  contact  de  produits  physiologiques  ou 
morbides.  Ce  groupe  renferme  trois  catégories  distinctes,  suivant  que  le  produit 
est  répandu  sur  la  peau,  versé  sur  les  muqueuses,  ou  qu'il  se  dépose  dans  l'inté- 
rieur même  de  ces  organes. 

A  la  première  nous  rattachons  l'intertrigo  produit  par  le  contact  et  le  séjour 
de  la  sueur  entre  les  deux  surfaces  adossées  des  plis  cutanés;  le  sycosis  produit 
et  entretenu  sur  la  lèvre  supérieure  par  le  contact  du  fluide  sécrété  par  la 
muqueuse  pituitaire,  dans  le  coryza  ;  l'inflammation  des  paupières  produite 
par  l'épiphora  ;  l'érythème,  l'eczéma,  l'herpès  du  prépuce  et  du  gland,  de  la 
vulve  et  de  la  partie  interne  des  cuisses  par  le  pus  blennorrhagique  ou  par  des 
produits  de  sécrétion  plus  ou  moins  acres  qui  s'échappent  de  l'urèthre  et  du 
vagin  ;  les  éruptions  produites  sur  les  mêmes  parties  par  l'urine  chez  les  dia- 
bétiques. 

A  la  seconde  catégorie  appartiennent  les  érosions  et  les  granulations  du  pha- 
rynx produites  par  le  contact  des  mucosités  acres  qui  tombent  des  arrière- 
narines  en  suivant  la  courbe  du  voile  palatin  ;  les  érosions,  fissurations,  granu- 
lations du  gland  dans  la  blennoirhagie  aiguë;  les  érosions  et  granulations  du 
col  utérin  qui  sont  la  suite  du  catarrhe  de  la  matrice. 


758  DERMATOSES. 

Enfin  à  la  troisième  catégorie  je  rapporte  les  démangeaisons  et  pustulettes  du 
purpura,  le  prurigo  ictérique  du  à  la  présence  des  éléments  de  la  bile  dans  le 
tissu  cutané,  affection  si  rebelle  et  souvent  accompagnée  des  plus  intolérables 
démangeaisons.  Cette  étiologie  a  été  contestée.  Le  prurit  ictérique  a  été  attribué 
sans  raison  valable  à  l'intervention  du  système  nerveux  ;  assurément  le  système 
nerveux  n'est  pas  étranger  à  ce  symptôme,  mais  ce  sont  les  nerfs  de  la  peau 
qui  sont  irrités  directement  par  le  contact  de  la  matière  colorante  de  la  bile,  et 
non  par  suite  d'une  action  réflexe.  Mentionnons  aussi  comme  appartenant  à  cette 
catégorie  l'eczéma  variqueux,  qui  sera  décrit  avec  tous  les  détails  qu'il  comporte 
à  l'article  Eczéma.  C'est  une  affection  des  plus  intéressantes  que  l'on  guérit  en 
général  assez  facilement,  mais  qui,  dans  les  hôpitaux,  est  souvent  entretenue 
artificiellement  par  les  malades,  dans  le  but  de  prolonger  leur  séjour  à  l'hôpital 
ou  d'obtenir  des  certificats  d'incurabilité. 

E.  Affections  provoquées  par  l'insertion  sous  Vépiderme  de  matières  véné- 
neuses, putrides  ou  purulentes.  Ce  qui  caractérise  essentiellement  les  affections 
de  ce  groupe,  c'est  la  pénétration  d'un  principe  morbifique  particulier,  insaisissable 
en  lui-même,  et  dont  la  nature  ne  nous  est  révélée  que  par  les  effets  qu'il 
détermine.  Tantôt  c'est  un  venin,  c'est-à-dire  un  produit  de  sécrétion  normale 
doué  de  propriétés  délétères  qui  s'introduit  à  la  faveur  d'une  piqûre  ou  d'une 
morsure  dans  le  tissu  de  la  peau  ;  tantôt  la  lésion  résulte  de  l'inoculation  d'un 
virus,  c'est-à-dire  d'un  produit  de  sécrétion  pathologique;  dans  d'autres  cas, 
enfin,  c'est  une  matière  septique  ou  putride  qui  vient  contaminer  une  solution 
de  continuité  et  en  changer  l'aspect  et  la  nature. 

Toutes  ces  affections  offrent  ceci  de  remarquable  que  les  désordres  tant  locaux 
que  généraux  sont  hors  de  toute  proportion  avec  la  lésion  physique  ou  mécanique 
infligée  à  la  peau  :  celle-ci  n'entre  évidemment  pour  rien  ou  presque  rien  dans 
la  production  des  phénomènes,  et  n'a  été  que  l'occasion,  si  je  puis  ainsi  dire,  de 
leur  développement  [Leçons  sur  les  affections  artificielles) . 

1°  Affections  ctdanées  provoquées  par  V insertion  sous  Vépiderme  de  matières 
vénéneuses. 

a.  Des  piqûres  du  cousin.  Peut-être  l'affection  produite  par  la  piqûre  du 
cousin  doit-elle  faire  partie  de  ce  groupe,  car  il  est  probable  que  le  cousin 
inocule  un  venin  par  la  petite  plaie  que  son  dard  inflige  à  la  peau  ; 

b.  Piqûres  d'abeilles,  de  guêpes,  de  frelons,  etc.  Douleurs  vives,  fluxions 
érythémateuses,  éminence  pustuleuse  ou  papuleuse;  plus  rarement  érysipèle, 
gangrène,  ulcères,  telles  sont  les  lésions  produites  par  les  hyménoptères; 

c.  Morsure  de  la  vipère.  Vive  douleur,  la  peau  rougit,  s'enflamme  et  bientôt 
la  région  devient  le  siège  d'une  tuméfaction  considérable,  des  phlyctènes  se 
produisent  çà  et  là,  et  l'on  voit  apparaîti'e  de  larges  taches  de  couleur  livide  et 
d'apparence  gangreneuse; 

à.  Tarentule,  scolopendre,  scorpion.     Accidents  identiques  ou  plus  graves; 

e.  Crotale.  Inflammation  gangreneuse  à  extension  rapide.  Parfois  termi- 
naison fatale  dans  l'espace  de  quelques  minutes. 

2°  Affections  cutanées  provoquées  par  l'insertion  sous  l'épiderme  de  ma- 
tières virulentes.  Les  principales  sont  la  pustule  maligne,  le  cowpox,  les 
accidents  produits  par  l'insertion  du  virus  syphilitique  à  l'endi^oit  de  la  bles- 
sure. 

a.  Pustule  maligne.  A  lieu  ordinairement  sur  les  parties  découvertes.  Dé- 
mangeaison légère,  puis  vésicule  qui  se  rompt  ;  induration  mobile,  livide  à  sa 


DERMATOSES.  759 

base;  le  tubercule  s'accroîl  peu  à  peu,  prend  un  aspect  grenu,  s'entoure  d'un 
engorgement  sur  lequel  s'élèvent  des  phlyctènes;  transformation  en  une  eschare 
noire  qui  fait  des  progrès  rapides;  troubles  généraux,  délire  et  mort; 

b.  Coivpox  ou  vaccine; 

G.  Affections  syphilitiques  inoculées.  La  plaque  muqueuse  inoculée  n'est  ni 
un  chancre  comme  on  l'a  dit,  ni  une  plaque  muqueuse  ordinaire  ;  elle  a  des  carac- 
tères qui  lui  sont  propres  et  permettent  de  la  distinguer  des  plaques  muqueuses 
consécutives.  On  peut  généralement  lui  reconnaître  trois  phases  :  dans  la  pre- 
mière, elle  ressem.ble  à  une  plaque  muqueuse  cutanée;  dans  la  seconde,  à  la 
plaque  muqueuse  du  scrotum,  et  dans  la  troisième  à  un  chancre  proéminent. 
Toutefois,  j'ai  été  à  même  d'observer  sur  le  front  une  plaque  muqueuse  inoculée 
qui  n'a  jamais  offert  trace  d'ulcération. 

Deuxième  section.  Affections  parasitaires.  On  donne  le  nom  de  parasite 
à  un  être  organisé,  végétal  ou  animal,  qui,  fixé  sur  un  autre  être,  puise  exclu- 
sivement sur  celui-ci  les  éléments  de  sa  subsistance.  De  là  deux  classes  de 
parasites  :  les  parasites  animaux  et  les  parasites  végétaux. 

a.  Parasites  animaux.  Nous  les  partageons  en  deux  catégories  distinctes  : 
les  uns  occupent  toujours  la  surface  extérieure  du  corps  et  ia  parcourent  en 
toute  liberté;  les  autres  sont  situés  dans  l'épaisseur  même  de  l'épiderme.  Dans 
la  première  catégorie  se  trouvent  les  poux  et  la  puce  commune;  dans  la  seconde, 
la  chique  ou  puce  pénétrante  et  le  sarcopte.  Les  affections  cutanées  pro- 
duites par  les  animaux  parasites  sont  décrites  aux  mots  Poux,  Puces,  Phthi- 
RiAsis,  Gale. 

b.  Parasites  végétaux.  J'ai  partagé  les  végétaux  parasites  en  trois  catégories, 
division  fondée  particulièrement  sur  le  siège  anatomique  de  ces  végétaux  :  1" 
végétaux  trichophytiques  et  onychophytiques  ;  2°  végétaux  épidermophytiques; 
5°  végétaux  épithéliophytiques.  Les  végétaux  trichophytiques  ont  leur  siège  de 
prédilection  sur  les  poils  et  les  ongles  :  c'est  aux  lésions  qu'ils  produisent  que 
je  donne  exclusivement  le  nom  de  teignes,  mot  qui  avant  moi  était  appliqué  à 
une  multitude  d'affections  variées,  de  nature  fort  différente,  et  par  conséquent 
n'avait  qu'une  signification  vague,  indéterminée. 

Voici  le  tableau  de  ma  classification  des  teignes  {Leçons  sur  les  affections 
parasitaires,  2^  édit.,  Paris,  1862). 

.    „  f  Urceolaris \ 

l"  Teigne  FAVEnsE.  •   •    •  ;  Scutulata  

[Achorion  ^chœnleinii).  j  g        ^    ^  '   '   '       Ja.  Du  cuir  chevelu. 


Squarrosa 


b.  Des  oneles. 


iCircinaia 
Punctata /C.  De  la  face. 
Gijrata 1  d.  Des  parties  sexuelles. 

l  Simple  ophiasique le.  Du  tronc  et  des  membres. 

Teigne  pelaue  ....  ;  i  gvec  dépression.  .  1 

(Microsporon).  {  Achromateuse..  |  ^^^.  dépression.  .  / 

Cette  classification  des  teignes,  qui  date  de  1852,  me  paraît  encore  aujourd'hu 
devoir  être  admise  dans  son  intégrité,  malgré  les  recherches  des  derraatologistes 
modernes  et  des  micrographes  qui  ont  cru  pouvoir  élever  des  doutes  sur  la  conta- 
giosité et  la  nature  parasitaire  de  la  pelade.  On  s'étonne  d'ailleurs  que  ces  auteurs 
n'aient  pas  été  frappés  des  rapports  qui  existent  entre  la  teigne  tonsurante  et  la 
pseudo-pelade,  quand  on  voit  journellement  la  pelade  atteindre  des  enfants  qui 
sortent  des  collèges,  pensionnats,  salles  d'asile  où  parfois  la  teigne  tondante  se 
montre  pour  ainsi  dire  épidémique;  des  enfants  qui  après  la  guérison  apparente 


700  DERMATOSES. 

de  la  teigne  tonsurante  reviennent  consnller  le  médecin  spécialiste  pour  de  la 
pelade,  ou  encore  des  sujets  adultes  qui,  traités  de  sycosis  parasitaire,  sont 
plus  tard  atteints  de  pseudo-pelade  de  la  barbe.  Les  laits  de  contagion  manifeste 
de  la  pelade  ne  nous  manquent  pas  ;  quant  au  champignon  parasite,  tout  le 
monde  sait  qu'après  avoir  été  nié  par  beaucoup  d'auteurs  et  remplacé  par  le 
mythe  qu'on  appelle  trophonérrose,  il  a  fini  par  être  retrouvé  par  le  docteur 
Malassez.  Il  est  vrai  que  le  professeur  Nystrom  (de  Stockholm)  prétend  que  le 
champignon  que  nous  lui  avons  fait  voir  il  y  a  vingt-cinq  ans  n'est  autre  que 
le  parasite  du  coton;  mais  c'est  là  une  assertion  toute  gratuite,  une  simple 
hypothèse,  et  non  une  opinion  étayée  par  des  faits  irrécusables. 

Aux  végétaux  épidermophvtiques  nous  rattachons  les  crasses  parasitaires 
(pityriasis  versicolor),  et  les  crasses  sébacées  épidermiques  et  parasitaires,  con- 
fondues avec  le  pityriasis  capitis,  et  dans  lesquelles  Malassez  a  trouve  des 
champignons  presque  identiques  avec  ceux  de  la  pelade. 

Aux  végétaux  épithéliophytiques  se  rattachent  ïoïdium  albicans  ou  muguet, 
les  algues  de  la  bouche,  et  sans  doute  beaucoup  d'autres  parasites  sur  lesquels 
nous  n'avons  encore  que  des  données  imparfaites. 

TROisif;ME  SECTION.  AFFECTIONS  PATHociÉNKTiQDEs.  Toute  éruptiou  produitc 
par  l'introduction  d'une  substance  dans  l'économie  par  voie  d'absorption  est  une 
affection  pathogénétique. 

L'affection  pathogénétique  sert  de  lien  ou  de  transition  entre  l'affection 
provoquée  directe  et  l'affection  pathologique;  elle  se  rapproche  de  la  première 
par  la  nature  et  l'extériorité  de  sa  cause,  et  de  la  seconde  par  les  conditions  dans 
lesquelles  se  place  cette  cause  au  sein  de  l'organisme  qui  l'a  reçue.  Mais,  bien 
que  de  cause  externe,  l'affection  pathogénétique  ne  se  développe  pas  chez  tous 
les  sujets  qui  sont  soumis  à  l'action  de  cette  cause  ;  c'est  qu'il  faut  en  outre 
certaines  conditions  d'aptitude  et  de  réceptivité  de  la  part  des  sujets  pour  la 
production  de  l'affection  pathogénétique. 

J'établis  deux  sections  d'affections  pathogénétiques  :  dans  l'une  sont  les  lésions 
cutanées  produites  par  des  substances  alimentaires,  et  dans  l'autre  celles  qui 
résultent  d'agents  toxiques  employés  dans  un  but  thérapeutique  ou  expérimental. 
A  la  première  section  j'ai  rattaché  la  couperose  alcoolique  et  l'urticaria  ab 
ingestis,  les  érythèmes  pellagreux  et  acrodynique  {voy.  les  mots  Couperose,  Urti- 
caire, Pellagre,  Acrodynie).  Dans  la  deuxième  section  je  range  les  éruptions 
pathogénétiques  provoquées  par  des  remèdes  internes,  des  agents  toxiques 
introduits  dans  l'économie,  ou  des  substances  dont  on  veut  étudier  les  effets  sur 
l'homme  sain. 

Ces  éruptions  sont  fort  peu  connues,  malgré  les  travaux  d'Hahnemann.  Je  me 
bornerai  à  indiquer  les  principales  et  celles  qu'il  nous  importe  le  plus  de  connaître, 
en  raison  de  l'intérêt  pratique  qui  s'y  attache.  Nous  suivrons  dans  cette  étude 
l'ordre  adopté  pour  les  éruptions  médicamenteuses. 

a.  Affections  érythémateuses.  Roséole  produite  par  les  résineux  (cubèbe  et 
copahu),  par  le  sulfate  de  quinine  et  d'autres  agents.  Éry thème  scarlatiniforme 
dû  à  l'emploi  de  la  belladone,  du  datura  stramonium,  de  la  jusquiame,  etc. 
Les  préparations  arsenicales  donnent  lieu  ù  des  taches  brunes  sur  lesquelles 
peuvent  se  développer  des  papules,  mais  il  ne  faut  pas  croire,  comme  l'a  avancé 
un  peu  légèrement  le  professeur  Imbert  Gourbeyre,  que  l'arsenic  peut  donner 
lieu  à  toutes  les  lésions  willaniques.  Quand  l'arsenic  est  donné  à  fortes  doses 
pour  combattre  un  eczéma,  et  surtout  un  eczéma  de  nature  arthritique,  on  peut 


DERMATOSES.  761 

voir  se  produire  des  éruptions  ecthymatiques  et  furoncuUiires  très-miiltipliées. 
J'ai  été  à  même  de  voir  dans  ma  clientèle  un  malade  alleint  d'eczéma  arthri- 
tique qui  prenait,  malgré  mes  avis,  chaque  jour  de  7  à  8  centigrammes  d'arsé- 
niate  de  soude,  et  sur  lequel  s'est  produit  un  anthrax  qui  a  entraîné  la  mort. 
J'avais  eu  soin  cependant  de  le  prévenir  à  l'avance  des  fâcheux  effets  que  pou- 
vait avoir  l'arsenic  employé  à  de  si  fortes  doses. 

b.  Affections  védculeuses.  En  première  ligne  vient  l'hydrargvrie  produite 
par  l'usage  intérieur  des  préparations  mercurielles.  Autant  est  fréquente  1  hvdrar- 
gyrie  provoquée  par  des  frictions  mercurielles,  autant  e^t  rare  l'hydrargvrie 
pathogénétique.  Je  n'en  ai  pas  observé  plus  de  deux  ou  trois  cas  dans  le  cours  de 
ma  longue  pratique.  Il  paraît  qu'elle  est  plus  fréquente  en  Angleterre;  Alley  en 
a  donné  une  description  fort  détaillée;  il  en  admet  trois  espèces  qu'il  distingue 
par  lesépithètesdem/iis,  febrilis  etmaligna  {voy.  IIydrargvrie).  Les  préparations 
sulfureuses  peuvent  aussi,  chez  certains  sujets,  donner  lieu  à  des  éruptions 
vésiculeuses. 

c.  Affections  pustuleuses.  Les  plus  remarquables  sont  celles  produites  par 
l'emploi  des  préparations  iodées  et  bromurées;  j'ai  indiqué  les  caractères  qui 
distinguent  l'acné  iodique  de  l'acné  bromique;  la  pustule  iodique  est  plus 
rouge,  plus  enflammée,  plus  étroite  que  la  pustule  bromi(|ue,  qui  est  plus  large 
et  plus  suppurante.  Fischer  (de  Vienne)  a  admis  dans  les  éruptions  iodi([ues 
une  forme  érythémateuse,  une  forme  papuleuse,  une  forme  pustuleuse  et  même 
une  forme  eczémateuse.  Tilbury  Fox  m'a  écrit  qu'en  Angleterre  on  avait  même 
observé  une  forme  huileuse.  Quant  à  moi,  je  n'ai  jamais  vu  de  pempliigus  ou 
d'eczéma  iodiques,  et  quant  aux  trois  principales  formes  de  Fischer,  elles  ne 
sont  que  les  trois  périodes  successives  de  la  pustule  iodique. 

Deuxième  classe.  Affectio>'s  cutakées  de  cause  interne.  Nous  avons  pu 
rapporter  toutes  les  affections  de  cause  externe  à  trois  principes  :  le  traumatisme, 
le  parasitisme  et  le  pathogénétisme,  qui  sont  les  causes  efficientes  de  toutes  ces 
maladi  s.  Dans  les  aflections  de  cause  interne,  il  nous  est  impossible  de  substi- 
tuer la  cause  efficiente  à  la  maladie,  parce  que  cette  cause  se  dérobe  à  tous  nos 
moyens  d'investigation,  et  que  nous  n'en  pouvons  connaître  que  les  effets,  c'est- 
à-dire  les  maladies. 

Il  importe  peu  de  suivre  tel  ou  tel  ordre  dans  l'énumération  et  le  clas- 
sement de  ces  affections.  Cependant,  nous  avons  cru  qu'il  serait  mieux  de  faire 
connaître  les  maladies  aiguës  et  leur  manifestation  sur  la  peau  avant  d'a- 
border les  maladies  chroniques  et  les  affections  cutanées  qui  sont  sous  leur 
dépendance. 

Aux  maladies  aiguës  donnant  lieu  à  des  éruptions  cutanées  nous  ratta- 
chons : 

1"  Les  pestes,  expression  générique  employée  par  Sauvages  pour  désigner  les 
typhus,  le  choléra,  etc.  Comme  manifestations  cutanées  de  ces  maladies  pestilen- 
tielles, nous  avons  les  pétéchies,  les  vibias,  les  bubons  et  anthrax.  Quant  à 
l'affection  qu'on  a  désignée  sous  le  nom  de  roséole  cholérique,  elle  n'est  pour 
nous  comme  pour  liayer  qu'une  affection  de  cause  externe,  et  ne  nous  paraît 
être  que  le  résultat  de  l'irritation  produite  par  les  sinapismes,  frictions  ammo- 
niacales, frictions  à  la  glace  et  autres  révulsifs  cutanés  employés  dans  le  traitement 
de  la  période  algide  du  choléra  ; 

2°  Les  fièvres  continues.  Ici,  nous  noterons  les  taches  rosées  lenticulaires 


762  DERMATOSES. 

(exanthème  pourpré  d'IIildebrand)  ;  les  taches  bleues,  les  sudamina,  ne  sont  que 
des  lésions  accidentelles  qu'on  observe  dans  beaucoup  de  pyrexies  ; 

3"  Les  fièvres  éruptives,  auxquelles  se  rattachent  les  vrais  exanthèmes  fébriles  : 
rougeole,  scarlatine,  variole,  varioloïde,  varicelle; 

A"  Les  pseudo-exanthèmes,  que  nous  appelons  ainsi  à  cause  de  l'analogie 
qu'ils  présentent  avec  les  fièvres  éruptives,  par  l'aspect,  l'état  aigu,  la  marche,  etc. 
Nous  les  divisons  en  quatre  seclious,  d'après  la  lésion  élémentaire  :  Première 
section.  Pseudo-exanthèmes  érythéniateux  :  roséole,  urticaire  aiguë,  fébrile, 
fièvre  ortiée;  2''  section.  Pseudo-exanthèmes  vésiculeux  :  herpès  fébrile,  zona, 
aphthes  ;  o"  section.  Pseudo-exanthèmes  huileux,  pemphigus  aigu  ;  A''  section. 
Pseudo-exanthèmes  squameux  :  pityriasis  rubra  aigu.  Que  de  différences  entre 
ces  affections  pseudo-cxanthématiques  et  les  exanthèmes  des  fièvres  éruptives  ! 
Ces  derniers  sont  répandus  sur  toute  l'étendue  de  la  membrane  tégumentaire 
externe  et  une  grande  partie  du  tégument  interne;  leur  marche  est  régulière, 
eurs  périodes  ont  une  durée  déterminée;  on  y  compte  l'incubation,  l'invasion, 
l'éruption,  l'état  et  la  terminaison;  la  fièvre  les  précède  et  les  accompagne  jusqu'à 
leur  déclin  ;  ils  sont  éminemment  contagieux.  Les  pseudo-exanthèmes,  au  contraire, 
n'occupent  que  rarement  tout  le  tégument  externe,  plus  rarement  encore  le 
tégument  interne;  la  marche  n'est  pas  aussi  régulière,  on  les  voit  assez  souvent 
se  prolonger  pendant  plusieurs  septénaires,  l'invasion  manque  le  plus  souvent  ; 
la  fièvre,  quand  elle  existe,  est  toujours  légère,  la  température  du  corps  n'acquiert 
jamais  le  degré  qu'elle  peut  atteindre  dans  les  fièvres  éruptives;  elles  ne  sont 
pas  contagieuses  ; 

5"  Phlegm,asies.  Ou  sait  la  distinction  que  nous  établissons  entre  phlegmasie 
et  inflammation.  Sur  la  peau,  nous  n'admettons  comme  phlegmasie  proprement 
dite  que  les  diverses  variétés  de  l'érysipèle  :  érysipèle  simple,  lymphatique, 
phlegmoneux,  etc.  ; 

6"  Hémorrhagies.  Les  différentes  variétés  de  purpura  simplex  et  de  purpura 
hemorrhagica.  Les  hémorrhagies  cutanées,  avons-nous  dit  déjà,  servent  de  tran- 
sition entre  les  affections  des  maladies  aiguës  et  les  affections  des  maladies 
chroniques  ; 

1°  Les  maladies  constitutionnelles.  Nous  appelons  maladies  constitution- 
nelles des  maladies  habituellement  chroniques,  à  longues  périodes,  souvent 
séparées  par  des  intervalles  de  santé  parfaite,  caractérisées  par  un  ensemble  de 
produits  morbides  et  d'affections  très-variées,  sévissant  indistinctement  sur  tous 
les  systèmes  organiques  {Leçons  sur  la  scrofule,  1861).  Nous  admettons  quatre 
maladies  constitutionnelles  :  la  scrofule,  la  syphilis,  l'arthritis  et  l'herpétis. 

A.  Scrofule  {voy.  l'article  Scrofule). 

B.  Syphilis  [voy.  ce  mot  et  Syphiltoes). 

G.  Arthritis.  Nous  renvoyons  sur  ce  sujet  à  l'article  Arthritides  de  ce 
Dictionnaire. 

D.  Herpétis.  Nous  divisons  les  manifestations  cutanées  de  l'herpétis  en  trois 
sections  correspondant  aux  trois  sections  des  arthritides.  Je  n'insiste  pas  sur  ce 
point,  qui  a  été  ou  sera  traité  aux  mots  Dartres,  Herpétides,  etc. 

8"  Diathèses.  Maladies  habituellement  chroniques,  le  plus  souvent  con- 
tinues, caractérisées  par  la  formation  d'un  produit  moibide  qui  peut  avoir 
son  siège  indistinctement  dans  tous  les  systèmes  organiques.  Notre  classement 
des  diathèses  est  établi  d'après  la  composition  du  produit  morbide  :  de  là  trois 
classes  de  diathèses  :  1"  diathèses  inflammatoires;  2"  diathèses  homœoplasiques  ; 


DERMATOSES.  763 

0"  diathèses  néoplasiques.  Je  ne  dois  parler  ici  que  des  affections  cutanées  diatlié- 
siques  qui  font  partie  des  affections  spéciales  de  la  peau. 

1°  Diathèses  inflammatoires.  Sous  ce  titre  nous  comprenons  :  —  a.  La 
diallièse  purulente  simple  ;  —  b.  la  diatlièse  purulente  spécifique  ;  —  c.  la  diathèse 
pseudo-membraneuse;  —  d.  la  diathèse  gangreneuse. 

a.  Diathèse  purulente  simple.  Elle  s'accompagne  parfois  d'affections  cutanées, 
d'éruptions  pustuleuses  et  d'une  espèce  de  rash  qui  a  fait  l'objet  dans  ces 
derniers  temps  de  discussions  intéressantes  auxquelles  ont  pris  part  divers 
membres  de  la  Société  de  chirurgie,  entre  autres  le  professeur  Verneuil.  Cette 
éruption  offre-t-elle  quelque  analogie  avec  celle  de  la  variole?  Je  l'ignore.  Dans 
tous  les  cas,  si  la  seconde  est  d'un  pronostic  variable,  il  n'en  est  pas  de  même 
de  la  première,  qui  est  toujours  du  plus  fâcheux  augure. 

b.  Diathèse  purulente  spécifique.  Elle  comprend  la  morve  et  le  farcin  et  se 
traduit  sur  la  peau  par  des  éruptions  qui  ont  été  réunies  sous  le  nom  d'equinia 
par  Elliotson.  L'equinia  morveuse  est  caractérisée  par  des  érysipèles  dont  le 
siège  ordinaire  est  la  face.  Ce  pliénomène  apparaît  à  une  époque  avancée  de  la 
morve  aiguë  :  à  la  surface  du  derme  enflammé  se  forment  des  plaques  gangre- 
neuses parfois  précédées  de  vésicules  ou  de  bulles  remplies  d'une  sérosité 
sanguinolente.  A  peu  près  vers  la  même  époque  que  l'érysipèle,  souvent  après, 
se  développe  une  éruption  pustuleuse  qui  offre  une  grande  analogie  avec  celle 
de  la  vaccine  ou  de  la  variole;  elle  en  diffère  par  sa  marche  rapide  et  l'absence 
d'ombilication.  Cette  éruption  a  été  surtout  observée  à  la  l'ace  et  aux  membres. 
A  ces  lésions  il  faut  ajouter  le  jetage  et  les  éruptions  de  la  pituitairc,  des 
muqueuses,  du  pharynx,  de  l'épiglotte  et  du  larynx.  L'equinia  farcineuse  est 
caractérisée  par  des  angioleucites  spécifiques,  par  des  engorgements  ganglion- 
naires, et  surtout  par  la  formation  d'abcès  multiples  qui  s'ouvrent  avec  rapidité 
et  se  transforment  en  ulcères. 

c.  Diathèses  pseudo-membraneuses  {voy.  Diphthérie). 

d.  Diathèses  gangreneuses  {voy.  Gangrène,  Noma,  etc.). 

2"  Diathèses  homœoplasiques.  Parmi  les  diathèses  homœopîasiques,  celles 
qui  intéressent  le  plus  le  dermatologiste  sont  la  calculeuse  et  la  fibreuse. 

a.  Diathèse  calculeuse.  On  a  rattaché  nombre  d'affections  cutanées  à  la 
diathèse  urique  ou  calculeuse.  C'est  là  une  erreur  de  doctrine.  Dans  cette 
manière  de  voir,  la  diathèse  urique  est  considérée  comme  cause  et  non  comme 
maladie;  la  production  d'un  excès  d'acide  urique  dans  le  sang  est  un  effet  et 
non  une  cause,  mais  cet  effet  peut  devenir  cause  secondaire  et  accessoire  dans 
la  manifestation  des  éruptions  cutanées.  Mais,  comme  ces  mêmes  éruptions  se 
produisent  dans  la  plupart  des  cas,  alors  qu'on  ne  constate  aucun  excès  d'acide 
urique  dans  le  sang,  il  est  évident  que  ce  produit  morbide  n'a  qu'une  influence 
tout  à  fait  secondaire,  si  même  il  en  a,  sur  l'apparition  des  affections  de  la 
peau.  Autre  chose  est  l'irritation  qu'il  produit  sur  les  muqueuses  et  sur  la  peau 
en  sortant  des  voies  urinaires  :  le  prurit,  l'érythème,  l'eczéma,  que  l'urine 
chargée  d'acide  urique  provoque  et  détermine  dans  ces  circonstances,  sont  des 
affections  de  cause  externe  occasionnées  par  le  contact  immédiat  du  produit 
morbide. 

b.  Diathèse  fibreuse.  Nous  rattachons  à  la  diathèse  fibreuse  deux  affections 
de   la  peau  connues  sous  les  noms  de  sclérodermie  et  de  chéloïde   [voy.  ces 

mots) . 

30  Diathèses  ne'oplasiqiies.    a.  Diathèse  tuberculeuse.     Le  tubercule  cutané 


764  DERMATOSES. 

est  fort  rare.  Nous  en  avons  cependant  rapporté  un  cas  fort  remarquable  dans 
nos  leçons  sur  les  difformités.  C'est  à  tort  que  nous  avions  placé  celte  afi'ection 
dans  le  genre  niolluscum,  puisque  nous  réservons  cette  expression  aux  diffor- 
mités boutonneuses  de  la  peau.  D'un  autre  côté,  plusieurs  faits  me  portent  à 
croire  que  quelques  cas  de  scrofulides  tuberculo-ulcéreuses  ne  sont  autre  cbose  que 
de  la  tuberculose  cutanée.  Isambert  a  décrit  une  ulcération  tuberculeuse  de  la 
langue,  et  depuis  quelques  cas  s'en  sont  offerts  à  l'observation  de  plusieurs  de 
ses  collègues  des  liôpitaux.  La  coexistence  de  tubercules  pulmonaires  met  sur 
la  voie  du  diagnostic  mieux  que  ne  pourraient  le  faire  les  caractères  objectifs 
de  cette  affection,  qui  doit  rarement  exister  seule  et  sans  complication  de  tuber- 
culisation  pulmonaire. 

b.  Diathèsp  lymphadénique.  La  manifestation  cutanée  de  cette  diatbèse  porle 
le  nom  de  rnycosis  {voij.  Mycosis). 

c.  Diathèse  épithéliomatique     {voy.  Cancer,  Carcinome,  Epithélioma). 

Le  cancroïde  offre  deux  périodes  distinctes,  qu'on  peut  appeler  période 
d'éruption  et  période  d'ulcération. 

On  admet  généralement  qu'à  son  début  le  cancroïde  se  présente  sous  trois 
formes  principales  :  la  forme  papillaire,  la  forme  tuberculeuse  et  la  forme  ver- 
ruqueuse  ;  mais  il  faut  dire  que  ce  début  est  souvent  masqué  par  des  lésions 
dont  il  est  difficile  d'apprécier  le  véritable  caractère.  Ces  lésions  ne  sont  point 
des  boutons  solides,  mais  de  simples  croùtelles  noirâtres,  formées  de  matière 
sébacée,  ou  des  surfaces  rouges  suintantes,  qui  ont  été  prises  par  des  hommes 
expérimentés,  dans  le  premier  cas  pour  de  l'acné,  et  dans  le  second  pour 
de  l'eczéma.  J'ai  donné  des  soins,  pendant  plusieurs  années,  à  deux  malades 
atteints  d'épitliélioma  dont  le  début  avait  donné  lieu  à  des  erreurs  de  dia- 
gnostic. Chez  l'un,  l'affection  avait  pour  siège  le  pourtour  de  l'ombilic  et  se 
présentait  sous  la  forme  d'un  large  placard  d'un  rouge  foncé,  parsemé  çà  et  là 
de  petites  croùtelles  noirâtres  de  quelques  millimètres  de  diamètre;  après  le 
détachement  de  ces  petites  écailles,  on  voyait  sourdre  par  les  orifices  qu'elles 
obstruaient  un  liquide  sanieux,  non  plastique,  n'empesant  pas  le  linge.  L'affec- 
tion était  d'ailleurs  sans  prurit  ;  parfois  le  malade  y  ressentait  quelques  picole- 
.  ments.  Chez  le  second  malade,  que  le  professeur  Guyon  a  vu  en  consultation 
avec  moi  quelques  jours  avant  sa  mort,  l'affection  durait  depuis  cinq  ou  six  ans, 
et  avait  été  prise  aussi  pour  un  eczéma.  Elle  avait  débuté  par  le  pli  inguino- 
crural,  et  s'était  étendue  de  proche  en  proche  sur  le  scrotum  et  le  fourreau  de 
la  verge.  La  peau  était  d'un  rouge  violacé  et  de  sa  surface  s'exhalait  un  liquide 
sanieux,  comme  dans  le  cas  précédent.  11  y  avait  absence  complète  de  déman- 
geaison ;  ce  n'est  que  dans  les  derniers  jours  de  son  existence  que  le  malade  a 
éprouvé  des  douleurs  intolérables  dans  le  bassin  et  la  région  lombaire.  Les 
traitement  les  plus  divers,  tant  à  l'intérieur  qu'à  l'extérieur,  avaient  été  vaine- 
ment essayés  ;  le  malade  s'est  rendu  quatre  années  de  suite  aux  eaux  de  Royat 
et  de  Saint-Christau;  nous  n'avons  jamais  obtenu  qu'une  amélioration  momen- 
tanée ;  au  bout  de  quelque  temps,  le  mal  se  mettait  à  progresser  de  nouveau. 
Enfin,  six  semaines  avant  sa  mort,  sont  apparues  sur  les  surfaces  malades 
des  carcines  globuleuses,  arrondies,  de  la  grosseur  d'un  pois  ou  même  d'une 
petite  cerise,  qui  vinrent  confirmer  le  diagnostic  que  j'avais  depuis  longtemps 
établi . 

d.  Diathèse  carcinomateuse .  Le  squirrhe,  l'encéphaloïde,  la  carcine  glo- 
buleuse, rentrent  dans  cette  variété  de  diathèse,  sur  laquelle  nous  ne  saurions 


DERMATOSES.  765 

nous  étendre  sans  sortir  des  limites  que  nous  impose  un  article  qui  a  pour 
titre  :  Des  dermatoses  considérées  d'une  manière  générale  {voy.  Carcisome, 
Cancer). 

D"  Cachexies.  Nous  appelons  cachexies  des  maladies  chroniques,  à  marche 
continue,  à  produits  morhides  variés,  se  terminant  le  plus  souvent  d'une 
manière  futaie,  portant  dès  le  début  une  atteinte  profonde  aux  forces  de  la 
vie.  Ces  maladies  diffèrent  des  maladies  constitutionnelles  par  leur  marche 
continue,  et  des  diathèses  par  la  variété  de  leurs  produits  morbides.  De  plus, 
dans  les  diathèses,  le  produit  caractéristique  est  en  général  concentré  sur  un 
système  ou  sur  un  organe  ;  il  est  disséminé  partout  dans  les  maladies  cachec- 
tiques. C'est  en  ce  sens  que  nous  appliquons  la  connaissance  des  cachexies  à 
l'étude  des  maladies  de  la  peau,  en  ayant  soin  encore  de  ne  pas  confondre  les 
cachexies  avec  la  période  terminale  des  maladies  constitutionnelles,  ijui  a  été 
aussi  désignée  sous  le  nom  de  cachexie  :  cette  dernière  n'est  qu'un  symptôme 
ou  une  période  avancée  de  la  symptomatologie,  tandis  ({ue  les  premières  sont 
pour  nous  des  maladies  ou,  si   l'on  veut,  des  unités  pathologiques. 

Les  cachexies  qui  nous  offrent  le  plus  d'intérêt,  au  point  de  vue  de  la  derma- 
tologie, sont  la  lèpre  ou  éléphantiasis  des  Grecs,  les  maladies  d'Addisoii  et 
de  Frerichs,  le  pemphigtts  successif  et  chronique  et  le  diabète  cachectique. 

a.  Lèpre.  J'ai  partagé  en  deux  ordres  les  manifestations  cutanées  de  la 
lèpre  :  1°  léproïdes  spéciales;  2°  léproïdes  comnumes.  Aux  léproïdes  spéciales 
se  rattachent  les  troubles  de  la  sensibilité  cutanée,  les  taches,  les  tubercules, 
les  ulcères,  les  atrophies  et  les  hypertrophies  ;  aux  léproïdes  communes  les 
pustules  d'impétigo  et  les  bulles  de  pemphigus. 

b.  Les  maladies  d'Addison  et  de  Frerichs  se  traduisent  sur  la  peau  et  sur 
les  muqueuses  par  des  taches  pigmentaires,  ardoisées,  bronzées  ou  noirâtres,  qui 
peuvent  n'occuper  qu'une  région  ou  s'étendre  sur  la  presque  totalité  de  l'enve- 
loppe tégumentaire. 

c.  Le  pemphigus.  Le  pemphigus,  affection  générique  caractérisée  par  des 
bulles,  est  commun  à  plusieurs  maladies.  Nous  avons  d'abord  un  pemphigus  de 
cause  externe  et  un  pemphigus  de  cause  interne.  Le  pemphigus  de  cause  externe 
se  voit  dans  la  gale,  provoqué  par  l'acare,  chez  les  débardeurs,  par  le  contact 
de  l'eau  salée,  etc.  Le  pemphigus  de  cause  interne  est  arthriti({ue,  herpétique  ou 
cachectique.  C'est  dans  ce  dernier  (jue  l'on  trouve  à  l'autopsie  la  stéatose  du 
foie.  Il  se  caractérise  par  des  poussées  successives  de  bulles  qui  peuvent  ainsi 
parcourir  toutes  les  régions  du  corps.  Il  peut  s'en  développer  sur  la  muijueuse 
buccale  et  même  sur  la  muqueuse  gastro-intestinale. 

d.  Le  scorbut.  Sur  la  peau,  le  scorbut  se  révèle  par  du  purpura  simple  ou 
du  purpura  papuleux,  par  des  ulcères  bourgeonnants  et  saignants,  l'œdème  des 
membres,  le  ramollissement,  les  ulcérations,  les  hémorrhagies  des  gencives. 

e.  Diabète  ou  glycosurie  cachectique.  La  glycosurie  coexiste  fréquemment 
avec  l'arthritis,  et,  dans  ce  cas,  beaucoup  d'affections  cutanées  ont  été  attribuées 
à  l'excès  de  glycose  dans  le  sang.  Il  en  est  ici  comme  de  la  diathèse  calculeuse 
qui,  nous  venons  de  le  dire,  se  rattache  aussi  très-fréquemment  à  cette  maladie 
constitutionnelle;  et  de  mémo  que  l'on  a  regardé  l'excès  d'acide  urique  dans  le 
sang  comme  la  cause  dune  foule  d'éruptions  cutanées,  on  a  également  rapporté 
à  l'action  de  la  glycose  sur  la  peau  nombre  d'érythèmes,  d'eczémas,  de  fu- 
roncles, d'abcès,  de  gangrènes,  d'altérations  des  ongles  (eczéma  et  psoriasis 
unguium).  Pour  nous,  toutes  ces  affections  se  produisent  sous  l'influence  pre- 


766 


DERMATOSES. 


niière  et  principale  de  l'arthritis.  Quant  au  prurit  du  méat  urinaire,  à  l'éry- 
thème  et  à  l'eczéma  des  parties  environnantes,  à  la  balanite  et  au  phimosis, 
ce  sont  des  affections  de  cause  externe  déterminées  par  le  contact  immédiat  de 
produits  morbides  sur  la  peau  ou  sur  les  muqueuses. 

10°  Névroses.  Considérées  comme  symptômes,  les  névroses  sont  de  simples 
troubles  fonctionnels  et  rentrent  dans  notre  première  catégorie  de  symptômes 
{actionis  Icesœ). 

CLASSIFICATION  DES  DERMATOSES  OU  AFFECTIOiNS  SPÉCIALES  DE  LA  PEAU 

d'après  la  nature  ou  l'origine  de  ces  affections 

PREMIÈRE  CLASSE.  —  Affections  de  cause  extehne. 


Affections  iramcdiales..  • 


1"    TllAUJIATlsME.  . 


,  Affections  mcdiatcs. 


1'  Pakasitisme 


...i 


Animal , 


Vésétal 


Plaies  qui  intéressent  la  peau  partiellement  ou 

en  totalité. 
Piqûres  de  puces,  punaises,  rouget. 
Tous  les  degrés  de  la  brûlure. 
Tous  les  degrés  de  la  congélation. 
Lésions  produites  par  l'électricité  :  sugillations. 
Lésions  produites  par  une  pression  lente  :  éry- 

thèrne. 
Gangrène  due  au  décubitus  dorsal. 
Éphélides  solaires. 
Eruptions  professionnelles. 
Éruptions  médicamenteuses. 
Éruptions  produites  par  l'inoculation  de  virus  et 

de  venins. 


{  Gale. 

(  Phtliiriasis. 

S.\choriou,  teigne  favcuse. 
Tricophyton,  teigne  tonsurantc. 
,  Microsporon,  teigne  pelade. 

^  Épidermophyte,  crasse  versicolor. 
l  Épitrichophyte,  crasse  capitis. 

■Substances  alimen-  1  .,  ,.       .       ,    .        .. 
(  Urticana  au  ingcstis. 


Crasses  . 


3°  Pathouénétis.me.. 


Éruptions 

produites 

par 


taires  et  boissons    ,  „  ,      ,• 

,       ..  S  Couperose  alcoolique, 

alcooliques.         )  . 

Altération  des  sub-  \  Éruptions  pellagreuses. 

stances  nutritives,    l  Érythème  acrodynique. 

/  iodurées. 


Agents  médicamen- 
teux ou  toxiques.    ( 


}  Érupti 


ions . 


sulfureuses, 
mercurielles. 
,  arsenicales,  etc. 


DEUXIÈME  CLASSE.  —  .affections  de  cadse  interne. 


1»  Pestes . 


2°  Fièvres. 


û°  Exanthèmes. 


'  Érytbcmateux . 


•4°  Pseudo-exanthèmes (  Vésiculeux.  . 


(  Pétéchies,  bubons,  anthrax,  éruptions  miliaires 
(     de  la  sueite  épidémique. 

\  Sudamina,  taches   bleues,  exanthème  pourpré 
'  l      d'IIildebrand. 

j  Éruption  morbilleuse,  scarlatineuse,  varioleuse, 
I     varicelli  forme. 

/  Urticaire  aiguë. 
.  )  Roséole  morbilleuse. 


(  Roséole  scarlatiniforme. 

\  Herpès  pblycténoïde. 

l  Herpès  zoster  (zona). 

Bulleux Pemphigus  aigu. 

Squameux Pityriasis  rubra  aigu. 


_  Lymphite. 

Phlegmasies l  ^''    ■  ., 

l  Erysipele. 

„,  l  Purpura. 

UEMORRHAGIES ir\  L 

I  Dermorrhagie. 


Aflectiou  propre. 


Syphilis. 


A.  Syphilides 
communes   résolu- 
tives et  ulcéreuses. 


a.  Précoces . 


'b.    Tardives   réso- 
lutives. 

c.    Tardives    ulcé- 
reuses. 


1'^ 


U.  Syphilides  malignes  toutes  ulcéreuses. 
1°  Érythémateuses. 


A.   Scrofulides 
bénignes. 


ISCROFDLE. , 


B.  Scrofulides 
malignes. 


!2°  Boutonneuses.  . 

i  3°  Exsudatives  .   . 

1°  Érythémateuses. 
I  2"  Tuberculeuses.  . 

3°  Ulcéreuses  .   .   . 


7°  Maladies        / 
constitctionnelles  ., 


1°  Érythémateuses 
\      A.   .irlhritides 
pseudo- 
exanthématiques   ^2°  Vèsiculeuses 
ou  primitives. 

5°  Squameuses. . 

i°  Couperosiques. 
2°  Pustuleuses  . 


Abturitis  , 


B.   .irthritides 
communes. 


3°  Squameuses.  . 
4°  Populeuses ,  . 

5°  Vèsiculeuses  . 

'  1°  Érythémateuses 

I  2»  Vèsiculeuses  . 
C.   Arthritides 
\       irréguliéres.       U,  huileuses. 

4°  Pustuleuses  pro- 
fondes. 

A.  Herpétides      \  1°  Érythémateuses. 

f,  .      ..  12°  Vèsiculeuses  .   . 

exanthematiques.  ) 

\°  Vèsiculeuses  .  . 

lieuses.  .  . 


\llEnp 


B.  Herpétides 

vulgaires 
ou   communes. 


C.  Herpétides 
irrégulières. 


r  1°  \  esicu 

s  3»  Sqiiair 
\  4°  Pa;jH/ 


3»  Squameuses. 
Populeuses. 

1°  Érythémateuses 

2°  Bulleuses.  .  . 
3°  Squameuses  . 


l'iaqués  muqueuses. 

Roséole. 

Acné. 

Lichen. 

Varicelle. 

Tuberculeuse, 
apulo-tuberculeuse. 
f  Papulo-vésiculeuse. 
I  l'uro-vésiculeuses. 
{  Tuberculo-ulccreuses. 
I  Gommeuses. 

iUlcéro-bulleiises. 
Tubeiculo-ulcéreuses. 
Tuberculo-gangrcncuses. 
I  Engelure  permanente. 
1  Érythème  induré. 

iStrophulus. 
Lichen. 
Acné  pustuleuse. 
(  Sébacée. 
<  Impétigineuse. 
(  Gourme  et  pseudo-teigne. 
\  Lupus  érythémateux. 
{  Lupus  acnéique. 
\  Lupus  tuberculeux. 
\  Lupus  hypertrophique. 
Pustulo-ulcéreuses. 
Tuberculeuses    inflamma- 
toires. 
Lupus  exedens. 
Tuberculose     cutanée    et 
muqueuse. 

!  Urticaire   hémorrhagique. 
Érythème  papulo-tubercu- 
leux. 
Érythème  noueux. 
(i  Herpès  circiné. 
/  Hydroa  vésiculeux. 
\  Pityriasis  ruhra  (maculeux 
(      et  circiné). 

.\cné  rosée. 

Intertrigo  sycositiquc. 

Acné  indurée. 

Acné  pilaris  ombiliquéc 

Sycosis  arthritique. 

Pityriasis. 

Psoriasis. 

Prurigo. 

Lichen. 

Eczéma. 

Hydroa  vacciniformc. 

Herpès  successif  et   chro- 
nique. 

Cnidosis  maculeux. 

Cnidosis  tuberculeux. 

Eczéma  nummulaire  géné- 
ralisé. 

Eczéma  généralisé. 
[  Hydroa  huileux. 
(  Pemphigus  arthritique. 
/  Hidrosadéiiite      phlegmo- 
I      neuse. 

j  Ecthyma  successif. 
\  Furoncles  successifs. 

Uosèole. 
1  Eczéma    rubrum    généra- 
I      lise. 

Eczéma  symétrique. 

Mélitagre. 
1  Pityriasis. 
I  Psoriasis. 

Prurigo. 

Lichen. 
(  Cnidosis. 

Épinyctide. 

Pemphigus. 

Herpélide  exfoliatrice. 


•I 


768  DERMATOSES. 

Diatlièsepurulenlc  simple. 

Diallièse  )iurulenle\  Morve. 

A.  Coraclérinces  jmr  des  jjjo- (  Eruptions    cutanées  1        spécifique.        iFarciii. 

diiits  iii/lammaluires.  l  de  la  ]  Diatlièse   pseudo-menilna- 

neUïB. 
[  Diallièse  gangreneuse. 

Diathèse  hémorrhagique. 

8   DiATiiÈ^cs.  .   ,   .\^"  Caractérisées  par  des  prnduits  analogues  aux]       fibreuse 

?;roc(u(7s /iormaï/a;  (liomœoplasiques).  j       _      osléo  -  cartila"i- 

'  neuse. 

/  Diathèse  tuberculeuse. 

n     ^         ,.■  .  ,  ,    .,         ,   •  \       —      carcinomaleuse. 

C.    Caraclensees  par  de,  produits  spéciaux       1       _      épithéliomaiique 
(neo-pla^ques).  _      lympl.adénique. 

'  Etc.,  etc. 
f  Chlorose. 
I  Scorbut. 
I  Lèpre. 
1°  Cachexies  constilulionnetles ^^laladie  d  Addison. 

—  de  Frerichs. 

—  de  Ba«edo\v. 
,  Pemphigus  cacliecti(|uc. 

[,,,.,  I     ,1  .  •  (.Maladie  de  Briglit. 

la»  Lachcxics  diat lestques ^,  „„i    „■•  ..„ 

*  1  •  •  •  (  Glycosurie  cachectique. 


0'   CAClUiXIl.S. 


Réfutation  des  objkctioas  faites  a  .notre  classement  des  affectio.ns  spéciales 
DE  LA  i'eau.  La  division  des  alïeclioiis  pathologii[ues  en  affections  de  cause 
externe  et  affections  de  cause  interne  n'a  rencontré  <ju"unseul  détracteur,  M.  De- 
vergie,  et  beaucoup  de  partisans  qui,  toutefois,  n'en  ont  pas  compris  toute  la 
valeur.  Gibert  lait  remonter  cette  division  à  Hippocrate  ;  Hardy  l'attribue  à  Lorry  : 
ce  sont  là  des  assertions  inexactes.  La  division  dont  veut  parler  Gibert  est  une 
division  purement  ctiologique  ;  la  nôtre  s'applique  non-seulement  à  la  cause, 
mais  à  la  nature,  aux  symptômes  et  au  traitement.  L'eczéma,  pour  Gibert,  qu'il 
fût  de  cause  externe  ou  de  cause  interne,  était  toujours  le  même  eczéma,  avec 
les  mêmes  symptômes,  les  mêmes  signes  et  le  même  traitement  ;  pour  nous, 
l'eczéma  de  cause  externe  diffère  de  l'eczéma  de  cause  interne  par  la  nature, 
par  les  symptômes,  le  diagnostic,  le  pronostic  et  le  traitement. 

Quant  à  la  division  de  Lorry  :  Maladies  dues  à  un  vice  interne  avec  propulsion 
vers  la  peau,  et  à  un  vice  local  né  de  la  partie  affectée  et  de  là  pouvant  s'éten- 
dre au  reste  du  corps,  cette  division,  quoi  qu'en  ait  dit  Hardy,  n'a  rien  de  com- 
mun avec  la  nôtre,  et  sans  revenir  ici  sur  des  considérations  déjà  exposées  dans 
l'bistorique  (voy.  plusbaut),  il  me  suftira  pour  le  démontrer  de  transcrire  le  pas- 
sage suivant  de  mes  leçons  sur  la  divergence  des  opinions  actuelles  en  pathologie 
cutanée  :  «  Je  ne  dirai  rien  de  la  gale  et  de  la  teigne,  qui  se  trouvent  dans  la 
première  partie.  A  l'époque  de  Lorry,  elles  étaient  considérées  comme  de  cause 
interne.  Mais  dans  la  seconde  partie,  je  vois  figurer  la  gutta  rosea  et  Vaurium 
humiditas  prœternaturalis,  reconnaissant  pour  causes,  selon  Lorry  lui-même, 
la  première,  la  suppression  des  menstrues,  des  hémorrhoïdes,  et  la  deuxième 
une  lymphe  trop  abondante,  une  nourriture  excessive,  etc.,  preuve  certaine  que 
Lorry  avait  pris  pour  base  de  sa  deuxième  classe  non  la  cause  externe,  comme 
je  l'ai  établi,  mais  le  vice  congénital  ou  acquis,  d'origine  externe  ou  interne  » 
[Examen  critique,  page  55  [Leçons  rédigées  et  publiées  par  Langronne]). 

M.  Devergie  prétend  qu'il  est  impossible  d'établir  une  division  sur  les  causes, 
vu  que  la  même  cause  peut  donner  lieu  à  des  affections  fort  difJérentes  de 
nature.  H  y  a  ici,  dans  l'esprit  de  notre  ancien  collègue  de  l'hôpital  Saint-Louis, 


DERMATOSES.  769 

une  confusion  évidente  entre  la  cause  efficiente  et  la  cause  de'terminante.  La 
maladie  peut  avoir  des  causes  prédisposantes  et  des  causes  déterminantes  mul- 
tiples; elle  n'a  jamais  qu'une  cause  efficiente  unique. 

Le  professeur  Gailleton  trouve  notre  classification  des  affections  spéciales  de 
la  peau  plus  complète  que  celle  des  auteurs  qui  nous  ont  précédé.  C'est  déjà 
quelque  chose.  Mais  il  nous  fait  des  objections  que  nous  ne  pouvons  passer  sous 
silence. 

Et  d'abord,  nous  nous  demandons  pourquoi  ce  distingué  professeur  ne  parle 
que  de  notre  classification  des  affections  spéciales,  et  ne  dit  mot  de  notre  clas- 
sement des  lésions  cutanées,  aussi  bien  de  nos  dermatoses  élémentaires  que  de 
nos  affections  génériques;  mais  il  est  facile  d'en  deviner  la  raison  quand,  un 
peu  plus  loin,  on  le  voit  conclure  de  tout  ce  qu'il  vient  de  dire  des  classifications 
cutanées  qu'il  est  nécessaire  d'établir  une  classification  des  genres  et  une  clas- 
sification étiologique  :  ce  qui  veut  dire,  en  d'autres  termes,  qu'il  faut  absolu- 
ment sortir  de  la  méthode  de  la  confusion  pour  adopter  celle  de  la  distinction 
des  états  morbides.  Or,  ce  sont  ces  idées  et  ces  principes  que  j'ai  développés 
dans  mes  cours,  car,  chaque  année,  je  commençais  ma  leçon  d'ouverture  par 
ces  paroles  :  «  Tout  enseignement  suppose  une  doctrine  et  une  méthode  ». 

Cela  dit,  examinons  les  objections  de  M.  Gailleton  :  elles  sont  plus  remar- 
quables par  le  nombre  que  par  la  valeur,  ainsi  qu'on  va  le  voir. 

Première  objection.  La  classification  étiologique,  dit  M.  Gailleton,  a  des 
avantages  et  des  inconvénients,  mais  les  inconvénients  sont  tellement  grands 
qu'elle  ne  saurait  être  adoptée  dans  un  Traité  général  sans  amener  une  confu- 
sion extrême;  elle  expose  à  de  nombreuses  répétitions.  Gailleton  prend  pour 
exemple  l'érythème,  qui  peut  dépendre  d'une  foule  de  maladies  différentes.  Il 
faudra,  dit-il,  feuilleter  vingt  chapitres  pour  avoir  une  idée  de  l'ensemble  de 
l'affection;  et  plus  loin  :  dans  la  classification  de  Bazin,  le  nombre  des  genres 
morbides  symptomatiques  des  maladies  constitutionnelles  s'élève  à  près  de 
quatre-vingts.  Cette  objection  ne  m'aurait  pas  été  faite,  sans  doute,  si  M.  Gail- 
leton s'était  donné  la  peine  de  lire  ma  classification  des  affections  génériques; 
il  aurait  vu  que  je  n'admets  pas  quatre-vingts  genres  d'affections  cutanées  ;  que, 
loin  de  là,  j'en  ai  réduit  le  nombre  à  vingt-deux,  et  qu'avec  la  méthode  de  la 
distinction  des  affections  génériques  et  des  maladies  il  était  inutile  de  revenir 
sur  l'histoire  du  genre  à  propos  des  espèces.  Les  caractères  des  genres  ne  varient 
pas,  et,  quand  on  fait  l'histoire  des  affections  cutanées  qui  se  rattachent  à  une 
même  maladie,  on  ne  doit  faire  connaître  que  les  caractères  distinctifs  des 
espèces  qui  s'y  rattachent. 

2^  objection.  11  est  des  affections  dont  on  ne  peut  arriver  à  connaître  la 
cause  ou  la  nature,  on  ne  sait  si  elles  sont  darlreuses  ou  arthritiques  :  où  les 
placerons-nous?  Cela  est  bien  simple,  dirons-nous  à  Gailleton  :  vous  les  laisserez 
où  elles  sont,  parmi  les  genres.  Puisque  vous  ne  pouvez  pas  ou  que  vous  ne 
savez  pas  en  faire  une  herpétide  ou  une  arthritide,  vous  en  ferez  un  eczéma, 
un  pityriasis  ou  un  psoriasis,  en  un  mot,  une  affection  générique  à  laquelle 
vous  opposerez  le  traitement  indiqué  par  le  genre. 

3^  objection.  Le  mot  difformité  ne  plaît  pas  à  M.  Gailleton  i  c'est  un  mot 
vide  de  sens  [voy.  Difformités).  Disons  seulement  que,  si  M.  Gailleton  n'avait  pas 
confondu  les  affections  en  voie  d'évolution  avec  les  affections  stationnaires,  il 
n'eût  assurément  pas  fait  de  l'ichthyose  une  maladie  dartreuse. 

4"  objection.     Dans   les   diathèses  de    Bazin,   les  maladies   sont   groupées 

DICT.   ENC.   XXVII.  49 


770  DERMATOSES. 

d'après  le  caractère  anatomo-palhologique.  et  non  d'après  le  caractère  clinique. 
Cette  objection  est  sans  valeur,  car  le  caractère  clinique  se  confond  ici  avec  le 
caractère  anatomo-pathologique  :  dire  carcinome,  épithélioma,  lymphade'nome, 
tubercules,  etc.,  me  paraît  tout  aussi  clinique  qu'anatomo-pathologique. 

5^  objection.  La  classification  de  M.  Bazin,  malgré  son  étendue,  est  cepen- 
dant incomplète.  Elle  ne  comprend  ni  le  bouton  d'Alep,  ni  les  affections  symp- 
tomatiques  du  diabète,  ni  celles  dues  à  des  lésions  du  système  nerveux...  Gail- 
leton  connaît-il  la  cause  du  bouton  d'Alep?  S'il  la  connaît,  rien  ne  lui  sera  plus 
facile  que  de  le  faire  rentrer  dans  notre  classification  des  affections  spéciales  ; 
s'il  ne  la  connaît  pas,  il  le  laissera  dans  les  affections  propres  (ordre  des  bou- 
tons), car  évidemment  on  ne  peut  en  faire  une  affection  générique,  bien  qu'on 
ait  voulu  l'assimiler  à  l'ecthyma  ou  au  lupus.  Comme  maladie,  le  bouton  d'Alep 
trouve  naturellement  sa  place  dans  les  diathèses  caractérisées  par  des  affections 
propres  à  côté  de  la  verruga,  de  l'yaws  de  Guinée,  etc.  Les  affections  sympto- 
matiques  du  diabète  sont  décrites  en  ce  qu'elles  ont  de  spécial  avec  l'arthritis 
et  la  maladie  de  Bright. 

Quant  aux  affections  symptomatiques  des  lésions  nerveuses,  nous  prions  le 
lecteur  de  voir  un  peu  plus  loin  ce  que  nous  disons  des  rapports  de  la  peau 
avec  le  système  nerveux,  et  nous  rappelons  à  M.  Gailleton  que  notre  classifica- 
tion des  affections  spéciales  ne  repose  pas  sur  les  causes  secondaires,  mais  sur 
les  causes  premières,  c'est-à-dire  sur  la  nature  ou  l'origine  des  affections  cu- 
tanées. 

«  Une  classification  quelconque,  dit  Gibert  {Traité  des  maladies  de  la  peau 
et  de  la  syphilis,  t.  I"  [Considérations  générales]),  ne  peut  jamais  avoir  pour 
but  de  donner  des  indications  précises  sur  la  nature  et  le  traitement  des  der- 
matoses,... mais  seulement  de  donner  des  bases  solides  au  diagnostic  des 
espèces.  »  Sans  doute,  dirons-nous,  mais  il  faut  s'entendre  sur  ce  mot  espèces, 
car,  si  par  là  on  entend  de  simples  variétés  de  genres  qui  ne  donnent  aucune 
indication  de  la  nature  ou  de  l'origine  du  mal,  cette  connaissance  est  absolu- 
ment stérile.  Les  exemples  que  choisit  Gibert  de  gale,  de  syphilide  et  de  lupus, 
prouvent  parfaitement  ce  que  nous  avançons.  En  effet,  ce  sont  là  des  espèces, 
et  non  desimpies  variétés  de  genres,  qu'il  ne  faut  pas  confondre,  comme  le  fait 
Gibert,  avec  ce  qu'il  appelle  les  formes  cliniques,  c'est-à-dire  ce  que  nous  appe- 
lons, nous,  les  genres  cutanés. 

Terminons  cette  critique  par  l'examen  comparatif  de  nos  doctrines  avec  celles 
des  hommes  qui  ont  exercé  le  plus  d'influence  sur  les  progrès  de  la  dermato- 
logie. 

On  peut  rattacher  à  trois  classifications  principales  tous  les  classements  des 
auteurs  actuels  :  celles  de  Plenck,  de  Willan  et  d'Ali bert. 

Toutes  les  classifications  empruntées  à  l'anatomie  pathologique  rentrent  plus 
ou  moins  dans  celles  de  Plenck  et  de  Willan. 

Aucune  de  ces  classifications  ne  peut  servir  de  guide  pour  le  diagnostic  com- 
plet des  affections  cutanées.  Celle  de  Plenck  ne  va  pas  au  delà  du  symptôme  orga- 
nique ;  celle  de  Willan  ne  va  pas  au  delà  de  l'ordre  et  du  genre.  Celle  d'Alibert 
a  la  prétention  d'arriver  directement  à  la  maladie,  sans  tenir  compte  des  svmp- 
tômes  et  du  genre. 

Rapprocher  l'une  de  l'autre  ces  trois  classifications,  montrer  que  toutes  les 
trois  sont  utiles  pour  le  diagnostic,  faire  connaître  le  lien  qui  les  unit  de  ma- 
nière qu'il  n'y  ait  plus  d'hiatus  dans  le  diagnostic  complet  des  affections  de  la 


DERMATOSES.  771 

peau  :  tel  a  éld  le  but  que  nous  nous  sommes  proposé  dans  notre  enseignement 
dermatologique,  de  sorte  que  notre  triple  classement  des  affections  de  la  peau 
emprunté  à  Plenck,  à  Willan  et  à  Alibert,  peut  être  considéré,  avec  l'extension 
que  nous  avons  donnée  à  chacun  de  ces  classements,  comme  le  guide  le  plus 
complet  qui  existe  dans  la  scieuce  pour  le  diagnostic  et  le  traitement  des  affec- 
tions cutanées. 

En  effet,  le  symptôme  organique  conduit  au  diagnostic  de  l'affection,  et  le 
diagnostic  de  l'affection  conduit  à  la  maladie,  ou,  ce  f]ui  revient  au  même, 
Plenck  conduit  à  \Yillan,  et  Willan  conduit  à  Alibert,  parce  que  l'espèce  mor- 
bide est  contenue  dans  l'affection  générique.  Quelle  a  été  l'erreur  de  chacun 
de  ces  auteurs?  L'erreur  de  Plenck  a  été  de  croire  qu'il  diagnostiquait  la  maladie 
quand  il  ne  diagnostiquait  que  le  symptôme;  l'erreur  de  Willan,  de  croire  qu'il 
avait  affaire  à  la  maladie  ou  à  une  affection  spéciale  alors  qu'il  n'avait  devant 
lui  qu'une  affection  générique  ;  l'erreur  d'Alibert,  de  croire  qu'il  possédait  toute 
la  maladie,  tandis  (ju'il  n'en  possédait  qu'une  partie,  la  dermatose. 

{A  suivre.)  Bazi>. 


FIN    DO    VINGT-SEPTIEME    VOLUME 


ARTICLES 

CONTENUS   DANS  LE  VINGT-SEPTIÈME  VOLUME 

(1"  série). 


Dest  (Anat.  descriptive).             Mayitot.  1 

—  (Histologie).                                   Id.  10 

—  (Anat.  compar.).  MagitotetChauveau.  29 

—  (Physiologie).                          Magitot.  41 

—  (Pathol.)  (Malad.  des  dents)  (Vices  de 

conformation). 

Id.  140 


_       _              _ 

(Affections  en  to- 

talité).        Id. 

208 



(Affections     des 
tissus  dentaires 

isolément).    Id. 

218 

—  (Médecine  opératoire).                    Id. 

506 

Dent  de  chjex. 

Planchon. 

408 

Dext  de  lio.n. 

Id. 

408 

Dentaire  (Botanique). 

Id. 

408 

—       (Hygiène). 

Magitot. 

409 

—       (Prothèse). 

Dechambre. 

422 

Dentaires  (Artèi'es). 

Aubry. 

425 

—        (Nerfs) . 

Id. 

42G 

Dentale. 

Lefèvre. 

428 

Denteculai. 

Planchon. 

450 

Dentelaire. 

Id. 

430 

Dentelés  (Anat.  et  physiol.).     Ledouble. 

4Ô0 

—       (Pathologie). 

Du  Cazal. 

442 

Dentellières  (Hyg.  prof 

essionn.).     Layel. 

447 

Dentiers  (voy.  Z)e)i/a(Ve  [Pi'othèse]). 

Den'tifrices. 

•Dechambre. 

450 

Destine  (voy.  Denl). 

Dentiuostres. 

Ouslalet. 

454 

Dentiste. 

Dechambre. 

454 

Dentition. 

Blacliez. 

466 

DtNYAn  (Les  deii.xj. 

Chéreau. 

475 

Dents  (Jacobus\ 

llahn. 

476 

Déodactïlls. 

Oustalet. 

476 

Déodar. 

Dechambre. 

480 

Dkontologie  ET  dicéologie  médicales.  Dech.  480 

—  cocp  d'œil  historiqde.  48] 

—  DEVOIRS  PIBLICS.  497 

—  QUALITÉS  et  DEVOIRS  PRIVÉS.  499 

—  —      1°  CONDUITE  DD  MÉDECIN  VIS-A-VB  DE 

LDI-MÊME  (Qualités  extrinsèq., 
qualités  intellectuelles,  litté- 
raires et  scientifiques,  quali- 
tés morales).  Ibid. 

—  —      2°  CONDUITE    DC    MÉDECIN    VIS-A-VIS 

DU  CLIENT. 

Scepticisme,  préjugés,  idées 
religieuses  du  client,  baptême 
du  fœtus.  52i 

Qualités  médicales  (dévoue- 
ment, activité,  abnégation, 
douceur,  sensibil.,  bienfaisance, 
charité,  autorité,  fermeté,  dis- 
crétion, prudence,  conscience, 
nombre  de  visites ,  moyens 
thérapeutiques).  550 

Cas  particuliers  (opportunité 
des  consultations,  malad.  incura- 
bles, imminence  de  mort,  mort 
confirmée,  maladies  imaginai- 
res, névrosisme,  pusillanimité, 
aliénation  mentale,  passions, 
âge,  sexe,  avortement,  médecine 
à  la  campagne).  545 

Honoraires.  559 

—  —      5°   CONDUITE  nr  MÉDECIN  VIS-A-VIS  DE 

SES  CONFRÈRES  (détoumemeiit 
de  malades,  règles  des  consul- 
tations, cercles  médicaux).      567 

—  —      Les  COMMANDEMENTS   DU  MÉDECIN  568 

DÉriLATioN  (voy,  ÉpUation). 


774 


ARTICLES  DU  VINGT-SEPTIÈME    VOLUME. 


Dépilatoires  (voy.  Epilatoires). 
Déplacement  (Pharmacie).      Dechambre.  581 
Déplacement  des  orgakes  (voy.  Ectopies). 
Déplacements.  Humbert.  581 

De  Pois  on  Le  Pois  (voy.  Le  Pois  [Les]). 
DÉPOiiTATioN(voy.Pé?«7e«<îatre[Systèine]). 
Déposition.  Dechambre.  601 

Dépotoiks    (voy.    Fosses    d'aisances    et 

Vidanges). 
Deppixg  (Georg-.-Bern).  Dureau.  601 

Defré  (Johann-Friedrich).  Ilahn.  601 

Dépressecrs    (Anatomie)   (voy.   Pneumo- 
gastrique et  Vasomoteurs). 
—  (Chirurgie).       Dechambre.  602 

Dépression.  Id.  G02 

Dépressoir.  Id.  Wl 

Dépuration.  Id.  G03 

Déradelphes.  Larcher.  C07 

De  Raet  (Jean).  Ilahn.  607 

Deraiiim.  Id.  608 

Déhencéphales.  Larcher.  608 


De  Renou  (Jean). 

Derham  (Samuel). 

Dérivation. 

Dérivés  cuimiqdes. 

Derualgie. 

Dehmanïsse. 

Dermaptères. 


Chéreau. 

Hahn. 

Dechambre. 

"Willm. 

Arnozan. 

Laboulbène. 

Lefèvre. 


Dermatalgie  (voy.  Dermalgie) 

Dermatite  (voy.  Peau), 

Dermatobie. 

Dermatobranciies  . 

Dermatochelys. 

Dermatodecte. 

Dermatolysie. 

Dermatomes  (voy.  Peau). 

Dermatophile. 

Dermatoptères. 

Dermatoses  (Historique). 

—  (Étiologie). 

—  (Anatomie  pathologique) 

—  (Symptomatologie). 


608 
608 
608 
609 
614 
634 
634 


Laboulbène.  634 
Lefèvre.  637 
Oustalet 

Laboulbène 


637 
637 


Bazin.  637 


Laboulbène. 

Lefèvre. 

Bazin. 


639 
640 
640 


Id.  683 
Id.  701 
Id.  715 


FIN    DD    VI>GT-SErTIEME    VOLUME 


69i7.  —  Imprimerie  \,  Lahure,  rue  de  Fleurus,  9,  à  Pans. 


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